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Romain Duris, « Comédien, c’est un luxe »

Au rythme d’un film par an, l’acteur de 48 ans continue, dit-il, à « paver sa route ». Cette fois, Romain Duris, séducteur toujours, campe Aramis, coureur et fine lame, dans la nouvelle adaptation des Trois Mousquetaires voulue par Pathé. De Cédric Klapisch au film de cape et d’épée, il revient sur le tournage, son parcours, la peinture, son métier. Avec un naturel qu’il tient à préserver.

Après une carrière de plus de trente ans et un nombre de succès conséquents depuis Le Péril jeune, qu’est-ce qui vous fait aujourd’hui sortir de votre lit ?
Le défi de réussir une scène dans n’importe quel type de film. Une scène dont j’ignore l’issue. Soit drôle, soit dramatique. De partir à la bataille et voir comment la journée va se dérouler. C’est une chose pour laquelle je me lève et je fonce. Une sensation assez unique.

Les Trois Mousquetaires, est-ce l’opportunité de revenir à un « grand » film populaire ?
C’est ça. Participer à une œuvre connue dans le monde entier. Les Trois Mousquetaires, c’est une aventure folle, la série à succès de l’époque. A la lecture, c’est une épopée moderne, formidablement bien écrite. Avec le réalisateur Martin Bourboulon, nous sortions tout juste d’Eiffel. Il m’en avait déjà parlé sur le tournage. Nous nous entendons très bien. Ça me plaisait de poursuivre l’aventure avec lui. Plus tard, j’ai su qui allait jouer dans le film. Vincent Cassel, je le connais depuis très longtemps. Nous sommes amis. Pio Marmaï, on se croise dans Paris. Il me fait beaucoup rire. Il n’y a que François Civil que je ne connaissais pas. Franchement, tout de suite, nous nous sommes tous très bien entendus. Dans les films de groupe, le casting reste la chose la plus importante. Ce sont des choix de personnalités. Je l’ai appris avec Klapisch dans les années 90.

Romain Duris, Vincent Cassel et Pio Marmaï dans Les Trois Mousquetaires. Photo © Julien Panié

Jamais de montée d’ego lorsque quatre comédiens « à succès » se retrouvent sur un plateau ?
Franchement, le tournage a été très sympathique. Nous nous sommes faits beaucoup de blagues. Nous sommes des acteurs passionnés, qui aimons notre métier. Nous avons de la bouteille, on ne nous la fait plus. Et nous savons où poser les limites. D’où ce côté très frais, très jovial entre nous. Sans jamais se prendre au sérieux. Ce qui ne veut pas dire que nous ne faisions pas bien notre travail. Mais, on se taquinait, comme ça, un peu tout le temps.

Êtes-vous satisfait du résultat ?
Oui. Même si j’ai toujours de la difficulté à juger les films dans lesquels j’apparais. Là, je pense que ça fonctionne. Ce que j’aime, c’est que Martin Bourboulon est resté au service du scénario. Même si c’est une adaptation, il a préservé l’esprit de Dumas. La modernité est présente par le rythme, les acteurs, la lumière, les combats…

Les trois mousquetaires. Photo © 2023 CHAPTER 2 – PATHE FILMS – M6 FILMS

Avez-vous des angoisses à apparaître dans de grosses productions ?
Comédien, c’est un luxe. Evidemment, vous voulez toujours que ça fonctionne mais les enjeux ne sont pas pareils que pour le producteur ou le distributeur. Mon engagement est le même que ce soit pour un petit film d’auteur ou Les Trois Mousquetaires. Et je veux que ça reste comme ça. C’est ça l’idée du « luxe ». Ne pas avoir à prendre en considération les budgets, les enjeux financiers… Sinon, la manière de jouer change et, là, c’est vraiment dangereux. C’est du trac en plus. Il faut rester pur, authentique. De toute façon, un comédien à succès, cela n’existe pas. Il faut savoir se tenir prêt au service de l’histoire. Mon rôle, ici, était de jouer un mousquetaire. Pas de penser aux sommes qu’il y avait derrière. Ça ne me regarde pas. Et je ne veux pas que ça me regarde.

Partager l’affiche ne vous dérange pas plus que ça ?
Non. Ce qui est génial dans le métier d’acteur, c’est que les propositions se renouvellent pas mal. J’ai des vrais premiers rôles. Ensuite, de plus petits rôles où je peux risquer plus de choses. Je ne suis pas gêné de ne pas décrocher le haut de l’affiche. Mon prochain rôle, dans un film belge, est un petit rôle. Mais c’est un défi pour moi. Je joue un méchant. Et je n’en ai pas fait beaucoup.

Romain Duris, Vincent Cassel et Pio Marmaï dans les Trois Mousquetaires. Photo © 2023 CHAPTER 2 – PATHE FILMS – M6 FILMS

Est-ce une relecture « western italien » des Trois Mousquetaires ?
Oui. Mais il y a les mots uniques du Dumas, l’empreinte de la littérature française. Une façon de parler assez précise. C’est vrai qu’il y a une atmosphère de western. C’était l’idée de Martin.

Il y a une scène assez féroce, blasphématoire, où vous taillez au couteau un crucifix pour en faire un objet de torture. Quelle a été votre réaction à la lecture du scénario ?
Aramis vit dans cette dualité de grand séducteur et d’homme d’église. La scène du crucifix, pour moi, c’est une régression de sa part. Comme si d’un coup, sa foi, qui est chez lui un combat quotidien, était mise à l’épreuve. Il cherche à se faire peur lui-même, c’est mon interprétation. Ces quatre mousquetaires restent des guerriers, des héros armés qui soudain peuvent aller très loin. Ils ne sont pas blanc-bleu. Aramis est un personnage sombre, pas toujours honorable. Ce n’est pas un bouffon. Nous voulions que cette scène soit percutante. Elle a d’ailleurs retenu votre attention…

Quels étaient vos romans de jeunesse ?
Oh la… Je ne m’en souviens plus. Pourtant, je lisais. Je n’avais pas la télévision chez moi.

Qu’est-ce qui a le plus changé entre le Romain Duris du Péril jeune et celui des Trois Mousquetaires ?
J’ai du mal avec l’auto-analyse. Je ne suis pas devenu plus sérieux. Peut-être suis-je plus contemplatif qu’avant. Pas posé, parce que je crois avoir toujours le feu en moi. Mais, disons que je peux m’extasier sur un paysage ou un arbre. Ça, à 25/30 ans, je ne sais pas si j’en aurais été capable. Ça fait partie de mon évolution.

Romain Duris. Photo © Aleksei Benuch

Repensez-vous parfois à votre destinée ? La légende du garçon repéré dans la rue par les équipes de Cédric Klapisch et qui devient acteur populaire…
La chance, il faut quand même savoir la saisir. On m’avait déjà arrêté plusieurs fois dans la rue avant que cela se fasse. Et c’est moi qui ai fait le pas en avant vers Le Péril jeune. Était-ce une question de tempérament, de dégaine, de gueule ? Je n’en sais rien. Ensuite, j’ai construit autre chose. Ce métier n’est pas qu’une question de chance. Il y a aussi la passion, le travail, l’engagement, etc. Tout cela m’a pris petit à petit. Vous pavez votre route. Avec des rôles qui donnent envie à d’autres metteurs de vous proposer autre chose. Une carrière de comédien se forge comme ça. Mais le tempérament de comédien, je l’avais déjà. Dès le collège, le lycée…

Qu’appelez-vous « tempérament » ?
Une façon de se mettre en scène, de faire le clown. J’ai passé ma scolarité à détourner cet apprentissage un peu strict en faisant le choix d’en rire et de prendre la chose avec distance, décontraction. Ça a été ma manière de m’en sortir. Cela étant, il faut assumer de jouer le jeu. Briser une forme de timidité. C’est ce qui m’effrayait au moment du Péril jeune. Du jour au lendemain, vous êtes vu. S’enclenche un processus qui n’est pas tout à fait naturel. Il faut apprendre à s’adapter.

Vous sentez-vous en décalage avec le reste de votre profession ?
Pas du tout. La porte d’entrée est différente. J’y serais arrivé de toute façon. Peut-être par un autre moyen. Comme j’ai dit, la chance m’a saisi alors que je commençais des études d’arts appliqués dans une école publique. Peut-être aurais-je entamé une carrière de comédien deux ans après. Mais ça se serait fait. J’ai vécu depuis des moments formidables avec des metteurs en scène qui me sont chers que ce soit Cédric Klapisch, Jacques Audiard, Patrice Chéreau, Christophe Honoré… Finalement, la vraie chance, elle est là. D’avoir été l’acteur qu’ils recherchaient, à un moment donné, pour leur film.

Vous aviez partagé l’affiche de Peut-être de Cédric Klapisch avec Jean-Paul Belmondo. Vous avez été très discret au moment de sa mort…
J’ai préféré. Personne ne réagit pareil face à une disparition. Jean-Paul, je le porte dans mon cœur. J’ai eu des moments très précieux avec lui. Et je me méfie toujours des grands enterrements, les foules en pleurs… Ce n’est pas ma manière de dire au revoir à quelqu’un. Cela peut sembler égoïste. Mais je préfère garder en moi le souvenir de ce que nous avons partagé ensemble.

La discrétion est-elle votre qualité première ?
Elle est importante pour continuer à vivre une vie « normale ». C’est précieux le naturel, de rester en accord avec le milieu, le pays, le monde dans lequel on vit. Cette discrétion, je m’en sers pour mon métier. Lorsque je prépare un rôle, j’ai besoin de me coller à la vie réelle. C’est avec ma discrétion que j’arrive à vivre avec les gens, à les observer. J’ai eu beaucoup de mal avec le fait d’être un personnage public, de voir ma façon de vivre parfois étalée. Ce n’est pas mon truc.

Romain Duris. Photo © Aleksei Benuch

Ce qui explique vos rares incursions dans les débats sociétaux ou politiques…
Je m’en méfie, même s’il y a des moments où il faut savoir s’engager. Mais aujourd’hui, tout est si facilement détourné, transformé. Il faut être habile. Moi, je n’ai jamais été très habile avec les médias. Je n’ai pas grandi avec la télévision. J’ai donc toujours été très méfiant envers cet outil. J’avoue que ce n’est pas là où je suis le plus à l’aise. Et puis, je ne suis pas un homme politique. Je fais de l’art, du cinéma, du divertissement, un métier qui fait rêver.

Auriez-vous pu faire autre chose ?
Je m’étais d’abord orienté vers le dessin, la peinture. Je cherchais un métier manuel à faire à l’heure où l’ordinateur commençait à s’emparer du dessin. J’aimais beaucoup les tableaux, l’illustration. Je pense que j’aurais pu faire quelque chose de cet ordre-là. Aurais-je pu ainsi gagner ma vie ? Ça restera un mystère.

Vous reste-t-il encore quelque chose à prouver ?
Toujours. Chaque personnage, chaque histoire est « à prouver ». C’est un métier fragile. Les émotions que vous essayez de transmettre aux spectateurs restent très subjectives. Il n’y a pas de règles. Vous avez tout le temps quelque chose à prouver. Jamais vous ne vous dites : « Après tel nombre de films, je peux souffler, être tranquille… ».

Romain Duris dans Les Trois Mousquetaires. Photo © Ben King

Un César pour couronner le tout, cela vous plairait-il ?
Ça ne me laisserait pas indifférent. Les César, c’est magique. Mais, clairement, ça reste associé à un projet, une histoire, à une collaboration avec un réalisateur. C’est un tout. Je ne crois pas, en tout cas, à l’idée que subitement vous avez été meilleur dans un film que dans celui d’avant. Ce n’est pas vrai. En vérité, je n’y pense jamais. Je suis heureux même sans César.

Les Trois Mousquetaires de Martin Bourboulon avec François Civil, Romain Duris, Vincent Cassel, Eva Green… Sortie le 5 avril.

Publié dans Edgar numéro 109.