Montré à ses élèves de 6e par une enseignante qui voulait les initier à l’histoire de l’art, un tableau représentant Diane et ses suivantes nues a suscité la polémique – tandis que son auteur, le Cavalier d’Arpin, était doublement rhabillé pour l’hiver par des médias le qualifiant d’« artiste totalement inconnu » ou ignorant tout simplement son nom. Que justice lui soit ici rendue : nous présentons l’œuvre et son maître.
Artiste prodige, le Cavalier d’Arpin l’était. Fils d’un père peintre et d’une mère appartenant à la noblesse espagnole, Giuseppe Cesari naît à Arpino (ou peut-être à Rome) – dans le Latium – en février 1568 et meurt à Rome en 1640. Très jeune, il commence à travailler au Vatican et participe aux décors des Loges, sous la direction de Niccolò Circignani, puis à celui des salles des Suisses et des Palefreniers. Très vite aussi, il est couvert d’honneurs : reçu dès l’âge de quinze ans, semble-t-il, à l’Accademia di San Luca ; admis à dix-huit ans dans la prestigieuse Congregazione dei Virtuosi al Pantheon, l’une des dix académies pontificales. La qualité de son travail lui vaut l’admiration des papes Sixte V et Clément VIII. Ce dernier, élu en 1592, en fait son protégé et le nomme en 1599 Cavaliere di Cristo – la plus haute des distinctions pontificales – qui lui offre son surnom de Cavalier d’Arpin. Cette même année, l’artiste est nommé prince de l’Accademia di San Luca – une fonction qu’il occupera trois fois au cours de sa prolifique carrière.
Le cavalier peintre le plus célèbre
Coqueluche des milieux pontificaux et honoré par ses pairs, à la tête de l’un des ateliers les plus renommés de Rome, le Cavalier d’Arpin enchaîne en effet, dans les deux décennies de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle, les commandes de grands décors pour les monuments et églises, avec de brèves incursions hors de la scène romaine, à Naples notamment. Il a, entre autres, un élève nommé Caravage, qui, entré dans son atelier comme peintre de fruits et de fleurs, l’assiste pour le décor de la chapelle Contarelli dans l’église Saint-Louis-des-Français (1591-1593). Au fil de ses autres décors célèbres, on pourrait citer les plafonds illusionnistes de la chapelle Olgiati dans la basilique de Santa Prassende (1593-1595), les premières fresques du Palais des Conservateurs, siège du musée du Capitole (1597), la grande fresque de l’Ascension au transept de la basilique Saint-Jean-de-Latran (1600) ou encore le chantier des mosaïques du dôme de la basilique Saint-Pierre, dont il conçoit les dessins (1603-1612).
Trois raisons d’admirer Diane et son cortège
Tout en travaillant à ses vastes décors, le Cavalier délecte les collectionneurs : il produit des tableaux de chevalet raffinés et très prisés, dont ce Diane et Actéon qui a suscité l’indignation de quelques adolescentes mal embouchées et de leurs parents peu éclairés. Il méritait pourtant pour trois raisons au moins d’être montré aux élèves du collège Jacques Cartier d’Issou dans les Yvelines. Tout d’abord, il illustre un des thèmes mythologiques tirés des Métamorphoses d’Ovide les plus représentés par les artistes occidentaux, de l’Antiquité où on le trouve sur les vases à figures rouges et noires, à la Renaissance, l’époque baroque et encore aujourd’hui – qu’on se souvienne de l’exposition de Gérard Garouste au musée de la Chasse en 2018. Il permet ensuite d’appréhender les derniers feux du maniérisme romain dans une composition subtile : Diane, reconnaissable à son croissant de Lune, et ses nymphes forment une frise à la gestuelle savamment élaborée ; elles se détachent en clair-obscur sur la paroi sombre de la grotte percée par une trouée de ciel montrant toute l’invention du peintre ; la diagonale formée par la rivière se poursuit jusqu’au lointain de l’horizon et marque la frontière entre le monde interdit de la déesse et celui, mortel, d’Actéon ; ce dernier, encore emporté par l’élan et la passion gonflant sa cape rouge, sent-il les bois qui percent son crâne et les crocs déjà menaçants de ses chiens qui, dans l’instant suivant du tableau, le dévoreront ? Enfin, l’œuvre par son pedigree prestigieux, témoigne de l’histoire des collections européennes. On reconnaît en bas à gauche de la composition le cachet de cire rouge du richissime banquier Everhard Jabach (1618-1695). D’origine allemande, il vint s’installer à Paris et rassembla au XVIIe siècle l’un des plus extraordinaires ensembles de dessins et tableaux de la Renaissance et de l’époque baroque. Louis XIV se porta acquéreur à deux reprises, en 1661-1662, puis en 1671, de grands pans de sa collection ; Diane et Actéon intégra ainsi les collections royales françaises.
Éclipsé par le classicisme
La faveur du Cavalier d’Arpin s’effaça peu à peu à la mort de son protecteur Clément VIII, au moment aussi où le classicisme des Carrache au plafond de la galerie Farnèse conquérait Rome. Scipion Borghèse, le neveu du nouveau pape Paul V, usa alors d’un subterfuge peu scrupuleux pour confisquer à l’artiste sa magnifique collection d’œuvres d’art et les Caravage qui y figuraient – fleurons aujourd’hui du musée Borghèse.
Aux cimaises du Louvre
À la différence de l’Olympia ou du Déjeuner sur l’herbe de Manet montrant la nudité sans le fard de la mythologie, de L’Origine du Monde de Courbet mettant délibérément en scène l’obscénité ou d’un provocateur Tree de Paul McCarthy, la Diane du Cavalier d’Arpin ne s’inscrit donc pas dans une longue histoire des scandales de l’art, bien au contraire. Il faut aller l’admirer dans son plus simple appareil au Louvre : aux cimaises d’un musée, la déesse de la Chasse ne poursuit jamais de son ire les spectateurs amoureux du Beau.
Jeanne Faton