Dans le gouvernement Attal, annoncé le 11 janvier, il a été conforté, en apparaissant au deuxième rang protocolaire, ce qui en fait un véritable vice-Premier ministre. Alors que beaucoup de commentateurs politiques avaient parié sur son éviction, il se retrouve à la tête d’un ministère encore plus étendu qui comprend l’Economie, les Finances, l’Industrie et désormais l’Energie, un poste détenu auparavant par Agnès Pannier-Runacher.
Le Maire a recréé la forteresse Bercy
L’ogre Le Maire semble insatiable. Déjà, en 2020, dans le premier gouvernement de Jean Castex, il avait profité du départ de Gérald Darmanin à l’Intérieur pour prendre la tête d’un super Bercy, avec trois ministres délégués. Il avait ainsi réussi à reconstituer une forteresse ressemblant à celle de Dominique Strauss Kahn lorsqu’il était ministre de Lionel Jospin, en 1997. Depuis DSK, les présidents et Premiers ministres avaient cherché à casser cette citadelle de Bercy, jugée trop puissante, en créant des binômes, comme François Baroin-Valérie Pécresse sous Nicolas Sarkozy ou Arnaud Montebourg-Pierre Moscovici sous François Hollande.
Comment expliquer cette étonnante montée en puissance ? Car dans la macronie, Bruno Le Maire irrite depuis longtemps certains pontes qui l’accusent de lorgner en permanence sur Matignon. Et avec Emmanuel Macron, les débuts ont été assez difficiles. A l’automne 2017, Le Maire avait fanfaronné, se prévalant d’avoir convaincu le président de tordre le bras à Edouard Philippe, alors Premier ministre, qui hésitait à supprimer l’ISF très vite et en une fois. Après s’être fait rappeler à l’ordre par le président, en conseil des ministres, il avait admis sa faute à Challenges : « Il m’a fallu un temps d’adaptation. J’ai appartenu pendant dix ans à un parti où il y avait beaucoup de comportements individualistes. »
Dans son sillon de l’Economie
Du coup, ces dernières années, Bruno Le Maire a cherché à éviter les couacs, s’efforçant de démontrer sa loyauté au chef de l’Etat et en restant bien dans son sillon de l’Economie. Il a renforcé sa position en réalisant un « sans-faute » dans la gestion de la crise Covid et le « quoi qu’il en coûte » pour sauver nos entreprises. Lors de sa dernière rentrée politique, à l’automne, Le Maire revendiquait encore de tracer son sillon à Bercy, en affichant sa longévité dans ce ministère, où il entame sa septième année. Une attitude à l’opposé de celle de Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, autre poids lourd de la macronie, qui à l’époque se voyait pousser des ailes en lançant un grand raout politique dans son fief de Tourcoing, pour se positionner dans la présidentielle de 2027.
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Récemment, comme s’il avait mangé du lion, Bruno Le Maire avait changé de stratégie politique. Il a multiplié les propositions polémiques, n’hésitant pas « à casser la vaisselle », comme il l’a admis lui-même. Face à l’inquiétante dégradation du marché de l’emploi, il a mis en cause le système d’indemnisation des chômeurs car « quelque chose cloche dans notre modèle social », a-t-il lâché. En visant spécifiquement la durée d’indemnisation des seniors, qui atteint 27 mois pour les plus de 55 ans, alors qu’elle est limitée à 18 mois pour les moins de 53 ans.
Des prises de position très polémiques sur l’emploi des seniors
L’idée d’aligner la durée du chômage des seniors sur celle des autres actifs a provoqué un tollé syndical général de la CGT, à la CFDT en passant par la CFE-CGC, qui a jugé l’initiative « surréaliste ». Mais visiblement, Emmanuel Macron ne lui a pas tenu rigueur d’avoir suscité la polémique, en préemptant un sujet habituellement traité par le ministre du Travail.
Conforté, plus puissant, Bruno Le Maire va-t-il continuer à jouer son rôle d’agitateur d’idées ? A voir. Car il aura face à lui Gabriel Attal, le nouveau Premier ministre, qui voudra se faire respecter par le locataire de Bercy. Et Catherine Vautrin, qui hérite d’un grand ministère social, cherchera aussi ne pas se laisser écraser par le rouleau compresseur Le Maire.
C’est autour des économies budgétaires que les conflits gouvernementaux pourraient se cristalliser. Le Maire a la pression de la Commission européenne, qui a pointé l’insuffisante maîtrise des dépenses publiques, la France risquant d’être le seul des grands pays européens à ne pas renouer avec un déficit inférieur à 3 % du PIB en 2026.
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Le gouvernement promet de limiter très fortement le rythme de hausse des dépenses publiques et de trouver la bagatelle de 12 milliards chaque année. « Le problème n’est pas tant que la trajectoire budgétaire de la France soit moins ambitieuse, déplore François Ecalle, expert en Finances publiques, que le fait que l’on ait déjà du mal à voir comment ses objectifs d’économies seront réalisés. »
C’est sur ce sujet que Le Maire est attendu au tournant. Les discussions avec ses collègues ministres risquent d’être houleuses. Mais dans cette future bagarre, sa place renforcée de numéro deux du gouvernement est indéniablement un atout.