Le temps qu'elle raccompagne Bernie, son bouledogue mascotte chéri, on se cale dans l'arrière-salle d'un café popu. C'est vendredi, fin d'après-midi à Paris. Florence Foresti vit dans cette partie du Marais où, même quand c'est férié, le macadam bat la chamade. Celle qui a pignon sur rue dans l'art de vous forger les abdos à la marrade ne dévisse pas de la tête du peloton des personnalités préférées des Français. Parcours sans faute depuis 2004. Sa cote se tricote d'abord avec Stéphane Bern, avant d'exploser grâce à sa galerie de personnages fictifs, dont Brigitte, la bimbo de « 24 ans et 12 mois », dans l'émission « On a tout essayé », de Laurent Ruquier.

Florence Foresti, avec ses sketchs, est chiche et surtout cap' de faire se bidonner tout un Bercy. Pressés en DVD, ses one-woman-shows se sont écoulés jusqu'à 700 000 exemplaires. Quand « Mother Fucker », son spectacle parodiant la vie d'une maman pas si parfaite, est diffusé sur TF1, l'humoriste aimante 3 millions de téléspectateurs. Sur la gent féminine, elle est plus efficace qu'un antidépresseur et des antalgiques réunis. Parce qu'elle a le don de surligner à l'eye-liner notre quotidien, nos secrets inavouables, nos grandes misères, nos grandes victoires, elle tient notre narcissisme par la barbichette. Tout ce qui fait tilt à son sens de l'observation, elle le note dans des cahiers, dans son portable, et le remise avant de le recycler. Cette féministe qui évolue au diapason de son temps reste fidèle à ses colères, démesurées ou passagères. Florence Foresti, quand elle arrive à notre table, c'est un grand sourire, une voix de meneuse, une énergie Duracell capable de convertir au jogging les adeptes de la philosophie de Churchill : « Une pomme par jour éloigne le médecin, pourvu que l'on vise bien. » Si elle n'avait pas des pieds pointure Cendrillon, on lui piquerait bien ses baskets à scratchs pour courir après son phrasé TGV. C'est une femme qui s'autorise à fumer des clopes et à boire des coups avec des amis. Comme nous, elle ne résiste pas au ramequin de chips accompagnant le Perrier, et dit, une fois qu'il est vide : « Pourquoi je mange ça, je n'ai même pas faim... » Et qui, lorsque l'on sera frôlées dans la rue par une fille aux jambes de 300 kilomètres de long, fatiguée d'être belle, la laissera passer avant d'esquisser un petit sourire en coin et de riposter l'air faussement exaspéré : «Rhhhhhh, oui bon, ben, ça va on a compris ! » Nous sommes dans l'entre-deux d'une actualité qui ne prête pas à sourire. Nous sommes à quelques jours de la commémoration des attentats perpétrés le 13 novembre 2015. Silence. « Comprenez que je ne m'exprime pas. » Par respect. Et juste après une présidentielle américaine caractérisée par un niveau de débat égal à celui de la mer. Elle ne commente pas. « Je m'interdis toute prise de position. Pour moi, ce n'est pas ce que l'on attend d'un artiste. » On insiste, Hollywood a pris parti. « Robert De Niro est très habité par sa colère, par son combat. Si, en France, on en arrivait à ce stade, je prendrais mes armes d'humoriste, avec une mise en scène. D'ailleurs, vous avez remarqué ? Les Américains ont décidé de fixer la date de leur élection le même jour que celui de mon anniversaire ! Quand je leur ai signalé, ils ont dit qu'ils ne changeraient rien. J'ai laissé faire... Dans ce monde qui ne tourne pas rond, mon moteur reste l'humour sous toutes ses formes, alors je vais voir les collègues sur scène et ça me rend heureuse. Avant d'en être une fabricante, je suis d'abord une grande consommatrice d'humour. » Florence Foresti s'est forgée à cette culture avec Pierre Palmade et Muriel Robin. Ensuite, avec Bedos et Devos, les jongleurs du verbe. Puis avec Gad Elmaleh et Jamel Debbouze. Pour références parentales, elle a eu Coluche et Fernand Raynaud. Elle a une tendresse particulière pour les Jaoui-Bacri, Alexandre Astier, l'Américaine Melissa McCarthy et l'Anglais Ricky Gervais. « C'est à l'hôpital où j'ai fait, un jour, un séjour pour une bricole que j'ai compris la fonction du rire. En regardant des sketchs sur une pauvre télé accrochée au mur. À l'hôpital, on est un insecte fragile, on est vidé de sa fonction humaine. Le rire apporte quelque chose et c'est l'essence de mon métier. »

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© Jean-François Robert

Le côté pile de sa notoriété, elle l'a mis au service du Dr Pierre Foldes, pionnier de la réparation chirurgicale des excisions et fondateur de l'Institut en santé génésique dédié aux femmes victimes de violences. « Cette cause m'a touchée. Le centre propose une synergie dans la prise en charge, elle est globale, seule solution pour permettre à ces femmes de s'en sortir. » Le côté face de sa notoriété, elle a décidé de ne pas l'intégrer. « J'ai tout essayé, me cacher, ne pas me cacher. J'ai choisi de vivre avec, de faire mes courses, de promener mon chien en acceptant d'être dérangée. Il y a des matins où, comme tout le monde, je tire la gueule, où je suis en retard. Ce avec quoi j'ai le plus de mal, ce sont les photographes. Souvent mon mec me prévient : 'Attention, impact dans trente secondes !' Quand ça m'énerve, quand je deviens agressive, je me dis qu'il est temps de prendre un peu le vert à la campagne. »

En ce moment, elle n'a rien à vendre, et c'est pour cela qu'on a eu envie de la rencontrer, de la mettre en couverture de ce numéro consacré aux femmes qui nous font rire. Elle n'est pas en promo, c'est à la fois trop tard et trop tôt. Trop tard pour son spectacle « Madame Foresti ». Trop tôt pour le suivant. Elle partagera l'affiche du premier long-métrage d'Anne-Gaëlle Daval (la compagne d'Alexandre Astier) avec Mathieu Kassovitz et Nicole Garcia. L'histoire d'une femme qui sort d'une maladie, et qui, pour réussir à s'aimer de nouveau, prend des cours de pole dance avant d'envisager une nouvelle histoire d'amour. Et ce n'est pas triste. Le titre, « De plus belle », est provisoire. La date de sortie : 8 mars 2017. Dans le travail, Florence Foresti fonctionne au défi : « Je dois me surprendre sinon je suis malheureuse. Mais si ce n'est pas maîtrisé, je n'y vais pas. Quand j'arrête un spectacle, je ne peux pas le reprendre. Et quand j'en prépare un, je vais le répéter quatre heures par jour avec ceux en qui j'ai confiance. » Eux, ce sont Xavier Maingon, avec qui elle partage sa vie, et le réalisateur-scénariste Pascal Serieis. Elle les surnomme ses « coauteurs », ils sont ses « bienveillants premiers regardeurs ». Elle aimerait être plus « insouciante », mais se pare de tous les côtés en bûchant, « seule solution pour bien dormir ». C'est elle qui a demandé à animer la soirée des César. « C'est mon côté sale gosse. Ils se sont quand même un peu tâtés avant de me confier les clés. Ça faisait quatre ans que j'y songeais. C'était un défi relatif, j'ai pu contacter des comédiens que j'adore et j'étais très bien entourée. C'était une expérience unique, qui le restera. »

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© Jean-François Robert

Florence Foresti est née à Vénissieux et retourne régulièrement à Lyon, son port d'attache. Enfance pacifique, bac littéraire, inscription à l'Arfis, école des métiers du cinéma et de l'audiovisuel à Villeurbanne. À 20 ans, elle prend des cours de théâtre, mais « choisir un texte, l'apprendre, le jouer devant un prof sans public » déclenche chez elle un stress incroyable. Elle rêve d'être danseuse. Elle postule au conservatoire à Voiron, qu'elle quitte au bout de deux jours. Petits boulots avant de devenir infographiste chez EDF, où elle s'ennuie. En parallèle, elle découvre le café-théâtre, révélation. Elle rencontre Céline Iannucci et Cécile Giroud. Naît le trio Les Taupes Models. « Quand je les ai quittées pour vivre à Paris, elles m'en ont voulu. Mais elles ont eu la force de passer outre et m'ont aidée à écrire mes propres sketchs en solo. »

De sa famille elle dit : « On est des ritals, ça crie, ça rit, ça gueule et c'est sympa. » Son père a travaillé dans une entreprise de maintenance industrielle, sa mère comme employée de bureau avant de tenir une brocante dans laquelle Florence dégotera le jouet à l'origine de son sketch « L'Avion de Barbie ». Quand ses parents se séparent, elle a 6 ans. Sa soeur a deux ans de plus qu'elle et vit à Lyon. « J'ai été son petit fardeau, c'est toujours ma grande soeur, ma partenaire, ma protectrice. Je regrette que ma fille n'ait pas de fratrie. Mais, avec deux enfants, j'aurais été une maman qui aurait été deux fois plus en retard à l'école ! » Florence Foresti est une amoureuse, qui, comme d'autres ou pas, a divorcé, et qui, comme d'autres ou pas, s'est séparée du père de sa fille. « Toni a 9 ans. Devant elle, je suis sans défense, hypnotisée, c'est ma merveille, tout me bluffe en elle. » Parmi les devoirs de mère, elle pense qu'on doit apprendre l'indépendance financière aux filles. « J'ai des copines qui, aujourd'hui encore, se retrouvent dans la situation que vivaient les femmes dans les années 50. Des enfants, pas de boulot, impossible de se séparer de leur conjoint. Une femme ne doit jamais faire ce que lui demande un homme, et surtout pas arrêter de travailler. »

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© Jean-François Robert

Elle se décrit « casanière, midinette, prétentieuse et très anxieuse ». Les gens qui ne sont pas conscients de leur valeur l'agacent. Elle ne pardonne pas la lâcheté, la cupidité et la malhonnêteté. À la question argent, elle répond que cela lui a permis d'offrir une maison à sa maman, mais pas seulement. « Mon luxe absolu est de ne plus avoir à y penser, le sujet n'étant plus une préoccupation. » À la question croyance, elle répond qu'elle est athée. Elle n'a jamais voulu être actrice. Elle déteste les castings, mais réfléchirait si Woody Allen la demandait. L'anxiété, elle compose avec : « Je la mets au service de ma créativité. J'ai coché la case thérapie et fait le deuil d'une guérison possible. Je râle tout le temps, je suis une vraie Parisienne. S'il y avait une élection parmi celles qui se plaignent tout le temps, je serais élue présidente. À une majorité écrasante ! »

Ce portrait a été publié dans ELLE, jeudi 10 novembre. Abonnez-vous ici.

 

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