La formation agentive en français. Les composés
[VN/A/Adv/P]N/A et les dérivés V-ant, V-eur et
V-oir(e)
Maria Rosenberg
To cite this version:
Maria Rosenberg. La formation agentive en français. Les composés [VN/A/Adv/P]N/A et les dérivés
V-ant, V-eur et V-oir(e). Sciences de l’Homme et Société. Stockholm University; Dept. of French,
Italian and Classical Languages, 2008. Français. tel-00487200
HAL Id: tel-00487200
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Submitted on 28 May 2010
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Cahiers de la Recherche
37
__________________________________________________________________
La formation agentive en français
Les composés [VN/A/Adv/P]N/A et les dérivés
V-ant, V-eur et V-oir(e)
Maria Rosenberg
Département de français, d’italien et de
langues classiques
Thèse pour le doctorat
Département de français, d’italien
et de langues classiques
Université de Stockholm
S-106 91 Stockholm
Doctoral Dissertation
Department of French, Italian
and Classical Languages
Stockholm University
S-106 91 Stockholm
Abstract
This study addresses the French morphological construction [VN/A/Adv/P]N/A. The main
objectives are to posit a single rule for its formation and to question the implications of the
agent polysemy. The theoretical framework is lexeme-based morphology, which adheres to
weak lexicalism.
The first part of our analysis is qualitative and concerns the availability aspect of
productivity. The method is introspective. The internal semantic patterns of the French
construction are examined. Our results give evidence for the claim that a single morphological
construction rule, [VN/A/Adv/P]N/A, is responsible for the cases where the first constituent is a
verb stem, and the second constituent may correspond to an internal argument, an external
argument or a semantic adjunct. All cases manifest the same patterns, which are related to the
denotative meanings included in the agent polysemy: Agent, Instrument, Locative, Action,
Result and Cause. Our contrastive analysis shows that the same patterns are found in the four
Swedish agentive formations, [N/A/Adv/PV-are]N, [N/A/Adv/PV]N, [N/A/Adv/PV-a]N and
[VN]N, which correspond to the French [VN/A/Adv/P]N/A construction and which also contain a
verbal constituent and its internal or external argument, or an adjunct.
The second part of our analysis is quantitative and concerns the profitability aspect of
productivity. The method is inductive. The aim is to explore the polysemy of agent and its
assumed hierarchical structure, in synchrony and diachrony. Four French agentive formations,
[VN/A/Adv/P]N/A compounds and V-ant, V-eur and V-oir(e) derivations, are included in order
to examine semantic competition and blocking effects. Our results give evidence for the
existence of an agent polysemy but deny that it has a hierarchical structure valid for every
agentive formation. The meanings in the agent polysemy are more or less profitable according
to formation type: blocking effects could explain this behaviour.
Keywords: agentive formations, agent nouns, compounds, contrastive, derivations, diachrony,
French, instrument, lexeme, morphology, polysemy of agent, productivity, semantic patterns,
semantics, Swedish, synchrony, VN compounds, verb stem, word formation
©Maria Rosenberg, Stockholm 2008
ISSN 1654-1294
ISBN (978-91-85059-07-2)
Printed in Sweden by Universitetsservice US-AB, Stockholm 2008
Distributor: Department of French, Italian and Classical Languages,
Stockholm University
Remerciements
Je tiens ici à exprimer ma profonde gratitude à plusieurs personnes qui ont été importantes
pour la réalisation de cette thèse.
Mes remerciements vont tout d’abord à mon directeur de thèse, le professeur Olof
Eriksson, pour son engagement et ses lectures, toujours attentives, critiques et perspicaces, ses
remarques et ses suggestions. J’adresse aussi mes sincères remerciements à mon co-directeur,
le professeur Mats Forsgren, pour sa disponibilité et ses commentaires pertinents et précieux.
Ma co-directrice externe, le professeur Georgette Dal, Lille 3, mérite aussi ma profonde
gratitude pour ses commentaires de spécialiste en morphologie qui m’ont beaucoup apporté
pour améliorer la qualité de cette thèse et pour en comprendre les questions théoriques. Merci
aussi à l’unité de recherche Silex (actuellement, STL) à Lille 3 pour avoir eu gentillesse de
m’accueillir pendant quelques mois en 2003. Je tiens aussi à remercier le professeur Eva
Larsson Ringqvist, qui a été rapporteur de mon mémoire de phil.lic. en 2006, et dont la
critique constructive m’a aidée à continuer mon travail dans une direction plus précise.
Je remercie avec beaucoup de chaleur les doctorants et les collègues du département de
français, d’italien et de langues classiques, tous les participants de l’école doctorale FoRom,
de l’université de Stockholm, ainsi que mes anciens collègues de l’Institut des Sciences
Humaines de l’université de Växjö. Je tiens également à remercier Jérôme-Frédéric Josserand
pour avoir soigneusement révisé le texte.
J’adresse spécialement de tendres remerciements à mes parents, Birgit et Bertil Petersson,
pour leur soutien moral et leurs encouragements depuis toujours. Merci aussi à mon mari
Peter et à nos deux enfants, Konrad et Arnold, ainsi que le troisième que je porte encore, qui
sont d’une importance vitale.
J’exprime ma sincère gratitude aux fondations Helge Ax:son Johnson, Hildur Ödlund et
E & H Rhodin pour leurs contributions généreuses, qui m’ont permis de participer à des
conférences internationales. Finalement, je remercie profondément la fondation Knut et Alice
Wallenberg et l’École doctorale de langues romanes, FoRom, pour leur aide financière, qui
m’a permis de réaliser mon projet de thèse.
Cette thèse a été réalisée dans le cadre de l’École doctorale de langues
romanes (Nationella Forskarskolan i Romanska Språk, FoRom) avec l’appui
de la fondation Knut et Alice Wallenberg.
À mes parents
Table des matières
1
Introduction
1
1.1
Questions de recherche et hypothèses
2
1.2
Méthode et matériaux
4
1.3
Disposition
6
2
La morphologie et ses unités, le lexique et la productivité
2.1
2.2
2.3
2.4
La morphologie dans la théorie linguistique
7
7
2.1.1
La grammaire générative et l’hypothèse lexicaliste
2.1.2
La tête morphologique
11
7
Les unités morphologiques
13
2.2.1
Morphème, morphe et allomorphe
2.2.2
Mot et lexème
16
2.2.3
Racine, thème, radical et base
19
Le lexique
13
21
2.3.1
La constitution du lexique
2.3.2
L’entrée lexicale
21
25
Modèles morphologiques
27
2.4.1
Approches à base de morphème vs approches à base de lexème
2.4.2
Sous-spécification lexicale
27
30
2.5
La notion de productivité et sa définition
32
2.6
Bilan
36
3
Les composés français : définition et délimitation
3.1
37
Critères pour distinguer entre composé, syntagme lexicalisé et syntagme
syntaxique régulier
38
3.2
Classification des composés
46
3.3
Définition et délimitation des composés en français
47
4
La construction [VN/A/Adv/P]N/A
4.1
51
Données introductives
4.1.1
53
L’appartenance catégorielle, le genre et le nombre du composé
[VN/A/Adv/P]N/A
4.2
4.3
53
4.1.2
Composés ambigus dans lesquels le statut du premier élément prête à
discussion
57
4.1.3
Les verbes qui entrent dans les composés [VN/A/Adv/P]N/A
58
Hypothèses proposées pour la construction [VN/A/Adv/P]N/A
59
4.2.1
La nature de l’élément verbal
59
4.2.2
Explications plus élaborées de la structure des composés [VN]N/A
62
La structure sémantique interne des composés [VN/A/Adv/P]N/A
64
4.3.1
L’étude de Villoing (2002)
64
4.3.2
L’étude de Fradin (2005)
69
i
4.4
Le composé [VN]N/A dont le second constituant est un argument interne
4.5
Le composé [VN/A/Adv/P]N/A dont le second constituant joue le rôle
73
sémantique d’adjoint
79
4.6
Le composé [VN]N/A dont le second constituant est un argument externe
86
4.7
Restrictions sur le prédicat des composés [VN/A/Adv/P]
94
4.8
Conclusion : la structure sémantique des composés [VN/A/Adv/P]N/A
96
5
Contrastivité des formations agentives
99
5.1
Héritage
5.2
Typologie de la composition
5.3
Les données
104
5.4
Formations agentives suédoises
106
Les patrons sémantiques des formations agentives suédoises
107
5.5
99
101
5.5.1
Le type [N/A/Adv/PV-are]N
5.5.2
Le type [N/A/Adv/PV]N
107
114
5.5.3
Le type [N/A/Adv/PV-a]N
117
5.5.4
Le type [VN]N
120
5.6
Restrictions sur le prédicat des formations suédoises
124
5.7
Conclusion
125
6
La polysémie d’agent
129
6.1
La structure hiérarchique des formations agentives
129
6.2
Blocage ou rivalité entre formations ou sens différents
132
6.3
L’homonymie au lieu de polysémie
133
Synchronie et hiérarchie d’Agent
135
7
7.1
Introduction
7.1.1
7.2
7.3
8
135
Objectif
135
7.1.2
La productivité délimitant le corpus
136
7.1.3
Les données synchroniques
136
7.1.4
Précisions méthodologiques : traits distinctifs et classificatoires
Résultats synchroniques portant sur la hiérarchie d’agent
7.2.1
La distribution entre différents types d’agentifs en synchronie
140
7.2.2
Les unités polysémiques
142
Conclusion
150
Diachronie et extension de sens
8.1
153
Introduction
153
8.1.1
Objectif
153
8.1.2
Les données diachroniques
154
8.2
L’origine des composés [VN/A/Adv/P]N/A
8.3
Étude diachronique antérieure sur la sémantique des composés
8.4
137
138
154
[VN/A/Adv/P]N/A
155
Résultats diachroniques portant sur la hiérarchie d’agent
157
8.4.1
La distribution entre différents types agentifs en diachronie
ii
160
8.4.2
8.5
8.6
9
L’extension de sens des unités linguistiques polysémiques
Explications de l’extension sémantique
8.5.1
Trois explications d’ordre diachronique
8.5.2
Explications sémantiques/cognitives
Conclusion
162
165
165
170
174
Conclusion
177
9.1
Synthèse de l’étude
177
9.2
Perspectives de recherche
184
Source informatisée
187
Dictionnaires
187
Références
187
iii
Abréviations
A
Act
Adv
Ag Ani
Ag Hum
Ag Imp
Ag Vég
Cau
Dét
f.
gén.
Instr
litt.
Loc
m.
N
Obj
P
pl.
RCL
Rés
sg.
SLC
SN
SV
V
Vintrans
Vpron
Vtrans
adjectif
Action
adverbe
Agent Animal
Agent Humain
Agent Impersonnel
Agent Végétal
Cause
déterminant
féminin
génitif
Instrument
littéralement
Locatif
masculin
nom
Objet
préposition
pluriel
règle constructionnelle du lexème
Résultat
singulier
structure lexicale conceptuelle
syntagme nominal
syntagme verbal
verbe
verbe intransitif
verbe pronominal
verbe transitif
iv
1 Introduction
Ce travail se situe dans le cadre théorique de la morphologie lexématique,
approche « scindée ». Le domaine d’étude est celui de la morphologie
constructionnelle1, dans laquelle la composition et la dérivation sont deux
procédés importants de formation des mots. Or, dans les langues romanes, la
composition est un phénomène plus complexe, et plus rare aussi, que dans
les langues germaniques. En suédois, on peut former des mots composés
facilement, et aussi occasionnellement. De plus, à l’opposé du français, les
composés se caractérisent dans cette langue comme étant toujours soudés et
comme ayant une accentuation particulière. Dans le présent travail, nous
nous intéresserons surtout à un type particulier de formation agentive en
français, la construction morphologique [VN/A/Adv/P]N/A, par exemple
ouvre-boîte ou couche-tôt.
Le composé [VN/A/Adv/P]N/A possède plusieurs aspects intéressants,
particulièrement en ce qu’il se trouve à l’intersection des questions
morphologiques, sémantiques et syntaxiques. Certaines des questions
auxquelles nous avons l’intention d’essayer de répondre dans ce travail
restent encore ouvertes et reçoivent des réponses différentes selon le cadre
théorique adopté. La nature du premier constituant du composé se prête par
exemple à une discussion complexe qui n’est pas encore entièrement
close : on peut entre autres y voir un thème verbal ou une nominalisation.
Étant donné le cadre théorique choisi, la structure interne de la composition
[VN]N/A peut refléter soit la relation syntaxique entre verbe et complément
d’objet soit la relation sémantique entre prédicat et participant/argument
interne, qui est quant à elle une construction morphologique.
La relation sémantique tenant entre les constituants peut être aussi de type
prédicat/verbe et argument externe/sujet, par exemple gobe-mouton, ou de
1
Selon Villoing (2002:123), Danielle Corbin est l’auteur de ce terme. Fradin (1999:14-15, n.
8) penche pour le terme de « constructionnelle » pluôt que pour celui de « dérivationnelle »
parce que ce premier permet d’englober aussi les constructions des unités complexes formées
par composition, conversion, incorporation, etc. La morphologie constructionnelle se
distingue de la morphologie flexionnelle par le fait que celle-là met en jeu au moins deux
unités lexicales dans une relation allant de simple à complexe (LAVER et VAISSELLE vs LAVEVAISSELLE), tandis que celle-ci ne concerne qu’une unité lexicale (LAVER vs
laver/lavera/lavais, etc.) (Fradin 1999:15). Or, la distinction la plus importante réside dans ce
que la morphologie constructionnelle constitue un composant autonome de la grammaire,
alors que la morphologie flexionnelle ne peut être dissociée de la syntaxe (Villoing 2002:117123) (cf. ch. 2).
1
type prédicat/verbe et adjoint sémantique/adverbial, par exemple lève-tôt ou
traîne-nuit. Autant que nous sachions, ces deux cas n’ont pas reçu
d’attention particulière et méritent une étude approfondie. Il en est de même
pour les patrons sémantiques internes des composés [VN/A/Adv/P]N/A.
L’analyse contrastive de la sémantique des correspondances suédoises de la
construction agentive [VN/A/Adv/P]N/A en français a pour but de placer
notre étude et les résultats qui en découlent dans un contexte plus vaste, et de
présenter des évidences plus probantes. Sémantiquement, le composé
[VN/A/Adv/P]N/A est une formation agentive qui se réfère surtout aux
instruments et aux agents humains, mais il peut également désigner des
agents animaux, végétaux et impersonnels, ainsi que des actions, des
locatifs, des résultats et des causes. Il se prête de ce point de vue au test de la
validité empirique de la polysémie d’agent et des hypothèses qui en
découlent. Dans le dessein d’examiner la rivalité entre différentes formations
agentives et leurs sens, ce qui à notre connaissance n’a pas été fait sur une
échelle aussi grande, les trois dérivés agentifs V-ant, V-eur et V-oir(e)
seront inclus dans une partie de notre travail.
1.1 Questions de recherche et hypothèses
Plus généralement, notre étude prendra en considération les aspects
morphologiques et sémantiques. L’axe synchronique-diachronique aura de
l’importance pour l’aspect sémantique de notre étude.
L’arrière-plan consistera à faire le tour d’horizon de la morphologie. Nous
rendrons entre autres compte de différentes approches théoriques de la
morphologie moderne, et des questions qui y sont soulevées. D’autres
questions importantes concernent les unités de base de la morphologie, le
lexique, l’entrée lexicale et la notion de productivité. Évidemment, nous
traiterons la composition, surtout celle du français, et différentes
classifications des composés. Il sera plus difficile de cerner les critères
proposés par divers chercheurs pour faire une distinction entre composés,
syntagmes lexicalisés et syntagmes syntaxiques réguliers. Toute cette
complexité sera pourtant résolue avec l’adoption de la définition et la
délimitation du composé proposées par Corbin (1992). Nous mettrons aussi
en lumière la construction [VN/A/Adv/P]N/A en français sous ses aspects
morphologiques. Nous nous intéresserons à la structure de ce composé en
recourant à la discussion qu’elle a suscitée parmi les spécialistes. Nous
voudrions en particulier mettre en lumière les implications théoriques des
explications différentes proposées pour sa structure morphologique ou
syntaxique.
Les questions de recherche principales auxquelles nous essayerons de
répondre dans nos chapitres d’analyses sont plus précisément les suivantes.
2
• Aspect morphologique :
— Comment expliquer la structure des composés [VN/A/Adv/P]N/A en
français ?
Nous accepterons la position avancée par Villoing (2002) selon laquelle il y
a une règle de construction morphologique [VN]N/A, valable pour la
formation des composés où le premier constituant est un thème verbal et le
second constituant est un participant sémantique, le plus souvent jouant le
rôle de Thème. Or, il serait, selon nous, possible d’élargir cette règle afin de
comprendre aussi le cas où le second constituant correspond à l’argument
externe, ce que fait également Fradin (2005), et celui où le second
constituant joue un rôle d’adjoint sémantique. Notre hypothèse posera donc
qu’une seule règle de construction morphologique, [VN/A/Adv/P]N/A, soit
responsable pour la formation de tous ces cas.
• Aspect sémantique : analyse qualitative de la disponibilité et de la
structure sémantique interne :
— Quels sont les patrons sémantiques des composés [VN/A/Adv/P]N/A ?
Nous prendrons comme point de départ les patrons sémantiques proposés par
Fradin (2005) pour la structure interne des composés [VN]N/A du français.
Nous allons en outre proposer d’autres patrons afin de pouvoir rendre
compte de la sémantique interne des composés [VN/A/Adv/P]N/A de manière
plus exhaustive. De plus, nous proposerons pour chaque patron sémantique
un sens dénotatif. Cette analyse des patrons sémantiques a pour but de
vérifier si notre hypothèse selon laquelle il est possible de proposer une seule
et même règle de construction morphologique [VN/A/Adv/P]N/A est
plausible. Nous examinerons aussi les restrictions pesant sur les prédicats
complexes des composés.
• Aspect sémantique contrastif :
— Quelles formations agentives suédoises correspondent à la
construction française [VN/A/Adv/P]N/A ? Y retrouve-t-on les mêmes patrons
sémantiques ?
Nous avons l’intention de localiser les correspondances suédoises de la
construction française [VN/A/Adv/P]N/A et d’examiner leur sémantique
interne, ainsi que leurs sens dénotatifs. Cette analyse qualitative est donc un
parallèle de l’analyse qualitative des composés [VN/A/Adv/P]N/A du
français. Notre hypothèse avance qu’il sera possible de trouver les mêmes
patrons sémantiques que manifestent les composés [VN/A/Adv/P]N/A du
français chez les formations agentives suédoises, ainsi que les mêmes
relations entre prédicat et argument interne, adjoint et argument externe.
Cette analyse contrastive est aussi censée présenter des évidences
supplémentaires portant sur la polysémie d’agent.
3
• Aspect sémantique : analyse quantitative de la rentabilité et des sens
dénotatifs
— La polysémie d’agent a-t-elle une validité empirique ?
Dans les analyses sémantiques des quatre formations agentives françaises,
c’est-à-dire les composés [VN/A/Adv/P]N/A et les dérivés V-ant, V-eur et Voir(e), nous voudrions en particulier mettre en question le bien-fondé
empirique, en diachronie et en synchronie, de la polysémie d’agent comme
hiérarchiquement structurée, comme le proposent entre autres Dressler
(1986), Devos & Taeldeman (2004) et Sleeman &Verheugd (2004). Notre
hypothèse est que l’Agent n’est pas forcément primaire par rapport à
l’Instrument, à l’Action, au Locatif, etc., et que ceux-ci n’en tirent pas leur
origine. Au contraire, nous poserons comme hypothèse que les formations
agentives particulières manifestent des structures sémantiques différentes.
Finalement, nous signalons que nous ne dirons rien dans ce travail des
aspects morpho-phonologiques des unités linguistiques en question.
1.2 Méthode et matériaux
Afin de répondre aux questions de recherche, nous avons choisi pour ce
travail deux méthodes différentes, l’une introspective et l’autre inductive.
La méthode introspective est utilisée pour l’analyse qualitative (ch. 4-5)
qui concerne la disponibilité et qui examine la structure sémantique interne
des composés [VN/A/Adv/P]N/A. Il est question de notre interprétation de la
relation entre les constituants, et les données à la base de l’étude proviennent
de toute source disponible : Internet, dictionnaires, dont le Le Trésor de la
Langue Française informatisé, TLFi, est le plus important, et d’autres
études, notamment celle de Villoing (2002). Pour l’analyse contrastive
également, c’est la méthode introspective qui est en jeu, et la base de
données relève ici aussi de toute source disponible. Cette méthode est
motivée par le caractère qualitatif de ces analyses. Nous nous intéresserons à
trouver des néologismes et des composés non établis afin d’examiner les
restrictions qui pèsent sur les formations. Nous précisons que le plus souvent
nous consulterons les dictionnaires afin de vérifier si notre interprétation des
relations entre les constituants est appropriée.
La méthode inductive est utilisée pour l’étude quantitative (ch. 7-8) qui
concerne la rentabilité des sens dénotatifs des composés [VN/A/Adv/P]N/A et
des dérivés V-eur, V-ant et V-oir(e). Le TLFi est à cette fin notre seule base
de données pour recueillir des formations à étudier. Le choix de la méthode
inductive se fonde sur l’accès à un grand nombre des formations attestées
dont les sens sont expliqués synchroniquement, et dans la plupart des cas,
diachroniquement aussi. En rassemblant des données trouvées un peu
partout, par exemple sur Internet, etc., il serait souvent difficile, voire
impossible, de prédire tous les sens des unités trouvées, et de juger si elles
4
sont des formations réussies, aptes à être utilisées dans d’autres contextes.
Ce choix est surtout motivé par l’étude diachronique, pour laquelle
l’étymologie et l’historique des unités sont essentielles. Un autre facteur très
important pour ce choix de données est que nous avons l’ambition d’étudier
la validité empirique des hypothèses théoriques. Pour ce faire, nous avons
besoin d’un nombre élevé d’unités établies et stables. Comme nous trouvons
le nombre d’unités tirées du TLFi suffisamment élevé, nous n’utiliserons pas
d’autres sources du même genre. Notre intention n’est pas non plus de
dresser un inventaire exhaustif de tous les composés [VN/A/Adv/P]N/A de la
langue française.
Nos données consistent en 1125 composés [VN/A/Adv/P]N/A tirés du
TLFi. Remarquons que Le Trésor de la Langue Française est un dictionnaire
du français des 19e et 20e siècles comportant 16 volumes et 1 supplément. Le
TLFi constitue sa version informatisée en accès libre, et se compose plus
exactement de 100 000 mots avec leur histoire, 270 000 définitions, 430 000
exemples et 350 millions de caractères.2 La méthode utilisée afin de trouver
tous ces composés a consisté à parcourir les tranches alphabétiques dans les
listes défilantes, constituant une des trois possibilités proposées par le TLFi
pour la recherche d’un mot. Dans nos données sont aussi inclus 89 dérivés
V-ant, 145 dérivés V-eur et 79 dérivés V-oir(e), listés dans le TLFi, et basés
sur un des 164 verbes types qui entrent dans un de ces composés. Nous nous
limitons donc aux dérivés basés sur un verbe qui entre aussi dans les
composés, car nous avons l’intention d’examiner la concurrence potentielle
sémantique entre les formations basées à partir d’un même verbe. En plus, ce
travail aurait risqué d’être sans fin si nous n’avions pas fait ce choix. Pour
plus de détails en ce qui concerne la sélection des unités linguistiques entrant
dans notre travail, voir aussi 7.1.3, qui traite des données utilisées pour
l’étude synchronique, et 8.1.2 qui examine celles de l’étude diachronique.
Nous sommes consciente du fait que le TLFi n’est pas parfait dans sa
composition, et que l’on y trouve des inconsistances. De plus, un
dictionnaire ne peut pas non plus être comparé à l’usage actuel : comme le
signalent Aronoff & Anshen (1998:245), les entrées d’un dictionnaire sont
sélectives plutôt qu’inclusives. Nous espérons néanmoins que nos résultats
auront une portée générale qui dépasse la description des exemples attestés
dans le TLFi, de sorte qu’ils ne soient pas conditionnés par les défaillances
éventuelles du TLFi. Remarquons aussi que les explications données au
cours de ce travail pour exemplifier les sens des composés français du type
[VN/A/Adv/P]N/A viennent le plus souvent du TLFi. Précisons que dans ce
travail la notation [VN/A/Adv/P]N/A (cf. 4) sera utilisée. Cette notation est
parfois remplacée par [VN]N/A en raison de la position prise par le linguiste
en question. Villoing (2002) exclut par exemple de son étude le type qu’elle
2
Toutes ces informations concernant le
http://atilf.atilf.fr/tlf.htm où l’on trouve le TLFi.
TLFi
viennent
du
site
internet
5
note [VAdv]N/A, c’est-à-dire celui qui est inclus dans notre notation
[VN/A/Adv/P]N/A, et Fradin (2005) le fait aussi. D’autres linguistes ne
parlent que d’un composé nominal comportant un verbe et son complément,
ce que nous interprétons comme [VN/A/Adv/P]N. Signalons finalement que
nous avons choisi de ne pas inclure d’appendice dans notre travail, ce qui
d’une part est motivé par la faute d’espace, mais surtout par le fait que
l’étude de Villoing (2002) contient un excellent appendice comportant plus
de 2000 composés [VN/A/Adv/P]N/A et indiquant leur genre et leur sens.
1.3 Disposition
Le chapitre 2 donnera un survol de la morphologie, traitant entre autres du
statut de la morphologie dans la théorie linguistique, et de ses unités de base.
Le lexique, l’entrée lexicale et la notion de productivité seront aussi discutés,
ainsi que différentes approches morphologiques. Le chapitre 3 traitera des
composés en français, notamment des critères proposés pour les distinguer
des syntagmes lexicalisés et des syntagmes syntaxiques. Ce chapitre portera
aussi sur la classification des composés et sur la définition et la délimitation
des composés en français. Dans le chapitre 4, nous traiterons de la
construction [VN/A/Adv/P]N/A en français. Entre autres seront présentées des
données introductives, des hypothèses proposées pour la structure de la
construction [VN/A/Adv/P]N/A, et nos analyses de ses patrons sémantiques
internes. Le chapitre 5 comprendra une analyse contrastive, portant sur les
patrons sémantiques des formations agentives suédoises correspondant à la
construction française [VN/A/Adv/P]N/A. Dans le chapitre 6 nous donnerons
une introduction à la polysémie d’agent et à sa structure hiérarchique, et dans
le chapitre 7 nous ferons une analyse synchronique de la structure
sémantique des composés et des trois dérivés en français ; la hiérarchie
d’agent sera entre autre mise en question. Le chapitre 8 présentera les
résultats de notre analyse diachronique de la structure sémantique des
mêmes unités, notamment l’extension de sens des unités polysémiques.
Finalement, nous donnerons dans le chapitre 9 la synthèse et les perspectives
de recherche de notre travail.
6
2 La morphologie et ses unités, le lexique et
la productivité
Selon Booij (2002:1), la morphologie, qui a toujours occupé une position
fondamentale dans la linguistique historique et typologique, a été mise à
l’écart au profit de la syntaxe et de la phonologie pendant la jeunesse de la
grammaire générative, mais depuis le début des années 1970, elle est
considérée comme une branche centrale de la grammaire. Booij (ibid.) cite
Spencer & Zwicky qui saisissent parfaitement, à notre avis, aussi, l’essence
de la morphologie:
Morphology is at the conceptual centre of linguistics. This is not because it is
the dominant subdiscipline, but because morphology is the study of word
structure, and words are at the interface between phonology, syntax and
semantics. (Spencer & Zwicky 1998:1)
Avant d’entamer une étude des composés, c’est-à-dire des unités
morphologiques, il faut situer la branche morphologique dans la grammaire
et dans la recherche linguistique, et essayer d’éclaircir quelques notions clés
associées à cette même branche. Il est également important de tirer au clair
les unités mises en jeu par la morphologie. Ces trois tâches constitueront
donc le but du présent chapitre.
La section 2.1 situera la morphologie dans la théorie linguistique et son
statut dans la grammaire générative. Les unités morphologiques seront
exposées dans la section 2.2. Le lexique et sa structuration, ainsi que l’entrée
lexicale et son contenu, seront abordés dans 2.3. La section 2.4 traitera de
quelques approches morphologiques. La notion de productivité, importante
pour toute étude morphologique, sera discutée dans la section 2.5.
Finalement, 2.6 fera le bilan du présent chapitre.
2.1 La morphologie dans la théorie linguistique
2.1.1 La grammaire générative et l’hypothèse lexicaliste
Des grammairiens générativistes ont proposé différentes approches de la
morphologie. Le premier travail à aborder ce sujet est celui de Lees (1960)
7
qui postule que les mots complexes — les composés et les mots comportant
des affixes flexionnels et dérivationnels — sont engendrés par des
transformations syntaxiques de mots non complexes dans la structure
profonde.3 L’idée que les mots possèdent une structure interne avec des traits
catégoriels formels date au moins de Chomsky & Halle (1968), Halle (1973)
et des travaux subséquents de Aronoff (1976), Roeper & Siegel (1978) et
Lieber (1981). Chomsky (1970) a apporté des arguments importants qui
avancent que les mots complexes doivent être présents déjà dans la structure
profonde. Cette idée de Chomsky (1970) a contribué à introduire l’hypothèse
lexicaliste4 selon laquelle les règles de la morphologie sont séparées des
règles de la syntaxe. Selon l’application stricte de l’hypothèse, la
morphologie est entièrement traitée dans le lexique mental. Ce point de vue
est avancé entre autres dans Jackendoff (1975) et dans Aronoff (1976). Cette
hypothèse a aussi servi de base à un nombre considérable de théories
morphologiques, influentes pendant les années 1980, par exemple Williams
(1981), Selkirk (1983) et Di Sciullo & Williams (1987). En proposant que la
structure du mot ainsi que celle de la phrase suivent le schéma de la théorie
X-barre, Selkirk (1983) conduit selon Law (1997:29) la première étude
systématique qui utilise la même sub-théorie de la grammaire afin de lier
explicitement la syntaxe du mot à la celle de la phrase. Or, selon Selkirk
(1983:57), les catégories faisant partie de la structure du mot se distinguent
de celles de la structure syntaxique, et les règles qui engendrent les
composés sont d’un type différent de celles qui engendrent les syntagmes.
L’hypothèse lexicaliste connaît plusieurs versions, mais l’essence de
toutes les versions est que la syntaxe n’interfère pas avec la structure interne
du mot et sa formation (Carstairs-McCarthy 1992:90). Lieber (1992:19) note
que des travaux tels que ceux de Sproat (1985), de Baker (1988) et de Borer
(1988) concluent tous à un certain degré d’interaction entre morphologie et
syntaxe. Quant à Lieber (1992:21), elle présume que la syntaxe et la
morphologie ne sont pas deux modules séparés dans la grammaire. Selon
elle, la formation des mots suivrait les mêmes principes que la formation des
phrases. Selon Aronoff (1994:15), l’hypothèse lexicaliste, du moins dans sa
version faible, concerne la syntaxe et non pas la morphologie et consiste à
tracer une ligne de démarquage entre syntaxe supra-lexicale et formation de
lexèmes. En le faisant, on affirme que la syntaxe opère de manière différente
dans les deux domaines. Certaines théories syntaxiques ont pour
conséquence l’abandon de l’hypothèse lexicaliste, notamment la théorie
minimaliste stricte selon Chomsky (1995), considérant que les mots sont
3
Giurescu (1975:117), influencé par Lees (1960), considère que la structure de surface des
composés romans relève, par l’intermédiaire des transformations, de la structure profonde.
Picone (1992:189), en suivant la théorie de Giurescu (1975), affirme que le composé canapélit est issu d’une structure profonde telle que : « X est canapé et X est lit aussi ».
4
Cette hypothèse est connue sous différents noms : Generalised Lexical Hypothesis, Strong
Lexical Hypothesis ou Lexical Integrity Hypothesis (Carstairs-McCarthy 1992:90).
8
pleinement flexionnés déjà dans le lexique (cf. Lieber & Scalise 2007:13).5
Josefsson (1997), travaillant dans le cadre minimaliste, estime que la
formation des mots en suédois est gouvernée par des principes syntaxiques
complexes.
Barbaud (1991, 1994, 1997) (cf. Villoing 2002:54, 87-95) suppose, à
l’instar de Lieber (1992), que les composés sont construits par des règles
syntaxiques et que l’Hypothèse Lexicale doit être mise en question. Or, en
estimant que la morphologie dérivationnelle est un module autonome qui ne
crée pas de mots composés, il diffère de Lieber (1992). Levin & Hovav
(1998:248) remarquent que les études sur la morphologie négligent souvent
son côté sémantique en faveur de son côté structural, c’est-à-dire la
réalisation morphologique. Ces approches correspondent donc aux théories
dissociatives, selon Corbin (1987), et séparationnistes, selon Beard (1990)
(pour cette dernière, voir 2.4.1). Villoing (2002:115-116) met l’accent sur le
fait que l’application forte ou faible de l’hypothèse lexicaliste entraîne la
distinction entre morphologie unitaire et morphologie scindée. Selon la
première position, la morphologie englobe à la fois la formation flexionnelle
des mots et la formation dérivationnelle des mots.6 Selon la deuxième
position, qui correspond à la Split Morphology Hypothesis (voir Perlmutter
1988, cf. aussi, Stump 1998:18), la morphologie s’occupe uniquement des
opérations dérivationnelles alors que la morphologie flexionnelle appartient
au domaine syntaxique. En adhérant à l’hypothèse lexicaliste dans sa version
faible, Villoing (2002:167) considère, contrairement à Lieber (1992) et
Josefsson (1997), que la morphologie constitue un composant autonome
dont est exclue la morphologie flexionnelle. Selon Villoing (2002:167-168),
la morphologie constructionnelle a pour objet d’expliquer les relations
lexicales existant entre lexèmes, hors emploi syntaxique. La composition
correspond ici à une règle de formation des mots. Sont exclues du composant
morphologique les expressions nominales complexes contenant des unités
fléchies ou des unités appartenant à la syntaxe, comme les prépositions, les
conjonctions, les déterminants ou les pronoms. Pour le modèle de
morphologie constructionnelle — modèle associatif — « forme et sens sont
indissociables lors d’une opération de construction de mot » (Roger
2003:179).
Le modèle lexicaliste faible élaboré par Ackema & Neeleman (2004)
tolère une interface entre morphologie et syntaxe et se situe dans un cadre
minimaliste. La grammaire est constituée de trois modules : la syntaxe, la
5
Roeper (2004) signale que selon le programme minimaliste, le lexique est supposé contenir
la structure syntaxique : les rôles thématiques y sont par exemple présents.
6
Villoing (2002:117-123) examine des critères avancés entre autres par Anderson (1982,
1992) et Matthews (1991 [1974]) démontrant l’impossibilité d’adhérer à la fois à l’hypothèse
lexicaliste et à la morphologie unitaire : puisque la syntaxe joue nécessairement un rôle
important dans les opérations flexionnelles, il est contradictoire de présupposer que la
morphologie et la syntaxe sont deux modules autonomes.
9
sémantique et la phonologie, constitution qui découle de Jackendoff (1997).
Chacun d’entre eux contient un sub-module qui engendre les représentations
phrastiques et un sub-module qui engendre les représentations au niveau du
mot. La morphologie est ainsi un set de sub-modules à l’intérieur des trois
grands modules. La morphologie et la syntaxe partagent certains principes,
par exemple certains traits et la notion de « merge », mais sont en même
temps basées sur des principes différents : la syntaxe du mot diffère de la
syntaxe du syntagme (2004:3-10). La morphologie est néanmoins autonome
par rapport à la syntaxe. Mais, morphologie et syntaxe sont en compétition,
et la syntaxe est normalement la plus forte. Selon Lieber & Scalise (2007:1416), ce modèle n’est cependant pas suffisamment restrictif et arrive à des
analyses problématiques, entre autres pour la dérivation et la composition en
anglais, parce qu’il stipule que la non-prédictabilité sémantique serait un
critère fondamental pour la lexicalité d’une formation des mots.
Lieber & Scalise (2007:2-3) remarquent que Booij (2005a) et Spencer
(2005) adhèrent à l’hypothèse lexicaliste, mais en la divisant en deux parties.
Selon Booij (2005a), la syntaxe ne peut ni manipuler la structure interne des
mots ni entrer dans la structure interne des mots. Spencer (2005:81) propose
le principe de Revised Lexical Integrity : les règles syntaxiques ne peuvent
altérer le sens lexical des mots (la structure argumentale y incluse) et les
règles syntaxiques n’ont pas accès à la structure interne des catégories X0.
Lieber & Scalise (2007) fournissent des évidences tirées de langues
différentes pour montrer que la morphologie a accès à la syntaxe (p.ex. des
composés phrastiques) et l’inverse (p.ex. l’accord dans des dialectes
néerlandais), et aussi qu’il y a des interactions entre morphologie et
sémantique (p.ex. des propriétés anaphoriques des éléments sub-lexicaux),
ainsi qu’entre morphologie et phonologie (p.ex. la phonologie au niveau
phrastique peut opérer à l’intérieur des mots). Or, ils avancent que
l’interaction entre morphologie et syntaxe est restreinte et qu’il importe
d’identifier cette restriction. La nouvelle hypothèse lexicaliste que proposent
Lieber & Scalise (2007:21) prévoit que : « Syntax and morphology are
normally blind to each other. However, limited intermodular access may be
allowed.» Signalons que les évidences avancées ne seraient pas classées
comme des constructions morphologiques engendrées par la morphologie
constructionnelle, et ne remettent donc pas en question ce modèle.
Concluons cet aperçu en admettant avec Lieber & Scalise (2007:3) que
l’univers théorique est complexe étant donné qu’il comporte plusieurs
modèles syntaxiques compétitifs, ainsi que plusieurs modèles
morphologiques qui adhèrent plus ou moins strictement à l’hypothèse
lexicaliste. Renvoyons aussi à Scalise & Guevara (2005) pour un survol
détaillé de l’élaboration de la morphologie théorique et des approches
lexicalistes dans la tradition générativiste. Soulignons finalement que notre
travail se place dans une approche morphologique, associative et scindée,
10
donc adhérant à l’hypothèse lexicaliste dans sa version faible, et à base de
lexème.
2.1.2 La tête morphologique
Quant à la définition de la notion de tête dans la morphologie, les avis sont
partagés. Williams (1981:248) définit la tête d’un mot morphologiquement
complexe comme étant tout simplement le membre le plus à droite de ce
mot, suivant le principe de Righthand Head Rule (RHR). L’exemple (1) est
donné par Williams (1981:249). La tête est ici mise en italique :
1) A → P A : [offP whiteA]A
Di Sciullo & Williams (1987:78-80) persévèrent dans l’opinion que la tête
d’un mot est invariablement placée à droite. Partant, il n’existe pas de
composés en français (ni en espagnol ou en italien) ; ceux-ci sont en réalité
des syntagmes analysés comme des mots. Di Sciullo & Williams (1987:7879) utilisent le terme de « syntactic word » pour ces types d’objets qui se
distribuent comme des mots ordinaires en ce qu’ils peuvent être insérés dans
la position X0 de la syntaxe, mais n’ont pas de forme morphologique. Le mot
syntaxique manifestant une forme syntaxique doit être considéré comme une
unité linguistique marquée, listée dans le lexique. Celui-ci, selon Di
Sciullo & Williams (1987:3) (cf. 2.3.1), ne contient que les unités
linguistiques dont la formation n’est pas régulière. Zwanenburg (1992:170)
reprend l’hypothèse de Di Sciullo & Williams (1987) en disant que les
composés français de type [NN]N, [NA]N, [AN]N et [AA]A sont des
syntagmes syntaxiques ayant leur tête à gauche, la position syntaxique
normale, et marquant la flexion sur tous les constituants, cf. oiseauxmouches.
De nombreux linguistes remarquent que la RHR n’a pas de validité
universelle.7 Selon entre autres Scalise (1986), Giorgi & Longobardi (1991),
Lieber (1992), et en grande partie Selkirk (1983), la tête d’un composé est
située à gauche dans les langues romanes : projet-pilote, mais à droite dans
les langues germaniques : pilot project. Cependant, le soi-disant composé
néoclassique (cf. aussi 3.2), par exemple océanographe, est
traditionnellement considéré comme ayant sa tête à droite (Namer 2005:22).
La révision de la théorie X-barre que propose Lieber (1992:33-40) conduit à
une prédiction très forte : la position de la tête d’un mot est étroitement liée à
la position de la tête d’un syntagme. Il n’y a donc plus de distinction entre
tête morphologique et tête syntaxique : la tête complexe est la même,
7
Selkirk (1983:20-21) remarque que des composés à tête à gauche prédominent dans le
vietnamien. Lieber (1992:40-48) présente des données du tagal, langue nationale des
Philippines, supportant sa théorie selon laquelle la position de la tête syntaxique détermine
celle de la tête morphologique, qui, de plus, se trouve à gauche dans cette langue.
11
engendrée par la syntaxe, et équivaut à un X0 (voir aussi Josefsson 1997).
Selon Lieber (1992:65-68), l’affixation française ressemble à celle de
l’anglais en ce que les préfixes ne changent pas la catégorie des mots
auxquels ils s’attachent, tandis que les suffixes le font : seuls ces derniers
constituent des têtes morphologiques. Les langues romanes pourraient être
décrites comme possédant une affixation à tête à droite, mais une
composition à tête à gauche (Zwanenburg 1992:167). Ackema & Neeleman
(2004:30-31) font une distinction entre tête syntaxique et tête morphologique
et estiment qu’elles constituent deux types de X0 complexes, de qualité
différente, dont la position peut varier entre syntaxe et morphologie.
Une définition plus générale porte sur le fait que la tête morphologique
détermine la catégorie grammaticale du mot et/ou la majeure partie de son
sens, combinant ainsi des critères distributionnels et sémantiques (voir p. ex.
Carstairs-McCarthy 1992:103). Pour un composé endocentrique du type
[NN]N comme salade-santé, le critère distributionnel n’est pas utile, vu que
les deux constituants sont des noms. Seul le critère sémantique permet de
décider que ce composé aurait pour tête salade : salade-santé désigne une
sorte de salade. Pareillement, la construction [NN]N maîtres-mots aurait sa
tête à droite selon le même type de raisonnement. Or, cette construction est
d’origine germanique, et par là, elle n’est pas classée comme un vrai
composé en français (cf. 3.3). Un composé exocentrique8 comme lave-linge,
est dénué de tête. Selon le critère distributionnel, le premier constituant à
gauche, la tête potentielle, ne peut l’être en tant qu’élément verbal. Ce n’est
que par le critère sémantique qu’il est possible de déterminer, ici aussi, que
le deuxième nom linge n’est pas non plus la tête : le composé ne désigne pas
une sorte de linge. Signalons que l’endocentricité et l’exocentricité peuvent
s’appliquer et à la face sémantique et à la face syntaxique d’une unité
linguistique.
Haspelmath (2002:87) définit la tête d’un composé sur la base seule du
critère sémantique. Rainer & Varela (1992:122) supposent également une
base sémantique et définissent le constituant tête d’un composé comme celui
qui est l’hyperonyme du composé, l’hyponyme. Cette dernière définition est,
à notre avis, similaire à l’analyse que propose Lesselingue (2003) pour
classer un sous-type des composés [NN]N en français. Or, Lesselingue
adhère à l’idée que, dans la morphologie constructionnelle du français, la
notion de tête morphologique n’a pas de place (cf. aussi Namer 2005:20-23).
Nous signalons aussi que selon plusieurs autres linguistes la notion de tête
morphologique n’est pas pertinente, et qu’il y a des travaux montrant qu’elle
n’est pas opérante dans le domaine de la construction des mots : les affixes
diminutifs, qui ne changent pas l’appartenance grammaticale de la base à
laquelle ils s’attachent, posent par exemple des problèmes pour la notion de
8
Benveniste considère que le terme d’exocentricité relève d’« une géométrie hasardeuse
(comment le centre d’un objet serait-il hors de cet objet ?) » (1967:25).
12
tête (voir p.ex. Haspelmath 1992, Beard 1998). Puisque ce travail concerne
la morphologie constructionnelle du français, la tête ne sera pas opératoire,
mais cette notion est néanmoins importante afin de pouvoir rendre compte
d’autres analyses proposées pour la structure morphologique des composés.
Remarquons également que Di Sciullo & Williams (1987) et Zwanenburg
(1992) réussissent à sauvegarder le principe de RHR, ainsi que la séparation
entre syntaxe et morphologie selon la version stricte de l’hypothèse
lexicaliste. Par contre, dans l’approche syntaxique de la formation des mots
élaborée par Lieber (1992), il n’y a pas de différence entre tête
morphologique et tête syntaxique. Ainsi, pour ce qui est des composés
français, ces deux approches aboutissent à un résultat identique : ils
possèdent une structure syntaxique. Or, l’hypothèse lexicaliste divise d’une
manière diamétralement opposée ces deux théories : Lieber (1992) ne fait
aucune distinction entre morphologie et syntaxe, tandis que Di Sciullo &
Williams (1987) et Zwanenburg (1992) interdisent l’interface entre syntaxe
et morphologie. Par conséquent, aucune des deux approches n’a de place
dans notre travail, car elles contredisent et la définition et la délimitation des
composés en français qui y seront utilisées (cf. 3.3).
2.2 Les unités morphologiques
2.2.1 Morphème, morphe et allomorphe
Bloomfield (1933:161) définit le « morphème »9 comme suit : « A linguistic
form which bears no partial phonetic-semantic resemblance to any other
form, is a simple form or morpheme ».10 Lyons (1970:149) définit le
morphème « comme unité grammaticale minimale (définition à laquelle la
plupart des linguistes adhèrent, en théorie) ». Selon Togeby et al. (1985:9),
le morphème correspond à l’unité de sens minimale.
Les structuralistes américains des années 40 et 50, qui abordaient la
morphologie sous un angle phonologique, faisaient de plus la distinction
9
Le morphème est selon Baudouin de Courtenay (1972:153 [1895]), cité par (Aronoff
1994:175, n. 24), défini comme : « that part of a word which is endowed with psychological
autonomy and is for the very same reasons not further divisible ». Matthews (1991:120
[1974]) remarque que, dans la tradition française, Martinet (1993:§1.9 [1960]) réserve le
terme de « morphème » pour référer aux unités grammaticales, à l’opposé des unités lexicales,
« sémantèmes » ; ce dernier préfère cependant le terme de « monème » (opposé au
« phonème ») pour ces deux emplois. Matthews (1991:120 [1974]) remarque de plus que le
terme de « formative » qu’utilisait Chomsky (1965) peut être remplacé par celui de
morphème. Selon Aronoff (1994:14), les « lexical formatives » chomskiens peuvent se
remplacer par « minimal projections » (dans la théorie X-barre), les « syntactic atoms » de Di
Sciullo & Williams (1987) ou les « lexemes » de Matthews (1991 [1974]).
10
Suivant S. R. Anderson (1992:49-50), l’emploi bloomfieldien du terme de morphème est en
effet plus proche de l’emploi postérieur des termes de morphe et d’allomorphe.
13
entre morphème, unité abstraite, et « morphe », manifestation concrète ou
variante formelle11 (CAUGHT12 se réalise par les morphes [kɔː] et [t])
(Matthews 1991:103-107 [1974]). Lyons (1970:142) rapproche la distinction
entre morphème et morphe de l’opposition saussurienne13 entre forme et
substance. Un morphème donné est souvent représenté par des
« allomorphes », c’est-à-dire « des morphes différents dans des
environnements différents ». En anglais, le morphème du pluriel s a trois
allomorphes /s/, /z/ et /iz/, phonologiquement conditionnés (Lyons
1970:142-143).
Les distinctions entre morphème, morphe et allomorphe sont, selon Lyons
(1970:144) utiles pour rendre compte des trois types structuraux de
langues : isolante, agglutinante et flexionnelle (ou fusionnante) (cf. aussi
Anderson 1992:chap. 12 pour la classification typologique des langues). Le
premier type peut aussi être dit analytique, tandis que les deux derniers sont
synthétiques.14 Dans une langue isolante, comme le chinois15 ou le
vietnamien, tous les mots sont invariables (Lyons 1970:145). On peut ici
parler soit de mots invariables soit de morphèmes invariables, car, selon
Lyons (1970:158), une langue isolante se caractérise justement par le rapport
biunivoque entre mot et morphème (chose que Matthews (1991 [1974]) ne
prend pas en considération). Dans une langue agglutinante, dont le turc est
un bon exemple, les mots se composent de séquences de morphes, chaque
morphe représentant un morphème (Lyons 1970:145). Le latin et le grec sont
deux exemples de langues flexionnelles où il est difficile de segmenter les
mots en morphes. Une telle segmentation ne peut être qu’arbitraire et donne
lieu à une multitude d’allomorphes. D’après Lyons (1970:146), ceci est la
raison pour laquelle les grammairiens classiques groupaient les formes de
mots en types et établissaient pour chaque type un paradigme (le modèle
« Word and Paradigm » selon Hockett 1954). Cette classification
typologique est manifestement une question de degré. Une langue est plus ou
moins une combinaison de types différents : « il n’y a pas de type pur »
(Lyons 1970:147). La distinction entre morphème et morphe se justifie par le
fait qu’il n’existe pas de langue purement agglutinante ou purement
flexionnelle. De plus, comme la plupart des langues du monde sont proches
du type agglutinant, cette distinction est selon Lyons (1970:148-149) sans
aucun doute utile. Signalons que selon Matthews (1991:107 [1974]), la
définition du morphème comme une classe d’allomorphes est tombée en
11
Cf. phonème vs phone et aussi lexème vs mot, notre remarque.
N.B. Matthews (1991) écrit le morphème en petites capitales, alors que Lyons (1970) le met
entre accolades.
13
et aristotélicienne, notre remarque.
14
Le français moderne est considéré comme une langue analytique (Harris 1978:15-16),
tandis que le suédois est plutôt synthétique (Sigurd 1991:58).
15
Lyons (1970:145) remarque pourtant que les linguistes contemporains tendent à considérer
que certains mots chinois comprennent effectivement plus d’un morphème.
12
14
désuétude, car le terme de morphème a toujours été utilisé indépendamment
de ce modèle. En faisant une distinction entre morphème lexical et
morphème flexionnel, la morphologie flexionnelle pourrait être intégrée à la
syntaxe (Matthews 1991:102 [1974]).
Anderson (1992:48-72) discute des problèmes liés à l’idée selon laquelle
le morphème est une combinaison de sens et de forme. Les éléments
« phonæsthetic » tels que la suite gl- dans les mots anglais glitter, gleam,
glow, etc. constituent par exemple un problème non résolu16, ainsi que les
infixes, brisant la forme continue d’un autre morphe (en latin, l’infixe nasal
dans rumpō, ‘je romps’, divise la racine √rup) et les circumfixes, étant euxmêmes des morphes discontinus (en indonésien, ke-…-an se combinent avec
bisa ‘be able’ pour former kebisaan ‘capability’).17 Les morphes vides,
dépourvus de contenu sémantique, comme les voyelles thématiques dans les
langues romanes, sont aussi problématiques, ainsi que les morphes superflus
qui possèdent un sens qui ne semble pas motivé (p.ex. la forme féminine
dans les adverbes français en -ment : doucement) et les morphes cumulatifs
et portemanteaux qui représentent plus d’un morphème à la fois (p.ex. du, de
+ le, en français). Selon Anderson (1992:61), qui renvoie sur ce point à
l’exposé fait par Pullum & Zwicky (1991), les morphes zéro posent
également des problèmes formels.
Abstraction faite de la problématique du morphème, Aronoff (cf. Villoing
2002:137, n. 13), signale une caractéristique indéniable : « I only wish to
point, perhaps a little dramatically, to what is essential about morpheme:
not that it means, but rather merely that we are able to recognize it »
(1976:15). Admettons que le morphème pourrait être utile pour l’analyse
morphologique, qui, en omettant cette notion, court le risque de devenir trop
rudimentaire. Or, il faudrait dans ce cas la situer dans une théorie tolérant
que la relation que présente le morphème entre forme et sens ne soit pas
nécessairement biunivoque, et probablement en retravailler la définition.
Notons qu’il arrive souvent que les théories utilisent la notion de morphème
sans la définir explicitement. Passons à d’autres notions fondamentales de la
morphologie qui donnent lieu elles aussi à une terminologie confuse.
16
Cette suite se retrouve aussi dans les mots suédois, p.ex. glimma, glittra, glänsa, ayant un
sens similaire à celui des mots anglais. Cependant, nous pensons qu’il y a une différence
notable entre p.ex. cran-berry et gl-itter, car la première unité se compose de deux
morphèmes, ce qui n’est pas le cas avec le type gl-itter, le second constituant n’ayant pas de
sens lorsqu’on enlève gl-.
17
Cependant, selon Neuvel (2001:257) « unrestricted word-based strategies (or any sort of IP
rules) cannot handle this phenomenon [infixing] satisfactorily ». IP est l’abréviation d’Item
and Process, un des modèles morphologiques que discute Hockett (1954).
15
2.2.2 Mot et lexème
Bloomfield (1933:178) définit le « mot » comme une forme libre minimale à
l’opposé des formes non libres ou liées. Cette définition peut être contestée18,
mais saisit pourtant la caractéristique du mot. Lyons (1970:54-55) souligne
l’ambiguïté du terme de mot en faisant d’abord une distinction entre mots
grammaticaux et mots phonologiques (ou orthographiques). On peut
considérer ces premiers comme des entités abstraites ayant pour propriétés
une fonction distinctive et une fonction combinatoire. Dans la langue parlée,
du moins, les mots grammaticaux sont réalisés par des ensembles d’éléments
d’expression auxquels correspond un son donné. Ces ensembles
correspondent aux mots phonologiques. Entre les mots grammaticaux et les
mots phonologiques d’une langue donnée, il n’y a pas nécessairement de
relation biunivoque. En cas d’homonymie, le mot phonologique, par
exemple son en français, se réalise par deux mots grammaticaux ayant des
fonctions distinctives et des fonctions combinatoires différentes dans la
syntaxe : son pied et son strident (Lyons 1970:55). Le phénomène de
synonymie se rencontre dans le cas inverse, lorsque le même mot
grammatical est représenté par deux mots phonologiques : le prétérit anglais
de dream peut se réaliser par dreamed ou dreamt (Lyons 1970:55). Le terme
de mot a aussi un troisième sens plus abstrait. Ce sens, utilisé en grammaire
classique et traditionnelle, peut s’illustrer en disant que « des unités comme
livre, livres ou aimer, aimons, aimâtes, etc… sont des ‘formes différentes du
même mot’ » (Lyons 1970:152).
Lyons (1970:152) critique les linguistes modernes qui ignorent souvent
cet emploi abstrait et qui ne distinguent pas les trois sens du mot. Il choisit
d’introduire le terme de « lexème » « pour dénoter les unités plus abstraites
qui se présentent sous différentes formes flexionnelles selon les règles
syntaxiques mises en jeu dans la génération des phrases » (1970:152).19
Ainsi, le mot orthographique anglais cut exprime trois formes flexionnelles
différentes — c’est-à-dire trois mots grammaticaux distincts : le présent,
l’imparfait et le participe passé — du lexème CUT (s’écrivant en petites
capitales pour le distinguer du mot) (Lyons 1970:150-151).
Matthews (1991:24-31 [1974]) fait de la même manière une tripartition
entre word-form (c.-à-d. le mot phonologique selon Lyons), appartenant à la
18
En français, les clitiques posent par exemple un problème pour la définition de Bloomfield,
en ressemblant aux mots grammaticalement, mais devant phonologiquement s’appuyer sur un
mot adjacent (Matthews 1991:218 [1974]).
19
Bien que la distinction entre mot et lexème soit introduite par Lyons (1963:11), c’est,
d’après Villoing (2002:151), Matthews (1972) qui l’a fondée théoriquement : « […] we will
adopt a separate term (the LEXEME) for the ‘lexical word in sense (C)’ [C = The lexical
element to which the forms in a particular paradigm as a whole can be said to belong.]. […]
The term WORD itself will then be used to refer to the individual piece at the grammatical
level […]: i.e. the grammatical representation of each member of the paradigm cited. »
(Matthews 1972:161)
16
deuxième articulation de la langue20, word (correspondant à peu près au mot
grammatical selon Lyons), et lexème.21 Les deux derniers appartiennent à la
première articulation de la langue. Le lexème, l’élément fondamental du
lexique d’une langue, est celui qui entre dans les dictionnaires. Matthews
(1991:28 [1974]) parle d’homonymie lexicale22 lorsque deux lexèmes ont la
même forme (cf. son ‘bruit’ et son ‘céréale’).
Selon Aronoff (1992:13), le lexème est « a (potential or actual)
decontextualized vocabulary word » et membre d’une des catégories
grammaticales et ouvertes : N, V ou A (en opposition avec des catégories
grammaticales et fermées comprenant prépositions, conjonctions,
déterminants, pronoms, etc., notre remarque). Notons aussi qu’Aronoff
(1992:13, n. 28) inclut les adverbes dans la catégorie des adjectifs. Toujours
selon Aronoff (1992:13), le lexème possède au moins trois propriétés
abstraites. Premièrement, Aronoff (1994:10) s’appuie sur Mel'cuk (1982),
qui pose que le lexème n’est pas une forme, mais un signe ou un ensemble
de signes — la liaison de forme, de syntaxe et de sens. Deuxièmement, selon
Aronoff (ibid.), il n’est pas nécessaire de supposer que le lexème est listé
dans le lexique ; certains lexèmes n’existent que potentiellement. Partant,
l’ensemble des lexèmes potentiels (c.-à-d. dérivés ou composés réguliers) est
sans limites. Aronoff (1992:14, 1994:10-11) exclut les locutions (idiomatic
phrases) des lexèmes parce que celles-ci ne sont pas des mots.23 La troisième
propriété abstraite que possède le lexème est le fait d’exister hors du
contexte syntaxique. Ainsi, il ne porte aucune flexion : le lexème nominal ne
porte aucune marque de cas ou de nombre et le lexème verbal existe hors des
marques de temps, d’aspect, de mode, de voix, de personne et de nombre.
Un mot, au contraire, est son correspondant pleinement fléchi, prêt à être
utilisé dans la syntaxe.
Villoing (2002:124-159) tire aussi la conclusion que seul le lexème, par
opposition au morphème et au mot, est adéquat pour l’étude de la formation
des unités lexicales prenant place dans le composant morphologique : le
lexème est l’unité primitive de la morphologie constructionnelle. La
démarcation entre lexème et mot était en premier lieu pertinente, selon
20
Selon Matthews (1991:9-11 [1974]), la double articulation, signalée par Martinet (1993
[1960]), est une des propriétés les plus importantes du langage humain : la première
articulation concerne l’organisation syntaxique des unités linguistiques ; la deuxième regarde
l’organisation phonologique à l’intérieur des unités linguistiques.
21
Anderson (1992:17) note également que le mot peut être caractérisé comme (i) une unité
phonologique, comme (ii) des éléments terminaux et irréductibles de la structure syntaxique,
comme (iii) le domaine des principes qui règlent la manifestation des matériaux
morphologiques ou comme (iv) un élément fondamental du lexique.
22
L’ambiguïté liée aux deux sens du terme de « lexical » est discutée par Aronoff (1992:1617, 1994:16-22). D’une part, ce terme signifie « arbitrary » ou « idiosyncratic », c’est-à-dire
« listed », d’autre part, « having to do with words » ; afin d’éviter cette ambiguïté, « lexical »
peut dans ce dernier emploi être remplacé par « lexemic ».
23
À la différence de Lyons (1977), qui range les locutions parmi les lexèmes (Aronoff
1992:14).
17
Villoing (2002:144), pour rendre compte des questions touchant la
morphologie flexionnelle. Mais depuis, il est généralement admis que les
règles de formation des mots s’appliquent aux lexèmes (Villoing, ibid.). La
forme verbale [pɔʀt] peut être reconnue comme :
(i) soit l’unité abstraite qui se réalise au sein des composés [VN]N/A et qui
correspond au lexème verbal dont la forme citationnelle traditionnellement
utilisée en français est port(er) ; cette unité abstraite, par définition non
fléchie, apparaît, par ailleurs, dans des constructions dérivées telles que
porteur, portage ou une construction convertie comme le nom port dans le
port de tête, le port du chapeau ;
(ii) soit l’unité grammaticale (le word) qui se réalise au sein d’une phrase et
qui correspond à la forme du verbe pour la première ou troisième personne du
présent de l’indicatif et du subjonctif ((que) je porte, (qu’) il porte), ou pour
le singulier de l’impératif (porte !). (Villoing 2002:147)
Selon Fradin & Kerleroux (2003:76), les lexèmes sont « des unités lexicales
catégorisées non fléchies ». Précisons ici que le fait d’introduire le lexème
dans une théorie morphologique constitue une façon de garder la
morphologie autonome de la syntaxe. Beard (1998:46) remarque que la
question de savoir si N, V et A sont des catégories lexicales ou syntaxiques
n’est pas résolue : « It has been common to presume that they are both and
to ignore the fact that this presumption violates the strict modularity of
lexicalism ». Remarquons aussi qu’une théorie qui prévoit un lexème sousspécifié quant à la catégorie grammaticale empêche l’importation des
catégories syntaxiques à la morphologie, mais d’autre part, une telle théorie
menace l’existence même de la morphologie (cf. 2.4.2). Toutefois, la
morphologie lexématique française échappe à cette problématique en se
basant sur Croft (1991) :
et sa proposition d’analyser les catégories N, V, A (lexicales ou syntaxiques,
c’est la même chose) comme la corrélation d’une classe sémantique et d’une
fonction pragmatique. Ainsi la catégorie N est définie comme la classe
sémantique des termes qui dénotent des objets, ou individus, et servent à faire
référence.
(http://gdr-morphologie.linguist.jussieu.fr/rubrique.php3?id_rubrique=14)
(site visité 22/03/2006).
Il s’ensuit que la catégorie grammaticale peut aussi être envisagée comme
une marque sémantique. Amiot & Dal (2007:328-329) soulignent que dans
ce cadre théorique, l’affixe n’est pas le même type d’élément que le lexème.
Les objets morphologiques ne sont pas le résultat d’une concaténation des
morphèmes, mais le résultat de l’application d’une règle aux lexèmes. Les
affixes sont ainsi les exposants de règles, par exemple la réduplication,
l’apophonie, et ils peuvent être caractérisés comme réalisant,
18
phonétiquement et graphémique, une fonction sémantique. L’affixe est une
manière plus simple pour dire « exposant d’une règle constructionnelle du
lexème (RCL) ». Les RCL peuvent être vues comme des généralisations
entre deux sets de lexèmes, l’un étant plus complexe que l’autre. Précisons
encore une fois que notre travail se situe dans cette approche à base de
lexème.
2.2.3 Racine, thème, radical et base
Passons à quatre autres notions pertinentes pour la formation des mots et à
propos desquelles la débâcle terminologique résidant dans la linguistique
moderne apparaît nettement (Aronoff 1994:5-7).
Le sens traditionnel du terme de « racine » dénote l’élément ultime dont
le mot est dérivé (Aronoff 1994:5) ; la racine est ce qui reste quand on a ôté
toute structure morphologique, de sorte que la racine ne peut s’analyser
morphologiquement. Ceci correspond au sens de la racine selon la
grammaire sémite, d’où provient ce terme : une séquence de consonnes,
abstraite et imprononçable (Aronoff 1992:15, 182, n. 33). Mellenius
(1997:20) définit la racine comme la plus petite partie indéclinable d’un mot.
Selon Matthews (1991:64 [1974]), la racine est la forme sous-jacente d’un
paradigme, morphologiquement simple, (p.ex. luc- dans les paradigmes
LUCEO ‘luire’ et LUCIDUS ‘luisant’).
Selon la définition de Matthews (1991:64-65 [1974]), le « thème » (stem)
est, à l’instar de la racine, une forme sous-jacente d’un paradigme entier ou
partiel. Mais, contrairement à la racine, le thème est morphologiquement
complexe (p.ex. lucid- dans le paradigme LUCIDUS ou luciditat- dans le
paradigme nominal LUCIDITAS ‘lucidité’ (sg. gén. luciditatis)).24 Aronoff
(1992:5) observe que la définition traditionnelle du thème (stem) est celle
émise par Monteil (1970:35) : « le mot complet amputé de sa désinence ».
Selon l’avis d’Aronoff (1992:14, 1994:39), le thème est plutôt une forme
sonore, plus précisément la forme particulière du lexème à laquelle un affixe
donné peut s’attacher ou sur laquelle une règle non affixale opère.25, 26
24
Matthews (1991:80-81 [1974]) base ses définitions de la racine et du thème sur la tradition
de la philologie indo-européenne et note que la racine dans la morphologie (p.ex. royal dans
royalty) diffère de la racine dans l’étymologie (p.ex. *reg- > latin reg- ‘roi’).
25
Aronoff (1994:178, n. 24) signale que dans une approche basée sur le lexème, la distinction
bloomfieldienne entre word et stem n’est pas nécessaire. Le thème d’Aronoff est une entité
définie en termes purement morphophonologiques : « Within such a framework [lexemebased], stems do not have meanings » (1994:57). En outre, les thèmes doivent contraster avec
les affixes qui sont introduits par des règles de réalisation et servant de marqueurs
morphosyntaxiques. Le suffixe anglais /z/ peut soit être vu comme un marqueur de pluriel soit
comme portant le sens pluriel. Ces types de marqueurs, bien que n’ayant pas de sens
indépendamment des règles par lesquelles ils sont introduits, manifestent une relation plus
directe entre forme et sens que ne le font les thèmes, ceux-ci étant plus abstraits (Aronoff
1994:57-58).
19
D’après Anderson (1992:71), la notion de thème correspond également au
mot sans l’affixation flexionnelle (productive).27 Ce sont les thèmes, non pas
les mots, qui constituent la base des règles de formation des mots (Word
Formation Rules) et qui sont selon lui (1992:71) entrés dans le lexique.
Notons que le terme de thème (stem), est utilisé dans des approches basées
sur le lexème : Booij avance : « Note, however, that in my view all
morphology is stem-based, i.e. morphology applies to the stem form of
lexemes. » (2002:4, n. 3). Selon Villoing également, la notion de thème,
parfois aussi appelé « radical », renvoie à une unité « qui est exclusivement
appréhendée comme forme d’entrée d’une opération de morphologie
flexionnelle » (2002:22). Le thème « ne peut jamais apparaître de façon
autonome dans une phrase : il est, en effet, dépourvu du marqueur
d’insertion syntaxique, la désinence, qu’on lui a ôtée pour les nécessités de
l’analyse » (ibid.). Un thème est, selon Villoing (2002:23), soit simple soit
construit en combinant une racine et un suffixe dérivationnel, ou deux
thèmes. Selon Amiot & Dal (2007:327), le lexème est composé d’un ou de
plusieurs radicaux/thèmes (roots/stems) dont certains sont invisibles en
syntaxe.28
Villoing (2002:173) émet l’idée que, traditionnellement, le thème verbal
français est supposé être composé d’un radical et d’une voyelle thématique.29
Elle (2002:173-174) se base sur Boyé (2000:50), selon qui le thème a une
définition plus large en se référant à la forme ou aux formes du lexème verbe
manquant d’affixe de mode, de temps ou de personne.30 Selon Borer (2005:7,
chap. 20), la voyelle thématique des verbes romans n’est attestée que dans
un contexte verbal (et dans des formes dérivées des verbes). Ceci implique,
étant donné le cadre théorique de Borer, que c’est la voyelle thématique qui
attribue au radical son appartenance catégorielle.
D’après Matthews (1991:131 [1974]), le processus d’affixation consiste
de deux composants : (i) la « base », c’est-à-dire la forme sur laquelle
26
Un autre emploi du terme de thème se trouve chez Bauer (2001b:26) : ces bases qui sont
obligatoirement liées correspondent aux « ‘stems’ in the jargon of level ordering ». Cet
emploi semble relever de Bloomfield (1933:225) qui, d’après (Aronoff 1994:33-34), oppose
une langue telle que l’anglais, qui a « word-inflection, word-derivation, and wordcomposition » (formes libres), à une langue telle que l’allemand, qui est un exemple de
« stem-inflection, stem-derivation, and stem-composition » ou le latin, qui présente « steminflection » (formes liées).
27
Bauer (2001b:107) remarque que dans le modèle basé sur le morphème, une forme de mot
comme flicked évoque le morphème {flick} alors que dans le modèle « amorphous », flicked
évoque le thème flick associé au lexème FLICK.
28
Le verbe démontrer est supposé avoir deux radicaux : démontr- et démonstr- ; le dernier n’a
cependant pas de réalisation syntaxiqe, mais apparaît dans des lexèmes morphologiquement
complexes, p.ex. démonstration ou démonstratif (Amiot & Dal 2007:327).
29
Notons que c’est exactement cette définition du thème verbal que donne Grevisse
(1993:1158).
30
Les thèmes de l’imparfait de l’indicatif d’aller et de finir sont /al/ et /finis/, selon Boyé
(2000:50).
20
l’opération s’applique et (ii) la forme ajoutée, c’est-à-dire l’affixe
(dérivationnel), qui est fixe.31 Une base est, selon Aronoff (1994:40)
renvoyant à Aronoff (1976), un lexème complet ou un ensemble de lexèmes
défini syntaxico-sémantiquement : en anglais, la base de la règle de
formation des mots qui dérive des noms abstraits de forme X-ation consiste
de l’ensemble des verbes anglais32 ; la base du nom abstrait PULVERIZATION
est le lexème verbal PULVERIZE.
Il nous semble que les deux notions de thème et de radical s’appliquent au
seul terme stem en anglais. Le radical est cependant une unité plus petite que
le thème et peut être considéré comme analogue à la base, à cette différence
près que la base est un terme réservé aux processus dérivationnels. Nous
réservons au thème la définition traditionnelle, à savoir que le thème
correspond à un lexème sans affixes flexionnels. Nous partageons aussi
l’opinion de Villoing (2002) selon laquelle le thème verbal français se
compose du radical et de la voyelle thématique (port+e-).
2.3 Le lexique
2.3.1 La constitution du lexique
La constitution du lexique mental et le degré d’interface entre les modules de
la grammaire restent toujours des questions d’actualité. Il faut par exemple
prendre position quant à l’hypothèse lexicaliste stricte selon laquelle toutes
les unités lexicales sont répertoriées dans le lexique. De plus, il existe un
profond décalage entre une approche selon laquelle le lexique est
maximaliste, tolérant des redondances (voir p.ex. Bloomfield 1933 et Halle
1973) et une approche selon laquelle le lexique est économique et
minimaliste (voir p. ex. Di Sciullo & Williams 1987 et Ackema & Neeleman
2001).
Bloomfield, considérant que le morphème et non le mot est l’unité de
base d’une langue, envisage que : « The total stock of morphemes in a
language is its lexicon » (1933:162). De plus, « every morpheme is an
irregularity […] et le lexique est « a list of basic irregularities » (Bloomfield
1933:274). D’après Halle (1973), la morphologie consiste de trois
composants distincts : (i) la liste de morphèmes, qui donne des informations
grammaticales sur les unités qui y entrent ; (ii) les règles de formation des
mots, qui déterminent l’arrangement des morphèmes pour former des mots
31
Selon Grevisse (1993:182) pareillement, dans les mots dérivés, les affixes s’attachent à la
base d’un mot. La base est selon lui l’équivalent du radical, mais ce dernier se rapporte
surtout à la morphologie grammaticale.
32
Il est à remarquer que tous les verbes anglais ne sont pas suffixables par -ation (Georgette
Dal, c.p.).
21
existant actuellement. Ces règles, qui incluent des renseignements sur le mot
formé tels que ses caractéristiques sémantiques et syntaxiques, ont accès à la
fois au lexique et à l’output de la phonologie ; (iii) le filtre, qui indique les
propriétés idiosyncrasiques des mots, a pour but d’empêcher l’insertion
lexicale des mots inexistants (pas bien formés). Le lexique33 se constitue
ainsi de l’ensemble des mots actuels. Ce lexique est le produit de la
morphologie et ne contient que des formes flexionnellement pleines : il n’y a
donc aucune distinction entre morphologie dérivationnelle et morphologie
flexionnelle. De cette manière, la syntaxe a accès direct au lexique. D’après
Halle (1973:16), une grande partie du lexique est stockée dans la mémoire
permanente du locuteur qui n’a besoin des règles de formation qu’au cas où
il rencontrerait un mot inconnu ou voudrait créer un mot nouveau. Halle
(1973:16), souligne la différence fondamentale entre l’usage des mots et
l’usage des phrases : on utilise le plus souvent des mots connus, alors que
l’on emploie rarement les mêmes phrases. Le lexique de Halle (1973) peut
ainsi, comme le dit Bauer (2001b:101), être considéré comme un « full-entry
lexicon » (c.-à-d. le lexique conditionnel ci-dessous).
Toutefois, la conception du lexique comme contenant des unités
idiosyncrasiques est très répandue. Nous avons mentionné (cf. 2.1.2) que Di
Sciullo & Williams (1987:3) estiment que le lexique ne contient que les
« hors-la-loi », c’est-à-dire des formations irrégulières. De même selon
Anderson (1992:195), le seul critère pour exclure une unité du lexique se
base sur la productivité des règles gouvernant la formation des mots : une
unité linguistique ayant des propriétés déviantes quant à la forme, au sens ou
à la syntaxe, doit être listée dans le lexique (Anderson 1992:197). Selon
Aronoff (1994:21-22), cette conception est liée à la distinction entre ce que
M. Allen (1978) appelle lexique permanent34 (minimaliste ; notre remarque)
et lexique conditionnel (maximaliste ; notre remarque). Aronoff réserve, lui
aussi, l’emploi du terme de lexique pour faire référence au lexique
permanent : la liste de tous les signes idiosyncrasiques indépendamment de
leur catégorie ou de leur complexité. Au contraire, le lexique conditionnel
réfère à la liste infinie de tous les lexèmes.
Selon Aronoff & Anshen (1998), les règles morphologiques opèrent sur
les unités du lexique, et le lexique et la morphologie sont concurrents. La
morphologie forme des mots réguliers, alors que le lexique liste des mots
irréguliers ; l’interaction entre ces deux assure que seule une forme sera
utilisée, englobant ainsi le phénomène de blocage interdisant les doublets
(women contre womans). Aronoff & Anshen (1998:47) signalent qu’il y a
des linguistes qui sont d’avis que la morphologie est « in the lexicon », mais
33
Halle l’appelle dictionnaire. Nous réservons ce terme pour les dictionnaires écrits ou
digitalisés, partant distincts du lexique mental.
34
Lieber propose que le lexique permanent, n’étant ni non structuré ni établi selon l’ordre
alphabétique, soit néanmoins bien organisé, et « consists of a set of all those terminal items
which cannot be decomposed into smaller parts, along with their lexical entries. » (1981:38)
22
dans ce cas, le lexique est conçu comme étant très vaste et comprenant tous
les mots, actuels et potentiels. Aronoff (2000:347) attire de même l’attention
sur la question de savoir s’il y a un composant de morphologie unique dans
la grammaire, séparé du composant de lexique. Villoing y répond
négativement en parlant de « la morphologie en tant que composant lexical
autonome » (2002:104) :
Cependant, la position lexicaliste de Chomsky (1970) ne contient pas de
propositions précises quant aux règles de formations des mots, d’une part
parce que le composant est moins conçu comme un module de formation
morphologique des unités lexicales que comme lieu de listage des
irrégularités qui les caractérisent (2002:111-112).
Selon Villoing (2002:121), la morphologie lexicale opère sur des lexèmes et
« prend en charge la formation des mots du strict point de vue lexical »
(2002:123). Cette morphologie constructionnelle ne traite donc pas du tout
ce qui concerne le lexique, mais construit « les unités lexicales complexes au
moyen de règles morphologiques » (ibid.).
Ackema & Neeleman (2001:30-31), visant à examiner la compétition
entre syntaxe et morphologie, proposent un modèle de la grammaire qui se
base sur quatre jugements : (i) la syntaxe et la morphologie sont deux
systèmes génératifs indépendants ; (ii) le lexique est une liste d’irrégularités
syntaxiques et morphologiques ; (iii) l’engendrement syntaxique est non
marqué par rapport à l’engendrement morphologique ; (iv) les unités
lexicales peuvent être sous-spécifiées de manières différentes : un type de
sous-spécification regarde leur place de réalisation (c.-à-d. dans la syntaxe
ou dans la morphologie). En outre, Ackema & Neeleman affirment :
Research into the form of lexical entries is guided by the assumption that
lexical storage should be kept to a minimum. As a research strategy, it is
assumed that knowledge that can be represented by rules should not be
duplicated by lexical stipulations. (2001:43)
Il s’ensuit de cette stratégie que ne seront listés dans le lexique que des
locutions (idioms) et des mots simples irréguliers (Ackema & Neeleman
2001:44).
Bauer (2001b:100-124) examine le stockage lexical et la production de la
langue d’un point de vue psycholinguistique. La structure phonotaxique et
syllabique d’un mot semble être importante pour le processus linguistique
(Bauer 2001b:100-101). Il (2001b:101, 103) souligne que l’approche
morphologique en psycholinguistique est généralement traditionnelle : les
mots se segmentent en morphèmes et il y a une distinction claire entre
dérivation et flexion. Néanmoins, des travaux psycholinguistiques sur le
stockage semblent parler en faveur d’une morphologie basée sur le
morphème, c’est-à-dire que les unités primaires du lexique sont des
23
morphèmes et que les mots complexes, comme les dérivés, s’analysent en
morphèmes. De plus, les unités présentant une flexion irrégulière semblent
être stockées séparément des unités régulières (Bauer (2001b:102-112).
Bauer (2001b:112-124) avance que les études psycholinguistiques semblent
montrer que la flexion régulière se produit automatiquement, tandis que la
production de certains dérivés pose des problèmes (p.ex. les variations
d’ordre
morpho-phonologique
issues
d’une
formation
moins
productive : divine contre divinity). Il ne semble pas exister de règles
productives rendant compte de tels phénomènes. Des études récentes
semblent montrer que les mots complexes qui sont très courants peuvent être
stockés dans leur forme pleine sans être segmentés en morphèmes.35 Bauer
(2001b:46) s’oppose à l’idée selon laquelle seules la dérivation et la flexion
irrégulière sont supposées être stockées alors que la flexion régulière est
supposée être engendrée. Il trouve extrêmement complexe de tracer une
ligne de démarcation aussi nette ; en particulier, la flexion est une notion
difficilement définissable. Blevins (2003:764) signale que des implications
psycholinguistiques montrent que les formes irrégulières des verbes
allemands sont stockées dans leur forme pleine dans le lexique (voir p. ex.
Clashen 1999). Or, comme l’observe Blevins (ibid.), ceci n’empêche pas que
les formes régulières ne sont pas quant à elles stockées dans leur forme
pleine : Booij (1999) et Bybee (1999) signalent qu’il y en a de fortes
évidences. Notons à ce propos la distinction que souligne Booij (2002:13)
entre lexique comme module abstrait de la grammaire et lexique individuel
du locuteur natif. Ce dernier contient un nombre plus limité d’entrées, mais
peut, en même temps, aussi inclure des unités régulières, courantes, afin
d’augmenter la vitesse de production.
En conclusion, l’idée d’un lexique maximaliste pourrait être motivée par
les recherches psycholinguistiques, à la réserve qu’elles concernent
nécessairement le lexique individuel. Or, l’idée d’un lexique minimaliste
sans redondances se trouve à un autre niveau en ce qui concerne la théorie
grammaticale, et conséquemment nous la trouvons plus attirante dans cette
perspective. Ce positionnement théorique nous conduit à nous rallier aux
approches théoriques qui envisagent que la morphologie est un module
indépendant de la syntaxe et que le lexique tend à une structure économique
comportant des règles constructionnelles, probablement sous forme
hiérarchique (cf. Fradin 2003a qui renvoie entre autres à Koenig 1999 et à
Davis 2001).
35
Bauer (2001b:124) avance à ce propos que le terme de morphème doit recevoir une
interprétation beaucoup plus restreinte que son interprétation traditionnelle, mais ne précise
pas de quelle façon.
24
2.3.2 L’entrée lexicale
La représentation de l’entrée lexicale est étroitement liée à la constitution du
lexique et à la notion du lexème. Elle peut être considérée comme étant non
seulement une relation arbitraire entre forme sonore et sens, mais aussi
comme comportant des traits formels diacritiques, nécessaires pour
l’insertion syntaxique. Selon Josefsson (1997:167, n. 1), Chomsky estime
que :
The lexicon is a set of lexical elements, each an articulated system of
features. It must specify, for each such element, the phonetic, semantic, and
syntactic properties that are idiosyncratic to it. (Chomsky 1991:2)
Mellenius (1997:9-10) affirme de même qu’il y a un accord presque unanime
sur le fait que l’entrée lexicale d’une unité dans le lexique mental doit
contenir au moins quatre types d’information : (i) le sens (la distinction
débattue entre connaissance encyclopédique et connaissance linguistique est
ici évoquée, c.-à-d. la question de savoir si la connaissance encyclopédique
est incluse ou non dans le lexique) ; (ii) la forme syntaxique, c’est-à-dire
entre autres la catégorie grammaticale, et pour les verbes, la souscatégorisation ainsi que la structure d’argument ; (iii) la structure
morphologique, englobant la structure interne et le paradigme
flexionnel ; (iv) la forme phonologique, c’est-à-dire la forme sonore et la
forme graphique.
D’après Aronoff (1992:16), l’idée de la représentation lexicale, c’est-àdire que, dans le lexique, un lexème donné n’est représenté que par une seule
forme sur laquelle peut être bâti le paradigme entier, est devenue
extrêmement importante dans la théorie linguistique. La représentation
lexicale diffère de celle donnée dans le dictionnaire, pour autant qu’elle est
abstraite et ne correspond pas à la forme de surface du lexème.
De même, Villoing (2002:151) souligne l’importance de déterminer les
propriétés que possède le lexème dans une approche morphologique. Fradin,
cité par Villoing (2002:151), considère que ces propriétés sont nécessaires
pour rendre compte de « la manière dont sont stockées les données
linguistiques figurant dans le lexique » (Fradin 1996:76). Villoing
(2002:151-156), se basant entre autres sur Fradin (1993, 1996), attribue au
lexème les trois mêmes types de propriétés que mentionne Chomsky
(1991) : une forme phonologique, une catégorie syntaxique et une
signification. Afin de distinguer le lexème du morphème et pour insister sur
la caractéristique du lexème comme étant une unité abstraite, ces trois
propriétés doivent être représentées au sein de rubriques dissociées.
Remarquons qu’il est ainsi question d’un lexique éclaté. La forme
phonologique concerne entre autre l’identification des contraintes
phonologiques pouvant jouer un rôle dans la formation d’unités lexicales. La
forme catégorielle implique que le lexème peut être un verbe, un nom, un
25
adjectif ou un adverbe36 appartenant aux catégories lexicales et ouvertes. Les
catégories grammaticales et fermées, comme la préposition, la conjonction,
le déterminant et le pronom, ne constituent pas de bases possibles pour la
construction d’un nouveau lexème. Pour ce qui est de la troisième propriété,
la signification, Villoing estime que
(i) La rubrique sémantique doit fournir les informations nécessaires pour
permettre aux lexèmes de se combiner sémantiquement entre eux. Ainsi, dans
le cas des mots composés [VN]N/A du français, la rubrique sémantique
enregistrera les informations nécessaires à la combinaison du lexème verbe et
du lexème nom pour construire le sens du composé […] . (ii) La rubrique
sémantique doit fournir les informations nécessaires pour que les mécanismes
inférentiels puissent tirer les bonnes inférences dans les phrases où figure
l’unité. (2002:154-155)
Outre ces propriétés, Villoing (2002:156) soutient qu’il faut ajouter une
rubrique graphématique, qui, touchant les composés [VN]N/A, note la
transcription orthographique, indispensable pour l’apparition du e final des
éléments verbaux. Il faut aussi ajouter une rubrique morphologique, qui,
quant aux composés [VN]N/A, indique l’appartenance à une classe
morphologique spécifique, afin d’expliquer la classe conjugationnelle des
verbes. Cette dernière rubrique permet aussi « d’enregistrer les différents
stems sous lesquels se réalisent les lexèmes, de manière à pouvoir spécifier
le stem mis en jeu par la construction » (ibid.). Amiot & Dal (2007:328)
signalent la définition plus récente donnée par Fradin (2003b) selon laquelle
le lexème est une entité multistratale qui inclut cinq types
d’informations : graphématique (G), phonologique (P), syntaxique (SX),
morphologique (M) et sémantique (S)), toutes indépendantes les unes des
autres. D’après Amiot & Dal (2007:329), cette solution requiert au moins
une révision de la notion du lexème, comme le proposent Booij (2002:141)
et Fradin & Kerleroux (à paraître) qui définissent le lexème comme « l’entité
linguistique qui sert de base aux RCL » indépendamment de la réalisation
syntaxique.
Beard (1998:46-47) ainsi que Spencer (2004:68-71) identifient la notion
de lexème à celle d’entrée lexicale et conçoivent le lexème comme une entité
abstraite, combinant forme et sens et définie par les trois dimensions
phonologique, syntaxique et sémantique.
Comme l’observent Scalise & Guevara (2005:5-7), la notion de lexique
dans la grammaire générative s’est élaborée à partir d’un lexique étant une
simple liste des mots irréguliers ou idiosyncrasiques vers un lexique plus
complexe comportant aussi des processus réguliers ou des règles. En
d’autres mots, le lexique contient une computation interne explicite : le
36
Notons que l’inclusion des adverbes dans les catégories lexicales peut se discuter. Nous y
reviendrons dans le chapitre 4.
26
composant de la formation des mots. Des hypothèses plus élaborées sur les
représentations lexicales sont ainsi proposées, contenant souvent des
informations sur la structure argumentale des prédicats et sur la description
sémantique des unités lexicales (cf. 5.1, voir aussi p.ex. Pustejovsky 1998
[1995]).
Selon Scalise & Guevara (2005:25), le fait d’attribuer aux affixes des
représentations lexicales est une question controversée. L’idée que et les
mots et les affixes posséderaient des entrées lexicales pleines est avancée
entre autres par Halle (1973), Lieber (1981) et Selkirk (1983). Ils énumèrent
des arguments disant que les mots et les affixes manifestent les mêmes
relations entre eux (synonymie, antonymie, hyponymie, polysémie) et que
les deux apparaissent dans des structures de X-barre. L’autre opinion selon
laquelle seuls les lexèmes sont représentés lexicalement a d’abord été
proposée dans le cadre lexicaliste d’Aronoff (1976). Cette opinion est une
des caractéristiques des théories morphologiques à base de lexème37, et celle
adoptée dans notre travail. Les affixes sont assimilés aux règles
morphologiques. Les arguments en faveur de cette opinion sont nombreux,
le plus convaincant résidant dans la représentation des phénomènes non
concaténatifs comme umlaut, allomorphie et suppléance, qui ne peuvent être
facilement expliqués par une combinaison des mots et des affixes. De plus,
comme l’observe Corbin (1987), si l’affixe et le mot avaient la même
représentation, il ne serait pas possible de faire de distinction entre
composition et dérivation.
2.4 Modèles morphologiques
2.4.1 Approches à base de morphème vs approches à base de
lexème
De la discussion portant sur les unités en jeu dans la morphologie (cf. 2.2), il
s’ensuit que les approches de Matthews (1991), d’Aronoff (1976, 1991,
1994)38, d’Anderson (1992) et de Villoing (2002) sont toutes basées sur le
lexème.
Matthews (1991:122-126 [1974]) considère qu’une analyse
morphologique basée sur le morphème comme unité primaire est
problématique pour une langue telle que l’anglais. Cette opinion n’est
cependant pas partagée par Hockett (1954), ni par Bauer : « […] many of the
37
Scalise & Guevara (2004) n’utilisent que le terme de « word » dans leur travail, nous le
remplaçons par « lexème ».
38
Aronoff (1994:7) se corrige d’avoir utilisé dans Aronoff (1976) le terme de « word-based
morphology » au lieu de « lexeme-based morphology ».
27
experiments deal with languages such as English and German, where the
morpheme construct is not obviously insufficient. » (2001b:101). La théorie
basée sur le morphème suppose une relation biunivoque entre forme et sens
alors que la théorie basée sur le lexème accepte une relation plus indirecte
entre forme et sens pour autant que cette dernière théorie tolère une
séparation entre la construction d’une forme et la construction de son sens
(Aronoff 1992:18).39 Aronoff signale aussi que :
Matthews (1991:ch. 10) emphasizes that the ancient Latin and Greek
grammarians had no notion of morphemes. One can view the work of
Matthews and his followers as an attempt to do morphology without
morphemes, in the ancient manner. (Aronoff 1994:172, n. 5)
Il résulte de la distinction entre mot et lexème qu’au lieu de parler de la
formation des mots40, il faut selon Matthews (1991:37 [1974]) plutôt parler
de la formation des lexèmes. La formation des lexèmes correspond ainsi à la
branche de la morphologie qui traite des relations existant entre un lexème
complexe et un lexème plus simple (qui peut lui-même être complexe), par
exemple UNAGEING vs AGEING. De même, la composition peut se définir
comme la branche de la morphologie qui concerne les rapports existant entre
un lexème composé et au moins deux lexèmes plus simples, par exemple
SALMON-FALL vs SALMON et FALL (Matthews 1991:37 [1974]). La formation
des lexèmes et la composition peuvent de cette manière être considérées
comme des sous-domaines de la morphologie lexicale41, qui à son tour peut
se définir comme l’étude des relations morphologiques existantes entre les
lexèmes. Les différentes formes des mots, par exemple l’opposition entre
singulier (sea) et pluriel (seas), contrastent les unes avec les autres dans ce
qui est normalement nommé un paradigme, comportant ainsi toutes les
formes différentes du même lexème (SEA). De la sorte, la morphologie
flexionnelle peut se définir comme la branche morphologique qui s’intéresse
aux paradigmes et qui a pour objectif de rendre compte de l’opposition
sémantique entre catégories, comme le singulier et le pluriel, et des traits
formels (les flexions incluses) qui les distinguent (Matthews 1991:37-38
[1974]).42
39
Pourtant, Aronoff (1994:179, n. 31) mentionne que ce n’est pas uniquement l’approche à
base de lexème qui permet une relation complexe entre forme et sens ; Marantz (1984), par
exemple, qui adhère à l’approche DM (cf. 2.4.2), la permet aussi.
40
Matthews (1991:41 [1974]) choisit le terme de « formation des mots » au lieu de celui de
morphologie dérivationnelle, entre autres parce qu’il ne veut pas se borner à l’emploi du
terme de morphologie dérivationnelle excluant la dérivation flexionnelle (1991:61-62 [1974]).
41
Matthews (1991:40 [1974]) signale que ce terme est aussi adopté par une approche
morphologique américaine qui dans le cas extrême suppose que toute morphologie, incluant la
morphologie flexionnelle, doit se traiter lexicalement.
42
À la réserve que tous les pluriels ne sont pas flexionnels ; la distinction entre morphologie
dérivationnelle et morphologie flexionnelle n’est pas aussi nette. Bauer (2001b:103) s’appuie
sur Beard (1982), qui affirme que le pluriel anglais est dérivationnel. Baayen, Lieber et
28
Beard (1998:54) précise que les problèmes de l’asymétrie morphologique,
se manifestant entre autres par l’exponence multiple et le morphème zéro,
constituent pour la morphologie structuraliste ce que Bazell (1949, 1952)
nomme « the Correspondence Fallacy », c’est-à-dire la supposition qu’une
analyse à un certain niveau linguistique correspond d’une manière
isomorphe aux analyses à d’autres niveaux. Afin d’échapper à ce défaut,
Beard (1966) propose une hypothèse qui sera ultérieurement connue sous le
nom de « Separation Hypothesis » posant que les unités lexicales se
restreignent aux thèmes N, V et A, comprenant tous des représentations
sémantique, phonologique, et grammaticale, mais séparées et autonomes les
unes des autres (Beard 1998:55, ) cf. aussi Beard 1981, 1987). Par exemple,
la séparation entre opérations phonologiques et opérations grammaticales
explique la morphologie zéro comme dérivation sans affixation, et le
morphème zéro comme le résultat d’affixation sans dérivation (Beard:ibid.).
Aronoff (1994:9) émet l’idée qu’une morphologie dite séparatiste est plus
compatible avec le lexème comme unité de base qui traite aussi du son et du
sens comme étant deux systèmes différents, qu’avec le morphème se basant
sur un rapport direct, mais arbitraire, entre son et sens.
La morphologie à base de lexème découle ainsi de deux suppositions non
structuralistes : le morphème n’est pas l’unité primaire de la langue ; la
morphologie est un objet distinct de la syntaxe (suivant l’hypothèse
lexicaliste). Selon Aronoff (1994:13) : « Morphology deals with forms.
Syntax deals with grammatical constructions and categories ». Dans sa
version modernisée de Bloomfield (1933), Aronoff (ibid.) affirme que le
point central de la morphologie concerne le rapport arbitraire entre le signifié
et le signifiant des formes liées. Aronoff (1994:13) trouve le terme de
Zwicky (1986) « morphological realization »43 adéquat pour expliquer ce
point. L’approche à base de lexème fait donc une distinction entre l’aspect
morpho-phonologique qui s’occupe de la détermination morphologique des
formes ou de « morphological spell-out » (Aronoff 1994:39), et de l’aspect
morpho-syntaxique. D’après Aronoff (1994:16), s’appuyant sur Anderson
(1992), la composition est ainsi un type de formation des lexèmes qui opère
au niveau des catégories grammaticales sans faire référence au contenu
morphologique de la construction, correspondant ainsi à la syntaxe interne
des lexèmes. La dérivation et la flexion sont par contre comprises par la
réalisation morphologique, mais ne réalisent pas les mêmes éléments : la
dérivation concerne les éléments syntaxiques internes des lexèmes, tandis
que la flexion concerne les éléments syntaxiques externes des lexèmes
(Aronoff 1994:16). Mentionnons que Spencer (2004) énumère également des
Schreuder (1997:866-867) montrent que les arguments peuvent se généraliser. Haspelmath
(1996) suppose que le suffixe adverbial -ly est flexionnel et Bauer (1988:86), Dressler (1989)
et Plank (1994) estiment que flexion et dérivation sont des catégories prototypiques.
43
Ce qu’Aronoff a nommé antérieurement « phonological operations » ; Beard (1995) utilise
le terme de « morphological spelling component » (Aronoff 1994:13).
29
arguments allant à l’encontre des approches morphémiques, et en faveur de
l’approche de Paradigm Function Morphology que propose Stump (2001).
Mentionnons aussi l’approche de Whole Word Morphology élaborée par
Ford & Singh (1991) et Ford, Singh & Martohardjono (1997) et présentée
par exemple dans Neuvel & Singh (2001) et Singh & Neuvel (2003),
approche qui essaye donc d’éviter les notions complexes et abstraites de
morphème et de lexème.
La question de choisir laquelle des unités mentionnées (lexème, mot ou
morphème) est l’unité primaire sera, comme il ressort de ce qui précède,
d’une grande portée pour l’analyse morphologique. D’après Aronoff (2000),
l’unité servant d’entrée à la morphologie constitue encore une question de
débat. Soulignons que nous adhérons à une approche à base de lexème.
2.4.2 Sous-spécification lexicale
Une autre approche consiste à considérer les unités lexicales comme sousspécifiées pour la catégorie grammaticale. Chomsky (1970) utilise des
entrées lexicales sous-spécifiées afin d’autoriser des unités lexicales44 liées
par dérivation à partager les mêmes sous-catégorisations (cf. Aronoff
1994:20). Barner & Bale (2002) optent aussi pour la sous-spécification des
unités lexicales. Ils (2002:772) adhèrent à l’approche dite Distributed
Morphology, DM, représentée entre autres par Halle & Marantz (1996
[1993]), Marantz (1997) et Harley & Noyer (2000), et selon laquelle les
racines lexicales (p.ex. √grow et √destroy) ne portent pas de marque
catégorielle. C’est dans la syntaxe que les racines s’attachent aux têtes
fonctionnelles et reçoivent une catégorie grammaticale (Barner & Bale
2002:781). L’approche DM est non lexicaliste, c’est-à-dire qu’elle suppose
que les mots sont créés dans la syntaxe et que le lexique est éclaté dans des
listes non computationnelles et distributionnelles qui comportent
indépendamment des racines, des formes sonores et des sens spécialisés, à
l’opposé d’une approche lexicaliste qui suppose que les mots sont créés dans
le lexique par des processus distincts des processus syntaxiques (Barner &
Bale 2002:773). Barner & Bale (2002:776-779) discutent le problème de
surgénéralisation pouvant résulter de la sous-spécification lexicale, en
s’appuyant sur l’argument que le langage enfantin présente souvent des
emplois d’un verbe dans un contexte nominal (Where’s the shoot?) et d’un
nom dans un contexte verbal (Mommy trousers me). Une question à débattre
pour une approche sous-spécifiée concerne cependant l’aphasie : les
aphasiques témoignent souvent d’une difficulté à produire soit des noms soit
des verbes (cf. Barner & Bale 2002:779-781 abordant ce sujet). Selon
Barner & Bale (2002:783-788), en facilitant la tâche d’acquisition, la sous44
Aronoff (ibid.) utilise le terme de « lexeme ». Nous l’avons remplacé par « unité lexicale »
qui est théoriquement plus neutre.
30
spécification lexicale offre une solution du problème de bootstrapping relatif
à l’acquisition de la langue première ; c’est-à-dire que l’enfant doit luimême, à partir des données linguistiques primaires, fixer les paramètres de la
grammaire universelle, en d’autres mots, aller des formes sonores à la
syntaxe (cf. Grimshaw 1981, Pinker 1987, Bloom 1999). Scalise & Guevara
(2005:33) caractérisent l’approche DM plutôt comme un programme de
recherche que comme une théorie définitive ; remarque qui vaut aussi pour
le minimalisme, à leur avis. Lieber & Scalise (2007:13-14) critiquent
l’approche de DM de s’occuper surtout de la flexion au lieu de se charger de
la dérivation et de la composition. Ils (ibid.) notent de plus qu’en rejetant
l’hypothèse lexicaliste, cette approche doit expliquer pourquoi les données
touchant l’interaction entre syntaxe et morphologie sont aussi limitées : une
interaction plus libre aurait été attendue.
Schwarze (2003), qui lui-même parle en faveur d’un modèle de
« morphologie lexicale d’unification » dans le cadre de Lexical Functional
Grammar, remarque que les modèles alternatifs, par exemple DM et
Realizational Morpholgy (cf. Stump 2001), se sont formés afin d’éviter les
problèmes que pose le morphème pour le rapport entre forme et sens. Ces
modèles, que Schwarze regroupe sous la notion de « morphologie
exponentielle », partagent l’idée que les unités morphologiques se
définissent uniquement au niveau fonctionnel ou sémantique. Des règles de
réalisation traduisent ces unités, invisibles et consistant en configurations de
traits, en chaînes phonologiques et graphiques : « il n’y a plus ni morphèmes,
ni morphes, ni combinatoire, ni structure hiérarchiques au niveau du mot »
(Schwarze 2003:188). D’après Schwarze (2003:189), ce modèle réduit donc
le problème de segmentation et élimine le niveau d’analyse existant dans le
structuralisme.
Remarquons que l’idée d’un thème sous-spécifié a également été
proposée par Serbat (1988). Celui-ci (1988:65) trouve très traditionnelle
l’approche qui consiste à attribuer une catégorie grammaticale45 à la base —
cette tradition se retrouve déjà chez les anciens grammairiens comme
Priscien (K. II 127, 20 pp.), et elle est formulée en termes modernes par
Tesnière (1969 [1959]).46
Il est important de noter que dans son prolongement, l’approche de sousspécification peut impliquer que la morphologie disparaisse de la grammaire,
ce domaine n’ayant plus de raison d’être. Ces types d’approches ne trouvent
pas de place dans notre travail.
45
Serbat (1988:65) utilise le terme de « partie du discours », mais nous préférons le terme de
« catégorie grammaticale ».
46
Cette voie est aussi suivie par Guilbert dans son introduction au Grand Larousse de la
Langue Française (1971-1978) : tous les dérivés sont des transformations de phrases sousjacentes.
31
2.5 La notion de productivité et sa définition
La productivité est une des notions essentielles pour les recherches sur la
formation des mots. Elle est aussi étroitement liée aux questions concernant
le lexique et sa structuration. Pourtant, cette notion facile à saisir
intuitivement s’est avérée problématique quant à sa définition. Aussi la
productivité, particulièrement la productivité morphologique, a-t-elle suscité
un intérêt renouvelé pendant les dernières années. À titre d’exemple, citons
les travaux de Baayen (1992, 1997), de Plag (1999) et de Bauer (2001b),
ainsi que le numéro 140 de Langue française (2003) consacré à la
productivité.
D’après Teleman (1970:18), les composés qui sont formés par des règles
productives dans une langue donnée ne peuvent pas tous, faute d’espace,
entrer dans un dictionnaire. Teleman (1970:18-19) donne deux critères pour
rendre compte des règles productives :
2) il doit être possible de décrire grammaticalement et sémantiquement les
thèmes qui entrent dans la composition issue d’une règle productive ;
3) il doit être possible de prédire le sens du composé formé par une telle
règle.
Aronoff (1976:35) (cf. Josefsson 1997:10-11, Mellenius 1997:44) a peut-être
été le premier à proposer un indice de productivité des affixes pour une règle
gouvernant la formation des mots. Cet indice sera saisi en comptant le
nombre de mots qui sont effectivement formés par la règle et en le
comparant avec le nombre de mots qui pourraient potentiellement être
formés par cette règle (c.-à-d. qu’il faut compter les inputs possibles).
Anderson estime que « What interests us is not how many forms exist, but
rather how many of the ones a rule might predict to exist are real
possibilities. » (1992:195). Le problème reste de savoir ce que l’on peut dire
des formes potentielles qui pourtant n’existent pas (ibid.:196). Anderson
(1992:197) signale qu’une solution est proposée par Aronoff (1976), qui
réduit la question de la productivité à celle de compositionnalité
sémantique : si les propriétés d’une unité linguistique peuvent être prédites
par l’intermédiaire des propriétés des mots existants et des règles de
formation des mots, cette unité est implicitement possible. Scalise &
Guevara (2005:12) précisent aussi que selon Aronoff (1976), une unité
formée par une règle productive ne doit pas être listée. Par contre, une unité
ayant des propriétés idiosyncrasiques (formelles, sémantiques, syntaxiques)
doit être stipulée et listée, puisqu’elle n’est pas formée par une règle. Notons
la ressemblance avec les deux critères de Teleman (1970).
Bayyen et al. ont élaboré une approche quantitative de la productivité
morphologique, touchant principalement l’anglais, dans un corpus donné
(voir p. ex. Baayen & Lieber 1991, Baayen 1992, 1993, Baayen & Renouf
32
1996).47 Baayen (1989) propose une nouvelle mesure de la productivité, à
savoir le nombre de mots formés par un processus donné et qui figurent dans
le corpus une seule fois (the hapax legomena) divisé par le nombre total de
mots formés par ce processus et effectivement relevés dans le corpus (cf.
Bauer 2001b:147-148). Cette mesure est problématique en ce que sa fiabilité
est relative à la taille du corpus : elle ne donne un résultat fiable que si le
corpus est suffisamment grand (voir van Marle 1992, Plag 1999, Bauer
2001b:148-156, Dal 2003 pour une discussion critique plus approfondie).
Comme notre étude ne portera aucunement sur la productivité statistique des
mots se trouvant dans un corpus donné, nous ne nous intéresserons pas
davantage à l’approche de Baayen et al.
Comme presque tous les linguistes, Baayen y compris, Lieber (1992:1-9)
base sa définition de la productivité sur Schultink (1961). Ce dernier traite de
la productivité comme d’un phénomène morphologique se produisant
inconsciemment et donnant lieu à des formations innombrables. Josefsson
(1997:12) base sa distinction entre formation productive et création lexicale
sur la discussion de Schultink (1961) et de Lieber (1992:3) : les mots issus
d’une formation productive ne se font pas remarquer, alors que les
formations créatives attirent l’attention et sont regardées comme étranges,
drôles, réfutables ou autrement remarquables. Selon Josefsson (1997:12),
une théorie de la formation des mots ne doit pas prendre au sérieux les
formations créatives. Mellenius (1997:45-46) souligne également la portée
qu’a la notion de productivité en délimitant l’objectif des études
synchroniques : les néologies créatives, formées par des règles non
productives ou par analogie avec des mots établis, doivent être exclues.
Pourtant, au cas où une formation par analogie s’utiliserait fréquemment,
elle peut donner lieu à une règle morphologique nouvelle. Notons que les
avis de Josefsson et de Mellenius reflètent la distinction faite par Corbin et
Bauer entre mots existants et mots établis (cf. aussi 7.1.2).
Le temps est un autre facteur jouant un rôle important pour la définition
de la productivité. Une règle productive autrefois peut avoir cessé de l’être.
Pourtant, synchroniquement, et pour l’enfant apprenant sa première langue,
les règles improductives peuvent être difficilement discernables des règles
productives, car des mots issus d’une règle non productive restent dans le
vocabulaire de la langue. Par conséquent, le tout jeune apprenant doit
prendre en considération plusieurs types de règles à la fois, parfois
compétitives (Mellenius 1997:44-45). Ce type de problème, lié à la
distinction entre synchronie et diachronie selon Saussure (1983:ch. 3), est
discuté par Matthews : « The coining and adoption of new words are
historical phenomena. […] Yet we are trying to explain them on the basis of
47
Gaeta & Ricca (2003) exécutent un projet similaire portant sur la formation des mots en
italien et se basant sur un corpus de La Stampa. Une étude concerne les suffixes de noms
d’action (Gaeta & Ricca 2002).
33
a stable system » (1991:78 [1974]). Parfois, des mots qui ne devraient pas
exister parce qu’ils sont formés par des règles improductives sont néanmoins
formés, ou plutôt attestés par analogie avec des formes établies, comme
coolth en anglais, d’après Matthews (1991:79 [1974]). L’explication
touchant l’analogie est diachronique : elle explique pourquoi ce qui était
exclu peut devenir possible (Matthews:ibid.). Par ailleurs, Matthews
(1991:75 [1974]) mentionne un facteur externe pouvant porter sur la
productivité : un mot n’est pas formé si l’on n’en a pas besoin. La vache est
distinguée du taureau, mais la souris femelle n’est pas distinguée de la souris
mâle.
Selon Bauer (2001b:12), les avis sont partagés sur ce qui est productif ou
non : pour certains linguistes, ce sont les affixes qui sont productifs (p.ex.
Fleischer 1975:71 [1969]). Pour d’autres, ce sont les processus
morphologiques qui sont productifs (p.ex. Anderson 1982:585) ; pour encore
d’autres, ce sont des groupes de processus qui sont productifs (p.ex. Al &
Booij 1981:32). Certains linguistes considèrent que ce sont les règles qui
sont productives (p.ex. Aronoff 1976:36). Selon Bauer (2001b:12), ces
descriptions peuvent être considérées grosso modo comme traitant du même
phénomène d’une manière plus ou moins spécifique. La préfixation, par
exemple, ne peut être productive à moins qu’un préfixe individuel ne soit
productif. De même, la productivité d’un groupe de processus implique
qu’un de ses processus est productif. Ce type de raisonnement peut
s’appliquer aussi à la productivité d’un module complet de la grammaire
englobant la formation des mots et à la productivité comme étant un trait
relevant du système de la langue (voir Bauer 2001b:12-15, 65-74). Pourtant,
le fait d’assigner la productivité aux affixes n’est pas compatible avec le fait
de l’assigner aux processus morphologiques, puisqu’il existe des processus
de formations des mots qui sont non affixaux mais néanmoins productifs
(Bauer 2001b:12-13).
Bauer (2001b) examine à fond la productivité morphologique en prenant
en considération des notions liées à la productivité comme la synchronie et
la diachronie, la lexicalisation, la fréquence, la transparence et l’opacité, la
régularité, l’attestation, la créativité, la pression paradigmatique, l’analogie,
ainsi que différentes restrictions (phonologiques, morphologiques,
sémantiques, lexicales, syntaxiques, pragmatiques et blocages). Ces notions
sont, au même degré que la notion de productivité, obscures et souvent
définies différemment par différents linguistes. Bauer arrive à la définition
suivante :
‘Productivity’ deals with the number of new words that can be coined using a
particular morphological process, and is ambiguous between the sense
‘availability’ and the sense ‘profitability’. The availability of a morphological
process is its potential for repetitive rule-governed morphological coining,
either in general or in a particular well-defined environment or domain.
34
Availability is determined by the language system, and any process is either
available or unavailable, with no middle ground. It creates psychologically
real distinctions between available (‘living’) and unavailable (‘dead’)
processes, which can be tested in a number of ways. The profitability of a
morphological process reflects the extent to which its availability is exploited
in language use, and may be subject unpredictably to extra-systemic factors.
Where a single morphological process has easily distinguishable meanings or
sub-uses, these may be assessed independently for both availability and
profitability. (Bauer 2001b:211)
D’après Bauer (2001b:49), les termes d’availability et de profitability sont
en fait empruntés à Corbin (1987), qui utilise les termes français
« disponible » et « rentable », et traduits par Carstairs-McCarthy (1992:37).
Une règle est rentable, selon Corbin (1987:177), quand elle pourrait
s’employer, ou a été employée, afin de produire un grand nombre de mots
nouveaux. Pour le premier cas potentiel, Bauer utilise le terme de
profitability, et pour le deuxième cas déjà attesté, celui de généralisation.
Une règle est disponible selon Corbin si elle peut s’utiliser dans la
production actuelle de mots nouveaux. Bauer (2001b:49) cite Kastovsky
(1986:586), qui distingue entre « the scope of the rule [disponibilité] and its
actual utilization in performance [rentabilité] ». Štekauer (2003:700)
remarque que les termes d’availability et de profitability reflètent la
distinction faite par Coseriu48 entre le système de la langue et la norme.
Afin de clore cette discussion, remarquons qu’il est difficile de discuter la
notion de productivité sans prendre en considération les unités listées dans le
lexique et sa structuration. Il n’est pas non plus facile de donner une
définition précise de la productivité. Pourtant, la définition de Bauer (2001b)
nous semble adéquatement ancrée au niveau théorique, bien qu’étant peutêtre trop vaste et trop peu précise. Pour notre étude, cette définition, et en
particulier ses deux faces distinctes entre rentabilité et disponibilité, est
profondément importante pour justifier notre choix de données et pour
délimiter nos données : nos analyses dans les chapitres 4 et 5 concernent la
disponibilité, alors que nos analyses dans les chapitres 7 et 8 concernent la
rentabilité. Admettons aussi que la définition de Teleman (1970), combinant
des critères distributionnels/grammaticaux et sémantiques, présente
l’avantage de ne pas être trop complexe et qu’elle pourrait s’appliquer aux
unités linguistiques mises en lumière dans notre étude. Finalement, nous
estimons qu’il faut parler de la productivité des règles de construction de
lexèmes (ou de la productivité de l’output des règles), et certainement pas de
la productivité des suffixes individuels, tels que -ant/-eur/-oir(e).
48
Štekauer (2003) ne donne aucune référence, mais nous renvoyons à Coseriu (1952).
35
2.6 Bilan
Nous récapitulons ici les points les plus importants de ce chapitre théorique.
Nous adhérons à la version faible de l’hypothèse lexicaliste suivant une
approche morphologique à base de lexème, dans laquelle la notion de tête
morphologique n’est pas opératoire. L’ambiguïté du terme de mot a été
signalée ; celui de lexème est donc plus approprié pour l’étude
morphologique. Ce terme est aussi une façon d’éviter la problématique du
terme de morphème et de ses associés. Quant aux quatre termes de base, de
radical, de racine et de thème, il semble que celui de base, opératoire dans
les dérivés suffixés en -ant, -eur -et -oir(e), soit pertinent pour notre étude.
Les deux termes de radical et de thème sont aussi importants, étant donné
que l’élément verbal du composé [VN/A/Adv/P]N/A correspond à un thème
verbal formé par le radical plus la voyelle thématique. Nous opterons aussi
pour un lexique minimaliste, à l’opposé d’un lexique maximaliste. Quant à
l’entrée lexicale, nous partageons l’avis qu’elle contient des informations
indépendantes aux niveaux syntaxique, morphologique, sémantique,
phonologique et graphématique. Finalement, la notion complexe de
productivité sera adéquate pour notre travail en servant à délimiter nos
données. En particulier, les deux notions de rentabilité et de disponibilité
sont importantes à cette fin.
36
3 Les composés français : définition
et délimitation
Si le chapitre précédent traite de la morphologie en termes généraux, le
présent chapitre portera spécialement sur la composition, et surtout celle du
français. Le but du chapitre est de servir d’introduction à quelques questions
importantes dans les recherches sur la composition et de situer notre
approche de la composition dans la théorie morphologique.
Darmesteter (1967:5 [1875]) avance que « c’est à la syntaxe qu’appartient
la composition » et qu’« un mot composé est une proposition en raccourci ».
Bally (1944:96 [1932]) considère également que des rapports grammaticaux
sont reflétés dans les composés : le rapport grammatical de rection se reflète
par exemple dans maison de campagne ou dans porte-plume. Benveniste
s’exprime ainsi : « La composition nominale est une micro-syntaxe. Chaque
type de composés est à étudier comme la transformation d’un énoncé libre. »
(1967:15). Giurescu (1975:21-22) de même est d’avis que les composés
doivent être analysés à partir des connexions syntaxiques qui y résident. Le
propre du composé est, d’après Giurescu (1975:24), de se situer de manière
intermédiaire entre mot et phrase. De nombreux linguistes français
soutiennent donc cette idée. Cependant, Serbat (1988) s’y oppose
fermement, ce que font aussi les partisans de la morphologie lexématique,
dont nous-même. Nombre de linguistes signalent que la composition est
productive en français. Noailly (1990:13) et Picone (1992:193) entre autres y
voient des tendances synthétiques dans la langue française, analytiquement
orientée. Nous allons voir dans la section suivante que les composés
possèdent plusieurs propriétés qui dévient des propriétés des mots en
contexte syntaxique. Un traitement morphologique semble donc beaucoup
plus justifié pour rendre compte de ces faits.
La section 3.1 discutera des critères avancés pour distinguer les composés
des syntagmes lexicalisés et des syntagmes syntaxiques réguliers. La section
3.2 traitera de la classification des composés qui se base sur la relation
grammaticale. Dans 3.3, nous reviendrons à leur définition et à la
délimitation pour présenter le critère de Corbin (1992) valable pour les
composés engendrés par la morphologie constructionnelle du français.
37
3.1 Critères pour distinguer entre composé, syntagme
lexicalisé et syntagme syntaxique régulier
Certaines langues ne possèdent pas de composés, et dans d’autres langues,
les composés ne portent aucune marque grammaticale signalant qu’il est
question d’un composé et non pas d’un syntagme. Aussi est-il souvent
difficile de tracer la limite entre syntagmes syntaxiques, syntagmes
lexicalisés et mots composés. Dans cette section, nous ferons un survol de
quelques critères proposés pour distinguer ces trois constructions les unes
des autres. Plus précisément, nous avons pour but de mettre au point la
complexité terminologique et de mettre en évidence les critères qui sont
pertinents pour la composition [VN/A/Adv/P]N/A.
Commençons par Jespersen (1924:18-24) qui fait une distinction entre
énoncés libres et « formules ». Les formules se caractérisent par leur nature
fixe et peuvent se constituer d’une phrase entière, d’un groupe de mots, d’un
mot ou d’une partie d’un mot. Elles sont conçues et traitées comme une
seule unité, souvent avec un sens qui diffère de celui des mots pris
individuellement. Jespersen (1924:20) affirme qu’il est parfois difficile de
décider si une unité linguistique est une formule ou non. La formule peut
être régulière ou irrégulière à la différence de l’énoncé libre qui est toujours
le résultat d’une formation syntaxique régulière (correspondant à un type
fixe) dans laquelle les mots sont variables. La phrase Long live the king,
basée sur un type mort, correspond à la formule vivante Long live + sujet
(Jespersen 1924:20). La flexion plurielle -en, autrefois productive en anglais,
n’est aujourd’hui visible que dans oxen. Ce mot est donc une formule, dont
le type est mort. Ainsi, en morphologie, les formules correspondent aux
formes irrégulières, tandis que les types sont réguliers (Jespersen 1924:21).
Les composés anglais husbonde et huswif étaient d’abord des énoncés libres.
Cependant, en étant traités comme des mots simples, ils ont subi des
changements phoniques de façon que leur origine n’est plus reconnaissable
et qu’ils sont devenus des formules : husband et hussy (Jespersen 1924:22).
La distinction entre formule et énoncé libre touche parfois l’ordre des
mots : something good mais some good thing (Jespersen 1924:24).
Bloomfield (1933:227) observe que la signification des composés est
généralement plus spécialisée que celle des syntagmes, mais il souligne que
cela ne correspond aucunement à un critère déterminant. En anglais aussi
bien que dans d’autres langues qui utilisent un seul accent d’intensité pour
chaque mot (high stress), l’accent peut contribuer à séparer les composés des
syntagmes (Bloomfield 1933:227).49 Pour ce qui est de la structure
phonologique d’une langue, les composés se comportent généralement
comme des syntagmes syntaxiques : en anglais, des suites telles que [vt]
49
Signalons à ce propos the Compound Rule de Chomsky et Halle (1968:16-17), qui a pour
but de distinguer les composés des syntagmes selon l’accentuation.
38
dans shrovetide ou [nn] dans pen-knife n’apparaissent pas dans des mots
simples (Bloomfield 1933:228). Des modifications phonétiques du type
sandhi50 marquent un composé ou une construction morphologique comme
un mot simple seulement au cas où elles se distinguent des modifications qui
se produisent dans la syntaxe : cf. vinaigre ou vinaire [vin], mais vin aigre
[vε] (Bloomfield 1933:228).
Le fait que l’ordre des membres d’un composé est fixe (bread-andbutter), alors qu’il est libre dans le syntagme (she bought butter and bread)
pourrait constituer un critère définitoire. Or, il arrive que l’ordre des
constituants dans un syntagme (lexicalisé) soit fixe (bread and butter), ce
qui témoigne, d’après Bloomfield (1933:229), d’une défaillance du critère en
question. Par contre, l’ordre contrastif est selon lui (1933:229) un critère plus
fiable. Blanc-bec est caractérisé comme un composé puisque l’adjectif d’une
phrase suit normalement le nom qu’il modifie (cf. bec blanc). Parmi tous les
critères avancés pour séparer les composés des syntagmes, les traits
grammaticaux de sélection sont les plus courants, mais aussi les plus variés
et les plus difficiles à observer. Ce type de comportement est selon
Bloomfield (1933:231) particulièrement fréquent dans la langue allemande.
L’adjectif prend par exemple un suffixe flexionnel en modifiant un nom,
roter Wein, mais lorsque l’adjectif figure dans un composé, ce suffixe
flexionnel n’est pas présent, Rotwein. Parfois, le membre d’un composé
correspond à une forme flexionnelle qui ne pourrait pas figurer dans un
syntagme syntaxique régulier. Ainsi, l’adjectif français grand ne prend pas la
marque féminine dans certains composés : une grand-mère51 mais une
grande maison (Bloomfield 1933:229-231). Ce phénomène est observable en
suédois aussi : ett blåbär mais ett blått bär litt. ‘un+neutre bleu+fruit+neutre’,
‘myrtille’ mais ‘un+neutre [bleu+aff]+neutre fruit+neutre’.
Un membre d’un composé peut être marqué par un trait propre à la
formation des mots, mais différent des traits qui généralement apparaissent
dans des mots libres. Les composés qui comportent ces traits spécifiques de
la formation des mots sont désignés par le nom de composés synthétiques.
Ils étaient particulièrement fréquents durant les stades antérieurs des langues
indo-européennes (Bloomfield 1933:231). D’après Bloomfield (1933:231),
les deux verbes to black et to sweep donnent lieu à deux noms agentifs libres
blacker et sweeper, mais aussi à deux noms agentifs en suffixe zéro qui
50
Ce terme sanskrit signifie « joining » (ou « liaison » selon le TLFi) et regroupe des
processus tels que l’assimilation (régressive ou progressive), la dissimilation et l’épenthèse
(Matthews 1991:150-151 [1974]) (voir W. S. Allen (1962) discutant les phénomènes sandhi).
Selon Matthews (1991:145-167 [1974]), il est ici question de processus morphophonémiques,
ce qui signifie qu’ils ne sont ni phonologiques ni morphologiques, mais se situent à
l’intermédiaire de ces deux domaines (voir p.ex. Dressler (1985) qui traite de la
morpho(pho)nologie).
51
Diachroniquement, grand dans grand-mère provient des adjectifs latins de la 3e déclinaison,
c.-à-d. ceux qui ne prenaient pas au féminin la terminaison -e en ancien français (cf. Faral
1941:15, Foulet 1990:85-86 [1919]).
39
figurent dans des mots composés comme boot-black et chimney-sweep. De
plus, Bloomfield (1933:231) considère que long-tailed et blue-eyed sont des
composés synthétiques, car formés à partir de syntagmes comme long tail et
blue eyes. Three-master et thousand-legger sont un autre type de composé
synthétique courant en anglais. Des composés tels que meat-eater ou meateating sont fréquents en anglais, bien qu’il n’existe aucun composé verbal du
type to meat-eat. Comme les mots eater et eating peuvent apparaître
indépendamment, le trait synthétique de ces composés n’est pas
particulièrement apparent. Ainsi, ils sont classés comme semi-synthétiques
par Bloomfield (1933:231-232). À notre avis, le composé français de type
[VN/A/Adv/P]N/A peut se caractériser comme synthétique (cf. ouvre-boîte
mais *ouvre), ou dans de rares cas comme semi-synthétique : gardebarrière.52 Ce composé peut aussi être considéré comme semi-syntaxique en
utilisant un autre terme de Bloomfield (1933:233), car il ne diffère d’un SV
que par l’absence de déterminant devant le nom.
Selon Bally (1944:94 [1932]), « le composé est un virtuel ; l’absence de
signes d’actualisation l’oppose aux groupes syntaxiques parallèles : fils de
roi : le fils du roi […] rendre service : rendre un service […] ».
Carlsson (1966:16) s’oppose à l’opinion selon laquelle un syntagme de
forme N + de + N, (NN), est considéré comme étant une unité lexicale
uniquement au cas où il serait impossible d’insérer un adjectif après le
premier nom. Carlsson (1966:47) en arrive à la conclusion que,
contrairement à ce qu’on pourrait s’imaginer, c’est l’ordre [[NA]N] qui
constitue l’ordre par défaut, et non pas [[NN]A]. Carlsson (1966:87) observe
que « même à un groupe subst. + de + subst. articulé, dissocié par un adjectif
épithète, correspond bien souvent un composé suédois » : plusieurs journaux
britanniques du matin mais flera brittiska morgontidningar, litt. ‘plusieurs
britanniques matin+journaux’, ou leur costume noir du dimanche vs deras
svarta söndagskostym, litt. ‘leur noir dimanche+costume’.
Benveniste (1966:91-95) choisit le terme de « synapsie » pour le type de
composition syntaxique qui consiste en un groupe entier de lexèmes, reliés le
plus souvent par à ou de, et constituant une désignation unique et
stable : robe de chambre ou avion à réaction. Ce type diffère à la fois des
composés et des syntagmes syntaxiques. La synapsie se caractérise par les
traits suivants : (i) l’ordre des membres est déterminé + déterminant ; (ii) les
membres ont une forme lexicale pleine, soit N soit A ; (iii) le membre
déterminant n’est jamais précédé d’article ; (iv) un des membres peut
s’étendre : gardien d’asile de nuit doit s’interpréter comme gardien d’[asile
de nuit] et non pas comme [gardien d’asile] de nuit. Benveniste (ibid.) met
en valeur que ce n’est que le critère de la désignation qui permet de décider
52
Notons cependant que Bisetto & Scalise (2005) posent que le terme de composé
synthétique, utilisé p.ex. pour des composés anglais comme taxi driver, ne s’applique pas en
roman, encore moins universellement.
40
s’il est question d’une synapsie ou non : valet de chambre mais coin de
chambre. Lorsqu’un objet est désigné uniquement et seulement par un
syntagme complexe, celui-ci est une synapsie. Ainsi, puisque le syntagme
complexe aigle pêcheur à tête blanche s’utilise comme nom d’un oiseau
particulier en français calédonien, il est à considérer comme une synapsie.
Nous remarquons que cela revient à dire qu’une synapsie correspond à un
syntagme lexicalisé.
Bastuji (1974) propose le terme de « lexie complexe », au lieu de celui de
mot, pour désigner une unité lexicale indivisible, constituée d’un syntagme
figé : classe verte ou machine à voter. Les lexies complexes se caractérisent
par leur indivisibilité syntaxique et possèdent de nouvelles propriétés
sémantiques ; leur signification est très restreinte. Cependant, Bastuji (ibid.)
admet que le critère d’indivisibilité n’est pas toujours fiable.
Togeby et al. (1985:52-54) font une distinction entre composé
morphologique et composé syntaxique en français. Le premier est assez rare
et se compose d’un thème qui unit deux ou plusieurs radicaux autonomes. La
caractéristique du composé morphologique est l’absence de marque
flexionnelle dans un de ses composants : des demi-épouses ou les perceneige. Selon Togeby et al. (1985:53), la définition sémantique d’un
composé, à savoir qu’il possède une signification unique, est trop vague et
ne peut s’appliquer aux composés syntaxiques.53 Les composés syntaxiques
ne portent aucune marque qui les distingue des syntagmes réguliers, mais
diffèrent de ces derniers par des contraintes combinatoires : (i) l’ordre des
mots à l’intérieur du composé syntaxique est fixe ; (ii) il est impossible de
remplacer l’un des composants par un synonyme ; (iii) il est impossible de
modifier individuellement les composants. Ce dernier critère constitue la
base de la définition du composé syntaxique utilisée par Togeby et al.
(1985:53).54 En ajoutant un adjectif à fer dans chemin de fer, cet adjectif
modifiera le groupe entier : [le chemin de fer]i françaisi. L’autre
interprétation, le chemin de feri françaisi, est théoriquement possible, mais
dans ce cas, chemin de fer n’est pas conçu comme un composé, mais comme
une locution nominale.
Selon Holmboe (1991:148), l’ordre des mots ou des morphèmes dans les
composés est toujours fixe et décisif, même dans les langues tolérant un
ordre des mots syntaxiquement libre.
D’après Eriksson (1993:180), les noms composés, très fréquents dans les
langues germaniques, correspondent souvent aux SN lexicalisés français
comportant une des deux prépositions à ou de : suéd. brevlåda ou nattskjorta
53
Selon Grevisse (1961:95), un composé est caractérisé par le fait qu’il évoque une image
unique dans l’esprit et non des images distinctes qui correspondent à chacun des mots qui
entrent dans la composition. Ce critère est souvent mentionné comme une sorte de quasidéfinition sémantique pour saisir ce qui distingue le composé du syntagme.
54
Voir aussi Carlsson (1966) en ce qui concerne la difficulté de fixer une limite absolue entre
composé syntaxique et syntagme syntaxique.
41
litt. ‘lettre+boîte’ ou ‘nuit+chemise’ et angl. letter box, postbox ou
nightgown mais boîte aux (à) lettres ou chemise de nuit.
Ayres-Bennett, Carruthers & Temple (2001:350) estiment qu’il n’est pas
difficile de tracer la limite entre syntagmes lexicalisés et syntagmes libres.
Ce qui est difficile, c’est de savoir différencier entre syntagmes lexicalisés et
certains types de composés comme pomme de terre et chemin de fer.
Mitterand (1963:62) (cf. Ayres-Bennett, Carruthers & Temple:ibid.) affirme
que les syntagmes lexicalisés s’étendent plus facilement que les composés.
Ceci n’est cependant pas un critère déterminant, d’après Ayres-Bennett,
Carruthers & Temple (2001:350), car dans les composés aussi, un des
constituants peut se combiner avec un autre élément afin de former des
unités nouvelles : Spence (1976) donne comme exemple le mot nature qui
figure dans plusieurs expressions, comme thé nature ou café nature. Il
semble en fait exister trois interprétations différentes de ces
structures : syntagmes réguliers, syntagmes lexicalisés ou composés. Wagner
(1968:7) (cf. Ayres-Bennett, Carruthers & Temple:2001.350) affirme que la
structure des syntagmes lexicalisés, à la différence de celle des composés,
équivaut toujours à la structure des syntagmes syntaxiques réguliers. AyresBennett, Carruthers & Temple (ibid.) signalent aussi que, même si les
éléments sont reliés par des traits d’union, il n’est pas facile de décider s’il
s’agit d’un composé ou d’un syntagme lexicalisé (cf. pot-au-feu). Elles
concluent qu’il existe un continuum entre syntagmes libres et composés ; au
milieu se trouvent les unités plus ou moins lexicalisées.
Bauer (2001b:45) donne la définition suivante de la notion de
« lexicalisation » : « the whole process whereby an established word comes
to diverge from the synchronically productive methods of word-formation ».
Le terme d’« idiomatisation » utilisé par Lipka (1994) réussit à saisir l’idée
que la lexicalisation sémantique55 comprend la perte du sens compositionnel.
Booij (2002:14) nomme « mots complexes » les groupes de mots qui, par
l’intermédiaire d’une évolution diachronique, se sont lexicalisés.
Nous pouvons résumer ce qui précède en constatant que les composés
sont souvent difficiles à démarquer des syntagmes lexicalisés, qui à leur tour
sont difficilement séparés des syntagmes syntaxiques réguliers. Certains
composés ne sont cependant pas aussi problématiques, vu qu’ils possèdent
des traits morphologiques et/ou syntaxiques déviants. Les unités lexicalisées
sont connues sous plusieurs termes différents : formule (Jespersen 1924),
synapsie (Benveniste 1966), lexie complexe (Bastuji 1974), composé
syntaxique (Togeby et al. 1985), mot complexe (Booij 2002). Il est clair que
ces termes ne recouvrent pas le même contenu sémantique et reposent sur
des critères de sélection différents. La synapsie de Benveniste (1966), par
exemple, est une notion étroite qui ne désigne que des SN comportant une
55
Bauer (2001b:45) dresse une ligne entre lexicalisation sémantique et lexicalisation
phonologique (hussy est phonologiquement opaque comparé à housewife).
42
préposition, tandis que la formule de Jespersen (1924) comprend et le
composé et le syntagme lexicalisé ; c’est même une notion plus vaste qui
pénètre toutes les parties de la grammaire. Ayres-Bennett, Carruthers &
Temple (2001) font de leur côté une distinction entre syntagme lexicalisé et
composé, qui ne correspond pas à celle faite par Togeby et al. (1985) entre
composé syntaxique et composé morphologique. Il en résulte que certains
critères avancés pour distinguer le syntagme lexicalisé du syntagme
syntaxique régulier s’appliquent aussi à la distinction entre composé et
syntagme syntaxique régulier. Notre interprétation des critères qui
distinguent le composé du syntagme lexicalisé et du syntagme syntaxique
régulier est présentée dans (4-9) sous forme d’une liste les regroupant selon
le domaine grammatical concerné. Il importe de signaler qu’aucun des
critères n’est ni suffisant ni nécessaire, ce qui montre la complexité de
délimitation.
4) Critères sémantiques56 :
a) Le composé/le syntagme lexicalisé désigne une notion stable et
spécifique (Jespersen 1924, Bloomfield 1933, Benveniste 1966,
Bastuji 1974).
b) Le composé/le syntagme lexicalisé peut avoir un sens non
compositionnel qui n’est pas la somme du sens des mots pris
individuellement (Jespersen 1924, Bastuji 1974, Togeby et al.
1985).
5) Critères sémantico-syntaxiques :
a) Les membres du composé/du syntagme lexicalisé manquant de
signes d’actualisation sont dotés d’une référence virtuelle, ce qui le
distingue du syntagme syntaxique régulier (Bally 1944 [1932]). Ce
critère sémantique est étroitement lié au critère syntaxique que
présente Benveniste (1966) pour la synapsie, à savoir que le membre
déterminant n’est jamais précédé d’article. Carlsson (1966) et
Eriksson (1993) montrent cependant que ce critère ne vaut pas pour
tout syntagme lexicalisé.
b) L’impossibilité de remplacer un des membres du composé/du
syntagme lexicalisé par un synonyme (Jespersen 1924, Bastuji 1974,
Togeby et al. 1985).
56
Dans la tradition grammaticale indienne, la relation sémantique ou logique entre les unités
des composés a été minutieusement étudiée, voir Holmboe (1991:148-149) et Benveniste
(1967:16-29) qui suivent cette tradition.
43
6) Critères syntaxiques :
a) Le composé/le syntagme lexicalisé peut dévier des règles
syntaxiques (Jespersen 1924, Bloomfield 1933, Bastuji 1974,
Togeby et al. 1985).
i) Le composé/le syntagme lexicalisé dévie du syntagme
syntaxique par l’ordre des mots (Jespersen 1924, Bloomfield
1933). Seul le composé dévie de la structure syntaxique, alors
que la structure du syntagme lexicalisé est régulière (Wagner
1968).
ii) L’ordre des mots du composé/du syntagme lexicalisé est fixe
(Togeby et al. 1985).
iii) L’impossibilité de modifier individuellement les éléments du
composé (Togeby et al. 1985). Or, selon Benveniste (1966),
Carlsson (1966), Bastuji (1974), le syntagme lexicalisé peut être
modifié intérieurement, et selon Ayres-Bennett, Carruthers &
Temple (2001) le composé aussi accepte la modification interne.
7) Critères morpho-syntaxiques :
a) Il existe des restrictions gouvernant la flexion des membres du
composé/du syntagme lexicalisé (Togeby et al. 1985).
8) Critères morphologiques :
a) Les composants du composé/du syntagme lexicalisé peuvent être
morphologiquement opaques (Jespersen 1924).
b) Le composé peut manifester une forme irrégulière ou des traits
spécifiques n’apparaissant pas dans des mots autonomes (Jespersen
1924, Bloomfield 1933).
9) Critères phonologiques :
a) L’accentuation distingue le composé/le syntagme lexicalisé du
syntagme syntaxique régulier (Bloomfield 1933:227, Chomsky &
Halle 1968:16-17). Pour ce qui est du français, l’accentuation ne
semble jouer aucun rôle important. Cependant, Villoing (2002:293)
énonce que la place de l’accent « […] semble porter sur le second
composant, ce qui confirme l’hypothèse que le composé [[VN]N/A]
n’est pas un construit syntaxique, puisque alors le verbe serait
accentué […] ».)
b) Des modifications phonétiques sandhi peuvent apparaître dans le
composé/le syntagme lexicalisé (Bloomfield 1933).
Constatons que les critères mentionnés ci-dessus sont très dispersés et
pénètrent toutes les parties de la grammaire. Or, nous voyons que le
composé [VN/A/Adv/P]N/A remplit tous les critères mentionnés sous (4-8), et
peut-être aussi ceux donnés sous (9). La formation [VN/A/Adv/P]N/A se
44
qualifie ainsi sans aucun doute pour se ranger parmi la classe hétérogène des
composés. Mentionnons que Rainer & Varela (1992) présentent et discutent
également des critères afin de définir et délimiter des composés espagnols.
Mellenius (1997:32-33) définit le composé suédois en recourant aux
quatre critères :
10) A compound is a word which contains two or more word roots that
elsewhere may function as independent words.
11) A Swedish compound is written as one word, with no hyphens or spaces
within the compound.
12) The rightmost base of a compound is its head, which means that the
whole word is an instance of the head, and that it is the rightmost base
that determines the word’s gender and that is declined for number,
definiteness and case.
13) Swedish compounds are pronounced with a particular intonation
contour, characterized by two peaks.
Remarquons qu’aucun des critères (11-13) ci-dessus ne s’applique d’une
manière générale aux composés français.57, 58 Quant au critère (10), il est
souvent donné comme définition formelle du mot composé. Or, Mellenius
(1997:19-20) mentionne deux problèmes touchant ce critère. D’une part, ni
le terme word root, utilisé pour désigner les éléments d’un composé, ni le
terme de mot, qui pourrait être utilisé pour les composants, ne sont
appropriés.59 D’autre part, les éléments qui entrent dans des composés ne
peuvent pas toujours s’employer comme des mots indépendants. Le composé
synthétique en est un exemple, et les morphèmes cranberry un autre (cf.
Bloomfield 1933:234-235).
Concluons en disant qu’il est difficile de donner du composé une
définition valable pour toutes les langues. Nous allons pourtant voir (cf. 3.3)
que Corbin (1992) réussit à définir et à délimiter d’une manière génialement
simple ce qu’est en français un composé. Observant la défaite de tous ces
critères, elle avance un critère qui effectivement résout la problématique de
57
Cependant, le critère sous (11) pourrait se comparer avec le critère formel qu’avance
Grevisse (1993:234, 237) pour le composé français, c.-à-d. que ses éléments sont soit
agglutinés (bonhomme) soit séparés par un trait d’union. Lorsque les composants sont séparés
par un blanc, il n’est pas question d’un composé, mais d’une locution. Ce critère n’est ni
nécessaire ni suffisant et la définition résultante se base ainsi purement sur la graphie et est, à
notre avis, simpliste.
58
Remarquons que le critère sous (12) pourrait s’appliquer à quelques unités françaises soit
d’origine germanique soit formées sur un modèle anglais, tels que chef-lieu ou haut-parleur.
Ces types ne sont cependant pas de vrais composés français.
59
Mellenius (1997:20) choisit d’utiliser le terme anglais de « base » pour désigner les
composants. Selon nous, thème (stem) ou lexème sera préférable (cf. 2.2.2 et 2.2.3).
45
la définition et de la délimitation : les unités qui ne peuvent être formées que
par des règles morphologiques de construction sont des constructions
morphologiques. Ce critère est celui qui servira de base à notre travail ; il
prévoit que le composé [VN]N/A, au moins, est manifestement une
construction morphologique.
3.2 Classification des composés
Giurescu (1975:21-22) mentionne cinq types de composition qui seraient
primordiaux dans les langues romanes selon un classement en catégories
grammaticales (les unités servant à exemplifier ces types sont les nôtres) :
14) nom-nom : bateau-mouche
15) nom-adjectif ou adjectif-nom : bec-fin/bonjour
16) adjectif-adjectif : aigre-doux
17) verbe-nom ou verbe-adverbe60 : compte-tours/passe-avant
18) verbe-verbe : pousse-pousse
Bisetto & Scalise (2005) proposent une nouvelle classification des
composés, qui, contrairement aux approches antérieures (cf. Bloomfield
1933, Haspelmath 2002 ou Booij 2005b), présente l’avantage d’être basée
sur un critère consistant et qui vise à une validité universelle.61 Ce critère
prend en charge la relation grammaticale, non pas ouvertement exprimée,
qui tient entre les deux constituants du composé. Cette relation peut, comme
dans la syntaxe, être de trois types, à savoir subordinatif, épithétique et
coordinatif.62 Le composé subordinatif implique une relation de complément
(p.ex. apron string ou cut throat), groupe auquel appartiendrait donc le
composé roman de type [VN]. Le composé épithétique englobe soit un
adjectif plus un nom : l’adjectif exprime une propriété, similaire à une
relation modifieur (p.ex. blue cheese), soit deux noms, dont la non-tête
exprime, souvent métaphoriquement, une épithète de la tête (p.ex. snail
mail).63 La non-tête peut aussi être un verbe (p.ex. play ground). Scalise &
Guevara (2006:196) classent le composé [VAdv] en italien comme
épithétique. Dans le composé coordinatif, la relation entre les constituants
60
Giurescu (1975:22) utilise le terme d’adverbe et donne comme exemple le composé italien
vogavanti.
61
Leur approche a été testée sur le français, parmi d’autres langues.
62
Mentionnons que Baroni et al. (2006) distinguent quatre classes des
composés : « coordinative, attributive, argumental and grounding ». Ils ont ainsi divisé en
deux le type subordinatif. Leur classification ne sera pas traitée dans cette étude.
63
La définition de tête qu’utilisent Bisetto & Scalise (2005) n’est pas émise explicitement,
mais elle devrait selon nous avoir un fondement sémantique et formel (cf. Scalise & Guevara
2006).
46
est logiquement une coordination par « et » (p.ex. bitter sweet).64 Les trois
classes peuvent toutes être endocentriques ou exocentriques.65 Cette
prédiction s’oppose selon Scalise & Guevara (2006:188) aux approches
traditionnelles de la composition, dans lesquelles les composés
exocentriques sont considérés comme une classe distincte, au même niveau
que par exemple des composés subordinatifs ou des composés coordinatifs.
Par ailleurs, le composé néoclassique66 (p.ex. hydrology), qui contient des
« semi-mots » selon Scalise (1986), appartiendrait à la classe des
subordinatifs. Le soi-disant « composé phrastique » (p.ex. [floor of a
birdcage] taste), serait classé comme épithétique. Bisetto & Scalise (2005)
remarquent que des divisions additionnelles en sous-types des trois classes
peuvent être faites par l’intermédiaire d’autres critères, tels que la relation
sémantique entre les constituants, leur origine, leur statut catégoriel et leur
relation interne. Scalise & Guevara (2006) discutent aussi cette classification
en élucidant certains points. Notons que Bisetto & Scalise (2005) sont très
généreux dans leur classification des composés, en particulier en ce qui
concerne le français, ce qui vaut aussi pour l’approche de Rainer & Varela
(1992) concernant l’espagnol.
3.3 Définition et délimitation des composés
en français
Essayons maintenant de cerner les unités qui constituent des composés selon
la position prise par notre étude. Pour ce qui est de la délimitation entre
composés et syntagmes lexicalisés en français, Corbin (1992) propose une
délimitation très nette. Elle (1992:51) avance que sont des composés seules
les séquences complexes qui ne peuvent pas être engendrées autrement que
par des mécanismes morphologiques, c’est-à-dire des règles
constructionnelles du lexème (cf. aussi la citation d’Amiot ci-dessous).
Ainsi, les séquences qui possèdent une structure syntaxique, par exemple
boit-sans-soif ou bas-bleu, appartiennent au module syntaxique. Corbin
(1992:36-41) pose que l’application des critères syntaxique, référentiel,
64
Le composé coordonatif est considéré comme ayant deux têtes selon Bisetto & Scalise
(2005), voir aussi Scalise & Guevara (2006:191).
65
Bisetto & Scalise (2005) admettent l’existence de cas limites : green-eyed semble contenir
une relation supplémentaire à celle, épithétique, qui tient entre green et eye, à savoir une
relation subordinative entre la tête réalisée -ed et eye. Il reste donc à determiner laquelle est la
primaire.
66
Selon Benveniste (1966:83-89), la composition néoclassique ou savante est abondante dans
le vocabulaire scientifique et comporte des termes latins ou grecs, certains d’entre eux étant
des hybrides, p.ex. télévision (formé par le radical grec têle ‛loin’ et le radical latin visio
‛action de voir’), d’après Le Petit Robert (1991). Surridge (1985:251) remarque que les
composés néoclassiques français s’identifient par leur tête à droite et par la voyelle de liaison
-o- ou -i- reliant les composants.
47
sémiotique ou déviationnel, donnés pour délimiter les composés des autres
constructions complexes, est vouée à l’échec, ce que nous avons aussi pu
constater dans la section 3.1. Si notre interprétation de Corbin (1992) est
correcte, ceci doit mener à l’exclusion des constructions du type [AN], [NA]
et [AA] (les types 15-16 de Giurescu dans 3.2).
Nous adoptons nous aussi la position théorique selon laquelle le composé
est défini comme étant formé de deux lexèmes. Il est lui-même un lexème
complexe. En ce qui concerne le français, Namer (2005:133) signale que le
composé est soit un nom soit un adjectif. Citons à ce propos également
Amiot :
Generally, compounds are supposed to display the following characteristics:
(1) they are formed by morphological rules, (2) these rules associate lexemes
and (3) the compounds always denote classes of entities. (2005:190)
Étant donné la notion de lexème et la délimitation faite par Corbin (1992),
quelques types, classés comme des composés par Bisetto & Scalise (2005),
sont exclus de la classe des vrais composés en français. Bisetto & Scalise
(2005) posent que la recherche morphologique favorise les composés
nominaux [NN] et [AN], au détriment d’autres types, tels que [AA] et [NA]
ainsi que les composés contenant par exemple des adverbes (p.ex. sottosopra
en italien), ou des prépositions (p.ex. sans papier).67 Or, selon la définition
du composé émise par Corbin (1992), et les travaux inter alia d’Amiot
(2004, 2005) qui montrent que les constructions comportant de tels
constituants sont soit des dérivations préfixées soit des formations
syntaxiques, ils sont exclus de la classe des vrais composés en français.68
Il résulte de ce qui précède que la construction [VN]N/A est
indiscutablement un composé en français. Villoing (2002:160-161) utilise
pour le composé la définition proposée par Corbin (1992:28) en la
reformulant comme suit : « [u]n mot composé est un lexème complexe,
construit par des règles de morphologie constructionnelle conjoignant des
lexèmes. » (Villoing 2002:161). Cette définition du composé est finalement
celle que nous adoptons, mais, nous proposerons qu’Adv et P doivent
constituer des classes de lexèmes et qu’il est question d’une seule règle de
construction morphologique, [VN/A/Adv/P]N/A. Pour ce qui est d’Adv, cette
idée a déjà été proposée par des morphologues français, alors que P est
67
Scalise (1992) (cf. Amiot 2005:185) propose une analyse qui distingue entre dérivations et
composés contenant des prépositions en recourant au critère d’endocentricité vs
d’exocentricité : les dérivations sont endocentriques et les composés exocentriques. Ainsi,
sottocommissione est une dérivation endocentrique préfixée en italien (ce dérivé dénote une
commissione, la tête est à droite), alors que sottotetto ‘grenier’ est un composé exocentrique,
formé par P sotto ‘sous’ plus N, tetto ‘toit’ (sottotetto ne désigne pas un type de tetto).
68
Voir Fradin (2003b:196, 199) pour une approche restrictive des composés NN en français,
ou Noailly (1990:65-93) qui traite de toutes constructions NN (subordinatif, épithétique ou
coordinatif) en français comme syntaxiques, c.-à-d. qu’elles ne sont pas des composés.
48
parfois considérée comme un préfixe dès qu’elle entre dans une dérivation
morphologique.
49
4 La construction [VN/A/Adv/P]N/A
La composition en français du type [VN/A/Adv/P]N/A est une manière propre
aux langues romanes de former des noms agentifs ou instrumentaux, comme
porte-parole ou vide-pomme. Précédé d’une préposition, ce composé se
trouve parfois dans des locutions adverbiales : d’arrache-pied, à brûlepourpoint, à dépêche-compagnon (Darmesteter 1967:234 [1875]). De prime
abord, signalons que les composés [VN/A/Adv/P]N/A en français représentent
trois structures différentes :
19) [VN] :
a) N est un argument interne de V : ouvre-boîte
b) N est un argument externe de V : gobe-mouton
20) [VN/A/Adv/P] : N/A/Adv/P est un adjoint sémantique de V : chauffedoux
Corbin (1997), selon Villoing (2001), estime que le type noté [VAdv] (c.-àd. celui de 20) mérite une étude plus détaillée, parce que l’argument formel
n’est pas suffisant : il n’est pas toujours conforme à une séquence syntaxique
(cf. 4.5). Pareillement, le composé [VN] qui comporte un argument externe
(cf. 19b) est selon Corbin plutôt une formation syntaxique qu’un composé
morphologique, alors que Fradin (2005) l’inclut parmi les composés (cf.
4.3.2). En ce qui concerne le type [VN/A/Adv/P], il est à noter que le second
constituant, qui restreint le V par l’intermédiaire des indications locatif,
temporel ou de manière, peut, ici aussi, être un N. Syntaxiquement, le N a
donc une fonction adverbiale. En suivant Aronoff (1992:13, n. 28) qui inclut
les adverbes dans la classe des lexèmes adjectifs69, nous avions d’abord
utilisé la notation [VN/A] pour ce type (cf. Rosenberg 2006), mais cette
notation ne couvre pas le cas où le second constituant est une P. Villoing
(2001, 2002) utilise la notation [VAdv] pour les constructions comportant V
plus A, Adv, N ou P. Selon elle (2002:153), s’appuyant sur Aliquot-Suengas
(1996), la présence de certains adjectifs qui se construisent sur une base
adverbiale, par exemple tardif ou lointain, autorise l’inclusion de l’adverbe
dans les catégories lexicales. Or, cette démarche n’est pas non plus très
réussie, étant donné la diversité des classes de lexèmes qui dans ce cas
devraient entrer sous l’étiquette du lexème Adverbe, même N, et notamment
69
Selon Dal (2007), les adverbes français en -ment doivent être classés comme des adjectifs.
51
P qui selon Villoing (2002) n’appartient pas aux classes de lexèmes. Lorsque
l’on suit au contraire la démarche de Villoing (2001) selon laquelle Adv
renvoie à une unité à valeur adverbiale, on se réfère à une fonction
syntaxique qui par définition est exclue de tout composé morphologique, et
la problématique théorique est loin d’être résolue (cf. aussi 4.5).
Comme nous estimons qu’il n’est aucunement question d’une formation
syntaxique, mais morphologique, et que la relation entre les composants est
de nature sémantique, le second constituant assume selon nous le rôle
sémantique d’adjoint de V. Une autre possibilité pour capturer cette idée
serait d’utiliser une notation comme [PAdj], où P est l’abréviation de
prédicat, et Adj celle d’adjoint. Or, il faudrait alors, afin d’être conséquent et
de garder tous les constituants sémantiquement au même niveau, aussi
remplacer la notation pour les types [VN] par [PArginterne/externe], où Arg est
l’abréviation d’argument. Cette notation nous semble cependant
difficilement accessible et prête à confusion. Voilà la raison pour laquelle il
vaut mieux utiliser, au cours de ce travail, la notation de [VN/A/Adv]PN/A,
qui, bien qu’un peu lourde, à notre avis, est la seule à ne pas être
théoriquement problématique dans un cadre morphologique qui se veut
autonome par rapport à la syntaxe. Cette notation implique cependant que P
doit être inclue parmi les classes de lexèmes, question qui n’est pas trop
controversée, selon nous. Entre autres Booij (2000, 2005b), qui s’inscrit dans
une approche mophologique scindée à base de lexème, accepte P comme une
classe de lexèmes. Étant donné que nous posons comme hypothèse que les
trois cas sous (19-20) peuvent tous être rangés sous une même construction
morphologique, [VN/A/Adv/P]N/A, nous utilisons le plus souvent cette
notation pour couvrir les trois cas. Au cas où des études antérieures ne
feraient référence qu’aux composés [VN] dont le second constituant est un
argument interne, de façon à rendre l’inclusion des deux autres cas
impossible, nous le ferons également.
Précisons que l’analyse que nous entreprenons dans ce chapitre prend en
considération la face de disponibilité de la notion de productivité (cf. 2.5), en
visant à une approche qualitative. Ainsi, les composés qui y entrent ne
proviennent pas uniquement du TLFi, mais aussi, par exemple, de
Darmesteter (1967 [1875]), de Villoing (2002), de Fradin (2005) et, dans
quelques rares cas, de l’Internet. En d’autres mots, nous avons tiré des
composés de toute source disponible. Signalons aussi que nous
n’expliquerons pas tous les sens de tous les composés dont il sera question
dans ces analyses ; il arrive souvent qu’un composé porte plusieurs sens
différents. Nous essayerons pourtant de présenter une image aussi complète
que possible de la structure sémantique à l’intérieur des composés, en
donnant des exemples représentatifs, sans trop entrer dans des cas
particuliers.
Ce chapitre sera divisé en six parties dont 4.1 aura pour objet de servir
d’introduction plus générale à la composition [VN/A/Adv/P]N/A. La section
52
4.2 présentera des hypothèses sur la structure morphologique ou syntaxique
de ces composés, et concernera en particulier le premier constituant verbal.
La section 4.3 traitera de la structure sémantique interne des composés et
rendra compte des études de Villoing (2002) et de Fradin (2005). Les
sections 4.4, 4.5 et 4.6, traitent de nos analyses des patrons sémantiques des
composés [VN]N/A (où le second constituant est un argument interne), des
composés [VN/A/Adv/P]N/A, et des composés [VN]N/A (où le second
constituant est un argument externe). La section 4.7 examinera les
restrictions qui pèsent sur les prédicats des composés. La conclusion de notre
analyse suivra dans 4.8.
4.1 Données introductives
4.1.1 L’appartenance catégorielle, le genre et le nombre du
composé [VN/A/Adv/P]N/A
La plupart des composés [VN/A/Adv/P]N/A sont des noms, mais apparaissent
parfois en position adjectivale. Selon Villoing (2001, 2002:11, n. 1), le
glissement du N à A est régulier, et dépend parfois du contexte syntaxique.
Dans ce travail, le statut catégoriel des composés [VN/A/Adv/P]N/A ne sera
pas considéré. Nous fondons cette décision sur le fait qu’il n’existe pas
d’arguments indépendants qui prévoient que des composés figurant en
position adjectivale soient des adjectifs, à l’exception de leur fonction de
modifieur. Ils résistent aux tests classiques utilisés pour reconnaître des
adjectifs, comme la position prédicative et le modifieur quantitatif (predicate
position, degree modifier, etc.) (cf. Siegel 1976, Wasow 1977). Il semble
donc plus logique de dire que certaines rares formations de ces composés ne
figurent qu’en position X dans une structure de type [SN Dét [N’ N X]], et
qu’il n’est pas nécessaire de supposer un changement d’appartenance
catégorielle.70 Villoing estime, comme nous le faisons aussi, que
« [l]'interprétation qualifiante liée aux [VN]adj met en jeu les mêmes classes
du type objet (instrument : un bateau porte-avion, humain : un garçon cassecou, …) auxquels s'ajoutent les lieux (une ruelle coupe-gorge) » (2001:3).
Mentionnons à ce propos que selon Darmesteter (1967:216-217 [1875]),
Ronsard, dans la Pléiade du 16e siècle, tend à utiliser ce composé surtout
comme épithète : la Mort mangetout (nous avons tiré cet exemple du TLFi).
Quant au genre, les composés [VN/A/Adv/P]N/A de l’espagnol, du
français, de l’italien et du roumain sont exclusivement masculins, ce qui,
70
Le TLFi liste porte-laine, en parlant d’un mouton, comme A, mais selon Villoing
(2002:362), ce composé est aussi classé comme N, désignant une plante, dans Grand
Larousse de la langue française (1971-1986).
53
selon Surridge (1985:267-270) et Barbaud (1992:208), s’explique par le fait
que le genre est directement déterminé par la structure du composé. Surridge
(1985:260) y voit une « tendance diachronique masculinisante » en français.
Signalons que le genre masculin correspond au genre neutre ou non marqué71
dans les langues romanes.72
Giurescu (1975:20) remarque que les études générales sur la linguistique
romane s’intéressent surtout au comportement morphologique des composés.
Plus particulièrement, elles traitent de la formation irrégulière du pluriel des
noms et des adjectifs composés en dressant des listes pleines d’exceptions.
Elle (1975:42) note aussi que les composés, dont la majorité appartient à la
catégorie nominale dans les langues romanes, sont souvent invariables en
français. Il importe ici de noter que la plupart des composés ignorent, dans le
code parlé du français, la réalisation du nombre, qui n’est pertinente que
pour le code écrit (Giurescu 1975:43, n. 49).
Selon Giorgi & Longobardi (1991:247-248), la constatation que la tête
des composés romans occupe la position initiale entre en conflit avec deux
tendances générales qui existent dans toutes les langues indo-européennes.
La première tendance implique que les traits flexionnels (genre, nombre)
d’un composé doivent être représentés sur son constituant tête. En revanche,
la deuxième tendance envisage que les traits flexionnels d’un mot soient
réalisés à sa position finale (cf. salades-santé mais armchairs).73 Or, Corbin
(1992:48) estime que le fait que le premier constituant dans timbres-poste est
un hyperonyme du composé peut, sémantiquement, expliquer la flexion
interne et qu’il serait par conséquent plus facile de rendre compte de la
relation entre lexique et flexion que de traiter syntaxiquement de timbreposte.
Anderson (1982) (cf. Scalise & Guevara 2005:27) définit la flexion
comme cette partie de la morphologie qui est pertinente pour la syntaxe en
71
Selon Waugh & Lafford (2000:272-273), la notion de « markedness » était d’abord
appliquée à la phonologie par le cercle de Prague pendant les années 1930, mais son
application s’est rapidement étendue à la morphologie. Plusieurs phénomènes
morphologiques ont tendance à se manifester comme des oppositions binaires, p.ex. singulierpluriel, masculin-féminin, actif-passif, présent-passé, etc. Typiquement, il existe une
asymétrie entre les deux pôles ; l’un est souvent plus spécialisé, plus précis, plus restreint et
plus complexe, i.e. marqué, que l’autre plus général, i.e. non marqué. À titre d’exemple, dans
les dictionnaires français, les adjectifs sont listés au masculin singulier, la forme non marquée.
Voir Waugh & Lafford (2000) pour une discussion de la complexité et de la problématique
que présente la notion de markedness.
72
Selon l’étude minutieuse de Darmesteter (1967:230-233 [1875]), qui a consulté nombre de
dictionnaires, tous les composés [VN]N dont le second constituant est un argument interne
sont masculins ou autrement dit neutres. Les rares exceptions, p.ex. garde-robe, s’expliquent
soit par le fait que leurs éléments sont soudés et que conséquemment, ils prennent le genre de
leur terminaison, soit parce que ce sont des adjectifs qui s’accordent avec les noms auxquels
ils se rapportent, p.ex. (la fauvette) croque-abeille.
73
D’après Selkirk (1982:77), il est universellement attesté que les flexions ne font pas
changer l’appartenance catégorielle du mot auquel elles s’attachent, ce qui supporte l’opinion
que les flexions ne sont pas des têtes.
54
réalisant les traits morpho-syntaxiques d’un mot selon son contexte
syntaxique. Anderson, qui adhère à une version faible du lexicalisme, pose
que les règles de la morphologie flexionnelle s’appliquent après la syntaxe et
se mélangent aux règles phonologiques. Les approches morphologiques à
base de réalisation (cf. Anderson 1992, Stump 2001) continuent, selon
Scalise & Guevara (2005:27, n. 30), la dissociation entre règles
flexionnelles,
regardant
les
mots
flexionnels,
et
règles
dérivationnelles/constructionnelles regardant les lexèmes (cf. 2.1.1). Selon
Scalise & Guevara (2005:27-28), les linguistes qui adhèrent au lexicalisme
strict estiment que la flexion et la dérivation sont une même opération,
l’affixation : la distinction entre les deux est expliquée en termes d’ordering
(p. ex. Kiparsky 1982, 1983). Une conséquence de cette dernière approche
est, selon Scalise & Guevara (ibid.), que le lexique, outre des règles de
formations des mots, doit aussi comprendre des règles phonologiques. Les
règles flexionnelles sont assignées à un niveau ultérieur aux règles de
composition et de dérivation, ce qui explique pourquoi la flexion
normalement apparaît à l’extérieur de la dérivation. Afin d’échapper à la
problématique qu’implique la flexion pour ces deux approches, Booij (1996,
2002:19-20), (cf. Scalise & Guevara 2005:28) propose un modèle alternatif
qui comprend deux types de flexion : la flexion inhérente, qui ajoute des
propriétés morpho-syntaxiques d’une valeur sémantique indépendante au
thème du lexème, et la flexion contextuelle, contrainte par le contexte
syntaxique, mais qui n’ajoute pas d’information. La flexion inhérente permet
d’expliquer pourquoi le N des composés [VN/A/Adv/P]N/A manifeste parfois
une forme plurielle (cf. 22b), qui n’est donc pas dictée par la syntaxe mais
par la morphologie, même si le composé est au singulier (cf. aussi Villoing
2002:149-150).
Dans notre étude, la flexion, c.-à-d. le nombre, est supposée être insérée
après la composition. Ceci ne veut pas dire que nous acceptons le modèle à
plusieurs niveaux de Kiparsky (1982, 1983) ou The Level-Ordering Model
de Scalise (1986) qui s’est avéré problématique (voir p. ex. Booij 1987). Au
contraire, nous suivrons l’approche à base de réalisation, et plus
particulièrement The Head-Marking Strategy (cf. Stump 1995, 2001).74
Suivant le modèle élaboré par Stump (2001), il y trois patrons de
flexion : marquage de tête, marquage externe et marquage double (voir
Stump 2001:96-137 pour plus de détails). Les trois patrons sont valables
pour les composés français : le marquage double semble cependant en règle
générale être le patron par défaut (voir Rosenberg 2007). En ce qui concerne
les composés [VN/A/Adv/P]N/A, le pluriel correspond soit à un marquage
externe :
74
Stump définit la relation de tête comme suit : « b[ase] is the head of a morphological
expression d[erivative or compound] if and only if d arises from b through the application of
a category-preserving rule. » (2001:100)
55
21) [VinvNsg]pl : un garde-fou/des garde-fous
soit à un pluriel qui n’est pas ouvertement réalisé :
22) [VinvNsg/pl]ø :
a) un porte-parole/des porte-parole
b) un compte-tours/des compte-tours
Dans (22b), le second nom est au pluriel, même si le composé est au
singulier. Ni le genre ni le nombre du second constituant nominal ne sont
donc reflétés dans le composé entier.
Nous pouvons ainsi constater que, au cas où ces composés manifestent
une marque plurielle, celle-ci est externe.75 Selon une approche qui accepte
la notion de tête morphologique, les composés [VN/A/Adv/P]N/A,
exocentriques, pourraient être considérés comme suivant la deuxième
tendance remarquée par Giorgi & Longobardi (1991) en manifestant un
pluriel final. Par ailleurs, Rainer & Varela (1992:130) mentionnent que dans
des composés [VN] espagnols, le pluriel interne du second constituant (cf.
22b) semble s’étendre même aux cas où sa présence donnera un résultat
sémantiquement déviant, par exemple quitapelos ‘coiffeur’ (un exemple
français serait crève-cœurs), ainsi ce -s final peut finir par devenir un
élément d’enchaînement vide.
Dans quelques rares cas, on donne aux composés deux formes plurielles,
dont l’une met le constituant verbal au pluriel :
23) un appuie-/appui-tête ; des appuie-/appuis-tête
24) un (une) garde-barrière ; des garde-/gardes-barrière(s)76
Les exemples (21-24) montrent donc toute la complexité que présente le
marquage du genre et du nombre dans les composés [VN/A/Adv/P]N/A.77 Le
fait que le -s pluriel soit réalisé sur l’élément verbal peut signaler soit que le
premier constituant est à considérer comme un nom déverbal (cf. 23), soit
que le composé désigne un agent humain, (cf. 24). Surridge (1985:256-257)
remarque aussi que, lorsque le composé [VN]N désigne un être humain, son
75
Selon Selkirk (1983:55-56), la flexion plurielle anglaise permet deux analyses : elle est
marquée soit sur le composé entier, soit sur l’élément tête à droite. Ces deux analyses ne sont
pas possibles pour les composés français.
76
Remarquons que l’élément verbal prend une marque du pluriel à la manière d’un nom
déverbal, et non pas à la manière d’un verbe : *gardent-barrières, *gardez-barrières.
77
Pour simplifier la formation plurielle de ces composés français, une commission des
linguistes et des lexicographes a élaboré une règle fondée sur l’usage classique, observé
jusqu’à la fin du 18e siècle. Conformément à cette règle, le pluriel s’attache au second
constituant du composé « quand et seulement quand le composé lui-même est au pluriel » : un
couvre-lit, des couvre-lits (Grevisse 1993:811).
56
genre peut varier selon le sexe de l’être visé.78 Quant aux deux orthographes
appui-/appuie-, Villoing (2002:275-276) montre qu’il est, sans aucun doute,
question d’un élément verbal ici ; elle pose que « cette variation
orthographique relève d’un leurre » (2002:276). En nous appuyant sur
Darmesteter (1967:222 [1875]), qui fait allusion à l’importance d’un système
adéquat, en disant qu’il n’y a aucune raison de considérer garde- comme
tantôt un verbe tantôt un nom, et sur l’analyse conduite par Villoing
(2002:267-270) (cf. 4.1.2), nous rangerons les unités en garde- parmi les
composés [VN/A/Adv/P]N/A.
4.1.2 Composés ambigus dans lesquels le statut du premier
élément prête à discussion
Nous nous appuyons sur l’analyse de Villoing (2002) dans le but d’exclure
les unités qui ne sont pas des composés [VN/A/Adv/P]N/A. Les cas ambigus,
par exemple aide-chimiste, appui-tête, garde-barrière (cf. 4.1.1) ou soutiengorge, dans lesquels le premier élément peut correspondre soit à un thème
verbal (le composé est de forme [VN]N/A) soit à un nom (le composé est de
forme [NN]N) sont soumis à un examen soigneux par Villoing (2002:253273). Celle-ci (2002:258-260) estime qu’il n’y a que trois composés en aidequi sont du type [VN]N/A : aide-mémoire, aide-ouïe, aide-nourrice. Ceux-ci
possèdent toutes les propriétés sémantiques des composés [VN]N/A et, de
plus, ils désignent des instruments. Dans les autres composés [aide-N]N, par
exemple aide-bibliothécaire ou aide-électricien, aide- ne se comporte pas
comme un prédicat (Villoing 2002:260-261). Cet aide- doit plutôt
s’interpréter comme un préfixe, estime Villoing (2002:261)79 en avançant
aussi que ces composés [aide-N]N ne désignent que des humains, plus
précisément des noms de métier, et que le nom interne du composé dénote
également un nom de métier.80 Il y a trois raisons à l’interprétation
préfixale : le nom interne du composé occupant la deuxième position est
hyperonyme du composé ; ces noms composés portent le genre du deuxième
nom ; l’élément aide- est dépourvu de sens référentiel (Villoing 2002:262265) (cf. Lesselingue & Villoing 2002 élaborant cette argumentation).
Villoing (2002:266) en tire la conclusion suivante : « [c]es résultats
conduisent ainsi à enregistrer dans le lexique trois unités homonymes
aide : (i) le lexème verbal aid(er), (ii) le lexème nominal aide et (iii) le
préfixe aide ». Villoing admet néanmoins que dans certains composés [aide78
Cette observation est aussi signalée par Almeida (1999:125) à propos du composé portugais
brésilien désignant un être humain.
79
Nous remarquons que cette distinction entre l’élément verbal aide- et le préfixe aide- est
déjà présente dans le TLFi (le TLF est un des ouvrages servant de base pour le corpus de
Villoing 2002).
80
Cet emploi préfixal de aide- dans le sens d’assistant a une correspondance
suédoise : hjälplärare ‘aide-professeur’.
57
N]N, aide- semble osciller entre le sens transmis par le prédicat (aide-sagefemme) et le sens transmis par le préfixe (aide-animateur). Mais, ceci se
laisse expliquer si l’on dit que « le statut préfixal d’aide est en cours de
grammaticalisation » (Villoing 2002:267).
D’après Villoing (2002:270-273), les composés du type [pince-N]N se
rangent aussi parmi les cas ambigus et peuvent se diviser en deux
types : [VN]N (p.ex. pince-cul et pince-jupe) et [NN]N (p.ex. pince-crocodile
et pince-monseigneur). Le premier type partage les propriétés sémantiques
qui caractérisent les composés [VN]N/A. Le composé pince-notes, qui désigne
une pince et, par conséquent, devrait se rallier au deuxième type [NN]N, est
néanmoins classé par Villoing (2002:271) comme membre du premier type
[VN]N, car la relation entre les deux composants est de nature sémantique
entre prédicat et participant (2002:271, n. 25), et ce composé désigne un
instrument. Le deuxième type [NN]N dénomme, lui aussi, des instruments,
mais ne possède pas les propriétés sémantiques qualifiant les composés
[VN]N/A. Il a par exemple le genre féminin transmis par son élément tête
pince- ; de plus, un composé tel que pince-crocodile est un hyponyme du
nom pince (Villoing 2002:272). Par le même type de raisonnement, Villoing
(2002:273-274) exclut guide-interprète des composés [VN]N/A, tels que
guide-âme et guide-main, mais inclut, parmi ces derniers, les deux composés
soutien-gorge et soutien-pieds, dont le premier élément est
traditionnellement classé comme un nom déverbal (soit invariable soit au
pluriel (soutiens-gorge) selon le TLFi). Soutien-, qui a la même forme que le
nom déverbal soutien, correspond cependant aussi à la forme du thème
verbal, et ces deux composés remplissent par ailleurs les propriétés
sémantiques des composés [VN]N/A (Villoing 2002:274-275). De plus, nous
partageons l’avis de Villoing selon lequel les unités sous forme syntaxique
régulière de [VDétN]N, par exemple crève-la-faim ou trompe-l’œil, sont
« construites syntaxiquement puis lexicalisées » (2002:387), ce qui revient à
dire qu’il ne s’agit pas de composés morphologiques.
4.1.3 Les verbes qui entrent dans les composés [VN/A/Adv/P]N/A
Selon Darmesteter (1967:170 [1875]), les quatorze quinzièmes des verbes
des composés [VN/A/Adv/P]N/A en français appartiennent à la première
conjugaison (-er).81 Picone (1996:270) soutient aussi que les verbes
appartiennent à la première conjugaison, à quelques rares exceptions près,
comme boire, couvrir, cuire, faire, ouvrir, tordre et valoir.82 Porte- est
81
Les verbes des composés italiens du même type appartiennent aux trois conjugaisons : -are,
-ere et -ire (Serianni & Castelvecchi 1988:558, Vogel & Napoli 1995:367-368), alors que les
verbes des composés portugais brésiliens n’appartiennent normalement qu’à la première
conjugaison (Almeida 1999:121).
82
Pourtant, Picone (1996:271) considère soutien-gorge et maintien-douceur comme des
nominalisations, parce que les verbes n’appartiennent pas à la première conjugaison.
58
l’élément verbal le plus fréquemment utilisé dans cette composition (Picone
1996:275). Villoing (2002:293) confirme n’avoir trouvé qu’une seule
attestation d’un verbe appartenant à la deuxième conjugaison : guérit-tout.83
Puisque les verbes du deuxième groupe remplissent les conditions
sémantiques exigées pour la construction [VN]N/A, elle (2002:293) propose
que la raison pour laquelle ces verbes figurent aussi rarement dans ce
composé pourrait être phonologique. Quelques verbes font partie du
troisième groupe : abattre (abat-jour), battre (bat-flanc), cueillir (cueillefruits), perdre (perd-fluide), prendre (prend-tout), rabattre (rabat-joie) et
soutenir (soutien-pieds) (2002:175). Nous signalons à propos de ce qui vient
d’être dit que la plupart des verbes français appartiennent à la première
conjugaison.
Selon Ulland (1993:28), les verbes qui figurent dans ce type de composés
sont exclusivement transitifs. Cette opinion est soutenue aussi par Villoing
(2002:288 et passim), bien que, dans sa terminologie, il soit question d’un
prédicat devant comprendre obligatoirement, au moins, deux participants,
dont l’un porte impérativement le rôle sémantique d’Agent et l’autre celui de
Patient. Selon Guevara & Scalise (2004:16) également, le composé [VN]
italien doit englober des verbes qui sélectionnent deux arguments. Ils
(2004:8) remarquent que le N qui est l’argument interne du V porte le rôle
de Thème (p.ex. apriscatole ‘ouvre-boîte’ ou portalettere ‘facteur’) ou
occasionnellement, Patient (p.ex. spremiagrumi, ‘presse-citron’). Rainer &
Varela (1992:129) remarquent aussi que le composé [VN] espagnol contient
des verbes à deux arguments.
Cependant selon Fradin (2005), la composition [VN]N en français peut
contenir des verbes à un argument. Nous espérons aussi pouvoir montrer
dans nos analyses qu’il est possible de poser une unique règle de
construction morphologique, [VN/A/Adv/P]N/A, dans laquelle le prédicat ne
prend pas nécessairement deux arguments, et se combine même dans
certains cas avec un adjoint.
4.2 Hypothèses proposées pour la construction
[VN/A/Adv/P]N/A
4.2.1 La nature de l’élément verbal
Quant à la nature de l’élément verbal, on se trouve donc devant trois
hypothèses : il est question d’un impératif à la deuxième personne, d’un
83
Villoing (2002:174, n. 2) suit « la répartition fixée par l’arrêté du 25 juillet 1910 que
rappelle Plénat (1981:267) : ‘[…] : le type aimer (présent en -e), le type finir (présent en -is,
participe en -issant), et le troisième groupe, qui comprend tous les autres verbes.’ ».
59
indicatif présent à la troisième personne ou d’un thème verbal (cf.
Darmesteter 1967:169 [1875], Giurescu 1975:69-70, Serianni &
Castelvecchi 1988:558) :
25) Impératif à la deuxième personne du singulier.
26) Indicatif à la troisième personne du singulier.
27) Thème verbal qui a la même forme que
a) l’impératif.
b) l’indicatif.
Diez (1836-1844) (cf. Villoing 2002:18) opte pour la première hypothèse,
ainsi que Darmesteter (1967:168-234 [1875]), qui s’appuie sur des faits
étymologiques et diachroniques. Il est question d’une composition
phrastique qui se produit par le procédé d’ellipse : fainéant est formé à partir
de la phrase Va, ne fais rien ! (Darmesteter 1967:202 [1875]). Concernant
l’élément verbal du composé espagnol, Darmesteter (1967:177 [1875])
observe que, dans cette langue, l’indicatif et l’impératif se distinguent
rarement l’un de l’autre, et pour l’élément verbal du composé italien,
Darmesteter (1967:178 [1875]) pense qu’il est manifestement question de
l’impératif.84 En adoptant le raisonnement de Darmesteter, Nyrop (1908:273)
considère que l’élément verbal est primitivement un impératif, bien qu’il
admette que le sens de l’impératif s’est presque effacé dans le français
moderne. Lloyd (1966:157) avance également : « […] the nature of the verb
form, which the weight of evidence indicates must have been originally an
imperative. » Nous observons que le TLFi se réfère le plus souvent à
Darmesteter (1967 [1875]) en disant que le verbe de ces composés est à
l’impératif.
En revanche, Meunier (1872, 1875) (cf. Villoing 2002:18) affirme qu’il
s’agit d’une forme verbale à l’indicatif présent85 : porte-plume se base sur la
proposition qui porte la plume.
Boucherie (1876) (cf. Villoing 2002:18) soutient que l’élément verbal
correspond à un thème86, et Meillet (1903:150) (cf. Villoing 2002:28) pose
que l’impératif singulier est constitué par le thème seul. Bally est d’avis que
« l’élément verbal n’a plus la valeur ni d’un impératif ni d’un indicatif, mais
est un pur radical » (1944:95 [1932]). Remarquons que Meillet (1903)
diffère de Marouzeau (1952). Pour Meillet, le thème porte la même forme
84
De même, Bourciez (1967:427 [1910]) juge que l’élément verbal est un impératif en
espagnol et en portugais.
85
Selon Falk, Sjölin & Lerate (1985:220 [1984]) et Núñez-Cedeño (1992:136), le composé
espagnol du type [VN]N comporte un verbe à l’indicatif. Almeida (1999:121) affirme la même
chose pour le composé du portugais brésilien, mais elle (1999:128) mentionne que l’élément
verbal disque-, un impératif, figure dans certains composés formés sous l’influence de
l’anglo-américain, p.ex. disque droga.
86
L’hypothèse de l’indicatif n’est pas valable pour l’italien (Boucherie 1876:269), et celle de
l’impératif ne l’est pas pour le roumain (Boucherie 1876:271) (cf. Villoing 2002:47).
60
que l’impératif, alors que Marouzeau (1952:81-86) critique cette opinion et
opte pour l’idée que l’élément en question est identique au thème verbal :
Tout se passe comme si nous étions en présence d’un élément verbal
extérieur au paradigme, étranger aux notions de personne, de temps, de mode,
ayant pour base la forme la plus réduite du verbe, celle de la 3e personne de
l’indicatif. C’est la définition même du thème. (Marouzeau 1952:86)
Bauer (1980), prenant une position intermédiaire, pose que, du point de vue
diachronique, ce composé est formé d’un impératif, mais synchroniquement,
l’hypothèse qui prévoit un thème verbal est la plus plausible. Togeby et al.
(1985:54, 62) arrivent aussi à la conclusion que l’élément verbal ne peut être
une forme flexionnelle, mais qu’il est identique au thème verbal. Vogel &
Napoli (1995:367-381) étudient le composant verbal qui entre dans la
composition [VN]N/A en italien. Elles observent qu’il existe certains
composés italiens dans lesquels l’élément verbal n’est pas analogue à la
forme de l’indicatif. Il est cependant toujours identique à l’impératif
singulier, positif et informel. Puisque l’impératif n’est pas motivé par
l’interprétation sémantique, l’élément verbal correspond, selon elles, au
thème verbal. Cet avis est aussi émis par Scalise (1992) (cf. Villoing
2002:200, n. 27) tirant argument du fait que ce thème se trouve aussi dans
des dérivés : spremilimoni ‘presse-citrons’ et spremitore ‘pressoir’.
Selon l’analyse conduite par Villoing (2002:174-178), l’élément verbal
français n’est pas toujours homographe de l’impératif ou de l’indicatif. Dans
les cas où il y a homographie, Villoing (2002:178-182) estime que les
formes de l’impératif et de l’indicatif sont non marquées et équivalent à des
formes verbales nues, c’est-à-dire à un thème verbal. Tout d’abord, Villoing
(2002:182-199) montre que la forme du thème verbal du composé
correspond au thème de l’indicatif présent. Elle pose la généralisation
suivante pour la représentation de la forme verbale : « [l]a composition
[VN]N/A du français sélectionne la forme du verbe qui correspond au thème
de l’indicatif présent de ce verbe, tel qu’il se manifeste au singulier »
(2002:183), ce qui est la même hypothèse que celle émise par Marouzeau
(1952). Villoing (2002:186-199) montre ensuite que le -e final (cf. essuie-,
porte) et la consonne graphique finale et muette (abat-, cf. abattoir, tord, cf.
tordeur), qui s’attache à l’élément verbal, font partie du thème verbal. Elle
propose que le processus d’analogie serait apte à expliquer la consonne
graphique
apparaissant
dans
quelques
rares
verbes
(boittout/boitout) : analogie donc avec la forme verbale figurant dans une phrase
interprétative.87 De plus, l’absence de trait d’union dans par exemple vaurien
confirme l’hypothèse selon laquelle l’élément verbal est un thème et non pas
87
Le dérivé preneur constituant une exception à cette hypothèse s’explique en ce que le -d de
prend-, apparaissant dans certains contextes, n’est pas une marque de flexion, et fait donc
partie de la représentation phonologique du thème (Villoing 2002:194-195).
61
un mot syntaxique (Villoing 2002:197-198). En somme, Villoing (2002:172201) juge que c’est le thème verbal (radical + voyelle thématique), c’est-àdire une forme du lexème verbe, qui entre en jeu dans le composé [VN]N/A
en français. Par conséquent, elle (2002:201) conclut que les composés
[VN]N/A sont des formations de la morphologie constructionnelle (cf. aussi
32).
L’explication de Villoing (2002) qui voit dans le premier constituant un
thème verbal est celle à laquelle nous adhérons dans cette étude. Le composé
[VN/A/Adv/P]N/A est par conséquent issu d’une formation morphologique.
Par contre, selon les positions qui y voient un impératif ou un indicatif, le
composé équivaut à une composition syntaxique qui se produit par un
procédé elliptique.
4.2.2 Explications plus élaborées de la structure des composés
[VN]N/A
Dans des études linguistiques plus récentes, nous trouvons des élaborations
des hypothèses de l’indicatif et du thème (cf. Rainer & Varela 1992:127-130
qui traitent d'analyses similaires des composés [VN] en espagnol) :
Indicatif :
28) Lieber (1992) suppose qu’un suffixe nominal agentif vide s’attache
d’une manière extérieure au SV. Le composé à sa tête à
droite : [[V+N]SV+ø]N.
29) Contreras (1985), suivi de Núñez Cedeño (1992), propose que le
composé [VN] soit précédé d’un SN sujet vide, qui fait que le composé a
sa tête à gauche, et qui détermine sa forme et son genre.
30) Dans le cadre théorique de Di Sciullo & Williams (1987), suivi de
Zwanenburg (1992), la construction [VN] est un syntagme syntaxique,
réanalysé comme un mot : SV → N.
Thème :
31) Rohrer (1977), Coseriu (1977), Clements (1992), Bisetto (1994),
Almeida (1999) et Kampers-Manhe (2000) supposent tous qu’un suffixe
nominal agentif vide s’attache à l’élément verbal. Le composé a sa tête à
gauche : [[V+ø]N+N]N.
32) Selon Villoing (2002), le thème est une forme du lexème verbe, de façon
que le composé [VN]N/A (selon nous [VN/A/Adv/P]N/A) « est un lexème
complexe, construit par des règles de morphologie constructionnelle
conjoignant des lexèmes. » (Villoing 2002:161).
62
En postulant l’existence de quelque chose qui n’existe pas, les analyses de
(28, 29 et 31) sont problématiques.88 L’analyse de (28) donne lieu à des
composés français à tête à droite, phénomène rare. L’analyse de (29)
engendre des composés [VN] en position adjectivale, qui n’est pas leur
position normale. De plus, les approches syntaxiques de (28-30) ne
réussissent pas à expliquer l’irrégularité du syntagme syntaxique supposé,
c’est-à-dire pourquoi il n’y a pas de déterminant avant le nom à l’intérieur du
SV. Ces approches expliquent la structure interne des composés [VN]
comme une relation entre verbe et objet direct ou argument interne. Par
conséquent, les composés [VN] dont la relation interne tient entre verbe et
sujet ou argument externe (cf. 19b) n’arrivent pas à être expliqués par ces
analyses. Par contre, le composé [VN/A/Adv/P], où le second constituant est
un adjoint sémantique, peut facilement y être incorporé. L’analyse
morphologique de (31) ne réussit pas à expliquer pourquoi la tête à gauche
ne prend pas de marque plurielle, et pourquoi, en général, il n’existe pas de
telles nominalisations en français : *un allume. Bauer (1980:221) (cf. Ulland
1993:31) estime qu’il faut éviter le paradoxe de « créer pour aussitôt
limiter ». Rohrer (1977:129) recourt à une base transformationnelle afin de
soutenir sa position : « Monsieur Untel garde le magasin → Monsieur Untel
est le gardien du magasin → Monsieur Untel est garde-magasin ».89 Ulland
(1993:22) avance de même qu’un nom instrumental du type [VN] est formé
à partir de la structure sous-jacente « N0 V N1 avec N2 → N2 V N1 », qui
peut être illustrée par X ouvre les boîtes avec un ouvre-boîtes → Un ouvreboîtes ouvre les boîtes. Ulland (1993:31) juge que ces composés sont formés
par un infixe zéro. Puisque *ouvre n’existe pas comme nom d’agent
autonome, Ulland (1993:31) considère l’hypothèse de l’infixe comme plus
logique que l’hypothèse du suffixe qu’avance entre autres Rohrer (1977). De
plus, ce type est selon Ulland (1993:32) issu d’une dérivation phrastique : il
est à la fois composé et dérivé.90 Cependant, Ulland ne décrit ni n’explique
théoriquement la nature de cet infixe et non plus comment cet infixe serait
placé. À notre avis, ces bases transformationnelles font de ces approches des
hybrides entre syntaxe et morphologie. Remarquons aussi que ces types de
88
L’idée de l’existence d’éléments vides en morphologie a fait l’objet de massives critiques
(cf. Pullum & Zwicky 1991, Anderson 1992, et aussi 2.2.1).
89
M. Gross (1986:64) étudie aussi les nominalisations comme étant des relations
transformationnelles entre phrases. À une expression figée correspond ainsi souvent une
nominalisation, et dans cette relation figurent des verbes de support, le plus souvent
être : « Max casse les pieds ‘à tout le monde’ → Max est un casse-pieds » (M. Gross
1986:77). Cependant, les nominalisations manquent parfois de contrepartie verbale figée. Il
arrive aussi que deux formes jointes formellement deviennent autonomes : « Max a cassé sa
pipe » et « Max va au casse-pipe », où seule la nominalisation a une dénotation relative à la
guerre (M. Gross 1986:80).
90
Ulland utilise donc pour ce composé français le terme de « composé dérivé ». Notons que
Söderbergh (1971:64-65 [1968]) et Thorell (1981:83) utilisent ce même terme en suédois
« avledd sammansättning » pour le type suédois comportant un objet/adverbe prépositionnel
et un verbe plus le suffixe -are : nagelklippare (litt. ‘ongle+coupe+are’, ‘coupe-ongles’).
63
transformations réussissent peut-être à expliquer la structure syntaxique des
composés au sens d’Instrument ou d’Agent, alors qu’elles ne sont pas
applicables aux composés exprimant une Action, comme cache-tampon ‛jeu
d'enfants dans lequel on cache un mouchoir roulé en boule’, ni aux composés
à sens Locatif, comme coupe-gorge ‛lieu dangereux, mal fréquenté, où l'on
risque de se faire assassiner ou voler’, ni aux composés à sens opaque,
comme boit-tout ‛verre dont le pied est cassé et qu'on ne peut poser sans
l'avoir vidé’. Ces transformations ne sont pas non plus applicables aux
composés [VN] dont le second constituant correspond à un argument
externe.
En conclusion, l’approche de (32) est la seule qui soit purement
morphologique et qui ne présente pas de problèmes théoriques. C’est celle
que nous adoptons dans cette étude, mais en l’élargissant afin de comprendre
les composés [VN/A/Adv/P]N/A, qui donc sont des constructions
morphologiques se constituant de deux lexèmes, dont le premier est un
lexème verbe en forme de thème, qui, à son tour, se compose d’un radical
plus une voyelle thématique. En plus, signalons une étude faite par Semenza
et al. (1997:33-43), qui examine la production de composés [VN]N italiens
par des aphasiques, et qui fournit des évidences supplémentaires à notre
position. Les aphasiques de Broca, caractérisés par leur problème pour
émettre des mots d’action, tendent à omettre le premier élément de ces
composés. Leur étude semble indiquer que le premier élément est à
considérer comme possédant des propriétés propres au verbe plutôt qu’au
nom. L’étude de Semenza et al. (1997) semble aussi indiquer que les
composés [VN] ne sont pas stoqués dans le lexique, mais qu’ils sont formés
par une règle productive dès que l’on a besoin de les utiliser. En effet, une
contrainte concernant la productivité implique que les composés issus d’une
règle productive ne devront pas tous entrer dans le lexique.
4.3 La structure sémantique interne des composés
[VN/A/Adv/P]N/A
4.3.1 L’étude de Villoing (2002)
Nous présenterons ici un résumé de l’analyse sémantique des composés
[VN]N/A conduite par Villoing (2002) en mettant au point quelques-unes des
questions qui selon nous prêtent à discussion. Villoing (2002:202) estime
fautif le jugement selon lequel la relation entre le lexème verbe et le nom à
l’intérieur du compose [VN]N/A est une relation syntaxique entre verbe et
objet direct. Cette relation ne serait pas capable de prédire les constructions
possibles et impossibles de ces composés, c’est-à-dire le fait que tout verbe
64
transitif ne peut former avec son complément d’objet un composé (Villoing
2002:203-204). Les notions de structure argumentale, d’argument interne et
externe y incluses, n’échapperaient pas non plus à cette problématique, selon
Villoing (2002:205, n. 2). Nous n’acceptons pas entièrement cette
problématique des constructions possibles et impossibles, car, de fait, le
nombre d’unités lexicales d’une langue n’est pas sans limites, et les unités ne
sont formées que s’il y en a besoin. Roussarie & Villoing (2003)
mentionnent aussi que des facteurs économiques et pragmatiques peuvent
servir à restreindre les formations possibles et impossibles.
Le verbe et ses propriétés sémantiques et syntaxiques ont fait l’objet de
nombreuses études, une question qui touche à l’interface entre sémantique et
syntaxe. Les premières études, telles que celles de Gruber (1976 [1965]) et
de Fillmore (1968), traitaient de la relation entre le sémantisme des
compléments et leur réalisation syntaxique sous forme d’information
sémantique inscrite dans chaque entrée lexicale des verbes, spécifiant entre
autres les rôles thématiques. La notion de rôle thématique est cependant,
selon Villoing (2002:207-208), critiquée par Jackendoff (1987), Rappaport
et Levin (1988), Dowty (1991), Weschler (1995) et Davis (2001). D’après
Villoing (ibid.), il est difficile de définir les rôles thématiques de manière
systématique et consistante.91
Villoing tente d’analyser le rapport entre verbe et nom dans le composé
comme un rapport purement sémantique entre prédicat et participant
sémantique et « de caractériser et de définir cette relation en termes
sémantiques » (2002:205).92 À cette fin, Villoing (2002:205-235) utilise la
théorie de Dowty (1991) qui propose des Proto-Rôles thématiques. Ces rôles
sont des concept-clusters à la manière des prototypes de Rosch (cf. Rosch &
Mervis 1975) et ils se caractérisent par un assemblage d’implications
lexicales provenant du sens du prédicat en lui-même (Villoing 2002:209).
Pour la description de la sélection argumentale, les deux rôles types de
Proto-Agent et de Proto-Patient sont suffisants. Dowty (1991:572-573),
d’après Villoing (2002:211), propose cinq implications, qui doivent se
comprendre comme des propriétés des unités lexicales, afin d’identifier le
Proto-Patient. Nous ne rendons que les deux critères que Villoing juge
importants pour la composition [VN]N/A93 :
91
Fillmore (1977) montre qu’il existe des verbes dont les arguments ne portent pas qu’un rôle
thématique, p.ex. la paire acheter/vendre (Villoing 2002:207).
92
« Par ailleurs, on peut voir dans le recours à la syntaxe, une déficience des modèles
génératifs à représenter le sens qu’entretient un prédicat avec ses participants sémantiques
autrement qu’en termes de relation syntaxique verbe/complément » (Villoing 2002:284).
93
Les trois autres sont : (iii) « thème incrémental » (c.-à-d. que l’évolution de l’état de
changement du référent du SN est homomorphique du déroulement de l’événement) ; (iv)
« est stationnaire/immobile par rapport au mouvement d’un autre participant » ; (v) « n’existe
pas indépendamment de l’événement, ou n’existe pas du tout » (Villoing 2002:211).
65
33) subit un changement d’état
34) est affecté causativement (casually) par un autre participant (2002:211).
Selon Villoing (2002:222-230), les noms internes des composés [VN]N/A,
sont, dans la majorité des cas, des Proto-Patients. Le critère sous (33) est
pertinent pour des composés tels que porte-malheur et trace-lettres (« les
entités dénotées par les noms malheur et lettres […] passent d’un état ‘nonêtre’ à un état ‘être’ ») ou brûle-parfum et tue-chien (« les entités dénotées
par les noms chien et parfum […] passent d’un état ‘être’ à un état ‘nonêtre’ ») et lance-pierre (« l’entité dénotée par le nom pierre […] passe de
l’état ‘être dans un lieu A’ à l’état ‘être dans un lieu B’ » (Villoing
2002:222-223). À notre avis, cette analyse est problématique. D’une part, les
noms en question ne peuvent avoir de référence actuelle (cf. Booij
(2002:147) : « parts of words cannot have independant reference »). D’autre
part, pour malheur, parfum et pierre, les analyses proposées ne semblent pas
raisonnables ou sont en tous cas difficilement concevables.
Le critère sous (34) est le plus pertinent, selon Villoing (2002:227-228,
234). Villoing (2002:217-219) s’appuie ici sur la notion d’affectitude et
utilise deux tests élaborés par Jackendoff (1990:125) : What happened to NP
was… ; What I did to NP was…, reformulés en questions
françaises : Qu’est-il arrivé à SN ? Il a été Vppé (Qu’est-il arrivé aux
boîtes ? Elles ont été ouvertes) ; Qu’est-ce que x fait à SN ? Il le V (Qu’estce que x fait aux boîtes ? Il les ouvre). Le dernier des deux tests peut
s’appliquer à la quasi-totalité des composés de son corpus94. Villoing
(2002:221 et passim) souligne que l’insertion des lexèmes des composés
dans une structure phrastique n’a rien à voir avec une analyse syntaxique et
que l’objectif est d’examiner la relation sémantique entre les lexèmes, ainsi
que leurs propriétés sémantiques. Les phrases ainsi fabriquées ne doivent
aucunement être saisies comme représentant le sens des composés.
Selon nous, il est possible, en suivant le même type de raisonnement,
d’utiliser les termes d’arguments interne, d’argument externe et d’adjoint,
sans supposer que les composés soient des formations syntaxiques, ce que
fait Fradin (2005) aussi (cf. 4.3.2, et aussi 5.1). Dans ce cas, les termes
doivent évidemment être compris comme des réalisations sémantiques, et
non pas comme des projections syntaxiques. De plus, la double face de ces
termes n’a rien de contradictoire, si l’on considère que les classes de lexèmes
V, N, A, etc. présentent aussi cette double face entre sémantique et syntaxe.
Villoing (2001:3), renvoyant entre autres à Grimshaw (1990), Booij (1992),
94
Le corpus sur lequel Villoing (2002) base son analyse comporte entre 2000 et 3000 des
composés
[VN/A/Adv/P]N/A,
trouvés
dans
les
ouvrages
lexicographiques
suivants : Dictionnaire de la Langue Française (1863-1872), Dictionnaire Général de la
Langue Française (1890-1900), Le Grand Robert de la Langue Française (1951-1966),
Grand Larousse de la Langue Française (1971-1986) et le Trésor de la Langue Française
(1971-1994).
66
Levin & Rappaport Hovav (1998) et Sadler & Spencer (1998), admet aussi
que de tels travaux « enregistrent la structure argumentale comme propriété
des lexèmes, impliquant du même coup que la morphologie, parce qu'elle
manipule des lexèmes, puisse y avoir accès ».
Villoing (2002:231-232) se propose de montrer que la relation sémantique
interne de la plupart des composés [VN]N/A tient entre prédicat et ProtoPatient, ce qui explique l’impossibilité de constructions telles que *aimecarottes ou *regarde-photo. Les entités carottes ou photo ne satisfont
aucune des conditions de Proto-Patient. Cependant, comme il existe des
composés tels que compte-gouttes, cherche-fuite et gagne-pain qui ne sont
pas compris par les critères de Proto-Patient, Villoing (2002:235) considère
qu’il est nécessaire de prendre en compte d’autres restrictions sémantiques.
Elle (2002:236) propose que le type de procès exprimé par le prédicat v’ du
composé [VN]N/A soit forcément [+dynamique] (voir 4.7 pour plus de
détails), et aussi que ce prédicat comprenne nécessairement deux participants
sémantiques dont l’un doit remplir les propriétés du Proto-Agent et l’autre le
plus souvent celles du Proto-Patient. Deux arguments servent de support à
cette dernière hypothèse. D’une part, il n’est pas possible de former des
composés « dont le prédicat v’ comprend exclusivement un participant
sémantique Patient, réalisé comme n’ au sein des prédicats complexes
v’_n’ » (Villoing 2002:243-244). Villoing (2002:244) donne des exemples
comme *un arrive-train ou *un tombe-neige dans lesquels les prédicats
selon Perlmutter (1988) et Burzio (1986) sont inaccusatifs (cf. 5.6). Notons
que Fradin (2005) avance que les verbes inaccusatifs peuvent entrer dans les
composés (cf. 4.3.2). D’autre part, les prédicats v’ qui ne comportent pas de
participant Patient comprennent néanmoins un second participant
sémantique qui remplit le rôle d’Agent. Villoing utilise les implications
suivantes, proposées par Dowty (1991), afin de caractériser le Proto-Agent :
35) Participation ‘volitionnelle’ dans l’événement ou l’état (Jean ignore
Marie)
36) Éprouver une sensation (sentinence) et/ou perception (Jean craint le
danger, Jean voit Marie)
37) Causer un événement ou le changement d’état d’un autre participant (Le
chômage des jeunes entraîne la délinquance, Sa solitude rend Jean
triste)
38) Mouvement (relativement à la position d’un autre participant) (L’eau a
rempli le bateau, La balle a dépassé la flèche) (2002:244-246)
En appliquant ces critères aux prédicats complexes v’_n’ figurant dans les
composés [VN]N/A, Villoing (2002:246) estime que tous les v’ comprennent
un Proto-Agent et que l’implication (35) est la plus importante, suivie de
67
près par l’implication (37).95 Ceci explique selon Villoing (2002:247)
l’impossibilité de composés comme *reçoit-lettres, *entend-voix ou *voithorizon, dans lesquels il n’est guère question d’un Agent mais d’un
Expérienceur.96 À notre avis, ce raisonnement semble contradictoire, car
selon le critère (36) le rôle d’Expérienceur est compris dans la notion de
Proto-Agent. Nous considérons en outre qu’il est difficile de voir un acte
volitionnel dans les prédicats d’abat-jour ou de fume-cigare, donnés par
Villoing (2002:247), parmi d’autres composés, comme représentatifs. Or,
Villoing (2002:246, n. 25) admet que « dans brûle-parfum, même si l’objet
(l’instrument) dénoté par le composé n’est pas capable de volition, il n’en
demeure pas moins que le prédicat brûl(er)’ autorise nettement qu’un de ses
participants s’implique de manière volitionnelle. C’est tout ce que je teste
ici. »
Villoing (2002:248) pose que les verbes ne comprenant qu’un seul
participant sémantique, l’Agent, ne peuvent entrer dans la formation [VN]N/A
et que cet Agent ne peut jamais « se réaliser comme le n’ du prédicat
v’_n’ » : *un aboie-chien, *un bavarde-commère, *un plane-oiseau.97
Notons que ceci revient à dire que, d’une part, les verbes intransitifs ne
peuvent entrer dans ces composés, et que, d’autre part, l’hypothèse selon
laquelle le sujet/l’argument externe, selon une autre terminologie, ne peut se
réaliser au sein des composés déverbaux, n’a rien de nouveau. Elle a été
avancée entre autres par Roeper & Siegel (1978) et leur First Sister
Principle, Selkirk (1983:34) et Grimshaw (1990:17). Or, comme le montre
Fradin (2005) (cf. 4.3.2) et comme nous le montrerons (cf. 4.6), cette
hypothèse ne se laisse pas confirmer pour les composés [VN]N/A en français.
Villoing (2002:249) observe que les rôles thématiques Instrument (*un
enfonce-marteau, *un utilise-arme) et Expérienceur (*un perd-joueur, *un
gagne-coureur) ne peuvent pas non plus se réaliser comme n’.98 Elle
(2002:251) tire aussi la conclusion suivante :
95
Ce qui à notre avis constitue la définition classique de l’agent.
Pour ce qui est de recevoir, le rôle de Bénéficiaire semble plus approprié.
97
Par contre, les noms déverbaux en -eur sélectionnent, selon Villoing (2002:248, n. 27), des
prédicats qui « comprennent obligatoirement et au minimum un participant sémantique Agent
(marcheur) », mais ces prédicats peuvent aussi comprendre un second participant Patient
(monteur). « [L]a classe des prédicats qui comprennent deux participants sémantiques, l’un
Agent et l’autre Patient, se trouvent ainsi en intersection dans les deux constructions
morphologiques [VN]N/A et [V[-eur]]N : tourne-broche / tourneur, rabat-joie / rabatteur »
(ibid.), ce qui expliquerait aussi pourquoi ces deux constructions peuvent désigner à la fois
des humains et des instruments.
98
À l’opposé de Pesetsky (1995) selon qui les rôles thématiques au sein des composés sont
limités, Di Sciullo & Ralli (1999) montrent que le grec moderne possède des composés
déverbaux dans lesquels différents rôles thématiques sont saturés : Agent, Instrument, Thème,
Instrument/Matériau, Lieu, Résultat et But. Selon Di Sciullo & Ralli (1999:191-192), les
composés anglais comportent aussi des rôles sémantiques divers, alors que les rôles dans les
composés romans sont limités, le plus souvent au seul rôle de Thème. Nous montrerons qu’en
96
68
le participant sémantique qui se situe du côté du Proto-Agent est réalisé, dans
la majorité des cas, par le composé [VN]N/A (sauf dans les cas des composés
qui dénotent un procès tels que lèche-vitrine et saute-mouton) et l’autre
participant sémantique (qui se situe préférentiellement du côté du ProtoPatient) est réalisé par le N de la construction [VN]N/A.
Villoing (2002:251-252) clôt son analyse en constatant que la notion de
Proto-Patient de Dowty (1991) n’est pas suffisante pour couvrir toutes les
entités dénotées par le second élément du composé [VN]N/A
Soulignons que nous nous basons sur l’étude de Villoing (2002) sur
plusieurs points importants, notamment son analyse morphologique du
composé [VN]N/A. Or, son analyse sémantique, qui vise à montrer que la
relation interne du composé [VN]N/A tient entre prédicat — nécessairement à
deux participants — et Proto-Patient, n’apporte, à notre avis, pas grandchose par rapport à la position généralement tenue et selon laquelle la
relation interne du composé [VN]N/A tient entre verbe transitif/à deux
arguments et objet direct/argument interne. De plus, comme le reconnaît
Villoing, son analyse ne permet pas de rendre compte de tous les composés
[VN]N/A. Soulignons encore une fois que cela ne veut pas dire que nous
optons pour une analyse syntaxique des composés. L’analyse sémantique de
Fradin (2005), tirant plus loin l’analyse de Villoing, est plus systématique et
réussit de manière convaincante à rendre compte des relations qui existent à
l’intérieur de ces composés.
4.3.2 L’étude de Fradin (2005)
Fradin (2005:1-28) montre que les règles de la dérivation et de la
composition ne sont pas soumises aux mêmes contraintes sémantiques et
prend comme exemple les dérivés en -eur et les composés [VN]N. La
dérivation des noms en -eur impose des restrictions et sur l’input et sur
l’output, une situation qui constitue la norme pour la dérivation
morphologique en général. Sa base doit être un verbe qui prend un argument
externe sujet portant le rôle sémantique d’Agent, et le nom dérivé doit
décrire une manière d’agir qui est socialement saillante.99 Par contre, à la
différence de la dérivation qui nécessite des conditions strictes, la
suédois aussi (cf. 5.5.1-5.5.4), différents rôles thématiques sont réalisés au sein des composés
agentifs dont l’un des constituants est un verbe.
99
Fradin (2005:9) assume la « Unmixed Agentivity Condition » selon laquelle le sujet agentif
du verbe ne peut aussi porter le rôle sémantique de Figure. Le rôle de Figure implique les
propriétés suivantes : « Entity located with respect to another participant / Moves with respect
to another participant / Is contained by another participant » (ibid.) Cette condition sert à
expliquer pourquoi un dérivé tel que monteur, dans le contexte *Pierre a monté la vaisselle
au grenier. C’est un monteur infatigable n’est pas bien formé, car le verbe monter n’exprime
pas ici un mouvement orienté, ce qui est avant tout son trait caractéristique. Cette condition ne
s’appliquerait pas aux composés [VN]N, et l’on trouve des formations telles que montecharge.
69
composition préfère des ajustements flous. Cette différence explique par
exemple pourquoi les composés formés à partir de V inaccusatifs sont
possibles, par exemple pousse-plante ou saute-bouchon, mais non pas les
dérivés correspondants.
Fradin (2005:14) rappelle le schéma proposé par Villoing (2002) qui est
capable de rendre compte de la sémantique de la majorité des composés
[VN]N :
39) X tel que X V N
Par l’intermédiaire de ce schéma, il est possible de former des composés non
attestés. Or, selon Fradin, le composé [VN] doit uniquement satisfaire aux
conditions suivantes :
40) Conditions on VN compounds
a) The N must be interpreted as an argument of the verbal predicate.
b) The VN nominal compound has to denote an entity which is
semantically correlated to the event described by the verbal
predicate. (2005:15)
La première condition implique que le référent du nom doit être un
participant dans la chaîne causale associée à l’événement décrit par le verbe.
Quant à la deuxième condition, il faut expliciter la corrélation sémantique
entre une entité et un événement :
41) The entity A is correlated to the event Ev if
a) The linguistic expression denoting A is an argument of the verbal
predicate which denotes Ev (equivalently: A is a participant in the
causal structure the verb reflects).
b) A constitutes the place where Ev takes place.
c) A is a causer of Ev. (ibid.)
La deuxième condition (40b) n’est pas formelle, mais concerne
l’interprétation : la corrélation qui convient le mieux à la situation est
choisie. La corrélation de (41a) est immédiate, l’information étant fournie
par le prédicat verbal. Dans (41b-c), la corrélation doit être doublée de
l’introduction d’une cause ou d’une localisation spatiale.
Fradin souligne que si son analyse est juste, elle prédit que l’inventaire
des composés [VN] est plus grand que normalement supposé, car les
conditions de (40) peuvent être satisfaites de manières différentes donnant
lieu à plusieurs patrons sémantiques. Fradin en signale six.
Les deux patrons le plus souvent attestés et les plus productifs
correspondent aux composés désignant des Agents, garde-malade ou porterevues, et des Instruments, ouvre-boîte ou tire-bouchon. Le verbe est
70
toujours transitif et décrit une relation Agent-Patient (Actor-Undergoer).
Dans l’interprétation d’Agent, la variable qui lie le composé dans la syntaxe
(the external linking variable) correspond au sujet du verbe. Notons que
l’Agent peut aussi être Impersonnel : porte-revues. Dans l’interprétation
d’Instrument, cette variable correspond à un adjoint instrumental. Les deux
conditions de (40) sont remplies.
Un autre patron assez productif dénote ce que Fradin appelle un lieu
fonctionnel. Le verbe évoque une trajectoire, indiquée par une préposition.
Le verbe doit ainsi être considéré plutôt comme un intransitif prépositionnel
que comme un verbe purement intransitif. Le composé marche-pied en est
un exemple, marcher pouvant être interprété comme marcher sur. D’autres
exemples sont passe-pied, passe-boulet, appui-tête et repose-bras. Ce qui est
important ici, c’est que le N correspond à l’argument externe du verbe. Les
conditions dans (40) sont remplies, parce que la variable de liage externe
correspond à l’argument locatif intégré.
Par contre, ceci n’est pas le cas pour le patron dans lequel la variable de
liage externe fixe le lieu où l’événement dénoté par le verbe prend place. Ce
patron s’emploie presque exclusivement pour des noms de lieux, tels que
Chante-alouette, Hurleloup, Gratteloup100 ou Pissevache. Dans ces
composés, la condition de (40a) est remplie par définition, étant donné que le
verbe est intransitif. Or, ce fait empêche la variable de liage externe d’être un
argument du verbe. Il faut ainsi introduire la relation de (41b) afin de
corréler cette variable au verbe.
Dans un autre patron, qui semble être faiblement productif, la corrélation
au prédicat verbal correspond à une relation agentive, le cas causatif (41c),
comme le montrent trotte-bébé, pousse-plante ‛lampe qui fait pousser les
plantes’ ou saute-bouchon ‛champagne’. Puisque ces composés dénotent des
artéfacts fonctionnels, Fradin estime qu’il est nécessaire d’introduire cette
relation agentive additionnelle. Une telle relation n’existe pas dans le patron
précédent qui s’applique à des composés comme Chante-alouttes : ceux-ci
ne peuvent désigner un artéfact qui fait chanter les alouettes, car on n’a pas
de contrôle sur les animaux sauvages ou sur les phénomènes naturels. Fradin
souligne aussi la lecture inaccusative du verbe pour pousse-plante et sautebouchon : Les bambous poussent vite et Le bouchon a sauté.
Le dernier patron signalé par Fradin comporte une relation causale entre
deux événements et correspond au cas (41c). Le seul composé indiscutable
attesté est gobe-mouton, désignant ‘plante, pilule empoisonnée destinée à
faire mourir les bestiaux’. Le N n’est pas un Patient, mais un Agent selon
(40a). Fradin (2005:28, n. 10) mentionne que tire-suisse illustre aussi le cas
de (41c) en exprimant une relation entre deux événements : le suisse qui tire
pour ouvrir la porte.
100
On peut se demander si -loup n’est pas mieux classé ici comme argument interne.
71
Selon Fradin (2005:20), il n’y a pas de restrictions strictes pour la
combinaison sémantique des éléments du composé [VN]. Néanmoins, toutes
les combinaisons ne sont pas aussi possibles. En particulier, lorsque le N est
interprété comme le sujet de V, une des conditions suivantes doit être
remplie :
42) The N cannot denote a volitional Agent (cf. marche-pied, Chantealouette, gobe-mouton) ;
43) The event in which the N’s referent is an Agent is a subevent in a Causal
structure (cf. trotte-bébé, gobe-mouton) (Fradin 2005:20).
Selon les conditions de (42-43), les animaux ne sont pas considérés comme
des Agents volitionnels. En ce qui concerne la condition (42), Fradin
(2005:20) renvoie aussi à Kiefer (1992) qui observe le même phénomène
dans les composés hongrois dénotant un événement. L’Agent n’agit pas
intentionnellement : hoésés ‘chute de neige’ (N : hó ‘neige’, V : esik
‘tombe’, suffixe és). Fradin admet que ces deux conditions sont violées par
les composés croque-monsieur et croque-madame, mais ceci explique aussi
« why the meaning of these compounds sounds so bizarre when one tries to
reconstruct it analytically and why they are commonly considered as mere
denominations: their meaning does not help to grasp their referent. »
(Fradin 2005:21). Or, rappelons à ce propos un composé tel qu’accrochecœur, désignant ‛mèche de cheveux formant une boucle plate sur les
tempes’, qui suit le patron le plus courant, Agent-Patient (Actor-Undergoer),
mais qui a néanmoins un sens opaque (voir aussi 4.6 qui présente plusieurs
exceptions à cette condition).
Étant donné l’existence de composés dans lesquels le N est le sujet du
verbe dans une phrase correspondante, Fradin en tire en plus la conclusion
que les composés [VN], construits par deux lexèmes, n’ont pas de structure
syntaxique sous forme de SV. Il suffit de dire que N doit être interprété
comme un argument de V. Il n’est pas nécessaire d’assigner au composé une
structure, car son interprétation n’en requiert pas. Ceci n’est pas seulement
un fait qui distingue la composition de la dérivation mais aussi de la syntaxe.
Fradin admet que même si certains des composés sont rares en français, ceci
n’affecte pas les données : ils sont rares parce qu’ils dénotent des objets peu
communs. Du point de vue linguistique, aucun des composés n’est
idiosyncrasique et ne doit pas être traité comme une exception. Tout
composé [VN] doit faire partie de l’approche globale de la composition.
Nous présentons notre interprétation des patrons sémantiques proposés
par Fradin (2005) sous forme de la liste suivante.101 Les patrons qui y entrent
seront employés comme point de départ pour nos propres analyses qui
suivent dans les section 4.4-4.6.
101
72
Fradin (2005) utilise une notation sémantique plus complexe.
Ag[VN] V N
X V N avec Instr[VN]
N V(intrans) (P) Loc[VN].
N V dans NdeLieux[VN]
Artéfact[VN] fait N V.
• N V Cause[VN] et N/N2 V2
•
•
•
•
•
4.4 Le composé [VN]N/A dont le second constituant est
un argument interne
Nous avons l’intention ici d’entreprendre une analyse des patrons
sémantiques internes des composés [VN]NA dont le second constituant
correspond à un argument interne. En reformulant les patrons sémantiques
de Fradin (2005), nous reprendrons ceux qui touchent les composés [VN]N/A
comportant un argument interne. Puisque les patrons proposés par Fradin ne
suffisent pas pour rendre compte de toutes les relations tenant entre les deux
constituants, nous proposerons des patrons additionnels pour essayer de
donner une image complète des composés [VN]N/A dont le second
constituant est un argument interne. Dans d’autres cas, il faut ajuster les
patrons de Fradin pour qu’ils conviennent aux composés incorporant un
argument interne. Il est à remarquer que nous fournissons en position initiale
de chaque patron le sens dénotatif correspondant. Ceci dans le but de lier le
patron sémantique du composé à son sens dénotatif. Celui-ci est ici
considéré comme le type sémantique et non pas comme la glose du sens
exact. À propos de ces patrons sémantiques qui concernent la relation interne
entre les constituants des composés, nous renvoyons à Villoing (2003:188)
qui précise son analyse sémantique des composés [VN]N/A en faisant « une
distinction fondamentale entre (i) le sens d’un mot composé VN et (ii) le
sens que l’on obtient compositionnellement en combinant le sens d’un verbe
et celui d’un nom ».
Les deux premiers patrons proposés par Fradin (2005) sont les plus
rentables pour le composé [VN]N/A comportant un argument interne :
• Agent : Ag[VN] V N
baise-fleurs, boit-tout, brise-ménage, caille-lait, cogne-fétu, coupe-jarret,
croque-sol, frise-poulet, gâte-métier, gratte-cul, grille-pain, hache-paille,
happelourde, lance-bombes, mouille-bouche, passe-rose, pêche-véron,
pique-assiette, pisse-copie, porte-drapeau, teint-vin, tète-chévre, traînemisère, tranche-montagne, verse-eau, vide-gousset
73
Notons que dans le patron d’Agent entrent des plantes, perce-feuille, des
insectes, perce-oreille, et des animaux, hoche-queue, ainsi que des
impersonnels, allume-cigare(s). Les Agents Impersonnels, qui se trouvent
entre des Agents et des Instruments, peuvent, selon nous, expliquer la
transition entre les deux. Ils entrent dans le patron d’Agent, mais leurs
référents peuvent être un objet qui pourrait aussi se classer comme
Instrument ou Locatif conteneur, comme sèche-linge. Les Agents
Impersonnels présentent en plus une ambiguïté en présupposant en dernière
instance un Agent Humain qui les met en route. Pour ce qui est du composé
caille-lait, qui aurait aussi un sens causatif en désignant ‛plante qui a la
propriété de faire cailler le lait’, nous hésitons à le faire entrer dans ce patron
ou dans celui qui convient aux artéfacts fonctionnels de Fradin (2005)
comportant un argument externe, tels que trotte-bébé (cf. 4.3.2 et 4.6).
Puisque Villoing (2002:324) le range parmi les composés [VN]N/A
comportant un argument interne, ainsi que le fait Darmesteter (1967:221
[1875]), nous suivons leur classement. Ce composé semble effectivement
constituer un cas limite entre les composés [VN]N/A comportant un argument
interne et externe. De plus, le verbe est en emploi inaccusatif. Observons
l’existence du composé boit-tout, qui a trois sens différents selon le
TLFi : (i) ‛verre dont le pied est cassé et qu'on ne peut poser sans l'avoir
vidé’ ; (ii) ‛sorte de puisard creusé dans un terrain humide pour
l'assécher’ ; (iii) ‛ivrogne qui dépense tout son argent en boissons’. Le
premier sens correspond au patron d’Instrument, et le troisième, au patron
d’Agent. Quant au deuxième sens qui entre aussi dans le patron d’Agent, il
exprime en plus, à notre avis, un sens Locatif.
Il arrive souvent qu’un même prédicat manifeste des sens différents.
Villoing observe la polysémie de garder dans les composés
[VN]N/A : « protéger (garde-bras, garde-bonnet), veiller sur (garde-barrière,
garde-boue) ou conserver (garde-cierge, garde-filet) » (2002:269, n. 22).
Des composés comme garde-nappe, garde-magasin ou garde-temps
manifestent une relation qui entre facilement dans l’un des patrons d’Agent
ou d’Instrument, mais nous n’estimons pas que garde-boue y soit bien
classé. Les deux composés garde-boue et garde-crotte manifestent selon
nous plutôt les relations : garder/protéger la roue contre/de la boue/la
crotte ; ce n’est donc pas l’argument interne direct qui est incorporé. Nous
formalisons cette relation comme une variante du patron d’Agent, marginal,
et ne valant que pour le composé [VN]N/A français comportant un argument
interne :
• Agent : Ag[VN] V Y contre/de N
Cette analyse pourrait éventuellement aussi être valable pour quelques
composés comportant parer, tels que pare-boue ou pare-poussière (contre
pare-balles, pare-brise).
74
Passons au patron d’Instrument où x (en italiques) correspond à
l’Agent/l’argument externe :
• Instrument : (x) V N avec Instr[VN]
abaisse-langue, amuse-gueule, boit-tout, brise-mottes, cache-misère, calepied, couvre-lit, essuie-verres, frotte-allumettes, fume-cigare, happelourde,
lave-dos, pare-balles, passe-montagne, porte-bébé, presse-citron, serrelivres, tire-botte, trace-lignes, tranchelard, tue-vent, vide-citron
Villoing (2001:3) remarque que certains composés [VN]N/A dénotent des
vêtements, soutien-gorge, et des comestibles, amuse-gueule102. Puisqu’ils
conviennent parfaitement aux patrons d’Instrument, nous les rangeons ici.
Ce classement peut prêter à discussion, mais à notre avis leurs référents ont
en quelque sorte une fin instrumentale. Nous proposons donc pour de tels cas
des sous-étiquettes implicites comme Instrumentcomestible et Instrumentvêtement.
Villoing (2001:3) semble aussi faire cette inclusion en observant que la
propriété sémantique mise en œuvre par le composé [VN] correspond à la
RCM foc (règle de construction de mots consistant sémantiquement en une
focalisation) proposée par Corbin (1992) et explique pourquoi un même
composé peut construire des unités qui réfèrent et à un humain et à un
instrument, comme porte-clé. Cette propriété sémantique peut soit
dénommer — le plus souvent en focalisant sur la fonction utilitaire des
instruments : chauffe-biberon, porte-parapluie, et sur l’activité sociale des
humains : attrape-science, garde-barrière — soit qualifier en focalisant sur
les propriétés stéréotypiques des instruments et des agents : étouffe-chrétien,
brise-coeur. Remarquons qu’étouffe-chrétien renvoie à un Instrument
comestible.
En ce qui concerne happelourde (Agent : ‛cheval de belle apparence mais
sans
vigueur’ ; ‛personne
d'aspect
agréable
mais
sotte’,
et
Instrument : ‛pierre fausse qui a l'éclat et l'apparence d'une pierre
précieuse’ ; ‛illusion, leurre’), on pourrait au premier égard classer ce
composé comme comportant un adjoint, étant donné que le second
constituant est un adjectif. Or, Villoing (2002:343) le classe comme [VN]N/A
comportant un argument interne, et selon notre interprétation du TLFi,
lourde doit se comprendre dans le sens de ‛femme sotte qui se laisse
facilement duper’. Soulignons que lourde semble ici être utilisé comme un
terme d’adresse, à l’instar de croque-monsieur, où, cependant, monsieur
correspond à un argument externe. Ce composé peut ainsi être vu comme un
cas limite entre les composés [VN]N/A comportant un argument interne et
externe.
102
Ce composé est encore un cas limite qui serait peut-être mieux classé comme entrant dans
le premier patron d’Agent.
75
Selon Villoing (2003:193), la composition [VN]N/A ne sélectionne le
verbe monter qu’au sens de ‛mouvement’, et jamais au sens d’‛assembler’.
Ainsi, selon Villoing, cette composition semble être sensible à l’expression
du mouvement. Par contre, la sélection sémantique opérée par la suffixation
en -eur sur la base verbale monter semble d’après Villoing (2003:194) être
inversée : Fradin & Kerleroux (2002), et aussi Fradin (2005), montrent que
le suffixe -eur ne sélectionne que monter au sens d’‛assembler’ (L’ouvrier
qui a monté notre chauffage central est le meilleur monteur de chaudières de
l’entreprise) et non pas au sens de mouvement (Pierre a monté le tableau au
grenier / *Pierre est un monteur). Or, le composé monte-ressort, outil qui
selon le TLFi ‘sert à monter et à démonter les pièces d'un fusil’, semble à
notre avis impliquer que cette supposition est trop puissante. De plus, la
distribution complémentaire entre dérivés V-eur et composés
[VN/A/Adv/P]N/A est un phénomène rare (cf. ch. 7-8).
Il faut aussi commenter les composés qui comportent passer. Dans
plusieurs composés tels que passe-singe ou passe-rose, ce verbe exprime le
sens de ‛surpasser ou de l'emporter sur quelqu'un ou quelque chose’,
contrairement aux composés passe-couloir ou passe-muraille, où il a le sens
de ‘traverser’, ou aux passe-bras ou passe-main, où il a le sens de ‛faire
passer ou (par) où l'on fait passer’. Pour le premier cas, il arrive que le
composé soit une variété du référent exprimé par le second constituant,
passe-pomme et passe-muscat103 désignant respectivement ‛pomme’ et
‛raisin muscat’ (à l’opposé de passe-singe, ‛personne qui dépasse le singe en
malice’). Il est donc question d’une relation métonymique, le composé étant
un hyponyme du second constituant, ce qui nous pousse à nous demander
s’il faut les considérer comme comportant un argument externe (cf. 4.6).
Pour ce qui est du troisième cas, passe-bras, le second constituant se qualifie
aussi comme l’argument externe et ces composés doivent selon nous entrer
dans le patron de Fradin qui comprend un Locatif fonctionnel :
• N V(intrans) P Loc[VN]
appuie-tête, passe-bras, passe-main, repose-bras
Selon Villoing (2002:275-276) les composés comportant appuie- désignent
des Instruments104, et certes, le sens Locatif n’est ici pas aussi manifeste que
chez le composé coupe-gorge. On pourrait donc proposer pour ce patron l’un
103
Darmesteter (1967:222, 226, 228 [1875]) classe les composés passe-fleur, passe-garde,
passe-pomme, passerage, passe-rose et passe-soie comme comportant un argument externe,
alors que passe-muscat, selon lui, comporte un argument interne.
104
Villoing (2002:276) considère que et l’agent et le patient sont réalisés dans les composés
[VN]N/A comportant appui-/appuie-. Étant donné qu’ils désignent tous des instruments, le
premier participant se réalise par le composé. Villoing précise cependant que ceci ne signifie
pas que « la glose du sens des composés [VN]N/A du type appuie-bras sera ‘qui appuie le bras’
mais ‘ce qui sert à appuyer le bras’ ».
76
des deux sens dénotatifs : Instrumentlocatif/support ou Locatiffonctionnel.105 Or, le
fait de lier ce patron au sens dénotatif d’Instrument aurait pour effet un
décalage entre patron et sens dénotatif, effet qu’il faut selon nous
éviter : avec est difficilement recevable dans ce patron, alors qu’une
préposition localisante, telle que dans et sur, est beaucoup plus appropriée.
Nous estimons donc qu’il faut garder la lecture locative selon le modèle de
Fradin (2005). Cependant, nous proposons d’interpréter le second
constituant comme un argument interne, plutôt qu’un argument externe.
Nous ajustons le patron de Fradin (2005) en inversant l’ordre entre N et V et
en introduisant l’Agent x mis entre parenthèses :
• Locatif : (x) V N (y) dans/sur Loc[VN]
Locatiffonctionnel : marche-pied, passe-pied, passe-bras, accroche-casseroles,
appuie-bras, prie-dieu
Locatifconteneur : casse-cou, casse-gueule, casse-croûte, coupe-gorge, fourretout, rince-doigts, vide-poches
LocatifNdeLieux : Chante-messe, Écorchebœuf, Écorcheloup, Gratte-panche106
(Heurtebise, Mangepaille, Trompe-souris
La sous-étiquette Locatiffonctionnel explique d’une certaine manière la
transition entre Instrument et Locatif. Les composés qui englobent la
préposition sur comportent un second constituant qui est clairement un
argument interne du verbe, et sont plus ambigus entre sens Instrument et
sens Locatif. En ce qui concerne prie-Dieu, l’interprétation de Dieu comme
étant un argument externe du verbe n’est pas envisageable (*Dieu prie sur
[VN]). Notons en plus que par recours au patron que nous proposons, on
évite de supposer que le verbe des composés comportant appuie- soit
pronominal (la tête s’appuie sur l’appuie-tête), comme le présuppose le
patron proposé par Fradin (2005). Le patron que nous venons de proposer
présente de plus l’avantage de conserver la structure avec un argument
interne, au lieu de doter de tels composés d’une structure avec un argument
externe, structure plus marginale. Pour ce qui est des composés comportant
reposer, comme repose-bras, qui pourrait entrer dans ce patron, l’affaire est
plus complexe. Il nous semble que le verbe est en emploi intransitif, reposer
sur, et non pas en emploi transitif au sens de ‘poser de nouveau’. Le second
constituant doit donc s’analyser comme l’argument externe (cf. 4.6).
Un autre avantage de ce patron Locatif, c’est qu’il rend compte des
composés [VN]N/A comportant un argument interne, tels que coupe-gorge,
que nous étiquetons comme Locatifconteneur. Cette variante du patron Locatif
n’entre pas dans l’étude de Fradin (2005). Notons que parfois, on a presque
105
Selon Rainer (2005b:21), l’ambiguïté conceptuelle des récipients entre Instrument et
Locatif est observée déjà par Meyer-Lübke (1890).
106
Reflète l’image de se brosser le ventre selon Longnon (1920-1929).
77
l’impression de se trouver dans une relation bitransitive à trois arguments : y
risque d’avoir la gorge coupée par x dans une rue coupe-gorge/y risque
d’avoir la fesse pincée par x dans un pince-fesses. Or, dans la plupart des cas,
tels que fourre-tout ou casse-croûte, il n’existe pas de participant y, portant
le rôle de Thème ou de Patient. Il existe aussi des composés [VN]N/A
comportant un argument interne qui dénotent des noms de lieux. Fradin
(2005) ne propose un tel patron que pour les composés auxquels est
incorporé l’argument externe, comme Pissevache. Notons que la sousétiquette d’un LocatifNdeLieux entre donc aussi parfaitement dans le patron
Locatif.
Dans l’étude de Fradin (2005), il manque aussi des patrons pour les cas
où le composé renvoie à une action ou à un procès, comme dans frottenombril, qui désigne ‛action de se frotter à une autre personne nombril
contre nombril’, et les cas où le composé indique le résultat d’une action,
comme dans lèse-majesté.107 Nous proposons donc les patrons suivants :
• Action : (x) [V N]Act (dans Loc[VN])
baise-main, casse.croûte, chasse-neige, lèche-vitrine, lèse-âme, lèsehumanité, porte-respect (comportement), rabat-joie
• Résultat : (x) [V N]Action a pour Rés[VN]
crève-cœur, hochepot, lèse-âme, lèse-humanité
Villoing (2002:290) note à ce propos tout l’intérêt qu’il y aurait à examiner
le lien qui existe entre les sens de procès et de lieu, étant donné que plusieurs
composés dénotent les deux sens à la fois, par exemple casse-croûte, ‛repas
sommaire où l’on peut consommer des casse-croûtes’ (ce composé peut
aussi renvoyer à un Instrument ‛qui sert à broyer les croûtes de pain à
l’usage des vieillards’), et pince-fesses, ‛le fait de pincer les fesses à une
femme’ ou ‛maison de tolérance’. Il s’ensuit du patron que nous proposons
pour l’Action que le sens Locatif peut y être implicite. Le lien entre Action
et Résultat se dégage aussi des deux patrons ci-dessus. En focalisant soit sur
l’acte de commettre un crime de lèse-humanité, soit sur le résultat d’avoir
commis un crime de lèse-humanité, les composés en lèse- sont à notre avis
tous ambigus entre ces deux sens.
Outre les patrons que nous venons de proposer, l’existence du composé
trousse-galant ‛maladie foudroyante, en particulier le choléra’, qui incorpore
un argument interne, semble être un parallèle du composé gobe-mouton,
comportant un argument externe, en exprimant, à l’instar de celui-ci, une
relation causale entre deux événements. Quant au sens dénotatif, nous
classons gobe-mouton comme un Causeinstrumentale (cf. 4.6), alors que trousse-
107
Le sens Résultat correspond à ce que Devos & Taeldeman (2004:158) appellent effected
objects, c.-à-d. « what comes into existence by V-ing ».
78
galant, à notre avis, désigne plutôt un Causeagentive selon la variante du patron
suivant :
• Causeagentive : Cau[VN] V N et N(/N2) V2
crève-chien (V2 = mourir), trousse-galant (V2 = mourir)
Il est intéressant de noter que le référent du second constituant, chien et
galant, devient un argument externe dans le deuxième événement, ce qui
semble faire de ces composés un autre exemple d’un cas limite entre les
composés [VN]N/A dont le second constituant est un argument interne et ceux
dont celui-ci est un argument externe.
Remarquons que Villoing (2003:191-192) souligne l’importance qu’il y a
à préciser les restrictions sémantiques du second constituant : « Mais on peut
d’ores et déjà avancer quelques hypothèses qui rendent compte de la
probabilité que le N des composés VN ne puisse pas exprimer la localisation
(?? un atteint-sommet) ni la temporalité (*un traverse-siècle). » Notons que
ces hypothèses excluent des composés dont le second constituant, bien
qu’étant un N, porte le rôle sémantique d’adjoint (cf. 4.5). Ces hypothèses
peuvent aussi dans une certaine mesure être contestées par l’existence de
composés [VN]N/A du type remonte-pente ou garde-temps, et aussi de traînebuisson, qui selon Villoing (2002:378) comporterait un argument interne,
mais qui selon nous comporte un adjoint (cf. 4.5). Quant au composé sauteruisseau, il nous semble que l’on peut discuter pour déterminer si le second
constituant en est un argument interne ou s’il porte le rôle sémantique de
Lieu. En posant une seule et même construction morphologique
[VN/A/Adv/P]N/A, il ne serait pas nécessaire de préciser d’une manière
exacte le rôle joué par le second constituant N.
Concluons cette analyse de la structure sémantique interne des composés
[VN]N/A comportant un argument interne en disant que ces composés
manifestent plusieurs patrons sémantiques, tous disponibles et quelques-uns
se liant les uns aux autres, et que d’autres ne sont établis qu’à partir d’un
nombre limité de composés. Rappelons aussi qu’en analysant la relation
tenant entre les composés, il s’avère, selon nous, que certains composés qui
au premier regard sont classés comme comportant un argument interne,
comporteraient plutôt un argument externe ou un adjoint.
4.5 Le composé [VN/A/Adv/P]N/A dont le second
constituant joue le rôle sémantique d’adjoint
Dans le composé taille-douce, le second constituant adjectival joue le rôle
sémantique d’adjoint, ainsi que le fait le nom à l’intérieur du composé
traîne-nuit. L’analyse de cette section porte sur de tels composés dans le but
79
de montrer qu’ils peuvent être compris par la même règle de construction
morphologique assumée pour le composé [VN]N/A comportant un argument
interne.
Commençons par présenter l’analyse de Villoing (2001, 2002) de ces
composés, qu’elle note [VAdv]N/A. De prime abord, notons que dans
Villoing (2001), Adv renvoie à une unité à valeur adverbiale, alors que dans
Villoing (2002), Adv renvoie à la classe de lexèmes adverbes, qui selon
Villoing (2002:277, n. 30) englobe adjectifs, adverbes, prépositions et noms.
Cette ambiguïté du terme d’Adv signalée, constatons que nous ne voyons
pas comment cette dernière analyse de Villoing (2002) serait théoriquement
possible, et que la première (2001), renvoyant à une fonction syntaxique,
n’est pas sensiblement plus convaincante. Villoing (2002:277-278) donne
d’abord trois raisons pour exclure le type [VAdv]N/A de son étude : (i) il se
distingue du type [VN]N/A par la relation entre le verbe et le second
constituant (prédicat/patient vs prédicat/modifieur) ; Villoing (2002:277, n.
31) préfère le terme de « modifieur » (qui donc correspond à notre terme
d’adjoint) pour exprimer une relation sémantique, à l’opposé d’« ajout » qui
exprime une relation syntaxique. Elle renvoie à Bonami (1999) pour
l’explicitation de la différence sémantique entre modifieur et participant
sémantique. En tant que modifieur, l’adverbe (l’adverbial) peut représenter
la localisation (chasse-derrière, frappe-devant), la temporalité (lève-tôt,
réveille-matin) ou la manière (pète-sec, sent-bon108) (Villoing 2002:277278) ; (ii) son prédicat n’est pas déterminé par les mêmes contraintes
sémantiques que celles valant pour le prédicat du type [VN]N/A : par exemple
dans pète-sec, le prédicat, bien qu’étant agentif, ne prend pas un second
participant sémantique, mais a un emploi intransitif. Dans le composé
couche-tard, le prédicat est en emploi pronominal se coucher ; (iii) le
prédicat de chasse-derrière comprend deux participants, à l’instar du
prédicat du type [VN]N/A, mais aucun des deux n’est réalisé, puisque la place
de Patient est occupée par l’adverbe (l’adverbial).
Or, Villoing (2001, 2002:276-280) énumère les similarités suivantes entre
composés [VN] et [VAdv] : (i) les deux sont N ou A ; (ii) les deux portent le
genre masculin ; (iii) les prédicats qui y entrent appartiennent le plus
fréquemment à la première conjugaison ; (iv) ils dénotent les mêmes types
d’entités sémantiques ; (v) ils dénotent « un référent en mettant en saillance
une de ses propriétés prise comme habituelle ou fonctionnelle (c’est ce dont
rend compte la règle sémantique de focalisation de Corbin (1992)) »
(Villoing 2002:277). Selon Villoing (2001, 2002:280), les similarités sont
plus importantes que les différences. Par conséquent, elle tire la conclusion
qu’il est plausible d’inclure les deux types sous la même construction
morphologique, qui se caractérise par le fait que le second constituant
restreint sémantiquement la portée du verbe.
108
80
On peut discuter si -bon dans ce cas exprime la manière.
Villoing (2002:278-280) propose trois approches différentes pour
défendre sa conclusion : (i) une analyse morphologique qui élargit la règle
de construction [VN]N/A de façon à inclure aussi la relation
prédicat/modifieur et les prédicats à un participant Agent, ou qui traite le
modifieur comme étant un participant sémantique ; (ii) une analyse
morphologique qui pose une seconde règle pour la formation des composés
[VAdv]N/A. Cette alternative devrait donc être capable d’expliquer le nombre
restreint de composés, ainsi que leur faible productivité (en comparaison des
réalisations syntaxiques possibles); (iii) une analyse syntaxique selon
laquelle les composés [VAdv]N/A sont des construits syntaxiques lexicalisés
(il couche dehors > un couche-dehors). Corbin (1997) (cf. Villoing
2002:279-280), en se fondant sur le principe selon lequel une unité
linguistique engendrée par la syntaxe ne peut être aussi engendrée par la
morphologie et vice versa, propose deux analyses distinctes pour les
composés couche-tôt et couche-dehors. Le premier, qui ne conserve pas le
pronom réfléchi, serait une construction morphologique, alors que le dernier,
qui suit les règles syntaxiques, serait un construit syntaxique. Villoing
(2002:280) critique ce raisonnement en disant qu’il ne prend pas en
considération que la relation sémantique entre les composants ne justifie pas
cette partition. En plus, Villoing trouve ad hoc une hypothèse qui avance que
« les unités lexicales sont construites par la syntaxe puis lexicalisées »
(2002:280). Villoing opte ainsi pour une des deux analyses morphologiques
de (i-ii), de préférence celle de (i). Nous faisons un amalgame de l’approche
(i) en proposant une seule règle de construction [VN/A/Adv/P]N/A afin
d’englober aussi les cas dans lesquels le second constituant joue le rôle
sémantique d’adjoint. Cette règle, en tolérant des prédicats à un argument,
englobe aussi le cas où le second constituant est un argument externe.
Regardons d’abord de plus près la distinction la plus importante, à savoir
que les prédicats des composés comportant un adjoint sont soumis à
différentes restrictions sémantiques. Cette distinction semble aussi impliquer
que les verbes ne sont pas nécessairement transitifs. Les exemples (44) à
(46) listent les verbes qui figurent dans des composés [VN/A/Adv/P]N/A
comportant un adjoint :
44) Vtrans : bouter, branler, chasser, chauffer, coucher, coller, faire, frapper,
gagner, griller, haler, passer, pincer, porter, pousser, sentir, songer,
tailler, taper, trousser, verser, vider
45) Vintrans : aller, chanter, claquer, clocher, crever, penser, péter, pisser,
rentrer, réveiller, rêver, rouler, tourner, traîner, trotter, valoir, voguer
46) Vpron : (se) coucher, (se) lever
81
La plupart de ces verbes entrent aussi dans les composés [VN]N/A dont le
second constituant est un argument interne, à l’exception des verbes
soulignés. Comme nous l’avons déjà remarqué, il nous semble que quelques
composés classés comme [VN]N/A par Villoing (2002), et pour une partie de
ceux-ci également par Darmesteter (1967 [1875]), sont en réalité des
composés comportant un adjoint, comme tournesol ((se) tourner au/vers le
soleil), traîne-buisson, traîne-bûches (traîner dans le buisson/les bûches) et
trotte-chemin (trotter sur le chemin). Dans de tels cas, nous interprétons le
second constituant plutôt comme indiquant sémantiquement le lieu, même si
syntaxiquement, il correspond à un objet direct ou indirect. Citons à ce
propos Eriksson (1993:278) : « [s]ignalons aussi le cas où l’objet direct
équivaut pour le sens, mais non pour la syntaxe, à un circonstanciel et qui
s’exprime par un tel dans d’autres langues ». Nous sommes pourtant
consciente du fait que cette analyse est poussée trop loin. Mentionnons aussi
la locution adverbiale (à) cloche-pied (clocher du pied), que Villoing
(2002:329) classe comme [VN]N/A, mais dont le second constituant joue
selon nous le rôle sémantique d’adjoint. Aussi dans crève-faim, classé
comme [VN]N/A par Villoing (2002:333), le V est à notre avis en emploi
intransitif, et le second constituant est un adjoint indiquant la cause. Vaurien
est classé comme comportant un argument interne par Villoing (2002:380),
alors que nous estimons que rien n’empêche de le classer comme comportant
un adjoint, ce qu’a fait aussi Darmesteter (167:226 [1875])109 Les verbes
soulignés n’entrent, à notre connaissance, que dans des composés dont le
second constituant s’interprète comme un adjoint, tels que vogue-avant
‛rameur qui tient le bout de la rame’, à l’exception de quelques-uns, comme
chanter et trotter, qui entrent aussi dans les composés [VN]N/A dont le
second constituant est un argument externe (cf. 4.6). La majorité de ceux-ci
sont intransitifs. À propos de traîner, le TLFi aussi observe qu’il est en
emploi intransitif dans les deux composés traîne-nuit et traîne-sommeil. En
ce qui concerne les verbes intransitifs qui ne sont pas soulignés, donc
impliquant qu’ils entrent aussi dans les composés [VN]N/A comportant un
argument interne, ils sont dans ces cas en emploi transitif, par exemple pissevinaigre ‛personne avare ou grincheuse, morose ou triste’ ou roule-bandes
‛dispositif pouvant se fixer à une table pour rouler les bandes de gaze, etc.’.
Un argument contre le postulat d’une unique construction morphologique
[VN/A/Adv/P]N/A serait donc que les composés comportant des adjoints
contiennent des prédicats intransitifs. Cet argument ne peut être contredit
étant donné que le composé [VN] comportant un argument interne par
définition ne peut inclure un prédicat intransitif, ne prenant qu’un argument
externe. Pourtant, l’existence d’un composé comme va-tout110, relatif aux
109
Darmesteter (1967:226 [1875]) parle dans ces cas d’un adjectif ou d’un adverbe « ayant
valeur d’adverbe ».
110
Selon Darmeteter (1967:226), il est question d’une suite d’un impératif et d’un vocatif.
82
jeux de cartes, ‛coup où l’on risque tout l’argent que l’on a devant soi’,
comportant aller, présente une structure discutable. Villoing (2002:384)
classe ce composé comme [VAdv], quoiqu’elle (2002:317) avance que les
unités tout (mange-tout), rien (vaurien) et néant (fainéant) possèdent les
propriétés d’un nom dans la construction [VN]N/A. Par contre, Villoing
(2002:278, n. 32) « analyse devant dans frappe-devant et derrière dans
chasse-derrière comme des adverbes, bien qu’ils puissent se réaliser en
syntaxe comme des noms (frapper le devant, chasser le derrière) ou des
prépositions ». Ceci nous semble contradictoire, mais conforte effectivement
la position prise dans notre étude et selon laquelle il est question d’une
unique construction morphologique [VN/A/Adv/p]N/A. C’est justement cette
possibilité, dans certains cas, de la double analyse du second élément comme
un argument interne/N et comme un adjoint/Adv(erbiale) qui motive et
donne davantage de support à notre position. Pour revenir à va-tout, il nous
semble plus conséquent de le faire entrer dans la classe des composés
[VN]N/A dont le second constituant est un argument externe (cf. 4.6).
Le composé [VN/A/Adv/P]N/A comportant un adjoint n’entre pas non plus
dans l’étude de Fradin (2005), qui ne traite que des composés [VN]N. Or,
Fradin inclut, à la différence de Villoing (2002), les deux autres cas que
présentent ces composés en posant que le second constituant est un argument
(interne ou externe) de V, et il accepte ainsi de V à un argument/intransitif.
Nous avons l’intention ici d’examiner si les patrons proposés par Fradin
(2005), aussi bien que ceux que nous avons proposés dans la section
précédente, peuvent être également retrouvés parmi les composés
comportant un adjoint. Pour ce faire, il est nécessaire d’ajuster les patrons
sémantiques. Tout d’abord, remarquons que seuls les patrons englobant un
composé [VN]N/A dont le second constituant est un argument interne peuvent
s’appliquer au composé comportant un adjoint.
Le patron d’Agent s’adapte parfaitement au composé comportant un
adjoint, et est ici aussi l’un des plus rentables. On trouve ici tous les
différents types d’Agents : des Humains, avale-dru pour ‛celui qui mange
vite’, des Animaux, chante-clair pour ‛coq’, des plantes, tournesol, et des
Impersonnels, réveille-matin :
• Agent : Ag[VN/A/Adv/P] V (P) N/A/Adv/P
avale-dru111, chante-clair, chasse-derrière, chauffe-doux, claque-faim,
claque-soif, couche-dehors, couche-tard, couche-tôt, faitard112, lève-tard,
lève-tôt, (pass(e-)avant), pète-sec, pince-dur, pince-froid, porte-fort, pissefroid, rêve-creux, réveil-cuisine, réveille-matin, roule-partout, songe-creux,
111
Darmesteter (1967:220, 226 [1875]) classe le second constituant d’avale-dru comme
accusatif, alors que celui de mache-dru est classé comme un adverbe. Nous avons du mal à
comprendre cette distinction.
112
Ce composé est tiré de Darmesteter (1967 [1875]), mais se trouve aussi dans le TLFi sous
l’entrée fêtard, et dénote ‘personne menant une vie de débauche’.
83
tournesol, traîne-nuit, traîne-sommeil, trotte-menu, va-devant, verse-froide,
vide-vite, vaurien
Notons aussi que les deux composés chauffe-doux ‛poêle mobile, rempli de
braise ou de cendre chaudes’, et vide-vite, ‛vidange rapide utilisée pour
l’évacuation’, classés comme Agents expriment aussi un sens Locatif.
Villoing (2002:329) classe claque-faim et claque-soif comme [VN]N/A, mais
en les examinant de plus près, leurs seconds constituants jouent à notre avis
le rôle sémantique d’adjoint : claquer de soif/de faim, et claquer est ici en
emploi intransitif. Par contre, claque-merde correspond parfaitement à un
composé [VN]N/A dans lequel N correspond à un argument interne, et V est
en emploi transitif. En ce qui concerne claque-dent, au sens de ‛vagabond,
miséreux’ (cf. aussi le patron Locatif plus bas), le statut de second
constituant prête à discussion. Darmesteter (1967:221 [1875]) classe le
second constituant de claque-dent comme un objet direct, et Villoing classe
aussi ce composé comme [VN]N/A. Selon le TLFi par contre, l’expression
claquer des dents est mentionnée sous l’emploi intransitif de claquer. Le
second constituant pourrait être classé comme un objet prépositionnel (cf.
Eriksson 1993), vu qu’il est possible de claquer des dents de faim, mais nous
choisissons l’analyse qui y voit un adjoint sémantique.
Le patron d’Instrument est également rentable pour le composé
comportant un adjoint :
• Instrument : (x) V (P) N/A/Adv/P avec Instr[VN/A/Adv/P]
boute-dehors,
boute-hors,
colle-forte,
frappe-devant,
hale-bas,
pass(e-)avant, passe-bas, passe-debout, passe-grand, passe-haut, passepartout, pense-bête, sent-bon, vide-vite
Dans ces deux patrons la préposition est nécessaire dans certains des rares
cas où l’adjoint du composé est constitué d’un N, tels que réveil-cuisine ou
tournesol. Pour ce qui est de réveil-cuisine, nous estimons que la relation à
l’intérieur du composé montre clairement qu’il est question d’un composé
[VN/A/Adv/P]N/A, à l’opposé des composés [NN]N comme réveil-rasoir ou
réveil-radio. Nous recourons donc au raisonnement que Villoing propose
pour d’autres cas ambigus de ce type (cf. 4.1.2). En ce qui concerne passeavant, ce composé a plusieurs sens, soit locatif, ‘passerelle légère et le plus
souvent amovible ou partie du pont en abord’, soit instrumental, ‘titre ou
document relatif au fisc’, soit agentif, au 14e siècle, ‘machine de guerre,
sorte de tour roulante à étages’, selon le TLFi.
Le patron Locatif est aussi attesté pour les composés comportant un
adjoint. Pour la sous-étiquette de Locatiffonctionnel, nous pouvons donner
pass(e-)avant dans le sens de passerelle. Le composé claque-dent, au sens de
‘maison de jeux mal famée ou de prostitution’, convient à un Locatifconteneur.
Les composés comportant un adjoint se retrouvent également dans les noms
84
de lieux. Nous y avons inclus Couche-tard, qui est la marque d’un réseau de
magasins en Amérique du Nord.
• Locatif : (x) V N/A/Adv/P dans/sur Loc[VN/A/Adv/P]
Locatiffonctionnel : pass(e-)avant
Locatifconteneur : claque-dent
LocatifNdeLieux : Chante-clair, Couche-tard, Gagne-Petit, Passavant
Le patron d’Action est aussi rentable pour les composés [VN/A/Adv/P]N/A
comportant un adjoint. Nous y avons inclus entres autres taille-douce, ‘tout
procédé de gravure en creux sur métal’, et trotte-menu, ‘allure d’un animal
qui se déplace à petits pas rapides et sautillants’ :
• Action : (x) [V N]Act (dans Loc[VN]) → (x) [V Adv]Act
boute-hors, branle-bas, rentre-dedans, taille-douce, trotte-menu, réveillematin, (à la) va-vite
Les deux composés chauffe-double, ‛ébullition d’eau-de-vie seconde avec de
nouveau vin’, et taille-douce, ‛planche ainsi gravée, l’estampe obtenue au
moyen de ce procédé’, sont classés comme entrant dans le patron de
Résultat :
• Résultat : (x) [V N]Act a pour Rés[VN] → (x) [V Adv]Act a pour Rés[VAdv]
chauffe-double, taille-douce
Nous interprétons des composés comme guérit-vite, le nom d’une plante,
et tue-vite : « la cigarette est un tue-vite », (http://www.algerie213.com/
forum/topic_11_405.html, site visité 03/17/2008) comme impliquant une
relation causale entre deux événements, à l’instar du cas de gobe-mouton (cf.
4.3.2, 4.4). Ils entrent ainsi dans le patron de Cause agentive, et l’être affecté
correspond à N2 :
• Causeagentive : Cau[VN/A/Adv/P] V N/A/Adv/P et N/N2 V2
guérit-vite (V2 = retrouver la santé), tue-vite (V2 = mourir)
Afin de présenter des évidences supplémentaires pour soutenir notre
position selon laquelle il est possible de poser une seule règle de
construction morphologique, [VN/A/Adv/P]N/A, nous avons étudié les
composés comportant un adjoint dans une perspective diachronique (cf.
aussi ch. 7). Selon nos résultats provenant du TLFi, la toute première
attestation est trotte-menu qui date du 13e siècle, alors que boute-hors et
pass(e-)avant sont attestés au 14e siècle, c’est-à-dire presque aussi tôt que les
composés [VN]N/A comportant un argument interne. Les composés
comportant un adjoint sont aussi particulièrement rentables au 16e siècle, ce
85
qui peut refléter l’observation faite par Darmesteter (1967:216-217 [1875])
selon laquelle Ronsard, dans la Pléiade, avait une certaine prédilection pour
ces composés. Or, les attestations prédominent au 20e siècle. Il semble ainsi
que sa rentabilité suive la rentabilité de tous les composés [VN/A/Adv/P]N/A,
qui est le type le plus fréquent au 20e siècle. Picone (1996:278) pose que la
composition verbe plus adverbe n’est pas disponible en français : selon lui,
le composé porte-fort, qui date du 19e siècle, est la formation la plus récente.
Cette remarque ne se laisse donc pas confirmer par nos résultats. Par
curiosité, nous avons cherché sur Google pour sent-mauvais (à l’opposé du
composé attesté sent-bon), et nous avons pu y localiser quelques exemples,
dont le suivant :
49) Les uns travaillaient dans les champs et ne se lavaient jamais : on les
appelait les « Sent mauvais » ; les autres … (coll-ferrymontlucon.planet-allier.com/pourquoi.htm, site visité 03/17/2008)
En concluant cette analyse des composés [VN/A/Adv/P]N/A comportant un
adjoint, nous pouvons affirmer qu’ils mettent en évidence tous les patrons
sémantiques, ainsi que tous les sens dénotatifs, que nous avons proposés
pour les composés [VN]N/A comportant un argument interne. Nous estimons
donc avoir fourni des évidences sérieuses permettant de supposer l’existence
d’une seule règle de construction morphologique, [VN/A/Adv/P]N/A. Les
composés [VN]N/A dont le second constituant est un argument externe seront
examinés dans la section suivante avec le même objectif.
4.6 Le composé [VN]N/A dont le second constituant est
un argument externe
Darmesteter (1967 [1875]) observe qu’il y a un deuxième type de relation à
l’intérieur du composé [VN]N/A, en dehors de celle d’un impératif suivi d’un
régime, à savoir un impératif joint à un vocatif. Nyrop accepte cette
conception du deuxième type : le composé gobe-mouton aurait au point de
vue historique une analyse telle que « gobe-moi ça, mouton » (Nyrop
1908:275). Un autre composé du même type est, selon Nyrop (1908:276),
pique-poule, dénotant ‛un raisin aimé des poules’. Selon le TLFi, le composé
trique-madame voudrait dire « saute madame » par allusion au goût
astringent de la plante, en adoptant ainsi l’hypothèse qui envisage un
impératif. Marouzeau (1952:81) attire l’attention sur la difficulté qu’il y a à
définir de manière satisfaisante la notion de composé, mais avance qu’il est
encore plus difficile de déterminer la relation à l’intérieur des composés.
Cette difficulté est évidente pour les composés comportant un verbe, qui
présentent d’après Marouzeau deux relations : verbe-régime et verbe-sujet.
86
La première est de beaucoup la plus fréquente, et aussi la plus facilement
interprétée. La deuxième est douteuse quant à sa signification — « Chantemerle n’est pas ‘le merle qui chante’, c’est ‘le lieu où chante le merle’, et,
par extension d’emploi, ‘celui qui habite ledit lieu’ » (Marouzeau 1952) —
et aussi par le fait que le verbe précède son sujet. Giurescu (1975:140-143)
observe de même ces deux types de composés [VN] ; le N à l’intérieur du
composé correspond soit à l’objet direct du verbe soit, dans quelques cas
rares, à son sujet. Giurescu (1975:142) donne l’exemple italien tremacuore
‛tremblement de cœur’, ayant, selon elle, la structure profonde il cuore
trema.
Comme mentionné (cf. 4.3.1), Villoing (2002) exclut ce type de son étude
en disant que l’Agent ne peut jamais être réalisé au sein des composés
[VN]N/A. À propos des composés croque-monsieur et croque-madame,
Villoing (2002:249, n. 29) appuie son analyse sur l’argument que madame
est un terme d’adresse, ou un vocatif, ne correspondant en français standard
à aucun nom. Villoing (ibid.) affirme :
Elle [cette analyse] vaut également pour croque-monsieur, dont le second
élément peut, en français, être un nom, mais qui ici, correspond au participant
sémantique Agent du verbe, et en conséquence, ne peut occuper la place du N
de la composition [VN]N/A. (2002:249, n. 29)
Voilà une argumentation ad hoc, à notre avis. Pourtant, Villoing (2002:390)
classe les composés englobant un argument externe comme des composés
dont la construction reste sujette à question.
Par contre, pour ce qui est de l’italien, Guevara & Scalise (2004), qui
adhèrent à une approche morphologique acceptant l’interaction avec la
syntaxe, traitent le composé [VN] comportant un argument externe au même
niveau que le composé [VN] comportant un argument interne et le composé
[VAdv]. Ils (2004:8) posent cependant que le premier composé dévie
sémantiquement des deux derniers, puisqu’il ne désigne pas des Agents ou
des Instruments, mais des Actions, comme batticuore ‛tremblement de
cœur’, ou des Locatifs, comme corrimano ‛rampe’. Comme l’étude de
Fradin (2005) l’a déjà montré, et comme notre étude le confirmera, cette
observation ne vaut pas pour le français. Fradin (2005) inclut donc ce type
parmi les composés [VN]N/A. Il le fait cependant sans discuter les
implications théoriques de sa décision, en renvoyant uniquement aux
conditions proposées sous (40) (cf. 4.3.2).
En rappelant le critère le plus important que propose Villoing (2002) (cf.
4.5) afin de décider si le composé [VAdv]N/A peut être inclus dans la même
construction morphologique que le composé [VN]N/A comportant un
argument interne, à savoir les restrictions sémantiques pesant sur les
prédicats, commençons par examiner les prédicats qui entrent dans ces
composés :
87
50) Vtrans: caucher, chausser, claquer, croquer, dépêcher, gober, passer,
pêcher, piquer, pisser, tirer
51) Vintrans: chanter, couler, hurler, sauter, triquer/tripper, trotter
La plupart de ces verbes, sauf ceux qui sont soulignés, prennent aussi part
aux composés [VN]N/A comportant un argument interne, comme gobe-lune.
Une exception peut être constituée par cauchemar113, mais il semble y avoir
le même verbe que dans chauche-mottes, dont le second constituant est un
argument interne. Remarquons que trotter, souligné aussi, entre dans le
composé trotte-menu, comportant un adjoint, et que dépêcher ne figure que
dans la locution adverbiale (travailler) à dépêche-compagnon. De fait, si
l’on n’examine pas en détail la relation qui tient entre les deux constituants,
on pourrait faire entrer ce type parmi les composés [VN] réguliers, ce que
fait Villoing (2002) dans certains cas.
Trotte-bébé, ‛sorte de chaise roulante qui aide le bébé à marcher ou à se
déplacer’, aussi appelé trotteur, est une formation récente qui implique une
relation interne entre prédicat et argument externe. Selon Roussarie &
Villoing (2003), le second N de trotte-bébé est ici réalisé comme le ProtoPatient, c’est-à-dire l’argument interne du V, mais sémantiquement, il
correspond à l’Agent ou à l’argument externe, et le verbe intransitif trotter
est en emploi transitif. Villoing (2003:192) élabore cette observation à
propos d’unités comme trotte-bébé, coule-sang, ‘instrument qui provoque
l’écoulement du sang’ (notons aussi le sens d’‘espèce de serpent’), ou pissechien, ‘valet de chasse dont la fonction est d’aller faire uriner le chien’,
comprenant un prédicat à un argument, qui porte le rôle d’Agent, et qui
semble être réalisé par le second constituant. Les prédicats complexes dans
ces composés ne s’interprètent pas comme « N agent de V » (cf. les phrases
correspondantes le bébé trotte, etc.), mais d’une manière causative comme
‘faire V N’ : syntaxiquement, ils sont des intransitifs inergatifs (c.-à-d.
verbes qui n’ont qu’un argument externe, portant le rôle d’Agent, comme
courir cf. Legendre & Sorace 2003), et le nom interne semble jouer le rôle
de Patient. De cette manière, ces composés ne diffèrent pas, selon Villoing
(2003), de la configuration sémantique qu’elle pose pour les composés
[VN]N/A, mais ils semblent montrer que la règle de composition [VN] impose
une interprétation causative du prédicat. Villoing admet pourtant que cette
hypothèse est trop puissante en prédisant que tout verbe intransitif inergatif
peut potentiellement entrer dans un composé [VN]N/A.
Quelques rares unités comme gobe-mouton, croque-monsieur, ‘entremets
chaud’, ou chante-raine, le nom d’une rue, dont le second constituant doit
113
Selon l’étymologie donnée dans le TLFi, le premier constituant serait un croisement entre
l'ancien français chauchier ‛fouler, presser’ et la forme picarde correspondante cauquier. Le
second constituant est l'ancien picard mare ‛fantôme’.
88
s’interpréter comme l’Agent et non pas comme le Patient du prédicat, et dont
le composé lui-même serait le Proto-Patient, manifestent, selon Villoing
(2003:192-193), un patron inverse par rapport au composé [VN]N/A dont le
second constituant est le Patient et le composé l’Agent. Villoing se pose la
question de savoir s’il est pertinent ou non d’analyser ces unités comme des
composés [VN] morphologiques. Au cas où l’on déciderait de le faire, il
faudrait prendre position pour une seule et même règle de composition VN,
ou pour l’ajout d’une deuxième règle de composition VN. Ce raisonnement
est le même que celui que Villoing (2002) avance pour les unités [VAdv]N/A,
et nous prenons ainsi position pour une seule et même règle
[VN/A/Adv/P]N/A englobant les composés comportant un argument interne
ou externe et les composés comportant un adjoint. Pourtant, nous sommes
consciente du fait que cette règle court le risque soit d’être trop puissante
soit, pour parer cette surpuissance, qu’il faut distinguer des sous-cas.
Rappelons les cinq similarités que Villoing (2001, 2002:276-280) énumère
dans la section précédente pour les composés [VN] comportant un argument
interne et les unités [VAdv] : (i) ils sont N ou A ; (ii) ils portent le genre
masculin ; (iii) leurs prédicats appartiennent le plus souvent à la première
conjugaison ; (iv) ils dénotent les mêmes types d’entités sémantiques ; (v) le
référent dénoté par le composé focalise une propriété habituelle ou
fonctionnelle. En appliquant ces critères aux composés comportant un
argument externe, il s’avère qu’ils y conviennent parfaitement, ce qui donne
du support à notre position. Notons cependant qu’à l’instar des composés
comportant un adjoint, les composés comportant un argument externe
comprennent eux aussi des verbes à un argument/intransitifs, même si leur
nombre est réduit. C’est donc uniquement sur ce point que ces deux cas
diffèrent des composés [VN]N/A comportant un argument interne. Rappelons
que selon Fradin (2005), ceci ne constitue pas un obstacle pour poser
l’existence d’une seule construction [VN] dont le second N est un argument
interne ou externe de V. Ainsi, en suivant le même raisonnement qu’avance
Villoing (2001, 2002) pour inclure le type [VAdv]N/A sous la même
construction morphologique que le composé [VN]N/A, et en nous appuyant
sur Fradin (2005), nous ne trouvons pas de raison pour ne pas y inclure aussi
les composés comportant un argument externe.
Examinons de plus près les patrons sémantiques qu’on observe à
l’intérieur des composés [VN]N/A comportant un argument externe, ce qui
touche aussi le critère (iv) ci-dessus, dans le but de conforter encore notre
prise de position. Il est à noter que les patrons que nous avons proposés pour
les composés incorporant un argument interne et ceux incorporant un adjoint
ne peuvent pas s’y appliquer sans ajustement. Certains des patrons que
proposent Fradin sont cependant élaborés pour des composés incorporant un
argument externe.
Afin de pouvoir rendre compte des deux sens dénotatifs Agent et
Instrument, nous proposons deux patrons différents. Il importe de noter que
89
le premier patron est celui que propose Fradin pour les artéfacts
fonctionnels, mais à notre avis, celui-ci s’applique aux agents. On trouve
différents types d’Agents : des Humains, pisse-chien, des Animaux, coulesang, et des Végétaux, trique-madame. Nous avons donc ajouté le second
patron d’Instrument, car nous trouvons pertinent de faire une distinction
entre Agent et Artéfact, qui, selon nous, correspond plutôt à un Instrument,
par exemple trotte-bébé. Pour ce dernier, nous remarquons que si le bébé
refuse de trotter, le trotte-bébé ne va pas se mettre en route :
• Agent : Ag[VN] (fait) N V
coule-sang, passe-rage, pisse-chien, trique-madame
• Instrument : N V avec Instr[VN]
coule-sang, trotte-bébé
Le patron d’un lieu fonctionnel que propose Fradin (2005) regarde les
composés comportant un argument externe du verbe. Notons que le sens
Locatif de tire-v(i)eille, ‛filin, corde à l'extérieur d'un bâtiment et dont on se
sert pour monter à bord’, peut être discuté. Nous considérons néanmoins que
ce patron est celui qui y convient le mieux. Fradin (2005) estime que le
patron des noms de lieux est fort rentable pour les composés comportant un
argument externe, ce que nous pouvons confirmer. De plus, il n’y a pas de
raison, nous semble-t-il, à ne pas combiner les deux patrons Locatifs de
Fradin (2005) sous un même patron Locatif, conformément à notre démarche
pour les composés comportant un argument interne ou un adjoint.
Remarquons cependant que nous n’avons pas trouvé d’attestation de
Locatifconteneur.
• Locatif : N V(intrans) dans/sur Loc[VN]
Locatiffonctionnel : tire-v(i)eille
Locatifconteneur : *
LocatifNdeLieux : Chante-merle, Chante-raine, Gratte-loup, Hurle-vent, Pisseoiseau, Pisse-vache
Le patron d’Action que nous avons pu établir pour les composés
comportant un argument interne et pour les composés comportant un adjoint
peut aussi s’ajuster afin de convenir aux composés [VN]N/A comportant un
argument externe, comme saute-mouton, ‛jeu consistant à sauter par-dessus
un partenaire qui se tient courbé et tête baissée, en prenant appui avec les
mains sur son dos et en écartant les jambes’ :
• Action : (x fait) [N V]Act
dépêche-compagnon, saute-mouton, tourne-main, va-tout
90
Pour ce qui est de cauchemar, au sens d’‛état d’oppression ou d’étouffement
qui survient durant le sommeil’ (il a aussi le sens de ‛ce qui provoque la
peur, la panique, l’horreur, l’aversion’), et de chauche-vieille, sa forme
provinciale, nous estimons que les deux entrent dans le patron de Résultat :
• Résultat : [N V]Act a pour Rés[VN]
cauchemar, chauche-vieille
Le patron de Cause que Fradin (2005) propose pour gobe-mouton est ainsi
attesté pour ce type. Remarquons que nous avons décidé de donner à cette
variante du patron de Cause la sous-étiquette instrumentale, car nous
estimons que les entités dénotées expriment un sens instrumental. Or, il nous
semble difficile de faire entrer avec dans ce patron, par (l’intermédiaire de)
y convenant le mieux :
• Causeinstrumentale : N V Cau[VN] et N/N2 V2 (par Cau[VN])
gobe-mouton (V2 = mourir), tire-suisse (N2 = porte, V2 = ouvrir)
Nous pensons qu’il faut proposer un patron particulier pour des composés
incorporant un argument externe et dénotant des objets comestibles, par
exemple broute-biquet, pour ‛chèvre-feuille’. Notons que cela n’est pas
nécessaire pour les composés comportant un argument interne, car pour
ceux-ci, les objets comestibles sont compris par le patron d’Instrument le
plus rentable (cf. 4.4). À la différence des composés comportant un
argument interne dénotant un comestible, comme casse-croûte, le sens
instrumental n’est pas, à notre avis, manifeste pour les composés comportant
un argument externe, de sorte que nous introduisons le sens dénotatif
d’Objet, qui pourtant est marginal. Notons que le patron de Cause embrasse
le patron d’Objetcomestible :
• Objetcomestible : N V Obj[VN]
broute-biquet, croque-monsieur, croque-madame, pique-poule
Il reste à classer quelques composés [VN]N/A au sens d’Agent ou
d’Instrument, dont le second constituant est un argument externe, mais qui
néanmoins n’entrent pas dans les patrons donnés ci-dessus. Sont classés
comme Agent : chauche-branche, au f. ‛la maîtresse de branche, qui
chauche, presse les autres’, au m. ‛l’oiseau qui chauche les branches entre
ses serres’ (le second constituant est un argument interne), chausse-trappe,
‛plante dont les fleurs sont armées d’épines’, grippe-minaud, ‛nom du chat’
(minaud est aussi nom du chat), morpion, ‛poux du pubis, le pou qui mord’,
et pêche-martin (ou martin-pêcheur), ‛petit passereau au plumage éclatant
qui vit au bord des cours d’eau et se nourrit de poisson’. Sont classés comme
Instrument : chausse-trappe, ‛pièce de fer munie de pointes placée au devant
91
de l’infanterie et de la cavalerie ennemies pour qu’elles s’y enferrent’,
claque-bois, ‛instrument de musique composé de dix-sept lames de bois de
longueur régulièrement décroissante que l’on fait résonner avec des
baguettes’, gratte-boësse, ‛sorte de brosse’ (boësse est une brosse de doreur),
porte-chaise, au f. ‛la chaise à porteur’, au m. ‛le porteur de la chaise (à
porteur)’, trousse-barre, ‛morceau de bois dont on se sert pour faire joindre
ensemble les coupons d’un train à flotter’. Est classé comme
Locatif : chausse-trappe, au sens de ‛trou camouflé cachant un piège pour
des animaux sauvages’.
Darmesteter (1967:185 [1875]) qui pose l’hypothèse que le premier
constituant est un impératif et qui s’oppose fermement à y voir un thème,
estime que seuls les composés [VN] tels que ceux-ci, qui ressemblent à
l’allemand Schreibfeder ‘écrit-plume’, pourraient éventuellement confirmer
l’hypothèse selon laquelle il est question d’un thème. En adoptant une
approche morphologique qui accepte la notion de tête, on semble avoir
affaire ici à un monstre, c’est-à-dire une composition française qui a sa tête à
droite. Le genre de ces composés est toujours celui du second constituant à
droite, plusieurs sont du genre féminin, et le composé lui-même dénote un
hyponyme de l’entité dénotée par cette tête. De plus, ce type français
ressemble quant à sa structure à un type de composé germanique fort
rentable, comme l’a remarqué Darmesteter. À titre d’exemple, comparons
avec le suédois : porte-chaise vs bärstol ‘porte+chaise’, gratte-boësse vs
skrubborste ‘gratte+brosse’ (cf. 5.5). Comme ces composés manifestent des
propriétés caractéristiques et distinctes des autres composés
[VN/A/Adv/P]N/A, nous estimons que la seule possibilité est de poser une
seconde règle de construction morphologique [VN]N qui ne vaut que pour
ces composés, qui pourtant ne semblent ni disponibles ni très rentables.
Quant à leurs sens dénotatifs, remarquons que les sens Action, Résultat et
Cause ne sont pas attestés. En effet, il ne semble guère possible de faire une
distinction entre différents sens. Nous proposons ainsi un seul patron114 :
• Agent/Instrument/Locatif : [N (qui (se)) V]Ag/Instr/Loc.
chauche-branche, chausse-trape, claque-bois, gratte-boësse, grippeminaud,
morpion, pêche-martin, porte-chaise, trousse-barre115
114
Selon Darmesteter (1967:176 [1875]), il est impossible de voir une structure telle que « N
qui V », ni « N qui est un VN ». Il (ibid.:181) note que la structure « N à V-er » est aussi
proposée.
115
Darmesteter (1967:223, 226, 228 [1875]) classe gorge-fouille (f.), ‛espèce de bec-de-cane
dont l’extrémité du fer est recourbée et arrondie’, passe-soie (f.), ‛lame de fer percée de trous,
par lesquels on fait passer la soie’, et perce-feuille, ‛plante ombellifère’, comme comportant
des arguments externes. Les deux derniers reçoivent en effet deux classements dont l’un
comporte selon Darmesteter, qui se base sur Littré (1863-1872), un argument interne. Or,
notre consultation du même ouvrage n’y trouve qu’un sens. Nous arrivons donc difficilement
à comprendre ce classement. À notre avis, et selon Villoing (2002:341, 352) également, la
92
Notons que chauche-branche, chausse-trape, claque-bois, gratte-boësse,
porte-chaise et trousse-barre sont classés comme incorporant un argument
interne par Villoing (2002:328, 329, 341, 358, 379). Mentionnons aussi
finalement chante-fable, composition poétique dans laquelle des parties en
vers chantées alternent avec des parties en prose récitées. Selon Villoing
(2002:326), il comporte un argument interne, mais à notre avis, sa relation
interne diffère de la relation interne du nom de lieu Chante-messe, dans
laquelle messe est indiscutablement un argument interne. Selon Darmesteter
(1967:212 [1875]), il se compose de deux impératifs. Puisque nous ne
réussissons pas à déterminer le patron dans lequel inclure chante-fable, nous
le mettons hors de compte.
Afin de conclure notre analyse des composés [VN]N/A comportant un
argument externe, constatons qu’ils sont quant aux sens dénotatifs et aux
patrons sémantiques internes similaires aux deux autres composés
[VN/A/Adv/P]N/A. De plus, ils remplissent les critères proposés par Villoing
(2002) portant sur la similarité entre composés [VN]N/A comportant un
argument interne et composés [VAdv]N/A, et la plupart des verbes sont les
mêmes que ceux des composés comportant un argument interne. En
fournissant ces évidences supplémentaires, nous renforçons, d’une part, la
position prise par Fradin (2005) selon laquelle le second constituant du
composé [VN]N/A peut aussi correspondre à un argument externe.
Remarquons cependant qu’à notre avis, les composés du type tire-vieille,
tourne-main, trique-madame semblent, à l’instar de croque-madame et de
croque-monsieur, contredire la condition de (42), selon laquelle N ne peut
dénoter un Agent volitionel, ce que propose Fradin (2005). D’autre part, cela
renforce également notre idée selon laquelle il est possible de postuler une
unique règle de construction morphologique, [VN/A/Adv/P]N/A, qui
cependant n’englobe pas le sous-type de composé [VN]N comportant un
argument externe qui ressemble à un type de composé germanique, et pour
lequel il faut postuler une règle de construction morphologique à part. Par
ailleurs, en examinant les composés qui comportent un argument externe
dans une perspective diachronique, notons que la première attestation est
cauchemar qui date du 14e siècle selon le TLFi, et que trique-madame est
attesté ensuite au 16e siècle. Certains noms de lieux sont assurément même
plus vieux : selon Longnon (1920-1929:537), on en rencontre qui
comprennent un thème verbal depuis le 9e siècle (cf. 8.2). La majorité de ces
composés ont été selon le TLFi construits au 20e siècle. Admettons pourtant
que les composés [VN] comportant un argument externe sont marginaux
pour ce qui est de la rentabilité, tout en semblant disponibles.
structure de ces composés s’explique mieux si le second constituant est considéré comme un
argument interne.
93
4.7 Restrictions sur le prédicat des composés
[VN/A/Adv/P]
Nous discuterons ici brièvement d’autres restrictions susceptibles d’avoir de
l’importance pour les prédicats des composés [VN/A/Adv/P]N/A. En nous
appuyant sur la conclusion tirée par Fradin (2005) selon laquelle il suffit de
postuler que la structure interne des composés [VN]N/A est une relation entre
verbe et argument, nous estimons pouvoir montrer qu’il n’existe pas de
restrictions. Fradin (2005:21) affirme que les composés [VN]N/A comportant
un argument interne ou externe peuvent contenir des prédicats inaccusatifs,
et Villoing (2003:192) observe qu’un prédicat inergatif peut potentiellement
apparaître dans le composé [VN]N/A comportant un argument interne.
Afin d’arriver à la restriction selon laquelle le prédicat est [+dynamique],
Villoing (2002:237-243) examine le prédicat complexe, « v’_n’ », à
l’intérieur des composés. Elle se base sur la classification de Vendler (1957)
en quatre classes d’Aktionsart : achèvements, accomplissements, activités,
états. Villoing (2002:238) présente les tests, repris ici et généralement
utilisés en français, pour discerner les quatre classes :
• les états sont incompatibles avec se mettre à, être en train de et s’arrêter
de (*Marie se met à/est en train d’/s’arrête d’être belle) ;
• les activités sont incompatibles avec en + durée (*Marie a écrit en une
heure), mais compatibles avec pendant + durée (Marie a écrit pendant
une heure) ;
• les accomplissements sont, au contraire des activités, compatibles avec
en + durée (Marie a écrit la lettre en une heure), mais incompatibles avec
pendant + durée (*Marie a écrit la lettre pendant une heure) ;
• les achèvements sont incompatibles avec commencer à, continuer à et
finir de (*Marie commence à/continue à/finit d’atteindre le sommet).
Ces tests ont, en partie, été élaborés par Hoepelman et Rohrer (1980), Nef
(1986) et Vikner (1985), d’après Villoing (2002:238, n. 22). En s’appuyant
sur Vetters (1996) et Martin (1988), Villoing (2002:238-241) évoque aussi
des traits sémantiques binaires, comme [+dynamique] vs [+statif], [+borné]
vs [-borné] et [+ponctuel] vs [+duratif] pour caractériser les quatre classes.
Villoing (2002:241) pose en fait que le prédicat « n’est jamais un
état » ; par conséquent, des composés tels que *un sait-mathématique, *un
connaît-anglais, *un aime-animal et *un désire-cadeau ne sont pas
possibles. Villoing (2002:242-243) montre qu’autrement la composition
[VN]N/A met en jeu des prédicats appartenant aussi bien aux achèvements,
aux accomplissements et aux activités.
Constatons que la supposition faite par Villoing n’est pas confirmée par
les données dont nous disposons. Selon Wooldridge (1998:217), des
composés [VN] qui contiennent le verbe aimer sont attestés aux 16e et 17e
94
siècles.116 Il en donne nombre d’exemples, comme aime-bal ou aime-laine,
dont la plupart apparaissent comme épithètes. Bierbach (1982:170-171) liste
lui aussi plusieurs composés formés à partir d’aimer, par exemple aimesang, pour ‛meurtrier’ ou aime-silence, et Darmesteter (1967:220 [1875])
mentionne aussi aime-bal dans sa liste des composés modernes. Le verbe de
ces composés ne prend pas un argument externe avec un rôle d’Agent, mais
plutôt avec un rôle d’Expérienceur, ou de Sentient, selon Reinhart (2002:10,
n. 7). Il se peut donc que le français soit devenu plus restrictif sur ce point.
Or, nous estimons que selon les tests d’Aktionsart les prédicats complexes
des composés comme porte-bonheur, porte-malheur songe-malice, souffredouleur et vaurien, inclus dans l’étude de Villoing (2002), permettent
néanmoins une lecture d’état. En prenant aussi en considération les
composés comportant un adjoint, mentionnons sent-bon. En plus, nous avons
vite pu attester les composés suivants, qui nous semblent acceptables, en
cherchant sur Google, mais qui selon Villoing (2002) ne seraient pas
possibles. Les deux composés proviennent du Canada ; il se peut donc que le
français canadien soit plus libéral pour la formation de composés,
probablement sous l’influence de l’anglais :
52) Que voulez-vous, au Québec (Montréal comme à Québec) nous sommes
tous des connait tout. (http://www.velocia.ca/forums/le-cafe-duvelo/506-avez-vous-votre-velo-mag-2.html, site visité 03/17/2008)
53) Sait-tout : nom masculin : Il faut absolument que je m'achète un saittout ! Définition : Petit écouteur relié d'un fil à un petit micro, le micro
sert à poser une question et l'écouteur sert à entendre la réponse à notre
question. (www.louismoreau.info/article-6328159.html, site visité
03/17/2008)
Concluons cette section en disant que, effectivement, il ne semble pas
exister de nombreuses restrictions sémantiques pesant sur les prédicats qui
entrent dans la construction morphologique [VN/A/Adv/P]N/A, à l’exception
de la seule restriction absolue stipulant que le prédicat doit nécessairement
prendre un argument externe, comme le note Fradin (2005). Les évidences
présentées ici aspirent à donner encore plus de poids à l’opinion selon
laquelle il est question d’une seule et même règle de construction
morphologique, [VN/A/Adv/P]N/A.
116
« Pourtant c'est la nomenclature de Cotgrave — on y trouve, sans indication de source,
aime-bal, aime-carnage, aime-esbats, aime-humains, aime-loix, aime-lyre, aime-maistre,
aime-mars, aime-noise, aime-noveauté, aime-paix, aime-pleurs, aime-silence et aime-tout —
qui donne lieu à l'item global du FEW : FEW (s.v. AMARE 24, 388a): ‘mfr. aime-bal, aimecarnage, etc. "qui aime le bal, le carnage, etc." (16e s.; Cotgr 1611)’ » (Wooldridge
1998:217).
95
4.8 Conclusion : la structure sémantique des
composés [VN/A/Adv/P]N/A
Dans des approches morphologiques et syntaxiques, ce sont surtout les
composés comportant un adjoint qui peuvent facilement être mis sur le
même pied que les composés [VN]N/A comportant un argument interne. Pour
ce qui est des composés [VN]N/A contenant un argument externe, ils s’y
adaptent plus difficilement, même si Fradin (2005) les traite de la même
façon que les composés comportant un argument interne. Pourtant, les
évidences présentées dans ce chapitre nous semblent des arguments en
faveur du postulat d’une unique règle de construction morphologique,
[VN/A/Adv/P]N/A, tout en admettant qu’elle risque d’être trop puissante.
Nous espérons aussi avoir montré que nombre de composés, qui, au premier
abord, et sans analyse approfondie, semblent avoir une structure [VN]N/A
comportant un argument interne, comportent plutôt un adjoint sémantique ou
un argument externe. En postulant une même règle de construction
morphologique [VN/A/Adv/P]N/A, on évite ce problème de classement. Nous
sommes tout à fait d’accord avec Fradin (2005), qui accepte une structure
sémantique peu contraignante à l’intérieur des composés [VN]N/A, prédisant
uniquement que le second constituant doit être un argument. Or, nous
proposons d’y inclure les composés comportant un adjoint sémantique. Afin
d’englober les composés [VN/A/Adv/P]N/A sous la même construction
morphologique, nous révisons ainsi les deux conditions proposées par Fradin
(2005) (cf. 40) comme suit :
54) Conditions sur les composés [VN/A/Adv/P]N/A
a) Le N/A/Adv/P doit être interprété comme un argument/un adjoint du
prédicat verbal.
b) Le composé [VN/A/Adv/P]N/A doit dénoter une entité qui est
sémantiquement corrélée à l’événement décrit par le prédicat verbal.
Comme nous avons aussi ajouté le patron d’Action et celui de Résultat dans
nos analyses des patrons sémantiques, il faut conséquemment élargir les
corrélations entre l’entité dénotée et l’événement que Fradin a proposé (cf.
41). Nous ajoutons donc les deux corrélations de (d-e), les autres patrons que
nous avons proposés entrant parfaitement dans (55b-c) :
55) L’entité A est corrélée à l’événement Év si
a) L’expression linguistique qui dénote A est un argument du prédicat
verbal qui dénote l’Év (ou : A est un participant dans la structure
causale reflétée par le verbe).
b) A constitue le lieu où l’Év prend place.
c) A est un causeur de l’Év.
d) A est l’action exprimée par l’Év.
96
e) A est le résultat de l’action exprimée par l’Év.
Nous présentons ici la liste des patrons sémantiques que nous avons pu
discerner parmi les composés [VN/A/Adv/P]N/A. Admettons que cette liste
n’est certainement ni exhaustive ni sans défaillances qui pourraient être
rectifiées :
•
•
•
•
•
•
Agent : Ag V (P) N/A/Adv/P → Ag (fait) N V
Instrument : (x) V (P) N/A/Adv/P avec Instr → N V avec Instr
Locatif : (x) V N/A/Adv/P (y) dans/sur Loc → N V dans/sur Loc
Action : (x) [V N/A/Adv/P]Act → (x fait) [N V]Act
Résultat : (x) [V N/A/Adv/P]Act a pour Rés → [N V]Act a pour Rés
Causeinstrumentale : N V Cau et N/N2 V2 (par Cau) → Causeagentive : Cau V
N/A/Adv/P et N/N2V2
Il découle de cette liste qu’il est possible d’inclure les patrons des composés
comportant un adjoint dans les patrons des composés comportant un
argument interne. Nous pouvons constater en outre que les patrons
sémantiques des composés incorporant un argument externe sont dérivables
des patrons des composés incorporant un argument interne ou un adjoint, ou
vice versa : le sens dénotatif est toujours le même. Nous n’avons donc pas
pu vérifier que ces deux pôles dans la liste construisent des unités dont la
dénotation sémantique se distingue l’une de l’autre (cf. Guevara & Scalise
2004). Villoing & Roussarie (2003) mentionnent la possibilité d’un lien
entre structure interne et dénotation. Cette possibilité peut se comprendre à
deux niveaux différents : nous estimons avoir montré comment arriver aux
sens dénotatifs des types sémantiques des composés à partir des patrons
proposés ; or, les sens dénotatifs des composés individuels ne ressortent pas
toujours par l’intermédiaire de ces patrons, ce qui est lié à la question de
transparence vs opacité sémantique.
Certains composés ont un sens transparent, presque compositionnel,
comme ouvre-boîte et porte-drapeau. D’autres composés ont un sens moins
transparent et plus spécialisé, comme cache-bornes, ‛couvercle qui recouvre
les bornes et les extrémités des conducteurs d'un appareil ou d'une machine’,
ou traîne-lattes, ‛celui qui traîne ses chaussures, flâneur, vagabond’, et
d’autres encore ont un sens opaque, comme étouffe-chrétien, ‛mets d'une
consistance épaisse’, ou tète-chèvre, ‛oiseau, engoulevent d'Europe’. Les
patrons sémantiques que nous proposons ne prennent pas en considération la
question intrigante du degré d’opacité, cf. Fradin (2003a) qui estime qu’il y a
des degrés d’opacité. Ceci pourrait certainement mériter d’être étudié de
près.
Suivant le raisonnement de Lesselingue (2003), qui propose un
continuum sémantique pour l’interprétation des composés [NN]N en français,
nous pourrions aussi proposer un continuum pour les composés
97
[VN/A/Adv/P]N/A. À l’une extrémité du continuum, nous avons les composés
[VN]N/A dont le second constituant est un argument interne, comme ouvreboîte, au milieu nous avons des composés comme traîne-buisson, où le statut
du second constituant peut être discuté, ainsi que caille-lait, exprimant une
relation causative, et dont le second argument semble être un argument
externe, du même type rencontré avec des verbes intransitifs inergatifs. À
l’autre extrémité, il y a des composés classés clairement comme comportant
un adjoint, comme passe-grand, et comme [VN]N/A comportant un argument
externe, comme gobe-mouton. Les cas ambigus au milieu autorisent la
transition floue entre les deux extrémités.
Remarquons que nous avons exclu de la liste des patrons proposés pour la
construction [VN/A/Adv/P]N/A, le patron valable pour les composés
comportant un argument externe, manifestant des similarités avec un type de
composé germanique :
• (Agent/Instrument/Locatif : [N (qui (se)) V]Ag/Instr/Loc)
Nous ne voyons pas d’autre possibilité que de proposer une règle distincte
pour cette construction morphologique. Nous avons également exclu le
patron d’Objet (comestible) qui ne vaut que pour les composés comportant
un argument externe, comme croque-madame, puisque nous estimons que
son statut reste douteux :
• (Objetcomestible : N V Obj[VN])
Étant donné que le constituant verbal des composés [VN/A/Adv/P]N/A
manifeste la SLC du verbe dont il est le thème, nous supposons que les
adjoints sont présents dans la SLC du verbe. Ayant tiré cette conclusion,
nous pouvons mettre en question la position selon laquelle ce n’est que la
tête d’un composé dont l’un des constituants est un verbe endocentrique qui
sélectionnerait le constituant non-tête. En d’autres mots, cela remet en
question la pertinence de la notion de tête morphologique (cf. ch. 5, en
particulier 5.1, où nous discuterons ces questions plus en détail).
Le chapitre suivant traitera des correspondances suédoises de la
construction [VN/A/Adv/P]N/A en français, et examinera surtout si l’on peut
y retrouver les mêmes patrons sémantiques. À l’instar des analyses du
présent chapitre, il sera question d’une approche qualitative portant sur la
disponibilité des formations suédoises.
98
5 Contrastivité des formations agentives
Cette étude contrastive, synchronique, traite de quatre formations agentives
en suédois qui correspondent sémantiquement aux composés
[VN/A/Adv/P]N/A du français. Cette étude ne s’inscrit pas exactement dans le
cadre de la typologie morphologique, car les différences de structures
formelles ne constituent pas son objectif : nous nous intéresserons à la
relation sémantique interne des formations agentives. Nous voudrions
examiner si les patrons sémantiques des composés français du type
[VN/A/Adv/P]N/A sont présents dans les formations suédoises. Nous
essayerons aussi de répondre à la question de savoir s’il y a une formation
suédoise particulière qui exprime mieux que les autres la sémantique de la
composition [VN/A/Adv/P]N/A du français. Nous essayerons de déterminer si
la relation tenant entre les constituants des formations suédoises peut, à
l’instar de la construction morphologique française [VN/A/Adv/P]N/A,
correspondre à une relation soit entre prédicat et argument interne, soit entre
prédicat et argument externe ou entre prédicat et adjoint sémantique. Il nous
importe donc d’examiner les effets d’héritage des formations suédoises, ainsi
que les restrictions pesant sur les prédicats.
La section 5.1 traitera de la notion d’héritage, pertinente pour les
formations dont l’un des constituants est un verbe. La section 5.2 présentera
l’étude de Guevara & Scalise (2004) sur la typologie de la composition. La
délimitation des données utilisées dans notre étude contrastive sera traitée
dans 5.3. Dans la section 5.4 nous donnerons une introduction aux
formations agentives en suédois. Nos analyses des formations agentives en
suédois et leurs patrons internes suivent dans les sections 5.5.1 à 5.5.4. Les
restrictions des prédicats qui entrent dans les formations agentives en
suédois seront discutées dans 5.6, et la conclusion de l’étude contrastive et
ses implications pour la théorie morphologique seront données dans 5.7.
5.1 Héritage
Nous présenterons ici la notion de l’héritage (inheritance) et ses implications
pour notre analyse des patrons sémantiques des composés agentifs en
français et en suédois. Dans cette étude, nous nous appuyons sur la théorie
de l’héritage que propose Booij (2002), qui se place dans une approche de
morphologie scindée à base de lexème, mais qui accepte la notion de tête.
99
Notons qu’Ackema & Neeleman (2004:23-30) discutent aussi la notion
d’héritage pour ce qui est de la formation des mots. Ils posent qu’une
approche syntaxique de la formation des mots ne réussit pas à rendre compte
de l’héritage qui s’applique à l’intérieur des unités complexes.
Selon Booij (2002:188), la représentation lexicale des mots contient les
deux niveaux liés : la Structure Lexicale Conceptuelle, SLC, et la Structure
Prédicat-Argument, PAS, qui est la projection syntaxique de la SLC.117
Ainsi, dans notre étude, seule la SLC est pertinente. La SLC spécifie le sens
du verbe : ses participants, par exemple (x, y), et les rôles thématiques joués
par ceux-ci, par exemple (xAgent yPatient). Par l’intermédiaire de règles de liage,
la PAS peut être prédite à partir de la SLC. Par exemple, le rôle d’Agent
correspond à l’argument externe (x118), et le rôle de Patient/Thème, à
l’argument interne (y), au cas où le verbe exprimerait les deux. Cette règle
de liage est universelle et s’applique systématiquement (Booij 2002:189).
Outre la structure argumentale qui englobe la SLC et la PAS, la
représentation sémantique d’un mot contient aussi une Structure
d’Événement, SÉ, qui peut être de l’un des quatre types vendleriens : états,
activités, accomplissements et achèvements (cf. 4.7). La SÉ est importante
pour le liage entre SLC et PAS : un verbe d’accomplissement, télique,
requiert que son argument d’objet soit exprimé syntaxiquement. Par contre,
un verbe tel que manger est optionnellement transitif, et son argument
Patient ne doit pas être exprimé syntaxiquement : c’est-à-dire qu’au niveau
de la SLC, l’argument interne (y) peut recevoir une interprétation arbitraire.
La plupart des procédés de formations des mots qui affectent la valence
syntaxique doivent donc être interprétés comme des opérations au niveau de
la SLC (Booij 2002:189).
Booij (2002:195) précise que l’héritage est un terme qui décrit l’effet
résultant du fait que la structure sémantique d’un nom déverbal englobe celle
du verbe base, conséquence donc du principe de la compositionnalité en
morphologie : le sens d’une unité complexe est une fonction
compositionnelle du sens de la base et du sens de l’affixe. Les noms
déverbaux diffèrent des verbes en ce que les rôles thématiques associés ne
doivent pas toujours être exprimés (cf. la règle de la réduction optionnelle
d’arguments des noms déverbaux proposée par Hoeksema 1984, Mackenzie
1985), car l’entité non exprimée peut être reconstruite en recourant au
contexte ou aux facteurs extra-linguistiques : drawer (of a drawing) ou eater
(of food). Les noms déverbaux diffèrent des noms simples en ce que ces
derniers ne possèdent pas de rôles associés (Booij 2002:195-196). Pour ce
qui est des noms déverbaux en -er en néerlandais, ils possèdent la
117
Ceci reflète l’opinion de Levin & Rappaport Hovav (1995:20-21) selon laquelle un verbe
possède deux représentations lexicales : la représentation sémantique lexicale (c.-à-d. la SLC)
et la représentation syntaxique lexicale (c.-à-d. la structure argumentale).
118
La mise en italique indique que l’argument Agent est exprimé comme l’argument externe
dans la position de sujet (Booij 2002:188).
100
caractéristique sémantique de lier la variable x (le sujet logique) de la SLC
du verbe. Le plus souvent, x porte le rôle thématique d’Agent, mais aussi
celui de Thème au cas où le verbe serait intransitif (Booij 2202:196). Si la
SLC comporte un argument additionnel (le V est transitif), celui-ci est soit
variable, drinker of gin, soit exprimé comme le constituant non-tête du
composé, gin drinker (Booij 2002:196-197).
Booij (2002:198) signale que les noms dérivés, par exemple eater, qui
peuvent apparaître sans exprimer le second rôle thématique, deviennent
ambigus lorsque celui est exprimé, comme dans tree eater. Le constituant
non-tête, tree, peut ici recevoir une interprétation de Thème ou d’un adjoint
indiquant le Lieu. Booij (2002:199-200) souligne la présence de « the First
Order Projection Condition » que propose Selkirk (1983:37) pour
l’interprétation du constituant non-tête dans les composés anglais
comportant -er. Un syntagme comme a tree eater of pasta, ne peut être
interprété comme quelqu’un qui mange des pâtes dans un arbre. Ainsi, le
liage d’un constituant au rôle présent dans la SLC du verbe de base doit être
aussi local que possible : a pasta eater in a tree est bien formé. Booij
(2002:200) renvoie à ce propos à Hoeksema (1984) qui signale que le
constituant non-tête peut recevoir une interprétation du sujet logique (portant
le rôle de Thème), au cas où le verbe serait intransitif, par exemple
prijsstijgning ‘hausse de prix’. Ici, c’est donc l’argument le plus proche du
verbe qui est lié au constituant non-tête. À notre avis, cette condition peut
être mise en question. Car, souvent, et dans les composés [VN/A/Adv/P]N/A
français, et dans les quatre formations suédoises dont il sera question dans
l’analyse qui suit, le constituant sélectionné par le constituant verbal est un
adjoint ou un argument indirect (un objet prépositionnel), même s’il y a un
argument interne direct, plus proche, à sélectionner.
Selon nous, la SLC du lexème verbe est présente dans les composés
[VN/A/Adv/P]N/A en français. Le thème verbal hérite la SLC du verbe base,
que l’on qualifie ce thème de tête ou non (cf. 5.2). Cette prise de position
constituera notre hypothèse principale dans cette étude contrastive : dans les
formations agentives suédoises comportant un lexème verbe, que celui-ci
soit en position tête ou non, la SLC de ce lexème verbe (indiquant les
arguments et les adjoints sémantiques) serait présente et responsable du rôle
joué par l’autre constituant. Précisons que nous trouvons pertinent
d’appliquer cette hypothèse au suédois, qui généralement est considéré
comme ayant une tête morphologique à droite.
5.2 Typologie de la composition
Guevara & Scalise (2004) examinent des composés comportant un verbe en
italien et en néerlandais dans une perspective formelle et sémantique. Les
différences formelles entre les deux langues — romane et germanique
101
respectivement — sont à décrire en termes de typologie des composés.119
C’est, selon eux, un sujet presque inexistant dans la littérature
morphologique. Ils signalent toutefois les travaux de Snyder (1995, 2001),
de Piera (1995) et de Bauer (2001a).
Guevara & Scalise (2004:3) remarquent que d’un point de vue logique ou
formel, le processus de composition dans deux langues peut être comparé
selon :
56)
a) la catégorie lexicale des constituants d’input ;
b) les combinaisons possibles des constituants lexicaux, c’est-à-dire les
structures possibles ;
c) la position de la tête ;
d) la catégorie lexicale de l’output.
Guevara & Scalise (2004:5) estiment qu’en italien et en néerlandais, la
composition est une formation des mots productive comportant les
catégories lexicales N, V, A, Adv et P (notons l’inclusion de P parmi les
classes lexicales). Selon eux, la sémantique des composés comportant un
verbe est similaire dans ces langues, alors qu’à chaque structure attestée dans
une des langues, il n’y a pas de correspondance exacte dans l’autre langue.
Ainsi, ce sont presque les mêmes SLC qui sont réalisées par des
configurations structurelles différentes. Lorsqu’il y a des structures
parallèles, les ressemblances ne seraient que superficielles. Ils (2004:5)
prennent comme exemple le type [VN]N, attesté dans les deux langues, mais
différant quant à la position de la tête : en néerlandais, le V est un modifieur
du N tête, alors qu’en italien, le N est l’argument interne du V tête.120 Cette
divergence purement formelle pourrait, selon eux, être expliquée par une
distinction typologique. Guevara & Scalise (2004:9) partent de l’idée que les
constituants des composés comportant un verbe n’expriment une relation
argumentale qu’au cas où le constituant verbal se trouve en position tête et
où le constituant non-tête est un N. Si la non-tête est un A ou un Adv,
l’interprétation argumentale serait plus difficile (2004:10), même s’ils
admettent qu’une interprétation d’adjoint serait possible. Dans le composé
italien [VAdv], le second constituant pourrait être interprété comme un
adjoint (ibid.). Notons que Guevara & Scalise (2004:13) envisagent la
possibilité que les adjoints acceptés par un V soient représentés dans sa SLC,
ce qui expliquerait leur réalisation dans des composés comportant un verbe.
119
Guevara & Scalise (2004:13-14) comparent aussi brièvement l’espagnol avec l’anglais
dans l’objectif de confirmer qu’il est question des différences typologiques entre deux
familles de langues.
120
Selon Guevara & Scalise (2004), le composé italien [VN] est endocentrique : le V contient
un suffixe nominal vide, suivant entre autres Bisetto (1994) (cf. 31 dans 4.2.2), alors que,
selon Scalise & Guevara (2006), le composé [VN] est exocentrique.
102
C’est donc la démarche que nous avons choisie pour notre travail (cf. aussi
ch. 4 et en particulier 4.5).
Les composés comportant un verbe en néerlandais manifestent selon
Guevara & Scalise (2004:9) des relations sémantiques plus variées que ceux
de l’italien. Ceux-ci basent leur analyse sur la classification faite par de
Haas & Trommelen (1993), qui reconnaissent huit relations
primaires : Sujet, Objet Direct, But, Cause, Location, Temps, Instrument et
Comparaison. La classification est soumise à des critères sémantiques et
syntaxiques qui ne sont pas mutuellement exclusifs (cf. de Haas &
Trommelen 1993: 366-68). La relation sémantique la plus fréquente est
Objet Direct (N est l’argument interne V). Les autres relations ont une
productivité plus limitée.121 Guevara & Scalise (2004:10) observent que la
relation interprétée comme tenant entre Sujet (argument externe) et verbe
intransitif (prijsstijging ‘hausse de prix’) est fréquente dans les composés
néerlandais, mais n’apparaît qu’occasionnellement en italien. Par contre,
lorsque le constituant verbal est en position non-tête, la tête est soit un A soit
un N, et il n’y aurait pas de relation argumentale entre les constituants des
composés néerlandais, toujours selon Guevara & Scalise (ibid.). Or, ils
(2004:10-11) remarquent que de Haas & Trommelen (1993) semblent
supposer l’existence d’une relation argumentale entre les constituants
lorsque la tête est un N et la non-tête un V. Guevara & Scalise (2004:11)
admettent aussi que dans de tels cas on peut observer des relations
sémantiques qui ressemblent à des relations argumentales, mais que ceci ne
confirme pas automatiquement l’existence d’une sélection qui va de la nontête à la tête.
Dans une autre étude, Scalise & Guevara (2006) examinent l’exocentricité
des composés dans une perspective typologique et comparative.122 Selon eux
(2006:189) également, seul le constituant tête d’un composé endocentrique
sélectionne le constituant non-tête. Pourtant, ils admettent (2006:190) que
dans un composé exocentrique (cf. n. 120), comme portalettere, le
constituant verbal semble sélectionner l’autre constituant. Selon nous, cette
incohérence théorique de Scalise & Guevara (2004, 2006) met en question la
pertinence de la notion de tête morphologique ; les composés de type
[VN]N/A étant tantôt endocentriques (Guevara & Scalise 2004) tantôt
exocentriques (Scalise & Guevara 2006).
121
Guevara & Scalise proposent la généralisation suivante : « any structural type of
Vcompound in Dutch can express a semantic relation such as Location, Time, etc., if and only
if it expresses also ‘N is internal argument of V’ » (2004:9), qui prévoit une hiérarchie parmi
les associations sémantiques : la relation la plus pertinente quantitativement, l’est aussi
qualitativement.
122
Les langues en question sont le chinois (isolant), l’italien et le néerlandais (flexionnels ; la
tête du composé italien est à gauche, mais à droite en néerlandais), selon Scalise & Guevara
(ibid.).
103
Ayant montré que les composés néerlandais comportant un verbe
expriment en général des relations sémantiques plus variées que les
composés italiens comportant un verbe, Guevara & Scalise (2004:17-18)
avancent l’hypothèse, tentative, que la sémantique et la structure des
composés comportant un verbe seraient liées à l’ordre des mots : le
néerlandais accepte des arguments internes (O) ou externes (S) qui
apparaissent avant le V, en accord avec son ordre SO-V ; par contre, l’italien
n’admet que les arguments internes (O) après le V, en accord avec son ordre
SV-O. Soulignons que selon notre cadre théorique, l’ordre des constituants
des composés ne peut être expliqué en termes de typologie syntaxique, mais
doit nécessairement être expliqué en ce que les règles morphologiques
conjoignant des lexèmes ne sont pas les mêmes. En outre, soulignons que le
suédois manifeste l’ordre SO-V, donc le même ordre que celui du français.
Nous n’estimons pas non plus que la tête morphologique soit opératoire dans
la composition, même si cette notion peut être assez facilement appliquée
aux composés suédois. En nous débarrassant de la notion de tête, nous allons
examiner la possibilité d’un élargissement de la sélection sémantique entre
les constituants d’un composé comportant un verbe. Notre hypothèse de
départ pose que le patron sémantique d’un composé dont l’un des
constituants est verbal doit englober l’événement que décrit le prédicat qui y
entre, quelle que soit la position du constituant verbal.
5.3 Les données
En recourant à des dictionnaires bilingues123, nous avons pu trouver 455
composés français de type [VN/A/Adv/P]N/A. Ensuite, nous avons pu en
localiser 324 parmi eux qui sont rendus par quatre types de formations
agentives suédoises, présentées dans le tableau 1. Les cas restants sont entre
autres des composés [VN/A/Adv/P]N/A français qui manquent de
correspondance directe en suédois. Parfois, les dictionnaires donnent une
description générale de type trouvé dans un dictionnaire monolingue : brisefer ‘un enfant sauvage, ou une personne, qui brise tout’. Dans d’autres cas, la
description prend la forme d’un syntagme syntaxique : trousse-pet124 « kort
jacka », ‘veste courte’, ou bien la forme d’un mot simple : abat-voix
« baldakin » ‘dais’.
123
Notamment, Norstedts fransk-svenska ordbok (1993), Fransk-svensk ordbok (1995),
Norstedts stora fransk-svenska ordbok (1998), Norstedts stora svensk-franska ordbok (1998).
124
Selon le TLFi par contre, trousse-pet(-pète) désigne ‛petit garçon, petite fille; enfant qui
fait l'important, morveux’
104
Tableau 1. Quatre formations agentives suédoises correspondant aux
composés [VN/A/Adv/P]N/A du français.
Agent
Instrument Action Locatif
[N/A/Adv/PV-are]N
Formation
34
78
[N/A/Adv/PV]N
6
97
[N/A/Adv/PV-a]N
7
33
[VN]N
5
55
Total
52
263
Résultat n
112
3
108
2
3
61
1
3
3
43
3
324
De prime abord, nous pouvons constater que le sens Instrument domine pour
les composés suédois, ce qui n’est pas très surprenant, étant donné que ce
sens domine aussi pour les composés français. Ce tableau montre que les
quatre formations sont toutes polysémiques à des degrés différents. Il n’y a
pas de formation particulière qui ne favorise qu’un certain sens.125 Pourtant,
la formation [N/A/Adv/PV-are] favorise le sens Agent, comparée aux trois
autres formations, et le sens Instrument domine chez la formation
[N/A/Adv/PV].126
Rappelons les quatre aspects formels qu’avancent Guevara & Scalise
(2004:3) (cf. 56, dans 5.2) pour comparer typologiquement deux langues
données. La catégorie lexicale des constituants et ses combinaisons dans les
formations suédoises (cf. 56a-b) se dégagent du tableau 1 : [N/A/Adv/PV-are],
[N/A/Adv/PV], [N/A/Adv/PV-a] et [VN]. Les formations suédoises
contiennent donc les mêmes classes de lexèmes que la construction française
[VN/A/Adv/P]N/A, ce qui peut être vu comme un premier résultat de notre
étude contrastive. Quant à la position de la tête (cf. 56c), elle serait à droite,
position assumée par les composés suédois. Pourtant, puisque notre étude
adopte la position selon laquelle la tête n’est pas opératoire dans la
morphologie constructionnelle, cet aspect ne l’est pas non plus. Pour ce qui
est de la catégorie lexicale des formations suédoises (cf. 56d), elles
appartiennent toutes à la classe de N.
Précisons que notre étude contrastive concerne la disponibilité et adopte
donc une approche qualitative. Ainsi, les données présentées dans le tableau
1 ne servent que de point de départ afin de localiser les formations agentives
suédoises correspondant aux composés [VN/A/Adv/P]N/A du français. Ayant
limité notre étude aux quatre formations, nous ne bornons pas pour autant
nos données à celles présentées dans le tableau 1. Nous avons rassemblé des
attestations de ces quatre formations agentives suédoises à toute source
disponible, selon le procédé suivi pour rassembler des composés
[VN/A/Adv/P]N/A pour nos analyses du chapitre 4. Dans nos analyses, nous
125
L’idée de Štekauer (2003) (cf. 6.2) semble ainsi être confirmée aussi par nos données
suédoises.
126
Ceci constitue une affirmation de l’idée de Kastovsky (1986) aussi (cf. 6.2).
105
donnerons le plus souvent une correspondance française du type
[VN/A/Adv/P]N/A de la formation suédoise. Lorsqu’il n’y a pas de composé
français correspondant, nous en fabriquons parfois un, en indiquant celui-ci
par une pastille (°) : notation que réserve Corbin (1987) aux constructions
possibles, mais non attestées. Le cas échéant, nous en donnons une
traduction plus exacte. Signalons finalement qu’étant donné que cette étude
contrastive comprendra quatre formations suédoises, elle ne peut traiter de
leur sémantique que d’une manière sommaire.
5.4 Formations agentives suédoises
Lilie (1921) examine les noms agentifs suédois dans un but descriptif. Il
(1921:61) fait valoir que la plupart de noms agentifs sont déverbaux et qu’ils
consistent en une base verbale et en un suffixe ; le sens verbal n’est
cependant pas toujours apparent. D’après Lilie (1921:86-87), chez les noms
agentifs qui ont besoin d’un support dans la syntaxe, le caractère verbal est
le plus apparent. Lilie observe en outre que ces supports fonctionnent
comme des adverbiaux en se référant à l’événement verbal et non pas à la
personne : en stor skämtare ‘un grand blagueur’(‛qui blague beaucoup’ et
non pas ‛qui est grand physiquement’). Lilie (1921:35) remarque que les
noms d’agent suédois correspondent à nombre de formations différentes, qui
à leur tour peuvent être utilisées afin de former d’autres types sémantiques
de noms. Ainsi, les noms d’agent suédois ne possèdent aucun trait
caractéristique qui les distinguent des autres noms non agentifs.
Lilie (1921:87) affirme que les composés agentifs sont de loin plus
fréquents que les dérivés agentifs. Il (1921:16) fait une division en deux
groupes, rentables, de composés agentifs : (i) celui dont le second constituant
est agentif et (ii) celui dont le sens agentif réside le plus souvent dans le
premier constituant, ou dans le composé entier. Nous trouvons cette division
utile, mais précisons que, selon nous, le sens agentif résulte du fait de joindre
deux lexèmes et un affixe éventuel, et ne réside pas dans l’un des
constituants. Trois des formations incluses dans notre analyse appartiennent
au premier groupe, notamment [N/A//AdvPV-are]N, par exemple äggkokare
litt. ‛œuf+cuit-are’, ‛cuit-œufs’, [N/A/Adv PV]N, par exemple hårtork litt.
‛cheveux+sèche’, ‛sèche-cheveux’, et [N/A/Adv/PV-a]N, par exemple
flugsmälla litt. ‛mouche+tape-a’, ‛chasse-mouches’. Selon Lilie (1921:90),
ces trois formations comportent un second constituant verbal, et le premier
constituant correspond sémantiquement le plus souvent à son argument
interne, mais parfois à un adjoint sémantique indiquant le lieu, la manière ou
le temps, par exemple uteliggare litt. ‛dehors+couche-are, couche-dehors’.
Nous montrerons auusi dans nos analyses que le premier constituant peut
être un argument externe (cf. 5.5.1-5.5.3). La formation suédoise de type
[VN]N, par exemple springpojke litt. ‛court+garçon’, ‛saute-ruisseau’ ou
106
rensjärn litt. ‛débarrasse+fer’, ‛arrache-racines’, incluse dans notre analyse,
appartient au contraire au dernier groupe.
5.5 Les patrons sémantiques des formations
agentives suédoises
Cette étude contrastive examine les quatre formations agentives suédoises,
[N/A/Adv/PV-are]N, [N/A/Adv/PV]N, [N/A/Adv/PV-a]N et [VN]N, avec
l’objectif de comparer leur sémantique avec celle de la formation agentive
française [VN/A/Adv/P]N/A. Étant donné cette délimitation des formations
dans les deux langues, nous ne visons pas à entreprendre une étude
exhaustive ni des structures comportant un verbe en français, langue romane,
et en suédois, langue germanique, ni des formations agentives dans les deux
langues. Nous nous intéresserons à la sémantique des composés agentifs
dans une perspective contrastive touchant le français et le suédois. Nous ne
trouvons pas que l’étude de Guevara & Scalise (2004) soit complète sur ce
point : la sémantique des formations agentives mérite une étude plus
détaillée. Selon eux (cf. 2004:5-7), seul le composé néerlandais de type [NVer] (correspond au type suédois [N/A/Adv/PV-are]N) exprime la même SLC
que le composé italien [VN]. Nous espérons pouvoir montrer qu’il y a
d’autres
constructions
agentives
suédoises
qui
correspondent
sémantiquement à la construction françasie [VN/A/Adv/P]N/A.
Notre étude contrastive, qui prend pour point de départ la liste résumée
dans 4.8 des patrons proposés pour les composés [VN/A/Adv/P]N/A en
français, traitera de deux aspects. Le premier aspect concerne les patrons
internes des formations suédoises. Ici se pose la question de savoir s’il est
possible de trouver les mêmes relations entre les constituants dans les
formations suédoises que celles trouvées dans les composés
[VN/A/Adv/P]N/A en français. C’est donc la sémantique d’input qui est visée.
Le deuxième aspect concerne les sens dénotatifs des formations par rapport à
la polysémie d’agent, donc la sémantique d’output. Nous espérons aussi
pouvoir présenter des évidences qui portent sur l’héritage du constituant
verbal, quel que soit sa position.
5.5.1 Le type [N/A/Adv/PV-are]N
Dans nos données, le type suédois le plus fréquemment attesté consiste en la
construction morphologique [N/A/Adv/P-are]N. On utilise aussi, pour
désigner cette formation, le terme de composé synthétique, provenant de
Bloomfield (1933), celui de composé dérivé en -are, selon Söderbergh
(1971:64-65 [1968]) et Thorell (1981:83) (cf. n. 90), ou celui de composé
secondaire, suivant Guevara & Scalise (2004). Selon Lilie (1921:15-18), les
107
noms agentifs en -are désignaient au début des personnes qui avaient pour
métier l’activité exprimée par le verbe. En suédois moderne aussi, les noms
dérivés en -are réfèrent le plus fréquemment à des personnes et moins
fréquemment à des objets et à des animaux (Ekberg 1995:181). Lilie
(1921:44) fait cependant remarquer que le dérivé en -are au sens
instrumental, bien que non productif en ancien suédois, est devenu le dérivé
le plus fréquemment utilisé pour former des noms instrumentaux. Lilie
(1921:49) remarque aussi qu’il arrive souvent qu’un nom dérivé en -are, par
exemple löpare ‘coureur’, au sens agentif, reçoive un sens instrumental dès
qu’il entre dans une composition : bordslöpare litt. ‛table+coureur’,
‛nappe’.127
Le suffixe -are est d’origine latine128 sous la forme d’-er en anglais,
allemand, néerlandais, norvégien et danois ou d’-ari en islandais (Ekberg
1995:179). À l’instar des composés [VN/A/Adv/P]N/A, du français (cf. 4.1.3),
il semble exister des restrictions liées aux propriétés morpho-phonémiques
des verbes suédois qui se combinent avec le suffixe -are : ces verbes
appartiennent généralement au groupe qui se termine en -a ; les verbes se
terminant par une autre voyelle ou par -era prennent rarement le suffixe -are
(Söderbergh 1971:41 [1968]). Ekberg (1995:183) note que les restrictions
morpho-phonémiques semblent aussi exclure les verbes qui se terminent par
une voyelle autre qu’-a, comme le ‘sourire’, *leare, ou bo ‘habiter’, *boare.
(cf. Ekberg 1995:181).
Ekberg (1995) examine les restrictions qui gouvernent la formation des
dérivés en -are en suédois, y inclus les composés [N/A/Adv/PV-are]N. Elle fait
une distinction entre restrictions grammaticales et restrictions non
grammaticales. Les restrictions grammaticales, une condition absolue,
prévoient que la base verbe doit prendre un argument externe, quel que soit
le rôle joué par cet argument. Par conséquent, la base verbe ne doit être ni
agentif, ni actif ni concret129, ce que montrent des formations comme
ostälskare litt. ‛fromage+aime-are’, drömmare ‘rêveur’, konstkännare litt.
‛art+connaît-are’ et språkvetare litt. ‛langues+sait-are’, ‛linguiste’, même si,
prototypiquement, il est transitif et agentif. Cette restriction grammaticale
des verbes exclut, selon Ekberg (1995:182, 186), les verbes impersonnels,
qui lexicalement manquent d’argument externe portant un rôle sémantique,
par exemple ske ‛arriver’ ou regna ‛pleuvoir’, des dérivés en -are. Il n’existe
donc pas, d’après Ekberg (1995:184-185), de restriction absolue qui interdise
les verbes inaccusatifs, ce que montre l’existence d’upplevare litt. ‘haut+vit127
Ce fait pourrait être considéré comme un cas de blocage (cf. 6.2), et donne en plus du
poids à l’opinion de Dressler (1986) selon laquelle le sens Instrument est plus marqué que le
sens Agent.
128
Selon Ekberg (1995:179, n. 1), il est généralement admis que le suffixe germanique -aria
dérive du suffixe latin -arius.
129
Selon Ekberg (1995:195), Lødrup (1987) pour le norvégien, et Fanselow (1988) pour
l’allemand proposent de telles restrictions des verbes pour les dérives en -er.
108
are’, ‘expérienceur’. Notons que ceci est conforme à l’observation faite par
Fradin (2005), et par nous aussi (cf. 4.7), en ce qui concerne la règle de
construction morphologique [VN/A/Adv/P]N/A en français.
Selon Ekberg (1995:180), qui renvoie ici à Bybee (1985:13), les
restrictions non grammaticales, une condition vague, prévoient que l’entité
dénotée par le dérivé en -are a un certain degré de pertinence pragmatique,
qu’elle est en d’autres termes cognitivement ou culturellement saillante et
peut être discernée individuellement parmi un ensemble plus grand.
Rappelons que Fradin (2005) (cf. 4.3.2) renvoie aux deux types de
restrictions : une restriction grammaticale qui pose que la base verbe du
dérivé en -eur en français doit être un verbe agentif et une restriction non
grammaticale qui impose au dérivé de décrire une manière d’agir qui est
socialement saillante et pragmatiquement pertinente. Notons aussi que
suivant ces observations d’Ekberg et de Fradin, les dérivés suédois en -are
sont plus libéraux que les dérivés français en -eur quant à la nature de la base
verbe.
Ekberg (1995:189) en tire la conclusion — qui va à l’encontre de celle
tirée par Guevara & Scalise (2004) — que la structure argumentale
syntaxique du verbe n’est pas suffisante pour expliquer pourquoi les dérivés
dont la base est constituée de certains verbes transitifs et intransitifs
requièrent un constituant additionnel, tels qu’*ätare ‘mangeur’ vs storätare
‘grand+mangeur’ et *sovare ‘dormeur’ vs sjusovare litt. ‛sept+dormeur’,
‛grand dormeur’. Elle estime au contraire que l’explication est à chercher
dans la fonction de ces constituants supplémentaires, à savoir celle consistant
à spécifier sémantiquement l’événement décrit par la base verbe. Cette
spécification sémantique, qui rend la formation cognitivement saillante, peut
être expliquée par le principe de pertinence, qui n’a donc rien à voir avec la
transitivité de la base verbe.
Nous trouvons cependant cette conclusion, qui de fait pourrait valoir aussi
pour les composés français du type [VN/A/Adv/P]N/A, théoriquement vague
et non falsifiable, chose admise aussi par Ekberg elle-même (cf. Ekberg
1995:196). Nous acceptons au contraire l’idée selon laquelle le constituant
verbal hérite la SLC du V de base, telle que le propose Booij (2002:188-201)
(cf. 5.1). Nous renvoyons aussi à Reinhart (2002) qui montre que la structure
argumentale de V est très complexe et soumise à nombre de manipulations
concernant l’expression des rôles thématiques.
En ce qui concerne la relation existant entre les constituants, le composé
[VN/A/Adv/P]N/A du français et le composé [N/A/Adv/PV-are]N du suédois
sont similaires. Une autre similarité entre ces composés des deux langues
réside en ce que le constituant (dé)verbal ne peut pas toujours apparaître
comme un nom agentif autonome. Cependant, le fait d’incorporer un second
constituant semble rendre licite un composé agentif. Les composés des deux
langues diffèrent cependant par l’ordre interne : les constituants du composé
109
français reflètent l’ordre régulier du SV, alors que le nom déverbal du
composé suédois occupe la position finale.
La structure du composé germanique a été étudiée en profondeur dans la
théorie générative (cf. Spencer 1991:324-343 et Carstairs-McCarthy
1992:108-119). Une question à débattre concerne le placement du suffixe.
Les deux représentations suivantes, donnant lieu à un composé
endocentrique, à tête à droite, sont proposées dans des approches à base de
morphème. Nous donnons aussi les analyses correspondantes pour les
composés romans (cf. 28 et 31 dans 4.2.2) :
57) [N[V-af]N]N [flug-[fång-are]] ↔ [[V- ø]N-N]N [attrape-ø]N-mouches]N
58) [[NV]SV-af]N [[flug-fång]-are] ↔ [[VN]SV-ø]N [[attrape-mouches]SV-ø]N
Selon l’analyse morphologique de (57) proposée entre autres par Selkirk
(1983) et par Di Sciullo & Williams (1987) pour l’anglais, le suffixe
s’attache au verbe. Booij (1988:57, 2002:197) pose qu’un mot tel que
jeneverdrinker ‘buveur de gin’ ne peut être interprété comme une dérivation
à partir d’un verbe composé, selon l’analyse (58), car cette composition
verbale n’est pas productive en néerlandais. Selon Guevara & Scalise
(2004:6-7), les similarités que démontrent les deux formations, romane et
germanique, motiveraient aussi l’analyse de (57), qui prévoit que le composé
[VN] roman comporterait un suffixe nominalisateur non réalisé, attaché au
constituant verbal et serait endocentrique, à tête à gauche. Ils (2004:7)
estiment qu’une même analyse peut éventuellement aussi s’appliquer au
composé [VAdv] de l’italien, par exemple buttafori ‘boute-hors’.130 Selon
l’analyse (58), le suffixe s’attache au SV, analyse plutôt syntaxique, que
proposent entre autres Bloomfield (1933:231-232), Söderbergh (1971:64-65
[1968]), Lieber (1992) et Josefsson (1997:115-117).
Toutefois, étant donné une approche à base de lexème, comme celle dans
laquelle se situe notre étude, les composés comportant des suffixes sont
formés par la combinaison des deux lexèmes et de l’opération additionnelle
qui attache le suffixe -are au constituant verbal de droite, ce que nous notons
comme [N/A/Adv/PV-af]N. Puisque le sens n’est pas associé à l’affixe, mais
au procédé de la composition en entier, le sens du composé germanique peut
être similaire au sens du composé [VN/A/Adv/P]N/A du français. Le
problème que présentent les deux analyses de (57-58) n’apparaît donc pas
dans une approche à base de lexème.
130
Des évidences indépendantes en faveur de l’analyse (57) sont fournies par Clark et al.
(1986) qui montrent que les enfants anglais semblent maîtriser les affixes avant de maîtriser
l’ordre correct des mots. Les enfants forment d’abord un composé du type *puller-wagon
dans lequel l’affixe s’attache au verbe, alors que l’ordre des mots est celui d’un syntagme
verbal régulier.
110
Passons à notre analyse des patrons sémantiques exprimés en suédois par
des composés [N/A/Adv/PV-are]N. Le patron d’Agent est, on l’a déjà constaté,
fortement rentable pour ces composés suédois
• Agent : Ag V (P) N/A/Adv/P → Ag (fait) N V
befattningshavare, (°a-poste131, employé), dagdrivare (°traîne-jour),
fanbärare (porte-drapeau), fortkörare (°conduit-vite), folkförödare
(°anéantit-peuple), fotvandrare (°marche-pied), glädjedödare (rabat-joie),
konstkännare (°connaît-art), laserskrivare (°écrit-laser, imprimeur),
lövsångare (°chante-feuilles), oxhackare, (pique-bœuf) pennskrivare (°écritstylo), storätare (°mange-grand, avale-dru), tryckkokare (°cuit-pression,
auto-cuiseur), uteliggare (couche-dehors), varmvattenberedare (chauffe-eau)
Pour ce qui est du suédois, la préposition est nécessaire dans le cas où le
premier constituant est formé par un N, par exemple lövsångare ‘chanter
parmi les feuilles’ ou si l’argument interne est régi par une P, par exemple
oxhackare ‘piquer (sur) le bœuf’. Les composés tels que pennskrivare ou
laserskrivare sont interprétés comme ayant un argument externe comme
premier constituant ; ils conviennent donc à la dernière variante du patron.
Pareillement, folkförödare au sens de ‛tuberculose’ et dont le V est
inaccusatif, exprime un cas causatif, et entre aussi, selon nous, dans la
dernière variante du patron. Les composés befattningshavare et
konstkännare sont deux exemples donnés par Ekberg (1995:185) pour
illustrer les cas où le verbe n’est pas agentif. Les rôles joués par les
constituants befattning- et konst- sont respectivement Bénéficiaire et
Expérienceur. Notons que tous les différents sens agentifs sont représentés.
En ce qui concerne tryckkokare et varmvattenberedare, qui sont des Agents
Impersonnels, ils expriment aussi un sens Locatif.
Nous avons trouvé, en suédois de Finlande, le composé smutsskyddare,
l’équivalent de garde-boue en français (‛garder contre la boue’), qui
correspond à stänkskärm en suédois parlé en Suède. Dans ces cas français et
suédois, il nous semble que la condition que propose Selkirk (1983), the
First Order Projection Condition, (cf. 5.1) Selkirk (1983:37), est violée, car
il aurait été possible d’incorporer l’argument interne direct, le plus proche,
avec pour résultat des formations comme garde-roue et däckskyddare. En
suédois, à l’instar du français, il existe aussi des composés comme
skoskyddare ‛garde-chaussure’ (contre y) qui respectent la condition
proposée par Selkirk et acceptée par Booij (2002).
• Agent : Ag V y contre/de N
smutskyddare (garde-boue)
131
Admettons que l’existence potentielle de ce composé est difficilement envisageable. Ceci
vaut également pour quelques autres de nos fabrications françaises dans ce chapitre.
111
Le patron d’Instrument est aussi hautement rentable pour les composés
suédois [N/A/Adv/PV-are]N :
• Instrument : (x) V (P) N/A/Adv/P avec Instr → N V avec Instr
bordlöpare (°court-table), brösthållare (soutien-gorge), flugfångare (attrapemouche), konservöppnare (ouvre-boîte), menyhållare (porte-menu),
nötknäckare (casse-noix), pigtittare (°regarde-servante), stötfångare (parechocs), tallriksvärmare (chauffe-assiettes), törstsläckare (°étanche-soif)
Nous avons attesté ici pigtittare, dans laquelle le premier constituant est
interprété comme un argument externe (c’est la servante qui regarde par le
miroir). Les deux variantes du patron sont ainsi confirmées. Remarquons
l’existence de törstsläckare, qui dénote un Instrumentcomestible.
Le patron Locatif fonctionnel est aussi attesté parmi les composés
suédois. À l’instar des composés français [VN/A/Adv/P]N/A qui entrent dans
ce patron, comme appuie-tête, le premier constituant des composés suédois
[N/A/Adv/PV-are]N peut être interprété soit comme argument interne soit
comme argument externe, c’est-à-dire que les deux variantes du patron
peuvent s’appliquer. Pourtant, nous estimons que l’interprétation du premier
constituant comme argument interne est la plus adéquate, parce qu’elle est
régulière. Le patron d’un Locatif conteneur est aussi attesté pour les
composés suédois, mais ne semble pas être tellement rentable. Or, notons
que le sens Locatif conteneur est rentable pour des composés suédois comme
pigkammare ‘chambre de la servante’ ou matkällare ‘cave pour la
nourriture’, mais dans ces cas, le second constituant ne se base pas sur un
verbe, mais sur un nom. Nous avons donc exclu les cas de ce genre.
• Locatif : (x) V N/A/Adv/P dans/sur Loc→ N V dans Loc
Locatiffonctionnel : pakethållare (porte-bagages), klädhängare (porte-manteau),
handdukshängare (porte-serviettes)
Locatifconteneur : cd-förvarare (°porte-cd), kortförvarare (porte-cartes),
matförvarare (garde-manger)
LocatifNdeLieux : *
Cependant, nous n’avons pas pu attester de Nom de lieu. Il nous semble
probable que les composés [N/A/Adv/PV-are]N ne sont pas utilisés dans ce
sens, car ils s’emploient souvent au sens de Source afin de désigner la
provenance de personnes : une personne résidant à Stockholm s’appelle
stockholmare, la base étant elle-même un nom de lieu. Ce fait pourrait donc
être considéré comme bloquant ce sens chez le composé.
Le patron d’Action et celui de Résultat sont attestés pour les composés
[N/A/Adv/PV-are]N, mais aucun des deux ne semble être particulièrement
rentable. Les sens de ces composés sont souvent opaques : långtradare, ‘une
embrassade longue’, et markkrypare, ‘l’action de passer le ballon vers la
112
terre’. À l’instar de certains composés [VN/A/Adv/P]N/A du français, certains
des composés en -are manifestent les deux patrons, comme magvändare qui
correspond soit à ‛l’action d’avoir l’estomac qui tourne’, soit au résultat de
cette action. Ici, le premier constituant doit selon nous s’interpréter comme
l’argument externe de V. Dans le patron de Résultat entrent des composés
comme skräckrysare ou storsnyftare, un film ou un livre effrayant et triste
respectivement.
• Action : (x) [V N/A/Adv/P]Act → (x fait) [N V]Act
fredstrevare (°cherche-paix), långtradare (°traîne-long), magvändare
(°tourne-estomac, tord-estomac132), markrypare (°rampe-terre), uppfriskare
(°rafraîcheur), uppryckare (arracheur)
• Résultat : (x) [V N/A/Adv/P]Act a pour Rés[VN/A/Adv/P] → [N V]Act a pour
Rés[VN]
magvändare (tord-estomac), kopparslagare (°bat-cuivre, gueule de bois),
skräckrysare (°effraie-horreur), storsnyftare (°sanglote-grand), tankeställare
(°pose-pensée), värdemätare (°mesure-valeur)
Pour ce qui est du patron de Cause exprimant une relation causale entre
deux événements, les composés dödsbringare ‘meurtrier’ et smittospridare
‘agent de contagion’ pourraient y entrer. Puisqu’ils sont agentifs, la dernière
variante du patron est pertinente. Notons que l’être affecté correspond à
N2 : dödsbringare cause la mort d’un autre être (N2) avec pour résultat que
cet être meurt.
• Causeinstrumentale : N V Cau[VN] et N/N2 V2 (par Cau[VN]) →
Causeagentive : Cau[VN/A/Adv/P] V N/A/Adv/P et N/N2 V2
dödsbringare (°apporte-mort), glädjebringare (°apporte-joie), livssläckare
(°éteint-vie), smittospridare (°répand-contagion)
Constatons que tous les patrons sémantiques et tous les sens dénotatifs de
la construction française [VN/A/Adv/P]N/A sont représentés par les composés
suédois [N/A/Adv/PV-are]N. Signalons aussi que cette formation suédoise
comporte le plus souvent, à l’instar de la construction française, un verbe et
son argument interne.
132
Ce composé est attesté sur Google : « La sensibilité + le stress, engendre ‛un tord
estomac’ »
(http://fr.answers.yahoo.com/question/index?qid=20070324035952AAYqcWE,
site visité 28/11/2007).
113
5.5.2 Le type [N/A/Adv/PV]N
Dans la formation [N/A/Adv/PV] du suédois, le second constituant est
souvent considéré comme un nom déverbal. Il possède la forme du thème
verbal : l’infinitif sans -a ou -era, s’il se termine par une de ces
désinences : bo ‘habitant’ du V bo ‘habiter’, press ‘presse’ du V pressa
‘presser’, ou protest ‘proteste’ du protestera ‘protester’ (cf. Lilie 1921:15 et
Teleman 1970:9). Dans certains cas, il y a changement de voyelle dans le
thème verbal (cf. Lilie 1921:16), par exemple våg ‘balance’ de väga ‘peser’,
et dans d’autres cas, le nom n’a pas exactement la même forme que le thème
verbal, par exemple stöd de stödj-a. Selon Söderbergh (1971:79), ces noms
courts désignent surtout des instruments, mais parfois aussi des agents
(humains) ou des animaux. Elle les considère comme des noms déverbaux
comportant un suffixe vide (cf. 31 dans 4.2.2). Thorell (1984:76) remarque
également que ce nom dérivé comporte un suffixe vide et se base souvent sur
un verbe intransitif.
Lilie (1921:193) estime que cette formation, qu’il appelle noms d’agent
brefs, ne deviendra jamais fortement productive, même si elle contient
nombre d’unités nouvelles. Car, selon lui, cette formation n’est ni
suffisamment spécifique ni sémantiquement homogène, et de plus, son sens
verbal est peu manifeste, de sorte qu’elle risque d’être rangée parmi d’autres
types de catégories sémantiques. À notre avis, la construction
[N/A/Adv/PV]N est rentable et disponible en suédois : quelques formations
récentes sont handdukstork litt. ‘serviettes+sèche’, ‘sèche-serviettes’ et
särbo litt. ‘en+deux+habite’, ‛personne ne cohabitant pas avec son partenaire
de vie’. Remarquons qu’il est souvent difficile de décider, au point de vue
synchronique, si le nom court dérive du verbe ou si c’est l’inverse.133 Ce fait
n’est pourtant pas important pour notre étude, même si certains composés
qui comportent un second constituant sous forme de thème verbal, comme
ägglys litt. ‘œufs-mire’, ‘mire-œufs’, ne peuvent être considérés autrement
que comme ayant une structure [NV], car le second constituant n’existe pas
comme N autonome, *lys. D’autres exemples en sont gärdsmyg litt.
‘champ+glisse’ ‘roitelet’, bläcksprut litt. ‘encre+lance’, ‘sèche’ou stadsbo
litt. ‘ville+habite’, ‘citadin’. De fait, cette observation nous incite à postuler
pour cette formation suédoise une structure [N/A/Adv/PV], même si, dans la
plupart des cas, le thème verbal a un emploi autonome comme nom dans la
syntaxe. Ayant pris cette décision, nous estimons que l’héritage de la SLC de
la base verbe sera présente dans cette construction. Remarquons que cette
formation suédoise n’est pas incluse dans l’étude de Guevara & Scalise
(2004). En néerlandais, et en anglais aussi, le thème verbal possède souvent
la même forme que le verbe à l’infinitif, et selon Booij (2002:136-137), le
133
Lilie (1921:36) observe que lorsqu’un verbe est formé d’un nom non agentif, ce verbe peut
ensuite transmettre au nom un sens agentif. Le nom agentif vakt ‘garde’ était p.ex.
originellement lié au verbe vaka ‘veiller’et non pas au verbe vakta ‘garder’.
114
procédé de conversion est responsable de la transformation du verbe en nom,
comme dans kook ‘cuire/cuisson’ ou walk. Le procédé de conversion ne
s’applique donc pas à la formation [N/A/Adv/PV] en suédois.
Notons que l’on trouve souvent des correspondances lexicales et
sémantiques entre ce type suédois et le composé [VN/A/Adv/P]N/A français.
Parfois, ce n’est que l’ordre des constituants qui diffère : bomvakt litt.
‘barrière+garde’, ‘garde-barrière’, hårtork litt. ‘cheveux+sèche’, ‘sèchecheveux’, biltvätt litt. ‘auto+lave’, ‘lave-auto’ et majestätsbrott litt.
‘majesté+lèse’, ‘lèse-majesté’.
Nous allons voir que les patrons sémantiques des composés
[VN/A/Adv/P]N/A du français peuvent s’appliquer à ce composé suédois. Les
patrons d’Agent et d’Instrument semblent être les plus rentables ; celui
d’Instrument étant même plus rentable que celui d’Agent, à notre avis, mais
ceci peut dépendre du fait que nos données de départ comportent un grand
nombre de composés au sens d’Instrument. Dans le patron d’Agent, on
trouve souvent des composés qui désignent des oiseaux. Dans ces cas, le
premier constituant exprime souvent le Lieu, jouant donc un rôle sémantique
d’adjoint.
• Agent : Ag V (P) N/A/Adv/P → Ag (fait) N V
bomvakt (garde-barrière), brunnskänk (°donne-cure), fiskrök (°fumepoisson), gärdsmyg (traîne-champ, roitelet), hobbyrök (°fume-dada), stenbit
(°pique-pierre)
Parmi ces composés agentifs, on trouve des composés qui ont une fonction
de conteneur : fiskrök dénote un conteneur qui fume du poisson. Hobbyrök
dénote le même type d’entité, mais le premier constituant indique qu’il est
question de fumer en amateur, à la maison. Le constituant hobby porte donc
le rôle de But, et correspond sémantiquement à un adjoint. Les deux
structures différentes comportant le verbe skydda ‘garder’ sont attestées pour
ce composé suédois aussi : benskydd ‘protège-tibia’, qui protège les jambes,
et smutsskydd ‘garde-boue’, qui protège de la boue.
• Agent : Ag V Y contre/de N → *Adv
regnskydd (°garde-pluie), smutsskydd (garde-boue)
Dans le patron d’Instrument, nous observons que le premier constituant
des composés suédois de type [N/A/Adv/P]N, comme hårtork et brödrost,
correspond le plus souvent à l’argument interne du thème verbal, à l’instar
des composés français [VN/A/Adv/P]N/A. On peut donc, selon nous, voir des
effets d’héritage de la SLC du verbe dans le composé. Dans lufttork, le
premier constituant joue le rôle sémantique d’adjoint, et indique la manière.
Le composé barnsåg illustre la dernière variante du patron, en ce que le
premier constituant s’interprète comme l’argument externe de ‘scier’ :
115
• Instrument : (x) V (P) N/A/Adv/P avec Instr → N V avec Instr
barnvåg (pèse-bébé), brödrost (grille-pain), hårtork (sèche-cheveux),
lufttork (°sèche-air), purépress (presse-purée), barnsåg (°scie-enfant)
Lorsqu’on compare le composé français porte-couteau, qui appartient au
patron d’Agent, au composé suédois correspondant knivställ, on voit que ce
dernier exprime un sens Locatif plus manifeste : on pose les couteaux dans le
knivställ. Celui-ci entre donc dans la première variante du patron Locatif. Le
composé huvudstöd ‘appuie-tête’ entre aussi dans cette variante, étant donné
que le premier constituant huvud- est interprété comme un argument interne.
Le Locatif conteneur ne semble pas très rentable pour cette formation
suédoise, même si on relève des composés comme kallbad et glasbruk. Le
premier constituant de bubbelbad et de kallbad est un adjoint, mais il
désigne surtout la qualité de l’eau, bouillonnante ou froide, dans laquelle on
se baigne (le verbe bada n’est pas pronominal). Pour ce qui est du composé
bubbelbad, admettons que l’effet d’héritage est assez difficile à envisager.
Signalons aussi que bada est inergatif en suédois. Les deux composés
dambad et herrbad peuvent être considérés comme comportant des
arguments externes. Il est question de bains pour femmes ou hommes. Nous
n’avons pas trouvé de Nom de lieu. Nous ne pouvons donc pas décider si ce
sens est disponible ou non. Notons que les noms de lieux suédois se
terminent souvent sur des noms particuliers, comme by ‘village’, stad ‘ville’
ou å ‘rivière’, ce qui peut expliquer pourquoi les formations agentives ayant
un constituant verbal en dernière position ne sont pas attestées avec ce sens.
• Locatif : (x) V N/A/Adv/P (y) dans/sur Loc → N V dans/sur Loc
(appuie-tête),
knivställ
(porte-couteaux),
Locatiffonctionnel : huvudstöd
tidningsställ (porte-revues)
Locatifconteneur : bubbelbad (bain bouillonnant), dambad (°baigne-femme),
herrbad (°baigne-homme), kallbad (°baigne-froid), glasbruk (°fait-verre,
verrerie)
LocatifNdeLieux : *
Le patron d’Action est rentable pour cette formation suédoise. Signalons
glädjeskutt (°saute-joie) et hjärtepick (°bat-cœur). Dans glädjeskutt, le
premier constituant est un adjoint sémantique. Dans hjärtepick, nous avons
affaire à un premier constituant qui est l’argument externe de l’événement
décrit par le constituant verbal. Dans les composés myrsteg et jättekliv, le
premier constituant peut aussi s’interpréter comme un argument externe : il
est question d’un pas de fourmis ou de géant, respectivement.
116
• Action : (x) [V N/A/Adv/P]Act → (x fait) [N V]Act
aftonsuck (°soupire-soir), brödbak (°fait-pain), glädjeskutt (°saute-joie),
gumdans (°danse-vieille), hjärtepick (°bat-cœur), huvudbry (casse-tête),
myrsteg (°marche-fourmis), jättekliv (°marche-géant), tidsfördriv (passetemps), utkik (°regarde-hors)
Un composé qui entre dans le patron de Résultat est klavertramp, c’est-àdire ‛mettre les pieds dans le plat’, au sens figuré. Le premier constituant est
un adjoint indiquant le Lieu. Le composé hjärnsläpp (litt. ‛lâche-cerveau’),
‛le fait de subir un moment où le cerveau ne fonctionne pas et où l’on oublie
tout’, est un autre exemple d’un composé de type [N/A/Adv/PV]N
comportant un argument externe. Notons de plus que dans des composés du
type snöfall ou stjärnfall, les deux verbes sont en emploi inaccusatif.
• Résultat : (x) [V N/A/Adv/P]Act a pour Rés → [N V]Act a pour Rés
hjärnsläpp (°lâche-cerveau) klavertramp (°marche-clavecin), snöfall
(°tombe-neige), stjärnfall (°tombe-étoile)
Les deux composés, au sens figuré, nådastöt, ‛coup de pitié causant la
mort de celui qui le reçoit’, et sälslag, ‛coup rude qui a pour conséquence
que le phoque meurt’, appartiennent selon nous au patron de Causeagentive.
Dans nådastöt, le premier constituant est un adjoint indiquant la cause, et
l’être affecté est donc un autre nom, N2.
• Causeinstrumentale : N V Cau et N/N2 V2 (par Cau) → Causeagentive : Cau V
N/A/Adv/P et N/N2 V2
nådastöt (°frappe-pitié), sälslag (°frappe-phoque)
Concluons notre analyse à ce stade, en disant que la formation
[N/A/Adv/P/V]N et la formation [N/A/Adv/PV-are]N peuvent comprendre
des verbes inaccusatifs et des arguments externes. Ainsi, elles partagent ces
caractéristiques avec la formation [VN/A/Adv/P]N/A en français. Pourtant, les
composés [N/A/Adv/PV-are]N, dans lesquels la relation de loin la plus
rentable comporte un argument interne, ont souvent un sens transparent qui
correspond parfaitement aux composés [VN/A/Adv/P] français comportant
un argument interne. Il nous semble que la formation [N/A/Adv/P/V]N
suédoise comporte le plus souvent un premier constituant qui joue un rôle
d’adjoint ou qui est un argument externe.
5.5.3 Le type [N/A/Adv/PV-a]N
La troisième formation suédoise comporte un second constituant en forme
d’un nom déverbal agentif en -a. Le composé [N/A/Adv/PV-a]N est
considéré comme rarement disponible en suédois moderne (Lilie 1921:18117
19), et dénote souvent des insectes, gräshoppa litt. ‘herbe+saute-a’,
‘sauterelle’, des oiseaux, nötskrika litt. ‘noix+crie-a’, ‘geai’, et des plantes,
solvända litt. ‘soleil+tourne-a’, ‘hélianthème’. Sa rentabilité est plus forte
dans le cas où il dénote des humains avec une connotation péjorative, par
exemple sporrskramla (°sonne-éperon). Quelques-unes de ces formations
comportent à peu près les mêmes unités lexicales que les composés
[VN/A/Adv/P]N/A du français : fotskrapa litt. ‘pied+gratte-a’, ‘gratte-pieds’,
skräpgömma litt. ‘débarras+cache-a’, ‘fourre-tout’ et nästäppa litt.
‘nez+bouche-a’, ‘bouche-nez’.
Même si le premier constituant correspond souvent à un nom dans ces
composés, il ne correspond pas toujours à l’argument interne. Le plus
souvent, il exprime à notre avis le Lieu en tant qu’adjoint sémantique. Cette
formation ne semble pas disponible et les formations existant en suédois ne
datent pas d’hier, ce qui peut expliquer pourquoi la caractéristique verbale
du second constituant n’est pas très manifeste.
Pour cette formation aussi les patrons d’Agent et d’Instrument sont les
plus rentables. Dans le patron d’Agent, il y a des Agents Impersonnels
comme fågelskrämma litt. ‘oiseau+effraie-a’, ‘épouvantail’, et skyskrapa litt.
‘ciel-gratte-a’, ‘gratte-ciel’. Notons que les verbes sont souvent inergatifs.
Des composés comme lyxfälla et råttfälla entrent à notre avis dans le patron
d’Agent, mais en même temps, ils expriment un sens Locatif conteneur :
• Agent : Ag V (P) N/A/Adv/P → Ag (fait) N V
gatslinka (°court-rue), nötskrika (°crie-noix), gräshoppa (°saute-herbe),
lyxfälla (trappe-luxe), råttfälla (trappe-rat), solvända (tourne-soleil),
strandkrypa (°rampe-plage), skyskrapa (gratte-ciel)
Des composés comme flugsmälla ‘attrape-mouches’ ou kalkröra ‘remuecalcaire’ dénotent des Instruments, et le premier constituant correspond à
l’argument interne. Dans le cas d’ugnsraka, le premier constituant indique le
Lieu ‘four’ où l’événement ‘râble’ décrit par le constituant verbal se déroule.
• Instrument : (x) V (P) N/A/Adv/P avec Instr → N V avec Instr
flugsmälla (attrape-mouches), fotskrapa (gratte-pieds), lövräfsa (°râtellefeuilles), ugnsraka (°racle-four), kalkröra (°remue-calcaire).
Le Locatif fonctionnel est attesté par le composé byxhälla ‘sous-pied’ où
le premier constituant indique le Lieu. Le Locatif conteneur est aussi attesté
pour ces composés. Nous avons ici dagslega, ‘lieu où l’on se couche le jour’,
le premier constituant indiquant donc le Temps. Turistfälla, ‘lieu
touristique’, entre aussi dans cette variante du patron Locatif, le premier
constituant correspondant ici à l’argument interne. Notons que dans
dalsänka, ‘vallée’, le verbe est inaccusatif. Nous avons pu attester un seul
Nom de Lieu, à savoir Morgongåva, qui dénote aussi le cadeau donné par le
118
marié à la mariée le matin suivant le mariage. Le sens ne semble pourtant
pas rentable pour cette formation non plus.
• Locatif : (x) V N/A/Adv/P (y) dans Loc → N V dans Loc
Locatiffonctionnel : byxhälla (°tient-pantalon)
Locatifconteneur : daglega (°couche-jour), dalsänka (vallée+baisse-a, vallée),
skräpgömma (°cache-fatras, fourre-tout), turistfälla (attrape-touristes)
LocatifNdeLieux : Morgongåva (°Donne-matin)
Le patron d’Action est aussi attesté par les composés [N/A/Adv/PV-a]N. Le
premier constituant correspond ici souvent à l’argument externe du
constituant verbal, par exemple dränggöra litt. ‘valet+fait-a’, ‘besogne’ ou
gubbhosta litt. ‘vieux-tousse-a’,‘toux’, selon la dernière variante. La
structure avec un argument interne et celle avec un adjoint sont aussi
attestées :
• Action : (x) [V N/A/Adv/P]Act → (x fait) [N V]Act
synvilla (°trompe-regard, trompe-l’œil), dränggöra (°fait-valet), kvinnogöra
(°fait-femme), utegöra (°fait-dehors), gubbhosta (°tousse-vieux)
Le patron de Résultat est aussi attesté. Mentionnons ici pappersremsa, une
bande de papier, c’est-à-dire le résultat du fait d’avoir coupé ou tiré du
papier, ou nästäppa, d’avoir le nez bouché (par la morve). Remarquons que
la dernière variante du patron est attestée entre autres par gubbröra, sorte de
‘salade de hareng’ :
• Résultat : (x) [V N/A/Adv/P]Act a pour Rés → [N V]Act a pour Rés
gubbröra (°remue-vieux), nästäppa (bouche-nez), pappersremsa (°tirepapier), äggröra (°remue-œufs, œufs brouillés)
Le patron de Cause est attesté par les composés giftdöda et hunddöda,
noms de plantes médicinales. Ils entrent tous dans la variante agentive. Le
premier constituant correspond partout à l’argument interne. Il est ici
intéressant de noter que l’être affecté, N2 dans tous les cas, est guéri par
l’effet de la plante : V2 correspond donc à guérir. Giftdöda dénote par
exemple une plante qui neutralise l’effet de certains poisons.
Causeinstrumentale : N V Cau et N/N2 V2 (par Cau) → Causeagentive : Cau
V N/A/Adv/P et (N/)N2 V2
giftdöda (°tue-poison) hunddöda (°tue-chien), svindöda (°tue-cochon)
maskdöda (°tue-ver)
•
Afin de conclure cette analyse des composés suédois [N/A/Adv/PV-a]N,
remarquons que les relations liant leurs constituants manifestent des effets
119
d’héritage. Les premiers constituants peuvent, selon nous, aussi bien être des
arguments internes que des arguments externes, ou même des adjoints du
second constituant verbal. Notons aussi que les prédicats inaccusatifs ne
posent pas de problème pour cette construction.
5.5.4 Le type [VN]N
La dernière formation qui correspond au composé français [VN/A/Adv/P]N/A
est un composé suédois qui au premier abord pourrait être considéré comme
son équivalent exact. Dans les deux langues, le premier constituant se
compose d’un thème verbal. À l’instar des composés [VN/A/Adv/P]N/A du
français, la plupart des thèmes verbaux qui occupent la position initiale dans
les composés suédois ne peuvent pas s’utiliser comme des mots autonomes.
Pour ce qui est du second constituant, toujours un N, celui-ci peut exprimer
un tas de rôles sémantiques différents dans les composés [VN] du
suédois : Argument externe (spårhund litt. ‘trace+chien’, ‘limier’) Argument
interne (drickyoghurt litt. ‘boit+yaourt’, ‘yaourt buvable’), But (träffpunkt
litt. ‘rencontre+point’, ‘point de rencontre’), Cause (stekos litt. ‘frit+fumet’,
‘fumet’, Lieu (torkrum litt. ‘sèche+espace’, ‘séchoir’), Temps (speltid litt.
‘joue+temps’, ‘le temps effectif joué’) et Instrument (täljkniv litt.
‘taille+coteau’, ‘coteau’) (cf. Guevara & Scalise 2004:9-10 qui notent des
rôles portés par le N des composés [VN]N du néerlandais).
Suivant l’opinion émise par Guevara & Scalise (2004, 2006), il n’y aurait
pas d’effets d’héritage manifestés par ce composé germanique (ou suédois),
car le thème verbal occupe la position à gauche, celle de la non-tête, à
condition d’accepter la notion de tête. Si cette opinion est juste, les patrons
sémantiques s’appliquent difficilement au composé suédois. Selon
Guevara & Scalise (2004:17), à la différence des composés romans du type
[VN], le constituant verbal en position non-tête est un modifieur/une
apposition du N dans les composés [VN] du néerlandais. Cette différence
pourrait, selon eux, être expliquée soit par le fait que le constituant non-tête
des composés néerlandais est moins restreint que celui des composés
italiens, soit par une différence de statut de la catégorie lexicale de V : celleci serait moins « verbale » en néerlandais, et pourrait ainsi modifier des
noms.
Remarquons que dans cette étude seuls sont inclus les cas suédois où le
second constituant est un nom, [VN]N. Car, si le second constituant
appartient à une classe autre que celle du nom, l’appartenance catégorielle
du composé sera celle de ce second constituant. Selon nous, il serait
néanmoins possible de parler d’effets d’héritage dans cette construction
suédoise aussi, étant donné que le premier constituant est un thème verbal.
Nous allons ainsi examiner cette hypothèse de plus près.
Le patron sémantique de loin le plus rentable pour cette formation
suédoise correspond au patron manifesté par le sous-type des composés
120
[VN]N/A du français comportant un argument externe, par exemple troussebarre, formation pour laquelle nous proposons une règle de construction
distincte (cf. 4.6). Or pour le suédois, nous avons ressenti le besoin de faire
une distinction entre les patrons d’Agent, d’Instrument et de Locatif.
Dans le patron d’Agent entrent nombre d’Agents Impersonnels, tels que
tvättmaskin litt. ‘lave+machine’, ‘lave-linge’, qui en plus exprime souvent
un sens Locatif, comme fångbur litt. ‘attrape-cage’, ‘cage pour attraper des
animaux sauvages’. Les composés inclus dans ce patron comportent un
second constituant qui est toujours l’argument externe de l’événement décrit
par le premier constituant verbal, même si la base verbe prend plus d’un
argument. La condition de localité proposée par Selkirk (1983) (cf. 5.1) et
qui prévoit la sélection de l’argument le plus proche, y est donc
constamment violée. Par là, cette formation se distingue des autres
formations suédoises et française dont il est question dans ce travail. Un
facteur qui parle en faveur l’idée d’y voir des effets d’héritage, c’est que
l’argument interne non exprimé, (y) dans les patrons ci-dessous, peut
souvent être reconstruit par des facteurs extra-linguistiques (cf. Booij 2002 et
5.1), par exemple tvätt ‘linge’ pour tvättmaskin ou ärenden ‘courses’ pour
springpojke.
• Agent : [NV]Ag (y)
fångbur (°attrape-cage), ritstift (°dessine-crayon, tire-filet), rivkvarn (°râpemoulin), springpojke (°court-garçon, saute-ruisseau), tvättmaskin (°lavemachine, lave-linge), täckglas (°couvre-verre, couvre-objet’), vakthund
(°garde-chien, chien de garde)
Il se dégage des composés inclus dans ce patron que le suédois choisit de
façon conséquente d’incorporer l’argument externe, täckglas ‘couvre+verre’,
alors que le français choisit le plus souvent l’incorporation de l’argument
interne, couvre-objet. Dans certains cas, comme le composé porte-chaise, le
français a choisi les deux options : soit porteur de chaise, soit chaise à
porteur, à la différence du suédois, bärstol :
• Instrument: (x) V (y) avec Instr
bärsele (°porte-harnais, porte-bébé), bärstol ((la) porte-chaise), skruvmejsel
(°visse-ciseau, tournevis), trädnål (°enfile-aiguille, passe-lacet)
Nous proposons que la SLC du verbe bära ‘porter’, qui entre dans les
composés du patron d’Instrument, soit représentée comme : BÄRA xAgent
yThème P(avec) zInstr. Nous pouvons constater que ce n’est pas l’argument le
plus proche qui est sélectionné par le thème verbal. Dans ce patron
d’Instrument, c’est constamment l’Instrument lui-même qui entre dans la
formation, non pas l’argument externe ni l’argument interne, ce qui met en
question l’idée d’héritage manifestée en suédois par la formation [VN]N.
121
Il en est de même pour le patron Locatif. Les composés suédois sköljskål
‘rince-bouche’ et sköljkopp ‘rince-doigts’ expriment un sens Locatif,
‘récipient dans lequel on rince quelque chose’. Les seconds constituants sont
donc des adjoints sémantiques indiquant le Lieu. Lorsqu’on considère que
ces composés présentent des effets d’héritage, la condition de localité
proposée par Selkirk (1983) ne se laisserait pas, ici non plus, confirmer, car
nous supposons pour un verbe tel que skölja ‘rincer’, la SLC
suivante : SKÖLJA, xagent ythème, P(dans) zloc. Les composés suédois du type
[VN]N dénotent souvent des Locatifs : l’entité dénotée par le second
constituant nominal constitue le Lieu où se déroule l’événement décrit par le
verbe, par exemple tvättstuga, ‘buanderie’ ou danshak ‘dancing’ :
• Locatif : (x) V (y) dans Loc
danshak (°danse-boîte), rökrum (°fume-chambre, fumoir), torkrum (°sèchechambre) tvättstuga (°lave-cabane), tapport (°vide-galerie, bonde)
Nous n’avons pas trouvé de Nom de lieu, mais rien n’empêche, semble-t-il,
ces composés d’avoir un tel sens (cf. les commentaires sous le patron de
Locatif dans 5.5.2).
À notre avis, la première variante du patron d’Action peut, sans
ajustement, être attestée par les composés pratstund ‘causette’ et lekstund
‘jeu’ : le second constituant indique le Temps qui s’écoule pendant que l’on
parle ou joue. Les deux verbes sont inergatifs, mais le verbe leka ‘jouer’ peut
prendre un argument interne optionnel : LEKA xAgent yThème, (P) zTemps. Notons
cependant que ce n’est pas l’argument interne le plus proche du verbe qui
entre dans le composé suédois, mais l’adjoint :
• Action : (x) [V N]Act → (x fait) [N V]Act
pratstund (‘litt. °parle-moment, causette’), lekstund (‘litt. °joue-moment,
jeu’)
La première variante du patron de Résultat pourrait également être
considérée comme attestée par hackkyckling ‘souffre-douleur’, au sens figuré
‘le poulet qui subit les coups de bec des autres poulets’. Notons que ce
composé est un des rares composés suédois du type [VN]N à comporter un
argument interne (un objet prépositionnel), au lieu d’un argument externe ou
d’un adjoint :
• Résultat : (x) [V N]Act a pour Rés → [N V]Act a pour Rés
hackkyckling (°picote-poulet, souffre-douleur)
Un composé tel que drivfjäder,‘ressort, motif’, peut être considéré comme
ayant un sens causatif, exprimant ce qui incite à l’action. Or, il nous semble
nécessaire d’ajuster la variante de Cause agentif pour cette formation
122
suédoise. Le premier constituant de drivfjäder est l’argument externe (x) de
l’événement décrit par le verbe, mais l’être affecté correspond à l’argument
interne, que nous avons noté par N2 ici. V2 correspond à agir :
• Causeagentive : Cau V N et (N/)N2 V2 → Cau V N2 et N2 V2
drivfjäder (°pousse-ressort, motif)
Une formation nouvelle du type [VN]N suédois est constituée par
drickyoghurt, ‘yaourt à boire’. Nous retrouvons donc le patron d’Objet
proposé pour certains composés français comportant un argument externe et
dénotant des objets comestibles, comme croque-monsieur (cf. 4.6 et 4.8). Le
sens du composé suédois est facile à saisir. Néanmoins ce composé nous
semble sémantiquement un peu étrange, ce qui peut être expliqué par le fait
qu’il manifeste une structure particulière en ce que le second constituant est
l’argument interne, optionnel, du verbe dricka ‘boire,’ et aussi par le fait que
le composé est hyponyme du constituant nominal.
• Objetcomestible : N V Obj → (x) [VN]Obj
drickyohurt (°boit-yaourt)
Un autre composé [VN]N du suédois comportant l’argument interne le plus
proche est styrled134 litt. ‘régit-constituant’, ‘régime’, un terme grammatical
qui dénote le constituant régi par la préposition dans un SP. Intuitivement,
on interprète le sens de ce composé comme dénotant le constituant qui régit
(c.-à-d. P), et non pas celui qui est régi. Son sens est par conséquent
également opaque pour un locuteur natif du suédois.
En conclusion, admettons que la formation suédoise de type [VN]N diffère
considérablement des trois premières. Elle est toujours hyponyme du second
constituant, à la manière des composés [NN]N réguliers du suédois. En
d’autres termes, la variable liée dans la SLC du verbe base est constamment
le rôle joué par le second constituant du composé : soit celui de l’argument
externe, soit celui d’un adjoint, l’argument interne étant rare dans cette
formation. Le premier constituant sert à délimiter cette relation
métonymique, et indique l’événement verbal auquel se réfère le nom, sa
caractéristique verbale étant plus au moins manifeste.
On peut ainsi se poser la question de savoir s’il est vraiment possible
d’interpréter en termes d’héritage la relation tenant entre les constituants du
composé [VN]N du suédois. Le facteur le plus puissant allant à l’encontre de
cette idée, c’est que l’argument interne est très rarement exprimé dans ce
composé, alors que l’argument externe l’est fréquemment, de même que le
rôle d’adjoint, qui est pourtant toujours nominal. Si l’on veut y voir des
134
Terme lancé par Eriksson & Lindvall (1982) et qui a été critiqué à cause de son sens
ambigu.
123
effets d’héritage, on doit accepter que la condition de localité regardant
l’argument sélectionné par le verbe soit presque toujours violée.
Un facteur qui pourrait parler en faveur de l’idée d’y voir des effets
d’héritage, c’est que l’argument interne non exprimé peut souvent être
reconstruit par des facteurs extra-linguistiques, par exemple tvätt ‘linge’
pour tvättmaskin ou ärenden ‘courses’ pour springpojke. Soulignons aussi
qu’il n’est pas difficile de doter le second constituant nominal d’un rôle
thématique se trouvant dans la SLC du verbe base. Toutefois, cette formation
ne connaît presque pas de restrictions en ce qui concerne la relation tenant
entre les constituants : il suffit que le second constituant puisse figurer
quelque part dans la périphérie de la SLC du verbe base.
5.6 Restrictions sur le prédicat des formations
suédoises
Rappelons ici la classification de Vendler (1957) en quatre classes
d’Aktionsart (cf. 4.7). Notons aussi que nous ne donnons que la traduction
littérale des formations suédoises. L’idée de Villoing (2002) selon laquelle le
prédicat est [+dynamique] dans les composés [VN/A/Adv/P]N/A français
s’est montrée incorrecte, et elle l’est certainement en ce qui concerne les
formations suédoises en question. Nous montrons ci-dessous que les quatre
classes d’Actionsart sont représentées par les quatre formations suédoises
que voici :
• état
ostälskare (litt. fromage+aime-are), folktro (litt. peuple+croit), kvartsråda
(litt. quartz+règne-a), hatsak (litt. hait+chose)
• activité
dagdrivare (litt. jour+traîne-are), kalkröra (litt. calcaire+remue-a),
papperspress (litt. papier+presse), bärsele (litt. porte+harnais)
• accomplissement
pennvässare (litt. crayon+taille-are), citruspress (litt. agrume+presse),
solvända (litt. soleil+tourne-a), hårtork (litt. cheveux+sèche)
• achèvement
cigarettändare (litt. cigarette+allume-are), flugsmälla (litt. mouche+tape-a),
kaststjärna (litt. jet+étoile), glädjeskutt (litt. joie+saute)
Notons aussi que, selon notre interprétation de Booij (2002) (cf. 5.1), la
structure événementielle des verbes est principalement pertinente pour
l’insertion syntaxique. Pour les procédés morphologiques qui opèrent au
niveau de la SLC, elle n’a pas trop d’importance. Nous estimons que cette
observation est juste : la structure événementielle du prédicat ne constitue
124
aucun critère nécessaire ni suffisant qui restreigne les prédicats complexes
du composé français [VN/A/Adv/P]N/A ou des quatre formations agentives
suédoises dont il est question ici.
En ce qui concerne les prédicats inergatifs et les prédicats inaccusatifs,
ceux-ci peuvent apparaître et dans les composés [VN/A/Adv/P]N/A du
français et dans les composés [N/A/Adv/PV-are]N, [N/A/Adv/PV]N,
[N/A/Adv/PV-a]N et [VN]N du suédois. Selon Levin & Rappaport Hovav
(1995:2-3), l’hypothèse d’inaccusativité, formulée par Perlmutter (1978) et
adoptée par Burzio (1986), pose qu’il y a deux classes de verbes
intransitifs : inergatifs et inaccusatifs. Ces deux classes possèdent des
configurations sémantiques/syntaxiques sous-jacentes différentes. Les
inergatifs ne prennent qu’un argument externe, et pas d’argument interne,
alors que les inaccusatifs ne prennent qu’un argument interne, et pas
d’argument externe. Les deux classes apparaissent donc en suédois dans les
quatre formations agentives :
• inaccusatifs
oljedroppare (litt. huile+dégoutte-are), snabbsjunkare (litt. vite+coule-are),
snöfall (litt. neige+tombe), hjärnsläpp (litt. cerveau+lâche), rösttapp (litt.
voix+perd), sjunklina (litt. coule+corde), blodsänka (litt. sang+baisse-a,
vitesse de sédimentation), dalsänka (litt. vallée+baisse-a), tapport (litt.
vide+galerie)
• inergatifs
höjdhoppare (litt. hauteur+saute-are), nödrop (litt. détresse+crie), nötskrika
(litt. noix+crie-a), springpojke (litt. court+garçon)
En conclusion à cette brève analyse des restrictions qui pèsent sur les
prédicats entrant dans les quatre formations agentives suédoises, à l’instar
des composés [VN/A/Adv/P]N/A français, disons qu’il ne semble pas exister
de restrictions absolues. Pourtant, nous admettons que, naturellement,
certains prédicats y entrent beaucoup plus fréquemment que d’autres,
notamment les prédicats à deux arguments dont l’externe est agentif et dont
l’interne porte le rôle de Thème/Patient.
5.7 Conclusion
Concluons cette étude contrastive qui a examiné quatre formations suédoises
agentives pouvant être considérées comme correspondant à la construction
morphologique française [VN/A/Adv/P]N/A. Les trois formations suédoises
qui comportent un second constituant verbal montrent toutes des effets
d’héritage, similaires à la construction française : elles manifestent les
mêmes patrons sémantiques et les mêmes sens dénotatifs. Il n’est pas facile
125
de décider quelle est la formation suédoise qui correspond le mieux à la
construction française. Toutefois, la formation en -are n’est pas la seule qui
corresponde au composé roman [VN/A/Adv/P]N, même si, à l’instar de la
construction française, elle manifeste le plus fréquemment une structure qui
comporte un argument interne. Le composé [N/A/Adv/PV-a]N ne semble pas
disponible en suédois moderne. Il se distingue donc en cela de la
construction française. En ce qui concerne la formation suédoise du type
[VN]N dans laquelle le constituant verbal occupe la première position, les
effets d’héritage ne sont pas aussi manifestes et peuvent être mis en question.
De plus, même si elle manifeste tous les sens dénotatifs exprimés par les
autres formations, ses patrons sémantiques diffèrent des autres. Rappelons
les composés français comportant un argument externe, qui,
sémantiquement, se comportent exactement comme cette formation
suédoise, et pour lesquels nous postulons une deuxième règle de construction
morphologique. Cette règle est de fait appuyée par l’existence d’une même
règle de construction morphologique, rentable, pour la formation agentive
[VN]N en suédois.
Soulignons que dans les formations suédoises, à l’instar de la formation
française, il est possible de faire entrer des arguments externes, des
arguments internes, directs et indirects, ainsi que des adjoints. Ainsi, nous
estimons que l’analyse des formations suédoises soutient l’idée que les
adjoints soient présents dans la SLC du verbe base et héritée par le
constituant verbal, et qu’il n’est pas nécessaire de poser une règle de
construction morphologique séparée pour une même formation au cas où le
constituant non verbal ne serait pas un argument interne, mais un argument
externe ou un adjoint. Il arrive souvent, comme nous l’avons vu, que le
constituant nominal joue le rôle d’adjoint. Il serait donc assez complexe de
séparer ces cas de ceux où le N est, au contraire, un argument, interne ou
externe, du V. Il ne semble pas non plus exister de restrictions sur les
prédicats entrant dans des formations agentives des deux langues dont il est
question : ils peuvent être inergatifs aussi bien qu’inaccusatifs et les
prédicats complexes peuvent s’interpréter comme des états, des activités, des
accomplissements et des achèvements. Constatons pourtant que les états sont
plus marginaux dans ces formations que les trois autres classes
vendleriennes, ce qui vaut aussi pour les prédicats inaccusatifs et inergatifs.
Dans une perspective plus vaste, cette étude confirme l’opinion selon
laquelle la relation sémantique tenant entre les constituants des composés
comportant un verbe n’est pas sévèrement restreinte.
Les sens dénotatifs des patrons sémantiques sont inclus dans la polysémie
d’agent, une notion qui sera étudiée de plus près dans les trois chapitres
suivants. Constatons que les données suédoises constituent un argument
supplémentaire pour l’existence de la polysémie d’agent, étant donné que les
formations agentives du suédois et du français, issues des cinq règles de
construction morphologique, expriment toutes les mêmes sens dénotatifs. Le
126
chapitre qui suit donnera une introduction à la notion de polysémie d’agent
et ses implications théoriques, qui seront être testées dans les analyses qui
suivent. Ces analyses quantitatives porteront sur la rentabilité des sens
dénotatifs, en synchronie (ch. 7) et en diachronie (ch. 8), des composés
[VN/A/Adv/P]N/A du français, ainsi que des dérivés V-ant, V-eur et V-oir(e),
inclus afin de pouvoir comparer leur sémantique avec celle des composés.
127
6 La polysémie d’agent
Dans ce chapitre qui porte sur la polysémie d’agent, nous présenterons
l’arrière-plan théorique nécessaire pour situer les objectifs de nos analyses
qui suivent dans les chapitres 7 et 8. Outre la construction [VN/A/Adv/P]N/A,
les dérivés V-ant, V-eur et V-oir(e) sont eux aussi des exemples de
formations agentives en français. Pour des raisons comparatives, que nous
allons clarifier plus loin, ces trois dérivés seront inclus dans nos analyses. La
section 6.1 traitera de la polysémie d’agent et de sa structure hiérarchique.
Dans 6.2, le phénomène de blocage sera présenté. Nous discuterons dans 6.3
la possibilité d’homonyme au lieu de polysémie.
6.1 La structure hiérarchique des formations
agentives
Selon Fillmore (1968:24), qui recourt aux traits animé et inanimé, l’agentif
est « the case of the typically animate perceived instigator of the action
identified by the verb », tandis que l’instrumental est inanimé. Or, à propos
des noms d’agent français en -(t)eur, Benveniste estime que :
Il importe peu que ces mots en -(t)eur désignent des hommes ou des
instruments, c’est là affaire de ‘parole’, de nécessités locales et imprévisibles.
On ne devinerait pas, si on ne le savait pas, que chauffeur s’applique à un
homme, brûleur à un appareil, et il est d’ailleurs inévitable, dans une
civilisation de plus en plus mécanisée, que les tâches humaines s’assimilent à
des fonctions d’instruments. (1975:61)
De même, Winther pense, en ce qui concerne les dérivés en -eur, que c’est le
contexte qui décide s’il est question d’un Agent ou d’un Instrument : « c’est
le discours qui désambiguïse » (1975:59).
Booij (1986:509) fait une extension du concept d’agent en proposant un
niveau intermédiaire entre Agent Personnel et Instrument : Agent
Impersonnel. G. Gross (1990:84) fait aussi remarquer qu’un composé
comme coupe-papier présente une ambiguïté quant à son sens. Il peut soit
désigner un appareil qui coupe du papier, soit un instrument avec lequel on
coupe du papier. En d’autres termes, le premier met l’accent sur l’Agent
Impersonnel, le deuxième sur l’Instrument. Pareillement, selon Ulland
129
(1993:20-22), il n’existe entre la nominalisation agentive et la
nominalisation instrumentale aucune démarcation fixe.135 Ulland (1993:22)
s’appuie sur Cruse (1973:21), qui englobe dans la notion d’agent certaines
machines et certains agents naturels, inanimés, dans la mesure où ces types
utilisent leur propre force pour réaliser l’action exprimée par l’élément
verbal.
Villoing signale de même que « les rôles agents et instruments (au sens
strict) sont conceptuellement proches » (2002:276, n. 29), ce qui, selon elle
(2002:290), confirmerait l’hypothèse qu’avancent Corbin & Temple (1994)
sur la sous-détermination du sens des composés [VN]N/A entre personne et
objet (p.ex. garde-côte peut dénoter les deux). Cette opposition ne serait pas
une propriété inscrite au lexème, mais dépendrait de facteurs pragmatiques,
socioculturels ou autres.
Selon Dressler (1986:526), qui adhère à la Natural Morphology136, la
notion d’agent, polysémique, manifeste la structure hiérarchique donnée
sous :
59) Agent > Instrument > Locatif ou Source/Origine137
Cette structure se refléterait dans la fréquence relative de ces sens. Elle serait
aussi présente dans l’acquisition de langues où le rôle d’Agent est primaire.
Diachroniquement, l’extension de sens suivrait cette direction
hiérarchique.138 De plus, en liant la hiérarchie d’agent à la hiérarchie
d’Animacy (cf. Comrie 1981), Dressler (1986:527) distingue entre divers
types d’Agents et y inclut l’Impersonnel :
60) Agent Humain > Agent Animal > Agent Végétal > Agent Impersonnel
Signalons que Dressler (1986) envisage une extension sémantique passant du
latin au français moderne, alors que nous entreprendrons une analyse
intralangagière de l’extension sémantique.
Booij (2002:106) avance que la polysémie des noms d’agent peut être
systématiquement étendue, sous forme d’un schéma d’extension
conceptuelle, qui prévoit que tout nom agentif peut potentiellement posséder
ces trois références :
135
Pour ce qui est du suédois, Lilie (1921:48) estime que les similarités entre les noms
agentifs et les noms instrumentaux semblent s’accroître.
136
Pour une description de ce courant théorique, voir Dressler (1977, 1986).
137
Les termes de Source/Origine peuvent d’après Dressler (1986:525, 527) s’exemplifier par
les mots anglais London-er et foreign-er. Notons que la première base est un N, et la
deuxième un A.
138
« This hierarchy is reflected not only in the relative frequency of these meanings but also
in the primacy of agentivity in language acquisition […] and in Breton language decay […],
and in diachrony meaning extension seems to go in the same direction » (Dressler 1986:526).
130
61) Agent > Agent Impersonnel > Instrument
Booij (2002:123) mentionne aussi que les sens plus marginaux d’objet,
d’événement, et de causatif, doivent être compris dans la polysémie d’agent.
Suivant un même type de raisonnement, Sleeman & Verheugd (2004:145149) estiment que les dérivés V-eur manifestent une déverbalisation
graduelle au cours de leur nominalisation selon la structure sémantique
suivante :
62) Agent [+humain] > Instrument [−humain] > Produit [−humain]
Nous trouvons cette structure trop rudimentaire. Le critère humain/non
humain pose par exemple un problème pour ce qui est des Agents Animaux
et Végétaux : il nous semble qu’il faut les considérer comme des
Instruments. De plus, le critère qui est à la base de la distinction entre
Instrument et Produit n’est pas explicité. Sleeman & Verheugd (ibid.)
reprennent ce dernier terme de Winther (1975) et l’exemplifient par
durcisseur d’ongles. Winther avance qu’un grand nombre des formes en -ant
ont un sens proche de l’Instrument « en ce qu’ils désignent des ‘produits
servant à’, autrement dit des principes actifs » (1975:61).
Devos & Taeldeman (2004) émettent, dans le même ordre d’idées,
l’hypothèse d’Agentivity, selon laquelle la formation des noms déverbaux en
néerlandais et dans d’autres langues germaniques et romanes est, ou a été,
gouvernée par la structure suivante :
63) Nom d’Agent [+agentif] [+animé] > Instrumental2 [+agentif] [–animé]
> Nom d’Action139 [–agentif] [–animé] > Instrumental1 [–agentif] [–
animé]
Selon Devos & Taeldeman (2004:158), les noms instrumentaux2 font
référence aux machines et aux outils (Agents Impersonnels et Instruments,
selon notre terminologie, cf. 7.1.4), alors que les noms instrumentaux1 font
référence aux substances et aux produits (Instruments suivant notre
terminologie). Cette structure nous semble théoriquement circulaire, car elle
emploie des traits redondants qui figurent à deux niveaux différents (et
comme étiquette et comme trait distinctif) : les Agents sont toujours
[+agentif], mais les Instruments peuvent être soit [+agentif] soit [−agentif].
Devos & Taeldeman estiment que quelques suffixes français sont
typiques pour le domaine agentif (nom d’agent et instrumental2), auquel
appartient la composition française [VN/A/Adv/P]N/A :
139
Les mots en gras indiquent les prototypes respectifs pour les pôles agentif et non agentif.
131
The (just as) frequently used type ‘stem + noun’ (for example brise-soleil
‘sun-blind’140 […]) derives deverbal nouns in the agentive field, both real
‘nomina agentis’ and instrumental2 nouns. Just like derivations with -oir(e)
they never cross their semantic field. The same holds for equivalent
structures in English, for example killjoy, pickpocket (agentive nouns) and
Italian, for example tagliaborse ‘pickpocket’ […] (agentives) next to
tagliacarte ‘letter-opener’ […] (instrumental2 nouns). (2004:161-162)
Or, Devos & Taeldeman admettent qu’il y a des exceptions contredisant
l’hypothèse d’agentivité. Les noms français en -eur et en -ant sont par
exemple soumis à une extension sémantique vers la catégorie
d’instrumental1 (p.ex. autobronzant) :
The products these nouns denotate are mostly chemical substances, the
administration of which requires no specfic human (manual) skill. They have
an agentive character of their own. (Devos & Taeldeman 2004:164)141
Le suffixe -oir(e) constitue une autre exception, puisqu’il entre dans nombre
de noms locatifs [−agentif] tels qu’abattoir et dortoir selon Devos &
Taeldeman (2004:165). Ils remarquent aussi que les composés
[VN/A/Adv/P]N/A « can have a (additional) locative interpretation, too (for
example garde-robe […], garde-meubles […]) » (2004:165).
À la lumière de ce qui précède, nous soulignons que d’après Devos &
Taeldeman (2004), les sens [+agentif] (nom d’agent ou instrumental2) sont
historiquement les primitifs, tandis que le sens locatif [−agentif] n’est
qu’additionnel. En ceci, Devos & Taeldeman envisagent, à l’instar de
Dressler (1986) et de Sleeman & Verheugd (2004), que l’extension
sémantique suit nécessairement une direction hiérarchique, idée à laquelle
nous allons nous opposer dans les analyses synchronique et diachronique.
6.2 Blocage ou rivalité entre formations ou sens
différents
Or, en nuançant ce qui vient d’être dit, Kastovsky émet que « we should not
talk about the productivity of a morphological pattern as a whole, but rather
about the productivity of a morphological-semantic type » (1986:596-597).
Spence (1990) avance l’hypothèse de blocage qui propose par exemple
qu’un patron instrumental bloque l’extension instrumentale d’une autre
formation des mots rivalisante (cf. Rainer 2005b:30 et aussi 8.5.2). Štekauer
140
Nous trouvons cette traduction étrange, car selon le TLFi, ce composé désigne ‛un
dispositif formé soit d'un cadre muni de lamelles métalliques, soit d'éléments en béton
avançant sur la façade d'un bâtiment pour protéger des rayons du soleil les baies vitrées’.
141
Cette citation nous semble effectivement contredire le fait qu’il serait question de noms
non agentifs.
132
(2003:699-700) critique également Bauer (2001b), qui admet la rivalité entre
suffixes synonymes, de ne pas prêter de l’importance à la concurrence entre
différents types de processus de formation des mots. En anglais, par
exemple, le domaine conceptuel d’Agent englobe plusieurs types de
formation compétitifs: wood-cutter, novelist, writer, cheatN, oarsman,
transformational grammarian, bodyguard, chimney sweep. Selon Štekauer
(2003:700), c’est ce conglomérat de processus qui rend le concept d’Agent
entièrement productif. Notons que l’hypothèse de blocage suit aussi
implicitement des suppositions émises par Kastovsky et Štekauer. Voilà le
motif pour lequel nous englobons dans notre étude les quatre formations
agentives [VN/A/Adv/P]N/A, V-ant, V-eur et V-oir(e) du français.
Selon Scalise & Guevara (2005:18-19), le blocage exprime la tendance
générale du lexique à éviter la formation des synonymes, mais ne constitue
pas de restriction importante pour le fonctionnement de règles
morphologiques. Il peut être posé comme « the nonoccurrence of one form
due to the simple existence of another » (Aronoff 1976:43). Il y a deux types
de blocage : syntagmatique et paradigmatique (ou token blocking et type
blocking selon Rainer 1988, cf. aussi Rainer 2005a) Le blocage
syntagmatique peut être exemplifié par glory, glorious, *gloriosity,
l’existence de glory bloquant celle de l’autre nom abstrait, sémantiquement
similaire, alors que pour ce qui est de *cury, curious, curiosity, cet élément
de blocage n’existe pas. Le blocage est strictement lié à la productivité : pour
une règle productive, les effets de blocage ne sont pas manifestes. Le
blocage paradigmatique peut être exemplifié par le fait qu’un affixe bloque
l’attachement d’un autre affixe à la même base : à cause de l’existence en
anglais d’occurrence, *occuration ou *occurrement n’existent pas. Dans nos
analyses, il serait donc question de blocage syntagmatique.
6.3 L’homonymie au lieu de polysémie
Au lieu d’un concept d’agent polysémique, on peut discuter la possibilité
contraire, à savoir qu’il serait question de formations aux sens distincts,
homonymiques. Selon l’hypothèse d’homonymie, on doit distinguer la
composition [VN/A/Adv/P] formant des noms d’instrument de celle formant
des noms d’agent, et aussi de celle formant des noms locatifs, etc., et de
même, supposer l’existence par exemple de dérivés V-eur différents, un
instrumental, un agentif, un locatif, etc142. Cette hypothèse implique
qu’Agent, Instrument, Locatif, etc. sont des catégories conceptuelles
142
Georgette Dal (c.p.) remarque que, si l’on vise au niveau explicatif plutôt qu’au niveau
descriptif, on peut faire l’hypothèse d’un patron unique pour chaque exposant et une mise en
relation des sens construits.
133
différentes. Elle diffère ainsi diamétralement des hypothèses hiérarchiques
de la polysémie d’agent.
En examinant la distinction en anglais entre le suffixe agentif -er et le
suffixe non agentif -er, Bauer (2001b:199) se pose la question de savoir si ce
sont les types de formations ou les processus individuels qui sont productifs
(cf. 2.5) :
Is it only if we are dealing with two distinct -er morphemes/affixes/
constructions that we can really ask whether they differ in productivity, or
can we talk about distinguishable uses of the same morpheme/
affix/construction differing in productivity? (Bauer 2001b:200)
Bauer estime qu’une différence quant au comportement grammatical, par
exemple en ce qui concerne les bases préférées, pourrait signaler la présence
de deux processus distincts pour une même formation.
Dans un contexte plus général, la possibilité d’homonymie potentielle
entre les sens de l’agglomérat d’Agent, liée à la distribution complémentaire,
sera, comme on va le voir, rejetée par nos résultats. Il n’y a pas de raison
d’examiner s’il y a une distinction à l’intérieur des verbes entrant dans les
quatre formations, entre les verbes qui forment des noms d’instrument et
ceux qui forment des noms d’agent, car il existe plusieurs formations qui
sont individuellement polysémiques, un nombre trop grand pour n’être
qu’accidentel, et l’on ne trouve pas de distribution complémentaire entre les
sens. Il n’y a pas non plus de distinction sémantique entre les unités formées
à partir d’une même base verbale (cf. 8.4.2). Nous posons ainsi en fait que
l’hypothèse de polysémie est la seule possible. Ceci constitue une prise de
position que nous allons essayer de défendre et de renforcer dans les
analyses qui suivent.
Or, ce propos de Bauer sert néanmoins à donner encore un motif
d’englober d’autres formations agentives, outre le composé
[VN/A/Adv/P]N/A, dans nos analyses, et de ne sélectionner que les dérivés
basés sur un verbe qui entre dans les composés. La concurrence entre les
sens qui font partie de la polysémie d’agent tels qu’ils sont exprimés par des
formations agentives différentes peut de ce point de vue s’étudier d’une
manière plus précise. Notre réponse à la question posée par Bauer dans la
citation ci-dessus sera donc non à la première partie et oui à la dernière.
134
7 Synchronie et hiérarchie d’Agent
Puisqu’il est souvent de mise pour une étude linguistique d’adopter soit une
perspective synchronique soit une perspective diachronique, nous jugeons
important d’aborder les deux perspectives dans un même travail. Ceci dans
le dessein de voir si elles aboutissent à deux résultats différents ou, au
contraire, à des résultats se renforçant mutuellement. De plus, en adoptant
les deux perspectives, il est possible de découvrir des aspects importants qui
ne sont pas nécessairement révélés si l’on ne choisit qu’une des perspectives.
Dans ce chapitre, nous étudierons en synchronie la sémantique des quatre
formations agentives en français. Pour des raisons données dans le chapitre
précédent, nous englobons dans notre analyse, outre les composés
[VN/A/Adv/P]N/A, les trois dérivés V-ant, V-eur et V-oir(e). La perspective
adoptée ici est sémasiologique, c’est-à-dire allant de la forme au sens.
Dans 7.1.1, nous précisons l’objectif de notre étude synchronique. Nous
expliquerons dans 7.1.2 de quelle manière la productivité délimite nos
données, lesquelles seront présentées dans 7.1.3. Quelques précisions
méthodologiques sont indiquées dans 7.1.4. Dans 7.2, nous présenterons et
discuterons nos résultats sur la classification sémantique des unités entrant
dans les données, et dans 7.3, nous donnerons la conclusion de cette étude.
7.1 Introduction
7.1.1 Objectif
Notre objectif principal est ici d’examiner, dans une perspective
synchronique, la structure sémantique de la composition [VN/A/Adv/P]N/A et
celles des dérivations V-ant, V-eur et V-oir(e) afin de remettre en question
le postulat d’une structure hiérarchique passe-partout, ayant l’Agent en tête
et capable de rendre compte de la structure sémantique des noms d’agent.
Rappelons que la structure hiérarchique de la polysémie d’agent (cf. 59,
6.1), proposée entre autres par Dressler (1986), Devos & Taeldeman (2004)
et Sleeman & Verheugd (2004) et qui aurait l’Agent au premier rang,
rendrait compte de la fréquence relative de sens des noms d’agent.
135
7.1.2 La productivité délimitant le corpus
Il importe ici de revenir à la notion complexe de productivité pour en
préciser comment elle sert à délimiter les données (cf. 2.5). Rappelons que
les deux notions de Corbin (1987:42, 177) sont importantes au sujet de la
productivité, mais également pour ce travail : la rentabilité, c’est-à-dire le
nombre de lexèmes attestés issus d’un procédé de construction, approche
quantitative143, et la disponibilité, qui se base sur la capacité à construire des
mots nouveaux, approche qualitative144. La rentabilité se rapporte aux mots
établis, dont il sera question dans les analyses du présent chapitre, ainsi que
du suivant. La disponibilité se rapporte aux mots existants145, dont il a été
question dans les analyses des chapitres 4 et 5. Selon Bauer (2001b:36), un
mot existe à partir du moment où il est créé, alors qu’il est établi quand il fait
partie de la norme et, par là, jugé pertinent pour entrer dans un dictionnaire
(dans notre cas dans le TLFi). La notion de rentabilité, qui est peut-être la
plus maîtrisable pour une recherche sur la productivité, est donc choisie ici.
7.1.3 Les données synchroniques
Nos données consistent en 1143 composés [VN/A/Adv/P]N/A tirés du TLFi.
De ces 1143 composés, sept correspondent à des adverbes et seront donc
exclus de ces analyses (par exemple d’arrache-pied et à brûle-pourpoint).
Pour onze autres composés, aucun sens n’est donné dans le TLFi, de sorte
que nous les avons aussi exclus. En effet, notons que le TLFi n’est pas
entièrement conséquent en ce qui concerne les informations fournies pour
chaque unité linguistique. Par exemple, sous l’entrée attrape- (considéré
comme « élément préf.146 tiré de attraper ») sont listés entre autres attrapemarteau* et attrape-mouches*. L’astérisque renvoie dans ce dictionnaire à
une entrée particulière. Or, le premier composé, attrape-marteau, ne figure
pas à l’entrée et n’a donc pas d’explication sémantique. De même, au sujet
des deux composés cache-noisette et cache-pape trouvés sous l’entrée
cache- (« élément préf. »), le TLFi mentionne : « Noter les créations iron. de
J. Prévert […] (Paroles, La Crosse en l'air, 1946, p. 136) » ; leur sens n’est
ainsi pas indiqué (cf. aussi 8.1.2). Il nous reste donc 1125 composés qui ont
reçu une classification sémantique et par là entrent dans nos résultats. Dans
143
« Utilisée de façon brute, elle confond en outre productions présente et passée » (Dal
2003:10).
144
Comme le note Dal, une approche visant à la disponibilité peut aboutir à des résultats
trompeurs : « la découverte d’une seule unité lexicale construite ne figurant pas dans les
dictionnaires suffit pour décréter productif en synchronie le procédé qui l’a formée »
(2003:11).
145
Les mots existants sont ici envisagés comme un sous-ensemble des mots possibles, mais
ils ne sont pas nécessairement construits, selon Dal (2003:13). Rappelons aussi les hapax (qui
peuvent être des erreurs) et les néologismes.
146
Abréviation de préfixal.
136
nos données synchroniques sont aussi inclus 89 dérivés V-ant, 145 dérivés
V-eur et 79 dérivés V-oir(e), listés dans le TLFi et comportant un verbe type
qui entre aussi dans un de ces composés [VN/A/Adv/P]N/A. La raison pour
laquelle nous restreignons de cette manière le nombre de dérivés est dû au
fait que notre but est d’examiner la concurrence potentielle entre la structure
sémantique des composés et des dérivés basés sur un même verbe (cf. 6.2 et
6.3). En fait, il est question de 164 verbes types qui entrent dans le total des
1143 composés attestés dans le TLFi, mais tous n’ont pas des dérivés en
-ant, -eur et -oir(e) établis dans ce dictionnaire. Cependant, en cherchant sur
Google, nous avons pu attester ces dérivés, par exemple (un) *trinquant,
*engouleur ou *serroir, mais ils sont quand même exclus de cette étude
parce qu’ils ne sont pas considérés comme établis. Par surcroît, ces
occurrences googliennes montrent la disponibilité de la dérivation en -ant,
-eur et -oir(e). Nous avons déjà constaté que la composition
[VN/A/Adv/P]N/A est disponible (cf. ch. 4). Une attestation récente trouvée
sur Google est par exemple ferme-portes, qui n’entre pas dans le TLFi (celuici n’enregistre aucun composé [VN/A/Adv/P]N/A en ferme-).
7.1.4 Précisions méthodologiques : traits distinctifs et
classificatoires
Dans nos analyses synchroniques et diachroniques qui portent sur la
polysémie d’agent, nous utilisons en premier lieu les sens dénotatifs
suivants, présentés sans ordre hiérarchique :
64) Agent — Instrument — Locatif — Action — Résultat
Cette classification se base sur les sens dénotatifs liés aux patrons
sémantiques proposés pour les composés [VN/A/Adv/P]NA dans le chapitre
4.147 Signalons cependant que les deux patrons d’Objet et de Cause sont
exclus de nos analyses suivantes, car ils sont peu rentables. Celui d’Objet ne
vaut que pour quatre composés comportant un argument externe, et nous
avons déjà constaté que son statut reste en question (cf. 4.8). Pour ce qui est
du patron de Cause qui ne vaut que pour quatre composés attestés dans le
TLFi, rappelons que nous l’avons distingué en deux types : Causeinstrumentale et
Causeagentive (cf. 4.8). De ce fait, dans nos analyses qui suivent, le premier
type a été classé comme Instrument, et le deuxième comme Agent. Nous
estimons que cette décision est aussi la plus plausible pour les dérivés, parce
que les sens agentifs de ceux-ci contiennent, à notre avis, souvent aussi un
sens causatif, qui est difficile à séparer du sens agentif. Dans nos analyses,
147
Le sens noté Source/Origine par Dressler (1986) n’y entre pas, vu que nous n’avons pas
trouvé de patron pour ce sens parmi les composés [VN/A/Adv/P]N/A. Il pourrait
éventuellement être exemplifié par levant, ‘pays qui sont au levant’.
137
nous allons également distinguer entre différents types d’Agent : Humains,
Animaux, Végétaux et Impersonnels (cf. 60, dans 6.1).
Précisons que, dans notre classification des composés et des dérivés, nous
ne ferons pas de distinction entre noms et adjectifs ; c’est-à-dire qu’un
adjectif peut, à l’instar du nom, se classer comme Instrument, tel que gilet
pare-balles, ou Agent, tel que domestique casseuse (cf. 4.1.1 pour les raisons
de cette décision). Toutefois, nous ne négligeons pas la pertinence de cette
distinction, qui donne parfois lieu à des cas difficiles à classer, en particulier
pour ce qui est des dérivés V-ant.
Finalement, soulignons avec insistance la présence de cas limites dont le
classement peut prêter â discussion. Néanmoins, nous jugeons que nos
données sont suffisamment riches en contenu pour permettre d’arriver à des
résultats fiables. Soulignons aussi que nos résultats pour les composés
[VN/A/Adv/P]N/A sont beaucoup plus exhaustifs, parce qu’ils englobent tous
les composés de ce type que nous avons pu localiser dans le TLFi, que pour
les dérivés, strictement limités à ceux établis dans le TLFi et étant basés sur
un verbe qui entre aussi dans un des composés. Ces derniers résultats sont,
comme déjà dit, donnés dans un but complémentaire aux résultats obtenus
pour les composés.
7.2 Résultats synchroniques portant sur la hiérarchie
d’agent
Afin d’examiner la pertinence du postulat d’une seule structure hiérarchique
de la polysémie d’agent qui vaut pour toute formation agentive, nous avons
classé les composés [VN/A/Adv/P]N/A et les trois dérivés V-ant, V-eur et Voir(e) entrant dans nos données selon leurs sens dénotatifs. Nos résultats, qui
regardent donc ces unités dans une perspective synchronique, sont présentés
dans le tableau 2 :
138
Tableau 2. Sens dénotatifs des composés [VN/A/Adv/P]N/A et des dérivés Vant, V-eur et V-oir(e).
Sens/Formation [VN/A/Adv/P]
n
%
Agent
501
37,7
Instrument
621
46,7
Locatif
78
5,9
Action
95
7,1
Résultat
34
2,6
Total
1329
100
(1125)148
V-ant
n
100
64
10
56
29
259
(89)
%
38,6
24,7
3,9
21,6
11,2
100
V-eur
n
214
50
4
4
4
276
(145)
%
77,5
18,1
1,4
1,4
1,4
99,8
V-oir(e)
n
%
31
21,7
66
46,2
35
24,8
7
4,9
4
2,8
143 100,4
(79)
Les résultats donnés dans le tableau 2 nous permettent de proposer pour les
quatre formations les structures hiérarchiques suivantes :
65)
66)
67)
68)
[VN/A/Adv/P] : Instrument > Agent > Action > Locatif > Résultat
V-ant : Agent > Instrument > Action > Résultat > Locatif
V-eur : Agent > Instrument > Locatif/Action/Résultat
V-oir(e) : Instrument > Locatif > Agent > Action > Résultat
Constatons que seule la structure de (67) pour les dérivés V-eur, qui a
l’Agent en tête, est similaire aux structures hiérarchiques proposées dans
6.1.149 La structure des dérivés V-ant, a aussi l’Agent en tête, mais sa
fréquence est moins élevée, et le sens Action y trouve une place plus
importante que celui du sens Locatif. La structure sémantique des composés
[VN/A/Adv/P]N/A, ainsi que celle des dérivés V-oir(e), ont le sens Instrument
en tête. Notons aussi que dans la structure sémantique des dérivés V-oir(e),
le sens Locatif occupe la deuxième place. Ces quatre formations font preuve
de structures sémantiques différentes qui ne peuvent pas être expliquées par
une seule structure hiérarchique pour la polysémie d’agent.
Il est à noter que, contrairement à la hiérarchie d’agent proposée par
Dressler (1986) (cf. 59, dans 6.1) où les sens Action et Résultat ne sont
même pas présents, ces sens trouvent des places non négligeables dans les
structures sémantiques des composés [VN/A/Adv/P]N/A et des dérivés Vant ; ils sont même plus rentables que celui de Locatif pour les dérivés Vant. En regardant de plus près les composés à deux sens Action et Résultat,
148
Dans les tableaux qui suivent, les chiffres entre parenthèses correspondent au nombre total
de composés/dérivés dans nos données, alors que les chiffres qui précèdent les parenthèses
correspondent au nombre total de sens de ces unités.
149
Lieber (1992) note que le français manque de suffixe instrumental, réalisé et rentable,
comme -er anglais (ou -are suédois). Remarquons cependant que les dérivés V-eur font
preuve d’une extension instrumentale, même si les composés [VN/A/Adv/P]N/A sont la
formation instrumentale par excellence en français moderne.
139
signalons que 28 d’entre eux comportent le thème verbal lèse- : le sens
Action met l’accent sur le procès alors que le sens Résultat met l’accent sur
la fin du procès (cf. ces patrons dans 4.4). Un nombre élevé de composés
avec lèse- semblent être des hapax, comme lèse-louloute ou lèse-Elzévir.
Essayons de donner une interprétation de ces résultats portant sur les
structures sémantiques des quatre formations agentives en français. À notre
avis, ils peuvent être vus comme une indication de compétition, ou de
blocage entre les quatre formations. D’une part, les dérivés V-eur, qui sont
préférentiellement agentifs, pourraient bloquer les extensions agentives des
trois autres formations en les poussant vers l’extension instrumentale.
D’autre part, en suivant un même type de raisonnement, on pourrait parler de
blocage entre les composés et les dérivés V-ant et les dérivés V-oir(e) : les
composés [VN/A/Adv/P]N/A, préférentiellement instrumentaux pousseraient
les dérivés V-ant et les dérivés V-oir(e) vers d’autres extensions, notamment
l’Action et le Résultat pour les dérivés V-ant, et le Locatif pour les dérivés
V-oir(e). Nos résultats synchroniques semblent confirmer les idées avancées
par Kastovsky (1986) et Štekauer (2003) selon lesquelles la productivité de
sens différents peut varier selon les formations et qu’il peut y avoir
compétition ou blocage entre elles. En résumé, nos résultats ne corroborent
donc pas l’idée selon laquelle toute formation agentive manifesterait une
même structure hiérarchique des sens inclus dans la polysémie d’agent. Les
structures sémantiques des composés [VN/A/Adv/P]N/A et des dérivés Voir(e) dévient considérablement de cette hiérarchie : le sens le plus rentable
dans ces structures est celui d’Instrument. Nos résultats indiquent ainsi que
les structures différentes des quatre formations agentives pourraient être
soumises aux effets de blocage. Cette hypothèse sera aussi examinée plus en
détail dans le chapitre suivant, qui traite de la diachronie.
7.2.1 La distribution entre différents types d’agentifs en
synchronie
Présentons ici la distribution de différents types d’Agent, des Humains, des
Animaux, des Végétaux et des Impersonnels, chez les quatre formations.
Nous avons aussi inclus l’Instrument dans ce tableau, car sa rentabilité est
selon nous très importante à ce propos.
140
Tableau 3. Différents types agentifs chez les composés [VN/A/Adv/P]N/A et
les dérivés V-ant, V-eur et V-oir(e).
Sens/Formation [VN/A/Adv/P]
n
%
Agent Humain
281
21,1
Agent Animal
45
3,4
Agent Végétal
50
3,8
V-ant
n
31
13
4
%
12,0
5,0
1,5
V-eur
n
138
19
1
%
50,0
6,9
0,4
V-oir(e)
n
%
7
4,9
3
2,1
2
1,4
Agent Impers
n Agent
Instrument
52
100
64
20,1
38,6
24,7
56
214
50
20,3
77,5
18,1
19
31
66
125
501
621
9,4
37,7
46,7
13,3
21,7
46,2
Constatons que les Agents Végétaux et Animaux sont attestés pour chacune
des formations, mais qu’ils ne sont pas particulièrement rentables. Comme
déjà mentionné, tous les linguistes ne font pas introduire l’Agent
Impersonnel dans la polysémie d’agent (cf. 6.1, et aussi 8.4.1). Afin
d’examiner de près la conséquence de son introduction pour nos résultats,
comparons la distribution entre Instrument et Agent Impersonnel telle
qu’elle se dégage du tableau 3. Rappelons la classification de Fillmore
(1968), qui se base sur la distinction Agent [+animé] et Instrument [–animé],
et qui donc exclut l’Agent Impersonnel. Pour ce qui est des composés
[VN/A/Adv/P]N/A et des dérivés V-oir(e), le tableau 3 montre que la
rentabilité du sens Agent Impersonnel n’est pas de loin aussi élevée que la
rentabilité du sens d’Instrument. Par conséquent, l’introduction de l’Agent
Impersonnel ne nuit pas sérieusement au nombre total des Instruments, qui
tout de même reste considérable. Pour ce qui est des dérivés V-ant et des
dérivés V-eur, il se dégage du tableau 3 que la rentabilité du sens Agent
Impersonnel est au même niveau ou même dépasse la rentabilité du sens
d’Instrument. Par conséquent, pour ces deux types de dérivés, l’introduction
de l’Agent Impersonnel dans la polysémie d’agent implique que le nombre
de cas instrumentaux se réduit considérablement, alors que le nombre de cas
agentifs augmente fortement. Il nous semble donc que la distribution entre
Instrument et Agent Impersonnel peut être vue comme une indication de la
préférence instrumentale des composés [VN/A/Adv/P]N/A et des deux dérivés
V-ant et V-oir(e) vis-à-vis de la préférence agentive des dérivés V-eur. De
plus, nos résultats montrent l’importance pour une étude de ce genre de
clarifier et de bien définir la notion d’Instrument et celle d’Agent,
particulièrement en ce qui concerne l’acceptation ou non de l’Agent
Impersonnel dans la catégorie agentive.
Le fait de proposer pour les différents types agentifs une structure
hiérarchique, liée à la hiérarchie d’Animacy, tel que le fait Dressler (1986)
(cf. 60, 6.1), ne semble pas non plus licite selon nos résultats. Les hiérarchies
141
relatives aux différents types d’Agent, y compris l’Instrument, sont résumées
sous (69-72) :
69) [VN/A/Adv/P] : (Instrument) > Agent Humain > Agent Impersonnel >
Agent Végétal > Agent Animal
70) V-ant : (Instrument) > Agent Impersonnel > Agent Humain > Agent
Animal > Agent Végétal
71) V-eur : Agent Humain > Agent Impersonnel > (Instrument) > Agent
Animal > Agent Végétal
72) V-oir(e) : (Instrument) > Agent Impersonnel > Agent Humain > Agent
Animal > Agent Végétal
Le sens Agent Humain prédomine pour les dérivés V-eur, néanmoins, la
structure sémantique des différents types d’Agent n’est pas conforme à la
structure hiérarchique liée à la notion d’Animacy, car les Agents
Impersonnels sont plus fréquents que les Agents Animaux et Végétaux, et en
plus, l’Instrument intervient entre les différents types agentifs. Remarquons
aussi que lorsque l’on distingue entre différents types d’Agent, l’Instrument
devient le sens le plus rentable, en position tête, aussi pour les dérivés V-ant.
Quant aux dérivés V-ant et V-oir(e), il est aussi à noter que le nombre
d’Agents Impersonnels dépasse le nombre d’Agents Humains. Ce fait
semble signaler leur tendance vers l’instrumentalité, mais il pourrait aussi
indiquer que la haute rentabilité de l’Agent Humain, principalement des
dérivés V-eur, mais aussi des composés [VN/A/Adv/P]N/A, bloquerait ce sens
chez les deux autres dérivés. Pour ce qui est du sens Agent Humain, élevé
chez les dérivés V-eur, mais aussi chez les composés [VN/A/Adv/P]N/A, il
faut noter l’observation de Franz Rainer (c.p.) selon laquelle les composés, à
la différence des dérivés V-eur, dénotent souvent des humains de manière
péjorative ou moqueuse. Or, cette spécialisation sémantique pourrait, selon
nous, être encore un fait qui s’expliquerait par les effets de blocage.
En dehors de faits présentés dans les tableaux 2 et 3, remarquons que, si
l’on compare les dérivés V-eur avec les dérivés V-ant aux sens agentifs, le
premier tend à imposer une lecture [-événementielle], alors que le dernier
semble imposer une lecture [+événementielle] : regarde les danseurs vs
regarde les (couples) dansants. Ceci pourrait aussi être attribué à un cas de
blocage, et mériterait une étude approfondie.
7.2.2 Les unités polysémiques
Dans les tableaux 4 à 7, nous présenterons les résultats qui concernent la
combinaison des sens différents que possèdent individuellement les
composés [VN/A/Adv/P]N/A et les trois dérivés (cf. aussi 8.4.2 qui traite des
ces unités en diachronie). Regardons d’abord les composés :
142
Tableau 4. Classification sémantique des composés [VN/A/Adv/P]N/A.
Classification sémantique
Instrument
Agent Humain
Agent Impersonnel
Locatif
Agent Végétal
Action
Agent Humain, Instrument
Action, Résultat
n
512
201
85
51
40
39
33
29
Agent Impersonnel, Instrument
27
Agent Animal
25
Agent Humain, Agent Animal
10
Instrument, Locatif
9
Instrument, Action
7
Agent Humain, Agent Impersonnel
6
Locatif, Action
6
Agent Animal, Instrument
5
Agent Humain, Agent Animal, Instrument
4
Agent Humain, Instrument, Locatif
4
Agent Humain, Instrument, Action
4
Résultat
4
Agent Humain, Locatif
3
Agent Humain, Action
3
Agent Végétal, Instrument
3
Agent Humain, Agent Végétal
2
Agent Impersonnel, Instrument, Action
2
Agent Humain, Agent Animal, Agent Végétal, 1
Agent Impersonnel
Agent Humain, Agent Animal, Agent Végétal, 1
Instrument
Agent Humain, Agent Animal, Agent Impersonnel 1
Agent Humain, Agent Animal, Instrument, Action 1
Agent Humain, Agent Animal, Action
1
Agent
Humain,
Agent
Végétal,
Agent 1
Impersonnel, Instrument
Agent Humain, Agent Impersonnel, Instrument
1
Agent Humain, Agent Impersonnel, Instrument, 1
Locatif
Agent Humain, Instrument, Locatif, Action
1
Agent Humain, Locatif, Action
1
Agent Animal, Agent Végétal, Instrument
1
%
45,5
17,9
7,6
4,5
3,6
3,5
2,9
2,6
2,4
2,2
0,9
0,8
0,6
0,5
0,5
0,4
0,4
0,4
0,4
0,4
0,3
0,3
0,3
0,2
0,2
0,1
0,1
0,1
0,1
0,1
0,1
0,1
0,1
0,1
0,1
0,1
143
Agent Végétal, Instrument, Locatif
Agent Impersonnel, Locatif
Instrument, Locatif, Action
Instrument, Action, Résultat
Total
Sens inconnu
Adverbe
Total
1
1
1
1
1125
11
7
1143
0,1
0,1
0,1
0,1
100,4
Il se dégage du tableau 4 qu’une grande majorité des composés, 85 %, n’ont
qu’un sens (marqué en gris) ; alors que le reste des composés, 15 %, peuvent
avoir au moins deux sens différents. La faible tendance à la polysémie que
manifestent les composés est selon nous à mettre sur le compte de leur
structure complexe qui, à la différence des dérivés, comprend un nom à
pouvoir référentiel, ce qui limite le nombre de leurs référents possibles.
Remarquons aussi que tous les sens entrant dans notre système de
classification relatif à la polysémie d’agent sont représentés par des
composés monosémiques. Citons gobe-mouches comme exemple d’un
composé auquel le TLFi attribue plusieurs sens différents :
73) a) ‛Badaud, personne qui perd son temps en s'occupant de futilités’ ou
‛gogo, personne niaise qui se laisse abuser par tout ce qu'on lui dit’ =
Agent Humain ; b) ‛Oiseau passereau qui se nourrit de mouches ou
d'autres insectes happés en vol’ = Agent Animal ; c) ‛Plante insectivore
dont la tige, les feuilles visqueuses ou contractiles emprisonnent les
mouches ou d'autres insectes qui s'y posent’ = Agent Végétal ; d) ‛Piège
à insectes que l'on suspend dans les arbres’ = Agent Impersonnel.
et aussi casse-croûte :
74) a) ‛Instrument servant à broyer les croûtes de pain à l'usage des
vieillards’ = Instrument ; b) ‛Où l'on peut consommer des casse-croûtes’
(bar casse-croûte) = Locatif ; c) ‛Repas sommaire que prennent les
ouvriers dans une pause de leur travail’ = Action.
Regardons les combinaisons de sens des dérivés V-ant :
Tableau 5. Classification sémantique des dérivés V-ant.
Classification sémantique
Agent Impersonnel, Instrument, Action
Instrument
Agent Humain, Agent Impersonnel, Action
Agent Impersonnel, Instrument
Instrument, Action
144
n
17
5
3
3
3
%
19,1
5,6
3,4
3,4
3,4
Instrument, Action, Résultat
3
Action
3
Agent Humain, Agent Impersonnel
2
Agent Humain, Agent Impersonnel, Instrument, Action 2
Agent Humain, Agent Impersonnel, Instrument, Action, 2
Résultat
Agent Humain, Instrument, Action, Résultat
2
Agent Animal
2
Agent Animal, Agent Impersonnel, Instrument Action
2
Agent Impersonnel, Instrument, Locatif, Action
2
Agent Impersonnel, Instrument, Résultat
2
Instrument, Résultat
2
Locatif, Résultat
2
Résultat
2
Agent Humain
1
Agent Humain, Agent Animal
1
Agent Humain, Agent Animal, Agent Végétal, Agent 1
Impersonnel, Instrument
Agent Humain, Agent Animal, Agent Impersonnel, 1
Instrument
Agent Humain, Agent Animal, Agent Impersonnel, 1
Instrument, Action
Agent Humain, Agent Animal, Agent Impersonnel, 1
Action
Agent Humain, Agent Animal, Instrument, Locatif, 1
Action
Agent Humain, Agent Animal, Instrument, Résultat
1
Agent Humain, Agent Animal, Action
1
Agent Humain, Agent Végétal, Agent Impersonnel
1
Agent Humain, Agent Végétal, Agent Impersonnel, 1
Instrument, Résultat
Agent Humain, Agent Impersonnel, Instrument
1
Agent Humain, Agent Impersonnel, Instrument, Locatif 1
Agent Humain, Agent Impersonnel, Instrument, Locatif, 1
Action
Agent Humain, Agent Impersonnel, Instrument, Résultat 1
Agent Humain, Agent Impersonnel, Action, Résultat
1
Agent Humain, Agent Impersonnel, Résultat
1
Agent Humain, Instrument
1
Agent Humain, Instrument, Résultat
1
Agent Humain, Action, Résultat
1
Agent Animal, Action
1
Agent Végétal, Agent Impersonnel, Instrument Action, 1
3,4
3,4
2,2
2,2
2,2
2,2
2,2
2,2
2,2
2,2
2,2
2,2
2,2
1,1
1,1
1,1
1,1
1,1
1,1
1,1
1,1
1,1
1,1
1,1
1,1
1,1
1,1
1,1
1,1
1,1
1,1
1,1
1,1
1,1
1,1
145
Résultat
Agent Impersonnel, Instrument, Locatif, Action, Résultat
Agent Impersonnel, Instrument, Action, Résultat
Agent Impersonnel, Action
Agent Impersonnel, Action, Résultat
Instrument, Locatif, Action
Instrument, Locatif, Action, Résultat
Instrument, Action, Résultat
Action, Résultat
Total
Dérivé non établi
Total
1
1
1
1
1
1
1
1
89
75
164
1,1
1,1
1,1
1,1
1,1
1,1
1,1
1,1
98,9
Suivant les résultats du tableau 5, 15 % des dérivés V-ant sont
monosémiques, alors que 85 % sont polysémiques. Les chiffres sont donc
inversés si on les compare avec ceux enregistrés pour les composés
[VN/A/Adv/P]N/A. Pleurant peut être donné comme exemple d’un dérivé Vant polysémique :
75) a) ‛Qui pleure, qui verse des larmes’ = Agent Humain ; b) i) ‛En parlant
d'arbres, d'arbustes, dont les branches s'inclinent vers le sol’ ; ii) Arg.
‛Oignon’ = Agent Végétal ; c) ‛Statue funéraire ornant un tombeau, qui
représente un personnage en pleurs’ = Agent Impersonnel.
À la différence des composés qui manifestent des combinaisons très
variées, souvent comportant un Instrument, les dérivés V-eur possèdent tous
au moins un sens agentif, de préférence, celui d’Agent Humain :
146
Tableau 6. Classification sémantique des dérivés V-eur.
Classification sémantique
n
Agent Humain
68
Agent Humain, Agent Impersonnel, Instrument
30
Agent Humain, Agent Impersonnel
9
Agent Humain, Instrument
8
Agent Humain, Agent Animal
6
Agent Humain, Agent Animal, Agent Impersonnel
4
Agent Humain, Agent Animal, Agent Impersonnel, 4
Instrument
Agent Humain, Locatif
3
Agent Impersonnel
2
Agent Impersonnel, Instrument
2
Agent Humain, Agent Animal, Agent Impersonnel, 1
Instrument, Action, Résultat
Agent Humain, Agent Animal, Agent Impersonnel, 1
Instrument, Résultat
Agent Humain, Agent Animal, Instrument
1
Agent Humain, Agent Animal, Instrument, Action
1
Agent Humain, Agent Impersonnel, Instrument, Locatif 1
Agent Humain, Résultat
1
Agent Animal, Agent Impersonnel
1
Agent Végétal, Instrument, Action, Résultat
1
Agent Impersonnel, Action
1
Total
145
Dérivé non établi
19
Total
164
%
46,9
20,7
6,2
5,5
4,1
2,8
2,8
2,1
1,4
1,4
0,7
0,7
0,7
0,7
0,7
0,7
0,7
0,7
0,7
100,2
Il se dégage du tableau 6 que plus de la moitié des dérivés V-eur, 52 %,
peuvent avoir plusieurs sens différents ; le reste des dérivés, 48 % sont
monosémiques (marqués en gris) (cf. 8.4.2). Regardons sauteur qui, selon le
TLFi, est fortement polysémique :
76) a) ‛Personne qui saute’ = Agent Humain ; b) ‛Animaux (et insectes)
organisés pour le saut, dont le mode de locomotion est le saut’ = Agent
Animal ; c) i) ‛Casserole large, à bord peu élevé, munie d'un long
manche, qui sert à faire sauter les viandes et les légumes’ ; ii) ‛Scie à
lame très étroite, fine, assurant le découpage des parties dans des
planches de faible épaisseur’ = Instrument ; d) ‛Espèce de valse à deux
temps et d'un mouvement très rapide’ = Action.
Pour le premier sens sous (76a), Agent Humain, il est à noter qu’il y a
plusieurs autres sens qui font également référence à un Agent Humain dans
147
le TLFi. Notons aussi qu’il est question de la forme féminine sauteuse dans
le cas des sens donnés sous (76c-d). Un autre dérivé manifestant plusieurs
sens différents d’après le TLFi est rouleur :
77) a) ‛Manœuvre chargé de déplacer, de pousser des charges’ = Agent
Humain ; b) ‛(Insecte) qui roule les feuilles des plantes pour y pondre et
dont les larves roulent celles-ci pour s'y loger’ = Agent Animal ; c)
‛Machine de chaudronnerie utilisée pour le cintrage et le roulage des
tôles’ = Agent Impersonnel ; d) ‛Appareil servant à rouler à la main des
cigarettes’ = Instrument ; e) Au Canada ‛Cigarette faite à la main’ =
Résultat.
Nous interprétons le sens sous (77d) comme instrumental malgré l’emploi
d’un « appareil » pour son explication. Signalons qu’il y a, selon le TLFi,
plusieurs autres sens pour ce mot qui se réfèrent aussi à un Agent Humain, à
un Agent Animal et à un Agent Impersonnel, mais faute d’espace, nous ne
présentons que ceux donnés sous (77).
En outre, remarquons qu’il n’y a que quelques-uns des dérivés dans nos
données qui selon le TLFi ne désignent pas d’Agent Humain. Rompeur est,
par exemple, l’un de nos deux dérivés V-eur à n’être classé que comme
Agent Impersonnel150 :
78) N ou A, (listé sous l’entrée du verbe rompre) ; ‛[En parlant d'une chose]
(Celui, celle) qui peut rompre’ = Agent Impersonnel.
Regardons finalement les combinaisons de sens que manifestent les
dérivés V-oir(e) :
150
Cependant, sur Google, nous avons trouvé plusieurs attestations renvoyant à un Agent
Humain.
148
Tableau 7. Classification sémantique des dérivés V-oir(e).
Classification sémantique
n
Instrument
25
Locatif
11
Instrument, Locatif
12
Agent Impersonnel, Instrument
8
Agent Impersonnel, Instrument, Locatif
5
Instrument, Action
5
Agent Humain, Instrument
2
Agent Humain, Agent Animal, Agent Végétal, 1
Instrument
Agent Humain, Agent Animal, Agent Impersonnel, 1
Instrument
Agent Humain, Agent Impersonnel, Instrument
1
Agent Humain, Agent Impersonnel, Instrument, 1
Résultat, Locatif
Agent Humain, Instrument, Locatif
1
Agent Animal, Agent Végétal
1
Agent Impersonnel, Instrument, Locatif, Action, 1
Résultat
Agent Impersonnel, Instrument, Locatif, Résultat
1
Agent Impersonnel, Locatif
1
Instrument, Locatif, Action
1
Instrument, Locatif, Résultat
1
%
31,6
13,9
15,2
10,1
6,3
6,3
2,5
1,3
Total
Dérivé non établi
79
85
100,2
Total
164
1,3
1,3
1,3
1,3
1,3
1,3
1,3
1,3
1,3
1,3
Le tableau 7 montre que 46 % des dérivés V-oir(e) sont polysémiques, alors
que 54 % n’ont qu’un seul sens. Parmi les trois types de dérivés, c’est celui
qui est le moins polysémique, tandis que le dérivé V-ant est celui qui s’étend
le plus. Notons aussi que l’un des deux sens Instrument ou Locatif entre
presque toujours dans les dérivés V-oir(e) polysémiques. Brûloir en est un
exemple :
79) a) i) ‛Appareil pour griller le café en grains’ ; ii) ‛Appareil à projection
de flamme utilisé pour le brûlage des vieilles peintures’ = Agent
Impersonnel ; b) ‛Instrument que le tondeur utilise pour flamber
l'extrémité des poils des animaux’ = Instrument ; c) ‛Lieu aménagé pour
y brûler les vins et les transformer en eau-de-vie’ = Locatif.
149
Afin de résumer les résultats des tableaux 4 à 7, qui sont présentés pour
montrer la grande diversité de combinaisons sémantiques que peuvent
posséder ces quatre types de formations agentives, nous pouvons constater
que les dérivés s’étendent sémantiquement beaucoup plus facilement que les
composés, neuf composés sur dix étant monosémiques. Ceci s’explique,
selon nous, par le fait que les sens des composés, en raison de leur structure
plus complexe parce qu’ils comprennent un nom, sont plus spécialisés et
plus limités quant à l’extension sémantique.
Rainer (2005b:30) s’oppose au schéma d’extension sémantique proposé
par Booij (1986) (Ag Pers > Ag Imp > Instr) qui prédit que l’interprétation
agentive, même si non établie, serait toujours possible, car Rainer observe
que le suffixe espagnol -dor semble disposer d’une distribution
complémentaire entre l’emploi agentif et l’emploi instrumental : sous la
lettre D dans un dictionnaire espagnol moderne, 24 dérivés en -dor sont
exclusivement agentifs, alors que 21 sont exclusivement instrumentaux.
Rainer (2005b:30) signale que Panagl (cf. 1977:13) aussi a remarqué que le
dérivé en -er allemand manifeste une distribution complémentaire entre
noms d’agent et noms d’instrument. Cependant, comme nos résultats des
tableaux 5 à 7 le montrent, la distribution complémentaire ne vaut
certainement pas pour les dérivés français V-ant, V-eur et V-oir(e) : ceux-ci
sont tous fortement polysémiques. Pour ce qui est des composés
[VN/A/Adv/P]N/A, 15 % d’entre eux possèdent plus d’un sens ; ce nombre
n’est donc pas aussi important que ceux constatés pour les dérivés, mais il
est néanmoins question de 168 exceptions qui contredisent l’idée d’une
distribution complémentaire. Ainsi, selon nos résultats, la distribution
complémentaire ne serait pas une raison suffisante pour réfuter l’idée d’une
extension sémantique. Finalement, notons que les différentes combinaisons
de sens varient avec les formations. Les composés manifestent des
combinaisons variées, comportant souvent un Instrument, alors que l’Agent
Humain est presque toujours un des sens entrant dans une combinaison des
dérivés V-eur. Les dérivés V-oir(e) qui sont polysémiques comportent
souvent un des sens Instrument ou Locatif. Ceci témoigne encore une fois de
la tendance à l’instrumentalité des composés [VN/A/Adv/P]N/A et des dérivés
V-oir(e) ainsi que de la tendance à l’agentivité des dérivés V-eur. Le dérivé
V-ant est la formation la plus polysémique, fait que nous attribuons à son
emploi adjectival fréquent.
7.3 Conclusion
Dans notre étude synchronique, nous avons mis en question le bien-fondé
théorique d’une seule structure hiérarchique de la polysémie d’agent, valable
pour toute formation agentive, idée proposée entres autres par Dressler
(1986), Devos & Taeldeman (2004) et Sleeman & Verheugd (2004). Notons
150
en particulier que les structures sémantiques des composés
[VN/A/Adv/P]N/A, et des dérivés V-oir(e), où l’Instrument est le sens le plus
rentable, ne suivent pas la direction visée par la structure hiérarchique de la
polysémie d’agent, ayant l’Agent en tête. Cette structure convient pourtant
pour rendre compte de la structure sémantique des dérivés V-eur, qui ont
l’Agent Humain en tête. Nos résultats indiquent ainsi que les formations
agentives peuvent avoir des structures hiérarchiques différentes : les sens
sont différemment rentables selon la formation choisie.
Il est à notre avis possible d’interpréter nos résultats comme soumis à des
effets de blocage. Les dérivés V-eur, prédominamment agentifs,
bloqueraient les extensions agentives des composés [VN/A/Adv/P]N/A et des
deux dérivés V-ant et V-oir(e), et les pousseraient vers l’extension
instrumentale. L’effet de blocage est aussi envisageable entre les composés
et les deux dérivés V-ant et V-oir(e). Les composés [VN/A/Adv/P]N/A,
préférentiellement instrumentaux, pousseraient les dérivés V-ant vers
l’Action et le Résultat, et les dérivés V-oir(e) vers le Locatif. Nos résultats
confirmeraient donc aussi les théories de Kastovsky (1986) et de Štekauer
(2003) selon lesquelles la productivité de sens différents varie en fonction
des formations et posant que celles-ci peuvent rivaliser entre elles, et donc
manifester des effets de blocage.
Observons aussi que l’idée d’une seule structure hiérarchique de
différents types d’Agent ne peut non plus être confirmée par nos résultats.
Les Agents Animaux et Végétaux sont marginaux pour toutes les formations.
Pour ce qui est des dérivés V-ant et V-oir(e), les Agents Impersonnels sont
même plus nombreux que les Agents Humains, ce qui pourrait aussi être
interprété comme des effets de blocage incités par la haute rentabilité de
l’Agent Humain chez les dérivés V-eur.
La polysémie des noms d’agent en français mérite encore des études
approfondies et nous allons continuer à l’explorer dans le chapitre suivant,
qui adopte une perspective diachronique.
151
8 Diachronie et extension de sens
Ce chapitre se propose d’examiner la sémantique dénotative des quatre
formations agentives françaises — les composés [VN/A/Adv/P]N/A et les
trois dérivés V-ant, V-eur et V-oir(e) — dans une perspective diachronique.
L’optique de cette analyse est, à l’instar de l’analyse synchronique,
sémasiologique, c’est-à-dire allant de la forme au sens.
Dans l’introduction 8.1, nous donnerons l’objectif de l’étude dans 8.1.1 et
présenterons nos données dans 8.1.2. Nous aborderons brièvement l’origine
des composés [VN/A/Adv/P]N/A dans 8.2 et présenterons une étude
antérieure dans 8.3. Dans 8.4, nos résultats seront présentés et discutés sous
différents aspects. Nous traiterons des différentes explications de l’extension
sémantique, d’ordre diachronique et d’ordre sémantique/cognitif dans 8.5
afin de les soumettre à la vérification par nos résultats. La conclusion suivra
dans 8.6.
8.1 Introduction
8.1.1 Objectif
Notre but principal dans ce chapitre est d’examiner en diachronie les sens
dénotatifs des composés [VN/A/Adv/P]N/A et des dérivés V-ant, V-eur et Voir(e). Notre hypothèse de départ implique une mise en question de la
validité de l’idée d’une seule structure hiérarchique de la polysémie d’agent
pour l’aspect diachronique également. Il importe d’examiner si, au cours du
temps, la rentabilité des différents sens reste la même. Dans une perspective
plus large, nous avons l’intention de remettre en question l’opinion, presque
unanime, que l’extension sémantique est directionnelle et a un sens primaire
qui est à l’origine de tous les autres, notamment le sens agentif. Dans ce but,
il sera intéressant d’examiner l’extension sémantique des composés et des
dérivés individuellement polysémiques, manifestant une structure
hiérarchique interne.
153
8.1.2 Les données diachroniques
Les données de base de cette étude diachronique consistent en 1032
composés [VN/A/Adv/P]N/A tirés du TLFi, ainsi que 70 dérivés V-ant, 144
dérivés V-eur et 75 dérivés V-oir(e), listés dans le TLFi, et basés sur un
verbe qui entre aussi dans un de ces composés [VN/A/Adv/P]. Les premières
attestations des unités linguistiques qui entrent dans nos résultats relèvent
toutes du TLFi, et plus particulièrement, des informations étymologiques et
historiques indiquées dans ce dictionnaire.151 De telles informations ne sont
pas données pour toutes les unités qui font partie des données : c’est-à-dire
que certains composés n’ont pas d’entrée individuelle dans le TLFi, mais
sont listés sous un élément verbal décrit soit comme un « élément de
composition » soit comme un « élément préf. ». Par exemple, certains
composés formés à partir du verbe porter se trouvent sous l’entrée porte« élém. de compos. » comme porte-bébé, tandis que d’autres possèdent une
entrée individuelle, comme porte-billets.152 De surcroît, les sens donnés pour
une unité en diachronie ne sont pas toujours identiques à ceux qui sont
donnés pour la même unité en synchronie, de sorte que nos données de
l’étude synchronique comportent 1125 composés. Par exemple, dans certains
cas, un sens donné dans l’étymologie correspond à un sens mort en
synchronie (cf. 7.1.3 traitant aussi des particularités du TLFi et de notre
sélection des données).
8.2 L’origine des composés [VN/A/Adv/P]N/A
Darmesteter (1967:169 [1875]) remarque que ce composé fait défaut en latin
classique, opinion émise aussi par Lloyd (1966). Lloyd (1966:259-262)
propose un facteur structural négatif pouvant expliquer l’engouement du
français pour le composé [VN/A/Adv/P]N/A (verbe plus complément, selon
Lloyd) : le français, à l’opposé de l’anglais, manquait de modèle actif pour
former des composés combinant un verbe et un substantif. Giurescu
(1975:69) pose également que cette composition romane ne semble pas être
d’origine latine, puisque le verbe se place en position finale dans la phrase
latine.153 D’après Coseriu (1977:48), ce type existait aussi en sanscrit, en
151
Étant donné le grand nombre de composés dont il est question dans cette étude, nous ne
trouvons pas que la consultation p.ex. du FEW (1922-) aurait été fructueuse.
152
La raison de cette décision nous est inconnue, mais il nous semble que ceux possédant une
entrée propre ont un statut plus établi que les autres, qui semblent parfois soit renvoyer aux
hapax soit être des formations plus occasionnelles (cf. 1.2 et le constat d’Aronoff & Anshen
1998 que les entrées d’un dictionnaire sont sélectives).
153
Cependant, Deloffre & Hellegouarc’h (1983:116) et Marchand (1969) qui s’appuient sur
Jacobi (1897:73), (cf. Picone 1992) posent que la construction verbe plus complément est
attestée dans le latin populaire.
154
persan ancien et en grec ancien, mais ne semble pas être répandu dans les
autres langues européennes.
D’après Lloyd (1966:158) s’appuyant sur Heinimann (1949) et Spitzer
(1951), le composé [VN/A/Adv/P]N/A a été dès le début exclusivement
utilisé, souvent de manière ironique ou moqueuse, pour les surnoms attribués
à des personnes. Spitzer (1951) (cf. Lloyd 1966) juge que ce composé
appartenait d’abord aux groupes les plus bas de la société, ce qui explique la
rareté des exemples attestés pour la période antérieure aux 11e et 12e siècles.
L’omission archaïque du déterminant avant le nom interne du composé
pourrait selon Lloyd (1966:259) s’expliquer par le fait que les noms propres
qui se transforment en noms communs retiennent souvent quelque trait de
leur nature originale. En ce qui concerne la toponymie et les noms propres
provenant de sobriquets, Giurescu (1975:68-69) pose, en s’appuyant sur
Rohlfs (1954:229) et Kreutzer (1967:184), que ce composé est attesté à
partir du 8e siècle. Rohlfs (1954:229) donne l’exemple vinceluna ‘nouvelle
lune’ du 8e siècle, le nom de lieu Tenegaudia ‘porte-joie’ et le nom propre
Zeccadenario du 9e siècle ; Kreutzer (1967:184), des noms de lieux tels que
Tosabarba de 723, Tenegaudia de 739, Terra de Cantalupis ‘chante-loup’ de
804 et Stornapetra de 829.
8.3 Étude diachronique antérieure sur la sémantique
des composés [VN/A/Adv/P]N/A
L’étude de Bork (1990) examine les composés romans de type [VN] dans
une perspective diachronique, s’intéressant entre autres à leur fonction.
Avant de présenter nos propres résultats, nous donnerons dans le tableau 8
ceux de Bork (1990:82-94), touchant l’ancien et le moyen français et se
basant entre autres sur le FEW (1922-) et le Dictionnaire Étymologique de
l’Ancien Français (1974) :
155
Tableau 8. Résultats diachroniques de Bork (1990) touchant les composés
[VN].
Sens/Siècle
Agent Humain
Agent Animal/Zoologique
Agent Végétal
Instrument
11e-12e
5
1
0
1
13e
18
5
2
6
14e
20
0
0
19
15e
28
1
4
21
Total
71
7
6
47
Locatif/Toponyme (+Récipient)
1
0
8
6
15
Vêtement, Armement, Substance, etc.
Action (+Résultat), Jeu
Adverbial
Autre154
2
5
0
3
1
7
1
7
10
7
2
6
8
7
4
12
Total
18
47
72
91
21
26
7
28
228
Notons que les résultats de Bork ne s’étendent que du 11e siècle au 15e siècle
et ne traitent que des composés [VN], à la différence de nos résultats qui
vont jusqu’au 20e siècle et traitent de la construction [VN/A/Adv/P]N/A. La
classification de Bork englobe certains sens, comme le groupe contenant des
objets relatifs au vêtement et à l’armement ainsi que des substances diverses,
que nous avons classés le plus souvent comme Instrument. Elle comprend
aussi les cas où les composés ont une fonction adverbiale, que nous avons
laissés de côté dans cette analyse. De plus, remarquons que l’Agent
Impersonnel, inclus dans nos analyses, n’entre pas dans la classification de
Bork (1990). Une autre particularité des résultats de Bork (1990) qui les
distinguent des nôtres, c’est qu’à chaque composé n’est attribué qu’un seul
sens ; il est alors question de la première attestation. Par conséquent, la
polysémie des composés individuels n’est pas traitée.
Toutefois, les résultats donnés par Bork (1990) montrent que tous les sens
différents de la polysémie d’agent que manifestent les composés [VN]
peuvent constituer un sens primaire (au sens chronologique du terme, mais
non pas nécessairement du point de vue conceptuel). Le sens Agent n’est
donc pas nécessairement le sens d’où les autres sens tirent leur origine. Par
conséquent, nous constatons que la structure hiérarchique de la polysémie
d’agent n’est pas confirmée par les résultats diachroniques de Bork (1990).
154
Cette catégorie englobe entre autres neuf composés dont le premier élément est passe-, tel
que passefelon qui, selon Bork (1990:86), signifie ‛celui qui dépasse les autres en félonie’
(classé comme Agent Humain, selon nous), ou passe-mervoille ‛chose … au-dessus du
merveilleux’ (ibid.:83) (Instrument, selon nous). D’autres composés ci-inclus sont montefoy
‛écrit authentique qui faisait foi en justice’ (ibid.:87), picavet ‛sorte de fagot’ (ibid.) et
rompetout ‛ce qui empêche qch d’avoir lieu’ (ibid.:91) (des Instruments, selon nous). De plus,
passetemps ‛joie, satisfaction’ est d’après Bork (1990:91) classé comme Action, ce qui rejoint
notre classification, alors que passejoie ‛joie extrême’ est classé comme Autre (ibid.:83), mais
pourrait très bien, d’après nous, recevoir le sens Action.
156
Néanmoins, il se dégage du tableau 8 que l’Agent Humain est le sens le plus
rentable en diachronie. Notons cependant que, parmi les 18 premières
attestations, Action est aussi courant qu’Agent Humain. Des dix composés
datant du 11e siècle, c’est-à-dire les toutes premières attestations, quatre sont
des Actions (croslepeille, torneboele, boute-en-courroie155 et guardecoste),
deux des Agents Humains (guardireve et torchepot), deux Autres (passejoie
et passemervoille) (Action et Instrument selon nous, cf. n. 154), un
Instrument (chacevolatille), et un Locatif (garderobe) (Bork 1990:83-84).
Remarquons finalement que déjà aux 14e et 15e siècles, le sens Instrument
est presque aussi rentable que celui d’Agent Humain.
8.4 Résultats diachroniques portant sur la hiérarchie
d’agent
Notre présenterons ici les résultats de notre étude diachronique, allant des
premières attestations du 12e siècle jusqu’aux attestations datant du 20e
siècle et portant sur les composés [VN/A/Adv/P]N/A et les dérivés V-ant, Veur et V-oir(e). L’objectif consiste donc à mettre en question la hiérarchie
d’agent justement en ce qui concerne sa pertinence pour la diachronie et
l’extension de sens.
Commençons par les résultats diachroniques des composés du tableau 9 :
Tableau 9. Résultats diachroniques pour les composés [VN/A/Adv/P]N/A.
Sens/Siècle
Agent
Instr
Locatif
Action
Résultat
12e
2
0
2161
1
1
13e
12156
7
1
1
0
14e
9157
6
3
4
0
15e
8158
12
1
4
0
16e
37159
24
0
10
0
17e
25
30
4
7
2
18e
40
22
7
7
2
19e
154160
196
29
29
20
20e
173
261
26
26
8
Total
6
21
22
25
71
68
78
428
494
Total
460
558
73
89
33
1213
(1032)
Il ressort que la polysémie des composés est présente et dispersée dès les
premières attestations ; nos résultats confirment ainsi ceux de Bork (1990)
(cf. 8.3) et la direction impliquée par la structure hiérarchique ayant l’Agent
155
Nos données ne comprennent pas de constructions syntaxiques comportant une
préposition.
156
Dont quatre noms propres.
157
Dont cinq noms propres.
158
Dont un nom propre.
159
Dont un nom propre.
160
Dont trois noms propres.
161
Dont un nom de lieu.
157
comme sens primaire ne se laisse pas confirmer par nos résultats
diachroniques des composés [VN/A/Adv/P]N/A. Par ailleurs, remarquons que
le sens Agent est plus rentable que celui d’Instrument en ce qui concerne la
période allant du 12e au 18e siècle, et que le sens Action manifeste une
rentabilité assez importante pendant toute la période.
Les résultats diachroniques des dérivés V-ant ne sont pas aussi fiables que
ceux des deux formations précédentes, car des informations étymologiques
et historiques manquent souvent dans le TLFi. Cela peut probablement être
attribué à leur origine verbale comme participe présent, qui se reflète aussi
dans leur emploi adjectival.
Tableau 10. Résultats diachroniques pour les dérivés V-ant.
Sens/Siècle
Agent
Instr
Locatif
Action
Résultat
11e
0
0
0
0
0
12e
4
1
0
4
1
13e
6
3
2
3
3
14e
3
6
0
1
1
15e
0
1
1
1
0
16e
0
1
1
1
1
17e
4
4
1
2
4
18e
0
1
0
2
12
19e
35
17
1
13
7
20e
14
14
0
13
3
Total
0
10
17
11
3
4
15
15
73
44
Total
66
48
6
40
32
192
(70)
Néanmoins, suivant ces résultats, nous pouvons constater qu’ici encore, la
polysémie est manifeste et dispersée dès les premières attestations. Nous
voudrions attirer l’attention sur la haute rentabilité du sens Instrument, et en
particulier, des sens Action et Résultat. La haute rentabilité des derniers sens
pourrait être une conséquence de ce que l’origine verbale du dérivé en -ant
est encore manifeste, mais elle pourrait aussi, comme cela a déjà été
constaté, s’expliquer par des effets de blocage. Rappelons ici que selon
Devos & Taeldeman (2004:164), certaines formations françaises
contredisent l’hypothèse d’agentivité, telles que les dérivés en -eur et en -ant
qui s’étendent vers la catégorie d’instrumental1, et désignent le plus souvent
des produits chimiques (cf. 6.1). Or, en ce qui concerne les dérivés V-ant,
cette supposition ne se laisse pas vérifier par nos résultats. Car, selon nous, il
n’est pas question d’une extension instrumentale ; le sens Instrument est
presque aussi rentable que celui d’Agent, ce qui ressort plus clairement du
tableau 14 ci-dessous.
Or, en examinant la polysémie des dérivés V-eur, les résultats ne sont pas
les mêmes.
158
Tableau 11. Résultats diachroniques pour les dérivés V-eur.
Sens/Siècle 11e
Agent
1
12e
17
13e
37
14e
20
15e
6
16e
38
17e
17
18e
13
19e
36
20e
21
Total
206
Instr
Locatif
Action
Résultat
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
4
0
0
0
1
0
1
1
2
0
0
0
0
0
0
0
3
0
0
0
20
2
1
1
10
3
0
1
Total
1
17
37
24
9
40
17
16
60
35
40
5
2
3
256
(144)
Ce tableau montre que le sens Agent est de loin le plus rentable. Le sens
Instrument ne devient rentable qu’aux 19e et 20e siècles, et il ne devient
disponible qu’au 14e siècle. En d’autres mots, l’extension instrumentale est
un phénomène assez tardif pour ce dérivé. Le tableau montre aussi que les
sens Action et Résultat sont très rares pour les dérivés V-eur. À notre avis,
ces sens ne peuvent donc être considérés comme rentables pour ces dérivés.
Ce fait pourrait selon nous être attribué au phénomène de blocage. C’est-àdire que les extensions de ces sens sont bloquées par leur rentabilité plus
manifeste principalement chez le composé [VN/A/Adv/P]N/A, mais aussi
chez les deux autres dérivés V-ant et V-oir(e).
En entrant dans des noms locatifs, les dérivés V-oir(e) constituent une
autre exception à l’hypothèse d’agentivité de Devos & Taeldeman :
However, we may assume that -oir(e) (historically speaking) has primarily
formed instrumental2 nouns, and has only been used to derive locative
nominals when the instrumental2 meaning was impossible due to the
semantic make-up of the verb or due to the extralinguistic context.
(2004:165)
Cette affirmation, qui peut directement être comparée avec nos résultats du
tableau 12, ne se trouve pas entièrement corroborée :
Tableau 12. Résultats diachroniques pour les dérivés V-oir(e).
Sens/Siècle
Agent
Instr
Locatif
Action
Résultat
11e
0
0
0
0
0
12e
0
2
2
0
0
13e
0
9
2
1
0
14e
1
6
2
1
2
15e
1
6
2
0
1
16e
1
8
4
2
0
17e
2
10
3
0
0
18e
3
5
2
0
0
19e
13
11
11
0
0
20e
1
4
4
0
0
Total
0
4
12
12
10
15
15
10
35
9
Total
22
61
32
4
3
122 (75)
159
De fait, Instrument et Locatif sont tous les deux les premiers sens à être
attestés. Il ne nous semble pas possible d’établir avec sûreté que l’un des
deux sens soit l’extension de l’autre.162 Par ailleurs, le sens Instrument est le
sens le plus rentable, comme il l’est aussi pour les composés
[VN/A/Adv/P]N/A, et pour les dérivés V-ant, si on compte séparément les
types d’Agent (cf. tableau 14). Pourtant, notons que le Locatif est le second
sens le plus rentable, alors que la rentabilité d’Action et de Résultat est
faible.
En somme, nos résultats diachroniques confirment l’existence d’une
polysémie d’agent. Mais, ils ne nous permettent pas de confirmer que cette
polysémie est hiérarchiquement structurée de manière identique pour toute
formation agentive. Nous pouvons constater que les dérivés V-eur, pour
lesquels l’Agent est le plus rentable, suivent la structure hiérarchique
supposée pour la polysémie d’agent, alors que les composés
[VN/A/Adv/P]N/A et les dérivés V-ant et V-oir(e) ne le font pas. Pour les
composés et les dérivés V-oir(e), le sens Instrument est le sens le plus
rentable. Il est aussi important de signaler la haute rentabilité du sens Locatif
pour les dérivés V-oir(e). Pour le dérivé V-ant, les sens Action et Résultat
sont particulièrement rentables. Constatons que nos résultats diachroniques
pourraient, à l’instar des résultats synchroniques, impliquer que la présence
d’une formation qui est agentive au premier degré, comme le dérivé V-eur, a
tendance à bloquer l’extension agentive des autres formations, comme le
composé [VN/A/Adv/P]N/A, pour lequel le sens Instrument domine. Quant
aux deux autres dérivés pour lesquels le sens Instrument est aussi
prédominant, leurs extensions sémantiques, c’est-à-dire les sens Action et
Résultat pour les dérivés V-ant et le sens Locatif pour les dérivés V-oir(e),
pourraient aussi s’expliquer par des effets de blocage, mais dans ce cas,
incités par les composés [VN/A/Adv/P]N/A, majoritairement instrumentaux.
Il semble donc exister une concurrence sémantique entre les quatre types de
formations agentives.
8.4.1 La distribution entre différents types agentifs en diachronie
Regardons la distribution en diachronie de différents types d’Agent,
Humains, Animaux, Végétaux et Impersonnels (cf. 60, 6.1), chez les quatre
formations agentives en français. Nous avons aussi inclus l’Instrument dans
les tableaux 13 à 16 afin de pouvoir comparer sa rentabilité avec celle des
différents sens agentifs.
162
Selon le TLFi, les suffixes -oir (m.) et -oire (le plus souvent f.) sont « issus respectivement
du lat. -orium et -oria » (tous deux dérivent d’-or, masculin et agentif), et servent à construire
des noms instrumentaux ou de lieux. Le TLFi avance aussi que : « Parallèlement à la baisse de
productivité de -oir, -oire, il convient de rappeler le succès de -eur*/-euse, notamment dans
les désignations de machines. »
160
Tableau 13. Différents types agentifs chez les composés [VN/A/Adv/P]N/A en
diachronie
12e
1
0
1
0
0
Sens/Siècle
Ag Hum
Ag Ani
Ag Vég
Ag Imp
Instr
13e
10163
1
1
0
7
14e
9164
0
0
0
6
15e
7165
0
0
1
12
16e
22166
4
9
2
24
17e
16
5
3
1
30
18e
21
9
6
4
22
19e
94167
18
16
26
196
20e
74
10
7
82
261
Total
254
47
43
116
558
Tableau 14. Différents types agentifs chez les dérivés V-ant en diachronie.
Sens/Siècle
Ag Hum
Ag Ani
Ag Vég
Ag Imp
Instr
11e
0
0
0
0
0
12e
3
1
0
0
1
13e
5
0
0
1
3
14e
0
3
0
0
6
15e
0
0
0
0
1
16e
0
0
0
0
1
17e
1
1
1
1
4
18e
0
0
0
0
1
19e
8
4
5
18
17
20e
3
0
0
11
14
Total
20
9
6
31
48
Tableau 15. Différents types agentifs chez les dérivés V-eur en diachronie.
Sens/Siècle 11e
Ag Hum
1
12e
17
13e
37
14e
20
15e
4
16e
31
17e
12
18e
2
19e
16
20e
2
Total
142
Ag Ani
Ag Vég
Ag Imp
Instr
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
4
1
0
1
1
3
0
4
2
4
0
1
0
3
3
5
3
2
0
18
20
1
0
18
10
14
3
47
40
0
0
0
0
Tableau 16. Différents types agentifs chez les dérivés V-oir(e) en diachronie.
Sens/Siècle
Ag Hum
Ag Ani
Ag Vég
Ag Imp
Instr
11e
0
0
0
0
0
12e
0
0
0
0
2
13e
0
0
0
0
9
14e
1
0
0
0
6
15e
0
1
0
0
6
16e
0
1
0
0
8
17e
0
1
0
1
10
18e
1
1
0
1
5
19e
4
0
2
7
11
20e
0
0
0
1
4
Total
6
4
2
10
61
163
Dont quatre noms propres.
Dont cinq noms propres.
165
Dont un nom propre.
166
Dont un nom propre.
167
Dont trois noms propres.
164
161
Notons que la différence entre, d’une part, les composés et les dérivés V-ant
et V-oir(e), et d’autre part, les dérivés V-eur ressort clairement des tableaux
ci-dessus. Ces trois premiers sont majoritairement instrumentaux, la
rentabilité de sens d’Instrument n’est jamais dépassée par la rentabilité d’un
type agentif, alors que, pour les dérivés V-eur, la rentabilité et des Agents
Humains et des Agents Impersonnel dépasse celle des Instruments, ce qui est
encore un indice de leur caractère agentif.
Constatons aussi que l’introduction de l’Agent Impersonnel dans la
polysémie d’agent influe sur les résultats, en ce que ces agents non animés
auraient autrement été classés comme des Instruments. Pour les dérivés Veur, le nombre d’Instruments se réduit assez considérablement, au profit du
nombre d’Agents, alors que, pour les composés et les deux autres dérivés, la
réduction du nombre d’Instruments n’est pas aussi apparente. Les résultats
présentés dans les tableaux 13 à 16 soulignent ainsi, comme déjà constaté
pour ce qui est de l’étude synchronique (cf. 7.2.1), l’importance pour toute
étude sur la polysémie d’agent de clarifier explicitement si la notion d’agent
est censée englober ou non aussi l’Agent Impersonnel, puisque l’acceptation
ou non de l’Agent Impersonnel a une grande influence sur les résultats
obtenus. La perspective diachronique est également importante, étant donné
que nos résultats permettent de confirmer l’observation de Rainer (2004)
selon laquelle les Agents Impersonnels sont un produit de la révolution
industrielle, et diachroniquement donc, comme le souligne Rainer
(2005b:30), un phénomène assez moderne. Nos résultats montrent que le
sens Agent Impersonnel ne trouve sa raison d’être dans la polysémie d’agent
qu’à partir du 19e siècle, lorsque sa rentabilité devient manifeste.
Remarquons finalement que les deux sens agentifs, Agent Animal et
Agent Végétal, ne sont pas fréquemment attestés avant le 16e siècle. Aucun
des deux sens n’est rentable pour les quatre formations : des effets de
blocage ne seraient donc pas prévisibles pour ces sens. Il est à notre avis
aussi possible de remettre en question leur position, liée à l’Animacy, dans la
structuration de la hiérarchie d’agent : la rentabilité du sens Agent
Impersonnel dépasse leur rentabilité pour ces quatre formations.
8.4.2 L’extension de sens des unités linguistiques polysémiques
Passons aux résultats de l’analyse des composés [VN/A/Adv/P]N/A et des
trois dérivés V-ant, V-eur et V-oir(e), individuellement polysémiques. Notre
intention est de soumettre l’extension de sens de ces unités à un examen
minutieux afin de voir si, dans une perspective diachronique, elle suit la
direction impliquée par la hiérarchie d’agent (HA). Nos données contiennent
161 composés, 54 dérivés V-ant, 64 dérivés V-eur et 38 dérivés V-oir(e)
polysémiques, c’est-à-dire manifestant une hiérarchie interne.
162
Tableau 17. Extension sémantique des unités individuellement polysémiques
− HA
+ HA
Formation
[VN/A/Adv/P]
V-ant
V-eur
V-oir(e)
n
111
35
41
19
%
69
65
64
50
n
50
19
23
19
%
31
35
36
50
Unités
polysémiques
n
%
161
16
54
77
64
44
38
51
Total
n
1032
70
144
75
%
100
100
100
100
De prime abord, nos résultats diachroniques confirment nos résultats
synchroniques et montrent que les composés [VN/A/Adv/P]N/A sont plus
rarement polysémiques que les dérivés. 16 % des composés sont
polysémiques, à comparer avec 77 % des dérivés V-ant, 44 % des dérivés Veur et 51 % des dérivés V-oir(e). La faible tendance à l’extension
sémantique des composés peut s’expliquer par leur structure plus complexe
qui comprend un nom à pouvoir référentiel (cf. 7.2.2).
Le tableau 17 montre que des 161 composés [VN/A/Adv/P]N/A
polysémiques, 111, soit 69 %, suivent la direction hiérarchique impliquée
par la polysémie d’agent, alors que 50 composés, soit 31 %, ne le font pas,
ce qui, à notre avis, est un nombre considérable. Nous constatons que la
hiérarchie qui prend l’Agent comme le sens primaire ne peut pas non plus se
confirmer pour ce qui est de l’extension sémantique des composés
individuels. Un autre fait, qui ne se dégage pas de ce tableau, c’est que, le
plus souvent, le premier sens attesté des composés polysémiques est
instrumental.
À titre d’exemple d’une extension de sens qui ne suit pas la direction de
la hiérarchie d’agent, regardons l’explication étymologique et historique
donnée dans le TLFi pour casse-gueule :
80) a) 1808 ‛lieu obscur et dangereux’ = Locatif ; b) 1866-69 ‛eau-de-vie’ =
Instrument ; c) 1914 ‛assaut ou mission périlleuse’ = Action.
Le tableau 17 montre aussi que l’extension sémantique de 19, ou 35 %,
des 54 dérivés V-ant polysémiques contredit la direction impliquée par la
hiérarchie d’agent. À titre d’exemple, présentons celle du tournant :
81) a) 1260 ‛endroit où un corps présente une courbure’ = Locatif ; b) 1385
‛système qui, dans un moulin, fait tourner une paire de meules’ = Agent
Impersonnel/Instrument ; c) 1690 Ce cocher a pris son tournant trop
court = Action. 168
168
Selon le FEW (t.13b:54b-55a) (sous TORNARE).
163
Pour les 64 dérivés V-eur polysémiques, 23, soit 36 %, font voir une
extension sémantique allant à l’encontre de la direction visée par la
hiérarchie d’agent. L’extension de sens des 41 dérivés, 64 %, suit par contre
la direction de cette même hiérarchie. Signalons rongeur qui est un des rares
dérivés V-eur dont le premier sens attesté est instrumental :
82) a) N 1314 rongëour chir. ‘rugine’169 = Instrument ; b) i) 1530 rongeur
d’or ‛celui qui rogne les monnaies’ ; ii) 1546 ‛celui qui ronge, qui
grignote’ ; iii) 1537 ‛celui qui pille le bien d’autrui’ au sens figuré =
Agent Humain.
19 des 38 des dérivés V-oir(e) polysémiques, soit 50 %, manifestent une
extension sémantique qui contredit celle qui est impliquée par la hiérarchie
d’agent. Regardons par exemple rasoir :
83) a) 12e rasuir, ‛instrument servant à raser’ = Instrument ; b) 1792
‛guillotine’ = Agent Impersonnel ; c) 1866 N ‛personne ennuyeuse’ =
Agent Humain.170
Il est intéressant de noter que l’extension de sens des unités individuellement
polysémiques, présentées dans le tableau 17, manifestent la même tendance
que ce qui est le cas pour les sens des formations pris globalement (cf. les
tableaux 9-12), à savoir qu’une seule structure hiérarchique de la polysémie
d’agent qui à l’Agent comme primaire (cf. 59, 6.1) ne vaut pas pour toute
formation agentive. L’Instrument est le sens le plus rentable pour les
composés [VN/A/Adv/P]N/A, du point de vue de l’extension sémantique des
composés individuels aussi bien que du point de vue global des sens de tous
les composés dans nos données. Admettons cependant qu’une telle tendance
n’est pas aussi claire pour les dérivés V-eur. Les sens de tous les dérivés Veur inclus dans nos données suivent d’assez près la direction de la hiérarchie
d’agent (cf. le tableau 11), alors que l’extension sémantique des 36 % des
dérivés polysémiques s’oppose à cette hiérarchie, (cf. le tableau 17).
Rappelons que Rainer (2005b:30) observe que le suffixe espagnol -dor
manifeste une distribution complémentaire entre emploi agentif et emploi
instrumental (cf. 7.2.2), ce qui, selon lui, serait un argument contre l’idée
d’une extension sémantique. Cet argument ne se confirme pas non plus par
nos résultats diachroniques, car nombre des unités incluses dans nos données
169
Rongeour (sous RŪMĬGARE) est attesté dans Chirurgie de Henri de Mondeville, selon FEW,
qui note la variante rangeour (t. 10:564a, n. 20). La remarque de Franz Rainer (c.p.) qu’il
pourrait être question du suffixe -tore donnant lieu aux noms d’instrument ne se laisse pas ici
confirmer, ce qui vaut aussi pour essuyeur (cf. 87). Or, ratisseur (cf. 88) constitue un cas
discutable.
170
Selon notre vérification du FEW (t. 10:93b) (sous RASŌRIUM), il serait possible d’ajouter
rasour au sens de ‛poisson’, c.-à-d. Agent Animal, au 14e siècle.
164
font preuve d’une extension de sens. Par conséquent, ils ne manifestent pas
de distribution complémentaire. Il ne semble pas non plus possible
d’envisager une concurrence entre composés et dérivés se basant sur le
même verbe (cf. 6.3). Regardons par exemple les extensions de sens des
formations comportant le verbe gober :
Tableau 18. La sémantique des formations comportant gober.
Formation/sens
gobe-mouche(s)
gobant
gobeur
Ag Hum
16e
19e
16e
Ag Ani
17e
Ag Vég
18e
17e
Il nous semble que le facteur décisif ici, c’est le sémantisme du verbe (cf.
Vendler 1957), qui reste le même dans tous ces cas. Ce fait pourrait ainsi
être pris comme un contre-exemple de l’hypothèse de blocage.
Nous concluons cette section en posant que nos résultats diachroniques ne
confirment pas l’existence d’une structure hiérarchique identique de sens
inclus dans la polysémie d’agent. L’extension sémantique n’est donc pas
directionnelle, car elle ne tire pas nécessairement son origine de l’Agent.
Cette hiérarchie, logique et théoriquement attrayante, semble fonctionner le
mieux pour une formation qui est majoritairement agentive, comme le dérivé
V-eur. Pour d’autres formations agentives, qui n’ont pas l’Agent comme
sens primaire, elle ne convient pas à expliquer leurs structures sémantiques.
Il vaut mieux proposer, semble-t-il, que la polysémie d’agent soit un concept
non hiérarchiquement structuré, de façon qu’il puisse recevoir une
structuration
différente
pour
de
formations
agentives
différentes ; structuration qui pourrait être influencée par des effets de
blocage entre les formations. La structure sémantique des composés
[VN/A/Adv/P]N/A ne suit pas la direction de la hiérarchie, parce qu’ils ont
l’Instrument comme sens primaire, et qu’ils manifestent une polysémie
dispersée dès les premières attestations. Cette structure peut donc constituer
un exemple de l’idée de blocage.
8.5 Explications de l’extension sémantique
8.5.1 Trois explications d’ordre diachronique
Rainer (2005b:26-29) émet l’hypothèse que l’extension de sens ne serait pas
issue d’un changement sémantique, car il est selon lui dangereux d’étudier le
changement sémantique en extrapolant des données diachroniques à partir de
données synchroniques. Dans une perspective diachronique, Rainer (ibid.)
identifie trois origines pour les emplois instrumentaux et locatifs des suffixes
165
déverbaux agentifs en langues romanes n’ayant rien à voir avec la
sémantique ni la cognition : l’ellipse, l’homonymisation et l’emprunt.
Regardons de plus près ces trois hypothèses qui ont pour but d’expliquer la
polysémie d’agent en les comparant avec nos résultats.
Darmesteter (1972 [1877]) (cf. Rainer 2005b:28) explique l’origine
instrumentale du 19e siècle des dérivés en -eur par le procédé d’ellipse du
nom tête du SN : appareil + A-eur → releveur ; machine + A-euse →
peleuse. Notons que Winther pense de même que le suffixe -eur
doit être considéré comme fondamentalement adjectival, car tous les dérivés
en -eur peuvent apparaître en position d’épithète (et d’attribut) […] ce qui
revient à dire que tous les substantifs en -eur sont des adjectifs substantivés.
(1975:78)
Rainer (2005b:28) souligne que l’explication d’ellipse se limite à des
langues telles que les langues romanes, dans lesquelles les noms d’agent
s’accompagnent de formations adjectivales parallèles (cf. la différence en
suédois entre bärare (N) ‘porteur’ et bärande (A) ‘porteur’/‘portant’). Étant
donné que l’emploi du nom instrumental précède l’emploi de l’adjectif,
Spence (1990:33) conclut qu’il est absurde de suggérer que la nominalisation
de l’adjectif soit la seule source pour le nom d’instrument en -eur.171
L’emploi instrumental des composés [VN/A/Adv/P]N/A est souvent primaire
par rapport à l’emploi agentif (cf. le tableau 9). Contrairement à l’emploi
instrumental des dérivés, il ne nous semble pas possible d’attribuer une
origine elliptique à l’emploi instrumental des composés. De fait, ceci est une
conséquence peu surprenante de la faible quantité des composés adjectifs. En
regardant le tableau 19, qui comprend les 13 attestations instrumentales les
plus anciennes de ces composés, datant des 13e, 14e et 15e siècles, nous
constatons qu’aucune n’est elliptique :
171
Spence (1990:33) note que les formes adjectivales en -eur semblent devenir beaucoup plus
fréquentes à partir du 17e siècle, et encore plus fréquentes à partir du 18e siècle, ce qui
s’explique en partie par la collision en langue parlée d’-eur et d’-eux (> lat. -osus), suivie de la
chute de -r final, qui se confirme par l’introduction de la forme féminine -euse au lieu de
l’ancienne forme -eresse. La réintroduction de -r final au 18e siècle a pour effet la séparation
nouvelle de ces deux suffixes, mais avec la favorisation d’-eur/-euse, -eux ayant reçu une
connotation péjorative. L’emploi des formes adjectivales en -eur peut être vu comme un lien
entre emploi agentif et emploi instrumental, et l’ellipse constituait une manière de transférer
de nouveau ces formes en noms, selon Spence (ibid.)
166
Tableau 19. Les attestations instrumentales les plus anciennes des composés
[VN/A/Adv/P]N/A.
Emploi
N+Instr
A+Instr
Total
13e
chausse-trappes
couvre-chef
couvre-lit
crève-cœur
gardecorps
mâchefer
marchepied
7
14e
abat-vent
boute-feu
chauffe-pied
garde-feu
hausse-pied
hoche-pied
Tot
13
6
0
13
Regardons de plus près deux des premières attestations instrumentales des
composés, en commençant par chausse-trappes :
84) 1284 ‘pièce de fer munie de pointes’ (JEAN DE MEUNG, L'Art de Chevalerie,
éd. U. Robert, p. 126 : tribles c'est à dire chardons, kauketreppes).
Passons ensuite à abat-vent :
85) 1344 ‘sorte d'auvent destiné à protéger du vent et de la pluie’ (L. DELISLE,
Act. norm. de la Ch. des Comptes, p. 301 : pour plastrer en la salle en
pluseurs lieux : et seeler deux abatvens l'un sur l'uisserie du celier par
devers la cuisine).
Constatons que même pour les 11 premières attestations instrumentales des
dérivés V-ant, la majorité est en emploi nominal :
Tableau 20. Les attestations instrumentales les plus anciennes des dérivés Vant.
Emploi
N+Instr
12e
-
13e
battant
montant
taillant
A+Instr
Total
tranchant
1
suivant
4
14e
passant
piquant
portant
tirant
tournant
boutant
6
Tot
8
3
11
Selon le TLFi pour le sens instrumental, l’emploi nominal de passant est
attesté avant l’emploi adjectival172 :
172
Or selon le FEW (t.7:710b) (sous PASSARE), l’emploi adjectival est attesté déjà au 12e
siècle, ce qui met en doute les informations provenant du TLFi.
167
86) a) N 1347 ‛anneau de boucle de ceinture’ (Inv. de J. de Presles, Bibl. de
l'Ec. des ch., XXXIX, 91 ds GDF.) = Instrument ; b) A 1464 ‛où l'on
passe’ (A. Seine-Inférieure, G 3839 ds GDF. Compl.: chemins passans) =
Locatif.
Remarquons aussi que pour suivant, le TLFi atteste vers 1200 le sens Agent
Humain, « enfant, descendant », c’est-à-dire avant l’adjectif, qui est dit être
attesté pendant la première moitié du 13e siècle. En ce qui concerne portant,
l’emploi adjectival, vent portant, est attesté déjà au 12e siècle, mais cet
adjectif est selon nous classé comme Action. Pour tirant également, l’emploi
adjectival, cheval tirant, est selon le TLFi attesté au 12e siècle, mais cet
adjectif, nous l’avons classé comme Agent Animal.
À la lumière de nos résultats du tableau 21, nous constatons que la
majorité des 15 premières attestations instrumentales des dérivés V-eur ne
sont pas non plus issues d’une ellipse :
Tableau 21. Les attestations instrumentales les plus anciennes des dérivés Veur.
15e
-
16e
ratisseur
17e
-
18e
compteur
Tot.
5
A+Instr
14e
essuyeur
rongeur
tueuse
rouleur
-
abaisseur
4
-
étouffeur
marcheur
pêcheur
pleureur
5
10
Total
boucheur
écraseur
mâcheur
trompeur
5
Emploi
N+Inst
1
15
Pour l’emploi instrumental d’essuyeur, le TLFi indique l’emploi nominal
comme attesté le premier173 :
87) 1377 N essuior ‘serviette’ (doc. ds GDF.).
De même pour le dérivé ratisseur :
88) a) 1530 N ‛instrument pour râper’ (PALSGR., p. 215) ; b) A 1910 ‛qui
ratisse’ (Lar. pour tous).174
Un des quatre dérivés ayant selon le TLFi pour origine un emploi adjectival
est trancheur175 :
89) 1876 A couteau trancheur [de morue] (Lar. 19e).
173
Voir aussi le FEW (t.3:323a) (sous EXSUCARE).
Selon le FEW (t. 10:91b) (sous RASĬTORIA), l’emploi adjectival est attesté au 1636.
175
Selon notre interprétation du FEW (t. 13b:281a) (sous TRĪNĬCARE), le sens Instrument est
attesté au 14e siècle, ‛cors au sommet du bois de cerf’.
174
168
Les dérivés V-oir(e) forment tous des noms. L’hypothèse d’ellipse ne s’y
applique donc pas, comme cela se dégage du tableau 22 :
Tableau 22. Les attestations instrumentales les plus anciennes des dérivés Voir(e).
Emploi
N+Instr
12e
miroir
rasoir
A+Instr
Total
2
13e
avaloire
battoir
passoire
perçoir
portoir
poussoir
pressoir
tordoir
tranchoir
9
Tot
11
0
11
À titre d’exemple, rappelons ici rasoir (cf. 83) :
90) 12e N, Mil. rasuir ‛instrument servant à raser’ (Psautier Cambridge, 51,
2 ds T.-L.).
Regardons aussi avaloir :
91) 13e N, (sellerie) avaleoire (De l'Oustillement au villain, Montaiglon et
Rayn., II, 150 ds GDF. Compl. : Et forrel et dossiere, Trais et avaleoire).
Comme il ressort des quatre tableaux, nos résultats ne parlent pas en
faveur de l’hypothèse d’ellipse comme d’une explication qui pourrait
s’appliquer aux quatre cas de formations agentives en français. Pour les
composés [VN/A/Adv/P]N/A et les dérivés V-oir(e), la quantité d’adjectifs est
négligeable ou même nulle. Pour les dérivés V-ant et V-eur, l’emploi
nominal instrumental est, selon nos données basées sur le TLFi, le plus
fréquemment attesté avant l’emploi adjectival instrumental. Parmi les
attestations instrumentales les plus anciennes, nous pouvons donc constater
qu’il n’y en a que très peu qui soient issues d’un emploi adjectival.
Pour ce qui est de l’homonymisation, c’est-à-dire la collision de deux
suffixes différents par l’intermédiaire d’un changement phonétique, Rainer
(2005b) mentionne qu’en provençal, en catalan, et dans certains dialectes
italiens, le suffixe latin instrumental -torium est devenu identique au suffixe
latin agentif -torem, ce qui expliquerait donc la polysémie résultante. Rainer
remarque cependant qu’en espagnol, où l’on trouve aussi cette polysémie,
ces deux suffixes sont restés distincts l’un de l’autre (-dero et -dor), ce qui
contredit l’explication d’homonymisation. À notre avis, l’hypothèse
169
d’homonymisation
s’appliquerait
difficilement
aux
composés
[VN/A/Adv/P]N/A, si bien que nous rejetons cette explication.
Or, la première attestation locative du type comedor (‘salle à manger’) en
espagnol est due, selon Malkiel (1988:238) (cf. Rainer 2005b:28), à un
emprunt fait au provençal. Ceci constitue donc la base de la troisième
explication, celle d’emprunt, qui, selon Rainer (ibid.), est notée déjà par
Meyer-Lübke (1966:§66 [1921]) pour certaines formations instrumentales et
locatives en ancien français. Rainer (2005b:32) émet aussi la possibilité que
l’influence romane soit à l’origine de l’emploi non agentif des dérivés
germaniques en -er (cf. counter vs compteur). Les noms d’agent en protogermanique semblent manquer d’emploi non agentif, alors qu’au Moyen
Âge toutes les langues européennes semblent avoir acquis de tels emplois
durant quelques siècles (Rainer 2005b:33). En ce qui concerne nos résultats,
l’hypothèse d’emprunt pourrait difficilement rendre compte de la polysémie
des composés [VN/A/Adv/P]N/A et des deux dérivés V-ant et V-oir(e),
présente dès les premières attestations ; c’est pourquoi nous la réfutons.
Rainer (2005b:33) souligne que la nécessité d’insister sur les
interprétations non sémantiques ou non cognitives afin d’expliquer le
procédé de fragmentation de noms d’agent ne doit pas être comprise comme
le rejet de l’importance des telles explications. Il estime cependant que les
trois explications d’ordre diachronique — ellipse, homonymisation et
emprunt — semblent jouer un rôle aussi important, du moins au sein des
langues romanes. Pour notre part, la vérification ou non d’une de ces trois
explications ne constitue aucun objectif central pour notre étude. C’est un
fait avéré que la polysémie d’agent existe dans les langues indoeuropéennes, par exemple les langues germaniques, romanes, et slaves, ce
qui pourrait s’expliquer par l’idée d’emprunt. Mais, elle existe aussi dans
d’autres familles de langues, telles que les langues algonquines et plusieurs
langues africaines, ce qui indiquerait son origine cognitive (cf. le numéro de
STUF (à paraître) consacré à la polysémie d’agent dans des familles de
langues différentes). Conformément à notre conception théorique, nous
chercherons plutôt une explication sémantique ou cognitive pouvant aussi
rendre compte des résultats synchroniques.
8.5.2 Explications sémantiques/cognitives
Outre les trois explications données dans la section précédente, Rainer
(2005b) mentionne cinq autres hypothèses pour expliquer l’extension
sémantique. Trois d’entre elles englobent l’idée d’une extension
métaphorique ou métonymique : i) D’après Panagl (1977) (cf. Rainer
2005b:22-23), l’emploi instrumental résulte d’une extension de l’emploi
agentif en passant par la métaphore (idée exprimée déjà par Meyer-Lübke
170
1890), ou par la métonymie.176 Selon nous, l’extension sémantique peut donc
se formaliser comme suit :
92) stade 1 : XAg, YAg … ; stade 2 : XAg > XInstr, YAg > YInstr …
Panagl (1977:13) (cf. Rainer 2005b:22) observe que cette explication est
problématique en ce qu’il n’y a pas toujours de formation agentive primitive.
Rainer (2005b:25) donne de plus un argument contre l’interprétation
métonymique en faveur de celle métaphorique, à savoir que l’extension est
toujours unidirectionnelle : l’Agent est le but et l’Instrument, le véhicule (the
trumpet pour the trumpeter). Or, cette objection n’est pas convaincante, car
nous avons déjà constaté que l’extension de sens n’est pas unidirectionnelle.
Regardons aussi deux exemples du TLFi. Pour boucheur, le sens agentif est
attesté avant le sens instrumental :
93) boucheuse, au f : ‘ouvrière dont le travail consiste à procéder au
bouchage de bouteilles soit à la main soit, dans le cas de bouteilles de
champagne, au moyen d’une machine’, et également ‛la machine servant
à effectuer le bouchage des bouteilles’.
Par contre, pour branleur, le TLFi donne le sens instrumental comme étant
primaire par rapport au sens agentif :
94) a) 1930 ‛machine qui sert, après le tirage et avant le massicotage, à
égaliser les feuilles grâce à des soufflets qui les agitent constamment’ ;
d’où 1930 ‘ouvrière qui effectue ce travail’.
ii) La réinterprétation de l’emploi agentif comme instrumental en passant
par la métaphore ou la métonymie constitue la deuxième explication
sémantique, d’après Rainer (2005b:22-23). L’idée exprimée dans (i) ne sert,
selon l’idée de la réinterprétation, qu’à expliquer l’origine diachronique de
l’emploi instrumental, qui ensuite, au moyen d’une réinterprétation, peut
servir de base pour d’autres emplois instrumentaux. Diachroniquement, trois
stades sont donc discernables :
95) stade 1 : XAg, YAg… ; stade 2 : XAg > XInstr, YAg > YInstr… ; stade 3 : XInstr,
YInstr… > JInstr, KInstrs …
176
Selon Panther & Thornburg (2002:281), la métaphore est une projection entre deux
domaines distincts, tandis que la métonymie est une projection qui se situe à l’intérieur d’un
même domaine et se base sur une relation contingente entre deux entités conceptuelles. Le
domaine cible est focalisé, mais il est généralement possible de récupérer le domaine source.
Quelques relations métonymiques générales sont CONTENEUR POUR CONTENU, LIEU POUR
ÉVÉNENEMENT, RÉSULTAT POUR ACTION et PRODUCTEUR POUR PRODUIT (Panther & Thornburg
2002:283).
171
iii) L’approximation constitue la troisième explication (Rainer
2005b:23) : l’usage instrumental (ou un néologisme instrumental) peut surgir
par métaphore ou métonymie en utilisant un patron agentif de manière
approximative et non pas un mot individuel, comme c’est le cas dans (i-ii).
Diachroniquement, il n’est question que de deux stades :
96) stade 1 : XAg, YAg … ; stade 2 : XAg, YAg … > XInstr, YInstr …
Compte tenu de ce qui précède, Rainer (2005b:26) en tire la conclusion que
l’approximation métaphorique est le procédé le plus valable afin d’expliquer
l’extension sémantique de la polysémie agentive. Selon Rainer (2005b:2425), les premières attestations instrumentales du suffixe espagnol -dor
semblent confirmer cette conclusion. Plusieurs de ces attestations
instrumentales n’ont pas d’attestation agentive primaire ; il semble plutôt
être question d’une distribution complémentaire. Nous n’adhérons pas à la
conclusion de Rainer, étant donné que nos dérivés V-eur ne manifestent pas
de distribution complémentaire. Au contraire, 44 % d’entre eux sont
polysémiques. Il nous faut cependant admettre que cette hypothèse pourrait
se confirmer pour ce qui est des composés [VN/A/Adv/P]N/A, dont les
premières attestations peuvent être agentives aussi bien qu’instrumentales,
locatives ou actionnelles. Cette hypothèse d’approximation part néanmoins
de l’idée qu’il existe un patron agentif primaire, ce qui est en effet contredit,
dans nos résultats, par les premières attestations de ces mêmes composés.
Nous pourrions peut-être accepter cette hypothèse, mais en la modifiant afin
de l’élargir pour qu’elle soit valable pour tout un conglomérat de formations
agentives différentes : une formation agentive ayant pour sens central
l’Agent et pour sens périphérique par exemple celui d’Instrument, comme le
dérivé V-eur, pourrait servir de modèle pour une autre formation agentive
qui aurait comme sens central l’Instrument, comme les composés
[VN/A/Adv/P]N/A ou les dérivés V-oir(e). De fait, la dérivation en -eur
semble selon les attestations du TLFi être une formation plus ancienne que la
composition [VN/A/Adv/P]N/A. Cette hypothèse est cependant difficile à
falsifier, si bien que nous ne l’adoptons pas.
En résumé, en ce qui concerne nos résultats, aucune des trois explications
englobant l’idée d’une extension métaphorique ou métonymique n’est
satisfaisante. Les deux premières sont réfutées selon le même raisonnement
que Rainer, c’est-à-dire que l’Agent ne peut pas être considéré dans tous les
cas comme le sens primaire. Ceci vaut principalement pour la majorité des
composés [VN/A/Adv/P]N/A n’ayant qu’un seul sens, qui est, dans la plupart
des cas, non agentif. Admettons pourtant que pour les dérivés V-eur, ces
explications sont plus plausibles.
Une quatrième hypothèse mentionnée par Rainer (2005b:31-33) est celle
proposée par Ryder (1991), qui étudie, dans une approche cognitive, le
passage du sens agentif au sens instrumental en termes de réanalyse de
172
prototype (l’Agent). L’approche de Ryder est cependant aussi problématique
que celle de Booij (1986) en ce qui concerne la diachronie, car les premiers
sens instrumentaux attestés ne correspondent pas aux Agents Impersonnels,
ce qui, selon Rainer (2005b:31), aurait été la transition naturelle de l’Agent à
l’Instrument. Cependant, nous ne partageons pas l’avis de Rainer que
l’extension de l’Agent à l’Instrument doit passer par l’Agent Impersonnel.
Comme le remarque Eva Larsson Ringqvist (c.p.), « vu les facteurs
extralinguistiques (l’industrialisation, l’automatisation), une évolution dans
le sens inverse serait très naturelle : on fait X avec Y → Y fait X (‘tout
seul’) ». Selon Ryder (1991:299), s’appuyant sur Kastovsky (1971), l’emploi
du suffixe -er en ancien anglais se limiterait à la désignation des Agents
Humains et les verbes servant de base pour ces dérivés expriment l’action de
l’Agent (p.ex. bæcere, writere). Ryder explique comme suit l’extension
sémantique du suffixe agentif anglais -er :
Extensions to other referent types found in modern -er [ici et infra, nos
caractères italiques] forms are the result of shifts in construal of the defining
episode, with resultant changes in the importance of each of the
characteristics of the referents of originally agentive -er forms. (1991:303)
Selon Ryder (1991:305), l’extension d’un instrument à un vêtement
s’explique d’une manière identique, c’est-à-dire par le fait que les vêtements
portés en exécutant certaines actions centrales dans un épisode177 peuvent
être conçus comme ressemblant à un instrument utilisé dans cet épisode (cf.
loafers, sneakers, jumper).178 Le glissement de l’agentivité des individus aux
événements englobant ces individus peut de même se motiver par le même
type de raisonnement (Ryder 1991:306).
Rainer (2005b:30) mentionne aussi l’hypothèse de blocage, celle que
nous avons adoptée dans nos analyses synchroniques et diachroniques de la
polysémie d’agent (cf. surtout 6.2, 7.2 et 8.4) pour expliquer l’extension
sémantique des noms d’agent. Selon cette hypothèse, des patrons
instrumentaux rivalisants, par exemple, bloqueraient l’extension
instrumentale d’un certain procédé de formation des mots. Le blocage est
aussi supposé expliquer le fait qu’il y a des patrons agentifs sans extensions
instrumentales dans certaines langues comme le latin et le finnois. On trouve
une telle explication chez Spence (1990) qui émet l’hypothèse que
l’extension instrumentale d’-eur en français découlerait de la perte de
177
Cette notion appartient à la grammaire cognitive, selon Ryder : « Semantic cases are
defined in relation to an event. Our observation of the world consists of the perception of a
series of temporally contiguous events, which I will refer to as an event-chain. We group
different subsets of an event-chain together to form a unit I call episode » (1991:300).
178
Remarquons qu’il existe plusieurs composés [VN/A/Adv/P]N de ce type, par exemple
passe-couloir ‛vêtement sans manches, court et ample, petite cape que l'on pose sur les
épaules pour se garantir du froid’ (cf. 4.4).
173
productivité des suffixes instrumentaux rivaux -oir et -oire.179 Notons que
Spence ne tient pas compte de l’existence de la composition
[VN/A/Adv/P]N/A. Spence (1990) s’oppose à la thèse lancée par Dubois
(1962) selon laquelle -oir a été remplacé par -eur lors de l’industrialisation,
qui a substitué la machine à l’homme, car, selon Spence, l’emploi
instrumental d’-eur est déjà attesté avant la révolution industrielle.180 De
plus, Spence (1990:34) ne partage pas non plus l’idée de Dubois (1962) que
le suffixe autonome -euse serait réservé au sens instrumental (au contraire du
suffixe -eur, agentif), car les dérivés en -eur au sens instrumental sont plus
fréquents que les dérivés en -euse au sens instrumental (cf. n. 171).
L’hypothèse de blocage est cependant mise en question par Beard
(1990:118), qui observe qu’en serbo-croate, l’existence d’un suffixe
instrumental productif ne bloque pas l’emploi instrumental d’un autre suffixe
agentif. Admettons que nos résultats ne supportent pas non plus entièrement
cette hypothèse, étant donné la forte productivité que possède et qu’a
possédée pendant plusieurs siècles la formation instrumentale des composés
[VN/A/Adv/P]N/A, qui ne bloque cependant pas l’extension instrumentale du
dérivé V-eur. Constatons pourtant que l’extension agentive du composé
[VN/A/Adv/P]N/A pourrait être bloquée par la prédilection agentive du dérivé
V-eur. Toutefois, il importe de souligner la nécessité d’examiner la rivalité
entre différents types agentifs de formation des mots, c’est-à-dire des dérivés
et des composés, et de ne pas seulement se limiter à un type particulier de
formation, comme le dérivé agentif. Nous trouvons donc l’idée de blocage
attirante. Cette idée est aussi impliquée et serait même une conséquence des
idées avancées par Kastovsky (1986) et Štekauer (2003) (cf. 6.2).
Notre grande objection contre la plupart des explications de l’extension
sémantique données dans la section précédente et cette même section est
qu’elles supposent que le sens Agent est primaire. À notre avis, seule
l’hypothèse de blocage ne part pas nécessairement de cette supposition, de
sorte que, pour l’instant, nous la tenons comme la plus plausible afin
d’expliquer les structures différentes de la polysémie d’agent chez les quatre
formations agentives en français. Passons à la conclusion de cette analyse
consacrée à l’aspect diachronique de la polysémie agentive.
8.6 Conclusion
Les deux chapitres 7 et 8 montrent qu’en synchronie aussi bien qu’en
diachronie, l’Instrument est le sens le plus rentable pour les composés
179
Spence (1990:29) mentionne en outre que certains dérivés en -oir expriment un sens
Locatif plutôt qu’un sens Instrument, et en anglais, le suffixe -ory, qui a la même origine
latine, forme des noms locatifs (ibid.:32) (cf. 8.4).
180
Notons que cette critique est la même que celle formulée envers l’explication d’ellipse (cf.
8.5.1).
174
[VN/A/Adv/P]N/A, ainsi que pour les dérivés V-oir(e), alors que l’Agent est
le plus rentable pour les dérivés V-eur, et aussi pour les dérivés V-ant,
quoique dans une moindre mesure. Notre étude ne permet pas de confirmer
l’existence d’une hiérarchie d’agent directionnelle, valable pour toute
formation agentive. Pourtant, l’existence de la polysémie d’agent est
confirmée : nos résultats indiquent que les sens y étant compris sont plus ou
moins centraux et rentables pour des formations différentes.
Nous avons aussi présenté et discuté plusieurs hypothèses ayant pour but
d’expliquer l’extension de sens à la fois dans une perspective diachronique et
dans une perspective sémantique/cognitive. Nous arrivons à la conclusion
que toutes, sauf deux, doivent en effet être réfutées par nos résultats, car
elles partent de l’idée que l’Agent est le sens primaire, à l’origine de tous les
autres sens inclus dans la polysémie d’agent. L’hypothèse qui englobe l’idée
d’une approximation métaphorique pourrait éventuellement s’appliquer aux
quatre formations agentives en français, mais elle est à notre avis
théoriquement vague et difficile à falsifier. Nous trouvons donc l’hypothèse
de blocage la plus plausible afin de rendre compte des structures
sémantiques différentes manifestées par les quatre formations agentives.
L’extension sémantique des unités individuellement polysémiques ne suit
pas non plus uniformément la direction de la hiérarchie d’agent. Nos
résultats peuvent ici être interprétés en faveur de l’hypothèse de blocage. Il
est possible d’envisager l’existence de rivalité pour le sens agentif, entre,
d’une part les composés [VN/A/Adv/P]N/A et les dérivés V-ant et V-oir(e), et
d’autre part, les dérivés V-eur. Puisque les dérivés V-eur sont
principalement, et primitivement, agentifs, les autres formations seraient
poussées vers le sens instrumental. Or, la forte rentabilité du sens
instrumental des composés [VN/A/Adv/P]N/A ne bloquerait cependant pas
entièrement l’extension instrumentale des dérivés V-eur. Mais elle semble
faire obstacle à l’extension instrumentale des dérivés V-ant et V-oir(e) : les
dérivés V-ant seraient poussés vers les sens Action et Résultat, et les dérivés
V-oir(e) vers le sens Locatif.
Ainsi, nous acceptons l’existence d’une polysémie d’agent, mais nous
dénions sa directionnalité supposée. À la suite des opinions également
émises par Kastovsky (1986) et Štekauer (2003), nous proposons au
contraire que tous les sens compris dans la polysémie d’agent soient
qualifiés de primaires, quoique plus ou moins centraux et rentables pour des
formations différentes.
Afin de revenir à la question de choisir entre polysémie ou homonymie
(cf. 6.3), nous posons en fait que les résultats présentés dans notre travail
rejettent l’hypothèse d’homonymie. Il n’est pas, à notre avis, possible de
considérer les unités dont il est question ici comme homonymes. Les
composés [VN/A/Adv/P]N/A et les dérivés V-ant, V-eur et V-oir(e)
manifestent tous, individuellement et collectivement, les mêmes sens
(polysémiques). On ne peut attribuer ce fait à la simple coïncidence (ou
175
homonymie). De plus, le nombre d’unités polysémiques est d’après nous
trop grand pour n’être qu’accidentel, ce qui serait le cas si l’on avait affaire à
des unités homonymiques. Il ressort aussi clairement, à notre avis, des
explications et des étymologies données dans le TLFi que ces unités sont
sémantiquement liées les unes aux autres.
176
9 Conclusion
Nous essayerons ici de résumer et de conclure notre travail de thèse afin de
terminer en faisant la synthèse de l’étude dans 9.1 et en donnant quelques
perspectives de recherche dans 9.2.
9.1 Synthèse de l’étude
Récapitulons d’abord les points les plus importants des chapitres 2 et 3, qui
servent d’introduction à la théorie morphologique, à ses différentes
approches, et aux questions qui y sont soulevées, comme les unités de base
de la morphologie, la constitution du lexique, l’entrée lexicale et la notion de
productivité. Nous avons aussi abordé la composition, surtout celle du
français, et différentes classifications des composés, ainsi que les divers
critères proposés pour faire une distinction entre composés, syntagmes
lexicalisés et syntagmes syntaxiques réguliers. Afin de situer notre travail
par rapport à ces questions, soulignons qu’il se place dans une approche
morphologique lexématique, dans laquelle la notion de tête morphologique
n’est pas opératoire. Nous adhérons donc à la version faible de l’hypothèse
lexicaliste : la morphologie est dite scindée. La notion de lexème présente
l’avantage d’éviter l’ambiguïté du terme de mot, ainsi que la problématique
du terme de morphème et de ses associés. Quant à d’autres termes
fondamentaux dans la morphologie, celui de base, opératoire dans les
dérivés suffixés en -eur, -ant -et -oir(e), est pertinent pour notre travail. Les
termes de radical et de thème sont de même importants, car nous adoptons la
position prise par Villoing (2002) selon laquelle le premier constituant du
composé [VN/A/Adv/P]N/A correspond à un thème verbal formé par le
radical plus la voyelle thématique. Nous optons pour un lexique minimaliste,
comportant des règles de construction morphologique, à l’opposé d’un
lexique maximaliste. Nous considérons que l’entrée lexicale contient des
informations indépendantes aux niveaux syntaxique, morphologique,
sémantique, phonologique et graphématique. La notion de productivité,
complexe, est adéquate pour la sélection des données pour nos
analyses : c’est en particulier les deux notions de rentabilité et de
disponibilité qui sont importantes : la première parce qu’elle restreint nos
données. La disponibilité est mise en jeu dans la première partie de nos
analyses des chapitres 4 et 5, alors que c’est la rentabilité qui porte ce même
177
rôle dans la deuxième partie de nos analyses des chapitres 7 et 8. Nous avons
aussi constaté que Corbin (1992) résout la complexité de définition et de
délimitation que présentent les composés en français. Sa définition,
reformulée par Villoing (2002), est celle que nous avons adoptée : « [u]n
mot composé est un lexème complexe, construit par des règles de
morphologie constructionnelle conjoignant des lexèmes » (Villoing
2002:161). La construction [VN]N/A est donc sans aucun doute un composé
en français. Par contre, les unités qui manifestent une structure syntaxique ne
sont pas des construits morphologiques.
La construction [VN/A/Adv/P]N/A en français, l’objet d’étude principal de
notre travail, est traitée sous ses aspects morphologiques. Rappelons les trois
cas différents : (i) N est un argument interne de V ; (ii) N est un argument
externe de V ; (iii) N/A/Adv/P est un adjoint sémantique de V
(syntaxiquement, le second constituant a une fonction d’adverbiale). Sa
structure est discutée en présentant des hypothèses morphologiques et
syntaxiques, et en mettant en lumière les implications théoriques des
explications différentes. Pour ce qui est du troisième cas, (iii), nous avons
proposé que les adverbes et les prépositions puissent constituer des classes
de lexèmes et entrer dans la règle de construction morphologique
[VN/A/Adv/P]N/A. L’idée qu’Adv appartient aux lexèmes (une classe
distincte ou entrant dans la classe des lexèmes adjectifs) est déjà proposée
par des morphologues français (cf. Villoing 2002), alors que P, selon eux,
serait, dans certains cas, un préfixe dès qu’elle entre dans une dérivation
morphologique (cf. Amiot 2004). Or, Booij (2002, 2005b) entre autres
accepte P parmi les lexèmes entrant dans les composés.
Revenons maintenant aux questions de recherche et aux hypothèses
posées dans le chapitre d’introduction et auxquelles nous avons essayé de
répondre dans nos analyses. Afin d’expliquer la structure des composés
[VN/A/Adv/P]N/A en français, nous avons postulé qu’une seule règle de
construction morphologique, [VN/A/Adv/P]N/A, est responsable de la
formation des trois cas. Nous avons accepté la position de Villoing (2002)
selon laquelle la règle de construction morphologique [VN]N/A est valable
pour la formation des composés où le premier constituant est un prédicat et
le second constituant un participant sémantique, qui le plus souvent joue le
rôle de Thème. Pourtant, nous avons donc proposé de l’élargir afin
d’englober le cas où le second constituant correspond à l’argument externe,
de même que celui où le second constituant joue le rôle d’adjoint
sémantique. Les implications théoriques d’une telle décision ont été
discutées ; nous admettrions cependant que cette règle court le risque d’être
trop puissante. Selon nous, les composés comportant un adjoint/adverbial
peuvent facilement être compris dans des hypothèses morphologiques
émises pour la structure des composés [VN]N/A français comportant un
argument interne. Villoing (2001, 2002), par exemple, parle en faveur de
cette possibilité. Pour ce qui est des composés [VN]N/A contenant un
178
argument externe, Fradin (2005) les traite ensemble avec les composés
comportant un argument interne, alors que selon Corbin (1997), ils seraient
des unités syntaxiques lexicalisées.
La première partie de nos analyses, qualitative et portant sur la
disponibilité, utilise une méthode introspective. Nous avons pris comme
point de départ les patrons sémantiques que propose Fradin (2005) pour
rendre compte de la structure interne des composés [VN]N/A en français.
Nous avons pourtant proposé des patrons additionnels afin d’accéder à la
sémantique interne des composés [VN/A/Adv/P]N/A de manière plus
exhaustive. Nous avons aussi lié chaque patron sémantique à un sens
dénotatif. Cette analyse des patrons sémantiques a eu pour objectif de
vérifier la plausibilité de notre hypothèse, qui pose une seule règle de
construction morphologique, [VN/A/Adv/P]N/A. Nous estimons que les
évidences présentées par nos analyses confortent cette hypothèse. Reprenons
ici la liste des patrons sémantiques et leurs sens dénotatifs utilisés pour nos
analyses des composés [VN/A/Adv/P]N/A du français et des formations
agentives suédoises :
•
•
•
•
•
•
Agent : Ag V (P) N/A/Adv/P → Ag (fait) N V
Instrument : (x) V (P) N/A/Adv/P avec Instr → N V avec Instr
Locatif : (x) V N/A/Adv/P (y) dans/sur Loc → N V dans/sur Loc
Action : (x) [V N/A/Adv/P]Act → (x fait) [N V]Act
Résultat : (x) [V N/A/Adv/P]Act a pour Rés → [N V]Act a pour Rés
Causeinstrumentale : N V Cau et N/N2 V2 (par Cau) → Causeagentive : Cau V
N/A/Adv/P et N/N2V2
Cette liste montre que les patrons des composés comportant un adjoint sont
inclus dans les patrons des composés comportant un argument interne, alors
que, le plus souvent, les patrons des composés comportant un argument
externe en sont dérivables : le sens dénotatif est toujours le même, quelle que
soit la relation interne entre les constituants. Ainsi, les trois cas différents ne
dénotent pas de types sémantiques différents.
Rappelons que nous avons exclu deux patrons de la liste des patrons
sémantiques de la construction [VN/A/Adv/P]N/A. L’un est celui du sous-type
des composés français du type [VN]N comportant un argument externe. Ce
sous-type manifeste des similarités avec le composé germanique de type
[VN]N, en ce que le sens du composé est hyponyme du sens du second nom,
et pour lequel nous avons décidé qu’il faut proposer une règle distincte (cette
décision est aussi commentée plus bas) :
• (Agent/Instrument/Locatif : [N (qui (se)) V]Ag/Instr/Loc)
179
Nous avons également exclu le patron d’Objet (comestible) ne valant que
pour certains composés qui comportent un argument externe, comme
croque-madame. Son statut reste, à notre avis, encore sujet à question :
• (Objetcomestible : N V Obj[VN])
De plus, nous espérons avoir montré qu’un certain nombre de composés
[VN]N/A, qui, en première apparence, semblent comporter un argument
interne, doivent plutôt être analysés comme comportant un adjoint
sémantique ou un argument externe. En supposant une même règle de
construction morphologique [VN/A/Adv/P]N/A, le classement du second
constituant N en trois analyses différentes ne sera pas nécessaire. Nos
analyses confirment aussi entièrement l’idée de Fradin (2005) selon laquelle
la structure sémantique des composés [VN]N/A est peu contraignante : il
suffit que le second constituant soit un argument du V. Or, puisque nous
optons pour l’inclusion de tous les composés [VN/A/Adv/P]N/A sous la même
construction morphologique, nous avons proposé une révision des deux
conditions proposées par Fradin (2005) (cf. 40), et reprise ici :
54) Conditions sur les composés [VN/A/Adv/P]N/A
a) Le N/A/Adv/P doit être interprété comme un argument/un adjoint du
prédicat verbal.
b) Le composé [VN/A/Adv/P]N/A doit dénoter une entité qui est
sémantiquement corrélée à l’événement décrit par le prédicat verbal.
Rappelons aussi que nous avons ajouté le patron d’Action et celui de
Résultat dans nos analyses des patrons sémantiques. Donc, il nous a fallu
élargir (cf. 55d-e) également les corrélations entre l’entité dénotée et
l’événement que Fradin a proposées (cf. 41), et reprises ici :
55) L’entité A est corrélée à l’événement Év si
a) L’expression linguistique qui dénote A est un argument du prédicat
verbal qui dénote l’Év (équivalemment : A est un participant dans la
structure causale reflétée par le verbe).
b) A constitue le lieu où l’Év prend place.
c) A est un causeur de l’Év.
d) A est l’action exprimée par l’Év.
e) A est le résultat de l’action exprimée par l’Év.
Mentionnons finalement une autre conclusion de ces analyses, notamment
que le constituant verbal des composés [VN/A/Adv/P]N/A français hérite de
la SLC du verbe dont il est le thème. Cette conclusion a pour implication la
présence des adjoints dans la SLC du verbe. Elle permet également de mettre
en question la position selon laquelle seule la tête d’un composé
180
endocentrique dont l’un des constituants est un verbe pourrait sélectionner le
constituant non tête (cf. Guevara & Scalise 2004, Scalise & Guevara 2006).
Ainsi, une autre conséquence de cette conclusion, c’est qu’elle met en
question la notion de tête morphologique.
La première partie de nos analyses consiste aussi en une analyse
contrastive — qualitative et portant sur la disponibilité. Elle nous a permis
de discerner quatre formations agentives suédoises correspondant aux
constructions [VN/A/Adv/P]N/A du français, à savoir [N/A/Adv/PV-are]N,
[N/A/Adv/PV]N, [N/A/Adv/PV-a]N et [VN]N. Après avoir localisé ces
formations suédoises, nous avons examiné si on y retrouve les mêmes
patrons sémantiques et les mêmes relations entre les constituants : prédicat et
argument interne, argument externe ou adjoint.
Nos résultats montrent que les trois formations suédoises qui comportent
un second constituant verbal manifestent les mêmes patrons sémantiques, les
mêmes sens dénotatifs, et les mêmes relations entre les constituants que la
construction française. Ainsi, la formation germanique comportant -are ne
serait pas selon nous la seule formation à présenter des points communs avec
le composé roman [VN/A/Adv/P]N, même si, à l’instar de la construction
française, elle comporte le plus fréquemment un argument interne.
Mentionnons aussi que le composé [N/A/Adv/PV-a]N ne semble pas
disponible en suédois moderne. En ceci il se distingue de la construction
française. La formation suédoise dans laquelle le constituant verbal occupe
la première position, [VN]N, se distingue des autres en ce que les effets
d’héritage ne sont pas aussi manifestes et peuvent même être mis en
question. Ses patrons sémantiques diffèrent aussi des autres, même si ses
sens dénotatifs sont les mêmes. Nous avons constaté que cette formation
suédoise se comporte exactement comme le sous-type des composés français
[VN]N comportant un argument externe, et pour lequel nous avons proposé
une deuxième règle de construction morphologique. Il semble ainsi que notre
règle proposée pour le français est renforcée par l’existence d’une même
règle de construction morphologique, rentable, en suédois, responsable de la
formation d’un même type de composé agentif.
Notre analyse des formations suédoises fournit selon nous aussi des
évidences pour l’idée que les adjoints soient présents dans la SLC de la base
verbe héritée par le constituant verbal. Nous pensons qu’il n’est pas
nécessaire de proposer une règle de construction morphologique distincte
pour les cas où le constituant non verbal ne serait pas un argument interne,
mais un argument externe ou un adjoint. Rappelons qu’en suédois aussi, il
arrive souvent que ce constituant, sous forme de N, est un argument externe
ou joue le rôle d’adjoint, et que l’acceptation d’une seule règle présente
l’avantage d’éviter de distinguer entre les cas où le N n’est pas un argument
interne de V, mais, au contraire, un argument externe ou un adjoint.
Nous avons aussi examiné les restrictions pesant sur les prédicats qui
entrent dans les formations agentives française et suédoises. Nous en
181
sommes arrivée à la conclusion qu’il n’y a pas de restrictions : les prédicats
peuvent être inergatifs aussi bien qu’inaccusatifs et les prédicats complexes
peuvent s’interpréter comme des états, des activités, des accomplissements,
et des achèvements. Nous avons pourtant constaté que les états sont plus
rares dans ces formations que les trois autres classes vendleriennes. La
même chose vaut pour les prédicats inaccusatifs et inergatifs. En général, le
prédicat prend deux arguments dont l’un est l’Agent et l’autre joue le rôle de
Thème, comme l’a montré Villoing (2002). Notre étude a ainsi confirmé,
dans une perspective plus grande, l’opinion émise entre autres par Fradin
(2005) selon laquelle la relation sémantique qui tient entre les constituants
d’un composé dont l’un des constituants est un verbe n’est pas sévèrement
restreinte.
Remarquons finalement que les sens dénotatifs des patrons sémantiques
sont ceux qui sont inclus dans la polysémie d’agent, examinée dans la
deuxième partie de nos analyses, à l’exception de celui de Cause, peu
rentable, que nous avons regroupé sous Agent ou Instrument. Ainsi, les
patrons sont une manière d’arriver à la définition des sens inclus dans la
polysémie d’agent. Nos analyses qualitatives dans les chapitres 4 et 5
donnent donc des évidences supplémentaires pour l’existence de la
polysémie d’agent. Nos formations agentives en suédois et en français sont,
selon nous, issues des cinq règles de construction morphologique.
Néanmoins, elles expriment, toutes, les mêmes sens dénotatifs.
La deuxième partie de nos analyses est quantitative et porte sur la
rentabilité des sens dénotatifs. La méthode choisie est donc inductive. Nous
essayons de répondre à la question de savoir si la polysémie d’agent a une
validité empirique. Nous avons inclus, outre les composés [VN/A/Adv/P]N/A,
trois autres formations agentives françaises, les dérivés V-ant, V-eur et Voir(e), dans le dessein de compléter les résultats obtenus pour les composés.
Les dérivés inclus ne sont que ceux qui se basent sur un des 164 verbes types
qui entrent dans un des composés. L’objectif principal a consisté à mettre en
question le bien-fondé empirique de la polysémie d’agent comme
hiérarchiquement structurée, de façon identique pour toute formation
agentive, comme proposent entre autres Dressler (1986), Devos &
Taeldeman (2004) et Sleeman &Verheugd (2004).
Nos analyses synchroniques et diachroniques des chapitres 7 et 8
montrent plus particulièrement que l’Instrument est le sens le plus rentable
pour les composés [VN/A/Adv/P]N/A et les dérivés V-oir(e), alors que
l’Agent est le plus rentable pour les dérivés V-eur et V-ant, bien qu’à un
moindre degré pour ces derniers. L’existence de la polysémie d’agent est
corroborée : nos résultats indiquent que les sens y étant compris sont plus ou
moins centraux et rentables pour des formations différentes. Notre étude ne
permet cependant pas de confirmer l’idée que ce concept aurait
nécessairement une structure hiérarchique ou directionnelle émanant de
l’Agent, valable pour toute formation agentive. Nous proposons au contraire
182
que tous les sens compris dans la polysémie d’agent puissent être qualifiés
de primaires, quoique plus ou moins centraux et rentables pour des
formations différentes, suivant ainsi les hypothèses de blocage et de rivalité
entre différentes formations agentives, opinions émises par Kastovsky
(1986), Spence (1990) et Štekauer (2003).
Nous avons aussi discuté des hypothèses diachroniques et
sémantiques/cognitives avancées pour expliquer l’extension de sens. Notre
conclusion ici est que seules deux hypothèses sémantiques/cognitives se
laissent confirmer par nos résultats, car elles ne partent pas nécessairement
de l’idée que l’Agent est le sens primaire pour toute formation agentive.
L’une des hypothèses, proposée par Rainer (2005b), comprend l’idée d’une
approximation métaphorique. Elle pourrait s’appliquer aux quatre formations
agentives en français, à condition de considérer la dérivation en -eur comme
formation originale. Selon nous, elle est difficilement falsifiable, partant
théoriquement vague. L’autre hypothèse est celle du blocage. Nous avons
trouvé qu’elle semble plausible pour rendre compte des structures
sémantiques différentes manifestées par les quatre formations agentives. Par
conséquent, et faute de meilleure hypothèse, nous l’avons acceptée pour
expliquer entre autres le fait que l’extension sémantique des unités
individuellement polysémiques ne suit pas uniformément la direction de la
hiérarchie d’agent. Il est possible d’envisager l’existence d’une rivalité en
termes de blocage pour ce qui est du sens agentif, entre, d’une part les
composés [VN/A/Adv/P]N/A et les dérivés V-ant et V-oir(e), et d’autre part
les dérivés V-eur. Puisque les dérivés V-eur sont majoritairement agentifs,
les autres formations seraient poussées vers le sens instrumental. Admettons
pourtant que la forte rentabilité du sens Instrument des composés
[VN/A/Adv/P]N/A ne bloquerait pas entièrement l’extension d’Instrument des
dérivés V-eur. Elle semble cependant faire obstacle à l’extension
instrumentale des dérivés V-ant et V-oir(e) : les dérivés V-ant sont poussés
vers les sens Action et Résultat, et les dérivés V-oir(e) vers le sens Locatif.
Afin de revenir finalement à la possibilité d’homonymie au lieu de
polysémie (cf. 6.3), nos résultats ont rejeté l’hypothèse d’homonymie. Nous
avons constaté que les sens (polysémiques) des unités dont il est question
dans notre travail ne peuvent être considérées comme des homonymes. Les
composés [VN/A/Adv/P]N/A et les dérivés V-ant, V-eur et V-oir(e) dénotent
tous, individuellement et collectivement, les mêmes sens (inclus dans la
polysémie d’agent). Selon nous, ce fait ne peut dépendre de la simple
coïncidence (homonymie). Le grand nombre des unités polysémiques ne
peut n’être qu’accidentel, comme ce serait le cas s’il était question d’unités
homonymiques. En extrapolant notre conclusion à une portée générale, elle
semble indiquer qu’une notion polysémique n’est pas nécessairement
ordonnée selon le principe de directionnalité, peut-être même pas sous forme
de hiérarchie.
183
9.2 Perspectives de recherche
Nous soulevons dans ce qui suit quelques-unes des questions qui restent
encore ouvertes. Une question qui mérite d’être soulevée touche les
implications théoriques et empiriques que peut avoir l’inclusion de P parmi
les classes de lexèmes pour les composés français. Nous estimons que
l’inclusion de P dans la construction morphologique [VN/A/Adv/P]N/A est un
fait incontestable, et qu’elle doit donc avoir des conséquences pour la théorie
de la morphologie constructionnelle en général, et pour d’autres formations
morphologiques en français. La classe de lexèmes adverbes doit aussi, à
notre avis, recevoir une meilleure définition. Quant à la théorie
morphologique, les effets d’héritage de la SLC du verbe par les formations
dont l’un des constituants est un verbe pourraient être explorés encore, en
particulier les conséquences de notre décision de supposer que les adjoints
peuvent y être représentés : question qui est, dans une certaine mesure, liée à
la notion de tête morphologique, n’étant pas considérée comme opératoire
dans toute approche morphologique, à fortiori dans la morphologie
constructionnelle du français. Il doit à notre avis être possible de parler
d’effets d’héritage sans renvoyer à la notion de tête.
Une autre question qui pourrait être examinée plus en profondeur est celle
des patrons sémantiques que nous avons pu discerner parmi les composés
[VN/A/Adv/P]N/A, ainsi que parmi les quatre formations agentives en
suédois. Notre liste peut certainement être élaborée et en ce qui concerne les
représentations des patrons et en ce qui concerne l’ajout de patrons
additionnels. Il faudrait par exemple examiner la possibilité d’y inclure le
patron d’Objet, ainsi que celui de Source, qui entre dans la hiérarchie
d’agent que propose Dressler (1986).
La possibilité, mentionnée par Villoing & Roussarie (2003), qu’il y aurait
un lien entre structure interne et dénotation, peut, à notre avis, être comprise
de deux manières différentes. Nous estimons avoir montré comment arriver
aux sens dénotatifs à partir des patrons sémantiques proposés. Cependant, les
sens dénotatifs des composés individuels ne ressortent pas toujours par ces
patrons. Cette question semble plutôt être liée à la distinction sémantique
entre transparence et opacité. Certains composés sont sémantiquement
transparents, presque compositionnels, alors que d’autres ont un sens plus
spécialisé. D’autres encore sont opaques. Les patrons sémantiques que nous
avons proposés n’atteignent donc pas la question d’opacité. Selon Fradin
(2003a), il faut parler de degrés d’opacité. Il serait intéressant d’étudier les
composés [VN/A/Adv/P]N/A, en français à la lumière des notions de
transparence vs opacité et de sens littéral vs sens figuré.
Nous avons aussi suggéré l’existence d’un continuum sémantique pour
l’interprétation des composés [VN/A/Adv/P]N/A du français, selon la manière
que propose Lesselingue (2003) pour les composés français du type [NN]N.
À l’une des extrémités du continuum, il y a les composés [VN/A/Adv/P]N/A
184
dont le second constituant est un argument interne. Au milieu, il y a les
composés dont le second constituant nominal peut être discuté pour ce qui
touche à son classement du fait qu’il peut aussi être interprété comme un
argument externe ou un adjoint. À l’autre extrémité du continuum, il y a les
composés comportant un adjoint ou comportant un argument externe. Nous
avons proposé que ce soient les cas ambigus du milieu qui autorisent la
transition, floue, entre les deux extrémités. Cette idée, aussi liée à la
distinction entre transparence et opacité, mériterait selon nous d’être
examinée de plus près.
Admettons que notre analyse contrastive des quatre types de formations
agentives du suédois pourrait sans aucun doute être plus élaborée, et en ce
qui concerne les relations tenant entre les constituants, et en ce qui concerne
les patrons sémantiques. À cette fin, il serait intéressant d’avoir des données
plus vastes à étudier. La contrastivité et la typologie morphologique sont des
domaines qui restent assez peu étudiés. Il nous semble aussi que l’hypothèse
de blocage pourrait être testée sur les formations agentives suédoises,
polysémiques. Probablement, leurs structures sémantiques ne seraient pas les
mêmes si soumises à un examen détaillé.
Terminons en disant quelques mots sur nos analyses de la polysémie
d’agent. Admettons d’abord que nos analyses, qui ne traitent que de
certaines des questions soulevées dans le chapitre 6, auraient certainement
pu être examinées de manière plus approfondie. Nos données pour ce qui est
des trois dérivés pourraient aussi être élargies afin d’arriver à des résultats
plus fiables. Ceci vaut en particulier pour nos données diachroniques qui ne
proviennent que d’une source secondaire, le TLFi. Nous estimons aussi que
les hypothèses posées pour expliquer l’extension de sens, notamment celle
de blocage adoptée par nous, pourraient être élaborées et précisées davantage
afin d’être soumises à une vérification. Finalement, le fait que le sémantisme
du verbe reste le même dans des formations agentives différentes peut être
considéré comme un contre-exemple à l’hypothèse de blocage, ce qui serait
intéressant à examiner davantage.
185
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37. Rosenberg, Maria. 2008. La formation agentive en français : les composés
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Pour toute correspondance :
Institutionen för franska, italienska och klassiska språk
Stockholms universitet
SE–106 91 Stockholm
SUÈDE
ISSN 1654-1294
ISBN 978-91-85059-07-2