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Sophie Calle en 3 minutes

En bref

Depuis sa première rétrospective au Centre Pompidou en 2004, Sophie Calle (1953-) est devenue l’un des visages emblématiques de l’art contemporain en France. Son œuvre répond, du reste, parfaitement à la définition de cet art envisagée par la sociologue Nathalie Heinich : un art du récit, fondé sur une fiction personnelle, exposé dans des institutions prestigieuses ou des galeries. Son œuvre est souvent qualifiée d’autobiographique, car l’artiste utilise sa propre vie (parfois amoureuse), son territoire et ses rencontres comme matériaux pour construire des rituels, des installations où la photographie et le texte jouent une place prépondérante. L’œuvre de Sophie Calle est à la fois conceptuelle et littéraire. Son travail propulse l’intime dans la sphère publique.

Portrait de Sophie Calle
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Portrait de Sophie Calle

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Photo Léa Crespi

Elle a dit

« Je raconte des histoires. »

Sa vie

Sophie Calle est née à Paris. Son père, médecin, est aussi collectionneur d’art (notamment de pop art américain), fondateur et premier directeur du musée d’Art contemporain de Nîmes (le Carré d’art). Il fait découvrir à sa fille les travaux de jeunes artistes français, tels que Christian Boltanski et Bertrand Lavier.

Grande voyageuse, elle se forge d’abord une culture politique et s’engage dans des mouvements militants au cours des années 1970. De retour en France, elle entreprend des expériences singulières qui prennent la forme d’aventures ou de performances abolissant la frontière entre l’art et la vie. En 1979, Sophie Calle invite une vingtaine de personnes à dormir dans son lit (performance qui donne lieu à la publication du livre Les Dormeurs). Elle suit également des inconnus qu’elle photographie, au fil d’une errance dans la ville. Recentrant sa démarche, elle se met à suivre un homme au hasard, ce qui la conduira jusqu’à Venise (Suite vénitienne, 1980).

Elle est invitée en 1980 à participer à la Biennale de Paris. Sa carrière débute. En 1981, Sophie Calle s’installe à Malakoff dans une usine désaffectée qu’elle partage avec Christian Boltanski et Annette Messager. Sa première exposition personnelle date de 1983.

Chez ces trois artistes, on retrouve d’ailleurs un même topos : le primat de l’absence, porte ouverte sur le désir. Sophie Calle travaille sur le thème de la trace, de la disparition, du manque. Elle réalise des installations qui tiennent parfois du reportage ou de l’inventaire, en se fondant sur son propre vécu, en entrant souvent par effraction dans la vie d’autrui. Son approche relève souvent de celle du détective, en quête d’indices, qu’elle met en relation avec sa vie. En ce sens, elle accorde une place de choix au spectateur, qui devient témoin, parfois voyeur, de son intimité (exhibée). L’œuvre relève du mélange entre fiction et autobiographie. Avec humour, elle prend de la distance avec son propre personnage.

Si l’autofiction constitue la part la plus connue de son travail, elle n’en représente pas la totalité. En 1986, Sophie Calle interroge par exemple des personnes aveugles de naissance afin de connaître leur définition de la beauté. En 1991, dans un musée de Boston, elle demande aux visiteurs de lui décrire des œuvres dérobées, dont l’absence était toujours visible. En 2002, à l’occasion de la Nuit Blanche, l’artiste reçoit des visiteurs dans une chambre installée au sommet de la tour Eiffel, en leur donnant pour mission de la maintenir éveillée. Son travail d’artiste n’a pas une visée psychologique ou thérapeutique, mais il s’agit pour elle de « raconter des histoires ».

Une grande rétrospective organisée à Paris en 2004 contribue à sa reconnaissance publique. En effet, par le biais de l’autofiction, chacun peut se sentir concerné par les sujets qu’elle aborde (comme la rupture amoureuse). Sophie Calle a également représenté la France lors de la Biennale de Venise en 2007. Elle a été récompensée du prix Hasselblad en 2010. En 2017, en collaboration avec Serena Carone, Sophie Calle investit le musée de la Chasse et de la Nature en présentant une installation protéiforme (photographies, vidéo, performances…). Elle compile par exemple un siècle de petites annonces publiées dans le magazine Le Chasseur français. Son travail est exposé dans les plus grandes institutions mondiales, et régulièrement par son galeriste parisien Emmanuel Perrotin.

Ses œuvres clés

Sophie Calle, Les Dormeurs
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Sophie Calle, Les Dormeurs, 1979

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J’ai demandé à des gens de m’accorder quelques heures
de leur sommeil. De venir dormir dans mon lit. J’ai
proposé à chacun un séjour de huit heures. L’occupation
du lit a commencé le dimanche 1er avril 1979 à 17 heures
et s’est terminée le lundi 9 avril à 10 heures.

© Sophie Calle / ADAGP, Paris, 2018 / Courtesy Perrotin

Les Dormeurs, 1979

Sophie Calle transforme son lit, en site situationnel, brouillant les pistes entre l’intime et l’anonyme. L’artiste a en effet demandé à 45 personnes (29 ont accepté) de venir dormir dans son lit, les unes après les autres, pendant huit heures. Chacun trouve alors à son arrivée les traces personnelles du dormeur précédent. Sophie Calle les accueille, leur propose des draps propres, les questionne, les regarde dormir. Un acte authentique dans le contexte d’une intimité artificielle, fictive.

Sophie Calle, Suite Vénitienne (détail)
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Sophie Calle, Suite Vénitienne (détail), 1980

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À la fin du mois de janvier 1980, dans les rues de
Paris, j’ai suivi un homme dont j’ai perdu la trace
quelques minutes plus tard dans la foule. Le soir
même, lors d’une réception, tout à fait par hasard, il
me fut présenté. Au cours d’une conversation, il me
fit part d’un projet imminent de voyage à Venise. Je
décidais alors de m’attacher à ses pas, de le suivre.

81 éléments : 55 impressions noir et blanc, 23 textes, 3 cartes • © Sophie Calle / Adagp, Paris, 2018 / Courtesy Perrotin

Suite vénitienne, 1980

En 1980, Sophie Calle suit un homme qu’elle perd dans la foule puis retrouve, alors qu’il est en partance pour Venise. En résulte une véritable filature et un livre d’artiste, mêlant photographies et écrits de l’artiste (selon un principe récurent chez elle). Dans cette forme d’autofiction, le réel côtoie l’imaginaire, car Sophie Calle rend compte de faits avérés mais également inventés. Elle nous confronte ainsi au doute, mais nous fait aussi partager une expérience romanesque.

Sophie Calle, Chambre avec vue
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Sophie Calle, Chambre avec vue, 2003

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Il y a des nuits indicibles. La nuit du 5 au 6 octobre 2002,
je l’ai passée dans une chambre aménagée en haut de la
tour Eiffel. Au lit, à écouter les inconnus qui se sont
succédé à mon chevet. Racontez-moi une histoire pour
que je ne m’endorme pas… Ils furent des centaines. Je
suis redescendue au petit matin. Un message clignotait
sur chaque pilier : Sophie Calle, fin de nuit blanche, 07h00.
Comme la confirmation que je n’avais pas rêvé. J’AI
DORMI AU SOMMET DE LA TOUR EIFFEL. Depuis, je la
guette, et si je la croise au détour d’une rue, je la salue, je
la regarde avec tendresse. Là-haut, à 309 mètres, c’est un
peu chez moi.

© Sophie Calle / ADAGP, Paris 2017 Photo: © Jean-Baptiste Mondino / Courtesy Perrotin

Chambre avec vue, 2002

Lors de cette performance réalisée dans le cadre de la Nuit Blanche à Paris, Sophie Calle prend ses repères dans une chambre installée en haut de la tour Eiffel. Elle invite qui veut à se coucher à ses côtés pour quelques minutes et à lui raconter des histoires afin de la tenir éveillée. Une centaine de personnes défilent dans le lit de l’artiste. Une manière de s’approprier personnellement un lieu symbolique qui n’appartient à personne en propre, mais au patrimoine parisien.

Sophie Calle, Vue de l’exposition Sophie Calle « Prenez soin de vous », au Pavillon français de la 52<sup>e</sup> Biennale de Venise
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Sophie Calle, Vue de l’exposition Sophie Calle « Prenez soin de vous », au Pavillon français de la 52e Biennale de Venise, 2007

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Photo Florian Kleinefenn / © Sophie Calle / ADAGP, Paris & DACS, London, 2018 Courtesy Perrotin ; Arndt & Partner, Berlin / Zurich ; Paula Cooper Gallery, NY ; Gallery Koyanagi, Tokyo

Prenez soin de vous, 2007

Sophie Calle confie à 107 femmes le soin d’interpréter, sous un angle professionnel (de sociologue ou de journaliste), un mail de rupture qui lui a été adressé se terminant par ces mots : « Prenez soin de vous. »  Cette installation, présentée pour la première fois lors de la Biennale de Venise en 2007, se compose de vidéos, de photographies et de textes. Loin de livrer en pâture son intimité, Sophie Calle partage son désir de compréhension et de réflexion sur la rupture amoureuse et fait de cet événement une expérience collective.

Par • le 16 janvier 2018
Retrouvez dans l’Encyclo : Sophie Calle

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