C’est l'histoire d'un père et de sa fille fuyant la France, tombée aux mains d’un homme faussement paternel qui a instauré, mine de rien, un régime nationaliste et autoritaire. Ils vont « Trouver refuge » au mont Athos, un éden loin du fracas du monde. Cette odyssée classique révèle une dystopie moderne dans laquelle l’auteur et journaliste dénonce les dérives d’une société qui voudrait étouffer toute forme de liberté. Mais Christophe Ono-Dit-Biot parle aussi de transmission, de sensations, d’émotions. De ce qu’un père peut enseigner à son enfant et inversement. Découvrir le monde à travers le regard d’une petite fille est un émerveillement perpétuel. Avec son sens du romanesque, « Trouver refuge » nous donne les clés pour rester humain face à l’adversité.

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ELLE. Quel a été le déclic pour écrire ce livre ?                

CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT. Tout est parti d’une image. Celle de la main d’une petite fille dans celle de son père, comme un plan rapproché au cinéma. Deux mains qui se tiennent et qui se donnent de la force.                

ELLE. Vous racontez la fuite d'un homme avec sa fille qui partent « Trouver refuge » au mont Athos. Qu'a-t-il de si particulier, cet endroit ?         

C.O.-D.-B. Je l’ai découvert à 20 ans, comme le personnage dans le livre, et je m’y suis immédiatement senti bien. C’est un lieu d’une beauté renversante, d’éblouissement total, où la nature est profuse et sublime. C’est un endroit de contemplation qui permet de se réinventer. Dans lequel ne vivent que des hommes âgés, sous la protection d’une femme, la Vierge Marie. C’est le lieu où les hommes meurent, mais ne naissent pas. J’ai eu la chance de pouvoir y emmener mon fils Hector, et j’espère un jour y aller avec ma fille Alma.                

ELLE. Vous décrivez un monde où les sensations sont très présentes, notamment celles liées à la nature. C'est un besoin récent pour vous ?                 

C.O.-D.-B. J’ai grandi en pleine nature entre Le Havre et Étretat. Les paysages de mon enfance sont des champs de blé – je tirais à l’arc dans les bottes de foin –, des falaises et la mer où je nageais et pêchais. Il y a quelque chose de l’Arcadie. J’aime aussi la ville, mais je pense que j’ai retrouvé à la naissance de mes enfants le bonheur de ces sensations en les ramenant là où j’avais grandi.              

ELLE. Votre héros fuit un homme à la tête de l'État, surnommée « Papa ». Que se cache-t-il derrière ce surnom ?                  

C.O.-D.-B. C’est un homme qui pourrait être le mélange d’Orbán et de Macron. Un homme qui a du charme, et qui fonctionne sur une tyrannie douce, plébiscitée par les citoyens. Son mot d’ordre est : « Il faut parfois moins de libertés pour préserver la liberté. » Dans un monde instable, il fait croire aux gens qu’il vaut mieux un protecteur qu’un capitaine. Et qu’il fait tout cela pour leur bien. Il a un côté : « Laissez venir à moi les petits enfants. » C’est une forme de paternité que je n’aime pas, opposée à la vraie, celle de mon personnage, qui elle est humble, aimante et à l’écoute.              

ELLE. Le grand thème de votre livre c'est la transmission. Vous avez d'ailleurs commencé votre carrière en étant professeur...         

C.O.-D.-B. Oui, même si mon rêve était de devenir archéologue sous-marin. Je suis devenu prof, car transmettre me tenait à cœur. Et j’ai adoré enseigner même si assez vite j’ai basculé vers le journalisme, car j’avais envie de découvrir le monde.              

ELLE. Qui vous a le plus appris ?                  

C.O.-D.-B. J’ai découvert en élevant mes enfants que la transmission n’était pas à sens unique. On apprend aussi énormément de leur part. L’émerveillement d’un enfant face à un paysage que l’on a vu des dizaines de fois me transporte, et leur curiosité maintient en éveil.               

ELLE. Élevez-vous votre fille différemment de votre fils ?               

C.O.-D.-B. Pour un garçon, on a les codes, on a notre propre schéma, on se projette : « Tu seras un homme, mon fils. » Avec une fille, c’est l’inconnue totale, et c’est très émouvant. J’ai hâte de voir la jeune femme qu’elle va devenir.              

ELLE. À un moment dans le livre, le héros doute et se demande s'il ne vaut pas mieux apprendre à sa fille « à baiser le monde » ?                

C.O.-D.-B. Oui, c’est vrai, il se demande si la solution n’est pas de lui apprendre à être une vraie saloperie, et c’est sa femme qui l’arrête. Et elle a raison. Dans un monde qui voudrait que l’on devienne tous des loups, il ne faut pas céder à ça. Quand je pense à mes enfants, je veux les initier à un maximum de choses qui vont les renforcer. L’art, la culture, mais aussi la beauté du monde, plonger dans la Méditerranée, déguster une tomate avec une sublime huile d’olive…             

ELLE. Et vous ? Qui vous a le plus appris ?                 

C.O.-D.-B. Mes parents, évidemment. Mon grand-père, qui travaillait sur les chantiers navals au Havre sur des bateaux sur lesquels il n’est jamais monté, me racontait des histoires de marins qui ont ouvert mon imaginaire. Et puis deux professeurs : Jacques Derouard, biographe de Maurice Leblanc, que j’ai eu en cinquième et l’année du bac, incroyablement inspirant. Et ma professeure de grec, Mme Brillaud, qui en cinquième a ouvert le ciel gris de ma Normandie en y faisant entrer le bleu de la Méditerranée, et tous les mythes de cette civilisation fascinante. Elle nous a emmenés en voyage en Grèce et, à 12 ans, j’ai bu mon premier ouzo dans une taverne. J’en garde encore le goût !              

ELLE. Dans votre livre, il y a aussi un personnage important, Mina, la femme du héros, que vous décrivez avec beaucoup de justesse et de sensibilité...            

C.O.-D.-B. J’ai interviewé Fanny Ardant il y a peu de temps, et elle m’a dit cette phrase qui m’a marqué : « Je ne me sens femme que devant un homme. » Eh bien, moi, je ne me sens homme que devant une femme. J’ai toujours aimé leur compagnie, les écouter, les comprendre. Pour ce livre, j’ai aimé me glisser dans la peau de Mina, et il y a plein de choses d’elle que j’ai ressenties. En tant qu’être humain. Il n’y a pas pour moi de ligne de partage du monde entre les hommes et les femmes. L’idée de virilité ne me parle pas du tout. Je voulais parler du couple, de ce que l’on croit savoir de l’autre et que l’on finit par découvrir au fil du temps. Je trouve cela assez beau.             

ELLE. Et vous, quel est votre refuge ?                

C.O.-D.-B. Ma famille, évidemment. Et puis l’écriture. Ce livre, que j’ai écrit tous les matins aux premières lueurs du jour, seul face à mon ordinateur, avec ma tasse de café, loin du fracas du monde, a été une sorte de refuge pendant cinq ans. 

 

ONO-DIT-BIOT Christophe COUV avec bandeau - Trouver refuge

©Presse 

« Trouver refuge», de Christophe Ono-Dit-Biot (Gallimard, 410 p.).