Étude d’une œuvre : Monument de Christian Boltanski

Étude d’une œuvre : Monument de Christian Boltanski
Christian Boltanski, Monument, 1985, 65 photographies noir et blanc et couleur, 17 lampes électriques, variateur et câbles éléctriques, 183 x 238 cm, Nîme, le carré d'art, musée d'art contemporain ©David Huguenin

À l’occasion de l’exposition Christian Boltanski au Centre Pompidou, décryptage d’une installation du plasticien français, étape clé d’une « œuvre au noir » cheminant vers la lumière.

« L’homme craint le temps, mais le temps craint les pyramides », dit un proverbe arabe. Dans son acharnement à se saisir de la vie et à lutter contre l’oubli, l’artiste Christian Boltanski a élaboré entre 1985 et 1989 une série de Monuments inspirée des architectures religieuses primitives (pyramide, mastaba, autels ou stèles). Autant d’installations murales confectionnées à partir d’éléments anciens trouvés dans son atelier : des cadres métalliques entourant des photographies couleur de papiers brillants de Noël, des portraits noir et blanc d’élèves issus de photographies de classe et agrandis, des lampes électriques de faible intensité dont les fils noirs « tombent de manière aléatoire et deviennent comme des coups de crayon sur les objets », selon l’artiste.

Dans son atelier à Malakoff, le plasticien, né en 1944 à Paris d’un père juif converti et d’une mère de culture catholique, décrit cette série d’œuvres commémoratives, exposée pour la première fois au Consortium de Dijon en 1985 : « Celle-ci évoque des formes d’édifices funéraires religieux sans se référer à une religion particulière : les lumières renvoient à la spiritualité chrétienne, la forme géométrique à des motifs musulmans, etc. Sur cette pièce en particulier, les trois portraits viennent d’une photo de classe au collège d’Hulst à Paris, où j’étais scolarisé. Même si ces enfants ne sont pas morts, ce sont des visages disparus, au sens ou le metteur en scène Tadeusz Kantor, dont j’étais proche, l’entendait : nous portons en nous un enfant mort, qui nous accompagne durant toute notre existence… ».

À travers cette installation de 1985, quelle(s) disparition(s) Christian Boltanski déplore-t-il ? Hommage à son père décédé la même année, Monument a donné naissance en 1986 à l’exposition « Leçons de ténèbres » à la chapelle de la Salpêtrière à Paris, entre ombres et lumière. Elle marque un tournant dans son œuvre : « Plusieurs déterminations essentielles du travail à venir se fixent à ce moment : la célébration du souvenir, l’espace conçu comme un théâtre total, une conception liturgique de l’œuvre qui organise le parcours du visiteur, enfin la prédilection des lieux non muséaux, chargés d’histoire, souvent religieux, qui place le spectateur dans un état de réceptivité directe de l’émotion […] La dimension religieuse attachée à l’idée de célébration de l’humain, et la question de la mort et de la commémoration, vont très vite introduire le souvenir de la Shoah [dont son père est un survivant NDLR] », écrivait Catherine Grenier en 2011 dans une monographie sur l’artiste (éditions Flammarion). Les Monuments sont le prélude d’une série d’œuvres de mémoire permettant à cet homme pudique d’évoquer cet événement par le biais d’images volontairement éloignées de la Shoah, depuis les Archives en 1987 jusqu’aux Suisses morts en 1990-1991. Ainsi « l’artiste peut donner forme à l’irreprésentable, le sentiment de la perte de l’humanité », poursuit Catherine Grenier.

Capter la vie

À cette époque, Christian Boltanski vient de rencontrer le designer de lumières Jean Kalman, avec lequel il a conçu les installations Ombres sur le principe des théâtres d’ombres traditionnels. En collaboration avec ce créateur d’éclairages pour l’opéra et avec le compositeur Franck Krawczyk, il concevra plusieurs spectacles, dont la dernière création, Fosse, mêlant arts du temps et de l’espace (cycles musicaux, éléments scéniques et œuvres d’art), qui sera présentée dans le parking du Centre Pompidou en janvier 2020. « À partir des Monuments, je ne me suis plus servi de lumières venant du plafond. La lumière viendra ensuite des œuvres elles-mêmes – comme ces petites lampes qui font maintenant partie de mon vocabulaire – placées dans des espaces sombres », précise l’artiste. La théâtralisation deviendra le principe de composition de l’exposition, conçue désormais comme une œuvre unique et articulée en un parcours dramaturgique. « Aujourd’hui, quand je conçois une exposition, l’ensemble des œuvres devient une seule œuvre, au gré d’un cheminement », ajoute-t-il. Toutes, de Monument aux Archives du cœur, soulignent l’absence. « Les Archives du cœur ont ouvert en 2010, sur l’île de Teshima, au sud du Japon. Elles renferment cent mille battements de cœur enregistrés, au fil des années, de Berlin à Paris, de Séoul à Buenos Aires. Et la collecte se poursuit », explique-t-il. Désormais il ne s’agit plus seulement de célébrer les morts, mais de capter la vie même. En pleine lumière.

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