1 Il aime jouir du matin                                        

Je bénis ma chance de vivre cette suspension avec des arbres pas trop lointains pour voisins. Et j'admire ceux qui continuent de travailler dans ces conditions difficiles pour que vogue le navire, c'est-à-dire le pays. Hier comme aujourd'hui, je n'enlaidis pas la beauté des matins par la réception des informations sur la arche du monde. Mes premières heures sont toujours de papier, avec le rituel immuable de l'écriture (mon travail), notamment celle de lettres et de cartes postales à mes amis. Envoyer une carte postale, c'est cristalliser un moment, épingler une pensée, saisir un fragment du temps qui fuit. Un acte aussi fugitif qu'une caresse dont j'aime l'extrême simplicité, comparée à la joie inversement proportionnelle que l'on éprouve à sa réception, impression de recueillir la myrrhe, l'encens et l'or ! Tout cela n'est qu'une paraphrase de ce que Sébastien Lapaque a si bien écrit dans son livre merveilleux “Théorie de la carte postale” (éd. Actes Sud). En cette période de quarantaine, ce rituel du matin est aussi une manière de donner un contour au temps, de lui imposer une liturgie, un solfège, ne rythmique. »                                          

2 Il profite du confinement pour rédiger un quotidien avec ses neveux                                                                              

« Ils ont 10 et 7 ans. Chez nous, cela relève de l'atavisme familial ! On le fait à l'ancienne, avec du papier et une machine à écrire. Figurent dans chaque numéro un édito (aujourd'hui, l'aîné a lancé un appel aux astronautes actuellement dans l'espace pour qu'ils reviennent sur Terre malgré le coronavirus), le proverbe du jour et des reportages nourris de notre quotidien, les jeux de corde auxquels je les initie, le potager où l'on s'active. Hier, le plus jeune a suggéré d'enterrer dans le jardin ma mère, qui repose dans le cimetière voisin. Cela m'a rappelé ce rituel malgache, la manducation, où une fois par an les familles exhument les ossements de leurs disparus pour les ramener à la maison et vivre une journée avec eux. Une des conséquences de ce confinement est le retour de l'imagination au pouvoir. Quand, comme moi, on a érigé le voyage en principe de vie, on essaie de transformer ce qui nous arrive en aventure. Tâchons de faire de ce moment quelque chose. »

3 Il adore écrire sur Rimbaud                                                  

« Et relire ses recueils de poèmes, sa correspondance. Je travaille tous les jours à la préparation d'“Un été avec Rimbaud”, déambulation hebdomadaire avec l'écrivain que j'animerai sur France Inter pendant les vacances. C'est étrange de faire des écrits de “l'homme aux semelles de vent” sa lecture de la quarantaine. Parce que, toute sa vie, Rimbaud a cherché à s'évader, de sa famille, de Charleville, de la France, de son homosexualité, de Verlaine… Un homme en fuite à travers le monde, mais cadenassé dans son génie pathologique. Dans cette période de confinement, les gens qui aiment les livres sont moins à plaindre que les autres. Les poèmes de Rimbaud, quand on les découvre pour la première fois, donnent la sensation de lire une langue hermétique, puis une deuxième lecture fait naître de nouvelles images et une troisième procure une expérience différente, ainsi de suite. À l'inverse d'un roman qu'on dévore, l'avantage de la poésie est que la lecture est toujours revivifiée, renaissante, infinie. Une bonne piste pour occuper les longues journées. » 

Son lieu : « Un cloître. Le plus beau que je connaisse est celui de la merveille, au Mont-Saint-Michel. C'est un tapis clôturé d'une dentelle de pierre et de lumière ouverte sur le vide. »

Son actu : « Le documentaire “Dans le sillage d'Ulysse”, un périple à découvrir jusqu'au 15 juin sur arte. »

Son chiffre : « Le zéro, c'est-à-dire l'infini. »

Son livre de chevet : « “L'Odyssée de l'endurance”, de Sir Ernest Shackleton (éd. Phébus), raconte la survie de marins, échoués dans l'antarctique. »

* Auteur de « La Panthère des neiges » (éd. Gallimard).