Soixante ans après l’installation du plafond de Marc Chagall (1887-1985), allons-nous revoir bientôt celui de Jules-Eugène Lenepveu (1819-1898) ? Le 7 avril dernier, le quotidien « Le Figaro » a révélé que les ayants droit du peintre académique demandent que la peinture originale commandée par Charles Garnier soit de nouveau visible à l’Opéra de Paris. Une requête faite quelques mois après l’exposition rétrospective « Jules-Eugène Lenepveu, peintre du monumental » au musée des Beaux-Arts d’Angers, qui a remis à l’honneur l’artiste académique mésestimé pendant longtemps.
Un cas unique
Lauréat du Grand Prix de Rome et membre de l’Institut, Jules-Eugène Lenepveu a réalisé d’importantes commandes telles que les peintures de plusieurs églises parisiennes (Sainte-Clotilde, Saint-Ambroise…), celles de la chapelle Sainte-Marie de l’hôpital d’Angers mais aussi une peinture monumentale au Panthéon (aujourd’hui en partie cachée par les vitrines d’Anselm Kiefer), un décor au Louvre (également caché aujourd’hui) et le plafond du Palais Garnier qui représente les Muses et les Heures du jour et de la nuit (1875).
Jules Lenepveu, Les Muses et les Heures du jour et de la nuit, esquisse pour la peinture du plafond de l’Opéra Garnier, conservée au Musée d’Orsay, Paris, France. Le plafond de l’Opéra achevé par Lenepveu en 1871 est depuis 1964 camouflé par une œuvre de Marc Chagall © Agatha Ni / Wikimedia Commons
En 1964, André Malraux, alors ministre chargé des Affaires culturelles, fait recouvrir le plafond de Lenepveu par une composition colorée de Marc Chagall qui tranche avec le style Second Empire du Palais Garnier. « C’est un cas unique : on a deux chefs-d’œuvre de deux peintres officiels pour une seule coupole, détaillent Arnaud Carayon, représentant des ayants droit, et Michel Brossard, fondateur de l’Association des amis de Lenepveu, cités par « Le Figaro ». Nous avons autant de respect pour les deux, mais on pourrait faire voyager le chef-d’œuvre de Chagall pour que le monde entier puisse l’admirer et, pendant ce temps, on redécouvrira l’Opéra avec Lenepveu, tel que pensé par Garnier ». Séparées de 10 centimètres à l’aide de cales, les deux œuvres cohabitent, l’une sur l’autre depuis 60 ans. Qui plus est, Alain-Charles Perrot, ancien architecte en chef du bâtiment ajoute : « Au niveau technique, Chagall est très facilement démontable, même si on ne sait pas dans quel état est la peinture de Lenepveu en dessous. Les becs de gaz l’avaient sans doute noirci, peut-être faudra-t-il prévoir une restauration. » Vraisemblablement intact, le plafond de Lenepveu n’attend que le moment opportun pour être de nouveau visible.
Salle de spectacle, Palais Garnier. © E. Bauer/Opéra national de Paris
Une atteinte au droit moral
Est-ce illégal de dissimuler l’œuvre de Lenepveu ? La demande de l’Association des amis de Lenepveu s’appuie sur le fait que la peinture a été classée en 1923 en même temps que le Palais Garnier. En cachant l’œuvre derrière une création plus récente, le lieu porte atteinte au droit moral de Lenepveu, inaliénable et exercé par les descendants de l’artiste pour protéger son œuvre. De même, les ayants droit de Charles Garnier pourraient s’allier à ceux de Lenepveu pour demander le démontage du plafond de Chagall, l’architecte ayant commandé la peinture initiale spécifiquement pour la salle et s’intégrer dans les décors de l’opéra.
Marc Chagall, Le plafond de l’Opéra Garnier, inauguré en 1964, huile sur toile, 220 m2, Opéra national de Paris, Palais Garnier. © Jean-Pierre Delagarde / Opéra national de Paris / Palais Garnier © Adagp, Paris, 2023
Toutefois, si le plafond de Chagall a été prévu dès l’origine pour être démontable, où le remonter ? Dans un autre opéra ? Dans une institution ? La faire tourner dans une exposition internationale ? Martin Ajdari, directeur général adjoint de l’Opéra de Paris, a livré une réponse assez mitigée sur le sujet au « Figaro » : « L’idée de déposer l’œuvre de Chagall, qui est un élément très emblématique du Palais Garnier, poserait de lourdes questions et n’est pas à l’ordre du jour. Nous avons néanmoins proposé aux ayants droit de Lenepveu de les rencontrer en mai, en présence de représentants du ministère de la Culture, pour les écouter. » Le rendez-vous est fixé au 9 mai.
