Sur le papier, il y a quelque chose d'étrange. Choisir, pour succéder au très terrien Jean-Jacques Bourdin, dix-neuf années de présence bourrue en direct à l'antenne, une Parisienne au patronyme qu'on dirait sorti d'un conte de Perrault ? Une aristo à la tête de la matinale de RMC, réputée être « la radio des taxis et des Gilets jaunes », vraiment ? Ne craint-elle pas la décapitation ? La jeune femme éclate de rire. « Les gens sont beaucoup moins sectaires que vous ne croyez ! Les auditeurs de RMC me connaissent depuis longtemps, ils savent que je suis journaliste avant tout. Et notre public est plus large qu'on pense, avec 1,7 million d'auditeurs chaque matin ! » L'œil noir pétille, le ton est franc et direct, la conversation galope : de fait, chercher dans la personne d'Apolline de Malherbe les stigmates d'une Marie-Chantal éthérée ou déconnectée du monde est peine perdue.

Rien, pourtant, dans son enfance, ne la destinait à être aussi « ancrée ».Naissance dans le 16e arrondissement, famille nombreuse dont Apolline est l'aînée, aïeuls à châteaux, grand-père conseiller général et maire dans la Sarthe, une arrière-grand-mère « Juste parmi les nations », un pedigree résolument « France d'en haut »… En m'entendant énoncer ces éléments biographiques, la jeune femme m'arrête. « Attention, ma page Wikipédia est bourrée d'erreurs ! Déjà, je n'ai pas trois mais quatre enfants… et je ne suis pas née le 2 juin mais le 21 mars 1980 ! » Ce qui est vrai, pour le coup, c'est que tout le monde, dans sa famille, est artiste, à commencer par ses parents : son père, Guy de Malherbe, est peintre, sa mère, Marie-Hélène de la Forest Divonne, galeriste. En grandissant, la petite fille est sûre qu'elle suivra la même voie. « Ça a été dur de réaliser que malgré mon amour pour le dessin, je n'avais pas le talent suffisant pour en faire un métier. Mais aujourd'hui, l'art reste très important dans ma vie, je continue à faire des collages dès que j'en ai le temps. » Sa vocation de journaliste, Apolline la découvre à 17 ans : « Mon père était abonné au “Monde“ et j'ai été subjuguée par une série d'été d'Annick Cojean. Elle avait retrouvé les modèles de photographies célèbres (la “petite fille au napalm” entre autres). C'est rare d'attendre le journal du lendemain, le cœur battant ! J'ai pensé : ah, ça peut être un métier, de raconter le monde ? Eh bien je veux faire ça ! » Après hypokhâgne et khâgne, la bonne élève intègre Sciences Po, où elle fera un DEA de sociologie politique. Pendant ses études, elle multiplie les stages, dont l'un, fondateur, à « Ouest-France ». « J'ai l'impression, en rejoignant RMC, de retrouver ce journalisme de l'immédiateté que j'ai tant aimé. La PQR, ce n'est pas de l'information institutionnelle, il n'y a ni com ni éléments de langage, il s'agit de parler de la vie, telle qu'elle est, d'aller chercher soi-même les histoires. » Autre balise importante, le 11 septembre 2001. « J'étais en stage aux pages culture du “Figaro“, sous la direction d'une jour-naliste formidable, Armelle Héliot, quand nous avons vu en direct la seconde tour tomber. Tous les services se sont retrouvés sur le pont et j'ai dû interviewer un spécialiste du terrorisme en urgence… J'ai compris que le frisson de l'actu, c'était quand même quelque chose ! » Courte incursion en politique, en 2002 : « Je portais les cafés pour le Pôle républicain, soutien à la candidature de Jean-Pierre Chevènement. Je les avais rejoints car je crois plus que tout à la méritocratie républicaine, mais j'y ai découvert les mauvais côtés de la politique : dès que les sondages montent, les gens deviennent littéralement fous. Ça m'a confortée dans l'idée que ma place était du côté des observateurs, pas des “faiseurs“. »

Le rêve américain                 

Un saut dans le temps. En 2010, la jeune femme, déjà mère de deux enfants, est correspondante de BFM aux États-Unis depuis plus de deux ans (la veinarde couvre la présidence Obama) lorsqu'elle reçoit une alerte du « New York Times » : Dominique Strauss-Kahn est incarcéré. Apolline, en route pour le cinéma avec une amie, appelle la rédaction en France, où il est 1 heure du matin. BFM décide de casser l'antenne et de lui confier un direct quatre heures plus tard. Anecdote qui en dit long sur son sang-froid : « Je suis quand même allée au cinéma, car c'était la nuit, je savais que dans l'immédiat on n'aurait aucune info… et je me doutais qu'avec une actu pareille, je n'aurais plus l'occasion de sortir du studio avant longtemps. » Les jours qui suivent sont en effet un tourbillon. Les Américains, qui ne connaissaient pas DSK avant l'affaire du Sofitel, ont soif d'infos : « En tant que journaliste française, j'ai été invitée sur tous les grands plateaux, ABC, CNN… J'ai même approché mon idole, Christiane Amanpour ! J'étais comme une enfant dans un magasin de poupées. » De retour en France, la jeune femme complète sa formation. « J'ai été productrice, éditorialiste, reporter, intervieweuse, même maquilleuse ! Et j'ai eu la chance d'être formée par des femmes qui sont devenues mes mentors, Ruth Elkrief et Hedwige Chevrillon. »                

Bien. Il est temps de mettre sur pause. Trop parfait, trop lisse, ce parcours de comète ? Pas tout à fait. Des accrocs, il y en a eu : un tonitruant « va te faire foutre ! » diffusé par erreur à l'antenne (c'est à elle-même qu'elle l'adressait, faute pardonnée) et, plus récemment, un vrai couac. Hyper pugnace, la journaliste est allée trop loin en février dernier, lors d'une interview de Juan Branco, l'avocat de Piotr Pavlenski, l'homme qui a balancé les vidéos de Benjamin Griveaux. Sa phrase finale, « plus on vous entend, plus on se demande s'il n'est pas que l'exécutant et vous le manipulateur », lui vaut un blâme du Conseil de déontologie journalistique et de médiation. Des regrets ? La jeune femme grimace. « Pas sur le fond, car je crois à la ténacité. J'avais bossé cette interview des heures, j'étais prête. Mais sur la forme, j'aurais dû être plus souriante. Moi qui n'aime que le direct – je suis nulle en différé –, lorsque je me revois, je me trouve trop raide, parfois. » Dans son nouvel exercice, Apolline de Malherbe se promet de faire preuve de davantage de rondeur. Son rôle, elle le qualifie de plus beau qu'on puisse rêver : réveiller, accompagner les auditeurs aux profils très divers. « Dire que RMC est la radio des Gilets jaunes est réducteur ! Et quand bien même ? C'est mon boulot d'écouter ce qu'ils ont à dire, non ? » Au moment de la crise, elle voulait que l'infirmière Ingrid Levavasseur rejoigne les chroniqueurs. Apolline soupire. « Ils ont menacé de la tondre, je comprends qu'elle ait refusé. » Elle a souvent ces phrases au scalpel, qui signent un sens de l'humour qu'on ne perçoit pas forcément à l'antenne. La journaliste, en apparence si sérieuse, rêverait de produire une émission qui s'appellerait « éditos pompettes » (« Alain Duhamel bourré, ça serait bien non ? »). Elle est tordante quand elle évoque sa vie à Washington, et ces mamans « qui débarquent pour dîner chez vous à 19 h 30 avec leurs gosses… alors que vous avez déjà couché les vôtres, pas folle. Aux États-Unis, être mère est un boulot à plein temps, elles arrêtent toutes de bosser, c'est effrayant ! ». Apolline de Malherbe a choisi le chemin inverse : plus elle a d'enfants, plus elle travaille. Quand on l'interroge sur sa charge mentale, elle élude en souriant : « J'ai décidé de faire des enfants débrouillards. C'est le meilleur service à leur rendre. Et je suis très aidée, je suis mal placée pour me plaindre ! » Apolline de Malherbe, aristo mais pas trop, est prête à relever le défi qui l'attend.