Toi, tu es Maciste, le Justicier populaire qui a nom Hercule, l'Ange de l'Annonciation; tu es communiste, un responsable du Parti; le maréchal-ferrant Corrado qui serres entre tes genoux comme dans un piège la croupe du cheval le plus fougueux. Mais tu es un homme en chair et en os avec des yeux, un nez, trente-deux dents, et une danseuse tatouée sur ton bras. Ta poitrine est large, couverte d'une forêt de poils mais sous la forêt il y a ton cœur.
De jour en jour ton corps s'usait; mais c'était comme si, dans cette lente consomption de la chair, l'âme affinait sa sensibilité; ta résistance nerveuse te maintenait en vie miraculeusement, et me communiquait un espoir auquel la raison même se soumettait.
C'est leur foire à tous, et la bonne humeur est en eux. Ils doivent, voyez-vous, s'inventer leur joie, s'ils veulent se sentir vivre. Il leur suffit de détourner le regard des affiches posées ce matin et qui annoncent une grand manifestation pour le 23 mars , anniversaire de la Fondation du Faisceau, pour ne plus entendre l'appel d'une réalité terrifiante. Il y a l'air printanier et le soleil, et la façade blanche et noire de l'église est un décor que le vacarme ne profane pas.
L'oncle Cesare et sa sœur Giovanna me disaient d'un ton fâché, en ennemis: "Tu n'es plus un enfant, essaie de comprendre. C'est comme si c'était ta maman." Alors je ne me dominais plus, aveuglé de colère, le cœur déchiré, je criais: "Moi, je vous dis que c'est une misérable. Et puis c'est la femme de papa, ce n'est pas ma maman, maman elle est morte."
Le peuple qui avait le plus souffert physiquement de la guerre, et qui l’avait maudite comme une maladie de son corps, s’inventait maintenant la promesse d'un temps nouveau, d'affections protégées et de certitudes, de foyers chaleureux et de tables débordantes, de sens rassasiés, d'amour et de charité, d'offrandes méritées.
Sur la place, les camarades de ma nouvelle école et ceux de rencontre savaient me distraire du cauchemar de la maison: douces soirées de l'adolescence, jeux violents d'enfants où j'éprouvais ma force pour la première fois, fier de découvrir ma résistance, la possibilité d'agresser et la noblesse de me soumettre.