Les galeries d’art seraient moins essentielles que les salons de coiffure, les pressings, les cordonneries et les magasins de jeux vidéo, qui ont obtenu des dérogations. Et moins essentielles que les maisons de vente aux enchères, qui restent ouvertes et n’ont pas de réel frein supplémentaire à leur activité depuis l’entrée en vigueur des toutes nouvelles mesures sanitaires, le week-end dernier. Depuis quelques jours, les galeries essaient de se faire entendre et relancent leurs contacts dans leur ministère de tutelle, l’Économie, et au ministère de la Culture. La présidente du Comité des galeries d’art, Marion Papillon, n’a pas obtenu de réponse : « On nous dit que le dossier est toujours sur la table mais nous n’avons pas de deadline. Le système du « clic and collect » n’est pas adapté aux galeries, et comme nous avons en moyenne entre dix et cinquante visiteurs par jour, il est très facile d’appliquer la distanciation et les gestes barrières. Depuis que les musées ont fermé, nous étions la seule offre culturelle et avons accueilli un public plus large, signe qu’il y a un manque, un besoin d’art et de culture. La fronde des galeries augmente et nous espérons avoir rapidement une réponse claire ».
Une incroyable distorsion de concurrence
Même son de cloche au Syndicat national des Antiquaires (SNA). Sa présidente, Anisabelle Berès déclare « avoir écrit hier à la terre entière pour plaider notre cause. Il est absurde de fermer les galeries alors que les maisons de ventes accueillent beaucoup de monde. Recevoir un client sur rendez-vous est sans doute possible pour nous mais c’est un pis-aller. Cette distorsion de concurrence est un problème. Nous avons demandé un rendez-vous à Alain Griset, Ministre délégué auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, chargé des Petites et Moyennes Entreprises ».
De son côté, Louis de Bayser, président de l’AEC, société qui organise le Salon du Dessin et Fine Arts Paris (dont LVMH, propriétaire de « Connaissance des Arts », détient une partie du capital), a adressé une lettre à la ministre de la Culture Roselyne Bachelot. Il y souligne les difficultés des foires, mais aussi bien sûr celles des galeries : « Le nouveau confinement décidé la semaine dernière nous oblige à fermer nos galeries qui restaient notre dernière manière d’exposer nos spécialités et nos artistes. Dans cette période délicate, cela équivaut à une deuxième peine qui peut s’avérer fatale pour un très grand nombre d’entre nous ». Certains marchands médiatiques, comme Emmanuel Perrotin, ont joué cavalier seul en étalant leur mécontentement sur les réseaux sociaux. Quel que soit le moyen, la lutte est légitime.
Les maisons de ventes proches des ministères
Car pourquoi y a-t-il une telle différence de traitement parmi les acteurs d’une même activité, le marché de l’art ? L’explication tiendrait à la nature particulière de certaines activités des maisons de ventes, nous explique Alexandre Giquello, président de Drouot Patrimoine: « C’est une décision du gouvernement pour assurer la continuité de l’activité judiciaire, qui est un service public, et comme 99% des études judiciaires sont adossées à une maison de ventes volontaires, toutes les maisons en ont bénéficié ». Les maisons de vente dépendent de trois ministères, la Justice, l’Économie et la Culture, et il semble que la Justice ait bien défendu ce dossier.
N’oublions pas que le président du Conseil des Ventes, Henri Paul, énarque et ancien président de chambre à la Cour des Comptes, a ses entrées dans les ministères. Et que celui de la Justice a moins de professions à soutenir que celui l’Économie, qui s’occupe de tous les commerçants…
Par ailleurs, les galeries d’art sont parfois considérées comme des lieux limités à une élite qui en connaît les codes et dispose de gros moyens, ce qui les dessert. En réalité, elles ne reçoivent pas que des collectionneurs fortunés, mais également des commissaires d’exposition qui viennent repérer des œuvres, de jeunes collectionneurs prêts à s’endetter pour assouvir leur passion, des étudiants et des artistes en herbe, qui feront l’art de demain.
Quoi qu’il en soit, le résultat est là: dans les grandes maisons comme Sotheby’s, Christie’s, Artcurial, à Drouot ou dans les maisons plus petites, les expositions de mars et avril sont maintenues, et les ventes aussi. « À ma connaissance, seules une ou deux ventes ont été reportées, déclare Alexandre Giquello. Lors des précédents confinements, les acheteurs potentiels n’ont pas toujours tenu compte des reports et ne venaient pas aux bonnes dates, ce qui a fini par poser des problèmes. À titre personnel, j’ai par exemple hésité à repousser la vente de l’atelier de Victor Charreton, qui est une redécouverte et qui mérite d’être connu d’un large public, mais nous avons décidé de la maintenir à la date prévue, en avril ». Les mesures sanitaires ont été encore renforcées. À Drouot, elles entraînent la formation une file d’attente devant l’entrée, et la limite est fixée à dix personnes par salle. Chez Christie’s, les salons d’exposition sont limités à cinquante personnes, et la salle de ventes à trente personnes.
Nous nous réjouissons que les maisons de ventes continuent d’exercer et espérons que les galeries obtiennent une dérogation très vite, avant que certaines d’entre elles doivent fermer définitivement leurs portes.