HYPNOSE
Art et hypnotisme de Mesmer à nos jours
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HYPNOSE
Art et hypnotisme de Mesmer à nos jours
Pascal Rousseau
Beaux-Arts de Paris éditions
Musée d’arts de Nantes
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Ministère de la Culture
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P R É FA C E
Il y a près de deux cent cinquante ans, Franz Anton Mesmer inventait l’hypnose. Cette
technique thérapeutique, qui n’a cessé d’évoluer, a toujours fasciné parce qu’elle touche au
mystère du fonctionnement du cerveau et à la capacité d’agir sur lui à distance.
Le Musée d’arts de Nantes a invité Pascal Rousseau, professeur d’Histoire de l’art à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, à concevoir, pour la toute première fois, une exposition
montrant l’influence des théories et des techniques de l’hypnose sur la création artistique.
Peut-on créer sous hypnose ? Robert Desnos et les surréalistes l’ont fait lors de « séances de
sommeils ». Une œuvre d’art peut-elle être hypnotique ? C’était le pari de l’art optique et psychédélique. Pourquoi la figure de l’hypnotiseur est-elle si présente dans les films, des frères
Lumière à James Ivory ? Car la salle de cinéma est elle-même un dispositif d’envoûtement
des spectateurs. Le fruit de cette recherche innovante, offrant une perspective rare sur notre
modernité, du XXe siècle à nos jours, fait l’objet du présent ouvrage de référence, coédité avec
l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris. Le propos, appuyé par une riche iconographie qui provient de sources très variées, se déploie en sept chapitres, à travers lesquels
Pascal Rousseau nous invite à observer le transfert dans le champ de l’art d’un modèle de la
psychologie expérimentale.
Le dialogue entre art et science fait partie de la culture nantaise, marquée par la figure de
Jules Verne, les Utopiales et les Machines de l’Île. Lorsque la science et la technique laissent
libre cours à l’imagination, la découverte d’un autre soi et d’un autre monde devient possible.
Et, pour illustrer la contemporanéité totale du propos, est associée à ce premier volet historique de l’exposition une installation immersive de l’artiste américain à la renommée internationale, Tony Oursler, dans la Chapelle de l’Oratoire.
Je tiens à saluer ici l’exceptionnel travail du commissaire et auteur du présent livre. Pascal
Rousseau (lui-même Nantais), a bien voulu partager avec sa ville et son musée d’arts un
ouvrage qui constitue une véritable somme sur le sujet. Je remercie également la présidente
de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, Éléonore de Lacharrière, son directeur,
Jean de Loisy, et la responsable des éditions, Pascale Le Thorel, d’avoir bien voulu associer
leur grand savoir-faire éditorial à cette entreprise.
Je forme le souhait que cette exposition et ce livre contribuent, à Nantes, à révéler le pouvoir de l’art et les mystères de la psyché humaine.
Johanna Rolland
Maire de Nantes,
Présidente de Nantes Métropole
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SOMMAIRE
Avant-propos
8
L’invention de Mesmer – 1780-1800
10
La vague des somnambules – 1800-1830
40
Hypnologie – 1830-1870
70
La suggestion dans l’art – 1870-1920
98
L’époque des sommeils – 1920-1950
218
Psychedelia, l’hypnose cybernétique – 1950-1970
272
Une nouvelle hypnose – 1970-2020
312
Bibliographie indicative
354
Index
359
Remerciements
364
L’artiste Tony Oursler a produit tout spécialement pour ce livre une série de dessins
réalisés au crayon gras, fusain et acrylique. Ces dessins se retrouvent aux pages :
pages de garde, 6, 39, 69, 97, 217, 271, 311, 353, 358 et 362-363.
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AVA N T- P R O P O S
L’hypnose n’a pas attendu la fin du XVIIIe siècle et le
temps de la modernité pour entrer en scène dans la
prospection des capacités inexplorées de la psyché.
De nombreux historiens en retrouvent des traces très
tôt, Joseph Lapponi parmi bien d’autres à l’aube du
XXe siècle, pour qui « dans un papyrus écrit en langue
égyptienne hiératique environ 3 000 ans avant notre
ère et traduit en 1860 par François Chabas, les procédés d’application de ce que nous appelons aujourd’hui
l’hypnotisme, se trouvent largement exposés1 ». Un
siècle plus tôt, au moment où commence juste à
poindre le terme d’hypnotisme dans la culture européenne, Étienne Hénin de Cuvillers, disciple hétérodoxe de Mesmer, a déjà identifié des précédents
du « magnétisme animal » dans la Grèce antique et
l’Égypte ancienne2. Loin de se réduire à une approche
occidentale des études psychiques, l’hypnose traverse
le globe et les époques, associée à un fond ancestral et
archaïque de la conscience et de la sensibilité (« sentir primitif » ou « sixième sens ») rapidement affilié à
de multiples ressources créatives. Tenter de dresser
ici une archéologie des liens entre création et hypnose
revient à repenser l’efficace de l’art à l’âge moderne
et contemporain. L’outil pour le faire, emprunté au
tournant des études culturelles, ne sera pas une théorie esthétique des effets mais plutôt une analyse historique du transfert dans le champ de l’art d’un modèle
élaboré progressivement au sein de la psychologie
expérimentale. Cette grille de lecture croisant arts et
sciences donne à voir combien, à partir des glissements de vocabulaire dans le temps (du magnétisme
animal au somnambulisme artificiel, de l’hypnotisme
aux théories de la suggestion), le modèle hypnotique
traverse et insémine les analyses et les pratiques sur le
pouvoir transformateur de l’art, à partir d’une rationalisation moderne des modèles d’influence à distance.
les objets ou, pour reprendre l’analyse offerte par Peter
Sloterdijk, la transition accélérée d’une « physique »
vers une « psychologie des profondeurs4 ». Dans le
champ esthétique, celui de la sensation comme celui
de l’expression, cela signifie une intériorité du sujet
révélée à la surface visible du corps mais aussi une
nouvelle cartographie du sensible. Dans l’hypnose, les
états modifiés de conscience stimulent parfois la transposition des sens (la clinique du XIXe siècle inventera
pour cela le nom de synesthésie) mais plus encore une
amplification inédite de la perception (de l’endoscopie
à la vue « sans le recours des yeux ») où se reconnaît
déjà, de la poétique du romantisme à la révolution surréaliste, une longue complicité entre somnambulisme
magnétique et art visionnaire. L’activation sous hypnose de ces états de sensibilité extraordinaires nourrit
les ambivalences du sujet moderne, un sujet automate
et absent à lui-même, manipulé et dépossédé par une
entité qui lui est extérieure, mais aussi et parfois simultanément, inventif et proactif, trouvant des ressources
inexplorées dans les couches plus profondes de sa
propre conscience, sur le modèle de ce que Pierre
Janet, une source médicale des premiers surréalistes,
appellera le « somnambule extralucide » : « Le somnambulisme artificiel devint énormément intéressant
et [on] ne s’occupa plus que de lui. Transformer un
esprit humain, le rendre capable de tout voir, de tout
comprendre, de tout savoir, quelle œuvre magnifique
et divine ! Quels services un pareil esprit ne pourra-t-il
pas rendre à l’humanité ! Il faut à tout prix étudier les
moyens de produire de pareilles transformations de
l’esprit, cultiver ces dispositions, apprendre à se servir de ces instruments admirables qu’on aura créés,
en un mot il faut travailler à faire des somnambules
extralucides.5 »
La transe – dont l’état hypnotique ne serait qu’une
modalité parmi d’autres – étend le périmètre d’action
de la sensibilité mais peut aussi en retarder voire en
annuler la mise en œuvre. Les expériences d’opérations
sous analgésie hypnotique sont connues dès le milieu
du XIXe siècle. En 1842, un chirurgien de Nottingham
ampute un ouvrier grièvement blessé sans produit ;
la même année, un médecin écossais, James Braid,
développe de nouvelles techniques d’hypnotisation
par la fixation d’un objet lumineux. L’hypnose amplifie comme elle anesthésie. C’est là un paradoxe sur
lequel jouera largement Marcel Duchamp, mêlant sans
contradiction sollicitation optique et anesthésie esthétique, un pas dans une logique d’emprise et de séduction, l’autre dans une mécanique de l’indifférence,
dont la tension puise au cœur même de la tradition du
dandysme affiché par l’« anartiste » qui jouait à faire
disparaître toute implication physique dans la réalisation de l’œuvre (le premier ready-made de Duchamp
est une Roue de bicyclette dont le mouvement rotatif
Que peut bien révéler cette piste d’une clinique de
l’hypnose dans son rapport à la création et à la réception
de l’œuvre d’art ? Sur le temps long de la modernité,
du XVIIIe siècle à nos jours, elle souligne – c’est un premier constat – les liens étroits que l’expérience esthétique peut maintenir avec une histoire, plus ancienne,
de la fascination et de « l’imagination créatrice3 ». De
fait, l’hypnose traverse les mêmes inflexions que celle
des interprétations de l’emprise fascinatoire : d’un phénomène physique (le fameux « fluide » du magnétisme
animal passant d’un sujet à un autre), elle se convertit
très vite en une manifestation plus psychique (la « suggestion mentale » qui s’imprime dans le cerveau du
sujet hypnotisé). L’histoire culturelle de l’hypnose (qui
peut d’emblée être considérée comme le nom moderne
de la fascination) nous livre sans détour cette mutation
rapide passant d’une physique des circulations énergétiques entre le corps et l’esprit à une psychologie des
rapports d’influence et d’attraction entre les sujets et
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est en soi un outil hypnotique). Cette logique de désinvestissement, très répandue au sein du mouvement
dadaïste, est largement complice d’une remise en
cause du statut de l’artiste devenu « irresponsable ».
Se pose ainsi la question d’une crise de l’auteur qui a
beaucoup à voir avec le processus de subjectivation
enclenché dans l’induction hypnotique, un processus qui touche immanquablement à la menace d’une
sujétion à l’autre, voire d’une soumission aliénante à
une force extérieure, invitant très vite, par réaction,
à la subversion des jeux d’emprise et de communication mis en acte dans la relation à l’environnement.
« Plaque tournante où peuvent s’échanger l’animalité
de l’homme et son humanité » (François Roustang6),
l’hypnose devient un « préalable de la liberté » de faire
et de créer ; elle transforme à ce titre la performativité
de l’art parce qu’elle redistribue les « mouvements de
volonté » ainsi que le comprend le philosophe Arthur
Schopenhauer : « Parce que […] la volonté apparaît
comme chose en soi dans le magnétisme animal, nous
voyons aussitôt contrecarré le principium individuationis (espace et temps) attaché au simple phénomène :
ses barrières distinguant les individus sont brisées :
entre le magnétiseur et le somnambule, les espaces ne
constituent pas une séparation ; une communauté de
pensée et des mouvements de la volonté s’installe.7 »
veille et sommeil est le lieu même d’un paradoxe de
l’inspiration : la naissance d’une pensée inventive au
cœur de l’imitation mimique de l’autre poussée jusque
dans l’étrangeté à soi, au prix d’un abandon calculé du
socle rationnel de la subjectivité puisant sans remords,
ni limites, dans le fond de l’inconscient. Convoquer
sur le temps long de la modernité les liens entre art et
hypnose revient à démêler, par-delà le champ dominant de la psychanalyse, le contexte historique qui a vu
naître l’analyse des moyens mis en jeu pour déterminer « l’existence et le mode d’efficace de l’inconscient
psychique10 » dans le champ de l’art.
L’actualité est favorable à cette hypothèse. L’hypnose,
souvent rabattue au spectacle de foire avec son lot de
manipulations individuelles et collectives, revient en
force dans le champ médical, ramenée au cœur des
débats sur les nouvelles psychothérapies. Les facultés
de médecine reprennent en main le chantier des pouvoirs anesthésiants d’un hypnotisme qui depuis Milton
Erikson, s’est largement reformé de l’intérieur pour se
débarrasser des oripeaux de la soumission automate.
L’inflexion de cette « nouvelle hypnose » qui n’oppose
plus le jour (veille) et la nuit (sommeil), explique pour
partie le net regain d’intérêt des artistes d’aujourd’hui
pour une exploration des niveaux de conscience à travers l’expérience d’un « outil hypnotique », susceptible
de révéler, dans cette veille du corps qui met aussi à
mal l’exigence du langage dans les modes d’interprétation du réel, une autre manière d’imaginer la pleine
autonomie de l’œuvre et l’efficace de sa transmission.
En rapportant le vivant à la plasticité de la relation,
l’hypnose investit plus que jamais ce qui définit actuellement le champ ouvert de l’art. Celui, pour reprendre
les mots de François Roustang, d’une modification réciproque des comportements pour un individu « défini
par une position particulière dans un système relationnel illimité11 ».
C’est là un projet largement développé par les utopies sociales fouriéristes et saint-simoniennes, où les
théories physiques de l’attraction développées par
Mesmer furent largement reprises au service d’une
modélisation sensible de l’harmonie universelle. Ce
principe d’une communauté d’esprit obtenue dans la
communion des sens vise directement une éthique de
l’art mais aussi, en sous-main, une analyse des médiations technologiques de l’art. L’histoire de l’hypnose
accompagne un processus de rationalisation moderne
des techniques d’influence, passant dès les débuts de
Mesmer des simples « passes » du magnétiseur à l’instrumentation technique du baquet dans sa version
contagieuse et immersive. L’histoire des liens entre
hypnose et art revient ainsi à étudier, à nouveaux frais,
l’épopée des mécanismes d’optimisation du transfert
de la sensibilité (Éric Michaud parlera d’« enchaînement de la passion8 »), tout en accordant une place de
choix aux protocoles d’invention de nouvelles formes
dont l’un des moteurs lui aussi démultiplicateur, serait
la possibilité d’une diversification des « personnalités » du propre créateur. Le psychologue américain
Michael Grosso donnera un nom à cette possibilité, celui de « dissociation créative9 » dans laquelle il
cherche à comprendre une désintégration du moi productrice d’une créativité inédite : la déconnexion de la
conscience – en l’occurrence une veille paradoxale –
serait le prélude à une meilleure intégration du sujet
au monde. Paradoxale, cette conscience intense entre
1. Joseph Lapponi, L’Hypnotisme et le spiritisme. Étude médico-critique,
Paris, Perrin et Cie, 1907, p. 2.
2. Baron Étienne-Felix Hénin de Cuvillers, Le Magnétisme animal retrouvé
dans l’antiquité, 2e édition, Paris, Barrois, 1821.
3. Antoine Faivre, « Vis imaginativa (Étude sur l’imagination magique et
ses fondements mythiques) », dans Accès à l’ésotérisme occidental (vol II),
Paris, Gallimard, 1996, p. 171-219.
4. Peter Sloterdijk, Bulles, Paris, Pluriel, 2011, p. 260.
5. Pierre Janet, La Médecine psychologique, Paris, Flammarion, 1923, p. 22-23.
6. François Roustang, Influence (1990), Paris, Les Éditions de Minuit, 2011.
7. Arthur Schopenhauer, Werke in 10 Bänden, cité par Peter Sloterdijk, op. cit., p. 258.
8. Éric Michaud, « Le Réflexe », dans Mikkel Borch-Jacobsen, É. Michaud,
Jean-Luc Nancy, Hypnoses, Paris, Galilée, 1984, p. 125.
9. Michael Grosso, « Inspiration, Mediumship, Surrealism : The Concept
of Creative Dissociation », dans Stanley Krippner et Susan Marie Powers (éd.),
Broken Images, Broken Selves : Dissociative Narratives in Clinical Pratice, Bristol,
Brunner et Mazel, 1997, p. 181-198.
10. M. Borch-Jacobsen, « In statu nascendi », dans op. cit., p. 87.
11. F. Roustang, op. cit., p. 163.
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Avec le médecin viennois Franz Anton Mesmer (17341815), le magnétisme animal connaît un premier
moment d’apogée, très vite contesté par la médecine
officielle. Mais les répercussions seront décisives pour
le développement ultérieur de ce qui deviendra bientôt l’hypnose et sa légitimité scientifique au sein de la
culture occidentale. Dans un protocole très inspiré des
techniques de thérapie électrique1, Mesmer propose
une approche générale de la maladie fondée sur l’existence d’un fluide universel, le « fluide magnétique »,
dont la distribution contrariée dans le corps serait la
cause essentielle des pathologies de ses patients. Au
cœur de ces rapports entre « le physique et le moral »,
Mesmer met en place une dramaturgie de guérison
dans laquelle le langage corporel des convulsions est
porté par un vocabulaire visuel des passions, débiteur
et complice des théories esthétiques des Lumières, dans
leur volonté de rationaliser – et d’optimiser – le champ
subjectif de l’expression. Très tôt la cure magnétique du
docteur Mesmer se convertit en un théâtre de gestes et
d’attitudes dont la chorégraphie tente d’abolir, au-delà
de son caractère mondain, certaines normes comportementales (comme sa décharge érotique et libidinale,
très vite repérée et dénoncée), tout en requalifiant les
relations entre le corps et l’esprit rapportées à la puissance agissante de l’imagination dans le champ du réel.
Avec le magnétisme animal se pose à nouveaux frais
la question de la visibilité des liens entre le dehors (les
symptômes) et le dedans (l’intériorité). Le mouvement
du corps et ses automatismes contrôlés soulèvent là le
paradoxe d’une autonomie du sujet, mise à mal par la
soumission à une force d’emprise qui lui serait extérieure, dans un savant balancement maîtrise/dépossession de soi. Dans ce jeu d’action à distance, l’art de la
guérison magnétique dialogue avec une culture visuelle
de l’effet quand l’efficace de la médecine traverse déjà,
en sous-main, une science de l’esthétique puisant
nombre de ses ressorts et modèles dans une théorie
physiologique des attractions.
DRAMATURGIE DES FLUIDES
LE SPECTACLE
NERVEUX DES CONVULSIONS
Dans sa thèse de médecine présentée à Vienne en 17662,
Mesmer, inspiré par les théories de l’Anglais Richard
Mead, médecin personnel de Newton3, revient sur l’hypothèse d’une « attraction universelle ». Newton est
bien là, mais ce qui valait pour les corps terrestres dans
le système newtonien devient avec Mesmer un principe
« d’une certaine puissance, qui, s’insinuant dans tous les
points du corps, affecte immédiatement tout le système
nerveux ». Celui à qui l’on doit l’expression « gravitation
animale », rebaptisée à partir de 1775 « magnétisme
animal », va déplacer l’influence mécanique des astres
vers l’existence d’un fluide cosmique qui se transmet
d’un corps humain à un autre par le biais d’un aimant,
puis par le simple jeu de passes magnétiques.
A. Daniel Chodowiecki, Der magnetiseur, ca. 1790, gravure à l’eau-forte.
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L’ I N V E N T I O N D E M E S M E R
S’y exerce un transfert énergétique rapporté à une
théorie de « l’harmonie des nerfs », qui dans le moment
de la crise rétablit la libre circulation des énergies,
nécessaire au déblocage de l’organisme malade. C’est
entendu, la cure mesmérienne est une affaire de transmission volontiers encline aux résonances électriques,
son lexique oscillant entre « conducteurs » et « propagation des courants ». L’aimant fournit un premier support physique sur lequel peut s’actualiser de manière
tangible cette migration de la sensibilité, afin d’emporter, ne serait-ce que par les jeux de tact et de contact, la
conviction des personnes traversées par cette circulation fluidique. La passe (sans contact, quoique…) autorise à penser le jeu de « l’influence à distance », à partir
d’un modèle qu’Aristote ne pouvait concevoir sans un
contact matériel : le magnétisme animal repose sur une
physique des attractions facile à importer dans l’explication des mécanismes de la sensibilité, mobilisés dans
la contemplation d’une œuvre d’art, anticipant sur
le rôle des dispositifs immersifs dans l’emprise sur le
spectateur moderne.
… la cure magnétique du docteur
Mesmer se convertit en un théâtre
de gestes et d’attitudes…
La présence de métaphores musicales dévoile,
dès cette thèse de médecine de 1766, l’horizon visé
de ce qui deviendra bientôt la thérapie magnétique,
à savoir une concordance harmonique des corps dans
un espace chargé de circulations fluidiques : « On doit
admirer l’accord des sphères entre elles et l’effet ineffable de la gravité universelle par laquelle nos corps
sont attirés de concert, non pas tous également et
indifféremment, mais de même que dans un instrument de musique à cordes le son résonne précisément
à l’unisson d’un son donné, de même les corps qui ont
une harmonie selon le sexe, l’âge, le tempérament, les
dispositions particulières, etc., se meuvent de manière
déterminée par la position des astres4. » Pour ses
débuts à Vienne, Mesmer va jouer sur la mise en scène
en mouvement de ce circuit des systèmes d’influence.
Le baquet (totem technologique venu remplacer les
simples passes magnétiques) n’est pas seulement une
solution technique à la diffusion élargie du procédé
répondant à la demande d’un public de plus en plus
curieux et nombreux. Il est aussi, dans le mystère de
sa matérialité (ce qu’il contient demeure inconnu :
éclats de verre, limaille de fer, soufre concassé, etc.),
une tentative d’objectivation des forces invisibles qui
agissent entre le corps et l’esprit ; le réseau des cordes
qui encerclent le dispositif symbolisant l’activité en
« chaîne », quand les barres de métal surgissant du
« ventre » de l’appareil illustrent le lien à un objet idéal
commun. Le baquet est une matérialisation des forces
du dedans, mais dont immédiatement « la matérialisation externe se donne comme la figure dédoublée d’un
sens interne – le sixième –, d’une capacité de vision5. »
Il n’est pas surprenant de voir Mesmer convoquer à
plusieurs reprises des modèles de prothèses de la vue,
notamment le « microscope », considéré comme « œil
artificiel », augmentant les capacités de la rétine naturelle pour entrer au plus près d’une connaissance de
l’intérieur des choses. Dans ses Aphorismes, Mesmer
parle d’un sujet magnétisé qui « apercevait les pores
de la peau d’une grandeur considérable, elle en expliquait la structure conformément à ce que le microscope nous en fait connaître6. » Il évoque même avant
l’heure la transparence d’un œil radiographique (« un
corps opaque très mince ne l’empêchait pas de distinguer les objets, il ne faisait que diminuer sensiblement
l’impression qu’elle en recevait, comme ferait un verre
sale pour nous7 »). Car ces multiples analogies avec
des instruments d’optique (« lunettes, microscope &
télescopes8 ») permettent de penser l’optimisation
des capacités internes de la vision en « augmentant
la condition des sensations » (que Mesmer appelle
l’« internité de l’action que ces objets exercent sur
nous9 »), mais aussi de comprendre plus avant l’expansion clairvoyante de la perception : « Si l’extension
d’un sens a pu produire une révolution considérable
dans nos connaissances, quel champ plus vaste encore
va s’ouvrir à notre observation si, comme je le pense,
l’extension des facultés de chaque sens, de chaque
organe, peut être portée aussi loin & même plus que
les lunettes n’ont porté l’extension de la vue ; si cette
extension peut nous mettre à portée d’apprécier une
multitude d’impressions qui nous restaient inconnues,
de comparer ces impressions, de les combiner, & par là
de parvenir à une connaissance intime & particulière
des objets qui les produisent, de la forme de ces objets,
de leurs propriétés, de leurs rapports entr’eux, & des
particules mêmes qui les constituent10. »
La guérison des maladies de la vue est au cœur de la
cure : le baquet est une machine à renverser le handicap
du « vicariat de sens » (Mesmer parle plus volontiers de
« perdition des facultés11 »). Dans un tableau anonyme
conservé dans les fonds de la Wellcome Collection de
Londres – une des seules traces picturales illustrant le
salon parisien de Mesmer – s’observent plusieurs sujets
portant l’extrémité des « tringles de fer » du baquet vers
« le globe & les paupières12 », dans le but de conjurer
les affections ophtalmiques. Nul hasard aussi si l’un
des plus fameux sujets de Mesmer à Vienne, la jeune
Maria Theresia von Paradis, est une aveugle. Le médecin prétendra lui faire recouvrer la vue par la seule
action curative du fluide facilitant la bonne circulation
des nerfs. Le cas Paradis est instructif. Les médecins
viennois s’y penchent avant Mesmer et estiment tous
que l’origine de sa maladie serait plus psychique qu’organique, préconisant l’emploi de méthodes intrusives
d’électrothérapie pour soigner la traduction somatique
d’une hystérie. L’échec sera retentissant, Mesmer prendra le relais. C’est au moyen de passes magnétiques
qu’il dit faire revenir partiellement la vision de cette
virtuose musicienne, comme s’il s’agissait de substituer
l’effet fluidique du magnétisme à l’impuissance du courant électrique. Il ne suffit pas de rendre perceptible
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A. Anonyme, Mesmeric Therapy, ca. 1784, huile sur toile, Wellcome Collection, Londres.
B. Gravure illustrant le Baquet de Mesmer, début xixe siècle.
C. Le Baquet de Mesmer, ca. 1900.
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L’ I N V E N T I O N D E M E S M E R
l’activité circulante de ce fluide, il faut montrer combien elle participe directement d’une « extension de
l’organe de la vue13 ».
Ce tropisme visuel, associé à cette obsession de voir
plus et mieux, trouve à s’épancher dans le propre décor
installé par Mesmer. À son heure de gloire, autour de
1784, Mesmer, qui porte haut un habit lilas et pourpre
frappé de motifs floraux aux allures flamboyantes, s’est
installé dans un somptueux hôtel particulier, rue CoqHéron à Paris. La « salle magnifiquement décorée14 »
est un premier agent de conditionnement des patients,
directement hérité d’un « travail intense sur les modalités de production de l’illusion théâtrale et sur les ressorts de l’imagination humaine15 », dont on peut dire
qu’il instruit le régime optique de la preuve demandé
par les nouvelles sciences expérimentales en quête de
légitimité16. Mesmer répond à l’esprit du spectacle de la
démonstration et de son absorption dans un plus vaste
« théâtre de société17 ». La description du salon donnée
par Jean-Jacques Paulet souligne la dimension théâtrale du dispositif autour d’un Mesmer décrit en grand
orchestrateur d’un « nouveau genre de spectacle » :
« La maison de M. Mesmer est comme le Temple de
la Divinité […]. Tout y annonce un attrait, un pouvoir inconnu ; ce sont des barreaux magnétiques, des
baquets fermés, des baguettes, des cordages, des
arbustes fleuris et magnétisés, divers instruments de
musique, entre autres l’harmonica, dont les tons flûtés éveillent celui-ci, donnent un léger délire à celui-là,
excitent le rire et quelquefois les pleurs : joignez à ces
objets des tableaux allégoriques, des caractères mystiques, des cabinets matelassés, des lieux particuliers
destinés aux crises, un mélange confus de cris, de
hoquets, de soupirs, de chants, de gémissements. On
est forcé de convenir que ce nouveau genre de spectacle est très piquant et qu’il ne fallait rien moins que le
plus fort génie pour le produire18. »
Le lieu le plus théâtralisé est la salle des crises – que
Paulet appelle les « cabinets matelassés ». Il s’agit d’alcôves aménagées en périphérie du salon central, dans
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B
lesquelles sont conduits les sujets les plus convulsifs,
agités par des « crises violentes », allant de la gesticulation nerveuse jusqu’à des effets de contractures du
corps. Cet « état de catalepsie qui ne doit pas effrayer »
engage devant public des jeux de rôles qui très vite
posent la question d’un dédoublement de la personnalité et d’un « étrangement » à soi : « Ces crises commencent par une petite toux, qui devient convulsive,
laquelle est bientôt suivie de hoquets, de cris, de chants
extraordinaires ; il y en a qui imitent le chien, d’autres le
chat, d’autres la poule…19 » Les descriptions en livrent
un véritable atlas d’attitudes passionnelles, alternant
des phases de « mélancolie profonde » et des « larmes
abondantes », les « crises de pleurs » parfois changées
en « crises de rire20 » : « Les vapeurs, les convulsions,
le délire & les défaillances viennent orner la scène
ensemble ou tour à tour21. » À une élasticité fulgurante
des postures succède, au sommet de la crise une phase
de tétanisation qui fige les corps pétrifiés telle des
sculptures vivantes dont Mesmer souligne « qu’on ne
peut pas douter que ces phénomènes n’aient toujours
paru un sujet d’observations intéressantes pour les gens
de l’art22 ». Il faudra certes attendre la fin du XIXe siècle
et les travaux de l’anatomiste et professeur de dessin
Paul Richer à l’hôpital de la Salpêtrière pour observer
le transfert méthodique des poses « convulsionnaires »
dans le champ d’une science de l’observation anatomique à destination des artistes. Mais l’intuition d’un
modèle clinique pour peintres, graveurs et sculpteurs
est déjà là, énoncée dans la bouche de Mesmer.
Le terme de « tableaux » est volontiers utilisé pour
décrire les scènes vécues autour du baquet, une terminologie qu’il faut percevoir comme un premier relais
entre taxinomie clinique et théorie de l’expression en
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C
A. Le Baquet de Mesmer, ca. 1784, bois, métal, verre et cordes, 73 x 69 x 87 cm, musée d’Histoire de la médecine et de la pharmacie, Lyon.
B. Détail d’une gravure à partir d’un dessin de Claude-Louis Desrais, Le Salon de Mesmer, ca. 1784, Bibliothèque nationale de France, Paris.
C. Claude-Louis Desrais, Le Baquet de monsieur Mesmer, ca. 1785, crayon et encre brune sur papier, 21,7 x 30 cm, coll. part.
art. La médecine de l’époque cherchait en effet à classifier et hiérarchiser la gamme des émotions au sein
d’un atlas raisonné susceptible d’accueillir une grammaire du visible qui transfigure le symptôme en signe.
Ce sera l’objet des physionomies ou physiognomonies, en particulier dans leur destination à l’usage des
artistes. Or, ce que donne à voir la séance magnétique
sous le chahut désordonné des crises, c’est bien une
séquence contenue de figures passionnelles formant
description des mouvements de l’âme à la surface des
corps. Mesmer instaure un alphabet corporel, un langage-corps dont la série ordonnée rendrait intelligible
l’écriture chiffrée des passions révélées au cœur de ce
jeu de séduction. Se retrouvent ainsi réunis et articulés
des moments de conversation, des jeux de regards et
de langage, des mots d’esprit arrêtés par des débordements du corps à la motricité déréglée, dans une série
narrative dont l’objectif cherche à terme à se résoudre
sous sa forme la plus cathartique, dans le spectacle
sculptural de tensions musculaires dont la mise à l’arrêt aurait pour vertu principale de révéler les forces en
jeu, actives et passives, dans l’extériorisation de l’affect.
Un manuscrit récemment exhumé par Bruno Belhoste
et conservé à la bibliothèque de Reims éclaire sur le
ballet de cette gestique en usage chez le « premier disciple de Mesmer », le docteur d’Eslon : « En moins de
dix minutes, la crise se prépare, les mâchoires se rapprochent et se serrent. Un instant après, il tombe à la
renverse ; ses bras étendus en croix et les poings fermés
sont d’une raideur invincible ; le col, la colonne épinière,
le tronc, les jambes sont également raides et semblent
ne former qu’une seule pièce. Après être resté quelques
minutes dans cet état violent, la souplesse revient dans
les membres ; on le laisse se lever ; il tourne sa tête et
ses yeux vers la gauche, fait quelques pas et s’assoit sur
la chaise longue où se tient, à demi-couchée, madame
de la Blache. Là, sans parler, avec des yeux hagards,
sans proférer un seul mot, les mâchoires toujours serrées, il se met à magnétiser cette dame avec les doigts,
et de la même manière que les pratiquent M. d’Eslon
et les adeptes ou initiés. Madame de la Blache éprouve
quelques effets, tels que bâillements, des mouvements
du diaphragme, quelques éclats de rire23. »
L’épisode retracé ici par Jean Goulin est intéressant
à plusieurs titres. D’une part il met en scène un enfant
(l’auteur précise qu’il a dix ans) qui, au sommet de la
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crise, se voit lui-même doté des facultés de magnétisation. Le pouvoir de guérison se transmet dans la simple
circulation du fluide, au-delà d’un secret de la technique reposant sur une autorité statutaire (la légitimité
du médecin). C’est là, en germe, un bouleversement
des hiérarchies sociales qui prêtera rétrospectivement à
considérer dans la thérapie mesmérienne un tremplin
aux idées révolutionnaires – ce que fera Robert Darnton
dans son étude consacrée aux disciples de Mesmer réunis
autour de la Société de l'harmonie universelle24. D’autre
part, il donne très vite à rapprocher ce type de convulsions corporelles d'une culture visuelle de la transe et de
son ascendant religieux. Dans une note de son rapport
datée du vendredi 4 juin 1784, Goulin tient à préciser
que les « convulsionnaires jansénistes faisaient, et font
encore en secret, ce que MM. Mesmer et d’Eslon font
publiquement. Ces jansénistes avaient-ils été instruits à
l’école des Anabaptistes ? Ces derniers dans leurs assemblées ont-ils aussi des convulsions ? Je l’ignore. Mais les
Quakers en ont ». D’où probablement le soin accordé à
comprendre cette origine physiologique des convulsions
en la décomposant méthodiquement par phases. Nous
assistons là, bien avant les démarches de Charcot, à une
première forme de « médecine rétrospective » cherchant
à substituer aux anciennes explications surnaturelles et
religieuses (possession, extase, etc.) des interprétations
cliniques ramenées à un théâtre des nerfs, la laïcisation
du regard s’appuyant sur la médiation technique des dispositifs optiques.
Il se trouve que le salon est doté de nombreuses surfaces d’inscription de cette dramaturgie corporelle. Les
gravures d’époque illustrant l’intérieur feutré de l’an-
A
A. Claude-Louis Desrais, Le Baquet de Mr Mesmer ou représentation fidelle des opérations du magnétisme animal,
ca. 1784, gravure à l’eau-forte et au burin coloriée, 29,3 x 33,7 cm, Bibliothèque nationale de France, Paris.
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cien hôtel de Coigny de la rue Coq-Héron témoignent
de la présence de miroirs sur l’ensemble des murs du
salon principal. Cela souligne la puissance symbolique
de celui qui accueille chez lui (un signe de richesse qui
assoit son autorité) mais participe aussi de la mise en
évidence d’une circulation physique du fluide. Pour
Mesmer, le dispositif augmente « le nombre et l’activité des courants25 » qui « peuvent être réfléchis dans
les glaces, d’après les loix de la lumière26 ». Par cette
présence enveloppante des miroirs, les participants
s’observent mutuellement, dans une mise en abyme
de la crise qui facilite par mimétisme la dynamique de
groupe. Mais ces miroirs qui canalisent l’érotisation
de cette promiscuité mettent aussi en évidence l’activité d’un regard plus introspectif du sujet : « On sait
déjà que la glace d’un miroir réfléchit très fortement le
fluide, mais on n’en sait pas la raison. J’essayai une fois
[nous dit Tardy de Montravel, un disciple de Mesmer]
de placer ma malade, pendant son sommeil, devant une
glace ; elle avait les yeux bien fermés ; cependant elle se
vit parfaitement ; elle paraissait même y prendre plaisir,
lorsqu’au bout de quelques instants, je la vis ressauter
& bientôt elle eut des mouvements convulsifs27. »
Le « spectacle de ces convulsions28 » repose sur une
savante orchestration audiovisuelle : des sons pour porter les crises et aussi des images pour les accompagner.
Paulet évoque la présence au mur de « peintures allégoriques » et en donne une description dans Mesmer
justifié (1784). Un premier tableau, installé dans « la
première pièce, en entrant par le petit escalier », est
un « dessin de vingt pouces sur treize, lavé à l’encre de
Chine, rehaussé de blanc, représentant un grand jeune
homme presque nu, une flamme sur la tête, la main
droite étendue au-dessus d’une déesse assise au pied
d’un autel cylindrique, ayant pour inscription ces mots :
MAGNÉTISME ANIMAL. On apporte à cette déesse des
malades sur des brancards : dans le fond à droite, est
un temple en rotonde orné de colonnes, autour duquel
est un groupe de figures ; on voit à gauche, une autre
Divinité enveloppée de nuages, renversant de la main
gauche un mortier d’apothicaire, & de la droite tenant
un foudre étincelant, qu’elle lance sur deux figures terrassées, nues, hideuses, & telles que l’on représente
les Furies ; une d’elles tient encore le pilon d’un mortier, & brise par sa chute deux vases antiques, sur lesquels sont gravés thériaque & quinquina. Dans le fond,
& dans la demi-teinte, on aperçoit un homme en perruque & en robe longue, prenant la fuite vers un édifice
détruit, & saisissant de la main droite la Mort qui l’accompagne. Au bas du tableau, & sur une des pierres
des ruines de cet édifice est écrit en grosses lettres
SCHOLAE MEDICAE29 ». Propagande par l’image, la
scène décrit la victoire du magnétisme animal sur les
tromperies frauduleuses de la pharmacopée – Paulet
parle de « guerre d’apothicaires ». L’image met en
scène, au moyen de symboles très lisibles, le pouvoir de
l’imagination dans le mécanisme de conviction : « Le
miroir, autant le mot que la chose, convoque la notion
d’analogie que le symbolisme mesmérien fait jouer à
plein30. »
Un second tableau, cette fois accroché « à gauche de
la porte de la salle aux crises », représente « une femme
qui a la lune sur la tête, avec une couronne d’étoiles ;
elle tient à la main une baguette semblable à celle
dont on se sert chez M. Mesmer, & grave sur la base
d’une pyramide antique & tronquée cette inscription,
MAGNÉTISME ANIMAL MESMERO IMMORTALI. La
pyramide est couverte de hiéroglyphes, & au sommet
est un phénix dans son brasier. Au bas, sont de petits
génies groupés, traçant les cercles de différentes planètes. Un peu à gauche, on aperçoit des malades qui
implorent le secours salutaire de cette déesse ; & plus
loin est une femme drapée, emportant son enfant qui a
l’air rachitique. La scène est éclairée par la lune en son
plein ; & dans le fond, il y a des groupes d’enfants occupés à briser des pots remplis de drogues31 ». À noter
l’omniprésence des astres et planètes (étoiles, lunes,
etc.) qui consolide le discours sur l’influence d’une
nouvelle « gravitation universelle », celle d’un fluide
cosmique traversant l’espace et les corps, mais aussi la
présence répétée des hiéroglyphes, dans une référence
assez insistante à une forme inédite d’idéographie. Ce
… des jeux de rôle
qui très vite posent la question
d’un dédoublement de la personnalité
et d’un « étrangement » à soi…
travail des allégories et des symboles dans le decorum
des crises n’est pas gratuit. Il instruit la volonté de s’affranchir des arbitraires de la communication écrite et
verbale, au profit d’un langage visuel qui transcende
les limites du langage conventionnel des mots – ce que
Mesmer appelle « penser sans langue ». C’est là une
idée hautement romantique qui se retrouve exprimée
très tôt dans la bouche de Mesmer, consignée dès le
Précis historique des faits relatifs au magnétisme animal de 1781 : « J’en vins à regretter le temps que j’employois à la recherche des expressions sous lesquelles
je redigeois mes pensées. M’apercevant que toutes les
fois que nous avons une idée, nous la traduisons immédiatement & sans réflexions dans la langue qui nous est
la plus familière, je formai le dessein bizarre de m’affranchir de cet asservissement. Tel étoit l’effort de mon
imagination, que je réalisai cette idée abstraite. Je pensai trois mois sans langue32. »
Penser « sans langue », voilà qui semble vouloir
évincer un arbitraire sémiotique au profit d’une communication proprement naturelle reposant sur les lois
de l’instinct d’un « sixième sens artificiel »33 auquel
Mesmer donnera le nom de « théorie imitative34 ». Le
fluide magnétique devient ainsi un support de transmission hautement efficace, puisque inscrit dans l’équilibre même des lois de la nature, intraduisible par les
mots mais bien transmis « par le sentiment35 ». En puisant dans la qualité physique des canaux de transfert
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de l’émotion et des sensations, Mesmer cherche à se
dédouaner de la médiation intellectuelle des signes. Le
fluide rejoint le désir de lever les opacités de la communication, complice de certains dispositifs techniques
qui dès le début du XVIIIe siècle favorisent les transferts de langages et les jeux de traductions du sensible
(on peut penser à la réflexion synesthésique de l’abbé
Castel autour du « clavecin de couleurs », dit aussi
« clavecin pour les yeux », dont le mécanisme visait une
traduction chromatique d’une composition musicale
au moyen de projections de faisceaux lumineux accordés sur un clavier). Quand la langue est impuissante
à traduire par les mots les réalités supérieures ou les
sensations exaltées, elle dénature la connaissance de
la réalité intime des choses. Dans le Mémoire de 1799,
Mesmer déclare que la « langue de convention, le seul
moyen dont nous nous servons pour communiquer
nos idées, a, dans tous les temps, contribué à défigurer nos connaissances36 ». Il renoue ici avec la tradition orphique et son goût pour une langue poétique et
sensible des symboles, le « feu invisible » de la lumière
comme premier d’entre eux : « Nous acquérons toutes
les idées par les sens ; les sens ne nous transmettent
que celles des propriétés, des caractères, des accidents,
des attributs. Les idées de toutes ces sensations s’expriment par un adjectif ou une épithète, comme chaud,
froid, solide…37 »
VIBRATIONS ACOUSTIQUES
LE CLAVIER MÉCANIQUE DES SENSIBILITÉS
Pour Mesmer, la langue magnétique va permettre
de balayer – de court-circuiter plus précisément – cette
chaîne de déperdition de la réalité. Cette mécanique
du sensible se fait complice de l’esthétique du moment.
Son fluide magnétique, très proche de l’influx électrique avec lequel il partage de nombreuses analogies,
rejoint le principe d’une théorie générale de la stimulation (Reitztheorie), qui marque justement l’inflexion
de l’esthétique au cours de la fin du XVIIIe siècle aux
dépens d’une physiologie morale des sensations. Cette
approche physique et nerveuse coïncide – ce n’est pas
fortuit – avec le développement de l’esthétique musicale38 et ses explications d’une nouvelle culture de
l’écoute, emphatisant les liens entre intériorité et intensité des sensations39. Dans son influente Théorie générale des beaux-arts (1770), Johann Georg Sulzer décrit
l’effet de la musique sur l’auditeur comme un « choc
délivré sur les nerfs du corps40 ». Elle sera directement
répercutée dans l’esthétique romantique allemande,
prise à bras-le-corps dans les Fantaisies sur l’art de
Wilhelm Wackenroder et Ludwig Tieck (Phantasien
über die Kunst, 1799) et ce que les auteurs proches de
la Naturphilosophie appelleront la « force sensuelle »
du son, immédiatement adossée au principe d’une
« indicible sympathie41 » qui autorise au-delà de l’impuissance des mots, à « ressentir le sentiment42 » pour
mettre « en branle toutes les légions merveilleuses et
grouillantes de l’imagination43 ». La musique prend
un sérieux ascendant dans la dramaturgie des séances
magnétiques : « Le son est aussi un conducteur de
magnétisme, et dans le but de communiquer le fluide
au piano-forte, rien n’était nécessaire sinon que de le
rapprocher des tubes d’acier. La personne jouant de
l’instrument fournissait elle aussi une portion du fluide,
et le magnétisme était ainsi transmis par les sons dans
tout l’environnement des patients44. » Dans certains
rapports de séances magnétiques est évoquée même
une magnétisation préalable des instruments45.
Mesmer est un très bon instrumentiste, habile au violoncelle mais surtout virtuose à l’harmonica de verre, le
Glasharmonika, perfectionné au cours des années 1760
par Benjamin Franklin46. Dans son Usage médical de
la musique (1835), Schneider évoque les performances
de Mesmer sur cet instrument, suggérant qu’elles y
étaient pour beaucoup dans le mécanisme même de
la cure, via l’impact acoustique sur le système nerveux
(Nervensystem) des patients47. S’opère ici une convergence entre musique, sensibilité et physiologie de l’esprit, avec une nette prédilection pour les instruments
vibratoires illustrant le lien métaphorique entre corde
sensible de l’auditeur et résonance acoustique de l’instrument, le tout immédiatement associé à la recherche
d’états modifiés de conscience entre transe, extase et
hystérie. Mesmer est en cela l’homme d’une philosophie de la nature qui pousse, dans les pas de Newton,
l’interprétation neurophysiologique du cerveau vers
le modèle mécaniste des instruments de musique48.
Dans la révision de ses Principia Mathematica (1713),
Newton montrait déjà combien il était possible d’entendre le mécanisme de transmission du cerveau aux
organes musculaires par l’existence de « solides filaments des nerfs », qu’il comparait à une sorte de « clavier ». De même, l’Anglais David Hartley associait les
propriétés acoustiques des cordes musicales aux mécanismes de réponse nerveuse, via la « résonance sympathique » de micro vibrations (vibruncles), un principe
reconduit dans l’Essai analytique sur les facultés de
l’âme (1760), de Charles Bonnet49. Mesmer ne pense
pas autrement, persuadé que les proportions harmoniques et le son cristallin diffusés par le Glasharmonika
favorisent le rééquilibrage du système nerveux des
patients par simple résonance sympathique. C’est ce
qu’il nous dit dans un passage tout à fait explicite de
son Mémoire au moment de qualifier le fonctionnement de « l’organe du sens interne » : « Lorsque j’ai dit
que cet organe consiste dans l’union et l’entrelacement
des nerfs, je n’ai pas entendu que ce fut un seul point
ou centre unique, ni une région, circonscrite, mais bien
le système nerveux en entier ; c’est-à-dire l’ensemble
composé de tous les points de réunion, tels que le cerveau, la moelle épinière, les plexus et les ganglions. Ces
différentes parties, à l’égard de leurs fonctions, peuvent
être considérées, séparément ou dans leur ensemble,
A. Mesmer magnétisant une patiente, 1784, aquatinte, 13,8 x 9,4 cm, Bibliothèque nationale de France.
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comme différents instruments de musique, dont l’harmonie dépend de leur parfait accord50. » Plus loin, il
compare cet agencement aux « effets que produirait
à nos yeux une glace exposée à différentes directions
(sic) », l’alliance des pouvoirs de réverbérations fonctionnant à plein.
Par sa femme, Anna Maria von Posch, fille fortunée
du principal apothicaire de Vienne, Mesmer est en
contact avec de nombreux musiciens, en tout premier
lieu la famille Mozart. Le père, Leopold Mozart, saluera
dans deux lettres la pratique de Mesmer à l’harmonica
de verre, qu’il a fait venir à grands frais d’Angleterre51 ; le
fils Wolfgang Amadeus donnera quelques récitals dans
son salon viennois, ainsi que la première de Bastien et
Bastienne dans les jardins du palais de la Landstrasse
(Mozart a alors douze ans)52. C’est probablement dans
le théâtre de verdure aménagé dans ces mêmes jardins
qu’ont lieu diverses représentations théâtrales, mobilisant
une nouvelle génération de dramaturges associés au
courant « sentimentaliste », des auteurs et acteurs
inspirés par les théories de Jean-Jacques Rousseau :
les premiers jeux publics de passes magnétiques
côtoient des mises en scène des bienfaits collectifs de la
« sympathie morale ». Bastien et Bastienne, cette pièce
d’opéra-bouffe probablement commanditée par Mesmer
lui-même, est d’ailleurs l'adaptation d’une comédie de
l’auteur de L’Émile. Quelques années plus tard, cette
fois sous une forme parodique soulignant les liens entre
politiques des corps, contrôle social et supercherie
médicale, Amadeus évoquera le magnétisme animal
dans Cosi fan tutte53, une œuvre manifestement inspirée
par la multiplication des pièces théâtrales contre le
mesmérisme qui se développent au cours de l’année
1784, année des rapports et de la publication du
pamphlet L’Antimagnétisme, de Jean-Jacques Paulet.
L’harmonica de verre est à la fois un instrument physique (terrestre) et moral (céleste), idéal pour se saisir
des modes de circulation convoqués par le magnétisme animal, dans la tradition d’une « musique des
humeurs » dont on retrouve encore l’esprit dans le
Traité des effets de la musique sur le corps, de JosephLouis Roger (1803)54. C’est bien dans ce sens vibratoire
A
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qu’il faut comprendre le rôle joué par les instruments de
musique dans la cure mesmérienne – ce que l’on peut
lire dans une gravure d’époque, reprise d’un dessin de
Claude Desrais, intitulée Le Baquet de Mr Mesmer ou
Représentation fidelle des opérations du magnétisme
animal. C’est là, dans l’image et le texte, une explication de la contagion émotionnelle par contact. Dans une
salle adjacente, sous l’un des tableaux « allégoriques »,
se distinguent des musiciens, un archer et un violon à
la main, qui diffusent une musique d’ambiance par une
fenêtre ouverte sur la salle principale où se trouve le
baquet. Dans son rapport, Benjamin Franklin évoque
des « musiciens (qui) jouent dans l’antichambre des
airs propres à exciter la gaîté chez les malades ». Est à
remarquer le soin apporté par le graveur à souligner la
place des mains des instrumentistes, rapportées rapidement aux passes du magnétiseur sur les sujets en
pâmoison, avec la même insistance sur le frottement
magnétique des corps. Le contact avec l’instrument est
la première condition de l’effet du fluide : « Les magnétiseurs appuient leurs mains sur la partie malade et la
frottent pendant quelque temps, cette opération hâte
l’effet », rappelle non sans malice Benjamin Franklin55,
avec un soin particulier à souligner le degré plus élevé
de réactivité nerveuse des femmes à cette circulation
fluidique56.
Est dû au même Desrais un dessin consacré à une autre
virtuose de l’harmonica de verre, Angelica Kauffmann57.
Autour d’elle, le public mixte est en pâmoison, alors
qu’au côté de l’harmonica trône une chaise vide sur
laquelle a été déposée une flûte en surplomb, telle une
forme subliminale qui souligne par sa connotation phallique la dimension érotique du concert. Dans une autre
composition de la même époque, Angelica est représentée dans l’intimité de son atelier. Elle joue du même harmonica de verre devant cette fois un chevalet ainsi que
plusieurs fragments de sculptures en plâtre, symboles
de la conversation harmonique des arts, mais aussi de
l’animation de ses créations plastiques au contact de la
seule vibration sonore. Si le contact physique avec les
coupelles cristallines prend autant d’importance dans
l’influence de l’instrument, c’est bien aussi pour venir
balayer la frontière entre le sujet et son environnement
en élevant le corps sonore, véritable caisse de résonance,
au rang de machinerie nerveuse. Ce sera l’un des tropes
de la réception critique des séances mesmériennes. La
simple contiguïté tactile avec l’instrument manifeste son
emprise vibratoire. Se croisent ici les imaginaires fluido-magnétiques des cures et le développement d’une
physique vibratoire, dans laquelle la diffusion sensible
du son deviendrait accessible à l’œil nu, incitant à creuser plus avant les analogies physiques entre sons et
lumières. Les expériences de Mesmer et leur versant
musical sont contemporains des premières tentatives
d’Ernst Florens Chladni, pionnier de l’acoustique, dont
les expériences de visualisation du son héritent des premiers essais de transcription de la polarité électrique
B
réalisés vers 1776 par Georg Christoph Lichtenberg58,
qui avait cherché à démontrer la nature polarisée des
décharges électriques, en traduisant optiquement cette
polarité sur une plaque de résine solidifiée par une
couche de sulfure. Ces traces aux très belles ramifications réticulaires donnaient, de manière inédite, une
forme tangible à un phénomène qui jusque-là restait
de l’ordre de l’impondérable. Dans la foulée, l’expérience des plaques de Chladni conduisait ce principe
d’une extension du visible vers la transcription optique
des sonorités, saluant l’unité primordiale du son et de
la lumière dans de curieux hiéroglyphes qui scandaient
l’ordre caché du cosmos derrière le chaos des phénomènes, avec une figure de prédilection de cette épiphanie de l’invisible : la belle forme des symétries révélée
par le jeu polarisé de la force électrique.
Dans les faits et toujours sur le même mode analogique, la polarité du fluide magnétique de Mesmer
semblait portée par la mise en évidence d’une électrification chimique de la perception. Ce sera celle qui fut
reprise notamment par un jeune physicien allemand,
Johann Wilhelm Ritter (un « vrai firmament de savoir
descendu sur terre », dira Goethe), proche des milieux
romantiques, ami de Novalis, Herder, Schelling, dont
l’ouvrage majeur sur Le Système électrique des corps
(1805) n’hésitera pas à établir une correspondance
entre un œil galvanique et un corps magnétique (« On
pourrait appeler l’œil, sous le rapport de la vision, un
semi-conducteur […]. L’œil est-il pour la lumière une
A. Angelica Kauffmann jouant de l’harmonica de verre, ca. 1790, gravure.
B. André-Charles Deudon, Jacques-Georges Cousineau, Harmonica de verre, ca. 1790,
bois de palissandre avec coupelles de verre, coll. musée de la Cité de la musique, Paris.
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sorte de bouteille de Leyde ? Y est-elle condensée
selon les mêmes lois que l’électricité dans le condensateur59 ? »), et plus encore, un lien « chimique » entre
électricité et magnétisme comme en témoigne un
des Fragments posthumes tirés des papiers d’un jeune
physicien (1810) : « Le magnétisme est la polarité du
temps, l’électricité, la polarité de l’espace […]. La polarité magnétique est une polarité de la volonté, du devenir, la polarité électrique est une polarité de l’Être. De
la première relève la religion, l’art… » Ritter tente là de
montrer combien il y a, dans cette traduction immédiate du son en lumière et vice versa, la possibilité
(commune avec Mesmer) de retrouver un langage des
origines, un langage immédiat, vibratoire, non conventionnel, confondant parole et écriture, dans la transduction électrique d’un son en forme : « Toute excitation
électrique est accompagnée d’une vibration […]. Toute
vibration donne un son, et donc une parole. Mais l’électricité produite se projette partout de manière à créer
aussitôt une forme, et même la forme la précède et
accompagne déjà sa production ; elle ne la trouve, préexistante, qu’en apparaissant elle-même60. » C’est selon
Ritter un moyen de « rechercher par la voie de l’électricité l’écriture originelle ou naturelle61 », allant jusqu’à
traquer la conscience elle-même dans le corps physique
du son (« Jadis, toute conscience ne fut que son, ainsi
que l’a magnifiquement montré, plus que tout autre,
Herder »). En présentant le son comme un organisme
vivant de vibrations, il lui donne aussi une capacité
d’exprimer son désir d’entrer en résonance, en réciprocité, avec les autres consciences, dans une authentique
politique du sensible : « Il se peut que tout accord soit
peut-être déjà une compréhension réciproque entre
… en présentant le son comme
un organisme vivant de vibrations,
il lui donne aussi une capacité
d’exprimer son désir d’entrer
en résonance, en réciprocité,
avec les autres consciences…
des sons, et qu’il nous parvienne en tant qu’unité déjà
constituée. L’accord devient l’image d’une communauté d’esprits, de l’amour, de l’amitié, etc. L’harmonie,
image idéale de la société […]. Mais outre que nous
avons dans le son et la musique notre image même,
nous y avons aussi notre société, un accompagnement,
car dans le son nous fréquentons notre semblable. Cette
fréquentation peut devenir pour nous la plus haute, car
elle peut donner l’image de ce qui est si difficile à réaliser dans la vie : une relation devenue idéale avec notre
entourage […]. En nous montrant comment un son, en
accord, en appelle un autre, la musique nous donne
un bel exemple à suivre. Si un être donne à la société
le spectacle d’une vie bonne et conforme à l’ordre,
A
immanquablement il appellera et suscitera tout autour
de lui la même harmonie, la même mélodie. Il sera pour
la société un facteur d’organisation, d’harmonisation,
de mélodisation, et elle représentera pour finir la même
image que la musique62. » Mesmer ne pense pas autrement, convaincu de détenir non seulement le secret
universel de la guérison, mais l’instrument visant une
concorde harmonieuse des êtres par la concordance
harmonique des sensibilités : une orchestration de la
sympathie. C’est ce qu’Eliphas Levi appellera plus tard,
la « physique sympathique de Mesmer63 », héritée d’une
notion ancienne, voire archaïque, celle des « courants
sympathiques » défendus par Paracelse, Van Helmont
ou Kircher, reprise par Goethe, l’auteur des Affinités
électives (1807), sous le nom de « cercle magique ».
Car l’esthétique romantique tout comme le système
de Mesmer sont habités par cet espace interpersonnel
prémoderne, rempli de forces d’attraction, un milieu
ambiant « saturé d’énergies symbiotiques, érotiques et
mimétiques, concurrentielles, etc. »64, qui démentent
fondamentalement l’illusion d’une autonomie du sujet.
Dans ce transfert de forces, la relation entre médecin
et patient se reverse tout naturellement sur celle que
l’œuvre peut entretenir sur le mode de la fascination
et de l’emprise consentie avec le public, une relation
dont l’efficacité physique du rayonnement serait optimisée dans le « face à face magnétopathique ». Il faut
se reporter pour cela au 238e paragraphe des fameux
Aphorismes de Mesmer : « §238. La position respective
de deux êtres, qui agissent l’un sur l’autre, n’est pas
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indifférente ; pour juger quelle doit être cette position,
il faut considérer chaque être comme un tout composé
de diverses parties, possédant chacune une forme ou
un mouvement tonique particulier ; on conçoit par ce
moyen que deux êtres ont l’un sur l’autre la plus grande
influence possible, lorsqu’ils sont placés de manière que
leurs parties analogues agissent les unes sur les autres
dans la position la plus exacte. Pour que deux hommes
agissent le plus fortement possible l’un sur l’autre, il
faut donc qu’ils soient placés en face l’un de l’autre.
Dans cette position, ils provoquent l’intention de leurs
propriétés d’une manière harmonique et peuvent être
considérés comme reformant un tout65. »
À noter ici l’injonction de trouver une juste place et
position, juste, mais contraire dans sa promiscuité aux
règles sociales de convenance, résistante aux « contours
plus clairement tracés dans le système de délimitation
du Moi au sein de la société bourgeoise66. » Car ce que
pointe incidemment cette relation fusionnelle, c’est non
seulement une déviance du rapprochement (immédiatement reprochée à Mesmer notamment dans le rapport secret de la commission royale), mais une perte
d’autonomie du sujet, vécue comme une régression
dans l’échelle évolutive des espèces. Une régression
salutaire néanmoins selon les romantiques, dont le versant germanique, celui de la Naturphilosophie, visera
précisément ce retour refoulé des attractions jusque
dans la jouissance d’une confusion à l’autre proche de
l’oubli de soi. Le traité Ueber Sympathie (De la sympathie), publié par Friedrich Hufeland en 1811 est,
selon Peter Sloterdijk, le signe manifeste de « cette
nouvelle alliance entre l’expérimentation magnétopathique de proximité et la philosophie évolutionnaire de
la nature67. » Par « sympathie », Hufeland reconnaît des
forces d’évolutions anciennes de l’organisme dont le
propre serait une passivité face aux influences externes.
Dans l’échelle des espèces, l’humain serait le moins
affecté par ce mode « végétatif », à l’exception notoire
d’une baisse de vigilance et d’assoupissement de sa
conscience vécue dans le sommeil et ses états limitrophes. C’est dans cet état modifié de conscience que
s’opère ce mode fusionnel recherché, car nulle part, dit
Hufeland, « le rapport que nous appelons sympathie
ou la dépendance de la vie individuelle ne se détache
B
A. Nos facultés sont en rapport, ca. 1784, aquatinte.
B. Les Effets du magnétisme animal, ca. 1784, gravure, 18,7 x 26,6 cm, Bibliothèque nationale de France .
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cin viennois par des articles au vitriol du Journal de
médecine, ouvrant le débat public auquel répondent
le Précis historique des faits relatifs au magnétisme
animal (1781) ainsi que l’organisation de la fameuse
Société de l’harmonie universelle qui regroupe les disciples orthodoxes de Mesmer69. Ce tissu de ralliement
implanté sur tout le territoire sert à la fois la diffusion
de la cause magnétique, mais aussi son discrédit, par
la mise en avant d’arguments sur l’intérêt financier
de Mesmer dans cette opération de divulgation d’un
principe physique dont beaucoup tiennent à prouver
l’inexistence, pour ne voir dans le magnétisme animal
qu’une « médecine de l’imagination ». Les chansons
populaires relaient ce scepticisme, posant Mesmer en
grand manipulateur lubrique des consciences :
« Que le charlatan Mesmer
Avec un autre frater
Guérisse mainte femelle
Qu’il en tourne la cervelle
En les tâtant ne sais où
C’est fou
Très fou
Et je n’y crois pas du tout70. »
A
plus clairement d’une sphère vitale étrangère que dans
le magnétisme animal, par lequel le sujet magnétisé,
sacrifiant sa propre individualité, pour autant qu’il peut
le faire sans perdre sa propre existence, et entrant dans
la sphère vitale du magnétiseur, est soumis à la domination de celui-ci à un tel degré qu’il paraît pour ainsi dire
lui appartenir comme une de ses parties, former avec
lui un seul et même organisme68. » Le sacrifice du libre
arbitre se transforme, dans une abdication grisante car
consentie, en pure relation de confiance que l’intégrité
des horizons thérapeutiques devait laver de tout soupçon d’abus de pouvoir. Hufeland mobilisera pour cela
le modèle symbiotique de la relation de la mère à l’enfant, risquant l’analogie entre le rapport magnétique
et la dyade amniotique pour aborder, à mots couverts,
l’idée d’un transfert des plus physiologiques qui, après
l’état de dépendance « enchantée » de la grossesse,
menait vers l’émancipation toute naturelle d’un sujet
ayant conquis son individuation, sans craindre de voir
son intimité menacée.
UNE « MÉDECINE DE L’IMAGINATION »
LE PROCÈS DU MAGNÉTISME
Car d’intimité il est beaucoup question au sein du
magnétisme animal, en particulier dans sa réprobation
officielle. Le succès public des cures de Mesmer (que
certains ont pu comparer à un « avatar laïque du jansénisme »), ne manque pas d’ouvrir les hostilités par une
guerre pamphlétaire corporatiste venue de la faculté de
médecine, qui dès 1779 commence à attaquer le méde-
B
A. La Puissance du magnétisme, ca. 1784, gravure à l’eau-forte, 13 x 12,8 cm, Bibliothèque nationale de France.
B. Caricature du magnétisme animal, ca. 1785.
C. Le Doigt magique ou le magnétisme animal, Simius semper simius, gravure à l’eau-forte, 25,6 x 17 cm, Bibliothèque nationale de France.
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De nombreuses rumeurs circulent sur les dérives
sensuelles des séances, où la pâmoison de nombreuses
jeunes femmes du monde ne manque pas de susciter
la crainte d’une contagion érotomane portant atteinte
à la morale. À quoi venaient s’agréger, sur un horizon
plus politique, les rapports de la police soulignant le
danger de propagation d’idées sociales radicales séditieuses, liées à la fin des privilèges héréditaires71 et à la
défense d’une « égalité entre les êtres72 ». L’ensemble
de cette agitation, trouvant de très nombreux relais
médiatiques dans les petites affiches placardées sur
les murs de la capitale, conduit à la mise en place officielle, en mars 1784, de deux commissions d’enquête
invitées à donner leur avis sur le protocole mesmérien.
Les deux rapports des neuf commissaires venus de la
faculté de médecine et de la faculté des sciences (mais
aussi un troisième resté secret rédigé par Jean-Sylvain
Bailly, consacré aux dangers pour les mœurs publiques)
se fondent notamment sur des crises obtenues par la
simple simulation d’une passe magnétique et une
série d’« épreuves-pièges ». Ainsi ils faisaient croire
aux patients qu’on les magnétisait alors qu’il n’en était
rien, pour conclure à l’inexistence du fluide, les convulsions étant interprétées comme de simples réactions à
un conditionnement de l’imagination « exaltée, affaiblie
ou troublée » des sujets73. La mesure de condamnation
est confirmée le 23 octobre 1784. Thomas Jefferson,
en voyage à Paris, note dans son journal à la date du
5 février 1785 : « Magnétisme animal, mort sous le ridicule. » Mesmer et ses adeptes, convertis en disciples
sectaires, se retrouvent très vite protagonistes de nombreuses pièces calomnieuses. En novembre 1784 a lieu
sur la scène de la Comédie italienne la première d’un
vaudeville intitulé Les Docteurs modernes74, qui pointe
pêle-mêle les fourberies du « médecin riche », la naïveté
des « patients fous » et le théâtre hystérique des séances
qui, nous dit Jean-Jacques Paulet, « fait remuer le plus
de têtes75 ». De nombreuses caricatures vont relayer par
l’image la condamnation morale de ce qui est présenté
comme une double escroquerie. Certaines, comme Le
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B
Mesmérisme à tous les diables, insistent sur la collusion
entre crédulité, foi et intérêt : « Oh vous voyez comme
le Sieur Mesmer veut magnétiser le diable et que le
diable l’emporte tandis que les louis d’or s’échappent
de la poche du Sieur Mesmer », lit-on dans la légende.
Dans une autre, Le Magnétisme dévoilé, ce sont les
tables de la loi, incarnées ici par le rapport brandi par
Benjamin Franklin, qui confondent la légitimité juridique du médecin charlatan. La plus connue, dite Le
Doigt magique, met en scène Mesmer, dont la poche
du manteau est remplie de pièces, portant la main sur
une jeune aristocrate. La charge sexuelle est au cœur
de la didactique irrévérencieuse de l’image : entre le
doigt phallique, les oreilles d’âne érectiles et surtout
une queue redressée, sortant de l’arrière du manteau,
tout porte vers un dévoiement érotomane d’une thaumaturgie rabattue à la lubricité d’attouchements volés.
Deux enseignements ressortent de cette querelle en
images. Le premier tient à la déqualification scientifique du magnétisme, le baquet ramené aux sortilèges
de la magie noire et le fluide aux hypothèses de l’astrologie divinatoire. Le second tient à la condamnation
morale entre extorsion, abus de pouvoir et manipulation, avec pour figure iconographique commune celle
du médecin (ou du patient) converti en animal, l’âne
en première ligne. Dans Le Doigt magique, Mesmer est
affublé non seulement d’une tête, mais d’une queue de
baudet. Ridicule d’une autorité médicale camouflant
la sottise, mais aussi camouflage d’une régression animale sous couvert de l’habit civilisé du guérisseur. Dans
La Puissance du magnétisme, ce sont âne et dindon qui
s’interposent « par devant » et « par derrière » autour du
patient pris en otage par la cupidité des faux médecins,
avec son lot de références scatologiques. La légende
ajoute le texte à l’image : « Hélas ! Messieurs contemplez
ma misère. L’un par devant plus traître qu’un corsaire.
A. Le Magnétisme dévoilé, 1784-1785, gravure à l’eau-forte, Bibliothèque nationale de France.
B. Le Mesmérisme à tous les diables, ca. 1784, gravure à l’eau-forte et au burin coloriée, 23,3 x 32 cm.
C. Pièce facétieuse sur le magnétisme, ca. 1784, gravure à l’eau-forte, Bibliothèque nationale de France.
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Impitoiablement me fait d.[égueuler] L’autre m’attaquant par derrière. Très amplement me fait F.[oirer].
Quant au troisième, il n’est pas si sévère, Mais le petit
fripon aime à se régaler. » On remarquera ici que les
mots tronqués sont remplacés, sur l’estampe, par de
petites icones illustrant les gestes déplacés.
C’est bien le spectre de l’animalité qui devient ici
le ressort de la mise au ban de la relation magnétique,
cherchant à libérer le sujet sous emprise d’une physique
de l’influence immédiatement qualifiée d’archaïque
et même de régressive. Ce que laissent entendre ces
caricatures, au-delà des poncifs de la charge contre la
débilité des croyances, c’est non seulement un affaiblissement des codes de conduite, mais la menace d’une
plus grande porosité entre espèces, disqualifiant, dans
la prétendue solution à la santé physique et morale des
individus, l’évolution d’une espèce humaine abâtardie.
… de nombreuses caricatures
vont relayer par l’image
la condamnation morale de
ce qui est présenté comme
une double escroquerie…
D’où le montage saisissant de cette autre image infamante, intitulée Les Effets du magnétisme… animal.
La scène, située en ville, décrit une bande de colporteurs musiciens, l’un portant un cor, l’autre jouant du
violon, cernée par une meute de chiens enragés. Sur
un pignon de mur, on distingue une affiche publique
tronquée, laissant lire « LES DO Moder », allusion écornée mais évidente à l’annonce de la pièce Les Docteurs
modernes. Le risque pointé est bien celui de la contagion ou contamination collective à partir d’un remède
qui, dans le jeu de sa circulation, se révélerait plus
dangereux que le mal lui-même par sa seule qualification de « fluide animal », dont la prétention à libérer le
sujet d’un mal intérieur ne ferait que révéler au grand
jour, notamment sous la forme de la crise, la part de
la bête prenant possession du corps de l’ange, sur le
mode visuel de la métamorphose. Plutôt que de souligner une complicité instinctive entre les hommes et
les bêtes, c’est bien le risque de revenir, par un tropplein d’émotions incontrôlées, à l’état animal, qui est
saisi comme une arme. La condamnation du mesmérisme est d’abord une résistance à l’énigme de la
nature incertaine de l’homme face à un savoir supposé du comportement animal. Ou comment raccorder, sous un même principe primordial, intelligence et
instinct, en cherchant à identifier, comme le fera beaucoup plus tard Bergson, ce qui chez « l’homme chevauche l’animalité » par le seul fait que « l’instinct est
sympathie76. » C’est ainsi que s’opère assez clairement
une équivalence entre animalité et intensité, quand
les figures du bestiaire viennent contaminer l’espace
public de la crise magnétique, dans une forme à peine
voilée d’éthologie des affects, allant rapidement de
l’animalité à l’art et vice versa. Bientôt le philosophe
Maine de Biran, qui se penchera sur l’énigme du mesmérisme, passera de ses Notes sur le traité de la nature
des animaux (1794) à son Mémoire sur les perceptions
obscures ou sur les impressions générales affectives et
les sympathies en particulier (1807)77.
Pourquoi cette circulation ? Parce qu’elle laisse
poindre une plus subtile interrogation sur les liens
entre chimères de l’imagination, raison humaine et
animalité. C’est cette économie animale de l’imagination (et la médiation sensible du désir dans cette
circulation) qui nous intéresse ici. Car dans la querelle qui oppose Mesmer, ses disciples et les commissions royales, c’est bien la notion d’imagination qui
est en cause, pour l’opposer à l’inexistence physique
du fluide. C’est aussi à partir de ce même concept que
les propres défenseurs de Mesmer vont tenter d’éclaircir une notion encore floue. Ainsi de Nicolas Bergasse
qui, à l’issue de la condamnation officielle de 1784, se
demande « ce que c’est que l’imagination » : ce serait
la faculté qui rend présents des objets absents par le
moyen d’impressions similaires78. L’imagination serait
capable non seulement de produire des « illusions »,
mais aussi de déplacer des forces et de produire des
attractions entre les corps et les consciences. Ainsi du
système élaboré par William Maxwell, pour qui l’imagination agit au moyen d’une force vitale qui transmet
à distance l’esprit d’un sujet vers un autre – un esprit
qui pourrait être dirigé par la force des aimants ou des
« onguents magnétiques79 », une force que certains
médecins, comme Louis Claude Macquart dans son
article sur « l’imagination » publié dans les colonnes de
L’Encyclopédie méthodique de médecine (1798), rapprochaient de la sensibilité dans le génie inventif. Ce qui
peut à ce stade retenir notre attention, c’est la multiplication des explications physiques de cette « transmission à distance » du pouvoir de l’imagination, héritière
d’une longue tradition qui ne s’est pas totalement
éteinte au siècle des Lumières. Ainsi, selon l’auteur du
Naturalisme des convulsions, Hecquet, c’est par le biais
d’oscillations physiques ondulatoires que se propagent
dans l’air les esprits « élastiques », passant d’un sujet
à un autre par effet de contagion. Or, la circulation de
ces effluves est donnée pour explication du phénomène
même de la représentation – pouvant donner explication, par extension, à la contagion émotionnelle au
théâtre. Comme le rappelle Koen Vermeir, « ces esprits
transportent également des idées qu’ils ont contractées dans le corps du convulsionnaire. Après avoir été
transmises par l’air, ces idées pénètrent par le nez, les
oreilles et les pores de la peau des spectateurs. De cette
façon elles finissent par impressionner leurs esprits […].
Par conséquent, les spectateurs sont comme des cordes
vibrantes, activées par une action à distance et réagissant à l’unisson “nous soulignons”80 ». L’analogie de la
A. The Magnetism, 1783, gravure de Toyug à partir d’un lavis de Sergent, gravure en couleurs, diam. 13,5 cm, Bibliothèque nationale de France.
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corde est décisive ; elle est retrouvée telle quelle dans
le modèle vibratoire développé, à l’aube du XXe siècle,
dans le champ des avant-gardes par Kandinsky notamment, pour expliquer le phénomène de transmission
émotionnelle entre le créateur et le spectateur sur le
principe d’une mise au diapason. Pour le moment, ce
qui se joue là, c’est bien l’efficace de l’analogie entre
fluide et imagination, l’imagination elle-même traduite
en ondes physiques ou vapeurs circulant de corps en
corps, comme un agent matériel combinant « physique » et « moral ».
« TÊTES DE CARACTÈRE »
D’UNE THÉORIE DES EXPRESSIONS
À UN AGENCEMENT DE LA SENSIBILITÉ
Un corps au diapason de la psyché, qu’il traduit plus
qu’il n’enferme : voilà qui nous renvoie aux modèles
fournis par la science de la physionomie (ou physiognomonie) et ses applications artistiques. La physionomie
est, on le sait, l’art de repérer dans l’apparence physique d’une personne, principalement dans les traits
de son visage et de sa silhouette, des indices de son
caractère et de sa personnalité. Or, elle a connu avec
Le Brun, notamment dans ses Conférences sur l’expression des différents caractères des passions publiées en
1702, un développement zoologique qui ne peut que
retenir notre attention puisqu’il consiste justement
à comparer face humaine et profil animal, à relever
ce qui « chevauche » l’animal dans l’humain au service d’une théorie esthétique de l’expression et de ses
modes de codification, que Descartes par exemple
avait déjà cherché avant lui à expliquer à partir d’une
circulation, invisible à l’œil, des « esprits animaux ».
Ce qui restait irrésolu dans cette quête d’un atlas des
« attitudes passionnelles », c’était justement de surpasser l’obstacle d’un « écart infranchissable entre
la connaissance systématique des passions et la description de leur perception », quand « l’analytique des
passions, leur dénombrement et leur séparation » ne
semblaient pas avoir de « correspondance exacte dans
l’ordre du perçu81 ». De construire donc une grammaire
du visible jusque dans le débordement des émotions,
ce que fera justement, à sa manière interlope, le sculpteur Franz Xaver Messerschmidt avec ses fameuses
Têtes de caractère, dont l’outrance grimacière relevait
plutôt de la mise au défi des tentatives rationnelles de
catégorisation. Or, l’on doit à Messerschmidt un Buste
de Mesmer, premier témoignage le plus notoire de leur
relation. Cette connivence, proche de la complicité, a
été préparée très tôt, dans les jardins de la résidence
de Landstrasse, où Mesmer a fait construire en 1770
une fontaine confiée à Messerschmidt. Comme a pu
l’analyser Bruno Belhoste82 à partir d’une description
détaillée parue dans le Wienerisches Diarium, probablement due au critique Franz Christoph von Scheyb,
la fontaine met en scène une jeune femme sortant un
B
enfant tombé dans le bassin, deux autres bambins à
leurs côtés emportés par le mouvement, soit un motif
illustrant de manière allégorique l’instinct de protection maternelle avec une résonance toute sentimentaliste. Mesmer aura été non seulement commanditaire,
mais ami et voisin de l’artiste, un compatriote originaire de la Souabe, installé dans une adresse de la
Landstrasse, à quelques rues du palais du médecin, en
vogue depuis 1769, date de la réalisation de ses premiers bustes en alliage de plomb, dont l’un est celui de
Franz von Scheyb et l’autre, toujours en ronde-bosse,
celui de Mesmer lui-même, en dépôt aujourd’hui dans
les collections du musée du Belvedère de Vienne.
Le style de ces bustes est plus naturaliste que
les fameuses « têtes de caractère » au vocabulaire
baroque. Mesmer y est représenté dans une pose plutôt hiératique et frontale, très éloignée de la mimique
faciale exacerbée de ce qui a fait la renommée du
sculpteur converti en sondeur de l’expression pathétique. L’hypothèse avancée par Bruno Belhoste, en
A. Mesmer à mi-corps, de profil ovale, aquatinte, 12,5 x 10,8 cm, Bibliothèque nationale de France.
B. Franz Xaver Messerschmidt, Buste de Mesmer, 1770, plomb, 48 cm, Vienne.
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dialogue avec Michael Krapf83, serait que les Têtes
de Messerschmidt, réalisées entre 1770 et 1783, sont
redevables pour partie dans leur séquence, au système « harmonique » du magnétisme animal. Selon
Krapf, certaines têtes représenteraient des sujets placés en traitement magnétique84, notamment deux versions dans lesquelles apparaît une cordelette autour
de la tête ou sur la bouche. Dans ce sens, le passage
d’une grimace aux yeux écarquillés vers un rictus aux
yeux fermés semble marquer la transition vers un état
d’asthénie où l’usage des sens externes est suspendu
au profit d’un « sens interne », dont le recours en crise
magnétique gagerait d’un possible retour à l’équilibre, celui vers lequel tendra la version plus paisible
dite L’Homme au noble cœur. Ce sont là des interprétations sur lesquelles il est possible de faire reposer
notre hypothèse d’un lien établi entre mesmérisme,
théorie des expressions et efficace de l’art. Car, que
les Têtes de caractère de Messerschmidt soient ou
non des applications dans le médium de sculpture
des théories du magnétisme animal, elles traduisent,
jusque dans leur pathogénie caricaturale, la volonté
rationnelle de faire du corps la surface de traduction
somatique des affects85.
Certains peintres s’en souviendront, notamment
ceux qui pour des raisons plus circonstanciées, auront
adhéré aux thèses diffusées par Mesmer. Parmi les
membres de la Société de l’harmonie universelle, on
recense plusieurs artistes. Le peintre Claude Bigaut
(1754-1794) est présenté devant la Société le 5 janvier 1786 : il en deviendra membre sous le numéro 386.
Michel-Honoré Bounieu (1740-1814), lui aussi membre
de la Société, est un peintre formé dans l’atelier de
Jean-Baptiste-Marie Pierre ; il est membre de l’Académie de peinture depuis 1767, mais aussi conservateur
des estampes à la Bibliothèque nationale entre 1792
et 1794. Il expose au Salon des peintures d’histoire, des
paysages et des tableaux de genre, dans lequel il met en
application ses savoirs sur les courants (il est l’auteur
d’un ouvrage savant intitulé Opinion sur la cause du
flux et du reflux de la mer), dont les hypothèses sur un
mouvement périodique et alternatif se trouvent aussi
chez Mesmer. Antoine Vestier (1740-1824), peintre du
Roi, est aussi sociétaire, ainsi que le peintre et graveur
Jean-Pierre Houël (1735-1813), présenté le 18 mars
1786 au Comité de l’antenne parisienne de la Société.
Le cas de Philippe Jacques de Loutherbourg (17401812) est peut-être plus intéressant encore. Membre
de l’Académie de peinture, il suit à distance les disciples de Mesmer, sa réputation de libertin l’ayant
conduit à Londres, afin d’éviter la sanction pénale de
scandales publics, où il deviendra le décorateur du
Drury Lane Theater ; il y inventera de nombreux procédés techniques d’effets spéciaux. C’est là peut-être
que se manifeste au mieux l’influence diffuse des théo-
ries magnétiques sur la réflexion menées autour d’un
efficace de la mise en scène théâtrale ; le modèle cosmo-fluidique transcrit dans la circulation environnementale d’effets chromo-lumineux révélant au public
les circuits de communication interpersonnelle invisibles à l’œil nu, dans des sensations d’irradiation,
appelés à mettre au grand jour la « sphère d’activité »
reliant chacun aux autres et au monde86. Mesmer aura
au moins donné un nom à cette nouvelle perception
étendue, le « sens intérieur […] qui pourrait être considéré comme une extension de la vue », et une fonction,
celle de mettre chaque être « en relation avec l’ensemble de l’univers87 ».
… un lien établi entre mesmérisme,
théorie des expressions
et efficace de l’art…
Car ce qui aura été le propre de la pratique élaborée par Mesmer et ses disciples, c’est bien, comme
a pu le montrer François Azouvi, de placer « la sensation en clé de voûte de l’édifice88 ». Et plus encore
de coller le sort de la sensation à l’éveil physique des
sentiments : « Le magnétisme doit en premier lieu se
transmettre par le sentiment », rappelle Mesmer dans
son Précis historique. Le fluide, en s’insinuant dans
toutes les fibres nerveuses du corps, en envahissant
littéralement le sensorium, affirme un principe d’animation « universellement répandu et continué, de
manière à ne souffrir aucun vide89 ». L’espace ambiant
unifiant microcosme et macrocosme devient un système d’influences qui cache difficilement un rêve de
domination. La médiation et ses modes conducteurs
de transmission et d’amplification sont pris ici dans
le sens d’une maîtrise complète de la sensibilité. Le
magnétisme animal n’existe que dans l’épreuve réussie
de la crise, c’est-à-dire dans une forme de résistance
à la douleur qui annonce déjà la libération des forces :
« Vérité théorique, le mesmérisme a sa condition de
possibilité dans une sensation : il faut qu’il soit vérité
sensible pour parvenir à la lumière90. » Ou comment
chercher à amplifier la sensibilité pour augmenter le
champ de la conscience, en plongeant l’être isolé dans
une totalité harmonique, un « océan de fluides » par
lequel on accède pleinement à une « communication
de la volonté91 ». Ce sera l’horizon des romantiques,
avides de retrouver les traces d’un « sens commun ».
Le somnambulisme artificiel, nouveau nom donné au
magnétisme animal condamné, va fournir les armes de
ce projet.
A. Gravure de Boullay, costume de Pierson pour Les Solliciteurs et les Fous,
comédie de Melesville et Gabriel, eau-forte en couleurs, 23 x 14,5 cm.
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L’ I N V E N T I O N D E M E S M E R
NOTES
1. François Zanetti, « Magnétisme animal et électricité
médicale au dix-huitième siècle », dans Bruno Belhoste
et Nicole Edelman (éd.), Mesmer et mesmérismes.
Le magnétisme animal en contexte, Montreuil,
Omniscience, 2015, p. 103-118.
2. Franz Anton Mesmer, Dissertatio physico-medica de
planetarum influxu, 1776, selon la traduction de
B. Belhoste.
3. Franck A. Pattie, « Mesmer’s medical dissertation and its
debt to Mead’s De imperio solis ac lunae », Journal of the
History of Medicine and Allied Sciences, Vol.11, July 1956,
p. 275–287.
4. F. A. Mesmer, selon la traduction de B. Belhoste.
5. René Roussillon, Du baquet de Mesmer au baquet
de S. Freud, Paris, PUF, 1992, p. 22.
6. F. A. Mesmer, Aphorismes de M. Mesmer dictés à
l’assemblée de ses élèves et dans lesquels on trouve ses
principes, sa théorie & les moyens de magnétiser, Paris,
Quinquet, 1785, p. 109.
7. Ibidem, p. 109-110.
8. Ibid., p. 96.
9. Ibid., p. 96.
10. Ibid., p. 97-98.
11. Ibid., p. 101.
12. Ibid., p. 161.
13. Ibid., p. 97.
14.[Anon.], Cancans magnétiques, Paris, 1836, p. 2.
15. Ulrike Krampl, « L’événement Mesmer ou la doctrine
altérée », dans B. Belhoste et N. Edelman (éd.),
Mesmer et mesmérismes. Le magnétisme animal
en contexte, op. cit., p. 73.
16. Barbara Stafford, Artful Science. Enlightenment
Entertainment and the Eclipse of Visual Education,
Cambridge, MIT Press, 1994.
17. Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval et Dominique Quéro
(éd.), Les Théâtres de société au XVIIIe siècle, Bruxelles,
Éditions de l’université de Bruxelles, 2005.
18. Jean-Jacques Paulet, Mesmer justifié, Paris, Constance,
1784, p. 2-3, cité par B. Belhoste, « Mesmer et la diffusion
du magnétisme animal à Paris (1778-1803) », dans B.
Belhosté et N. Edelman (éd.), Mesmer et mesmérismes, op.
cit., p. 45.
19. Ibidem, p. 22.
20. M. d’Eslon, Observations sur le magnétisme animal,
Paris, Didot, 1780, p. 73.
21. Ibidem, p. 94.
22. F. A. Mesmer, « Avant-propos », Mémoire de F. A.
Mesmer, docteur en médecine sur ses découvertes, Paris,
Fuchs, an VII, p. VI.
23. J. Goulin, « Sur le magnétisme animal », juin 1784,
bibliothèque municipale de Reims. Ce manuscrit a été
retrouvé par B. Belhoste dans le cadre du programme de
recherche Harmonia Universalis.
24. Robert Darnton, La Fin des Lumières. Le mesmérisme et
la Révolution, Paris, Perrin, 1984.
25. F. A. Mesmer, Aphorismes de M. Mesmer dictés…, op.
cit., p. 140.
26. Ibidem, p. 58.
27. Auguste Tardy de Montravel, Essai sur la théorie du
somnambulisme, Londres, 1785, p. 104.
28. « Rien n’est plus étonnant que le spectacle de ces
convulsions, quand on ne l’a point vu, on ne peut s’en
faire une idée. » Rapport des commissaires chargés par
le Roi de l’examen du magnétisme animal, Paris, 1784,
cité par U. Krampl, « L’événement Mesmer ou la doctrine
altérée », dans B. Belhoste et N. Edelman (éd.), Mesmer et
mesmérismes…, op. cit., p. 73.
29. J.-J. Paulet, Mesmer justifié, op. cit., 1784, p. 27-28.
30. F. A. Mesmer, Mémoire sur la découverte
du magnétisme animal, cité par S. Hammoud,
Mesmérisme et romantisme allemand (1766-1829),
Paris, L’Harmattan, 1994, p. 52.
31. Ibidem, p. 29.
32. F. A. Mesmer, Précis historique des faits relatifs au
magnétisme animal jusques en avril 1781, Paris, Gastelier,
1781, p. 22.
33. Ibidem, p. 24.
34. Ibid., p. 23.
35. Ibid., p. 25.
36. F. A. Mesmer, Mémoire sur la découverte
du magnétisme animal, cité par S. Hammoud,
Mesmérisme et romantisme allemand (1766-1829),
Paris, L’Harmattan, 1994, p. 48.
37. F. A. Mesmer cité par S. Hammoud, op. cit., p. 58.
38. James Kenneway (éd.), Music and the Nerves (17001900), New York, Palgrave Macmillan, 2014.
39. J. Kennaway, Bad Vibrations. The History of the Idea
of Music as a Cause of Disease, Surray, Ashgate, 2012.
40. Johann Georg Sulzer cité par Matthew Riley,
Musical Listening in the German Enlightenment,
Aldershot, 2004, p. 72.
41. Wilhelm Wackenroder et Ludwig Tieck, Les
Épanchements d’un moine ami des arts suivi de Fantaisies
sur l’art, édition établie par Charles Leblanc et Olivier
Schefer, Paris, Corti, 2009, p. 226.
42. Ibidem, p. 230.
43. Ibid., p. 231.
44. « Observations on animal magnetism », Blackwood’s
Edinburgh Magazine, septembre 1817, cité dans William
Hughes, That Devil’s Trick. Hypnotism and the Victorian
Popular Imagination, Manchester, Manchester University
Press, 2015, p. 38
45. « The magnetiser had previously charged the pianoforte
with magnetic fluid », [anon.], « Popular science », The
Lady’s Newspaper, janvier 1847, cité dans ibidem, p. 38.
46. Édouard Power Biggs, « Benjamin Franklin and the
armonica », Daedalus, vol. 86, n° 3, mai 1957, p. 231-241.
47. James Kenneway, Bad Vibrations. The History of the
Idea of Music as a Cause of Disease, Farnham, Ashgate,
2012, p. 47.
48. Frank Stanisch, « The human nervous system – a
clavichord? On the use of metaphors in the History
of modern neurology », dans Clifford Rose (éd.), The
Neurology of Music, Londres, Imperial College Press, 2010,
p. 73-101.
49. Carmel Raz, « The expressive organ within us. Ether,
ethereality and early romantic ideas about music and the
nerves », 19th Century Music, vol. 38, n° 2, automne 2014,
p. 115-144.
50. Mémoire de F. A. Mesmer, docteur en médecine sur ses
découvertes, Paris, Fuchs, an VII, p. 117.
51. Emily Anderson (éd.), The Letters of Mozart and his
Family, Londres, 1966, p. 235 et 236.
52. Andrew Steptoe, « Mozart, Mesmer and Cosi Fan
Tutte », Music & Letters, vol. 67, n° 3, juillet 1986, p. 248255.
53. Pierpaolo Polzonetti, « Mesmerizing aduletry : Cosi
fan tutte and the Kornman scandal », Cambridge Opera
Journal, vol. 14, n° 3, p. 263-296.
54. Hyatt King, « The musical glasses and glass
harmonica », Proceedings of the Royal Musical Association,
1945, p. 97-122.
55. Benjamin Franklin, Commission chargée de l’examen
du magnétisme animal, 1784, cité par Heather Hadlock,
« Sonorous Bodies : Women and the Glass Harmonica »,
Journal of the American Musicological Society, vol. 53, n° 3,
automne 2000, p. 530.
56. H. Hadlock, art. cit., p. 507-542.
57. Freia Hofmmann, Instrument und Korpers. Die
musizierende Frau in der bürgerlichen Kultur, Lepizig, Insel
Verlag, 1991, p. 59.
58. Siegfried Zielinski, « Electrification, tele-writing, seeing
close up : Johann Wilhelm Ritter, Joseph Chudy and Jan
Evangelista Purkyne », Deep Time of the Media. Toward
an Archeology of Hearing and Seeing by Technical Means,
Cambridge, MIT Press, 2006, p. 159-203.
59. J. W. Ritter, Fragments posthumes tirés des papiers
d’un jeune physicien. Vade-mecum à l’usage des amis de la
nature, Charenton, Premières pierres, 2001, p. 145.
60. Ibidem, p. 262.
61. Ibid., p. 262.
62. Ibid., p. 263-264.
63. « La grande chose du XVIIIe siècle, ce n’est pas
l’Encyclopédie […], c’est la physique sympathique et
miraculeuse de Mesmer ! Mesmer est grand comme
Prométhée. » Eliphas Levi, Histoire de la magie, cité
par S. Hammoud, Mesmérisme et romantisme allemand,
op. cit., p. 64.
64. Peter Sloterdijk, Bulles. Sphères 1, Paris, Pluriel,
2002 [1998], p. 228.
65. F. A. Mesmer, Aphorismes de M. Mesmer,
op. cit., p. 84-85.
66. P. Sloterdijk, Bulles, op. cit., p. 251.
67. Ibidem, p. 262.
68. Friedrich Hufeland, Ueber Sympathie, Weimar, 1811,
cité par P. Sloterdijk, Bulles, op. cit., p. 264.
69. B. Belhoste, « Mesmer et la diffusion du magnétisme
animal à Paris (1778-1803) », dans B. Belhoste et
N. Edelman (éd.), Mesmer et mesmérismes,
op. cit., p. 21-61.
70. Petites affiches, ca. 1784, cité dans Robert Darnton,
La Fin des Lumières, op. cit., p. 58.
71. Nicolas Bergasse, Observations sur le préjugé de la
noblesse héréditaire, Londres, 1789.
72. Jean-Pierre Brissot, cité par R. Darnton, La Fin des
Lumières, op. cit., p. 119.
73. Rapport des commissaires chargés par le roi de
l’examen du magnétisme animal, Paris, 1784. Rapports des
commissaires de Société royale de médecine, nommés par le
roi pour faire l’examen du magnétisme animal, Paris, 1784.
74. Les Docteurs modernes, comédie-parade en un acte et
en vaudeville, suivie du Baquet de Santé, divertissement
analogue, mêlé de couplets.
75. « Ce goût pour les choses voilées à sens mystique,
allégorique, est devenu général dans Paris et occupe
aujourd’hui presque tous les gens aisés… Mais le
magnétisme animal considéré en grand, est dans ce
moment le joujou le plus à la mode et qui fait remuer le
plus de têtes. » J.-J. Paulet, L’Antimagnétisme ou Origine,
progrès, décadence, renouvellement et réfutation du
magnétisme animal, Londres, 1784, p. 3.
76. Henri Bergson, Œuvres, Paris, PUF, 1970, p. 725 et 645.
77. Voir R. Bellour, Le Corps du cinéma. Hypnoses,
émotions, animalités, Paris, POL, 2009, p. 425.
78. N. Bergasse, Considérations sur le magnétisme animal,
ou sur la théorie du monde et des êtres organisés d’après les
principes de M. Mesmer, La Haye, 1784, p. 122.
79. W. Maxwell, De medicina magnetica libri, III, cité par
Koen Vermeir, « Guérir ceux qui croient : le mesmérisme et
l’imagination historique », dans B. Belhoste et N. Edelman
(éd.), Mesmer et mesmérismes. op.cit., p. 134-135.
80. K. Vermeir, art. cit., p. 138.
81. Adriana Bontea, « Regarder et lire : la théorie de
l’expression selon Charles Le Brun », MLN, vol. 123, n° 4,
septembre 2008, p. 865.
82. Dans une importante biographie de Mesmer à paraître.
Je remercie chaleureusement Bruno Belhoste de m’avoir
confié le manuscrit de son ouvrage en cours.
83. Michael Krapf (éd.), Franz Xaver Messerschmidt 17361783, Ostfildern-Ruit, Hatje-Cantz, 2002.
84. Cette interprétation a été repoussée par Maria
Pötzl-Malikova, « Zur Beziehung F. A. Mesmer et Franz
Xaver Messerschmidt : Eine Wiedergefundene Büste
des berühmten Magnetiseurs, » Wiener Jahrbuch für
Kunstgeschichte 40 (1987) : 257-267.
85. Tijana Zakula, « Understanding the passions in the
Age of Reason : another look at Messerschmidt’s Character
Heads », Simiolus. Netherlands Quaterly for the History of
Art, vol. 37, n° 3/4, 2013, p. 240-248.
86. « Chaque homme, en tous lieux et dans tous les
instants, est donc en relation avec tous les êtres qui se
trouvent compris dans sa sphère d’activité ; mais dans l’état
de veille, il ne peut s’apercevoir de cette relation, parce
qu’alors les… »
87. F. A. Mesmer, Mémoire sur la découverte du magnétisme
animal, op. cit., p. 50.
88. François Azouvi, « Magnétisme animal. La sensation
infinie », Dix-huitième siècle, n° 23, 1991, p. 107.
89. F. A. Mesmer, Mémoire sur la découverte du
magnétisme animal, op. cit., p. 76.
90. F. Azouvi, « Magnétisme animal… », art. cit., p. 114.
91. F. A. Mesmer, Deuxième mémoire, an VII, cité par Jean
Starobinski, La Relation critique, Paris, Gallimard, 1970,
p. 203.
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LA VAGUE DES
SOMNAMBULES
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La condamnation publique du magnétisme animal
en 1784 n’a pas désarmé les défenseurs du système
établi par Mesmer. Avec le réseau social créé autour
de la Société de l’harmonie universelle, se diffusent
des solutions alternatives qui prendront corps dans les
propres arguments dénonciateurs des deux commissions, notamment autour de la critique d’une « médecine de l’imagination » en l’absence d’une observation
de la réalité physique d’un quelconque fluide magnétique : « L’imagination sans magnétisme, produit des
convulsions et […] le magnétisme sans l’imagination,
ne produit rien1. »
Car c’est bien le pouvoir plus psychique que physique de l’imagination qui va prendre le relais, servant immédiatement la cause d’un rapprochement
avec le principe d’une créativité augmentée sous états
modifiés de conscience. Les milieux artistiques vont
s’appuyer sur une subjectivité non plus homogène et
permanente, mais variable et à plusieurs voix, jouant
sur la gradation des niveaux de conscience d’une part,
et sur les mécanismes de dédoublement de personnalité d’autre part, pour optimiser les procédés de l’invention formelle et conceptuelle.
La première moitié du XIXe siècle, très marquée par
l’esthétique romantique, va subir le charme et l’envoûtement de cette clinique visionnaire du « somnambulisme artificiel », qui, malgré la crainte d’une
dissolution du moi au risque de l’aliénation, va porter la figure du somnambule au rang de modèle idéal
et performatif de l’artiste clairvoyant. Avec le ou la
somnambule, c’est bien l’aventure d’une « imagination créatrice » qui refait surface dans ce que l’on
appelle déjà le « phénomène du sommeil » et ses
manifestations paradoxales au-delà du périmètre restreint de la raison éveillée. L’accès à l’état somnambulique devient le tremplin d’une innovation artistique
balayant, jusque dans les réflexes nerveux de l’automatisme, les poncifs de la tradition et de l’académie.
« L’INTUITIVE CLAIRVOYANCE »
PUYSÉGUR ET LE SOMNAMBULISME ARTIFICIEL
La révolution du somnambulisme s’opère avec un
disciple direct de Mesmer, le marquis de Puységur (17511825). Militaire de carrière, colonel d’artillerie auteur de
traités techniques sur les armes à feu, celui-ci découvre
le magnétisme animal par l’intermédiaire de son frère
cadet, Antoine de Chastenet, qui le met en contact en
1782 avec une branche de la Société de l’harmonie. Les
procès de 1784, qui ont mis à mal le traitement magnétique et l’existence d’un fluide universel, vont conduire
Puységur à reporter l’explication physiologique du rapport magnétique vers une interprétation plus psychologique. Le sujet est beaucoup plus proactif, l’agent de
la magnétisation étant désormais rivé sur la volonté de
l’opérateur qui, loin de s’imposer au premier, viendrait
A. Dessin de Fluidus dans le Nouvel almanach magnétique, 1856.
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cet état intermédiaire entre veille et sommeil, générateur de nouvelles capacités sensibles et cognitives, qui
va produire le cœur de la révolution somnambulique
jusque dans sa dimension politique.
Dans ce sommeil paradoxal, Victor se découvre
des talents d’autoanalyse et d’orateur insoupçonnés
pour une personne de sa condition. Il dialogue avec
son maître et médecin, dans une curieuse complicité
à laquelle l’ordre social ne prédisposait pas. Il diagnostique sa propre maladie, indique les organes fragilisés, anticipe sur l’évolution de ses pathologies par
une curieuse faculté d’endoscopie. Sa vue n’est pas
seulement autoprescriptive, elle devient proprement
visionnaire. Puységur va nommer cet état singulier
le « somnambulisme artificiel » pour le distinguer du
« somnambulisme naturel », nettement plus automate,
accordant une part décisive à la dynamique de la relation à double sens entre le thérapeute et son patient.
Comme le rappelle Olivier Schefer, « l’un des grands
apports de Puységur consiste dans la dématérialisation du magnétisme animal et son idéation2 », dans la
défaite physicaliste du fluide, mais aussi idéation dans
la montée en force d’un efficace de la parole et des
pouvoirs de la psyché sur le corps qui va trouver une
résonance immédiate dans le champ de l’esthétique,
autour des prémices du romantisme.
A
collaborer avec lui. Le vocabulaire fluidique du magnétisme animal sera remplacé par celui du « somnambulisme artificiel ».
Cette évolution peut se lire dans les inflexions opérées en quelques années entre les Mémoires pour servir l’histoire et l’établissement du magnétisme animal
(1786) et les Recherches, expériences et observations
physiologiques sur l’homme dans l’état de somnambulisme naturel et dans le somnambulisme provoqué par
l’acte magnétique (1811). Cherchant à guérir la fluxion
pulmonaire d’un valet de ferme de vingt-trois ans travaillant sur ses terres, Puységur découvre que l’usage
des passes ne provoque pas une crise convulsive à la
façon « baquet », mais un sommeil particulier durant
lequel un jeune paysan, Victor Race, semble suivre les
pensées de son magnétiseur. C’est la découverte de
Si l’agent fluidique reste encore physique dans un
premier temps – circulant autour d’une plateforme
conductrice (une dalle de résine dite « gâteau » susceptible de charger les sujets d’électricité), très vite remplacée par un arbre magnétisé (le fameux « arbre de
Busancy » doté de cordages sur lesquels venaient se
raccorder les patients, à la manière des regroupements
en chaîne autour des tiges métalliques du baquet de
Mesmer3) –, il est désormais mis en mouvement par
l’action de la pensée du magnétiseur. Puységur la nommera l’« électromagnétisme de l’homme » (« cette
cause dans l’homme est sa pensée4 »). Les commentateurs de l’époque, sur le principe d’une « circulation
nerveuse » de type électrique, l’assignent clairement à
« la volonté de celui qui veut en imprégner, pour ainsi
dire, un autre individu5 ».
Plusieurs points peuvent alors retenir l’attention.
Tout d’abord l’activation d’une optique propre au somnambule, une vision affinée qui tisse des relations
matérielles dans l’espace interpersonnel, là où l’univers
visible paraissait dénué de porosité et de continuité
entre les corps et les consciences. Dans certains récits
de somnambules rapportés par Puységur, on retrouve
des tropes visuels comme des fils reliant les êtres, animés ou inanimés, pour former la surface vivante d’un
média environnemental : « Un immense océan d’une
matière extrêmement subtile m’environne. Cette
A. L’Arbre de Puységur, gravure extraite de Foveau de Courmelles, L’Hypnotisme, Paris, 1890.
B. Le Fameux Arbre de Buzancy, planche extraite des Petits secrets du magnétisme et de l’hypnotisme, ca. 1900.
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matière, qui n’est ni l’air, ni la lumière, mais qui est la
base de l’un et de l’autre, pénètre les corps. Une infinité de longs fils, comme des rayons d’une matière qui
tient de la nature du feu, partent de tous les corps animaux et végétaux ; ils se croisent et s’entrelacent : les
uns se joignent, les autres se repoussent, et rien ne se
confond6. »
Parmi les « facultés somnambuliques », Puységur
souligne une « extension de ses aperceptions » vécue
comme un authentique affranchissement « des entraves
organiques ». Il s’agit de trouver dans cet état singulier
des ressources nouvelles, extralucides et prosthétiques,
qui étendent mécaniquement le champ de la perception et de la connaissance. Cela passe par un « sommeil
des sens extérieurs », une forme d’anesthésie temporaire des sens ordinaires qui déplacent les percepts du
sujet vers un « sixième sens » ou « sens interne ». Le
plus souvent défini comme un « état exaltique7 » de la
sensibilité, le docteur Husson le nommera « extension
prodigieuse de la faculté de sentir8 », dans le rapport de
la Commission royale de médecine sur le magnétisme
animal. Se constate ainsi une finesse inédite du toucher. De nombreux somnambules parviennent à lire un
texte imprimé sans le « secours des yeux », par simple
contact avec la surface imprimée du papier9, le relief
des lettres étant directement traduit en texte comme
s’il s’agissait de déplacer le sens visuel sur la surface du
corps tout entier, « dermoptique » avant l’heure commentée par Alexandre Bertrand :
« Nous l’avons vu lire sans le secours des yeux avec la
seule extrémité des doigts, qu’elle agitait avec rapidité
au-dessus de la page qu’elle voulait lire, et sans la toucher, comme pour multiplier les surfaces sentantes ;
nous l’avons vu lire, dis-je, une page entière du roman
de Madame de Montolieu intitulé Les Château en
Suisse […]. Pendant toutes les opérations, un écran de
carton épais interceptait, de la manière la plus étroite,
tout rayon visuel qui aurait pu se rendre aux yeux10. »
Cette reconfiguration inédite du sensible se déplace
dans le corps tout entier, de même que la « vision épigastrique » identifiée dans de nombreux cas de somnambulisme artificiel. Le foie devient une nouvelle
rétine, une rétine supplétive et intérieure, diagnostiquée dès 1795 par le docteur lyonnais Désiré Pétetin,
qui faisait lire à l’une de ses patientes sous transe somnambulique des billets présentés dans le creux de son
estomac, voire sentir des fleurs par le bas du ventre. Il y
a là un savant transcodage qui invente une nouvelle cartographie sensitive du corps. Les hyperesthésies de la
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vue ne sont pas moins rares, les plus significatives étant
regroupées autour d’une vision dans l’obscurité totale.
À propos d’une patiente, le même Alexandre Bertrand,
meneur du camp des « imaginationnistes » au sein de
la refonte du magnétisme animal, commente ce renversement complet des conditions optiques : « Ce qu’il
y a de remarquable, c’est qu’elle pouvait distinguer les
objets qu’autant qu’elle se trouvait dans l’obscurité la
plus entière. La moindre lumière, celle de la lune pénétrant au travers des jalousies, celle d’un tison mal éteint
dans la cheminée, suffisait pour mettre un obstacle à sa
vision. Elle disait que ce soleil l’empêchait de voir11. »
Voir dans le noir est un indice, une métaphore, de
cette performance du « regard perçant » en état somnambulique. Cette vision nyctalope permet non seulement de se diriger dans l’espace, mais, ce qui est
un intérêt direct, de produire des dessins, des peintures, dans l’obscurité la plus complète. Cela explique
la présence dans l’iconographie romantique de nombreux tableaux plongés dans la nuit, en particulier
ceux qui illustrent, de Füssli à Delacroix, la figure
de la somnambule. Des mises en scène romantiques
jusque dans des versions vaudevillesques (La Petite
Somnambule, La Villageoise somnambule, etc.), projettent l’activité visionnaire dans l’espace ambiant qui
cerne le personnage. Sur les planches de théâtre, les
corps blancs et livides parcourent des décors vides,
plongés dans la pénombre avec des regards égarés
qui se fixent sur certains points de la scène comme si
convergeaient sur des écrans fictifs les images de leur
délire converti en réalité hallucinatoire.
Alexandre Bertrand va fournir à ces phénomènes
une lecture exaltée et son lot de vocabulaire interprétatif. Auteur d’un Traité du somnambulisme et des différentes modifications qu’il présente (1823), mais aussi,
trois ans plus tard, du Magnétisme animal en France
(1826) – où il retrace les liens historiques entre les attitudes passionnelles des magnétisés et les possédés de
toutes les époques –, Bertrand anticipe sur le principe
actif de la suggestion. Il confirme que « l’imagination a
part aux effets produits », tout en soulignant le rôle du
regard dans l’exaltation des forces en présence : « Les
yeux doivent avoir un grand pouvoir sur nous ; mais ils
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identifié, anticipent le développement futur de leur
maladie : « Elle m’annonçait dans son sommeil que sa
maladie se terminerait par un délire furieux qui durerait quarante-deux heures ; et avec plus de quinze jours
d’avance, elle me prédit qu’elle perdrait la raison le
vendredi 20 octobre, à deux heures de l’après-midi, et
qu’elle ne reviendrait à elle que le dimanche 22, à huit
heures du matin. Le délire arriva comme annoncé13. »
Il faut comprendre l’apparition provoquée de ce
sixième sens et sa très rapide déclinaison dans le vocabulaire de la création par la réactivation d’un mode
de perception puisant sa source dans le passé de l’espèce, un sens enfoui et archaïque, un sens primitif. Masqué par la vie quotidienne et ses réflexes, ce
sentir des origines d’avant la spécialisation des cinq
sens serait révélé dans la plongée au cœur de couches
plus profondes de l’être. Ainsi Des modes accidentels de nos perceptions (1818), du comte Sigismond
de Redern, pour qui l’état somnambulique est propice à cette rencontre entre conscience vigile et sentir primitif, entendu comme un réservoir latent de
perceptions d’où pourraient renaître et se libérer des
facultés oubliées pour construire le futur stade évolué
B
n’ont ce pouvoir que parce qu’ils ébranlent l’imagination et d’une manière plus ou moins exagérée, suivant
la force de cette imagination12. »
Pour Bertrand, la cause des phénomènes somnambuliques serait due à une forme particulière d’exaltation nerveuse qu’il désigne sous le nom d’« extase ».
Le nom résonne bien sûr avec une tradition visionnaire religieuse à laquelle il donne ici, sous la forme
d’une « médecine rétrospective » qui ne dit pas encore
son nom, une lecture purement clinique délestée de
tout bagage surnaturel, mais trouvant d’indéniables
relais dans l’esthétique visionnaire du romantisme et
ses visées oraculaires. Car même au sein de ce magnétisme éclairé, Bertrand consent à reconnaître des
facultés extralucides, en particulier chez des patients
qui, dans un autodiagnostic que Puységur avait déjà
C
A. Lecture sans le secours des yeux en état hypnotique, gravure extraite de Chauncy Hare Townshend, Facts in Mesmerism, 1841.
B & C. Portrait de Léonide Pigeaire avec son masque, 1839
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de l’espèce : « Nous concevons ce sens interne comme
un organe universel qui réunirait en lui toutes les
fonctions des sens, et qui se rattacherait à la fois au
principe de la vie animale, et à l’âme qui le met en
mouvement. Ce principe latent serait en rapport avec
notre mode d’existence à venir […] : tels existent dans
la chenille les organes cachés, rudiments imperceptibles du papillon14. »
Nul hasard si le motif de la chrysalide envahit la littérature romantique, chez Nerval15 et d’autres nombreux
auteurs fascinés par ce travail de mutation organique
qui abolit les restrictions de la perception ordinaire :
« Demandez à un somnambule comment il voit malgré
les obstacles et la distance, il vous répondra qu’il voit
parce qu’il le veut. Il ne s’inquiète pas comment il a pu
acquérir cette faculté ; mais il sent qu’il est de la nature
de son être spirituel de voir ainsi16. »
Cette extension du visible vers l’impondérable
oblige à une redistribution des représentations. Dans
son Histoire critique du magnétisme (1813), JosephPhilippe-François Deleuze avance l’hypothèse d’une
transmission « immédiate » des images, associée assez
vite à des « sensations infiniment plus délicates17 » :
« Dans l’état de somnambulisme, l’impression est communiquée au cerveau par le fluide magnétique. Ce
fluide, d’une extrême ténuité, pénètre tous les corps,
lorsqu’il est poussé par une force suffisante, et il n’a pas
besoin de passer par le canal des nerfs, pour parvenir
au cerveau. Ainsi, le somnambule, au lieu de recevoir
la sensation des objets visibles par l’action de la lumière
sur les yeux, la reçoit immédiatement par celle du fluide
magnétique, qui agit sur l’organe interne de la vision18. »
Le mot très prisé de « seconde vue » rappelle combien cette transformation organique dédouble les
facultés perceptives tout en relevant sa dimension surnaturelle, cette optimisation restant en grande partie
indicible, impossible à définir avec les mots usuels. Au
comte d’Aunay, neveu du marquis de Puységur, une
patiente répond qu’elle ne peut « exprimer autrement
ce qu’elle éprouve ». Face à ce qui apparaît comme
un champ de non-savoirs, les chercheurs vont pourtant s’empresser de proposer un calcul des échelles de
performance. Louis de Séré, dans son Application du
somnambulisme magnétique, tente d’établir empiriquement une « échelle de proportions » entre la nature
et le nombre des sens exaltés et la qualité du développement visionnaire19. Parmi ces facultés augmentées, le
sens optique est particulièrement visé, touchant aussi
bien l’abolition des contraintes d’opacité par une pénétration préradiographique du regard (l’endoscopie,
ou la capacité à voir à l’intérieur de son propre corps,
mais aussi l’exoscopie, permettant de distinguer visuellement les organes des autres sujets) que l’émancipation des distances par la possibilité de voir au loin (une
vision télescopique). À cette extension de la perception
répond un développement de faculté de partage des
émotions, ce que l’on n’appelle pas encore vraiment
« empathie », mais plutôt « sympathie ».
A
Sympathie et projection dans l’autre, en communion avec la souffrance des proches mis en contact
direct ou indirect (la dite « sympathie des douleurs »), jusqu’au risque de la contagion de la maladie, comme le rapporte Alexandre Bertrand dans son
Traité de somnambulisme de 182520. Mais aussi contamination d’états émotionnels, ce que le terme allemand Einfühlung va tenter de définir et circonscrire, à
l’aube du moment romantique. Alors que la fluidomanie mesmérienne est déjà mise au ban de la science,
Johann Gottfried von Herder publie en 1778 un traité
intitulé Du connaître et du sentir de l’âme humaine,
dans lequel il invite le lecteur à se saisir des liens qui
unissent les êtres entre eux et avec la nature. Les
fibres s’entrelacent dans un univers peuplé de canaux
transmetteurs qui accordent les individus sur le mode
d’une orchestration harmonieuse du consentement :
« Dans le degré de profondeur de notre sentiment de
soi réside aussi le degré de consentement avec les
autres : car il n’y a que nous qui puissions nous sentir
(hineinfühlen) nous-mêmes, pour ainsi dire dans les
autres21. »Novalis s’exprime dans les mêmes termes,
Wackenroder aussi dans les Épanchements d’un moine
ami des arts22, où l’auteur médite sur une projection
dans l’autre par un déplacement contagieux de « point
de vue », celui qui est reconnu justement dans les opérations somnambuliques.
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Mesmer avait été le premier à donner une résonance
matérielle à ce « sixième sens » ou « sens interne »
auquel il attribue le pouvoir naturalisé de mettre le
sujet moderne en hyperconnexion avec le monde extérieur : « Nous sommes doués d’un sens intérieur qui est
en relation avec l’ensemble de l’univers, et qui pourrait
être considéré comme une extension de la vue23. » Par
« extension », il faut donc entendre ici cette capacité
nouvelle de saisir la circulation cosmique des fluides
qui informent le sujet de la vie du monde, ce que Tardy
de Montravel, un disciple de Mesmer, appellera poétiquement le pouvoir de « communiquer avec toute la
nature » : « Chaque individu, dans la nature, est sans
doute le centre d’une sphère d’activité qui s’étend
indéfiniment autour de lui […]. Chez le somnambule
magnétique, les sens extérieurs étant suspendus, le
sens intérieur étant développé dans toute son étendue,
ce sens doit porter à l’âme toutes les impressions dont
il est lui-même susceptible […]. Le somnambule doit
réellement communiquer avec toute la nature24. »
Dans son Instruction pratique sur le magnétisme animal (1825), Deleuze dit la même chose quand il constate
une extériorisation de la sensibilité facilitant les transmissions intersubjectives de sensations et d’émotions :
« Il y a chez la plupart des somnambules un développement de la sensibilité… Ils sont susceptibles d’éprouver
l’influence de tout ce qui les environne, et principalement des êtres vivants. Ils sont non seulement affectés par des émanations physiques ou effluves des corps,
mais aussi, à un degré bien plus étonnant, par la pensée et par les sentiments de ceux qui les entourent25 ».
Face à ce que Peter Sloterdijk a pu appeler dans sa
« contribution à une histoire idéelle de la fascination
du proche », une logique de contagion des « hommes
dans le cercle magique »26, face au mécanisme
moderne de l’individualisme qui cherche à conquérir
le périmètre de son autonomie, il y a un jeu incessant
de « contaminations affectives », telle une résistance
au procès solitaire de la modernité. Les êtres s’installent dans une dynamique solidaire et collaborative
d’« enchantement de l’homme par l’homme », une
dynamique des influences mutuelles exprimée parfois dans le vocabulaire médical de la contamination
épidémiologique. Cette « deuxième grande formation
de la psychologie européenne des profondeurs » questionne d’emblée non pas la puissance individuelle de
l’introspection, mais le spectre de la dépendance à
l’autre – ce que le marquis de Puységur appelle paradoxalement l’« isolement » : « Le premier caractère
distinctif du somnambulisme, que je regarde comme
le meilleur et le plus complet, c’est l’isolement ;
B
A. Frontispice de A Full Discovery of the Strange Practices of Dr Elliotson, 1842.
B. Tronquette somnambule, folie-vaudeville en un acte par les frères Cogniard, Bibliothèque nationale de France, 1838.
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c’est-à-dire qu’un malade dans cet état n’a de communication et de rapport qu’avec son magnétiseur, n’entend que lui27. »
UNE COMMUNION DES SENS
LE MAGNÉTISME ROMANTIQUE
ET L’UNITÉ DES ARTS
Isolement qui installe l’emprise du magnétiseur.
Puységur s’empresse même de montrer que cette
« mobilité magnétique » est loin d’être réduite au « ridicule état d’un mannequin magnétique, obéissant à
toutes les directions de mouvement que l’on voudrait
lui imprimer28 ». Cela, histoire de souligner la part du
consentement dans cette relation d’intimité exclusive
que l’on retrouvera à quelques variantes près dans
les « affinités électives » de Goethe et, par extension,
dans une première analyse des relations d’attractions
« magnétiques » entre l’œuvre d’art et son public.
C’est là aussi une manière détournée, de remettre
à jour le débat sur le « vicariat des sens » qui occupe
l’esprit des Lumières. Voir par d’autres moyens, lorsque
mal ou non-voyant, l’aveugle-né cher aux philosophes
n’est pas loin, appelant, comme le fera Diderot, à penser une « peinture pour les aveugles, celle à qui leur
peau servirait de toile30 ». L’empirisme sensualiste attaqué par Condillac, qui unit étroitement sensation et
connaissance, bat son plein. On ne voit plus, on sent :
« Qu’a de commun cette vision avec l’impression faite
sur la rétine par les rayons lumineux ? Il est clair, dit
Alphonse Teste, qu’il y a ici abus de mots, ou plutôt
pénurie d’expressions convenables. Le verbe sentir,
d’une acception plus large et moins spéciale que le
verbe voir, serait d’ailleurs plus juste31. » Sentir, c’est
aussi consentir à une plus grande porosité des sensations. Sans que le mot ne soit encore lâché, il y a là
les prémices d’une transposition créative des sens qui
trouvera de larges développements dans le romantisme : une poétique des synesthésies mêlant joyeusement vision des sons et écoute des couleurs.
Car ce transfert analogique de la sensibilité identifié
dans une sous-conscience somnambulique répond de
toutes pièces à la volonté des artistes romantiques de
Les mêmes échos se retrouvent dans De la volonté
de la nature (1835), où Schopenhauer rappelle combien dans le magnétisme animal « nous voyons aussitôt contrecarré le principium individuationis (espace
et temps) attaché au simple phénomène : ses barrières
distinguant les individus sont brisées ; entre le magnétiseur et le somnambule, les espaces ne constituent
pas une séparation, une communauté des pensées et
des mouvements de la volonté s’installe29 ». La communauté des pensées allant de pair avec une mutualisation des sensations qui coïncide souvent avec une
permutation des sens.
A
A. Planche extraite de H. Durville, Pour combattre les maladies par le magnétisme, Paris, Librairie du magnétisme, s.d..
B. « Grande scène de magnétisme amoureux », Épisodes du ballet des cinq sens, 1848, planche de Lorentz lithographiée par Belin.
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renouer avec une fusion des arts commandée, même
au conditionnel, par une possible communication des
sens retrouvant le langage des origines, celui d’avant la
chute : « L’analogie de la vue ou phénomène de toute
visibilité, dit le peintre Philipp Otto Runge, avec le phénomène de l’ouïe, conduirait à de très beaux résultats
en vue de la fusion future de la musique et de la peinture, ou des sons et des couleurs32. » L’horizon utopique
d’une unité des arts trouve ainsi une source concordante dans le modèle de l’artiste (mais aussi du spectateur) en somnambule. Nul hasard si Caspar David
Friedrich souhaite se servir du son d’un harmonica de
verre (le fameux instrument perfectionné par Benjamin
Franklin et utilisé par Mesmer) pour accompagner
musicalement la contemplation de paysages en transparence : les dioramas. Le conditionnement se veut ici
proprement magnétique : lumière ambiante tamisée,
surface rétro luminescente et son cristallin, dans une
même association cumulative des sens où « la nature
unitaire de la perception apparaît seule garante de la
perception d’une unité de la nature33 ». Friedrich prend
soin lui-même de souligner l’importance plus que symbolique de cette convergence synchronisée (des arts)
dans la réalisation d’une concordance unifiée (des
sens), vécue et réalisée dans l’expérience contemplative du spectateur : « Pour augmenter l’effet que ces
tableaux pourraient produire à un moment bien choisi,
dans le cas favorable où ils plairaient, je souhaiterais
qu’ils soient contemplés seulement avec accompagnement musical […]. Pour m’exprimer plus clairement, j’imagine la mise en scène suivante : lorsque le
contemplateur est conduit dans la pièce sombre, ou
plutôt noire, une musique pourrait se faire entendre
comme de loin34. » Outre le principe d’une intégration
du tableau à son espace architectural par un système
d’empiétement inclusif d’un art sur l’autre sans chercher à les confondre (selon Novalis, Lessing, concepteur de la hiérarchie des arts, « voyait trop net35 »), et
le tropisme d’une musicalisation de la peinture déterminant dans l’émergence formelle de l’abstraction qui
soustrait l’espace pictural aux codes de la mimesis36,
c’est bien la qualité d’emprise sur le spectateur qui
est ici visée par le dispositif synchronisé de « sons et
lumières ». À nouveau, comme dans le salon des cures
magnétiques de Mesmer, un soin particulier est accordé
aux subtilités vibratoires d’une acoustique immersive.
Si Caspar David Friedrich utilise l’harmonica pour optimiser la contemplation de ses transparences, c’est pour
amplifier l’effet de résonance à l’échelle de la nature
tout entière. Tout en prenant soin que tout bruit parasitaire « pouvant déranger celui qui écoute et contemple
soit scrupuleusement évité », afin de ne pas rompre le
charme de cette union orchestrée, dans un confinement propice à « l’isolement ».
Un autre aspect peut retenir notre attention dans
ce dispositif innovant du diorama : le jeu optique combinant projection, transparence et « lumière intérieure ». Il s’agit bien ici d’un statut spécifique donné
à la lumière elle-même. Les dioramas de Friedrich
rejouent une certaine forme de pénétration diaphane
des corps opaques par une lumière venue de l’intérieur,
celle que l’on retrouve dans les descriptions que donne
Franz von Baader de la vision des somnambules qui
« ont tout à la fois la vision et la pénétration d’un seul
et même objet ; même ce qui est transparent leur est
visible, et tout ce qui est visible leur est aussi transparent37 ». Le point culminant de ce rapprochement tient
à la redistribution des frontières entre univers extérieur et for intérieur. Dans la vision du somnambule,
tout se passe comme si les objets vus en transparence
n’étaient plus extérieurs mais œuvraient à la transition
entre rêve et réalité. Comme le note Olivier Schefer,
« le somnambule et l’artiste romantique auraient peutêtre en commun de vouloir réaliser le rêve et de rêver le
réel […]. Le somnambulisme pourrait donc bien être le
prolongement, voire l’accomplissement de la synthèse
romantique du rêve et de la réalité38 ». Dans sa condition paradoxale, à la fois présent et absent au monde
qui l’environne, maître de nouvelles combinaisons et
automate assujetti à la volonté du magnétiseur, le somnambule se soustrait justement aux contradictions
inhérentes à la vigilance ordinaire pour expérimenter
une clairvoyance à prendre dans son sens le plus perceptuel, une clairvoyance qui renverse les ordres (intérieur/extérieur), et les mesures (grand/petit), par une
transformation effective du corps, à la fois au-dehors
et au-dedans de lui-même : « Dans le somnambulisme,
notre vision devient plus variée, nous voyons l’intérieur
de notre corps comme extérieur. L’idéal est que nous
… c’est bien la qualité d’emprise
sur le spectateur qui est ici visée
par le dispositif synchronisé
de « sons et lumières »…
voyions notre corps jusque dans son organisation et
sa structure la plus petite et la plus subtile. Il nous est
ainsi donné pour ainsi dire un nouveau corps. Mais de
ce fait, le monde extérieur doit aussi nécessairement
s’élargir ; ce qui dans les choses est intérieur doit devenir pour nous extérieur39. »
L’extension des corps rime ici avec un renversement de perspective que les figures de dos du peintre
Friedrich, fussent-elles installées devant la mer à
regarder fixement le point concentrique d’une lune
(Deux hommes devant un lever de lune, 1835-1837),
amorcent encore timidement, mais que de nombreuses figures somnambules, devenues les emblèmes
de cette révélation nocturne si prisée par les romantiques, incarnent au moyen d’effets diaphanes projetés
sur l’enveloppe corporelle jusqu’à feindre de se débarrasser de la finitude matérielle des corps. Ce sont là
des sauts qualitatifs faisant passer le sujet humain, au
risque de sa propre dépossession, d’un stade régressif à une conscience plus évoluée, ce que Ritter va
appeler la « conscience de l’involontaire40 », et dans
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laquelle il ne voit rien de moins que la possibilité de
revenir à la condition antérieure de la chute originelle,
une condition adamique. Surgit un horizon que la tradition romantique saura cultiver : le mécanisme d’une
nostalgie des origines, avec ce désir de retrouver les
traces d’un archétype idéal, où l’homme en pure innocence, d’une innocence acquise au mépris de causalités plus rationnelles, ne faisait qu’un avec la volonté
de la nature inscrite à la surface des phénomènes. Le
magnétisme romantique est une entreprise de réconciliation mais aussi d’exaltation apte à reconquérir un authentique « pouvoir de l’imagination ». Dans
une lettre enthousiaste à son ami Franz von Baader,
Ritter dit avoir « fait une découverte d’importance :
celle d’une conscience passive, de l’Involontaire […].
Bien des choses ne s’expliquent qu’ainsi […] : l’amitié,
l’amour, la puissance de l’imagination. Tout ce qu’on
imagine est réel […]. Toutes nos actions sont de l’espèce du somnambulisme, c’est-à-dire des réponses à
des questions, et c’est nous qui interrogeons. Chacun
porte en lui sa somnambule, dont il est lui-même le
magnétiseur41 ». Ernst Theodor Amadeus Hoffmann,
un proche du médecin magnétiseur Friedrich Speyer,
qualifiera ce procédé de « somnambulisme poétique42 ». Les textes d’Hoffmann sont truffés de personnages au magnétisme personnel comparé à une force
électrique qui porte, sous sa forme la plus sublimée,
cette transformation. Car, contrairement à la France,
où la condamnation des commissions de 1784 a sérieusement mis en cause la légitimité du magnétisme animal, l’imaginaire allemand est beaucoup plus ouvert à
cette hypothèse43, comme en témoigne l’intérêt qu’un
Hegel portera à ce phénomène dans son Encyclopédie
des sciences philosophiques (1817), notamment sa troisième partie consacrée à la « philosophie de l’esprit ».
Hegel dialogue avec Friedrich von Schelling, son
compagnon d’études à Tübingen, sur le modèle de
« simplicité » de la relation magnétique vu à travers le
prisme des attractions universelles. Le somnambulisme
y est perçu comme un moyen d’atteindre une sensibilité à son degré d’affinement optimal. Or, cette subtilité
est entendue comme une émancipation des médiations
du sensible. Le terme juste de cette nouvelle sensibilité
est l’« immédiateté ». « Il s’agit d’une sensorialité qui
n’est pas soumise à la conscience et à l’entendement,
lesquels ne peuvent se passer de médiations et en particulier de celles des sens distincts44. » « Le sentir et la
forme subjective du savoir se passent totalement ou du
moins en partie, des médiations et des conditions indispensables au savoir objectif, et par exemple sans l’aide
des yeux et sans la médiation de la lumière, ils peuvent
immédiatement percevoir le visible45. »
C’est ce que Hegel va appeler le « savoir immédiat ou
sentant46 », un « savoir voyant47 » favorisant une circulation des affects : « Si enfin ce rapport atteint le plus
de degré d’intériorité et de force, un cinquième phénomène a lieu, selon lequel le sujet voyant prend connaissance, voit et sent non pas seulement de, mais dans un
autre sujet ; il ressent immédiatement, sans attention
directe à l’autre individu, tout ce qui arrive à celui-ci,
il a en lui les impressions de l’individualité étrangère
comme étant les siennes propres48. » De son dialogue
avec Schelling, Hegel aura retenu, tout en la relativisant, une (méta)physique du magnétisme largement
fondée sur une logique compassionnelle reliant les
êtres et favorisant, dans cette même circulation chaleureuse qui accroît le sentir du vivant, une élévation
de l’esprit mettant en suspens la « conscience d’entendement » au risque de ne plus pouvoir atteindre
la « généralité d’un savoir objectif », mais, – c’est son
aspect sensible –, vécue comme une authentique guérison en favorisant une « unité avec soi50 » qui n’est plus
tant celle d’une conscience divisée que celle d’une sensorialité décuplée.
Le « magnétisme animal », revu et corrigé par Hegel,
rend à la surface du sensible toute son envergure et
sa précision. Ce sera l’une des leçons majeures de la
Naturphilosophie romantique, aidée largement par l’impact de la publication des Idées pour une philosophie de
la nature (1797) de Schelling, véritable chef de file de
la génération romantique. Là, écrivains et dramaturges,
mais aussi peintres et sculpteurs, vont puiser une théorie de la polarité des forces animant l’âme du monde, la
Weltseele dans laquelle sont plongés les êtres. (Schelling
parle d’« éternelle opposition » dont le magnétisme, et
dont son modèle des attractions, fournit une clé toute
naturelle). L’énigme, plus pragmatique qu’il n’y paraît,
reste de savoir comment concilier le caractère spéculatif de la « clairvoyance somnambulique » avec une poétique du sensible. C’est là qu’intervient un autre de ses
disciples et amis, dont les conférences (publiées en 1808
sous le titre Aspects de la face nocturne des sciences naturelles) imprimeront l’imaginaire romantique : Gotthilf
Heinrich von Schubert (1780-1860), qui élève au rang
de concept la notion de « moments cosmiques », par
laquelle il entend des instants privilégiés d’une intégration de l’individu dans la totalité de l’univers.
Or, le miracle de cet événement ne peut être atteint
que dans des états particuliers, la transe somnambulique en premier lieu. Objet d’une des conférences des
Aspects, le somnambulisme devient un modèle pour le
créateur en quête d’un verbe poétique en accord direct
avec les lois de l’harmonie universelle. Dans les faits, le
propre de « l’extase somnambulique » est de renverser
le désordre linguistique issu de la chute (le syndrome
de Babel), de recouvrer l’usage de la langue naturelle et
orphique des origines. C’est ce que l’on retrouve dans
l’œuvre de Pierre-Simon Ballanche, le philosophe de la
palingénésie sociale, familier de Chateaubriand et éditeur de Pétetin, l’adepte de la « vision épigastrique »
des somnambules.
L’homme, selon lui, est destiné à réintégrer l’état
adamique d’avant la chute, un état dans lequel il disposait de facultés cognitives plus étendues. Il lui faut pour
cela retrouver la sensibilité des origines, par une mutation de l’espèce que la plongée magnétique va anticiper et autoriser : « N’avons-nous pas déjà les organes
qui feront de la chenille rampante un brillant papillon ?
Les phénomènes magnétiques ne présagent-ils pas un
nouveau mode de perceptions possibles51 ? »
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Ballanche est allé puiser cette conception chez un
auteur qui, au côté d’un autre mesmériste fameux,
Court de Gébelin, est historien des langues à la
recherche d’une science primitive oubliée : il s’appelle Antoine Fabre d’Olivet, auteur notamment de
La Langue hébraïque, dans laquelle il expose l’idée du
sommeil magnétique où Dieu a plongé Adam, le premier homme, l’androgyne primitif devenu l’archétype
de l’homme universel avec lequel le sommeil magnétique est censé nous mettre en communication intime,
dans ce qui est non pas vécu comme un engourdissement, mais, tout au contraire, comme un envol ou plutôt une « illumination » de l’intérieur.
Une figure s’impose, ramenant cette émancipation
dans le champ du visible, celle de la phosphorescence
retrouvée sans surprise dans de nombreuses représentations romantiques du somnambulisme. Des corps
éclairés de l’intérieur se frayant un chemin dans la
pénombre. Füssli donnera le ton, Delacroix prendra
modèle. La clairvoyance (Hellsehen) somnambulique
puise sa physis sur des états de luminescence repérés dans le monde organique chez certains végétaux
et animaux, mais aussi dans le monde des humains,
sur la propre lumière interne de l’œil. Goethe la commente dans son Traité des couleurs, où il établit le
principe d’une identité « physique » entre l’œil et la
lumière selon une résonance toute cosmogonique, qui
reconnaît derrière la diversité des phénomènes et des
échelles l’unité primitive entre l’homme et la nature :
« Si l’œil n’était solaire, comment pourrions-nous percevoir la lumière ? »
L’œil n’est pas seulement en « affinité » avec la
lumière, mais en conformité avec elle : « La lumière se
donne un organe qui devient son semblable, et ainsi
l’œil se crée par la lumière, de sorte que la lumière
intérieure vient à la rencontre de la lumière extérieure52. » Car l’œil est lui-même une lumière au repos
(Ruhendes Licht), à l’état latent, qui ne demande qu’à
être activée à la moindre excitation externe. Cette
activité propre, loin de rester une métaphore poétique
de la création, se trouve confirmée à cette époque par
les découvertes de l’ophtalmoscopie. Les observations
du fond de l’œil opérées au début du XIXe siècle déterminent l’existence d’un foyer lumineux, à l’instar de
Gustav Fechner, grand pionnier de la psychophysiologie, qui constate, non sans sacrifier sa propre santé
physique, que l’œil fermé ou plongé dans l’obscurité
totale produit lui-même une « sorte de fine poussière
lumineuse ». Il adopte lui aussi l’analogie solaire de
l’œil, qu’il présente justement dans un alinéa consacré
au principe d’un « œil autonome » : « On peut également considérer l’œil comme une créature autonome
de notre corps ; il a aussi la lumière pour élément et
sa structure est fonction de cet élément. À l’inverse,
une créature dont la lumière est l’élément aura une
structure d’œil ; précisément parce que cela se conditionne réciproquement. De ce fait nous pouvons déjà
considérer notre œil comme une créature solaire sur
Terre. Il vit dans et par les rayons du Soleil lui-même,
et présente donc la forme de ses frères du Soleil luimême53. » Dans ce sens, « de même que l’œil charnel, renfermant en lui-même la condition de la vision,
c’est-à-dire de son contact avec le monde extérieur,
s’auto-illumine et s’auto-contemple, l’âme du somnambule […] renferme le principe de son auto-illumination et de son auto-contemplation54. »
A
A. Planche extraite de H. Durville, Pour combattre les maladies par le magnétisme, Paris, Librairie du magnétisme, s. d..
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LA SOMNAMBULE VISIONNAIRE
MAGNÉTISME MYSTIQUE ET LANGUE DU CŒUR
Non seulement il s’autocontemple – Narcisse n’est
pas loin –, mais il se plonge dans un monde peuplé
d’images, ce que Schubert appelle la « nature imageante » (Bildende Natur) de la condition somnambulique. C’est ce que va mettre en œuvre, quasiment en
laboratoire, un lecteur attentif de Schubert et de Ritter,
le poète médecin et magnétiseur Justinus Kerner, premier biographe de Mesmer. Souabe d’origine, ayant
suivi comme Schelling les cours de la faculté de
Tübingen, où il a côtoyé la folie du poète Hölderlin, il
s’installe à Weinsberg en 1819 comme « magnétiseur »
et va développer une relation thérapeutique privilégiée
avec l’une de ses patientes, Frédérique Hauffe, entrée
dans la légende du somnambulisme extralucide sous le
nom de « voyante de Prevorst ».
Celui pour qui « le somnambulisme et la création
poétique sont apparentés55 » va s’appuyer sur l’examen clinique de cette jeune femme pour élaborer une
authentique esthétique du « somnambulisme artificiel ». Curieuse coïncidence, avant de s’arrêter sur le
cas de la jeune Hauffe, Kerner s’est, dans le cadre de sa
thèse de médecine sur la physiologie de l’ouïe, familiarisé avec le langage des animaux et la sympathie entre
les espèces, élevant chiens, chats, poules et écureuils
dans sa chambre d’étudiant, comme s’il s’agissait déjà
de sortir du cadre restreint des relations langagières
conventionnelles, pour construire un monde commun
dans le compagnonnage des espèces. Kerner sera aussi
connu pour les « klecksographies » (de klecks, qui signifie « tache », en allemand) qui désignent le procédé de
création d’images à partir de taches d’encre (« toutes
les taches d’encre, se fondant ensemble, il résultait
sur le papier plié des images symétriques, arabesques,
animaux, personnages, toujours fantastiques, mais
ayant, quoique nées fortuitement, un aspect déterminé »), préfiguration du modèle projectif des fameux
tests de Rorschach. À travers un premier récit, celui
des Apatrides, Kerner évoque la figure du « voyageur
de l’aurore » qui voit de son œil intérieur, un « œil de
feu » qui permet « l’union la plus intime à l’esprit de la
nature56 », en sortant des entraves d’un corps ravalé au
rang de geôlier. Sortir de soi pour mieux entrer en soi,
ce sera le sort de Frédérique Hauffe, dont Kerner nous
dit que « ses yeux brillaient d’une lueur spirituelle qui
frappait immédiatement tous ceux qui la voyaient57 ».
En publiant en 1829 une monographie sur son cas,
Kerner fait d’elle un sujet modèle, à l’instar de ce que
la musicienne aveugle et virtuose Mlle Paradis avait pu
être pour Mesmer. Tout part à nouveau d’une déficience
oculaire, d’un défaut de la vue. La jeune Frédérique, née
à Prevorst, est victime dès son enfance d’une irritation
de l’organe de la vue qui l’isole durant toute une année
dans sa chambre, à l’abri de la lumière. Pour Kerner,
A
cette maladie physiologique ne sera qu’une étape préalable au développement d’une vision plus intérieure,
préfiguration de la révélation d’un œil spirituel confiné
dans sa rétine de chair. Vision des archétypes et des
principes sans passer par des concepts et des définitions, vision des lois de la nature. Kerner ne doute pas
des conditions particulières du sommeil magnétique,
qui est tout sauf un sommeil de la sensibilité. Pour lui,
« cet état ne doit pas être défini comme un sommeil,
car il est plutôt la veille la plus lucide. C’est le lever
d’un soleil plus intime, beaucoup plus lumineux que
celui qui, de l’extérieur, illumine l’œil. Sa lumière est
d’une clarté plus vive que celle qui, à l’état de veille, se
déploie à travers des concepts, déductions, définitions
et systèmes […]. C’est un état dans lequel l’homme
accède à nouveau à l’ancienne communion intime
avec la nature et peut avoir la faculté d’en contempler les lois et les archétypes58 ». La plongée dans l’état
somnambulique est une « retraite dans l’intérieur »
(Zurückziehen ins Innere) qui se traduit dans le « sentiment d’une certitude immédiate59 ». Kerner laisse la
parole à sa « voyante » pour décrire l’état :
« L’état somnambulique est la vie intérieure ou l’activité de l’homme intérieur […]. Il s’agit chez l’homme
A. Portrait de Friederike Hauffe, dite la voyante de Prevorst, ca. 1880.
B. Gabriel de Max, La Voyante de Prevorst, 1892, huile sur toile, Galerie nationale de Prague.
C. Gabriel de Max, Portrait de Friederike Hauffe, 1895, huile sur toile, 84 x 67 cm.
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de cette activité intérieure, en sommeil à l’état normal de santé. Cet homme intérieur est au repos notamment chez ceux dont la vie a pour centre le cerveau,
qui ne remarquent que rarement quelque chose de
leur vie affective [Gefühl] ou de leur voix intérieure
[…]. L’état de clairvoyance suscité par des manipulations magnétiques est un remède sûr, car dans la clairvoyance [Hellschlafwachen] l’homme intérieur émerge
totalement et entrevoit l’homme extérieur, phénomène qui ne se produit ni dans le sommeil ordinaire,
ni dans le rêve. Il s’agit là de la veille la plus lucide, car
l’homme intérieur, spirituel, vit alors en toute liberté et
indépendamment du corps, c’est pourquoi je voudrais
volontiers appeler le somnambulisme la manifestation
de l’homme intérieur ou l’état de veille spirituelle de
l’homme60. »
Tout comme chez Schubert, se libèrent la parole et
l’écriture, se révèle l’existence d’un « poète caché ».
La langue somnambule est une langue transfigurée,
une « langue intérieure » accordée sur le rythme de
l’univers. C’est pour cela que la voyante de Prevorst
invente d’ailleurs un instrument, « l’accordeur des
nerfs » (Nervenstimmer), conçu et décrit lors d’une
transe somnambulique61. La langue qui en sort se
prétend universelle dans sa singularité, c’est une
langue transcodée associant lettres et chiffres (« le
mot auquel je n’attribue pas un signe numérique a
pour moi peu d’importance », dit-elle). Il y a ici une
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arithmétique des caractères de l’alphabet où se révèle
l’intensité des mots, comme si le nombre leur accordait une puissance, une potentialité, que la langue
conventionnelle ne pouvait atteindre, pour rendre
compte de l’expérience extatique. Selon Kerner,
Hauffe développe cette capacité scripturaire dans un
état appelé « clairvoyance moyenne » ou « semi-somnambulisme » (Halbwach, ou « à moitié éveillé »), un
état qui précède l’état suprême, celui du « sommeil
lucide » ou de la « pure clairvoyance » (Schlafwacher
Zustand), quatrième degré de l’échelle magnétique
qui est la manifestation totale et affranchie de la vie
intérieure. C’est là que peut s’épancher la langue de
la contemplation esthétique, la seule à pouvoir faire
participer pleinement au mystère de la création. Car
plus qu’une simple écriture, c’est un graphisme qui
s’exprime à travers le corps exalté de la voyante. Le
langage des nerfs de Frédérique Hauffe est plus proche
des modes d’expression graphique d’un peintre ou
d’un graveur que le fait mécanique d’un simple transcripteur. Incidemment, c’est aussi une nouvelle prédisposition à la perception émotionnelle des couleurs
que signale Kerner quand il découvre que les « différentes couleurs du rayon lumineux produisaient sur
elle des effets spéciaux62 ». Se manifestent ici les premières élaborations d’une chromatologie de l’extase,
un moment moins inédit que novateur d’expérimentation artistique de la transe.
Là, dans ces observations, se joue le retour inattendu d’un concept cher aux cercles ésotériques de
la Renaissance, celui de « l’imagination créatrice »,
accordant à l’image mentale un pouvoir de création
propre et, à ce titre, débordant directement dans le
champ esthétique. Comme d’autres termes, on trouve
celui d’« idéalisme magique » chez Novalis, pour désigner cette capacité de l’homme, en synchronie avec
le langage de la nature, à transformer le monde par
un vouloir intensif (Produktiven Einbildungskraft).
Mais c’est surtout Franz von Baader, un des référents
phares de la génération romantique, qui va explorer le
principe d’une imagination de « nature plastico-psychique » s’exprimant, dans les œuvres, à travers le
langage de l’artiste63. L’artiste démiurge et somnambule serait, dans ce sens, celui qui pourrait viser sans
entraves ce pouvoir magique de réalisation, un pouvoir activé par le désir et la volonté (une volonté de
créer). Il s’agit alors d’invoquer jusqu’aux textes d’Avicenne pour comprendre cet efficace de l’imagination
et son corollaire, la productivité des représentations,
comme le fait Hénin de Cuvillers, un des représentants
du clan des « imaginationnistes », dans ses Archives
du magnétisme animal :
« Qu’est-ce que l’imagination ? C’est la faculté de notre
âme qui se représente un objet ; mais cette représentation, si elle est seule, ne peut rien produire ; il faut,
pour que cette représentation produise, qu’elle soit
jointe à un violent désir, et que ce désir ne doute pas
de son efficacité. Alors seulement l’imagination peut
agir64. »
Le fantastique romantique biberonne à ces
axiomes « idéoplastiques », revus et corrigés à l’aune
d’une culture scientifique construite sur l’observation
expérimentale des faits. Et sans surprise, l’iconographie de ce premier XIXe siècle anime la figure du créateur plongé dans une concentration mentale que rien
ne viendrait perturber, au risque de rompre la transformation de sa volonté en « véritable force capable
d’exercer une action65 ». La concentration tient ainsi
lieu de condition préalable pour mieux faire germer ce
pouvoir de concrétion et de transformation qui habite
la représentation, celui sur lequel Novalis fait résider
la nouvelle subjectivité romantique :
« Il est étrange que l’homme intérieur n’ait été considéré jusqu’à présent que d’une manière si misérable
et qu’on n’en ait traité que si stupidement. La soi-disant psychologie est aussi un de ces masques […].
Intelligence, fantaisie, raison, voilà ce qui fait la misérable charpente de notre univers intérieur. Pas un mot
de leurs mélanges singuliers, de leurs formations, de
leurs transformations. L’idée n’est venue à personne de
rechercher de nouvelles forces inconnues et de suivre
leurs relations dans la vie sociale. Qui sait quelles
unions merveilleuses, quelles générations étonnantes
s’offrent à nous dans notre intérieur66 ? »
Ces « unions merveilleuses » ne seront réalisées et
opérantes que dans l’unification de la vie nerveuse
des sujets, celle qui raccordant justement dans l’état
somnambulique le système nerveux central à un système « végétatif » auquel on donnera précisément la
fonction subtile d’« organe de la connaissance », et
par extension de « clairvoyance ». En réalité ce qui
ressort de ces catégories encore hésitantes, c’est le
fait de réserver aux artistes cette capacité à activer, au
risque de certains « dérèglements des sens » frôlant
parfois la folie, cette part végétative qui de régressive
devient perspicace, subtile et intuitive. Schubert établit pour cela une subdivision entre système ganglionnaire (l’en-dessous du conscient) et système cérébral
(le réseau de la volonté et de la conscience). Dans
l’état somnambulique, la cloison séparant le système cérébral du système ganglionnaire s’estompe,
rendant possible le contact entre conscience et
subconscience, par l’ouverture d’un sens interne,
localisé par Schubert dans le plexus solaire ou la
« caverne du cœur » (Herzgrube), un organe « responsable de l’ouverture en nous, à l’état actuel, d’un sens
qui, hors des frontières de l’espace et des entraves de
la pesanteur et de la corporéité, nous communique
les influences vivantes d’un monde proche et lointain,
spirituel et corporel67 ». Le cœur vibrant au cœur de
la création.
A. Gustave Courbet, La Voyante ou la Somnambule, 1865, huile sur toile, 47 x 39 cm,
musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon.
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LA TRANSE MÉDIUMNIQUE
LES CRAYONNAGES DE L’AU-DELÀ
OU LES SORTILÈGES DE LA FASCINATION
Car très vite se multiplient des dons artistiques sous
« accès somnambulique ». Ils touchent aussi bien des
sujets peu ou pas formés aux techniques de composition que des artistes déjà confirmés, dont on constate
rapidement qu’ils adoptent, sous extase, un vocabulaire inédit, voire foncièrement innovateur. La transe
somnambulique est productrice d’invention formelle.
Le cas de Théophile Bra (1797-1863) est particulièrement instructif. Sculpteur connu et reconnu sous la
Restauration et la monarchie de Juillet pour des bustes
officiels et des sujets religieux à la facture académique,
Bra produit certaines de ses œuvres sous la dictée d’une
force extérieure. Les carnets dans lesquels il consigne
les accès à cette inspiration « involontaire » regorgent
de références au pouvoir du magnétisme, associé à
une conduite semi-automatique. Cette production très
dense et prolixe de dessins « somnambuliques » (près
de 8 000 dessins, conservés dans les collections de la
bibliothèque de Douai, sa ville natale, à la suite d’un don
fait dès 1851) contraste avec sa production officielle par
la nouveauté hautement inspirée de son crayonné aux
formes « schématiques et abstraites », sortant ouvertement des « canons de la mimesis classique68 ». À la date
du 26 juin 1826, il note fébrilement : « Tout à coup, je
fus saisi dans l’atelier d’impulsions fortes, dominatrices,
irrésistibles, ma main s’attacha magnétiquement à ma
table et traça les premiers signes idéographiques. Les
jours suivants, je dessinais, j’écrivais, je parlais involontairement, sans que mes facultés intellectuelles fussent
troublées […]. Je me soulève alors et machinalement
je cherche plume, encre, papier, pose ma main sur la
page et la regarde dessiner, écrire, etc. Je sens le mouvement qui suit et obéit à l’impulsion reçue69. »
De L’Évangile rouge (1826-1829), journal intime
nourri de ses expériences visionnaires croisées avec
des réflexions réformatrices d’où émerge une théorie de l’art très singulière, Bra va livrer de nombreux
indices du processus créatif mis en jeu, sous un mode
d’écriture au graphisme compulsif, mêlant hiéroglyphes et tracés tourmentés à des concepts obsessionnels revenant comme des motifs sur lesquels s’élabore
le palimpseste de son œuvre en cours. Tout comme
chez Schubert, la lettre prend ici une résonance particulière : « Quand J. B. [Joseph Bellemain] me parlait, il me semblait que des décharges électriques me
frappaient ; il m’ébranlait de fond en comble par sa
parole, et comme chez moi le sentiment et l’imagination étaient ce qu’il y avait de plus développé, les
A
facultés surexcitées se mettaient à produire […]. Le
symbolisme qui était ma langue spéciale m’affectait
avec une si grande énergie que, pendant un certain
nombre d’heures, je croyais à la lettre […]. Mais le
jour où il souleva un peu son idéal, il ébranla toutes
mes facultés et le symbole devint ma langue spéciale
pour exprimer la vie qu’il exaltait dans mon âme70. »
S’inscrivent ici, dans les faits et leurs métadescriptions, les premières manifestations d’une écriture
automatique (l’usage du terme « machinalement »
va dans ce sens). L’impulsion venue d’un agent extérieur qui pousse à prendre la plume et l’encre pour
écrire sous la dictée de cette force déplace l’instance
de l’auteur et la légitimité de son autorité. Cette division assumée du sujet qui s’observe dans une perspective tout à fait novatrice anticipe sur le « je est un
autre » rimbaldien. Créateur et regardeur à la fois de
sa propre écriture, Théophile Bra énonce déjà cette
jouissance schizophrénique de l’artiste moderne sur
laquelle reviendra Éric Michaud quand il affirme que
« le mode de division du sujet semble ici singulier : car
ce que cette division met chaque fois en scène, dans ce
A. Théophile Bra, L’artiste n’est rien, ca. 1826-1850, encre brune sur papier, 40 x 30 cm,
Fonds Bra, Douai, bibliothèque Marceline-Desbordes-Valmore.
B. Théophile Bra, Dictionnaire cérébral, ca. 1826-1850, encore brune sur papier,
Fonds Bra, Douai, bibliothèque Marcelline Desbordes-Valmore.
C. Théophile Bra, Dieu sud, ca. 1826-1850, encre brune sur papier,
Fonds Bra, Douai, bibliothèque Marceline-Desbordes-Valmore.
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moment historique, c’est un dédoublement systématique du sujet, sa décomposition en couple actif-passif, où toujours l’un regarde ce que l’autre fait – mais
pour en prendre note, pour le recueillir et en faire à
son tour quelque chose : c’est-à-dire en déjouant cette
opposition première de l’actif au passif71 ».
De fait, Bra va surjouer ce dédoublement, dans
de surprenants monologues qui « mettaient en scène
deux individus réunis dans un seul comme s’ils existaient réellement ». Graphomane illuminé, instruit des
leçons du magnétisme, dont il partage le goût avec
Balzac, Bra produit une œuvre polygraphe qui brouille
par avance les catégories conventionnelles. Son écriture, qu’il gardera secrète, parle de forces souterraines,
tout comme chez la voyante de Prevorst. Le trait, vecteur de lignes de propagation fluidique, mêle écriture
et dessin, mots et images, schémas géométriques et
animalerie crépusculaire, silhouettes androgynes et
tracés abstraits, dans une forme de rébus énigmatique,
délibérément illisible, à mille lieues du style beaucoup
plus austère et homogène de sa statuaire civique et
religieuse. Dans La Configuration humaine, une encre
brune de petit format (25 x 20 cm), forme d’éclaboussure all over avant l’heure qui anticipe sur les entrelacements surréalistes d’un André Masson, Bra fait
chevaucher de multiples constellations, treillis curvilignes qui se bousculent pour animer la surface de
la page blanche remplie à l’excès et produire, dans
les enflures de la tache créée à l’entrecroisement des
lignes directrices, des « images potentielles » à même
de susciter le travail de l’imagination72. Jacques de
Caso l’écrit : « Il a fusionné les actes de dessin et d’écriture dans le cadre d’une praxis originale d’inscription
renversant toutes les idées préconçues concernant
l’iconographie, le style et la fonction de représentation […]. Bra a donné forme matérielle aux débats du
début du XIXe siècle analysant les processus de pensée de l’homme en termes de nature et d’action des
signes, de complicité de langage et d’écriture, de signe
et d’objet73. » Des dessins et des écritures qui ne sont
pas seulement à comprendre comme une tentative de
catharsis, mais bien comme une entreprise littéraire et
artistique en soi, où Bra met au défi – « pervertit » dira
Caso74 – les conventions de la mimesis : « Les dessins
étaient de deux sortes, les uns offraient des signes plus
ou moins géométriques, les autres des images symboliques […]. Les signes géométriques m’occupèrent
longtemps, et plus tard, après avoir médité sur l’origine des langues et analysé les écritures égyptiennes
que M. Champollion a nommées hiératiques […], je
fus amené à penser que dans la première enfance des
peuples, l’âme avait dû suggérer ces éléments des langues propres ayant encore pour propriété en fixant l’attention de provoquer à la méditation75. »
L’agitation du crayonné répond à l’état d’exaltation,
frappé de « grandes commotions », de « moments de
fièvre et d’exaltation » que Bra décrit comme des « éruptions souterraines », et dans lesquels l’âme du créateur
est tout « enflammée », réduite parfois à ne pas pouvoir
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exprimer la richesse et la densité d’intuitions fulgurantes : « Je suis sous l’emprise d’idées trop extraordinaires pour essayer de les rendre76 ! » L’artiste est certes
exalté mais ne « quitte pas son néant personnel » ;
l’« esprit somnambulique » ne lui est pas propre. Il vient
d’ailleurs, largement insufflé par ce que Bra va nommer
des « psychélies », des personnalités modèles et tutélaires comme Moïse, Jésus-Christ, Mahomet, jusqu’à
plus surprenant… Bonaparte (nommé « Napoléon,
substance pure concentrée » dans un curieux dessin
intitulé Puissance guerrière somnambulique magnétique77), dont les paroles seraient toujours « actives »,
« génératrices éternellement ». Les médiations sont
parfois plus intrigantes et pour le moins enchevêtrées
dans un tissu relationnel. Théophile Bra sera largement
inspiré, à partir de 1826, par sa seconde épouse, la jeune
Maria Christovalina, elle-même « somnambule », sous
l’emprise magnétique d’un premier mari qui distribue
aussi bien son aval que son influence sur la mission de
l’artiste, dans un singulier imbroglio entre appel créatif et polarité affective qui met en crise jusqu’à la dualité des genres (la forme androgyne est omniprésente
dans ses dessins). C’est là un curieux corollaire inattendu, à ce jeu de circulation des identités. Car dans les
jeux de dédoublement s’immisce une surprenante altération de la division des sexes à laquelle est opposée,
toujours en termes d’harmonie retrouvée sur un mode
platonicien, la fascination pour un être originaire, parfaitement unifié dans le travail même de sa doublure.
Le couple fusionnel fait ici office de dispositif créatif : « Ce jour-là, notre santé à tous les deux était parfaite, nous étions au comble de la joie, nous avions
des sensations heureuses ; je l’endors par le magnétisme, et elle me dit : prends un crayon et du papier
et dessine. Je fis ce qu’elle me commanda et vis sortir une figure si sublime de beauté et de caractère que
rien dans l’antique sculpture ne peut lui être comparable78. » Fusion, mais aussi abandon. Loin d’être de
simples griffonnages laissant libre cours à une main
débridée, ces dessins forment le projet d’une ambition
messianique de l’art : un programme fraternel et global
d’un « musée de la Paix » où se lirait, dans la succession
de bustes de grands hommes, la marche vers l’harmonie sociale universelle. Bra, approché par les disciples
de Saint-Simon, incarne l’artiste qui cherche à dépasser le cliché romantique de l’égotisme individualiste
pour porter la praxis de l’art vers une dimension plus
interpersonnelle. En fait, dans ce jeu de délégation de
l’auteur, c’est le culte de la personnalité (savamment
cultivé dans la construction du génie romantique79)
qui est défié, jusque dans la forme autobiographique
des écrits, pour faire place à une forme d’abnégation
du moi au profit de l’œuvre collective, pour ne pas dire
communielle : « L’artiste n’est rien. Chaque homme
en ce monde faisant grand bruit, s’accorde une valeur
particulière, il n’en est peut-être pas de même au
XIXe siècle, chez l’artiste chrétien ; il n’est rien. Ce qui
se passe en lui détruit sa personnalité […], il a choisi la
part du néant80. »
Une première évidence devant ses dessins somnambuliques : leur complexité formelle par les enchevêtrements de signes et de lignes, les effets de superposition.
Une écriture entasse et enchâsse différents niveaux
d’interprétation comme si le propre de « l’accès somnambulique » était justement de pouvoir démultiplier
les entrées simultanées de lecture et les réseaux interconnectés de traduction. Jacques de Caso propose de
rapprocher cette ornementation stratifiée d’un mode
de compréhension accéléré – ce que le somnambulisme appelle déjà une « intelligence remarquable » et
que l’on retrouve dans la description par Balzac de son
personnage Louis Lambert, adepte du magnétisme et
auteur d’un Traité de la volonté : « Son œil embrassait
sept à huit lignes d’un coup et son esprit en appréciait
le sens avec une vélocité pareille à celle de son regard. »
Bra et Balzac se rencontrent vers 1830, alors que
l’écrivain, qui visite l’atelier du sculpteur, est en pleine
rédaction de Séraphîta81. Le lien mérite de s’y arrêter, car il conditionne le « réalisme magnétique » à
une conceptualisation de la « seconde vue » (un terme
que Balzac a trouvé notamment chez Walter Scott et
qu’il développe dans l’écriture de Louis Lambert, dont
le personnage éponyme est capable, « par un phénomène de vision, d’abolir l’espace dans ses deux modes
de Temps et de Distance dont l’un est l’espace intellectuel, et l’autre l’espace physique82 »).
Abolir les distances entre corps et esprit, mais aussi
rapprocher les êtres, dans un jeu de « sympathie » qui
fusionne leurs esprits en permettant de « devenir autre
que soi » : « Je pouvais épouser leur vie, je me sentais
leurs guenilles sur le dos, leurs désirs, leurs besoins,
tout passait dans mon âme, ou mon âme passait dans
la leur », fait dire Balzac au narrateur de Facino Cane83.
C’est le cas notamment du portrait de sa fille que Bra
exécute à l’encre brune le 3 janvier 1843. Tout autour
de ce visage concentré aux yeux fixes se bousculent des
rayonnements centripètes, à l’image des nombreuses
représentations d’irradiations cérébrales que l’on rencontrera plus tard dans les ouvrages de magnétisme,
et qui sont autant de traces des liens psychiques qui
unissent les deux êtres. Une seconde caractéristique
est leur nature instantanée, signe d’une même urgence
contenue dans le tracé direct, suivant des investissements d’intensité variable qui donnent dans ses entrecroisements un rythme propre, un phrasé singulier, à
chacun des dessins. L’instance de cette urgence rappelle
combien il s’agit là de lire les empreintes mêmes d’une
pensée en mouvement et agitée mais que son auteur,
qui tient à maintenir la maîtrise de son ascendant,
prend soin d’écarter de tout délire ou signe d’aliénation
A. Théophile Bra, La Croix mystérieuse, ca. 1826-1850, encre brune métallo-gallique sur papier, env. 30 x 20 cm,
Douai, bibliothèque Marceline-Desbordes-Valmore.
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mentale. Cette urgence se retrouve dans la qualité
même des supports adoptés, très variés, obtenus dans
la même urgence que la force compulsive qui a porté le
geste. Bra dessine sur des matériaux trouvés, non préparés, à portée de main : du papier à lettres mais aussi
des dos d’affiche, des imprimés électoraux ou des prospectus commerciaux, jusqu’à des papiers peints, anticipant sur le choix circonstancié des collages cubistes
qui rabaisseront le support noble de la peinture vers
des matériaux ordinaires, pauvres, empruntés à l’univers quotidien des artistes, comme une forme de déni
face aux artifices du « haut modernisme ». L’inspiration
exaltée de Bra s’énonce sur un support qui revendique
assez ouvertement sa condition matérielle : projection
instantanée de la pensée dans le monde réel, mais aussi
appréhension symbolique de cette réalité au moyen
de « signes hiéroglyphiques84 » directement connectés
avec celle-ci : « Vous saurez que par des signes hiéroglyphiques, on détermine la valeur de certaines qualités ; ces signes se composent par un assemblage de
lignes droites, courbes, onduleuses, renfermant un certain espace que l’on colore diversement ; l’assemblage
de ces lignes forme donc des caractères, des figures
plus ou moins géométriques, et c’est par elles que les
anciens peuples fixaient leurs idées, et ces idées fixées
faisaient naître des sentiments. » En cela, Bra adhère,
comme le rappelle très justement Julie Ramos, à la
logique de médiation et de communication du symbolisme telle que l’entend le projet romantique :
« Le symbole tel que redéfini par le romantisme
apparaît comme un langage transparent, permettant
de dépasser le clivage entre le signe et ce qu’il signifie, pour mieux traduire le monde dans son immédiateté […]. On comprend dès lors que le magnétisme
n’aura pas été pour Bra uniquement une expérience
personnelle inscrite dans l’autobiographie, mais qu’il
aura aussi fourni un modèle à la création artistique :
du point de vue de l’artiste comme voyant ou médium,
recevant dans les transes somnambuliques un message
divin et la capacité de le traduire ; et du point de vue du
médium de l’art capable par sa dimension symbolique
d’affecter son spectateur85. »
Dans la puissance communicative de ce langage
symbolique, la philosophie de la nature du premier
romantisme va rencontrer au plus près les modèles
fournis par les imaginaires du magnétisme animal
et sa philosophie évolutionniste de la nature, celle
que l’on retrouve par exemple dans l’ouvrage Ueber
Sympathie, de Friedrich Hufeland, paru en 1811. Par
« sympathie », Hufeland entend l’expression d’une
formation ancienne de l’organisme – celle de la
A
A. Un magnétiseur, gravure extraite d’A. Regazzoni,
Nouveau manuel du magnétiseur praticien, 1865.
B. Scène de magnétisme, planche extraite du Cosmorama Pittorico, 1850.
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« sphère végétative » – qui se distingue par l’ascendant des capacités de passivité face aux influences
externes. Le propre de l’évolution de l’espèce serait de
voir décroître cette part de passivité au profit de l’autonomie du sujet, mais elle resterait au stade latent
dans certains états comme celui des « états d’assoupissement de la conscience de soi ». Le somnambulisme
artificiel accueille cette influence extérieure à un tel
degré que le sujet « paraît pour ainsi dire lui appartenir comme une de ses parties, former avec [elle] un
seul et même organisme86 », sur le modèle symbiotique du « lien indissociable » entre la mère et le fœtus :
« Dans la nature organique, il n’existe qu’une seule
relation dans laquelle la sympathie, comme dans le
magnétisme animal, s’exprime par le plus haut degré
de dépendance d’un individu à l’égard de l’autre : la
relation que nous percevons dans le lien indissociable
entre l’enfant à naître et la mère. Les deux rapports
sont pour l’essentiel parfaitement égaux ; leur différence tient seulement à la forme externe, et celle-ci
est déterminée par la sphère de l’organisme, qui entre
d’abord et originellement dans cette relation87. » C’est
donc dans ce conflit de dépendance et d’autonomie
programmées que la dynamique du somnambulisme
se révèle la plus créative. Elle dramatise la destitution de l’auteur (Fichte parle de « destruction totale de
l’entité propre88 ») tout en laissant entrevoir la possibilité d’une (re)naissance du sujet sur un fil tendu entre
la vie et la mort. La voyante de Prevorst est à « l’article de la mort », toujours à la veille de livrer un dernier souffle, dans l’incandescence des révélations de
l’outre-monde : « Elle était plutôt un esprit qu’un habitant dans ce monde mortel. Si nous voulions la comparer à un être humain, nous dirions qu’elle semblait
plutôt dans les conditions de celui qui, flottant entre
la vie et la mort, appartient plus au monde qu’il va
visiter qu’à celui qu’il est sur le point de quitter89. »
La peinture qu’en dressera plus tard Gabriel von Max
la montre apaisée, les paupières fermées, allongée sur
un lit, les bras ouverts, un carnet de dessins au-devant
d’elle, dans l’expectative sereine de traduire sur le
papier les révélations venues d’un ailleurs dans lequel
elle semble déjà avoir mis un pied.
Dans d’autres cas, cette expérience létale de la fascination se fait autrement plus menaçante et (auto)
destructive. Elle relève d’une extrême dépendance vampirisante, comme chez Hoffmann, dont le Magnétiseur
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de 1814 ne laisse pas à ses victimes la possibilité de
sortir de son emprise autrement que par la mort – il les
tue si elles s’avisent de sortir de son champ d’influence.
Se retrouvent là les échos d’anciennes croyances, celle
en particulier du « mauvais œil » souvent incarnée par
des personnages maléfiques ou un bestiaire de créatures tératologiques à l’instar du fameux basilic90, un
animal de légende, mi-oiseau, mi-serpent, qui « associe
au geste de voir un pouvoir ou tout au moins une forme
d’action très concrète91 ». Le XVIe siècle en parle beaucoup et craint le pouvoir tétanisant de son regard qui
peut tuer celui qui le croise.
Selon Thomas Brown dans son Essai sur les erreurs
populaires ou examen de plusieurs opinions reçues comme
vrayes qui sont fausses ou douteuses, « les rayons visuels
de ses yeux se chargent de la portion la plus subtile du
poison, ils les transmettent aux yeux, & ce poison attaquant d’abord le cerveau, est ensuite porté au cœur92 »,
même si on oppose à cette toute-puissance de vie et de
mort la condition que le basilic voit sa victime avant que
cette dernière ne puisse rencontrer son regard. Voir/être
vu, la domination du magnétiseur joue sur une « dangereuse circulation du regard93 » qui demande, pour être
rassurée de faire acte d’une confiance envers celui-ci,
qui seul donnera la mesure de l’abandon dans l’union
parfaite et l’ardeur de deux esprits mis en contact, et son
pendant, la naissance d’une libido qui se plaît à frissonner de son propre enchaînement.
Mais plus que les créatures vipérines au regard
« transperçant », la figure mythologique de la Méduse
(qui hybride l’héritage du basilic avec sa chevelure faite
A
des serpents et le mythe de Narcisse, par la tétanisation pétrifiante du regard) est à nouveau présente dans
l’iconographie romantique94, où elle rejoue, sous l’angle
du somnambulisme, l’ambivalence entre emprise du
magnétiseur et terreur du magnétisé, bousculant les
distinctions entre objet/sujet, humain/animal, mâle/
femelle, actif/passif. La Méduse, à mi-chemin entre la
mort (l’envie et la tétanisation du regard) et la création (l’inspiration et la mobilisation des muses), rappelle combien le frisson devant ce monstre au regard
pétrifiant prend sa source, étymologiquement, dans la
propre valeur de monstration du regard (monstrare)95.
L’histoire, convoquée par de nombreux auteurs romantiques, parle d’elle-même (séduction, abus de pouvoir
et violence, métamorphose et tétanisation). Fille de
Phorcys et de Céto, née par descendance de l’union
de la terre et de l’océan, elle est présentée comme
une séduisante jeune fille dont Poséidon s’éprend au
prix de la violer dans le temple d’Athéna. Cette déesse
la punit, qui la transforme en Gorgone (une créature
fantastique malfaisante dont le regard a le pouvoir de
pétrifier les personnes qui la regardent) ; ses yeux ont
donc, tout comme le basilic, le pouvoir de pétrifier tout
mortel qui croise son regard. Persée la décapite, son
masque est remis à Athéna, qui l’installe sur son bouclier, représentation d’un contre-pouvoir au mauvais
œil, au mauvais sort (c’est donc à la fois une représentation du regard qui foudroie et son contre-pouvoir,
son amulette, son étymologie grecque renvoyant à la
protection). En cela, la Méduse est un objet « apotropaïque » (du grec apotropein, « détourner »), c’est-àdire appliqué à ce qui conjure un mauvais sort, ce qui
détourne et conjure les influences maléfiques d’une
fascination létale. Une arme de destruction et de protection, à la fois. Mais il y a plus, car la Méduse romantique, dans son pouvoir de pétrification, est une sorte
de pendant au mythe de Pygmalion, qui veut animer
sa statue (la transformer par le mécanisme du désir
en créature vivante) quand elle transforme en pierre
la créature vivante qu’elle neutralise96. La Méduse
incarne à la fois le mythe de l’anti-artiste (elle pétrifie
le corps à l’inverse du mythe de Pygmalion qui le fait
vivre) et celui du pouvoir démiurgique de l’artiste (en
produisant une sculpture par la force idéoplastique du
regard), elle symbolise à la fois l’interdit du regard (ne
pas fixer la Gorgone au risque de se voir anéantir) et la
griserie esthétique de la contemplation (ne pas pouvoir extraire son regard du motif). Figure de la création
des images97 et de la destruction de la peinture98, « thanaturge » et thaumaturge simultanément, la Méduse,
tout comme la voyante de Prevorst, donne vie à la
créativité en s’approchant au plus près de la mort. Les
somnambules, au regard médusé/médusant, n’auront
jamais autant inventé de nouvelles formes poétiques
qui désarment la peur de se dissoudre dans l’autre ou
de disparaître.
A. L’art de magnétiser, ou Le magnétisme animal considéré sous le point de vue théorique,
pratique et thérapeutique par Ch. Lafontaine, 1847, Bibliothèque nationale de France.
B. Dessin de Fluidus dans le Nouvel almanach magnétique, 1856, Bibliothèque nationale de France.
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L A VA G U E D E S S O M N A M B U L E S
NOTES
1. Rapport des commissaires chargés par le Roi de l’examen
du magnétisme animal, Paris, 1784, p. 77.
2. Olivier Schefer, « L’éveil des somnambules », dans
Armand Marie Jacques de Chastenet de Puységur,
Recherches sur l’homme dans l’état de somnambulisme,
Paris, Éditions VillaRrose, 2008, p. 142.
3. « Au centre de la place se dressait un immense et très bel
orme […]. Les paysans venaient s’asseoir sur les bancs de
pierre entourant l’arbre. Autour du tronc et des maîtresses
branches étaient fixées des cordes dont les malades
enroulaient les extrémités aux endroits douloureux de
leur corps. Au début de la séance, les malades formaient
une chaîne en se tenant par le pouce. Ils sentaient alors,
plus ou moins intensément, le fluide circuler à travers leur
corps. Au bout d’un certain temps, le maître ordonnait
de rompre la chaîne et demandait aux malades de se
frotter les mains. » Henri Frédéric Ellenberger, Histoire de
la découverte de l’inconscient, Paris, Fayard, 1994 [1970]
p. 102.
4. Amand Marie Jacques de Chastenet de Puységur,
marquis de Puységur, Recherches, expériences et
observations physiologiques sur l’homme dans l’état
de somnambulisme naturel et dans le somnambulisme
provoqué par l’acte magnétique, Paris, Dentu, 1811, p. X-XI.
5. [Anon.] Le Globe, 17 décembre 1825, cité par Tony
James, Vies secondes, Paris, Gallimard, 1997 [1995], p. 31.
6. Marquis de Puységur, Recherche sur l’homme dans l’état
de somnambulisme, op. cit., p. 41.
7. Ibidem, p. 119.
8. Dr Husson cité dans Foissac, Rapports et discussions de
l’Académie royale de médecine sur le magnétisme animal,
p. 28, repris dans Bertrand Méheust, Somnambulisme et
médiumnité. Le défi du magnétisme, tome I, Le PlessisRobinson, Éditions de l’Institut Synthelabo, 1999, p. 156.
9. J.-F. Delpit, « Observations et notes sur des maladies
nerveuses extraordinaires et rares », Bibliothèque médicale,
tome LVI, 1817, p. 323.
10. Alexandre Bertrand, Du magnétisme animal en France,
et des jugements qu’en ont porté les sociétés savantes, Paris,
Baillière, 1826, p. 459-460.
11. A. Bertrand, Traité de somnambulisme et des différentes
modifications qu’il présente, Paris, Dentu, 1823, p. 19.
12. A. Bertrand, Du magnétisme animal en France (1826),
édition établie par Serge Nicolas, Paris, L’Harmattan, 2004,
p. 101.
13. A. Bertrand, Traité de somnambulisme, op. cit., p. 178179.
14. D. G., Journal de Paris politique, commercial et
littéraire, 21 septembre 1818, cité par B. Méheust,
Somnambulisme et médiumnité, op. cit., p. 142.
15. Jean-Nicolas Illouz, Nerval. Le rêveur en prose.
Imaginaire et écriture, Paris PUF, 1997.
16. Casimir Chardel, Essai de psychologie physiologique,
Paris, 1831, p. 273.
17. Joseph-Philippe-François Deleuze, Histoire critique du
magnétisme animal, 2e édition, Tours, Mame, 1819, p. 190.
18. Ibidem, p. 189-190.
19. Louis de Séré, Application du somnambulisme
magnétique au diagnostic et au traitement des maladies,
Paris, Baillière, 1855, p. 207.
20. A. Bertrand, Traité du somnambulisme, op. cit., p. 230.
21. Johann Gottfried von Herder, Du connaître et du sentir
de l’âme humaine (1778), trad. Cl. Pagès, Paris, Allia, 2013,
p. 51, cité par Andrea Pinotti, L’Empathie. Histoire d‘une
idée de Platon au posthumain (2011), Paris, Vrin, 2016,
p. 55.
22. Wilhelm Heinrich Wackenroder et Ludwig Tieck,
Les Épanchements d’un moine ami des arts, trad.
Charles Leblanc et O. Schefer, Paris, José Corti, 2009.
23. F. A. Mesmer, Mémoire sur la découverte du
magnétisme animal, Paris, Allia, 2006, p. 50.
24. A. Tardy de Montravel, Correspondance de monsieur
de Puységur, tome III, repris dans Bertrand Méheust,
Somnambulisme et médiumnité, op. cit., p. 144.
25. J.-P.-F. Deleuze, Instruction pratique sur le magnétisme
animal, Paris, 1825, p. 115.
26. P. Sloterdijk, « Les hommes dans le cercle magique.
Contribution à une histoire idéelle de la fascination du
proche », Bulles. Sphères I, Paris, Fayard, 2010 [1998] ,
p. 227-286.
27. Marquis de Puységur, Recherches sur l’homme dans
l’état de somnambulisme, op. cit., p. 48.
28. Ibidem, p. 53.
29. Arthur Schopenhauer, Ueber den Willen in der Natur
[1835], cité par P. Sloterdijk, Bulles, op. cit., p. 258.
30. Denis Diderot, Lettre sur les aveugles, cité par Bertrand
Méheust, Somnambulisme et médiumnité, op. cit., p. 198.
31. Alphonse Teste, Le Magnétisme animal expliqué ou
Leçons analytiques sur la nature essentielle du magnétisme,
ses effets, son histoire, ses applications, les diverses
manières de le pratiquer, Paris, Baillière, 1845, p. 335.
32. Lettre de Philipp Otto Runge à Charles Francis Richter,
27 septembre 1809, citée par Julie Ramos, « Un monde
de résonances : convergence des arts dans le romantisme
allemand », dans Pascal Rousseau, Serge Lemoine (éd.),
Aux origines de l’abstraction (1800-1914), Paris, RMN, 2003,
p. 199.
33. Julie Ramos, « Un monde de résonance », Ibid., p. 200.
34. Lettre de P. O. Runge à C. F. Richter à Joukovski,
12 décembre 1835, citée par J. Ramos, Nostalgie de l’unité.
Paysage et musique dans la peinture de P.O. Runge et Caspar
David Friedrich, Rennes, PUR, 2008, p. 46.
35. Novalis cité dans Ibidem, p. 35.
36. P. Rousseau, « Arabesques. Le formalisme musical
dans les débuts de l’abstraction », dans Aux Origines de
l’abstraction, op. cit., p. 231-245.
37. Franz von Baader, Fermenta cognitionis, trad. E. Susini,
Paris, Albin Michel, 1985, p. 53, cité par Olivier Schefer,
Résonances du romantisme, Bruxelles, La lettre volée, 2005,
p. 121.
38. Ibidem, p. 113 et 122.
39. Johann Wilhelm Ritter, Fragments posthumes tirés des
papiers d’un jeune physicien, trad. C. Maillard, Charenton,
Premières pierres, 2001, p. 200.
40. « Dans le magnétisme animal, on sort du domaine de la
volonté pour entrer dans celui de l’involontaire dans lequel
le corps organique se comporte à nouveau à la manière de
l’inorganique. Cependant les mystères des deux domaines
s’y révèlent. » Ibidem, p. 201.
41. Lettre de J. Ritter à Franz von Baader, citée par
S. Hammoud, Mesmérisme et romantisme allemand
(1766-1829), Paris, L’Harmattan, 1994, p. 94.
42. Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, Briefwechsel,
cité par Alain Montandon, Les Yeux de la nuit. Essai sur
le romantisme allemand, Clermont-Ferrand, Presses
universitaires Blaise Pascal, 2010, p. 203.
43. Luis Montiel, Magnetizadores y somnambulas en la
Alemania romantica, Madrid, Frenia, 2008.
44. François Roustang, « Introduction », dans Georg
Wilhelm Friedrich Hegel, Le Magnétisme animal,
Paris, PUF, 2005, p. 25.
45. G. W. F. Hegel, dans ibidem, p. 62.
46. Ibid., p. 64.
47. Ibid., p. 76.
48. Ibid., p. 75.
49. F. Roustang, « Introduction », Le magnétisme animal,
Paris, PUF, 2005, p. 26.
50. « Le sommeil magnétique produit un renforcement de
la vie saine puisque l’organisme divisé en lui-même accède
à l’unité avec soi. » G. W. F. Hegel, cité par F. Roustang,
ibidem, p. 26.
51. Pierre-Simon Ballanche, La Ville des expiations, Paris,
Les Belles Lettres, 1926, p. 109
52. Johann Wolfgang Goethe, Goethes Werke, Hambourg,
Christian Wegner Verlag, t. XIII, 1962, p. 324.
53. Gustav Fechner cité par Marcel Foucault, La
Psychophysique, Paris, Alcan, 1901, p. 52. G. Fechner,
Anatomie comparée des anges, traduit par Michèle Ouerd
et Annick Yaiche, suivi de Sur la danse, postface de William
James, Paris, Éditions de l’Éclat, 1997 [1825], p. 21.
54. S. Hammoud, Mesmérisme et romantisme allemand,
op. cit., p. 136.
55. Justinus Kerner cité dans ibidem, p. 147.
56. Ibid., p. 166.
57. J. Kerner, La Voyante de Prevorst, Paris, Camion noir,
2016 [1829], p. 80.
58. J. Kerner cité par S. Hammoud, Mesmérisme et
romantisme allemand, op. cit., p. 183.
59. Ibidem, p. 184.
60. Ibid., p. 188.
61. J. Kerner, La Voyante de Prevorst, op. cit., p. 138.
62. J. Kerner cité par S. Hammoud, Mesmérisme et
romantisme allemand, op. cit., p. 190.
63. Antoine Faivre, Accès à l’ésotérisme occidental, tome II,
Paris, Gallimard, 1996.
64. Avicenne cité par Étienne Félix d’Hénin de Cuvillers,
« Recherches historiques et réflexions sur le magnétisme
animal », Archives du magnétisme animal, tome V, p. 14.
65. A. Tardy de Montravel, Essai sur la théorie du
somnambulisme magnétique, cité par Bertrand Méheust,
Somnambulisme et médiumnité, op. cit., p. 342.
66. Novalis, L’Encyclopédie. Notes et fragments, traduits
par Maurice de Gandillac, Paris, Éditions de Minuit, 1966,
cité par Luis Montiel, « Magnétisme animal et nouvelle
subjectivité dans l’Allemagne romantique », dans
B. Belhoste et N. Edelman (éd.), Mesmer et mesmérismes,
Montreuil, Omniscience, 2015 , p. 172.
67. G. H. von Schubert, cité par S. Hammoud, Mesmérisme
et romantisme allemand, op. cit., p. 139.
68. Julie Ramos, « Du double magnétique au trouble
mimétique chez Théophile Bra », dans B. Belhoste et
N. Edelman (éd.), Mesmer et mesmérismes, op. cit., p. 191
69. Théophile Bra cité par André Bigotte, « La sculpture
Bra. Éléments d’approche », Les Amis de Douai, avril-maijuin 1983, p. 22.
70. T. Bra, 1829, cité par J. de Caso, « L’urgence du mot »,
dans Théophile Bra, L’Évangile rouge, Paris, Gallimard,
2000, p. 271.
71. Éric Michaud, « La responsabilité », dans Nathalie
Heinich, Jean-Marie Schaeffer et Carole Talon-Hugon (éd.),
Par-delà le beau et le laid. Enquêtes sur les valeurs de l’art,
Rennes, PUR, 2014, p. 134.
72. Dario Gamboni, Images potentielles. Ambiguïté et
indétermination en art moderne, Dijon, Presses du réel,
2016 [2002].
73. Jacques de Caso, « The Written Drawing : The Work
of Théophile Bra », Représentations, n° 72, automne 2000,
p. 93.
74. J. de Caso, « L’urgence du mot », préface à T. Bra,
L‘Évangile rouge, op. cit., p. 23.
75. T. Bra dans ibidem, p. 56.
76. Ibid., p. 91.
77. Ibid., p. 194.
78. Ibid., p. 158.
79. Thierry Laugée, Figures du génie dans l’art français,
1802-1855, Paris, PUPS, 2016.
80. T. Bra, « L’artiste n’est rien », encre brune sur papier,
Fonds Bra, Bibliothèque municipale de Douai, cité par
J. Ramos, « Du double magnétique au trouble mimétique »,
dans B. Belhoste et N. Edelman (éd.), Mesmer et
mesmérismes, op. cit., p. 192.
81. Goran Blix, « The occult roots of realism : Balzac,
Mesmer and second sight », Studies in Eighteenth Century
Culture, vol. 36, 2007, p. 261-280.
82. Honoré de Balzac, Louis Lambert, Paris, Gallimard,
1990 ([1832], p. 82.
83. H. de Balzac, Facino Cane (1837), cité par Goran Blix,
art. cit., p. 266.
84. T. Bra, L’Évangile rouge, op. cit., p. 82.
85. J. Ramos, « Du double magnétique au trouble
mimétique chez Théophile Bra », art. cit., p. 203 et 205.
86. Christoph Wilhelm Hufeland, Ueber Sympathie, 1811,
cité op. cit. P. Sloterdijk, Bulles, p. 264.
87. C. W. Hufeland, cité dans ibidem, p. 268.
88. Johann Gottlieb Fichte, cité par P. Sloterdijk, Bulles,
op. cit., p. 275.
89. J. Kerner, La Voyante de Prevorst, op. cit., p. 80.
90. Olivier Dubouclez, Histoire du basilic, Arles, Actes Sud,
2015.
91. Carl Havelange, De l’œil et du monde. Une histoire du
regard au seuil de la modernité, Paris, Fayard, 1998, p. 48.
92. Thomas Brown, Essai sur les erreurs populaires ou
examen de plusieurs opinions reçues comme vrayes qui sont
fausses ou douteuses, Paris, Briasson, 1738, p. 273.
93. C. Havelange, De l’œil et du monde, op. cit., p. 50.
94. Jerome McGann, « The Beauty of the Medusa : A Study
in Romantic Lirerary Iconology », Studies in Romanticism,
vol. 11, 1972, p. 3-25.
95. Anne DeLong, « The Medusan Muse : Speaking Eyes
and Snaking Veins », dans Mesmerism, Medusa and the
Muse. The Romantic Discourse of Spontaneous Creativity,
Plymouth, Lexington Books, 2012, p. 105-138.
96. Jean Clair, Méduse. Contribution à une anthropologie
des arts du visuel, Paris, Gallimard, 1989.
97. Françoise Frontisi-Ducroux, Du masque au visage.
Aspects de l’identité dans la Grèce ancienne, Paris,
Flammarion, 1984.
98. Louis Marin, Détruire la peinture, Paris, Gallimard,
1977.
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« Je rencontrai dernièrement au Salon un de mes amis,
assez piètre connaisseur en peinture, mais magnétiseur
des plus distingués.
– Que venez-vous faire ici lui demandai-je.
– Tâter le pouls à l’art contemporain, me répondit-il.
– Vous êtes devenu critique ? fis-je avec un sourire légèrement railleur.
– Mais non. Cependant quand la fantaisie m’en prend, je
juge un tableau ou une stature aussi bien qu’un autre.
– Pas possible ?
– Vous doutez de la justesse de mes appréciations ?
– Je l’avoue. Voyons, que pensez-vous de la Bataille de
Magenta d’Adolphe Yvon ? Mon ami se posa à bonne
distance du tableau et se mit à le regarder avec une
fixité singulière.
– Eh bien ? dis-je.
– Attendez, cela vient…
– On dirait que vous magnétisez cette peinture.
– Juste. Et, par ce moyen, rien ne m’est plus facile que
de me renseigner sur son mérite ; je la force à m’avouer
ses qualités et ses défauts. »
[Anon.], « Salon de 1863. Les tableaux magnétisés », Le
Charivari, jeudi 7 mai 1863, p. 2.
constituent un défi pour l’esprit positiviste de cette
époque. Cependant, si la tourmente révolutionnaire avait
balayé les vertus thérapeutiques du magnétisme animal
après la mise au ban officielle des commissions, celui-ci
refait surface dans les années 1830 en France sous le
second Empire. Parfois sous forme d’un retour en grâce
et en mode, dans des débats passionnés que de nouvelles expertises médicales vont s’empresser de mettre à
mal, accompagnées dans le champ de la culture visuelle
par une salve de caricatures raillant une « magnétomanie » présentée comme le syndrome du conditionnement moderne d’individus victimes de leur crédulité.
Avec la circulation accélérée de l’imagerie sociale, le
magnétisme s’installe dans la sphère sociale et politique.
Le mitan du XIXe siècle est occupé par ce conflit opposant
deux camps organisés : ceux qui cherchent à ramener les
effets du magnétisme animal dans un système technique
et rationnel aux effets curatifs sur l’équilibre psychique
de sujets de plus en plus dissociés et malléables, et ceux
qui le refusent en bloc comme une forme détournée de
manipulation des cerveaux, un instrument de contrôle
social à l’ère des tout premiers développements de la
communication de masse.
La montée en puissance du « somnambulisme artificiel » dans le premier tiers du XIXe siècle ainsi que
le développement de son versant spiritualiste, voire
mystique, autour des courants de l’illuminisme chrétien, très implantés dans certaines villes européennes,
Le premier camp, celui des défenseurs d’un héritage psycho-physiologique du somnambulisme artificiel, va s’appuyer d’abord sur le rapprochement entre
mesmérisme et phrénologie (on parlera de « phréno-magnétisme »), afin d’expliquer sur un mode plus
A. Magnétorama, mesmérisme et somnambulisme, détail d’un dessin de Marcellin reproduit dans Le Journal pour rire, 11 décembre 1852.
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HYPNOLOGIE
réflexologique la nature des systèmes d’influences
intersubjectives. Il connaîtra un nouveau moment d’inflexion au tout milieu du XIXe siècle, autour des travaux
d’un médecin écossais, James Braid, et son traité de
« neuro-hypnologie » (1843).
Avec Braid, le terme d’« hypnotisme » – qui avait déjà
circulé, mais timidement et sans véritable relais institutionnel - va définitivement s’imposer dans le lexique
culturel et médical pour venir qualifier une technique
reposant davantage sur la réactivité du sujet magnétisé
que sur la force dirigée du magnétiseur. Ce renversement de perspective favorise une nouvelle inversion du
jeu d’autorité au sein de la relation qui unit médecin
et patient et amplifie la dimension expérimentale des
états modifiés de conscience. Il met surtout en place
une série de médiations techniques et instrumentales
(la technique de fixation d’un point lumineux, l’usage
de miroirs ou d’objets brillants) qui viennent se substituer à la présence charismatique du magnétiseur.
Dans le champ de l’art, ces mécanismes vont nourrir
une réflexion sur la performance et la productivité des
dispositifs d’emprise immersive sur le public, Richard
Wagner – et son théâtre de Bayreuth comme temple
de « l’art total » – converti en grand hypnotiseur d’une
foule qui communie dans le bain du « fluide musical ».
HYPNOSCOPIE
LE TOURNANT OPTIQUE
DU « MAGNÉTISME ÉCLAIRÉ »
A
Si l’hypothèse du somnambulisme artificiel de
Puységur avait déjà sacrifié la physique des fluides
au profit d’une approche centrée sur le « pouvoir de
la volonté », c’est un autre point de vue que certains
médecins vont prôner pour comprendre le mécanisme
de la guérison dans la relation magnétique : l’option
« imaginationniste » introduite dès 1813 par l’abbé
Faria, puis par Alexandre Bertrand ou le général Noizet,
pour qui la volition du magnétiseur se contente de libérer des forces propres au patient des « puissances de
l’imagination », qui modifient sensiblement ses facultés et réactions. C’est à l’un des membres de ce courant que l’on doit le premier véritable changement
copernicien annonçant le déplacement du magnétisme
vers l’hypnotisme. Il n’est plus marquis mais baron de
son état, lui aussi militaire de carrière, mais cette fois
membre de l’Académie des sciences de Paris, maniant
la plume et l’épée ; son nom, Étienne Félix d’Hénin de
Cuvillers. Éditeur des Archives du magnétisme animal
(1820-1823), il peut être considéré comme l’un des tout
premiers, après Faria, à mettre en avant la dynamique
« imaginative » de l’hypnose, qui porte à peine encore
ce nom1. Dans Le Magnétisme éclairé (1820), Hénin
de Cuvillers s’attarde sur la curiosité des guérisons et
autres « phénomènes extraordinaires », qu’il tente de
détacher de « causes surnaturelles » : « On entend par
magnétisme animal l’action réciproque que tout être
animé en général exerce sur un autre être animé par le
moyen des sensations que les sens qui constituent l’organisation des corps vivants reçoivent, pour les transmettre à l’imagination2. »
Dans cette démarche qui consiste à « faire connaître
le naturalisme de tous les phénomènes de psicologie »
en démasquant « l’ancienne superstition », Cuvillers va
prendre soin de distinguer le « magnétiste » (celui qui
est persuadé de la réalité d’une transmission physique
du fluide) du « magnétiseur » (celui qui met en pratique les procédés du magnétisme). Le premier perpétue la tradition d’une médecine magicienne adossée au
régime du rituel et de la croyance (il parle de « médecine occulte3 ») quand le second privilégie en praticien, les données de l’observation « sans apprêter, par
ce moyen, des armes favorables aux matérialistes » :
« Pourquoi supposer un fluide occulte là où l’imagination fait tout par le moyen des sens4. » « Imagination »,
maître mot de cette entreprise dont Cuvillers est allé
chercher la caution scientifique dans le Dictionnaire
des sciences médicales : « S’il est dans notre système
intellectuel une puissance admirable par son éclat, son
étrange mobilité, son énergie pour disposer de toutes
nos facultés, de toutes nos passions, c’est sans contredit
l’imagination […]. Elle est la reine du système nerveux,
tant elle domine toutes les puissances de la sensibilité.5 »
A. Hauts faits de magnétique, gravure extraite du Journal pour rire, 11 décembre 1852.
B. M. Louis, magnétisé par M. Durand. Tremblement nerveux, contractions musculaires,
caricature extraite du Journal pour rire, 11 décembre 1852.
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Cette entreprise de sécularisation du « miraculeux » conduit Cuvillers à préciser le périmètre de ce
qu’il va désormais appeler la « médecine hypnoscopique6 ». Pour cela, il lui faut retrouver les traces historiques du magnétisme animal sur un long terme et
une géographie élargie (Égypte ancienne, Asie, SaintDomingue, qu’il connaît lors d’une brève carrière diplomatique…), avec pour objectif de le sortir d’un cadre
culturel et épistémologique purement occidental. De
cette récolte anthropologique, Cuvillers va notamment
retenir l’exemple de l’ablation, une posture symbolique rencontrée en Asie en particulier dans les traditions bouddhistes, consistant à placer la main devant
soi, le bras levé, la paume ouverte et les doigts joints
en signe de protection. Cette « main votive » du guérisseur, il l’identifie aussi chez les prêtres égyptiens et
dans la gestuelle christique, signe selon lui de l’universalité d’un geste répandu dans la culture visuelle du
globe. L’abhaya, vient de l’iconographie védique, dont
Cuvillers a pu remarquer des exemples dans les illustrations des ouvrages de Pierre Sonnerat sur ses Voyages
aux Indes orientales7, qui mettent en scène des personnages à l’immobilité contrôlée par ce seul geste de la
main. Favorable à la concentration mutuelle des forces,
Cuvillers va faire reposer le principe actif de l’alliance
thérapeutique sur cette position dominante de la main
associée aux anciennes techniques des indigitamenta
(dans la Rome antique, invocations basées sur ces
gestes).
Cependant, plus que l’observation de la main souveraine, c’est la fixation du regard lui-même qui apparaît
comme la plus propice à l’immobilisation : « Ce n’est
pas le fluide qui s’échappe du bout des doigts qui produit le sommeil magnétique ; mais c’est le regard fixe
du magnétiseur, qui fatigue et endort la personne sur
laquelle il veut exercer une action8. » L’idée va traverser tout l’imaginaire visuel de l’hypnotisme jusqu’à nos
jours. Les objets peuvent faire office de supports de la
fixation du regard (ils restent les outils archaïques du
« sortilège »), mais c’est bien la concentration visuelle
sur les yeux et la mimique de l’expression faciale (le
goût de l’époque pour les « théories de l’expression »)
qui s’avère très vite la plus efficace dans la mise à l’arrêt du sujet tétanisé par la puissance présentielle d’une
figure d’autorité : « Ce qui parle aux sens et remue l’imagination, tel que le bruit, les émanations et tous les
objets qui se présentent à notre vue, produit des sensations sur les corps vivants […]. L’attirail de cette magie
consiste dans les charmes, les enchantements, les talismans, les amulettes. Je placerai dans la même catégorie les arbres, les baquets et l’eau, magnétisés, et tous
les autres objets, comme anneaux, mouchoirs, billets de
papier blanc ou écrits, etc. auxquels des somnambules
ou des magnétiseurs prétendent, au moyen de certains
gestes de la main, infuser une vertu particulière, un
fluide enfin qu’ils appellent magnétique, qui émane de
leur propre corps […]. L’homme doué d’une plus grande
force de volonté et d’un plus grand courage en impose
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à son ennemi par un coup d’œil, par une attitude fière
et menaçante, et sa présence seule semble enchaîner
toutes les facultés de son adversaire. Les animaux carnassiers commandés par un véhément appétit arrêtent
leur proie et la frappent de terreur par un regard fixe9. »
La fixité du regard (Cuvillers parle d’« œil étincelant »
et de « regard foudroyant ») sera le mode universel car
interspécifique, de la domination, règnes humain et animal confondus. Le terme d’« hypnoscopie » prend alors
tout son sens : tout s’origine et se déploie dans un jeu
de productivité de la vision. L’hypnoscopie ne désigne
pas la possibilité de produire et de voir des images dans
le sommeil – ce que Cuvillers appelle « oniroscopie » –,
mais la faculté de visualisation en sommeil avec une
prédilection pour l’aptitude de l’association libre, sorte
d’imagerie fonctionnelle avant l’heure. Et il y a plus, car
la productivité visuelle est immédiatement adossée à des
moyens de traduction et d’interprétation. L’invention du
sujet passe par la création d’une écriture jusque dans
la dramatisation d’un style. Traduction scripturaire donc
comme le laisse entendre le vocable « hypnographe10 »,
qui désigne celui « qui écrit en dormant » et annonce la
vague graphomane des proto-écritures automatiques.
Interprétation aussi, comme le laisse deviner le terme
« hypnocritie11 », par lequel il faut comprendre « l’art
d’expliquer » cette production. L’innovation d’un voca-
B
C
bulaire formel appelle immédiatement ses outils de
traduction et de décryptage, avec pour horizon la transcription immédiate de la signification dans l’extension
du pouvoir d’interprétation de l’œil.
Cuvillers passe d’abord en revue une nomenclature
foisonnante mais hésitante dans laquelle il va chercher à faire le tri. La liste est longue, déployée sur une
dizaine de pages avec un florilège de mots érudits parfois
imprononçables – Epopide, Epopsite, Epopte, Epotiste,
Hypnale, Hypnamphibole, Hypnariolique, Hypnique,
Hypniopseude –, avant d’avancer suivant l’ordre alphabétique les termes Hypnotisme, Hypnotiste, Hypnotiseur…
Le mot est lâché. « Hypnotisme » vient d’entrer dans
le vocabulaire. L’« hypnotiste » (celui à qui revient la
défense d’un « fluide de l’incrédulité ») est appelé à
balayer les ingénuités du « magnétiste ». Pour Cuvillers,
cette « néologie », loin d’être fantasque, s’appuie sur
les usages du Dictionnaire de l’Académie française,
dont la version de 181412 adopte le terme adjectivé
« Hypnotique », ainsi, que sur le Dictionnaire étymologique des mots français tirés du grec de Morin, dans sa
seconde édition de 1809, qui autorisait déjà les termes
« Hypnobate », « Hypnologie » et « Hypnotique ». La
subtilité sémantique des étymologies (et la dimension
rationnelle de leur racine grecque), conduit Cuvillers
à préciser l’horizon heuristique de sa démarche. Le
terme d’« hypnotisme » viendrait de la racine grecque
hypnos accolée à une autre, enypnion, désignant plus
spécifiquement le « sommeil accompagné de songes ».
Il s’agit donc de définir dans l’hypnose, non pas un sommeil profond, mais intermédiaire, dans lequel l’activité
imageante est stimulée. Dans sa fresque savante et historique, Cuvillers évoque Artemidorus (Daldianus), un
des pionniers de l’onirocritique (oneirocriticon) qui,
le premier, avait pris soin de distinguer les rêves non
prédictifs (enypnion) des rêves prédictifs (oneiros), les
premiers étant motivés par une origine purement physiologique ou psychologique (un rêve de nourriture pour
A. Experiment in Animal Magnetism, ca. 1850, gravure.
B. Le Rapport, caricature extraite du Journal pour rire, 11 décembre 1852.
C. Le Regard magnétique, planche extraite de Leslie Meacham, Lessons in Hypnotism and the Use of Suggestion, 1898.
D. H. B., Animal Magnetism, 1838, lithographiée par Ducote, coll. part.
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quelqu’un qui a faim). Mais ce n’est pas tant l’image
mentale et ses valeurs prédictives que l’action même
du regard qui devient l’agent stratégique de ce nouveau programme. En substituant au mot « somnambule » celui d’« hypnoscope », Cuvillers va oculocentrer
le magnétisme : « La dénomination de Somnambule,
dont le terme scientifique qui lui correspond est hypnobate, ne devrait être employée que pour désigner ceux
qui marchent en dormant sans s’éveiller, et ne convient
nullement pour exprimer une personne endormie par
les procédés du Magnétisme, qui, sans quitter le siège
où elle est assise, parle, répond, voit la maladie des personnes présentes ou absentes, et transporte son imagination à des distances plus ou moins éloignées […]. Je
propose le mot HYPNOSCOPE qui désignera ceux qui
voyent pendant le sommeil13. » Ce tournant scopique
confirme plus qu’il n’infirme la dimension visionnaire
du phénomène, voire sa nature clairvoyante (« hypnoscopie » dialogue avec « hypnomancie »). Tout va résider
désormais dans la productivité imagière du sujet et sa
capacité à se traduire en acte.
HALLUCINATIONS
PERCEPTION « SANS OBJET »
ET TABLEAUX VIVANTS
C’est là qu’entre en jeu la rencontre avec le discours clinique sur l’hallucination – une rencontre
autour des années 1830-1850 facilitant notamment,
par son détour sur les productions oniriques, un
débouché sur la création artistique. C’est le docteur
Esquirol qui, le premier, introduit le terme « hallucination » en 1817, dans Le Dictionnaire des sciences
médicales : « Un homme en délire qui a la conviction
intime d’une sensation actuellement perçue, alors que
nul objet extérieur propre à exciter cette sensation
n’est à portée de ses sens, est dans un état d’hallucination14. » La première conséquence de cette vague
de recherche des aliénistes sur les « visions » sera le
refus de présenter leur activité comme une pathologie
morbide des sens, et son corollaire, la possibilité créative de croiser crise mystique, attitudes passionnelles
et inspiration artistique autour d’une même économie sensible de la contemplation. Pour Louis Piesse,
dans les Annales médico-psychologiques, « une exaltation même extrêmement vive du sentiment religieux,
l’intensité, la fixité d’une contemplation dans laquelle
l’individu, perdant en quelque sorte conscience de
sa personnalité, confond momentanément son existence avec celle de l’objet suprasensible de sa pensée
et de son amour, ne constituent pas un état morbide.
C’est un cas exceptionnel de l’activité cérébro-psychique, analogue au surcroît d’énergie, par exemple,
que peuvent acquérir, sous influence d’une passion,
les forces musculaires, mais non un fait d’ordre pathologique15 ». L’artiste et l’illuminé, tous deux assimilés à
des « êtres privilégiés », se retrouvent en communion
d’exaltation, quand l’acte de création se considère
désormais comme une pensée traduite intensément
en image, l’hallucination ne venant ici que forcer les
limites d’une réalité trop confinée. La « folle du logis »
devient plus que jamais source d’inspiration, avec ses
modes de traduction qui, à nouveau, invitent les sujets
décrypteurs à recouvrer le sens enfoui d’une « langue
commune » : « Les extatiques de tous les temps et de
tous les siècles ont ce qu’on peut appeler une langue
commune […]. L’extase, dans ce cas, est une exaltation prodigieuse des puissances morales et intellectuelles, d’où jaillissent les révélations intérieures de
cette personnalité infinie qui est en nous et qui, parfois, chez les meilleurs et les plus grands, manifestent
par éclairs des forces latentes, dépassent presque sans
mesure les facultés de notre condition actuelle16. »
L’inspiration n’aura qu’à descendre sur terre, en
cessant de convoquer une force extérieure et surnaturelle pour installer les moments d’exaltation dans un
for intérieur converti, sous l’emprise magnétique, en
« personnalité infinie ». Et la création puisera ses ressources dans l’actualisation d’une image mentale rapportée très vite à une « hallucination volontaire ». Des
méthodes inédites de visualisation mentale se développent dans le champ de l’enseignement artistique,
à l’instar de Boisbaudran, un professeur de dessin, qui
« apprend à ses élèves à voir l’image mentale d’objets soustraits à leur vue, puis à les dessiner17 ». Mais
c’est surtout le processus de créativité qui est passé au
crible de la méthode analytique. À propos des « hallucinations psycho-sensorielles18 » , Jules Baillarger
étudie le cas du peintre Horace Vernet, repris dans
les colonnes des Annales médico-psychologiques, où
Philippe Buchez explique l’inspiration du grand coloriste par une « vision intérieure » qui n’est pas « rare
chez les peintres », et qui peut vite se traduire comme
une « matérialisation d’un idéal19 ». Quant à Théophile
Gautier, dans sa récession critique du « Salon de
1839 », il voit en Eugène Delacroix un de « ces rares
artistes » dont les œuvres « se rapportent au type
intérieur qu’il voit de l’œil de l’esprit20 ». La création
artistique devient le moyen de fixer des « images intérieures » (des « images imaginées »), à la fois créées de
toutes pièces et inspirées de rappels mnémoniques,
dans un mélange intuitif entre invention et reproduction. Ainsi de Delacroix et des personnages rencontrés dans ses toiles : « Les figures de ses tableaux
ressemblent à des figures de cette population invisible qui se meut au-dedans de lui-même, bien plus
qu’aux physionomies de la foule réelle. Ce qui ne veut
pas dire qu’il ne soit ni naturel, ni vrai, car il faut une
grande puissance d’assimilation et d’intuition pour se
former ainsi un monde dans le monde, une création
dans la création !21 »
A. Subjects in a Cataleptic State Posed to Represent a Death Scene,
photographie reproduite dans X. LaMotte Sage, Hypnotism as It Is, 1899.
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La clinique de l’extase somnambulique anticipe ainsi
sur l’activité mentale de « l’hallucination artistique22 ».
Dans ses observations données devant les membres
de l’Académie de médecine, le docteur Husson commente cette fermeture aux sens extérieurs (« on est parvenu, pendant ce singulier état, à paralyser, à fermer
entièrement les sens aux impressions extérieures, à tel
point qu’un flacon, contenant plusieurs onces d’ammoniac concentré, était tenu sous le nez pendant cinq,
dix, quinze minutes, sans produire le moindre effet,
sans empêcher aucunement la respiration, sans même
provoquer l’éternuement23 »). Ici se reconnaît la combinaison des deux paramètres majeurs de la condition
somnambulique selon Puységur, à savoir l’« isolement »,
où le sujet somnambulique « ne conserve aucune relation avec les objets extérieurs24 », et la « concentration », « conséquence du premier caractère », où le
sujet est « dans une telle occupation de lui-même qu’il
ne puisse en être distrait par rien25 ».
Alexandre Bertrand lui donnera un nom, « l’extase
somnambulique » : « On doit rattacher toutes les facultés que présente le somnambulisme à deux phénomènes
principaux : l’excitation du cerveau et l’exaltation de la
sensibilité propre à la vie intérieure qui, de latente et
organique qu’elle est en état de veille, devient perceptible dans le somnambulisme26. » C’est là, dans cette
concentration recherchée (Durand de Gros parle de
« somnambulisme hyperphysiologique27 »), que la vie
intérieure déborde et l’emporte sur la réalité extérieure,
par un effet d’idéation qui annule le monde extérieur,
sous l’effet d’une attention portée à son incandescence.
Nul hasard à trouver dans les colonnes médicales de
l’époque des commentaires sur « un peintre français
célèbre qui possédait cette faculté, a déclaré que ces
conceptions existaient dans son esprit, mais qu’il ne
les voyait pas par le moyen des yeux28 ». Dans ce sens,
créer consiste à devenir « présent aux images » produites dans l’exercice de l’imagination.
Mieux encore, « l’artiste magnétique » peut atteindre
et rendre au plus profond l’intimité de ceux qu’il
cherche à dépeindre, abreuvant le projet romantique
d’une psychologisation du portrait en peinture. C’est ce
que l’on retrouve en 1837 dans une nouvelle intitulée
Les Peintures prophétiques, de Nathaniel Hawthorne,
connu pour ses nombreux liens avec les courants mesmériens29, qu’il a rencontrés notamment par sa femme,
Sophia Peabody30. Tout comme le Poe des Révélations
magnétiques (1844), Hawthorne perçoit le magnétisme comme une « science magique » qui défait les
secrets de l’intimité. Armé des leçons du magnétisme,
le peintre se trouve doté d’un « œil pénétrant » qui
atteint au plus près le « fond de l’âme » de son modèle :
« On dit qu’il ne peint pas seulement les traits, mais
l’esprit et le cœur. Il saisit les passions et les sentiments secrets et les projette sur la toile, comme l’éclat
du soleil – ou, lorsque son modèle est une personne à
l’âme noire – comme les lueurs du feu d’enfer. C’est un
don inquiétant […]. J’ai presque peur de poser pour
lui31. » La fonction du regard magnétique est portée à
A
son maximum d’emprise matérielle : « Il fixait ses yeux
perçants sur la personne et semblait la transpercer de
part en part32 », avec en sous-main, tout comme dans
la nouvelle de Poe, la croyance archaïque dans le pouvoir vampirisant du peintre à faire plus vivant que le
modèle lui-même en s’appropriant son substrat organique : « Lorsqu’il s’est emparé de la figure et du corps
d’une personne, il peut la peindre en toute action ou
situation qu’il lui plaît… et que la peinture devient prophétique33. » Hawthorne s’est largement inspiré pour
cette nouvelle d’une histoire suggérée « par une anecdote concernant le peintre Stuart ». Il en a retrouvé
la trace dans L’Histoire des arts plastiques publiée en
1834 par William Dunlap34, qui y commente dans son
premier volume les travaux du peintre Gilbert Charles
Stuart, connu pour son portrait de George Washington.
L’anecdote en question rapporte la découverte par
lord Mulgrave d’un portrait de son frère commandé
au peintre, et où, intrigué par l’expression de folie du
visage, il comprend intuitivement qu’elle révèle une
tentative de suicide de son aîné qu’il ignorait35. Dunlap
fait sièger la virtuosité du peintre dans sa capacité à
reproduire l’esprit « caché » du modèle sur la toile (« to
represent mind as well as body ») ; il parle plus précisément d’une facilité à « donner corps à l’esprit » (« happy
facility of embodying the mind, as strongly as he identifies the person36 »).
Pour cela, Hawthorne n’est plus allé chercher son inspiration dans une histoire de l’art mythifiée, mais bien
plutôt dans la toute récente révolution des techniques
indicielles de la photographie. Hawthorne pressent une
analogie entre « révélation magnétique », physique vibratoire et projection de la psyché à la surface de l’image
mécanique. Dans La Maison aux sept pignons, l’un de ses
contes gothiques publié en 1851, l’art du portrait photographique, appelé « psychological daguerreotype », s’appuie sur une technique de révélation directe et fluidique
de l’âme. Son modèle sera celui de la « psycho-photographie » de Robert Hanham Collyer, un médecin précurseur des méthodes d’anesthésie, éditeur du Mesmeric
Magazine et « showman scientist ». Hawthorne a assisté
à l’une de ses conférences spectacles37 ainsi qu’Edgar
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Allan Poe38. Adepte de la phrénologie et du mesmérisme,
largement influencé par le magnétiseur John Elliotson,
rencontré à l’université de Londres, Robert Collyer publie
en 1843 (l’année de sa rencontre avec Poe) un ouvrage
intitulé Psychography or the Embodiment of Thought.
Collyer y évoque la possibilité d’une « incorporation des
idées qui, par un effort unifié de la volonté, peut être
importée dans le cerveau d’un récipient », selon un
mécanisme qu’il compare à un « procès photographique
mental39 ». Il propose, gravure à l’appui de sa démonstration, l’expérience d’un reflet optique dans un bol rempli de mélasse, d’une « image mentale » transmise entre
deux sujets concentrés, le bol de mélasse faisant fonction
à la fois de lentille de réflexion et de liquide de révélation40. Pour le dire autrement, Collyer associe le transfert
magnétique des pensées et la photosensibilité photographique41, à partir d’un modèle partagé de communication optique et vibratoire de l’information42. Participant
à sa manière aux imaginaires techno-fantaisistes d’une
transmission directe des émotions et des pensées (une
télépathie avant l’heure), il préfère le terme plus physiologique d’« état congestif » à celui de « transe somnambulique » et va, dès les premières diffusions du procédé
de Daguerre, penser la duplication indicielle de l’image
comme une modalité de transmission fluidique, investie d’une véritable fonction plastique. Loin de s’en tenir
à des spéculations technologiques sur la (re)production des « images psychiques », Collyer sera aussi connu
pour la production d’un fameux spectacle de « tableaux
vivants », ayant tourné dans de nombreux théâtres des
États-Unis. Intitulé Model Artistes, ce spectacle didactique et « populaire » reproduit des tableaux et sculptures de l’histoire universelle de l’art (Titien, Rembrandt,
Van Dyck, etc.), avec des modèles vivants, pour certains
nus – ce qui lui vaudra des dénonciations de pornographie43. Le lien avec le magnétisme n’est pas plus anodin,
car Collyer a défrayé la chronique (Poe s’en souviendra
en 1843 dans La Vérité sur le cas de M. Valdemar) en
prétendant avoir « réanimé » un sujet in articulo mortis
avec ses passes magnétiques. Outre qu’elles rejouent le
B
A. Le Regard, dessin de Fluidus reproduit dans Nouvel almanach magnétique, 1854.
B. Projection mentale dans le bol de mélasse, gravure reproduite
dans Robert Collyer, Psychography or The Embodiment of Thought, 1843.
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HYPNOLOGIE
mythe de Pygmalion, les Living Pictures de Collyer s’animent au son d’un orchestre installé en fosse qui, dans
l’esprit de son imprésario, fait office de chargeur voltaïque d’une résurrection fluidique du tableau, offerte
au public sur le mode hallucinatoire de la fantasmagorie.
Dans cette perspective qui confère un statut stratégique à l’image mentale, fût-elle un recyclage
des images mémorisées, vécues ou reçues, tout art,
écriture et peinture confondues, est celui de bien
gérer une hallucination rapidement comparée à un
« tableau animé », de convertir, au mieux, cette production visionnaire en « donnant un corps et de l’actualité aux images44. »
Conférer une « actualité » aux images, c’est ce que se
proposent de réaliser au même moment les dioramas
et panoramas mobiles qui animent les boulevards des
nouvelles métropoles45, et dans l’intimité plus domestique, les « lanternes magiques » et autres « optiques
amusantes » qui fleurissent dans ce premier XIXe siècle.
Dans son dispositif immersif, circulaire à 360 degrés,
dont les limites correspondent à l’envergure complète
du champ visuel d’un spectateur placé à un point central, objet exclusif et totalisant de la perception supprimant tous les « termes de comparaison »46 susceptibles
de souligner la distinction entre réalité et fiction picturale, le panorama offre une nouvelle articulation du
rapport cognitif entre réalité et représentation. Dans
son Essai sur la nature, le but et les moyens de l’imitation dans les Beaux-Arts, Quatremère de Quincy ira
jusqu’à relever, face à un panorama, qu’il « est presque
obligé de se raisonner soi-même pour se convaincre
que ce n’est pas à la nature mais bien à une œuvre
d’art que l’on accorde son admiration47 ». Alexandre
Bertrand n’aurait pas dit mieux pour comprendre les
effets de confusion visuelle perçus en « somnambulisme magnétique ». Dans un panorama, on voit mieux
et plus, ensemble et en détail, confondant les lois habituelles des perspectives linéaires et atmosphériques.
C’est là une expérience similaire à « l’hyperesthésie
de la vue » repérée chez les sujets somnambuliques.
L’analogie est encore plus frappante avec le panorama
mobile, comme dans le modèle anglais du peristrephic
panorama, qui recourt à des mécanismes de toiles circulaires animées48. Là, l’étrange relation qui s’établit
entre la position stationnaire et immobile du spectateur et les effets rotatifs de la toile mise en mouvement, fait que tout semble s’animer autour d’un sujet
littéralement cerné par des images insaisissables, en
perpétuelle métamorphose, celles que commentent
de nombreux sujets placés en transe somnambulique.
Quant aux expériences visuelles des dioramas, portées par des variations de sources lumineuses placées
à l’arrière d’une toile translucide, elles renvoient à
des subtilités optiques rencontrées dans l’expérience
extralucide de certains somnambules. Celles que
rapporte le docteur Alphonse Teste en témoignent :
« Dans cette atmosphère lumineuse, ils commencent
par distinguer vaguement les corps dont les formes
et les couleurs se précisent à mesure que la lucidité augmente. Cette lucidité, aussi bizarre dans son
développement qu’incompréhensible dans sa nature,
se manifeste rarement d’une manière constante et à
degré invariable. Tantôt elle naît comme un beau soleil
(disait une somnambule) qui bientôt après s’éclipse
pour faire place, sinon à une nuit complète, du moins
à un clair-obscur dans lequel les sujets ne distinguent
plus rien ; tantôt, c’est une douce lumière dont l’intensité s’accroît progressivement et s’éteint de la même
façon49. » C’est bien proche de la description faite
devant le diorama installé par Daguerre dans l’église
de Saint-Étienne-du-Mont (Daguerre lui-même, à propos de ce diorama, parle d’effet de « décompositions
des formes50 »). De fait, la liste des analogies entre ces
nouvelles machineries optiques et les apprentissages
visuels obtenus en état somnambulique serait longue.
C’est la métaphore d’un « miroir concave » qu’utilise Franz Bickert, un des personnages de la nouvelle
Le Magnétiseur d’Ernst Theodor Amadeus Hoffmann
(1814), à la fois peintre et auteur d’une « pauvre théorie du sommeil », pour qualifier sa perception de la
« vie intensive51 ». Parmi les jouets optiques en miroir,
une place plus spécifique peut être donnée au kaléidoscope. À la fois instrument d’hypnotisation (la fixation
concentrée de surfaces chromo-lumineuses mobiles)
et métaphore du fonctionnement de l’imagerie mentale52 (pour Schlegel, la définition même du romantisme est la « reproduction infinie d’images se reflétant
de miroir en miroir53 »), le kaléidoscope breveté par
David Brewster en 1819 est né quand vient de paraître
De la cause du sommeil lucide ou étude de la nature
de l’homme, de l’abbé Faria, l’ouvrage culte des partisans de l’« imaginationnisme ». Dans son argumentaire présentant l’intérêt de son invention, Brewster,
scientifique anglais complice de l’esthétique romantique et ami de Turner, commente le principe d’une
variété « infinie » des combinaisons géométriques
conçue comme un moyen d’introduire le rythme dans
la contemplation visuelle, afin d’obtenir la « même
vivacité que celle obtenue par une composition musicale ». David Brewster propose notamment d’utiliser
un kaléidoscope sur pied projetant des formes de différentes couleurs au moyen de réflecteurs faisant varier
les teintes, avancer et reculer les formes, et dont la
vitesse de rotation serait adaptée au rythme d’une
musique d’accompagnement54. Cette synchronisation synesthésique, héritée du « clavecin oculaire » de
l’abbé Castel, est le parfait exemple d’une chromatologie de l’extase. Brewster mobilise son savoir optique
au service d’une esthétique spectaculaire, qui tire au
mieux les avantages d’une collaboration active des
sens, repérée dans l’état somnambulique.
PHRÉNO-MAGNÉTISME
LE « CÉSARISME » DES MANIPULATIONS
AU PRISME DE LA CARICATURE
Rationalisation organique de la sensibilité et optimisation technique de l’emprise sensorielle : ces deux
options vont de pair dans le modèle magnétique des
années 1830-1850, poussant l’analyse de l’influence
exclusive de la « volonté » du magnétiseur vers des
84
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tés se montrent productives (le cerveau devenant par
extension le signe à déchiffrer de l’évolution de la collectivité humaine, autour du développement moral et
pédagogique des facultés). Le cas du peintre Hippolyte
Bruyères, beau-fils de Spurzheim, est instructif. Auteur
d’un traité sur Le Geste et la physionomie démontrés
par 120 portraits… (1847), il inventorie, à partir d’un
alphabet gestuel, les signes de cette propagation qui
irradie du corps dans son ensemble pour le faire vibrer
au rythme des impulsions électriques du cerveau (les
« gestes sont une sorte de langage qui découle des
organes intérieurs57 »). La phrénologie (voire la « cranioscopie », son dérivé plus déterministe encore,
recentré sur la forme du crâne comme surface de prédictibilité du génie58) va, sur la base d’un même idéal
de relation fonctionnelle entre corps et esprit, rejoindre
le projet de rationalisation « physiologique » du magnétisme. Cela donnera le « phréno-magnétisme », très
en vogue dans les années 1840, en particulier dans les
scènes théâtrales anglo-saxonnes, autour de Spencer
Hall en Angleterre et de Robert Collyer aux États-Unis.
A
techniques de conditionnement physiologique. C’est là
qu’entre en jeu l’alliance objective entre phrénologie et
magnétisme ; elle conduit le magnétisme animal à se
débarrasser partiellement des questions de métaphysique (la relation corps/esprit) au profit d’une objectivation de la sensibilité recentrée sur l’organe du cerveau,
à déplacer le mécanisme de la fascination vers une
étude purement matérielle des organes, qui rendent
lisibles les manifestations d’une influence d’un sujet
sur un autre, sans sombrer pour autant dans un sensualisme primaire. Inventeurs de la phrénologie, Franz
Joseph Gall et son disciple Gaspar Spurzheim (dont
Robert Collyer sera le relais aux États-Unis) proposent
une science de la localisation cérébrale55 susceptible de
décrypter la langue de l’intériorité en dévoilant le rapport entre la forme du cerveau et le mécanisme de ses
facultés. Les formes du cerveau, devenues signifiantes,
seront traduites en « hiéroglyphes psychologiques56 »,
comme si le corps pouvait subitement instaurer un
langage objectif et objectivé. Or parmi les différentes
facultés localisées dans cette topographie du cerveau
(Gall en dénombre vingt-sept, Spurzheim les fera passer à trente-cinq), certaines touchent directement la
sphère créative. Ce sera le « sens des rapports des couleurs, talent de la peinture », mais aussi « le sens des
rapports de tons, talent de la musique », deux facultés artistiques dont la localisation très fonctionnaliste
vise le développement des talents, et son corollaire, la
diffusion d’un sens esthétique au sein de la communauté : plus les organes sont développés, plus les facul-
De cette alliance ressort une recherche assumée
d’efficace dont l’art et les artistes pourraient immédiatement bénéficier dans la quête d’une transmission
plus immédiate des émotions, une transmission sans
perte d’informations et d’intensités. L’emprise musicale apparaît très vite comme un modèle naturalisé,
le corps-cerveau converti en caisse de résonance59.
On retrouve là l’influence nerveuse du son et de la
musique telle qu’on l’avait déjà identifiée avec l’harmonica de verre mesmérien, reconduite dans l’esthétique
B
A. The Mesmerist. Phrenological Experiment, ca. 1840, gravure.
B. Planche extraite du Journal pour rire, 23 octobre 1852.
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romantique, la phrénologie ayant abondé dans le sens
de nombreuses analogies fonctionnelles entre instruments de musique et mécanique cérébrale60. Dès la fin
du XVIIIe siècle, au moment de l’agonie du mesmérisme,
le paradigme des « sympathies vibratoires » avait été
absorbé par des modélisations nerveuses du cerveau61.
Le concept de « fluide nerveux » abandonnait l’ancien
modèle hydraulique (Harvey, Descartes), au profit de
l’électrophysiologie. Mais avec l’épisode phrénologique de la localisation cérébrale, c’est non seulement
une zone dédiée « au sentiment de la musique » qui
laisse penser à un développement possible d’une sensibilité acoustique, mais plus généralement une boîte
crânienne qui apparaît comme un clavier musical sur
lequel jouer une partition, laissant le sujet sous la totale
dépendance du chef d’orchestre magnétiseur.
Le jeu d’acteur fait lui aussi l’objet d’une exégèse
phréno-magnétique. La dramaturgie shakespearienne
est souvent prise pour exemple. Un article de journal relit entièrement un passage de Roméo et Juliette,
celui de la reine Mab, à partir des catégories phrénologiques62. Sur scène, on donne à un sujet somnambulique une pièce connue de l’auteur qui la récite à haute
voix sur différentes intonations en fonction des organes
du cerveau stimulés par un assistant. On constate que
la lecture de Macbeth est d’autant plus dramatique que
le sujet est sollicité sur les fonctions organiques « idéalité » et « langage63 », etc. Là encore, ce n’est pas seulement l’impact émotionnel sur le public qui est visé,
mais l’inspiration créative elle-même. Dans une édition
de 1845 du Journal phrénologique, on s’arrête sur le
cas de Felix Bodin, membre de la chambre des députés,
A
B
lequel, plongé en transe magnétique, se découvre des
talents graphomanes de poète. Desnos et les séances
surréalistes ne sont pas loin : « Il tomba bientôt dans
le sommeil magnétique. Sous cette influence, il se
redresse soudainement sur son canapé et demande
impérativement une plume, de l’encre et du papier, qui
lui sont remis dans la foulée. Au grand étonnement de
tous ceux qui étaient présents, il composa et écrivit avec
fulgurance, sous le pouvoir de l’inspiration, bien que
ses yeux fussent scellés dans un sommeil profond, les
stances et la musique exquises d’une pièce inchangée,
qu’il intitula par la suite La Langueur64. » Au passage,
il est dit que la transe n’a pas seulement inspiré l’auteur mais sauvé le député à l’article de la mort, ayant
subitement retrouvé ses forces dans le miracle de la
passe, comme si la lecture phréno-magnétique de son
cerveau, dans le jeu de transparence des signes d’une
nouvelle organologie, l’avait dédouané d’une finitude
du corps malade. Autant dire que ce genre de manifestations spiritualistes nourrit les suspicions et aiguise
les débats. La nouvelle bataille du magnétisme couvre
justement la période d’avant le mitan du XIXe siècle. En
France, les premières disputes datent du début de la
Restauration, elles trouveront un premier moment de
culmination dans les années 1840, dans la foulée de
l’affaire dite Pigeaire.
Très tôt, le front de la médecine officielle s’était élevé
contre la persistance populaire et théâtrale du magnétisme animal, Antoine Jénin de Montègre, secrétaire de
l’Académie de médecine, stigmatisant dans un pamphlet des procédés « contraires à la raison, aux bonnes
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C
A & B. Honoré Daumier, Une séance de magnétisme, caricatures reproduites
dans Le Charivari, 27 avril 1868.
C. Honoré Daumier, Robert Macaire, magnétiseur, 1852, gravure en couleurs.
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mœurs » : « Que ceux d’entre vous dont le cœur n’est
pas ceint d’un triple acier, dont l’imagination n’est pas
entièrement dominée par la raison, s’éloignent de ces
scènes dangereuses […]. Vous devez, à l’aspect de ces
ébranlements nerveux, de ces aliénations passagères,
redouter les funestes effets de la contagion à laquelle
vous vous exposez65. » La diabolisation du magnétisme
va aller crescendo à mesure que l’on assiste sur plusieurs fronts à des tentatives de résurgence sous caution scientifique. Les expériences viendront même
contaminer de manière encore timide les salles de la
Salpêtrière, de la Charité ou du Val-de-Grâce, avec parfois des conversions de pontes des hospices, au rang
desquelles celle d’Étienne-Jean Georget, auteur d’une
influente Physiologie du système nerveux et spécialement du cerveau66. Retour en grâce aussi, par le biais
des propres commissions de l’Académie de médecine,
celle notamment qui fut conduite en 1828 par le docteur
Husson, somme toute très favorable, concluant que l’on
« devrait encourager les recherches sur cette branche
très curieuse de psychologie et d’histoire naturelle67 ».
Une croisade contre cette réhabilitation ne va pas
tarder à s’organiser ; elle passera par l’organisation d’un
front des « antimagnétistes » regroupé notamment
autour de la figure du docteur Frédéric Dubois (Bertrand
Méheust parle de « l’édification de la ligne Dubois68 »),
et de nombreux pamphlétaires aiguisés : « Je veux qu’on
dise aux peuples effrayés, il fut des magnétiseurs69. » La
« mise à mort académique du magnétisme » s’achèvera
en 1839 avec le très médiatique procès Pigeaire, du nom
d’un membre de la faculté de médecine de Montpellier
prétendant produire des phénomènes de vision « sans
le secours des yeux », par des passes exercées sur sa
propre fille, la jeune Léonide ; un procès mené lors de
séances publiques où l’on retrouvera jusqu’à Théophile
Gautier et George Sand. L’épilogue de cette séquence
qui anime la presse quotidienne se termine en 1839. Le
magnétisme de scène prendra la relève avec ses figures
tout aussi médiatiques couvrant les programmes des
théâtres européens, tel le somnambule Alexis Didier ou
le magnétiseur Charles Lafontaine. L’accent désormais
est mis sur ce qu’il faut donner à voir « comme s’il fallait essayer de montrer ce qui n’avait pu l’être devant
l’Académie70 ».
L’imagerie sociale prend le relais. Elle le fera sous
le signe de la caricature, Honoré Daumier en tête du
mouvement, graveur et dessinateur prolifique, passé
maître dans la charge satirique des comportements de
classe de la monarchie de Juillet. Dès 1840, sa collaboration au journal de François Fabre, Némésis médicale
illustrée (1840), le montre sceptique face au tour mondain du somnambulisme : un magnétiseur au teint blafard en face à face avec une jeune femme installée dans
un fauteuil, les yeux fermés sous sa dictée. La légende
confirme le geste : « Aussitôt le pas ferme et les sens
allumés, Faria tend les mains, le regarde : Dormez »,
A
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sur les maladies de chacun, indique des trésors cachés
sous terre et conseille de prendre des actions dans le
papier Mozart, dans les mines d’or et dans une foule
d’autres fort belles opérations). » La clairvoyance somnambulique est rabattue au rôle vénal d’une anticipation spéculative des cours de Bourse, ou le magnétisme
dévoyé est au service de la ploutocratie.
B
allusion informée à la technique suggestive mise en
place par l’abbé Faria.
Bien sûr, là encore, tout comme dans la vague
antimesmérienne, se retrouve le clin d’œil appuyé à
la rencontre libidinale des genoux, prétexte thérapeutique cachant l’occasion d’attouchements volés comme
autant d’indices d’un Éros magnétique. Dans ses dessins pour La Caricature et Le Charivari, Daumier tourne
en ridicule les travers de la société bourgeoise personnifiée dans le personnage de Robert Macaire, qui, parmi
ses multiples rôles archétypaux, prendra aussi l’habit
du « magnétiseur ». La lithogravure Robert Macaire
magnétiseur, connue et largement diffusée sous de multiples formats, coloriés pour certains, montre Macaire
en habit noir, imposant les mains à une femme âgée
assise sur une chaise, devant le public. La légende précise le contexte et le propos : « Robert Macaire magnétiseur. Voici un excellent sujet… pour le magnétisme…
Certes ! il n’y a pas de commérage, je n’ai pas l’honneur de connaître Melle de St-Bertrand et vous allez
voir Messieurs, l’effet du somnambulisme… (Melle de
St-Bertrand donne dans son sommeil des consultations
Cette pièce savoureuse, jusque dans l’accoutrement
d’une coiffe proche du bonnet de nuit (telle quelle dans
la caricature de Boilly intitulée Le Magnétisme), cache
une multitude d’autres scènes croquées par Daumier
tout au long de sa carrière pour pointer les influences
détournées du magnétisme animal. Cette critique
sociale du pouvoir symbolique de l’argent se retrouve
dans l’épisode en série des « diamants magnétiseurs »,
amorcé dans Le Charivari au début de l’année 1860. Un
homme hirsute avance un diamant, brillant de tous ses
feux, devant les yeux de sa femme manifestement subjuguée. Le 24 janvier, c’est un arlequin cherchant à fuir
le domicile familial pour rejoindre une fête galante, qui
quitte sa femme après l’avoir endormie au moyen du
diamant. Cette technique de magnétisation est devenue entre-temps un usage « à la mode » exercé dans les
salons, comme le révèle un article publié en janvier 1860
dans les colonnes du Monde illustré. L’auteur situe la
scène dans une « grande maison russe de Paris, […] un
salon éclectique et cosmopolite ». Parmi les invités qui
acceptent de se faire « hypnotismer » (sic), un « portraitiste célèbre, M. Gustave Ricard » : « Cinq minutes
après qu’une broche en diamant eut été placée sous
la projection de ses regards convergents, M. Gustave
Ricard se mit à parler italien, et…71 » D’autres croquetons suivront, avec la même espièglerie, mettant dos
à dos la vénalité des courtisanes et l’esprit carabin
des maris trompeurs. Plus tard dans les années 1860,
la pédagogie se fait plus politique, voire diplomatique
(on retrouvera les mêmes choix dans le Punch anglais).
La série Une séance de magnétisme s’ouvre en 1867
avec une allégorie féminine de l’Exposition universelle imposant les mains sur le dieu de la guerre, Mars,
endormi sous ses passes, son casque de guerrier déposé
au sol comme signe d’allégeance aux vertus conciliatrices du village global portées par les signes du progrès
technique. Un an plus tard, toujours dans les mêmes
colonnes du Charivari (27 avril 1868), l’allégorie féminine prend cette fois le profil d’Europe magnétisant un
personnage transi, jambes croisées, installé en position
du lotus, représentant les « questions d’Orient ». Dans
chaque cas, le magnétisme animal est perçu comme
une manipulation des esprits recyclant une « mentalité
primitive », une technique archaïque dont la diabolisation se focalise sur la figure magique du sorcier (ou
de la sorcière), rapportée aux méthodes de fascination
extra-occidentales et à leur condamnation rationaliste
par un esprit civilisé se défiant des croyances du sauvage, drainant un discours colonialiste à peine voilé.
A. Honoré Daumier, Magnétiseur animal, gravure reproduite dans la revue Némésis médicale, 1840.
B. Louis-Léopold Boilly, Le Magnétisme, 1826, gravure rehaussée de couleurs, 34,2 x 25 cm.
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HYPNOLOGIE
HYPNOLOGIE
ÉCONOMIE DE L’ATTENTION,
SPECTACLE TOTAL ET « FLUIDE MUSICAL »
C’est probablement face à la virulence organisée de
ce front antimagnétiste que va s’opérer la contre-opération venue d’outre-Manche72, pilotée par James Braid.
Là encore la stratégie passe par une requalification
scientifique du vocabulaire d’où le terme « hypnotisme » va émerger en contrepoint des ornières de la
magie noire, en optant pour des techniques d’induction alliant culture attentionnelle, procédés de fixation
et méthodes de concentration. Cette alliance trouvera
sa traduction artistique la plus immédiate dans le projet de la scène wagnérienne et sa définition d’un « art
du futur » animant la convergence communielle des
regards. Tout commence le 13 novembre 1841, à la sortie d’une démonstration publique de magnétisme et
phrénologie orchestrée par le Suisse Lafontaine, dont les
performances inaugurent un nouveau genre : le magnétisme de scène, connu sous le vocable de « séances de
magnétisme » (Daumier s’en souviendra) ou conversazione. C’est donc dans l’enceinte d’une salle de spectacle de Manchester que Braid va vivre sa conversion au
magnétisme scientifique73. Là, affublé de deux acolytes
pris comme sujets d’observation, Lafontaine se présente
comme un apôtre de la nouvelle science donnant sur
scène le théâtre de la preuve. Malgré la conviction que
« le magnétisme est arrivé à ce point qu’il commence
à être une science74 », Lafontaine reste pourtant débiteur d’un modèle à l’ancienne (« Lancer un jet de fluide
avec violence en présentant les doigts, puis refermer les
doigts et les rapprocher de vous-mêmes comme s’il y
avait des ficelles qui de votre corps se dirigeaient vers
le sujet et que vous retireriez à vous75 »), mais ce sont
ses manipulations anesthésiantes par les doigts76 et le
jeu engourdissant de « clôture des yeux » qui vont retenir l’attention de Braid, très vite soucieux de débarrasser
la méthode de « somnambulisme magnétique » de tout
fluide exogène. Car au-delà des quelques expériences de
« transmission de pensée » ou autre « état extatique sous
influence de la musique », Braid retient de la démonstration de Lafontaine l’effet physiologique d’une anesthésie. C’est le moment de la tétanisation des yeux, qui fera
basculer le magnétisme vers le « neuro-hypnotisme » ou
« neurypnologie », un terme apparu pour la toute première fois dans une communication intitulée Practical
Essay on the Curative Agency of Neuro-Hypnotism, qu’il
souhaite donner en novembre 1841 devant les membres
de la British Association for the Advancement of Science.
Pour Braid, l’induction hypnotique fonctionne sur le
principe d’une « congestion nerveuse du cerveau » (ce
que l’auteur va appeler « hypotaxie » ou « état hypotaxique »), obtenue par un certain nombre de techniques
très simples dont la plus élémentaire est la fixation d’un
objet brillant ou d’un point lumineux : « La vision continue et prolongée d’un point fixe. » Il bascule l’hypnose
dans une instrumentation optique de l’attention dont
l’appareillage fait fleurir une multitude de brevets, à
l’instar de la « boule hypnotique des Drs Demarquay et
Giraud-Teulon », un instrument qui « consiste en une
boule brillante en acier d’un centimètre et demi de diamètre, montée sur une tige qui glisse elle-même, à frottement doux, dans une monture à charnière fixée sur
un frontal ou diadème qu’une courroie assujettit autour
de la tête77 ». Ce sont non seulement de nouveaux protocoles, mais la mise en place d’un dispositif décrit par
Durand de Gros, le prosélyte du « braidisme » en France :
« Faites-les asseoir sur des sièges placés latéralement en
ligne et les dossiers tournés du côté du jour, afin que la
lumière directe ne rencontre point les yeux des sujets.
Donnez ensuite à chaque personne un objet à tenir
dans la main pour faire office de point de mire. Les électro-biologistes emploient à cette fin un disque de zinc de
deux centimètres de diamètre et dont le centre est formé
par un clou de cuivre enchâssé dans l’autre métal. Tout
A
A. Première hypnotisation de Braid, planche extraite de l’ouvrage du docteur Foveau de Courmelles, L’Hypnotisme, 1890.
B. Honoré Daumier, Le Diamant magnétiseur. Nouveau divertissement des soirées,
gravure extraite du Charivari, 29 décembre 1859.
90
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B
corps brillant et d’une petite dimension peut remplir le
but désiré. Ces premières dispositions prises, vous invitez vos sujets à s’établir sur leurs sièges dans une position facile à garder et à tourner les yeux vers le point de
mire placé dans une main, en tenant celle-ci à 45 centimètres de ces organes et à la hauteur de la ceinture.
Vous leur faites entendre qu’ils doivent concentrer sur ce
point d’une manière exclusive leurs regards et leur attention ; qu’ils doivent borner autant que possible l’exercice
de leur pensée à un acte de perception et de conscience
relatif à l’impression visuelle ressentie, et s’abstenir de
passer de cette contemplation purement sensorielle à
une contemplation réfléchie et analytique où l’imagination se donne carrière78. »
Que retenir de cette inflexion de la méthode ? Un
recentrage sur une mécanique de la perception où le
magnétiseur a fait place à des instruments à voir, des
technologies cautionnant l’« objectivité mécanique »,
le « régime clef du XIXe siècle79 », « nouveau modèle
de conviction épistémologique80 ». Objectivité tout
d’abord. En effet, ce revirement de l’hypnotisme vers
1840 est sans nul doute infléchi par le propre renversement de la notion d’« objectif » à cette époque. Comme
ont pu l’analyser Lorraine Daston et Peter Galison,
« le sens moderne du mot “objectivité” est le résultat
d’une volte-face historique81 » qui se joue justement à
ces dates. Si le terme « objectif » renvoyait dès le bas
Moyen Âge aux choses telles qu’elles se présentent à
la conscience, quand le mot « subjectif » se référait aux
choses en soi, c’est « la réception de la philosophie kantienne » au début du XIXe siècle qui a transformé la terminologie dans un complet « virage sémantique », dont
Daston et Galison nous disent qu’il a lieu précisément
« à partir des années 1820 et 1830 », un moment clé
où les termes « objectivité » et « subjectivité » font leur
entrée dans les dictionnaires européens, avec des définitions « qui se rapprochent du sens qu’on leur connaît
aujourd’hui82 ». Mécanique ensuite, dans le rôle que
prend la médiation des instruments, diminuant la part
du « jugement de l’imagination » au profit du mode
plus quantifiable de « lois des structures ». La réflexologie n’est pas loin, avec ses recherches sur les canaux
de transmissions nerveuses, les délais de réaction et
les degrés d’attention, à grand renfort de méthode graphique et de chronométrage. Les explications de Braid
vont dans ce sens, comme s’il s’agissait de bannir toujours plus l’intervention d’un arbitraire trop humain :
« Mes remarques sur l’influence de l’imagination sont
mentionnées d’une manière qui pourrait faire croire
que j’étais un partisan de la théorie de l’imagination
– c’est-à-dire que l’induction du sommeil n’est, en
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premier lieu, que le résultat de l’imagination. Je crois
tout le contraire. Je l’attribue à l’induction d’une habitude d’abstraction intense et de concentration de l’attention, et je soutiens qu’elle est le plus facilement
induite en amenant le patient à fixer ses pensées et sa
vue sur un objet, et à supprimer sa respiration83. »
De là, un paradoxe apparent : celui de rencontrer
l’attention dans un état intermédiaire de sommeil
quand on l’associe normalement à une cohérence de la
conscience et à la productivité de la veille. Le vocabulaire du « braidisme » respire l’émergence d’une économie moderne de l’attention (fixité, concentration,
abstraction), qui semble revoir les lois d’attraction et
de sympathie pour les convertir en règles empiriques
d’imitation, tout en balayant le modèle plus vagabond
de la rêverie. Mais il ne s’agit pas pour autant d’évincer la performance esthétique, bien au contraire, ainsi
que l’indique une séance de septembre 1847 consacrée à la virtuosité de la voix. Braid a fait pour cela
appel à Mlle Jenny Lind, une soprano de renom international, ainsi qu’à deux jeunes filles de ferme, venues
en habit de travail pour souligner leur milieu d’origine et leur peu de familiarité avec l’univers cultivé
de l’opéra. Les deux petites maraîchères induites en
hypnose accompagnent sans aucun apprentissage la
cantatrice de renom, sur des airs suédois dont elles
ignorent bien sûr l’usage de la langue (« the somnambulists accompanied her in, in the most perfect manner both as regards words and music84 »). Désormais,
la relation esthétique débouche sur une conduite
humaine dont l’enjeu central devient le recentrage des
facultés d’attention (Braid parle de « mono-idéisme »),
aussi bien dans l’investissement dans l’objet que dans
celui des processus qui nous amènent à créer sans
barrière culturelle.
Est-ce à dire que la dynamique émotionnelle a été
expurgée de toute présence ? Non. Bien au contraire,
elle s’appuie plus que jamais sur un prestige de la
proximité et un souci de la relation où sont intégrés et
assimilés jusqu’à la qualité de l’environnement et l’entrecroisement d’attentions conjointes et partagées. Le
pouvoir somatique de cette nouvelle esthétique vécue
comme appréciation du sensible (aesthesis) invite le
sujet à s’enfoncer plus avant dans l’état de concentration pour mieux rencontrer le corps sensible de l’autre.
Par la simple proximité physique avec la soprano, les
deux jeunes filles se sont transformées, par mimétisme et résonance, en divas. Or, cette contagion ne circule plus seulement dans le cercle magique des sujets
magnétisés mis en spectacle. Elle se transfère aussi sur
les propres spectateurs de cette mise en commun de la
virtuosité, ce partage des talents. C’est ce que va appeler la logique du « spectateur émancipé », une émancipation qui « commence quand on remet en question
l’opposition entre regarder et agir […], quand on comprend que regarder est aussi une action qui confirme et
transforme cette distribution des positions85 ».
Nul hasard si l’opéra, forme d’art globale et immersive, constitue une réponse appliquée à cette performance épidémique convertie en mise en scène de la
contagion. Nulle coïncidence non plus à constater combien le tournant « hypnologique » orchestré par Braid
(en particulier le jeu des médiations instrumentales)
B
A. Richard Wagner, portrait charge de Faustin reproduit dans Le Figaro, 29 septembre 1876.
B. Le Public wagnérien enivré par la musique, ca. 1860, caricature.
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anticipe sur le projet d’art total wagnérien. L’hypnose,
dans sa nouvelle définition, annonce les enjeux du
Gesamtkunstwerk dans ses visées, ses protocoles et
plus encore, son dispositif. L’invention majeure de
Wagner sur la scène de Bayreuth est un aménagement
qui plonge la salle dans la pénombre et l’orchestre dans
une fosse invisible (il la nomme Mystischer Abgrung, le
« fossé mystique » qui creuse physiquement la distance
entre réalité et idéalité pour mieux la subvertir, l’anéantir). L’objectif cumulé vise à faire converger l’attention
des regards et de l’écoute du public vers une scène,
foyer exclusif d’attraction, contrastant par sa puissance
de rayonnement et d’animation avec une salle occultée, littéralement soustraite au regard par un mécanisme d’hallucination négative. Si la fixation d’un objet
brillant est devenue la clé de l’induction hypnotique,
la scène wagnérienne répond par l’exemple à cette
logique de concentration et de ses produits hallucinatoires. Elle le fait avec un usage de technologies invisibles, discrètes et camouflées, mais agissantes : culture
de l’effet jusque dans l’évanouissement du mécanisme
de la féerie.
… la dimension hypnotique
du dispositif inventé à Bayreuth
participe pour beaucoup
à ce qui fait passer l’opéra wagnérien
d’un art totalisant
vers un média englobant…
Ces « technologies wagnériennes », pour reprendre
l’expression de Gundula Kreuzer86, sont des interfaces
médiales avec le sensorium d’une audience invitée à
se projeter en exclusivité dans l’espace imaginaire de
la scène qui défait tout rappel de réalité. Wagner, en
grand hypnotiseur de foule, peut faire de la scène du
« théâtral total » le lieu de l’induction de masse. Mais
il y a plus, car la dimension hypnotique du dispositif
inventé à Bayreuth participe pour beaucoup à ce qui
fait passer l’opéra wagnérien d’un art totalisant vers un
média englobant. L’historien Friedrich Kittler a développé l’intuition selon laquelle Wagner aurait, dans
son projet d’« art du futur », anticipé sur l’affect des
médias électroniques, l’opéra wagnérien étant devenu
« le premier média de masse dans le sens moderne du
terme », la préfiguration du « média technique87 ». Or
ce qui est frappant dans le développement hypnotique
de ces « technologies wagnériennes », c’est le poids
accordé au média électrique, révélant combien l’imaginaire fluidique persiste plus que jamais dans ce projet de rencontre des arts articulée sur une concordance
des sens, afin de traduire, dans les effets visibles sur
la scène, le jeu démonstratif des influences physiologiques sur le spectateur. Un auteur reviendra plus tard
sur cette rencontre entre emprise musicale et électrifi-
cation de la sensibilité, en la personne du critique d’art
Camille Mauclair. L’article intitulé le « fluide musical88 »
analyse la coïncidence historique entre la découverte
de la pile Volta et le magnétisme de la symphonie musicale apparue au début du XIXe siècle : « Je n’ai pas vu –
et c’est une chose dont je m’étonne – qu’on ait encore
songé à donner toute valeur à une très singulière coïncidence : à savoir que la musique symphonique est arrivée à sa toute-puissance de moyens magnétiques à peu
près à la même époque qui vit la découverte de l’électricité […]. L’électricité est comme la musique symphonique, un fluide élémental. Que ces deux fluides aient
été captés ensemble par l’homme à la même heure
de l’histoire du monde, cela ne vous dit-il rien ? Pour
moi, j’en suis conduit à songer que cette synchronie
est un fait inouï, capable de modifier toute la métaphysique, et que peut-être ces deux fluides n’ont été captés
ensemble par l’homme que parce qu’ils sont un seul et
même fluide. Envisagez la composition de cette grandiose et complexe machine à créer des effluves qu’est
un orchestre, tel que l’humanité n’en sut pas avant
le XVIIIe siècle ; pensez ensuite à la composition d’une
machine électrique – et une étrange préscience d’identités se créera dans votre esprit. Ne vous arrêtez pas à
des différences de puissance : évidemment l’orchestre
dont on disposa n’est pas celui dont Wagner s’est servi,
pas plus que le baquet magnétique de Mesmer n’est la
pile de Bunsen89. »
Sans être loin de réactiver les fantaisies romantiques
d’un Johann Ritter sur le « feu électrique », Camille
Mauclair va plus avant ; il se risque à penser que cette
coïncidence marque la naissance d’un régime relationnel et démocratique de l’expérience collective de
la musique90 : « La musique n’a réellement commencé
à agir dans l’univers que le jour où elle est apparue
sous la forme orchestrale. Ainsi l’électromagnétisme,
dont certains êtres étaient saturés, investis par lui d’un
pouvoir ambiant plus ou moins étendu, n’a commencé
à agir dans l’univers que le jour où la pile voltaïque
a vu grouper ses éléments. Sans orchestre, aucune
formation d’art démocratique ne pouvait naître de
la musique. Sans pile, la fixation du fluide vital n’aurait jamais dépassé les individus en qui elle s’appelait charme ou volonté. L’orchestre et la pile Volta
ont rendu possible le transport à distance de forces
jusqu’alors localisées […]. Les éléments de l’orchestre
sont les éléments d’une pile. Et le corps humain en est
une, lui aussi. Et chacune des vibrations magnétiques
exprimées par les combinaisons et les réciprocités des
instruments engendre, entre les éléments musculaires,
nerveux, sanguins, du corps de l’auditeur, une vibration équivalente. Et chacun des êtres qui écoutent est
un élément de pile réagissant sur les autres. En sorte
que l’on peut définir une salle de concert comme
une machine électromagnétique parfaite, où passe le
rythme. » La force orchestrale n’est plus seulement un
symbole de « volonté » (la métaphore de Ritter), mais
une forme de dissolution des volontés individuelles
dans un devenir collectif91 : « Alors la musique sera
vraiment la Voix magnétique de l’Universel. »
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A. Auguste Edouart, Robert H. Collyer dans une séance de magnétisme,1842,
encre et papier découpé, 28 x 21,3 cm, National Portrait Gallery, Washington.
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HYPNOLOGIE
NOTES
1. Rémi Côté, É. F. d’Hénin de Cuvillers. Concepteur
de l’hypnose, Londres, Édition numérique, s. d.
2. É. F. de Cuvillers, Le Magnétisme éclairé ou introduction
aux archives du magnétisme animal, Paris, Barois, 1820,
p. 71-72.
3. É. F. de Cuvillers, Le Magnétisme animal retrouvé
dans l’Antiquité ou Dissertation historique, étymologique
et mythologique sur Esculape, Hippocrate et Galien,
sur Apis, Sérapis ou Osiris, et sur Isis, suivie de recherches
sur l’origine de l’alchimie, Paris, Barois, 1821.
4. É. F. de Cuvillers, Le Magnétisme éclairé,
op. cit., p. 100.
5. Ibidem, p. 16.
6. É. F. de Cuvillers, Le Magnétisme animal retrouvé dans
l’Antiquité, op. cit., p. 6.
7. P. Sonnerat, Voyages aux Indes orientales et à la Chine,
dans lequel on traite des mœurs, de la religion, des sciences
et des arts des Indiens, des Chinois, des Pégouins & des
Madégasses…, Paris, 1782.
8. É. F. d’Hénin de Cuvillers, Le Magnétisme animal
retrouvé dans l’Antiquité, op. cit., p. 76.
9. É. F. de Cuvillers, Le Magnétisme éclairé, op. cit., p. 69.
10. É. F. de Cuvillers, Le Magnétisme animal retrouvé dans
l’Antiquité, op. cit., p. 63.
11. Ibidem, p. 62.
12. T. I, p. 708, et T. II, p. 194, 5e édition de 1814. Dans le
Nouveau dictionnaire portatif de la langue française de
C. le Tellier (1814), l’adjectif « hypnotique » qualifie « les
remèdes qui provoquent le sommeil » (p. 457).
13. É. F. de Cuvillers, Le Magnétisme éclairé, op. cit., p. 131.
14. Dictionnaire des sciences médicales, Paris, 1817,
dans J.-L. Cabanés, « Psychologie, histoire, esthétique :
les hallucinations à l’entrecroisement des discours »,
dans Image et pathologie au XIXe, Cahiers de la littérature
française, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 7.
15. L. Piesse, Annales médico-psychologiques, p. 12.
16. H. Martin, Jeanne d’Arc, 1857, cité par A. de Boismont
dans sa 3e édition des Hallucinations ou histoire raisonnée des
apparitions, des visions, des songes, de l’extase, du magnétisme
et du somnambulisme, Paris, Germer Baillière, 1852.
17. Tony James, Vies secondes, Paris, Gallimard, 1997 p. 161.
18. J. Baillarger, « Des hallucinations psycho-sensorielles »,
Annales médico-psychologiques, 1846, p. 1-12.
19. P. Buchez, dans T. James, Vies secondes, op. cit., p. 20.
20. T. Gautier, « Salon de 1839 », La Presse, 4 avril 1839,
dans Ibidem, p. 22.
21. Ibidem, p. 22.
22.J.-F. Chevrier, L’Hallucination artistique de William Blake
à Sigmar Polke, Paris, L’Arachnéen, 2012.
23. Le Dr Husson, dans A. Bertrand, Du magnétisme animal
en France, Paris L’Harmattan, 2004 [1826] p. 198.
24. Marquis de Puységur, Recherches sur l’homme dans
l’état de somnambulisme, Paris Éd. Villa Rose, 2008, p. 48.
25. Ibidem, p. 49.
26. A. Bertrand, Traité du somnambulisme et des différentes
modifications qu’il présente, Paris, Le Dentu, 1823, p. 467.
27. Dr Philips (alias Durand de Gros), Cours théorique et
pratique de braidisme, Paris, 1860, p. 100.
28. J. Baillarger, Annales médico-psychologiques, t. 1, 1855,
dans T. James, Vies secondes, op. cit., p. 151.
29. S. Chase Coale, Mesmerism and Hawthorne,
Tuscaloosa, The University of Alabama Press, 1998.
30. B. van Schlun, « Hawthorne’s love magnetism and the
manipulation of the American Imagination », in Science
and the Imagination. Mesmerism, Media and the Mind in
Nineteenth-Century English and American Literature, Brelin,
Galda et Wilch, 2007, p. 75-122.
31. N. Hawthorne, Le Manteau de lady Éléonore et autres
contes, Paris, Flammarion, 1993, p. 105.
32. Ibidem, p. 108.
33. Ibid., p. 115.
34. W. Dunlap, History of the Rise and the Progress of the
Arts of Design, New York, George P. Scott, 1834.
35. W. Dunlap : « It is thus that the real portrait-painter dives
into the recesses of his sitter’s mind, and display strenght
and weakness upon the surface of his canvas ». Ibid., p. 187.
36. W. Dunlap, ibid., p. 204.
37. N. Hawthorne, The Hall of Fantasy (1843) dans
T. Stoehr, « Robert H. Collyer’s Technology of the Soul »,
dans Pseudo-Science & Society in 19th-Century America,
Lexington, The University Press of Kentucky, 1987, p. 39.
38.Une lettre datée du 16 décembre 1845, envoyée par
R. Collyer à E. A. Poe, témoigne de l’intérêt que Collyer a
porté à la lecture du cas Valdemar. Elle est publiée sur le
site de la Edgar Allan Poe Society.
39. R. Collyer, Psychography or the Embodiment of Thought
with an Analysis of Phreno-Magnetism, Neurology and
Mental Hallucination, Including Rules to Govern and Produce
the Magnetic State, Philadelphie, Zieber, 1843, p. 31.
40. « I was obligated to embody the images… in my own
mind, before they could be recognized by the recipients ;
whose brain during the congestive state was so sentient
that the impression was conveyed to the mind similar to the
photographic process of Daguerre ». Ibidem, p. 30.
41. A. Enns, « Vibratory photography », in Vibratory
Modernism, New York, Palgrave Milgam, 2013, p. 177-197.
42. B. van Schlun, « Imagination and Information.
Mesmerism and Telecommunication », dans Science and
the Imagination, op. cit., p. 265-304.
43. David Monod, The Soul Pleasure. Sentiment and Sensation
in Nineteenth-Century American Mass Entertainment, Ithaca,
Cornell University Press, 2016, p. 98-107.
44. « Dans les hallucinations, tout se passe dans le cerveau ;
les visionnaires, les extatiques sont des hallucinés, ce
sont des rêveurs tout éveillés. L’activité du cerveau est si
énergique, que le visionnaire ou l’halluciné donne un corps
et de l’actualité aux images que la mémoire reproduit, sans
l’intervention des sens. » É. Esquirol, Aliénation mentale.
Des illusions des aliénés, Paris, Crochard, 1832, p. 2.
45. Erkki Huhtamo, Illusion in Motion. Media Archeology of
the Moving Panorama and Related Spectacles, Cambridge,
MIT Press, 2013.
46. « C’est bien en ôtant à l’œil tous les termes de
comparaison, que l’on parvient à le tromper à tel point
qu’il hésite entre la nature et l’art. » L. Dufourny, « Rapport
sur le panorama », dans Procès-verbaux de l’Académie des
beaux-arts, t. I, 1800, dans S. Bordini, « Sans frontières.
La peinture des Panoramas entre vision et participation »,
Les arts de l’hallucination, Paris, Presses de la Sorbonne
nouvelle, 2001, p. 76.
47. C. Quatremère de Quincy, Essai sur la nature, le but et
les moyens de l’imitation dans les Beaux-Arts, Paris, Treuttel
et Würtz, 1823, p. 117.
48. Erkki Huhtamo, « The Peristrephic Panorama », dans
Illusion in Motion, op. cit., p. 65-91.
49. Alphonse Teste, Le magnétisme animal expliqué ou
leçons analytiques sur la nature essentielle du magnétisme,
sur ses effets, son histoire, ses applications, les diverses
manières de le pratiquer, Paris, Baillière, 1845, p. 316.
50. Louis Daguerre, Historique et description des procédés du
daguerréotype et du diorama, Paris, Susse Frères, 1839, p. 75.
51. E. T. A. Hoffmann, Le Magnétiseur, dans Contes
d’Hoffmann, Paris, Club des Libraires de France, t. I, 1956,
p. 68.
52. « Les images changeantes et multiformes du
kaléidoscope semblent en effet fondées sur la même
possibilité infinie d’enchaînement qui caractérise les
représentations mentales et oniriques. Avec celles-ci, ces
images ont en commun certaines particularités telles que le
mouvement continu, leur transformation dynamique et leur
extrême variété, des qualités que le kaléidoscope semblait
justement visualiser avec immédiateté chez le lecteur de
l’époque. » « Les machines optiques comme métaphores de
l’esprit », dans Les Arts de l’hallucination, op. cit., p. 114.
53. F. Schlegel dans Max Milner, La Fantasmagorie,
Paris, PUF, 1982, p. 37.
54. D. Brewster, « On the advantages of the kaleidoscope
as an instrument of amusement », The Kaleidoscope. Its
History, Theory and Construction with its Application to the
Fine and Useful Arts, 3e éd., Londres, John Camden Hotten,
1870, p. 159-161.
55. F. J. Gall et G. Spurzheim, Anatomie et physiologie du
système nerveux en général, et du cerveau en particulier,
avec des observations sur la possibilité de reconnaître
plusieurs dispositions intellectuelles et morales de l’homme
et des animaux, par la configuration de leurs têtes, Paris,
Schoell, 4 vol., 1810-1819.
56. F. J. Gall dans G. Fossati, Questions philosophiques,
sociales et politiques, traitées d’après la physiologie du
cerveau, Paris, Amyot, 1869, p. 287.
57. J. B. Nacquart, Traité de la nouvelle physiologie du
cerveau, p. 336.
58. M. Hagner, Des cerveaux de génie. Une histoire de
la recherche sur les cerveaux d’élite, Paris, Maison des
sciences de l’homme, 2008.
59. I. J. Sykes, « Le corps sonore : Music and the Auditory
Body in France, 1780-1830 », dans Music and the Nerves
1700-1900, New York, Palgrav e Macmillan, p. 72-97.
60. C. Smith, « Musical Instruments as Metaphors in
Brain Science : From René Descartes to John Hughlings
Jackson », dans The Neurology of the Arts, Londres,
Imperial College Press, 2004, p. 191-206.
61. Penelope Gouk, Music, Medecine and Melancholy,
Aldershot, Ashgate, 2001.
62. [Anon.], « Shakespeare’s Queen Mab », Phrenological
Journal and Miscellany, 1824, p. 289, dans I. Kurshan,
« Mind-Reading : Litterature in the Discourse of Early
Victorian Phrenology and Mesmerism », Victorian Literary
Mesmerism, New York, Rodopi, 2006, p. 24.
63. J. Potchett, « Phreno-Magnetic Notes », Phreno-Magnet,
dans Ibidem, p. 28.
64. « He soon fell into the mesmeric sleep. While under
its influence, he suddenly started upright on his couch of
suffering, and imperatively call for pen, ink and paper, all
of which were immediatlely procured. To the astonishment
of all present, he then, as if under the power of inspiration,
rapidly composed and wrote down, though his eyes were
sealed in deepest sleep, the exquisite stanzas and music
which, unaltered, he afterwards published under the title of
La Langueur ». [Anon.], « Recents works on mesmerism »,
Phrenological Journal and Miscellany, t. XVIII, 1845, p. 186,
dans I. Kurshan, « Mind-reading… », art. cit., p. 33.
65. A. de Montègre, Du magnétisme et de ses partisans,
1812, in B. Méheust, Somnambulisme et médiumnité, op.
cit., tome I, p. 353.
66. É.-J. Georget, De la physiologie du système nerveux
et spécialement du cerveau, recherches sur les maladies
nerveuses en général et en particulier sur le siège, la nature
et le traitement de l’hystérie, Paris, Baillière, 1821.
67. Rapport sur les expériences magnétiques faites par la
commission de l’Académie royale de médecine, lu dans les
séances des 21 et 28 juin 1831, Paris, 1831, p. 53,
dans B. Méheust, Somnambulisme et médiumnité, t. I,
op. cit., p. 382.
68. Ibidem, p. 384-412.
69. J. Berna, Magnétisme animal. Examen et réfutation du
rapport fait par M. E. F. Dubois, Paris, 1838, p. 17.
70. J. Carroy, Hypnose, suggestion et psychologie,
L’invention des sujets, Paris, PUF p. 48.
71. [Anon.], « Courrier de Paris », Le Monde illustré,
14 janvier 1860, p. 26.
72. T. Desmartis l’attribue à un ophtalmologiste français,
le Dr Piorry : « Les premières indications précises de cette
nouvelle méthode somnifère sont attribuées au docteur
James Braid, de Londres […]. C’est là une attribution
erronée ; celui qui par la puissance de l’analyse, par des
inductions raisonnées a surpris ce secret de la nature, c’est
le docteur Piorry. Nous ne concevons pas qu’on puisse lui
en disputer le mérite. Nous avons donc affaire à une idée
toute française […]. Il expliqua combien la lumière produit
des phénomènes singuliers ; il ajouta que, parfois, chez
certaines idiosyncrasies les objets brillants provoquent
des syncopes ou des accidents dans le névro-système. »
T. Desmartis, De l’hypnotisme, Bordeaux, Justin Dupuy,
1860, p. 4-5.
73. Séance décrite par Lafontaine, citant le compte-rendu
du Guardian Manchester du 13 novembre 1841.
C. Lafontaine, L’Art de magnétiser ou le magnétisme
animal considéré sous le point de vue théorique, pratique et
thérapeutique, Paris, Germer Baillière, 1847, p. 75- 78.
74. Ibidem, p. 6.
75. Ibid., p. 36.
76. « À Nantes, dans une séance publique donnée à l’hôtel
de ville, M. Ernest Merson, propriétaire du Journal de
l’Ouest, était sur l’estrade, je lui pris les pouces, ses yeux
se fermèrent sans qu’il pût les ouvrir ; il me pria de cesser,
mais je ne l’écoutai pas. Je lui pris un bras que je plaçai
horizontalement, puis une jambe, et je le laissai dans cette
position pendant vingt minutes : je pus lui enfoncer des
épingles dans le bras et dans la jambe sans qu’il éprouvât la
moindre sensation ». Ibid., p. 66.
77. J.-P. Durand de Gros, alias Dr J.-P. Philips, Cours
théorique et pratique de braidisme, op. cit., p. 92.
78. Ibidem, p. 89-90.
79. B. Latour, « Introduction », dans L. Daston, P. Galison,
Objectivité, Dijon, Les Presses du réel, 2012 [2007], p. 12.
80. L. Daston, P. Galison, dans ibidem, p. 143.
81. Ibidem, p. 39.
82. Ibid., p. 41.
83. « My remarks about the influence of imagination are
referred to in such a manner as might lead to the belief that
I was a supporter to the imagination theory – i.e, that the
induction of the sleep in the first instance is merely the result
of imagination. My belief is quite the contrary. I attribute
it to the induction of the habit of intense abstraction, and
concentration of attention, and maintain that it is most
readily induced by causing the patient to fix his thoughts
and sight on an object, and suppress his respiration ».
James Braid, « On hypnotism », The Lancet, 1845, vol 1,
p. 627-628, dans D. J. Robertson, The Discovery of
Hypnotism. The Complete Writings of James Braid, the
Father of Hypnotherapy, Londres, Lulu, 2013, p. 13.
84. [Anon.], Medical Times, septembre 1847,
in ibid., p. 28-29.
85. J. Rancière, Le Spectateur émancipé, Paris, La Fabrique,
2008, p. 19.
86. G. Kreuzer, Curtain, Gong, Steam. Wagnerian
Technologies of Nineteenth-Century Opera, Oakland,
University of California Press, 2018.
87. F. Kittler, « World-Breath : On Wagner’s Media
Technology », dans D. J. Levin (éd.), Opera through Other
Eyes, Stanford, Stanford University Press, 1994 [1987],
p. 215-235.
88. C. Mauclair, « Le fluide musical », dans La Religion de la
musique, Paris, Fischbacher, 1909, p. 21-28.
89. Ibidem, p. 21-22.
90. Ibid., p. 23-24.
91. « La grande raison de l’amour de la foule moderne pour
le concert est dans cette hyperesthésie des états sensibles :
c’est un plaisir qu’elle cherche, un plaisir stupéfiant dont la
dissolution momentanée et délicieuse de la volonté est le
plus attrayant résultat. La musique est devenue l’art de la
collectivité […]. Un art collectif ne pouvait être conçu que
par le désir de désindividualiser les secrets de la volonté
esthétique. » Ibid., p. 62.
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LA
SUGGESTION
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« L’hypnotisme éclaire tout […].
Il sert à expliquer la philosophie,
la peinture, la religion, la musique
et la littérature »1.
Léon Daudet
Le passage du siècle constitue un âge d’or de l’hypnose médicale. La sphère artistique se trouve agitée
par les modèles disruptifs prônés par l’esprit d’avantgarde et l’obsession parfois ambivalente à revendiquer,
manifestes à l’appui, l’autonomie de l’œuvre et l’émancipation du sujet. De fait, le grand moment épistémologique de l’hypnose (les années 1880 autour du conflit
opposant les docteurs Charcot et Bernheim) est aussi
la période de culmination de son transfert dans le discours esthétique. Cette collusion est favorisée par la
montée en puissance d’une interprétation psychologique des mécanismes d’empathie engagés dans le rapport à l’œuvre d’art. Nul hasard donc si le manifeste de
« l’esthétique scientifique » de Charles Henry (1885),
directement inspiré par les récentes études de psychophysiologie visant la prévisibilité des réactions émotionnelles face à l’œuvre2, est contemporain du temps
fort des débats publics sur l’hypnotisme. Les deux mouvements vont de pair, fédérés autour d’un contrôle des
automatismes de l’émotion et d’une analyse de leur
traduction immédiate en langage visuel et corporel.
Ce transfert entre la clinique de l’esprit et l’atelier du
peintre ne se résume pas à des importations de discours ;
il passe aussi par de multiples médiations de l’image, à
l’heure où la quête de légitimité des sciences fait reposer la « vraie rétine du savant » sur le pouvoir objectif et prédictible de l’obturateur photographique – ce
que Georges Didi-Huberman a pu appeler l’« impulsion
iconographique du travail de Charcot3 ». La circulation
B
A. Letargia. Hiperexcitabilidad neuro-muscular, cliché reproduit dans docteur Bertran Rubio, Hipnotismo y Sugestion, ca. 1900.
B. Laurent Gsell, Cataleptique les bras en croix, gravure, ca. 1890.
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L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T
médiatique des images prendra souvent le pas sur
l’inspiration théorique des textes. Elle sera déterminante dans la contamination de la culture visuelle de
cette époque par l’iconographie psychiatrique de la
Salpêtrière, et par la théâtralité de sa « dramaturgie
des comparutions4 », où la métaphore prend littéralement corps et d’une manière toute spectaculaire5 : la
« petite imagerie » sociale connaît une épidémie d’illustrations des phases de la catalepsie dans les vignettes
de journaux populaires ou magazines de vulgarisation,
qui nourrissent la curiosité du public souvent voyeuriste pour cette chorégraphie des corps nerveux. Il en
est de même dans le vocabulaire du cinéma des premiers temps, un « cinéma des attractions » très friand
d’un burlesque des pathologies de l’esprit projetées à la
surface du corps-écran. Sans parler d’un déplacement
aussi contagieux que le rire lui-même, de son impact
sur les scènes du music-hall et des cabarets qui animent les nuits de la bohème artistique de l’époque, rappelant combien l’imprégnation médicale de la culture
populaire du divertissement était dense et florissante6.
Les beaux-arts ne font pas exception. Leur inspiration, savamment bousculée par la porosité des
registres culturels (grand art/art populaire) et la
déflagration des règles imposées par l’ethos avant-gardiste, regarde de près les leçons artistiques – pour ne
pas dire anatomiques – d’une clinique des « attitudes
passionnelles » qui ne s’était jamais autant appuyée
sur le langage convulsif des images. L’époque est
A
à l’instruction des débordements de la norme. Les
artistes soucieux de contrevenir au conditionnement
de la tradition vont puiser là de nouvelles ressources :
là, c’est-à-dire dans le langage démonstratif d’un
corps qui s’offre au regard sans la sécurité sanitaire de
sages proportions ou dispositions ; des artistes, parfois
jusqu’aux plus académiques, qui s’intéressent de près
au pathos relationnel de l’emprise hypnotique. Une
notice parue dans Le Voltaire du 22 avril 1887 signale
que le fameux portraitiste Henri Gervex, accompagné
par le peintre Léo-Paul Robert, a assisté dans les grands
salons du Zodiaque à Paris à une séance du « magnétiseur à la mode » Louis Moutin7, l’auteur du Nouvel
Hypnotisme8, que le journaliste du Gaulois appellera
le « Zampa en habit noir ». Moutin ne lésine pas sur
les effets voyeuristes de son spectacle, du type « scène
de la dame que nous forçons à venir nous embrasser »
ou « scène du monsieur que nous contraignons à enlever successivement sa redingote, son gilet, sa cravate,
etc.9 » Longue est la liste des artistes portant attention à ces gesticulations où la nosologie prenait des
airs de drame ou de vaudeville. Egon Schiele reproduit au dessin les contorsions cataleptiques de la psychiatrie. Auguste Rodin fait venir dans son atelier une
jeune « danseuse magnétisée » dont il salue la plasticité corporelle. Alfons Mucha utilise la même égérie
qualifiée d’« artiste inconsciente » pour incarner, dans
le graphisme jugendstil de l’affiche, les archétypes de
l’envoûteuse moderne. Les exemples abondent, sans
comparaison quantitative et qualitative, avec le premier XIXe siècle. L’hypnose entre de plain-pied dans la
culture visuelle de la modernité. Elle le fait avec d’autant plus de désinhibition que le discours sur l’art est
lui-même venu légitimer cette ressource transformée
en modèle heuristique. L’hypothèse de ce chapitre est
la naissance d’un paradigme hypnotique de l’art.
L’art, la façon de le mettre en œuvre et ses modes
d’interprétation trouvent une boîte à outils dans le
schéma sensible et cognitif élaboré au cœur du découpage des différentes étapes du processus hypnotique ;
en particulier une lecture des mécanismes attentionnels contribuant à la capture d’un spectateur toujours
plus sollicité dans l’univers compétitif des nouvelles
métropoles. Le « nervosisme » des réflexes perceptifs
répond à une accélération proportionnelle des stimuli,
cernant le sujet-cible de toute part. L’implantation
subliminale de directives dans la conscience d’un sujet
toujours plus dissocié et malléable va nourrir tous les
fantasmes d’un pilotage autoritaire des comportements, à l’échelle individuelle et collective. La psychologie des foules – qui deviendra très vite une réflexologie
du public au temps du divertissement de masse –
s’empare du phénomène de l’hypnose dont l’analyse
a dépassé le cadre confiné des laboratoires de psychologie expérimentale pour déborder jusqu’aux facultés
de droit, dans l’exégèse de « crimes sous hypnose » (le
thème sera très en vogue à la fin du XIXe siècle), avec
pour objet et point d’achoppement les limites morales
de la suggestion hypnotique10. Peut-on tout obtenir du
sujet-automate jusqu’à l’abdication du cadre normatif
de ses valeurs ? Le terme « suggestion » sera au cœur
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B
A. Paul Richer, Cahiers d’observations cliniques pendant les leçons de Charcot à la Salpêtrière,
1882, dessin à la plume, 31 x 20 cm, Fonds Richer, Beaux-Arts de Paris.
B. Leçon du docteur Charcot à la Salpêtrière, planche extraite de l’ouvrage de Foveau de Courmelles, L’Hypnotisme, 1890.
du débat11. Il viendra requalifier le pouvoir du langage dans le processus hypnotique, loin d’abattre pour
autant l’hégémonie accordée aux médiations optiques.
Il servira surtout à confirmer le pouvoir hallucinatoire
de rendre présentes les images suggérées, et aussi la
possibilité de reporter sur l’imagination du spectateur
l’inventivité de les lire et de les vivre, et par là même de
sortir la contemplation esthétique d’un acte irresponsable, prédictible et piloté. L’hypnose, fût-elle compromise dans le théâtre de sa simulation figurée, inspire
la définition de nouvelles formes d’art, abstraites pour
certaines, dont le pouvoir empathique sur le spectateur serait justement libéré de toute ambition mimétique et figurative.
LE « MUSÉE VIVANT » DE LA SALPÊTRIÈRE :
UN LABORATOIRE DU CORPS NERVEUX
Le renouveau de l’hypnotisme dans le dernier tiers
du XIXe siècle va se loger au sein d’une institution clinique, l’hôpital psychiatrique, qui cherche non seulement à identifier, mais à rendre visibles les maladies de
l’esprit en s’appuyant sur une culture visuelle abreuvée à une histoire de l’art qui aiderait à mieux cerner
rétrospectivement la division aveugle du sujet. L’un de
ces hôpitaux, installé au cœur de Paris, va se démarquer dans cette démarche de classification visuelle.
C’est la Salpêtrière, avec à la tête d’un service neurologique un médecin hospitalier spécialiste de l’hystérie, le docteur Jean-Martin Charcot, dont la trajectoire
intellectuelle va servir la cause mais aussi le déclin de
l’hypnose dans les années 1880-1890 et dont Freud dira
– non sans un brin de condescendance – qu’« il avait la
nature d’un artiste : il était, pour employer ses mots, un
visuel, un homme qui voit12 ». De fait, la place accordée
à l’image dans l’enceinte des services de ce médecin est
très étroitement liée, voire conditionnée, au rôle qu’il
attribue à l’art dans son approche clinique. L’hôpital de
la Salpêtrière devient sous son impulsion un véritable
« musée pathologique vivant », « chaque jour enrichi
d’une pièce anatomique, d’un moulage, d’une peinture,
d’un dessin13 ». Joseph Delboeuf en décrit l’amoncellement muséographique : « Une grande salle, espèce de
musée, dont les murailles, voire le plafond, sont ornées
d’un nombre considérable de dessins, de peintures, de
gravures, de photographies figurant tantôt des scènes à
plusieurs personnages, tantôt un seul malade nu ou vêtu,
debout, assis ou couché, tantôt une ou deux jambes, une
main, un torse, ou toute autre partie du corps […], des
bustes, parmi lesquels celui de Gall, peint en vert14. »
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métalliques sur les troubles de la sensorialité lui ayant
permis de repenser le modèle du « transfert », mais surtout de retrouver ses traces dans l’histoire du magnétisme animal18. Il revient vers Mesmer et, plus encore,
vers ses contradicteurs, notamment James Braid et
sa technique d’anesthésie par fixation du regard dont
Durand de Gros s’était fait le prosélyte en France : « Il
suffit de regarder fixement une hystérique pour la mettre
dans cet état inconscient de résolution des membres,
d’insensibilité, dont je vous rends témoin. Je me place
en face de cette jeune hystérique ; je la regarde en face,
en lui disant de me regarder ; elle tombe comme foudroyée dans cet état spécial, n’entendant plus rien, ne
voyant plus rien, ne pensant plus à rien : lorsqu’on la
réveillera, elle ne saura pas ce qui s’est passé19. » Charcot
revoit le protocole et les techniques de l’hypnotisme
pour guérir les symptômes somatiques de l’hystérie.
« Les », et non pas « la », techniques. Car l’empirisme de
Charcot n’écarte aucune disponibilité. Ce sera d’abord
la fixité magnétique du regard, mais aussi très vite, sur
les pas de Braid, la fixation d’un objet lumineux parfois accompagnée et augmentée de « l’influence des
vibrations sonores ». Ces dernières sont obtenues au
A
Sous l’afflux des images, dessins et photographies accumulés, l’hôpital se convertit en cabinet de curiosités
(« cure et curiosité, identique racine, foison de sens »,
rappelle Georges Didi-Huberman15). Albert Londe, pionnier de la chronophotographie, est chargé d’un « service
photographique » où l’on tente de saisir le phasage entre
les différentes étapes de la « grande attaque hystérique »,
avec un soin particulier accordé aux « poses plastiques »,
dites aussi « attitudes passionnelles » ; Paul Richer,
interne dans le service neurologique et par ailleurs professeur d’anatomie artistique à l’École des beaux-arts de
Paris, croque sur place la plus spectaculaire des crises
qu’il découpe en « 86 figures » pour produire un récit
en images sous forme tabulaire. L’ensemble formera un
atlas et un tableau synoptique des convulsions où l’observation clinique se mêle à l’anatomie artistique : Léon
Daudet, dont le père a bien connu Charcot et fréquenté
les couloirs de la Salpêtrière, écrit : « Il aura eu le rare
mérite d’avoir compris que l’art et la science doivent se
comprendre, se compénétrer et s’entraider16. »
Ainsi Charcot redécouvre l’hypnotisme par le biais
d’un collègue, le docteur Burq, qui utilise la métallothérapie pour soigner certains sujets hystériques. Le tournant s’opère en 187817, le détour par l’action des plaques
B
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moyen d’un diapason, celui de son collègue Romain
Vigouroux, un spécialiste de l’électrothérapie20 ou, sous
un air plus wagnérien encore, à l’aide d’un gong. Un
article publié dans les colonnes du Figaro en avril 1883
nous en dit plus à propos de ces séances publiques de
la Salpêtrière, décrites comme de véritables mises en
scène théâtrales21 : « Le succès a été énorme. Ô cabotinage de grande allure ! Il a profité à M. Charcot, mais à
la science aussi. Il a fait avancer la science à la façon de
Wagner, le grand cabotin musical. Charcot et Wagner
me semblent de même race […]. Il est dix heures du
matin et le gaz éclaire ce théâtre fermé avec soin au
soleil. Le spectacle commence sans musique, comme
au Théâtre-Français. Au fond, sur la scène, par le côté
jardin, comme on dit en argot théâtral, il entre, lui, le
grand Charcot […]. On apporte une femme sur une
civière. Elle est atteinte de la sclérose latérale amyotrophique. On dirait de la statue du Désespoir […]. Après
un entracte, commence la scène de la grande hystérie major. Ici, la femme est debout. Tout à coup retentit la note vibrante d’un énorme diapason. L’hystérique
tombe en catalepsie […]. L’émotion est grande dans le
public. On entend battre les cœurs, comme des tic-tac
d’un magasin d’horlogerie. Les moindres détails de la
scène sont découpés, comme à l’emporte-pièce, dans la
buée bleuâtre et crue du gaz22. »
Trois commentaires de ce texte révèlent combien
l’ascendant artistique, fût-il un argument dépréciateur,
prend le dessus de toute part. Le premier concerne la
comparaison entre Charcot et Wagner. Octave Mirbeau
parlera de « Paganini de l’hystérie23 ». Du tic-tac à la note
du diapason jusqu’à celles, envoûtantes, des Walkyries,
les corps sous hypnose voyagent dans espace et échelles
acoustiques24. Nietzsche avait condamné l’hypnose
musicale de Bayreuth, le « Wagner magnétiseur25 »,
devenu « maître dans l’art des passes magnétiques »,
cherchant à « séduire les masses », sans qu’elles aient
« conscience du pourquoi de la séduction26 ». Ce qui se
conjugue là dans l’usage dévalorisé de ce modèle est
la désastreuse association entre une surpuissance de la
cause (Nietzsche l’appellera, en second post-scriptum,
l’« abus des moyens », car pour lui sont mobilisés tous
les ressorts techniques de l’induction hypnotique sur le
spectateur non pas pour en élever l’esprit, mais pour lui
« pervertir les nerfs ») et une décadence de l’effet.
C
A & B. Catalepsie produite par le son brusque d’un tam-tam, planche extraite de Paul Regnard,
Sorcellerie, magnétisme, morphinisme, délire des grandeurs, 1887.
C. Le Docteur Charcot à la Salpêtrière, 1879, gravure de Gisbert.
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B
A. Auguste Rodin, Homme nu de face, renversé sur le dos et jambes écartées, 1903-1908, 31 x 20 cm, musée Rodin, Paris.
B.. Contracture provoquée, planche extraite de Paul Regnard, Sorcellerie, magnétisme, morphinisme, délire des grandeurs, 1887.
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B
A. Auguste Rodin, Torse d’Adèle, plâtre, 13,3 x 44,6 x 18,9 cm, 1882.
B. Paul Richer, Femmes pendant une crise d’hystérie, lors de la période des contorsions et des grands mouvements, 1881,
mine de plomb, 29 x 15,1 cm, Cabinet des dessins, Beaux-Arts de Paris.
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A. Carlos Schwabe, Hystérique, 1908, crayon et aquarelle, coll. part.
B.. Paul Richer, Femme pendant une crise d’hystérie, lors d’une attaque démoniaque, debout, déchirant ses vêtements,
grimaçant et tirant la langue, 1881, mine de plomb, 28,45 x 20 cm, fonds Richer, Beaux-Arts de Paris.
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B
A. Esther sous l’action de l’essence de thym, planche reproduite dans J. Luys, Les Émotions dans l’état d’hypnotisme, 1890.
B. Albert von Keller, Magdeleine (Étude d’après nature), ca. 1904, reproduit dans l’ouvrage d’Émile Magnin, L’Art et l’Hypnose, 1907.
C. Carlos Schwabe, Étude pour la vague, 1907, n° 4, fusain, crayon gras, sanguine, et rehauts de pastel,
100 x 67,5 cm, cabinet de dessins du musée d’art et d’histoire de Genève.
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A. Egon Schiele, Portrait de l’éditeur Eduard Kosmack, 1910, huile sur toile,
100 x 100 cm, Österreichische Galerie Belvedere, Vienne.
B. The mesmeric look, photographie reproduite dans Leslie Meacham,
Lessons in Hypnotism and the Use of Suggestion, 1898.
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A
A. M. X. Hystérique mâle, ca. 1890, photographie anonyme, 14 x 10,4 cm, musée de l’Assistance publique, Paris.
B. Egon Schiele, Portrait de Paris von Gütersloh, 1918, huile sur toile, 139 x 110 cm, Minneapolis Institute of Arts.
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Cette vision « hystérique » de Wagner en « artiste de
la décadence » sera reprise telle quelle par Max Nordau
dans son pamphlet Dégénérescence (1893). Parmi de
nombreux symptômes des dérives hypnotiques de l’art
moderne, il diagnostique un mal à la « force d’attraction incomparablement plus puissante que tous ses
rivaux » le « Richard Wagnérisme 27 », en s’appuyant
sur les propres travaux d’un physiologiste proche de
la Salpêtrière, Charles Féré, pour montrer combien le
principe même d’un art total réunissant les arts sur la
scène est contraire à l’éveil d’une conscience esthétique : « Chacun des sens agissant de concert produira,
par suite de l’éparpillement fatal de l’attention sur lui,
une sensation plus faible que s’il parlait aux sens et à
l’esprit28. » La démonstration tend à ravaler le projet de
la synthèse des arts vers un mode régressif, la recherche
d’une expérience synesthésique globale (la confusion
des sens aux fins d’atteindre une concordance sensible
des êtres) allant à l’encontre de l’évolution de l’espèce
régie par le principe d’une « différenciation » organique
(« tout l’effort pour revenir aux commencements est
une particularité de la dégénérescence », dit-il29). C’est
B
là que le nervosisme moderne reconduit l’enchantement primitiviste, l’hystérique complice d’une âme
sauvage dont la musique informe de Wagner cultiverait
l’instinct grégaire : « Cette musique était certainement
aussi de nature à enchanter des hystériques. Ses forts
effets d’orchestre amenaient chez eux des états hystériques, – à l’hôpital de la Salpêtrière, à Paris, on produit fréquemment l’hypnose en frappant soudainement
sur un gong, – et la nature informe de la mélodie sans
fin répondait complètement à la rêvasserie vagabonde
de leur propre pensée30. » Un élément ressort de cette
condamnation : l’usage des propriétés physiologiques
du son sur les automatismes maladifs des nerfs fait de
l’hypnose musicale un instrument non seulement dangereux mais « nuisible » (le mot est de Nietzsche).
Le second commentaire de la description « cabotine » des séances de la Salpêtrière tient non plus au
modèle musical, mais au souvenir de la sculpture (la
« statue du Désespoir » selon l’article du Figaro). De
nombreuses notations sur les facilités « plastiques » des
neurologues à agir sur les contractures et pétrifications
corporelles de leurs patientes sous hypnose conduisent
vers la métaphore du moulage. Charcot, converti non
plus en orchestrateur virtuose, mais en sculpteur pyg-
A
A. La Contracture léthargique, planche extraite de Foveau de Courmelles, L’Hypnotisme, 1890.
B. Contracture hystérique volontaire chez une hystérique, planche extraite de la Nouvelle iconographie de la Salpêtrière, 1875.
C. Gustav Klimt, Judith, 2, huile sur toile, 178 x 46 cm, Galleria Internazionale d’Arte Moderna, Venise.
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malion : « Le docteur prenait entre ses mains, comme
un sculpteur eût manié de la glaise, ces bras et cette
chaire de femme », nous rappelle Jules Claretie dans
Les Amours d’un interne31, où le personnage du « petit
Finet » (patronyme derrière lequel se reconnaît assez
facilement le nom du docteur Alfred Binet) reproduit chez lui, le soir devant des amis, « étudiants de
droit, apprentis littérateurs », les expériences vues à la
Salpêtrière dans la journée, en prodiguant des passes
sur la jeune Lolo, « belle fille subissant sa volonté
toute-puissante » : « C’est ce qu’il appelait, de sa mince
voix flûtée : la revanche de l’esprit sur la matière […]. Il
semblait que le cerveau de la cataleptique subît, comme
une cire molle, l’impression que lui voulait donner ce
petit homme qui tremblait devant elle dans la vie ordinaire […]. Le petit Charles était le maître de la pensée
et des sensations de cette masse de chair, devenue plus
facile à pétrir entre ses doigts que le bloc de terre sous
le pouce d’un sculpteur32. »
Les vénus anatomiques et « poupées de cire
vivantes » sont rapprochées des exemplaires céroplastiques du musée de La Specola de Florence. Nul hasard
si le « musée anatomique » du docteur Spitzner, devenu
forain en 1885 à la suite d’un incendie, présentera sur
ses baraques de champ de foire une grande version
(légèrement modifiée) du tableau de André Brouillet
représentant une séance de la Salpêtrière, ainsi qu’à
l’intérieur « un groupe en cire polychrome de la Leçon
du professeur Charcot : C’était une baraque garnie de
rideaux de velours rouge et de chaque côté il y avait
un tableau peint vers 1880, je crois. Un côté représentait le docteur Charcot qui présentait une femme hystérique qui était en transe à un auditoire de savants et
d’étudiants. Cette peinture était impressionnante parce
qu’elle était réaliste33. ». En fait, comme l’aura analysé
Georges Didi-Huberman, ce corps hypnotisé « va bien
au-delà de la plasticité cataleptique (tout membre y
gardant fixée la position qu’on lui “imprime”. Un geste
imprimé au sujet hypnotisé induit spontanément une
expression concomitante du visage ! […]. Le sujet, selon
Charcot, est là comme une statue expressive, ni plus, ni
moins, forme canonique « dont les artistes pourraient
assurément tirer le plus grand parti34 ».
Les patientes de la Salpêtrière happées par la photographie sont souvent comparées à des sculptures
vivantes, des mannequins pour sculpteurs, voire des
ombres chinoises dans leur gesticulation grippée. Pour
Octave Mirbeau, en voyant de « profil » une jeune hystérique en crise, cette « figure prend des aspects d’ombre
chinoise coloriée ; elle a des gestes hésitants, comme
mal graissés35 ». Les métaphores pleuvent, le plus souvent filant l’analogie mécaniste autour des techniques
de reproduction artistique (lithographie, monotype, etc.),
omniprésentes dans les commentaires de ces images,
elles-mêmes reproduites à l’envi dans les revues et journaux illustrés, comme si l’esthétisation des poses devait
mener tout naturellement vers une artification à grande
échelle de cette clinique trop savamment expressive pour
rester confinée dans le viseur nosologique des aliénistes.
Ainsi de Mathilde, la « femme lithographique » repérée par
Claretie dans Les Amours d’un interne, un roman à thème
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criminelle, des clichés qui non seulement illustrent
et déchiffrent la pathologie du sujet mise en récit (ce
que Didi-Huberman appelle le « devoir-lire d’identité
dans l’image38 »), mais la transforment dans l’effet de
séquence en un tableau clinique « où se superposent le
temps immédiat de la révélation et celui, synthétique,
de la contemplation39 ». À croire qu’il s’agit d’enfermer
les débordements de la crise dans une grille codifiée,
de surjouer par la multiplication des images en séries
le contrôle analytique et savant de la maladie, mais
il n’en est rien. Car très vite, dans l’esprit de ceux qui
mènent cette campagne iconographique, l’ascendant
esthétique n’est même plus réfréné ; mieux encore, il
est attendu. À propos de l’une de ces séries réalisées
par Albert Londe, Charcot dira que « toute cette partie
de l’attaque est chez G. […] parfaitement belle », pour
conclure : « Vous voyez qu’au point de vue de l’art elles
ne laissent rien à désirer ; mais de plus elles sont pour
nous très instructives40. » Comme si la construction des
types par l’image avait dû nécessairement passer par
un modèle emprunté à une histoire plus iconique : « Le
cliché tend à reproduire une représentation, elle-même
produite par une image – un tableau41. »
Mireille Dottin-Orsini remarque au passage que les
« photographies de la Salpêtrière ont été à leur tour
dessinées et gravées », avec certaines « améliorations »
B
dont l’intrigue est installée au cœur des coursives de la
Salpêtrière : « Mathilde était totalement anesthésique, et
il suffisait de tracer, sur sa peau blanche, d’une douceur
pareille à une peau d’enfant, les caractères qu’on voulait pour qu’aussitôt, à la place touchée par l’ongle ou le
crayon du docteur, une saillie rouge apparût, d’une proéminence telle qu’en tâtant ces caractères, on pût reconnaître la lettre que venait d’écrire là M. Fargeas36. » Le
champ lexical de l’impression se déplace du vocabulaire
psychologique (faire impression sur un sujet, par un effet
d’autorité adossé à la figure savante du médecin-chef) au
glossaire technique d’une fabrique des images (impressionner le papier par photosensibilité ou par ancrage, la
reproduction indicielle prenant l’ascendant sur la logique
mimétique). C’est là où « le juste retour de l’art envers la
science semble donc avoir déjà lieu au cœur de l’œuvre
iconographique de la Salpêtrière, sous la forme d’une
surimpression photographique37 ».
Dans ce contexte, L’Iconographie de la Salpêtrière
prend toute son importance, avec parfois, reproduits
en séries tabulaires sur le modèle de l’anthropologie
C
A. Alfons Mucha, Monaco Monte Carlo, 1897, affiche, 108 x 74,5 cm, coll. part.
B. La reconnaissance, photographie réalisée dans l’atelier de Mucha
reproduite dans Albert de Rochas, Les Sentiments, le Geste et la Musique, 1900.
C. Extase, photographie reproduite dans Bertran Rubio, Hipnotismo y Sugestion.
Estudio critico, applicaciones a la terapeutica, ca. 1900.
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A
C
A. Magdeleine, The Hypnotic Dancer. Some of her most expressive poses, planche publiée dans The Trailer, 21 avril 1909.
B. Couverture d’Émile Magnin, L’Art et l’Hypnose, 1907.
C. Photographie de Magdeleine G. par Fred Boissonnas, reproduite dans Émile Magnin, L’Art et l’Hypnose, 1907.
sur le travail des plis d’une robe par exemple, « souvenir des traditionnelles études de drapés qui faisaient
partie de l’apprentissage de la peinture42 ». Le modèle
du tableau n’est cependant pas une simple fioriture
dans le processus d’esthétisation du regard clinique ;
il est un authentique outil de compréhension. Certes,
il y a peu de tableaux reproduits dans l’Iconographie,
un seul entre 1875 et 1880 selon Didi-Huberman, mais
cette reproduction annonce le projet des Démoniaques
dans l’art (1887), où les tableaux seront témoins dans
ce théâtre de la preuve : « Une œuvre d’art, venue au
secours d’une figure défaillante, est dite – après coup –
lui ressembler, la prendre même pour modèle vivant et
pour référence mimétique. L’œuvre de peinture, venue
combler un espace infigurable, vient alors occuper,
dans l’histoire, la même place qu’occupe la photographie dans l’actualité de la clinique : c’est-à-dire la place
d’une même preuve visible, visible et irréfutable parce
que référencée mimétiquement dans le réel43. »
Le comble de ce paradoxe qui fusionne la révélation du symptôme et sa reproduction en tableau va se
concrétiser dans les « projections électriques » mises en
place par Charcot au sein de son service. Paul Richer
en donne une brève description assez peu commentée :
« Dans les conférences cliniques de la Salpêtrière de
ces dernières années, M. Charcot a signalé et montré à
ses auditeurs, par le moyen des projections électriques,
quelques-unes des gravures dont nous donnons ici la
reproduction44. » Un manuscrit conservé dans les collections de la bibliothèque Charcot nous donne une idée
plus précise du dispositif adopté et des objectifs recherchés45. Il s’agit non seulement de projeter au mur, sur le
principe d’une lanterne magique, des reproductions de
tableaux illustrant des scènes dans lesquelles Charcot
a repéré des syndromes d’hystérie (une pédagogie de
la « médecine rétrospective »), mais d’inviter les sujets
hystériques présents dans la salle à se confondre physiquement avec ces images projetées « grandeur nature »
sur le mur. La séance sert à prouver, a posteriori, la
justesse des attitudes reproduites sur la toile, par un
simple ajustement entre les gestes observés dans l’instant de la clinique et ceux qui sont fixés dans le temps
de la peinture. Cette superposition établit la force de la
preuve par un mimétisme de conformité (le corps de
l’hystérique, sujet de la mimesis, vient se fondre dans
le champ de l’image, et par là entre dans l’équilibre de
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la composition du tableau projeté), quand la similitude
entre la réalité de la crise et la fiction du tableau trouve
ses règles dans le jeu itératif de la reproduction (l’effet de transfert dans l’image transforme les sujets hystériques en icônes). Non pas reproduction d’un idéal
type, mais « idéale répétition » d’un type dans la « maîtrise de reproductibilité46 ».
« ARTISTES INCONSCIENTS »
LES VIRTUOSES SOUS HYPNOSE
Daudet ne se trompait pas sur l’étroite complicité
qui règne entre l’expérimentation psychiatrique et la
culture visuelle artistique des aliénistes du XIXe siècle47.
Charcot, qui « ne cultivait pas seulement les arts pour les
arts eux-mêmes48 », postule l’ingérence d’un œil artiste
dans une pratique d’observation clinique aiguisée au
regard perspicace de grands maîtres de la peinture, dont
les œuvres, choisies pour leur sujet (exorcisme, extases
religieuses, etc.), souligne la clairvoyance médicale
au-delà de leur pure appréciation esthétique, la vérité
du tableau étant retenue pour sa capacité à faire voir
le symptôme. Paul Rubens par exemple49 : de lui, Paul
Richer, complice de Charcot dans l’analyse descriptive
des phases de la catalepsie sous hypnose, dira qu’une
« seule des œuvres de ce maître » suffirait à justifier la
thèse selon laquelle ses possédées offrent « une représentation plus parfaite des crises hystériques à forme
démoniaque50 ». En plus d’une quinzaine d’années,
Charcot passera en revue plus de deux cent cinquante
œuvres empruntées à l’histoire de l’art principalement
occidentale, au point de convertir le sous-titre de la
Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière en « iconographie médicale et artistique ». Il invente là une « esthétique comprise, ou plutôt insue, non comme l’effet de
cette expérimentation, mais bien comme son moteur,
voire son fondement. L’expérimentation chez Charcot
est avant tout un travail sur les formes, un travail de la
forme – c’est même, en un sens, un travail de la beauté,
une invention au sens fort du terme51 ».
Dans cet élan comparatiste, Richer et Charcot
publient en 1887 Les Démoniaques dans l’art, qu’ils
présentent comme la « première étude de critique
médicale des œuvres d’art », avec pour objectif de
retrouver dans les tableaux anciens des indices formels
de symptômes de l’hystérie pour mieux disqualifier les
thèses religieuses qui en avaient filtré l’exégèse, la possession ou l’extase relue à travers le prisme clinique de
la crise d’hystérie – ce que Littré venait d’appeler, dans
sa Philosophie positive (1867), la « médecine rétrospective52 ». La dimension anticléricale de cette psychiatrie
institutionnelle soucieuse de laïciser le regard n’échappera pas ; elle pousse à repenser l’héritage iconologique
des anciennes peintures et permet à Charcot d’asseoir
la vertu républicaine de sa lecture neurologique de
l’hystérie et de son outil de correction, l’hypnotisme.
Les artistes auront été clairvoyants pour leur capacité à
déceler par leur sens de l’observation l’ancrage somatique des scènes extatiques. Ainsi de Rubens, à nouveau en première ligne : « Tel de ses possédés offre des
caractères si vrais et si saisissants, que nous ne sau-
rions rencontrer ou imaginer une représentation plus
parfaite des crises que nous avons longuement décrites
dans des ouvrages récents, et dont nos malades de la
Salpêtrière nous offrent journellement des exemples
typiques53 » – ce que Didi-Huberman appellera l’« inédite clinique de la peinture54 ».
De fait, les croquis prélevés par Richer ressemblent
de plus en plus à des « compositions baroques »,
Rubens en mémoire, comme s’il s’agissait de faire
rentrer les scènes observées lors des séances de la
Salpêtrière dans un « déjà-vu » repéré au cœur d’une
histoire universelle de l’art donnant enfin une forme à
ce qui échappait justement à la « rétine du savant ».
Ou comment faire de l’œuvre d’art un outil de certification autorisant à basculer le regard clinique dans
un temps de certitude débarrassé des contingences fragiles du contemporain, en jouant sur le caractère atemporel du jugement esthétique : « Charcot aura ainsi
ouvert un champ scientifique qui se donnait des figures
picturales comme moyens de sa propre élaboration.
Science paradoxalement constituée donc : elle produisait sa légitimation théorique et même son efficacité
pratique à travers des figures de l’histoire de l’art, c’està-dire des figures de la fiction55. » Lors des fameuses
séances publiques des « Mardis de la Salpêtrière », les
performances conduites devant public par Charcot et
traduites en « tableaux » interpellent par une gamme
d’expression du pathos qui fait vite passer la curiosité
savante devant l’indice pathologique dans le frisson et
l’attente suspensive du choc esthétique : « L’assistance
était émerveillée. Non, jamais aucun acteur, aucun
peintre, jamais Rachel ou Sarah Bernhardt ou Raphaël
ne sont arrivés à cette puissance d’expression. Cette
jeune fille réalisait une suite de tableaux qui effaçaient
en éclat et en force les plus sublimes efforts de l’art.
On ne pourrait rêver de plus étonnant modèle56. » De
thérapeutique, l’hypnose est devenue un modèle esthétique selon une démarche tout à fait réfléchie et intégrée, retrouvée dans les propres commentaires de
Charcot et Richer : « Pour rendre toutes ces expressions
variées, les artistes ont pu trouver dans les sujets hystériques d’inappréciables modèles. Cette assertion ne
paraîtra point hasardeuse ni exagérée à tous ceux qui,
comme nous, ont vu des hystériques, même filles du
vulgaire, dans une certaine phase de la grande attaque
prendre sous l’empire d’hallucinations d’ordre religieux
des attitudes d’une expression si vraie et si intense que
les acteurs les plus consommés ne sauraient mieux
faire et que les plus grands artistes ne sauraient trouver
des modèles plus dignes de leur pinceau57. »
Avant d’être des modèles pour les peintres, les sujets
hystériques de la Salpêtrière vont être perçus comme
de vrais virtuoses de l’expression dramatique, avec, au
tournant du siècle, l’émergence d’une génération spontanée de jeunes femmes qui, sur scène et mises sous
hypnose par des magnétiseurs autorisés, deviennent
de très performantes danseuses ou actrices professionnelles : « L’hypnotisme fait mieux que venir au secours
des artistes angoissés, il peut les aider en bien des circonstances pour s’élever vers les sommets de l’art58. »
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Ce principe d’une hypnose instrumentale venant au
secours de l’apprentissage artistique se retrouve dans
de nombreux ouvrages de l’époque qui commencent,
c’est nouveau, à ouvrir des chapitres sur « l’hypnotisme
et la suggestion dans l’étude des arts ». Dans son Traité
de l’hypnotisme expérimental et thérapeutique, le docteur Joire pense que l’hypnose peut venir en aide face
à l’inexpérience et au manque de confiance des jeunes
cherchant à maîtriser une technique artistique, « tout
à la fois pour les mettre en possession de tous leurs
moyens naturels, pour affermir leurs connaissances
déjà acquises et leur permettre de les utiliser59 ». Joire
prend notamment le cas de « l’artiste qui veut rendre
le sentiment traduit par l’auteur dans une œuvre artistique » : « Il faut pour cela s’oublier soi-même ; il faut
faire abstraction de ses idées propres, de ses préjugés, s’affranchir de toutes les influences reçues par
l’éducation, l’entourage, faire table rase des habitudes
acquises et des idées préconçues […]. La suggestion
peut lui venir puissamment en aide […]. Que se passet-il sous l’influence de la suggestion ? Les idées se modifient sans effort, sans même que le sujet ait besoin d’y
songer ; certaines idées s’effacent, d’autres sont atténuées, les habitudes disparaissent. La sensibilité et la
faculté de recevoir des impressions se développent, des
idées nouvelles surgissent sans effort et l’esprit se les
assimile parfaitement60. »
Mieux encore, le médecin prétend pouvoir optimiser,
par les techniques de la suggestion, la physiologie de
l’organe de la voix sur l’ensemble des qualités requises
pour atteindre un stade virtuose, à savoir « l’étendue,
la souplesse, le timbre et la justesse ». Selon Joire, « la
suggestion hypnotique peut faire accroître, chez certains sujets, l’étendue de la voix d’un ton ou d’un demiton, dans les notes élevées ou dans les notes basses61 »,
elle peut surtout jouer sur les harmoniques contenus
dans le son de la voix, « puisqu’une partie des cavités du résonateur de la voix échappe à l’influence de
la volonté », soumise à des contractures musculaires
automatiques sur lesquelles seule « la suggestion hypnotique peut exercer une influence utile62 ». Deux de
ces chanteuses dramaturgiques se feront connaître
plus largement du public des amateurs d’art : Lina et
Magdeleine. Lina de Ferkel est une découverte d’Albert
de Rochas, administrateur de l’École polytechnique à
Paris, spécialiste des états superficiels et profonds de
l’hypnose63. Dans Les Sentiments, la Musique et le Geste
(1900), Rochas s’attarde sur les performances scéniques
de cette jeune femme, recrutée comme modèle dans
l’atelier du peintre académique Georges Rochegrosse,
et transformée sous hypnose en danseuse et dramaturge d’exception. L’ouvrage, abondamment illustré
par des photographies de Ener et Nadar, dont certaines
sont prises dans l’atelier du peintre et affichiste Alfons
Mucha, associe théories des expressions et localisation
cérébrale, psychophysiologie expérimentale et hypnotisme. Il étudie par le détail les capacités du magnétiseur à conduire les mouvements de sa danseuse, à la
manière d’un Svengali, le fameux personnage méphistophélique du roman à succès de George du Maurier,
Trilby (1894), qui envoûte et manipule son modèle sous
l’emprise de sa baguette de chef d’orchestre64 : « Les
ondes sonores entrent en elle et font agir inconsciemment les muscles et les nerfs de cette statue de chair
frissonnante qui réalise, ainsi emportée dans les champs
du mystérieux, des attitudes surhumaines qu’elle serait
incapable de créer dans les heures de conscience et de
vie. Le corps de la femme n’est plus qu’un instrument
entre les mains de qui la dirige avec les sons65. » Entre
automate et phonographe, la physique vibratoire de la
résonance s’impose (et avec elle son corollaire, la prévalence des « appareils inscripteurs »), le corps de Lina
livré à une mécanique fréquentielle de l’influence à distance. Pour Rochas, l’analogie entre création artistique
et hypnose est poussée à son terme, mais sous un mode
passif, proprement médiumnique : « Un sujet hypnotique est comme l’artiste, et à un bien plus haut degré
encore. Amené à l’état cataleptique où toutes ses facultés individuelles sont presque complètement inhibées,
où son cerveau est devenu en quelque sorte une page
blanche propre à recevoir toute espèce d’écritures, il
n’est plus qu’un mécanisme d’une extrême sensibilité
entrant en jeu au moindre choc66. »
La dimension anticléricale de cette
psychiatrie institutionnelle soucieuse
de laïciser le regard n’échappera
pas ; elle pousse à repenser l’héritage
iconologique des anciennes peintures
et permet à Charcot d’asseoir la
vertu républicaine de sa lecture
neurologique de l’hystérie et de son
outil de correction, l’hypnotisme.
Sur la quatrième de couverture de l’ouvrage de
Rochas apparaît une photographie de Lina, prise dans
l’atelier de Mucha (on reconnaît en arrière-plan ses
affiches pour le théâtre de la Renaissance, où régnait en
diva la grande Sarah Bernhardt, elle-même connue pour
avoir assisté aux séances publiques de la Salpêtrière).
La jeune modèle, plongée manifestement dans une hallucination posthypnotique après l’écoute d’un morceau
de musique, projette, sur les circonvolutions du tapis
oriental qu’elle foule, l’image mentale d’un cours d’eau
froide qui la fait frissonner. Elle résume en une pose à
la fois la thèse de l’ouvrage (l’expressivité malléable du
sujet sous hypnose) et son arrière-plan fantasmatique à
peine voilé dans le texte (la maîtrise tutélaire et phallocrate de cette virtuosité féminine abandonnée au prix
du libre arbitre). Ces expériences menées dans l’atelier de Mucha, qui scellent l’étroite complicité culturelle entre l’hypnose et le style Art nouveau, ne sont
ni inédites ni surprenantes pour une époque nourrie
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pression faciale et « mimographique », des sujets dont
il place les visages extatiques au cœur d’une composition graphique enveloppante, formée de volutes et
d’arabesques ornementales dont l’itération est en soi
un dispositif visuel favorisant l’entrée en transe hypnotique. On retrouve Lina, le drapeau français à la main,
manifestement inspirée par les airs patriotiques de
La Marseillaise, littéralement cernée par des rinceaux
décoratifs dont le mouvement giratoire porté par une
spirale envoûtante l’enlève, sur un mécanisme d’induction « idéoplastique », la portée mécanique du geste
vengeur étant puisée ici dans ce que Rochas n’hésite
pas à appeler l’« âme atavique de la race française »,
révélée à Lina à la seule écoute instinctive des premières notes de l’hymne national (« Si pendant qu’on
joue La Marseillaise, on donne à Lina un drapeau et
une épée, elle les saisit, et sa mimique continue en s’accentuant68 »).
A
aux feuilletons littéraires s’attardant sur les complicités
« lubriques » entre magnétiseurs et hystériques. Elles
sont surtout largement préparées par le discours des
aliénistes, convaincus de l’usage artistique des séances
de crise. Comme le rappelle Arnauld Pierre, dix ans
plus tôt, le docteur Foveau de Courmelles, dans un
ouvrage consacré à L’Hypnotisme (publié dans la très
populaire collection La Bibliothèque des merveilles
éditée par Hachette, largement illustrée de vignettes
de Lucien Laurent-Gsell, peintre et graveur, élève de
Cabanel et ami proche du Douanier Rousseau), multipliait les commentaires, images à l’appui, des exemples
d’« extases musicales » que le médecin pense immédiatement convertir en sujet pour œuvre d’art : « Le sujet
est admirable. Il prête à l’art. Il mérite de se voir ainsi
fixé en traits indélébiles sur la toile ou gravé en caractères ineffaçables dans le marbre67. »
Les exemples de cette traduction ne tarderont
pas, sur la toile et dans le marbre. Dans une note à
son ouvrage, Albert de Rochas nous apprend que « le
peintre Mucha a, comme modèle, une jeune fille de
dix-sept ans, Mlle Berthe », que lui-même a eu l’occasion de magnétiser « plusieurs fois ». Manifestement,
Mucha a utilisé à de nombreuses reprises des modèles
placés sous hypnose, choisis pour leur puissance d’ex-
Le cas de Lina, loin d’être isolé, va manifestement
produire des émules dans une culture visuelle hantée par cette manipulation neurologique des expressions69. Dans L’Art et l’Hypnose (1907), lui aussi
largement illustré par près de deux cents clichés du
photographe suisse Fred Boissonnas, Émile Magnin,
professeur à l’École de Magnétisme de Paris, analyse les prouesses de la jeune Magdeleine G. (Guipet),
« femme nerveuse » et neurasthénique devenue, sous
la magie des passes magnétiques, une Terpsichore
dont le corps, tout comme celui de Lina, réagit aux
moindres évocations musicales traduites en gamme
émotionnelle70. Mieux encore, Magdeleine – habillée
« à la grecque » – réinvente le modèle classique. Car,
pour Magnin, qui s’inspire là des travaux de James
Braid sur l’histoire longue de l’hypnotisme71, des
sculpteurs comme Phidias ou Praxitèle faisaient déjà
appel à la suggestion hypnotique pour obtenir de parfaits modèles. Le psychologue Théodore Flournoy préface l’ouvrage, retrouvant dans cette « chorégraphie
somnambulique » une « manifestation expressive […]
qui défie tout apprentissage préalable72 ». Magdeleine
va susciter rapidement un large engouement dans les
cercles intellectuels, scientifiques et artistiques. Le
médecin et sexologue Albert von Schrenck-Notzing,
un pionnier de la psychothérapie très lié aux milieux
des « études psychiques », va inviter l’artiste à se produire sur la scène expérimentale du Schauspielhaus
de Munich73, rénovée au goût du jour par l’architecte
jugendstil Richard Riemerschmid (on venait d’y présenter une version de la Salomé de Wilde). Dans cet
état second qui libère le geste en supprimant le poids
des « inhibitions74 », la Traumtänzerin (ou « danseuse
de rêves ») Magdeleine visitera les scènes théâtrales
européennes entre 1904 et 1907 (Opéra-Comique de
Paris, Schauspielhaus de Munich, Garrick Theater de
Londres…), parfois accompagnée du pianiste Bernhard
Stavenhagen (le maître de musique de Schönberg).
Sublimée sous l’objectif de Boissonnas dans des décors
vaporeux peuplés de nimbes qui la libèrent du sol telle
une sainte vertueuse fustigeant « la luxure », ou une
Madone compassionnelle, elle ne se contente pas de
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B
A. F. A. von Kaulbach, Étude d’après nature de Magdeleine G, ca. 1906,
reproduite dans Émile Magnin, L’Art et l’Hypnose, 1907.
B. Couverture par Alfons Mucha d’Albert de Rochas, Les Sentiments, la Musique et le Geste, 1900.
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A
servir des expressions « hautement artistiques » ; elle
adopte des postures inédites qui réinventent un nouveau vocabulaire corporel : des « positions dans lesquelles, précise Magnin, il nous semble incroyable
qu’elle puisse garder son équilibre75 », changeant à
l’envi de « centre de gravité ».
Qu’est-ce qui entre en jeu dans cette élasticité
exceptionnelle du corps ? La virtuosité de Magdeleine
(ce que le docteur Flournoy appelle le « plein épanouissement de tous ces dons ») n’est pas le fruit
d’une réaction automatique, mais une libération
inconsciente de gestes inventifs. Pour cela, Magnin
précise que l’hypnose doit être « superficielle », légère
et non profonde. Le clavier sensible du corps a ses
seuils qu’il s’agit d’évaluer et de préserver pour donner
pleinement cours au travail de l’imagination motrice.
C’est dans un état de « légère léthargie » que le corps
entrera le plus intimement en symbiose avec la pensée suggérée, devenue « idée fixe » : « La musculature
tout entière du sujet se moule sur la forme pensée76. »
Certes, Magdeleine est sous l’emprise magnétique de
son mentor, mais cette emprise est limitée et acceptée, contrôlée. En état de somnambulisme profond,
elle devient réfractaire aux suggestions : elle entre en
résistance, littéralement tétanisée, en « immobilité
figée » ; au mieux elle devient un pur automate qui
singe mécaniquement les gestes de l’hypnotiseur (c’est
ce que Magnin appelle l’« écholalie » ou « imitation
spéculaire », soit la « reproduction exacte de tous les
actes exécutés par le magnétiseur77 »). À cette occasion, apparaît une analyse sur le périmètre de liberté
du sujet sous suggestion quand l’auteur tente de dissocier la dextérité corporelle du « réflexe-automate »
pour la reporter vers les « facultés de l’imagination »
(« c’est l’imagination qui permet à cette dernière, une
fois le rythme communiqué par les vibrations sonores,
de broder mille fantaisies78 »), en puisant à nouveau
dans le vocabulaire visuel de l’histoire de l’art pour
mieux revendiquer l’artification de cette gestuelle
sous induction (« il est possible de retrouver tel ou
B
tel tableau, telle illustration, telle statue qui, dans le
subconscient de Magdeleine, a concouru à donner vie
à l’idée suggérée79 »).
Car tout comme Lina servant de muse à Mucha,
Magdeleine exhibée par son mentor et producteur
Magnin va largement inspirer les artistes, certains restés dans l’ombre, d’autres beaucoup plus fameux. Le
sculpteur Joseph Ascoli, qui a assisté en mai 1904 à
A. Gamme d’expressions, planche extraite d’Albert de Rochas, Les Sentiments, la Musique et le Geste, 1900.
B. Planche extraite d’Albert de Rochas, Les Sentiments, la Musique et le Geste, 1900.
C. Lina sous hypnose répondant à l’air de La Marseillaise, planche extraite d’Albert de Rochas, Les Sentiments, la Musique et le Geste, 1900.
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elles un intérêt d’art ? », Rodin répondra : « Oui, il y a
là des détails, des nuances d’expressions qu’un modèle
indiquerait mal et qu’il peut être utile à certains artistes
de noter. Moi, j’aime mieux des choses moins écrites ;
j’aime mieux tirer de moi-même la vision de ce que j’interprète ; comprenez-vous ? Ceci, c’est de la besogne
mâchée…82 »). Se mesure ici l’écart qui se creuse
entre le modèle littéraire du magnétiseur « nouveau
Pygmalion83 » et son usage effectif dans un marbre qui
reste de glace. La peinture va se montrer moins résistante, plus magnétisée.
une représentation de Magdeleine « aux Mathurins »,
se dit « désireux d’avoir quelques photographies », car
il aurait l’intention « d’après ces documents, d’exécuter une série de statuettes à expressions et poses différentes80 ». Une séance a lieu à l’automne 1903 dans
l’atelier de Rodin, commentée dans les colonnes du
Gil Blas : « Très loin, tout en haut de la rue de l’Université, dans l’atelier du maître Rodin, parmi les œuvres
inachevées, les maquettes d’œuvres faites […], a été
donnée, hier, une séance de musique, où l’art, se combinant à la science, offrit aux quelques très rares personnes présentes une sensation exquise […]. La mise
en scène était rudimentaire, un simple tapis étendu au
milieu de l’atelier ; l’orchestre, sommaire, se composait
d’un piano et d’un violon […]. Voilà Magdeleine ; elle
LE PINCEAU « INCONSCIENT »
L’HYPNOSE COMME MOTIF
C
apparaît vêtue d’un péplum blanc, drapée à l’antique ;
docilement, elle se place devant son magnétiseur qui,
après quelques passes savantes, la plonge dans cet état
spécial du sommeil provoqué : la catalepsie {}. Et soudain, après une série d’accords, retentissent des sons
lents et graves : c’est La Marche funèbre de Chopin…
Les traits de Magdeleine se contractent, son corps, qui
transparaît sous les plis flottants du péplum, prend des
attitudes d’une grâce, d’un charme incomparable…81».
Un article du Figaro donnera la parole à Rodin,
« visiblement troublé par tout cela », mais franchement
sceptique devant cette instrumentation commandée
de l’expression (à la question « ces expériences ont-
Car ce sont d’abord des peintres qui vont aspirer à traduire, dans la vibration colorée et la « chair tremblante du
pigment », cette source d’inspiration. Dans un chapitre
(« Der ästhetische Gesamteindruck ») de son ouvrage
consacré à Magdeleine, Schrenck-Notzing évoque
« Böcklin, Klinger et Stuck », trois figures majeures du
symbolisme allemand84. À plusieurs reprises les commentateurs relèvent la comparaison entre Magdeleine
et la Salomé de Gustave Moreau85, comme s’il s’agissait d’établir une relation savante entre la performance
et le tableau, voire de souligner l’origine picturale de
cette contorsion sous transe, ainsi qu’avaient pu l’avancer Richer et Charcot dans Les Démoniaques dans l’art.
Si les artistes ont largement anticipé sur le sens d’observation des aliénistes, la leçon des « démoniaques d’aujourd’hui » semble amplement suivie par des peintres
attentifs à ces performances somnambuliques converties en « chef-d’œuvre de grâce accomplie86 ». Le
peintre Gérôme dit avoir souhaité organiser dans son
atelier une séance avec Magdeleine, mais son mauvais
état de santé physique l’a conduit à « renoncer momentanément87 ». D’autres le feront de manière plus scrupuleuse, voire quasi cultuelle, révérant en Magdeleine G.,
la Mater Tenebrarum, grande prêtresse des ténèbres
convertie en icône décadentiste88. C’est le cas en particulier de certains membres influents de la sécession
munichoise, au premier chef le peintre Friedrich August
von Kaulbach, un proche de Franz von Stuck, qui livrera
plusieurs portraits de Magdeleine, dont une version
reproduite en ouverture de l’ouvrage de Magnin, juste
avant la préface. Une « étude d’après nature » réalisée
au crayon la montre les yeux grands ouverts levés au
ciel, dans une posture d’extase qui peut rappeler l’illustration photographique de Boissonnas intitulée, dans
une terminologie très phrénologique, Interprétation
d’une mesure de musique chiffrée sous l’influence
magnétique d’un centre dit religieux89. Son homologue,
le baron Hugo von Habermann, connu pour ses grands
portraits mythologiques de femmes fatales (Ophélie,
Judith, Salomé), livrera lui aussi en 1904 un vaste « portrait psychologique » de Magdeleine Guipet.
Le plus prolixe de la cohorte sera Albert von Keller.
Ami proche du docteur Schrenck-Notzing et, comme
ce dernier, membre de l’influente Psychologische
Gesellschaft pour laquelle il organise des réunions
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A
A. Magdeleine sur la scène du Schauspielhaus de Munich, photographie reproduite dans Émile Magnin, L’Art et l’Hypnose, 1907.
B. Albert von Keller, Portrait de Magdeleine, ca. 1905, peinture reproduite dans l’ouvrage d’Émile Magnin, L’Art et l’Hypnose, 1907.
C. Carlos Schwabe, Étude pour la vague, 1907, fusain, crayon gras, sanguine et rehauts de pastel, 82 x 65 cm,
cabinet de dessins du musée d’Art et d’Histoire de Genève.
publiques dans son vaste atelier munichois, Keller
hypnotise certains de ses modèles avant séance, l’une
d’entre elles étant connue sous le patronyme de « Lina
M. » (Lina Matzinger). Dans un tableau ébauché à l’emporte-pièce, intitulé Hypnose bei Schrenck-Notzing
(ca. 1885), Albert von Keller illustre une séance avec le
médecin magnétiseur. La scène se passe dans un intérieur domestique feutré, le visage du sujet volontairement absorbé dans une surface neutre, traitée d’une
seule masse informelle d’où les yeux, nez et bouche
ont disparu comme pour mieux signifier le transfert
vers un autre mode de sensibilité, hors des sens ordinaires jugés trop physiques. Une lueur semble s’installer à la surface de la main droite de la patiente, celle du
contact à distance avec le doigt curateur du magnétiseur – signe visible, positionné à l’exact centre géométrique de la composition, d’une circulation polarisée
et fluidique qui anime le pouvoir de transmission des
forces invisibles en présence. Un document photographique réalisé par Maximilian Höhn, son assistant, et
publié plus tardivement dans les colonnes de la revue
Psychische Studie, nous renseigne sur les curieux protocoles des expériences menées par Keller. Il date de
1887 et met en scène la jeune modèle « Lina M. », placée devant une reproduction d’une imposante composition du peintre, La Résurrection de la fille de
Jaïrus (1886). Manifestement, il s’agit d’une expérience menée sur la « vivacité des images mentales »
dans le processus hallucinatoire, consistant ici à produire l’hypnose au moyen de la fixation prolongée du
tableau (la légende indique une « suggestion devant le
tableau »). La transe obtenue est censée déclencher
chez Lina un réflexe d’identification mimétique avec le
motif représenté, pour conduire son inconscient dans
la réalité fictionnelle du motif peint (l’expérience sensible d’un retour miraculeux à la vie). Un jeu d’identification absolue90 circulant entre la réalité physique
de la transe et l’espace mental, mais non moins tangible, de sa représentation. L’appareil photographique
installé en retrait (sur une idée suggérée par son ami
peintre Gabriel von Max) a vocation à capturer l’expression singulière du sujet transporté dans cette
expérience liminale entre la vie et la mort, une psychographie du seuil qu’il s’empressera d’utiliser pour
le motif tragique d’un tableau représentant une sorcière au bûcher (1888)91.
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Mais c’est avec les performances munichoises de
Magdeleine en 1904 que Keller va plonger plus avant
dans la représentation des hallucinations magnétiques92. Il voit cette « source inépuisable d’observations, de jouissance, d’inspiration » sur la scène du
Schauspielhaus Theater en compagnie de Kaulbach,
Max et Stuck (une photographie du spectacle munichois est publiée dans l’ouvrage de Magnin). Elle
devient pour lui un phototype : « je crois pouvoir dire
qu’encore jamais nous n’avions rencontré une âme
humaine capable de dominer ainsi son corps et de lui
donner une expression aussi admirable en intensité,
en beauté, en pureté93. » Adoptant la technique de la
« touche mouvementée » à même de reproduire les
convulsions d’un sujet terrorisé par ses propres hantises, Keller va choisir les poses les plus ébranlées et
pathétiques de Magdeleine. Dans Die Traumtänzerin
Magdeleine (ca. 1904), la facture non finito souligne
l’agitation d’un corps frappé d’une « trépidation nerveuse, comme à la suite d’un choc électrique94 ». Le
corps est littéralement happé par une force ténébreuse
blottie dans un fond de décor plongé dans la pénombre
qui s’oppose, dans un clair-obscur dramatisé, à la
lumière agressive émanant d’un hors-champ visuel du
tableau, probablement celui d’une « vision d’horreur
suggérée » (Magnin évoque des travaux consacrés aux
« crimes sous hypnose »), dont la force hallucinatoire
tétanise à distance le regard médusé de la danseuse.
Keller veut « espérer que l’étude, toujours plus approfondie, des phénomènes subconscients finisse par jeter
quelque lumière sur la part de l’inconscient dans la
création artistique95. »
C
B
Très proche des portraits de Magdeleine par
Keller, et non sans rappeler les Têtes de caractère de
Messerschmidt, la série de portraits préparatoires à la
grande composition allégorique La Vague (1907), du
peintre symboliste suisse Carlos Schwabe, convoque
les mêmes ressources : non pas tant la reprise de l’iconographie clinique de la Salpêtrière que celle, plus
transitive et décadente, des représentations théâtrales
de Lina et Magdeleine. Une Étude pour La Vague, n° 4,
réalisée au fusain, crayon gras et sanguine rehaussée de
pastel, montre une jeune femme, la chevelure innervant
un corps à demi dénudé, couverte d’un drapé blanc lui
aussi à l’antique, la bouche et les yeux grands ouverts,
les mains tendues vers le spectateur qu’elle pointe
d’un regard de pythie vengeresse. Jean-David JumeauLafond, un spécialiste du peintre et de la période, a montré que l’idée de La Vague a pris sa source dans « une
des vignettes conçues par Schwabe pour l’illustration
des Paroles d’un croyant, de Lamennais, travail commandé par l’éditeur et relieur Charles Meunier, et dont
la réalisation s’échelonna de 1906 jusqu’à sa parution
en 190896 ». Rappelons que l’ouvrage de Magnin, illustré des tableaux de Keller et Kaulbach, sort des presses
genevoises dans sa première version en 1907 – date de
réalisation de ces esquisses et du tableau final. Cette
séquence d’« attitudes passionnelles », sept au total,
toutes plus sidérantes dans leur regard inquisiteur, avec
le même soin accordé aux contractures électriques du
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visage qui semblent se répandre par contagion dans les
plis du drapé (les gammes de Duchenne de Boulogne
ne sont pas loin), invite à croire combien ce que
cherche avant tout le peintre dans ce jeu visuel de propagation n’est autre que la capacité à transmettre au
spectateur, d’une manière toute magnétique, la sensation de frayeur vécue face à la puissance imageante de
l’hallucination dans laquelle il pourrait reconnaître son
propre destin ou « le présage jubilatoire d’une catastrophe rédemptrice97 ».
Il est un autre peintre de veine symboliste qui se
démarque dans cet intérêt pour le modèle « d’étrangement » de l’hypnose et son lien étroit à la vie pulsionnelle de l’inconscient : l’Allemand Max Klinger. Ami
de Wundt et disciple d’Ernst Haeckel, dont il adopte
la philosophie transformiste, Klinger identifie dans le
processus hypnotique une récolte de ressources cognitives oubliées, très propices selon lui à configurer l’espace spécifique du rêve. De fait, sa familiarisation avec
l’hypnotisme s’opère sur les planches de théâtre, à l’occasion d’une séance publique du magnétiseur danois
ambulant Carl Hansen. Nous sommes en 1878, l’hypnotiseur circule lors d’une tournée médiatique dans les
villes de Leipzig, Chemnitz et Breslau, où il est attendu
et observé par de nombreux artistes et hommes de
science. Wundt assiste à l’une de ces séances connues
pour leurs mises en scène dramatisées de contractures cataleptiques, de visions hallucinatoires et autres
anesthésies à la limite d’un voyeurisme sadique. De sa
lecture des textes de Wundt (Grundzüge der physiologischen Psychologie, 1874), Klinger a appris que l’état
d’hypnose est causé par une inhibition partielle des activités d’aperception du cortex cérébral, ouvrant au développement des facultés oniriques – ce qu’il appellera la
vie exclusive du « rêve hypnotique98 ». Cela confortait le
principe édifié par les philosophes de la nature (système
ganglionnaire/système cérébral) mais surtout consolidait l’idée, tout aussi romantique, d’un contact intuitif de l’homme avec d’autres formes plus végétatives de
vie et, par effet collatéral, chargeait la dimension sensuelle, voire érotique, des couches de l’inconscient.
Les représentations de transes somnambuliques chez
Klinger sont nombreuses, jeu et outil du processus créatif qui revient dans des captures du peintre devant son
chevalet. Toutes débitrices de cette pulsion libidinale,
inconsciente et fortement introspective, que le peintre
a rencontrée dans ses lectures des textes plus littéraires
de Kleist et Hoffmann, elles peuvent être isolées, mettant en scène des figures plongées dans la rêverie, mais
aussi collectives.
Dans Soirée (1877), le mouvement des invités réunis
dans l’espace confiné d’un salon de réception paraît
curieusement arrêté dans une transe contagieuse circulant sur les échanges de regards et de gestes croisés à
la manière d’une « chaîne magnétique ». Plus encore,
c’est dans le face-à-face de l’artiste avec son œuvre en
gestation que l’hypnose autosuggérée est la plus présente. Comme l’a montré Marsha Morton99, l’une
d’entre elles très romantique dans sa facture et sa
composition, met en scène le peintre et ami Christian
Krohg (Der Künstler in der Dachstube, 1879), plongé
dans la contemplation d’une toile installée sur chevalet, en attente d’inspiration que la fixation d’une
surface peut-être encore vierge va pouvoir mettre en
branle. Au sol, au pied de l’artiste songeur, Klinger a
pris soin de poser une édition d’un roman des frères
Goncourt (Manette Salomon), une « Comédie humaine
de la peinture » mêlant intrigue sentimentale, hallucinations extatiques et pulsion créative. Nul hasard
donc si quelques années plus tard, Klinger se penchera
sur les expériences de Justinus Kerner auprès de la
« voyante de Prévorst » (dans une lettre datée de l’été
1888, il dit être plongé dans la lecture de l’ouvrage
monographique de Kerner100). Selon lui, la transe somnambulique que tout artiste vit au quotidien face à
une œuvre qui manque à venir est l’outil d’une inspiration inquiète issue du plus profond de l’être.
A
A. Gravure extraite de l’ouvrage Persoonlijk Magnetisme, Amsterdam, 1925.
B. The Operator Has Assumed a Very Severe Expression,
photographie reproduite dans Herbert A. Parkyn, Suggestive Therapeutics and Hypnotism, 1900.
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Dans un registre plus académique, posant la question du recyclage culturel du style kitsch des « petites
images » populaires (affiches, caricatures, ephemeras)
dans leur exploitation érotique des jeux de séduction
du sujet hystérique, il est possible de s’arrêter sur le
cas, moins retenu par la postérité, du peintre français
Paul Tillier. Un article du Monthly Illustrator paru en
1895, « The Hypnotism of Paul Tillier101 », nous invite à
pousser la lecture hypnotique de son œuvre à la séduction joyeusement acidulée, qui emmène avec elle sous
le magistère tutélaire du « grand Cabanel », toute une
génération de peintres de Salon, investie dans le motif
racoleur de la pâmoison féminine. Présenté comme une
œuvre « bizarre » incarnant le « type de l’art parisien et
sa frivolité », cet hommage à la cocotte parisienne est
remarqué pour son sens de l’abandon (en français dans
le texte), qui montre très vite que les poses reprennent,
sous leurs airs faussement pudiques, certains clichés
venus de la Salpêtrière. En particulier la Jeune femme
sur le dos d’un lion ailé, illustrant l’ouverture de l’article, et dans laquelle il est difficile de ne pas retrouver
le souvenir de reprises « pornographiques » de l’Iconographie des services du docteur Charcot qui circulent
en sous-main à travers la diffusion de masse des revues
dites de « charme », face à une veine omniprésente dans
la culture visuelle fin de siècle jusque dans son versant
misogyne maintenu dans le cliché de la femme fatale.
L’érotisme ambiant du rapport hypnotique est largement
alimenté par les imaginaires « charnels » des romans
A
populaires de l’époque, qui s’empressent, le plus souvent sur des visées anti-calotines, d’asseoir l’analogie
entre la sainte et la démoniaque, pour mieux relever les
dérives nymphomanes des séances de la Salpêtrière102,
où le charme devenait lui-même non seulement une
tactique obligée, mais, au risque de la dépossession de
tous, une « technologie de maîtrise scientifique103 ». Les
images mobilisées, dont « toute la teneur ontologique
est surface, exposition », renvoient immédiatement à
« une contagion par laquelle l’image nous saisit104 ».
C’est là un usage qui colle étonnamment avec la part
haptique entretenue dans le lien entre hypnose, image
et hystérie, au sein des cliniques psychiatriques – une
« disponibilité à être touchée » d’autant plus érotisée que les très nombreux commentaires de l’époque
soulevaient le caractère joyeusement impudique des
échanges de regards entre les patientes hystériques et
leurs médecins, immédiatement traduits en « espèces
d’excitation particulière » où se fomente l’envie de
capturer toutes les « libido spectandi », lancées comme
des défis au spectateur. C’est ce que Georges DidiHuberman appelle, à propos des fameuses attitudes
passionnelles, un « formalisme du désir105 ».
La comparaison faite par le chroniqueur avec
Svengali106, le personnage central de Trilby de du
Maurier, est instructive. Elle explique pour partie les
ressorts stylistiques, voire idéologiques, qu’un pan non
négligeable de la peinture académique fin de siècle
va trouver dans l’artifice cultivé de cette hystérisation
de l’hypnose. Rappelons le contexte. Trilby est considéré dans l’historiographie de l’édition comme le premier best-seller contemporain107. « Alien enchanteur de
la culture moderne108 », Svengali en est son protagoniste, sous les traits d’un musicien, pianiste confirmé
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et pygmalion déviant, qui, grâce à ses pouvoirs hypnotiques, transforme une jeune grisette du Quartier latin,
Trilby O’Ferrall, modèle pour peintres de la bohème artistique, en chanteuse d’opéra virtuose, vedette des grands
théâtres d’Europe. Sous induction hypnotique, Trilby
devient « La Svengali ». Le roman, publié en feuilleton
dans le Harper’s New Monthly Magazine (qui augmente
son tirage de plus de cent mille exemplaires à la suite
du premier épisode, mais aussi du procès public intenté
par le peintre Whistler contre ce feuilleton dans lequel il
estime se retrouver diffamé), paraît sous forme de livre à
l’automne 1894, illustré de plus de deux cents gravures
exécutées par Maurier lui-même. Le succès est international, l’ouvrage est traduit immédiatement en pièce
dramaturgique, machine à produire des images-clichés,
comme l’analyse à cette même époque Gustave Le Bon,
pour qui le théâtre est devenu le haut lieu de la suggestion traduite en acte (« Les foules, ne pouvant penser
que par images, ne se laissent impressionner que par
des images […]. Aussi, les représentations théâtrales,
qui donnent l’image sous sa forme la plus nettement
visible, ont-elles toujours une énorme influence sur
les foules109 »). En 1895, date de l’article sur Tillier, les
États-Unis et l’Angleterre victorienne baignent en pleine
« Trilbymania » : « Jamais de notre temps, un livre n’a été
aussi soudainement glorifié comme une bible. Le livre
s’est écoulé en un flot ininterrompu sur les comptoirs
de toutes les librairies […]. Le goût pour Trilby devint
une passion […], la passion se transforma en obsession
et l’obsession s’aggrava en folie110. » Soit un principe de
contagion psychique sur le mode de la « transfusion111 »,
dupliquant le propre mécanisme de vampirisation s’instaurant au cœur de la sujétion mutuelle entre Svengali
et Trilby, jusque dans sa conversion consumériste et
fétichiste dans la culture matérielle en produits dérivés
(Trilby a été traduit en dentifrice, bicyclettes ou paquets
A. Au clair de la lune, gravure illustrant l’ouvrage de George du Maurier, Trilby, 1894.
B. An incubus, gravure illustrant l’ouvrage de George du Maurier, Trilby, 1894.
C. Et maintenant dors, ma mignonne, gravure illustrant l’ouvrage de George du Maurier, Trilby, 1894.
D. Richard Bergh, La Suggestion ou Une séance d’hypnose, 1887, huile sur toile, 153 x 195 cm, Nationalmuseum de Stockholm.
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A. Photographie de Lina M. par Albert von Keller.
B. Albert von Keller, Hypnose by Schrenck-Notzing,
1885, huile sur toile, Kunsthaus Zürich.
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A. Albert von Keller, Spiritische Apport, 1887, huile sur toile, Kunsthaus Zürich.
B. Photographie de Lina M. par Albert von Keller.
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écrit pour le journal suédois Nornan en 1887, Bergh
explique avoir voulu capter le moment subtil de transition entre deux états (conscience/inconscience), un
instantané fulgurant qui, selon lui, échappe au regard
objectiviste de la photographie117. C’est dans un rapport autrement moins distancié au modèle reproductible de la photographie qu’André Brouillet va produire
son morceau de bravoure pour le même Salon de 1887
(on sait que Brouillet s’est appuyé sur une série de clichés, dont l’un de Charcot en pied, pour réaliser son
tableau118). Foveau de Courmelles le mentionne bien
sûr dans sa chronique, ne pouvant pas le manquer. Il
faisait la couverture du catalogue du Salon et son format monumental (4,30 x 2,90 m) se jaugeait à l’échelle
humaine : « On trouve aux Champs-Élysées, le tableau
de A. Brouillet : Une leçon clinique à la Salpêtrière. Le
docteur Charcot montre à un public nombreux et choisi
comment un sujet tombe en catalepsie. Parmi les assistants : Mathias-Marie Duval et Jules Claretie, s’inspirant
là pour écrire Jean Mornas119 ». Le peintre est tout jeune
trentenaire quand il s’attaque à ce vaste sujet ; il est
novice, et la critique le lui reproche, notamment pour
être resté à l’état indiciel du constat photographique :
« M. Brouillet n’a produit qu’une illustration médiocre.
Une certaine largeur de facture ne saurait compenser
la tristesse de la lumière blafarde, l’aigreur des tons, la
mollesse des figures et l’indécision des physionomies.
Comme information, une leçon clinique n’est qu’un
à-peu-près ; comme peinture, c’est une erreur120 ».
Le verdict est sans appel, relayé dans « Le siècle de
Charcot » par Octave Mirbeau, pour qui Brouillet n’est
pas Rembrandt : « C’est Rembrandt qu’il faudrait pour
reproduire dignement cette scène étonnante : Charcot
dans le grand amphithéâtre de la Salpêtrière. La leçon
d’hystérie, quel pendant à l’immortelle Leçon d’anatomie ! C’est Rembrandt seul qui pourrait retracer les jeux
de lumière et d’ombre qui transforment la physionomie
des auditeurs avides, rendent leurs yeux plus brillants,
et font paraître plus étranges encore les étranges sujets
sur lesquels opère le maître. Le peintre qui oserait s’attaquer à cette œuvre et pourrait s’élever à la hauteur de
son modèle, celui-là aurait fait le tableau du siècle121. »
A
de cigarettes…), insignes de la « passivité imitative de
l’être social112 » théorisée par Gabriel Tarde dans Les Lois
d’imitation (1890) : « La société, c’est l’imitation, et l’imitation, c’est une espèce de somnambulisme113. »
Si, selon le docteur Foveau de Courmelles, « les salons
de ces dernières années ont consacré l’hypnotisme et
ses maîtres114 », c’est aussi pour revenir sur la notion
même d’académisme, à partir non plus d’un principe
(consumériste) de séduction, mais d’une logique (pédagogique) de conviction. Dans son compte-rendu du
Salon des beaux-arts de 1887, Courmelles mentionne la
présence d’un tableau de « R. Bergh, La Suggestion ». Il
s’agit d’une œuvre du peintre suédois Richard Bergh,
qui a assisté dès son arrivée en France en 1881 à une
« séance magnétique115 » de la « Société française de
psychologie » et a suivi un cycle de conférences données par le docteur Georges Dujardin-Beaumetz, clinicien à l’hôpital Saint-Antoine et spécialiste de l’hypnose.
Le tableau, présenté au Salon de 1887, est probablement réalisé à la suite d’une séance de Beaumetz116,
arrêt sur image d’un moment particulier de la passe
hypnotique. Dans un court essai intitulé Auto-critique,
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A. Le Professeur Charcot, caricature de Luque reproduite en couverture de Les Hommes d’aujourd’hui, n° 343, 1887.
B. Photographie ayant servi de modèle pour le tableau de Brouillet, 1886.
C. Gravure reproduisant le tableau d’André Brouillet, Une leçon clinique à la Salpêtrière, publiée dans Le Monde illustré, 30 avril 1887.
D. Le Tout Paris, 1887, caricature du tableau d’André Brouillet.
E. André Brouillet, Une leçon clinique à la Salpêtrière, 1887, huile sur toile, 290 x 430 cm,
FNAC, déposé au musée de la Médecine, université Paris Descartes.
D
Pourquoi donc ce tableau si décrié comme un essai
non concluant est-il resté dans les imaginaires visuels
de ce passage du siècle, reproduit sur de multiples formats, déclinant la gamme des registres culturels qu’il
couvrait sans le savoir, de la gravure (Freud en détiendra un exemplaire dans son cabinet de Londres) à la
photogravure, du chromo à la carte postale ? C’est là un
devenir reproductible intrigant, surtout par son échelle
inattendue, même si elle n’atteint pas les sommets
patriotiques d’un Angélus de Millet. Un premier argument plaidant la cause de ce succès médiatique tient
au sujet, la « leçon clinique », c’est-à-dire le moment
stratégique de l’organisation du savoir, l’instant crucial
de sa transformation expérimentale en théâtre scénarisé de la preuve : « Pour Charcot […], la leçon magistrale hebdomadaire dans l’amphithéâtre était la grande
affaire de la vie, celle qui passait avant tout, dont on
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s’occupait toute la semaine122. » Mais cela tient aussi,
jusque dans le caractère convenu de sa composition,
à la conscience du peintre à coller au plus près à la
propre ambition « artistique » professée par Charcot,
ainsi que le relève Emmanuelle André :
« Le recours à l’histoire de l’art pour renvoyer de l’hystérie l’image la plus symptomatique de son époque,
cette façon d’user des images du passé, l’image pour
photographier une situation donnée, est commune aux
deux hommes et procure au tableau toute son ambiguïté. Ainsi la leçon clinique devient tout à la fois
leçon visuelle et modèle iconographique, le tableau
de Brouillet ayant pour particularité de refléter la
démarche médico-artistique de Charcot, de nouer
l’histoire de la médecine à celle de ses représentations
artistiques123. »
Brouillet introduit, de manière impensée, une
logique de mimétisme au sein même de la narration
visuelle de sa fresque médicale. Sur la gauche, parmi
les témoins, Paul Richer (le professeur d’anatomie
de l’École des beaux-arts qui retranscrit en dessin les
observations des contorsions, interne à la Salpêtrière,
par ailleurs responsable du service des moulages
adossé sur les activités de cet hôpital converti en
« Versailles de la douleur124 », mais aussi auteur des
Dialogues sur l’art & la science, dans lesquels il défend
une « critique scientifique des œuvres d’art »), ainsi que
Mathias-Marie Duval (l’auteur d’un Précis d’anatomie à
l’usage des artistes, 1881, lui aussi professeur d’anatomie à l’École des beaux-arts). L’art et sa pédagogie sont
pris à témoin de la démonstration clinique, dans un tissage étroit des liens qui unissent l’École des beaux-arts
à la Salpêtrière125. Sur la partie droite de la composition, Charcot et son assistant recueillant dans ses bras
la jeune hystérique Blanche Wittman, un des « clous »
de la cohorte des internées de l’hôpital, corsage blanc
dégrafé découvrant une poitrine offerte au voyeurisme.
Dans ce public peuplé d’habits noirs parfois agrémentés
d’une blouse de laborantin, seuls deux corps semblent
se détacher par rupture de format : celui de Blanche,
dans sa silhouette à la courbure lascive, répondant en
écholalie à celui qui lui fait face, à savoir le corps en
arc de cercle d’une pose cataleptique reproduite sur
un dessin accroché au mur, emblème de la méthode
comparative et analogique adoptée par Charcot. En
d’autres termes, l’attitude de Blanche se plie au modèle
fourni par les propres images canoniques des phases de
la catalepsie affichées, telles des modèles à suivre, dans
les espaces de l’hôpital. Dans cette mise en miroir des
deux corps qui fonctionnent en résonance, Blanche se
conforme au prototype de l’image imprimée et prend
acte de sa propre reproductibilité mécanique.
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A. Photographie retouchée ayant servi de modèle pour le tableau de Brouillet, 1886.
B. Hallucination provoquée, gravure reproduite dans Paul Regnard,
Sorcellerie magnétisme, Morphisme, délire des grandeurs, 1887.
C. Georges Moreau de Tours, Les Fascinés de la Charité, 1890, 125 x 158 cm, musée des Beaux-Arts de Reims.
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LE « TRANSFERT » DES ÉMOTIONS
EXTÉRIORISATION DE LA PENSÉE
ET TROUBLES DU GENRE
Trois ans plus tard, à l’occasion du Salon de 1890,
Foveau de Courmelles s’arrête cette fois sur un tableau
de Moreau de Tours, Les Fascinés de la Charité, dont il
livre la description sommaire : « M. Moreau de Tours,
le peintre par excellence de l’hypnotisme et de la
névrose, nous présente Les Fascinés de la Charité. Dans
une salle éclairée à gauche par de larges fenêtres, se
groupent, autour d’une sorte de miroir aux alouettes,
une dizaine de femmes et quelques hommes. Les physionomies expriment, d’une manière très vivante, les
impressions diverses produites sur les sujets par la rotation du miroir : admiration, crainte, joie, douleur, rêverie, attirance invincible ou répulsion ; un peu en arrière,
une jeune femme, les bras levés au ciel, contemple le
miroir dans une sorte d’extase. Au second plan, le docteur Luys et ses élèves observent attentivement les différentes phases de l’expérience126. »
Tout comme chez Brouillet, le tableau est inspiré
d’une photographie reproduite sous divers états, dans
plusieurs ouvrages et revues de l’époque : un groupe
de patients du neurologue Jules Bernard Luys sont en
poses extatiques à la suite de la fixation attentive d’un
« miroir aux alouettes » installé sur un guéridon ; « l’instrument qui m’a paru le plus propre à atteindre le but
que je me proposais, c’est le miroir aux alouettes […].
Ces instruments, d’après ce que j’ai vérifié, ont chez
les sujets hypnotisables, soit du sexe masculin, soit
du sexe féminin, chez les hystériques et les non-hystériques […], une action somnifère des plus évidentes ».
Il s’agit là d’une technique (la fixation d’une surface
lumineuse en mouvement) qui s’impose dans de nombreuses expériences cliniques, à la suite des travaux de
James Braid127. Luys en explique le mécanisme physiologique : « Au moment où le sujet prédisposé est mis
en présence du miroir tournant, son œil est littéralement attiré, le regard est fixé ; il s’isole de l’extérieur, un
sentiment de fatigue se développe, les paupières commencent à clignoter, peu à peu elles se ferment […].
Il est à remarquer que, dans cet état spécial de fascination, l’isolement mental du milieu ambiant n’est pas
aussi complet et profond que dans les états somnambuliques du grand hypnotisme128. » Dans la technicité de
cet isolement du sujet, Luys vise l’optimisation d’une
action sur les « facultés émotives129 ». Celle-ci transpire
dans la toile de Moreau de Tours, qui reprend la composition des photographies témoins, à laquelle il ajoute
la présence, hors champ dans le cliché d’origine, des
médecins observateurs, Luys en particulier. Trois ans
après Brouillet, le topos de l’hypnose clinique s’est
déplacé vers un langage corporel, celui d’une grammaire combinatoire des « attitudes passionnelles »,
A
que l’on retrouve théorisée à la même époque dans
le champ du renouveau scientifique de la dramaturgie chez Georges Polti, classificateur impénitent, dans
sa Théorie des tempéraments et leur pratique (1889),
jusque dans le principe d’un « isolateur » par lequel
il envisage le rôle opérateur d’un objet dans le jeu de
scène130. Le tableau de Moreau de Tours ne dépeint pas
une scène clinique, il dresse plutôt une vue d’ensemble
des expressions dramatiques, consolidant l’hypothèse
d’une approche structurelle des « situations dramatiques131 », avec son lot d’automatismes gestuels d’où
serait évincé le principe d’une intériorité du sujet rejetée sur le langage extérieur des actions.
Or, ce travail d’extériorisation de la pensée (et la
manière de se représenter l’espace comme un « lieu
pensant »), nous le retrouvons précisément dans l’imaginaire des expériences menées autour de la transe hypnotique. Il faut pour cela revenir sur l’inventivité des
protocoles du docteur Luys à l’hôpital de la Charité
dépeint, par Moreau de Tours, en particulier autour des
expériences de « transfert de sensibilité ». Luys, dans son
traité sur Les Émotions dans l’état d’hypnotisme (1890),
au-delà de l’identification des mécanismes organiques
de la pathologie, dévoile « une série de phénomènes
A. Portrait du docteur Luys reproduit dans Foveau de Courmelles, L’Hypnotisme, Paris, 1890.
B. Processus des états hypnotiques par le Dr Luys, reproduit dans Foveau de Courmelles, L’Hypnotisme, Paris, 1890.
C. Leçon du docteur Luys à la Charité, gravure reproduite dans Foveau de Courmelles, L’Hypnotisme, Paris, 1890.
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d’une plus grande amplitude appartenant à la physique
générale, qui touchent non seulement aux actions dynamiques des corps sur les fibres nerveuses de l’être vivant,
mais encore qui, pénétrant dans les replis les plus reculés du for intérieur, sont susceptibles de mettre en branle
les cordes variées de l’émotivité humaine132 ». Soit une
authentique physique du transfert de la sensibilité, que
Luys a localisée dans les mouvements moléculaires de
la matière, qui relie, selon lui, « dans une synergie mystérieuse l’action de l’aimant à celles des courants électriques et des courants nerveux »133. C’est dans ce cadre
qu’intervient l’épisode des « couronnes magnétiques »,
très révélateur de la pensée analogique à l’œuvre dans
la pensée du clinicien, en particulier autour de la question d’une transmission à distance des états émotionnels
– un modèle qui abondera dans l’explication hypnotique
du rapport empathique à l’œuvre d’art. De quoi s’agit-il ?
Pour Luys, l’étude des phénomènes de l’hypnotisme
révèle au grand jour « la possibilité de faire le transfert
d’un sujet hypnotisé à un autre, non seulement des états
hypnotiques variés qu’il traverse, mais encore des émotions expérimentales qui lui sont communiquées134 » –
ce qu’il appelle « la transmission sympathique des états
émotifs d’un sujet à un autre135 ».
La physicalisation vibratoire de la pensée prend ici
tout son sens. L’idée défendue par Luys est de pouvoir emmagasiner les radiations cérébrales dans une
couronne aimantée136 placée sur la tête d’un sujet
hypnotisé137 : « Il s’agit dans ce cas non plus de l’emmagasinement des vibrations de nature magnétique mais
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bien des vibrations de nature vivante, de véritables
vibrations cérébrales, propagées à travers la paroi crânienne et emmagasinées dans une couronne aimantée,
dans laquelle elles persistent pendant un temps plus ou
moins long138. » Il a emprunté ce modèle de télé transportation sensible et psychique au mécanisme du « transfert névropathique » étudié par le docteur Babinski139 (il
apparaît lui aussi dans le tableau de Brouillet), qui avait
mené des expériences sur le transfert, par contact d’un
aimant interposé, d’un état de paralysie d’un sujet vers
un autre, ainsi qu’aux découvertes sur « l’extériorisation
de la sensibilité » menées par le colonel de Rochas. Pour
ce dernier (étude sur le cas de Lina de Ferkel), un sujet
placé sous hypnose étend le champ de sa sensibilité à
l’extérieur de son enveloppe corporelle pour le répandre
dans un espace ambiant interpersonnel, qui devient un
véritable réseau de circulation fluidique des émotions.
Ainsi d’une femme, « atteinte de mélancolie, avec des
idées de persécution, agitation et d’une tendance de
suicide », à laquelle Luys va appliquer cette couronne
aimantée : « Au bout d’une quinzaine de jours, cette couronne ayant été isolée à part, j’eus l’idée purement empirique de la placer sur la tête d’un autre sujet. C’était un
malade hypnotisable, hystérique, atteint de crises fréquentes de léthargie. Quelle ne fut pas ma stupeur à
B
A. Malades de la Charité, photographie reproduite dans L. R. Regnier, Hypnotisme et croyances anciennes, 1891.
B. Détail du tableau de Moreau de Tours, Les Fascinés de la Charité, 1890.
C. Les Fascinés de la Charité, photographie reproduite dans Foveau de Courmelles, L’Hypnotisme, 1890.
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voir ce sujet mis en état de somnambulisme, proférer
des plaintes, tout à fait les mêmes que celles proférées
quinze jours auparavant par la malade guérie140. »
Cet usage des « couronnes magnétiques » implique
beaucoup plus qu’une simple contagion de symptômes,
il pousse le transfert de la sensibilité vers un trouble
du genre plus identitaire. Luys applique en effet cette
couronne à un sujet hypnotisé masculin qui prend les
attitudes de la femme : « Il avait d’abord pris le sexe de
la malade ; il parlait au féminin, il accusait de violents
maux de tête, il disait qu’il allait devenir folle. En un mot,
le sujet hypnotique avait, grâce à la couronne aimantée,
pris l’état cérébral de la malade mélancolique141 ». Ce
phénomène, si sensible et tabou dans une époque hantée par une crise des masculinités que l’hypothèse d’une
hystérie au masculin lancée par Charcot venait alimenter142, retient l’attention sensationnaliste du public. Dès
octobre 1893, le journal La Justice, dont le rédacteur en
chef n’est autre que Georges Clemenceau, consacre un
article entier à ce troublant phénomène de « transfert
de la personnalité ». L’article s’intitule de façon programmatique « La femme-homme ». Il retranscrit l’expérience menée à la Charité par le docteur Luys sur un
sujet d’une trentaine d’années, victime d’une « surexcitation nerveuse de nature très spéciale, qui a résisté à
tous les remèdes ». Il place le jeune homme assis devant
une jeune femme, « très nerveuse aussi », que le médecin endort par hypnose. L’homme reste éveillé, dans son
état normal. « Il prend les mains de la dormeuse ; les
pieds et les genoux se touchent. Un aide du docteur Luys
promène de l’un à l’autre une barre aimantée. Cela dure
quelques minutes, au bout desquelles la femme s’agite,
a des tressaillements et des soubresauts. Le docteur
Luys lui dégage les mains ; l’homme se lève et s’éloigne.
La femme dort toujours. Le médecin l’interroge. Chose
étrange, elle parle au masculin. Elle a des sensations
d’homme ; elle se croit un homme […]. Le docteur Luys
la réveille, elle n’a plus conscience de rien. Mais pendant
que la personnalité de l’homme du malade est passée en
elle, celui-ci a été débarrassé de son mal, au moins partiellement ; le mal, avec la personnalité, est passé dans
la femme143. »
Un constat s’impose : si la clinique de l’hystérie
menée à la Salpêtrière est traversée par une définition
conventionnelle et stéréotypée de la féminité, elle est
aussi le lieu d’une subversion du genre qui touche directement la sphère des émotions. Dans son action thérapeutique sur les manifestations comportementales de
l’hystérie (Charcot ouvre en 1882 un service d’accueil
annexe pour les hommes dans un hôpital dédié exclusivement aux femmes144), l’hypnotisme participe à la
reformulation du partage culturel des rôles (masculin/
féminin), venant ouvertement déstabiliser la porosité
des clivages genrés, dans le jeu de la transe et des transferts identitaires145. En cherchant à dé-biologiser l’hystérie réduite culturellement à une pathologie féminine (la
« maladie de la matrice ») pour ouvrir la possibilité d’une
version au masculin, Charcot a délibérément choisi de
ne pas surinvestir les cas d’efféminement constaté, chez
les hommes hystériques (il s’est penché sur quelques cas
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A. Couronne magnétique, gravure de Louis Delfosse reproduite dans Gérard Encausse,
Du traitement externe
et psychique des maladies nerveuses, 1897.
B. Altra scena d’amore, photographie reproduite dans Scene d’ipnotismo col modo di produrle, 1900.
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A. Technique du traitement par les transferts, gravure reproduite dans Gérard Encausse,
Du traitement externe et psychique des maladies nerveuses, 1897.
B. Oskar Kokoschka, Hans Tietze et Erica Tietze-Conrat, 1909, huile sur toile, 76,5 x 136,2 cm, New York,
The Museum of Modern Art.
C. These four subjects are hypnotizing one another after receiving instructions from the operator,
photographie reproduite dans Herbert Parkyn, Suggestive Therapeutics and Hypnotism, 1900.
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A. Photographie extraite de X. Lamotte Sage, Hypnotism As It Is, 1899.
B. Aparato hipnotizador, planche extraite de Sanchez Herrero, El hypnotismo. La sugestion.
Estudio de fisio-psicologia y de psico-terapia, 1891.
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A. Hipnotizacion por medio del reflector hipnogeno, photographie reproduite dans Bertran Rubio,
Hipnotismo y Sugestion. Estudio critico, applicaciones a la terapeutica, ca. 1900.
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B. Hipnotizacion por medio del reflector hipnogeno, photographie reproduite dans Bertran Rubio,
Hipnotismo y Sugestion. Estudio critico, applicaciones a la terapeutica, ca. 1900.
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A. Jean-Martin Charcot à la Salpêtrière, gravure reproduite dans La Nature, 1879.
B. Planche extraite de l’ouvrage de Juan Torrents Coral, Hipnotismo fenomenal y filosofico, 1906.
C. Comment on produit l’état hypnotique : par un jeu subit de lumière électrique, planche extraite de Louis Figuier, Les Mystères de la science, 1892.
D. Sascha Schneider, Hypnose, 1904, photogravure.
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d’inversion dits de « féminisme146 »). En revanche, l’hypnotisme – notamment à partir de ses jeux de transferts
et de « dédoublement de la personnalité » – a été collectivement perçu comme un moyen de déjouer les frontières normatives du genre, en inventant des possibilités
de vivre pleinement l’expérience de l’altérité, autorisée
dans le brouillage du « grand ébranlement psychique147 ».
En d’autres termes, les expériences faites autour de
l’induction et de la transe hypnotiques auront contribué
à défaire l’économie de la différence des genres. Il sera
nécessaire d’élucider plus avant le cas de l’hypnose opticaliste chez Marcel Duchamp converti en Rrose Sélavy,
son alter ego féminin, ainsi que de nombreux autres cas,
traversant le XXe siècle, associant transe hypnotique et
expérimentation créative de la fluidité des genres. Mais
avant cela, il est loisible de constater que la culture
populaire s’est emparée du lien tissé entre hypnose,
transe et trouble du genre. Nulle surprise à retrouver
au milieu de saynètes populaires associées aux phénomènes de transmission de pensée et d’hypnose de scène
des numéros d’inversion de genre148 ou de travestissement. C’est le cas notamment, dès 1887, des spectacles
de Monsieur Verbeck au London’s Piccadilly Hall, inspirés de l’hôpital de la Salpêtrière avec un curieux numéro
intitulé Man Transformed into Woman149, une « sorte de
féminisation » que l’on retrouve dans Les Amours d’un
interne, de Jules Claretie, où le « petit Valentin », que sa
sœur Blanche surnomme « Mademoiselle Valentine »,
connaît une légère transe hypnotique, marchant « sur
ses talons, horriblement déguisée en homme […], les
regards malicieux et la tournure d’un ouistiti travesti
en homoncule150 », alors qu’« une âme de petite femme
semblait logée dans ce corps grêle, dont le sexe devenait indistinct151 ». La schize du « dédoublement de personnalité », dans une transe hypnotique désormais lue
comme une performance de subjectivité, nourrit la dramatisation d’une identité aux frontières plus poreuses,
jusqu’à l’indétermination de sa définition sexuelle, telle
que de nombreux sexologues de cette fin de siècle entreprennent de la circonscrire, certains, et ce n’est pas un
hasard, étant occupés par des recherches parallèles sur
l’hypnose (Krafft-Ebing, Schrenck-Notzing ou Albert
Moll, chacun investi dans les typologies des inversions
sexuelles, ainsi que dans des recherches expérimentales sur l’hypnotisme152). Séraphîta, de Balzac, mêlait
déjà étroitement la réalisation bisexuée de l’androgyne
et le magnétisme animal ; de nombreux romans populaires du passage du siècle, surfant beaucoup plus sur
l’exploration antinormative d’une clinique des perversités, viendront alimenter cette veine d’une manipulation
hypnotique des catégories de genre qui accréditait de
l’intérieur l’entreprise de « dénaturalisation » de l’identité virile, quitte à noyer le trouble des masculinités au
sein d’une culture ouvertement misogyne qui se voyait
contestée par la montée des féminismes153.
Le modèle fourni par cette « loi du transfert » ne s’arrête pas à cette fantasmatique d’une plasticité des genres.
Il va, de manière beaucoup plus significative encore,
imposer le principe vibratoire d’une transmission des
émotions à distance, directement applicable à la relation esthétique. Le neurologue Charles Féré, professeur
assistant à la Salpêtrière, et son collègue Alfred Binet,
le futur inventeur des tests d’intelligence, venaient de
s’investir, à la suite de premières recherches sur « l’hallucination provoquée », dans l’étude des phénomènes
de « polarisation des émotions » et de « transfert de sensibilité » observés chez les hystériques en état d’induction hypnotique154. Pour les deux savants, il s’agit d’un
« transfert psychique155 », qu’ils perçoivent comme une
base expérimentale susceptible d’expliquer une « communauté de sensations », au-delà du simple cadrage
typologique orchestré par leur maître Charcot. Binet et
Féré s’attachent ainsi à faire passer Blanche Wittman,
leur sujet de prédilection devenue l’égérie de Charcot,
d’un état d’euphorie à une apathie inhibée, de la joie
à la tristesse. La succession d’émotions opposées correspondant selon eux à des « oscillations consécutives »
qui se manifestaient dans l’organisme par un phénomène de « transfert », à mi-chemin entre aimantation (le
passage des aimants sur le corps) et suggestion (le rôle
attribué à la parole accompagnant la description des
expériences). Pour le docteur Encausse, qui aide Luys
dans ses expériences de « couronnes magnétiques », ce
… la culture populaire s’est emparée
du lien tissé entre hypnose, transe
et trouble du genre. Nulle surprise
à retrouver au milieu de saynètes
populaires associées aux phénomènes
de transmission de pensée et
d’hypnose de scène des numéros
d’inversion de genre ou
de travestissement…
« transfert psychique » est à comprendre de manière littérale et physicalisée : « Tous ces états névropathiques,
qu’ils soient d’ordre somatique ou d’ordre psychique,
paraissent donc obéir aux mêmes lois du transfert et
pouvoir au gré de l’expérimentateur, être ainsi imposés
à des sujets hypnotisés qui peuvent transitoirement leur
servir de récepteurs, et s’en imprégner d’une façon complète au grand avantage de leur amélioration curative
[…]. Est-ce que ces transferts à distance de forces neuriques et psychiques, à l’aide d’un substratum matériel,
par une simple couronne aimantée, ne rappellent pas à
l’esprit l’action mystérieuse des talismans et amulettes,
des sortilèges des sorciers156. »
Ce mode de transmission « psychique » se retrouve
dans les théories très influentes de Jean-Marie Guyau
sur la sociologie naissante de l’art. Guyau pense le
mécanisme d’empathie de l’art à partir d’un modèle
des attractions électives qui doit beaucoup à l’imaginaire fluido-magnétique et ses métaphores acoustiques.
Plongeons dans ses analyses ; elles mettent en place
une exégèse « somnambulique » des mécanismes de
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fascination face à l’œuvre d’art, qui va devenir incontournable dans la culture esthétique du passage du
siècle, à savoir le paradigme de la « résonance sympathique » : « La transmission des vibrations nerveuses et
des états mentaux corrélatifs est constante entre tous les
êtres vivants […]. Il n’est que logique de supposer dans
le monde moral des phénomènes analogues de vibration
sympathique ou, pour parler le langage psychologique,
de détermination réciproque, de suggestion et comme
d’obligation mutuelle […]. La transmission inconsciente
et directe à distance des mouvements et des états psychiques d’un organisme, au moyen de simples courants
nerveux, semble incontestable dans certaines conditions, par exemple dans le somnambulisme157. »
C’est là que se met en place le principe d’une « sociabilité esthétique » conçue selon le lexique de l’hypnotisme,
comme un « rapport » quand « l’individu que l’on considérait comme isolé, enfermé dans son mécanisme solitaire, est apparu comme essentiellement pénétrable aux
influences d’autrui, solidaire des autres consciences ».
L’art a vocation à créer du lien social et ne peut atteindre
cet objectif unanimiste que dans la « réalisation immédiate en pensée et en imagination, et immédiatement
sentie, de tous nos rêves de vie idéale ; de vie intense
et expansive158 ». Alfred Fouillée, le grand théoricien du
solidarisme, ne dit pas autre chose dans sa préface à l’ouvrage de Guyau : « Pour bien comprendre un artiste, il
faut se mettre “en rapport” avec lui, selon le langage de
l’hypnotisme ; et pour bien saisir les qualités de l’œuvre
d’art, il faut se pénétrer si profondément de l’idée qui la
domine, qu’on aille jusqu’à l’âme de l’œuvre ou qu’on
lui en prête une159. » Car Fouillée – comme beaucoup
d’auteurs liés à la mouvance de « l’art social », qui s’inspireront de lui pour défendre une interconnexion « communale » des consciences – est convaincu que « ce qui
nous constitue comme individus conscients, c’est précisément la conception de notre lien interne avec les autres
êtres conscients » et que « plus nous pénétrons dans
notre moi, plus nous pénétrons aussi dans autrui160 ».
Or, pour Fouillée, c’est précisément l’expérience de la
transe magnétique qui porte à son maximum d’expansion, jusqu’à la rendre visible, cette relation enfouie des
consciences, retrouvant là, sans énoncer sa source, un
modèle de communication que Proudhon avait déjà mis
en place dans Du principe de l’art et de sa destination
sociale (1865) : « L’artiste est l’homme doué à un degré
éminent de la faculté de sentir l’idéal et de communiquer aux autres, par signes, gestes, figures, descriptions,
mélodies, son impression. Or, autant la transmission de
la pensée par le langage ordinaire peut être dite impersonnelle, autant les moyens employés par l’artiste sont
empreints de sa personnalité […]. Par sa personnalité,
il agit donc directement sur la nôtre ; il a puissance sur
nous, comme le magnétiseur sur le magnétisé ; et cette
puissance est d’autant plus grande qu’elle s’exerce avec
un idéalisme plus énergique, je veux dire, en me référant
à mes observations antérieures, en un style plus original,
à l’aide de figures ou formes plus frappantes ; ce qui suppose dans l’artiste une plus grande faculté de création,
une plus grande liberté. Jeune écrivain, jeune peintre,
jeune statuaire, vous sentez-vous cette puissance ? Vous
avez la liberté artistique ; hors de là, souvenez-vous-en,
vous n’êtes qu’un libertin et un impuissant161. »
Manifestement inspiré par Fouillée, le jeune Jean
Jaurès, étudiant en philosophie, s’en souviendra quand,
dans sa thèse intitulée La Réalité du monde sensible
(1902), il livrera une réflexion transformiste sur le progrès de l’humanité et l’évolution de l’espèce particulièrement inspirée, voire obnubilée par les « puissances
prodigieuses de l’hypnotisme » : « On peut se demander
s’il n’y a pas là les éléments d’un nouveau progrès de la
conscience et de la vie sur notre planète ; pourquoi l’évolution serait-elle arrivée dans l’homme actuel et normal
à son dernier terme ? Il suffirait à l’homme d’incorporer
à son être normal les puissances que l’hypnotisme met
à découvert pour devenir un être nouveau. Il faudrait
qu’il acquît l’action magnétique sur les objets extérieurs,
la pénétration extraordinaire du regard et la perception
immédiate de la pensée par la pensée, sans perdre la
possession de lui-même et cette continuité de souvenirs
qui soutient l’individualité162. »
Jaurès va plus loin en invitant « l’être nouveau »
à autogérer, à accélérer sa propre transformation au
moyen des techniques d’autohypnose qui, propagées
de manière « universelle », pourraient aussi hâter la
conversion du collectif embrasé par cette communication consensuelle des consciences, allant jusqu’à rendre
« accessoire » l’autonomie mythifiée du sujet :
« Il faudrait qu’au lieu de porter en lui deux personnes,
l’une, la personne normale, l’autre, la personne anormale que l’hypnotisme développe, il fondît ces deux
personnes en une seule, réunissant leurs puissances
diverses. Peut-être la pratique universelle et réglée de
l’hypnotisme, l’alternance méthodique de l’état normal
et de l’état hypnotique, l’habitude et l’hérédité, amèneront-elles cette fusion et la création d’une humanité
nouvelle ? […]. Or le jour où l’homme normal se serait
assimilé les puissances de l’état magnétique et hypnotique, voyez comme, dans la vie humaine, l’organisme
individuel deviendrait accessoire. Sans doute, il resterait
toujours présent à la conscience comme la racine nécessaire de l’individualité, mais le moi pourrait remuer, par
sa volonté directe, d’autres corps que son propre corps ;
il ne serait donc plus l’âme exclusive d’un organisme
particulier, mais bien l’âme de toutes choses, aussi loin
que son action pourrait s’étendre163. » Les avant-gardes,
très portées par l’élan unanimiste de cette « âme du
monde164 », vont s’en souvenir, non sans avoir préalablement plongé le mécanisme de la fascination dans une
lecture plus archaïque et primitiviste.
LES ANIMAUX, À L’ORIGINE
FASCINATIONS DES PRIMITIFS
Poursuivant sa visite « médicale » des salons de peinture du passage du siècle, le docteur Foveau de Courmelles
s’arrête sur ce qui lui paraît rejoindre cette clinique de
la fascination d’une manière plus anthropologique : « Au
Palais de la Société Nationale des Beaux-Arts, au Champ
de Mars, l’action fascinatrice de l’homme sur les animaux, et en particulier sur les serpents, est consacrée.
J. de Cala donne Le Charmeur de serpents165. » De fait, la
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littérature sur l’hypnotisme réserve de nombreux développements à ce modèle du « sommeil provoqué chez les
animaux166 », à commencer par Foveau, dans un ouvrage
consacré aux Facultés mentales des animaux (1890), et
avec lui tous les auteurs qui se frottent à la question des
origines du procédé hypnotique. Dans l’ensemble, ces
auteurs renvoient aux expériences du père Kircher (un
pionnier de la lanterne magique, l’inventeur des « appareils à fantasmagorie » [Foveau]), qui dès 1646 « endormait des poules, en leur liant les pattes et les plaçant
devant une ligne tracée à terre167 ». L’anecdote est rapportée par la plupart des historiens du magnétisme animal, considérée comme une épreuve baptismale, même
si cela pose assez vite l’enjeu d’une étude comparative
avec des techniques extra-occidentales tout aussi ancestrales. Dans Hypnotisme et croyances anciennes (1891), le
docteur Regnier, interne de la Salpêtrière, considère que
les techniques d’envoûtement des serpents, connues dès
l’Antiquité égyptienne et répandues en Inde, sont la préfiguration des techniques modernes d’hypnose. Analyse
semblable chez Foveau de Courmelles, qui s’attarde sur
la paralysie des animaux, consacre plusieurs passages
à la peur de certains fauves d’être terrassés par la fixité
d’un regard humain (« l’ophidiophobie »), ouvre le débat
sur le « somnambulisme animal », appelé poétiquement
le « sommeil mesmérique chez les animaux ».
La vague orientaliste favorisait ce déplacement,
comme en témoigne dans ce même Salon du Champde-Mars de 1890 la présence du tableau d’Étienne
Dinet, Le Charmeur de vipères à Laghouat, une version
exotique elle-même servie par la présence de scènes
d’hypnose folkloriques lors des reconstitutions factices
de « villages coloniaux » à l’Exposition universelle de
1889, notamment le spectacle très commenté des aïssaoua, charmeurs de serpents de la province de Souss
(Maroc). Foveau en livre une description détaillée dans
son ouvrage sur L’Hypnotisme qui peut servir d’ekphrasis au tableau de Dinet. Au cours de cet été 1889 se tient
à Paris le « 1er Congrès international de psychologie physiologique », à l’instigation de Jules Ochorowicz et sous
l’égide tutélaire du professeur Charcot.
Les travaux se partagent en deux sections consacrées,
l’une, aux hallucinations, dirigée par Sidgwick, et l’autre,
à l’hypnotisme sous la direction de Delbœuf. Jonathan
Crary note dans Suspension of Perception combien la
tenue de cet événement en pleine Exposition universelle
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A. Le célèbre professeur américain Ferdinandus… Magnétisme humain…, affiches américaines Charles Lévy,
lithographie en couleurs, 91 x 125 cm, 1888, Bibliothèque nationale de France.
B. Scène d’hypnotisme dans la cage d’un dompteur de lions, gravure reproduite dans La Nature, 7 janvier 1888.
C. Séance d’hypnotisme par le docteur de Torcy, magnétiseur, reproduite dans L’Illustration européenne, 1888.
n’est pas anodine168. Le Paris de la Belle Époque, qui
découvre la transe primitive des villages aïssaoua, a assimilé la diffusion publique des séances de la Salpêtrière à
une sorte de démenti du caractère magique et religieux
de l’extase. Démystification rationaliste, mais aussi, et
paradoxalement, sa requalification contemporaine qui
éclaire les regards médusés de nombreux fauves peints
par le Douanier Rousseau, et plus encore la fabrique de
sa fameuse Charmeuse de serpent.
Les mises en scène des jungles peuplées de créatures
investies dans des opérations de charme et d’envoûtement renvoient à ce glissement subtil entre l’univers archaïque de la magie et le monde plus technique
de la suggestion, comme s’il s’agissait pour Rousseau
de réinjecter une dimension magique dans l’art tout
en reconnaissant aux moyens de l’enchantement un
mécanisme plus clinique. La figure du sorcier (l’exorcisme) passe à celle de l’hypnotiseur (le magnétisme),
d’une conception ancestrale du magicien (une religion
de l’incantation) à celle de l’envoûteur (une psychologie de la suggestion) : être consciemment un « primitif moderne » dans le maintien d’un écart lucide
entre croyance animiste et fascination unanime. Cette
inflexion s’opère au moment où la pensée occidentale
et ses nouveaux outils anthropologiques posent ouver-
tement la question du désenchantement du monde
moderne dans la dissolution de la foi primitive169. Marcel
Mauss vient de proposer en 1904 son « esquisse d’une
théorie générale de la magie », où il montre comment
« la magie est, par définition, un objet de croyance collective », un a priori dégagé de l’expérience tangible des
sens : « La croyance en la magie est toujours a priori.
La foi dans la magie précède toujours l’expérience {}.
La magie est crue et non pas perçue170. » Comment
dès lors penser la magie de l’art dans un monde où la
magie s’est éclipsée ? Qu’est-ce que serait une « magie
perçue » et non plus une « magie crue » ? Mauss répondra magie des sens, qui accorde une large place à une
relecture optique de l’extase, le régime de la fascination hypnotique comme version sécularisée de l’envoûtement sorcier. À propos de son ami Rousseau,
Guillaume Apollinaire disait qu’« il avait un sentiment
si fort de la réalité que quand il peignait un sujet fantastique, il s’épouvantait parfois et tremblant, il était
obligé d’ouvrir la fenêtre171 ». Le texte est une reprise
de notes plus anciennes où le poète dressait le portrait
d’un Rousseau halluciné qui « s’épouvantait devant
ses propres imaginations172 ». Le terme est choisi ; il se
réfère à une « vision mentale173 », rejoignant ce champ
résiduel de « l’hallucination hypnotique ».
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C’est à cette approche clinique de la perception
et de sa fantasmatique de l’emprise du regard qu’il
faut rattacher les figures somnambules peuplant les
« jungles urbaines » de Rousseau. Elles sont les agents
d’un rapport proprement hypnotique à l’image, travaillé par la subversion de l’amour inassouvi, que seule
une expérience intensifiée de la représentation, quasi
fétichiste, permet de résoudre en accédant aux zones
plus enfouies de la conscience, celle de « l’amour
magnétique » que Rousseau invoquera quelques
années avant les surréalistes. Ses fauves aux yeux exorbités sont autant de rappels de sa propre tétanisation
sous le charme de la femme (du « magnétisme animal » à la « pétrification amoureuse »). Les rêves de
jungles seraient ainsi des songes nocturnes de soumission. Dans Le Rêve, œuvre testamentaire, Yadwigha,
la jeune Polonaise dont s’était épris Rousseau, est
elle-même sous le charme du joueur de flûte auquel le
peintre se serait identifié. Le rêve ne serait plus celui
de la jeune odalisque, mais celui du peintre lui-même,
assurant son emprise séductrice sur la femme de ses
B
A
rêves, la femme inaccessible domptée par l’exorcisme
pictural. Rousseau rencontre ainsi dans la figure du
magnétiseur non seulement un modèle de laïcisation du regard « illuminé », mais le véritable parangon
d’une optique pulsionnelle où l’œil, actif ou captif, est
à la fois l’instrument de la (dé)possession sexuelle et
l’outil de son exorcisme.
Si, dans la distribution sexuelle des rôles au sein
des séances d’hypnose, le sujet est presque toujours
féminin, la femme n’y est pas seulement automate et
victime, proie sans défense. Nombre d’auteurs analysent des cas de médecins épris de leur patiente,
mais aussi de sujets, beaucoup moins passifs que
prévu, qui simulent l’hystérie pour mieux se rapprocher des internes. C’est le mystère des envoûtements
de l’amour profane, où la femme est à la fois l’objet
fantasmatique et l’actrice de l’emprise magnétique174,
qui nous permet d’interpréter les dispositifs visuels
adoptés par Rousseau dans ses paysages de rêve, les
Jungles en particulier. Non seulement l’attitude hiératique des personnages, proche des tétanisations
cataleptiques, est une mise en abyme de l’emprise
du regard, mais le montage tout entier de la composition contribue au conditionnement hypnotique du
A. Procédé pour la production d’un état hypnotique, gravure reproduite dans Paul Regnard,
Sorcellerie, magnétisme, morphinisme, délire des grandeurs, 1887.
B. Ferdinand von Reznicek, Hypnose, ca. 1900, carte postale, Munich.
C. La Prise du regard. Roman d’hypnotisme, ca. 1900, affiche, coll. part.
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spectateur : « Pour Rousseau, l’artiste est un mage qui
devient pour le spectateur un champ magnétique ou
magnéto-électrique vivant175. » Le Douanier place délibérément au milieu de ses Jungles nocturnes un point
lumineux fixe, lune ou soleil couchant (Paysage exotique avec un gorille attaquant un Indien ou Nègre attaqué par un jaguar, 1910). L’œil circule dans le dédale
surchargé d’une végétation tropicale ombragée, survole les zones les plus pittoresques puis s’engouffre
dans le seul point de fuite perspectif, un punctum
lumineux. C’est ce que Paul Souriau appellera la « fascination par l’éclat ».
Car sous ce versant plus animiste que l’on retrouve
tel quel dans de nombreuses descriptions cliniques
de la Salpêtrière, il ne s’agit pas seulement d’absorber le regard mais de se l’approprier. Les mots de
Bourneville, l’assistant de Charcot, maître d’œuvre de
l’Iconographie de la Salpêtrière, donnent le ton : « Dans
cet état de fascination, le sujet hypnotisé appartient
absolument au fascinateur et repousse violemment
toute personne qui vient s’interposer, à moins toutefois que cette personne ne vienne elle-même accomplir les manœuvres nécessaires, et comme disent les
spécialistes, prendre le regard du sujet au moyen de
ses yeux, en recommençant pour son propre compte
la fascination176. » L’affiche de Fix pour la promotion
du « roman d’hypnotisme » d’André Valdès, La Prise
du regard, reprend ce poncif : la jeune femme est littéralement absorbée, le mouvement en avant de son
buste accompagnant l’injonction à se rapprocher ici
d’un magnétiseur confondu avec le propre spectateur.
Mais ce regard est non seulement celui d’une attraction létale, mais celui que l’envoûteur veut conjurer et
éviter comme dans le roman lui-même : « Maintenant
qu’il la tenait en son pouvoir, il aurait préféré qu’elle
cessât de le regarder ainsi, et faisait son possible pour
lui échapper177. »
« SUGGÉRER PLUTÔT QUE DÉCRIRE »
BERNHEIM AVEC BERGSON
C
Cependant, la révolution de l’âge d’or médical de
l’hypnose autour des années 1880-1890 viendra du
dehors de cette physiologie réflexologique héritée de
la Salpêtrière. Elle doit beaucoup plus à celui qui va
devenir le contradicteur de Charcot, un confrère qui
enseigne à la faculté de médecine de Nancy : le professeur Hippolyte Bernheim. Le renversement s’opère
en 1884 à l’occasion de la publication d’un ouvrage
qui fera date, De la suggestion dans l’état hypnotique
et dans l’état de veille. Bernheim va ébranler le système élaboré par Charcot en remettant en question
le lien entre hystérie et hypnotisme, pour se recentrer sur la relation psychologique entre l’opérateur
et son sujet. La clé de l’hypnotisme résidant dans le
phénomène de la « suggestion », Bernheim naturalise l’état hypnotique et, par là, l’extirpe d’un destin
nosologique pour lui affecter de nouveaux pouvoirs
directement associés aux questions de volonté, de
confiance et d’empathie : « L’hypnose n’est pas un état
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contre-nature, nous dit Bernheim ; elle ne crée pas de
fonctions nouvelles ; elle ne détermine pas de phénomènes extraordinaires ; elle développe ce qui peut se
réaliser spontanément ; elle exagère, à la faveur d’une
concentration psychique spéciale, la suggestibilité normale que nous possédons tous à un certain degré ;
elle développe un état de conscience nouveau avec
prédominance des facultés intellectuelles, à la faveur
duquel nous réalisons, avec plus d’éclat et de netteté,
les idées, les impressions, les images provoquées178. »
L’hypnotisme relève désormais d’une propriété
psychique beaucoup plus vaste et partagée, « la
suggestibilité », et son corollaire, la propension de
l’idée reçue par le cerveau à se transformer en acte
à laquelle Bernheim donne le nom d’« idéodynamisme » : « Toute idée suggérée et acceptée tend à se
faire acte […]. Toute cellule cérébrale actionnée par
une idée actionne les fibres qui doivent réaliser cette
idée179. » Sur le modèle de l’automatisme réflexe qui
court-circuite le cerveau, la suggestion vient agir sur
le sujet hors du champ de sa volonté, l’activité psychique supérieure étant mobilisée « sur un fond d’automatisme qu’elle domine et intègre en l’inhibant180 ».
Dans les faits, Bernheim invite à se débarrasser du
« vieux » terme d’hypnotisme, procédant au démembrement d’une « réalité psychique » étudiée du dehors
et facile à manœuvrer : « Le mieux, à mon avis, serait
de supprimer complètement le mot d’“hypnotisme”
et de le remplacer par celui d’état de suggestion. Les
procédés dits hypnotiques se réduisent à démontrer
ou à exalter les diverses suggestibilités […]. Il n’y a pas
d’hypnotisme {}, il n’y a que des sujets suggestibles,
plus ou moins181. » L’hypnose passe à un statut clinique
normalisé, sans pour autant « diluer la scène de la suggestion dans un pur jeu de rôles182 ».
Négligeant la part somatique qui avait envahi de
manière très théâtralisée la scène de la Salpêtrière,
Bernheim impose un nouveau tournant « psychique » à
l’hypnose. Au moyen de nombreuses contre-épreuves
expérimentales, il va réfuter point par point l’objectivité des indices somatiques recueillis par Charcot (en
particulier sa symptomatologie en trois phases – catalepsie/léthargie/somnambulisme – présentée comme
un leurre), expliquant désormais l’hypnose par des
effets directs de la « mise en sommeil nerveux » obtenue par la seule « suggestion verbale ». Les appareils
vont devenir à cette occasion superfétatoires183, pour
recentrer le mécanisme de l’hypnose sur un mode
relationnel, un mouvement interpersonnel. Ce changement de braquet est le fait de la diffusion au sein
de la faculté de Nancy des travaux très empiriques du
« père » Auguste Liébault, un médecin de campagne
qui dans son Sommeil et ses états analogues (1866)
se présentait comme un simple « endormeur » rompu
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A. Suggestion. Vue imaginaire d’un oiseau qui s’envole, gravure extraite des Petits secrets du magnétisme et de l’hypnotisme, ca. 1900.
B. Hallucination sous hypnose, photographie reproduite dans Donato, Cours pratique d’hypnotisme et de magnétisme, ca. 1900.
C. Visions produced by hypnotism, planche extraite de Complete Mail Course of Twenty Illustrated Lessons in Hypnotism, 1899.
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aux techniques de « magnétisme psychologue ». Pour
Liébault, le « sommeil guérit ». Il a le mérite d’avoir le
premier appliqué la suggestion en thérapie, via une
technique de l’endormissement184.
Ce nouveau tournant psychologique va avoir un
net impact sur sa déclinaison dans le champ de l’art, à
une époque fortement marquée de la montée en puissance d’une « esthétique psychologique185 ». Car ce
qui pouvait sembler un démêlé purement nosologique
réservé à quelques académies de médecine en concurrence nourrit en fait un vaste débat sur la gestion de
masse des affects et des émotions. Puisque toute pâte
humaine est malléable sous l’action de la suggestion
(notamment la puissance du langage et de la parole),
l’emprise sensible sur le spectateur doit se déployer
dans le cumul des sensations : l’écoute vient épauler le
voir, dans une anticipation de l’emprise audio-visuelle
qui pour reprendre les termes de Jacques Rancière, se
conçoit avant tout comme une « pensée de la configuration du sensible qui instaure une communauté186 ».
Le premier à conduire ce mouvement est un auteur
qui occupe la scène de la pensée philosophique dans la
France du tournant du siècle : Henri Bergson. Dès 1886,
le théoricien du vitalisme s’est penché sur les phénomènes d’induction hypnotique dans un article publié
dans la Revue philosophique consacré à la « simulation
inconsciente dans l’état d’hypnotisme187 ». Ses Cours
de psychologie donnés à Clermont-Ferrand en 18871888 en témoignent, réservant au cas de « somnambulisme provoqué » de nombreuses pages. Mais c’est
avant tout dans son Essai sur les données immédiates
de la conscience (1889) qu’il se fait le plus explicite sur
une approche hypnotique de l’art : « L’objet de l’art est
d’endormir les puissances actives ou plutôt résistantes
de notre personnalité, et de nous amener ainsi à un
état de docilité parfaite où nous réalisons l’idée qu’on
nous suggère, où nous sympathisons avec le sentiment
exprimé. Dans les procédés de l’art, on retrouvera sous
une forme atténuée, raffinés et en quelque sorte spiritualisés, les procédés par lesquels on obtient ordinairement l’état d’hypnose188 ».
Bergson ne se contente pas de l’effet de manche de
l’analogie ; il pousse le rapprochement jusque dans
le phasage des étapes de la contemplation esthétique : « Il résulte de cette analyse que le sentiment
du beau n’est pas un sentiment spécial, mais que
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tout sentiment éprouvé par nous revêtira un caractère esthétique pourvu qu’il ait été suggéré et non
pas causé. L’émotion esthétique nous paraît admettre
des degrés d’intensité, et aussi des degrés d’élévation. Tantôt en effet le sentiment suggéré interrompt à
peine le tissu serré des faits psychologiques qui composent notre histoire ; tantôt il en détache notre attention sans toutefois nous les faire perdre de vue, tantôt
enfin il se substitue à eux, nous absorbe, et accapare
notre âme entière. Il y a donc des phases distinctes
dans le progrès d’un sentiment esthétique, comme
dans l’état d’hypnose ; et ces phases correspondent
moins à des variations de degré qu’à des différences
d’état ou de nature. Mais le mérite d’une œuvre d’art
ne se mesure pas tant à la puissance avec laquelle le
sentiment suggéré s’empare de nous qu’à la richesse
de ce sentiment lui-même : en d’autres termes, à côté
des degrés d’intensité, nous distinguons instinctivement des degrés de profondeur et d’élévation189. »
Une œuvre d’art a donc vocation, dans l’esprit de
Bergson, à suggérer plus qu’à exprimer : elle vise non
pas à retranscrire des représentations reçues passivement par un sujet légèrement anesthésié, mais au
contraire à réintroduire par effet de contagion et de
résonance ce sujet dans l’émotion créatrice qui a produit l’œuvre. D’où l’exigence de représentations « plus
souples, informelles et fluides », mieux à même d’incarner, dans leur métamorphose insaisissable, ce qui
ne peut être déterminé dans l’expression d’une forme
fixe. Au passage, l’association est faite ici entre les
moyens de cette absorption et un langage visuel qui
se dédouane des leçons du mimétisme (l’abstraction
n’est pas loin) : « Les arts plastiques obtiennent un
effet du même genre par la fixité qu’ils imposent soudain à la vie, et qu’une contagion physique communique à l’attention du spectateur […]. Ainsi l’art vise à
imprimer en nous des sentiments plutôt qu’à les exprimer ; il nous suggère, et se passe volontiers de l’imitation de la nature quand il trouve des moyens plus
efficaces190. »
À quoi Bergson semble opposer un langage graphique, proto-abstrait, fondé sur une rythmique
continue et itérative qui assure le « bercement de la
conscience ». Il conditionne le sentiment esthétique
à « la perception d’une certaine aisance », la fluidité
des mouvements, celle notamment d’une courbe
régulière plutôt qu’une ligne brisée. Le spectateur est
envoûté par le continuum du mouvement qui s’apparente au rythme organique de sa vie instinctive et profonde, celle qui ne se réduit à aucun instant analytique
donné. À la perception d’une aisance de mouvement
imprimée dans le matériau, vient se fondre « le plaisir d’arrêter en quelque sorte la marche du temps »
jusqu’à ce point où une « communication » s’installe
entre le rythme visuel de la composition et le spectateur qui la contemple, sur le mode d’une « sympathie
physique ». En d’autres termes, l’expérience esthétique a pour but de faire tomber la « barrière » spatio-temporelle interposée entre la volonté de l’artiste
investie dans la production de l’œuvre et la conscience
du sujet plongé dans sa contemplation. En cela, le rapport à l’art défini par Bergson se « présente comme
une esthétique de l’immédiateté qui n’est pas fusion
mais auto-création sympathique, le sujet et l’œuvre se
recréent au fur et à mesure que le premier se laisse
envahir par le déploiement de multiples virtualités
affectives portées par l’œuvre191. » Dans cette mobilité
optique de la grâce, le spectateur se plaît à progresser
en intensité dans les profondeurs de sa conscience,
alimenté du propre inachèvement de l’œuvre demandant à être toujours continuée selon un rythme oscillatoire compris comme une totalité irréductible à ses
parties. Plus le sentiment exprimé est profond et sa
traduction plastique, riche et fluide, plus l’œuvre d’art
aura d’impact sur l’ensemble de la conscience d’un
spectateur happé par cette fluidité ininterrompue qui
subjugue et fait oublier jusqu’à la médiation matérielle de l’œuvre (un court-circuit perceptif qui est la
condition même de l’efficacité suggestive de l’œuvre,
puisqu’il s’agit toujours d’évincer la cause pour ne
souligner que l’effet : « Tout sentiment éprouvé par
nous revêtira un caractère esthétique, pourvu qu’il ait
été suggéré, et non pas causé192 »).
Cela explique notamment la part « suggestive »
donnée à la musique, l’art le plus impondérable dans
lequel Bergson reconnaît une forme d’« autocréation
de la matière, l’idée se cherchant en quelque manière
une expression193 ». Fils de Michel Bergson, pianiste,
compositeur et auteur de plusieurs opéras, le philosophe a voulu se lancer dans l’écriture d’un vaste
traité d’esthétique musicale qui ne verra jamais le jour.
Cependant, c’est certain, Bergson a vu dans la musicalisation rythmique des arts, la condition d’une esthétique pleinement moderne par sa capacité à absorber
au mieux un sujet-cible si sollicité par les turbulences
du monde extérieur. La suggestion devient une force
dont les effets varient selon la résistance des individus. Bergson a retenu la leçon de Bernheim. Pour lui,
les « puissances résistantes » désignent l’activité d’un
moi social qu’il oppose au moi profond. Intelligence
versus vitalité intuitive. L’intellect ravale les émotions
profondes en « effet superficiel », en leur imposant une
cause qui se substitue à l’effet progressif de l’émotion.
C’est ainsi que l’art, dans sa faculté à faire plonger le
sujet dans un état second, peut jouer un rôle fondamental194, en lui permettant de retrouver le substrat
mémoriel de ses émotions profondes195.
A. Couverture de Hans-Theodor Sanders, Hipnotismo y Sugestion, ca. 1910.
B. Gaston Vuillier, L’Hypnotisme. Les suggestions provoquées par le docteur Bernheim à Nancy, 1885.
C. Adrien Marie, L’Hypnotisme. Expériences faites par M. Moutin devant la presse parisienne, 1885.
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« L’INVENTION ESTHÉTIQUE »
TECHNIQUES DE L’INACHEVÉ
Dans un curieux opuscule publié en 1891 sous
le titre L’Hypnotisme, le magnétisme et la médiumnité scientifiquement démontrés, Arthur d’Anglemont
tente de donner une explication objective à ces « états
seconds ». L’auteur aujourd’hui totalement oublié, mais
connu à l’époque pour ses textes sur la « Société harmonieuse », mêlant joyeusement rêverie théosophique
et utopie sociale fouriériste, y livre une réflexion sur les
liens entre collectivité, théâtre des identités et pratique
artistique. Le partage des subjectivités (subconscient/
inconscient/conscience subliminale) qui anime les
débats de la psychologie expérimentale devient ici,
au-delà de l’intérêt d’un Charcot pour les formes
esthétiques de l’hystérie et sa tentative de sécularisation laïque de l’extase, la plateforme d’une réflexion
spéculative sur l’art du futur : comment penser l’expression esthétique d’un Homo novus transformé au
contact des nouvelles technologies de la communication où s’annoncent l’universalité des langages et
l’abolition radicale des distances ? S’y parle le langage
de l’époque (suggestion, influence, imitation…), avec
en tête l’idée d’une plus grande « plasticité » du psychisme face aux systèmes de croyances, d’emprise et
de fascination. La clinique de l’entendement est déjà
un agencement de la conscience. Pour faire plus scientifique que Charcot, d’Anglemont subdivise l’« hypnotisme mental » en trois catégories (sensoriel, affectif
et intellectif), la première affectant plus directement
le domaine des arts. Fait plus rare, il suggère d’aiguiser la sensibilité des artistes par une pratique personnelle de l’hypnose. Évoquant le futur des arts visuels
en général, de la peinture en particulier, il préconise
l’usage de techniques de concentration et d’attention
qui seraient autant d’outils de perfectionnement d’une
intelligence des formes à l’ère des « nouvelles dimensions » ouvertes par les récentes révolutions de la physique : « S’il s’agit des arts qui demandent spécialement
l’exercice du sens de la vue, celui-ci sera élaboré par
l’hypnotisme, avec la plus grande perfection […]. C’est
alors que la peinture, la sculpture, l’architecture seront
exécutées par de grands artistes se surpassant à l’envi
les uns les autres196. »
Au même moment, Paul Souriau, jeune apprenti
philosophe moins connu que Bergson, va théoriser ce
transfert de la suggestion dans l’art. Nous sommes en
1888, il donne à la faculté de Lille un cours public de
douze leçons intitulé « L’hypnotisme et la suggestion
dans l’art197 ». Cinq ans plus tard, en 1893, celui qui
deviendra professeur de philosophie à Nancy publie
ses cours sous la forme d’un traité : La Suggestion dans
l’art. Les propos, très proches de ceux de Bergson,
sont le calque esthétique des théories nancéennes de
Bernheim : « Dans la contemplation du beau, dans l’effet que peut produire sur nous une œuvre d’art, il y a
quelque chose d’étrange, et que l’on n’a pas encore bien
expliqué […]. En réfléchissant à ces faits, on ne pourra
manquer de constater l’analogie qu’ils présentent avec
certains phénomènes troublants, déconcertants, qui
depuis quelques années surexcitent vraiment la curiosité publique : je veux parler de l’hypnotisme […]. Entre
cet état d’hypnose et l’extase du beau, entre ces effets
de la suggestion et ceux de l’art, il y a une ressemblance
singulière, qui donne à penser. Bien qu’ils diffèrent évidemment par le degré, ne seraient-ils pas au fond de
même nature198 ? »
Mais ce n’est pas tant le conditionnement suggestif
du spectateur qui est ici en jeu que l’analyse d’une activité propre « de l’imagination dans l’hypnose ». Dans les
mots de Souriau, à qui l’on doit déjà une Théorie de l’invention199, « cet état de demi-sommeil [est] éminemment
favorable à l’invention esthétique », car « ce n’est pas
quand on est le plus éveillé que l’on a le plus d’imagination inventive200 », mais bien « plutôt dans les périodes
de détente et de léthargie, quand la pensée trouble se
dissout en images incohérentes, que se forment les combinaisons nouvelles201 ». L’hypnose devient l’instrument
de l’imagination visuelle : « Dans l’état d’hypnose, tout
concourt à nous rendre parfaitement suggestibles : tandis
que notre volonté s’engourdit au point de se soumettre
sans résistance possible à toutes les impulsions qu’elle
reçoit du dehors, notre imagination conserve toute son
activité, et même elle devient plus active à mesure que
nous nous enfonçons davantage dans l’hypnose. Nous
nous expliquons maintenant pourquoi l’artiste recourt
d’instinct aux procédés hypnotiques pour augmenter la
valeur suggestive de son œuvre202. »
C’est au chapitre de la « fascination visuelle » que les
rapprochements entre hypnose et peinture se font les
plus précis, centrés autour d’une économie visuelle de
la lumière du tableau, ce que Souriau appelle la « fascination par l’éclat203 ». Il anticipe avec un siècle d’avance
sur les recherches neuroscientifiques du eye tricking :
« D’instinct, notre regard se porte toujours vers la partie
la plus brillante du champ visuel, attiré par la lumière
indirectement perçue, allant la chercher à sa source
[…]. En considérant un certain nombre d’exemples, on
arrivera à une sorte de loi : on s’assurera que les objets
nous fascinent d’autant plus qu’ils sont plus éclatants
et de plus petite dimension204. » Loin de s’en tenir à une
loi générale, Souriau s’appuie sur des exemples directement empruntés à la culture visuelle du moment,
ici sans nul doute dans une référence à peine voilée
à Impression, soleil levant, de Claude Monet, l’œuvre
inaugurale du mouvement impressionniste : « Quand
le soleil se couche, souvent sous nos yeux suffisamment voilés par les vapeurs de l’horizon, souvent nos
yeux vont se poser à l’étourdie sur ce globe éblouissant ; nous les en écartons d’un effort ; ils y reviennent
entraînés par leur instinct […]. La fascination atteindra
son maximum d’énergie quand la lumière atteindra son
maximum d’intensité tolérable205. »
Le principe consiste à installer au cœur de la composition un disque lumineux qui contraste avec le milieu
ambiant pour concentrer le regard et assurer sa fixité sur
un effet de « tache » : « Dans une toile d’une coloration
sourde, une tache centrale, blanche ou jaune clair, ne
manquerait pas d’attirer spécialement les yeux : regardez, presque toujours cette tache y sera. Quelquefois
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même pour qu’il n’y ait pas de doute sur ses intentions,
le peintre mettra franchement, au beau milieu d’une
toile très obscure, un point très lumineux ; ce sera la lune
qui se lève, le globe rouge du soleil dans le brouillard, un
éclat de lumière sur une coupe de cristal206 » – ce que
Souriau appelle la « concentration absolue207 ». Mais de
l’impressionnisme il ne retient pas seulement l’astuce
d’une focalisation du regard sur un point de mire lumineux, il en vient aussi à faire de la technique de la division
des tons et du tracé en mouvement un mode hypnotique
qui joue sur un effet de projection empathique, un mode
participatif, dans le geste inachevé d’une peinture cultivant l’ébauche : « C’est pour cela que les tableaux ébauchés à grands traits, où les touches sont encore presque
visibles, sensibles, ont tant d’animation et de vie. Ce n’est
pas assez dire qu’on voit comment ils sont faits. Il faudrait dire plutôt qu’on les voit se faire, tant ils donnent
l’impression d’un mouvement actuel. Quelquefois en
les regardant, on se surprendra à y travailler soi-même
en imagination, à les ébaucher du geste208. » Nietzsche
… l’hypnose n’est pas seulement
un facteur favorable à la figuration
imageante, mais à la métamorphose
inventive de cette figuration, ce que
Souriau appelle la « transfiguration
visuelle » ou « imagination
transfigurante »…
lui-même avait anticipé sur cette lecture proactive du
spectateur dans ce qu’il appelle, dès 1878, l’« efficacité
de l’inachevé » : « Efficacité de l’inachevé. De même que
des figures en relief agissent si fortement sur l’imagination parce qu’elles sont pour ainsi dire en train de sortir de la muraille et, tout à coup, retenues par on ne sait
quoi, s’arrêtent : ainsi, parfois, l’exposition incomplète,
comme en relief, d’une pensée, d’une philosophie tout
entière, est plus efficace que l’explication complète : on
laisse plus à faire au spectateur, il est excité à continuer
ce qui fait saillie devant ses yeux en lumière et ombre si
fortes, à achever la pensée, et à triompher lui-même de
cet obstacle qui jusqu’alors s’opposait au dégagement
complet de l’idée209. »
Cette approche d’un efficace de l’ébauche sera
défendue par Léon Dumont dans sa Théorie scientifique de la sensibilité (1881), dans laquelle l’auteur, inspiré par Fechner, établit une loi de proportion directe
entre le plaisir esthétique et l’énergie cérébrale dépensée (« Comme il faut plus d’énergie pour retrouver un
objet sous un signe indirect que sous un signe direct,
on fournit à l’entendement l’occasion d’employer plus
de force disponible et par conséquent d’éprouver plus
de plaisir210 »). Souriau en déduit pour le peintre l’intérêt d’une facture non finito, exigeant du spectateur un
travail de reconstitution du sujet voilé211 – ce que Paul
Valéry appellera la « méthode inductive212 ». Il s’agit là
de souligner le rôle proactif du spectateur qui travaille
en raison inverse de l’indéfinition de l’œuvre, dans une
défense de la touche impressionniste dont la fugacité
imprécise aurait pour vertu d’accentuer le travail des
« énergies psychiques213 » nécessaires pour identifier le
motif : « On charge l’imagination du spectateur de faire
le reste214 », écrit Souriau dans une surprenante anticipation du commentaire de Wassily Kandinsky sur les
Meules de Monet215, et, de manière plus inattendue,
sur les spéculations d’un Marcel Duchamp à propos du
« processus créatif » et de la « place du spectateur » faite
aux dépens du jeu « irresponsable » de l’artiste216.
Mais il y a plus, car l’hypnose n’est pas seulement
un facteur favorable à la figuration imageante, mais à
la métamorphose inventive de cette figuration, ce que
Souriau appelle la « transfiguration visuelle » ou « imagination transfigurante ». Il distingue notamment deux
étapes dans ce processus de transfiguration : d’une part,
un effet de concentration visuelle (« figuration imaginative »), d’autre part, un effet de transposition et d’association (« transfiguration imaginative »). Il porte attention
au phénomène de la « double image » dont le surréalisme d’un Salvador Dali s’emparera quelques années
plus tard (L’Angelus de Millet est pris pour exemple avec
une étude détaillée des « sensations auditives » que la
composition produit). Transfert généralisé des formes
et des sensations avec pour maître mot la « métamorphose », dans un évident dialogue avec le vocabulaire
stylistique de l’Art nouveau, qui avait trouvé justement
à Nancy le lieu de sa diffusion la plus large, d’Émile Gallé
à Victor Prouvé. Souriau ne manque pas de s’arrêter sur
l’exemple d’un vase de Gallé : « Bouteille de verre, bouteille méplate ; parois comme usées, lustrées et polies
[…], vagues ondulations de l’herbe marine, formes
entrevues dans la transparence des flots, bercement de
la houle… », dans lequel il reconnaît la puissance suggestive d’un art qui transforme la « matière dure » en
« images flottantes, indécises, lointaines217. »
ART NOUVEAU
« L’IMAGINATION RÈGNE EN MAÎTRE »
La référence à l’esthétique « flottante » du vase mérite
qu’on s’y arrête un instant, car elle soulève un lien historique identifié assez tôt par André Breton dans un entretien avec José Pierre218, mais sur lequel est revenue plus
tard l’historienne de l’art américaine Debora Silverman
dans son ouvrage sur L’Art nouveau en France, à savoir
les affinités entre les théories hypnotiques et le développement stylistique de l’Art nouveau. Dans le chapitre
intitulé « La psychologie nouvelle219 », Silverman revient
notamment sur les expériences visuelles menées à la
Salpêtrière (disques et panneaux de couleurs). De fait, ces
expériences ont été nombreuses et variées, pour la plupart
orchestrées par Charles Féré, élève de Charcot, spécialiste des effets psychomoteurs et dynamogènes de la couleur, jusqu’à observer par exemple l’effet d’une exposition
prolongée de sujets hystériques dans des « cellules qui ne
recevaient le jour qu’à travers des carreaux bleus ou violets220 ». Pour tester l’influence des couleurs sur le sujet,
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l’hôpital de la Salpêtrière recourt à des dispositifs parfois
théâtraux, comme cela peut se lire dans le compte-rendu
d’Adolphe Cartaz, dans les colonnes de La Nature221, évoquant des dispositifs de projections chromo-lumineuses
qui éclairent d’un jour nouveau les recherches sur les
liens entre couleur, sensation et émotion.
Charcot utilise des « lanternes magiques » pour projeter des faisceaux de lumière colorée sur ses sujets hystériques, dans le but d’analyser, conjointement avec les
études de « photo-thérapeutique », les différentiels de
sensibilité à l’environnement coloré. À la Charité, le
docteur Luys place des sujets « dans une chambre noire,
éclairée par une lampe en forme de lanterne magique
[qui] portait un appareil condensateur muni de verres
diversement colorés destinés à projeter le foyer lumineux
sur le sujet222 » ; il utilise aussi des lunettes aux verres
colorés (« une paire de lunettes portant un verre bleu à
gauche et un verre jaune ou rouge à droite223 »). C’est
d’ailleurs tout un appareillage – une « opticerie » aurait
dit Marcel Duchamp – qui se déploie dans cette nouvelle
clinique de la perception. L’hypnocyanotrope du docteur
Paul Farez y fait penser, un « disque bleu armé d’ailerons
noirs et dont la rotation est actionnée par un moteur
Percut224 », mais aussi les nombreux « miroirs aux
alouettes » du docteur Luys225, et autres « boules hypnotiques » (une « sphère de verre au centre de laquelle se
trouve un point brillant »), jusqu’aux « hypnodiscs » (du
« strass serti dans une rondelle de métal nickelé »). La
corrélation entre environnement chromatique et états
émotionnels fonctionne à plein dans la physiologie des
« attitudes passionnelles », alors que les artistes symbolistes se penchent sur une grammaire émotive des couleurs. À nouveau, Paul Souriau analyse le « symbolisme
des couleurs » (1895), dans un article où il assigne à la
couleur le pouvoir de suggérer des affects sur des jeux
d’association mobilisant la mémoire des relations, des
espaces et des objets226.
C’est dans ce cadre que les paramètres de l’environnement deviennent décisifs dans l’analyse des conditions du sujet contemplatif. Les frères Goncourt avaient
déjà établi une corrélation entre décoration intérieure
et intériorité du sujet. Avec le développement de l’Art
nouveau, de son sens d’un décor immersif et totalisant,
s’installe l’idée que l’œuvre d’art (et ses divers modes
d’application dans le mobilier et l’espace public) a vocation première à stimuler et activer la vibration nerveuse par « suggestion visuelle ». Comme l’écrit Debora
Silverman, « l’hypnose révélait un flot idéationnel non
discursif, dynamique. Les images étaient une force irrésistible dans le processus de la pensée, marquant directement le cerveau à partir du monde extérieur, et projeté
au dehors comme pour façonner le monde en accord
avec ces visions intérieures, sans l’intermédiaire du jugement rationnel227 ». Or, la clinique de la Salpêtrière soulignait déjà la forte tendance des hystériques induites
sous hypnose « à extérioriser leurs visions intérieures »,
les hallucinations sensorielles du dernier stade de l’hypnose (la fameuse catalepsie) étant vécues et interprétées
comme une projection vers l’extérieur de la « véritable nature du tableau qui se peint dans le cerveau
du malade228 » : « Les hallucinations de la vue sont fréquentes […]. Le malade entre lui-même en scène et par
la mimique expressive et animée à laquelle il se livre,
les phrases entrecoupées qui lui échappent, il est facile
de suivre toutes les péripéties du drame auquel il croit
assister et où il joue le principal rôle229. »
Alors que, pour Charcot, ces manifestations hallucinatoires sont inhabituelles et pathologiques, pour
Bernheim, elles ne sont en rien morbides, plutôt normales, rencontrées dans l’activité psychique ordinaire. Si, selon Bernheim, « la vérité est que nous
sommes tous hallucinables et hallucinés pendant une
grande partie de notre vie230 », c’est que non seulement
le clinicien, mais l’esthète avant lui, a tout avantage
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A. Maurice Denis, Portrait de madame Ranson au chat, huile sur toile, 89 x 45 cm, 1892, Musée départemental Maurice Denis, Saint-Germain-en-Laye.
B. Vignette extraite de Complete Mail Course of Twenty Illustrated Lessons in Hypnotism, 1899.
C. Alfons Mucha, Étude pour la danse, 1898, crayon et aquarelle, 56 x 34,8 cm.
à considérer cette production imageante comme le
moteur d’un travail de l’imagination ayant de singuliers
débouchés dans la création artistique. La suggestion
visuelle devient un puits d’inspiration : « L’imagination
règne en maître231. » Curieusement, Debora Silverman
s’attarde plus sur le cas de « Charcot artiste » que sur
celui d’Hippolyte Bernheim qui venait de faire de la
suggestion visuelle un agent déterminant du rapport
aux images et aux représentations. Plus curieusement
encore, elle laisse de côté l’hypothèse pourtant fertile d’un lien historique autour de l’École de Nancy. La
ville n’est pas seulement la plateforme académique de
la reconsidération de l’hypnose exercée au sein de sa
faculté de médecine, elle est aussi, dans le champ des
arts appliqués, la plaque tournante du développement
stylistique de l’Art nouveau, et mieux encore, le hautlieu de sa diffusion à grande échelle, notamment par
sa production verrière (Gallé, Antonin Daum…), architecturale et mobilière (Louis Majorelle), réunie sous le
vocable d’« alliance provinciale des industries d’art ».
Les colonnes de la revue Nancy artiste, devenue La
Lorraine artistique en 1888, nous donnent quelques
indices sur la circulation intellectuelle de cette clinique
des « suggestions visuelles » dans les milieux de l’Art
nouveau. Émile Goutière-Vernolle, critique d’art et fondateur de cette école, rédacteur en chef de cette revue,
est étudiant en droit à l’université de Nancy où il a pu
se familiariser avec les hypothèses formulées par Jules
Joseph Liégeois, un proche de Bernheim, sur les applications juridiques de la suggestion aux crimes sous
influence. Il baigne dans cette culture de la suggestion
que l’on retrouve dans de nombreux articles de la revue,
où les œuvres de style Art nouveau sont lues au crible
d’une psychodynamique accordant aux linéaments, aux
arabesques végétales et aux effets de métamorphose,
des vertus optiques (circularité, cinématisme…), plongeant l’amateur d’art dans les couches créatives de l’inconscient. Un exemple parmi d’autres, qui permet de
revenir vers le motif du vase de Gallé commenté par
Souriau. Il s’agit du Portrait d’Émile Gallé, de la main du
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peintre nancéen Victor Prouvé. Le peintre a saisi le verrier
dans un moment de contemplation, le regard absorbé,
littéralement subjugué par l’objet scintillant dans lequel
le critique Louis de Fourcaud disait qu’« il est impossible
de ne point se répéter à décrire les suggestions multiples
qui sourdent de ces verreries énigmatiques232 ». Ce que
donne à voir Prouvé, dans ce face-à-face envoûté entre
le créateur et l’artefact, est bien le mécanisme de la suggestion visuelle et son rapport au travail de l’imagination
déplacé vers l’observateur. Le peintre a pris soin d’élire
une verrerie illustrant cet univers liquéfié, en transparence, avec ses couleurs « pâlies et mourantes qui se
détachent à peine sur le fond et [font] l’effet d’être imaginées plutôt que perçues […] pour obliger l’imagination
à compléter les indications qu’on lui fournit233 ». C’est ce
que Gallé appelle l’effet « meublant, parce qu’il fait l’effet
d’un point lumineux qui attire l’attention sur l’objet234 ».
Dans son traité sur L’Imagination de l’artiste (1901),
Souriau revient justement sur cet exemple pour qualifier le travail de l’« imagination visuelle », attribué à la
fois au créateur investi dans la production de son objet
en cours et à son futur destinataire, le spectateur, plongé
dans la coproduction d’une imagerie mentale projetée
sur l’écran de ces formes « indécises » où se trouble le
sens même de la réalité : « Nous projetons mentalement les images sur l’objet qu’elles décorent, comme je
fais pour ce vase de faïence orné d’un rameau de lierre,
d’un lézard rampant, de motifs divers que je puis sans
invraisemblance me figurer en présence réelle sur sa
surface […], je prends un plaisir particulier à contempler cet objet étrange, à demi réel, à demi fictif, ce vase
de vraie faïence où rampe un lézard imaginaire235. »
Il s’attarde notamment sur la « décoration abstraite »
(elle aurait « pour les rêveurs un attrait particulier ») :
« Ces figures rayonnées et comme scintillantes sur lesquelles se fixe spontanément le regard, cette répétition
de motifs semblables qui berce la pensée de son rythme
monotone, tout dans le décor linéaire semble disposé
pour exercer sur le spectateur une sorte d’action hypnotique. Laissons-nous aller à ce vertige, ne faisons pas
effort pour nous reprendre ! Aux confins de l’hypnose,
quand notre pensée un peu trouble ne distinguera
plus nettement le monde imaginaire du monde réel,
d’étranges changements vont se produire dans l’aspect
du dessin sur lequel nous aurons les yeux fixés. Il se
modifiera au gré de notre fantaisie, par un inconscient
effort d’interprétation […]. Tels sont les jeux d’imagination figurative auxquels nous pouvons nous livrer en
contemplant un simple décor géométrique236. »
Dans le cas du Portrait d’Émile Gallé par Prouvé, sont
donc mobilisés deux modes conjoints d’hallucinations,
mis en boucle mimétique : d’une part, celui du spectateur contemplant ces formes inchoatives, « bercé »
par les suggestions abstraites du décor linéaire ; d’autre
part, celui de « l’artiste au travail », plongé « dans une
sorte d’hallucination, sur une vision mentale tellement intense, que dans la figure qu’il trace il aperçoit
en présence réelle l’objet représenté237 ». Ce mécanisme d’identification (poussé à son terme, sous une
forme radicalement abstraite dans l’œuvre de Jackson
Pollock, la technique du all-over et les linéaments
expressionnistes de l’action painting) portera un nom ;
Souriau parle de « moment merveilleux238 ».
EMPATHIE
IMITATION ET JOUISSANCE ESTHÉTIQUE
L’analyse de Souriau ne s’arrête pas à une suite de
conseils destinés aux artistes pour optimiser l’attraction
visuelle des objets qu’ils réservent au regard d’un spectateur-cible placé en mode consumériste ; elle s’étend
à une réflexion plus globale sur la façon de disposer ces
artefacts au regard distrait du chaland. C’est là qu’intervient une réflexion, tout aussi inédite, sur les conditions
de l’observation ou le confort physique et visuel de la
contemplation : « Les œuvres d’art elles-mêmes, pour être
appréciées à leur juste valeur, demandent une certaine
mise en scène, un certain confort matériel239 », appelant
à se débarrasser des accrochages à touche-touche dominants à cette époque dans les galeries et les musées.
Souriau pense le « musée idéal » en termes de dispositif
de concentration panoptique où toutes fioritures décoratives (tapisserie murale, accessoires) seraient évincées au
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profit de la neutralité d’un « mur nu » isolant les œuvres,
dans une surprenante anticipation de l’esthétique moderniste du white cube240 : « Il y aurait encore bien à dire, à ce
point de vue, sur l’installation matérielle de nos musées.
Ces toiles accrochées pêle-mêle aux murailles, qui tirent
l’œil de tous côtés et détruisent par des voisinages fâcheux
les plus délicates harmonies de couleur […], tout cela est
bien peu favorable à la contemplation […]. Pour prendre
vraiment plaisir à regarder une toile, il faut qu’on puisse
la regarder à son aise ; qu’elle soit isolée ; qu’on puisse
s’asseoir ou du moins s’accouder devant elle […]. Je me
figure un musée idéal où il n’y aurait que peu d’œuvres,
mais exquises, bien détachées l’une de l’autre, bien mises
en valeur ; un Salon qui aurait l’air d’un salon et non d’un
étalage de brocanteur : n’est-ce pas là qu’on pourrait trouver les impressions d’art les plus charmantes, les plus raffinées 241 ? »
Dans Suspensions of Perception. Attention, Spectacle
and Modern Culture (1999), Jonathan Crary est revenu
sur la dynamique interne à cette ambivalence entre
culture attentionnelle (fixation) et dérive distractive
(métamorphose). Il en fait même la condition du régime
A. Victor Prouvé, Portrait d’Émile Gallé, ca. 1900, huile sur toile, 160 x 110 cm, musée de l’École de Nancy.
B. Planche reproduite dans Reinhardt Berling, Hypnotische Unterrichtsbriefe, ca. 1910.
C. Dessin de Raphael Kirchner reproduit dans un numéro spécial de L’Assiette au beurre,
de septembre 1907, consacré à « L’Art nouveau ».
D. Contagion magnétique, photographie extraite de Scene d’ipnotismo, ca. 1900.
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perceptif de la modernité, un âge qualifié par les stratégies de résistance et de créativité face à une réaction
« disciplinaire contre les formes potentiellement disruptives d’association libre242 ». Comme le rappelle Crary
en s’appuyant sur des auteurs justement impliqués dans
le discours clinique sur l’hypnose (Alfred Binet, Charles
Féré, mais aussi Pierre Janet), le propre de cette économie de l’attention est de se maintenir toujours en dialogue avec une « inévitable fragmentation du champ
visuel dans lequel la cohérence unifiée et homogène des
modèles classiques de la vision devenait impossible243 »,
de contenir donc en elle-même les éléments de sa propre
désintégration. C’est dans ce cadre qu’entre en jeu l’hypnose, non seulement comme un état ambivalent (une
veille paradoxale), mais comme une technique mêlant
de manière non contradictoire attention et distraction,
concentration et dissociation244. Arrive là, comme l’avait
bien perçu Souriau, le cœur du sujet, car cette articulation entre culture attentionnelle et dissociation semble
faire directement écho à l’optique impliquée dans la
« nouvelle peinture », en particulier à la façon dont l’économie visuelle de l’impressionnisme est entièrement
fondée sur le jeu d’allers et retours entre focalisation
(vision concentrée) et décentrement (champ périphérique), avec de multiples effets d’intrusion/exclusion de
l’image dans de continuels rappels au « hors-cadre », qui
ne font que rappeler l’intuition d’un Baudelaire n’ayant
pas manqué de s’intéresser au phénomène du « magnétisme animal245 » : « Vaporisation et centralisation du
Moi. Tout est là246. »
Il se trouve que de nombreux auteurs contribuant,
vers 1900, au tournant de l’esthétique psychologique
reviennent sur cette ambivalence pour la sortir d’un
agencement trop machinique, automatique et prédictible. Il s’agit aussi de délester l’économie désirante
du spectateur d’un « sentiment de soi » trop recentré
sur le sujet narcissique, en projetant le partage des
émotions dans une relation plus compassionnelle,
ouverte sur l’expérience de l’autre. Theodor Lipps, le
prosélyte de la théorie de l’empathie en art (Jonathan
Crary cite ses Études psychologiques de 1885) s’est
sérieusement intéressé à la question de l’hypnose. Il
publie en 1897 un ouvrage sur La Psychologie de la
suggestion247, dans lequel il analyse justement le paradoxe d’un « amoindrissement de l’excitabilité psychique, mais avec conservation de certains réflexes
psychiques ». Lipps, qui s’est aussi penché sur le cas
de Magdeleine, la danseuse en transe exhibée par le
magnétiseur Magnin à Munich248, publie en 1906 un
traité intitulé Empathie et jouissance esthétique. Il y
développe, dans les pas de Robert Vischer, une théorie
de l’empathie définie comme la projection fusionnelle
du sujet contemplant dans l’objet de la représentation – le tableau en l’occurrence –, le ressenti de ce
transport considéré comme l’horizon même de l’émotion artistique (se sentir dans l’objet, c’est-à-dire dans
quelque chose qui est extérieur)249. La dette manifeste du concept d’empathie chez Lipps envers ses
recherches préalables sur la suggestion mérite d’être
analysée, car elle explique à bien des égards le succès de ce paradigme hypnotique de l’art au tournant
du siècle. L’un des topos majeurs que l’hypnose va
fournir au concept d’empathie est la notion de modification du monde objectif dans l’expérience extatique de ce transport hors de soi, avec pour corollaire
le principe d’une perception du sujet projetée dans
l’espace de la représentation. L’empathie doit à l’hypnose cette « tension structurante entre le sujet et les
formes dans lesquelles il se projette250 ». Si la beauté
est, selon Lipps, « le nom pour désigner la capacité
d’un objet à produire en moi un effet déterminé251 »,
la jouissance esthétique puisant dans cette « possibilité de vie résidant dans l’objet252 », il s’agit bien de
sortir l’objet contemplé de son contexte en le projetant dans des formes « compréhensibles d’un point
de vue mécanique253 », à la manière d’une suggestion
verbale dans le processus d’induction hypnotique qui
joue beaucoup, en l’énonçant, sur la présence intuitive d’un sujet certes dirigé, mais libre dans la forme.
Le raccord des théories subjectivistes de l’Einfühlung
avec les hypothèses nancéennes sur la suggestion va se
faire en France autour de celui qui, dans le champ de la
philosophie, incarne le mieux le tournant de « l’esthétique expérimentale » et la défense d’une « science de
l’art » : Victor Basch, qui a occupé entre 1885 et 1887 son
tout premier poste académique à l’université de Nancy,
comme maître de conférences en langue et littérature
allemandes. Il a donc puisé directement à la source,
au moment même du débat médiatique qui opposait
Bernheim à Charcot. Dans son Essai critique sur l’esthétique de Kant (1896)254, Basch élabore le concept de « sympathie symbolique » (ou « symbolisme sympathique »),
censé décrire à partir d’une « méthode psychologique »
à la fois la nature de la contemplation esthétique et celle
de la création artistique. Manière aussi pour lui d’expliciter, à la lumière de son contact direct avec les théories
de la suggestion, le terme germanique Einfühlung comme
« ce phénomène d’autoprojection, d’effusion, d’infusion –
ce serait là le terme le plus adéquat, s’il ne prêtait à une
équivoque risible – ou, comme j’ai proposé de l’appeler, la
sympathie symbolique255 ».
En quoi l’empirisme hypnotique de Bernheim a-t-il pu
entrer en complicité avec les thèses psycho-physiologiques allemandes qui animent la pensée de Basch ? Sans
doute dans sa manière d’intégrer aux mécanismes de la
contemplation esthétique une plongée dans les couches
plus profondes de « l’inconscient », où se révèlent des
schémas de pensée plus intuitifs. Basch préconise en
effet de redescendre dans l’analyse psychologique de
l’expérience esthétique jusqu’aux sensations les plus élémentaires – ce qu’il appelle la « méthode génétique ». Le
philosophe parle de « descendre jusqu’à l’inférieur256 ».
Le mécanisme de la suggestion impulse à l’évidence
cette descente qui autorise notamment une dissolution, une confusion des frontières entre le sujet et l’objet, par laquelle le moi sensible s’approprie la matière et
la forme d’un objet extérieur à lui257 – une confusion qui
demande l’accord du sujet à se prêter au jeu de l’illusion par laquelle il accepte que son moi intime s’infuse
dans les apparences des objets extérieurs. C’est là que se
comprend au mieux la définition du « symbolisme sympathique » pensé comme « l’acte par lequel nous sortons
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de nous-mêmes pour nous confondre avec les choses,
pour leur prêter nos sentiments, pour leur conférer une
personnalité semblable à la nôtre, pour nous mêler
si intimement avec les objets et les mouvements du
monde extérieur que nous ne savons plus si c’est nousmêmes qui avons pénétré la nature ou si c’est la nature
qui est entrée en nous258 ». Ce symbolisme sera donc
« sympathique » parce qu’il admet la possibilité d’une
sortie de soi frappée d’une adhésion à l’autre. La sympathie consiste, selon Basch, à « sortir de soi, à se prêter, à se donner à autrui259 » (nous soulignons), dans des
mots très proches de ceux qu’utilise Bernheim, revus et
corrigés par Gabriel Tarde dans Les Lois de l’imitation,
qu’il cite dans le texte. Ce sont aussi déjà ceux de JeanMarie Guyau, pour qui « le grand art est l’art évocateur,
qui agit par suggestion. L’objet de l’art, en effet, est de
produire des émotions sympathiques et pour cela non
pas de représenter de purs objets de sensations ou de
pensées au moyen de faits significatifs, mais d’évoquer
des objets d’affection, des sujets vivants avec lesquels
nous puissions entrer en société260 ».
« OBJECTIVER LE SUBJECTIF »
L’EXTÉRIORISATION DE LA SENSIBILITÉ
Cette dimension projective aura été au cœur de l’esthétique symboliste dont les premiers manifestes datent
de 1886, au cœur de l’apogée médiatique de la querelle opposant Charcot à Bernheim autour des « théories
de la suggestion ». Le projet esthétique du symbolisme
s’établit entièrement dans ce jeu de projection de l’intimité du sujet dans l’espace du réel – ce que l’historien
Laurent Jenny appelle très justement, dans son analyse du tournant de la littérature au passage du siècle,
la « fin de l’intériorité261 ». Non pas parce que le for intérieur – un poncif du romantisme – n’a plus lieu d’exister de façon autonome, mais parce que les artistes ont
pu s’arroger le droit, sur le modèle des cliniciens, de le
projeter dans l’espace réel en se donnant pour tâche de
présenter – et non plus de représenter – le travail intime
de la pensée, ouvrant par là un « nouvel espace mental et représentatif262 ». C’est ce que Jenny nomme précisément l’« inventivité esthétique263 », propre à l’utopie
créative des avant-gardes. En fait, ce qu’apporte le protocole de l’hypnose à la révolution du modernisme en art,
c’est bien une théorie de l’expression comprise comme
« extériorisation d’une intériorité ». En cela, l’hypnose
est directement contemporaine du projet symboliste,
tel que Gustave Kahn en donne la définition en 1886 :
« Le but essentiel de notre art est d’objectiver le subjectif
(l’extériorisation de l’Idée) au lieu de subjectiver l’objectif (la nature vue à travers un tempérament)264. »
Les mots sont choisis. Kahn, pour qui « le dessin ou
mieux, la forme représentée, aurait la valeur d’un suggestif, thème musical propre à exciter et charmer la
rêverie du regardeur265 », considère que la jeune génération symboliste, loin d’être absorbée dans des rêveries
narcissiques et nostalgiques refusant le monde, est tout
au contraire projetée dans l’extériorisation physique de
la conscience. L’activité mentale s’extirpe d’un for intérieur insondable, pour s’objectiver sur un « écran psy-
chique ». Le terme « objectiver » est à prendre au pied de
la lettre ; les idées, les concepts et les émotions se dotent
d’une enveloppe matérielle pour se livrer directement
au regard et à l’analyse (visible et lisible, observable et
quantifiable). Un art « idéiste », car il sert à « vêtir l’Idée
d’une forme sensible266 », dans une surprenante conversion matérialiste des approches métaphysiques de la
conscience, que l’on retrouve à mots couverts dans le
fameux article d’Albert Aurier consacré au « symbolisme en peinture267 », cheminant vers un régime de présentation tangible et sensible de la vie psychique, sur le
mode d’un « unisson vibratoire aux effets physiologiques
immédiats268 ». Façonnée par le vitalisme mis en mode
par Bergson, la création artistique répond désormais à
un « besoin de s’extérioriser, de se communiquer intégralement afin d’être intégralement comprise269 », suivant
une loi d’expansion organique, quasi biologique (l’écho
de Nietzsche), propulsant la subjectivité vers le dehors.
En se construisant dans le monde extérieur un plan de
configuration qui déplace les frontières sujet/objet270, la
pensée (mais aussi l’identité subjective, jusque dans ses
… ce qu’apporte le protocole
de l’hypnose à la révolution
du modernisme en art, c’est bien
une théorie de l’expression comprise
comme « extériorisation
d’une intériorité ».
variations sur le mode du « dédoublement de la personnalité ») s’installe à la surface des choses, se spatialise
et conquiert une plasticité inédite que Paul Valéry va
tout de suite reconnaître dans l’écoute fragile des vers
de Mallarmé : « Il me sembla voir la figure d’une pensée,
pour la première fois placée dans notre espace271. »
Ce mouvement d’externalisation de la « force psychique » rejoint l’imaginaire d’une « extériorisation de la
sensibilité » sous hypnose repérée par Albert de Rochas.
En 1895, il publie un ouvrage intitulé L’Extériorisation
de la sensibilité, dans lequel il réunit un ensemble d’observations faites sur l’« hyperception » des sujets hypnotisés, avec en particulier toute une série de constats
sur l’« objectivité des effluves perçues sous forme de
lumière dans l’état hypnotique272 ». Pour Rochas, qui
s’est appuyé sur l’étude des « effluves odiques » par le
baron de Reichenbach273, il s’agit de « fluides nerveux »
qui se répandent dans l’espace : « Les choses se passent
comme si la sensibilité, dont le domaine s’étend ordinairement du cerveau à la surface de la peau, pouvait
parfois […] se prolonger au-delà274. » Ils seront les agents
de ce qu’il appelle une « sympathie à distance275 », traduite dans le champ des représentations par la surface
optique des vibrations colorées. De multiples exemples
abondent dans les toiles symbolistes ; dans les silhouettes
irradiantes d’Odilon Redon ou les portraits auratiques
d’Edvard Munch.
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l’ouvrage d’Alexandre Aksakov consacré à « un examen
critique des phénomènes médiumniques spécialement
en rapport avec les hypothèses de la force nerveuse, de
l’hallucination et de l’inconscient280 ». Le peintre du Cri
y rencontre des cas de « doubles invisibles » ainsi que
de minutieuses analyses consacrées à « l’action expansive de la force nerveuse qui combat la cohésion des
particules de la matière », véhiculant tout un imaginaire
de l’extériorisation physique de l’activité mentale sous
état modifié de conscience. L’invasion des corps égarés
dans les peintures de Munch, des corps « inorganiques »,
pour reprendre les termes d’Edgar Poe dans sa fameuse
Révélation magnétique (1848)281, se comprend mieux.
Dans les pas de Poe, Munch dépeint des spectres irradiants comme une anticipation somnambulique de la vie
future : « Un corps lumineux communique une vibration
à l’éther lumineux. Cette vibration en engendre de semblables au nerf optique. Le nerf les traduit au cerveau
et le cerveau à la matière imparticulée qui le pénètre.
Le mouvement de cette dernière est pensée. La première vibration était la perception. Tel est le mode par
lequel l’Esprit de la vie rudimentaire communique avec
le monde extérieur ; et ce monde extérieur est limité
pour la vie rudimentaire, à cause de l’idiosyncrasie de
ses organes. Mais dans la vie ultérieure, inorganique, le
monde extérieur touche le corps entier, qui est d’une
substance ayant quelque affinité avec le cerveau282. »
A
Le cas Munch peut retenir notre attention, tant il
incarne dans ses toiles cet imaginaire d’une expansion
somnambulique du moi dans l’espace ambiant276. La
version lithographique du portrait d’August Strindberg
par Munch (1896), et ses radiations nébuleuses cernant
en couches concentriques le visage de l’écrivain isolé
dans sa concentration rappellent la fameuse gravure
« Couches enveloppant un sujet extériorisé » reproduite
dans l’ouvrage de Rochas277. Il illustre à la lettre l’expansion panpsychique des « vibrations sympathiques », telle
qu’on la retrouve dans L’extériorisation de la sensibilité
de Rochas qui, citant Edwin Houston sur les « radiations cérébrales », estime que « ces ondes passent dans
l’espace qui entoure le cerveau, à peu près comme les
ondes qui sont communiquées à l’air autour d’un diapason278 ». Les allusions à l’iconographie de l’hypnotisme
abondent chez Munch. De nombreux portraits féminins
mettent en scène des corps hystériques contorsionnés
(L’Urne, 1896), le dos courbé en arc-de-cercle (Madone
ou femme amoureuse, 1893), au regard hagard, les yeux
exorbités (Le Péché. Nu aux cheveux roux, 1901), l’attitude en complainte simulée (Femme agenouillée, 1920),
jusqu’au bâillement (Jeune femme en train de bâiller,
1913), qui n’exprime pas tant une promesse de relâchement que le début d’une crise nerveuse faisant écho aux
« bâillements hystériques » analysés et reproduits dans
l’Iconographie de la Salpêtrière279. Munch s’est notamment intéressé de près à Animisme et spiritisme (1895),
Cette capture sensible des « vibrations sympathiques » par un œil magnétisé se retrouve dans de
nombreuses peintures de la mouvance symboliste et
expressionniste, peuplant d’auras colorées les pourtours de figures en légère transe. C’est frappant dans
de nombreux portraits du peintre viennois Oskar
Kokoschka, élève de Gustav Klimt, lui-même très
sensible au langage corporel hystérique. Le Portrait
du docteur Forel (1910) peut retenir plus avant notre
attention, car il dresse la silhouette chancelante d’un
acteur majeur de la recherche européenne sur l’hypnotisme, psychiatre et neuroanatomiste de renommée
internationale dont Freud, dans un compte-rendu élogieux de son ouvrage sur L’Hypnotisme, sa signification et son emploi, en 1889, dira qu’« il gardera sans
doute longtemps une place éminente dans la littérature
allemande sur l’hypnotisme ». Si, selon Forel (cité par
Freud), « pour pouvoir porter un jugement sur l’hypnotisme, il faut soi-même avoir pratiqué l’hypnose un
certain temps283 », c’est bien ce temps profond de l’expérience hypnotique innervant l’ensemble du tissu
organique que cherche à dépeindre Kokoschka dans
ce corps torturé et irradiant, rayonnant de ses propres
contorsions. La posture et, plus encore, les contractures des mains rappellent les codes visuels de la pose
cataleptique (jusque dans l’insistance du regard porté
sur le détail des mains désarticulées, telles que celles
que crayonna sur le vif Paul Richer dans de nombreux
A. Couches enveloppant un sujet extériorisé, 1909, planche extraite d’Albert de Rochas, L’Extériorisation de la sensibilité.
B. Edvard Munch, Salome-parafrase, 1898, gravure sur bois, 44,9 x 28,6 cm, Oslo, Munchmuseet.
C. B. Falkenberg, Une séance d’hypnose (avec le docteur Forel), 1893, gravure, 39 x 49 cm.
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croquetons saisis à la Salpêtrière), mais ce sont là
comme des indices donnés au spectateur pour signifier la condition de celui qui a, toujours selon Freud,
défendu « que l’action du cerveau sur les fonctions corporelles puisse être exploitée de façon plus intensive
sous hypnose ». Kokoschka, peintre de l’intensité nerveuse des corps, saisit l’autorité hypnotique du docteur
Forel dans un rayonnement « neuronique » poussé à
son incandescence par des effets de pulvérisation pigmentaire qui suggèrent combien « on peut grâce à la
suggestion sous hypnose […] influencer les fonctions
sensitives et motrices du corps, certains réflexes, des
processus vasomoteurs […], et dans le domaine psychique, les sentiments, les pulsions, la mémoire, l’activité volontaire284 ».
Proche de l’expressionnisme viennois, stylistiquement influencé par Kokoschka et Egon Schiele, qui
en livre en 1910 le portrait sous les traits d’un « jeune
homme hystérique », Max Oppenheimer adopte un
montage similaire dans son Portrait de Heinrich Mann
(1910). La ressemblance formelle avec une photographie de la Salpêtrière représentant « Mr X, hystérique
mâle » est frappante, avec le même réflexe « hémiplégique » du bras droit suspendu, un identique écartement contracturé des doigts. Écrivain et poète, frère
aîné de Thomas Mann, Heinrich Mann n’est pas étranger aux débats sur l’hypnose. Dans une de ses nouvelles, Doktor Biebers Versuchung (1898), le médecin,
directeur d’un sanatorium, est un adepte de l’hypnotisme (grand amateur de musique wagnérienne, il est
convaincu que l’écoute des airs du maître de Bayreuth a
un effet sur les patientes, car elle suscite une « purification de la volonté » qui agit sur les nerfs). C’est un parti
pris qu’il discute âprement avec le jeune Sägemüller,
son rival intellectuel, très sceptique envers son engagement pour une hypnose thérapeutique. Mais nul besoin
de faire appel à un proche des techniques d’induction
hypnotique pour que le corps soit porté par la charge
fluidique d’un magnétisme personnel. Dans une grande
partie de l’iconographie viennoise expressionniste, les
corps dégagent cette énergie biopsychique cherchant à
se libérer de la gangue d’une anatomie suppliciée.
L’EFFET PAPILLON
LOÏE FULLER, LA DANSEUSE MAGNÉTIQUE
Ce corps irradiant va porter un nom sur la scène chorégraphique du passage du siècle, celui de Loïe Fuller.
Connue pour sa fameuse « danse serpentine », dite
aussi « danse papillon », elle donne à voir au public des
Folies Bergère un spectacle qui hypnotise le Tout-Paris :
celui de sa transformation féerique en « matière imparticulée », passant de la simple chenille au papillon chromo-luminescent qui se déploie dans la libération de son
large drapé. Cette figure de la chrysalide, comme métaphore de l’émancipation d’une nouvelle intelligence
suprasensible dégagée de l’enveloppe charnelle, n’est
pas inédite dans notre généalogie ; elle puise directement dans les imaginaires romantiques du somnambulisme. Dans de nombreuses pages de Justinus Kerner,
revient le guérisseur-magnétiseur de la « voyante de
Prevorst » qui, très tôt, s’était passionné pour le phénomène de mutation des lépidoptères, dans lequel il
affirmait reconnaître un état intermédiaire entre existence physique (terrestre) et spirituelle (céleste). Dès
1812, Kerner établit une analogie explicite entre métamorphose du papillon et sommeil magnétique : « Avant
que la chenille massive ne devienne spirituelle (geistermässig), avant que de planer dans l’espace, […] elle
se dépouille et sombre dans un sommeil magnétique.
En cet état, elle pressent déjà les ailes qui la porteront
au-dessus des fleurs ; elle a l’intuition de la vie future,
brise son enveloppe et voltige en celle-ci […]. C’est
la chenille qui progressivement donne naissance au
sylphe spirituel285. »
Le pouvoir d’illumination est conditionné à l’affranchissement d’un « corps psychique ». La danse papillon
de Loïe Fuller est la métaphore de cette libération des
forces de la pensée quand le sublime électrique porte
au regard la « révélation magnétique ». Nul hasard si le
succès public de « La Fuller » culmine lors de l’Exposition universelle de 1900, dans un pavillon à son effigie,
fruit de la collaboration entre l’architecte Henri Sauvage
et le sculpteur Pierre Roche, à mi-chemin entre le Palais
de l’électricité (l’optique moderne) et la reconstitution
d’un village aïssaoua (l’hypnose archaïque286). Loin
d’être un simple effet de mode, Loïe Fuller incarne au
mieux notre paradigme hypnotique de l’art, au croisement de multiples hypothèses sur la plasticité de la pensée (aura et « force psychique »), l’étagement des corps
et des consciences (hypnose, dédoublement), l’imaginaire fluidique des nouveaux rayonnements (rayons X,
électromagnétisme) et le vocabulaire formel de l’Art
nouveau (arabesque, ivresse, immersion). La danse serpentine est née sous le signe de l’hypnotisme. Fuller le
rappelle dans ses souvenirs ; elle a inventé cette danse du
voile lors d’une pièce intitulée Quack, docteur médecin
(1890), qui mettait en scène une guérison magnétique :
« L’auteur, pendant notre travail, eut l’idée d’ajouter à
sa pièce une scène où le docteur Quack hypnotisait une
jeune veuve. L’hypnotisme était à ce moment très en
vogue à New York […]. Le docteur Quack faisait une
entrée mystérieuse puis m’évoquait […] et j’apparus,
essayant de me faire assez légère pour donner l’impression imaginaire d’un esprit voltigeant qui obéissait aux
ordres du docteur. Il leva les bras, je levai les miens.
Suggestionnée, en transe – du moins en apparence –,
mon regard rivé au sien, je suivais tous ses mouvements.
Ma robe était si longue que je marchais constamment
dessus et machinalement, je la retenais des deux mains
et levais les bras en l’air, tandis que je continuais à voltiger autour de la scène comme un esprit ailé…287 ».
A. Oscar Kokoschka, Portrait du docteur Forel, 1910, huile sur toile, Kunsthalle, Manheim.
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« symptomatique » et effet de contamination mimétique288. Le voile mobile et translucide est aussi l’avatar d’un « esprit voltigeant qui obéissait aux ordres du
docteur ». Le lexique flirte ici avec le fond plus spirite de l’hypnose fin de siècle289. Le drapé irradiant
camoufle un corps physique délibérément renié (on
sait que Loïe Fuller a été longtemps complexée par
sa physionomie trapue contraire aux canons sveltes
du ballet de l’époque). Il permet surtout d’illustrer sur
scène un mode de fécondation spirituelle du corps – ce
que Giovanni Lista appelle une « sorte de valorisation
mentale, désexualisée, de l’acte d’insémination dont
le vecteur serait l’esprit290 ». Cette sublimation de la
chair dans la doublure des corps rencontre les hypothèses défendues par les mentors de la « bibliothèque
du magnétisme » (Albert de Rochas, Gérard Encausse
ou Henri Durville) : un état d’attention ambigu entre
transe et sommeil paradoxal qui est d’abord un état
dissocié et altéré du corps. Le corps sous hypnose
est perçu comme une entité double, ambivalente et
contradictoire. Pétrifié ou automate, mutilé de son
libre arbitre, livré à la puissance souveraine du magnétiseur, il est aussi un corps affranchi et hypersensible,
augmenté de multiples personnalités291. Le corps
disjoint de l’hypnose est ici un « corps-sans-organes »,
agencement schizophrène et machinique dans le sens
le plus deleuzien292 : un corps affranchi des circuits
organiques traditionnels pour accroître les capacités
perceptives du sujet dans cette enveloppe traversée
de seuils et de flux énergétiques.
B
Pour Fuller, les jeux de lumière projetés sur l’écran
diaphane du corps sont des armes de suggestion
qui servent non seulement à fixer le jeu médusé des
acteurs (l’induction), mais à suggérer une ambiance
surréelle propice à la rêverie somnambulique des
spectateurs. À la lumière des expériences des « miroirs
aux alouettes » et autres objets brillants venus du braidisme, il y a le soin qu’accorde Fuller aux systèmes
d’illuminations sur scène (éclairage au plancher, effets
kaléidoscopiques de miroirs, etc.). Ils sont non seulement des recherches d’effets spectaculaires qui
signent sa manière (elle devra lutter contre de nombreuses imitatrices), mais des dispositifs propres à
« l’emprise du regard », élaborés sur le modèle du
rapport hypnotique. En rentrant dans un champ de
lumière, Loïe Fuller se met elle-même en condition de
transe pour obtenir l’hypnose du public, par transfert
Pour ce faire, Fuller a déposé dès 1893 plusieurs brevets de « robe spécialement destinée à la danse théâtrale », un costume baleiné dont l’armature permet
d’étendre l’envergure des bras. Sous la robe, deux bambous en jonc (lointain héritage du théâtre kabuki),
cintrés à leur extrémité et tenus à bout de bras, permettent d’obtenir les fameux développés en tourbillon. L’impression est saisissante. Elle monumentalise le
geste en donnant à voir une extension du champ d’innervation électrique de la sensibilité que le public de
l’époque peut associer sans difficulté aux expériences
fluido-magnétiques sur « l’extériorisation de la sensibilité » de Rochas. Le colonel de Rochas compare ce
transfert physique (une « sympathie à distance ») à l’effet de luminescence des « corps phosphorescents » que
va explorer Fuller en entrant en contact avec Pierre et
Marie Curie (La Dame phosphorescente293). Or, Rochas
associe ce phénomène d’extériorisation à une théorie
protoplasmique et vibratoire d’un milieu – l’éther – totalement habité de courants magnétiques294. Si son sujet,
Lina, entre autant en sympathie avec la « musique à
thème » qu’on lui propose de mimer, c’est parce que
son état de suggestibilité la plonge dans la « première
phase du sommeil hypnotique où le sujet présente déjà
A. Henri de Toulouse-Lautrec, Étude pour Loïe Fuller, 1893, peinture à l’essence sur carton,
63,2 x 45,3 cm, Albi, musée Toulouse-Lautrec.
B. Dessin du brevet d’une robe spécialement destinée à la danse théâtrale, 1894.
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que Loïe Fuller illustre sur scène, dans une pyrotechnie reprise par de nombreux peintres et illustrateurs
(Toulouse-Lautrec, Koloman Moser, Charles Maurin…),
qui anticipent d’authentiques compositions abstraites
faites de pures émanations chromatiques.
Dès 1897, dans L’Art de demain, un ouvrage d’obédience théosophique totalement oublié par les historiographes de l’art moderne, Barlet et Lejay annoncent une
peinture « plus attachée à l’Abstrait299 », dont l’ambition, liée à « la pratique magnétique qui peut donner des
résultats plus utiles300 », serait de reproduire la plasticité
de « l’esprit qui souffle à travers la matière301 » : « Ces relations avec le monde invisible se trouvent actuellement si
répandues […] dans le monde savant par l’hypnotisme
[…] que le public ne peut manquer d’accepter avec intérêt l’une de ses préoccupations les plus actuelles302 ».
Pour les auteurs, les « innovations modernes » de la
peinture seront en conformité avec l’évolution future
de l’espèce (la « sensibilité psychique303 ») en prenant
la forme de fééries chromatiques pures, très proches
de celles qu’offre Loïe Fuller : « Ces rêves merveilleux
de la lumière colorée que nous racontent vos harmonistes et vos symphonistes de la couleur, ces nuées
vaporeuses […] ils peuvent les voir dans la réalité de leur
A
très nettement le phénomène de l’extériorisation de la
sensibilité » : « Le fluide nerveux, qui chez les gens normaux transmet au cerveau les sensations de la chair et
s’arrête (du moins en apparence) avec les nerfs sensitifs à la surface cutanée, est chez ces sujets projeté plus
ou moins loin en dehors, de sorte qu’ils sont enveloppés d’une atmosphère d’effluves vibrant au moindre
choc des vibrations extérieures295. » L’hypnose autorise
donc la manifestation d’un tiers-corps, un corps (électro)magnétique qui vient rapidement se confondre avec
les « auras » lumineuses que les théosophes, et avec eux
certains scientifiques (Rochas, William Crookes, etc.),
appellent le « corps astral296 ». Rochas l’entraperçoit
dans les performances de Lina qui, sous transe, « voit se
former, peu à peu, autour d’elle un certain nombre d’enveloppes lumineuses devenues le siège de sa sensibilité
qui a abandonné la peau. Ces enveloppes, précise-t-il,
finissent par se condenser en une colonne nébuleuse,
légèrement brillante, placée environ à un mètre en
avant d’elle et où toute sa sensibilité est concentrée297 ».
Ce corps médiateur permet, selon la doxa théosophique,
d’accéder aux féeries du « plan mental » décrites sous
la forme immersive et grisante d’effluves colorés298
B
A. Jean-Léon Gérôme, Loïe Fuller, 1893, huile sur toile, 46 x 38 cm, Vesoul, musée Georges Garret.
B. Couverture de V. L. Ferrandiz, Hipnotismo, magnetismo autosugestion, 1930.
C. Jules Chéret, Folies-Bergères, La Loïe Fuller, 1893, 124 x 89 cm, Paris, Bibliotthèque nationale de France.
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existence. Ces inspirateurs de leurs rêves sont des êtres
matériels, d’un corps fluidique subtil, mais possible à
examiner, à contempler, à toucher même moyennant
certaines conditions maintenant bien connues […] par
les opérations aujourd’hui fort répandues (trop vulgarisées peut-être) du magnétisme transcendantal304. »
Que laisse découvrir cette action clairvoyante du
« fluide magnétique305 » ? Une « mer fluidique » faite
de « lumières variées […] sans cesse changeantes »,
que Barlet et Lejay semblent déjà reconnaître dans les
« chaleureuses créations de Gustave Moreau ou de ses
disciples, les fantasmagories coloriées que créent dans
l’astral les vibrations passionnelles de ses habitants306 ».
L’un des représentants de ce courant « chromo-luminariste », largement redevable, toujours selon eux, à « ces
étonnantes observations de l’hypnose et de tous les
phénomènes qui s’y révèlent307 », est le peintre Odilon
Redon, dont bien des portraits chargés de « vibrations
psychiques308 » adoptent des attitudes somnambuliques, avec des visages concentrés sur un point de mire
fixe (une fleur ou un bouquet, le plus souvent).
UN « ART SUGGESTIF »
DE LA MUSIQUE AVANT TOUTE CHOSE
À propos de l’art de Redon, dont il est un spécialiste, le critique André Mellerio, auteur d’un traité sur
Le Mouvement idéaliste en peinture (1896), précise
qu’« à un tel art peut s’appliquer justement ce vocable
dont on a tant mesuré : Art suggestif309 ». Le terme est
devenu un poncif, mettant à jour le transfert des théories cliniques de la suggestion vers le discours esthétique. Comme a pu le montrer Dario Gamboni310, les
artistes ont soigneusement contribué à l’apogée de
ce déplacement, en premier lieu Redon qui, dans son
Journal, consigne que « l’art suggestif est comme une
irradiation des choses pour le rêve où s’achemine aussi
la pensée311 ». Dans ses « Notes d’esthétique » (1885),
le poète Charles Vignier, ami de Mallarmé, consacre
un article à la « suggestion en art ». C’est là l’une des
toutes premières manifestations de cette exportation
des théories de Bernheim dans le champ de la critique
d’art. Il va faire école. Pour lui, la peinture où l’effet produit « s’arrête à la chose peinte » n’est pas un art prédisposé à la « suggestion », contrairement à la musique,
où « la suggestion est à peu près le seul effet produit312 ».
Cependant, il prend acte d’une « évolution embryonnaire en peinture » qu’il tente de reconnaître dans les
travaux de Gustave Moreau et Odilon Redon. De « la
valeur abstraite de la couleur » chez Moreau, Vignier
dit qu’elle invite à faire un « rapprochement » avec
un « génial musicien, Richard Wagner ». De Redon, il
affirme qu’il « serait tout aussi fondé de parler de peinture musicale, vu que l’unique différence de cette peinture à la peinture descriptive réside en ce que celle-là
usite, par sa raison d’être, la suggestion313 ». C’est la
musicalisation de la peinture moderne qui va conditionner son tournant suggestif, dès lors que lui incombe
« le soin non pas de décrire, mais d’émouvoir la couleur, de la douer de sensation, afin de fugitiver la vie314 ».
Gustave Kahn, toujours à propos de Redon, ne relevait-il pas que son « dessin ou mieux la forme représentée aurait la valeur d’un suggestif, thème musical propre
à exciter et à charmer la rêverie du regardeur315 ».
Deux mois plus tôt, le jeune Maurice Barrès, ancien
étudiant de la faculté de Nancy, avait donné à une
revue néerlandaise un manifeste intitulé « L’esthétique
de demain : un art suggestif », dans lequel il lui suffit de
substituer le terme « compassion » à celui d’« empathie » pour retrouver le lexique fusionnel de la suggestion : « Puisque tout l’univers est nous-mêmes, nous
l’aimerons, nous nous y mêlons, par la compassion sur le
Monde, c’est-à-dire sur nous-mêmes, nous ferons l’unité
qui supprime la souffrance du Moi, se débattant contre
l’extérieur316. » C’est cependant moins un emprunt direct
et référencé à Bernheim qu’un dialogue avec un autre
étudiant de Nancy, devenu rédacteur à la Revue wagnérienne, un certain Teodor de Wyzewa : « En quelques
pages profondes de la Revue wagnérienne, M. Teodor
de Wyzewa formule l’état d’âme qui réalisera l’Art suggestif de demain317 ». Barrès, qui cite par ailleurs les travaux de Charles Vignier, fait référence à un article sur le
« pessimisme de Wagner », où le compositeur est présenté comme le modèle de « l’art suggestif de demain ».
Comme le remarque François-René Martin318, c’est dans
un autre article de son ami Wyzewa, publié un mois plus
tôt, en juin 1885, que Barrès a pu repérer le lexique de
la suggestion et son infusion dans le discours critique sur
le renouveau de la peinture moderne. Wyzewa y parle
de « peinture wagnérienne », qu’il reconnaît dans certaines qualités formelles de plusieurs toiles présentées
au Salon. Il divise à cette occasion la peinture en deux
catégories distinctes319 : la « peinture prosaïque », qui
traduit la « vision du monde objectif », et la « peinture
poétique », « insoucieuse des formes réelles », avec pour
protagonistes Gustave Moreau, « le symphoniste des
émotions affinées », Fantin-Latour ou Whistler, tous réunis sous la bannière commune du « wagnérisme ».
Un an plus tard, le distinguo entre les deux modes de
peinture se confirme (« l’une sensationnelle et descriptive, recréant la vision exacte des objets ; l’autre émotionnelle et musicale, négligeant le soin des objets320 »)
quand les peintres les plus novateurs ont libéré la puissance expressive de la ligne et des couleurs, « devenues
comme les syllabes de la poésie, comme les notes de
la musique, des signes émotionnels » : « Ils ont employé
les couleurs et les lignes dans un pur agencement symphonique, insoucieux d’un sujet visuel à peindre directement321 ». Selon François-René Martin, « ce qui donne
[…] à ces projections wagnériennes de Wyzewa en 1885
et 1886 leur caractère expérimental, c’est la place qu’elles
réservent à la vision orientée, à la réceptivité des émotions, ou même, pour parler comme Bernheim, à une
forme d’autosuggestion. Elles supposent un spectateur
critique dans un état de disponibilité particulière, autorisant une suggestibilité accrue, laissant sa conscience se
faire envahir par la musicalité de certaines œuvres322. »
Wyzewa a puisé cette nouvelle sémiotique des lignes
et couleurs dans les récents traités d’esthétique scientifique, notamment dans les analyses « esthopsycholo-
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giques » d’Émile Hennequin, collaborateur de la Revue
wagnérienne pour qui « tous les signes esthétiques pourront être ramenés à une signification psychologique323 ».
La forme pure, ligne ou couleur, n’est plus un signe muet
mais se charge d’un sens immanent, supralinguistique,
jusqu’à faire de l’œuvre d’art un agencement de signes
graphiques autonomes, débarrassés non seulement de
la mimesis, mais du fardeau de la matière elle-même.
Alors qu’il annonce avec fantaisie une « musique nouvelle » qui sera « écrite, non jouée, suggérant l’émotion
sans l’intermédiaire des sons entendus324 », Wyzewa se
fait l’apôtre d’une peinture du futur, faite de « purs signes
d’émotions », couleur évanescente ou ligne mobile,
selon une logique formelle d’arabesque en mouvement
qui annonce, sans le vouloir, les premières œuvres abstraites cinétiques des frères Corradini (1912), de Léopold
Survage (1914) ou de Serge Charchoune (1916).
Les théories de la suggestion impriment aussi le champ
de la rénovation dramaturgique, en particulier dans les
expérimentations conduites sur la scène parisienne du
Théâtre d’art325. Pierre Quillard, dans l’un des textes
fondateurs du théâtre symboliste, demande ni plus ni
moins de soustraire le décor à la vue du spectateur afin
de laisser pleinement agir la magie « purement suggestive » du verbe : « Les toiles ridicules des parades foraines
deviennent pour les spectateurs complices les architectures de rêve qu’il plaît au poète de leur suggérer. La
parole crée le décor comme le reste326. » Oublier le décor
ou bien, toujours dans le but de ne plus « décrire » le
milieu ambiant, voiler la scène pour que n’opère sur le
spectateur que la puissance suggestive de la parole et des
sons. Penser le cas (passé plutôt sous le radar des historiographes de la scène symboliste) des Auditions voilées,
d’Émile Chizat, exécutées dans les salles parisiennes de
la galerie Georges Petit, entre 1891 et 1893327. Le principe consiste à interposer entre les exécutants et le public
un voile de gaze (Le Monde musical du 15 février 1893
parle de « draperies artistiquement disposées »), soit un
écran relativement neutre sur lequel viennent s’inscrire
les images mentales des spectateurs à l’audition des voix
et des instruments, « afin que le spectateur n’éprouve
aucune préoccupation ni distraction résultant des choses
externes. Et les voiles qui tamisent et graduent les effets
de lumière complètent l’illusion et isolent la pensée dans
les régions de l’au-delà328 ». L’idée qui germe dans ces tentatives encore timides est celle d’une scène qui fait disparaître non seulement les musiciens (comme à Bayreuth
dans le « fossé mystique »), mais le décor et les chanteurs,
laissant place à l’imagination visuelle du spectateur qui
se fait son propre spectacle. Nous retrouvons là le vocabulaire collaboratif rencontré dans la conceptualisation d’un efficace de la suggestion chez Souriau : « Il faut
s’abstraire du milieu où l’on se trouve, fermer les yeux et
se laisser aller aux suggestions de l’orchestre et des voix.
Notre imagination ouvre alors ses ailes au souffle de l’inspiration musicale, et nous devenons en quelque sorte
le collaborateur du poète et du musicien. Oh, croyez-le
bien, les figures que nous évoquons, les décors qui s’improvisent dans notre cerveau et s’y déroulent aux ondulations de la symphonie sont autrement féeriques, nous
font autrement illusion que ceux que peuvent représen-
ter chanteurs et figurants, coulisses et toiles de fond. Et,
en même temps que nous obéissons à l’inspiration du
compositeur, nous éprouvons une joie intime de cette
part de collaboration que nous avons dans son œuvre et
nous savons être notre bien propre329. »
Ce type de spectacle fondé sur une projection d’effluves chromo-musicales n’est pas isolé. Très en vogue
au passage du siècle dans de nombreuses séances de
« musique colorée », dans un moment à la fois baigné de
synesthésies symbolistes et de féeries électriques, deux
modes convergent autour d’une même culture hypnotique des attractions. L’un des représentants de cette
Color Music330 en France est Louis Favre, un créateur
polymorphe, lui aussi bien oublié, mais qui nous intéresse car un pied dans la création scénique de dispositifs chromo-lumineux (auteur en 1900 d’un traité intitulé
La Musique des couleurs et les musiques de l’avenir331),
un autre dans la recherche psychique332 (collaborateur
de la Revue de l’hypnotisme expérimental et thérapeutique). Membre de la Société d’hypnologie et de psychologie, on lui doit notamment une contribution « à propos
C’est la musicalisation de la peinture
moderne qui va conditionner
son tournant suggestif, dès lors
que lui incombe « le soin non pas
de décrire, mais d’émouvoir
la couleur, de la douer de sensation,
afin de fugitiver la vie ».
de la définition de la suggestion » qui montre combien il
est informé des débats cliniques du moment333. Magnin,
dans son ouvrage sur L’Art et l’Hypnose, cite d’ailleurs
ses travaux sur les influences magnétiques334. Ces deux
facettes vont converger autour de projections surfant
sur l’expérimentation artistique des correspondances
(la synesthésie) et l’orchestration rythmique d’un bercement audiovisuel de la conscience. Favre établit pour
cela tout un système de gammes chromatiques avec
hauteur, intensité et timbre, commençant par le rouge
(une couleur dont la fréquence correspond aux notes
sonores basses) pour culminer au violet, avec tout un
ensemble de variations rendues possibles par le jeu des
saturations de couleurs (une teinte claire étant considérée comme plus haute qu’une teinte sombre). Or,
tout comme la réflexion menée par Diderot à partir du
« ruban de couleurs » du clavecin de Castel335, ce spectre
n’est qu’une métaphore de la concorde unanime entre
les espèces. De La Vérité. Pensées (1889) à La Musique
des couleurs (1900), Favre consacre de longs développements à « l’union des peuples », la « fraternité336 » cristallisée dans la concorde des sens : « Par son moyen, tous
les peuples arrivent à posséder des éléments psychiques
communs et des éléments d’entente […]. L’art établit un
lien entre les hommes […]. La solidarité des produits de
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L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T
l’esprit humain établira la solidarité des esprits et des
cœurs, manifestation de la solidarité universelle337. » La
synthèse des arts vise ici toujours, comme dans le projet
romantique, la concordance des sens, prodrome d’une
communion mimétique des êtres. Dans l’esprit wagnérien, la salle de projection devient le lieu d’une coalescence organique de la communauté.
Cette synesthésie électromagnétique sert aussi de
levier pour libérer la représentation des contraintes
de la mimesis, et l’on se met à croire, tel le critique de
L’Art musical, qu’il « faut se faire à cette idée que, sous
le régime de nos arrière-petits-neveux, les orchestres
seront remplacés par des toiles coloriées, tandis que des
boîtes à musique joueront des couleurs dans nos musées
de peinture. Beethoven se fera admirer comme peintre,
et l’on applaudira Rubens comme musicien338 ». Cela
doit à terme favoriser un art purement abstrait, immatériel, flottant tel un effluve magnétique envoûtant les
spectateurs, chargé d’une énergie qui galvanise les corps
et les esprits pour les porter vers les sphères plus « élevées » d’un inconscient primitif, unanime. Ces spectacles anticipent sur l’utopie radicale de l’abstraction :
le fantasme télépathique d’une communication émotionnelle immédiate dans le bain de la vibration pure,
réalisation messianique du rêve ancestral de la lingua
adamica, ouverte aux dimensions cosmiques de l’univers à l’ère des technologies de la télégraphie sans fil. Le
développement historique des procédés de Color Music
(Louis Favre, Bainbridge Bishop, Alexander Wallace
Rimington, vers 1885-1895339) s’inscrit dans ce contexte
culturel mêlant étroitement médiation technologique,
électrification des consciences et culture hypnotique de
l’inconscient340. Les projections de couleurs pures, précédant d’une décennie l’apparition des premières toiles
abstraites (1912), plongent le spectateur dans un vertige
pour le mettre en communication directe avec la réalité biologique de l’inconscient collectif – ce que Gustave
Le Bon, dans sa Psychologie des foules (1895), appelle la
« prédominante de la vie médullaire341 », une vie infraconceptuelle, supra-individuelle, communielle.
UN DEVENIR MAGNÉTIQUE
LES FUTURISTES, VERSION MENTALISTE
Cette esthétique panpsychique trouve une reconduction frappante dans les mouvances futuristes d’avantguerre, qui ambitionnent plus que jamais d’« objectiver
le subjectif », dans des œuvres dont le rayonnement
vibratoire ne demande qu’à pouvoir agir sur le réel. La
transcription optique des phénomènes psychiques donnant à voir l’activité des effluves vibratoires qui supportent la relation d’influence d’un sujet sur l’autre342 est
certes contestée343, mais la victoire affichée du camp de
la suggestion (Bernheim) contre les dérives d’une hystérie fabriquée (Charcot) donne armes et arguments aux
nombreux partisans d’une « théorie de la volonté » que le
passage du siècle voyait comme la solution aux défaites
décadentistes de la mentalité fin de siècle. Personne ne
sait à quel point les avant-gardes européennes, obsédées
par l’esprit vitaliste d’une « régénération », ont été nourries par les lectures des traités « mentalistes », impor-
tés des courants américains de la Christian Science, qui
s’empressait de convertir les « théories de la suggestion »
en manuel de réussite personnelle et collective.
Le débat français opposant Charcot et Bernheim a
eu de larges répercussions en Italie344, mobilisant de
nombreux médecins rattachés aux écoles de psychiatrie
(Augusto Tamburini, Giuseppe Seppilli, Enrico Morselli
ou Cesare Lombroso…), intéressés de près aux hypothèses soulevées par l’hypnotisme de laboratoire. Il
s’agit là, comme en France, de présenter l’hypnose sous
un nouveau jour plus rationnel et scientifique. Il s’agit
de l’inscrire dans une filiation proprement positiviste,
ainsi que le fait Seppilli dès 1880345, dans une histoire
abrégée du magnétisme animal, passée au crible des
trois stades relevés par Comte qui conduirait, après une
dérive mystique de l’hypothèse fluidique de Mesmer, à
revenir vers des approches neurophysiologiques beaucoup plus rationnelles, rivées sur les réactivités idéomotrices, circulatoires et respiratoires, suivant les standards
de la méthode expérimentale. Parmi la diversité de ces
travaux, des études sur le phénomène de « transposition des sens » sont menées par Lombroso et Morselli.
Ils reviennent sur une nouvelle cartographie de la sensibilité, avec des jeux de conversion qui intéresseront
directement les artistes futuristes friands d’analogies et
de totalité. En particulier l’idée d’une conversion tactile
des approches phénoménales de l’espace, interprétée
ici comme une modalité archaïque ou atavique, enfouie
dans la conscience mais justement revivifiée dans la
plongée hypnotique dans la « subconscience ».
Lombroso, auteur lu attentivement par les jeunes
futuristes, s’intéresse de près à la question d’une augmentation de l’activité cérébrale en état d’hypnose. Il
s’attarde notamment sur le concept d’« hyperaemia »
(une augmentation de la circulation sanguine dans le
cortex cérébral, pendant la phase d’induction hypnotique), ce qui semble cautionner l’idée d’une hyperactivité, et non pas de léthargie, sous hypnose. Morselli
se penche pour sa part sur les phénomènes d’hyperesthésie et de « suggestion hallucinatoire346 ». Il s’attarde
sur le phénomène d’hyperesthésie tactile347 » (cela aura
un impact évident sur les expériences du « tactilisme »
marinettien) et les modes d’articulation entre sensation
et mouvement (Estesia/Ergasia348), qui vont pour partie
inspirer la théorie futuriste des « lignes-forces ». Dans son
chapitre sur la perception en mode hypnotique, Morselli
parle d’« iperpercettibilità349 » et consacre plusieurs paragraphes à la question de l’hallucination, pas seulement
visuelle, mais aussi auditive ou tactile (ce qu’il appelle
une « obbiettivazione dell’allucinazione »). Il prend soin
de distinguer entre hallucination positive et négative, ce
qu’il range dans la catégorie plus générale d’« influence
excitatrice350 » avec une attention accordée à l’exaltation
des sentiments (esaltazione del tono sentimentale351) par
une faculté plus agile d’associations en état de « cérébration inconsciente352 ». C’est dans ce tournant d’une biologie de l’art ouvertement nietzschéenne qu’intervient
l’influence décisive des théories de la suggestion sur
l’ethos utopique du futurisme, qui prend au pied de la
lettre le principe stratégique de Bernheim et de ses dis-
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ciples de l’école de Nancy, à savoir « l’idéodynamisme »,
ou la conversion directe de l’idée en acte. L’art a vocation à intervenir sur le cours des choses, la force de suggestion en sera la cheville ouvrière.
Cette expansion spatiale et souveraine de la psyché
prend chez les futuristes italiens une tout autre ambition
conquérante et dominatrice que dans un mouvement
symboliste aux airs plus introvertis. Car cet attrait générationnel pour la « force de volonté » (portée chez les futuristes par un culte nietzschéen du surhomme) va trouver
au début du XXe siècle un renfort stratégique dans la diffusion internationale des thèses du mouvement américain
de la New Thought353. Sa devise, « Thoughts are Things »
(« les pensées sont des choses ») circule dans les ouvrages
à succès de Prentice Mulford : « Dans la chimie des temps
futurs, on reconnaîtra que la pensée est une substance
tout aussi bien que les acides, les oxydes et tous les autres
corps chimiques actuels. Il n’y a pas de lacune entre ce
que nous nommons l’esprit et la matière. L’un et l’autre
sont substantiels […]. Notre pensée invisible et irrévélée émane incessamment de nous en tant qu’élément et
force, aussi réelle que le flot de l’eau que nous voyons,
que le courant électrique que nous ne voyons pas. Elle
se combine avec la pensée des autres, et il en résulte un
produit nouveau, exactement comme en chimie la combinaison des corps produit des substances nouvelles354. »
Et Mulford, non sans lyrisme, de décrire cette circulation
des pensées en des termes hautement visuels qui anticipent directement les féeries chromatiques des futuristes et des pionniers de l’abstraction : « Si vous pouviez
traverser le courant des pensées obscures et matérielles
qui vous environne de toute part, vous vous trouveriez
dans une contrée splendide où luit un soleil sans nuées,
où s’épanouissent des fleurs radieuses, paysage sublime
et féerique355. » À quoi il serait utile d’ajouter l’influence
des travaux transcendantalistes de Wallace, l’auteur d’un
ouvrage vantant les vertus de la volonté sur le « pouvoir
créatif » (The World of Life. A Manifestation of Creative
Power, Directive Mind and Ultimate Purpose, Londres,
1910), avec ce goût prononcé pour la domination prométhéenne sur le réel, plutôt en accord avec ce que le
philosophe Benedetto Croce, un mentor de l’esthétique
du passage du siècle, avait tendance à considérer comme
un « spiritualisme sensualiste ».
William Atkinson, codirecteur du New Thought
Magazine, est un des principaux relais de ce courant
mentaliste en Europe, grâce à de nombreux petits traités
comme La Force-Pensée : « Les pensées sont des choses.
Elles se comportent comme telles, elles en ont l’action mécanique et la puissance moléculaire356. » Selon
Atkinson, c’est l’œil (en particulier le regard magnétique) qui sera le meilleur transmetteur des vibrations
mentales ; c’est lui qui « communique aux autres les
vibrations de la pensée et le fluide vital dont le cerveau
est comme le réservoir357 ». Il développe pour cela une
théorie de la « volation télépsychique », soit l’art de bien
diriger les vibrations de sa puissance de volonté, en se
concentrant sur la personne que l’on imagine située à
l’extrémité d’un tube partant de l’œil : « Votre pensée
se trouvera ainsi comme concentrée, comme ramas-
sée sur une seule ligne et arrivera à leur but avec une
force d’autant plus accrue358. » L’activisme éditorial du
courant du « psychisme expérimental » en Europe facilite les rapprochements avec cet ethos américaniste de
la toute-puissance de la volonté. De La Vie psychique
au monde psychique, de La Revue de psychopotence
aux Nouveaux horizons de la science et de la pensée,
les publications pullulent359 ; les relais culturels aussi.
L’Institut de recherches psychiques de France a décidé,
en octobre 1911, de mettre en place un programme de
recherches sur les « radiations d’origine psychique » et
sur la « radiographie en couleurs des sentiments ». Au
printemps 1913, le « Groupe fraternel de psychisme
expérimental » rassemble Alexandre Mercereau,
Fernand Divoire ou Jacques Nayral, tous proches des
cercles cubistes français360. L’éditeur Figuière, dont le
peintre cubiste Albert Gleizes réalise le portrait, est l’auteur d’un « bréviaire de la volonté361 ». Fernand Divoire,
adepte des thèses de Prentice Mulford362, a publié un
roman intitulé Cérébraux dans lequel il met en scène
les peintres de la nouvelle génération, les « artistes
cérébraux […] imagiers à idées363 ». Quant à Guillaume
Cette expansion spatiale
et souveraine de la psyché prend
chez les futuristes italiens une
tout autre ambition conquérante
et dominatrice que dans
un mouvement symboliste
aux airs plus introvertis.
Apollinaire, il est un lecteur assidu de la revue Light,
le bulletin officiel du courant de la New Thought américaine364. Les futuristes italiens vont être encore plus
zélés, adhérant avec beaucoup plus de conviction à ces
approches physicalistes de l’influence et de la fascination qu’ils considèrent, en adeptes du « transformisme
philosophique », comme autant de facteurs susceptibles
à terme de transformer l’espèce humaine. Marinetti,
le mentor du futurisme, n’est pas en reste. L’hymne à
« l’homme démultiplié » qu’il livre en mai 1910 à la face
des avant-gardes est un plaidoyer mentaliste : « Nous
croyons à la possibilité d’un nombre incalculable de
transformations humaines, et nous déclarons sans sourire que des ailes dorment dans la chair de l’homme.
Le jour où il sera possible à l’homme d’extérioriser sa
volonté de sorte qu’elle se prolonge hors de lui comme
un immense bras invisible, le Rêve et le Désir, qui sont
aujourd’hui de vains mots, régneront souverainement
sur l’espace et sur le temps, domptés […]. Il est facile
d’évaluer ces différentes hypothèses apparemment
paradoxales en étudiant les phénomènes de volonté
extériorisée365. »
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L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T
Dans un article publié en 1907 dans la revue Leonardo,
fondée par Papini et Prezzolini, à propos de l’esprit de
régénération en Italie, Giovanni Papini évoque la création d’une section italienne de la Christian Science à
Florence366, armée au même moment par l’ouverture de
la Biblioteca Filosofica di Firenze, qui accueille de nombreux ouvrages, plus de cinq mille recensés en 1908,
dont plusieurs opuscules édités par la mouvance de la
New Thought. Cette influence revient dans les colonnes
de la revue Leonardo367, notamment dans les écrits du
psychologue Roberto Grego Assagioli, défenseur d’une
méthode appelée « psicosintesi » dans laquelle se reconnaît facilement l’influence des méthodes d’autosuggestion façon « méthode Coué ». On le retrouve dans
l’ouvrage de Papini, Volontà di credere, ainsi que dans
de nombreux articles où se déploie la rhétorique des
manifestes futuristes : « À travers la “volonté de croire”,
j’ai tendu vers la « volonté de faire » – à la possibilité de
faire. Si la volonté pouvait étendre son cercle de commandement du corps aux choses qui l’entourent – et
faire de l’univers tout entier son corps, obéissant dans
toutes ses parties à un ordre qui lui est propre, car ces
quelques faisceaux de muscles sont maintenant obéissants368. » Gian Falco dans les colonnes de Leonardo,
ne dit pas autre chose : « Il s’agit d’éduquer, de réaliser,
d’intensifier ce côté dominant de la volonté […]. Parce
que nous savons que la puissance de la volonté se manifeste non seulement par l’attention et le choix, mais par
d’autres formes plus obscures et merveilleuses […]. Elle
sait que la suggestion hypnotique et la suggestion de soi
peuvent faire apparaître des phénomènes qui ne sont
pas réels aux spectateurs369. »
tive » ? Un exercice de développement mental personnel, proche des méthodes de yoga, très inspirantes
pour les milieux de la New Thought, associées aux techniques de suggestion venues de Bernheim, auxquelles
les frères Corradini ont eu accès par celui qui en diffuse la pensée en Italie, le psychologue romain Giulio
Belfiore375 – comme semble l’indiquer un cahier manuscrit daté de 1907 et intitulé Hypnotisme et Magnétisme.
Thérapeutique suggestive (Ipnotismo e Magnetismo.
Terapeutica suggestiva376). De ce croisement entre
mentalisme et techniques d’autosuggestion va naître
une modélisation vibratoire de l’expérience esthétique :
« La pensée et le sentiment humain sont des vibrations,
lesquelles ne peuvent certainement pas être délimitées
par notre corps physique. Il est cependant évident et
vérifiable qu’elles sont semblables à une force, telle que
l’électricité ou l’onde hertzienne, qui se propage indéfiniment à travers l’éther. Les formes vivantes créées
par cette force vibratoire sont l’essence de nos frémissements de haine, d’amour, de luxure, de mysticisme,
de peur, de courage, d’abnégation, de sacrifice, etc.
Je peins ainsi non pas les attitudes d’un être humain,
tordu par la douleur, mais la vibration de son âme douloureuse ou la douleur elle-même377. »
Quels enseignements retirent-ils de ces traités ? Non
pas la résignation dans une vie psychique réduite à un
plan matériel sédimenté dans les choses, mais sous une
forme autrement plus vitaliste, la possibilité pour la
volonté de se manifester elle-même physiquement, en
substance378. Les futuristes découvrent dans les thèses
mentalistes une hypervalorisation de l’« énergie psychique » sur laquelle va pouvoir reposer la divinisation
du surhomme futuriste, « Uomo-Dio », génie dominateur à la puissance magnétique irrésistible379, jusqu’à
tenter de maîtriser la « plasticité » autoréalisatrice
du sujet, en s’appuyant sur ce qu’Atkinson380 appelle
l’« art de maintenir ou de créer la force vitale381 » grâce
au « développement de nouvelles cellules cérébrales » :
« MUSIQUE CHROMATIQUE »
L’EMPRISE VISUELLE DES PROJECTIONS
Parmi les exemples les plus frappants de cette circulation, le cas des frères Arnaldo et Bruno Ginanni
Corradini, connus en futurisme sous leurs pseudonymes Ginna et Corra. Dans « Proposte » (1910)370,
Bruno Corradini reprend un extrait du Poem of Thought
de Victor Segno, l’un des principaux représentants du
courant mentaliste371. Quant à son manifeste A.B.C.
metodo (1910), vade-mecum du nouvel art, il est truffé
de citations cryptées aux ouvrages d’Atkinson, mais
aussi de Jules Fiaux, piochées dans Comment réussir
sa vie ? (1908) ou la Néosophie (1909), dans lesquels il
découvre une véritable théorie « plastique » de l’imagination créatrice372. De là, le duo des frères va élaborer une théorie du « pouvoir suggestif373 » : « Tout dans
ce monde est suggestion, toutes les causes de nos pensées et de nos sentiments ne sont données que par des
suggestions maléfiques ou bénéfiques. Les suggestions
sont perçues par les sens ; l’ouïe, la vue, l’odorat, le
toucher et le goût […]. L’un des plus grands avantages
de la suggestion est la Thérapeutique-Suggestive374. »
Que faut-il entendre par une « thérapeutique-sugges-
A
A. Illustration de Ginna Corradini pour Sam Dunn e morto. Romanzo futurista, de Bruno Corra, 1917.
B. Umberto Boccioni, Idole moderne, 1911, huile sur toile, 60 x 58 cm, Estorick Collection, Londres.
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B
« La nouvelle psychologie […] nous dit que nos cellules
cérébrales peuvent se développer à notre gré, suivant
les lignes désirées […]. En un mot, l’être humain peut
se reconstruire lui-même à tous les instants et changer
entièrement de nature. Cela n’est pas une chimère, ni
une vaine théorie mais un fait positif382 ». C’est là une
conception radicalement « transformiste » de l’évolution cognitive de l’espèce humaine : « Le cerveau est
un instrument pour la réception et la transmission de
la pensée-vibrations d’intelligence. Il a son code de
vibrations qui correspondent avec toutes les lumières,
les couleurs et les sons de l’univers. Tous les cerveaux
emploient et reconnaissent le même code, quelle
que soit la langue que l’on parle […]. Le code mental
d’une intelligence étant le même que celui de toutes
les autres, quand une pensée s’énonce, elle fait vibrer
les mêmes fils dans quelque autre cerveau et cette personne reconnaît immédiatement la pensée, et à quoi
elle se rapporte. Puisque chaque couleur, lumière et
son, représente un nombre spécifique de vibrations,
quand nous contemplons une scène, elle produit dans
notre cerveau une variété de vibrations, suivant ses
lumières, ses ombres, et ses couleurs, et nous sommes
à même de voir le tableau383. »
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Dans leur projet de Musique chromatique (1912),
les frères Corradini vont traduire cette « force vibratoire » en projections chromo-lumineuses : « Nous préparâmes sept lampes colorées avec les couleurs du
spectre, montées sur un support mobile qui pouvait se
déplacer dans toute la pièce. En allumant telle ou telle
lampe, selon les cas, tandis que la symphonie se déroulait sur l’écran, nous aurions dû créer, dans la salle,
des atmosphères successives de couleurs qui, étant en
accord avec le ton général des thèmes se déroulant au
fur et à mesure sur l’écran, introduiraient en quelque
sorte le spectateur dans l’intimité de la sensation384. »
L’objectif visé est une immersion panoptique du spectateur dans une salle de théâtre dont non seulement
les murs mais le mobilier et les accessoires décoratifs
auraient été préalablement peints en blanc, avec, pour
pousser le mécanisme empathique d’une fusion objet/
sujet, l’idée d’inviter le public à « porter un habit blanc » :
« Nous expérimentâmes successivement, pour écran,
une simple toile blanche, une toile blanche enduite de
glycérine, une surface d’étain, une toile enduite d’un
mélange qui, par réflexion, donnait une sorte de phosphorescence, un volume à peu près cubique de gaze
extrêmement légère dans lequel le rayon lumineux pouvait pénétrer et qui aurait dû donner à peu près l’effet
d’un nuage de fumée blanche. Enfin on revint à l’écran
en toile qui fut appliqué directement sur un mur, on
enleva tous les meubles, on recouvrit toute la pièce de
blanc, murs, plafond, plancher et on s’habilla durant les
essais de peignoirs blancs (à propos : quand la musique
chromatique se sera imposée, grâce à nous ou à d’autres,
il y aura sans aucun doute une mode de la couleur qui
exigera du public élégant de porter un habit blanc pour
aller au théâtre de la couleur. Les tailleurs peuvent dès
maintenant commencer à s’en occuper)385. »
Se comprend mieux sous cet angle, le projet d’une
« musique chromatique » défendu par les frères
Corradini (1912). Il ne s’inscrit pas seulement en continuité de la vogue symboliste des « orgues de couleur »
mais propose une authentique cinématographie des
états d’âme. Dans leur manifeste « Art de l’avenir »
(1910), ils annoncent déjà la naissance d’un « drame
chromatique » (« Drame chromatique = traduction en
couleurs d’un système de passions concrétisées dans un
système d’images386 »), s’appuyant visuellement sur la
technique de « l’accord-image » (« une passion, un système de passions représentées par des couleurs qui sont
disposées de façon à donner naissance à l’image387 »).
Leurs tentatives de premiers films abstraits sont ainsi
au-delà de la traduction visuelle du son et de la filière
musicaliste des débuts de l’abstraction388, de véritables
adaptations filmiques des états de la volonté créative
rythmées par des pulsations de couleurs, des estompages de nuances et de teintes, qu’il est possible d’interpréter comme une projection des états psychiques
vécus par le créateur en pleine gestation de son œuvre.
Ces paragraphismes sont la manifestation visible de ce
que Victor Segno appelait le « code mental », une traduction vibratoire de la pensée, en prise directe avec
les couches les plus enfouies de la conscience.
Un projet similaire se retrouve dans les tentatives de
projections chromolumineuses des Américains Morgan
Russell et Stanton Macdonald-Wright, réunis sous le
label de « synchromisme ». Dans Modern Painting, dont
l’introduction est écrite à Paris avant la guerre, le critique Willard Huntington Wright, frère de Stanton, souligne le pouvoir enivrant de la « couleur-rythme » : « La
peinture moderne tend à s’approcher de cette extase
émotionnelle389 ». Dès 1912, les synchromistes tentent
de mettre en place un mécanisme d’animation musicaliste de la couleur au moyen de projections lumineuses.
Le Lighting Art est présenté comme le développement
inéluctable du premier saut qualitatif qu’est l’art informel abstrait (formless paintings)390. L’objectif à terme
est une animation cinématographique de la peinture391
que seul un important support financier et logistique
peut permettre. Il ne viendra pas. Mais Russell prépare déjà un premier « appareil qui, par le seul fait de
réduire la luminosité de l’écran, ou des lampes », jouerait sur une animation sur écran de la couleur pure.
Ce projet, plus rudimentaire que la séquence filmique,
le conduit à créer une première séquence de peintures
translucides sur papier qui, installées dans un caisson lumineux animé par des lampes à variateurs, produisent des jeux chromatiques pulsatifs, qui trouvent
sur la scène avant-gardiste parisienne des années 1910
un ardent défenseur en la personne du critique d’art
italien Ricciotto Canudo, mentor de la revue Montjoie !,
à laquelle Morgan Russell collabore392. Pour Canudo393,
pionnier dans la défense d’un septième art, l’œil est
avide de formes lumineuses, embryonnaires, dont
l’éclat hypnotique donnerait accès à ce qu’il appelle
l’« oubli de la vision du monde par la sensation394 ».
Pour Albert Bazaillas, l’une des sources de Canudo,
l’inconscient révélé par l’induction sous hypnose fonctionne au même titre que l’expérience musicale, en
deçà de la rationalité, comme un monde inchoatif en
gestation, comme une forme larvaire en instance d’apparition et de disparition : « Ainsi compris, comme
un monde en voie de formation sur certains points et
de dissolution sur d’autres, mais tenant toujours en
réserve, sous forme d’équilibre instable, des puissances
incalculables, le règne inconscient paraît coïncider
avec l’expérience musicale, quand celle-ci s’adresse
à nos émotions pour les simplifier en les libérant des
combinaisons intellectuelles et pratiques où elles sont
d’ordinaire engagées395. » Et d’en conclure que l’inconscient est une « conscience embryonnaire396 »,
« d’où la représentation s’est retirée397 ». C’est non seulement la représentation qui se retire (Bazaillas parle
de l’« irreprésenté »), mais la forme elle-même dans ce
qu’elle a de défini et de définitif : c’est « le caractère
essentiellement amorphe de la vie inconsciente, vague
circulation d’images et de sentiments, sourde poussée
A. Umberto Boccioni, Étude, encre sur papier, ca. 1910.
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affective bien plus voisine de la condition propre aux
données biologiques que de cette logique supérieure
qui préside à l’arrangement de nos idées398 ». Refoulé
vers « une condition végétative irréductible à l’intellectualité399 », l’inconscient musical mû par ces peintures
animées fait entrer le spectateur en communion avec
son propre devenir biologique. C’est ce que le poète
Blaise Cendrars semble pressentir devant les Rythmes
colorés de Léopold Survage (1913)400, là encore une
tentative d’animation cinématographique de la peinture abstraite, très proche des procédés de la musique
chromatique des frères Corradini. Les formes en gestation décrites par Cendrars évoquent visuellement
cette condition organique, mais c’est avant tout la
« rythmique des couleurs » qui, par son emprise hypnotique sur le spectateur, favorise ce retour du refoulé.
Parmi les notes prises par Cendrars se trouve un dossier « hypnose » dans lequel il crayonne et annote des
textes sur « Charcot, Bernheim et Liébault401 ». Pour
Cendrars, cherchant à comprendre la logique cognitive
de cette animation de la « peinture pure », la mise en
mouvement des couleurs va pouvoir inhiber les résistances de la raison et ouvrir la béance de l’inconscient :
faire naître en lui ce sentiment troublant où il retrouve,
simultanément, l’origine du monde et sa propre origine
– ce que Lévi-Strauss va définir, plus tard, comme le
tronc commun entre la musique et le mythe : des langages qui dépassent « le plan du langage articulé, tout
en requérant comme lui, et à l’opposé de la peinture,
une dimension temporelle pour se manifester402 ».
A
UNE « ABSTRACTION
MESMÉRIENNE »
On entre ici dans ce que Fae Brauer, s’appuyant
sur le cas des peintures orphiques de Frantisek Kupka,
a pu appeler un « modernisme magnétique » ou une
« abstraction mesmérienne403 ». De fait, le vocabulaire
déployé par Kupka (qui est familier dès sa formation
en Bohême avec les techniques, yogis de méditation
et de transe404) est, à l’instar des futuristes, très mentaliste, prédilection donnée à l’acte de volonté. Dans
« Credo », un manuscrit resté inédit daté du 8 octobre
1913, Kupka affirme que « l’artiste fait valoir le subjectif, le comment de son discours par formes et par
couleurs, et accentue son vouloir, tout de suite l’aristocratie de son procédé s’impose au respect et fait,
autant, plus même, penser qu’un sujet représenté405 ».
En d’autres termes, le futur « inobjectif » de la peinture puise dans la puissance « idéoplastique » de la
volonté de l’artiste traduite en formes. Dans un chapitre intitulé « agents et facteurs », Kupka s’attarde
sur les paramètres expressifs de l’œuvre, qu’il définit
comme la projection d’une réalité intérieure : « Une
œuvre peinte ou sculptée est une réalité pour soi, destinée à rendre visibles à autrui les événements qui se
déroulent sur l’écran de projection tout intérieur qu’est
la vision de l’artiste406. » Le langage pictural est une
« traduction » dont la lisibilité (son « potentiel discursif » dit Kupka) sera fonction de « la technique et des
moyens mis en œuvre » : « Le point, la ligne, le contour,
tout indice de localisation dans l’espace est un énoncé
délibéré, conforme à ce qui se meut dans l’esprit (ou
dans l’“âme”) de l’artiste407. » Dans Localisation de
mobiles graphiques, présenté au Salon d’automne de
1913, il transcrit par la ligne et la couleur, des « représentations subjectives » : « Il faut chercher et trouver
les moyens de matérialiser les abstractions, de donner une consistance réelle à tous les mouvements et
états de sa vie intérieure408. » Convoquant le modèle
des « ondes magnétiques maniées par les hypnotiseurs », Kupka peut ainsi annoncer le futur « psychographique » de l’art : « Compte tenu du progrès qui se
fait un peu partout, on serait fondé de croire à la possibilité de moyens de communication nouveaux, jusqu’à
présent inconnus, disons d’une communication plus
directe qui emprunterait la voie des ondes magnétiques maniées par les hypnotiseurs. L’avenir nous
réserve à cet égard des surprises. On pourra s’attendre
à l’invention d’une X-graphie capable de dévoiler les
événements les plus subtils, actuellement invisibles ou
mal éclaircis, tant du monde extérieur que de l’âme de
l’artiste. En perfectionnant de plus en plus les moyens
techniques dont ils disposent, peut-être les artistes
réussiront-ils un jour à faire assister le spectateur à la
vie si riche de leur monde subjectif sans être contraints
à la besogne laborieuse que comporte aujourd’hui la
confection d’une peinture ou d’une sculpture409. »
A. Photographie de Frantisek Kupka dans son atelier, ca. 1900.
B. Frantisek Kupka, Fantaisie physiologique, 1900,
gravure reproduite dans la version tchèque de La Création dans les arts plastiques, 1923.
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Kupka spécule sur une évolution accélérée de la
conscience humaine au contact des nouvelles technologies de la téléprésence. Le saut qualitatif de l’abstraction est donc pensé comme une étape transitoire (celle
de la disparition de la forme dans la vibration colorée),
préparant une modalité plus immatérielle de communication de l’émotion par la « transmission de pensée », la
« psychographie du futur » qui évincera jusqu’à la matérialité même du tableau410. L’horizon de cette révolution cognitive est certes proche, mais pour le moment
réservé à quelques rares initiés dotés d’une « sensibilité
supérieure ». 1912-1913, le spectre visible des couleurs
qu’il convoque sur la toile est une forme incomplète
d’un univers d’ondes encore insoupçonnées. Le pouvoir d’émission magnétique de ces couleurs reste très
édulcoré en regard des « jouissances » intérieures, beaucoup plus intenses, du langage futur, mais le potentiel
vibratoire du « contraste simultané » fait office de solution transitoire, la solution « orphique ». Les Disques
de Newton ne donnent pas seulement à voir la lumière
en acte, la lucem aspicere ; ils sont déjà une « extériorisation » de la « vision de l’artiste » : un foyer d’énergie
Dans la Magie, science naturelle,
Kandinsky retrouve le modèle
d’un état somnambulique doté
d’un « sens intérieur » ou « sixième
sens » qui annonce le futur de l’espèce
(« le somnambulisme anticipe
l’homme de l’avenir »), mais aussi
la perception de l’homme intérieur…
autonome qui déclenche dans l’œil du spectateur un
mouvement « moléculaire » venant ébranler son « polygone psychique ». D’où une réflexion poussée sur l’animation interne de la toile, induite par le mouvement
d’une « sympathie motrice » – celle qu’Henri Bergson
identifiait déjà dans le pouvoir d’emprise d’une œuvre
d’art puisant sa force d’attraction dans sa propre évanescence matérielle : « Dans les procédés de l’art, on retrouvera sous une forme atténuée, raffinés et en quelque
sorte spiritualisés, les procédés par lesquels on obtient
l’état d’hypnose411. »
Cette subtilisation se retrouve chez un autre peintre
majeur des débuts de l’abstraction, Vassily Kandinsky,
pour qui la transmission de l’émotion de la « peinture
pure » passe par un transfert de vibrations412 qui peut
faire l’économie de la mimesis et où le contenu symbolique de l’image cède le pas à un mode de communication plus sensible raccordant émetteur (artiste) et
récepteur (spectateur). Kandinsky est familier de la littérature sur l’hypnotisme et le « néo-magnétisme413 ». Il a
lu et surligné l’ouvrage d’Alexandre Aksakof, Animisme
et spiritisme, dans lequel il a rencontré de nombreuses
références au « rapport magnétique » qui le confortent
dans l’idée d’une refonte radicale des mécanismes psychiques de la subjectivité. Pour Aksakof, « l’hypnotisme
est le coin qui forcera les remparts matérialistes de la
science, pour y faire pénétrer l’élément suprasensible
ou métaphysique […]. Grâce aux expériences hypnotiques, la notion de la personnalité subit une complète
révolution. Ce n’est plus une unité consciente, simple
et permanente, comme l’affirmait la vieille école, mais
une coordination psycho-physiologique […], un agrégat
d’éléments psychiques414 ». S’appuyant en partie sur les
travaux de Pierre Janet, Aksakof considère l’hypnotisme
comme un « instrument au moyen duquel certains phénomènes d’automatisme psychologique (de dissociation
des phénomènes de la conscience, ou de désagrégation
mentale) peuvent être obtenus à volonté […] ; la suggestion sera l’instrument au moyen duquel la désagrégation
psychique franchira les limites du corps et produira des
effets physiques à volonté. Ce sera là aussi le premier pas
vers la production à volonté d’un effet plastique415 ».
Kandinsky a lu aussi La Magie, science naturelle, de
Carl du Prel416, auteur d’une monographie sur la voyante
de Prevorst et adepte d’une « psychologie transcendantale » fondée en partie sur l’hypnose. Dans la Magie,
science naturelle, Kandinsky retrouve le modèle d’un
état somnambulique doté d’un « sens intérieur » ou
« sixième sens » qui annonce le futur de l’espèce (« le
somnambulisme anticipe l’homme de l’avenir417 »), mais
aussi la perception de l’homme intérieur : « Le somnambulisme nous révèle un aspect caché de la réalité, et une
partie cachée de notre propre être. La réalité s’élève ici
au-dessus des sens, et l’homme intérieur au-dessus de sa
propre conscience418. » Kandinsky est enfin familier des
expériences de Rochas sur la sensibilité sous hypnose
(il détenait dans sa bibliothèque un exemplaire de Les
Sentiments, la Musique et le Geste, ainsi que le volume
consacré à l’Extériorisation de la sensibilité). Dans ces
ouvrages, il rencontre des phénomènes de « déplacement des sens », obtenus par l’exercice de concentration mentale et d’attention (le « monoïdéisme »), dans
une ambiance de recueillement et d’isolation nécessaire
pour atteindre la « conscience transcendantale, derrière celle des sens ». Sous ce même angle, la Femme
à Moscou, une toile de 1912, est décisive et transitoire
dans le cheminement de Kandinsky vers l’abstraction.
S’y trouve une curieuse cohabitation entre une vue
aérienne sur une avenue de la capitale, un personnage
statique isolé au premier plan, et des zones informelles
plus abstraites (un nimbe rouge, une énorme tache noire
flottante). La figure du premier plan retient l’attention.
Il s’agit d’une jeune femme à la pose somnambulique,
hiératique, ou plutôt transie dans un état cataleptique,
les yeux rivés sur un au-delà du sensible qui est déjà un
regard sur « la conscience de l’au-delà419 ». Son corps
anesthésié est entouré d’une aura aux nuances vert
émeraude, enveloppe translucide qui représente l’extériorisation de sa sensibilité420 : c’est la somnambule d’Albert de Rochas (ou la clairvoyante de Carl du Prel), avec
tout autour d’elle un agrégat de motifs engrangés dans
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la mémoire « latente » et inconsciente du sujet, que l’on
peut lire comme « cette mêlée confuse d’images conservées dans la conscience somnambulique421 ».
Car de l’état d’hypnose, Kandinsky retient avant tout
le phénomène hallucinatoire, en particulier dans son
rapport à l’espace imaginal des représentations. C’est
une leçon secondaire mais lancinante qui transpire dans
les recherches expérimentales conduites à la Salpêtrière :
« Il y a en germe, disent Binet et Féré, dans toute image
qui se présente à l’esprit un élément hallucinatoire,
lequel ne demande qu’à se développer. C’est cet élément qui se développe pendant l’hypnotisme, où il suffit de nommer au sujet un objet quelconque, de lui dire
simplement “voilà un oiseau” pour que l’image suggérée par la parole de l’expérimentateur devienne aussitôt
une hallucination422. » Les sujets suggestionnables ont
le don propre de « visualiser » les objets, de leur donner
une « image vive extériorisée423 » – ce que Binet appelle
une « vivacité de la représentation424 ». Selon Johannes
Eichner, tenant cette information de Gabriele Münter, la
femme du peintre425, une des révélations ayant conduit
Kandinsky vers l’abstraction serait la découverte des
expériences de « transfert d’images » sans contact physique, effectuées par le docteur Charcot à la Salpêtrière.
Binet et Féré rapportent l’expérience ; ils lui donnent le
nom d’« hallucination hypnotique426 » : « On suggère à
un sujet la présence d’un portrait sur un carton blanc,
que l’on confond ensuite avec une douzaine de cartons
tous semblables, au moins en apparence. Au réveil, on
prie le sujet de parcourir cette collection de cartons ; il le
fait sans comprendre pourquoi, puis, quand il aperçoit le
carton sur lequel on avait placé le portrait, il y retrouve
ce portrait imaginaire427. »
Camille Flammarion, évoquant la même expérience,
parle de « la pensée productrice d’images projetées à
distance », ce qu’il appelle poétiquement la « cinématographie psychique » : « Nos pensées agissent matériellement et transportent avec elles des sortes d’effluves.
Elles peuvent se marquer sur un objet, sur une feuille
de papier. Un jour à la Salpêtrière, en 1889, je faisais
quelques expériences avec Charcot. Il m’invita à prendre
un jeu de cartons blancs, à en choisir un, à imaginer que
mon portrait était dessus, et à montrer ce portrait imaginaire à la malade. Je fis ensuite au dos de ce carton une
marque que l’hypnotisée ne vit pas, je battis ces cartes,
et je les lui présentai sans les retourner, en la priant d’y
chercher mon portrait. Elle y réussit immédiatement. Ce
qui me plongea dans un assez vif étonnement428. »
Cet imaginaire que Pierre Janet, assistant de Charcot
à la Salpêtrière, va appeler une « optique hallucinatoire429 », est abondamment relayé dans la culture populaire, par les protocoles scéniques choisis lors d’hypnose
de spectacle – ce que l’on appelle alors les attractions
de « suggestion mentale » ou « télé-psychie ». Le principe d’une transmission à distance d’images mentales
est exploré. L’opérateur se concentre sur une image
et la projette « sans le secours des sens » dans le cerveau d’un spectateur pris pour sujet-cible. Les métaphores (télé)photographiques employées pour expliquer
ce phénomène vibratoire de transmission de cerveau à
cerveau, et des expériences similaires, sont menées sur
les couleurs imaginaires : « On prie la malade en état de
somnambulisme de regarder avec attention un carré de
papier blanc, au milieu duquel on a marqué un point
noir, afin d’immobiliser son regard ; en même temps, on
lui suggère que ce carré de papier est coloré en rouge, ou
en vert. Au bout d’un instant, on lui présente un second
carré de papier, qui présente aussi au centre un point
noir ; il suffit d’attirer l’attention de la malade sur ce
point pour que spontanément elle s’écrie que le point est
entouré d’un carré coloré ; et la couleur qu’elle indique
est la complémentaire de celle qu’on a fait apparaître
par suggestion430. »
Plus surprenant encore, cette « hallucination hypnotique » opère sur des supports venus des ateliers
de peintre. L’une des expériences menées par Binet
et Féré, pour qui « la suggestion peut tout créer431 »,
consiste ainsi à suggérer une hallucination quelconque
siégeant sur le « châssis tendu d’une toile blanche432 ».
Kandinsky a pu rencontrer certaines explications de
ces phénomènes dans les recherches expérimen-
… une des révélations ayant conduit
Kandinsky vers l’abstraction
serait la découverte des expériences
de « transfert d’images »
sans contact physique,
effectuées par le docteur Charcot
à la Salpêtrière…
tales d’un compatriote russe, Nicolas Kotik433, lequel
considère que les phénomènes d’influence magnétique entre deux sujets s’expliquent par la circulation
d’une « énergie psychophysique » qui, « une fois entrée
dans le cerveau d’un autre sujet, provoque l’apparition de représentations identiques à celles qui avaient
accompagné son apparition dans le cerveau du premier sujet434 ». L’auteur évoque, pour cela, l’existence
d’« électrons psychophysiques » qui facilitent le transfert des « images mentales » entre les consciences. Ce
paradigme de la « radioactivité » va très vite contaminer le vocabulaire esthétique, selon la logique de « traduction » analysée par Bruno Latour dans le processus
de dissémination culturelle des nouveaux savoirs et
techniques scientifiques435. En passant dans le discours
esthétique, il draine avec lui des ressources métaphoriques pour aider à penser la logique de contamination
du transfert d’émotions. Dans « La peinture en tant
qu’art pur436 », un article qu’il publie en septembre 1913
dans les colonnes de la revue Der Sturm, Kandinsky
présente la toile comme le support matériel d’une communication au contenu immatériel, se frayant un chemin sensible d’âme à âme. La peinture « en tant qu’art
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élément constructif, ordonnateur, car « cette élimination de l’élément pratique, objectif (de la nature) n’est
possible que dans le cas où ce composant essentiel est
remplacé par un autre, également essentiel : la forme
purement artistique, qui peut conférer au tableau la
puissance d’une vie indépendante et l’élever au rang
du sujet spirituel. Il est clair que ce composant essentiel n’est autre que la construction. Nous rencontrons
cette substitution dans la troisième période de la peinture, qui commence de nos jours : dans la peinture
de composition440 ». L’abstraction telle qu’elle s’élabore progressivement dans l’œuvre d’avant-guerre de
Kandinsky est pour partie redevable à une recherche
expérimentale sur les liens entre imagerie mentale, hallucination hypnotique et imaginaire pictural. Et ce, à
plusieurs titres. L’hallucination sous hypnose est comprise par Kandinsky comme un élément empirique
de cette externalisation de la psyché qu’il vise dans la
composition picturale, avec ce même degré de tangibilité compte tenu du fait que « l’objet imaginaire qui
figure dans l’hallucination est perçu dans les mêmes
conditions que s’il était réel441 ».
A
pur » vise à produire une transmission plus directe,
d’esprit à esprit, sur le modèle vibratoire du résonateur
psychique, où l’élément spirituel s’isole de sa dimension physique pour se développer de manière indépendante : « Aussi longtemps que l’âme est liée au corps,
elle ne peut normalement entrer en vibration que par
l’intermédiaire du sentiment. Celui-ci est donc le pont
qui conduit de l’immatériel au matériel (l’artiste) et du
matériel à l’immatériel (le spectateur)437. »
Kandinsky, qui inscrit le devenir de la « peinture
pure » dans une téléologie évolutionniste, distingue à
cet effet le temps des « origines », marqué par le désir
de « fixer l’élément corporel éphémère », le temps du
« développement », où « la peinture se dégage progressivement de cette fin pratique et l’élément spirituel y
domine », et la troisième période, celle du « but », où
la « peinture atteint le stade plus élevé de l’art pur, où
les vestiges du désir pratique sont totalement éliminés438 ». Cette peinture pure « parle d’esprit à esprit
en une langue purement artistique, elle constitue un
domaine d’êtres picturaux-spirituels (sujets)439 ». Il
s’agira donc de remplacer l’élément objectif par un
Mais il y a plus, car l’économie visuelle de ces « hallucinations hypnotiques » pose aussi le problème d’un
écart heuristique entre l’objet, son apparence phénoménale et sa réalité référentielle, quand la suggestion verbale « peut transformer de mille manières [un]
objet, faire d’un livre un chapeau, un chien, une personne et créer exactement les mêmes apparences sans
le secours d’aucun objet442 ». En d’autres termes, les
conditions spécifiques de la perception sous hypnose
ouvrent l’hypothèse d’une distorsion du lien ombilical
maintenu entre l’objet perçu et la réalité suggérée et,
par là même, posent le doute sur la valeur « objective »
des réalités perçues et la validité de la mimesis. À terme,
cette « optique hallucinatoire » devient l’agent d’une
défaite du mimétisme, en ce qu’elle draine avec elle tout
un pouvoir psychique de dissolution des images du réel
– ce qui se retrouve dans le phénomène de la « grande
hallucination négative443 » où, selon Bernheim, « la suggestion peut supprimer directement une perception,
des objets présents ». Bernheim parle de neutralisation de la perception, voire de « cécité psychique444 »,
que relaient de nombreuses expériences sur la vision
(et ses paralysies) sous induction hypnotique, des expériences consacrées au pouvoir d’une simple suggestion
verbale à faire disparaître de la vue du sujet hypnotisé
un élément-cible445. Les descriptions qui en sont faites
ne sont pas neutres, tant elles déploient chaque fois
un mouvement d’évanescence matérielle de l’objet au
profit d’une physique plus impondérable des vibrations
très familières au projet de la peinture abstraite dans
son versant chromo-luministe ; commentant le processus de « l’hallucination négative », un effet supprime
les « objets réels en y substituant l’image du vide, ou
en remplaçant l’individu supprimé par une image diaphane et vaporeuse446 ». « L’image subjective projetée »
l’emporte jusqu’à dissoudre le réel lui-même, ce que
Ferdinand Gombault, dans L’Avenir de l’hypnose, appellera une « abstraction d’un ordre nouveau447 ».
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B
A. La somnambule, vaudeville d’Eugène Scribe et Germain Delavigne : costume de Louise Perrin (Cécile),
1819, eau-forte, 23 x 14,5 cm, Bibliothèque nationale de France.
B. Vassily Kandinsky, Dame in Moskau, 1912, huile et gouache sur toile,
109,5 x 109,3 cm, Munich, Städtische Galerie im Lenbachhaus.
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NOTES
1. Léon Daudet, Les Morticoles, Paris, Fasquelle, 1956
[1894], p. 152.
2. P. Rousseau, « L’au-delà de l’amour. Charles Henry
et le panpsychisme de l’esthétique scientifique », dans
Jacqueline Lichtenstein, Carole Maigné et Arnauld Pierre
(éd.), Vers la science de l’art. L’esthétique scientifique en
France (1857-1937), Paris, PUPS, 2013, p. 163-171.
3. Georges Didi-Huberman, Invention de l’hystérie. Charcot
et l’Iconographie photographique de la Salpêtrière, Paris,
Macula, 1982, p. 36.
4. Ibidem, p. 26.
5. Jonathan W. Marshall, Performing Neurology. The
Dramaturgy of Dr. Jean-Martin Charcot, New York, Palgrave
Macmillan, 2016.
6. Rae Beth Gordon, De Charcot à Charlot. Mises en scène
du corps pathologique, Rennes, PUR, 2013 [2001].
7. Le Figaro, 30 mai 1887, p. 1.
8. Louis Moutin, Le Nouvel Hypnotisme, Paris, Perrin et Cie,
1888.
9.Ibidem, p. 145 et 146.
10.Julien Bogousslavsky, Olivier Walusinski et Denis
Veyrunes, « Crime, Hysteria and Belle Époque Hypnotism :
The Path Traced by Jean-Martin Charcot and Georges
Gilles de la Tourette », European Neurology, vol. 62, 2009,
p. 193-199.
11.Jacqueline Carroy, Hypnose, suggestion et psychologie.
L’invention de sujets, Paris, PUF, 1991.
12.Sigmund Freud, Résultats, idées, problèmes, 1890-1920,
Paris, PUF, 1984, p. 62.
13. Henri Meige, Charcot artiste, Paris, Masson, 1925, p. 12.
14. Joseph Delboeuf, « Une visite à la Salpêtrière », Revue
de Belgique, n° 54, 1886, p. 122-123, cité par Bertrand
Marquer, Les Romans de la Salpêtrière. Réception
d’une scénographie clinique. Jean-Martin Charcot dans
l’imaginaire fin-de-siècle, Paris, Droz, 2008, p. 145.
15. G. Didi-Huberman, Invention de l’hystérie, op. cit., p. 30.
16. L. Daudet, Souvenirs des milieux littéraires, politiques,
artistiques et médicaux, Paris, Nouvelle librairie nationale,
tome I, 1920, p. 428.
17. Marcel Gauchet, Gladys Swain, Le Vrai Charcot. Les
chemins imprévus de l’inconscient, Paris, Calmann-Lévy,
1997.
18. Anne Harrington, « Metals and Magnets in Medecine :
Hysteria, Hypnosis and Medical Culture in Fin-de-Siècle
Paris », dans Psychological Medecine, vol. 18, n° 1, 1988,
p. 21-38.
19. J.-M. Charcot, Œuvres complètes, tome IX, Paris,
Delahaye et Lecrosnier, 1890, p. 285-286.
20. « M. Charcot a fait installer dans son laboratoire un
diapason monstre qui donne des vibrations intenses,
profondes : il suffit de placer la malade sur la caisse
vibrante pour qu’au second ou troisième coup imprimé au
diapason, elle tombe en catalepsie. » Dr A. Cartaz, « Du
somnambulisme et du magnétisme. À propos du cours du
Dr Charcot à la Salpêtrière », La Nature, n° 294, 18 janvier
1879, p. 105.
21. Octave Mirbeau utilise ce même trope de la « scène »
théâtrale dans sa description des séances de la Salpêtrière :
« Vous connaissez la scène ; elle a déjà été peinte cent fois.
Tout à coup chez la malade, la vue s’altère, l’œil prend une
expression d’angoisse. Les membres se contractent en tous
sens. Puis ce sont les grands mouvements, des soubresauts
brusques qui courbent le corps en arc de cercle […]. Enfin,
c’est l’abattement, l’épuisement, la profonde mélancolie.
Et c’est tout, la pièce est jouée. » La Névrose au village,
L’événement, 29 mars 1885, p. 1.
22. Ignotus (alias Félix Platel), « Cabotinage », Le Figaro,
18 avril 1883, p. 1.
23. O. Mirbeau, « Le siècle de Charcot », L’Événement,
29 mai 1885, repris dans Annales littéraires de l’université
de Besançon, n° 555, 1995, p. 125.
24. James Kennaway, « Musical Hypnosis : Sound and
Selfhood from Mesmerism to Brainwashing », Social History
of Medecine, vol. 25, n° 2, 2011, p. 271-289.
25. Friedrich Nietzsche, Le Cas Wagner.
26. Ibidem. Au passage, on remarquera que l’argument
du « cabotinage » déployé par le chroniqueur pour
comparer Wagner et Charcot a été directement emprunté
à Nietzsche, pour qui « l’évolution générale de l’art,
dans le sens du cabotinage, est une manifestation de la
dégénérescence physiologique (plus exactement une forme
de l’hystérie), tout aussi bien que chacune des corruptions
et des infirmités de l’art inauguré par Wagner. »
27. Max Nordau, « Le culte de Richard Wagner », dans
Dégénérescence, traduit de l’allemand par Auguste
Dietrich, Paris, Félix Alcan, 1894 [1892], p. 305.
28. Ibidem, p. 311.
29. P. Rousseau, « Confusion des sens. Le débat
évolutionniste sur la synesthésie dans les débuts de
l’abstraction en France », Cahiers du musée national d’Art
moderne, n° 74, hiver 2000, p. 3-33.
30. M. Nordau, Dégénérescence, op. cit., p. 375.
31. J. Claretie, Les Amours d’un interne, Paris, Dentu, 1881,
p. 87.
32. Ibidem, p. 177-178.
33. Paul Delvaux, 1973, cité dans George Banu, « Un
théâtre de squelette », dans Olivier Cousinou et Laura Neve
(éd.), Paul Delvaux : le rêveur éveillé, Marseille, musée
Cantini, 2014, p. 59.
34. G. Didi-Huberman, Invention de l’hystérie, op. cit.,
p. 198.
35. O. Mirbeau, « Le siècle de Charcot », art. cit., p 124.
36. J. Claretie, Les Amours d’un interne, op. cit., p. 312.
37. Bertrand Marquer, Les Romans de la Salpêtrière, op.
cit., p. 119.
38. G. Didi-Huberman, Invention de l’hystérie, op. cit., p. 59.
39. B. Marquer, Les Romans de la Salpêtrière, op. cit.,
p. 112.
40. J.-M. Charcot, « À propos de six cas d’hystérie chez
l’homme », Le Progrès médical, 6 juin 1885, p. 455, cité par
B. Marquer dans ibidem, p. 118.
41. B. Marquer, ibid., p. 119.
42. M. Dottin-Orsini, « Hystérie, peinture, écriture :
l’Iconographie de la Salpêtrière », Littérature et médecine,
n° 55, 2000, p. 315.
43. Georges Didi-Huberman, « Charcot, l’histoire et l’art.
Imitation de la croix et démon de l’imitation », dans
J.-M. Charcot et P. Richer, Les Démoniaques dans l’art, suivi
de la Foi qui guérit, édition établie par P. Fédida et G. DidiHuberman, Paris, Macula, 1984 [1887 et 1892], p. 160.
44. P. Richer, Études sur la grande hystérie ou hystéroépilepsie, Paris, Delahaye & Lecrosnier, 1885 [1881], p. 914.
45. J.-M. Charcot, « Manuscrit dit des Projections », Fonds
Charcot, bibliothèque universitaire Pierre et Marie Curie,
BUPMC, hôpital de la Salpêtrière, première page reproduite
dans Catherine Bouchara, Charcot, une vie avec l’image,
Paris, Philippe Rey, 2013, p. 111.
46. G. Didi-Huberman, Invention de l’hystérie, op. cit.,
p. 228.
47. Juan Rigoli, Lire le délire. Aliénisme, rhétorique et
littérature en France au XIXe siècle, Paris, Fayard, 2001.
48. Fernand Levillain, « Charcot et l’école de la
Salpêtrière », Revue encyclopédique, n° 4, 1894, p. 115.
49. B. Marquer, « Charcot et Rubens : l’art de la clinique »,
dans Paolo Tortonese (éd.), Image et pathologie au
XIXe siècle, Cahiers de littérature française, vol. VI, Paris,
L’Harmattan, 2008, p. 93-113.
50. P. Richer, Études sur la grande hystérie ou hystéroépilepsie, op. cit., p. 937.
51. G. Didi-Huberman, « Quand le corps dit non. Esthétique
et expérimentation chez Charcot », dans Quentin
Deluermoz, Christian Ingrao, Hervé Mazurel et Clémentine
Vidal-Naquet (éd.), Corps au paroxysme. Sensibilités,
histoire, critique et sciences sociales, Paris, Anamosa, 2017,
p. 54-55.
52. É. Littré, « Un fragment de médecine rétrospective »,
Philosophie positive, Paris, 1869, p. 103-120, cité dans
B. Marquer, Les Romans de la Salpêtrière, op. cit., p. 66.
53. J.-M. Charcot et P. Richer, Les Démoniaques dans l’art,
op. cit., p. 56.
54. Georges Didi-Huberman, « Charcot, l’histoire
et l’art. Imitation de la croix et démon de l’imitation »,
art. cit., p. 126.
55. G. Didi-Huberman, « Quand le corps dit non.
Esthétique et expérimentation chez Charcot », art. cit.,
p. 55.
56. Joseph Delboeuf, « Une visite à la Salpêtrière », Revue
de Belgique, n° 54, 1886, p. 124.
57. J.-M. Charcot, P. Richer, Les Démoniaques dans l’art,
cité par B. Marquer, Les Romans de la Salpêtrière, op. cit.,
p. 129.
58. Georges de Dubor, « L’art en hypnose », Les Mystères de
l’hypnose, Paris, Perrin, 1920, p. 111.
59. Dr Paul Joire, Traité de l’hypnotisme expérimental et
thérapeutique, Paris, Vigot, 1908, p. 375.
60. Ibidem, p. 381.
61. Ibid., p. 384.
62. Ibid., p. 385.
63. Albert de Rochas, Les États superficiels de l’hypnose,
Paris, Chamuel, 1893.
64. Daniel Pick, Svengali’s Web. The Alien Enchanter in
Modern Culture, New Haven, Yale University Press, 2000.
65. A. de Rochas, Les Sentiments, la Musique et le Geste,
Grenoble, Librairie Dauphinoise, 1900, p. 225-226.
66. Ibidem, p. 202.
67. Dr Foveau de Courmelles, L’Hypnotisme, Paris, Hachette,
1890, p. 104, cité par Arnauld Pierre, « Extases musicales et
prise du regard. Mucha et la culture de l’hypnose », dans le
catalogue Alfons Mucha, Paris, Somogy, 2009, p. 26.
68. Ibidem p. 210.
69. Céline Frigau Manning, « Musica e ipnosi nella parigi
fin-de-siècle. Le estasi musicali di due “artiste inconsce”,
Lina de Ferkel e Magdeleine G. », Medicina nei Secoli Arte e
Scienza, vol. 31, n° 1, 2019, p. 93-110.
70. Céline Eidenbenz, « L’hypnose au Parthénon. Les
photographies de Magdeleine G. par Fred Boissonnas »,
Études photographiques, n° 28, novembre 2011, p. 200-237.
71. Émile Magnin, L’art et l’hypnose. Interprétation plastique
d’oeuvres littéraires et musicales, Genève,
Atar, 1907, p. 2-3.
72. T. Flournoy, « Préface », dans É. Magnin, L’Art et
l’hypnose, op. cit., p. XIII-XIV.
73. Albert von Schrenck-Notzing, Die Traumtänzerin
Magdeleine G. Eine psychologische Studie über Hypnose und
dramatische Kunst, Stuttgart, Ferdinand Enke, 1904.
74. « Entre la possibilité théorique de faire une chose et sa
réalisation pratique, il y a un pas, quelquefois un très grand
pas. L’hypnose permet de le franchir, son action principale
est en effet de supprimer ces inhibitions, si développées
chez les êtres civilisés que nous sommes. » Dr Clarapède,
« Le Geste dans l’hypnose », Journal de Genève, 12 mai
1904, cité dans É. Magnin, L’Art et l’Hypnose, op. cit., p. 177.
75. É. Magnin, L’Art et l’Hypnose, op. cit., p. 178-179.
76. Ibidem, p. 122.
77. Ibid., p. 127.
78. Ibid., p. 193.
79. Ibid., p. 199.
80. Lettre de Joseph Ascoli à É. Magnin, 4 mai 1904,
reprise dans ibid., p. 395.
81. Henri Carbonnelle, « Une séance d’hypnotisme chez
Rodin », Gil Blas, 27 novembre 1903, repris dans Ibid.,
p. 323-324.
82. Émile Beer, « Magdeleine chez Rodin », Le Figaro,
27 novembre 1903, repris dans Ibid., p. 330.
83. « Nouveau Pygmalion, l’hypnotiseur anime Galatée, et
le marbre vivant devient un être impulsif et actif ». Foveau
de Courmelles, L’Hypnotisme, op. cit., p. 91.
84. A. von Schrenck-Notzing, Die Traumtânzerin, op. cit.,
p. 164.
85. « Pourquoi ces rythmes étranges, orientaux, ces
attitudes pareilles à la Salomé de Gustave Moreau ? » Lettre
d’Ernest Bloch à Émile Magnin, reprise dans Émile Magnin,
L’Art et l’Hypnose, op. cit., p. 387.
86. É. Magnin, L’Art et l’Hypnose, op. cit., p. 374.
87. « Je regrette d’y renoncer momentanément, d’autant
plus que ces manifestations de mouvements que vous
avez soumis à mon examen sont tout à fait intéressantes,
au point de vue de l’Art. » Réponse du peintre Gérôme à
Magnin, reproduite dans ibid., p. 394.
88. Don LaCoss, « Our Lady of Darkness : decadent arts
and the magnetic sleep of Magdeleine G », dans Anne
Stiles (éd.), Neurology and Literature, 1860-1920, New York,
Palgrave Macmillan, 2007, p. 52-76.
89. É. Magnin, L’Art et l’Hypnose, op. cit., p. 217.
90. « Ce n’est qu’avec des sujets s’identifiant entièrement
avec le rôle qu’on leur suggère, que ces recherches peuvent
être d’utilité. Mais, même chez ces sujets qui vont jusqu’à
l’identification absolue, on est en droit de se demander où
les effets de l’hétéro-suggestion, devenue auto-suggestion,
s’arrêtent. » Ibidem, p. 261.
91. Voir Corinna Treitel, « The Creative Unconscious »,
dans A Science for the Soul. Occultism and the Genesis of
German Modern, Baltimore, The John Hopkins University
Press, 2004, p. 108-131.
92. Mike Weaver, « Alfred Stieglitz and Ernest Bloch. Art
and hypnosis », History of Photography, vol. 20, n° 4, hiver
1996, p. 293-303.
93. Lettre d’Albert von Keller à Émile Magnin datée du
18 décembre 1904, reproduite dans É. Magnin, L’Art et
l’Hypnose, op. cit., p. 393.
94. Ibidem, p. 257.
95. Ernest Bloch, lettre du 19 décembre 1904 à É. Magnin,
reprise dans ibid., p. 388.
96. Jean-David Jumeau-Lafond, « Peinture, hystérie et
opéra. Les révoltées tragiques de Carlos Schwabe », dans
Geneva, tome XLIV, 1996, p. 112.
97. Ibidem, p. 113.
98. Wundt parle d’un « arrêt de l’organe de l’aperception »
susceptible de faciliter le développement des facultés
oniriques : « De cette manière se développe cette vie
psychique étroite et exclusive qui est le propre aussi bien
du rêve normal que du rêve hypnotique : cette vie, dans
toutes ses manifestations phénoménales, n’en est pas moins
une vie réelle. » W. Wundt, Hypnotisme et suggestion, Paris,
Alcan, 1902 [1892], p. 105.
99. Marsha Morton, Max Klinger and Wilhelmine Culture.
On the Threshold of German Modernism, Farnham,
Ashgate, 2014, p. 276.
100. Lettre de Klinger à Prell, juillet 1888, cité dans Ibid.,
p. 270 ; J. Kerner, Blätter aus Prevorst, 1831, Gottlieb
Braun, Karlsruhe.
101. Hillary Bell, « The Hypnotism of Paul Tillier », The
Monthly Illustrator, vol. 3, n° 11, mars 1895, p. 356-363.
102. B. Marquer, « Retour à la source : les époques du
désir », dans Les Romans de la Salpêtrière, op. cit.,
p. 176-192.
103. G. Didi-Huberman, Invention de l’hystérie, op. cit.,
p. 169.
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104. Jean-Luc Nancy cité dans Ginette Michaud,
« Ces images que nous sommes », Spirale, n° 192,
septembre 2003, p. 48.
105. G. Didi-Huberman, Invention de l’hystérie, op. cit.,
p. 166.
106. Hillary Bell, « The Hypnotism of Paul Tillier », art. cit.,
p. 358.
107. Edward Purcell, « Trilby and Trilby-mania. The
beginning of the bestseller system », Journal of Popular
Culture, vol. 11, été 1977, p. 62-76.
108. Daniel Pick, Svengali’s Web, The Alien Enchanter in
Modern Culture, New Haven, Yale University Press, 2000.
109. Gustave Le Bon, Psychologie des foules, Paris, Félix
Alcan, 1895, p. 56.
110. Article cité dans Émily Jenkins, « Trilby : fads,
photographers and over-perfect feet », Book History, vol. 1,
1998, p. 229.
111. Ann Louise Kibbie, Transfusion. Blood and Sympathy in
the Ninetenth-Century Literary Imagination, Charlottesville,
University of Virginia Press, 2019.
112. Gabriel Tarde, Les Lois d’imitation. Étude sociologique,
Paris, Félix Alcan, 1890, p. 88.
113. Ibidem, p. 97.
114. Foveau de Courmelles, L’Hypnotisme, Paris, Hachette,
1890, p. 302.
115. Michelle Facos, « Richard Bergh : natural science and
national art in sweden », Interdisciplinary Science Review,
vol. 35, n° 1, mars 2010, p. 42.
116. On retrouve le docteur Dujardin-Beaumetz dans un
dialogue fictionnel typique de la littérature populaire sur
les travers de la clinique psychiatrique, protagoniste d’un
épisode intitulé « Hypnotisme », dans Dubut de Laforest,
Pathologie sociale, Paris, Dupont, 1897, p. 465-470.
117. Michelle Facos, art. cit.,
118. Jean-Louis Signoret, « Variété historique : Une leçon
clinique à la Salpêtrière (1887) par André Brouillet », Revue
neurologique, vol. 139, n° 12, 1983, p. 688-701, et N. SimonDhouailly (éd.), La Leçon de Charcot : voyage dans une toile,
Cahors, Tardy Quercy, 1986.
119. Foveau de Courmelles, L’Hypnotisme, op. cit., p. 302.
120. Maurice Hamel, « Le Salon de 1887 », La Gazette des
beaux-arts, tome 35, 1887, p. 479, cité par Emmanuelle
André, Le Choc du sujet. De l’hystérie au cinéma
(XIX-XXIe siècle), Rennes, PUR, 2011, p. 23.
121. O. Mirbeau, « Le siècle de Charcot », L’Evénement,
29 mai 1885, repris dans Chroniques du diable, Paris, Les
Belles Lettres, 1995, p. 121.
122. Pierre Marie, « Éloge de J.-M. Charcot », Revue
neurologique, juin 1925, cité par E. André, Le Choc du sujet,
op. cit., p. 25.
123. E. André, Ibidem, p. 30.
124. Jules Claretie, « Charcot le consolateur », Les Annales
politiques et littéraires, vol. 21, 1903, p. 180.
125. Jean-François Debord, « De l’anatomie artistique à la
morphologie », dans Jean Clair (éd.), L’Âme au corps, art et
sciences (1793-1993), Paris, RMN, 1993, p. 108-109.
126. François-Victor Foveau de Courmelles, « La science
aux Salons », Revue universelle des inventions nouvelles,
5 juin 1890, repris dans L’Hypnotisme, op. cit., p. 305.
127. Jules Bernard Luys, Les Émotions dans l’état
d’hypnotisme et l’action à distance des substances
médicamenteuses ou toxiques, Paris, Baillière, 1890,
p. 72-73.
128. Ibidem, p. 75.
129. J. B. Luys, « De la surexcitation incoercible des
facultés émotives », Traité clinique et pratique des maladies
mentales, Paris, Delahaye & Lecrosnier, 1881, p. 117-118.
130. Alison Burns et R. A. Goodrich, « Christina Stead,
Georges Polti and analytical novel writing », Antipodes,
vol. 29, n° 2, décembre 2015, p. 415-428.
131. Georges Polti, Les Trente-Six Situations dramatiques,
Paris, Mercure de France, 1895.
132. Ibidem, p. 12.
133. Ibid., p. 12.
134. J. B. Luys, « De la transmission à distance des
émotions d’un sujet hypnotisé à un autre », Les Émotions
dans l’état d’hypnotisme, op.c it., p. 133.
135. Ibidem, p. 137.
136. J. B. Luys, G. Encausse, Du transfert à distance à l’aide
d’une couronne de fer aimantée d’états névropathiques
variés, d’un sujet à l’état de veille sur un sujet à l’état
hypnotique. Communication faite à la Société de biologie,
séance du 14 novembre 1890, Clermont, Daix Frères, 1891.
137. « Une lame de fer curviligne qui embrasse
circulairement la courbe crânienne […]. Une armature faite
à l’aide de bandelettes de cuir permet de fixer la couronne
sur la tête horizontalement […]. J’ai pu ainsi transporter
à distance, à l’aide de cette même couronne […] des
états cérébraux, des troubles encéphaliques, tels que des
vertiges, des étourdissements, des sensations d’épuisement
intellectuel et de perte de mémoire. » Ibidem, p. 2.
138. J. B. Luys, « De l’emmagasinement de certaines
activités cérébrales dans une couronne aimantée », Annales
de psychiatrie et d’hypnologie, mars 1894, p. 65-67.
139. Dr Babinski, « Recherches servant à établir que
certaines manifestations hystériques peuvent être
transférées d’un sujet à un autre sous l’influence de
l’aimant », Progrès médical, 1886, tome LXXXV, p. 717.
140. J. B. Luys, G. Encausse, Du transfert à distance à l’aide
d’une couronne de fer aimantée d’états névropathiques
variés, op. cit., p. 101.
141. Ibidem, p. 66.
142. Mark S. Micale, Hysterical Men. The Hidden History of
Male Nervous Illness, Harvard University Press, 2008.
143. B. Guinaudeau, « La femme-homme », La Justice,
3 octobre 1893, p. 1.
144. Mark Micale, « Charcot and the idea of histeria in the
male : gender, mental science, and medical diagnosis in
late nineteenth-century France », Medical History, 1990,
p. 363-411.
145. Jan Goldstein, « The uses of male hysteria : medical
and literary discourse in nineteenth-century France »,
Representations, vol. 34, printemps 1991, p. 134-165.
146. J.-M. Charcot et Valentin Magnan, « Inversion du
sens génital et autres perversions sexuelles », Archives
neurologiques, janvier 1882, p. 53-60.
147. J.-M. Charcot, « À propos d’un cas d’hystérie
masculine », dans Cliniques des maladies du système
nerveux. Mémoires, notes, observations, 1889-1890, Paris,
Bureau du progrès médical, 1892, p. 305.
148. Sur l’usage de la thérapie hypnotique dans le cas
des inversions sexuelles, voir notamment le Dr SchrenckNotzing, Die Suggestions-Therapie bei krankhaften
Erschreinungen des Geschlechssinnes, Stuttgart, Enke,
1892. Compte-rendu de l’ouvrage paraît dans la Revue
de l’hypnotisme et de la psychologie physiologique, 1893,
p. 61-62.
149. [Anon.], « Verbeck Piccadilly Hall », The Standard,
11 avril 1887, p. 1.
150. J. Claretie, Les Amours d’un interne, op. cit., p. 426.
151. Ibidem, p. 329.
152. Haary Oostherhuis, « Sexual modernity in the works of
Richard von Krafft-Ebing and Albert Moll », Medical History
Journal, vol. 56, n° 2, avril 2012, p. 133-155.
153. Damien Delille, Genre androgyne. Art, culture visuelle
et trouble de la masculinité (XVIII-XXe siècles), Turhout,
Brepols Publishers, 2020.
154. Loig Le Sonn, « L’aimant, le transfert et la polarisation.
Les manœuvres d’hypnotisation à la Salpêtrière par Alfred
Binet et Charles Féré », Recherches & Éducations, vol. 11,
juin 2014, p. 168-184.
155. A. Binet, C. Féré, « L’hypnotisme chez les hystériques.
I. Le transfert psychique », Revue philosophique, tome 19,
1885, p. 1-25.
156. G. Encausse, Du traitement externe et psychique des
maladies nerveuses. Aimants et couronnes magnétiques,
miroirs, traitement diététique, hypnotisme, suggestion,
transferts, Paris, Chamuel, 1897, p. 48-50.
157. Jean-Marie Guyau, L’Art du point de vue sociologique,
Paris, Félix Alcan, 1889, p. 2.
158. Ibidem, p. L.
159. Alfred Fouillée, « Introduction », dans Ibid., p. XV.
160. A. Fouillée, « Nécessité d’une interprétation
psychologique et sociologique du monde », Revue
philosophique, mai 1896, p. 498, cité par Bertrand Méheust,
Somnambulisme et médiumnité, tome II, Le PlessisRobinson, Éditions de l’Institut Synthelabo, 1999, p. 268.
161. Pierre-Joseph Proudhon, Du principe de l’art et de sa
destination sociale, Paris, Garnier, 1865, p. 47-48.
162. Jean Jaurès, La Réalité du monde sensible, Paris, 1902,
p. 356-360.
163. Ibidem, p. 360.
164. Ibid., p. 360.
165. F.-V. Foveau de Courmelles, L’Hypnotisme, op. cit., p. 306.
166. F.-V. Foveau de Courmelles, « Le sommeil provoqué
chez les animaux », dans ibidem, p. 259-277.
167. Ibid., p. 259.
168. Jonathan Crary, « 1888 : illuminations of
disenchantment », Suspension of Perception. Attention,
Spectacle and Modern Culture, Cambridge, MIT Press,
1999, p. 230-240.
169. Voir Philippe Dagen, Primitivismes : Une invention
moderne, Paris, Gallimard, 2019.
170. Henri Hubert et Marcel Mauss, « Esquisse d’une théorie
générale de la magie », Année sociologique, 1904, p. 90-91.
171. G. Apollinaire, « Le Douanier », Les Soirées de Paris,
15 janvier 1914, repris dans Apollinaire, Œuvres en prose
complètes (II), édité par Pierre Caizergues et Michel
Décaudin, Paris, Gallimard, 1991, p. 637.
172. G. Apollinaire, « Quelques artistes au travail », 16 avril
1911, La Vie anecdotique, repris dans Apollinaire, Œuvres
en prose complètes (III), textes établis, présentés et annotés
par Pierre Caizergues et Michel Décaudin, Paris, Gallimard,
1993, p. 56.
173. A. Binet, « La vision mentale », Revue philosophique,
vol 27, 1889, p. 337-373.
174. Jacqueline Carroy, Hypnose, suggestion et psychologie,
op. cit.
175. Stanislaus Stückgold, « Henri Rousseau », Der Sturm,
1913, traduit de l’allemand par Fernand Corin, dans Henry
Certigny, Le Douanier Rousseau et son Temps, tome II,
Tokyo, Bunkasai Kenkyujyo, 1984, p. 702.
176. Désiré-Magloire Bourneville, Paul Regnard,
Iconographie photographique de la Salpêtrière, tome 3,
Paris, Progrès médical, 1879, p. 180.
177. André Valdès, La Prise du regard. Roman d’hypnotisme,
Paris, Marpon et Flammarion, ca. 1900, p. 22.
178. Hippolyte Bernheim, « Hypnotisme et suggestion »,
Le Temps, 29 janvier 1891, cité dans Cathy Bernheim,
Hippolyte Bernheim. Un destin sous hypnose, Paris, JBZ,
2011, p. 188.
179. H. Bernheim, Hypnotisme, suggestion, psychothérapie,
avec considérations nouvelles sur l’hystérie, édition établie
par Pierre-Henri Castel, Paris, Fayard, 1995.
180. Mikkel Borch-Jacobsen, « L’effet Bernheim »
dans La Fabrique des folies. De la psychanalyse au
psychopharmarketing, Paris, Éditions Sciences humaines.
181. H. Bernheim, Hypnotisme, suggestion, psychothérapie,
op. cit., p. 97 et 99.
182. M. Borch-Jacobsen, « L’effet Bernheim », op. cit.
183. « Tous les procédés d’hypnotisation se réduisent à
la suggestion. La vue d’un objet brillant ne réussit que
chez un petit nombre de personnes, et quand elle réussit
chez des sujets qui ne savent pas qu’on veut les endormir,
c’est parce que la fatigue des paupières qui en résulte
produit l’occlusion des yeux et que celle-ci suggère l’idée
du sommeil. » H. Bernheim, « L’hypnotisme et l’École
de Nancy », Revue de l’hypnotisme expérimental et
thérapeutique, vol. 2, 1888, p. 322-325.
184. Serge Nicolas, L’hypnose : Charcot face à Bernheim.
L’école de la Salpêtrière face à l’école de Nancy, Paris,
L’Harmattan, 2004.
185. Alexis Bertrand, « Esthétique et psychologie », Revue
philosophique de la France et de l’étranger, tome 63,
janvier 1907, p. 33-66.
186.J. Rancière, Mallarmé, la politique de la sirène, Paris,
Hachette, 1996, p. 53.
187. Henri Bergson, « De la simulation inconsciente dans
l’état d’hypnotisme », Revue philosophique, 1886, repris
dans Mélanges, édition établie par A. Robinet, Paris, PUF,
1972, p. 340-341.
188. H. Bergson, Essai sur les données immédiates de la
conscience, Paris, Alcan, 1889, p. 11.
189. Ibidem, p. 12-13.
190. Ibid., p. 12.
191. Nadia Yala Kisukidi, Bergson ou l’humanité créatrice,
Paris, CNRS Éditions, 2013, p 129.
192. H. Bergson, Essai sur les données immédiates de la
conscience, op. cit., p. 12.
193. Entretien de Bergson avec Jacques Chevalier, 1934,
repris dans Nadia Yala Kisukidi, Bergson ou l’humanité
créatrice, op. cit., p. 144.
194. Wilhelm Wundt, l’un des grands représentants
allemands de la psychologie expérimentale, s’empresse
de calmer, même de réprimer, cette lecture hypnotique
de l’art : « Je ne fais que signaler en passant son rôle dans
l’art. On déclare plausible le fait que les travaux artistiques,
depuis l’adresse de l’acrobate jusqu’aux productions les
moins matérielles du travail de l’artiste, sont possibles
durant l’état d’hypnose profonde. Bien mieux, les plus
nobles productions de l’art créateur ont toujours été
dues, d’après le dire des autorités en hypnotisme, au
somnambulisme provoqué, sous l’influence d’une forte
autosuggestion. Mais que saurions-nous en attendre
de l’art, le jour où l’hypnotisme serait appliqué à un
but artistique, d’une façon non plus exceptionnelle et
accidentelle, mais continue et intentionnelle ? » Wilhelm
Wundt, Hypnotisme et suggestion. Étude critique, Paris,
Alcan, 1902, p. 150.
195. Dans son traité sur L’Imagination, Ludovic Dugas
reprendra la même thèse : « Le spectateur ou auditeur
d’une œuvre d’art, s’il est dans des dispositions
convenables pour goûter cette œuvre, et si cette œuvre
elle-même est puissante et forte, se laisse prendre et
envahir tout entier, oublie sa personnalité et les choses
qui l’entourent : il subit la fascination, la “suggestion” ou
l’hypnotisation de l’art […]. » Ludovic Dugas, L’Imagination,
Paris, Octave Doin, 1903, p. 300.
196. Arthur d’Anglemont, L’Hypnotisme, le magnétisme et
la médiumnité scientifiquement démontrés, Paris, Comptoir
d’édition, 1891, p. 36.
197. « Je ferai remarquer que j’ai fait à la Faculté des
Lettres de Lille, sur l’Hypnotisme et la suggestion dans
l’art, un cours public de douze leçons, commencé
en décembre 1888, dont le présent livre est le
développement ». Paul Souriau, La Suggestion dans l’art,
Paris, Alcan, 1909 [1893], p. 66.
198. Ibid., p. 1-2.
199. P. Souriau, Théorie de l’invention, Paris, Hachette,
1881.
200. P. Souriau, La Suggestion dans l’art, op. cit., p. 68.
201. Ibidem, p. 68.
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L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T
202. Ibid., p. 74.
203. Ibid., p. 23.
204. Ibid., p. 25.
205. Ibid., p. 25-26.
206. Ibid., p. 33.
207. Ibid., p. 34.
208. Ibid., p. 140.
209. Nietzsche, Humain, trop humain, traduit par
Desrousseaux et Albert, Paris, Hachette, 1988, p. 145.
210. Léon Dumont, Théorie scientifique de la sensibilité,
Paris, Germer Baillière, 1881.
211. Ce principe sera repris dans l’Enquête sur l’évolution
littéraire (1891), de Jules Huret, pour qui « nommer un
objet, c’est supprimer les trois quarts de la jouissance du
poème qui est faite du bonheur de deviner peu à peu ; le
suggérer, voilà le rêve ». Jules Huret, Enquête sur l’évolution
littéraire, Paris, Charpentier, 1891, p. 60.
212. « La méthode la plus sûre pour juger une peinture,
c’est de n’y rien reconnaître d’abord et de faire pas à
pas la série d’inductions que nécessite une présence
simultanée de taches colorées sur un champ limité, pour
s’élever de métaphores en métaphores, de suppositions en
suppositions, à l’intelligence du sujet, parfois à la simple
conscience du plaisir, qu’on n’a pas toujours eu d’avance. »
Paul Valéry, Introduction à la méthode de Léonard de Vinci,
Paris, Gallimard, 1957 [1894], p. 54.
213. Hans Schmidkunz, Der Psychologie der Suggestion,
Stuttgart, 1892, p. 216.
214. P. Souriau, La Suggestion dans l’art, op. cit., p. 88.
215. « Je vécus un événement qui marqua ma vie entière
et qui me bouleversa jusqu’au plus profond de moi-même.
Ce fut l’exposition des impressionnistes à Moscou – en
premier lieu la Meule de foin de Monet. Et soudain, pour
la première fois, je voyais un tableau. Ce fut le catalogue
qui m’apprit qu’il s’agissait d’une meule. J’étais incapable
de la reconnaître. Et ne pas la reconnaître me fut pénible.
Je trouvais également que le peintre n’avait pas le droit de
peindre de façon aussi imprécise. Je sentais confusément
que l’objet faisait défaut au tableau. Et je remarquais avec
étonnement et trouble que le tableau non seulement vous
empoignait, mais encore imprimait à la conscience une
marque indélébile, et qu’aux moments les plus inattendus,
on le voyait, avec ses moindres détails, flotter devant ses
yeux. Tout ceci était confus pour moi, et je fus incapable
de tirer les conclusions élémentaires de cette expérience.
Mais ce qui m’était parfaitement clair, c’était la puissance
insoupçonnée de la palette qui m’avait jusque-là été cachée
et qui allait au-delà de tous mes rêves. » Wassily Kandinsky,
Regards sur le passé et autres textes (1912-1922), Paris,
Hermann, 1974, p. 97.
216. « Somme toute, l’artiste n’est pas seul à accomplir
l’acte de création, car le spectateur établit le contact
de l’œuvre avec le monde extérieur en déchiffrant et en
interprétant ses qualifications profondes et par là ajoute
sa propre contribution au processus créatif » (Marcel
Duchamp, Le Processus créatif, 1957), une formule reprise
et amendée dix ans plus tard dans les entretiens avec
Pierre Cabanne, où il reprend le principe des deux pôles,
co-acteurs, donnant, je le cite « autant d’importance » au
regardeur qu’au créateur : « (l’art) est un produit à deux
pôles : il y a le pôle de celui qui fait une œuvre et le pôle de
celui qui la regarde, je donne à celui qui la regarde autant
d’importance qu’à celui qui la fait. » Marcel Duchamp,
Entretiens avec Pierre Cabanne, Paris, Somogy, 1995, p. 86.
217. P. Souriau, La Suggestion dans l’art, op. cit., p. 95.
218. « Ainsi me signalait-il un jour la singulière coïncidence
dans le temps et dans l’espace des deux Écoles de Nancy
à la fin du XIXe siècle : l’une, médicale, poursuivant, autour
d’H. Bernheim et d’A.-A. Liébault, des recherches sur
l’hypnotisme, la suggestion et la pathologie nerveuse ;
l’autre, artistique, animée par Émile Gallé, Louis Majorelle,
Victor Prouvé et Eugène Vallin, tentant de déterminer la
nouvelle formule du décor quotidien ». José Pierre, André
Breton et la peinture, Lausanne, L’Âge d’homme, 1987,
p. 16.
219. Debora Silverman, « Hypnotisme, suggestion, pensée
visuelle et le nouveau concept français d’irrationnel :
psychopathologie ou modèle de l’esprit ? », dans L’Art
nouveau en France. Politique, psychologie et style fin de
siècle, Paris, Flammarion, 1994 [1989], p. 90-99.
220. Charles Féré, Sensation et mouvement, Paris, Alcan,
1887, p. 47.
221. Adolphe Cartaz, « Du somnambulisme et du
magnétisme, La Nature, 18 janvier 1879, p. 102-106.
222. Jules Bernard Luys, Les Émotions dans l’état
d’hypnotisme et l’action à distance des substances
médicamenteuses ou toxiques, Paris, Baillière, 1890, p. 121122.
223. Ibidem, p. 124.
224. [Anon.], « De la lumière bleue en thérapeutique », La
Médecine internationale illustrée, janvier 1911, p. 22.
225. J. B. Luys, « De la fascination », Revue d’hypnologie
théorique et pratique, I, 1890, p. 7.
226. P. Souriau, « Le symbolisme des couleurs », Revue de
Paris, 1895, p. 870. Sur cette question de la psychologie de
la couleur, voir l’excellente thèse de doctorat d’histoire de
l’art d’Alessandra Ronetti, Chromomentalisme. Psychologies
de la couleur et cultures visuelles en France au passage du
siècle (1870-1914), université de Paris I Panthéon Sorbonne,
2019.
227. Debora Silverman, L’Art nouveau en France, op. cit.,
p. 92.
228. J.-M. Charcot cité dans ibidem, p. 92.
229. J.-M. Charcot cité dans ibid., p. 92
230. H. Bernheim cité dans ibid., p. 95.
231. H. Bernheim cité dans ibid., p. 95.
232. Louis de Fourcaud, Revue des arts décoratifs, 1892,
p. 1-14.
233. P. Souriau, L’Imagination de l’artiste, Paris, Hachette,
1901, p. 77.
234. É. Gallé cité par Paul Souriau dans ibidem, p. 141.
235. P. Souriau, ibid., p. 53.
236. Ibid., p. 55.
237. Ibid., p. 67.
238. Ibid., p. 71.
239. P. Souriau, La Suggestion dans l’art, op. cit., p. 17.
240. Markus Brüderlin, « Die Aura des White Cube.
Der sakrale Raum und seine Spuren im modernen
Austellungsraum », Zeitschrift für Kunstgeschichte, vol. 76,
n° 1, 2013, p. 91-106.
241. P. Souriau, La Suggestion dans l’art, op. cit., p. 18.
242. Jonathan Crary, Suspension of Perception, Attention,
Spectacle and Modern Culture, Cambridge, MIT Press, 2001
[1999], p. 17.
243. Ibidem, p. 24.
244. Ibid., p. 65-72.
245. Jean-Pierre Boon, « Baudelaire, Correspondances
et le magnétisme animal », PMLA, vol. 86, n° 3, mai 1971,
p. 406-410.
246. Charles Baudelaire cité par Victor Stoichita, L’Effet
Sherlock Holmes. Variations du regard de Manet à
Hitchcock, Paris, Hazan, 2015, p. 101.
247. Theodor Lipps, Zur Psychologie der Suggestion,
Leipzig, 1897.
248. « L’hypnose en somme n’est que le fait d’être endormi ;
elle est négative ; elle est positive, c’est-à-dire apte à
produire une augmentation, que s’il y a quelque chose à
augmenter. » Dr T. Lipps, « Die Schaftänzerin », cité dans
É. Magnin, L’Art et l’Hypnose, op. cit., p. 173.
249. Ce type d’approche est directement relayé en France
par Lucien Arréat dans Art et psychologie individuelle. Pour
Arréat, citant Lipps, « le phénomène qui est à la base de
l’esthétique est de se sentir soi-même dans l’objet, c’està-dire d’attribuer à l’objet, par un acte de projection du
sentiment (Einfuhlung), nos propres activités psychiques,
jusqu’à ce degré où la fusion de l’objet et du sujet nous
fait perdre le sentiment de notre moi et vivre entièrement
dans l’objet perçu. » Lucien Arréat, Art et psychologie
individuelle, Paris, Félix Alcan, 1906, p. 85.
250. Michel Espagne, « Theodor Lipps : de l’esthétique à
l’histoire de l’art », Revue de métaphysique et de morale,
n° 96, 2017, p. 496.
251. T. Lipps, Ästhetik. Psychologie des Schönen un der
Kunst, tome 1, Leipzig, Leopold Voss, 1903, p. 1, cité par
Michel Espagne, « Theodor Lipps », art. cit., p. 500.
252. Ibidem, p. 500.
253. T. Lipps, Ästhetik. Psychologie des Schönen un der
Kunst, tome 2, 1906, cité dans ibidem, p. 501.
254. Victor Basch, Essai sur l’esthétique de Kant, Paris,
Alcan, 1896.
255. V. Basch dans Charles Andler (éd.), Philosophie
allemande au XIXe siècle, Paris, Félix Alcan, 1912, p. 85.
256. V. Basch, « Introduction », dans Essai sur l’esthétique
de Kant, op. cit., p. XLVI.
257. Mildred Galland-Szymkowiak, « Le symbolisme
sympathique dans l’esthétique de Victor Basch », Revue de
métaphysique et de morale, n° 2, avril 2002, p. 222.
258. V. Basch, Essai sur l’esthétique de Kant, op. cit., p. 297.
259. Ibidem, p. 298.
260.Jean-Marie Guyau, L’Art au point de vue sociologique,
op. cit., p. 66.
261. Laurent Jenny, La Fin de l’intériorité. Théorie de
l’expression et invention esthétique dans les avant-gardes
françaises (1885-1935), Paris, PUF, 2002.
262. Ibidem, p. 89.
263. Ibid., p. 2.
264. Gustave Kahn, « Réponse des symbolistes »,
L’Événement, 28 septembre 1886, p. 1.
265. G. Kahn, « La vie artistique », La Vie moderne, 9 avril
1887, p. 229.
266. Jean Moréas, « Le symbolisme », Le Figaro,
18 septembre 1886, repris dans Les premières armes du
symbolisme, Paris, Vanier, 1889, p. 34.
267. Albert Aurier, « Le symbolisme en peinture » (Mercure
de France, mars 1891), repris dans Textes critiques, Paris,
ENSBA, 1995, p. 33.
268. L. Jenny, La fin de l’intériorité, op. cit., p. 29.
269. Jules de Gaultier, « Essai de physiologie poétique », La
Revue blanche, mai 1894, p. 399.
270. « De l’ensemble des images, on ne peut dire qu’il
nous soit ni intérieur, ni extérieur, puisque l’intériorité et
l’extériorité ne sont que des rapports entre images. » Henri
Bergson, Matière et mémoire, Paris, PUF, 1968 [1896], p. 20.
271. Voir Jean-François Chevrier, L’Action restreinte. L’art
moderne selon Mallarmé, Paris, Hazan, 2005.
272. A. de Rochas, L’Extériorisation de la sensibilité. Étude
expérimentale et historique, Paris, Bibliothèque Chacornac,
1909 [1893], p. 1.
273. « Les effluves odiques ». Conférences faites en 1866
par le baron de Reichenbach à l’Académie des sciences
de Vienne, précédées d’une « Notice historique sur les
effets mécaniques de l’Od par Albert de Rochas », Paris,
Flammarion, 1897.
274. A. de Rochas, L’Extériorisation de la sensibilité, op. cit.,
p. 62.
275. Ibidem, p. 79.
276. P. Rousseau, « Irradiations. Le métabolisme des
nouveaux rayons », dans Clément Chéroux (éd.), Edvard
Munch. L’œil moderne, Paris, Centre Georges-Pompidou,
musée national d’Art moderne, 2011, p. 152-161, et
Robert Brain, « How Edvard Munch and August Strinberg
contracted protoplasmania : memory, synesthesia,
and the vibratory organism in fin-de-siècle Europe »,
Interdisciplinary Science Reviews, vol. 35, n° 1, mars 2010,
p. 7-38.
277. « Dès que, chez celui-ci, la sensibilité commence à
disparaître, le duvet lumineux recouvrant sa peau à l’état
de veille semble se dissoudre dans l’atmosphère, puis
reparaît au bout de quelque temps sous la forme d’un
brouillard léger qui, peu à peu, se condense en devenant
de plus en plus brillant, de manière à prendre en définitive
l’apparence d’une couche très mince, suivant, à trois ou
quatre centimètres en dehors de la peau, tous les contours
du corps. » A. de Rochas, L’Extériorisation de la sensibilité,
op. cit., p. 58.
278. « Les radiations cérébrales ne sont pas aussi
matériellement saisissables que celles du son. Leurs
longueurs d’onde sont certainement beaucoup moindres
[…]. À ce point de vue, [le cerveau] ressemble d’assez
près à un conducteur dans lequel passe une décharge
oscillatoire, en produisant ces ondes qui, comme l’a
magnifiquement démontré Hertz, ressemblent aux
vibrations qui produisent la lumière […]. Je crois pouvoir
expliquer la possibilité de transmission de vibrations
cérébrales spécifiques d’un cerveau actif à un cerveau
passif ou récepteur par la simple action de ce qui est
scientifiquement connu sous le nom de vibrations
sympathiques. » Edwin Houston, « La radiation cérébrale »,
discours prononcé le 1er mars 1892, devant la Section
d’électricité de l’Institut Franklin, repris dans A. de Rochas,
L’Extériorisation de la sensibilité, op. cit., p. 218.
279. Gilles de la Tourette, Huet, Guinon, « Contribution à
l’étude des bâillements hystériques », Nouvelle iconographie
de la Salpêtrière, n° 3, 1890, p. 97-119.
280. Alexandre Aksakov, Animisme et spiritisme. Essai
d’un examen critique des phénomènes médiumniques,
spécialement en rapport avec les hypothèses de la « force
nerveuse », de l’« hallucination », et de l’« inconscient »,
comme réponse à l’ouvrage du Dr Ed. von Hartmann,
intitulé : « Le Spiritisme », Paris, Librairie des sciences
psychiques, 1895.
281. Dans Révélation magnétique, une nouvelle traduite par
Baudelaire, Poe met en scène un dialogue sur le devenir
du corps « ultérieur », le corps dans l’au-delà après la mort,
dont il nous dit qu’il peut être pressenti par les magnétisés
et autres visionnaires, seuls capables de dépasser les limites
physiologiques d’une vision naturelle ne dépassant pas la
surface de la « coquille » ou de l’enveloppe charnelle des
corps « rudimentaires » : « Lorsque je suis magnétisé, les
sens de ma vie rudimentaire sont en vacance, et je perçois
les choses extérieures directement, sans organes, par un
agent qui sera à mon service, à ma disposition, dans la vie
ultérieure, la vie inorganique […]. Les organes sont des
artifices, des expédients mécaniques par lesquels l’individu
est mis en rapport sensible avec certaines classes et formes
de la matière, à l’exclusion des autres classes et des autres
formes. Les organes de l’homme sont adaptés à la condition
rudimentaire, et à elle uniquement. » Edgar Allan Poe,
Révélation magnétique, traduction de Charles Baudelaire,
Bayonne, Les Germes éditions, 1994 [1848], p. 30.
282. Edgar Allan Poe, Révélation magnétique, op. cit., p. 31.
283. Dr Auguste Forel cité par Freud dans « Compte-rendu
du livre de Forel » (1889), repris dans Sigmund Freud,
L’Hypnose. Textes 1886-1893, introduction et présentation
de Mikkel Borch-Jacobsen, Paris, L’Iconoclaste, 2015,
p. 236-237.
284. Ibidem, p. 248.
285. J. Kerner, 1812, cité par S. Hammoud, Mesmérisme
et romantisme allemand (1766-1829), Paris, L’Harmattan,
1994, p. 169.
286. Rhonda K. Garelick, « Electric Salome : Loïe Fuller
at the world’s fair of 1900 », Electric Salome. Loïe Fuller’s
Performance of Modernism, Princenton, Princeton
University Press, 2007, p. 63-117.
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1870-1920
287. Loïe Fuller, Ma vie et la danse. Autobiographie, Paris,
L’Œil d’or, 2002, p. 22 et 25.
288. Felicia McCarren, « The symptomatic act : Mallarmé,
Charcot and Loïe Fuller », dans Dance Pathologies.
Performance, Poetics, Medecine, Stanford, Stanford
University Press, 1998, p. 113-171, et Rae Beth Gordon,
« Imitation and contagion : magnetism as popular
entertainment », dans Why the French Love Jerry Lewis.
From Cabaret to Early Cinema, Stanford, Stanford
University Press, 2001, p. 28-59.
289. Selon Giovanni Lista, le père de Loïe Fuller est un
« adepte du spiritualisme, sans doute aussi lecteur de Ralph
Waldo Emerson et de Thoreau ». Giovanni Lista, Loïe Fuller.
Danseuse de la Belle Époque, Paris, Somogy/Stock, 1994,
p. 47-48.
290. Ibidem, p. 57.
291. Jacqueline Carroy, Les Personnalités doubles et
multiples. Entre science et fiction, Paris, PUF, 1993.
292. Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux.
Capitalisme et schizophrénie 2, Paris, Éditions de minuit,
1994.
293. Fuller a fait de nombreuses expérimentations sur
la phosphorescence avec l’aide de Camille Flammarion.
Cette recherche est contemporaine des spéculations sur
les radiations phosphorescentes de l’activité cérébrale,
notamment les hypothèses de Jollivet-Castelot sur la
phosphorescence de la pensée et la « morphoplastique »
(François Jollivet-Castelot, La Vie de la matière et de l’âme.
Essai de physiologie chimique. Études de dynamochimie,
Paris, Société d’éditions scientifiques, 1892, p. 110-111).
294. Robert Brain, « Protoplasmania : Huxley, Haeckel,
and the vibratory organism in fin de siècle visual cultures »,
dans Fae Brauer, Barbara Larson (éd.), The Art of Evolution :
Darwin, Darwinisms, and Visual Cultures, University
Presses of New England, 2009, p. 92-123.
295. A. de Rochas, Les Sentiments, la Musique et le Geste,
Grenoble, Faque et Perrin, 1900, p. 150.
296. A. de Rochas, L’Extériorisation de la sensibilité,
op. cit., p. 81.
297. A. de Rochas, Les Sentiments, la Musique et le Geste,
op. cit., p. 260.
298. « Il se trouve immergé dans ce qui lui semble être
tout un univers de lumières, de couleurs et de sons
toujours changeants, comme jamais, dans ses rêves les plus
audacieux, son imagination n’en a conçu l’idée. » Charles
Webster Leadbeater, Le Plan mental, Paris, Publications
théosophiques, 1906, p. 31.
299. Charles Barlet, Julien Lejay, L’Art de demain. La
peinture autrefois et aujourd’hui, Paris, Chamuel, 1897,
p. 24.
300. Ibidem, p. 157.
301. Ibid., p. 19.
302. Ibid., p. 159-160.
303. Ibid., p. 108.
304. Ibid., p. 144-145.
305. Ibid., p. 148.
306. Ibid., p. 155.
307. Ibid., p. 135.
308. Ibid., p. 154.
309. Mellerio cité dans ibid., p. 133.
310. Dario Gamboni, « De Bernheim à Focillon : la notion de
suggestion entre médecine, esthétique, critique et histoire
de l’art », dans Roland Recht, Philippe Sénéchal, Claire
Barbillon et François-René Martin (éd.), Histoire de l’histoire
de l’art en France au XIXe siècle, Paris, La Documentation
française, 2008, p. 311-322.
311. Odilon Redon, À soi-même, journal (1867-1915), notes
sur la vie, l’art et les artistes (1922), Paris, Corti, 1961, p. 25.
312. Charles Vignier, « Notes d’esthétique. La suggestion
en art », Revue contemporaine littéraire, politique et
philosophique, vol. 3, n° 4, 25 décembre 1885, p. 464-476.
313. Ibidem, p. 469.
314. Ibid., p. 467.
315. Gustave Kahn, « La vie artistique », La Vie moderne,
9 avril 1887, p. 229-231, cité par Dario Gamboni, « De
Bernheim à Focillon », art. cit., p. 313.
316. Maurice Barrès, « L’esthétique de demain : l’art
suggestif », De Niuewe Gids, octobre 1885, p. 146.
317. Ibidem, p. 146.
318. François-René Martin, « De l’hypnose à la critique
émotionnelle. Bernheim, Barrès et Wyzewa dans les années
1880 », dans Catherine Meneux (éd.), Regards de critiques
d’art. Autour de Roger Marx (1859-1913), Rennes, PUR,
2009, p. 65-79.
319. « Mais quelle est dans le champ étendu de la vie,
la part spéciale que doit produire la Peinture ? Doit-elle
nous donner, seulement, les sensations simples des corps
matériels, par une figuration exacte de leurs formes ? Ou
bien doit-elle nous donner des émotions plus fines, plus
intimes, et, pour ainsi dire, peindre l’âme, après les corps ?
[…]. Deux peintures sont : l’une immédiate, la peinture
dite réaliste, donnant l’image exacte des choses, vues par
la vision spéciale du peintre ; l’autre, médiate, comme
une Poésie de la peinture, insoucieuse des formes réelles,
combinant les contours et les nuances en pure fantaisie. »
Teodor de Wyzewa, « Peinture wagnérienne : Le Salon de
1885 », Revue wagnérienne, 8 juin 1885, p. 154-155.
320. Teodor de Wyzewa, « Notes sur la peinture
wagnérienne et le Salon de 1886 », Revue wagnérienne,
8 mai 1886, p. 106.
321. Ibidem, p. 106.
322. François-René Martin, « De l’hypnose à la critique
émotionnelle », art. cit., p. 77.
323. É. Hennequin, La Critique scientifique, Paris, Perrin,
1888, p. 75.
324. T. de Wyzewa, Nos maîtres, Paris, Perrin, 1895, p. 62.
325. P. Rousseau, « Le spectacle des sens. La synesthésie
sur la scène symboliste du Théâtre d’art », dans Isabelle
Moindrot (éd.), Le Spectaculaire dans les arts de la scène du
romantisme à la Belle Époque, Paris, CNRS Éditions, 2006,
p. 157-165.
326. Pierre Quillard, « De l’inutilité de la mise en scène
exacte », Revue d’art dramatique, 1er mai 1891, p. 180-183,
cité par Dario Gamboni, « De Bernheim à Focillon », art.
cit., p. 314.
327. Les Auditions voilées à la galerie Georges Petit en 1891
et 1893, Paris, Bibliothèque bleue, 1893.
328. Article anonyme paru dans le Courrier français, le
5 février 1893, cité dans ibid., p. 11.
329. Louis Brès cité dans ibid., p. 14.
330. Karin von Maur (ed.), Vom Klang der Bilder.
Die Musik in der Kunst des 20 Jahrhunderts, Munich,
Prestel, 1985, p. 414-421.
331. Louis Favre, La Musique des couleurs et les musiques
de l’avenir, Paris, Schleicher, 1900.
332. L. Favre, Pourquoi il faut étudier les phénomènes
psychiques. L’esprit scientifique, Paris, Institut général
psychologique, 1909.
333. L. Favre, « L’hypnotisme et le prétendu magnétisme
animal », Revue de l’hypnotisme expérimental et
thérapeutique, juillet 1905, p. 62-63, et « À propos de la
définition de la suggestion », Ibidem, juillet 1906, p. 25.
334. L. Favre, « De l’action des mains sur les microbes »,
Bulletin de l’Institut général psychologique, mai-juin 1904.
335. Lucette Pérol, « Diderot, le P. Castel et le clavecin
oculaire », dans Roland Mortier, Hervé Hasquin (éd.),
Études sur le XVIIIe siècle, vol. 23, 1995, p. 83-95.
336. L. Favre, La Vérité. Pensées, Marseille, Cayer, 1889,
p. 117.
337. L. Favre, La Musique des couleurs, op. cit., p. 111-112.
338. A. Héler, « L’audition colorée », L’Art musical, n° 3,
15 février 1888, p. 18.
339. Voir Adrian B. Klein, Colour-Music. The Art of Light,
Londres, Technical Press, 1926.
340. Voir Pamela Thurschwell, Literature, Technology
and Magical Thinking, 1880-1920, Cambridge, Cambridge
University Press, 2001.
341. Gustave Le Bon, La Psychologie des foules, Paris, PUF,
1963 [1895], p. 13.
342. Richard Noakes, « The world of the infinitely little :
connecting physical and the psychical realities in Britain,
ca. 1900 », Studies in History and Philosophy of Science,
vol. 39, 2008, p. 323-334.
343. « J’aurai beau disséquer un cerveau, le regarder
au microscope, en prendre la radiographie, jamais je n’y
pourrai rien percevoir qui ressemble à de la pensée. Sur
les faits psychiques, mes organes sensoriels n’ont aucune
prise. » Paul Souriau, « La perception des faits psychiques »,
Année psychologique, 1907, p. 51-66.
344. Maria Teresa Brancaccio, « Between Charcot and
Bernheim : the debate on hypnotism in fin-de-siècle Italy »,
Notes and Records, n° 71, mars 2017, p. 157-177.
345. Giuseppe Seppilli, « Gli studi recenti sul cos`ı detto
magnetismo animale. Rassegna », Rivista sperimentale di
freniatria 6, 1880, p. 337-344.
346. Enrico Morselli, Il magnetismo animale, la
fascinazione e gli stati ipnotici, Turin, Roux e Favale, 1886.
347. Ibidem, p. 77.
348. Ibid., p. 106.
349. Ibid., p. 132.
350. Ibid., p. 167.
351. Ibid., p. 176.
352. Ibid., p. 176.
353. Sur l’influence de la New Thought américaine sur
l’avant-garde italienne : Giovanni Amendola, « Prentice
Mulford », Nuova Parola, vol. IX, 1906, p. 361, et Roberto
Grego Assagioli, « L’arte della creazione », Leonardo, III,
février 1906, p. 61, et « Il nuevo Pensiero americano.
Il New Thought », Leonardo, vol. V, avril 1907, p. 201-213.
354. Prentrice Mulford, Vos forces et le moyen de les utiliser,
Paris, Éditions de l’initiation, 1897, p. 31.
355. Ibidem, p. 24.
356. William Walker Atkinson, La Force-Pensée. Son action
et son rôle dans la vie, Paris, Bureau d’études psychiques,
1904, p. 13.
357. Ibidem, p. 34.
358. Ibid., p. 64.
359. John Warne Monroe, Laboratories of Faith.
Mesmerism, Spiritism and Occultism in Modern France,
Ithaca, Cornell University Press, 2008 ; Sofie Lachapelle,
Investigating the Supernatural. From Spiritism and
Occultism to Psychical Research and Metapsychics
in France, 1853-1931, Baltimore, The Johns Hopkins
University Press, 2011.
360. C’est à partir de l’été 1911 que Mercereau, Nayral et
Figuière deviennent membres fondateurs de la « Société
internationale de recherches psychiques », dont le journal,
La Vie mystérieuse, est l’organe officiel. Cette société est
fondée « dans le but de réunir entre elles les personnes
qui s’occupent théoriquement ou pratiquement de toutes
sciences se rattachant au domaine du Psychisme ».
361. Eugène Figuière, Les Petits Bréviaires. La volonté,
Paris, Figuière, 1912.
362. Les textes de P. Mulford, le mentor de la New Thought
américaine, sont cités dans de nombreux articles de F.
Divoire. Fernand Divoire, « Faut-il devenir mage ? », Les
Entretiens idéalistes, 1909, p. 2-21, et « Faut-il devenir un
surhomme ? », ibidem, p. 85-100.
363. F. Divoire, Cérébraux, Paris, Chroniqueur de Paris,
1906, p. 89.
364. On sait qu’Apollinaire détenait un exemplaire de la
revue Light daté du 25 mai 1907, avec un article entier
consacré à l’ouvrage mentaliste de W. W. Atkinson
(The Secret of Mental Magic).
365. Filippo Tommaso Marinetti, « L’homme multiplié et
le règne de la machine », mai 1910, repris dans Giovanni
Lista, Le Futurisme, textes et manifestes, 1909-1944,
Ceyzérieu, Champ Vallon, 2015, p. 211.
366.G. Papini, « Franche spiegazioni (a proposito di
rinascenza spirituale e di occultismo », Leonardo,
avril 1907, p. 129, cité par Simona Cigliana, Futurismo
esoterico. Contributi per una storia dell’irrazionalismo
italiano tra Otto e Novecento, Naples, Liguori Edidotre,
2002, p. 49.
367. Giuseppe Prezzolini, Arte di persuadere, Firenze,
Lumachi, 1906. Pour Prezzolini, c’est dans la puissance
d’autosuggestion que l’« animale razionale cederà il posto
all’animale creativo » (Leonardo, février 1906, p. 26).
368. G. Papini, Un uomo finito, Firenze, La Voce, 1913,
p. 118.
369. Gian Falco, « Cosa vogliamo ? », cité dans Simona
Cigliana, Futurismo esoterico, op. cit., p. 131.
370. B. Corradini, « Proposte » (1910), repris dans Marrio
Verdone (éd.), Manifesti futuristi e scritti teorici di Arnaldo
Ginna e Bruno Corra, Ravenne, Longo Editore, 1984,
p. 85-104.
371. A.V. Segno, La Loi du mentalisme. Exposé pratique
et scientifique de la pensée ou force de l’esprit ; la loi qui
gouverne toute action et phénomène mentale (sic) et
physique : la cause de la vie et de la mort, Los Angeles,
Institut américain du mentalisme, 1909.
372. « Si nous acceptons avec les savants les plus avancés
que l’énergie sous forme de sensations, de pensées et de
sentiments, fait aussi partie de cette substance unique que
nous pouvons désigner sous le terme “énergie-matière”,
nous pourrons admettre que les sentiments, les pensées et
les sensations peuvent être amenés à un état de contraction
ou de condensation qui les rende perceptibles à nos yeux. »
Jules Fiaux, Néosophie. Théories et applications. Vers la
santé et la pleine vie, Paris, Leymarie, 1909, p. 23.
373. « Tutto in questo mundo è suggestione », A.B.C.
metodo, repris dans Mario Verdone (éd.), Manifesti futuristi
e scritti teorici di Arnaldo Ginna e Bruno Corra, Ravenna,
Longo Editore, 1984, p. 73.
374. Arnaldo et Bruno Corradini, A.B.C. metodo (1910),
repris dans ibidem, p. 73-74.
375. Giulio Belfiore, Magnetismo e ipnotismo, Milan,
Hoepli, 1898.
376. Micol Forti, « “Pittura dell’invisibile” : il concetto di
rappresentazione negli scritti teorici di Arnaldo Ginna »,
dans Micol Forti, Lucia Collarile, Mariastella Margozzi (dir.),
Armonie e disarmonie degli stati d’animo. Ginna futurista,
Rome, Gangemi Editore, 2009, p. 46-47.
377. Arnaldo Ginna, « Peinture de l’avenir », juillet 1917,
repris dans Giovanni Lista, Le Futurisme, textes et
manifestes, op. cit., p. 1059.
378. « Dans la chimie des temps futurs, on reconnaîtra que
la pensée est une substance tout aussi bien que les acides,
les oxydes et tous les autres corps chimiques actuels. Il n’y
a pas de lacune entre ce que nous nommons l’esprit et la
matière. L’un et l’autre sont substantiels […]. Notre pensée
invisible et irrévélée émane incessamment de nous en tant
qu’élément et force, aussi réelle que le flot de l’eau que
nous voyons, que le courant électrique que nous ne voyons
pas. » P. Mulford, Vos forces et le moyen de les utiliser,
op. cit., p. 31.
379. « L’homme célèbre est celui qui, par la force de sa
volonté, a mis en mouvement des ondes de pensée qui
ont fait le tour du monde […]. Les pensées de tous ces
individus sont concentrées sur un seul homme et elles lui
amènent le succès. » Ibidem, p. 26.
380. William Walker Atkinson (1862-1932) est l’un
des auteurs phares du mouvement de la New Thought (the
Law of the New Thought [1902], Dynamic Thought ; or,
The Law of Vibrant Energy [1906], Self-Healing by ThoughtForce [1907] ou Mind-Power. The Secret of Mental Magic
[1912]. Voir Catherine L. Albanese, A Republic of Mind and
Spirit. A Cultural History of American Metaphysical Religion,
New Haven, Yale University Press, 2007, p. 358-364.
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L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T
381. William Walker Atkinson, Vibration de la pensée. La
loi d’attraction dans le monde de la pensée, traduction de
Marcelle Auclair, Paris, Astra, 1982, p. 67-70.
382. Ibidem, p. 80.
383. A. V. Segno, Le Secret de la mémoire. Démonstration
d’une nouvelle théorie, Los Angeles, Société de Publication
du Segnogram, 1907, p. 18-20.
384. B. Corradini, « Musique chromatique » (1912), dans
Giovanni Lista, Le futurisme, op. cit., p. 413.
385. Ibidem, p. 441.
386. A. Ginna, Bruno Corra, « Art de l’Avenir » (1910),
repris dans ibid., p. 293.
387. Ibid., p. 292.
388. Sur les tentatives filmiques des frères Corradini, voir
l’ouvrage de référence de Marcella Lista, L’Œuvre d’art
totale à la naissance des avant-gardes : 1908-1914, Paris,
Institut national d’histoire de l’art, 2006.
389. Willard Huntington Wright, Modern Painting. Its
Tendency and Meaning, New York, John Lane, 1915, p. 10.
390. Ibidem, p. 356.
391. « On peut peindre sur le film, et le cinéma ou la
lanterne magique feront le reste. » Morgan Russell,
Notes manuscrites, ca. 1914, New York, Fonds Russell,
Smithsonian Institution, Archives of American Art (roll.
4536).
392. Morgan Russell livre à Canudo un dessin qui illustre,
en janvier-février 1914, le numéro de Montjoie ! consacré
à la rénovation de la danse, aux côtés d’un poème de
Cendrars, Ma danse.
393. Ricciotto Canudo, Music as a Religion of the Future.
Translated from the French of M. Ricciotto Canudo with a
« Praise of Music » by Barnett D. Conlan, Londres, Foulis,
1913.
394. R. Canudo, « La naissance d’un sixième art. Essai sur
le cinématographe », Entretiens idéalistes, 10 février 1912,
p. 167.
395. Albert Bazaillas, Musique et inconscience. Introduction
à la psychologie de l’inconscient, Paris, Alcan, 1908, p. IV-V.
396. Ibidem, p. 189.
397. Ibid., p. 191.
398. Ibid., p. 258. Plus loin, Bazaillas compare ce monde
vivant et informel de l’inconscient éveillé par la musique
à celui du « monde en transformation » de la « force
intermoléculaire de la matière », ibid., p. 300.
399. Ibid., p. 192.
400. Blaise Cendrars, « La parturition des couleurs », La
Rose rouge, 17 juillet 1919, repris dans Blaise Cendrars,
Aujourd’hui, Paris, Denoël, 1987, p. 73-74.
401. B. Cendrars, Inédits secrets, Paris, Le Club du livre
français, 1969, p. 126.
402. Claude Lévi-Strauss, Mythologiques I. Le cru et le cuit,
Paris, Plon, 1964, p. 23-24.
403. Fae Brauer, « Magnetic modernism. Frantisek Kupka’s
mesmeric abstraction and anarcho-cosmic utopia », dans
David Ayers, Benedikt Hjartarson, Tomi Huttunen (éd.),
Utopia. The Avant-Garde, Modernism and (Im)possible Life,
Berlin, Walter de Gruyter, 2015, p. 123-153.
404. Ludmila Vachtova, Frank Kupka. Pioneer of Abstract
Art, New York, 1968, p. 15.
405. Frantisek Kupka, « Credo », manuscrit inédit,
8 octobre 1913, courtesy Margit Rowell.
406. F. Kupka, La Création dans les arts plastiques, édition
établie et préfacée par Philippe Dagen, Paris, Cercle d’Art,
1989, p. 146.
407. Ibidem, p. 147.
408. Ibid., p. 167.
409. Ibid., p. 229.
410. Ibid., p. 230.
411. H. Bergson, Essai sur les données immédiates de la
conscience, op. cit., p. 11.
412. Shelley Trower, Senses of Vibrations, London,
Continuum, 2012.
413. V. Kandinsky a consulté les deux volumes de
Karl Kiesewetter, Geschichte des neues Ocultismus
(Leipzig, Friedrich, 1891-1895), notamment le dixième
chapitre consacré à une analyse historique du concept
de « force psychique » (« Die Vertreter der Theorie von
der psychischen Kraft »), où est évoquée la question du
magnétisme animal et de l’hypnose.
414. A. Aksakof, « Préface de l’édition allemande »,
Animisme et spiritisme. Essai d’un examen critique des
phénomènes médiumniques spécialement en rapport avec
les hypothèses de la force nerveuse, de l’hallucination et de
l’inconscient, Paris, Librairie des sciences psychiques, 1906,
p. XXVII.
415. Ibidem, p. XXVIII.
416. Carl du Prel, La Magie : la psychologie magique,
tome II, Paris, Leymarie, 1908.
417. Ibidem, p. 179.
418. Ibid., p. 153.
419. « Le somnambulisme nous donne jusqu’à un certain
point la conscience de l’au-delà et de notre âme. »
Ibid., p. 153.
420. A. de Rochas, L’extériorisation de la sensibilité, op. cit.
421. A. Aksakof, Animisme et spiritisme, op. cit., p. 590.
422. Alfred Binet, Charles Féré, Le Magnétisme animal,
préface de Serge Nicolas, Paris, L’Harmattan, 2006 [1887],
p. 163.
423. Ibidem, p. 164.
424. Ibid., p. 164.
425. Johannes Eichner, Kandinsky und Gabriele Münter.
Von Ursprüngen moderner Kunst, Munich, Bruckmann,
1957.
426. « Chez un individu sensible à la suggestion,
l’expérimentateur peut faire naître les hallucinations
les plus variées. On est presque autorisé à dire que
la suggestion peut tout créer. » A. Binet, C. Féré, Le
Magnétisme animal, op. cit., p. 156.
427. Ibidem, p. 167. L’expérience est menée plus loin : « Si
on photographiait un carton blanc sur lequel la suggestion
aurait fixé un portrait imaginaire, qu’arriverait-il ? Dans
une expérience que nous avons faite, la malade a reconnu
instantanément le portrait imaginaire, lorsque nous lui
avons présenté la photographie du carton blanc. »
Ibid., p. 179.
428. Camille Flammarion, « La pensée productrice
d’images projetées à distance », La Mort et son mystère,
Paris, Flammarion, 1920, p. 98-99.
429. Pierre Janet, Névroses et idées fixes, Paris, Félix Alcan,
1898.
430. A. Binet, C. Féré, Le Magnétisme animal,
op. cit., p. 188.
431. Ibidem, p. 156.
432.Ibid., p. 170.
433. N. H. Kotik, Transmission immédiate des pensées.
Investigations expérimentales, Moscou, Éditions des
problèmes contemporains, 1908. Cet ouvrage est publié
la même année dans une version allemande sous le titre
Die Emanation der Psychophysyschen Energie (Wiesbaden,
Bergmann, 1908), dans la même série (Grenzfragen des
Nerven-und Seelenlebens) que le texte canonique de
Freud, Uber den Traum. Dans sa correspondance avec
Freud, Ferenczi évoque à deux reprises l’ouvrage de Kotik,
notamment dans une lettre du 2 décembre 1910 qui
soulève la question du « transfert de pensée ».
434. N. H. Kotik cité par Élise Soukhanoff dans le Journal
de psychologie normale et pathologique, 1908, t. IV, p. 565.
435. Bruno Latour, Aramis, ou l’amour de la technologie,
Paris, La Découverte, 1992.
436. V. Kandinsky, « La peinture en tant qu’art pur », Der
Sturm, n° 178-179, septembre 1913, traduit dans
V. Kandinsky, Écrits complets. La forme, édition établie par
Philippe Sers, Paris, Denoël, 1970, p. 259-265.
437. Ibidem, p. 259.
438. Ibid., p. 262.
439. Ibid., p. 264.
440. Ibid., p. 263.
441. A. Binet, C. Féré, Magnétisme animal, Paris, Alcan,
1890, p. 168.
442. Ibidem, p. 180.
443. H. Bernheim, De la suggestion, Paris, Albin Michel,
1911, p. 59.
444. H. Bernheim, De la suggestion et des applications à la
thérapeutique, Paris, Octave Doin, 1891, p. 67.
445. « Le sujet voit tous les objets, à l’exclusion de celui qui
a été suggéré invisible pour lui ; j’ai effacé dans son cerveau
une image sensorielle, j’ai neutralisé ou rendu négative la
perception de cette image : j’appelle cela une hallucination
négative ». Ibidem, p. 66-67.
446. Ferdinand Gombault, L’avenir de l’hypnose. Réflexions
philosophiques, théologiques, physiologiques sur la nature
et les effets du sommeil provoqué, Paris, Delhomme et
Briguet, 1894.
447. Ibidem, p. 83.
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L’ÉPOQUE
DES
SOMMEILS
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A
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Au sortir de la Première Guerre mondiale, les artistes
qui ont dû affronter l’hécatombe démographique et
psychologique des tranchées se trouvent sans trop
d’échappatoires face aux automatismes d’une vie intérieure plus abyssale que jamais, blottie dans les tréfonds
d’un inconscient blessé à vif. Sous sa forme la plus gestuelle et épileptique, l’hypnotisme s’est déplacé sur les
tréteaux et les nouveaux écrans d’une culture visuelle
du spectaculaire qui cherche à optimiser ses effets
cathartiques. L’hypnose, fût-elle à nouveau déclassée, apparaît comme une forme de conjuration de ces
traumas convertis en trépidations et tremblements de
corps automates qui redemandent à vivre. Puisant de
nouvelles ressources souvent comiques, elle se réalise dans l’activité hallucinatoire sous état modifié de
conscience, et dans la productivité onirique d’une imagerie mentale peuplée de délires fantaisistes.
Curieusement, Charcot, mort en 1893, bien avant la
guerre, refait surface, ayant en commun avec Freud un
intérêt pour le pouvoir imaginaire de la représentation
sur le corps. En 1892, à l’occasion de l’une de ses toutes
dernières séances, il s’était attardé sur le cas d’un jeune
ébéniste du faubourg Saint-Antoine, Siméon Penhoët,
« le type de l’ouvrier parisien, demi-artiste » chez qui
« les rêves, oui, les rêves, ont le pouvoir efficace de produire directement des phénomènes somatiques1 ». Le
jeune homme est un simple artisan mais grand lecteur
de romans sensationnels qui nourrissent son imagina-
tion. À la veille d’une crise qui l’a amené à la Salpêtrière,
il a été assailli par un « rêve morbide, étrange, terrible
et d’une force, d’une intensité représentative peu communes », qui lui réapparaît désormais à chaque attaque
hystérique, « dans toute sa vivacité et avec toutes les
apparences de la réalité objective2 ». Charcot en déduit
la possibilité de réaliser objectivement les rêves dans
l’hystérie, avec une attention portée à la phase délirante de l’attaque, très vite associée, adossée, à un jeu
de dédoublement de la personnalité3. De là une insistance à reporter sur l’activité onirique une traduction
organique instantanée : « Tout se passe comme si le
rêve s’inscrivait, se convertissait immédiatement en
signes sur la scène du corps4. » Selon Marcel Gauchet,
ces dernières expériences manifestent au grand jour
un « déterminisme purement intérieur, basé exclusivement sur la spontanéité des productions psychiques du
sujet – productions d’autant plus spontanées qu’elles
relèvent de processus soustraits à la prise consciente
[…]. À l’intériorisation de la source répond une appropriation subjective du corps. Ce psychisme tout en
dedans est un psychisme qui inclut un corps représenté
et représentatif dont les manifestations contournent et
déconcertent les lois objectives du fonctionnement de
la machine nerveuse5 ».
Les premières « manifestations » du surréalisme
puiseront dans le même constat clinique. André Breton
est médecin de formation, infirmier à Nantes puis
A. Camille Goemans, Gala Dalí, Salvador Dalí et Mme Goemans à Cadaqués, 1929,
épreuve gélatino-argentique, 10,6 x 8,2 cm, Figueres, Fundació Gala-Salvador Dalí.
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L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S
affecté pendant la guerre au centre neuropsychiatrique
de Saint-Dizier, où il lit notamment les Leçons sur les
maladies du système nerveux de Charcot. Familier des
épisodes de la Salpêtrière, il connaît bien les travaux
de Charcot et ceux de son confrère Babinski, auquel il
rendra hommage dans le premier Manifeste du surréalisme6. Sa définition du surréalisme comme « automatisme psychique pur », notamment dans sa recherche
d’une « mise en commun7 », fait tout autant penser à l’utopie magnétiste qu’aux enseignements plus
récents de la « psycho-analyse ». De fait, le surréalisme
va naître dans l’expérience partagée de l’induction
hypnotique. Des Champs magnétiques aux séances de
sommeils, ces tout premiers essais puisent, sans équivoque, quoique souvent de manière refoulée, dans le
vocabulaire et les techniques de l’hypnose, en particulier dans le principe d’une identification de l’un à
l’autre, alors que Soupault et Breton cherchent à « parler ensemble » au point de reconnaître pour sienne la
parole de l’autre. C’est sous hypnose, fût-elle simulée, que le groupe réuni autour de la revue Littérature
interroge les arcanes de l’intersubjectivité. L’hypnose
fascine par sa capacité à façonner une identité collective – ce que Breton appellera, dans ses entretiens
radiophoniques avec André Parinaud, la « collectivisation des idées » : « Nul ne cherche à rien garder
pour soi, chacun attend la fructification du don à tous,
du partage entre tous. » Malgré des réticences, pour
certaines liées au refus freudien d’une hypnose thérapeutique, Breton le rappellera à plusieurs reprises,
le mouvement surréaliste « définitivement s’agrège »
dans les sommeils hypnotiques. Non seulement le
groupe s’y cristallise, mais la notion même de surréalisme se forme dans ce théâtre du partage médiumnique de la langue. C’est en effet dans « Entrée des
médiums », l’introduction aux procès-verbaux des
sommeils, que Breton en qualifie les horizons, posant
les premiers jalons du Manifeste de 1924. D’emblée,
l’automatisme sur lequel Breton fonde la démarche
surréaliste s’arrime à un endormissement vigile ; les
hasards objectifs se libèrent dans une bouche somnambule. Toutefois, l’expérimentation des sommeils,
menaçant jusqu’à l’intégrité physique ou psychique de
certains des membres vaguement ou faussement hystérisés, fait craindre un dérèglement de la raison ou
un abus de pouvoir. Deux spectres étroitement associés aux imaginaires culturels d’une hypnose que la
culture populaire des années 1920 avait tôt fait, dans
le post-trauma de la guerre, de réduire à l’anxiété d’un
sujet hanté par la phobie du contrôle des corps et des
esprits.
A
Développé plus tôt en Allemagne et sur les mêmes
bases traumatiques, l’expressionnisme reprend cette
veine « hystérique » pour la tourner en rituel d’exorcisation publique, voire en cérémonial de rédemption.
Le cinéma est littéralement envoûté par la figure du
magnétiseur malfaisant, le docteur Caligari, virtuose
de la manipulation psychique ; la nouvelle culture des
écrans y trouvera le frisson d’une aliénation létale et
collective. Frisson, mais aussi clairvoyance, face à une
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1920-1950
B
A. André Breton, Autoportraits dans un Photomaton, ca. 1929.
B. André Masson, Portrait d’André Breton, 1941, encre de Chine sur papier,
41,6 x 61,8 cm, Centre Pompidou, musée national d’art moderne.
société qui, après avoir traversé le désastre du premier conflit mondial sans en avoir tiré les leçons, va
se griser des exaltations de masse pour s’abandonner
au « meneur de foule », Duce ou Führer, devenus en
quelques années les référents fascistes d’un magnétisme de masse (Freud n’est pas loin), trouvant dans le
corps politique la surface de son esthétisation jusque
dans ses détours par l’occultisme. L’hypnose se donne
en spectacle dans les grand-messes des peuples dirigés en uniformes bruns ou noirs. Une « hypnose
noire » sur laquelle rebondira la théorie critique de
l’école de Francfort8, quand l’urgence sera à défaire
les mécanismes institutionnalisés de l’emprise des
consciences. C’est là une question d’échelle : l’hypnose est devenue une affaire d’État, non plus attachée à quelques individus au charisme diabolique,
trop facilement hypostasiée dans la personnification
du pouvoir, mais reliée à une organisation sociale
ensorcelée par la force idéologique des propagandes.
De là, pour comprendre la puissance magique de ces
« forces du mal », la nécessité de revenir vers une
interprétation pulsionnelle, voire fétichiste, de l’hypnose, avec sa dimension non seulement émotionnelle
(évidente), mais sexuelle (latente). Les convulsions
du corps expressionniste vont porter sur écran ou sur
scène cette approche archaïque de la (dé)possession,
jusque dans le personnage mythifié de la sorcière. Car
plutôt que de chercher à résister aux agencements de
suggestions de plus en plus soumises au régime de la
terreur, les artistes de l’entre-deux-guerres déjouent
l’expérience objective de cette emprise en parcourant
l’état de ce monde défiguré et convulsif sans succomber à la logique de son efficace. Seule une plongée
intégrale dans l’objet même de la fascination (qui
entre de toute part dans la propagande et ses outils
médiatiques, radio et télévision compris) permet d’en
faire la critique en singeant, façon mascarade, le plaisir de la soumission servile.
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L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S
A
LE SURRÉALISME, SOUS HYPNOSE
En 1924, André Breton publie le Premier manifeste
du surréalisme avec pour horizon créatif une « dictée
de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par
la raison ». Pour les surréalistes ayant côtoyé Dada, il
s’agit d’abattre les poncifs de l’autorité du texte et des
images par une dissolution de l’identité de l’auteur
dans un « jeu à plusieurs », expérimenté à travers la
pratique des « cadavres exquis » ou des « dessins communiqués ». La poétique collaborative vise ainsi une
« collectivisation des idées » sur le mode de la chaîne
magnétique.
Cette même année, Gaston Rageot publie un Essai
d’esthétique historique passé autrement plus inaperçu
et dans lequel il reformule, sans vraiment le renouveler, le concept de « suggestion esthétique » : « L’art
procède par une sorte d’incantation qui fait que nous
nous sentons d’abord isolés au milieu de l’existence et
que notre imagination, ainsi libérée, va pouvoir réaliser elle-même ce que l’artiste aura voulu. En d’autres
termes encore, l’art produit une sorte de suggestion,
et les artistes seront d’autant plus puissants qu’ils
auront plus fortement, en employant les ressources
de leur art, créé en nous cet état de suggestibilité
[…]. Nous pouvons déjà donner cette définition : un
artiste est celui qui, en employant les moyens naturels
que nous offrent les diverses sensations de nos sens,
est capable, après nous avoir isolés de nous-mêmes,
de nous mettre à sa merci de telle façon que ce qui
entre en nous, ce ne soit plus notre âme, mais l’âme
humaine9. »
Selon Rageot, l’artiste doit « être capable, par les
moyens dont il dispose, le rythme en musique, la couleur en peinture, etc., de nous détacher de tout ce qui
nous entoure et nous préoccupe, de façon que nous
devenions comme des magnétisés devant un magnétiseur et susceptibles de suivre son imagination. C’était
la suggestion esthétique. Mais l’artiste lui-même est
un autre suggestionné : il est suggestionné lui par la
vie, par la nature […]. Ainsi l’art suppose une double
suggestion : la libération de l’artiste par la nature et
la libération de l’amateur d’art par l’artiste10. » Nous
retrouvons là telle quelle la rhétorique des textes nancéens absorbés par la critique d’art symboliste, avec
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1920-1950
cette fois une plus grande insistance donnée à l’émancipation du sujet (créateur et spectateur confondus).
L’inconscient est venu s’immiscer plus avant ou à fond
dans les arcanes de l’induction hypnotique. Angelo
Hesnard vient de publier son traité sur L’Inconscient,
dans lequel Breton aurait pu non seulement croiser des
analyses sur l’expérience psychique sous hypnose et la
productivité onirique chez les hystériques11, mais aussi,
plus intéressant pour l’esprit et la lettre surréalistes,
quelques commentaires sur la perversion sexuelle traduite en « écriture automatique » où l’« inconscient
hypnotique » est un moteur fantasmatique de l’imagination12. Quelques mois plus tôt, vers l’automne 1922,
le groupe surréaliste, qui ne porte pas encore ce nom,
se réunit autour des premières séances hypnotiques.
« L’époque des sommeils » est ouverte, elle couvrira la
période 1922-1924, c’est-à-dire la phase de gestation
du mouvement avant sa théorisation par Breton dans
le premier manifeste.
À quoi répond cette expérimentation ? À une volonté
d’explorer les confins de la créativité, mais aussi, de
manière plus circonstancielle, à une première impasse
liée à la retranscription inventive des rêves. Dès les premières tentatives pour sortir de l’impasse nihiliste du
dadaïsme (un « corridor qui tourne en rond », selon
Breton), il s’agit d’utiliser la puissance visuelle des imaginaires oniriques. Jacques Rigaut, celui par qui la sortie du dadaïsme venait d’être menée, avait donné le
ton dans le Roman d’un jeune homme pauvre (1921).
Il y invitait ses amis à plonger dans un sommeil extralucide : « Nous dormirons à la poursuite de la connaissance, armés de tubes de Crookes et de syllogismes – les
chercheurs de sommeil13. » Un obstacle à cette exégèse
apparaît très tôt dès 1919, quand certains des futurs
membres de la cohorte surréaliste cherchent à retranscrire leurs rêves au réveil. Robert Desnos, l’un des premiers à s’emparer de cette mise en écriture d’un état
situé en amont de la conscience vigilante, constate les
limites de la méthode, notamment les écueils de la traduction, « sujette à caution », dira Breton14 : « Au réveil,
j’ai non pas le souvenir des rêves que j’ai faits, mais le
souvenir que j’ai rêvé sans pouvoir les préciser. Si je
tente de les préciser dans ma mémoire, je me heurte à
d’épaisses ténèbres dans lesquelles des ombres imprécises sont de grands gestes vagues15. » Non seulement
la mémoire s’avère approximative, mais la transcription en langage est impuissante à traduire l’intensité
et la complexité des formes vécues, facile aussi pour se
perdre dans les dédales d’une « stylisation16. »
B
C’est dans cette insatisfaction que les surréalistes,
Desnos et René Crevel en tête, vont chercher de nouvelles méthodes introspectives. Ce sera, à partir de septembre 1922, la solution temporaire des « sommeils
hypnotiques ». Sous leur aspect expérimental censé
mettre en veilleuse le contrôle de la conscience, leur
théâtralisation hystérique exhale un parfum très fin de
siècle. En 1922 l’hypnotisme est une pratique plutôt
obsolète abandonnée par le corps médical, dénigrée
par la psychanalyse, revenue sur les tréteaux de foire
comme à la grande époque du magnétisme, ou traitée
dans les milieux plus confinés de la parapsychologie, du
spiritisme magnétique d’Hector Durville à la métapsychique de Charles Richet17. Avant la tentative de réhabilitation de Rank et Ferenczi, seul dans ce concert
teinté d’occultisme positiviste, Pierre Janet, directeur
du laboratoire de psychologie à la Salpêtrière, reprend
l’étude expérimentale de l’hypnose. Les surréalistes
vont puiser dans son « Automatisme psychologique »,
thèse soutenue en 1889, si ce n’est le principe, du
moins le vocabulaire de l’écriture automatique. Janet y
décrit des cas d’écriture posthypnotique, mais aussi, ce
qui est moins relevé, s’attarde sur le « rapport magnétique », cette étrange relation souvent amoureuse qui
unit le sujet à son hypnotiseur. C’est dans le potentiel subversif de cette séduction magnétique exclue du
champ freudien que les surréalistes vont contracter
une dette envers Janet ou d’autres figures moins canoniques de la psychologie expérimentale.
A. Photographie de Robert Desnos par Man Ray pendant une séance de sommeil hypnotique, 1922.
B. Photographie de Robert Desnos publiée en illustration du roman d’André Breton, Nadja, 1928.
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L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S
l’exclut de l’expérience suivante, entreprise, à sa participation près, dans les mêmes conditions. Aucun résultat immédiat. Au bout d’un quart d’heure, Desnos, qui
se tenait pour le plus impropre à offrir de telles manifestations, fortifié qu’il était dans cette opinion par l’échec
qu’en ma compagnie il avait infligé quelques jours
auparavant à deux magnétiseurs publics, MM. Donato
et Bénévol, laisse tomber la tête sur son bras et se met
à gratter convulsivement sur la table. Il se réveille de
lui-même quelques instants plus tard, persuadé de
ne pas s’être comporté autrement que nous. Pour le
convaincre de son erreur, nous devons séparément lui
notifier par écrit ce qui s’est passé. Crevel nous ayant
dit que l’action de gratter la table pouvait témoigner du
désir d’écrire, il est convenu que la fois suivante, Desnos
aurait un crayon dans la main et une feuille de papier
devant lui. C’est ainsi que le surlendemain dans des circonstances analogues, nous le voyons écrire sous nos
yeux, sans bouger la tête, les mots : 14 juillet – 14 juil
surchargés de signes + ou de croix20. »
A
Les séances ont commencé avec Crevel. Dans Les
Pas perdus, Breton rappelle qu’à son retour de vacances
le jeune poète a eu, par la rencontre d’une « dame D »,
une initiation au spiritisme qui a révélé en lui des « qualités médiumniques particulières ». La femme lui a
« enseigné le moyen de les développer » par de simples
techniques suggestives au rang desquelles la technique
d’autohypnotisation : « Il nous apprit, dit Breton, qu’il
parvenait rapidement à s’endormir et à proférer des
paroles s’organisant en discours plus ou moins cohérent
auquel venaient mettre fin en temps voulu les passes
de réveil18. » La séquence des « sommeils hypnotiques »
est prête à s’engager : « Le lundi 25 septembre, à neuf
heures du soir, en présence de Desnos, Morise et moi,
Crevel entre dans le sommeil hypnotique et prononce
une sorte de plaidoyer ou de réquisitoire dont il n’a pas
été pris note (diction déclamatoire, entrecoupée de soupirs, allant parfois jusqu’au chant, insistance sur certains
mots, passage rapide sur d’autres, prolongement infini de
quelques finales, débit dramatique ; il est question d’une
femme accusée d’avoir tué son mari et dont la culpabilité est contestée du fait qu’elle a agi à la requête de ce
dernier). Au réveil, Crevel ne garde aucun souvenir de
son récit19. »
Desnos prendra l’ascendant sur les séances rapidement traduites en activité polygraphe au moyen d’une
écriture automatique combinant textes et dessins : « On
La mention de Donato et Bénévol, deux fameux
magnétiseurs de foire, nous renvoie à la décote scientifique d’une hypnose ravalée à la fraude magicienne,
mais aussi, et cela prendra toute son importance, au
voyeurisme libidinal détourné des protocoles cliniques
de la Salpêtrière21. Elle dénote par ailleurs une méfiance
installée dès l’origine face à ce qui semble être, dans
sa version théâtrale, plus une simulation de la soumission qu’un sismographe authentique des inconscients.
Quelques jours avant de se plonger dans l’épisode des
« sommeils », Desnos s’est en effet attaqué à Bénévol
lors d’une séance de magnétisme donnée sur la scène du
Bataclan. L’ayant mis au défi de l’endormir sur scène, le
poète peu « suggestionnable » lui avait infligé un échec
humiliant devant le public. Benjamin Péret prêtera
main-forte à cette entreprise puisque, le lendemain, il
signe un billet calomnieux dans les colonnes du Journal
du peuple, suscitant une demande de duel par celui
qui s’estimait diffamé. Camouflé sous le nom de plume
goguenard « Le Péquenot », Péret dénonce la supercherie de Bénévol qui simule de faire appel à un anonyme
dans le public quand ce dernier est un complice « figurant d’un théâtre du boulevard Saint-Martin, auquel ses
mœurs spéciales avaient valu le pseudonyme féminin
de “Georgette” ». Il l’attaque ad hominem, allant plus
loin encore dans le jeu de la dénonciation : « Et me forcerez-vous aussi à ajouter que “Georgette” ne vous a
quittés que le lendemain matin, après le petit déjeuner ?
[…] Il n’y a là-dedans que charlatanisme22. » Autant dire
plus de scepticisme que de conviction, du moins envers
ce qui pourrait apparaître comme le dévoiement théâtral et illusionniste du procédé.
Quant à Donato, son Cours pratique d’hypnotisme et
de magnétisme (1911) est un manuel de référence pour
les amateurs de « maniement des forces psychiques »,
rassemblant des consignes, illustrées de saynètes photographiées, sur les techniques dont on retrouve de
curieux échos dans les protocoles joués au sein des
séances surréalistes. Ainsi du jeu transitionnel des
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mains (le texte précise que le poignet peut faire office
de courroie de transmission magnétique). À plusieurs
reprises dans les procès-verbaux des séances est mentionné un contact physique par la main qui crée le lien,
accompagne ou déclenche la transe. Breton, jouant sur
son ascendant, est présenté comme le principal acteur
de ces passes où circule et se cristallise ce que Donato
appelle la « chaîne magnétique23 ». Les surréalistes sont
très intrigués par les transferts d’identité produits dans
le circuit des échanges relationnels – tout ce que Breton
dans L’Amour fou appelle la « magique circonstancielle ». Avec des accents unanimistes proches de ceux
du Jean Jaurès de De la réalité des mondes sensibles,
Breton insiste avec enthousiasme sur la générosité du
partage créatif des consciences : « Je crois pouvoir dire
qu’est mise en pratique entre nous, sans aucune espèce
de réserve individuelle, la collectivisation des idées […].
Nul ne cherche à rien garder pour soi, on attend la fructification du don à tous, du partage entre tous. Et rien
n’est alors, en effet, plus fructueux24. »
Les photographies du groupe en témoignent ; les
membres de la cohorte s’y présentent en étoile, en
cercle, main dans la main, tête à tête, toujours en
« vases communicants ». Assisteront à ces séances,
Desnos, Crevel, Péret, Max Ernst, Paul Éluard et Gala,
André et Simone Breton, mais aussi Francis Picabia et
sa femme Germaine Everling, Louis Aragon, Roland
Tual, Man Ray, Georges Limbour, jusqu’à Giorgio de
Chirico, de passage à Paris. La fameuse photographie,
B
A. Louis Aragon, Autoportrait dans un Photomaton, 1929.
B. La Chaine magnétique, photographie reproduite dans Donato, Cours pratique d’hypnotisme et de magnétisme, ca. 1900.
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L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S
réalisée par Man Ray, mettant en scène l’ensemble
du groupe autour de la machine à écrire est digne de
cette transe collective. Il reste de ces séances de nombreux documents, des dessins, des notes, mais aussi
quelques photographies. Il y aurait beaucoup à dire
sur la manière dont les choix de cette iconographie
publique du groupe rejouent les imaginaires visuels
des cures collectives du magnétisme animal, façon
« baquet de Mesmer », à l’image du fameux collage
Je ne vois pas la (femme) cachée dans la forêt, publié
en décembre 1929 dans les colonnes de La Révolution
surréaliste. L’usage du Photomaton valorise la mise en
scène de têtes sans corps (une connexion « d’esprit à
esprit »), les yeux fermés des protagonistes soulignant
la plongée hypnotique dans les couches plus profondes de l’inconscient. Ce montage photographique
nous donne à voir la mise en condition du groupe pour
atteindre un état visionnaire (lucidité/hyperprésence),
dilaté dans et par le partage collectif des consciences.
Pourquoi cette forme privilégiée du collage/montage ?
Roger Luckhurst livre une première réponse en établissant un lien subtil entre la technique du collage
et les protocoles de « correspondances croisées » rencontrés dans les expériences d’hallucinations télépathiques25. Le collage met en crise la notion d’auteur
par l’usage d’images extérieures (originalité, préfabrication). Sa logique d’amalgame fonctionne en surface, sur une juxtaposition de niveaux d’énonciation,
similaire à la fragmentation du sujet en état d’induction. Plus encore, le collage associe physiquement
des éléments hétéroclites, aux modes narratifs parfois
contradictoires. Les contiguïtés et logiques de rapprochement participent à l’émergence d’une signification
à plusieurs voix, tout comme dans les protocoles herméneutiques élaborés par les cercles d’études psychiques. Le décryptage des messages reçus en état de
transe, au premier abord incompréhensibles, apparaît
seulement dans le montage des fragments de textes,
exigeant, au-delà de la distinction entre contenus
latent et manifeste, le dépassement de la communication écrite ou verbale au profit de « l’idée d’une communication tacite » (Breton)26.
Breton reproduira dans les pages de son roman illustré Nadja deux photographies de Desnos plongé dans ce
sommeil. Elles sont dues à Man Ray et vraisemblablement prises au cours d’une des séances. Breton passe
commande dans une lettre du lundi 2 octobre 1922 :
« À propos des expériences auxquelles vous avez commencé à assister, pouvez-vous me dire s’il vous serait
possible de prendre une photographie au magnésium ?
Il me semble que ce serait d’un vif intérêt. On choisirait
le moment où Desnos endormi lève sur l’assistance des
yeux étonnamment troubles27. » Breton pense « à faire
enregistrer ses paroles au phonographe28 », comme
s’il s’agissait d’éviter les écueils de la retranscription
écrite au profit d’une écriture « directe de la pensée ».
Manifestement, l’hypnose apparaît comme la méthode
la plus efficace, rapide et concluante, pour donner libre
cours à « l’automatisme psychique ». Breton le reconnaît en présentant Desnos comme le surréaliste par
excellence, son « prophète » : « Aujourd’hui Desnos
parle surréalisme à volonté. La prodigieuse agilité qu’il
met à suivre oralement sa pensée nous vaut autant qu’il
nous plaît de discours splendides et qui se perdent,
Desnos gagnant mieux à faire qu’à les fixer. Il lit en lui
à livre ouvert et ne fait rien pour retenir les feuillets qui
s’envolent au vent de sa vie29. » Aragon confirme : « Il
n’a qu’à fermer les yeux, et il parle, et au milieu des
bocks, des soucoupes, tout l’Océan s’écroule avec ses
fracas prophétiques et ses vapeurs ornées de longues
oriflammes30. »
LA RECHERCHE D’UNE
« ACTIVITÉ PERCEPTIVE EXAGÉRÉE »
Très vite des dessins sont produits, dont Desnos luimême semble envoyer quelques exemplaires à Breton
parti à Barcelone pour l’exposition Picabia, aux galeries Dalmau. Dans une lettre adressée à Breton, le
14 novembre 1922, Éluard, qui assiste aux séances,
écrit de Desnos que « sa passion de dessiner ne diminue pas. Il fait des dessins étonnants que vous avez
dû recevoir31 ». À l’instar de l’expérience initiatique
de Crevel, ce sont bien des qualités visionnaires que
Breton appelle dans l’induction hypnotique : « Je
revois maintenant Desnos à l’époque que ceux d’entre
nous qui l’ont connu appellent l’époque des sommeils.
Il « dort », mais il écrit, il parle. C’est le soir, chez moi,
dans l’atelier, au-dessus du cabaret du Ciel […]. Et
Desnos continue à voir ce que je ne vois pas, ce que je
ne vois qu’au fur et à mesure qu’il me le montre […].
Qui n’a pas vu son crayon poser sur le papier, sans la
moindre hésitation, et avec une rapidité prodigieuse,
ces étonnantes équations poétiques […] ne peut se
faire une idée de tout ce que cela engageait alors, de
la valeur absolue d’oracle que cela prenait. Il faudrait
que l’un de ceux qui ont assisté à ces séances innombrables prît la peine de les décrire avec précision, de
les situer dans leur véritable atmosphère32. »
Dans Les Mots sans rides, Breton rapporte que
Desnos affirmait, lors des premières séances, être en
communication télépathique avec Marcel Duchamp,
installé à New York : « Qui dicte à Desnos endormi les
phrases qu’on a pu lire dans Littérature et dont Rrose
Sélavy est aussi l’héroïne ; le cerveau de Desnos est-il
uni comme il le prétend à celui de Duchamp, au point
que Rrose Sélavy ne lui parle que si Duchamp a les yeux
ouverts ? C’est ce que, dans l’état actuel de la question, il ne m’appartient pas d’élucider. Il est à signaler
qu’éveillé, Desnos se montre incapable, au même titre
que nous, de poursuivre la série de ses “jeux de mots”
même au prix de longs efforts33. » Cette « hallucination
télépathique » donne naissance aux cent cinquante
aphorismes de Rrose Sélavy, un recueil de Desnos dont
les « étonnantes équations poétiques », palindromes
et calembours, à la rigueur mathématique, ne laissent
pas d’énoncer une forme préverbale de communication. Le cent trente-cinquième, par exemple : « Ô laps
des sens, gage des années aux pensées sans langage. »
En renouvelant le vocabulaire de la « clairvoyance », ce
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mode de rapport pose l’existence d’une communication directe d’esprit à esprit, hors des canaux sensoriels
ordinaires, sortant le sujet des limites et des apories
du langage. Il rejoint, en cela, un des enjeux poétiques
de la modernité : la performance des échanges où l’expérience esthétique peut se vivre comme une relation
idéale, parce qu’au maximum de sa puissance d’efficacité, sans déperdition ni brouillage.
Ce terme d’« hallucination télépathique » n’est pas
neutre, il renvoie au vocabulaire usité à la fin du XIXe
dans les cercles des « études psychiques », en particulier aux analyses de Frederic Myers (un membre influent
de la Society of Psychical Research de Londres), ainsi
que l’a montré, dès 1968, Jean Starobinski dans un
article où il revenait sur les sources culturelles du surréalisme bretonien34. Starobinski s’appuie pour cela
sur les références déployées en 1933 par André Breton
dans « Le message automatique » (Myers, Théodore
Flournoy, Charcot ou Charles Richet35). Dans cette
constellation de noms, Starobinski s’arrête plus particulièrement sur le cas de Myers (1843-1901), l’auteur
de La Personnalité humaine, un ouvrage dans lequel
Breton36 découvre une théorie susceptible d’attribuer
une « valeur positive à ces phénomènes automatiques
tenus pour gravement morbides par la tradition française37 ». Qu’apporte Myers à Breton ? Une réhabilitation des zones inconscientes où le moi subliminal, loin
d’être archaïque, est porteur de « facultés nouvelles ».
Breton dira : « Ce terrain sera celui du sommeil
provoqué ou hypnotique, à l’expérimentation duquel
nous allons nous livrer chaque soir durant des mois.
Bien que j’aie été autrefois élève de Babinsky (sic), soit
du pire détracteur des thèses de Charcot et de l’école
dite de Nancy, je garde alors pour ma part un intérêt
très vif, quoique défiant, pour une partie de la littérature psychologique axée ou articulée sur cet enseignement, je pense en particulier au bel ouvrage de Myers :
La Personnalité humaine, aux passionnantes communications de Théodore Flournoy à propos du médium
Hélène Smith : Des Indes à la planète Mars, etc., voire
à certains chapitres du Traité de métapsychique de
Charles Richet. Tout cela trouve à se lier, à se conjuguer avec mes autres façons de voir à la faveur de l’admiration enthousiaste que je porte à Freud et dont je
ne me départirai pas par la suite […]. Les “expériences
de sommeil”, bien qu’antérieures à la publication du
Premier manifeste, font partie intégrante de l’histoire
du mouvement surréaliste. Les déclarations théoriques du Manifeste reposent non moins sur elles que
sur les spéculations auxquelles a conduit le recours de
plus en plus étendu à l’écriture automatique38. »
Or, dans ce concert des différentes couches du
moi, Myers réserve un rôle décisif à ce qu’il appelle
la « couche hypnotique », cette « région de notre personnalité que nous ne connaissons bien que parce
que nous pouvons l’atteindre par la suggestion hypnotique39 ». Myers, qui prend parti en faveur de l’école
de Nancy (Ambroise Liébeault, Hippolyte Bernheim),
offre ainsi à Breton une approche proactive de l’induction hypnotique à l’origine d’une descente dans les
strates plus intimes de l’être : « Loin de considérer les
hallucinations hypnotiques comme l’effet d’une inhibition, comme l’expression d’un mono-idéisme, nous
y voyons au contraire une manifestation dynamogénique, une intensification de l’imagination40. »
Selon Myers, deux nouveaux modes de perception
se révèlent plus singulièrement dans le processus hypnotique : « l’intensification des sens ordinaires (« hyperesthésie ») et « le développement des sens nouveaux
(« héteresthésie »41). Myers prend soin de préciser que
les cas d’hyperesthésie sous hypnose « prouvent que le
fonctionnement de nos sens ne présente qu’un minimum adapté à nos besoins journaliers, mais qu’ils possèdent des potentialités latentes que la suggestion
hypnotique est susceptible de mettre en lumière42 ».
C’est l’état par lequel on peut provoquer « l’action de
ces facultés subliminales43 ». Dans son résumé des précédents historiques, il rappelle l’importance de James
Braid, dont la plus grande innovation serait « la possibilité de l’auto-hypnotisation par concentration de la
volonté44 ». Dans ce sens, Breton a ainsi pu retrouver
dans les pages de La Personnalité humaine le concept
d’« autosuggestion » si répandu au sortir de la guerre
dans les procédés populaires issues de la méthode
Coué : « Il faut que la suggestion du dehors se trouve
transformée en une suggestion venue du dedans, c’est-
L’hypnose aurait pour vertu
d’intensifier la productivité
hallucinatoire – ce que Myers
appelle l’« exaltation
de l’imagination ».
à-dire en autosuggestion, et la suggestion devient ainsi
un appel efficace au moi subliminal45. » Plus encore,
Breton va y rencontrer l’hypothèse d’une augmentation technique – et non pas psychotropique – des
facultés visuelles d’imagination. L’hypnose aurait pour
vertu d’intensifier la productivité hallucinatoire – ce
que Myers appelle l’« exaltation de l’imagination46 »,
à savoir « la possibilité qu’il y a à donner aux images
ayant une origine centrale un peu plus de cette vivacité que seules les images provenant du monde extérieur sont susceptibles d’atteindre47 ». L’auteur évoque
les « figures de rêve », mais aussi les « illusions hypnagogiques », nées d’un état de « transition de l’état de
veille à celui de sommeil » : « La suggestion agit donc
en intensifiant notre puissance et nos facultés sensorielles ordinaires, en élevant à un degré inaccessible
à l’état normal notre perceptivité périphérique ou
centrale48 » : une « activité perceptive exagérée » ou
« faculté de perception supranormale » (« susceptible
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A
A. Arthur Harfaux, Moi et moi. Dédoublement, 1927, photographie.
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de gagner aussi bien en étendue qu’en profondeur »).
Dans ce sens, l’induction hypnotique donne accès à
des états intensifiés : « Quel est le but de tous les procédés hypnogènes ? C’est d’énergiser la vie, c’est d’atteindre plus rapidement et plus complètement des
résultats que la vie abandonne à elle-même, ne réalise que lentement et d’une façon incomplète49 », avec
pour propriété un sens de la « plasticité » plus subtil :
« La leçon ultime de la suggestion hypnotique, surtout dans l’état de somnambulisme, consiste à nous
montrer que nous pouvons atteindre, par des artifices
empiriques, ces couches de plasticité plus grande –
plasticité par rapport aux forces internes, non externes
–, où l’esprit exerce sur l’organisme un contrôle plus
immédiat et agit sur lui avec plus de liberté50. » Myers
est en quelque sorte à l’hypnose ce que Lacan sera plus
tard à la paranoïa, dans une même entreprise de réhabilitation où la pathologie se transmue en vertu créatrice. Parce qu’elle désinhibe face « aux contraintes qui
pèsent sur la pensée surveillée51 », l’hypnose libère par
le langage du corps des forces propices à la création52.
Au cœur de cette « plasticité » de la vie intérieure
s’installe la faculté de pousser l’imagerie mentale du
rêve dans le champ du réel : un pouvoir de « concrétion » dira Aragon. Dans Une vague de rêves, le poète
mentionne « l’existence d’une matière mentale, que la
similitude des hallucinations et des sensations nous forçait à envisager différente de la pensée, dont la pensée
même ne pouvait être, et aussi bien dans ses modalités
sensibles, qu’un cas particulier. Cette matière mentale,
nous l’éprouvions par son pouvoir concret, par son pouvoir de concrétion. Nous la voyions passer d’un état
dans un autre, et c’est par ces transmutations qui nous
en décelaient l’existence que nous étions également
renseignés sur sa nature53 ». Ce matérialisme panpsychique, convertissant la suggestion en réalité observée
par de simples opérations visuelles, hante la littérature magnétique. Ainsi le très populaire Traité d’hypnotisme expérimental et de psychothérapie (1911) du
docteur Paul Joire recommande, par exemple, de placer une « boule de cristal » ou une « carafe ronde remplie d’eau » sur une surface noire puis invite le sujet à
fixer cet objet après avoir lu des suggestions écrites sur
une feuille de papier qu’il tient en main : « Il est alors
ordonné au sujet de fixer bien attentivement les yeux
sur le globe transparent, comme s’il cherchait à regarder à son centre. Pendant les dix premières minutes, le
sujet tiendra les regards fixés sur le même point, cela
produit un premier état d’hypnose. Les cinq minutes
suivantes, il regardera et lira attentivement les suggestions qu’il tient à la main. Puis pendant cinq minutes, il
regardera de nouveau le centre du globe, pensant fortement aux suggestions qu’il vient de lire, et cherchant
à percevoir l’image des lettres et des mots écrits, dans
la transparence du cristal. Il continuera ainsi, de cinq
en cinq minutes, et, le plus souvent, au bout de peu de
temps, il percevra l’image hallucinatoire des suggestions écrites, par suite des multiples jeux de lumière
qui se font dans le globe transparent54. »
L’hypnose devient littéralement un média de transcription visuelle des suggestions verbales ou écrites. Les
surréalistes ne peuvent que souscrire à ce programme
de « réunification des réalités intérieures et extérieures
(qui) a pris la forme d’un ré-enchantement psychique
des apparences (et où) jamais le monde extérieur
n’aura été plus ressemblant à la vie mentale, non seulement dans son décor onirique, mais aussi dans son
dynamisme et dans son événementialité55 ».
« IL EST UNE FLEUR »
SIMULATION ET FÉTICHISME
Tout a donc commencé avec Les Champs magnétiques, un travail d’écriture « à deux têtes », texte en
prose écrit au printemps 1919 par Breton et Soupault,
dans ce que Laurent Jenny a pu qualifier de première
tentative d’« aliénation intime de la parole56 ». Breton
le rappelle, la technique vise à écrire en l’absence
de « toute intervention critique57 », scellant le retour
aux puissances de l’inspiration passive sur le modèle
de l’écriture automatique fourni par les imaginaires
médiumniques déjouant les mécanismes de l’instance
parlante (qui parle en moi ? de qui l’intériorité est-elle
le nom ?), mais cette fois avec plus de place accordée aux chaînes associatives à déchiffrer comme un
« cryptogramme ». Restait alors à savoir comment articuler le verbal et le visuel, l’inspiration et sa traduction graphique, pour mieux évaluer la dépendance de
l’image au langage. Les séances de sommeils hypnotiques vont fournir ce lien ; en naîtront de nombreux
dessins, mêlant pictogrammes et lettres sous forme de
rébus visuels. La bibliothèque littéraire Doucet détient
aujourd’hui une soixantaine d’exemples de la main de
Desnos, le plus souvent réalisés au crayon de papier
sur feuilles libres, certaines à petits carreaux. D’autres
au crayon gras, parfois en couleur (bleu ou rouge),
figurent au verso des papiers à en-tête. La plupart
datent de l’automne 1922, avec un pic sur la période
de fin octobre à la mi-novembre. S’y retrouvent des
mots en association libre, des jeux de mots (« alliés
nez »), mais aussi des phrases parfois sous forme de
questions, des graphismes avec des motifs récurrents,
des escaliers et des lignes de fuite, des espaces peuplés d’objets, des motifs érotiques, des érections et des
symboles phalliques, ainsi que de nombreuses allusions obsédantes à la mort (tombeaux, cercueils, squelette, jusque dans les noms MAX MORT RISE…58).
Éros et Thanatos. Des mains découpées, des corps
démembrés, des corps translucides, autant d’éléments
fragmentaires rencontrés dans la littérature clinique
sur l’induction hypnotique. Dans Les États superficiels
de l’hypnose, Albert de Rochas, évoquant « l’empire de
suggestions », rapporte des exemples où, par simple
suggestion, disparaît une partie du corps sur le principe
de l’hallucination négative : « Benoît étant en sommeil
somnambulique, je lui dis : “Au réveil, vous ne verrez
que la main de la personne qui a écrit au tableau”59. »
De même, des jeux de distorsion optique obtenus
par suggestion verbale. Rochas donne un exemple
qui aurait pu ravir René Magritte : « Je dis à Benoît :
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A. Robert Desnos, On ne répond pas, 1922, dessin n° 50, crayon sur papier, 24,5 x 32 cm, bibliothèque littéraire Jacques-Doucet.
B. Robert Desnos, Tombeau Picabia, 1922, crayon sur papier, 24 x 31,5 cm, bibliothèque littéraire Jacques-Doucet.
C. Robert Desnos, Mort Aragon, 1922, crayon sur papier, 22 x 32 cm, bibliothèque littéraire Jacques-Doucet.
D. Robert Desnos, Où se jeter ?, 1922, dessin n°32, crayon sur papier, 24,5 x 32 cm, bibliothèque littéraire Jacques-Doucet.
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A. Planche extraite de Max Ernst, Rêve d’une petite fille qui voulut entrer au Carmel, 1930.
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“Vous voyez la canne qui est entre les mains de mon
fils ; elle va venir se mettre debout sur cette table”, et
j’ajoute brusquement : “Voyez !”. Il voit la canne, mais
il n’en voit pas l’image dans une glace qui l’aurait reflétée pour lui si la canne avait été réellement sur l’angle
de la table60. » Disséminés dans les mêmes dessins de
Desnos, des mannequins isolés dans des espaces vides,
à la manière de la peinture métaphysique, jusque dans
les titres associés (Le Jugement de Paris, 7 novembre
1922), ou la présence de statuettes à l’antique (Qu’en
pensent les cocus ?, 10 novembre 1922). N’oublions pas
que Giorgio de Chirico (nommé dans un des dessins)
était présent dans certaines séances collectives. Œil,
sein, main : le regard surréaliste, friand de synecdoque,
choisit une focale rapprochée qui morcelle le corps
convoité. Ce réflexe fétichiste est associé dès 1888 à
la fixation du regard sous hypnose. Dans ses Études de
psychologie expérimentale, Alfred Binet regroupe trois
articles sur « le fétichisme dans l’amour », « l’intensité
des images mentales » et « le problème hypnotique »
où, s’appuyant sur les travaux de la Salpêtrière, il
montre comment l’œil du fétichiste se polarise sur un
détail corporel61. Parmi les exemples retenus, « l’amant
de l’œil » et « l’amant de l’oreille » dont se découvrent
de singuliers échos dans les dessins de Desnos pourvus d’une nouvelle organologie, fragmentée ou recomposée. Dans un dessin, il fait apparaître à sa main un
sixième doigt (excroissance anatomique dans laquelle
il faut lire l’insigne de cette extension du sixième sens).
Il manque des témoignages sur les protocoles utilisés par les membres ayant participé aux sommeils.
Cependant, Simone Breton, dans une lettre intitulée
« Les sommeils », envoyée à sa cousine Denise Levy le
5 octobre 1922, en donne des détails : « Ma petite chérie, il se passe ici des choses inouïes […]. Spiritisme
n’est pas le mot. Toujours est-il que certains amis d’André se sont découvert des qualités médiumniques qui
ne ressemblent évidemment à aucune autre. Le “42,
rue Fontaine” a été le lieu de séances fantastiques où
le dramatique le disputait au touchant. Il fait noir, nous
sommes tous autour de la table, silencieux, les mains
tendues. Trois minutes à peine et Crevel pousse déjà
des soupirs rauques et des exclamations informes. Puis
il commence sur un ton forcé, déclamatoire, un récit
atroce. Une femme a noyé son mari, mais c’est lui qui
le lui avait demandé. “Ah ! les grenouilles ! Pauvre folle !
Fooooooolle”. Des accents pénibles et cruels. De la
férocité dans les moindres images. Quelques obscénités aussi […]. Un autre jour, il écrase de ses talons les
yeux de toutes les femmes, ou bien de ses deux pouces
jusqu’à ce que la cervelle, etc. Imagine ces récits dans
l’obscurité, et presque hurlés par moments, à d’autres
traînés à ne plus finir62. »
Simone Breton souligne les errements de la méthode,
les réticences de certains, l’indifférence d’autres, la
perte de contrôle du temps et de l’espace, mais surtout l’attraction fatale pour ce mode d’entrée dans un
univers psychique inconnu. Quatre jours plus tard, le
9 octobre, elle note : « Nous vivons en même temps le
présent, le passé et l’avenir. Après chaque séance, on
est tellement égaré et brisé qu’on se promet de ne pas
recommencer, et le lendemain on n’a plus que le désir
de se retrouver dans cette atmosphère catastrophique
où tous se donnent la main avec la même angoisse. Il
y a les Éluard, Max Ernst et nos amis que tu connais
= Péret et son amie […]. Ceux qui se récusent, comme
Vitrac, ou se montrent indifférents comme Baron, sont
immédiatement mis en quarantaine. On n’appartient
plus au même monde63. »
C’est donc bien une transe qui est visée pour ses
vertus transformatrices, une transe régulée autorisant à
puiser dans le gisement fossile de ressources créatives
fondées sur le trouble d’une identification à de multiples personnalités traversant les genres et les espèces :
« Desnos abandonne sa tête sur la table comme un
coup de tonnerre – et il écrit. Il dessine aussi. On lui
pose des questions et il répond pour chacun ou pour
tous dans un style mystérieux, symbolique, des choses
mieux que la réalité si elles ne sont pas la vérité […].
Péret la tête sur le bras répond aux questions d’un air
extasié, absolument angélique, d’une voix douce et
fine, aérée, détachée, lointaine. Ce personnage stupide
et vulgaire devient un être ailé, hors d’atteinte. Et il
est en même temps si comique et si heureux que c’est
un éclat de rire qui l’écoute. Hier, il était encore assis
droit sur sa chaise quand il s’écrie : “Tonnerre de Dieu !
Tonnerre de Dieu, mais je suis une fleur !” Et, en effet, il
est une fleur, dans une forêt de la Bolivie, sur la branche
d’un arbre très fleuri64. »
De même Aragon, en 1924, dans Le Paysan de Paris,
reconnaît combien le surréalisme est né dans ces expériences de plongée « subliminale » : « Au café, dans le
bruit des voix, la pleine lumière, les coudoiements,
Robert Desnos n’a qu’à fermer les yeux, et il parle,
et au milieu des bocks, des soucoupes, tout l’océan
s’écroule avec ses fracas prophétiques et ses vapeurs
ornées de longues oriflammes. Que ceux qui interrogent ce dormeur formidable l’aiguillent à peine, et
tout de suite la prédiction, le ton de la magie, celui de
la révélation, celui de la Révolution, le ton du fanatique et de l’apôtre surgissent. »
Desnos, Péret, mais la liste s’arrête assez vite.
Manifestement, ils seront peu à plonger dans la griserie hypnotique, pour y chercher le moyen de s’affranchir du « faisceau de censures qui entrave l’esprit65 ». Ni
Éluard, ni Ernst, ni Breton ne donneront dans ce rituel
de l’écriture sous induction66. Ernst est pourtant bien
présent et nullement surpris par ce genre d’expériences.
Comme le rappelle Ludger Derenthal67, de telles séances
d’hypnose n’ont « rien de nouveau » pour lui. Il a, dès
avant la guerre de 1914, participé à ce type collectif de
transe chez son ami peintre Franz Henseler68. Sans surprise, Picabia est sceptique, voire hostile, à cette hystérisation collective dont il s’amuse cependant. Dans une
lettre (rédigée à « deux heures du matin », probablement
à l’issue d’une séance qui a tardé), il écrit : « Littérature
propose une chose assez étonnante, mais il y a bien des
chances que je n’y prenne pas part, je compte même
m’y opposer si cela est possible69. » Bien sûr, de nom-
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elles avaient été préparées à l’avance et apprises par
cœur72. » D’autres vont surtout reprocher l’irrationalité croissante de réunions devenues « salles de crise ».
Simone Breton, dans sa correspondance du 9 octobre
1922, souligne l’effet pathogène sur l’ensemble des participants : « Il y a eu un jour si épouvantablement dramatique que j’ai éclaté en une crise de sanglots et que
tout le monde pleurait […]. Crevel s’endort. Tout de
suite il semble souffrir énormément, pousse des gémissements affreux et hurle : “Ah, je suis tuberculeux !”.
Suivent des vociférations effroyables – “Tous, vous
tomberez malades, les uns après les autres. Vous serez
fous, vous serez fous. Je vous donne rendez-vous sur le
toit. J’ai jeté un sort sur cette maison !”. J’ai entrevu
que je pouvais devenir folle de terreur. André et moi
n’avons eu qu’une pensée, la malédiction de Crevel
[…]. Voilà dans quelle atmosphère nous vivons. Il faut
être solide73. »
Il est difficile d’établir une date pour la fin de cette
« époque des sommeils ». Les notes d’André Breton sur
les séances cessent en février 1923, marquant le temps
de la fin de récréation, précipité par des dérives de plus
en plus hystériques74. Péret s’émoussa probablement ; il
en dira : « Les sommeils non seulement provoquaient,
sur le plan sensoriel, des désordres du même type [que
l’écriture automatique] mais, en outre, développaient
chez certains des sujets endormis une activité impulsive
de laquelle on pouvait craindre le pire […]. » Quant à
Crevel, sa brouille avec le groupe à la suite de sa participation félonne à la soirée Le Cœur à gaz, organisée par
Tzara contre le leadership de Breton, le laissa de côté
pour un moment. En revanche, Desnos ne s’arrêta pas
là, poursuivant l’autohypnose jusqu’à la fin de l’année
1924, trop content de trouver dans la transe un moyen
de s’extirper d’un présent et d’une présence au monde
trop limités. Les motifs de ses dessins en témoignent
par une traversée désorientée de l’espace-temps, à la
fois dilatation et diffraction mêlant présent, passé et
futur : « Le monde date de maintenant et le passé n’est
pour nous qu’un dossier uniforme et plat comme un
miroir où notre souffle fait apparaître le givre du rêve
quand nous y constatons notre vie, où l’avenir se reflète
si nous nous plaçons hors de son champ75. »
A
breuses voix viendront mettre en doute l’authenticité
de la démarche et suspecter le jeu de la dissimulation –
cela aura pu se faire avec les patientes de la Salpêtrière.
Dans ses mémoires, Georges Ribemont-Dessaignes dit
tenir de Desnos lui-même la confession « qu’il avait triché70 ». Jacques Baron obtiendra un aveu similaire de
Crevel71. Mais Man Ray, qui avait photographié Desnos
en sommeil, aura raison de balayer l’argument de cette
suspicion : « Certains contestaient l’authenticité de ces
séances. Mais elles auraient été miraculeuses même si
En fait, la dérive suicidaire aura poussé Breton,
devenu le Charcot de la rue Fontaine, à mettre fin au
développement des sommeils76. Desnos prononce en
transe des oracles mortuaires (« Que voyez-vous ? La
mort »), repris pour certains dans des huiles comme
Ci-gît Éluard, Mort de Max Ernst, Mort de Max Morise :
« Masque mort ris77 ». Nomen omen ; le nom présage
devient un jeu lugubre alors que le suicide hante les
premières divagations. Très vite une menace pointe,
celle de la folie (selon Simone Breton, « après chaque
séance, on est tellement brisé qu’on se promet de ne
pas recommencer78 »), de la folie criminelle ou spirite
(deux fléaux rencontrés dans les nombreuses condamnations du magnétisme animal et de l’hypnose).
Desnos et quelques amis tentent, sous la suggestion
de Crevel, de se pendre à un portemanteau lors d’une
réunion chez Madame de la Hire, amie de Picabia79 :
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B
A. Max Ernst, Autoportrait dans un Photomaton, 1929.
B. Max Ernst, Sans titre, 1930, plume et encre de Chine sur papier.
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« Vers deux heures du matin, m’inquiétant de la disparition de plusieurs d’entre eux, je finis par les découvrir
dans l’antichambre presque obscure, où, comme d’un
commun accord et bien munis de la corde nécessaire,
ils essayaient de se pendre aux portemanteaux. Crevel,
qui était du nombre, semblait les y avoir décidés. Il fallut les réveiller sans grand ménagement. »
Dans une autre séance, tenue chez Éluard à SaintBrice-sous-Forêt, Desnos se précipite sur son hôte,
muni d’un couteau prélevé dans la cuisine. Breton rapporte combien il a voulu éviter à Desnos de sombrer
dans le délire : « J’ai tenté, pour ma part, de le retenir,
de l’instant où j’ai pu craindre que sa structure individuelle n’y résistât pas… Il m’en a voulu mais il faut
avoir été là pour savoir que c’est quelquefois de très
près qu’il a frôlé l’abîme80. »Rêves messagers et prophétiques, rêves prémonitoires souvent orientés vers
l’anticipation de sa mort imminente ou l’annonce différée de celle des comparses – tout à fait synchrones avec
les analyses consacrées à cette époque au rôle de la
suggestion dans les actes d’autodestruction et les « épidémies de suicide ». Bechterew parle ainsi de « suicide
par suggestion réciproque ou par imitation », qui peut,
précise-t-il, « dégénérer en épidémies véritables81. »
Dans Une vague de rêves, Aragon parle d’une accoutumance maladive qui fait dépérir les corps et les esprits,
zombifiés dans la contagion pandémique des sommeils :
« Les expériences répétées entretiennent ceux qui s’y
soumettent dans un état d’irritation croissante et terrible, de nervosité folle. Ils maigrissent. Leurs sommeils
sont de plus en plus prolongés. Ils ne veulent plus qu’on
les réveille. Ils s’endorment à voir dormir un autre, et
dialoguent alors comme des gens d’un monde aveugle
et lointain, ils se querellent, et parfois il faut leur arracher les couteaux des mains. De véritables ravages physiques, la difficulté à plusieurs reprises de les tirer d’un
état cataleptique où semble passer comme un souffle
de la mort, forceront bientôt les sujets de cette extraordinaire expérience, à la prière de ceux qui les regardent
accoudés au parapet de la veille, à suspendre ces exercices, que ni les rites, ni les doutes n’ont pu troubler82. »
Il y a là une reprise des constats cliniques établis
par de nombreux analystes des liens entre hypnose,
narcose et création, en particulier une empreinte évidente de l’examen sur « l’automatisme et l’inspiration »
tiré de Poésie et folie. Essai de psychologie et de critique (1908). Pour Antheaume et Dromard, le « poète
doit être ouvert à toute suggestion […] mais cette suggestion, il ne la subit que pour en faire sa chose83 ».
L’inspiration atteinte dans l’induction hypnotique n’a
d’intérêt que dans son contrôle résolu, un contrôle qui
cherche notamment à juguler ou à éviter les conflits
égotistes nés de la dynamique du groupe et qui expliqueront partiellement la mise en sommeil des sommeils. Ainsi, découvrant l’agilité toute duchampienne
des jeux de mots que Roger Vitrac vient de publier sous
le titre Peau-Asie, Desnos, qui s’est trop bien installé
dans le rôle du dormeur clairvoyant, véritable pythie du
groupe sombrant dans une certaine forme d’exhibitionnisme, crie au plagiat, prétendant avoir l’exclusivité de
ce style autorisé par sa relation télépathique (exclusive)
avec Duchamp lors des fameuses séances de l’automne
1922. De fait, comme le rappelle Sarane Alexandrian,
« la période des sommeils s’acheva quand Desnos se
résigna à n’en être plus le protagoniste84 », probablement à la fin de l’année 1924, au moment où il craint
lui-même de sombrer dans la folie.
HYPNODRAMA
LE GRAND « THÉÂTRE
DE LA SPONTANÉITÉ »
Pourtant, force est de constater que c’est bien dans
la dramaturgie de ces crises convulsionnaires que l’expérience surréaliste a trouvé, jusque dans la griserie du
frisson d’être dépossédé, un moyen de révélation. Les
séances ne sont rien d’autre, en ce sens, que ce que
le psychanalyste Jacob Moreno va appeler des « hynodramas85 ». Par « hypnodrame », il entend une technique de bombardement de stimulations adoptée par
un thérapeute au sein d’une scène de groupe – ce qu’il
conçoit comme une « psycho-catharsis » collective.
L’hypnodrame a vocation à construire par la transe hypnotique un jeu de circulation où les participants sont à
même de produire un inconscient partagé, un « co-inconscient ». Dans son « théâtre de la spontanéité »,
dont les premières tentatives sont mises en place dès
1922, directement contemporaines des séances surréalistes, il parle de l’émergence d’une « télé-psychologie »
ou « télé » (« télé, du grec ancien : lointain, agissant à
distance, a été défini comme une liaison élémentaire
qui peut exister entre des individus »). Pour Moreno,
pionnier du renouveau des techniques dramaturgiques,
il faut reconnaître l’existence performative de formes
de compréhension « quasi intuitive86 », ce qu’il va nommer la « communication médiale » : « Il y a des acteurs
qui sont reliés l’un à l’autre par une correspondance
invisible de sentiments, qui ont une sorte de sensibilité décuplée vis-à-vis de leurs processus intérieurs
mutuels […], il existe un échange télépathique entre
l’un et l’autre. Ils communiquent par un sens nouveau
comme par une compréhension médiale87. » Les surréalistes plongeront sans difficulté dans cette logique
« médiale » de débordement du langage, surfant sur la
vague d’un théâtre impromptu de la communication
partagée, Breton en « psychodramatiste », menant le
bal de cette épidémie des sommeils où se révélait au
grand jour le surréalisme lui-même.
Au sein de ce psychodrame, les surréalistes vont
chercher à se faire peur, en se perdant dans les dédales
d’une induction hypnotique dont ils ne maîtriseraient
pas le protocole clinique, à se faire peur pour atteindre
le degré d’incandescence d’une révolution dont ils ne
mesurent pas encore les conséquences ni les moyens.
André Breton le dit sans détour lors de son passage
à Barcelone, en pleine époque des sommeils : « Il n’y
a qu’une chose qui puisse nous permettre de sortir,
momentanément du moins, de cette affreuse cage dans
laquelle nous nous débattons, et ce quelque chose c’est
la révolution, une révolution quelconque, aussi sanglante qu’on voudra, que j’appelle encore aujourd’hui
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de toutes mes forces88. » Desnos rêve de Robespierre,
Crevel se souvient des victimes du mouvement jacobin.
La terreur révolutionnaire hante l’esprit des séances
– comme elle avait pu hanter les Fantasmagories de
Robertson. Avec pour arme le pouvoir illimité de la
suggestion verbale, agrémenté d’outils de persuasion
optiques. Les acolytes des séances s’empressent de
poser en rafale des questions auxquelles doit répondre
le sujet hypnotisé, comme si la consécution rapide du
questionnaire avait pour but de faire court-circuiter les
« petits raisonnements ». Ils activent aussi des dispositifs visuels – ceux que l’on a déjà rencontrés dans le
processus de rationalisation des techniques d’hypnotisation depuis Braid. Ils sont nombreux dans le surréalisme à commencer par le fameux Objet de destruction
de Man Ray (1931), un métronome amélioré où l’artiste a fixé sur la tige mobile l’image photographique
d’un œil grand ouvert. L’objet est moins la métaphore
d’une destruction (même si Man Ray, qui a participé
aux séances, a aussi assisté au rapide mécanisme autodestructeur de leurs dérives psychotiques) que l’outil
d’une désintégration du moi par la fixation prolongée
de son mouvement pendulaire. Le métronome amélioré combine ainsi deux techniques d’induction hypnotique relevées par Souriau dans La Suggestion dans
l’art : la « fixation visuelle » et la « fascination par distraction », la première par l’attraction visuelle de cet œil
isolé comme une « prunelle magnétique » ; la seconde
par le jeu d’oscillations répétées de ce motif oculaire.
La fixation, ce sera le modèle même d’un autre
peintre surréaliste très féru d’hypnose et de somnambulisme artificiel, Victor Brauner. L’hypnose peuple ses
peintures, une obsession qui remonte à son enfance
roumaine, comme il le rappelle dans un entretien avec
Max-Pol Fouchet, évoquant les séances de magnétisme
orchestrées par son père : « Nous comme enfants, on
regardait par le trou de la serrure, et par exemple, mon
père qui était un chef, qui arrivait à hypnotiser, à mettre
en léthargie un homme qui ne sait ni lire ni écrire, était
une espèce de personnage hagard, comme cela, moi
je l’ai vu se lever en l’air et j’ai vu que ce personnage
qui n’a jamais rien su de sa vie, mon père lui disait : tu
es Caruso [célèbre chanteur d’opéra] et il chantait89. »
Le jeune Victor Brauner n’a pas seulement assisté
en voyeur caché à ces séances dignes d’un Svengali
moderne, mais il a servi, selon Sarane Alexandrian,
« d’assistant ou de sujet à des expériences hypnotiques90 ». Nul hasard à voir très tôt la figure nocturne et
romantique de la somnambule envahir son imaginaire
pictural. Dans La Magie de la nuit, une œuvre réalisée à
la veille du désastre de la Seconde Guerre mondiale en
1939, Brauner campe un personnage féminin extatique,
suspendu dans l’espace par une hypnose provoquée au
moyen de la fixation de sa chevelure, projetée en avant
sous la forme d’une spirale. Même chose, un an plus
tard, avec Somnambule (1940). Cette figure archétypale
de « femme aux prunelles dilatées, au regard fixe91 » se
retrouvera dans Stogoï la somnambule, une cire de 1946
dont l’œil exorbité a pour but de plonger le regard du
spectateur envoûté dans un nouveau mode relationnel,
un mode proprement « hallucinatoire » : « Il existe une
dimension spéciale du regard, nous dit Brauner, qui est
l’hypnotisme. L’hypnotisme crée, dans le domaine des
contacts, un dynamisme particulier qui détruit toute la
réalité et qui rend toutes les relations différentes et spécifiques. Il existe des forces extraordinaires – qui sont les
forces hallucinatoires – et j’ai voulu tenter de nourrir ces
forces, cet objet qu’est un tableau92. »
Si Brauner prend le tableau
pour une surface d’hypnotisation,
c’est aussi parce qu’il est
le lieu même du dédoublement
de sa personnalité
dans l’acte de peindre.
Si Brauner prend le tableau pour une surface d’hypnotisation, c’est aussi parce qu’il est le lieu même
du dédoublement de sa personnalité dans l’acte de
peindre. La figure du dédoublement est omniprésente
dans l’iconographie du peintre, prenant la forme animalière de la chimère, mais aussi celle, plus janusienne, de la « double tête » ou du « chapeau-tandem ».
Elle renvoie à ce que la psychologie expérimentale du
passage du siècle a précisément associé au processus hypnotique dans la révélation de ses mécanismes
automatiques, ce que Pierre Janet appelait le « dédoublement de la personnalité dans le somnambulisme
provoqué » : « Toutes les suggestions doivent s’accompagner d’un certain degré d’inconscience ou plutôt,
si je généralise ce que j’ai vu, d’un certain dédoublement de la conscience93. » Ce sera le fil conducteur de
son exposition Espaces hypnotiques en février 1961 à la
Galerie Rive Droite de Paris, quatre ans après la publication de l’ouvrage de Breton. Brauner réunit à cette
occasion quinze « portraits-archétypes » sous hypnose,
qu’il associe, dans les pas de Breton, à la plongée dans
les « sources ancestrales » : « Persistant dès les premiers
instants de la fascination du temps où l’être humain
vivait encore intensément son totémisme, les grands
événements de la sensibilité développaient leurs mutations dans un espace tendu, magnétique, qui était l’espace hypnotique. Des temps les plus reculés, où l’esprit
humain n’avait pas encore construit la religion, la vie
était magique. Indissolublement lié à la nature, l’être
humain l’intégrait en s’y intégrant. Cet espace hypnotique persiste secrètement et détient toujours les
sources d’inspiration94. »
Soit le choix délibéré pour les vertus cathartiques de
l’hypnose (la présence formelle de masques africains
dans cette série, en particulier dans Rupture hypnotique, rejoue la tension exorcistique magie/fascination
des Demoiselles d’Avignon de Picasso), enrichie cette
fois des relectures psychanalytiques du phénomène95.
Selon Brauner, les tableaux « possèdent presque toujours un sens d’envoûtement, de contre-envoûtement,
de magie, d’attirance ou de protection96. »
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1920-1950
LES « ILLUMINATIONS PROFANES »
LE RETOUR DE LA MÉDECINE
RÉTROSPECTIVE
Envoûtement/contre-envoûtement, voilà qui semble
à nouveau rebattre les cartes du rationalisme face à
l’héritage de l’ancien monde de la fascination auxquelles la modernité voudrait opposer des explications
plus cartésiennes. C’est là que le renversement des lectures puise dans la logique de sécularisation du regard
amorcée dans la clinique laïcisée de la Salpêtrière. Les
surréalistes vont réactualiser avec soin une optique
pulsionnelle apparue au grand jour dans la réception
populaire des protocoles psychiatriques. Publié en
mars 1928, dans La Révolution surréaliste, un article
consacré au « Cinquantenaire de l’hystérie » est illustré par des photographies d’Augustine, l’une des plus
fameuses patientes du docteur Charcot. Breton a
emprunté les clichés au deuxième volume de l’Iconographie de la Salpêtrière de Bourneville et Regnard,
la bible de cette « obstination plastique97 » qui pousse
la jouissance refoulée et discordante de l’hystérie non
seulement à se mettre en scène, mais à se donner en
images. André Breton commente ce phénomène dans
ses Entretiens : « Qu’est-ce qui est célébré par Aragon et
moi dans “Le cinquantenaire de l’hystérie” en 1928 ? Ce
sont les « attitudes passionnelles », véritables tableaux
vivants de la femme dans l’amour, que nous livrent les
Archives de la Salpêtrière98. » Dans les pas de Freud,
Breton considère l’hystérie comme une somatisation
plastique de désirs sexuels réprimés, mais c’est avant
tout la relation amoureuse qu’il pointe dans la capture
des poses convulsives d’Augustine, symboles selon lui
du pouvoir subversif de la séduction99. L’extase livrée
à l’objectif photographique se sécularise pour faire
place à une poétique, plus humaine, du simple désir
de relation – ce que Walter Benjamin appelle les « illuminations profanes ». Plus que Charcot, Bourneville et
Richer, Breton substitue aux émotions religieuses non
plus une grille de lecture hystérique, mais un état de
grâce, béat, celui d’une extase convertie en « amour
fou100 ». Dans son article, Jean Starobinski évoquait
cette sape poétique de la transcendance dans une
relecture laïque des images du sacré : « De l’héritage spirite, nous dit-il, le surréalisme ne collectionne
que des images […]. Ces images, d’origine mythique
ou religieuse, l’homme ne veut désormais les rapporter qu’à lui-même, à son pouvoir poétique fondamental secondé par quelque obscure complicité de
la nature101. » Dans son anachronisme, l’emprunt des
surréalistes à l’Iconographie de la Salpêtrière renoue
consciemment avec la lecture matérialiste de l’état de
grâce orchestrée par la psychiatrie française de la fin
du XIXe siècle102. La nouvelle mystique de l’amour, libérée dans l’écriture de mots qui « bandent » (Desnos),
transit le corps dans une extase profane et profanatrice, dépourvue de transcendance.
L’actualité des rubriques judiciaires fournit pour cela
aux surréalistes de nouveaux cas cliniques. Parmi de
nombreux exemples, une certaine Marie Mesmin s’était
attaquée à un prêtre exorciste, Mgr Saponghi, qu’elle
accusait de l’avoir « réellement envoûtée ». L’affaire
dite de « Notre Dame des Fleurs », conduite en justice, est commentée en janvier 1926 par Desnos dans
une dizaine de chroniques parues dans Paris-Soir103,
où il badine sur ces relations passionnelles. Breton et
Aragon mentionnent l’affaire dans « Le Message automatique104 » ; Max Ernst, dans l’un des collages pour
le Rêve d’une petite fille qui voulut entrer au Carmel
(Paris, 1930). La jeune « enfant de Marie » se précipite
sur l’évêque Dulac pour l’embrasser avec une volupté
très peu innocente. Dans l’esprit des illustrations de
certains romans libertins du passage du siècle105, Ernst
détourne l’iconographie religieuse du transport extatique par lévitation106. Le père de la jeune MarcelineMarie, assis à ses côtés, est assoupi dans un sommeil
biblique. L’attraction sexuelle renverse l’ordre à la fois
patriarcal et religieux ; la fascination magnétique subvertit la loi du Père quand la doublure hystérique élude
le drame œdipien107. C’est dans l’Iconographie de la
Salpêtrière que les surréalistes découvrent cette lecture anticléricale d’une clinique des sentiments108. La
planche XX surprenait Augustine, les yeux levés au
ciel, les mains jointes, dans une pose que l’on croirait mystique et dont la légende révèle en fait qu’elle
n’est qu’une « supplication amoureuse ». Pour illustrer
« Le cinquantenaire de l’hystérie », Breton a choisi la
planche XXIII représentant « l’extase », qu’il place au
côtés de la planche XXVI décrivant la « moquerie » un montage en forme d’oxymoron qui est aussi un
brouillage du décryptage clinique des émotions, rejoignant en bien des points l’engagement anticalotin de
Bourneville, le maître d’œuvre de l’Iconographie, un
proche des milieux de la « Libre pensée109 ».
La démarche poétique diffère bien sûr par de subtils glissements sémiotiques. Breton a supprimé les
légendes des photographies, déjouant l’objectivisme de
la Salpêtrière pour lui préférer l’énigme d’une émotion
dont le sens s’abîmerait dans l’incandescence du désir :
l’amour fou d’une déraison qui échappe à la taxinomie clinique, au pouvoir de classification de l’œil.
Pour Charcot et Bourneville, héritiers de Duchenne de
Boulogne, il s’agissait d’établir une grammaire naturaliste de signes inscrits dans un rapport non arbitraire
avec ce qu’ils signifient. Sous un intitulé générique,
« Attitudes passionnelles », Breton réintroduit un encodage plus aléatoire de l’image ; il évince avec la légende
la causalité mécaniste, par trop darwinienne, du langage visuel des émotions. C’est ce que Paul Nougé, dans
une série de travaux photographiques qui s’ouvrent largement aux expériences des sommeils hypnotiques,
appelle la « subversion des images ». Au cœur de cette
subversion, la perturbation magnétique d’Éros, celui
A. Victor Brauner, Strigoï. La Somnambule, 1946, cire sur papier marouflé sur isorel sous verre,
65 x 50 cm, musée de Strasbourg.
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L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S
que convoque Max Ernst pour qualifier l’alchimie du
collage : « Produire une tension électrique ou érotique
en rapprochant des éléments que nous avons été habitués à voir étrangers110. » L’aveuglement médusé qui
hante l’imaginaire romantique des surréalistes rejoint
le vertige de l’ivresse amoureuse – le fameux photocollage publié en décembre 1929 dans La Révolution
surréaliste, où seize des membres du groupe sont photographiés autour du tableau de Magritte Je ne vois pas
la (femme) cachée dans la forêt111. Cadrés dans un format de Photomaton, les visages adoptent tous la même
pose, les yeux clos, dans un recueillement voluptueux :
refuser de voir la nudité éclatante de la femme pour
mieux l’étreindre dans la « vision intérieure » de la
rêverie ; maîtrise de soi qui préserve l’œil de la brûlure
du sexe mis à nu. La fascination surréaliste pour l’œil
cache une peur de « ce qu’il peut y avoir de tyrannique
et de décadent dans l’empire de la vue112 ». Pour exorciser cette emprise, les surréalistes déploient tout un arsenal de techniques susceptibles de mettre sous contrôle
le regard de la femme. C’est ce que font Éluard et Ernst
dans « La série des jeunes femmes ». Le récit, publié
en décembre 1922 dans Littérature, décrit une véritable scène d’hypnose avec tout son protocole ritualisé,
en particulier la technique de la fixation : « La femme
couchée sur une surface plane, une table par exemple,
recouverte d’une couverture pliée en deux. Lui présenter l’objet en le plaçant au-dessus de la tête et dans son
rayon visuel. Abaisser l’objet progressivement pour que
la femme le suive du regard, soulève la tête d’abord
puis la fléchisse, le menton venant en contact avec la
poitrine. Rester ainsi un petit instant et revenir tout
doucement à la position de départ. Il est préférable que
l’objet soit brillant ou de couleur vive113. »
Dès les débuts du mesmérisme, l’autorité sexuelle
sur le sujet féminin par l’emprise fluidique du regard fait
l’objet de spéculations théoriques dont témoigne l’ouvrage de Charles de Villers, Le Magnétiseur amoureux
(1787)114. Quelques années plus tard, Henri Delaage, un
ami de Balzac et d’Alexandre Dumas, décrit les passes
magnétiques comme des attouchements dérobés, des
flirts non déclarés115. Le « rapport » est ainsi très vite
érotisé116 et son explication use d’analogies pour le
moins phallocratiques (Alexandre Bertrand, l’un des
pionniers des théories de la suggestion, utilise l’image
de l’érection117). Ces comparaisons fleurissent dans
les nombreux romans consacrés à l’érotisme ambiant
de la Salpêtrière – des Amours d’un interne de Jules
Claretie118 au Théâtre d’épouvante d’André de Lorde119.
Dans Une leçon à la Salpêtrière (1907), André de
Lorde met en scène un interne, Gasquet, qui, attendant sa patiente, demande à son collègue Bernier s’il a
« essayé de coucher avec elle120 ». Breton, qui a fait des
études de médecine, connaît bien ce poncif de carabin
qu’il évoque dans « Le cinquantenaire de l’hystérie » :
« Freud, qui doit tant à Charcot, se souvient-il du temps
où, au témoignage des survivants, les internes de la
Salpêtrière confondaient leur devoir professionnel et
leur goût de l’amour, où, la nuit tombante, les malades
les rejoignaient au-dehors ou les recevaient dans leur
lit121 . » Le scénario le plus commenté est la doublure
schizophrénique d’une femme capturée à ses dépens,
avec pour modèle le cas de « Mme de B. », rapporté par
Bernheim122 et médité par Freud dans les débuts de sa
recherche sur « l’amour de transfert ». Sous hypnose,
cette dame respectable tombe frénétiquement amoureuse de son médecin. Au réveil, elle ne se souvient de
rien. Ce dédoublement de personnalité qui handicape
la thérapie inspire le sujet d’un collage d’Ernst pour
La Femme 100 têtes, la planche 124 intitulée Pasteur
dans son cabinet de travail. Pasteur, que l’on peut facilement confondre avec Freud, est assis dans son fauteuil à l’écoute d’une femme totalement fascinée qui
se précipite, à demi nue, à ses genoux. Au fond de la
pièce, dominant la scène, un tableau représente un
squelette envoûtant un homme sur scène, allusion à un
spectacle d’hypnose illusionniste : le spectre du magnétisme menaçant la cure. Ernst semble camper le décor
des séances cathartiques avec Emmy von N, déjouant
à mots couverts le paradoxe freudien refusant l’autorité
du praticien tout en imposant son explication monolithique du refoulement. Pour Ernst, le transport amoureux bouleverse les rapports d’autorité au-delà des
précautions thérapeutiques : l’hystérie au service de la
révolution, quelques années avant les lectures foucaldiennes sur les dérives coercitives des interprétations
cliniques de la sexualité.
L’hypnose théâtrale ressemble à un théâtre de boulevard qui attire le groupe surréaliste pour ses dérobades et ses tabous123, en particulier l’ambiguïté de la
polarité magnétique (actif/passif). Car, si dans la distribution sexuelle des rôles au sein des séances d’hypnose, le sujet est presque toujours féminin, la femme
n’y est pas seulement automate et victime, proie sans
défense. Nombre d’auteurs se sont penchés sur des
cas de médecins épris de leur patiente, mais aussi de
sujets, beaucoup moins passifs que prévu, qui simulent
l’hystérie pour mieux se rapprocher des internes. Ce
simulacre est décrit dans Vous m’oublierez (1920), où
Breton et Soupault donnent à leur protagoniste des
mots d’abandon qui, sous le délire religieux, cachent
difficilement l’initiative sexuelle : « Que votre volonté
soit faite sur la terre comme au ciel […]. La volupté. »
C’est le mystère des envoûtements de l’amour profane où la femme est à la fois l’objet fantasmatique
et l’actrice de l’emprise magnétique124. Dans le photocollage de La Révolution surréaliste, la femme a saisi
la tribu des hommes qui, hallucinés par la fixation du
tableau de Magritte, sont tombés collectivement dans
le sommeil hypnotique. Comme a pu le remarquer Hal
Forster, les surréalistes jouent avec cette dépossession,
jusqu’à vouloir se projeter, sur le modèle baudelairien,
dans la « jouissance » hystérique. Forster choisit à titre
d’exemple la série d’autoportraits du « peintre Max
Ernst vu par la Photomaton » (sic), reproduite en 1929
dans la revue Variétés, où certains clichés miment les
poses extatiques d’Augustine125. Un détail peut retenir notre attention : l’importance du jeu de mains
d’Ernst. La séquence décompose tout un ensemble
de passes manuelles devant le regard fixe, comme si
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A. Louis Aragon et André Breton, « Le cinquantenaire de l’hystérie »,
La Révolution surréaliste, mars 1928.
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C
D
A. Couverture de Max Ernst pour un catalogue prospectus de la librairie Corti, Les Livres surréalistes, 1931.
B. Max Ernst, La Clef des chants, illustration pour Une semaine de bonté, Paris, 1934.
C. L’Arche de pont, gravure extraite de Paul Regnard, Sorcellerie, magnétisme, morphinisme, délire des grandeurs, 1887.
D. Max Ernst, Angelus de l’amour, 1923, plume et encre de Chine sur papier, 20,3 x 11,3 cm.
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A
A. Cataleptic Performance by Dr. Herbert Flint,
photographie reproduite dans X. LaMotte Sage, Hypnotism as It Is, 1900.
B. Max Ernst, frontispice de Pour Hans Arp. Gedichte, 1930.
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L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S
Ernst s’autohypnotisait devant la glace. Il simule ainsi
l’extase dont il serait à la fois le sujet et l’acteur, le
maître et le possédé. Figure double, assumant l’instance féminine sans sacrifier ses prérogatives masculines. Ce vertige identitaire hante Crevel qui, à
plusieurs reprises, s’est fait photographier enveloppé
d’un drap, reproduisant les extases féminines de Lina
ou Magdeleine, les « artistes inconscientes » des spectacles hypnotiques produits par Rochas ou Magnin.
La doublure hystérique s’accomplit dans le travestissement. Le corps tout entier est livré à la suggestion,
comme un abandon intégral, déculpabilisé par le fantasme de soumission passive qui s’y met à jour, et qui,
simulé ou désiré, peut s’entendre comme un envers
de la fragmentation du corps féminin opérée par le
regard plus phallocentrique des artistes du groupe.
En décembre 1933, la revue Minotaure publie un
montage photographique, fruit de la collaboration
entre Éluard et Dali, intitulé Le Phénomène de l’extase126. En soi, cette œuvre à quatre mains127 instruit
le rôle médiateur que joue l’hypnotisme dans l’attrait des surréalistes pour l’Art nouveau, en particulier celui de Dali pour le « décorativisme psychique
du Modern Style128 ». Le corps collectif de l’hystérie,
morcelé dans la répétition de multiples visages, yeux,
bouches ou oreilles, implose dans une spirale qui, à
l’image de la chaise renversée intégrée au collage,
conditionne le vertige hypnotique : « Certaines images
provoquent l’extase, qui provoque à son tour certaines
images […]. Parfois les images provoquées par l’extase répètent des images transfigurées d’extase129. »
Salvador Dali – très tôt impressionné par une séance
d’hypnose orchestrée par Onofroff130 – adopte le principe de l’« idéo-dynamisme » théorisé par Bernheim131.
L’image se fait performative dans l’hallucination,
comme le commente Aragon dans le passage d’Une
vague de rêves consacré aux sommeils : « Tout se passait comme si l’esprit parvenu à cette charnière de
l’inconscient avait perdu le pouvoir de reconnaître où
il versait. En lui subsistaient des images qui prenaient
corps, elles devenaient matière de réalité. Elles s’exprimaient suivant ce rapport, dans une forme sensible.
Elles revêtaient ainsi les caractères d’hallucinations
visuelles, auditives, tactiles. Nous éprouvions toute
la force des images132. » Cette tangibilité des images
est l’un des points débattus par les théories de la suggestion qui conditionnent, à de nombreuses reprises,
l’influence exercée sur le sujet à sa capacité à « faire
exister des images » – ce qu’Alexandre Bertrand appelait le pouvoir de « l’imagination133 ». Dès son Examen
de l’opinion généralement admise sur la manière dont
nous recevons par la vue la connaissance des corps
(1819), Bertrand analyse cette aptitude mentale à
extérioriser des images, sous l’emprise de la suggestion du verbe. Il émet l’hypothèse que la pensée du
magnétiseur se réfléchit dans la tête du magnétisé
selon un mode inédit de communication intersubjective qui nourrit, bien des années plus tard, le fantasme
surréaliste du partage communautaire de l’écriture
automatique dans les sommeils.
SALVADOR DALI ET LA SUBVERSION
DES « IDYLLES MAGNÉTIQUES »
De nombreux indices parsemés dans l’œuvre de
Dali indiquent une fascination évidente pour les phénomènes de transe. Si son attrait pour la Vénus de Milo
est motivé par sa revendication progressive du modèle
classique à partir de ses poncifs stylistiques les plus éculés, il s’éclaire aussi par sa relecture du « phénomène
de l’extase ». La figure de la femme pétrifiée vêtue à
l’antique est en effet l’un des clichés de l’iconographie
de l’hypnose quand celle-ci cherche à rivaliser avec
les productions artistiques (Lina et Magdeleine étaient
vêtues « à la grecque »). Le culte esthétique de la Vénus
victrix repose sur une beauté incomplète, tronquée,
qu’il nous faut comparer aux modes de fétichisation
corporelle opérés par les praticiens de la Salpêtrière.
Les Leçons du mardi de Charcot sont truffées de références indirectes à ce phénomène : la paralysie cataleptique s’opère par fraction, avec un découpage
fantasmatique du corps féminin que les médecins comparent très vite à l’attrait croissant pour la sculpture
antique à la suite de l’exhumation en 1820 de la Vénus
de Milo. Ce parallèle trouve de nombreux échos dans la
littérature fin de siècle, sa quintessence, peut-être dans
L’Ève future, de Villiers de L’Isle-Adam134. Alicia Clary,
présentée comme un sujet très sensible à l’hypnose, est
mise en transe cataleptique par le savant Edison pour
produire le moule de l’androïde Hadaly. Son modèle
sera la statue, à laquelle elle devra confronter son
image. Une gravure de Drouart reproduite dans l’édition de 1925 montre l’héroïne de L’Ève future devant
son miroir, où elle découvre son double135. La présence
du miroir n’est pas anodine ; elle révèle combien la suggestion imposée à Alicia se réalise dans l’identification
autocontemplative : elle se perd dans l’image de son
double. La sculpture devient ainsi l’incarnation féminine de Narcisse, comme l’indiquait au début du siècle,
et non sans fantaisie, Henri Lavoix, supposant qu’un
des bras manquants de la sculpture du Louvre devait
porter un miroir afin de représenter une « Vénus qui
sourit à sa beauté sans rivale136 ».
Ce rôle du miroir traverse toute l’histoire des pétrifications hypnotiques. À la Charité, les patientes sont
hypnotisées avec des petits miroirs rotatifs, technique
largement illustrée dans les revues de l’époque. Mais
plus que cet usage instrumental du vertige spéculaire,
le miroir constitue le modèle de la relation magnétique portée à son incandescence au moment où se
confondent, par mimétisme, hypnotiseur et hypnotisé. Deleuze, un des tout premiers à introduire les
techniques d’endormissement dans ses Instructions
pratiques sur le magnétisme animal (1825), évoque
le « rapport magnétique » en termes de miroir virtuel. L’hypnotiseur a d’autant plus d’influence sur son
sujet qu’il se place en exacte coïncidence avec l’image
réfléchie de ce dernier. C’est ce que l’Abbé Faria, le
grand précurseur des théories de la suggestion énoncées dans De la cause du sommeil lucide (publié en
1819 et réédité en 1906), formalise quand il découvre
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1920-1950
que l’emprise sur autrui repose sur le leurre d’une
superposition de l’image de soi et de l’autre137. À ce
titre, l’autohypnose à laquelle recourt Desnos apparaît
dans bien des textes anciens comme la forme la plus
radicale du magnétisme. Son modèle mythopoétique
est pétrifié devant sa propre image. Dali s’en empare
en 1937 dans les Métamorphoses de Narcisse, où il
décline les interprétations névrotiques de la « double
image ». Détachement du groupe, le corps pétrifié se
transforme en main, la main masturbatoire : la paralysie hypnotique qui hante Dali est une forme détournée
d’onanisme. Havelock Ellis, dans ses Études de psychologie sexuelle, dont le chapitre sur le « narcissisme » est
disponible en français en 1932, identifie très clairement,
dès le mythe grec, la présence d’un auto-érotisme138. Il
cite à cet effet le cas d’un jeune peintre qui, obnubilé
par son propre sexe, jouit de se peindre nu. Dans le
tableau la main porte « un œuf, une semence » éjaculatoire d’où sort la petite fleur éponyme. C’est, dans la
jouissance refoulée, le rappel du cocon utérin. En s’isolant, il cherche à retrouver la solitude confortable de
la vie intra-utérine, rappelée par la présence de l’eau
stagnante. Il faut reconnaître ici le poids de l’interprétation freudienne. Dès 1914, dans son Introduction au
narcissisme, Freud emprunte à Havelock Ellis le stade
« autoérotique » mais le présente comme un stade
partiel (le « narcissisme primaire »), précédant l’investissement libidinal sur le premier objet, la mère. La
Métamorphose de Narcisse commenterait ce passage,
en insistant sur le désir primaire de retrouver dans le
sommeil le confort extatique de la caverne utérine.
Il se recroqueville en prenant la position fœtale. Il se
plonge dans le propre bain du ventre de la mère. Son
regard ne fixe plus seulement sa propre image, mais
B
A. Salvador Dali, Sans titre (Scène hystérique), 1937,
plume et encre sur papier, 43 x 46 cm, coll. part.
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L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S
le visage de la mère, imprimé dans le liquide amniotique. Curieusement, ce phénomène d’une mémoire
utérine, avant de nourrir les débats internes à la psychanalyse (Rank et Ferenczi contre Freud en 1924),
instruit les débuts historiques de l’hypnotisme. Dès les
premières théories de la suggestion, le « rapport » qui
unit l’hypnotiseur à son sujet est comparé au lien originaire entre la mère et son nourrisson. Liébeault, fondateur de l’école de Nancy, précurseur de Bernheim,
rappelle ce phénomène dans un long développement
consacré à l’influence des pensées de la mère sur le
fœtus. Une idée fixe de la mère pendant la grossesse
va s’imprimer sur le bébé : c’est la fameuse théorie de
la « tache d’envie139 ». Pour Liébeault, cette relation
d’influence deviendra le modèle du rapport hypnotique qu’il présente, sans en évaluer les conséquences,
comme la réminiscence de la relation végétative à la
mère. Cette thèse ancestrale, loin d’être tombée dans
l’oubli, est reprise et commentée par Otto Rank dans
Le Traumatisme de la naissance140 : « Le sommeil hypnotique qui, comme tous les états analogues, intervient dans les rêves relatifs à la seconde naissance, à
titre d’élément typique de l’état intra-utérin, permet
de supposer que la nature de l’hypnose elle-même et
de la suggestibilité hypnotique s’explique par les rapports primitifs qui rattachent l’enfant à la mère. »
A
B
Dali fut profondément marqué par le livre de Rank,
traduit en 1928 par Samuel Jankélévitch141, et très tôt
commenté par le groupe surréaliste142. Il va largement
s’en inspirer : « Je ne saurais trop conseiller à ce sujet
le livre sensationnel du Dr Otto Rank : Le Traumatisme
de la naissance, qui éclairera le lecteur d’une façon
plus scientifique. Mes souvenirs personnels, si lucides
et si détaillés, de cette période intra-utérine, ne font
que corroborer la thèse du Dr Rank quand elle rattache
cette période au Paradis perdu. »
Pour Rank, qui vient de réhabiliter l’hypnose avec
Ferenczi, le rêve permet un retour in utero beaucoup
plus complet que ne pourrait le réaliser le sommeil physiologique. Poussant la logique d’inversion freudienne
selon laquelle le rêve biographique doit être interprété
d’arrière en avant, Otto Rank considère que le désir
refoulé de ces rêves vise très précisément le retour à
la situation intra-utérine143. Dali a toute conscience de
ce rapprochement. Il en fait même l’un des ressorts
visuels de la composition : « Si l’on regarde pendant
quelque temps, dit-il, avec un léger recul et une certaine fixité distraite, la figure hypnotiquement immobile de Narcisse, celle-ci disparaît progressivement,
jusqu’à devenir absolument invisible144. » Pour Dali,
la fixation du tableau par le spectateur, portée mimétiquement par la fixité autocontemplative, conduit à
des effets visuels qui renversent le jeu même de la production hallucinatoire des images en « état second » :
le spectateur en vient à ne plus voir l’image qui disparaît dans un travail, cette fois, de « l’hallucination
négative ». Il y aurait beaucoup à dire de ces rapprochements. Rosalind Krauss le fera plus tard dans ses
analyses sur le paradigme narcissique de la vidéo. Mais
elles sont déjà présentes et conscientes dans le surréalisme dalinien : « Narcisse, comprends-tu ? La symétrie,
A. Brassaï, Sans titre, 1932, photographie.
B. Narcolepsia sugerida en una histerica, photographie reproduite dans Julio Camino,
Manual practico de psicoterapia hipnosugestiva, 1928.
C. Salvador Dali, Le Phénomène de l’extase, photomontage publié dans la revue Minotaure, décembre 1933.
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C
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A
A. Jacques-André Boiffard, Renée Jacobi, 1930, épreuve gélatino-argentique,
23,8 x 18,8 cm, Centre Pompidou, musée national d’Art moderne.
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hypnose divine de la géométrie de l’esprit, comble déjà
ta tête de ce sommeil inguérissable […]. Narcisse, tu es
si immobile que l’on croirait que tu dors145. » Or, il est un
auteur, disciple hétérodoxe de Freud, qui réfléchit précisément à cette époque sur les liens entre narcissisme
et hypnose. Dès 1923, Jones reprend le problème de
l’hypnose « à la lumière du narcissisme et des éléments
constitutifs de l’Idéal du Moi. Le narcissisme est l’agent
essentiel de l’auto et de l’hétéro-suggestion ; il y a dans
l’hypnose, régression à un stade auto-érotique […]146. »
Le poids des lectures psychanalytiques est ainsi venu
s’immiscer dans l’interprétation fantasmatique du travail de la transe hypnotique. Dali va prendre à bras-lecorps cette dimension régressive pour tenter, ni plus ni
moins, de la généraliser en installant l’état d’induction
au cœur de chaque moment d’une vie créative où la
pensée a entièrement investi le réel dans une « dynamique d’expansion contagieuse147 ».
En fait, ce qui fascine les surréalistes dans la réhabilitation de l’hystérie charcotienne, ce n’est pas seulement la réalisation pulsionnelle du voyeurisme, mais,
de manière plus ambivalente, une mise en crise du
rapport au visible face au travail de l’imaginaire. Dali
pense qu’il suffit de regarder des images de figures en
extase pour entrer soi-même en extase, mais ce pouvoir des images sapant le sens même de la réalité, il le
sait à la fois efficace et vulnérable dans son rapport plus
herméneutique à l’interprétation. En cela, il retrouve
l’esprit de Charcot, comme a pu l’analyser Bertrand
Marquer quand il suggère que « le spectacle de la
Salpêtrière proposait le paradoxe d’un regard efficace,
mais dont l’objet échappait finalement à sa compétence clinique » : « La pulsion scopique que le dispositif
de l’amphithéâtre ne pouvait qu’attiser appelait inévitablement le relai de l’imaginaire, puisqu’elle achoppait à l’obscurité d’un corps répétant les symptômes
sans dévoiler les lésions. L’hypnose telle qu’elle était
pratiquée à la Salpêtrière obligeait ainsi le regard clinique à voir les preuves de ce qui, théoriquement, lui
échappe. De fait, si Charcot est convoqué dans un certain nombre de fictions, c’est à titre de comparution
immédiate : le spectacle qu’il a lui-même mis en branle
devient l’indice de la faillite de son interprétation, le
Maître de la Salpêtrière constituant le principal témoin
d’un procès fait au visible148. »
ANÉMIC CINÉMA
L’« OPTICERIE » DE MARCEL DUCHAMP
Ce « procès fait au visible » sera au cœur de l’œuvre
de Marcel Duchamp, qui participe à distance et sans le
vouloir à la dynamique associative des sommeils surréalistes. Quand commencent les séances, Duchamp
n’est pas à Paris, mais à New York ; cela ne l’empêchera
nullement d’être présent, omniprésent même, dans les
échanges de cette communauté d’esprit. Il y a son nom,
ainsi que celui de son alter ego, Rrose Sélavy, dans de
nombreuses séries de questions/réponses, consignées
dans les procès-verbaux des séances. Dès le 30 octobre
1922, le nom RROSE apparaît sur un dessin de Desnos ;
se retrouve à la date du 6 novembre 1922 dans une
déclinaison plus poétique : « L’orgueil de Rrose Sélavy
sait s’évader du cercle qui peut se clore comme un cercueil », allusion probable à son « exode » qui le met à
l’abri des égarements morbides des séances (quelques
étoiles dispersées dans ce dessin forment une allusion
cryptée aux États-Unis où il s’est réfugié ; la mention
N-Y pour « New York » dans un autre dessin daté du
12 novembre). Elle revient dans un dessin (dit Tombeau
Picabia) avec la mention « À son trapèze Rrose Sélavy
apaise la détresse des déesses ». Le numéro 5 de
la revue Littérature (1er octobre 1922, alors que les
séances viennent à peine de commencer) est littéralement hanté par le spectre de Duchamp, qui parsème
l’édition de « quelques étranges calembours que l’auteur signe : Rrose Sélavy », dialoguant en surface avec
des récits de rêves de Desnos. De là naîtront les dialogues télépathiques entre Desnos (Paris) et Duchamp
(Manhattan), transcrits sous formes d’aphorismes
déclinant l’art de la contrepèterie et du jeu de mots,
dans lequel Duchamp s’était largement distingué.
Desnos pastiche la manière de Duchamp, proférant
lors des premières séances d’octobre (qui suivent de
quelques jours la publication du numéro de Littérature)
des « équations poétiques », largement redevables au
« marchand du sel149 ». Il y a là délégation d’auteur où
le jeune Desnos, sous couvert d’usurpation d’identité
camouflée derrière le prétexte télépathique, cherche
manifestement à s’appuyer sur une inspiration autorisée. Ce jeu d’appropriation déjoue doublement l’identité de l’auteur, s’il se pense que Desnos se réfugie sous
le génie inspirant non pas de Duchamp, mais de Rrose150
(« Apprenez que la geste célèbre de Rrose Sélavy est
inscrite dans l’algèbre céleste »), le fameux double
féminin auquel a justement recours Duchamp pour
esquiver la responsabilité de l’œuvre. Cette stratégie de
délégation (par procuration) respire sans équivoque les
protocoles du médiumnisme spirite très répandu dans
la culture intellectuelle du second XIXe, où la part d’inspiration est loin de signer la mort de l’auteur151. Elena
Gomel, à propos des modes d’écriture automatique
fin de siècle, convoque la notion transgressive d’« utopian subjects152 », un sujet qui transcende les clivages
rationnel/irrationnel, masculin/féminin153. La transe
que développe Desnos habité par la doublure Rrose est
une manière de botter en touche sur la question même
de la simulation, si souvent convoquée pour mettre en
doute son rôle dans la théâtralité des séances d’hypnose. Elle sert aussi à dramatiser la contradiction des
subjectivités en place dans l’acte de créer (actif/passif ;
révélation de l’autre/abdication de soi ; autorité/délégation154). Dans son dialogue télépathique avec Duchamp
travesti dans son double, Desnos traverse non seulement l’Atlantique, mais les frontières du genre, moins
pour troubler la définition d’une construction performative de l’identité que pour résoudre l’aporie de
l’irresponsabilité de l’artiste. En se vautrant dans la
réécriture sous hypnose, il anticipe sans le savoir sur
les déclarations de Duchamp dans la fameuse conférence de Houston sur le « Processus créatif » (1957) :
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L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S
« Selon toutes apparences, l’artiste agit à la façon d’un
être médiumnique qui, du labyrinthe par-delà le temps
et l’espace, cherche son chemin vers une clairière. Si
donc nous accordons les attributs d’un médium à l’artiste, nous devons alors lui refuser la faculté d’être pleinement conscient, sur le plan esthétique, de ce qu’il
fait ou pourquoi il le fait – toutes ses décisions dans
l’exécution de l’œuvre restent dans le domaine de l’intuition et ne peuvent être traduites en une self-analyse,
parlée ou écrite ou même pensée155. »
Le conflit porte désormais sur la notion d’intention
quand l’artiste, de génie démiurgique, est passé au statut de simple scribe d’une parole exogène qui n’est
plus la sienne. Duchamp pousse l’hypothèse médiumnique dans ses conséquences les plus radicales : l’artiste qui n’est plus « pleinement conscient » est dessaisi
de l’intentionnalité de son œuvre (« il ne sait pas ce
qu’il fait ou pourquoi il le fait »). Il est non seulement
inconscient, mais « irresponsable » (c’est un « médium
irresponsable » selon lui156). C’est la séparation de la
création et du créateur, la mise à sac du mythe d’une
contiguïté physique et psychique entre l’artiste et son
œuvre devenue non seulement autonome mais indépendante. Ce qui entre en scène dans l’abandon théâtralisé à l’induction hypnotique est bien la conception
inédite d’une œuvre d’art comme une expérience créative distincte et séparée de la personne qui la crée.
Duchamp, qui n’a nullement manifesté d’agacement
devant le plagiat de Desnos alias Rrose Sélavy, revendique le fait d’assumer la fin d’un modèle traditionnel
de l’œuvre d’art comme rattachée au corps de l’artiste,
sur le modèle de la production industrielle supposant
une déconnexion symbolique et réelle entre le corps du
réalisateur et la réalité du produit fini (le ready-made
est déjà là). Il annonce à mots couverts une nouvelle
manière de penser le désengagement corporel dans la
production de l’art157 ; mieux encore, il installe le doute
sur la capacité de l’artiste à donner sens à son œuvre –
fonction reportée sur le spectateur « qui fait l’œuvre ».
Ainsi, la transe hypnotique et son arrière-plan
médiumnique poussent l’artiste, sous le regard anesthésiant de Duchamp, à n’être plus qu’un intermédiaire,
une surface de transit, un simple conducteur ou transcripteur de messages, dans une surprenante anticipation
de la théorisation de la « mort de l’auteur » orchestrée par Roland Barthes et Michel Foucault à la fin des
années 1960. Le jeu de délégation qui hante l’hypnose
surréaliste formule avant l’heure une « autodissolution
métaphorique » de l’auteur, par une disqualification de
l’intention qui n’a pas attendu les leçons du poststructuralisme. Dans la « Mort de l’auteur » (1967), Barthes
ne pose pas tant la disparition de l’auteur comme écrivain et créateur du texte (il parle d’« éloignement de
l’Auteur » et de « distancement »), il dénonce le privilège excessif donné à l’autorité de l’auteur (auctoritas)
A
sur le texte. Il ne s’agit pas de faire disparaître, ni en pratique ni en théorie, l’auteur lui-même, mais de réduire
son autorité sur l’œuvre, tout en refusant « d’assigner au
texte un secret, c’est-à-dire un sens ultime ». Pour cela,
Barthes substitue au terme « auteur » celui de « scripteur » (susceptible d’exclure la dimension plus personnelle, subjective et émotionnelle de l’auteur, associée à
la figure romantique de l’artiste). Dans son interprétation la plus radicale, la figure du « scripteur » est celle
d’un écrivain qui puise dans des textes déjà là, préexistants (le ready-made), reportant sur le lecteur une
part interprétative primordiale et exclusive : c’est le langage qui parle et non l’auteur transformé en copiste
mêlant les écritures (l’auteur n’invente rien, il assemble,
il bricole). Deux ans plus tard, Foucault poursuivra la
réflexion amorcée par Barthes dans une conférence intitulée sobrement « Qu’est-ce qu’un auteur ? ». Plutôt que
de reconduire le principe de cette fin annoncée de l’auteur, il revient sur la nouvelle « fonction » de l’auteur
quand celui-ci aurait supposément été supprimé : ce
qu’il va appeler « l’auteur-fonction » (qu’est-ce qui peut
bien occuper désormais la place de l’auteur disparu ?).
A. Man Ray, Marcel Duchamp devant Plaques de verre rotatives, 1924, photographie.
B. Photographie de Jean Crotti, Portrait de Marcel Duchamp, 23 x 17,5 cm, archives Marcel Duchamp.
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A. Marcel Duchamp, Anemic Cinema, 1925-1926, photogramme.
B. Marcel Duchamp, Rotative demi-sphère (optique de précision), 1924.
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B
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L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S
Si Foucault prend le soin de distinguer l’individu responsable de l’œuvre (l’identité personnelle) et la structure
autoriale qui l’accompagne (l’auteur fonctionnel), c’est
justement pour acter la disparition de la personnalité de
l’auteur, un principe que Duchamp était allé chercher
chez l’écrivain Thomas Stearns Eliot158, dans un texte qui
précède de trois ans l’époque des sommeils surréalistes.
Duchamp cite en effet dans sa conférence de Houston
un extrait du texte d’Eliot, Tradition and the Individual
Talent (1919)159 : « L’artiste sera d’autant plus parfait que
seront plus complètement séparés en lui l’homme qui
souffre et l’esprit qui crée. » Loin d’une disparition, il faut
plutôt parler d’une dépersonnalisation de l’auteur160 – ce
qu’Eliot avait qualifié d’« extinction de la personnalité ».
Le corollaire de cette « extinction » sera sans surprise chez Duchamp la médiation machinique associée en partie à une clinique de la « dissociation de
la personnalité ». Il délègue à la machine le pouvoir
d’emprise sur le spectateur (le docteur Jules-Bernard
Luys parlait de « fascination mécanique161 »). D’où
l’apparition d’instruments et d’appareils qu’il qualifie d’« optique de précision », avec la série des Rotary
Glass Plates, même si sa toute première occurrence est
anticipée dès la fameuse Roue de bicyclette de 1913.
Duchamp dira de ce ready-made qu’il lui rappelle un
feu de cheminée, son tournoiement faisant office de
crépitement des flammes dans l’âtre, à savoir le lieu
de la plus banale et domestique expérience de l’hypnose devenant de fait l’obsession standardisée de celui
qui signe « Rrose Sélavy, experte en optiques de précision ». Suivront les Disques optiques de 1923 tournant sur eux-mêmes, soit à l’aide d’une machine
bricolée (Rotative demi-sphère, 1924), soit à l’aide
d’une caméra (Anémic Cinéma, 1926), avec des jeux
de mots inscrits en spirale sur les disques animés, et
dont la sémantique se révèle en miroir : « L’aspirant
habite Javel et moi j’avais l’habite en spirale. » Anémic
Cinéma fait suite à une première collaboration avec
Man Ray qui aide Duchamp dans le développement
d’une technique stéréoscopique réalisée avec un globe
sur lequel est peinte une spirale162. Le film expérimental de six minutes, qui n’est pas signé Duchamp mais
Rrose Sélavy, alterne deux sortes de disques rotatifs,
l’un formé de phrases inscrites en spirales – souvent
des non-sens, parfois des jeux scabreux et obscènes –,
l’autre d’une simple spirale fonctionnant sur ce que
les psychologues de la perception connaissent sous
le nom de « stereo-kinetic effect ». À savoir la rotation
rapide d’une figure géométrique à deux dimensions
qui produit une illusion fugace de relief, ici une illusion
de plongée dans un gouffre infini dans lequel s’invite le
vertige proprioceptif.
Plus anagramme que palindrome, Anémic Cinéma
renvoie la projection filmique à un pur dispositif
optique dont l’effet miroir serait subtilement empêché. Bien sûr, les textes en spirale peuvent faire penser à des sous-titrages d’un film muet, mais leur valeur
sémantique perd de sa fonction descriptive car placée
au cœur d’une expérience visuelle purement abstraite,
réduite à une machinerie hallucinatoire tournant à vide
sur des suggestions subliminales, cryptées, souvent
incompréhensibles. Pour Duchamp, l’optique de précision n’a pas vocation à produire un moyen d’expression, ni même à créer une volupté rétinienne (malgré
l’inconscient sexuel du mouvement de pénétration que
le jeu de relief visuel imprime). Elle vise plutôt à façonner une forme détournée d’anesthésie – un terme que
Duchamp partage avec l’usage analgésique de l’hypnose médicale. Cette anesthésie est obtenue par une
tétanisation douce du nerf optique, à la manière « neurhypnologique » de James Braid. Duchamp joue à la
fois sur l’optimisation des effets d’induction réglés par
les spirales en mouvement et la rétention de cet effet,
voire sa neutralisation, dans la succession de paroles
anagrammes saisies à l’envers, sur un contre-mouvement circulaire. Nul hasard si le dernier disque d’Anémic Cinema laisse apparaître la forme suggérée d’un
œil, appelée pour son pouvoir d’emprise sur celui qui
lui fait face et qui peine à résister à la puissance fascinatoire du regard magnétique révélé dans le mouvement de la spirale comme une image « cachée », même
si cet efficace opticaliste cache en amont la menace
faite à la propre autorité de l’auteur. Car en fin de film
apparaît la mention « COPYRIGHTED by Rrose Sélavy
1926 », où la signature manuscrite est accompagnée de
manière plus surprenante par une empreinte digitale,
une trace indicielle attestant l’existence légale de l’auteur, quand Duchamp avait justement dénié tout intérêt à la main de l’artiste (sa « patte » personnelle). Le
terme « COPYRIGHT » ne qualifie pas l’invention du
geste, mais bien plutôt l’économie de sa diffusion (le
droit de reproduction). Il se mêle avec une signature
(« faite à la main ») qui salue plutôt l’unicité de l’œuvre
et la garantie autoriale de son créateur. Le brouillage
(authenticité/multiplicité) vient consolider le processus
de dissémination de l’auteur au lieu d’acter sa disparition, tout en renvoyant au spectateur le soin de tourner
le film (le public doit littéralement tourner la tête pour
suivre et déchiffrer le défilé des phrases en spirales163),
dans un jeu de réversibilité des rôles (opérateur/récepteur ; magnétiseur/magnétisé) qui avait abondamment
nourri le discours sur le « rapport magnétique ».
SEPTIÈME ART ET SIXIÈME SENS
LE DISPOSITIF CINÉMATOGRAPHIQUE
Il faudrait examiner plus avant le lien qui unit hypnose et médium cinématographique, et revenir sur
l’œuvre surréaliste de Salvador Dali poussant à son
terme le fantasme d’une projection physique de la psyché dans l’espace réel. Physique, c’est-à-dire très littéralement. La démonstration est faite par celui qui donnera
à Dali la conviction définitive d’« être le surréalisme », le
photographe américain Philippe Halsman. Ce complice
dans la mythification de l’artiste démiurge met en scène
Dali au sommet de sa gloire, dans une chambre d’hôtel,
allongé dans son lit, avec à ses côtés de grands cahiers à
dessins. Il est affublé d’un curieux instrument de projection, en lieu et place de sa boîte crânienne. Ce projecteur
factice (le « pinceau de lumière164 ») simule de coucher
directement sur le papier photosensible ses visions inté-
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rieures. « Assumant pleinement la dimension projective de l’automatisme165 », Dali entend externaliser ses
propres fantasmes, les images mentales solidifiées sur
la surface fantasmatique qu’est la toile (celle du peintre
ou du cinéaste). Aussi fantaisiste que cette proposition
puisse paraître (l’instrument de projection, qui fait peu
illusion, n’est qu’une malheureuse poubelle de table,
arrachée au mobilier de la chambre), elle reconduit,
avec le même arrière-plan animiste, la grande tradition
fluidique de « l’imagination créatrice166 ».
Une double illustration tirée d’un opuscule américain à succès consacré à La Loi de suggestion (1902)
donne le ton sur ce modèle d’une externalisation de
l’image mentale sous hypnose. Dans la partie supérieure, un homme « non hypnotisé » regarde une vache
dans un pré, l’image se répercute dans sa boîte crânienne sur le modèle optique de la camera obscura
(« tel un appareil photographique », il « reçoit et enregistre l’image de son environnement »). La partie inférieure met en scène le même homme, mais cette fois
hypnotisé, qui projette hors de lui une image mentale,
celle de la même vache, très peu en rapport avec la réalité domestique du contexte167 (tel un stereopticon168, il
« projette un environnement inspiré »). Se note au passage la transition opérée entre une position passive de
récepteur (l’impression) et un rôle actif d’émetteur (la
projection), traduite dans la modélisation mécaniste
passant de l’agencement photographique au dispositif
de la lanterne magique, venu qualifier l’optique projective sous hypnose.
L’invention du dispositif cinématographique va
donner toute son ampleur métaphorique à ce transfert. Comme l’a vu François Jost dans Le Temps d’un
regard (1998), il faut pour cela revenir sur le contexte
culturel qui a vu naître les premières projections cinématographiques : « Passé de l’émerveillement devant
les capacités du cinéma à reproduire le monde physique […] sa nouveauté véritable apparut dans la possibilité qu’il donnait aux artistes d’accéder au monde
psychique. Très vite, le cinéma semble, aux yeux de
ceux qui voudraient en faire un art, le moyen privilégié pour montrer ce qui se passe dans les cerveaux169. »
De nombreux films des premiers temps du cinéma, le
temps des « attractions », représentent ce qui advient
dans la tête des protagonistes pendant le sommeil et
les états hypnagogiques, en particulier durant la phase
onirique170. Un choix certainement favorisé par les associations, très répandues au tournant du siècle, entre dispositif cinématographique et mécanisme cérébral171 – ne
serait-ce que dans les textes de Bergson172. Dans Rien
n’est impossible à l’homme (1910), un film d’animation
d’Émile Cohl, le cinéaste vante les capacités du thérapeute à voir à l’intérieur de la boîte crânienne : « Par
l’hypnotisme, il scrute les pensées cachées et lit au fond
des consciences », annonce en toutes lettres le bandeau
avant de faire apparaître une silhouette de magnétiseur dont le globe oculaire gonfle au point de se convertir en miroir concave sur lequel le regard du patient va
se concentrer et s’endormir, laissant, à mesure que ses
paupières se referment, découvrir les images mentales
animant les arcanes torturés de sa vie psychique.
Grand défenseur du « sixième art », pionnier de
l’artification du cinéma, Ricciotto Canudo, le mentor du « cérébrisme », propose le vocable de « films
psychiques » pour qualifier des œuvres destinées à
la « représentation plastique de la pensée » et « où le
domaine de l’âme peut être fouillé par les pinceaux
de lumière de l’écranéiste et précisé mieux que par la
parole du poète ou par les accords du musicien173 ». Le
cinéma se pense ainsi comme un média psychique, ainsi
que l’a très bien vu Rae Beth Gordon dans De Charcot à
Charlot, un ouvrage consacré au transfert de la clinique
de l’hypnose vers la scène du music-hall et le cinéma
des attractions des débuts du XXe siècle174. De nombreux
auteurs au sein des études filmiques (probablement le
champ, avec celui des études littéraires, le plus investi et
avancé dans l’analyse des liens heuristiques entre création et hypnose) disent que le cinéma est par nature le
dispositif de l’induction hypnotique. À la fois pour comprendre l’omniprésence des magnétiseurs dans celui
des premiers temps, et l’intérêt méta-discursif de cette
figure comme énonciation du propre mécanisme hypnotique en jeu dans la projection cinématographique.
Raymond Bellour175 en France et Ruggero Eugeni176 en
Italie, sont revenus sur cette archéologie hypnotique du
cinématographe. Nul besoin de venir ici paraphraser
ces spécialistes du cinéma, pour dire en moins bien ce
qu’ils ont pu brillamment démontrer, à savoir l’étroite
concordance historique, métaphorique et phénoménologique, entre la situation du spectateur au cinématographe et la relation magnétique sur laquelle sont
revenus, en détail et sur des points plus spécifiques,
des auteurs comme Stefan Andriopoulos, Emmanuel
Plasseraud178 ou Mireille Berton179.
… le cinéma est par nature
le dispositif de l’induction
hypnotique…
S’il y a beaucoup à dire des limites de cette comparaison, notamment dans la manière dont « l’hypnose filmique » participe au mécanisme d’identification
face à ce qui se vit à l’écran180, l’analogie entre le dispositif cinématographique et le protocole instrumenté
de l’hypnose fonctionne en revanche à plein, selon
un mécanisme résumé par Raymond Bellour dans un
article de 1988 intitulé « La machine à hypnose » : « Le
dispositif-cinéma est ce qui vient à cette place de l’hypnotiseur, il prend la place de l’Idéal du Moi. Le spectateur pris dans l’hypnose-cinéma est ainsi saisi dans une
sorte de tenaille, entre la régression et l’idéalisation. On
peut dire : il vit la régression sous forme de l’idéalisation […]. Pour le dire autrement : si le film, en tant que
continuité d’images et de sons, paraît plus près du rêve,
nous sommes, au cinéma, plus proches de la situation hypnotique dans la mesure où il y a dans un cas
comme dans l’autre l’intervention d’un élément extérieur. Le cinéma, le film, est ainsi comme un rêve sous
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hypnose181. » C’est là une intuition très vite identifiée,
pré-élaborée avant même l’arrivée du cinéma dans le
texte de Paul Souriau sur la Suggestion dans l’art, qui
compare la technique d’induction à la contemplation
d’un spectacle de lanterne magique : « Étonnante fantasmagorie ! C’est bien le spectacle dans un fauteuil.
L’obscurité s’est faite dans la salle et l’attente du mystère, excitant mon imagination, me dispose à voir sur la
toile blanche les images qui n’y sont pas encore projetées […] Et les tableaux se succèdent, entrevus comme
dans une vague lueur, se fondant l’un dans l’autre,
pendant qu’un orchestre invisible accompagne ces
visions […]. Que ces visions sont douces ! Comme cette
musique lente nous berce ! Dormez, nous dit-elle, rêvez !
D’instant en instant, nous nous enfonçons davantage
dans l’hypnose. Nous n’imaginons plus : nous voyons,
nous entendons, nous sentons182. »
« Dormez », c’est l’injonction faite sur les tréteaux des
scènes d’hypnose. De fait, les premiers pas du cinéma
ont été orchestrés dans des lieux largement habités par
les imaginaires du magnétisme. François Jost rappelle
combien les films « côtoyaient sur les foires les séances
de magnétisme, d’hypnotisme et de transmission de
pensée183 ». Pour exemple, le théâtre Bénévol à Paris (on
l’avait retrouvé à l’origine de l’épisode des sommeils
hypnotiques surréalistes), qui « enchaînait les numéros
de la sorcière Foska, du professeur Robertson et de sa
prodigieuse visionnaire Lucile, du professeur Du Laar
qui présentait le Rêve de Pygmalion avec un projecteur cinématographique184 ». Trois conséquences à ces
enchaînements abreuvant le lien qui nous occupe. La
première tient à la conversion, voire à la « substitution
des spectacles185 », entre séances d’hypnotisation collective et projection filmique opposant, en termes de
réception critique, ceux qui s’émeuvent d’une contamination des effets d’hystérisation collective du public
(« Une fois pris, comme ils disent, ils ne quittent pas des
yeux le magnétiseur, et pour peu que celui-ci fasse mine
de ne pas vouloir les regarder, ils lui bourrent la poitrine
de coups de poing formidables186 ») et ceux qui rencontrent dans ces spectacles « inoffensifs » des modèles
de transformation expérimentale de la personnalité. La
deuxième concerne la dette évidente du cinéma envers
les hypothèses psychiques sur l’hypnose comme état
– voire ses propres contradictions –, ce qui fait dire à
Raymond Bellour qu’il s’agit là d’un processus à double
sens : « Plus le cinéma s’élabore, tant comme dispositif que comme art, et semble s’éloigner de sa connaturalité première avec l’hypnose populaire, plus il tend
à transformer ce rapport d’origine, selon une pluralité
de modes que des conceptions plus savantes et renouvelées de l’hypnose peuvent contribuer à situer187. » La
troisième tient à la fascination du cinéma pour les jeux
d’influence et de mimétisme avec un goût prononcé
pour la contagion des automatismes convertie en effet
comique (on retrouve ici Bergson, dont le traité sur Le
Rire – ses effets de contamination et de mimétisme –
a beaucoup à voir avec sa théorisation hypnotique de
l’art). Cette convergence hypnose/cinéma puise beaucoup dans les imaginaires de la suggestion développés
par les disciples de l’école de Nancy, en particulier dans
les subtilités sur les degrés de soumission et ses limites
éthiques. Bernheim a expérimenté des suggestions
parfois scabreuses, souvent macabres. Il travaille aux
côtés du juriste nancéen Jules Liégeois, qui conduit
ses recherches sur les crimes sous hypnose. Lors d’une
séance menée au laboratoire de la faculté de médecine,
une jeune femme hypnotisée tire sans scrupule sur sa
mère, sans savoir que le pistolet est armé à blanc. De
nombreux « crimes expérimentaux » seront tentés à
Nancy, au point de défrayer la chronique et d’alimenter
à terme le discours des cinéphobes, voyant dans les projections de « films de bandits » des incitations au crime,
à l’instar d’Édouard Poulain, dans son pamphlet Contre
le cinéma, école du vice et du crime (1918). Poulain s’arrête sur le cas d’un jugement de la cour d’assises de
Rennes impliquant de « jeunes criminels » qui, au cours
des interrogatoires, auraient avoué « avoir été impressionnés et suggestionnés par la vue des pellicules cinématographiques exaltant des exploits de bandits ». Sa
condamnation est sans appel, sur des exhortations de
prêcheur stigmatisant le « dévergondage et la prostitution du cinématographe » : « Le fluide ! Le fluide hypnotique ! Voilà comment la représentation d’aventures
sensationnelles surexcite les imaginations et exerce
une influence délétère188. »
Il se trouve que le spectateur a tôt fait d’associer crime et hypnose, et ce jusque dans les moindres
arcanes d’une psyché sous trauma. Dans Le Mystère
des roches de Kador (1912), de Léonce Perret, c’est
un crime que l’on tente de reconstituer par l’hypnose.
Présenté comme le « premier film psychanalytique », ce
film mêlant intrigue policière et étude psychologique,
est plutôt, comme Raymond Bellour a eu raison de le
rappeler, beaucoup plus redevable à un protocole hypnotique ; ainsi que l’énonce la brochure du film, qui,
filant une métaphore pour le moins fluido-magnétique,
affirme que « les vibrations lumineuses des images
cinématographiques transmises par le moyen du nerf
optique, de la rétine qu’elles ont impressionnée aux
cellules de l’écorce cérébrale, déterminent, en effet, un
état tout particulier d’hypnose qui se prête admirablement à la suggestion thérapeutique189 ». L’histoire de
cette thérapie par écran interposé renvoie à tout l’imaginaire des débats sur la suggestion, jusque dans les
effets sur la perte de mémoire des faits en état posthypnotique. Le médecin, un certain Pr Williams, souhaite
appliquer « le cinématographe à la psychothérapie »,
en projetant à la jeune malade amnésique un film censé
reconstituer la scène de meurtre à laquelle elle a assisté
pour réveiller le souvenir perdu de la scène traumatique. Nous revenons ici vers Charcot et la possibilité
A. Léonce Perret, Le mystère des roches de Kador, 1911.
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A
A. Couverture de Charles Lafontaine, El arte de magnetizar, ca. 1920.
B. Man Ray, Luisa Casati, ca. 1927, photographie, 24 x 18 cm.
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L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S
s’agissait de montrer combien l’image est aussi réelle
que le réel avec de légers décalages entre l’événement et sa doublure filmée (Binet affirmait que « les
images sont toujours réelles, puisqu’elles sont perçues
et conçues192 »). Mais aussi combien elle s’en écarte par
la distance qui est autorisée face à son pouvoir de fascination (Suzanne, la jeune patiente, se redécouvre par
le film et prend le recul nécessaire envers cette image
qui la met en scène pour mieux se retrouver). Dans Le
Mystère des roches de Kador, l’hypnose, qui passe par
l’outil de la projection cinématographique, en affinité
donc avec le nouvel ordre de la vision où s’agencent la
croyance en l’image performative et le rapport d’étrangeté à l’image de son propre corps, rend possible une
objectivation psychologique du psychisme. Cet horizon va nourrir, et même hanter, la veine expressionniste quand elle se penche sur ce qui transforme le récit
hypnotique en une étude, par l’image, des puissances
politiques du film, et sert plus largement une authentique anthropologie du sujet moderne enfermé dans de
multiples jeux d’affects et d’émotions qui sont autant
d’aliénations. L’hypnose n’aura jamais été autant saisie
« du côté du regard et de sa projection193 ».
LE « SYNDROME MABUSE »
HYPNOSE CRIMINELLE ET PROPAGANDE
A
d’obtenir par l’hypnose « le résultat d’un rêve que vous
avez provoqué ; rêve intense et qui s’est en quelque
sorte réalisé objectivement190 ». Car dans le film, où la
dissociation propre à l’hypnose s’accomplit « par l’intrusion du point de vue servi par le dispositif de projection191 », se superposent et se rejoignent trois scènes,
celle du passé, celle du tournage de la reconstitution,
et celle de sa projection devant la victime. Comme s’il
Deux films cultes de cette veine expressionniste
accompagnent l’émergence des expérimentations
hypnotiques du surréalisme. Le premier est Le Cabinet
du Dr Caligari, de Robert Wiene (1920) ; le second
est une œuvre canonique de Fritz Lang, Le Docteur
Mabuse (1922), qui parachève cette constellation au
moment des premiers sommeils. Présenté au public
berlinois en février 1920, Le Cabinet du Dr Caligari
s’appuie sur la piste criminogène de l’hypnose venue
des théories nancéennes de Bernheim et Liégeois. Le
protagoniste du film est un bonimenteur de foire qui
exhibe un sujet somnambulique clairvoyant du nom
de Cesare. Véritable automate, réduit à l’obéissance
servile du magnétiseur, Cesare s’avère non seulement
prédire la mort mais accomplir son exécution sous
l’influence des suggestions maléfiques du Dr Caligari,
réincarnation d’un mystique et thaumaturge du
XVIIIe siècle dont Siegfried Kracauer verra plus tard
une prémonition « démoniaque » de Hitler195. L’un des
procédés visuels du montage du film consiste à insérer dans l’image des exhortations écrites, idées fixes
menant la conduite compulsive du personnage (« Du
Musst Caligari werden »). Cette injonction mimétique
(« Tu dois devenir Caligari ») a été utilisée lors de la
campagne publicitaire accompagnant la sortie du
film. Des affiches avaient envahi les murs berlinois un
mois avant la première, sur lesquelles, ce qui cultivait le mystère, n’apparaissait aucune mention à un
film, mais une simple spirale avec la date de l’événement et la fameuse phrase susceptible d’agir, sans en
connaître la motivation, comme une suggestion subliminale préconditionnant les futurs spectateurs. Les
producteurs du film avaient assimilé le tournant hypnotique de la technique publicitaire.
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Dès la fin du XIXe siècle, la psychologie expérimentale a jeté les bases de la « psychotechnique »,
à savoir son application statistique et rationnelle à
des domaines pratiques de la vie sociale – celle que mis
en place notamment Hugo Münsterberg, directeur du
laboratoire de psychologie de l’université de Harvard196,
l’un des pionniers de l’analyse psychologique du film197.
Cette recherche d’un efficace de la communication se
retrouve en France sous la plume de Gérin et Espinadel
dans La Publicité suggestive (1911), un traité explicitement inspiré des théories de l’école de Nancy198 : « La
suggestion étant la base de la publicité, il fallait avoir
étudié cette partie de la psychologie pour pouvoir établir le parallèle et appliquer l’une à l’autre. C’est en
effet l’étude préalable des travaux de l’École de Nancy
par Octave-Jacques Gérin qui l’a mis sur la voie […].
C’est donc après nous être assurés que la suggestion
s’appliquait de façon absolue et intégrale à la publicité
que nous avons nôtres les enseignements de Bernheim
et Liébault. » Dans leur analyse, Gérin et Espinadel
prennent soin de distinguer deux modes d’action de
la réclame : « suggestion directe et suggestion indirecte. » Le premier « opère par la simple présentation
de la chose », quand le second passe par des canaux
plus analogiques, les deux ayant avantage à se « superposer » pour accroître l’effet. Pour le mode direct, il ne
suffit pas de présenter la chose, mais de la figurer « en
mouvement » : « La suggestion par la chose elle-même
peut être augmentée en intensité. Tout objet doit être
présenté en action199. » Ce mode immédiat de présentification est appuyé selon Gérin par les effets de la
« suggestion indirecte », reposant cette fois sur le principe d’une « association d’idées et de faits » : « Au lieu
d’obliger le cerveau à associer une idée à une autre, elle
suggère directement par la chose et simultanément, par
un fait associé à cette chose. La suggestion indirecte
B
A. Photogramme du film de Germaine Dulac, La Coquille et le Clergyman, 1927.
B. Photogramme du film de Robert Wiene, Le Cabinet du docteur Caligari, 1920.
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est un renforçateur, un complément de la suggestion
directe200. » Car dans ce jeu d’associations, « la réceptivité et la suggestion doivent être, entre elles, en rapports directs201 », réunies et orientées vers un même
objectif. D’où la nécessité d’évincer tout effet de « neutralité » ou d’« inhibition par monotonie » par des choix
proprement dynamogéniques – ce que Gérin appelle la
puissance interpellatrice d’une « ligne d’orientation202 »
dont se retrouvent des échos immédiats dans le montage visuel des décors et des circuits de caméra du film
de Robert Wiene. La théorie s’est muée en technique
de sujétion, par un contrôle cognitiviste des schèmes
attentionnels du spectateur.
Que retenir de cet amalgame entre rationalisation technique des attentions et contrôle des affects ?
Une réévaluation massive des théories de la suggestion, Bernheim en première ligne, revu et corrigé par
les psychologues de la foule203 ; celui pour qui cet « acte
de transmettre une idée qui est introduite dans le cerveau et acceptée par lui » va triompher dans la culture
des idéologies de l’entre-deux-guerres et la montée des
propagandes fascistes, au point de faire de l’environnement tout entier un milieu de suggestion permanente.
Les attributs de l’âme collective étant toujours plus distincts des qualités subjectives propres aux individus qui
composent la foule, la force de suggestion grandissant
de manière exponentielle avec l’effet de masse qui opère
comme facteur de contagion pour ramener l’essence du
social et du fait collectif au phénomène mimétique. Il
aura fallu pour cela monter d’un cran dans l’instrumentation de cette « idéologie du laboratoire » nourrissant le
projet de la psychotechnique, à savoir la croyance dans
l’articulation intime et souveraine entre l’idée implantée et sa mise en acte par phénomène d’induction psychomotrice. Cela va même plus loin, car il ne s’agit pas
seulement de lever les foules dans une même folie contagieuse (le modèle des grands messes collectives orchestrées par Goebbels, le maître d’œuvre de la propagande
nazie), mais de croire en la qualité de l’image à imprimer
sur le corps lui-même les réflexes de sa transformation :
« Enchaîner le corps par les images, c’est maîtriser la
pensée qu’il contient, c’est assujettir l’homme entier204. »
Cela se retrouvera de façon littérale et glaciale dans l’esthétisation du politique sous le IIIe Reich205, jusque dans
les propos explicites de Hitler lors du discours d’ouverture de la session artistique du congrès de Nuremberg en
1935, lorsqu’il déclare : « L’art, précisément puisqu’il est
l’émanation la plus directe et la plus fidèle du Volksgeist,
constitue la force qui modèle inconsciemment de la
façon la plus active la force du peuple206. » Ce modelage
sera pris par le « meneur de foule » au pied de la lettre,
c’est-à-dire proprement procréateur207, conduisant à la
possibilité d’établir une loi de transmission quasi héréditaire entre l’œuvre, le créateur et le spectateur, sur le
principe d’une matrice d’engendrement208 de la race par
autocontemplation : « L’image contemplée s’imprime
dans l’imagination, donnant ensuite forme et beauté à la
chair engendrée par le contemplateur : par la médiation
de la vue et de la mémoire, l’image du corps engendre
ainsi le corps, la forme vient amender la matière, l’idée
vient structurer le réel209. »
Dans ce travail de modélisation du corps de la nation
tout entière, la part charismatique du meneur va prendre
une part décisive, délirante – qui donne à l’étude de
Pascal Rossi sur Les Suggesteurs et la Foule (1904)210 une
résonance redoutablement clairvoyante. Nous baignons
ici dans un moment très singulier de l’hypnose qui bascule à corps perdu dans le giron culturel de l’occultisme.
Pour preuve, le « rapport magnétique » qu’entretient à la
fin des années 1920 Hitler avec l’hypnotiseur mentaliste
Hermann Steinschneider, plus connu sous son nom de
scène d’Erik Jan Hanussen, le « Raspoutine allemand ».
Il semblerait que Hanussen, qui fait salle comble à la
Scala de Berlin dans des spectacles d’hypnose collective et de lectures de pensées, ait été appelé par Hitler
pour lui dispenser des leçons d’éloquence publique
et de langage corporel en vue de subjuguer les foules.
Son art d’orateur a beaucoup appris de la technique du
magnétiseur, comme l’indique la série sur la gestuelle
des discours publics réalisée par son photographe officiel Heinrich Hoffmann. Hitler, qui avait suivi, au sortir
de la Première Guerre mondiale à Pasewalk, un traitement thérapeutique à base d’hypnose211, avait porté un
grand intérêt à la lecture de l’ouvrage de Gustave Le Bon
sur La Psychologie des foules, revu et corrigé à l’aune de
la « fabrique du consentement » théorisée par le publicitaire austro-américain Edward Bernays, le père de la
propagande moderne212. Sous la montée des fascismes,
les années 1930 ont ainsi assisté à une mutation conceptuelle de la suggestion comme moyen d’éducation – ce
dont témoignait encore la « démopédie » de Pascal Rossi213
– vers un outil de manipulation de masse, adossé sur des
techniques de persuasion poussant le contrôle psychique
des individus jusque dans la conformation physique des
corps. Est-ce à dire que l’hypnose des années 1930-1940
n’aura été qu’une lente plongée collective dans l’emprise consentie des masses contre l’émancipation résistante des individus – celle que Thomas Mann décrit dans
sa nouvelle Mario et le magicien en 1930, devant la montée de Mussolini, alias Cavaliere Cipolla, l’hypnotiseur
aux « yeux perçants214 » ? Non, puisque son usage technique ou métaphorique au sein des pratiques artistiques
aura aussi essaimé de manière plus ciblée des espaces
de liberté, voire des lieux de résistance. Les convulsions
hystériques de la danse expressionniste (Mary Wigman,
Anita Berber) avaient préparé le terrain d’une révolte
désinhibitrice contre le redressement conformiste des
corps, mais il fallait d’abord libérer l’hypnose elle-même
du conditionnement de l’autorité. C’est ce que va faire,
au sortir de la guerre, un psychothérapeute du nom de
Milton Erickson, ouvrant la brèche à une « nouvelle
hypnose ».
A. Couverture d’Adolf Sinapius, Zehn Unterrichtsbriefe zur vollständigen
Erlernung des Hypnotismus Magnetismus, ca. 1920.
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L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S
NOTES
1. Charcot cité par Marcel Gauchet, Le Vrai Charcot, Les
chemins imprévus de l’inconscient, Paris, Calmann-Lévy,
1997, p. 203.
2. Ibidem, p. 203.
3. Jacqueline Carroy, Les Personnalités doubles et
multiples. Entre science et fiction, Paris, PUF, 1993.
4. M. Gauchet, Le Vrai Charcot, op. cit., p. 205.
5. Ibidem, p. 206.
6. Marguerite Bonnet, « La rencontre d’André Breton
avec la folie. Saint-Dizier, août/novembre 1916 », Art et
psychanalyse, Nice, Z’éditions, 1992, p. 115-135.
7. André Breton, Entretiens, Paris, Gallimard, 1969, p. 77.
Il développe notamment ce principe dans le Second
manifeste : « Nous pensons avoir fait surgir une curieuse
possibilité de la pensée qui serait celle de sa mise en
commun. » A. Breton, Second manifeste du surréalisme,
dans Œuvres complètes, tome I, Paris, Gallimard,
1988, p. 822.
8. Aurélia Peyrical, « Suggestion et réserve mentale.
La pratique de la philosophie chez T. W. Adorno »,
Recherches germaniques, vol. 49, 2019, p. 163-174.
9. Gaston Rageot, La Beauté. Essai d’esthétique
historique, Paris, Plon, 1924, p. 36-37.
10. Ibidem, p. 142.
11. « Les Rêves ont une influence profonde sur les
hystériques : la vie onirique comme la vie imaginative
paraissent parfois plus importantes étiologiquement chez
eux que la vie réelle. » Angelo Hesnard, L’Inconscient,
Paris, Doin, 1923 p. 125-126.
12. « On peut dire que l’hypnotisme est, soit une
hystérisation expérimentale, soit la production et la
culture d’un état spécial qui offre tous les caractères
psychologiques de l’hystérie mentale. » Ibidem, p. 145.
13. Jacques Rigaut, Roman d’un jeune homme pauvre,
cité par Sarane Alexandrian, Le Surréalisme et le Rêve,
Paris, Gallimard, 1974, p. 107.
14. A. Breton, « Entrée des médiums », Les Pas perdus,
Paris, Gallimard, 1969 [1924], p. 120.
15. Robert Desnos, « Journal d’une apparition »,
La Révolution surréaliste, n° 9-10, 1er octobre 1927,
p. 9-11, cité par Carole Aurouet, Robert Desnos. Dessins
hypnotiques, Paris, Nouvelles éditions Jean-Michel Place,
2015, p. 7.
16. « J’avais été conduit à donner toutes mes préférences
à des récits de rêves que, pour leur épargner semblable
stylisation, je voulais sténographiques. » A. Breton,
« Entrée des médiums », Les Pas perdus, Paris,
Gallimard, 1969 [1924], p. 119-120.
17. Dominique Barrucand, Histoire de l’hypnose en
France, Paris, Presses universitaires de France, 1967, et
Bertrand Méheust, Somnambulisme et médiumnité (17841930). Le choc des sciences psychiques, Paris, Institut
Synthélabo, 1999.
18. Ibidem, p. 120.
19. Ibid., p. 121.
20. Ibid., p. 121-122.
21. Édouard Cavailhon, La Fascination magnétique,
précédée d’une préface de Donato, Paris, Dentu, 1882.
22. Le Péquenot, « Échos. Un truc connu », Journal du
peuple, 21 septembre 1922, p. 2.
23. Donato, « La suggestion de l’exemple. La chaîne
magnétique », Cours d’hypnotisme et de magnétisme,
Paris, Tallandier, 1911, p. 135-145.
24. A. Breton, 1923, cité dans Seth Whidden (éd.),
Models of Collaboration in Nineteenth-Century French
Literature, Farnham, Ashgate Publishing, 2009, p. 14.
25. Roger Luckhurst, « Cross-Correspondance and
Collage », The Invention of Telepathy, New York, Oxford
University Press, 2002, p. 264-265.
26. Voir David Lomas, Haunted Self. Surrealism,
Pyschoanalysis, Subjectivity, New Haven, Yale University
Press, 2001, p. 68.
27. Lettre citée dans A. Breton, Œuvres complètes,
édition établie par Marguerite Bonnet, Paris, NRF, 1988,
p. 1532.
28. Ibidem, p. 1532.
29. A. Breton, Manifeste du surréalisme, 1924, repris
dans Œuvres complètes d’André Breton, tome I, op. cit.,
p. 331.
30. Louis Aragon, « Une vague de rêves » (1924), Paris,
Seghers, 2006.
31. Lettre citée par Sarane Alexandrian, Le Surréalisme et
le Rêve, op. cit., p. 124.
32. A. Breton, Nadja, citée dans Œuvres complètes
d’André Breton, tome I, op. cit., p. 661.
33. A. Breton, Les Mots dans rides, repris dans Œuvres,
Paris, Gallimard, 1999, p. 159.
34. Bien avant lui, dès 1924, Émile Malespine, un
hérésiarque du surréalisme, souligne l’emprise de ces
références sur le premier Breton : « Ce que M. Breton
appelle surréalisme n’est que la réédition de l’X qu’on
appelle hypnotisme ou somnambulisme ou spiritisme
[…]. Littérature surréaliste, c’est le petit jeu de société
du médium qui entre en transe, vous parle de la planète
Mars, de la Lémurie, et vous fabrique des poésies de
Victor Hugo ou des poèmes de M. André Breton. Pour
écrire, il n’y a qu’à se mettre dans l’état qu’en psychologie
on a appelé l’état second. Grasset aurait dit que M. Breton
désagrégeait son polygone. » Émile Malespine, « Poisson
soluble. Manifeste du surréalisme d’André Breton »,
Manomètre, n° 6, août 1924, p. 121-124.
35. « Les termes dans lesquels Breton inscrit la définition
du surréalisme renvoient à Janet, à Charcot, à Liébeault,
et davantage encore à la branche aberrante – spirite,
parapsychologique, médianimique – détachée du courant
principal qui va de Mesmer à Freud en passant par
l’école de Nancy et la Salpêtrière. » Jean Starobinski,
« Freud, Breton, Myers », L’Arc, n° 34, octobre 1968,
repris dans La Relation critique, Paris, Gallimard, 1970,
p. 327.
36. La bibliothèque d’A. Breton détenait un exemplaire
de l’édition française de 1919.
37. Jean Starobinski, La Relation critique, op. cit., p. 332.
38. A. Breton, Entretiens, op. cit., p. 82-83.
39. F. W. H. Myers, La Personnalité humaine, sa
survivance, ses manifestations supranormales, Paris,
Alcan, 1905, p. 46.
40. Ibidem, p. 172. Charles Richet – que Breton évoque
aussi dans « Le message automatique » – parlera, à la
même époque, de « sixième sens ». Charles Richet, Notre
sixième sens, Paris, Éditions Montaigne, s.d.
41. Ibidem, p. 170.
42. Ibid., p. 170.
43. Ibid., p. 143.
44. Ibid., p. 149.
45. Ibid., p. 157.
46. Ibid., p. 205.
47. Ibid., p. 205.
48. Ibid., p. 173.
49. Ibid., p. 187.
50. Ibid., p. 189.
51. A. Breton, Entretiens, op. cit., p. 85.
52. Dans « Le message automatique », Breton cite les
propos du « professeur Lipps dans son étude sur les
danses automatiques du médium Magdeleine ». Breton,
qui dispose d’une impressionnante documentation sur
le sujet, a probablement consulté L’Art et l’Hypnose, que
Magnin a consacré à Magdeleine (Émile Magnin, L’Art et
l’Hypnose. Interprétation plastique d’œuvres littéraires
et musicales, Paris, Alcan, ca. 1905). S’y retrouve la
traduction d’un article de Lipps consacré à Magdeleine
(p. 360-363) ainsi que de nombreuses analyses des
thèses du Dr Schrenck-Notzing, dont Breton commente
les propos sur « la valeur artistique des mouvements
d’expression de l’hystérie et de l’hypnose » (A. Breton,
« Le Message automatique », repris dans Point du jour,
Paris, Gallimard, 1978 [1933], p.379).
53. Louis Aragon, Une vague de rêves, Paris, Seghers,
2006 [1924], p. 16-17.
54. Paul Joire, Traité d’hypnotisme expérimental et de
psychothérapie, Paris, Vigot, 1911, p. 166.
55. Laurent Jenny, La fin de l’intériorité, Théorie de
l’expression et invention esthétique dans les avant-gardes
françaises (1885-1935), Paris, PUF, 2002, p.118.
56. Ibidem, p.123.
57. A. Breton, « Entrée des médiums », Littérature,
nouvelle série, n° 6, 1er novembre 1922, repris dans
Œuvres complètes, tome I, op. cit., p. 275.
58. De ces dessins naîtront quelques peintures, trois
huiles sur toile notamment, datées de 1924, aux titres
tous divinatoires et mortifères : Ci-gît Éluard, Mort de
Max Morise, Mort de Max Ernst. Ce dernier vendu dès
1924 par Desnos à sa marchande de Düsseldorf, passa
longtemps pour une œuvre d’Ernst lui-même.
59. Albert de Rochas, Les États superficiels de l’hypnose,
Paris, Chamuel, 1897, p. 119.
60. Ibidem, p. 118.
61. Alfred Binet, « Le fétichisme dans l’amour », Études
de psychologie expérimentale, Paris, Doin, 1888, p. 4.
62. Simone Breton, Lettres à Denise Levy, édition établie
par Georgiana Colville, Paris, Éditions Joëlle Losfeld,
2005, p. 106-107.
63. Ibidem, p. 108.
64. Ibid., p. 108. Louis Aragon, Le Paysan de Paris,
Paris, Gallimard, 1976 [1924], p. 238.
65. L. Aragon, Une vague de rêves, Paris, Seghers,
2006 [1924], p. 22-23.
66. Il faudrait ajouter à cette liste de nombreux autres
acteurs, pour certains en marge du surréalisme, parmi
lesquels René Daumal, qui a pratiqué l’hypnose sur
certains de ses compagnons du Grand Jeu. Ainsi que le
rapporte Pierre Minet dans La Défaite (Bruxelles, Éditions
Jacques Antoine, 1973, p. 146-151), très tôt lycéen,
Daumal s’est lancé dans des expérimentations autour
du sommeil paradoxal : « À quinze ans […], je tentai par
divers procédés, d’entrer éveillé dans l’état de sommeil.
L’entreprise est moins rigoureusement absurde qu’elle ne
semble, mais elle est périlleuse à divers égards » (René
Daumal, Les Pouvoirs de la parole, Paris, Gallimard,
1972, p. 112.). Ce sont surtout ses fréquentations
de l’Institut métapsychique de Paris, découvert par
l’entremise d’un des professeurs, René Maublanc, qui
le familiarisent avec l’hypnose, notamment à travers
les ouvrages de la « bibliothèque du magnétisme »
de Durville. Ainsi le Traité de métapsychique publié
en 1923 par Richet livre un chapitre sur le « sommeil
magnétique » dans lequel se retrouvent des descriptions
d’expériences « cryptesthésiques » très proches de celles
de Daumal (Viviane Barry-Couillard, « René Daumal,
praticien de l’hypnose », dans Pascal Sigoda (éd.), René
Daumal, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1993, p. 45-55.
67. Ludger Derenthal, « Max Ernst : Trois tableaux
d’amitié », Cahiers du musée national d’Art moderne,
n° 31, 1990, p. 73-110.
68. Voir Patrick Waldberg, Max Ernst, Paris, 1958,
p. 102-106.
69. Francis Picabia, lettre non datée, cité par Sarane
Alexandrian, Le Surréalisme et le Rêve, op. cit., p. 124.
70. Georges Ribemont-Dessaignes, Déjà jadis, Paris,
Julliard, 1973, p. 167-168.
71. « Crevel m’avoua un peu plus tard que ces séances
de sommeil le fatiguaient énormément et qu’il simula
plusieurs fois, surtout quand l’intérêt commença à
s’émousser. » Jacques Baron, L’An I du surréalisme,
cité par S. Alexandrian, Le Surréalisme et le Rêve,
op. cit., p. 120.
72. Man Ray, Autoportrait, Paris, Laffont, 1964, cité dans
Ibid., p. 120.
73. Simone Breton, Lettres à Denise Levy, 9 octobre
1922, op. cit., p. 110-111.
74. A. Breton, Entretiens, op. cit., p. 96.
75. Robert Desnos, « André Breton ou face à l’infini »,
Littérature, 1922, cité par Sarane Alexandrian, Le
Surréalisme et le Rêve, op. cit., p. 125.
76. « Il faut dire que même à distance, ces deux champs
de prospection, l’écriture automatique et les apports du
sommeil hypnotique, sont aussi difficiles à circonscrire
l’un que l’autre ; que – dès qu’on entreprend d’en fixer
les limites – s’impose une telle marge d’incertitude, de
flottement. C’est que ce sont des terrains mouvants sur
lesquels on n’est jamais tout à fait sûr d’avoir pied. »
A. Breton, Entretiens, op. cit., p. 83.
77. Robert Desnos, Écrits sur les peintres, Paris,
Flammarion, 1984, p. 224.
78. S. Breton, propos rapporté par Dominique Desanti,
Robert Desnos, le roman d’une vie, Paris, Mercure de
France, 1999, p. 117-118.
79. A. Breton, Entretiens, cité par Sarane Alexandrian, Le
Surréalisme et le Rêve, op. cit., p. 117.
80. A. Breton, Perspectives cavalières, Paris, Gallimard,
1970, cité par S. Alexandrian, ibidem, p. 128.
81. Professeur Bechterew, La Suggestion et son rôle dans
la vie sociale, Paris, Coccoz, 1910, p. 106.
82. L. Aragon, Une vague de rêves, Paris, Seghers, 2006, p. 21-22.
83. A. Antheaume, G. Dromard, Poésie et folie. Essai de
psychologie et de critique, Paris, Doin, 1908, p. 154.
84. S. Alexandrian, Le Surréalisme et le Rêve, op. cit.,
p. 127.
85. Jacob L. Moreno, « Hynodrama and psychodrama »,
Psychodrama Groups, n° 1, avril 1950, p. 6.
86. J. L. Moreno, Théâtre de la spontanéité, Paris,
Desclée de Brouwer, 1984 [1947], p. 104.
87. Ibidem, p. 104.
88. A. Breton, « Caractères de l’évolution moderne
et ce qui en participe » (1922).
89. Victor Brauner, « Entretien avec Max-Pol Fouchet »
dans Terre des arts, 1961, cité par Yven Lebreton,
« Victor Brauner ou le peintre de la fascination »,
mémoire de master, Université François-Rabelais
de Tours, 2001, p. 51.
90. S. Alexandrian, « Victor Brauner », L’Œil, n° 101,
mai 1963, p. 33.
91. Luce Hoctin, « Propos sur Victor Brauner », Quadrum,
n° 15, octobre 1963, p. 61.
92. Entretien de V. Brauner avec Alain Jouffroy, « Tout
en composant devant nous un tableau, Victor Brauner
nous révèle la force étrange qui le pousse à peindre »,
Connaissance des arts, n° 107, janvier 1961, p. 86.
93. Pierre Janet, « Les actes inconscients et le
dédoublement de la personnalité pendant le
somnambulisme provoqué », La Revue philosophique,
tome XXII, décembre 1886, p. 592.
94. Catalogue de l’exposition de V. Brauner, Espaces
hypnotiques, Paris, Galerie Rive Droite, 1961, p. 1.
95. Voir Léon Chertok (éd.), Résurgence de l’hypnose.
Une bataille de deux cents ans, Paris, Desclée de
Brouwer, 1984, et L. Chertok et Mikkel Borch-Jacobsen
(éd.), Hypnose et psychanalyse, Paris, Dunod, 1986.
96. V. Brauner, « Tout en composant… », art. cit., p. 86.
97. Georges Didi-Huberman, Invention de l’hystérie,
Charcot et l’iconographie photographique de la
Salpêtrière, Paris, Macula, 1982, p. 161.
98. André Breton, Entretiens, op. cit., p. 142.
99. Voir l’analyse de David Lomas, « Seductions of
hysteria », The Haunted Self. Surrealism, Psychoanalysis,
Subjectivity, New Haven, Yale University Press, p. 53-93.
100. Makoto Asari, « Vers un mythe fondé sur l’extase »,
dans Jacqueline Chénieux-Gendron, Yves Vadé (éd.),
Pensée mythique et surréalisme, Paris, Lachenal et Ritter,
1996, p. 61-74.
101. Jean Starobinski, « Freud, Breton, Myers »,
art. cit., p. 339-340.
102. Jan Goldstein, « The hysteria diagnosis and
the politics of anti-clericalism in late nineteenthcentury France », Journal of Modern History, vol. 54,
juin 1982, p. 209-239, et Console and Classify : The
French Psychiatric Profession in the Nineteenth Century,
Cambridge, Cambridge University Press, 1987.
103. Articles de R. Desnos repris dans Marie-Claire
Dumas, Champs des activités surréalistes, n° 20,
septembre 1984, p. 7-24 et p. 29-31.
104. Voir A. Breton, Œuvres complètes, tome I, Paris,
Gallimard, 1988, p. 1731-1732.
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105. Alphonse Gallais, alias Ange Rebelle, fervent
anticalotin, auteur de plusieurs « romans de mœurs
cléricales ». Son Tableau de l’Amour charnel, publié
en 1905, mélange fétichisme, érotomanie et extases
religieuses. Illustré par des gravures de Gaston Noury,
ce Tableau réserve d’importants développements à
« l’érotisme religieux » et à « l’hypnotisme en amour »,
thèmes associés à plusieurs reprises dans le texte et les
illustrations. L’extase mystique d’une sœur (légendée
« les érotomanes sont des esclaves courbés… ») dialogue
avec les convulsions en « arc de cercle » des hystériques
de la Salpêtrière. Alphonse Gallais, Tableau de l’amour
charnel. Ses extases, ses tares, ses vices, ses démences,
ses turpitudes et ses crimes, Paris, Librairie du Nord,
1905.
106. Par ailleurs, comme l’a montré Charlotte Stokes,
le montage narratif du Rêve de la petite fille est conçu
par Max Ernst comme la satire d’une Histoire d’une
âme, le récit autobiographique de Thérèse de Lisieux –
l’incarnation saint-sulpicienne de Thérèse d’Avila, très
vénérée par le catholicisme conservateur des années
1920. Voir Charlotte Stokes, « Collage as jokework :
freud’s theories of wit as the foundation for the collages
of Max Ernst », Leonardo, vol. 15, 1982, p. 199-204.
107. Voir à ce sujet, David Lomas, « Seduction/
disruption », The Haunted Self, op. cit., p. 76-79.
108. Désiré-Magloire Bourneville, Paul Regnard,
Iconographie photographique de la Salpétrière, tome II,
Paris, Progrès médical, 1878, p. 174-178. Dans Là-Bas,
un roman très apprécié de Breton, J.-K. Huysmans
commentera ces rapprochements, qualifiant leurs
auteurs de « matérialistes ». Voir Christine Dupuit,
« Huysmans et Charcot : L’hystérie comme fiction
théorique », Sciences Sociales et Santé, vol. VI, n° 3-4,
novembre 1988, p. 115-131.
109. En 1883, D.-M. Bourneville crée la « Bibliothèque
diabolique », une série de neuf volumes où il exhume
d’anciens récits afin de requalifier les explications
surnaturelles par l’exégèse clinique, démontant le
culte des saints dans une critique acerbe contre les
méthodes du catholicisme de la Contre-Réforme.
Voir Geneviève Paichelier, « Charcot, l’hystérie et ses
effets institutionnels : du « Labyrinthe inextricable » à
l’impasse », Sciences sociales et Santé, vol. VI, n° 3-4,
novembre 1988, p. 133-144.
110. Entretien de Max Ernst avec Franz Roh, cité par
Werner Spies, Max Ernst. Les collages. Inventaire et
contradictions, Paris, Gallimard, 1984, p. 192.
111. Le collage fait penser aux fantaisies de Suggestion,
une nouvelle d’Henri Nizet mêlant joyeusement
pornographie, anthropologie criminelle et hypnotisme,
et où le héros, Paul Lebarrois, se prévaut d’une théorie
selon laquelle « il existerait des aptitudes hypnotiques
variant d’individu à individu – adaptation scientifique du
coup de foudre en amour » et qui lui donne toute autorité
sur le sujet féminin subjugué par l’hypnose, converti sous
l’induction en « joujou inattendu ». C’est ainsi que « Paul
hypnotisait sa maîtresse à l’improviste, afin de la garder
plus longtemps dans quelque attitude d’une obscénité
divine, dans laquelle il avait un inexprimable plaisir à
la contempler ». Henri Nizet, Suggestion, Paris Tresse
& Stock, 1891, p. 25, cité par Bertrand Marquer, Les
romans de la salpêtrière – Réception d’une scénographie
clinique : Jean-Martin Charcot dans l’imaginaire fin-desiècle, Genève, Droz, 2008, p. 337 et 341.
112. André Breton, Le Surréalisme et la Peinture, Paris,
Gallimard, 1965, p. 59. Sur cette question de la vision,
voir Mary Ann Caws, « L’œil fixe, les yeux croisés », dans
Jacqueline Chénieux-Gendron (éd.), Lire le regard :
André Breton et la peinture, Paris, Lachenal & Ritter,
1993, p. 230-249.
113. Max Ernst, Paul Éluard, « En suivant votre cas. La
série des jeunes femmes », Littérature, n° 7, nouvelle
série, décembre 1922.
114. Charles de Villers, Le Magnétiseur amoureux,
introduction et notes de François Azouvi, Paris,
Vrin, 1978 [1787].
115. H. Delaage, Le monde occulte, ou Mystères du
magnétisme dévoilés par le somnambulisme, Paris,
Lesigne, 1851.
116. Dans Le Magnétisme animal, Alfred Féré et Charles
Binet associent non seulement la réussite des passes à la
localisation des zones érogènes, mais ils la conditionnent
à la polarité sexuelle : « L’excitation de la plaque érogène
n’est efficace que si elle résulte d’une pression faite par
une personne de l’autre sexe. » A. Binet, C. Féré,
Le Magnétisme animal, Paris, Alcan, 1887, p. 112.
117. « L’expérience nous fait voir sur un grand nombre
de phénomènes qui se passent en nous, la réalité d’une
influence différente de celle qui résulte du pouvoir de
notre volonté […]. L’érection qui suit les désirs vénériens
n’offre-t-elle pas encore un résultat plus constant du
pouvoir de l’imagination dans un cas où la volonté
est tout à fait impuissante ? » A. Bertrand, Examen de
l’opinion généralement admise sur la manière dont nous
recevons par la vue la connaissance des corps, Paris,
Didot, 1819, p. 490-491, cité par Jacqueline Carroy,
Hypnose, suggestion et psychologie. L’invention de sujets,
Paris, PUF, 1991, p. 142.
118. Jules Claretie, Les Amours d’un interne, Paris, Dentu,
1881.
119. Voir Henri F. Ellenberger, Histoire de la découverte de
l’inconscient, Paris, Fayard, 1994, p. 199-202.
120. André de Lorde, Une leçon à la Salpêtrière, Théâtre
d’épouvante, Paris, Charpentier et Fasquelle, 1909, p. 12.
121. L. Aragon, A. Breton, « Le cinquantenaire
de l’hystérie », La révolution surréaliste, mars 1928,
p.948-949..
122. Hippolyte Bernheim, Hypnotisme, suggestion,
psychothérapie, Paris, Doin, 1891, p. 155-158.
123. L’homosexualité latente de l’hypnose collective
est évoquée, avec circonspection, par le Dr René Held,
un ami d’enfance de Breton : « Qu’une homosexualité
latente, totalement ignorée de tous, fût à l’œuvre,
plus souvent qu’on ne le croit, derrière les relations
passionnelles nouées entre Freud et ses premiers
disciples comme entre Breton et certains de ses
épigones, qui pourrait en douter ? Il n’est que de relire
certains passages de la Révolution psychanalytique de
Marthe Robert ou de rappeler certains souvenirs des
compagnons du surréalisme de la première heure. »
Dr René Held, L’Œil du psychanalyste. Surréalisme et
surréalité, Paris, Payot, 1973, p. 97.
124. L. Aragon, « Une vague de rêves », Commerce, n° 2,
1924, repris dans Une vague de rêves, Paris, Seghers,
1990, p. 17.
125. Hal Forster, Compulsive Beauty, Cambridge, The
MIT Press, 1993, p. 50-54. Forster s’appuie sur les
travaux de Goldstein pour commenter les phénomènes
d’appropriation masculine du clivage sexuel de l’hystérie
(Jan Goldstein, « The uses of male hysteria. medical
and literary discourse in nineteenth-century France »,
Representations, n° 34, 1991, p. 134-165).
126. Juan José Lahuerta, El fenomeno del extasis. Dali
ca. 1933, Madrid, Siruela, 2004, et Stefania Schibeci, Le
Phénomène de l’extase di Salvador Dali. Surrealismo,
fotografia montaggio, Milan, Mimesis, 2014.
127. Michel Poivert, « Le phénomène de l’extase ou le
portrait du surréalisme même », Études photographiques,
n° 2, 1997, p. 96-114.
128. Salvador Dali, « De la beauté terrifiante et
comestible de l’architecture modern’style », Minotaure,
n° 3-4, 1933, p. 70.
129. S. Dali, « Le phénomène de l’extase », Minotaure,
n° 3-4, 1933, p. 76.
130. Dans ses mémoires d’adolescent, Dali rapporte
à la date du 28 décembre 1920 la performance de
l’hypnotiseur Onofroff au « Sport Figuerense » : « Affiches
sur les murs. On en discutait depuis une semaine, puis
on en a parlé au cours d’un souper ennuyeux, mais
très vite ce qu’en a dit mon père m’a intéressé. Il s’agit
d’hypnose. Il faut aller voir ça. Et on y est allé […].
Et nous avons passé des heures intéressantes […].
Je connais l’hypnose, j’y crois. La science l’a démontrée
[…]. Il a exécuté quelques tours de suggestion, de
transmission de pensée, etc., admirables. » Salvador Dali,
Journal d’un génie adolescent, Monaco,
Éditions Le Rocher, 2000, p. 186-188.
131. H. Bernheim, Hypnotisme, suggestion,
psychothérapie. Études nouvelles, Paris, Doin, 1888.
132. L. Aragon, « Une vague de rêves », Commerce, n° 2,
1924, repris dans Une vague de rêves, Paris, Seghers,
1990, p. 14.
133. Jacqueline Carroy, Hypnose, suggestion et
psychologie, op. cit., p. 136-143.
134. Marie Lathers, « L’Ève future and the hypnotic
feminine », Romanic Review, vol. 84, n° 1, janvier 1993,
p. 43-53.
135. Villiers de l’Isle-Adam, L’Ève future, Paris,
Jonquières, 1925, p. 64.
136. Henri Lavoix cité par Jeanne de Flandreysy, Femmes
et déesses, Paris, Société d’éditions littéraires
et artistiques, 1903, p. 8.
137. René Roussillon, « L’illusion hypnotique et la
réappropriation narcissique : façon de miroir », dans
Du baquet de Mesmer au « baquet » de S. Freud. Une
archéologie du cadre et de la pratique psychanalytiques,
Paris, Presses universitaires de France, 1992, p. 145-146.
138. Havelock Ellis, « Le narcissisme », Études de
psychologie sexuelle. Le mécanisme des déviations
sexuelles, tome XIII, Paris, Mercure de France, 1932,
p. 187-239.
139. A.-A. Liébeault, Du sommeil et des états analogues,
Paris, Masson, 1866, p. 178-179.
140. Otto Rank, Le Traumatisme de la naissance.
Influence de la vie prénatale sur l’évolution de la vie
psychique individuelle et collective, Paris, Payot, 1993,
p. 17.
141. Salvador Dali, « Souvenirs intra-utérins », La Vie
secrète de Salvador Dali, Paris, Gallimard, 1979, p. 43.
142. Dans une lettre envoyée d’Arosa au printemps 1928,
Éluard demande à Breton s’il a « lu Le Traumatisme
de la naissance par Otto Rank (chez Payot) […].
Très réjouissant. Plein d’exemples merveilleux ». C’est
à la suite de cette lecture qu’ils écrivent ensemble
l’article « L’homme », publié dans le deuxième numéro
du Surréalisme au service de la Révolution, et où se
retrouvent au chapitre consacré à « La vie intra-utérine »
des échos du livre de Rank (le fantasme du « bain »,
l’univers aquatique « à fleur d’eau », la chaleur du
« bouillonnement de lumière »…). Cet article est intégré,
en novembre 1930, à l’ouvrage commun d’Éluard et
Breton publié aux Éditions surréalistes, L’Immaculée
Conception – livre orné d’un frontispice et d’une vignette
gravés par Dali, qui venait de livrer au même éditeur sa
Femme visible.
143. Otto Rank, Le Traumatisme de la naissance, op. cit.,
p. 104-105. Dali préfère parler de « sommeil végétal » :
« Narcisse, comprends-tu ? La symétrie, hypnose divine
de la géométrie de l’esprit, comble déjà ta tête de ce
sommeil inguérissable, végétal, atavique. » S. Dali,
« Les métamorphoses de Narcisse », Paris, Éditions
surréalistes, 1937.
144. Ibidem.
145. Ibid.
146. L. Chertok, L’Hypnose. Théorie, pratique et
technique, Paris, Payot, 1989 [1965], p. 53.
147. L. Jenny, La Fin de l’intériorité, op. cit.
148. Bertrand Marquer, Les Romans de la Salpêtrière,
op. cit., p 391.
149. « Rrose Sélavy connaît bien le marchand du sel. »
13e aphorisme, repris dans R. Desnos, « Corps et biens »,
Œuvres, Paris, Gallimard, 2011, p. 503.
150. Katherine Conley, « Rrose Sélavy’s ghosts : life,
death and Desnos », The French Review, vol. 83, n° 5,
avril 2010, p. 964-975.
151. Anthony Enns, « The undead author : spiritualism,
technology and authorship », dans Tatiana Kontou,
Sarah Willburn (éd.), The Ashgate Research Companion
to Nineteenth-Century Spiritualism and the Occult,
Farnham, Asghgate, 2012, p. 55-78.
152. Elena Gomel, « Spirits in the material world :
spiritualism and identity in the fin de siècle », dans
Victorian Literature and Culture, vol. 35, n° 1, 2007,
p. 189-213.
153. Judith Walkowitz, « Science and the séance :
transgression of gender in late Victorian London »,
Représentations, vol. 22, 1988, p. 3-28.
154. Bette London, « Secretary to the stars : mediums
and the agency of authorship », dans Leah Price, Pamela
Thurschwell (éd.), Literary Secretaries/Secretarial
Cultures, Aldershot, Ashgate, 2005, p. 91-110.
155. Marcel Duchamp, Le Processus créatif, Caen,
L’Échoppe, 1997 [1957].
156. « We don’t emphasize enough that the work of art
is independent of the artist. The work of art lives by
itself and the artist who happened to make is like an
irresponsible medium. No artist can say at any time : I
am a genius. I am going to make a masterpiece. That is
not done ». M. Duchamp, « The western round table on
modern art », San Francisco Art Association, 1949.
157. Boris Groys, « Marx After Duchamp, or The Artist’s
Two Bodies », Journal, vol. 19, octobre 2010, s. p.
158. Marjorie Perloff, « Duchamp’s Eliot : the detours of
tradition and the persistence of individual talent », dans
Giovanni Cianci et Jason Harding (éd.), T. S. Eliot and the
Concept of Tradition, Cambridge, Cambridge University
Press, 2007, p. 177-184.
159. Thomas Stearns Eliot, « Tradition and the individual
talent » (1919), repris dans Selected Essays, Londres,
Faber and Faber, 1953, p. 18.
160. Ce trouble de la dépersonnalisation est déjà allé
assez loin chez Michel-Eugène Chevreul, le grand
scientifique connu pour sa théorie de la couleur, qui
dans un ouvrage consacré à la Baguette divinatoire
(1854), mentionne des expériences d’écriture sur l’île
de Guadeloupe, faites par une… chaise. Juanita, a Novel
by a Chair… Michel-Eugène Chevreul, De la baguette
divinatoire, du pendule dit explorateur et des tables
tournantes, au point de vue de l’histoire, de la critique
et de la méthode expérimentale, Paris, Mallet Bachelier,
1854.
161. Jules-Bernard Luys, Leçons cliniques sur les
principaux phénomènes de l’hypnotisme dans leurs
rapports avec la pathologie mentale, Paris, Georges
Carré, 1890, p. XII.
162. Scott Richmond, « The unfinished business of
modernism : Anémic Cinéma », dans Cinema’s Bodily
Illusions. Flying, Floating and Hallucinating, University of
Minnesota Press, 2016, p. 25.
163. Dalia Judovitz, « The spectacle of film : Duchamp
and dada experiments », dans Drawing on Art. Duchamp
and Company, University of Minnesota Press, 2010, p. 99.
164. Ricciotto Canudo, « L’esthétique du septième art.
Le drame visuel », repris dans L’Usine aux images, Paris,
Nouvelles éditions Séguier, 1995, p. 65.
165. L. Jenny, La Fin de l’intériorité, op. cit., p. 151.
166. Antoine Faivre, « L’imagination créatrice. Fonction
magique et fondement mythique de l’image », Revue
d’Allemagne et des pays de langue allemande, vol XIII,
n° 2, 1981, p. 355-390.
167. À noter le rapprochement formel entre cette vache
projetée dans l’espace du salon et le motif hallucinatoire
de la vache sur le canapé dans l’une des scènes
mythiques de L’Âge d’or, un film coécrit par Bunuel
et Dali.
168. Le stereopticon est un appareil de projection à
deux objectifs superposés breveté à la fin du XIXe siècle,
très proche des mécanismes de dissolving views avec
métamorphose de l’image.
169. François Jost, Le Temps d’un regard. Du spectateur
aux images, Paris, Méridiens Klincksieck, 1998, p. 57.
170. Rae Beth Gordon, « Filming the inconscious »,
Why the French Love Jerry Lewis. From Cabaret to
Early Cinema, Stanford, Stanford University Press, 2001,
p. 149-156.
171. Mireille Berton, Le Corps nerveux des spectateurs.
Cinéma et sciences du psychisme autour de 1900,
Lausanne, L’Âge d’Homme, 2015.
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L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S
172. Maria Tortajada, « Évaluation, mesure, mouvement :
la philosophie contre la science et les concepts du
cinéma », Revue européenne des sciences sociales, XLVI,
n° 141, 2008, p. 95-111.
173. R. Canudo, « Films psychiques », Paris-Midi, 2 février
1923, repris dans L’Usine à images, Paris, Nouvelles
éditions Séguier, 1995, p. 186.
174. Rae Beth Gordon, De Charcot à Charlot. Mises en
scène du corps pathologique, Rennes, PUR, 2013.
175. R. Bellour, Le Corps au cinéma. Hypnose, émotions,
animalités, Paris, POL, 2009.
176. Ruggero Eugeni, La relazione d’incanto. Studi su
cinema e ipnosi, Milan, Vita e Pensiero, 2002.
177. Stefan Andriopoulos, Possessed. Hypnotic Crimes,
Corporate Fiction, and the Invention of Cinema, Chicago,
University of Chicago Press, 2008.
178. Emmanuel Plasseraud, L’Art des foules. Théories
de la réception filmique comme phénomène collectif
en France (1908-1930), Lille, Presses universitaires du
Septentrion, 2011.
179. Mireille Berton, Le Corps nerveux des spectateurs.
Cinéma et sciences du psychisme de 1900, Lausanne,
L’Âge d’Homme, 2015.
180. « Partielle, l’hypnose filmique joue de son ambiguïté
même ; l’image n’est pas entièrement mienne […]. Nous
ne croyons ni possible, ni souhaitable que le transfert
filmique atteigne une égale rigueur. L’identification, quel
que soit ici son type, interdit à l’écran d’opérer cette
libération. Hypnotique, elle imposera une fascination
durable qui survivra au film et mènera en moi une vie
sourde. Authentique et enrichissante, elle rectifiera le
schéma général de mes gestes. Cette rectification est plus
sans doute qu’un transfert. Du moins suit-elle d’autres
voies. » J. Deprun, « Le cinéma et l’identification »,
Revue internationale de filmologie, 1947, n° 2, p. 207.
181. R. Bellour, « La machine à hypnose », CinemAction,
1988, n° 47, p. 69-70.
182. P. Souriau, La Suggestion dans l’art, Paris,
Alcan, 1893, p. 64-65.
183. François Jost, « Métaphysique de l’apparition dans
le cinéma des premiers temps », dans Roland Cosandrey,
André Gaudreault, Tom Gunning (éd.), Une invention du
diable ? Cinéma des premiers temps et religion, Montréal,
Presses de l’université de Laval, 1992, p. 266.
184. Ibidem, p. 267.
185. R. Bellour, Le Corps au cinéma, op. cit., p. 46.
186. Joseph Delbœuf cité par Mireille Berton, Le Corps
nerveux des spectateurs, op. cit., p. 407.
187. R. Bellour, Le Corps au cinéma, op. cit., p. 46.
188. Édouard Poulain, Contre le cinéma, école du vice et
du crime. Pour le cinéma, école d’éducation, moralisation
et vulgarisation, Besançon, Imprimerie de l’Est, 1918,
p. 32, cité par Mireille Berton, Le Corps nerveux des
spectateurs, op. cit., p. 415.
189. Le Mystère des Roches de Kador, Gaumont, brochure
citée par R. Bellour, Le Corps au cinéma, op. cit., p. 47.
190. J.-M. Charcot, « Polyclinique du mardi 1er mai
1888 », Leçons du mardi à la Salpêtrière, tome I, Paris,
Claude Tchou, 2002, p. 459.
191. Emmanuelle André, Le choc du sujet, de l’hystérie
au cinéma, Rennes, PUR, 2011, p. 155.
192. A. Binet, L’Âme et le Corps, Paris, Flammarion,
1905, p. 87.
193. Emmanuelle André, Le Choc du sujet. De l’hystérie
au cinéma, op. cit., p. 161.
194. Stefan Andriopoulos, « Bernheim, Caligari, Mabuse :
Cinema and Hypnotism », dans Possessed. Hypnotic
Crimes, Corporate Fiction and The Invention of Cinema,
op. cit., p. 91-127.
195. Siegfried Kracauer, De Caligari à Hitler : une histoire
psychologique du cinéma allemand, Paris, Klincksieck,
2019 [1947].
196. Hugo Münsterberg, Psychological Laboratory of
Harvard University, Harvard Psychological Laboratory.
Cambridge, Mass., The University, 1893. Ces expériences
sont relayées en France dans Jean-Paul Nayrac,
Physiologie et psychologie de l’attention : évolution,
dissolution, rééducation, éducation, Paris, F. Alcan, 1906.
197. H. Münsterberg, The Photoplay. A Psychological
Study, New York, Appleton, 1916.
198. Octave-Jacques Gérin, Charles Espinadel, La
Publicité suggestive. Théorie et technique, Paris, Dunod,
1911, p. 43.
199. Ibidem, p. 79.
200. Ibid., p. 82.
201. Ibid., p. 107.
202. Ibid., p. 146.
203. Susanna Barrows, miroirs déformants. Réflexions
sur la foule en France à la fin du XIXe siècle, Paris, Aubier,
1990 [1981].
204. Éric Michaud, « La construction de l’image comme
matrice de l’histoire », Vingtième siècle. Revue d’histoire,
vol. 72, 2001, p. 48.
205. Éric Michaud, Un art de l’éternité. L’image
et le temps du national-socialisme, Paris, Gallimard,
2016 [1996].
206. Adolf Hitler, 1935, cité par Johann Chapoutot, Le
Nazisme et l’Antiquité, Paris, PUF, 2012 [2008], p. 275.
207. « La création d’une œuvre d’art est un processus
d’enfantement spirituel tout à fait comparable à la
procréation d’un enfant. » Paul Schultze-Naumburg,
Rassengebundene Kunst, cité par Johann Chapoutot,
ibidem, p. 276.
208. Éric Michaud, « L’engendrement par l’image :
hypnose ou Immaculée Conception ? », dans Daniel
Bougnoux (éd.), La Suggestion. Hypnose, influence,
transe, Paris, Les Empêcheurs de tourner en rond, 1991,
p. 277-292.
209. Johann Chapoutot, Le Nazisme et l’Antiquité,
op. cit., p. 274. Cette théorie de « l’engendrement par
l’image » sera au cœur des campagnes prophylactiques
menées contre « l’art dégénéré ». Paul Schultze, le
théoricien du Entartete Kunst, auteur de L’Art et la
Race (1938), est convaincu que l’art moderne est non
seulement le symptôme d’une décadence, mais qu’il
engendre, par mimétisme, une humanité monstrueuse,
d’où la nécessité d’imposer le nouveau canon esthétique
néoclassique à grande échelle, au moyen notamment de
la reproduction massive des œuvres nazifiées
d’Arno Breker.
210. Pascal Rossi, Les Suggesteurs et la Foule. Psychologie
des meneurs, artistes, orateurs, mystiques, guerriers,
criminels, enfants, etc., Paris, Michalon, 1904.
211. Bernhard Horstmann, Hitler in Pasewalk : Die
Hypnose und ihre Folgen, Berlin, Droste Verlag, 2017,
212. Edward Bernays, Cristallizing Public Opinion,
New York, 1926.
213. Pascal Rossi, « Le problème moral de la psychologie
collective », L’Humanité nouvelle, vol. IV, 1900, tome 1,
p. 550-559.
214. Andrea Cavaletti, Suggestione. Potenza e limite del
fascino politico, Torino, Bollati Boringhitudes, 2011.
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PSYCHEDELIA
L’HYPNOSE
CYBERNÉTIQUE
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L’hypnose change de modèle clinique au sortir de la
Seconde Guerre mondiale. Des auteurs, principalement
issus des milieux psychiatriques américains, vont renouveler l’étude du phénomène, déconstruire le processus
thérapeutique, réhabiliter l’autonomie du sujet suggestionné et réintroduire une dimension physiologique que
la lecture psychanalytique de l’hypnose – principalement rivée aux notions de personnalité et de transfert –
avait eu tendance à écarter, sinon à balayer. En tête de
pont de cette reconfiguration conceptuelle, deux chercheurs américains, Lawrence Kubie et Sydney Margolin,
qui, dans un article qui fera date (« The Process of hypnotism and the nature of the hypnotic state », 19441),
abordent plus frontalement la phénoménologie de l’hypnose. Au cœur de cette refonte, la distinction entre deux
moments, « l’induction de l’hypnose » et « l’état hypnotique ». Le premier semble être obtenu par de simples
manipulations physiques, en dehors de tout jeu de
transfert, sous l’autorité psychique d’un hypnotiseur
médusant. Plus encore, le duo de psychiatres pense la
possibilité d’une hypnose sans hypnotiseur, qu’ils considèrent, non sans paradoxe, plus relationnelle qu’en présence d’un corps personnifiant l’autorité – ce que Kubie
appellera un « transfert à l’état pur2 », avec la possibilité
nettement plus autonome d’une induction intrapersonnelle, sans recours à une quelconque suggestion verbale
extérieure. Cette fonction accordée au contact sensorimoteur va largement contribuer – comme avait pu le
faire Braid en son temps – à reporter l’hypnose sur une
physique des sensations à la fois plus incarnée et méca-
niste, trouvant rapidement relais dans l’esthétique opticaliste des années 1960.
De fait, ce tournant « sensoriel » met en avant
les paramètres environnementaux d’une condition
de l’hypnose qui installe le sujet dans une situation
sensible. Le contexte ambiant (luminosité, chaleur,
chromatisme, etc.) devient une variable décisive du
conditionnement. Kubie et Margolin relèvent notamment le mode de « flottement » du processus d’induction, assimilé à la forme régressive du bercement de
l’enfant dans les bras de sa mère. Cela n’écarte nullement les modalités classiques de cette induction, en
particulier la technique de la fixation oculaire sur un
point de focalisation, dont les auteurs décrivent avec
précision les effets d’inhibition vasomoteurs, avec
pour objectif une isolation physiologique du sujet et
une réduction significative de ses réactions sensorimotrices, facilitées par une monotonie rythmique
(répétition régulière d’un son, d’une image, d’un motif
ou d’une simple pulsation lumineuse). Mais c’est aussi
une logique plus processuelle de transition qui définit
cette relecture des schèmes mécanistes, avec un intérêt pour les « déclics » (trigger mechanism) de plongée dans l’état hypnotique. Pavlov n’est pas loin. Elle
ne pourra que convenir aux paradigmes cybernétiques
dominant la pensée de sortie de guerre et abreuver
l’ascendant technologique des œuvres optico-cinétiques. Au sein de cette réflexologie instrumentée,
une nouvelle voie alimente les débats cliniques, celle
de l’isolation ou de la « privation sensorielle » (sen-
A. Victor Moscoso, Oxford Circle. Big Brother and the Holding Company, 1966, Avalon Ballroom.
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sory deprivation), instruite par les travaux du neuropsychologue canadien Donald Hebb (1954)3, et plus
encore par les recherches expérimentales de John
Lilly sur le « caisson d’isolation sensorielle » (1956)4,
très en vogue dans les milieux new age des années
1960. D’un côté, la surexcitation du nerf optique par
un bombardement continu d’informations visuelles ;
de l’autre, une anesthésie neuromotrice par neutralisation des stimuli ; pour filer la métaphore électrique,
une logique on/off rencontrant de nombreux relais
dans les imaginaires psychédéliques et la culture pop,
très friands d’hypnose audiovisuelle et de « médias
chauds », selon la terminologie de Marshall McLuhan,
le gourou des nouveaux médias, interprète des bouleversements cognitifs promus par l’entrée dans « l’ère
Pathé-Marconi ».
C’est plus encore avec le psychiatre Milton Hyland
Erickson (entré en contact avec Kubie, avec lequel il
coécrit quelques articles5) que la pratique de l’hypnose va connaître un nouvel élan heuristique dans
la clinique des années 1950. Appelé comme consultant du gouvernement américain durant la Seconde
Guerre mondiale, Erickson a travaillé sur les effets de
la propagande nazie ; il a étudié auprès de son ami
Gregory Bateson les approches comportementales et
s’intéresse de près aux mécanismes des réflexes conditionnés6. Futur rédacteur du Journal of Clinical and
Experimental Hypnosis, il développe à la fin des années
1940 une méthode empirique reposant en partie sur le
principe que le patient dispose de ressources personnelles suffisantes pour répondre de manière efficace et
ajustée, aux blocages qu’il rencontre. Il s’agit là d’une
approche adaptative, refusant toute méthode standardisée, fondée sur une thérapie brève. Elle repose
sur des techniques d’induction indirectes et plus permissives, beaucoup moins redevables à la suggestion,
nettement plus ouvertes aux procédés d’autohypnose,
qu’Erickson définit comme « l’utilisation des apprentissages inconscients », sans faire appel à un niveau
de compréhension purement cognitif. Cela aménage
une place à l’autonomie du sujet (« la première chose
à faire en psychothérapie est de ne pas essayer de
contraindre l’humain à modifier sa manière de penser ; il est préférable de créer des situations dans lesquelles l’individu modifiera lui-même volontairement
sa façon de penser7 ») et vient délester les relations
de dépendance servile entre hypnotiseur et hypnotisé,
par une « hypnose douce » propice à une décongestion des postures totalitaires.
De nombreux psychiatres avaient rejoint pendant la Seconde Guerre mondiale des services d’aide
post-traumatique8 (un service de mental hygiene avait
été créé dès 1943, pour pallier les dysfonctions psychotiques rencontrées chez certains blessés, donnant
lieu à la création des exhaustion centers, dans lesquels l’hypnose était pratiquée sur certains patients9).
Merton Gill et Margaret Brenman proposent de développer, au sortir du conflit, les enseignements de ces
techniques pour ouvrir le champ de ce qu’ils appellent
l’hypnoanalysis, dont le docteur Robert Lindner (un
de ses récits donnera Rebel without a Cause en 1944
avant d’être porté à l’écran par Nicholas Ray) est persuadé qu’il peut aider les patients à lever des résistances dans la reconstruction de son histoire. Mais
à un niveau plus global et populaire, répondant au
contexte d’une certaine euphorie de la reconstruction,
c’est le grand retour des méthodes d’autosuggestion,
façon Positive Thinking – celles qui avaient abreuvé
les petits manuels de réussite personnelle du premier
XXe siècle, dans le giron du New Thought Movement.
Des best-sellers touchent un plus vaste public (The
Art of Real Hapinness de Vincent Peale, Fight against
Fears, de Lucy Freeman…), pour le convaincre des
bienfaits « mentalistes » d’une maîtrise autogérée de
son parcours personnel et professionnel au sein de
l’American Dream10.
Ce grand écart entre
anxiété du contrôle social
et libération esthétique des corps
et des subjectivités trouve
ses racines dans l’échec
des utopies réformistes
ayant porté le projet du
modernisme, à savoir la fabrique
rationnelle d’un façonnage
du bien-être individuel
ou collectif
Est-ce à dire que l’hypnose, au sortir de la Seconde
Guerre mondiale, s’est définitivement débarrassée des
anciens schémas tutélaires, autoritaires ou régressifs ?
Non. Car les mouvements de la contreculture, dans
leur refus des compromis technocratiques du modernisme, font aussi face à l’apprêté d’années de crispation géopolitique et sociale, des années plombées
par la guerre froide. Le jeu clivant des oppositions de
blocs idéologiques déclenche une hantise du contrôle
étatisé des esprits11, aiguisée par les suspicions sur les
méthodes « psychotechniques » de propagande des
pays communistes, Chine et bloc soviétique confondus, largement relayées par les médias occidentaux12
suivant de près l’intérêt du régime stalinien pour la psychologie d’obédience pavlovienne13 et les techniques
de « lavage de cerveau14 ». C’est ce que Timothy Melley
a pu définir comme la « culture de la paranoïa15 » des
années 1950-1960, dans laquelle le modèle archaïque
d’une hypnose de conditionnement, dirigiste et aliénante, trouvait toute sa place. Cela aussi bien dans la
littérature populaire et scientifique que dans la communication de masse des écrans, cinéma et télévision
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1950-1970
réunis, avec pour premier moment de culmination
la publication en 1956 de l’ouvrage The Rape of The
Mind, du docteur Joost Meerloo. Professeur de psychologie à la Columbia University, il dressait de manière
plus explicite un lien entre cette obsession du contrôle
idéologique et militaire des esprits et les stratégies de
suggestion de masse issues de la culture bureaucratique et industrielle de la post-guerre, laissant découvrir une anxiété plus larvée mais très présente, face
à la généralisation du modèle d’organisation technocratique dominant l’époque de la reconstruction sous
l’égide des grands modèles cybernétiques, dans un
mouvement de conformité privant l’individu d’inventivité, contre lequel l’hypnose pourrait curieusement
aider à se défaire des « grands systèmes d’influence »,
comme le laisse entendre Robert Lindner dans Must
You Conform ? (1956), où la suggestion devient plutôt
l’outil contre-culturel d’un « instinct de rébellion16 ».
Les liens entre hypnotisme et créativité artistique
s’en trouvent confortés, jusque dans la contradiction
entre hypnose de conditionnement (emprise) et hypnose de déprogrammation (émancipation), dont les
frontières restent souvent très poreuses. La période
d’après-guerre constitue un moment privilégié dans le
développement du design, de l’architecture radicale et
des pratiques artistiques situées à l’interface de nouveaux médias (vidéo, film expérimental, installations)
et où la contestation performative aborde non seulement les enjeux biopolitiques du corps mais engage
une réflexion plus globale sur les systèmes de communication, les paramètres de la relation et du lien
social, l’autonomie des subjectivités face aux systèmes
de gouvernance et d’autorité17. Le mouvement de l’art
cybernétique, notamment dans sa variante opticaliste
(Op Art) et ses dérivés au sein de la culture populaire,
va relayer ce double déplacement face à l’hypnose :
recherche d’une optimisation des effets d’emprise spectatorielle, ou plongée dans les ressources perceptuelles
de l’inconscient. Un pied dans la rationalisation de l’efficace (une technologie de la productivité), l’autre dans
l’extension exploratoire de la perception (une technicité de l’hallucination). Pas de hasard : Erickson sera
complice d’Aldous Huxley, l’auteur du Meilleur des
mondes (1932) et des Portes de la perception (1954),
deux ouvrages qui racontent, à vingt ans de distance,
les anxiétés et les aspirations face aux usages des états
modifiés de conscience18.
Ce grand écart entre anxiété du contrôle social
et libération esthétique des corps et des subjectivités trouve ses racines dans l’échec des utopies réformistes ayant porté le projet du modernisme, à savoir
la fabrique rationnelle d’un façonnage du bien-être
individuel ou collectif : un « eudémonisme radical »,
pour reprendre les termes de Roland Barthes à propos
du programme de phalanstères de Charles Fourier.
Reposant sur une poétique mécaniste du lien social,
cette approche magnétique reconnaît aux artistes
la faculté de modeler les passions et de produire un
lien communautaire. De générer un « partage du sen-
sible », où la modernité est pensée sous la forme d’une
esthétisation de la relation par les moyens de l’art, en
rapportant l’esthétique à ses sources étymologiques
(aesthesis, sensation), à savoir le domaine du sentir,
des impressions et des affects19, où le sens du (con)tact
prend une valeur médiatrice essentielle. Pour Gabriel
Laverdant, un phalanstérien disciple de Fourier dont
la référence deviendra culte dans les milieux alternatifs des années 1960, l’art véritable sera « pivotal »20,
non seulement parce qu’il sera au cœur de l’action
bienfaisante sur les individus, mais parce qu’il sera au
centre même de l’organisation du sensible. L’affaire
n’est pas nouvelle et file depuis longtemps des métaphores dont celle du moule quand il s’agit de parler de
milieu ambiant – le moulage remplissant ici la fonction de plasticité des corps et des consciences plongés
dans un environnement chargé de multiples champs
de force, sur lequel pouvait se projeter la dynamique
pulsionnelle des affinités : « On peut dorénavant
déclencher à coup sûr les réactions des hommes dans
les directions déterminées à l’avance » (Guy Debord).
Très vite apparaissent cependant les limites de ce
que le « régime esthétique de l’art » a fait éprouver
au concept même d’utopie – un mot, nous rappelle
Jacques Rancière, « dont les capacités définitionnelles
ont été complètement dévorées par ses propres propriétés connotatives : tantôt la folle rêverie entraînant
la catastrophe totalitaire, tantôt, à l’inverse, l’ouverture infinie du possible qui résiste à toutes les clôtures
totalisantes21. »
L’utopie serait donc à la fois un « bon lieu » (l’instauration de la communauté) et un « non-lieu » (la
normalisation de la domination), dans lesquels s’installent les mouvances alternatives de l’art des années
1960 pour y révéler ou dénoncer les techniques insidieuses de conditionnement social et psychologique
de l’environnement22, et tester en négatif ce qu’Ugo
La Pietra, un artiste de la mouvance radicale italienne,
appellera le « degré de liberté23 ». Dans leur critique
des dysfonctionnalités du modernisme, les artistes
vont prévoir non seulement une intervention créatrice
de la part de l’usager (le retour de la collaboration,
notamment par les dispositifs d’interactivité au cœur
du programme cinétique), mais un rapport stimulant à
l’espace et aux objets qui déjoue les prévisions de comportements. Relire la présence de l’hypnose dans l’art
des années de la reconstruction (1950-1970) consiste
à revoir le diagnostic sur la culture attentionnelle du
premier modernisme, armé cette fois des modélisations cybernétiques. La métaphore des circuits computationnels de commandement va faire office de
levier pour comprendre la vague d’une esthétique
immersive (expanded media/expanded mind) ainsi que
les ambiguïtés de son usage, entre compromis technocratique et résistance contre-culturelle, face à un sujet
que la « conscience électrique », au contact des nouvelles technologies du lien, propulsait dans le devenir
d’un homo communicans purement relationnel, subjugué par le vertige de la pensée artificielle ou la fascination médusante des écrans.
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HYPNOVISTA. POP CULTURE,
GLAMOUR ET FASCINATION
Il aura fallu quelques années avant que l’enseignement d’Erickson ne dépasse le simple cadre privé d’un
cabinet de psychothérapie de l’Arizona et n’essaime
dans les milieux cliniques de la fin des années 1960.
L’hypnose telle qu’elle apparaît aux yeux du large public
des années 1950 respire encore les poncifs césariens de
la sujétion. Les liens technocratiques entre les laboratoires de psychologie expérimentale et les agences gouvernementales alimentent cette lecture intrusive, dans
un contexte de guerre froide et de peur des « ennemis
intérieurs ». Pour exemple, le programme de recherches
piloté par la CIA dans le cadre du projet secret
MKULTRA24, dirigé par le docteur Sidney Gottlieb. Mis
en place à partir de 1953, en réponse à l’usage supposé de techniques de contrôle mental par l’URSS et la
Chine, notamment sur des prisonniers américains lors
de la guerre de Corée25, ce programme démantelé en
1972 a testé durant deux décennies diverses méthodes
de manipulation psychique et d’altération de la personnalité, dont certaines à l’aide de techniques d’hypnose boostées par l’usage des psychotropes (le LSD en
particulier) ou de thérapies à base d’électrochocs (les
expériences de psychic driving menées par le docteur
Donald Ewen Cameron26). L’Amérique se fait peur ;
Hollywood jouera à l’épouvanter dans les ressorts dramaturgiques de l’Hypnovista, un pseudo-label apparu
subrepticement en 1960 dans l’annonce d’un film de
série B, Horrors of the Black Museum, pour qualifier
une technique de montage consistant à produire une
sensation de terreur au moyen d’une savante orchestration des images, des sons et des couleurs. Dans les faits,
ce n’était qu’une simple opération de communication
de producteurs de films à petit budget pour camoufler
un manque d’innovation technologique sous le kitsch
scientiste d’une technique d’emprise vampirisante du
spectateur27. Un an plus tôt sortait sur les écrans The
Hypnotic Eye, qui consacrait cette veine pseudoscientifique d’un cinéma de terreur fondé sur la toute-puissance du magnétiseur, une veine dans laquelle il est
possible d’identifier facilement le spectre d’une crainte
collective face aux dérives du management psychique
de la post-guerre28. Aucune nécessité de se reporter sur
les contrôles étatiques ou militaires façon Manchurian
Candidate29 ; l’époque est hantée par la menace d’une
emprise plus globale et invasive des écrans sur la
psyché du spectateur, popularisée par le mythe des
« images subliminales », soigneusement répandu par
le succès public de l’ouvrage de Vance Packard, The
Hidden Persuaders (1957)30, consacré aux usages offensifs de la psychotechnique dans les milieux publicitaires31. Le docteur Caligari a désormais déposé ses
valises dans les bureaux de la « magie publicitaire », à
grand renfort d’études statistiques sur la psychologie
des motivations d’achat.
A
La culture pop s’empare très vite de ce pouvoir
magnétique des écrans. Dans ses Screen Tests (19641966), Warhol saisit des visages de personnalités croisant la communauté phalanstérienne de la Factory,
parmi lesquels se détache celui de Salvador Dali, filmé
en plan rapproché pour mieux saisir le mécanisme d’envoûtement du regard magicien, façon « mauvais œil »
(evil eye) reversé au service d’une promotion glamour de
l’artiste. Comme le note Brigitte Weingart32, le glamour
warholien prend sa source directement dans la tradition d’ensorcellement des grimoires, les livres occultes
et nécromanciens associant Éros et Thanatos, séduction
narcissique et fascination autodestructrice. L’art écranéique de Warhol puise sans détour dans cette grammaire de la séduction auratique mise au service de la
construction de la célébrité que sa Philosophie, bréviaire
et lexique abrégé de sa méthode, reconnaît avoir du mal
à cerner autrement que dans le mystère entretenu des
origines occultes et ancestrales de la fascination, traditionnellement associées au réflexe jaloux de la convoitise : « Le magnétisme de l’écran est quelque chose de
secret33. » Entre portrait et performance silencieuse, tournées en plan fixe avec une caméra Bolex 16 mm, souvent
en effet de superexposition pour accuser l’artifice d’une
A. Victor Moscoso, Chambers Brothers, 1967.
B. Mouse Studios, The Family Dog Presents Love. Congress of Wonders, Avalon Ballroom, 1968.
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théâtralité froide à la manière de certains « tableaux
vivants » (Warhol parle de living portraits boxes), ces
œuvres filmiques de deux minutes surfent sur un format
hybride et intermédial, à mi-chemin entre cinéma et
photographie. Si de nombreuses expressions impassibles
face à cette caméra intimidante sont ambiguës – à l’instar de celle de Dali, à la fois tétanisé par l’œil vampirique
de la caméra et magnétiseur face à celui du spectateur
–, c’est que Warhol a choisi de banaliser le pouvoir photogénique de l’image dans cet entre-deux médial d’une
photographie en léger mouvement. Cela oblige à revenir sur le lien historique agrégeant photographie, image
technique et hypnose34. Les démarches opticalistes de
James Braid ne sont-elles pas contemporaines des premiers tirages de Louis Daguerre ? Le choix de la sérigraphie par Warhol, adossé sur celui du « film fixe », ne rend
pas seulement compte d’une conception attractive de
la « reproduction ». Il est aussi l’insigne d’une relation
proprement hypnotique à l’image indicielle que Guy de
Maupassant avait énoncé à mots couverts dans Le Horla
(1887), en soulignant la compétition magnétique entre
la puissance de suggestion de l’hypnotiseur et le pouvoir
de séduction de l’image reproduite. La pulsion photographique dans la clinique de l’hystérie (l’Iconographie
de la Salpêtrière) trouve une singulière résonance chez
Warhol, après ou d’après les surréalistes. Dès les premières réactions au miracle de la photosensibilité, le
lien avec les imaginaires fluidiques de Mesmer avait été
avancé. La poétesse anglaise Elizabeth Barrett, devant
cette « merveilleuse découverte de notre temps qu’on
appelle la daguerréotypie », pensait immédiatement aux
« spéculations mesmériennes sur l’âme et le corps35 ».
Warhol reprend cette tradition fluidique et spectrale,
associant cliché photographique et survivance du souvenir de celui qui est présent dans l’image, mais aussi,
et de manière moins métaphorique, le lien entre pouvoir de reproduction et hypnose tel qu’il s’établit dans
la clinique des années 1880 où, selon Charcot, « pouvoir
reproduire une situation pathologique est la perfection
même36 ». Dans ce sens, la Factory aura été un espace
de projection mimétique des corps avant d’être l’outil de
leur reproduction iconique. Pour l’hypnotiseur et le photographe, un même constat tacite s’établit dans le faceà-face entre les acteurs, avec la même demande d’un
corps qui dans la pose se conforme sur une image ou se
prépare pour être image.
Hypnose et cliché photographique se retrouvent sur
un rapport mutuel, voire complice, entre celui qui fait
l’image et celui qui fait image, un jeu de rapport très
surjoué chez Warhol jusque dans une certaine forme
de « jouissance hystérique » partagée (c’est frappant,
notamment dans Screen Test # 2 de 1965, où il se retrouve
face au travesti Mario Montez, l’égérie commune avec
son ami cinéaste Jack Smith, un autre grand opérateur du glamour alternatif, démonteur underground
des mécanismes de la fascination hollywoodienne). Des
détails formels renforcent cette interprétation « magnétique » des Screen Tests. Dans certains apparaissent au
milieu de l’écran des points, perforations repères de la
fin de la pellicule qui rappellent, en rupture déceptive
du jeu de séduction, les contraintes matérielles du support pour mieux confondre l’immatérialité spectrale des
corps en présence. Ces pastilles s’interfèrent devant le
visage du protagoniste comme autant de points de fixation du regard qui soulignent, en fin de séquence et de
manière toute réflexive, la nature hypnotique du dispositif de prise de vue. Jean Epstein était déjà revenu sur
cette « intensité » hypnotique du gros plan, qu’il considérait comme une invention américaine37. Malgré une
certaine neutralisation dans l’anesthésie des jeux d’expression, Warhol en décline toute la puissance en cherchant à confondre visage, écran et surface de projection,
comme s’il s’agissait d’absorber l’aura du modèle dans
l’hypnose du propre dispositif. De fait, il utilise un très
net effet de décélération du temps de prise, pour mettre
l’image au diapason du rythme suspendu d’une légère
extase contemplative, en mimétisme avec l’effet d’étrangement spatio-temporel vécu dans l’induction somnambulique. Nul hasard si, dans de nombreux Screen Tests,
les mains des modèles intimidés ou revêches viennent
s’interposer devant la caméra, pour arrêter le faisceau
de lumière aveuglante ou maîtriser le mécanisme de l’induction. Comme a pu le montrer récemment Ruggero
Eugeni, le geste d’une main s’intercalant entre le sujet
hypnotisé et la caméra est un procédé que l’on retrouve
dans plusieurs tournages des premiers temps, sensibles
à construire un méta-discours sur l’hypnose filmique.
Cette main-écran (hand-as-screen) remplirait trois fonctions. La première réfère à l’écran comme un « composant environnemental » de la situation d’hypnose : elle
permet d’élaborer une situation d’isolation et de concentration attentionnelle du sujet. La main crée une barrière
sanitaire en milieu sensible spécifique. La deuxième,
plus « opérationnelle », réfère au geste classique de la
passe magnétique, c’est-à-dire à l’hypnotiste comme
opérateur de la transe (à la fois celui qui est derrière la
caméra, mais aussi devant). La troisième tient plus spécifiquement au mécanisme hallucinatoire produit sous
hypnose, la main-écran appelée à tester la véracité de
l’observation, en installant un obstacle optique à la projection de l’imagerie mentale. Manifestement, ces trois
fonctions peuvent converger vers une stratégie de protection du mauvais œil, quand la dimension archaïque
et aveuglante de la fascination (evil eye) semble revenir
en boomerang de l’atmosphère glamour produite par ce
nouvel environnement « électrique » des écrans et des
projecteurs qui hante le premier pop38.
David Hockney partage cette esthétique camp de
l’écran hypnotique. Dans une peinture réalisée en
1963, The Hypnotist, l’artiste anglais, figure majeure
du « popisme », illustre une représentation théâtrale
d’hypnose. Un champ magnétique sort des mains et des
yeux de l’hypnotiseur pour se reporter sur le corps d’un
partenaire de scène androgyne, habillé d’une tunique
rouge cardinal. La composition a été inspirée librement
par une scène d’un film fantastique de Roger Corman,
The Raven, dont le scénario est emprunté à la fameuse
nouvelle d’Edgar Allan Poe où deux magiciens mentalistes luttent sur scène dans une bataille de suprématie
des pouvoirs psychiques de l’un sur l’autre. Hockney
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reprend la scène de culmination de cette guerre télépathique des cerveaux, où le docteur Craven, joué par
l’acteur Vincent Price, lance une décharge électromagnétique sur son maléfique concurrent, le magicien
Adolphus Bedlo. Curieusement, la scène d’origine –
une compétition de thaumaturges – se transforme en
une fantaisie homo-érotique opposant un magnétiseur
lubrique à un jeune éphèbe plus innocent (Hockney a
pris pour modèle de l’hypnotiseur l’artiste américain
Mark Berger, un ami ouvertement homosexuel rencontré au Royal College of Art). Dans une version gravée,
un nimbe tout aussi érubescent que la tunique surplombe la tête concentrée de l’hypnotiste, manifestation fluidique de sa « force nerveuse », ou, selon une
exégèse plus biophysique et reichienne, la manifestation électrique de son désir. Scellée autour de leur
intérêt commun pour Edgar Poe, passant par une interprétation kitsch de la culture théâtrale transformée
A
A. David Hockney, The Hypnotist, 1963, huile sur toile, 214 x 214 cm, collection particulière.
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par les mass media39, cette complicité entre Warhol
et Hockney invite à creuser plus avant les imaginaires
de ce drag hypnotism. Au-delà d’une fascination pour
ce qu’elle est, il y a chez Hockney, et plus encore chez
Warhol, une anxiété face à une image attractive menacée par les propres effets de surexposition, infectée par
le travail corrosif de la solarisation. C’est tout particulièrement signifiant dans l’art du portrait qu’ils ont
chacun développé dans un rapport étroit à la photographie. Il y a là le mythe de la prise au piège du regard
dans l’image technique (la photographie) et la menace
ontologique de l’être face à sa propre image : être
absorbé, dévoré par elle. Il faut pour cela faire le détour
par une approche plus anthropologique de l’image proposée depuis quelques années par David Freedberg,
Hans Belting, Horst Bredekamp ou Carlo Severi autour
de son pouvoir « agissant », qui n’est autre, à bien des
égards, que son propre savoir hypnotique40. Leur argument est centré sur la potentialité (potentia) d’images
comprises dans un réseau de relations avec le regardeur, dans laquelle l’image s’apparente à un acte (in)
volontaire : « La problématique de l’acte d’image (Bild
Akt) consiste à déterminer la puissance dont est capable
l’image, ce pouvoir qui lui permet, dans la contemplation ou l’effleurement, de passer de la latence à l’influence visible sur la sensation, la pensée et l’action41. »
On retrouve là l’esprit et la lettre du principe d’« idéodynamisme » hérité des textes canoniques de la suggestion, mais reversé au dossier des croyances ancestrales
sur le pouvoir d’ensorcellement des images.
De cette foi dans le lien de contiguïté physique entre
le corps de l’image et la substance de celui qu’elle
représente, l’anthropologue James George Frazer avait
tiré dans Le Rameau d’or (1890) des conclusions qui
poussaient jusque vers l’explication animiste et primitive du mythe de Narcisse. Dans son volume Tabou et
les périls de l’âme, il revenait plus avant sur les craintes
des peuples de se voir photographier (« on croit souvent qu’ils contiennent l’âme de la personne représentée42 »). Si l’image d’une personne incarne son âme,
il en découle un risque pour celui qui est portraituré
de se retrouver dépossédé dans la fabrique même de
l’image, donnant toute sa vigueur corruptrice et létale
à l’expression « être pris en photo » : « Les gens qui ont
cette croyance répugnent naturellement à ce qu’on
fasse leur portrait ; car si le portrait est l’âme représentée, quiconque possède le portrait pourra exercer sur
l’original une influence fatale43. » Le modèle fluidomagnétique s’est déplacé subrepticement dans le transfert
des énergies entre le corps et ses représentations – celui
que Poe, auteur des Révélations magnétiques, avait
mobilisé dans une nouvelle mettant en scène le pouvoir cannibalisant de l’artiste sur le corps qu’il représente. Dans Le Portrait ovale (1842), il narre l’histoire
gothique d’un peintre qui décide de faire le portrait de
sa jeune épouse d’une rare beauté. Obnubilé jusqu’à
l’obsession aveugle par le travail de sa composition, le
peintre ne s’aperçoit pas que à mesure que le tableau
se parachève dans le rendu prodigieux du vivant de
l’expression, son modèle s’anémie jusqu’à perdre vie.
L’achèvement du tableau sera fatal pour l’épouse sacrifiée dans le rituel vampirisant de la représentation. La
logique fascinatoire du glamour des portraits iconiques
de Marilyn Monroe et Elizabeth Taylor, symboles de
l’aura des actrices, fonctionne sur ce mode d’exfoliation : les multiples clichés qui ont accompagné la montée en puissance de leur carrière n’ont fait qu’épuiser,
en substance, leur intégrité physique jusqu’à l’autodestruction programmée. Le portrait sérigraphique
de Marilyn, reproduit dans certaines versions multiples sans recharger l’encre, ce qui donnait au visage
aguicheur une atmosphère pelliculaire de plus en plus
spectrale, est réalisé à la suite de l’annonce médiatique
de sa mort ; celui de Liz Taylor, tout aussi chatoyant
dans la gamme acidulée des couleurs, fera suite à une
tentative de suicide. L’hypnose pousse au crime une
fois de plus. Ce sera le côté pulp du pop, son goût franchement déclaré pour la vanité de l’emprise fascinatoire des êtres par écrans interposés.
DREAMACHINE
OPTIQUE BEAT ET
TRANSGRESSION ÉROTIQUE
Mais l’hypnose des années 1960 ne s’ankylose pas
sans résistance dans cet effet d’anesthésie des écrans,
que l’invasion de la télévision dans les foyers de la
reconstruction venait à démultiplier à grande échelle44.
Elle dégage un tout autre modèle d’émancipation dans
les mouvements de la contre-culture investis de la mission de contrecarrer, de contourner ces puissances
de tétanisation sociale du sujet. C’est là que les techniques d’induction viennent servir à contre-pied la
recherche d’une extension libératoire de la pensée et
des comportements. Au-delà d’une pratique subversive de l’écriture, la Beat generation a ainsi expérimenté une optique alternative, notamment filmique45,
susceptible de produire par de simples effets psychophysiologiques sans nécessaire généralisation des psychotropes, des états modifiés de conscience, et même
augmentés de perception – ce que William Burroughs
appellera « une discipline non chimique d’élargissement de la conscience46 ». Cette expérience de l’œil
n’est pas étrangère au retard que Burroughs attribuait
à l’écriture face à l’impact, beaucoup plus direct et
immédiat, du langage optique des écrans, qu’ils soient
films ou télévision47 : « Les mots sont des objets secrets
et intouchables, n’est-ce pas ? […] Cette façon de se
distancer du médium place du même coup l’écriture
derrière le film et la TV si l’on ne tient pas compte du
contenu. » En pleine « révolution électronique », au
cœur de cette conversion accélérée de l’ère Gutenberg
en société Pathé-Marconi diagnostiquée par McLuhan
A. William Burroughs et Brion Gysin, 1962, collage à partir de deux tirages argentiques,
William Burroughs Papers, Arizona State University.
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et sa théorie « pentecôtiste » des nouveaux médias48 :
« L’électricité ouvre la voie à une extension du processus même de la conscience, à une échelle mondiale,
et sans verbalisation aucune. Il n’est pas impossible
que cet état de conscience collective ait été celui où se
trouvaient les hommes avant l’apparition de la parole. »
La lumière serait une forme de langage absolu, dans
la droite lignée des traditions orphiques : une source
d’illumination, d’émancipation et de transformation
intérieure. L’état visionnaire49 devient un objectif primordial pour cette cohorte Beat marquée par l’héritage
américain de la culture transcendantaliste50 ; il y a aussi
la méthode et les « exercices » pour y parvenir. Dès les
débuts de la formation erratique du groupe fondé sur
l’empathie des liens amicaux, la dimension communicative de cette nouvelle vision est le sujet d’intenses
discussions, cristallisées autour de la quête d’un langage51 inédit. Adossés à une nouvelle perception réajustée par la recherche expérimentale d’une corrélation
directe avec l’expression, les catégories cognitives
(sujet/objet, conscient/inconscient) et ses modes de
communication (description/explication) pourraient
se dissoudre en privilégiant des formes physiques et
immédiates de relations. Cela hors des normes linguistiques habituelles, et dont l’hypnose télépathique, dans
son idéal de transparence, pourrait apparaître comme
un horizon optimal52.
A
B
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C
A. William Burroughs visitant une exposition de Brion Gysin à la galerie Von Bartha à Bâle, 1979.
B. Brion Gysin et Ian Sommerville, Dreamachine, 1961, cylindre métallique perforé,
lampe, moteur électrique, 118 x 30 cm, musée d’Art moderne de la ville de Paris.
C. Brion Gysin et William Burroughs devant la Dreamachine, 1973, épreuve argentique.
De Kerouac à Burroughs, ce qui est visé en premier
lieu est bien un « modèle épistémologique d’intersubjectivité dans lequel la réalité émergerait à travers une
dynamique conversationnelle plus qu’au moyen d’une
relation hiérarchisée entre le sujet et l’objet53 ». Une
méthode générale n’y suffira pas ; il faudra la compléter et l’armer par des instruments : les outils de la
nouvelle vision, éprouvée dans des moments d’illumination partagée. La Dreamachine de Brion Gysin
et Ian Sommerville (1960) en sera le dispositif le plus
efficace, à mi-chemin entre contrôle et subjugation,
maîtrise et renversement, pleinement subversif dans
le décloisonnement des niveaux de conscience qu’il
opère par le simple jeu opératoire de seuils physiologiques et de rythmes fréquentiels.
La Dreamachine rejoint cette recherche d’une nouvelle voie, d’un art de l’immediacy visant à sortir du
régime symbolique ou analytique du langage pour installer la relation à l’œuvre et à l’autre dans un mode
beaucoup plus intuitif (ce que la performance tentait
par d’autres moyens, mais avec le même débordement
du langage). Un art proche à certains égards de la définition « postartistique » qu’avait donnée Henry Flynt
dès 1961 du Concept Art ». L’historien Branden Joseph
dira combien elle découle d’une approche foncièrement anti-intellectualiste à laquelle Flynt donnera à
terme le nom de contact ou acognitive culture54 : un
art « a-conceptuel » qui n’aurait pas sombré dans le
simulacre de la domination sociale et culturelle des
signes, mais, comme un contrepoids aux réflexes technocratiques ravivés par le spectre de la guerre froide,
aurait parié sur des liens non formatés. Ce que Stephen
Melville, dans un texte très inspiré sur les visées politiques de l’art conceptuel, a pu appeler le « rêve d’une
communauté télépathique55 ».
La Dreamachine est non seulement un appareil pour
extase hallucinogène mais une authentique machine
relationnelle où se projette le fantasme d’un phalanstère
visionnaire aux accents ouvertement homo-érotiques.
À ce titre, il est utile de rapporter l’invention de cette
machine par Brion Gysin et Ian Sommerville dans le
giron de ce que Burroughs a déjà tenté avec Queer. Face
à son premier roman, Junky, qui est une plongée introspective dans l’expérience psychotique de la drogue, et
sa transcription malmenée par les mots, Queer déplace
l’enjeu de la communication à un niveau beaucoup plus
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été associées à une « érotique du savoir » (erotics of
knowledge59). Curieusement, dans l’obsession à vouloir
retirer tout contact physique au profit d’une communication extrasensorielle, l’hypnose introduit un « rapport
magnétique » qui naturalise la dimension physique de la
séduction, reconnue depuis les protocoles de Mesmer.
La puissance fusionnelle de cette physique des
attractions n’est pas sans susciter certaines craintes,
notamment celle de l’attirance homosexuelle. Elle
hante dès les années 1920 les débats psychanalytiques
sur l’hypnose amoureuse. Ainsi en témoignent le dialogue entre Sándor Ferenczi et Sigmund Freud60 et
leur approche narcissique du transfert direct et non
codifié des pensées et des émotions, considéré ainsi
que l’homosexualité, comme « physiquement invasif et dématérialisé ou purifié61 », favorisant l’association entre paranoïa, dédoublement de personnalité et
« homosexualité déguisée62 ».
A
émotionnel, partant cette fois d’une analyse de la communauté des êtres « sur un niveau non verbal d’intuition
et de sensation, c’est-à-dire un contact télépathique56 ».
Burroughs convoque la télépathie de manière non métaphorique mais très « factuelle57 », pour qualifier le niveau
d’empathie des échanges de son héros William Lee, un
alter ego à peine camouflé avec ses proches, en particulier le jeune et très convoité Eugene Allerton. Ce
concert de « reconnaissance » ne peut se réaliser pleinement que dans un affranchissement des manipulations du langage (le mot est simultanément une barrière
et son débordement par la charge virale), pour explorer
des circuits alternatifs de transferts énergétiques, et plus
encore, magnétiques, des circuits « psychiques » : « I’m
acting as a map-maker, an explorer of psychic areas58. »
Comme l’a montré Pamela Thurschwell, les recherches
menées sur la transmission de pensée sous transe somnambulique en redistribuant les relations entre matérialité et psychisme, distance et proximité, ont très vite
Comment créer dans ce contexte plutôt normatif
les conditions favorables à une transe qui ne fasse pas
l’économie d’un trouble du genre ? Par le déconditionnement syntaxique du langage (la technique du cut-up)
mais aussi au moyen d’instrumentations physiques,
optiques en l’occurrence. L’âge d’or de l’hypnose clinique est né, au moment où la communication se
matérialise sous l’emprise des médiations électriques
tout en se recentrant sur l’échange empathique63. Non
seulement l’hypnose réduit l’obstacle de la distance64
(l’éloignement est aussi une affaire d’affects), mais elle
densifie la nature physique et sensible de la relation à
l’autre, tout en évacuant les apories du langage et les
obstacles de la traduction. En cela, elle libère le sujet
moderne de l’hégémonie des technologies du lien et
l’affranchit de tout intermédiaire symbolique (une
médiation que le plus paranoïaque des poètes de la
Beat generation, W. Burroughs, interprète justement
comme un outil de manipulation virale). L’opacité
des codes disparaît au profit d’une pure transmission
énergétique synchronisée, une énergie convertible et
conductible qui passe, comme un fluide magnétique,
d’un individu à un autre. C’est ce que met en lumière
le dispositif de la Dreamachine.
La Dreamachine s’inscrit sous cet angle dans une
plus vaste histoire culturelle, venue des traditions
fluido-magnétiques65 : elle draine avec elle, sous son
allure Op Art, le principe ancestral d’une aimantation élective et électrique des sujets66. À regarder de
près les photographies représentant le trio Burroughs,
Gysin et Sommerville, regroupé autour du totem
magnétique de la Dreamachine67, on ne peut s’empêcher de penser au « baiser électrique68 ». Cet artefact
fut imaginé par un physicien et poète de Leipzig, un
certain Georg Matthias Bose69, mais repris par le jeune
Benjamin Franklin, un des membres de la commission
A. Stanley Mouse, The Family Dog Presents Love, 1967, Avalon Ballroom.
B. Mouse Studio, Big Brother & the Holding Company, 1966, Avalon Ballroom.
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royale sur le magnétisme animal70, avant d’être porté
à son incandescence dans la culture « cyberdélique »
des années 1960, version Summer of Love.
Les affiches du psychédélisme témoignent de ce
regain pour une électrification décomplexée des corps
et des émotions, sous les couleurs incendiées des phosphorescences du LSD71. Ces baisers inondent les San
Francisco Comic Books (Robert Crumb, 1970), les films
polychromes de Terry Abrams (Be-In, 1967), les graphismes acidulés d’Hapshash and the Coloured Coat,
les covers de vinyles (Taylor Swift and the Electric Bag,
Are you experienced, 1969), après avoir animé en live
les light shows immersifs (Richard Aldcroft, USCO,
Jud Yalkut, Bill Ham…), les scènes fusionnelles des
trip festivals ou les nuits de l’Electric Circus, la discothèque pionnière de New York animée des projections
stroboscopiques d’Anthony Martin. Mais dans cette
bourrasque de l’« électronique érotisée72 », l’intensité
peut-elle résister à la « généralisation de l’électronique
dans les technologies humaines [qui] a sans doute signé
la fin du grand fantasme électrique73 » – les vieilles
lunes romantiques étant désormais comprises comme
une forme de sensualité de consommation et son bras
armé, la culture du divertissement ? Oui, répondent les
acteurs de la Beat generation, qui plongent sans complexe dans l’« inconscient optique » de la machine. Par
la pulsation fréquentielle obtenue au moyen des perforations du cylindre (le fameux principe du flicker au
rythme des ondes alpha74), la Dreamachine produit
un état modifié de conscience, propice au développement de facultés nouvelles, tout en installant par suggestion, de manière occulte, voire cryptée, une relation
sensible aux accents érotiques entre les agents qui s’en
emparent à plusieurs75.
Une planche du projet collaboratif The Third
Mind révèle assez clairement la présence subliminale
d’images homo-érotiques au cœur du dispositif de la
Dreamachine. Dans le photomontage se côtoient plusieurs clichés illustrant Burroughs, Gysin et Sommerville
expérimentant l’appareil : diverses vues du dispositif seul, et des photographies de jeunes garçons nus,
le tout distribué dans une grille qui reprend la structure perforée du cylindre. Il faudrait à ce titre relever le
caractère phallique des obturations de la Dreamachine
(et de la machine elle-même, dans ce cylindre érectile, digne d’un rite collectif d’initiation sexuelle76). Ces
ouvertures par lesquelles le code-lumière opère sont
des images subliminales en soi, à peine camouflées,
très proches des illustrations sans équivoque de Robert
LaVigne pour Kral Majales (1965), le poème qu’Allen
Ginsberg écrit en réponse à l’expulsion de son pays
d’origine, la Tchécoslovaquie soviétique, pour subversion homosexuelle77 (il se qualifie de « Bouzerant », un
équivalent argotique de « tarlouze » en tchèque, dont
le jeune poète se protège en se réfugiant, littéralement,
sous la protection tutélaire d’un phallus communautaire). Dans cet esprit, la griserie hypnotique recherchée autour de la Dreamachine joue beaucoup avec
une emprise homo-érotique, véritable contre-pied aux
postures réactionnaires d’un pan de la modernité artistique (on peut penser notamment à Breton qui exigera
l’expulsion du jeune Brion Gysin lors d’une exposition
surréaliste en 1935, manifestement en raison de son
orientation sexuelle78).
La nature électrique de la Dreamachine n’est probablement pas étrangère à l’influence des théories psychanalytiques de Wilhelm Reich sur la Beat generation.
Avec Burroughs, ils partagent une même physis de la
sexualité et du désir : dans ses entretiens avec Daniel
Odier, Burroughs affirme que la libido est « de toute
évidence un phénomène électromagnétique, Reich l’a
mesuré79 ». Selon lui, l’expression libre, pulsionnelle
et spontanée, de la sexualité (on retrouve ici la notion
d’authenticité, très stratégique pour ce groupe d’homosexuels souvent confrontés aux stratégies cryptées
de leurre et de camouflage80) pouvait non seulement
émanciper le corps des inhibitions sociales, mais favoriser l’intégration holistique du corps et de l’esprit ainsi
que le contact, plus cosmique, entre la conscience individuelle et le monde matériel81. Burroughs est apparemment le premier à avoir introduit les idées de Reich
dans le cercle de la Beat generation82. Il évoque les
théories sur l’orgone dès 1947 à Kerouac et Ginsberg83,
après avoir pris connaissance des interventions musclées des agences gouvernementales contre l’Orgone
Institute de Rangeley, dans le Maine. Ginsberg rappelle
…l’électrisation des mécanismes
perceptifs conduit ici
rapidement à une forme
d’érotisation tactile
et relationnelle de la vision…
d’ailleurs dans Composed on the Tongue que son ami
Burroughs avait essayé une « Orgone Therapy84 ». Par
ailleurs, ce dernier avait construit dès 1950 son propre
« Orgone Accumulator », affirmant que les « orgones de
Reich sont réels et démontrables85 ». En réaction à une
psychiatrie plutôt réfractaire, et même répressive, face
à l’homosexualité86 (de nombreux traitements étaient
administrés aux homosexuels dans les années 1950196087, notamment sur la base des théories comportementalistes dominantes, recourant aux techniques
dites d’aversion, au moyen d’électrochocs mêlés à
des techniques d’hypnose88), Burroughs et Ginsberg
se sentent attirés, sinon inspirés, par les propositions
hétérodoxes du pansexualisme reichien89 (même si
Reich, dans la lignée de Jones, se montrera franchement réticent face aux penchants homosexuels, qu’il
excluait délibérément de l’analyse). Le principe de
l’Orgone Energy reconduit dans les faits la tradition
fluido-magnétique la plus mesmérienne (le « caisson à
orgones » est un dérivé évident du baquet). Burroughs
a utilisé un Orgone Accumulator comme une capsule
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pour expérience orgasmique, dans les pas de ce que
Christopher Turner a appelé le « sexual evangelism »
professé par Reich90 : un environnement opticaliste
de recharge sexuelle par photostimulation (un « orgamastron »), ce qui anticipe tout naturellement sur le
mécanisme de la Dreamachine91. L’habitable est couvert de parois métalliques réfléchissantes et doté d’une
ouverture, dont les effets visuels peuvent rappeler certains principes rétiniens du flicker (un dispositif que
l’on retrouve, dès 1958, sous une forme primitive,
dans la chambre de Gysin au Beat Hotel, obtenu au
moyen d’un simple montage de miroirs en angle, réalisé à partir de l’armoire à glace92). Reich, à propos des
flashs vibratoires produits dans le jeu de réverbération en miroir (les orgonotic lumination) parlait explicitement d’« excitation sexuelle93 ». Burroughs utilise
les mêmes analogies : « La stimulation sexuelle peut
être provoquée par la manipulation électrique directe
des centres nerveux, de la même façon que l’on manipule une machine, et c’est une machine. Les aspects
sexuels de la machine sont peu connus, uniquement
parce qu’il n’y a pas eu de recherches, parce qu’elles
ne sont pas autorisées94. »
De fait, l’électrisation des mécanismes perceptifs
conduit ici rapidement à une forme d’érotisation tactile et relationnelle de la vision95. Gysin et Ginsberg
se sont rencontrés pour la première fois en avril 1961
devant une Dreamachine qui fait clairement office
de fétiche initiatique96. Il y a d’évidentes résonances
dans les traductions filmiques de la Dreamachine
orchestrées par le jeune cinéaste expérimental Antony
Balch, notamment dans Towers Open Fire (1963)
et la séquence fusionnelle où les profils de Gysin et
Sommerville viennent se confondre dans le baiser électrique autour de la Dreamachine, ou dans le fameux
Cut-Ups (1966) aux pulsations optiques encore plus
ouvertement homo-érotiques, laissant le quinquagénaire « Bill » Burroughs manipuler, en médecin de
l’âme, le corps d’un jeune éphèbe (« Baby Zen ») sous
les éclairs subliminaux des rythmes alpha. Curieux
hasard donc à ce que la Dreamachine ait été sauvée de
l’oubli par Genesis P-Orridge, un fervent admirateur
de Burroughs, figure historique de la musique industrielle, leader charismatique du groupe Throbbing
Gristle, adepte déclaré du transhumanisme, connu(e)
pour défendre, jusque dans sa propre transformation
physique, le concept de « pandrogynie » : une autre
manière, toute radicale, de sortir des apories dualistes
du genre, pour affirmer l’horizon hors normes de la
fusion amoureuse97.
MIND EXPANDER
HYPNOSE D’ATMOSPHÈRE
ET (DÉ)CONDITIONNEMENT
Cette dimension fusionnelle sera au cœur des discours et pratiques de l’art « ambiantal » des années
1960. Il faut revenir pour cela sur l’impact majeur des
modélisations cybernétiques et cette génération. C’est
l’époque où Claude Shannon, ingénieur en électricité
au MIT (Massachusetts Institute of Technology), met
en place les bases de sa théorie de l’information, en
proposant d’interpréter les opérations fondamentales
de la pensée à partir de circuits électriques discriminant des unités binaires de transmission (le BIT, binary
digit). L’ensemble de ces recherches légitimait une
description du comportement humain en termes de
plans (un processus hiérarchisé engagé dans un système binaire de choix), d’images (l’expérience comme
une banque de données, la connaissance comme un
programme stocké98) et d’objectifs (l’optimisation sous
contrainte). Il poussait l’intériorité du sujet vers un
devenir relationnel purement centré sur la gestion des
circuits de l’information, avec pour horizon mécaniste
et hédoniste le modèle de la réactivité (le feed-back et
les jeux de rémanences rétiniennes de l’Op Art) dans
un monde où tous les objets, vivants ou non, existent
d’abord sous la forme de différences qualitatives dont
on évaluerait les degrés sur une échelle croissante de
complexité, les objets les plus complexes étant précisément ceux qui assureraient la plus grande maîtrise de
leur environnement.
En France, l’art optico-cinétique doit beaucoup à
la figure d’Abraham Moles99, l’organisateur des conférences du groupe SIGMA100, qui s’impose rapidement
comme la tête de pont d’une lecture cybernétique
de l’art. En octobre 1965 a lieu la semaine « cybernétique » de SIGMA, avec des interventions de Vasarely
et des membres du GRAV (le Groupe de recherche
d’art visuel réunissant François Morellet, Jean-Pierre
Yvaral, Julio Le Parc, Joël Stein, Horacio Garcia
Rossi…). Moles y annonce un nouvel âge constructif susceptible « d’aménager de nouvelles relations
entre l’esthétique et la sémantique dans la Société de
Masse101 ». Il propose deux voies de développement
pour l’Art nouveau : d’une part, la voie immersive de
la polysensorialité (« construire de nouveaux arts par
une combinatoire sensorielle », avec pour exemple
le « cinérama olfactivo-tactile »), d’autre part, la voie
plus sémantique d’un vocabulaire plastique sériel et
géométrique (« trouver un nouveau rapport entre fonction sémantique et fonction esthétique »).
Ce seront les deux options, concomitantes et parfois contradictoires, de l’art cinétique des années 1960.
D’une part, l’omniprésence, plutôt froide, du langage
binaire, dans le schéma d’une transparence absolue
et performative de la communication102 ; d’autre part,
et comme son contrepoint « chaud », une approche
hypersensitive qui plonge le spectateur dans le vertige de la sensation, le vortex optique (effets moirés,
spirales, stroboscopes, etc.) et les jeux de déstabilisation proprioceptive (diagonales, écarts, obliques,
etc.). Les spirales hypnotiques y sont très nombreuses,
parfois immersives dans les œuvres optico-cinétiques
de Marina Apollonio, ainsi que les systèmes de clignotements électriques (Morellet, Stein…), rejoignant les oracles du gourou des nouveaux médias,
Marshall McLuhan, où « l’action désindividualisante
de notre technologie électrique104 » détrône le contrôle
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B
A & B. Marina Apollonio, Spazio ad attivazione cinematica, 1966, installation au sol, dimensions variables.
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rationnel de l’œil pour lui préférer la « participation
multisensorielle », avec ce même « besoin nouveau de
participation en profondeur105 ».
Dans les mêmes années, les courants de l’architecture radicale cherchent à influer sur le quotidien, dans
la contestation sociale et politique d’une mise au pas
de l’environnement ambiant des sujets. Il s’agit bien
pour les « radicaux » de revendiquer la possibilité d’une
architecture visionnaire dont l’utopie négative dissout
la construction dans le « tout est architecture106 », à
l’opposé du projet moderniste occupé par une logique
fonctionnelle de l’habitation. La « contre-utopie »
délaisse la fabrication pour la spéculation projectuelle,
jouant comme Friedrich St. Florian sur la dimension
purement mentale et hallucinatoire d’« architectures
imaginaires107 » : « Nous parlons d’une architecture de
gestes immatériels, d’une architecture présente et invisible […] à édifier maintenant à l’intérieur de nousmêmes108. »
Le contexte historique n’est déjà plus seulement
celui de la reconstruction d’après-guerre et des modes
de fabrication à grande échelle, ni celui d’une contestation des simulacres du modernisme à la manière
situationniste, mais bien celui d’une utopie artistique
B
« parodiant le futur jusqu’à l’absurde en accentuant
de façon outrancière les fonctions de la ville rationaliste (par) l’affirmation d’une architecture négative, une
non-architecture qui doit libérer les pratiques, créer un
choc afin d’assumer le réel109 ».
À quoi peut bien ressembler ce réel ? À un ensemble
hallucinatoire de signes, d’informations et de sensations, dans lequel il est urgent de restaurer un environnement susceptible d’être vécu comme une sphère
d’expansion permanente de la subjectivité. D’où, chez
ces pionniers du mouvement de l’architecture radicale, la présence récurrente de la bulle, des casques,
des cellules d’introspection physique et psychologique,
qui sont autant d’expérimentations sur le lien proprement hypnotique entre la vie de la conscience, la
pulsation du corps et ce milieu intermédiaire que le critique d’art italien Germano Celant va très vite appeler l’« Ambiante » (Superstudio, Coop Himmelb(l)au,
Archizoom Associati, Haus-Rucker-Co). Le modèle
prototype de la capsule rejoint alors une figure matricielle que le philosophe Peter Sloterdijk a pu placer au
centre de sa réflexion sur l’installation d’un « monde
habitable » au cœur d’une forme archétypale primitive
du lien : la « bulle magique » qui enveloppe du fluide
magnétique les relations interpersonnelles110.
Du Mind Expander de Haus-Rucker-Co (1968) à la
PillArchitektur de Hans Hollein (1967), les architectes
radicaux surfent sur la vague des environnements psychotropiques : l’étrange contagion du casque dans les
recherches de Walter Pichler, Coop Himmelb(l)au ou
Ugo La Pietra, dispositif audiovisuel propulsant le corps
et l’esprit dans de nouveaux modes d’appréhension du
réel, une « superception », entre la bulle atmosphérique
pour états modifiés de conscience (hypnose, transe et
hallucination) et le casque cybernétique pour une communication globale (téléprésence, cybertélépathie).
Souvent intégrés à des combinaisons, ces casques font
immédiatement penser à l’équipement du cosmonaute.
Mais, au-delà d’un simple transfert technologique, la
recherche spatiale se confond ici avec l’intuition new
age d’une évolution cognitive de l’espèce au contact
d’une habitation extraterrestre. C’est ce que Timothy
Leary appellera la « révolution cosmique ». Selon lui,
cette révolution aurait commencé dès 1926, « quand
un groupe de visionnaires allemands fonde le Verein
für Raumschiffahrt (Société pour le voyage dans l’espace) ». Avec eux, l’odyssée du voyage spatial vise non
seulement une extension territoriale, mais une modification de l’humain par la « croissance exponentielle
de l’intelligence » : « On n’a pas encore compris toute
la signification des vols extraterrestres. Les missions
Apollo, par exemple, ne sont pas que des exploits techniques et nationalistes. Ces vols sont, en fait, d’un point
B. Julio Le Parc avec un Double miroir, 1966.
C. Julio Le Parc, Cercles virtuels par déplacement du spectateur, 1967, 203 x 240 x 37 cm.
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de vue génétique et neurologique, le début d’une mutation, dont l’importance est égale à celle de l’apparition,
dans les eaux du primaire, des premiers mutants amphibies […]. La mutation des humains voyageant dans l’espace sera rapide, comme le fut celle des amphibies et
des organismes qui, s’étant établis sur la terre ferme, se
donnèrent l’équipement neurologique et physiologique
exigé par leur nouvel environnement111. »
L’utopie de voir disparaître l’architecture elle-même
accompagne la mutation neurobiologique de l’espèce,
désormais confrontée aux conditions d’isolation sensorielle du vol. La NASA a mis en place à cette époque de
nombreuses recherches expérimentales sur le conditionnement hypnotique en « gravité zéro », en dialogue avec
les récentes pistes sur les modifications psycho-physiologiques en vase clos et privation sensorielle, menées
notamment depuis les travaux pionniers à l’université McGill de Montréal au milieu des années 1950112.
Du « caisson d’isolation sensorielle » de John Lilly à la
Black Room de Jack Vernon113, de multiples dispositifs
de « déconnexion » ont été mis en place pour observer la
mutation des réflexes et des comportements en milieu
confiné. Dans le cas de Lilly, un proche de Ginsberg et de
la Beat generation, des liens explicites se nouent entre
contre-culture, évolution de la conscience et expérience
physiologique du vol spatial. Ce panpsychisme peut se
décliner sous la forme métaphorique d’une boîte crânienne aux ramifications électroneuronales. Dans But to
Live in a Strange Head (1967), Coop Himmelb(l)au propose une maison en forme de « cerveau électronique »,
avec une structure exosquelette qui évoque clairement
la forme du cortex. Deux ans plus tard, avec Soul Flipper
(1969), ce sont des capteurs directement branchés sur le
visage et la cavité frontale, à la manière d’un électroencéphalogramme dont on retrouve des traces dans le projet Extensive Man d’Heidulf Gerngross (1968). La ville
tout entière s’organise sous la commande des esprits
qui la composent, connectée aux ondes cérébrales des
habitants. Dans Feedback Vibration City (1971), Coop
Himmelb(l)au pense une ville qui mute et change en
fonction de la respiration, des rythmes cardiaques mais
aussi des « ondes alpha » de ses habitants, une cité
ramenée à ce que Bernhard Hafner appelle un « psycho-métabolisme ». Des synapses sous LSD aux neurones innervés par les nouveaux systèmes d’information,
l’architecture devient un milieu d’induction hypnotique
qui ne prend pas seulement en compte une protection
minimale du corps (écosystème), mais le bien-être psychique, avec toute une recherche prospective sur les
méthodes d’extension biochimiques du plaisir et de la
conscience (transe, extase), au-delà de la simple intoxication114. C’est le modèle du biofeedback qui s’impose
alors, avec une prédilection pour les vertus hallucinatoires des ondes alpha. Le LSD peut laisser place au BFT
(Bio Feedback Training, plus connu à cette époque sous
le terme new age « Electronic Yoga115 »). Mais là encore,
la perte des niveaux de réalité (est-ce réel ou hallucinatoire, tangible ou purement virtuel ?) peut très vite
faire basculer les fondamentaux de l’architecture dans
la peur d’une mystification. À l’idée d’une architecture totalement dématérialisée dans la simple suggestion verbale fait suite la crainte d’une faillite du discours.
C’est à cette aporie que mène le projet Abitare e facile
d’Archizoom Associati pour l’exposition Italy : The New
Domestic Landscape organisée en 1972 par Emilio
Ambasz au MoMa, l’un des moments clés de la diffusion de l’architecture radicale aux États-Unis. Aucune
structure, aucune maquette, aucun plan. Pas de dessins ni de collages. Une simple salle vide dont les murs
sont recouverts d’une peinture gris neutre, avec en fond
sonore une bande magnétique reprenant la voix d’une
petite fille récitant à la manière d’un suggestionneur
rompu à la méthode Coué la description de cette architecture purement mentale : « Écoutez, je pense que cela
va être quelque chose de vraiment extraordinaire. Très
spacieux, brillant, vraiment bien arrangé, sans recoins
cachés, vous savez. Il y aura une belle lumière, vraiment
brillante, qui montrera clairement tous ces objets désordonnés. Tout sera simple, dénué de mystère et rien ne
dérangera la paix de l’esprit, vous voyez. Merveilleux,
vraiment, réellement très beau, et très grand aussi.
Assez extraordinaire ! Il fera bon ici aussi, dans un silence
immense. Mon Dieu, comment puis-je vous décrire
toutes ces merveilleuses couleurs ! Vous savez, de nombreuses choses sont vraiment difficiles à décrire parce
qu’elles sont utilisées ici d’une toute nouvelle façon […].
Vous voyez, il y aura beaucoup de choses merveilleuses,
et pourtant ça aura l’air presque vide. Ce sera si grand
et si beau… Ce sera si formidable d’y passer la journée à
ne rien faire, sans travailler ou quoi que ce soit d’autre…
Vous savez, juste formidable…116 ».
Mais dans le catalogue de l’exposition, Manfredo
Tafuri, qui a toujours défendu la validité du projet moderniste face aux rêves éveillés ou cauchemars
irréels des radicaux, s’en prend à cette proposition ultra
conceptuelle dans laquelle il croit démasquer non une
utopie désabusée, mais un discours autoritaire117. Pour
Manfredo, ce tropisme psychique de l’architecture est
un mirage, un « trompe-l’esprit » aux visées manipulatoires. La contre-utopie des radicaux ne démentira pas
totalement le côté obscur ou illusoire de cette quête
de nouveaux espaces de liberté. Elle aura pour cela
profité des leçons fournies par les liens qui se tissent
à cette époque entre psychologie expérimentale, critique sociale de la gouvernance cybernétique et antipsychiatrie (Gregory Bateson, Ronald Laing, Stafford
Beer)118. C’est là que se joue, de manière moins mécaniste, une exploration cognitive des facultés d’adaptation du cerveau – ce que Bateson, proche d’Erickson,
appelle l’« écologie de l’esprit119 ».
A. Julio Le Parc dans les ateliers du GRAV, Groupe de recherche d’art visuel, 1963.
B. Ugo La Pietra, Plastic Environment for Experiencing Optical Phenomena, 1969.
C. Larry Miller, Dream Machine. Installation model, 1977, crayon sur papier, 45,09 x 60,96 cm, collection de l’artiste.
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« HYPNOSES MÉCANIQUES »
PILOTAGE ÉLECTRIQUE
ET AUTOMATISMES RÉFLEXES
Grand représentant de l’esthétique cybernétique,
Nicolas Schöffer va décliner, tout comme le fera le projet du Mind Expander, ce modèle de communion électro-synesthésique destiné à un spectateur « environné
de programmes audio-visuels (olfactifs, tactiles) qui
le baigneront dans un véritable climat suresthétisé ».
Et ce n’est plus seulement l’image qui se dérobe dans
sa perpétuelle métamorphose, mais les médias euxmêmes qui tendent à se dissoudre dans la fusion scénique de l’intermédia. Schöffer souhaite construire le
grand « Théâtre spatio-dynamique120 », un « théâtre du
plaisir », mais aussi des « centres de loisirs sexuels »,
« véritables temples d’amour dépourvus de tendance
pornographique, mais où tout contribuera à préparer
les couples à l’amour, à l’amour enfin démystifié, à la
portée de tous, sans artifice et sans dégradation […].
En franchissant le seuil, le visiteur sera plongé dans
un bain audio-visuel au climat tiède, odorant, monochrome (rouge clair), où le son, la lumière colorée, les
odeurs seront pulsées sur un rythme très lent […]. Il
pourra descendre à pied ou sur un tapis roulant une
pente douce et large, en spirale, à travers un véritable
spectacle des formes abstraites, statiques, courbes, en
matière lisse, légèrement chaudes au toucher ; d’autres
formes abstraites courbes, en mouvement pulsé lent,
donneront une sensation d’expansion ou de pénétration ; elles seront accompagnées de scénarios audiovisuels lumineux, odorants et climatiques121. »
A
B
Plutôt décomplexé face aux possibles dérives du
contrôle technocratique de la machine, il adhère ici
à une vision émancipatrice de la technologie où le
« grand cerveau électronique » des Compositions luminodynamiques s’est transmué en orchestrateur des
sens, et l’artiste, en nouveau Prométhée dont il resterait à évaluer les ambiguïtés idéologiques face à cette
nouvelle gouvernance automatisée des affects122.
À l’intérieur, les visiteurs circulent dans un environnement amniotique où les parois ondulantes forment
un écran panoptique sur lequel viennent glisser de multiples projections colorées. L’espace se lubrifie littéralement. Projetés dans ce décor du rêve primordial – celui
d’un retour au ventre maternel –, les spectateurs sont
littéralement hypnotisés, déssaisis de l’optique moderniste qui prévaut dans la sphère du travail au profit
de deux autres modes de sensibilité plus primitifs, le
toucher et l’odorat. Nous voici devant l’économie du
sensible primitif revendiquée par les prosélytes romantiques du « somnambulisme artificiel ». Schöffer parle à
cette occasion de perception « olfacto-tactile ». Rejouer
une forme archaïque de perception, c’est chercher à
plonger plus directement dans la scène originaire du
plaisir. Il rejoint là tout un courant de la post-abstraction géométrique qui mène la pratique de l’espace dans
un sens clairement proprioceptif. On pense aux dispositifs d’Hélio Oiticica ou de Lygia Clark, tous deux venus
d’un vocabulaire de l’abstraction concrète, et qui vont
orienter leur art vers des environnements pénétrables,
A. Nicolas Schöffer, photogramme du programme télévisuel Préparation au sommeil, 1968.
B. Nicolas Schöffer, CYSP I, sculpture cybernétique autonome avec deux danseuses, 1966.
C. Portrait photomontage de Nicolas Schöffer, ca. 1970.
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à forte dominante tactile (les Parangolés chez Oiticica).
Là, à nouveau, le décor de la libération sensorielle
rejoue le conditionnement sexualisé de l’habitacle
maternel. Chez Lygia, la contagion participative de
l’art passe par la figure transitionnelle du cordon ombilical, celle de la relation mère-fœtus convoquée, très
tôt, comme modèle naturel de l’emprise magnétique,
dès les intuitions de Hegel sur le « rapport magique »
du magnétisme animal123. Chez Oiticica, la reconstitution utérine est encore plus frappante. Dans son installation Eden, présentée en 1969 à la Whitechapel
Gallery, le spectateur pouvait s’allonger sur des matelas
recouverts d’une tente de lin dans laquelle la lumière
extérieure pénétrait à travers un filtre rouge ambiant
rappelant, sans équivoque, l’alimentation sanguine du
ventre maternel. Pôle d’énergie « nucléique », l’espace
est devenu le lieu de ressourcement psycho-physiologique pour des individus qui, selon les propres termes
de l’artiste, « se restaurent comme s’ils revenaient à la
nature, à la chaleur de l’enfance par laquelle on peut
se laisser envelopper ; plonger dans l’utérus de l’espace
ouvert, construit, représenté par cet espace qui était
encore plus qu’une galerie ou un abri ».
La performance Kyldex I, dansée dans le décor
interactif des Chronos, sculptures mobiles autoprogrammées de Schöffer, use précisément de ce glissement de l’abstraction cybernétique dans l’hédonisme
pansexualisé. Le pas de deux, orchestré par Herman
Carlson, se joue devant un mur d’ampoules activées
par un système électronique. Les points lumineux, formant un réseau orthonormé sur le fond noir du décor,
sont des mécanismes hypnotiques ; ils rappellent le
scintillement pulsatif des grandes machineries électroniques, mais aussi les tentatives d’algébrisation
géométrique du corps dans l’espace par ÉtienneJules Marey. Le corps lutte contre sa propre disparition dans l’écriture vectorielle de sa trajectoire. La
seconde scène est animée par un écran géant où scintillent des lucioles aux formes pulsatives, rejouant la
plongée dans la vie intra-utérine. La scène est beaucoup plus métabolique, pulsionnelle, sanguine. La
géométrie aérienne et métallique des Chronos (des
sculptures-robots en acier, actionnées par des systèmes électroniques intégrés) a fait place à des masses
organiques, couchées, plus anthropomorphes. Formes
ondulatoires, en suspens, surfaces tièdes et pulsatives,
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d’une politique insidieuse de contrôle de la société. Si
Schöffer parle d’une « augmentation de la fascination
visuelle par un accroissement lumineux sur une surface
ou dans un espace déterminé, en introduisant sur cette
surface, ou dans cet espace, des éléments esthétiques
structurés128 », c’est à la fois pour accuser le pouvoir de
contrôle de l’instance de diffusion tout en se réservant
le droit d’amener le spectateur vers une condition onirique plus créative. « Dormir pour rêver », dit le texte
subliminal apparaissant à l’écran, quand dans ses notes
Schöffer proposera le label « hypno-dream-box129 ». En
d’autres termes, ses projets luminocinétiques sont des
machines ambiantales à produire des hallucinations
relaxantes, une forme de visual muzak130 qui rejoignait
à certains égards les horizons psychédéliques de la
Dreamachine de Gysin, quand ce dernier envisageait
que son instrument puisse se substituer à la télévision
dans chaque foyer131.
on retrouve là tout l’appareillage de l’« architecture
sensible » défendue dans l’entre-deux-guerres par les
surréalistes Friedrick Kiesler ou Roberto Matta124, une
architecture intra-utérine qui renvoie à une « morphologie du désir125 ».
Nous sommes ici face à l’ambiguïté culturelle qui
a ouvert ce chapitre : l’hypnose des années 1960 est
plus que jamais partagée entre régression et mutation, entre procédé à défaire les réflexes ataviques
et contrôle électromagnétique des consciences. Nul
hasard si le même Nicolas Schöffer propose à la télévision française un programme intitulé « Préparation au
sommeil », rangé, comme le rappelle Arnauld Pierre,
dans une « catégorie explicitement nommée émissions
de conditionnement126 ». Hérité de sa collaboration institutionnelle avec le « département d’ambiance programmée » de la société Philips, ce projet de « l’artiste
programmeur » (c’est ainsi qu’il se nomme lui-même)
n’est pas étranger à une recherche de pilotage des subjectivités auquel l’hypnose visée dans ses programmes
visuels d’endormissement donne ici un air vaguement
technocratique. C’est ce qu’il est possible de comprendre au regard de sa collaboration avec le psychiatre Paul Sivadon, un acolyte du groupe Néovision
fondé dans le milieu des années 1950 (Schöffer, mais
aussi l’architecte Claude Parent, le musicien Pierre
Henry et le chorégraphe Maurice Béjart), dont les
recherches cliniques sur les conditionnements environnementaux du sujet – couleur, lumière, acoustique
– donneront des applications thérapeutiques à ce qu’il
appelle une « hygiène mentale » cherchant « l’équilibre » individuel et collectif, à savoir la recherche
sanitaire et planificatrice d’un « homme normal »,
c’est-à-dire aussi normé par les injonctions de « critères esthétiques rigoureux127 ».
Le programme « Préparation au sommeil » (1967),
d’une durée de deux à quatre minutes, livre à l’écran
une séquence rythmée de faisceaux chromolumineux
obtenue par le Téléluminoscope, breveté par Schöffer en
1963, avec saccades continues de pulsations électriques
et variations de mobiles graphiques, dont de nombreuses ellipses et volutes, sur lesquelles venaient, par
intermittence, se superposer des images de danseuses
dans des poses extatiques, ainsi que de brèves injonctions textuelles du type « rêver pour vivre », « dormir
pour vivre », pour se terminer sur un « dormir » prolongé
et languissant. Autant dire que, malgré la sophistication
de son vocabulaire abstrait opticaliste, ce programme
rejoignait l’idée qu’un large public pouvait se faire
d’une « hypnose douce » combinée aux propres effets
lénifiants du tube cathodique. Un an plus tard, parmi
les affiches placardées par les étudiants(e)s des BeauxArts en mai 1968, on retrouvera le motif d’un hypnotiseur maléfique portant ses mains envoûtantes sur un
poste de télévision perçu comme le relai, instrumental
Une fois de plus, et jusque dans cette impulsion
décompressive de détente, les ambivalences idéologiques autour de l’hypnose sont maintenues, parfois
camouflées. Car toute cette fantasmagorie télévisuelle
aime à agiter les chiffons rouges de sa propre complicité
technocratrique. Pour preuve, la critique d’un proche
de Nicolas Schöffer, le docteur Jacques Ménétrier, prosélyte de la cybernétique dans les colonnes de la revue
A
A. I am The Dream Machine, 14 juin 1970, publicité.
B. Affiche de l’Atelier populaire de l’École des beaux-arts de Paris, mai 1968.
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Planète132 et adepte de thérapies de « rétablissement
électromagnétique du corps humain », qui voit dans les
œuvres hypnotiques de son ami Schöffer un exemple
d’un « matérialisme fantastique » par quoi adviendra,
après le fracas irrationnel de la guerre, le réenchantement de la modernité sous couvert d’une alliance entre
l’artiste et le magicien133. L’hypnose, plus que jamais
classée dans la catégorie du « merveilleux scientifique », se range derrière le voile magique et trompeur
de l’illusionniste. Mais il y a plus, car dans un ouvrage
monographique consacré à Schöffer, coécrit avec Jean
Cassou et Guy Habasque, deux grands défenseurs de la
mouvance opticaliste, Ménétrier se permet de relever
dans les travaux de son ami une entreprise de « déconditionnement134 » face à ce qu’il considère comme le danger des nouveaux médias audiovisuels d’engendrer
un « conditionnement psycho-physiologique » proche
de la « sujétion sensorielle, intellectuelle, voire même
inconsciente135 ». Or, le docteur Ménétrier n’est pas
promoteur de la cybernétique pour rien. Biologiste
de formation, il a été durant la Seconde Guerre mondiale secrétaire général de la Fondation française pour
l’étude des problèmes humains, créée par le régime de
Vichy136, une position qui en fait un fervent défenseur
d’un hygiénisme social teinté d’« eugénisme pragmatique », que l’on retrouve, à mots couverts, dans son
ouvrage La Vie collective (1947) et son programme organiciste de « transformation de l’homme par l’homme »
– un personnage somme toute peu légitime pour parler
de « déconditionnement ».
EXPANDED MIND
HYPNOSE CYBERDÉLIQUE
ET CONSCIENCE COSMIQUE
C’est probablement pour sortir de cette ambiguïté
que le psychédélisme va choisir une voie de l’hypnose
plus radicale. L’exemple le plus marquant de ce glissement dans le champ des avant-gardes des années
1960-1970 est celui qu’analyse Gene Youngblood dans
Expanded Cinema (1970)137. Le phénomène de mixité
dans les arts électroniques contemporains est interprété
comme une réponse à la « conscience élargie » des nouveaux algèbres informatiques annonçant la réalisation
imminente d’un langage universel, un espéranto cybergnostique. L’hypnose, associée au pouvoir hallucinogène
des psychotropes, va rejoindre la catégorie plus vaste des
états modifiés de conscience et leur aptitude à redéployer
des facultés cognitives et perceptuelles étendues, dans
la grande tradition ouverte par le « somnambulisme artificiel ». Les arguments mais aussi les objectifs sont très
proches et complices, romantiques dans l’esprit, animés
par l’ambition d’atteindre une « hyperception » : « Une
extension prodigieuse dans la faculté de sentir138 » permise par un déblocage d’une sensibilité engourdie dans
une réflexologie moderne ayant enfoui un sentir primitif
dont les cinq sens ordinaires ne seraient que des spécialisations défaisant l’intégrité synthétique du sujet. Nous
sommes bien cette fois dans une logique de « déconditionnement » dans laquelle la synesthésie des dispositifs
audiovisuels va œuvrer à la récupération d’un état d’origine mythifié, vécu comme le contrepoint nécessaire à la
désintégration de l’humain opérée par la logique rationaliste du modernisme. Dès 1818, le comte de Redern,
dans un mémoire consacré aux Modes accidentels de
nos perceptions, relevait que le « sens interne », fondement à une compréhension intime du rapport au réel et
au monde, avait été masqué par les impératifs pragmatiques de la vigilance courante, le somnambulisme artificiel étant appelé à faire revenir à la conscience vigile
cette sensibilité d’origine. En d’autres termes, l’option
somnambulique arriverait « à un degré suffisant pour
réunir, avec la conscience actuelle du moi, tout ou partie des perceptions dont [elle] n’a été jusque-là que le
simple dépositaire139 ». La magie de cet état serait donc
non d’endormir les sens et la conscience, mais de les
réveiller, dans une nouvelle organologie dont la particularité paradoxale serait de réunir le mode d’existence de
la conscience vigile et celui, plus mystérieux, car enfoui
et oublié, d’un sentir primitif, « sentinelle avancée de
notre conservation140 ».
Pour Bertrand Méheust, dans cette quête primitiviste, « il y a aussi une portée métaphysique ; ce n’est plus
seulement un modèle psychologique, c’est un modèle
psycho-cosmologique, derrière lequel transparaît l’influence de la théosophie et de la Naturphilosophie allemande […]. Si la transe somnambulique a tellement
fasciné les romantiques allemands, c’est qu’à leurs yeux
elle ferait descendre l’homme bien au-dessous du sommeil naturel. Provoquant la fermeture totale de tous
les sens, elle réactiverait le sens intime. En se retirant
de lui, à la faveur de l’isolement magnétique, le somnambule accéderait à ce que Schopenhauer nommera
le nexus metaphysicum, le “jeu secret sous la table”,
les “coulisses de l’univers” ; il s’affranchirait de façon
temporaire et erratique des contraintes de l’individuation141 ». Cette mise en relation aux autres et à l’Univers
tout entier passe par la médiation d’un rapport nouveau à la nature (« De là, il suit qu’au moyen de son
sens intérieur, le somnambule doit réellement communiquer avec toute la nature », disait déjà Tardy de
Montravel en 1823, dans la Correspondance de Monsieur
de Puységur142). Elle rencontrera tout naturellement un
écho massif dans les milieux de la contreculture, animés par une reconsidération responsable de la nature
susceptible de recréer, par analogie, du lien immédiat
et unanime au sein de la collectivité. Mais comment
concilier ce mythe de l’immédiateté adamique avec
l’excroissance technologique ? C’est là qu’intervient
l’autre versant de cette contre-culture, le côté Whole
Earth Catalog143. Au cœur de la réflexion menée par
A. Haus-Rucker-Co, Mind Expander, 1967, épreuve gélatino-argentique,
24 x 18 cm, Berlin, collection Zamp Kelp.
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Youngblood, il y a bien sûr l’impact des modélisations
cybernétiques de l’information, mais aussi l’influence
majeure de deux penseurs qui forment un duo et vont
connecter empirisme romantique et révolution électronique : le Canadien Marshall McLuhan et le paléontologue et théologien Pierre Teilhard de Chardin.
Le bain dans les technologies
électromagnétiques pilotées
par mode computationnel devient
le procédé de la nouvelle hypnose
collective à laquelle participera
le développement des installations
multimédias, audiovisuelles et
immersives dans le
champ artistique.
Le Phénomène humain, ouvrage pilote de Teilhard de
Chardin, est sorti des presses en 1955. Il deviendra très
vite, notamment à travers la relecture technocentrée
de McLuhan, une bible du transformisme transcendantaliste formant l’armature conceptuelle d’une branche
technophile du new age psychédélique où tous les ingrédients de la phénoménologie romantique (hyperesthésie, expansion de la conscience, clairvoyance…) seront
revus et corrigés à l’aune des nouveaux réseaux de
connexion. Teilhard de Chardin nommera l’« hyperphysique144 » cette rencontre qui donne à cette quête d’un
sensus communis originaire une tout autre allure évolutionniste. Une vision globale et globalisante du cosmos,
fondée sur une théorie de l’évolution où, depuis l’origine, l’Univers s’organise et s’achemine vers un degré
croissant de conscience réflexive. À chaque nouvel
ordre de grandeur de ce processus d’évolution naissent
de nouvelles formes d’arrangement145 qui s’orientent
vers un état de complexité et d’agrégation croissant,
prenant forme et consistance dans une « conscience
planétaire ». Le « phénomène humain », tel que l’entend Teilhard, n’est autre que la manifestation de cette
conscience cosmique, qui rapproche et relie les individus entre eux dans la convergence électronique des
cerveaux connectés. Selon Teilhard de Chardin, l’humanité portée vers le « point Omega » est « munie d’organes spéciaux de liaison qui, non seulement assurent
entre les éléments une communication rapide, mais
transforment peu à peu leur agrégat en une sorte d’organisme qu’il serait faux de considérer comme simplement métaphorique146 ».
C’est dans ce contexte qu’il s’intéresse, comme le
fera son disciple McLuhan, à la croissance exponentielle des moyens de communication147, entendus
comme d’authentiques extensions prosthétiques de
l’humain, et dont l’activité construirait l’étoffe organique par laquelle l’humanité nouvelle crée un réseau
de relations nouvelles, une sorte de « super cerveau » :
« En multipliant les communications et les échanges
rapides […], l’Homme est arrivé à ce résultat (encore en
plein progrès) que les individus, vivants de plus en plus
rapprochés les uns des autres, tendent à se compénétrer vitalement148. » Cette participation coextensive des
subjectivités individuelles à une conscience collective
ne passe pas par la disparition du sujet dans la prise de
pouvoir des médiations machiniques : l’homme, en restant extérieur à l’instrument qu’il se donne, prolonge le
phénomène biologique de l’Univers tout en se créant
des espaces de liberté tournés vers l’unification globale
de la « planétisation humaine ». Les médiations technologiques n’ont pas externalisé le sujet (sa disparition
programmée dans la « matérialisation de la communication » analysée par Friedrich Kittler149), mais tout au
contraire augmenté organiquement ses facultés spirituelles, aidées par l’élan de la « cérébralisation collective150 » : « L’électricité ouvre la voie à une extension du
processus même de la conscience, à une échelle mondiale, et sans verbalisation aucune. Il n’est pas impossible que cet état de conscience collective ait été celui
où se trouvaient les hommes avant l’apparition de la
parole […]. L’ordinateur, en somme, nous promet une
Pentecôte technologique, un état de compréhension
et d’unité universelles. Logiquement, l’étape suivante
consisterait, semble-t-il, à préférer aux langues, au lieu
de les traduire, une sorte de conscience cosmique universelle assez semblable à l’inconscient collectif dont
rêvait Bergson151. » Le bain dans les technologies électromagnétiques pilotées par mode computationnel
devient le procédé de la nouvelle hypnose collective
à laquelle participera le développement des installations multimédias, audiovisuelles et immersives dans
le champ artistique.
Youngblood défend ainsi une nouvelle forme de
cinéma, un « cinéma synesthésique » activé par une
« conscience océanique dans laquelle nous sentons
notre existence individuelle se perdre dans une union
mystique avec l’univers152 ». Ralph Metzner, l’éditeur de
la mythique Psychedelic Review, met à la mode des dispositifs chromocinétiques de color music qui se perfectionnent, tout en cultivant une esthétique du bricolage
qui déroute d’emblée le fantasme de l’emprise technologique. On retrouve ici la majeure partie des acteurs
de la très éphémère scène psyché, avec une progressive contamination de la côte ouest. Dans la foulée des
Vortex Concerts de Jordan Belson, installés au Morrison
Planetarium du Golden Gate Park de San Francisco,
Metzner présente l’Infinity Machine de Richard Aldcroft
au Gate Theatre de New York. Timothy Leary, le mentor de la League for Spiritual Discovery, adopte la forme
spectaculaire des projections environnementales lors
de ces séances de prosélytisme en faveur du LSD.
Certains souhaitent créer des lieux spécialement adaptés pour ces nouvelles liturgies hypnotiques des sens.
Jackie Cassen et Rudi Stern ouvrent le Theater of Light ;
Christian Sidenius créé le Lumia Theater. Les festivals
se multiplient ; les shows se ritualisent dans une réforme
de l’œuvre d’art totale qui trouve son expression la plus
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A. Robert Whitaker, Ecstatic Girl at Poets of the World, Royal Albert Hall, 1965,
épreuve argentique.
immédiate, errante et incontrôlée, dans les fameux
Trip Festivals (1965-1966), ces « Spectacles Complets
[qui] procédaient directement de leur combinaison
de lumières, de projections cinématographiques, des
stroboscopes, des bandes magnétiques, du rock’n’roll
et de la lumière noire mêlés153 ». L’objectif est d’ébranler des mécanismes introspectifs qui, loin de rejouer le
processus narcissique (propre aux dérives d’une orthodoxie contestée de la psychanalyse), favoriseraient
l’émergence d’une forme archaïque d’hyperconscience
collective. Dressant l’inventaire de ces tentatives,
Youngblood parle de « Paleocybernetic Consciousness »
qui propulse l’individu dans une « communication
englobante ». Dans son Cosmic Humanism and World
Unity (1966), Oliver Reiser consacre tout un chapitre à
l’analyse de ces expériences au contact des nouvelles
technologies de la communication : « Toutes ces expérimentations, par le biais de la synesthésie électro-psychédélique, vont certainement permettre de nouvelles
formes et niveaux d’expansion de la conscience […].
Ouvrons, pour cela, la porte du temple de la psychosphère du futur154. »
La neuro-esthétisation de la communication surfe
ici sur la « communication de l’expérimentation » :
créer un « état de suggestion hypersensitif », nous dit
Timothy Leary155. L’hypnose recherchée dans les féeries
chromolumineuses produites sous dôme géodésique,
telle une entrée introspective dans la vie neuronale
de la boîte crânienne156, n’est qu’un moyen d’accès à
une « forme plus complexe de conscience et de communication157 », une entrée dans le « circuit de l’extase » : « Le système nerveux libéré de la contrainte du
corps et des engrammes larvaires, conscient uniquement de lui-même, tel est en quoi consiste le circuit de
l’extase158. » Après donc une première phase infantilisante159 portée par une « esthétique du ravissement »
autorisant une simple satisfaction psychosomatique à
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tendance consumériste, Leary annonce une « esthétique de l’extase » produite dans la recherche expérimentale d’une « érotisation de l’électronique160 ». À
noter au passage, la dimension transgenre de cette
émancipation évolutive du ravissement vers l’extase :
« Nous croyons, quant à nous, que l’accès au panorama
multidimensionnel, accéléré et constamment changeant des signaux neurologiques ne peut être harmonieux que si l’individu occupe la position gyroscopique
du fusionnement mâle-femelle, ce, à tous les niveaux
de l’évolution et particulièrement à partir du circuit
du ravissement […]. Sans le fusionnement érotico-esthétique de l’amour, le corps n’est plus qu’un jouet de
plastique électrique et les circuits inférieurs, des jeux
de marionnettes de papier mâché. La confiance, l’humour et la beauté érotique trans-sexuelle du fusionnement “ravissant” sont la seule piste de laquelle la quête
d’une conscience plus haute du moi peut être entreprise. » Cette unification mâle/femelle conduit Leary a
développer toute une rhétorique transsexuelle, « SHe »
pour le pronom du nouvel individu, et « référent de l’humain générique post-terrestre », et un article approprié
(« Hir », contraction de his et her), en fait le principe de
« Fe-Mâle ».
Cette esthétique de l’extase sera le passage de relais
nécessaire entre le hippie jouisseur des Trip Festivals
(« ravissement ») et le yogi adepte des techniques mentalistes (« extase »). La première génération « croyait
être naïvement arrivée au bout du voyage » dans la
« consommation hédoniste effrénée161 » ; elle fera place,
dans l’avenir, à des gens qui se rendent « maître[s] du
système nerveux162 ». En d’autres termes, Leary appelle
les artistes à éviter la facilité d’une « industrie du spectacle » fondée sur la satisfaction régressive de gratifications sensuelles « incapables de voir plus loin que
la géographie du corps163 », à renoncer aux sirènes du
« show-business » dont sortait l’hypnose de foire toujours en vedette des exhibitions de Las Vegas.
Il faut dire que l’économie du divertissement rivalisait d’inventions polysensorielles pour capter toujours plus l’attention du spectateur, jusqu’à quelques
tentatives olfactives, au début des années 1960, dans
une industrie cinématographique qui s’inquiète de
l’arrivée concurrentielle de la télévision. Le procédé
Smell-O-Vision, de l’ingénieur et osmologue suisse
Hans Laube, est adapté pour la première fois à l’écran
par Jack Cardiff dans Scent of Mystery, et tout comme
chez Schöffer et son projet de climatisation olfactive de
la ville cybernétique, Laube pense le spectacle synesthésique à partir d’une réflexion plus globale sur le
conditionnement psychophysiologique du spectateur
et l’hygiénisation mentale de la perception. Au sensationalisme hollywoodien répondra une recherche plus
extatique et critique qui pouvait, au-delà de la simple
relaxation sophrologique, bousculer les catégories pas-
sif/actif. Ce sera la voie du film optique dans sa veine
structurelle. Pour Raymond Bellour, « c’est évidemment dans les formes diverses du “film structurel” qu’on
trouve le plus haut degré d’équivalence entre le développement du film comme tel et les protocoles visuels
propres à susciter l’induction hypnotique164 ». La technique de montage privilégiée sera l’effet flicker déployé
par Peter Kubelka dans Arnulf Rainer, mais aussi, sur
une durée plus longue et éprouvante (trente minutes)
par Tony Conrad dans le film homonyme de 1965, sur le
principe d’une pure alternance stroboscopique blanc et
noir. The Flicker est caractéristique de cette recherche
de Conrad mêlant spécificité moderniste du médium
(réalité matérielle et structurelle de la pellicule) et expérimentation des seuils psychophysiologiques du spectateur (virtualité de l’imagerie hallucinatoire) – celle que
déjà Marcel Duchamp, ou plutôt Rrose Sélavy, avait
explorée dans Anémic Cinéma jusque dans le désir de
s’affranchir d’une esthétique phénoménale165.
Tony Conrad, que l’expérimentation musicale minimaliste a déjà familiarisé avec les recherches sur le
conditionnement de la transe, produit là une « hypnose
filmique » radicale qui ne met pas seulement en place
un dispositif d’emprise spectatorielle, mais qui explore,
de manière quasi clinique, les seuils de la perception
(afterimages, couleurs fantômes, etc.), pour défaire les
critères d’analyse du film tout en offrant le diagnotic
d’une crise de la représentation aiguisée par une mise
en doute du contrôle de la situation : « Mon idée était
basiquement de dérouter les spectateurs et surpasser leurs attentes, je voulais qu’ils comprennent qu’ils
étaient dirigés par la puissance de ce film. Que cela ne
venait pas d’eux, même si l’expérience du film se passait à l’intérieur de leur corps et pas vraiment dans l’espace… Je voulais vraiment donner aux gens la chance
de prétendre qu’ils contrôlaient la situation, mais
ensuite de leur faire entendre, très douloureusement
et lentement – comme si vous les coupiez lentement
– que c’était le film qui contrôlait ce qui se passait166. »
Curieusement, ce qui se joue là, dans l’hypnose tétanisante de la pulsation optique du film, n’est pas tant
l’appropriation du film par le spectateur investi dans
l’activité hallucinogène, mais l’indécision à savoir si ce
dernier contrôle la représentation. Il s’agit bien d’une
limite de la conscience qui énonce plutôt la passivité du
sujet, ou, pour reprendre l’analyse commune de JeanLuc Nancy, Mikkel Borch-Jacobsen et Éric Michaud, de
« l’affleurement insistant, à travers la pensée moderne
– au sens historique du mot – d’une question de la passivité », une question à laquelle « l’hypnose fournit une
figure plus fascinante que d’autres mais qui ne l’épuise
pas167 » et où « la passivité qui fait question et expérience pour la pensée n’est pas la soumission qu’obtient
la manipulation de sujets dociles ou de foules galvanisées168 ». Tony Conrad soumet au regard une « passivité
A. Douglas Wheeler, Light Incasement, 1971, néons, plexiglas,
233 x 233 cm, collection Ludwig, Aix-La-Chapelle.
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maîtrisée qui n’est plus passivité169 », soit un état qui
a pour modèle, « et en vérité plus qu’un modèle […] :
l’état de l’enfant dans le corps de sa mère170 ». Nous
retrouvons là, de manière plutôt inattendue, le modèle
originaire de la relation magnétique mère/fœtus.
De fait, la plupart des films psychédéliques maintiennent en sous-main une relation ombilicale, jusque
dans la proposition sérielle de Norman McLaren, qui
brille par sa rapidité performative, proche du record
(trente-sept secondes) et dont le titre énonce son projet : The Hypnosis Film : « Sept brèves séries constituées de trois cercles concentriques avançant en trois
impulsions à partir du point quasi invisible formé par
leur centre. Ces séries font alterner un trait blanc sur
fond noir, grêle, un peu tremblant, avec un trait noir
sur fond blanc, plus ferme. De sorte que l’enchaînement qui s’opère, si bref soit-il, fascine absolument,
invitant aussitôt à sa reprise171 ». Cette culture hypnotique se retrouve tout autant dans les head films, aux
accents plus méditatifs et proprement cyberdéliques,
réalisés par Jordan Belson ou les frères Whitney. De
Lapis de James Whitney (1963-1966) à Samadhi de
Jordan Belson (1966-1967), ce sont là des « hypnoses
filmiques » entièrement construites sur le mouvement
en spirale de mandalas cosmiques. Entre 1966 et 1967,
pendant deux années de pratique intensive, Jordan
Belson s’est familiarisé avec les techniques de respiration enseignées par le yoga. De cette recherche est né
Samadhi, « un documentaire sur l’âme humaine172 ». En
sanscrit, le samadhi désigne « cet état de conscience
dans lequel l’âme individuelle se fond avec l’âme universelle », un horizon fusionnel que l’artiste va traduire
sur la pellicule en vortex de formes et de nimbes de
couleurs, rythmé au son de sa respiration plongeant
dans les forces vitales des chakras. Au commencement
de cette cosmogenèse, un champ de matière informelle
se cristallise autour d’un noyau central qui se déplace
vers des constellations planétaires (la métaphore teilhardienne de l’union cosmique des consciences dans la
« noosphère »), plongées dans une mer de gaz d’un bleu
très profond dont les vagues luminescentes alertent du
seuil extralucide du nirvana : « J’ai atteint le point où
tout ce que je produis à l’extérieur, avec des machines,
correspond à ce que je vois à l’intérieur. Je peux fermer
les yeux et voir ces images à l’intérieur de moi-même
[…]. J’ai toujours considéré les machines à produire
des images comme un prolongement de l’esprit. Le cerveau a produit ces images et il a créé l’équipement qui
permet de les produire. C’est comme une projection de
ce qui se passe à l’intérieur, la conscience projetant des
phénomènes, qu’ensuite nous pouvons observer173. »
L’hypnose filmique, devenue l’outil d’une vision
endoscopique, fait entrer le sujet dans l’activité neuronale sa propre boîte crânienne. Les somnambules
de Puységur voyaient en transparence leurs propres
organes ; les yogis de la Psychedelia suivent sur écran
le cheminement organique de leur cortex en ébullition.
Quelles formes cela prendra-t-il ? Des nébuleuses mou-
vantes et informelles, quoique le plus souvent symétriques, tels des tests de Rorschach, comme dans la
Psychedelevision in Color d’Eric Siegel (1968-1969).
L’effet de ce « Rorschach électronique174 » fait penser,
jusque dans ses effluves phosphorescentes, à la manifestation d’une « énergie nerveuse », celle-là même
qu’auront maintenue, jusqu’au second XXe siècle, les
partisans d’un imaginaire fluido-magnétique pour
comprendre le mystère psychosomatique de l’hypnose.
Que retenir de ces taches informelles – ce que la Gestalt
appelle des « formes faibles » –, sinon qu’elles nous
renvoient dans le monde visuel du somnambulisme le
plus romantique et clairvoyant, celui du poète souabe
Justinus Kerner, l’auteur d’une des premières monographies sur Mesmer, médecin de la fameuse « voyante
de Prevorst », dont il découvre les facultés de vision
endoscopique mais aussi auteur des Kleksogaphien
(1857), d’un néologisme signifiant « écritures par
taches », figures de Rorschach avant la lettre. S’il y a
autant de « formes faibles » dans l’esthétique psychédélique (que l’on pense à l’instrument le plus hypnotique de cette génération, la fameuse Lava Lamp, dite
aussi Lava Lite, inventée en 1963 par Edward Craven
Walker), c’est très naturellement pour redonner tout
son crédit à la théorie de la suggestion ayant obsédé,
avec les mêmes horizons oniriques et autopoïétiques,
la génération symboliste, sans d’ailleurs négliger la
part d’invention reportée, sous couvert de coparticipation interactive à l’œuvre sur le spectateur – et dans
laquelle cette génération libertaire pourra identifier la
méthode projective d’une « nouvelle intériorité175 ».
L’âge électronique aura permis d’augmenter les
moyens de l’induction hypnotique (perfectionnement technologique des outils de projection lumineuse, modélisation computationnelle des rythmes
visuels et acoustiques, programmation numérique de
la synchronisation images/sons, mis au service d’un
efficace psychophysiologique de l’art) tout en libérant, hors de la maîtrise des instruments, la dimension expérientielle d’une hypnose trop strandardisée
et mécaniste. Cela nous ramène incidemment sur
les pas de Milton Erickson, dont la recherche empirique, calibrée sur l’ajustement à la singularité du
sujet, aura justement cherché à se soustraire des
réflexes behavioristes (la recherche du Graal d’une
« parfaite induction ») pour ouvrir la psychothérapie
de l’hypnose à une démarche plus adaptative, humaniste et constructiviste, débarrassée de la hantise du
modèle de la gouvernance et de la domination. Dans
Naturalistic Techniques of Hypnosis, écrit en 1958,
soit quelques mois avant la traduction anglaise du
Phénomène humain de Teilhard de Chardin, Erickson
renouvelle les outils de l’induction par une approche
naturaliste plus somatique qui accorde une place
accrue aux stratégies de résistance du sujet inscrites
jusque dans le langage corporel. L’hypnose investit la
reconquête labile d’un corps embrassant sans inhibition l’inventivité formelle des émotions. Elle invite à
nouveau à faire danser sa vie.
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A. Verner Panton, Phantasy Landscape Visiona II, 1970.
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NOTES
1. Lawrence Kubie et Sydney Margolin, « The process
of hypnotism and the nature of the hypnotic state »,
American Journal of Psychiatry, mars 1944, p. 611-622.
2. L. Kubie, « Hypnotism. A focus for
psychophysiological and psychoanalytic investigations »,
Archives of General Psychiatry, 1961, vol. 4, p. 43.
3. D. O. Hebb, The Organization of Behavior.
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4. J. L. Lilly, Programming and Metaprogramming in the
Human Biocomputer, New York, Julian Press, 1968.
5. M. H. Erickson et L. Kubie, « Traduction de l’écriture
automatique énigmatique d’un sujet hypnotique par
un autre sujet dans un état dissocié similaire à l’état
de transe », Psychoanalytic Quarterly, vol. 9, n° 1,
janvier 1940, p. 51-63.
6. M. H. Erickson et Linn Fenimore Cooper, Time
Distortion in Hypnosis : An Experimental and Clinical
Investigation, Baltimore, Williams & Wilkins, 1954.
7. Jeffrey Zeig, Experiencing Erickson : An introduction
to the Man and his Work, New York, Brunner Mazel,
1985, p. 149.
8. Charles Fischer, « Hypnosis in the treatment of
neuroses due to war and other causes », dans Lesky
Kuhn et Salvatore Russo (éd.), Modern Hypnosis, New
York, Psychological Library Publishers, 1947, p. 166.
9. Ellen Herman, The Romance of Political Psychology :
Political Culture in the Age of Experts, Berkeley,
University of California, 1995, p. 115.
10. Robert Genter, « Hypnotizzy in the cold war: the
American fascination with hypnotism in the 1950’s »,
Journal of American Culture, vol. 29, n° 2, juin 2006,
p. 154-169.
11. S. Andriopoulos, « The sleeper effect : hypnotism,
mind control, terrorism », Grey Room, n° 45, 2011,
p. 88-105.
12. Susan L. Carruthers, « The manchurian candidate
(1962) and the Cold War brainwashing scare »,
Historical Journal of Film, Radio, and Television, vol. 18,
n° 1, 1998, p. 75-94.
13. Andreas Killen, « Homo pavlovius : cinema,
conditionning, and the Cold War subject », Grey Room,
n° 45, 2011, p. 42-59.
14. T. Melley, « Brainwashed ! Conspiracy theory and
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Critique, n° 103, 2008, p. 145-164.
15. T. Melley, Empire of Conspiracy. The Culture of
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Press, 2000.
16. R. Lindner, Must you Conform?, New York, Holt,
1956, p. 140.
17. Francis Frascina, Art, Politics and Dissent. Aspect
of the Art Left in the Sixties America, Manchester,
Manchester University Press, 1999.
18. M. H. Erickson, A Special Inquiry with Aldous Huxley
into the Nature and Character of various States of
Consciousness (1965), repris dans R. Bandler, J. Grinder,
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Cupertino, Meta Publications, 1975.
19. J. Rancière, Le Partage du sensible. Esthétique et
politique, Paris, La Fabrique, 2000.
20. Ibidem, p. 12.
21. Ibid., p. 64.
22. P. Rousseau, « Un art sous contrôle »,
Histo-Art, n° 11, 2019.
23. U. La Pietra. Habiter la ville, Orléans, HYX, 2009.
24. Stephen Foster, The Project MKULTRA Compedium.
The CIA’s Program of Research in Behavioral
Modification, CreateSpace, 2009.
25. Susan L. Carruthers, « The manchurian candidate
(1962) and the Cold War brainwashing scare »,
Historical Journal of Film, Radio, and Television, vol. 18,
n° 1, 1998, p. 75-94.
26. Naomi Klein, « The torture lab: Ewen Cameron, the
CIA and the maniacal quest to erase and remake the
human mind », The Shock Doctrine. The Rise of Disaster
Capitalism, New York, Penguin, 2007, p. 25-48, et
Rebecca Lemov, « Brainwashing’s avatar: the curious
career of Dr. Ewen Cameron », Grey Room, n° 45, 2011,
p. 60-87.
27. Kevin Heffernan, « The hypnosis hooror films of the
1950s: genre texts and industrial context », Journal of
Film and Video, vol. 54, n° 2/3, 2002, p. 56-70.
28. Mark Jencovich, Rational Fears: American Horror
in the 1950s, Manchester, Manchester University Press,
1996.
29. M. Jacobson, What Have They Build You to Do? The
Manchurian Candidate and
Cold War America, Minneapolis, University of
Minnesota Press, 2006.
30. V. Packard, The Hidden Persuaders, New York,
David McKay, 1957.
31. Charles R. Acland, Swift Viewing. The Popular Life
of Subliminal Influence, Durham et Londres, Duke
University Press, 2011.
32. Brigitte Weingart, « That screen magnetism :
Warhol’s glamour », October, vol. 132, 2010, p. 43-70.
33. A. Warhol, The Philosophy of Andy Warhol, cité dans
ibidem, p. 47.
34. Gunnar Schmidt, « Fotografie und Hypnose »,
Fotogeschichte, vol. 44, 1992, p. 3-10.
35. E. Barrett, cité dans ibidem, p. 5.
36. J. M. Charcot cité dans ibid., p. 6.
37. « I will never find the way to say how much I love
American close-ups! Point blank. A head suddenly
appears on screen and drama, now face to face,
seems to address me personally and swells with an
extraordinary intensity. I am hypnotized. » J. Epstein,
cité par R. Eugeni, « Imaginary screens : the hypnotic
gesture and early film », dans Craig Buckley, Rüdiger
Campe, Francesco Casetti (éd.), Sceen Genealogies.
From Optical Device to Environmental Medium,
Amsterdam, Amsterdam University Press, 2019, p. 286.
38. « Glamour. When devils, wizards or jugglers deceive
the sight, they are said to cast glamour over the eyes
of the spectator », Oxford English Dictionnary, cité par
Brigitte Weingart, « That screen magnetism : Warhol’s
glamour », art. cit., p. 44.
39. Adam Frank, Transferential Poetics from Poe to
Warhol, Fordham University Press, 2015.
40. D. Freedberg, Le Pouvoir des images, Paris,
Gerard Montfort, 1998 [1991] ; C. Severi, « Pour une
anthropologie des images. Histoire de l’art, esthétique
et anthropologie », L’Homme, n° 165, janvier-mars
2003, p. 7-10 ; Hans Belting, Pour une anthropologie
des images, Paris, Gallimard, 2004 ; Horst Bredekamp,
Théorie de l’acte d’image, Paris, La Découverte, 2015.
41. H. Bredekamp, Théorie de l’acte d’image,
op. cit, p. 44.
42. J. G. Frazer, Le Rameau d’or. Tabou et les périls
de l’âme, cité par Arnauld Maillet, « Des instruments
d’optique comme pièges. De l’anthropologie historique
du regard à sa politisation », Romantisme, 2020, p. 80.
43. Ibidem, p. 80.
44. David Joselit, Feedback, Television against
Democracy, Cambridge et Londres, MIT Press, 2007.
45. Jack Sargeant, Naked Lens. Beat Cinema, Londres,
Creation Books, 1997.
46. W. Burroughs, Le Job. Entretiens avec Daniel Odier,
Paris, Belfond, 1979, p. 186.
47. W. Burroughs, « Sans votre nom qui êtes-vous ? »,
préface pour Brion Gysin, Désert dévorant, repris dans
Beat Generation, Paris, Flammarion, 2005, p. 539.
48. M. McLuhan, « Les médias sont des traducteurs »,
Pour comprendre les médias, Paris, Seuil, 1977 [1964],
p. 102-103.
49. E. Mortenson, « The visionary state. Unitting
past, present and future », dans Capturing the Beat
Moment. Cultural Politics and the Poetics of Presence,
Carbondale, Southern Illinois University Press, 2011,
p. 53-83.
50. John Lardas, The Bop Apocalypse. The Religious
Visions of Kerouac, Ginsberg, and Burroughs, Urbana,
University of Illinois Press, 2001.
51. W. Burroughs, Letters to Allen Ginsberg, 1953-1957,
New York, Full Court Press, 1982, p. 50.
52. P. Rousseau, Cosa mentale. Art et télépathie au
XXe siècle, Paris, Gallimard, 2015.
53. John Lardas, The Bop Apocalypse, op. cit., p. 148.
54. H. Flynt, « My new concept of general acognitive
culture », cité par Branden W. Joseph, Beyond the
Dream Syndicate: Tony Conrad and the Arts after Cage,
New York, Zone Books, 2008, p. 170.
55. Stephen Melville, « Aspects », dans Ann Goldstein,
Anne Rorimer (éd.), Reconsidering the Object of Art,
1965-1975, Los Angeles et Cambridge, Museum of
Contemporary Art et MIT Press, 1995, p. 229-245.
56. « On the non verbal level of intuition and feeling ».
W. Burroughs, Junky, New York, Penguin Books, 1977
[1953], p. 152.
57. W. Burroughs défendra à de nombreuses reprises
l’existence de cette communication télépathique :
« My own tendency is the opposite of identification with
non-supersensual reality. My personal experiments
and experiences have convinced me that telepathy and
precognition are solid demonstrable facts ; facts that can
be verified by anyone who will perform certain definite
experiments. » William Burroughs dans Oliver Harris
(éd.), Letters of William S. Burroughs, 1945-1957,
New York, Viking Press, 1993, p. 68.
58. W. Burroughs cité dans Eric Mottram, William
Burroughs: The Algebra of Need, Londres, Marion
Boyars, 1977, p. 13.
59. Pamela Thurschwell, Literature, Technology and
Magical Thinking, 1880-1920, Cambridge, Cambridge
University Press, 2001, p. 31.
60. Pamela Thurschwell, « Ferenczi’s material theories :
thought transference, momosexuality, and seduction »,
dans ibidem, p. 135-148.
61. Ibid., p. 141.
62. Sándor Ferenczi, « On the part played by
homosexuality in the pathogenesis of paranaoïa »,
Sex in Psychoanalysis, New York, Dover Publications,
1956, cité dans ibid., p. 143.
63. John Durham Peters, Speaking into the Air. A
History of the Idea of Communication, Chicago, Chicago
University Press, 1999.
64. Voir J. M. Leloup, « Pierre Janet et l’hypnose à
distance : étude critique des expériences de télépathie
avec Madame Léonie B », thèse et doctorat, Université
François-Rabelais de Tours, 1978.
65. B. Méheust, Somnambulisme et médiumnité,
Le Plessis-Robinson, Les Empêcheurs de penser en
rond, 1999.
66. Christoph Asendorf, Batteries of Life. On the History
of Things and their Perception in Modernity, Berkeley,
University of California Press, 1993.
67. Victor Brauner, Espaces hypnotiques, catalogue
d’exposition, Paris, Galerie Rive Droite, 1961, p. 1.
68. P. Rousseau, « Le Baiser électrique », dans Coup
de foudre. Fabrice Hyber, Nathalie Talec, Paris,
Éditions du Regard, 2019, p. 15-19.
69. G. M. Bose, Die Electricität nach ihrer Entdeckung
und Fortgang mit poetischer Feder entworfen,
Wittenberg, 1744.
70. Laura Rigal, « Imperial attractions. Benjamin
Franklin’s new Eexperiments of 1751 », dans Lauren
Rabinovitz et Abraham Geil (éd.), Memory Bytes.
History, Technology and Digital Culture, Duke University
Press, 2004, p. 23-46.
71. Timothy Leary, La Politique de l’extase. L’expérience
psychique, Paris, Fayard, 1973.
72. T. Leary, Neurologique, Montréal, Éditions de
l’Aurore, 1977, p. 70.
73. Tristan Garcia, La Vie intense. Une obsession
moderne, Paris, Autrement, 2016, p. 186.
74. « Lorsque le clignotement est synchronisé avec les
rythmes alpha sur sujet, il voit des régions étendues
de formes colorées qui se développent dans le champ
visuel complet, 360 degrés de vision hallucinatoire dans
laquelle apparaissent des constellations d’images. »
William Burroughs, Le Job. Entretiens avec Daniel
Odier, Paris, Belfond, 1979, p. 216-217.
75. Sur cette dimension érotique de la relation
magnétique, voir notamment Jacqueline Carroy,
Hypnose, suggestion et psychologie. L’invention de sujets,
Paris, PUF, 1991.
76. Sur cette question de « l’homosexualité rituelle »,
voir notamment Alexander Alland, « Rituel masculin de
procréation et symbolique phallique », L’Homme, avriljuin 1985, p. 37-55.
77. Michael Schumacher, Dharma Lion: A Biography of
Allen Ginsberg, New York, St Martin’s, 1992, p. 443.
78. À ce titre, la Dreamachine rejoue l’intrigue sexuelle
associée aux techniques d’hypnose dans les premiers
pas collectifs du surréalisme. Sur cette question,
voir notre article, « Éros magnétique. Le surréalisme
sous hypnose », dans Werner Spies (éd.),
La Révolution surréaliste, Paris, Éditions du Centre
Georges-Pompidou, 2002, p. 366-375.
79. W. Burroughs dans Le Job, op. cit., p. 152.
80. Eve Kosofsky Sedgwick, Épistémologie du placard,
traduction et préface de Maxime Cervulle, Paris,
Éditions Amsterdam, 2008 [1991].
81. Edward Mann, Orgone, Reich and Eros. Wilhelm
Reich’s Theory of Life Energy, New York, Simon and
Schuster, 1973.
82. Erik Mortenson, « Immanence and transcendence :
Reich, orgasm and the body », dans Capturing the Beat
Moment. Cultural Politics and the Poetics of Presence,
Carbondale, Southern Illinois University Press, 2011,
p. 84-120.
83. John Lardas, The Bop Apocalypse: The Religious
Visions of Kerouac, Ginsberg and Burroughs, Urbana,
University of Illinois Press, 2001, p. 101.
84. William Burroughs, Le Job, op. cit., p. 164-165.
85. W. Burroughs, Letters to Allen Ginsberg, 1953-1957,
New York, Full Court Press, 1982, p. 70.
86. Catherine Stimpson, « The Beat Generation and the
trials of homosexual liberation », Salmagundi, vol. 58-59,
automne 1982, p. 373-392.
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1950-1970
87. Le roman Queer, de Burroughs, est écrit en 1952
alors qu’il vient de découvrir l’ouvrage de Donald
Webster Cory, L’Homosexuel en Amérique, publié
en 1951, année de la déclaration de l’Association
américaine de psychiatrie qui définit l’homosexualité
comme une « maladie mentale », en plein
maccarthysme stigmatisant aussi le « péril mauve »
ou « complot homosexuel ». Voir l’excellente nouvelle
édition revue et préfacée par Oliver Haris, Queer,
W. Burroughs, Paris, Christian Bourgois, 2010, p. 9-57.
88. Malick Briki, Psychiatrie et homosexualité. Lectures
médicales et juridiques de l’homosexualité dans les
sociétés occidentales de 1850 à nos jours, Besançon,
Presses Universitaires de Franche-Comté, 2009.
89. W. Reich, The Sexual Revolution: Toward a
Self-Regulating Character Structure, New York, Farar,
Straus and Giroux, 1974.
90. Christopher Turner, Adventures in the Orgasmatron.
How the Sexual Revolution Came to America, New York,
Farrar, Straus and Giroux, 2011, p. 5.
91. Dans The Ticket that Exploded (1962), Burroughs
établit un rapprochement explicite entre Dreamachine
et Orgone Accumulator.
92. Barry Miles, « Throught the magic mirror », The
Beat Hotel. Ginsberg, Burroughs, and Corso in Paris,
1957-1963, New York, Grove Press, 2000, p. 164. Avec
notamment une photographie d’Harold Chapman où
s’orchestre tout un jeu de séduction visuelle entre
Peter Orlovsky er Allen Ginsberg à partir de la glace
de l’armoire de la chambre du Beat Hotel, sous l’œil
bienveillant et tutélaire de Rimbaud.
93. Wilhelm Reich, The Discovery of the Orgone, vol II,
New York, Farrar, Straus and Giroux, 1974, p. 317-318.
94. William Burroughs, Le Job, op. cit., p. 157.
95. Arnauld Pierre, « Optique fétiche : Henri-Georges
Clouzot et l’art cinétique », dans Les Cahiers du MNAM,
été 2012, n° 120, p. 44-71.
96. John Geiger, Nothing is True, Everything is
Permitted : the Life of Brion Gysin, New York,
Disinformation, 2005, p. 55.
97. « It (the Dreamachine) seemed to create telepathic
links and even a witnessed transformation of body
shape. » Genesis P-Orridge cité(e) dans ibidem, p. 93.
98. John von Neumann, L’Ordinateur et le Cerveau,
trad. Pascal Engel, Paris, Flammarion, 1996 [1958].
99. A. Moles, La Création scientifique, Genève, René
Kister, 1957, et ibid., Théorie de l’information et
perception esthétique, Paris, Flammarion, 1958.
100. Pierre Demarne, « Art et cybernétique », dans Art.
Artistes. 1947-1977. Trente ans d’écrits et conversations
sur les arts plastiques contemporains, Paris, UNPF, 1977,
p. 112-136.
101. A. Moles, « Une problématique de l’art
contemporain », dans SIGMA, Bordeaux, 1965, p. 11-21.
102. Ibidem, « Théorie de l’information, électronique et
cybernétique », dans Onde électrique, novembre 1953,
p. 637-651, et Louis de Broglie (dir.), La Cybernétique.
Théorie du signal et de l’information, Paris, Éditions de
la Revue d’optique, 1951.
104. Ibidem, p. 359.
105. Ibid., p. 365.
106. Hans Hollein, « Alles ist Architektur », Bau, 1968,
p. 1048.
107. F. St. Florian, « Imaginary architecture », 1970,
repris dans The Austrian Phenomenon. Architecture
Avantgarde Austria, 1956-1973, vol. II, Basel,
Birkhäuser, 2009, p. 78.
108. Superstudio (Graz, 1969), cité par Dominique
Rouillard, Superarchitecture. Le futur de l’architecture,
1950-1970, Paris, Éditions de la Villette, 2004, p. 414.
109. Frédéric Migayrou, « Radicalismes européens »,
dans Jean-Louis Maubant, Frédéric Migayrou (éd.),
Architecture radicale, Orléans, HYX, 2001, p. 3.
110. Peter Sloterdijk, « Les hommes dans le cercle
magique. Contribution à une histoire idéelle de la
fascination du proche », Bulles. Sphères I, Paris,
Fayard, 2002, p. 227-285.
111. T. Leary, La Révolution cosmique. Exo-psychologie.
Le système nerveux humain : mode d’emploi (conforme
aux instructions de ses créateurs), Paris, Presses de la
Renaissance, 1979 [1977], p. 27-28.
112. John P. Zubek (éd.), Sensory Deprivation.
Fifteen Years of Research, New York, Appelton
Century Crofts, 1969.
113. Jack Vernon, Inside the Black Room. Studies of
Sensory Deprivation, Middlesex, Penguin Books, 1963.
114. « New media of architecture. Fragmentary
comments on new developments and possibilities »
(1967), repris dans The Austrian Phenomenon.
Architecture Avantgarde Austria, 1956-1973, vol. II,
Vienne, Birkhäuser, 2009, p. 43.
115. David Rorvik, As Man Becomes Machine: The
Evolution of the Cyborg, New York, Pocket Books, 1970.
116. Archizoom cité dans Emilio Ambasz (éd.). Italy.
The New Domestic Landscape, New York, MoMa, 1972,
p. 234.
117. M. Tafuri, « Design and technological utopia », dans
ibidem, p. 388-404.
118. Andrew Pickering, The Cybernetic Brain. Sketches
of Another Future, Chicago, The University of Chicago
Press, 2010.
119. Gregory Bateson, Steps to an Ecology of Mind,
New York, Ballantine, 1972.
120. « Ce seront des amphithéâtres immatériels, avec
des projections multidimensionnelles, où le public,
irrésistiblement, entrera dans le jeu, devenant à la fois
acteur et spectateur. Cérémonial collectif qui prendra
la place des différentes manifestations religieuses,
politiques ou autres. » Nicolas Schöffer,
La Ville cybernétique, Paris, Tchou, 1969, p. 85.
121. Ibidem, p. 123.
122. Hervé Vanel, « Cybernetic bordello : Nicolas
Schöffer’s aesthétic hygiene », dans France and The
Visual Arts since 1945: Remaping European Postwar and
Contemporary Art, Bloomsbury, 2018, p. 107-120.
123. Jean-Luc Nancy, « Identité et tremblement », dans
Mikkel Borch-Jacobsen, Éric Michaud et Jean-Luc
Nancy (éd.), Hypnoses, Paris, Galilée, 1984, p. 15-46.
124. « Trouver pour chacun ces cordons ombilicaux qui
nous mettent en communication avec d’autres soleils,
des objets à liberté totale qui seraient comme des
miroirs plastiques psychanalytiques. » Matta Echaurren
(adaptation de Georges Hugnet), « Mathématique
sensible-architecture du temps », Minotaure, n° 11,
1938, p. 43.
125. Dawn Ades, « Morphologies of desire », dans
catalogue Salvador Dali. The Early Years, Londres,
Hayward Gallery, 1994, p. 129-160.
126. Arnauld Pierre, « I am the Dream Machine. Les
écrans hypnogènes de Nicolas Schöffer », Les Cahiers du
Mnam, n° 130, hiver 2014, p. 36.
127. « Esthetic hygiene is necessary for collective
societies, for any social group residing together on
a large scale. How ? By programming environments
that obey rigorous esthetic criteria. » Douglas Davis,
« Nicolas Schöffer : The cybernetic esthetic », dans Art
and the Future: A History/Prophecy of the Collaboration
Science, Technology and Art, New York, Praeger
Publishers, 1973, p. 122, cité dans Hervé Vanel, «
Cybernetic Bordello : Nicolas Schöffer’s Aesthetic
Hygiene » dans Catherine Dessin (éd.), France and the
Visual Arts since 1945. Remapping European Postwar
and Contemporary Art, New York, Bloomsbury, 2018,
p. 112.
128. Nicolas Schöffer, « L’utilisation des techniques
luminodynamiques et le Téléluminoscope à la
télévision », tapuscrit, 1963-1964, cité dans Arnauld
Pierre, « I am the Dream machine », art. cit., p. 40.
129. Ibidem.
130. Hervé Vanel, « Visual muzak and the regulation of
the senses : notes on Nicolas Schöffer », dans Cornelia
Lund, Holger Lund (éd.), Audio Visual – On Visual Music
and Related Media, Stuttgart, Arnoldsche Verlagsanstalt,
Stuttgart, 2009, p. 58-75.
131. Arnauld Pierre rappelle que le projet de la
Dreamachine de Gysin fut associé à celui des Murs
de lumière de Schöffer dans le cadre d’une exposition
L’artiste et l’objet, présentée au musée des Arts
décoratifs en 1962.
132. J. Ménétrier, « La cybernétique et l’humain, »
Planète, n° 22, mai-juin 1965.
133. J. Ménétrier, Mon Socrate, Paris, Éditions du Vieux
Colombier, 1964, p. 29, cité par Arnauld Pierre, « I am
the Dream Machine », art. cit., p. 48.
134. J. Ménétrier, Jean Cassou et Guy Habasque,
Nicolas Schöffer, Neuchâtel, Éditions du Griffon, 1963,
p. 91, cité dans ibidem, p. 48.
135. J. Ménétrier, Mon Socrate, op. cit., p. 36.
136. Hervé Vanel, « Cybernetic bordello », art. cit.,
p. 112-113.
137. Gene Youngblood, Expanded Cinema, New York,
Dutton, 1970.
138. Docteur Husson repris dans Foissac, Rapport et
discussions de l’Académie royale de médecine sur le
magnétisme animal, Paris, 1784, p. 28.
139. Comte Sigismond de Redern, Des modes
accidentels de nos perceptions, Paris, 1818, p. 57.
140. D. G, Journal de Paris, politique, commercial
et littéraire, 21 septembre 1818, cité par Bertrand
Méheust, Somnambulisme et médiumnité, tome 1,
op. cit., p. 142.
141. B. Méheust, ibidem, p. 143.
142. « Chez le somnambule magnétique, au contraire,
les sens extérieurs étant suspendus, et le sens intérieur
étant développé dans toute son étendue, ce sens
doit porter à l’âme toutes les impressions dont il est
lui-même susceptible ; il doit réagir sur elle de toute
l’action qu’il reçoit lui-même des êtres qui se trouvent
en relation avec lui dans toute la nature. De là, il suit
qu’au moyen de son sens intérieur le somnambule doit
réellement communiquer avec toute la nature. »
A. Tardy de Montravel, Correspondance de Monsieur
de Puységur, tome III, p. 30, cité dans ibid., p. 144.
143. The Whole Earth Catalog est un forum intellectuel
et catalogue encyclopédique édité par Stewart Brand
entre 1968 et 1972, manuel de la contre-culture
prônant l’économie autonome du Do It Yourself,
inventaire des ressources associées aux technologies
du lien et de la communication. Voir Fred Turner, Aux
sources de l’utopie numérique. De la contre-culture à
la cyberculture. Stewart Brand, un homme d’influence,
traduit de l’anglais par Laurent Vannini, Caen, Éditions
C&F, 2012.
144. P. Teilhard de Chardin, Le Phénomène humain,
Œuvres, tome I, Paris, Seuil, 1955, p. 22.
145. « L’humanité se brasse, s’emmêle, et se lie plus
étroitement sur elle-même. Entre chaque individu
humain et tous les autres à la surface du globe, les
connexions de toutes sortes vont continuellement, –
et ceci en progression géométrique –, se multipliant
et s’intensifiant sous nos yeux. Avec la montée des
Collectifs et des Masses […], comment ne pas être
sensible à un prodigieux accroissement de souplesse et
de vitesse dans les échanges […]. Un saut formidable
dans l’Arrangement – saut accompagné par un autre
saut (celui de la conscience). » « Transformation
et prolongement en l’homme du mécanisme de
l’évolution », idem, Œuvres, tome VII, Paris, Seuil,
1963, p. 320-322.
146. id. « L’hominisation », Œuvres, tome III, Paris,
Seuil, 1956, p. 87.
147. Geraldine O. Browning, Joseph L. Alioto, Seymour
M. Farber (éd.), Teilhard de Chardin. In Quest of the
Perfection of Man, Cranbury, California University Press,
1973.
148. P. Teilhard de Chardin, Œuvres, tome III,
op. cit., p. 231.
149. F. Kittler, « Signal-Rausch-Abstand », dans
Hans Ulrich Gumbrecht & K. Ludwig Pfeiffer (éd.),
Materialität der Kommunikation, Frankfurt, Suhrkamp,
1988, p. 342-359.
150. P. Teilhard de Chardin, « Le groupe zoologique
humain », Œuvres, tome V, Paris, Seuil, 1959, p. 148.
151. M. McLuhan, Pour comprendre les médias. Les
prolongements technologiques de l’homme, Paris,
Seuil, 1968 [1964], p. 102-103.
152. G. Youngblood, Expanded Cinema, op. cit., p. 92.
153. Tom Wolfe, Acid Test, Paris, Seuil, 1996 [1968],
p. 246.
154. O. Reiser, Cosmic Humanism and World Unity,
New York, Gordon and Breach, 1975 [1966], p. 227.
155. T. Leary, Neurologique, Montréal, Éditions de
l’Aurore, 1977, p. 33.
156. « Les images capricieuses qui apparaissent lorsque,
dans cet état, on ferme les yeux, semblent parfois
révéler le fonctionnement secret du cerveau, la genèse
des associations et des structurations, tous ces systèmes
d’ordonnancement d’où procèdent la sensation et la
pensée. […]. Ceux-ci pour la plupart donnent naissance
à des variations beaucoup plus complexes sur le même
thème – fougères engendrant des fougères engendrant
des fougères dans des espaces multidimensionnels,
vaste dôme kaléidoscopique composé de vitraux ou
de mosaïques, ou encore structures comparables à
des chaînes extrêmement complexes de molécules –,
systèmes de sphères colorées dont chacune d’entre elles
se révèle comme composée d’une multitude de sphères,
et ainsi de suite, à l’infini. » Alan Watts, Joyeuse
Cosmologie. Aventures dans la chimie de la conscience,
Paris, Fayard, 1971 [1962]. p. 101.
157. T. Leary, Neurologique, op. cit., p. 52.
158. Ibidem, p. 63.
159. « La philosophie hédoniste du cinquième circuit
prône que l’important est de se sentir bien dans
sa peau. Mais cette philosophie hippie, même très
séduisante avec son appel à l’érotisme, à l’esthétique,
aux jeux de fusionnement amoureux et à la paix, peut
vite devenir régressive. Incitant à la démission [drop
out], elle ne réussit à produire qu’une société de reines
et de rois philosophes nu-pieds ». Ibid., p. 75.
160. Ibid., p. 69.
161. T. Leary, La Révolution cosmique, Paris, Presses
de la Renaissance, 1979 [1977], p. 218.
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162. Ibidem, p. 218.
163. Ibid., p. 167.
164. R. Bellour, Le Corps au cinéma, op. cit., p. 339.
165. Scott Richmond, « Aesthetics beyond the
phenomenal. The Flicker », dans Cinema’s Bodily
Illusions. Flying, Floating and Hallucinating, University
of Minnesota Press, 2016, p. 145-160.
166. « My idea was that basically this would just knock
people’s socks off, and I wanted them to understand
that they were being run by the power of this film.
That it was not coming from them even though the
experience of the film happened inside of their body
and not really in space… I wanted to really give people
a chance to pretend that they were in control of the
situation, but then to make it very painfully and slowly
clear—as though you’re slicing them very slowly—that
it’s the film that is in control of what’s going on. » Tony
Conrad cité par Scott Richmond, ibidem, p. 148.
167. J-L. Nancy, M. Borch-Jacobsen et É. Michaud,
Hypnoses, Paris, Galilée, 1984, p. 11.
168. Ibidem, p. 12.
169. Ibid., p. 12.
170. J-L. Nancy, « Le savoir de l’affection », dans ibid.,
p. 32.
171. R. Bellour, Le C orps au cinéma, op. cit., p. 339.
172. « L’expérience qui a conduit à la production
de ce film, et l’expérience de sa réalisation, m’ont
parfaitement convaincu que l’âme est une véritable
entité physique et non une abstraction vague. »
J. Belson, cité dans G. Youngblood, « Le cinéma
cosmique de Jordan Belson », 1895. Mille huit cent
quatre-vingt- quinze, vol. 39, 2003, p. 147-162.
173. Ibidem, p. 160.
174. Eric Siegel cité dans Gene Youngblood, Expanded
Cinema, op. cit., p. 315.
175. Peter Galison, cité par D. Gamboni, « Un pli entre
science et art : Hermann Rorschach et son test », dans
Anne von der Heiden et Nina Zschocke (éd.), Autoritât
des Wissens. Kunst und Wissenschaftsgeschichte im
Dialog, Zurich, Diaphanes, 2012, p. 71.
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Si l’hypnose a changé avec Milton Erickson au cours
des années 1950-1960, ce n’est qu’à l’aube des années
1970 que paraissent les écrits et retranscriptions de
conférences de ce psychothérapeute plutôt réticent à
la généralisation théorique d’une méthode. En 1973,
ses travaux vont connaître un plus large retentissement international, avec la publication de l’ouvrage
de Jay Haley, Uncommon Therapy1. L’empirisme d’une
démarche non standardisée et le refus d’une définition
de la méthode forment bloc face aux courants structuralistes dominant la pensée de ces années (une distance sur laquelle reviendra le duo d’artistes Berdaguer
& Péjus dans une pièce réalisée en 2009, à partir d’un
extrait de vidéo vintage montrant une scène d’hypnose
avec Erickson. La bande-son neutralisée est retranscrite
à distance sous un pendule en mouvement, le dialogue
entre la patiente et le thérapeute externalisé comme
pour mieux souligner les écarts productifs entre le
corps et la parole autorisés par l’induction hypnotique).
Délestée en partie de l’ambition de « faire science »
jusque dans sa pratique clinicienne, l’hypnose contemporaine adopte de nouvelles manières de faire, plus collectives et moins directives, plus créatives, qui ne sont
pas vécues comme une soumission enfouie dans un lien
affectif opposé à la liberté du sujet rationnel. Elle cherche
à s’alléger du poids d’un certain décalage entre la réalité du phénomène et sa représentation sociale (magie
et surnaturel, sexualité et fascination interpersonnelle,
avec les outils d’analyse offerts par une anthropologie
aidant à sortir d’un cadre de pensée purement occidental), jusqu’à vouloir d’ailleurs, non sans hésitation2, se
délester du nom lui-même pour adopter, selon les cas,
ceux de « sophrologie » ou de « programmation neurolinguistique (PNL) », à moins de revendiquer, comme le
fera Daniel Araoz en 1982, le terme de « nouvelle hypnose3 » – pour mieux s’opposer à l’ancienne.
Cette hésitation terminologique, qui signe le refus
de la définition, trouve une curieuse résonance dans
un champ artistique dominé au début des années 1970
par les pratiques conceptuelles. Que peut bien signifier
l’hypnose pour un mouvement inspiré par la philosophie
analytique, rivé sur la critique institutionnelle et la définition autoréflexive de l’art ? A priori, l’hypnose colle peu
à cette manière logiciste, trop menaçante envers ce que
l’esprit critique de l’école de Francfort, s’appuyant sur le
spectre freudien de la psychologie des masses par la suggestion collective, avait taillé en pièces pour déconstruire
les mécanismes institutionnels de la domination. C’est
pourtant dans ce hors-champ de la conscience critique
qu’il faut aller chercher le regain d’intérêt pour l’hypnose dans les pratiques artistiques contemporaines. Il ne
s’agit pas de défaire la raison du sujet, mais de la mettre
au diapason d’une physique incarnée, dans laquelle le
corps devient lui-même le lieu d’une résistance aux biopouvoirs. N’y a-t-il pas ici une façon d’« intégrer dans de
nouvelles relations productrices d’histoires humaines ce
qui, auparavant, fonctionnait dans une boîte noire4 » ?
A. William Wegman, Hypno, 1988, Polaroid, 60,96 x 50,8 cm.
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UNE NOUVELLE HYPNOSE
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A. & B. Photogrammes extraits de Berdaguer & Péjus, Sans titre (Pendule), 2009, vidéo et pendule.
Avec pour corollaire la possibilité de sortir pour de bon
d’un protocole relationnel hanté par le principe d’une
soumission aveugle afin d’expérimenter des processus
d’identification, de dissociation, d’imprégnation ou de
mimétisme plus créatifs, poussant à s’interroger sur le
statut même de sujet inspiré (être sujet, être sujet à, être
sujet de…). C’est là une manière détournée d’investir les
rapports de l’humain à son environnement, de repenser les limites de la singularité humaine, en particulier
dans ses liens ontologiques à l’animalité5, jusqu’à oser
l’idée d’une subjectivité animale susceptible de sortir la
pensée occidentale d’un anthropocentrisme confortable
et envisager autrement les relations plurielles aux autres
espèces (William Wegman, Hypno, 1988).
Et puis, il y a volonté de réagir face à une certaine
hégémonie du modèle psychanalytique. L’hypnose, en
venant s’immiscer dans l’archéologie de la psychanalyse,
pour repenser à nouveaux frais les mécanismes de la
cure analytique6, reposait les questions d’inconscient, de
transfert, de séduction, de projection, mais aussi d’invention du sujet en recentrant ce dernier sur une économie
des affects. Les années 1980 vont accélérer les choses.
En France, Léon Chertok publie en 1984 un ouvrage col-
lectif intitulé Résurgence de l’hypnose7 ; en janvier 1985,
Mikkel Borch-Jacobsen donne devant les membres de
la Société française de médecine psychosomatique une
conférence sur « l’hypnose dans la psychanalyse » qui
fera grand bruit. Refusant de placer les mécanismes d’induction hypnotique au rang d’une préhistoire refoulée de
la psychanalyse, cantonnée à une lecture purement pulsionnelle, Borch-Jacobsen présente l’hypnose comme
un impensé de la psychanalyse alors même que Jacques
Lacan venait de pousser d’un cran le refus de l’hypnose
au sein du chantier ouvert par Freud8. Le travail avait
été préparé par la précédente génération, celle de Kubie
et Margolin9, celle de Gille et Brenman10, pour qui il fallait revenir sur les fondamentaux du corps et de son inscription dans un environnement, mais encore fallait-il
que la psychanalyse elle-même revienne sur les notions
d’affects et d’empathie, et par là sur une certaine forme
d’induction hypnotique sans jamais la nommer11. Octave
Mannoni et François Roustang vont opérer ce changement de l’intérieur du champ psychanalytique, en veillant à montrer, sans trop réveiller le ressort occulte de la
thaumaturgie, combien « l’hypnose est une phénoménologie révolutionnaire, en ce sens qu’elle contredit tout le
savoir théorique 12 ».
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Autour d’un jeu de rôle où chaque relation d’hypnose est une actualisation impliquant les conditions de
sa production, il s’agissait de comprendre l’état hypnotique comme une forme de « potentialité » avec laquelle
pouvait largement dialoguer l’idée d’un art comme
expérience13 chère à la culture activiste et performative
des années 1970. À ce titre, l’hypnose va intéresser des
artistes comme Matt Mullican ou Larry Miller, le premier pour les potentiels créatifs de l’expérience de l’altérité (The Other), le second pour les mécanismes de
projection et d’identification au-delà du modèle œdipien (Mom-Me). Sœurs jumelles, Jane et Louise Wilson
mettent en scène cette même étrangeté à soi dans
Hypnotic Suggestion 505 (1993). Elles se font hypnotiser dans leur langue maternelle, mais aussi en portugais, idiome qu’elles ne pratiquent pas. Double langage
sur une duplication du montage, avec une scénographie distribuée autour de deux salles adjacentes pour
une séance d’induction hypnotique, dans lesquelles les
deux sœurs semblent synchroniser leurs mouvements
sur un mode télépathique. Ce mouvement d’intérêt
pour l’hypnose inclut aussi tout un pan de la création
mettant à l’œuvre le corps, dans ses limites physiologiques (body art, actionnisme viennois) comme dans
ses constructions identitaires (féminisme, queer).
Depuis les occurrences historiques du magnétisme animal, dans les subtils renversements de la « passion somnambulique », et plus encore dans la psychologisation
du second XIXe siècle autour des jeux de dédoublement
de personnalité, l’hypnose a installé un trouble dans
la stabilité des identités de genre et l’unicité en bloc
de la réalité subjective. Autant dire que les questions
de politiques identitaires et de sexualités alternatives,
très présentes dans la théorie esthétique de ces années
contestataires infusées par les « études subalternes »,
vont trouver dans les états modifiés de conscience de
l’hypnose le terrain d’expérimentation d’une relation
plus instable à la subjectivité, à la libido et à l’altérité.
tiques croisant peinture, photographie, performance et
vidéo, film et installation, invite plus que jamais à « faire
prendre corps aux imaginations16 », tout en proposant « une autre manière d’être au monde17 ». François
Roustang a un terme pour cela, qu’il emprunte à la
scolastique : la « disposition18 », entendue comme l’état
« où est une chose pour recevoir une nouvelle qualité,
une nouvelle forme19 ». L’hypnose ne vise plus un arrêt
(l’injonction et la fascination) sur une restriction du
champ de la conscience et une indétermination (l’induction vers l’endormissement, la confusion hallucinatoire entre réel et fictionnel), mais une « anticipation »
qui éveille des potentialités.
Cet éveil de nouvelles formes trouve dans l’expérimentation artistique des cinquante dernières années
de nombreuses résolutions introspectives, critiques
ou spectaculaires. Elles touchent aussi bien le rapport perceptif à l’environnement, l’exploration d’une
subjectivité dissociée ou d’une conscience élargie,
l’apprentissage de nouveaux gestes et formats relationnels, sans oublier, à l’heure des technologies de la virtualité et de la perception artificielle, la renégociation
des catégories du réel. Cela lorsque l’épuisement des
ressources de la conscience dans la mélancolie d’une
perte de la présence et la confusion croissante entre
fiction et réalité sous la domination des techniques
de reproduction du vivant autorisent le spectateur à
entrer, telle une « hallucination construite20 », dans la
matière même de l’image sans se retrouver face à la
matérialité de l’œuvre : une écologie mentale de l’art.
À terme, en se dédouanant de toute psychopathologie, en cherchant même à se débarrasser de tout travail
d’interprétation, la « nouvelle hypnose » installe le sujet
dans un rapport créatif au monde. À l’appui des neurosciences, elle le sort du modèle dominant de l’action
réflexe qui prévaut dans les sciences expérimentales. De
là, « ce n’est pas la montée en régime de l’imagination
qui engendre l’hypnose, mais bien plutôt l’état hypnotique, la veille paradoxale, qui permet à l’imagination
de se déployer pour transformer nos relations avec les
êtres et les choses14 ». L’hypnose telle qu’elle se comprend aujourd’hui se révèle comme une « introduction au pouvoir d’imaginer, c’est-à-dire de transformer
la réalité qui s’impose15 », autant dire comme un outil,
un médium, que l’art peut s’approprier pour agir sur la
réalité en délaissant la psychologie au profit d’une physique des relations aux autres et au monde et devenir
– cela n’aurait pas déplu à Duchamp – un art de vivre.
Si l’hypnose nouvelle, qui relie et positionne les
corps avant de les faire parler, est aussi présente dans
l’art actuel, c’est bien parce que l’hybridation des pra-
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MOM-ME
PORTRAIT DE LA DISSOCIATION
C’est en 1973, l’année de la sortie d’Uncommon
Therapy, que l’artiste américain Larry Miller se lance
dans le projet d’une installation multimédia intitulée
Mom-Me. L’objectif est de se projeter dans l’identité
de sa mère (« to become Mom in mind and body ») et
de se percevoir à travers son regard dans un transfert
œdipien probablement aiguisé par une enfance vécue
au sein d’une famille dysfonctionnelle. Dans l’esprit
du photo-conceptualisme détournant les codes fictionnels de l’autobiographie, Miller fonde son enquête
introspective sur une série de photographies familiales qui plantent le décor de sa relation à la figure
maternelle, explorée ici au moyen d’une transe hypno-
tique dans laquelle l’artiste cherche à activer le mécanisme d’une dissociation psychique. Dès le milieu des
années 1960, lors de sa formation artistique à Rutgers
University (un pôle qui attirait à cette époque de nombreux acteurs de la scène Fluxus, dont Robert Watts),
il s’est intéressé aux phénomènes psychiques qui l’ont
mené vers les textes de Carl Jung et la culture de l’automatisme, principalement associée à l’héritage artistique du surréalisme et sa relecture par l’abstraction
gestuelle de l’action painting21. Pour Mom/Me, Miller
fait appel dans un premier temps à un psychiatre qui
refuse d’entrer dans le jeu du protocole de l’œuvre,
jugé nocif pour sa santé mentale. La rencontre plus
productive avec un hypnothérapeute va lui permettre
d’entrer, par la technique de la suggestion, dans la tête
de sa mère22. Six séances seront organisées au cours
A
A. Photogramme extrait de la vidéo diffusée dans Larry Miller, Mom-Me, 1973.
B. Larry Miller, Life-sized portrait drawing of “Mom” (created by “Mom” while under hypnotic trance), 1973, crayon sur papier, 182,88 x 81,28 cm.
C. Larry Miller, Photo document N°1. Mom-Me, 1973, montage de huit photographies noir et blanc avec notations manuscrites, 101,6 x 60,96 cm.
D. Larry Miller, Photo document N°2. Mom-Me 1973, montage de treize photographies noir et blanc avec notations manuscrites, 101,6 x 60,96 cm.
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d’une même semaine, dont la dernière sera filmée.
Cet enregistrement formera la base d’un film d’une
heure et demie, projeté sur moniteur dans l’installation, au milieu d’un ensemble de dessins et photographies : « Je voulais savoir ce que ça ferait de devenir
ma mère, de perdre conscience de ma propre identité par l’hypnose et de croire un moment que j’étais
maman. Au cours de six séances hebdomadaires avec
un hypnothérapeute professionnel, j’ai pu entrer dans
des états hypnotiques progressivement plus profonds
jusqu’à ce que je devienne maman dans l’esprit et le
corps. Au cours de cette session de quatre-vingt-dix
minutes, maman a été interviewée de manière informelle pour évoquer son personnage, son concept de
soi, de moi, et de notre relation23. »
L’hypnothérapeute Guy Oshman, en complicité avec
l’artiste, pousse l’interrogatoire vers les relations mère/
enfant, demande à Miller-devenu-sa-mère de se représenter sous la forme d’un grand dessin. Il s’exécute,
mais il oublie de donner des mains à ce portrait amputé.
Un second à l’échelle humaine sera demandé, portrait
de l’artiste cette fois, privé lui aussi de mains, formant
diptyque avec celui de la mère. À l’issue de cette plongée inconsciente dans le passé et la psyché maternels,
le thérapeute réveille l’artiste et lui demande d’en produire à nouveau deux, de lui et de sa mère. Ces dessins
à l’échelle plus réduite seront plus abstraits, prenant
une forme embryonnaire comme deux chrysalides qui
demandent à révéler une forme en devenir – cet avenir
que les mains absentes des deux grands portraits réalisés sous hypnose ne pouvaient annoncer alors que l’inconscient de l’artiste avait pris soin de les soustraire au
regard et au corps, pour probablement mieux effacer
tout indice d’une destinée non écrite, laissée à l’état de
pure potentialité24.
Larry Miller interroge le potentiel de créativité de
cette projection dans l’autre. Quand Rimbaud dit « Je
suis un autre », il professe à la fois le pouvoir de création de soi (la liberté souveraine d’être multiple et non
pas un) et la révélation non maîtrisée de sa production
artistique. Rimbaud constate en témoin l’émergence
incontrôlée de son œuvre : « J’assiste à l’éclosion de
ma pensée, je la regarde. » C’est là une manière poétique de défaire le processus d’élaboration du travail
– pourtant soigneusement encadré autour du protocole de dissociation hypnotique – mais aussi l’intentionnalité même de l’œuvre. Ce jeu de rôle sous
induction peut rappeler le travail de déconstruction subjective du sujet-artiste formulé par Marcel
Duchamp (une référence essentielle pour le groupe
Fluxus), dans sa fameuse allocution donnée à Houston
devant les membres de la Fédération américaine des
arts, consacrée au « processus créatif » (« The creative act », Art News, été 1957). Duchamp y démontait
en huit minutes le principe d’une « illusion intentionnelle » pour mettre en crise la responsabilité de l’auteur face à son œuvre, en choisissant de le présenter
comme le simple transcripteur inconscient d’une
voix extérieure. Il empruntait pour cela le modèle de
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l’artiste médiumnique rencontré dans l’héritage historique du somnambulisme artificiel, pour confirmer
l’agencement de la délégation (ce n’est pas l’artiste
qui fait œuvre, mais quelqu’un d’autre qui parle à travers son corps piloté par l’agencement d’une force exogène) et s’affranchir des diktats d’un « monde de l’art »
porté par le réflexe des attributions. Certes, la délégation opère chez Miller de manière très introspective :
la projection empathique dans le rôle de la mère sert
de catharsis pour traiter la construction identitaire
de l’artiste sur le mode du miroir (Mom-Me). Elle lui
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fournit aussi le moyen d’explorer une position intermédiaire déqualifiant les catégories objet/sujet, créateur/
spectateur, pour poser sous la forme d’un autoportrait
à plusieurs voix un point de vue réversible (dedans/
dehors, observateur/agenceur, conscient/inconscient)
sur son identité dissociée de créateur, vécue non pas
comme une fracture existentielle ou un cloisonnement schizophrénique, mais comme une constellation
de consciences qui passe outre la distinction tranchée
entre conscient et inconscient, et où la conscience de
soi requiert d’abord une reconnaissance de soi.
Miller anticipe ici sur les recherches neuroscientifiques plus récentes autour de la dissociation créative25. Son transfert dans la peau de sa mère est un
mode de dépersonnalisation qui vise moins à creuser
les ressorts œdipiens de la créativité qu’à produire un
état de plus grande continuité entre rêve et réalité26,
démultipliant les facultés cognitives d’association27,
qui éclairent d’un jour nouveau le processus de traduction des idées en formes. C’est là que l’hybridation intermédiale de son installation prend tout son
sens quand on le compare à ce qu’Alex Osborn avait
quelques années plus tôt qualifié d’« imagination appliquée », ou « constructive » (applied imagination28), au
sein de l’incubation du processus créatif29. Associant
photographies, dessins autographes et vidéo, l’artiste
cherche par l’hypnose à mettre en œuvre un travail
méta-discursif sur l’invention artistique qui ne soit pas
de l’ordre d’une définition analytique, mais de l’expérimentation d’un nouveau médium : « Je voulais utiliser l’hypnose comme un autre médium d’expression
artistique (négligé depuis longtemps) – comme un
outil pour sonder ma psyché dans son rapport corps/
esprit, comme si l’outil était un instrument “chirurgical” délicat qui pouvait “libérer” l’objet dans un autre
objet30. »
Si, selon Dick Higgins, un membre de la cohorte
Fluxus, l’intermédia « se situe entre les médias31 », ce
que fait Larry Miller dans son installation joue plus
sur une conversion entre les médias : comment passer
du cliché photographique à la mécanique du dessin
conçu sous automatisme, le tout pris à témoin et réverbéré en temps réel par l’enregistrement vidéo de cette
fabrique sous influence du dessin (la caméra témoin
rend compte du processus de programmation des
portraits par suggestion interposée). Dans les années
1960, telles que les regarde Dick Higgins, le champ de
l’intermédialité apparaît comme l’espace distendu de
contamination des médias, qui ne cesse de croître en
marge des formes artistiques traditionnelles en puisant
dans l’expérience de la vie. Pour Miller, cette notion
tend plutôt à décloisonner les matériaux de l’art pour
se reporter sur la manière de transcrire matériellement
une pensée sur différents supports. L’enjeu n’est pas
l’intégration des médias dans le champ des pratiques
artistiques, mais l’extériorisation de la pensée dans le
monde réel – une extériorisation recherchée, non pas
pour son caractère piloté, mais imprévisible, laissant
toute sa place à la complexité des assemblages, métaphorisée dans le passage d’un média à l’autre et, où
la conscience de l’artiste se projette en abyme, dans
l’acte de création sur le mode divergent d’un producteur/observateur.
Le principe de « l’observateur caché », développé à cette même époque par Ernest Hilgard dans
ses recherches expérimentales sur l’état d’hypnose
et le phénomène spontané de dissociation32 (hidden observer), constitue « une sorte d’agence interne
inconsciente fondatrice du sentiment de l’unité et de
la continuité du moi […], c’est-à-dire de l’unité et de la
continuité du moi dans sa réalité » qui nous confronte
« au paradoxe d’une instance qui posséderait tous les
attributs traditionnels de la conscience mais opérerait
de façon non consciente : en somme, une conscience
inconsciente de soi33 ». C’est ce traitement simultané
de l’information à deux niveaux différents (être à la
fois inconscient et conscient du geste accompli dans le
dessin) qui peut intéresser Larry Miller dans sa façon
d’interpeller ce que l’art de la performance peut contenir de distanciation, avec ici une expérience du dédoublement dédoublée entre la plongée introspective dans
la psyché de l’enfant, dans celle de la mère observant
cet enfant, et celle de l’adulte d’aujourd’hui (l’artiste),
observant l’enfant qu’il était. Manifestement, Miller
adopte l’hypnose comme un état psychique conduisant à une dissociation partielle entre différents systèmes émotionnels et cognitifs, et c’est précisément
cet état de dissociation qu’il cherche à déployer pour
se saisir des raisons qui font de lui un artiste34. La leçon
fera effet sur Louise Bourgeois. Mom-Me est présentée
en 1973 à la 112 Green Gallery de New York, comme
le rappelle Kristine Stiles35. L’artiste, elle-même investie dans une relation au père très œdipienne, verra
dans son intégralité la vidéo d’une heure et demie,
invitera Miller à poursuivre son travail sous hypnose
et produira, un an plus tard, Destruction of the Father
(1974), première occurrence explicite de son rapport
conflictuel à l’anxiété de l’enfance dans sa sculpture.
L’hypnose devient l’outil d’une catharsis personnelle,
dans un champ élargi de l’art qui veille à la transformation de l’artiste au sein même du processus de subjectivation mis en œuvre dans la création – une démarche
se recentrant sur l’identité émotionnelle du sujet n’allant pas de soi dans une époque qui cherchait plutôt à
sortir le « processus créatif » de tout subjectivisme trop
psychologisant.
La même année, l’Américain Duane Michals produit une séquence narrative de cinq photographies
illustrant une séance thérapeutique avec le psychiatre
Herbert Spiegel (Herbert Spiegel, 1974). Un patient
installé confortablement dans un fauteuil, sous la suggestion verbale du médecin, laisse progressivement
son avant-bras droit se lever et se tenir en lévitation
– soit un des poncifs de l’automatisme corporel sous
induction hypnotique, jusque dans ses effets de doublure dyslexique (l’autre main, restant soigneusement
accolée au fauteuil). Loin du marionnettiste, Spiegel
est connu au milieu des années 1970 pour importer
l’hypnose dans le traitement des addictions. Au cours
de la Seconde Guerre mondiale, où il a rejoint en tant
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que médecin un bataillon en Afrique du Nord, il utilise
l’hypnose pour soigner les douleurs des blessés du front
et les situations post-traumatiques. Mais c’est à partir
de la fin des années 1960 qu’il se fait connaître dans
les milieux psychiatriques pour avoir recours au circuit
fermé de la télévision dans des thérapies de groupe36
(une médiation technologique qui ne peut qu’intéresser la génération d’artistes investis dans le récent
dispositif de la vidéo), avant de monter en reconnaissance auprès du grand public avec le traitement d’une
patiente schizophrénique, Shirley Ardell Mason, alias
« Sybil », dont le cas de « personnalités multiples »
sera popularisé sous la forme d’un ouvrage en 1973 et
d’une série télévisée en 1976. Par sa diffusion élargie
qui signe le nouvel intérêt pour l’hypnose dans l’esprit du temps, mais aussi la technique de régression
dans l’âge et de recouvrement de la mémoire qu’elle
implique (revenir à l’état d’enfant, pour faire remonter les souvenirs occultés, ce que Sybil semble faire au
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présent et avec une aisance stupéfiante aux yeux de
Spiegel37), l’intérêt de ce cas est qu’il remet au premier plan le principe de « personnalité multiple », en
imposant dans le vocabulaire psychiatrique le concept
de « désordre de la personnalité multiple » (multiple
personality disorder, MPD), étroitement associé à un
trauma d’enfance38 – un contexte dans lequel a pu germer l’œuvre de Miller, surtout que la monographie à
succès de Flora Rheta Schreiber consacrée à Sybil en
1973 insiste largement sur le rôle de la mère. Dans sa
séquence photo sans légende, Duane Michals, connu
pour avoir justement réintroduit l’intime (auto)biographique au sein de l’enquête photo-conceptuelle, avec
un intérêt notoire pour les phénomènes paranormaux,
repère l’engouement nouveau pour l’hypnose thérapeutique qu’il assimile ici à une performance dans
laquelle peuvent circuler au mieux les rapports entre le
corps et l’esprit (body/mind), au-delà de la figure pilotée de l’automate.
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A. Larry Miller, Life-sized portrait drawing of “Mom” (created by “Mom” while under hypnotic trance), 1973,
crayon sur papier, 182,88 x 81,28 cm.
B. Larry Miller, Portrait drawing of “Mom” (created after awakening from trance), 1973,
crayon sur papier, 23,5 x 20,32 cm.
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UNE NOUVELLE HYPNOSE
THE OTHER
LES DOUBLURES
DE L’ARTISTE
Ce contexte est partagé par Matt Mullican dans
un environnement lui aussi largement marqué par la
domination de l’art conceptuel (abandon de la fabrication et de la forme / primat de la proposition critique et de la documentation). En découvrant la scène
artistique de l’époque, Mullican doit se situer dans ou
en dehors de ce très net repli autotélique (« Art as Idea
as Idea »). Très vite ce qui l’intéresse n’est pas tant la
possibilité de produire un contre-discours (la solution
d’un retour à la peinture ou à l’image, dans l’esprit
de la picture generation) que d’explorer les conditions
mentales dans lesquelles s’opère ce choix de l’art, et
d’interroger plus avant le lien entre réalité objective et
activité mentale. L’artiste cherche à entrer dans l’espace spécifique de l’image pour saisir « qu’elle a une
masse et un poids, et de l’air et une odeur39 ». La question portait sur la réalité de la représentation : « Où
était cette réalité-là40 ? »
Il fallait pour Mullican passer des intentions conceptuelles du dessin à l’expérience phénoménale de l’espace du dessin. La série des Stick Figure Drawings
(1973) l’y aidera. Dans cette séquence, Matt Mullican
dessine un personnage réduit à sa plus simple expression graphique, une silhouette schématique dotée
d’un nom, Glen, et dans laquelle peut se reconnaître
aussi bien un signe générique, un symbole universel qu’un autoportrait camouflé qu’il installe dans
diverses situations. En animant ce dessin à la manière
chronophotographique, Mullican dotait l’image d’un
battement cinématique : la figure devenait figurine
(« A Living Person »). Mais le projet allait au-delà
d’une simple ré/animation. Il veut se projeter littéralement dans l’image. Non plus seulement inscrire sur
le papier une silhouette à laquelle il attribue arbitrairement des attitudes, un langage et des codes corporels, mais entrer dans la vie propre du motif et se saisir
de la réalité de la représentation : « Validate the image
as being real41. » Dans ce sens, devenue un support de
projection empathique, l’image est créatrice si l’on
entend par là cette « faculté qu’aurait l’imagination
d’agir sur le monde extérieur, directement ou par l’intermédiaire d’un médiateur plastique [qui peut d’ailleurs se confondre avec l’imagination elle-même]42 ».
Le dessin n’est plus seulement une représentation
dans un espace conventionnel qu’il s’agit de déconstruire (même si l’artiste délimite à de nombreuses
reprises un lieu fictionnel dans l’espace de la page),
mais la mise en présence d’une figure de soi dans un
lieu réel (« A Real Place »). À ce titre, Mullican n’est
pas bien éloigné de la pensée du psychologue français Alfred Binet (l’auteur d’Une leçon à la Salpêtrière,
mis en scène au théâtre du Grand-Guignol en 1908), à
qui l’on doit une surprenante étude sur la « réalité des
images mentales » dans laquelle, se posant la question des rapports entre le physique (corps) et le mental (esprit), il professe un réalisme de la sensation et
de l’image, deux phénomènes de même nature selon
lui, avec pour conclusion radicale : « Phénomènes physiques, les images sont toujours réelles, puisqu’elles
sont perçues et conçues : ce qui leur manque parfois,
et ce qui les rend fausses, c’est qu’elles ne s’accordent
pas avec le reste de nos connaissances43. »
En 1976, dans le cadre d’une exposition à Artists
Space (New York), il présente la performance Entering
the Picture: Entrance to Hell. Assis sur une chaise à
hauteur d’un dessin représentant l’entrée dans l’enfer, l’artiste se concentre sur l’image et fait l’expérience d’un curieux déplacement spatio-temporel. Il
se retrouve dans la peau d’un adolescent de quatorze
ans ; il est quatre heures du matin. Comme s’il n’était
possible d’entrer dans l’intimité de cette figurine
qu’en se plongeant dans un « sommeil paradoxal »
non seulement intermédiaire, mais transgressif, doté
d’une conscience d’un nouvel ordre, une conscience
proprement somnambulique. « Le somnambule, nous
rappelle Olivier Scheffer, est présent au monde, mais
d’une manière particulière. Il possède ce qu’on pourrait appeler une “sensibilité sans objets” […].
Cette clairvoyance perceptuelle, soulignée par
maints auteurs, permet au somnambule de traverser l’enveloppe du réel, d’en pénétrer l’intérieur et le
retourner comme un gant44. » C’est ce que fait Mullican
quand il retourne l’effigie graphique pour s’y installer. L’artiste joue à brouiller les frontières entre réalité
et projection mentale. Est-ce une illusion ? N’est-ce
pas plutôt une hallucination ? Ce débat avait nourri
la controverse sur l’imagination en pleine époque
romantique, quand la psychologie expérimentale
rencontrait les débats esthétiques sur une nouvelle
clinique du rapport entre art et réalité. Sur quels critères objectifs peut-on distinguer une illusion optique
d’une hallucination mentale ? Le premier à répondre
avait été un médecin féru d’hypnose, Jean-Étienne
Dominique Esquirol, dans l’édition du Dictionnaire
des sciences médicales de 1817, où il opposait hallucination (une « perception sans objet ») et illusion (une
« erreur des sens »)45, avant que la psychologie expérimentale ne se précipite dans cette brèche en scrutant
d’un peu plus près ce curieux moment de bascule où
tout ne peut plus se passer que « dans le cerveau »,
déplaçant l’antagonisme classique entre sensation et
image vers une définition plus perméable, voire plus
énigmatique, de la réalité.
Pour avancer dans cette distribution des étagements de réalité et leur rapport aux représentations
mentales, Mullican va décider de recourir aux services
d’un hypnotiseur dont il trouve les références dans les
colonnes du Village Voice. Cette fois, il fait appel à des
acteurs qu’il installe dans un appartement gracieusement prêté par la mère de l’artiste Gordon Matta-Clark.
La démarche prend une tournure plus théâtrale, favorisée par la configuration physique de l’appartement,
qui dispose, au centre du salon, d’un plan surélevé faisant office de scène (une natural stage). Mullican parle
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de « super-théâtre ». Dans un entretien avec l’hypnothérapeute Vicente de Moura, il précise : « J’ai eu cette
idée d’un super-théâtre ; un théâtre où les acteurs
croyaient qu’ils étaient cette fiction et qu’ils jouaient
cette fiction46 », soit une manière de déplacer à nouveau les frontières entre réalité et fiction (« neither
the real nor fiction »). Mullican demande à l’hypnotiseur de suggérer aux trois acteurs d’entrer dans la
vie d’une femme de sa naissance à sa mort. Ils s’exécutent, automates, dans des actes réflexes qui transforment très vite la performance en psychodrame.
« Something druggy and problematic », se rappelle
Mullican. Sous l’emprise de la suggestion, les acteurs
(une femme afro-américaine, une jeune fille amérindienne, un homme décrit comme plutôt efféminé)
commencent à se comporter de manière hystérique.
Petit théâtre de la cruauté : la femme pousse des cris
virulents, se débat, tente de défendre son jeune frère
que la police aurait arrêté. L’autre se vautre sur le sol,
simule de nager ; le dernier se prend pour un chien,
etc. Hypnose de foire, glissement fébrile des genres
et animalité47. Des vociférations, des gestes convulsifs et spasmodiques, des contractures, des corps qui
gesticulent, avec l’ambiguïté de moments plus intermittents, à mi-chemin entre paralysie et contorsion,
repos et volubilité. Cela rappelle les grandes heures de
l’hôpital de la Salpêtrière. La performance devient un
véritable tableau vivant des altérations de la volonté,
devant un public médusé qui, assistant à cette technologie de l’emprise sur l’autre, va immédiatement
reprocher à l’artiste une déviance manipulatrice,
volontiers fasciste, « authoritarian control freak ».
Quelques années plus tôt, Michael Fried avait
condamné le spectre de la « théâtralité » dans son
fameux article d’Artforum de l’été 1967, « Art and
objecthood ». Ce plaidoyer contre « Le théâtre qui est
la négation de l’art » allait susciter de nombreux commentaires, à l’instar de celui d’Hal Foster, pour qui le
minimal art avait dès le début des années 1970 abandonné tout dogme de la forme pour lui préférer des
combinaisons plus hybrides, plus proches d’un art du
lieu et du temps, ouvertement plus théâtrales dans
le rapport du sujet à l’objet. Éclatait ainsi au grand
jour le divorce consommé entre la notion d’exposition
(propre aux arts visuels) et la valeur de représentation
(propre aux arts vivants du théâtre), en privilégiant
le mode relationnel de la sculpture-performance. Le
spectateur entrait dans l’espace physique de la sculpture, comme un authentique acteur accomplissant le
devenir participatif de l’art, avec souvent une dimension introspective, voire « narcissique », incarnée dans
le fait de se voir dans une œuvre-miroir. Ce n’est pas
cette dimension behavioriste qui est visée dans le travail de Mullican, mais le jeu plus distancié d’une mise
en scène des identités plurielles impliquées dans l’acte
de création, tout en prenant soin de ne pas s’enfoncer dans la dimension biographique d’un « autre »
construit au cours des différentes performances narratives sous induction hypnotique. Le spectateur est
maintenu à distance. Mullican prend d’ailleurs soin
d’établir un territoire symbolique de l’action. En 1976,
il installe ses acteurs sur une scène légèrement surélevée, à l’encontre des protocoles interactifs et déhiérarchisés du living theater. Plus tard, il trace au sol
des marques, délimite son champ d’intervention. L’art
comme entreprise de démarquage.
Comme s’il n’était possible
d’entrer dans l’intimité
de cette figurine qu’en se plongeant
dans un « sommeil paradoxal »
non seulement intermédiaire,
mais transgressif, doté d’une
conscience d’un nouvel ordre,
une conscience proprement
somnambulique.
Maintenant, c’est la conséquence immédiate de
la réponse du public à la performance de 1976, l’artiste se place désormais lui-même sous le contrôle
psychique de l’hypnotiseur. Le cobaye, c’est lui, et
non plus d’innocentes victimes d’une interprétation
débordée par les diktats de la suggestion. Le cobaye,
c’est lui, ou bien plutôt cet autre qui se cache dans les
arcanes inconscients d’un moi à multiples facettes. En
1978, l’artiste met désormais en scène sa dissociation
psychique. À ses côtés, un squelette empaqueté. En
« état second », il réalise des dessins au sol dont la gestuelle plutôt automatique le confond avec un double
somnambule. Il est à la fois dans l’acte conscient de
dessiner et s’observe agissant sous l’impulsion d’un
ordre qui vient d’ailleurs (Inside/Outside). Les fantaisies médiumniques du symbolisme fin de siècle que le
surréalisme regarda avec attention reviennent à l’esprit, et cette curieuse contagion d’artistes qui ne peignaient pas en leur nom mais se faisaient les simples
intermédiaires d’une force venue d’ailleurs (des fantômes aux revenants, incarnés ici par la figure fantasmagorique du squelette-momie). Jouant beaucoup
sur les « idées fixes » parasitaires de ces personnages
incarnés sous induction hypnotique, Mullican reprend
en bien des points le principe de « dédoublement de
la personnalité » ou de « désagrégation mentale » que
Pierre Janet avait appelé, à propos de la conscience
des hystériques qu’il voyait évoluer à la Salpêtrière48,
la « dissociation de la personnalité », inséparable d’un
mécanisme d’absorption dans la vie imaginaire ou de
défense psychologique contre le débordement provoqué par une expérience émotionnelle intense ou traumatique – un principe rencontré aussi dans les textes
d’Alfred Binet, notamment dans son ouvrage sur Les
Altérations de la personnalité, publié en 189249. Or, ce
n’est probablement pas un hasard, cette notion de dissociation qui avait occupé les débats de la psychologie
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A. Matt Mullican, Autoportrait sous hypnose, 1981, gesso et techniques mixtes sur coton, 260 x 150 cm.
B. Matt Mullican, Under Hypnosis, 1982, Performance, The Kitchen, New York.
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expérimentale entre 1850 et 1920, avec Janet comme
premier moment de culmination, se trouve sortir d’une
éclipse à partir des années 1970, quand Mullican s’engage dans des expériences avec l’hypnose50.
D’autres performances similaires suivront à Los
Angeles (1979), puis Bruxelles, avant de connaître
un premier moment de culmination en 1982, à New
York (The Kitchen51). Cette performance a été filmée.
En amont de son arrivée sur scène, Mullican s’est fait
hypnotiser par un praticien. Il entre à ses côtés, dans
la salle, puis s’installe sur une chaise disposée sur le
promontoire d’une petite scène qui fait aussi office de
lit/reposoir. Il s’assied face au public, yeux clos, bras
relâchés, poursuivant le protocole d’induction hypnotique. Manipulant une échelle, il commence à peindre
sur un pan de mur, d’abord des signes simples, une
ligne de partage, puis des formes plus organiques,
anthropomorphes. Concentré sur son pinceau, avec
quelques séquences de fou rire qu’il partage avec le
public complice, distillant quelques paroles ventriloques, monologue incantatoire, il donne au dessin
une forme totémique de squelette, plutôt gauche, à
la manière infantile, icône primitiviste qui reconduit
l’amalgame entre régression phylogénétique et plongée inconsciente. Après un nouveau dialogue avec
son hypnotiste, il installe au sol un rouleau de papier
vierge sur lequel il peint une séquence all over de
signes ou pictogrammes géométriques, à mi-chemin
entre écriture automatique et transcription médiumnique. Il se redresse ensuite et revient vers le mur, pinceau à la main, pour entamer un autoportrait. La tête
d’abord, avec un double cortex (hémisphère gauche
/ hémisphère droit), réparti symétriquement pour
mieux énoncer la partition dissociée du sujet. « This
is a brain, this is another brain. » Le tronc est signifié par un cercle qui se démultiplie (cœur, estomac,
sexe) comme autant de formes de « régénération ».
Il s’agit toujours de se renouveler, dans la parturition
vécue en temps réel. En fin de performance, Mullican
se saisit de tasseaux de bois qu’il utilise comme des
instruments de percussion d’une pantomime gesticulatoire. Il frappe au sol, vocifère, se contorsionne.
Retour en force de l’hystérie, les contractures en
moins52. Mullican fait les frais de la manipulation : « I
was in a bad trip. » Il décide l’arrêt de la performance,
après s’être reposé sur le lit de camp où l’hypnotiseur
était venu à nouveau recharger l’emprise relationnelle
de la suggestion. Étape de rébellion contre la voix de
l’hypnotiseur, signifiant la fin d’une sujétion ; prise de
conscience des limites de cette technique d’intrusion/
soumission qui menaçait l’intégrité psychique de l’artiste (sa déchirure non plus métaphorique, mais bien
réelle53). Ou comment pousser l’expérience aveugle
de la (dé)possession jusqu’à saisir le moment propice de la passivité – un « état de passivité » qu’il faut
comprendre ici comme une manière de revenir sur la
question du sujet et de sa présence à lui-même et où,
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comme a pu le dire Jean-Luc Nancy, « dans le sujet
hypnotisé, c’est le présent même de sa présence qui
est suspendu » : « S’il est ainsi présence, c’est comme
une pure présence, qui n’a pour soi de présent et ne
se présente ni ne représente rien, seulement offerte à
la représentation de l’autre. Ce sujet n’est plus le sujet
de la représentation : il n’est plus le sujet54. »
Mullican a décidé de mettre fin, durant quelques
années, à ce mode performatif avant que ne se repose
le partage hallucinatoire de la réalité, sous un mode
d’une intrusion de l’image virtuelle dans le champ du
réel. À la fin des années 1980, toujours investi dans
une recherche sur le symbolisme cognitif et les systèmes de codification, l’artiste revient donc vers l’hypnose par le biais des ambiguïtés de la numérisation
des images et des informations. Le partage entre des
aires de découverte et de travail, les jeux de projection
entre espace réel et espace mental rappelaient curieusement les frontières établies physiquement lors de
ses performances sous hypnose, entre l’espace personnel de son activité sous contrôle et l’espace public,
non moins vigilant, des spectateurs. Cette façon qu’il
a en arrivant sur scène de délimiter au scotch noir le
territoire de son intervention trouvait un écho dans
les partages optiques entre l’écran du virtuel et le plan
du réel. En quoi consistent donc les nouvelles performances sous hypnose ?
En un jeu de rôle ouvert où tout peut arriver, selon
l’humeur de l’artiste et les imprécations de l’hypnotiseur, mais où cependant trône le plus souvent
au centre de l’espace réservé une table sur laquelle
sont disposés les matériaux (eau, encre, marqueur,
etc.) nécessaires à l’élaboration d’une trace de l’événement, au-delà du simple constat photographique
ou vidéo de l’action. Et peu à peu, ce qui était assez
marginal, la production de grands dessins à l’encre
noire sur d’imposants lés de papier appliqués sur
les cimaises de l’espace délimité de la performance,
devient une véritable pratique parallèle. Mullican produit de nombreux dessins sous (auto)hypnose, désormais seul dans son atelier, et non plus exhibé sur la
scène devant le public. La concentration s’exerce
sur le tracé du pinceau qui glisse sur le papier, légère
transe pacifiée inscrite dans l’expérience du quotidien
(cette technique se retrouve plus récemment dans
les Dessins sous hypnose de Fabrice Cazenave). La
B
A. Matt Mullican, Under Hypnosis, 2007, Performance, Tate Modern, London.
B. Matt Mullican, Untitled (Entering the picture), 1973, Performance, Project Inc., Cambridge, MA.W.
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plupart de ces dessins sont ensuite marouflés sur des
draps libres qui forment l’architecture mobile d’espaces labyrinthes que le spectateur est invité à parcourir librement – métaphore d’une déambulation
vagabonde dans l’espace projectif d’une pensée libérée des conventions ordinaires, mais aussi plan réticulaire d’une carte-mémoire où conditionnement social
et liberté individuelle négocient leur articulation.
L’artiste y mêle ses séries de dessins à des séquences
de photographies, jouant sur divers registres populaires, images glamours arrachées à des magazines
d’adolescents (codes vestimentaires, archétypes de
séduction…), ou des catalogues de vente par correspondance (fleurs, mais aussi tapis, des tapis persans
dans lesquels l’artiste entrevoit une métaphore du tissage des informations stockées dans la mémoire…),
avec un goût de la collection et du classement (analogies formelles, chromatiques, catégories d’objets),
non pas tant sous l’angle de l’archive et de l’encyclopédie que sous la forme détournée de l’atlas – l’atlas
comme « mode de connaissance nomade ».
Quelle typologie d’inscription s’impose dans ces
grands panneaux ? Quel style d’écriture ? Un graphisme curviligne aux allures régressives, proche du
cahier d’école à l’ancienne, tout en maniaqueries et
rondeurs, dont les arabesques stylisées et l’obsession
du recouvrement symétrique des surfaces rappellent
non seulement l’apprentissage de l’enfant, le dessin
médiumnique, la notation musicale, l’écriture des fous,
le graffiti psychédélique, mais aussi le vocabulaire en
volutes de l’Art nouveau. Ce n’est pas le fait du hasard,
mais bien le rappel de puissantes coïncidences historiques raccordant le développement stylistique de l’Art
nouveau et la « psychologie dynamique » d’un âge d’or
de l’hypnose médicale, où l’on s’attachait justement à
identifier les enjeux de l’étagement de la conscience,
une division qui a pour but non seulement d’élucider
toute une gamme d’actes réflexes (automatismes, souvenirs, réminiscences, etc.), mais de révéler le mécanisme même de la pensée créative dans son lien à « la
possibilité d’une prolifération imaginaire55 ».
Matt Mullican s’en amuse en déplaçant le curseur sur
l’échelle des clivages identitaires (âge, sexe, etc.). D’où
la joyeuse diversité des « autres » qu’il rencontre dans
cette plongée de l’hypnose. Une traversée de la vie par
procuration. Mullican devient ici un enfant de quatre
ans, là, un adolescent de quatorze ans, mais il peut aussi
investir le corps d’un vieillard. Il peut être un homme ou
une femme, un républicain ou un démocrate, les deux à
la fois, hybride de multiples biographies contradictoires,
etc., même s’il tente de donner, au final, une cohérence
à ce « personnage », that person, the other, un individu
dont on apprend au cours des divagations de l’écriture
automate qu’il aime l’amour et la magie des chiffres,
le café et les fleurs, la divine géométrie. Quelqu’un
de « romantique » qui, dans l’exercice de la copie (« I
love copy »), aime la répétition et les effets de réflexivité (« What is thought? What are deep thoughts? What
are the deepest thoughts? ») ainsi que les ambivalences
entre concret et abstrait, réel et imaginaire (« a bstract
thought, concrete thought »). En cela, les inflexions
de Matt Mullican dans sa pratique sous hypnose, à la
recherche autant d’une personne que d’une situation,
vont de pair avec la propre évolution des outils conceptuels pour comprendre l’hypnose elle-même.
L’hypnose n’est plus réduite aujourd’hui à un phénomène de soumission fascinatoire (contrairement à
l’approche freudienne qui continuait de l’assimiler à
« l’état amoureux » pour n’en retenir que le pan impur,
sinon obscur, de l’emprise sous phase d’induction). Si
l’hypnose est un produit de l’imagination, c’est bien
parce que cette veille étendue permet à l’imagination de se déployer pleinement pour transformer la
relation du sujet aux êtres et aux choses. Aux côtés
d’une cartographie des universaux, avec son symbolisme, ses codes graphiques et ses chartes de couleurs,
Mullican explore un mode de transcription plus libre,
moins conventionnel, des circuits de la connaissance :
un mode visuel plutôt fragmenté derrière sa belle organisation, pour recueillir dans le jeu du montage des
images et des textes, le morcellement des identités
dont les relations seraient impossibles à recomposer
sans l’apport de la fantaisie. C’est l’ultime retranchement que défend Mullican dans ces petits atlas humoristiques de l’inconscient, où se laisse tout simplement
voir comment l’imagination travaille.
C’est pourquoi la forme de l’installation immersive
– aux côtés des technologies de la virtualité – prend
une place de choix dans la résurgence de l’hypnose
au sein de l’art contemporain. Tony Oursler, auteur
des conclusions visuelles de ces chapitres, et dont les
archives personnelles recèlent des trésors de curiosités empruntées aux imaginaires de la culture du
divertissement populaire, en sait quelque chose. Les
saynètes technologiques d’Oursler, pionnier de l’installation multimédia dans laquelle l’espace fictionnel
de la vidéo rejoint le régime de l’imagerie mentale, en
donnant langue à des personnages fantasmagoriques,
s’inscrivent dans la tradition des statues parlantes56.
Par des montages fantaisistes mêlant ironie et autodérision autour de jeux d’illusions optiques qui replacent
« la sorcellerie derrière la caméra57 », l’artiste prestidigitateur, renouant avec les astuces comiques du
cinéma des attractions, reconduit des hypothèses sur
l’hyperpouvoir, mais aussi l’impuissance des représentations à l’âge d’une déferlante d’images déhiérarchisées en médiasphère. Il pousse à se définir non plus
seulement en regard des images mais en leur cœur,
en prenant acte que « nous ne sommes pas devant les
images [mais] au milieu d’elles, comme elles sont au
milieu de nous », obligeant désormais à « savoir comment on circule parmi elles, comment on les fait circuler58 ». Les créatures somnambuliques qui peuplent
ses tableaux animés (entre ectoplasme et avatar numérique) sont les acteurs impuissants d’un simulacre platonicien où la réalité semble se dérober sous nos yeux
à mesure que l’ère digitale se projette dans une présence aux contours toujours plus fantomatiques.
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L’EXPOSITION MENTALE
LANGAGE PERFORMATIF
ET SUGGESTION
Il ne faut pas négliger la dimension vaudevillesque
de cet usage de l’hypnose si débiteur de ce qu’en livrait
toujours son approche populaire sur les tréteaux, les
écrans (petits ou grands), les fanzines ou la bande dessinée (Le Livre de la jungle reste un passage incontournable de l’imaginaire de l’emprise hypnotique). Au-delà
de la réhabilitation scientifique et clinique de l’hypnose
– réelle à partir des années 1970 –, sa résurgence au sein
des pratiques artistiques prend tout son sens dans la
distance mutine de cette pirouette théâtrale dont elle
reste dépositaire, un appui humoristique qu’il faut comprendre dans son jeu de position face au sérieux analytique du conceptualisme dominant la scène artistique
de ces années-là. C’est le point commun entre Miller et
Mullican, qui recherchent dans l’hypnose un « nouveau
média » susceptible de mieux gérer, tout en restant dans
le champ de gravité du langage, une sortie possible de
l’orthodoxie conceptuelle recentrée sur l’énonciation de
ce qui définit l’objet et l’intention critique de l’œuvre en
dehors de sa présence matérielle. La doxa conceptuelle
– celle de sa définition restreinte défendue par Joseph
Kosuth dès 1965, mais aussi du versant de la « critique
institutionnelle » – repose sur une approche du langage
tournée sur les enjeux de la vérité et de la vérification, le
rapport au langage étant arrimé sur la logique littéraliste
et descriptive du constat (Joseph Kosuth, Four Colors
Four Words, 1966). Or, face à ce positivisme du langage hérité d’un structuralisme que d’aucuns pouvaient
considérer par trop élitiste jusque dans ses effets de mise
à distance du sujet, se dégageaient d’autres approches
plus pragmatiques venues de la « philosophie du langage ordinaire » plaidée par John Austin dans How to Do
Things with Words (1962) : la reconnaissance d’un usage
performatif du langage qui ne reposait plus sur le mode
de la proposition (le statement cher aux artistes conceptuels), mais de la participation (l’action prisée dans les
récents développements de la performance), une langue
non plus réduite à l’idéalité du contenu et inféodée au
régime symbolique de la représentation, mais transformée en authentique moyen d’action (speech act ou
« énoncé performatif » qui constitue par lui-même l’acte
qu’il désigne).
Cela semblait donner, à rebours, un curieux écho au
principe d’idéo-dynamisme porté par les défenseurs de
la suggestion. Si, selon Bernheim, « la suggestion, dans
le sens le plus large, c’est l’acte par lequel une idée est
introduite dans le cerveau et acceptée par lui59 », « toute
idée suggérée et acceptée tend à se faire acte60 ». Sous
couvert d’une acceptation préalable du sujet à laquelle
elle s’adresse, la suggestion est une façon de comprendre
la conversion d’une injonction verbale en acte. Dans ce
sens, . En fait, dans le jeu de rôle que s’attribuent les
artistes comme Miller ou Mullican, dans leurs performances sous hypnose, s’installe l’idée de pouvoir traduire dans le réel une image intérieure tout en cessant
« de croire qu’il y a une réalité psychique que nous pourrions étudier du dehors61 », avec la production de formes
matérielles (des dessins notamment, à profusion chez
Mullican), même si l’esprit contestataire du moment
poussait vers des formes dématérialisées plus radicales
s’opposant à la fétichisation marchande de l’objet d’art.
Une génération plus tard, il reviendra aux artistes plus
ou moins proches du postconceptualisme de se libérer
de tout artefact pour conduire à son terme cette entreprise de dématérialisation de l’art, en la basculant cette
fois définitivement du côté du spectateur.
C’est ce que feront en duo le critique d’art lituanien Raimundas Malašauskas et Marcos Lutyens dans
les Hypnotic Shows, ou Joris Lacoste dans ses transmissions d’œuvres sous induction hypnotique. Malašauskas,
connu pour inventer de nouveaux formats d’exposition,
frappe en 2006 à la porte d’Algirdas Laurinaitis, un psychiatre connu de Vilnius, pour lui demander de l’hypnotiser. La requête est précise : il souhaite « devenir une
… le principe d’un langage
performatif venait consolider
cette articulation magique du dire
et du faire que l’art de cette époque
pouvait accueillir comme une forme
alternative au rationalisme affiché
du discours de la méthode
et de la définition…
radio capable d’émettre et de recevoir des signaux », et
mieux encore, de « recevoir des signaux du passé et du
futur ». Le contexte géopolitique n’est pas neutre. Nous
sommes dans une Europe de l’Est sortie du bloc soviétique qui voit toujours dans les moyens de communication un média de conditionnement de masse. Au cours
de la conversation, Laurinaitis évoque d’ailleurs le nom
d’Anatoly Kashpirovsky, un agent « mentaliste » à qui le
Kremlin avait semble-t-il demandé, au début des années
1980, d’orchestrer un show télévisuel visant à utiliser
l’hypnose subliminale pour consolider l’adhésion idéologique du public face à ce qui apparaissait déjà comme
la chute annoncée de l’empire. Délesté de cette hantise de la manipulation, le format expérimental de l’exposition dédramatise l’exploration des frontières de la
subjectivité. C’est dans ce contexte spéculatif, partagé
avec d’autres curators comme Francesco Manacorda ou
Mathieu Copeland, que Malašauskas met sur le papier
un protocole visant un projet d’exposition totalement
dématérialisée :
« 1. Se produit dans l’esprit du public sans être une
représentation de quelque chose qui lui soit identique.
2. Abolit les paramètres physiques et les propriétés de
l’objectivité.
3. Apparaît comme un rêve cérébral non référentiel.
4. Effectue un acte de transfert sensoriel et intellectuel
comme ce qui se passe dans L’homme qui enseignait la
peinture de Blake dans son rêve, le dessin de William
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UNE NOUVELLE HYPNOSE
Blake (Blake peignait-il dans ses rêves ou apprenait-il à
peindre dans les rêves de quelqu’un d’autre ?).
5. Pousse la dématérialisation à la limite que seules la
science-fiction, la foi et les neurosciences peuvent imaginer.
6. Reste miniature, télépathique, autonome et facilement transférable.
7. Reformule tous les protocoles ci-dessus dans son élaboration62. »
En 2008, à l’invitation de la galeriste Jessica
Silverman à San Francisco, Malašauskas propose donc
une « exposition qui a lieu, à travers l’hypnose, dans la
tête du public63 ». Capitale de l’utopie numérique, de
l’infosphère et de l’intelligence collective par sa proximité avec une Silicon Valley en pleine expansion64, San
Francisco, une ville au fort héritage psychédélique, était
propice à accueillir ce premier Hypnotic Show : « L’idée
de base du spectacle est de radicaliser le pouvoir d’un
artiste en hypnose pure (c’est-à-dire de voir l’espace
cérébral comme le moyen ultime de l’art et de transmettre ou instruire une œuvre d’art à travers le médium
de l’hypnose). Par exemple, imaginez une pièce vide :
dix personnes et un hypnotiseur qui hypnotise les dix
personnes pour y vivre une exposition, ou pour vivre
quelque chose qui a été proposé par des artistes. Donc,
l’œuvre d’art n’existe que dans le cerveau du public65. »
Malašauskas s’est rapproché d’artistes internationaux proches de ses préoccupations (Cerith Wyn
Evans, Pierre Huyghe, Torreya Cummings, Joachim
Koester, Fabien Giraud et Raphaël Siboni, etc.), auxquels il a demandé des scripts décrivant une situation,
une scène, un décor, transmis au public sous induction
par un hypnotiseur associé au projet, Marcos Lutyens.
Artiste anglais basé en Californie, engagé depuis de
nombreuses années dans le champ de la perception
sensorielle, de l’intelligence artificielle et des neurosciences, mais aussi formé aux pratiques post-ericksoniennes à l’American Institute of Hypnotherapy (AIH,
Irvine, Californie), Lutyens avait déjà collaboré avec
Mullican dans certaines performances sous hypnose.
Plusieurs sessions seront organisées dans divers lieux,
faisant évoluer le protocole d’induction où apparaissaient ici, une Dreamachine très opticaliste, là, un jeu
de passes magnétiques, avec un point de culmination
à l’occasion de la Documenta 13 de Kassel (2012).
Cette fois, c’est un dispositif spécial qui est conçu pour
accueillir les visiteurs dans les jardins de Karlsaue
Park : une cabane en bois, dite Reflection House, dont
le principe de construction en miroir amène le public à
se projeter dans un environnement spéculaire mêlant
espace réel et construction imaginaire, le préparant
à une expérience sensible dans laquelle l’inconscient
joue, telle une doublure, un rôle primordial. L’idée
d’un espace dédoublé en miroir a été inspirée à l’artiste par l’expérience de la mirror box du professeur
A
Vilayanur Ramachandran à destination des victimes
du « syndrome du membre manquant » ; elle n’était
pas non plus étrangère à un premier dispositif en
miroir proposé à la fin des années 1990 au performeur
activiste Ron Athey, dans lequel l’image de l’artiste
venait se confondre avec celle d’un alter ego, Vaginal
Davis, jouant sur les transferts d’identité – des expériences limites dans lesquelles la ritualisation sadomasochiste impliquait des atteintes physiques du corps
où l’hypnose était appelée comme analgésique66. À
Kassel, nulle ritualisation « actioniste », mais l’inversion des lois physiques insinuées par le renversement
de perspective et le jeu de symétrie (une forme de
palindrome visuel) offraient une manière de dérouter
les réflexes ordinaires et d’induire un état de distraction permanent propice à décaler les conditionnements d’une répartition trop coutumière des fonctions
cérébrales entre les deux hémisphères. La plupart
des scénarios avaient été réunis dans un livre (Paper
Exhibition, 2012), mais l’expérience des œuvres contenues dans ces scripts passait par la médiation, autrement moins linéaire, de la suggestion verbale sous
A. Couverture de Marcos Lutyens, Memoirs of a Hypnotist:
100 Days with a Foreword by Raimundas Malašauskas, 2015.
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induction, avec la possibilité d’aller d’un scénario à
un autre, de brouiller les ordres de narration, de croiser les situations et les réseaux de significations. Au
réveil, le public était invité à partager les visions intérieures vécues durant la suggestion, comme autant de
réinterprétations d’une œuvre fictionnelle non calibrée, totalement plastique, comme l’esprit qui les a
accueillies.
Ce format de transmission mentale de l’œuvre
revient sur une certaine utopie du projet de l’avantgarde dont l’horizon aura été moins de défaire le
grand mensonge physique de la peinture (en finir avec
l’illusionnisme du trompe-l’œil et les artifices conventionnels de la représentation) que d’inventer une
nouvelle relation entre l’artiste, l’œuvre et le spectateur, qui densifie la nature physique et sensible de
la relation à l’œuvre tout en poussant la dématérialisation du support de la communication, renonçant
à la fois à la médiation visuelle du signe et à l’hégémonie rationnelle de la forme, en donnant priorité à
ce qui n’est pas cerné et définissable, à l’invisible et
à l’indicible. Ce mode associant physique sensible de
l’expérience, volatilisation impondérable de l’artefact
et liberté interprétative du spectateur est proche de
celui qu’adopte l’artiste et metteur en scène français
Joris Lacoste, qui pratique l’hypnose depuis 200467.
Le protocole est similaire : après avoir endormi un
sujet, Lacoste lui raconte une histoire préécrite dans
laquelle il sera le personnage principal ; au réveil, l’artiste/hypnotiseur écoute le récit du spectateur, une
odyssée hallucinatoire, visuelle, auditive et tactile,
vécue avec un degré de réalité qui s’apparente à l’expérience du rêve. Il s’agit donc d’un « rêve scénarisé,
guidé par la voix, mais qui déborde sans cesse son
propre cadre », où Lacoste cherche à surfer sur « l’écart
irréductible de l’imaginaire et de l’inconscient de chacun ». Le même scénario s’actualise d’une manière à
chaque fois différente. La première occurrence de ce
protocole fut radiophonique. Elle a lieu en 2009, dans
le cadre d’une manifestation intitulée Au musée du
sommeil. Pour cette pièce sonore, Lacoste a écrit un
scénario, ou texte-source, sous la forme d’une histoire
à la deuxième personne : la visite d’un musée d’art
contemporain. Dans la « Suite » de la Maison rouge à
Paris, il raconte successivement cette histoire à sept
personnes hypnotisées. Après chaque séance, l’artiste
demande à chacun de lui narrer ce qu’il avait vécu.
Au musée du sommeil est un montage sonore réalisé à partir de ces sept enregistrements, diffusé dans
« L’Atelier de création radiophonique » de France
Culture, puis, sur une proposition d’Éric Mangion,
présenté à la Villa Arson en 2010, lors de l’exposition Double Bind, dans un dispositif d’écoute conçu
pour l’occasion. Avec Restitution, en mai 2010 toujours à la Villa Arson, cette fois en collaboration
avec Florian Leduc et Éric Duyckaerts dans le cadre
d’une exposition collective intitulée No Comprendo
et consacrée aux questions de transmission et de tra-
duction en art, Lacoste adopte un protocole légèrement différent. Avant l’entrée du public, il hypnotise
un invité et lui raconte une histoire écrite. C’est
après le réveil qu’il demande au sujet de rapporter
ce qu’il a vécu pendant la séance. La nature particulière de son récit (il semble raconter des événements
tout à la fois réels et impossibles) et la relation paradoxale qui s’instaure entre l’artiste et l’invité suggestionné produisent une sorte de « fiction réelle » qui
jette un doute sur la situation familière de l’entretien.
L’idée de base du spectacle
est de radicaliser le pouvoir
d’un artiste en hypnose pure
(c’est-à-dire de voir l’espace cérébral
comme le moyen ultime
de l’art et de transmettre
ou instruire une œuvre d’art
à travers le médium de l’hypnose).
Cette expérience sera poursuivie la même année
pendant toute la durée du Printemps de septembre,
à Toulouse, sous la forme performative du Cabinet
d’hypnose, un format d’exposition pour une seule personne, reçue sur rendez-vous et endormie avant la
transmission du récit. Chaque séance est documentée sous la forme d’un portrait : la vidéo d’un visage
endormi sur lequel sera monté l’enregistrement de
son récit au réveil. En accrochant côte à côte ces
vingt-deux portraits dans ce qu’il appelle une « galerie du rêve », Lacoste cherche à faire entendre les
variations d’interprétations, de manière à faire apparaître concrètement à quel point c’est le « spectateur
qui fait l’œuvre ». Pour élargir ce projet duchampien à
une expérience plus collective et scénique, Lacoste a
monté un spectacle, Le Vrai Spectacle. Il s’agit cette
fois de faire du théâtre le lieu même de l’hypnose,
tout en se démarquant des clichés manipulateurs
de « l’hypnose de scène », toujours présente dans la
culture du divertissement, comme en témoigne, parmi
de nombreux exemples, le succès médiatique de l’hypnotiseur canadien Messmer, vedette internationale de
shows télévisuels prime time à l’instar de « Stars sous
hypnose », où il pousse à l’extrême le pilotage psychique de vedettes du paysage audiovisuel – le plus
souvent des comiques reconnus – converties en purs
automates (Le Rire de Bergson n’est pas loin). Plutôt
que de faire de la sujétion le sujet même du spectacle,
Lacoste cherche à ce que le spectateur fasse œuvre
depuis sa place de spectateur. Le dispositif traditionnel du théâtre (acteurs sur scène et spectateurs dans
la salle) est préservé, mais il ne sera rien demandé
d’autre au spectateur que d’écouter et d’imaginer,
en restant libre de plonger ou pas dans le « sommeil
paradoxal », c’est-à-dire de s’abstraire ou pas du décor
abstrait proposé sur la scène.
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Elle est vide, sans autre décor qu’une ambiance lumineuse ; un acteur entre, il s’adresse au public. Dans un
premier temps, la conversation sert à rassurer le public
sur ce que n’est pas l’hypnose ou ce qu’elle ne sera pas
dans ce spectacle. Les premiers mots sont consacrés à
dire que chacun est ici libre de se laisser bercer par les
paroles ou de résister à un mouvement d’endormissement, de rester éveillé et vigilant ou se « laisser-faire »,
sans craindre d’être manipulé par une suggestion qui
pourrait porter atteinte à son autonomie. D’emblée, il
est rappelé que le spectateur ne sera à aucun moment
invité à venir sur scène mais restera confortablement
dans son fauteuil pour vivre une expérience qui ne se
fera pas à ses dépens. La parole s’arrête ensuite sur la
proposition d’un choix, celui de rester face au spectacle
réel (la parole de l’acteur, ses gestes, les lumières et les
sons, qui peu à peu se font plus présents et pulsatifs) ou
de plonger dans le « vrai spectacle », celui qui est vécu
sous le jeu de l’induction hypnotique. La musique commandée au compositeur Pierre-Yves Macé est à la fois
lancinante et changeante ; la lumière créée par Caty
Olive s’adresse à des spectateurs qui sont invités, tout
comme dans le dispositif de la Dreamachine, à fermer
progressivement les yeux : « Chaque spectateur doit
en effet pouvoir choisir sa manière d’expérimenter le
spectacle : soit en se laissant endormir pour le vivre de
l’intérieur (ce qui suppose de renoncer à une certaine
distance critique) ; soit en restant éveillé pour l’observer
de l’extérieur (ce qui suppose de renoncer à l’expérience
hallucinatoire). Les deux réceptions, quoique radicalement différentes, doivent être aussi intéressantes l’une
que l’autre. Cette double réception est essentielle au
projet. D’abord parce qu’elle place la liberté du spectateur au centre. Ensuite parce qu’elle radicalise les
deux positions entre lesquelles, dans l’expérience d’un
spectacle, nous naviguons toujours : celle de l’adhésion
totale, presque enfantine, à ce qui est représenté ; et
celle du recul critique, où nous observons davantage la
manière dont est représentée l’action68. »
Spectacle réel ou vrai spectacle, ce sont deux options
possibles, en rien contradictoires, parfois cumulables.
Quand l’induction fait son effet sur le public qui le souhaite, l’acteur (Rodolphe Congé) transmet verbalement
le scénario écrit par Lacoste qui sert de base narrative
à l’œuvre fictionnelle transmise mentalement : « J’ai
entrevu un possible usage artistique de cette pratique
[…]. Il y a un ensemble de règles et de figures que
l’on doit maîtriser pour induire l’état d’hypnose. C’est
une vraie poétique. Une poétique d’autant plus intéressante à mon sens qu’elle est toute fonctionnelle : la
parole vise à provoquer non pas des effets esthétiques,
mais un état physiologique déterminé. Elle ne vise pas
la beauté, mais l’efficacité. Elle n’est belle qu’incidemment. C’est un intéressant défi d’écriture69. »
Dans ce projet comme dans les précédents, l’hypnose n’est pas une fin en soi, mais un médium artistique
parmi d’autres, une manière de produire des images et
du sens « au même titre que la peinture, la vidéo, la pantomime ou la 3D ». La démarche n’est pas anodine, car
elle prend ouvertement à contre-pied la condamnation
plutôt consensuelle de l’hypnose dans les discours de
la dramaturgie contemporaine. Au cours du XXe siècle,
l’hypnose fut le repoussoir régulier, sinon canonique,
du théâtre contemporain quand celui-ci veillait à s’opposer, tel un chantier de résistance éthique et sociale,
aux usages populistes de la fascination collective. Dans
ses Écrits sur le théâtre70, le terme hypnose est utilisé
par Bertolt Brecht pour qualifier tout ce qui relève de la
conception illusionniste – aristotélicienne – de la scène,
clairement associé aux procédés visant à réduire la distance critique du spectateur et à le maintenir dans une
coupable position de passivité : le « théâtre du divertissement vespéral » est l’instrument nocif d’un engourdissement des consciences.
À ce théâtre hypnotique qui envoûte et manipule le
spectateur en lui suggérant des émotions prédéfinies,
Brecht oppose une dramaturgie matérialiste qu’il dit
« non aristotélicienne », allant de pair avec l’exclusion
de tout ce qui « apparaît comme fusion du religieux et
du politique » au profit de pratiques d’écritures didactiques censées favoriser la distanciation et l’esprit critique. Le théâtre authentique – le vrai théâtre – se
doit d’instaurer une tension entre catharsis et réalité
sociale, dans une posture engagée visant à transformer
le monde. Cette approche d’un théâtre de la distanciation, refusant l’empathie « aliénante », préfère les
montages de rupture aux effets de continuité : dislocation du texte et de sa diction, disjonction du récit et
implosion de la narrativité, dissociation de la temporalité, autant de tactiques fonctionnelles pour mieux
réveiller la conscience d’un spectateur appelé « à voir
la réalité telle qu’elle est ». Dans Le Vrai Spectacle,
Lacoste ne craint pas l’identification jusqu’à la pousser
vers la transformation du spectateur en cofabulateur
qui investit à sa convenance le récit et les situations71,
ni même la théâtralité de l’hypnose dans laquelle la
parole s’adresse à une conscience partiellement endormie : « C’est merveilleux de voir comment des métaphores ambiguës produisent des images très concrètes,
comment par exemple l’énoncé : “Tu es à l’intérieur
d’une chambre qui est à l’intérieur d’une idée” peut
faire apparaître, contre toute attente, l’image d’un diamant72. » Soit une manière de reconsidérer la hantise
brechtienne dans une relation esthétique où l’œuvre
n’est plus considérée comme un raisonnement qui
se transmet mais comme le lieu d’une expérience
de pensée que Jacques Rancière qualifie justement
d’« émancipation ».
A. Joris Lacoste, Le cabinet d’hypnose (Bestiaire), 2010.
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B
A & B. Photogrammes extraits du film d’Olivier Dollinger, Under Hypnosis Statement, 2005,
dispositif vidéo, double projection, 16 mm.
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L’EXTASE COMME « POINT LIMITE »
LE RETOUR
DES ATTRACTIONS
En d’autres occasions, ce sont les propres motivations conceptuelles d’une exposition qui sont examinées. Dans Under Hypnosis Statement (2005), Olivier
Dollinger73 invite le commissaire de la manifestation
offshore à la fondation Cartier, Jean-Max Colard, à
suivre une séance d’hypnose au cours de laquelle lui
est demandé de se souvenir des images et des arguments qui ont présidé à l’élaboration du thème de l’exposition et au choix des artistes appelés à y contribuer
(cette sélection menant à l’attribution du prix Ricard).
La séance est filmée, elle sera projetée dans l’espace de
l’exposition en split screen, jouant, tout comme dans
l’œuvre des sœurs Wilson, sur la théâtralité du dispositif et les effets de doublure du point de vue dont le
dispositif en abyme aurait ici vocation à dévoiler l’arrière-scène, consciente ou inconsciente, des choix
curatoriaux. Dans Visiting a Contemporary Art Museum
under Hypnosis (2006), Christophe Keller utilise l’induction hypnotique pour déstabiliser là aussi le contenu
univoque de l’exposition. L’état modifié de conscience
du visiteur réforme la séquence narrative offerte par la
contiguïté des œuvres sur les cimaises, rejoignant l’esprit duchampien consistant à basculer à la fois l’interprétation et l’autorité du « processus créatif » du côté
du spectateur. Pas de hasard si les artistes cherchant à
revisiter le format de l’exposition se penchent sur l’hypothèse hypnotique. C’est le cas de Philippe Parreno,
connu pour subvertir les lois spatio-temporelles d’une
exposition abordée comme une « chorégraphie mentale ». Dans H (N)Y P N(Y) OSIS HYPOTHESIS (2017),
qui accompagne ses expositions à New York et Milan,
l’artiste français revient sur les vertus imaginales d’un
espace acoustique et visuel qui ménage un plan spécifique de la réalité, celui d’une esquisse changeante,
d’un monde de l’entre-deux où l’image est toujours
placée du côté d’un doute spectral et réflexif, dans une
proposition polyphonique associant, tels des objets
sensibles et intelligents, films, sculptures, sons et
lumières, et où, par le mystère d’un agencement harmonique de ces formes, le travail se met à exister sur
une scène reconvertie en boîte crânienne. Le montage
de ce petit théâtre d’ombres, reconversion poétique du
mythe platonicien qui invite à regarder vers la source
idéelle de Alumière, répond à ce que Gilles Deleuze
appellait la veine du « cinéma du sublime », « extensive-psychique ». Extensive, car elle « force à penser »,
mais aussi « psychique » car elle « pense sous le choc »,
un choc visuel produit par une pulsation optique (positif/négatif, blanc/noir) qui défie et défait la relation
intentionnelle entre percept et concept pour revenir à une « sorte de pensée primitive » d’une manière
toute télépathique. En cela, Parreno reprend à son actif
l’imaginaire d’une cinématographie psychique qu’il
projette sur le parcours sensible de l’exposition. Ses
marquises chargées d’ampoules sont autant de métaphores d’enveloppes neuronales qui animent la vie de
l’esprit et dans lesquelles vont circuler des paysages
A
et des silhouettes, des créatures et des objets tels des
produits d’une pensée en mouvement qui forment le
phrasé d’une production immatérielle74. Le fantasque
Arthur Conan Doyle y pensait. Dans une nouvelle intitulée Atlantis retrouvée, Doyle évoque un écran « tout
pareil à nos écrans de cinéma, sauf que la surface en
était revêtue d’un enduit brillant qui miroitait sous la
lumière » et sur laquelle le narrateur arrive à projeter
directement son portrait mental, en concentrant son
regard sur l’écran : « Il y a là une invention admirable,
encore qu’elle ne soit qu’une combinaison de la télépathie et de la télévision, telles qu’on les comprend
vaguement chez nous75. »
Nul doute aussi si l’emprise spectatorielle capable
d’ouvrir les « portes de la perception » reprend ici tous
ses droits, repérée dans tout un courant néo-opticaliste
apparu au cours des années 2000, et dans lequel le dispositif d’hypnotisation du regard revient en force sur des
jeux d’éblouissements et de rémanence rétiniennes. De
Carsten Höller dans Light Corner (2001) à Loris Gréaud
revisitant la Dreamachine (2004), nombreux sont les
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artistes de cette génération qui adoptent des mécanismes électriques de clignotement fréquentiel invitant
les spectateurs à fermer les yeux pour accueillir le travail intériorisé des images rémanentes. Höller, Gréaud,
mais aussi Douglas Gordon sous la forme d’effets temporels distendus (24 Hour Psycho, 1993), Mathieu Briand
sous le mode de la suspension (Derrière le monde flottant, 2004) ou Laurent Grasso sur une déclinaison des
« forces magnétiques » croisant croyances ancestrales,
cartographies imaginaires et fréquences telluriques
(OttO, 2018) ; tous aiment à surfer sur ces effets de déstabilisation perceptive qu’un Roger Caillois avait réunis sous le concept fédérateur d’« ilinx ». Dans Le Jeu
et les hommes. Le masque et le vertige, Caillois revenait
sur l’économie hypnotique du vertige. Pour lui, l’ilinx
(nom grec pour « tourbillon d’eau ») est « une tentative de détruire pour un instant la stabilité de la perception et d’infliger à une conscience lucide une sorte
de panique voluptueuse76 », dont la recherche d’intensités, visant un monde singulièrement plus dense que
celui de la vie courante77 », serait le trait principal et
les attractions foraines représenteraient le répertoire
technique le plus populaire à « l’âge industriel78 » – il
prend pour exemple le cas du manège forain repris par
Carsten Höller dans Mirror Carousel (2005).
L’hypnose opticaliste cherche à atteindre ce régime
de perception mêlant discontinuité de l’expérience (la
Schock-Erlebnis benjaminienne) et excès conflictuel
de stimulations. Dans sa nomenclature du jeu divisée en quatre modes (compétition, hasard, simulacre,
vertige), Caillois pose deux extrémités : d’un côté, le
paidia, défini comme un « principe commun de divertissement, de turbulence, d’improvisation libre et
d’épanouissement insouciant, par où se manifeste une
certaine fantaisie incontrôlée », de l’autre, le ludus, sa
complémentaire, dans le « besoin croissant de plier
[la première] à des conventions arbitraires79 ». Dans
les installations immersives d’Olafur Eliasson (c’est en
particulier le cas du Weather Project installé en 2003
dans le Turbine Hall de la Tate Modern de Londres,
transformant l’espace postindustriel en cathédrale
pour visiteurs somnambules subjugués par l’attraction
irradiante d’un soleil artificiel), le spectateur est maintenu dans l’équilibre sous tension de ces deux pôles,
entre turbulence hypnotique et contrôle proprioceptif. C’est ce que Caillois va ranger dans la catégorie
des « techniques de vertige80 », celles qui, comme l’explique Marielle Macé, consistent « justement à vouloir éprouver intensément les conditions de la perte
d’équilibre, l’exposition au vide, la perturbation des
B
A. Olafur Eliasson, The Weather Project, 2003, installation, Tate Modern, Londres.
B. Loris Gréaud, Dream Machines, 2005, light box, 65 x 110 x 19 cm, collection Kadist Art Fondation.
C. Ann Veronica Janssens, Donut, projection vidéo, 2003.
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B
A
A. Alain Séchas, Hommage à Émile Coué, 2006, aluminium sérigraphié, mécanisme sonore et électrique, collection FNAC.
B. Erwin Wurm, Hypnosis, 2008, acrylique sur résine, 98 x 109 x 49,5 cm.
C. Alain Séchas, Trivial Pursuit, 2002, lithographie (p.312 et 343), 100 x 70 cm, collection particulière.
repères et des points d’assurance, puis à viser la réinsertion dans une forme d’ordre, de stabilité, et même
de gloire81 ».
Ces techniques sont au cœur du modèle scénographique adopté par Joris Lacoste dans Le Vrai Spectacle
– celui que l’on pourrait qualifier de « spectacle réel »,
animé de pulsations de lumière orchestrées par Caty
Olive qui, à mesure que la narration avance dans le
temps, se font de plus en plus berçantes, pour faire
« accéder à une sorte de spasme, de transe ou d’étourdissement » sans chercher à « anéantir la réalité avec
une souveraine brusquerie82 » en situant l’efficace de la
dramaturgie en dehors de toute « intoxication83 ». Cet
équilibre instable de la pulsation optique se retrouve
dans la vidéo Donut (2003), où Ann Veronica Janssens
produit un jeu de cercles concentriques, centre de diffraction stroboscopique à partir duquel, après plusieurs
minutes d’exposition, le « visiteur peut se déplacer
mentalement dans un espace virtuel » : « Ce que je propose constitue des seuils, des espaces à franchir entre
deux états ou perceptions, entre lumière et ombre,
entre défini et indéfini, silence et explosion… Ce sont
des expériences qui sont mises à disposition, à percevoir ou non […]. On peut convoquer en nous des formes
et des lumières intenses qui existent de façon latente ou
éphémère […]. C’est l’expérience de l’excès, du dépassement des limites qui est souvent proposée et en cela
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les éblouissements, la rémanence, le vertige, la saturation, la vitesse, l’épuisement sont des situations qui
m’intéressent beaucoup car elles nous permettent de
nous structurer autour d’un seuil d’instabilité visuelle,
temporelle, physique et psychologique…84 ». Cette
recherche coïncide intuitivement avec les hypothèses
actuelles sur la pensée renonçant, comme le propose
notamment Francisco Varela, au modèle cybernétique
ayant nourri le projet de l’art optique, pour réintroduire l’idée d’une corporéité de la pensée : le cerveau
ne fonctionne pas comme un ordinateur, mais comme
un nuage interactif avec le monde. Dans cette nouvelle
écologie de la pensée, la mémoire des sens devient l’un
des supports vivants de la pratique du glissement. La
perception fait de la pensée un morphing qui requalifie
en permanence ses modes d’évolution face à son environnement ; la mémoire ne fonctionne plus comme un
répertoire dans lequel on irait puiser des solutions ou
des images toutes faites mais comme un catalyseur de
formes ouvertes et d’inventions, un espace de liberté.
Il faudrait rattacher à cette veine opticaliste Le
Phénomène (2005) de Frédéric Vaësen, une vidéo en
boucle de quatre minutes, quarante-huit secondes,
dont la pulsation stroboscopique, revisitant l’effet flicker, soumet le regard à une productivité imageante des
seuils. Le titre indique, par ellipse, la source. Vaësen
fait ici hommage à Salvador Dali et à son collage publié
dans la revue Minotaure. Alternance binaire de blancs
et de noirs produisant huit à treize flashes lumineux
C
B
par seconde (soit le rythme des ondes alpha du cerveau
utilisé pour la Dreamachine), ce jeu purement abstrait
laisse apparaître, à peine visibles, sur le principe d’un
« inconscient optique », quarante-trois images subliminales (soit le nombre des clichés réunis par Dali
dans son collage sur Le Phénomène de l’extase). Le son
accompagnant cette odyssée hallucinogène est une
réinterprétation électroacoustique d’un extrait de Day
by Day, un morceau de 1969 de Jimmy Scott, chanteur connu pour son syndrome de Kallmann (maladie
génétique rare qui se traduit par un déficit hormonal
et confère à sa voix un son cristallin, androgyne85).
Dans ce brouillage des genres, Vaësen travaille en
sous-main une optique queer où les images subliminales insérées dans le montage de la vidéo déclinent
non pas les clichés du collage original de Dali (principalement les jeunes femmes en pâmoison dans un
décor Art nouveau), mais des photogrammes psychédéliques des années 1960 où le genre des modèles a été
systématiquement inversé (une pluie d’éphèbes dont
les corps extatiques ont été arrachés à des magazines
pornographiques vintage). Cette inversion revient sur
le caractère construit et socialisé de ces mécanismes
d’induction ; elle déconstruit le lien entre la recherche
jouissive d’une transe perceptuelle et l’expérience sensible d’un trouble des genres, là où la quête d’un territoire « illimité » des identités reste au cœur d’une
sécularisation hypnotique de l’extase. Si, dès 1865, le
docteur Guyomar – un médecin adepte du magnétisme
– parlait à propos d’extase d’un « bruit de l’infini86 »,
c’est plutôt à l’exégèse moderne et cinématographique
d’un Sergueï Eisenstein – en particulier le principe d’un
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pathétique obtenu dans le « montage des attractions87 »
– qu’il faut rapporter la transe visuelle et son mode de
sortie hors de soi déployé par Frédéric Vaësen : « Tout
ce qui oblige le spectateur à sortir de lui-même […].
L’action du pathétique d’une œuvre consiste à amener
le spectateur à l’extase […] car ex-stasis signifie littéralement la même chose que notre “sortir de soi-même”,
“être hors de soi”, ou “sortir de l’état habituel”88. »
Ce qui importe dans cette extase, c’est le degré de
changement et de transformation, le passage contagieux à quelque chose d’autre, à quelque chose d’une
qualité différente. « Le plus simple des archétypes d’un
tel comportement contagieux serait, évidemment,
quelqu’un se comportant extatiquement à l’écran,
c’est-à-dire un personnage saisi par le pathétique, un
personnage qui d’une façon ou d’une autre serait mis
hors de soi89. » Dans ce cas, nous dit Eisenstein, « la
structure va coïncider avec la représentation. Et l’objet
de la représentation – le comportement d’un tel personnage – va lui-même se dérouler selon les données
de la structure extatique90 ». Mais le cinéaste propose
un second degré, plus efficace encore, de « structure de type pathétique » où cet état ne s’arrête pas à
l’homme lui-même mais à son environnement : « Plus
complexe et plus efficace est le cas où cette condition
fondamentale ne s’arrête pas à l’homme seulement,
mais “sortant des limites” de l’homme, déborde sur le
milieu et l’environnement du personnage, c’est-à-dire
lorsque cet environnement même est représenté dans
les mêmes conditions de frénésie91. » C’est ce qui se
passe en partie dans les objets qui entourent les personnages extatiques du collage de Dali, avec notamment une chaise qui bascule. Mais dans sa version
cinématique, Frédéric Vaësen porte cette contagion
vers une autre transformation, celle du passage « frénétique » entre figuratif et abstrait – un passage que
convoque justement Eisenstein quand il parle des « zigzags graphiques blancs sur champ noir92 ». Le montage
du Phénomène adopte ce saut « subliminal » vers le
non-figuratif, forme extatique de la vision rapportée à
l’apparition physiologique de phosphènes lors de l’éjaculation (une transcription lumineuse de l’orgasme),
mais aussi, de façon plus profonde, à une sortie de la
logique du langage lui-même. Pour Eisenstein, le principe du « pathétique » nous fait communier avec « la
perception des lois de l’existence, de la matière, ressenties comme un perpétuel devenir93 ». C’est là qu’intervient pour lui le principe de l’hyperobjectivité : il faut
pouvoir objectiver le sentiment de transport et non pas
seulement le traduire subjectivement. Le cinéaste est
fasciné par l’existence d’un stade prénotionnel et préiconique dans l’état extatique : « S’il est un stade de la
pensée où la notion n’existe pas encore et où l’image
est l’unique moyen d’expression, il est un autre état,
encore plus élémentaire, limité à la seule sensation qui
ne trouve aucun moyen de s’exprimer en dehors de
simples symptômes de cet état lui-même. Telle exactement se présente l’extase à ses points limites : sortie
de la notion – sortie de l’image – sortie des sphères de
quelconques rudiments de conscience pour entrer dans
la sphère purement passionnelle de “purs” sentiments,
sensations, états94. » Une fois de plus, ce que l’hypnose
vient faire à l’art touche à l’idée d’une transmission de
sensations optimisée entre l’artiste et le spectateur :
« Par le vouloir conscient, toute sa force “électrisante”
est dirigée sur le matériau dont les données ont engendré cet état, afin de contraindre ce matériau à prendre
forme conformément aux lois d’une exacte copie de
l’état psychique (“inspiré”) où s’est trouvé l’artiste95. »
LA DISPOSITION DU CORPS. L’HYPNOSE
COMME OUTIL CHORÉGRAPHIQUE
Cette transmission va trouver un format particulier
dans la performance chorégraphique. La liste des spectacles de danse proprement hypnotiques serait longue,
très longue, à commencer par les mises en scène minimalistes et sérielles de Brice Leroux (venu de la compagnie Rosas, d’Anne Teresa de Keersmaeker, avec
laquelle Ann Veronica Janssens a plusieurs fois collaboré). Dans Gravitations-quatuor (2002), Leroux installe quatre danseurs plongés dans la pénombre qui
se déplacent sur scène suivant une trajectoire elliptique formée par des combinaisons aléatoires donnant
la sensation d’un flot continuel de déplacements de
corps réduits à des surfaces blanches et noires dont la
pulsation itérative s’approche de l’effet opticaliste du
flicker. Dans The Non Present Performer (2017), le chorégraphe hollandais Karel van Laere interroge l’anesthésie du corps du danseur, mais c’est bien plutôt dans
la libération des automatismes gestuels que la danse
contemporaine explore les potentiels de la condition
hypnotique, à la manière de la Française Catherine
Contour, qui, depuis une quinzaine d’années, recourt
à ce qu’elle nomme l’« outil hypnotique » dans sa pratique de la danse. Elle s’est pour cela familiarisée avec
les techniques postericksoniennes qu’elle transmet aux
danseurs et aux spectateurs, lors de performances collectives mais aussi de cycles de formation, à destination d’un public qu’elle souhaite le plus élargi ; manière
poétique et pragmatique de renouveler la question de
la diffusion du geste chorégraphique et de la déplacer vers de nouveaux enjeux émancipateurs, touchant
aussi bien un accomplissement individuel de la posture
du corps qu’un « partage du sensible » plus collectif96.
Dans l’hypnose, le sujet peut retrouver le sentiment
d’« exister en dépendance aux choses », plongé dans un
champ de forces qui n’est plus rivé sur le lien ombilical à une autorité, mais porté par un rapport au monde
vécu comme une invention de soi. Tout comme en
plongée onirique, l’imagination dans cet état hybride
de veille se développe sous une forme phénoménale
A. Frédéric Vaësen, Le Phénomène de l’extase, 2005, photomontage numérique, 18,5 x 25,5 cm, collection particulière.
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UNE NOUVELLE HYPNOSE
et fictive à la fois, où, comme semblent le confirmer
les recherches neurologiques actuelles, la conscience
du sujet ne serait plus celle d’un moi percevant les
objets et les situations, mais d’une instance préalable
à la position du monde extérieur qui éclaire les plus
récentes incursions de l’hypnose dans l’art actuel, dans
la danse en particulier.
Le terme de « plongée » n’est pas neutre ; il rejoint
un lexique adopté par Contour dans son désir de
renouveler les pratiques institutionnelles de la danse.
Les imaginaires associés à la « plongée » sont bien évidemment liés à l’immersion dans les couches profondes de la conscience. Mais ce vocable trouve des
résonances plus précises dans les nouvelles approches
dites « douces » de l’hypnose : une habitation de son
corps sous la forme d’un retrait partiel de soi – ce que
François Roustang nomme l’« impersonnification »
–, préalable à la découverte d’aptitudes nouvelles
du corps dans la relation à soi et à l’autre. Pour cela,
Catherine Contour s’est d’abord familiarisée avec les
études contemporaines de l’hypnose clinique, à partir
d’une approche énergétique du corps. Elle a suivi une
formation au sein de l’Association française d’hypnose
(AFHYP), à la croisée des analyses psychodynamiques
de l’hypnose et de ses applications aux théories de la
communication, ouvrant aussi à la pratique de l’autohypnose. Aux côtés de Jean Becchio, un des acteurs
de la réhabilitation récente de l’hypnose médicale
en France (il est fondateur de l’Association française
d’hypnose médicale), elle se plonge dans les écrits de
Roustang, Chertok, Stengers, Berthoz, Melchior, pour
affiner sa compréhension du mécanisme à l’œuvre
dans la veille (et non plus le sommeil) hypnotique.
Ce que cherche Catherine Contour dans l’hypnose
n’est pas un répertoire de formes (un atlas de postures expressives), mais une gamme de possibilités (un
espace de projection comporte/mentale), une série de
« dispositions ». L’hypnose est une technique qui étire
le temps du geste et permet au danseur d’ajuster sa
place, mais aussi, au préalable, une méthode qui installe le corps dans une relation, une conversation : il
y sera question de présence, de communication, de
transfert et d’empathie, sans que la réalité de ces phénomènes interpersonnels ne soit vraiment établie, restant à l’état d’énigme. Le dialogue qui s’instaure est
souvent d’abord une adresse pour rassurer l’autre, en
le familiarisant avec ce qui va se passer. Il faut énoncer
ce que n’est pas l’hypnose, face aux nombreux a priori
sur la question (automatisme, soumission, abandon de
toute autonomie, etc.). L’objectif visé est une redistribution d’attentions qui diffère l’action pour la mettre
en vacance pendant un temps choisi. Ces exercices
économes peuvent faire l’objet d’une pratique quotidienne. Au-delà de l’opposition arbitraire entre réel et
imaginaire, cette pratique demande à chacun de s’arrêter sur son ressenti personnel, de préciser la nature
de ses sensations plus qu’à en décrire, dans le moindre
détail, le vécu. L’expérience de la transe hypnotique est
d’abord, pour Contour, une expérience de distorsion du
temps qui draine avec elle des moments de satisfaction
individuelle ou partagée – selon la distinction proposée par la culture classique grecque opposant le kairos (apprendre à habiter pleinement un espace-temps
donné) au Chronos (le temps qui passe).
Ce processus hypnotique est une véritable « culture
attentionnelle » qui ménage l’autre pour éviter toute
situation de déstabilisation, de malaise. La voix est
douce, bienveillante, portée vers la mobilisation suggestive de l’imagination du danseur ou du spectateur,
en l’invitant à se concentrer sur de simples sensations (gravité, chaleur, contact, respiration) qui favorisent la relaxation musculaire ou vasculaire, une
forme de détente qui est aussi une attente, permettant de s’extraire du milieu extérieur pour se recentrer sur lui-même en tant qu’organisme habité par des
circulations physiologiques (c’est ce que Catherine
Contour appelle poétiquement une « chorégraphie de
l’écoute », prenant en compte la puissance motrice
et productrice du langage, dans les pas de la logomotion de Simone Forti). Pour Catherine, l’outil hypnotique invite à découvrir l’importance et la richesse
des appuis disponibles pour maintenir le corps en
juste position dans son environnement. La question
des appuis peut s’envisager à partir d’une relation au
sol, étendue au sous-sol et aux différentes strates qui
constituent le terrain sur lequel le danseur s’installe.
Cela comprend à la fois des éléments géologiques,
minéralogiques, organiques, avec toutes les qualités
énergétiques que chacun d’entre eux peut contenir
comme autant d’appuis nouveaux. Ensuite, il s’agit de
découvrir que d’autres éléments ont cette même qualité d’appui pour le corps (chaises, mobiliers, objets,
mais aussi la qualité de l’air, les sonorités, les senteurs,
ou la qualité d’un mouvement), pour aller à la rencontre de ce qui fait axe dans son corps dans le présent
de ses sensations. Être dans une bonne disposition,
c’est non seulement trouver sa place, mais se rendre
disponible. François Roustang définit la « disposition »
comme une « manière de vivre » : un état physique qui
autorise un être à recevoir une nouvelle qualité, une
nouvelle forme. Car l’hypnose telle qu’elle se pratique
aujourd’hui est très soucieuse de la mise en place du
corps. Il faut d’abord trouver une bonne installation, la
position la plus confortable. Le plus souvent dans une
chaise ou un fauteuil, avant que le corps ne cherche à
s’extirper de cette plateforme de relâche pour se jeter
dans l’action de nouvelles intensités qui réaménagent
et déplacent notre rapport à l’espace ambiant.
C’est ce que Roustang appelle l’« anticipation » :
« Anticiper, c’est se tenir à l’écart dans l’espace et dans
le temps pour préparer une action susceptible de modeler à nouveau la réalité97. » S’identifie là une forme de
catharsis que Catherine Contour cherche à développer
aussi bien auprès des danseurs que du public (elle utilise plus volontiers le terme « assistance »), dans une
libre circulation des affects. Cette danse partagée est
un rituel d’appropriation, de changement, de conversion, où il ne s’agit pas de reproduire une forme ni de
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construire un répertoire, mais bien de révéler une forme
d’action, trouvant empiriquement son territoire de réalisation entre projection fictionnelle et amplification de
la réalité. Dans Folies à plusieurs, Borch-Jacobsen, à
qui l’on doit très récemment une anthologie des textes
de Freud sur l’hypnose98, s’est intéressé à cette porosité
entre réel et fiction autorisée par le suspens de l’hypnose ; il parle même d’une possible « théorie de l’artefact généralisé », où il ne s’agit plus de se demander si
telle chose est réelle ou fictive (la réalité se construit
à « plusieurs »), mais si elle communique, si elle se
propage. C’est dans cette transmission énergétique,
à la fois physique et mentale, que Catherine Contour
repense la pratique relationnelle de la danse comme
une « pensée de la configuration du sensible qui instaure une communauté99 », un « partage du sensible »
que Jacques Rancière aura notamment regardé, ce
n’est pas un hasard, à partir des performances serpentines de Loïe Fuller, la plus hypnotique des danseuses
du nouveau siècle.
… l’œuvre non pas comme un acte
codifié (l’écriture chorégraphique
et ses modes de transcription et
d’interprétation) mais comme une
navigation désinhibée qui est aussi un
geste de vigilance et de résistance…
Si Catherine Contour est aussi attentive aux vertus
de l’improvisation (et d’une certaine forme de « laisser aller », ce qu’elle nomme le « laisser se faire »),
c’est pour mieux installer au cœur de sa pratique chorégraphique un concept qui circule dans les nouvelles
approches de l’hypnose : celui d’« interaction ».
Interaction réciproque et non hiérarchisée entre la
parole et le geste, entre la chorégraphe et les danseurs,
entre les danseurs et le public, entre le « monde de la
danse » et le monde. Ce terme évoque l’existence d’un
jeu d’influences et d’interférences entre les sujets, tout
en insistant sur sa réversibilité, trouvant d’évidentes
résonances dans une « esthétique relationnelle » très
présente aujourd’hui au sein des pratiques et des discours artistiques contemporains, notamment à partir
d’une critique de la passivité (voire de la manipulation)
des consciences dans l’« interactivité des médias ».
Il est en effet utile de repenser aujourd’hui la fin des
médias (le « postmédia ») en dehors du seul cadre de la
révolution numérique de l’information, et de le replacer au contact de modes alternatifs de communication :
l’hypnose, par exemple, comme le propose justement
Catherine Contour, à savoir un mode de présence d’où
peuvent naître des gestes qui ne sont pas portés vers
l’aliénation, mais, tout au contraire, vers la découverte
d’une altérité : une « invitation à différer, à produire un
comportement radicalement autre » (selon les mots de
Thierry Melchior, l’un des acteurs du développement de
l’hypnose de type « communicationnelle »). En ce sens,
l’outil hypnotique dont parle Catherine Contour est un
instrument d’émancipation par la « mise en mouvement ». Remettre en mouvement est paradoxalement ce
qui semble manquer aujourd’hui, dans une société qui
préconise la mobilité mais fixe toujours plus ses conditions restreintes d’aménagement. C’est d’ailleurs pour
cela que la relation est toujours au cœur de sa proposition : non pas une relation de groupe, en masse, mais
ramenée chaque fois à la personne, calibrée sur elle,
prenant en compte le sens de la « délicatesse » (Roland
Barthes). C’est toute l’ambition de ce projet, qui ne
demande qu’à se déployer, à diverses échelles, individuelles ou collectives, notamment au sein des écoles
d’art et des conservatoires, par le biais de « familiarisations » aux techniques d’hypnose et d’autohypnose.
Alors que les facultés de médecine réintègrent actuellement l’hypnose à leur formation, en particulier dans
le cadre des techniques douces d’analgésie, et que les
psychothérapies se tournent à nouveau vers les protocoles d’induction hypnotique comme « technique d’activation de conscience », Catherine Contour pense utile
et stratégique (politique) la création d’ateliers « hypnose » au sein des structures de formation artistique,
comme peut le faire aussi Marie Lisel, « créatrice hypnotique » qui développe des programmes de workshop
en école d’art100. S’interprète alors l’outil hypnotique
comme un « média » à part entière, l’outil d’une renégociation des médiations au sein de la pratique de la
danse (et de l’art en général) : l’œuvre non pas comme
un acte codifié (l’écriture chorégraphique et ses modes
de transcription et d’interprétation), mais comme une
navigation désinhibée qui est aussi un geste de vigilance et de résistance.
Par « vigilance », il faut entendre à nouveau une disposition toute particulière à veiller aux limites du territoire de l’action. Catherine Contour prend soin que cet
« outil hypnotique » ne s’inscrive pas dans un rapport de
fusion, mais d’autonomie des sujets. Cela ne tient pas
seulement au mode de relation qu’elle entretient avec
le public et les danseurs, mais aussi à la gestion de l’espace de ses interventions. Elle privilégie une forme disséminée, dont la circulation aide à la diffusion du projet
(jusque dans l’idée de « bouche-à-oreille » ou de bruissement des « idées en l’air »). Se retrouve là une figure
de contamination magnétique, mais Catherine Contour
préfère le terme « atmosphérique », et sa métaphore
climatologique, le nuage : un nimbe dans ce qu’il a de
nuancé et aérien, impondérable, proche de ces « opérateurs d’élévation » dont parle Gaston Bachelard. C’est
d’ailleurs là qu’intervient une autre notion qui qualifie sa pratique du geste chorégraphique : le déplacement insensible des pondérations. Impondérable, le
corps de ses danseurs/danseuses cherche à se délester, sous hypnose, de certaines rétentions gravitationnelles. Les corps sont encore à même de choir, mais
d’une chute contenue, stratifiée, suspendue, toujours
différée. Ce qui œuvre dans ses pièces d’hypnose est
aussi ce qui reste à l’œuvre et ne demande qu’à être
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B
(ré)actualisé au-delà d’un simple jeu de rôle. Il y aura
bien des moments privilégiés, des plateformes de rencontres (elles peuvent s’appeler « ateliers » ou « plongées »), mais ce sont des moments que Catherine
Contour souhaite voir se prolonger au-delà de l’adresse
du public. Il y a chez elle une volonté de délocaliser
la danse. Pas seulement hors de la scène, en extérieur,
dans les jardins notamment, mais aussi dans un en-dehors de la performance corporelle. C’est dans ce déphasage, entre situation et performance, entre conscience
et présence, entre in situ et délocalisation, qu’elle place
un des enjeux esthétiques de sa démarche, car il autorise une ouverture des possibilités artistiques de transformation, par la simple dispersion du geste. Cela n’a
rien d’éthéré et d’évanescent ; au contraire, cela plonge
le corps dans une situation bien concrète dont le sujet
peut d’autant plus maîtriser la densité qu’il en détermine le rythme et la temporalité. L’hypnose est ainsi un
moyen de ralentir quand « l’imagination a besoin d’un
allongement, d’un ralenti101 ».
Présence au présent. C’est ce à quoi nous expose
la vigilance hypnotique qui, comme le rappelle toujours Roustang, « n’éprouve nulle nécessité de faire
appel au passé » : « Tous les moyens qu’elle utilise
tendent à faire surgir dans le présent des potentialités
jusque-là insoupçonnées. Sa pratique est donc une
intervention, une opération, une action102. » Ce caractère opératoire et présentiste, « où le centre de gravité de notre être dans le temps est le présent103 », la
rend d’autant plus lisible dans le champ des pratiques
artistiques contemporaines qu’il engage tout aussi
bien le producteur de formes et de récits que celui
qui les reçoit dans un rapport mutuel et actualisé à
un environnement toujours plus identifié comme
un média à part entière, au-delà de la simple prolifération, réelle et virtuelle, des images dans notre
monde peuplé d’écrans. Se retrouve, sous forme de
paradoxe, une forme expérientielle qui sait se délester du modèle de l’action réflexe, et son ascendant
mécaniste propre à la « méthode expérimentale »
appliquée aux sciences, rivée sur la logique de reproduction des phénomènes. L’action à l’œuvre dans la
phénoménologie de l’hypnose telle qu’elle se pratique aujourd’hui donne plus accès à un « pouvoir
organisateur » qu’elle n’est le fruit d’une organisation, aux antipodes des réflexes conduits par l’économie du « capitalisme attentionnel104 ». Plonger dans
le régime attentionnel de l’hypnose est bien une interaction qui défait la division entre réalité, virtualité et
apparences, et suspend, selon une logique de débordement, voire d’étonnement, les déterminations auxquelles nous sommes habitués dans notre rapport
quotidien aux choses et aux êtres, souvent consumériste et standardisé, façonné par un univers hypermédiatique qui multiplie et superpose les temporalités
elles-mêmes, pour les transformer en des situations
qui résistent au simple défilé de sensations et dont
la plus grande plasticité prend appui sur l’activité de
l’imagination sans être totalement fermée au monde
extérieur. Ce qui se joue dans le régime projectif de
l’hypnose mobilisé par les artistes relève non pas des
automatismes du psychisme, mais bien plus d’un processus d’individuation qui porte à son incandescence
la relation corps/esprit sur laquelle la culture occidentale a si souvent échoué : « Au lieu de réduire tout
ce qui arrive, à et de l’extérieur, à des phénomènes
intrapsychiques, et de les analyser pour les combiner
différemment, il s’agit de faire prendre corps aux imaginations, pensées ou sentiments105. »
A. Photographie de Mathieu Bouvier, Nina Santes et Catherine Contour,
dans le cycle de Plongées, à la Gaîté Lyrique, 2014.
B. Jonathan Schatz et Marie Fonte, Danser brut, 2019, Centre chorégraphique de Caen.
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NOTES
1. Jay Haley, Uncommon Therapy. Pyschiatric
Techniques of Milton Erickson, New York, Norton,
1986 [1973].
2. « Il est possible également que le terme « hypnose »
soit finalement trop connoté, trop solidaire de tout un
appareillage technico-conceptuel daté. Je suis prêt à
l’abandonner, mais à regret : il a au moins le mérite
de ne pas noyer le poisson du rapport. » M. BorchJacobsen, « Dispute », dans L. Chertok et M. BorchJacobsen (éd.), Hypnose et psychanalyse, Paris, Dunod,
1987, p. 195.
3. Daniel Araoz, Hypnosis and Sex Therapy, New York,
Brunner & Mazel, 1982, et The New Hypnosis,
New York, Brunner & Mazel, 1985.
4. Isabelle Stengers, « Présentation » dans Importance
de l’hypnose, Le Plessis-Robinson, Les Empêcheurs de
penser en rond, 1993, p. 10.
5. « C’est que l’hypnose, loin de témoigner des pouvoirs
de l’esprit, renvoie aux forces vives de l’animalité.
Elle clame la faillite de la raison conçue comme la
fiction d’un corps qui parle. La raison étant l’apanage
de notre espèce, l’hypnose ne peut être qu’un objet
de scandale. » Jean-Didier Vincent, « Animalité de la
pensée et subjectivité animale », dans Isabelle Stengers
(éd.), Importance de l’hypnose, op. cit., p. 143-154.
6. L. Chertok et M. Borch-Jacobsen (éd.), Hypnose et
psychanalyse, op. cit.
7. L. Chertok (éd.), Résurgence de l’hypnose. Une
bataille de deux cents ans, Paris, Desclée de Brouwer,
1984.
8. Jacques Lacan : « Nous désavouons tout appui pris
dans ces états, tant pour expliquer le symptôme que
pour le guérir », Discours de Rome, 1953, repris dans
Jacques Lacan, Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 257.
9. Lawrence Kubie et Sydney Margolin, « The Process
of hypnotism and the nature of the hypnotic state »,
American Journal of Psychiatry, mars 1944, p. 611-622.
10. M. Gille et M. Brenman, Hypnosis and Related
States. Psychoanalytic Studies in Regression, New York,
International University Press, 1959.
11. M. Borch-Jacobsen, Le Sujet freudien, Paris,
Flammarion, 1982.
12. Octave Mannoni, « Léon Chertok, 200 ans après…
l’hypnose », L’Évolution psychiatrique, janvier 1982,
p. 191.
13. John Dewey, L’Art comme expérience, Paris,
Gallimard, 2010 [1934].
14. François Roustang, Qu’est-ce que l’hypnose ?,
Paris, Les Éditions de Minuit, 1994, p. 14.
15. Ibidem, p. 17.
16. Ibid., p. 164.
17. Ibid., p. 92.
18. François Roustang, « La disposition », dans ibid.,
p. 89-117.
19. Ibid., p. 90.
20. Elsa Boyer, Le Conflit des perceptions, Paris,
Éditions MF, 2015, p. 171.
21. « I saw myself in relationship to Dada, Surrealism
and Pollock. I saw hypnotism in relationship to
automatism. I was trying to innovate. But at the same
time, i was trying to do something not imitative. I didn’t
know anyone who had done anything with psychics, the
Surrealists must have done something with hypnosis.
I wanted to bypass the conscious mind. » Larry Miller
cité dans Kristine Stiles, Concerning Consequences.
Studies in Art, Destruction, and Trauma, Chicago,
The University of Chicago Press, 2016.
22. « I interviewed three different hypnotists, working
several times with the last two over the course of a
year to find one who was state accredited professional
social worker (aside from his casual fashion) and
suitably capable where others have failed who could
succeed in convincing me that I could enter a hypnotic
trance deep enough to truly “become” my mother, to in
a sense become an “object” that re-entered an “object”
from which I had originally been totally formed cell by
cell and pushed out into the world. It took six weekly
sessions of beginning at one hour each with hypnotist
Guy Oshman (all on audiotape to convince me I could
be totally hypnotized and we ran tests to prove that
fact). The 53 minutes edit represent selections from
approximate 2-1/2 hours or more of the final sixth full
session ». L. Miller, courriel avec l’auteur en date du
20 mai 2020.
23. « I wanted to know what it would feel like to
become my mother, to lose consciousness of my own
identity through hypnosis and to believe for a while that
I was Mom. In six weekly sessions with a professional
hypnotherapist, i was able to enter into progressively
deeper hypnotic states until I become Mom in mind
and body. During this ninety-minute session, Mom was
casually interviewed to evoke her persona, her concept
of self, of me, and of our relationship. » L. Miller, cité
dans Kristine Stiles, Concerning Consequences, op. cit.
24. En 1973, L. Miller se lance dans un autre projet
intitulé Lines do Grow à partir d’une interprétation
des lignes de sa main – un procédé de chiromancie
répandu dans les cercles surréalistes. Voir Tessel M.
Bauduin, Surrealism and the Occult. Occultism and
Western Esotericism in the Work and Movement of
André Breton, Amsterdam, Amsterdam University
Press, 2014.
25. Stephen Braude, « The creativity of dissociation »,
Journal of Trauma & Dissociation, vol. 3, 2002, p. 5-26.
26. Ambar Chakravarty, « The creative brain. revisiting
concepts », Med Hypotheses, vol. 74, p. 606-612.
27. Danela van Heugten et al., « Imagining the
Impossible before breakfast: the relation between
creativity, dissociation and sleep », Frontiers in
Psychology, 2015, vol. 6.
28. Alex Osborn, L’Imagination constructive, Paris,
Dunod, 1959.
29. Christian Michelot, « L’invention de la créativité »,
Phronesis, vol. 4, n° 2, 2015, p. 54-61.
30. « I wanted to use hypnosis as just another art
medium (neglected since long ago) – as a tool to probe
into my mind/body psyche as if the tool was a delicate
“surgical” instrument that could “release” the object
within another object. » L. Miller, courriel avec
l’auteur daté du 20 mai 2020.
31. Dick Higgins, « Intermedia », Something Else
Newsletter, n° 1, 1966, p. 1.
32. Jean-Michel Petot, « Psychologie des phénomènes
dissociatifs et théorie de la conscience », dans Didier
Michaux (éd.), Hypnose et dissociation psychique, Paris,
Imago, 2006, p. 18-22.
33. Ernest Hilgard commenté par J.-M. Petot, dans
ibidem, p. 20.
34. « A question was what might constitute the origins
of my mind/body consciousness that made me an artist
who externalizes physical images grown from ideas? ».
L. Miller, courriel avec l’auteur daté du 20 mai 2020.
35. L. Miller, cité dans Kristine Stiles, Concerning
Consequences, op. cit..
36. Alton Blakeslee, « Doctors say hypnosis via TV is
possible », Albuquerque Tribune, 24 avril 1964, p. 1.
37. Herbert Spiegel, « The grade five syndrome: the
highly hypnotizable person », The International Journal
of Clinical and Experimental Hypnosis, vol. 22, 1974,
p. 303-319.
38. M. Borch-Jacobsen, « Une boîte noire nommée
Sybil », dans La Fabrique des folies, Paris, Éditions
Sciences Humaines, 2013, p. 97-149.
39. M. Mullican, entretien avec Joao Ribas, « Matt
Mullican. A drawing translates the way of thinking »,
Drawing Papers, n° 82, 2008, p. 10.
40. Ibidem, p. 7.
41. « Interview between Vincente L. de Moura and Matt
Mullican », dans M. Mullican, That Person’s Workbook,
Gent, MER Paper Kunsthalle, 2007, p. 731.
42. Antoine Faivre, « L’imagination créatrice. (Fonction
magique et fondement mythique de l’image) »,
Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande,
tome XIII, n° 2, avril-juin 1981, p. 356.
43. Alfred Binet, L’Âme et le Corps, Paris, Ernest
Flammarion, 1905, p. 87.
44. Olivier Scheffer, « Entre rêve et réalité : figures du
somnambulisme », dans Résonances du romantisme,
Bruxelles, La Lettre volée, 2005, p. 118.
45. Jean-Louis Cabanès, « Psychologie, histoire,
esthétique : les hallucinations à l’entrecroisement des
discours », dans Cahiers de littérature française, vol. VI,
Image et pathologie au XIXe siècle, janvier 2008, p. 7-26.
46. « I had this idea of a super theatre; a theatre where
the actors believed that they were this fiction and that
they were acting this fiction out. » M. Mullican, That
Person’s Workbook, Paper Kunsthalle, 2007, p. 732.
47. Sur les liens entre hypnose, représentation et
animalité, voir R. Bellour, Le Corps du cinéma.
Hypnoses, émotions, animalités, Paris, P.O.L., 2009.
48. Pierre Janet, « Les actes inconscients et le
dédoublement de la personnalité pendant le
somnambulisme provoqué », Revue philosophique,
vol. 22, 1886, p. 577-592.
49. A. Binet, Les Altérations de la personnalité, Paris,
Félix Alcan, 1892.
50. Isabelle Saillot, « Petit historique de la
dissociation », dans Marianne Kédia, Johann
Vanderlinden, Gérard Lopez, Isabelle Saillot et Daniel
Brown (éd.), Dissociation et mémoire traumatique,
Paris, Dunod, 2012, p. 1-28.
51. L. Miller avait approché les organisateurs de The
Kitchen dès 1976 pour leur proposer une performance
sous hypnose. La réponse a été négative : « When I
was finally did fix on some ideas, I approached The
Kitchen, who turned me down in my proposal around
1976 to be hypnotized before an audience and take
on a “disembodied “spirit identity who would speak,
write, draw, dance, sing, whatever. The head of the
organization at the time, said “No”, that it was too
“dangerous” an idea. » L. Miller, mail à l’auteur daté
du 20 mai 2020.
52. Sur l’histoire genrée de l’hystérie masculine, voir
notamment Mark S. Micale, Hysterical Men. The Hidden
History of Male Nervous Illness, Cambridge,
Harvard University Press, 2008.
53. « Je dis que Charcot toucha au comble du théâtre
en ce sens qu’il visait à ce que la métaphore prît corps.
Non seulement il inventa de terribles tensions entre
plusieurs hystériques, plantées par exemple sur une
même estrade, un symptôme furetant à son gré (à lui,
Charcot), “transfert” de corps en corps –, mais il leur
inventait aussi cette espèce de déchirure,
par attractions hypnotiques contradictoires. »
Ibidem, p. 228.
54. Jean-Luc Nancy, « Identité et tremblement », dans
Mikkel Borch-Jacobsen, Éric Michaud, J.-L. Nancy,
Hypnoses, Paris, Galilée, 1984, p. 31.
55. François Roustang, Qu’est-ce que l’hypnose ? Paris
Éditions de Minuit, 1994, p. 18.
56. Horst Bredekamp, Théorie de l’acte d’image, traduit
par Frédéric Joly et Yves Sintomer, Paris, Éditions La
Découverte, 2015, p. 80.
57. Jim Steinmeyer, « Illusions vacillantes : la sorcellerie
derrière la caméra », dans Imponderable. The Archives
of Tony Oursler, Arles, LUMA Fondation, 2015, p. 555560.
58. Jacques Rancière, « Le travail de l’image »,
Multitudes, n° 28, 2007, p. 198.
59. Hippolyte Bernheim, Hypnotisme, suggestion,
psychothérapie, Paris, Fayard, 1995, p. 37.
60. Ibidem, p. 45.
61. M. Borch-Jacobsen, « L’effet Bernheim »,
La Fabrique des folies. De la psychanalyse au
psychopharmarketing, Auxerre, 2013, p. 181.
62. « Occurs in the mind of the audience without being
a representation of anything identical to it. Fully abolish
the physical parameters and properties of objecthood.
Emerges as a non-referential cerebral dream. Performs
a sensorial and intellectual transference act like what
is happening in The Man Who Taught Blake Painting
in His Dream, the drawing by William Blake (was
Blake painting in his dreams or was he being taught
how to paint in someone else’s dreams ?). Pushes
dematerialization to the limit that sci-fi, faith and
neuroscience can only imagine. Stays miniature,
telepathic, autonomous, and easily transferable.
Reformulates all the above statements in its making. »
Raimundas Malašauskas, « Foreward », dans Marcos
Lutyens, Memoirs of a Hypnotist, Berlin, Sternberg
Press, 2015, p. 8.
63. Raimundas Malašauskas, « Foreward », art. cit, p. 9.
64. Fred Turner, From Conterculture to Cyberculture.
Stewart Brand, The Whole Earth Network and the Rise
of Digital Utopianism, Chicago, The Chicago University
Press, 2006.
65. « The basic idea of the show is to radicalize the
hypnotic power of an artist into pure hypnosis (i.e.
to see the brain space as the ultimate medium for art
and to transmit/instruct an artwork through a medium
of hypnosis). For exemple, imagine an empty room :
ten people and a hypnotist. The hypnotist hypnotizes
the ten people to experience an exhibition there, or to
experience something that was proposed by artists. So
the work of art exists only in the brain of the audience ».
Raimundas Malašauskas, « Foreward », art. cit., p. 10.
66. Il avait été fait appel, à cette occasion, au
professeur David McLemont, qui enseignait l’hypnose
à l’université d’Irvine, Californie. C’est auprès de lui
que Marcos Lutyens s’est familiarisé avec les nouvelles
techniques d’hypnose.
67. « À l’époque, en 2005, j’habitais à La Générale, un
grand squat à Belleville, et c’était un contexte idéal.
J’ai transformé mon atelier en cabinet d’hypnose et j’ai
pris le temps d’expérimenter auprès d’un petit groupe
de volontaires différentes techniques de narration et
de description. Ce n’est qu’à partir de 2009 que j’ai
réalisé mon premier projet utilisant l’hypnose, la pièce
radiophonique Au musée du sommeil. » Entretien de
Joris Lacoste avec Ève Beauvalet, 2011.
68. Ibidem.
69. Ibid.
70. Bertolt Brecht, Écrits sur le théâtre, édition
établie sous la direction de Jean-Marie Valentin, Paris,
Gallimard, 2000.
71. « Si ce spectacle est vrai, c’est peut-être simplement
que la question de sa vérité ne se pose pas : car il
y a autant de vrais spectacles que de spectateurs.
On pense encore trop souvent que le sens est conçu
par l’artiste et placé dans l’œuvre pour être ensuite
déchiffré par le spectateur. Je crois, au contraire, qu’il
est produit par le spectateur à partir de l’expérience
proposée par l’œuvre. Il est différent pour chacun. Il ne
préexiste pas. Cette idée, l’hypnose la met en évidence
de manière particulièrement tangible. » Entretien de
Joris Lacoste avec Ève Beauvalet, 2011.
72. Ibidem.
73. Olivier Dollinger avait deux ans plus tôt recouru à
l’hypnose sur un autre modèle d’identification, dans
une pièce vidéo intitulée Reverb (Le Projet Norma
Lean), dans laquelle il avait invité six jeunes actrices
de Los Angeles, dans une suite d’hôtel sur Hollywood
Boulevard, à suivre une séance d’hypnose pendant
laquelle elles ont été amenées à revivre les états
émotionnels de Marilyn Monroe.
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UNE NOUVELLE HYPNOSE
74. « On pourra bientôt voir les opérations de la
pensée humaine reproduites sur un écran. Au moyen
d’un appareil dont on poursuit le perfectionnement,
tous les jours, le savant pourra suggérer à un patient
une certaine série de pensées dont il pourra suivre
le déroulement et noter les phrases susceptibles de
travail cérébral provoqué par la pensée immatérielle. »
[Anon.], « Le cerveau cinématographié », L’Écho du
merveilleux, 15 octobre 1910, p. 395.
75. Arthur Conan Doyle, Atlantis retrouvée,
Le Pêle-mêle, n° 225, 6 janvier 1929, p. 4.
76. Roger Caillois, Les Jeux et les hommes. Le masque
et le vertige, Paris, Gallimard, 1991 [1958, édition
augmentée en 1967], p. 68.
77. « Les parcs d’attractions […] constituent les lieux
d’élection où se trouvent assemblés les semences,
les pièges et les appels du vertige. Ces enceintes
présentent les caractères essentiels des terrains de
jeu. Elles sont séparées du reste de l’espace par des
portiques, des guirlandes, des rampes et des enseignes
lumineuses […] qui tracent la frontière d’un univers
consacré. De fait, la limite franchie, on se trouve dans
un monde singulièrement plus dense que celui de la
vie courante : une affluence excitée et bruyante, une
débauche de couleurs et d’éclairages, une agitation
continue. » Ibidem, p. 259.
78. « Il ne faut s’étonner qu’on ait dû souvent
attendre l’âge industriel pour voir le vertige devenir
véritablement une catégorie du jeu. Il est désormais
dispensé à une multitude avide par mille appareils
implacables, installés sur les champs de foire et dans
les parcs d’attractions. » Ibidem, p. 73.
79. Ibid., p. 48.
80. Ibid., p. 199.
81. Marielle Macé, « Caillois, technique du vertige »,
Littérature, n° 170, juin 2013, p. 15.
82. Roger Caillois, Les Jeux et les hommes,
op. cit., p. 68.
83. Ibidem, p. 119.
84. Ann Veronica Janssens citée dans P. Rousseau,
« Ann Veronica Janssens. Light Games », Art Press,
n° 299, mars 2004, p. 30.
85. La couverture de l’album Source d’où est extraite la
chanson Day by Day de Jimmy Scott utilise non pas son
portrait, mais celui d’une femme, en l’occurrence celui
de Margie Joseph.
86. « J’ai constaté en effet sur un grand nombre de
sujets, vraiment somnambules, que, chez eux, durant
le passage si subit et si remarquable de l’état de veille
au somnambulisme et à l’extase, […] le frémissement
vital s’exhale […]. Si, dès ce moment, l’on ausculte
le cerveau, au niveau des régions temporales, l’on
y découvre une vibration harmonieuse spéciale, sui
generis, généralement continue comme le bruit de
l’infini. » Docteur Guyomar de la Roche Derrien,
Recherches physiologiques et philosophiques sur le
magnétisme, le magnétisme et le spiritisme. Théorie
nouvelle de la pensée, de l’extase, de la lucidité
somnambulique et médianimique, Paris, Adrien
Delahaye, 1865, p. 5. Selon Guyomar, les pensées
vont donc du cœur au cerveau et l’on pourra, à
terme, mesurer ce déplacement d’effluves spirituels.
Guyomar prépare pour cela un Traité physiologique
et philosophique de la vie intérieure. Il en appelle à
une nouvelle science, la cardioscopie, pour mesurer
ces transports. Il invente pour cela un appareil
rudimentaire, le « cardioscope » ou « pneumatoscope »,
taillé dans une planchette de bois suivant la forme d’un
cœur de carte à jouer pour écouter les vibrations du
cœur de somnambules.
87. « L’attraction (dans notre diagnostic du théâtre)
en est chaque moment agressif – c’est-à-dire tout
élément théâtral qui fait subir au spectateur une
pression sensorielle ou psychologique – tout élément
qui peut être mathématiquement calculé et vérifié de
façon à produire telle ou telle émotion choc. » Sergueï
Eisenstein, « Le montage des attractions » (1923),
repris dans S. Eisenstein, Le Film, sa forme, son sens,
Paris, Christian Bourgois, 1976, p. 16.
88. S. Eisenstein, « L’organique et le pathétique »,
La Non-Indifférente Nature,. Œuvres, Paris,
Union générale d’éditions, 1976, p. 79.
89. Ibidem, p. 82.
90. Ibid., p. 82.
91. Ibid., p. 83.
92. Ibid., p. 129.
93. Ibid., p. 373.
94. Ibid., p. 383-384.
95. Ibid., p. 362.
96. J. Rancière, Le Partage du sensible. Esthétique
et politique, Paris, La Fabrique, 2000.
97. Ibidem, p. 55.
98. S. Freud, L’Hypnose. Textes 1886/1893, introduction
et présentation de M. Borch-Jacobsen, Paris,
L’Iconoclaste, 2015.
99. J. Rancière, Mallarmé, la politique de la sirène,
Paris, Hachette, 1996, p. 53.
100. https://marielisel.wordpress.com
101. Gaston Bachelard, L’Air et les Songes. Essai sur
l’imagination du mouvement, Paris, Livre de Poche,
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102. F. Roustang, Qu’est-ce que l’hypnose, op. cit., p. 10.
103. Lionel Ruffel, Brouhaha. Les mondes du
contemporain, Paris, Verdier, 2016, p. 20.
104. Yves Citton, « Le capitalisme attentionnel »,
dans Pour une économie de l’attention, Paris, Seuil,
2014, p. 73-98.
105. F. Roustang, Qu’est-ce que l’hypnose,
op. cit., p. 164.
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INDEX
A
Abrams Terry 288
Aksakov Alexandre 188, 214
Aldcroft Richard 288, 302
Alexandrian Sarane 238, 239, 268
Ambasz Emilio 295, 309
André Emmanuelle 146, 213, 270
Andriopoulos Stefan 259, 270, 308
Anglemont Arthur d’ 178, 213
Antheaume Léon Charles Alexandre 238, 268
Apollinaire Guillaume 169, 201, 213, 215
Apollonio Marina 289, 291, 366
Aragon Louis 227, 228, 231, 232, 235, 238, 241,
243, 248, 268, 269
Araoz Daniel 315, 352
Ascoli Joseph 128, 212
Assagioli Roberto Grego 202, 215
Athey Ron 332
Atkinson William Walker 215, 216
Augustine 241
Aurier Albert 187, 214
Austin John 331
Avicenne (Abu Ali al-Husayn Ibn Abd Allah Ibn
Sina) 58, 68
Azouvi François 36, 38, 269
B
Baader Franz von 51, 54, 58, 68
Babinsky Joseph 229
Bachelard Gaston 347, 353
Baillarger Jules 80, 96
Bailly Jean-Sylvain 28
Balch Anthony 289
Ballanche Pierre-Simon 54, 55, 68
Balzac Honoré de 61, 63, 68, 166, 242, 355, 356
Barlet Charles 196, 198, 215
Baron Jacques 236, 268
Barrès Maurice 198, 215, 357
Barrett Elizabeth 280, 308
Barthes Roland 254, 277, 347
Basch Victor 186, 187, 214
Bateson Gregory 276, 295, 309
Bazaillas Albert 205, 216
Becchio Jean 346
Bechterew Vladimir 238, 268
Beer Stafford 295
Béjart Maurice 298
Belfiore Giulio 215
Belhoste Bruno 17, 35, 38, 68, 366
Bellour Raymond 38, 259, 261, 270, 305, 352
Belson Jordan , 302, 306
Belting Hans 282, 308
Bénévol (magnétiseur) 226, 261
Benjamin Walter 241
Berber Anita 267
Berdaguer & Péjus 315, 316, 366
Bergasse Nicolas 32, 38
Bergh Richard 135, 142, 213
Bergson Henri 32, 38, 171, 173, 175, 178, 187, 208,
213, 214, 216, 261, 302, 309, 333
Bernays Edward 267, 270
Bernhardt Sarah 124, 125
Bernheim Hyppolite 101, 171, 172, 175, 178, 180,
181, 186, 187, 198, 200, 202, 206, 210, 213, 214,
215, 216, 229, 250, 261, 264, 265, 267, 269, 270,
331, 352, 355, 356, 357
Berthoz Alain 346
Berton Mireille 269, 270
Bertrand Alexandre 45, 46, 48, 68, 74, 82, 84, 242,
248, 356
Bickert Franz 84
Bigaut Claude 36
Binet Alfred 119, 166, 186, 213, 216, 235, 268, 324,
325, 352, 356
Bishop Bainbridge 200
Böcklin Arnold 129
Bodin Félix 86
Boilly Louis-Léopold 89
Boissonnas Fred 122, 126, 129, 212
Borch-Jacobsen Mikkel 213, 214, 268, 305, 309,
316, 347, 352, 353
Bose Georg Matthias 309
Bounieu Michel-Honoré 36
Bourgeois Louise 322
Bourneville Désiré-Magloire 171, 213, 241, 269
Braid James 74, 90, 91, 93, 96, 104, 126, 229, 239,
258, 275, 280, 358
Bra Théophile 60, 61, 63, 64, 68
Brauer Fae 206, 215, 216
Brauner Victor 239, 241, 268, 309
Bredekamp Horst 282, 308, 352
Brenman Margaret 276, 352
Breton André 179, 214, 221, 223, 224, 225, 229,
236, 238, 241, 243, 268, 269, 352
Breton Simone 227, 235, 236, 268
Brewster David 84, 96
Briand Mathieu 339
Brouillet André 119, 142, 143, 146, 150, 152,
213, 358
Brown Thomas 66, 68
Buchez Philippe 80, 96
Burq Victor 104
Burroughs William 282, 285, 286, 288, 289,
308, 309
C
Cabanel Alexandre 126, 134
Caillois Roger 339, 353
Cameron Donald Ewen 278
Canudo Ricciotto 205, 216, 259, 269, 270
Carlson Herman 297
Cartaz Adolphe 180, 212, 214
Caso, Jacques de 61, 63, 68
Cassen Jackie 302
Cassou Jean 301, 309
Castel de Saint-Pierre, Charles-Irénée 20, 84,
213, 215
Cazenave Fabrice 329
Celant Germano 292
Cendrars Blaise 206, 216
Champollion Jean-François 61
Charchoune Serge 199
Charcot Jean-Martin 18, 101, 103, 104, 105, 118,
119, 121, 122, 124, 125, 129, 134, 142, 143, 146,
153, 164, 166, 168, 171, 172, 178, 179, 180, 181,
186, 187, 200, 206, 209, 212, 213, 214, 215, 221,
222, 229, 236, 241, 242, 248, 253, 259, 261, 268,
269, 270, 280, 308, 352, 355, 356, 357, 358, 366
Chastenet de Puységur, Armand-Marie-Jacques de
43, 44, 45, 47, 48, 49, 50, 68, 74, 82, 96, 306,
310, 357
Chateaubriand, François-René de 54
Chertok Léon 268, 269, 316, 346, 352
Chirico, Giorgio de 227, 235
Chizat Émile 199
Chladni Ernst Florens Friedrich 23
Chopin Frédéric 129
Christovalina Maria 63
Claretie Jules 119, 142, 166, 212, 213, 269
Clark Lygia 296
Clémenceau Georges 153
Coale Samuel Chase 96
Cohl Émile 259, 358
Colard Jean-Max 338
Collyer Robert Hanham 82, 83, 84, 85, 96
Condillac, Étienne Bonnot de 50
Conrad Tony 305, 308
Contour Catherine 345, 346, 347, 350, 358, 366
Copeland Mathieu 331
Corman Roger 280
Coué de la Châtaigneraie, Emile 202, 229, 295
Court de Gébelin, Antoine 55
Crary Jonathan 168, 183, 186, 213, 214
Craven Walker Edward 281, 306
Crevel René 225, 226, 227, 228, 235, 236, 238,
239, 248, 268
Croce Benedotte 201
Crookes William 196, 225
Crumb Robert 288
Cummings Torreya 332
Curie Pierre et Marie 195, 212
Cuvillers, Henri de 58, 68, 74, 76, 77, 80, 96
D
Daguerre Louis 83, 84, 96, 280
Dali Salvador 179, 248, 249, 250, 253, 258, 259,
269, 278, 280, 309, 343, 345, 356, 358
Darnton Robert 18, 38
Daston Lorraine 91, 96
Daudet Léon 101, 104, 124, 212
Daum Antonin 181
Daumier Honoré 87, 88, 89, 90
Debord Guy 277
Delaage Henri-Pierre 242, 269
Delacroix Eugène 46, 55, 80
Delbœuf Joseph Rémi Léopold 103, 212, 270
Deleuze Gilles 215, 338
Deleuze Joseph-Philippe-François 48, 49, 68, 248
Demarquay Jean-Nicolas 90
Derenthal Ludger 268
Descartes René 35, 86, 96
Desnos Robert 86, 225, 226, 227, 228, 231, 232,
235, 236, 238, 239, 241, 249, 253, 254, 268, 269, 355
Desrais Claude 17, 18, 23
Dewey John 352
Diderot Denis 50, 68, 199, 215
Didi-Huberman Georges 101, 119, 121, 122, 124,
134, 212, 213, 268
Didier Alexis 88
Dinet Étienne 168
Divoire Fernand 201, 215
Dollinger Olivier 337, 338, 352
Donato (Magnétiseur) 172, 226, 227, 268
Dottin-Orsini Mireille 121, 212
Doyle Arthur Conan 338, 353
Dromard Gabriel 238, 268
Drouart Maurice Raphaël 248
Dubois Frédéric 88, 96
Duchamp Marcel 166, 179, 180, 214, 228, 238,
253, 254, 256, 258, 269, 305, 317, 319
Duchenne de Boulogne Guillaume 132, 241
Dujardin-Beaumetz Georges 142, 213
Dumont Léon 179, 214
Dunlap William 82, 96
Durand de Gros, Joseph-Pierre, dit Dr J-P. Philips
82, 90, 96, 104
Durville Hector 50, 55, 195, 225, 268
Duval Mathias-Marie 142, 146
Duyckaerts Éric 333
E
Edison Thomas 248
Eichner Johannes 209, 216
Eisenstein Sergueï 343, 345, 353
Eliasson Olafur 339
Eliot Thomas Strearns 258, 269
Elliotson John 49, 83
Éluard Paul 227, 228, 235, 236, 238
Encausse Gérard Anaclet Vincent, dit Papus 154,
156, 166, 195, 213
Epstein Jean 280, 308
Erickson Milton 267, 276, 277, 278, 295, 306, 308,
315, 352, 356
Ernst Max 227, 234, 235, 236, 237, 241, 242, 245,
246, 268, 269
Eslon, Charles d’ 17, 18, 38
Espinadel Charles 265, 270
Esquirol Jean-Étienne Dominique 80, 96, 324
Eugeni Ruggero 270, 280, 308
Evans Cerith Wyn 332
Everling Germaine 227
F
Fabre d’Olivet Antoine 55
Fabre François 88
Falco Gian 202, 215
Fantin-Latour Henri 198
Faria, José Custódio de 74, 84, 88, 89, 248
Favre Louis 199, 200, 215
Fechner Gustav 55, 68, 179
Féré Charles 118, 166, 179, 186, 209, 213, 214,
216, 269
Ferenczi Sándor 216, 225, 250, 286, 309
Ferkel, Lina de 125, 152, 212, 356
Fiaux Jules 202, 215
Fichte Johann Gottlieb 65, 68
Figuière Eugène 201, 215
Fix-Masseau Pierre-Félix 171
Flammarion Camille 209, 215, 216
Florian Friedrich St. 292, 309
Flournoy Théodore 126, 128, 212, 229
Flynt Henry 285, 308
Forel Auguste 188, 192, 214
Forster Hal 242, 269
Forti Simone 346
Foucault Michel 254, 258
Fouchet Max-Pol 239, 268
Fouillée Alfred 167, 213
Fourcaud, Louis de 182, 214
Fourier Charles 277
Foveau de Courmelles François-Victor 44, 90,
103, 118, 126, 142, 150, 152, 167, 168, 212, 213
Franklin Benjamin 23, 29, 38, 51, 286, 309
Frazer James George 282, 308
359
HYPNOSE_07-Cooper-CC2020 INDEX 359
14/09/2020 15:55
INDEX
Freedberg David 282, 308
Freud Sigmund 38, 103, 143, 188, 192, 212, 214,
216, 221, 223, 229, 241, 242, 249, 250, 253, 268,
269, 347, 353, 355, 356
Fried Michael 325
Friedrich Caspar David 51, 68
Fuller Loïe 192, 195, 196, 214, 215, 347, 357
Füssli Johann Heinrich 46, 55
G
Gala 221, 227
Galison Peter 91, 96
Gallé Émile 179, 181, 182, 183, 214
Gall Franz Joseph 85, 96, 103
Gamboni Dario 68, 215
Garcia Rossi Horacio 289
Gauchet Marcel 212, 221, 268
Gautier Théophile 80, 88, 96, 355
Georget Étienne-Jean 88, 96
Gérin Octave-Jacques 265, 267, 270
Gérôme Jean-Léon 129, 196, 212
Gervex Henri 102
Gille Merton 316, 352
Gilles de La Tourette, Georges 212, 214, 354
Ginnani-Corradini Arnaldo et Bruno 199, 202,
205, 206, 215, 216
Ginsberg Allen 288, 289, 308, 309
Giraud Fabien 332
Giraud-Teulon Marc Antoine Émile Alexis 90
Gleizes Albert 201
Goethe, Johann Wolfgang von 23, 24, 50, 55, 68
Gombault Ferdinand 210, 216
Gomel Elena 253, 269
Goncourt Edmond et Jules 132, 180
Gordon Douglas 339
Gordon Rae Beth 212, 215, 259, 269, 270
Gottlieb Sidney 278
Goulin Jean 17, 18, 38
Goutière-Vernolle Émile 181
Grasso Laurent 339
Gréaud Loris 338, 339, 366
Gsell Lucien-Laurent 101, 126
Guipet Magdelaine 126, 129
Guyau Jean-Marie 166, 167, 187, 213, 214
Guyomar Mattias 343, 353
Gysin Brion 282, 285, 286, 288, 289, 298, 308, 309
H
Habasque Guy 301, 309
Haeckel Ernst 132, 215
Hafner Bernhard 295
Haley Jay 315, 352, 356
Halsman Philippe 258
Hansen Carl 132
Harvey William 86
Hauffe Frédérique 56, 58
Havelock Ellis 249, 269
Hawthorne Nathaniel 82, 96, 355
Hebb Donald 276, 308
Hegel Georg Wilhelm Friedrich 54, 68, 297
Hennequin Émile 199, 215
Henry Charles 101, 212
Henry Pierre 298
Hesnard Angelo 225, 268
Higgins Dick 322, 352, 366
Hilgard Ernest 322, 352
Hitler Adolf 267, 270
Hockney David 280, 281, 282
Hoffmann Ernst Théodor Amadeus 54, 65, 68, 84,
96, 132
Hoffmann Heinrich 267
Hollein Hans 292, 309
Höller Carsten 338, 339
Houël Jean-Pierre 36
Houston Edwin 188, 214
Huntington Wright Willard 205, 216
Husson Henri-Marie 45, 68, 82, 88, 96, 310
Huxley Aldous 215, 277, 308
Huyghe Pierre 332
J
Janet Pierre 8, 9, 186, 208, 209, 216, 225, 239, 268,
309, 325, 328, 352
Jankélévitch Samuel 250
Janssens Ann Veronica 339, 342, 345, 353
Jaurès Jean 167, 213, 227
Jénin de Montègre Antoine 86, 96
Jenny Laurent 93, 187, 214, 231, 268, 269
Joire Paul Didier 125, 212, 231, 268
Joseph Branden 285, 308
Jost François 259, 261, 269, 270
Jumeau-Lafond Jean-David 131, 212
Jung Carl Gustav 318
K
Kahn Gustave 187, 198, 214, 215
Kandinsky Vassily 35, 179, 208, 209, 210, 211, 214,
216
Kaulbach, Friedrich August von 127, 129, 131
Keller, Albert von 112, 129, 130, 131, 138, 141, 212
Keller Christophe 338
Kerner Justinus 56, 58, 68, 132, 192, 212, 214, 306
Kerouac Jack 285, 288, 308
Kiesler Friedrick 298
Kircher Athanasius 24, 168
Kleist, Henrich von 132
Klimt Gustav 118, 188
Klinger Max 129, 132, 212
Kokoschka Oskar 157, 188, 192
Kosuth Joseph 331
Kracauer Siegfried 264, 270
Krafft-Elbing, Richard von 166, 213
Krapf Michael 36, 38
Krauss Rosalind 250
Kreuzer Gundula 94, 96
Kubelka Peter 305
Kubie Lawrence 275, 276, 308, 316, 351
Kupka Frantisek 206, 208, 216, 354
L
Lacan Jacques 231, 316, 351
Lacoste Joris 331, 333, 334, 342, 351, 365
Laere, Karel van 345
Lafontaine Charles 66, 88, 90, 96, 262
Laing Ronald 295
Lambert Louis 63, 68
Lamennais, Félicité Robert de 131
Latour Bruno 96, 209, 216
Laurinaitis Algirdas 331
Laverdant Gabriel 277
LaVigne Robert 288
Lavoix Henri 248, 269
Leary Timothy 292, 302, 305, 308, 309
Le Bon Gustave 135, 200, 213, 215, 267
Lejay Julien 196, 198, 215
Le Parc Julio 289, 292, 295
Lessing Gotthold Ephraim 51
Levi Eliphas 24, 38
Lévi-Strauss Claude 206, 216
Levy Denise 235, 268
Lichtenberg Georg Christophe 23
Liébault Ambroise-Auguste 172, 173, 206, 214, 265
Liégeois Jules Joseph 181, 261, 264
Lilly John 276, 295, 308
Limbour Georges 227
Lindner Robert 276, 277, 308
Lipps Theodor 186, 214, 268
Lisel Marie 347
Lista Giovanni 195, 215, 216, 365
Lombroso Cesare 200
Londe Albert 104, 121
Lorde, André de 242, 269
Loutherbourg Philippe-Jacques 36
Luckhurst Roger 228, 268
Lutyens Marcos 331, 332, 351
Luys Jules-Bernard 112, 150, 151, 152, 153, 166,
180, 213, 214, 258, 269
M
Macdonald-Wright Stanton 205
Macquart Louis Claude 32
Magnin Émile 112, 122, 126, 127, 128, 129, 130,
131, 186, 199, 212, 214, 248, 268
Magritte René 231, 242
Maine de Biran, Pierre 32
Majorelle Louis 181, 214
Malašauskas Raimundas 331, 332, 351
Mallarmé Stéphane 187, 198, 213, 214, 215, 352
Manacorda Francesco 331
Mann Heinrich 192
Mannoni Octave 316, 352
Mann Thomas 192, 267
Marey Étienne-Jules 297
Margolin Sydney 275, 308, 316, 352
Marinetti Filippo Tommaso 201, 215
Marquer Bertrand 212, 253, 269
Martin François-René 198, 215, 355
Mason Shirley Ardell 323
Masson André 61, 212, 223, 269
Matta-Clark Gordon 324
Matta Roberto 298
Matzinger Lina 130
Mauclair Camille 94, 96
Maupassant, Guy de 280
Maurier, George du 125, 134, 135, 355
Maurin Charles 196
Mauss Marcel 169, 213
Max, Gabriel von 65, 130
Maxwell William 32, 38
McLaren Norman 306
McLuhan Marshall 276, 282, 289, 302, 308, 309
McNeill Whistler James Abbott 135, 198
Mead Richard 13, 38
Meerloo Joost 277
Megson Neil Andrew, dit P-Orridge Genesis 289,
309
Méheust Bertrand 47, 68, 88, 96, 213, 268, 301,
309, 365
Melchior Thierry 346, 347
Mellerio André 198, 215
Melley Timothy 276, 308
Ménétrier Jacques 298, 301, 309, 310
Mercereau Alexandre 201, 215
Mesmer Franz-Anton 5, 8, 9, 11, 13, 14, 15, 16, 17,
18, 19, 20, 22, 23, 24, 25, 26, 28, 29, 32, 35, 36, 38,
43, 49, 51, 56, 68, 94, 104, 200, 228, 268, 269, 280,
286, 306, 354, 355, 356, 357
Messerschmidt Franz-Xaver 35, 36, 38, 131, 356
Metzner Ralph 302
Michals Duane 322, 323
Michaud Éric 9, 60, 68, 213, 270, 305, 309, 351
Mirbeau Octave 105, 119, 142, 212, 213
Moles Abraham 289, 309
Moll Albert 166, 213
Monet Claude 178, 179, 214
Montolieu, Isabelle de 45
Moreau de Tours Jacques-Joseph 146, 150, 152
Moreau Gustave 129, 198, 212
Morellet François 289
Moreno Jacob Levy 238, 268
Morise Max 226, 236, 268
Morselli Enrico 200, 215
Morton Marsha 132, 212
Moser Koloman 196
Moura Vicente de 325, 351
Moutin Louis 102, 175, 212
Mozart Léopold 22
Mozart Wolfgang-Amadeus 22, 38, 89, 356
Mucha Alphonse 102, 121, 125, 126, 127, 128, 181,
212, 356
Mulford Prentice 201, 215
Mullican Matt 317, 324, 325, 327, 328, 329, 330,
331, 332, 352, 356, 365
Munch Edvard 187, 188, 214
Münsterberg Hugo 265, 270
Myers Frederic William Henry 229, 231, 268
N
Nacquart Jean-Baptiste 96
Nancy Jean-Luc 213, 305, 309, 329, 352, 355
Nayral Jacques 201, 215
Nerval, Gérard de 68
Newton Isaac 13, 20, 208
Nietzsche Friedrich 105, 118, 179, 187, 212, 214
Noizet François-Joseph 74
Nordau Max 118, 212
Nougé Paul 241
Novalis Georg Philipp Friedrich Freiherr von
Hardenberg 23, 48, 51, 58, 68
O
Ochorowicz Jules 168
Oiticica Hélio 296, 297
Olive Caty 334, 342
Onofroff Enrique 269
Oppenheimer Max 192
Osborn Alex 322, 352
Oshman Guy 319, 352
Oursler 6, 39, 69, 97, 217, 271, 311, 330 , 351, 353,
358, 362-365
P
Packard Vance 278, 308
Papini Giovanni 202, 215
Paracelse, (Philippus Theophrastus Aureolus
Bombast von Hohenheim) 24
Parent Claude 298
360
HYPNOSE_07-Cooper-CC2020 INDEX 360
14/09/2020 15:55
INDEX
Parinaud André 222
Parreno Philippe 338
Paulet Jean-Jacques 16, 19, 22, 28, 38
Pavlov Ivan 275
Péret Benjamin 226, 227, 235, 236
Perret Léonce 261
Pétetin Désir 45, 54
Picabia Francis 227, 228, 232, 235, 253, 268
Pichler Walter 292
Pierre Arnauld 126, 212, 298, 309, 357
Pierre Jean-Baptiste-Marie 36
Pierre José 214
Piesse Louis 80, 96
Plasseraud Emmanuel 270, 358
Poe Edgar Allan 82, 83, 96, 188, 214, 280, 281, 282,
308, 355, 356, 357
Pollock Jackson 182, 352
Polti Georges 150, 213
Posch, Anna Maria von 22
Poulain Edouard 261, 270
Prezzolini Giuseppe 202, 215
Proudhon Pierre-Joseph 167, 213
Q
Quatremère de Quincy Antoine Chrysostome
84, 96
Quillard Pierre 199, 215
R
Radnitsky Emmanuel, dit Man Ray 225, 227, 228,
236, 239, 256, 258, 262, 268
Rageot Gaston 224, 268
Ramos Julie 64, 68
Rancière Jacques 96, 173, 213, 277, 308, 334, 347,
352, 353
Redern, Sigismond Ehrenreich Johann von 47, 301,
310
Redon Odilon 187, 198, 215
Regnard Paul Marie Léon 105, 107, 146, 170, 213,
241, 245, 269
Regnier, Henri de 152, 168
Reichenbach, Karl von 214
Reich Wilhem 288, 289, 309
Ribemont-Dessaignes Georges 236, 268
Richer Paul 16, 103, 104, 109, 111, 122, 124, 129,
146, 188, 212, 241
Richet Charles 229, 268
Rijn, Rembrandt Harmenszoon van 83, 142
Rimbaud Arthur 309, 319
Rimington Alexander Wallace 200
Ritter Johann-Wilhelm 23, 24, 38, 51, 54, 56, 68,
94, 268, 269
Rochas, Albert de 121, 125, 126, 127, 128, 152,
187, 188, 195, 196, 208, 212, 214, 215, 216, 231,
248, 268
Rochegrosse, Georges 125
Roche Pierre 192
Rodin Auguste 102, 107, 109, 129, 212, 366
Roger Joseph-Louis 22
Rorschach Hermann 56, 306
Rossi Pascal 267, 270, 289
Rousseau Henri, dit le Douanier Rousseau 126,
169, 171, 213
Rousseau Jean-Jacques 22
Roustang François 68, 316, 317, 346, 350, 352, 353
Rubens Paul 124, 200, 212, 356
Runge Philipp Otto 51, 68
S
Sand George 88
Sauvage Henri 192
Scheffer Olivier 324, 352
Schelling, Friedrich Wilhelm Joseph von 23, 54, 56
Scheyb, Franz Christoph von 35
Schiele Egon 102, 115, 116, 192
Schneider Peter-Joseph 20, 164
Schöffer Nicolas 296, 297, 298, 301, 305, 309, 357,
366
Schönberg Arnold 126
Schopenhauer Arthur 50, 68, 301
Schrenck-Notzing, Albert von 126, 129, 130, 138,
166, 212, 213, 268
Schubert, Gotthilf Heinrich von 54, 56, 57, 58, 60,
68, 356
Schwabe Carlos 111, 112, 130, 131, 212
Scott Jimmy 343, 353
Scott Walter 63
Segno Victor 202, 205, 215, 216
Seppilli Giuseppe 200, 215
Séré, Louis de 48, 68
Severi Carlo 282, 308
Shannon Claude 289
Siboni Raphaël 332
Sidenius Christian 302
Sidgwick Henry 168
Silverman Debora Leah 179, 180, 181, 214, 358
Sloterdijk Peter 25, 38, 49, 68, 292, 309
Smith Jack 280
Sommerville Ian 285, 286, 288, 289
Soupault Philippe 222, 231, 242
Souriau Paul 171, 178, 179, 180, 181, 182, 186, 199,
213, 214, 215, 239, 261, 270
Spiegel Herbert 322, 352
Spurzheim Johan Gaspar 85, 96
Starobinski Jean 38, 229, 241, 268
Stengers Isabelle 346, 352, 356
Stern Rudi 302
Stiles Kristine 212, 352
Strindberg August 188
Stuck, Franz von 129, 131
Sulzer Johann Georg 20, 38
Survage Léopold 199, 206
T
Tafuri Manfredo 295, 309
Tamburini Augusto 200
Tardy de Montravel Auguste 19, 38, 49, 68, 213,
301, 310
Teilhard de Chardin Pierre 302, 306, 310
Thurschwell Pamela 215, 269, 286, 309
Tieck Ludwig 20, 38, 68
Tillier Paul 134, 135, 212, 213
Tiziano Vecellio, dit Titien 83
Toulouse-Lautrec Henri de 195, 196
Tournachon Gaspart-Félix, dit Nadar 125
Turner William 84
Tzara Tristan 236
V
Vaësen Frédéric 343, 345
Valdès André 171, 213
Van Dyck Antoine 83
Van Helmont Jean-Baptiste 24
Vasarely Victor 289
Vernet Horace 80
Vernon Jack 309
Vignier Charles 198, 215
Villers, Charles de 242, 269
Villiers de L’Isle-Adam, Auguste de 248, 269
Vischer Robert 186
Vitrac Roger 235, 238
W
Wackenroder Wilhelm 20, 38, 48, 68
Wagner Richard 74, 93, 94, 96, 105, 118, 198, 212
Warhol Andy 278, 280, 282, 308, 358
Watts Robert , 318
Wegman William 315, 316, 366
Weingart Brigitte 308, 358
Whistler James 135, 198
Whitney James 306
Whitney John 306
Wiene Robert 264, 265, 267
Wigman Mary 267
Wilde Oscar 126
Wilson Jane et Louise 317, 338
Wundt Wilhelm Maximilian 132, 212, 213
Wyzewa, Teodor de 198, 199, 215, 357
Y
Yalkut Jud 288
Youngblood Gene 301, 302, 303, 310
Yvaral Jean-Pierre 289
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REMERCIEMENTS
Le Musée d’arts de Nantes tient à exprimer sa
reconnaissance et ses remerciements à la maire de
Nantes et présidente de Nantes Métropole, Johanna
Rolland, à Fabrice Roussel, premier vice-président
de Nantes Métropole, à Aymeric Seassau, adjoint à la
Culture de la Ville de Nantes ainsi qu’à l’ensemble des
élus et des équipes de Nantes Métropole pour le soutien
qu’ils ont apporté à l’exposition.
Le musée remercie l’État – ministère de la Culture –
DRAC des Pays de la Loire pour le soutien financier
apporté à l’exposition.
Nos remerciements vont à :
Tony Oursler, qui s’est engagé dans la réalisation d’une
installation monumentale inédite, clou de l’exposition
dans la Chapelle de l’Oratoire. Nous remercions
également son assistant, Jack Colton, et Xavier Hervouët
qui a permis, à Nantes, la réalisation technique de
nombreuses pièces, avec ingéniosité et précision.
Le partenariat avec l’École des beaux-arts de Nantes
Saint-Nazaire a fait grandement avancer le projet.
Que Rozenn Le Merrer, sa directrice, Florence Fixot,
gestionnaire scolarité, Nathalie Fraval, les responsables
d’ateliers et les élèves en soient chaleureusement
remerciés.
Nous exprimons toute notre reconnaissance envers les
institutions, musées, bibliothèques, collectionneur.se.s,
galeristes qui ont contribué au succès de cette exposition
par leurs prêts généreux :
Allemagne
Berlin, Deutsche Kinemathek,
Rainer Rother, directeur artistique,
Florian Bolenius, directeur administratif
Berlin, Galerie Esther Schipper, Esther Schipper,
directrice
Mannheim, Kunsthalle Mannheim, Johan Holten,
directeur
Wiesbaden, Friedrich-Wilhelm-Murnau-Stiftung,
Christiane von Wahlert, directrice
Angleterre
Londres, Close-Up Film Centre
États-Unis
New York, 303 Gallery, Lisa Spellman, directrice
New York, Merchant Ivory Production
New York, Peter Freeman Inc., Katie Rashid, directrice
Le Pôle Maintenance Atelier de Nantes Métropole,
ainsi que le Cinématographe et son directeur
Emmanuel Gibouleau.
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REMERCIEMENTS
France
Besançon, Frac Franche-Comté, Sylvie Zavatta, directrice
Besançon, Musée des beaux-arts et d’archéologie,
Nicolas Surlapierre, directeur
Chaumont, Le Signe - Centre national du Graphisme,
Jean-Michel Géridan, directeur général
Douai, Bibliothèque municipale – Marcelline DesbordesValmore, Paméla Boittiaux, directrice
Lyon, Institut Lumière, Thierry Frémaux, directeur
Lyon, Musée d’histoire de la médecine et de la
pharmacie, Pr. Daniel Benzoni, responsable
Pantin, Centre national de la danse, Catherine Tsekenis,
directrice générale
Paris, Bibliothèque de Sorbonne Université,
Anne-Catherine Fritzinger, directrice
Paris, Bibliothèque Charcot, Florian Horrein, responsable
Paris, Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet,
Isabelle Diu, directrice
Paris, Bibliothèque nationale de France,
Denis Bruckmann, directeur général
Paris, Centre national des arts plastiques,
Béatrice Salmon, directrice
Paris, Collection Nicolas Schöffer
Paris, École nationale supérieure des beaux-arts,
Jean de Loisy, directeur
Paris, Musée d’art moderne de Paris, Fabrice Hergott,
directeur
Paris, Musée de la musique – Cité de la musique –
Philharmonie de Paris, Marie-Pauline Martin, directrice
Paris, Musée national d’art moderne – Centre de création
industrielle, Bernard Blistène, directeur
Paris, Musée Rodin, Catherine Chevillot, directrice
Paris, Galerie Xippas, Tristan van der Stegen, directeur
Reims, Musée des Beaux-Arts de Reims, Catherine Delot,
directrice
Strasbourg, Musée d’art moderne et contemporain de
Strasbourg, Paul Lang, directeur
Nous remercions particulièrement l’ensemble
des artistes impliqués dans ce projet :
Marina Apollonio, Berdaguer & Péjus, Catherine Contour,
Loris Gréaud, Joris Lacoste, Larry Miller, Matt Mullican,
Tony Oursler, Alain Séchas, Frédéric Vaesen,
William Wegman
Notre gratitude va également à toutes celles et tous ceux
qui, à titres divers, nous ont apporté leur soutien et leur
aide précieuse dans la réalisation de cette exposition :
Elsa Agnan, Catherine Arnold, Virginie Aubry, Philippe
Baudouin, Bruno Belhoste, Daniel Benzoni, Clarisse
Bernier, Emmanuelle Brugerolles, Christine Burgin,
Nathalie Carezales, Ludovic Chauwin, Mariolina Cilurzo,
Philippe Dagen, Éléonore de Lavandeyra Schöffer, Rowan
de Saulles, Agnès Desrieux, Lisa Diop, Nicolas Draeger,
Sylvie Ferreira, Julia Garimorth, Pascale Georget,
Emmanuel Gibouleau, Philippe Guegen, Catherine
Higgins, Karolina Kazmierska, Christophe Langlois,
Olivier Lebrun, Mychèle Leca, Romaric Ledroit, Marcella
Lista, Marcos Lutyens, Béatrice Malan, Raimundas
Malasauskas, Charlotte Marland, Bertrand Méheust,
Alexandra Midal, Michaël Moretti, Olga Ogorodova,
Xan Price, Carmen Prokopiak, Julia Riedl, Sara Seagull,
Andres Selini, Jeffrey Sconce, Virginie Vignon, Jean
Vilbas, Pierre Wat, Adela Yawitz, Alvise Zen, Andrea
Ziegenbruch.
République Tchèque
Prague, Galerie nationale, Ing. Alena Anne-Marie
Nedoma, directrice générale
Royaume-Uni
Londres, Wellcome Library, Melanie Keen, directrice
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Musée d’arts de Nantes
10 rue Georges Clemenceau, 44000 Nantes
www.museedartsdenantes.nantesmetropole.fr/home.html
Direction
Sophie Lévy
Administration
Émilie Porcher
Accueil
Aurélie Bouhier, Julie Brochard, Mireille Herrouin,
Guillaume Hurel, Marie Jarousseau, Lolita Lorentz,
Morgane Magnin-Feysot, Nadine Masse, Valérie Membré,
Manuel Merlet, Mélanie Montassier, Virginie Morel,
Giorgio Pecorino, Christelle Ploton, Pierre Reynaud,
Benoît Robard, Corentin Ruffet, Mélanie Trévisan
Accueil et réservations
Timothée Binoche, Anne-Charlotte Murgue
Assistante de direction
Brigitte Porée
Bibliothèque
Mikaël Pengam
Conservation
Adeline Collange-Perugi, Katell Jaffrès, Claire Lebossé,
Jean-Rémi Touzet
Finances, comptabilité et ressources humaines
Catherine Bignon, Anita Galéa, Pierre Moreau,
Annick Quetineau, Hélène Rouzeau
Locations d’espaces
Fabienne Bidaud
Service des collections
Cécile Clos, Salomé Gilles, Marie Pineau,
Céline Rincé-Vaslin, Claire Tscheiller
Service de la communication
Violaine Bretin, Audrey Busardo, Pierre Grouhel,
Constance Mouchel
Service des publics
Marina Bécan, Alice de Dinechin, Laetitia Ducamp,
Claire Dugast, Élodie Evezard, Pauline Le Jossic,
Catherine Le Treut, Mathilde Morin, Christel Nouviale,
Corinne Rohard
Service technique
Mickaël Cruel, Fabrice Gahery, Jean-Edmond Moudiki,
Rénald Pezzutti, Marc Sezestre, Virginie Tessier,
Florent Quéméneur
Assistante de la conservation
Clara Antony
Documentation
Anne Maleyrot
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Cet ouvrage est publié à l’occasion de l’exposition
Hypnose présentée au Musée d’arts de Nantes
du 16 octobre 2020 au 31 janvier 2021.
Commissariat général
Sophie Lévy, directrice conservatrice
du Musée d’arts de Nantes
Commissariat
Pascal Rousseau, professeur d’Histoire de l’art à
l’université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’École
nationale supérieure des beaux-arts de Paris, assisté
de Louise Denis, historienne de l’art et de Jean-Rémi
Touzet, conservateur pour les collections du XIXe siècle
du Musée d’arts de Nantes
Scénographie
Pascal Rodriguez (scénographie), CL Design (graphisme),
Volume agencement (agencement),
Raymond Belle (éclairage) et D’Clic (électricité)
Régie de l’exposition
Claire Tscheiller, Salomé Gilles
Coordination technique
Florent Quéméneur
Équipe technique / Réalisation des œuvres
de Tony Oursler dans la Chapelle de l’Oratoire
Mickaël Cruel, Fabrice Gahéry, Xavier Hervouët,
Jean-Edmond Moudiki, Rénald Pezzutti, Marc Sezestre,
Virginie Tessier, avec le partenariat de l’École supérieure
des beaux-arts de Nantes Métropole et de ses élèves
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Coordination de la médiation
Mathilde Morin
Programmation événementielle
Claire Dugast
Iconographie
Cécile Clos, Doc’Addict (Nathalie Rosenblum
et Catherine Bihan)
Communication
Violaine Bretin, Audrey Busardo, Pierre Grouhel,
Constance Mouchel, Opixido (conception graphique)
et Alambret Communication (relations presse)
Administration générale et coordination
administrative
Émilie Porcher
Coordination des marchés publics
Pierre Moreau et Anita Galéa
Coordination de l’accueil
Mélanie Trévisan
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Beaux-Arts de Paris
14 rue Bonaparte, 75006 Paris
www.beauxartsparis.fr
Présidente du conseil d’administration
Éléonore de Lacharrière
Directeur
Jean de Loisy
Directrice adjointe
Patricia Stibbe
Directeur des études
Jean-Baptiste de Beauvais
Responsable du service communication,
mécénat et partenariat
Sophie Boudon-Vanhille
Éditions
Responsable des éditions
Pascale Le Thorel
Éditrice
Mychèle Leca
Conception graphique et réalisation
Nicolas Draeger
Administratrice des éditions
France Groubetitch
Chargée de la diffusion
Isabelle du Pasquier
Coordination éditoriale
Clarisse Bernier
Iconographie
Pascale Georget, Adèle Ehlinger
Crédits photo : © Science History Images / Alamy Stock Photo, p. 10 ;
© Wellcome Collection, attribution 4.0 International (CC BY 4.0), p. 15 ;
© Christie’s Images Limited, 2020, p. 17 ; © Photo : Claude Germain,
2010, p. 23 ; © Heritage Image Partnership Ltd / Alamy Stock Photo,
p. 92 ; © National Portrait Gallery, Washington, p. 95 ; © Beaux-Arts
de Paris, p. 103-109-111-299 ; © Artepics / Alamy Stock Photo, p. 117 ;
© Domaine public / Cnap / crédit photo : Musée d’histoire de la
médecine, Paris, p. 143 ; © Reims, Musée des Beaux-Arts, photo :
C. Devleeschauwer, p. 146 ; © Kunsthalle Mannheim, photo : Cem
Yücetas, p. 193 ; © Droits réservés, p. 296-298 ; © ADAGP, Paris, 2020,
p. 315-316 ; © Alain Séchas et la Galerie Laurent Godin, p. 312 et 343 ;
© ADAGP, Paris, 2020 / Cnap / Photo : Florian Kleinefenn, p. 342 ;
© Fraser Gray / Alamy Stock Photo, p. 338.
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Fotimprim, Paris
Relecture
François Grandperrin
© École nationale supérieure des beaux-arts
et Musée d’arts de Nantes, 2020.
Tous droits réservés.
ISBN : 978-2-84056-792-9
Dépôt légal : octobre 2020
Achevé d’imprimer sur les presses de la STIPA
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