Les deux auteurs de La renaissance de l’industrie (éditions de L’aube) ont prévenu : ils ne sont pas là, ce 11 octobre au soir, dans les locaux de la prestigieuse Ecole des Mines à Paris, pour parler de l’actualité de la désindustrialisation et de réindustrialisation. “Je sais que ces mots et ces analyses sont dans l’air ambiant, relève le philosophe Pierre Musso. Mais ces termes ne me vont pas”. Trop restrictifs, selon ce spécialiste de Henri de Saint Simon (1760-1825), inventeur de l’industrialisme.
Bernard Charlès, PDG de Dassault Systèmes, qui dialoguait avec lui dans la bibliothèque de l’Ecole des Mines comme il le fait dans l’ouvrage, tient tout autant à élargir amplement le spectre de la réflexion. “L’industrie, c’est toute l’économie, explique-t-il. L’industrie c’est l’évolution d’une civilisation. L’industrie, c’est la société: tout est industrie”.
Dans cet échange animé par le sociologue Jean-Viard, directeur de collection aux éditions de l'Aube, Charlès et Musso ne commenteront donc pas les nouvelles implantations d’usines de batteries électriques dans les Hauts-de-France ou les propos d’Emmanuel Macron qui, dans un entretien à Challenges en mai, expliquait que la réindustrialisation “c’est la mère des batailles”. Pour autant, ils partagent le constat avec d’autres mots. “Nous assistons à une véritable renaissance de l’industrie, explique ainsi Charlès, puisque cette dernière est traversée par des éléments communs aux précédentes renaissances dans l’histoire”.
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Le patron de Dassault Systèmes, qui continue à présenter la société qu’il dirige comme une “start-up”, malgré sa capitalisation boursière de près de 50 milliards d’euros, insiste en particulier sur la révolution numérique - celle où son groupe se place à l’avant-garde. Les modélisations ultra-sophistiquées en 3D d’avions entiers que réalise l’entreprise, mais aussi de médicaments, de cœurs humains ou encore d’infrastructures s’apparentent en effet selon lui à la naissance de l’imprimerie au XVe siècle. La prise de hauteur n’interdit pas la promotion, au passage, de son entreprise…
“Nous assistons à une nouvelle projection du monde, explique Charlès. Un virtuel qui est quasiment le réel, quelque chose qui n’existe pas et que pourtant on peut voir, observer et manipuler. Voilà qui offre de nouvelles perspectives pour l’esprit humain”. D’autant que cette création de réel sur écran s’accompagne d’une capacité de partage quasi-instantané de ces représentations et d’un partage tout aussi rapide des savoir-faire, continue le chef d’entreprise.
Les "nouveaux nouveaux mondes"
“L’industrie a toujours inventé de nouveaux mondes, notamment la mondialisation, complète Musso. Mais aujourd’hui, la nouveauté tient dans ce qu’elle invente un monde en double”, grâce à la construction numérique. “Et dans ces “nouveaux nouveaux mondes”, il faudra faire preuve du même esprit d’exploration qu’aux temps des grandes découvertes” de Cortès à Colomb, anticipe encore Musso.
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La bifurcation écologique a-t-elle sa place dans ce vaste panorama, alors que la France veut se couvrir de nouveau d’usines? La solution est dans le problème, assurent en chœur Charlès et Musso. L’innovation et l’industrie regorgent de solutions virtuelles pour contrer les grands récits de la catastrophe, de l’apocalypse et du collapse, jurent-ils.
Utopie industrialiste
Charlès estime que la projection numérique permettra de savoir ce qui est pris à la nature et ce qui lui est rendu pour chaque opération, obligeant à un nouveau suivi “bilanciel”. “Peut-on bifurquer, contre l’industrie? Sûrement pas, tranche Musso. "Il faut bifurquer avec l’industrie". Et ainsi l’industrie pourra-t-elle retrouver l’image qui était la sienne au XVIIIe et pour partie au XIXe siècle, lorsqu’elle était synonyme de "richesse, de bonheur et de paix", assure-t-il.
Le philosophe et l’entrepreneur esquissent ainsi une nouvelle utopie industrialiste, oscillant entre Jules Verne, Saint-Simon et Charles Fourier, l’inventeur des phalanstères. Une ambition vertigineuse, au sens propre. “Parfois, je suis pris de panique en réalisant que pour tout cela, on ne part qu’armés de 0 et de 1”, du langage binaire de l’informatique, confesse le patron de Dassault Systèmes.