Marlène Schiappa : « l'opacité de l'attribution des places en crèches reste un levier politique par endroits »

Hugo Soutra
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Marlène Schiappa : « l'opacité de l'attribution des places en crèches reste un levier politique par endroits »

Ministère de l'Intérieur

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Avant de devenir ministre, d’abord secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes en 2017 puis à la citoyenneté et la vie associative à partir de 2020, Marlène Schiappa s’était fait remarquer comme bloggeuse, élue locale et responsable associative. Son idée de rendre les procédures d’attribution et règles d’accès aux places en crèche plus transparentes, lorsqu’elle était à la tête de « Maman travaille », avait retenu l’attention d’un certain Emmanuel Macron. Une promesse qui aura connu un sort pour le moins contrasté… L’ex-adjointe au maire du Mans et toujours conseillère régionale d’Île-de-France, est revenue pour Le Courrier des maires sur l’un de ses premiers combats en politique. Et trace aujourd’hui, sur cet enjeu complexe, un chemin susceptible de convenir aux différentes parties prenantes.

Huit ans après que vous ayez imposé avec votre association « Maman travaille » le sujet de l’attribution des places en crèche dans le débat public, avant de vous en saisir une fois entrée au gouvernement, les collectivités locales ont-elles pris conscience de l’intérêt de garantir un processus équitable et transparent ?

Marlène Schiappa : « Le sujet a longtemps été tabou, en dépit de la quête de transparence de nombreux parents et de la société en général. Le « Pacte transparence crèche » de l’association Maman Travaille puis le rapport de Terra Nova l’ont progressivement rendu plus politique.

Nous avons toujours veillé, toutefois, à ne pas prêter le flanc à l’idée du « tous pourris » en affirmant que le processus était problématique partout. Bien nous en a pris, d’ailleurs, puisque les maires de Bordeaux, Le Mans et Paris ont immédiatement accepté notre main tendue… On a vu un certain nombre de collectivités tenter d’améliorer les choses ces dernières années, en s’inspirant du vade-mecum élaboré par l’Association des maires de France (AMF).

L’accès à une place en crèche n’est toujours pas clair, malheureusement, aujourd’hui, pour certains parents. C’est d’autant plus dommage que Maman Travaille demande aux maires d’établir un barème, et que ce barème soit connu de tous. Rien de plus.

Pourquoi certaines collectivités freinent-elles des quatre fers et tiennent tant à conserver des marges de manœuvres, d’après vous ?

Il y a de tout, je crois. Parfois pour de bonnes raisons, pour tenir compte des besoins familiaux, des contextes territoriaux et des orientations politiques variés. Une intercommunalité en situation de désertification médicale a parfaitement le droit, dans une logique d’attractivité, de prioriser les enfants de jeunes médecins venant s’installer sur son territoire. Et une mairie de gauche de remonter sur le haut de la pile les dossiers de femmes victimes de violences conjugales, afin de les aider à trouver un mode de garde pour leur enfant, s’émanciper et quitter le domicile conjugal au plus vite. Ces choix relèvent des prérogatives des seuls élus, et ne regardent après tout pas tant le reste des parents que cela !

Ce qui nous importe, chez Maman Travaille, c’est juste que la collectivité explique comment elle choisit d’attribuer les places et pourquoi en réserve-t-elle à tels cas spécifiques plutôt que tels autres. Il ne faut pas se leurrer ! Si certaines municipalités – pas toutes – conservent un système à la discrétion des élus, c’est bien que l’opacité reste – par endroits – un levier politique permettant de fidéliser ou récompenser tel ou tel militant...

En êtes-vous certaine, encore aujourd’hui ?

Loin de moi vouloir leur imputer de faux-procès ! Vraiment. Maman Travaille s’est toujours efforcée de tenir une position équilibrée sur le sujet. Mais je doute que la situation ait évolué positivement à Puteaux depuis 2007, par exemple… Même lorsqu’il n’y a pas de dérives à visée clientéliste, le manque persistant de transparence fait craindre à certains parents que le processus demeure vicié dans leur commune avec la persistance de passe-droits. Mieux vaut aller au-devant de ces soupçons et publier, donc, les grands principes guidant les décisions des commissions d’attribution, ne serait-ce que pour casser les idées reçues des familles !

La logique partenariale adoptée par le gouvernement et la Sécurité sociale, après sa passe d’armes avec l’AMF en 2018, a-t-elle atteint ses limites ?

Le gouvernement craignait de jeter la suspicion sur tous les maires, en demandant une mission d’information parlementaire comme un temps envisagé par le PLFSS 2018. Nous ne voulions pas, qui plus est, donner l’impression que l’Etat contraigne les maires en pleine crise des Gilets jaunes… D’où la conciliation demandée à l’AMF avec la commande d’un vade-mecum. Malheureusement, il n’existe à ma connaissance aucun bilan évaluant l’écho ni l’impact qu’a eu ou non ce guide recensant les bonnes pratiques. Peut-être le moment est-il venu de dialoguer de nouveau ensemble, sereinement, autour de cet objectif de transparence des procédures d’attribution des places en crèches. Mais je ne suis plus ministre…

La création du Service public de la petite enfance (SPPE) représente-elle, selon vous, une bonne fenêtre politique pour obtenir des avancées sur le sujet ?

A priori oui, même si je crois comprendre, de l’extérieur, que l’Etat privilégie le dialogue. Inutile de braquer davantage les élus locaux ; priorité à la recentralisation de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), qui crise déjà bon nombre de départements, doit se dire le président de la République… Ce qui peut s’entendre d’un point de vue purement politique.

Je ferai juste remarquer que ce débat n’est pas réductible à une énième guéguerre entre Etat et collectivités. Derrière tout ça, il y a des bébés et des parents cherchant désespérément un mode de garde. Pour avoir moi-même constaté à quel point il était parfois plus facile de défendre ses combats depuis l'extérieur et la sphère associative qu’à l'intérieur du gouvernement, je me dis qu’il pourrait être pertinent de faire appel à Maman Travaille ou n’importe quelle autre fédération de parents pour servir de tiers-médiateur.

Tiers médiateur ou pas, la Cnaf et le gouvernement vous semblent-ils seulement pouvoir, voire vouloir, contraindre les élus récalcitrants ?

Les leviers financiers, législatifs, techniques existent pour forcer les collectivités traînant des pieds à se doter d’un barème et organiser des commissions d’attributions pour départager les places en crèche comme ce qui se fait pour les logements sociaux. Sous peine, par exemple, de ne plus recevoir de financements de la Sécurité sociale… Chaque collectivité resterait libre, ensuite, de construire sa procédure d’attribution selon ses propres critères. Dit autrement, tout le processus de décision demeurerait à la main des élus. C’est davantage une question de timing et de volonté qui bloque aujourd’hui, me semble-t-il, que de fenêtre politique ou de marges de manœuvres opérationnelles.

Quelques personnes ayant porté avec moi le « Pacte transparence crèche » solliciteront, à l’occasion des 10 ans de Maman Travaille, les maires de communs rurales et de grandes villes, l’AMF, l’AMRF, France urbaine pour renouer la discussion. Les dérives clientélistes acceptées peut-être il y a dix ou quinze ans par la population ne sont plus tolérables, aujourd’hui…

Jugeriez-vous pertinent que l’Etat et la Sécurité sociale aillent plus loin encore et tentent de rééquilibrer de façon plus ou moins coercitive la composition des publics accueillis en crèches ?

Non, non, ne mélangeons pas ce sujet de la transparence et celui de la diversification des profils. Le gouvernement n’a aucun intérêt à rentrer dans le détail de l’organisation interne de chacune des crèches, et dire quels publics devraient être accueillis ici, quel autre là. Aucun. Nous partons de tellement loin, en France, qu’obliger les collectivités à élaborer un barème public, adaptable selon les configurations locales, représenterait déjà un très grand pas. »

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