Judith GAUTIER la Pionnière du japonisme en France (France Culture, 1993)
Une émission des "Chemins de la connaissance", par Nathalie Triandafyllidès, diffusée le 30 juin 1993 sur France Culture. Présences : Denise Brahimi et Jean-Pierre Bihr. Lecture : Jean Bollery et Kazué Mathon.
Pendant que rêvant,
Pleine de mélancolie,
J'ai laissé souvent
L'heure fuir avec le vent,
La fleur est déjà pâlie !
( Komati)
Puisque c’est du ciel
Puisque c’est du ciel,
Qu’en hiver, nous sont venues
Ces fleurs inconnues,
C’est qu’un printemps éternel
Réside au delà des nues.
// Fouka-Yabou
O vents que j’implore
O vents que j’implore,
Fermez les cieux enchantés,
Pour que ces beautés,
Que tant de grâce décore,
Restent sur la terre encore !
// Le bonze Hendjo
/ Traduction de Judith Gautier
Sur l’eau de l’étang
Sur l’eau de l’étang,
L’herbe à la plante enlacée,
Vert tapis, s’étend.
Aucun regard ne descend
Jusqu’au fond de ma pensée.
// Inconnu
Est-ce au jour qui luit
Est-ce au jour qui luit
Qu’il faut comparer la vie ?
À la nef qui fuit ?
Au sillon qui l’a suivie ?
À l’écume qui le suit ?
(Mansé)
On se souvient de ceux qu'on a aimés et on espère les retrouver en une éternité possible; mais celui dont l'âme aride a desséché toute tendresse ne doit avoir qu'un espoir, celui de mourir tout entier.
Ah ! depuis longtemps
Ah ! depuis longtemps,
Si je n’avais pas de larmes,
Les désirs constants
De mon amour plein d’alarmes,
Brûleraient mon cœur sans armes !
/ Tsoura-Youki
Isoline ne vit jamais d'enfant ; elle croyait que tout finissait aux murs du jardin, et l'humanité pour elle c'était Marie et la chèvre blanche.
Tous les livres de la bibliothèque étaient lus et relus : que faire ? que devenir ? Un désespoir de plomb écrasait la pauvre Isoline. Elle comprenait maintenant l'horreur de sa vie, et voyait qu'elle était sans issue ; elle était femme déjà, elle devait donc vieillir là, y mourir ; sa jeunesse, sa beauté, tout s'engloutirait, inconnu, dans ce tombeau désert ?
LA FEUILLE BLANCHE
Tchang-Tsi
La tête dans ma main, je regarde la feuille de papier,
qui reste blanche, depuis que je suis là.
Je regarde aussi l’encre, qui se sèche, au bout de mon pinceau.
Mon esprit semble dormir ;
est-ce que mon esprit ne se réveillera pas ?
Je m’en vais, dans la plaine toute chaude de soleil,
et je laisse mes mains traîner sur les hautes herbes.
D’un côté, je vois la forêt veloutée ;
de l’autre, les montagnes gracieuses, poudrées par la neige,
et à qui le soleil met du rouge.
Et je regarde aussi la marche lente des nuages,
et je m’en reviens, poursuivi par l’éclat de rire des corbeaux,
M’asseoir, devant la feuille de papier,
qui demeure blanche, sous mon pinceau.