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HYPNOSE Art et hypnotisme de Mesmer à nos jours HYPNOSE_00_Avant Propos-CC2018.indd 1 13/09/2020 19:03 HYPNOSE_00_Avant Propos-CC2018.indd 2 13/09/2020 19:03 HYPNOSE Art et hypnotisme de Mesmer à nos jours Pascal Rousseau Beaux-Arts de Paris éditions Musée d’arts de Nantes HYPNOSE_00_Avant Propos-CC2018.indd 3 Ministère de la Culture 13/09/2020 19:03 HYPNOSE_00_Avant Propos-CC2018.indd 4 13/09/2020 19:03 P R É FA C E Il y a près de deux cent cinquante ans, Franz Anton Mesmer inventait l’hypnose. Cette technique thérapeutique, qui n’a cessé d’évoluer, a toujours fasciné parce qu’elle touche au mystère du fonctionnement du cerveau et à la capacité d’agir sur lui à distance. Le Musée d’arts de Nantes a invité Pascal Rousseau, professeur d’Histoire de l’art à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, à concevoir, pour la toute première fois, une exposition montrant l’influence des théories et des techniques de l’hypnose sur la création artistique. Peut-on créer sous hypnose ? Robert Desnos et les surréalistes l’ont fait lors de « séances de sommeils ». Une œuvre d’art peut-elle être hypnotique ? C’était le pari de l’art optique et psychédélique. Pourquoi la figure de l’hypnotiseur est-elle si présente dans les films, des frères Lumière à James Ivory ? Car la salle de cinéma est elle-même un dispositif d’envoûtement des spectateurs. Le fruit de cette recherche innovante, offrant une perspective rare sur notre modernité, du XXe siècle à nos jours, fait l’objet du présent ouvrage de référence, coédité avec l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris. Le propos, appuyé par une riche iconographie qui provient de sources très variées, se déploie en sept chapitres, à travers lesquels Pascal Rousseau nous invite à observer le transfert dans le champ de l’art d’un modèle de la psychologie expérimentale. Le dialogue entre art et science fait partie de la culture nantaise, marquée par la figure de Jules Verne, les Utopiales et les Machines de l’Île. Lorsque la science et la technique laissent libre cours à l’imagination, la découverte d’un autre soi et d’un autre monde devient possible. Et, pour illustrer la contemporanéité totale du propos, est associée à ce premier volet historique de l’exposition une installation immersive de l’artiste américain à la renommée internationale, Tony Oursler, dans la Chapelle de l’Oratoire. Je tiens à saluer ici l’exceptionnel travail du commissaire et auteur du présent livre. Pascal Rousseau (lui-même Nantais), a bien voulu partager avec sa ville et son musée d’arts un ouvrage qui constitue une véritable somme sur le sujet. Je remercie également la présidente de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, Éléonore de Lacharrière, son directeur, Jean de Loisy, et la responsable des éditions, Pascale Le Thorel, d’avoir bien voulu associer leur grand savoir-faire éditorial à cette entreprise. Je forme le souhait que cette exposition et ce livre contribuent, à Nantes, à révéler le pouvoir de l’art et les mystères de la psyché humaine. Johanna Rolland Maire de Nantes, Présidente de Nantes Métropole 5 HYPNOSE_00_Avant Propos-CC2018.indd 5 13/09/2020 19:03 HYPNOSE_00_Avant Propos-CC2018.indd 6 13/09/2020 19:03 SOMMAIRE Avant-propos 8 L’invention de Mesmer – 1780-1800 10 La vague des somnambules – 1800-1830 40 Hypnologie – 1830-1870 70 La suggestion dans l’art – 1870-1920 98 L’époque des sommeils – 1920-1950 218 Psychedelia, l’hypnose cybernétique – 1950-1970 272 Une nouvelle hypnose – 1970-2020 312 Bibliographie indicative 354 Index 359 Remerciements 364 L’artiste Tony Oursler a produit tout spécialement pour ce livre une série de dessins réalisés au crayon gras, fusain et acrylique. Ces dessins se retrouvent aux pages : pages de garde, 6, 39, 69, 97, 217, 271, 311, 353, 358 et 362-363. HYPNOSE_00_Avant Propos-CC2018.indd 7 13/09/2020 19:03 AVA N T- P R O P O S L’hypnose n’a pas attendu la fin du XVIIIe siècle et le temps de la modernité pour entrer en scène dans la prospection des capacités inexplorées de la psyché. De nombreux historiens en retrouvent des traces très tôt, Joseph Lapponi parmi bien d’autres à l’aube du XXe siècle, pour qui « dans un papyrus écrit en langue égyptienne hiératique environ 3 000 ans avant notre ère et traduit en 1860 par François Chabas, les procédés d’application de ce que nous appelons aujourd’hui l’hypnotisme, se trouvent largement exposés1 ». Un siècle plus tôt, au moment où commence juste à poindre le terme d’hypnotisme dans la culture européenne, Étienne Hénin de Cuvillers, disciple hétérodoxe de Mesmer, a déjà identifié des précédents du « magnétisme animal » dans la Grèce antique et l’Égypte ancienne2. Loin de se réduire à une approche occidentale des études psychiques, l’hypnose traverse le globe et les époques, associée à un fond ancestral et archaïque de la conscience et de la sensibilité (« sentir primitif » ou « sixième sens ») rapidement affilié à de multiples ressources créatives. Tenter de dresser ici une archéologie des liens entre création et hypnose revient à repenser l’efficace de l’art à l’âge moderne et contemporain. L’outil pour le faire, emprunté au tournant des études culturelles, ne sera pas une théorie esthétique des effets mais plutôt une analyse historique du transfert dans le champ de l’art d’un modèle élaboré progressivement au sein de la psychologie expérimentale. Cette grille de lecture croisant arts et sciences donne à voir combien, à partir des glissements de vocabulaire dans le temps (du magnétisme animal au somnambulisme artificiel, de l’hypnotisme aux théories de la suggestion), le modèle hypnotique traverse et insémine les analyses et les pratiques sur le pouvoir transformateur de l’art, à partir d’une rationalisation moderne des modèles d’influence à distance. les objets ou, pour reprendre l’analyse offerte par Peter Sloterdijk, la transition accélérée d’une « physique » vers une « psychologie des profondeurs4 ». Dans le champ esthétique, celui de la sensation comme celui de l’expression, cela signifie une intériorité du sujet révélée à la surface visible du corps mais aussi une nouvelle cartographie du sensible. Dans l’hypnose, les états modifiés de conscience stimulent parfois la transposition des sens (la clinique du XIXe siècle inventera pour cela le nom de synesthésie) mais plus encore une amplification inédite de la perception (de l’endoscopie à la vue « sans le recours des yeux ») où se reconnaît déjà, de la poétique du romantisme à la révolution surréaliste, une longue complicité entre somnambulisme magnétique et art visionnaire. L’activation sous hypnose de ces états de sensibilité extraordinaires nourrit les ambivalences du sujet moderne, un sujet automate et absent à lui-même, manipulé et dépossédé par une entité qui lui est extérieure, mais aussi et parfois simultanément, inventif et proactif, trouvant des ressources inexplorées dans les couches plus profondes de sa propre conscience, sur le modèle de ce que Pierre Janet, une source médicale des premiers surréalistes, appellera le « somnambule extralucide » : « Le somnambulisme artificiel devint énormément intéressant et [on] ne s’occupa plus que de lui. Transformer un esprit humain, le rendre capable de tout voir, de tout comprendre, de tout savoir, quelle œuvre magnifique et divine ! Quels services un pareil esprit ne pourra-t-il pas rendre à l’humanité ! Il faut à tout prix étudier les moyens de produire de pareilles transformations de l’esprit, cultiver ces dispositions, apprendre à se servir de ces instruments admirables qu’on aura créés, en un mot il faut travailler à faire des somnambules extralucides.5 » La transe – dont l’état hypnotique ne serait qu’une modalité parmi d’autres – étend le périmètre d’action de la sensibilité mais peut aussi en retarder voire en annuler la mise en œuvre. Les expériences d’opérations sous analgésie hypnotique sont connues dès le milieu du XIXe siècle. En 1842, un chirurgien de Nottingham ampute un ouvrier grièvement blessé sans produit ; la même année, un médecin écossais, James Braid, développe de nouvelles techniques d’hypnotisation par la fixation d’un objet lumineux. L’hypnose amplifie comme elle anesthésie. C’est là un paradoxe sur lequel jouera largement Marcel Duchamp, mêlant sans contradiction sollicitation optique et anesthésie esthétique, un pas dans une logique d’emprise et de séduction, l’autre dans une mécanique de l’indifférence, dont la tension puise au cœur même de la tradition du dandysme affiché par l’« anartiste » qui jouait à faire disparaître toute implication physique dans la réalisation de l’œuvre (le premier ready-made de Duchamp est une Roue de bicyclette dont le mouvement rotatif Que peut bien révéler cette piste d’une clinique de l’hypnose dans son rapport à la création et à la réception de l’œuvre d’art ? Sur le temps long de la modernité, du XVIIIe siècle à nos jours, elle souligne – c’est un premier constat – les liens étroits que l’expérience esthétique peut maintenir avec une histoire, plus ancienne, de la fascination et de « l’imagination créatrice3 ». De fait, l’hypnose traverse les mêmes inflexions que celle des interprétations de l’emprise fascinatoire : d’un phénomène physique (le fameux « fluide » du magnétisme animal passant d’un sujet à un autre), elle se convertit très vite en une manifestation plus psychique (la « suggestion mentale » qui s’imprime dans le cerveau du sujet hypnotisé). L’histoire culturelle de l’hypnose (qui peut d’emblée être considérée comme le nom moderne de la fascination) nous livre sans détour cette mutation rapide passant d’une physique des circulations énergétiques entre le corps et l’esprit à une psychologie des rapports d’influence et d’attraction entre les sujets et 8 HYPNOSE_00_Avant Propos-CC2018.indd 8 13/09/2020 19:03 AVA N T- P R O P O S est en soi un outil hypnotique). Cette logique de désinvestissement, très répandue au sein du mouvement dadaïste, est largement complice d’une remise en cause du statut de l’artiste devenu « irresponsable ». Se pose ainsi la question d’une crise de l’auteur qui a beaucoup à voir avec le processus de subjectivation enclenché dans l’induction hypnotique, un processus qui touche immanquablement à la menace d’une sujétion à l’autre, voire d’une soumission aliénante à une force extérieure, invitant très vite, par réaction, à la subversion des jeux d’emprise et de communication mis en acte dans la relation à l’environnement. « Plaque tournante où peuvent s’échanger l’animalité de l’homme et son humanité » (François Roustang6), l’hypnose devient un « préalable de la liberté » de faire et de créer ; elle transforme à ce titre la performativité de l’art parce qu’elle redistribue les « mouvements de volonté » ainsi que le comprend le philosophe Arthur Schopenhauer : « Parce que […] la volonté apparaît comme chose en soi dans le magnétisme animal, nous voyons aussitôt contrecarré le principium individuationis (espace et temps) attaché au simple phénomène : ses barrières distinguant les individus sont brisées : entre le magnétiseur et le somnambule, les espaces ne constituent pas une séparation ; une communauté de pensée et des mouvements de la volonté s’installe.7 » veille et sommeil est le lieu même d’un paradoxe de l’inspiration : la naissance d’une pensée inventive au cœur de l’imitation mimique de l’autre poussée jusque dans l’étrangeté à soi, au prix d’un abandon calculé du socle rationnel de la subjectivité puisant sans remords, ni limites, dans le fond de l’inconscient. Convoquer sur le temps long de la modernité les liens entre art et hypnose revient à démêler, par-delà le champ dominant de la psychanalyse, le contexte historique qui a vu naître l’analyse des moyens mis en jeu pour déterminer « l’existence et le mode d’efficace de l’inconscient psychique10 » dans le champ de l’art. L’actualité est favorable à cette hypothèse. L’hypnose, souvent rabattue au spectacle de foire avec son lot de manipulations individuelles et collectives, revient en force dans le champ médical, ramenée au cœur des débats sur les nouvelles psychothérapies. Les facultés de médecine reprennent en main le chantier des pouvoirs anesthésiants d’un hypnotisme qui depuis Milton Erikson, s’est largement reformé de l’intérieur pour se débarrasser des oripeaux de la soumission automate. L’inflexion de cette « nouvelle hypnose » qui n’oppose plus le jour (veille) et la nuit (sommeil), explique pour partie le net regain d’intérêt des artistes d’aujourd’hui pour une exploration des niveaux de conscience à travers l’expérience d’un « outil hypnotique », susceptible de révéler, dans cette veille du corps qui met aussi à mal l’exigence du langage dans les modes d’interprétation du réel, une autre manière d’imaginer la pleine autonomie de l’œuvre et l’efficace de sa transmission. En rapportant le vivant à la plasticité de la relation, l’hypnose investit plus que jamais ce qui définit actuellement le champ ouvert de l’art. Celui, pour reprendre les mots de François Roustang, d’une modification réciproque des comportements pour un individu « défini par une position particulière dans un système relationnel illimité11 ». C’est là un projet largement développé par les utopies sociales fouriéristes et saint-simoniennes, où les théories physiques de l’attraction développées par Mesmer furent largement reprises au service d’une modélisation sensible de l’harmonie universelle. Ce principe d’une communauté d’esprit obtenue dans la communion des sens vise directement une éthique de l’art mais aussi, en sous-main, une analyse des médiations technologiques de l’art. L’histoire de l’hypnose accompagne un processus de rationalisation moderne des techniques d’influence, passant dès les débuts de Mesmer des simples « passes » du magnétiseur à l’instrumentation technique du baquet dans sa version contagieuse et immersive. L’histoire des liens entre hypnose et art revient ainsi à étudier, à nouveaux frais, l’épopée des mécanismes d’optimisation du transfert de la sensibilité (Éric Michaud parlera d’« enchaînement de la passion8 »), tout en accordant une place de choix aux protocoles d’invention de nouvelles formes dont l’un des moteurs lui aussi démultiplicateur, serait la possibilité d’une diversification des « personnalités » du propre créateur. Le psychologue américain Michael Grosso donnera un nom à cette possibilité, celui de « dissociation créative9 » dans laquelle il cherche à comprendre une désintégration du moi productrice d’une créativité inédite : la déconnexion de la conscience – en l’occurrence une veille paradoxale – serait le prélude à une meilleure intégration du sujet au monde. Paradoxale, cette conscience intense entre 1. Joseph Lapponi, L’Hypnotisme et le spiritisme. Étude médico-critique, Paris, Perrin et Cie, 1907, p. 2. 2. Baron Étienne-Felix Hénin de Cuvillers, Le Magnétisme animal retrouvé dans l’antiquité, 2e édition, Paris, Barrois, 1821. 3. Antoine Faivre, « Vis imaginativa (Étude sur l’imagination magique et ses fondements mythiques) », dans Accès à l’ésotérisme occidental (vol II), Paris, Gallimard, 1996, p. 171-219. 4. Peter Sloterdijk, Bulles, Paris, Pluriel, 2011, p. 260. 5. Pierre Janet, La Médecine psychologique, Paris, Flammarion, 1923, p. 22-23. 6. François Roustang, Influence (1990), Paris, Les Éditions de Minuit, 2011. 7. Arthur Schopenhauer, Werke in 10 Bänden, cité par Peter Sloterdijk, op. cit., p. 258. 8. Éric Michaud, « Le Réflexe », dans Mikkel Borch-Jacobsen, É. Michaud, Jean-Luc Nancy, Hypnoses, Paris, Galilée, 1984, p. 125. 9. Michael Grosso, « Inspiration, Mediumship, Surrealism : The Concept of Creative Dissociation », dans Stanley Krippner et Susan Marie Powers (éd.), Broken Images, Broken Selves : Dissociative Narratives in Clinical Pratice, Bristol, Brunner et Mazel, 1997, p. 181-198. 10. M. Borch-Jacobsen, « In statu nascendi », dans op. cit., p. 87. 11. F. Roustang, op. cit., p. 163. 9 HYPNOSE_00_Avant Propos-CC2018.indd 9 14/09/2020 16:05 HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 10 12/09/2020 00:14 L’INVENTION DE MESMER 1780-1800 HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 11 12/09/2020 00:14 A HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 12 12/09/2020 00:14 Avec le médecin viennois Franz Anton Mesmer (17341815), le magnétisme animal connaît un premier moment d’apogée, très vite contesté par la médecine officielle. Mais les répercussions seront décisives pour le développement ultérieur de ce qui deviendra bientôt l’hypnose et sa légitimité scientifique au sein de la culture occidentale. Dans un protocole très inspiré des techniques de thérapie électrique1, Mesmer propose une approche générale de la maladie fondée sur l’existence d’un fluide universel, le « fluide magnétique », dont la distribution contrariée dans le corps serait la cause essentielle des pathologies de ses patients. Au cœur de ces rapports entre « le physique et le moral », Mesmer met en place une dramaturgie de guérison dans laquelle le langage corporel des convulsions est porté par un vocabulaire visuel des passions, débiteur et complice des théories esthétiques des Lumières, dans leur volonté de rationaliser – et d’optimiser – le champ subjectif de l’expression. Très tôt la cure magnétique du docteur Mesmer se convertit en un théâtre de gestes et d’attitudes dont la chorégraphie tente d’abolir, au-delà de son caractère mondain, certaines normes comportementales (comme sa décharge érotique et libidinale, très vite repérée et dénoncée), tout en requalifiant les relations entre le corps et l’esprit rapportées à la puissance agissante de l’imagination dans le champ du réel. Avec le magnétisme animal se pose à nouveaux frais la question de la visibilité des liens entre le dehors (les symptômes) et le dedans (l’intériorité). Le mouvement du corps et ses automatismes contrôlés soulèvent là le paradoxe d’une autonomie du sujet, mise à mal par la soumission à une force d’emprise qui lui serait extérieure, dans un savant balancement maîtrise/dépossession de soi. Dans ce jeu d’action à distance, l’art de la guérison magnétique dialogue avec une culture visuelle de l’effet quand l’efficace de la médecine traverse déjà, en sous-main, une science de l’esthétique puisant nombre de ses ressorts et modèles dans une théorie physiologique des attractions. DRAMATURGIE DES FLUIDES LE SPECTACLE NERVEUX DES CONVULSIONS Dans sa thèse de médecine présentée à Vienne en 17662, Mesmer, inspiré par les théories de l’Anglais Richard Mead, médecin personnel de Newton3, revient sur l’hypothèse d’une « attraction universelle ». Newton est bien là, mais ce qui valait pour les corps terrestres dans le système newtonien devient avec Mesmer un principe « d’une certaine puissance, qui, s’insinuant dans tous les points du corps, affecte immédiatement tout le système nerveux ». Celui à qui l’on doit l’expression « gravitation animale », rebaptisée à partir de 1775 « magnétisme animal », va déplacer l’influence mécanique des astres vers l’existence d’un fluide cosmique qui se transmet d’un corps humain à un autre par le biais d’un aimant, puis par le simple jeu de passes magnétiques. A. Daniel Chodowiecki, Der magnetiseur, ca. 1790, gravure à l’eau-forte. 13 HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 13 12/09/2020 00:14 L’ I N V E N T I O N D E M E S M E R S’y exerce un transfert énergétique rapporté à une théorie de « l’harmonie des nerfs », qui dans le moment de la crise rétablit la libre circulation des énergies, nécessaire au déblocage de l’organisme malade. C’est entendu, la cure mesmérienne est une affaire de transmission volontiers encline aux résonances électriques, son lexique oscillant entre « conducteurs » et « propagation des courants ». L’aimant fournit un premier support physique sur lequel peut s’actualiser de manière tangible cette migration de la sensibilité, afin d’emporter, ne serait-ce que par les jeux de tact et de contact, la conviction des personnes traversées par cette circulation fluidique. La passe (sans contact, quoique…) autorise à penser le jeu de « l’influence à distance », à partir d’un modèle qu’Aristote ne pouvait concevoir sans un contact matériel : le magnétisme animal repose sur une physique des attractions facile à importer dans l’explication des mécanismes de la sensibilité, mobilisés dans la contemplation d’une œuvre d’art, anticipant sur le rôle des dispositifs immersifs dans l’emprise sur le spectateur moderne. … la cure magnétique du docteur Mesmer se convertit en un théâtre de gestes et d’attitudes… La présence de métaphores musicales dévoile, dès cette thèse de médecine de 1766, l’horizon visé de ce qui deviendra bientôt la thérapie magnétique, à savoir une concordance harmonique des corps dans un espace chargé de circulations fluidiques : « On doit admirer l’accord des sphères entre elles et l’effet ineffable de la gravité universelle par laquelle nos corps sont attirés de concert, non pas tous également et indifféremment, mais de même que dans un instrument de musique à cordes le son résonne précisément à l’unisson d’un son donné, de même les corps qui ont une harmonie selon le sexe, l’âge, le tempérament, les dispositions particulières, etc., se meuvent de manière déterminée par la position des astres4. » Pour ses débuts à Vienne, Mesmer va jouer sur la mise en scène en mouvement de ce circuit des systèmes d’influence. Le baquet (totem technologique venu remplacer les simples passes magnétiques) n’est pas seulement une solution technique à la diffusion élargie du procédé répondant à la demande d’un public de plus en plus curieux et nombreux. Il est aussi, dans le mystère de sa matérialité (ce qu’il contient demeure inconnu : éclats de verre, limaille de fer, soufre concassé, etc.), une tentative d’objectivation des forces invisibles qui agissent entre le corps et l’esprit ; le réseau des cordes qui encerclent le dispositif symbolisant l’activité en « chaîne », quand les barres de métal surgissant du « ventre » de l’appareil illustrent le lien à un objet idéal commun. Le baquet est une matérialisation des forces du dedans, mais dont immédiatement « la matérialisation externe se donne comme la figure dédoublée d’un sens interne – le sixième –, d’une capacité de vision5. » Il n’est pas surprenant de voir Mesmer convoquer à plusieurs reprises des modèles de prothèses de la vue, notamment le « microscope », considéré comme « œil artificiel », augmentant les capacités de la rétine naturelle pour entrer au plus près d’une connaissance de l’intérieur des choses. Dans ses Aphorismes, Mesmer parle d’un sujet magnétisé qui « apercevait les pores de la peau d’une grandeur considérable, elle en expliquait la structure conformément à ce que le microscope nous en fait connaître6. » Il évoque même avant l’heure la transparence d’un œil radiographique (« un corps opaque très mince ne l’empêchait pas de distinguer les objets, il ne faisait que diminuer sensiblement l’impression qu’elle en recevait, comme ferait un verre sale pour nous7 »). Car ces multiples analogies avec des instruments d’optique (« lunettes, microscope & télescopes8 ») permettent de penser l’optimisation des capacités internes de la vision en « augmentant la condition des sensations » (que Mesmer appelle l’« internité de l’action que ces objets exercent sur nous9 »), mais aussi de comprendre plus avant l’expansion clairvoyante de la perception : « Si l’extension d’un sens a pu produire une révolution considérable dans nos connaissances, quel champ plus vaste encore va s’ouvrir à notre observation si, comme je le pense, l’extension des facultés de chaque sens, de chaque organe, peut être portée aussi loin & même plus que les lunettes n’ont porté l’extension de la vue ; si cette extension peut nous mettre à portée d’apprécier une multitude d’impressions qui nous restaient inconnues, de comparer ces impressions, de les combiner, & par là de parvenir à une connaissance intime & particulière des objets qui les produisent, de la forme de ces objets, de leurs propriétés, de leurs rapports entr’eux, & des particules mêmes qui les constituent10. » La guérison des maladies de la vue est au cœur de la cure : le baquet est une machine à renverser le handicap du « vicariat de sens » (Mesmer parle plus volontiers de « perdition des facultés11 »). Dans un tableau anonyme conservé dans les fonds de la Wellcome Collection de Londres – une des seules traces picturales illustrant le salon parisien de Mesmer – s’observent plusieurs sujets portant l’extrémité des « tringles de fer » du baquet vers « le globe & les paupières12 », dans le but de conjurer les affections ophtalmiques. Nul hasard aussi si l’un des plus fameux sujets de Mesmer à Vienne, la jeune Maria Theresia von Paradis, est une aveugle. Le médecin prétendra lui faire recouvrer la vue par la seule action curative du fluide facilitant la bonne circulation des nerfs. Le cas Paradis est instructif. Les médecins viennois s’y penchent avant Mesmer et estiment tous que l’origine de sa maladie serait plus psychique qu’organique, préconisant l’emploi de méthodes intrusives d’électrothérapie pour soigner la traduction somatique d’une hystérie. L’échec sera retentissant, Mesmer prendra le relais. C’est au moyen de passes magnétiques qu’il dit faire revenir partiellement la vision de cette virtuose musicienne, comme s’il s’agissait de substituer l’effet fluidique du magnétisme à l’impuissance du courant électrique. Il ne suffit pas de rendre perceptible 14 HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 14 12/09/2020 00:14 1780-1800 A C B A. Anonyme, Mesmeric Therapy, ca. 1784, huile sur toile, Wellcome Collection, Londres. B. Gravure illustrant le Baquet de Mesmer, début xixe siècle. C. Le Baquet de Mesmer, ca. 1900. 15 HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 15 12/09/2020 00:14 L’ I N V E N T I O N D E M E S M E R l’activité circulante de ce fluide, il faut montrer combien elle participe directement d’une « extension de l’organe de la vue13 ». Ce tropisme visuel, associé à cette obsession de voir plus et mieux, trouve à s’épancher dans le propre décor installé par Mesmer. À son heure de gloire, autour de 1784, Mesmer, qui porte haut un habit lilas et pourpre frappé de motifs floraux aux allures flamboyantes, s’est installé dans un somptueux hôtel particulier, rue CoqHéron à Paris. La « salle magnifiquement décorée14 » est un premier agent de conditionnement des patients, directement hérité d’un « travail intense sur les modalités de production de l’illusion théâtrale et sur les ressorts de l’imagination humaine15 », dont on peut dire qu’il instruit le régime optique de la preuve demandé par les nouvelles sciences expérimentales en quête de légitimité16. Mesmer répond à l’esprit du spectacle de la démonstration et de son absorption dans un plus vaste « théâtre de société17 ». La description du salon donnée par Jean-Jacques Paulet souligne la dimension théâtrale du dispositif autour d’un Mesmer décrit en grand orchestrateur d’un « nouveau genre de spectacle » : « La maison de M. Mesmer est comme le Temple de la Divinité […]. Tout y annonce un attrait, un pouvoir inconnu ; ce sont des barreaux magnétiques, des baquets fermés, des baguettes, des cordages, des arbustes fleuris et magnétisés, divers instruments de musique, entre autres l’harmonica, dont les tons flûtés éveillent celui-ci, donnent un léger délire à celui-là, excitent le rire et quelquefois les pleurs : joignez à ces objets des tableaux allégoriques, des caractères mystiques, des cabinets matelassés, des lieux particuliers destinés aux crises, un mélange confus de cris, de hoquets, de soupirs, de chants, de gémissements. On est forcé de convenir que ce nouveau genre de spectacle est très piquant et qu’il ne fallait rien moins que le plus fort génie pour le produire18. » Le lieu le plus théâtralisé est la salle des crises – que Paulet appelle les « cabinets matelassés ». Il s’agit d’alcôves aménagées en périphérie du salon central, dans A B lesquelles sont conduits les sujets les plus convulsifs, agités par des « crises violentes », allant de la gesticulation nerveuse jusqu’à des effets de contractures du corps. Cet « état de catalepsie qui ne doit pas effrayer » engage devant public des jeux de rôles qui très vite posent la question d’un dédoublement de la personnalité et d’un « étrangement » à soi : « Ces crises commencent par une petite toux, qui devient convulsive, laquelle est bientôt suivie de hoquets, de cris, de chants extraordinaires ; il y en a qui imitent le chien, d’autres le chat, d’autres la poule…19 » Les descriptions en livrent un véritable atlas d’attitudes passionnelles, alternant des phases de « mélancolie profonde » et des « larmes abondantes », les « crises de pleurs » parfois changées en « crises de rire20 » : « Les vapeurs, les convulsions, le délire & les défaillances viennent orner la scène ensemble ou tour à tour21. » À une élasticité fulgurante des postures succède, au sommet de la crise une phase de tétanisation qui fige les corps pétrifiés telle des sculptures vivantes dont Mesmer souligne « qu’on ne peut pas douter que ces phénomènes n’aient toujours paru un sujet d’observations intéressantes pour les gens de l’art22 ». Il faudra certes attendre la fin du XIXe siècle et les travaux de l’anatomiste et professeur de dessin Paul Richer à l’hôpital de la Salpêtrière pour observer le transfert méthodique des poses « convulsionnaires » dans le champ d’une science de l’observation anatomique à destination des artistes. Mais l’intuition d’un modèle clinique pour peintres, graveurs et sculpteurs est déjà là, énoncée dans la bouche de Mesmer. Le terme de « tableaux » est volontiers utilisé pour décrire les scènes vécues autour du baquet, une terminologie qu’il faut percevoir comme un premier relais entre taxinomie clinique et théorie de l’expression en 16 HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 16 12/09/2020 00:14 1780-1800 C A. Le Baquet de Mesmer, ca. 1784, bois, métal, verre et cordes, 73 x 69 x 87 cm, musée d’Histoire de la médecine et de la pharmacie, Lyon. B. Détail d’une gravure à partir d’un dessin de Claude-Louis Desrais, Le Salon de Mesmer, ca. 1784, Bibliothèque nationale de France, Paris. C. Claude-Louis Desrais, Le Baquet de monsieur Mesmer, ca. 1785, crayon et encre brune sur papier, 21,7 x 30 cm, coll. part. art. La médecine de l’époque cherchait en effet à classifier et hiérarchiser la gamme des émotions au sein d’un atlas raisonné susceptible d’accueillir une grammaire du visible qui transfigure le symptôme en signe. Ce sera l’objet des physionomies ou physiognomonies, en particulier dans leur destination à l’usage des artistes. Or, ce que donne à voir la séance magnétique sous le chahut désordonné des crises, c’est bien une séquence contenue de figures passionnelles formant description des mouvements de l’âme à la surface des corps. Mesmer instaure un alphabet corporel, un langage-corps dont la série ordonnée rendrait intelligible l’écriture chiffrée des passions révélées au cœur de ce jeu de séduction. Se retrouvent ainsi réunis et articulés des moments de conversation, des jeux de regards et de langage, des mots d’esprit arrêtés par des débordements du corps à la motricité déréglée, dans une série narrative dont l’objectif cherche à terme à se résoudre sous sa forme la plus cathartique, dans le spectacle sculptural de tensions musculaires dont la mise à l’arrêt aurait pour vertu principale de révéler les forces en jeu, actives et passives, dans l’extériorisation de l’affect. Un manuscrit récemment exhumé par Bruno Belhoste et conservé à la bibliothèque de Reims éclaire sur le ballet de cette gestique en usage chez le « premier disciple de Mesmer », le docteur d’Eslon : « En moins de dix minutes, la crise se prépare, les mâchoires se rapprochent et se serrent. Un instant après, il tombe à la renverse ; ses bras étendus en croix et les poings fermés sont d’une raideur invincible ; le col, la colonne épinière, le tronc, les jambes sont également raides et semblent ne former qu’une seule pièce. Après être resté quelques minutes dans cet état violent, la souplesse revient dans les membres ; on le laisse se lever ; il tourne sa tête et ses yeux vers la gauche, fait quelques pas et s’assoit sur la chaise longue où se tient, à demi-couchée, madame de la Blache. Là, sans parler, avec des yeux hagards, sans proférer un seul mot, les mâchoires toujours serrées, il se met à magnétiser cette dame avec les doigts, et de la même manière que les pratiquent M. d’Eslon et les adeptes ou initiés. Madame de la Blache éprouve quelques effets, tels que bâillements, des mouvements du diaphragme, quelques éclats de rire23. » L’épisode retracé ici par Jean Goulin est intéressant à plusieurs titres. D’une part il met en scène un enfant (l’auteur précise qu’il a dix ans) qui, au sommet de la 17 HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 17 12/09/2020 00:14 L’ I N V E N T I O N D E M E S M E R crise, se voit lui-même doté des facultés de magnétisation. Le pouvoir de guérison se transmet dans la simple circulation du fluide, au-delà d’un secret de la technique reposant sur une autorité statutaire (la légitimité du médecin). C’est là, en germe, un bouleversement des hiérarchies sociales qui prêtera rétrospectivement à considérer dans la thérapie mesmérienne un tremplin aux idées révolutionnaires – ce que fera Robert Darnton dans son étude consacrée aux disciples de Mesmer réunis autour de la Société de l'harmonie universelle24. D’autre part, il donne très vite à rapprocher ce type de convulsions corporelles d'une culture visuelle de la transe et de son ascendant religieux. Dans une note de son rapport datée du vendredi 4 juin 1784, Goulin tient à préciser que les « convulsionnaires jansénistes faisaient, et font encore en secret, ce que MM. Mesmer et d’Eslon font publiquement. Ces jansénistes avaient-ils été instruits à l’école des Anabaptistes ? Ces derniers dans leurs assemblées ont-ils aussi des convulsions ? Je l’ignore. Mais les Quakers en ont ». D’où probablement le soin accordé à comprendre cette origine physiologique des convulsions en la décomposant méthodiquement par phases. Nous assistons là, bien avant les démarches de Charcot, à une première forme de « médecine rétrospective » cherchant à substituer aux anciennes explications surnaturelles et religieuses (possession, extase, etc.) des interprétations cliniques ramenées à un théâtre des nerfs, la laïcisation du regard s’appuyant sur la médiation technique des dispositifs optiques. Il se trouve que le salon est doté de nombreuses surfaces d’inscription de cette dramaturgie corporelle. Les gravures d’époque illustrant l’intérieur feutré de l’an- A A. Claude-Louis Desrais, Le Baquet de Mr Mesmer ou représentation fidelle des opérations du magnétisme animal, ca. 1784, gravure à l’eau-forte et au burin coloriée, 29,3 x 33,7 cm, Bibliothèque nationale de France, Paris. 18 HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 18 12/09/2020 00:15 1780-1800 cien hôtel de Coigny de la rue Coq-Héron témoignent de la présence de miroirs sur l’ensemble des murs du salon principal. Cela souligne la puissance symbolique de celui qui accueille chez lui (un signe de richesse qui assoit son autorité) mais participe aussi de la mise en évidence d’une circulation physique du fluide. Pour Mesmer, le dispositif augmente « le nombre et l’activité des courants25 » qui « peuvent être réfléchis dans les glaces, d’après les loix de la lumière26 ». Par cette présence enveloppante des miroirs, les participants s’observent mutuellement, dans une mise en abyme de la crise qui facilite par mimétisme la dynamique de groupe. Mais ces miroirs qui canalisent l’érotisation de cette promiscuité mettent aussi en évidence l’activité d’un regard plus introspectif du sujet : « On sait déjà que la glace d’un miroir réfléchit très fortement le fluide, mais on n’en sait pas la raison. J’essayai une fois [nous dit Tardy de Montravel, un disciple de Mesmer] de placer ma malade, pendant son sommeil, devant une glace ; elle avait les yeux bien fermés ; cependant elle se vit parfaitement ; elle paraissait même y prendre plaisir, lorsqu’au bout de quelques instants, je la vis ressauter & bientôt elle eut des mouvements convulsifs27. » Le « spectacle de ces convulsions28 » repose sur une savante orchestration audiovisuelle : des sons pour porter les crises et aussi des images pour les accompagner. Paulet évoque la présence au mur de « peintures allégoriques » et en donne une description dans Mesmer justifié (1784). Un premier tableau, installé dans « la première pièce, en entrant par le petit escalier », est un « dessin de vingt pouces sur treize, lavé à l’encre de Chine, rehaussé de blanc, représentant un grand jeune homme presque nu, une flamme sur la tête, la main droite étendue au-dessus d’une déesse assise au pied d’un autel cylindrique, ayant pour inscription ces mots : MAGNÉTISME ANIMAL. On apporte à cette déesse des malades sur des brancards : dans le fond à droite, est un temple en rotonde orné de colonnes, autour duquel est un groupe de figures ; on voit à gauche, une autre Divinité enveloppée de nuages, renversant de la main gauche un mortier d’apothicaire, & de la droite tenant un foudre étincelant, qu’elle lance sur deux figures terrassées, nues, hideuses, & telles que l’on représente les Furies ; une d’elles tient encore le pilon d’un mortier, & brise par sa chute deux vases antiques, sur lesquels sont gravés thériaque & quinquina. Dans le fond, & dans la demi-teinte, on aperçoit un homme en perruque & en robe longue, prenant la fuite vers un édifice détruit, & saisissant de la main droite la Mort qui l’accompagne. Au bas du tableau, & sur une des pierres des ruines de cet édifice est écrit en grosses lettres SCHOLAE MEDICAE29 ». Propagande par l’image, la scène décrit la victoire du magnétisme animal sur les tromperies frauduleuses de la pharmacopée – Paulet parle de « guerre d’apothicaires ». L’image met en scène, au moyen de symboles très lisibles, le pouvoir de l’imagination dans le mécanisme de conviction : « Le miroir, autant le mot que la chose, convoque la notion d’analogie que le symbolisme mesmérien fait jouer à plein30. » Un second tableau, cette fois accroché « à gauche de la porte de la salle aux crises », représente « une femme qui a la lune sur la tête, avec une couronne d’étoiles ; elle tient à la main une baguette semblable à celle dont on se sert chez M. Mesmer, & grave sur la base d’une pyramide antique & tronquée cette inscription, MAGNÉTISME ANIMAL MESMERO IMMORTALI. La pyramide est couverte de hiéroglyphes, & au sommet est un phénix dans son brasier. Au bas, sont de petits génies groupés, traçant les cercles de différentes planètes. Un peu à gauche, on aperçoit des malades qui implorent le secours salutaire de cette déesse ; & plus loin est une femme drapée, emportant son enfant qui a l’air rachitique. La scène est éclairée par la lune en son plein ; & dans le fond, il y a des groupes d’enfants occupés à briser des pots remplis de drogues31 ». À noter l’omniprésence des astres et planètes (étoiles, lunes, etc.) qui consolide le discours sur l’influence d’une nouvelle « gravitation universelle », celle d’un fluide cosmique traversant l’espace et les corps, mais aussi la présence répétée des hiéroglyphes, dans une référence assez insistante à une forme inédite d’idéographie. Ce … des jeux de rôle qui très vite posent la question d’un dédoublement de la personnalité et d’un « étrangement » à soi… travail des allégories et des symboles dans le decorum des crises n’est pas gratuit. Il instruit la volonté de s’affranchir des arbitraires de la communication écrite et verbale, au profit d’un langage visuel qui transcende les limites du langage conventionnel des mots – ce que Mesmer appelle « penser sans langue ». C’est là une idée hautement romantique qui se retrouve exprimée très tôt dans la bouche de Mesmer, consignée dès le Précis historique des faits relatifs au magnétisme animal de 1781 : « J’en vins à regretter le temps que j’employois à la recherche des expressions sous lesquelles je redigeois mes pensées. M’apercevant que toutes les fois que nous avons une idée, nous la traduisons immédiatement & sans réflexions dans la langue qui nous est la plus familière, je formai le dessein bizarre de m’affranchir de cet asservissement. Tel étoit l’effort de mon imagination, que je réalisai cette idée abstraite. Je pensai trois mois sans langue32. » Penser « sans langue », voilà qui semble vouloir évincer un arbitraire sémiotique au profit d’une communication proprement naturelle reposant sur les lois de l’instinct d’un « sixième sens artificiel »33 auquel Mesmer donnera le nom de « théorie imitative34 ». Le fluide magnétique devient ainsi un support de transmission hautement efficace, puisque inscrit dans l’équilibre même des lois de la nature, intraduisible par les mots mais bien transmis « par le sentiment35 ». En puisant dans la qualité physique des canaux de transfert 19 HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 19 12/09/2020 00:15 L’ I N V E N T I O N D E M E S M E R de l’émotion et des sensations, Mesmer cherche à se dédouaner de la médiation intellectuelle des signes. Le fluide rejoint le désir de lever les opacités de la communication, complice de certains dispositifs techniques qui dès le début du XVIIIe siècle favorisent les transferts de langages et les jeux de traductions du sensible (on peut penser à la réflexion synesthésique de l’abbé Castel autour du « clavecin de couleurs », dit aussi « clavecin pour les yeux », dont le mécanisme visait une traduction chromatique d’une composition musicale au moyen de projections de faisceaux lumineux accordés sur un clavier). Quand la langue est impuissante à traduire par les mots les réalités supérieures ou les sensations exaltées, elle dénature la connaissance de la réalité intime des choses. Dans le Mémoire de 1799, Mesmer déclare que la « langue de convention, le seul moyen dont nous nous servons pour communiquer nos idées, a, dans tous les temps, contribué à défigurer nos connaissances36 ». Il renoue ici avec la tradition orphique et son goût pour une langue poétique et sensible des symboles, le « feu invisible » de la lumière comme premier d’entre eux : « Nous acquérons toutes les idées par les sens ; les sens ne nous transmettent que celles des propriétés, des caractères, des accidents, des attributs. Les idées de toutes ces sensations s’expriment par un adjectif ou une épithète, comme chaud, froid, solide…37 » VIBRATIONS ACOUSTIQUES LE CLAVIER MÉCANIQUE DES SENSIBILITÉS Pour Mesmer, la langue magnétique va permettre de balayer – de court-circuiter plus précisément – cette chaîne de déperdition de la réalité. Cette mécanique du sensible se fait complice de l’esthétique du moment. Son fluide magnétique, très proche de l’influx électrique avec lequel il partage de nombreuses analogies, rejoint le principe d’une théorie générale de la stimulation (Reitztheorie), qui marque justement l’inflexion de l’esthétique au cours de la fin du XVIIIe siècle aux dépens d’une physiologie morale des sensations. Cette approche physique et nerveuse coïncide – ce n’est pas fortuit – avec le développement de l’esthétique musicale38 et ses explications d’une nouvelle culture de l’écoute, emphatisant les liens entre intériorité et intensité des sensations39. Dans son influente Théorie générale des beaux-arts (1770), Johann Georg Sulzer décrit l’effet de la musique sur l’auditeur comme un « choc délivré sur les nerfs du corps40 ». Elle sera directement répercutée dans l’esthétique romantique allemande, prise à bras-le-corps dans les Fantaisies sur l’art de Wilhelm Wackenroder et Ludwig Tieck (Phantasien über die Kunst, 1799) et ce que les auteurs proches de la Naturphilosophie appelleront la « force sensuelle » du son, immédiatement adossée au principe d’une « indicible sympathie41 » qui autorise au-delà de l’impuissance des mots, à « ressentir le sentiment42 » pour mettre « en branle toutes les légions merveilleuses et grouillantes de l’imagination43 ». La musique prend un sérieux ascendant dans la dramaturgie des séances magnétiques : « Le son est aussi un conducteur de magnétisme, et dans le but de communiquer le fluide au piano-forte, rien n’était nécessaire sinon que de le rapprocher des tubes d’acier. La personne jouant de l’instrument fournissait elle aussi une portion du fluide, et le magnétisme était ainsi transmis par les sons dans tout l’environnement des patients44. » Dans certains rapports de séances magnétiques est évoquée même une magnétisation préalable des instruments45. Mesmer est un très bon instrumentiste, habile au violoncelle mais surtout virtuose à l’harmonica de verre, le Glasharmonika, perfectionné au cours des années 1760 par Benjamin Franklin46. Dans son Usage médical de la musique (1835), Schneider évoque les performances de Mesmer sur cet instrument, suggérant qu’elles y étaient pour beaucoup dans le mécanisme même de la cure, via l’impact acoustique sur le système nerveux (Nervensystem) des patients47. S’opère ici une convergence entre musique, sensibilité et physiologie de l’esprit, avec une nette prédilection pour les instruments vibratoires illustrant le lien métaphorique entre corde sensible de l’auditeur et résonance acoustique de l’instrument, le tout immédiatement associé à la recherche d’états modifiés de conscience entre transe, extase et hystérie. Mesmer est en cela l’homme d’une philosophie de la nature qui pousse, dans les pas de Newton, l’interprétation neurophysiologique du cerveau vers le modèle mécaniste des instruments de musique48. Dans la révision de ses Principia Mathematica (1713), Newton montrait déjà combien il était possible d’entendre le mécanisme de transmission du cerveau aux organes musculaires par l’existence de « solides filaments des nerfs », qu’il comparait à une sorte de « clavier ». De même, l’Anglais David Hartley associait les propriétés acoustiques des cordes musicales aux mécanismes de réponse nerveuse, via la « résonance sympathique » de micro vibrations (vibruncles), un principe reconduit dans l’Essai analytique sur les facultés de l’âme (1760), de Charles Bonnet49. Mesmer ne pense pas autrement, persuadé que les proportions harmoniques et le son cristallin diffusés par le Glasharmonika favorisent le rééquilibrage du système nerveux des patients par simple résonance sympathique. C’est ce qu’il nous dit dans un passage tout à fait explicite de son Mémoire au moment de qualifier le fonctionnement de « l’organe du sens interne » : « Lorsque j’ai dit que cet organe consiste dans l’union et l’entrelacement des nerfs, je n’ai pas entendu que ce fut un seul point ou centre unique, ni une région, circonscrite, mais bien le système nerveux en entier ; c’est-à-dire l’ensemble composé de tous les points de réunion, tels que le cerveau, la moelle épinière, les plexus et les ganglions. Ces différentes parties, à l’égard de leurs fonctions, peuvent être considérées, séparément ou dans leur ensemble, A. Mesmer magnétisant une patiente, 1784, aquatinte, 13,8 x 9,4 cm, Bibliothèque nationale de France. 20 HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 20 12/09/2020 00:15 1780-1800 21 HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 21 12/09/2020 00:15 L’ I N V E N T I O N D E M E S M E R comme différents instruments de musique, dont l’harmonie dépend de leur parfait accord50. » Plus loin, il compare cet agencement aux « effets que produirait à nos yeux une glace exposée à différentes directions (sic) », l’alliance des pouvoirs de réverbérations fonctionnant à plein. Par sa femme, Anna Maria von Posch, fille fortunée du principal apothicaire de Vienne, Mesmer est en contact avec de nombreux musiciens, en tout premier lieu la famille Mozart. Le père, Leopold Mozart, saluera dans deux lettres la pratique de Mesmer à l’harmonica de verre, qu’il a fait venir à grands frais d’Angleterre51 ; le fils Wolfgang Amadeus donnera quelques récitals dans son salon viennois, ainsi que la première de Bastien et Bastienne dans les jardins du palais de la Landstrasse (Mozart a alors douze ans)52. C’est probablement dans le théâtre de verdure aménagé dans ces mêmes jardins qu’ont lieu diverses représentations théâtrales, mobilisant une nouvelle génération de dramaturges associés au courant « sentimentaliste », des auteurs et acteurs inspirés par les théories de Jean-Jacques Rousseau : les premiers jeux publics de passes magnétiques côtoient des mises en scène des bienfaits collectifs de la « sympathie morale ». Bastien et Bastienne, cette pièce d’opéra-bouffe probablement commanditée par Mesmer lui-même, est d’ailleurs l'adaptation d’une comédie de l’auteur de L’Émile. Quelques années plus tard, cette fois sous une forme parodique soulignant les liens entre politiques des corps, contrôle social et supercherie médicale, Amadeus évoquera le magnétisme animal dans Cosi fan tutte53, une œuvre manifestement inspirée par la multiplication des pièces théâtrales contre le mesmérisme qui se développent au cours de l’année 1784, année des rapports et de la publication du pamphlet L’Antimagnétisme, de Jean-Jacques Paulet. L’harmonica de verre est à la fois un instrument physique (terrestre) et moral (céleste), idéal pour se saisir des modes de circulation convoqués par le magnétisme animal, dans la tradition d’une « musique des humeurs » dont on retrouve encore l’esprit dans le Traité des effets de la musique sur le corps, de JosephLouis Roger (1803)54. C’est bien dans ce sens vibratoire A 22 HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 22 12/09/2020 00:15 1780-1800 qu’il faut comprendre le rôle joué par les instruments de musique dans la cure mesmérienne – ce que l’on peut lire dans une gravure d’époque, reprise d’un dessin de Claude Desrais, intitulée Le Baquet de Mr Mesmer ou Représentation fidelle des opérations du magnétisme animal. C’est là, dans l’image et le texte, une explication de la contagion émotionnelle par contact. Dans une salle adjacente, sous l’un des tableaux « allégoriques », se distinguent des musiciens, un archer et un violon à la main, qui diffusent une musique d’ambiance par une fenêtre ouverte sur la salle principale où se trouve le baquet. Dans son rapport, Benjamin Franklin évoque des « musiciens (qui) jouent dans l’antichambre des airs propres à exciter la gaîté chez les malades ». Est à remarquer le soin apporté par le graveur à souligner la place des mains des instrumentistes, rapportées rapidement aux passes du magnétiseur sur les sujets en pâmoison, avec la même insistance sur le frottement magnétique des corps. Le contact avec l’instrument est la première condition de l’effet du fluide : « Les magnétiseurs appuient leurs mains sur la partie malade et la frottent pendant quelque temps, cette opération hâte l’effet », rappelle non sans malice Benjamin Franklin55, avec un soin particulier à souligner le degré plus élevé de réactivité nerveuse des femmes à cette circulation fluidique56. Est dû au même Desrais un dessin consacré à une autre virtuose de l’harmonica de verre, Angelica Kauffmann57. Autour d’elle, le public mixte est en pâmoison, alors qu’au côté de l’harmonica trône une chaise vide sur laquelle a été déposée une flûte en surplomb, telle une forme subliminale qui souligne par sa connotation phallique la dimension érotique du concert. Dans une autre composition de la même époque, Angelica est représentée dans l’intimité de son atelier. Elle joue du même harmonica de verre devant cette fois un chevalet ainsi que plusieurs fragments de sculptures en plâtre, symboles de la conversation harmonique des arts, mais aussi de l’animation de ses créations plastiques au contact de la seule vibration sonore. Si le contact physique avec les coupelles cristallines prend autant d’importance dans l’influence de l’instrument, c’est bien aussi pour venir balayer la frontière entre le sujet et son environnement en élevant le corps sonore, véritable caisse de résonance, au rang de machinerie nerveuse. Ce sera l’un des tropes de la réception critique des séances mesmériennes. La simple contiguïté tactile avec l’instrument manifeste son emprise vibratoire. Se croisent ici les imaginaires fluido-magnétiques des cures et le développement d’une physique vibratoire, dans laquelle la diffusion sensible du son deviendrait accessible à l’œil nu, incitant à creuser plus avant les analogies physiques entre sons et lumières. Les expériences de Mesmer et leur versant musical sont contemporains des premières tentatives d’Ernst Florens Chladni, pionnier de l’acoustique, dont les expériences de visualisation du son héritent des premiers essais de transcription de la polarité électrique B réalisés vers 1776 par Georg Christoph Lichtenberg58, qui avait cherché à démontrer la nature polarisée des décharges électriques, en traduisant optiquement cette polarité sur une plaque de résine solidifiée par une couche de sulfure. Ces traces aux très belles ramifications réticulaires donnaient, de manière inédite, une forme tangible à un phénomène qui jusque-là restait de l’ordre de l’impondérable. Dans la foulée, l’expérience des plaques de Chladni conduisait ce principe d’une extension du visible vers la transcription optique des sonorités, saluant l’unité primordiale du son et de la lumière dans de curieux hiéroglyphes qui scandaient l’ordre caché du cosmos derrière le chaos des phénomènes, avec une figure de prédilection de cette épiphanie de l’invisible : la belle forme des symétries révélée par le jeu polarisé de la force électrique. Dans les faits et toujours sur le même mode analogique, la polarité du fluide magnétique de Mesmer semblait portée par la mise en évidence d’une électrification chimique de la perception. Ce sera celle qui fut reprise notamment par un jeune physicien allemand, Johann Wilhelm Ritter (un « vrai firmament de savoir descendu sur terre », dira Goethe), proche des milieux romantiques, ami de Novalis, Herder, Schelling, dont l’ouvrage majeur sur Le Système électrique des corps (1805) n’hésitera pas à établir une correspondance entre un œil galvanique et un corps magnétique (« On pourrait appeler l’œil, sous le rapport de la vision, un semi-conducteur […]. L’œil est-il pour la lumière une A. Angelica Kauffmann jouant de l’harmonica de verre, ca. 1790, gravure. B. André-Charles Deudon, Jacques-Georges Cousineau, Harmonica de verre, ca. 1790, bois de palissandre avec coupelles de verre, coll. musée de la Cité de la musique, Paris. 23 HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 23 12/09/2020 00:15 L’ I N V E N T I O N D E M E S M E R sorte de bouteille de Leyde ? Y est-elle condensée selon les mêmes lois que l’électricité dans le condensateur59 ? »), et plus encore, un lien « chimique » entre électricité et magnétisme comme en témoigne un des Fragments posthumes tirés des papiers d’un jeune physicien (1810) : « Le magnétisme est la polarité du temps, l’électricité, la polarité de l’espace […]. La polarité magnétique est une polarité de la volonté, du devenir, la polarité électrique est une polarité de l’Être. De la première relève la religion, l’art… » Ritter tente là de montrer combien il y a, dans cette traduction immédiate du son en lumière et vice versa, la possibilité (commune avec Mesmer) de retrouver un langage des origines, un langage immédiat, vibratoire, non conventionnel, confondant parole et écriture, dans la transduction électrique d’un son en forme : « Toute excitation électrique est accompagnée d’une vibration […]. Toute vibration donne un son, et donc une parole. Mais l’électricité produite se projette partout de manière à créer aussitôt une forme, et même la forme la précède et accompagne déjà sa production ; elle ne la trouve, préexistante, qu’en apparaissant elle-même60. » C’est selon Ritter un moyen de « rechercher par la voie de l’électricité l’écriture originelle ou naturelle61 », allant jusqu’à traquer la conscience elle-même dans le corps physique du son (« Jadis, toute conscience ne fut que son, ainsi que l’a magnifiquement montré, plus que tout autre, Herder »). En présentant le son comme un organisme vivant de vibrations, il lui donne aussi une capacité d’exprimer son désir d’entrer en résonance, en réciprocité, avec les autres consciences, dans une authentique politique du sensible : « Il se peut que tout accord soit peut-être déjà une compréhension réciproque entre … en présentant le son comme un organisme vivant de vibrations, il lui donne aussi une capacité d’exprimer son désir d’entrer en résonance, en réciprocité, avec les autres consciences… des sons, et qu’il nous parvienne en tant qu’unité déjà constituée. L’accord devient l’image d’une communauté d’esprits, de l’amour, de l’amitié, etc. L’harmonie, image idéale de la société […]. Mais outre que nous avons dans le son et la musique notre image même, nous y avons aussi notre société, un accompagnement, car dans le son nous fréquentons notre semblable. Cette fréquentation peut devenir pour nous la plus haute, car elle peut donner l’image de ce qui est si difficile à réaliser dans la vie : une relation devenue idéale avec notre entourage […]. En nous montrant comment un son, en accord, en appelle un autre, la musique nous donne un bel exemple à suivre. Si un être donne à la société le spectacle d’une vie bonne et conforme à l’ordre, A immanquablement il appellera et suscitera tout autour de lui la même harmonie, la même mélodie. Il sera pour la société un facteur d’organisation, d’harmonisation, de mélodisation, et elle représentera pour finir la même image que la musique62. » Mesmer ne pense pas autrement, convaincu de détenir non seulement le secret universel de la guérison, mais l’instrument visant une concorde harmonieuse des êtres par la concordance harmonique des sensibilités : une orchestration de la sympathie. C’est ce qu’Eliphas Levi appellera plus tard, la « physique sympathique de Mesmer63 », héritée d’une notion ancienne, voire archaïque, celle des « courants sympathiques » défendus par Paracelse, Van Helmont ou Kircher, reprise par Goethe, l’auteur des Affinités électives (1807), sous le nom de « cercle magique ». Car l’esthétique romantique tout comme le système de Mesmer sont habités par cet espace interpersonnel prémoderne, rempli de forces d’attraction, un milieu ambiant « saturé d’énergies symbiotiques, érotiques et mimétiques, concurrentielles, etc. »64, qui démentent fondamentalement l’illusion d’une autonomie du sujet. Dans ce transfert de forces, la relation entre médecin et patient se reverse tout naturellement sur celle que l’œuvre peut entretenir sur le mode de la fascination et de l’emprise consentie avec le public, une relation dont l’efficacité physique du rayonnement serait optimisée dans le « face à face magnétopathique ». Il faut se reporter pour cela au 238e paragraphe des fameux Aphorismes de Mesmer : « §238. La position respective de deux êtres, qui agissent l’un sur l’autre, n’est pas 24 HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 24 12/09/2020 00:15 1780-1800 indifférente ; pour juger quelle doit être cette position, il faut considérer chaque être comme un tout composé de diverses parties, possédant chacune une forme ou un mouvement tonique particulier ; on conçoit par ce moyen que deux êtres ont l’un sur l’autre la plus grande influence possible, lorsqu’ils sont placés de manière que leurs parties analogues agissent les unes sur les autres dans la position la plus exacte. Pour que deux hommes agissent le plus fortement possible l’un sur l’autre, il faut donc qu’ils soient placés en face l’un de l’autre. Dans cette position, ils provoquent l’intention de leurs propriétés d’une manière harmonique et peuvent être considérés comme reformant un tout65. » À noter ici l’injonction de trouver une juste place et position, juste, mais contraire dans sa promiscuité aux règles sociales de convenance, résistante aux « contours plus clairement tracés dans le système de délimitation du Moi au sein de la société bourgeoise66. » Car ce que pointe incidemment cette relation fusionnelle, c’est non seulement une déviance du rapprochement (immédiatement reprochée à Mesmer notamment dans le rapport secret de la commission royale), mais une perte d’autonomie du sujet, vécue comme une régression dans l’échelle évolutive des espèces. Une régression salutaire néanmoins selon les romantiques, dont le versant germanique, celui de la Naturphilosophie, visera précisément ce retour refoulé des attractions jusque dans la jouissance d’une confusion à l’autre proche de l’oubli de soi. Le traité Ueber Sympathie (De la sympathie), publié par Friedrich Hufeland en 1811 est, selon Peter Sloterdijk, le signe manifeste de « cette nouvelle alliance entre l’expérimentation magnétopathique de proximité et la philosophie évolutionnaire de la nature67. » Par « sympathie », Hufeland reconnaît des forces d’évolutions anciennes de l’organisme dont le propre serait une passivité face aux influences externes. Dans l’échelle des espèces, l’humain serait le moins affecté par ce mode « végétatif », à l’exception notoire d’une baisse de vigilance et d’assoupissement de sa conscience vécue dans le sommeil et ses états limitrophes. C’est dans cet état modifié de conscience que s’opère ce mode fusionnel recherché, car nulle part, dit Hufeland, « le rapport que nous appelons sympathie ou la dépendance de la vie individuelle ne se détache B A. Nos facultés sont en rapport, ca. 1784, aquatinte. B. Les Effets du magnétisme animal, ca. 1784, gravure, 18,7 x 26,6 cm, Bibliothèque nationale de France . 25 HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 25 12/09/2020 00:15 L’ I N V E N T I O N D E M E S M E R cin viennois par des articles au vitriol du Journal de médecine, ouvrant le débat public auquel répondent le Précis historique des faits relatifs au magnétisme animal (1781) ainsi que l’organisation de la fameuse Société de l’harmonie universelle qui regroupe les disciples orthodoxes de Mesmer69. Ce tissu de ralliement implanté sur tout le territoire sert à la fois la diffusion de la cause magnétique, mais aussi son discrédit, par la mise en avant d’arguments sur l’intérêt financier de Mesmer dans cette opération de divulgation d’un principe physique dont beaucoup tiennent à prouver l’inexistence, pour ne voir dans le magnétisme animal qu’une « médecine de l’imagination ». Les chansons populaires relaient ce scepticisme, posant Mesmer en grand manipulateur lubrique des consciences : « Que le charlatan Mesmer Avec un autre frater Guérisse mainte femelle Qu’il en tourne la cervelle En les tâtant ne sais où C’est fou Très fou Et je n’y crois pas du tout70. » A plus clairement d’une sphère vitale étrangère que dans le magnétisme animal, par lequel le sujet magnétisé, sacrifiant sa propre individualité, pour autant qu’il peut le faire sans perdre sa propre existence, et entrant dans la sphère vitale du magnétiseur, est soumis à la domination de celui-ci à un tel degré qu’il paraît pour ainsi dire lui appartenir comme une de ses parties, former avec lui un seul et même organisme68. » Le sacrifice du libre arbitre se transforme, dans une abdication grisante car consentie, en pure relation de confiance que l’intégrité des horizons thérapeutiques devait laver de tout soupçon d’abus de pouvoir. Hufeland mobilisera pour cela le modèle symbiotique de la relation de la mère à l’enfant, risquant l’analogie entre le rapport magnétique et la dyade amniotique pour aborder, à mots couverts, l’idée d’un transfert des plus physiologiques qui, après l’état de dépendance « enchantée » de la grossesse, menait vers l’émancipation toute naturelle d’un sujet ayant conquis son individuation, sans craindre de voir son intimité menacée. UNE « MÉDECINE DE L’IMAGINATION » LE PROCÈS DU MAGNÉTISME Car d’intimité il est beaucoup question au sein du magnétisme animal, en particulier dans sa réprobation officielle. Le succès public des cures de Mesmer (que certains ont pu comparer à un « avatar laïque du jansénisme »), ne manque pas d’ouvrir les hostilités par une guerre pamphlétaire corporatiste venue de la faculté de médecine, qui dès 1779 commence à attaquer le méde- B A. La Puissance du magnétisme, ca. 1784, gravure à l’eau-forte, 13 x 12,8 cm, Bibliothèque nationale de France. B. Caricature du magnétisme animal, ca. 1785. C. Le Doigt magique ou le magnétisme animal, Simius semper simius, gravure à l’eau-forte, 25,6 x 17 cm, Bibliothèque nationale de France. 26 HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 26 12/09/2020 00:15 C HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 27 12/09/2020 00:15 L’ I N V E N T I O N D E M E S M E R De nombreuses rumeurs circulent sur les dérives sensuelles des séances, où la pâmoison de nombreuses jeunes femmes du monde ne manque pas de susciter la crainte d’une contagion érotomane portant atteinte à la morale. À quoi venaient s’agréger, sur un horizon plus politique, les rapports de la police soulignant le danger de propagation d’idées sociales radicales séditieuses, liées à la fin des privilèges héréditaires71 et à la défense d’une « égalité entre les êtres72 ». L’ensemble de cette agitation, trouvant de très nombreux relais médiatiques dans les petites affiches placardées sur les murs de la capitale, conduit à la mise en place officielle, en mars 1784, de deux commissions d’enquête invitées à donner leur avis sur le protocole mesmérien. Les deux rapports des neuf commissaires venus de la faculté de médecine et de la faculté des sciences (mais aussi un troisième resté secret rédigé par Jean-Sylvain Bailly, consacré aux dangers pour les mœurs publiques) se fondent notamment sur des crises obtenues par la simple simulation d’une passe magnétique et une série d’« épreuves-pièges ». Ainsi ils faisaient croire aux patients qu’on les magnétisait alors qu’il n’en était rien, pour conclure à l’inexistence du fluide, les convulsions étant interprétées comme de simples réactions à un conditionnement de l’imagination « exaltée, affaiblie ou troublée » des sujets73. La mesure de condamnation est confirmée le 23 octobre 1784. Thomas Jefferson, en voyage à Paris, note dans son journal à la date du 5 février 1785 : « Magnétisme animal, mort sous le ridicule. » Mesmer et ses adeptes, convertis en disciples sectaires, se retrouvent très vite protagonistes de nombreuses pièces calomnieuses. En novembre 1784 a lieu sur la scène de la Comédie italienne la première d’un vaudeville intitulé Les Docteurs modernes74, qui pointe pêle-mêle les fourberies du « médecin riche », la naïveté des « patients fous » et le théâtre hystérique des séances qui, nous dit Jean-Jacques Paulet, « fait remuer le plus de têtes75 ». De nombreuses caricatures vont relayer par l’image la condamnation morale de ce qui est présenté comme une double escroquerie. Certaines, comme Le A 28 HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 28 12/09/2020 00:15 1780-1800 B Mesmérisme à tous les diables, insistent sur la collusion entre crédulité, foi et intérêt : « Oh vous voyez comme le Sieur Mesmer veut magnétiser le diable et que le diable l’emporte tandis que les louis d’or s’échappent de la poche du Sieur Mesmer », lit-on dans la légende. Dans une autre, Le Magnétisme dévoilé, ce sont les tables de la loi, incarnées ici par le rapport brandi par Benjamin Franklin, qui confondent la légitimité juridique du médecin charlatan. La plus connue, dite Le Doigt magique, met en scène Mesmer, dont la poche du manteau est remplie de pièces, portant la main sur une jeune aristocrate. La charge sexuelle est au cœur de la didactique irrévérencieuse de l’image : entre le doigt phallique, les oreilles d’âne érectiles et surtout une queue redressée, sortant de l’arrière du manteau, tout porte vers un dévoiement érotomane d’une thaumaturgie rabattue à la lubricité d’attouchements volés. Deux enseignements ressortent de cette querelle en images. Le premier tient à la déqualification scientifique du magnétisme, le baquet ramené aux sortilèges de la magie noire et le fluide aux hypothèses de l’astrologie divinatoire. Le second tient à la condamnation morale entre extorsion, abus de pouvoir et manipulation, avec pour figure iconographique commune celle du médecin (ou du patient) converti en animal, l’âne en première ligne. Dans Le Doigt magique, Mesmer est affublé non seulement d’une tête, mais d’une queue de baudet. Ridicule d’une autorité médicale camouflant la sottise, mais aussi camouflage d’une régression animale sous couvert de l’habit civilisé du guérisseur. Dans La Puissance du magnétisme, ce sont âne et dindon qui s’interposent « par devant » et « par derrière » autour du patient pris en otage par la cupidité des faux médecins, avec son lot de références scatologiques. La légende ajoute le texte à l’image : « Hélas ! Messieurs contemplez ma misère. L’un par devant plus traître qu’un corsaire. A. Le Magnétisme dévoilé, 1784-1785, gravure à l’eau-forte, Bibliothèque nationale de France. B. Le Mesmérisme à tous les diables, ca. 1784, gravure à l’eau-forte et au burin coloriée, 23,3 x 32 cm. C. Pièce facétieuse sur le magnétisme, ca. 1784, gravure à l’eau-forte, Bibliothèque nationale de France. 29 HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 29 12/09/2020 00:15 L’ I N V E N T I O N D E M E S M E R C HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 30 12/09/2020 00:15 1780-1800 HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 31 12/09/2020 00:15 L’ I N V E N T I O N D E M E S M E R Impitoiablement me fait d.[égueuler] L’autre m’attaquant par derrière. Très amplement me fait F.[oirer]. Quant au troisième, il n’est pas si sévère, Mais le petit fripon aime à se régaler. » On remarquera ici que les mots tronqués sont remplacés, sur l’estampe, par de petites icones illustrant les gestes déplacés. C’est bien le spectre de l’animalité qui devient ici le ressort de la mise au ban de la relation magnétique, cherchant à libérer le sujet sous emprise d’une physique de l’influence immédiatement qualifiée d’archaïque et même de régressive. Ce que laissent entendre ces caricatures, au-delà des poncifs de la charge contre la débilité des croyances, c’est non seulement un affaiblissement des codes de conduite, mais la menace d’une plus grande porosité entre espèces, disqualifiant, dans la prétendue solution à la santé physique et morale des individus, l’évolution d’une espèce humaine abâtardie. … de nombreuses caricatures vont relayer par l’image la condamnation morale de ce qui est présenté comme une double escroquerie… D’où le montage saisissant de cette autre image infamante, intitulée Les Effets du magnétisme… animal. La scène, située en ville, décrit une bande de colporteurs musiciens, l’un portant un cor, l’autre jouant du violon, cernée par une meute de chiens enragés. Sur un pignon de mur, on distingue une affiche publique tronquée, laissant lire « LES DO Moder », allusion écornée mais évidente à l’annonce de la pièce Les Docteurs modernes. Le risque pointé est bien celui de la contagion ou contamination collective à partir d’un remède qui, dans le jeu de sa circulation, se révélerait plus dangereux que le mal lui-même par sa seule qualification de « fluide animal », dont la prétention à libérer le sujet d’un mal intérieur ne ferait que révéler au grand jour, notamment sous la forme de la crise, la part de la bête prenant possession du corps de l’ange, sur le mode visuel de la métamorphose. Plutôt que de souligner une complicité instinctive entre les hommes et les bêtes, c’est bien le risque de revenir, par un tropplein d’émotions incontrôlées, à l’état animal, qui est saisi comme une arme. La condamnation du mesmérisme est d’abord une résistance à l’énigme de la nature incertaine de l’homme face à un savoir supposé du comportement animal. Ou comment raccorder, sous un même principe primordial, intelligence et instinct, en cherchant à identifier, comme le fera beaucoup plus tard Bergson, ce qui chez « l’homme chevauche l’animalité » par le seul fait que « l’instinct est sympathie76. » C’est ainsi que s’opère assez clairement une équivalence entre animalité et intensité, quand les figures du bestiaire viennent contaminer l’espace public de la crise magnétique, dans une forme à peine voilée d’éthologie des affects, allant rapidement de l’animalité à l’art et vice versa. Bientôt le philosophe Maine de Biran, qui se penchera sur l’énigme du mesmérisme, passera de ses Notes sur le traité de la nature des animaux (1794) à son Mémoire sur les perceptions obscures ou sur les impressions générales affectives et les sympathies en particulier (1807)77. Pourquoi cette circulation ? Parce qu’elle laisse poindre une plus subtile interrogation sur les liens entre chimères de l’imagination, raison humaine et animalité. C’est cette économie animale de l’imagination (et la médiation sensible du désir dans cette circulation) qui nous intéresse ici. Car dans la querelle qui oppose Mesmer, ses disciples et les commissions royales, c’est bien la notion d’imagination qui est en cause, pour l’opposer à l’inexistence physique du fluide. C’est aussi à partir de ce même concept que les propres défenseurs de Mesmer vont tenter d’éclaircir une notion encore floue. Ainsi de Nicolas Bergasse qui, à l’issue de la condamnation officielle de 1784, se demande « ce que c’est que l’imagination » : ce serait la faculté qui rend présents des objets absents par le moyen d’impressions similaires78. L’imagination serait capable non seulement de produire des « illusions », mais aussi de déplacer des forces et de produire des attractions entre les corps et les consciences. Ainsi du système élaboré par William Maxwell, pour qui l’imagination agit au moyen d’une force vitale qui transmet à distance l’esprit d’un sujet vers un autre – un esprit qui pourrait être dirigé par la force des aimants ou des « onguents magnétiques79 », une force que certains médecins, comme Louis Claude Macquart dans son article sur « l’imagination » publié dans les colonnes de L’Encyclopédie méthodique de médecine (1798), rapprochaient de la sensibilité dans le génie inventif. Ce qui peut à ce stade retenir notre attention, c’est la multiplication des explications physiques de cette « transmission à distance » du pouvoir de l’imagination, héritière d’une longue tradition qui ne s’est pas totalement éteinte au siècle des Lumières. Ainsi, selon l’auteur du Naturalisme des convulsions, Hecquet, c’est par le biais d’oscillations physiques ondulatoires que se propagent dans l’air les esprits « élastiques », passant d’un sujet à un autre par effet de contagion. Or, la circulation de ces effluves est donnée pour explication du phénomène même de la représentation – pouvant donner explication, par extension, à la contagion émotionnelle au théâtre. Comme le rappelle Koen Vermeir, « ces esprits transportent également des idées qu’ils ont contractées dans le corps du convulsionnaire. Après avoir été transmises par l’air, ces idées pénètrent par le nez, les oreilles et les pores de la peau des spectateurs. De cette façon elles finissent par impressionner leurs esprits […]. Par conséquent, les spectateurs sont comme des cordes vibrantes, activées par une action à distance et réagissant à l’unisson “nous soulignons”80 ». L’analogie de la A. The Magnetism, 1783, gravure de Toyug à partir d’un lavis de Sergent, gravure en couleurs, diam. 13,5 cm, Bibliothèque nationale de France. 32 HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 32 12/09/2020 00:15 A HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 33 12/09/2020 00:15 A HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 34 12/09/2020 00:15 1780-1800 corde est décisive ; elle est retrouvée telle quelle dans le modèle vibratoire développé, à l’aube du XXe siècle, dans le champ des avant-gardes par Kandinsky notamment, pour expliquer le phénomène de transmission émotionnelle entre le créateur et le spectateur sur le principe d’une mise au diapason. Pour le moment, ce qui se joue là, c’est bien l’efficace de l’analogie entre fluide et imagination, l’imagination elle-même traduite en ondes physiques ou vapeurs circulant de corps en corps, comme un agent matériel combinant « physique » et « moral ». « TÊTES DE CARACTÈRE » D’UNE THÉORIE DES EXPRESSIONS À UN AGENCEMENT DE LA SENSIBILITÉ Un corps au diapason de la psyché, qu’il traduit plus qu’il n’enferme : voilà qui nous renvoie aux modèles fournis par la science de la physionomie (ou physiognomonie) et ses applications artistiques. La physionomie est, on le sait, l’art de repérer dans l’apparence physique d’une personne, principalement dans les traits de son visage et de sa silhouette, des indices de son caractère et de sa personnalité. Or, elle a connu avec Le Brun, notamment dans ses Conférences sur l’expression des différents caractères des passions publiées en 1702, un développement zoologique qui ne peut que retenir notre attention puisqu’il consiste justement à comparer face humaine et profil animal, à relever ce qui « chevauche » l’animal dans l’humain au service d’une théorie esthétique de l’expression et de ses modes de codification, que Descartes par exemple avait déjà cherché avant lui à expliquer à partir d’une circulation, invisible à l’œil, des « esprits animaux ». Ce qui restait irrésolu dans cette quête d’un atlas des « attitudes passionnelles », c’était justement de surpasser l’obstacle d’un « écart infranchissable entre la connaissance systématique des passions et la description de leur perception », quand « l’analytique des passions, leur dénombrement et leur séparation » ne semblaient pas avoir de « correspondance exacte dans l’ordre du perçu81 ». De construire donc une grammaire du visible jusque dans le débordement des émotions, ce que fera justement, à sa manière interlope, le sculpteur Franz Xaver Messerschmidt avec ses fameuses Têtes de caractère, dont l’outrance grimacière relevait plutôt de la mise au défi des tentatives rationnelles de catégorisation. Or, l’on doit à Messerschmidt un Buste de Mesmer, premier témoignage le plus notoire de leur relation. Cette connivence, proche de la complicité, a été préparée très tôt, dans les jardins de la résidence de Landstrasse, où Mesmer a fait construire en 1770 une fontaine confiée à Messerschmidt. Comme a pu l’analyser Bruno Belhoste82 à partir d’une description détaillée parue dans le Wienerisches Diarium, probablement due au critique Franz Christoph von Scheyb, la fontaine met en scène une jeune femme sortant un B enfant tombé dans le bassin, deux autres bambins à leurs côtés emportés par le mouvement, soit un motif illustrant de manière allégorique l’instinct de protection maternelle avec une résonance toute sentimentaliste. Mesmer aura été non seulement commanditaire, mais ami et voisin de l’artiste, un compatriote originaire de la Souabe, installé dans une adresse de la Landstrasse, à quelques rues du palais du médecin, en vogue depuis 1769, date de la réalisation de ses premiers bustes en alliage de plomb, dont l’un est celui de Franz von Scheyb et l’autre, toujours en ronde-bosse, celui de Mesmer lui-même, en dépôt aujourd’hui dans les collections du musée du Belvedère de Vienne. Le style de ces bustes est plus naturaliste que les fameuses « têtes de caractère » au vocabulaire baroque. Mesmer y est représenté dans une pose plutôt hiératique et frontale, très éloignée de la mimique faciale exacerbée de ce qui a fait la renommée du sculpteur converti en sondeur de l’expression pathétique. L’hypothèse avancée par Bruno Belhoste, en A. Mesmer à mi-corps, de profil ovale, aquatinte, 12,5 x 10,8 cm, Bibliothèque nationale de France. B. Franz Xaver Messerschmidt, Buste de Mesmer, 1770, plomb, 48 cm, Vienne. 35 HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 35 12/09/2020 00:15 L’ I N V E N T I O N D E M E S M E R dialogue avec Michael Krapf83, serait que les Têtes de Messerschmidt, réalisées entre 1770 et 1783, sont redevables pour partie dans leur séquence, au système « harmonique » du magnétisme animal. Selon Krapf, certaines têtes représenteraient des sujets placés en traitement magnétique84, notamment deux versions dans lesquelles apparaît une cordelette autour de la tête ou sur la bouche. Dans ce sens, le passage d’une grimace aux yeux écarquillés vers un rictus aux yeux fermés semble marquer la transition vers un état d’asthénie où l’usage des sens externes est suspendu au profit d’un « sens interne », dont le recours en crise magnétique gagerait d’un possible retour à l’équilibre, celui vers lequel tendra la version plus paisible dite L’Homme au noble cœur. Ce sont là des interprétations sur lesquelles il est possible de faire reposer notre hypothèse d’un lien établi entre mesmérisme, théorie des expressions et efficace de l’art. Car, que les Têtes de caractère de Messerschmidt soient ou non des applications dans le médium de sculpture des théories du magnétisme animal, elles traduisent, jusque dans leur pathogénie caricaturale, la volonté rationnelle de faire du corps la surface de traduction somatique des affects85. Certains peintres s’en souviendront, notamment ceux qui pour des raisons plus circonstanciées, auront adhéré aux thèses diffusées par Mesmer. Parmi les membres de la Société de l’harmonie universelle, on recense plusieurs artistes. Le peintre Claude Bigaut (1754-1794) est présenté devant la Société le 5 janvier 1786 : il en deviendra membre sous le numéro 386. Michel-Honoré Bounieu (1740-1814), lui aussi membre de la Société, est un peintre formé dans l’atelier de Jean-Baptiste-Marie Pierre ; il est membre de l’Académie de peinture depuis 1767, mais aussi conservateur des estampes à la Bibliothèque nationale entre 1792 et 1794. Il expose au Salon des peintures d’histoire, des paysages et des tableaux de genre, dans lequel il met en application ses savoirs sur les courants (il est l’auteur d’un ouvrage savant intitulé Opinion sur la cause du flux et du reflux de la mer), dont les hypothèses sur un mouvement périodique et alternatif se trouvent aussi chez Mesmer. Antoine Vestier (1740-1824), peintre du Roi, est aussi sociétaire, ainsi que le peintre et graveur Jean-Pierre Houël (1735-1813), présenté le 18 mars 1786 au Comité de l’antenne parisienne de la Société. Le cas de Philippe Jacques de Loutherbourg (17401812) est peut-être plus intéressant encore. Membre de l’Académie de peinture, il suit à distance les disciples de Mesmer, sa réputation de libertin l’ayant conduit à Londres, afin d’éviter la sanction pénale de scandales publics, où il deviendra le décorateur du Drury Lane Theater ; il y inventera de nombreux procédés techniques d’effets spéciaux. C’est là peut-être que se manifeste au mieux l’influence diffuse des théo- ries magnétiques sur la réflexion menées autour d’un efficace de la mise en scène théâtrale ; le modèle cosmo-fluidique transcrit dans la circulation environnementale d’effets chromo-lumineux révélant au public les circuits de communication interpersonnelle invisibles à l’œil nu, dans des sensations d’irradiation, appelés à mettre au grand jour la « sphère d’activité » reliant chacun aux autres et au monde86. Mesmer aura au moins donné un nom à cette nouvelle perception étendue, le « sens intérieur […] qui pourrait être considéré comme une extension de la vue », et une fonction, celle de mettre chaque être « en relation avec l’ensemble de l’univers87 ». … un lien établi entre mesmérisme, théorie des expressions et efficace de l’art… Car ce qui aura été le propre de la pratique élaborée par Mesmer et ses disciples, c’est bien, comme a pu le montrer François Azouvi, de placer « la sensation en clé de voûte de l’édifice88 ». Et plus encore de coller le sort de la sensation à l’éveil physique des sentiments : « Le magnétisme doit en premier lieu se transmettre par le sentiment », rappelle Mesmer dans son Précis historique. Le fluide, en s’insinuant dans toutes les fibres nerveuses du corps, en envahissant littéralement le sensorium, affirme un principe d’animation « universellement répandu et continué, de manière à ne souffrir aucun vide89 ». L’espace ambiant unifiant microcosme et macrocosme devient un système d’influences qui cache difficilement un rêve de domination. La médiation et ses modes conducteurs de transmission et d’amplification sont pris ici dans le sens d’une maîtrise complète de la sensibilité. Le magnétisme animal n’existe que dans l’épreuve réussie de la crise, c’est-à-dire dans une forme de résistance à la douleur qui annonce déjà la libération des forces : « Vérité théorique, le mesmérisme a sa condition de possibilité dans une sensation : il faut qu’il soit vérité sensible pour parvenir à la lumière90. » Ou comment chercher à amplifier la sensibilité pour augmenter le champ de la conscience, en plongeant l’être isolé dans une totalité harmonique, un « océan de fluides » par lequel on accède pleinement à une « communication de la volonté91 ». Ce sera l’horizon des romantiques, avides de retrouver les traces d’un « sens commun ». Le somnambulisme artificiel, nouveau nom donné au magnétisme animal condamné, va fournir les armes de ce projet. A. Gravure de Boullay, costume de Pierson pour Les Solliciteurs et les Fous, comédie de Melesville et Gabriel, eau-forte en couleurs, 23 x 14,5 cm. 36 HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 36 12/09/2020 00:15 A HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 37 12/09/2020 00:15 L’ I N V E N T I O N D E M E S M E R NOTES 1. François Zanetti, « Magnétisme animal et électricité médicale au dix-huitième siècle », dans Bruno Belhoste et Nicole Edelman (éd.), Mesmer et mesmérismes. Le magnétisme animal en contexte, Montreuil, Omniscience, 2015, p. 103-118. 2. Franz Anton Mesmer, Dissertatio physico-medica de planetarum influxu, 1776, selon la traduction de B. Belhoste. 3. Franck A. Pattie, « Mesmer’s medical dissertation and its debt to Mead’s De imperio solis ac lunae », Journal of the History of Medicine and Allied Sciences, Vol.11, July 1956, p. 275–287. 4. F. A. Mesmer, selon la traduction de B. Belhoste. 5. René Roussillon, Du baquet de Mesmer au baquet de S. Freud, Paris, PUF, 1992, p. 22. 6. F. A. Mesmer, Aphorismes de M. Mesmer dictés à l’assemblée de ses élèves et dans lesquels on trouve ses principes, sa théorie & les moyens de magnétiser, Paris, Quinquet, 1785, p. 109. 7. Ibidem, p. 109-110. 8. Ibid., p. 96. 9. Ibid., p. 96. 10. Ibid., p. 97-98. 11. Ibid., p. 101. 12. Ibid., p. 161. 13. Ibid., p. 97. 14.[Anon.], Cancans magnétiques, Paris, 1836, p. 2. 15. Ulrike Krampl, « L’événement Mesmer ou la doctrine altérée », dans B. Belhoste et N. Edelman (éd.), Mesmer et mesmérismes. Le magnétisme animal en contexte, op. cit., p. 73. 16. Barbara Stafford, Artful Science. Enlightenment Entertainment and the Eclipse of Visual Education, Cambridge, MIT Press, 1994. 17. Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval et Dominique Quéro (éd.), Les Théâtres de société au XVIIIe siècle, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 2005. 18. Jean-Jacques Paulet, Mesmer justifié, Paris, Constance, 1784, p. 2-3, cité par B. Belhoste, « Mesmer et la diffusion du magnétisme animal à Paris (1778-1803) », dans B. Belhosté et N. Edelman (éd.), Mesmer et mesmérismes, op. cit., p. 45. 19. Ibidem, p. 22. 20. M. d’Eslon, Observations sur le magnétisme animal, Paris, Didot, 1780, p. 73. 21. Ibidem, p. 94. 22. F. A. Mesmer, « Avant-propos », Mémoire de F. A. Mesmer, docteur en médecine sur ses découvertes, Paris, Fuchs, an VII, p. VI. 23. J. Goulin, « Sur le magnétisme animal », juin 1784, bibliothèque municipale de Reims. Ce manuscrit a été retrouvé par B. Belhoste dans le cadre du programme de recherche Harmonia Universalis. 24. Robert Darnton, La Fin des Lumières. Le mesmérisme et la Révolution, Paris, Perrin, 1984. 25. F. A. Mesmer, Aphorismes de M. Mesmer dictés…, op. cit., p. 140. 26. Ibidem, p. 58. 27. Auguste Tardy de Montravel, Essai sur la théorie du somnambulisme, Londres, 1785, p. 104. 28. « Rien n’est plus étonnant que le spectacle de ces convulsions, quand on ne l’a point vu, on ne peut s’en faire une idée. » Rapport des commissaires chargés par le Roi de l’examen du magnétisme animal, Paris, 1784, cité par U. Krampl, « L’événement Mesmer ou la doctrine altérée », dans B. Belhoste et N. Edelman (éd.), Mesmer et mesmérismes…, op. cit., p. 73. 29. J.-J. Paulet, Mesmer justifié, op. cit., 1784, p. 27-28. 30. F. A. Mesmer, Mémoire sur la découverte du magnétisme animal, cité par S. Hammoud, Mesmérisme et romantisme allemand (1766-1829), Paris, L’Harmattan, 1994, p. 52. 31. Ibidem, p. 29. 32. F. A. Mesmer, Précis historique des faits relatifs au magnétisme animal jusques en avril 1781, Paris, Gastelier, 1781, p. 22. 33. Ibidem, p. 24. 34. Ibid., p. 23. 35. Ibid., p. 25. 36. F. A. Mesmer, Mémoire sur la découverte du magnétisme animal, cité par S. Hammoud, Mesmérisme et romantisme allemand (1766-1829), Paris, L’Harmattan, 1994, p. 48. 37. F. A. Mesmer cité par S. Hammoud, op. cit., p. 58. 38. James Kenneway (éd.), Music and the Nerves (17001900), New York, Palgrave Macmillan, 2014. 39. J. Kennaway, Bad Vibrations. The History of the Idea of Music as a Cause of Disease, Surray, Ashgate, 2012. 40. Johann Georg Sulzer cité par Matthew Riley, Musical Listening in the German Enlightenment, Aldershot, 2004, p. 72. 41. Wilhelm Wackenroder et Ludwig Tieck, Les Épanchements d’un moine ami des arts suivi de Fantaisies sur l’art, édition établie par Charles Leblanc et Olivier Schefer, Paris, Corti, 2009, p. 226. 42. Ibidem, p. 230. 43. Ibid., p. 231. 44. « Observations on animal magnetism », Blackwood’s Edinburgh Magazine, septembre 1817, cité dans William Hughes, That Devil’s Trick. Hypnotism and the Victorian Popular Imagination, Manchester, Manchester University Press, 2015, p. 38 45. « The magnetiser had previously charged the pianoforte with magnetic fluid », [anon.], « Popular science », The Lady’s Newspaper, janvier 1847, cité dans ibidem, p. 38. 46. Édouard Power Biggs, « Benjamin Franklin and the armonica », Daedalus, vol. 86, n° 3, mai 1957, p. 231-241. 47. James Kenneway, Bad Vibrations. The History of the Idea of Music as a Cause of Disease, Farnham, Ashgate, 2012, p. 47. 48. Frank Stanisch, « The human nervous system – a clavichord? On the use of metaphors in the History of modern neurology », dans Clifford Rose (éd.), The Neurology of Music, Londres, Imperial College Press, 2010, p. 73-101. 49. Carmel Raz, « The expressive organ within us. Ether, ethereality and early romantic ideas about music and the nerves », 19th Century Music, vol. 38, n° 2, automne 2014, p. 115-144. 50. Mémoire de F. A. Mesmer, docteur en médecine sur ses découvertes, Paris, Fuchs, an VII, p. 117. 51. Emily Anderson (éd.), The Letters of Mozart and his Family, Londres, 1966, p. 235 et 236. 52. Andrew Steptoe, « Mozart, Mesmer and Cosi Fan Tutte », Music & Letters, vol. 67, n° 3, juillet 1986, p. 248255. 53. Pierpaolo Polzonetti, « Mesmerizing aduletry : Cosi fan tutte and the Kornman scandal », Cambridge Opera Journal, vol. 14, n° 3, p. 263-296. 54. Hyatt King, « The musical glasses and glass harmonica », Proceedings of the Royal Musical Association, 1945, p. 97-122. 55. Benjamin Franklin, Commission chargée de l’examen du magnétisme animal, 1784, cité par Heather Hadlock, « Sonorous Bodies : Women and the Glass Harmonica », Journal of the American Musicological Society, vol. 53, n° 3, automne 2000, p. 530. 56. H. Hadlock, art. cit., p. 507-542. 57. Freia Hofmmann, Instrument und Korpers. Die musizierende Frau in der bürgerlichen Kultur, Lepizig, Insel Verlag, 1991, p. 59. 58. Siegfried Zielinski, « Electrification, tele-writing, seeing close up : Johann Wilhelm Ritter, Joseph Chudy and Jan Evangelista Purkyne », Deep Time of the Media. Toward an Archeology of Hearing and Seeing by Technical Means, Cambridge, MIT Press, 2006, p. 159-203. 59. J. W. Ritter, Fragments posthumes tirés des papiers d’un jeune physicien. Vade-mecum à l’usage des amis de la nature, Charenton, Premières pierres, 2001, p. 145. 60. Ibidem, p. 262. 61. Ibid., p. 262. 62. Ibid., p. 263-264. 63. « La grande chose du XVIIIe siècle, ce n’est pas l’Encyclopédie […], c’est la physique sympathique et miraculeuse de Mesmer ! Mesmer est grand comme Prométhée. » Eliphas Levi, Histoire de la magie, cité par S. Hammoud, Mesmérisme et romantisme allemand, op. cit., p. 64. 64. Peter Sloterdijk, Bulles. Sphères 1, Paris, Pluriel, 2002 [1998], p. 228. 65. F. A. Mesmer, Aphorismes de M. Mesmer, op. cit., p. 84-85. 66. P. Sloterdijk, Bulles, op. cit., p. 251. 67. Ibidem, p. 262. 68. Friedrich Hufeland, Ueber Sympathie, Weimar, 1811, cité par P. Sloterdijk, Bulles, op. cit., p. 264. 69. B. Belhoste, « Mesmer et la diffusion du magnétisme animal à Paris (1778-1803) », dans B. Belhoste et N. Edelman (éd.), Mesmer et mesmérismes, op. cit., p. 21-61. 70. Petites affiches, ca. 1784, cité dans Robert Darnton, La Fin des Lumières, op. cit., p. 58. 71. Nicolas Bergasse, Observations sur le préjugé de la noblesse héréditaire, Londres, 1789. 72. Jean-Pierre Brissot, cité par R. Darnton, La Fin des Lumières, op. cit., p. 119. 73. Rapport des commissaires chargés par le roi de l’examen du magnétisme animal, Paris, 1784. Rapports des commissaires de Société royale de médecine, nommés par le roi pour faire l’examen du magnétisme animal, Paris, 1784. 74. Les Docteurs modernes, comédie-parade en un acte et en vaudeville, suivie du Baquet de Santé, divertissement analogue, mêlé de couplets. 75. « Ce goût pour les choses voilées à sens mystique, allégorique, est devenu général dans Paris et occupe aujourd’hui presque tous les gens aisés… Mais le magnétisme animal considéré en grand, est dans ce moment le joujou le plus à la mode et qui fait remuer le plus de têtes. » J.-J. Paulet, L’Antimagnétisme ou Origine, progrès, décadence, renouvellement et réfutation du magnétisme animal, Londres, 1784, p. 3. 76. Henri Bergson, Œuvres, Paris, PUF, 1970, p. 725 et 645. 77. Voir R. Bellour, Le Corps du cinéma. Hypnoses, émotions, animalités, Paris, POL, 2009, p. 425. 78. N. Bergasse, Considérations sur le magnétisme animal, ou sur la théorie du monde et des êtres organisés d’après les principes de M. Mesmer, La Haye, 1784, p. 122. 79. W. Maxwell, De medicina magnetica libri, III, cité par Koen Vermeir, « Guérir ceux qui croient : le mesmérisme et l’imagination historique », dans B. Belhoste et N. Edelman (éd.), Mesmer et mesmérismes. op.cit., p. 134-135. 80. K. Vermeir, art. cit., p. 138. 81. Adriana Bontea, « Regarder et lire : la théorie de l’expression selon Charles Le Brun », MLN, vol. 123, n° 4, septembre 2008, p. 865. 82. Dans une importante biographie de Mesmer à paraître. Je remercie chaleureusement Bruno Belhoste de m’avoir confié le manuscrit de son ouvrage en cours. 83. Michael Krapf (éd.), Franz Xaver Messerschmidt 17361783, Ostfildern-Ruit, Hatje-Cantz, 2002. 84. Cette interprétation a été repoussée par Maria Pötzl-Malikova, « Zur Beziehung F. A. Mesmer et Franz Xaver Messerschmidt : Eine Wiedergefundene Büste des berühmten Magnetiseurs, » Wiener Jahrbuch für Kunstgeschichte 40 (1987) : 257-267. 85. Tijana Zakula, « Understanding the passions in the Age of Reason : another look at Messerschmidt’s Character Heads », Simiolus. Netherlands Quaterly for the History of Art, vol. 37, n° 3/4, 2013, p. 240-248. 86. « Chaque homme, en tous lieux et dans tous les instants, est donc en relation avec tous les êtres qui se trouvent compris dans sa sphère d’activité ; mais dans l’état de veille, il ne peut s’apercevoir de cette relation, parce qu’alors les… » 87. F. A. Mesmer, Mémoire sur la découverte du magnétisme animal, op. cit., p. 50. 88. François Azouvi, « Magnétisme animal. La sensation infinie », Dix-huitième siècle, n° 23, 1991, p. 107. 89. F. A. Mesmer, Mémoire sur la découverte du magnétisme animal, op. cit., p. 76. 90. F. Azouvi, « Magnétisme animal… », art. cit., p. 114. 91. F. A. Mesmer, Deuxième mémoire, an VII, cité par Jean Starobinski, La Relation critique, Paris, Gallimard, 1970, p. 203. 38 HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 38 12/09/2020 00:15 HYPNOSE_01-Cooper-CC2018.indd 39 12/09/2020 00:15 HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 40 12/09/2020 00:28 LA VAGUE DES SOMNAMBULES 1800-1830 HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 41 12/09/2020 00:28 A HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 42 12/09/2020 00:28 La condamnation publique du magnétisme animal en 1784 n’a pas désarmé les défenseurs du système établi par Mesmer. Avec le réseau social créé autour de la Société de l’harmonie universelle, se diffusent des solutions alternatives qui prendront corps dans les propres arguments dénonciateurs des deux commissions, notamment autour de la critique d’une « médecine de l’imagination » en l’absence d’une observation de la réalité physique d’un quelconque fluide magnétique : « L’imagination sans magnétisme, produit des convulsions et […] le magnétisme sans l’imagination, ne produit rien1. » Car c’est bien le pouvoir plus psychique que physique de l’imagination qui va prendre le relais, servant immédiatement la cause d’un rapprochement avec le principe d’une créativité augmentée sous états modifiés de conscience. Les milieux artistiques vont s’appuyer sur une subjectivité non plus homogène et permanente, mais variable et à plusieurs voix, jouant sur la gradation des niveaux de conscience d’une part, et sur les mécanismes de dédoublement de personnalité d’autre part, pour optimiser les procédés de l’invention formelle et conceptuelle. La première moitié du XIXe siècle, très marquée par l’esthétique romantique, va subir le charme et l’envoûtement de cette clinique visionnaire du « somnambulisme artificiel », qui, malgré la crainte d’une dissolution du moi au risque de l’aliénation, va porter la figure du somnambule au rang de modèle idéal et performatif de l’artiste clairvoyant. Avec le ou la somnambule, c’est bien l’aventure d’une « imagination créatrice » qui refait surface dans ce que l’on appelle déjà le « phénomène du sommeil » et ses manifestations paradoxales au-delà du périmètre restreint de la raison éveillée. L’accès à l’état somnambulique devient le tremplin d’une innovation artistique balayant, jusque dans les réflexes nerveux de l’automatisme, les poncifs de la tradition et de l’académie. « L’INTUITIVE CLAIRVOYANCE » PUYSÉGUR ET LE SOMNAMBULISME ARTIFICIEL La révolution du somnambulisme s’opère avec un disciple direct de Mesmer, le marquis de Puységur (17511825). Militaire de carrière, colonel d’artillerie auteur de traités techniques sur les armes à feu, celui-ci découvre le magnétisme animal par l’intermédiaire de son frère cadet, Antoine de Chastenet, qui le met en contact en 1782 avec une branche de la Société de l’harmonie. Les procès de 1784, qui ont mis à mal le traitement magnétique et l’existence d’un fluide universel, vont conduire Puységur à reporter l’explication physiologique du rapport magnétique vers une interprétation plus psychologique. Le sujet est beaucoup plus proactif, l’agent de la magnétisation étant désormais rivé sur la volonté de l’opérateur qui, loin de s’imposer au premier, viendrait A. Dessin de Fluidus dans le Nouvel almanach magnétique, 1856. 43 HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 43 12/09/2020 00:28 L A VA G U E D E S S O M N A M B U L E S cet état intermédiaire entre veille et sommeil, générateur de nouvelles capacités sensibles et cognitives, qui va produire le cœur de la révolution somnambulique jusque dans sa dimension politique. Dans ce sommeil paradoxal, Victor se découvre des talents d’autoanalyse et d’orateur insoupçonnés pour une personne de sa condition. Il dialogue avec son maître et médecin, dans une curieuse complicité à laquelle l’ordre social ne prédisposait pas. Il diagnostique sa propre maladie, indique les organes fragilisés, anticipe sur l’évolution de ses pathologies par une curieuse faculté d’endoscopie. Sa vue n’est pas seulement autoprescriptive, elle devient proprement visionnaire. Puységur va nommer cet état singulier le « somnambulisme artificiel » pour le distinguer du « somnambulisme naturel », nettement plus automate, accordant une part décisive à la dynamique de la relation à double sens entre le thérapeute et son patient. Comme le rappelle Olivier Schefer, « l’un des grands apports de Puységur consiste dans la dématérialisation du magnétisme animal et son idéation2 », dans la défaite physicaliste du fluide, mais aussi idéation dans la montée en force d’un efficace de la parole et des pouvoirs de la psyché sur le corps qui va trouver une résonance immédiate dans le champ de l’esthétique, autour des prémices du romantisme. A collaborer avec lui. Le vocabulaire fluidique du magnétisme animal sera remplacé par celui du « somnambulisme artificiel ». Cette évolution peut se lire dans les inflexions opérées en quelques années entre les Mémoires pour servir l’histoire et l’établissement du magnétisme animal (1786) et les Recherches, expériences et observations physiologiques sur l’homme dans l’état de somnambulisme naturel et dans le somnambulisme provoqué par l’acte magnétique (1811). Cherchant à guérir la fluxion pulmonaire d’un valet de ferme de vingt-trois ans travaillant sur ses terres, Puységur découvre que l’usage des passes ne provoque pas une crise convulsive à la façon « baquet », mais un sommeil particulier durant lequel un jeune paysan, Victor Race, semble suivre les pensées de son magnétiseur. C’est la découverte de Si l’agent fluidique reste encore physique dans un premier temps – circulant autour d’une plateforme conductrice (une dalle de résine dite « gâteau » susceptible de charger les sujets d’électricité), très vite remplacée par un arbre magnétisé (le fameux « arbre de Busancy » doté de cordages sur lesquels venaient se raccorder les patients, à la manière des regroupements en chaîne autour des tiges métalliques du baquet de Mesmer3) –, il est désormais mis en mouvement par l’action de la pensée du magnétiseur. Puységur la nommera l’« électromagnétisme de l’homme » (« cette cause dans l’homme est sa pensée4 »). Les commentateurs de l’époque, sur le principe d’une « circulation nerveuse » de type électrique, l’assignent clairement à « la volonté de celui qui veut en imprégner, pour ainsi dire, un autre individu5 ». Plusieurs points peuvent alors retenir l’attention. Tout d’abord l’activation d’une optique propre au somnambule, une vision affinée qui tisse des relations matérielles dans l’espace interpersonnel, là où l’univers visible paraissait dénué de porosité et de continuité entre les corps et les consciences. Dans certains récits de somnambules rapportés par Puységur, on retrouve des tropes visuels comme des fils reliant les êtres, animés ou inanimés, pour former la surface vivante d’un média environnemental : « Un immense océan d’une matière extrêmement subtile m’environne. Cette A. L’Arbre de Puységur, gravure extraite de Foveau de Courmelles, L’Hypnotisme, Paris, 1890. B. Le Fameux Arbre de Buzancy, planche extraite des Petits secrets du magnétisme et de l’hypnotisme, ca. 1900. 44 HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 44 12/09/2020 00:28 1800-1830 matière, qui n’est ni l’air, ni la lumière, mais qui est la base de l’un et de l’autre, pénètre les corps. Une infinité de longs fils, comme des rayons d’une matière qui tient de la nature du feu, partent de tous les corps animaux et végétaux ; ils se croisent et s’entrelacent : les uns se joignent, les autres se repoussent, et rien ne se confond6. » Parmi les « facultés somnambuliques », Puységur souligne une « extension de ses aperceptions » vécue comme un authentique affranchissement « des entraves organiques ». Il s’agit de trouver dans cet état singulier des ressources nouvelles, extralucides et prosthétiques, qui étendent mécaniquement le champ de la perception et de la connaissance. Cela passe par un « sommeil des sens extérieurs », une forme d’anesthésie temporaire des sens ordinaires qui déplacent les percepts du sujet vers un « sixième sens » ou « sens interne ». Le plus souvent défini comme un « état exaltique7 » de la sensibilité, le docteur Husson le nommera « extension prodigieuse de la faculté de sentir8 », dans le rapport de la Commission royale de médecine sur le magnétisme animal. Se constate ainsi une finesse inédite du toucher. De nombreux somnambules parviennent à lire un texte imprimé sans le « secours des yeux », par simple contact avec la surface imprimée du papier9, le relief des lettres étant directement traduit en texte comme s’il s’agissait de déplacer le sens visuel sur la surface du corps tout entier, « dermoptique » avant l’heure commentée par Alexandre Bertrand : « Nous l’avons vu lire sans le secours des yeux avec la seule extrémité des doigts, qu’elle agitait avec rapidité au-dessus de la page qu’elle voulait lire, et sans la toucher, comme pour multiplier les surfaces sentantes ; nous l’avons vu lire, dis-je, une page entière du roman de Madame de Montolieu intitulé Les Château en Suisse […]. Pendant toutes les opérations, un écran de carton épais interceptait, de la manière la plus étroite, tout rayon visuel qui aurait pu se rendre aux yeux10. » Cette reconfiguration inédite du sensible se déplace dans le corps tout entier, de même que la « vision épigastrique » identifiée dans de nombreux cas de somnambulisme artificiel. Le foie devient une nouvelle rétine, une rétine supplétive et intérieure, diagnostiquée dès 1795 par le docteur lyonnais Désiré Pétetin, qui faisait lire à l’une de ses patientes sous transe somnambulique des billets présentés dans le creux de son estomac, voire sentir des fleurs par le bas du ventre. Il y a là un savant transcodage qui invente une nouvelle cartographie sensitive du corps. Les hyperesthésies de la B 45 HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 45 12/09/2020 00:28 L A VA G U E D E S S O M N A M B U L E S A vue ne sont pas moins rares, les plus significatives étant regroupées autour d’une vision dans l’obscurité totale. À propos d’une patiente, le même Alexandre Bertrand, meneur du camp des « imaginationnistes » au sein de la refonte du magnétisme animal, commente ce renversement complet des conditions optiques : « Ce qu’il y a de remarquable, c’est qu’elle pouvait distinguer les objets qu’autant qu’elle se trouvait dans l’obscurité la plus entière. La moindre lumière, celle de la lune pénétrant au travers des jalousies, celle d’un tison mal éteint dans la cheminée, suffisait pour mettre un obstacle à sa vision. Elle disait que ce soleil l’empêchait de voir11. » Voir dans le noir est un indice, une métaphore, de cette performance du « regard perçant » en état somnambulique. Cette vision nyctalope permet non seulement de se diriger dans l’espace, mais, ce qui est un intérêt direct, de produire des dessins, des peintures, dans l’obscurité la plus complète. Cela explique la présence dans l’iconographie romantique de nombreux tableaux plongés dans la nuit, en particulier ceux qui illustrent, de Füssli à Delacroix, la figure de la somnambule. Des mises en scène romantiques jusque dans des versions vaudevillesques (La Petite Somnambule, La Villageoise somnambule, etc.), projettent l’activité visionnaire dans l’espace ambiant qui cerne le personnage. Sur les planches de théâtre, les corps blancs et livides parcourent des décors vides, plongés dans la pénombre avec des regards égarés qui se fixent sur certains points de la scène comme si convergeaient sur des écrans fictifs les images de leur délire converti en réalité hallucinatoire. Alexandre Bertrand va fournir à ces phénomènes une lecture exaltée et son lot de vocabulaire interprétatif. Auteur d’un Traité du somnambulisme et des différentes modifications qu’il présente (1823), mais aussi, trois ans plus tard, du Magnétisme animal en France (1826) – où il retrace les liens historiques entre les attitudes passionnelles des magnétisés et les possédés de toutes les époques –, Bertrand anticipe sur le principe actif de la suggestion. Il confirme que « l’imagination a part aux effets produits », tout en soulignant le rôle du regard dans l’exaltation des forces en présence : « Les yeux doivent avoir un grand pouvoir sur nous ; mais ils 46 HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 46 12/09/2020 00:28 1800-1830 identifié, anticipent le développement futur de leur maladie : « Elle m’annonçait dans son sommeil que sa maladie se terminerait par un délire furieux qui durerait quarante-deux heures ; et avec plus de quinze jours d’avance, elle me prédit qu’elle perdrait la raison le vendredi 20 octobre, à deux heures de l’après-midi, et qu’elle ne reviendrait à elle que le dimanche 22, à huit heures du matin. Le délire arriva comme annoncé13. » Il faut comprendre l’apparition provoquée de ce sixième sens et sa très rapide déclinaison dans le vocabulaire de la création par la réactivation d’un mode de perception puisant sa source dans le passé de l’espèce, un sens enfoui et archaïque, un sens primitif. Masqué par la vie quotidienne et ses réflexes, ce sentir des origines d’avant la spécialisation des cinq sens serait révélé dans la plongée au cœur de couches plus profondes de l’être. Ainsi Des modes accidentels de nos perceptions (1818), du comte Sigismond de Redern, pour qui l’état somnambulique est propice à cette rencontre entre conscience vigile et sentir primitif, entendu comme un réservoir latent de perceptions d’où pourraient renaître et se libérer des facultés oubliées pour construire le futur stade évolué B n’ont ce pouvoir que parce qu’ils ébranlent l’imagination et d’une manière plus ou moins exagérée, suivant la force de cette imagination12. » Pour Bertrand, la cause des phénomènes somnambuliques serait due à une forme particulière d’exaltation nerveuse qu’il désigne sous le nom d’« extase ». Le nom résonne bien sûr avec une tradition visionnaire religieuse à laquelle il donne ici, sous la forme d’une « médecine rétrospective » qui ne dit pas encore son nom, une lecture purement clinique délestée de tout bagage surnaturel, mais trouvant d’indéniables relais dans l’esthétique visionnaire du romantisme et ses visées oraculaires. Car même au sein de ce magnétisme éclairé, Bertrand consent à reconnaître des facultés extralucides, en particulier chez des patients qui, dans un autodiagnostic que Puységur avait déjà C A. Lecture sans le secours des yeux en état hypnotique, gravure extraite de Chauncy Hare Townshend, Facts in Mesmerism, 1841. B & C. Portrait de Léonide Pigeaire avec son masque, 1839 47 HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 47 12/09/2020 00:28 L A VA G U E D E S S O M N A M B U L E S de l’espèce : « Nous concevons ce sens interne comme un organe universel qui réunirait en lui toutes les fonctions des sens, et qui se rattacherait à la fois au principe de la vie animale, et à l’âme qui le met en mouvement. Ce principe latent serait en rapport avec notre mode d’existence à venir […] : tels existent dans la chenille les organes cachés, rudiments imperceptibles du papillon14. » Nul hasard si le motif de la chrysalide envahit la littérature romantique, chez Nerval15 et d’autres nombreux auteurs fascinés par ce travail de mutation organique qui abolit les restrictions de la perception ordinaire : « Demandez à un somnambule comment il voit malgré les obstacles et la distance, il vous répondra qu’il voit parce qu’il le veut. Il ne s’inquiète pas comment il a pu acquérir cette faculté ; mais il sent qu’il est de la nature de son être spirituel de voir ainsi16. » Cette extension du visible vers l’impondérable oblige à une redistribution des représentations. Dans son Histoire critique du magnétisme (1813), JosephPhilippe-François Deleuze avance l’hypothèse d’une transmission « immédiate » des images, associée assez vite à des « sensations infiniment plus délicates17 » : « Dans l’état de somnambulisme, l’impression est communiquée au cerveau par le fluide magnétique. Ce fluide, d’une extrême ténuité, pénètre tous les corps, lorsqu’il est poussé par une force suffisante, et il n’a pas besoin de passer par le canal des nerfs, pour parvenir au cerveau. Ainsi, le somnambule, au lieu de recevoir la sensation des objets visibles par l’action de la lumière sur les yeux, la reçoit immédiatement par celle du fluide magnétique, qui agit sur l’organe interne de la vision18. » Le mot très prisé de « seconde vue » rappelle combien cette transformation organique dédouble les facultés perceptives tout en relevant sa dimension surnaturelle, cette optimisation restant en grande partie indicible, impossible à définir avec les mots usuels. Au comte d’Aunay, neveu du marquis de Puységur, une patiente répond qu’elle ne peut « exprimer autrement ce qu’elle éprouve ». Face à ce qui apparaît comme un champ de non-savoirs, les chercheurs vont pourtant s’empresser de proposer un calcul des échelles de performance. Louis de Séré, dans son Application du somnambulisme magnétique, tente d’établir empiriquement une « échelle de proportions » entre la nature et le nombre des sens exaltés et la qualité du développement visionnaire19. Parmi ces facultés augmentées, le sens optique est particulièrement visé, touchant aussi bien l’abolition des contraintes d’opacité par une pénétration préradiographique du regard (l’endoscopie, ou la capacité à voir à l’intérieur de son propre corps, mais aussi l’exoscopie, permettant de distinguer visuellement les organes des autres sujets) que l’émancipation des distances par la possibilité de voir au loin (une vision télescopique). À cette extension de la perception répond un développement de faculté de partage des émotions, ce que l’on n’appelle pas encore vraiment « empathie », mais plutôt « sympathie ». A Sympathie et projection dans l’autre, en communion avec la souffrance des proches mis en contact direct ou indirect (la dite « sympathie des douleurs »), jusqu’au risque de la contagion de la maladie, comme le rapporte Alexandre Bertrand dans son Traité de somnambulisme de 182520. Mais aussi contamination d’états émotionnels, ce que le terme allemand Einfühlung va tenter de définir et circonscrire, à l’aube du moment romantique. Alors que la fluidomanie mesmérienne est déjà mise au ban de la science, Johann Gottfried von Herder publie en 1778 un traité intitulé Du connaître et du sentir de l’âme humaine, dans lequel il invite le lecteur à se saisir des liens qui unissent les êtres entre eux et avec la nature. Les fibres s’entrelacent dans un univers peuplé de canaux transmetteurs qui accordent les individus sur le mode d’une orchestration harmonieuse du consentement : « Dans le degré de profondeur de notre sentiment de soi réside aussi le degré de consentement avec les autres : car il n’y a que nous qui puissions nous sentir (hineinfühlen) nous-mêmes, pour ainsi dire dans les autres21. »Novalis s’exprime dans les mêmes termes, Wackenroder aussi dans les Épanchements d’un moine ami des arts22, où l’auteur médite sur une projection dans l’autre par un déplacement contagieux de « point de vue », celui qui est reconnu justement dans les opérations somnambuliques. 48 HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 48 12/09/2020 00:28 1800-1830 Mesmer avait été le premier à donner une résonance matérielle à ce « sixième sens » ou « sens interne » auquel il attribue le pouvoir naturalisé de mettre le sujet moderne en hyperconnexion avec le monde extérieur : « Nous sommes doués d’un sens intérieur qui est en relation avec l’ensemble de l’univers, et qui pourrait être considéré comme une extension de la vue23. » Par « extension », il faut donc entendre ici cette capacité nouvelle de saisir la circulation cosmique des fluides qui informent le sujet de la vie du monde, ce que Tardy de Montravel, un disciple de Mesmer, appellera poétiquement le pouvoir de « communiquer avec toute la nature » : « Chaque individu, dans la nature, est sans doute le centre d’une sphère d’activité qui s’étend indéfiniment autour de lui […]. Chez le somnambule magnétique, les sens extérieurs étant suspendus, le sens intérieur étant développé dans toute son étendue, ce sens doit porter à l’âme toutes les impressions dont il est lui-même susceptible […]. Le somnambule doit réellement communiquer avec toute la nature24. » Dans son Instruction pratique sur le magnétisme animal (1825), Deleuze dit la même chose quand il constate une extériorisation de la sensibilité facilitant les transmissions intersubjectives de sensations et d’émotions : « Il y a chez la plupart des somnambules un développement de la sensibilité… Ils sont susceptibles d’éprouver l’influence de tout ce qui les environne, et principalement des êtres vivants. Ils sont non seulement affectés par des émanations physiques ou effluves des corps, mais aussi, à un degré bien plus étonnant, par la pensée et par les sentiments de ceux qui les entourent25 ». Face à ce que Peter Sloterdijk a pu appeler dans sa « contribution à une histoire idéelle de la fascination du proche », une logique de contagion des « hommes dans le cercle magique »26, face au mécanisme moderne de l’individualisme qui cherche à conquérir le périmètre de son autonomie, il y a un jeu incessant de « contaminations affectives », telle une résistance au procès solitaire de la modernité. Les êtres s’installent dans une dynamique solidaire et collaborative d’« enchantement de l’homme par l’homme », une dynamique des influences mutuelles exprimée parfois dans le vocabulaire médical de la contamination épidémiologique. Cette « deuxième grande formation de la psychologie européenne des profondeurs » questionne d’emblée non pas la puissance individuelle de l’introspection, mais le spectre de la dépendance à l’autre – ce que le marquis de Puységur appelle paradoxalement l’« isolement » : « Le premier caractère distinctif du somnambulisme, que je regarde comme le meilleur et le plus complet, c’est l’isolement ; B A. Frontispice de A Full Discovery of the Strange Practices of Dr Elliotson, 1842. B. Tronquette somnambule, folie-vaudeville en un acte par les frères Cogniard, Bibliothèque nationale de France, 1838. 49 HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 49 12/09/2020 00:28 L A VA G U E D E S S O M N A M B U L E S c’est-à-dire qu’un malade dans cet état n’a de communication et de rapport qu’avec son magnétiseur, n’entend que lui27. » UNE COMMUNION DES SENS LE MAGNÉTISME ROMANTIQUE ET L’UNITÉ DES ARTS Isolement qui installe l’emprise du magnétiseur. Puységur s’empresse même de montrer que cette « mobilité magnétique » est loin d’être réduite au « ridicule état d’un mannequin magnétique, obéissant à toutes les directions de mouvement que l’on voudrait lui imprimer28 ». Cela, histoire de souligner la part du consentement dans cette relation d’intimité exclusive que l’on retrouvera à quelques variantes près dans les « affinités électives » de Goethe et, par extension, dans une première analyse des relations d’attractions « magnétiques » entre l’œuvre d’art et son public. C’est là aussi une manière détournée, de remettre à jour le débat sur le « vicariat des sens » qui occupe l’esprit des Lumières. Voir par d’autres moyens, lorsque mal ou non-voyant, l’aveugle-né cher aux philosophes n’est pas loin, appelant, comme le fera Diderot, à penser une « peinture pour les aveugles, celle à qui leur peau servirait de toile30 ». L’empirisme sensualiste attaqué par Condillac, qui unit étroitement sensation et connaissance, bat son plein. On ne voit plus, on sent : « Qu’a de commun cette vision avec l’impression faite sur la rétine par les rayons lumineux ? Il est clair, dit Alphonse Teste, qu’il y a ici abus de mots, ou plutôt pénurie d’expressions convenables. Le verbe sentir, d’une acception plus large et moins spéciale que le verbe voir, serait d’ailleurs plus juste31. » Sentir, c’est aussi consentir à une plus grande porosité des sensations. Sans que le mot ne soit encore lâché, il y a là les prémices d’une transposition créative des sens qui trouvera de larges développements dans le romantisme : une poétique des synesthésies mêlant joyeusement vision des sons et écoute des couleurs. Car ce transfert analogique de la sensibilité identifié dans une sous-conscience somnambulique répond de toutes pièces à la volonté des artistes romantiques de Les mêmes échos se retrouvent dans De la volonté de la nature (1835), où Schopenhauer rappelle combien dans le magnétisme animal « nous voyons aussitôt contrecarré le principium individuationis (espace et temps) attaché au simple phénomène : ses barrières distinguant les individus sont brisées ; entre le magnétiseur et le somnambule, les espaces ne constituent pas une séparation, une communauté des pensées et des mouvements de la volonté s’installe29 ». La communauté des pensées allant de pair avec une mutualisation des sensations qui coïncide souvent avec une permutation des sens. A A. Planche extraite de H. Durville, Pour combattre les maladies par le magnétisme, Paris, Librairie du magnétisme, s.d.. B. « Grande scène de magnétisme amoureux », Épisodes du ballet des cinq sens, 1848, planche de Lorentz lithographiée par Belin. 50 HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 50 12/09/2020 00:28 1800-1830 renouer avec une fusion des arts commandée, même au conditionnel, par une possible communication des sens retrouvant le langage des origines, celui d’avant la chute : « L’analogie de la vue ou phénomène de toute visibilité, dit le peintre Philipp Otto Runge, avec le phénomène de l’ouïe, conduirait à de très beaux résultats en vue de la fusion future de la musique et de la peinture, ou des sons et des couleurs32. » L’horizon utopique d’une unité des arts trouve ainsi une source concordante dans le modèle de l’artiste (mais aussi du spectateur) en somnambule. Nul hasard si Caspar David Friedrich souhaite se servir du son d’un harmonica de verre (le fameux instrument perfectionné par Benjamin Franklin et utilisé par Mesmer) pour accompagner musicalement la contemplation de paysages en transparence : les dioramas. Le conditionnement se veut ici proprement magnétique : lumière ambiante tamisée, surface rétro luminescente et son cristallin, dans une même association cumulative des sens où « la nature unitaire de la perception apparaît seule garante de la perception d’une unité de la nature33 ». Friedrich prend soin lui-même de souligner l’importance plus que symbolique de cette convergence synchronisée (des arts) dans la réalisation d’une concordance unifiée (des sens), vécue et réalisée dans l’expérience contemplative du spectateur : « Pour augmenter l’effet que ces tableaux pourraient produire à un moment bien choisi, dans le cas favorable où ils plairaient, je souhaiterais qu’ils soient contemplés seulement avec accompagnement musical […]. Pour m’exprimer plus clairement, j’imagine la mise en scène suivante : lorsque le contemplateur est conduit dans la pièce sombre, ou plutôt noire, une musique pourrait se faire entendre comme de loin34. » Outre le principe d’une intégration du tableau à son espace architectural par un système d’empiétement inclusif d’un art sur l’autre sans chercher à les confondre (selon Novalis, Lessing, concepteur de la hiérarchie des arts, « voyait trop net35 »), et le tropisme d’une musicalisation de la peinture déterminant dans l’émergence formelle de l’abstraction qui soustrait l’espace pictural aux codes de la mimesis36, c’est bien la qualité d’emprise sur le spectateur qui est ici visée par le dispositif synchronisé de « sons et lumières ». À nouveau, comme dans le salon des cures magnétiques de Mesmer, un soin particulier est accordé aux subtilités vibratoires d’une acoustique immersive. Si Caspar David Friedrich utilise l’harmonica pour optimiser la contemplation de ses transparences, c’est pour amplifier l’effet de résonance à l’échelle de la nature tout entière. Tout en prenant soin que tout bruit parasitaire « pouvant déranger celui qui écoute et contemple soit scrupuleusement évité », afin de ne pas rompre le charme de cette union orchestrée, dans un confinement propice à « l’isolement ». Un autre aspect peut retenir notre attention dans ce dispositif innovant du diorama : le jeu optique combinant projection, transparence et « lumière intérieure ». Il s’agit bien ici d’un statut spécifique donné à la lumière elle-même. Les dioramas de Friedrich rejouent une certaine forme de pénétration diaphane des corps opaques par une lumière venue de l’intérieur, celle que l’on retrouve dans les descriptions que donne Franz von Baader de la vision des somnambules qui « ont tout à la fois la vision et la pénétration d’un seul et même objet ; même ce qui est transparent leur est visible, et tout ce qui est visible leur est aussi transparent37 ». Le point culminant de ce rapprochement tient à la redistribution des frontières entre univers extérieur et for intérieur. Dans la vision du somnambule, tout se passe comme si les objets vus en transparence n’étaient plus extérieurs mais œuvraient à la transition entre rêve et réalité. Comme le note Olivier Schefer, « le somnambule et l’artiste romantique auraient peutêtre en commun de vouloir réaliser le rêve et de rêver le réel […]. Le somnambulisme pourrait donc bien être le prolongement, voire l’accomplissement de la synthèse romantique du rêve et de la réalité38 ». Dans sa condition paradoxale, à la fois présent et absent au monde qui l’environne, maître de nouvelles combinaisons et automate assujetti à la volonté du magnétiseur, le somnambule se soustrait justement aux contradictions inhérentes à la vigilance ordinaire pour expérimenter une clairvoyance à prendre dans son sens le plus perceptuel, une clairvoyance qui renverse les ordres (intérieur/extérieur), et les mesures (grand/petit), par une transformation effective du corps, à la fois au-dehors et au-dedans de lui-même : « Dans le somnambulisme, notre vision devient plus variée, nous voyons l’intérieur de notre corps comme extérieur. L’idéal est que nous … c’est bien la qualité d’emprise sur le spectateur qui est ici visée par le dispositif synchronisé de « sons et lumières »… voyions notre corps jusque dans son organisation et sa structure la plus petite et la plus subtile. Il nous est ainsi donné pour ainsi dire un nouveau corps. Mais de ce fait, le monde extérieur doit aussi nécessairement s’élargir ; ce qui dans les choses est intérieur doit devenir pour nous extérieur39. » L’extension des corps rime ici avec un renversement de perspective que les figures de dos du peintre Friedrich, fussent-elles installées devant la mer à regarder fixement le point concentrique d’une lune (Deux hommes devant un lever de lune, 1835-1837), amorcent encore timidement, mais que de nombreuses figures somnambules, devenues les emblèmes de cette révélation nocturne si prisée par les romantiques, incarnent au moyen d’effets diaphanes projetés sur l’enveloppe corporelle jusqu’à feindre de se débarrasser de la finitude matérielle des corps. Ce sont là des sauts qualitatifs faisant passer le sujet humain, au risque de sa propre dépossession, d’un stade régressif à une conscience plus évoluée, ce que Ritter va appeler la « conscience de l’involontaire40 », et dans 51 HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 51 12/09/2020 00:28 HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 52 12/09/2020 00:28 HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 53 12/09/2020 00:28 L A VA G U E D E S S O M N A M B U L E S laquelle il ne voit rien de moins que la possibilité de revenir à la condition antérieure de la chute originelle, une condition adamique. Surgit un horizon que la tradition romantique saura cultiver : le mécanisme d’une nostalgie des origines, avec ce désir de retrouver les traces d’un archétype idéal, où l’homme en pure innocence, d’une innocence acquise au mépris de causalités plus rationnelles, ne faisait qu’un avec la volonté de la nature inscrite à la surface des phénomènes. Le magnétisme romantique est une entreprise de réconciliation mais aussi d’exaltation apte à reconquérir un authentique « pouvoir de l’imagination ». Dans une lettre enthousiaste à son ami Franz von Baader, Ritter dit avoir « fait une découverte d’importance : celle d’une conscience passive, de l’Involontaire […]. Bien des choses ne s’expliquent qu’ainsi […] : l’amitié, l’amour, la puissance de l’imagination. Tout ce qu’on imagine est réel […]. Toutes nos actions sont de l’espèce du somnambulisme, c’est-à-dire des réponses à des questions, et c’est nous qui interrogeons. Chacun porte en lui sa somnambule, dont il est lui-même le magnétiseur41 ». Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, un proche du médecin magnétiseur Friedrich Speyer, qualifiera ce procédé de « somnambulisme poétique42 ». Les textes d’Hoffmann sont truffés de personnages au magnétisme personnel comparé à une force électrique qui porte, sous sa forme la plus sublimée, cette transformation. Car, contrairement à la France, où la condamnation des commissions de 1784 a sérieusement mis en cause la légitimité du magnétisme animal, l’imaginaire allemand est beaucoup plus ouvert à cette hypothèse43, comme en témoigne l’intérêt qu’un Hegel portera à ce phénomène dans son Encyclopédie des sciences philosophiques (1817), notamment sa troisième partie consacrée à la « philosophie de l’esprit ». Hegel dialogue avec Friedrich von Schelling, son compagnon d’études à Tübingen, sur le modèle de « simplicité » de la relation magnétique vu à travers le prisme des attractions universelles. Le somnambulisme y est perçu comme un moyen d’atteindre une sensibilité à son degré d’affinement optimal. Or, cette subtilité est entendue comme une émancipation des médiations du sensible. Le terme juste de cette nouvelle sensibilité est l’« immédiateté ». « Il s’agit d’une sensorialité qui n’est pas soumise à la conscience et à l’entendement, lesquels ne peuvent se passer de médiations et en particulier de celles des sens distincts44. » « Le sentir et la forme subjective du savoir se passent totalement ou du moins en partie, des médiations et des conditions indispensables au savoir objectif, et par exemple sans l’aide des yeux et sans la médiation de la lumière, ils peuvent immédiatement percevoir le visible45. » C’est ce que Hegel va appeler le « savoir immédiat ou sentant46 », un « savoir voyant47 » favorisant une circulation des affects : « Si enfin ce rapport atteint le plus de degré d’intériorité et de force, un cinquième phénomène a lieu, selon lequel le sujet voyant prend connaissance, voit et sent non pas seulement de, mais dans un autre sujet ; il ressent immédiatement, sans attention directe à l’autre individu, tout ce qui arrive à celui-ci, il a en lui les impressions de l’individualité étrangère comme étant les siennes propres48. » De son dialogue avec Schelling, Hegel aura retenu, tout en la relativisant, une (méta)physique du magnétisme largement fondée sur une logique compassionnelle reliant les êtres et favorisant, dans cette même circulation chaleureuse qui accroît le sentir du vivant, une élévation de l’esprit mettant en suspens la « conscience d’entendement » au risque de ne plus pouvoir atteindre la « généralité d’un savoir objectif », mais, – c’est son aspect sensible –, vécue comme une authentique guérison en favorisant une « unité avec soi50 » qui n’est plus tant celle d’une conscience divisée que celle d’une sensorialité décuplée. Le « magnétisme animal », revu et corrigé par Hegel, rend à la surface du sensible toute son envergure et sa précision. Ce sera l’une des leçons majeures de la Naturphilosophie romantique, aidée largement par l’impact de la publication des Idées pour une philosophie de la nature (1797) de Schelling, véritable chef de file de la génération romantique. Là, écrivains et dramaturges, mais aussi peintres et sculpteurs, vont puiser une théorie de la polarité des forces animant l’âme du monde, la Weltseele dans laquelle sont plongés les êtres. (Schelling parle d’« éternelle opposition » dont le magnétisme, et dont son modèle des attractions, fournit une clé toute naturelle). L’énigme, plus pragmatique qu’il n’y paraît, reste de savoir comment concilier le caractère spéculatif de la « clairvoyance somnambulique » avec une poétique du sensible. C’est là qu’intervient un autre de ses disciples et amis, dont les conférences (publiées en 1808 sous le titre Aspects de la face nocturne des sciences naturelles) imprimeront l’imaginaire romantique : Gotthilf Heinrich von Schubert (1780-1860), qui élève au rang de concept la notion de « moments cosmiques », par laquelle il entend des instants privilégiés d’une intégration de l’individu dans la totalité de l’univers. Or, le miracle de cet événement ne peut être atteint que dans des états particuliers, la transe somnambulique en premier lieu. Objet d’une des conférences des Aspects, le somnambulisme devient un modèle pour le créateur en quête d’un verbe poétique en accord direct avec les lois de l’harmonie universelle. Dans les faits, le propre de « l’extase somnambulique » est de renverser le désordre linguistique issu de la chute (le syndrome de Babel), de recouvrer l’usage de la langue naturelle et orphique des origines. C’est ce que l’on retrouve dans l’œuvre de Pierre-Simon Ballanche, le philosophe de la palingénésie sociale, familier de Chateaubriand et éditeur de Pétetin, l’adepte de la « vision épigastrique » des somnambules. L’homme, selon lui, est destiné à réintégrer l’état adamique d’avant la chute, un état dans lequel il disposait de facultés cognitives plus étendues. Il lui faut pour cela retrouver la sensibilité des origines, par une mutation de l’espèce que la plongée magnétique va anticiper et autoriser : « N’avons-nous pas déjà les organes qui feront de la chenille rampante un brillant papillon ? Les phénomènes magnétiques ne présagent-ils pas un nouveau mode de perceptions possibles51 ? » 54 HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 54 12/09/2020 00:28 1800-1830 Ballanche est allé puiser cette conception chez un auteur qui, au côté d’un autre mesmériste fameux, Court de Gébelin, est historien des langues à la recherche d’une science primitive oubliée : il s’appelle Antoine Fabre d’Olivet, auteur notamment de La Langue hébraïque, dans laquelle il expose l’idée du sommeil magnétique où Dieu a plongé Adam, le premier homme, l’androgyne primitif devenu l’archétype de l’homme universel avec lequel le sommeil magnétique est censé nous mettre en communication intime, dans ce qui est non pas vécu comme un engourdissement, mais, tout au contraire, comme un envol ou plutôt une « illumination » de l’intérieur. Une figure s’impose, ramenant cette émancipation dans le champ du visible, celle de la phosphorescence retrouvée sans surprise dans de nombreuses représentations romantiques du somnambulisme. Des corps éclairés de l’intérieur se frayant un chemin dans la pénombre. Füssli donnera le ton, Delacroix prendra modèle. La clairvoyance (Hellsehen) somnambulique puise sa physis sur des états de luminescence repérés dans le monde organique chez certains végétaux et animaux, mais aussi dans le monde des humains, sur la propre lumière interne de l’œil. Goethe la commente dans son Traité des couleurs, où il établit le principe d’une identité « physique » entre l’œil et la lumière selon une résonance toute cosmogonique, qui reconnaît derrière la diversité des phénomènes et des échelles l’unité primitive entre l’homme et la nature : « Si l’œil n’était solaire, comment pourrions-nous percevoir la lumière ? » L’œil n’est pas seulement en « affinité » avec la lumière, mais en conformité avec elle : « La lumière se donne un organe qui devient son semblable, et ainsi l’œil se crée par la lumière, de sorte que la lumière intérieure vient à la rencontre de la lumière extérieure52. » Car l’œil est lui-même une lumière au repos (Ruhendes Licht), à l’état latent, qui ne demande qu’à être activée à la moindre excitation externe. Cette activité propre, loin de rester une métaphore poétique de la création, se trouve confirmée à cette époque par les découvertes de l’ophtalmoscopie. Les observations du fond de l’œil opérées au début du XIXe siècle déterminent l’existence d’un foyer lumineux, à l’instar de Gustav Fechner, grand pionnier de la psychophysiologie, qui constate, non sans sacrifier sa propre santé physique, que l’œil fermé ou plongé dans l’obscurité totale produit lui-même une « sorte de fine poussière lumineuse ». Il adopte lui aussi l’analogie solaire de l’œil, qu’il présente justement dans un alinéa consacré au principe d’un « œil autonome » : « On peut également considérer l’œil comme une créature autonome de notre corps ; il a aussi la lumière pour élément et sa structure est fonction de cet élément. À l’inverse, une créature dont la lumière est l’élément aura une structure d’œil ; précisément parce que cela se conditionne réciproquement. De ce fait nous pouvons déjà considérer notre œil comme une créature solaire sur Terre. Il vit dans et par les rayons du Soleil lui-même, et présente donc la forme de ses frères du Soleil luimême53. » Dans ce sens, « de même que l’œil charnel, renfermant en lui-même la condition de la vision, c’est-à-dire de son contact avec le monde extérieur, s’auto-illumine et s’auto-contemple, l’âme du somnambule […] renferme le principe de son auto-illumination et de son auto-contemplation54. » A A. Planche extraite de H. Durville, Pour combattre les maladies par le magnétisme, Paris, Librairie du magnétisme, s. d.. 55 HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 55 12/09/2020 00:28 L A VA G U E D E S S O M N A M B U L E S LA SOMNAMBULE VISIONNAIRE MAGNÉTISME MYSTIQUE ET LANGUE DU CŒUR Non seulement il s’autocontemple – Narcisse n’est pas loin –, mais il se plonge dans un monde peuplé d’images, ce que Schubert appelle la « nature imageante » (Bildende Natur) de la condition somnambulique. C’est ce que va mettre en œuvre, quasiment en laboratoire, un lecteur attentif de Schubert et de Ritter, le poète médecin et magnétiseur Justinus Kerner, premier biographe de Mesmer. Souabe d’origine, ayant suivi comme Schelling les cours de la faculté de Tübingen, où il a côtoyé la folie du poète Hölderlin, il s’installe à Weinsberg en 1819 comme « magnétiseur » et va développer une relation thérapeutique privilégiée avec l’une de ses patientes, Frédérique Hauffe, entrée dans la légende du somnambulisme extralucide sous le nom de « voyante de Prevorst ». Celui pour qui « le somnambulisme et la création poétique sont apparentés55 » va s’appuyer sur l’examen clinique de cette jeune femme pour élaborer une authentique esthétique du « somnambulisme artificiel ». Curieuse coïncidence, avant de s’arrêter sur le cas de la jeune Hauffe, Kerner s’est, dans le cadre de sa thèse de médecine sur la physiologie de l’ouïe, familiarisé avec le langage des animaux et la sympathie entre les espèces, élevant chiens, chats, poules et écureuils dans sa chambre d’étudiant, comme s’il s’agissait déjà de sortir du cadre restreint des relations langagières conventionnelles, pour construire un monde commun dans le compagnonnage des espèces. Kerner sera aussi connu pour les « klecksographies » (de klecks, qui signifie « tache », en allemand) qui désignent le procédé de création d’images à partir de taches d’encre (« toutes les taches d’encre, se fondant ensemble, il résultait sur le papier plié des images symétriques, arabesques, animaux, personnages, toujours fantastiques, mais ayant, quoique nées fortuitement, un aspect déterminé »), préfiguration du modèle projectif des fameux tests de Rorschach. À travers un premier récit, celui des Apatrides, Kerner évoque la figure du « voyageur de l’aurore » qui voit de son œil intérieur, un « œil de feu » qui permet « l’union la plus intime à l’esprit de la nature56 », en sortant des entraves d’un corps ravalé au rang de geôlier. Sortir de soi pour mieux entrer en soi, ce sera le sort de Frédérique Hauffe, dont Kerner nous dit que « ses yeux brillaient d’une lueur spirituelle qui frappait immédiatement tous ceux qui la voyaient57 ». En publiant en 1829 une monographie sur son cas, Kerner fait d’elle un sujet modèle, à l’instar de ce que la musicienne aveugle et virtuose Mlle Paradis avait pu être pour Mesmer. Tout part à nouveau d’une déficience oculaire, d’un défaut de la vue. La jeune Frédérique, née à Prevorst, est victime dès son enfance d’une irritation de l’organe de la vue qui l’isole durant toute une année dans sa chambre, à l’abri de la lumière. Pour Kerner, A cette maladie physiologique ne sera qu’une étape préalable au développement d’une vision plus intérieure, préfiguration de la révélation d’un œil spirituel confiné dans sa rétine de chair. Vision des archétypes et des principes sans passer par des concepts et des définitions, vision des lois de la nature. Kerner ne doute pas des conditions particulières du sommeil magnétique, qui est tout sauf un sommeil de la sensibilité. Pour lui, « cet état ne doit pas être défini comme un sommeil, car il est plutôt la veille la plus lucide. C’est le lever d’un soleil plus intime, beaucoup plus lumineux que celui qui, de l’extérieur, illumine l’œil. Sa lumière est d’une clarté plus vive que celle qui, à l’état de veille, se déploie à travers des concepts, déductions, définitions et systèmes […]. C’est un état dans lequel l’homme accède à nouveau à l’ancienne communion intime avec la nature et peut avoir la faculté d’en contempler les lois et les archétypes58 ». La plongée dans l’état somnambulique est une « retraite dans l’intérieur » (Zurückziehen ins Innere) qui se traduit dans le « sentiment d’une certitude immédiate59 ». Kerner laisse la parole à sa « voyante » pour décrire l’état : « L’état somnambulique est la vie intérieure ou l’activité de l’homme intérieur […]. Il s’agit chez l’homme A. Portrait de Friederike Hauffe, dite la voyante de Prevorst, ca. 1880. B. Gabriel de Max, La Voyante de Prevorst, 1892, huile sur toile, Galerie nationale de Prague. C. Gabriel de Max, Portrait de Friederike Hauffe, 1895, huile sur toile, 84 x 67 cm. 56 HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 56 12/09/2020 00:28 1800-1830 B C de cette activité intérieure, en sommeil à l’état normal de santé. Cet homme intérieur est au repos notamment chez ceux dont la vie a pour centre le cerveau, qui ne remarquent que rarement quelque chose de leur vie affective [Gefühl] ou de leur voix intérieure […]. L’état de clairvoyance suscité par des manipulations magnétiques est un remède sûr, car dans la clairvoyance [Hellschlafwachen] l’homme intérieur émerge totalement et entrevoit l’homme extérieur, phénomène qui ne se produit ni dans le sommeil ordinaire, ni dans le rêve. Il s’agit là de la veille la plus lucide, car l’homme intérieur, spirituel, vit alors en toute liberté et indépendamment du corps, c’est pourquoi je voudrais volontiers appeler le somnambulisme la manifestation de l’homme intérieur ou l’état de veille spirituelle de l’homme60. » Tout comme chez Schubert, se libèrent la parole et l’écriture, se révèle l’existence d’un « poète caché ». La langue somnambule est une langue transfigurée, une « langue intérieure » accordée sur le rythme de l’univers. C’est pour cela que la voyante de Prevorst invente d’ailleurs un instrument, « l’accordeur des nerfs » (Nervenstimmer), conçu et décrit lors d’une transe somnambulique61. La langue qui en sort se prétend universelle dans sa singularité, c’est une langue transcodée associant lettres et chiffres (« le mot auquel je n’attribue pas un signe numérique a pour moi peu d’importance », dit-elle). Il y a ici une 57 HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 57 12/09/2020 00:28 L A VA G U E D E S S O M N A M B U L E S arithmétique des caractères de l’alphabet où se révèle l’intensité des mots, comme si le nombre leur accordait une puissance, une potentialité, que la langue conventionnelle ne pouvait atteindre, pour rendre compte de l’expérience extatique. Selon Kerner, Hauffe développe cette capacité scripturaire dans un état appelé « clairvoyance moyenne » ou « semi-somnambulisme » (Halbwach, ou « à moitié éveillé »), un état qui précède l’état suprême, celui du « sommeil lucide » ou de la « pure clairvoyance » (Schlafwacher Zustand), quatrième degré de l’échelle magnétique qui est la manifestation totale et affranchie de la vie intérieure. C’est là que peut s’épancher la langue de la contemplation esthétique, la seule à pouvoir faire participer pleinement au mystère de la création. Car plus qu’une simple écriture, c’est un graphisme qui s’exprime à travers le corps exalté de la voyante. Le langage des nerfs de Frédérique Hauffe est plus proche des modes d’expression graphique d’un peintre ou d’un graveur que le fait mécanique d’un simple transcripteur. Incidemment, c’est aussi une nouvelle prédisposition à la perception émotionnelle des couleurs que signale Kerner quand il découvre que les « différentes couleurs du rayon lumineux produisaient sur elle des effets spéciaux62 ». Se manifestent ici les premières élaborations d’une chromatologie de l’extase, un moment moins inédit que novateur d’expérimentation artistique de la transe. Là, dans ces observations, se joue le retour inattendu d’un concept cher aux cercles ésotériques de la Renaissance, celui de « l’imagination créatrice », accordant à l’image mentale un pouvoir de création propre et, à ce titre, débordant directement dans le champ esthétique. Comme d’autres termes, on trouve celui d’« idéalisme magique » chez Novalis, pour désigner cette capacité de l’homme, en synchronie avec le langage de la nature, à transformer le monde par un vouloir intensif (Produktiven Einbildungskraft). Mais c’est surtout Franz von Baader, un des référents phares de la génération romantique, qui va explorer le principe d’une imagination de « nature plastico-psychique » s’exprimant, dans les œuvres, à travers le langage de l’artiste63. L’artiste démiurge et somnambule serait, dans ce sens, celui qui pourrait viser sans entraves ce pouvoir magique de réalisation, un pouvoir activé par le désir et la volonté (une volonté de créer). Il s’agit alors d’invoquer jusqu’aux textes d’Avicenne pour comprendre cet efficace de l’imagination et son corollaire, la productivité des représentations, comme le fait Hénin de Cuvillers, un des représentants du clan des « imaginationnistes », dans ses Archives du magnétisme animal : « Qu’est-ce que l’imagination ? C’est la faculté de notre âme qui se représente un objet ; mais cette représentation, si elle est seule, ne peut rien produire ; il faut, pour que cette représentation produise, qu’elle soit jointe à un violent désir, et que ce désir ne doute pas de son efficacité. Alors seulement l’imagination peut agir64. » Le fantastique romantique biberonne à ces axiomes « idéoplastiques », revus et corrigés à l’aune d’une culture scientifique construite sur l’observation expérimentale des faits. Et sans surprise, l’iconographie de ce premier XIXe siècle anime la figure du créateur plongé dans une concentration mentale que rien ne viendrait perturber, au risque de rompre la transformation de sa volonté en « véritable force capable d’exercer une action65 ». La concentration tient ainsi lieu de condition préalable pour mieux faire germer ce pouvoir de concrétion et de transformation qui habite la représentation, celui sur lequel Novalis fait résider la nouvelle subjectivité romantique : « Il est étrange que l’homme intérieur n’ait été considéré jusqu’à présent que d’une manière si misérable et qu’on n’en ait traité que si stupidement. La soi-disant psychologie est aussi un de ces masques […]. Intelligence, fantaisie, raison, voilà ce qui fait la misérable charpente de notre univers intérieur. Pas un mot de leurs mélanges singuliers, de leurs formations, de leurs transformations. L’idée n’est venue à personne de rechercher de nouvelles forces inconnues et de suivre leurs relations dans la vie sociale. Qui sait quelles unions merveilleuses, quelles générations étonnantes s’offrent à nous dans notre intérieur66 ? » Ces « unions merveilleuses » ne seront réalisées et opérantes que dans l’unification de la vie nerveuse des sujets, celle qui raccordant justement dans l’état somnambulique le système nerveux central à un système « végétatif » auquel on donnera précisément la fonction subtile d’« organe de la connaissance », et par extension de « clairvoyance ». En réalité ce qui ressort de ces catégories encore hésitantes, c’est le fait de réserver aux artistes cette capacité à activer, au risque de certains « dérèglements des sens » frôlant parfois la folie, cette part végétative qui de régressive devient perspicace, subtile et intuitive. Schubert établit pour cela une subdivision entre système ganglionnaire (l’en-dessous du conscient) et système cérébral (le réseau de la volonté et de la conscience). Dans l’état somnambulique, la cloison séparant le système cérébral du système ganglionnaire s’estompe, rendant possible le contact entre conscience et subconscience, par l’ouverture d’un sens interne, localisé par Schubert dans le plexus solaire ou la « caverne du cœur » (Herzgrube), un organe « responsable de l’ouverture en nous, à l’état actuel, d’un sens qui, hors des frontières de l’espace et des entraves de la pesanteur et de la corporéité, nous communique les influences vivantes d’un monde proche et lointain, spirituel et corporel67 ». Le cœur vibrant au cœur de la création. A. Gustave Courbet, La Voyante ou la Somnambule, 1865, huile sur toile, 47 x 39 cm, musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon. 58 HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 58 12/09/2020 00:28 A HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 59 12/09/2020 00:28 L A VA G U E D E S S O M N A M B U L E S LA TRANSE MÉDIUMNIQUE LES CRAYONNAGES DE L’AU-DELÀ OU LES SORTILÈGES DE LA FASCINATION Car très vite se multiplient des dons artistiques sous « accès somnambulique ». Ils touchent aussi bien des sujets peu ou pas formés aux techniques de composition que des artistes déjà confirmés, dont on constate rapidement qu’ils adoptent, sous extase, un vocabulaire inédit, voire foncièrement innovateur. La transe somnambulique est productrice d’invention formelle. Le cas de Théophile Bra (1797-1863) est particulièrement instructif. Sculpteur connu et reconnu sous la Restauration et la monarchie de Juillet pour des bustes officiels et des sujets religieux à la facture académique, Bra produit certaines de ses œuvres sous la dictée d’une force extérieure. Les carnets dans lesquels il consigne les accès à cette inspiration « involontaire » regorgent de références au pouvoir du magnétisme, associé à une conduite semi-automatique. Cette production très dense et prolixe de dessins « somnambuliques » (près de 8 000 dessins, conservés dans les collections de la bibliothèque de Douai, sa ville natale, à la suite d’un don fait dès 1851) contraste avec sa production officielle par la nouveauté hautement inspirée de son crayonné aux formes « schématiques et abstraites », sortant ouvertement des « canons de la mimesis classique68 ». À la date du 26 juin 1826, il note fébrilement : « Tout à coup, je fus saisi dans l’atelier d’impulsions fortes, dominatrices, irrésistibles, ma main s’attacha magnétiquement à ma table et traça les premiers signes idéographiques. Les jours suivants, je dessinais, j’écrivais, je parlais involontairement, sans que mes facultés intellectuelles fussent troublées […]. Je me soulève alors et machinalement je cherche plume, encre, papier, pose ma main sur la page et la regarde dessiner, écrire, etc. Je sens le mouvement qui suit et obéit à l’impulsion reçue69. » De L’Évangile rouge (1826-1829), journal intime nourri de ses expériences visionnaires croisées avec des réflexions réformatrices d’où émerge une théorie de l’art très singulière, Bra va livrer de nombreux indices du processus créatif mis en jeu, sous un mode d’écriture au graphisme compulsif, mêlant hiéroglyphes et tracés tourmentés à des concepts obsessionnels revenant comme des motifs sur lesquels s’élabore le palimpseste de son œuvre en cours. Tout comme chez Schubert, la lettre prend ici une résonance particulière : « Quand J. B. [Joseph Bellemain] me parlait, il me semblait que des décharges électriques me frappaient ; il m’ébranlait de fond en comble par sa parole, et comme chez moi le sentiment et l’imagination étaient ce qu’il y avait de plus développé, les A facultés surexcitées se mettaient à produire […]. Le symbolisme qui était ma langue spéciale m’affectait avec une si grande énergie que, pendant un certain nombre d’heures, je croyais à la lettre […]. Mais le jour où il souleva un peu son idéal, il ébranla toutes mes facultés et le symbole devint ma langue spéciale pour exprimer la vie qu’il exaltait dans mon âme70. » S’inscrivent ici, dans les faits et leurs métadescriptions, les premières manifestations d’une écriture automatique (l’usage du terme « machinalement » va dans ce sens). L’impulsion venue d’un agent extérieur qui pousse à prendre la plume et l’encre pour écrire sous la dictée de cette force déplace l’instance de l’auteur et la légitimité de son autorité. Cette division assumée du sujet qui s’observe dans une perspective tout à fait novatrice anticipe sur le « je est un autre » rimbaldien. Créateur et regardeur à la fois de sa propre écriture, Théophile Bra énonce déjà cette jouissance schizophrénique de l’artiste moderne sur laquelle reviendra Éric Michaud quand il affirme que « le mode de division du sujet semble ici singulier : car ce que cette division met chaque fois en scène, dans ce A. Théophile Bra, L’artiste n’est rien, ca. 1826-1850, encre brune sur papier, 40 x 30 cm, Fonds Bra, Douai, bibliothèque Marceline-Desbordes-Valmore. B. Théophile Bra, Dictionnaire cérébral, ca. 1826-1850, encore brune sur papier, Fonds Bra, Douai, bibliothèque Marcelline Desbordes-Valmore. C. Théophile Bra, Dieu sud, ca. 1826-1850, encre brune sur papier, Fonds Bra, Douai, bibliothèque Marceline-Desbordes-Valmore. 60 HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 60 12/09/2020 00:28 1800-1830 moment historique, c’est un dédoublement systématique du sujet, sa décomposition en couple actif-passif, où toujours l’un regarde ce que l’autre fait – mais pour en prendre note, pour le recueillir et en faire à son tour quelque chose : c’est-à-dire en déjouant cette opposition première de l’actif au passif71 ». De fait, Bra va surjouer ce dédoublement, dans de surprenants monologues qui « mettaient en scène deux individus réunis dans un seul comme s’ils existaient réellement ». Graphomane illuminé, instruit des leçons du magnétisme, dont il partage le goût avec Balzac, Bra produit une œuvre polygraphe qui brouille par avance les catégories conventionnelles. Son écriture, qu’il gardera secrète, parle de forces souterraines, tout comme chez la voyante de Prevorst. Le trait, vecteur de lignes de propagation fluidique, mêle écriture et dessin, mots et images, schémas géométriques et animalerie crépusculaire, silhouettes androgynes et tracés abstraits, dans une forme de rébus énigmatique, délibérément illisible, à mille lieues du style beaucoup plus austère et homogène de sa statuaire civique et religieuse. Dans La Configuration humaine, une encre brune de petit format (25 x 20 cm), forme d’éclaboussure all over avant l’heure qui anticipe sur les entrelacements surréalistes d’un André Masson, Bra fait chevaucher de multiples constellations, treillis curvilignes qui se bousculent pour animer la surface de la page blanche remplie à l’excès et produire, dans les enflures de la tache créée à l’entrecroisement des lignes directrices, des « images potentielles » à même de susciter le travail de l’imagination72. Jacques de Caso l’écrit : « Il a fusionné les actes de dessin et d’écriture dans le cadre d’une praxis originale d’inscription renversant toutes les idées préconçues concernant l’iconographie, le style et la fonction de représentation […]. Bra a donné forme matérielle aux débats du début du XIXe siècle analysant les processus de pensée de l’homme en termes de nature et d’action des signes, de complicité de langage et d’écriture, de signe et d’objet73. » Des dessins et des écritures qui ne sont pas seulement à comprendre comme une tentative de catharsis, mais bien comme une entreprise littéraire et artistique en soi, où Bra met au défi – « pervertit » dira Caso74 – les conventions de la mimesis : « Les dessins étaient de deux sortes, les uns offraient des signes plus ou moins géométriques, les autres des images symboliques […]. Les signes géométriques m’occupèrent longtemps, et plus tard, après avoir médité sur l’origine des langues et analysé les écritures égyptiennes que M. Champollion a nommées hiératiques […], je fus amené à penser que dans la première enfance des peuples, l’âme avait dû suggérer ces éléments des langues propres ayant encore pour propriété en fixant l’attention de provoquer à la méditation75. » L’agitation du crayonné répond à l’état d’exaltation, frappé de « grandes commotions », de « moments de fièvre et d’exaltation » que Bra décrit comme des « éruptions souterraines », et dans lesquels l’âme du créateur est tout « enflammée », réduite parfois à ne pas pouvoir B C 61 HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 61 12/09/2020 00:28 A HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 62 12/09/2020 00:28 1800-1830 exprimer la richesse et la densité d’intuitions fulgurantes : « Je suis sous l’emprise d’idées trop extraordinaires pour essayer de les rendre76 ! » L’artiste est certes exalté mais ne « quitte pas son néant personnel » ; l’« esprit somnambulique » ne lui est pas propre. Il vient d’ailleurs, largement insufflé par ce que Bra va nommer des « psychélies », des personnalités modèles et tutélaires comme Moïse, Jésus-Christ, Mahomet, jusqu’à plus surprenant… Bonaparte (nommé « Napoléon, substance pure concentrée » dans un curieux dessin intitulé Puissance guerrière somnambulique magnétique77), dont les paroles seraient toujours « actives », « génératrices éternellement ». Les médiations sont parfois plus intrigantes et pour le moins enchevêtrées dans un tissu relationnel. Théophile Bra sera largement inspiré, à partir de 1826, par sa seconde épouse, la jeune Maria Christovalina, elle-même « somnambule », sous l’emprise magnétique d’un premier mari qui distribue aussi bien son aval que son influence sur la mission de l’artiste, dans un singulier imbroglio entre appel créatif et polarité affective qui met en crise jusqu’à la dualité des genres (la forme androgyne est omniprésente dans ses dessins). C’est là un curieux corollaire inattendu, à ce jeu de circulation des identités. Car dans les jeux de dédoublement s’immisce une surprenante altération de la division des sexes à laquelle est opposée, toujours en termes d’harmonie retrouvée sur un mode platonicien, la fascination pour un être originaire, parfaitement unifié dans le travail même de sa doublure. Le couple fusionnel fait ici office de dispositif créatif : « Ce jour-là, notre santé à tous les deux était parfaite, nous étions au comble de la joie, nous avions des sensations heureuses ; je l’endors par le magnétisme, et elle me dit : prends un crayon et du papier et dessine. Je fis ce qu’elle me commanda et vis sortir une figure si sublime de beauté et de caractère que rien dans l’antique sculpture ne peut lui être comparable78. » Fusion, mais aussi abandon. Loin d’être de simples griffonnages laissant libre cours à une main débridée, ces dessins forment le projet d’une ambition messianique de l’art : un programme fraternel et global d’un « musée de la Paix » où se lirait, dans la succession de bustes de grands hommes, la marche vers l’harmonie sociale universelle. Bra, approché par les disciples de Saint-Simon, incarne l’artiste qui cherche à dépasser le cliché romantique de l’égotisme individualiste pour porter la praxis de l’art vers une dimension plus interpersonnelle. En fait, dans ce jeu de délégation de l’auteur, c’est le culte de la personnalité (savamment cultivé dans la construction du génie romantique79) qui est défié, jusque dans la forme autobiographique des écrits, pour faire place à une forme d’abnégation du moi au profit de l’œuvre collective, pour ne pas dire communielle : « L’artiste n’est rien. Chaque homme en ce monde faisant grand bruit, s’accorde une valeur particulière, il n’en est peut-être pas de même au XIXe siècle, chez l’artiste chrétien ; il n’est rien. Ce qui se passe en lui détruit sa personnalité […], il a choisi la part du néant80. » Une première évidence devant ses dessins somnambuliques : leur complexité formelle par les enchevêtrements de signes et de lignes, les effets de superposition. Une écriture entasse et enchâsse différents niveaux d’interprétation comme si le propre de « l’accès somnambulique » était justement de pouvoir démultiplier les entrées simultanées de lecture et les réseaux interconnectés de traduction. Jacques de Caso propose de rapprocher cette ornementation stratifiée d’un mode de compréhension accéléré – ce que le somnambulisme appelle déjà une « intelligence remarquable » et que l’on retrouve dans la description par Balzac de son personnage Louis Lambert, adepte du magnétisme et auteur d’un Traité de la volonté : « Son œil embrassait sept à huit lignes d’un coup et son esprit en appréciait le sens avec une vélocité pareille à celle de son regard. » Bra et Balzac se rencontrent vers 1830, alors que l’écrivain, qui visite l’atelier du sculpteur, est en pleine rédaction de Séraphîta81. Le lien mérite de s’y arrêter, car il conditionne le « réalisme magnétique » à une conceptualisation de la « seconde vue » (un terme que Balzac a trouvé notamment chez Walter Scott et qu’il développe dans l’écriture de Louis Lambert, dont le personnage éponyme est capable, « par un phénomène de vision, d’abolir l’espace dans ses deux modes de Temps et de Distance dont l’un est l’espace intellectuel, et l’autre l’espace physique82 »). Abolir les distances entre corps et esprit, mais aussi rapprocher les êtres, dans un jeu de « sympathie » qui fusionne leurs esprits en permettant de « devenir autre que soi » : « Je pouvais épouser leur vie, je me sentais leurs guenilles sur le dos, leurs désirs, leurs besoins, tout passait dans mon âme, ou mon âme passait dans la leur », fait dire Balzac au narrateur de Facino Cane83. C’est le cas notamment du portrait de sa fille que Bra exécute à l’encre brune le 3 janvier 1843. Tout autour de ce visage concentré aux yeux fixes se bousculent des rayonnements centripètes, à l’image des nombreuses représentations d’irradiations cérébrales que l’on rencontrera plus tard dans les ouvrages de magnétisme, et qui sont autant de traces des liens psychiques qui unissent les deux êtres. Une seconde caractéristique est leur nature instantanée, signe d’une même urgence contenue dans le tracé direct, suivant des investissements d’intensité variable qui donnent dans ses entrecroisements un rythme propre, un phrasé singulier, à chacun des dessins. L’instance de cette urgence rappelle combien il s’agit là de lire les empreintes mêmes d’une pensée en mouvement et agitée mais que son auteur, qui tient à maintenir la maîtrise de son ascendant, prend soin d’écarter de tout délire ou signe d’aliénation A. Théophile Bra, La Croix mystérieuse, ca. 1826-1850, encre brune métallo-gallique sur papier, env. 30 x 20 cm, Douai, bibliothèque Marceline-Desbordes-Valmore. 63 HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 63 12/09/2020 00:28 L A VA G U E D E S S O M N A M B U L E S mentale. Cette urgence se retrouve dans la qualité même des supports adoptés, très variés, obtenus dans la même urgence que la force compulsive qui a porté le geste. Bra dessine sur des matériaux trouvés, non préparés, à portée de main : du papier à lettres mais aussi des dos d’affiche, des imprimés électoraux ou des prospectus commerciaux, jusqu’à des papiers peints, anticipant sur le choix circonstancié des collages cubistes qui rabaisseront le support noble de la peinture vers des matériaux ordinaires, pauvres, empruntés à l’univers quotidien des artistes, comme une forme de déni face aux artifices du « haut modernisme ». L’inspiration exaltée de Bra s’énonce sur un support qui revendique assez ouvertement sa condition matérielle : projection instantanée de la pensée dans le monde réel, mais aussi appréhension symbolique de cette réalité au moyen de « signes hiéroglyphiques84 » directement connectés avec celle-ci : « Vous saurez que par des signes hiéroglyphiques, on détermine la valeur de certaines qualités ; ces signes se composent par un assemblage de lignes droites, courbes, onduleuses, renfermant un certain espace que l’on colore diversement ; l’assemblage de ces lignes forme donc des caractères, des figures plus ou moins géométriques, et c’est par elles que les anciens peuples fixaient leurs idées, et ces idées fixées faisaient naître des sentiments. » En cela, Bra adhère, comme le rappelle très justement Julie Ramos, à la logique de médiation et de communication du symbolisme telle que l’entend le projet romantique : « Le symbole tel que redéfini par le romantisme apparaît comme un langage transparent, permettant de dépasser le clivage entre le signe et ce qu’il signifie, pour mieux traduire le monde dans son immédiateté […]. On comprend dès lors que le magnétisme n’aura pas été pour Bra uniquement une expérience personnelle inscrite dans l’autobiographie, mais qu’il aura aussi fourni un modèle à la création artistique : du point de vue de l’artiste comme voyant ou médium, recevant dans les transes somnambuliques un message divin et la capacité de le traduire ; et du point de vue du médium de l’art capable par sa dimension symbolique d’affecter son spectateur85. » Dans la puissance communicative de ce langage symbolique, la philosophie de la nature du premier romantisme va rencontrer au plus près les modèles fournis par les imaginaires du magnétisme animal et sa philosophie évolutionniste de la nature, celle que l’on retrouve par exemple dans l’ouvrage Ueber Sympathie, de Friedrich Hufeland, paru en 1811. Par « sympathie », Hufeland entend l’expression d’une formation ancienne de l’organisme – celle de la A A. Un magnétiseur, gravure extraite d’A. Regazzoni, Nouveau manuel du magnétiseur praticien, 1865. B. Scène de magnétisme, planche extraite du Cosmorama Pittorico, 1850. 64 HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 64 12/09/2020 00:28 1800-1830 B « sphère végétative » – qui se distingue par l’ascendant des capacités de passivité face aux influences externes. Le propre de l’évolution de l’espèce serait de voir décroître cette part de passivité au profit de l’autonomie du sujet, mais elle resterait au stade latent dans certains états comme celui des « états d’assoupissement de la conscience de soi ». Le somnambulisme artificiel accueille cette influence extérieure à un tel degré que le sujet « paraît pour ainsi dire lui appartenir comme une de ses parties, former avec [elle] un seul et même organisme86 », sur le modèle symbiotique du « lien indissociable » entre la mère et le fœtus : « Dans la nature organique, il n’existe qu’une seule relation dans laquelle la sympathie, comme dans le magnétisme animal, s’exprime par le plus haut degré de dépendance d’un individu à l’égard de l’autre : la relation que nous percevons dans le lien indissociable entre l’enfant à naître et la mère. Les deux rapports sont pour l’essentiel parfaitement égaux ; leur différence tient seulement à la forme externe, et celle-ci est déterminée par la sphère de l’organisme, qui entre d’abord et originellement dans cette relation87. » C’est donc dans ce conflit de dépendance et d’autonomie programmées que la dynamique du somnambulisme se révèle la plus créative. Elle dramatise la destitution de l’auteur (Fichte parle de « destruction totale de l’entité propre88 ») tout en laissant entrevoir la possibilité d’une (re)naissance du sujet sur un fil tendu entre la vie et la mort. La voyante de Prevorst est à « l’article de la mort », toujours à la veille de livrer un dernier souffle, dans l’incandescence des révélations de l’outre-monde : « Elle était plutôt un esprit qu’un habitant dans ce monde mortel. Si nous voulions la comparer à un être humain, nous dirions qu’elle semblait plutôt dans les conditions de celui qui, flottant entre la vie et la mort, appartient plus au monde qu’il va visiter qu’à celui qu’il est sur le point de quitter89. » La peinture qu’en dressera plus tard Gabriel von Max la montre apaisée, les paupières fermées, allongée sur un lit, les bras ouverts, un carnet de dessins au-devant d’elle, dans l’expectative sereine de traduire sur le papier les révélations venues d’un ailleurs dans lequel elle semble déjà avoir mis un pied. Dans d’autres cas, cette expérience létale de la fascination se fait autrement plus menaçante et (auto) destructive. Elle relève d’une extrême dépendance vampirisante, comme chez Hoffmann, dont le Magnétiseur 65 HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 65 12/09/2020 00:28 L A VA G U E D E S S O M N A M B U L E S de 1814 ne laisse pas à ses victimes la possibilité de sortir de son emprise autrement que par la mort – il les tue si elles s’avisent de sortir de son champ d’influence. Se retrouvent là les échos d’anciennes croyances, celle en particulier du « mauvais œil » souvent incarnée par des personnages maléfiques ou un bestiaire de créatures tératologiques à l’instar du fameux basilic90, un animal de légende, mi-oiseau, mi-serpent, qui « associe au geste de voir un pouvoir ou tout au moins une forme d’action très concrète91 ». Le XVIe siècle en parle beaucoup et craint le pouvoir tétanisant de son regard qui peut tuer celui qui le croise. Selon Thomas Brown dans son Essai sur les erreurs populaires ou examen de plusieurs opinions reçues comme vrayes qui sont fausses ou douteuses, « les rayons visuels de ses yeux se chargent de la portion la plus subtile du poison, ils les transmettent aux yeux, & ce poison attaquant d’abord le cerveau, est ensuite porté au cœur92 », même si on oppose à cette toute-puissance de vie et de mort la condition que le basilic voit sa victime avant que cette dernière ne puisse rencontrer son regard. Voir/être vu, la domination du magnétiseur joue sur une « dangereuse circulation du regard93 » qui demande, pour être rassurée de faire acte d’une confiance envers celui-ci, qui seul donnera la mesure de l’abandon dans l’union parfaite et l’ardeur de deux esprits mis en contact, et son pendant, la naissance d’une libido qui se plaît à frissonner de son propre enchaînement. Mais plus que les créatures vipérines au regard « transperçant », la figure mythologique de la Méduse (qui hybride l’héritage du basilic avec sa chevelure faite A des serpents et le mythe de Narcisse, par la tétanisation pétrifiante du regard) est à nouveau présente dans l’iconographie romantique94, où elle rejoue, sous l’angle du somnambulisme, l’ambivalence entre emprise du magnétiseur et terreur du magnétisé, bousculant les distinctions entre objet/sujet, humain/animal, mâle/ femelle, actif/passif. La Méduse, à mi-chemin entre la mort (l’envie et la tétanisation du regard) et la création (l’inspiration et la mobilisation des muses), rappelle combien le frisson devant ce monstre au regard pétrifiant prend sa source, étymologiquement, dans la propre valeur de monstration du regard (monstrare)95. L’histoire, convoquée par de nombreux auteurs romantiques, parle d’elle-même (séduction, abus de pouvoir et violence, métamorphose et tétanisation). Fille de Phorcys et de Céto, née par descendance de l’union de la terre et de l’océan, elle est présentée comme une séduisante jeune fille dont Poséidon s’éprend au prix de la violer dans le temple d’Athéna. Cette déesse la punit, qui la transforme en Gorgone (une créature fantastique malfaisante dont le regard a le pouvoir de pétrifier les personnes qui la regardent) ; ses yeux ont donc, tout comme le basilic, le pouvoir de pétrifier tout mortel qui croise son regard. Persée la décapite, son masque est remis à Athéna, qui l’installe sur son bouclier, représentation d’un contre-pouvoir au mauvais œil, au mauvais sort (c’est donc à la fois une représentation du regard qui foudroie et son contre-pouvoir, son amulette, son étymologie grecque renvoyant à la protection). En cela, la Méduse est un objet « apotropaïque » (du grec apotropein, « détourner »), c’est-àdire appliqué à ce qui conjure un mauvais sort, ce qui détourne et conjure les influences maléfiques d’une fascination létale. Une arme de destruction et de protection, à la fois. Mais il y a plus, car la Méduse romantique, dans son pouvoir de pétrification, est une sorte de pendant au mythe de Pygmalion, qui veut animer sa statue (la transformer par le mécanisme du désir en créature vivante) quand elle transforme en pierre la créature vivante qu’elle neutralise96. La Méduse incarne à la fois le mythe de l’anti-artiste (elle pétrifie le corps à l’inverse du mythe de Pygmalion qui le fait vivre) et celui du pouvoir démiurgique de l’artiste (en produisant une sculpture par la force idéoplastique du regard), elle symbolise à la fois l’interdit du regard (ne pas fixer la Gorgone au risque de se voir anéantir) et la griserie esthétique de la contemplation (ne pas pouvoir extraire son regard du motif). Figure de la création des images97 et de la destruction de la peinture98, « thanaturge » et thaumaturge simultanément, la Méduse, tout comme la voyante de Prevorst, donne vie à la créativité en s’approchant au plus près de la mort. Les somnambules, au regard médusé/médusant, n’auront jamais autant inventé de nouvelles formes poétiques qui désarment la peur de se dissoudre dans l’autre ou de disparaître. A. L’art de magnétiser, ou Le magnétisme animal considéré sous le point de vue théorique, pratique et thérapeutique par Ch. Lafontaine, 1847, Bibliothèque nationale de France. B. Dessin de Fluidus dans le Nouvel almanach magnétique, 1856, Bibliothèque nationale de France. 66 HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 66 12/09/2020 00:28 B HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 67 12/09/2020 00:28 L A VA G U E D E S S O M N A M B U L E S NOTES 1. Rapport des commissaires chargés par le Roi de l’examen du magnétisme animal, Paris, 1784, p. 77. 2. Olivier Schefer, « L’éveil des somnambules », dans Armand Marie Jacques de Chastenet de Puységur, Recherches sur l’homme dans l’état de somnambulisme, Paris, Éditions VillaRrose, 2008, p. 142. 3. « Au centre de la place se dressait un immense et très bel orme […]. Les paysans venaient s’asseoir sur les bancs de pierre entourant l’arbre. Autour du tronc et des maîtresses branches étaient fixées des cordes dont les malades enroulaient les extrémités aux endroits douloureux de leur corps. Au début de la séance, les malades formaient une chaîne en se tenant par le pouce. Ils sentaient alors, plus ou moins intensément, le fluide circuler à travers leur corps. Au bout d’un certain temps, le maître ordonnait de rompre la chaîne et demandait aux malades de se frotter les mains. » Henri Frédéric Ellenberger, Histoire de la découverte de l’inconscient, Paris, Fayard, 1994 [1970] p. 102. 4. Amand Marie Jacques de Chastenet de Puységur, marquis de Puységur, Recherches, expériences et observations physiologiques sur l’homme dans l’état de somnambulisme naturel et dans le somnambulisme provoqué par l’acte magnétique, Paris, Dentu, 1811, p. X-XI. 5. [Anon.] Le Globe, 17 décembre 1825, cité par Tony James, Vies secondes, Paris, Gallimard, 1997 [1995], p. 31. 6. Marquis de Puységur, Recherche sur l’homme dans l’état de somnambulisme, op. cit., p. 41. 7. Ibidem, p. 119. 8. Dr Husson cité dans Foissac, Rapports et discussions de l’Académie royale de médecine sur le magnétisme animal, p. 28, repris dans Bertrand Méheust, Somnambulisme et médiumnité. Le défi du magnétisme, tome I, Le PlessisRobinson, Éditions de l’Institut Synthelabo, 1999, p. 156. 9. J.-F. Delpit, « Observations et notes sur des maladies nerveuses extraordinaires et rares », Bibliothèque médicale, tome LVI, 1817, p. 323. 10. Alexandre Bertrand, Du magnétisme animal en France, et des jugements qu’en ont porté les sociétés savantes, Paris, Baillière, 1826, p. 459-460. 11. A. Bertrand, Traité de somnambulisme et des différentes modifications qu’il présente, Paris, Dentu, 1823, p. 19. 12. A. Bertrand, Du magnétisme animal en France (1826), édition établie par Serge Nicolas, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 101. 13. A. Bertrand, Traité de somnambulisme, op. cit., p. 178179. 14. D. G., Journal de Paris politique, commercial et littéraire, 21 septembre 1818, cité par B. Méheust, Somnambulisme et médiumnité, op. cit., p. 142. 15. Jean-Nicolas Illouz, Nerval. Le rêveur en prose. Imaginaire et écriture, Paris PUF, 1997. 16. Casimir Chardel, Essai de psychologie physiologique, Paris, 1831, p. 273. 17. Joseph-Philippe-François Deleuze, Histoire critique du magnétisme animal, 2e édition, Tours, Mame, 1819, p. 190. 18. Ibidem, p. 189-190. 19. Louis de Séré, Application du somnambulisme magnétique au diagnostic et au traitement des maladies, Paris, Baillière, 1855, p. 207. 20. A. Bertrand, Traité du somnambulisme, op. cit., p. 230. 21. Johann Gottfried von Herder, Du connaître et du sentir de l’âme humaine (1778), trad. Cl. Pagès, Paris, Allia, 2013, p. 51, cité par Andrea Pinotti, L’Empathie. Histoire d‘une idée de Platon au posthumain (2011), Paris, Vrin, 2016, p. 55. 22. Wilhelm Heinrich Wackenroder et Ludwig Tieck, Les Épanchements d’un moine ami des arts, trad. Charles Leblanc et O. Schefer, Paris, José Corti, 2009. 23. F. A. Mesmer, Mémoire sur la découverte du magnétisme animal, Paris, Allia, 2006, p. 50. 24. A. Tardy de Montravel, Correspondance de monsieur de Puységur, tome III, repris dans Bertrand Méheust, Somnambulisme et médiumnité, op. cit., p. 144. 25. J.-P.-F. Deleuze, Instruction pratique sur le magnétisme animal, Paris, 1825, p. 115. 26. P. Sloterdijk, « Les hommes dans le cercle magique. Contribution à une histoire idéelle de la fascination du proche », Bulles. Sphères I, Paris, Fayard, 2010 [1998] , p. 227-286. 27. Marquis de Puységur, Recherches sur l’homme dans l’état de somnambulisme, op. cit., p. 48. 28. Ibidem, p. 53. 29. Arthur Schopenhauer, Ueber den Willen in der Natur [1835], cité par P. Sloterdijk, Bulles, op. cit., p. 258. 30. Denis Diderot, Lettre sur les aveugles, cité par Bertrand Méheust, Somnambulisme et médiumnité, op. cit., p. 198. 31. Alphonse Teste, Le Magnétisme animal expliqué ou Leçons analytiques sur la nature essentielle du magnétisme, ses effets, son histoire, ses applications, les diverses manières de le pratiquer, Paris, Baillière, 1845, p. 335. 32. Lettre de Philipp Otto Runge à Charles Francis Richter, 27 septembre 1809, citée par Julie Ramos, « Un monde de résonances : convergence des arts dans le romantisme allemand », dans Pascal Rousseau, Serge Lemoine (éd.), Aux origines de l’abstraction (1800-1914), Paris, RMN, 2003, p. 199. 33. Julie Ramos, « Un monde de résonance », Ibid., p. 200. 34. Lettre de P. O. Runge à C. F. Richter à Joukovski, 12 décembre 1835, citée par J. Ramos, Nostalgie de l’unité. Paysage et musique dans la peinture de P.O. Runge et Caspar David Friedrich, Rennes, PUR, 2008, p. 46. 35. Novalis cité dans Ibidem, p. 35. 36. P. Rousseau, « Arabesques. Le formalisme musical dans les débuts de l’abstraction », dans Aux Origines de l’abstraction, op. cit., p. 231-245. 37. Franz von Baader, Fermenta cognitionis, trad. E. Susini, Paris, Albin Michel, 1985, p. 53, cité par Olivier Schefer, Résonances du romantisme, Bruxelles, La lettre volée, 2005, p. 121. 38. Ibidem, p. 113 et 122. 39. Johann Wilhelm Ritter, Fragments posthumes tirés des papiers d’un jeune physicien, trad. C. Maillard, Charenton, Premières pierres, 2001, p. 200. 40. « Dans le magnétisme animal, on sort du domaine de la volonté pour entrer dans celui de l’involontaire dans lequel le corps organique se comporte à nouveau à la manière de l’inorganique. Cependant les mystères des deux domaines s’y révèlent. » Ibidem, p. 201. 41. Lettre de J. Ritter à Franz von Baader, citée par S. Hammoud, Mesmérisme et romantisme allemand (1766-1829), Paris, L’Harmattan, 1994, p. 94. 42. Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, Briefwechsel, cité par Alain Montandon, Les Yeux de la nuit. Essai sur le romantisme allemand, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2010, p. 203. 43. Luis Montiel, Magnetizadores y somnambulas en la Alemania romantica, Madrid, Frenia, 2008. 44. François Roustang, « Introduction », dans Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Le Magnétisme animal, Paris, PUF, 2005, p. 25. 45. G. W. F. Hegel, dans ibidem, p. 62. 46. Ibid., p. 64. 47. Ibid., p. 76. 48. Ibid., p. 75. 49. F. Roustang, « Introduction », Le magnétisme animal, Paris, PUF, 2005, p. 26. 50. « Le sommeil magnétique produit un renforcement de la vie saine puisque l’organisme divisé en lui-même accède à l’unité avec soi. » G. W. F. Hegel, cité par F. Roustang, ibidem, p. 26. 51. Pierre-Simon Ballanche, La Ville des expiations, Paris, Les Belles Lettres, 1926, p. 109 52. Johann Wolfgang Goethe, Goethes Werke, Hambourg, Christian Wegner Verlag, t. XIII, 1962, p. 324. 53. Gustav Fechner cité par Marcel Foucault, La Psychophysique, Paris, Alcan, 1901, p. 52. G. Fechner, Anatomie comparée des anges, traduit par Michèle Ouerd et Annick Yaiche, suivi de Sur la danse, postface de William James, Paris, Éditions de l’Éclat, 1997 [1825], p. 21. 54. S. Hammoud, Mesmérisme et romantisme allemand, op. cit., p. 136. 55. Justinus Kerner cité dans ibidem, p. 147. 56. Ibid., p. 166. 57. J. Kerner, La Voyante de Prevorst, Paris, Camion noir, 2016 [1829], p. 80. 58. J. Kerner cité par S. Hammoud, Mesmérisme et romantisme allemand, op. cit., p. 183. 59. Ibidem, p. 184. 60. Ibid., p. 188. 61. J. Kerner, La Voyante de Prevorst, op. cit., p. 138. 62. J. Kerner cité par S. Hammoud, Mesmérisme et romantisme allemand, op. cit., p. 190. 63. Antoine Faivre, Accès à l’ésotérisme occidental, tome II, Paris, Gallimard, 1996. 64. Avicenne cité par Étienne Félix d’Hénin de Cuvillers, « Recherches historiques et réflexions sur le magnétisme animal », Archives du magnétisme animal, tome V, p. 14. 65. A. Tardy de Montravel, Essai sur la théorie du somnambulisme magnétique, cité par Bertrand Méheust, Somnambulisme et médiumnité, op. cit., p. 342. 66. Novalis, L’Encyclopédie. Notes et fragments, traduits par Maurice de Gandillac, Paris, Éditions de Minuit, 1966, cité par Luis Montiel, « Magnétisme animal et nouvelle subjectivité dans l’Allemagne romantique », dans B. Belhoste et N. Edelman (éd.), Mesmer et mesmérismes, Montreuil, Omniscience, 2015 , p. 172. 67. G. H. von Schubert, cité par S. Hammoud, Mesmérisme et romantisme allemand, op. cit., p. 139. 68. Julie Ramos, « Du double magnétique au trouble mimétique chez Théophile Bra », dans B. Belhoste et N. Edelman (éd.), Mesmer et mesmérismes, op. cit., p. 191 69. Théophile Bra cité par André Bigotte, « La sculpture Bra. Éléments d’approche », Les Amis de Douai, avril-maijuin 1983, p. 22. 70. T. Bra, 1829, cité par J. de Caso, « L’urgence du mot », dans Théophile Bra, L’Évangile rouge, Paris, Gallimard, 2000, p. 271. 71. Éric Michaud, « La responsabilité », dans Nathalie Heinich, Jean-Marie Schaeffer et Carole Talon-Hugon (éd.), Par-delà le beau et le laid. Enquêtes sur les valeurs de l’art, Rennes, PUR, 2014, p. 134. 72. Dario Gamboni, Images potentielles. Ambiguïté et indétermination en art moderne, Dijon, Presses du réel, 2016 [2002]. 73. Jacques de Caso, « The Written Drawing : The Work of Théophile Bra », Représentations, n° 72, automne 2000, p. 93. 74. J. de Caso, « L’urgence du mot », préface à T. Bra, L‘Évangile rouge, op. cit., p. 23. 75. T. Bra dans ibidem, p. 56. 76. Ibid., p. 91. 77. Ibid., p. 194. 78. Ibid., p. 158. 79. Thierry Laugée, Figures du génie dans l’art français, 1802-1855, Paris, PUPS, 2016. 80. T. Bra, « L’artiste n’est rien », encre brune sur papier, Fonds Bra, Bibliothèque municipale de Douai, cité par J. Ramos, « Du double magnétique au trouble mimétique », dans B. Belhoste et N. Edelman (éd.), Mesmer et mesmérismes, op. cit., p. 192. 81. Goran Blix, « The occult roots of realism : Balzac, Mesmer and second sight », Studies in Eighteenth Century Culture, vol. 36, 2007, p. 261-280. 82. Honoré de Balzac, Louis Lambert, Paris, Gallimard, 1990 ([1832], p. 82. 83. H. de Balzac, Facino Cane (1837), cité par Goran Blix, art. cit., p. 266. 84. T. Bra, L’Évangile rouge, op. cit., p. 82. 85. J. Ramos, « Du double magnétique au trouble mimétique chez Théophile Bra », art. cit., p. 203 et 205. 86. Christoph Wilhelm Hufeland, Ueber Sympathie, 1811, cité op. cit. P. Sloterdijk, Bulles, p. 264. 87. C. W. Hufeland, cité dans ibidem, p. 268. 88. Johann Gottlieb Fichte, cité par P. Sloterdijk, Bulles, op. cit., p. 275. 89. J. Kerner, La Voyante de Prevorst, op. cit., p. 80. 90. Olivier Dubouclez, Histoire du basilic, Arles, Actes Sud, 2015. 91. Carl Havelange, De l’œil et du monde. Une histoire du regard au seuil de la modernité, Paris, Fayard, 1998, p. 48. 92. Thomas Brown, Essai sur les erreurs populaires ou examen de plusieurs opinions reçues comme vrayes qui sont fausses ou douteuses, Paris, Briasson, 1738, p. 273. 93. C. Havelange, De l’œil et du monde, op. cit., p. 50. 94. Jerome McGann, « The Beauty of the Medusa : A Study in Romantic Lirerary Iconology », Studies in Romanticism, vol. 11, 1972, p. 3-25. 95. Anne DeLong, « The Medusan Muse : Speaking Eyes and Snaking Veins », dans Mesmerism, Medusa and the Muse. The Romantic Discourse of Spontaneous Creativity, Plymouth, Lexington Books, 2012, p. 105-138. 96. Jean Clair, Méduse. Contribution à une anthropologie des arts du visuel, Paris, Gallimard, 1989. 97. Françoise Frontisi-Ducroux, Du masque au visage. Aspects de l’identité dans la Grèce ancienne, Paris, Flammarion, 1984. 98. Louis Marin, Détruire la peinture, Paris, Gallimard, 1977. 68 HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 68 12/09/2020 00:28 HYPNOSE_02-Cooper-CC2018.indd 69 12/09/2020 00:28 HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 70 12/09/2020 00:40 HYPNOLOGIE 1830-1870 HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 71 12/09/2020 00:40 A HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 72 12/09/2020 00:40 « Je rencontrai dernièrement au Salon un de mes amis, assez piètre connaisseur en peinture, mais magnétiseur des plus distingués. – Que venez-vous faire ici lui demandai-je. – Tâter le pouls à l’art contemporain, me répondit-il. – Vous êtes devenu critique ? fis-je avec un sourire légèrement railleur. – Mais non. Cependant quand la fantaisie m’en prend, je juge un tableau ou une stature aussi bien qu’un autre. – Pas possible ? – Vous doutez de la justesse de mes appréciations ? – Je l’avoue. Voyons, que pensez-vous de la Bataille de Magenta d’Adolphe Yvon ? Mon ami se posa à bonne distance du tableau et se mit à le regarder avec une fixité singulière. – Eh bien ? dis-je. – Attendez, cela vient… – On dirait que vous magnétisez cette peinture. – Juste. Et, par ce moyen, rien ne m’est plus facile que de me renseigner sur son mérite ; je la force à m’avouer ses qualités et ses défauts. » [Anon.], « Salon de 1863. Les tableaux magnétisés », Le Charivari, jeudi 7 mai 1863, p. 2. constituent un défi pour l’esprit positiviste de cette époque. Cependant, si la tourmente révolutionnaire avait balayé les vertus thérapeutiques du magnétisme animal après la mise au ban officielle des commissions, celui-ci refait surface dans les années 1830 en France sous le second Empire. Parfois sous forme d’un retour en grâce et en mode, dans des débats passionnés que de nouvelles expertises médicales vont s’empresser de mettre à mal, accompagnées dans le champ de la culture visuelle par une salve de caricatures raillant une « magnétomanie » présentée comme le syndrome du conditionnement moderne d’individus victimes de leur crédulité. Avec la circulation accélérée de l’imagerie sociale, le magnétisme s’installe dans la sphère sociale et politique. Le mitan du XIXe siècle est occupé par ce conflit opposant deux camps organisés : ceux qui cherchent à ramener les effets du magnétisme animal dans un système technique et rationnel aux effets curatifs sur l’équilibre psychique de sujets de plus en plus dissociés et malléables, et ceux qui le refusent en bloc comme une forme détournée de manipulation des cerveaux, un instrument de contrôle social à l’ère des tout premiers développements de la communication de masse. La montée en puissance du « somnambulisme artificiel » dans le premier tiers du XIXe siècle ainsi que le développement de son versant spiritualiste, voire mystique, autour des courants de l’illuminisme chrétien, très implantés dans certaines villes européennes, Le premier camp, celui des défenseurs d’un héritage psycho-physiologique du somnambulisme artificiel, va s’appuyer d’abord sur le rapprochement entre mesmérisme et phrénologie (on parlera de « phréno-magnétisme »), afin d’expliquer sur un mode plus A. Magnétorama, mesmérisme et somnambulisme, détail d’un dessin de Marcellin reproduit dans Le Journal pour rire, 11 décembre 1852. 73 HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 73 12/09/2020 00:40 HYPNOLOGIE réflexologique la nature des systèmes d’influences intersubjectives. Il connaîtra un nouveau moment d’inflexion au tout milieu du XIXe siècle, autour des travaux d’un médecin écossais, James Braid, et son traité de « neuro-hypnologie » (1843). Avec Braid, le terme d’« hypnotisme » – qui avait déjà circulé, mais timidement et sans véritable relais institutionnel - va définitivement s’imposer dans le lexique culturel et médical pour venir qualifier une technique reposant davantage sur la réactivité du sujet magnétisé que sur la force dirigée du magnétiseur. Ce renversement de perspective favorise une nouvelle inversion du jeu d’autorité au sein de la relation qui unit médecin et patient et amplifie la dimension expérimentale des états modifiés de conscience. Il met surtout en place une série de médiations techniques et instrumentales (la technique de fixation d’un point lumineux, l’usage de miroirs ou d’objets brillants) qui viennent se substituer à la présence charismatique du magnétiseur. Dans le champ de l’art, ces mécanismes vont nourrir une réflexion sur la performance et la productivité des dispositifs d’emprise immersive sur le public, Richard Wagner – et son théâtre de Bayreuth comme temple de « l’art total » – converti en grand hypnotiseur d’une foule qui communie dans le bain du « fluide musical ». HYPNOSCOPIE LE TOURNANT OPTIQUE DU « MAGNÉTISME ÉCLAIRÉ » A Si l’hypothèse du somnambulisme artificiel de Puységur avait déjà sacrifié la physique des fluides au profit d’une approche centrée sur le « pouvoir de la volonté », c’est un autre point de vue que certains médecins vont prôner pour comprendre le mécanisme de la guérison dans la relation magnétique : l’option « imaginationniste » introduite dès 1813 par l’abbé Faria, puis par Alexandre Bertrand ou le général Noizet, pour qui la volition du magnétiseur se contente de libérer des forces propres au patient des « puissances de l’imagination », qui modifient sensiblement ses facultés et réactions. C’est à l’un des membres de ce courant que l’on doit le premier véritable changement copernicien annonçant le déplacement du magnétisme vers l’hypnotisme. Il n’est plus marquis mais baron de son état, lui aussi militaire de carrière, mais cette fois membre de l’Académie des sciences de Paris, maniant la plume et l’épée ; son nom, Étienne Félix d’Hénin de Cuvillers. Éditeur des Archives du magnétisme animal (1820-1823), il peut être considéré comme l’un des tout premiers, après Faria, à mettre en avant la dynamique « imaginative » de l’hypnose, qui porte à peine encore ce nom1. Dans Le Magnétisme éclairé (1820), Hénin de Cuvillers s’attarde sur la curiosité des guérisons et autres « phénomènes extraordinaires », qu’il tente de détacher de « causes surnaturelles » : « On entend par magnétisme animal l’action réciproque que tout être animé en général exerce sur un autre être animé par le moyen des sensations que les sens qui constituent l’organisation des corps vivants reçoivent, pour les transmettre à l’imagination2. » Dans cette démarche qui consiste à « faire connaître le naturalisme de tous les phénomènes de psicologie » en démasquant « l’ancienne superstition », Cuvillers va prendre soin de distinguer le « magnétiste » (celui qui est persuadé de la réalité d’une transmission physique du fluide) du « magnétiseur » (celui qui met en pratique les procédés du magnétisme). Le premier perpétue la tradition d’une médecine magicienne adossée au régime du rituel et de la croyance (il parle de « médecine occulte3 ») quand le second privilégie en praticien, les données de l’observation « sans apprêter, par ce moyen, des armes favorables aux matérialistes » : « Pourquoi supposer un fluide occulte là où l’imagination fait tout par le moyen des sens4. » « Imagination », maître mot de cette entreprise dont Cuvillers est allé chercher la caution scientifique dans le Dictionnaire des sciences médicales : « S’il est dans notre système intellectuel une puissance admirable par son éclat, son étrange mobilité, son énergie pour disposer de toutes nos facultés, de toutes nos passions, c’est sans contredit l’imagination […]. Elle est la reine du système nerveux, tant elle domine toutes les puissances de la sensibilité.5 » A. Hauts faits de magnétique, gravure extraite du Journal pour rire, 11 décembre 1852. B. M. Louis, magnétisé par M. Durand. Tremblement nerveux, contractions musculaires, caricature extraite du Journal pour rire, 11 décembre 1852. 74 HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 74 12/09/2020 00:40 1830-1870 B 75 HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 75 12/09/2020 00:40 HYPNOLOGIE A Cette entreprise de sécularisation du « miraculeux » conduit Cuvillers à préciser le périmètre de ce qu’il va désormais appeler la « médecine hypnoscopique6 ». Pour cela, il lui faut retrouver les traces historiques du magnétisme animal sur un long terme et une géographie élargie (Égypte ancienne, Asie, SaintDomingue, qu’il connaît lors d’une brève carrière diplomatique…), avec pour objectif de le sortir d’un cadre culturel et épistémologique purement occidental. De cette récolte anthropologique, Cuvillers va notamment retenir l’exemple de l’ablation, une posture symbolique rencontrée en Asie en particulier dans les traditions bouddhistes, consistant à placer la main devant soi, le bras levé, la paume ouverte et les doigts joints en signe de protection. Cette « main votive » du guérisseur, il l’identifie aussi chez les prêtres égyptiens et dans la gestuelle christique, signe selon lui de l’universalité d’un geste répandu dans la culture visuelle du globe. L’abhaya, vient de l’iconographie védique, dont Cuvillers a pu remarquer des exemples dans les illustrations des ouvrages de Pierre Sonnerat sur ses Voyages aux Indes orientales7, qui mettent en scène des personnages à l’immobilité contrôlée par ce seul geste de la main. Favorable à la concentration mutuelle des forces, Cuvillers va faire reposer le principe actif de l’alliance thérapeutique sur cette position dominante de la main associée aux anciennes techniques des indigitamenta (dans la Rome antique, invocations basées sur ces gestes). Cependant, plus que l’observation de la main souveraine, c’est la fixation du regard lui-même qui apparaît comme la plus propice à l’immobilisation : « Ce n’est pas le fluide qui s’échappe du bout des doigts qui produit le sommeil magnétique ; mais c’est le regard fixe du magnétiseur, qui fatigue et endort la personne sur laquelle il veut exercer une action8. » L’idée va traverser tout l’imaginaire visuel de l’hypnotisme jusqu’à nos jours. Les objets peuvent faire office de supports de la fixation du regard (ils restent les outils archaïques du « sortilège »), mais c’est bien la concentration visuelle sur les yeux et la mimique de l’expression faciale (le goût de l’époque pour les « théories de l’expression ») qui s’avère très vite la plus efficace dans la mise à l’arrêt du sujet tétanisé par la puissance présentielle d’une figure d’autorité : « Ce qui parle aux sens et remue l’imagination, tel que le bruit, les émanations et tous les objets qui se présentent à notre vue, produit des sensations sur les corps vivants […]. L’attirail de cette magie consiste dans les charmes, les enchantements, les talismans, les amulettes. Je placerai dans la même catégorie les arbres, les baquets et l’eau, magnétisés, et tous les autres objets, comme anneaux, mouchoirs, billets de papier blanc ou écrits, etc. auxquels des somnambules ou des magnétiseurs prétendent, au moyen de certains gestes de la main, infuser une vertu particulière, un fluide enfin qu’ils appellent magnétique, qui émane de leur propre corps […]. L’homme doué d’une plus grande force de volonté et d’un plus grand courage en impose 76 HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 76 12/09/2020 00:40 1830-1870 à son ennemi par un coup d’œil, par une attitude fière et menaçante, et sa présence seule semble enchaîner toutes les facultés de son adversaire. Les animaux carnassiers commandés par un véhément appétit arrêtent leur proie et la frappent de terreur par un regard fixe9. » La fixité du regard (Cuvillers parle d’« œil étincelant » et de « regard foudroyant ») sera le mode universel car interspécifique, de la domination, règnes humain et animal confondus. Le terme d’« hypnoscopie » prend alors tout son sens : tout s’origine et se déploie dans un jeu de productivité de la vision. L’hypnoscopie ne désigne pas la possibilité de produire et de voir des images dans le sommeil – ce que Cuvillers appelle « oniroscopie » –, mais la faculté de visualisation en sommeil avec une prédilection pour l’aptitude de l’association libre, sorte d’imagerie fonctionnelle avant l’heure. Et il y a plus, car la productivité visuelle est immédiatement adossée à des moyens de traduction et d’interprétation. L’invention du sujet passe par la création d’une écriture jusque dans la dramatisation d’un style. Traduction scripturaire donc comme le laisse entendre le vocable « hypnographe10 », qui désigne celui « qui écrit en dormant » et annonce la vague graphomane des proto-écritures automatiques. Interprétation aussi, comme le laisse deviner le terme « hypnocritie11 », par lequel il faut comprendre « l’art d’expliquer » cette production. L’innovation d’un voca- B C bulaire formel appelle immédiatement ses outils de traduction et de décryptage, avec pour horizon la transcription immédiate de la signification dans l’extension du pouvoir d’interprétation de l’œil. Cuvillers passe d’abord en revue une nomenclature foisonnante mais hésitante dans laquelle il va chercher à faire le tri. La liste est longue, déployée sur une dizaine de pages avec un florilège de mots érudits parfois imprononçables – Epopide, Epopsite, Epopte, Epotiste, Hypnale, Hypnamphibole, Hypnariolique, Hypnique, Hypniopseude –, avant d’avancer suivant l’ordre alphabétique les termes Hypnotisme, Hypnotiste, Hypnotiseur… Le mot est lâché. « Hypnotisme » vient d’entrer dans le vocabulaire. L’« hypnotiste » (celui à qui revient la défense d’un « fluide de l’incrédulité ») est appelé à balayer les ingénuités du « magnétiste ». Pour Cuvillers, cette « néologie », loin d’être fantasque, s’appuie sur les usages du Dictionnaire de l’Académie française, dont la version de 181412 adopte le terme adjectivé « Hypnotique », ainsi, que sur le Dictionnaire étymologique des mots français tirés du grec de Morin, dans sa seconde édition de 1809, qui autorisait déjà les termes « Hypnobate », « Hypnologie » et « Hypnotique ». La subtilité sémantique des étymologies (et la dimension rationnelle de leur racine grecque), conduit Cuvillers à préciser l’horizon heuristique de sa démarche. Le terme d’« hypnotisme » viendrait de la racine grecque hypnos accolée à une autre, enypnion, désignant plus spécifiquement le « sommeil accompagné de songes ». Il s’agit donc de définir dans l’hypnose, non pas un sommeil profond, mais intermédiaire, dans lequel l’activité imageante est stimulée. Dans sa fresque savante et historique, Cuvillers évoque Artemidorus (Daldianus), un des pionniers de l’onirocritique (oneirocriticon) qui, le premier, avait pris soin de distinguer les rêves non prédictifs (enypnion) des rêves prédictifs (oneiros), les premiers étant motivés par une origine purement physiologique ou psychologique (un rêve de nourriture pour A. Experiment in Animal Magnetism, ca. 1850, gravure. B. Le Rapport, caricature extraite du Journal pour rire, 11 décembre 1852. C. Le Regard magnétique, planche extraite de Leslie Meacham, Lessons in Hypnotism and the Use of Suggestion, 1898. D. H. B., Animal Magnetism, 1838, lithographiée par Ducote, coll. part. 77 HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 77 12/09/2020 00:40 D HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 78 12/09/2020 00:40 HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 79 12/09/2020 00:40 HYPNOLOGIE quelqu’un qui a faim). Mais ce n’est pas tant l’image mentale et ses valeurs prédictives que l’action même du regard qui devient l’agent stratégique de ce nouveau programme. En substituant au mot « somnambule » celui d’« hypnoscope », Cuvillers va oculocentrer le magnétisme : « La dénomination de Somnambule, dont le terme scientifique qui lui correspond est hypnobate, ne devrait être employée que pour désigner ceux qui marchent en dormant sans s’éveiller, et ne convient nullement pour exprimer une personne endormie par les procédés du Magnétisme, qui, sans quitter le siège où elle est assise, parle, répond, voit la maladie des personnes présentes ou absentes, et transporte son imagination à des distances plus ou moins éloignées […]. Je propose le mot HYPNOSCOPE qui désignera ceux qui voyent pendant le sommeil13. » Ce tournant scopique confirme plus qu’il n’infirme la dimension visionnaire du phénomène, voire sa nature clairvoyante (« hypnoscopie » dialogue avec « hypnomancie »). Tout va résider désormais dans la productivité imagière du sujet et sa capacité à se traduire en acte. HALLUCINATIONS PERCEPTION « SANS OBJET » ET TABLEAUX VIVANTS C’est là qu’entre en jeu la rencontre avec le discours clinique sur l’hallucination – une rencontre autour des années 1830-1850 facilitant notamment, par son détour sur les productions oniriques, un débouché sur la création artistique. C’est le docteur Esquirol qui, le premier, introduit le terme « hallucination » en 1817, dans Le Dictionnaire des sciences médicales : « Un homme en délire qui a la conviction intime d’une sensation actuellement perçue, alors que nul objet extérieur propre à exciter cette sensation n’est à portée de ses sens, est dans un état d’hallucination14. » La première conséquence de cette vague de recherche des aliénistes sur les « visions » sera le refus de présenter leur activité comme une pathologie morbide des sens, et son corollaire, la possibilité créative de croiser crise mystique, attitudes passionnelles et inspiration artistique autour d’une même économie sensible de la contemplation. Pour Louis Piesse, dans les Annales médico-psychologiques, « une exaltation même extrêmement vive du sentiment religieux, l’intensité, la fixité d’une contemplation dans laquelle l’individu, perdant en quelque sorte conscience de sa personnalité, confond momentanément son existence avec celle de l’objet suprasensible de sa pensée et de son amour, ne constituent pas un état morbide. C’est un cas exceptionnel de l’activité cérébro-psychique, analogue au surcroît d’énergie, par exemple, que peuvent acquérir, sous influence d’une passion, les forces musculaires, mais non un fait d’ordre pathologique15 ». L’artiste et l’illuminé, tous deux assimilés à des « êtres privilégiés », se retrouvent en communion d’exaltation, quand l’acte de création se considère désormais comme une pensée traduite intensément en image, l’hallucination ne venant ici que forcer les limites d’une réalité trop confinée. La « folle du logis » devient plus que jamais source d’inspiration, avec ses modes de traduction qui, à nouveau, invitent les sujets décrypteurs à recouvrer le sens enfoui d’une « langue commune » : « Les extatiques de tous les temps et de tous les siècles ont ce qu’on peut appeler une langue commune […]. L’extase, dans ce cas, est une exaltation prodigieuse des puissances morales et intellectuelles, d’où jaillissent les révélations intérieures de cette personnalité infinie qui est en nous et qui, parfois, chez les meilleurs et les plus grands, manifestent par éclairs des forces latentes, dépassent presque sans mesure les facultés de notre condition actuelle16. » L’inspiration n’aura qu’à descendre sur terre, en cessant de convoquer une force extérieure et surnaturelle pour installer les moments d’exaltation dans un for intérieur converti, sous l’emprise magnétique, en « personnalité infinie ». Et la création puisera ses ressources dans l’actualisation d’une image mentale rapportée très vite à une « hallucination volontaire ». Des méthodes inédites de visualisation mentale se développent dans le champ de l’enseignement artistique, à l’instar de Boisbaudran, un professeur de dessin, qui « apprend à ses élèves à voir l’image mentale d’objets soustraits à leur vue, puis à les dessiner17 ». Mais c’est surtout le processus de créativité qui est passé au crible de la méthode analytique. À propos des « hallucinations psycho-sensorielles18 » , Jules Baillarger étudie le cas du peintre Horace Vernet, repris dans les colonnes des Annales médico-psychologiques, où Philippe Buchez explique l’inspiration du grand coloriste par une « vision intérieure » qui n’est pas « rare chez les peintres », et qui peut vite se traduire comme une « matérialisation d’un idéal19 ». Quant à Théophile Gautier, dans sa récession critique du « Salon de 1839 », il voit en Eugène Delacroix un de « ces rares artistes » dont les œuvres « se rapportent au type intérieur qu’il voit de l’œil de l’esprit20 ». La création artistique devient le moyen de fixer des « images intérieures » (des « images imaginées »), à la fois créées de toutes pièces et inspirées de rappels mnémoniques, dans un mélange intuitif entre invention et reproduction. Ainsi de Delacroix et des personnages rencontrés dans ses toiles : « Les figures de ses tableaux ressemblent à des figures de cette population invisible qui se meut au-dedans de lui-même, bien plus qu’aux physionomies de la foule réelle. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne soit ni naturel, ni vrai, car il faut une grande puissance d’assimilation et d’intuition pour se former ainsi un monde dans le monde, une création dans la création !21 » A. Subjects in a Cataleptic State Posed to Represent a Death Scene, photographie reproduite dans X. LaMotte Sage, Hypnotism as It Is, 1899. 80 HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 80 12/09/2020 00:40 1830-1870 81 HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 81 12/09/2020 00:40 HYPNOLOGIE La clinique de l’extase somnambulique anticipe ainsi sur l’activité mentale de « l’hallucination artistique22 ». Dans ses observations données devant les membres de l’Académie de médecine, le docteur Husson commente cette fermeture aux sens extérieurs (« on est parvenu, pendant ce singulier état, à paralyser, à fermer entièrement les sens aux impressions extérieures, à tel point qu’un flacon, contenant plusieurs onces d’ammoniac concentré, était tenu sous le nez pendant cinq, dix, quinze minutes, sans produire le moindre effet, sans empêcher aucunement la respiration, sans même provoquer l’éternuement23 »). Ici se reconnaît la combinaison des deux paramètres majeurs de la condition somnambulique selon Puységur, à savoir l’« isolement », où le sujet somnambulique « ne conserve aucune relation avec les objets extérieurs24 », et la « concentration », « conséquence du premier caractère », où le sujet est « dans une telle occupation de lui-même qu’il ne puisse en être distrait par rien25 ». Alexandre Bertrand lui donnera un nom, « l’extase somnambulique » : « On doit rattacher toutes les facultés que présente le somnambulisme à deux phénomènes principaux : l’excitation du cerveau et l’exaltation de la sensibilité propre à la vie intérieure qui, de latente et organique qu’elle est en état de veille, devient perceptible dans le somnambulisme26. » C’est là, dans cette concentration recherchée (Durand de Gros parle de « somnambulisme hyperphysiologique27 »), que la vie intérieure déborde et l’emporte sur la réalité extérieure, par un effet d’idéation qui annule le monde extérieur, sous l’effet d’une attention portée à son incandescence. Nul hasard à trouver dans les colonnes médicales de l’époque des commentaires sur « un peintre français célèbre qui possédait cette faculté, a déclaré que ces conceptions existaient dans son esprit, mais qu’il ne les voyait pas par le moyen des yeux28 ». Dans ce sens, créer consiste à devenir « présent aux images » produites dans l’exercice de l’imagination. Mieux encore, « l’artiste magnétique » peut atteindre et rendre au plus profond l’intimité de ceux qu’il cherche à dépeindre, abreuvant le projet romantique d’une psychologisation du portrait en peinture. C’est ce que l’on retrouve en 1837 dans une nouvelle intitulée Les Peintures prophétiques, de Nathaniel Hawthorne, connu pour ses nombreux liens avec les courants mesmériens29, qu’il a rencontrés notamment par sa femme, Sophia Peabody30. Tout comme le Poe des Révélations magnétiques (1844), Hawthorne perçoit le magnétisme comme une « science magique » qui défait les secrets de l’intimité. Armé des leçons du magnétisme, le peintre se trouve doté d’un « œil pénétrant » qui atteint au plus près le « fond de l’âme » de son modèle : « On dit qu’il ne peint pas seulement les traits, mais l’esprit et le cœur. Il saisit les passions et les sentiments secrets et les projette sur la toile, comme l’éclat du soleil – ou, lorsque son modèle est une personne à l’âme noire – comme les lueurs du feu d’enfer. C’est un don inquiétant […]. J’ai presque peur de poser pour lui31. » La fonction du regard magnétique est portée à A son maximum d’emprise matérielle : « Il fixait ses yeux perçants sur la personne et semblait la transpercer de part en part32 », avec en sous-main, tout comme dans la nouvelle de Poe, la croyance archaïque dans le pouvoir vampirisant du peintre à faire plus vivant que le modèle lui-même en s’appropriant son substrat organique : « Lorsqu’il s’est emparé de la figure et du corps d’une personne, il peut la peindre en toute action ou situation qu’il lui plaît… et que la peinture devient prophétique33. » Hawthorne s’est largement inspiré pour cette nouvelle d’une histoire suggérée « par une anecdote concernant le peintre Stuart ». Il en a retrouvé la trace dans L’Histoire des arts plastiques publiée en 1834 par William Dunlap34, qui y commente dans son premier volume les travaux du peintre Gilbert Charles Stuart, connu pour son portrait de George Washington. L’anecdote en question rapporte la découverte par lord Mulgrave d’un portrait de son frère commandé au peintre, et où, intrigué par l’expression de folie du visage, il comprend intuitivement qu’elle révèle une tentative de suicide de son aîné qu’il ignorait35. Dunlap fait sièger la virtuosité du peintre dans sa capacité à reproduire l’esprit « caché » du modèle sur la toile (« to represent mind as well as body ») ; il parle plus précisément d’une facilité à « donner corps à l’esprit » (« happy facility of embodying the mind, as strongly as he identifies the person36 »). Pour cela, Hawthorne n’est plus allé chercher son inspiration dans une histoire de l’art mythifiée, mais bien plutôt dans la toute récente révolution des techniques indicielles de la photographie. Hawthorne pressent une analogie entre « révélation magnétique », physique vibratoire et projection de la psyché à la surface de l’image mécanique. Dans La Maison aux sept pignons, l’un de ses contes gothiques publié en 1851, l’art du portrait photographique, appelé « psychological daguerreotype », s’appuie sur une technique de révélation directe et fluidique de l’âme. Son modèle sera celui de la « psycho-photographie » de Robert Hanham Collyer, un médecin précurseur des méthodes d’anesthésie, éditeur du Mesmeric Magazine et « showman scientist ». Hawthorne a assisté à l’une de ses conférences spectacles37 ainsi qu’Edgar 82 HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 82 12/09/2020 00:40 1830-1870 Allan Poe38. Adepte de la phrénologie et du mesmérisme, largement influencé par le magnétiseur John Elliotson, rencontré à l’université de Londres, Robert Collyer publie en 1843 (l’année de sa rencontre avec Poe) un ouvrage intitulé Psychography or the Embodiment of Thought. Collyer y évoque la possibilité d’une « incorporation des idées qui, par un effort unifié de la volonté, peut être importée dans le cerveau d’un récipient », selon un mécanisme qu’il compare à un « procès photographique mental39 ». Il propose, gravure à l’appui de sa démonstration, l’expérience d’un reflet optique dans un bol rempli de mélasse, d’une « image mentale » transmise entre deux sujets concentrés, le bol de mélasse faisant fonction à la fois de lentille de réflexion et de liquide de révélation40. Pour le dire autrement, Collyer associe le transfert magnétique des pensées et la photosensibilité photographique41, à partir d’un modèle partagé de communication optique et vibratoire de l’information42. Participant à sa manière aux imaginaires techno-fantaisistes d’une transmission directe des émotions et des pensées (une télépathie avant l’heure), il préfère le terme plus physiologique d’« état congestif » à celui de « transe somnambulique » et va, dès les premières diffusions du procédé de Daguerre, penser la duplication indicielle de l’image comme une modalité de transmission fluidique, investie d’une véritable fonction plastique. Loin de s’en tenir à des spéculations technologiques sur la (re)production des « images psychiques », Collyer sera aussi connu pour la production d’un fameux spectacle de « tableaux vivants », ayant tourné dans de nombreux théâtres des États-Unis. Intitulé Model Artistes, ce spectacle didactique et « populaire » reproduit des tableaux et sculptures de l’histoire universelle de l’art (Titien, Rembrandt, Van Dyck, etc.), avec des modèles vivants, pour certains nus – ce qui lui vaudra des dénonciations de pornographie43. Le lien avec le magnétisme n’est pas plus anodin, car Collyer a défrayé la chronique (Poe s’en souviendra en 1843 dans La Vérité sur le cas de M. Valdemar) en prétendant avoir « réanimé » un sujet in articulo mortis avec ses passes magnétiques. Outre qu’elles rejouent le B A. Le Regard, dessin de Fluidus reproduit dans Nouvel almanach magnétique, 1854. B. Projection mentale dans le bol de mélasse, gravure reproduite dans Robert Collyer, Psychography or The Embodiment of Thought, 1843. 83 HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 83 12/09/2020 00:40 HYPNOLOGIE mythe de Pygmalion, les Living Pictures de Collyer s’animent au son d’un orchestre installé en fosse qui, dans l’esprit de son imprésario, fait office de chargeur voltaïque d’une résurrection fluidique du tableau, offerte au public sur le mode hallucinatoire de la fantasmagorie. Dans cette perspective qui confère un statut stratégique à l’image mentale, fût-elle un recyclage des images mémorisées, vécues ou reçues, tout art, écriture et peinture confondues, est celui de bien gérer une hallucination rapidement comparée à un « tableau animé », de convertir, au mieux, cette production visionnaire en « donnant un corps et de l’actualité aux images44. » Conférer une « actualité » aux images, c’est ce que se proposent de réaliser au même moment les dioramas et panoramas mobiles qui animent les boulevards des nouvelles métropoles45, et dans l’intimité plus domestique, les « lanternes magiques » et autres « optiques amusantes » qui fleurissent dans ce premier XIXe siècle. Dans son dispositif immersif, circulaire à 360 degrés, dont les limites correspondent à l’envergure complète du champ visuel d’un spectateur placé à un point central, objet exclusif et totalisant de la perception supprimant tous les « termes de comparaison »46 susceptibles de souligner la distinction entre réalité et fiction picturale, le panorama offre une nouvelle articulation du rapport cognitif entre réalité et représentation. Dans son Essai sur la nature, le but et les moyens de l’imitation dans les Beaux-Arts, Quatremère de Quincy ira jusqu’à relever, face à un panorama, qu’il « est presque obligé de se raisonner soi-même pour se convaincre que ce n’est pas à la nature mais bien à une œuvre d’art que l’on accorde son admiration47 ». Alexandre Bertrand n’aurait pas dit mieux pour comprendre les effets de confusion visuelle perçus en « somnambulisme magnétique ». Dans un panorama, on voit mieux et plus, ensemble et en détail, confondant les lois habituelles des perspectives linéaires et atmosphériques. C’est là une expérience similaire à « l’hyperesthésie de la vue » repérée chez les sujets somnambuliques. L’analogie est encore plus frappante avec le panorama mobile, comme dans le modèle anglais du peristrephic panorama, qui recourt à des mécanismes de toiles circulaires animées48. Là, l’étrange relation qui s’établit entre la position stationnaire et immobile du spectateur et les effets rotatifs de la toile mise en mouvement, fait que tout semble s’animer autour d’un sujet littéralement cerné par des images insaisissables, en perpétuelle métamorphose, celles que commentent de nombreux sujets placés en transe somnambulique. Quant aux expériences visuelles des dioramas, portées par des variations de sources lumineuses placées à l’arrière d’une toile translucide, elles renvoient à des subtilités optiques rencontrées dans l’expérience extralucide de certains somnambules. Celles que rapporte le docteur Alphonse Teste en témoignent : « Dans cette atmosphère lumineuse, ils commencent par distinguer vaguement les corps dont les formes et les couleurs se précisent à mesure que la lucidité augmente. Cette lucidité, aussi bizarre dans son développement qu’incompréhensible dans sa nature, se manifeste rarement d’une manière constante et à degré invariable. Tantôt elle naît comme un beau soleil (disait une somnambule) qui bientôt après s’éclipse pour faire place, sinon à une nuit complète, du moins à un clair-obscur dans lequel les sujets ne distinguent plus rien ; tantôt, c’est une douce lumière dont l’intensité s’accroît progressivement et s’éteint de la même façon49. » C’est bien proche de la description faite devant le diorama installé par Daguerre dans l’église de Saint-Étienne-du-Mont (Daguerre lui-même, à propos de ce diorama, parle d’effet de « décompositions des formes50 »). De fait, la liste des analogies entre ces nouvelles machineries optiques et les apprentissages visuels obtenus en état somnambulique serait longue. C’est la métaphore d’un « miroir concave » qu’utilise Franz Bickert, un des personnages de la nouvelle Le Magnétiseur d’Ernst Theodor Amadeus Hoffmann (1814), à la fois peintre et auteur d’une « pauvre théorie du sommeil », pour qualifier sa perception de la « vie intensive51 ». Parmi les jouets optiques en miroir, une place plus spécifique peut être donnée au kaléidoscope. À la fois instrument d’hypnotisation (la fixation concentrée de surfaces chromo-lumineuses mobiles) et métaphore du fonctionnement de l’imagerie mentale52 (pour Schlegel, la définition même du romantisme est la « reproduction infinie d’images se reflétant de miroir en miroir53 »), le kaléidoscope breveté par David Brewster en 1819 est né quand vient de paraître De la cause du sommeil lucide ou étude de la nature de l’homme, de l’abbé Faria, l’ouvrage culte des partisans de l’« imaginationnisme ». Dans son argumentaire présentant l’intérêt de son invention, Brewster, scientifique anglais complice de l’esthétique romantique et ami de Turner, commente le principe d’une variété « infinie » des combinaisons géométriques conçue comme un moyen d’introduire le rythme dans la contemplation visuelle, afin d’obtenir la « même vivacité que celle obtenue par une composition musicale ». David Brewster propose notamment d’utiliser un kaléidoscope sur pied projetant des formes de différentes couleurs au moyen de réflecteurs faisant varier les teintes, avancer et reculer les formes, et dont la vitesse de rotation serait adaptée au rythme d’une musique d’accompagnement54. Cette synchronisation synesthésique, héritée du « clavecin oculaire » de l’abbé Castel, est le parfait exemple d’une chromatologie de l’extase. Brewster mobilise son savoir optique au service d’une esthétique spectaculaire, qui tire au mieux les avantages d’une collaboration active des sens, repérée dans l’état somnambulique. PHRÉNO-MAGNÉTISME LE « CÉSARISME » DES MANIPULATIONS AU PRISME DE LA CARICATURE Rationalisation organique de la sensibilité et optimisation technique de l’emprise sensorielle : ces deux options vont de pair dans le modèle magnétique des années 1830-1850, poussant l’analyse de l’influence exclusive de la « volonté » du magnétiseur vers des 84 HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 84 12/09/2020 00:40 1830-1870 tés se montrent productives (le cerveau devenant par extension le signe à déchiffrer de l’évolution de la collectivité humaine, autour du développement moral et pédagogique des facultés). Le cas du peintre Hippolyte Bruyères, beau-fils de Spurzheim, est instructif. Auteur d’un traité sur Le Geste et la physionomie démontrés par 120 portraits… (1847), il inventorie, à partir d’un alphabet gestuel, les signes de cette propagation qui irradie du corps dans son ensemble pour le faire vibrer au rythme des impulsions électriques du cerveau (les « gestes sont une sorte de langage qui découle des organes intérieurs57 »). La phrénologie (voire la « cranioscopie », son dérivé plus déterministe encore, recentré sur la forme du crâne comme surface de prédictibilité du génie58) va, sur la base d’un même idéal de relation fonctionnelle entre corps et esprit, rejoindre le projet de rationalisation « physiologique » du magnétisme. Cela donnera le « phréno-magnétisme », très en vogue dans les années 1840, en particulier dans les scènes théâtrales anglo-saxonnes, autour de Spencer Hall en Angleterre et de Robert Collyer aux États-Unis. A techniques de conditionnement physiologique. C’est là qu’entre en jeu l’alliance objective entre phrénologie et magnétisme ; elle conduit le magnétisme animal à se débarrasser partiellement des questions de métaphysique (la relation corps/esprit) au profit d’une objectivation de la sensibilité recentrée sur l’organe du cerveau, à déplacer le mécanisme de la fascination vers une étude purement matérielle des organes, qui rendent lisibles les manifestations d’une influence d’un sujet sur un autre, sans sombrer pour autant dans un sensualisme primaire. Inventeurs de la phrénologie, Franz Joseph Gall et son disciple Gaspar Spurzheim (dont Robert Collyer sera le relais aux États-Unis) proposent une science de la localisation cérébrale55 susceptible de décrypter la langue de l’intériorité en dévoilant le rapport entre la forme du cerveau et le mécanisme de ses facultés. Les formes du cerveau, devenues signifiantes, seront traduites en « hiéroglyphes psychologiques56 », comme si le corps pouvait subitement instaurer un langage objectif et objectivé. Or parmi les différentes facultés localisées dans cette topographie du cerveau (Gall en dénombre vingt-sept, Spurzheim les fera passer à trente-cinq), certaines touchent directement la sphère créative. Ce sera le « sens des rapports des couleurs, talent de la peinture », mais aussi « le sens des rapports de tons, talent de la musique », deux facultés artistiques dont la localisation très fonctionnaliste vise le développement des talents, et son corollaire, la diffusion d’un sens esthétique au sein de la communauté : plus les organes sont développés, plus les facul- De cette alliance ressort une recherche assumée d’efficace dont l’art et les artistes pourraient immédiatement bénéficier dans la quête d’une transmission plus immédiate des émotions, une transmission sans perte d’informations et d’intensités. L’emprise musicale apparaît très vite comme un modèle naturalisé, le corps-cerveau converti en caisse de résonance59. On retrouve là l’influence nerveuse du son et de la musique telle qu’on l’avait déjà identifiée avec l’harmonica de verre mesmérien, reconduite dans l’esthétique B A. The Mesmerist. Phrenological Experiment, ca. 1840, gravure. B. Planche extraite du Journal pour rire, 23 octobre 1852. 85 HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 85 12/09/2020 00:40 HYPNOLOGIE romantique, la phrénologie ayant abondé dans le sens de nombreuses analogies fonctionnelles entre instruments de musique et mécanique cérébrale60. Dès la fin du XVIIIe siècle, au moment de l’agonie du mesmérisme, le paradigme des « sympathies vibratoires » avait été absorbé par des modélisations nerveuses du cerveau61. Le concept de « fluide nerveux » abandonnait l’ancien modèle hydraulique (Harvey, Descartes), au profit de l’électrophysiologie. Mais avec l’épisode phrénologique de la localisation cérébrale, c’est non seulement une zone dédiée « au sentiment de la musique » qui laisse penser à un développement possible d’une sensibilité acoustique, mais plus généralement une boîte crânienne qui apparaît comme un clavier musical sur lequel jouer une partition, laissant le sujet sous la totale dépendance du chef d’orchestre magnétiseur. Le jeu d’acteur fait lui aussi l’objet d’une exégèse phréno-magnétique. La dramaturgie shakespearienne est souvent prise pour exemple. Un article de journal relit entièrement un passage de Roméo et Juliette, celui de la reine Mab, à partir des catégories phrénologiques62. Sur scène, on donne à un sujet somnambulique une pièce connue de l’auteur qui la récite à haute voix sur différentes intonations en fonction des organes du cerveau stimulés par un assistant. On constate que la lecture de Macbeth est d’autant plus dramatique que le sujet est sollicité sur les fonctions organiques « idéalité » et « langage63 », etc. Là encore, ce n’est pas seulement l’impact émotionnel sur le public qui est visé, mais l’inspiration créative elle-même. Dans une édition de 1845 du Journal phrénologique, on s’arrête sur le cas de Felix Bodin, membre de la chambre des députés, A B lequel, plongé en transe magnétique, se découvre des talents graphomanes de poète. Desnos et les séances surréalistes ne sont pas loin : « Il tomba bientôt dans le sommeil magnétique. Sous cette influence, il se redresse soudainement sur son canapé et demande impérativement une plume, de l’encre et du papier, qui lui sont remis dans la foulée. Au grand étonnement de tous ceux qui étaient présents, il composa et écrivit avec fulgurance, sous le pouvoir de l’inspiration, bien que ses yeux fussent scellés dans un sommeil profond, les stances et la musique exquises d’une pièce inchangée, qu’il intitula par la suite La Langueur64. » Au passage, il est dit que la transe n’a pas seulement inspiré l’auteur mais sauvé le député à l’article de la mort, ayant subitement retrouvé ses forces dans le miracle de la passe, comme si la lecture phréno-magnétique de son cerveau, dans le jeu de transparence des signes d’une nouvelle organologie, l’avait dédouané d’une finitude du corps malade. Autant dire que ce genre de manifestations spiritualistes nourrit les suspicions et aiguise les débats. La nouvelle bataille du magnétisme couvre justement la période d’avant le mitan du XIXe siècle. En France, les premières disputes datent du début de la Restauration, elles trouveront un premier moment de culmination dans les années 1840, dans la foulée de l’affaire dite Pigeaire. Très tôt, le front de la médecine officielle s’était élevé contre la persistance populaire et théâtrale du magnétisme animal, Antoine Jénin de Montègre, secrétaire de l’Académie de médecine, stigmatisant dans un pamphlet des procédés « contraires à la raison, aux bonnes 86 HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 86 12/09/2020 00:40 C A & B. Honoré Daumier, Une séance de magnétisme, caricatures reproduites dans Le Charivari, 27 avril 1868. C. Honoré Daumier, Robert Macaire, magnétiseur, 1852, gravure en couleurs. HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 87 12/09/2020 00:40 HYPNOLOGIE mœurs » : « Que ceux d’entre vous dont le cœur n’est pas ceint d’un triple acier, dont l’imagination n’est pas entièrement dominée par la raison, s’éloignent de ces scènes dangereuses […]. Vous devez, à l’aspect de ces ébranlements nerveux, de ces aliénations passagères, redouter les funestes effets de la contagion à laquelle vous vous exposez65. » La diabolisation du magnétisme va aller crescendo à mesure que l’on assiste sur plusieurs fronts à des tentatives de résurgence sous caution scientifique. Les expériences viendront même contaminer de manière encore timide les salles de la Salpêtrière, de la Charité ou du Val-de-Grâce, avec parfois des conversions de pontes des hospices, au rang desquelles celle d’Étienne-Jean Georget, auteur d’une influente Physiologie du système nerveux et spécialement du cerveau66. Retour en grâce aussi, par le biais des propres commissions de l’Académie de médecine, celle notamment qui fut conduite en 1828 par le docteur Husson, somme toute très favorable, concluant que l’on « devrait encourager les recherches sur cette branche très curieuse de psychologie et d’histoire naturelle67 ». Une croisade contre cette réhabilitation ne va pas tarder à s’organiser ; elle passera par l’organisation d’un front des « antimagnétistes » regroupé notamment autour de la figure du docteur Frédéric Dubois (Bertrand Méheust parle de « l’édification de la ligne Dubois68 »), et de nombreux pamphlétaires aiguisés : « Je veux qu’on dise aux peuples effrayés, il fut des magnétiseurs69. » La « mise à mort académique du magnétisme » s’achèvera en 1839 avec le très médiatique procès Pigeaire, du nom d’un membre de la faculté de médecine de Montpellier prétendant produire des phénomènes de vision « sans le secours des yeux », par des passes exercées sur sa propre fille, la jeune Léonide ; un procès mené lors de séances publiques où l’on retrouvera jusqu’à Théophile Gautier et George Sand. L’épilogue de cette séquence qui anime la presse quotidienne se termine en 1839. Le magnétisme de scène prendra la relève avec ses figures tout aussi médiatiques couvrant les programmes des théâtres européens, tel le somnambule Alexis Didier ou le magnétiseur Charles Lafontaine. L’accent désormais est mis sur ce qu’il faut donner à voir « comme s’il fallait essayer de montrer ce qui n’avait pu l’être devant l’Académie70 ». L’imagerie sociale prend le relais. Elle le fera sous le signe de la caricature, Honoré Daumier en tête du mouvement, graveur et dessinateur prolifique, passé maître dans la charge satirique des comportements de classe de la monarchie de Juillet. Dès 1840, sa collaboration au journal de François Fabre, Némésis médicale illustrée (1840), le montre sceptique face au tour mondain du somnambulisme : un magnétiseur au teint blafard en face à face avec une jeune femme installée dans un fauteuil, les yeux fermés sous sa dictée. La légende confirme le geste : « Aussitôt le pas ferme et les sens allumés, Faria tend les mains, le regarde : Dormez », A 88 HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 88 12/09/2020 00:40 1830-1870 sur les maladies de chacun, indique des trésors cachés sous terre et conseille de prendre des actions dans le papier Mozart, dans les mines d’or et dans une foule d’autres fort belles opérations). » La clairvoyance somnambulique est rabattue au rôle vénal d’une anticipation spéculative des cours de Bourse, ou le magnétisme dévoyé est au service de la ploutocratie. B allusion informée à la technique suggestive mise en place par l’abbé Faria. Bien sûr, là encore, tout comme dans la vague antimesmérienne, se retrouve le clin d’œil appuyé à la rencontre libidinale des genoux, prétexte thérapeutique cachant l’occasion d’attouchements volés comme autant d’indices d’un Éros magnétique. Dans ses dessins pour La Caricature et Le Charivari, Daumier tourne en ridicule les travers de la société bourgeoise personnifiée dans le personnage de Robert Macaire, qui, parmi ses multiples rôles archétypaux, prendra aussi l’habit du « magnétiseur ». La lithogravure Robert Macaire magnétiseur, connue et largement diffusée sous de multiples formats, coloriés pour certains, montre Macaire en habit noir, imposant les mains à une femme âgée assise sur une chaise, devant le public. La légende précise le contexte et le propos : « Robert Macaire magnétiseur. Voici un excellent sujet… pour le magnétisme… Certes ! il n’y a pas de commérage, je n’ai pas l’honneur de connaître Melle de St-Bertrand et vous allez voir Messieurs, l’effet du somnambulisme… (Melle de St-Bertrand donne dans son sommeil des consultations Cette pièce savoureuse, jusque dans l’accoutrement d’une coiffe proche du bonnet de nuit (telle quelle dans la caricature de Boilly intitulée Le Magnétisme), cache une multitude d’autres scènes croquées par Daumier tout au long de sa carrière pour pointer les influences détournées du magnétisme animal. Cette critique sociale du pouvoir symbolique de l’argent se retrouve dans l’épisode en série des « diamants magnétiseurs », amorcé dans Le Charivari au début de l’année 1860. Un homme hirsute avance un diamant, brillant de tous ses feux, devant les yeux de sa femme manifestement subjuguée. Le 24 janvier, c’est un arlequin cherchant à fuir le domicile familial pour rejoindre une fête galante, qui quitte sa femme après l’avoir endormie au moyen du diamant. Cette technique de magnétisation est devenue entre-temps un usage « à la mode » exercé dans les salons, comme le révèle un article publié en janvier 1860 dans les colonnes du Monde illustré. L’auteur situe la scène dans une « grande maison russe de Paris, […] un salon éclectique et cosmopolite ». Parmi les invités qui acceptent de se faire « hypnotismer » (sic), un « portraitiste célèbre, M. Gustave Ricard » : « Cinq minutes après qu’une broche en diamant eut été placée sous la projection de ses regards convergents, M. Gustave Ricard se mit à parler italien, et…71 » D’autres croquetons suivront, avec la même espièglerie, mettant dos à dos la vénalité des courtisanes et l’esprit carabin des maris trompeurs. Plus tard dans les années 1860, la pédagogie se fait plus politique, voire diplomatique (on retrouvera les mêmes choix dans le Punch anglais). La série Une séance de magnétisme s’ouvre en 1867 avec une allégorie féminine de l’Exposition universelle imposant les mains sur le dieu de la guerre, Mars, endormi sous ses passes, son casque de guerrier déposé au sol comme signe d’allégeance aux vertus conciliatrices du village global portées par les signes du progrès technique. Un an plus tard, toujours dans les mêmes colonnes du Charivari (27 avril 1868), l’allégorie féminine prend cette fois le profil d’Europe magnétisant un personnage transi, jambes croisées, installé en position du lotus, représentant les « questions d’Orient ». Dans chaque cas, le magnétisme animal est perçu comme une manipulation des esprits recyclant une « mentalité primitive », une technique archaïque dont la diabolisation se focalise sur la figure magique du sorcier (ou de la sorcière), rapportée aux méthodes de fascination extra-occidentales et à leur condamnation rationaliste par un esprit civilisé se défiant des croyances du sauvage, drainant un discours colonialiste à peine voilé. A. Honoré Daumier, Magnétiseur animal, gravure reproduite dans la revue Némésis médicale, 1840. B. Louis-Léopold Boilly, Le Magnétisme, 1826, gravure rehaussée de couleurs, 34,2 x 25 cm. 89 HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 89 12/09/2020 00:40 HYPNOLOGIE HYPNOLOGIE ÉCONOMIE DE L’ATTENTION, SPECTACLE TOTAL ET « FLUIDE MUSICAL » C’est probablement face à la virulence organisée de ce front antimagnétiste que va s’opérer la contre-opération venue d’outre-Manche72, pilotée par James Braid. Là encore la stratégie passe par une requalification scientifique du vocabulaire d’où le terme « hypnotisme » va émerger en contrepoint des ornières de la magie noire, en optant pour des techniques d’induction alliant culture attentionnelle, procédés de fixation et méthodes de concentration. Cette alliance trouvera sa traduction artistique la plus immédiate dans le projet de la scène wagnérienne et sa définition d’un « art du futur » animant la convergence communielle des regards. Tout commence le 13 novembre 1841, à la sortie d’une démonstration publique de magnétisme et phrénologie orchestrée par le Suisse Lafontaine, dont les performances inaugurent un nouveau genre : le magnétisme de scène, connu sous le vocable de « séances de magnétisme » (Daumier s’en souviendra) ou conversazione. C’est donc dans l’enceinte d’une salle de spectacle de Manchester que Braid va vivre sa conversion au magnétisme scientifique73. Là, affublé de deux acolytes pris comme sujets d’observation, Lafontaine se présente comme un apôtre de la nouvelle science donnant sur scène le théâtre de la preuve. Malgré la conviction que « le magnétisme est arrivé à ce point qu’il commence à être une science74 », Lafontaine reste pourtant débiteur d’un modèle à l’ancienne (« Lancer un jet de fluide avec violence en présentant les doigts, puis refermer les doigts et les rapprocher de vous-mêmes comme s’il y avait des ficelles qui de votre corps se dirigeaient vers le sujet et que vous retireriez à vous75 »), mais ce sont ses manipulations anesthésiantes par les doigts76 et le jeu engourdissant de « clôture des yeux » qui vont retenir l’attention de Braid, très vite soucieux de débarrasser la méthode de « somnambulisme magnétique » de tout fluide exogène. Car au-delà des quelques expériences de « transmission de pensée » ou autre « état extatique sous influence de la musique », Braid retient de la démonstration de Lafontaine l’effet physiologique d’une anesthésie. C’est le moment de la tétanisation des yeux, qui fera basculer le magnétisme vers le « neuro-hypnotisme » ou « neurypnologie », un terme apparu pour la toute première fois dans une communication intitulée Practical Essay on the Curative Agency of Neuro-Hypnotism, qu’il souhaite donner en novembre 1841 devant les membres de la British Association for the Advancement of Science. Pour Braid, l’induction hypnotique fonctionne sur le principe d’une « congestion nerveuse du cerveau » (ce que l’auteur va appeler « hypotaxie » ou « état hypotaxique »), obtenue par un certain nombre de techniques très simples dont la plus élémentaire est la fixation d’un objet brillant ou d’un point lumineux : « La vision continue et prolongée d’un point fixe. » Il bascule l’hypnose dans une instrumentation optique de l’attention dont l’appareillage fait fleurir une multitude de brevets, à l’instar de la « boule hypnotique des Drs Demarquay et Giraud-Teulon », un instrument qui « consiste en une boule brillante en acier d’un centimètre et demi de diamètre, montée sur une tige qui glisse elle-même, à frottement doux, dans une monture à charnière fixée sur un frontal ou diadème qu’une courroie assujettit autour de la tête77 ». Ce sont non seulement de nouveaux protocoles, mais la mise en place d’un dispositif décrit par Durand de Gros, le prosélyte du « braidisme » en France : « Faites-les asseoir sur des sièges placés latéralement en ligne et les dossiers tournés du côté du jour, afin que la lumière directe ne rencontre point les yeux des sujets. Donnez ensuite à chaque personne un objet à tenir dans la main pour faire office de point de mire. Les électro-biologistes emploient à cette fin un disque de zinc de deux centimètres de diamètre et dont le centre est formé par un clou de cuivre enchâssé dans l’autre métal. Tout A A. Première hypnotisation de Braid, planche extraite de l’ouvrage du docteur Foveau de Courmelles, L’Hypnotisme, 1890. B. Honoré Daumier, Le Diamant magnétiseur. Nouveau divertissement des soirées, gravure extraite du Charivari, 29 décembre 1859. 90 HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 90 12/09/2020 00:40 1830-1870 B corps brillant et d’une petite dimension peut remplir le but désiré. Ces premières dispositions prises, vous invitez vos sujets à s’établir sur leurs sièges dans une position facile à garder et à tourner les yeux vers le point de mire placé dans une main, en tenant celle-ci à 45 centimètres de ces organes et à la hauteur de la ceinture. Vous leur faites entendre qu’ils doivent concentrer sur ce point d’une manière exclusive leurs regards et leur attention ; qu’ils doivent borner autant que possible l’exercice de leur pensée à un acte de perception et de conscience relatif à l’impression visuelle ressentie, et s’abstenir de passer de cette contemplation purement sensorielle à une contemplation réfléchie et analytique où l’imagination se donne carrière78. » Que retenir de cette inflexion de la méthode ? Un recentrage sur une mécanique de la perception où le magnétiseur a fait place à des instruments à voir, des technologies cautionnant l’« objectivité mécanique », le « régime clef du XIXe siècle79 », « nouveau modèle de conviction épistémologique80 ». Objectivité tout d’abord. En effet, ce revirement de l’hypnotisme vers 1840 est sans nul doute infléchi par le propre renversement de la notion d’« objectif » à cette époque. Comme ont pu l’analyser Lorraine Daston et Peter Galison, « le sens moderne du mot “objectivité” est le résultat d’une volte-face historique81 » qui se joue justement à ces dates. Si le terme « objectif » renvoyait dès le bas Moyen Âge aux choses telles qu’elles se présentent à la conscience, quand le mot « subjectif » se référait aux choses en soi, c’est « la réception de la philosophie kantienne » au début du XIXe siècle qui a transformé la terminologie dans un complet « virage sémantique », dont Daston et Galison nous disent qu’il a lieu précisément « à partir des années 1820 et 1830 », un moment clé où les termes « objectivité » et « subjectivité » font leur entrée dans les dictionnaires européens, avec des définitions « qui se rapprochent du sens qu’on leur connaît aujourd’hui82 ». Mécanique ensuite, dans le rôle que prend la médiation des instruments, diminuant la part du « jugement de l’imagination » au profit du mode plus quantifiable de « lois des structures ». La réflexologie n’est pas loin, avec ses recherches sur les canaux de transmissions nerveuses, les délais de réaction et les degrés d’attention, à grand renfort de méthode graphique et de chronométrage. Les explications de Braid vont dans ce sens, comme s’il s’agissait de bannir toujours plus l’intervention d’un arbitraire trop humain : « Mes remarques sur l’influence de l’imagination sont mentionnées d’une manière qui pourrait faire croire que j’étais un partisan de la théorie de l’imagination – c’est-à-dire que l’induction du sommeil n’est, en 91 HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 91 12/09/2020 00:40 A HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 92 12/09/2020 00:40 1830-1870 premier lieu, que le résultat de l’imagination. Je crois tout le contraire. Je l’attribue à l’induction d’une habitude d’abstraction intense et de concentration de l’attention, et je soutiens qu’elle est le plus facilement induite en amenant le patient à fixer ses pensées et sa vue sur un objet, et à supprimer sa respiration83. » De là, un paradoxe apparent : celui de rencontrer l’attention dans un état intermédiaire de sommeil quand on l’associe normalement à une cohérence de la conscience et à la productivité de la veille. Le vocabulaire du « braidisme » respire l’émergence d’une économie moderne de l’attention (fixité, concentration, abstraction), qui semble revoir les lois d’attraction et de sympathie pour les convertir en règles empiriques d’imitation, tout en balayant le modèle plus vagabond de la rêverie. Mais il ne s’agit pas pour autant d’évincer la performance esthétique, bien au contraire, ainsi que l’indique une séance de septembre 1847 consacrée à la virtuosité de la voix. Braid a fait pour cela appel à Mlle Jenny Lind, une soprano de renom international, ainsi qu’à deux jeunes filles de ferme, venues en habit de travail pour souligner leur milieu d’origine et leur peu de familiarité avec l’univers cultivé de l’opéra. Les deux petites maraîchères induites en hypnose accompagnent sans aucun apprentissage la cantatrice de renom, sur des airs suédois dont elles ignorent bien sûr l’usage de la langue (« the somnambulists accompanied her in, in the most perfect manner both as regards words and music84 »). Désormais, la relation esthétique débouche sur une conduite humaine dont l’enjeu central devient le recentrage des facultés d’attention (Braid parle de « mono-idéisme »), aussi bien dans l’investissement dans l’objet que dans celui des processus qui nous amènent à créer sans barrière culturelle. Est-ce à dire que la dynamique émotionnelle a été expurgée de toute présence ? Non. Bien au contraire, elle s’appuie plus que jamais sur un prestige de la proximité et un souci de la relation où sont intégrés et assimilés jusqu’à la qualité de l’environnement et l’entrecroisement d’attentions conjointes et partagées. Le pouvoir somatique de cette nouvelle esthétique vécue comme appréciation du sensible (aesthesis) invite le sujet à s’enfoncer plus avant dans l’état de concentration pour mieux rencontrer le corps sensible de l’autre. Par la simple proximité physique avec la soprano, les deux jeunes filles se sont transformées, par mimétisme et résonance, en divas. Or, cette contagion ne circule plus seulement dans le cercle magique des sujets magnétisés mis en spectacle. Elle se transfère aussi sur les propres spectateurs de cette mise en commun de la virtuosité, ce partage des talents. C’est ce que va appeler la logique du « spectateur émancipé », une émancipation qui « commence quand on remet en question l’opposition entre regarder et agir […], quand on comprend que regarder est aussi une action qui confirme et transforme cette distribution des positions85 ». Nul hasard si l’opéra, forme d’art globale et immersive, constitue une réponse appliquée à cette performance épidémique convertie en mise en scène de la contagion. Nulle coïncidence non plus à constater combien le tournant « hypnologique » orchestré par Braid (en particulier le jeu des médiations instrumentales) B A. Richard Wagner, portrait charge de Faustin reproduit dans Le Figaro, 29 septembre 1876. B. Le Public wagnérien enivré par la musique, ca. 1860, caricature. 93 HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 93 12/09/2020 00:40 HYPNOLOGIE anticipe sur le projet d’art total wagnérien. L’hypnose, dans sa nouvelle définition, annonce les enjeux du Gesamtkunstwerk dans ses visées, ses protocoles et plus encore, son dispositif. L’invention majeure de Wagner sur la scène de Bayreuth est un aménagement qui plonge la salle dans la pénombre et l’orchestre dans une fosse invisible (il la nomme Mystischer Abgrung, le « fossé mystique » qui creuse physiquement la distance entre réalité et idéalité pour mieux la subvertir, l’anéantir). L’objectif cumulé vise à faire converger l’attention des regards et de l’écoute du public vers une scène, foyer exclusif d’attraction, contrastant par sa puissance de rayonnement et d’animation avec une salle occultée, littéralement soustraite au regard par un mécanisme d’hallucination négative. Si la fixation d’un objet brillant est devenue la clé de l’induction hypnotique, la scène wagnérienne répond par l’exemple à cette logique de concentration et de ses produits hallucinatoires. Elle le fait avec un usage de technologies invisibles, discrètes et camouflées, mais agissantes : culture de l’effet jusque dans l’évanouissement du mécanisme de la féerie. … la dimension hypnotique du dispositif inventé à Bayreuth participe pour beaucoup à ce qui fait passer l’opéra wagnérien d’un art totalisant vers un média englobant… Ces « technologies wagnériennes », pour reprendre l’expression de Gundula Kreuzer86, sont des interfaces médiales avec le sensorium d’une audience invitée à se projeter en exclusivité dans l’espace imaginaire de la scène qui défait tout rappel de réalité. Wagner, en grand hypnotiseur de foule, peut faire de la scène du « théâtral total » le lieu de l’induction de masse. Mais il y a plus, car la dimension hypnotique du dispositif inventé à Bayreuth participe pour beaucoup à ce qui fait passer l’opéra wagnérien d’un art totalisant vers un média englobant. L’historien Friedrich Kittler a développé l’intuition selon laquelle Wagner aurait, dans son projet d’« art du futur », anticipé sur l’affect des médias électroniques, l’opéra wagnérien étant devenu « le premier média de masse dans le sens moderne du terme », la préfiguration du « média technique87 ». Or ce qui est frappant dans le développement hypnotique de ces « technologies wagnériennes », c’est le poids accordé au média électrique, révélant combien l’imaginaire fluidique persiste plus que jamais dans ce projet de rencontre des arts articulée sur une concordance des sens, afin de traduire, dans les effets visibles sur la scène, le jeu démonstratif des influences physiologiques sur le spectateur. Un auteur reviendra plus tard sur cette rencontre entre emprise musicale et électrifi- cation de la sensibilité, en la personne du critique d’art Camille Mauclair. L’article intitulé le « fluide musical88 » analyse la coïncidence historique entre la découverte de la pile Volta et le magnétisme de la symphonie musicale apparue au début du XIXe siècle : « Je n’ai pas vu – et c’est une chose dont je m’étonne – qu’on ait encore songé à donner toute valeur à une très singulière coïncidence : à savoir que la musique symphonique est arrivée à sa toute-puissance de moyens magnétiques à peu près à la même époque qui vit la découverte de l’électricité […]. L’électricité est comme la musique symphonique, un fluide élémental. Que ces deux fluides aient été captés ensemble par l’homme à la même heure de l’histoire du monde, cela ne vous dit-il rien ? Pour moi, j’en suis conduit à songer que cette synchronie est un fait inouï, capable de modifier toute la métaphysique, et que peut-être ces deux fluides n’ont été captés ensemble par l’homme que parce qu’ils sont un seul et même fluide. Envisagez la composition de cette grandiose et complexe machine à créer des effluves qu’est un orchestre, tel que l’humanité n’en sut pas avant le XVIIIe siècle ; pensez ensuite à la composition d’une machine électrique – et une étrange préscience d’identités se créera dans votre esprit. Ne vous arrêtez pas à des différences de puissance : évidemment l’orchestre dont on disposa n’est pas celui dont Wagner s’est servi, pas plus que le baquet magnétique de Mesmer n’est la pile de Bunsen89. » Sans être loin de réactiver les fantaisies romantiques d’un Johann Ritter sur le « feu électrique », Camille Mauclair va plus avant ; il se risque à penser que cette coïncidence marque la naissance d’un régime relationnel et démocratique de l’expérience collective de la musique90 : « La musique n’a réellement commencé à agir dans l’univers que le jour où elle est apparue sous la forme orchestrale. Ainsi l’électromagnétisme, dont certains êtres étaient saturés, investis par lui d’un pouvoir ambiant plus ou moins étendu, n’a commencé à agir dans l’univers que le jour où la pile voltaïque a vu grouper ses éléments. Sans orchestre, aucune formation d’art démocratique ne pouvait naître de la musique. Sans pile, la fixation du fluide vital n’aurait jamais dépassé les individus en qui elle s’appelait charme ou volonté. L’orchestre et la pile Volta ont rendu possible le transport à distance de forces jusqu’alors localisées […]. Les éléments de l’orchestre sont les éléments d’une pile. Et le corps humain en est une, lui aussi. Et chacune des vibrations magnétiques exprimées par les combinaisons et les réciprocités des instruments engendre, entre les éléments musculaires, nerveux, sanguins, du corps de l’auditeur, une vibration équivalente. Et chacun des êtres qui écoutent est un élément de pile réagissant sur les autres. En sorte que l’on peut définir une salle de concert comme une machine électromagnétique parfaite, où passe le rythme. » La force orchestrale n’est plus seulement un symbole de « volonté » (la métaphore de Ritter), mais une forme de dissolution des volontés individuelles dans un devenir collectif91 : « Alors la musique sera vraiment la Voix magnétique de l’Universel. » 94 HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 94 12/09/2020 00:40 1830-1870 A A. Auguste Edouart, Robert H. Collyer dans une séance de magnétisme,1842, encre et papier découpé, 28 x 21,3 cm, National Portrait Gallery, Washington. 95 HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 95 12/09/2020 00:41 HYPNOLOGIE NOTES 1. Rémi Côté, É. F. d’Hénin de Cuvillers. Concepteur de l’hypnose, Londres, Édition numérique, s. d. 2. É. F. de Cuvillers, Le Magnétisme éclairé ou introduction aux archives du magnétisme animal, Paris, Barois, 1820, p. 71-72. 3. É. F. de Cuvillers, Le Magnétisme animal retrouvé dans l’Antiquité ou Dissertation historique, étymologique et mythologique sur Esculape, Hippocrate et Galien, sur Apis, Sérapis ou Osiris, et sur Isis, suivie de recherches sur l’origine de l’alchimie, Paris, Barois, 1821. 4. É. F. de Cuvillers, Le Magnétisme éclairé, op. cit., p. 100. 5. Ibidem, p. 16. 6. É. F. de Cuvillers, Le Magnétisme animal retrouvé dans l’Antiquité, op. cit., p. 6. 7. P. Sonnerat, Voyages aux Indes orientales et à la Chine, dans lequel on traite des mœurs, de la religion, des sciences et des arts des Indiens, des Chinois, des Pégouins & des Madégasses…, Paris, 1782. 8. É. F. d’Hénin de Cuvillers, Le Magnétisme animal retrouvé dans l’Antiquité, op. cit., p. 76. 9. É. F. de Cuvillers, Le Magnétisme éclairé, op. cit., p. 69. 10. É. F. de Cuvillers, Le Magnétisme animal retrouvé dans l’Antiquité, op. cit., p. 63. 11. Ibidem, p. 62. 12. T. I, p. 708, et T. II, p. 194, 5e édition de 1814. Dans le Nouveau dictionnaire portatif de la langue française de C. le Tellier (1814), l’adjectif « hypnotique » qualifie « les remèdes qui provoquent le sommeil » (p. 457). 13. É. F. de Cuvillers, Le Magnétisme éclairé, op. cit., p. 131. 14. Dictionnaire des sciences médicales, Paris, 1817, dans J.-L. Cabanés, « Psychologie, histoire, esthétique : les hallucinations à l’entrecroisement des discours », dans Image et pathologie au XIXe, Cahiers de la littérature française, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 7. 15. L. Piesse, Annales médico-psychologiques, p. 12. 16. H. Martin, Jeanne d’Arc, 1857, cité par A. de Boismont dans sa 3e édition des Hallucinations ou histoire raisonnée des apparitions, des visions, des songes, de l’extase, du magnétisme et du somnambulisme, Paris, Germer Baillière, 1852. 17. Tony James, Vies secondes, Paris, Gallimard, 1997 p. 161. 18. J. Baillarger, « Des hallucinations psycho-sensorielles », Annales médico-psychologiques, 1846, p. 1-12. 19. P. Buchez, dans T. James, Vies secondes, op. cit., p. 20. 20. T. Gautier, « Salon de 1839 », La Presse, 4 avril 1839, dans Ibidem, p. 22. 21. Ibidem, p. 22. 22.J.-F. Chevrier, L’Hallucination artistique de William Blake à Sigmar Polke, Paris, L’Arachnéen, 2012. 23. Le Dr Husson, dans A. Bertrand, Du magnétisme animal en France, Paris L’Harmattan, 2004 [1826] p. 198. 24. Marquis de Puységur, Recherches sur l’homme dans l’état de somnambulisme, Paris Éd. Villa Rose, 2008, p. 48. 25. Ibidem, p. 49. 26. A. Bertrand, Traité du somnambulisme et des différentes modifications qu’il présente, Paris, Le Dentu, 1823, p. 467. 27. Dr Philips (alias Durand de Gros), Cours théorique et pratique de braidisme, Paris, 1860, p. 100. 28. J. Baillarger, Annales médico-psychologiques, t. 1, 1855, dans T. James, Vies secondes, op. cit., p. 151. 29. S. Chase Coale, Mesmerism and Hawthorne, Tuscaloosa, The University of Alabama Press, 1998. 30. B. van Schlun, « Hawthorne’s love magnetism and the manipulation of the American Imagination », in Science and the Imagination. Mesmerism, Media and the Mind in Nineteenth-Century English and American Literature, Brelin, Galda et Wilch, 2007, p. 75-122. 31. N. Hawthorne, Le Manteau de lady Éléonore et autres contes, Paris, Flammarion, 1993, p. 105. 32. Ibidem, p. 108. 33. Ibid., p. 115. 34. W. Dunlap, History of the Rise and the Progress of the Arts of Design, New York, George P. Scott, 1834. 35. W. Dunlap : « It is thus that the real portrait-painter dives into the recesses of his sitter’s mind, and display strenght and weakness upon the surface of his canvas ». Ibid., p. 187. 36. W. Dunlap, ibid., p. 204. 37. N. Hawthorne, The Hall of Fantasy (1843) dans T. Stoehr, « Robert H. Collyer’s Technology of the Soul », dans Pseudo-Science & Society in 19th-Century America, Lexington, The University Press of Kentucky, 1987, p. 39. 38.Une lettre datée du 16 décembre 1845, envoyée par R. Collyer à E. A. Poe, témoigne de l’intérêt que Collyer a porté à la lecture du cas Valdemar. Elle est publiée sur le site de la Edgar Allan Poe Society. 39. R. Collyer, Psychography or the Embodiment of Thought with an Analysis of Phreno-Magnetism, Neurology and Mental Hallucination, Including Rules to Govern and Produce the Magnetic State, Philadelphie, Zieber, 1843, p. 31. 40. « I was obligated to embody the images… in my own mind, before they could be recognized by the recipients ; whose brain during the congestive state was so sentient that the impression was conveyed to the mind similar to the photographic process of Daguerre ». Ibidem, p. 30. 41. A. Enns, « Vibratory photography », in Vibratory Modernism, New York, Palgrave Milgam, 2013, p. 177-197. 42. B. van Schlun, « Imagination and Information. Mesmerism and Telecommunication », dans Science and the Imagination, op. cit., p. 265-304. 43. David Monod, The Soul Pleasure. Sentiment and Sensation in Nineteenth-Century American Mass Entertainment, Ithaca, Cornell University Press, 2016, p. 98-107. 44. « Dans les hallucinations, tout se passe dans le cerveau ; les visionnaires, les extatiques sont des hallucinés, ce sont des rêveurs tout éveillés. L’activité du cerveau est si énergique, que le visionnaire ou l’halluciné donne un corps et de l’actualité aux images que la mémoire reproduit, sans l’intervention des sens. » É. Esquirol, Aliénation mentale. Des illusions des aliénés, Paris, Crochard, 1832, p. 2. 45. Erkki Huhtamo, Illusion in Motion. Media Archeology of the Moving Panorama and Related Spectacles, Cambridge, MIT Press, 2013. 46. « C’est bien en ôtant à l’œil tous les termes de comparaison, que l’on parvient à le tromper à tel point qu’il hésite entre la nature et l’art. » L. Dufourny, « Rapport sur le panorama », dans Procès-verbaux de l’Académie des beaux-arts, t. I, 1800, dans S. Bordini, « Sans frontières. La peinture des Panoramas entre vision et participation », Les arts de l’hallucination, Paris, Presses de la Sorbonne nouvelle, 2001, p. 76. 47. C. Quatremère de Quincy, Essai sur la nature, le but et les moyens de l’imitation dans les Beaux-Arts, Paris, Treuttel et Würtz, 1823, p. 117. 48. Erkki Huhtamo, « The Peristrephic Panorama », dans Illusion in Motion, op. cit., p. 65-91. 49. Alphonse Teste, Le magnétisme animal expliqué ou leçons analytiques sur la nature essentielle du magnétisme, sur ses effets, son histoire, ses applications, les diverses manières de le pratiquer, Paris, Baillière, 1845, p. 316. 50. Louis Daguerre, Historique et description des procédés du daguerréotype et du diorama, Paris, Susse Frères, 1839, p. 75. 51. E. T. A. Hoffmann, Le Magnétiseur, dans Contes d’Hoffmann, Paris, Club des Libraires de France, t. I, 1956, p. 68. 52. « Les images changeantes et multiformes du kaléidoscope semblent en effet fondées sur la même possibilité infinie d’enchaînement qui caractérise les représentations mentales et oniriques. Avec celles-ci, ces images ont en commun certaines particularités telles que le mouvement continu, leur transformation dynamique et leur extrême variété, des qualités que le kaléidoscope semblait justement visualiser avec immédiateté chez le lecteur de l’époque. » « Les machines optiques comme métaphores de l’esprit », dans Les Arts de l’hallucination, op. cit., p. 114. 53. F. Schlegel dans Max Milner, La Fantasmagorie, Paris, PUF, 1982, p. 37. 54. D. Brewster, « On the advantages of the kaleidoscope as an instrument of amusement », The Kaleidoscope. Its History, Theory and Construction with its Application to the Fine and Useful Arts, 3e éd., Londres, John Camden Hotten, 1870, p. 159-161. 55. F. J. Gall et G. Spurzheim, Anatomie et physiologie du système nerveux en général, et du cerveau en particulier, avec des observations sur la possibilité de reconnaître plusieurs dispositions intellectuelles et morales de l’homme et des animaux, par la configuration de leurs têtes, Paris, Schoell, 4 vol., 1810-1819. 56. F. J. Gall dans G. Fossati, Questions philosophiques, sociales et politiques, traitées d’après la physiologie du cerveau, Paris, Amyot, 1869, p. 287. 57. J. B. Nacquart, Traité de la nouvelle physiologie du cerveau, p. 336. 58. M. Hagner, Des cerveaux de génie. Une histoire de la recherche sur les cerveaux d’élite, Paris, Maison des sciences de l’homme, 2008. 59. I. J. Sykes, « Le corps sonore : Music and the Auditory Body in France, 1780-1830 », dans Music and the Nerves 1700-1900, New York, Palgrav e Macmillan, p. 72-97. 60. C. Smith, « Musical Instruments as Metaphors in Brain Science : From René Descartes to John Hughlings Jackson », dans The Neurology of the Arts, Londres, Imperial College Press, 2004, p. 191-206. 61. Penelope Gouk, Music, Medecine and Melancholy, Aldershot, Ashgate, 2001. 62. [Anon.], « Shakespeare’s Queen Mab », Phrenological Journal and Miscellany, 1824, p. 289, dans I. Kurshan, « Mind-Reading : Litterature in the Discourse of Early Victorian Phrenology and Mesmerism », Victorian Literary Mesmerism, New York, Rodopi, 2006, p. 24. 63. J. Potchett, « Phreno-Magnetic Notes », Phreno-Magnet, dans Ibidem, p. 28. 64. « He soon fell into the mesmeric sleep. While under its influence, he suddenly started upright on his couch of suffering, and imperatively call for pen, ink and paper, all of which were immediatlely procured. To the astonishment of all present, he then, as if under the power of inspiration, rapidly composed and wrote down, though his eyes were sealed in deepest sleep, the exquisite stanzas and music which, unaltered, he afterwards published under the title of La Langueur ». [Anon.], « Recents works on mesmerism », Phrenological Journal and Miscellany, t. XVIII, 1845, p. 186, dans I. Kurshan, « Mind-reading… », art. cit., p. 33. 65. A. de Montègre, Du magnétisme et de ses partisans, 1812, in B. Méheust, Somnambulisme et médiumnité, op. cit., tome I, p. 353. 66. É.-J. Georget, De la physiologie du système nerveux et spécialement du cerveau, recherches sur les maladies nerveuses en général et en particulier sur le siège, la nature et le traitement de l’hystérie, Paris, Baillière, 1821. 67. Rapport sur les expériences magnétiques faites par la commission de l’Académie royale de médecine, lu dans les séances des 21 et 28 juin 1831, Paris, 1831, p. 53, dans B. Méheust, Somnambulisme et médiumnité, t. I, op. cit., p. 382. 68. Ibidem, p. 384-412. 69. J. Berna, Magnétisme animal. Examen et réfutation du rapport fait par M. E. F. Dubois, Paris, 1838, p. 17. 70. J. Carroy, Hypnose, suggestion et psychologie, L’invention des sujets, Paris, PUF p. 48. 71. [Anon.], « Courrier de Paris », Le Monde illustré, 14 janvier 1860, p. 26. 72. T. Desmartis l’attribue à un ophtalmologiste français, le Dr Piorry : « Les premières indications précises de cette nouvelle méthode somnifère sont attribuées au docteur James Braid, de Londres […]. C’est là une attribution erronée ; celui qui par la puissance de l’analyse, par des inductions raisonnées a surpris ce secret de la nature, c’est le docteur Piorry. Nous ne concevons pas qu’on puisse lui en disputer le mérite. Nous avons donc affaire à une idée toute française […]. Il expliqua combien la lumière produit des phénomènes singuliers ; il ajouta que, parfois, chez certaines idiosyncrasies les objets brillants provoquent des syncopes ou des accidents dans le névro-système. » T. Desmartis, De l’hypnotisme, Bordeaux, Justin Dupuy, 1860, p. 4-5. 73. Séance décrite par Lafontaine, citant le compte-rendu du Guardian Manchester du 13 novembre 1841. C. Lafontaine, L’Art de magnétiser ou le magnétisme animal considéré sous le point de vue théorique, pratique et thérapeutique, Paris, Germer Baillière, 1847, p. 75- 78. 74. Ibidem, p. 6. 75. Ibid., p. 36. 76. « À Nantes, dans une séance publique donnée à l’hôtel de ville, M. Ernest Merson, propriétaire du Journal de l’Ouest, était sur l’estrade, je lui pris les pouces, ses yeux se fermèrent sans qu’il pût les ouvrir ; il me pria de cesser, mais je ne l’écoutai pas. Je lui pris un bras que je plaçai horizontalement, puis une jambe, et je le laissai dans cette position pendant vingt minutes : je pus lui enfoncer des épingles dans le bras et dans la jambe sans qu’il éprouvât la moindre sensation ». Ibid., p. 66. 77. J.-P. Durand de Gros, alias Dr J.-P. Philips, Cours théorique et pratique de braidisme, op. cit., p. 92. 78. Ibidem, p. 89-90. 79. B. Latour, « Introduction », dans L. Daston, P. Galison, Objectivité, Dijon, Les Presses du réel, 2012 [2007], p. 12. 80. L. Daston, P. Galison, dans ibidem, p. 143. 81. Ibidem, p. 39. 82. Ibid., p. 41. 83. « My remarks about the influence of imagination are referred to in such a manner as might lead to the belief that I was a supporter to the imagination theory – i.e, that the induction of the sleep in the first instance is merely the result of imagination. My belief is quite the contrary. I attribute it to the induction of the habit of intense abstraction, and concentration of attention, and maintain that it is most readily induced by causing the patient to fix his thoughts and sight on an object, and suppress his respiration ». James Braid, « On hypnotism », The Lancet, 1845, vol 1, p. 627-628, dans D. J. Robertson, The Discovery of Hypnotism. The Complete Writings of James Braid, the Father of Hypnotherapy, Londres, Lulu, 2013, p. 13. 84. [Anon.], Medical Times, septembre 1847, in ibid., p. 28-29. 85. J. Rancière, Le Spectateur émancipé, Paris, La Fabrique, 2008, p. 19. 86. G. Kreuzer, Curtain, Gong, Steam. Wagnerian Technologies of Nineteenth-Century Opera, Oakland, University of California Press, 2018. 87. F. Kittler, « World-Breath : On Wagner’s Media Technology », dans D. J. Levin (éd.), Opera through Other Eyes, Stanford, Stanford University Press, 1994 [1987], p. 215-235. 88. C. Mauclair, « Le fluide musical », dans La Religion de la musique, Paris, Fischbacher, 1909, p. 21-28. 89. Ibidem, p. 21-22. 90. Ibid., p. 23-24. 91. « La grande raison de l’amour de la foule moderne pour le concert est dans cette hyperesthésie des états sensibles : c’est un plaisir qu’elle cherche, un plaisir stupéfiant dont la dissolution momentanée et délicieuse de la volonté est le plus attrayant résultat. La musique est devenue l’art de la collectivité […]. Un art collectif ne pouvait être conçu que par le désir de désindividualiser les secrets de la volonté esthétique. » Ibid., p. 62. 96 HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 96 12/09/2020 00:41 1830-1870 97 HYPNOSE_03-Cooper-CC2018.indd 97 12/09/2020 00:41 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 98 12/09/2020 01:01 LA SUGGESTION DANS L’ART 1870-1920 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 99 12/09/2020 01:01 A HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 100 12/09/2020 01:01 « L’hypnotisme éclaire tout […]. Il sert à expliquer la philosophie, la peinture, la religion, la musique et la littérature »1. Léon Daudet Le passage du siècle constitue un âge d’or de l’hypnose médicale. La sphère artistique se trouve agitée par les modèles disruptifs prônés par l’esprit d’avantgarde et l’obsession parfois ambivalente à revendiquer, manifestes à l’appui, l’autonomie de l’œuvre et l’émancipation du sujet. De fait, le grand moment épistémologique de l’hypnose (les années 1880 autour du conflit opposant les docteurs Charcot et Bernheim) est aussi la période de culmination de son transfert dans le discours esthétique. Cette collusion est favorisée par la montée en puissance d’une interprétation psychologique des mécanismes d’empathie engagés dans le rapport à l’œuvre d’art. Nul hasard donc si le manifeste de « l’esthétique scientifique » de Charles Henry (1885), directement inspiré par les récentes études de psychophysiologie visant la prévisibilité des réactions émotionnelles face à l’œuvre2, est contemporain du temps fort des débats publics sur l’hypnotisme. Les deux mouvements vont de pair, fédérés autour d’un contrôle des automatismes de l’émotion et d’une analyse de leur traduction immédiate en langage visuel et corporel. Ce transfert entre la clinique de l’esprit et l’atelier du peintre ne se résume pas à des importations de discours ; il passe aussi par de multiples médiations de l’image, à l’heure où la quête de légitimité des sciences fait reposer la « vraie rétine du savant » sur le pouvoir objectif et prédictible de l’obturateur photographique – ce que Georges Didi-Huberman a pu appeler l’« impulsion iconographique du travail de Charcot3 ». La circulation B A. Letargia. Hiperexcitabilidad neuro-muscular, cliché reproduit dans docteur Bertran Rubio, Hipnotismo y Sugestion, ca. 1900. B. Laurent Gsell, Cataleptique les bras en croix, gravure, ca. 1890. 101 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 101 12/09/2020 01:02 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T médiatique des images prendra souvent le pas sur l’inspiration théorique des textes. Elle sera déterminante dans la contamination de la culture visuelle de cette époque par l’iconographie psychiatrique de la Salpêtrière, et par la théâtralité de sa « dramaturgie des comparutions4 », où la métaphore prend littéralement corps et d’une manière toute spectaculaire5 : la « petite imagerie » sociale connaît une épidémie d’illustrations des phases de la catalepsie dans les vignettes de journaux populaires ou magazines de vulgarisation, qui nourrissent la curiosité du public souvent voyeuriste pour cette chorégraphie des corps nerveux. Il en est de même dans le vocabulaire du cinéma des premiers temps, un « cinéma des attractions » très friand d’un burlesque des pathologies de l’esprit projetées à la surface du corps-écran. Sans parler d’un déplacement aussi contagieux que le rire lui-même, de son impact sur les scènes du music-hall et des cabarets qui animent les nuits de la bohème artistique de l’époque, rappelant combien l’imprégnation médicale de la culture populaire du divertissement était dense et florissante6. Les beaux-arts ne font pas exception. Leur inspiration, savamment bousculée par la porosité des registres culturels (grand art/art populaire) et la déflagration des règles imposées par l’ethos avant-gardiste, regarde de près les leçons artistiques – pour ne pas dire anatomiques – d’une clinique des « attitudes passionnelles » qui ne s’était jamais autant appuyée sur le langage convulsif des images. L’époque est A à l’instruction des débordements de la norme. Les artistes soucieux de contrevenir au conditionnement de la tradition vont puiser là de nouvelles ressources : là, c’est-à-dire dans le langage démonstratif d’un corps qui s’offre au regard sans la sécurité sanitaire de sages proportions ou dispositions ; des artistes, parfois jusqu’aux plus académiques, qui s’intéressent de près au pathos relationnel de l’emprise hypnotique. Une notice parue dans Le Voltaire du 22 avril 1887 signale que le fameux portraitiste Henri Gervex, accompagné par le peintre Léo-Paul Robert, a assisté dans les grands salons du Zodiaque à Paris à une séance du « magnétiseur à la mode » Louis Moutin7, l’auteur du Nouvel Hypnotisme8, que le journaliste du Gaulois appellera le « Zampa en habit noir ». Moutin ne lésine pas sur les effets voyeuristes de son spectacle, du type « scène de la dame que nous forçons à venir nous embrasser » ou « scène du monsieur que nous contraignons à enlever successivement sa redingote, son gilet, sa cravate, etc.9 » Longue est la liste des artistes portant attention à ces gesticulations où la nosologie prenait des airs de drame ou de vaudeville. Egon Schiele reproduit au dessin les contorsions cataleptiques de la psychiatrie. Auguste Rodin fait venir dans son atelier une jeune « danseuse magnétisée » dont il salue la plasticité corporelle. Alfons Mucha utilise la même égérie qualifiée d’« artiste inconsciente » pour incarner, dans le graphisme jugendstil de l’affiche, les archétypes de l’envoûteuse moderne. Les exemples abondent, sans comparaison quantitative et qualitative, avec le premier XIXe siècle. L’hypnose entre de plain-pied dans la culture visuelle de la modernité. Elle le fait avec d’autant plus de désinhibition que le discours sur l’art est lui-même venu légitimer cette ressource transformée en modèle heuristique. L’hypothèse de ce chapitre est la naissance d’un paradigme hypnotique de l’art. L’art, la façon de le mettre en œuvre et ses modes d’interprétation trouvent une boîte à outils dans le schéma sensible et cognitif élaboré au cœur du découpage des différentes étapes du processus hypnotique ; en particulier une lecture des mécanismes attentionnels contribuant à la capture d’un spectateur toujours plus sollicité dans l’univers compétitif des nouvelles métropoles. Le « nervosisme » des réflexes perceptifs répond à une accélération proportionnelle des stimuli, cernant le sujet-cible de toute part. L’implantation subliminale de directives dans la conscience d’un sujet toujours plus dissocié et malléable va nourrir tous les fantasmes d’un pilotage autoritaire des comportements, à l’échelle individuelle et collective. La psychologie des foules – qui deviendra très vite une réflexologie du public au temps du divertissement de masse – s’empare du phénomène de l’hypnose dont l’analyse a dépassé le cadre confiné des laboratoires de psychologie expérimentale pour déborder jusqu’aux facultés de droit, dans l’exégèse de « crimes sous hypnose » (le thème sera très en vogue à la fin du XIXe siècle), avec pour objet et point d’achoppement les limites morales de la suggestion hypnotique10. Peut-on tout obtenir du sujet-automate jusqu’à l’abdication du cadre normatif de ses valeurs ? Le terme « suggestion » sera au cœur 102 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 102 12/09/2020 01:02 1870-1920 B A. Paul Richer, Cahiers d’observations cliniques pendant les leçons de Charcot à la Salpêtrière, 1882, dessin à la plume, 31 x 20 cm, Fonds Richer, Beaux-Arts de Paris. B. Leçon du docteur Charcot à la Salpêtrière, planche extraite de l’ouvrage de Foveau de Courmelles, L’Hypnotisme, 1890. du débat11. Il viendra requalifier le pouvoir du langage dans le processus hypnotique, loin d’abattre pour autant l’hégémonie accordée aux médiations optiques. Il servira surtout à confirmer le pouvoir hallucinatoire de rendre présentes les images suggérées, et aussi la possibilité de reporter sur l’imagination du spectateur l’inventivité de les lire et de les vivre, et par là même de sortir la contemplation esthétique d’un acte irresponsable, prédictible et piloté. L’hypnose, fût-elle compromise dans le théâtre de sa simulation figurée, inspire la définition de nouvelles formes d’art, abstraites pour certaines, dont le pouvoir empathique sur le spectateur serait justement libéré de toute ambition mimétique et figurative. LE « MUSÉE VIVANT » DE LA SALPÊTRIÈRE : UN LABORATOIRE DU CORPS NERVEUX Le renouveau de l’hypnotisme dans le dernier tiers du XIXe siècle va se loger au sein d’une institution clinique, l’hôpital psychiatrique, qui cherche non seulement à identifier, mais à rendre visibles les maladies de l’esprit en s’appuyant sur une culture visuelle abreuvée à une histoire de l’art qui aiderait à mieux cerner rétrospectivement la division aveugle du sujet. L’un de ces hôpitaux, installé au cœur de Paris, va se démarquer dans cette démarche de classification visuelle. C’est la Salpêtrière, avec à la tête d’un service neurologique un médecin hospitalier spécialiste de l’hystérie, le docteur Jean-Martin Charcot, dont la trajectoire intellectuelle va servir la cause mais aussi le déclin de l’hypnose dans les années 1880-1890 et dont Freud dira – non sans un brin de condescendance – qu’« il avait la nature d’un artiste : il était, pour employer ses mots, un visuel, un homme qui voit12 ». De fait, la place accordée à l’image dans l’enceinte des services de ce médecin est très étroitement liée, voire conditionnée, au rôle qu’il attribue à l’art dans son approche clinique. L’hôpital de la Salpêtrière devient sous son impulsion un véritable « musée pathologique vivant », « chaque jour enrichi d’une pièce anatomique, d’un moulage, d’une peinture, d’un dessin13 ». Joseph Delboeuf en décrit l’amoncellement muséographique : « Une grande salle, espèce de musée, dont les murailles, voire le plafond, sont ornées d’un nombre considérable de dessins, de peintures, de gravures, de photographies figurant tantôt des scènes à plusieurs personnages, tantôt un seul malade nu ou vêtu, debout, assis ou couché, tantôt une ou deux jambes, une main, un torse, ou toute autre partie du corps […], des bustes, parmi lesquels celui de Gall, peint en vert14. » 103 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 103 12/09/2020 01:02 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T métalliques sur les troubles de la sensorialité lui ayant permis de repenser le modèle du « transfert », mais surtout de retrouver ses traces dans l’histoire du magnétisme animal18. Il revient vers Mesmer et, plus encore, vers ses contradicteurs, notamment James Braid et sa technique d’anesthésie par fixation du regard dont Durand de Gros s’était fait le prosélyte en France : « Il suffit de regarder fixement une hystérique pour la mettre dans cet état inconscient de résolution des membres, d’insensibilité, dont je vous rends témoin. Je me place en face de cette jeune hystérique ; je la regarde en face, en lui disant de me regarder ; elle tombe comme foudroyée dans cet état spécial, n’entendant plus rien, ne voyant plus rien, ne pensant plus à rien : lorsqu’on la réveillera, elle ne saura pas ce qui s’est passé19. » Charcot revoit le protocole et les techniques de l’hypnotisme pour guérir les symptômes somatiques de l’hystérie. « Les », et non pas « la », techniques. Car l’empirisme de Charcot n’écarte aucune disponibilité. Ce sera d’abord la fixité magnétique du regard, mais aussi très vite, sur les pas de Braid, la fixation d’un objet lumineux parfois accompagnée et augmentée de « l’influence des vibrations sonores ». Ces dernières sont obtenues au A Sous l’afflux des images, dessins et photographies accumulés, l’hôpital se convertit en cabinet de curiosités (« cure et curiosité, identique racine, foison de sens », rappelle Georges Didi-Huberman15). Albert Londe, pionnier de la chronophotographie, est chargé d’un « service photographique » où l’on tente de saisir le phasage entre les différentes étapes de la « grande attaque hystérique », avec un soin particulier accordé aux « poses plastiques », dites aussi « attitudes passionnelles » ; Paul Richer, interne dans le service neurologique et par ailleurs professeur d’anatomie artistique à l’École des beaux-arts de Paris, croque sur place la plus spectaculaire des crises qu’il découpe en « 86 figures » pour produire un récit en images sous forme tabulaire. L’ensemble formera un atlas et un tableau synoptique des convulsions où l’observation clinique se mêle à l’anatomie artistique : Léon Daudet, dont le père a bien connu Charcot et fréquenté les couloirs de la Salpêtrière, écrit : « Il aura eu le rare mérite d’avoir compris que l’art et la science doivent se comprendre, se compénétrer et s’entraider16. » Ainsi Charcot redécouvre l’hypnotisme par le biais d’un collègue, le docteur Burq, qui utilise la métallothérapie pour soigner certains sujets hystériques. Le tournant s’opère en 187817, le détour par l’action des plaques B 104 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 104 12/09/2020 01:02 1870-1920 moyen d’un diapason, celui de son collègue Romain Vigouroux, un spécialiste de l’électrothérapie20 ou, sous un air plus wagnérien encore, à l’aide d’un gong. Un article publié dans les colonnes du Figaro en avril 1883 nous en dit plus à propos de ces séances publiques de la Salpêtrière, décrites comme de véritables mises en scène théâtrales21 : « Le succès a été énorme. Ô cabotinage de grande allure ! Il a profité à M. Charcot, mais à la science aussi. Il a fait avancer la science à la façon de Wagner, le grand cabotin musical. Charcot et Wagner me semblent de même race […]. Il est dix heures du matin et le gaz éclaire ce théâtre fermé avec soin au soleil. Le spectacle commence sans musique, comme au Théâtre-Français. Au fond, sur la scène, par le côté jardin, comme on dit en argot théâtral, il entre, lui, le grand Charcot […]. On apporte une femme sur une civière. Elle est atteinte de la sclérose latérale amyotrophique. On dirait de la statue du Désespoir […]. Après un entracte, commence la scène de la grande hystérie major. Ici, la femme est debout. Tout à coup retentit la note vibrante d’un énorme diapason. L’hystérique tombe en catalepsie […]. L’émotion est grande dans le public. On entend battre les cœurs, comme des tic-tac d’un magasin d’horlogerie. Les moindres détails de la scène sont découpés, comme à l’emporte-pièce, dans la buée bleuâtre et crue du gaz22. » Trois commentaires de ce texte révèlent combien l’ascendant artistique, fût-il un argument dépréciateur, prend le dessus de toute part. Le premier concerne la comparaison entre Charcot et Wagner. Octave Mirbeau parlera de « Paganini de l’hystérie23 ». Du tic-tac à la note du diapason jusqu’à celles, envoûtantes, des Walkyries, les corps sous hypnose voyagent dans espace et échelles acoustiques24. Nietzsche avait condamné l’hypnose musicale de Bayreuth, le « Wagner magnétiseur25 », devenu « maître dans l’art des passes magnétiques », cherchant à « séduire les masses », sans qu’elles aient « conscience du pourquoi de la séduction26 ». Ce qui se conjugue là dans l’usage dévalorisé de ce modèle est la désastreuse association entre une surpuissance de la cause (Nietzsche l’appellera, en second post-scriptum, l’« abus des moyens », car pour lui sont mobilisés tous les ressorts techniques de l’induction hypnotique sur le spectateur non pas pour en élever l’esprit, mais pour lui « pervertir les nerfs ») et une décadence de l’effet. C A & B. Catalepsie produite par le son brusque d’un tam-tam, planche extraite de Paul Regnard, Sorcellerie, magnétisme, morphinisme, délire des grandeurs, 1887. C. Le Docteur Charcot à la Salpêtrière, 1879, gravure de Gisbert. 105 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 105 14/09/2020 16:04 A HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 106 12/09/2020 01:02 B A. Auguste Rodin, Homme nu de face, renversé sur le dos et jambes écartées, 1903-1908, 31 x 20 cm, musée Rodin, Paris. B.. Contracture provoquée, planche extraite de Paul Regnard, Sorcellerie, magnétisme, morphinisme, délire des grandeurs, 1887. HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 107 12/09/2020 01:02 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T A 108 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 108 12/09/2020 01:02 1870-1920 B A. Auguste Rodin, Torse d’Adèle, plâtre, 13,3 x 44,6 x 18,9 cm, 1882. B. Paul Richer, Femmes pendant une crise d’hystérie, lors de la période des contorsions et des grands mouvements, 1881, mine de plomb, 29 x 15,1 cm, Cabinet des dessins, Beaux-Arts de Paris. 109 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 109 12/09/2020 01:02 A HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 110 12/09/2020 01:02 1870-1920 B A. Carlos Schwabe, Hystérique, 1908, crayon et aquarelle, coll. part. B.. Paul Richer, Femme pendant une crise d’hystérie, lors d’une attaque démoniaque, debout, déchirant ses vêtements, grimaçant et tirant la langue, 1881, mine de plomb, 28,45 x 20 cm, fonds Richer, Beaux-Arts de Paris. 111 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 111 12/09/2020 01:02 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T A B A. Esther sous l’action de l’essence de thym, planche reproduite dans J. Luys, Les Émotions dans l’état d’hypnotisme, 1890. B. Albert von Keller, Magdeleine (Étude d’après nature), ca. 1904, reproduit dans l’ouvrage d’Émile Magnin, L’Art et l’Hypnose, 1907. C. Carlos Schwabe, Étude pour la vague, 1907, n° 4, fusain, crayon gras, sanguine, et rehauts de pastel, 100 x 67,5 cm, cabinet de dessins du musée d’art et d’histoire de Genève. 112 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 112 12/09/2020 01:02 C HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 113 12/09/2020 01:02 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T A 114 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 114 12/09/2020 01:02 1870-1920 B A. Egon Schiele, Portrait de l’éditeur Eduard Kosmack, 1910, huile sur toile, 100 x 100 cm, Österreichische Galerie Belvedere, Vienne. B. The mesmeric look, photographie reproduite dans Leslie Meacham, Lessons in Hypnotism and the Use of Suggestion, 1898. 115 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 115 12/09/2020 01:02 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T A A. M. X. Hystérique mâle, ca. 1890, photographie anonyme, 14 x 10,4 cm, musée de l’Assistance publique, Paris. B. Egon Schiele, Portrait de Paris von Gütersloh, 1918, huile sur toile, 139 x 110 cm, Minneapolis Institute of Arts. 116 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 116 12/09/2020 01:02 B HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 117 12/09/2020 01:02 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T Cette vision « hystérique » de Wagner en « artiste de la décadence » sera reprise telle quelle par Max Nordau dans son pamphlet Dégénérescence (1893). Parmi de nombreux symptômes des dérives hypnotiques de l’art moderne, il diagnostique un mal à la « force d’attraction incomparablement plus puissante que tous ses rivaux » le « Richard Wagnérisme 27 », en s’appuyant sur les propres travaux d’un physiologiste proche de la Salpêtrière, Charles Féré, pour montrer combien le principe même d’un art total réunissant les arts sur la scène est contraire à l’éveil d’une conscience esthétique : « Chacun des sens agissant de concert produira, par suite de l’éparpillement fatal de l’attention sur lui, une sensation plus faible que s’il parlait aux sens et à l’esprit28. » La démonstration tend à ravaler le projet de la synthèse des arts vers un mode régressif, la recherche d’une expérience synesthésique globale (la confusion des sens aux fins d’atteindre une concordance sensible des êtres) allant à l’encontre de l’évolution de l’espèce régie par le principe d’une « différenciation » organique (« tout l’effort pour revenir aux commencements est une particularité de la dégénérescence », dit-il29). C’est B là que le nervosisme moderne reconduit l’enchantement primitiviste, l’hystérique complice d’une âme sauvage dont la musique informe de Wagner cultiverait l’instinct grégaire : « Cette musique était certainement aussi de nature à enchanter des hystériques. Ses forts effets d’orchestre amenaient chez eux des états hystériques, – à l’hôpital de la Salpêtrière, à Paris, on produit fréquemment l’hypnose en frappant soudainement sur un gong, – et la nature informe de la mélodie sans fin répondait complètement à la rêvasserie vagabonde de leur propre pensée30. » Un élément ressort de cette condamnation : l’usage des propriétés physiologiques du son sur les automatismes maladifs des nerfs fait de l’hypnose musicale un instrument non seulement dangereux mais « nuisible » (le mot est de Nietzsche). Le second commentaire de la description « cabotine » des séances de la Salpêtrière tient non plus au modèle musical, mais au souvenir de la sculpture (la « statue du Désespoir » selon l’article du Figaro). De nombreuses notations sur les facilités « plastiques » des neurologues à agir sur les contractures et pétrifications corporelles de leurs patientes sous hypnose conduisent vers la métaphore du moulage. Charcot, converti non plus en orchestrateur virtuose, mais en sculpteur pyg- A A. La Contracture léthargique, planche extraite de Foveau de Courmelles, L’Hypnotisme, 1890. B. Contracture hystérique volontaire chez une hystérique, planche extraite de la Nouvelle iconographie de la Salpêtrière, 1875. C. Gustav Klimt, Judith, 2, huile sur toile, 178 x 46 cm, Galleria Internazionale d’Arte Moderna, Venise. 118 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 118 12/09/2020 01:02 1870-1920 malion : « Le docteur prenait entre ses mains, comme un sculpteur eût manié de la glaise, ces bras et cette chaire de femme », nous rappelle Jules Claretie dans Les Amours d’un interne31, où le personnage du « petit Finet » (patronyme derrière lequel se reconnaît assez facilement le nom du docteur Alfred Binet) reproduit chez lui, le soir devant des amis, « étudiants de droit, apprentis littérateurs », les expériences vues à la Salpêtrière dans la journée, en prodiguant des passes sur la jeune Lolo, « belle fille subissant sa volonté toute-puissante » : « C’est ce qu’il appelait, de sa mince voix flûtée : la revanche de l’esprit sur la matière […]. Il semblait que le cerveau de la cataleptique subît, comme une cire molle, l’impression que lui voulait donner ce petit homme qui tremblait devant elle dans la vie ordinaire […]. Le petit Charles était le maître de la pensée et des sensations de cette masse de chair, devenue plus facile à pétrir entre ses doigts que le bloc de terre sous le pouce d’un sculpteur32. » Les vénus anatomiques et « poupées de cire vivantes » sont rapprochées des exemplaires céroplastiques du musée de La Specola de Florence. Nul hasard si le « musée anatomique » du docteur Spitzner, devenu forain en 1885 à la suite d’un incendie, présentera sur ses baraques de champ de foire une grande version (légèrement modifiée) du tableau de André Brouillet représentant une séance de la Salpêtrière, ainsi qu’à l’intérieur « un groupe en cire polychrome de la Leçon du professeur Charcot : C’était une baraque garnie de rideaux de velours rouge et de chaque côté il y avait un tableau peint vers 1880, je crois. Un côté représentait le docteur Charcot qui présentait une femme hystérique qui était en transe à un auditoire de savants et d’étudiants. Cette peinture était impressionnante parce qu’elle était réaliste33. ». En fait, comme l’aura analysé Georges Didi-Huberman, ce corps hypnotisé « va bien au-delà de la plasticité cataleptique (tout membre y gardant fixée la position qu’on lui “imprime”. Un geste imprimé au sujet hypnotisé induit spontanément une expression concomitante du visage ! […]. Le sujet, selon Charcot, est là comme une statue expressive, ni plus, ni moins, forme canonique « dont les artistes pourraient assurément tirer le plus grand parti34 ». Les patientes de la Salpêtrière happées par la photographie sont souvent comparées à des sculptures vivantes, des mannequins pour sculpteurs, voire des ombres chinoises dans leur gesticulation grippée. Pour Octave Mirbeau, en voyant de « profil » une jeune hystérique en crise, cette « figure prend des aspects d’ombre chinoise coloriée ; elle a des gestes hésitants, comme mal graissés35 ». Les métaphores pleuvent, le plus souvent filant l’analogie mécaniste autour des techniques de reproduction artistique (lithographie, monotype, etc.), omniprésentes dans les commentaires de ces images, elles-mêmes reproduites à l’envi dans les revues et journaux illustrés, comme si l’esthétisation des poses devait mener tout naturellement vers une artification à grande échelle de cette clinique trop savamment expressive pour rester confinée dans le viseur nosologique des aliénistes. Ainsi de Mathilde, la « femme lithographique » repérée par Claretie dans Les Amours d’un interne, un roman à thème C 119 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 119 12/09/2020 01:02 A HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 120 12/09/2020 01:02 1870-1920 criminelle, des clichés qui non seulement illustrent et déchiffrent la pathologie du sujet mise en récit (ce que Didi-Huberman appelle le « devoir-lire d’identité dans l’image38 »), mais la transforment dans l’effet de séquence en un tableau clinique « où se superposent le temps immédiat de la révélation et celui, synthétique, de la contemplation39 ». À croire qu’il s’agit d’enfermer les débordements de la crise dans une grille codifiée, de surjouer par la multiplication des images en séries le contrôle analytique et savant de la maladie, mais il n’en est rien. Car très vite, dans l’esprit de ceux qui mènent cette campagne iconographique, l’ascendant esthétique n’est même plus réfréné ; mieux encore, il est attendu. À propos de l’une de ces séries réalisées par Albert Londe, Charcot dira que « toute cette partie de l’attaque est chez G. […] parfaitement belle », pour conclure : « Vous voyez qu’au point de vue de l’art elles ne laissent rien à désirer ; mais de plus elles sont pour nous très instructives40. » Comme si la construction des types par l’image avait dû nécessairement passer par un modèle emprunté à une histoire plus iconique : « Le cliché tend à reproduire une représentation, elle-même produite par une image – un tableau41. » Mireille Dottin-Orsini remarque au passage que les « photographies de la Salpêtrière ont été à leur tour dessinées et gravées », avec certaines « améliorations » B dont l’intrigue est installée au cœur des coursives de la Salpêtrière : « Mathilde était totalement anesthésique, et il suffisait de tracer, sur sa peau blanche, d’une douceur pareille à une peau d’enfant, les caractères qu’on voulait pour qu’aussitôt, à la place touchée par l’ongle ou le crayon du docteur, une saillie rouge apparût, d’une proéminence telle qu’en tâtant ces caractères, on pût reconnaître la lettre que venait d’écrire là M. Fargeas36. » Le champ lexical de l’impression se déplace du vocabulaire psychologique (faire impression sur un sujet, par un effet d’autorité adossé à la figure savante du médecin-chef) au glossaire technique d’une fabrique des images (impressionner le papier par photosensibilité ou par ancrage, la reproduction indicielle prenant l’ascendant sur la logique mimétique). C’est là où « le juste retour de l’art envers la science semble donc avoir déjà lieu au cœur de l’œuvre iconographique de la Salpêtrière, sous la forme d’une surimpression photographique37 ». Dans ce contexte, L’Iconographie de la Salpêtrière prend toute son importance, avec parfois, reproduits en séries tabulaires sur le modèle de l’anthropologie C A. Alfons Mucha, Monaco Monte Carlo, 1897, affiche, 108 x 74,5 cm, coll. part. B. La reconnaissance, photographie réalisée dans l’atelier de Mucha reproduite dans Albert de Rochas, Les Sentiments, le Geste et la Musique, 1900. C. Extase, photographie reproduite dans Bertran Rubio, Hipnotismo y Sugestion. Estudio critico, applicaciones a la terapeutica, ca. 1900. 121 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 121 12/09/2020 01:02 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T A C A. Magdeleine, The Hypnotic Dancer. Some of her most expressive poses, planche publiée dans The Trailer, 21 avril 1909. B. Couverture d’Émile Magnin, L’Art et l’Hypnose, 1907. C. Photographie de Magdeleine G. par Fred Boissonnas, reproduite dans Émile Magnin, L’Art et l’Hypnose, 1907. sur le travail des plis d’une robe par exemple, « souvenir des traditionnelles études de drapés qui faisaient partie de l’apprentissage de la peinture42 ». Le modèle du tableau n’est cependant pas une simple fioriture dans le processus d’esthétisation du regard clinique ; il est un authentique outil de compréhension. Certes, il y a peu de tableaux reproduits dans l’Iconographie, un seul entre 1875 et 1880 selon Didi-Huberman, mais cette reproduction annonce le projet des Démoniaques dans l’art (1887), où les tableaux seront témoins dans ce théâtre de la preuve : « Une œuvre d’art, venue au secours d’une figure défaillante, est dite – après coup – lui ressembler, la prendre même pour modèle vivant et pour référence mimétique. L’œuvre de peinture, venue combler un espace infigurable, vient alors occuper, dans l’histoire, la même place qu’occupe la photographie dans l’actualité de la clinique : c’est-à-dire la place d’une même preuve visible, visible et irréfutable parce que référencée mimétiquement dans le réel43. » Le comble de ce paradoxe qui fusionne la révélation du symptôme et sa reproduction en tableau va se concrétiser dans les « projections électriques » mises en place par Charcot au sein de son service. Paul Richer en donne une brève description assez peu commentée : « Dans les conférences cliniques de la Salpêtrière de ces dernières années, M. Charcot a signalé et montré à ses auditeurs, par le moyen des projections électriques, quelques-unes des gravures dont nous donnons ici la reproduction44. » Un manuscrit conservé dans les collections de la bibliothèque Charcot nous donne une idée plus précise du dispositif adopté et des objectifs recherchés45. Il s’agit non seulement de projeter au mur, sur le principe d’une lanterne magique, des reproductions de tableaux illustrant des scènes dans lesquelles Charcot a repéré des syndromes d’hystérie (une pédagogie de la « médecine rétrospective »), mais d’inviter les sujets hystériques présents dans la salle à se confondre physiquement avec ces images projetées « grandeur nature » sur le mur. La séance sert à prouver, a posteriori, la justesse des attitudes reproduites sur la toile, par un simple ajustement entre les gestes observés dans l’instant de la clinique et ceux qui sont fixés dans le temps de la peinture. Cette superposition établit la force de la preuve par un mimétisme de conformité (le corps de l’hystérique, sujet de la mimesis, vient se fondre dans le champ de l’image, et par là entre dans l’équilibre de 122 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 122 12/09/2020 01:02 C HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 123 12/09/2020 01:02 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T la composition du tableau projeté), quand la similitude entre la réalité de la crise et la fiction du tableau trouve ses règles dans le jeu itératif de la reproduction (l’effet de transfert dans l’image transforme les sujets hystériques en icônes). Non pas reproduction d’un idéal type, mais « idéale répétition » d’un type dans la « maîtrise de reproductibilité46 ». « ARTISTES INCONSCIENTS » LES VIRTUOSES SOUS HYPNOSE Daudet ne se trompait pas sur l’étroite complicité qui règne entre l’expérimentation psychiatrique et la culture visuelle artistique des aliénistes du XIXe siècle47. Charcot, qui « ne cultivait pas seulement les arts pour les arts eux-mêmes48 », postule l’ingérence d’un œil artiste dans une pratique d’observation clinique aiguisée au regard perspicace de grands maîtres de la peinture, dont les œuvres, choisies pour leur sujet (exorcisme, extases religieuses, etc.), souligne la clairvoyance médicale au-delà de leur pure appréciation esthétique, la vérité du tableau étant retenue pour sa capacité à faire voir le symptôme. Paul Rubens par exemple49 : de lui, Paul Richer, complice de Charcot dans l’analyse descriptive des phases de la catalepsie sous hypnose, dira qu’une « seule des œuvres de ce maître » suffirait à justifier la thèse selon laquelle ses possédées offrent « une représentation plus parfaite des crises hystériques à forme démoniaque50 ». En plus d’une quinzaine d’années, Charcot passera en revue plus de deux cent cinquante œuvres empruntées à l’histoire de l’art principalement occidentale, au point de convertir le sous-titre de la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière en « iconographie médicale et artistique ». Il invente là une « esthétique comprise, ou plutôt insue, non comme l’effet de cette expérimentation, mais bien comme son moteur, voire son fondement. L’expérimentation chez Charcot est avant tout un travail sur les formes, un travail de la forme – c’est même, en un sens, un travail de la beauté, une invention au sens fort du terme51 ». Dans cet élan comparatiste, Richer et Charcot publient en 1887 Les Démoniaques dans l’art, qu’ils présentent comme la « première étude de critique médicale des œuvres d’art », avec pour objectif de retrouver dans les tableaux anciens des indices formels de symptômes de l’hystérie pour mieux disqualifier les thèses religieuses qui en avaient filtré l’exégèse, la possession ou l’extase relue à travers le prisme clinique de la crise d’hystérie – ce que Littré venait d’appeler, dans sa Philosophie positive (1867), la « médecine rétrospective52 ». La dimension anticléricale de cette psychiatrie institutionnelle soucieuse de laïciser le regard n’échappera pas ; elle pousse à repenser l’héritage iconologique des anciennes peintures et permet à Charcot d’asseoir la vertu républicaine de sa lecture neurologique de l’hystérie et de son outil de correction, l’hypnotisme. Les artistes auront été clairvoyants pour leur capacité à déceler par leur sens de l’observation l’ancrage somatique des scènes extatiques. Ainsi de Rubens, à nouveau en première ligne : « Tel de ses possédés offre des caractères si vrais et si saisissants, que nous ne sau- rions rencontrer ou imaginer une représentation plus parfaite des crises que nous avons longuement décrites dans des ouvrages récents, et dont nos malades de la Salpêtrière nous offrent journellement des exemples typiques53 » – ce que Didi-Huberman appellera l’« inédite clinique de la peinture54 ». De fait, les croquis prélevés par Richer ressemblent de plus en plus à des « compositions baroques », Rubens en mémoire, comme s’il s’agissait de faire rentrer les scènes observées lors des séances de la Salpêtrière dans un « déjà-vu » repéré au cœur d’une histoire universelle de l’art donnant enfin une forme à ce qui échappait justement à la « rétine du savant ». Ou comment faire de l’œuvre d’art un outil de certification autorisant à basculer le regard clinique dans un temps de certitude débarrassé des contingences fragiles du contemporain, en jouant sur le caractère atemporel du jugement esthétique : « Charcot aura ainsi ouvert un champ scientifique qui se donnait des figures picturales comme moyens de sa propre élaboration. Science paradoxalement constituée donc : elle produisait sa légitimation théorique et même son efficacité pratique à travers des figures de l’histoire de l’art, c’està-dire des figures de la fiction55. » Lors des fameuses séances publiques des « Mardis de la Salpêtrière », les performances conduites devant public par Charcot et traduites en « tableaux » interpellent par une gamme d’expression du pathos qui fait vite passer la curiosité savante devant l’indice pathologique dans le frisson et l’attente suspensive du choc esthétique : « L’assistance était émerveillée. Non, jamais aucun acteur, aucun peintre, jamais Rachel ou Sarah Bernhardt ou Raphaël ne sont arrivés à cette puissance d’expression. Cette jeune fille réalisait une suite de tableaux qui effaçaient en éclat et en force les plus sublimes efforts de l’art. On ne pourrait rêver de plus étonnant modèle56. » De thérapeutique, l’hypnose est devenue un modèle esthétique selon une démarche tout à fait réfléchie et intégrée, retrouvée dans les propres commentaires de Charcot et Richer : « Pour rendre toutes ces expressions variées, les artistes ont pu trouver dans les sujets hystériques d’inappréciables modèles. Cette assertion ne paraîtra point hasardeuse ni exagérée à tous ceux qui, comme nous, ont vu des hystériques, même filles du vulgaire, dans une certaine phase de la grande attaque prendre sous l’empire d’hallucinations d’ordre religieux des attitudes d’une expression si vraie et si intense que les acteurs les plus consommés ne sauraient mieux faire et que les plus grands artistes ne sauraient trouver des modèles plus dignes de leur pinceau57. » Avant d’être des modèles pour les peintres, les sujets hystériques de la Salpêtrière vont être perçus comme de vrais virtuoses de l’expression dramatique, avec, au tournant du siècle, l’émergence d’une génération spontanée de jeunes femmes qui, sur scène et mises sous hypnose par des magnétiseurs autorisés, deviennent de très performantes danseuses ou actrices professionnelles : « L’hypnotisme fait mieux que venir au secours des artistes angoissés, il peut les aider en bien des circonstances pour s’élever vers les sommets de l’art58. » 124 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 124 12/09/2020 01:02 1870-1920 Ce principe d’une hypnose instrumentale venant au secours de l’apprentissage artistique se retrouve dans de nombreux ouvrages de l’époque qui commencent, c’est nouveau, à ouvrir des chapitres sur « l’hypnotisme et la suggestion dans l’étude des arts ». Dans son Traité de l’hypnotisme expérimental et thérapeutique, le docteur Joire pense que l’hypnose peut venir en aide face à l’inexpérience et au manque de confiance des jeunes cherchant à maîtriser une technique artistique, « tout à la fois pour les mettre en possession de tous leurs moyens naturels, pour affermir leurs connaissances déjà acquises et leur permettre de les utiliser59 ». Joire prend notamment le cas de « l’artiste qui veut rendre le sentiment traduit par l’auteur dans une œuvre artistique » : « Il faut pour cela s’oublier soi-même ; il faut faire abstraction de ses idées propres, de ses préjugés, s’affranchir de toutes les influences reçues par l’éducation, l’entourage, faire table rase des habitudes acquises et des idées préconçues […]. La suggestion peut lui venir puissamment en aide […]. Que se passet-il sous l’influence de la suggestion ? Les idées se modifient sans effort, sans même que le sujet ait besoin d’y songer ; certaines idées s’effacent, d’autres sont atténuées, les habitudes disparaissent. La sensibilité et la faculté de recevoir des impressions se développent, des idées nouvelles surgissent sans effort et l’esprit se les assimile parfaitement60. » Mieux encore, le médecin prétend pouvoir optimiser, par les techniques de la suggestion, la physiologie de l’organe de la voix sur l’ensemble des qualités requises pour atteindre un stade virtuose, à savoir « l’étendue, la souplesse, le timbre et la justesse ». Selon Joire, « la suggestion hypnotique peut faire accroître, chez certains sujets, l’étendue de la voix d’un ton ou d’un demiton, dans les notes élevées ou dans les notes basses61 », elle peut surtout jouer sur les harmoniques contenus dans le son de la voix, « puisqu’une partie des cavités du résonateur de la voix échappe à l’influence de la volonté », soumise à des contractures musculaires automatiques sur lesquelles seule « la suggestion hypnotique peut exercer une influence utile62 ». Deux de ces chanteuses dramaturgiques se feront connaître plus largement du public des amateurs d’art : Lina et Magdeleine. Lina de Ferkel est une découverte d’Albert de Rochas, administrateur de l’École polytechnique à Paris, spécialiste des états superficiels et profonds de l’hypnose63. Dans Les Sentiments, la Musique et le Geste (1900), Rochas s’attarde sur les performances scéniques de cette jeune femme, recrutée comme modèle dans l’atelier du peintre académique Georges Rochegrosse, et transformée sous hypnose en danseuse et dramaturge d’exception. L’ouvrage, abondamment illustré par des photographies de Ener et Nadar, dont certaines sont prises dans l’atelier du peintre et affichiste Alfons Mucha, associe théories des expressions et localisation cérébrale, psychophysiologie expérimentale et hypnotisme. Il étudie par le détail les capacités du magnétiseur à conduire les mouvements de sa danseuse, à la manière d’un Svengali, le fameux personnage méphistophélique du roman à succès de George du Maurier, Trilby (1894), qui envoûte et manipule son modèle sous l’emprise de sa baguette de chef d’orchestre64 : « Les ondes sonores entrent en elle et font agir inconsciemment les muscles et les nerfs de cette statue de chair frissonnante qui réalise, ainsi emportée dans les champs du mystérieux, des attitudes surhumaines qu’elle serait incapable de créer dans les heures de conscience et de vie. Le corps de la femme n’est plus qu’un instrument entre les mains de qui la dirige avec les sons65. » Entre automate et phonographe, la physique vibratoire de la résonance s’impose (et avec elle son corollaire, la prévalence des « appareils inscripteurs »), le corps de Lina livré à une mécanique fréquentielle de l’influence à distance. Pour Rochas, l’analogie entre création artistique et hypnose est poussée à son terme, mais sous un mode passif, proprement médiumnique : « Un sujet hypnotique est comme l’artiste, et à un bien plus haut degré encore. Amené à l’état cataleptique où toutes ses facultés individuelles sont presque complètement inhibées, où son cerveau est devenu en quelque sorte une page blanche propre à recevoir toute espèce d’écritures, il n’est plus qu’un mécanisme d’une extrême sensibilité entrant en jeu au moindre choc66. » La dimension anticléricale de cette psychiatrie institutionnelle soucieuse de laïciser le regard n’échappera pas ; elle pousse à repenser l’héritage iconologique des anciennes peintures et permet à Charcot d’asseoir la vertu républicaine de sa lecture neurologique de l’hystérie et de son outil de correction, l’hypnotisme. Sur la quatrième de couverture de l’ouvrage de Rochas apparaît une photographie de Lina, prise dans l’atelier de Mucha (on reconnaît en arrière-plan ses affiches pour le théâtre de la Renaissance, où régnait en diva la grande Sarah Bernhardt, elle-même connue pour avoir assisté aux séances publiques de la Salpêtrière). La jeune modèle, plongée manifestement dans une hallucination posthypnotique après l’écoute d’un morceau de musique, projette, sur les circonvolutions du tapis oriental qu’elle foule, l’image mentale d’un cours d’eau froide qui la fait frissonner. Elle résume en une pose à la fois la thèse de l’ouvrage (l’expressivité malléable du sujet sous hypnose) et son arrière-plan fantasmatique à peine voilé dans le texte (la maîtrise tutélaire et phallocrate de cette virtuosité féminine abandonnée au prix du libre arbitre). Ces expériences menées dans l’atelier de Mucha, qui scellent l’étroite complicité culturelle entre l’hypnose et le style Art nouveau, ne sont ni inédites ni surprenantes pour une époque nourrie 125 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 125 12/09/2020 01:02 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T pression faciale et « mimographique », des sujets dont il place les visages extatiques au cœur d’une composition graphique enveloppante, formée de volutes et d’arabesques ornementales dont l’itération est en soi un dispositif visuel favorisant l’entrée en transe hypnotique. On retrouve Lina, le drapeau français à la main, manifestement inspirée par les airs patriotiques de La Marseillaise, littéralement cernée par des rinceaux décoratifs dont le mouvement giratoire porté par une spirale envoûtante l’enlève, sur un mécanisme d’induction « idéoplastique », la portée mécanique du geste vengeur étant puisée ici dans ce que Rochas n’hésite pas à appeler l’« âme atavique de la race française », révélée à Lina à la seule écoute instinctive des premières notes de l’hymne national (« Si pendant qu’on joue La Marseillaise, on donne à Lina un drapeau et une épée, elle les saisit, et sa mimique continue en s’accentuant68 »). A aux feuilletons littéraires s’attardant sur les complicités « lubriques » entre magnétiseurs et hystériques. Elles sont surtout largement préparées par le discours des aliénistes, convaincus de l’usage artistique des séances de crise. Comme le rappelle Arnauld Pierre, dix ans plus tôt, le docteur Foveau de Courmelles, dans un ouvrage consacré à L’Hypnotisme (publié dans la très populaire collection La Bibliothèque des merveilles éditée par Hachette, largement illustrée de vignettes de Lucien Laurent-Gsell, peintre et graveur, élève de Cabanel et ami proche du Douanier Rousseau), multipliait les commentaires, images à l’appui, des exemples d’« extases musicales » que le médecin pense immédiatement convertir en sujet pour œuvre d’art : « Le sujet est admirable. Il prête à l’art. Il mérite de se voir ainsi fixé en traits indélébiles sur la toile ou gravé en caractères ineffaçables dans le marbre67. » Les exemples de cette traduction ne tarderont pas, sur la toile et dans le marbre. Dans une note à son ouvrage, Albert de Rochas nous apprend que « le peintre Mucha a, comme modèle, une jeune fille de dix-sept ans, Mlle Berthe », que lui-même a eu l’occasion de magnétiser « plusieurs fois ». Manifestement, Mucha a utilisé à de nombreuses reprises des modèles placés sous hypnose, choisis pour leur puissance d’ex- Le cas de Lina, loin d’être isolé, va manifestement produire des émules dans une culture visuelle hantée par cette manipulation neurologique des expressions69. Dans L’Art et l’Hypnose (1907), lui aussi largement illustré par près de deux cents clichés du photographe suisse Fred Boissonnas, Émile Magnin, professeur à l’École de Magnétisme de Paris, analyse les prouesses de la jeune Magdeleine G. (Guipet), « femme nerveuse » et neurasthénique devenue, sous la magie des passes magnétiques, une Terpsichore dont le corps, tout comme celui de Lina, réagit aux moindres évocations musicales traduites en gamme émotionnelle70. Mieux encore, Magdeleine – habillée « à la grecque » – réinvente le modèle classique. Car, pour Magnin, qui s’inspire là des travaux de James Braid sur l’histoire longue de l’hypnotisme71, des sculpteurs comme Phidias ou Praxitèle faisaient déjà appel à la suggestion hypnotique pour obtenir de parfaits modèles. Le psychologue Théodore Flournoy préface l’ouvrage, retrouvant dans cette « chorégraphie somnambulique » une « manifestation expressive […] qui défie tout apprentissage préalable72 ». Magdeleine va susciter rapidement un large engouement dans les cercles intellectuels, scientifiques et artistiques. Le médecin et sexologue Albert von Schrenck-Notzing, un pionnier de la psychothérapie très lié aux milieux des « études psychiques », va inviter l’artiste à se produire sur la scène expérimentale du Schauspielhaus de Munich73, rénovée au goût du jour par l’architecte jugendstil Richard Riemerschmid (on venait d’y présenter une version de la Salomé de Wilde). Dans cet état second qui libère le geste en supprimant le poids des « inhibitions74 », la Traumtänzerin (ou « danseuse de rêves ») Magdeleine visitera les scènes théâtrales européennes entre 1904 et 1907 (Opéra-Comique de Paris, Schauspielhaus de Munich, Garrick Theater de Londres…), parfois accompagnée du pianiste Bernhard Stavenhagen (le maître de musique de Schönberg). Sublimée sous l’objectif de Boissonnas dans des décors vaporeux peuplés de nimbes qui la libèrent du sol telle une sainte vertueuse fustigeant « la luxure », ou une Madone compassionnelle, elle ne se contente pas de 126 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 126 12/09/2020 01:02 1870-1920 B A. F. A. von Kaulbach, Étude d’après nature de Magdeleine G, ca. 1906, reproduite dans Émile Magnin, L’Art et l’Hypnose, 1907. B. Couverture par Alfons Mucha d’Albert de Rochas, Les Sentiments, la Musique et le Geste, 1900. 127 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 127 12/09/2020 01:03 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T A servir des expressions « hautement artistiques » ; elle adopte des postures inédites qui réinventent un nouveau vocabulaire corporel : des « positions dans lesquelles, précise Magnin, il nous semble incroyable qu’elle puisse garder son équilibre75 », changeant à l’envi de « centre de gravité ». Qu’est-ce qui entre en jeu dans cette élasticité exceptionnelle du corps ? La virtuosité de Magdeleine (ce que le docteur Flournoy appelle le « plein épanouissement de tous ces dons ») n’est pas le fruit d’une réaction automatique, mais une libération inconsciente de gestes inventifs. Pour cela, Magnin précise que l’hypnose doit être « superficielle », légère et non profonde. Le clavier sensible du corps a ses seuils qu’il s’agit d’évaluer et de préserver pour donner pleinement cours au travail de l’imagination motrice. C’est dans un état de « légère léthargie » que le corps entrera le plus intimement en symbiose avec la pensée suggérée, devenue « idée fixe » : « La musculature tout entière du sujet se moule sur la forme pensée76. » Certes, Magdeleine est sous l’emprise magnétique de son mentor, mais cette emprise est limitée et acceptée, contrôlée. En état de somnambulisme profond, elle devient réfractaire aux suggestions : elle entre en résistance, littéralement tétanisée, en « immobilité figée » ; au mieux elle devient un pur automate qui singe mécaniquement les gestes de l’hypnotiseur (c’est ce que Magnin appelle l’« écholalie » ou « imitation spéculaire », soit la « reproduction exacte de tous les actes exécutés par le magnétiseur77 »). À cette occasion, apparaît une analyse sur le périmètre de liberté du sujet sous suggestion quand l’auteur tente de dissocier la dextérité corporelle du « réflexe-automate » pour la reporter vers les « facultés de l’imagination » (« c’est l’imagination qui permet à cette dernière, une fois le rythme communiqué par les vibrations sonores, de broder mille fantaisies78 »), en puisant à nouveau dans le vocabulaire visuel de l’histoire de l’art pour mieux revendiquer l’artification de cette gestuelle sous induction (« il est possible de retrouver tel ou B tel tableau, telle illustration, telle statue qui, dans le subconscient de Magdeleine, a concouru à donner vie à l’idée suggérée79 »). Car tout comme Lina servant de muse à Mucha, Magdeleine exhibée par son mentor et producteur Magnin va largement inspirer les artistes, certains restés dans l’ombre, d’autres beaucoup plus fameux. Le sculpteur Joseph Ascoli, qui a assisté en mai 1904 à A. Gamme d’expressions, planche extraite d’Albert de Rochas, Les Sentiments, la Musique et le Geste, 1900. B. Planche extraite d’Albert de Rochas, Les Sentiments, la Musique et le Geste, 1900. C. Lina sous hypnose répondant à l’air de La Marseillaise, planche extraite d’Albert de Rochas, Les Sentiments, la Musique et le Geste, 1900. 128 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 128 12/09/2020 01:03 1870-1920 elles un intérêt d’art ? », Rodin répondra : « Oui, il y a là des détails, des nuances d’expressions qu’un modèle indiquerait mal et qu’il peut être utile à certains artistes de noter. Moi, j’aime mieux des choses moins écrites ; j’aime mieux tirer de moi-même la vision de ce que j’interprète ; comprenez-vous ? Ceci, c’est de la besogne mâchée…82 »). Se mesure ici l’écart qui se creuse entre le modèle littéraire du magnétiseur « nouveau Pygmalion83 » et son usage effectif dans un marbre qui reste de glace. La peinture va se montrer moins résistante, plus magnétisée. une représentation de Magdeleine « aux Mathurins », se dit « désireux d’avoir quelques photographies », car il aurait l’intention « d’après ces documents, d’exécuter une série de statuettes à expressions et poses différentes80 ». Une séance a lieu à l’automne 1903 dans l’atelier de Rodin, commentée dans les colonnes du Gil Blas : « Très loin, tout en haut de la rue de l’Université, dans l’atelier du maître Rodin, parmi les œuvres inachevées, les maquettes d’œuvres faites […], a été donnée, hier, une séance de musique, où l’art, se combinant à la science, offrit aux quelques très rares personnes présentes une sensation exquise […]. La mise en scène était rudimentaire, un simple tapis étendu au milieu de l’atelier ; l’orchestre, sommaire, se composait d’un piano et d’un violon […]. Voilà Magdeleine ; elle LE PINCEAU « INCONSCIENT » L’HYPNOSE COMME MOTIF C apparaît vêtue d’un péplum blanc, drapée à l’antique ; docilement, elle se place devant son magnétiseur qui, après quelques passes savantes, la plonge dans cet état spécial du sommeil provoqué : la catalepsie {}. Et soudain, après une série d’accords, retentissent des sons lents et graves : c’est La Marche funèbre de Chopin… Les traits de Magdeleine se contractent, son corps, qui transparaît sous les plis flottants du péplum, prend des attitudes d’une grâce, d’un charme incomparable…81». Un article du Figaro donnera la parole à Rodin, « visiblement troublé par tout cela », mais franchement sceptique devant cette instrumentation commandée de l’expression (à la question « ces expériences ont- Car ce sont d’abord des peintres qui vont aspirer à traduire, dans la vibration colorée et la « chair tremblante du pigment », cette source d’inspiration. Dans un chapitre (« Der ästhetische Gesamteindruck ») de son ouvrage consacré à Magdeleine, Schrenck-Notzing évoque « Böcklin, Klinger et Stuck », trois figures majeures du symbolisme allemand84. À plusieurs reprises les commentateurs relèvent la comparaison entre Magdeleine et la Salomé de Gustave Moreau85, comme s’il s’agissait d’établir une relation savante entre la performance et le tableau, voire de souligner l’origine picturale de cette contorsion sous transe, ainsi qu’avaient pu l’avancer Richer et Charcot dans Les Démoniaques dans l’art. Si les artistes ont largement anticipé sur le sens d’observation des aliénistes, la leçon des « démoniaques d’aujourd’hui » semble amplement suivie par des peintres attentifs à ces performances somnambuliques converties en « chef-d’œuvre de grâce accomplie86 ». Le peintre Gérôme dit avoir souhaité organiser dans son atelier une séance avec Magdeleine, mais son mauvais état de santé physique l’a conduit à « renoncer momentanément87 ». D’autres le feront de manière plus scrupuleuse, voire quasi cultuelle, révérant en Magdeleine G., la Mater Tenebrarum, grande prêtresse des ténèbres convertie en icône décadentiste88. C’est le cas en particulier de certains membres influents de la sécession munichoise, au premier chef le peintre Friedrich August von Kaulbach, un proche de Franz von Stuck, qui livrera plusieurs portraits de Magdeleine, dont une version reproduite en ouverture de l’ouvrage de Magnin, juste avant la préface. Une « étude d’après nature » réalisée au crayon la montre les yeux grands ouverts levés au ciel, dans une posture d’extase qui peut rappeler l’illustration photographique de Boissonnas intitulée, dans une terminologie très phrénologique, Interprétation d’une mesure de musique chiffrée sous l’influence magnétique d’un centre dit religieux89. Son homologue, le baron Hugo von Habermann, connu pour ses grands portraits mythologiques de femmes fatales (Ophélie, Judith, Salomé), livrera lui aussi en 1904 un vaste « portrait psychologique » de Magdeleine Guipet. Le plus prolixe de la cohorte sera Albert von Keller. Ami proche du docteur Schrenck-Notzing et, comme ce dernier, membre de l’influente Psychologische Gesellschaft pour laquelle il organise des réunions 129 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 129 12/09/2020 01:03 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T A A. Magdeleine sur la scène du Schauspielhaus de Munich, photographie reproduite dans Émile Magnin, L’Art et l’Hypnose, 1907. B. Albert von Keller, Portrait de Magdeleine, ca. 1905, peinture reproduite dans l’ouvrage d’Émile Magnin, L’Art et l’Hypnose, 1907. C. Carlos Schwabe, Étude pour la vague, 1907, fusain, crayon gras, sanguine et rehauts de pastel, 82 x 65 cm, cabinet de dessins du musée d’Art et d’Histoire de Genève. publiques dans son vaste atelier munichois, Keller hypnotise certains de ses modèles avant séance, l’une d’entre elles étant connue sous le patronyme de « Lina M. » (Lina Matzinger). Dans un tableau ébauché à l’emporte-pièce, intitulé Hypnose bei Schrenck-Notzing (ca. 1885), Albert von Keller illustre une séance avec le médecin magnétiseur. La scène se passe dans un intérieur domestique feutré, le visage du sujet volontairement absorbé dans une surface neutre, traitée d’une seule masse informelle d’où les yeux, nez et bouche ont disparu comme pour mieux signifier le transfert vers un autre mode de sensibilité, hors des sens ordinaires jugés trop physiques. Une lueur semble s’installer à la surface de la main droite de la patiente, celle du contact à distance avec le doigt curateur du magnétiseur – signe visible, positionné à l’exact centre géométrique de la composition, d’une circulation polarisée et fluidique qui anime le pouvoir de transmission des forces invisibles en présence. Un document photographique réalisé par Maximilian Höhn, son assistant, et publié plus tardivement dans les colonnes de la revue Psychische Studie, nous renseigne sur les curieux protocoles des expériences menées par Keller. Il date de 1887 et met en scène la jeune modèle « Lina M. », placée devant une reproduction d’une imposante composition du peintre, La Résurrection de la fille de Jaïrus (1886). Manifestement, il s’agit d’une expérience menée sur la « vivacité des images mentales » dans le processus hallucinatoire, consistant ici à produire l’hypnose au moyen de la fixation prolongée du tableau (la légende indique une « suggestion devant le tableau »). La transe obtenue est censée déclencher chez Lina un réflexe d’identification mimétique avec le motif représenté, pour conduire son inconscient dans la réalité fictionnelle du motif peint (l’expérience sensible d’un retour miraculeux à la vie). Un jeu d’identification absolue90 circulant entre la réalité physique de la transe et l’espace mental, mais non moins tangible, de sa représentation. L’appareil photographique installé en retrait (sur une idée suggérée par son ami peintre Gabriel von Max) a vocation à capturer l’expression singulière du sujet transporté dans cette expérience liminale entre la vie et la mort, une psychographie du seuil qu’il s’empressera d’utiliser pour le motif tragique d’un tableau représentant une sorcière au bûcher (1888)91. 130 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 130 12/09/2020 01:03 1870-1920 Mais c’est avec les performances munichoises de Magdeleine en 1904 que Keller va plonger plus avant dans la représentation des hallucinations magnétiques92. Il voit cette « source inépuisable d’observations, de jouissance, d’inspiration » sur la scène du Schauspielhaus Theater en compagnie de Kaulbach, Max et Stuck (une photographie du spectacle munichois est publiée dans l’ouvrage de Magnin). Elle devient pour lui un phototype : « je crois pouvoir dire qu’encore jamais nous n’avions rencontré une âme humaine capable de dominer ainsi son corps et de lui donner une expression aussi admirable en intensité, en beauté, en pureté93. » Adoptant la technique de la « touche mouvementée » à même de reproduire les convulsions d’un sujet terrorisé par ses propres hantises, Keller va choisir les poses les plus ébranlées et pathétiques de Magdeleine. Dans Die Traumtänzerin Magdeleine (ca. 1904), la facture non finito souligne l’agitation d’un corps frappé d’une « trépidation nerveuse, comme à la suite d’un choc électrique94 ». Le corps est littéralement happé par une force ténébreuse blottie dans un fond de décor plongé dans la pénombre qui s’oppose, dans un clair-obscur dramatisé, à la lumière agressive émanant d’un hors-champ visuel du tableau, probablement celui d’une « vision d’horreur suggérée » (Magnin évoque des travaux consacrés aux « crimes sous hypnose »), dont la force hallucinatoire tétanise à distance le regard médusé de la danseuse. Keller veut « espérer que l’étude, toujours plus approfondie, des phénomènes subconscients finisse par jeter quelque lumière sur la part de l’inconscient dans la création artistique95. » C B Très proche des portraits de Magdeleine par Keller, et non sans rappeler les Têtes de caractère de Messerschmidt, la série de portraits préparatoires à la grande composition allégorique La Vague (1907), du peintre symboliste suisse Carlos Schwabe, convoque les mêmes ressources : non pas tant la reprise de l’iconographie clinique de la Salpêtrière que celle, plus transitive et décadente, des représentations théâtrales de Lina et Magdeleine. Une Étude pour La Vague, n° 4, réalisée au fusain, crayon gras et sanguine rehaussée de pastel, montre une jeune femme, la chevelure innervant un corps à demi dénudé, couverte d’un drapé blanc lui aussi à l’antique, la bouche et les yeux grands ouverts, les mains tendues vers le spectateur qu’elle pointe d’un regard de pythie vengeresse. Jean-David JumeauLafond, un spécialiste du peintre et de la période, a montré que l’idée de La Vague a pris sa source dans « une des vignettes conçues par Schwabe pour l’illustration des Paroles d’un croyant, de Lamennais, travail commandé par l’éditeur et relieur Charles Meunier, et dont la réalisation s’échelonna de 1906 jusqu’à sa parution en 190896 ». Rappelons que l’ouvrage de Magnin, illustré des tableaux de Keller et Kaulbach, sort des presses genevoises dans sa première version en 1907 – date de réalisation de ces esquisses et du tableau final. Cette séquence d’« attitudes passionnelles », sept au total, toutes plus sidérantes dans leur regard inquisiteur, avec le même soin accordé aux contractures électriques du 131 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 131 12/09/2020 01:03 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T visage qui semblent se répandre par contagion dans les plis du drapé (les gammes de Duchenne de Boulogne ne sont pas loin), invite à croire combien ce que cherche avant tout le peintre dans ce jeu visuel de propagation n’est autre que la capacité à transmettre au spectateur, d’une manière toute magnétique, la sensation de frayeur vécue face à la puissance imageante de l’hallucination dans laquelle il pourrait reconnaître son propre destin ou « le présage jubilatoire d’une catastrophe rédemptrice97 ». Il est un autre peintre de veine symboliste qui se démarque dans cet intérêt pour le modèle « d’étrangement » de l’hypnose et son lien étroit à la vie pulsionnelle de l’inconscient : l’Allemand Max Klinger. Ami de Wundt et disciple d’Ernst Haeckel, dont il adopte la philosophie transformiste, Klinger identifie dans le processus hypnotique une récolte de ressources cognitives oubliées, très propices selon lui à configurer l’espace spécifique du rêve. De fait, sa familiarisation avec l’hypnotisme s’opère sur les planches de théâtre, à l’occasion d’une séance publique du magnétiseur danois ambulant Carl Hansen. Nous sommes en 1878, l’hypnotiseur circule lors d’une tournée médiatique dans les villes de Leipzig, Chemnitz et Breslau, où il est attendu et observé par de nombreux artistes et hommes de science. Wundt assiste à l’une de ces séances connues pour leurs mises en scène dramatisées de contractures cataleptiques, de visions hallucinatoires et autres anesthésies à la limite d’un voyeurisme sadique. De sa lecture des textes de Wundt (Grundzüge der physiologischen Psychologie, 1874), Klinger a appris que l’état d’hypnose est causé par une inhibition partielle des activités d’aperception du cortex cérébral, ouvrant au développement des facultés oniriques – ce qu’il appellera la vie exclusive du « rêve hypnotique98 ». Cela confortait le principe édifié par les philosophes de la nature (système ganglionnaire/système cérébral) mais surtout consolidait l’idée, tout aussi romantique, d’un contact intuitif de l’homme avec d’autres formes plus végétatives de vie et, par effet collatéral, chargeait la dimension sensuelle, voire érotique, des couches de l’inconscient. Les représentations de transes somnambuliques chez Klinger sont nombreuses, jeu et outil du processus créatif qui revient dans des captures du peintre devant son chevalet. Toutes débitrices de cette pulsion libidinale, inconsciente et fortement introspective, que le peintre a rencontrée dans ses lectures des textes plus littéraires de Kleist et Hoffmann, elles peuvent être isolées, mettant en scène des figures plongées dans la rêverie, mais aussi collectives. Dans Soirée (1877), le mouvement des invités réunis dans l’espace confiné d’un salon de réception paraît curieusement arrêté dans une transe contagieuse circulant sur les échanges de regards et de gestes croisés à la manière d’une « chaîne magnétique ». Plus encore, c’est dans le face-à-face de l’artiste avec son œuvre en gestation que l’hypnose autosuggérée est la plus présente. Comme l’a montré Marsha Morton99, l’une d’entre elles très romantique dans sa facture et sa composition, met en scène le peintre et ami Christian Krohg (Der Künstler in der Dachstube, 1879), plongé dans la contemplation d’une toile installée sur chevalet, en attente d’inspiration que la fixation d’une surface peut-être encore vierge va pouvoir mettre en branle. Au sol, au pied de l’artiste songeur, Klinger a pris soin de poser une édition d’un roman des frères Goncourt (Manette Salomon), une « Comédie humaine de la peinture » mêlant intrigue sentimentale, hallucinations extatiques et pulsion créative. Nul hasard donc si quelques années plus tard, Klinger se penchera sur les expériences de Justinus Kerner auprès de la « voyante de Prévorst » (dans une lettre datée de l’été 1888, il dit être plongé dans la lecture de l’ouvrage monographique de Kerner100). Selon lui, la transe somnambulique que tout artiste vit au quotidien face à une œuvre qui manque à venir est l’outil d’une inspiration inquiète issue du plus profond de l’être. A A. Gravure extraite de l’ouvrage Persoonlijk Magnetisme, Amsterdam, 1925. B. The Operator Has Assumed a Very Severe Expression, photographie reproduite dans Herbert A. Parkyn, Suggestive Therapeutics and Hypnotism, 1900. 132 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 132 12/09/2020 01:03 1870-1920 C 133 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 133 12/09/2020 01:03 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T Dans un registre plus académique, posant la question du recyclage culturel du style kitsch des « petites images » populaires (affiches, caricatures, ephemeras) dans leur exploitation érotique des jeux de séduction du sujet hystérique, il est possible de s’arrêter sur le cas, moins retenu par la postérité, du peintre français Paul Tillier. Un article du Monthly Illustrator paru en 1895, « The Hypnotism of Paul Tillier101 », nous invite à pousser la lecture hypnotique de son œuvre à la séduction joyeusement acidulée, qui emmène avec elle sous le magistère tutélaire du « grand Cabanel », toute une génération de peintres de Salon, investie dans le motif racoleur de la pâmoison féminine. Présenté comme une œuvre « bizarre » incarnant le « type de l’art parisien et sa frivolité », cet hommage à la cocotte parisienne est remarqué pour son sens de l’abandon (en français dans le texte), qui montre très vite que les poses reprennent, sous leurs airs faussement pudiques, certains clichés venus de la Salpêtrière. En particulier la Jeune femme sur le dos d’un lion ailé, illustrant l’ouverture de l’article, et dans laquelle il est difficile de ne pas retrouver le souvenir de reprises « pornographiques » de l’Iconographie des services du docteur Charcot qui circulent en sous-main à travers la diffusion de masse des revues dites de « charme », face à une veine omniprésente dans la culture visuelle fin de siècle jusque dans son versant misogyne maintenu dans le cliché de la femme fatale. L’érotisme ambiant du rapport hypnotique est largement alimenté par les imaginaires « charnels » des romans A populaires de l’époque, qui s’empressent, le plus souvent sur des visées anti-calotines, d’asseoir l’analogie entre la sainte et la démoniaque, pour mieux relever les dérives nymphomanes des séances de la Salpêtrière102, où le charme devenait lui-même non seulement une tactique obligée, mais, au risque de la dépossession de tous, une « technologie de maîtrise scientifique103 ». Les images mobilisées, dont « toute la teneur ontologique est surface, exposition », renvoient immédiatement à « une contagion par laquelle l’image nous saisit104 ». C’est là un usage qui colle étonnamment avec la part haptique entretenue dans le lien entre hypnose, image et hystérie, au sein des cliniques psychiatriques – une « disponibilité à être touchée » d’autant plus érotisée que les très nombreux commentaires de l’époque soulevaient le caractère joyeusement impudique des échanges de regards entre les patientes hystériques et leurs médecins, immédiatement traduits en « espèces d’excitation particulière » où se fomente l’envie de capturer toutes les « libido spectandi », lancées comme des défis au spectateur. C’est ce que Georges DidiHuberman appelle, à propos des fameuses attitudes passionnelles, un « formalisme du désir105 ». La comparaison faite par le chroniqueur avec Svengali106, le personnage central de Trilby de du Maurier, est instructive. Elle explique pour partie les ressorts stylistiques, voire idéologiques, qu’un pan non négligeable de la peinture académique fin de siècle va trouver dans l’artifice cultivé de cette hystérisation de l’hypnose. Rappelons le contexte. Trilby est considéré dans l’historiographie de l’édition comme le premier best-seller contemporain107. « Alien enchanteur de la culture moderne108 », Svengali en est son protagoniste, sous les traits d’un musicien, pianiste confirmé B 134 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 134 12/09/2020 01:03 1870-1920 C et pygmalion déviant, qui, grâce à ses pouvoirs hypnotiques, transforme une jeune grisette du Quartier latin, Trilby O’Ferrall, modèle pour peintres de la bohème artistique, en chanteuse d’opéra virtuose, vedette des grands théâtres d’Europe. Sous induction hypnotique, Trilby devient « La Svengali ». Le roman, publié en feuilleton dans le Harper’s New Monthly Magazine (qui augmente son tirage de plus de cent mille exemplaires à la suite du premier épisode, mais aussi du procès public intenté par le peintre Whistler contre ce feuilleton dans lequel il estime se retrouver diffamé), paraît sous forme de livre à l’automne 1894, illustré de plus de deux cents gravures exécutées par Maurier lui-même. Le succès est international, l’ouvrage est traduit immédiatement en pièce dramaturgique, machine à produire des images-clichés, comme l’analyse à cette même époque Gustave Le Bon, pour qui le théâtre est devenu le haut lieu de la suggestion traduite en acte (« Les foules, ne pouvant penser que par images, ne se laissent impressionner que par des images […]. Aussi, les représentations théâtrales, qui donnent l’image sous sa forme la plus nettement visible, ont-elles toujours une énorme influence sur les foules109 »). En 1895, date de l’article sur Tillier, les États-Unis et l’Angleterre victorienne baignent en pleine « Trilbymania » : « Jamais de notre temps, un livre n’a été aussi soudainement glorifié comme une bible. Le livre s’est écoulé en un flot ininterrompu sur les comptoirs de toutes les librairies […]. Le goût pour Trilby devint une passion […], la passion se transforma en obsession et l’obsession s’aggrava en folie110. » Soit un principe de contagion psychique sur le mode de la « transfusion111 », dupliquant le propre mécanisme de vampirisation s’instaurant au cœur de la sujétion mutuelle entre Svengali et Trilby, jusque dans sa conversion consumériste et fétichiste dans la culture matérielle en produits dérivés (Trilby a été traduit en dentifrice, bicyclettes ou paquets A. Au clair de la lune, gravure illustrant l’ouvrage de George du Maurier, Trilby, 1894. B. An incubus, gravure illustrant l’ouvrage de George du Maurier, Trilby, 1894. C. Et maintenant dors, ma mignonne, gravure illustrant l’ouvrage de George du Maurier, Trilby, 1894. D. Richard Bergh, La Suggestion ou Une séance d’hypnose, 1887, huile sur toile, 153 x 195 cm, Nationalmuseum de Stockholm. 135 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 135 12/09/2020 01:03 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T 136 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 136 12/09/2020 01:03 1870-1920 137 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 137 12/09/2020 01:03 A A. Photographie de Lina M. par Albert von Keller. B. Albert von Keller, Hypnose by Schrenck-Notzing, 1885, huile sur toile, Kunsthaus Zürich. B HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 138 12/09/2020 01:03 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 139 12/09/2020 01:03 A HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 140 12/09/2020 01:03 1870-1920 B A. Albert von Keller, Spiritische Apport, 1887, huile sur toile, Kunsthaus Zürich. B. Photographie de Lina M. par Albert von Keller. 141 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 141 12/09/2020 01:03 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T écrit pour le journal suédois Nornan en 1887, Bergh explique avoir voulu capter le moment subtil de transition entre deux états (conscience/inconscience), un instantané fulgurant qui, selon lui, échappe au regard objectiviste de la photographie117. C’est dans un rapport autrement moins distancié au modèle reproductible de la photographie qu’André Brouillet va produire son morceau de bravoure pour le même Salon de 1887 (on sait que Brouillet s’est appuyé sur une série de clichés, dont l’un de Charcot en pied, pour réaliser son tableau118). Foveau de Courmelles le mentionne bien sûr dans sa chronique, ne pouvant pas le manquer. Il faisait la couverture du catalogue du Salon et son format monumental (4,30 x 2,90 m) se jaugeait à l’échelle humaine : « On trouve aux Champs-Élysées, le tableau de A. Brouillet : Une leçon clinique à la Salpêtrière. Le docteur Charcot montre à un public nombreux et choisi comment un sujet tombe en catalepsie. Parmi les assistants : Mathias-Marie Duval et Jules Claretie, s’inspirant là pour écrire Jean Mornas119 ». Le peintre est tout jeune trentenaire quand il s’attaque à ce vaste sujet ; il est novice, et la critique le lui reproche, notamment pour être resté à l’état indiciel du constat photographique : « M. Brouillet n’a produit qu’une illustration médiocre. Une certaine largeur de facture ne saurait compenser la tristesse de la lumière blafarde, l’aigreur des tons, la mollesse des figures et l’indécision des physionomies. Comme information, une leçon clinique n’est qu’un à-peu-près ; comme peinture, c’est une erreur120 ». Le verdict est sans appel, relayé dans « Le siècle de Charcot » par Octave Mirbeau, pour qui Brouillet n’est pas Rembrandt : « C’est Rembrandt qu’il faudrait pour reproduire dignement cette scène étonnante : Charcot dans le grand amphithéâtre de la Salpêtrière. La leçon d’hystérie, quel pendant à l’immortelle Leçon d’anatomie ! C’est Rembrandt seul qui pourrait retracer les jeux de lumière et d’ombre qui transforment la physionomie des auditeurs avides, rendent leurs yeux plus brillants, et font paraître plus étranges encore les étranges sujets sur lesquels opère le maître. Le peintre qui oserait s’attaquer à cette œuvre et pourrait s’élever à la hauteur de son modèle, celui-là aurait fait le tableau du siècle121. » A de cigarettes…), insignes de la « passivité imitative de l’être social112 » théorisée par Gabriel Tarde dans Les Lois d’imitation (1890) : « La société, c’est l’imitation, et l’imitation, c’est une espèce de somnambulisme113. » Si, selon le docteur Foveau de Courmelles, « les salons de ces dernières années ont consacré l’hypnotisme et ses maîtres114 », c’est aussi pour revenir sur la notion même d’académisme, à partir non plus d’un principe (consumériste) de séduction, mais d’une logique (pédagogique) de conviction. Dans son compte-rendu du Salon des beaux-arts de 1887, Courmelles mentionne la présence d’un tableau de « R. Bergh, La Suggestion ». Il s’agit d’une œuvre du peintre suédois Richard Bergh, qui a assisté dès son arrivée en France en 1881 à une « séance magnétique115 » de la « Société française de psychologie » et a suivi un cycle de conférences données par le docteur Georges Dujardin-Beaumetz, clinicien à l’hôpital Saint-Antoine et spécialiste de l’hypnose. Le tableau, présenté au Salon de 1887, est probablement réalisé à la suite d’une séance de Beaumetz116, arrêt sur image d’un moment particulier de la passe hypnotique. Dans un court essai intitulé Auto-critique, B 142 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 142 12/09/2020 01:03 1870-1920 C A. Le Professeur Charcot, caricature de Luque reproduite en couverture de Les Hommes d’aujourd’hui, n° 343, 1887. B. Photographie ayant servi de modèle pour le tableau de Brouillet, 1886. C. Gravure reproduisant le tableau d’André Brouillet, Une leçon clinique à la Salpêtrière, publiée dans Le Monde illustré, 30 avril 1887. D. Le Tout Paris, 1887, caricature du tableau d’André Brouillet. E. André Brouillet, Une leçon clinique à la Salpêtrière, 1887, huile sur toile, 290 x 430 cm, FNAC, déposé au musée de la Médecine, université Paris Descartes. D Pourquoi donc ce tableau si décrié comme un essai non concluant est-il resté dans les imaginaires visuels de ce passage du siècle, reproduit sur de multiples formats, déclinant la gamme des registres culturels qu’il couvrait sans le savoir, de la gravure (Freud en détiendra un exemplaire dans son cabinet de Londres) à la photogravure, du chromo à la carte postale ? C’est là un devenir reproductible intrigant, surtout par son échelle inattendue, même si elle n’atteint pas les sommets patriotiques d’un Angélus de Millet. Un premier argument plaidant la cause de ce succès médiatique tient au sujet, la « leçon clinique », c’est-à-dire le moment stratégique de l’organisation du savoir, l’instant crucial de sa transformation expérimentale en théâtre scénarisé de la preuve : « Pour Charcot […], la leçon magistrale hebdomadaire dans l’amphithéâtre était la grande affaire de la vie, celle qui passait avant tout, dont on 143 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 143 12/09/2020 01:03 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T 144 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 144 12/09/2020 01:03 1870-1920 145 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 145 12/09/2020 01:03 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T s’occupait toute la semaine122. » Mais cela tient aussi, jusque dans le caractère convenu de sa composition, à la conscience du peintre à coller au plus près à la propre ambition « artistique » professée par Charcot, ainsi que le relève Emmanuelle André : « Le recours à l’histoire de l’art pour renvoyer de l’hystérie l’image la plus symptomatique de son époque, cette façon d’user des images du passé, l’image pour photographier une situation donnée, est commune aux deux hommes et procure au tableau toute son ambiguïté. Ainsi la leçon clinique devient tout à la fois leçon visuelle et modèle iconographique, le tableau de Brouillet ayant pour particularité de refléter la démarche médico-artistique de Charcot, de nouer l’histoire de la médecine à celle de ses représentations artistiques123. » Brouillet introduit, de manière impensée, une logique de mimétisme au sein même de la narration visuelle de sa fresque médicale. Sur la gauche, parmi les témoins, Paul Richer (le professeur d’anatomie de l’École des beaux-arts qui retranscrit en dessin les observations des contorsions, interne à la Salpêtrière, par ailleurs responsable du service des moulages adossé sur les activités de cet hôpital converti en « Versailles de la douleur124 », mais aussi auteur des Dialogues sur l’art & la science, dans lesquels il défend une « critique scientifique des œuvres d’art »), ainsi que Mathias-Marie Duval (l’auteur d’un Précis d’anatomie à l’usage des artistes, 1881, lui aussi professeur d’anatomie à l’École des beaux-arts). L’art et sa pédagogie sont pris à témoin de la démonstration clinique, dans un tissage étroit des liens qui unissent l’École des beaux-arts à la Salpêtrière125. Sur la partie droite de la composition, Charcot et son assistant recueillant dans ses bras la jeune hystérique Blanche Wittman, un des « clous » de la cohorte des internées de l’hôpital, corsage blanc dégrafé découvrant une poitrine offerte au voyeurisme. Dans ce public peuplé d’habits noirs parfois agrémentés d’une blouse de laborantin, seuls deux corps semblent se détacher par rupture de format : celui de Blanche, dans sa silhouette à la courbure lascive, répondant en écholalie à celui qui lui fait face, à savoir le corps en arc de cercle d’une pose cataleptique reproduite sur un dessin accroché au mur, emblème de la méthode comparative et analogique adoptée par Charcot. En d’autres termes, l’attitude de Blanche se plie au modèle fourni par les propres images canoniques des phases de la catalepsie affichées, telles des modèles à suivre, dans les espaces de l’hôpital. Dans cette mise en miroir des deux corps qui fonctionnent en résonance, Blanche se conforme au prototype de l’image imprimée et prend acte de sa propre reproductibilité mécanique. A A. Photographie retouchée ayant servi de modèle pour le tableau de Brouillet, 1886. B. Hallucination provoquée, gravure reproduite dans Paul Regnard, Sorcellerie magnétisme, Morphisme, délire des grandeurs, 1887. C. Georges Moreau de Tours, Les Fascinés de la Charité, 1890, 125 x 158 cm, musée des Beaux-Arts de Reims. 146 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 146 12/09/2020 01:03 1870-1920 B 147 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 147 12/09/2020 01:03 C HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 148 12/09/2020 01:03 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 149 12/09/2020 01:03 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T LE « TRANSFERT » DES ÉMOTIONS EXTÉRIORISATION DE LA PENSÉE ET TROUBLES DU GENRE Trois ans plus tard, à l’occasion du Salon de 1890, Foveau de Courmelles s’arrête cette fois sur un tableau de Moreau de Tours, Les Fascinés de la Charité, dont il livre la description sommaire : « M. Moreau de Tours, le peintre par excellence de l’hypnotisme et de la névrose, nous présente Les Fascinés de la Charité. Dans une salle éclairée à gauche par de larges fenêtres, se groupent, autour d’une sorte de miroir aux alouettes, une dizaine de femmes et quelques hommes. Les physionomies expriment, d’une manière très vivante, les impressions diverses produites sur les sujets par la rotation du miroir : admiration, crainte, joie, douleur, rêverie, attirance invincible ou répulsion ; un peu en arrière, une jeune femme, les bras levés au ciel, contemple le miroir dans une sorte d’extase. Au second plan, le docteur Luys et ses élèves observent attentivement les différentes phases de l’expérience126. » Tout comme chez Brouillet, le tableau est inspiré d’une photographie reproduite sous divers états, dans plusieurs ouvrages et revues de l’époque : un groupe de patients du neurologue Jules Bernard Luys sont en poses extatiques à la suite de la fixation attentive d’un « miroir aux alouettes » installé sur un guéridon ; « l’instrument qui m’a paru le plus propre à atteindre le but que je me proposais, c’est le miroir aux alouettes […]. Ces instruments, d’après ce que j’ai vérifié, ont chez les sujets hypnotisables, soit du sexe masculin, soit du sexe féminin, chez les hystériques et les non-hystériques […], une action somnifère des plus évidentes ». Il s’agit là d’une technique (la fixation d’une surface lumineuse en mouvement) qui s’impose dans de nombreuses expériences cliniques, à la suite des travaux de James Braid127. Luys en explique le mécanisme physiologique : « Au moment où le sujet prédisposé est mis en présence du miroir tournant, son œil est littéralement attiré, le regard est fixé ; il s’isole de l’extérieur, un sentiment de fatigue se développe, les paupières commencent à clignoter, peu à peu elles se ferment […]. Il est à remarquer que, dans cet état spécial de fascination, l’isolement mental du milieu ambiant n’est pas aussi complet et profond que dans les états somnambuliques du grand hypnotisme128. » Dans la technicité de cet isolement du sujet, Luys vise l’optimisation d’une action sur les « facultés émotives129 ». Celle-ci transpire dans la toile de Moreau de Tours, qui reprend la composition des photographies témoins, à laquelle il ajoute la présence, hors champ dans le cliché d’origine, des médecins observateurs, Luys en particulier. Trois ans après Brouillet, le topos de l’hypnose clinique s’est déplacé vers un langage corporel, celui d’une grammaire combinatoire des « attitudes passionnelles », A que l’on retrouve théorisée à la même époque dans le champ du renouveau scientifique de la dramaturgie chez Georges Polti, classificateur impénitent, dans sa Théorie des tempéraments et leur pratique (1889), jusque dans le principe d’un « isolateur » par lequel il envisage le rôle opérateur d’un objet dans le jeu de scène130. Le tableau de Moreau de Tours ne dépeint pas une scène clinique, il dresse plutôt une vue d’ensemble des expressions dramatiques, consolidant l’hypothèse d’une approche structurelle des « situations dramatiques131 », avec son lot d’automatismes gestuels d’où serait évincé le principe d’une intériorité du sujet rejetée sur le langage extérieur des actions. Or, ce travail d’extériorisation de la pensée (et la manière de se représenter l’espace comme un « lieu pensant »), nous le retrouvons précisément dans l’imaginaire des expériences menées autour de la transe hypnotique. Il faut pour cela revenir sur l’inventivité des protocoles du docteur Luys à l’hôpital de la Charité dépeint, par Moreau de Tours, en particulier autour des expériences de « transfert de sensibilité ». Luys, dans son traité sur Les Émotions dans l’état d’hypnotisme (1890), au-delà de l’identification des mécanismes organiques de la pathologie, dévoile « une série de phénomènes A. Portrait du docteur Luys reproduit dans Foveau de Courmelles, L’Hypnotisme, Paris, 1890. B. Processus des états hypnotiques par le Dr Luys, reproduit dans Foveau de Courmelles, L’Hypnotisme, Paris, 1890. C. Leçon du docteur Luys à la Charité, gravure reproduite dans Foveau de Courmelles, L’Hypnotisme, Paris, 1890. 150 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 150 12/09/2020 01:03 1870-1920 d’une plus grande amplitude appartenant à la physique générale, qui touchent non seulement aux actions dynamiques des corps sur les fibres nerveuses de l’être vivant, mais encore qui, pénétrant dans les replis les plus reculés du for intérieur, sont susceptibles de mettre en branle les cordes variées de l’émotivité humaine132 ». Soit une authentique physique du transfert de la sensibilité, que Luys a localisée dans les mouvements moléculaires de la matière, qui relie, selon lui, « dans une synergie mystérieuse l’action de l’aimant à celles des courants électriques et des courants nerveux »133. C’est dans ce cadre qu’intervient l’épisode des « couronnes magnétiques », très révélateur de la pensée analogique à l’œuvre dans la pensée du clinicien, en particulier autour de la question d’une transmission à distance des états émotionnels – un modèle qui abondera dans l’explication hypnotique du rapport empathique à l’œuvre d’art. De quoi s’agit-il ? Pour Luys, l’étude des phénomènes de l’hypnotisme révèle au grand jour « la possibilité de faire le transfert d’un sujet hypnotisé à un autre, non seulement des états hypnotiques variés qu’il traverse, mais encore des émotions expérimentales qui lui sont communiquées134 » – ce qu’il appelle « la transmission sympathique des états émotifs d’un sujet à un autre135 ». La physicalisation vibratoire de la pensée prend ici tout son sens. L’idée défendue par Luys est de pouvoir emmagasiner les radiations cérébrales dans une couronne aimantée136 placée sur la tête d’un sujet hypnotisé137 : « Il s’agit dans ce cas non plus de l’emmagasinement des vibrations de nature magnétique mais B C 151 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 151 12/09/2020 01:03 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T A bien des vibrations de nature vivante, de véritables vibrations cérébrales, propagées à travers la paroi crânienne et emmagasinées dans une couronne aimantée, dans laquelle elles persistent pendant un temps plus ou moins long138. » Il a emprunté ce modèle de télé transportation sensible et psychique au mécanisme du « transfert névropathique » étudié par le docteur Babinski139 (il apparaît lui aussi dans le tableau de Brouillet), qui avait mené des expériences sur le transfert, par contact d’un aimant interposé, d’un état de paralysie d’un sujet vers un autre, ainsi qu’aux découvertes sur « l’extériorisation de la sensibilité » menées par le colonel de Rochas. Pour ce dernier (étude sur le cas de Lina de Ferkel), un sujet placé sous hypnose étend le champ de sa sensibilité à l’extérieur de son enveloppe corporelle pour le répandre dans un espace ambiant interpersonnel, qui devient un véritable réseau de circulation fluidique des émotions. Ainsi d’une femme, « atteinte de mélancolie, avec des idées de persécution, agitation et d’une tendance de suicide », à laquelle Luys va appliquer cette couronne aimantée : « Au bout d’une quinzaine de jours, cette couronne ayant été isolée à part, j’eus l’idée purement empirique de la placer sur la tête d’un autre sujet. C’était un malade hypnotisable, hystérique, atteint de crises fréquentes de léthargie. Quelle ne fut pas ma stupeur à B A. Malades de la Charité, photographie reproduite dans L. R. Regnier, Hypnotisme et croyances anciennes, 1891. B. Détail du tableau de Moreau de Tours, Les Fascinés de la Charité, 1890. C. Les Fascinés de la Charité, photographie reproduite dans Foveau de Courmelles, L’Hypnotisme, 1890. 152 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 152 12/09/2020 01:03 1870-1920 voir ce sujet mis en état de somnambulisme, proférer des plaintes, tout à fait les mêmes que celles proférées quinze jours auparavant par la malade guérie140. » Cet usage des « couronnes magnétiques » implique beaucoup plus qu’une simple contagion de symptômes, il pousse le transfert de la sensibilité vers un trouble du genre plus identitaire. Luys applique en effet cette couronne à un sujet hypnotisé masculin qui prend les attitudes de la femme : « Il avait d’abord pris le sexe de la malade ; il parlait au féminin, il accusait de violents maux de tête, il disait qu’il allait devenir folle. En un mot, le sujet hypnotique avait, grâce à la couronne aimantée, pris l’état cérébral de la malade mélancolique141 ». Ce phénomène, si sensible et tabou dans une époque hantée par une crise des masculinités que l’hypothèse d’une hystérie au masculin lancée par Charcot venait alimenter142, retient l’attention sensationnaliste du public. Dès octobre 1893, le journal La Justice, dont le rédacteur en chef n’est autre que Georges Clemenceau, consacre un article entier à ce troublant phénomène de « transfert de la personnalité ». L’article s’intitule de façon programmatique « La femme-homme ». Il retranscrit l’expérience menée à la Charité par le docteur Luys sur un sujet d’une trentaine d’années, victime d’une « surexcitation nerveuse de nature très spéciale, qui a résisté à tous les remèdes ». Il place le jeune homme assis devant une jeune femme, « très nerveuse aussi », que le médecin endort par hypnose. L’homme reste éveillé, dans son état normal. « Il prend les mains de la dormeuse ; les pieds et les genoux se touchent. Un aide du docteur Luys promène de l’un à l’autre une barre aimantée. Cela dure quelques minutes, au bout desquelles la femme s’agite, a des tressaillements et des soubresauts. Le docteur Luys lui dégage les mains ; l’homme se lève et s’éloigne. La femme dort toujours. Le médecin l’interroge. Chose étrange, elle parle au masculin. Elle a des sensations d’homme ; elle se croit un homme […]. Le docteur Luys la réveille, elle n’a plus conscience de rien. Mais pendant que la personnalité de l’homme du malade est passée en elle, celui-ci a été débarrassé de son mal, au moins partiellement ; le mal, avec la personnalité, est passé dans la femme143. » Un constat s’impose : si la clinique de l’hystérie menée à la Salpêtrière est traversée par une définition conventionnelle et stéréotypée de la féminité, elle est aussi le lieu d’une subversion du genre qui touche directement la sphère des émotions. Dans son action thérapeutique sur les manifestations comportementales de l’hystérie (Charcot ouvre en 1882 un service d’accueil annexe pour les hommes dans un hôpital dédié exclusivement aux femmes144), l’hypnotisme participe à la reformulation du partage culturel des rôles (masculin/ féminin), venant ouvertement déstabiliser la porosité des clivages genrés, dans le jeu de la transe et des transferts identitaires145. En cherchant à dé-biologiser l’hystérie réduite culturellement à une pathologie féminine (la « maladie de la matrice ») pour ouvrir la possibilité d’une version au masculin, Charcot a délibérément choisi de ne pas surinvestir les cas d’efféminement constaté, chez les hommes hystériques (il s’est penché sur quelques cas C 153 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 153 12/09/2020 01:03 A A. Couronne magnétique, gravure de Louis Delfosse reproduite dans Gérard Encausse, Du traitement externe et psychique des maladies nerveuses, 1897. B. Altra scena d’amore, photographie reproduite dans Scene d’ipnotismo col modo di produrle, 1900. HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 154 12/09/2020 01:03 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 155 12/09/2020 01:03 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T A 156 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 156 12/09/2020 01:03 1870-1920 B A. Technique du traitement par les transferts, gravure reproduite dans Gérard Encausse, Du traitement externe et psychique des maladies nerveuses, 1897. B. Oskar Kokoschka, Hans Tietze et Erica Tietze-Conrat, 1909, huile sur toile, 76,5 x 136,2 cm, New York, The Museum of Modern Art. C. These four subjects are hypnotizing one another after receiving instructions from the operator, photographie reproduite dans Herbert Parkyn, Suggestive Therapeutics and Hypnotism, 1900. 157 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 157 12/09/2020 01:03 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T 158 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 158 12/09/2020 01:03 1870-1920 159 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 159 12/09/2020 01:03 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T A A. Photographie extraite de X. Lamotte Sage, Hypnotism As It Is, 1899. B. Aparato hipnotizador, planche extraite de Sanchez Herrero, El hypnotismo. La sugestion. Estudio de fisio-psicologia y de psico-terapia, 1891. 160 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 160 12/09/2020 01:04 1870-1920 B 161 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 161 12/09/2020 01:04 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T A A. Hipnotizacion por medio del reflector hipnogeno, photographie reproduite dans Bertran Rubio, Hipnotismo y Sugestion. Estudio critico, applicaciones a la terapeutica, ca. 1900. 162 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 162 12/09/2020 01:04 1870-1920 B B. Hipnotizacion por medio del reflector hipnogeno, photographie reproduite dans Bertran Rubio, Hipnotismo y Sugestion. Estudio critico, applicaciones a la terapeutica, ca. 1900. 163 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 163 12/09/2020 01:04 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T A B C A. Jean-Martin Charcot à la Salpêtrière, gravure reproduite dans La Nature, 1879. B. Planche extraite de l’ouvrage de Juan Torrents Coral, Hipnotismo fenomenal y filosofico, 1906. C. Comment on produit l’état hypnotique : par un jeu subit de lumière électrique, planche extraite de Louis Figuier, Les Mystères de la science, 1892. D. Sascha Schneider, Hypnose, 1904, photogravure. 164 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 164 12/09/2020 01:04 1870-1920 165 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 165 12/09/2020 01:04 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T d’inversion dits de « féminisme146 »). En revanche, l’hypnotisme – notamment à partir de ses jeux de transferts et de « dédoublement de la personnalité » – a été collectivement perçu comme un moyen de déjouer les frontières normatives du genre, en inventant des possibilités de vivre pleinement l’expérience de l’altérité, autorisée dans le brouillage du « grand ébranlement psychique147 ». En d’autres termes, les expériences faites autour de l’induction et de la transe hypnotiques auront contribué à défaire l’économie de la différence des genres. Il sera nécessaire d’élucider plus avant le cas de l’hypnose opticaliste chez Marcel Duchamp converti en Rrose Sélavy, son alter ego féminin, ainsi que de nombreux autres cas, traversant le XXe siècle, associant transe hypnotique et expérimentation créative de la fluidité des genres. Mais avant cela, il est loisible de constater que la culture populaire s’est emparée du lien tissé entre hypnose, transe et trouble du genre. Nulle surprise à retrouver au milieu de saynètes populaires associées aux phénomènes de transmission de pensée et d’hypnose de scène des numéros d’inversion de genre148 ou de travestissement. C’est le cas notamment, dès 1887, des spectacles de Monsieur Verbeck au London’s Piccadilly Hall, inspirés de l’hôpital de la Salpêtrière avec un curieux numéro intitulé Man Transformed into Woman149, une « sorte de féminisation » que l’on retrouve dans Les Amours d’un interne, de Jules Claretie, où le « petit Valentin », que sa sœur Blanche surnomme « Mademoiselle Valentine », connaît une légère transe hypnotique, marchant « sur ses talons, horriblement déguisée en homme […], les regards malicieux et la tournure d’un ouistiti travesti en homoncule150 », alors qu’« une âme de petite femme semblait logée dans ce corps grêle, dont le sexe devenait indistinct151 ». La schize du « dédoublement de personnalité », dans une transe hypnotique désormais lue comme une performance de subjectivité, nourrit la dramatisation d’une identité aux frontières plus poreuses, jusqu’à l’indétermination de sa définition sexuelle, telle que de nombreux sexologues de cette fin de siècle entreprennent de la circonscrire, certains, et ce n’est pas un hasard, étant occupés par des recherches parallèles sur l’hypnose (Krafft-Ebing, Schrenck-Notzing ou Albert Moll, chacun investi dans les typologies des inversions sexuelles, ainsi que dans des recherches expérimentales sur l’hypnotisme152). Séraphîta, de Balzac, mêlait déjà étroitement la réalisation bisexuée de l’androgyne et le magnétisme animal ; de nombreux romans populaires du passage du siècle, surfant beaucoup plus sur l’exploration antinormative d’une clinique des perversités, viendront alimenter cette veine d’une manipulation hypnotique des catégories de genre qui accréditait de l’intérieur l’entreprise de « dénaturalisation » de l’identité virile, quitte à noyer le trouble des masculinités au sein d’une culture ouvertement misogyne qui se voyait contestée par la montée des féminismes153. Le modèle fourni par cette « loi du transfert » ne s’arrête pas à cette fantasmatique d’une plasticité des genres. Il va, de manière beaucoup plus significative encore, imposer le principe vibratoire d’une transmission des émotions à distance, directement applicable à la relation esthétique. Le neurologue Charles Féré, professeur assistant à la Salpêtrière, et son collègue Alfred Binet, le futur inventeur des tests d’intelligence, venaient de s’investir, à la suite de premières recherches sur « l’hallucination provoquée », dans l’étude des phénomènes de « polarisation des émotions » et de « transfert de sensibilité » observés chez les hystériques en état d’induction hypnotique154. Pour les deux savants, il s’agit d’un « transfert psychique155 », qu’ils perçoivent comme une base expérimentale susceptible d’expliquer une « communauté de sensations », au-delà du simple cadrage typologique orchestré par leur maître Charcot. Binet et Féré s’attachent ainsi à faire passer Blanche Wittman, leur sujet de prédilection devenue l’égérie de Charcot, d’un état d’euphorie à une apathie inhibée, de la joie à la tristesse. La succession d’émotions opposées correspondant selon eux à des « oscillations consécutives » qui se manifestaient dans l’organisme par un phénomène de « transfert », à mi-chemin entre aimantation (le passage des aimants sur le corps) et suggestion (le rôle attribué à la parole accompagnant la description des expériences). Pour le docteur Encausse, qui aide Luys dans ses expériences de « couronnes magnétiques », ce … la culture populaire s’est emparée du lien tissé entre hypnose, transe et trouble du genre. Nulle surprise à retrouver au milieu de saynètes populaires associées aux phénomènes de transmission de pensée et d’hypnose de scène des numéros d’inversion de genre ou de travestissement… « transfert psychique » est à comprendre de manière littérale et physicalisée : « Tous ces états névropathiques, qu’ils soient d’ordre somatique ou d’ordre psychique, paraissent donc obéir aux mêmes lois du transfert et pouvoir au gré de l’expérimentateur, être ainsi imposés à des sujets hypnotisés qui peuvent transitoirement leur servir de récepteurs, et s’en imprégner d’une façon complète au grand avantage de leur amélioration curative […]. Est-ce que ces transferts à distance de forces neuriques et psychiques, à l’aide d’un substratum matériel, par une simple couronne aimantée, ne rappellent pas à l’esprit l’action mystérieuse des talismans et amulettes, des sortilèges des sorciers156. » Ce mode de transmission « psychique » se retrouve dans les théories très influentes de Jean-Marie Guyau sur la sociologie naissante de l’art. Guyau pense le mécanisme d’empathie de l’art à partir d’un modèle des attractions électives qui doit beaucoup à l’imaginaire fluido-magnétique et ses métaphores acoustiques. Plongeons dans ses analyses ; elles mettent en place une exégèse « somnambulique » des mécanismes de 166 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 166 12/09/2020 01:04 1870-1920 fascination face à l’œuvre d’art, qui va devenir incontournable dans la culture esthétique du passage du siècle, à savoir le paradigme de la « résonance sympathique » : « La transmission des vibrations nerveuses et des états mentaux corrélatifs est constante entre tous les êtres vivants […]. Il n’est que logique de supposer dans le monde moral des phénomènes analogues de vibration sympathique ou, pour parler le langage psychologique, de détermination réciproque, de suggestion et comme d’obligation mutuelle […]. La transmission inconsciente et directe à distance des mouvements et des états psychiques d’un organisme, au moyen de simples courants nerveux, semble incontestable dans certaines conditions, par exemple dans le somnambulisme157. » C’est là que se met en place le principe d’une « sociabilité esthétique » conçue selon le lexique de l’hypnotisme, comme un « rapport » quand « l’individu que l’on considérait comme isolé, enfermé dans son mécanisme solitaire, est apparu comme essentiellement pénétrable aux influences d’autrui, solidaire des autres consciences ». L’art a vocation à créer du lien social et ne peut atteindre cet objectif unanimiste que dans la « réalisation immédiate en pensée et en imagination, et immédiatement sentie, de tous nos rêves de vie idéale ; de vie intense et expansive158 ». Alfred Fouillée, le grand théoricien du solidarisme, ne dit pas autre chose dans sa préface à l’ouvrage de Guyau : « Pour bien comprendre un artiste, il faut se mettre “en rapport” avec lui, selon le langage de l’hypnotisme ; et pour bien saisir les qualités de l’œuvre d’art, il faut se pénétrer si profondément de l’idée qui la domine, qu’on aille jusqu’à l’âme de l’œuvre ou qu’on lui en prête une159. » Car Fouillée – comme beaucoup d’auteurs liés à la mouvance de « l’art social », qui s’inspireront de lui pour défendre une interconnexion « communale » des consciences – est convaincu que « ce qui nous constitue comme individus conscients, c’est précisément la conception de notre lien interne avec les autres êtres conscients » et que « plus nous pénétrons dans notre moi, plus nous pénétrons aussi dans autrui160 ». Or, pour Fouillée, c’est précisément l’expérience de la transe magnétique qui porte à son maximum d’expansion, jusqu’à la rendre visible, cette relation enfouie des consciences, retrouvant là, sans énoncer sa source, un modèle de communication que Proudhon avait déjà mis en place dans Du principe de l’art et de sa destination sociale (1865) : « L’artiste est l’homme doué à un degré éminent de la faculté de sentir l’idéal et de communiquer aux autres, par signes, gestes, figures, descriptions, mélodies, son impression. Or, autant la transmission de la pensée par le langage ordinaire peut être dite impersonnelle, autant les moyens employés par l’artiste sont empreints de sa personnalité […]. Par sa personnalité, il agit donc directement sur la nôtre ; il a puissance sur nous, comme le magnétiseur sur le magnétisé ; et cette puissance est d’autant plus grande qu’elle s’exerce avec un idéalisme plus énergique, je veux dire, en me référant à mes observations antérieures, en un style plus original, à l’aide de figures ou formes plus frappantes ; ce qui suppose dans l’artiste une plus grande faculté de création, une plus grande liberté. Jeune écrivain, jeune peintre, jeune statuaire, vous sentez-vous cette puissance ? Vous avez la liberté artistique ; hors de là, souvenez-vous-en, vous n’êtes qu’un libertin et un impuissant161. » Manifestement inspiré par Fouillée, le jeune Jean Jaurès, étudiant en philosophie, s’en souviendra quand, dans sa thèse intitulée La Réalité du monde sensible (1902), il livrera une réflexion transformiste sur le progrès de l’humanité et l’évolution de l’espèce particulièrement inspirée, voire obnubilée par les « puissances prodigieuses de l’hypnotisme » : « On peut se demander s’il n’y a pas là les éléments d’un nouveau progrès de la conscience et de la vie sur notre planète ; pourquoi l’évolution serait-elle arrivée dans l’homme actuel et normal à son dernier terme ? Il suffirait à l’homme d’incorporer à son être normal les puissances que l’hypnotisme met à découvert pour devenir un être nouveau. Il faudrait qu’il acquît l’action magnétique sur les objets extérieurs, la pénétration extraordinaire du regard et la perception immédiate de la pensée par la pensée, sans perdre la possession de lui-même et cette continuité de souvenirs qui soutient l’individualité162. » Jaurès va plus loin en invitant « l’être nouveau » à autogérer, à accélérer sa propre transformation au moyen des techniques d’autohypnose qui, propagées de manière « universelle », pourraient aussi hâter la conversion du collectif embrasé par cette communication consensuelle des consciences, allant jusqu’à rendre « accessoire » l’autonomie mythifiée du sujet : « Il faudrait qu’au lieu de porter en lui deux personnes, l’une, la personne normale, l’autre, la personne anormale que l’hypnotisme développe, il fondît ces deux personnes en une seule, réunissant leurs puissances diverses. Peut-être la pratique universelle et réglée de l’hypnotisme, l’alternance méthodique de l’état normal et de l’état hypnotique, l’habitude et l’hérédité, amèneront-elles cette fusion et la création d’une humanité nouvelle ? […]. Or le jour où l’homme normal se serait assimilé les puissances de l’état magnétique et hypnotique, voyez comme, dans la vie humaine, l’organisme individuel deviendrait accessoire. Sans doute, il resterait toujours présent à la conscience comme la racine nécessaire de l’individualité, mais le moi pourrait remuer, par sa volonté directe, d’autres corps que son propre corps ; il ne serait donc plus l’âme exclusive d’un organisme particulier, mais bien l’âme de toutes choses, aussi loin que son action pourrait s’étendre163. » Les avant-gardes, très portées par l’élan unanimiste de cette « âme du monde164 », vont s’en souvenir, non sans avoir préalablement plongé le mécanisme de la fascination dans une lecture plus archaïque et primitiviste. LES ANIMAUX, À L’ORIGINE FASCINATIONS DES PRIMITIFS Poursuivant sa visite « médicale » des salons de peinture du passage du siècle, le docteur Foveau de Courmelles s’arrête sur ce qui lui paraît rejoindre cette clinique de la fascination d’une manière plus anthropologique : « Au Palais de la Société Nationale des Beaux-Arts, au Champ de Mars, l’action fascinatrice de l’homme sur les animaux, et en particulier sur les serpents, est consacrée. J. de Cala donne Le Charmeur de serpents165. » De fait, la 167 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 167 12/09/2020 01:04 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T littérature sur l’hypnotisme réserve de nombreux développements à ce modèle du « sommeil provoqué chez les animaux166 », à commencer par Foveau, dans un ouvrage consacré aux Facultés mentales des animaux (1890), et avec lui tous les auteurs qui se frottent à la question des origines du procédé hypnotique. Dans l’ensemble, ces auteurs renvoient aux expériences du père Kircher (un pionnier de la lanterne magique, l’inventeur des « appareils à fantasmagorie » [Foveau]), qui dès 1646 « endormait des poules, en leur liant les pattes et les plaçant devant une ligne tracée à terre167 ». L’anecdote est rapportée par la plupart des historiens du magnétisme animal, considérée comme une épreuve baptismale, même si cela pose assez vite l’enjeu d’une étude comparative avec des techniques extra-occidentales tout aussi ancestrales. Dans Hypnotisme et croyances anciennes (1891), le docteur Regnier, interne de la Salpêtrière, considère que les techniques d’envoûtement des serpents, connues dès l’Antiquité égyptienne et répandues en Inde, sont la préfiguration des techniques modernes d’hypnose. Analyse semblable chez Foveau de Courmelles, qui s’attarde sur la paralysie des animaux, consacre plusieurs passages à la peur de certains fauves d’être terrassés par la fixité d’un regard humain (« l’ophidiophobie »), ouvre le débat sur le « somnambulisme animal », appelé poétiquement le « sommeil mesmérique chez les animaux ». La vague orientaliste favorisait ce déplacement, comme en témoigne dans ce même Salon du Champde-Mars de 1890 la présence du tableau d’Étienne Dinet, Le Charmeur de vipères à Laghouat, une version exotique elle-même servie par la présence de scènes d’hypnose folkloriques lors des reconstitutions factices de « villages coloniaux » à l’Exposition universelle de 1889, notamment le spectacle très commenté des aïssaoua, charmeurs de serpents de la province de Souss (Maroc). Foveau en livre une description détaillée dans son ouvrage sur L’Hypnotisme qui peut servir d’ekphrasis au tableau de Dinet. Au cours de cet été 1889 se tient à Paris le « 1er Congrès international de psychologie physiologique », à l’instigation de Jules Ochorowicz et sous l’égide tutélaire du professeur Charcot. Les travaux se partagent en deux sections consacrées, l’une, aux hallucinations, dirigée par Sidgwick, et l’autre, à l’hypnotisme sous la direction de Delbœuf. Jonathan Crary note dans Suspension of Perception combien la tenue de cet événement en pleine Exposition universelle A B 168 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 168 12/09/2020 01:04 1870-1920 C A. Le célèbre professeur américain Ferdinandus… Magnétisme humain…, affiches américaines Charles Lévy, lithographie en couleurs, 91 x 125 cm, 1888, Bibliothèque nationale de France. B. Scène d’hypnotisme dans la cage d’un dompteur de lions, gravure reproduite dans La Nature, 7 janvier 1888. C. Séance d’hypnotisme par le docteur de Torcy, magnétiseur, reproduite dans L’Illustration européenne, 1888. n’est pas anodine168. Le Paris de la Belle Époque, qui découvre la transe primitive des villages aïssaoua, a assimilé la diffusion publique des séances de la Salpêtrière à une sorte de démenti du caractère magique et religieux de l’extase. Démystification rationaliste, mais aussi, et paradoxalement, sa requalification contemporaine qui éclaire les regards médusés de nombreux fauves peints par le Douanier Rousseau, et plus encore la fabrique de sa fameuse Charmeuse de serpent. Les mises en scène des jungles peuplées de créatures investies dans des opérations de charme et d’envoûtement renvoient à ce glissement subtil entre l’univers archaïque de la magie et le monde plus technique de la suggestion, comme s’il s’agissait pour Rousseau de réinjecter une dimension magique dans l’art tout en reconnaissant aux moyens de l’enchantement un mécanisme plus clinique. La figure du sorcier (l’exorcisme) passe à celle de l’hypnotiseur (le magnétisme), d’une conception ancestrale du magicien (une religion de l’incantation) à celle de l’envoûteur (une psychologie de la suggestion) : être consciemment un « primitif moderne » dans le maintien d’un écart lucide entre croyance animiste et fascination unanime. Cette inflexion s’opère au moment où la pensée occidentale et ses nouveaux outils anthropologiques posent ouver- tement la question du désenchantement du monde moderne dans la dissolution de la foi primitive169. Marcel Mauss vient de proposer en 1904 son « esquisse d’une théorie générale de la magie », où il montre comment « la magie est, par définition, un objet de croyance collective », un a priori dégagé de l’expérience tangible des sens : « La croyance en la magie est toujours a priori. La foi dans la magie précède toujours l’expérience {}. La magie est crue et non pas perçue170. » Comment dès lors penser la magie de l’art dans un monde où la magie s’est éclipsée ? Qu’est-ce que serait une « magie perçue » et non plus une « magie crue » ? Mauss répondra magie des sens, qui accorde une large place à une relecture optique de l’extase, le régime de la fascination hypnotique comme version sécularisée de l’envoûtement sorcier. À propos de son ami Rousseau, Guillaume Apollinaire disait qu’« il avait un sentiment si fort de la réalité que quand il peignait un sujet fantastique, il s’épouvantait parfois et tremblant, il était obligé d’ouvrir la fenêtre171 ». Le texte est une reprise de notes plus anciennes où le poète dressait le portrait d’un Rousseau halluciné qui « s’épouvantait devant ses propres imaginations172 ». Le terme est choisi ; il se réfère à une « vision mentale173 », rejoignant ce champ résiduel de « l’hallucination hypnotique ». 169 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 169 12/09/2020 01:04 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T C’est à cette approche clinique de la perception et de sa fantasmatique de l’emprise du regard qu’il faut rattacher les figures somnambules peuplant les « jungles urbaines » de Rousseau. Elles sont les agents d’un rapport proprement hypnotique à l’image, travaillé par la subversion de l’amour inassouvi, que seule une expérience intensifiée de la représentation, quasi fétichiste, permet de résoudre en accédant aux zones plus enfouies de la conscience, celle de « l’amour magnétique » que Rousseau invoquera quelques années avant les surréalistes. Ses fauves aux yeux exorbités sont autant de rappels de sa propre tétanisation sous le charme de la femme (du « magnétisme animal » à la « pétrification amoureuse »). Les rêves de jungles seraient ainsi des songes nocturnes de soumission. Dans Le Rêve, œuvre testamentaire, Yadwigha, la jeune Polonaise dont s’était épris Rousseau, est elle-même sous le charme du joueur de flûte auquel le peintre se serait identifié. Le rêve ne serait plus celui de la jeune odalisque, mais celui du peintre lui-même, assurant son emprise séductrice sur la femme de ses B A rêves, la femme inaccessible domptée par l’exorcisme pictural. Rousseau rencontre ainsi dans la figure du magnétiseur non seulement un modèle de laïcisation du regard « illuminé », mais le véritable parangon d’une optique pulsionnelle où l’œil, actif ou captif, est à la fois l’instrument de la (dé)possession sexuelle et l’outil de son exorcisme. Si, dans la distribution sexuelle des rôles au sein des séances d’hypnose, le sujet est presque toujours féminin, la femme n’y est pas seulement automate et victime, proie sans défense. Nombre d’auteurs analysent des cas de médecins épris de leur patiente, mais aussi de sujets, beaucoup moins passifs que prévu, qui simulent l’hystérie pour mieux se rapprocher des internes. C’est le mystère des envoûtements de l’amour profane, où la femme est à la fois l’objet fantasmatique et l’actrice de l’emprise magnétique174, qui nous permet d’interpréter les dispositifs visuels adoptés par Rousseau dans ses paysages de rêve, les Jungles en particulier. Non seulement l’attitude hiératique des personnages, proche des tétanisations cataleptiques, est une mise en abyme de l’emprise du regard, mais le montage tout entier de la composition contribue au conditionnement hypnotique du A. Procédé pour la production d’un état hypnotique, gravure reproduite dans Paul Regnard, Sorcellerie, magnétisme, morphinisme, délire des grandeurs, 1887. B. Ferdinand von Reznicek, Hypnose, ca. 1900, carte postale, Munich. C. La Prise du regard. Roman d’hypnotisme, ca. 1900, affiche, coll. part. 170 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 170 12/09/2020 01:04 1870-1920 spectateur : « Pour Rousseau, l’artiste est un mage qui devient pour le spectateur un champ magnétique ou magnéto-électrique vivant175. » Le Douanier place délibérément au milieu de ses Jungles nocturnes un point lumineux fixe, lune ou soleil couchant (Paysage exotique avec un gorille attaquant un Indien ou Nègre attaqué par un jaguar, 1910). L’œil circule dans le dédale surchargé d’une végétation tropicale ombragée, survole les zones les plus pittoresques puis s’engouffre dans le seul point de fuite perspectif, un punctum lumineux. C’est ce que Paul Souriau appellera la « fascination par l’éclat ». Car sous ce versant plus animiste que l’on retrouve tel quel dans de nombreuses descriptions cliniques de la Salpêtrière, il ne s’agit pas seulement d’absorber le regard mais de se l’approprier. Les mots de Bourneville, l’assistant de Charcot, maître d’œuvre de l’Iconographie de la Salpêtrière, donnent le ton : « Dans cet état de fascination, le sujet hypnotisé appartient absolument au fascinateur et repousse violemment toute personne qui vient s’interposer, à moins toutefois que cette personne ne vienne elle-même accomplir les manœuvres nécessaires, et comme disent les spécialistes, prendre le regard du sujet au moyen de ses yeux, en recommençant pour son propre compte la fascination176. » L’affiche de Fix pour la promotion du « roman d’hypnotisme » d’André Valdès, La Prise du regard, reprend ce poncif : la jeune femme est littéralement absorbée, le mouvement en avant de son buste accompagnant l’injonction à se rapprocher ici d’un magnétiseur confondu avec le propre spectateur. Mais ce regard est non seulement celui d’une attraction létale, mais celui que l’envoûteur veut conjurer et éviter comme dans le roman lui-même : « Maintenant qu’il la tenait en son pouvoir, il aurait préféré qu’elle cessât de le regarder ainsi, et faisait son possible pour lui échapper177. » « SUGGÉRER PLUTÔT QUE DÉCRIRE » BERNHEIM AVEC BERGSON C Cependant, la révolution de l’âge d’or médical de l’hypnose autour des années 1880-1890 viendra du dehors de cette physiologie réflexologique héritée de la Salpêtrière. Elle doit beaucoup plus à celui qui va devenir le contradicteur de Charcot, un confrère qui enseigne à la faculté de médecine de Nancy : le professeur Hippolyte Bernheim. Le renversement s’opère en 1884 à l’occasion de la publication d’un ouvrage qui fera date, De la suggestion dans l’état hypnotique et dans l’état de veille. Bernheim va ébranler le système élaboré par Charcot en remettant en question le lien entre hystérie et hypnotisme, pour se recentrer sur la relation psychologique entre l’opérateur et son sujet. La clé de l’hypnotisme résidant dans le phénomène de la « suggestion », Bernheim naturalise l’état hypnotique et, par là, l’extirpe d’un destin nosologique pour lui affecter de nouveaux pouvoirs directement associés aux questions de volonté, de confiance et d’empathie : « L’hypnose n’est pas un état 171 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 171 12/09/2020 01:04 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T contre-nature, nous dit Bernheim ; elle ne crée pas de fonctions nouvelles ; elle ne détermine pas de phénomènes extraordinaires ; elle développe ce qui peut se réaliser spontanément ; elle exagère, à la faveur d’une concentration psychique spéciale, la suggestibilité normale que nous possédons tous à un certain degré ; elle développe un état de conscience nouveau avec prédominance des facultés intellectuelles, à la faveur duquel nous réalisons, avec plus d’éclat et de netteté, les idées, les impressions, les images provoquées178. » L’hypnotisme relève désormais d’une propriété psychique beaucoup plus vaste et partagée, « la suggestibilité », et son corollaire, la propension de l’idée reçue par le cerveau à se transformer en acte à laquelle Bernheim donne le nom d’« idéodynamisme » : « Toute idée suggérée et acceptée tend à se faire acte […]. Toute cellule cérébrale actionnée par une idée actionne les fibres qui doivent réaliser cette idée179. » Sur le modèle de l’automatisme réflexe qui court-circuite le cerveau, la suggestion vient agir sur le sujet hors du champ de sa volonté, l’activité psychique supérieure étant mobilisée « sur un fond d’automatisme qu’elle domine et intègre en l’inhibant180 ». Dans les faits, Bernheim invite à se débarrasser du « vieux » terme d’hypnotisme, procédant au démembrement d’une « réalité psychique » étudiée du dehors et facile à manœuvrer : « Le mieux, à mon avis, serait de supprimer complètement le mot d’“hypnotisme” et de le remplacer par celui d’état de suggestion. Les procédés dits hypnotiques se réduisent à démontrer ou à exalter les diverses suggestibilités […]. Il n’y a pas d’hypnotisme {}, il n’y a que des sujets suggestibles, plus ou moins181. » L’hypnose passe à un statut clinique normalisé, sans pour autant « diluer la scène de la suggestion dans un pur jeu de rôles182 ». Négligeant la part somatique qui avait envahi de manière très théâtralisée la scène de la Salpêtrière, Bernheim impose un nouveau tournant « psychique » à l’hypnose. Au moyen de nombreuses contre-épreuves expérimentales, il va réfuter point par point l’objectivité des indices somatiques recueillis par Charcot (en particulier sa symptomatologie en trois phases – catalepsie/léthargie/somnambulisme – présentée comme un leurre), expliquant désormais l’hypnose par des effets directs de la « mise en sommeil nerveux » obtenue par la seule « suggestion verbale ». Les appareils vont devenir à cette occasion superfétatoires183, pour recentrer le mécanisme de l’hypnose sur un mode relationnel, un mouvement interpersonnel. Ce changement de braquet est le fait de la diffusion au sein de la faculté de Nancy des travaux très empiriques du « père » Auguste Liébault, un médecin de campagne qui dans son Sommeil et ses états analogues (1866) se présentait comme un simple « endormeur » rompu A B A. Suggestion. Vue imaginaire d’un oiseau qui s’envole, gravure extraite des Petits secrets du magnétisme et de l’hypnotisme, ca. 1900. B. Hallucination sous hypnose, photographie reproduite dans Donato, Cours pratique d’hypnotisme et de magnétisme, ca. 1900. C. Visions produced by hypnotism, planche extraite de Complete Mail Course of Twenty Illustrated Lessons in Hypnotism, 1899. 172 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 172 12/09/2020 01:04 1870-1920 C aux techniques de « magnétisme psychologue ». Pour Liébault, le « sommeil guérit ». Il a le mérite d’avoir le premier appliqué la suggestion en thérapie, via une technique de l’endormissement184. Ce nouveau tournant psychologique va avoir un net impact sur sa déclinaison dans le champ de l’art, à une époque fortement marquée de la montée en puissance d’une « esthétique psychologique185 ». Car ce qui pouvait sembler un démêlé purement nosologique réservé à quelques académies de médecine en concurrence nourrit en fait un vaste débat sur la gestion de masse des affects et des émotions. Puisque toute pâte humaine est malléable sous l’action de la suggestion (notamment la puissance du langage et de la parole), l’emprise sensible sur le spectateur doit se déployer dans le cumul des sensations : l’écoute vient épauler le voir, dans une anticipation de l’emprise audio-visuelle qui pour reprendre les termes de Jacques Rancière, se conçoit avant tout comme une « pensée de la configuration du sensible qui instaure une communauté186 ». Le premier à conduire ce mouvement est un auteur qui occupe la scène de la pensée philosophique dans la France du tournant du siècle : Henri Bergson. Dès 1886, le théoricien du vitalisme s’est penché sur les phénomènes d’induction hypnotique dans un article publié dans la Revue philosophique consacré à la « simulation inconsciente dans l’état d’hypnotisme187 ». Ses Cours de psychologie donnés à Clermont-Ferrand en 18871888 en témoignent, réservant au cas de « somnambulisme provoqué » de nombreuses pages. Mais c’est avant tout dans son Essai sur les données immédiates de la conscience (1889) qu’il se fait le plus explicite sur une approche hypnotique de l’art : « L’objet de l’art est d’endormir les puissances actives ou plutôt résistantes de notre personnalité, et de nous amener ainsi à un état de docilité parfaite où nous réalisons l’idée qu’on nous suggère, où nous sympathisons avec le sentiment exprimé. Dans les procédés de l’art, on retrouvera sous une forme atténuée, raffinés et en quelque sorte spiritualisés, les procédés par lesquels on obtient ordinairement l’état d’hypnose188 ». Bergson ne se contente pas de l’effet de manche de l’analogie ; il pousse le rapprochement jusque dans le phasage des étapes de la contemplation esthétique : « Il résulte de cette analyse que le sentiment du beau n’est pas un sentiment spécial, mais que 173 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 173 12/09/2020 01:04 A HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 174 12/09/2020 01:04 1870-1920 tout sentiment éprouvé par nous revêtira un caractère esthétique pourvu qu’il ait été suggéré et non pas causé. L’émotion esthétique nous paraît admettre des degrés d’intensité, et aussi des degrés d’élévation. Tantôt en effet le sentiment suggéré interrompt à peine le tissu serré des faits psychologiques qui composent notre histoire ; tantôt il en détache notre attention sans toutefois nous les faire perdre de vue, tantôt enfin il se substitue à eux, nous absorbe, et accapare notre âme entière. Il y a donc des phases distinctes dans le progrès d’un sentiment esthétique, comme dans l’état d’hypnose ; et ces phases correspondent moins à des variations de degré qu’à des différences d’état ou de nature. Mais le mérite d’une œuvre d’art ne se mesure pas tant à la puissance avec laquelle le sentiment suggéré s’empare de nous qu’à la richesse de ce sentiment lui-même : en d’autres termes, à côté des degrés d’intensité, nous distinguons instinctivement des degrés de profondeur et d’élévation189. » Une œuvre d’art a donc vocation, dans l’esprit de Bergson, à suggérer plus qu’à exprimer : elle vise non pas à retranscrire des représentations reçues passivement par un sujet légèrement anesthésié, mais au contraire à réintroduire par effet de contagion et de résonance ce sujet dans l’émotion créatrice qui a produit l’œuvre. D’où l’exigence de représentations « plus souples, informelles et fluides », mieux à même d’incarner, dans leur métamorphose insaisissable, ce qui ne peut être déterminé dans l’expression d’une forme fixe. Au passage, l’association est faite ici entre les moyens de cette absorption et un langage visuel qui se dédouane des leçons du mimétisme (l’abstraction n’est pas loin) : « Les arts plastiques obtiennent un effet du même genre par la fixité qu’ils imposent soudain à la vie, et qu’une contagion physique communique à l’attention du spectateur […]. Ainsi l’art vise à imprimer en nous des sentiments plutôt qu’à les exprimer ; il nous suggère, et se passe volontiers de l’imitation de la nature quand il trouve des moyens plus efficaces190. » À quoi Bergson semble opposer un langage graphique, proto-abstrait, fondé sur une rythmique continue et itérative qui assure le « bercement de la conscience ». Il conditionne le sentiment esthétique à « la perception d’une certaine aisance », la fluidité des mouvements, celle notamment d’une courbe régulière plutôt qu’une ligne brisée. Le spectateur est envoûté par le continuum du mouvement qui s’apparente au rythme organique de sa vie instinctive et profonde, celle qui ne se réduit à aucun instant analytique donné. À la perception d’une aisance de mouvement imprimée dans le matériau, vient se fondre « le plaisir d’arrêter en quelque sorte la marche du temps » jusqu’à ce point où une « communication » s’installe entre le rythme visuel de la composition et le spectateur qui la contemple, sur le mode d’une « sympathie physique ». En d’autres termes, l’expérience esthétique a pour but de faire tomber la « barrière » spatio-temporelle interposée entre la volonté de l’artiste investie dans la production de l’œuvre et la conscience du sujet plongé dans sa contemplation. En cela, le rapport à l’art défini par Bergson se « présente comme une esthétique de l’immédiateté qui n’est pas fusion mais auto-création sympathique, le sujet et l’œuvre se recréent au fur et à mesure que le premier se laisse envahir par le déploiement de multiples virtualités affectives portées par l’œuvre191. » Dans cette mobilité optique de la grâce, le spectateur se plaît à progresser en intensité dans les profondeurs de sa conscience, alimenté du propre inachèvement de l’œuvre demandant à être toujours continuée selon un rythme oscillatoire compris comme une totalité irréductible à ses parties. Plus le sentiment exprimé est profond et sa traduction plastique, riche et fluide, plus l’œuvre d’art aura d’impact sur l’ensemble de la conscience d’un spectateur happé par cette fluidité ininterrompue qui subjugue et fait oublier jusqu’à la médiation matérielle de l’œuvre (un court-circuit perceptif qui est la condition même de l’efficacité suggestive de l’œuvre, puisqu’il s’agit toujours d’évincer la cause pour ne souligner que l’effet : « Tout sentiment éprouvé par nous revêtira un caractère esthétique, pourvu qu’il ait été suggéré, et non pas causé192 »). Cela explique notamment la part « suggestive » donnée à la musique, l’art le plus impondérable dans lequel Bergson reconnaît une forme d’« autocréation de la matière, l’idée se cherchant en quelque manière une expression193 ». Fils de Michel Bergson, pianiste, compositeur et auteur de plusieurs opéras, le philosophe a voulu se lancer dans l’écriture d’un vaste traité d’esthétique musicale qui ne verra jamais le jour. Cependant, c’est certain, Bergson a vu dans la musicalisation rythmique des arts, la condition d’une esthétique pleinement moderne par sa capacité à absorber au mieux un sujet-cible si sollicité par les turbulences du monde extérieur. La suggestion devient une force dont les effets varient selon la résistance des individus. Bergson a retenu la leçon de Bernheim. Pour lui, les « puissances résistantes » désignent l’activité d’un moi social qu’il oppose au moi profond. Intelligence versus vitalité intuitive. L’intellect ravale les émotions profondes en « effet superficiel », en leur imposant une cause qui se substitue à l’effet progressif de l’émotion. C’est ainsi que l’art, dans sa faculté à faire plonger le sujet dans un état second, peut jouer un rôle fondamental194, en lui permettant de retrouver le substrat mémoriel de ses émotions profondes195. A. Couverture de Hans-Theodor Sanders, Hipnotismo y Sugestion, ca. 1910. B. Gaston Vuillier, L’Hypnotisme. Les suggestions provoquées par le docteur Bernheim à Nancy, 1885. C. Adrien Marie, L’Hypnotisme. Expériences faites par M. Moutin devant la presse parisienne, 1885. 175 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 175 12/09/2020 01:04 B HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 176 12/09/2020 01:04 C HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 177 12/09/2020 01:04 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T « L’INVENTION ESTHÉTIQUE » TECHNIQUES DE L’INACHEVÉ Dans un curieux opuscule publié en 1891 sous le titre L’Hypnotisme, le magnétisme et la médiumnité scientifiquement démontrés, Arthur d’Anglemont tente de donner une explication objective à ces « états seconds ». L’auteur aujourd’hui totalement oublié, mais connu à l’époque pour ses textes sur la « Société harmonieuse », mêlant joyeusement rêverie théosophique et utopie sociale fouriériste, y livre une réflexion sur les liens entre collectivité, théâtre des identités et pratique artistique. Le partage des subjectivités (subconscient/ inconscient/conscience subliminale) qui anime les débats de la psychologie expérimentale devient ici, au-delà de l’intérêt d’un Charcot pour les formes esthétiques de l’hystérie et sa tentative de sécularisation laïque de l’extase, la plateforme d’une réflexion spéculative sur l’art du futur : comment penser l’expression esthétique d’un Homo novus transformé au contact des nouvelles technologies de la communication où s’annoncent l’universalité des langages et l’abolition radicale des distances ? S’y parle le langage de l’époque (suggestion, influence, imitation…), avec en tête l’idée d’une plus grande « plasticité » du psychisme face aux systèmes de croyances, d’emprise et de fascination. La clinique de l’entendement est déjà un agencement de la conscience. Pour faire plus scientifique que Charcot, d’Anglemont subdivise l’« hypnotisme mental » en trois catégories (sensoriel, affectif et intellectif), la première affectant plus directement le domaine des arts. Fait plus rare, il suggère d’aiguiser la sensibilité des artistes par une pratique personnelle de l’hypnose. Évoquant le futur des arts visuels en général, de la peinture en particulier, il préconise l’usage de techniques de concentration et d’attention qui seraient autant d’outils de perfectionnement d’une intelligence des formes à l’ère des « nouvelles dimensions » ouvertes par les récentes révolutions de la physique : « S’il s’agit des arts qui demandent spécialement l’exercice du sens de la vue, celui-ci sera élaboré par l’hypnotisme, avec la plus grande perfection […]. C’est alors que la peinture, la sculpture, l’architecture seront exécutées par de grands artistes se surpassant à l’envi les uns les autres196. » Au même moment, Paul Souriau, jeune apprenti philosophe moins connu que Bergson, va théoriser ce transfert de la suggestion dans l’art. Nous sommes en 1888, il donne à la faculté de Lille un cours public de douze leçons intitulé « L’hypnotisme et la suggestion dans l’art197 ». Cinq ans plus tard, en 1893, celui qui deviendra professeur de philosophie à Nancy publie ses cours sous la forme d’un traité : La Suggestion dans l’art. Les propos, très proches de ceux de Bergson, sont le calque esthétique des théories nancéennes de Bernheim : « Dans la contemplation du beau, dans l’effet que peut produire sur nous une œuvre d’art, il y a quelque chose d’étrange, et que l’on n’a pas encore bien expliqué […]. En réfléchissant à ces faits, on ne pourra manquer de constater l’analogie qu’ils présentent avec certains phénomènes troublants, déconcertants, qui depuis quelques années surexcitent vraiment la curiosité publique : je veux parler de l’hypnotisme […]. Entre cet état d’hypnose et l’extase du beau, entre ces effets de la suggestion et ceux de l’art, il y a une ressemblance singulière, qui donne à penser. Bien qu’ils diffèrent évidemment par le degré, ne seraient-ils pas au fond de même nature198 ? » Mais ce n’est pas tant le conditionnement suggestif du spectateur qui est ici en jeu que l’analyse d’une activité propre « de l’imagination dans l’hypnose ». Dans les mots de Souriau, à qui l’on doit déjà une Théorie de l’invention199, « cet état de demi-sommeil [est] éminemment favorable à l’invention esthétique », car « ce n’est pas quand on est le plus éveillé que l’on a le plus d’imagination inventive200 », mais bien « plutôt dans les périodes de détente et de léthargie, quand la pensée trouble se dissout en images incohérentes, que se forment les combinaisons nouvelles201 ». L’hypnose devient l’instrument de l’imagination visuelle : « Dans l’état d’hypnose, tout concourt à nous rendre parfaitement suggestibles : tandis que notre volonté s’engourdit au point de se soumettre sans résistance possible à toutes les impulsions qu’elle reçoit du dehors, notre imagination conserve toute son activité, et même elle devient plus active à mesure que nous nous enfonçons davantage dans l’hypnose. Nous nous expliquons maintenant pourquoi l’artiste recourt d’instinct aux procédés hypnotiques pour augmenter la valeur suggestive de son œuvre202. » C’est au chapitre de la « fascination visuelle » que les rapprochements entre hypnose et peinture se font les plus précis, centrés autour d’une économie visuelle de la lumière du tableau, ce que Souriau appelle la « fascination par l’éclat203 ». Il anticipe avec un siècle d’avance sur les recherches neuroscientifiques du eye tricking : « D’instinct, notre regard se porte toujours vers la partie la plus brillante du champ visuel, attiré par la lumière indirectement perçue, allant la chercher à sa source […]. En considérant un certain nombre d’exemples, on arrivera à une sorte de loi : on s’assurera que les objets nous fascinent d’autant plus qu’ils sont plus éclatants et de plus petite dimension204. » Loin de s’en tenir à une loi générale, Souriau s’appuie sur des exemples directement empruntés à la culture visuelle du moment, ici sans nul doute dans une référence à peine voilée à Impression, soleil levant, de Claude Monet, l’œuvre inaugurale du mouvement impressionniste : « Quand le soleil se couche, souvent sous nos yeux suffisamment voilés par les vapeurs de l’horizon, souvent nos yeux vont se poser à l’étourdie sur ce globe éblouissant ; nous les en écartons d’un effort ; ils y reviennent entraînés par leur instinct […]. La fascination atteindra son maximum d’énergie quand la lumière atteindra son maximum d’intensité tolérable205. » Le principe consiste à installer au cœur de la composition un disque lumineux qui contraste avec le milieu ambiant pour concentrer le regard et assurer sa fixité sur un effet de « tache » : « Dans une toile d’une coloration sourde, une tache centrale, blanche ou jaune clair, ne manquerait pas d’attirer spécialement les yeux : regardez, presque toujours cette tache y sera. Quelquefois 178 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 178 12/09/2020 01:04 1870-1920 même pour qu’il n’y ait pas de doute sur ses intentions, le peintre mettra franchement, au beau milieu d’une toile très obscure, un point très lumineux ; ce sera la lune qui se lève, le globe rouge du soleil dans le brouillard, un éclat de lumière sur une coupe de cristal206 » – ce que Souriau appelle la « concentration absolue207 ». Mais de l’impressionnisme il ne retient pas seulement l’astuce d’une focalisation du regard sur un point de mire lumineux, il en vient aussi à faire de la technique de la division des tons et du tracé en mouvement un mode hypnotique qui joue sur un effet de projection empathique, un mode participatif, dans le geste inachevé d’une peinture cultivant l’ébauche : « C’est pour cela que les tableaux ébauchés à grands traits, où les touches sont encore presque visibles, sensibles, ont tant d’animation et de vie. Ce n’est pas assez dire qu’on voit comment ils sont faits. Il faudrait dire plutôt qu’on les voit se faire, tant ils donnent l’impression d’un mouvement actuel. Quelquefois en les regardant, on se surprendra à y travailler soi-même en imagination, à les ébaucher du geste208. » Nietzsche … l’hypnose n’est pas seulement un facteur favorable à la figuration imageante, mais à la métamorphose inventive de cette figuration, ce que Souriau appelle la « transfiguration visuelle » ou « imagination transfigurante »… lui-même avait anticipé sur cette lecture proactive du spectateur dans ce qu’il appelle, dès 1878, l’« efficacité de l’inachevé » : « Efficacité de l’inachevé. De même que des figures en relief agissent si fortement sur l’imagination parce qu’elles sont pour ainsi dire en train de sortir de la muraille et, tout à coup, retenues par on ne sait quoi, s’arrêtent : ainsi, parfois, l’exposition incomplète, comme en relief, d’une pensée, d’une philosophie tout entière, est plus efficace que l’explication complète : on laisse plus à faire au spectateur, il est excité à continuer ce qui fait saillie devant ses yeux en lumière et ombre si fortes, à achever la pensée, et à triompher lui-même de cet obstacle qui jusqu’alors s’opposait au dégagement complet de l’idée209. » Cette approche d’un efficace de l’ébauche sera défendue par Léon Dumont dans sa Théorie scientifique de la sensibilité (1881), dans laquelle l’auteur, inspiré par Fechner, établit une loi de proportion directe entre le plaisir esthétique et l’énergie cérébrale dépensée (« Comme il faut plus d’énergie pour retrouver un objet sous un signe indirect que sous un signe direct, on fournit à l’entendement l’occasion d’employer plus de force disponible et par conséquent d’éprouver plus de plaisir210 »). Souriau en déduit pour le peintre l’intérêt d’une facture non finito, exigeant du spectateur un travail de reconstitution du sujet voilé211 – ce que Paul Valéry appellera la « méthode inductive212 ». Il s’agit là de souligner le rôle proactif du spectateur qui travaille en raison inverse de l’indéfinition de l’œuvre, dans une défense de la touche impressionniste dont la fugacité imprécise aurait pour vertu d’accentuer le travail des « énergies psychiques213 » nécessaires pour identifier le motif : « On charge l’imagination du spectateur de faire le reste214 », écrit Souriau dans une surprenante anticipation du commentaire de Wassily Kandinsky sur les Meules de Monet215, et, de manière plus inattendue, sur les spéculations d’un Marcel Duchamp à propos du « processus créatif » et de la « place du spectateur » faite aux dépens du jeu « irresponsable » de l’artiste216. Mais il y a plus, car l’hypnose n’est pas seulement un facteur favorable à la figuration imageante, mais à la métamorphose inventive de cette figuration, ce que Souriau appelle la « transfiguration visuelle » ou « imagination transfigurante ». Il distingue notamment deux étapes dans ce processus de transfiguration : d’une part, un effet de concentration visuelle (« figuration imaginative »), d’autre part, un effet de transposition et d’association (« transfiguration imaginative »). Il porte attention au phénomène de la « double image » dont le surréalisme d’un Salvador Dali s’emparera quelques années plus tard (L’Angelus de Millet est pris pour exemple avec une étude détaillée des « sensations auditives » que la composition produit). Transfert généralisé des formes et des sensations avec pour maître mot la « métamorphose », dans un évident dialogue avec le vocabulaire stylistique de l’Art nouveau, qui avait trouvé justement à Nancy le lieu de sa diffusion la plus large, d’Émile Gallé à Victor Prouvé. Souriau ne manque pas de s’arrêter sur l’exemple d’un vase de Gallé : « Bouteille de verre, bouteille méplate ; parois comme usées, lustrées et polies […], vagues ondulations de l’herbe marine, formes entrevues dans la transparence des flots, bercement de la houle… », dans lequel il reconnaît la puissance suggestive d’un art qui transforme la « matière dure » en « images flottantes, indécises, lointaines217. » ART NOUVEAU « L’IMAGINATION RÈGNE EN MAÎTRE » La référence à l’esthétique « flottante » du vase mérite qu’on s’y arrête un instant, car elle soulève un lien historique identifié assez tôt par André Breton dans un entretien avec José Pierre218, mais sur lequel est revenue plus tard l’historienne de l’art américaine Debora Silverman dans son ouvrage sur L’Art nouveau en France, à savoir les affinités entre les théories hypnotiques et le développement stylistique de l’Art nouveau. Dans le chapitre intitulé « La psychologie nouvelle219 », Silverman revient notamment sur les expériences visuelles menées à la Salpêtrière (disques et panneaux de couleurs). De fait, ces expériences ont été nombreuses et variées, pour la plupart orchestrées par Charles Féré, élève de Charcot, spécialiste des effets psychomoteurs et dynamogènes de la couleur, jusqu’à observer par exemple l’effet d’une exposition prolongée de sujets hystériques dans des « cellules qui ne recevaient le jour qu’à travers des carreaux bleus ou violets220 ». Pour tester l’influence des couleurs sur le sujet, 179 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 179 12/09/2020 01:04 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T l’hôpital de la Salpêtrière recourt à des dispositifs parfois théâtraux, comme cela peut se lire dans le compte-rendu d’Adolphe Cartaz, dans les colonnes de La Nature221, évoquant des dispositifs de projections chromo-lumineuses qui éclairent d’un jour nouveau les recherches sur les liens entre couleur, sensation et émotion. Charcot utilise des « lanternes magiques » pour projeter des faisceaux de lumière colorée sur ses sujets hystériques, dans le but d’analyser, conjointement avec les études de « photo-thérapeutique », les différentiels de sensibilité à l’environnement coloré. À la Charité, le docteur Luys place des sujets « dans une chambre noire, éclairée par une lampe en forme de lanterne magique [qui] portait un appareil condensateur muni de verres diversement colorés destinés à projeter le foyer lumineux sur le sujet222 » ; il utilise aussi des lunettes aux verres colorés (« une paire de lunettes portant un verre bleu à gauche et un verre jaune ou rouge à droite223 »). C’est d’ailleurs tout un appareillage – une « opticerie » aurait dit Marcel Duchamp – qui se déploie dans cette nouvelle clinique de la perception. L’hypnocyanotrope du docteur Paul Farez y fait penser, un « disque bleu armé d’ailerons noirs et dont la rotation est actionnée par un moteur Percut224 », mais aussi les nombreux « miroirs aux alouettes » du docteur Luys225, et autres « boules hypnotiques » (une « sphère de verre au centre de laquelle se trouve un point brillant »), jusqu’aux « hypnodiscs » (du « strass serti dans une rondelle de métal nickelé »). La corrélation entre environnement chromatique et états émotionnels fonctionne à plein dans la physiologie des « attitudes passionnelles », alors que les artistes symbolistes se penchent sur une grammaire émotive des couleurs. À nouveau, Paul Souriau analyse le « symbolisme des couleurs » (1895), dans un article où il assigne à la couleur le pouvoir de suggérer des affects sur des jeux d’association mobilisant la mémoire des relations, des espaces et des objets226. C’est dans ce cadre que les paramètres de l’environnement deviennent décisifs dans l’analyse des conditions du sujet contemplatif. Les frères Goncourt avaient déjà établi une corrélation entre décoration intérieure et intériorité du sujet. Avec le développement de l’Art nouveau, de son sens d’un décor immersif et totalisant, s’installe l’idée que l’œuvre d’art (et ses divers modes d’application dans le mobilier et l’espace public) a vocation première à stimuler et activer la vibration nerveuse par « suggestion visuelle ». Comme l’écrit Debora Silverman, « l’hypnose révélait un flot idéationnel non discursif, dynamique. Les images étaient une force irrésistible dans le processus de la pensée, marquant directement le cerveau à partir du monde extérieur, et projeté au dehors comme pour façonner le monde en accord avec ces visions intérieures, sans l’intermédiaire du jugement rationnel227 ». Or, la clinique de la Salpêtrière soulignait déjà la forte tendance des hystériques induites sous hypnose « à extérioriser leurs visions intérieures », les hallucinations sensorielles du dernier stade de l’hypnose (la fameuse catalepsie) étant vécues et interprétées comme une projection vers l’extérieur de la « véritable nature du tableau qui se peint dans le cerveau du malade228 » : « Les hallucinations de la vue sont fréquentes […]. Le malade entre lui-même en scène et par la mimique expressive et animée à laquelle il se livre, les phrases entrecoupées qui lui échappent, il est facile de suivre toutes les péripéties du drame auquel il croit assister et où il joue le principal rôle229. » Alors que, pour Charcot, ces manifestations hallucinatoires sont inhabituelles et pathologiques, pour Bernheim, elles ne sont en rien morbides, plutôt normales, rencontrées dans l’activité psychique ordinaire. Si, selon Bernheim, « la vérité est que nous sommes tous hallucinables et hallucinés pendant une grande partie de notre vie230 », c’est que non seulement le clinicien, mais l’esthète avant lui, a tout avantage A 180 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 180 12/09/2020 01:04 1870-1920 B C A. Maurice Denis, Portrait de madame Ranson au chat, huile sur toile, 89 x 45 cm, 1892, Musée départemental Maurice Denis, Saint-Germain-en-Laye. B. Vignette extraite de Complete Mail Course of Twenty Illustrated Lessons in Hypnotism, 1899. C. Alfons Mucha, Étude pour la danse, 1898, crayon et aquarelle, 56 x 34,8 cm. à considérer cette production imageante comme le moteur d’un travail de l’imagination ayant de singuliers débouchés dans la création artistique. La suggestion visuelle devient un puits d’inspiration : « L’imagination règne en maître231. » Curieusement, Debora Silverman s’attarde plus sur le cas de « Charcot artiste » que sur celui d’Hippolyte Bernheim qui venait de faire de la suggestion visuelle un agent déterminant du rapport aux images et aux représentations. Plus curieusement encore, elle laisse de côté l’hypothèse pourtant fertile d’un lien historique autour de l’École de Nancy. La ville n’est pas seulement la plateforme académique de la reconsidération de l’hypnose exercée au sein de sa faculté de médecine, elle est aussi, dans le champ des arts appliqués, la plaque tournante du développement stylistique de l’Art nouveau, et mieux encore, le hautlieu de sa diffusion à grande échelle, notamment par sa production verrière (Gallé, Antonin Daum…), architecturale et mobilière (Louis Majorelle), réunie sous le vocable d’« alliance provinciale des industries d’art ». Les colonnes de la revue Nancy artiste, devenue La Lorraine artistique en 1888, nous donnent quelques indices sur la circulation intellectuelle de cette clinique des « suggestions visuelles » dans les milieux de l’Art nouveau. Émile Goutière-Vernolle, critique d’art et fondateur de cette école, rédacteur en chef de cette revue, est étudiant en droit à l’université de Nancy où il a pu se familiariser avec les hypothèses formulées par Jules Joseph Liégeois, un proche de Bernheim, sur les applications juridiques de la suggestion aux crimes sous influence. Il baigne dans cette culture de la suggestion que l’on retrouve dans de nombreux articles de la revue, où les œuvres de style Art nouveau sont lues au crible d’une psychodynamique accordant aux linéaments, aux arabesques végétales et aux effets de métamorphose, des vertus optiques (circularité, cinématisme…), plongeant l’amateur d’art dans les couches créatives de l’inconscient. Un exemple parmi d’autres, qui permet de revenir vers le motif du vase de Gallé commenté par Souriau. Il s’agit du Portrait d’Émile Gallé, de la main du 181 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 181 12/09/2020 01:04 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T A peintre nancéen Victor Prouvé. Le peintre a saisi le verrier dans un moment de contemplation, le regard absorbé, littéralement subjugué par l’objet scintillant dans lequel le critique Louis de Fourcaud disait qu’« il est impossible de ne point se répéter à décrire les suggestions multiples qui sourdent de ces verreries énigmatiques232 ». Ce que donne à voir Prouvé, dans ce face-à-face envoûté entre le créateur et l’artefact, est bien le mécanisme de la suggestion visuelle et son rapport au travail de l’imagination déplacé vers l’observateur. Le peintre a pris soin d’élire une verrerie illustrant cet univers liquéfié, en transparence, avec ses couleurs « pâlies et mourantes qui se détachent à peine sur le fond et [font] l’effet d’être imaginées plutôt que perçues […] pour obliger l’imagination à compléter les indications qu’on lui fournit233 ». C’est ce que Gallé appelle l’effet « meublant, parce qu’il fait l’effet d’un point lumineux qui attire l’attention sur l’objet234 ». Dans son traité sur L’Imagination de l’artiste (1901), Souriau revient justement sur cet exemple pour qualifier le travail de l’« imagination visuelle », attribué à la fois au créateur investi dans la production de son objet en cours et à son futur destinataire, le spectateur, plongé dans la coproduction d’une imagerie mentale projetée sur l’écran de ces formes « indécises » où se trouble le sens même de la réalité : « Nous projetons mentalement les images sur l’objet qu’elles décorent, comme je fais pour ce vase de faïence orné d’un rameau de lierre, d’un lézard rampant, de motifs divers que je puis sans invraisemblance me figurer en présence réelle sur sa surface […], je prends un plaisir particulier à contempler cet objet étrange, à demi réel, à demi fictif, ce vase de vraie faïence où rampe un lézard imaginaire235. » Il s’attarde notamment sur la « décoration abstraite » (elle aurait « pour les rêveurs un attrait particulier ») : « Ces figures rayonnées et comme scintillantes sur lesquelles se fixe spontanément le regard, cette répétition de motifs semblables qui berce la pensée de son rythme monotone, tout dans le décor linéaire semble disposé pour exercer sur le spectateur une sorte d’action hypnotique. Laissons-nous aller à ce vertige, ne faisons pas effort pour nous reprendre ! Aux confins de l’hypnose, quand notre pensée un peu trouble ne distinguera plus nettement le monde imaginaire du monde réel, d’étranges changements vont se produire dans l’aspect du dessin sur lequel nous aurons les yeux fixés. Il se modifiera au gré de notre fantaisie, par un inconscient effort d’interprétation […]. Tels sont les jeux d’imagination figurative auxquels nous pouvons nous livrer en contemplant un simple décor géométrique236. » Dans le cas du Portrait d’Émile Gallé par Prouvé, sont donc mobilisés deux modes conjoints d’hallucinations, mis en boucle mimétique : d’une part, celui du spectateur contemplant ces formes inchoatives, « bercé » par les suggestions abstraites du décor linéaire ; d’autre part, celui de « l’artiste au travail », plongé « dans une sorte d’hallucination, sur une vision mentale tellement intense, que dans la figure qu’il trace il aperçoit en présence réelle l’objet représenté237 ». Ce mécanisme d’identification (poussé à son terme, sous une forme radicalement abstraite dans l’œuvre de Jackson Pollock, la technique du all-over et les linéaments expressionnistes de l’action painting) portera un nom ; Souriau parle de « moment merveilleux238 ». EMPATHIE IMITATION ET JOUISSANCE ESTHÉTIQUE L’analyse de Souriau ne s’arrête pas à une suite de conseils destinés aux artistes pour optimiser l’attraction visuelle des objets qu’ils réservent au regard d’un spectateur-cible placé en mode consumériste ; elle s’étend à une réflexion plus globale sur la façon de disposer ces artefacts au regard distrait du chaland. C’est là qu’intervient une réflexion, tout aussi inédite, sur les conditions de l’observation ou le confort physique et visuel de la contemplation : « Les œuvres d’art elles-mêmes, pour être appréciées à leur juste valeur, demandent une certaine mise en scène, un certain confort matériel239 », appelant à se débarrasser des accrochages à touche-touche dominants à cette époque dans les galeries et les musées. Souriau pense le « musée idéal » en termes de dispositif de concentration panoptique où toutes fioritures décoratives (tapisserie murale, accessoires) seraient évincées au 182 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 182 12/09/2020 01:04 1870-1920 B C profit de la neutralité d’un « mur nu » isolant les œuvres, dans une surprenante anticipation de l’esthétique moderniste du white cube240 : « Il y aurait encore bien à dire, à ce point de vue, sur l’installation matérielle de nos musées. Ces toiles accrochées pêle-mêle aux murailles, qui tirent l’œil de tous côtés et détruisent par des voisinages fâcheux les plus délicates harmonies de couleur […], tout cela est bien peu favorable à la contemplation […]. Pour prendre vraiment plaisir à regarder une toile, il faut qu’on puisse la regarder à son aise ; qu’elle soit isolée ; qu’on puisse s’asseoir ou du moins s’accouder devant elle […]. Je me figure un musée idéal où il n’y aurait que peu d’œuvres, mais exquises, bien détachées l’une de l’autre, bien mises en valeur ; un Salon qui aurait l’air d’un salon et non d’un étalage de brocanteur : n’est-ce pas là qu’on pourrait trouver les impressions d’art les plus charmantes, les plus raffinées 241 ? » Dans Suspensions of Perception. Attention, Spectacle and Modern Culture (1999), Jonathan Crary est revenu sur la dynamique interne à cette ambivalence entre culture attentionnelle (fixation) et dérive distractive (métamorphose). Il en fait même la condition du régime A. Victor Prouvé, Portrait d’Émile Gallé, ca. 1900, huile sur toile, 160 x 110 cm, musée de l’École de Nancy. B. Planche reproduite dans Reinhardt Berling, Hypnotische Unterrichtsbriefe, ca. 1910. C. Dessin de Raphael Kirchner reproduit dans un numéro spécial de L’Assiette au beurre, de septembre 1907, consacré à « L’Art nouveau ». D. Contagion magnétique, photographie extraite de Scene d’ipnotismo, ca. 1900. 183 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 183 12/09/2020 01:04 D HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 184 12/09/2020 01:04 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 185 12/09/2020 01:04 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T perceptif de la modernité, un âge qualifié par les stratégies de résistance et de créativité face à une réaction « disciplinaire contre les formes potentiellement disruptives d’association libre242 ». Comme le rappelle Crary en s’appuyant sur des auteurs justement impliqués dans le discours clinique sur l’hypnose (Alfred Binet, Charles Féré, mais aussi Pierre Janet), le propre de cette économie de l’attention est de se maintenir toujours en dialogue avec une « inévitable fragmentation du champ visuel dans lequel la cohérence unifiée et homogène des modèles classiques de la vision devenait impossible243 », de contenir donc en elle-même les éléments de sa propre désintégration. C’est dans ce cadre qu’entre en jeu l’hypnose, non seulement comme un état ambivalent (une veille paradoxale), mais comme une technique mêlant de manière non contradictoire attention et distraction, concentration et dissociation244. Arrive là, comme l’avait bien perçu Souriau, le cœur du sujet, car cette articulation entre culture attentionnelle et dissociation semble faire directement écho à l’optique impliquée dans la « nouvelle peinture », en particulier à la façon dont l’économie visuelle de l’impressionnisme est entièrement fondée sur le jeu d’allers et retours entre focalisation (vision concentrée) et décentrement (champ périphérique), avec de multiples effets d’intrusion/exclusion de l’image dans de continuels rappels au « hors-cadre », qui ne font que rappeler l’intuition d’un Baudelaire n’ayant pas manqué de s’intéresser au phénomène du « magnétisme animal245 » : « Vaporisation et centralisation du Moi. Tout est là246. » Il se trouve que de nombreux auteurs contribuant, vers 1900, au tournant de l’esthétique psychologique reviennent sur cette ambivalence pour la sortir d’un agencement trop machinique, automatique et prédictible. Il s’agit aussi de délester l’économie désirante du spectateur d’un « sentiment de soi » trop recentré sur le sujet narcissique, en projetant le partage des émotions dans une relation plus compassionnelle, ouverte sur l’expérience de l’autre. Theodor Lipps, le prosélyte de la théorie de l’empathie en art (Jonathan Crary cite ses Études psychologiques de 1885) s’est sérieusement intéressé à la question de l’hypnose. Il publie en 1897 un ouvrage sur La Psychologie de la suggestion247, dans lequel il analyse justement le paradoxe d’un « amoindrissement de l’excitabilité psychique, mais avec conservation de certains réflexes psychiques ». Lipps, qui s’est aussi penché sur le cas de Magdeleine, la danseuse en transe exhibée par le magnétiseur Magnin à Munich248, publie en 1906 un traité intitulé Empathie et jouissance esthétique. Il y développe, dans les pas de Robert Vischer, une théorie de l’empathie définie comme la projection fusionnelle du sujet contemplant dans l’objet de la représentation – le tableau en l’occurrence –, le ressenti de ce transport considéré comme l’horizon même de l’émotion artistique (se sentir dans l’objet, c’est-à-dire dans quelque chose qui est extérieur)249. La dette manifeste du concept d’empathie chez Lipps envers ses recherches préalables sur la suggestion mérite d’être analysée, car elle explique à bien des égards le succès de ce paradigme hypnotique de l’art au tournant du siècle. L’un des topos majeurs que l’hypnose va fournir au concept d’empathie est la notion de modification du monde objectif dans l’expérience extatique de ce transport hors de soi, avec pour corollaire le principe d’une perception du sujet projetée dans l’espace de la représentation. L’empathie doit à l’hypnose cette « tension structurante entre le sujet et les formes dans lesquelles il se projette250 ». Si la beauté est, selon Lipps, « le nom pour désigner la capacité d’un objet à produire en moi un effet déterminé251 », la jouissance esthétique puisant dans cette « possibilité de vie résidant dans l’objet252 », il s’agit bien de sortir l’objet contemplé de son contexte en le projetant dans des formes « compréhensibles d’un point de vue mécanique253 », à la manière d’une suggestion verbale dans le processus d’induction hypnotique qui joue beaucoup, en l’énonçant, sur la présence intuitive d’un sujet certes dirigé, mais libre dans la forme. Le raccord des théories subjectivistes de l’Einfühlung avec les hypothèses nancéennes sur la suggestion va se faire en France autour de celui qui, dans le champ de la philosophie, incarne le mieux le tournant de « l’esthétique expérimentale » et la défense d’une « science de l’art » : Victor Basch, qui a occupé entre 1885 et 1887 son tout premier poste académique à l’université de Nancy, comme maître de conférences en langue et littérature allemandes. Il a donc puisé directement à la source, au moment même du débat médiatique qui opposait Bernheim à Charcot. Dans son Essai critique sur l’esthétique de Kant (1896)254, Basch élabore le concept de « sympathie symbolique » (ou « symbolisme sympathique »), censé décrire à partir d’une « méthode psychologique » à la fois la nature de la contemplation esthétique et celle de la création artistique. Manière aussi pour lui d’expliciter, à la lumière de son contact direct avec les théories de la suggestion, le terme germanique Einfühlung comme « ce phénomène d’autoprojection, d’effusion, d’infusion – ce serait là le terme le plus adéquat, s’il ne prêtait à une équivoque risible – ou, comme j’ai proposé de l’appeler, la sympathie symbolique255 ». En quoi l’empirisme hypnotique de Bernheim a-t-il pu entrer en complicité avec les thèses psycho-physiologiques allemandes qui animent la pensée de Basch ? Sans doute dans sa manière d’intégrer aux mécanismes de la contemplation esthétique une plongée dans les couches plus profondes de « l’inconscient », où se révèlent des schémas de pensée plus intuitifs. Basch préconise en effet de redescendre dans l’analyse psychologique de l’expérience esthétique jusqu’aux sensations les plus élémentaires – ce qu’il appelle la « méthode génétique ». Le philosophe parle de « descendre jusqu’à l’inférieur256 ». Le mécanisme de la suggestion impulse à l’évidence cette descente qui autorise notamment une dissolution, une confusion des frontières entre le sujet et l’objet, par laquelle le moi sensible s’approprie la matière et la forme d’un objet extérieur à lui257 – une confusion qui demande l’accord du sujet à se prêter au jeu de l’illusion par laquelle il accepte que son moi intime s’infuse dans les apparences des objets extérieurs. C’est là que se comprend au mieux la définition du « symbolisme sympathique » pensé comme « l’acte par lequel nous sortons 186 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 186 12/09/2020 01:04 1870-1920 de nous-mêmes pour nous confondre avec les choses, pour leur prêter nos sentiments, pour leur conférer une personnalité semblable à la nôtre, pour nous mêler si intimement avec les objets et les mouvements du monde extérieur que nous ne savons plus si c’est nousmêmes qui avons pénétré la nature ou si c’est la nature qui est entrée en nous258 ». Ce symbolisme sera donc « sympathique » parce qu’il admet la possibilité d’une sortie de soi frappée d’une adhésion à l’autre. La sympathie consiste, selon Basch, à « sortir de soi, à se prêter, à se donner à autrui259 » (nous soulignons), dans des mots très proches de ceux qu’utilise Bernheim, revus et corrigés par Gabriel Tarde dans Les Lois de l’imitation, qu’il cite dans le texte. Ce sont aussi déjà ceux de JeanMarie Guyau, pour qui « le grand art est l’art évocateur, qui agit par suggestion. L’objet de l’art, en effet, est de produire des émotions sympathiques et pour cela non pas de représenter de purs objets de sensations ou de pensées au moyen de faits significatifs, mais d’évoquer des objets d’affection, des sujets vivants avec lesquels nous puissions entrer en société260 ». « OBJECTIVER LE SUBJECTIF » L’EXTÉRIORISATION DE LA SENSIBILITÉ Cette dimension projective aura été au cœur de l’esthétique symboliste dont les premiers manifestes datent de 1886, au cœur de l’apogée médiatique de la querelle opposant Charcot à Bernheim autour des « théories de la suggestion ». Le projet esthétique du symbolisme s’établit entièrement dans ce jeu de projection de l’intimité du sujet dans l’espace du réel – ce que l’historien Laurent Jenny appelle très justement, dans son analyse du tournant de la littérature au passage du siècle, la « fin de l’intériorité261 ». Non pas parce que le for intérieur – un poncif du romantisme – n’a plus lieu d’exister de façon autonome, mais parce que les artistes ont pu s’arroger le droit, sur le modèle des cliniciens, de le projeter dans l’espace réel en se donnant pour tâche de présenter – et non plus de représenter – le travail intime de la pensée, ouvrant par là un « nouvel espace mental et représentatif262 ». C’est ce que Jenny nomme précisément l’« inventivité esthétique263 », propre à l’utopie créative des avant-gardes. En fait, ce qu’apporte le protocole de l’hypnose à la révolution du modernisme en art, c’est bien une théorie de l’expression comprise comme « extériorisation d’une intériorité ». En cela, l’hypnose est directement contemporaine du projet symboliste, tel que Gustave Kahn en donne la définition en 1886 : « Le but essentiel de notre art est d’objectiver le subjectif (l’extériorisation de l’Idée) au lieu de subjectiver l’objectif (la nature vue à travers un tempérament)264. » Les mots sont choisis. Kahn, pour qui « le dessin ou mieux, la forme représentée, aurait la valeur d’un suggestif, thème musical propre à exciter et charmer la rêverie du regardeur265 », considère que la jeune génération symboliste, loin d’être absorbée dans des rêveries narcissiques et nostalgiques refusant le monde, est tout au contraire projetée dans l’extériorisation physique de la conscience. L’activité mentale s’extirpe d’un for intérieur insondable, pour s’objectiver sur un « écran psy- chique ». Le terme « objectiver » est à prendre au pied de la lettre ; les idées, les concepts et les émotions se dotent d’une enveloppe matérielle pour se livrer directement au regard et à l’analyse (visible et lisible, observable et quantifiable). Un art « idéiste », car il sert à « vêtir l’Idée d’une forme sensible266 », dans une surprenante conversion matérialiste des approches métaphysiques de la conscience, que l’on retrouve à mots couverts dans le fameux article d’Albert Aurier consacré au « symbolisme en peinture267 », cheminant vers un régime de présentation tangible et sensible de la vie psychique, sur le mode d’un « unisson vibratoire aux effets physiologiques immédiats268 ». Façonnée par le vitalisme mis en mode par Bergson, la création artistique répond désormais à un « besoin de s’extérioriser, de se communiquer intégralement afin d’être intégralement comprise269 », suivant une loi d’expansion organique, quasi biologique (l’écho de Nietzsche), propulsant la subjectivité vers le dehors. En se construisant dans le monde extérieur un plan de configuration qui déplace les frontières sujet/objet270, la pensée (mais aussi l’identité subjective, jusque dans ses … ce qu’apporte le protocole de l’hypnose à la révolution du modernisme en art, c’est bien une théorie de l’expression comprise comme « extériorisation d’une intériorité ». variations sur le mode du « dédoublement de la personnalité ») s’installe à la surface des choses, se spatialise et conquiert une plasticité inédite que Paul Valéry va tout de suite reconnaître dans l’écoute fragile des vers de Mallarmé : « Il me sembla voir la figure d’une pensée, pour la première fois placée dans notre espace271. » Ce mouvement d’externalisation de la « force psychique » rejoint l’imaginaire d’une « extériorisation de la sensibilité » sous hypnose repérée par Albert de Rochas. En 1895, il publie un ouvrage intitulé L’Extériorisation de la sensibilité, dans lequel il réunit un ensemble d’observations faites sur l’« hyperception » des sujets hypnotisés, avec en particulier toute une série de constats sur l’« objectivité des effluves perçues sous forme de lumière dans l’état hypnotique272 ». Pour Rochas, qui s’est appuyé sur l’étude des « effluves odiques » par le baron de Reichenbach273, il s’agit de « fluides nerveux » qui se répandent dans l’espace : « Les choses se passent comme si la sensibilité, dont le domaine s’étend ordinairement du cerveau à la surface de la peau, pouvait parfois […] se prolonger au-delà274. » Ils seront les agents de ce qu’il appelle une « sympathie à distance275 », traduite dans le champ des représentations par la surface optique des vibrations colorées. De multiples exemples abondent dans les toiles symbolistes ; dans les silhouettes irradiantes d’Odilon Redon ou les portraits auratiques d’Edvard Munch. 187 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 187 12/09/2020 01:04 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T l’ouvrage d’Alexandre Aksakov consacré à « un examen critique des phénomènes médiumniques spécialement en rapport avec les hypothèses de la force nerveuse, de l’hallucination et de l’inconscient280 ». Le peintre du Cri y rencontre des cas de « doubles invisibles » ainsi que de minutieuses analyses consacrées à « l’action expansive de la force nerveuse qui combat la cohésion des particules de la matière », véhiculant tout un imaginaire de l’extériorisation physique de l’activité mentale sous état modifié de conscience. L’invasion des corps égarés dans les peintures de Munch, des corps « inorganiques », pour reprendre les termes d’Edgar Poe dans sa fameuse Révélation magnétique (1848)281, se comprend mieux. Dans les pas de Poe, Munch dépeint des spectres irradiants comme une anticipation somnambulique de la vie future : « Un corps lumineux communique une vibration à l’éther lumineux. Cette vibration en engendre de semblables au nerf optique. Le nerf les traduit au cerveau et le cerveau à la matière imparticulée qui le pénètre. Le mouvement de cette dernière est pensée. La première vibration était la perception. Tel est le mode par lequel l’Esprit de la vie rudimentaire communique avec le monde extérieur ; et ce monde extérieur est limité pour la vie rudimentaire, à cause de l’idiosyncrasie de ses organes. Mais dans la vie ultérieure, inorganique, le monde extérieur touche le corps entier, qui est d’une substance ayant quelque affinité avec le cerveau282. » A Le cas Munch peut retenir notre attention, tant il incarne dans ses toiles cet imaginaire d’une expansion somnambulique du moi dans l’espace ambiant276. La version lithographique du portrait d’August Strindberg par Munch (1896), et ses radiations nébuleuses cernant en couches concentriques le visage de l’écrivain isolé dans sa concentration rappellent la fameuse gravure « Couches enveloppant un sujet extériorisé » reproduite dans l’ouvrage de Rochas277. Il illustre à la lettre l’expansion panpsychique des « vibrations sympathiques », telle qu’on la retrouve dans L’extériorisation de la sensibilité de Rochas qui, citant Edwin Houston sur les « radiations cérébrales », estime que « ces ondes passent dans l’espace qui entoure le cerveau, à peu près comme les ondes qui sont communiquées à l’air autour d’un diapason278 ». Les allusions à l’iconographie de l’hypnotisme abondent chez Munch. De nombreux portraits féminins mettent en scène des corps hystériques contorsionnés (L’Urne, 1896), le dos courbé en arc-de-cercle (Madone ou femme amoureuse, 1893), au regard hagard, les yeux exorbités (Le Péché. Nu aux cheveux roux, 1901), l’attitude en complainte simulée (Femme agenouillée, 1920), jusqu’au bâillement (Jeune femme en train de bâiller, 1913), qui n’exprime pas tant une promesse de relâchement que le début d’une crise nerveuse faisant écho aux « bâillements hystériques » analysés et reproduits dans l’Iconographie de la Salpêtrière279. Munch s’est notamment intéressé de près à Animisme et spiritisme (1895), Cette capture sensible des « vibrations sympathiques » par un œil magnétisé se retrouve dans de nombreuses peintures de la mouvance symboliste et expressionniste, peuplant d’auras colorées les pourtours de figures en légère transe. C’est frappant dans de nombreux portraits du peintre viennois Oskar Kokoschka, élève de Gustav Klimt, lui-même très sensible au langage corporel hystérique. Le Portrait du docteur Forel (1910) peut retenir plus avant notre attention, car il dresse la silhouette chancelante d’un acteur majeur de la recherche européenne sur l’hypnotisme, psychiatre et neuroanatomiste de renommée internationale dont Freud, dans un compte-rendu élogieux de son ouvrage sur L’Hypnotisme, sa signification et son emploi, en 1889, dira qu’« il gardera sans doute longtemps une place éminente dans la littérature allemande sur l’hypnotisme ». Si, selon Forel (cité par Freud), « pour pouvoir porter un jugement sur l’hypnotisme, il faut soi-même avoir pratiqué l’hypnose un certain temps283 », c’est bien ce temps profond de l’expérience hypnotique innervant l’ensemble du tissu organique que cherche à dépeindre Kokoschka dans ce corps torturé et irradiant, rayonnant de ses propres contorsions. La posture et, plus encore, les contractures des mains rappellent les codes visuels de la pose cataleptique (jusque dans l’insistance du regard porté sur le détail des mains désarticulées, telles que celles que crayonna sur le vif Paul Richer dans de nombreux A. Couches enveloppant un sujet extériorisé, 1909, planche extraite d’Albert de Rochas, L’Extériorisation de la sensibilité. B. Edvard Munch, Salome-parafrase, 1898, gravure sur bois, 44,9 x 28,6 cm, Oslo, Munchmuseet. C. B. Falkenberg, Une séance d’hypnose (avec le docteur Forel), 1893, gravure, 39 x 49 cm. 188 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 188 12/09/2020 01:04 1870-1920 B 189 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 189 12/09/2020 01:04 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 190 12/09/2020 01:04 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 191 12/09/2020 01:04 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T croquetons saisis à la Salpêtrière), mais ce sont là comme des indices donnés au spectateur pour signifier la condition de celui qui a, toujours selon Freud, défendu « que l’action du cerveau sur les fonctions corporelles puisse être exploitée de façon plus intensive sous hypnose ». Kokoschka, peintre de l’intensité nerveuse des corps, saisit l’autorité hypnotique du docteur Forel dans un rayonnement « neuronique » poussé à son incandescence par des effets de pulvérisation pigmentaire qui suggèrent combien « on peut grâce à la suggestion sous hypnose […] influencer les fonctions sensitives et motrices du corps, certains réflexes, des processus vasomoteurs […], et dans le domaine psychique, les sentiments, les pulsions, la mémoire, l’activité volontaire284 ». Proche de l’expressionnisme viennois, stylistiquement influencé par Kokoschka et Egon Schiele, qui en livre en 1910 le portrait sous les traits d’un « jeune homme hystérique », Max Oppenheimer adopte un montage similaire dans son Portrait de Heinrich Mann (1910). La ressemblance formelle avec une photographie de la Salpêtrière représentant « Mr X, hystérique mâle » est frappante, avec le même réflexe « hémiplégique » du bras droit suspendu, un identique écartement contracturé des doigts. Écrivain et poète, frère aîné de Thomas Mann, Heinrich Mann n’est pas étranger aux débats sur l’hypnose. Dans une de ses nouvelles, Doktor Biebers Versuchung (1898), le médecin, directeur d’un sanatorium, est un adepte de l’hypnotisme (grand amateur de musique wagnérienne, il est convaincu que l’écoute des airs du maître de Bayreuth a un effet sur les patientes, car elle suscite une « purification de la volonté » qui agit sur les nerfs). C’est un parti pris qu’il discute âprement avec le jeune Sägemüller, son rival intellectuel, très sceptique envers son engagement pour une hypnose thérapeutique. Mais nul besoin de faire appel à un proche des techniques d’induction hypnotique pour que le corps soit porté par la charge fluidique d’un magnétisme personnel. Dans une grande partie de l’iconographie viennoise expressionniste, les corps dégagent cette énergie biopsychique cherchant à se libérer de la gangue d’une anatomie suppliciée. L’EFFET PAPILLON LOÏE FULLER, LA DANSEUSE MAGNÉTIQUE Ce corps irradiant va porter un nom sur la scène chorégraphique du passage du siècle, celui de Loïe Fuller. Connue pour sa fameuse « danse serpentine », dite aussi « danse papillon », elle donne à voir au public des Folies Bergère un spectacle qui hypnotise le Tout-Paris : celui de sa transformation féerique en « matière imparticulée », passant de la simple chenille au papillon chromo-luminescent qui se déploie dans la libération de son large drapé. Cette figure de la chrysalide, comme métaphore de l’émancipation d’une nouvelle intelligence suprasensible dégagée de l’enveloppe charnelle, n’est pas inédite dans notre généalogie ; elle puise directement dans les imaginaires romantiques du somnambulisme. Dans de nombreuses pages de Justinus Kerner, revient le guérisseur-magnétiseur de la « voyante de Prevorst » qui, très tôt, s’était passionné pour le phénomène de mutation des lépidoptères, dans lequel il affirmait reconnaître un état intermédiaire entre existence physique (terrestre) et spirituelle (céleste). Dès 1812, Kerner établit une analogie explicite entre métamorphose du papillon et sommeil magnétique : « Avant que la chenille massive ne devienne spirituelle (geistermässig), avant que de planer dans l’espace, […] elle se dépouille et sombre dans un sommeil magnétique. En cet état, elle pressent déjà les ailes qui la porteront au-dessus des fleurs ; elle a l’intuition de la vie future, brise son enveloppe et voltige en celle-ci […]. C’est la chenille qui progressivement donne naissance au sylphe spirituel285. » Le pouvoir d’illumination est conditionné à l’affranchissement d’un « corps psychique ». La danse papillon de Loïe Fuller est la métaphore de cette libération des forces de la pensée quand le sublime électrique porte au regard la « révélation magnétique ». Nul hasard si le succès public de « La Fuller » culmine lors de l’Exposition universelle de 1900, dans un pavillon à son effigie, fruit de la collaboration entre l’architecte Henri Sauvage et le sculpteur Pierre Roche, à mi-chemin entre le Palais de l’électricité (l’optique moderne) et la reconstitution d’un village aïssaoua (l’hypnose archaïque286). Loin d’être un simple effet de mode, Loïe Fuller incarne au mieux notre paradigme hypnotique de l’art, au croisement de multiples hypothèses sur la plasticité de la pensée (aura et « force psychique »), l’étagement des corps et des consciences (hypnose, dédoublement), l’imaginaire fluidique des nouveaux rayonnements (rayons X, électromagnétisme) et le vocabulaire formel de l’Art nouveau (arabesque, ivresse, immersion). La danse serpentine est née sous le signe de l’hypnotisme. Fuller le rappelle dans ses souvenirs ; elle a inventé cette danse du voile lors d’une pièce intitulée Quack, docteur médecin (1890), qui mettait en scène une guérison magnétique : « L’auteur, pendant notre travail, eut l’idée d’ajouter à sa pièce une scène où le docteur Quack hypnotisait une jeune veuve. L’hypnotisme était à ce moment très en vogue à New York […]. Le docteur Quack faisait une entrée mystérieuse puis m’évoquait […] et j’apparus, essayant de me faire assez légère pour donner l’impression imaginaire d’un esprit voltigeant qui obéissait aux ordres du docteur. Il leva les bras, je levai les miens. Suggestionnée, en transe – du moins en apparence –, mon regard rivé au sien, je suivais tous ses mouvements. Ma robe était si longue que je marchais constamment dessus et machinalement, je la retenais des deux mains et levais les bras en l’air, tandis que je continuais à voltiger autour de la scène comme un esprit ailé…287 ». A. Oscar Kokoschka, Portrait du docteur Forel, 1910, huile sur toile, Kunsthalle, Manheim. 192 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 192 12/09/2020 01:04 A HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 193 12/09/2020 01:04 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T 194 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 194 12/09/2020 01:04 1870-1920 « symptomatique » et effet de contamination mimétique288. Le voile mobile et translucide est aussi l’avatar d’un « esprit voltigeant qui obéissait aux ordres du docteur ». Le lexique flirte ici avec le fond plus spirite de l’hypnose fin de siècle289. Le drapé irradiant camoufle un corps physique délibérément renié (on sait que Loïe Fuller a été longtemps complexée par sa physionomie trapue contraire aux canons sveltes du ballet de l’époque). Il permet surtout d’illustrer sur scène un mode de fécondation spirituelle du corps – ce que Giovanni Lista appelle une « sorte de valorisation mentale, désexualisée, de l’acte d’insémination dont le vecteur serait l’esprit290 ». Cette sublimation de la chair dans la doublure des corps rencontre les hypothèses défendues par les mentors de la « bibliothèque du magnétisme » (Albert de Rochas, Gérard Encausse ou Henri Durville) : un état d’attention ambigu entre transe et sommeil paradoxal qui est d’abord un état dissocié et altéré du corps. Le corps sous hypnose est perçu comme une entité double, ambivalente et contradictoire. Pétrifié ou automate, mutilé de son libre arbitre, livré à la puissance souveraine du magnétiseur, il est aussi un corps affranchi et hypersensible, augmenté de multiples personnalités291. Le corps disjoint de l’hypnose est ici un « corps-sans-organes », agencement schizophrène et machinique dans le sens le plus deleuzien292 : un corps affranchi des circuits organiques traditionnels pour accroître les capacités perceptives du sujet dans cette enveloppe traversée de seuils et de flux énergétiques. B Pour Fuller, les jeux de lumière projetés sur l’écran diaphane du corps sont des armes de suggestion qui servent non seulement à fixer le jeu médusé des acteurs (l’induction), mais à suggérer une ambiance surréelle propice à la rêverie somnambulique des spectateurs. À la lumière des expériences des « miroirs aux alouettes » et autres objets brillants venus du braidisme, il y a le soin qu’accorde Fuller aux systèmes d’illuminations sur scène (éclairage au plancher, effets kaléidoscopiques de miroirs, etc.). Ils sont non seulement des recherches d’effets spectaculaires qui signent sa manière (elle devra lutter contre de nombreuses imitatrices), mais des dispositifs propres à « l’emprise du regard », élaborés sur le modèle du rapport hypnotique. En rentrant dans un champ de lumière, Loïe Fuller se met elle-même en condition de transe pour obtenir l’hypnose du public, par transfert Pour ce faire, Fuller a déposé dès 1893 plusieurs brevets de « robe spécialement destinée à la danse théâtrale », un costume baleiné dont l’armature permet d’étendre l’envergure des bras. Sous la robe, deux bambous en jonc (lointain héritage du théâtre kabuki), cintrés à leur extrémité et tenus à bout de bras, permettent d’obtenir les fameux développés en tourbillon. L’impression est saisissante. Elle monumentalise le geste en donnant à voir une extension du champ d’innervation électrique de la sensibilité que le public de l’époque peut associer sans difficulté aux expériences fluido-magnétiques sur « l’extériorisation de la sensibilité » de Rochas. Le colonel de Rochas compare ce transfert physique (une « sympathie à distance ») à l’effet de luminescence des « corps phosphorescents » que va explorer Fuller en entrant en contact avec Pierre et Marie Curie (La Dame phosphorescente293). Or, Rochas associe ce phénomène d’extériorisation à une théorie protoplasmique et vibratoire d’un milieu – l’éther – totalement habité de courants magnétiques294. Si son sujet, Lina, entre autant en sympathie avec la « musique à thème » qu’on lui propose de mimer, c’est parce que son état de suggestibilité la plonge dans la « première phase du sommeil hypnotique où le sujet présente déjà A. Henri de Toulouse-Lautrec, Étude pour Loïe Fuller, 1893, peinture à l’essence sur carton, 63,2 x 45,3 cm, Albi, musée Toulouse-Lautrec. B. Dessin du brevet d’une robe spécialement destinée à la danse théâtrale, 1894. 195 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 195 12/09/2020 01:04 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T que Loïe Fuller illustre sur scène, dans une pyrotechnie reprise par de nombreux peintres et illustrateurs (Toulouse-Lautrec, Koloman Moser, Charles Maurin…), qui anticipent d’authentiques compositions abstraites faites de pures émanations chromatiques. Dès 1897, dans L’Art de demain, un ouvrage d’obédience théosophique totalement oublié par les historiographes de l’art moderne, Barlet et Lejay annoncent une peinture « plus attachée à l’Abstrait299 », dont l’ambition, liée à « la pratique magnétique qui peut donner des résultats plus utiles300 », serait de reproduire la plasticité de « l’esprit qui souffle à travers la matière301 » : « Ces relations avec le monde invisible se trouvent actuellement si répandues […] dans le monde savant par l’hypnotisme […] que le public ne peut manquer d’accepter avec intérêt l’une de ses préoccupations les plus actuelles302 ». Pour les auteurs, les « innovations modernes » de la peinture seront en conformité avec l’évolution future de l’espèce (la « sensibilité psychique303 ») en prenant la forme de fééries chromatiques pures, très proches de celles qu’offre Loïe Fuller : « Ces rêves merveilleux de la lumière colorée que nous racontent vos harmonistes et vos symphonistes de la couleur, ces nuées vaporeuses […] ils peuvent les voir dans la réalité de leur A très nettement le phénomène de l’extériorisation de la sensibilité » : « Le fluide nerveux, qui chez les gens normaux transmet au cerveau les sensations de la chair et s’arrête (du moins en apparence) avec les nerfs sensitifs à la surface cutanée, est chez ces sujets projeté plus ou moins loin en dehors, de sorte qu’ils sont enveloppés d’une atmosphère d’effluves vibrant au moindre choc des vibrations extérieures295. » L’hypnose autorise donc la manifestation d’un tiers-corps, un corps (électro)magnétique qui vient rapidement se confondre avec les « auras » lumineuses que les théosophes, et avec eux certains scientifiques (Rochas, William Crookes, etc.), appellent le « corps astral296 ». Rochas l’entraperçoit dans les performances de Lina qui, sous transe, « voit se former, peu à peu, autour d’elle un certain nombre d’enveloppes lumineuses devenues le siège de sa sensibilité qui a abandonné la peau. Ces enveloppes, précise-t-il, finissent par se condenser en une colonne nébuleuse, légèrement brillante, placée environ à un mètre en avant d’elle et où toute sa sensibilité est concentrée297 ». Ce corps médiateur permet, selon la doxa théosophique, d’accéder aux féeries du « plan mental » décrites sous la forme immersive et grisante d’effluves colorés298 B A. Jean-Léon Gérôme, Loïe Fuller, 1893, huile sur toile, 46 x 38 cm, Vesoul, musée Georges Garret. B. Couverture de V. L. Ferrandiz, Hipnotismo, magnetismo autosugestion, 1930. C. Jules Chéret, Folies-Bergères, La Loïe Fuller, 1893, 124 x 89 cm, Paris, Bibliotthèque nationale de France. 196 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 196 12/09/2020 01:05 C HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 197 12/09/2020 01:05 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T existence. Ces inspirateurs de leurs rêves sont des êtres matériels, d’un corps fluidique subtil, mais possible à examiner, à contempler, à toucher même moyennant certaines conditions maintenant bien connues […] par les opérations aujourd’hui fort répandues (trop vulgarisées peut-être) du magnétisme transcendantal304. » Que laisse découvrir cette action clairvoyante du « fluide magnétique305 » ? Une « mer fluidique » faite de « lumières variées […] sans cesse changeantes », que Barlet et Lejay semblent déjà reconnaître dans les « chaleureuses créations de Gustave Moreau ou de ses disciples, les fantasmagories coloriées que créent dans l’astral les vibrations passionnelles de ses habitants306 ». L’un des représentants de ce courant « chromo-luminariste », largement redevable, toujours selon eux, à « ces étonnantes observations de l’hypnose et de tous les phénomènes qui s’y révèlent307 », est le peintre Odilon Redon, dont bien des portraits chargés de « vibrations psychiques308 » adoptent des attitudes somnambuliques, avec des visages concentrés sur un point de mire fixe (une fleur ou un bouquet, le plus souvent). UN « ART SUGGESTIF » DE LA MUSIQUE AVANT TOUTE CHOSE À propos de l’art de Redon, dont il est un spécialiste, le critique André Mellerio, auteur d’un traité sur Le Mouvement idéaliste en peinture (1896), précise qu’« à un tel art peut s’appliquer justement ce vocable dont on a tant mesuré : Art suggestif309 ». Le terme est devenu un poncif, mettant à jour le transfert des théories cliniques de la suggestion vers le discours esthétique. Comme a pu le montrer Dario Gamboni310, les artistes ont soigneusement contribué à l’apogée de ce déplacement, en premier lieu Redon qui, dans son Journal, consigne que « l’art suggestif est comme une irradiation des choses pour le rêve où s’achemine aussi la pensée311 ». Dans ses « Notes d’esthétique » (1885), le poète Charles Vignier, ami de Mallarmé, consacre un article à la « suggestion en art ». C’est là l’une des toutes premières manifestations de cette exportation des théories de Bernheim dans le champ de la critique d’art. Il va faire école. Pour lui, la peinture où l’effet produit « s’arrête à la chose peinte » n’est pas un art prédisposé à la « suggestion », contrairement à la musique, où « la suggestion est à peu près le seul effet produit312 ». Cependant, il prend acte d’une « évolution embryonnaire en peinture » qu’il tente de reconnaître dans les travaux de Gustave Moreau et Odilon Redon. De « la valeur abstraite de la couleur » chez Moreau, Vignier dit qu’elle invite à faire un « rapprochement » avec un « génial musicien, Richard Wagner ». De Redon, il affirme qu’il « serait tout aussi fondé de parler de peinture musicale, vu que l’unique différence de cette peinture à la peinture descriptive réside en ce que celle-là usite, par sa raison d’être, la suggestion313 ». C’est la musicalisation de la peinture moderne qui va conditionner son tournant suggestif, dès lors que lui incombe « le soin non pas de décrire, mais d’émouvoir la couleur, de la douer de sensation, afin de fugitiver la vie314 ». Gustave Kahn, toujours à propos de Redon, ne relevait-il pas que son « dessin ou mieux la forme représentée aurait la valeur d’un suggestif, thème musical propre à exciter et à charmer la rêverie du regardeur315 ». Deux mois plus tôt, le jeune Maurice Barrès, ancien étudiant de la faculté de Nancy, avait donné à une revue néerlandaise un manifeste intitulé « L’esthétique de demain : un art suggestif », dans lequel il lui suffit de substituer le terme « compassion » à celui d’« empathie » pour retrouver le lexique fusionnel de la suggestion : « Puisque tout l’univers est nous-mêmes, nous l’aimerons, nous nous y mêlons, par la compassion sur le Monde, c’est-à-dire sur nous-mêmes, nous ferons l’unité qui supprime la souffrance du Moi, se débattant contre l’extérieur316. » C’est cependant moins un emprunt direct et référencé à Bernheim qu’un dialogue avec un autre étudiant de Nancy, devenu rédacteur à la Revue wagnérienne, un certain Teodor de Wyzewa : « En quelques pages profondes de la Revue wagnérienne, M. Teodor de Wyzewa formule l’état d’âme qui réalisera l’Art suggestif de demain317 ». Barrès, qui cite par ailleurs les travaux de Charles Vignier, fait référence à un article sur le « pessimisme de Wagner », où le compositeur est présenté comme le modèle de « l’art suggestif de demain ». Comme le remarque François-René Martin318, c’est dans un autre article de son ami Wyzewa, publié un mois plus tôt, en juin 1885, que Barrès a pu repérer le lexique de la suggestion et son infusion dans le discours critique sur le renouveau de la peinture moderne. Wyzewa y parle de « peinture wagnérienne », qu’il reconnaît dans certaines qualités formelles de plusieurs toiles présentées au Salon. Il divise à cette occasion la peinture en deux catégories distinctes319 : la « peinture prosaïque », qui traduit la « vision du monde objectif », et la « peinture poétique », « insoucieuse des formes réelles », avec pour protagonistes Gustave Moreau, « le symphoniste des émotions affinées », Fantin-Latour ou Whistler, tous réunis sous la bannière commune du « wagnérisme ». Un an plus tard, le distinguo entre les deux modes de peinture se confirme (« l’une sensationnelle et descriptive, recréant la vision exacte des objets ; l’autre émotionnelle et musicale, négligeant le soin des objets320 ») quand les peintres les plus novateurs ont libéré la puissance expressive de la ligne et des couleurs, « devenues comme les syllabes de la poésie, comme les notes de la musique, des signes émotionnels » : « Ils ont employé les couleurs et les lignes dans un pur agencement symphonique, insoucieux d’un sujet visuel à peindre directement321 ». Selon François-René Martin, « ce qui donne […] à ces projections wagnériennes de Wyzewa en 1885 et 1886 leur caractère expérimental, c’est la place qu’elles réservent à la vision orientée, à la réceptivité des émotions, ou même, pour parler comme Bernheim, à une forme d’autosuggestion. Elles supposent un spectateur critique dans un état de disponibilité particulière, autorisant une suggestibilité accrue, laissant sa conscience se faire envahir par la musicalité de certaines œuvres322. » Wyzewa a puisé cette nouvelle sémiotique des lignes et couleurs dans les récents traités d’esthétique scientifique, notamment dans les analyses « esthopsycholo- 198 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 198 12/09/2020 01:05 1870-1920 giques » d’Émile Hennequin, collaborateur de la Revue wagnérienne pour qui « tous les signes esthétiques pourront être ramenés à une signification psychologique323 ». La forme pure, ligne ou couleur, n’est plus un signe muet mais se charge d’un sens immanent, supralinguistique, jusqu’à faire de l’œuvre d’art un agencement de signes graphiques autonomes, débarrassés non seulement de la mimesis, mais du fardeau de la matière elle-même. Alors qu’il annonce avec fantaisie une « musique nouvelle » qui sera « écrite, non jouée, suggérant l’émotion sans l’intermédiaire des sons entendus324 », Wyzewa se fait l’apôtre d’une peinture du futur, faite de « purs signes d’émotions », couleur évanescente ou ligne mobile, selon une logique formelle d’arabesque en mouvement qui annonce, sans le vouloir, les premières œuvres abstraites cinétiques des frères Corradini (1912), de Léopold Survage (1914) ou de Serge Charchoune (1916). Les théories de la suggestion impriment aussi le champ de la rénovation dramaturgique, en particulier dans les expérimentations conduites sur la scène parisienne du Théâtre d’art325. Pierre Quillard, dans l’un des textes fondateurs du théâtre symboliste, demande ni plus ni moins de soustraire le décor à la vue du spectateur afin de laisser pleinement agir la magie « purement suggestive » du verbe : « Les toiles ridicules des parades foraines deviennent pour les spectateurs complices les architectures de rêve qu’il plaît au poète de leur suggérer. La parole crée le décor comme le reste326. » Oublier le décor ou bien, toujours dans le but de ne plus « décrire » le milieu ambiant, voiler la scène pour que n’opère sur le spectateur que la puissance suggestive de la parole et des sons. Penser le cas (passé plutôt sous le radar des historiographes de la scène symboliste) des Auditions voilées, d’Émile Chizat, exécutées dans les salles parisiennes de la galerie Georges Petit, entre 1891 et 1893327. Le principe consiste à interposer entre les exécutants et le public un voile de gaze (Le Monde musical du 15 février 1893 parle de « draperies artistiquement disposées »), soit un écran relativement neutre sur lequel viennent s’inscrire les images mentales des spectateurs à l’audition des voix et des instruments, « afin que le spectateur n’éprouve aucune préoccupation ni distraction résultant des choses externes. Et les voiles qui tamisent et graduent les effets de lumière complètent l’illusion et isolent la pensée dans les régions de l’au-delà328 ». L’idée qui germe dans ces tentatives encore timides est celle d’une scène qui fait disparaître non seulement les musiciens (comme à Bayreuth dans le « fossé mystique »), mais le décor et les chanteurs, laissant place à l’imagination visuelle du spectateur qui se fait son propre spectacle. Nous retrouvons là le vocabulaire collaboratif rencontré dans la conceptualisation d’un efficace de la suggestion chez Souriau : « Il faut s’abstraire du milieu où l’on se trouve, fermer les yeux et se laisser aller aux suggestions de l’orchestre et des voix. Notre imagination ouvre alors ses ailes au souffle de l’inspiration musicale, et nous devenons en quelque sorte le collaborateur du poète et du musicien. Oh, croyez-le bien, les figures que nous évoquons, les décors qui s’improvisent dans notre cerveau et s’y déroulent aux ondulations de la symphonie sont autrement féeriques, nous font autrement illusion que ceux que peuvent représen- ter chanteurs et figurants, coulisses et toiles de fond. Et, en même temps que nous obéissons à l’inspiration du compositeur, nous éprouvons une joie intime de cette part de collaboration que nous avons dans son œuvre et nous savons être notre bien propre329. » Ce type de spectacle fondé sur une projection d’effluves chromo-musicales n’est pas isolé. Très en vogue au passage du siècle dans de nombreuses séances de « musique colorée », dans un moment à la fois baigné de synesthésies symbolistes et de féeries électriques, deux modes convergent autour d’une même culture hypnotique des attractions. L’un des représentants de cette Color Music330 en France est Louis Favre, un créateur polymorphe, lui aussi bien oublié, mais qui nous intéresse car un pied dans la création scénique de dispositifs chromo-lumineux (auteur en 1900 d’un traité intitulé La Musique des couleurs et les musiques de l’avenir331), un autre dans la recherche psychique332 (collaborateur de la Revue de l’hypnotisme expérimental et thérapeutique). Membre de la Société d’hypnologie et de psychologie, on lui doit notamment une contribution « à propos C’est la musicalisation de la peinture moderne qui va conditionner son tournant suggestif, dès lors que lui incombe « le soin non pas de décrire, mais d’émouvoir la couleur, de la douer de sensation, afin de fugitiver la vie ». de la définition de la suggestion » qui montre combien il est informé des débats cliniques du moment333. Magnin, dans son ouvrage sur L’Art et l’Hypnose, cite d’ailleurs ses travaux sur les influences magnétiques334. Ces deux facettes vont converger autour de projections surfant sur l’expérimentation artistique des correspondances (la synesthésie) et l’orchestration rythmique d’un bercement audiovisuel de la conscience. Favre établit pour cela tout un système de gammes chromatiques avec hauteur, intensité et timbre, commençant par le rouge (une couleur dont la fréquence correspond aux notes sonores basses) pour culminer au violet, avec tout un ensemble de variations rendues possibles par le jeu des saturations de couleurs (une teinte claire étant considérée comme plus haute qu’une teinte sombre). Or, tout comme la réflexion menée par Diderot à partir du « ruban de couleurs » du clavecin de Castel335, ce spectre n’est qu’une métaphore de la concorde unanime entre les espèces. De La Vérité. Pensées (1889) à La Musique des couleurs (1900), Favre consacre de longs développements à « l’union des peuples », la « fraternité336 » cristallisée dans la concorde des sens : « Par son moyen, tous les peuples arrivent à posséder des éléments psychiques communs et des éléments d’entente […]. L’art établit un lien entre les hommes […]. La solidarité des produits de 199 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 199 12/09/2020 01:05 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T l’esprit humain établira la solidarité des esprits et des cœurs, manifestation de la solidarité universelle337. » La synthèse des arts vise ici toujours, comme dans le projet romantique, la concordance des sens, prodrome d’une communion mimétique des êtres. Dans l’esprit wagnérien, la salle de projection devient le lieu d’une coalescence organique de la communauté. Cette synesthésie électromagnétique sert aussi de levier pour libérer la représentation des contraintes de la mimesis, et l’on se met à croire, tel le critique de L’Art musical, qu’il « faut se faire à cette idée que, sous le régime de nos arrière-petits-neveux, les orchestres seront remplacés par des toiles coloriées, tandis que des boîtes à musique joueront des couleurs dans nos musées de peinture. Beethoven se fera admirer comme peintre, et l’on applaudira Rubens comme musicien338 ». Cela doit à terme favoriser un art purement abstrait, immatériel, flottant tel un effluve magnétique envoûtant les spectateurs, chargé d’une énergie qui galvanise les corps et les esprits pour les porter vers les sphères plus « élevées » d’un inconscient primitif, unanime. Ces spectacles anticipent sur l’utopie radicale de l’abstraction : le fantasme télépathique d’une communication émotionnelle immédiate dans le bain de la vibration pure, réalisation messianique du rêve ancestral de la lingua adamica, ouverte aux dimensions cosmiques de l’univers à l’ère des technologies de la télégraphie sans fil. Le développement historique des procédés de Color Music (Louis Favre, Bainbridge Bishop, Alexander Wallace Rimington, vers 1885-1895339) s’inscrit dans ce contexte culturel mêlant étroitement médiation technologique, électrification des consciences et culture hypnotique de l’inconscient340. Les projections de couleurs pures, précédant d’une décennie l’apparition des premières toiles abstraites (1912), plongent le spectateur dans un vertige pour le mettre en communication directe avec la réalité biologique de l’inconscient collectif – ce que Gustave Le Bon, dans sa Psychologie des foules (1895), appelle la « prédominante de la vie médullaire341 », une vie infraconceptuelle, supra-individuelle, communielle. UN DEVENIR MAGNÉTIQUE LES FUTURISTES, VERSION MENTALISTE Cette esthétique panpsychique trouve une reconduction frappante dans les mouvances futuristes d’avantguerre, qui ambitionnent plus que jamais d’« objectiver le subjectif », dans des œuvres dont le rayonnement vibratoire ne demande qu’à pouvoir agir sur le réel. La transcription optique des phénomènes psychiques donnant à voir l’activité des effluves vibratoires qui supportent la relation d’influence d’un sujet sur l’autre342 est certes contestée343, mais la victoire affichée du camp de la suggestion (Bernheim) contre les dérives d’une hystérie fabriquée (Charcot) donne armes et arguments aux nombreux partisans d’une « théorie de la volonté » que le passage du siècle voyait comme la solution aux défaites décadentistes de la mentalité fin de siècle. Personne ne sait à quel point les avant-gardes européennes, obsédées par l’esprit vitaliste d’une « régénération », ont été nourries par les lectures des traités « mentalistes », impor- tés des courants américains de la Christian Science, qui s’empressait de convertir les « théories de la suggestion » en manuel de réussite personnelle et collective. Le débat français opposant Charcot et Bernheim a eu de larges répercussions en Italie344, mobilisant de nombreux médecins rattachés aux écoles de psychiatrie (Augusto Tamburini, Giuseppe Seppilli, Enrico Morselli ou Cesare Lombroso…), intéressés de près aux hypothèses soulevées par l’hypnotisme de laboratoire. Il s’agit là, comme en France, de présenter l’hypnose sous un nouveau jour plus rationnel et scientifique. Il s’agit de l’inscrire dans une filiation proprement positiviste, ainsi que le fait Seppilli dès 1880345, dans une histoire abrégée du magnétisme animal, passée au crible des trois stades relevés par Comte qui conduirait, après une dérive mystique de l’hypothèse fluidique de Mesmer, à revenir vers des approches neurophysiologiques beaucoup plus rationnelles, rivées sur les réactivités idéomotrices, circulatoires et respiratoires, suivant les standards de la méthode expérimentale. Parmi la diversité de ces travaux, des études sur le phénomène de « transposition des sens » sont menées par Lombroso et Morselli. Ils reviennent sur une nouvelle cartographie de la sensibilité, avec des jeux de conversion qui intéresseront directement les artistes futuristes friands d’analogies et de totalité. En particulier l’idée d’une conversion tactile des approches phénoménales de l’espace, interprétée ici comme une modalité archaïque ou atavique, enfouie dans la conscience mais justement revivifiée dans la plongée hypnotique dans la « subconscience ». Lombroso, auteur lu attentivement par les jeunes futuristes, s’intéresse de près à la question d’une augmentation de l’activité cérébrale en état d’hypnose. Il s’attarde notamment sur le concept d’« hyperaemia » (une augmentation de la circulation sanguine dans le cortex cérébral, pendant la phase d’induction hypnotique), ce qui semble cautionner l’idée d’une hyperactivité, et non pas de léthargie, sous hypnose. Morselli se penche pour sa part sur les phénomènes d’hyperesthésie et de « suggestion hallucinatoire346 ». Il s’attarde sur le phénomène d’hyperesthésie tactile347 » (cela aura un impact évident sur les expériences du « tactilisme » marinettien) et les modes d’articulation entre sensation et mouvement (Estesia/Ergasia348), qui vont pour partie inspirer la théorie futuriste des « lignes-forces ». Dans son chapitre sur la perception en mode hypnotique, Morselli parle d’« iperpercettibilità349 » et consacre plusieurs paragraphes à la question de l’hallucination, pas seulement visuelle, mais aussi auditive ou tactile (ce qu’il appelle une « obbiettivazione dell’allucinazione »). Il prend soin de distinguer entre hallucination positive et négative, ce qu’il range dans la catégorie plus générale d’« influence excitatrice350 » avec une attention accordée à l’exaltation des sentiments (esaltazione del tono sentimentale351) par une faculté plus agile d’associations en état de « cérébration inconsciente352 ». C’est dans ce tournant d’une biologie de l’art ouvertement nietzschéenne qu’intervient l’influence décisive des théories de la suggestion sur l’ethos utopique du futurisme, qui prend au pied de la lettre le principe stratégique de Bernheim et de ses dis- 200 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 200 12/09/2020 01:05 1870-1920 ciples de l’école de Nancy, à savoir « l’idéodynamisme », ou la conversion directe de l’idée en acte. L’art a vocation à intervenir sur le cours des choses, la force de suggestion en sera la cheville ouvrière. Cette expansion spatiale et souveraine de la psyché prend chez les futuristes italiens une tout autre ambition conquérante et dominatrice que dans un mouvement symboliste aux airs plus introvertis. Car cet attrait générationnel pour la « force de volonté » (portée chez les futuristes par un culte nietzschéen du surhomme) va trouver au début du XXe siècle un renfort stratégique dans la diffusion internationale des thèses du mouvement américain de la New Thought353. Sa devise, « Thoughts are Things » (« les pensées sont des choses ») circule dans les ouvrages à succès de Prentice Mulford : « Dans la chimie des temps futurs, on reconnaîtra que la pensée est une substance tout aussi bien que les acides, les oxydes et tous les autres corps chimiques actuels. Il n’y a pas de lacune entre ce que nous nommons l’esprit et la matière. L’un et l’autre sont substantiels […]. Notre pensée invisible et irrévélée émane incessamment de nous en tant qu’élément et force, aussi réelle que le flot de l’eau que nous voyons, que le courant électrique que nous ne voyons pas. Elle se combine avec la pensée des autres, et il en résulte un produit nouveau, exactement comme en chimie la combinaison des corps produit des substances nouvelles354. » Et Mulford, non sans lyrisme, de décrire cette circulation des pensées en des termes hautement visuels qui anticipent directement les féeries chromatiques des futuristes et des pionniers de l’abstraction : « Si vous pouviez traverser le courant des pensées obscures et matérielles qui vous environne de toute part, vous vous trouveriez dans une contrée splendide où luit un soleil sans nuées, où s’épanouissent des fleurs radieuses, paysage sublime et féerique355. » À quoi il serait utile d’ajouter l’influence des travaux transcendantalistes de Wallace, l’auteur d’un ouvrage vantant les vertus de la volonté sur le « pouvoir créatif » (The World of Life. A Manifestation of Creative Power, Directive Mind and Ultimate Purpose, Londres, 1910), avec ce goût prononcé pour la domination prométhéenne sur le réel, plutôt en accord avec ce que le philosophe Benedetto Croce, un mentor de l’esthétique du passage du siècle, avait tendance à considérer comme un « spiritualisme sensualiste ». William Atkinson, codirecteur du New Thought Magazine, est un des principaux relais de ce courant mentaliste en Europe, grâce à de nombreux petits traités comme La Force-Pensée : « Les pensées sont des choses. Elles se comportent comme telles, elles en ont l’action mécanique et la puissance moléculaire356. » Selon Atkinson, c’est l’œil (en particulier le regard magnétique) qui sera le meilleur transmetteur des vibrations mentales ; c’est lui qui « communique aux autres les vibrations de la pensée et le fluide vital dont le cerveau est comme le réservoir357 ». Il développe pour cela une théorie de la « volation télépsychique », soit l’art de bien diriger les vibrations de sa puissance de volonté, en se concentrant sur la personne que l’on imagine située à l’extrémité d’un tube partant de l’œil : « Votre pensée se trouvera ainsi comme concentrée, comme ramas- sée sur une seule ligne et arrivera à leur but avec une force d’autant plus accrue358. » L’activisme éditorial du courant du « psychisme expérimental » en Europe facilite les rapprochements avec cet ethos américaniste de la toute-puissance de la volonté. De La Vie psychique au monde psychique, de La Revue de psychopotence aux Nouveaux horizons de la science et de la pensée, les publications pullulent359 ; les relais culturels aussi. L’Institut de recherches psychiques de France a décidé, en octobre 1911, de mettre en place un programme de recherches sur les « radiations d’origine psychique » et sur la « radiographie en couleurs des sentiments ». Au printemps 1913, le « Groupe fraternel de psychisme expérimental » rassemble Alexandre Mercereau, Fernand Divoire ou Jacques Nayral, tous proches des cercles cubistes français360. L’éditeur Figuière, dont le peintre cubiste Albert Gleizes réalise le portrait, est l’auteur d’un « bréviaire de la volonté361 ». Fernand Divoire, adepte des thèses de Prentice Mulford362, a publié un roman intitulé Cérébraux dans lequel il met en scène les peintres de la nouvelle génération, les « artistes cérébraux […] imagiers à idées363 ». Quant à Guillaume Cette expansion spatiale et souveraine de la psyché prend chez les futuristes italiens une tout autre ambition conquérante et dominatrice que dans un mouvement symboliste aux airs plus introvertis. Apollinaire, il est un lecteur assidu de la revue Light, le bulletin officiel du courant de la New Thought américaine364. Les futuristes italiens vont être encore plus zélés, adhérant avec beaucoup plus de conviction à ces approches physicalistes de l’influence et de la fascination qu’ils considèrent, en adeptes du « transformisme philosophique », comme autant de facteurs susceptibles à terme de transformer l’espèce humaine. Marinetti, le mentor du futurisme, n’est pas en reste. L’hymne à « l’homme démultiplié » qu’il livre en mai 1910 à la face des avant-gardes est un plaidoyer mentaliste : « Nous croyons à la possibilité d’un nombre incalculable de transformations humaines, et nous déclarons sans sourire que des ailes dorment dans la chair de l’homme. Le jour où il sera possible à l’homme d’extérioriser sa volonté de sorte qu’elle se prolonge hors de lui comme un immense bras invisible, le Rêve et le Désir, qui sont aujourd’hui de vains mots, régneront souverainement sur l’espace et sur le temps, domptés […]. Il est facile d’évaluer ces différentes hypothèses apparemment paradoxales en étudiant les phénomènes de volonté extériorisée365. » 201 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 201 12/09/2020 01:05 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T Dans un article publié en 1907 dans la revue Leonardo, fondée par Papini et Prezzolini, à propos de l’esprit de régénération en Italie, Giovanni Papini évoque la création d’une section italienne de la Christian Science à Florence366, armée au même moment par l’ouverture de la Biblioteca Filosofica di Firenze, qui accueille de nombreux ouvrages, plus de cinq mille recensés en 1908, dont plusieurs opuscules édités par la mouvance de la New Thought. Cette influence revient dans les colonnes de la revue Leonardo367, notamment dans les écrits du psychologue Roberto Grego Assagioli, défenseur d’une méthode appelée « psicosintesi » dans laquelle se reconnaît facilement l’influence des méthodes d’autosuggestion façon « méthode Coué ». On le retrouve dans l’ouvrage de Papini, Volontà di credere, ainsi que dans de nombreux articles où se déploie la rhétorique des manifestes futuristes : « À travers la “volonté de croire”, j’ai tendu vers la « volonté de faire » – à la possibilité de faire. Si la volonté pouvait étendre son cercle de commandement du corps aux choses qui l’entourent – et faire de l’univers tout entier son corps, obéissant dans toutes ses parties à un ordre qui lui est propre, car ces quelques faisceaux de muscles sont maintenant obéissants368. » Gian Falco dans les colonnes de Leonardo, ne dit pas autre chose : « Il s’agit d’éduquer, de réaliser, d’intensifier ce côté dominant de la volonté […]. Parce que nous savons que la puissance de la volonté se manifeste non seulement par l’attention et le choix, mais par d’autres formes plus obscures et merveilleuses […]. Elle sait que la suggestion hypnotique et la suggestion de soi peuvent faire apparaître des phénomènes qui ne sont pas réels aux spectateurs369. » tive » ? Un exercice de développement mental personnel, proche des méthodes de yoga, très inspirantes pour les milieux de la New Thought, associées aux techniques de suggestion venues de Bernheim, auxquelles les frères Corradini ont eu accès par celui qui en diffuse la pensée en Italie, le psychologue romain Giulio Belfiore375 – comme semble l’indiquer un cahier manuscrit daté de 1907 et intitulé Hypnotisme et Magnétisme. Thérapeutique suggestive (Ipnotismo e Magnetismo. Terapeutica suggestiva376). De ce croisement entre mentalisme et techniques d’autosuggestion va naître une modélisation vibratoire de l’expérience esthétique : « La pensée et le sentiment humain sont des vibrations, lesquelles ne peuvent certainement pas être délimitées par notre corps physique. Il est cependant évident et vérifiable qu’elles sont semblables à une force, telle que l’électricité ou l’onde hertzienne, qui se propage indéfiniment à travers l’éther. Les formes vivantes créées par cette force vibratoire sont l’essence de nos frémissements de haine, d’amour, de luxure, de mysticisme, de peur, de courage, d’abnégation, de sacrifice, etc. Je peins ainsi non pas les attitudes d’un être humain, tordu par la douleur, mais la vibration de son âme douloureuse ou la douleur elle-même377. » Quels enseignements retirent-ils de ces traités ? Non pas la résignation dans une vie psychique réduite à un plan matériel sédimenté dans les choses, mais sous une forme autrement plus vitaliste, la possibilité pour la volonté de se manifester elle-même physiquement, en substance378. Les futuristes découvrent dans les thèses mentalistes une hypervalorisation de l’« énergie psychique » sur laquelle va pouvoir reposer la divinisation du surhomme futuriste, « Uomo-Dio », génie dominateur à la puissance magnétique irrésistible379, jusqu’à tenter de maîtriser la « plasticité » autoréalisatrice du sujet, en s’appuyant sur ce qu’Atkinson380 appelle l’« art de maintenir ou de créer la force vitale381 » grâce au « développement de nouvelles cellules cérébrales » : « MUSIQUE CHROMATIQUE » L’EMPRISE VISUELLE DES PROJECTIONS Parmi les exemples les plus frappants de cette circulation, le cas des frères Arnaldo et Bruno Ginanni Corradini, connus en futurisme sous leurs pseudonymes Ginna et Corra. Dans « Proposte » (1910)370, Bruno Corradini reprend un extrait du Poem of Thought de Victor Segno, l’un des principaux représentants du courant mentaliste371. Quant à son manifeste A.B.C. metodo (1910), vade-mecum du nouvel art, il est truffé de citations cryptées aux ouvrages d’Atkinson, mais aussi de Jules Fiaux, piochées dans Comment réussir sa vie ? (1908) ou la Néosophie (1909), dans lesquels il découvre une véritable théorie « plastique » de l’imagination créatrice372. De là, le duo des frères va élaborer une théorie du « pouvoir suggestif373 » : « Tout dans ce monde est suggestion, toutes les causes de nos pensées et de nos sentiments ne sont données que par des suggestions maléfiques ou bénéfiques. Les suggestions sont perçues par les sens ; l’ouïe, la vue, l’odorat, le toucher et le goût […]. L’un des plus grands avantages de la suggestion est la Thérapeutique-Suggestive374. » Que faut-il entendre par une « thérapeutique-sugges- A A. Illustration de Ginna Corradini pour Sam Dunn e morto. Romanzo futurista, de Bruno Corra, 1917. B. Umberto Boccioni, Idole moderne, 1911, huile sur toile, 60 x 58 cm, Estorick Collection, Londres. 202 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 202 12/09/2020 01:05 1870-1920 B « La nouvelle psychologie […] nous dit que nos cellules cérébrales peuvent se développer à notre gré, suivant les lignes désirées […]. En un mot, l’être humain peut se reconstruire lui-même à tous les instants et changer entièrement de nature. Cela n’est pas une chimère, ni une vaine théorie mais un fait positif382 ». C’est là une conception radicalement « transformiste » de l’évolution cognitive de l’espèce humaine : « Le cerveau est un instrument pour la réception et la transmission de la pensée-vibrations d’intelligence. Il a son code de vibrations qui correspondent avec toutes les lumières, les couleurs et les sons de l’univers. Tous les cerveaux emploient et reconnaissent le même code, quelle que soit la langue que l’on parle […]. Le code mental d’une intelligence étant le même que celui de toutes les autres, quand une pensée s’énonce, elle fait vibrer les mêmes fils dans quelque autre cerveau et cette personne reconnaît immédiatement la pensée, et à quoi elle se rapporte. Puisque chaque couleur, lumière et son, représente un nombre spécifique de vibrations, quand nous contemplons une scène, elle produit dans notre cerveau une variété de vibrations, suivant ses lumières, ses ombres, et ses couleurs, et nous sommes à même de voir le tableau383. » 203 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 203 12/09/2020 01:05 A HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 204 12/09/2020 01:05 1870-1920 Dans leur projet de Musique chromatique (1912), les frères Corradini vont traduire cette « force vibratoire » en projections chromo-lumineuses : « Nous préparâmes sept lampes colorées avec les couleurs du spectre, montées sur un support mobile qui pouvait se déplacer dans toute la pièce. En allumant telle ou telle lampe, selon les cas, tandis que la symphonie se déroulait sur l’écran, nous aurions dû créer, dans la salle, des atmosphères successives de couleurs qui, étant en accord avec le ton général des thèmes se déroulant au fur et à mesure sur l’écran, introduiraient en quelque sorte le spectateur dans l’intimité de la sensation384. » L’objectif visé est une immersion panoptique du spectateur dans une salle de théâtre dont non seulement les murs mais le mobilier et les accessoires décoratifs auraient été préalablement peints en blanc, avec, pour pousser le mécanisme empathique d’une fusion objet/ sujet, l’idée d’inviter le public à « porter un habit blanc » : « Nous expérimentâmes successivement, pour écran, une simple toile blanche, une toile blanche enduite de glycérine, une surface d’étain, une toile enduite d’un mélange qui, par réflexion, donnait une sorte de phosphorescence, un volume à peu près cubique de gaze extrêmement légère dans lequel le rayon lumineux pouvait pénétrer et qui aurait dû donner à peu près l’effet d’un nuage de fumée blanche. Enfin on revint à l’écran en toile qui fut appliqué directement sur un mur, on enleva tous les meubles, on recouvrit toute la pièce de blanc, murs, plafond, plancher et on s’habilla durant les essais de peignoirs blancs (à propos : quand la musique chromatique se sera imposée, grâce à nous ou à d’autres, il y aura sans aucun doute une mode de la couleur qui exigera du public élégant de porter un habit blanc pour aller au théâtre de la couleur. Les tailleurs peuvent dès maintenant commencer à s’en occuper)385. » Se comprend mieux sous cet angle, le projet d’une « musique chromatique » défendu par les frères Corradini (1912). Il ne s’inscrit pas seulement en continuité de la vogue symboliste des « orgues de couleur » mais propose une authentique cinématographie des états d’âme. Dans leur manifeste « Art de l’avenir » (1910), ils annoncent déjà la naissance d’un « drame chromatique » (« Drame chromatique = traduction en couleurs d’un système de passions concrétisées dans un système d’images386 »), s’appuyant visuellement sur la technique de « l’accord-image » (« une passion, un système de passions représentées par des couleurs qui sont disposées de façon à donner naissance à l’image387 »). Leurs tentatives de premiers films abstraits sont ainsi au-delà de la traduction visuelle du son et de la filière musicaliste des débuts de l’abstraction388, de véritables adaptations filmiques des états de la volonté créative rythmées par des pulsations de couleurs, des estompages de nuances et de teintes, qu’il est possible d’interpréter comme une projection des états psychiques vécus par le créateur en pleine gestation de son œuvre. Ces paragraphismes sont la manifestation visible de ce que Victor Segno appelait le « code mental », une traduction vibratoire de la pensée, en prise directe avec les couches les plus enfouies de la conscience. Un projet similaire se retrouve dans les tentatives de projections chromolumineuses des Américains Morgan Russell et Stanton Macdonald-Wright, réunis sous le label de « synchromisme ». Dans Modern Painting, dont l’introduction est écrite à Paris avant la guerre, le critique Willard Huntington Wright, frère de Stanton, souligne le pouvoir enivrant de la « couleur-rythme » : « La peinture moderne tend à s’approcher de cette extase émotionnelle389 ». Dès 1912, les synchromistes tentent de mettre en place un mécanisme d’animation musicaliste de la couleur au moyen de projections lumineuses. Le Lighting Art est présenté comme le développement inéluctable du premier saut qualitatif qu’est l’art informel abstrait (formless paintings)390. L’objectif à terme est une animation cinématographique de la peinture391 que seul un important support financier et logistique peut permettre. Il ne viendra pas. Mais Russell prépare déjà un premier « appareil qui, par le seul fait de réduire la luminosité de l’écran, ou des lampes », jouerait sur une animation sur écran de la couleur pure. Ce projet, plus rudimentaire que la séquence filmique, le conduit à créer une première séquence de peintures translucides sur papier qui, installées dans un caisson lumineux animé par des lampes à variateurs, produisent des jeux chromatiques pulsatifs, qui trouvent sur la scène avant-gardiste parisienne des années 1910 un ardent défenseur en la personne du critique d’art italien Ricciotto Canudo, mentor de la revue Montjoie !, à laquelle Morgan Russell collabore392. Pour Canudo393, pionnier dans la défense d’un septième art, l’œil est avide de formes lumineuses, embryonnaires, dont l’éclat hypnotique donnerait accès à ce qu’il appelle l’« oubli de la vision du monde par la sensation394 ». Pour Albert Bazaillas, l’une des sources de Canudo, l’inconscient révélé par l’induction sous hypnose fonctionne au même titre que l’expérience musicale, en deçà de la rationalité, comme un monde inchoatif en gestation, comme une forme larvaire en instance d’apparition et de disparition : « Ainsi compris, comme un monde en voie de formation sur certains points et de dissolution sur d’autres, mais tenant toujours en réserve, sous forme d’équilibre instable, des puissances incalculables, le règne inconscient paraît coïncider avec l’expérience musicale, quand celle-ci s’adresse à nos émotions pour les simplifier en les libérant des combinaisons intellectuelles et pratiques où elles sont d’ordinaire engagées395. » Et d’en conclure que l’inconscient est une « conscience embryonnaire396 », « d’où la représentation s’est retirée397 ». C’est non seulement la représentation qui se retire (Bazaillas parle de l’« irreprésenté »), mais la forme elle-même dans ce qu’elle a de défini et de définitif : c’est « le caractère essentiellement amorphe de la vie inconsciente, vague circulation d’images et de sentiments, sourde poussée A. Umberto Boccioni, Étude, encre sur papier, ca. 1910. 205 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 205 12/09/2020 01:05 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T affective bien plus voisine de la condition propre aux données biologiques que de cette logique supérieure qui préside à l’arrangement de nos idées398 ». Refoulé vers « une condition végétative irréductible à l’intellectualité399 », l’inconscient musical mû par ces peintures animées fait entrer le spectateur en communion avec son propre devenir biologique. C’est ce que le poète Blaise Cendrars semble pressentir devant les Rythmes colorés de Léopold Survage (1913)400, là encore une tentative d’animation cinématographique de la peinture abstraite, très proche des procédés de la musique chromatique des frères Corradini. Les formes en gestation décrites par Cendrars évoquent visuellement cette condition organique, mais c’est avant tout la « rythmique des couleurs » qui, par son emprise hypnotique sur le spectateur, favorise ce retour du refoulé. Parmi les notes prises par Cendrars se trouve un dossier « hypnose » dans lequel il crayonne et annote des textes sur « Charcot, Bernheim et Liébault401 ». Pour Cendrars, cherchant à comprendre la logique cognitive de cette animation de la « peinture pure », la mise en mouvement des couleurs va pouvoir inhiber les résistances de la raison et ouvrir la béance de l’inconscient : faire naître en lui ce sentiment troublant où il retrouve, simultanément, l’origine du monde et sa propre origine – ce que Lévi-Strauss va définir, plus tard, comme le tronc commun entre la musique et le mythe : des langages qui dépassent « le plan du langage articulé, tout en requérant comme lui, et à l’opposé de la peinture, une dimension temporelle pour se manifester402 ». A UNE « ABSTRACTION MESMÉRIENNE » On entre ici dans ce que Fae Brauer, s’appuyant sur le cas des peintures orphiques de Frantisek Kupka, a pu appeler un « modernisme magnétique » ou une « abstraction mesmérienne403 ». De fait, le vocabulaire déployé par Kupka (qui est familier dès sa formation en Bohême avec les techniques, yogis de méditation et de transe404) est, à l’instar des futuristes, très mentaliste, prédilection donnée à l’acte de volonté. Dans « Credo », un manuscrit resté inédit daté du 8 octobre 1913, Kupka affirme que « l’artiste fait valoir le subjectif, le comment de son discours par formes et par couleurs, et accentue son vouloir, tout de suite l’aristocratie de son procédé s’impose au respect et fait, autant, plus même, penser qu’un sujet représenté405 ». En d’autres termes, le futur « inobjectif » de la peinture puise dans la puissance « idéoplastique » de la volonté de l’artiste traduite en formes. Dans un chapitre intitulé « agents et facteurs », Kupka s’attarde sur les paramètres expressifs de l’œuvre, qu’il définit comme la projection d’une réalité intérieure : « Une œuvre peinte ou sculptée est une réalité pour soi, destinée à rendre visibles à autrui les événements qui se déroulent sur l’écran de projection tout intérieur qu’est la vision de l’artiste406. » Le langage pictural est une « traduction » dont la lisibilité (son « potentiel discursif » dit Kupka) sera fonction de « la technique et des moyens mis en œuvre » : « Le point, la ligne, le contour, tout indice de localisation dans l’espace est un énoncé délibéré, conforme à ce qui se meut dans l’esprit (ou dans l’“âme”) de l’artiste407. » Dans Localisation de mobiles graphiques, présenté au Salon d’automne de 1913, il transcrit par la ligne et la couleur, des « représentations subjectives » : « Il faut chercher et trouver les moyens de matérialiser les abstractions, de donner une consistance réelle à tous les mouvements et états de sa vie intérieure408. » Convoquant le modèle des « ondes magnétiques maniées par les hypnotiseurs », Kupka peut ainsi annoncer le futur « psychographique » de l’art : « Compte tenu du progrès qui se fait un peu partout, on serait fondé de croire à la possibilité de moyens de communication nouveaux, jusqu’à présent inconnus, disons d’une communication plus directe qui emprunterait la voie des ondes magnétiques maniées par les hypnotiseurs. L’avenir nous réserve à cet égard des surprises. On pourra s’attendre à l’invention d’une X-graphie capable de dévoiler les événements les plus subtils, actuellement invisibles ou mal éclaircis, tant du monde extérieur que de l’âme de l’artiste. En perfectionnant de plus en plus les moyens techniques dont ils disposent, peut-être les artistes réussiront-ils un jour à faire assister le spectateur à la vie si riche de leur monde subjectif sans être contraints à la besogne laborieuse que comporte aujourd’hui la confection d’une peinture ou d’une sculpture409. » A. Photographie de Frantisek Kupka dans son atelier, ca. 1900. B. Frantisek Kupka, Fantaisie physiologique, 1900, gravure reproduite dans la version tchèque de La Création dans les arts plastiques, 1923. 206 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 206 12/09/2020 01:05 B HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 207 12/09/2020 01:05 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T Kupka spécule sur une évolution accélérée de la conscience humaine au contact des nouvelles technologies de la téléprésence. Le saut qualitatif de l’abstraction est donc pensé comme une étape transitoire (celle de la disparition de la forme dans la vibration colorée), préparant une modalité plus immatérielle de communication de l’émotion par la « transmission de pensée », la « psychographie du futur » qui évincera jusqu’à la matérialité même du tableau410. L’horizon de cette révolution cognitive est certes proche, mais pour le moment réservé à quelques rares initiés dotés d’une « sensibilité supérieure ». 1912-1913, le spectre visible des couleurs qu’il convoque sur la toile est une forme incomplète d’un univers d’ondes encore insoupçonnées. Le pouvoir d’émission magnétique de ces couleurs reste très édulcoré en regard des « jouissances » intérieures, beaucoup plus intenses, du langage futur, mais le potentiel vibratoire du « contraste simultané » fait office de solution transitoire, la solution « orphique ». Les Disques de Newton ne donnent pas seulement à voir la lumière en acte, la lucem aspicere ; ils sont déjà une « extériorisation » de la « vision de l’artiste » : un foyer d’énergie Dans la Magie, science naturelle, Kandinsky retrouve le modèle d’un état somnambulique doté d’un « sens intérieur » ou « sixième sens » qui annonce le futur de l’espèce (« le somnambulisme anticipe l’homme de l’avenir »), mais aussi la perception de l’homme intérieur… autonome qui déclenche dans l’œil du spectateur un mouvement « moléculaire » venant ébranler son « polygone psychique ». D’où une réflexion poussée sur l’animation interne de la toile, induite par le mouvement d’une « sympathie motrice » – celle qu’Henri Bergson identifiait déjà dans le pouvoir d’emprise d’une œuvre d’art puisant sa force d’attraction dans sa propre évanescence matérielle : « Dans les procédés de l’art, on retrouvera sous une forme atténuée, raffinés et en quelque sorte spiritualisés, les procédés par lesquels on obtient l’état d’hypnose411. » Cette subtilisation se retrouve chez un autre peintre majeur des débuts de l’abstraction, Vassily Kandinsky, pour qui la transmission de l’émotion de la « peinture pure » passe par un transfert de vibrations412 qui peut faire l’économie de la mimesis et où le contenu symbolique de l’image cède le pas à un mode de communication plus sensible raccordant émetteur (artiste) et récepteur (spectateur). Kandinsky est familier de la littérature sur l’hypnotisme et le « néo-magnétisme413 ». Il a lu et surligné l’ouvrage d’Alexandre Aksakof, Animisme et spiritisme, dans lequel il a rencontré de nombreuses références au « rapport magnétique » qui le confortent dans l’idée d’une refonte radicale des mécanismes psychiques de la subjectivité. Pour Aksakof, « l’hypnotisme est le coin qui forcera les remparts matérialistes de la science, pour y faire pénétrer l’élément suprasensible ou métaphysique […]. Grâce aux expériences hypnotiques, la notion de la personnalité subit une complète révolution. Ce n’est plus une unité consciente, simple et permanente, comme l’affirmait la vieille école, mais une coordination psycho-physiologique […], un agrégat d’éléments psychiques414 ». S’appuyant en partie sur les travaux de Pierre Janet, Aksakof considère l’hypnotisme comme un « instrument au moyen duquel certains phénomènes d’automatisme psychologique (de dissociation des phénomènes de la conscience, ou de désagrégation mentale) peuvent être obtenus à volonté […] ; la suggestion sera l’instrument au moyen duquel la désagrégation psychique franchira les limites du corps et produira des effets physiques à volonté. Ce sera là aussi le premier pas vers la production à volonté d’un effet plastique415 ». Kandinsky a lu aussi La Magie, science naturelle, de Carl du Prel416, auteur d’une monographie sur la voyante de Prevorst et adepte d’une « psychologie transcendantale » fondée en partie sur l’hypnose. Dans la Magie, science naturelle, Kandinsky retrouve le modèle d’un état somnambulique doté d’un « sens intérieur » ou « sixième sens » qui annonce le futur de l’espèce (« le somnambulisme anticipe l’homme de l’avenir417 »), mais aussi la perception de l’homme intérieur : « Le somnambulisme nous révèle un aspect caché de la réalité, et une partie cachée de notre propre être. La réalité s’élève ici au-dessus des sens, et l’homme intérieur au-dessus de sa propre conscience418. » Kandinsky est enfin familier des expériences de Rochas sur la sensibilité sous hypnose (il détenait dans sa bibliothèque un exemplaire de Les Sentiments, la Musique et le Geste, ainsi que le volume consacré à l’Extériorisation de la sensibilité). Dans ces ouvrages, il rencontre des phénomènes de « déplacement des sens », obtenus par l’exercice de concentration mentale et d’attention (le « monoïdéisme »), dans une ambiance de recueillement et d’isolation nécessaire pour atteindre la « conscience transcendantale, derrière celle des sens ». Sous ce même angle, la Femme à Moscou, une toile de 1912, est décisive et transitoire dans le cheminement de Kandinsky vers l’abstraction. S’y trouve une curieuse cohabitation entre une vue aérienne sur une avenue de la capitale, un personnage statique isolé au premier plan, et des zones informelles plus abstraites (un nimbe rouge, une énorme tache noire flottante). La figure du premier plan retient l’attention. Il s’agit d’une jeune femme à la pose somnambulique, hiératique, ou plutôt transie dans un état cataleptique, les yeux rivés sur un au-delà du sensible qui est déjà un regard sur « la conscience de l’au-delà419 ». Son corps anesthésié est entouré d’une aura aux nuances vert émeraude, enveloppe translucide qui représente l’extériorisation de sa sensibilité420 : c’est la somnambule d’Albert de Rochas (ou la clairvoyante de Carl du Prel), avec tout autour d’elle un agrégat de motifs engrangés dans 208 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 208 12/09/2020 01:05 1870-1920 la mémoire « latente » et inconsciente du sujet, que l’on peut lire comme « cette mêlée confuse d’images conservées dans la conscience somnambulique421 ». Car de l’état d’hypnose, Kandinsky retient avant tout le phénomène hallucinatoire, en particulier dans son rapport à l’espace imaginal des représentations. C’est une leçon secondaire mais lancinante qui transpire dans les recherches expérimentales conduites à la Salpêtrière : « Il y a en germe, disent Binet et Féré, dans toute image qui se présente à l’esprit un élément hallucinatoire, lequel ne demande qu’à se développer. C’est cet élément qui se développe pendant l’hypnotisme, où il suffit de nommer au sujet un objet quelconque, de lui dire simplement “voilà un oiseau” pour que l’image suggérée par la parole de l’expérimentateur devienne aussitôt une hallucination422. » Les sujets suggestionnables ont le don propre de « visualiser » les objets, de leur donner une « image vive extériorisée423 » – ce que Binet appelle une « vivacité de la représentation424 ». Selon Johannes Eichner, tenant cette information de Gabriele Münter, la femme du peintre425, une des révélations ayant conduit Kandinsky vers l’abstraction serait la découverte des expériences de « transfert d’images » sans contact physique, effectuées par le docteur Charcot à la Salpêtrière. Binet et Féré rapportent l’expérience ; ils lui donnent le nom d’« hallucination hypnotique426 » : « On suggère à un sujet la présence d’un portrait sur un carton blanc, que l’on confond ensuite avec une douzaine de cartons tous semblables, au moins en apparence. Au réveil, on prie le sujet de parcourir cette collection de cartons ; il le fait sans comprendre pourquoi, puis, quand il aperçoit le carton sur lequel on avait placé le portrait, il y retrouve ce portrait imaginaire427. » Camille Flammarion, évoquant la même expérience, parle de « la pensée productrice d’images projetées à distance », ce qu’il appelle poétiquement la « cinématographie psychique » : « Nos pensées agissent matériellement et transportent avec elles des sortes d’effluves. Elles peuvent se marquer sur un objet, sur une feuille de papier. Un jour à la Salpêtrière, en 1889, je faisais quelques expériences avec Charcot. Il m’invita à prendre un jeu de cartons blancs, à en choisir un, à imaginer que mon portrait était dessus, et à montrer ce portrait imaginaire à la malade. Je fis ensuite au dos de ce carton une marque que l’hypnotisée ne vit pas, je battis ces cartes, et je les lui présentai sans les retourner, en la priant d’y chercher mon portrait. Elle y réussit immédiatement. Ce qui me plongea dans un assez vif étonnement428. » Cet imaginaire que Pierre Janet, assistant de Charcot à la Salpêtrière, va appeler une « optique hallucinatoire429 », est abondamment relayé dans la culture populaire, par les protocoles scéniques choisis lors d’hypnose de spectacle – ce que l’on appelle alors les attractions de « suggestion mentale » ou « télé-psychie ». Le principe d’une transmission à distance d’images mentales est exploré. L’opérateur se concentre sur une image et la projette « sans le secours des sens » dans le cerveau d’un spectateur pris pour sujet-cible. Les métaphores (télé)photographiques employées pour expliquer ce phénomène vibratoire de transmission de cerveau à cerveau, et des expériences similaires, sont menées sur les couleurs imaginaires : « On prie la malade en état de somnambulisme de regarder avec attention un carré de papier blanc, au milieu duquel on a marqué un point noir, afin d’immobiliser son regard ; en même temps, on lui suggère que ce carré de papier est coloré en rouge, ou en vert. Au bout d’un instant, on lui présente un second carré de papier, qui présente aussi au centre un point noir ; il suffit d’attirer l’attention de la malade sur ce point pour que spontanément elle s’écrie que le point est entouré d’un carré coloré ; et la couleur qu’elle indique est la complémentaire de celle qu’on a fait apparaître par suggestion430. » Plus surprenant encore, cette « hallucination hypnotique » opère sur des supports venus des ateliers de peintre. L’une des expériences menées par Binet et Féré, pour qui « la suggestion peut tout créer431 », consiste ainsi à suggérer une hallucination quelconque siégeant sur le « châssis tendu d’une toile blanche432 ». Kandinsky a pu rencontrer certaines explications de ces phénomènes dans les recherches expérimen- … une des révélations ayant conduit Kandinsky vers l’abstraction serait la découverte des expériences de « transfert d’images » sans contact physique, effectuées par le docteur Charcot à la Salpêtrière… tales d’un compatriote russe, Nicolas Kotik433, lequel considère que les phénomènes d’influence magnétique entre deux sujets s’expliquent par la circulation d’une « énergie psychophysique » qui, « une fois entrée dans le cerveau d’un autre sujet, provoque l’apparition de représentations identiques à celles qui avaient accompagné son apparition dans le cerveau du premier sujet434 ». L’auteur évoque, pour cela, l’existence d’« électrons psychophysiques » qui facilitent le transfert des « images mentales » entre les consciences. Ce paradigme de la « radioactivité » va très vite contaminer le vocabulaire esthétique, selon la logique de « traduction » analysée par Bruno Latour dans le processus de dissémination culturelle des nouveaux savoirs et techniques scientifiques435. En passant dans le discours esthétique, il draine avec lui des ressources métaphoriques pour aider à penser la logique de contamination du transfert d’émotions. Dans « La peinture en tant qu’art pur436 », un article qu’il publie en septembre 1913 dans les colonnes de la revue Der Sturm, Kandinsky présente la toile comme le support matériel d’une communication au contenu immatériel, se frayant un chemin sensible d’âme à âme. La peinture « en tant qu’art 209 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 209 12/09/2020 01:05 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T élément constructif, ordonnateur, car « cette élimination de l’élément pratique, objectif (de la nature) n’est possible que dans le cas où ce composant essentiel est remplacé par un autre, également essentiel : la forme purement artistique, qui peut conférer au tableau la puissance d’une vie indépendante et l’élever au rang du sujet spirituel. Il est clair que ce composant essentiel n’est autre que la construction. Nous rencontrons cette substitution dans la troisième période de la peinture, qui commence de nos jours : dans la peinture de composition440 ». L’abstraction telle qu’elle s’élabore progressivement dans l’œuvre d’avant-guerre de Kandinsky est pour partie redevable à une recherche expérimentale sur les liens entre imagerie mentale, hallucination hypnotique et imaginaire pictural. Et ce, à plusieurs titres. L’hallucination sous hypnose est comprise par Kandinsky comme un élément empirique de cette externalisation de la psyché qu’il vise dans la composition picturale, avec ce même degré de tangibilité compte tenu du fait que « l’objet imaginaire qui figure dans l’hallucination est perçu dans les mêmes conditions que s’il était réel441 ». A pur » vise à produire une transmission plus directe, d’esprit à esprit, sur le modèle vibratoire du résonateur psychique, où l’élément spirituel s’isole de sa dimension physique pour se développer de manière indépendante : « Aussi longtemps que l’âme est liée au corps, elle ne peut normalement entrer en vibration que par l’intermédiaire du sentiment. Celui-ci est donc le pont qui conduit de l’immatériel au matériel (l’artiste) et du matériel à l’immatériel (le spectateur)437. » Kandinsky, qui inscrit le devenir de la « peinture pure » dans une téléologie évolutionniste, distingue à cet effet le temps des « origines », marqué par le désir de « fixer l’élément corporel éphémère », le temps du « développement », où « la peinture se dégage progressivement de cette fin pratique et l’élément spirituel y domine », et la troisième période, celle du « but », où la « peinture atteint le stade plus élevé de l’art pur, où les vestiges du désir pratique sont totalement éliminés438 ». Cette peinture pure « parle d’esprit à esprit en une langue purement artistique, elle constitue un domaine d’êtres picturaux-spirituels (sujets)439 ». Il s’agira donc de remplacer l’élément objectif par un Mais il y a plus, car l’économie visuelle de ces « hallucinations hypnotiques » pose aussi le problème d’un écart heuristique entre l’objet, son apparence phénoménale et sa réalité référentielle, quand la suggestion verbale « peut transformer de mille manières [un] objet, faire d’un livre un chapeau, un chien, une personne et créer exactement les mêmes apparences sans le secours d’aucun objet442 ». En d’autres termes, les conditions spécifiques de la perception sous hypnose ouvrent l’hypothèse d’une distorsion du lien ombilical maintenu entre l’objet perçu et la réalité suggérée et, par là même, posent le doute sur la valeur « objective » des réalités perçues et la validité de la mimesis. À terme, cette « optique hallucinatoire » devient l’agent d’une défaite du mimétisme, en ce qu’elle draine avec elle tout un pouvoir psychique de dissolution des images du réel – ce qui se retrouve dans le phénomène de la « grande hallucination négative443 » où, selon Bernheim, « la suggestion peut supprimer directement une perception, des objets présents ». Bernheim parle de neutralisation de la perception, voire de « cécité psychique444 », que relaient de nombreuses expériences sur la vision (et ses paralysies) sous induction hypnotique, des expériences consacrées au pouvoir d’une simple suggestion verbale à faire disparaître de la vue du sujet hypnotisé un élément-cible445. Les descriptions qui en sont faites ne sont pas neutres, tant elles déploient chaque fois un mouvement d’évanescence matérielle de l’objet au profit d’une physique plus impondérable des vibrations très familières au projet de la peinture abstraite dans son versant chromo-luministe ; commentant le processus de « l’hallucination négative », un effet supprime les « objets réels en y substituant l’image du vide, ou en remplaçant l’individu supprimé par une image diaphane et vaporeuse446 ». « L’image subjective projetée » l’emporte jusqu’à dissoudre le réel lui-même, ce que Ferdinand Gombault, dans L’Avenir de l’hypnose, appellera une « abstraction d’un ordre nouveau447 ». 210 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 210 12/09/2020 01:05 1870-1920 B A. La somnambule, vaudeville d’Eugène Scribe et Germain Delavigne : costume de Louise Perrin (Cécile), 1819, eau-forte, 23 x 14,5 cm, Bibliothèque nationale de France. B. Vassily Kandinsky, Dame in Moskau, 1912, huile et gouache sur toile, 109,5 x 109,3 cm, Munich, Städtische Galerie im Lenbachhaus. 211 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 211 12/09/2020 01:05 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T NOTES 1. Léon Daudet, Les Morticoles, Paris, Fasquelle, 1956 [1894], p. 152. 2. P. Rousseau, « L’au-delà de l’amour. Charles Henry et le panpsychisme de l’esthétique scientifique », dans Jacqueline Lichtenstein, Carole Maigné et Arnauld Pierre (éd.), Vers la science de l’art. L’esthétique scientifique en France (1857-1937), Paris, PUPS, 2013, p. 163-171. 3. Georges Didi-Huberman, Invention de l’hystérie. Charcot et l’Iconographie photographique de la Salpêtrière, Paris, Macula, 1982, p. 36. 4. Ibidem, p. 26. 5. Jonathan W. Marshall, Performing Neurology. The Dramaturgy of Dr. Jean-Martin Charcot, New York, Palgrave Macmillan, 2016. 6. Rae Beth Gordon, De Charcot à Charlot. Mises en scène du corps pathologique, Rennes, PUR, 2013 [2001]. 7. Le Figaro, 30 mai 1887, p. 1. 8. Louis Moutin, Le Nouvel Hypnotisme, Paris, Perrin et Cie, 1888. 9.Ibidem, p. 145 et 146. 10.Julien Bogousslavsky, Olivier Walusinski et Denis Veyrunes, « Crime, Hysteria and Belle Époque Hypnotism : The Path Traced by Jean-Martin Charcot and Georges Gilles de la Tourette », European Neurology, vol. 62, 2009, p. 193-199. 11.Jacqueline Carroy, Hypnose, suggestion et psychologie. L’invention de sujets, Paris, PUF, 1991. 12.Sigmund Freud, Résultats, idées, problèmes, 1890-1920, Paris, PUF, 1984, p. 62. 13. Henri Meige, Charcot artiste, Paris, Masson, 1925, p. 12. 14. Joseph Delboeuf, « Une visite à la Salpêtrière », Revue de Belgique, n° 54, 1886, p. 122-123, cité par Bertrand Marquer, Les Romans de la Salpêtrière. Réception d’une scénographie clinique. Jean-Martin Charcot dans l’imaginaire fin-de-siècle, Paris, Droz, 2008, p. 145. 15. G. Didi-Huberman, Invention de l’hystérie, op. cit., p. 30. 16. L. Daudet, Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux, Paris, Nouvelle librairie nationale, tome I, 1920, p. 428. 17. Marcel Gauchet, Gladys Swain, Le Vrai Charcot. Les chemins imprévus de l’inconscient, Paris, Calmann-Lévy, 1997. 18. Anne Harrington, « Metals and Magnets in Medecine : Hysteria, Hypnosis and Medical Culture in Fin-de-Siècle Paris », dans Psychological Medecine, vol. 18, n° 1, 1988, p. 21-38. 19. J.-M. Charcot, Œuvres complètes, tome IX, Paris, Delahaye et Lecrosnier, 1890, p. 285-286. 20. « M. Charcot a fait installer dans son laboratoire un diapason monstre qui donne des vibrations intenses, profondes : il suffit de placer la malade sur la caisse vibrante pour qu’au second ou troisième coup imprimé au diapason, elle tombe en catalepsie. » Dr A. Cartaz, « Du somnambulisme et du magnétisme. À propos du cours du Dr Charcot à la Salpêtrière », La Nature, n° 294, 18 janvier 1879, p. 105. 21. Octave Mirbeau utilise ce même trope de la « scène » théâtrale dans sa description des séances de la Salpêtrière : « Vous connaissez la scène ; elle a déjà été peinte cent fois. Tout à coup chez la malade, la vue s’altère, l’œil prend une expression d’angoisse. Les membres se contractent en tous sens. Puis ce sont les grands mouvements, des soubresauts brusques qui courbent le corps en arc de cercle […]. Enfin, c’est l’abattement, l’épuisement, la profonde mélancolie. Et c’est tout, la pièce est jouée. » La Névrose au village, L’événement, 29 mars 1885, p. 1. 22. Ignotus (alias Félix Platel), « Cabotinage », Le Figaro, 18 avril 1883, p. 1. 23. O. Mirbeau, « Le siècle de Charcot », L’Événement, 29 mai 1885, repris dans Annales littéraires de l’université de Besançon, n° 555, 1995, p. 125. 24. James Kennaway, « Musical Hypnosis : Sound and Selfhood from Mesmerism to Brainwashing », Social History of Medecine, vol. 25, n° 2, 2011, p. 271-289. 25. Friedrich Nietzsche, Le Cas Wagner. 26. Ibidem. Au passage, on remarquera que l’argument du « cabotinage » déployé par le chroniqueur pour comparer Wagner et Charcot a été directement emprunté à Nietzsche, pour qui « l’évolution générale de l’art, dans le sens du cabotinage, est une manifestation de la dégénérescence physiologique (plus exactement une forme de l’hystérie), tout aussi bien que chacune des corruptions et des infirmités de l’art inauguré par Wagner. » 27. Max Nordau, « Le culte de Richard Wagner », dans Dégénérescence, traduit de l’allemand par Auguste Dietrich, Paris, Félix Alcan, 1894 [1892], p. 305. 28. Ibidem, p. 311. 29. P. Rousseau, « Confusion des sens. Le débat évolutionniste sur la synesthésie dans les débuts de l’abstraction en France », Cahiers du musée national d’Art moderne, n° 74, hiver 2000, p. 3-33. 30. M. Nordau, Dégénérescence, op. cit., p. 375. 31. J. Claretie, Les Amours d’un interne, Paris, Dentu, 1881, p. 87. 32. Ibidem, p. 177-178. 33. Paul Delvaux, 1973, cité dans George Banu, « Un théâtre de squelette », dans Olivier Cousinou et Laura Neve (éd.), Paul Delvaux : le rêveur éveillé, Marseille, musée Cantini, 2014, p. 59. 34. G. Didi-Huberman, Invention de l’hystérie, op. cit., p. 198. 35. O. Mirbeau, « Le siècle de Charcot », art. cit., p 124. 36. J. Claretie, Les Amours d’un interne, op. cit., p. 312. 37. Bertrand Marquer, Les Romans de la Salpêtrière, op. cit., p. 119. 38. G. Didi-Huberman, Invention de l’hystérie, op. cit., p. 59. 39. B. Marquer, Les Romans de la Salpêtrière, op. cit., p. 112. 40. J.-M. Charcot, « À propos de six cas d’hystérie chez l’homme », Le Progrès médical, 6 juin 1885, p. 455, cité par B. Marquer dans ibidem, p. 118. 41. B. Marquer, ibid., p. 119. 42. M. Dottin-Orsini, « Hystérie, peinture, écriture : l’Iconographie de la Salpêtrière », Littérature et médecine, n° 55, 2000, p. 315. 43. Georges Didi-Huberman, « Charcot, l’histoire et l’art. Imitation de la croix et démon de l’imitation », dans J.-M. Charcot et P. Richer, Les Démoniaques dans l’art, suivi de la Foi qui guérit, édition établie par P. Fédida et G. DidiHuberman, Paris, Macula, 1984 [1887 et 1892], p. 160. 44. P. Richer, Études sur la grande hystérie ou hystéroépilepsie, Paris, Delahaye & Lecrosnier, 1885 [1881], p. 914. 45. J.-M. Charcot, « Manuscrit dit des Projections », Fonds Charcot, bibliothèque universitaire Pierre et Marie Curie, BUPMC, hôpital de la Salpêtrière, première page reproduite dans Catherine Bouchara, Charcot, une vie avec l’image, Paris, Philippe Rey, 2013, p. 111. 46. G. Didi-Huberman, Invention de l’hystérie, op. cit., p. 228. 47. Juan Rigoli, Lire le délire. Aliénisme, rhétorique et littérature en France au XIXe siècle, Paris, Fayard, 2001. 48. Fernand Levillain, « Charcot et l’école de la Salpêtrière », Revue encyclopédique, n° 4, 1894, p. 115. 49. B. Marquer, « Charcot et Rubens : l’art de la clinique », dans Paolo Tortonese (éd.), Image et pathologie au XIXe siècle, Cahiers de littérature française, vol. VI, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 93-113. 50. P. Richer, Études sur la grande hystérie ou hystéroépilepsie, op. cit., p. 937. 51. G. Didi-Huberman, « Quand le corps dit non. Esthétique et expérimentation chez Charcot », dans Quentin Deluermoz, Christian Ingrao, Hervé Mazurel et Clémentine Vidal-Naquet (éd.), Corps au paroxysme. Sensibilités, histoire, critique et sciences sociales, Paris, Anamosa, 2017, p. 54-55. 52. É. Littré, « Un fragment de médecine rétrospective », Philosophie positive, Paris, 1869, p. 103-120, cité dans B. Marquer, Les Romans de la Salpêtrière, op. cit., p. 66. 53. J.-M. Charcot et P. Richer, Les Démoniaques dans l’art, op. cit., p. 56. 54. Georges Didi-Huberman, « Charcot, l’histoire et l’art. Imitation de la croix et démon de l’imitation », art. cit., p. 126. 55. G. Didi-Huberman, « Quand le corps dit non. Esthétique et expérimentation chez Charcot », art. cit., p. 55. 56. Joseph Delboeuf, « Une visite à la Salpêtrière », Revue de Belgique, n° 54, 1886, p. 124. 57. J.-M. Charcot, P. Richer, Les Démoniaques dans l’art, cité par B. Marquer, Les Romans de la Salpêtrière, op. cit., p. 129. 58. Georges de Dubor, « L’art en hypnose », Les Mystères de l’hypnose, Paris, Perrin, 1920, p. 111. 59. Dr Paul Joire, Traité de l’hypnotisme expérimental et thérapeutique, Paris, Vigot, 1908, p. 375. 60. Ibidem, p. 381. 61. Ibid., p. 384. 62. Ibid., p. 385. 63. Albert de Rochas, Les États superficiels de l’hypnose, Paris, Chamuel, 1893. 64. Daniel Pick, Svengali’s Web. The Alien Enchanter in Modern Culture, New Haven, Yale University Press, 2000. 65. A. de Rochas, Les Sentiments, la Musique et le Geste, Grenoble, Librairie Dauphinoise, 1900, p. 225-226. 66. Ibidem, p. 202. 67. Dr Foveau de Courmelles, L’Hypnotisme, Paris, Hachette, 1890, p. 104, cité par Arnauld Pierre, « Extases musicales et prise du regard. Mucha et la culture de l’hypnose », dans le catalogue Alfons Mucha, Paris, Somogy, 2009, p. 26. 68. Ibidem p. 210. 69. Céline Frigau Manning, « Musica e ipnosi nella parigi fin-de-siècle. Le estasi musicali di due “artiste inconsce”, Lina de Ferkel e Magdeleine G. », Medicina nei Secoli Arte e Scienza, vol. 31, n° 1, 2019, p. 93-110. 70. Céline Eidenbenz, « L’hypnose au Parthénon. Les photographies de Magdeleine G. par Fred Boissonnas », Études photographiques, n° 28, novembre 2011, p. 200-237. 71. Émile Magnin, L’art et l’hypnose. Interprétation plastique d’oeuvres littéraires et musicales, Genève, Atar, 1907, p. 2-3. 72. T. Flournoy, « Préface », dans É. Magnin, L’Art et l’hypnose, op. cit., p. XIII-XIV. 73. Albert von Schrenck-Notzing, Die Traumtänzerin Magdeleine G. Eine psychologische Studie über Hypnose und dramatische Kunst, Stuttgart, Ferdinand Enke, 1904. 74. « Entre la possibilité théorique de faire une chose et sa réalisation pratique, il y a un pas, quelquefois un très grand pas. L’hypnose permet de le franchir, son action principale est en effet de supprimer ces inhibitions, si développées chez les êtres civilisés que nous sommes. » Dr Clarapède, « Le Geste dans l’hypnose », Journal de Genève, 12 mai 1904, cité dans É. Magnin, L’Art et l’Hypnose, op. cit., p. 177. 75. É. Magnin, L’Art et l’Hypnose, op. cit., p. 178-179. 76. Ibidem, p. 122. 77. Ibid., p. 127. 78. Ibid., p. 193. 79. Ibid., p. 199. 80. Lettre de Joseph Ascoli à É. Magnin, 4 mai 1904, reprise dans ibid., p. 395. 81. Henri Carbonnelle, « Une séance d’hypnotisme chez Rodin », Gil Blas, 27 novembre 1903, repris dans Ibid., p. 323-324. 82. Émile Beer, « Magdeleine chez Rodin », Le Figaro, 27 novembre 1903, repris dans Ibid., p. 330. 83. « Nouveau Pygmalion, l’hypnotiseur anime Galatée, et le marbre vivant devient un être impulsif et actif ». Foveau de Courmelles, L’Hypnotisme, op. cit., p. 91. 84. A. von Schrenck-Notzing, Die Traumtânzerin, op. cit., p. 164. 85. « Pourquoi ces rythmes étranges, orientaux, ces attitudes pareilles à la Salomé de Gustave Moreau ? » Lettre d’Ernest Bloch à Émile Magnin, reprise dans Émile Magnin, L’Art et l’Hypnose, op. cit., p. 387. 86. É. Magnin, L’Art et l’Hypnose, op. cit., p. 374. 87. « Je regrette d’y renoncer momentanément, d’autant plus que ces manifestations de mouvements que vous avez soumis à mon examen sont tout à fait intéressantes, au point de vue de l’Art. » Réponse du peintre Gérôme à Magnin, reproduite dans ibid., p. 394. 88. Don LaCoss, « Our Lady of Darkness : decadent arts and the magnetic sleep of Magdeleine G », dans Anne Stiles (éd.), Neurology and Literature, 1860-1920, New York, Palgrave Macmillan, 2007, p. 52-76. 89. É. Magnin, L’Art et l’Hypnose, op. cit., p. 217. 90. « Ce n’est qu’avec des sujets s’identifiant entièrement avec le rôle qu’on leur suggère, que ces recherches peuvent être d’utilité. Mais, même chez ces sujets qui vont jusqu’à l’identification absolue, on est en droit de se demander où les effets de l’hétéro-suggestion, devenue auto-suggestion, s’arrêtent. » Ibidem, p. 261. 91. Voir Corinna Treitel, « The Creative Unconscious », dans A Science for the Soul. Occultism and the Genesis of German Modern, Baltimore, The John Hopkins University Press, 2004, p. 108-131. 92. Mike Weaver, « Alfred Stieglitz and Ernest Bloch. Art and hypnosis », History of Photography, vol. 20, n° 4, hiver 1996, p. 293-303. 93. Lettre d’Albert von Keller à Émile Magnin datée du 18 décembre 1904, reproduite dans É. Magnin, L’Art et l’Hypnose, op. cit., p. 393. 94. Ibidem, p. 257. 95. Ernest Bloch, lettre du 19 décembre 1904 à É. Magnin, reprise dans ibid., p. 388. 96. Jean-David Jumeau-Lafond, « Peinture, hystérie et opéra. Les révoltées tragiques de Carlos Schwabe », dans Geneva, tome XLIV, 1996, p. 112. 97. Ibidem, p. 113. 98. Wundt parle d’un « arrêt de l’organe de l’aperception » susceptible de faciliter le développement des facultés oniriques : « De cette manière se développe cette vie psychique étroite et exclusive qui est le propre aussi bien du rêve normal que du rêve hypnotique : cette vie, dans toutes ses manifestations phénoménales, n’en est pas moins une vie réelle. » W. Wundt, Hypnotisme et suggestion, Paris, Alcan, 1902 [1892], p. 105. 99. Marsha Morton, Max Klinger and Wilhelmine Culture. On the Threshold of German Modernism, Farnham, Ashgate, 2014, p. 276. 100. Lettre de Klinger à Prell, juillet 1888, cité dans Ibid., p. 270 ; J. Kerner, Blätter aus Prevorst, 1831, Gottlieb Braun, Karlsruhe. 101. Hillary Bell, « The Hypnotism of Paul Tillier », The Monthly Illustrator, vol. 3, n° 11, mars 1895, p. 356-363. 102. B. Marquer, « Retour à la source : les époques du désir », dans Les Romans de la Salpêtrière, op. cit., p. 176-192. 103. G. Didi-Huberman, Invention de l’hystérie, op. cit., p. 169. 212 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 212 12/09/2020 01:05 1870-1920 104. Jean-Luc Nancy cité dans Ginette Michaud, « Ces images que nous sommes », Spirale, n° 192, septembre 2003, p. 48. 105. G. Didi-Huberman, Invention de l’hystérie, op. cit., p. 166. 106. Hillary Bell, « The Hypnotism of Paul Tillier », art. cit., p. 358. 107. Edward Purcell, « Trilby and Trilby-mania. The beginning of the bestseller system », Journal of Popular Culture, vol. 11, été 1977, p. 62-76. 108. Daniel Pick, Svengali’s Web, The Alien Enchanter in Modern Culture, New Haven, Yale University Press, 2000. 109. Gustave Le Bon, Psychologie des foules, Paris, Félix Alcan, 1895, p. 56. 110. Article cité dans Émily Jenkins, « Trilby : fads, photographers and over-perfect feet », Book History, vol. 1, 1998, p. 229. 111. Ann Louise Kibbie, Transfusion. Blood and Sympathy in the Ninetenth-Century Literary Imagination, Charlottesville, University of Virginia Press, 2019. 112. Gabriel Tarde, Les Lois d’imitation. Étude sociologique, Paris, Félix Alcan, 1890, p. 88. 113. Ibidem, p. 97. 114. Foveau de Courmelles, L’Hypnotisme, Paris, Hachette, 1890, p. 302. 115. Michelle Facos, « Richard Bergh : natural science and national art in sweden », Interdisciplinary Science Review, vol. 35, n° 1, mars 2010, p. 42. 116. On retrouve le docteur Dujardin-Beaumetz dans un dialogue fictionnel typique de la littérature populaire sur les travers de la clinique psychiatrique, protagoniste d’un épisode intitulé « Hypnotisme », dans Dubut de Laforest, Pathologie sociale, Paris, Dupont, 1897, p. 465-470. 117. Michelle Facos, art. cit., 118. Jean-Louis Signoret, « Variété historique : Une leçon clinique à la Salpêtrière (1887) par André Brouillet », Revue neurologique, vol. 139, n° 12, 1983, p. 688-701, et N. SimonDhouailly (éd.), La Leçon de Charcot : voyage dans une toile, Cahors, Tardy Quercy, 1986. 119. Foveau de Courmelles, L’Hypnotisme, op. cit., p. 302. 120. Maurice Hamel, « Le Salon de 1887 », La Gazette des beaux-arts, tome 35, 1887, p. 479, cité par Emmanuelle André, Le Choc du sujet. De l’hystérie au cinéma (XIX-XXIe siècle), Rennes, PUR, 2011, p. 23. 121. O. Mirbeau, « Le siècle de Charcot », L’Evénement, 29 mai 1885, repris dans Chroniques du diable, Paris, Les Belles Lettres, 1995, p. 121. 122. Pierre Marie, « Éloge de J.-M. Charcot », Revue neurologique, juin 1925, cité par E. André, Le Choc du sujet, op. cit., p. 25. 123. E. André, Ibidem, p. 30. 124. Jules Claretie, « Charcot le consolateur », Les Annales politiques et littéraires, vol. 21, 1903, p. 180. 125. Jean-François Debord, « De l’anatomie artistique à la morphologie », dans Jean Clair (éd.), L’Âme au corps, art et sciences (1793-1993), Paris, RMN, 1993, p. 108-109. 126. François-Victor Foveau de Courmelles, « La science aux Salons », Revue universelle des inventions nouvelles, 5 juin 1890, repris dans L’Hypnotisme, op. cit., p. 305. 127. Jules Bernard Luys, Les Émotions dans l’état d’hypnotisme et l’action à distance des substances médicamenteuses ou toxiques, Paris, Baillière, 1890, p. 72-73. 128. Ibidem, p. 75. 129. J. B. Luys, « De la surexcitation incoercible des facultés émotives », Traité clinique et pratique des maladies mentales, Paris, Delahaye & Lecrosnier, 1881, p. 117-118. 130. Alison Burns et R. A. Goodrich, « Christina Stead, Georges Polti and analytical novel writing », Antipodes, vol. 29, n° 2, décembre 2015, p. 415-428. 131. Georges Polti, Les Trente-Six Situations dramatiques, Paris, Mercure de France, 1895. 132. Ibidem, p. 12. 133. Ibid., p. 12. 134. J. B. Luys, « De la transmission à distance des émotions d’un sujet hypnotisé à un autre », Les Émotions dans l’état d’hypnotisme, op.c it., p. 133. 135. Ibidem, p. 137. 136. J. B. Luys, G. Encausse, Du transfert à distance à l’aide d’une couronne de fer aimantée d’états névropathiques variés, d’un sujet à l’état de veille sur un sujet à l’état hypnotique. Communication faite à la Société de biologie, séance du 14 novembre 1890, Clermont, Daix Frères, 1891. 137. « Une lame de fer curviligne qui embrasse circulairement la courbe crânienne […]. Une armature faite à l’aide de bandelettes de cuir permet de fixer la couronne sur la tête horizontalement […]. J’ai pu ainsi transporter à distance, à l’aide de cette même couronne […] des états cérébraux, des troubles encéphaliques, tels que des vertiges, des étourdissements, des sensations d’épuisement intellectuel et de perte de mémoire. » Ibidem, p. 2. 138. J. B. Luys, « De l’emmagasinement de certaines activités cérébrales dans une couronne aimantée », Annales de psychiatrie et d’hypnologie, mars 1894, p. 65-67. 139. Dr Babinski, « Recherches servant à établir que certaines manifestations hystériques peuvent être transférées d’un sujet à un autre sous l’influence de l’aimant », Progrès médical, 1886, tome LXXXV, p. 717. 140. J. B. Luys, G. Encausse, Du transfert à distance à l’aide d’une couronne de fer aimantée d’états névropathiques variés, op. cit., p. 101. 141. Ibidem, p. 66. 142. Mark S. Micale, Hysterical Men. The Hidden History of Male Nervous Illness, Harvard University Press, 2008. 143. B. Guinaudeau, « La femme-homme », La Justice, 3 octobre 1893, p. 1. 144. Mark Micale, « Charcot and the idea of histeria in the male : gender, mental science, and medical diagnosis in late nineteenth-century France », Medical History, 1990, p. 363-411. 145. Jan Goldstein, « The uses of male hysteria : medical and literary discourse in nineteenth-century France », Representations, vol. 34, printemps 1991, p. 134-165. 146. J.-M. Charcot et Valentin Magnan, « Inversion du sens génital et autres perversions sexuelles », Archives neurologiques, janvier 1882, p. 53-60. 147. J.-M. Charcot, « À propos d’un cas d’hystérie masculine », dans Cliniques des maladies du système nerveux. Mémoires, notes, observations, 1889-1890, Paris, Bureau du progrès médical, 1892, p. 305. 148. Sur l’usage de la thérapie hypnotique dans le cas des inversions sexuelles, voir notamment le Dr SchrenckNotzing, Die Suggestions-Therapie bei krankhaften Erschreinungen des Geschlechssinnes, Stuttgart, Enke, 1892. Compte-rendu de l’ouvrage paraît dans la Revue de l’hypnotisme et de la psychologie physiologique, 1893, p. 61-62. 149. [Anon.], « Verbeck Piccadilly Hall », The Standard, 11 avril 1887, p. 1. 150. J. Claretie, Les Amours d’un interne, op. cit., p. 426. 151. Ibidem, p. 329. 152. Haary Oostherhuis, « Sexual modernity in the works of Richard von Krafft-Ebing and Albert Moll », Medical History Journal, vol. 56, n° 2, avril 2012, p. 133-155. 153. Damien Delille, Genre androgyne. Art, culture visuelle et trouble de la masculinité (XVIII-XXe siècles), Turhout, Brepols Publishers, 2020. 154. Loig Le Sonn, « L’aimant, le transfert et la polarisation. Les manœuvres d’hypnotisation à la Salpêtrière par Alfred Binet et Charles Féré », Recherches & Éducations, vol. 11, juin 2014, p. 168-184. 155. A. Binet, C. Féré, « L’hypnotisme chez les hystériques. I. Le transfert psychique », Revue philosophique, tome 19, 1885, p. 1-25. 156. G. Encausse, Du traitement externe et psychique des maladies nerveuses. Aimants et couronnes magnétiques, miroirs, traitement diététique, hypnotisme, suggestion, transferts, Paris, Chamuel, 1897, p. 48-50. 157. Jean-Marie Guyau, L’Art du point de vue sociologique, Paris, Félix Alcan, 1889, p. 2. 158. Ibidem, p. L. 159. Alfred Fouillée, « Introduction », dans Ibid., p. XV. 160. A. Fouillée, « Nécessité d’une interprétation psychologique et sociologique du monde », Revue philosophique, mai 1896, p. 498, cité par Bertrand Méheust, Somnambulisme et médiumnité, tome II, Le PlessisRobinson, Éditions de l’Institut Synthelabo, 1999, p. 268. 161. Pierre-Joseph Proudhon, Du principe de l’art et de sa destination sociale, Paris, Garnier, 1865, p. 47-48. 162. Jean Jaurès, La Réalité du monde sensible, Paris, 1902, p. 356-360. 163. Ibidem, p. 360. 164. Ibid., p. 360. 165. F.-V. Foveau de Courmelles, L’Hypnotisme, op. cit., p. 306. 166. F.-V. Foveau de Courmelles, « Le sommeil provoqué chez les animaux », dans ibidem, p. 259-277. 167. Ibid., p. 259. 168. Jonathan Crary, « 1888 : illuminations of disenchantment », Suspension of Perception. Attention, Spectacle and Modern Culture, Cambridge, MIT Press, 1999, p. 230-240. 169. Voir Philippe Dagen, Primitivismes : Une invention moderne, Paris, Gallimard, 2019. 170. Henri Hubert et Marcel Mauss, « Esquisse d’une théorie générale de la magie », Année sociologique, 1904, p. 90-91. 171. G. Apollinaire, « Le Douanier », Les Soirées de Paris, 15 janvier 1914, repris dans Apollinaire, Œuvres en prose complètes (II), édité par Pierre Caizergues et Michel Décaudin, Paris, Gallimard, 1991, p. 637. 172. G. Apollinaire, « Quelques artistes au travail », 16 avril 1911, La Vie anecdotique, repris dans Apollinaire, Œuvres en prose complètes (III), textes établis, présentés et annotés par Pierre Caizergues et Michel Décaudin, Paris, Gallimard, 1993, p. 56. 173. A. Binet, « La vision mentale », Revue philosophique, vol 27, 1889, p. 337-373. 174. Jacqueline Carroy, Hypnose, suggestion et psychologie, op. cit. 175. Stanislaus Stückgold, « Henri Rousseau », Der Sturm, 1913, traduit de l’allemand par Fernand Corin, dans Henry Certigny, Le Douanier Rousseau et son Temps, tome II, Tokyo, Bunkasai Kenkyujyo, 1984, p. 702. 176. Désiré-Magloire Bourneville, Paul Regnard, Iconographie photographique de la Salpêtrière, tome 3, Paris, Progrès médical, 1879, p. 180. 177. André Valdès, La Prise du regard. Roman d’hypnotisme, Paris, Marpon et Flammarion, ca. 1900, p. 22. 178. Hippolyte Bernheim, « Hypnotisme et suggestion », Le Temps, 29 janvier 1891, cité dans Cathy Bernheim, Hippolyte Bernheim. Un destin sous hypnose, Paris, JBZ, 2011, p. 188. 179. H. Bernheim, Hypnotisme, suggestion, psychothérapie, avec considérations nouvelles sur l’hystérie, édition établie par Pierre-Henri Castel, Paris, Fayard, 1995. 180. Mikkel Borch-Jacobsen, « L’effet Bernheim » dans La Fabrique des folies. De la psychanalyse au psychopharmarketing, Paris, Éditions Sciences humaines. 181. H. Bernheim, Hypnotisme, suggestion, psychothérapie, op. cit., p. 97 et 99. 182. M. Borch-Jacobsen, « L’effet Bernheim », op. cit. 183. « Tous les procédés d’hypnotisation se réduisent à la suggestion. La vue d’un objet brillant ne réussit que chez un petit nombre de personnes, et quand elle réussit chez des sujets qui ne savent pas qu’on veut les endormir, c’est parce que la fatigue des paupières qui en résulte produit l’occlusion des yeux et que celle-ci suggère l’idée du sommeil. » H. Bernheim, « L’hypnotisme et l’École de Nancy », Revue de l’hypnotisme expérimental et thérapeutique, vol. 2, 1888, p. 322-325. 184. Serge Nicolas, L’hypnose : Charcot face à Bernheim. L’école de la Salpêtrière face à l’école de Nancy, Paris, L’Harmattan, 2004. 185. Alexis Bertrand, « Esthétique et psychologie », Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 63, janvier 1907, p. 33-66. 186.J. Rancière, Mallarmé, la politique de la sirène, Paris, Hachette, 1996, p. 53. 187. Henri Bergson, « De la simulation inconsciente dans l’état d’hypnotisme », Revue philosophique, 1886, repris dans Mélanges, édition établie par A. Robinet, Paris, PUF, 1972, p. 340-341. 188. H. Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, Paris, Alcan, 1889, p. 11. 189. Ibidem, p. 12-13. 190. Ibid., p. 12. 191. Nadia Yala Kisukidi, Bergson ou l’humanité créatrice, Paris, CNRS Éditions, 2013, p 129. 192. H. Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, op. cit., p. 12. 193. Entretien de Bergson avec Jacques Chevalier, 1934, repris dans Nadia Yala Kisukidi, Bergson ou l’humanité créatrice, op. cit., p. 144. 194. Wilhelm Wundt, l’un des grands représentants allemands de la psychologie expérimentale, s’empresse de calmer, même de réprimer, cette lecture hypnotique de l’art : « Je ne fais que signaler en passant son rôle dans l’art. On déclare plausible le fait que les travaux artistiques, depuis l’adresse de l’acrobate jusqu’aux productions les moins matérielles du travail de l’artiste, sont possibles durant l’état d’hypnose profonde. Bien mieux, les plus nobles productions de l’art créateur ont toujours été dues, d’après le dire des autorités en hypnotisme, au somnambulisme provoqué, sous l’influence d’une forte autosuggestion. Mais que saurions-nous en attendre de l’art, le jour où l’hypnotisme serait appliqué à un but artistique, d’une façon non plus exceptionnelle et accidentelle, mais continue et intentionnelle ? » Wilhelm Wundt, Hypnotisme et suggestion. Étude critique, Paris, Alcan, 1902, p. 150. 195. Dans son traité sur L’Imagination, Ludovic Dugas reprendra la même thèse : « Le spectateur ou auditeur d’une œuvre d’art, s’il est dans des dispositions convenables pour goûter cette œuvre, et si cette œuvre elle-même est puissante et forte, se laisse prendre et envahir tout entier, oublie sa personnalité et les choses qui l’entourent : il subit la fascination, la “suggestion” ou l’hypnotisation de l’art […]. » Ludovic Dugas, L’Imagination, Paris, Octave Doin, 1903, p. 300. 196. Arthur d’Anglemont, L’Hypnotisme, le magnétisme et la médiumnité scientifiquement démontrés, Paris, Comptoir d’édition, 1891, p. 36. 197. « Je ferai remarquer que j’ai fait à la Faculté des Lettres de Lille, sur l’Hypnotisme et la suggestion dans l’art, un cours public de douze leçons, commencé en décembre 1888, dont le présent livre est le développement ». Paul Souriau, La Suggestion dans l’art, Paris, Alcan, 1909 [1893], p. 66. 198. Ibid., p. 1-2. 199. P. Souriau, Théorie de l’invention, Paris, Hachette, 1881. 200. P. Souriau, La Suggestion dans l’art, op. cit., p. 68. 201. Ibidem, p. 68. 213 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 213 12/09/2020 01:05 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T 202. Ibid., p. 74. 203. Ibid., p. 23. 204. Ibid., p. 25. 205. Ibid., p. 25-26. 206. Ibid., p. 33. 207. Ibid., p. 34. 208. Ibid., p. 140. 209. Nietzsche, Humain, trop humain, traduit par Desrousseaux et Albert, Paris, Hachette, 1988, p. 145. 210. Léon Dumont, Théorie scientifique de la sensibilité, Paris, Germer Baillière, 1881. 211. Ce principe sera repris dans l’Enquête sur l’évolution littéraire (1891), de Jules Huret, pour qui « nommer un objet, c’est supprimer les trois quarts de la jouissance du poème qui est faite du bonheur de deviner peu à peu ; le suggérer, voilà le rêve ». Jules Huret, Enquête sur l’évolution littéraire, Paris, Charpentier, 1891, p. 60. 212. « La méthode la plus sûre pour juger une peinture, c’est de n’y rien reconnaître d’abord et de faire pas à pas la série d’inductions que nécessite une présence simultanée de taches colorées sur un champ limité, pour s’élever de métaphores en métaphores, de suppositions en suppositions, à l’intelligence du sujet, parfois à la simple conscience du plaisir, qu’on n’a pas toujours eu d’avance. » Paul Valéry, Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, Paris, Gallimard, 1957 [1894], p. 54. 213. Hans Schmidkunz, Der Psychologie der Suggestion, Stuttgart, 1892, p. 216. 214. P. Souriau, La Suggestion dans l’art, op. cit., p. 88. 215. « Je vécus un événement qui marqua ma vie entière et qui me bouleversa jusqu’au plus profond de moi-même. Ce fut l’exposition des impressionnistes à Moscou – en premier lieu la Meule de foin de Monet. Et soudain, pour la première fois, je voyais un tableau. Ce fut le catalogue qui m’apprit qu’il s’agissait d’une meule. J’étais incapable de la reconnaître. Et ne pas la reconnaître me fut pénible. Je trouvais également que le peintre n’avait pas le droit de peindre de façon aussi imprécise. Je sentais confusément que l’objet faisait défaut au tableau. Et je remarquais avec étonnement et trouble que le tableau non seulement vous empoignait, mais encore imprimait à la conscience une marque indélébile, et qu’aux moments les plus inattendus, on le voyait, avec ses moindres détails, flotter devant ses yeux. Tout ceci était confus pour moi, et je fus incapable de tirer les conclusions élémentaires de cette expérience. Mais ce qui m’était parfaitement clair, c’était la puissance insoupçonnée de la palette qui m’avait jusque-là été cachée et qui allait au-delà de tous mes rêves. » Wassily Kandinsky, Regards sur le passé et autres textes (1912-1922), Paris, Hermann, 1974, p. 97. 216. « Somme toute, l’artiste n’est pas seul à accomplir l’acte de création, car le spectateur établit le contact de l’œuvre avec le monde extérieur en déchiffrant et en interprétant ses qualifications profondes et par là ajoute sa propre contribution au processus créatif » (Marcel Duchamp, Le Processus créatif, 1957), une formule reprise et amendée dix ans plus tard dans les entretiens avec Pierre Cabanne, où il reprend le principe des deux pôles, co-acteurs, donnant, je le cite « autant d’importance » au regardeur qu’au créateur : « (l’art) est un produit à deux pôles : il y a le pôle de celui qui fait une œuvre et le pôle de celui qui la regarde, je donne à celui qui la regarde autant d’importance qu’à celui qui la fait. » Marcel Duchamp, Entretiens avec Pierre Cabanne, Paris, Somogy, 1995, p. 86. 217. P. Souriau, La Suggestion dans l’art, op. cit., p. 95. 218. « Ainsi me signalait-il un jour la singulière coïncidence dans le temps et dans l’espace des deux Écoles de Nancy à la fin du XIXe siècle : l’une, médicale, poursuivant, autour d’H. Bernheim et d’A.-A. Liébault, des recherches sur l’hypnotisme, la suggestion et la pathologie nerveuse ; l’autre, artistique, animée par Émile Gallé, Louis Majorelle, Victor Prouvé et Eugène Vallin, tentant de déterminer la nouvelle formule du décor quotidien ». José Pierre, André Breton et la peinture, Lausanne, L’Âge d’homme, 1987, p. 16. 219. Debora Silverman, « Hypnotisme, suggestion, pensée visuelle et le nouveau concept français d’irrationnel : psychopathologie ou modèle de l’esprit ? », dans L’Art nouveau en France. Politique, psychologie et style fin de siècle, Paris, Flammarion, 1994 [1989], p. 90-99. 220. Charles Féré, Sensation et mouvement, Paris, Alcan, 1887, p. 47. 221. Adolphe Cartaz, « Du somnambulisme et du magnétisme, La Nature, 18 janvier 1879, p. 102-106. 222. Jules Bernard Luys, Les Émotions dans l’état d’hypnotisme et l’action à distance des substances médicamenteuses ou toxiques, Paris, Baillière, 1890, p. 121122. 223. Ibidem, p. 124. 224. [Anon.], « De la lumière bleue en thérapeutique », La Médecine internationale illustrée, janvier 1911, p. 22. 225. J. B. Luys, « De la fascination », Revue d’hypnologie théorique et pratique, I, 1890, p. 7. 226. P. Souriau, « Le symbolisme des couleurs », Revue de Paris, 1895, p. 870. Sur cette question de la psychologie de la couleur, voir l’excellente thèse de doctorat d’histoire de l’art d’Alessandra Ronetti, Chromomentalisme. Psychologies de la couleur et cultures visuelles en France au passage du siècle (1870-1914), université de Paris I Panthéon Sorbonne, 2019. 227. Debora Silverman, L’Art nouveau en France, op. cit., p. 92. 228. J.-M. Charcot cité dans ibidem, p. 92. 229. J.-M. Charcot cité dans ibid., p. 92 230. H. Bernheim cité dans ibid., p. 95. 231. H. Bernheim cité dans ibid., p. 95. 232. Louis de Fourcaud, Revue des arts décoratifs, 1892, p. 1-14. 233. P. Souriau, L’Imagination de l’artiste, Paris, Hachette, 1901, p. 77. 234. É. Gallé cité par Paul Souriau dans ibidem, p. 141. 235. P. Souriau, ibid., p. 53. 236. Ibid., p. 55. 237. Ibid., p. 67. 238. Ibid., p. 71. 239. P. Souriau, La Suggestion dans l’art, op. cit., p. 17. 240. Markus Brüderlin, « Die Aura des White Cube. Der sakrale Raum und seine Spuren im modernen Austellungsraum », Zeitschrift für Kunstgeschichte, vol. 76, n° 1, 2013, p. 91-106. 241. P. Souriau, La Suggestion dans l’art, op. cit., p. 18. 242. Jonathan Crary, Suspension of Perception, Attention, Spectacle and Modern Culture, Cambridge, MIT Press, 2001 [1999], p. 17. 243. Ibidem, p. 24. 244. Ibid., p. 65-72. 245. Jean-Pierre Boon, « Baudelaire, Correspondances et le magnétisme animal », PMLA, vol. 86, n° 3, mai 1971, p. 406-410. 246. Charles Baudelaire cité par Victor Stoichita, L’Effet Sherlock Holmes. Variations du regard de Manet à Hitchcock, Paris, Hazan, 2015, p. 101. 247. Theodor Lipps, Zur Psychologie der Suggestion, Leipzig, 1897. 248. « L’hypnose en somme n’est que le fait d’être endormi ; elle est négative ; elle est positive, c’est-à-dire apte à produire une augmentation, que s’il y a quelque chose à augmenter. » Dr T. Lipps, « Die Schaftänzerin », cité dans É. Magnin, L’Art et l’Hypnose, op. cit., p. 173. 249. Ce type d’approche est directement relayé en France par Lucien Arréat dans Art et psychologie individuelle. Pour Arréat, citant Lipps, « le phénomène qui est à la base de l’esthétique est de se sentir soi-même dans l’objet, c’està-dire d’attribuer à l’objet, par un acte de projection du sentiment (Einfuhlung), nos propres activités psychiques, jusqu’à ce degré où la fusion de l’objet et du sujet nous fait perdre le sentiment de notre moi et vivre entièrement dans l’objet perçu. » Lucien Arréat, Art et psychologie individuelle, Paris, Félix Alcan, 1906, p. 85. 250. Michel Espagne, « Theodor Lipps : de l’esthétique à l’histoire de l’art », Revue de métaphysique et de morale, n° 96, 2017, p. 496. 251. T. Lipps, Ästhetik. Psychologie des Schönen un der Kunst, tome 1, Leipzig, Leopold Voss, 1903, p. 1, cité par Michel Espagne, « Theodor Lipps », art. cit., p. 500. 252. Ibidem, p. 500. 253. T. Lipps, Ästhetik. Psychologie des Schönen un der Kunst, tome 2, 1906, cité dans ibidem, p. 501. 254. Victor Basch, Essai sur l’esthétique de Kant, Paris, Alcan, 1896. 255. V. Basch dans Charles Andler (éd.), Philosophie allemande au XIXe siècle, Paris, Félix Alcan, 1912, p. 85. 256. V. Basch, « Introduction », dans Essai sur l’esthétique de Kant, op. cit., p. XLVI. 257. Mildred Galland-Szymkowiak, « Le symbolisme sympathique dans l’esthétique de Victor Basch », Revue de métaphysique et de morale, n° 2, avril 2002, p. 222. 258. V. Basch, Essai sur l’esthétique de Kant, op. cit., p. 297. 259. Ibidem, p. 298. 260.Jean-Marie Guyau, L’Art au point de vue sociologique, op. cit., p. 66. 261. Laurent Jenny, La Fin de l’intériorité. Théorie de l’expression et invention esthétique dans les avant-gardes françaises (1885-1935), Paris, PUF, 2002. 262. Ibidem, p. 89. 263. Ibid., p. 2. 264. Gustave Kahn, « Réponse des symbolistes », L’Événement, 28 septembre 1886, p. 1. 265. G. Kahn, « La vie artistique », La Vie moderne, 9 avril 1887, p. 229. 266. Jean Moréas, « Le symbolisme », Le Figaro, 18 septembre 1886, repris dans Les premières armes du symbolisme, Paris, Vanier, 1889, p. 34. 267. Albert Aurier, « Le symbolisme en peinture » (Mercure de France, mars 1891), repris dans Textes critiques, Paris, ENSBA, 1995, p. 33. 268. L. Jenny, La fin de l’intériorité, op. cit., p. 29. 269. Jules de Gaultier, « Essai de physiologie poétique », La Revue blanche, mai 1894, p. 399. 270. « De l’ensemble des images, on ne peut dire qu’il nous soit ni intérieur, ni extérieur, puisque l’intériorité et l’extériorité ne sont que des rapports entre images. » Henri Bergson, Matière et mémoire, Paris, PUF, 1968 [1896], p. 20. 271. Voir Jean-François Chevrier, L’Action restreinte. L’art moderne selon Mallarmé, Paris, Hazan, 2005. 272. A. de Rochas, L’Extériorisation de la sensibilité. Étude expérimentale et historique, Paris, Bibliothèque Chacornac, 1909 [1893], p. 1. 273. « Les effluves odiques ». Conférences faites en 1866 par le baron de Reichenbach à l’Académie des sciences de Vienne, précédées d’une « Notice historique sur les effets mécaniques de l’Od par Albert de Rochas », Paris, Flammarion, 1897. 274. A. de Rochas, L’Extériorisation de la sensibilité, op. cit., p. 62. 275. Ibidem, p. 79. 276. P. Rousseau, « Irradiations. Le métabolisme des nouveaux rayons », dans Clément Chéroux (éd.), Edvard Munch. L’œil moderne, Paris, Centre Georges-Pompidou, musée national d’Art moderne, 2011, p. 152-161, et Robert Brain, « How Edvard Munch and August Strinberg contracted protoplasmania : memory, synesthesia, and the vibratory organism in fin-de-siècle Europe », Interdisciplinary Science Reviews, vol. 35, n° 1, mars 2010, p. 7-38. 277. « Dès que, chez celui-ci, la sensibilité commence à disparaître, le duvet lumineux recouvrant sa peau à l’état de veille semble se dissoudre dans l’atmosphère, puis reparaît au bout de quelque temps sous la forme d’un brouillard léger qui, peu à peu, se condense en devenant de plus en plus brillant, de manière à prendre en définitive l’apparence d’une couche très mince, suivant, à trois ou quatre centimètres en dehors de la peau, tous les contours du corps. » A. de Rochas, L’Extériorisation de la sensibilité, op. cit., p. 58. 278. « Les radiations cérébrales ne sont pas aussi matériellement saisissables que celles du son. Leurs longueurs d’onde sont certainement beaucoup moindres […]. À ce point de vue, [le cerveau] ressemble d’assez près à un conducteur dans lequel passe une décharge oscillatoire, en produisant ces ondes qui, comme l’a magnifiquement démontré Hertz, ressemblent aux vibrations qui produisent la lumière […]. Je crois pouvoir expliquer la possibilité de transmission de vibrations cérébrales spécifiques d’un cerveau actif à un cerveau passif ou récepteur par la simple action de ce qui est scientifiquement connu sous le nom de vibrations sympathiques. » Edwin Houston, « La radiation cérébrale », discours prononcé le 1er mars 1892, devant la Section d’électricité de l’Institut Franklin, repris dans A. de Rochas, L’Extériorisation de la sensibilité, op. cit., p. 218. 279. Gilles de la Tourette, Huet, Guinon, « Contribution à l’étude des bâillements hystériques », Nouvelle iconographie de la Salpêtrière, n° 3, 1890, p. 97-119. 280. Alexandre Aksakov, Animisme et spiritisme. Essai d’un examen critique des phénomènes médiumniques, spécialement en rapport avec les hypothèses de la « force nerveuse », de l’« hallucination », et de l’« inconscient », comme réponse à l’ouvrage du Dr Ed. von Hartmann, intitulé : « Le Spiritisme », Paris, Librairie des sciences psychiques, 1895. 281. Dans Révélation magnétique, une nouvelle traduite par Baudelaire, Poe met en scène un dialogue sur le devenir du corps « ultérieur », le corps dans l’au-delà après la mort, dont il nous dit qu’il peut être pressenti par les magnétisés et autres visionnaires, seuls capables de dépasser les limites physiologiques d’une vision naturelle ne dépassant pas la surface de la « coquille » ou de l’enveloppe charnelle des corps « rudimentaires » : « Lorsque je suis magnétisé, les sens de ma vie rudimentaire sont en vacance, et je perçois les choses extérieures directement, sans organes, par un agent qui sera à mon service, à ma disposition, dans la vie ultérieure, la vie inorganique […]. Les organes sont des artifices, des expédients mécaniques par lesquels l’individu est mis en rapport sensible avec certaines classes et formes de la matière, à l’exclusion des autres classes et des autres formes. Les organes de l’homme sont adaptés à la condition rudimentaire, et à elle uniquement. » Edgar Allan Poe, Révélation magnétique, traduction de Charles Baudelaire, Bayonne, Les Germes éditions, 1994 [1848], p. 30. 282. Edgar Allan Poe, Révélation magnétique, op. cit., p. 31. 283. Dr Auguste Forel cité par Freud dans « Compte-rendu du livre de Forel » (1889), repris dans Sigmund Freud, L’Hypnose. Textes 1886-1893, introduction et présentation de Mikkel Borch-Jacobsen, Paris, L’Iconoclaste, 2015, p. 236-237. 284. Ibidem, p. 248. 285. J. Kerner, 1812, cité par S. Hammoud, Mesmérisme et romantisme allemand (1766-1829), Paris, L’Harmattan, 1994, p. 169. 286. Rhonda K. Garelick, « Electric Salome : Loïe Fuller at the world’s fair of 1900 », Electric Salome. Loïe Fuller’s Performance of Modernism, Princenton, Princeton University Press, 2007, p. 63-117. 214 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 214 12/09/2020 01:05 1870-1920 287. Loïe Fuller, Ma vie et la danse. Autobiographie, Paris, L’Œil d’or, 2002, p. 22 et 25. 288. Felicia McCarren, « The symptomatic act : Mallarmé, Charcot and Loïe Fuller », dans Dance Pathologies. Performance, Poetics, Medecine, Stanford, Stanford University Press, 1998, p. 113-171, et Rae Beth Gordon, « Imitation and contagion : magnetism as popular entertainment », dans Why the French Love Jerry Lewis. From Cabaret to Early Cinema, Stanford, Stanford University Press, 2001, p. 28-59. 289. Selon Giovanni Lista, le père de Loïe Fuller est un « adepte du spiritualisme, sans doute aussi lecteur de Ralph Waldo Emerson et de Thoreau ». Giovanni Lista, Loïe Fuller. Danseuse de la Belle Époque, Paris, Somogy/Stock, 1994, p. 47-48. 290. Ibidem, p. 57. 291. Jacqueline Carroy, Les Personnalités doubles et multiples. Entre science et fiction, Paris, PUF, 1993. 292. Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux. Capitalisme et schizophrénie 2, Paris, Éditions de minuit, 1994. 293. Fuller a fait de nombreuses expérimentations sur la phosphorescence avec l’aide de Camille Flammarion. Cette recherche est contemporaine des spéculations sur les radiations phosphorescentes de l’activité cérébrale, notamment les hypothèses de Jollivet-Castelot sur la phosphorescence de la pensée et la « morphoplastique » (François Jollivet-Castelot, La Vie de la matière et de l’âme. Essai de physiologie chimique. Études de dynamochimie, Paris, Société d’éditions scientifiques, 1892, p. 110-111). 294. Robert Brain, « Protoplasmania : Huxley, Haeckel, and the vibratory organism in fin de siècle visual cultures », dans Fae Brauer, Barbara Larson (éd.), The Art of Evolution : Darwin, Darwinisms, and Visual Cultures, University Presses of New England, 2009, p. 92-123. 295. A. de Rochas, Les Sentiments, la Musique et le Geste, Grenoble, Faque et Perrin, 1900, p. 150. 296. A. de Rochas, L’Extériorisation de la sensibilité, op. cit., p. 81. 297. A. de Rochas, Les Sentiments, la Musique et le Geste, op. cit., p. 260. 298. « Il se trouve immergé dans ce qui lui semble être tout un univers de lumières, de couleurs et de sons toujours changeants, comme jamais, dans ses rêves les plus audacieux, son imagination n’en a conçu l’idée. » Charles Webster Leadbeater, Le Plan mental, Paris, Publications théosophiques, 1906, p. 31. 299. Charles Barlet, Julien Lejay, L’Art de demain. La peinture autrefois et aujourd’hui, Paris, Chamuel, 1897, p. 24. 300. Ibidem, p. 157. 301. Ibid., p. 19. 302. Ibid., p. 159-160. 303. Ibid., p. 108. 304. Ibid., p. 144-145. 305. Ibid., p. 148. 306. Ibid., p. 155. 307. Ibid., p. 135. 308. Ibid., p. 154. 309. Mellerio cité dans ibid., p. 133. 310. Dario Gamboni, « De Bernheim à Focillon : la notion de suggestion entre médecine, esthétique, critique et histoire de l’art », dans Roland Recht, Philippe Sénéchal, Claire Barbillon et François-René Martin (éd.), Histoire de l’histoire de l’art en France au XIXe siècle, Paris, La Documentation française, 2008, p. 311-322. 311. Odilon Redon, À soi-même, journal (1867-1915), notes sur la vie, l’art et les artistes (1922), Paris, Corti, 1961, p. 25. 312. Charles Vignier, « Notes d’esthétique. La suggestion en art », Revue contemporaine littéraire, politique et philosophique, vol. 3, n° 4, 25 décembre 1885, p. 464-476. 313. Ibidem, p. 469. 314. Ibid., p. 467. 315. Gustave Kahn, « La vie artistique », La Vie moderne, 9 avril 1887, p. 229-231, cité par Dario Gamboni, « De Bernheim à Focillon », art. cit., p. 313. 316. Maurice Barrès, « L’esthétique de demain : l’art suggestif », De Niuewe Gids, octobre 1885, p. 146. 317. Ibidem, p. 146. 318. François-René Martin, « De l’hypnose à la critique émotionnelle. Bernheim, Barrès et Wyzewa dans les années 1880 », dans Catherine Meneux (éd.), Regards de critiques d’art. Autour de Roger Marx (1859-1913), Rennes, PUR, 2009, p. 65-79. 319. « Mais quelle est dans le champ étendu de la vie, la part spéciale que doit produire la Peinture ? Doit-elle nous donner, seulement, les sensations simples des corps matériels, par une figuration exacte de leurs formes ? Ou bien doit-elle nous donner des émotions plus fines, plus intimes, et, pour ainsi dire, peindre l’âme, après les corps ? […]. Deux peintures sont : l’une immédiate, la peinture dite réaliste, donnant l’image exacte des choses, vues par la vision spéciale du peintre ; l’autre, médiate, comme une Poésie de la peinture, insoucieuse des formes réelles, combinant les contours et les nuances en pure fantaisie. » Teodor de Wyzewa, « Peinture wagnérienne : Le Salon de 1885 », Revue wagnérienne, 8 juin 1885, p. 154-155. 320. Teodor de Wyzewa, « Notes sur la peinture wagnérienne et le Salon de 1886 », Revue wagnérienne, 8 mai 1886, p. 106. 321. Ibidem, p. 106. 322. François-René Martin, « De l’hypnose à la critique émotionnelle », art. cit., p. 77. 323. É. Hennequin, La Critique scientifique, Paris, Perrin, 1888, p. 75. 324. T. de Wyzewa, Nos maîtres, Paris, Perrin, 1895, p. 62. 325. P. Rousseau, « Le spectacle des sens. La synesthésie sur la scène symboliste du Théâtre d’art », dans Isabelle Moindrot (éd.), Le Spectaculaire dans les arts de la scène du romantisme à la Belle Époque, Paris, CNRS Éditions, 2006, p. 157-165. 326. Pierre Quillard, « De l’inutilité de la mise en scène exacte », Revue d’art dramatique, 1er mai 1891, p. 180-183, cité par Dario Gamboni, « De Bernheim à Focillon », art. cit., p. 314. 327. Les Auditions voilées à la galerie Georges Petit en 1891 et 1893, Paris, Bibliothèque bleue, 1893. 328. Article anonyme paru dans le Courrier français, le 5 février 1893, cité dans ibid., p. 11. 329. Louis Brès cité dans ibid., p. 14. 330. Karin von Maur (ed.), Vom Klang der Bilder. Die Musik in der Kunst des 20 Jahrhunderts, Munich, Prestel, 1985, p. 414-421. 331. Louis Favre, La Musique des couleurs et les musiques de l’avenir, Paris, Schleicher, 1900. 332. L. Favre, Pourquoi il faut étudier les phénomènes psychiques. L’esprit scientifique, Paris, Institut général psychologique, 1909. 333. L. Favre, « L’hypnotisme et le prétendu magnétisme animal », Revue de l’hypnotisme expérimental et thérapeutique, juillet 1905, p. 62-63, et « À propos de la définition de la suggestion », Ibidem, juillet 1906, p. 25. 334. L. Favre, « De l’action des mains sur les microbes », Bulletin de l’Institut général psychologique, mai-juin 1904. 335. Lucette Pérol, « Diderot, le P. Castel et le clavecin oculaire », dans Roland Mortier, Hervé Hasquin (éd.), Études sur le XVIIIe siècle, vol. 23, 1995, p. 83-95. 336. L. Favre, La Vérité. Pensées, Marseille, Cayer, 1889, p. 117. 337. L. Favre, La Musique des couleurs, op. cit., p. 111-112. 338. A. Héler, « L’audition colorée », L’Art musical, n° 3, 15 février 1888, p. 18. 339. Voir Adrian B. Klein, Colour-Music. The Art of Light, Londres, Technical Press, 1926. 340. Voir Pamela Thurschwell, Literature, Technology and Magical Thinking, 1880-1920, Cambridge, Cambridge University Press, 2001. 341. Gustave Le Bon, La Psychologie des foules, Paris, PUF, 1963 [1895], p. 13. 342. Richard Noakes, « The world of the infinitely little : connecting physical and the psychical realities in Britain, ca. 1900 », Studies in History and Philosophy of Science, vol. 39, 2008, p. 323-334. 343. « J’aurai beau disséquer un cerveau, le regarder au microscope, en prendre la radiographie, jamais je n’y pourrai rien percevoir qui ressemble à de la pensée. Sur les faits psychiques, mes organes sensoriels n’ont aucune prise. » Paul Souriau, « La perception des faits psychiques », Année psychologique, 1907, p. 51-66. 344. Maria Teresa Brancaccio, « Between Charcot and Bernheim : the debate on hypnotism in fin-de-siècle Italy », Notes and Records, n° 71, mars 2017, p. 157-177. 345. Giuseppe Seppilli, « Gli studi recenti sul cos`ı detto magnetismo animale. Rassegna », Rivista sperimentale di freniatria 6, 1880, p. 337-344. 346. Enrico Morselli, Il magnetismo animale, la fascinazione e gli stati ipnotici, Turin, Roux e Favale, 1886. 347. Ibidem, p. 77. 348. Ibid., p. 106. 349. Ibid., p. 132. 350. Ibid., p. 167. 351. Ibid., p. 176. 352. Ibid., p. 176. 353. Sur l’influence de la New Thought américaine sur l’avant-garde italienne : Giovanni Amendola, « Prentice Mulford », Nuova Parola, vol. IX, 1906, p. 361, et Roberto Grego Assagioli, « L’arte della creazione », Leonardo, III, février 1906, p. 61, et « Il nuevo Pensiero americano. Il New Thought », Leonardo, vol. V, avril 1907, p. 201-213. 354. Prentrice Mulford, Vos forces et le moyen de les utiliser, Paris, Éditions de l’initiation, 1897, p. 31. 355. Ibidem, p. 24. 356. William Walker Atkinson, La Force-Pensée. Son action et son rôle dans la vie, Paris, Bureau d’études psychiques, 1904, p. 13. 357. Ibidem, p. 34. 358. Ibid., p. 64. 359. John Warne Monroe, Laboratories of Faith. Mesmerism, Spiritism and Occultism in Modern France, Ithaca, Cornell University Press, 2008 ; Sofie Lachapelle, Investigating the Supernatural. From Spiritism and Occultism to Psychical Research and Metapsychics in France, 1853-1931, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2011. 360. C’est à partir de l’été 1911 que Mercereau, Nayral et Figuière deviennent membres fondateurs de la « Société internationale de recherches psychiques », dont le journal, La Vie mystérieuse, est l’organe officiel. Cette société est fondée « dans le but de réunir entre elles les personnes qui s’occupent théoriquement ou pratiquement de toutes sciences se rattachant au domaine du Psychisme ». 361. Eugène Figuière, Les Petits Bréviaires. La volonté, Paris, Figuière, 1912. 362. Les textes de P. Mulford, le mentor de la New Thought américaine, sont cités dans de nombreux articles de F. Divoire. Fernand Divoire, « Faut-il devenir mage ? », Les Entretiens idéalistes, 1909, p. 2-21, et « Faut-il devenir un surhomme ? », ibidem, p. 85-100. 363. F. Divoire, Cérébraux, Paris, Chroniqueur de Paris, 1906, p. 89. 364. On sait qu’Apollinaire détenait un exemplaire de la revue Light daté du 25 mai 1907, avec un article entier consacré à l’ouvrage mentaliste de W. W. Atkinson (The Secret of Mental Magic). 365. Filippo Tommaso Marinetti, « L’homme multiplié et le règne de la machine », mai 1910, repris dans Giovanni Lista, Le Futurisme, textes et manifestes, 1909-1944, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2015, p. 211. 366.G. Papini, « Franche spiegazioni (a proposito di rinascenza spirituale e di occultismo », Leonardo, avril 1907, p. 129, cité par Simona Cigliana, Futurismo esoterico. Contributi per una storia dell’irrazionalismo italiano tra Otto e Novecento, Naples, Liguori Edidotre, 2002, p. 49. 367. Giuseppe Prezzolini, Arte di persuadere, Firenze, Lumachi, 1906. Pour Prezzolini, c’est dans la puissance d’autosuggestion que l’« animale razionale cederà il posto all’animale creativo » (Leonardo, février 1906, p. 26). 368. G. Papini, Un uomo finito, Firenze, La Voce, 1913, p. 118. 369. Gian Falco, « Cosa vogliamo ? », cité dans Simona Cigliana, Futurismo esoterico, op. cit., p. 131. 370. B. Corradini, « Proposte » (1910), repris dans Marrio Verdone (éd.), Manifesti futuristi e scritti teorici di Arnaldo Ginna e Bruno Corra, Ravenne, Longo Editore, 1984, p. 85-104. 371. A.V. Segno, La Loi du mentalisme. Exposé pratique et scientifique de la pensée ou force de l’esprit ; la loi qui gouverne toute action et phénomène mentale (sic) et physique : la cause de la vie et de la mort, Los Angeles, Institut américain du mentalisme, 1909. 372. « Si nous acceptons avec les savants les plus avancés que l’énergie sous forme de sensations, de pensées et de sentiments, fait aussi partie de cette substance unique que nous pouvons désigner sous le terme “énergie-matière”, nous pourrons admettre que les sentiments, les pensées et les sensations peuvent être amenés à un état de contraction ou de condensation qui les rende perceptibles à nos yeux. » Jules Fiaux, Néosophie. Théories et applications. Vers la santé et la pleine vie, Paris, Leymarie, 1909, p. 23. 373. « Tutto in questo mundo è suggestione », A.B.C. metodo, repris dans Mario Verdone (éd.), Manifesti futuristi e scritti teorici di Arnaldo Ginna e Bruno Corra, Ravenna, Longo Editore, 1984, p. 73. 374. Arnaldo et Bruno Corradini, A.B.C. metodo (1910), repris dans ibidem, p. 73-74. 375. Giulio Belfiore, Magnetismo e ipnotismo, Milan, Hoepli, 1898. 376. Micol Forti, « “Pittura dell’invisibile” : il concetto di rappresentazione negli scritti teorici di Arnaldo Ginna », dans Micol Forti, Lucia Collarile, Mariastella Margozzi (dir.), Armonie e disarmonie degli stati d’animo. Ginna futurista, Rome, Gangemi Editore, 2009, p. 46-47. 377. Arnaldo Ginna, « Peinture de l’avenir », juillet 1917, repris dans Giovanni Lista, Le Futurisme, textes et manifestes, op. cit., p. 1059. 378. « Dans la chimie des temps futurs, on reconnaîtra que la pensée est une substance tout aussi bien que les acides, les oxydes et tous les autres corps chimiques actuels. Il n’y a pas de lacune entre ce que nous nommons l’esprit et la matière. L’un et l’autre sont substantiels […]. Notre pensée invisible et irrévélée émane incessamment de nous en tant qu’élément et force, aussi réelle que le flot de l’eau que nous voyons, que le courant électrique que nous ne voyons pas. » P. Mulford, Vos forces et le moyen de les utiliser, op. cit., p. 31. 379. « L’homme célèbre est celui qui, par la force de sa volonté, a mis en mouvement des ondes de pensée qui ont fait le tour du monde […]. Les pensées de tous ces individus sont concentrées sur un seul homme et elles lui amènent le succès. » Ibidem, p. 26. 380. William Walker Atkinson (1862-1932) est l’un des auteurs phares du mouvement de la New Thought (the Law of the New Thought [1902], Dynamic Thought ; or, The Law of Vibrant Energy [1906], Self-Healing by ThoughtForce [1907] ou Mind-Power. The Secret of Mental Magic [1912]. Voir Catherine L. Albanese, A Republic of Mind and Spirit. A Cultural History of American Metaphysical Religion, New Haven, Yale University Press, 2007, p. 358-364. 215 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 215 12/09/2020 01:05 L A S U G G E S T I O N D A N S L’ A R T 381. William Walker Atkinson, Vibration de la pensée. La loi d’attraction dans le monde de la pensée, traduction de Marcelle Auclair, Paris, Astra, 1982, p. 67-70. 382. Ibidem, p. 80. 383. A. V. Segno, Le Secret de la mémoire. Démonstration d’une nouvelle théorie, Los Angeles, Société de Publication du Segnogram, 1907, p. 18-20. 384. B. Corradini, « Musique chromatique » (1912), dans Giovanni Lista, Le futurisme, op. cit., p. 413. 385. Ibidem, p. 441. 386. A. Ginna, Bruno Corra, « Art de l’Avenir » (1910), repris dans ibid., p. 293. 387. Ibid., p. 292. 388. Sur les tentatives filmiques des frères Corradini, voir l’ouvrage de référence de Marcella Lista, L’Œuvre d’art totale à la naissance des avant-gardes : 1908-1914, Paris, Institut national d’histoire de l’art, 2006. 389. Willard Huntington Wright, Modern Painting. Its Tendency and Meaning, New York, John Lane, 1915, p. 10. 390. Ibidem, p. 356. 391. « On peut peindre sur le film, et le cinéma ou la lanterne magique feront le reste. » Morgan Russell, Notes manuscrites, ca. 1914, New York, Fonds Russell, Smithsonian Institution, Archives of American Art (roll. 4536). 392. Morgan Russell livre à Canudo un dessin qui illustre, en janvier-février 1914, le numéro de Montjoie ! consacré à la rénovation de la danse, aux côtés d’un poème de Cendrars, Ma danse. 393. Ricciotto Canudo, Music as a Religion of the Future. Translated from the French of M. Ricciotto Canudo with a « Praise of Music » by Barnett D. Conlan, Londres, Foulis, 1913. 394. R. Canudo, « La naissance d’un sixième art. Essai sur le cinématographe », Entretiens idéalistes, 10 février 1912, p. 167. 395. Albert Bazaillas, Musique et inconscience. Introduction à la psychologie de l’inconscient, Paris, Alcan, 1908, p. IV-V. 396. Ibidem, p. 189. 397. Ibid., p. 191. 398. Ibid., p. 258. Plus loin, Bazaillas compare ce monde vivant et informel de l’inconscient éveillé par la musique à celui du « monde en transformation » de la « force intermoléculaire de la matière », ibid., p. 300. 399. Ibid., p. 192. 400. Blaise Cendrars, « La parturition des couleurs », La Rose rouge, 17 juillet 1919, repris dans Blaise Cendrars, Aujourd’hui, Paris, Denoël, 1987, p. 73-74. 401. B. Cendrars, Inédits secrets, Paris, Le Club du livre français, 1969, p. 126. 402. Claude Lévi-Strauss, Mythologiques I. Le cru et le cuit, Paris, Plon, 1964, p. 23-24. 403. Fae Brauer, « Magnetic modernism. Frantisek Kupka’s mesmeric abstraction and anarcho-cosmic utopia », dans David Ayers, Benedikt Hjartarson, Tomi Huttunen (éd.), Utopia. The Avant-Garde, Modernism and (Im)possible Life, Berlin, Walter de Gruyter, 2015, p. 123-153. 404. Ludmila Vachtova, Frank Kupka. Pioneer of Abstract Art, New York, 1968, p. 15. 405. Frantisek Kupka, « Credo », manuscrit inédit, 8 octobre 1913, courtesy Margit Rowell. 406. F. Kupka, La Création dans les arts plastiques, édition établie et préfacée par Philippe Dagen, Paris, Cercle d’Art, 1989, p. 146. 407. Ibidem, p. 147. 408. Ibid., p. 167. 409. Ibid., p. 229. 410. Ibid., p. 230. 411. H. Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, op. cit., p. 11. 412. Shelley Trower, Senses of Vibrations, London, Continuum, 2012. 413. V. Kandinsky a consulté les deux volumes de Karl Kiesewetter, Geschichte des neues Ocultismus (Leipzig, Friedrich, 1891-1895), notamment le dixième chapitre consacré à une analyse historique du concept de « force psychique » (« Die Vertreter der Theorie von der psychischen Kraft »), où est évoquée la question du magnétisme animal et de l’hypnose. 414. A. Aksakof, « Préface de l’édition allemande », Animisme et spiritisme. Essai d’un examen critique des phénomènes médiumniques spécialement en rapport avec les hypothèses de la force nerveuse, de l’hallucination et de l’inconscient, Paris, Librairie des sciences psychiques, 1906, p. XXVII. 415. Ibidem, p. XXVIII. 416. Carl du Prel, La Magie : la psychologie magique, tome II, Paris, Leymarie, 1908. 417. Ibidem, p. 179. 418. Ibid., p. 153. 419. « Le somnambulisme nous donne jusqu’à un certain point la conscience de l’au-delà et de notre âme. » Ibid., p. 153. 420. A. de Rochas, L’extériorisation de la sensibilité, op. cit. 421. A. Aksakof, Animisme et spiritisme, op. cit., p. 590. 422. Alfred Binet, Charles Féré, Le Magnétisme animal, préface de Serge Nicolas, Paris, L’Harmattan, 2006 [1887], p. 163. 423. Ibidem, p. 164. 424. Ibid., p. 164. 425. Johannes Eichner, Kandinsky und Gabriele Münter. Von Ursprüngen moderner Kunst, Munich, Bruckmann, 1957. 426. « Chez un individu sensible à la suggestion, l’expérimentateur peut faire naître les hallucinations les plus variées. On est presque autorisé à dire que la suggestion peut tout créer. » A. Binet, C. Féré, Le Magnétisme animal, op. cit., p. 156. 427. Ibidem, p. 167. L’expérience est menée plus loin : « Si on photographiait un carton blanc sur lequel la suggestion aurait fixé un portrait imaginaire, qu’arriverait-il ? Dans une expérience que nous avons faite, la malade a reconnu instantanément le portrait imaginaire, lorsque nous lui avons présenté la photographie du carton blanc. » Ibid., p. 179. 428. Camille Flammarion, « La pensée productrice d’images projetées à distance », La Mort et son mystère, Paris, Flammarion, 1920, p. 98-99. 429. Pierre Janet, Névroses et idées fixes, Paris, Félix Alcan, 1898. 430. A. Binet, C. Féré, Le Magnétisme animal, op. cit., p. 188. 431. Ibidem, p. 156. 432.Ibid., p. 170. 433. N. H. Kotik, Transmission immédiate des pensées. Investigations expérimentales, Moscou, Éditions des problèmes contemporains, 1908. Cet ouvrage est publié la même année dans une version allemande sous le titre Die Emanation der Psychophysyschen Energie (Wiesbaden, Bergmann, 1908), dans la même série (Grenzfragen des Nerven-und Seelenlebens) que le texte canonique de Freud, Uber den Traum. Dans sa correspondance avec Freud, Ferenczi évoque à deux reprises l’ouvrage de Kotik, notamment dans une lettre du 2 décembre 1910 qui soulève la question du « transfert de pensée ». 434. N. H. Kotik cité par Élise Soukhanoff dans le Journal de psychologie normale et pathologique, 1908, t. IV, p. 565. 435. Bruno Latour, Aramis, ou l’amour de la technologie, Paris, La Découverte, 1992. 436. V. Kandinsky, « La peinture en tant qu’art pur », Der Sturm, n° 178-179, septembre 1913, traduit dans V. Kandinsky, Écrits complets. La forme, édition établie par Philippe Sers, Paris, Denoël, 1970, p. 259-265. 437. Ibidem, p. 259. 438. Ibid., p. 262. 439. Ibid., p. 264. 440. Ibid., p. 263. 441. A. Binet, C. Féré, Magnétisme animal, Paris, Alcan, 1890, p. 168. 442. Ibidem, p. 180. 443. H. Bernheim, De la suggestion, Paris, Albin Michel, 1911, p. 59. 444. H. Bernheim, De la suggestion et des applications à la thérapeutique, Paris, Octave Doin, 1891, p. 67. 445. « Le sujet voit tous les objets, à l’exclusion de celui qui a été suggéré invisible pour lui ; j’ai effacé dans son cerveau une image sensorielle, j’ai neutralisé ou rendu négative la perception de cette image : j’appelle cela une hallucination négative ». Ibidem, p. 66-67. 446. Ferdinand Gombault, L’avenir de l’hypnose. Réflexions philosophiques, théologiques, physiologiques sur la nature et les effets du sommeil provoqué, Paris, Delhomme et Briguet, 1894. 447. Ibidem, p. 83. 216 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 216 12/09/2020 01:05 HYPNOSE_04-Cooper-CC2018.indd 217 12/09/2020 01:05 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 218 13/09/2020 19:04 L’ÉPOQUE DES SOMMEILS 1920-1950 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 219 13/09/2020 19:04 A HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 220 13/09/2020 19:04 Au sortir de la Première Guerre mondiale, les artistes qui ont dû affronter l’hécatombe démographique et psychologique des tranchées se trouvent sans trop d’échappatoires face aux automatismes d’une vie intérieure plus abyssale que jamais, blottie dans les tréfonds d’un inconscient blessé à vif. Sous sa forme la plus gestuelle et épileptique, l’hypnotisme s’est déplacé sur les tréteaux et les nouveaux écrans d’une culture visuelle du spectaculaire qui cherche à optimiser ses effets cathartiques. L’hypnose, fût-elle à nouveau déclassée, apparaît comme une forme de conjuration de ces traumas convertis en trépidations et tremblements de corps automates qui redemandent à vivre. Puisant de nouvelles ressources souvent comiques, elle se réalise dans l’activité hallucinatoire sous état modifié de conscience, et dans la productivité onirique d’une imagerie mentale peuplée de délires fantaisistes. Curieusement, Charcot, mort en 1893, bien avant la guerre, refait surface, ayant en commun avec Freud un intérêt pour le pouvoir imaginaire de la représentation sur le corps. En 1892, à l’occasion de l’une de ses toutes dernières séances, il s’était attardé sur le cas d’un jeune ébéniste du faubourg Saint-Antoine, Siméon Penhoët, « le type de l’ouvrier parisien, demi-artiste » chez qui « les rêves, oui, les rêves, ont le pouvoir efficace de produire directement des phénomènes somatiques1 ». Le jeune homme est un simple artisan mais grand lecteur de romans sensationnels qui nourrissent son imagina- tion. À la veille d’une crise qui l’a amené à la Salpêtrière, il a été assailli par un « rêve morbide, étrange, terrible et d’une force, d’une intensité représentative peu communes », qui lui réapparaît désormais à chaque attaque hystérique, « dans toute sa vivacité et avec toutes les apparences de la réalité objective2 ». Charcot en déduit la possibilité de réaliser objectivement les rêves dans l’hystérie, avec une attention portée à la phase délirante de l’attaque, très vite associée, adossée, à un jeu de dédoublement de la personnalité3. De là une insistance à reporter sur l’activité onirique une traduction organique instantanée : « Tout se passe comme si le rêve s’inscrivait, se convertissait immédiatement en signes sur la scène du corps4. » Selon Marcel Gauchet, ces dernières expériences manifestent au grand jour un « déterminisme purement intérieur, basé exclusivement sur la spontanéité des productions psychiques du sujet – productions d’autant plus spontanées qu’elles relèvent de processus soustraits à la prise consciente […]. À l’intériorisation de la source répond une appropriation subjective du corps. Ce psychisme tout en dedans est un psychisme qui inclut un corps représenté et représentatif dont les manifestations contournent et déconcertent les lois objectives du fonctionnement de la machine nerveuse5 ». Les premières « manifestations » du surréalisme puiseront dans le même constat clinique. André Breton est médecin de formation, infirmier à Nantes puis A. Camille Goemans, Gala Dalí, Salvador Dalí et Mme Goemans à Cadaqués, 1929, épreuve gélatino-argentique, 10,6 x 8,2 cm, Figueres, Fundació Gala-Salvador Dalí. 221 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 221 13/09/2020 19:04 L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S affecté pendant la guerre au centre neuropsychiatrique de Saint-Dizier, où il lit notamment les Leçons sur les maladies du système nerveux de Charcot. Familier des épisodes de la Salpêtrière, il connaît bien les travaux de Charcot et ceux de son confrère Babinski, auquel il rendra hommage dans le premier Manifeste du surréalisme6. Sa définition du surréalisme comme « automatisme psychique pur », notamment dans sa recherche d’une « mise en commun7 », fait tout autant penser à l’utopie magnétiste qu’aux enseignements plus récents de la « psycho-analyse ». De fait, le surréalisme va naître dans l’expérience partagée de l’induction hypnotique. Des Champs magnétiques aux séances de sommeils, ces tout premiers essais puisent, sans équivoque, quoique souvent de manière refoulée, dans le vocabulaire et les techniques de l’hypnose, en particulier dans le principe d’une identification de l’un à l’autre, alors que Soupault et Breton cherchent à « parler ensemble » au point de reconnaître pour sienne la parole de l’autre. C’est sous hypnose, fût-elle simulée, que le groupe réuni autour de la revue Littérature interroge les arcanes de l’intersubjectivité. L’hypnose fascine par sa capacité à façonner une identité collective – ce que Breton appellera, dans ses entretiens radiophoniques avec André Parinaud, la « collectivisation des idées » : « Nul ne cherche à rien garder pour soi, chacun attend la fructification du don à tous, du partage entre tous. » Malgré des réticences, pour certaines liées au refus freudien d’une hypnose thérapeutique, Breton le rappellera à plusieurs reprises, le mouvement surréaliste « définitivement s’agrège » dans les sommeils hypnotiques. Non seulement le groupe s’y cristallise, mais la notion même de surréalisme se forme dans ce théâtre du partage médiumnique de la langue. C’est en effet dans « Entrée des médiums », l’introduction aux procès-verbaux des sommeils, que Breton en qualifie les horizons, posant les premiers jalons du Manifeste de 1924. D’emblée, l’automatisme sur lequel Breton fonde la démarche surréaliste s’arrime à un endormissement vigile ; les hasards objectifs se libèrent dans une bouche somnambule. Toutefois, l’expérimentation des sommeils, menaçant jusqu’à l’intégrité physique ou psychique de certains des membres vaguement ou faussement hystérisés, fait craindre un dérèglement de la raison ou un abus de pouvoir. Deux spectres étroitement associés aux imaginaires culturels d’une hypnose que la culture populaire des années 1920 avait tôt fait, dans le post-trauma de la guerre, de réduire à l’anxiété d’un sujet hanté par la phobie du contrôle des corps et des esprits. A Développé plus tôt en Allemagne et sur les mêmes bases traumatiques, l’expressionnisme reprend cette veine « hystérique » pour la tourner en rituel d’exorcisation publique, voire en cérémonial de rédemption. Le cinéma est littéralement envoûté par la figure du magnétiseur malfaisant, le docteur Caligari, virtuose de la manipulation psychique ; la nouvelle culture des écrans y trouvera le frisson d’une aliénation létale et collective. Frisson, mais aussi clairvoyance, face à une 222 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 222 13/09/2020 19:04 1920-1950 B A. André Breton, Autoportraits dans un Photomaton, ca. 1929. B. André Masson, Portrait d’André Breton, 1941, encre de Chine sur papier, 41,6 x 61,8 cm, Centre Pompidou, musée national d’art moderne. société qui, après avoir traversé le désastre du premier conflit mondial sans en avoir tiré les leçons, va se griser des exaltations de masse pour s’abandonner au « meneur de foule », Duce ou Führer, devenus en quelques années les référents fascistes d’un magnétisme de masse (Freud n’est pas loin), trouvant dans le corps politique la surface de son esthétisation jusque dans ses détours par l’occultisme. L’hypnose se donne en spectacle dans les grand-messes des peuples dirigés en uniformes bruns ou noirs. Une « hypnose noire » sur laquelle rebondira la théorie critique de l’école de Francfort8, quand l’urgence sera à défaire les mécanismes institutionnalisés de l’emprise des consciences. C’est là une question d’échelle : l’hypnose est devenue une affaire d’État, non plus attachée à quelques individus au charisme diabolique, trop facilement hypostasiée dans la personnification du pouvoir, mais reliée à une organisation sociale ensorcelée par la force idéologique des propagandes. De là, pour comprendre la puissance magique de ces « forces du mal », la nécessité de revenir vers une interprétation pulsionnelle, voire fétichiste, de l’hypnose, avec sa dimension non seulement émotionnelle (évidente), mais sexuelle (latente). Les convulsions du corps expressionniste vont porter sur écran ou sur scène cette approche archaïque de la (dé)possession, jusque dans le personnage mythifié de la sorcière. Car plutôt que de chercher à résister aux agencements de suggestions de plus en plus soumises au régime de la terreur, les artistes de l’entre-deux-guerres déjouent l’expérience objective de cette emprise en parcourant l’état de ce monde défiguré et convulsif sans succomber à la logique de son efficace. Seule une plongée intégrale dans l’objet même de la fascination (qui entre de toute part dans la propagande et ses outils médiatiques, radio et télévision compris) permet d’en faire la critique en singeant, façon mascarade, le plaisir de la soumission servile. 223 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 223 13/09/2020 19:04 L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S A LE SURRÉALISME, SOUS HYPNOSE En 1924, André Breton publie le Premier manifeste du surréalisme avec pour horizon créatif une « dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison ». Pour les surréalistes ayant côtoyé Dada, il s’agit d’abattre les poncifs de l’autorité du texte et des images par une dissolution de l’identité de l’auteur dans un « jeu à plusieurs », expérimenté à travers la pratique des « cadavres exquis » ou des « dessins communiqués ». La poétique collaborative vise ainsi une « collectivisation des idées » sur le mode de la chaîne magnétique. Cette même année, Gaston Rageot publie un Essai d’esthétique historique passé autrement plus inaperçu et dans lequel il reformule, sans vraiment le renouveler, le concept de « suggestion esthétique » : « L’art procède par une sorte d’incantation qui fait que nous nous sentons d’abord isolés au milieu de l’existence et que notre imagination, ainsi libérée, va pouvoir réaliser elle-même ce que l’artiste aura voulu. En d’autres termes encore, l’art produit une sorte de suggestion, et les artistes seront d’autant plus puissants qu’ils auront plus fortement, en employant les ressources de leur art, créé en nous cet état de suggestibilité […]. Nous pouvons déjà donner cette définition : un artiste est celui qui, en employant les moyens naturels que nous offrent les diverses sensations de nos sens, est capable, après nous avoir isolés de nous-mêmes, de nous mettre à sa merci de telle façon que ce qui entre en nous, ce ne soit plus notre âme, mais l’âme humaine9. » Selon Rageot, l’artiste doit « être capable, par les moyens dont il dispose, le rythme en musique, la couleur en peinture, etc., de nous détacher de tout ce qui nous entoure et nous préoccupe, de façon que nous devenions comme des magnétisés devant un magnétiseur et susceptibles de suivre son imagination. C’était la suggestion esthétique. Mais l’artiste lui-même est un autre suggestionné : il est suggestionné lui par la vie, par la nature […]. Ainsi l’art suppose une double suggestion : la libération de l’artiste par la nature et la libération de l’amateur d’art par l’artiste10. » Nous retrouvons là telle quelle la rhétorique des textes nancéens absorbés par la critique d’art symboliste, avec 224 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018 224 14/09/2020 16:02 1920-1950 cette fois une plus grande insistance donnée à l’émancipation du sujet (créateur et spectateur confondus). L’inconscient est venu s’immiscer plus avant ou à fond dans les arcanes de l’induction hypnotique. Angelo Hesnard vient de publier son traité sur L’Inconscient, dans lequel Breton aurait pu non seulement croiser des analyses sur l’expérience psychique sous hypnose et la productivité onirique chez les hystériques11, mais aussi, plus intéressant pour l’esprit et la lettre surréalistes, quelques commentaires sur la perversion sexuelle traduite en « écriture automatique » où l’« inconscient hypnotique » est un moteur fantasmatique de l’imagination12. Quelques mois plus tôt, vers l’automne 1922, le groupe surréaliste, qui ne porte pas encore ce nom, se réunit autour des premières séances hypnotiques. « L’époque des sommeils » est ouverte, elle couvrira la période 1922-1924, c’est-à-dire la phase de gestation du mouvement avant sa théorisation par Breton dans le premier manifeste. À quoi répond cette expérimentation ? À une volonté d’explorer les confins de la créativité, mais aussi, de manière plus circonstancielle, à une première impasse liée à la retranscription inventive des rêves. Dès les premières tentatives pour sortir de l’impasse nihiliste du dadaïsme (un « corridor qui tourne en rond », selon Breton), il s’agit d’utiliser la puissance visuelle des imaginaires oniriques. Jacques Rigaut, celui par qui la sortie du dadaïsme venait d’être menée, avait donné le ton dans le Roman d’un jeune homme pauvre (1921). Il y invitait ses amis à plonger dans un sommeil extralucide : « Nous dormirons à la poursuite de la connaissance, armés de tubes de Crookes et de syllogismes – les chercheurs de sommeil13. » Un obstacle à cette exégèse apparaît très tôt dès 1919, quand certains des futurs membres de la cohorte surréaliste cherchent à retranscrire leurs rêves au réveil. Robert Desnos, l’un des premiers à s’emparer de cette mise en écriture d’un état situé en amont de la conscience vigilante, constate les limites de la méthode, notamment les écueils de la traduction, « sujette à caution », dira Breton14 : « Au réveil, j’ai non pas le souvenir des rêves que j’ai faits, mais le souvenir que j’ai rêvé sans pouvoir les préciser. Si je tente de les préciser dans ma mémoire, je me heurte à d’épaisses ténèbres dans lesquelles des ombres imprécises sont de grands gestes vagues15. » Non seulement la mémoire s’avère approximative, mais la transcription en langage est impuissante à traduire l’intensité et la complexité des formes vécues, facile aussi pour se perdre dans les dédales d’une « stylisation16. » B C’est dans cette insatisfaction que les surréalistes, Desnos et René Crevel en tête, vont chercher de nouvelles méthodes introspectives. Ce sera, à partir de septembre 1922, la solution temporaire des « sommeils hypnotiques ». Sous leur aspect expérimental censé mettre en veilleuse le contrôle de la conscience, leur théâtralisation hystérique exhale un parfum très fin de siècle. En 1922 l’hypnotisme est une pratique plutôt obsolète abandonnée par le corps médical, dénigrée par la psychanalyse, revenue sur les tréteaux de foire comme à la grande époque du magnétisme, ou traitée dans les milieux plus confinés de la parapsychologie, du spiritisme magnétique d’Hector Durville à la métapsychique de Charles Richet17. Avant la tentative de réhabilitation de Rank et Ferenczi, seul dans ce concert teinté d’occultisme positiviste, Pierre Janet, directeur du laboratoire de psychologie à la Salpêtrière, reprend l’étude expérimentale de l’hypnose. Les surréalistes vont puiser dans son « Automatisme psychologique », thèse soutenue en 1889, si ce n’est le principe, du moins le vocabulaire de l’écriture automatique. Janet y décrit des cas d’écriture posthypnotique, mais aussi, ce qui est moins relevé, s’attarde sur le « rapport magnétique », cette étrange relation souvent amoureuse qui unit le sujet à son hypnotiseur. C’est dans le potentiel subversif de cette séduction magnétique exclue du champ freudien que les surréalistes vont contracter une dette envers Janet ou d’autres figures moins canoniques de la psychologie expérimentale. A. Photographie de Robert Desnos par Man Ray pendant une séance de sommeil hypnotique, 1922. B. Photographie de Robert Desnos publiée en illustration du roman d’André Breton, Nadja, 1928. 225 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 225 13/09/2020 19:04 L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S l’exclut de l’expérience suivante, entreprise, à sa participation près, dans les mêmes conditions. Aucun résultat immédiat. Au bout d’un quart d’heure, Desnos, qui se tenait pour le plus impropre à offrir de telles manifestations, fortifié qu’il était dans cette opinion par l’échec qu’en ma compagnie il avait infligé quelques jours auparavant à deux magnétiseurs publics, MM. Donato et Bénévol, laisse tomber la tête sur son bras et se met à gratter convulsivement sur la table. Il se réveille de lui-même quelques instants plus tard, persuadé de ne pas s’être comporté autrement que nous. Pour le convaincre de son erreur, nous devons séparément lui notifier par écrit ce qui s’est passé. Crevel nous ayant dit que l’action de gratter la table pouvait témoigner du désir d’écrire, il est convenu que la fois suivante, Desnos aurait un crayon dans la main et une feuille de papier devant lui. C’est ainsi que le surlendemain dans des circonstances analogues, nous le voyons écrire sous nos yeux, sans bouger la tête, les mots : 14 juillet – 14 juil surchargés de signes + ou de croix20. » A Les séances ont commencé avec Crevel. Dans Les Pas perdus, Breton rappelle qu’à son retour de vacances le jeune poète a eu, par la rencontre d’une « dame D », une initiation au spiritisme qui a révélé en lui des « qualités médiumniques particulières ». La femme lui a « enseigné le moyen de les développer » par de simples techniques suggestives au rang desquelles la technique d’autohypnotisation : « Il nous apprit, dit Breton, qu’il parvenait rapidement à s’endormir et à proférer des paroles s’organisant en discours plus ou moins cohérent auquel venaient mettre fin en temps voulu les passes de réveil18. » La séquence des « sommeils hypnotiques » est prête à s’engager : « Le lundi 25 septembre, à neuf heures du soir, en présence de Desnos, Morise et moi, Crevel entre dans le sommeil hypnotique et prononce une sorte de plaidoyer ou de réquisitoire dont il n’a pas été pris note (diction déclamatoire, entrecoupée de soupirs, allant parfois jusqu’au chant, insistance sur certains mots, passage rapide sur d’autres, prolongement infini de quelques finales, débit dramatique ; il est question d’une femme accusée d’avoir tué son mari et dont la culpabilité est contestée du fait qu’elle a agi à la requête de ce dernier). Au réveil, Crevel ne garde aucun souvenir de son récit19. » Desnos prendra l’ascendant sur les séances rapidement traduites en activité polygraphe au moyen d’une écriture automatique combinant textes et dessins : « On La mention de Donato et Bénévol, deux fameux magnétiseurs de foire, nous renvoie à la décote scientifique d’une hypnose ravalée à la fraude magicienne, mais aussi, et cela prendra toute son importance, au voyeurisme libidinal détourné des protocoles cliniques de la Salpêtrière21. Elle dénote par ailleurs une méfiance installée dès l’origine face à ce qui semble être, dans sa version théâtrale, plus une simulation de la soumission qu’un sismographe authentique des inconscients. Quelques jours avant de se plonger dans l’épisode des « sommeils », Desnos s’est en effet attaqué à Bénévol lors d’une séance de magnétisme donnée sur la scène du Bataclan. L’ayant mis au défi de l’endormir sur scène, le poète peu « suggestionnable » lui avait infligé un échec humiliant devant le public. Benjamin Péret prêtera main-forte à cette entreprise puisque, le lendemain, il signe un billet calomnieux dans les colonnes du Journal du peuple, suscitant une demande de duel par celui qui s’estimait diffamé. Camouflé sous le nom de plume goguenard « Le Péquenot », Péret dénonce la supercherie de Bénévol qui simule de faire appel à un anonyme dans le public quand ce dernier est un complice « figurant d’un théâtre du boulevard Saint-Martin, auquel ses mœurs spéciales avaient valu le pseudonyme féminin de “Georgette” ». Il l’attaque ad hominem, allant plus loin encore dans le jeu de la dénonciation : « Et me forcerez-vous aussi à ajouter que “Georgette” ne vous a quittés que le lendemain matin, après le petit déjeuner ? […] Il n’y a là-dedans que charlatanisme22. » Autant dire plus de scepticisme que de conviction, du moins envers ce qui pourrait apparaître comme le dévoiement théâtral et illusionniste du procédé. Quant à Donato, son Cours pratique d’hypnotisme et de magnétisme (1911) est un manuel de référence pour les amateurs de « maniement des forces psychiques », rassemblant des consignes, illustrées de saynètes photographiées, sur les techniques dont on retrouve de curieux échos dans les protocoles joués au sein des séances surréalistes. Ainsi du jeu transitionnel des 226 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 226 13/09/2020 19:04 1920-1950 mains (le texte précise que le poignet peut faire office de courroie de transmission magnétique). À plusieurs reprises dans les procès-verbaux des séances est mentionné un contact physique par la main qui crée le lien, accompagne ou déclenche la transe. Breton, jouant sur son ascendant, est présenté comme le principal acteur de ces passes où circule et se cristallise ce que Donato appelle la « chaîne magnétique23 ». Les surréalistes sont très intrigués par les transferts d’identité produits dans le circuit des échanges relationnels – tout ce que Breton dans L’Amour fou appelle la « magique circonstancielle ». Avec des accents unanimistes proches de ceux du Jean Jaurès de De la réalité des mondes sensibles, Breton insiste avec enthousiasme sur la générosité du partage créatif des consciences : « Je crois pouvoir dire qu’est mise en pratique entre nous, sans aucune espèce de réserve individuelle, la collectivisation des idées […]. Nul ne cherche à rien garder pour soi, on attend la fructification du don à tous, du partage entre tous. Et rien n’est alors, en effet, plus fructueux24. » Les photographies du groupe en témoignent ; les membres de la cohorte s’y présentent en étoile, en cercle, main dans la main, tête à tête, toujours en « vases communicants ». Assisteront à ces séances, Desnos, Crevel, Péret, Max Ernst, Paul Éluard et Gala, André et Simone Breton, mais aussi Francis Picabia et sa femme Germaine Everling, Louis Aragon, Roland Tual, Man Ray, Georges Limbour, jusqu’à Giorgio de Chirico, de passage à Paris. La fameuse photographie, B A. Louis Aragon, Autoportrait dans un Photomaton, 1929. B. La Chaine magnétique, photographie reproduite dans Donato, Cours pratique d’hypnotisme et de magnétisme, ca. 1900. 227 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 227 13/09/2020 19:04 L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S réalisée par Man Ray, mettant en scène l’ensemble du groupe autour de la machine à écrire est digne de cette transe collective. Il reste de ces séances de nombreux documents, des dessins, des notes, mais aussi quelques photographies. Il y aurait beaucoup à dire sur la manière dont les choix de cette iconographie publique du groupe rejouent les imaginaires visuels des cures collectives du magnétisme animal, façon « baquet de Mesmer », à l’image du fameux collage Je ne vois pas la (femme) cachée dans la forêt, publié en décembre 1929 dans les colonnes de La Révolution surréaliste. L’usage du Photomaton valorise la mise en scène de têtes sans corps (une connexion « d’esprit à esprit »), les yeux fermés des protagonistes soulignant la plongée hypnotique dans les couches plus profondes de l’inconscient. Ce montage photographique nous donne à voir la mise en condition du groupe pour atteindre un état visionnaire (lucidité/hyperprésence), dilaté dans et par le partage collectif des consciences. Pourquoi cette forme privilégiée du collage/montage ? Roger Luckhurst livre une première réponse en établissant un lien subtil entre la technique du collage et les protocoles de « correspondances croisées » rencontrés dans les expériences d’hallucinations télépathiques25. Le collage met en crise la notion d’auteur par l’usage d’images extérieures (originalité, préfabrication). Sa logique d’amalgame fonctionne en surface, sur une juxtaposition de niveaux d’énonciation, similaire à la fragmentation du sujet en état d’induction. Plus encore, le collage associe physiquement des éléments hétéroclites, aux modes narratifs parfois contradictoires. Les contiguïtés et logiques de rapprochement participent à l’émergence d’une signification à plusieurs voix, tout comme dans les protocoles herméneutiques élaborés par les cercles d’études psychiques. Le décryptage des messages reçus en état de transe, au premier abord incompréhensibles, apparaît seulement dans le montage des fragments de textes, exigeant, au-delà de la distinction entre contenus latent et manifeste, le dépassement de la communication écrite ou verbale au profit de « l’idée d’une communication tacite » (Breton)26. Breton reproduira dans les pages de son roman illustré Nadja deux photographies de Desnos plongé dans ce sommeil. Elles sont dues à Man Ray et vraisemblablement prises au cours d’une des séances. Breton passe commande dans une lettre du lundi 2 octobre 1922 : « À propos des expériences auxquelles vous avez commencé à assister, pouvez-vous me dire s’il vous serait possible de prendre une photographie au magnésium ? Il me semble que ce serait d’un vif intérêt. On choisirait le moment où Desnos endormi lève sur l’assistance des yeux étonnamment troubles27. » Breton pense « à faire enregistrer ses paroles au phonographe28 », comme s’il s’agissait d’éviter les écueils de la retranscription écrite au profit d’une écriture « directe de la pensée ». Manifestement, l’hypnose apparaît comme la méthode la plus efficace, rapide et concluante, pour donner libre cours à « l’automatisme psychique ». Breton le reconnaît en présentant Desnos comme le surréaliste par excellence, son « prophète » : « Aujourd’hui Desnos parle surréalisme à volonté. La prodigieuse agilité qu’il met à suivre oralement sa pensée nous vaut autant qu’il nous plaît de discours splendides et qui se perdent, Desnos gagnant mieux à faire qu’à les fixer. Il lit en lui à livre ouvert et ne fait rien pour retenir les feuillets qui s’envolent au vent de sa vie29. » Aragon confirme : « Il n’a qu’à fermer les yeux, et il parle, et au milieu des bocks, des soucoupes, tout l’Océan s’écroule avec ses fracas prophétiques et ses vapeurs ornées de longues oriflammes30. » LA RECHERCHE D’UNE « ACTIVITÉ PERCEPTIVE EXAGÉRÉE » Très vite des dessins sont produits, dont Desnos luimême semble envoyer quelques exemplaires à Breton parti à Barcelone pour l’exposition Picabia, aux galeries Dalmau. Dans une lettre adressée à Breton, le 14 novembre 1922, Éluard, qui assiste aux séances, écrit de Desnos que « sa passion de dessiner ne diminue pas. Il fait des dessins étonnants que vous avez dû recevoir31 ». À l’instar de l’expérience initiatique de Crevel, ce sont bien des qualités visionnaires que Breton appelle dans l’induction hypnotique : « Je revois maintenant Desnos à l’époque que ceux d’entre nous qui l’ont connu appellent l’époque des sommeils. Il « dort », mais il écrit, il parle. C’est le soir, chez moi, dans l’atelier, au-dessus du cabaret du Ciel […]. Et Desnos continue à voir ce que je ne vois pas, ce que je ne vois qu’au fur et à mesure qu’il me le montre […]. Qui n’a pas vu son crayon poser sur le papier, sans la moindre hésitation, et avec une rapidité prodigieuse, ces étonnantes équations poétiques […] ne peut se faire une idée de tout ce que cela engageait alors, de la valeur absolue d’oracle que cela prenait. Il faudrait que l’un de ceux qui ont assisté à ces séances innombrables prît la peine de les décrire avec précision, de les situer dans leur véritable atmosphère32. » Dans Les Mots sans rides, Breton rapporte que Desnos affirmait, lors des premières séances, être en communication télépathique avec Marcel Duchamp, installé à New York : « Qui dicte à Desnos endormi les phrases qu’on a pu lire dans Littérature et dont Rrose Sélavy est aussi l’héroïne ; le cerveau de Desnos est-il uni comme il le prétend à celui de Duchamp, au point que Rrose Sélavy ne lui parle que si Duchamp a les yeux ouverts ? C’est ce que, dans l’état actuel de la question, il ne m’appartient pas d’élucider. Il est à signaler qu’éveillé, Desnos se montre incapable, au même titre que nous, de poursuivre la série de ses “jeux de mots” même au prix de longs efforts33. » Cette « hallucination télépathique » donne naissance aux cent cinquante aphorismes de Rrose Sélavy, un recueil de Desnos dont les « étonnantes équations poétiques », palindromes et calembours, à la rigueur mathématique, ne laissent pas d’énoncer une forme préverbale de communication. Le cent trente-cinquième, par exemple : « Ô laps des sens, gage des années aux pensées sans langage. » En renouvelant le vocabulaire de la « clairvoyance », ce 228 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 228 13/09/2020 19:04 1920-1950 mode de rapport pose l’existence d’une communication directe d’esprit à esprit, hors des canaux sensoriels ordinaires, sortant le sujet des limites et des apories du langage. Il rejoint, en cela, un des enjeux poétiques de la modernité : la performance des échanges où l’expérience esthétique peut se vivre comme une relation idéale, parce qu’au maximum de sa puissance d’efficacité, sans déperdition ni brouillage. Ce terme d’« hallucination télépathique » n’est pas neutre, il renvoie au vocabulaire usité à la fin du XIXe dans les cercles des « études psychiques », en particulier aux analyses de Frederic Myers (un membre influent de la Society of Psychical Research de Londres), ainsi que l’a montré, dès 1968, Jean Starobinski dans un article où il revenait sur les sources culturelles du surréalisme bretonien34. Starobinski s’appuie pour cela sur les références déployées en 1933 par André Breton dans « Le message automatique » (Myers, Théodore Flournoy, Charcot ou Charles Richet35). Dans cette constellation de noms, Starobinski s’arrête plus particulièrement sur le cas de Myers (1843-1901), l’auteur de La Personnalité humaine, un ouvrage dans lequel Breton36 découvre une théorie susceptible d’attribuer une « valeur positive à ces phénomènes automatiques tenus pour gravement morbides par la tradition française37 ». Qu’apporte Myers à Breton ? Une réhabilitation des zones inconscientes où le moi subliminal, loin d’être archaïque, est porteur de « facultés nouvelles ». Breton dira : « Ce terrain sera celui du sommeil provoqué ou hypnotique, à l’expérimentation duquel nous allons nous livrer chaque soir durant des mois. Bien que j’aie été autrefois élève de Babinsky (sic), soit du pire détracteur des thèses de Charcot et de l’école dite de Nancy, je garde alors pour ma part un intérêt très vif, quoique défiant, pour une partie de la littérature psychologique axée ou articulée sur cet enseignement, je pense en particulier au bel ouvrage de Myers : La Personnalité humaine, aux passionnantes communications de Théodore Flournoy à propos du médium Hélène Smith : Des Indes à la planète Mars, etc., voire à certains chapitres du Traité de métapsychique de Charles Richet. Tout cela trouve à se lier, à se conjuguer avec mes autres façons de voir à la faveur de l’admiration enthousiaste que je porte à Freud et dont je ne me départirai pas par la suite […]. Les “expériences de sommeil”, bien qu’antérieures à la publication du Premier manifeste, font partie intégrante de l’histoire du mouvement surréaliste. Les déclarations théoriques du Manifeste reposent non moins sur elles que sur les spéculations auxquelles a conduit le recours de plus en plus étendu à l’écriture automatique38. » Or, dans ce concert des différentes couches du moi, Myers réserve un rôle décisif à ce qu’il appelle la « couche hypnotique », cette « région de notre personnalité que nous ne connaissons bien que parce que nous pouvons l’atteindre par la suggestion hypnotique39 ». Myers, qui prend parti en faveur de l’école de Nancy (Ambroise Liébeault, Hippolyte Bernheim), offre ainsi à Breton une approche proactive de l’induction hypnotique à l’origine d’une descente dans les strates plus intimes de l’être : « Loin de considérer les hallucinations hypnotiques comme l’effet d’une inhibition, comme l’expression d’un mono-idéisme, nous y voyons au contraire une manifestation dynamogénique, une intensification de l’imagination40. » Selon Myers, deux nouveaux modes de perception se révèlent plus singulièrement dans le processus hypnotique : « l’intensification des sens ordinaires (« hyperesthésie ») et « le développement des sens nouveaux (« héteresthésie »41). Myers prend soin de préciser que les cas d’hyperesthésie sous hypnose « prouvent que le fonctionnement de nos sens ne présente qu’un minimum adapté à nos besoins journaliers, mais qu’ils possèdent des potentialités latentes que la suggestion hypnotique est susceptible de mettre en lumière42 ». C’est l’état par lequel on peut provoquer « l’action de ces facultés subliminales43 ». Dans son résumé des précédents historiques, il rappelle l’importance de James Braid, dont la plus grande innovation serait « la possibilité de l’auto-hypnotisation par concentration de la volonté44 ». Dans ce sens, Breton a ainsi pu retrouver dans les pages de La Personnalité humaine le concept d’« autosuggestion » si répandu au sortir de la guerre dans les procédés populaires issues de la méthode Coué : « Il faut que la suggestion du dehors se trouve transformée en une suggestion venue du dedans, c’est- L’hypnose aurait pour vertu d’intensifier la productivité hallucinatoire – ce que Myers appelle l’« exaltation de l’imagination ». à-dire en autosuggestion, et la suggestion devient ainsi un appel efficace au moi subliminal45. » Plus encore, Breton va y rencontrer l’hypothèse d’une augmentation technique – et non pas psychotropique – des facultés visuelles d’imagination. L’hypnose aurait pour vertu d’intensifier la productivité hallucinatoire – ce que Myers appelle l’« exaltation de l’imagination46 », à savoir « la possibilité qu’il y a à donner aux images ayant une origine centrale un peu plus de cette vivacité que seules les images provenant du monde extérieur sont susceptibles d’atteindre47 ». L’auteur évoque les « figures de rêve », mais aussi les « illusions hypnagogiques », nées d’un état de « transition de l’état de veille à celui de sommeil » : « La suggestion agit donc en intensifiant notre puissance et nos facultés sensorielles ordinaires, en élevant à un degré inaccessible à l’état normal notre perceptivité périphérique ou centrale48 » : une « activité perceptive exagérée » ou « faculté de perception supranormale » (« susceptible 229 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 229 13/09/2020 19:04 A A. Arthur Harfaux, Moi et moi. Dédoublement, 1927, photographie. HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 230 13/09/2020 19:04 1920-1950 de gagner aussi bien en étendue qu’en profondeur »). Dans ce sens, l’induction hypnotique donne accès à des états intensifiés : « Quel est le but de tous les procédés hypnogènes ? C’est d’énergiser la vie, c’est d’atteindre plus rapidement et plus complètement des résultats que la vie abandonne à elle-même, ne réalise que lentement et d’une façon incomplète49 », avec pour propriété un sens de la « plasticité » plus subtil : « La leçon ultime de la suggestion hypnotique, surtout dans l’état de somnambulisme, consiste à nous montrer que nous pouvons atteindre, par des artifices empiriques, ces couches de plasticité plus grande – plasticité par rapport aux forces internes, non externes –, où l’esprit exerce sur l’organisme un contrôle plus immédiat et agit sur lui avec plus de liberté50. » Myers est en quelque sorte à l’hypnose ce que Lacan sera plus tard à la paranoïa, dans une même entreprise de réhabilitation où la pathologie se transmue en vertu créatrice. Parce qu’elle désinhibe face « aux contraintes qui pèsent sur la pensée surveillée51 », l’hypnose libère par le langage du corps des forces propices à la création52. Au cœur de cette « plasticité » de la vie intérieure s’installe la faculté de pousser l’imagerie mentale du rêve dans le champ du réel : un pouvoir de « concrétion » dira Aragon. Dans Une vague de rêves, le poète mentionne « l’existence d’une matière mentale, que la similitude des hallucinations et des sensations nous forçait à envisager différente de la pensée, dont la pensée même ne pouvait être, et aussi bien dans ses modalités sensibles, qu’un cas particulier. Cette matière mentale, nous l’éprouvions par son pouvoir concret, par son pouvoir de concrétion. Nous la voyions passer d’un état dans un autre, et c’est par ces transmutations qui nous en décelaient l’existence que nous étions également renseignés sur sa nature53 ». Ce matérialisme panpsychique, convertissant la suggestion en réalité observée par de simples opérations visuelles, hante la littérature magnétique. Ainsi le très populaire Traité d’hypnotisme expérimental et de psychothérapie (1911) du docteur Paul Joire recommande, par exemple, de placer une « boule de cristal » ou une « carafe ronde remplie d’eau » sur une surface noire puis invite le sujet à fixer cet objet après avoir lu des suggestions écrites sur une feuille de papier qu’il tient en main : « Il est alors ordonné au sujet de fixer bien attentivement les yeux sur le globe transparent, comme s’il cherchait à regarder à son centre. Pendant les dix premières minutes, le sujet tiendra les regards fixés sur le même point, cela produit un premier état d’hypnose. Les cinq minutes suivantes, il regardera et lira attentivement les suggestions qu’il tient à la main. Puis pendant cinq minutes, il regardera de nouveau le centre du globe, pensant fortement aux suggestions qu’il vient de lire, et cherchant à percevoir l’image des lettres et des mots écrits, dans la transparence du cristal. Il continuera ainsi, de cinq en cinq minutes, et, le plus souvent, au bout de peu de temps, il percevra l’image hallucinatoire des suggestions écrites, par suite des multiples jeux de lumière qui se font dans le globe transparent54. » L’hypnose devient littéralement un média de transcription visuelle des suggestions verbales ou écrites. Les surréalistes ne peuvent que souscrire à ce programme de « réunification des réalités intérieures et extérieures (qui) a pris la forme d’un ré-enchantement psychique des apparences (et où) jamais le monde extérieur n’aura été plus ressemblant à la vie mentale, non seulement dans son décor onirique, mais aussi dans son dynamisme et dans son événementialité55 ». « IL EST UNE FLEUR » SIMULATION ET FÉTICHISME Tout a donc commencé avec Les Champs magnétiques, un travail d’écriture « à deux têtes », texte en prose écrit au printemps 1919 par Breton et Soupault, dans ce que Laurent Jenny a pu qualifier de première tentative d’« aliénation intime de la parole56 ». Breton le rappelle, la technique vise à écrire en l’absence de « toute intervention critique57 », scellant le retour aux puissances de l’inspiration passive sur le modèle de l’écriture automatique fourni par les imaginaires médiumniques déjouant les mécanismes de l’instance parlante (qui parle en moi ? de qui l’intériorité est-elle le nom ?), mais cette fois avec plus de place accordée aux chaînes associatives à déchiffrer comme un « cryptogramme ». Restait alors à savoir comment articuler le verbal et le visuel, l’inspiration et sa traduction graphique, pour mieux évaluer la dépendance de l’image au langage. Les séances de sommeils hypnotiques vont fournir ce lien ; en naîtront de nombreux dessins, mêlant pictogrammes et lettres sous forme de rébus visuels. La bibliothèque littéraire Doucet détient aujourd’hui une soixantaine d’exemples de la main de Desnos, le plus souvent réalisés au crayon de papier sur feuilles libres, certaines à petits carreaux. D’autres au crayon gras, parfois en couleur (bleu ou rouge), figurent au verso des papiers à en-tête. La plupart datent de l’automne 1922, avec un pic sur la période de fin octobre à la mi-novembre. S’y retrouvent des mots en association libre, des jeux de mots (« alliés nez »), mais aussi des phrases parfois sous forme de questions, des graphismes avec des motifs récurrents, des escaliers et des lignes de fuite, des espaces peuplés d’objets, des motifs érotiques, des érections et des symboles phalliques, ainsi que de nombreuses allusions obsédantes à la mort (tombeaux, cercueils, squelette, jusque dans les noms MAX MORT RISE…58). Éros et Thanatos. Des mains découpées, des corps démembrés, des corps translucides, autant d’éléments fragmentaires rencontrés dans la littérature clinique sur l’induction hypnotique. Dans Les États superficiels de l’hypnose, Albert de Rochas, évoquant « l’empire de suggestions », rapporte des exemples où, par simple suggestion, disparaît une partie du corps sur le principe de l’hallucination négative : « Benoît étant en sommeil somnambulique, je lui dis : “Au réveil, vous ne verrez que la main de la personne qui a écrit au tableau”59. » De même, des jeux de distorsion optique obtenus par suggestion verbale. Rochas donne un exemple qui aurait pu ravir René Magritte : « Je dis à Benoît : 231 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 231 13/09/2020 19:04 L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S A A. Robert Desnos, On ne répond pas, 1922, dessin n° 50, crayon sur papier, 24,5 x 32 cm, bibliothèque littéraire Jacques-Doucet. B. Robert Desnos, Tombeau Picabia, 1922, crayon sur papier, 24 x 31,5 cm, bibliothèque littéraire Jacques-Doucet. C. Robert Desnos, Mort Aragon, 1922, crayon sur papier, 22 x 32 cm, bibliothèque littéraire Jacques-Doucet. D. Robert Desnos, Où se jeter ?, 1922, dessin n°32, crayon sur papier, 24,5 x 32 cm, bibliothèque littéraire Jacques-Doucet. 232 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 232 13/09/2020 19:04 1920-1950 B C D 233 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 233 13/09/2020 19:04 A A. Planche extraite de Max Ernst, Rêve d’une petite fille qui voulut entrer au Carmel, 1930. HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 234 13/09/2020 19:04 1920-1950 “Vous voyez la canne qui est entre les mains de mon fils ; elle va venir se mettre debout sur cette table”, et j’ajoute brusquement : “Voyez !”. Il voit la canne, mais il n’en voit pas l’image dans une glace qui l’aurait reflétée pour lui si la canne avait été réellement sur l’angle de la table60. » Disséminés dans les mêmes dessins de Desnos, des mannequins isolés dans des espaces vides, à la manière de la peinture métaphysique, jusque dans les titres associés (Le Jugement de Paris, 7 novembre 1922), ou la présence de statuettes à l’antique (Qu’en pensent les cocus ?, 10 novembre 1922). N’oublions pas que Giorgio de Chirico (nommé dans un des dessins) était présent dans certaines séances collectives. Œil, sein, main : le regard surréaliste, friand de synecdoque, choisit une focale rapprochée qui morcelle le corps convoité. Ce réflexe fétichiste est associé dès 1888 à la fixation du regard sous hypnose. Dans ses Études de psychologie expérimentale, Alfred Binet regroupe trois articles sur « le fétichisme dans l’amour », « l’intensité des images mentales » et « le problème hypnotique » où, s’appuyant sur les travaux de la Salpêtrière, il montre comment l’œil du fétichiste se polarise sur un détail corporel61. Parmi les exemples retenus, « l’amant de l’œil » et « l’amant de l’oreille » dont se découvrent de singuliers échos dans les dessins de Desnos pourvus d’une nouvelle organologie, fragmentée ou recomposée. Dans un dessin, il fait apparaître à sa main un sixième doigt (excroissance anatomique dans laquelle il faut lire l’insigne de cette extension du sixième sens). Il manque des témoignages sur les protocoles utilisés par les membres ayant participé aux sommeils. Cependant, Simone Breton, dans une lettre intitulée « Les sommeils », envoyée à sa cousine Denise Levy le 5 octobre 1922, en donne des détails : « Ma petite chérie, il se passe ici des choses inouïes […]. Spiritisme n’est pas le mot. Toujours est-il que certains amis d’André se sont découvert des qualités médiumniques qui ne ressemblent évidemment à aucune autre. Le “42, rue Fontaine” a été le lieu de séances fantastiques où le dramatique le disputait au touchant. Il fait noir, nous sommes tous autour de la table, silencieux, les mains tendues. Trois minutes à peine et Crevel pousse déjà des soupirs rauques et des exclamations informes. Puis il commence sur un ton forcé, déclamatoire, un récit atroce. Une femme a noyé son mari, mais c’est lui qui le lui avait demandé. “Ah ! les grenouilles ! Pauvre folle ! Fooooooolle”. Des accents pénibles et cruels. De la férocité dans les moindres images. Quelques obscénités aussi […]. Un autre jour, il écrase de ses talons les yeux de toutes les femmes, ou bien de ses deux pouces jusqu’à ce que la cervelle, etc. Imagine ces récits dans l’obscurité, et presque hurlés par moments, à d’autres traînés à ne plus finir62. » Simone Breton souligne les errements de la méthode, les réticences de certains, l’indifférence d’autres, la perte de contrôle du temps et de l’espace, mais surtout l’attraction fatale pour ce mode d’entrée dans un univers psychique inconnu. Quatre jours plus tard, le 9 octobre, elle note : « Nous vivons en même temps le présent, le passé et l’avenir. Après chaque séance, on est tellement égaré et brisé qu’on se promet de ne pas recommencer, et le lendemain on n’a plus que le désir de se retrouver dans cette atmosphère catastrophique où tous se donnent la main avec la même angoisse. Il y a les Éluard, Max Ernst et nos amis que tu connais = Péret et son amie […]. Ceux qui se récusent, comme Vitrac, ou se montrent indifférents comme Baron, sont immédiatement mis en quarantaine. On n’appartient plus au même monde63. » C’est donc bien une transe qui est visée pour ses vertus transformatrices, une transe régulée autorisant à puiser dans le gisement fossile de ressources créatives fondées sur le trouble d’une identification à de multiples personnalités traversant les genres et les espèces : « Desnos abandonne sa tête sur la table comme un coup de tonnerre – et il écrit. Il dessine aussi. On lui pose des questions et il répond pour chacun ou pour tous dans un style mystérieux, symbolique, des choses mieux que la réalité si elles ne sont pas la vérité […]. Péret la tête sur le bras répond aux questions d’un air extasié, absolument angélique, d’une voix douce et fine, aérée, détachée, lointaine. Ce personnage stupide et vulgaire devient un être ailé, hors d’atteinte. Et il est en même temps si comique et si heureux que c’est un éclat de rire qui l’écoute. Hier, il était encore assis droit sur sa chaise quand il s’écrie : “Tonnerre de Dieu ! Tonnerre de Dieu, mais je suis une fleur !” Et, en effet, il est une fleur, dans une forêt de la Bolivie, sur la branche d’un arbre très fleuri64. » De même Aragon, en 1924, dans Le Paysan de Paris, reconnaît combien le surréalisme est né dans ces expériences de plongée « subliminale » : « Au café, dans le bruit des voix, la pleine lumière, les coudoiements, Robert Desnos n’a qu’à fermer les yeux, et il parle, et au milieu des bocks, des soucoupes, tout l’océan s’écroule avec ses fracas prophétiques et ses vapeurs ornées de longues oriflammes. Que ceux qui interrogent ce dormeur formidable l’aiguillent à peine, et tout de suite la prédiction, le ton de la magie, celui de la révélation, celui de la Révolution, le ton du fanatique et de l’apôtre surgissent. » Desnos, Péret, mais la liste s’arrête assez vite. Manifestement, ils seront peu à plonger dans la griserie hypnotique, pour y chercher le moyen de s’affranchir du « faisceau de censures qui entrave l’esprit65 ». Ni Éluard, ni Ernst, ni Breton ne donneront dans ce rituel de l’écriture sous induction66. Ernst est pourtant bien présent et nullement surpris par ce genre d’expériences. Comme le rappelle Ludger Derenthal67, de telles séances d’hypnose n’ont « rien de nouveau » pour lui. Il a, dès avant la guerre de 1914, participé à ce type collectif de transe chez son ami peintre Franz Henseler68. Sans surprise, Picabia est sceptique, voire hostile, à cette hystérisation collective dont il s’amuse cependant. Dans une lettre (rédigée à « deux heures du matin », probablement à l’issue d’une séance qui a tardé), il écrit : « Littérature propose une chose assez étonnante, mais il y a bien des chances que je n’y prenne pas part, je compte même m’y opposer si cela est possible69. » Bien sûr, de nom- 235 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 235 13/09/2020 19:04 L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S elles avaient été préparées à l’avance et apprises par cœur72. » D’autres vont surtout reprocher l’irrationalité croissante de réunions devenues « salles de crise ». Simone Breton, dans sa correspondance du 9 octobre 1922, souligne l’effet pathogène sur l’ensemble des participants : « Il y a eu un jour si épouvantablement dramatique que j’ai éclaté en une crise de sanglots et que tout le monde pleurait […]. Crevel s’endort. Tout de suite il semble souffrir énormément, pousse des gémissements affreux et hurle : “Ah, je suis tuberculeux !”. Suivent des vociférations effroyables – “Tous, vous tomberez malades, les uns après les autres. Vous serez fous, vous serez fous. Je vous donne rendez-vous sur le toit. J’ai jeté un sort sur cette maison !”. J’ai entrevu que je pouvais devenir folle de terreur. André et moi n’avons eu qu’une pensée, la malédiction de Crevel […]. Voilà dans quelle atmosphère nous vivons. Il faut être solide73. » Il est difficile d’établir une date pour la fin de cette « époque des sommeils ». Les notes d’André Breton sur les séances cessent en février 1923, marquant le temps de la fin de récréation, précipité par des dérives de plus en plus hystériques74. Péret s’émoussa probablement ; il en dira : « Les sommeils non seulement provoquaient, sur le plan sensoriel, des désordres du même type [que l’écriture automatique] mais, en outre, développaient chez certains des sujets endormis une activité impulsive de laquelle on pouvait craindre le pire […]. » Quant à Crevel, sa brouille avec le groupe à la suite de sa participation félonne à la soirée Le Cœur à gaz, organisée par Tzara contre le leadership de Breton, le laissa de côté pour un moment. En revanche, Desnos ne s’arrêta pas là, poursuivant l’autohypnose jusqu’à la fin de l’année 1924, trop content de trouver dans la transe un moyen de s’extirper d’un présent et d’une présence au monde trop limités. Les motifs de ses dessins en témoignent par une traversée désorientée de l’espace-temps, à la fois dilatation et diffraction mêlant présent, passé et futur : « Le monde date de maintenant et le passé n’est pour nous qu’un dossier uniforme et plat comme un miroir où notre souffle fait apparaître le givre du rêve quand nous y constatons notre vie, où l’avenir se reflète si nous nous plaçons hors de son champ75. » A breuses voix viendront mettre en doute l’authenticité de la démarche et suspecter le jeu de la dissimulation – cela aura pu se faire avec les patientes de la Salpêtrière. Dans ses mémoires, Georges Ribemont-Dessaignes dit tenir de Desnos lui-même la confession « qu’il avait triché70 ». Jacques Baron obtiendra un aveu similaire de Crevel71. Mais Man Ray, qui avait photographié Desnos en sommeil, aura raison de balayer l’argument de cette suspicion : « Certains contestaient l’authenticité de ces séances. Mais elles auraient été miraculeuses même si En fait, la dérive suicidaire aura poussé Breton, devenu le Charcot de la rue Fontaine, à mettre fin au développement des sommeils76. Desnos prononce en transe des oracles mortuaires (« Que voyez-vous ? La mort »), repris pour certains dans des huiles comme Ci-gît Éluard, Mort de Max Ernst, Mort de Max Morise : « Masque mort ris77 ». Nomen omen ; le nom présage devient un jeu lugubre alors que le suicide hante les premières divagations. Très vite une menace pointe, celle de la folie (selon Simone Breton, « après chaque séance, on est tellement brisé qu’on se promet de ne pas recommencer78 »), de la folie criminelle ou spirite (deux fléaux rencontrés dans les nombreuses condamnations du magnétisme animal et de l’hypnose). Desnos et quelques amis tentent, sous la suggestion de Crevel, de se pendre à un portemanteau lors d’une réunion chez Madame de la Hire, amie de Picabia79 : 236 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 236 13/09/2020 19:04 B A. Max Ernst, Autoportrait dans un Photomaton, 1929. B. Max Ernst, Sans titre, 1930, plume et encre de Chine sur papier. HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 237 13/09/2020 19:04 L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S « Vers deux heures du matin, m’inquiétant de la disparition de plusieurs d’entre eux, je finis par les découvrir dans l’antichambre presque obscure, où, comme d’un commun accord et bien munis de la corde nécessaire, ils essayaient de se pendre aux portemanteaux. Crevel, qui était du nombre, semblait les y avoir décidés. Il fallut les réveiller sans grand ménagement. » Dans une autre séance, tenue chez Éluard à SaintBrice-sous-Forêt, Desnos se précipite sur son hôte, muni d’un couteau prélevé dans la cuisine. Breton rapporte combien il a voulu éviter à Desnos de sombrer dans le délire : « J’ai tenté, pour ma part, de le retenir, de l’instant où j’ai pu craindre que sa structure individuelle n’y résistât pas… Il m’en a voulu mais il faut avoir été là pour savoir que c’est quelquefois de très près qu’il a frôlé l’abîme80. »Rêves messagers et prophétiques, rêves prémonitoires souvent orientés vers l’anticipation de sa mort imminente ou l’annonce différée de celle des comparses – tout à fait synchrones avec les analyses consacrées à cette époque au rôle de la suggestion dans les actes d’autodestruction et les « épidémies de suicide ». Bechterew parle ainsi de « suicide par suggestion réciproque ou par imitation », qui peut, précise-t-il, « dégénérer en épidémies véritables81. » Dans Une vague de rêves, Aragon parle d’une accoutumance maladive qui fait dépérir les corps et les esprits, zombifiés dans la contagion pandémique des sommeils : « Les expériences répétées entretiennent ceux qui s’y soumettent dans un état d’irritation croissante et terrible, de nervosité folle. Ils maigrissent. Leurs sommeils sont de plus en plus prolongés. Ils ne veulent plus qu’on les réveille. Ils s’endorment à voir dormir un autre, et dialoguent alors comme des gens d’un monde aveugle et lointain, ils se querellent, et parfois il faut leur arracher les couteaux des mains. De véritables ravages physiques, la difficulté à plusieurs reprises de les tirer d’un état cataleptique où semble passer comme un souffle de la mort, forceront bientôt les sujets de cette extraordinaire expérience, à la prière de ceux qui les regardent accoudés au parapet de la veille, à suspendre ces exercices, que ni les rites, ni les doutes n’ont pu troubler82. » Il y a là une reprise des constats cliniques établis par de nombreux analystes des liens entre hypnose, narcose et création, en particulier une empreinte évidente de l’examen sur « l’automatisme et l’inspiration » tiré de Poésie et folie. Essai de psychologie et de critique (1908). Pour Antheaume et Dromard, le « poète doit être ouvert à toute suggestion […] mais cette suggestion, il ne la subit que pour en faire sa chose83 ». L’inspiration atteinte dans l’induction hypnotique n’a d’intérêt que dans son contrôle résolu, un contrôle qui cherche notamment à juguler ou à éviter les conflits égotistes nés de la dynamique du groupe et qui expliqueront partiellement la mise en sommeil des sommeils. Ainsi, découvrant l’agilité toute duchampienne des jeux de mots que Roger Vitrac vient de publier sous le titre Peau-Asie, Desnos, qui s’est trop bien installé dans le rôle du dormeur clairvoyant, véritable pythie du groupe sombrant dans une certaine forme d’exhibitionnisme, crie au plagiat, prétendant avoir l’exclusivité de ce style autorisé par sa relation télépathique (exclusive) avec Duchamp lors des fameuses séances de l’automne 1922. De fait, comme le rappelle Sarane Alexandrian, « la période des sommeils s’acheva quand Desnos se résigna à n’en être plus le protagoniste84 », probablement à la fin de l’année 1924, au moment où il craint lui-même de sombrer dans la folie. HYPNODRAMA LE GRAND « THÉÂTRE DE LA SPONTANÉITÉ » Pourtant, force est de constater que c’est bien dans la dramaturgie de ces crises convulsionnaires que l’expérience surréaliste a trouvé, jusque dans la griserie du frisson d’être dépossédé, un moyen de révélation. Les séances ne sont rien d’autre, en ce sens, que ce que le psychanalyste Jacob Moreno va appeler des « hynodramas85 ». Par « hypnodrame », il entend une technique de bombardement de stimulations adoptée par un thérapeute au sein d’une scène de groupe – ce qu’il conçoit comme une « psycho-catharsis » collective. L’hypnodrame a vocation à construire par la transe hypnotique un jeu de circulation où les participants sont à même de produire un inconscient partagé, un « co-inconscient ». Dans son « théâtre de la spontanéité », dont les premières tentatives sont mises en place dès 1922, directement contemporaines des séances surréalistes, il parle de l’émergence d’une « télé-psychologie » ou « télé » (« télé, du grec ancien : lointain, agissant à distance, a été défini comme une liaison élémentaire qui peut exister entre des individus »). Pour Moreno, pionnier du renouveau des techniques dramaturgiques, il faut reconnaître l’existence performative de formes de compréhension « quasi intuitive86 », ce qu’il va nommer la « communication médiale » : « Il y a des acteurs qui sont reliés l’un à l’autre par une correspondance invisible de sentiments, qui ont une sorte de sensibilité décuplée vis-à-vis de leurs processus intérieurs mutuels […], il existe un échange télépathique entre l’un et l’autre. Ils communiquent par un sens nouveau comme par une compréhension médiale87. » Les surréalistes plongeront sans difficulté dans cette logique « médiale » de débordement du langage, surfant sur la vague d’un théâtre impromptu de la communication partagée, Breton en « psychodramatiste », menant le bal de cette épidémie des sommeils où se révélait au grand jour le surréalisme lui-même. Au sein de ce psychodrame, les surréalistes vont chercher à se faire peur, en se perdant dans les dédales d’une induction hypnotique dont ils ne maîtriseraient pas le protocole clinique, à se faire peur pour atteindre le degré d’incandescence d’une révolution dont ils ne mesurent pas encore les conséquences ni les moyens. André Breton le dit sans détour lors de son passage à Barcelone, en pleine époque des sommeils : « Il n’y a qu’une chose qui puisse nous permettre de sortir, momentanément du moins, de cette affreuse cage dans laquelle nous nous débattons, et ce quelque chose c’est la révolution, une révolution quelconque, aussi sanglante qu’on voudra, que j’appelle encore aujourd’hui 238 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 238 13/09/2020 19:04 1920-1950 de toutes mes forces88. » Desnos rêve de Robespierre, Crevel se souvient des victimes du mouvement jacobin. La terreur révolutionnaire hante l’esprit des séances – comme elle avait pu hanter les Fantasmagories de Robertson. Avec pour arme le pouvoir illimité de la suggestion verbale, agrémenté d’outils de persuasion optiques. Les acolytes des séances s’empressent de poser en rafale des questions auxquelles doit répondre le sujet hypnotisé, comme si la consécution rapide du questionnaire avait pour but de faire court-circuiter les « petits raisonnements ». Ils activent aussi des dispositifs visuels – ceux que l’on a déjà rencontrés dans le processus de rationalisation des techniques d’hypnotisation depuis Braid. Ils sont nombreux dans le surréalisme à commencer par le fameux Objet de destruction de Man Ray (1931), un métronome amélioré où l’artiste a fixé sur la tige mobile l’image photographique d’un œil grand ouvert. L’objet est moins la métaphore d’une destruction (même si Man Ray, qui a participé aux séances, a aussi assisté au rapide mécanisme autodestructeur de leurs dérives psychotiques) que l’outil d’une désintégration du moi par la fixation prolongée de son mouvement pendulaire. Le métronome amélioré combine ainsi deux techniques d’induction hypnotique relevées par Souriau dans La Suggestion dans l’art : la « fixation visuelle » et la « fascination par distraction », la première par l’attraction visuelle de cet œil isolé comme une « prunelle magnétique » ; la seconde par le jeu d’oscillations répétées de ce motif oculaire. La fixation, ce sera le modèle même d’un autre peintre surréaliste très féru d’hypnose et de somnambulisme artificiel, Victor Brauner. L’hypnose peuple ses peintures, une obsession qui remonte à son enfance roumaine, comme il le rappelle dans un entretien avec Max-Pol Fouchet, évoquant les séances de magnétisme orchestrées par son père : « Nous comme enfants, on regardait par le trou de la serrure, et par exemple, mon père qui était un chef, qui arrivait à hypnotiser, à mettre en léthargie un homme qui ne sait ni lire ni écrire, était une espèce de personnage hagard, comme cela, moi je l’ai vu se lever en l’air et j’ai vu que ce personnage qui n’a jamais rien su de sa vie, mon père lui disait : tu es Caruso [célèbre chanteur d’opéra] et il chantait89. » Le jeune Victor Brauner n’a pas seulement assisté en voyeur caché à ces séances dignes d’un Svengali moderne, mais il a servi, selon Sarane Alexandrian, « d’assistant ou de sujet à des expériences hypnotiques90 ». Nul hasard à voir très tôt la figure nocturne et romantique de la somnambule envahir son imaginaire pictural. Dans La Magie de la nuit, une œuvre réalisée à la veille du désastre de la Seconde Guerre mondiale en 1939, Brauner campe un personnage féminin extatique, suspendu dans l’espace par une hypnose provoquée au moyen de la fixation de sa chevelure, projetée en avant sous la forme d’une spirale. Même chose, un an plus tard, avec Somnambule (1940). Cette figure archétypale de « femme aux prunelles dilatées, au regard fixe91 » se retrouvera dans Stogoï la somnambule, une cire de 1946 dont l’œil exorbité a pour but de plonger le regard du spectateur envoûté dans un nouveau mode relationnel, un mode proprement « hallucinatoire » : « Il existe une dimension spéciale du regard, nous dit Brauner, qui est l’hypnotisme. L’hypnotisme crée, dans le domaine des contacts, un dynamisme particulier qui détruit toute la réalité et qui rend toutes les relations différentes et spécifiques. Il existe des forces extraordinaires – qui sont les forces hallucinatoires – et j’ai voulu tenter de nourrir ces forces, cet objet qu’est un tableau92. » Si Brauner prend le tableau pour une surface d’hypnotisation, c’est aussi parce qu’il est le lieu même du dédoublement de sa personnalité dans l’acte de peindre. Si Brauner prend le tableau pour une surface d’hypnotisation, c’est aussi parce qu’il est le lieu même du dédoublement de sa personnalité dans l’acte de peindre. La figure du dédoublement est omniprésente dans l’iconographie du peintre, prenant la forme animalière de la chimère, mais aussi celle, plus janusienne, de la « double tête » ou du « chapeau-tandem ». Elle renvoie à ce que la psychologie expérimentale du passage du siècle a précisément associé au processus hypnotique dans la révélation de ses mécanismes automatiques, ce que Pierre Janet appelait le « dédoublement de la personnalité dans le somnambulisme provoqué » : « Toutes les suggestions doivent s’accompagner d’un certain degré d’inconscience ou plutôt, si je généralise ce que j’ai vu, d’un certain dédoublement de la conscience93. » Ce sera le fil conducteur de son exposition Espaces hypnotiques en février 1961 à la Galerie Rive Droite de Paris, quatre ans après la publication de l’ouvrage de Breton. Brauner réunit à cette occasion quinze « portraits-archétypes » sous hypnose, qu’il associe, dans les pas de Breton, à la plongée dans les « sources ancestrales » : « Persistant dès les premiers instants de la fascination du temps où l’être humain vivait encore intensément son totémisme, les grands événements de la sensibilité développaient leurs mutations dans un espace tendu, magnétique, qui était l’espace hypnotique. Des temps les plus reculés, où l’esprit humain n’avait pas encore construit la religion, la vie était magique. Indissolublement lié à la nature, l’être humain l’intégrait en s’y intégrant. Cet espace hypnotique persiste secrètement et détient toujours les sources d’inspiration94. » Soit le choix délibéré pour les vertus cathartiques de l’hypnose (la présence formelle de masques africains dans cette série, en particulier dans Rupture hypnotique, rejoue la tension exorcistique magie/fascination des Demoiselles d’Avignon de Picasso), enrichie cette fois des relectures psychanalytiques du phénomène95. Selon Brauner, les tableaux « possèdent presque toujours un sens d’envoûtement, de contre-envoûtement, de magie, d’attirance ou de protection96. » 239 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 239 13/09/2020 19:04 A HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 240 13/09/2020 19:04 1920-1950 LES « ILLUMINATIONS PROFANES » LE RETOUR DE LA MÉDECINE RÉTROSPECTIVE Envoûtement/contre-envoûtement, voilà qui semble à nouveau rebattre les cartes du rationalisme face à l’héritage de l’ancien monde de la fascination auxquelles la modernité voudrait opposer des explications plus cartésiennes. C’est là que le renversement des lectures puise dans la logique de sécularisation du regard amorcée dans la clinique laïcisée de la Salpêtrière. Les surréalistes vont réactualiser avec soin une optique pulsionnelle apparue au grand jour dans la réception populaire des protocoles psychiatriques. Publié en mars 1928, dans La Révolution surréaliste, un article consacré au « Cinquantenaire de l’hystérie » est illustré par des photographies d’Augustine, l’une des plus fameuses patientes du docteur Charcot. Breton a emprunté les clichés au deuxième volume de l’Iconographie de la Salpêtrière de Bourneville et Regnard, la bible de cette « obstination plastique97 » qui pousse la jouissance refoulée et discordante de l’hystérie non seulement à se mettre en scène, mais à se donner en images. André Breton commente ce phénomène dans ses Entretiens : « Qu’est-ce qui est célébré par Aragon et moi dans “Le cinquantenaire de l’hystérie” en 1928 ? Ce sont les « attitudes passionnelles », véritables tableaux vivants de la femme dans l’amour, que nous livrent les Archives de la Salpêtrière98. » Dans les pas de Freud, Breton considère l’hystérie comme une somatisation plastique de désirs sexuels réprimés, mais c’est avant tout la relation amoureuse qu’il pointe dans la capture des poses convulsives d’Augustine, symboles selon lui du pouvoir subversif de la séduction99. L’extase livrée à l’objectif photographique se sécularise pour faire place à une poétique, plus humaine, du simple désir de relation – ce que Walter Benjamin appelle les « illuminations profanes ». Plus que Charcot, Bourneville et Richer, Breton substitue aux émotions religieuses non plus une grille de lecture hystérique, mais un état de grâce, béat, celui d’une extase convertie en « amour fou100 ». Dans son article, Jean Starobinski évoquait cette sape poétique de la transcendance dans une relecture laïque des images du sacré : « De l’héritage spirite, nous dit-il, le surréalisme ne collectionne que des images […]. Ces images, d’origine mythique ou religieuse, l’homme ne veut désormais les rapporter qu’à lui-même, à son pouvoir poétique fondamental secondé par quelque obscure complicité de la nature101. » Dans son anachronisme, l’emprunt des surréalistes à l’Iconographie de la Salpêtrière renoue consciemment avec la lecture matérialiste de l’état de grâce orchestrée par la psychiatrie française de la fin du XIXe siècle102. La nouvelle mystique de l’amour, libérée dans l’écriture de mots qui « bandent » (Desnos), transit le corps dans une extase profane et profanatrice, dépourvue de transcendance. L’actualité des rubriques judiciaires fournit pour cela aux surréalistes de nouveaux cas cliniques. Parmi de nombreux exemples, une certaine Marie Mesmin s’était attaquée à un prêtre exorciste, Mgr Saponghi, qu’elle accusait de l’avoir « réellement envoûtée ». L’affaire dite de « Notre Dame des Fleurs », conduite en justice, est commentée en janvier 1926 par Desnos dans une dizaine de chroniques parues dans Paris-Soir103, où il badine sur ces relations passionnelles. Breton et Aragon mentionnent l’affaire dans « Le Message automatique104 » ; Max Ernst, dans l’un des collages pour le Rêve d’une petite fille qui voulut entrer au Carmel (Paris, 1930). La jeune « enfant de Marie » se précipite sur l’évêque Dulac pour l’embrasser avec une volupté très peu innocente. Dans l’esprit des illustrations de certains romans libertins du passage du siècle105, Ernst détourne l’iconographie religieuse du transport extatique par lévitation106. Le père de la jeune MarcelineMarie, assis à ses côtés, est assoupi dans un sommeil biblique. L’attraction sexuelle renverse l’ordre à la fois patriarcal et religieux ; la fascination magnétique subvertit la loi du Père quand la doublure hystérique élude le drame œdipien107. C’est dans l’Iconographie de la Salpêtrière que les surréalistes découvrent cette lecture anticléricale d’une clinique des sentiments108. La planche XX surprenait Augustine, les yeux levés au ciel, les mains jointes, dans une pose que l’on croirait mystique et dont la légende révèle en fait qu’elle n’est qu’une « supplication amoureuse ». Pour illustrer « Le cinquantenaire de l’hystérie », Breton a choisi la planche XXIII représentant « l’extase », qu’il place au côtés de la planche XXVI décrivant la « moquerie » un montage en forme d’oxymoron qui est aussi un brouillage du décryptage clinique des émotions, rejoignant en bien des points l’engagement anticalotin de Bourneville, le maître d’œuvre de l’Iconographie, un proche des milieux de la « Libre pensée109 ». La démarche poétique diffère bien sûr par de subtils glissements sémiotiques. Breton a supprimé les légendes des photographies, déjouant l’objectivisme de la Salpêtrière pour lui préférer l’énigme d’une émotion dont le sens s’abîmerait dans l’incandescence du désir : l’amour fou d’une déraison qui échappe à la taxinomie clinique, au pouvoir de classification de l’œil. Pour Charcot et Bourneville, héritiers de Duchenne de Boulogne, il s’agissait d’établir une grammaire naturaliste de signes inscrits dans un rapport non arbitraire avec ce qu’ils signifient. Sous un intitulé générique, « Attitudes passionnelles », Breton réintroduit un encodage plus aléatoire de l’image ; il évince avec la légende la causalité mécaniste, par trop darwinienne, du langage visuel des émotions. C’est ce que Paul Nougé, dans une série de travaux photographiques qui s’ouvrent largement aux expériences des sommeils hypnotiques, appelle la « subversion des images ». Au cœur de cette subversion, la perturbation magnétique d’Éros, celui A. Victor Brauner, Strigoï. La Somnambule, 1946, cire sur papier marouflé sur isorel sous verre, 65 x 50 cm, musée de Strasbourg. 241 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 241 13/09/2020 19:04 L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S que convoque Max Ernst pour qualifier l’alchimie du collage : « Produire une tension électrique ou érotique en rapprochant des éléments que nous avons été habitués à voir étrangers110. » L’aveuglement médusé qui hante l’imaginaire romantique des surréalistes rejoint le vertige de l’ivresse amoureuse – le fameux photocollage publié en décembre 1929 dans La Révolution surréaliste, où seize des membres du groupe sont photographiés autour du tableau de Magritte Je ne vois pas la (femme) cachée dans la forêt111. Cadrés dans un format de Photomaton, les visages adoptent tous la même pose, les yeux clos, dans un recueillement voluptueux : refuser de voir la nudité éclatante de la femme pour mieux l’étreindre dans la « vision intérieure » de la rêverie ; maîtrise de soi qui préserve l’œil de la brûlure du sexe mis à nu. La fascination surréaliste pour l’œil cache une peur de « ce qu’il peut y avoir de tyrannique et de décadent dans l’empire de la vue112 ». Pour exorciser cette emprise, les surréalistes déploient tout un arsenal de techniques susceptibles de mettre sous contrôle le regard de la femme. C’est ce que font Éluard et Ernst dans « La série des jeunes femmes ». Le récit, publié en décembre 1922 dans Littérature, décrit une véritable scène d’hypnose avec tout son protocole ritualisé, en particulier la technique de la fixation : « La femme couchée sur une surface plane, une table par exemple, recouverte d’une couverture pliée en deux. Lui présenter l’objet en le plaçant au-dessus de la tête et dans son rayon visuel. Abaisser l’objet progressivement pour que la femme le suive du regard, soulève la tête d’abord puis la fléchisse, le menton venant en contact avec la poitrine. Rester ainsi un petit instant et revenir tout doucement à la position de départ. Il est préférable que l’objet soit brillant ou de couleur vive113. » Dès les débuts du mesmérisme, l’autorité sexuelle sur le sujet féminin par l’emprise fluidique du regard fait l’objet de spéculations théoriques dont témoigne l’ouvrage de Charles de Villers, Le Magnétiseur amoureux (1787)114. Quelques années plus tard, Henri Delaage, un ami de Balzac et d’Alexandre Dumas, décrit les passes magnétiques comme des attouchements dérobés, des flirts non déclarés115. Le « rapport » est ainsi très vite érotisé116 et son explication use d’analogies pour le moins phallocratiques (Alexandre Bertrand, l’un des pionniers des théories de la suggestion, utilise l’image de l’érection117). Ces comparaisons fleurissent dans les nombreux romans consacrés à l’érotisme ambiant de la Salpêtrière – des Amours d’un interne de Jules Claretie118 au Théâtre d’épouvante d’André de Lorde119. Dans Une leçon à la Salpêtrière (1907), André de Lorde met en scène un interne, Gasquet, qui, attendant sa patiente, demande à son collègue Bernier s’il a « essayé de coucher avec elle120 ». Breton, qui a fait des études de médecine, connaît bien ce poncif de carabin qu’il évoque dans « Le cinquantenaire de l’hystérie » : « Freud, qui doit tant à Charcot, se souvient-il du temps où, au témoignage des survivants, les internes de la Salpêtrière confondaient leur devoir professionnel et leur goût de l’amour, où, la nuit tombante, les malades les rejoignaient au-dehors ou les recevaient dans leur lit121 . » Le scénario le plus commenté est la doublure schizophrénique d’une femme capturée à ses dépens, avec pour modèle le cas de « Mme de B. », rapporté par Bernheim122 et médité par Freud dans les débuts de sa recherche sur « l’amour de transfert ». Sous hypnose, cette dame respectable tombe frénétiquement amoureuse de son médecin. Au réveil, elle ne se souvient de rien. Ce dédoublement de personnalité qui handicape la thérapie inspire le sujet d’un collage d’Ernst pour La Femme 100 têtes, la planche 124 intitulée Pasteur dans son cabinet de travail. Pasteur, que l’on peut facilement confondre avec Freud, est assis dans son fauteuil à l’écoute d’une femme totalement fascinée qui se précipite, à demi nue, à ses genoux. Au fond de la pièce, dominant la scène, un tableau représente un squelette envoûtant un homme sur scène, allusion à un spectacle d’hypnose illusionniste : le spectre du magnétisme menaçant la cure. Ernst semble camper le décor des séances cathartiques avec Emmy von N, déjouant à mots couverts le paradoxe freudien refusant l’autorité du praticien tout en imposant son explication monolithique du refoulement. Pour Ernst, le transport amoureux bouleverse les rapports d’autorité au-delà des précautions thérapeutiques : l’hystérie au service de la révolution, quelques années avant les lectures foucaldiennes sur les dérives coercitives des interprétations cliniques de la sexualité. L’hypnose théâtrale ressemble à un théâtre de boulevard qui attire le groupe surréaliste pour ses dérobades et ses tabous123, en particulier l’ambiguïté de la polarité magnétique (actif/passif). Car, si dans la distribution sexuelle des rôles au sein des séances d’hypnose, le sujet est presque toujours féminin, la femme n’y est pas seulement automate et victime, proie sans défense. Nombre d’auteurs se sont penchés sur des cas de médecins épris de leur patiente, mais aussi de sujets, beaucoup moins passifs que prévu, qui simulent l’hystérie pour mieux se rapprocher des internes. Ce simulacre est décrit dans Vous m’oublierez (1920), où Breton et Soupault donnent à leur protagoniste des mots d’abandon qui, sous le délire religieux, cachent difficilement l’initiative sexuelle : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel […]. La volupté. » C’est le mystère des envoûtements de l’amour profane où la femme est à la fois l’objet fantasmatique et l’actrice de l’emprise magnétique124. Dans le photocollage de La Révolution surréaliste, la femme a saisi la tribu des hommes qui, hallucinés par la fixation du tableau de Magritte, sont tombés collectivement dans le sommeil hypnotique. Comme a pu le remarquer Hal Forster, les surréalistes jouent avec cette dépossession, jusqu’à vouloir se projeter, sur le modèle baudelairien, dans la « jouissance » hystérique. Forster choisit à titre d’exemple la série d’autoportraits du « peintre Max Ernst vu par la Photomaton » (sic), reproduite en 1929 dans la revue Variétés, où certains clichés miment les poses extatiques d’Augustine125. Un détail peut retenir notre attention : l’importance du jeu de mains d’Ernst. La séquence décompose tout un ensemble de passes manuelles devant le regard fixe, comme si 242 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 242 13/09/2020 19:04 A A. Louis Aragon et André Breton, « Le cinquantenaire de l’hystérie », La Révolution surréaliste, mars 1928. HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 243 13/09/2020 19:05 A HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 244 13/09/2020 19:05 B C D A. Couverture de Max Ernst pour un catalogue prospectus de la librairie Corti, Les Livres surréalistes, 1931. B. Max Ernst, La Clef des chants, illustration pour Une semaine de bonté, Paris, 1934. C. L’Arche de pont, gravure extraite de Paul Regnard, Sorcellerie, magnétisme, morphinisme, délire des grandeurs, 1887. D. Max Ernst, Angelus de l’amour, 1923, plume et encre de Chine sur papier, 20,3 x 11,3 cm. HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 245 13/09/2020 19:05 A A. Cataleptic Performance by Dr. Herbert Flint, photographie reproduite dans X. LaMotte Sage, Hypnotism as It Is, 1900. B. Max Ernst, frontispice de Pour Hans Arp. Gedichte, 1930. HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 246 13/09/2020 19:05 B HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 247 13/09/2020 19:05 L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S Ernst s’autohypnotisait devant la glace. Il simule ainsi l’extase dont il serait à la fois le sujet et l’acteur, le maître et le possédé. Figure double, assumant l’instance féminine sans sacrifier ses prérogatives masculines. Ce vertige identitaire hante Crevel qui, à plusieurs reprises, s’est fait photographier enveloppé d’un drap, reproduisant les extases féminines de Lina ou Magdeleine, les « artistes inconscientes » des spectacles hypnotiques produits par Rochas ou Magnin. La doublure hystérique s’accomplit dans le travestissement. Le corps tout entier est livré à la suggestion, comme un abandon intégral, déculpabilisé par le fantasme de soumission passive qui s’y met à jour, et qui, simulé ou désiré, peut s’entendre comme un envers de la fragmentation du corps féminin opérée par le regard plus phallocentrique des artistes du groupe. En décembre 1933, la revue Minotaure publie un montage photographique, fruit de la collaboration entre Éluard et Dali, intitulé Le Phénomène de l’extase126. En soi, cette œuvre à quatre mains127 instruit le rôle médiateur que joue l’hypnotisme dans l’attrait des surréalistes pour l’Art nouveau, en particulier celui de Dali pour le « décorativisme psychique du Modern Style128 ». Le corps collectif de l’hystérie, morcelé dans la répétition de multiples visages, yeux, bouches ou oreilles, implose dans une spirale qui, à l’image de la chaise renversée intégrée au collage, conditionne le vertige hypnotique : « Certaines images provoquent l’extase, qui provoque à son tour certaines images […]. Parfois les images provoquées par l’extase répètent des images transfigurées d’extase129. » Salvador Dali – très tôt impressionné par une séance d’hypnose orchestrée par Onofroff130 – adopte le principe de l’« idéo-dynamisme » théorisé par Bernheim131. L’image se fait performative dans l’hallucination, comme le commente Aragon dans le passage d’Une vague de rêves consacré aux sommeils : « Tout se passait comme si l’esprit parvenu à cette charnière de l’inconscient avait perdu le pouvoir de reconnaître où il versait. En lui subsistaient des images qui prenaient corps, elles devenaient matière de réalité. Elles s’exprimaient suivant ce rapport, dans une forme sensible. Elles revêtaient ainsi les caractères d’hallucinations visuelles, auditives, tactiles. Nous éprouvions toute la force des images132. » Cette tangibilité des images est l’un des points débattus par les théories de la suggestion qui conditionnent, à de nombreuses reprises, l’influence exercée sur le sujet à sa capacité à « faire exister des images » – ce qu’Alexandre Bertrand appelait le pouvoir de « l’imagination133 ». Dès son Examen de l’opinion généralement admise sur la manière dont nous recevons par la vue la connaissance des corps (1819), Bertrand analyse cette aptitude mentale à extérioriser des images, sous l’emprise de la suggestion du verbe. Il émet l’hypothèse que la pensée du magnétiseur se réfléchit dans la tête du magnétisé selon un mode inédit de communication intersubjective qui nourrit, bien des années plus tard, le fantasme surréaliste du partage communautaire de l’écriture automatique dans les sommeils. SALVADOR DALI ET LA SUBVERSION DES « IDYLLES MAGNÉTIQUES » De nombreux indices parsemés dans l’œuvre de Dali indiquent une fascination évidente pour les phénomènes de transe. Si son attrait pour la Vénus de Milo est motivé par sa revendication progressive du modèle classique à partir de ses poncifs stylistiques les plus éculés, il s’éclaire aussi par sa relecture du « phénomène de l’extase ». La figure de la femme pétrifiée vêtue à l’antique est en effet l’un des clichés de l’iconographie de l’hypnose quand celle-ci cherche à rivaliser avec les productions artistiques (Lina et Magdeleine étaient vêtues « à la grecque »). Le culte esthétique de la Vénus victrix repose sur une beauté incomplète, tronquée, qu’il nous faut comparer aux modes de fétichisation corporelle opérés par les praticiens de la Salpêtrière. Les Leçons du mardi de Charcot sont truffées de références indirectes à ce phénomène : la paralysie cataleptique s’opère par fraction, avec un découpage fantasmatique du corps féminin que les médecins comparent très vite à l’attrait croissant pour la sculpture antique à la suite de l’exhumation en 1820 de la Vénus de Milo. Ce parallèle trouve de nombreux échos dans la littérature fin de siècle, sa quintessence, peut-être dans L’Ève future, de Villiers de L’Isle-Adam134. Alicia Clary, présentée comme un sujet très sensible à l’hypnose, est mise en transe cataleptique par le savant Edison pour produire le moule de l’androïde Hadaly. Son modèle sera la statue, à laquelle elle devra confronter son image. Une gravure de Drouart reproduite dans l’édition de 1925 montre l’héroïne de L’Ève future devant son miroir, où elle découvre son double135. La présence du miroir n’est pas anodine ; elle révèle combien la suggestion imposée à Alicia se réalise dans l’identification autocontemplative : elle se perd dans l’image de son double. La sculpture devient ainsi l’incarnation féminine de Narcisse, comme l’indiquait au début du siècle, et non sans fantaisie, Henri Lavoix, supposant qu’un des bras manquants de la sculpture du Louvre devait porter un miroir afin de représenter une « Vénus qui sourit à sa beauté sans rivale136 ». Ce rôle du miroir traverse toute l’histoire des pétrifications hypnotiques. À la Charité, les patientes sont hypnotisées avec des petits miroirs rotatifs, technique largement illustrée dans les revues de l’époque. Mais plus que cet usage instrumental du vertige spéculaire, le miroir constitue le modèle de la relation magnétique portée à son incandescence au moment où se confondent, par mimétisme, hypnotiseur et hypnotisé. Deleuze, un des tout premiers à introduire les techniques d’endormissement dans ses Instructions pratiques sur le magnétisme animal (1825), évoque le « rapport magnétique » en termes de miroir virtuel. L’hypnotiseur a d’autant plus d’influence sur son sujet qu’il se place en exacte coïncidence avec l’image réfléchie de ce dernier. C’est ce que l’Abbé Faria, le grand précurseur des théories de la suggestion énoncées dans De la cause du sommeil lucide (publié en 1819 et réédité en 1906), formalise quand il découvre 248 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 248 13/09/2020 19:05 1920-1950 que l’emprise sur autrui repose sur le leurre d’une superposition de l’image de soi et de l’autre137. À ce titre, l’autohypnose à laquelle recourt Desnos apparaît dans bien des textes anciens comme la forme la plus radicale du magnétisme. Son modèle mythopoétique est pétrifié devant sa propre image. Dali s’en empare en 1937 dans les Métamorphoses de Narcisse, où il décline les interprétations névrotiques de la « double image ». Détachement du groupe, le corps pétrifié se transforme en main, la main masturbatoire : la paralysie hypnotique qui hante Dali est une forme détournée d’onanisme. Havelock Ellis, dans ses Études de psychologie sexuelle, dont le chapitre sur le « narcissisme » est disponible en français en 1932, identifie très clairement, dès le mythe grec, la présence d’un auto-érotisme138. Il cite à cet effet le cas d’un jeune peintre qui, obnubilé par son propre sexe, jouit de se peindre nu. Dans le tableau la main porte « un œuf, une semence » éjaculatoire d’où sort la petite fleur éponyme. C’est, dans la jouissance refoulée, le rappel du cocon utérin. En s’isolant, il cherche à retrouver la solitude confortable de la vie intra-utérine, rappelée par la présence de l’eau stagnante. Il faut reconnaître ici le poids de l’interprétation freudienne. Dès 1914, dans son Introduction au narcissisme, Freud emprunte à Havelock Ellis le stade « autoérotique » mais le présente comme un stade partiel (le « narcissisme primaire »), précédant l’investissement libidinal sur le premier objet, la mère. La Métamorphose de Narcisse commenterait ce passage, en insistant sur le désir primaire de retrouver dans le sommeil le confort extatique de la caverne utérine. Il se recroqueville en prenant la position fœtale. Il se plonge dans le propre bain du ventre de la mère. Son regard ne fixe plus seulement sa propre image, mais B A. Salvador Dali, Sans titre (Scène hystérique), 1937, plume et encre sur papier, 43 x 46 cm, coll. part. 249 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 249 13/09/2020 19:05 L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S le visage de la mère, imprimé dans le liquide amniotique. Curieusement, ce phénomène d’une mémoire utérine, avant de nourrir les débats internes à la psychanalyse (Rank et Ferenczi contre Freud en 1924), instruit les débuts historiques de l’hypnotisme. Dès les premières théories de la suggestion, le « rapport » qui unit l’hypnotiseur à son sujet est comparé au lien originaire entre la mère et son nourrisson. Liébeault, fondateur de l’école de Nancy, précurseur de Bernheim, rappelle ce phénomène dans un long développement consacré à l’influence des pensées de la mère sur le fœtus. Une idée fixe de la mère pendant la grossesse va s’imprimer sur le bébé : c’est la fameuse théorie de la « tache d’envie139 ». Pour Liébeault, cette relation d’influence deviendra le modèle du rapport hypnotique qu’il présente, sans en évaluer les conséquences, comme la réminiscence de la relation végétative à la mère. Cette thèse ancestrale, loin d’être tombée dans l’oubli, est reprise et commentée par Otto Rank dans Le Traumatisme de la naissance140 : « Le sommeil hypnotique qui, comme tous les états analogues, intervient dans les rêves relatifs à la seconde naissance, à titre d’élément typique de l’état intra-utérin, permet de supposer que la nature de l’hypnose elle-même et de la suggestibilité hypnotique s’explique par les rapports primitifs qui rattachent l’enfant à la mère. » A B Dali fut profondément marqué par le livre de Rank, traduit en 1928 par Samuel Jankélévitch141, et très tôt commenté par le groupe surréaliste142. Il va largement s’en inspirer : « Je ne saurais trop conseiller à ce sujet le livre sensationnel du Dr Otto Rank : Le Traumatisme de la naissance, qui éclairera le lecteur d’une façon plus scientifique. Mes souvenirs personnels, si lucides et si détaillés, de cette période intra-utérine, ne font que corroborer la thèse du Dr Rank quand elle rattache cette période au Paradis perdu. » Pour Rank, qui vient de réhabiliter l’hypnose avec Ferenczi, le rêve permet un retour in utero beaucoup plus complet que ne pourrait le réaliser le sommeil physiologique. Poussant la logique d’inversion freudienne selon laquelle le rêve biographique doit être interprété d’arrière en avant, Otto Rank considère que le désir refoulé de ces rêves vise très précisément le retour à la situation intra-utérine143. Dali a toute conscience de ce rapprochement. Il en fait même l’un des ressorts visuels de la composition : « Si l’on regarde pendant quelque temps, dit-il, avec un léger recul et une certaine fixité distraite, la figure hypnotiquement immobile de Narcisse, celle-ci disparaît progressivement, jusqu’à devenir absolument invisible144. » Pour Dali, la fixation du tableau par le spectateur, portée mimétiquement par la fixité autocontemplative, conduit à des effets visuels qui renversent le jeu même de la production hallucinatoire des images en « état second » : le spectateur en vient à ne plus voir l’image qui disparaît dans un travail, cette fois, de « l’hallucination négative ». Il y aurait beaucoup à dire de ces rapprochements. Rosalind Krauss le fera plus tard dans ses analyses sur le paradigme narcissique de la vidéo. Mais elles sont déjà présentes et conscientes dans le surréalisme dalinien : « Narcisse, comprends-tu ? La symétrie, A. Brassaï, Sans titre, 1932, photographie. B. Narcolepsia sugerida en una histerica, photographie reproduite dans Julio Camino, Manual practico de psicoterapia hipnosugestiva, 1928. C. Salvador Dali, Le Phénomène de l’extase, photomontage publié dans la revue Minotaure, décembre 1933. 250 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 250 13/09/2020 19:05 C HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 251 13/09/2020 19:05 A A. Jacques-André Boiffard, Renée Jacobi, 1930, épreuve gélatino-argentique, 23,8 x 18,8 cm, Centre Pompidou, musée national d’Art moderne. HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 252 13/09/2020 19:05 1920-1950 hypnose divine de la géométrie de l’esprit, comble déjà ta tête de ce sommeil inguérissable […]. Narcisse, tu es si immobile que l’on croirait que tu dors145. » Or, il est un auteur, disciple hétérodoxe de Freud, qui réfléchit précisément à cette époque sur les liens entre narcissisme et hypnose. Dès 1923, Jones reprend le problème de l’hypnose « à la lumière du narcissisme et des éléments constitutifs de l’Idéal du Moi. Le narcissisme est l’agent essentiel de l’auto et de l’hétéro-suggestion ; il y a dans l’hypnose, régression à un stade auto-érotique […]146. » Le poids des lectures psychanalytiques est ainsi venu s’immiscer dans l’interprétation fantasmatique du travail de la transe hypnotique. Dali va prendre à bras-lecorps cette dimension régressive pour tenter, ni plus ni moins, de la généraliser en installant l’état d’induction au cœur de chaque moment d’une vie créative où la pensée a entièrement investi le réel dans une « dynamique d’expansion contagieuse147 ». En fait, ce qui fascine les surréalistes dans la réhabilitation de l’hystérie charcotienne, ce n’est pas seulement la réalisation pulsionnelle du voyeurisme, mais, de manière plus ambivalente, une mise en crise du rapport au visible face au travail de l’imaginaire. Dali pense qu’il suffit de regarder des images de figures en extase pour entrer soi-même en extase, mais ce pouvoir des images sapant le sens même de la réalité, il le sait à la fois efficace et vulnérable dans son rapport plus herméneutique à l’interprétation. En cela, il retrouve l’esprit de Charcot, comme a pu l’analyser Bertrand Marquer quand il suggère que « le spectacle de la Salpêtrière proposait le paradoxe d’un regard efficace, mais dont l’objet échappait finalement à sa compétence clinique » : « La pulsion scopique que le dispositif de l’amphithéâtre ne pouvait qu’attiser appelait inévitablement le relai de l’imaginaire, puisqu’elle achoppait à l’obscurité d’un corps répétant les symptômes sans dévoiler les lésions. L’hypnose telle qu’elle était pratiquée à la Salpêtrière obligeait ainsi le regard clinique à voir les preuves de ce qui, théoriquement, lui échappe. De fait, si Charcot est convoqué dans un certain nombre de fictions, c’est à titre de comparution immédiate : le spectacle qu’il a lui-même mis en branle devient l’indice de la faillite de son interprétation, le Maître de la Salpêtrière constituant le principal témoin d’un procès fait au visible148. » ANÉMIC CINÉMA L’« OPTICERIE » DE MARCEL DUCHAMP Ce « procès fait au visible » sera au cœur de l’œuvre de Marcel Duchamp, qui participe à distance et sans le vouloir à la dynamique associative des sommeils surréalistes. Quand commencent les séances, Duchamp n’est pas à Paris, mais à New York ; cela ne l’empêchera nullement d’être présent, omniprésent même, dans les échanges de cette communauté d’esprit. Il y a son nom, ainsi que celui de son alter ego, Rrose Sélavy, dans de nombreuses séries de questions/réponses, consignées dans les procès-verbaux des séances. Dès le 30 octobre 1922, le nom RROSE apparaît sur un dessin de Desnos ; se retrouve à la date du 6 novembre 1922 dans une déclinaison plus poétique : « L’orgueil de Rrose Sélavy sait s’évader du cercle qui peut se clore comme un cercueil », allusion probable à son « exode » qui le met à l’abri des égarements morbides des séances (quelques étoiles dispersées dans ce dessin forment une allusion cryptée aux États-Unis où il s’est réfugié ; la mention N-Y pour « New York » dans un autre dessin daté du 12 novembre). Elle revient dans un dessin (dit Tombeau Picabia) avec la mention « À son trapèze Rrose Sélavy apaise la détresse des déesses ». Le numéro 5 de la revue Littérature (1er octobre 1922, alors que les séances viennent à peine de commencer) est littéralement hanté par le spectre de Duchamp, qui parsème l’édition de « quelques étranges calembours que l’auteur signe : Rrose Sélavy », dialoguant en surface avec des récits de rêves de Desnos. De là naîtront les dialogues télépathiques entre Desnos (Paris) et Duchamp (Manhattan), transcrits sous formes d’aphorismes déclinant l’art de la contrepèterie et du jeu de mots, dans lequel Duchamp s’était largement distingué. Desnos pastiche la manière de Duchamp, proférant lors des premières séances d’octobre (qui suivent de quelques jours la publication du numéro de Littérature) des « équations poétiques », largement redevables au « marchand du sel149 ». Il y a là délégation d’auteur où le jeune Desnos, sous couvert d’usurpation d’identité camouflée derrière le prétexte télépathique, cherche manifestement à s’appuyer sur une inspiration autorisée. Ce jeu d’appropriation déjoue doublement l’identité de l’auteur, s’il se pense que Desnos se réfugie sous le génie inspirant non pas de Duchamp, mais de Rrose150 (« Apprenez que la geste célèbre de Rrose Sélavy est inscrite dans l’algèbre céleste »), le fameux double féminin auquel a justement recours Duchamp pour esquiver la responsabilité de l’œuvre. Cette stratégie de délégation (par procuration) respire sans équivoque les protocoles du médiumnisme spirite très répandu dans la culture intellectuelle du second XIXe, où la part d’inspiration est loin de signer la mort de l’auteur151. Elena Gomel, à propos des modes d’écriture automatique fin de siècle, convoque la notion transgressive d’« utopian subjects152 », un sujet qui transcende les clivages rationnel/irrationnel, masculin/féminin153. La transe que développe Desnos habité par la doublure Rrose est une manière de botter en touche sur la question même de la simulation, si souvent convoquée pour mettre en doute son rôle dans la théâtralité des séances d’hypnose. Elle sert aussi à dramatiser la contradiction des subjectivités en place dans l’acte de créer (actif/passif ; révélation de l’autre/abdication de soi ; autorité/délégation154). Dans son dialogue télépathique avec Duchamp travesti dans son double, Desnos traverse non seulement l’Atlantique, mais les frontières du genre, moins pour troubler la définition d’une construction performative de l’identité que pour résoudre l’aporie de l’irresponsabilité de l’artiste. En se vautrant dans la réécriture sous hypnose, il anticipe sans le savoir sur les déclarations de Duchamp dans la fameuse conférence de Houston sur le « Processus créatif » (1957) : 253 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 253 13/09/2020 19:05 L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S « Selon toutes apparences, l’artiste agit à la façon d’un être médiumnique qui, du labyrinthe par-delà le temps et l’espace, cherche son chemin vers une clairière. Si donc nous accordons les attributs d’un médium à l’artiste, nous devons alors lui refuser la faculté d’être pleinement conscient, sur le plan esthétique, de ce qu’il fait ou pourquoi il le fait – toutes ses décisions dans l’exécution de l’œuvre restent dans le domaine de l’intuition et ne peuvent être traduites en une self-analyse, parlée ou écrite ou même pensée155. » Le conflit porte désormais sur la notion d’intention quand l’artiste, de génie démiurgique, est passé au statut de simple scribe d’une parole exogène qui n’est plus la sienne. Duchamp pousse l’hypothèse médiumnique dans ses conséquences les plus radicales : l’artiste qui n’est plus « pleinement conscient » est dessaisi de l’intentionnalité de son œuvre (« il ne sait pas ce qu’il fait ou pourquoi il le fait »). Il est non seulement inconscient, mais « irresponsable » (c’est un « médium irresponsable » selon lui156). C’est la séparation de la création et du créateur, la mise à sac du mythe d’une contiguïté physique et psychique entre l’artiste et son œuvre devenue non seulement autonome mais indépendante. Ce qui entre en scène dans l’abandon théâtralisé à l’induction hypnotique est bien la conception inédite d’une œuvre d’art comme une expérience créative distincte et séparée de la personne qui la crée. Duchamp, qui n’a nullement manifesté d’agacement devant le plagiat de Desnos alias Rrose Sélavy, revendique le fait d’assumer la fin d’un modèle traditionnel de l’œuvre d’art comme rattachée au corps de l’artiste, sur le modèle de la production industrielle supposant une déconnexion symbolique et réelle entre le corps du réalisateur et la réalité du produit fini (le ready-made est déjà là). Il annonce à mots couverts une nouvelle manière de penser le désengagement corporel dans la production de l’art157 ; mieux encore, il installe le doute sur la capacité de l’artiste à donner sens à son œuvre – fonction reportée sur le spectateur « qui fait l’œuvre ». Ainsi, la transe hypnotique et son arrière-plan médiumnique poussent l’artiste, sous le regard anesthésiant de Duchamp, à n’être plus qu’un intermédiaire, une surface de transit, un simple conducteur ou transcripteur de messages, dans une surprenante anticipation de la théorisation de la « mort de l’auteur » orchestrée par Roland Barthes et Michel Foucault à la fin des années 1960. Le jeu de délégation qui hante l’hypnose surréaliste formule avant l’heure une « autodissolution métaphorique » de l’auteur, par une disqualification de l’intention qui n’a pas attendu les leçons du poststructuralisme. Dans la « Mort de l’auteur » (1967), Barthes ne pose pas tant la disparition de l’auteur comme écrivain et créateur du texte (il parle d’« éloignement de l’Auteur » et de « distancement »), il dénonce le privilège excessif donné à l’autorité de l’auteur (auctoritas) A sur le texte. Il ne s’agit pas de faire disparaître, ni en pratique ni en théorie, l’auteur lui-même, mais de réduire son autorité sur l’œuvre, tout en refusant « d’assigner au texte un secret, c’est-à-dire un sens ultime ». Pour cela, Barthes substitue au terme « auteur » celui de « scripteur » (susceptible d’exclure la dimension plus personnelle, subjective et émotionnelle de l’auteur, associée à la figure romantique de l’artiste). Dans son interprétation la plus radicale, la figure du « scripteur » est celle d’un écrivain qui puise dans des textes déjà là, préexistants (le ready-made), reportant sur le lecteur une part interprétative primordiale et exclusive : c’est le langage qui parle et non l’auteur transformé en copiste mêlant les écritures (l’auteur n’invente rien, il assemble, il bricole). Deux ans plus tard, Foucault poursuivra la réflexion amorcée par Barthes dans une conférence intitulée sobrement « Qu’est-ce qu’un auteur ? ». Plutôt que de reconduire le principe de cette fin annoncée de l’auteur, il revient sur la nouvelle « fonction » de l’auteur quand celui-ci aurait supposément été supprimé : ce qu’il va appeler « l’auteur-fonction » (qu’est-ce qui peut bien occuper désormais la place de l’auteur disparu ?). A. Man Ray, Marcel Duchamp devant Plaques de verre rotatives, 1924, photographie. B. Photographie de Jean Crotti, Portrait de Marcel Duchamp, 23 x 17,5 cm, archives Marcel Duchamp. 254 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 254 13/09/2020 19:05 1920-1950 255 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 255 13/09/2020 19:05 A A. Marcel Duchamp, Anemic Cinema, 1925-1926, photogramme. B. Marcel Duchamp, Rotative demi-sphère (optique de précision), 1924. HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 256 13/09/2020 19:05 B HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 257 13/09/2020 19:05 L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S Si Foucault prend le soin de distinguer l’individu responsable de l’œuvre (l’identité personnelle) et la structure autoriale qui l’accompagne (l’auteur fonctionnel), c’est justement pour acter la disparition de la personnalité de l’auteur, un principe que Duchamp était allé chercher chez l’écrivain Thomas Stearns Eliot158, dans un texte qui précède de trois ans l’époque des sommeils surréalistes. Duchamp cite en effet dans sa conférence de Houston un extrait du texte d’Eliot, Tradition and the Individual Talent (1919)159 : « L’artiste sera d’autant plus parfait que seront plus complètement séparés en lui l’homme qui souffre et l’esprit qui crée. » Loin d’une disparition, il faut plutôt parler d’une dépersonnalisation de l’auteur160 – ce qu’Eliot avait qualifié d’« extinction de la personnalité ». Le corollaire de cette « extinction » sera sans surprise chez Duchamp la médiation machinique associée en partie à une clinique de la « dissociation de la personnalité ». Il délègue à la machine le pouvoir d’emprise sur le spectateur (le docteur Jules-Bernard Luys parlait de « fascination mécanique161 »). D’où l’apparition d’instruments et d’appareils qu’il qualifie d’« optique de précision », avec la série des Rotary Glass Plates, même si sa toute première occurrence est anticipée dès la fameuse Roue de bicyclette de 1913. Duchamp dira de ce ready-made qu’il lui rappelle un feu de cheminée, son tournoiement faisant office de crépitement des flammes dans l’âtre, à savoir le lieu de la plus banale et domestique expérience de l’hypnose devenant de fait l’obsession standardisée de celui qui signe « Rrose Sélavy, experte en optiques de précision ». Suivront les Disques optiques de 1923 tournant sur eux-mêmes, soit à l’aide d’une machine bricolée (Rotative demi-sphère, 1924), soit à l’aide d’une caméra (Anémic Cinéma, 1926), avec des jeux de mots inscrits en spirale sur les disques animés, et dont la sémantique se révèle en miroir : « L’aspirant habite Javel et moi j’avais l’habite en spirale. » Anémic Cinéma fait suite à une première collaboration avec Man Ray qui aide Duchamp dans le développement d’une technique stéréoscopique réalisée avec un globe sur lequel est peinte une spirale162. Le film expérimental de six minutes, qui n’est pas signé Duchamp mais Rrose Sélavy, alterne deux sortes de disques rotatifs, l’un formé de phrases inscrites en spirales – souvent des non-sens, parfois des jeux scabreux et obscènes –, l’autre d’une simple spirale fonctionnant sur ce que les psychologues de la perception connaissent sous le nom de « stereo-kinetic effect ». À savoir la rotation rapide d’une figure géométrique à deux dimensions qui produit une illusion fugace de relief, ici une illusion de plongée dans un gouffre infini dans lequel s’invite le vertige proprioceptif. Plus anagramme que palindrome, Anémic Cinéma renvoie la projection filmique à un pur dispositif optique dont l’effet miroir serait subtilement empêché. Bien sûr, les textes en spirale peuvent faire penser à des sous-titrages d’un film muet, mais leur valeur sémantique perd de sa fonction descriptive car placée au cœur d’une expérience visuelle purement abstraite, réduite à une machinerie hallucinatoire tournant à vide sur des suggestions subliminales, cryptées, souvent incompréhensibles. Pour Duchamp, l’optique de précision n’a pas vocation à produire un moyen d’expression, ni même à créer une volupté rétinienne (malgré l’inconscient sexuel du mouvement de pénétration que le jeu de relief visuel imprime). Elle vise plutôt à façonner une forme détournée d’anesthésie – un terme que Duchamp partage avec l’usage analgésique de l’hypnose médicale. Cette anesthésie est obtenue par une tétanisation douce du nerf optique, à la manière « neurhypnologique » de James Braid. Duchamp joue à la fois sur l’optimisation des effets d’induction réglés par les spirales en mouvement et la rétention de cet effet, voire sa neutralisation, dans la succession de paroles anagrammes saisies à l’envers, sur un contre-mouvement circulaire. Nul hasard si le dernier disque d’Anémic Cinema laisse apparaître la forme suggérée d’un œil, appelée pour son pouvoir d’emprise sur celui qui lui fait face et qui peine à résister à la puissance fascinatoire du regard magnétique révélé dans le mouvement de la spirale comme une image « cachée », même si cet efficace opticaliste cache en amont la menace faite à la propre autorité de l’auteur. Car en fin de film apparaît la mention « COPYRIGHTED by Rrose Sélavy 1926 », où la signature manuscrite est accompagnée de manière plus surprenante par une empreinte digitale, une trace indicielle attestant l’existence légale de l’auteur, quand Duchamp avait justement dénié tout intérêt à la main de l’artiste (sa « patte » personnelle). Le terme « COPYRIGHT » ne qualifie pas l’invention du geste, mais bien plutôt l’économie de sa diffusion (le droit de reproduction). Il se mêle avec une signature (« faite à la main ») qui salue plutôt l’unicité de l’œuvre et la garantie autoriale de son créateur. Le brouillage (authenticité/multiplicité) vient consolider le processus de dissémination de l’auteur au lieu d’acter sa disparition, tout en renvoyant au spectateur le soin de tourner le film (le public doit littéralement tourner la tête pour suivre et déchiffrer le défilé des phrases en spirales163), dans un jeu de réversibilité des rôles (opérateur/récepteur ; magnétiseur/magnétisé) qui avait abondamment nourri le discours sur le « rapport magnétique ». SEPTIÈME ART ET SIXIÈME SENS LE DISPOSITIF CINÉMATOGRAPHIQUE Il faudrait examiner plus avant le lien qui unit hypnose et médium cinématographique, et revenir sur l’œuvre surréaliste de Salvador Dali poussant à son terme le fantasme d’une projection physique de la psyché dans l’espace réel. Physique, c’est-à-dire très littéralement. La démonstration est faite par celui qui donnera à Dali la conviction définitive d’« être le surréalisme », le photographe américain Philippe Halsman. Ce complice dans la mythification de l’artiste démiurge met en scène Dali au sommet de sa gloire, dans une chambre d’hôtel, allongé dans son lit, avec à ses côtés de grands cahiers à dessins. Il est affublé d’un curieux instrument de projection, en lieu et place de sa boîte crânienne. Ce projecteur factice (le « pinceau de lumière164 ») simule de coucher directement sur le papier photosensible ses visions inté- 258 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 258 13/09/2020 19:05 1920-1950 rieures. « Assumant pleinement la dimension projective de l’automatisme165 », Dali entend externaliser ses propres fantasmes, les images mentales solidifiées sur la surface fantasmatique qu’est la toile (celle du peintre ou du cinéaste). Aussi fantaisiste que cette proposition puisse paraître (l’instrument de projection, qui fait peu illusion, n’est qu’une malheureuse poubelle de table, arrachée au mobilier de la chambre), elle reconduit, avec le même arrière-plan animiste, la grande tradition fluidique de « l’imagination créatrice166 ». Une double illustration tirée d’un opuscule américain à succès consacré à La Loi de suggestion (1902) donne le ton sur ce modèle d’une externalisation de l’image mentale sous hypnose. Dans la partie supérieure, un homme « non hypnotisé » regarde une vache dans un pré, l’image se répercute dans sa boîte crânienne sur le modèle optique de la camera obscura (« tel un appareil photographique », il « reçoit et enregistre l’image de son environnement »). La partie inférieure met en scène le même homme, mais cette fois hypnotisé, qui projette hors de lui une image mentale, celle de la même vache, très peu en rapport avec la réalité domestique du contexte167 (tel un stereopticon168, il « projette un environnement inspiré »). Se note au passage la transition opérée entre une position passive de récepteur (l’impression) et un rôle actif d’émetteur (la projection), traduite dans la modélisation mécaniste passant de l’agencement photographique au dispositif de la lanterne magique, venu qualifier l’optique projective sous hypnose. L’invention du dispositif cinématographique va donner toute son ampleur métaphorique à ce transfert. Comme l’a vu François Jost dans Le Temps d’un regard (1998), il faut pour cela revenir sur le contexte culturel qui a vu naître les premières projections cinématographiques : « Passé de l’émerveillement devant les capacités du cinéma à reproduire le monde physique […] sa nouveauté véritable apparut dans la possibilité qu’il donnait aux artistes d’accéder au monde psychique. Très vite, le cinéma semble, aux yeux de ceux qui voudraient en faire un art, le moyen privilégié pour montrer ce qui se passe dans les cerveaux169. » De nombreux films des premiers temps du cinéma, le temps des « attractions », représentent ce qui advient dans la tête des protagonistes pendant le sommeil et les états hypnagogiques, en particulier durant la phase onirique170. Un choix certainement favorisé par les associations, très répandues au tournant du siècle, entre dispositif cinématographique et mécanisme cérébral171 – ne serait-ce que dans les textes de Bergson172. Dans Rien n’est impossible à l’homme (1910), un film d’animation d’Émile Cohl, le cinéaste vante les capacités du thérapeute à voir à l’intérieur de la boîte crânienne : « Par l’hypnotisme, il scrute les pensées cachées et lit au fond des consciences », annonce en toutes lettres le bandeau avant de faire apparaître une silhouette de magnétiseur dont le globe oculaire gonfle au point de se convertir en miroir concave sur lequel le regard du patient va se concentrer et s’endormir, laissant, à mesure que ses paupières se referment, découvrir les images mentales animant les arcanes torturés de sa vie psychique. Grand défenseur du « sixième art », pionnier de l’artification du cinéma, Ricciotto Canudo, le mentor du « cérébrisme », propose le vocable de « films psychiques » pour qualifier des œuvres destinées à la « représentation plastique de la pensée » et « où le domaine de l’âme peut être fouillé par les pinceaux de lumière de l’écranéiste et précisé mieux que par la parole du poète ou par les accords du musicien173 ». Le cinéma se pense ainsi comme un média psychique, ainsi que l’a très bien vu Rae Beth Gordon dans De Charcot à Charlot, un ouvrage consacré au transfert de la clinique de l’hypnose vers la scène du music-hall et le cinéma des attractions des débuts du XXe siècle174. De nombreux auteurs au sein des études filmiques (probablement le champ, avec celui des études littéraires, le plus investi et avancé dans l’analyse des liens heuristiques entre création et hypnose) disent que le cinéma est par nature le dispositif de l’induction hypnotique. À la fois pour comprendre l’omniprésence des magnétiseurs dans celui des premiers temps, et l’intérêt méta-discursif de cette figure comme énonciation du propre mécanisme hypnotique en jeu dans la projection cinématographique. Raymond Bellour175 en France et Ruggero Eugeni176 en Italie, sont revenus sur cette archéologie hypnotique du cinématographe. Nul besoin de venir ici paraphraser ces spécialistes du cinéma, pour dire en moins bien ce qu’ils ont pu brillamment démontrer, à savoir l’étroite concordance historique, métaphorique et phénoménologique, entre la situation du spectateur au cinématographe et la relation magnétique sur laquelle sont revenus, en détail et sur des points plus spécifiques, des auteurs comme Stefan Andriopoulos, Emmanuel Plasseraud178 ou Mireille Berton179. … le cinéma est par nature le dispositif de l’induction hypnotique… S’il y a beaucoup à dire des limites de cette comparaison, notamment dans la manière dont « l’hypnose filmique » participe au mécanisme d’identification face à ce qui se vit à l’écran180, l’analogie entre le dispositif cinématographique et le protocole instrumenté de l’hypnose fonctionne en revanche à plein, selon un mécanisme résumé par Raymond Bellour dans un article de 1988 intitulé « La machine à hypnose » : « Le dispositif-cinéma est ce qui vient à cette place de l’hypnotiseur, il prend la place de l’Idéal du Moi. Le spectateur pris dans l’hypnose-cinéma est ainsi saisi dans une sorte de tenaille, entre la régression et l’idéalisation. On peut dire : il vit la régression sous forme de l’idéalisation […]. Pour le dire autrement : si le film, en tant que continuité d’images et de sons, paraît plus près du rêve, nous sommes, au cinéma, plus proches de la situation hypnotique dans la mesure où il y a dans un cas comme dans l’autre l’intervention d’un élément extérieur. Le cinéma, le film, est ainsi comme un rêve sous 259 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 259 13/09/2020 19:05 A HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 260 13/09/2020 19:05 1920-1950 hypnose181. » C’est là une intuition très vite identifiée, pré-élaborée avant même l’arrivée du cinéma dans le texte de Paul Souriau sur la Suggestion dans l’art, qui compare la technique d’induction à la contemplation d’un spectacle de lanterne magique : « Étonnante fantasmagorie ! C’est bien le spectacle dans un fauteuil. L’obscurité s’est faite dans la salle et l’attente du mystère, excitant mon imagination, me dispose à voir sur la toile blanche les images qui n’y sont pas encore projetées […] Et les tableaux se succèdent, entrevus comme dans une vague lueur, se fondant l’un dans l’autre, pendant qu’un orchestre invisible accompagne ces visions […]. Que ces visions sont douces ! Comme cette musique lente nous berce ! Dormez, nous dit-elle, rêvez ! D’instant en instant, nous nous enfonçons davantage dans l’hypnose. Nous n’imaginons plus : nous voyons, nous entendons, nous sentons182. » « Dormez », c’est l’injonction faite sur les tréteaux des scènes d’hypnose. De fait, les premiers pas du cinéma ont été orchestrés dans des lieux largement habités par les imaginaires du magnétisme. François Jost rappelle combien les films « côtoyaient sur les foires les séances de magnétisme, d’hypnotisme et de transmission de pensée183 ». Pour exemple, le théâtre Bénévol à Paris (on l’avait retrouvé à l’origine de l’épisode des sommeils hypnotiques surréalistes), qui « enchaînait les numéros de la sorcière Foska, du professeur Robertson et de sa prodigieuse visionnaire Lucile, du professeur Du Laar qui présentait le Rêve de Pygmalion avec un projecteur cinématographique184 ». Trois conséquences à ces enchaînements abreuvant le lien qui nous occupe. La première tient à la conversion, voire à la « substitution des spectacles185 », entre séances d’hypnotisation collective et projection filmique opposant, en termes de réception critique, ceux qui s’émeuvent d’une contamination des effets d’hystérisation collective du public (« Une fois pris, comme ils disent, ils ne quittent pas des yeux le magnétiseur, et pour peu que celui-ci fasse mine de ne pas vouloir les regarder, ils lui bourrent la poitrine de coups de poing formidables186 ») et ceux qui rencontrent dans ces spectacles « inoffensifs » des modèles de transformation expérimentale de la personnalité. La deuxième concerne la dette évidente du cinéma envers les hypothèses psychiques sur l’hypnose comme état – voire ses propres contradictions –, ce qui fait dire à Raymond Bellour qu’il s’agit là d’un processus à double sens : « Plus le cinéma s’élabore, tant comme dispositif que comme art, et semble s’éloigner de sa connaturalité première avec l’hypnose populaire, plus il tend à transformer ce rapport d’origine, selon une pluralité de modes que des conceptions plus savantes et renouvelées de l’hypnose peuvent contribuer à situer187. » La troisième tient à la fascination du cinéma pour les jeux d’influence et de mimétisme avec un goût prononcé pour la contagion des automatismes convertie en effet comique (on retrouve ici Bergson, dont le traité sur Le Rire – ses effets de contamination et de mimétisme – a beaucoup à voir avec sa théorisation hypnotique de l’art). Cette convergence hypnose/cinéma puise beaucoup dans les imaginaires de la suggestion développés par les disciples de l’école de Nancy, en particulier dans les subtilités sur les degrés de soumission et ses limites éthiques. Bernheim a expérimenté des suggestions parfois scabreuses, souvent macabres. Il travaille aux côtés du juriste nancéen Jules Liégeois, qui conduit ses recherches sur les crimes sous hypnose. Lors d’une séance menée au laboratoire de la faculté de médecine, une jeune femme hypnotisée tire sans scrupule sur sa mère, sans savoir que le pistolet est armé à blanc. De nombreux « crimes expérimentaux » seront tentés à Nancy, au point de défrayer la chronique et d’alimenter à terme le discours des cinéphobes, voyant dans les projections de « films de bandits » des incitations au crime, à l’instar d’Édouard Poulain, dans son pamphlet Contre le cinéma, école du vice et du crime (1918). Poulain s’arrête sur le cas d’un jugement de la cour d’assises de Rennes impliquant de « jeunes criminels » qui, au cours des interrogatoires, auraient avoué « avoir été impressionnés et suggestionnés par la vue des pellicules cinématographiques exaltant des exploits de bandits ». Sa condamnation est sans appel, sur des exhortations de prêcheur stigmatisant le « dévergondage et la prostitution du cinématographe » : « Le fluide ! Le fluide hypnotique ! Voilà comment la représentation d’aventures sensationnelles surexcite les imaginations et exerce une influence délétère188. » Il se trouve que le spectateur a tôt fait d’associer crime et hypnose, et ce jusque dans les moindres arcanes d’une psyché sous trauma. Dans Le Mystère des roches de Kador (1912), de Léonce Perret, c’est un crime que l’on tente de reconstituer par l’hypnose. Présenté comme le « premier film psychanalytique », ce film mêlant intrigue policière et étude psychologique, est plutôt, comme Raymond Bellour a eu raison de le rappeler, beaucoup plus redevable à un protocole hypnotique ; ainsi que l’énonce la brochure du film, qui, filant une métaphore pour le moins fluido-magnétique, affirme que « les vibrations lumineuses des images cinématographiques transmises par le moyen du nerf optique, de la rétine qu’elles ont impressionnée aux cellules de l’écorce cérébrale, déterminent, en effet, un état tout particulier d’hypnose qui se prête admirablement à la suggestion thérapeutique189 ». L’histoire de cette thérapie par écran interposé renvoie à tout l’imaginaire des débats sur la suggestion, jusque dans les effets sur la perte de mémoire des faits en état posthypnotique. Le médecin, un certain Pr Williams, souhaite appliquer « le cinématographe à la psychothérapie », en projetant à la jeune malade amnésique un film censé reconstituer la scène de meurtre à laquelle elle a assisté pour réveiller le souvenir perdu de la scène traumatique. Nous revenons ici vers Charcot et la possibilité A. Léonce Perret, Le mystère des roches de Kador, 1911. 261 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 261 13/09/2020 19:05 A A. Couverture de Charles Lafontaine, El arte de magnetizar, ca. 1920. B. Man Ray, Luisa Casati, ca. 1927, photographie, 24 x 18 cm. HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 262 13/09/2020 19:05 B HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 263 13/09/2020 19:05 L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S s’agissait de montrer combien l’image est aussi réelle que le réel avec de légers décalages entre l’événement et sa doublure filmée (Binet affirmait que « les images sont toujours réelles, puisqu’elles sont perçues et conçues192 »). Mais aussi combien elle s’en écarte par la distance qui est autorisée face à son pouvoir de fascination (Suzanne, la jeune patiente, se redécouvre par le film et prend le recul nécessaire envers cette image qui la met en scène pour mieux se retrouver). Dans Le Mystère des roches de Kador, l’hypnose, qui passe par l’outil de la projection cinématographique, en affinité donc avec le nouvel ordre de la vision où s’agencent la croyance en l’image performative et le rapport d’étrangeté à l’image de son propre corps, rend possible une objectivation psychologique du psychisme. Cet horizon va nourrir, et même hanter, la veine expressionniste quand elle se penche sur ce qui transforme le récit hypnotique en une étude, par l’image, des puissances politiques du film, et sert plus largement une authentique anthropologie du sujet moderne enfermé dans de multiples jeux d’affects et d’émotions qui sont autant d’aliénations. L’hypnose n’aura jamais été autant saisie « du côté du regard et de sa projection193 ». LE « SYNDROME MABUSE » HYPNOSE CRIMINELLE ET PROPAGANDE A d’obtenir par l’hypnose « le résultat d’un rêve que vous avez provoqué ; rêve intense et qui s’est en quelque sorte réalisé objectivement190 ». Car dans le film, où la dissociation propre à l’hypnose s’accomplit « par l’intrusion du point de vue servi par le dispositif de projection191 », se superposent et se rejoignent trois scènes, celle du passé, celle du tournage de la reconstitution, et celle de sa projection devant la victime. Comme s’il Deux films cultes de cette veine expressionniste accompagnent l’émergence des expérimentations hypnotiques du surréalisme. Le premier est Le Cabinet du Dr Caligari, de Robert Wiene (1920) ; le second est une œuvre canonique de Fritz Lang, Le Docteur Mabuse (1922), qui parachève cette constellation au moment des premiers sommeils. Présenté au public berlinois en février 1920, Le Cabinet du Dr Caligari s’appuie sur la piste criminogène de l’hypnose venue des théories nancéennes de Bernheim et Liégeois. Le protagoniste du film est un bonimenteur de foire qui exhibe un sujet somnambulique clairvoyant du nom de Cesare. Véritable automate, réduit à l’obéissance servile du magnétiseur, Cesare s’avère non seulement prédire la mort mais accomplir son exécution sous l’influence des suggestions maléfiques du Dr Caligari, réincarnation d’un mystique et thaumaturge du XVIIIe siècle dont Siegfried Kracauer verra plus tard une prémonition « démoniaque » de Hitler195. L’un des procédés visuels du montage du film consiste à insérer dans l’image des exhortations écrites, idées fixes menant la conduite compulsive du personnage (« Du Musst Caligari werden »). Cette injonction mimétique (« Tu dois devenir Caligari ») a été utilisée lors de la campagne publicitaire accompagnant la sortie du film. Des affiches avaient envahi les murs berlinois un mois avant la première, sur lesquelles, ce qui cultivait le mystère, n’apparaissait aucune mention à un film, mais une simple spirale avec la date de l’événement et la fameuse phrase susceptible d’agir, sans en connaître la motivation, comme une suggestion subliminale préconditionnant les futurs spectateurs. Les producteurs du film avaient assimilé le tournant hypnotique de la technique publicitaire. 264 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 264 13/09/2020 19:05 1920-1950 Dès la fin du XIXe siècle, la psychologie expérimentale a jeté les bases de la « psychotechnique », à savoir son application statistique et rationnelle à des domaines pratiques de la vie sociale – celle que mis en place notamment Hugo Münsterberg, directeur du laboratoire de psychologie de l’université de Harvard196, l’un des pionniers de l’analyse psychologique du film197. Cette recherche d’un efficace de la communication se retrouve en France sous la plume de Gérin et Espinadel dans La Publicité suggestive (1911), un traité explicitement inspiré des théories de l’école de Nancy198 : « La suggestion étant la base de la publicité, il fallait avoir étudié cette partie de la psychologie pour pouvoir établir le parallèle et appliquer l’une à l’autre. C’est en effet l’étude préalable des travaux de l’École de Nancy par Octave-Jacques Gérin qui l’a mis sur la voie […]. C’est donc après nous être assurés que la suggestion s’appliquait de façon absolue et intégrale à la publicité que nous avons nôtres les enseignements de Bernheim et Liébault. » Dans leur analyse, Gérin et Espinadel prennent soin de distinguer deux modes d’action de la réclame : « suggestion directe et suggestion indirecte. » Le premier « opère par la simple présentation de la chose », quand le second passe par des canaux plus analogiques, les deux ayant avantage à se « superposer » pour accroître l’effet. Pour le mode direct, il ne suffit pas de présenter la chose, mais de la figurer « en mouvement » : « La suggestion par la chose elle-même peut être augmentée en intensité. Tout objet doit être présenté en action199. » Ce mode immédiat de présentification est appuyé selon Gérin par les effets de la « suggestion indirecte », reposant cette fois sur le principe d’une « association d’idées et de faits » : « Au lieu d’obliger le cerveau à associer une idée à une autre, elle suggère directement par la chose et simultanément, par un fait associé à cette chose. La suggestion indirecte B A. Photogramme du film de Germaine Dulac, La Coquille et le Clergyman, 1927. B. Photogramme du film de Robert Wiene, Le Cabinet du docteur Caligari, 1920. 265 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 265 13/09/2020 19:05 A HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 266 13/09/2020 19:05 1920-1950 est un renforçateur, un complément de la suggestion directe200. » Car dans ce jeu d’associations, « la réceptivité et la suggestion doivent être, entre elles, en rapports directs201 », réunies et orientées vers un même objectif. D’où la nécessité d’évincer tout effet de « neutralité » ou d’« inhibition par monotonie » par des choix proprement dynamogéniques – ce que Gérin appelle la puissance interpellatrice d’une « ligne d’orientation202 » dont se retrouvent des échos immédiats dans le montage visuel des décors et des circuits de caméra du film de Robert Wiene. La théorie s’est muée en technique de sujétion, par un contrôle cognitiviste des schèmes attentionnels du spectateur. Que retenir de cet amalgame entre rationalisation technique des attentions et contrôle des affects ? Une réévaluation massive des théories de la suggestion, Bernheim en première ligne, revu et corrigé par les psychologues de la foule203 ; celui pour qui cet « acte de transmettre une idée qui est introduite dans le cerveau et acceptée par lui » va triompher dans la culture des idéologies de l’entre-deux-guerres et la montée des propagandes fascistes, au point de faire de l’environnement tout entier un milieu de suggestion permanente. Les attributs de l’âme collective étant toujours plus distincts des qualités subjectives propres aux individus qui composent la foule, la force de suggestion grandissant de manière exponentielle avec l’effet de masse qui opère comme facteur de contagion pour ramener l’essence du social et du fait collectif au phénomène mimétique. Il aura fallu pour cela monter d’un cran dans l’instrumentation de cette « idéologie du laboratoire » nourrissant le projet de la psychotechnique, à savoir la croyance dans l’articulation intime et souveraine entre l’idée implantée et sa mise en acte par phénomène d’induction psychomotrice. Cela va même plus loin, car il ne s’agit pas seulement de lever les foules dans une même folie contagieuse (le modèle des grands messes collectives orchestrées par Goebbels, le maître d’œuvre de la propagande nazie), mais de croire en la qualité de l’image à imprimer sur le corps lui-même les réflexes de sa transformation : « Enchaîner le corps par les images, c’est maîtriser la pensée qu’il contient, c’est assujettir l’homme entier204. » Cela se retrouvera de façon littérale et glaciale dans l’esthétisation du politique sous le IIIe Reich205, jusque dans les propos explicites de Hitler lors du discours d’ouverture de la session artistique du congrès de Nuremberg en 1935, lorsqu’il déclare : « L’art, précisément puisqu’il est l’émanation la plus directe et la plus fidèle du Volksgeist, constitue la force qui modèle inconsciemment de la façon la plus active la force du peuple206. » Ce modelage sera pris par le « meneur de foule » au pied de la lettre, c’est-à-dire proprement procréateur207, conduisant à la possibilité d’établir une loi de transmission quasi héréditaire entre l’œuvre, le créateur et le spectateur, sur le principe d’une matrice d’engendrement208 de la race par autocontemplation : « L’image contemplée s’imprime dans l’imagination, donnant ensuite forme et beauté à la chair engendrée par le contemplateur : par la médiation de la vue et de la mémoire, l’image du corps engendre ainsi le corps, la forme vient amender la matière, l’idée vient structurer le réel209. » Dans ce travail de modélisation du corps de la nation tout entière, la part charismatique du meneur va prendre une part décisive, délirante – qui donne à l’étude de Pascal Rossi sur Les Suggesteurs et la Foule (1904)210 une résonance redoutablement clairvoyante. Nous baignons ici dans un moment très singulier de l’hypnose qui bascule à corps perdu dans le giron culturel de l’occultisme. Pour preuve, le « rapport magnétique » qu’entretient à la fin des années 1920 Hitler avec l’hypnotiseur mentaliste Hermann Steinschneider, plus connu sous son nom de scène d’Erik Jan Hanussen, le « Raspoutine allemand ». Il semblerait que Hanussen, qui fait salle comble à la Scala de Berlin dans des spectacles d’hypnose collective et de lectures de pensées, ait été appelé par Hitler pour lui dispenser des leçons d’éloquence publique et de langage corporel en vue de subjuguer les foules. Son art d’orateur a beaucoup appris de la technique du magnétiseur, comme l’indique la série sur la gestuelle des discours publics réalisée par son photographe officiel Heinrich Hoffmann. Hitler, qui avait suivi, au sortir de la Première Guerre mondiale à Pasewalk, un traitement thérapeutique à base d’hypnose211, avait porté un grand intérêt à la lecture de l’ouvrage de Gustave Le Bon sur La Psychologie des foules, revu et corrigé à l’aune de la « fabrique du consentement » théorisée par le publicitaire austro-américain Edward Bernays, le père de la propagande moderne212. Sous la montée des fascismes, les années 1930 ont ainsi assisté à une mutation conceptuelle de la suggestion comme moyen d’éducation – ce dont témoignait encore la « démopédie » de Pascal Rossi213 – vers un outil de manipulation de masse, adossé sur des techniques de persuasion poussant le contrôle psychique des individus jusque dans la conformation physique des corps. Est-ce à dire que l’hypnose des années 1930-1940 n’aura été qu’une lente plongée collective dans l’emprise consentie des masses contre l’émancipation résistante des individus – celle que Thomas Mann décrit dans sa nouvelle Mario et le magicien en 1930, devant la montée de Mussolini, alias Cavaliere Cipolla, l’hypnotiseur aux « yeux perçants214 » ? Non, puisque son usage technique ou métaphorique au sein des pratiques artistiques aura aussi essaimé de manière plus ciblée des espaces de liberté, voire des lieux de résistance. Les convulsions hystériques de la danse expressionniste (Mary Wigman, Anita Berber) avaient préparé le terrain d’une révolte désinhibitrice contre le redressement conformiste des corps, mais il fallait d’abord libérer l’hypnose elle-même du conditionnement de l’autorité. C’est ce que va faire, au sortir de la guerre, un psychothérapeute du nom de Milton Erickson, ouvrant la brèche à une « nouvelle hypnose ». A. Couverture d’Adolf Sinapius, Zehn Unterrichtsbriefe zur vollständigen Erlernung des Hypnotismus Magnetismus, ca. 1920. 267 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 267 13/09/2020 19:05 L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S NOTES 1. Charcot cité par Marcel Gauchet, Le Vrai Charcot, Les chemins imprévus de l’inconscient, Paris, Calmann-Lévy, 1997, p. 203. 2. Ibidem, p. 203. 3. Jacqueline Carroy, Les Personnalités doubles et multiples. Entre science et fiction, Paris, PUF, 1993. 4. M. Gauchet, Le Vrai Charcot, op. cit., p. 205. 5. Ibidem, p. 206. 6. Marguerite Bonnet, « La rencontre d’André Breton avec la folie. Saint-Dizier, août/novembre 1916 », Art et psychanalyse, Nice, Z’éditions, 1992, p. 115-135. 7. André Breton, Entretiens, Paris, Gallimard, 1969, p. 77. Il développe notamment ce principe dans le Second manifeste : « Nous pensons avoir fait surgir une curieuse possibilité de la pensée qui serait celle de sa mise en commun. » A. Breton, Second manifeste du surréalisme, dans Œuvres complètes, tome I, Paris, Gallimard, 1988, p. 822. 8. Aurélia Peyrical, « Suggestion et réserve mentale. La pratique de la philosophie chez T. W. Adorno », Recherches germaniques, vol. 49, 2019, p. 163-174. 9. Gaston Rageot, La Beauté. Essai d’esthétique historique, Paris, Plon, 1924, p. 36-37. 10. Ibidem, p. 142. 11. « Les Rêves ont une influence profonde sur les hystériques : la vie onirique comme la vie imaginative paraissent parfois plus importantes étiologiquement chez eux que la vie réelle. » Angelo Hesnard, L’Inconscient, Paris, Doin, 1923 p. 125-126. 12. « On peut dire que l’hypnotisme est, soit une hystérisation expérimentale, soit la production et la culture d’un état spécial qui offre tous les caractères psychologiques de l’hystérie mentale. » Ibidem, p. 145. 13. Jacques Rigaut, Roman d’un jeune homme pauvre, cité par Sarane Alexandrian, Le Surréalisme et le Rêve, Paris, Gallimard, 1974, p. 107. 14. A. Breton, « Entrée des médiums », Les Pas perdus, Paris, Gallimard, 1969 [1924], p. 120. 15. Robert Desnos, « Journal d’une apparition », La Révolution surréaliste, n° 9-10, 1er octobre 1927, p. 9-11, cité par Carole Aurouet, Robert Desnos. Dessins hypnotiques, Paris, Nouvelles éditions Jean-Michel Place, 2015, p. 7. 16. « J’avais été conduit à donner toutes mes préférences à des récits de rêves que, pour leur épargner semblable stylisation, je voulais sténographiques. » A. Breton, « Entrée des médiums », Les Pas perdus, Paris, Gallimard, 1969 [1924], p. 119-120. 17. Dominique Barrucand, Histoire de l’hypnose en France, Paris, Presses universitaires de France, 1967, et Bertrand Méheust, Somnambulisme et médiumnité (17841930). Le choc des sciences psychiques, Paris, Institut Synthélabo, 1999. 18. Ibidem, p. 120. 19. Ibid., p. 121. 20. Ibid., p. 121-122. 21. Édouard Cavailhon, La Fascination magnétique, précédée d’une préface de Donato, Paris, Dentu, 1882. 22. Le Péquenot, « Échos. Un truc connu », Journal du peuple, 21 septembre 1922, p. 2. 23. Donato, « La suggestion de l’exemple. La chaîne magnétique », Cours d’hypnotisme et de magnétisme, Paris, Tallandier, 1911, p. 135-145. 24. A. Breton, 1923, cité dans Seth Whidden (éd.), Models of Collaboration in Nineteenth-Century French Literature, Farnham, Ashgate Publishing, 2009, p. 14. 25. Roger Luckhurst, « Cross-Correspondance and Collage », The Invention of Telepathy, New York, Oxford University Press, 2002, p. 264-265. 26. Voir David Lomas, Haunted Self. Surrealism, Pyschoanalysis, Subjectivity, New Haven, Yale University Press, 2001, p. 68. 27. Lettre citée dans A. Breton, Œuvres complètes, édition établie par Marguerite Bonnet, Paris, NRF, 1988, p. 1532. 28. Ibidem, p. 1532. 29. A. Breton, Manifeste du surréalisme, 1924, repris dans Œuvres complètes d’André Breton, tome I, op. cit., p. 331. 30. Louis Aragon, « Une vague de rêves » (1924), Paris, Seghers, 2006. 31. Lettre citée par Sarane Alexandrian, Le Surréalisme et le Rêve, op. cit., p. 124. 32. A. Breton, Nadja, citée dans Œuvres complètes d’André Breton, tome I, op. cit., p. 661. 33. A. Breton, Les Mots dans rides, repris dans Œuvres, Paris, Gallimard, 1999, p. 159. 34. Bien avant lui, dès 1924, Émile Malespine, un hérésiarque du surréalisme, souligne l’emprise de ces références sur le premier Breton : « Ce que M. Breton appelle surréalisme n’est que la réédition de l’X qu’on appelle hypnotisme ou somnambulisme ou spiritisme […]. Littérature surréaliste, c’est le petit jeu de société du médium qui entre en transe, vous parle de la planète Mars, de la Lémurie, et vous fabrique des poésies de Victor Hugo ou des poèmes de M. André Breton. Pour écrire, il n’y a qu’à se mettre dans l’état qu’en psychologie on a appelé l’état second. Grasset aurait dit que M. Breton désagrégeait son polygone. » Émile Malespine, « Poisson soluble. Manifeste du surréalisme d’André Breton », Manomètre, n° 6, août 1924, p. 121-124. 35. « Les termes dans lesquels Breton inscrit la définition du surréalisme renvoient à Janet, à Charcot, à Liébeault, et davantage encore à la branche aberrante – spirite, parapsychologique, médianimique – détachée du courant principal qui va de Mesmer à Freud en passant par l’école de Nancy et la Salpêtrière. » Jean Starobinski, « Freud, Breton, Myers », L’Arc, n° 34, octobre 1968, repris dans La Relation critique, Paris, Gallimard, 1970, p. 327. 36. La bibliothèque d’A. Breton détenait un exemplaire de l’édition française de 1919. 37. Jean Starobinski, La Relation critique, op. cit., p. 332. 38. A. Breton, Entretiens, op. cit., p. 82-83. 39. F. W. H. Myers, La Personnalité humaine, sa survivance, ses manifestations supranormales, Paris, Alcan, 1905, p. 46. 40. Ibidem, p. 172. Charles Richet – que Breton évoque aussi dans « Le message automatique » – parlera, à la même époque, de « sixième sens ». Charles Richet, Notre sixième sens, Paris, Éditions Montaigne, s.d. 41. Ibidem, p. 170. 42. Ibid., p. 170. 43. Ibid., p. 143. 44. Ibid., p. 149. 45. Ibid., p. 157. 46. Ibid., p. 205. 47. Ibid., p. 205. 48. Ibid., p. 173. 49. Ibid., p. 187. 50. Ibid., p. 189. 51. A. Breton, Entretiens, op. cit., p. 85. 52. Dans « Le message automatique », Breton cite les propos du « professeur Lipps dans son étude sur les danses automatiques du médium Magdeleine ». Breton, qui dispose d’une impressionnante documentation sur le sujet, a probablement consulté L’Art et l’Hypnose, que Magnin a consacré à Magdeleine (Émile Magnin, L’Art et l’Hypnose. Interprétation plastique d’œuvres littéraires et musicales, Paris, Alcan, ca. 1905). S’y retrouve la traduction d’un article de Lipps consacré à Magdeleine (p. 360-363) ainsi que de nombreuses analyses des thèses du Dr Schrenck-Notzing, dont Breton commente les propos sur « la valeur artistique des mouvements d’expression de l’hystérie et de l’hypnose » (A. Breton, « Le Message automatique », repris dans Point du jour, Paris, Gallimard, 1978 [1933], p.379). 53. Louis Aragon, Une vague de rêves, Paris, Seghers, 2006 [1924], p. 16-17. 54. Paul Joire, Traité d’hypnotisme expérimental et de psychothérapie, Paris, Vigot, 1911, p. 166. 55. Laurent Jenny, La fin de l’intériorité, Théorie de l’expression et invention esthétique dans les avant-gardes françaises (1885-1935), Paris, PUF, 2002, p.118. 56. Ibidem, p.123. 57. A. Breton, « Entrée des médiums », Littérature, nouvelle série, n° 6, 1er novembre 1922, repris dans Œuvres complètes, tome I, op. cit., p. 275. 58. De ces dessins naîtront quelques peintures, trois huiles sur toile notamment, datées de 1924, aux titres tous divinatoires et mortifères : Ci-gît Éluard, Mort de Max Morise, Mort de Max Ernst. Ce dernier vendu dès 1924 par Desnos à sa marchande de Düsseldorf, passa longtemps pour une œuvre d’Ernst lui-même. 59. Albert de Rochas, Les États superficiels de l’hypnose, Paris, Chamuel, 1897, p. 119. 60. Ibidem, p. 118. 61. Alfred Binet, « Le fétichisme dans l’amour », Études de psychologie expérimentale, Paris, Doin, 1888, p. 4. 62. Simone Breton, Lettres à Denise Levy, édition établie par Georgiana Colville, Paris, Éditions Joëlle Losfeld, 2005, p. 106-107. 63. Ibidem, p. 108. 64. Ibid., p. 108. Louis Aragon, Le Paysan de Paris, Paris, Gallimard, 1976 [1924], p. 238. 65. L. Aragon, Une vague de rêves, Paris, Seghers, 2006 [1924], p. 22-23. 66. Il faudrait ajouter à cette liste de nombreux autres acteurs, pour certains en marge du surréalisme, parmi lesquels René Daumal, qui a pratiqué l’hypnose sur certains de ses compagnons du Grand Jeu. Ainsi que le rapporte Pierre Minet dans La Défaite (Bruxelles, Éditions Jacques Antoine, 1973, p. 146-151), très tôt lycéen, Daumal s’est lancé dans des expérimentations autour du sommeil paradoxal : « À quinze ans […], je tentai par divers procédés, d’entrer éveillé dans l’état de sommeil. L’entreprise est moins rigoureusement absurde qu’elle ne semble, mais elle est périlleuse à divers égards » (René Daumal, Les Pouvoirs de la parole, Paris, Gallimard, 1972, p. 112.). Ce sont surtout ses fréquentations de l’Institut métapsychique de Paris, découvert par l’entremise d’un des professeurs, René Maublanc, qui le familiarisent avec l’hypnose, notamment à travers les ouvrages de la « bibliothèque du magnétisme » de Durville. Ainsi le Traité de métapsychique publié en 1923 par Richet livre un chapitre sur le « sommeil magnétique » dans lequel se retrouvent des descriptions d’expériences « cryptesthésiques » très proches de celles de Daumal (Viviane Barry-Couillard, « René Daumal, praticien de l’hypnose », dans Pascal Sigoda (éd.), René Daumal, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1993, p. 45-55. 67. Ludger Derenthal, « Max Ernst : Trois tableaux d’amitié », Cahiers du musée national d’Art moderne, n° 31, 1990, p. 73-110. 68. Voir Patrick Waldberg, Max Ernst, Paris, 1958, p. 102-106. 69. Francis Picabia, lettre non datée, cité par Sarane Alexandrian, Le Surréalisme et le Rêve, op. cit., p. 124. 70. Georges Ribemont-Dessaignes, Déjà jadis, Paris, Julliard, 1973, p. 167-168. 71. « Crevel m’avoua un peu plus tard que ces séances de sommeil le fatiguaient énormément et qu’il simula plusieurs fois, surtout quand l’intérêt commença à s’émousser. » Jacques Baron, L’An I du surréalisme, cité par S. Alexandrian, Le Surréalisme et le Rêve, op. cit., p. 120. 72. Man Ray, Autoportrait, Paris, Laffont, 1964, cité dans Ibid., p. 120. 73. Simone Breton, Lettres à Denise Levy, 9 octobre 1922, op. cit., p. 110-111. 74. A. Breton, Entretiens, op. cit., p. 96. 75. Robert Desnos, « André Breton ou face à l’infini », Littérature, 1922, cité par Sarane Alexandrian, Le Surréalisme et le Rêve, op. cit., p. 125. 76. « Il faut dire que même à distance, ces deux champs de prospection, l’écriture automatique et les apports du sommeil hypnotique, sont aussi difficiles à circonscrire l’un que l’autre ; que – dès qu’on entreprend d’en fixer les limites – s’impose une telle marge d’incertitude, de flottement. C’est que ce sont des terrains mouvants sur lesquels on n’est jamais tout à fait sûr d’avoir pied. » A. Breton, Entretiens, op. cit., p. 83. 77. Robert Desnos, Écrits sur les peintres, Paris, Flammarion, 1984, p. 224. 78. S. Breton, propos rapporté par Dominique Desanti, Robert Desnos, le roman d’une vie, Paris, Mercure de France, 1999, p. 117-118. 79. A. Breton, Entretiens, cité par Sarane Alexandrian, Le Surréalisme et le Rêve, op. cit., p. 117. 80. A. Breton, Perspectives cavalières, Paris, Gallimard, 1970, cité par S. Alexandrian, ibidem, p. 128. 81. Professeur Bechterew, La Suggestion et son rôle dans la vie sociale, Paris, Coccoz, 1910, p. 106. 82. L. Aragon, Une vague de rêves, Paris, Seghers, 2006, p. 21-22. 83. A. Antheaume, G. Dromard, Poésie et folie. Essai de psychologie et de critique, Paris, Doin, 1908, p. 154. 84. S. Alexandrian, Le Surréalisme et le Rêve, op. cit., p. 127. 85. Jacob L. Moreno, « Hynodrama and psychodrama », Psychodrama Groups, n° 1, avril 1950, p. 6. 86. J. L. Moreno, Théâtre de la spontanéité, Paris, Desclée de Brouwer, 1984 [1947], p. 104. 87. Ibidem, p. 104. 88. A. Breton, « Caractères de l’évolution moderne et ce qui en participe » (1922). 89. Victor Brauner, « Entretien avec Max-Pol Fouchet » dans Terre des arts, 1961, cité par Yven Lebreton, « Victor Brauner ou le peintre de la fascination », mémoire de master, Université François-Rabelais de Tours, 2001, p. 51. 90. S. Alexandrian, « Victor Brauner », L’Œil, n° 101, mai 1963, p. 33. 91. Luce Hoctin, « Propos sur Victor Brauner », Quadrum, n° 15, octobre 1963, p. 61. 92. Entretien de V. Brauner avec Alain Jouffroy, « Tout en composant devant nous un tableau, Victor Brauner nous révèle la force étrange qui le pousse à peindre », Connaissance des arts, n° 107, janvier 1961, p. 86. 93. Pierre Janet, « Les actes inconscients et le dédoublement de la personnalité pendant le somnambulisme provoqué », La Revue philosophique, tome XXII, décembre 1886, p. 592. 94. Catalogue de l’exposition de V. Brauner, Espaces hypnotiques, Paris, Galerie Rive Droite, 1961, p. 1. 95. Voir Léon Chertok (éd.), Résurgence de l’hypnose. Une bataille de deux cents ans, Paris, Desclée de Brouwer, 1984, et L. Chertok et Mikkel Borch-Jacobsen (éd.), Hypnose et psychanalyse, Paris, Dunod, 1986. 96. V. Brauner, « Tout en composant… », art. cit., p. 86. 97. Georges Didi-Huberman, Invention de l’hystérie, Charcot et l’iconographie photographique de la Salpêtrière, Paris, Macula, 1982, p. 161. 98. André Breton, Entretiens, op. cit., p. 142. 99. Voir l’analyse de David Lomas, « Seductions of hysteria », The Haunted Self. Surrealism, Psychoanalysis, Subjectivity, New Haven, Yale University Press, p. 53-93. 100. Makoto Asari, « Vers un mythe fondé sur l’extase », dans Jacqueline Chénieux-Gendron, Yves Vadé (éd.), Pensée mythique et surréalisme, Paris, Lachenal et Ritter, 1996, p. 61-74. 101. Jean Starobinski, « Freud, Breton, Myers », art. cit., p. 339-340. 102. Jan Goldstein, « The hysteria diagnosis and the politics of anti-clericalism in late nineteenthcentury France », Journal of Modern History, vol. 54, juin 1982, p. 209-239, et Console and Classify : The French Psychiatric Profession in the Nineteenth Century, Cambridge, Cambridge University Press, 1987. 103. Articles de R. Desnos repris dans Marie-Claire Dumas, Champs des activités surréalistes, n° 20, septembre 1984, p. 7-24 et p. 29-31. 104. Voir A. Breton, Œuvres complètes, tome I, Paris, Gallimard, 1988, p. 1731-1732. 268 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 268 13/09/2020 19:05 1920-1950 105. Alphonse Gallais, alias Ange Rebelle, fervent anticalotin, auteur de plusieurs « romans de mœurs cléricales ». Son Tableau de l’Amour charnel, publié en 1905, mélange fétichisme, érotomanie et extases religieuses. Illustré par des gravures de Gaston Noury, ce Tableau réserve d’importants développements à « l’érotisme religieux » et à « l’hypnotisme en amour », thèmes associés à plusieurs reprises dans le texte et les illustrations. L’extase mystique d’une sœur (légendée « les érotomanes sont des esclaves courbés… ») dialogue avec les convulsions en « arc de cercle » des hystériques de la Salpêtrière. Alphonse Gallais, Tableau de l’amour charnel. Ses extases, ses tares, ses vices, ses démences, ses turpitudes et ses crimes, Paris, Librairie du Nord, 1905. 106. Par ailleurs, comme l’a montré Charlotte Stokes, le montage narratif du Rêve de la petite fille est conçu par Max Ernst comme la satire d’une Histoire d’une âme, le récit autobiographique de Thérèse de Lisieux – l’incarnation saint-sulpicienne de Thérèse d’Avila, très vénérée par le catholicisme conservateur des années 1920. Voir Charlotte Stokes, « Collage as jokework : freud’s theories of wit as the foundation for the collages of Max Ernst », Leonardo, vol. 15, 1982, p. 199-204. 107. Voir à ce sujet, David Lomas, « Seduction/ disruption », The Haunted Self, op. cit., p. 76-79. 108. Désiré-Magloire Bourneville, Paul Regnard, Iconographie photographique de la Salpétrière, tome II, Paris, Progrès médical, 1878, p. 174-178. Dans Là-Bas, un roman très apprécié de Breton, J.-K. Huysmans commentera ces rapprochements, qualifiant leurs auteurs de « matérialistes ». Voir Christine Dupuit, « Huysmans et Charcot : L’hystérie comme fiction théorique », Sciences Sociales et Santé, vol. VI, n° 3-4, novembre 1988, p. 115-131. 109. En 1883, D.-M. Bourneville crée la « Bibliothèque diabolique », une série de neuf volumes où il exhume d’anciens récits afin de requalifier les explications surnaturelles par l’exégèse clinique, démontant le culte des saints dans une critique acerbe contre les méthodes du catholicisme de la Contre-Réforme. Voir Geneviève Paichelier, « Charcot, l’hystérie et ses effets institutionnels : du « Labyrinthe inextricable » à l’impasse », Sciences sociales et Santé, vol. VI, n° 3-4, novembre 1988, p. 133-144. 110. Entretien de Max Ernst avec Franz Roh, cité par Werner Spies, Max Ernst. Les collages. Inventaire et contradictions, Paris, Gallimard, 1984, p. 192. 111. Le collage fait penser aux fantaisies de Suggestion, une nouvelle d’Henri Nizet mêlant joyeusement pornographie, anthropologie criminelle et hypnotisme, et où le héros, Paul Lebarrois, se prévaut d’une théorie selon laquelle « il existerait des aptitudes hypnotiques variant d’individu à individu – adaptation scientifique du coup de foudre en amour » et qui lui donne toute autorité sur le sujet féminin subjugué par l’hypnose, converti sous l’induction en « joujou inattendu ». C’est ainsi que « Paul hypnotisait sa maîtresse à l’improviste, afin de la garder plus longtemps dans quelque attitude d’une obscénité divine, dans laquelle il avait un inexprimable plaisir à la contempler ». Henri Nizet, Suggestion, Paris Tresse & Stock, 1891, p. 25, cité par Bertrand Marquer, Les romans de la salpêtrière – Réception d’une scénographie clinique : Jean-Martin Charcot dans l’imaginaire fin-desiècle, Genève, Droz, 2008, p. 337 et 341. 112. André Breton, Le Surréalisme et la Peinture, Paris, Gallimard, 1965, p. 59. Sur cette question de la vision, voir Mary Ann Caws, « L’œil fixe, les yeux croisés », dans Jacqueline Chénieux-Gendron (éd.), Lire le regard : André Breton et la peinture, Paris, Lachenal & Ritter, 1993, p. 230-249. 113. Max Ernst, Paul Éluard, « En suivant votre cas. La série des jeunes femmes », Littérature, n° 7, nouvelle série, décembre 1922. 114. Charles de Villers, Le Magnétiseur amoureux, introduction et notes de François Azouvi, Paris, Vrin, 1978 [1787]. 115. H. Delaage, Le monde occulte, ou Mystères du magnétisme dévoilés par le somnambulisme, Paris, Lesigne, 1851. 116. Dans Le Magnétisme animal, Alfred Féré et Charles Binet associent non seulement la réussite des passes à la localisation des zones érogènes, mais ils la conditionnent à la polarité sexuelle : « L’excitation de la plaque érogène n’est efficace que si elle résulte d’une pression faite par une personne de l’autre sexe. » A. Binet, C. Féré, Le Magnétisme animal, Paris, Alcan, 1887, p. 112. 117. « L’expérience nous fait voir sur un grand nombre de phénomènes qui se passent en nous, la réalité d’une influence différente de celle qui résulte du pouvoir de notre volonté […]. L’érection qui suit les désirs vénériens n’offre-t-elle pas encore un résultat plus constant du pouvoir de l’imagination dans un cas où la volonté est tout à fait impuissante ? » A. Bertrand, Examen de l’opinion généralement admise sur la manière dont nous recevons par la vue la connaissance des corps, Paris, Didot, 1819, p. 490-491, cité par Jacqueline Carroy, Hypnose, suggestion et psychologie. L’invention de sujets, Paris, PUF, 1991, p. 142. 118. Jules Claretie, Les Amours d’un interne, Paris, Dentu, 1881. 119. Voir Henri F. Ellenberger, Histoire de la découverte de l’inconscient, Paris, Fayard, 1994, p. 199-202. 120. André de Lorde, Une leçon à la Salpêtrière, Théâtre d’épouvante, Paris, Charpentier et Fasquelle, 1909, p. 12. 121. L. Aragon, A. Breton, « Le cinquantenaire de l’hystérie », La révolution surréaliste, mars 1928, p.948-949.. 122. Hippolyte Bernheim, Hypnotisme, suggestion, psychothérapie, Paris, Doin, 1891, p. 155-158. 123. L’homosexualité latente de l’hypnose collective est évoquée, avec circonspection, par le Dr René Held, un ami d’enfance de Breton : « Qu’une homosexualité latente, totalement ignorée de tous, fût à l’œuvre, plus souvent qu’on ne le croit, derrière les relations passionnelles nouées entre Freud et ses premiers disciples comme entre Breton et certains de ses épigones, qui pourrait en douter ? Il n’est que de relire certains passages de la Révolution psychanalytique de Marthe Robert ou de rappeler certains souvenirs des compagnons du surréalisme de la première heure. » Dr René Held, L’Œil du psychanalyste. Surréalisme et surréalité, Paris, Payot, 1973, p. 97. 124. L. Aragon, « Une vague de rêves », Commerce, n° 2, 1924, repris dans Une vague de rêves, Paris, Seghers, 1990, p. 17. 125. Hal Forster, Compulsive Beauty, Cambridge, The MIT Press, 1993, p. 50-54. Forster s’appuie sur les travaux de Goldstein pour commenter les phénomènes d’appropriation masculine du clivage sexuel de l’hystérie (Jan Goldstein, « The uses of male hysteria. medical and literary discourse in nineteenth-century France », Representations, n° 34, 1991, p. 134-165). 126. Juan José Lahuerta, El fenomeno del extasis. Dali ca. 1933, Madrid, Siruela, 2004, et Stefania Schibeci, Le Phénomène de l’extase di Salvador Dali. Surrealismo, fotografia montaggio, Milan, Mimesis, 2014. 127. Michel Poivert, « Le phénomène de l’extase ou le portrait du surréalisme même », Études photographiques, n° 2, 1997, p. 96-114. 128. Salvador Dali, « De la beauté terrifiante et comestible de l’architecture modern’style », Minotaure, n° 3-4, 1933, p. 70. 129. S. Dali, « Le phénomène de l’extase », Minotaure, n° 3-4, 1933, p. 76. 130. Dans ses mémoires d’adolescent, Dali rapporte à la date du 28 décembre 1920 la performance de l’hypnotiseur Onofroff au « Sport Figuerense » : « Affiches sur les murs. On en discutait depuis une semaine, puis on en a parlé au cours d’un souper ennuyeux, mais très vite ce qu’en a dit mon père m’a intéressé. Il s’agit d’hypnose. Il faut aller voir ça. Et on y est allé […]. Et nous avons passé des heures intéressantes […]. Je connais l’hypnose, j’y crois. La science l’a démontrée […]. Il a exécuté quelques tours de suggestion, de transmission de pensée, etc., admirables. » Salvador Dali, Journal d’un génie adolescent, Monaco, Éditions Le Rocher, 2000, p. 186-188. 131. H. Bernheim, Hypnotisme, suggestion, psychothérapie. Études nouvelles, Paris, Doin, 1888. 132. L. Aragon, « Une vague de rêves », Commerce, n° 2, 1924, repris dans Une vague de rêves, Paris, Seghers, 1990, p. 14. 133. Jacqueline Carroy, Hypnose, suggestion et psychologie, op. cit., p. 136-143. 134. Marie Lathers, « L’Ève future and the hypnotic feminine », Romanic Review, vol. 84, n° 1, janvier 1993, p. 43-53. 135. Villiers de l’Isle-Adam, L’Ève future, Paris, Jonquières, 1925, p. 64. 136. Henri Lavoix cité par Jeanne de Flandreysy, Femmes et déesses, Paris, Société d’éditions littéraires et artistiques, 1903, p. 8. 137. René Roussillon, « L’illusion hypnotique et la réappropriation narcissique : façon de miroir », dans Du baquet de Mesmer au « baquet » de S. Freud. Une archéologie du cadre et de la pratique psychanalytiques, Paris, Presses universitaires de France, 1992, p. 145-146. 138. Havelock Ellis, « Le narcissisme », Études de psychologie sexuelle. Le mécanisme des déviations sexuelles, tome XIII, Paris, Mercure de France, 1932, p. 187-239. 139. A.-A. Liébeault, Du sommeil et des états analogues, Paris, Masson, 1866, p. 178-179. 140. Otto Rank, Le Traumatisme de la naissance. Influence de la vie prénatale sur l’évolution de la vie psychique individuelle et collective, Paris, Payot, 1993, p. 17. 141. Salvador Dali, « Souvenirs intra-utérins », La Vie secrète de Salvador Dali, Paris, Gallimard, 1979, p. 43. 142. Dans une lettre envoyée d’Arosa au printemps 1928, Éluard demande à Breton s’il a « lu Le Traumatisme de la naissance par Otto Rank (chez Payot) […]. Très réjouissant. Plein d’exemples merveilleux ». C’est à la suite de cette lecture qu’ils écrivent ensemble l’article « L’homme », publié dans le deuxième numéro du Surréalisme au service de la Révolution, et où se retrouvent au chapitre consacré à « La vie intra-utérine » des échos du livre de Rank (le fantasme du « bain », l’univers aquatique « à fleur d’eau », la chaleur du « bouillonnement de lumière »…). Cet article est intégré, en novembre 1930, à l’ouvrage commun d’Éluard et Breton publié aux Éditions surréalistes, L’Immaculée Conception – livre orné d’un frontispice et d’une vignette gravés par Dali, qui venait de livrer au même éditeur sa Femme visible. 143. Otto Rank, Le Traumatisme de la naissance, op. cit., p. 104-105. Dali préfère parler de « sommeil végétal » : « Narcisse, comprends-tu ? La symétrie, hypnose divine de la géométrie de l’esprit, comble déjà ta tête de ce sommeil inguérissable, végétal, atavique. » S. Dali, « Les métamorphoses de Narcisse », Paris, Éditions surréalistes, 1937. 144. Ibidem. 145. Ibid. 146. L. Chertok, L’Hypnose. Théorie, pratique et technique, Paris, Payot, 1989 [1965], p. 53. 147. L. Jenny, La Fin de l’intériorité, op. cit. 148. Bertrand Marquer, Les Romans de la Salpêtrière, op. cit., p 391. 149. « Rrose Sélavy connaît bien le marchand du sel. » 13e aphorisme, repris dans R. Desnos, « Corps et biens », Œuvres, Paris, Gallimard, 2011, p. 503. 150. Katherine Conley, « Rrose Sélavy’s ghosts : life, death and Desnos », The French Review, vol. 83, n° 5, avril 2010, p. 964-975. 151. Anthony Enns, « The undead author : spiritualism, technology and authorship », dans Tatiana Kontou, Sarah Willburn (éd.), The Ashgate Research Companion to Nineteenth-Century Spiritualism and the Occult, Farnham, Asghgate, 2012, p. 55-78. 152. Elena Gomel, « Spirits in the material world : spiritualism and identity in the fin de siècle », dans Victorian Literature and Culture, vol. 35, n° 1, 2007, p. 189-213. 153. Judith Walkowitz, « Science and the séance : transgression of gender in late Victorian London », Représentations, vol. 22, 1988, p. 3-28. 154. Bette London, « Secretary to the stars : mediums and the agency of authorship », dans Leah Price, Pamela Thurschwell (éd.), Literary Secretaries/Secretarial Cultures, Aldershot, Ashgate, 2005, p. 91-110. 155. Marcel Duchamp, Le Processus créatif, Caen, L’Échoppe, 1997 [1957]. 156. « We don’t emphasize enough that the work of art is independent of the artist. The work of art lives by itself and the artist who happened to make is like an irresponsible medium. No artist can say at any time : I am a genius. I am going to make a masterpiece. That is not done ». M. Duchamp, « The western round table on modern art », San Francisco Art Association, 1949. 157. Boris Groys, « Marx After Duchamp, or The Artist’s Two Bodies », Journal, vol. 19, octobre 2010, s. p. 158. Marjorie Perloff, « Duchamp’s Eliot : the detours of tradition and the persistence of individual talent », dans Giovanni Cianci et Jason Harding (éd.), T. S. Eliot and the Concept of Tradition, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 177-184. 159. Thomas Stearns Eliot, « Tradition and the individual talent » (1919), repris dans Selected Essays, Londres, Faber and Faber, 1953, p. 18. 160. Ce trouble de la dépersonnalisation est déjà allé assez loin chez Michel-Eugène Chevreul, le grand scientifique connu pour sa théorie de la couleur, qui dans un ouvrage consacré à la Baguette divinatoire (1854), mentionne des expériences d’écriture sur l’île de Guadeloupe, faites par une… chaise. Juanita, a Novel by a Chair… Michel-Eugène Chevreul, De la baguette divinatoire, du pendule dit explorateur et des tables tournantes, au point de vue de l’histoire, de la critique et de la méthode expérimentale, Paris, Mallet Bachelier, 1854. 161. Jules-Bernard Luys, Leçons cliniques sur les principaux phénomènes de l’hypnotisme dans leurs rapports avec la pathologie mentale, Paris, Georges Carré, 1890, p. XII. 162. Scott Richmond, « The unfinished business of modernism : Anémic Cinéma », dans Cinema’s Bodily Illusions. Flying, Floating and Hallucinating, University of Minnesota Press, 2016, p. 25. 163. Dalia Judovitz, « The spectacle of film : Duchamp and dada experiments », dans Drawing on Art. Duchamp and Company, University of Minnesota Press, 2010, p. 99. 164. Ricciotto Canudo, « L’esthétique du septième art. Le drame visuel », repris dans L’Usine aux images, Paris, Nouvelles éditions Séguier, 1995, p. 65. 165. L. Jenny, La Fin de l’intériorité, op. cit., p. 151. 166. Antoine Faivre, « L’imagination créatrice. Fonction magique et fondement mythique de l’image », Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, vol XIII, n° 2, 1981, p. 355-390. 167. À noter le rapprochement formel entre cette vache projetée dans l’espace du salon et le motif hallucinatoire de la vache sur le canapé dans l’une des scènes mythiques de L’Âge d’or, un film coécrit par Bunuel et Dali. 168. Le stereopticon est un appareil de projection à deux objectifs superposés breveté à la fin du XIXe siècle, très proche des mécanismes de dissolving views avec métamorphose de l’image. 169. François Jost, Le Temps d’un regard. Du spectateur aux images, Paris, Méridiens Klincksieck, 1998, p. 57. 170. Rae Beth Gordon, « Filming the inconscious », Why the French Love Jerry Lewis. From Cabaret to Early Cinema, Stanford, Stanford University Press, 2001, p. 149-156. 171. Mireille Berton, Le Corps nerveux des spectateurs. Cinéma et sciences du psychisme autour de 1900, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2015. 269 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 269 13/09/2020 19:05 L’ É P O Q U E D E S S O M M E I L S 172. Maria Tortajada, « Évaluation, mesure, mouvement : la philosophie contre la science et les concepts du cinéma », Revue européenne des sciences sociales, XLVI, n° 141, 2008, p. 95-111. 173. R. Canudo, « Films psychiques », Paris-Midi, 2 février 1923, repris dans L’Usine à images, Paris, Nouvelles éditions Séguier, 1995, p. 186. 174. Rae Beth Gordon, De Charcot à Charlot. Mises en scène du corps pathologique, Rennes, PUR, 2013. 175. R. Bellour, Le Corps au cinéma. Hypnose, émotions, animalités, Paris, POL, 2009. 176. Ruggero Eugeni, La relazione d’incanto. Studi su cinema e ipnosi, Milan, Vita e Pensiero, 2002. 177. Stefan Andriopoulos, Possessed. Hypnotic Crimes, Corporate Fiction, and the Invention of Cinema, Chicago, University of Chicago Press, 2008. 178. Emmanuel Plasseraud, L’Art des foules. Théories de la réception filmique comme phénomène collectif en France (1908-1930), Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2011. 179. Mireille Berton, Le Corps nerveux des spectateurs. Cinéma et sciences du psychisme de 1900, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2015. 180. « Partielle, l’hypnose filmique joue de son ambiguïté même ; l’image n’est pas entièrement mienne […]. Nous ne croyons ni possible, ni souhaitable que le transfert filmique atteigne une égale rigueur. L’identification, quel que soit ici son type, interdit à l’écran d’opérer cette libération. Hypnotique, elle imposera une fascination durable qui survivra au film et mènera en moi une vie sourde. Authentique et enrichissante, elle rectifiera le schéma général de mes gestes. Cette rectification est plus sans doute qu’un transfert. Du moins suit-elle d’autres voies. » J. Deprun, « Le cinéma et l’identification », Revue internationale de filmologie, 1947, n° 2, p. 207. 181. R. Bellour, « La machine à hypnose », CinemAction, 1988, n° 47, p. 69-70. 182. P. Souriau, La Suggestion dans l’art, Paris, Alcan, 1893, p. 64-65. 183. François Jost, « Métaphysique de l’apparition dans le cinéma des premiers temps », dans Roland Cosandrey, André Gaudreault, Tom Gunning (éd.), Une invention du diable ? Cinéma des premiers temps et religion, Montréal, Presses de l’université de Laval, 1992, p. 266. 184. Ibidem, p. 267. 185. R. Bellour, Le Corps au cinéma, op. cit., p. 46. 186. Joseph Delbœuf cité par Mireille Berton, Le Corps nerveux des spectateurs, op. cit., p. 407. 187. R. Bellour, Le Corps au cinéma, op. cit., p. 46. 188. Édouard Poulain, Contre le cinéma, école du vice et du crime. Pour le cinéma, école d’éducation, moralisation et vulgarisation, Besançon, Imprimerie de l’Est, 1918, p. 32, cité par Mireille Berton, Le Corps nerveux des spectateurs, op. cit., p. 415. 189. Le Mystère des Roches de Kador, Gaumont, brochure citée par R. Bellour, Le Corps au cinéma, op. cit., p. 47. 190. J.-M. Charcot, « Polyclinique du mardi 1er mai 1888 », Leçons du mardi à la Salpêtrière, tome I, Paris, Claude Tchou, 2002, p. 459. 191. Emmanuelle André, Le choc du sujet, de l’hystérie au cinéma, Rennes, PUR, 2011, p. 155. 192. A. Binet, L’Âme et le Corps, Paris, Flammarion, 1905, p. 87. 193. Emmanuelle André, Le Choc du sujet. De l’hystérie au cinéma, op. cit., p. 161. 194. Stefan Andriopoulos, « Bernheim, Caligari, Mabuse : Cinema and Hypnotism », dans Possessed. Hypnotic Crimes, Corporate Fiction and The Invention of Cinema, op. cit., p. 91-127. 195. Siegfried Kracauer, De Caligari à Hitler : une histoire psychologique du cinéma allemand, Paris, Klincksieck, 2019 [1947]. 196. Hugo Münsterberg, Psychological Laboratory of Harvard University, Harvard Psychological Laboratory. Cambridge, Mass., The University, 1893. Ces expériences sont relayées en France dans Jean-Paul Nayrac, Physiologie et psychologie de l’attention : évolution, dissolution, rééducation, éducation, Paris, F. Alcan, 1906. 197. H. Münsterberg, The Photoplay. A Psychological Study, New York, Appleton, 1916. 198. Octave-Jacques Gérin, Charles Espinadel, La Publicité suggestive. Théorie et technique, Paris, Dunod, 1911, p. 43. 199. Ibidem, p. 79. 200. Ibid., p. 82. 201. Ibid., p. 107. 202. Ibid., p. 146. 203. Susanna Barrows, miroirs déformants. Réflexions sur la foule en France à la fin du XIXe siècle, Paris, Aubier, 1990 [1981]. 204. Éric Michaud, « La construction de l’image comme matrice de l’histoire », Vingtième siècle. Revue d’histoire, vol. 72, 2001, p. 48. 205. Éric Michaud, Un art de l’éternité. L’image et le temps du national-socialisme, Paris, Gallimard, 2016 [1996]. 206. Adolf Hitler, 1935, cité par Johann Chapoutot, Le Nazisme et l’Antiquité, Paris, PUF, 2012 [2008], p. 275. 207. « La création d’une œuvre d’art est un processus d’enfantement spirituel tout à fait comparable à la procréation d’un enfant. » Paul Schultze-Naumburg, Rassengebundene Kunst, cité par Johann Chapoutot, ibidem, p. 276. 208. Éric Michaud, « L’engendrement par l’image : hypnose ou Immaculée Conception ? », dans Daniel Bougnoux (éd.), La Suggestion. Hypnose, influence, transe, Paris, Les Empêcheurs de tourner en rond, 1991, p. 277-292. 209. Johann Chapoutot, Le Nazisme et l’Antiquité, op. cit., p. 274. Cette théorie de « l’engendrement par l’image » sera au cœur des campagnes prophylactiques menées contre « l’art dégénéré ». Paul Schultze, le théoricien du Entartete Kunst, auteur de L’Art et la Race (1938), est convaincu que l’art moderne est non seulement le symptôme d’une décadence, mais qu’il engendre, par mimétisme, une humanité monstrueuse, d’où la nécessité d’imposer le nouveau canon esthétique néoclassique à grande échelle, au moyen notamment de la reproduction massive des œuvres nazifiées d’Arno Breker. 210. Pascal Rossi, Les Suggesteurs et la Foule. Psychologie des meneurs, artistes, orateurs, mystiques, guerriers, criminels, enfants, etc., Paris, Michalon, 1904. 211. Bernhard Horstmann, Hitler in Pasewalk : Die Hypnose und ihre Folgen, Berlin, Droste Verlag, 2017, 212. Edward Bernays, Cristallizing Public Opinion, New York, 1926. 213. Pascal Rossi, « Le problème moral de la psychologie collective », L’Humanité nouvelle, vol. IV, 1900, tome 1, p. 550-559. 214. Andrea Cavaletti, Suggestione. Potenza e limite del fascino politico, Torino, Bollati Boringhitudes, 2011. 270 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 270 13/09/2020 19:05 HYPNOSE_05-Cooper-CC2018.indd 271 13/09/2020 19:05 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 272 12/09/2020 01:12 PSYCHEDELIA L’HYPNOSE CYBERNÉTIQUE 1950-1970 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 273 12/09/2020 01:12 A HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 274 12/09/2020 01:12 L’hypnose change de modèle clinique au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Des auteurs, principalement issus des milieux psychiatriques américains, vont renouveler l’étude du phénomène, déconstruire le processus thérapeutique, réhabiliter l’autonomie du sujet suggestionné et réintroduire une dimension physiologique que la lecture psychanalytique de l’hypnose – principalement rivée aux notions de personnalité et de transfert – avait eu tendance à écarter, sinon à balayer. En tête de pont de cette reconfiguration conceptuelle, deux chercheurs américains, Lawrence Kubie et Sydney Margolin, qui, dans un article qui fera date (« The Process of hypnotism and the nature of the hypnotic state », 19441), abordent plus frontalement la phénoménologie de l’hypnose. Au cœur de cette refonte, la distinction entre deux moments, « l’induction de l’hypnose » et « l’état hypnotique ». Le premier semble être obtenu par de simples manipulations physiques, en dehors de tout jeu de transfert, sous l’autorité psychique d’un hypnotiseur médusant. Plus encore, le duo de psychiatres pense la possibilité d’une hypnose sans hypnotiseur, qu’ils considèrent, non sans paradoxe, plus relationnelle qu’en présence d’un corps personnifiant l’autorité – ce que Kubie appellera un « transfert à l’état pur2 », avec la possibilité nettement plus autonome d’une induction intrapersonnelle, sans recours à une quelconque suggestion verbale extérieure. Cette fonction accordée au contact sensorimoteur va largement contribuer – comme avait pu le faire Braid en son temps – à reporter l’hypnose sur une physique des sensations à la fois plus incarnée et méca- niste, trouvant rapidement relais dans l’esthétique opticaliste des années 1960. De fait, ce tournant « sensoriel » met en avant les paramètres environnementaux d’une condition de l’hypnose qui installe le sujet dans une situation sensible. Le contexte ambiant (luminosité, chaleur, chromatisme, etc.) devient une variable décisive du conditionnement. Kubie et Margolin relèvent notamment le mode de « flottement » du processus d’induction, assimilé à la forme régressive du bercement de l’enfant dans les bras de sa mère. Cela n’écarte nullement les modalités classiques de cette induction, en particulier la technique de la fixation oculaire sur un point de focalisation, dont les auteurs décrivent avec précision les effets d’inhibition vasomoteurs, avec pour objectif une isolation physiologique du sujet et une réduction significative de ses réactions sensorimotrices, facilitées par une monotonie rythmique (répétition régulière d’un son, d’une image, d’un motif ou d’une simple pulsation lumineuse). Mais c’est aussi une logique plus processuelle de transition qui définit cette relecture des schèmes mécanistes, avec un intérêt pour les « déclics » (trigger mechanism) de plongée dans l’état hypnotique. Pavlov n’est pas loin. Elle ne pourra que convenir aux paradigmes cybernétiques dominant la pensée de sortie de guerre et abreuver l’ascendant technologique des œuvres optico-cinétiques. Au sein de cette réflexologie instrumentée, une nouvelle voie alimente les débats cliniques, celle de l’isolation ou de la « privation sensorielle » (sen- A. Victor Moscoso, Oxford Circle. Big Brother and the Holding Company, 1966, Avalon Ballroom. 275 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 275 12/09/2020 01:12 P S Y C H E D E L I A , L’ H Y P N O S E C Y B E R N É T I Q U E sory deprivation), instruite par les travaux du neuropsychologue canadien Donald Hebb (1954)3, et plus encore par les recherches expérimentales de John Lilly sur le « caisson d’isolation sensorielle » (1956)4, très en vogue dans les milieux new age des années 1960. D’un côté, la surexcitation du nerf optique par un bombardement continu d’informations visuelles ; de l’autre, une anesthésie neuromotrice par neutralisation des stimuli ; pour filer la métaphore électrique, une logique on/off rencontrant de nombreux relais dans les imaginaires psychédéliques et la culture pop, très friands d’hypnose audiovisuelle et de « médias chauds », selon la terminologie de Marshall McLuhan, le gourou des nouveaux médias, interprète des bouleversements cognitifs promus par l’entrée dans « l’ère Pathé-Marconi ». C’est plus encore avec le psychiatre Milton Hyland Erickson (entré en contact avec Kubie, avec lequel il coécrit quelques articles5) que la pratique de l’hypnose va connaître un nouvel élan heuristique dans la clinique des années 1950. Appelé comme consultant du gouvernement américain durant la Seconde Guerre mondiale, Erickson a travaillé sur les effets de la propagande nazie ; il a étudié auprès de son ami Gregory Bateson les approches comportementales et s’intéresse de près aux mécanismes des réflexes conditionnés6. Futur rédacteur du Journal of Clinical and Experimental Hypnosis, il développe à la fin des années 1940 une méthode empirique reposant en partie sur le principe que le patient dispose de ressources personnelles suffisantes pour répondre de manière efficace et ajustée, aux blocages qu’il rencontre. Il s’agit là d’une approche adaptative, refusant toute méthode standardisée, fondée sur une thérapie brève. Elle repose sur des techniques d’induction indirectes et plus permissives, beaucoup moins redevables à la suggestion, nettement plus ouvertes aux procédés d’autohypnose, qu’Erickson définit comme « l’utilisation des apprentissages inconscients », sans faire appel à un niveau de compréhension purement cognitif. Cela aménage une place à l’autonomie du sujet (« la première chose à faire en psychothérapie est de ne pas essayer de contraindre l’humain à modifier sa manière de penser ; il est préférable de créer des situations dans lesquelles l’individu modifiera lui-même volontairement sa façon de penser7 ») et vient délester les relations de dépendance servile entre hypnotiseur et hypnotisé, par une « hypnose douce » propice à une décongestion des postures totalitaires. De nombreux psychiatres avaient rejoint pendant la Seconde Guerre mondiale des services d’aide post-traumatique8 (un service de mental hygiene avait été créé dès 1943, pour pallier les dysfonctions psychotiques rencontrées chez certains blessés, donnant lieu à la création des exhaustion centers, dans lesquels l’hypnose était pratiquée sur certains patients9). Merton Gill et Margaret Brenman proposent de développer, au sortir du conflit, les enseignements de ces techniques pour ouvrir le champ de ce qu’ils appellent l’hypnoanalysis, dont le docteur Robert Lindner (un de ses récits donnera Rebel without a Cause en 1944 avant d’être porté à l’écran par Nicholas Ray) est persuadé qu’il peut aider les patients à lever des résistances dans la reconstruction de son histoire. Mais à un niveau plus global et populaire, répondant au contexte d’une certaine euphorie de la reconstruction, c’est le grand retour des méthodes d’autosuggestion, façon Positive Thinking – celles qui avaient abreuvé les petits manuels de réussite personnelle du premier XXe siècle, dans le giron du New Thought Movement. Des best-sellers touchent un plus vaste public (The Art of Real Hapinness de Vincent Peale, Fight against Fears, de Lucy Freeman…), pour le convaincre des bienfaits « mentalistes » d’une maîtrise autogérée de son parcours personnel et professionnel au sein de l’American Dream10. Ce grand écart entre anxiété du contrôle social et libération esthétique des corps et des subjectivités trouve ses racines dans l’échec des utopies réformistes ayant porté le projet du modernisme, à savoir la fabrique rationnelle d’un façonnage du bien-être individuel ou collectif Est-ce à dire que l’hypnose, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, s’est définitivement débarrassée des anciens schémas tutélaires, autoritaires ou régressifs ? Non. Car les mouvements de la contreculture, dans leur refus des compromis technocratiques du modernisme, font aussi face à l’apprêté d’années de crispation géopolitique et sociale, des années plombées par la guerre froide. Le jeu clivant des oppositions de blocs idéologiques déclenche une hantise du contrôle étatisé des esprits11, aiguisée par les suspicions sur les méthodes « psychotechniques » de propagande des pays communistes, Chine et bloc soviétique confondus, largement relayées par les médias occidentaux12 suivant de près l’intérêt du régime stalinien pour la psychologie d’obédience pavlovienne13 et les techniques de « lavage de cerveau14 ». C’est ce que Timothy Melley a pu définir comme la « culture de la paranoïa15 » des années 1950-1960, dans laquelle le modèle archaïque d’une hypnose de conditionnement, dirigiste et aliénante, trouvait toute sa place. Cela aussi bien dans la littérature populaire et scientifique que dans la communication de masse des écrans, cinéma et télévision 276 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 276 12/09/2020 01:12 1950-1970 réunis, avec pour premier moment de culmination la publication en 1956 de l’ouvrage The Rape of The Mind, du docteur Joost Meerloo. Professeur de psychologie à la Columbia University, il dressait de manière plus explicite un lien entre cette obsession du contrôle idéologique et militaire des esprits et les stratégies de suggestion de masse issues de la culture bureaucratique et industrielle de la post-guerre, laissant découvrir une anxiété plus larvée mais très présente, face à la généralisation du modèle d’organisation technocratique dominant l’époque de la reconstruction sous l’égide des grands modèles cybernétiques, dans un mouvement de conformité privant l’individu d’inventivité, contre lequel l’hypnose pourrait curieusement aider à se défaire des « grands systèmes d’influence », comme le laisse entendre Robert Lindner dans Must You Conform ? (1956), où la suggestion devient plutôt l’outil contre-culturel d’un « instinct de rébellion16 ». Les liens entre hypnotisme et créativité artistique s’en trouvent confortés, jusque dans la contradiction entre hypnose de conditionnement (emprise) et hypnose de déprogrammation (émancipation), dont les frontières restent souvent très poreuses. La période d’après-guerre constitue un moment privilégié dans le développement du design, de l’architecture radicale et des pratiques artistiques situées à l’interface de nouveaux médias (vidéo, film expérimental, installations) et où la contestation performative aborde non seulement les enjeux biopolitiques du corps mais engage une réflexion plus globale sur les systèmes de communication, les paramètres de la relation et du lien social, l’autonomie des subjectivités face aux systèmes de gouvernance et d’autorité17. Le mouvement de l’art cybernétique, notamment dans sa variante opticaliste (Op Art) et ses dérivés au sein de la culture populaire, va relayer ce double déplacement face à l’hypnose : recherche d’une optimisation des effets d’emprise spectatorielle, ou plongée dans les ressources perceptuelles de l’inconscient. Un pied dans la rationalisation de l’efficace (une technologie de la productivité), l’autre dans l’extension exploratoire de la perception (une technicité de l’hallucination). Pas de hasard : Erickson sera complice d’Aldous Huxley, l’auteur du Meilleur des mondes (1932) et des Portes de la perception (1954), deux ouvrages qui racontent, à vingt ans de distance, les anxiétés et les aspirations face aux usages des états modifiés de conscience18. Ce grand écart entre anxiété du contrôle social et libération esthétique des corps et des subjectivités trouve ses racines dans l’échec des utopies réformistes ayant porté le projet du modernisme, à savoir la fabrique rationnelle d’un façonnage du bien-être individuel ou collectif : un « eudémonisme radical », pour reprendre les termes de Roland Barthes à propos du programme de phalanstères de Charles Fourier. Reposant sur une poétique mécaniste du lien social, cette approche magnétique reconnaît aux artistes la faculté de modeler les passions et de produire un lien communautaire. De générer un « partage du sen- sible », où la modernité est pensée sous la forme d’une esthétisation de la relation par les moyens de l’art, en rapportant l’esthétique à ses sources étymologiques (aesthesis, sensation), à savoir le domaine du sentir, des impressions et des affects19, où le sens du (con)tact prend une valeur médiatrice essentielle. Pour Gabriel Laverdant, un phalanstérien disciple de Fourier dont la référence deviendra culte dans les milieux alternatifs des années 1960, l’art véritable sera « pivotal »20, non seulement parce qu’il sera au cœur de l’action bienfaisante sur les individus, mais parce qu’il sera au centre même de l’organisation du sensible. L’affaire n’est pas nouvelle et file depuis longtemps des métaphores dont celle du moule quand il s’agit de parler de milieu ambiant – le moulage remplissant ici la fonction de plasticité des corps et des consciences plongés dans un environnement chargé de multiples champs de force, sur lequel pouvait se projeter la dynamique pulsionnelle des affinités : « On peut dorénavant déclencher à coup sûr les réactions des hommes dans les directions déterminées à l’avance » (Guy Debord). Très vite apparaissent cependant les limites de ce que le « régime esthétique de l’art » a fait éprouver au concept même d’utopie – un mot, nous rappelle Jacques Rancière, « dont les capacités définitionnelles ont été complètement dévorées par ses propres propriétés connotatives : tantôt la folle rêverie entraînant la catastrophe totalitaire, tantôt, à l’inverse, l’ouverture infinie du possible qui résiste à toutes les clôtures totalisantes21. » L’utopie serait donc à la fois un « bon lieu » (l’instauration de la communauté) et un « non-lieu » (la normalisation de la domination), dans lesquels s’installent les mouvances alternatives de l’art des années 1960 pour y révéler ou dénoncer les techniques insidieuses de conditionnement social et psychologique de l’environnement22, et tester en négatif ce qu’Ugo La Pietra, un artiste de la mouvance radicale italienne, appellera le « degré de liberté23 ». Dans leur critique des dysfonctionnalités du modernisme, les artistes vont prévoir non seulement une intervention créatrice de la part de l’usager (le retour de la collaboration, notamment par les dispositifs d’interactivité au cœur du programme cinétique), mais un rapport stimulant à l’espace et aux objets qui déjoue les prévisions de comportements. Relire la présence de l’hypnose dans l’art des années de la reconstruction (1950-1970) consiste à revoir le diagnostic sur la culture attentionnelle du premier modernisme, armé cette fois des modélisations cybernétiques. La métaphore des circuits computationnels de commandement va faire office de levier pour comprendre la vague d’une esthétique immersive (expanded media/expanded mind) ainsi que les ambiguïtés de son usage, entre compromis technocratique et résistance contre-culturelle, face à un sujet que la « conscience électrique », au contact des nouvelles technologies du lien, propulsait dans le devenir d’un homo communicans purement relationnel, subjugué par le vertige de la pensée artificielle ou la fascination médusante des écrans. 277 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 277 12/09/2020 01:12 P S Y C H E D E L I A , L’ H Y P N O S E C Y B E R N É T I Q U E HYPNOVISTA. POP CULTURE, GLAMOUR ET FASCINATION Il aura fallu quelques années avant que l’enseignement d’Erickson ne dépasse le simple cadre privé d’un cabinet de psychothérapie de l’Arizona et n’essaime dans les milieux cliniques de la fin des années 1960. L’hypnose telle qu’elle apparaît aux yeux du large public des années 1950 respire encore les poncifs césariens de la sujétion. Les liens technocratiques entre les laboratoires de psychologie expérimentale et les agences gouvernementales alimentent cette lecture intrusive, dans un contexte de guerre froide et de peur des « ennemis intérieurs ». Pour exemple, le programme de recherches piloté par la CIA dans le cadre du projet secret MKULTRA24, dirigé par le docteur Sidney Gottlieb. Mis en place à partir de 1953, en réponse à l’usage supposé de techniques de contrôle mental par l’URSS et la Chine, notamment sur des prisonniers américains lors de la guerre de Corée25, ce programme démantelé en 1972 a testé durant deux décennies diverses méthodes de manipulation psychique et d’altération de la personnalité, dont certaines à l’aide de techniques d’hypnose boostées par l’usage des psychotropes (le LSD en particulier) ou de thérapies à base d’électrochocs (les expériences de psychic driving menées par le docteur Donald Ewen Cameron26). L’Amérique se fait peur ; Hollywood jouera à l’épouvanter dans les ressorts dramaturgiques de l’Hypnovista, un pseudo-label apparu subrepticement en 1960 dans l’annonce d’un film de série B, Horrors of the Black Museum, pour qualifier une technique de montage consistant à produire une sensation de terreur au moyen d’une savante orchestration des images, des sons et des couleurs. Dans les faits, ce n’était qu’une simple opération de communication de producteurs de films à petit budget pour camoufler un manque d’innovation technologique sous le kitsch scientiste d’une technique d’emprise vampirisante du spectateur27. Un an plus tôt sortait sur les écrans The Hypnotic Eye, qui consacrait cette veine pseudoscientifique d’un cinéma de terreur fondé sur la toute-puissance du magnétiseur, une veine dans laquelle il est possible d’identifier facilement le spectre d’une crainte collective face aux dérives du management psychique de la post-guerre28. Aucune nécessité de se reporter sur les contrôles étatiques ou militaires façon Manchurian Candidate29 ; l’époque est hantée par la menace d’une emprise plus globale et invasive des écrans sur la psyché du spectateur, popularisée par le mythe des « images subliminales », soigneusement répandu par le succès public de l’ouvrage de Vance Packard, The Hidden Persuaders (1957)30, consacré aux usages offensifs de la psychotechnique dans les milieux publicitaires31. Le docteur Caligari a désormais déposé ses valises dans les bureaux de la « magie publicitaire », à grand renfort d’études statistiques sur la psychologie des motivations d’achat. A La culture pop s’empare très vite de ce pouvoir magnétique des écrans. Dans ses Screen Tests (19641966), Warhol saisit des visages de personnalités croisant la communauté phalanstérienne de la Factory, parmi lesquels se détache celui de Salvador Dali, filmé en plan rapproché pour mieux saisir le mécanisme d’envoûtement du regard magicien, façon « mauvais œil » (evil eye) reversé au service d’une promotion glamour de l’artiste. Comme le note Brigitte Weingart32, le glamour warholien prend sa source directement dans la tradition d’ensorcellement des grimoires, les livres occultes et nécromanciens associant Éros et Thanatos, séduction narcissique et fascination autodestructrice. L’art écranéique de Warhol puise sans détour dans cette grammaire de la séduction auratique mise au service de la construction de la célébrité que sa Philosophie, bréviaire et lexique abrégé de sa méthode, reconnaît avoir du mal à cerner autrement que dans le mystère entretenu des origines occultes et ancestrales de la fascination, traditionnellement associées au réflexe jaloux de la convoitise : « Le magnétisme de l’écran est quelque chose de secret33. » Entre portrait et performance silencieuse, tournées en plan fixe avec une caméra Bolex 16 mm, souvent en effet de superexposition pour accuser l’artifice d’une A. Victor Moscoso, Chambers Brothers, 1967. B. Mouse Studios, The Family Dog Presents Love. Congress of Wonders, Avalon Ballroom, 1968. 278 HYPNOSE_06-Cooper-CC2020 278 14/09/2020 15:57 B HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 279 12/09/2020 01:12 P S Y C H E D E L I A , L’ H Y P N O S E C Y B E R N É T I Q U E théâtralité froide à la manière de certains « tableaux vivants » (Warhol parle de living portraits boxes), ces œuvres filmiques de deux minutes surfent sur un format hybride et intermédial, à mi-chemin entre cinéma et photographie. Si de nombreuses expressions impassibles face à cette caméra intimidante sont ambiguës – à l’instar de celle de Dali, à la fois tétanisé par l’œil vampirique de la caméra et magnétiseur face à celui du spectateur –, c’est que Warhol a choisi de banaliser le pouvoir photogénique de l’image dans cet entre-deux médial d’une photographie en léger mouvement. Cela oblige à revenir sur le lien historique agrégeant photographie, image technique et hypnose34. Les démarches opticalistes de James Braid ne sont-elles pas contemporaines des premiers tirages de Louis Daguerre ? Le choix de la sérigraphie par Warhol, adossé sur celui du « film fixe », ne rend pas seulement compte d’une conception attractive de la « reproduction ». Il est aussi l’insigne d’une relation proprement hypnotique à l’image indicielle que Guy de Maupassant avait énoncé à mots couverts dans Le Horla (1887), en soulignant la compétition magnétique entre la puissance de suggestion de l’hypnotiseur et le pouvoir de séduction de l’image reproduite. La pulsion photographique dans la clinique de l’hystérie (l’Iconographie de la Salpêtrière) trouve une singulière résonance chez Warhol, après ou d’après les surréalistes. Dès les premières réactions au miracle de la photosensibilité, le lien avec les imaginaires fluidiques de Mesmer avait été avancé. La poétesse anglaise Elizabeth Barrett, devant cette « merveilleuse découverte de notre temps qu’on appelle la daguerréotypie », pensait immédiatement aux « spéculations mesmériennes sur l’âme et le corps35 ». Warhol reprend cette tradition fluidique et spectrale, associant cliché photographique et survivance du souvenir de celui qui est présent dans l’image, mais aussi, et de manière moins métaphorique, le lien entre pouvoir de reproduction et hypnose tel qu’il s’établit dans la clinique des années 1880 où, selon Charcot, « pouvoir reproduire une situation pathologique est la perfection même36 ». Dans ce sens, la Factory aura été un espace de projection mimétique des corps avant d’être l’outil de leur reproduction iconique. Pour l’hypnotiseur et le photographe, un même constat tacite s’établit dans le faceà-face entre les acteurs, avec la même demande d’un corps qui dans la pose se conforme sur une image ou se prépare pour être image. Hypnose et cliché photographique se retrouvent sur un rapport mutuel, voire complice, entre celui qui fait l’image et celui qui fait image, un jeu de rapport très surjoué chez Warhol jusque dans une certaine forme de « jouissance hystérique » partagée (c’est frappant, notamment dans Screen Test # 2 de 1965, où il se retrouve face au travesti Mario Montez, l’égérie commune avec son ami cinéaste Jack Smith, un autre grand opérateur du glamour alternatif, démonteur underground des mécanismes de la fascination hollywoodienne). Des détails formels renforcent cette interprétation « magnétique » des Screen Tests. Dans certains apparaissent au milieu de l’écran des points, perforations repères de la fin de la pellicule qui rappellent, en rupture déceptive du jeu de séduction, les contraintes matérielles du support pour mieux confondre l’immatérialité spectrale des corps en présence. Ces pastilles s’interfèrent devant le visage du protagoniste comme autant de points de fixation du regard qui soulignent, en fin de séquence et de manière toute réflexive, la nature hypnotique du dispositif de prise de vue. Jean Epstein était déjà revenu sur cette « intensité » hypnotique du gros plan, qu’il considérait comme une invention américaine37. Malgré une certaine neutralisation dans l’anesthésie des jeux d’expression, Warhol en décline toute la puissance en cherchant à confondre visage, écran et surface de projection, comme s’il s’agissait d’absorber l’aura du modèle dans l’hypnose du propre dispositif. De fait, il utilise un très net effet de décélération du temps de prise, pour mettre l’image au diapason du rythme suspendu d’une légère extase contemplative, en mimétisme avec l’effet d’étrangement spatio-temporel vécu dans l’induction somnambulique. Nul hasard si, dans de nombreux Screen Tests, les mains des modèles intimidés ou revêches viennent s’interposer devant la caméra, pour arrêter le faisceau de lumière aveuglante ou maîtriser le mécanisme de l’induction. Comme a pu le montrer récemment Ruggero Eugeni, le geste d’une main s’intercalant entre le sujet hypnotisé et la caméra est un procédé que l’on retrouve dans plusieurs tournages des premiers temps, sensibles à construire un méta-discours sur l’hypnose filmique. Cette main-écran (hand-as-screen) remplirait trois fonctions. La première réfère à l’écran comme un « composant environnemental » de la situation d’hypnose : elle permet d’élaborer une situation d’isolation et de concentration attentionnelle du sujet. La main crée une barrière sanitaire en milieu sensible spécifique. La deuxième, plus « opérationnelle », réfère au geste classique de la passe magnétique, c’est-à-dire à l’hypnotiste comme opérateur de la transe (à la fois celui qui est derrière la caméra, mais aussi devant). La troisième tient plus spécifiquement au mécanisme hallucinatoire produit sous hypnose, la main-écran appelée à tester la véracité de l’observation, en installant un obstacle optique à la projection de l’imagerie mentale. Manifestement, ces trois fonctions peuvent converger vers une stratégie de protection du mauvais œil, quand la dimension archaïque et aveuglante de la fascination (evil eye) semble revenir en boomerang de l’atmosphère glamour produite par ce nouvel environnement « électrique » des écrans et des projecteurs qui hante le premier pop38. David Hockney partage cette esthétique camp de l’écran hypnotique. Dans une peinture réalisée en 1963, The Hypnotist, l’artiste anglais, figure majeure du « popisme », illustre une représentation théâtrale d’hypnose. Un champ magnétique sort des mains et des yeux de l’hypnotiseur pour se reporter sur le corps d’un partenaire de scène androgyne, habillé d’une tunique rouge cardinal. La composition a été inspirée librement par une scène d’un film fantastique de Roger Corman, The Raven, dont le scénario est emprunté à la fameuse nouvelle d’Edgar Allan Poe où deux magiciens mentalistes luttent sur scène dans une bataille de suprématie des pouvoirs psychiques de l’un sur l’autre. Hockney 280 HYPNOSE_06-Cooper-CC2020 280 14/09/2020 15:58 1950-1970 reprend la scène de culmination de cette guerre télépathique des cerveaux, où le docteur Craven, joué par l’acteur Vincent Price, lance une décharge électromagnétique sur son maléfique concurrent, le magicien Adolphus Bedlo. Curieusement, la scène d’origine – une compétition de thaumaturges – se transforme en une fantaisie homo-érotique opposant un magnétiseur lubrique à un jeune éphèbe plus innocent (Hockney a pris pour modèle de l’hypnotiseur l’artiste américain Mark Berger, un ami ouvertement homosexuel rencontré au Royal College of Art). Dans une version gravée, un nimbe tout aussi érubescent que la tunique surplombe la tête concentrée de l’hypnotiste, manifestation fluidique de sa « force nerveuse », ou, selon une exégèse plus biophysique et reichienne, la manifestation électrique de son désir. Scellée autour de leur intérêt commun pour Edgar Poe, passant par une interprétation kitsch de la culture théâtrale transformée A A. David Hockney, The Hypnotist, 1963, huile sur toile, 214 x 214 cm, collection particulière. 281 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 281 12/09/2020 01:12 P S Y C H E D E L I A , L’ H Y P N O S E C Y B E R N É T I Q U E par les mass media39, cette complicité entre Warhol et Hockney invite à creuser plus avant les imaginaires de ce drag hypnotism. Au-delà d’une fascination pour ce qu’elle est, il y a chez Hockney, et plus encore chez Warhol, une anxiété face à une image attractive menacée par les propres effets de surexposition, infectée par le travail corrosif de la solarisation. C’est tout particulièrement signifiant dans l’art du portrait qu’ils ont chacun développé dans un rapport étroit à la photographie. Il y a là le mythe de la prise au piège du regard dans l’image technique (la photographie) et la menace ontologique de l’être face à sa propre image : être absorbé, dévoré par elle. Il faut pour cela faire le détour par une approche plus anthropologique de l’image proposée depuis quelques années par David Freedberg, Hans Belting, Horst Bredekamp ou Carlo Severi autour de son pouvoir « agissant », qui n’est autre, à bien des égards, que son propre savoir hypnotique40. Leur argument est centré sur la potentialité (potentia) d’images comprises dans un réseau de relations avec le regardeur, dans laquelle l’image s’apparente à un acte (in) volontaire : « La problématique de l’acte d’image (Bild Akt) consiste à déterminer la puissance dont est capable l’image, ce pouvoir qui lui permet, dans la contemplation ou l’effleurement, de passer de la latence à l’influence visible sur la sensation, la pensée et l’action41. » On retrouve là l’esprit et la lettre du principe d’« idéodynamisme » hérité des textes canoniques de la suggestion, mais reversé au dossier des croyances ancestrales sur le pouvoir d’ensorcellement des images. De cette foi dans le lien de contiguïté physique entre le corps de l’image et la substance de celui qu’elle représente, l’anthropologue James George Frazer avait tiré dans Le Rameau d’or (1890) des conclusions qui poussaient jusque vers l’explication animiste et primitive du mythe de Narcisse. Dans son volume Tabou et les périls de l’âme, il revenait plus avant sur les craintes des peuples de se voir photographier (« on croit souvent qu’ils contiennent l’âme de la personne représentée42 »). Si l’image d’une personne incarne son âme, il en découle un risque pour celui qui est portraituré de se retrouver dépossédé dans la fabrique même de l’image, donnant toute sa vigueur corruptrice et létale à l’expression « être pris en photo » : « Les gens qui ont cette croyance répugnent naturellement à ce qu’on fasse leur portrait ; car si le portrait est l’âme représentée, quiconque possède le portrait pourra exercer sur l’original une influence fatale43. » Le modèle fluidomagnétique s’est déplacé subrepticement dans le transfert des énergies entre le corps et ses représentations – celui que Poe, auteur des Révélations magnétiques, avait mobilisé dans une nouvelle mettant en scène le pouvoir cannibalisant de l’artiste sur le corps qu’il représente. Dans Le Portrait ovale (1842), il narre l’histoire gothique d’un peintre qui décide de faire le portrait de sa jeune épouse d’une rare beauté. Obnubilé jusqu’à l’obsession aveugle par le travail de sa composition, le peintre ne s’aperçoit pas que à mesure que le tableau se parachève dans le rendu prodigieux du vivant de l’expression, son modèle s’anémie jusqu’à perdre vie. L’achèvement du tableau sera fatal pour l’épouse sacrifiée dans le rituel vampirisant de la représentation. La logique fascinatoire du glamour des portraits iconiques de Marilyn Monroe et Elizabeth Taylor, symboles de l’aura des actrices, fonctionne sur ce mode d’exfoliation : les multiples clichés qui ont accompagné la montée en puissance de leur carrière n’ont fait qu’épuiser, en substance, leur intégrité physique jusqu’à l’autodestruction programmée. Le portrait sérigraphique de Marilyn, reproduit dans certaines versions multiples sans recharger l’encre, ce qui donnait au visage aguicheur une atmosphère pelliculaire de plus en plus spectrale, est réalisé à la suite de l’annonce médiatique de sa mort ; celui de Liz Taylor, tout aussi chatoyant dans la gamme acidulée des couleurs, fera suite à une tentative de suicide. L’hypnose pousse au crime une fois de plus. Ce sera le côté pulp du pop, son goût franchement déclaré pour la vanité de l’emprise fascinatoire des êtres par écrans interposés. DREAMACHINE OPTIQUE BEAT ET TRANSGRESSION ÉROTIQUE Mais l’hypnose des années 1960 ne s’ankylose pas sans résistance dans cet effet d’anesthésie des écrans, que l’invasion de la télévision dans les foyers de la reconstruction venait à démultiplier à grande échelle44. Elle dégage un tout autre modèle d’émancipation dans les mouvements de la contre-culture investis de la mission de contrecarrer, de contourner ces puissances de tétanisation sociale du sujet. C’est là que les techniques d’induction viennent servir à contre-pied la recherche d’une extension libératoire de la pensée et des comportements. Au-delà d’une pratique subversive de l’écriture, la Beat generation a ainsi expérimenté une optique alternative, notamment filmique45, susceptible de produire par de simples effets psychophysiologiques sans nécessaire généralisation des psychotropes, des états modifiés de conscience, et même augmentés de perception – ce que William Burroughs appellera « une discipline non chimique d’élargissement de la conscience46 ». Cette expérience de l’œil n’est pas étrangère au retard que Burroughs attribuait à l’écriture face à l’impact, beaucoup plus direct et immédiat, du langage optique des écrans, qu’ils soient films ou télévision47 : « Les mots sont des objets secrets et intouchables, n’est-ce pas ? […] Cette façon de se distancer du médium place du même coup l’écriture derrière le film et la TV si l’on ne tient pas compte du contenu. » En pleine « révolution électronique », au cœur de cette conversion accélérée de l’ère Gutenberg en société Pathé-Marconi diagnostiquée par McLuhan A. William Burroughs et Brion Gysin, 1962, collage à partir de deux tirages argentiques, William Burroughs Papers, Arizona State University. 282 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 282 12/09/2020 01:12 1950-1970 283 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 283 14/09/2020 15:58 P S Y C H E D E L I A , L’ H Y P N O S E C Y B E R N É T I Q U E et sa théorie « pentecôtiste » des nouveaux médias48 : « L’électricité ouvre la voie à une extension du processus même de la conscience, à une échelle mondiale, et sans verbalisation aucune. Il n’est pas impossible que cet état de conscience collective ait été celui où se trouvaient les hommes avant l’apparition de la parole. » La lumière serait une forme de langage absolu, dans la droite lignée des traditions orphiques : une source d’illumination, d’émancipation et de transformation intérieure. L’état visionnaire49 devient un objectif primordial pour cette cohorte Beat marquée par l’héritage américain de la culture transcendantaliste50 ; il y a aussi la méthode et les « exercices » pour y parvenir. Dès les débuts de la formation erratique du groupe fondé sur l’empathie des liens amicaux, la dimension communicative de cette nouvelle vision est le sujet d’intenses discussions, cristallisées autour de la quête d’un langage51 inédit. Adossés à une nouvelle perception réajustée par la recherche expérimentale d’une corrélation directe avec l’expression, les catégories cognitives (sujet/objet, conscient/inconscient) et ses modes de communication (description/explication) pourraient se dissoudre en privilégiant des formes physiques et immédiates de relations. Cela hors des normes linguistiques habituelles, et dont l’hypnose télépathique, dans son idéal de transparence, pourrait apparaître comme un horizon optimal52. A B 284 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 284 12/09/2020 01:12 1950-1970 C A. William Burroughs visitant une exposition de Brion Gysin à la galerie Von Bartha à Bâle, 1979. B. Brion Gysin et Ian Sommerville, Dreamachine, 1961, cylindre métallique perforé, lampe, moteur électrique, 118 x 30 cm, musée d’Art moderne de la ville de Paris. C. Brion Gysin et William Burroughs devant la Dreamachine, 1973, épreuve argentique. De Kerouac à Burroughs, ce qui est visé en premier lieu est bien un « modèle épistémologique d’intersubjectivité dans lequel la réalité émergerait à travers une dynamique conversationnelle plus qu’au moyen d’une relation hiérarchisée entre le sujet et l’objet53 ». Une méthode générale n’y suffira pas ; il faudra la compléter et l’armer par des instruments : les outils de la nouvelle vision, éprouvée dans des moments d’illumination partagée. La Dreamachine de Brion Gysin et Ian Sommerville (1960) en sera le dispositif le plus efficace, à mi-chemin entre contrôle et subjugation, maîtrise et renversement, pleinement subversif dans le décloisonnement des niveaux de conscience qu’il opère par le simple jeu opératoire de seuils physiologiques et de rythmes fréquentiels. La Dreamachine rejoint cette recherche d’une nouvelle voie, d’un art de l’immediacy visant à sortir du régime symbolique ou analytique du langage pour installer la relation à l’œuvre et à l’autre dans un mode beaucoup plus intuitif (ce que la performance tentait par d’autres moyens, mais avec le même débordement du langage). Un art proche à certains égards de la définition « postartistique » qu’avait donnée Henry Flynt dès 1961 du Concept Art ». L’historien Branden Joseph dira combien elle découle d’une approche foncièrement anti-intellectualiste à laquelle Flynt donnera à terme le nom de contact ou acognitive culture54 : un art « a-conceptuel » qui n’aurait pas sombré dans le simulacre de la domination sociale et culturelle des signes, mais, comme un contrepoids aux réflexes technocratiques ravivés par le spectre de la guerre froide, aurait parié sur des liens non formatés. Ce que Stephen Melville, dans un texte très inspiré sur les visées politiques de l’art conceptuel, a pu appeler le « rêve d’une communauté télépathique55 ». La Dreamachine est non seulement un appareil pour extase hallucinogène mais une authentique machine relationnelle où se projette le fantasme d’un phalanstère visionnaire aux accents ouvertement homo-érotiques. À ce titre, il est utile de rapporter l’invention de cette machine par Brion Gysin et Ian Sommerville dans le giron de ce que Burroughs a déjà tenté avec Queer. Face à son premier roman, Junky, qui est une plongée introspective dans l’expérience psychotique de la drogue, et sa transcription malmenée par les mots, Queer déplace l’enjeu de la communication à un niveau beaucoup plus 285 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 285 12/09/2020 01:12 P S Y C H E D E L I A , L’ H Y P N O S E C Y B E R N É T I Q U E été associées à une « érotique du savoir » (erotics of knowledge59). Curieusement, dans l’obsession à vouloir retirer tout contact physique au profit d’une communication extrasensorielle, l’hypnose introduit un « rapport magnétique » qui naturalise la dimension physique de la séduction, reconnue depuis les protocoles de Mesmer. La puissance fusionnelle de cette physique des attractions n’est pas sans susciter certaines craintes, notamment celle de l’attirance homosexuelle. Elle hante dès les années 1920 les débats psychanalytiques sur l’hypnose amoureuse. Ainsi en témoignent le dialogue entre Sándor Ferenczi et Sigmund Freud60 et leur approche narcissique du transfert direct et non codifié des pensées et des émotions, considéré ainsi que l’homosexualité, comme « physiquement invasif et dématérialisé ou purifié61 », favorisant l’association entre paranoïa, dédoublement de personnalité et « homosexualité déguisée62 ». A émotionnel, partant cette fois d’une analyse de la communauté des êtres « sur un niveau non verbal d’intuition et de sensation, c’est-à-dire un contact télépathique56 ». Burroughs convoque la télépathie de manière non métaphorique mais très « factuelle57 », pour qualifier le niveau d’empathie des échanges de son héros William Lee, un alter ego à peine camouflé avec ses proches, en particulier le jeune et très convoité Eugene Allerton. Ce concert de « reconnaissance » ne peut se réaliser pleinement que dans un affranchissement des manipulations du langage (le mot est simultanément une barrière et son débordement par la charge virale), pour explorer des circuits alternatifs de transferts énergétiques, et plus encore, magnétiques, des circuits « psychiques » : « I’m acting as a map-maker, an explorer of psychic areas58. » Comme l’a montré Pamela Thurschwell, les recherches menées sur la transmission de pensée sous transe somnambulique en redistribuant les relations entre matérialité et psychisme, distance et proximité, ont très vite Comment créer dans ce contexte plutôt normatif les conditions favorables à une transe qui ne fasse pas l’économie d’un trouble du genre ? Par le déconditionnement syntaxique du langage (la technique du cut-up) mais aussi au moyen d’instrumentations physiques, optiques en l’occurrence. L’âge d’or de l’hypnose clinique est né, au moment où la communication se matérialise sous l’emprise des médiations électriques tout en se recentrant sur l’échange empathique63. Non seulement l’hypnose réduit l’obstacle de la distance64 (l’éloignement est aussi une affaire d’affects), mais elle densifie la nature physique et sensible de la relation à l’autre, tout en évacuant les apories du langage et les obstacles de la traduction. En cela, elle libère le sujet moderne de l’hégémonie des technologies du lien et l’affranchit de tout intermédiaire symbolique (une médiation que le plus paranoïaque des poètes de la Beat generation, W. Burroughs, interprète justement comme un outil de manipulation virale). L’opacité des codes disparaît au profit d’une pure transmission énergétique synchronisée, une énergie convertible et conductible qui passe, comme un fluide magnétique, d’un individu à un autre. C’est ce que met en lumière le dispositif de la Dreamachine. La Dreamachine s’inscrit sous cet angle dans une plus vaste histoire culturelle, venue des traditions fluido-magnétiques65 : elle draine avec elle, sous son allure Op Art, le principe ancestral d’une aimantation élective et électrique des sujets66. À regarder de près les photographies représentant le trio Burroughs, Gysin et Sommerville, regroupé autour du totem magnétique de la Dreamachine67, on ne peut s’empêcher de penser au « baiser électrique68 ». Cet artefact fut imaginé par un physicien et poète de Leipzig, un certain Georg Matthias Bose69, mais repris par le jeune Benjamin Franklin, un des membres de la commission A. Stanley Mouse, The Family Dog Presents Love, 1967, Avalon Ballroom. B. Mouse Studio, Big Brother & the Holding Company, 1966, Avalon Ballroom. 286 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 286 12/09/2020 01:12 B HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 287 12/09/2020 01:12 P S Y C H E D E L I A , L’ H Y P N O S E C Y B E R N É T I Q U E royale sur le magnétisme animal70, avant d’être porté à son incandescence dans la culture « cyberdélique » des années 1960, version Summer of Love. Les affiches du psychédélisme témoignent de ce regain pour une électrification décomplexée des corps et des émotions, sous les couleurs incendiées des phosphorescences du LSD71. Ces baisers inondent les San Francisco Comic Books (Robert Crumb, 1970), les films polychromes de Terry Abrams (Be-In, 1967), les graphismes acidulés d’Hapshash and the Coloured Coat, les covers de vinyles (Taylor Swift and the Electric Bag, Are you experienced, 1969), après avoir animé en live les light shows immersifs (Richard Aldcroft, USCO, Jud Yalkut, Bill Ham…), les scènes fusionnelles des trip festivals ou les nuits de l’Electric Circus, la discothèque pionnière de New York animée des projections stroboscopiques d’Anthony Martin. Mais dans cette bourrasque de l’« électronique érotisée72 », l’intensité peut-elle résister à la « généralisation de l’électronique dans les technologies humaines [qui] a sans doute signé la fin du grand fantasme électrique73 » – les vieilles lunes romantiques étant désormais comprises comme une forme de sensualité de consommation et son bras armé, la culture du divertissement ? Oui, répondent les acteurs de la Beat generation, qui plongent sans complexe dans l’« inconscient optique » de la machine. Par la pulsation fréquentielle obtenue au moyen des perforations du cylindre (le fameux principe du flicker au rythme des ondes alpha74), la Dreamachine produit un état modifié de conscience, propice au développement de facultés nouvelles, tout en installant par suggestion, de manière occulte, voire cryptée, une relation sensible aux accents érotiques entre les agents qui s’en emparent à plusieurs75. Une planche du projet collaboratif The Third Mind révèle assez clairement la présence subliminale d’images homo-érotiques au cœur du dispositif de la Dreamachine. Dans le photomontage se côtoient plusieurs clichés illustrant Burroughs, Gysin et Sommerville expérimentant l’appareil : diverses vues du dispositif seul, et des photographies de jeunes garçons nus, le tout distribué dans une grille qui reprend la structure perforée du cylindre. Il faudrait à ce titre relever le caractère phallique des obturations de la Dreamachine (et de la machine elle-même, dans ce cylindre érectile, digne d’un rite collectif d’initiation sexuelle76). Ces ouvertures par lesquelles le code-lumière opère sont des images subliminales en soi, à peine camouflées, très proches des illustrations sans équivoque de Robert LaVigne pour Kral Majales (1965), le poème qu’Allen Ginsberg écrit en réponse à l’expulsion de son pays d’origine, la Tchécoslovaquie soviétique, pour subversion homosexuelle77 (il se qualifie de « Bouzerant », un équivalent argotique de « tarlouze » en tchèque, dont le jeune poète se protège en se réfugiant, littéralement, sous la protection tutélaire d’un phallus communautaire). Dans cet esprit, la griserie hypnotique recherchée autour de la Dreamachine joue beaucoup avec une emprise homo-érotique, véritable contre-pied aux postures réactionnaires d’un pan de la modernité artistique (on peut penser notamment à Breton qui exigera l’expulsion du jeune Brion Gysin lors d’une exposition surréaliste en 1935, manifestement en raison de son orientation sexuelle78). La nature électrique de la Dreamachine n’est probablement pas étrangère à l’influence des théories psychanalytiques de Wilhelm Reich sur la Beat generation. Avec Burroughs, ils partagent une même physis de la sexualité et du désir : dans ses entretiens avec Daniel Odier, Burroughs affirme que la libido est « de toute évidence un phénomène électromagnétique, Reich l’a mesuré79 ». Selon lui, l’expression libre, pulsionnelle et spontanée, de la sexualité (on retrouve ici la notion d’authenticité, très stratégique pour ce groupe d’homosexuels souvent confrontés aux stratégies cryptées de leurre et de camouflage80) pouvait non seulement émanciper le corps des inhibitions sociales, mais favoriser l’intégration holistique du corps et de l’esprit ainsi que le contact, plus cosmique, entre la conscience individuelle et le monde matériel81. Burroughs est apparemment le premier à avoir introduit les idées de Reich dans le cercle de la Beat generation82. Il évoque les théories sur l’orgone dès 1947 à Kerouac et Ginsberg83, après avoir pris connaissance des interventions musclées des agences gouvernementales contre l’Orgone Institute de Rangeley, dans le Maine. Ginsberg rappelle …l’électrisation des mécanismes perceptifs conduit ici rapidement à une forme d’érotisation tactile et relationnelle de la vision… d’ailleurs dans Composed on the Tongue que son ami Burroughs avait essayé une « Orgone Therapy84 ». Par ailleurs, ce dernier avait construit dès 1950 son propre « Orgone Accumulator », affirmant que les « orgones de Reich sont réels et démontrables85 ». En réaction à une psychiatrie plutôt réfractaire, et même répressive, face à l’homosexualité86 (de nombreux traitements étaient administrés aux homosexuels dans les années 1950196087, notamment sur la base des théories comportementalistes dominantes, recourant aux techniques dites d’aversion, au moyen d’électrochocs mêlés à des techniques d’hypnose88), Burroughs et Ginsberg se sentent attirés, sinon inspirés, par les propositions hétérodoxes du pansexualisme reichien89 (même si Reich, dans la lignée de Jones, se montrera franchement réticent face aux penchants homosexuels, qu’il excluait délibérément de l’analyse). Le principe de l’Orgone Energy reconduit dans les faits la tradition fluido-magnétique la plus mesmérienne (le « caisson à orgones » est un dérivé évident du baquet). Burroughs a utilisé un Orgone Accumulator comme une capsule 288 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 288 12/09/2020 01:12 1950-1970 pour expérience orgasmique, dans les pas de ce que Christopher Turner a appelé le « sexual evangelism » professé par Reich90 : un environnement opticaliste de recharge sexuelle par photostimulation (un « orgamastron »), ce qui anticipe tout naturellement sur le mécanisme de la Dreamachine91. L’habitable est couvert de parois métalliques réfléchissantes et doté d’une ouverture, dont les effets visuels peuvent rappeler certains principes rétiniens du flicker (un dispositif que l’on retrouve, dès 1958, sous une forme primitive, dans la chambre de Gysin au Beat Hotel, obtenu au moyen d’un simple montage de miroirs en angle, réalisé à partir de l’armoire à glace92). Reich, à propos des flashs vibratoires produits dans le jeu de réverbération en miroir (les orgonotic lumination) parlait explicitement d’« excitation sexuelle93 ». Burroughs utilise les mêmes analogies : « La stimulation sexuelle peut être provoquée par la manipulation électrique directe des centres nerveux, de la même façon que l’on manipule une machine, et c’est une machine. Les aspects sexuels de la machine sont peu connus, uniquement parce qu’il n’y a pas eu de recherches, parce qu’elles ne sont pas autorisées94. » De fait, l’électrisation des mécanismes perceptifs conduit ici rapidement à une forme d’érotisation tactile et relationnelle de la vision95. Gysin et Ginsberg se sont rencontrés pour la première fois en avril 1961 devant une Dreamachine qui fait clairement office de fétiche initiatique96. Il y a d’évidentes résonances dans les traductions filmiques de la Dreamachine orchestrées par le jeune cinéaste expérimental Antony Balch, notamment dans Towers Open Fire (1963) et la séquence fusionnelle où les profils de Gysin et Sommerville viennent se confondre dans le baiser électrique autour de la Dreamachine, ou dans le fameux Cut-Ups (1966) aux pulsations optiques encore plus ouvertement homo-érotiques, laissant le quinquagénaire « Bill » Burroughs manipuler, en médecin de l’âme, le corps d’un jeune éphèbe (« Baby Zen ») sous les éclairs subliminaux des rythmes alpha. Curieux hasard donc à ce que la Dreamachine ait été sauvée de l’oubli par Genesis P-Orridge, un fervent admirateur de Burroughs, figure historique de la musique industrielle, leader charismatique du groupe Throbbing Gristle, adepte déclaré du transhumanisme, connu(e) pour défendre, jusque dans sa propre transformation physique, le concept de « pandrogynie » : une autre manière, toute radicale, de sortir des apories dualistes du genre, pour affirmer l’horizon hors normes de la fusion amoureuse97. MIND EXPANDER HYPNOSE D’ATMOSPHÈRE ET (DÉ)CONDITIONNEMENT Cette dimension fusionnelle sera au cœur des discours et pratiques de l’art « ambiantal » des années 1960. Il faut revenir pour cela sur l’impact majeur des modélisations cybernétiques et cette génération. C’est l’époque où Claude Shannon, ingénieur en électricité au MIT (Massachusetts Institute of Technology), met en place les bases de sa théorie de l’information, en proposant d’interpréter les opérations fondamentales de la pensée à partir de circuits électriques discriminant des unités binaires de transmission (le BIT, binary digit). L’ensemble de ces recherches légitimait une description du comportement humain en termes de plans (un processus hiérarchisé engagé dans un système binaire de choix), d’images (l’expérience comme une banque de données, la connaissance comme un programme stocké98) et d’objectifs (l’optimisation sous contrainte). Il poussait l’intériorité du sujet vers un devenir relationnel purement centré sur la gestion des circuits de l’information, avec pour horizon mécaniste et hédoniste le modèle de la réactivité (le feed-back et les jeux de rémanences rétiniennes de l’Op Art) dans un monde où tous les objets, vivants ou non, existent d’abord sous la forme de différences qualitatives dont on évaluerait les degrés sur une échelle croissante de complexité, les objets les plus complexes étant précisément ceux qui assureraient la plus grande maîtrise de leur environnement. En France, l’art optico-cinétique doit beaucoup à la figure d’Abraham Moles99, l’organisateur des conférences du groupe SIGMA100, qui s’impose rapidement comme la tête de pont d’une lecture cybernétique de l’art. En octobre 1965 a lieu la semaine « cybernétique » de SIGMA, avec des interventions de Vasarely et des membres du GRAV (le Groupe de recherche d’art visuel réunissant François Morellet, Jean-Pierre Yvaral, Julio Le Parc, Joël Stein, Horacio Garcia Rossi…). Moles y annonce un nouvel âge constructif susceptible « d’aménager de nouvelles relations entre l’esthétique et la sémantique dans la Société de Masse101 ». Il propose deux voies de développement pour l’Art nouveau : d’une part, la voie immersive de la polysensorialité (« construire de nouveaux arts par une combinatoire sensorielle », avec pour exemple le « cinérama olfactivo-tactile »), d’autre part, la voie plus sémantique d’un vocabulaire plastique sériel et géométrique (« trouver un nouveau rapport entre fonction sémantique et fonction esthétique »). Ce seront les deux options, concomitantes et parfois contradictoires, de l’art cinétique des années 1960. D’une part, l’omniprésence, plutôt froide, du langage binaire, dans le schéma d’une transparence absolue et performative de la communication102 ; d’autre part, et comme son contrepoint « chaud », une approche hypersensitive qui plonge le spectateur dans le vertige de la sensation, le vortex optique (effets moirés, spirales, stroboscopes, etc.) et les jeux de déstabilisation proprioceptive (diagonales, écarts, obliques, etc.). Les spirales hypnotiques y sont très nombreuses, parfois immersives dans les œuvres optico-cinétiques de Marina Apollonio, ainsi que les systèmes de clignotements électriques (Morellet, Stein…), rejoignant les oracles du gourou des nouveaux médias, Marshall McLuhan, où « l’action désindividualisante de notre technologie électrique104 » détrône le contrôle 289 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 289 12/09/2020 01:12 A HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 290 12/09/2020 01:12 1950-1970 B A & B. Marina Apollonio, Spazio ad attivazione cinematica, 1966, installation au sol, dimensions variables. 291 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 291 12/09/2020 01:12 P S Y C H E D E L I A , L’ H Y P N O S E C Y B E R N É T I Q U E rationnel de l’œil pour lui préférer la « participation multisensorielle », avec ce même « besoin nouveau de participation en profondeur105 ». Dans les mêmes années, les courants de l’architecture radicale cherchent à influer sur le quotidien, dans la contestation sociale et politique d’une mise au pas de l’environnement ambiant des sujets. Il s’agit bien pour les « radicaux » de revendiquer la possibilité d’une architecture visionnaire dont l’utopie négative dissout la construction dans le « tout est architecture106 », à l’opposé du projet moderniste occupé par une logique fonctionnelle de l’habitation. La « contre-utopie » délaisse la fabrication pour la spéculation projectuelle, jouant comme Friedrich St. Florian sur la dimension purement mentale et hallucinatoire d’« architectures imaginaires107 » : « Nous parlons d’une architecture de gestes immatériels, d’une architecture présente et invisible […] à édifier maintenant à l’intérieur de nousmêmes108. » Le contexte historique n’est déjà plus seulement celui de la reconstruction d’après-guerre et des modes de fabrication à grande échelle, ni celui d’une contestation des simulacres du modernisme à la manière situationniste, mais bien celui d’une utopie artistique B « parodiant le futur jusqu’à l’absurde en accentuant de façon outrancière les fonctions de la ville rationaliste (par) l’affirmation d’une architecture négative, une non-architecture qui doit libérer les pratiques, créer un choc afin d’assumer le réel109 ». À quoi peut bien ressembler ce réel ? À un ensemble hallucinatoire de signes, d’informations et de sensations, dans lequel il est urgent de restaurer un environnement susceptible d’être vécu comme une sphère d’expansion permanente de la subjectivité. D’où, chez ces pionniers du mouvement de l’architecture radicale, la présence récurrente de la bulle, des casques, des cellules d’introspection physique et psychologique, qui sont autant d’expérimentations sur le lien proprement hypnotique entre la vie de la conscience, la pulsation du corps et ce milieu intermédiaire que le critique d’art italien Germano Celant va très vite appeler l’« Ambiante » (Superstudio, Coop Himmelb(l)au, Archizoom Associati, Haus-Rucker-Co). Le modèle prototype de la capsule rejoint alors une figure matricielle que le philosophe Peter Sloterdijk a pu placer au centre de sa réflexion sur l’installation d’un « monde habitable » au cœur d’une forme archétypale primitive du lien : la « bulle magique » qui enveloppe du fluide magnétique les relations interpersonnelles110. Du Mind Expander de Haus-Rucker-Co (1968) à la PillArchitektur de Hans Hollein (1967), les architectes radicaux surfent sur la vague des environnements psychotropiques : l’étrange contagion du casque dans les recherches de Walter Pichler, Coop Himmelb(l)au ou Ugo La Pietra, dispositif audiovisuel propulsant le corps et l’esprit dans de nouveaux modes d’appréhension du réel, une « superception », entre la bulle atmosphérique pour états modifiés de conscience (hypnose, transe et hallucination) et le casque cybernétique pour une communication globale (téléprésence, cybertélépathie). Souvent intégrés à des combinaisons, ces casques font immédiatement penser à l’équipement du cosmonaute. Mais, au-delà d’un simple transfert technologique, la recherche spatiale se confond ici avec l’intuition new age d’une évolution cognitive de l’espèce au contact d’une habitation extraterrestre. C’est ce que Timothy Leary appellera la « révolution cosmique ». Selon lui, cette révolution aurait commencé dès 1926, « quand un groupe de visionnaires allemands fonde le Verein für Raumschiffahrt (Société pour le voyage dans l’espace) ». Avec eux, l’odyssée du voyage spatial vise non seulement une extension territoriale, mais une modification de l’humain par la « croissance exponentielle de l’intelligence » : « On n’a pas encore compris toute la signification des vols extraterrestres. Les missions Apollo, par exemple, ne sont pas que des exploits techniques et nationalistes. Ces vols sont, en fait, d’un point B. Julio Le Parc avec un Double miroir, 1966. C. Julio Le Parc, Cercles virtuels par déplacement du spectateur, 1967, 203 x 240 x 37 cm. 292 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 292 12/09/2020 01:12 1950-1970 293 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 293 12/09/2020 01:12 A B C HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 294 12/09/2020 01:13 1950-1970 de vue génétique et neurologique, le début d’une mutation, dont l’importance est égale à celle de l’apparition, dans les eaux du primaire, des premiers mutants amphibies […]. La mutation des humains voyageant dans l’espace sera rapide, comme le fut celle des amphibies et des organismes qui, s’étant établis sur la terre ferme, se donnèrent l’équipement neurologique et physiologique exigé par leur nouvel environnement111. » L’utopie de voir disparaître l’architecture elle-même accompagne la mutation neurobiologique de l’espèce, désormais confrontée aux conditions d’isolation sensorielle du vol. La NASA a mis en place à cette époque de nombreuses recherches expérimentales sur le conditionnement hypnotique en « gravité zéro », en dialogue avec les récentes pistes sur les modifications psycho-physiologiques en vase clos et privation sensorielle, menées notamment depuis les travaux pionniers à l’université McGill de Montréal au milieu des années 1950112. Du « caisson d’isolation sensorielle » de John Lilly à la Black Room de Jack Vernon113, de multiples dispositifs de « déconnexion » ont été mis en place pour observer la mutation des réflexes et des comportements en milieu confiné. Dans le cas de Lilly, un proche de Ginsberg et de la Beat generation, des liens explicites se nouent entre contre-culture, évolution de la conscience et expérience physiologique du vol spatial. Ce panpsychisme peut se décliner sous la forme métaphorique d’une boîte crânienne aux ramifications électroneuronales. Dans But to Live in a Strange Head (1967), Coop Himmelb(l)au propose une maison en forme de « cerveau électronique », avec une structure exosquelette qui évoque clairement la forme du cortex. Deux ans plus tard, avec Soul Flipper (1969), ce sont des capteurs directement branchés sur le visage et la cavité frontale, à la manière d’un électroencéphalogramme dont on retrouve des traces dans le projet Extensive Man d’Heidulf Gerngross (1968). La ville tout entière s’organise sous la commande des esprits qui la composent, connectée aux ondes cérébrales des habitants. Dans Feedback Vibration City (1971), Coop Himmelb(l)au pense une ville qui mute et change en fonction de la respiration, des rythmes cardiaques mais aussi des « ondes alpha » de ses habitants, une cité ramenée à ce que Bernhard Hafner appelle un « psycho-métabolisme ». Des synapses sous LSD aux neurones innervés par les nouveaux systèmes d’information, l’architecture devient un milieu d’induction hypnotique qui ne prend pas seulement en compte une protection minimale du corps (écosystème), mais le bien-être psychique, avec toute une recherche prospective sur les méthodes d’extension biochimiques du plaisir et de la conscience (transe, extase), au-delà de la simple intoxication114. C’est le modèle du biofeedback qui s’impose alors, avec une prédilection pour les vertus hallucinatoires des ondes alpha. Le LSD peut laisser place au BFT (Bio Feedback Training, plus connu à cette époque sous le terme new age « Electronic Yoga115 »). Mais là encore, la perte des niveaux de réalité (est-ce réel ou hallucinatoire, tangible ou purement virtuel ?) peut très vite faire basculer les fondamentaux de l’architecture dans la peur d’une mystification. À l’idée d’une architecture totalement dématérialisée dans la simple suggestion verbale fait suite la crainte d’une faillite du discours. C’est à cette aporie que mène le projet Abitare e facile d’Archizoom Associati pour l’exposition Italy : The New Domestic Landscape organisée en 1972 par Emilio Ambasz au MoMa, l’un des moments clés de la diffusion de l’architecture radicale aux États-Unis. Aucune structure, aucune maquette, aucun plan. Pas de dessins ni de collages. Une simple salle vide dont les murs sont recouverts d’une peinture gris neutre, avec en fond sonore une bande magnétique reprenant la voix d’une petite fille récitant à la manière d’un suggestionneur rompu à la méthode Coué la description de cette architecture purement mentale : « Écoutez, je pense que cela va être quelque chose de vraiment extraordinaire. Très spacieux, brillant, vraiment bien arrangé, sans recoins cachés, vous savez. Il y aura une belle lumière, vraiment brillante, qui montrera clairement tous ces objets désordonnés. Tout sera simple, dénué de mystère et rien ne dérangera la paix de l’esprit, vous voyez. Merveilleux, vraiment, réellement très beau, et très grand aussi. Assez extraordinaire ! Il fera bon ici aussi, dans un silence immense. Mon Dieu, comment puis-je vous décrire toutes ces merveilleuses couleurs ! Vous savez, de nombreuses choses sont vraiment difficiles à décrire parce qu’elles sont utilisées ici d’une toute nouvelle façon […]. Vous voyez, il y aura beaucoup de choses merveilleuses, et pourtant ça aura l’air presque vide. Ce sera si grand et si beau… Ce sera si formidable d’y passer la journée à ne rien faire, sans travailler ou quoi que ce soit d’autre… Vous savez, juste formidable…116 ». Mais dans le catalogue de l’exposition, Manfredo Tafuri, qui a toujours défendu la validité du projet moderniste face aux rêves éveillés ou cauchemars irréels des radicaux, s’en prend à cette proposition ultra conceptuelle dans laquelle il croit démasquer non une utopie désabusée, mais un discours autoritaire117. Pour Manfredo, ce tropisme psychique de l’architecture est un mirage, un « trompe-l’esprit » aux visées manipulatoires. La contre-utopie des radicaux ne démentira pas totalement le côté obscur ou illusoire de cette quête de nouveaux espaces de liberté. Elle aura pour cela profité des leçons fournies par les liens qui se tissent à cette époque entre psychologie expérimentale, critique sociale de la gouvernance cybernétique et antipsychiatrie (Gregory Bateson, Ronald Laing, Stafford Beer)118. C’est là que se joue, de manière moins mécaniste, une exploration cognitive des facultés d’adaptation du cerveau – ce que Bateson, proche d’Erickson, appelle l’« écologie de l’esprit119 ». A. Julio Le Parc dans les ateliers du GRAV, Groupe de recherche d’art visuel, 1963. B. Ugo La Pietra, Plastic Environment for Experiencing Optical Phenomena, 1969. C. Larry Miller, Dream Machine. Installation model, 1977, crayon sur papier, 45,09 x 60,96 cm, collection de l’artiste. 295 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 295 12/09/2020 01:13 P S Y C H E D E L I A , L’ H Y P N O S E C Y B E R N É T I Q U E « HYPNOSES MÉCANIQUES » PILOTAGE ÉLECTRIQUE ET AUTOMATISMES RÉFLEXES Grand représentant de l’esthétique cybernétique, Nicolas Schöffer va décliner, tout comme le fera le projet du Mind Expander, ce modèle de communion électro-synesthésique destiné à un spectateur « environné de programmes audio-visuels (olfactifs, tactiles) qui le baigneront dans un véritable climat suresthétisé ». Et ce n’est plus seulement l’image qui se dérobe dans sa perpétuelle métamorphose, mais les médias euxmêmes qui tendent à se dissoudre dans la fusion scénique de l’intermédia. Schöffer souhaite construire le grand « Théâtre spatio-dynamique120 », un « théâtre du plaisir », mais aussi des « centres de loisirs sexuels », « véritables temples d’amour dépourvus de tendance pornographique, mais où tout contribuera à préparer les couples à l’amour, à l’amour enfin démystifié, à la portée de tous, sans artifice et sans dégradation […]. En franchissant le seuil, le visiteur sera plongé dans un bain audio-visuel au climat tiède, odorant, monochrome (rouge clair), où le son, la lumière colorée, les odeurs seront pulsées sur un rythme très lent […]. Il pourra descendre à pied ou sur un tapis roulant une pente douce et large, en spirale, à travers un véritable spectacle des formes abstraites, statiques, courbes, en matière lisse, légèrement chaudes au toucher ; d’autres formes abstraites courbes, en mouvement pulsé lent, donneront une sensation d’expansion ou de pénétration ; elles seront accompagnées de scénarios audiovisuels lumineux, odorants et climatiques121. » A B Plutôt décomplexé face aux possibles dérives du contrôle technocratique de la machine, il adhère ici à une vision émancipatrice de la technologie où le « grand cerveau électronique » des Compositions luminodynamiques s’est transmué en orchestrateur des sens, et l’artiste, en nouveau Prométhée dont il resterait à évaluer les ambiguïtés idéologiques face à cette nouvelle gouvernance automatisée des affects122. À l’intérieur, les visiteurs circulent dans un environnement amniotique où les parois ondulantes forment un écran panoptique sur lequel viennent glisser de multiples projections colorées. L’espace se lubrifie littéralement. Projetés dans ce décor du rêve primordial – celui d’un retour au ventre maternel –, les spectateurs sont littéralement hypnotisés, déssaisis de l’optique moderniste qui prévaut dans la sphère du travail au profit de deux autres modes de sensibilité plus primitifs, le toucher et l’odorat. Nous voici devant l’économie du sensible primitif revendiquée par les prosélytes romantiques du « somnambulisme artificiel ». Schöffer parle à cette occasion de perception « olfacto-tactile ». Rejouer une forme archaïque de perception, c’est chercher à plonger plus directement dans la scène originaire du plaisir. Il rejoint là tout un courant de la post-abstraction géométrique qui mène la pratique de l’espace dans un sens clairement proprioceptif. On pense aux dispositifs d’Hélio Oiticica ou de Lygia Clark, tous deux venus d’un vocabulaire de l’abstraction concrète, et qui vont orienter leur art vers des environnements pénétrables, A. Nicolas Schöffer, photogramme du programme télévisuel Préparation au sommeil, 1968. B. Nicolas Schöffer, CYSP I, sculpture cybernétique autonome avec deux danseuses, 1966. C. Portrait photomontage de Nicolas Schöffer, ca. 1970. 296 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 296 12/09/2020 01:13 1950-1970 à forte dominante tactile (les Parangolés chez Oiticica). Là, à nouveau, le décor de la libération sensorielle rejoue le conditionnement sexualisé de l’habitacle maternel. Chez Lygia, la contagion participative de l’art passe par la figure transitionnelle du cordon ombilical, celle de la relation mère-fœtus convoquée, très tôt, comme modèle naturel de l’emprise magnétique, dès les intuitions de Hegel sur le « rapport magique » du magnétisme animal123. Chez Oiticica, la reconstitution utérine est encore plus frappante. Dans son installation Eden, présentée en 1969 à la Whitechapel Gallery, le spectateur pouvait s’allonger sur des matelas recouverts d’une tente de lin dans laquelle la lumière extérieure pénétrait à travers un filtre rouge ambiant rappelant, sans équivoque, l’alimentation sanguine du ventre maternel. Pôle d’énergie « nucléique », l’espace est devenu le lieu de ressourcement psycho-physiologique pour des individus qui, selon les propres termes de l’artiste, « se restaurent comme s’ils revenaient à la nature, à la chaleur de l’enfance par laquelle on peut se laisser envelopper ; plonger dans l’utérus de l’espace ouvert, construit, représenté par cet espace qui était encore plus qu’une galerie ou un abri ». La performance Kyldex I, dansée dans le décor interactif des Chronos, sculptures mobiles autoprogrammées de Schöffer, use précisément de ce glissement de l’abstraction cybernétique dans l’hédonisme pansexualisé. Le pas de deux, orchestré par Herman Carlson, se joue devant un mur d’ampoules activées par un système électronique. Les points lumineux, formant un réseau orthonormé sur le fond noir du décor, sont des mécanismes hypnotiques ; ils rappellent le scintillement pulsatif des grandes machineries électroniques, mais aussi les tentatives d’algébrisation géométrique du corps dans l’espace par ÉtienneJules Marey. Le corps lutte contre sa propre disparition dans l’écriture vectorielle de sa trajectoire. La seconde scène est animée par un écran géant où scintillent des lucioles aux formes pulsatives, rejouant la plongée dans la vie intra-utérine. La scène est beaucoup plus métabolique, pulsionnelle, sanguine. La géométrie aérienne et métallique des Chronos (des sculptures-robots en acier, actionnées par des systèmes électroniques intégrés) a fait place à des masses organiques, couchées, plus anthropomorphes. Formes ondulatoires, en suspens, surfaces tièdes et pulsatives, C 297 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 297 12/09/2020 01:13 P S Y C H E D E L I A , L’ H Y P N O S E C Y B E R N É T I Q U E d’une politique insidieuse de contrôle de la société. Si Schöffer parle d’une « augmentation de la fascination visuelle par un accroissement lumineux sur une surface ou dans un espace déterminé, en introduisant sur cette surface, ou dans cet espace, des éléments esthétiques structurés128 », c’est à la fois pour accuser le pouvoir de contrôle de l’instance de diffusion tout en se réservant le droit d’amener le spectateur vers une condition onirique plus créative. « Dormir pour rêver », dit le texte subliminal apparaissant à l’écran, quand dans ses notes Schöffer proposera le label « hypno-dream-box129 ». En d’autres termes, ses projets luminocinétiques sont des machines ambiantales à produire des hallucinations relaxantes, une forme de visual muzak130 qui rejoignait à certains égards les horizons psychédéliques de la Dreamachine de Gysin, quand ce dernier envisageait que son instrument puisse se substituer à la télévision dans chaque foyer131. on retrouve là tout l’appareillage de l’« architecture sensible » défendue dans l’entre-deux-guerres par les surréalistes Friedrick Kiesler ou Roberto Matta124, une architecture intra-utérine qui renvoie à une « morphologie du désir125 ». Nous sommes ici face à l’ambiguïté culturelle qui a ouvert ce chapitre : l’hypnose des années 1960 est plus que jamais partagée entre régression et mutation, entre procédé à défaire les réflexes ataviques et contrôle électromagnétique des consciences. Nul hasard si le même Nicolas Schöffer propose à la télévision française un programme intitulé « Préparation au sommeil », rangé, comme le rappelle Arnauld Pierre, dans une « catégorie explicitement nommée émissions de conditionnement126 ». Hérité de sa collaboration institutionnelle avec le « département d’ambiance programmée » de la société Philips, ce projet de « l’artiste programmeur » (c’est ainsi qu’il se nomme lui-même) n’est pas étranger à une recherche de pilotage des subjectivités auquel l’hypnose visée dans ses programmes visuels d’endormissement donne ici un air vaguement technocratique. C’est ce qu’il est possible de comprendre au regard de sa collaboration avec le psychiatre Paul Sivadon, un acolyte du groupe Néovision fondé dans le milieu des années 1950 (Schöffer, mais aussi l’architecte Claude Parent, le musicien Pierre Henry et le chorégraphe Maurice Béjart), dont les recherches cliniques sur les conditionnements environnementaux du sujet – couleur, lumière, acoustique – donneront des applications thérapeutiques à ce qu’il appelle une « hygiène mentale » cherchant « l’équilibre » individuel et collectif, à savoir la recherche sanitaire et planificatrice d’un « homme normal », c’est-à-dire aussi normé par les injonctions de « critères esthétiques rigoureux127 ». Le programme « Préparation au sommeil » (1967), d’une durée de deux à quatre minutes, livre à l’écran une séquence rythmée de faisceaux chromolumineux obtenue par le Téléluminoscope, breveté par Schöffer en 1963, avec saccades continues de pulsations électriques et variations de mobiles graphiques, dont de nombreuses ellipses et volutes, sur lesquelles venaient, par intermittence, se superposer des images de danseuses dans des poses extatiques, ainsi que de brèves injonctions textuelles du type « rêver pour vivre », « dormir pour vivre », pour se terminer sur un « dormir » prolongé et languissant. Autant dire que, malgré la sophistication de son vocabulaire abstrait opticaliste, ce programme rejoignait l’idée qu’un large public pouvait se faire d’une « hypnose douce » combinée aux propres effets lénifiants du tube cathodique. Un an plus tard, parmi les affiches placardées par les étudiants(e)s des BeauxArts en mai 1968, on retrouvera le motif d’un hypnotiseur maléfique portant ses mains envoûtantes sur un poste de télévision perçu comme le relai, instrumental Une fois de plus, et jusque dans cette impulsion décompressive de détente, les ambivalences idéologiques autour de l’hypnose sont maintenues, parfois camouflées. Car toute cette fantasmagorie télévisuelle aime à agiter les chiffons rouges de sa propre complicité technocratrique. Pour preuve, la critique d’un proche de Nicolas Schöffer, le docteur Jacques Ménétrier, prosélyte de la cybernétique dans les colonnes de la revue A A. I am The Dream Machine, 14 juin 1970, publicité. B. Affiche de l’Atelier populaire de l’École des beaux-arts de Paris, mai 1968. 298 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 298 12/09/2020 01:13 B HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 299 12/09/2020 01:13 A HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 300 12/09/2020 01:13 1950-1970 Planète132 et adepte de thérapies de « rétablissement électromagnétique du corps humain », qui voit dans les œuvres hypnotiques de son ami Schöffer un exemple d’un « matérialisme fantastique » par quoi adviendra, après le fracas irrationnel de la guerre, le réenchantement de la modernité sous couvert d’une alliance entre l’artiste et le magicien133. L’hypnose, plus que jamais classée dans la catégorie du « merveilleux scientifique », se range derrière le voile magique et trompeur de l’illusionniste. Mais il y a plus, car dans un ouvrage monographique consacré à Schöffer, coécrit avec Jean Cassou et Guy Habasque, deux grands défenseurs de la mouvance opticaliste, Ménétrier se permet de relever dans les travaux de son ami une entreprise de « déconditionnement134 » face à ce qu’il considère comme le danger des nouveaux médias audiovisuels d’engendrer un « conditionnement psycho-physiologique » proche de la « sujétion sensorielle, intellectuelle, voire même inconsciente135 ». Or, le docteur Ménétrier n’est pas promoteur de la cybernétique pour rien. Biologiste de formation, il a été durant la Seconde Guerre mondiale secrétaire général de la Fondation française pour l’étude des problèmes humains, créée par le régime de Vichy136, une position qui en fait un fervent défenseur d’un hygiénisme social teinté d’« eugénisme pragmatique », que l’on retrouve, à mots couverts, dans son ouvrage La Vie collective (1947) et son programme organiciste de « transformation de l’homme par l’homme » – un personnage somme toute peu légitime pour parler de « déconditionnement ». EXPANDED MIND HYPNOSE CYBERDÉLIQUE ET CONSCIENCE COSMIQUE C’est probablement pour sortir de cette ambiguïté que le psychédélisme va choisir une voie de l’hypnose plus radicale. L’exemple le plus marquant de ce glissement dans le champ des avant-gardes des années 1960-1970 est celui qu’analyse Gene Youngblood dans Expanded Cinema (1970)137. Le phénomène de mixité dans les arts électroniques contemporains est interprété comme une réponse à la « conscience élargie » des nouveaux algèbres informatiques annonçant la réalisation imminente d’un langage universel, un espéranto cybergnostique. L’hypnose, associée au pouvoir hallucinogène des psychotropes, va rejoindre la catégorie plus vaste des états modifiés de conscience et leur aptitude à redéployer des facultés cognitives et perceptuelles étendues, dans la grande tradition ouverte par le « somnambulisme artificiel ». Les arguments mais aussi les objectifs sont très proches et complices, romantiques dans l’esprit, animés par l’ambition d’atteindre une « hyperception » : « Une extension prodigieuse dans la faculté de sentir138 » permise par un déblocage d’une sensibilité engourdie dans une réflexologie moderne ayant enfoui un sentir primitif dont les cinq sens ordinaires ne seraient que des spécialisations défaisant l’intégrité synthétique du sujet. Nous sommes bien cette fois dans une logique de « déconditionnement » dans laquelle la synesthésie des dispositifs audiovisuels va œuvrer à la récupération d’un état d’origine mythifié, vécu comme le contrepoint nécessaire à la désintégration de l’humain opérée par la logique rationaliste du modernisme. Dès 1818, le comte de Redern, dans un mémoire consacré aux Modes accidentels de nos perceptions, relevait que le « sens interne », fondement à une compréhension intime du rapport au réel et au monde, avait été masqué par les impératifs pragmatiques de la vigilance courante, le somnambulisme artificiel étant appelé à faire revenir à la conscience vigile cette sensibilité d’origine. En d’autres termes, l’option somnambulique arriverait « à un degré suffisant pour réunir, avec la conscience actuelle du moi, tout ou partie des perceptions dont [elle] n’a été jusque-là que le simple dépositaire139 ». La magie de cet état serait donc non d’endormir les sens et la conscience, mais de les réveiller, dans une nouvelle organologie dont la particularité paradoxale serait de réunir le mode d’existence de la conscience vigile et celui, plus mystérieux, car enfoui et oublié, d’un sentir primitif, « sentinelle avancée de notre conservation140 ». Pour Bertrand Méheust, dans cette quête primitiviste, « il y a aussi une portée métaphysique ; ce n’est plus seulement un modèle psychologique, c’est un modèle psycho-cosmologique, derrière lequel transparaît l’influence de la théosophie et de la Naturphilosophie allemande […]. Si la transe somnambulique a tellement fasciné les romantiques allemands, c’est qu’à leurs yeux elle ferait descendre l’homme bien au-dessous du sommeil naturel. Provoquant la fermeture totale de tous les sens, elle réactiverait le sens intime. En se retirant de lui, à la faveur de l’isolement magnétique, le somnambule accéderait à ce que Schopenhauer nommera le nexus metaphysicum, le “jeu secret sous la table”, les “coulisses de l’univers” ; il s’affranchirait de façon temporaire et erratique des contraintes de l’individuation141 ». Cette mise en relation aux autres et à l’Univers tout entier passe par la médiation d’un rapport nouveau à la nature (« De là, il suit qu’au moyen de son sens intérieur, le somnambule doit réellement communiquer avec toute la nature », disait déjà Tardy de Montravel en 1823, dans la Correspondance de Monsieur de Puységur142). Elle rencontrera tout naturellement un écho massif dans les milieux de la contreculture, animés par une reconsidération responsable de la nature susceptible de recréer, par analogie, du lien immédiat et unanime au sein de la collectivité. Mais comment concilier ce mythe de l’immédiateté adamique avec l’excroissance technologique ? C’est là qu’intervient l’autre versant de cette contre-culture, le côté Whole Earth Catalog143. Au cœur de la réflexion menée par A. Haus-Rucker-Co, Mind Expander, 1967, épreuve gélatino-argentique, 24 x 18 cm, Berlin, collection Zamp Kelp. 301 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 301 12/09/2020 01:13 P S Y C H E D E L I A , L’ H Y P N O S E C Y B E R N É T I Q U E Youngblood, il y a bien sûr l’impact des modélisations cybernétiques de l’information, mais aussi l’influence majeure de deux penseurs qui forment un duo et vont connecter empirisme romantique et révolution électronique : le Canadien Marshall McLuhan et le paléontologue et théologien Pierre Teilhard de Chardin. Le bain dans les technologies électromagnétiques pilotées par mode computationnel devient le procédé de la nouvelle hypnose collective à laquelle participera le développement des installations multimédias, audiovisuelles et immersives dans le champ artistique. Le Phénomène humain, ouvrage pilote de Teilhard de Chardin, est sorti des presses en 1955. Il deviendra très vite, notamment à travers la relecture technocentrée de McLuhan, une bible du transformisme transcendantaliste formant l’armature conceptuelle d’une branche technophile du new age psychédélique où tous les ingrédients de la phénoménologie romantique (hyperesthésie, expansion de la conscience, clairvoyance…) seront revus et corrigés à l’aune des nouveaux réseaux de connexion. Teilhard de Chardin nommera l’« hyperphysique144 » cette rencontre qui donne à cette quête d’un sensus communis originaire une tout autre allure évolutionniste. Une vision globale et globalisante du cosmos, fondée sur une théorie de l’évolution où, depuis l’origine, l’Univers s’organise et s’achemine vers un degré croissant de conscience réflexive. À chaque nouvel ordre de grandeur de ce processus d’évolution naissent de nouvelles formes d’arrangement145 qui s’orientent vers un état de complexité et d’agrégation croissant, prenant forme et consistance dans une « conscience planétaire ». Le « phénomène humain », tel que l’entend Teilhard, n’est autre que la manifestation de cette conscience cosmique, qui rapproche et relie les individus entre eux dans la convergence électronique des cerveaux connectés. Selon Teilhard de Chardin, l’humanité portée vers le « point Omega » est « munie d’organes spéciaux de liaison qui, non seulement assurent entre les éléments une communication rapide, mais transforment peu à peu leur agrégat en une sorte d’organisme qu’il serait faux de considérer comme simplement métaphorique146 ». C’est dans ce contexte qu’il s’intéresse, comme le fera son disciple McLuhan, à la croissance exponentielle des moyens de communication147, entendus comme d’authentiques extensions prosthétiques de l’humain, et dont l’activité construirait l’étoffe organique par laquelle l’humanité nouvelle crée un réseau de relations nouvelles, une sorte de « super cerveau » : « En multipliant les communications et les échanges rapides […], l’Homme est arrivé à ce résultat (encore en plein progrès) que les individus, vivants de plus en plus rapprochés les uns des autres, tendent à se compénétrer vitalement148. » Cette participation coextensive des subjectivités individuelles à une conscience collective ne passe pas par la disparition du sujet dans la prise de pouvoir des médiations machiniques : l’homme, en restant extérieur à l’instrument qu’il se donne, prolonge le phénomène biologique de l’Univers tout en se créant des espaces de liberté tournés vers l’unification globale de la « planétisation humaine ». Les médiations technologiques n’ont pas externalisé le sujet (sa disparition programmée dans la « matérialisation de la communication » analysée par Friedrich Kittler149), mais tout au contraire augmenté organiquement ses facultés spirituelles, aidées par l’élan de la « cérébralisation collective150 » : « L’électricité ouvre la voie à une extension du processus même de la conscience, à une échelle mondiale, et sans verbalisation aucune. Il n’est pas impossible que cet état de conscience collective ait été celui où se trouvaient les hommes avant l’apparition de la parole […]. L’ordinateur, en somme, nous promet une Pentecôte technologique, un état de compréhension et d’unité universelles. Logiquement, l’étape suivante consisterait, semble-t-il, à préférer aux langues, au lieu de les traduire, une sorte de conscience cosmique universelle assez semblable à l’inconscient collectif dont rêvait Bergson151. » Le bain dans les technologies électromagnétiques pilotées par mode computationnel devient le procédé de la nouvelle hypnose collective à laquelle participera le développement des installations multimédias, audiovisuelles et immersives dans le champ artistique. Youngblood défend ainsi une nouvelle forme de cinéma, un « cinéma synesthésique » activé par une « conscience océanique dans laquelle nous sentons notre existence individuelle se perdre dans une union mystique avec l’univers152 ». Ralph Metzner, l’éditeur de la mythique Psychedelic Review, met à la mode des dispositifs chromocinétiques de color music qui se perfectionnent, tout en cultivant une esthétique du bricolage qui déroute d’emblée le fantasme de l’emprise technologique. On retrouve ici la majeure partie des acteurs de la très éphémère scène psyché, avec une progressive contamination de la côte ouest. Dans la foulée des Vortex Concerts de Jordan Belson, installés au Morrison Planetarium du Golden Gate Park de San Francisco, Metzner présente l’Infinity Machine de Richard Aldcroft au Gate Theatre de New York. Timothy Leary, le mentor de la League for Spiritual Discovery, adopte la forme spectaculaire des projections environnementales lors de ces séances de prosélytisme en faveur du LSD. Certains souhaitent créer des lieux spécialement adaptés pour ces nouvelles liturgies hypnotiques des sens. Jackie Cassen et Rudi Stern ouvrent le Theater of Light ; Christian Sidenius créé le Lumia Theater. Les festivals se multiplient ; les shows se ritualisent dans une réforme de l’œuvre d’art totale qui trouve son expression la plus 302 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 302 12/09/2020 01:13 1950-1970 A A. Robert Whitaker, Ecstatic Girl at Poets of the World, Royal Albert Hall, 1965, épreuve argentique. immédiate, errante et incontrôlée, dans les fameux Trip Festivals (1965-1966), ces « Spectacles Complets [qui] procédaient directement de leur combinaison de lumières, de projections cinématographiques, des stroboscopes, des bandes magnétiques, du rock’n’roll et de la lumière noire mêlés153 ». L’objectif est d’ébranler des mécanismes introspectifs qui, loin de rejouer le processus narcissique (propre aux dérives d’une orthodoxie contestée de la psychanalyse), favoriseraient l’émergence d’une forme archaïque d’hyperconscience collective. Dressant l’inventaire de ces tentatives, Youngblood parle de « Paleocybernetic Consciousness » qui propulse l’individu dans une « communication englobante ». Dans son Cosmic Humanism and World Unity (1966), Oliver Reiser consacre tout un chapitre à l’analyse de ces expériences au contact des nouvelles technologies de la communication : « Toutes ces expérimentations, par le biais de la synesthésie électro-psychédélique, vont certainement permettre de nouvelles formes et niveaux d’expansion de la conscience […]. Ouvrons, pour cela, la porte du temple de la psychosphère du futur154. » La neuro-esthétisation de la communication surfe ici sur la « communication de l’expérimentation » : créer un « état de suggestion hypersensitif », nous dit Timothy Leary155. L’hypnose recherchée dans les féeries chromolumineuses produites sous dôme géodésique, telle une entrée introspective dans la vie neuronale de la boîte crânienne156, n’est qu’un moyen d’accès à une « forme plus complexe de conscience et de communication157 », une entrée dans le « circuit de l’extase » : « Le système nerveux libéré de la contrainte du corps et des engrammes larvaires, conscient uniquement de lui-même, tel est en quoi consiste le circuit de l’extase158. » Après donc une première phase infantilisante159 portée par une « esthétique du ravissement » autorisant une simple satisfaction psychosomatique à 303 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 303 12/09/2020 01:13 P S Y C H E D E L I A , L’ H Y P N O S E C Y B E R N É T I Q U E 304 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 304 12/09/2020 01:13 1950-1970 tendance consumériste, Leary annonce une « esthétique de l’extase » produite dans la recherche expérimentale d’une « érotisation de l’électronique160 ». À noter au passage, la dimension transgenre de cette émancipation évolutive du ravissement vers l’extase : « Nous croyons, quant à nous, que l’accès au panorama multidimensionnel, accéléré et constamment changeant des signaux neurologiques ne peut être harmonieux que si l’individu occupe la position gyroscopique du fusionnement mâle-femelle, ce, à tous les niveaux de l’évolution et particulièrement à partir du circuit du ravissement […]. Sans le fusionnement érotico-esthétique de l’amour, le corps n’est plus qu’un jouet de plastique électrique et les circuits inférieurs, des jeux de marionnettes de papier mâché. La confiance, l’humour et la beauté érotique trans-sexuelle du fusionnement “ravissant” sont la seule piste de laquelle la quête d’une conscience plus haute du moi peut être entreprise. » Cette unification mâle/femelle conduit Leary a développer toute une rhétorique transsexuelle, « SHe » pour le pronom du nouvel individu, et « référent de l’humain générique post-terrestre », et un article approprié (« Hir », contraction de his et her), en fait le principe de « Fe-Mâle ». Cette esthétique de l’extase sera le passage de relais nécessaire entre le hippie jouisseur des Trip Festivals (« ravissement ») et le yogi adepte des techniques mentalistes (« extase »). La première génération « croyait être naïvement arrivée au bout du voyage » dans la « consommation hédoniste effrénée161 » ; elle fera place, dans l’avenir, à des gens qui se rendent « maître[s] du système nerveux162 ». En d’autres termes, Leary appelle les artistes à éviter la facilité d’une « industrie du spectacle » fondée sur la satisfaction régressive de gratifications sensuelles « incapables de voir plus loin que la géographie du corps163 », à renoncer aux sirènes du « show-business » dont sortait l’hypnose de foire toujours en vedette des exhibitions de Las Vegas. Il faut dire que l’économie du divertissement rivalisait d’inventions polysensorielles pour capter toujours plus l’attention du spectateur, jusqu’à quelques tentatives olfactives, au début des années 1960, dans une industrie cinématographique qui s’inquiète de l’arrivée concurrentielle de la télévision. Le procédé Smell-O-Vision, de l’ingénieur et osmologue suisse Hans Laube, est adapté pour la première fois à l’écran par Jack Cardiff dans Scent of Mystery, et tout comme chez Schöffer et son projet de climatisation olfactive de la ville cybernétique, Laube pense le spectacle synesthésique à partir d’une réflexion plus globale sur le conditionnement psychophysiologique du spectateur et l’hygiénisation mentale de la perception. Au sensationalisme hollywoodien répondra une recherche plus extatique et critique qui pouvait, au-delà de la simple relaxation sophrologique, bousculer les catégories pas- sif/actif. Ce sera la voie du film optique dans sa veine structurelle. Pour Raymond Bellour, « c’est évidemment dans les formes diverses du “film structurel” qu’on trouve le plus haut degré d’équivalence entre le développement du film comme tel et les protocoles visuels propres à susciter l’induction hypnotique164 ». La technique de montage privilégiée sera l’effet flicker déployé par Peter Kubelka dans Arnulf Rainer, mais aussi, sur une durée plus longue et éprouvante (trente minutes) par Tony Conrad dans le film homonyme de 1965, sur le principe d’une pure alternance stroboscopique blanc et noir. The Flicker est caractéristique de cette recherche de Conrad mêlant spécificité moderniste du médium (réalité matérielle et structurelle de la pellicule) et expérimentation des seuils psychophysiologiques du spectateur (virtualité de l’imagerie hallucinatoire) – celle que déjà Marcel Duchamp, ou plutôt Rrose Sélavy, avait explorée dans Anémic Cinéma jusque dans le désir de s’affranchir d’une esthétique phénoménale165. Tony Conrad, que l’expérimentation musicale minimaliste a déjà familiarisé avec les recherches sur le conditionnement de la transe, produit là une « hypnose filmique » radicale qui ne met pas seulement en place un dispositif d’emprise spectatorielle, mais qui explore, de manière quasi clinique, les seuils de la perception (afterimages, couleurs fantômes, etc.), pour défaire les critères d’analyse du film tout en offrant le diagnotic d’une crise de la représentation aiguisée par une mise en doute du contrôle de la situation : « Mon idée était basiquement de dérouter les spectateurs et surpasser leurs attentes, je voulais qu’ils comprennent qu’ils étaient dirigés par la puissance de ce film. Que cela ne venait pas d’eux, même si l’expérience du film se passait à l’intérieur de leur corps et pas vraiment dans l’espace… Je voulais vraiment donner aux gens la chance de prétendre qu’ils contrôlaient la situation, mais ensuite de leur faire entendre, très douloureusement et lentement – comme si vous les coupiez lentement – que c’était le film qui contrôlait ce qui se passait166. » Curieusement, ce qui se joue là, dans l’hypnose tétanisante de la pulsation optique du film, n’est pas tant l’appropriation du film par le spectateur investi dans l’activité hallucinogène, mais l’indécision à savoir si ce dernier contrôle la représentation. Il s’agit bien d’une limite de la conscience qui énonce plutôt la passivité du sujet, ou, pour reprendre l’analyse commune de JeanLuc Nancy, Mikkel Borch-Jacobsen et Éric Michaud, de « l’affleurement insistant, à travers la pensée moderne – au sens historique du mot – d’une question de la passivité », une question à laquelle « l’hypnose fournit une figure plus fascinante que d’autres mais qui ne l’épuise pas167 » et où « la passivité qui fait question et expérience pour la pensée n’est pas la soumission qu’obtient la manipulation de sujets dociles ou de foules galvanisées168 ». Tony Conrad soumet au regard une « passivité A. Douglas Wheeler, Light Incasement, 1971, néons, plexiglas, 233 x 233 cm, collection Ludwig, Aix-La-Chapelle. 305 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 305 12/09/2020 01:13 P S Y C H E D E L I A , L’ H Y P N O S E C Y B E R N É T I Q U E maîtrisée qui n’est plus passivité169 », soit un état qui a pour modèle, « et en vérité plus qu’un modèle […] : l’état de l’enfant dans le corps de sa mère170 ». Nous retrouvons là, de manière plutôt inattendue, le modèle originaire de la relation magnétique mère/fœtus. De fait, la plupart des films psychédéliques maintiennent en sous-main une relation ombilicale, jusque dans la proposition sérielle de Norman McLaren, qui brille par sa rapidité performative, proche du record (trente-sept secondes) et dont le titre énonce son projet : The Hypnosis Film : « Sept brèves séries constituées de trois cercles concentriques avançant en trois impulsions à partir du point quasi invisible formé par leur centre. Ces séries font alterner un trait blanc sur fond noir, grêle, un peu tremblant, avec un trait noir sur fond blanc, plus ferme. De sorte que l’enchaînement qui s’opère, si bref soit-il, fascine absolument, invitant aussitôt à sa reprise171 ». Cette culture hypnotique se retrouve tout autant dans les head films, aux accents plus méditatifs et proprement cyberdéliques, réalisés par Jordan Belson ou les frères Whitney. De Lapis de James Whitney (1963-1966) à Samadhi de Jordan Belson (1966-1967), ce sont là des « hypnoses filmiques » entièrement construites sur le mouvement en spirale de mandalas cosmiques. Entre 1966 et 1967, pendant deux années de pratique intensive, Jordan Belson s’est familiarisé avec les techniques de respiration enseignées par le yoga. De cette recherche est né Samadhi, « un documentaire sur l’âme humaine172 ». En sanscrit, le samadhi désigne « cet état de conscience dans lequel l’âme individuelle se fond avec l’âme universelle », un horizon fusionnel que l’artiste va traduire sur la pellicule en vortex de formes et de nimbes de couleurs, rythmé au son de sa respiration plongeant dans les forces vitales des chakras. Au commencement de cette cosmogenèse, un champ de matière informelle se cristallise autour d’un noyau central qui se déplace vers des constellations planétaires (la métaphore teilhardienne de l’union cosmique des consciences dans la « noosphère »), plongées dans une mer de gaz d’un bleu très profond dont les vagues luminescentes alertent du seuil extralucide du nirvana : « J’ai atteint le point où tout ce que je produis à l’extérieur, avec des machines, correspond à ce que je vois à l’intérieur. Je peux fermer les yeux et voir ces images à l’intérieur de moi-même […]. J’ai toujours considéré les machines à produire des images comme un prolongement de l’esprit. Le cerveau a produit ces images et il a créé l’équipement qui permet de les produire. C’est comme une projection de ce qui se passe à l’intérieur, la conscience projetant des phénomènes, qu’ensuite nous pouvons observer173. » L’hypnose filmique, devenue l’outil d’une vision endoscopique, fait entrer le sujet dans l’activité neuronale sa propre boîte crânienne. Les somnambules de Puységur voyaient en transparence leurs propres organes ; les yogis de la Psychedelia suivent sur écran le cheminement organique de leur cortex en ébullition. Quelles formes cela prendra-t-il ? Des nébuleuses mou- vantes et informelles, quoique le plus souvent symétriques, tels des tests de Rorschach, comme dans la Psychedelevision in Color d’Eric Siegel (1968-1969). L’effet de ce « Rorschach électronique174 » fait penser, jusque dans ses effluves phosphorescentes, à la manifestation d’une « énergie nerveuse », celle-là même qu’auront maintenue, jusqu’au second XXe siècle, les partisans d’un imaginaire fluido-magnétique pour comprendre le mystère psychosomatique de l’hypnose. Que retenir de ces taches informelles – ce que la Gestalt appelle des « formes faibles » –, sinon qu’elles nous renvoient dans le monde visuel du somnambulisme le plus romantique et clairvoyant, celui du poète souabe Justinus Kerner, l’auteur d’une des premières monographies sur Mesmer, médecin de la fameuse « voyante de Prevorst », dont il découvre les facultés de vision endoscopique mais aussi auteur des Kleksogaphien (1857), d’un néologisme signifiant « écritures par taches », figures de Rorschach avant la lettre. S’il y a autant de « formes faibles » dans l’esthétique psychédélique (que l’on pense à l’instrument le plus hypnotique de cette génération, la fameuse Lava Lamp, dite aussi Lava Lite, inventée en 1963 par Edward Craven Walker), c’est très naturellement pour redonner tout son crédit à la théorie de la suggestion ayant obsédé, avec les mêmes horizons oniriques et autopoïétiques, la génération symboliste, sans d’ailleurs négliger la part d’invention reportée, sous couvert de coparticipation interactive à l’œuvre sur le spectateur – et dans laquelle cette génération libertaire pourra identifier la méthode projective d’une « nouvelle intériorité175 ». L’âge électronique aura permis d’augmenter les moyens de l’induction hypnotique (perfectionnement technologique des outils de projection lumineuse, modélisation computationnelle des rythmes visuels et acoustiques, programmation numérique de la synchronisation images/sons, mis au service d’un efficace psychophysiologique de l’art) tout en libérant, hors de la maîtrise des instruments, la dimension expérientielle d’une hypnose trop strandardisée et mécaniste. Cela nous ramène incidemment sur les pas de Milton Erickson, dont la recherche empirique, calibrée sur l’ajustement à la singularité du sujet, aura justement cherché à se soustraire des réflexes behavioristes (la recherche du Graal d’une « parfaite induction ») pour ouvrir la psychothérapie de l’hypnose à une démarche plus adaptative, humaniste et constructiviste, débarrassée de la hantise du modèle de la gouvernance et de la domination. Dans Naturalistic Techniques of Hypnosis, écrit en 1958, soit quelques mois avant la traduction anglaise du Phénomène humain de Teilhard de Chardin, Erickson renouvelle les outils de l’induction par une approche naturaliste plus somatique qui accorde une place accrue aux stratégies de résistance du sujet inscrites jusque dans le langage corporel. L’hypnose investit la reconquête labile d’un corps embrassant sans inhibition l’inventivité formelle des émotions. Elle invite à nouveau à faire danser sa vie. 306 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 306 12/09/2020 01:13 A A. Verner Panton, Phantasy Landscape Visiona II, 1970. HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 307 12/09/2020 01:13 P S Y C H E D E L I A , L’ H Y P N O S E C Y B E R N É T I Q U E NOTES 1. Lawrence Kubie et Sydney Margolin, « The process of hypnotism and the nature of the hypnotic state », American Journal of Psychiatry, mars 1944, p. 611-622. 2. L. Kubie, « Hypnotism. 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Eugeni, « Imaginary screens : the hypnotic gesture and early film », dans Craig Buckley, Rüdiger Campe, Francesco Casetti (éd.), Sceen Genealogies. From Optical Device to Environmental Medium, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2019, p. 286. 38. « Glamour. When devils, wizards or jugglers deceive the sight, they are said to cast glamour over the eyes of the spectator », Oxford English Dictionnary, cité par Brigitte Weingart, « That screen magnetism : Warhol’s glamour », art. cit., p. 44. 39. Adam Frank, Transferential Poetics from Poe to Warhol, Fordham University Press, 2015. 40. D. Freedberg, Le Pouvoir des images, Paris, Gerard Montfort, 1998 [1991] ; C. Severi, « Pour une anthropologie des images. Histoire de l’art, esthétique et anthropologie », L’Homme, n° 165, janvier-mars 2003, p. 7-10 ; Hans Belting, Pour une anthropologie des images, Paris, Gallimard, 2004 ; Horst Bredekamp, Théorie de l’acte d’image, Paris, La Découverte, 2015. 41. H. Bredekamp, Théorie de l’acte d’image, op. cit, p. 44. 42. J. G. Frazer, Le Rameau d’or. Tabou et les périls de l’âme, cité par Arnauld Maillet, « Des instruments d’optique comme pièges. De l’anthropologie historique du regard à sa politisation », Romantisme, 2020, p. 80. 43. Ibidem, p. 80. 44. David Joselit, Feedback, Television against Democracy, Cambridge et Londres, MIT Press, 2007. 45. Jack Sargeant, Naked Lens. Beat Cinema, Londres, Creation Books, 1997. 46. W. Burroughs, Le Job. Entretiens avec Daniel Odier, Paris, Belfond, 1979, p. 186. 47. W. Burroughs, « Sans votre nom qui êtes-vous ? », préface pour Brion Gysin, Désert dévorant, repris dans Beat Generation, Paris, Flammarion, 2005, p. 539. 48. M. McLuhan, « Les médias sont des traducteurs », Pour comprendre les médias, Paris, Seuil, 1977 [1964], p. 102-103. 49. E. Mortenson, « The visionary state. Unitting past, present and future », dans Capturing the Beat Moment. Cultural Politics and the Poetics of Presence, Carbondale, Southern Illinois University Press, 2011, p. 53-83. 50. John Lardas, The Bop Apocalypse. The Religious Visions of Kerouac, Ginsberg, and Burroughs, Urbana, University of Illinois Press, 2001. 51. W. Burroughs, Letters to Allen Ginsberg, 1953-1957, New York, Full Court Press, 1982, p. 50. 52. P. Rousseau, Cosa mentale. Art et télépathie au XXe siècle, Paris, Gallimard, 2015. 53. John Lardas, The Bop Apocalypse, op. cit., p. 148. 54. H. Flynt, « My new concept of general acognitive culture », cité par Branden W. Joseph, Beyond the Dream Syndicate: Tony Conrad and the Arts after Cage, New York, Zone Books, 2008, p. 170. 55. Stephen Melville, « Aspects », dans Ann Goldstein, Anne Rorimer (éd.), Reconsidering the Object of Art, 1965-1975, Los Angeles et Cambridge, Museum of Contemporary Art et MIT Press, 1995, p. 229-245. 56. « On the non verbal level of intuition and feeling ». W. Burroughs, Junky, New York, Penguin Books, 1977 [1953], p. 152. 57. W. Burroughs défendra à de nombreuses reprises l’existence de cette communication télépathique : « My own tendency is the opposite of identification with non-supersensual reality. My personal experiments and experiences have convinced me that telepathy and precognition are solid demonstrable facts ; facts that can be verified by anyone who will perform certain definite experiments. » William Burroughs dans Oliver Harris (éd.), Letters of William S. Burroughs, 1945-1957, New York, Viking Press, 1993, p. 68. 58. W. Burroughs cité dans Eric Mottram, William Burroughs: The Algebra of Need, Londres, Marion Boyars, 1977, p. 13. 59. Pamela Thurschwell, Literature, Technology and Magical Thinking, 1880-1920, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 31. 60. Pamela Thurschwell, « Ferenczi’s material theories : thought transference, momosexuality, and seduction », dans ibidem, p. 135-148. 61. Ibid., p. 141. 62. Sándor Ferenczi, « On the part played by homosexuality in the pathogenesis of paranaoïa », Sex in Psychoanalysis, New York, Dover Publications, 1956, cité dans ibid., p. 143. 63. John Durham Peters, Speaking into the Air. A History of the Idea of Communication, Chicago, Chicago University Press, 1999. 64. Voir J. M. Leloup, « Pierre Janet et l’hypnose à distance : étude critique des expériences de télépathie avec Madame Léonie B », thèse et doctorat, Université François-Rabelais de Tours, 1978. 65. B. Méheust, Somnambulisme et médiumnité, Le Plessis-Robinson, Les Empêcheurs de penser en rond, 1999. 66. Christoph Asendorf, Batteries of Life. On the History of Things and their Perception in Modernity, Berkeley, University of California Press, 1993. 67. Victor Brauner, Espaces hypnotiques, catalogue d’exposition, Paris, Galerie Rive Droite, 1961, p. 1. 68. P. Rousseau, « Le Baiser électrique », dans Coup de foudre. Fabrice Hyber, Nathalie Talec, Paris, Éditions du Regard, 2019, p. 15-19. 69. G. M. Bose, Die Electricität nach ihrer Entdeckung und Fortgang mit poetischer Feder entworfen, Wittenberg, 1744. 70. Laura Rigal, « Imperial attractions. Benjamin Franklin’s new Eexperiments of 1751 », dans Lauren Rabinovitz et Abraham Geil (éd.), Memory Bytes. History, Technology and Digital Culture, Duke University Press, 2004, p. 23-46. 71. Timothy Leary, La Politique de l’extase. L’expérience psychique, Paris, Fayard, 1973. 72. T. Leary, Neurologique, Montréal, Éditions de l’Aurore, 1977, p. 70. 73. Tristan Garcia, La Vie intense. Une obsession moderne, Paris, Autrement, 2016, p. 186. 74. « Lorsque le clignotement est synchronisé avec les rythmes alpha sur sujet, il voit des régions étendues de formes colorées qui se développent dans le champ visuel complet, 360 degrés de vision hallucinatoire dans laquelle apparaissent des constellations d’images. » William Burroughs, Le Job. Entretiens avec Daniel Odier, Paris, Belfond, 1979, p. 216-217. 75. Sur cette dimension érotique de la relation magnétique, voir notamment Jacqueline Carroy, Hypnose, suggestion et psychologie. L’invention de sujets, Paris, PUF, 1991. 76. Sur cette question de « l’homosexualité rituelle », voir notamment Alexander Alland, « Rituel masculin de procréation et symbolique phallique », L’Homme, avriljuin 1985, p. 37-55. 77. Michael Schumacher, Dharma Lion: A Biography of Allen Ginsberg, New York, St Martin’s, 1992, p. 443. 78. À ce titre, la Dreamachine rejoue l’intrigue sexuelle associée aux techniques d’hypnose dans les premiers pas collectifs du surréalisme. Sur cette question, voir notre article, « Éros magnétique. Le surréalisme sous hypnose », dans Werner Spies (éd.), La Révolution surréaliste, Paris, Éditions du Centre Georges-Pompidou, 2002, p. 366-375. 79. W. Burroughs dans Le Job, op. cit., p. 152. 80. Eve Kosofsky Sedgwick, Épistémologie du placard, traduction et préface de Maxime Cervulle, Paris, Éditions Amsterdam, 2008 [1991]. 81. Edward Mann, Orgone, Reich and Eros. Wilhelm Reich’s Theory of Life Energy, New York, Simon and Schuster, 1973. 82. Erik Mortenson, « Immanence and transcendence : Reich, orgasm and the body », dans Capturing the Beat Moment. Cultural Politics and the Poetics of Presence, Carbondale, Southern Illinois University Press, 2011, p. 84-120. 83. John Lardas, The Bop Apocalypse: The Religious Visions of Kerouac, Ginsberg and Burroughs, Urbana, University of Illinois Press, 2001, p. 101. 84. William Burroughs, Le Job, op. cit., p. 164-165. 85. W. Burroughs, Letters to Allen Ginsberg, 1953-1957, New York, Full Court Press, 1982, p. 70. 86. Catherine Stimpson, « The Beat Generation and the trials of homosexual liberation », Salmagundi, vol. 58-59, automne 1982, p. 373-392. 308 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 308 12/09/2020 01:13 1950-1970 87. Le roman Queer, de Burroughs, est écrit en 1952 alors qu’il vient de découvrir l’ouvrage de Donald Webster Cory, L’Homosexuel en Amérique, publié en 1951, année de la déclaration de l’Association américaine de psychiatrie qui définit l’homosexualité comme une « maladie mentale », en plein maccarthysme stigmatisant aussi le « péril mauve » ou « complot homosexuel ». Voir l’excellente nouvelle édition revue et préfacée par Oliver Haris, Queer, W. Burroughs, Paris, Christian Bourgois, 2010, p. 9-57. 88. Malick Briki, Psychiatrie et homosexualité. Lectures médicales et juridiques de l’homosexualité dans les sociétés occidentales de 1850 à nos jours, Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2009. 89. W. Reich, The Sexual Revolution: Toward a Self-Regulating Character Structure, New York, Farar, Straus and Giroux, 1974. 90. Christopher Turner, Adventures in the Orgasmatron. How the Sexual Revolution Came to America, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2011, p. 5. 91. Dans The Ticket that Exploded (1962), Burroughs établit un rapprochement explicite entre Dreamachine et Orgone Accumulator. 92. Barry Miles, « Throught the magic mirror », The Beat Hotel. Ginsberg, Burroughs, and Corso in Paris, 1957-1963, New York, Grove Press, 2000, p. 164. Avec notamment une photographie d’Harold Chapman où s’orchestre tout un jeu de séduction visuelle entre Peter Orlovsky er Allen Ginsberg à partir de la glace de l’armoire de la chambre du Beat Hotel, sous l’œil bienveillant et tutélaire de Rimbaud. 93. Wilhelm Reich, The Discovery of the Orgone, vol II, New York, Farrar, Straus and Giroux, 1974, p. 317-318. 94. William Burroughs, Le Job, op. cit., p. 157. 95. Arnauld Pierre, « Optique fétiche : Henri-Georges Clouzot et l’art cinétique », dans Les Cahiers du MNAM, été 2012, n° 120, p. 44-71. 96. John Geiger, Nothing is True, Everything is Permitted : the Life of Brion Gysin, New York, Disinformation, 2005, p. 55. 97. « It (the Dreamachine) seemed to create telepathic links and even a witnessed transformation of body shape. » Genesis P-Orridge cité(e) dans ibidem, p. 93. 98. John von Neumann, L’Ordinateur et le Cerveau, trad. Pascal Engel, Paris, Flammarion, 1996 [1958]. 99. A. Moles, La Création scientifique, Genève, René Kister, 1957, et ibid., Théorie de l’information et perception esthétique, Paris, Flammarion, 1958. 100. Pierre Demarne, « Art et cybernétique », dans Art. Artistes. 1947-1977. Trente ans d’écrits et conversations sur les arts plastiques contemporains, Paris, UNPF, 1977, p. 112-136. 101. A. Moles, « Une problématique de l’art contemporain », dans SIGMA, Bordeaux, 1965, p. 11-21. 102. Ibidem, « Théorie de l’information, électronique et cybernétique », dans Onde électrique, novembre 1953, p. 637-651, et Louis de Broglie (dir.), La Cybernétique. Théorie du signal et de l’information, Paris, Éditions de la Revue d’optique, 1951. 104. Ibidem, p. 359. 105. Ibid., p. 365. 106. Hans Hollein, « Alles ist Architektur », Bau, 1968, p. 1048. 107. F. St. Florian, « Imaginary architecture », 1970, repris dans The Austrian Phenomenon. Architecture Avantgarde Austria, 1956-1973, vol. II, Basel, Birkhäuser, 2009, p. 78. 108. Superstudio (Graz, 1969), cité par Dominique Rouillard, Superarchitecture. Le futur de l’architecture, 1950-1970, Paris, Éditions de la Villette, 2004, p. 414. 109. Frédéric Migayrou, « Radicalismes européens », dans Jean-Louis Maubant, Frédéric Migayrou (éd.), Architecture radicale, Orléans, HYX, 2001, p. 3. 110. Peter Sloterdijk, « Les hommes dans le cercle magique. Contribution à une histoire idéelle de la fascination du proche », Bulles. Sphères I, Paris, Fayard, 2002, p. 227-285. 111. T. Leary, La Révolution cosmique. Exo-psychologie. Le système nerveux humain : mode d’emploi (conforme aux instructions de ses créateurs), Paris, Presses de la Renaissance, 1979 [1977], p. 27-28. 112. John P. Zubek (éd.), Sensory Deprivation. Fifteen Years of Research, New York, Appelton Century Crofts, 1969. 113. Jack Vernon, Inside the Black Room. Studies of Sensory Deprivation, Middlesex, Penguin Books, 1963. 114. « New media of architecture. Fragmentary comments on new developments and possibilities » (1967), repris dans The Austrian Phenomenon. Architecture Avantgarde Austria, 1956-1973, vol. II, Vienne, Birkhäuser, 2009, p. 43. 115. David Rorvik, As Man Becomes Machine: The Evolution of the Cyborg, New York, Pocket Books, 1970. 116. Archizoom cité dans Emilio Ambasz (éd.). Italy. The New Domestic Landscape, New York, MoMa, 1972, p. 234. 117. M. Tafuri, « Design and technological utopia », dans ibidem, p. 388-404. 118. Andrew Pickering, The Cybernetic Brain. Sketches of Another Future, Chicago, The University of Chicago Press, 2010. 119. Gregory Bateson, Steps to an Ecology of Mind, New York, Ballantine, 1972. 120. « Ce seront des amphithéâtres immatériels, avec des projections multidimensionnelles, où le public, irrésistiblement, entrera dans le jeu, devenant à la fois acteur et spectateur. Cérémonial collectif qui prendra la place des différentes manifestations religieuses, politiques ou autres. » Nicolas Schöffer, La Ville cybernétique, Paris, Tchou, 1969, p. 85. 121. Ibidem, p. 123. 122. Hervé Vanel, « Cybernetic bordello : Nicolas Schöffer’s aesthétic hygiene », dans France and The Visual Arts since 1945: Remaping European Postwar and Contemporary Art, Bloomsbury, 2018, p. 107-120. 123. Jean-Luc Nancy, « Identité et tremblement », dans Mikkel Borch-Jacobsen, Éric Michaud et Jean-Luc Nancy (éd.), Hypnoses, Paris, Galilée, 1984, p. 15-46. 124. « Trouver pour chacun ces cordons ombilicaux qui nous mettent en communication avec d’autres soleils, des objets à liberté totale qui seraient comme des miroirs plastiques psychanalytiques. » Matta Echaurren (adaptation de Georges Hugnet), « Mathématique sensible-architecture du temps », Minotaure, n° 11, 1938, p. 43. 125. Dawn Ades, « Morphologies of desire », dans catalogue Salvador Dali. The Early Years, Londres, Hayward Gallery, 1994, p. 129-160. 126. Arnauld Pierre, « I am the Dream Machine. Les écrans hypnogènes de Nicolas Schöffer », Les Cahiers du Mnam, n° 130, hiver 2014, p. 36. 127. « Esthetic hygiene is necessary for collective societies, for any social group residing together on a large scale. How ? By programming environments that obey rigorous esthetic criteria. » Douglas Davis, « Nicolas Schöffer : The cybernetic esthetic », dans Art and the Future: A History/Prophecy of the Collaboration Science, Technology and Art, New York, Praeger Publishers, 1973, p. 122, cité dans Hervé Vanel, « Cybernetic Bordello : Nicolas Schöffer’s Aesthetic Hygiene » dans Catherine Dessin (éd.), France and the Visual Arts since 1945. Remapping European Postwar and Contemporary Art, New York, Bloomsbury, 2018, p. 112. 128. Nicolas Schöffer, « L’utilisation des techniques luminodynamiques et le Téléluminoscope à la télévision », tapuscrit, 1963-1964, cité dans Arnauld Pierre, « I am the Dream machine », art. cit., p. 40. 129. Ibidem. 130. Hervé Vanel, « Visual muzak and the regulation of the senses : notes on Nicolas Schöffer », dans Cornelia Lund, Holger Lund (éd.), Audio Visual – On Visual Music and Related Media, Stuttgart, Arnoldsche Verlagsanstalt, Stuttgart, 2009, p. 58-75. 131. Arnauld Pierre rappelle que le projet de la Dreamachine de Gysin fut associé à celui des Murs de lumière de Schöffer dans le cadre d’une exposition L’artiste et l’objet, présentée au musée des Arts décoratifs en 1962. 132. J. Ménétrier, « La cybernétique et l’humain, » Planète, n° 22, mai-juin 1965. 133. J. Ménétrier, Mon Socrate, Paris, Éditions du Vieux Colombier, 1964, p. 29, cité par Arnauld Pierre, « I am the Dream Machine », art. cit., p. 48. 134. J. Ménétrier, Jean Cassou et Guy Habasque, Nicolas Schöffer, Neuchâtel, Éditions du Griffon, 1963, p. 91, cité dans ibidem, p. 48. 135. J. Ménétrier, Mon Socrate, op. cit., p. 36. 136. Hervé Vanel, « Cybernetic bordello », art. cit., p. 112-113. 137. Gene Youngblood, Expanded Cinema, New York, Dutton, 1970. 138. Docteur Husson repris dans Foissac, Rapport et discussions de l’Académie royale de médecine sur le magnétisme animal, Paris, 1784, p. 28. 139. Comte Sigismond de Redern, Des modes accidentels de nos perceptions, Paris, 1818, p. 57. 140. D. G, Journal de Paris, politique, commercial et littéraire, 21 septembre 1818, cité par Bertrand Méheust, Somnambulisme et médiumnité, tome 1, op. cit., p. 142. 141. B. Méheust, ibidem, p. 143. 142. « Chez le somnambule magnétique, au contraire, les sens extérieurs étant suspendus, et le sens intérieur étant développé dans toute son étendue, ce sens doit porter à l’âme toutes les impressions dont il est lui-même susceptible ; il doit réagir sur elle de toute l’action qu’il reçoit lui-même des êtres qui se trouvent en relation avec lui dans toute la nature. De là, il suit qu’au moyen de son sens intérieur le somnambule doit réellement communiquer avec toute la nature. » A. Tardy de Montravel, Correspondance de Monsieur de Puységur, tome III, p. 30, cité dans ibid., p. 144. 143. The Whole Earth Catalog est un forum intellectuel et catalogue encyclopédique édité par Stewart Brand entre 1968 et 1972, manuel de la contre-culture prônant l’économie autonome du Do It Yourself, inventaire des ressources associées aux technologies du lien et de la communication. Voir Fred Turner, Aux sources de l’utopie numérique. De la contre-culture à la cyberculture. Stewart Brand, un homme d’influence, traduit de l’anglais par Laurent Vannini, Caen, Éditions C&F, 2012. 144. P. Teilhard de Chardin, Le Phénomène humain, Œuvres, tome I, Paris, Seuil, 1955, p. 22. 145. « L’humanité se brasse, s’emmêle, et se lie plus étroitement sur elle-même. Entre chaque individu humain et tous les autres à la surface du globe, les connexions de toutes sortes vont continuellement, – et ceci en progression géométrique –, se multipliant et s’intensifiant sous nos yeux. Avec la montée des Collectifs et des Masses […], comment ne pas être sensible à un prodigieux accroissement de souplesse et de vitesse dans les échanges […]. Un saut formidable dans l’Arrangement – saut accompagné par un autre saut (celui de la conscience). » « Transformation et prolongement en l’homme du mécanisme de l’évolution », idem, Œuvres, tome VII, Paris, Seuil, 1963, p. 320-322. 146. id. « L’hominisation », Œuvres, tome III, Paris, Seuil, 1956, p. 87. 147. Geraldine O. Browning, Joseph L. Alioto, Seymour M. Farber (éd.), Teilhard de Chardin. In Quest of the Perfection of Man, Cranbury, California University Press, 1973. 148. P. Teilhard de Chardin, Œuvres, tome III, op. cit., p. 231. 149. F. Kittler, « Signal-Rausch-Abstand », dans Hans Ulrich Gumbrecht & K. Ludwig Pfeiffer (éd.), Materialität der Kommunikation, Frankfurt, Suhrkamp, 1988, p. 342-359. 150. P. Teilhard de Chardin, « Le groupe zoologique humain », Œuvres, tome V, Paris, Seuil, 1959, p. 148. 151. M. McLuhan, Pour comprendre les médias. Les prolongements technologiques de l’homme, Paris, Seuil, 1968 [1964], p. 102-103. 152. G. Youngblood, Expanded Cinema, op. cit., p. 92. 153. Tom Wolfe, Acid Test, Paris, Seuil, 1996 [1968], p. 246. 154. O. Reiser, Cosmic Humanism and World Unity, New York, Gordon and Breach, 1975 [1966], p. 227. 155. T. Leary, Neurologique, Montréal, Éditions de l’Aurore, 1977, p. 33. 156. « Les images capricieuses qui apparaissent lorsque, dans cet état, on ferme les yeux, semblent parfois révéler le fonctionnement secret du cerveau, la genèse des associations et des structurations, tous ces systèmes d’ordonnancement d’où procèdent la sensation et la pensée. […]. Ceux-ci pour la plupart donnent naissance à des variations beaucoup plus complexes sur le même thème – fougères engendrant des fougères engendrant des fougères dans des espaces multidimensionnels, vaste dôme kaléidoscopique composé de vitraux ou de mosaïques, ou encore structures comparables à des chaînes extrêmement complexes de molécules –, systèmes de sphères colorées dont chacune d’entre elles se révèle comme composée d’une multitude de sphères, et ainsi de suite, à l’infini. » Alan Watts, Joyeuse Cosmologie. Aventures dans la chimie de la conscience, Paris, Fayard, 1971 [1962]. p. 101. 157. T. Leary, Neurologique, op. cit., p. 52. 158. Ibidem, p. 63. 159. « La philosophie hédoniste du cinquième circuit prône que l’important est de se sentir bien dans sa peau. Mais cette philosophie hippie, même très séduisante avec son appel à l’érotisme, à l’esthétique, aux jeux de fusionnement amoureux et à la paix, peut vite devenir régressive. Incitant à la démission [drop out], elle ne réussit à produire qu’une société de reines et de rois philosophes nu-pieds ». Ibid., p. 75. 160. Ibid., p. 69. 161. T. Leary, La Révolution cosmique, Paris, Presses de la Renaissance, 1979 [1977], p. 218. 309 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 309 12/09/2020 01:13 P S Y C H E D E L I A , L’ H Y P N O S E C Y B E R N É T I Q U E 162. Ibidem, p. 218. 163. Ibid., p. 167. 164. R. Bellour, Le Corps au cinéma, op. cit., p. 339. 165. Scott Richmond, « Aesthetics beyond the phenomenal. The Flicker », dans Cinema’s Bodily Illusions. Flying, Floating and Hallucinating, University of Minnesota Press, 2016, p. 145-160. 166. « My idea was that basically this would just knock people’s socks off, and I wanted them to understand that they were being run by the power of this film. That it was not coming from them even though the experience of the film happened inside of their body and not really in space… I wanted to really give people a chance to pretend that they were in control of the situation, but then to make it very painfully and slowly clear—as though you’re slicing them very slowly—that it’s the film that is in control of what’s going on. » Tony Conrad cité par Scott Richmond, ibidem, p. 148. 167. J-L. Nancy, M. Borch-Jacobsen et É. Michaud, Hypnoses, Paris, Galilée, 1984, p. 11. 168. Ibidem, p. 12. 169. Ibid., p. 12. 170. J-L. Nancy, « Le savoir de l’affection », dans ibid., p. 32. 171. R. Bellour, Le C orps au cinéma, op. cit., p. 339. 172. « L’expérience qui a conduit à la production de ce film, et l’expérience de sa réalisation, m’ont parfaitement convaincu que l’âme est une véritable entité physique et non une abstraction vague. » J. Belson, cité dans G. Youngblood, « Le cinéma cosmique de Jordan Belson », 1895. Mille huit cent quatre-vingt- quinze, vol. 39, 2003, p. 147-162. 173. Ibidem, p. 160. 174. Eric Siegel cité dans Gene Youngblood, Expanded Cinema, op. cit., p. 315. 175. Peter Galison, cité par D. Gamboni, « Un pli entre science et art : Hermann Rorschach et son test », dans Anne von der Heiden et Nina Zschocke (éd.), Autoritât des Wissens. Kunst und Wissenschaftsgeschichte im Dialog, Zurich, Diaphanes, 2012, p. 71. 310 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 310 12/09/2020 01:13 1950-1970 311 HYPNOSE_06-Cooper-CC2018.indd 311 12/09/2020 01:13 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 312 13/09/2020 19:06 UNE NOUVELLE HYPNOSE 1970-2020 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 313 13/09/2020 19:06 A HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 314 13/09/2020 19:06 Si l’hypnose a changé avec Milton Erickson au cours des années 1950-1960, ce n’est qu’à l’aube des années 1970 que paraissent les écrits et retranscriptions de conférences de ce psychothérapeute plutôt réticent à la généralisation théorique d’une méthode. En 1973, ses travaux vont connaître un plus large retentissement international, avec la publication de l’ouvrage de Jay Haley, Uncommon Therapy1. L’empirisme d’une démarche non standardisée et le refus d’une définition de la méthode forment bloc face aux courants structuralistes dominant la pensée de ces années (une distance sur laquelle reviendra le duo d’artistes Berdaguer & Péjus dans une pièce réalisée en 2009, à partir d’un extrait de vidéo vintage montrant une scène d’hypnose avec Erickson. La bande-son neutralisée est retranscrite à distance sous un pendule en mouvement, le dialogue entre la patiente et le thérapeute externalisé comme pour mieux souligner les écarts productifs entre le corps et la parole autorisés par l’induction hypnotique). Délestée en partie de l’ambition de « faire science » jusque dans sa pratique clinicienne, l’hypnose contemporaine adopte de nouvelles manières de faire, plus collectives et moins directives, plus créatives, qui ne sont pas vécues comme une soumission enfouie dans un lien affectif opposé à la liberté du sujet rationnel. Elle cherche à s’alléger du poids d’un certain décalage entre la réalité du phénomène et sa représentation sociale (magie et surnaturel, sexualité et fascination interpersonnelle, avec les outils d’analyse offerts par une anthropologie aidant à sortir d’un cadre de pensée purement occidental), jusqu’à vouloir d’ailleurs, non sans hésitation2, se délester du nom lui-même pour adopter, selon les cas, ceux de « sophrologie » ou de « programmation neurolinguistique (PNL) », à moins de revendiquer, comme le fera Daniel Araoz en 1982, le terme de « nouvelle hypnose3 » – pour mieux s’opposer à l’ancienne. Cette hésitation terminologique, qui signe le refus de la définition, trouve une curieuse résonance dans un champ artistique dominé au début des années 1970 par les pratiques conceptuelles. Que peut bien signifier l’hypnose pour un mouvement inspiré par la philosophie analytique, rivé sur la critique institutionnelle et la définition autoréflexive de l’art ? A priori, l’hypnose colle peu à cette manière logiciste, trop menaçante envers ce que l’esprit critique de l’école de Francfort, s’appuyant sur le spectre freudien de la psychologie des masses par la suggestion collective, avait taillé en pièces pour déconstruire les mécanismes institutionnels de la domination. C’est pourtant dans ce hors-champ de la conscience critique qu’il faut aller chercher le regain d’intérêt pour l’hypnose dans les pratiques artistiques contemporaines. Il ne s’agit pas de défaire la raison du sujet, mais de la mettre au diapason d’une physique incarnée, dans laquelle le corps devient lui-même le lieu d’une résistance aux biopouvoirs. N’y a-t-il pas ici une façon d’« intégrer dans de nouvelles relations productrices d’histoires humaines ce qui, auparavant, fonctionnait dans une boîte noire4 » ? A. William Wegman, Hypno, 1988, Polaroid, 60,96 x 50,8 cm. 315 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 315 13/09/2020 19:06 UNE NOUVELLE HYPNOSE A A. & B. Photogrammes extraits de Berdaguer & Péjus, Sans titre (Pendule), 2009, vidéo et pendule. Avec pour corollaire la possibilité de sortir pour de bon d’un protocole relationnel hanté par le principe d’une soumission aveugle afin d’expérimenter des processus d’identification, de dissociation, d’imprégnation ou de mimétisme plus créatifs, poussant à s’interroger sur le statut même de sujet inspiré (être sujet, être sujet à, être sujet de…). C’est là une manière détournée d’investir les rapports de l’humain à son environnement, de repenser les limites de la singularité humaine, en particulier dans ses liens ontologiques à l’animalité5, jusqu’à oser l’idée d’une subjectivité animale susceptible de sortir la pensée occidentale d’un anthropocentrisme confortable et envisager autrement les relations plurielles aux autres espèces (William Wegman, Hypno, 1988). Et puis, il y a volonté de réagir face à une certaine hégémonie du modèle psychanalytique. L’hypnose, en venant s’immiscer dans l’archéologie de la psychanalyse, pour repenser à nouveaux frais les mécanismes de la cure analytique6, reposait les questions d’inconscient, de transfert, de séduction, de projection, mais aussi d’invention du sujet en recentrant ce dernier sur une économie des affects. Les années 1980 vont accélérer les choses. En France, Léon Chertok publie en 1984 un ouvrage col- lectif intitulé Résurgence de l’hypnose7 ; en janvier 1985, Mikkel Borch-Jacobsen donne devant les membres de la Société française de médecine psychosomatique une conférence sur « l’hypnose dans la psychanalyse » qui fera grand bruit. Refusant de placer les mécanismes d’induction hypnotique au rang d’une préhistoire refoulée de la psychanalyse, cantonnée à une lecture purement pulsionnelle, Borch-Jacobsen présente l’hypnose comme un impensé de la psychanalyse alors même que Jacques Lacan venait de pousser d’un cran le refus de l’hypnose au sein du chantier ouvert par Freud8. Le travail avait été préparé par la précédente génération, celle de Kubie et Margolin9, celle de Gille et Brenman10, pour qui il fallait revenir sur les fondamentaux du corps et de son inscription dans un environnement, mais encore fallait-il que la psychanalyse elle-même revienne sur les notions d’affects et d’empathie, et par là sur une certaine forme d’induction hypnotique sans jamais la nommer11. Octave Mannoni et François Roustang vont opérer ce changement de l’intérieur du champ psychanalytique, en veillant à montrer, sans trop réveiller le ressort occulte de la thaumaturgie, combien « l’hypnose est une phénoménologie révolutionnaire, en ce sens qu’elle contredit tout le savoir théorique 12 ». 316 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 316 13/09/2020 19:06 1970-2020 Autour d’un jeu de rôle où chaque relation d’hypnose est une actualisation impliquant les conditions de sa production, il s’agissait de comprendre l’état hypnotique comme une forme de « potentialité » avec laquelle pouvait largement dialoguer l’idée d’un art comme expérience13 chère à la culture activiste et performative des années 1970. À ce titre, l’hypnose va intéresser des artistes comme Matt Mullican ou Larry Miller, le premier pour les potentiels créatifs de l’expérience de l’altérité (The Other), le second pour les mécanismes de projection et d’identification au-delà du modèle œdipien (Mom-Me). Sœurs jumelles, Jane et Louise Wilson mettent en scène cette même étrangeté à soi dans Hypnotic Suggestion 505 (1993). Elles se font hypnotiser dans leur langue maternelle, mais aussi en portugais, idiome qu’elles ne pratiquent pas. Double langage sur une duplication du montage, avec une scénographie distribuée autour de deux salles adjacentes pour une séance d’induction hypnotique, dans lesquelles les deux sœurs semblent synchroniser leurs mouvements sur un mode télépathique. Ce mouvement d’intérêt pour l’hypnose inclut aussi tout un pan de la création mettant à l’œuvre le corps, dans ses limites physiologiques (body art, actionnisme viennois) comme dans ses constructions identitaires (féminisme, queer). Depuis les occurrences historiques du magnétisme animal, dans les subtils renversements de la « passion somnambulique », et plus encore dans la psychologisation du second XIXe siècle autour des jeux de dédoublement de personnalité, l’hypnose a installé un trouble dans la stabilité des identités de genre et l’unicité en bloc de la réalité subjective. Autant dire que les questions de politiques identitaires et de sexualités alternatives, très présentes dans la théorie esthétique de ces années contestataires infusées par les « études subalternes », vont trouver dans les états modifiés de conscience de l’hypnose le terrain d’expérimentation d’une relation plus instable à la subjectivité, à la libido et à l’altérité. tiques croisant peinture, photographie, performance et vidéo, film et installation, invite plus que jamais à « faire prendre corps aux imaginations16 », tout en proposant « une autre manière d’être au monde17 ». François Roustang a un terme pour cela, qu’il emprunte à la scolastique : la « disposition18 », entendue comme l’état « où est une chose pour recevoir une nouvelle qualité, une nouvelle forme19 ». L’hypnose ne vise plus un arrêt (l’injonction et la fascination) sur une restriction du champ de la conscience et une indétermination (l’induction vers l’endormissement, la confusion hallucinatoire entre réel et fictionnel), mais une « anticipation » qui éveille des potentialités. Cet éveil de nouvelles formes trouve dans l’expérimentation artistique des cinquante dernières années de nombreuses résolutions introspectives, critiques ou spectaculaires. Elles touchent aussi bien le rapport perceptif à l’environnement, l’exploration d’une subjectivité dissociée ou d’une conscience élargie, l’apprentissage de nouveaux gestes et formats relationnels, sans oublier, à l’heure des technologies de la virtualité et de la perception artificielle, la renégociation des catégories du réel. Cela lorsque l’épuisement des ressources de la conscience dans la mélancolie d’une perte de la présence et la confusion croissante entre fiction et réalité sous la domination des techniques de reproduction du vivant autorisent le spectateur à entrer, telle une « hallucination construite20 », dans la matière même de l’image sans se retrouver face à la matérialité de l’œuvre : une écologie mentale de l’art. À terme, en se dédouanant de toute psychopathologie, en cherchant même à se débarrasser de tout travail d’interprétation, la « nouvelle hypnose » installe le sujet dans un rapport créatif au monde. À l’appui des neurosciences, elle le sort du modèle dominant de l’action réflexe qui prévaut dans les sciences expérimentales. De là, « ce n’est pas la montée en régime de l’imagination qui engendre l’hypnose, mais bien plutôt l’état hypnotique, la veille paradoxale, qui permet à l’imagination de se déployer pour transformer nos relations avec les êtres et les choses14 ». L’hypnose telle qu’elle se comprend aujourd’hui se révèle comme une « introduction au pouvoir d’imaginer, c’est-à-dire de transformer la réalité qui s’impose15 », autant dire comme un outil, un médium, que l’art peut s’approprier pour agir sur la réalité en délaissant la psychologie au profit d’une physique des relations aux autres et au monde et devenir – cela n’aurait pas déplu à Duchamp – un art de vivre. Si l’hypnose nouvelle, qui relie et positionne les corps avant de les faire parler, est aussi présente dans l’art actuel, c’est bien parce que l’hybridation des pra- B 317 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 317 13/09/2020 19:06 UNE NOUVELLE HYPNOSE MOM-ME PORTRAIT DE LA DISSOCIATION C’est en 1973, l’année de la sortie d’Uncommon Therapy, que l’artiste américain Larry Miller se lance dans le projet d’une installation multimédia intitulée Mom-Me. L’objectif est de se projeter dans l’identité de sa mère (« to become Mom in mind and body ») et de se percevoir à travers son regard dans un transfert œdipien probablement aiguisé par une enfance vécue au sein d’une famille dysfonctionnelle. Dans l’esprit du photo-conceptualisme détournant les codes fictionnels de l’autobiographie, Miller fonde son enquête introspective sur une série de photographies familiales qui plantent le décor de sa relation à la figure maternelle, explorée ici au moyen d’une transe hypno- tique dans laquelle l’artiste cherche à activer le mécanisme d’une dissociation psychique. Dès le milieu des années 1960, lors de sa formation artistique à Rutgers University (un pôle qui attirait à cette époque de nombreux acteurs de la scène Fluxus, dont Robert Watts), il s’est intéressé aux phénomènes psychiques qui l’ont mené vers les textes de Carl Jung et la culture de l’automatisme, principalement associée à l’héritage artistique du surréalisme et sa relecture par l’abstraction gestuelle de l’action painting21. Pour Mom/Me, Miller fait appel dans un premier temps à un psychiatre qui refuse d’entrer dans le jeu du protocole de l’œuvre, jugé nocif pour sa santé mentale. La rencontre plus productive avec un hypnothérapeute va lui permettre d’entrer, par la technique de la suggestion, dans la tête de sa mère22. Six séances seront organisées au cours A A. Photogramme extrait de la vidéo diffusée dans Larry Miller, Mom-Me, 1973. B. Larry Miller, Life-sized portrait drawing of “Mom” (created by “Mom” while under hypnotic trance), 1973, crayon sur papier, 182,88 x 81,28 cm. C. Larry Miller, Photo document N°1. Mom-Me, 1973, montage de huit photographies noir et blanc avec notations manuscrites, 101,6 x 60,96 cm. D. Larry Miller, Photo document N°2. Mom-Me 1973, montage de treize photographies noir et blanc avec notations manuscrites, 101,6 x 60,96 cm. 318 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 318 13/09/2020 19:06 1970-2020 d’une même semaine, dont la dernière sera filmée. Cet enregistrement formera la base d’un film d’une heure et demie, projeté sur moniteur dans l’installation, au milieu d’un ensemble de dessins et photographies : « Je voulais savoir ce que ça ferait de devenir ma mère, de perdre conscience de ma propre identité par l’hypnose et de croire un moment que j’étais maman. Au cours de six séances hebdomadaires avec un hypnothérapeute professionnel, j’ai pu entrer dans des états hypnotiques progressivement plus profonds jusqu’à ce que je devienne maman dans l’esprit et le corps. Au cours de cette session de quatre-vingt-dix minutes, maman a été interviewée de manière informelle pour évoquer son personnage, son concept de soi, de moi, et de notre relation23. » L’hypnothérapeute Guy Oshman, en complicité avec l’artiste, pousse l’interrogatoire vers les relations mère/ enfant, demande à Miller-devenu-sa-mère de se représenter sous la forme d’un grand dessin. Il s’exécute, mais il oublie de donner des mains à ce portrait amputé. Un second à l’échelle humaine sera demandé, portrait de l’artiste cette fois, privé lui aussi de mains, formant diptyque avec celui de la mère. À l’issue de cette plongée inconsciente dans le passé et la psyché maternels, le thérapeute réveille l’artiste et lui demande d’en produire à nouveau deux, de lui et de sa mère. Ces dessins à l’échelle plus réduite seront plus abstraits, prenant une forme embryonnaire comme deux chrysalides qui demandent à révéler une forme en devenir – cet avenir que les mains absentes des deux grands portraits réalisés sous hypnose ne pouvaient annoncer alors que l’inconscient de l’artiste avait pris soin de les soustraire au regard et au corps, pour probablement mieux effacer tout indice d’une destinée non écrite, laissée à l’état de pure potentialité24. Larry Miller interroge le potentiel de créativité de cette projection dans l’autre. Quand Rimbaud dit « Je suis un autre », il professe à la fois le pouvoir de création de soi (la liberté souveraine d’être multiple et non pas un) et la révélation non maîtrisée de sa production artistique. Rimbaud constate en témoin l’émergence incontrôlée de son œuvre : « J’assiste à l’éclosion de ma pensée, je la regarde. » C’est là une manière poétique de défaire le processus d’élaboration du travail – pourtant soigneusement encadré autour du protocole de dissociation hypnotique – mais aussi l’intentionnalité même de l’œuvre. Ce jeu de rôle sous induction peut rappeler le travail de déconstruction subjective du sujet-artiste formulé par Marcel Duchamp (une référence essentielle pour le groupe Fluxus), dans sa fameuse allocution donnée à Houston devant les membres de la Fédération américaine des arts, consacrée au « processus créatif » (« The creative act », Art News, été 1957). Duchamp y démontait en huit minutes le principe d’une « illusion intentionnelle » pour mettre en crise la responsabilité de l’auteur face à son œuvre, en choisissant de le présenter comme le simple transcripteur inconscient d’une voix extérieure. Il empruntait pour cela le modèle de B l’artiste médiumnique rencontré dans l’héritage historique du somnambulisme artificiel, pour confirmer l’agencement de la délégation (ce n’est pas l’artiste qui fait œuvre, mais quelqu’un d’autre qui parle à travers son corps piloté par l’agencement d’une force exogène) et s’affranchir des diktats d’un « monde de l’art » porté par le réflexe des attributions. Certes, la délégation opère chez Miller de manière très introspective : la projection empathique dans le rôle de la mère sert de catharsis pour traiter la construction identitaire de l’artiste sur le mode du miroir (Mom-Me). Elle lui 319 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 319 13/09/2020 19:06 C HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 320 13/09/2020 19:06 D HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 321 13/09/2020 19:06 UNE NOUVELLE HYPNOSE fournit aussi le moyen d’explorer une position intermédiaire déqualifiant les catégories objet/sujet, créateur/ spectateur, pour poser sous la forme d’un autoportrait à plusieurs voix un point de vue réversible (dedans/ dehors, observateur/agenceur, conscient/inconscient) sur son identité dissociée de créateur, vécue non pas comme une fracture existentielle ou un cloisonnement schizophrénique, mais comme une constellation de consciences qui passe outre la distinction tranchée entre conscient et inconscient, et où la conscience de soi requiert d’abord une reconnaissance de soi. Miller anticipe ici sur les recherches neuroscientifiques plus récentes autour de la dissociation créative25. Son transfert dans la peau de sa mère est un mode de dépersonnalisation qui vise moins à creuser les ressorts œdipiens de la créativité qu’à produire un état de plus grande continuité entre rêve et réalité26, démultipliant les facultés cognitives d’association27, qui éclairent d’un jour nouveau le processus de traduction des idées en formes. C’est là que l’hybridation intermédiale de son installation prend tout son sens quand on le compare à ce qu’Alex Osborn avait quelques années plus tôt qualifié d’« imagination appliquée », ou « constructive » (applied imagination28), au sein de l’incubation du processus créatif29. Associant photographies, dessins autographes et vidéo, l’artiste cherche par l’hypnose à mettre en œuvre un travail méta-discursif sur l’invention artistique qui ne soit pas de l’ordre d’une définition analytique, mais de l’expérimentation d’un nouveau médium : « Je voulais utiliser l’hypnose comme un autre médium d’expression artistique (négligé depuis longtemps) – comme un outil pour sonder ma psyché dans son rapport corps/ esprit, comme si l’outil était un instrument “chirurgical” délicat qui pouvait “libérer” l’objet dans un autre objet30. » Si, selon Dick Higgins, un membre de la cohorte Fluxus, l’intermédia « se situe entre les médias31 », ce que fait Larry Miller dans son installation joue plus sur une conversion entre les médias : comment passer du cliché photographique à la mécanique du dessin conçu sous automatisme, le tout pris à témoin et réverbéré en temps réel par l’enregistrement vidéo de cette fabrique sous influence du dessin (la caméra témoin rend compte du processus de programmation des portraits par suggestion interposée). Dans les années 1960, telles que les regarde Dick Higgins, le champ de l’intermédialité apparaît comme l’espace distendu de contamination des médias, qui ne cesse de croître en marge des formes artistiques traditionnelles en puisant dans l’expérience de la vie. Pour Miller, cette notion tend plutôt à décloisonner les matériaux de l’art pour se reporter sur la manière de transcrire matériellement une pensée sur différents supports. L’enjeu n’est pas l’intégration des médias dans le champ des pratiques artistiques, mais l’extériorisation de la pensée dans le monde réel – une extériorisation recherchée, non pas pour son caractère piloté, mais imprévisible, laissant toute sa place à la complexité des assemblages, métaphorisée dans le passage d’un média à l’autre et, où la conscience de l’artiste se projette en abyme, dans l’acte de création sur le mode divergent d’un producteur/observateur. Le principe de « l’observateur caché », développé à cette même époque par Ernest Hilgard dans ses recherches expérimentales sur l’état d’hypnose et le phénomène spontané de dissociation32 (hidden observer), constitue « une sorte d’agence interne inconsciente fondatrice du sentiment de l’unité et de la continuité du moi […], c’est-à-dire de l’unité et de la continuité du moi dans sa réalité » qui nous confronte « au paradoxe d’une instance qui posséderait tous les attributs traditionnels de la conscience mais opérerait de façon non consciente : en somme, une conscience inconsciente de soi33 ». C’est ce traitement simultané de l’information à deux niveaux différents (être à la fois inconscient et conscient du geste accompli dans le dessin) qui peut intéresser Larry Miller dans sa façon d’interpeller ce que l’art de la performance peut contenir de distanciation, avec ici une expérience du dédoublement dédoublée entre la plongée introspective dans la psyché de l’enfant, dans celle de la mère observant cet enfant, et celle de l’adulte d’aujourd’hui (l’artiste), observant l’enfant qu’il était. Manifestement, Miller adopte l’hypnose comme un état psychique conduisant à une dissociation partielle entre différents systèmes émotionnels et cognitifs, et c’est précisément cet état de dissociation qu’il cherche à déployer pour se saisir des raisons qui font de lui un artiste34. La leçon fera effet sur Louise Bourgeois. Mom-Me est présentée en 1973 à la 112 Green Gallery de New York, comme le rappelle Kristine Stiles35. L’artiste, elle-même investie dans une relation au père très œdipienne, verra dans son intégralité la vidéo d’une heure et demie, invitera Miller à poursuivre son travail sous hypnose et produira, un an plus tard, Destruction of the Father (1974), première occurrence explicite de son rapport conflictuel à l’anxiété de l’enfance dans sa sculpture. L’hypnose devient l’outil d’une catharsis personnelle, dans un champ élargi de l’art qui veille à la transformation de l’artiste au sein même du processus de subjectivation mis en œuvre dans la création – une démarche se recentrant sur l’identité émotionnelle du sujet n’allant pas de soi dans une époque qui cherchait plutôt à sortir le « processus créatif » de tout subjectivisme trop psychologisant. La même année, l’Américain Duane Michals produit une séquence narrative de cinq photographies illustrant une séance thérapeutique avec le psychiatre Herbert Spiegel (Herbert Spiegel, 1974). Un patient installé confortablement dans un fauteuil, sous la suggestion verbale du médecin, laisse progressivement son avant-bras droit se lever et se tenir en lévitation – soit un des poncifs de l’automatisme corporel sous induction hypnotique, jusque dans ses effets de doublure dyslexique (l’autre main, restant soigneusement accolée au fauteuil). Loin du marionnettiste, Spiegel est connu au milieu des années 1970 pour importer l’hypnose dans le traitement des addictions. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, où il a rejoint en tant 322 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 322 13/09/2020 19:06 1970-2020 que médecin un bataillon en Afrique du Nord, il utilise l’hypnose pour soigner les douleurs des blessés du front et les situations post-traumatiques. Mais c’est à partir de la fin des années 1960 qu’il se fait connaître dans les milieux psychiatriques pour avoir recours au circuit fermé de la télévision dans des thérapies de groupe36 (une médiation technologique qui ne peut qu’intéresser la génération d’artistes investis dans le récent dispositif de la vidéo), avant de monter en reconnaissance auprès du grand public avec le traitement d’une patiente schizophrénique, Shirley Ardell Mason, alias « Sybil », dont le cas de « personnalités multiples » sera popularisé sous la forme d’un ouvrage en 1973 et d’une série télévisée en 1976. Par sa diffusion élargie qui signe le nouvel intérêt pour l’hypnose dans l’esprit du temps, mais aussi la technique de régression dans l’âge et de recouvrement de la mémoire qu’elle implique (revenir à l’état d’enfant, pour faire remonter les souvenirs occultés, ce que Sybil semble faire au A présent et avec une aisance stupéfiante aux yeux de Spiegel37), l’intérêt de ce cas est qu’il remet au premier plan le principe de « personnalité multiple », en imposant dans le vocabulaire psychiatrique le concept de « désordre de la personnalité multiple » (multiple personality disorder, MPD), étroitement associé à un trauma d’enfance38 – un contexte dans lequel a pu germer l’œuvre de Miller, surtout que la monographie à succès de Flora Rheta Schreiber consacrée à Sybil en 1973 insiste largement sur le rôle de la mère. Dans sa séquence photo sans légende, Duane Michals, connu pour avoir justement réintroduit l’intime (auto)biographique au sein de l’enquête photo-conceptuelle, avec un intérêt notoire pour les phénomènes paranormaux, repère l’engouement nouveau pour l’hypnose thérapeutique qu’il assimile ici à une performance dans laquelle peuvent circuler au mieux les rapports entre le corps et l’esprit (body/mind), au-delà de la figure pilotée de l’automate. B A. Larry Miller, Life-sized portrait drawing of “Mom” (created by “Mom” while under hypnotic trance), 1973, crayon sur papier, 182,88 x 81,28 cm. B. Larry Miller, Portrait drawing of “Mom” (created after awakening from trance), 1973, crayon sur papier, 23,5 x 20,32 cm. 323 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 323 13/09/2020 19:06 UNE NOUVELLE HYPNOSE THE OTHER LES DOUBLURES DE L’ARTISTE Ce contexte est partagé par Matt Mullican dans un environnement lui aussi largement marqué par la domination de l’art conceptuel (abandon de la fabrication et de la forme / primat de la proposition critique et de la documentation). En découvrant la scène artistique de l’époque, Mullican doit se situer dans ou en dehors de ce très net repli autotélique (« Art as Idea as Idea »). Très vite ce qui l’intéresse n’est pas tant la possibilité de produire un contre-discours (la solution d’un retour à la peinture ou à l’image, dans l’esprit de la picture generation) que d’explorer les conditions mentales dans lesquelles s’opère ce choix de l’art, et d’interroger plus avant le lien entre réalité objective et activité mentale. L’artiste cherche à entrer dans l’espace spécifique de l’image pour saisir « qu’elle a une masse et un poids, et de l’air et une odeur39 ». La question portait sur la réalité de la représentation : « Où était cette réalité-là40 ? » Il fallait pour Mullican passer des intentions conceptuelles du dessin à l’expérience phénoménale de l’espace du dessin. La série des Stick Figure Drawings (1973) l’y aidera. Dans cette séquence, Matt Mullican dessine un personnage réduit à sa plus simple expression graphique, une silhouette schématique dotée d’un nom, Glen, et dans laquelle peut se reconnaître aussi bien un signe générique, un symbole universel qu’un autoportrait camouflé qu’il installe dans diverses situations. En animant ce dessin à la manière chronophotographique, Mullican dotait l’image d’un battement cinématique : la figure devenait figurine (« A Living Person »). Mais le projet allait au-delà d’une simple ré/animation. Il veut se projeter littéralement dans l’image. Non plus seulement inscrire sur le papier une silhouette à laquelle il attribue arbitrairement des attitudes, un langage et des codes corporels, mais entrer dans la vie propre du motif et se saisir de la réalité de la représentation : « Validate the image as being real41. » Dans ce sens, devenue un support de projection empathique, l’image est créatrice si l’on entend par là cette « faculté qu’aurait l’imagination d’agir sur le monde extérieur, directement ou par l’intermédiaire d’un médiateur plastique [qui peut d’ailleurs se confondre avec l’imagination elle-même]42 ». Le dessin n’est plus seulement une représentation dans un espace conventionnel qu’il s’agit de déconstruire (même si l’artiste délimite à de nombreuses reprises un lieu fictionnel dans l’espace de la page), mais la mise en présence d’une figure de soi dans un lieu réel (« A Real Place »). À ce titre, Mullican n’est pas bien éloigné de la pensée du psychologue français Alfred Binet (l’auteur d’Une leçon à la Salpêtrière, mis en scène au théâtre du Grand-Guignol en 1908), à qui l’on doit une surprenante étude sur la « réalité des images mentales » dans laquelle, se posant la question des rapports entre le physique (corps) et le mental (esprit), il professe un réalisme de la sensation et de l’image, deux phénomènes de même nature selon lui, avec pour conclusion radicale : « Phénomènes physiques, les images sont toujours réelles, puisqu’elles sont perçues et conçues : ce qui leur manque parfois, et ce qui les rend fausses, c’est qu’elles ne s’accordent pas avec le reste de nos connaissances43. » En 1976, dans le cadre d’une exposition à Artists Space (New York), il présente la performance Entering the Picture: Entrance to Hell. Assis sur une chaise à hauteur d’un dessin représentant l’entrée dans l’enfer, l’artiste se concentre sur l’image et fait l’expérience d’un curieux déplacement spatio-temporel. Il se retrouve dans la peau d’un adolescent de quatorze ans ; il est quatre heures du matin. Comme s’il n’était possible d’entrer dans l’intimité de cette figurine qu’en se plongeant dans un « sommeil paradoxal » non seulement intermédiaire, mais transgressif, doté d’une conscience d’un nouvel ordre, une conscience proprement somnambulique. « Le somnambule, nous rappelle Olivier Scheffer, est présent au monde, mais d’une manière particulière. Il possède ce qu’on pourrait appeler une “sensibilité sans objets” […]. Cette clairvoyance perceptuelle, soulignée par maints auteurs, permet au somnambule de traverser l’enveloppe du réel, d’en pénétrer l’intérieur et le retourner comme un gant44. » C’est ce que fait Mullican quand il retourne l’effigie graphique pour s’y installer. L’artiste joue à brouiller les frontières entre réalité et projection mentale. Est-ce une illusion ? N’est-ce pas plutôt une hallucination ? Ce débat avait nourri la controverse sur l’imagination en pleine époque romantique, quand la psychologie expérimentale rencontrait les débats esthétiques sur une nouvelle clinique du rapport entre art et réalité. Sur quels critères objectifs peut-on distinguer une illusion optique d’une hallucination mentale ? Le premier à répondre avait été un médecin féru d’hypnose, Jean-Étienne Dominique Esquirol, dans l’édition du Dictionnaire des sciences médicales de 1817, où il opposait hallucination (une « perception sans objet ») et illusion (une « erreur des sens »)45, avant que la psychologie expérimentale ne se précipite dans cette brèche en scrutant d’un peu plus près ce curieux moment de bascule où tout ne peut plus se passer que « dans le cerveau », déplaçant l’antagonisme classique entre sensation et image vers une définition plus perméable, voire plus énigmatique, de la réalité. Pour avancer dans cette distribution des étagements de réalité et leur rapport aux représentations mentales, Mullican va décider de recourir aux services d’un hypnotiseur dont il trouve les références dans les colonnes du Village Voice. Cette fois, il fait appel à des acteurs qu’il installe dans un appartement gracieusement prêté par la mère de l’artiste Gordon Matta-Clark. La démarche prend une tournure plus théâtrale, favorisée par la configuration physique de l’appartement, qui dispose, au centre du salon, d’un plan surélevé faisant office de scène (une natural stage). Mullican parle 324 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 324 13/09/2020 19:06 1970-2020 de « super-théâtre ». Dans un entretien avec l’hypnothérapeute Vicente de Moura, il précise : « J’ai eu cette idée d’un super-théâtre ; un théâtre où les acteurs croyaient qu’ils étaient cette fiction et qu’ils jouaient cette fiction46 », soit une manière de déplacer à nouveau les frontières entre réalité et fiction (« neither the real nor fiction »). Mullican demande à l’hypnotiseur de suggérer aux trois acteurs d’entrer dans la vie d’une femme de sa naissance à sa mort. Ils s’exécutent, automates, dans des actes réflexes qui transforment très vite la performance en psychodrame. « Something druggy and problematic », se rappelle Mullican. Sous l’emprise de la suggestion, les acteurs (une femme afro-américaine, une jeune fille amérindienne, un homme décrit comme plutôt efféminé) commencent à se comporter de manière hystérique. Petit théâtre de la cruauté : la femme pousse des cris virulents, se débat, tente de défendre son jeune frère que la police aurait arrêté. L’autre se vautre sur le sol, simule de nager ; le dernier se prend pour un chien, etc. Hypnose de foire, glissement fébrile des genres et animalité47. Des vociférations, des gestes convulsifs et spasmodiques, des contractures, des corps qui gesticulent, avec l’ambiguïté de moments plus intermittents, à mi-chemin entre paralysie et contorsion, repos et volubilité. Cela rappelle les grandes heures de l’hôpital de la Salpêtrière. La performance devient un véritable tableau vivant des altérations de la volonté, devant un public médusé qui, assistant à cette technologie de l’emprise sur l’autre, va immédiatement reprocher à l’artiste une déviance manipulatrice, volontiers fasciste, « authoritarian control freak ». Quelques années plus tôt, Michael Fried avait condamné le spectre de la « théâtralité » dans son fameux article d’Artforum de l’été 1967, « Art and objecthood ». Ce plaidoyer contre « Le théâtre qui est la négation de l’art » allait susciter de nombreux commentaires, à l’instar de celui d’Hal Foster, pour qui le minimal art avait dès le début des années 1970 abandonné tout dogme de la forme pour lui préférer des combinaisons plus hybrides, plus proches d’un art du lieu et du temps, ouvertement plus théâtrales dans le rapport du sujet à l’objet. Éclatait ainsi au grand jour le divorce consommé entre la notion d’exposition (propre aux arts visuels) et la valeur de représentation (propre aux arts vivants du théâtre), en privilégiant le mode relationnel de la sculpture-performance. Le spectateur entrait dans l’espace physique de la sculpture, comme un authentique acteur accomplissant le devenir participatif de l’art, avec souvent une dimension introspective, voire « narcissique », incarnée dans le fait de se voir dans une œuvre-miroir. Ce n’est pas cette dimension behavioriste qui est visée dans le travail de Mullican, mais le jeu plus distancié d’une mise en scène des identités plurielles impliquées dans l’acte de création, tout en prenant soin de ne pas s’enfoncer dans la dimension biographique d’un « autre » construit au cours des différentes performances narratives sous induction hypnotique. Le spectateur est maintenu à distance. Mullican prend d’ailleurs soin d’établir un territoire symbolique de l’action. En 1976, il installe ses acteurs sur une scène légèrement surélevée, à l’encontre des protocoles interactifs et déhiérarchisés du living theater. Plus tard, il trace au sol des marques, délimite son champ d’intervention. L’art comme entreprise de démarquage. Comme s’il n’était possible d’entrer dans l’intimité de cette figurine qu’en se plongeant dans un « sommeil paradoxal » non seulement intermédiaire, mais transgressif, doté d’une conscience d’un nouvel ordre, une conscience proprement somnambulique. Maintenant, c’est la conséquence immédiate de la réponse du public à la performance de 1976, l’artiste se place désormais lui-même sous le contrôle psychique de l’hypnotiseur. Le cobaye, c’est lui, et non plus d’innocentes victimes d’une interprétation débordée par les diktats de la suggestion. Le cobaye, c’est lui, ou bien plutôt cet autre qui se cache dans les arcanes inconscients d’un moi à multiples facettes. En 1978, l’artiste met désormais en scène sa dissociation psychique. À ses côtés, un squelette empaqueté. En « état second », il réalise des dessins au sol dont la gestuelle plutôt automatique le confond avec un double somnambule. Il est à la fois dans l’acte conscient de dessiner et s’observe agissant sous l’impulsion d’un ordre qui vient d’ailleurs (Inside/Outside). Les fantaisies médiumniques du symbolisme fin de siècle que le surréalisme regarda avec attention reviennent à l’esprit, et cette curieuse contagion d’artistes qui ne peignaient pas en leur nom mais se faisaient les simples intermédiaires d’une force venue d’ailleurs (des fantômes aux revenants, incarnés ici par la figure fantasmagorique du squelette-momie). Jouant beaucoup sur les « idées fixes » parasitaires de ces personnages incarnés sous induction hypnotique, Mullican reprend en bien des points le principe de « dédoublement de la personnalité » ou de « désagrégation mentale » que Pierre Janet avait appelé, à propos de la conscience des hystériques qu’il voyait évoluer à la Salpêtrière48, la « dissociation de la personnalité », inséparable d’un mécanisme d’absorption dans la vie imaginaire ou de défense psychologique contre le débordement provoqué par une expérience émotionnelle intense ou traumatique – un principe rencontré aussi dans les textes d’Alfred Binet, notamment dans son ouvrage sur Les Altérations de la personnalité, publié en 189249. Or, ce n’est probablement pas un hasard, cette notion de dissociation qui avait occupé les débats de la psychologie 325 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 325 13/09/2020 19:06 A HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 326 13/09/2020 19:06 1970-2020 B A. Matt Mullican, Autoportrait sous hypnose, 1981, gesso et techniques mixtes sur coton, 260 x 150 cm. B. Matt Mullican, Under Hypnosis, 1982, Performance, The Kitchen, New York. 327 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 327 13/09/2020 19:06 UNE NOUVELLE HYPNOSE A expérimentale entre 1850 et 1920, avec Janet comme premier moment de culmination, se trouve sortir d’une éclipse à partir des années 1970, quand Mullican s’engage dans des expériences avec l’hypnose50. D’autres performances similaires suivront à Los Angeles (1979), puis Bruxelles, avant de connaître un premier moment de culmination en 1982, à New York (The Kitchen51). Cette performance a été filmée. En amont de son arrivée sur scène, Mullican s’est fait hypnotiser par un praticien. Il entre à ses côtés, dans la salle, puis s’installe sur une chaise disposée sur le promontoire d’une petite scène qui fait aussi office de lit/reposoir. Il s’assied face au public, yeux clos, bras relâchés, poursuivant le protocole d’induction hypnotique. Manipulant une échelle, il commence à peindre sur un pan de mur, d’abord des signes simples, une ligne de partage, puis des formes plus organiques, anthropomorphes. Concentré sur son pinceau, avec quelques séquences de fou rire qu’il partage avec le public complice, distillant quelques paroles ventriloques, monologue incantatoire, il donne au dessin une forme totémique de squelette, plutôt gauche, à la manière infantile, icône primitiviste qui reconduit l’amalgame entre régression phylogénétique et plongée inconsciente. Après un nouveau dialogue avec son hypnotiste, il installe au sol un rouleau de papier vierge sur lequel il peint une séquence all over de signes ou pictogrammes géométriques, à mi-chemin entre écriture automatique et transcription médiumnique. Il se redresse ensuite et revient vers le mur, pinceau à la main, pour entamer un autoportrait. La tête d’abord, avec un double cortex (hémisphère gauche / hémisphère droit), réparti symétriquement pour mieux énoncer la partition dissociée du sujet. « This is a brain, this is another brain. » Le tronc est signifié par un cercle qui se démultiplie (cœur, estomac, sexe) comme autant de formes de « régénération ». Il s’agit toujours de se renouveler, dans la parturition vécue en temps réel. En fin de performance, Mullican se saisit de tasseaux de bois qu’il utilise comme des instruments de percussion d’une pantomime gesticulatoire. Il frappe au sol, vocifère, se contorsionne. Retour en force de l’hystérie, les contractures en moins52. Mullican fait les frais de la manipulation : « I was in a bad trip. » Il décide l’arrêt de la performance, après s’être reposé sur le lit de camp où l’hypnotiseur était venu à nouveau recharger l’emprise relationnelle de la suggestion. Étape de rébellion contre la voix de l’hypnotiseur, signifiant la fin d’une sujétion ; prise de conscience des limites de cette technique d’intrusion/ soumission qui menaçait l’intégrité psychique de l’artiste (sa déchirure non plus métaphorique, mais bien réelle53). Ou comment pousser l’expérience aveugle de la (dé)possession jusqu’à saisir le moment propice de la passivité – un « état de passivité » qu’il faut comprendre ici comme une manière de revenir sur la question du sujet et de sa présence à lui-même et où, 328 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 328 13/09/2020 19:06 1970-2020 comme a pu le dire Jean-Luc Nancy, « dans le sujet hypnotisé, c’est le présent même de sa présence qui est suspendu » : « S’il est ainsi présence, c’est comme une pure présence, qui n’a pour soi de présent et ne se présente ni ne représente rien, seulement offerte à la représentation de l’autre. Ce sujet n’est plus le sujet de la représentation : il n’est plus le sujet54. » Mullican a décidé de mettre fin, durant quelques années, à ce mode performatif avant que ne se repose le partage hallucinatoire de la réalité, sous un mode d’une intrusion de l’image virtuelle dans le champ du réel. À la fin des années 1980, toujours investi dans une recherche sur le symbolisme cognitif et les systèmes de codification, l’artiste revient donc vers l’hypnose par le biais des ambiguïtés de la numérisation des images et des informations. Le partage entre des aires de découverte et de travail, les jeux de projection entre espace réel et espace mental rappelaient curieusement les frontières établies physiquement lors de ses performances sous hypnose, entre l’espace personnel de son activité sous contrôle et l’espace public, non moins vigilant, des spectateurs. Cette façon qu’il a en arrivant sur scène de délimiter au scotch noir le territoire de son intervention trouvait un écho dans les partages optiques entre l’écran du virtuel et le plan du réel. En quoi consistent donc les nouvelles performances sous hypnose ? En un jeu de rôle ouvert où tout peut arriver, selon l’humeur de l’artiste et les imprécations de l’hypnotiseur, mais où cependant trône le plus souvent au centre de l’espace réservé une table sur laquelle sont disposés les matériaux (eau, encre, marqueur, etc.) nécessaires à l’élaboration d’une trace de l’événement, au-delà du simple constat photographique ou vidéo de l’action. Et peu à peu, ce qui était assez marginal, la production de grands dessins à l’encre noire sur d’imposants lés de papier appliqués sur les cimaises de l’espace délimité de la performance, devient une véritable pratique parallèle. Mullican produit de nombreux dessins sous (auto)hypnose, désormais seul dans son atelier, et non plus exhibé sur la scène devant le public. La concentration s’exerce sur le tracé du pinceau qui glisse sur le papier, légère transe pacifiée inscrite dans l’expérience du quotidien (cette technique se retrouve plus récemment dans les Dessins sous hypnose de Fabrice Cazenave). La B A. Matt Mullican, Under Hypnosis, 2007, Performance, Tate Modern, London. B. Matt Mullican, Untitled (Entering the picture), 1973, Performance, Project Inc., Cambridge, MA.W. 329 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 329 13/09/2020 19:06 UNE NOUVELLE HYPNOSE plupart de ces dessins sont ensuite marouflés sur des draps libres qui forment l’architecture mobile d’espaces labyrinthes que le spectateur est invité à parcourir librement – métaphore d’une déambulation vagabonde dans l’espace projectif d’une pensée libérée des conventions ordinaires, mais aussi plan réticulaire d’une carte-mémoire où conditionnement social et liberté individuelle négocient leur articulation. L’artiste y mêle ses séries de dessins à des séquences de photographies, jouant sur divers registres populaires, images glamours arrachées à des magazines d’adolescents (codes vestimentaires, archétypes de séduction…), ou des catalogues de vente par correspondance (fleurs, mais aussi tapis, des tapis persans dans lesquels l’artiste entrevoit une métaphore du tissage des informations stockées dans la mémoire…), avec un goût de la collection et du classement (analogies formelles, chromatiques, catégories d’objets), non pas tant sous l’angle de l’archive et de l’encyclopédie que sous la forme détournée de l’atlas – l’atlas comme « mode de connaissance nomade ». Quelle typologie d’inscription s’impose dans ces grands panneaux ? Quel style d’écriture ? Un graphisme curviligne aux allures régressives, proche du cahier d’école à l’ancienne, tout en maniaqueries et rondeurs, dont les arabesques stylisées et l’obsession du recouvrement symétrique des surfaces rappellent non seulement l’apprentissage de l’enfant, le dessin médiumnique, la notation musicale, l’écriture des fous, le graffiti psychédélique, mais aussi le vocabulaire en volutes de l’Art nouveau. Ce n’est pas le fait du hasard, mais bien le rappel de puissantes coïncidences historiques raccordant le développement stylistique de l’Art nouveau et la « psychologie dynamique » d’un âge d’or de l’hypnose médicale, où l’on s’attachait justement à identifier les enjeux de l’étagement de la conscience, une division qui a pour but non seulement d’élucider toute une gamme d’actes réflexes (automatismes, souvenirs, réminiscences, etc.), mais de révéler le mécanisme même de la pensée créative dans son lien à « la possibilité d’une prolifération imaginaire55 ». Matt Mullican s’en amuse en déplaçant le curseur sur l’échelle des clivages identitaires (âge, sexe, etc.). D’où la joyeuse diversité des « autres » qu’il rencontre dans cette plongée de l’hypnose. Une traversée de la vie par procuration. Mullican devient ici un enfant de quatre ans, là, un adolescent de quatorze ans, mais il peut aussi investir le corps d’un vieillard. Il peut être un homme ou une femme, un républicain ou un démocrate, les deux à la fois, hybride de multiples biographies contradictoires, etc., même s’il tente de donner, au final, une cohérence à ce « personnage », that person, the other, un individu dont on apprend au cours des divagations de l’écriture automate qu’il aime l’amour et la magie des chiffres, le café et les fleurs, la divine géométrie. Quelqu’un de « romantique » qui, dans l’exercice de la copie (« I love copy »), aime la répétition et les effets de réflexivité (« What is thought? What are deep thoughts? What are the deepest thoughts? ») ainsi que les ambivalences entre concret et abstrait, réel et imaginaire (« a bstract thought, concrete thought »). En cela, les inflexions de Matt Mullican dans sa pratique sous hypnose, à la recherche autant d’une personne que d’une situation, vont de pair avec la propre évolution des outils conceptuels pour comprendre l’hypnose elle-même. L’hypnose n’est plus réduite aujourd’hui à un phénomène de soumission fascinatoire (contrairement à l’approche freudienne qui continuait de l’assimiler à « l’état amoureux » pour n’en retenir que le pan impur, sinon obscur, de l’emprise sous phase d’induction). Si l’hypnose est un produit de l’imagination, c’est bien parce que cette veille étendue permet à l’imagination de se déployer pleinement pour transformer la relation du sujet aux êtres et aux choses. Aux côtés d’une cartographie des universaux, avec son symbolisme, ses codes graphiques et ses chartes de couleurs, Mullican explore un mode de transcription plus libre, moins conventionnel, des circuits de la connaissance : un mode visuel plutôt fragmenté derrière sa belle organisation, pour recueillir dans le jeu du montage des images et des textes, le morcellement des identités dont les relations seraient impossibles à recomposer sans l’apport de la fantaisie. C’est l’ultime retranchement que défend Mullican dans ces petits atlas humoristiques de l’inconscient, où se laisse tout simplement voir comment l’imagination travaille. C’est pourquoi la forme de l’installation immersive – aux côtés des technologies de la virtualité – prend une place de choix dans la résurgence de l’hypnose au sein de l’art contemporain. Tony Oursler, auteur des conclusions visuelles de ces chapitres, et dont les archives personnelles recèlent des trésors de curiosités empruntées aux imaginaires de la culture du divertissement populaire, en sait quelque chose. Les saynètes technologiques d’Oursler, pionnier de l’installation multimédia dans laquelle l’espace fictionnel de la vidéo rejoint le régime de l’imagerie mentale, en donnant langue à des personnages fantasmagoriques, s’inscrivent dans la tradition des statues parlantes56. Par des montages fantaisistes mêlant ironie et autodérision autour de jeux d’illusions optiques qui replacent « la sorcellerie derrière la caméra57 », l’artiste prestidigitateur, renouant avec les astuces comiques du cinéma des attractions, reconduit des hypothèses sur l’hyperpouvoir, mais aussi l’impuissance des représentations à l’âge d’une déferlante d’images déhiérarchisées en médiasphère. Il pousse à se définir non plus seulement en regard des images mais en leur cœur, en prenant acte que « nous ne sommes pas devant les images [mais] au milieu d’elles, comme elles sont au milieu de nous », obligeant désormais à « savoir comment on circule parmi elles, comment on les fait circuler58 ». Les créatures somnambuliques qui peuplent ses tableaux animés (entre ectoplasme et avatar numérique) sont les acteurs impuissants d’un simulacre platonicien où la réalité semble se dérober sous nos yeux à mesure que l’ère digitale se projette dans une présence aux contours toujours plus fantomatiques. 330 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 330 13/09/2020 19:06 1970-2020 L’EXPOSITION MENTALE LANGAGE PERFORMATIF ET SUGGESTION Il ne faut pas négliger la dimension vaudevillesque de cet usage de l’hypnose si débiteur de ce qu’en livrait toujours son approche populaire sur les tréteaux, les écrans (petits ou grands), les fanzines ou la bande dessinée (Le Livre de la jungle reste un passage incontournable de l’imaginaire de l’emprise hypnotique). Au-delà de la réhabilitation scientifique et clinique de l’hypnose – réelle à partir des années 1970 –, sa résurgence au sein des pratiques artistiques prend tout son sens dans la distance mutine de cette pirouette théâtrale dont elle reste dépositaire, un appui humoristique qu’il faut comprendre dans son jeu de position face au sérieux analytique du conceptualisme dominant la scène artistique de ces années-là. C’est le point commun entre Miller et Mullican, qui recherchent dans l’hypnose un « nouveau média » susceptible de mieux gérer, tout en restant dans le champ de gravité du langage, une sortie possible de l’orthodoxie conceptuelle recentrée sur l’énonciation de ce qui définit l’objet et l’intention critique de l’œuvre en dehors de sa présence matérielle. La doxa conceptuelle – celle de sa définition restreinte défendue par Joseph Kosuth dès 1965, mais aussi du versant de la « critique institutionnelle » – repose sur une approche du langage tournée sur les enjeux de la vérité et de la vérification, le rapport au langage étant arrimé sur la logique littéraliste et descriptive du constat (Joseph Kosuth, Four Colors Four Words, 1966). Or, face à ce positivisme du langage hérité d’un structuralisme que d’aucuns pouvaient considérer par trop élitiste jusque dans ses effets de mise à distance du sujet, se dégageaient d’autres approches plus pragmatiques venues de la « philosophie du langage ordinaire » plaidée par John Austin dans How to Do Things with Words (1962) : la reconnaissance d’un usage performatif du langage qui ne reposait plus sur le mode de la proposition (le statement cher aux artistes conceptuels), mais de la participation (l’action prisée dans les récents développements de la performance), une langue non plus réduite à l’idéalité du contenu et inféodée au régime symbolique de la représentation, mais transformée en authentique moyen d’action (speech act ou « énoncé performatif » qui constitue par lui-même l’acte qu’il désigne). Cela semblait donner, à rebours, un curieux écho au principe d’idéo-dynamisme porté par les défenseurs de la suggestion. Si, selon Bernheim, « la suggestion, dans le sens le plus large, c’est l’acte par lequel une idée est introduite dans le cerveau et acceptée par lui59 », « toute idée suggérée et acceptée tend à se faire acte60 ». Sous couvert d’une acceptation préalable du sujet à laquelle elle s’adresse, la suggestion est une façon de comprendre la conversion d’une injonction verbale en acte. Dans ce sens, . En fait, dans le jeu de rôle que s’attribuent les artistes comme Miller ou Mullican, dans leurs performances sous hypnose, s’installe l’idée de pouvoir traduire dans le réel une image intérieure tout en cessant « de croire qu’il y a une réalité psychique que nous pourrions étudier du dehors61 », avec la production de formes matérielles (des dessins notamment, à profusion chez Mullican), même si l’esprit contestataire du moment poussait vers des formes dématérialisées plus radicales s’opposant à la fétichisation marchande de l’objet d’art. Une génération plus tard, il reviendra aux artistes plus ou moins proches du postconceptualisme de se libérer de tout artefact pour conduire à son terme cette entreprise de dématérialisation de l’art, en la basculant cette fois définitivement du côté du spectateur. C’est ce que feront en duo le critique d’art lituanien Raimundas Malašauskas et Marcos Lutyens dans les Hypnotic Shows, ou Joris Lacoste dans ses transmissions d’œuvres sous induction hypnotique. Malašauskas, connu pour inventer de nouveaux formats d’exposition, frappe en 2006 à la porte d’Algirdas Laurinaitis, un psychiatre connu de Vilnius, pour lui demander de l’hypnotiser. La requête est précise : il souhaite « devenir une … le principe d’un langage performatif venait consolider cette articulation magique du dire et du faire que l’art de cette époque pouvait accueillir comme une forme alternative au rationalisme affiché du discours de la méthode et de la définition… radio capable d’émettre et de recevoir des signaux », et mieux encore, de « recevoir des signaux du passé et du futur ». Le contexte géopolitique n’est pas neutre. Nous sommes dans une Europe de l’Est sortie du bloc soviétique qui voit toujours dans les moyens de communication un média de conditionnement de masse. Au cours de la conversation, Laurinaitis évoque d’ailleurs le nom d’Anatoly Kashpirovsky, un agent « mentaliste » à qui le Kremlin avait semble-t-il demandé, au début des années 1980, d’orchestrer un show télévisuel visant à utiliser l’hypnose subliminale pour consolider l’adhésion idéologique du public face à ce qui apparaissait déjà comme la chute annoncée de l’empire. Délesté de cette hantise de la manipulation, le format expérimental de l’exposition dédramatise l’exploration des frontières de la subjectivité. C’est dans ce contexte spéculatif, partagé avec d’autres curators comme Francesco Manacorda ou Mathieu Copeland, que Malašauskas met sur le papier un protocole visant un projet d’exposition totalement dématérialisée : « 1. Se produit dans l’esprit du public sans être une représentation de quelque chose qui lui soit identique. 2. Abolit les paramètres physiques et les propriétés de l’objectivité. 3. Apparaît comme un rêve cérébral non référentiel. 4. Effectue un acte de transfert sensoriel et intellectuel comme ce qui se passe dans L’homme qui enseignait la peinture de Blake dans son rêve, le dessin de William 331 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 331 13/09/2020 19:06 UNE NOUVELLE HYPNOSE Blake (Blake peignait-il dans ses rêves ou apprenait-il à peindre dans les rêves de quelqu’un d’autre ?). 5. Pousse la dématérialisation à la limite que seules la science-fiction, la foi et les neurosciences peuvent imaginer. 6. Reste miniature, télépathique, autonome et facilement transférable. 7. Reformule tous les protocoles ci-dessus dans son élaboration62. » En 2008, à l’invitation de la galeriste Jessica Silverman à San Francisco, Malašauskas propose donc une « exposition qui a lieu, à travers l’hypnose, dans la tête du public63 ». Capitale de l’utopie numérique, de l’infosphère et de l’intelligence collective par sa proximité avec une Silicon Valley en pleine expansion64, San Francisco, une ville au fort héritage psychédélique, était propice à accueillir ce premier Hypnotic Show : « L’idée de base du spectacle est de radicaliser le pouvoir d’un artiste en hypnose pure (c’est-à-dire de voir l’espace cérébral comme le moyen ultime de l’art et de transmettre ou instruire une œuvre d’art à travers le médium de l’hypnose). Par exemple, imaginez une pièce vide : dix personnes et un hypnotiseur qui hypnotise les dix personnes pour y vivre une exposition, ou pour vivre quelque chose qui a été proposé par des artistes. Donc, l’œuvre d’art n’existe que dans le cerveau du public65. » Malašauskas s’est rapproché d’artistes internationaux proches de ses préoccupations (Cerith Wyn Evans, Pierre Huyghe, Torreya Cummings, Joachim Koester, Fabien Giraud et Raphaël Siboni, etc.), auxquels il a demandé des scripts décrivant une situation, une scène, un décor, transmis au public sous induction par un hypnotiseur associé au projet, Marcos Lutyens. Artiste anglais basé en Californie, engagé depuis de nombreuses années dans le champ de la perception sensorielle, de l’intelligence artificielle et des neurosciences, mais aussi formé aux pratiques post-ericksoniennes à l’American Institute of Hypnotherapy (AIH, Irvine, Californie), Lutyens avait déjà collaboré avec Mullican dans certaines performances sous hypnose. Plusieurs sessions seront organisées dans divers lieux, faisant évoluer le protocole d’induction où apparaissaient ici, une Dreamachine très opticaliste, là, un jeu de passes magnétiques, avec un point de culmination à l’occasion de la Documenta 13 de Kassel (2012). Cette fois, c’est un dispositif spécial qui est conçu pour accueillir les visiteurs dans les jardins de Karlsaue Park : une cabane en bois, dite Reflection House, dont le principe de construction en miroir amène le public à se projeter dans un environnement spéculaire mêlant espace réel et construction imaginaire, le préparant à une expérience sensible dans laquelle l’inconscient joue, telle une doublure, un rôle primordial. L’idée d’un espace dédoublé en miroir a été inspirée à l’artiste par l’expérience de la mirror box du professeur A Vilayanur Ramachandran à destination des victimes du « syndrome du membre manquant » ; elle n’était pas non plus étrangère à un premier dispositif en miroir proposé à la fin des années 1990 au performeur activiste Ron Athey, dans lequel l’image de l’artiste venait se confondre avec celle d’un alter ego, Vaginal Davis, jouant sur les transferts d’identité – des expériences limites dans lesquelles la ritualisation sadomasochiste impliquait des atteintes physiques du corps où l’hypnose était appelée comme analgésique66. À Kassel, nulle ritualisation « actioniste », mais l’inversion des lois physiques insinuées par le renversement de perspective et le jeu de symétrie (une forme de palindrome visuel) offraient une manière de dérouter les réflexes ordinaires et d’induire un état de distraction permanent propice à décaler les conditionnements d’une répartition trop coutumière des fonctions cérébrales entre les deux hémisphères. La plupart des scénarios avaient été réunis dans un livre (Paper Exhibition, 2012), mais l’expérience des œuvres contenues dans ces scripts passait par la médiation, autrement moins linéaire, de la suggestion verbale sous A. Couverture de Marcos Lutyens, Memoirs of a Hypnotist: 100 Days with a Foreword by Raimundas Malašauskas, 2015. 332 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 332 13/09/2020 19:06 1970-2020 induction, avec la possibilité d’aller d’un scénario à un autre, de brouiller les ordres de narration, de croiser les situations et les réseaux de significations. Au réveil, le public était invité à partager les visions intérieures vécues durant la suggestion, comme autant de réinterprétations d’une œuvre fictionnelle non calibrée, totalement plastique, comme l’esprit qui les a accueillies. Ce format de transmission mentale de l’œuvre revient sur une certaine utopie du projet de l’avantgarde dont l’horizon aura été moins de défaire le grand mensonge physique de la peinture (en finir avec l’illusionnisme du trompe-l’œil et les artifices conventionnels de la représentation) que d’inventer une nouvelle relation entre l’artiste, l’œuvre et le spectateur, qui densifie la nature physique et sensible de la relation à l’œuvre tout en poussant la dématérialisation du support de la communication, renonçant à la fois à la médiation visuelle du signe et à l’hégémonie rationnelle de la forme, en donnant priorité à ce qui n’est pas cerné et définissable, à l’invisible et à l’indicible. Ce mode associant physique sensible de l’expérience, volatilisation impondérable de l’artefact et liberté interprétative du spectateur est proche de celui qu’adopte l’artiste et metteur en scène français Joris Lacoste, qui pratique l’hypnose depuis 200467. Le protocole est similaire : après avoir endormi un sujet, Lacoste lui raconte une histoire préécrite dans laquelle il sera le personnage principal ; au réveil, l’artiste/hypnotiseur écoute le récit du spectateur, une odyssée hallucinatoire, visuelle, auditive et tactile, vécue avec un degré de réalité qui s’apparente à l’expérience du rêve. Il s’agit donc d’un « rêve scénarisé, guidé par la voix, mais qui déborde sans cesse son propre cadre », où Lacoste cherche à surfer sur « l’écart irréductible de l’imaginaire et de l’inconscient de chacun ». Le même scénario s’actualise d’une manière à chaque fois différente. La première occurrence de ce protocole fut radiophonique. Elle a lieu en 2009, dans le cadre d’une manifestation intitulée Au musée du sommeil. Pour cette pièce sonore, Lacoste a écrit un scénario, ou texte-source, sous la forme d’une histoire à la deuxième personne : la visite d’un musée d’art contemporain. Dans la « Suite » de la Maison rouge à Paris, il raconte successivement cette histoire à sept personnes hypnotisées. Après chaque séance, l’artiste demande à chacun de lui narrer ce qu’il avait vécu. Au musée du sommeil est un montage sonore réalisé à partir de ces sept enregistrements, diffusé dans « L’Atelier de création radiophonique » de France Culture, puis, sur une proposition d’Éric Mangion, présenté à la Villa Arson en 2010, lors de l’exposition Double Bind, dans un dispositif d’écoute conçu pour l’occasion. Avec Restitution, en mai 2010 toujours à la Villa Arson, cette fois en collaboration avec Florian Leduc et Éric Duyckaerts dans le cadre d’une exposition collective intitulée No Comprendo et consacrée aux questions de transmission et de tra- duction en art, Lacoste adopte un protocole légèrement différent. Avant l’entrée du public, il hypnotise un invité et lui raconte une histoire écrite. C’est après le réveil qu’il demande au sujet de rapporter ce qu’il a vécu pendant la séance. La nature particulière de son récit (il semble raconter des événements tout à la fois réels et impossibles) et la relation paradoxale qui s’instaure entre l’artiste et l’invité suggestionné produisent une sorte de « fiction réelle » qui jette un doute sur la situation familière de l’entretien. L’idée de base du spectacle est de radicaliser le pouvoir d’un artiste en hypnose pure (c’est-à-dire de voir l’espace cérébral comme le moyen ultime de l’art et de transmettre ou instruire une œuvre d’art à travers le médium de l’hypnose). Cette expérience sera poursuivie la même année pendant toute la durée du Printemps de septembre, à Toulouse, sous la forme performative du Cabinet d’hypnose, un format d’exposition pour une seule personne, reçue sur rendez-vous et endormie avant la transmission du récit. Chaque séance est documentée sous la forme d’un portrait : la vidéo d’un visage endormi sur lequel sera monté l’enregistrement de son récit au réveil. En accrochant côte à côte ces vingt-deux portraits dans ce qu’il appelle une « galerie du rêve », Lacoste cherche à faire entendre les variations d’interprétations, de manière à faire apparaître concrètement à quel point c’est le « spectateur qui fait l’œuvre ». Pour élargir ce projet duchampien à une expérience plus collective et scénique, Lacoste a monté un spectacle, Le Vrai Spectacle. Il s’agit cette fois de faire du théâtre le lieu même de l’hypnose, tout en se démarquant des clichés manipulateurs de « l’hypnose de scène », toujours présente dans la culture du divertissement, comme en témoigne, parmi de nombreux exemples, le succès médiatique de l’hypnotiseur canadien Messmer, vedette internationale de shows télévisuels prime time à l’instar de « Stars sous hypnose », où il pousse à l’extrême le pilotage psychique de vedettes du paysage audiovisuel – le plus souvent des comiques reconnus – converties en purs automates (Le Rire de Bergson n’est pas loin). Plutôt que de faire de la sujétion le sujet même du spectacle, Lacoste cherche à ce que le spectateur fasse œuvre depuis sa place de spectateur. Le dispositif traditionnel du théâtre (acteurs sur scène et spectateurs dans la salle) est préservé, mais il ne sera rien demandé d’autre au spectateur que d’écouter et d’imaginer, en restant libre de plonger ou pas dans le « sommeil paradoxal », c’est-à-dire de s’abstraire ou pas du décor abstrait proposé sur la scène. 333 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 333 13/09/2020 19:06 UNE NOUVELLE HYPNOSE Elle est vide, sans autre décor qu’une ambiance lumineuse ; un acteur entre, il s’adresse au public. Dans un premier temps, la conversation sert à rassurer le public sur ce que n’est pas l’hypnose ou ce qu’elle ne sera pas dans ce spectacle. Les premiers mots sont consacrés à dire que chacun est ici libre de se laisser bercer par les paroles ou de résister à un mouvement d’endormissement, de rester éveillé et vigilant ou se « laisser-faire », sans craindre d’être manipulé par une suggestion qui pourrait porter atteinte à son autonomie. D’emblée, il est rappelé que le spectateur ne sera à aucun moment invité à venir sur scène mais restera confortablement dans son fauteuil pour vivre une expérience qui ne se fera pas à ses dépens. La parole s’arrête ensuite sur la proposition d’un choix, celui de rester face au spectacle réel (la parole de l’acteur, ses gestes, les lumières et les sons, qui peu à peu se font plus présents et pulsatifs) ou de plonger dans le « vrai spectacle », celui qui est vécu sous le jeu de l’induction hypnotique. La musique commandée au compositeur Pierre-Yves Macé est à la fois lancinante et changeante ; la lumière créée par Caty Olive s’adresse à des spectateurs qui sont invités, tout comme dans le dispositif de la Dreamachine, à fermer progressivement les yeux : « Chaque spectateur doit en effet pouvoir choisir sa manière d’expérimenter le spectacle : soit en se laissant endormir pour le vivre de l’intérieur (ce qui suppose de renoncer à une certaine distance critique) ; soit en restant éveillé pour l’observer de l’extérieur (ce qui suppose de renoncer à l’expérience hallucinatoire). Les deux réceptions, quoique radicalement différentes, doivent être aussi intéressantes l’une que l’autre. Cette double réception est essentielle au projet. D’abord parce qu’elle place la liberté du spectateur au centre. Ensuite parce qu’elle radicalise les deux positions entre lesquelles, dans l’expérience d’un spectacle, nous naviguons toujours : celle de l’adhésion totale, presque enfantine, à ce qui est représenté ; et celle du recul critique, où nous observons davantage la manière dont est représentée l’action68. » Spectacle réel ou vrai spectacle, ce sont deux options possibles, en rien contradictoires, parfois cumulables. Quand l’induction fait son effet sur le public qui le souhaite, l’acteur (Rodolphe Congé) transmet verbalement le scénario écrit par Lacoste qui sert de base narrative à l’œuvre fictionnelle transmise mentalement : « J’ai entrevu un possible usage artistique de cette pratique […]. Il y a un ensemble de règles et de figures que l’on doit maîtriser pour induire l’état d’hypnose. C’est une vraie poétique. Une poétique d’autant plus intéressante à mon sens qu’elle est toute fonctionnelle : la parole vise à provoquer non pas des effets esthétiques, mais un état physiologique déterminé. Elle ne vise pas la beauté, mais l’efficacité. Elle n’est belle qu’incidemment. C’est un intéressant défi d’écriture69. » Dans ce projet comme dans les précédents, l’hypnose n’est pas une fin en soi, mais un médium artistique parmi d’autres, une manière de produire des images et du sens « au même titre que la peinture, la vidéo, la pantomime ou la 3D ». La démarche n’est pas anodine, car elle prend ouvertement à contre-pied la condamnation plutôt consensuelle de l’hypnose dans les discours de la dramaturgie contemporaine. Au cours du XXe siècle, l’hypnose fut le repoussoir régulier, sinon canonique, du théâtre contemporain quand celui-ci veillait à s’opposer, tel un chantier de résistance éthique et sociale, aux usages populistes de la fascination collective. Dans ses Écrits sur le théâtre70, le terme hypnose est utilisé par Bertolt Brecht pour qualifier tout ce qui relève de la conception illusionniste – aristotélicienne – de la scène, clairement associé aux procédés visant à réduire la distance critique du spectateur et à le maintenir dans une coupable position de passivité : le « théâtre du divertissement vespéral » est l’instrument nocif d’un engourdissement des consciences. À ce théâtre hypnotique qui envoûte et manipule le spectateur en lui suggérant des émotions prédéfinies, Brecht oppose une dramaturgie matérialiste qu’il dit « non aristotélicienne », allant de pair avec l’exclusion de tout ce qui « apparaît comme fusion du religieux et du politique » au profit de pratiques d’écritures didactiques censées favoriser la distanciation et l’esprit critique. Le théâtre authentique – le vrai théâtre – se doit d’instaurer une tension entre catharsis et réalité sociale, dans une posture engagée visant à transformer le monde. Cette approche d’un théâtre de la distanciation, refusant l’empathie « aliénante », préfère les montages de rupture aux effets de continuité : dislocation du texte et de sa diction, disjonction du récit et implosion de la narrativité, dissociation de la temporalité, autant de tactiques fonctionnelles pour mieux réveiller la conscience d’un spectateur appelé « à voir la réalité telle qu’elle est ». Dans Le Vrai Spectacle, Lacoste ne craint pas l’identification jusqu’à la pousser vers la transformation du spectateur en cofabulateur qui investit à sa convenance le récit et les situations71, ni même la théâtralité de l’hypnose dans laquelle la parole s’adresse à une conscience partiellement endormie : « C’est merveilleux de voir comment des métaphores ambiguës produisent des images très concrètes, comment par exemple l’énoncé : “Tu es à l’intérieur d’une chambre qui est à l’intérieur d’une idée” peut faire apparaître, contre toute attente, l’image d’un diamant72. » Soit une manière de reconsidérer la hantise brechtienne dans une relation esthétique où l’œuvre n’est plus considérée comme un raisonnement qui se transmet mais comme le lieu d’une expérience de pensée que Jacques Rancière qualifie justement d’« émancipation ». A. Joris Lacoste, Le cabinet d’hypnose (Bestiaire), 2010. 334 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 334 13/09/2020 19:06 A HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 335 13/09/2020 19:06 A HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 336 13/09/2020 19:06 B A & B. Photogrammes extraits du film d’Olivier Dollinger, Under Hypnosis Statement, 2005, dispositif vidéo, double projection, 16 mm. HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 337 13/09/2020 19:06 UNE NOUVELLE HYPNOSE L’EXTASE COMME « POINT LIMITE » LE RETOUR DES ATTRACTIONS En d’autres occasions, ce sont les propres motivations conceptuelles d’une exposition qui sont examinées. Dans Under Hypnosis Statement (2005), Olivier Dollinger73 invite le commissaire de la manifestation offshore à la fondation Cartier, Jean-Max Colard, à suivre une séance d’hypnose au cours de laquelle lui est demandé de se souvenir des images et des arguments qui ont présidé à l’élaboration du thème de l’exposition et au choix des artistes appelés à y contribuer (cette sélection menant à l’attribution du prix Ricard). La séance est filmée, elle sera projetée dans l’espace de l’exposition en split screen, jouant, tout comme dans l’œuvre des sœurs Wilson, sur la théâtralité du dispositif et les effets de doublure du point de vue dont le dispositif en abyme aurait ici vocation à dévoiler l’arrière-scène, consciente ou inconsciente, des choix curatoriaux. Dans Visiting a Contemporary Art Museum under Hypnosis (2006), Christophe Keller utilise l’induction hypnotique pour déstabiliser là aussi le contenu univoque de l’exposition. L’état modifié de conscience du visiteur réforme la séquence narrative offerte par la contiguïté des œuvres sur les cimaises, rejoignant l’esprit duchampien consistant à basculer à la fois l’interprétation et l’autorité du « processus créatif » du côté du spectateur. Pas de hasard si les artistes cherchant à revisiter le format de l’exposition se penchent sur l’hypothèse hypnotique. C’est le cas de Philippe Parreno, connu pour subvertir les lois spatio-temporelles d’une exposition abordée comme une « chorégraphie mentale ». Dans H (N)Y P N(Y) OSIS HYPOTHESIS (2017), qui accompagne ses expositions à New York et Milan, l’artiste français revient sur les vertus imaginales d’un espace acoustique et visuel qui ménage un plan spécifique de la réalité, celui d’une esquisse changeante, d’un monde de l’entre-deux où l’image est toujours placée du côté d’un doute spectral et réflexif, dans une proposition polyphonique associant, tels des objets sensibles et intelligents, films, sculptures, sons et lumières, et où, par le mystère d’un agencement harmonique de ces formes, le travail se met à exister sur une scène reconvertie en boîte crânienne. Le montage de ce petit théâtre d’ombres, reconversion poétique du mythe platonicien qui invite à regarder vers la source idéelle de Alumière, répond à ce que Gilles Deleuze appellait la veine du « cinéma du sublime », « extensive-psychique ». Extensive, car elle « force à penser », mais aussi « psychique » car elle « pense sous le choc », un choc visuel produit par une pulsation optique (positif/négatif, blanc/noir) qui défie et défait la relation intentionnelle entre percept et concept pour revenir à une « sorte de pensée primitive » d’une manière toute télépathique. En cela, Parreno reprend à son actif l’imaginaire d’une cinématographie psychique qu’il projette sur le parcours sensible de l’exposition. Ses marquises chargées d’ampoules sont autant de métaphores d’enveloppes neuronales qui animent la vie de l’esprit et dans lesquelles vont circuler des paysages A et des silhouettes, des créatures et des objets tels des produits d’une pensée en mouvement qui forment le phrasé d’une production immatérielle74. Le fantasque Arthur Conan Doyle y pensait. Dans une nouvelle intitulée Atlantis retrouvée, Doyle évoque un écran « tout pareil à nos écrans de cinéma, sauf que la surface en était revêtue d’un enduit brillant qui miroitait sous la lumière » et sur laquelle le narrateur arrive à projeter directement son portrait mental, en concentrant son regard sur l’écran : « Il y a là une invention admirable, encore qu’elle ne soit qu’une combinaison de la télépathie et de la télévision, telles qu’on les comprend vaguement chez nous75. » Nul doute aussi si l’emprise spectatorielle capable d’ouvrir les « portes de la perception » reprend ici tous ses droits, repérée dans tout un courant néo-opticaliste apparu au cours des années 2000, et dans lequel le dispositif d’hypnotisation du regard revient en force sur des jeux d’éblouissements et de rémanence rétiniennes. De Carsten Höller dans Light Corner (2001) à Loris Gréaud revisitant la Dreamachine (2004), nombreux sont les 338 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 338 13/09/2020 19:07 1970-2020 artistes de cette génération qui adoptent des mécanismes électriques de clignotement fréquentiel invitant les spectateurs à fermer les yeux pour accueillir le travail intériorisé des images rémanentes. Höller, Gréaud, mais aussi Douglas Gordon sous la forme d’effets temporels distendus (24 Hour Psycho, 1993), Mathieu Briand sous le mode de la suspension (Derrière le monde flottant, 2004) ou Laurent Grasso sur une déclinaison des « forces magnétiques » croisant croyances ancestrales, cartographies imaginaires et fréquences telluriques (OttO, 2018) ; tous aiment à surfer sur ces effets de déstabilisation perceptive qu’un Roger Caillois avait réunis sous le concept fédérateur d’« ilinx ». Dans Le Jeu et les hommes. Le masque et le vertige, Caillois revenait sur l’économie hypnotique du vertige. Pour lui, l’ilinx (nom grec pour « tourbillon d’eau ») est « une tentative de détruire pour un instant la stabilité de la perception et d’infliger à une conscience lucide une sorte de panique voluptueuse76 », dont la recherche d’intensités, visant un monde singulièrement plus dense que celui de la vie courante77 », serait le trait principal et les attractions foraines représenteraient le répertoire technique le plus populaire à « l’âge industriel78 » – il prend pour exemple le cas du manège forain repris par Carsten Höller dans Mirror Carousel (2005). L’hypnose opticaliste cherche à atteindre ce régime de perception mêlant discontinuité de l’expérience (la Schock-Erlebnis benjaminienne) et excès conflictuel de stimulations. Dans sa nomenclature du jeu divisée en quatre modes (compétition, hasard, simulacre, vertige), Caillois pose deux extrémités : d’un côté, le paidia, défini comme un « principe commun de divertissement, de turbulence, d’improvisation libre et d’épanouissement insouciant, par où se manifeste une certaine fantaisie incontrôlée », de l’autre, le ludus, sa complémentaire, dans le « besoin croissant de plier [la première] à des conventions arbitraires79 ». Dans les installations immersives d’Olafur Eliasson (c’est en particulier le cas du Weather Project installé en 2003 dans le Turbine Hall de la Tate Modern de Londres, transformant l’espace postindustriel en cathédrale pour visiteurs somnambules subjugués par l’attraction irradiante d’un soleil artificiel), le spectateur est maintenu dans l’équilibre sous tension de ces deux pôles, entre turbulence hypnotique et contrôle proprioceptif. C’est ce que Caillois va ranger dans la catégorie des « techniques de vertige80 », celles qui, comme l’explique Marielle Macé, consistent « justement à vouloir éprouver intensément les conditions de la perte d’équilibre, l’exposition au vide, la perturbation des B A. Olafur Eliasson, The Weather Project, 2003, installation, Tate Modern, Londres. B. Loris Gréaud, Dream Machines, 2005, light box, 65 x 110 x 19 cm, collection Kadist Art Fondation. C. Ann Veronica Janssens, Donut, projection vidéo, 2003. 339 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 339 13/09/2020 19:07 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 340 13/09/2020 19:07 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 341 13/09/2020 19:07 UNE NOUVELLE HYPNOSE B A A. Alain Séchas, Hommage à Émile Coué, 2006, aluminium sérigraphié, mécanisme sonore et électrique, collection FNAC. B. Erwin Wurm, Hypnosis, 2008, acrylique sur résine, 98 x 109 x 49,5 cm. C. Alain Séchas, Trivial Pursuit, 2002, lithographie (p.312 et 343), 100 x 70 cm, collection particulière. repères et des points d’assurance, puis à viser la réinsertion dans une forme d’ordre, de stabilité, et même de gloire81 ». Ces techniques sont au cœur du modèle scénographique adopté par Joris Lacoste dans Le Vrai Spectacle – celui que l’on pourrait qualifier de « spectacle réel », animé de pulsations de lumière orchestrées par Caty Olive qui, à mesure que la narration avance dans le temps, se font de plus en plus berçantes, pour faire « accéder à une sorte de spasme, de transe ou d’étourdissement » sans chercher à « anéantir la réalité avec une souveraine brusquerie82 » en situant l’efficace de la dramaturgie en dehors de toute « intoxication83 ». Cet équilibre instable de la pulsation optique se retrouve dans la vidéo Donut (2003), où Ann Veronica Janssens produit un jeu de cercles concentriques, centre de diffraction stroboscopique à partir duquel, après plusieurs minutes d’exposition, le « visiteur peut se déplacer mentalement dans un espace virtuel » : « Ce que je propose constitue des seuils, des espaces à franchir entre deux états ou perceptions, entre lumière et ombre, entre défini et indéfini, silence et explosion… Ce sont des expériences qui sont mises à disposition, à percevoir ou non […]. On peut convoquer en nous des formes et des lumières intenses qui existent de façon latente ou éphémère […]. C’est l’expérience de l’excès, du dépassement des limites qui est souvent proposée et en cela 342 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 342 13/09/2020 19:07 1970-2020 les éblouissements, la rémanence, le vertige, la saturation, la vitesse, l’épuisement sont des situations qui m’intéressent beaucoup car elles nous permettent de nous structurer autour d’un seuil d’instabilité visuelle, temporelle, physique et psychologique…84 ». Cette recherche coïncide intuitivement avec les hypothèses actuelles sur la pensée renonçant, comme le propose notamment Francisco Varela, au modèle cybernétique ayant nourri le projet de l’art optique, pour réintroduire l’idée d’une corporéité de la pensée : le cerveau ne fonctionne pas comme un ordinateur, mais comme un nuage interactif avec le monde. Dans cette nouvelle écologie de la pensée, la mémoire des sens devient l’un des supports vivants de la pratique du glissement. La perception fait de la pensée un morphing qui requalifie en permanence ses modes d’évolution face à son environnement ; la mémoire ne fonctionne plus comme un répertoire dans lequel on irait puiser des solutions ou des images toutes faites mais comme un catalyseur de formes ouvertes et d’inventions, un espace de liberté. Il faudrait rattacher à cette veine opticaliste Le Phénomène (2005) de Frédéric Vaësen, une vidéo en boucle de quatre minutes, quarante-huit secondes, dont la pulsation stroboscopique, revisitant l’effet flicker, soumet le regard à une productivité imageante des seuils. Le titre indique, par ellipse, la source. Vaësen fait ici hommage à Salvador Dali et à son collage publié dans la revue Minotaure. Alternance binaire de blancs et de noirs produisant huit à treize flashes lumineux C B par seconde (soit le rythme des ondes alpha du cerveau utilisé pour la Dreamachine), ce jeu purement abstrait laisse apparaître, à peine visibles, sur le principe d’un « inconscient optique », quarante-trois images subliminales (soit le nombre des clichés réunis par Dali dans son collage sur Le Phénomène de l’extase). Le son accompagnant cette odyssée hallucinogène est une réinterprétation électroacoustique d’un extrait de Day by Day, un morceau de 1969 de Jimmy Scott, chanteur connu pour son syndrome de Kallmann (maladie génétique rare qui se traduit par un déficit hormonal et confère à sa voix un son cristallin, androgyne85). Dans ce brouillage des genres, Vaësen travaille en sous-main une optique queer où les images subliminales insérées dans le montage de la vidéo déclinent non pas les clichés du collage original de Dali (principalement les jeunes femmes en pâmoison dans un décor Art nouveau), mais des photogrammes psychédéliques des années 1960 où le genre des modèles a été systématiquement inversé (une pluie d’éphèbes dont les corps extatiques ont été arrachés à des magazines pornographiques vintage). Cette inversion revient sur le caractère construit et socialisé de ces mécanismes d’induction ; elle déconstruit le lien entre la recherche jouissive d’une transe perceptuelle et l’expérience sensible d’un trouble des genres, là où la quête d’un territoire « illimité » des identités reste au cœur d’une sécularisation hypnotique de l’extase. Si, dès 1865, le docteur Guyomar – un médecin adepte du magnétisme – parlait à propos d’extase d’un « bruit de l’infini86 », c’est plutôt à l’exégèse moderne et cinématographique d’un Sergueï Eisenstein – en particulier le principe d’un 343 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 343 13/09/2020 19:07 A HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 344 13/09/2020 19:07 1970-2020 pathétique obtenu dans le « montage des attractions87 » – qu’il faut rapporter la transe visuelle et son mode de sortie hors de soi déployé par Frédéric Vaësen : « Tout ce qui oblige le spectateur à sortir de lui-même […]. L’action du pathétique d’une œuvre consiste à amener le spectateur à l’extase […] car ex-stasis signifie littéralement la même chose que notre “sortir de soi-même”, “être hors de soi”, ou “sortir de l’état habituel”88. » Ce qui importe dans cette extase, c’est le degré de changement et de transformation, le passage contagieux à quelque chose d’autre, à quelque chose d’une qualité différente. « Le plus simple des archétypes d’un tel comportement contagieux serait, évidemment, quelqu’un se comportant extatiquement à l’écran, c’est-à-dire un personnage saisi par le pathétique, un personnage qui d’une façon ou d’une autre serait mis hors de soi89. » Dans ce cas, nous dit Eisenstein, « la structure va coïncider avec la représentation. Et l’objet de la représentation – le comportement d’un tel personnage – va lui-même se dérouler selon les données de la structure extatique90 ». Mais le cinéaste propose un second degré, plus efficace encore, de « structure de type pathétique » où cet état ne s’arrête pas à l’homme lui-même mais à son environnement : « Plus complexe et plus efficace est le cas où cette condition fondamentale ne s’arrête pas à l’homme seulement, mais “sortant des limites” de l’homme, déborde sur le milieu et l’environnement du personnage, c’est-à-dire lorsque cet environnement même est représenté dans les mêmes conditions de frénésie91. » C’est ce qui se passe en partie dans les objets qui entourent les personnages extatiques du collage de Dali, avec notamment une chaise qui bascule. Mais dans sa version cinématique, Frédéric Vaësen porte cette contagion vers une autre transformation, celle du passage « frénétique » entre figuratif et abstrait – un passage que convoque justement Eisenstein quand il parle des « zigzags graphiques blancs sur champ noir92 ». Le montage du Phénomène adopte ce saut « subliminal » vers le non-figuratif, forme extatique de la vision rapportée à l’apparition physiologique de phosphènes lors de l’éjaculation (une transcription lumineuse de l’orgasme), mais aussi, de façon plus profonde, à une sortie de la logique du langage lui-même. Pour Eisenstein, le principe du « pathétique » nous fait communier avec « la perception des lois de l’existence, de la matière, ressenties comme un perpétuel devenir93 ». C’est là qu’intervient pour lui le principe de l’hyperobjectivité : il faut pouvoir objectiver le sentiment de transport et non pas seulement le traduire subjectivement. Le cinéaste est fasciné par l’existence d’un stade prénotionnel et préiconique dans l’état extatique : « S’il est un stade de la pensée où la notion n’existe pas encore et où l’image est l’unique moyen d’expression, il est un autre état, encore plus élémentaire, limité à la seule sensation qui ne trouve aucun moyen de s’exprimer en dehors de simples symptômes de cet état lui-même. Telle exactement se présente l’extase à ses points limites : sortie de la notion – sortie de l’image – sortie des sphères de quelconques rudiments de conscience pour entrer dans la sphère purement passionnelle de “purs” sentiments, sensations, états94. » Une fois de plus, ce que l’hypnose vient faire à l’art touche à l’idée d’une transmission de sensations optimisée entre l’artiste et le spectateur : « Par le vouloir conscient, toute sa force “électrisante” est dirigée sur le matériau dont les données ont engendré cet état, afin de contraindre ce matériau à prendre forme conformément aux lois d’une exacte copie de l’état psychique (“inspiré”) où s’est trouvé l’artiste95. » LA DISPOSITION DU CORPS. L’HYPNOSE COMME OUTIL CHORÉGRAPHIQUE Cette transmission va trouver un format particulier dans la performance chorégraphique. La liste des spectacles de danse proprement hypnotiques serait longue, très longue, à commencer par les mises en scène minimalistes et sérielles de Brice Leroux (venu de la compagnie Rosas, d’Anne Teresa de Keersmaeker, avec laquelle Ann Veronica Janssens a plusieurs fois collaboré). Dans Gravitations-quatuor (2002), Leroux installe quatre danseurs plongés dans la pénombre qui se déplacent sur scène suivant une trajectoire elliptique formée par des combinaisons aléatoires donnant la sensation d’un flot continuel de déplacements de corps réduits à des surfaces blanches et noires dont la pulsation itérative s’approche de l’effet opticaliste du flicker. Dans The Non Present Performer (2017), le chorégraphe hollandais Karel van Laere interroge l’anesthésie du corps du danseur, mais c’est bien plutôt dans la libération des automatismes gestuels que la danse contemporaine explore les potentiels de la condition hypnotique, à la manière de la Française Catherine Contour, qui, depuis une quinzaine d’années, recourt à ce qu’elle nomme l’« outil hypnotique » dans sa pratique de la danse. Elle s’est pour cela familiarisée avec les techniques postericksoniennes qu’elle transmet aux danseurs et aux spectateurs, lors de performances collectives mais aussi de cycles de formation, à destination d’un public qu’elle souhaite le plus élargi ; manière poétique et pragmatique de renouveler la question de la diffusion du geste chorégraphique et de la déplacer vers de nouveaux enjeux émancipateurs, touchant aussi bien un accomplissement individuel de la posture du corps qu’un « partage du sensible » plus collectif96. Dans l’hypnose, le sujet peut retrouver le sentiment d’« exister en dépendance aux choses », plongé dans un champ de forces qui n’est plus rivé sur le lien ombilical à une autorité, mais porté par un rapport au monde vécu comme une invention de soi. Tout comme en plongée onirique, l’imagination dans cet état hybride de veille se développe sous une forme phénoménale A. Frédéric Vaësen, Le Phénomène de l’extase, 2005, photomontage numérique, 18,5 x 25,5 cm, collection particulière. 345 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 345 13/09/2020 19:07 UNE NOUVELLE HYPNOSE et fictive à la fois, où, comme semblent le confirmer les recherches neurologiques actuelles, la conscience du sujet ne serait plus celle d’un moi percevant les objets et les situations, mais d’une instance préalable à la position du monde extérieur qui éclaire les plus récentes incursions de l’hypnose dans l’art actuel, dans la danse en particulier. Le terme de « plongée » n’est pas neutre ; il rejoint un lexique adopté par Contour dans son désir de renouveler les pratiques institutionnelles de la danse. Les imaginaires associés à la « plongée » sont bien évidemment liés à l’immersion dans les couches profondes de la conscience. Mais ce vocable trouve des résonances plus précises dans les nouvelles approches dites « douces » de l’hypnose : une habitation de son corps sous la forme d’un retrait partiel de soi – ce que François Roustang nomme l’« impersonnification » –, préalable à la découverte d’aptitudes nouvelles du corps dans la relation à soi et à l’autre. Pour cela, Catherine Contour s’est d’abord familiarisée avec les études contemporaines de l’hypnose clinique, à partir d’une approche énergétique du corps. Elle a suivi une formation au sein de l’Association française d’hypnose (AFHYP), à la croisée des analyses psychodynamiques de l’hypnose et de ses applications aux théories de la communication, ouvrant aussi à la pratique de l’autohypnose. Aux côtés de Jean Becchio, un des acteurs de la réhabilitation récente de l’hypnose médicale en France (il est fondateur de l’Association française d’hypnose médicale), elle se plonge dans les écrits de Roustang, Chertok, Stengers, Berthoz, Melchior, pour affiner sa compréhension du mécanisme à l’œuvre dans la veille (et non plus le sommeil) hypnotique. Ce que cherche Catherine Contour dans l’hypnose n’est pas un répertoire de formes (un atlas de postures expressives), mais une gamme de possibilités (un espace de projection comporte/mentale), une série de « dispositions ». L’hypnose est une technique qui étire le temps du geste et permet au danseur d’ajuster sa place, mais aussi, au préalable, une méthode qui installe le corps dans une relation, une conversation : il y sera question de présence, de communication, de transfert et d’empathie, sans que la réalité de ces phénomènes interpersonnels ne soit vraiment établie, restant à l’état d’énigme. Le dialogue qui s’instaure est souvent d’abord une adresse pour rassurer l’autre, en le familiarisant avec ce qui va se passer. Il faut énoncer ce que n’est pas l’hypnose, face aux nombreux a priori sur la question (automatisme, soumission, abandon de toute autonomie, etc.). L’objectif visé est une redistribution d’attentions qui diffère l’action pour la mettre en vacance pendant un temps choisi. Ces exercices économes peuvent faire l’objet d’une pratique quotidienne. Au-delà de l’opposition arbitraire entre réel et imaginaire, cette pratique demande à chacun de s’arrêter sur son ressenti personnel, de préciser la nature de ses sensations plus qu’à en décrire, dans le moindre détail, le vécu. L’expérience de la transe hypnotique est d’abord, pour Contour, une expérience de distorsion du temps qui draine avec elle des moments de satisfaction individuelle ou partagée – selon la distinction proposée par la culture classique grecque opposant le kairos (apprendre à habiter pleinement un espace-temps donné) au Chronos (le temps qui passe). Ce processus hypnotique est une véritable « culture attentionnelle » qui ménage l’autre pour éviter toute situation de déstabilisation, de malaise. La voix est douce, bienveillante, portée vers la mobilisation suggestive de l’imagination du danseur ou du spectateur, en l’invitant à se concentrer sur de simples sensations (gravité, chaleur, contact, respiration) qui favorisent la relaxation musculaire ou vasculaire, une forme de détente qui est aussi une attente, permettant de s’extraire du milieu extérieur pour se recentrer sur lui-même en tant qu’organisme habité par des circulations physiologiques (c’est ce que Catherine Contour appelle poétiquement une « chorégraphie de l’écoute », prenant en compte la puissance motrice et productrice du langage, dans les pas de la logomotion de Simone Forti). Pour Catherine, l’outil hypnotique invite à découvrir l’importance et la richesse des appuis disponibles pour maintenir le corps en juste position dans son environnement. La question des appuis peut s’envisager à partir d’une relation au sol, étendue au sous-sol et aux différentes strates qui constituent le terrain sur lequel le danseur s’installe. Cela comprend à la fois des éléments géologiques, minéralogiques, organiques, avec toutes les qualités énergétiques que chacun d’entre eux peut contenir comme autant d’appuis nouveaux. Ensuite, il s’agit de découvrir que d’autres éléments ont cette même qualité d’appui pour le corps (chaises, mobiliers, objets, mais aussi la qualité de l’air, les sonorités, les senteurs, ou la qualité d’un mouvement), pour aller à la rencontre de ce qui fait axe dans son corps dans le présent de ses sensations. Être dans une bonne disposition, c’est non seulement trouver sa place, mais se rendre disponible. François Roustang définit la « disposition » comme une « manière de vivre » : un état physique qui autorise un être à recevoir une nouvelle qualité, une nouvelle forme. Car l’hypnose telle qu’elle se pratique aujourd’hui est très soucieuse de la mise en place du corps. Il faut d’abord trouver une bonne installation, la position la plus confortable. Le plus souvent dans une chaise ou un fauteuil, avant que le corps ne cherche à s’extirper de cette plateforme de relâche pour se jeter dans l’action de nouvelles intensités qui réaménagent et déplacent notre rapport à l’espace ambiant. C’est ce que Roustang appelle l’« anticipation » : « Anticiper, c’est se tenir à l’écart dans l’espace et dans le temps pour préparer une action susceptible de modeler à nouveau la réalité97. » S’identifie là une forme de catharsis que Catherine Contour cherche à développer aussi bien auprès des danseurs que du public (elle utilise plus volontiers le terme « assistance »), dans une libre circulation des affects. Cette danse partagée est un rituel d’appropriation, de changement, de conversion, où il ne s’agit pas de reproduire une forme ni de 346 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 346 13/09/2020 19:07 1970-2020 construire un répertoire, mais bien de révéler une forme d’action, trouvant empiriquement son territoire de réalisation entre projection fictionnelle et amplification de la réalité. Dans Folies à plusieurs, Borch-Jacobsen, à qui l’on doit très récemment une anthologie des textes de Freud sur l’hypnose98, s’est intéressé à cette porosité entre réel et fiction autorisée par le suspens de l’hypnose ; il parle même d’une possible « théorie de l’artefact généralisé », où il ne s’agit plus de se demander si telle chose est réelle ou fictive (la réalité se construit à « plusieurs »), mais si elle communique, si elle se propage. C’est dans cette transmission énergétique, à la fois physique et mentale, que Catherine Contour repense la pratique relationnelle de la danse comme une « pensée de la configuration du sensible qui instaure une communauté99 », un « partage du sensible » que Jacques Rancière aura notamment regardé, ce n’est pas un hasard, à partir des performances serpentines de Loïe Fuller, la plus hypnotique des danseuses du nouveau siècle. … l’œuvre non pas comme un acte codifié (l’écriture chorégraphique et ses modes de transcription et d’interprétation) mais comme une navigation désinhibée qui est aussi un geste de vigilance et de résistance… Si Catherine Contour est aussi attentive aux vertus de l’improvisation (et d’une certaine forme de « laisser aller », ce qu’elle nomme le « laisser se faire »), c’est pour mieux installer au cœur de sa pratique chorégraphique un concept qui circule dans les nouvelles approches de l’hypnose : celui d’« interaction ». Interaction réciproque et non hiérarchisée entre la parole et le geste, entre la chorégraphe et les danseurs, entre les danseurs et le public, entre le « monde de la danse » et le monde. Ce terme évoque l’existence d’un jeu d’influences et d’interférences entre les sujets, tout en insistant sur sa réversibilité, trouvant d’évidentes résonances dans une « esthétique relationnelle » très présente aujourd’hui au sein des pratiques et des discours artistiques contemporains, notamment à partir d’une critique de la passivité (voire de la manipulation) des consciences dans l’« interactivité des médias ». Il est en effet utile de repenser aujourd’hui la fin des médias (le « postmédia ») en dehors du seul cadre de la révolution numérique de l’information, et de le replacer au contact de modes alternatifs de communication : l’hypnose, par exemple, comme le propose justement Catherine Contour, à savoir un mode de présence d’où peuvent naître des gestes qui ne sont pas portés vers l’aliénation, mais, tout au contraire, vers la découverte d’une altérité : une « invitation à différer, à produire un comportement radicalement autre » (selon les mots de Thierry Melchior, l’un des acteurs du développement de l’hypnose de type « communicationnelle »). En ce sens, l’outil hypnotique dont parle Catherine Contour est un instrument d’émancipation par la « mise en mouvement ». Remettre en mouvement est paradoxalement ce qui semble manquer aujourd’hui, dans une société qui préconise la mobilité mais fixe toujours plus ses conditions restreintes d’aménagement. C’est d’ailleurs pour cela que la relation est toujours au cœur de sa proposition : non pas une relation de groupe, en masse, mais ramenée chaque fois à la personne, calibrée sur elle, prenant en compte le sens de la « délicatesse » (Roland Barthes). C’est toute l’ambition de ce projet, qui ne demande qu’à se déployer, à diverses échelles, individuelles ou collectives, notamment au sein des écoles d’art et des conservatoires, par le biais de « familiarisations » aux techniques d’hypnose et d’autohypnose. Alors que les facultés de médecine réintègrent actuellement l’hypnose à leur formation, en particulier dans le cadre des techniques douces d’analgésie, et que les psychothérapies se tournent à nouveau vers les protocoles d’induction hypnotique comme « technique d’activation de conscience », Catherine Contour pense utile et stratégique (politique) la création d’ateliers « hypnose » au sein des structures de formation artistique, comme peut le faire aussi Marie Lisel, « créatrice hypnotique » qui développe des programmes de workshop en école d’art100. S’interprète alors l’outil hypnotique comme un « média » à part entière, l’outil d’une renégociation des médiations au sein de la pratique de la danse (et de l’art en général) : l’œuvre non pas comme un acte codifié (l’écriture chorégraphique et ses modes de transcription et d’interprétation), mais comme une navigation désinhibée qui est aussi un geste de vigilance et de résistance. Par « vigilance », il faut entendre à nouveau une disposition toute particulière à veiller aux limites du territoire de l’action. Catherine Contour prend soin que cet « outil hypnotique » ne s’inscrive pas dans un rapport de fusion, mais d’autonomie des sujets. Cela ne tient pas seulement au mode de relation qu’elle entretient avec le public et les danseurs, mais aussi à la gestion de l’espace de ses interventions. Elle privilégie une forme disséminée, dont la circulation aide à la diffusion du projet (jusque dans l’idée de « bouche-à-oreille » ou de bruissement des « idées en l’air »). Se retrouve là une figure de contamination magnétique, mais Catherine Contour préfère le terme « atmosphérique », et sa métaphore climatologique, le nuage : un nimbe dans ce qu’il a de nuancé et aérien, impondérable, proche de ces « opérateurs d’élévation » dont parle Gaston Bachelard. C’est d’ailleurs là qu’intervient une autre notion qui qualifie sa pratique du geste chorégraphique : le déplacement insensible des pondérations. Impondérable, le corps de ses danseurs/danseuses cherche à se délester, sous hypnose, de certaines rétentions gravitationnelles. Les corps sont encore à même de choir, mais d’une chute contenue, stratifiée, suspendue, toujours différée. Ce qui œuvre dans ses pièces d’hypnose est aussi ce qui reste à l’œuvre et ne demande qu’à être 347 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 347 13/09/2020 19:07 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 348 13/09/2020 19:07 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 349 13/09/2020 19:07 UNE NOUVELLE HYPNOSE B (ré)actualisé au-delà d’un simple jeu de rôle. Il y aura bien des moments privilégiés, des plateformes de rencontres (elles peuvent s’appeler « ateliers » ou « plongées »), mais ce sont des moments que Catherine Contour souhaite voir se prolonger au-delà de l’adresse du public. Il y a chez elle une volonté de délocaliser la danse. Pas seulement hors de la scène, en extérieur, dans les jardins notamment, mais aussi dans un en-dehors de la performance corporelle. C’est dans ce déphasage, entre situation et performance, entre conscience et présence, entre in situ et délocalisation, qu’elle place un des enjeux esthétiques de sa démarche, car il autorise une ouverture des possibilités artistiques de transformation, par la simple dispersion du geste. Cela n’a rien d’éthéré et d’évanescent ; au contraire, cela plonge le corps dans une situation bien concrète dont le sujet peut d’autant plus maîtriser la densité qu’il en détermine le rythme et la temporalité. L’hypnose est ainsi un moyen de ralentir quand « l’imagination a besoin d’un allongement, d’un ralenti101 ». Présence au présent. C’est ce à quoi nous expose la vigilance hypnotique qui, comme le rappelle toujours Roustang, « n’éprouve nulle nécessité de faire appel au passé » : « Tous les moyens qu’elle utilise tendent à faire surgir dans le présent des potentialités jusque-là insoupçonnées. Sa pratique est donc une intervention, une opération, une action102. » Ce caractère opératoire et présentiste, « où le centre de gravité de notre être dans le temps est le présent103 », la rend d’autant plus lisible dans le champ des pratiques artistiques contemporaines qu’il engage tout aussi bien le producteur de formes et de récits que celui qui les reçoit dans un rapport mutuel et actualisé à un environnement toujours plus identifié comme un média à part entière, au-delà de la simple prolifération, réelle et virtuelle, des images dans notre monde peuplé d’écrans. Se retrouve, sous forme de paradoxe, une forme expérientielle qui sait se délester du modèle de l’action réflexe, et son ascendant mécaniste propre à la « méthode expérimentale » appliquée aux sciences, rivée sur la logique de reproduction des phénomènes. L’action à l’œuvre dans la phénoménologie de l’hypnose telle qu’elle se pratique aujourd’hui donne plus accès à un « pouvoir organisateur » qu’elle n’est le fruit d’une organisation, aux antipodes des réflexes conduits par l’économie du « capitalisme attentionnel104 ». Plonger dans le régime attentionnel de l’hypnose est bien une interaction qui défait la division entre réalité, virtualité et apparences, et suspend, selon une logique de débordement, voire d’étonnement, les déterminations auxquelles nous sommes habitués dans notre rapport quotidien aux choses et aux êtres, souvent consumériste et standardisé, façonné par un univers hypermédiatique qui multiplie et superpose les temporalités elles-mêmes, pour les transformer en des situations qui résistent au simple défilé de sensations et dont la plus grande plasticité prend appui sur l’activité de l’imagination sans être totalement fermée au monde extérieur. Ce qui se joue dans le régime projectif de l’hypnose mobilisé par les artistes relève non pas des automatismes du psychisme, mais bien plus d’un processus d’individuation qui porte à son incandescence la relation corps/esprit sur laquelle la culture occidentale a si souvent échoué : « Au lieu de réduire tout ce qui arrive, à et de l’extérieur, à des phénomènes intrapsychiques, et de les analyser pour les combiner différemment, il s’agit de faire prendre corps aux imaginations, pensées ou sentiments105. » A. Photographie de Mathieu Bouvier, Nina Santes et Catherine Contour, dans le cycle de Plongées, à la Gaîté Lyrique, 2014. B. Jonathan Schatz et Marie Fonte, Danser brut, 2019, Centre chorégraphique de Caen. 350 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 350 13/09/2020 19:07 1970-2020 NOTES 1. Jay Haley, Uncommon Therapy. Pyschiatric Techniques of Milton Erickson, New York, Norton, 1986 [1973]. 2. « Il est possible également que le terme « hypnose » soit finalement trop connoté, trop solidaire de tout un appareillage technico-conceptuel daté. Je suis prêt à l’abandonner, mais à regret : il a au moins le mérite de ne pas noyer le poisson du rapport. » M. BorchJacobsen, « Dispute », dans L. Chertok et M. BorchJacobsen (éd.), Hypnose et psychanalyse, Paris, Dunod, 1987, p. 195. 3. Daniel Araoz, Hypnosis and Sex Therapy, New York, Brunner & Mazel, 1982, et The New Hypnosis, New York, Brunner & Mazel, 1985. 4. Isabelle Stengers, « Présentation » dans Importance de l’hypnose, Le Plessis-Robinson, Les Empêcheurs de penser en rond, 1993, p. 10. 5. « C’est que l’hypnose, loin de témoigner des pouvoirs de l’esprit, renvoie aux forces vives de l’animalité. Elle clame la faillite de la raison conçue comme la fiction d’un corps qui parle. La raison étant l’apanage de notre espèce, l’hypnose ne peut être qu’un objet de scandale. » Jean-Didier Vincent, « Animalité de la pensée et subjectivité animale », dans Isabelle Stengers (éd.), Importance de l’hypnose, op. cit., p. 143-154. 6. L. Chertok et M. Borch-Jacobsen (éd.), Hypnose et psychanalyse, op. cit. 7. L. Chertok (éd.), Résurgence de l’hypnose. Une bataille de deux cents ans, Paris, Desclée de Brouwer, 1984. 8. Jacques Lacan : « Nous désavouons tout appui pris dans ces états, tant pour expliquer le symptôme que pour le guérir », Discours de Rome, 1953, repris dans Jacques Lacan, Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 257. 9. Lawrence Kubie et Sydney Margolin, « The Process of hypnotism and the nature of the hypnotic state », American Journal of Psychiatry, mars 1944, p. 611-622. 10. M. Gille et M. Brenman, Hypnosis and Related States. Psychoanalytic Studies in Regression, New York, International University Press, 1959. 11. M. Borch-Jacobsen, Le Sujet freudien, Paris, Flammarion, 1982. 12. Octave Mannoni, « Léon Chertok, 200 ans après… l’hypnose », L’Évolution psychiatrique, janvier 1982, p. 191. 13. John Dewey, L’Art comme expérience, Paris, Gallimard, 2010 [1934]. 14. François Roustang, Qu’est-ce que l’hypnose ?, Paris, Les Éditions de Minuit, 1994, p. 14. 15. Ibidem, p. 17. 16. Ibid., p. 164. 17. Ibid., p. 92. 18. François Roustang, « La disposition », dans ibid., p. 89-117. 19. Ibid., p. 90. 20. Elsa Boyer, Le Conflit des perceptions, Paris, Éditions MF, 2015, p. 171. 21. « I saw myself in relationship to Dada, Surrealism and Pollock. I saw hypnotism in relationship to automatism. I was trying to innovate. But at the same time, i was trying to do something not imitative. I didn’t know anyone who had done anything with psychics, the Surrealists must have done something with hypnosis. I wanted to bypass the conscious mind. » Larry Miller cité dans Kristine Stiles, Concerning Consequences. Studies in Art, Destruction, and Trauma, Chicago, The University of Chicago Press, 2016. 22. « I interviewed three different hypnotists, working several times with the last two over the course of a year to find one who was state accredited professional social worker (aside from his casual fashion) and suitably capable where others have failed who could succeed in convincing me that I could enter a hypnotic trance deep enough to truly “become” my mother, to in a sense become an “object” that re-entered an “object” from which I had originally been totally formed cell by cell and pushed out into the world. It took six weekly sessions of beginning at one hour each with hypnotist Guy Oshman (all on audiotape to convince me I could be totally hypnotized and we ran tests to prove that fact). The 53 minutes edit represent selections from approximate 2-1/2 hours or more of the final sixth full session ». L. Miller, courriel avec l’auteur en date du 20 mai 2020. 23. « I wanted to know what it would feel like to become my mother, to lose consciousness of my own identity through hypnosis and to believe for a while that I was Mom. In six weekly sessions with a professional hypnotherapist, i was able to enter into progressively deeper hypnotic states until I become Mom in mind and body. During this ninety-minute session, Mom was casually interviewed to evoke her persona, her concept of self, of me, and of our relationship. » L. Miller, cité dans Kristine Stiles, Concerning Consequences, op. cit. 24. En 1973, L. Miller se lance dans un autre projet intitulé Lines do Grow à partir d’une interprétation des lignes de sa main – un procédé de chiromancie répandu dans les cercles surréalistes. Voir Tessel M. Bauduin, Surrealism and the Occult. Occultism and Western Esotericism in the Work and Movement of André Breton, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2014. 25. Stephen Braude, « The creativity of dissociation », Journal of Trauma & Dissociation, vol. 3, 2002, p. 5-26. 26. Ambar Chakravarty, « The creative brain. revisiting concepts », Med Hypotheses, vol. 74, p. 606-612. 27. Danela van Heugten et al., « Imagining the Impossible before breakfast: the relation between creativity, dissociation and sleep », Frontiers in Psychology, 2015, vol. 6. 28. Alex Osborn, L’Imagination constructive, Paris, Dunod, 1959. 29. Christian Michelot, « L’invention de la créativité », Phronesis, vol. 4, n° 2, 2015, p. 54-61. 30. « I wanted to use hypnosis as just another art medium (neglected since long ago) – as a tool to probe into my mind/body psyche as if the tool was a delicate “surgical” instrument that could “release” the object within another object. » L. Miller, courriel avec l’auteur daté du 20 mai 2020. 31. Dick Higgins, « Intermedia », Something Else Newsletter, n° 1, 1966, p. 1. 32. Jean-Michel Petot, « Psychologie des phénomènes dissociatifs et théorie de la conscience », dans Didier Michaux (éd.), Hypnose et dissociation psychique, Paris, Imago, 2006, p. 18-22. 33. Ernest Hilgard commenté par J.-M. Petot, dans ibidem, p. 20. 34. « A question was what might constitute the origins of my mind/body consciousness that made me an artist who externalizes physical images grown from ideas? ». L. Miller, courriel avec l’auteur daté du 20 mai 2020. 35. L. Miller, cité dans Kristine Stiles, Concerning Consequences, op. cit.. 36. Alton Blakeslee, « Doctors say hypnosis via TV is possible », Albuquerque Tribune, 24 avril 1964, p. 1. 37. Herbert Spiegel, « The grade five syndrome: the highly hypnotizable person », The International Journal of Clinical and Experimental Hypnosis, vol. 22, 1974, p. 303-319. 38. M. Borch-Jacobsen, « Une boîte noire nommée Sybil », dans La Fabrique des folies, Paris, Éditions Sciences Humaines, 2013, p. 97-149. 39. M. Mullican, entretien avec Joao Ribas, « Matt Mullican. A drawing translates the way of thinking », Drawing Papers, n° 82, 2008, p. 10. 40. Ibidem, p. 7. 41. « Interview between Vincente L. de Moura and Matt Mullican », dans M. Mullican, That Person’s Workbook, Gent, MER Paper Kunsthalle, 2007, p. 731. 42. Antoine Faivre, « L’imagination créatrice. (Fonction magique et fondement mythique de l’image) », Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, tome XIII, n° 2, avril-juin 1981, p. 356. 43. Alfred Binet, L’Âme et le Corps, Paris, Ernest Flammarion, 1905, p. 87. 44. Olivier Scheffer, « Entre rêve et réalité : figures du somnambulisme », dans Résonances du romantisme, Bruxelles, La Lettre volée, 2005, p. 118. 45. Jean-Louis Cabanès, « Psychologie, histoire, esthétique : les hallucinations à l’entrecroisement des discours », dans Cahiers de littérature française, vol. VI, Image et pathologie au XIXe siècle, janvier 2008, p. 7-26. 46. « I had this idea of a super theatre; a theatre where the actors believed that they were this fiction and that they were acting this fiction out. » M. Mullican, That Person’s Workbook, Paper Kunsthalle, 2007, p. 732. 47. Sur les liens entre hypnose, représentation et animalité, voir R. Bellour, Le Corps du cinéma. Hypnoses, émotions, animalités, Paris, P.O.L., 2009. 48. Pierre Janet, « Les actes inconscients et le dédoublement de la personnalité pendant le somnambulisme provoqué », Revue philosophique, vol. 22, 1886, p. 577-592. 49. A. Binet, Les Altérations de la personnalité, Paris, Félix Alcan, 1892. 50. Isabelle Saillot, « Petit historique de la dissociation », dans Marianne Kédia, Johann Vanderlinden, Gérard Lopez, Isabelle Saillot et Daniel Brown (éd.), Dissociation et mémoire traumatique, Paris, Dunod, 2012, p. 1-28. 51. L. Miller avait approché les organisateurs de The Kitchen dès 1976 pour leur proposer une performance sous hypnose. La réponse a été négative : « When I was finally did fix on some ideas, I approached The Kitchen, who turned me down in my proposal around 1976 to be hypnotized before an audience and take on a “disembodied “spirit identity who would speak, write, draw, dance, sing, whatever. The head of the organization at the time, said “No”, that it was too “dangerous” an idea. » L. Miller, mail à l’auteur daté du 20 mai 2020. 52. Sur l’histoire genrée de l’hystérie masculine, voir notamment Mark S. Micale, Hysterical Men. The Hidden History of Male Nervous Illness, Cambridge, Harvard University Press, 2008. 53. « Je dis que Charcot toucha au comble du théâtre en ce sens qu’il visait à ce que la métaphore prît corps. Non seulement il inventa de terribles tensions entre plusieurs hystériques, plantées par exemple sur une même estrade, un symptôme furetant à son gré (à lui, Charcot), “transfert” de corps en corps –, mais il leur inventait aussi cette espèce de déchirure, par attractions hypnotiques contradictoires. » Ibidem, p. 228. 54. Jean-Luc Nancy, « Identité et tremblement », dans Mikkel Borch-Jacobsen, Éric Michaud, J.-L. Nancy, Hypnoses, Paris, Galilée, 1984, p. 31. 55. François Roustang, Qu’est-ce que l’hypnose ? Paris Éditions de Minuit, 1994, p. 18. 56. Horst Bredekamp, Théorie de l’acte d’image, traduit par Frédéric Joly et Yves Sintomer, Paris, Éditions La Découverte, 2015, p. 80. 57. Jim Steinmeyer, « Illusions vacillantes : la sorcellerie derrière la caméra », dans Imponderable. The Archives of Tony Oursler, Arles, LUMA Fondation, 2015, p. 555560. 58. Jacques Rancière, « Le travail de l’image », Multitudes, n° 28, 2007, p. 198. 59. Hippolyte Bernheim, Hypnotisme, suggestion, psychothérapie, Paris, Fayard, 1995, p. 37. 60. Ibidem, p. 45. 61. M. Borch-Jacobsen, « L’effet Bernheim », La Fabrique des folies. De la psychanalyse au psychopharmarketing, Auxerre, 2013, p. 181. 62. « Occurs in the mind of the audience without being a representation of anything identical to it. Fully abolish the physical parameters and properties of objecthood. Emerges as a non-referential cerebral dream. Performs a sensorial and intellectual transference act like what is happening in The Man Who Taught Blake Painting in His Dream, the drawing by William Blake (was Blake painting in his dreams or was he being taught how to paint in someone else’s dreams ?). Pushes dematerialization to the limit that sci-fi, faith and neuroscience can only imagine. Stays miniature, telepathic, autonomous, and easily transferable. Reformulates all the above statements in its making. » Raimundas Malašauskas, « Foreward », dans Marcos Lutyens, Memoirs of a Hypnotist, Berlin, Sternberg Press, 2015, p. 8. 63. Raimundas Malašauskas, « Foreward », art. cit, p. 9. 64. Fred Turner, From Conterculture to Cyberculture. Stewart Brand, The Whole Earth Network and the Rise of Digital Utopianism, Chicago, The Chicago University Press, 2006. 65. « The basic idea of the show is to radicalize the hypnotic power of an artist into pure hypnosis (i.e. to see the brain space as the ultimate medium for art and to transmit/instruct an artwork through a medium of hypnosis). For exemple, imagine an empty room : ten people and a hypnotist. The hypnotist hypnotizes the ten people to experience an exhibition there, or to experience something that was proposed by artists. So the work of art exists only in the brain of the audience ». Raimundas Malašauskas, « Foreward », art. cit., p. 10. 66. Il avait été fait appel, à cette occasion, au professeur David McLemont, qui enseignait l’hypnose à l’université d’Irvine, Californie. C’est auprès de lui que Marcos Lutyens s’est familiarisé avec les nouvelles techniques d’hypnose. 67. « À l’époque, en 2005, j’habitais à La Générale, un grand squat à Belleville, et c’était un contexte idéal. J’ai transformé mon atelier en cabinet d’hypnose et j’ai pris le temps d’expérimenter auprès d’un petit groupe de volontaires différentes techniques de narration et de description. Ce n’est qu’à partir de 2009 que j’ai réalisé mon premier projet utilisant l’hypnose, la pièce radiophonique Au musée du sommeil. » Entretien de Joris Lacoste avec Ève Beauvalet, 2011. 68. Ibidem. 69. Ibid. 70. Bertolt Brecht, Écrits sur le théâtre, édition établie sous la direction de Jean-Marie Valentin, Paris, Gallimard, 2000. 71. « Si ce spectacle est vrai, c’est peut-être simplement que la question de sa vérité ne se pose pas : car il y a autant de vrais spectacles que de spectateurs. On pense encore trop souvent que le sens est conçu par l’artiste et placé dans l’œuvre pour être ensuite déchiffré par le spectateur. Je crois, au contraire, qu’il est produit par le spectateur à partir de l’expérience proposée par l’œuvre. Il est différent pour chacun. Il ne préexiste pas. Cette idée, l’hypnose la met en évidence de manière particulièrement tangible. » Entretien de Joris Lacoste avec Ève Beauvalet, 2011. 72. Ibidem. 73. Olivier Dollinger avait deux ans plus tôt recouru à l’hypnose sur un autre modèle d’identification, dans une pièce vidéo intitulée Reverb (Le Projet Norma Lean), dans laquelle il avait invité six jeunes actrices de Los Angeles, dans une suite d’hôtel sur Hollywood Boulevard, à suivre une séance d’hypnose pendant laquelle elles ont été amenées à revivre les états émotionnels de Marilyn Monroe. 351 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 351 13/09/2020 19:07 UNE NOUVELLE HYPNOSE 74. « On pourra bientôt voir les opérations de la pensée humaine reproduites sur un écran. Au moyen d’un appareil dont on poursuit le perfectionnement, tous les jours, le savant pourra suggérer à un patient une certaine série de pensées dont il pourra suivre le déroulement et noter les phrases susceptibles de travail cérébral provoqué par la pensée immatérielle. » [Anon.], « Le cerveau cinématographié », L’Écho du merveilleux, 15 octobre 1910, p. 395. 75. Arthur Conan Doyle, Atlantis retrouvée, Le Pêle-mêle, n° 225, 6 janvier 1929, p. 4. 76. Roger Caillois, Les Jeux et les hommes. Le masque et le vertige, Paris, Gallimard, 1991 [1958, édition augmentée en 1967], p. 68. 77. « Les parcs d’attractions […] constituent les lieux d’élection où se trouvent assemblés les semences, les pièges et les appels du vertige. Ces enceintes présentent les caractères essentiels des terrains de jeu. Elles sont séparées du reste de l’espace par des portiques, des guirlandes, des rampes et des enseignes lumineuses […] qui tracent la frontière d’un univers consacré. De fait, la limite franchie, on se trouve dans un monde singulièrement plus dense que celui de la vie courante : une affluence excitée et bruyante, une débauche de couleurs et d’éclairages, une agitation continue. » Ibidem, p. 259. 78. « Il ne faut s’étonner qu’on ait dû souvent attendre l’âge industriel pour voir le vertige devenir véritablement une catégorie du jeu. Il est désormais dispensé à une multitude avide par mille appareils implacables, installés sur les champs de foire et dans les parcs d’attractions. » Ibidem, p. 73. 79. Ibid., p. 48. 80. Ibid., p. 199. 81. Marielle Macé, « Caillois, technique du vertige », Littérature, n° 170, juin 2013, p. 15. 82. Roger Caillois, Les Jeux et les hommes, op. cit., p. 68. 83. Ibidem, p. 119. 84. Ann Veronica Janssens citée dans P. Rousseau, « Ann Veronica Janssens. Light Games », Art Press, n° 299, mars 2004, p. 30. 85. La couverture de l’album Source d’où est extraite la chanson Day by Day de Jimmy Scott utilise non pas son portrait, mais celui d’une femme, en l’occurrence celui de Margie Joseph. 86. « J’ai constaté en effet sur un grand nombre de sujets, vraiment somnambules, que, chez eux, durant le passage si subit et si remarquable de l’état de veille au somnambulisme et à l’extase, […] le frémissement vital s’exhale […]. Si, dès ce moment, l’on ausculte le cerveau, au niveau des régions temporales, l’on y découvre une vibration harmonieuse spéciale, sui generis, généralement continue comme le bruit de l’infini. » Docteur Guyomar de la Roche Derrien, Recherches physiologiques et philosophiques sur le magnétisme, le magnétisme et le spiritisme. Théorie nouvelle de la pensée, de l’extase, de la lucidité somnambulique et médianimique, Paris, Adrien Delahaye, 1865, p. 5. Selon Guyomar, les pensées vont donc du cœur au cerveau et l’on pourra, à terme, mesurer ce déplacement d’effluves spirituels. Guyomar prépare pour cela un Traité physiologique et philosophique de la vie intérieure. Il en appelle à une nouvelle science, la cardioscopie, pour mesurer ces transports. Il invente pour cela un appareil rudimentaire, le « cardioscope » ou « pneumatoscope », taillé dans une planchette de bois suivant la forme d’un cœur de carte à jouer pour écouter les vibrations du cœur de somnambules. 87. « L’attraction (dans notre diagnostic du théâtre) en est chaque moment agressif – c’est-à-dire tout élément théâtral qui fait subir au spectateur une pression sensorielle ou psychologique – tout élément qui peut être mathématiquement calculé et vérifié de façon à produire telle ou telle émotion choc. » Sergueï Eisenstein, « Le montage des attractions » (1923), repris dans S. Eisenstein, Le Film, sa forme, son sens, Paris, Christian Bourgois, 1976, p. 16. 88. S. Eisenstein, « L’organique et le pathétique », La Non-Indifférente Nature,. Œuvres, Paris, Union générale d’éditions, 1976, p. 79. 89. Ibidem, p. 82. 90. Ibid., p. 82. 91. Ibid., p. 83. 92. Ibid., p. 129. 93. Ibid., p. 373. 94. Ibid., p. 383-384. 95. Ibid., p. 362. 96. J. Rancière, Le Partage du sensible. 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Jules 80, 96 Bailly Jean-Sylvain 28 Balch Anthony 289 Ballanche Pierre-Simon 54, 55, 68 Balzac Honoré de 61, 63, 68, 166, 242, 355, 356 Barlet Charles 196, 198, 215 Baron Jacques 236, 268 Barrès Maurice 198, 215, 357 Barrett Elizabeth 280, 308 Barthes Roland 254, 277, 347 Basch Victor 186, 187, 214 Bateson Gregory 276, 295, 309 Bazaillas Albert 205, 216 Becchio Jean 346 Bechterew Vladimir 238, 268 Beer Stafford 295 Béjart Maurice 298 Belfiore Giulio 215 Belhoste Bruno 17, 35, 38, 68, 366 Bellour Raymond 38, 259, 261, 270, 305, 352 Belson Jordan , 302, 306 Belting Hans 282, 308 Bénévol (magnétiseur) 226, 261 Benjamin Walter 241 Berber Anita 267 Berdaguer & Péjus 315, 316, 366 Bergasse Nicolas 32, 38 Bergh Richard 135, 142, 213 Bergson Henri 32, 38, 171, 173, 175, 178, 187, 208, 213, 214, 216, 261, 302, 309, 333 Bernays Edward 267, 270 Bernhardt Sarah 124, 125 Bernheim Hyppolite 101, 171, 172, 175, 178, 180, 181, 186, 187, 198, 200, 202, 206, 210, 213, 214, 215, 216, 229, 250, 261, 264, 265, 267, 269, 270, 331, 352, 355, 356, 357 Berthoz Alain 346 Berton Mireille 269, 270 Bertrand Alexandre 45, 46, 48, 68, 74, 82, 84, 242, 248, 356 Bickert Franz 84 Bigaut Claude 36 Binet Alfred 119, 166, 186, 213, 216, 235, 268, 324, 325, 352, 356 Bishop Bainbridge 200 Böcklin Arnold 129 Bodin Félix 86 Boilly Louis-Léopold 89 Boissonnas Fred 122, 126, 129, 212 Borch-Jacobsen Mikkel 213, 214, 268, 305, 309, 316, 347, 352, 353 Bose Georg Matthias 309 Bounieu Michel-Honoré 36 Bourgeois Louise 322 Bourneville Désiré-Magloire 171, 213, 241, 269 Braid James 74, 90, 91, 93, 96, 104, 126, 229, 239, 258, 275, 280, 358 Bra Théophile 60, 61, 63, 64, 68 Brauer Fae 206, 215, 216 Brauner Victor 239, 241, 268, 309 Bredekamp Horst 282, 308, 352 Brenman Margaret 276, 352 Breton André 179, 214, 221, 223, 224, 225, 229, 236, 238, 241, 243, 268, 269, 352 Breton Simone 227, 235, 236, 268 Brewster David 84, 96 Briand Mathieu 339 Brouillet André 119, 142, 143, 146, 150, 152, 213, 358 Brown Thomas 66, 68 Buchez Philippe 80, 96 Burq Victor 104 Burroughs William 282, 285, 286, 288, 289, 308, 309 C Cabanel Alexandre 126, 134 Caillois Roger 339, 353 Cameron Donald Ewen 278 Canudo Ricciotto 205, 216, 259, 269, 270 Carlson Herman 297 Cartaz Adolphe 180, 212, 214 Caso, Jacques de 61, 63, 68 Cassen Jackie 302 Cassou Jean 301, 309 Castel de Saint-Pierre, Charles-Irénée 20, 84, 213, 215 Cazenave Fabrice 329 Celant Germano 292 Cendrars Blaise 206, 216 Champollion Jean-François 61 Charchoune Serge 199 Charcot Jean-Martin 18, 101, 103, 104, 105, 118, 119, 121, 122, 124, 125, 129, 134, 142, 143, 146, 153, 164, 166, 168, 171, 172, 178, 179, 180, 181, 186, 187, 200, 206, 209, 212, 213, 214, 215, 221, 222, 229, 236, 241, 242, 248, 253, 259, 261, 268, 269, 270, 280, 308, 352, 355, 356, 357, 358, 366 Chastenet de Puységur, Armand-Marie-Jacques de 43, 44, 45, 47, 48, 49, 50, 68, 74, 82, 96, 306, 310, 357 Chateaubriand, François-René de 54 Chertok Léon 268, 269, 316, 346, 352 Chirico, Giorgio de 227, 235 Chizat Émile 199 Chladni Ernst Florens Friedrich 23 Chopin Frédéric 129 Christovalina Maria 63 Claretie Jules 119, 142, 166, 212, 213, 269 Clark Lygia 296 Clémenceau Georges 153 Coale Samuel Chase 96 Cohl Émile 259, 358 Colard Jean-Max 338 Collyer Robert Hanham 82, 83, 84, 85, 96 Condillac, Étienne Bonnot de 50 Conrad Tony 305, 308 Contour Catherine 345, 346, 347, 350, 358, 366 Copeland Mathieu 331 Corman Roger 280 Coué de la Châtaigneraie, Emile 202, 229, 295 Court de Gébelin, Antoine 55 Crary Jonathan 168, 183, 186, 213, 214 Craven Walker Edward 281, 306 Crevel René 225, 226, 227, 228, 235, 236, 238, 239, 248, 268 Croce Benedotte 201 Crookes William 196, 225 Crumb Robert 288 Cummings Torreya 332 Curie Pierre et Marie 195, 212 Cuvillers, Henri de 58, 68, 74, 76, 77, 80, 96 D Daguerre Louis 83, 84, 96, 280 Dali Salvador 179, 248, 249, 250, 253, 258, 259, 269, 278, 280, 309, 343, 345, 356, 358 Darnton Robert 18, 38 Daston Lorraine 91, 96 Daudet Léon 101, 104, 124, 212 Daum Antonin 181 Daumier Honoré 87, 88, 89, 90 Debord Guy 277 Delaage Henri-Pierre 242, 269 Delacroix Eugène 46, 55, 80 Delbœuf Joseph Rémi Léopold 103, 212, 270 Deleuze Gilles 215, 338 Deleuze Joseph-Philippe-François 48, 49, 68, 248 Demarquay Jean-Nicolas 90 Derenthal Ludger 268 Descartes René 35, 86, 96 Desnos Robert 86, 225, 226, 227, 228, 231, 232, 235, 236, 238, 239, 241, 249, 253, 254, 268, 269, 355 Desrais Claude 17, 18, 23 Dewey John 352 Diderot Denis 50, 68, 199, 215 Didi-Huberman Georges 101, 119, 121, 122, 124, 134, 212, 213, 268 Didier Alexis 88 Dinet Étienne 168 Divoire Fernand 201, 215 Dollinger Olivier 337, 338, 352 Donato (Magnétiseur) 172, 226, 227, 268 Dottin-Orsini Mireille 121, 212 Doyle Arthur Conan 338, 353 Dromard Gabriel 238, 268 Drouart Maurice Raphaël 248 Dubois Frédéric 88, 96 Duchamp Marcel 166, 179, 180, 214, 228, 238, 253, 254, 256, 258, 269, 305, 317, 319 Duchenne de Boulogne Guillaume 132, 241 Dujardin-Beaumetz Georges 142, 213 Dumont Léon 179, 214 Dunlap William 82, 96 Durand de Gros, Joseph-Pierre, dit Dr J-P. Philips 82, 90, 96, 104 Durville Hector 50, 55, 195, 225, 268 Duval Mathias-Marie 142, 146 Duyckaerts Éric 333 E Edison Thomas 248 Eichner Johannes 209, 216 Eisenstein Sergueï 343, 345, 353 Eliasson Olafur 339 Eliot Thomas Strearns 258, 269 Elliotson John 49, 83 Éluard Paul 227, 228, 235, 236, 238 Encausse Gérard Anaclet Vincent, dit Papus 154, 156, 166, 195, 213 Epstein Jean 280, 308 Erickson Milton 267, 276, 277, 278, 295, 306, 308, 315, 352, 356 Ernst Max 227, 234, 235, 236, 237, 241, 242, 245, 246, 268, 269 Eslon, Charles d’ 17, 18, 38 Espinadel Charles 265, 270 Esquirol Jean-Étienne Dominique 80, 96, 324 Eugeni Ruggero 270, 280, 308 Evans Cerith Wyn 332 Everling Germaine 227 F Fabre d’Olivet Antoine 55 Fabre François 88 Falco Gian 202, 215 Fantin-Latour Henri 198 Faria, José Custódio de 74, 84, 88, 89, 248 Favre Louis 199, 200, 215 Fechner Gustav 55, 68, 179 Féré Charles 118, 166, 179, 186, 209, 213, 214, 216, 269 Ferenczi Sándor 216, 225, 250, 286, 309 Ferkel, Lina de 125, 152, 212, 356 Fiaux Jules 202, 215 Fichte Johann Gottlieb 65, 68 Figuière Eugène 201, 215 Fix-Masseau Pierre-Félix 171 Flammarion Camille 209, 215, 216 Florian Friedrich St. 292, 309 Flournoy Théodore 126, 128, 212, 229 Flynt Henry 285, 308 Forel Auguste 188, 192, 214 Forster Hal 242, 269 Forti Simone 346 Foucault Michel 254, 258 Fouchet Max-Pol 239, 268 Fouillée Alfred 167, 213 Fourcaud, Louis de 182, 214 Fourier Charles 277 Foveau de Courmelles François-Victor 44, 90, 103, 118, 126, 142, 150, 152, 167, 168, 212, 213 Franklin Benjamin 23, 29, 38, 51, 286, 309 Frazer James George 282, 308 359 HYPNOSE_07-Cooper-CC2020 INDEX 359 14/09/2020 15:55 INDEX Freedberg David 282, 308 Freud Sigmund 38, 103, 143, 188, 192, 212, 214, 216, 221, 223, 229, 241, 242, 249, 250, 253, 268, 269, 347, 353, 355, 356 Fried Michael 325 Friedrich Caspar David 51, 68 Fuller Loïe 192, 195, 196, 214, 215, 347, 357 Füssli Johann Heinrich 46, 55 G Gala 221, 227 Galison Peter 91, 96 Gallé Émile 179, 181, 182, 183, 214 Gall Franz Joseph 85, 96, 103 Gamboni Dario 68, 215 Garcia Rossi Horacio 289 Gauchet Marcel 212, 221, 268 Gautier Théophile 80, 88, 96, 355 Georget Étienne-Jean 88, 96 Gérin Octave-Jacques 265, 267, 270 Gérôme Jean-Léon 129, 196, 212 Gervex Henri 102 Gille Merton 316, 352 Gilles de La Tourette, Georges 212, 214, 354 Ginnani-Corradini Arnaldo et Bruno 199, 202, 205, 206, 215, 216 Ginsberg Allen 288, 289, 308, 309 Giraud Fabien 332 Giraud-Teulon Marc Antoine Émile Alexis 90 Gleizes Albert 201 Goethe, Johann Wolfgang von 23, 24, 50, 55, 68 Gombault Ferdinand 210, 216 Gomel Elena 253, 269 Goncourt Edmond et Jules 132, 180 Gordon Douglas 339 Gordon Rae Beth 212, 215, 259, 269, 270 Gottlieb Sidney 278 Goulin Jean 17, 18, 38 Goutière-Vernolle Émile 181 Grasso Laurent 339 Gréaud Loris 338, 339, 366 Gsell Lucien-Laurent 101, 126 Guipet Magdelaine 126, 129 Guyau Jean-Marie 166, 167, 187, 213, 214 Guyomar Mattias 343, 353 Gysin Brion 282, 285, 286, 288, 289, 298, 308, 309 H Habasque Guy 301, 309 Haeckel Ernst 132, 215 Hafner Bernhard 295 Haley Jay 315, 352, 356 Halsman Philippe 258 Hansen Carl 132 Harvey William 86 Hauffe Frédérique 56, 58 Havelock Ellis 249, 269 Hawthorne Nathaniel 82, 96, 355 Hebb Donald 276, 308 Hegel Georg Wilhelm Friedrich 54, 68, 297 Hennequin Émile 199, 215 Henry Charles 101, 212 Henry Pierre 298 Hesnard Angelo 225, 268 Higgins Dick 322, 352, 366 Hilgard Ernest 322, 352 Hitler Adolf 267, 270 Hockney David 280, 281, 282 Hoffmann Ernst Théodor Amadeus 54, 65, 68, 84, 96, 132 Hoffmann Heinrich 267 Hollein Hans 292, 309 Höller Carsten 338, 339 Houël Jean-Pierre 36 Houston Edwin 188, 214 Huntington Wright Willard 205, 216 Husson Henri-Marie 45, 68, 82, 88, 96, 310 Huxley Aldous 215, 277, 308 Huyghe Pierre 332 J Janet Pierre 8, 9, 186, 208, 209, 216, 225, 239, 268, 309, 325, 328, 352 Jankélévitch Samuel 250 Janssens Ann Veronica 339, 342, 345, 353 Jaurès Jean 167, 213, 227 Jénin de Montègre Antoine 86, 96 Jenny Laurent 93, 187, 214, 231, 268, 269 Joire Paul Didier 125, 212, 231, 268 Joseph Branden 285, 308 Jost François 259, 261, 269, 270 Jumeau-Lafond Jean-David 131, 212 Jung Carl Gustav 318 K Kahn Gustave 187, 198, 214, 215 Kandinsky Vassily 35, 179, 208, 209, 210, 211, 214, 216 Kaulbach, Friedrich August von 127, 129, 131 Keller, Albert von 112, 129, 130, 131, 138, 141, 212 Keller Christophe 338 Kerner Justinus 56, 58, 68, 132, 192, 212, 214, 306 Kerouac Jack 285, 288, 308 Kiesler Friedrick 298 Kircher Athanasius 24, 168 Kleist, Henrich von 132 Klimt Gustav 118, 188 Klinger Max 129, 132, 212 Kokoschka Oskar 157, 188, 192 Kosuth Joseph 331 Kracauer Siegfried 264, 270 Krafft-Elbing, Richard von 166, 213 Krapf Michael 36, 38 Krauss Rosalind 250 Kreuzer Gundula 94, 96 Kubelka Peter 305 Kubie Lawrence 275, 276, 308, 316, 351 Kupka Frantisek 206, 208, 216, 354 L Lacan Jacques 231, 316, 351 Lacoste Joris 331, 333, 334, 342, 351, 365 Laere, Karel van 345 Lafontaine Charles 66, 88, 90, 96, 262 Laing Ronald 295 Lambert Louis 63, 68 Lamennais, Félicité Robert de 131 Latour Bruno 96, 209, 216 Laurinaitis Algirdas 331 Laverdant Gabriel 277 LaVigne Robert 288 Lavoix Henri 248, 269 Leary Timothy 292, 302, 305, 308, 309 Le Bon Gustave 135, 200, 213, 215, 267 Lejay Julien 196, 198, 215 Le Parc Julio 289, 292, 295 Lessing Gotthold Ephraim 51 Levi Eliphas 24, 38 Lévi-Strauss Claude 206, 216 Levy Denise 235, 268 Lichtenberg Georg Christophe 23 Liébault Ambroise-Auguste 172, 173, 206, 214, 265 Liégeois Jules Joseph 181, 261, 264 Lilly John 276, 295, 308 Limbour Georges 227 Lindner Robert 276, 277, 308 Lipps Theodor 186, 214, 268 Lisel Marie 347 Lista Giovanni 195, 215, 216, 365 Lombroso Cesare 200 Londe Albert 104, 121 Lorde, André de 242, 269 Loutherbourg Philippe-Jacques 36 Luckhurst Roger 228, 268 Lutyens Marcos 331, 332, 351 Luys Jules-Bernard 112, 150, 151, 152, 153, 166, 180, 213, 214, 258, 269 M Macdonald-Wright Stanton 205 Macquart Louis Claude 32 Magnin Émile 112, 122, 126, 127, 128, 129, 130, 131, 186, 199, 212, 214, 248, 268 Magritte René 231, 242 Maine de Biran, Pierre 32 Majorelle Louis 181, 214 Malašauskas Raimundas 331, 332, 351 Mallarmé Stéphane 187, 198, 213, 214, 215, 352 Manacorda Francesco 331 Mann Heinrich 192 Mannoni Octave 316, 352 Mann Thomas 192, 267 Marey Étienne-Jules 297 Margolin Sydney 275, 308, 316, 352 Marinetti Filippo Tommaso 201, 215 Marquer Bertrand 212, 253, 269 Martin François-René 198, 215, 355 Mason Shirley Ardell 323 Masson André 61, 212, 223, 269 Matta-Clark Gordon 324 Matta Roberto 298 Matzinger Lina 130 Mauclair Camille 94, 96 Maupassant, Guy de 280 Maurier, George du 125, 134, 135, 355 Maurin Charles 196 Mauss Marcel 169, 213 Max, Gabriel von 65, 130 Maxwell William 32, 38 McLaren Norman 306 McLuhan Marshall 276, 282, 289, 302, 308, 309 McNeill Whistler James Abbott 135, 198 Mead Richard 13, 38 Meerloo Joost 277 Megson Neil Andrew, dit P-Orridge Genesis 289, 309 Méheust Bertrand 47, 68, 88, 96, 213, 268, 301, 309, 365 Melchior Thierry 346, 347 Mellerio André 198, 215 Melley Timothy 276, 308 Ménétrier Jacques 298, 301, 309, 310 Mercereau Alexandre 201, 215 Mesmer Franz-Anton 5, 8, 9, 11, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 22, 23, 24, 25, 26, 28, 29, 32, 35, 36, 38, 43, 49, 51, 56, 68, 94, 104, 200, 228, 268, 269, 280, 286, 306, 354, 355, 356, 357 Messerschmidt Franz-Xaver 35, 36, 38, 131, 356 Metzner Ralph 302 Michals Duane 322, 323 Michaud Éric 9, 60, 68, 213, 270, 305, 309, 351 Mirbeau Octave 105, 119, 142, 212, 213 Moles Abraham 289, 309 Moll Albert 166, 213 Monet Claude 178, 179, 214 Montolieu, Isabelle de 45 Moreau de Tours Jacques-Joseph 146, 150, 152 Moreau Gustave 129, 198, 212 Morellet François 289 Moreno Jacob Levy 238, 268 Morise Max 226, 236, 268 Morselli Enrico 200, 215 Morton Marsha 132, 212 Moser Koloman 196 Moura Vicente de 325, 351 Moutin Louis 102, 175, 212 Mozart Léopold 22 Mozart Wolfgang-Amadeus 22, 38, 89, 356 Mucha Alphonse 102, 121, 125, 126, 127, 128, 181, 212, 356 Mulford Prentice 201, 215 Mullican Matt 317, 324, 325, 327, 328, 329, 330, 331, 332, 352, 356, 365 Munch Edvard 187, 188, 214 Münsterberg Hugo 265, 270 Myers Frederic William Henry 229, 231, 268 N Nacquart Jean-Baptiste 96 Nancy Jean-Luc 213, 305, 309, 329, 352, 355 Nayral Jacques 201, 215 Nerval, Gérard de 68 Newton Isaac 13, 20, 208 Nietzsche Friedrich 105, 118, 179, 187, 212, 214 Noizet François-Joseph 74 Nordau Max 118, 212 Nougé Paul 241 Novalis Georg Philipp Friedrich Freiherr von Hardenberg 23, 48, 51, 58, 68 O Ochorowicz Jules 168 Oiticica Hélio 296, 297 Olive Caty 334, 342 Onofroff Enrique 269 Oppenheimer Max 192 Osborn Alex 322, 352 Oshman Guy 319, 352 Oursler 6, 39, 69, 97, 217, 271, 311, 330 , 351, 353, 358, 362-365 P Packard Vance 278, 308 Papini Giovanni 202, 215 Paracelse, (Philippus Theophrastus Aureolus Bombast von Hohenheim) 24 Parent Claude 298 360 HYPNOSE_07-Cooper-CC2020 INDEX 360 14/09/2020 15:55 INDEX Parinaud André 222 Parreno Philippe 338 Paulet Jean-Jacques 16, 19, 22, 28, 38 Pavlov Ivan 275 Péret Benjamin 226, 227, 235, 236 Perret Léonce 261 Pétetin Désir 45, 54 Picabia Francis 227, 228, 232, 235, 253, 268 Pichler Walter 292 Pierre Arnauld 126, 212, 298, 309, 357 Pierre Jean-Baptiste-Marie 36 Pierre José 214 Piesse Louis 80, 96 Plasseraud Emmanuel 270, 358 Poe Edgar Allan 82, 83, 96, 188, 214, 280, 281, 282, 308, 355, 356, 357 Pollock Jackson 182, 352 Polti Georges 150, 213 Posch, Anna Maria von 22 Poulain Edouard 261, 270 Prezzolini Giuseppe 202, 215 Proudhon Pierre-Joseph 167, 213 Q Quatremère de Quincy Antoine Chrysostome 84, 96 Quillard Pierre 199, 215 R Radnitsky Emmanuel, dit Man Ray 225, 227, 228, 236, 239, 256, 258, 262, 268 Rageot Gaston 224, 268 Ramos Julie 64, 68 Rancière Jacques 96, 173, 213, 277, 308, 334, 347, 352, 353 Redern, Sigismond Ehrenreich Johann von 47, 301, 310 Redon Odilon 187, 198, 215 Regnard Paul Marie Léon 105, 107, 146, 170, 213, 241, 245, 269 Regnier, Henri de 152, 168 Reichenbach, Karl von 214 Reich Wilhem 288, 289, 309 Ribemont-Dessaignes Georges 236, 268 Richer Paul 16, 103, 104, 109, 111, 122, 124, 129, 146, 188, 212, 241 Richet Charles 229, 268 Rijn, Rembrandt Harmenszoon van 83, 142 Rimbaud Arthur 309, 319 Rimington Alexander Wallace 200 Ritter Johann-Wilhelm 23, 24, 38, 51, 54, 56, 68, 94, 268, 269 Rochas, Albert de 121, 125, 126, 127, 128, 152, 187, 188, 195, 196, 208, 212, 214, 215, 216, 231, 248, 268 Rochegrosse, Georges 125 Roche Pierre 192 Rodin Auguste 102, 107, 109, 129, 212, 366 Roger Joseph-Louis 22 Rorschach Hermann 56, 306 Rossi Pascal 267, 270, 289 Rousseau Henri, dit le Douanier Rousseau 126, 169, 171, 213 Rousseau Jean-Jacques 22 Roustang François 68, 316, 317, 346, 350, 352, 353 Rubens Paul 124, 200, 212, 356 Runge Philipp Otto 51, 68 S Sand George 88 Sauvage Henri 192 Scheffer Olivier 324, 352 Schelling, Friedrich Wilhelm Joseph von 23, 54, 56 Scheyb, Franz Christoph von 35 Schiele Egon 102, 115, 116, 192 Schneider Peter-Joseph 20, 164 Schöffer Nicolas 296, 297, 298, 301, 305, 309, 357, 366 Schönberg Arnold 126 Schopenhauer Arthur 50, 68, 301 Schrenck-Notzing, Albert von 126, 129, 130, 138, 166, 212, 213, 268 Schubert, Gotthilf Heinrich von 54, 56, 57, 58, 60, 68, 356 Schwabe Carlos 111, 112, 130, 131, 212 Scott Jimmy 343, 353 Scott Walter 63 Segno Victor 202, 205, 215, 216 Seppilli Giuseppe 200, 215 Séré, Louis de 48, 68 Severi Carlo 282, 308 Shannon Claude 289 Siboni Raphaël 332 Sidenius Christian 302 Sidgwick Henry 168 Silverman Debora Leah 179, 180, 181, 214, 358 Sloterdijk Peter 25, 38, 49, 68, 292, 309 Smith Jack 280 Sommerville Ian 285, 286, 288, 289 Soupault Philippe 222, 231, 242 Souriau Paul 171, 178, 179, 180, 181, 182, 186, 199, 213, 214, 215, 239, 261, 270 Spiegel Herbert 322, 352 Spurzheim Johan Gaspar 85, 96 Starobinski Jean 38, 229, 241, 268 Stengers Isabelle 346, 352, 356 Stern Rudi 302 Stiles Kristine 212, 352 Strindberg August 188 Stuck, Franz von 129, 131 Sulzer Johann Georg 20, 38 Survage Léopold 199, 206 T Tafuri Manfredo 295, 309 Tamburini Augusto 200 Tardy de Montravel Auguste 19, 38, 49, 68, 213, 301, 310 Teilhard de Chardin Pierre 302, 306, 310 Thurschwell Pamela 215, 269, 286, 309 Tieck Ludwig 20, 38, 68 Tillier Paul 134, 135, 212, 213 Tiziano Vecellio, dit Titien 83 Toulouse-Lautrec Henri de 195, 196 Tournachon Gaspart-Félix, dit Nadar 125 Turner William 84 Tzara Tristan 236 V Vaësen Frédéric 343, 345 Valdès André 171, 213 Van Dyck Antoine 83 Van Helmont Jean-Baptiste 24 Vasarely Victor 289 Vernet Horace 80 Vernon Jack 309 Vignier Charles 198, 215 Villers, Charles de 242, 269 Villiers de L’Isle-Adam, Auguste de 248, 269 Vischer Robert 186 Vitrac Roger 235, 238 W Wackenroder Wilhelm 20, 38, 48, 68 Wagner Richard 74, 93, 94, 96, 105, 118, 198, 212 Warhol Andy 278, 280, 282, 308, 358 Watts Robert , 318 Wegman William 315, 316, 366 Weingart Brigitte 308, 358 Whistler James 135, 198 Whitney James 306 Whitney John 306 Wiene Robert 264, 265, 267 Wigman Mary 267 Wilde Oscar 126 Wilson Jane et Louise 317, 338 Wundt Wilhelm Maximilian 132, 212, 213 Wyzewa, Teodor de 198, 199, 215, 357 Y Yalkut Jud 288 Youngblood Gene 301, 302, 303, 310 Yvaral Jean-Pierre 289 361 HYPNOSE_07-Cooper-CC2020 INDEX 361 14/09/2020 15:55 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 362 13/09/2020 19:07 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 363 13/09/2020 19:07 REMERCIEMENTS Le Musée d’arts de Nantes tient à exprimer sa reconnaissance et ses remerciements à la maire de Nantes et présidente de Nantes Métropole, Johanna Rolland, à Fabrice Roussel, premier vice-président de Nantes Métropole, à Aymeric Seassau, adjoint à la Culture de la Ville de Nantes ainsi qu’à l’ensemble des élus et des équipes de Nantes Métropole pour le soutien qu’ils ont apporté à l’exposition. Le musée remercie l’État – ministère de la Culture – DRAC des Pays de la Loire pour le soutien financier apporté à l’exposition. Nos remerciements vont à : Tony Oursler, qui s’est engagé dans la réalisation d’une installation monumentale inédite, clou de l’exposition dans la Chapelle de l’Oratoire. Nous remercions également son assistant, Jack Colton, et Xavier Hervouët qui a permis, à Nantes, la réalisation technique de nombreuses pièces, avec ingéniosité et précision. Le partenariat avec l’École des beaux-arts de Nantes Saint-Nazaire a fait grandement avancer le projet. Que Rozenn Le Merrer, sa directrice, Florence Fixot, gestionnaire scolarité, Nathalie Fraval, les responsables d’ateliers et les élèves en soient chaleureusement remerciés. Nous exprimons toute notre reconnaissance envers les institutions, musées, bibliothèques, collectionneur.se.s, galeristes qui ont contribué au succès de cette exposition par leurs prêts généreux : Allemagne Berlin, Deutsche Kinemathek, Rainer Rother, directeur artistique, Florian Bolenius, directeur administratif Berlin, Galerie Esther Schipper, Esther Schipper, directrice Mannheim, Kunsthalle Mannheim, Johan Holten, directeur Wiesbaden, Friedrich-Wilhelm-Murnau-Stiftung, Christiane von Wahlert, directrice Angleterre Londres, Close-Up Film Centre États-Unis New York, 303 Gallery, Lisa Spellman, directrice New York, Merchant Ivory Production New York, Peter Freeman Inc., Katie Rashid, directrice Le Pôle Maintenance Atelier de Nantes Métropole, ainsi que le Cinématographe et son directeur Emmanuel Gibouleau. 364 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 364 13/09/2020 19:07 REMERCIEMENTS France Besançon, Frac Franche-Comté, Sylvie Zavatta, directrice Besançon, Musée des beaux-arts et d’archéologie, Nicolas Surlapierre, directeur Chaumont, Le Signe - Centre national du Graphisme, Jean-Michel Géridan, directeur général Douai, Bibliothèque municipale – Marcelline DesbordesValmore, Paméla Boittiaux, directrice Lyon, Institut Lumière, Thierry Frémaux, directeur Lyon, Musée d’histoire de la médecine et de la pharmacie, Pr. Daniel Benzoni, responsable Pantin, Centre national de la danse, Catherine Tsekenis, directrice générale Paris, Bibliothèque de Sorbonne Université, Anne-Catherine Fritzinger, directrice Paris, Bibliothèque Charcot, Florian Horrein, responsable Paris, Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet, Isabelle Diu, directrice Paris, Bibliothèque nationale de France, Denis Bruckmann, directeur général Paris, Centre national des arts plastiques, Béatrice Salmon, directrice Paris, Collection Nicolas Schöffer Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, Jean de Loisy, directeur Paris, Musée d’art moderne de Paris, Fabrice Hergott, directeur Paris, Musée de la musique – Cité de la musique – Philharmonie de Paris, Marie-Pauline Martin, directrice Paris, Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle, Bernard Blistène, directeur Paris, Musée Rodin, Catherine Chevillot, directrice Paris, Galerie Xippas, Tristan van der Stegen, directeur Reims, Musée des Beaux-Arts de Reims, Catherine Delot, directrice Strasbourg, Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg, Paul Lang, directeur Nous remercions particulièrement l’ensemble des artistes impliqués dans ce projet : Marina Apollonio, Berdaguer & Péjus, Catherine Contour, Loris Gréaud, Joris Lacoste, Larry Miller, Matt Mullican, Tony Oursler, Alain Séchas, Frédéric Vaesen, William Wegman Notre gratitude va également à toutes celles et tous ceux qui, à titres divers, nous ont apporté leur soutien et leur aide précieuse dans la réalisation de cette exposition : Elsa Agnan, Catherine Arnold, Virginie Aubry, Philippe Baudouin, Bruno Belhoste, Daniel Benzoni, Clarisse Bernier, Emmanuelle Brugerolles, Christine Burgin, Nathalie Carezales, Ludovic Chauwin, Mariolina Cilurzo, Philippe Dagen, Éléonore de Lavandeyra Schöffer, Rowan de Saulles, Agnès Desrieux, Lisa Diop, Nicolas Draeger, Sylvie Ferreira, Julia Garimorth, Pascale Georget, Emmanuel Gibouleau, Philippe Guegen, Catherine Higgins, Karolina Kazmierska, Christophe Langlois, Olivier Lebrun, Mychèle Leca, Romaric Ledroit, Marcella Lista, Marcos Lutyens, Béatrice Malan, Raimundas Malasauskas, Charlotte Marland, Bertrand Méheust, Alexandra Midal, Michaël Moretti, Olga Ogorodova, Xan Price, Carmen Prokopiak, Julia Riedl, Sara Seagull, Andres Selini, Jeffrey Sconce, Virginie Vignon, Jean Vilbas, Pierre Wat, Adela Yawitz, Alvise Zen, Andrea Ziegenbruch. République Tchèque Prague, Galerie nationale, Ing. Alena Anne-Marie Nedoma, directrice générale Royaume-Uni Londres, Wellcome Library, Melanie Keen, directrice 365 HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 365 13/09/2020 19:07 Musée d’arts de Nantes 10 rue Georges Clemenceau, 44000 Nantes www.museedartsdenantes.nantesmetropole.fr/home.html Direction Sophie Lévy Administration Émilie Porcher Accueil Aurélie Bouhier, Julie Brochard, Mireille Herrouin, Guillaume Hurel, Marie Jarousseau, Lolita Lorentz, Morgane Magnin-Feysot, Nadine Masse, Valérie Membré, Manuel Merlet, Mélanie Montassier, Virginie Morel, Giorgio Pecorino, Christelle Ploton, Pierre Reynaud, Benoît Robard, Corentin Ruffet, Mélanie Trévisan Accueil et réservations Timothée Binoche, Anne-Charlotte Murgue Assistante de direction Brigitte Porée Bibliothèque Mikaël Pengam Conservation Adeline Collange-Perugi, Katell Jaffrès, Claire Lebossé, Jean-Rémi Touzet Finances, comptabilité et ressources humaines Catherine Bignon, Anita Galéa, Pierre Moreau, Annick Quetineau, Hélène Rouzeau Locations d’espaces Fabienne Bidaud Service des collections Cécile Clos, Salomé Gilles, Marie Pineau, Céline Rincé-Vaslin, Claire Tscheiller Service de la communication Violaine Bretin, Audrey Busardo, Pierre Grouhel, Constance Mouchel Service des publics Marina Bécan, Alice de Dinechin, Laetitia Ducamp, Claire Dugast, Élodie Evezard, Pauline Le Jossic, Catherine Le Treut, Mathilde Morin, Christel Nouviale, Corinne Rohard Service technique Mickaël Cruel, Fabrice Gahery, Jean-Edmond Moudiki, Rénald Pezzutti, Marc Sezestre, Virginie Tessier, Florent Quéméneur Assistante de la conservation Clara Antony Documentation Anne Maleyrot HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 366 13/09/2020 19:07 Cet ouvrage est publié à l’occasion de l’exposition Hypnose présentée au Musée d’arts de Nantes du 16 octobre 2020 au 31 janvier 2021. Commissariat général Sophie Lévy, directrice conservatrice du Musée d’arts de Nantes Commissariat Pascal Rousseau, professeur d’Histoire de l’art à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, assisté de Louise Denis, historienne de l’art et de Jean-Rémi Touzet, conservateur pour les collections du XIXe siècle du Musée d’arts de Nantes Scénographie Pascal Rodriguez (scénographie), CL Design (graphisme), Volume agencement (agencement), Raymond Belle (éclairage) et D’Clic (électricité) Régie de l’exposition Claire Tscheiller, Salomé Gilles Coordination technique Florent Quéméneur Équipe technique / Réalisation des œuvres de Tony Oursler dans la Chapelle de l’Oratoire Mickaël Cruel, Fabrice Gahéry, Xavier Hervouët, Jean-Edmond Moudiki, Rénald Pezzutti, Marc Sezestre, Virginie Tessier, avec le partenariat de l’École supérieure des beaux-arts de Nantes Métropole et de ses élèves HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 367 Coordination de la médiation Mathilde Morin Programmation événementielle Claire Dugast Iconographie Cécile Clos, Doc’Addict (Nathalie Rosenblum et Catherine Bihan) Communication Violaine Bretin, Audrey Busardo, Pierre Grouhel, Constance Mouchel, Opixido (conception graphique) et Alambret Communication (relations presse) Administration générale et coordination administrative Émilie Porcher Coordination des marchés publics Pierre Moreau et Anita Galéa Coordination de l’accueil Mélanie Trévisan 13/09/2020 19:07 Beaux-Arts de Paris 14 rue Bonaparte, 75006 Paris www.beauxartsparis.fr Présidente du conseil d’administration Éléonore de Lacharrière Directeur Jean de Loisy Directrice adjointe Patricia Stibbe Directeur des études Jean-Baptiste de Beauvais Responsable du service communication, mécénat et partenariat Sophie Boudon-Vanhille Éditions Responsable des éditions Pascale Le Thorel Éditrice Mychèle Leca Conception graphique et réalisation Nicolas Draeger Administratrice des éditions France Groubetitch Chargée de la diffusion Isabelle du Pasquier Coordination éditoriale Clarisse Bernier Iconographie Pascale Georget, Adèle Ehlinger Crédits photo : © Science History Images / Alamy Stock Photo, p. 10 ; © Wellcome Collection, attribution 4.0 International (CC BY 4.0), p. 15 ; © Christie’s Images Limited, 2020, p. 17 ; © Photo : Claude Germain, 2010, p. 23 ; © Heritage Image Partnership Ltd / Alamy Stock Photo, p. 92 ; © National Portrait Gallery, Washington, p. 95 ; © Beaux-Arts de Paris, p. 103-109-111-299 ; © Artepics / Alamy Stock Photo, p. 117 ; © Domaine public / Cnap / crédit photo : Musée d’histoire de la médecine, Paris, p. 143 ; © Reims, Musée des Beaux-Arts, photo : C. Devleeschauwer, p. 146 ; © Kunsthalle Mannheim, photo : Cem Yücetas, p. 193 ; © Droits réservés, p. 296-298 ; © ADAGP, Paris, 2020, p. 315-316 ; © Alain Séchas et la Galerie Laurent Godin, p. 312 et 343 ; © ADAGP, Paris, 2020 / Cnap / Photo : Florian Kleinefenn, p. 342 ; © Fraser Gray / Alamy Stock Photo, p. 338. HYPNOSE_07-Cooper-CC2018.indd 368 Retouche images Fotimprim, Paris Relecture François Grandperrin © École nationale supérieure des beaux-arts et Musée d’arts de Nantes, 2020. Tous droits réservés. ISBN : 978-2-84056-792-9 Dépôt légal : octobre 2020 Achevé d’imprimer sur les presses de la STIPA 13/09/2020 19:07