Eulalie : infante d’Espagne
Ce sont les mémoires de l’infante Eulalie (1864-1958) initialement parues en 1935, qui nous replongent dans la vie de la Cour royale espagnole mais aussi dans celles des autres monarchies européennes.
- Publié le 21-05-2023 à 18h56
Les éditions Lacurne sont spécialisées dans la (re) publication des mémoires d’altesses et de membres de la noblesse.
Eulalie de Bourbon voit le jour au Palais royal de Madrid le 12 février 1864. Elle est le 8e des 9 enfants de la reine Isabelle II et du roi François, ce dernier n’est en fait pas le père de toute cette progéniture, étant considéré comme impuissant.
L’infante n’a que 4 ans lorsque la famille royale prend le chemin de l’exil et s’installe à Paris au Palais dit de Castille avenue Kléber (aujourd’hui détruit). Ce n’est qu’en 1874, suite à l’abdication de sa mère en faveur de son frère Alphonse XII, qu’elle rentre au pays. Le gouvernement ne permet pas dans un premier temps que le roi soit entouré des siens. Ils vivent donc à Séville.
Alphonse XII décède à l’âge de 27 ans en 1885. Veuf éploré d’une cousine Maria de las Mercedes en 1878, il s’est remarié pour la raison d’État avec l’archiduchesse Marie Christine d’Autriche qui est, à ce moment-là, enceinte du futur Alphonse XIII. Pour aplanir les dissensions familiales qui avaient conduit au premier exil avec la fronde menée par l’infante Louise-Fernande (sœur d’Isabelle II) et son époux le duc de Montpensier, il est décidé que l’infante Eulalie épousera son cousin Antoine d’Orléans, duc de Galliera. L’imposant Palais Galliera à Paris est aujourd’hui le siège du Musée de la mode.
Les mariés n’ayant strictement rien en commun, l’union fut d’emblée malheureuse pour Eulalie. Comme elle l’écrit : “J’ai vécu entre deux siècles et n’ai jamais compris auquel des deux j’appartenais, entre les racines absolutistes d’une Espagne ancrée dans le passé et les vents révolutionnaires qui ont changé la face de l’Europe. Mon histoire est l’histoire de ma famille et celle des terres qui m’ont donné refuge. Je suis née infante d’Espagne. J’ai été la fille d‘une reine, la sœur et la tante d’un roi. J’ai grandi loin, en exil. À Paris en français, je suis devenue adulte. J’ai épousé celui que mon statut de princesse exigeait.”
Le couple eut deux fils : Alphonse (1886-1975), marié à la princesse Beatrice de Saxe-Cobourg, fille du prince Alfred, duc d’Edimbourg, et Louis-Ferdinand (1888-1945), marié à Marie Say. La séparation intervient en 1890. Ce n’est qu’au terme d’un long bras de fer qui se déroula pendant 18 mois devant les tribunaux espagnols que l’infante put récupérer sa dot.
Si Eulalie fut malheureuse en ménage, elle profita des joies que lui offrait sa vie d’altesse. Elle est subjuguée par le charme du château de Chantilly où elle se rend en lune de miel pour faire connaissance avec la famille de son époux. Elle entretient des liens d’amitié avec le Kaiser Guillaume qu’elle revit lors de son exil aux Pays-Bas, à Doorn, où il vécut de 1918 à 1941, l’évoquant avec grande tendresse.
Elle est aussi présente en 1897 au Jubilé de règne de la reine Victoria, côtoie le prince Albert I de Monaco dit le prince explorateur. En 1904, elle répond à l’invitation du tsar Nicolas II et visite la Russie. Elle dépeint une vie de famille bourgeoise des Romanov contrastant avec l’étiquette de la Cour et la splendeur des palais.
Elle relate ses visites à la Cour royale de Belgique. Le roi Léopold II était en effet le neveu de son beau-père le duc de Montpensier. Ce dernier avait une grande admiration pour le roi des Belges. “La prédilection de mon beau-père pour le roi des Belges, ajoutée au charme personnel de mon cousin, me le rendit très sympathique. Il était de ces hommes dont la conversation variée et toujours agréable est en même temps instructive. Il avait la finesse d’intelligence et de jugement des Orléans, jointe à des qualités d’homme du monde qui l’auraient fait apprécier dans n’importe quel salon, à défaut de son titre royal. Il possédait en outre un véritable génie des affaires, des dons remarquables d’administrateur, et son œuvre consista surtout à administrer le pays au point de vue financier. ” Eulalie le revit une dernière fois en 1907, deux ans avant sa mort. Il avait alors beaucoup changé, se tracassait pour la paix en Europe et portait encore plus douloureusement que jamais le deuil de son fils, le prince Léopold mort à l’âge de 10 ans en 1869.
L’infante brosse avec grande finesse la vie derrière les enceintes des palais mais aussi son ressenti de la rue, lors de ses visites aux Cour d’Italie, de Bulgarie, de Portugal, de Russie et de Prusse. Des mondes royaux aujourd’hui engloutis.
En 1912, cette fine plume publie un ouvrage intitulé “Au fil de la vie” sous le pseudonyme de comtesse d’Avila. Elle aborde les questions politiques et sociales dont la condition des femmes. Cela crée un énorme scandale en Espagne où elle est traitée de républicaine. Son neveu le roi Alphonse XIII est contraint de lui demander de s’exiler… Ils se réconcilieront plus tard.
Les mémoires s’achèvent après la chute de la monarchie en 1931. Le roi Alphonse XIII mourut en exil à Rome en 1941. Commence alors pour l’infante Eulalie ce qu’elle appelle un “long hiver”. Elle put retourner en Espagne. Son arrière-petit-fils Alvaro d’Orléans-Bourbon est l’un des plus proches amis du roi Juan Carlos d’Espagne. Il a épousé en premières noces Giovanna San Martino d’Agliè dei Marchesi di San Germano, nièce de la reine Paola.
L’infante s’éteignit en 1958 à Irun au Pays basque. Elle repose au panthéon des infants au Monastère royal de l’Escurial.
“Infante Eulalie de Bourbon, Souvenirs d’Espagne et d’Europe”, édition établie par Jacques Brunel, Éditions Lacurne 2023, 336 pages.