« Je suis amoureux », répond sobrement le ministre de l’Intérieur quand, sur le plateau du « Grand Journal » de Canal + en juillet 2013, on lui demande de réagir au sondage ELLE-Ifop annonçant que 20 % des Françaises rêveraient de vivre une aventure torride avec lui. Devant sa télé, sa femme, Anne Gravoin, doit sourire en entendant ces mots simples, rares en politique. Tout l’été, le couple a été sous les feux des projecteurs. Il y a eu le baiser langoureux en pleine page de « Paris Match ». Et les deux soirées de la rentrée. A l’Elysée, lors du dîner qui célébrait l’amitié franco-allemande, elle resplendissait dans une robe rouge carmin. Avant de briller ensuite à la fête donnée par l’écrivain Marek Halter pour le nouvel an juif. Alors que la cote de popularité de Manuel Valls ne cesse de grimper (43 % d’opinions favorables dans le baromètre TNS Sofres de septembre) et qu’on le dit déjà lancé dans la course à la présidentielle de 2017, les regards se tournent vers celle qui s’est fait une place au panthéon des « femmes de ».

Violoniste avant tout

Ironie du sort, c’est pourtant tout ce qu’Anne Gravoin s’était promis de ne jamais devenir ! Femme de ministre ? Certes. Mais avant tout violoniste. Des musiciens dits « classiques », qui ont vu débuter ce premier prix du Conservatoire de Paris, aux nombreuses personnalités de la variété qu’elle a approchées par amour du mélange des genres, tous sont au diapason. « C’est une musicienne brillante, très professionnelle », témoigne Jean-Yves Ossonce, directeur de l’Opéra de Tours, avec qui Anne a travaillé plus de cinq ans. Et Laurent Voulzy, qui l’a rencontrée en 1984, se souvient avec émotion : « A 19 ans déjà, elle improvisait des bœufs qui enchantaient les invités à la fin des dîners. » « Je ne connais Anne que depuis un an, mais je l’apprécie énormément. Elle est aussi professionnelle que sympathique, et, pour mon homme, c’est un bonheur de travailler avec elle », confesse Laeticia Hallyday, très fière d’être son amie. De la même manière, Michel Drucker, qui la reçoit régulièrement sur le plateau de « Vivement dimanche », ne tarit pas d’éloges sur cette fille d’un violoniste de renom, marquée à jamais par la mort prématurée de sa mère, professeure d’anglais. « Comme moi, elle est d’origine slave, ce qui contribue sans doute à lui donner cette extrême sensibilité doublée d’une musicalité incroyable », s’émeut Drucker. Cette sensibilité, Anne Gravoin a choisi d’en user pour devenir une chef d’entreprise qui fonctionne au coup de cœur. Avec Régie Orchestre, la société qu’elle a fondée en 2003, elle multiplie les projets avec passion.

Anne Gravoin_violon

En 2004, elle relance le maire d’Evry, son ancien flirt (ils ont eu une petite idylle dans les années 80), et lui propose de venir l’écouter jouer. Echaudé par son divorce, Manuel Valls, père de quatre grands enfants, prend son temps avant de répondre à l’invitation. Quand il se rend enfin à un de ses concerts, c’est le coup de foudre et le début d’un conte de fées dont les protagonistes auront attendu de bâtir leur carrière et de devenir parents (elle-même a une fille, Juliette, 23 ans, née d’une première union) pour se laisser aller à une passion teintée d’indépendance et d’ambition mutuelle. Sillonnant à scooter les rues du 11e arrondissement, loin des « lambris de la place Beauvau » qu’elle dit vouloir éviter à tout prix, Anne Gravoin continue de travailler comme elle l’a toujours fait. « Elle a épousé Manuel avant d’épouser l’homme politique. Ils ont les mêmes valeurs et partagent l’idée d’indépendance par le travail », confie sa bonne copine, Nathalie Mercier, directrice de la communication au musée du quai Branly. Sur la porte de leur appartement gai et douillet près de la Bastille, on trouve parfois de tendres Post-it collés par l’un ou par l’autre. Les enfants y vont et viennent, au rythme des accords du violon d’Anne, qu’ils appellent affectueusement leur « très belle mère ». « On la voit souvent faire le marché, et Manuel Valls s’installe parfois à la terrasse du Pause Café, le bistrot du coin, où se pressent ceux qui désirent se montrer », commente une voisine, dubitative quant à cette « normalité naturelle ». « Elle ne me dit plus bonjour depuis quelques années. Je ne sais pas très bien si c’est parce qu’elle est devenue parano ou juste hautaine », raconte une autre. Dans le quartier, sous couvert d’anonymat, les langues ne se font pas de bois !

Maladroite ou anti-conformiste ?

En tout cas, si Anne Gravoin sourit en regardant son mari parler d’amour à la France, c’est parce qu’elle sait qu’elle peut se reposer sur son couple, solide comme un roc. Vivant à des rythmes différents, habitués à la distance, ces deux-là ont réussi à tirer parti de la séparation physique. Selon Nathalie Mercier, « Anne n’est absolument pas jalouse. 20 % des femmes désirent son mari ? Elle est la première à les comprendre ! » Car ce qui caractérise avant tout ce couple fusionnel, c’est qu’il prend la vie du bon côté. « J’ai été impressionnée par le sens de l’humour inouï d’Anne. Elle a une sorte de politesse par le rire qui frise l’ironie », remarque Arielle Dombasle, qui l’a rencontrée plusieurs fois. Pourtant, cette propension à vivre les choses simplement et à rire « de tout et de tout le monde », comme s’en amuse le compositeur Jean-Claude Petit, peut parfois se retourner contre elle.

Au lendemain de l’élection présidentielle, au détour d’interviews et de nombreux portraits dans la presse, la France découvre une épouse de ministre forte en gueule et soucieuse de raconter son métier plutôt que les gossips du gouvernement. « J’emmerde les puristes ! » lance-t-elle à ceux qui oseraient considérer que lyrisme et showbiz ne font pas bon ménage. Et quand, avec l’ironie qui la caractérise, Anne Gravoin déclare ne pas vouloir récupérer le lit de Claude Guéant, place Beauvau, ou affirme qu’une musicienne, « c’est plus glamour que Madame Ayrault, prof d’allemand dans la banlieue de Nantes », soudain elle dérange. Il faut dire que ce naturel retranscrit sans une esquisse de sourire en coin a de quoi faire tiquer. Aussitôt, on pense à une nouvelle « trierweillerie » (la Première dame est une grande amie) et on imagine Matignon lui remonter les bretelles tandis que Brigitte Ayrault, outrée, se mure dans le silence. « Faux. Il n’y a rien eu à recadrer car Anne, comme toujours, s’est débrouillée toute seule en contactant Brigitte pour lui assurer que ses propos avaient été déformés », explique Nathalie Mercier. Il est vrai qu’en pleine ère anti-peopolitique, impulsée notamment par Manuel Valls, elle aurait tort de jouer la carte de la polémique. Aussi, quand Anne Gravoin est accusée par la presse d’avoir demandé à son mari de virer les Roms en bas de chez eux ou qu’un entrefilet dans « L’Express » révèle qu’elle l’aurait sollicité pour sauver la boîte de nuit du père de Laeticia Hallyday, la violoniste ne se laisse pas faire. Elle attaque en diffamation. « Anne aura souvent droit à ce genre de ragots, il faut qu’elle s’y prépare. Mais elle n’est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds ! » confie Laeticia.

Anne Gravoin_elysee

Un couple épanoui

Ces maladresses médiatiques sont-elles celles d’une apprentie « femme de », qui ignore les rouages de la communication politique, ou les propos d’une fine observatrice voulant casser les codes d’un milieu qu’elle a déjà bien cerné ? « Au début de leur histoire, Anne et Manuel, qui n’était encore connu que comme député de l’Essonne et comme membre du PS, préféraient se cacher. Et nous nous demandions tous pourquoi. “Mais, enfin… tout le monde le connaît !” nous répondait-elle alors », dit-on dans le quartier. A écouter certains, la politique serait dans ses cordes. « Je me souviens du temps où Manuel débarquait déguisé en Chirac, avec son pantalon jusqu’au nombril et sa cravate trop courte. Depuis qu’Anne est là, on le sent beaucoup plus relax », remarque une amie. Pourtant, selon Brigitte Taittinger, l’épouse du président de la Banque publique d’investissement, Jean-Pierre Jouyet, « Anne n’a rien d’une conseillère particulière. Si son mari a changé, c’est simplement parce qu’il est épanoui auprès d’elle ».

Et quand les journaux titrent en réaction à certaines déclarations chocs du ministre de l’Intérieur et à l’omniprésence du couple Valls : « Les nouveaux Sarkozy ? », le sang d’Anne Gravoin, socialiste dans l’âme, ne fait qu’un tour. Alors qu’on a parfois reproché à l’ex-Président de n’avoir que des amis de circonstance, l’entourage du couple Valls est-il formé d’amitiés constantes ? « Ce n’est qu’après de longues conversations sur l’art, sur l’éducation et nos enfants que j’ai découvert qu’Anne était mariée à un homme politique », témoigne Laeticia Hallyday. Le mariage du couple à Evry, en 2010, décrit par leur ami Marek Halter comme un joyeux mélange d’« hommes qui portaient la kippa, venus de Manhattan ou de Londres, et d’imams de l’Essonne », tend à prouver l’ancienneté et la variété de leurs amis. « Manuel et Anne forment un couple adorable. Sans doute parce qu’ils ont beaucoup en commun. Quand on est l’épouse de quelqu’un de puissant, il faut être soi-même très forte et indépendante pour que l’admiration soit réciproque », renchérit Arielle Dombasle. C’est donc en silence et en poursuivant sa belle carrière de violoniste qu’Anne Gravoin écoute son mari lui faire des déclarations à la télé ou grimpe les marches de l’Elysée à ses côtés. Elle le sait, tout va se jouer les quatre prochaines années. Même si elle n’a pas franchement l’intention de s’en mêler. « Ils luttent déjà pour trouver du temps pour eux dans leurs agendas, alors je ne pense pas que la politique soit à l’ordre du jour ! » estime Brigitte Taittinger. « C’est une coureuse de fond, à la fois touchante et robuste, affectueuse et déterminée. Au caractère complexe, paradoxal. Ce qui est propre aux gens intéressants », résume le réalisateur Steve Suissa. Alors, tel un roseau qui plie parfois mais ne rompt pas, sereinement, Anne Gravoin continue à jouer de l’archet dans cette valse à mille temps.


Anne Gravoin, l'atout charme de Manuel Valls - 05/04 by BFMTV