Des visions sombres et mystiques, révélées sur le papier à l’aide d’une simple flamme : au temps de l’Inquisition, Jean-Paul Marcheschi aurait sûrement été condamné au bûcher pour sorcellerie ! Il est vrai que sa technique évoque un tour de magie noire : dans la pénombre de son atelier, l’artiste de 68 ans n’utilise rien d’autre que la flamme rougeoyante de flambeaux – des bougies en cire à longue mèche qu’il fait fabriquer en Vendée – pour donner corps à ses puissantes apparitions…
Le déclic a lieu en 1984, lors d’un voyage sur l’Île de Stromboli. Avant les premières lueurs de l’aube, l’artiste d’origine corse découvre la silhouette conique du célèbre volcan italien, puis ses déjections de lave et de poudre noire. Avec les cendres du volcan frottées sur des feuilles de papier, il réalise des compositions explosives relevées de quelques pointes de peinture rouge… et de traces de brûlé. Ultimes coups de pinceau, et entrée définitive du feu dans sa vie.
« Le feu est magique car il est imprévisible. Il produit une infinité de couleurs : du noir, du rouge, de l’orangé, du jaune, du vert, et même de l’or. Le hasard est mon allié, mais je dois aussi lutter contre lui », explique l’artiste. Son support ? De simples feuilles de papier perforées, noircies au préalable de ses notes personnelles – d’une fine écriture à l’encre évoquant les manuscrits de la Renaissance – puis mises bout à bout pour former de grandes mosaïques. Celles-ci sont ensuite recouvertes de traces de brûlé de différentes intensités. De ces taches et coulures aux mille nuances émergent des femmes ailées et autres figures étranges…
Criblées de cratères lunaires, de grandes planètes luisent dans l’obscurité. Plus loin, une nébuleuse déchire la nuit, liquéfiant son nuage autour d’un cœur de poussière jaune. Aucune photographie ne peut rendre justice à ces œuvres fourmillantes de détails, dont beaucoup sont rétroéclairées : placée derrière le papier, lui-même marouflé sur papier de cristal, la lumière fait ressortir les nuances d’argent et d’or pâle cernées d’un noir d’encre. « J’aime énormément jouer avec les degrés d’intensité du noir et les nuances de gris de la suie, que je fige à l’aide d’un fixatif », explique l’artiste. Pour cet admirateur de Pierre Soulages, le noir est un terrain fertile : loin d’être synonyme de vide et de tristesse, il souligne la lumière, les couleurs et les nuances, tout en étant le nid d’apparitions…
Qu’elles soient monumentales ou de petit format, les œuvres de Jean-Paul Marcheschi font dialoguer l’infiniment grand et l’infiniment petit, la densité et le vide, le cri et le silence. De près, on déchiffre les fines écritures comme sur une carte ancienne. Puis on recule et ces dernières se brouillent, disparaissent pour laisser place à la grande image. À la fois envahissants et noyés dans l’œuvre, ces flots d’annotations évoqueraient-ils les ruminations incessantes de l’Homme tentant d’expliquer les mystères du monde ? De percer les secrets du ciel et du feu, puissances insondables, à la fois créatrices et destructrices ?
À l’image des peintres de la Renaissance qu’il affectionne, Jean-Paul Marcheschi est un érudit. Passionné de littérature, l’artiste est hanté par L’Enfer de Dante : beaucoup de ses œuvres illustrent ainsi des épisodes de ce poème florentin du XIVe siècle issu de La Divine Comédie, narrant le voyage de Dante et Virgile à travers les cercles de l’Enfer. Parmi ses œuvres rétroéclairées émergent deux pièces spectaculaires : d’abord, Le Lac du sommeil et de l’oubli qui représente, au cœur d’une bourrasque, la chute d’une silhouette spectrale dans un gouffre obscur. Ce tableau se reflète au sol dans une fine pellicule d’eau noire, qui inverse l’image et la change en ascension divine ! Puis, dépeignant une figure hurlante filant comme une comète, L’Extinction du soleil s’inspire quant à elle de L’Oiseau de Feu d’Igor Stravinsky, ballet dont Jean-Paul Marcheschi a réalisé les décors et les costumes pour sa représentation au Capitole de Toulouse en 1995.
Aux peintures de feu s’ajoutent d’hypnotiques sculptures de fumée : recueillis sur des plaques de plexiglas dressées à la verticale, les dépôts de suie se changent en nuages noirs suspendus dans les airs. Parmi elles, La Barque de Dante, une silhouette en hommage à L’Homme qui marche d’Alberto Giacometti, et un tunnel bouillonnant inspiré de l’une des quatre Visions de l’au-delà peintes au XVIe siècle par Jérôme Bosch.
La découverte se poursuit dans le hall du Palais de Justice de Toulouse avec une grande mosaïque de portraits, où figurent plusieurs de ses amis, dont l’écrivain Pascal Quignard… Mais aussi dans la station des Carmes, l’une des 48 stations de métro toulousaines investies par des artistes contemporains. L’artiste y signe La Voie Lactée, une voûte monumentale récemment restaurée, et deux œuvres rétroéclairées installées sur le quai. Sur l’une d’elles, les papiers couverts d’écritures se transforment, sous la caresse des flammes, en parchemins mordorés fondant sous nos yeux en une coulée de lave littéraire… Sublime !
Jean-Paul Marcheschi - L’Alphabet des Astres
Du 6 décembre 2018 au 31 mars 2019
Musée Paul-Dupuy • 13 Rue de la Pleau • 31000 Toulouse
www.ampdupuy.fr
11 000 portraits de l’humanité
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