Violon de Saint-Saëns, en duo avec piano ou harpe : des lectures d’archet un brin mutines ?

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Camille Saint-Saëns (1835-1921) : Sonates pour violon et piano no 1 en ré mineur Op. 75, no 2 en mi bémol majeur Op. 102. Fantaisie pour violon et harpe en la majeur Op. 124. Berceuse Op. 38 [arrgmt pour violon et harpe]. Cecilia Zilliacus, violon. Christian Ihle Hadland, piano. Stephen Fitzpatrick, harpe. Mai & août 2021. Livret en anglais, allemand, français. TT 66’44. BIS-2489

Bien que le tout jeune Saint-Saëns esquissât une sonate pour violon en 1850, ses deux contributions achevées dans ce genre datent de sa maturité, et s'avèrent d'esprits radicalement différents. Élaborant un thème cyclique à l'instar de la symphonie « avec orgue », la première (1885) précède d'une année celle de César Franck et s'inscrit dans un répertoire quasi vierge dans la France du XIXe siècle. Elle courtise le brio avec un certain orgueil. Le compositeur ambitionnait que les virtuoses du monde entier s'arrachassent cette « comète qui va ravager l'univers en semant la terreur et la colophane sur son passage ». Ce que ne dément pas le conclusif allegro molto qui, tel un moto perpetuo, enfile des gammes effrénées. Elle reste la plus populaire des deux, si l'on considère par exemple qu'elle fut enregistrée par d'illustres archets tels que Jascha Heifetz (RCA), Gil Shaham (DG), Pinchas Zukerman (Philips), Sarah Chang (Emi), ou Joshua Bell (Sony).

D'un langage plus contenu et intimiste, la seconde fut écrite en Égypte en 1896, et présentée au public à l'ancienne Salle Pleyel, le compositeur accompagnant lui-même au clavier le grand violoniste Pablo de Sarasate (1844-1908). Malgré la diversité d’idiome entre ces opus 75 et 102, Cecilia Zilliacus les relie comme deux faces d’une même étoffe, par son geste net et atturé qui enserre l’éloquence sans en trahir l’intensité. La musicienne suédoise ne bouscule pas l’Allegro agitato et aligne sans outrance le fougueux final de la sonate en ré mineur, en y privilégiant l’intarissable élan des lignes sur le vain panache.

En revanche, peut-on estimer qu’elle survolte le Poco allegro de la sonate en mi bémol, et qu’elle néglige l’humour et les respirations du Scherzo ? Malgré des tempos globalement aisés, on aurait aussi aimé une exploration plus émue de l’Andante et moins rétive à ses langueurs. Les humeurs semblent mieux appariées dans l’Allegro grazioso ; malgré un violon moelleux, l’exécution ne semble toutefois pas exempte de passagers inconforts, comme cherchant le juste style au travers d’un tissu revêche. Dans l’ensemble, pour ces deux œuvres, le Steinway fluide et délicat de Christian Ihle Hadland contraste avec l’astringence des cordes qui, éprises de sèche minéralité, refusent à la fois d’éblouir et de s’attendrir. Tantôt subtilement madrées, tantôt retorses.

Au lieu du tardif Triptyque op. 136 dédié « à Sa Majesté Élisabeth, Reine des Belges » (1912), et qui l’aurait logiquement abondé, le programme est complété par deux œuvres avec harpe. La Fantaisie cultive charme et élégance et se hâle d’une harmonie fauréenne et debussyste, autant qu’elle reflète un charme mélodique tout méditerranéen, en écho à ces paysages italiens qui la virent naître à Bordighera en mars 1907. Là encore, l’abandon lyrique n’apparait pas la marque de Cecilia Zilliacus et de ses phrasés corsetés, mais le duo distille des ambiances capiteuses, zestées d’étrangeté, comme havies sous le soleil latin.

La séduisante Berceuse Op. 38 est ici dévoilée dans une transcription que Stephen Fitzpatrick a réalisée pour dialoguer avec son instrument. Les interprètes en interrogent la géométrie et en accusent les diffractions, comme d’une rose de cristal. Pour les deux sonates, on pourra en rester au témoignage éprouvé d’Olivier Charlier et Jean Hubeau, capté par Erato en août 1987. Le rare couplage du présent album saura néanmoins intéresser l’auditeur curieux d’approfondir sa connaissance du catalogue chambriste de l’auteur du Carnaval des animaux, et curieux de l’esthétique parfois inévidente qu’on lui entend ici associée.

Christophe Steyne

Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 8 – Interprétation : 7,5

Chronique réalisée sur base de l'édition SACD

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