L’invité - Daniel Prévost, acteur et humoriste « Les imbéciles me révoltent »

Le comédien est l’auteur d’un nouveau roman, plein d’humour et de gravité. Il y explore, à l’aune de son expérience personnelle, le deuil, la reconstruction sentimentale et les relations père-fils.
Propos recueillis par Fabrice Veysseyre-Redon - 22 avr. 2018 à 05:00 - Temps de lecture :
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Daniel Prévost, complice de Desproges, Yanne, Serrault et incroyable promoteur de la petite cité de Montcuq, demeure à 78 ans un Ovni de la scène française.  Photo Tony Trichanh
Daniel Prévost, complice de Desproges, Yanne, Serrault et incroyable promoteur de la petite cité de Montcuq, demeure à 78 ans un Ovni de la scène française. Photo Tony Trichanh

- Daniel Prévost, vous sortez un nouveau livre qui traite des difficultés de refaire sa vie lorsqu’on est senior, est-ce le roman de votre vie ?

- Bien sûr, c’est le roman d’une partie de ma vie. Tout cela part d’un petit matériau réel sur lequel on extrapole. Ensuite on revient aux faits pour construire encore et encore le roman. J’aime régulièrement écrire sur des parties de ma vie. La mienne étant faite d’aspérités, j’ai matière à raconter au lecteur.

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En quelques dates

- Tu ne sauras jamais combien je t’aime (1), le titre, à qui s’adresse-t-il ? A votre épouse disparue, à votre fils, à votre compagne ?

- C’est un livre d’amour, il n’y a rien d’autre. En cherchant l’amour, on trouve. Tout le monde cherche l’amour : hommes, femmes, animaux. Sitôt que l’on trouve l’amour ou que l’on en retrouve l’espoir, on est face à un flot de mots. Ce sont ceux-là que j’écris ici.

- Est-ce un « je t’aime » à la vie ?

- Non, parce que la vie ne peut pas être aimée sans amour. Ce « tu » s’adresse à toutes les femmes.

- Votre fils, qui vous a reproché de trahir la mémoire de sa mère lorsque vous avez décidé de reconstruire votre vie sentimentale, l’a-t-il lu ?

- Non, pas encore. Il ne l’a pas lu avant mais ça ne change rien. Avec lui, on s’engueule, on se remet…

- C’est aussi un livre de blessures qui rappelle la mort brutale de votre épouse, mère de vos trois enfants. Sont-elles refermées aujourd’hui ?

- Non, les souvenirs heureux et malheureux sont de bric et de broc, en moi. Ils sont là, ils restent. On s’accroche aux souvenirs heureux et rien ne sert de tenter d’échapper aux malheureux, ce n’est pas possible. On ne peut rien face à cela, la vie est ainsi.

- On vous sait jovial, taquin, provocateur et on vous découvre aussi très impatient voire intransigeant avec les gens qui vous approchent. Les vendeurs dans les magasins (vous avez horreur qu’on vous renseigne), les serveurs dans les restaurants, les chauffeurs de taxi… Pour vous, l’enfer, c’est les autres ?

- C’est tout à fait juste, c’est même la première question intelligente que vous me posez (éclat de rires). Je plaisante bien entendu.

- Oui, mais ma question est tout à fait sérieuse ! (rires)

- Peut-être mais si vous ne plaisantez pas, c’est pas la peine de m’interroger (rires) !

- Qu’est-ce qui vous dérange chez les autres ?

- Les imbéciles me révoltent ; c’est dans ma nature !

- C’est quoi un imbécile pour vous ?

- C’est celui qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Je ne suis pas si désagréable que ne veux en avoir l’air mais j’ai besoin d’un peu de distance. Et ma distance est dans le faux rejet que je donne à l’autre. Ça ne passe pas seulement par l’humour. Je peux sortir l’artillerie lourde, très lourde.

Rien ne va sans difficultés

- On sent dans votre livre des tentatives de retour aux racines. Daniel Prévost, où vous sentez-vous vraiment chez vous ?

- Entre les deux ! Je me sens bien ici, en France. Je suis un enfant de la République. Depuis mon retour de Kabylie où j’ai découvert une partie de ma vie que je ne connaissais pas, je me sens entre les deux. Je regrette juste ce que je n’ai pas vécu.

- A soixante ans passés, vous avez souhaité reconstruire votre vie sentimentale. Est-ce réellement possible ? Peut-on aimer deux fois ?

- C’est chacun son truc, chacun son tempérament. Je n’ai pas de méthode. J’avance en marchant et parfois je fais un pas en arrière. On ne refait pas sa vie. Soit on l’arrête, soit on la continue. Rien ne va sans difficultés. On tombe amoureux mais on ne sait pas ce que nous réserve l’avenir.

- Est-ce plus difficile à soixante qu’à vingt ans ?

- Je ne peux pas vous dire, je ne me rappelle pas ! Je ne m’autorise pas à m’aventurer du côté de mes vingt ans. Etre amoureux à vingt ans n’a rien à voir avec ce que l’on peut vivre bien plus tard.

- La violence, le doute, le manque d’assurance qui ont marqué votre vie se sont-ils atténués avec le temps ?

- Non, ils sont toujours là.

- Question classique : êtes-vous un clown triste ?

- Votre question est logique par rapport à ce que vous connaissez de moi. Cependant, si je ne suis pas un clown, je suis par contre un peu triste. J’ai juste envie de déconner. Passer son temps à déconner est magnifique. J’aime tellement ça.

- Parmi la jeune génération, y a-t-il un humoriste pour lequel vous vous êtes dit : « ça, j’aurais bien aimé le faire ! » ?

- Ça non, parce que personne ne peut m’imiter (rires). Plus sérieusement, j’aime bien Mathieu Madénian. Il dit des choses très drôles, il est très sympathique. Son dernier one-man-show est une vraie rigolade. J’aime bien les sentences qui font rire. Et ça, je trouve que ça manque chez la jeune génération d’humoristes.

« Mes copains me manquent »

- Les Français vous rattachent à trois séquences principalement : celle de Montcuq dans Le petit rapporteur, celle de l’inspecteur Cheval dans Le dîner de cons et celle de la charcuterie avec Pierre Desproges. Ça ne vous lasse pas ?

- Pas spécialement non. Mon oreille ne l’entend plus. Je suis content quand les gens me disent : « Monsieur Prévost, qu’est-ce qu’on a rigolé ! »

- De quoi vous parlent-ils lorsqu’ils vous croisent dans la rue ?

- De Montcuq, vous avez raison. De l’inspecteur Cheval aussi et comme c’est un bon souvenir, je veux bien m’attarder une minute trente puis je passe à autre chose. Cela dit j’aime également que l’on me parle des belles choses que j’ai commises comme Monsieur Joseph ou encore René Bousquet.

- La scène de la charcuterie où vous dégustez du boudin avec Desproges, rétrospectivement, quel sens lui donnez-vous ?

- Aucun. Il ne faut pas en chercher. Ne cherchez pas de sens avec moi. On n’avait pas de sujet ce jour-là. Avec Pierre, nous sommes sortis des studios de la SFP puis sommes rentrés dans ce magasin, juste à côté, avec le cadreur et l’éclairagiste. C’est tout.

- Pierre Desproges vous manque-t-il ?

- Mes copains, surtout, me manquent. Jean Yanne et Michel Serrault en particulier. Ma première pièce, au théâtre Gramont, c’était avec eux. Nous avons tellement ri ensemble, nous étions constamment en écho. Ils ont balisé mon chemin. Il n’y a pas un jour où je ne parle d’eux.

- Serrault, Yanne, Desproges étaient sans limite. La France est-elle confrontée aujourd’hui à l’autocensure comme beaucoup le prétendent ?

- J’entends parfois des choses qui me semblent ineptes mais je trouve que les gens disent beaucoup, beaucoup de choses. Je ne vois pas cette autocensure que certains dénoncent.

- Et la bienveillance, ça vous intéresse ?

- C’est moi qui suis bienveillant envers les autres. Très peu de gens l’ont été envers moi. Aujourd’hui que je suis devenu une icône, les gens sont d’une incroyable bienveillance avec moi (rires). Mais je crois beaucoup en la gentillesse même si je ne suis pas particulièrement gentil ; en revanche, j’essaie de l’inculquer aux autres : « Allez sois gentil ! »

(1) « Tu ne sauras jamais combien je t’aime », au Cherche-Midi, sortie le 26 avril.

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