Le Sommet de la route et l'ombre de la croix : six poètes chrétiens du XXe siècle : Charles Péguy, Paul Claudel, Francis Jammes, Marie Noël, Patrice de la Tour du Pin, Jean Grosjean
Jean-Pierre Lemaire
Éditions Gallimard
Collection Poésie
Une anthologie rassemblant des poèmes de Charles Peguy, de Paul Claudel, de Francis Jammes, de Marie Noël, de Patrice de la Tour du Pin et de Jean Grosjean, qui évoquent la foi chrétienne. ©Electre 2021
https://www.laprocure.com/ommet-route-ombre-croix-six-poetes-chretiens-xxe-siecle-charles-peguy-paul-claudel-francis-jammes/9782072854323.html
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QUATRIÈME CONCERT SUR TERRE
OU CONCERT DÉ FIÉLLOUZE
II
Je n’ai rien connu avant toi
Où je puisse me reposer,
Sinon les choses d’espérances;
Je ne pouvais sortir
de moi…
Ne t’effraie pas, si je m’étonne
De ton amour, de ta présence :
Je suis créé pour m’étonner…
J’ai tant cru devoir m’en aller,
N’étant amoureux de personne
Et sans être vraiment aimé…
Je l'avais compris un soir de légende
Si profondément que j'en avais peur,
Et notre amitié devenait si grande
Que nous n'en pouvions saturer nos coeurs.
Je ne connaissais que toi de si rare,
De si lumineux dans le haut chemin;
Je croyais que seule la mort sépare
Et que ton absence aurait une fin.
Par les soirs cruels de l'indifférence,
Je vivais dans ta très douce présence,
Attendant des jours tranquilles et clairs.
J'ai veillé longtemps, sans âme et sans force:
Peut-être as-tu su déchirer l'écorce
Qui voilait si mal un coeur si désert!
Loin dans l'âme, les solitudes s'étendent
Sous le soleil mort de l'amour de soi.
L’oreille-de-mer
On le trouve après les grandes marées d'équinoxe
Parmi les roches primaires
Que les siècles de sang n'ont pas désagrégées,
Ce coquillage vide et toujours anonyme ;
On le porte à l’oreille, il n’est pas musicien,
Mais serti plus profond, incrusté dans le crâne,
Il fait entendre à qui l'occupe, à qui devient
Son nouvel habitant,
Au-delà de l'écho des mers originelles,
Le battement
De la ligne perdue de partage des eaux.
« Une Lutte pour la vie » [Le Pâtis de la création,
suite de 30 poèmes], Gallimard, 1970.
⁂
L’oreille de mer
Sois trouvée
par celui que baignent
de hautes eaux intérieures,
Et qui ne peut les découvrir…
Mais aux roches primaires,
quel frêle coquillage musicien
N’est pas encor rempli du silence
qui l’entoure,
Et garde la dentelure d’écume
des mers originelles,
Cet écho
de leurs vagues refoulées
par le sang,
Au delà
des vraies lignes de partage
des eaux…
« Le Bestiaire fabuleux », 1948
Lithographies de Jean Lurçat mises en couleur par Edmond Vairel / Calligrammes de Jules-Dominique Mornirol / Maquette dessinée par Claude Frégnac d'après les inventions de Maurice Darantière Éditeur
Tous les pays qui n'ont plus de légende
sont condamnés à mourir de froid...
CHANSON DU RAMONEUR
extrait 2
On revient passé le soir,
Les yeux
Fumés, vagues et tout noirs,
Mais gardant le clair des chambres
Où dorment des gens heureux...
- Sur la route de décembre.
À l'autre Noël, perdu
Par chance,
je ne suis pas redescendu
Petit ramoneur glacé
Perche sur des toits immenses
À voir la Noël passer...
C'était le pays des anges sauvages,
Ceux qui n'avaient pu se nourrir d'amour;
Comme toutes les bêtes de passage,
Ils suivaient les vents qui changeaient toujours;
Ils montaient parfois dans les coeurs élus,
Abandonnant la fadeur de la terre,
Mais ils sentaient battre dans leurs artères
Le regret des cieux qu'ils ne verraient plus!
Chapitre II
La tristesse et le froid inspirateurs
… Qu'ils chantent donc selon le mouvement de vie, selon le cri intérieur, mais qu'ils ne débordent pas sur le temps de la prière commune ; pour les autres, et il est un si grand nombre dans cette école d'ignorants de l'état d'oraison, qu'ils regardent cette règle sans la juger…
TOUT HOMME EST UNE HISTOIRE SACRÉE
C'est sur cette sentence que je voudrais fonder une vie recluse en poésie et le livre qui la signifiera ; elle est comme l'inscription d'une pierre mise à jour en me creusant, la pierre d'assise d'une sorte de cloître intérieur à bâtir. Je l'appellerai Tess sans mettre aucun symbolisme dans ce nom, simplement pour le plaisir de nommer. Et demeurant dans l'univers poétique dont la genèse a été écrite, je retiens d'elle les courants principaux qui me constituent, sans les remettre en question, mais j'y ajoute le besoin de comprendre et d'ordonner, celui-là même qui les a distingués. Au chapitre où j'en suis de mon histoire, je crois que la construction de Tess s'impose pour sauvegarder mon unité et poursuivre la réalisation du livre. (...)
Il prend bien la brise, mon jeune arbre,
Il prend bien la vie qui s'incline,
Mieux que moi qui suis sans racines
Autre part que dans le présent:
On n'a pas le temps d'y grandir.