Montpellier : au détour des « folies »

Publié le par Florence Donnarel

On les appelle « folies » ou « maisons des champs ». Aux XVIIe et XVIIIe siècles, ce sont de belles demeures que les notables montpelliérains s'offrent à la campagne, à quelques kilomètres de leur hôtel particulier du centre-ville. Architecture raffinée, mobilier inspiré, jardins soignés : elles affichent le goût de leur propriétaire pour l'élégance. Aujourd'hui exploitations viticoles ou maisons-musées, elles ouvrent leurs portes au public. Morceaux choisis.

Il faut faire preuve d'un peu d'imagination. Au milieu du XVIIIe siècle, quand Henri Haguenot, professeur de médecine et conseiller à la Cour des comptes, aides et finances du Languedoc, fait bâtir sa maison de villégiature sur les pentes du Peyrou, elle se situe à la campagne. Aux abords immédiats des anciens remparts, on vient certes d'aménager le promontoire rocheux en promenade mais, autour, ce sont encore des champs et des oliviers. Le notable se sent à l'étroit dans son hôtel particulier du centre-ville, sombre et sans jardin, non loin de la cathédrale Saint-Pierre. Féru de botanique, il souhaite herboriser. Aussi, quand les pères de l'ordre de la Merci, installés près du Peyrou, lui cèdent pour une somme modique une olivette afin de le remercier de ses soins gracieux, c'est son rêve de « maison des champs » qui se concrétise. Un cèdre bicentenaire se déploie devant la villa palladienne conçue par Jean Antoine Giral, architecte en vue qui a signé la place Royale du Peyrou. Bâtie de plain-pied, la demeure de facture classique largement inspirée par le voyage en Italie de son concepteur, est percée de nombreuses fenêtres pour profiter de la nature environnante. «Il existait une symbiose entre l'architecture construite, très ouverte sur l'extérieur, et l'architecture du jardin avec des terrasses», explique Isabelle de Parseval, copropriétaire de l'hôtel Haguenot, lequel est dans sa famille depuis trois générations. 

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Un foisonnement végétal

Par sa situation géographique (à l'époque) et ses nombreux jardins, l'hôtel Haguenot s'apparente à une « folie », ces maisons de villégiature érigées à la campagne aux XVIIe et XVIIIe siècles par les notables de Montpellier, déjà propriétaires d'un hôtel particulier en ville. Le terme « folie », du latin « folia », évoque la feuille et plus largement le foisonnement végétal autour de ces demeures. La plupart disposaient d'un vaste domaine, de quelques dizaines d'hectares, avec une exploitation agricole. C'est le cas du château de Flaugergues, à 3 km à l'est du centre-ville. Dans le quartier urbanisé du Millénaire, avec ses 32 ha de jardins et de vignes, Flaugergues est une oasis de verdure. Son jardin à la française compose un tableau de 10 000 buis ciselés, déroulé devant une gracieuse villa italienne en pierre blonde, ornée de vases Médicis. « Le château date de 1696 lorsqu'Étienne de Flaugergues, conseiller à la Cour des comptes de Montpellier, le fait bâtir sur un domaine viticole. Depuis, il est toujours resté, avec son vignoble, dans notre famille », se félicite Henri de Colbert, par ailleurs descendant du ministre de Louis XIV. Original, le parler tranché, il guide les visiteurs à Flaugergues, tandis que son fils aîné gère les vignes du domaine qui produit 160 000 bouteilles par an.

Dans sa demeure, Henri de Colbert cache un trésor : un escalier dont les volées sont suspendues et soutenues, ainsi que les paliers, par des arcs à clefs pendantes. Il est exceptionnel par sa réalisation sur trois niveaux. « C'est la pièce maîtresse de l'habitation, avec les cinq tapisseries flamandes du XVIIe siècle, accrochées dans la cage d'escalier et dans la bibliothèque, qui racontent la vie de Moïse. Elles proviennent de l'hôtel du Gouverneur, dans Montpellier, où mon grand-père est né », précise-t-il. Depuis, l'hôtel particulier urbain de la famille, situé place de la Comédie, est devenu un cinéma. L'autre fierté d'Henri de Colbert ? Le jardin botanique de Flaugergues, luxuriant parc créé en 1850. Il abrite une riche collection d'espèces exotiques, une bambouseraie, un cocotier du Chili et un feidjoa du Brésil, chacun âgé de 150 ans... Un héritage de son arrière-grand-père botaniste, lequel fournissait le jardin des Plantes de Montpellier au milieu du XIXe siècle.

Une déclaration d'amour architecturale 

À une dizaine de kilomètres à l'ouest, à Lavérune, le château de l'Engarran s'est entièrement tourné vers la viticulture. « Une folie vigneronne, décrit Diane Losfelt, sa propriétaire. C'est la seule “folie” qui témoigne de la tradition viticole dans ses ornements. » Et de pointer sur la façade Sud de la demeure, de taille modeste comparée aux villas précédentes, les atlantes enlacés de grappes de raisin. Les curiosités ne manquent pas sur ce domaine de 60 ha. En 1750, Jean Vassal, conseiller comme de nombreux propriétaires de «folies», aux Aides et aux Finances du Languedoc, a fait élever le château au milieu des vignes. Il le fait bâtir sur les fondations d'une métairie acquise en 1632 par Henry d'Engarran, le notable local qui a laissé son nom au domaine.

Le goût de Vassal pour l'élégance s'exprime partout : dans la grille monumentale en fer forgé flanquée de deux pins, comme dans les sculptures qui décorent la demeure. Le château est une déclaration d'amour à sa jeune femme, Suzanne Loys de Marigny. Sur la façade Sud, deux aigles enlacés, becs accolés, ne forment-ils pas un cœur ? Sur la façade Nord, plus intime, les agrafes en haut des fenêtres racontent le temps qui passe sur un visage féminin. La jeune fille au visage rebondi, encore timide, qui baisse les yeux ; la femme mûre, épanouie par la maternité, qui regarde vers l'avenir ; la femme dans sa vieillesse enfin, ridée, les yeux tournés vers son passé...

Cinq générations de vignerons 

Le jardin à la française cascade en terrasses devant le château. Un entrelacs de haies de buis, ponctué de statues riches en symboles et de larges miroirs d'eau, où se reflète la demeure. Un havre de sérénité sur lequel penchent les grands chênes, tilleuls, marronniers et pins maritimes du parc, grand de 3 ha. À l'Engarran, l'histoire du château, dans la famille Grill depuis cinq générations, se confond avec celle de la viticulture dans le Languedoc. « Francine Grill, ma mère, était convaincue que la région pouvait mettre des vins en bouteille. Elle s'est lancée dans l'aventure en 1978 », explique Diane Losfelt. Depuis, la vigneronne qui produit 260 000 bouteilles par an, a largement œuvré à la reconnaissance des camaïeux du terroir languedocien et a lancé l'Appellation d'Origine Protégée les-grés-de-Montpellier. Ultime confirmation de la destinée viticole de l'Engarran.

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