48 heures à Millau

Publié par Pascale Desclos  |  Mis à jour le

Passage obligé des anciens chemins de transhumance entre le Massif central et la Méditerranée, Millau love sa cité médiévale et ses ateliers d'art dans une boucle du Tarn. En ligne de mire, la silhouette aérienne du viaduc de Millau. Programme clé en main pour découvrir la cité aveyronnaise.

De Millau et ses environs, on le voit de partout. Enjambant la vallée du Tarn d'un bond de 2 460 mètres entre le causse Rouge et le causse du Larzac, le viaduc de Millau est à la sous-préfecture de l'Aveyron ce que la tour Eiffel est à Paris. « En plus haut ! », ajoutent malicieusement les locaux, puisque l'ouvrage d'art culmine à 343 mètres, soit 13 mètres de plus que la Dame de fer. Depuis sa mise en service, il y a vingt ans, la petite capitale des causses respire mieux : adieu le bouchon tant redouté des automobilistes, qui devaient sortir de l'A75 reliant Béziers et Clermont-Ferrand et franchir le Tarn au cœur de la ville. Désormais, plus besoin de quitter l'autoroute, la traversée ne dure que quelques minutes… Avec ses allures de grand voilier blanc haubané, le viaduc se fond dans le paysage grandiose de la vallée. Son tablier métallique glissant entre ses piliers évoque un fil passant dans le chas d'une aiguille. Un clin d'oeil de son architecte, le britannique Norman Foster, à l'histoire industrielle de Millau, réputée depuis des siècles pour le travail du cuir et la ganterie.

JOUR 1

9 h 30 : au pied du Viaduc

Avant de sortir de l'autoroute A75, arrêt à l'aire du viaduc de Millau. Quelques minutes suffisent pour grimper à pied vers le belvédère, qui offre une vue panoramique sur le géant. Pour en savoir plus, on opte pour le parcours guidé des explorateurs, qui permet d'accéder sous le tablier. L'occasion de ressentir de près les vibrations de l'ouvrage aérien : 13 000 véhicules passent ici par jour, soit 4,8 millions par an. Mais les automobilistes, eux, ne sentent pas les effets du vent, fréquent et violent : de chaque côté du tablier, un paravent de 3 mètres de haut en réduit l'impact. En contrebas, dans l'ancienne ferme caussenarde de Brocuéjouls, une exposition retrace l'aventure de la construction du viaduc le plus haut du monde (par sa structure) par l'ingénieur français Michel Virlogeux et la société Eiffage.

11 h : sur les quais du Tarn

À huit kilomètres de la sortie de l'autoroute, Millau se déploie dans une boucle du Tarn, au creux d'une plaine alluviale assiégée de toutes parts par les hauts plateaux calcaires. Sur la rive droite, près de la confluence avec la Dourbie, des petites plages fluviales invitent à la baignade. Le périple commence sur les quais Sully-Chaliès, aménagés en promenade piétonne. Là où autrefois s'étendaient ateliers de tanneurs et prés servant à l'étendage des peaux souffle aujourd'hui un air de renouveau. La Très Grande Mégisserie, relookée d'une façade colorée de volets verts, jaunes, bleus, est devenue pépinière d'entreprises. Piétons et cyclistes se retrouvent sur les gradins de pierre, face à la presqu'île de la Maladrerie et sa base de sports d'eaux vives. De là, vue imprenable sur les parapentes qui décollent du Pouncho d'Agast, perché sur le rebord du causse Noir à 840 mètres. Plus loin sur les quais, le Pont Vieux et son moulin se mirent dans l'eau. Détruit par une crue du Tarn en 1758, il ne compte plus que deux arches, contre 17 auparavant, mais il reste l'emblème de la ville. « Probablement élevé avant 1156, date de sa première mention officielle, cet ancien poste de péage a participé au développement de la cité au Moyen Âge. C'est par là que transitaient fourrures, peaux, laine, fromages et troupeaux descendant du Massif central, mais aussi vins, verre, perles, épices venus des côtes méditerranéennes », explique notre guide Sandra Agrinier. Autant de marchandises qui s'échangeaient lors des grandes foires médiévales. L'ancien moulin à eau qui le surplombe servait, lui, à moudre l'écorce de chêne utilisée pour la transformation des peaux en cuir. Autrefois, moulins et tanneries prenaient place le long de la Vésoubie, un ruisseau qui traversait les faubourgs de la ville avant de se jeter dans le Tarn.

12 h : le Vieux Millau

De l'eau, un pont. Le cadre est posé pour entrer dans la vieille ville de Millau (de Aemiliavus, le lieu où habite Aemilien), jadis entourée de remparts. Rue de la Mégisserie, rue de la Peyrollerie, rue de la Capelle… Au fil des ruelles, galeries et ateliers d'art ont pris position dans les demeures médiévales aux plafonds voûtés, aux façades ornées de baies géminées, de têtes sculptées : ici, les sacs en cuir et voile de bateau de Voilensac, les gants en cuir d'agneau de l'Atelier du Gantier, l'atelier du maître-verrier Claude Baillon… Sur la rue Droite, on lève le nez vers la tour du Beffroi, bâtie au XIIème siècle par Alphonse II d'Aragon, comte de Millau. Un austère donjon en pierre de 42 mètres de haut, percé de rares ouvertures… De l'extérieur, rien ne laisse présager la sophistication de ce palais urbain, œuvre majeure de l'architecture romane dans le Midi. Mais en grimpant les 210 marches, on découvre l'aula, une vaste salle entourée d'une galerie supérieure et ciselée d'arcades de pierre. Sous les archères, habillées de vitraux, des petits bancs en pierre pour s'asseoir. Du haut de la tour, le panorama s'ouvre sur Millau, la vallée du Tarn et le viaduc… Après une pause gourmande aux Halles, construites au XIXème, cap sur la place du Maréchal-Foch, place publique du Moyen Âge, qui accueille le marché, chaque mercredi et vendredi matin, à l'ombre des platanes. Autour de la fontaine des griffons, de style Empire, les cafés ont poussé sous les « couverts », ménagés sous les étages des maisons à pans de bois. On pousse la porte de l'église Notre-Dame-de-l'Espinasse, fondée au XIIème siècle et bien remaniée depuis. Sur la grande fresque du chœur, représentant la vie de la Vierge, l'œil repère des personnages incarnant les métiers de la cité : un mégissier, un teinturier, un coupeur de cuir et un gantier.

16 h : visite au musée

Installé sur la place, dans un hôtel particulier du XVIIIème, le musée de Millau et des Grands Causses a le charme des cabinets de curiosités d'antan : parquets qui craquent, vitrines à l'ancienne et guides érudits. Du sous-sol au premier étage, il déroule de passionnantes collections, dédiées aux fossiles marins découverts sur les causses, à l'antiquité gallo‑romaine et à l'histoire de la mégisserie et de la ganterie. On y admire, entre autres, les gants brodés d'or que portait Jean Marais dans La Belle et la Bête, film réalisé en 1946 par Jean Cocteau… « Par sa proximité avec le causse, haut lieu d'élevage des brebis, et avec le Tarn, qui fournissait l'eau en abondance aux mégisseries, la ville s'est taillée dès le Moyen-Âge une réputation dans le travail des peaux, rappelle l'ethnologue Katia Fersing, directrice du musée. Au milieu du XIXème, la qualité inégalable du cuir d'agneau de la race Lacaune, liée à la production du roquefort, propulse Millau dans l'ère industrielle. Grâce à l'invention de nouvelles machines et au savoir-faire local, la ganterie devient l'activité principale de la ville. Quatre-vingts ateliers de fabrication de gants s'y partagent le marché, employant jusqu'à 7 000 ouvriers et ouvrières ». Une révolution qui a forgé l'esprit rebelle de la sous-préfecture de l'Aveyron, qui fut un peu le nord du Sud… Témoin de la vie ouvrière d'autrefois : la Maison du Peuple, qui dresse sa façade néoclassique à colonnes sur le boulevard Saint-Antoine, à deux pas du musée. Jusqu'en 1935, elle accueillait les réunions syndicales. Les foules s'y massaient aussi les jours de grève. C'est depuis devenu une salle de spectacles.

JOUR 2

9 h 30 : la ganterie Fabre

Ce matin, visite de la Maison Fabre, une des cinq dernières ganteries encore en activité à Millau. Les gants blancs d'officier du général de Gaulle, ceux en velours vert de Louis de Funès dans La Folie des grandeurs, ou encore les gants en cuir d'agneau doublés soie qu'arborait Brigitte Macron aux funérailles de la reine Élisabeth II en septembre 2022, c'est elle… À l'arrière de l'élégante boutique de l'avenue Gambetta, l'atelier plonge le visiteur dans une ambiance surannée : parquets de bois patiné, odeurs de cuir, presse à découper à l'ancienne, vrombissement des machines à coudre… « Quand, en 1924, mon arrière-grand-père Étienne, officier de gendarmerie à cheval, a lancé la fabrication à domicile de gants pour l'armée, la ganterie était l'unique activité de Millau ou presque, explique Jean Fabre, qui dirige aujourd'hui l'entreprise avec son frère Olivier, responsable du bureau de style à Paris. Mais la visionnaire de la famille, c'est ma grand-mère, qui a eu l'idée de démarcher les grands magasins parisiens et de créer tout un réseau de clients prestigieux. Dans les années après‑guerre, l'atelier fabriquait 250 000 paires de gants à l'année et employait 350 personnes ». Reconvertie dans l'industrie du luxe, la maison a depuis nettement réduit la voilure, avec seulement 16 employés. Mais si le cousu main est désormais réalisé au Portugal et en Hongrie, elle cultive encore son savoir-faire artisanal.

11 h : l'hôtel de Sambucy

Un peu plus loin, sur le boulevard de l'Ayrolle, M. et Mme de Sambucy nous accueillent dans les jardins de leur hôtel particulier, que les Millavois appellent « le château ». Ouvert sur demande aux visiteurs, le parc offre un écrin de verdure en plein cœur de la ville. « Bâti au XVIIème siècle pour Jacques Duchesne, maître des Eaux et Forêts en Rouergue, puis transmis par mariage à mon ancêtre, ce domaine appartient à notre famille depuis 1745 », explique Marc de Sambucy. Au pied de la ravissante demeure en pierre de taille, coiffée de toits de lauze, le parc à la française brodé d'allées en buis a fait l'objet d'une restitution paysagère en l'an 2000.

14 h : en barque au fil du Tarn

Direction Creissels, où les Bateliers du Viaduc proposent des balades en barque. Au fil de la descente, Manu, le pilote, raconte l'histoire de la batellerie, les crues mémorables, la faune et la flore. Ici, une hutte de castor, un envol de héron cendré, des rapides frissonnants, et nous voilà sous les deux plus hautes piles du monde pour une vue exclusive sur le viaduc de Millau ! Un peu plus loin, dans une boucle de la rivière, apparaît le village troglodyte de Peyre, classé parmi les plus beaux d'Aveyron. Ses maisons de pierres claires s'étirent le long d'une falaise abrupte. De la berge, on grimpe au fil des ruelles caladées jusqu'à l'église fortifiée encastrée dans la roche. Juste devant, une place ouverte offre une vue imprenable sur le viaduc et les eaux vertes du Tarn. Les siècles s'entrechoquent, vertige de l'Histoire.