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Christian Boltanski est mort à 77 ans. Ses installations ont marqué notre époque

Christian Boltanski au Grand Palais en 2010, pour un "Monumenta".

Ultime dérision. Dernier lien avec l’Histoire, et toute sa lourdeur symbolique. Christian Boltanski est mort le 14 juillet 2021 à Paris. Fête nationale. Il avait 79 ans. Les causes de son décès restent inconnues (1). L’homme se repliait sur lui-même, comme l’animal blessé qu’il était toujours resté. Un homme par ailleurs capable d’humour, ou du moins de dérision. Avec quelque chose de solitaire et de marginal. Ce retrait ne l’avait pas empêché de devenir, tout comme sa compagne Annette Messager, l’un des rares Français contemporains jouissant d’une audience internationale. Peu d’artistes vivants auront autant exposé dans des lieux publics qu’eux deux. Je signale à ce propos que CB demeure présent jusqu’au 26 septembre au MCB-a de Lausanne. Une petite présentation à l’Espace Focus.

Tout avait très mal commencé pour lui. Ce fils d’un médecin d’origine juive russe et d’une écrivaine française avait vu le jour en septembre 1944. Un mois après la Libération de Paris. Ses parents vivaient cachés depuis des années dans un réduit. L’enfant a donc été conçu et porté dans la clandestinité. La chose n’était pas le cas de ses deux grands frères. Des garçons voués à un brillant avenir d’intellectuel. L’aîné, Jean Elie, est devenu linguiste. Luc, le puîné, reste un sociologue célèbre. On peut comprendre que le cadet, si mal parti, si peu en phase avec le monde «normal», n’ait jamais réussi à accomplir un quelconque parcours scolaire. Durant toute son enfance et son adolescence, Christian sortait très peu dans la rue, et jamais seul. Il ne devait en toute logique ne rien devenir par la suite. Et pourtant…

La peinture pour commencer

L’art va sauver celui qui était comme un oisillon refusant de quitter le nid. Christian commence banalement par la peinture, encore bien considérée dans les années 1960. Il donne alors dans la figuration. Un peu expressionniste, tout de même. C’est la préhistoire de sa création. Elle s’interrompt peu avant 1968. Le débutant estime à ce moment s’être fourvoyé. Il a détruit une bonne (ou mauvaise) partie de son œuvre. Seules quelques pièces échapperont à ce qui tient pourtant davantage d’une disparition par l’indifférence qu’à un violent autodafé. CB concevra dès lors des installations. Un genre qui se développe à l’époque. Elles comportent au départ des poupées grandeur nature. Le résultat intéresse vite. Il interpelle. Leur auteur obtient sa première vraie exposition au Ranelagh, un vieux théâtre-cinéma décrépi du XVIe arrondissement, en 1968.

"Les Suisses morts" de 1993. Photo Succession Christian Boltanski.

Dès lors les pièces du puzzle se mettent en place. Boltanski va travailler sur une mémoire qui n’est pas forcément la sienne. Des angoisses pouvant se révéler universelles. Des émotions par définition changeantes. Son univers, qu’il est impossible pour le spectateur de ne pas sentir lié à la Shoah, se fait tragique. Il est cependant moins conçu pour engendrer que pour partager un malaise. Celui-ci s’accentuera quand le plasticien multipliera les photos trouvées en noir et blanc. Un peu floues. Plus les lumières d’outre-tombe. Crachotantes. Associées à des boîtes de fer blanc rouillées, de vieux vêtements jetés sur le sol et à des débris de meubles récupérés, elles suggèrent des «memento mori». La production de Boltanski, qui exige des espaces de plus en plus vastes, possède toujours quelque chose de funèbre, même s’il montre un Club Mickey. La grande exposition du Centre Pompidou en 2019, dont je vous avais parlé, cristallisait ces peurs. S’il y avait quelque chose de vivant, c’étaient ici les battements de cœurs. Mais chacun sait qu’un cœur finit par s’arrêter. Tout comme les ampoules électriques qui les symbolisaient vont s’éteindre.

De Kassel à Venise

Paradoxalement, CB n’a connu que des succès critiques, publics et d’estime. Mais ceux-ci semblaient insuffisants à le rassurer. Tout a cependant été très vite. Aucune attente. Le Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 1970. Un «solo show» chez la prestigieuse galeriste internationale Illona Sonnabend l’année suivante. La Documenta de Kassel en 1972. Et le parcours a ainsi continué, sans purgatoire ni temps mort, jusqu’à aujourd’hui. En 2011, Boltanski représentait la France à la Biennale de Venise. Une station parmi d’autres. Leur évocation complète donnerait le tournis. Notons pourtant que Lausanne a constitué une étape fondamentale pour Boltanski. Les gens de ma générations se souviennent de «Les Suisses morts», qui remplissait l’ancien MCB-a, alors dirigé par Jörg Zutter. La vision d’un Palais de Rumine transformé en nécropole pleine de caisses métalliques était extraordinaire.

Un portrait récent de Boltanski. Photo 24 Heures.

Il ne fallait cependant pas voir trop souvent Christian Boltanski aux manettes. Comme il convient de ne pas trop assidûment fréquenter Annette Messager. L’observateur notait alors les redites. L’artiste semblait à la fin tirer parti d’un répertoire. Il convenait de même d’éviter les petits Boltanski, conçus pour de riches collectionneurs privés. C’était comme des modèles réduits, mais sans l’impact que ces derniers peuvent exercer sur l’imaginaire. Boltanski exigeait une immersion. C’est pour cela que Beaubourg, il y a deux ans, a décidé de réunir d’un bloc toutes ses principales pièces. Agglutinées, elles n’en formeraient du coup plus qu’une seule. L’effet train fantôme, en quelque sorte. Cela dit sans moquerie. Fantômes et fantasmes formaient bel et bien la trame d’un œuvre à nul autre pareil.

(1) On parle cependant de leucémie. L'artiste a passé trois semaines à l'Hôpital Cochin.

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