Ministre de la Justice entre 1997 et 2000, Élisabeth Guigou va présider la très attendue commission indépendante pour lutter contre l’inceste et les violences sexuelles, annoncée en août par le secrétaire d’État en charge de l’Enfance et des Familles, Adrien Taquet. L’ex-garde des Sceaux nous explique comment elle compte mener cette mission aussi indispensable que délicate, au cœur de son engagement et de son action politiques.                

ELLE. Pourquoi avez-vous accepté de diriger cette commission ?

Elisabeth Guigou. J’ai beaucoup travaillé sur les violences faites aux enfants, notamment lorsque j’étais garde des Sceaux. En juin 1998, la deuxième loi que j’ai fait voter concernait la prévention et la répression des violences sexuelles sur mineurs ainsi que la protection des victimes. Avec l’aide précieuse de l’association La Voix de l’enfant, nous avons mis en place les premières unités médicopédiatriques dans les hôpitaux afin que la parole des enfants puisse être recueillie par des pédopsychiatres et des enquêteurs, pour que les victimes bénéficient immédiatement des soins et examens nécessaires à l’enquête. Le texte a aussi permis de filmer ces auditions, pour qu’ils n’aient pas à répéter leurs déclarations et à revivre leur traumatisme. Adrien Taquet, qui a voulu cette commission avec l’appui du gouvernement, m’a assuré que celle-ci pourra fonctionner en toute indépendance, avec des professionnels reconnus, et que les différentes administrations se tiendront à notre disposition.                

ELLE. Comment vont se dérouler vos travaux ?                

E.G. Dès mars devrait débuter l’appel à témoignages auprès du grand public après une première phase qui va me permettre de constituer mon équipe et la méthode. Ce travail inédit doit être mené avec la plus grande rigueur pour que toute victime se sente libre de s’adresser à nous. Je souhaite que nous travaillions en lien étroit avec les autorités politiques, tant le gouvernement que le Parlement, et dès le début avec les associations et les acteurs au contact de l’enfance : avocats, enquêteurs, magistrats, médecins… Jusqu’à la remise du rapport – fin 2022 – nous ferons des points d’étape, chaque fois que nous aurons identifié des éléments pour faire bouger les choses.                

ELLE. Quels sont les objectifs prioritaires ?

E.G. Dans un premier temps, nous devons rassembler les données objectives qui correspondent à l’ampleur de ce phénomène. Des instituts ont réalisé des estimations, mais elles méritent d’être actualisées et précisées. Nous aurons à cœur de libérer la parole des victimes, de mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre. Pourquoi ce silence et ce déni sur l’inceste ? Pourquoi la souffrance des victimes n’est-elle pas mieux détectée et la parole des enfants si souvent ignorée ? Comment améliorer le recueil des plaintes et leur suivi ? Notre priorité sera d’orienter les victimes pour qu’elles puissent bénéficier d’un accompagnement judiciaire, psychologique et traumatologique. Et de faire toutes les propositions législatives et préconisations que nous jugerons pertinentes. J’espère que nous allons conduire un véritable changement de société, que chacun se sentira concerné par ce combat.  

ELLE. La société est-elle prête à aborder cette réalité ?

E.G. Les violences sexuelles sur les enfants à l’intérieur des familles, ou dans la société, sont difficiles à affronter. J’observe que la prise de conscience évolue grâce à des témoignages d’écrivains, à des films, à des podcasts, ou à des procès qui nous ouvrent les yeux. Cette année, les podcasts de Charlotte Pudlowski sur l’inceste ou le livre de Vanessa Springora, « Le Consentement », ont eu un écho retentissant, à juste titre. Autour de moi, je vois des jeunes parents plus sensibilisés aux risques que peuvent encourir leurs enfants. Pour ma part, après m’être investie en tant que mère de famille, je le suis comme grand-mère, et je souhaite agir aujourd’hui pour toutes les petites victimes. Je pense que la société n’est plus disposée à fermer les yeux, comme elle l’a fait pendant trop longtemps.