ELLE. Comment aborde-t-on un sixième album ?

Vincent Delerm. En se disant que les gens commencent à me connaître, qu'ils connaissent mon schéma harmonique, mes centres d'intérêt. Qu'un sixième album n'est pas un événement en soi.

ELLE. Un constat déprimant ?

Vincent Delerm. Au contraire ! Le challenge est excitant à relever ! C'est comme si on se disait : « Oh là là ! avec ma copine, on a fêté nos douze ans ! » Parfois, sur les foires à tout, on voit des disques de chanteurs des années 60 - je dis ça sans mépris, car je suis aussi vendu dans les vide-greniers -, et on a l'impression que c'est toujours le même album dupliqué à l'infini. À l'époque, personne ne songeait à le leur reprocher. Aujourd'hui, on demande aux chanteurs de se renouveler à chaque fois et c'est très bien. Musicalement, j'avais envie d'un mélange de programmations électroniques et de sons organiques très solaires, vibrants, avec des cuivres et des cordes, comme sur la B.O. de « Peau d'âne ». J'ai écrit tous les textes au dernier moment, dans une volonté d'urgence et d'absence de recul, un côté à fleur de peau. Avec le sentiment que c'était le seul moyen d'apporter quelque chose de différent à ce que j'avais déjà fait.

ELLE. Les thèmes des chansons, plus graves qu'à l'accoutumée, ont-ils été conditionnés par les attentats ?

Vincent Delerm. Sur le moment, non. Mais une fois l'album fini, j'y ai bien vu un écho. Cette volonté d'écrire au premier degré, sans faire de blagues, de s'interroger sur ce qui compte dans nos vies, ce qui nous fait de l'effet... Je sais, ça n'est pas très fun, on a toujours l'air plus malin quand on écrit au quatorzième degré.

ELLE. En même temps, vous évoquez toujours en parallèle des détails qui pourraient sembler dérisoires...

Vincent Delerm. Oui, car j'aime mélanger en permanence des thèmes qui nous touchent très profondément, comme l'amour ou le deuil, et des choses très anecdotiques. Ça peut être un jeu de mauvaise foi de mettre en parallèle « je suis le garçon qui était le seul garçon dans le cours de danse » et « je suis le garçon qui a déclaré un enfant à la mairie du 12 e arrondissement ». Mais je trouve qu'en général, les gens sont malhonnêtes : ils font comme si, dans la vie, il y avait la colonne des grands sentiments et la colonne des détails sans intérêt. Alors que non, tout est imbriqué. Et la chanson est un bon format pour l'évoquer.

ELLE. Dans un duo avec Benjamin Biolay, vous dites aussi que « les chanteurs sont tous les mêmes »...

Vincent Delerm. Oui, on a tous cette image du mec avec sa veste, qui se balade et qui vient de se faire plaquer. Et notre ressort à tous, même si nos styles sont différents, c'est de prendre un micro et d'aller sur scène pour faire le malin devant des gens. Cette dimension Joe Dassin nous faisait marrer, avec Biolay. Tous les deux, nous avons beaucoup joué dans des gymnases à Boulogne-sur-Mer, au festival de la Côte d'Opale, d'où la phrase dans la chanson...  

« A présent » (Tôt ou tard). En concert les 28, 29 et 30 novembre à La Cigale, Paris-18e.

A lire : « C'est un lieu qui existe encore », « Songwriting » et « L'Été sans fin » (Ed. Actes Sud)

 

Cet article a été publié dans le magazine ELLE du vendredi 14 octobre 2016.
Pour vous abonner, cliquez ici.