Un canular qui fait date dans l’histoire de la photographie : l’Autoportrait en noyé d’Hippolyte Bayard

Un canular qui fait date dans l’histoire de la photographie : l’Autoportrait en noyé d’Hippolyte Bayard
Hippolyte Bayard, Autoportrait en noyé, 1840, positif direct (Domaine public)

Retour sur l'histoire d'un cliché unique en son genre : Le Noyé d'Hippolyte Bayard, un autoportrait de 1840 réalisé par ce pionnier méconnu de la photographie, malheureux rival de Daguerre.

C’est en enduisant une plaque de cuivre d’un vernis au bitume de Judée que Nicéphore Niépce (1765-1833) invente la première technique d’impression des images photographiques appelée héliographie, (du grec helios, soleil, et graphein, écrire). Après exposition à la lumière, cette sorte de goudron naturel devenait insoluble au rinçage au pétrole, gardant la trace « positive » de l’image reproduite. Plusieurs jours de pose en plein soleil étaient alors nécessaires.
Dans les années 1830, le Français Hippolyte Bayard (1787-1851) travail sur un procédé de tirage positif sur papier, une invention fondamentale pour l’histoire de la photographie qui nécessite un temps de pose entre 30 minutes et 2 heures et permet d’obtenir des images sur support souple plutôt que sur plaques de métal. Il est également à l’origine de la méthode dite des « ciels rapportés » qui permet de combiner deux négatifs séparés, l’un pour le ciel, l’autre pour le paysage.

Rivalités d’inventeurs

Louis Daguerre (1787-1851) poursuit les recherches de Niépce sur la capture des images, et parvient à réduire le temps de pose à seulement quelques minutes. Ce procédé, baptisé « daguerréotype », est présenté devant l’Académie des sciences et des beaux-arts en 1839 et la France fait alors l’acquisition du brevet pour en faire « don au monde ». Frustré de ne pas voir son invention également soutenue, Bayard décide de la faire connaître en organisant une exposition publique de ses photographies, la première du genre. Une trentaine de positifs directs sur papier, figurant des natures mortes et des vues d’architecture, sont présentés au mois de juillet 1839 lors d’une fête de charité à la salle des commissaires-priseurs, organisée au profit des victimes du tremblement de terre de la Martinique. Mais Bayard n’obtient toujours pas de reconnaissance institutionnelle.

Hippolyte Bayard, Dans l'atelier de Bayard, vers 1845 (Domaine public)

Hippolyte BAYARD, Intérieur de grenier. 1840-1849. Numérisation d’après tirage moderne réalisé en c. 1970. Collection Société française de photographie (coll. SFP), frSFP_0024im_0395

Une mise en scène macabre

En 1840, il décide de se noyer symboliquement et signe Le noyé, un autoportrait à mi-chemin du canular et de la performance avant l’heure. Ce cliché, dans lequel l’artiste simulant sa mort pose à demi-nu, vêtu d’un simple drapé, est la première mise en scène photographique de l’histoire. Si la posture alanguie du supposé cadavre n’est pas sans évoquer celle du Christ de la Descente du Croix ou le Marat de David, la présence du chapeau de paille nous renvoie à une tout autre tradition iconographique, celle du berger endormi.
L’artiste utilise ici la photographie non pour reproduire le réel mais bien pour construire une image symbolique, une fiction personnelle.

Hippolyte Bayard, Autoportrait en noyé, 1840, positif direct

Hippolyte BAYARD, Autoportrait en noyé, 1840. Numérisation d’après tirage moderne réalisé en c. 1970. Collection Société française de photographie (coll. SFP), frSFP_0024im_0269

Au revers, on peut ainsi lire la légende suivante : « Le cadavre du monsieur que vous voyez ci-derrière est celui de M. Bayard, l’inventeur du procédé dont vous venez de voir et dont vous allez voir les merveilleux résultats. À ma connaissance, il y a à peu près trois ans que cet ingénieux et infatigable chercheur s’occupait à perfectionner son invention. L’Académie, le Roi, et tous ceux qui ont vu ses dessins, que lui trouvait imparfaits, les ont admirés comme vous les admirez en ce moment. Cela lui a fait beaucoup d’honneur et ne lui a pas valu un liard. Le gouvernement, qui avait beaucoup trop donné à M. Daguerre, a dit ne pouvoir rien faire pour M. Bayard et le malheureux s’est noyé ! Oh ! instabilité des choses humaines ! Les artistes, les savants, les journaux se sont occupés de lui pendant longtemps et aujourd’hui qu’il y a plusieurs jours qu’il est exposé à la Morgue, personne ne l’a encore reconnu ni réclamé ! Messieurs et Dames, passons à d’autres, de crainte que votre odorat ne soit affecté, car la figure du Monsieur et ses mains commencent à pourrir, comme vous pouvez le remarquer ».  En insistant sur ce détail macabre, Bayard joue sur un effet inattendu du temps d’exposition qui a provoqué un contraste entre les parties du corps plus ou moins exposées au soleil.

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