Eugène Boudin : une vie dans le paysage

Eugène Boudin : une vie dans le paysage
Eugène Boudin, La plage à Trouville, 1893, Musée de l'Hermitage, Saint-Petersbourg

Autodidacte, Eugène Boudin applique sa technique rapide, plus suggestive que descriptive, à ses divers sujets de prédilection : les bords de mer, les ports et les plages « touristiques ». Malgré l’enthousiasme d’amateurs éclairés, de peintres et d’écrivains, il connaît un succès tardif.

Eugène Boudin est né au sein d’une famille modeste, venue d’Honfleur au Havre en 1835 ; le père est marin, la mère femme de chambre dans une compagnie maritime. À douze ans, il devient commis chez un imprimeur puis chez un papetier et à vingt ans, il fonde sa propre papeterie. C’est alors que semble se préciser sa vocation artistique. Certains de ses clients sont des peintres de passage, comme Thomas Couture, Constant Troyon ou Jean-François Millet, à qui il montre ses premiers essais. Bien avant le milieu du siècle, la Basse Normandie, et le Pays d’Auge en particulier, étaient devenus une destination « touristique ». La vogue des bains de mer y attirait une clientèle aristocratique. Nombre d’artistes et d’écrivains séjournaient dans la région.

Eugène Boudin, Etretat, la falaise d'aval, 1890, huile sur toile, Madrid, Museo nacional Thyssen-Bornemisza

Eugène Boudin, Etretat, la falaise d’aval, 1890, huile sur toile, Madrid, Museo nacional Thyssen-Bornemisza

L’appel de la Nature

En 1846, ayant tiré un mauvais numéro pour le service militaire, le jeune homme vend ses parts de la papeterie pour s’« acheter » un remplaçant et décide de se consacrer à la peinture. Débuts tardifs : il a déjà vingt-deux ans. Il suit quelque temps les cours de l’école municipale de dessin du Havre, mais sa formation sera essentiellement celle d’un autodidacte. En 1851, il obtient de la Ville du Havre une bourse de trois ans afin d’étudier la peinture à Paris. Il s’inscrit au Louvre comme élève copiste et réalise quelques toiles d’après les maîtres hollandais, Van Ruisdael, Potter.
Mais, au grand dam des édiles qui ont misé sur lui, il passe le plus clair de son temps en Normandie et se consacre déjà essentiellement au paysage. « Les romantiques ont fait leur temps, écrit-il, il faut désormais chercher les simples beautés de la nature. » Outre les Hollandais du XVIIe siècle, ses grands modèles sont les maîtres du paysage moderne, comme Rousseau, Troyon, Millet et Corot, qu’il pouvait rencontrer, notamment à la Ferme Saint-Siméon, auberge campagnarde sur les hauteurs d’Honfleur, dont les prix modiques attiraient des colonies d’artistes.

Les plages mondaines : un sujet moderne

De ces maîtres, il connaît les esquisses peintes sur le motif. Cet aspect de leur travail, le plus spontané, le plus immédiat, va conditionner sa propre esthétique, qu’un de ses jeunes amis peintres résume ainsi : « finalement vous avez peut-être trouvé la bonne solution, observer un effet fugitif et le transcrire aussi vite que possible sur la toile ». Cette conception picturale est étroitement liée aux lieux qui ont la préférence du peintre, les bords de l’estuaire de la Seine, où le ciel toujours changeant, les effets lumineux les plus fugaces réclament une observation aiguë et une technique rapide, plus suggestive que descriptive. Au début des années 1860, Boudin applique cette technique à un sujet nouveau : le spectacle bigarré et insolite des bourgeois en villégiature sur les plages de Trouville et Deauville. Ce genre remporte un succès d’estime, et Boudin ne se fera connaître comme le peintre des « plages mondaines » que longtemps après sa mort. Ses recherches sont proches de celles des futurs impressionnistes; il participe d’ailleurs à leur première exposition, dans l’atelier parisien du photographe Nadar, en 1874.

Eugène Boudin, La plage près de Trouville, vers 1865, Musée d'Art Bridgestone, Japon

Eugène Boudin, La plage près de Trouville, vers 1865, Musée d’Art Bridgestone, Japon

Une reconnaissance tardive

La carrière d’Eugène Boudin se déroule entre sa région natale, Paris, où il s’installe en 1861 et où il expose régulièrement au Salon de 1859 à 1897, et différentes régions où il effectue de fréquents voyages. Les premières décennies sont marquées par une pauvreté plus ou moins chronique. Dans sa jeunesse, il est réduit à peindre des copies et des « tableaux de salle à manger » (des natures mortes). Cependant, dès 1854, le marchand parisien Pierre-Firmin Martin l’introduit « dans le monde des amateurs ». Il a ainsi accès au salon du compositeur Charles de Bériot, qui deviendra son principal collectionneur. Ses œuvres sont essentiellement recherchées par les amateurs éclairés, les artistes et les écrivains, comme Dumas fils, Tourgueniev et Baudelaire, sensibles à leur caractère novateur. Dans son compte rendu du Salon de 1859, ce dernier s’enthousiasme pour les pastels de Boudin, lui procurant un début de notoriété.

Eugène Boudin, Scène de plage, vers 1882-1883, Metropolitan Museum

Eugène Boudin, Scène de plage, vers 1882-1883, Metropolitan Museum

La même année, à Honfleur, le peintre rencontre Courbet, qui l’assure de son talent et l’affranchit de sa timidité. Quelques marchands français et belges incitent Boudin à multiplier les marines, et c’est Paul Durand-Ruel qui fera le succès du peintre en Amérique du Nord, surtout après le décès de celui-ci. La reconnaissance officielle sera elle aussi longue à venir. Ce n’est qu’à l’âge de cinquante-sept ans qu’il obtient une médaille de troisième classe, suivie en 1884 par un premier achat de l’État, puis une médaille d’or pour ses oeuvres présentées à l’Exposition universelle de 1889. Trois ans plus tard, il reçoit la Légion d’honneur des mains de Puvis de Chavannes et, un an après sa mort, en 1899, l’École des beaux-arts lui consacre une grande exposition rétrospective.

Eugène Boudin, L'Entrée du port de Trouville, 1888, National Gallery, Londres

Eugène Boudin, L’Entrée du port de Trouville, 1888, National Gallery, Londres

De Plougastel à Venise : un peintre voyageur

Si Eugène Boudin est viscéralement attaché à sa région natale, il n’en est pas moins, comme beaucoup de paysagistes, un peintre voyageur. Encore peu explorée par ses confrères, la Bretagne, en particulier, constitue l’une de ses terres de prédilection. Il s’y rend dès 1855 puis y multiplie les séjours, en Cornouaille, au Faou, à Plougastel, Landernau, Brest, Portrieux, Camaret… C’est d’ailleurs un sujet breton qu’il choisit pour son premier envoi au Salon, en 1859 : Le Pardon de Sainte-Anne-la-Palud. Il trouve en Bretagne des paysages et des atmosphères proches de ceux qu’il connaît en Normandie – ports animés, grèves argentées à marée basse, ciels chargés d’humidité. Mais le pays est plus rude, et il apprécie en particulier l’austère mode de vie des populations observées « de l’intérieur », après son mariage en 1863 avec une native du Finistère. Comparant les paysans bretons aux citadins en villégiature sur les plages normandes, il écrit en 1867 à son ami Ferdinand Martin : « Quand on vient de passer un mois au milieu de ces races vouées au rude labeur des champs, au pain noir et à l’eau et qu’on retrouve cette bande de parasites dorés qui ont l’air si triomphant, ça vous fait un peu pitié… »

Eugène Boudin, Plougastel, le rivage au bord de la baie, entre 1870 et 1873, collection privée

Eugène Boudin, Plougastel, le rivage au bord de la baie, entre 1870 et 1873, collection privée

Boudin a également exploré les côtes de la Picardie et du Nord-Pas-de-Calais – Saint-Valéry sur- Somme, Cayeux-sur-Mer, Le Crotoy, Étaples, Boulogne, Berck, jusqu’à Dunkerque –, peignant les immenses plages découvertes par la marée, les pêcheurs, les dunes, plus rarement les villes à l’intérieur des terres. Il se rend plusieurs fois en Belgique (1849 et 1870), à Bruxelles et à Anvers, puis aux Pays-Bas (à partir de 1876), à Rotterdam, Dordrecht et Scheveningen, où il renoue avec la grande tradition hollandaise. Il séjourne à Bordeaux, y participant aux expositions des Amis des arts, de 1852 à 1893, peignant le port, les quais, les rives de la Garonne. En revanche, il découvre tardivement le Sud (en 1892), où il réside pour des raisons médicales. À Golfe-Juan, Juan-les-Pins, Antibes, Nice, Villefranche-sur- Mer, Beaulieu, il s’émerveille de « ces belles côtes si chaudes de tons », de « ces arbres verts en plein hiver », de « cette clarté des ciels », véritables adjuvants pour ses forces déclinantes, qui l’amènent à adopter dans sa peinture un chromatisme plus intense.

Eugène Boudin, Venise, Santa Maria della Salute vue de San Giorgio, 1895, hst, 46 x 65 cm, Eugène Boudin, Museum of Fine Arts, Boston

Eugène Boudin, Venise, Santa Maria della Salute vue de San Giorgio, 1895, hst, 46 x 65 cm, Eugène Boudin, Museum of Fine Arts, Boston

En 1895, il se rend à Venise. La production liée à ces voyages a beau être abondante et de haute qualité, il ne l’expose pas dès son retour. Peut-être craint-il l’inévitable comparaison avec celui qui, dans l’esprit du public, est le peintre de la Lagune par excellence : Félix Ziem. Les vues de ce dernier, flamboyantes et saturées de couleurs, connaissaient un succès considérable. La vision fine et la tonalité grise, plus proches de Guardi, que proposait Boudin risquaient effectivement de ne pas être comprises. « Le voyage à Venise aura été mon chant du cygne », dira le peintre qui, en mai 1898, demande à être transporté de Paris à sa maison de Deauville pour y mourir en regardant la mer.

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