Tout commence en 1968. Jane Birkin vient de tourner dans le célèbre long-métrage « Blow-Up » lorsqu’elle décide de quitter son Angleterre natale pour s’installer en France. Là-bas, elle espère se faire connaître en tant qu’actrice, elle qui n’est âgée que d’une vingtaine d’année. Mais elle est bien loin de se douter qu’une rencontre va bouleverser sa vie. Après plusieurs essais, la jeune comédienne décroche le rôle d’Evelyne dans le film « Slogan » de Pierre Grimblat, dans lequel elle doit donner la réplique à un certain Serge Gainsbourg, acteur mais aussi auteur de la bande originale. Un duo que rien ne prédestinait à devenir ce couple emblématique dont on se souvient encore aujourd’hui, tant leur rencontre n’a rien d’un coup de foudre. Bien au contraire. « Je l’ai trouvé compliqué, arrogant, pendant le tournage. Il n’avait aucune gentillesse envers moi », se souvient encore Jane Birkin, dans les colonnes du « Monde ». De son côté, Serge Gainsbourg lui reproche de ne pas savoir parler un mot de français. Pourtant, les deux futurs amants finissent par s’apprivoiser et tomber inévitablement sous le charme l’un de l’autre, sous la houlette du réalisateur Pierre Grimblat. Pour apaiser les tensions évidentes entre les deux acteurs, ce dernier décide en effet de les convier à dîner, liant à jamais leur destin. « Tout d’un coup, j’ai compris que cette arrogance était de la timidité, j’ai saisi la complexité de son caractère. Finalement, c’était un chou. Drôle, charmant, prévenant », raconte l’actrice anglaise.

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D’abord mal à l’aise en sa présence, Jane Birkin vient de succomber au charme de Serge Gainsbourg. Pire, elle accepte une virée nocturne dans la capitale en sa compagnie, faisant voler les derniers doutes qui persistaient en elle : « En une soirée, le personnage avait radicalement changé et j’étais tombée amoureuse de lui. » Et lorsque l’homme à la tête de chou lui propose de la raccompagner chez elle, cette dernière choisit l’audace et le suit jusqu’à son hôtel. « Le temps que je passe à la salle de bains, il s’était endormi. Je suis sortie, j’ai acheté au drugstore le disque sur lequel on avait dansé toute la soirée, je lui ai déposé entre les doigts de pied, et je suis repartie », se souvient-elle. Hasard du calendrier ou non, Jane Birkin vient de divorcer du compositeur anglais John Barry, avec qui elle a eu une fille Kate Barry, née en 1967, tandis que Serge Gainsbourg et Brigitte Bardot ont mis un terme à leur idylle un an plus tôt. C’est le début d’une histoire d’amour mythique et passionnelle qui durera près de douze ans. 

Une passion qui fascine

Entre le Pygmalion et sa nouvelle muse, tout va très vite. Après le tournage de « Slogan », Serge Gainsbourg invite Jane Birkin à interpréter avec lui le titre « Je t’aime… moi non plus », initialement écrit pour Brigitte Bardot. Sans le savoir, l’Anglaise de vingt-deux ans, alors méconnue du public, est sur le point de créer un véritable scandale et ce, dès la sortie du tube en 1969. Et pour cause. Les paroles font explicitement référence à un acte sexuel et la chanson est jugée obscène par le Vatican. Jusqu’à être interdite sur les ondes italiennes mais aussi britanniques et espagnoles. Qu’importe. « Le pape a été notre meilleur attaché de presse », affirme Jane Birkin, qui se voit propulser en tête des hit-parades de l’époque. Avec ce titre sulfureux, le duo signe ici un scandale musical qui marque les esprits. Véritable point de départ de leur album éponyme « Serge Gainsbourg - Jane Birkin ». Sur la pochette, la beauté angélique de Jane Birkin cultive la fascination qui gravite autour d’elle. « C’est Serge qui a voulu que je sois seule. Il voulait que j’aie du succès en France. » Et Serge Gainsbourg voit juste. Avec l’album « Serge Gainsbourg - Jane Birkin », dans lequel figure également le titre « 69 Année érotique », Jane Birkin devient à elle seule le symbole d’une génération, à l’heure où la France est marquée par l’émancipation féminine et la célébration de l’amour libre. Le couple fascine par son charisme, jusqu’à s’ériger parmi les plus emblématiques de sa génération.

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Le revers de la gloire

Le succès est inévitable à mesure que leur collaboration musicale fructifie et rien ne semble pouvoir arrêter le tandem formé par Jane Birkin et Serge Gainsbourg. Rien, si ce n’est les excès de l’interprète de « La Javanaise ». En effet, si le couple semble indestructible sur scène, en coulisses il n’en est rien. Installés dans la demeure parisienne du chanteur située rue de Verneuil, où ils résident avec leurs filles Kate Barry et Charlotte Gainsbourg, née en juillet 1971, les premières fêlures de leur histoire d’amour ne tardent pas à se faire remarquer. Gainsbourg ayant laissé place au fil des années à Gainsbarre, son alter égo éméché qui écume les soirées mondaines à l’époque. « J’étais heurtée par l’alcool, par les états dans lesquels il se mettait. Je sentais qu’il se faisait du mal. Il s’accrochait à moi pour monter dans les taxis, je ne comprenais pas où il voulait aller, ce qu’il cherchait. C’était douloureux d’accepter qu’il se brûle », se souvient encore sa fille Charlotte Gainsbourg. Un comportement autodestructeur qui fragilise leur famille, tandis que les querelles, parfois houleuses, se multiplient. « Ses relations étaient loin d’être apaisées. Plutôt corsées. J’en garde des souvenirs cuisants. Même après leur séparation, quand il venait nous voir chez elle [Jane Birkin], les assiettes volaient. » 

En 1980, après une décennie de passion et de collaboration fructueuse mise sous les feux des projecteurs, Jane Birkin décide de mettre un terme à sa relation avec Serge Gainsbourg, las de ses excès répétés. Sans un mot ou presque, elle fuit la rue de Verneuil avec ses deux filles sous le regard impuissant du chanteur. Il se murmure que Catherine Deneuve aurait même tenté de les rabibocher. En vain. La chanteuse a pris sa décision. « Jane est partie par ma faute », confessera le chanteur, lui qui assume la responsabilité de leur séparation. Pourtant, il est bel et bien conscient qu’il ne pourra rester bien loin de celle qui fut l’amour de sa vie.

Gainsbourg-Birkin, les éternels

Tandis que Jane Birkin devient la compagne de Jacques Doillon – avec qui elle donnera naissance à Lou Doillon en 1982, Serge Gainsbourg n’en oublie pas son rôle de Pygmalion et ensemble, ils parviennent à faire perdurer le mythe qui gravite autour de leur relation. Jusqu’à sa mort le 2 mars 1991, l’interprète de « Comme un boomerang » mettra un point d’honneur à nourrir le répertoire de son éternelle muse, en témoigne leur collaboration sur l’album « Ex-fan des sixties », sorti en 1978. Un opus dans lequel figurent les titres « Baby Alone in Babylone » ou encore « Amours des Feintes », écrits et composés par le chanteur, pour Jane Birkin. Un dévouement, tel une ultime preuve d’amour, que la mère de Charlotte Gainsbourg n’oubliera jamais. Elle s'est éteinte ce dimanche 16 juillet, à l'âge de 76 ans.