Le Freischütz de Weber, nouvel Indispensable de Diapason !

- Publié le 23 décembre 2022 à 08:00
Une direction distillant l’évidence et une distribution jamais surpassée offrent la version indispensable du plus célèbre opéra de Weber.

crédit photo : 32829

En juin 1821 à Berlin, E.T.A. Hoffmann assiste à la création fracassante d’un opéra qui, « composé des éléments les plus disparates, n’en porte pas moins d’un bout à l’autre la couleur du sol qui l’a nourri ». Inspiré d’un conte d’effroi, Le Freischütz met en scène le chasseur Max, que ses soudains échecs au tir font douter de tout, de Dieu et du concours où il doit gagner la main d’Agathe. Kaspar, veneur sardonique qu’un pacte lie à Satan, lui propose des balles qui jamais ne manquent leur cible. Rendez-vous pour les fondre à minuit dans la Gorge-aux-Loups, où rôdent les esprits du Mal…

Opéra romantique, fantastique, opéra national par excellence, Le Freischütz nécessite des artistes inspirés et humbles, qui pratiquent une langue où le surnaturel côtoie le familier, le populaire la frénésie, la main de Dieu celle du Diable, et l’immédiateté des choses un monde de pressentiments qu’incarne la forêt insondable. Ces artistes, les voici réunis en 1958, sans bruitages parasite ni narrateur à la place des dialogues.

Au pupitre des Berliner Philharmoniker, Joseph Keilberth possède comme peu le sens atmosphérique d’une œuvre qui appelle non pas de la métaphysique, mais la respiration d’un allant sans pesanteur. La justesse d’allure règne de bout en bout, le relief théâtral ou l’expressivité de la couleur ne semblent en aucun cas recherchés. Ce sentiment d’évidence signale aussi le Chœur du Deutsche Oper de Berlin, prodiguant un grain, des accents réactifs, une vie indispensables à la voix de la communauté.

Fantastiques évidences

La somme de la distribution fut-elle jamais égalée ? L’excellence des chanteurs, tous visages de scène en dépit du studio, se vérifie comme nulle part ailleurs dans une continuité essentielle du parlé au chanté. Loin des Kaspar wagnérisés, Karl Christian Kohn compose un personnage à la fois furtif et inquiétant, dont chaque mot, chaque phrase suggèrent un envers de la situation. Au contraire, Gottlob Frick offre des sonorités d’orgue à l’Ermite ex machina, quand l’élégance débonnaire du jeune Hermann Prey est une grâce pour le prince Ottokar. Ni tout à fait rayonnant, ni artificiellement assombri, Rudolf Schock incarne exactement le caractère entre-deux de Max, son héroïsme entravé.

Lisa Otto, pilier du Deutsche Oper, allie la tendresse à l’ironie, sans confondre la cousine Ännchen avec une soubrette bourgeoise. Agathe enfin s’appelle ici Elisabeth, pour jamais. Car l’absolu des prodiges vocaux de Grümmer (ligne, lumière, coulant, modelé, dynamique, lune et feu) n’est rien devant ce sentiment secret, poétique et religieux, ce frémissement d’une belle âme qui, dans l’angoisse ou la confiance, communique elle aussi un au-delà du décor romantique.

Weber : Der Freischütz.
Hermann Prey (Ottokar), Lisa Otto (Ännchen), Ernst Wiemann (Kuno), Rudolf Schock (Max), Elisabeth Grümmer (Agathe), Karl Christian Kohn (Kaspar), Gottlob Frick (l’Ermite), Chœur de la Deutsche Oper de Berlin, Berliner Philharmoniker, Joseph Keilberth.
« Les Indispensables de Diapason » n153. Ø 1958. TT : 2 h 14’.

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