Academia.eduAcademia.edu
Cet ouvrage est paru à l’origine sa numérisation Cette édition les Editions aux Editions a été réalisée avec le soutien numérique a été spécialement Larousse en 2001 ; du CNL. recomposée Larousse dans le cadre d’une collaboration BnF pour la bibliothèque numérique Gallica. par avec la *Titre : *Dictionnaire de la musique ([Nouvelle éd.]) / Larousse ; sous la direction de Marc Vignal *Auteur : *Larousse *Éditeur : *Larousse (Paris) *Date d'édition : *2005 *Contributeur : *Vignal, Marc (1933-....). Directeur de publication *Sujet : *Musique -- Dictionnaires *Type : *monographie imprimée *Langue : * Français *Format : *1 vol. (923 p.-160 p. de pl.) : ill. en noir et en coul., couv. et jaquette ill. en coul. ; 29 cm *Format : *application/pdf *Droits : *domaine public *Identifiant : * ark:/12148/bpt6k1200510r </ark:/12148/bpt6k1200510r> *Identifiant : *ISBN 2035055458 *Source : *Larousse, 2012-129497 *Relation : * http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb40090332s *Provenance : *bnf.fr Le texte affiché comporte un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance obtenu pour ce document est de 100 %. downloadModeText.vue.download 1 sur 1085 Cet ouvrage est paru à l’origine aux Editions Larousse en 2001 ; sa numérisation a été réalisée avec le soutien du CNL. Cette édition numérique a été spécialement recomposée par les Editions Larousse dans le cadre d’une collaboration avec la BnF pour la bibliothèque numérique Gallica. downloadModeText.vue.download 2 sur 1085 downloadModeText.vue.download 3 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE Responsable éditoriale Dominique Wahiche Édition Marie-Claude Khodakov Lecture-Correction Service de lecture-correction Larousse-Bordas/HER Iconographie Viviane Seroussi Mise en page des hors-texte Katy Lhaïk Mise en page du corpus Dominique Chapon Fabrication Nicolas Perrier Réalisation de la présente édition Gilbert Labrune © Larousse/HER 1999 pour la précédente édition. © Larousse/VUEF 2001 pour la présente édition. Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, du texte et/ou de la nomenclature contenus dans le présent ouvrage, et qui sont la propriété de l’Éditeur est strictement interdite. Distributeur exclusif au Canada : Messageries ADP, 1751 Richardson, Montréal (Québec). ISBN 2-03-511 354 7 downloadModeText.vue.download 4 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE Préface Le Dictionnaire de la musique présente des informations et des analyses sur la musique et les musiciens de tous les temps à travers environ 5 000 articles classés par ordre alphabétique. Il s’agit d’une refonte et d’une actualisation du Larousse de la musique paru pour la première fois en 1982 en deux volumes et plusieurs fois réimprimé depuis sous une forme abrégée, éditée sous le titre Dictionnaire de la musique en un volume. Le domaine de ce Dictionnaire de la musique s’étend, en ce qui concerne l’Occident, des origines à l’époque contemporaine. Les expressions « savantes », en particulier pour l’art occidental, ont tout naturellement fait l’objet de notices, mais les expressions des arts dits « populaires » ou « traditionnels » n’ont pas été délaissées pour autant. Par ailleurs, une place non négligeable a été réservée à la musique contemporaine et aux nouvelles technologies, envisagées jusque dans leurs manifestations les plus récentes, et, ici encore, d’un point de vue international. Ainsi défini dans le temps et dans l’espace, le Dictionnaire de la musique est organisé selon plusieurs rubriques. Compositeurs. Comme dans tous les dictionnaires traditionnels, figurent ici des articles consacrés aux compositeurs connus par leur nom, de Pérotin et Guillaume de Machaut à Brian Ferneyhough et à Pascal Dusapin en passant par Dufay, Lassus, Monteverdi, Mozart et Berlioz, pour n’en citer qu’un par siècle. Les articles fournissent des informations sur la carrière du compositeur, sur son style et ses oeuvres, et précisent sa place dans l’histoire de la musique. Chaque notice et l’importance qu’on lui a accordée a nécessairement fait l’objet d’un choix, discutable comme tous les choix. Disons, d’une part, que, pour la dimension des articles, une place plus importante a été attribuée, sauf exception, aux grands artistes à la célébrité incontestée ; et, d’autre part, que, pour la présence ou non dans le Dictionnaire de la musique de compositeurs d’importance très secondaire, voire négligeable, préférence a souvent été donnée à ceux dont on a toute chance d’entendre parler à cause de leur place dans le sillage d’un « grand ». Ainsi, Neukomm figure dans notre dictionnaire en tant qu’élève de Haydn (également à cause du rôle important qu’il joua dans l’introduction au Brésil de la musique classique européenne). On n’a pas omis non plus les compositeurs connus par une seule oeuvre, même si c’est pratiquement aux effets du hasard qu’ils ont dû de survivre (Addinsell, Ketelbey). Historiens, musicologues et critiques. Il a paru également nécessaire de faire connaître au lecteur les grandes personnalités qui ont écrit sur la musique, que ce soit comme historiens (Adler, Burney), comme critiques ou comme musicologues, spécialistes ou non d’un compositeur ou d’une époque (Deutsch, Einstein, Landon, Mongrédien, Pincherle, Spitta, Thayer), étant entendu que très rares sont ceux qui se sont limités à l’une ou l’autre de ces activités. Éditeurs, facteurs d’instruments. Bénéficient aussi d’articles spéciaux des personnalités ayant oeuvré pour que des partitions musicales puissent être exécutées, par exemple comme éditeurs (Artaria, Breitkopf, Durand), ou encore comme facteurs d’instruments (Amati, Broadwood, Érard, Stradivari). Écoles et tendances. Artistes et oeuvres sont replacés dans leur cadre historique ou esthétique grâce à des articles de synthèse, souvent très développés, consacrés notamment à des grandes périodes (baroque, romantisme), à des tendances esthétiques (expressionnisme, minimalisme, Vienne [école de]), à des cénacles (groupe des Six), voire à des mécènes (Esterházy). D’autres notices traitent des rapports entre la musique et les différents moyens d’expression (ballet [musique de], film [musique de]). downloadModeText.vue.download 5 sur 1085 Formes et genres. Des articles de synthèse, eux aussi souvent très développés, concernent l’évolution dans le temps et selon les pays des formes et des genres (cantate, concerto, fugue, opéra, quatuor à cordes, sonate, symphonie) ainsi que des catégories (musique de chambre). Technique, métier et nouvelles technologies. D’autres notices encore, à caractère parfois plus technique, tentent de mieux cerner les éléments proprement dits du métier de musicien, qu’il s’agisse des instruments dont celui-ci dispose (clavecin, orchestre, orgue, piano, violon, voix) et de leur technique de jeu (interprétation), d’éléments de vocabulaire, de langage ou de pensée (atonalité, contrepoint, croche, dodécaphonique [musique], électroacoustique [musique], harmonie, intervalle, rythme, timbre) ou encore de moyens liés aux nouvelles technologies (composition musicale assistée par ordinateur, compresseur/expanseur/limiteur, échantillonneur, informatique musicale). Institutions. La vie musicale se déroule grâce à divers supports institutionnels qui, eux aussi, font l’objet d’articles, qu’il s’agisse de salles de spectacle ou d’Opéras (Bolchoï, Carnegie Hall, Covent Garden), d’entreprises de concerts (Concert spirituel, Domaine musical), d’orchestres et de formations instrumentales ou vocales (Cleveland [Orchestre de], Ensemble InterContemporain, Paris [Orchestre de]), de festivals (Ars Musica, Berlin [Festival de], Festival de musique ancienne d’Utrecht) ou bien d’associations, d’établissements artistiques ou administratifs plus ou moins spécialisés (Cité de la musique, I.R.C.A.M., ProQuartet). Auteurs. Une vaste équipe de près de 90 personnalités, choisies parmi les plus autorisées du monde universitaire, de la musicologie et de la critique, a participé à la réalisation de cette entreprise. Cette équipe a eu pour dessein de fournir une information objective et sûre, tenant compte des recherches les plus récentes. Il est bien évident qu’une totale liberté d’appréciation et d’interprétation a été laissée à chacun des spécialistes. downloadModeText.vue.download 6 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE Collaborateurs Josette Aubry Mari-Danielle Audbourg-Popin Maria-Madalena de Azeredo Perdigão † Pierre Balscheff Pierre-Emile Barbier Philippe Beaussant Marie-Claire Beltrando-Patier Dominique Bosseur Jean-Yves Bosseur † André Boucourechliev † Jacques Bourgeois Camille Bourniquel Agnès de Boysson † Nanie Bridgman Hélène Bruce Remy Campos Roland de Candé Gilles Cantagrel Costin Cazaban Jean-Claude Ch. Chabrier † Jacques Chailley Janine Chatignion Michel Chion Nathalie Combase Gérard Condé Pascal Contet † Alain Daniélou Roger Delage Pierre Dumoulin Jean Dupart Sylviane Falcinelli Henri-Claude Fantapié Joël-Marie Fauquet Alain Féron Madeleine Gagnard Jean Gallois André Gauthier Yann Geslin Philippe Godefroi † Antoine Goléa Hélène Hachard Dominique Hausfater † Colette Herzog Pascal Huynh Dominique Jameux † Gustave Kars René Koering Jean-François Labie François Lafon Jérôme de La Gorce Frédéric de La Grandville Henry-Louis de La Grange † Paul-Gilbert Langevin Marie-Claire Le Moigne-Mussat André Lischke Emmanuelle Loubet Jean-Jacques Maltret Roland Mancini Guy Maneveau Gérard Mannoni Patrick Marcland Harry Margaritis Marcel Marnat Jean-Christophe Marti Christian Meyer Denis Morrier Michel Noiray Anna Penesco Mihnea Penesco Alain Périer † Michel M. Philippot Hélène Pierrakos Alain Poirier Frédéric Robert Jacques Rouchouse Jean-Jacques Rouveroux Jean Roy Marie-Louise Sasia † Pierre Schaeffer Jérôme Spycket Ivanka Stoianova Patrick Szersnovicz Akira Tamba Maurice Tassart Roger Tellart Jean Terrayre Robert Trocoire Pierre Vidal Marc Vignal Marcel Weiss Charles Whitfield † Stéphane Wolff downloadModeText.vue.download 7 sur 1085 A A. 1. Lettre par laquelle fut désignée la note la dans la notation musicale du Moyen Âge. Elle indique toujours le la dans les pays de langue anglaise ou de langue allemande, où les syllabes de Gui d’Arezzo ne sont pas adoptées. Voici, dans trois langues, l’appellation des altérations de cette note : français anglais allemand la dièse A sharp Ais la double dièse A double sharp Aisis la bémol A flat As la double bémol A double flat Asas 2. Abréviation d’alto (altus). AARON ou ARON (Pietro), théoricien italien de la musique (Florence v. 1489 Venise 1545). Frère de l’ordre de Malte, il vécut à Imola, où il fut maître de chapelle, puis à Rimini, Venise, Padoue, Bergame, avant de s’établir définitivement à Venise. Ses écrits - en particulier Thoscanello de la musica (1523) et Lucidario in musica (1545) - témoignent d’une sensibilité étonnamment moderne dans le domaine de l’harmonie. En pleine époque polyphonique, Aaron critiqua la règle de composition par voix successives et traita des accords en pensant la musique « verticalement » et en s’intéressant aux dissonances. Il se pencha aussi sur le tempérament des instruments à clavier. Pour une meilleure compréhension et une plus vaste diffusion de ses traités, il rédigea ceux-ci non en latin, comme il était d’usage, mais en italien. A. B. A. Forme musicale en trois sections, où la troisième est une répétition plus ou moins variée de la première, la deuxième faisant contraste. ABAT-SON. Ensemble de lames en bois recouvertes de plomb ou d’ardoises, se trouvant à l’inté- rieur des baies des clochers, et dont l’inclinaison renvoie le son des cloches vers le sol. A BATTUTA. Expression italienne signifiant « en mesure », « avec la mesure », et indiquant qu’après un passage joué librement (« ad libitum »), par exemple une cadence ou un récitatif, on doit revenir à une « battue » (à une observation de la mesure) stricte et régulière. ( ! BATTUTA.) ABBADO (Claudio), pianiste et chef d’orchestre italien (Milan 1933). Il est issu d’une famille de musiciens. Son père était violoniste, son frère Marcello (Milan 1926) est pianiste et compositeur. Claudio Abbado a fait ses études au conservatoire de Milan, mais a aussi été l’élève de Hans Swarowsky à Vienne, pour la direction d’orchestre. Il a été directeur de l’orchestre symphonique de la Scala de Milan et chef principal de l’Orchestre symphonique de Londres. Son répertoire est très vaste et la musique contemporaine y tient une place importante. Ses interprétations de Brahms, Tchaïkovski et Mahler, de Rossini et Verdi sont particulièrement renommées. Il a dirigé de 1986 à 1990 l’Opéra de Vienne, et fondé dans cette ville, en 1986, l’Orchestre des jeunes Gustav Mahler. En 1989, il a succédé à Karajan à la tête de la Philharmonie de Berlin. En 1995, son contrat a été prolongé jusqu’en l’an 2002. ABBATINI (Antonio Maria), compositeur italien (Città di Castello, province de Pérouse, v. 1609 - id. 1677). Il fut maître de chapelle de plusieurs églises de Rome. Ses nombreuses pièces de musique sacrée sont d’une écriture complexe, virtuose, à plusieurs choeurs. En collaboration avec Marco Marazzoli, il écrivit un ouvrage lyrique, Dal Male il bene (créé à Rome en 1654), que l’on peut considérer comme l’un des premiers opéras-comiques. Les récitatifs annonçant le futur recitativo secco, l’importance des finales d’actes ouvrent l’avenir. Abbatini collabora aussi à plusieurs ouvrages théoriques. ABBEY, famille de facteurs d’orgues d’origine anglaise, établie en France. Ses membres - John (1785-1859), son fils John Albert (1843-1930) et son petit-fils John Mary (1886-1931) - exercèrent leur métier un siècle durant, ils construisirent quelque cinq cents instruments, en France et à l’étranger. De facture romantique, puis symphonique, ceux-ci sont réalisés avec grand soin ; les Abbey ont été les premiers à adopter la machine pneumatique de Barker. L’orgue de la cathédrale de Châlons-sur-Marne est considéré comme le chef-d’oeuvre de John Albert Abbey. ABBIATE (Louis), compositeur monégasque (Monaco 1866 - Vence 1933). Il se forma aux conservatoires de Turin et de Paris, étudiant en particulier dans ce dernier établissement le violoncelle avec Franchomme. Il fut violoncelle solo à l’Opéra de Monte-Carlo, à la Salle Favart à Paris et à la Scala de Milan sous la direction de Toscanini, et, en 1911, prit downloadModeText.vue.download 8 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 2 la direction d’une classe de violoncelle au conservatoire de Saint-Pétersbourg où il resta jusqu’en 1920. Il fut ensuite directeur de l’Académie de musique de Monaco. Ses instruments de prédilection étaient le piano et le violoncelle. Sa production abondante, d’un lyrisme généreux, comprend notamment : huit sonates pour piano (no 3, op. 34 Élégiaque ; no 4, op. 47 Quasi sonatine ; no 5, op. 64 1914 ; no 7, op. 74 De profondis ; no 8, op. 79 Liturgique) ; deux sonates pour violoncelle et piano, op. 12 (1890) et op. 39 (1920), deux quatuors à cordes, un concerto pour violoncelle qui subit un échec aux Concerts Lamoureux en 1898, une symphonie en ré majeur ; le poème symphonique pour violon et orchestre la Voix du luthier de Crémone et, pour piano et orchestre, le Concerto italien op. 96 (Prague, 1922) ainsi que la fantaisie Monaecensis op. 110 (1925), en forme de thème varié. ABEL (Karl Friedrich), gambiste, claveciniste et compositeur allemand (Köthen, Saxe, 1723 Londres 1787). Élève de Johann Sebastian Bach à l’école Saint-Thomas à Leipzig, il entra au service de la cour de Dresde, puis partit à Londres, où, de 1765 à 1781, il fut l’associé de Johann Christian Bach pour l’organisation de concerts d’abonnement (concerts Bach-Abel). Abel fut le dernier grand virtuose de la viole de gambe. Comme compositeur, il écrivit, dans le style de l’école de Mannheim, des symphonies, des concertos, une symphonie concertante ainsi que de très nombreuses sonates, dont une trentaine pour la viole de gambe. ABÉLARD ou ABAILARD (Pierre), philosophe, poète et musicien français (Le Pallet, près de Nantes, 1079 - abbaye de Saint-Marcel, près de Chalon-sur-Saône, 1142). Il doit sa renommée à ses amours célèbres avec Héloïse. Ses chants d’amour sont perdus, mais il a laissé des hymnes, six planctus notés en neumes et conservés à la bibliothèque Vaticane. ABELL (John), compositeur, chanteur (falsettiste) et luthiste anglais (?, Aberdeenshire, 1650 - Cambridge 1724). Protégé par Charles II, il fit partie de la Chapelle royale d’Angleterre (1679-1688). Chassé au moment de la révolution de 1688, il séjourna notamment en Allemagne (1698-99). Il a composé des airs pour voix et luth, et publié des recueils de chants de divers auteurs, en plusieurs langues. ABENDMUSIK (all. : « musique du soir »). Ce terme désigna, aux XVIIe et XVIIIe siècles, des exécutions en concert de musique sacrée, ou inspirée par le sacré, qui se déroulaient régulièrement à la Marienkirche de Lübeck. Établie par les talentueux organistes successivement titulaires dans cette église (notamment Franz Tunder), la tradition des Abendmusiken s’était maintenue grâce au soutien pécuniaire des riches bourgeois venus à Lübeck traiter leurs affaires en Bourse ; les concerts eurent d’ailleurs lieu à l’origine le jeudi soir, jour des cotations en Bourse, avant d’être fixés au dimanche. À partir de 1673, l’institution prit une importance grandissante, en particulier en période liturgique d’avent, sous l’impulsion de Buxtehude, qui, pour elle, composa plus de deux cents pièces instrumen- tales et vocales. En vue de la réalisation de ces dernières, des ecclésiastiques, des médecins confectionnaient des livrets sur des thèmes tirés de l’Ancien Testament. Les Abendmusiken, qui se poursuivirent jusque vers 1810, annoncèrent l’exécution des oratorios dans les églises. ABENDROTH (Hermann), chef d’orchestre allemand (Francfort-sur-le-Main 1883 - Iéna 1956). Élève de Ludwig Thuille (théorie) et de Felix Mottl (direction d’orchestre), il commença sa carrière à Munich et à Lübeck, et, de 1914 à 1934, dirigea le conservatoire de Cologne ainsi que les concerts du Gürzenich dans cette ville. En 1934, il succéda à Bruno Walter à la tête du Gewandhaus de Leipzig, poste qu’il conserva jusqu’en 1945. Il fut ensuite directeur du Théâtre national de Weimar (1945-1949) et chef de l’orchestre de la radio de Leipzig (19491956). De 1953 à 1956, il dirigea également l’orchestre symphonique de la radio de Berlin-Est. Il a admirablement servi la grande tradition symphonique allemande de Haydn à Bruckner et à Brahms. ABERT (Anna Amalia), musicologue allemande (Halle 1906 - Kiel 1996). Fille de Hermann Abert, elle s’est spécialement consacrée aux problèmes de l’opéra, et en particulier à Gluck. ABERT (Hermann), musicologue allemand (Stuttgart 1871 - id. 1927). Professeur à l’université de Leipzig (1920) puis de Berlin (1923), il a publié une version refondue et élargie de la biographie de Mozart par Otto Jahn. Il s’agit en réalité d’un ouvrage par beaucoup d’aspects tout nouveau, pouvant être considéré comme le plus important paru sur ce compositeur au XXe siècle (Mozart, 1919-1921). ABRAHAM (Paul), compositeur hongrois (Apatin 1892 - Hambourg 1960). Il a tenté de moderniser l’opérette de tradition hongaro-viennoise en y introduisant des éléments de jazz. Victoria et son hussard (1930), Fleur de Hawaii (1931) et le Bal du Savoy (1932) ont connu une certaine popularité. ABRÉGÉ. Élément essentiel de la mécanique de l’orgue, l’abrégé est un dispositif de transmission intermédiaire entre les claviers et les soupapes des sommiers. Son but premier est d’espacer en largeur les commandes issues en disposition serrée des touches des claviers, de façon à tenir compte de l’écartement des soupapes dû à la largeur des tuyaux. Il consiste en une série de rouleaux ou de barres mobiles autour de leur axe, fixés à une table verticale. Les rouleaux sont reliés à l’une de leurs extrémités aux touches des claviers ; à l’autre, aux soupapes, par l’intermédiaire de vergettes. Grâce à l’abrégé, le facteur d’orgues peut distribuer les commandes de l’exécutant à des tuyaux disposés en des emplacements éloignés des claviers, et dans un ordre différent de celui des notes. On désigne également par « abrégé » une pièce de la mécanique des carillons, intermédiaire entre les touches et les battants de cloches. ABRÉVIATION. Depuis le XVIIe siècle au moins, le nombre de signes que requiert la moindre notation musicale complète a poussé les notateurs à simplifier chaque fois que possible leur graphisme au moyen d’abréviations diverses. Certaines, non codifiables, sont de simples suggestions graphiques que copistes ou imprimeurs développent ensuite ; il en est d’autres qui sont au contraire passées dans l’usage au point de faire partie de la notation codifiée ellemême. On relève surtout parmi elles : - des signes de répétition, très nombreux, parmi lesquels certains, comme l’arpeggio, ont en musique ancienne une forme graphique qu’on ne doit pas confondre avec des graphismes actuels analogues de sens différent ; - des indications de mouvements réguliers (batteries de notes répétées, glissandi, gammes chromatiques, etc.) ; - des signes d’octaviation ou de redoublement d’octaves au moyen du chiffre 8 ou de ses dérivés (8a ou 8va = octava) ; - les signes de nuance, normalement écrits en abrégé (piano = p, crescendo = cresc., etc.) ; - les signes d’agrément (trilles, grupetti, etc.) qui donnent lieu, surtout au XVIIIe siècle, à toute une séméiographie raffinée et complexe, souvent variable d’un auteur à l’autre ; - diverses conventions permettant d’économiser le nombre d’altérations écrites (non-répétition des altérations avant la barre de mesure, armatures, etc.) ; - diverses indications sommaires d’orchestration dont le développement est laissé aux soins du copiste (ex. sur une downloadModeText.vue.download 9 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 3 portée de flûte on lira col violini, « avec les violons »). Ce genre d’indications, peu prisé aujourd’hui, était au contraire très usuel dans les partitions anciennes, souvent réduites au rôle de simple schéma ; - le remplacement des accords par des chiffres conventionnels placés sur ou sous la basse, et qu’il appartient au lecteur de développer ; ce système, dit basse chiffrée, a été très courant du XVIIe au milieu du XVIIIe siècle ; il n’est plus guère employé aujourd’hui que dans les brouillons de compositeurs et les exercices scolaires ; - les appels à l’improvisation de l’interprète, auquel le compositeur se borne à fournir un schéma de départ (cadenza, a piacere, etc.). On notera que l’italien étant devenu en quelque sorte la langue officielle de la musique du XVIIe au milieu du XIXe siècle, au moins, la plupart des abréviations à partir d’expressions verbales se réfèrent à cette langue. ABSIL (Jean), compositeur belge (Peruwelz, Hainaut, 1893 - Bruxelles 1974). Après avoir été élève au conservatoire de Bruxelles, il y devint professeur en 1931. Cofondateur de la Revue internationale de musique à Bruxelles, il a publié des livres didactiques. Son oeuvre de compositeur, dans une écriture polytonale mais respectueuse des grandes formes traditionnelles, comprend des oeuvres instrumentales (musique pour piano, musique de chambre, 5 symphonies, 1 poème symphonique, 1 symphonie concertante, 1 concerto pour piano), de la musique vocale (mélodies et choeurs), de la musique de théâtre (opéras et comédie lyrique). ACADÉMIE. Ce nom, qui avait été celui de l’école de Platon, fut repris au milieu du XVe siècle, à Florence, par une société d’humanistes réunis à la cour de Laurent de Médicis, puis par d’autres groupes semblables, à Florence même, à Naples, à Rome, à Bologne où quatre académies devaient demeurer jusqu’au XVIIIe siècle. Leur rôle dans l’évolution de la littérature et des arts fut capital. La plus célèbre fut la Camerata du comte Bardi, à Florence ; de ses travaux de réflexion, des expériences qui s’y déroulèrent naquit l’opéra. En France, le premier des creusets de cette sorte fut l’Académie de poésie et de musique fondée en 1570 par A. de Baïf et Th. de Courville, où se forgèrent les principes de la musique mesurée à l’antique. Par la suite, le terme d’académie évolua et prit différents sens. Il put désigner, notamment en France, des institutions officielles suscitées par les gouvernements : l’Académie française, l’Académie des sciences, mais aussi l’Académie des beaux-arts, ainsi baptisée lors du remaniement, en 1816, d’un organisme fondé en 1795 ; elle compte six sections, dont celle de musique, formée de sept membres. Ce terme s’appliqua aussi à des théâtres d’opéra et de concert. Le privilège de l’Académie royale de musique fut créé en 1669 et attribué à Perrin. Lully en prit possession en 1672. L’Opéra de Paris, dont l’appellation officielle est encore « Académie nationale de musique et de danse », est le descendant direct de l’Académie royale qui, par l’intermédiaire d’une école de chant dramatique, est également à l’origine du Conservatoire. D’autres académies furent créées en province vers 1650 et demeurèrent jusqu’en 1789. Dans les pays germaniques, le mot fut choisi principalement pour désigner des sociétés organisatrices de concerts, voire ces concerts eux-mêmes (« académies » données par Mozart à Vienne). En Angle- terre, une Academy of Ancient Music fut fondée à Londres, en 1710. Son but était de faire revivre le répertoire de madrigaux du XVIe siècle, ainsi que les oeuvres de maîtres antérieurs ; une telle initiative est tout à fait exceptionnelle pour l’époque. Le titre d’Academy of Ancient Music a été repris récemment par une des formations anglaises les plus appréciées dans l’interprétation de la musique ancienne ; elle est animée par Christopher Hogwood. Enfin, certaines académies ayant patronné, au XVIIIe siècle, des écoles de musique pour enfants, le terme en est venu à désigner des établissements d’enseignement, et plus spécialement, à partir du XIXe siècle, d’enseignement supérieur (Berlin, Londres, ou l’Académie de SainteCécile à Rome). ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE. Nom porté lors de sa fondation par ce qui était en fait l’Opéra de Paris. Le privilège en fut accordé le 26 juin 1669 par Louis XIV à l’abbé Perrin (v. 1620 - 1675), poète et librettiste, et au compositeur Robert Cambert (v. 1627 - 1677). Ils donnèrent des « académies d’opéra », mais, malgré le succès de leur Pomone (1671), l’entreprise fit faillite (Perrin se retrouva en prison pour dettes) et le privilège fut racheté par Lully en mars 1672. ACADEMY OF SAINT MARTIN IN THE FIELDS. Ensemble fondé en 1959 par Neville Marriner pour donner des concerts de midi dans l’église londonienne dont il porte le nom. Au cours des années, son activité s’est considérablement développée, et il est devenu l’un des orchestres de chambre les plus réputés du monde. Son répertoire va de la musique baroque italienne aux oeuvres les plus modernes. En 1975, Marriner en transmit la direction à Iona Brown, qui en resta néanmoins premier violon. À cette même date, l’Academy s’est adjoint un choeur dirigé par Laszlo Heltay. A CAPPELLA ou A CAPELLA. Cette locution désignait à l’origine les compositions polyphoniques religieuses exécutées dans les églises « comme à la chapelle ». L’expression était liée à un style d’écriture bien défini, généralement de rythme binaire alla breve ( , employé autrefois notamment dans la messe et le motet. Par extension, on en est venu, à partir du XIXe siècle, à appeler ainsi toute musique vocale privée d’un soutien instrumental. ACCARDO (Salvatore), violoniste italien (Turin 1941). Diplômé du conservatoire San Pietro a Majella de Naples (1954), Accardo a fréquenté l’Académie d’été de Sienne (19541959) et remporté plusieurs concours internationaux, notamment le concours Paganini de Gênes (1958), avant d’entreprendre une carrière de soliste. Il a été le premier violon de l’ensemble I Musici (1968-1971), et a fondé, en 1970, un festival de musique de chambre à Naples. C’est un musicien à la technique exceptionnelle et au style rigoureux. Nommé en 1994 chef permanent de l’orchestre du San Carlo de Naples, il a enregistré l’intégrale des concertos de Paganini. ACCELERANDO (ital. : « en accélérant »). Indication prescrivant une accélération progressive du mouvement à un moment donné de l’exécution musicale. ACCENT. Signe musical indiquant l’intensification conférée à un son, afin d’obtenir un relief rythmique ou expressif particulier par rapport aux autres sons d’une ligne mélodique. L’accent est indiqué au moment même de l’effet à obtenir, le signe correspondant étant placé au-dessus ou au-dessous de la note, selon le sens de la hampe. Plusieurs signes peuvent marquer l’accent : signifie que la note doit être particulièrement soutenue, intense ; signifie une attaque forte suivie d’un decrescendo ; ou , une attaque vibrante et décidée, sans aucune atténuation ; sf (sforzando), une attaque renforcée ; fp, une attaque forte suivie d’un piano subit. ACCENTUS. Dans la pratique liturgique romaine, c’est le chant du célébrant, auquel répondent le choeur ou les solistes à l’unisson, appelés concentus. Dans le chant grégorien, l’accentus est presque continuellement une récitation sur une seule note, avec une downloadModeText.vue.download 10 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 4 ponctuation à certains endroits, un accent aigu étant placé au-dessus de la voyelle accentuée. Par opposition, le concentus désigne aussi un type de chant mélismatique utilisé pour les alleluias et les graduels. ACCIACATURA (ital. acciacare : « écraser », « piler »). Agrément, appoggiature brève particulière aux instruments à clavier. La petite note barrée et la note réelle sont frappées simultanément, la première étant relâchée tout de suite. L’acciacatura est généralement un demi-ton en dessous de la note qui suit. L’effet produit est celui d’un écrasement, d’une dissonance qui était frappante pour les oreilles du XVIIIe siècle. D. Scarlatti en a fait grand usage dans ses Essercizi per gravicembalo. Dans la musique française pour clavier de la même époque, acciacatura a pour synonyme « pincé étouffé ». ACCIDENT. Signe de notation qui indique qu’une note doit être altérée (élevée ou abaissée), car elle est étrangère à la tonalité indiquée par l’armure de la clef. Ces signes d’altération sont : le dièse et le double dièse, le bémol et le double bémol, le bécarre et le double bécarre. L’accident est placé devant la première des notes qu’il altère et, de nos jours, le pouvoir d’un tel signe reste en vigueur pour la durée d’une mesure. Dans la musique ancienne, l’accident ne concernait que la note devant laquelle il était placé mais, avant la seconde moitié du XVIe siècle, les altérations n’étaient pas souvent indiquées ; les interprètes les ajoutaient automatiquement lors de l’exécution. ACCOLADE. Signe réunissant plusieurs portées qui doivent être jouées simultanément. Cet ensemble s’appelle également système. ACCOMPAGNEMENT. Ensemble des éléments vocaux et instrumentaux qui, subordonnés à la partie principale, lui donnent son relief, sa puissance expressive, sa vitalité rythmique, la signification de son déroulement, enfin son contenu harmonique. Il peut être exclusivement ou tout à la fois rythmique et harmonique, avoir ou non un déroulement musical propre, n’être qu’un cadre dans lequel la partie principale se meut librement, ou encore un soutien expressif assez développé pour lui permettre d’acquérir une place prédominante ; il peut être constitué de simples accords ou ponctuations soutenant le « chant » instrumental ou vocal ; il peut être également le prélude et le prolongement de ce chant (lieder de Schubert, Schumann). L’accompagnement peut être soit noté, soit improvisé. Il est improvisé, par exemple, dans la chanson populaire, la chanson de variétés, et l’était autrefois dans la musique savante où la basse chiffrée était réalisée à vue par l’interprète (orgue, clavecin, etc.). ACCORD. 1. Ensemble de sons entendus simultanément et pouvant donner lieu à une perception globale identifiable comme telle. À défaut d’une identification de ce genre, on n’a plus un accord, mais un agrégat (ou une agrégation) : par exemple un ensemble de sons formé des notes do, mi, sol, quelles qu’en soient les dispositions ou répétitions, est un accord du fait que l’on ne perçoit pas isolément chaque do, mi ou sol, mais la sonorité globale que ces notes forment ensemble, et que l’on identifie en une perception globale d’« accord parfait ». En revanche, un ensemble do, fa dièse, la bémol, ré bémol, ne se rattachant à aucune sonorité d’ensemble identifiable comme telle, n’est pas un accord, mais un agrégat. Les accords avaient été classés au XVIIIe siècle selon la conception de l’époque en consonants (accord parfait avec ses renversements, accord de quinte diminuée) et dissonants (accords de sep- tième, et plus tard de neuvième). L’évolution de la notion de consonance a rendu cette classification caduque, mais elle n’en est pas moins restée en usage jusqu’à nos jours dans de nombreux traités. Le nombre des accords possibles est considérable. Jusqu’au XXe siècle, ils dérivaient tous des accords naturels, qui reproduisent, parfois avec une légère approximation acceptée par la « tolérance », un fragment plus ou moins étendu du tableau des harmoniques. Les accords analogiques transportent les précédents sur les divers degrés de la gamme en modifiant leurs intervalles en fonction de cette gamme. Dans les accords altérés, une ou plusieurs notes sont mélodiquement déplacées sous l’effet de l’attraction. Dans les accords de notes étrangères, l’accord proprement dit se voit modifié ou perturbé par l’intrusion de « notes étrangères », qui cependant n’en affectent pas la perception ; les principaux sont : les accords appoggiaturés (ou accords d’appoggiatures), dans lesquels une ou plusieurs notes sont déplacées au degré voisin, diatonique ou chromatique, formant une « appoggiature » qui fait attendre son retour ou « résolution » sur la « note réelle » de l’accord (l’accord célèbre dit « de Tristan » est un accord d’appoggiature) ; les accords de broderies, dans lesquels un ou plusieurs sons, parfois même tous, résultent d’un glissement au degré voisin des sons correspondants de l’accord précédent, auquel on revient ensuite. On note encore des accords d’extension, dans lesquels à l’accord proprement dit s’ajoutent des notes accessoires qui se fondent avec lui pour en enrichir la sonorité (l’un des plus fréquents est l’accord parfait à sixte ajoutée). La musique moderne fabrique en outre des accords artificiels ne se rattachant pas aux modèles ci-dessus ; on cite : les accords par étagements d’intervalles (accords de quartes dans la Kammersymphonie de Schönberg, de quintes dans Daphnis et Chloé de Ravel, de tierces chez Darius Milhaud) ; l’accord de la gamme par tons entiers, très répandu dans le debussysme, peut s’y rattacher, mais peut aussi être considéré comme un accord de treizième naturel amputé de sa quinte juste ; l’accord mystique de Scriabine (do, fa dièse, si bémol, mi, la, ré) ; les accords par superposition formés, souvent de manière polytonale, par la superposition de deux accords indépendants (procédé très fréquent chez Stravinski à partir du Sacre) ; les accords par consolidation de notes étrangères lorsque celles-ci cessent de faire attendre la résolution pour être considérées comme notes réelles (par exemple, l’accord à double appoggiature chromatique familier à Ravel). Les accords naturels sont formés des notes correspondant aux sons 1 à x du tableau des harmoniques, l’emplacement de x sur ce tableau déterminant la nature de l’accord : ils prennent le nom de l’intervalle formé avec la fondamentale ou son octave par la dernière note impaire utilisée dans le tableau : c’est ainsi qu’on dit accord de quinte, de septième, de neuvième naturelle ; par exception, on ne dit pas habituellement accord de tierce naturelle, mais accord parfait majeur (harmoniques 1 à 5). On peut y ajouter l’accord de onzième et peut-être de treizième augmentée ; l’accord par tons entiers peut, on l’a dit, se rattacher à ce dernier, étant constitué des harmoniques 1 à 13, avec suppression de la quinte juste. Les accords analogiques prennent le nom de l’accord naturel correspondant, accompagné de qualificatifs qui en précisent la nature (ex. : accord parfait mineur pour l’analogique à tierce mineure de l’accord parfait majeur, accord de septième majeure pour l’analogique de 1er degré en majeur, de septième diminuée pour l’analogique de 7e degré du mineur harmonique, etc.). Il en est de même de la plupart des autres accords (ex. : accord à quinte altérée, accord avec sixte ajoutée, le mot « parfait » restant souvent sous-entendu). En outre, certains accords, employés dans un contexte tonal défini, peuvent prendre un nom de fonction se référant au degré sur lequel ils downloadModeText.vue.download 11 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 5 se placent (ex. : accord de septième de dominante, de septième de sensible, etc.). Il est inadmissible d’employer la nomenclature de fonction en raison de la sonorité lorsqu’elle n’est pas justifiée comme telle ; par exemple, on ne peut appeler septième de dominante une septième naturelle ne jouant pas le rôle de dominante. Les accords sont dits à l’état fondamental quand leur note de basse est la fondamentale de l’accord naturel correspondant ou l’une de ses octaves. Quand la note de basse de l’accord est une autre note de l’accord, celui-ci est dit renversé ou à l’état de renversement (expression d’ailleurs fautive qui remonte à une erreur de Rameau en 1732). La manière dont sont réparties au-dessus de la note de basse les autres notes de l’accord, répétées ou non, en détermine la position ; l’état d’un accord est un élément important de son analyse ; par contre, sa position est, sauf cas particuliers, considérée comme sans influence sur cette analyse. Les accords dont le modèle naturel aborde au moins l’harmonique 5 sans dépasser l’harmonique 11 présentent la particularité de pouvoir échelonner leurs notes par tierces, ce qui a fait dire, en une époque où l’on n’envisageait pas d’autres accords que ceux entrant dans cette catégorie, que l’étagement par tierces pouvait être pris comme définition de la notion d’accord elle-même. On reconnaît aujourd’hui la fausseté de cette assertion, bonne tout au plus à fournir en certains cas un auxiliaire mnémotechnique de caractère pédagogique assez rudimentaire. 2. Action d’« accorder » un instrument, c’est-à-dire d’en régler les parties sonores de manière qu’elles soient conformes au diapason choisi et aux intervalles en usage : « Procéder à l’accord d’un piano. » ACCORDÉON (all. Akkordeon, monika, Klavier-harmonika, monika ; angl. accordion ; a manticino, fisarmonica ; HandharZiehharit. armonico russe Bayan). TECHNIQUE. Instrument portatif à vent, à anches métalliques libres accordées à hauteur tempérée et fixées sur des plaquettes en aluminium. Celles-ci sont soudées sur des sommiers en bois à l’aide de cire d’abeille. Chaque sommier compte autant d’alvéoles que de plaquettes. Une plaquette correspond à une note et contient deux anches libres de dimension identique, produisant le même son sur les accordéons chromatiques. Le nombre de sommiers dépendra de la tessiture de l’accordéon et du nombre de voix qu’il comprend. Il existe des accordéons à une, deux, trois, quatre ou cinq voix. Les variétés de pression et d’attaque du soufflet donnent à l’accordéon une dynamique et une expressivité particulièrement riches. Il existe deux types d’accordéons, communément désignés « chromatique » (même son en tirant ou en poussant) et « diatonique » (un son en tirant, un autre en poussant). Présent dans la plupart des musiques traditionnelles des régions françaises, le diatonique colore aussi le riche folklore des musiques du monde. Grâce à la passion de virtuoses et à un répertoire important, il a pu préserver son patrimoine traditionnel et atteindre depuis plusieurs années un statut ethnologique considérable. L’accordéon chromatique peut comporter, au clavier main droite, jusqu’à cinq rangées de boutons qui donnent toutes les notes de la gamme chromatique. Le clavier main gauche comporte deux systèmes dits basses standard et/ou basses chromatiques. Le système de basses standard (80 ou 120 basses) est utilisé principalement dans le répertoire traditionnel. Il présente deux rangées de basses, et quatre de « basses composées » fournissant des accords préfabriqués parfaits majeurs, mineurs, de septième de dominante et de septième diminuée. Le système des basses chromatiques est utilisé dans le répertoire concertant. Il présente deux rangées de basses (identiques au système de basses standard, tessiture : mi 0 à ré 1) et quatre rangées de boutons (une seule note par bouton) disposées chromatiquement comme sur le clavier droit. Les possibilités polyphoniques des deux claviers permettent d’exécuter des pièces complexes à plusieurs voix, d’écriture tonale ou non. Grâce à l’utilisation de registres, la tessiture de l’accordéon est égale à celle d’un piano de concert. Le développement de modes de jeux inédits (souffles, effets de percussion, résultantes de sons, glissandi) en fait un instrument de plus en plus apprécié par les compositeurs. L’accordéon est doté d’une registration sophistiquée : 15 registres différents à droite et 6 à gauche pour les modèles professionnels de concert, ainsi qu’un report judicieux de 7 principaux registres placés en haut de l’accordéon près du menton (d’où l’appellation « mentonnière »). Ces registres découlent d’un principe de combinaisons élaborées à partir de quatre possibilités de base de type organologique : registre 4ʹ (tessiture mi 3 à do dièse 6), registres 8ʹ« caisse » et 8ʹ « hors caisse » (mi 1 à sol 6), registre 16ʹ (mi 0 à sol 5). La tessiture de base (8ʹ) du clavier gauche s’étend de mi 0 à do dièse 5. Certains modèles sont dotés d’un registre suraigu (4ʹ), mi 3 à do dièse 6. Un système de déclenchement (déclencheur) permet une alternance entre le système des basses standard et celui des basses chromatiques. Depuis 1991, une standardisation internationale est effectuée afin de définir les normes de l’accordéon du XXIe siècle. HISTOIRE ET RÉPERTOIRE. L’introduction en Europe du sheng chinois, rapporté par le père Amiot vers 1777, donnera libre cours aux inventions diverses basées sur l’anche libre, principe déjà utilisé 2 700 ans avant Jésus-Christ. Breveté en 1829 à Vienne (Autriche) par Cyrill Demian (1772-1847), l’« Accordion » découle de ces recherches et n’est qu’une petite boîte formant seulement quelques accords. Dès son entrée en France vers 1830, les facteurs d’accordéon (Fourneaux, Kaneguissert, Masspacher, Reisner) améliorent le système de Demian, placent le système harmonique (accords) à la main gauche et le système mélodique à la main droite. Maniable, petit et facile à pratiquer, il devient très vite à la mode dans les salons de l’aristocratie française. Destiné surtout aux jeunes filles de bonne famille, c’est un bel objet d’art orné d’une marqueterie richement décorée (galuchat, nacre, écaille de tortue, cuivre, bois rares). Autour de 1860, de grandes fabriques, principalement allemandes et italiennes, produisent un nombre considérable d’accordéons. Délaissé par la haute bourgeoisie, l’instrument se popularise et devient l’apanage des émigrants qui l’emportent au bout du monde. Vers 1900, en France, dans les bals, l’accordéon remplace la musette (cornemuse améliorée). L’accordéoniste et compositeur Émile Vacher (1883-1969) est, avec Michel Péguri, le précurseur du style appelé « musette ». Depuis cette époque, l’accordéon est considéré comme l’instrument des bals, des danses endiablées et de la chanson réaliste. Sa facture évolue, le clavier droit développe une tessiture intéressante et l’accompagnement des basses précomposées du clavier gauche permet de riches modulations. Il est adulé dans les années 30, et son répertoire, dépassant la simple danse, devient musique à part entière grâce aux talents de Gus Viseur, Tony Muréna ou Jo Privat. Remisé dans les années 60, mais jamais totalement éteint, il revient en force en France dans les années 80, tous genres musicaux confondus : chanson, classique, contemporain, jazz, rock, traditionnel. Universel dans l’âme, l’accordéon suscite aussi depuis sa naissance l’intérêt des compositeurs classiques, heureux de découvrir un instrument polyphonique aux riches possibilités sonores. Si Alban Berg, Serge Prokofiev, Petr Ilitch Tchaïkovski, Paul Hindemith ou Dimitri Chostakovitch lui donnent droit de cité, c’est surtout grâce aux écoles allemandes, canadiennes, des pays de l’Est et scandinaves (en particulier finlandaise) que l’accordéon s’anoblit en quelque sorte. En 1927, la première partition importante pour accordéon solo, Sieben neue Spielmusiken, émane du compositeur allemand Hugo Hermann. Parmi plusieurs interprètes de sa génération, le downloadModeText.vue.download 12 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 6 soliste danois Møgens Ellegaard (19351995) contribuera dès 1957 au rayonnement de l’accordéon dans le milieu classique contemporain et collaborera avec de nombreux compositeurs dont Jindrich Feld, Per Nørgård, Arne Nordheim, Ole Schmidt. La reconnaissance de l’accordéon et la fondation de nouvelles classes dans les conservatoires nationaux supérieurs de ces pays lui confèrent un statut hautement respecté et facilite son intégration dans le milieu classique. En France, depuis l’instauration en 1986 d’un certificat d’aptitude et d’un diplôme d’État, l’accordéon est présent dans bon nombre d’écoles nationales de musique et de conservatoires régionaux. La collaboration étroite entre compositeurs et interprètes de tous pays donne naissance à un répertoire de concert grandissant dans la plupart des grands festivals de musique d’aujourd’hui et dans les lieux habituels de diffusion. Les principaux auteurs de ces partitions (concerti, formation de chambre ou soli) sont Claude Ballif, Luciano Berio, Thierry Blondeau, Harrison Birthwistle, Bernard Cavanna, Jean-Pierre Drouet, Jean Françaix, Bruno Giner, Vinko Globokar, Sofia Gubaïdulina, Toshio Hosokawa, Klaus Huber, Mauricio Kagel, Magnus Lindberg, Jacques Rebotier, R. Murray-Schäfer, Isang Yun. ACCORDER. Assurer la justesse d’un instrument à son variable (piano, violon, harpe), selon le système du tempérament égal. Dans un orchestre, tous les instruments doivent être accordés au même diapason donné (le la = 440 Hz, par ex.). Pour accorder le piano, l’accordeur se sert d’un accordoir, clé spéciale pour ajuster les cordes. ACCOUPLEMENT. À l’orgue ou au clavecin, l’accouplement est un dispositif qui permet d’associer deux claviers, de telle sorte qu’en jouant sur l’un, on actionne en même temps l’autre, en faisant entendre simultanément les sonorités propres à chacun. Sur un orgue à plus de deux claviers, plusieurs accouplements offrent à l’exécutant les diverses combinaisons de réunion des claviers entre eux. Au XIXe siècle, on a également réalisé des accouplements d’un clavier à l’autre, voire d’un clavier sur lui-même, à l’octave aiguë ou à l’octave grave, de façon à augmenter la puissance sonore des instruments. Le pédalier peut, lui aussi, être accouplé à chacun des claviers ; l’accouplement porte alors le nom de tirasse. Le dispositif d’accouplement est réalisé soit mécaniquement, soit pneumatiquement, soit électriquement. La commande se fait en tirant un clavier pour en enclencher la mécanique (clavecins et orgues jusqu’au XVIIIe s.), ou en appelant cette combinaison par l’intermédiaire d’une pédale ou d’un bouton. ACCROCHE NOTE. Ensemble français de musique contemporaine fondé en 1981. Basé sur une structure relativement classique (soprano, clarinette et percussion), Accroche Note se définit par la souplesse de son effectif, qui va du solo à l’orchestre de chambre. Il s’est imposé aussi dans le monde des festivals consacrés à la musique d’aujourd’hui, tels les festivals Musica de Strasbourg, Manca de Nice, Nova Musica de São Paulo, Almeida de Londres, Voix nouvelles de Royaumont, par son esprit d’ouverture, par la spontanéité et la vivacité de ses interprétations. L’ensemble a signé de nombreuses créations de Donatoni, Radulescu, Dusapin, Manoury, Ferneyhough, Monnet, Pesson, Dillon et réalise des disques chez Montaigne, Accord « Una corda », Erato. ACHRON (Joseph), violoniste et compositeur américain d’origine lituanienne (Losdseje, Pologne, 1886 - Hollywood 1943). Il fit partie du groupe qui fonda en 1908 à Saint-Pétersbourg la Société pour la musique populaire juive, dont la plupart des membres étaient amis ou élèves de Rimski-Korsakov. De 1916 à 1918, il servit dans l’armée russe. En 1925, il émigra aux États-Unis et, en 1934, s’installa à Hollywood, où il composa des musiques de film et poursuivit sa carrière de violoniste. En 1939, son 3e Concerto pour violon opus 72 fut créé par Heifetz. Écrite « à la mémoire de mon père », la célèbre Mélodie hébraïque opus 33 pour violon et orchestre (1911), d’après un thème hassidique, fut largement popularisée par Heifetz également. Il se fit également un nom comme musicologue et était considéré par Schönberg comme « l’un des compositeurs modernes les plus sous-estimés ». ACKERMANN (Otto), chef d’orchestre suisse d’origine roumaine (Bucarest 1909 - Berne 1960). De 1920 à 1925, il étudie le piano et la direction de choeurs au Conservatoire de Bucarest. Entre 1926 et 1928, il étudie à la Hochschule für Musik de Berlin la direction d’orchestre, avec Georges Szell notamment. Sa carrière est surtout consacrée à l’art lyrique, où il illustre parfaitement la tradition germanique. C’est ainsi qu’il gravit tous les échelons des maisons d’opéra : de 1928 à 1932, il est répétiteur puis chef de ballet à l’Opéra de Düsseldorf, avant de devenir premier chef d’orchestre de l’Opéra de Brno jusqu’en 1935. Il travaille ensuite à l’Opéra de Berne (193547), au théâtre An der Wien (1947-53) et à l’Opéra de Cologne (1953-58). Dans le domaine symphonique, il est invité à diriger le Philharmonia Orchestra. À la tête de cet orchestre, et avec Elisabeth Schwarzkopf, il enregistre de nombreuses opérettes viennoises. Il participe également aux festivals de Bayreuth et de Salzbourg. En 1958, il est nommé directeur musical de l’Opéra de Zurich, poste qu’il n’occupe qu’une seule saison, avant sa disparition prématurée. ACKTÉ (Aino), soprano finlandaise (Helsinki 1876 - Nummela 1944). Elle reçoit ses premiers cours de chant de sa mère, la soprano Emmy Ackté, qui lui enseigne surtout le répertoire français. C’est donc tout naturellement qu’elle va compléter sa formation à Paris (1894), avant de débuter à l’Opéra de cette ville en 1897. Elle y chante jusqu’en 1903 les grands rôles de Gounod (Juliette dans Roméo et Juliette, Marguerite dans Faust) et de Bizet (Micaëla dans Carmen), mais aussi Elsa dans Lohengrin. C’est largement grâce à elle qu’en 1900 la Philharmonie d’Helsinki, dirigée par Kajanus, se produit à Paris dans le cadre de l’Exposition universelle. Elle est ensuite engagée au Metropolitan Opera de New York (19051907), puis au Covent Garden de Londres, où elle assure en 1910, sous la direction de Beecham, la création anglaise du rôletitre de Salomé de Richard Strauss (qu’elle avait déjà chanté à Leipzig, en 1907). Elle vit ensuite surtout en Finlande, où, en 1911, avec le pianiste et impresario Edvard Fazer, elle est à l’origine de la création de l’Opéra national finlandais, dont elle assume la direction pour la saison 1938-1939. En 1912, elle lance le festival d’opéra de Savonlinna. Sibelius compose pour elle Luonnotar (opus 70), qu’elle crée en 1913. Elle confectionne le livret de l’opéra Juha d’Aare Merikanto (1922), et laisse deux ouvrages autobiographiques (1925 et 1935). ACOUSMATIQUE. Se dit de la situation d’écoute où l’on entend un son sans voir les causes dont il provient. Ce mot grec désignait autrefois les disciples de Pythagore, qui écoutaient leur maître enseigner derrière une tenture. Pierre Schaeffer, inventeur de la musique concrète, a eu l’idée d’exhumer ce mot pour caractériser la situation d’écoute généralisée par la radio, le disque, le hautparleur. Dans son Traité des objets musicaux (1966), il a analysé les conséquences de cette situation sur la psychologie de l’écoute. Après lui, le compositeur François Bayle a imaginé de récupérer le terme d’acousmatique pour désigner ce qu’on appelle plus communément musique électroacoustique. « Musique acousmatique », « concert acousmatique » sont pour lui des termes mieux appropriés à l’esthétique et aux conditions d’écoute et de fabrication downloadModeText.vue.download 13 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 7 de cette musique « invisible », née du haut-parleur et où le son enregistré est délié de sa cause initiale. ACOUSTIQUE. Étude physique des sons, portant sur leurs caractéristiques intrinsèques, leur émission, leur mode de propagation et de perception. On désigne aussi par acoustique l’ensemble des propriétés qu’a un lieu, ouvert ou clos, de propager et de transmettre les sons : c’est l’acoustique d’une salle. La science de l’acoustique touche notamment à l’analyse physique des sons, à l’organologie, à l’acoustique architecturale, aux phénomènes de la phonation et de l’audition, et se diversifie aujourd’hui en des domaines spécialisés comme ceux de l’électroacoustique ou de la psycho-acoustique. Les Anciens avaient une connaissance empirique extrêmement poussée de l’acoustique, comme en témoignent les propriétés exceptionnelles de leurs théâtres. C’est essentiellement cette même connaissance qui a présidé à la mise au point des instruments de musique et, dans une certaine mesure, à l’orchestration musicale. De Stradivarius, on peut dire qu’il fut acousticien autant qu’ébéniste de génie. L’orchestration de Berlioz tient compte des conditions acoustiques d’exécution de chaque oeuvre. Le Requiem, en particulier, est étroitement lié à l’acoustique de l’église des Invalides. Les compositions pour orgue de Vierne dépendent, dans leur écriture même, de l’acoustique de Notre-Dame de Paris, aussi étroitement que celles de Bach le font d’églises allemandes dotées d’instruments beaucoup moins importants dans des acoustiques moins réverbérées, permettant donc une polyphonie plus intelligible dans sa complexité et un jeu plus rapide. Un interprète doit savoir modifier le tempo de son exécution en fonction de l’acoustique du lieu où il joue, de façon que le tempo perçu par les auditeurs dans ces conditions acoustiques corresponde au tempo psychologique de l’oeuvre. En tant que science, l’acoustique apparaît seulement dans les temps modernes. Ayant à saisir un objet fugitif, immatériel et se modifiant dans le temps, l’acoustique n’a pu se développer scientifiquement et aboutir à une théorisation qu’avec l’invention des moyens de fixer et de reproduire, puis d’analyser, de mesurer et d’engendrer par synthèse des phénomènes sonores. ADAGIETTO (ital. : « petit adagio »). Ce terme indique un mouvement un peu moins lent qu’adagio, et surtout un caractère plus léger. La Cinquième Symphonie de Mahler possède comme quatrième mouvement un « célèbre » adagietto pour cordes et harpe. ADAGIO. Mot italien signifiant à la fois « à l’aise » et « lentement ». Le mouvement ainsi indiqué se situe entre le largo et l’andante. Le terme revêt une valeur expressive, impliquant un ton sérieux, profond et soutenu ; il est souvent accompagné d’une qualification telle que cantabile, sostenuto, appassionato, etc. Apparu pour la première fois au début du XVIIe siècle, l’adagio indiquait souvent un élargissement du tempo à la fin d’un mouvement, d’une ouverture par exemple. Cette invitation à prendre son temps, à devenir plus solennel paraît avoir été plus importante que l’implication d’un tempo bien précis, car, pour certains compositeurs d’autrefois, Purcell et J.-S. Bach entre autres, adagio pouvait indiquer un mouvement plus lent que largo, voire plus grave. Le mouvement lent d’une symphonie ou d’une sonate classique est souvent intitulé « adagio ». ADAM (Adolphe Charles), compositeur français (Paris 1803 - id. 1856). D’origine alsacienne, il entra en 1817 au Conservatoire de Paris, où il étudia avec une certaine désinvolture jusqu’au jour où Boieldieu, ayant remarqué sa verve mélodique, le prit dans sa classe. Il obtint bientôt le deuxième grand prix de Rome. Il écrivit d’abord des pièces pour piano, pour chant, et aborda le théâtre lyrique avec une comédie de Scribe : le Baiser au porteur. Il se révéla par la suite comme un compositeur fécond (53 ouvrages lyriques et des ballets), aimant plaire, écrivant avec facilité, clarté, simplicité. D’autre part, il réorchestra à la demande de Louis-Philippe, pour d’importantes reprises, des oeuvres comme Richard Coeur de Lion de Grétry - ce qui lui valut une vive critique de Wagner - ou le Déserteur de Monsigny. En 1847, il fonda le Théâtre National, dans l’intention d’y accueillir les compositeurs délaissés par les deux scènes lyriques officielles de Paris. Malgré son succès, cet organisme sombra dès février 1848, au lendemain de la révolution, pour des raisons pécuniaires. Reçu à l’Institut en 1844, Adam succéda à son père comme professeur de piano au Conservatoire en 1849. Parmi ses oeuvres lyriques, certaines ont été longtemps populaires : le Chalet (1834), le Toréador ou l’Accord parfait (1849), le Sourd ou l’Auberge pleine (1853). D’autres le sont encore et figurent au répertoire en France et en Allemagne : le Postillon de Longjumeau (1836), Si j’étais roi (1852). Le ballet romantique Giselle (1841) est régulièrement joué par toutes les grandes compagnies. Adam est également l’auteur de messes et de pièces religieuses diverses, dont le célèbre noël Minuit, chrétiens. ADAM (Theo), baryton-basse allemand (Dresde 1926). En 1949, il débute à l’Opéra de cette ville dans le rôle du prince Ottokar du Freischütz de Weber. En 1952, il commence une carrière à Bayreuth dans le petit rôle d’Hermann Ortel, l’un des « maîtres chanteurs ». Devenu par la suite un très grand spécialiste de Wagner, il est le plus célèbre Wotan (la Tétralogie) de sa génération. Le rôle de Pizarro (Fidelio) et celui de Wozzeck comptent parmi ses grands succès. T. Adam se consacre également à l’oratorio et au lied. Il a chanté à partir de 1968 au Metropolitan Opera de New York et a créé en 1981 à Salzbourg Baal de Friedrich Cerha. ADAM DE GIVENCHI, trouvère du groupe d’Arras (v. 1220 - v. 1270). D’abord simple clerc de l’évêché, il devint chapelain et reçut le titre de messire. On lui attribue huit pièces, parmi lesquelles deux descorts et plusieurs jeux partis composés en compagnie de Jehan Bretel et Guillaume Le Vinier. ADAM DE LA HALLE ou ADAM LE BOSSU, trouvère du groupe d’Arras (Arras v. 1240 - probablement Naples v. 1287). Après des études à l’université de Paris où il obtint sans doute son grade de maître ès arts, il retourna en Artois, retrouva sa femme Marie et entra au service de Robert d’Artois (1271). En 1283, il accompagna son maître à Naples. Ce fut à la cour de Charles d’Anjou, roi de Sicile, que l’on créa sa fameuse pastourelle, le Jeu de Robin et Marion (1285). Avec son autre drame, le Jeu de la feuillée, Robin et Marion est l’exemple unique d’un théâtre lyrique profane, au milieu des mystères, des miracles et des drames liturgiques du XIIIe siècle. Il s’agit de théâtre parlé avec intermèdes musicaux : sur 780 vers, 72 seulement sont notés musicalement ; on compte peu de chants (6 mélodies complètes). La nouveauté du genre, fondé sur la pastourelle à refrain, consiste dans le fait que la musique fait partie intégrante de l’intrigue, même si elle y tient peu de place. Cette oeuvre est souvent qualifiée de « premier opéra-comique français « ; ses personnages sont extrêmement réalistes. Adam de la Halle est le plus célèbre des trouvères. Il ne se contenta pas d’écrire des drames lyriques. Son oeuvre comprend également quelque 35 chansons à 1 voix, 14 rondeaux à 3 voix dans le style du conduit, 1 rondeau-virelai et 1 ballade, plusieurs motets et 16 jeux partis. Parmi ses motets, quelques-uns sont entés, c’està-dire qu’ils comportent l’introduction, à la partie supérieure, d’un refrain de sa composition, tiré de ses rondeaux. downloadModeText.vue.download 14 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 8 OEUVRES. - oeuvres complètes de la Halle éditées ker (Paris, 1872) ; Halle, rondeaux à 3 du trouvère Adam par E. de CoussemaJ. Chailley, Adam de la voix (Paris, 1942). ADAM DE SAINT-VICTOR, poète et musicien français d’origine bretonne (†1177 ou 1192). Il fut moine de l’abbaye parisienne de Saint-Victor et un des principaux auteurs de séquences du XIIIe siècle ; il les porta à leur plus grande perfection, en s’éloignant des modèles anciens, par l’adoption d’une structure strophique et l’abandon de l’alléluia, auquel il substitua une mélodie libre s’apparentant souvent au patrimoine populaire. On lui attribue plus de cent vingt compositions de ce type, dont quelques-unes parmi les plus belles furent traduites en langue vulgaire et devinrent célèbres. Leur utilisation fut supprimée par le concile de Trente. ADAMS (John), compositeur américain (Worcester, Massachusetts, 1947). Il étudie d’abord la clarinette avec son père et fait ensuite des études de composition au Harvard College (Master of Arts, 1971). Son éducation, dans l’esprit de l’avantgarde néo-sérielle européenne, ne lui convient pas tout à fait : il ne trouvera sa voie qu’après son installation à San Francisco (1971), où il dirige le département de composition du conservatoire entre 1971 et 1981. Sur la côte ouest, il découvre la musique de Cage, dont il assume l’héritage à sa manière, ainsi que l’école répétitive (Riley, Glass). Adams écrit une musique volontairement primitive plutôt que minimaliste. Ses références à l’harmonie classique sont fréquentes, mais il cultive dans ses oeuvres des dérapages voulus qui augmentent leur impact (Shaker Loops pour instruments à cordes, 1979). Il exploite le contraste entre l’aspect conservateur du matériau et une absence totale de volonté de style (Harmonielehre pour orchestre, 1985), entre l’omniprésence de la référence et une liberté qui ne peut s’exercer, pour avoir un effet sûr, que dans le cadre d’un langage préalablement codifié (la Chamber Symphony de 1992 témoigne, dans ce contexte, d’un travail intéressant sur le rythme). Il s’agit au fond, plutôt que d’inconséquence, du plaisir éphémère de briser des faux interdits. Cette attitude complaisante est accentuée par la sonorité crue, mélodramatique, de son orchestre (Grand Pianola Music pour deux sopranos, deux pianos et ensemble, 1981-1982). De même, dans les opéras Nixon in China (1987) et The Death of Klinghoffer (1991), où il collabore avec le metteur en scène Peter Sellars, Adams s’intéresse à des su- jets d’actualité qui lui servent en quelque sorte d’alibi. On lui doit aussi Phrygian Gates (1977) et Eros Piano (1989) pour piano, Light over Water pour cuivres et synthétiseur (1983), Short Ride in a Fast Machine pour orchestre (1986), Fearful Symmetries pour orchestre (1988), I was looking at the Ceiling and then I saw the Sky (1995). ADAM VON FULDA, compositeur et théoricien allemand (Fulda v. 1440 - Wittenberg 1505). Il entra au service de Frédéric le Sage de Saxe (1490), puis enseigna la musique à l’université de Wittenberg (1502). Son traité De musica fut publié dans Scriptores ecclesiatici de musica sacra potissimum de Gerbert (1784). Auteur d’oeuvres religieuses, il mourut de la peste. ADAPTATION. Travail au moyen duquel un auteur, prenant pour point de départ une oeuvre, la transforme en une autre oeuvre, proche par certains traits mais différente dans sa forme, dans son instrumentation ou dans sa construction. En musique, la réduction d’une page symphonique en une page pour piano est une adaptation. Un livret d’opéra peut être l’adaptation d’une pièce de théâtre. De même, un texte profane peut, sur une même musique, remplacer un texte religieux. Dans la composition des livrets, l’auteur respecte parfois le texte original, se contentant d’effectuer des coupures : ce fut l’attitude de C. Debussy à l’égard de Pelléas et Mélisande de Maeterlinck, et celle de R. Strauss à l’égard de la traduction allemande de Salomé de O. Wilde. ADDINSELL (Richard), compositeur anglais (Londres 1904 - id. 1977). Auteur de chansons, de musiques de scène et de films, il est surtout connu pour son Concerto de Varsovie pour piano et orchestre, écrit pour le film Dangerous Moonlight (1941). ADIEUX. Concert, récital ou représentation d’opéra voyant un interprète célèbre, le plus souvent un chanteur, se produire pour la der- nière fois en public. En tant que telle, une soirée d’adieux peut avoir été annoncée d’avance ou non, et certaines ont ensuite été démenties par la réalité (réapparition de l’artiste concerné, suivie ou non de nouveaux adieux). Jadis, les théâtres de province appelaient « adieux » la dernière soirée de leur saison annuelle : y étaient alors réentendus les artistes et les extraits d’oeuvres plébiscités par le public. Renata Tebaldi, par exemple, a fait ses adieux lors d’un récital à New York le 16 février 1976. ADLER (Guido), musicologue autrichien (Eibenschütz, Moravie, 1855 - Vienne 1941). Élève de Bruckner et de Dessoff au conservatoire de Vienne, il se destina néanmoins au droit avant de s’orienter vers la musique, et plus spécialement son histoire. En 1884, il fonda avec Chrysander et Spitta la revue Vierteljahrsschrift für Musikwissenschaft, et en 1885 fut nommé professeur de musicologie à l’université allemande de Prague. Succédant à Hanslick, il enseigna à l’université de Vienne (1898-1927) et en fonda l’Institut de musicologie (Musikwissenschaftliches Institut), qui devint un modèle pour de nombreux pays. Dès leur fondation, il fut l’éditeur des Denkmäler der Tonkunst in Österreich (1894-1938), vaste entreprise d’édition de la musique autrichienne du passé - toujours poursuivie aujourd’hui -, dont il assuma lui-même plusieurs volumes, et de leur revue musicologique d’accompagnement Studien zur Musikwissenschaft (1913-1938). Il attacha surtout son nom à la critique stylistique : en témoigne son ouvrage Der Stil in der Musik (1911). On lui doit aussi Methode der Musikgeschichte (1919), un livre sur son ami Gustav Mahler (1916) et Wollen und Wirken (autobiographie, 1935). En 1924, il édita Handbuch der Musikgeschichte, dont il avait rédigé lui-même les chapitres Périodes de l’histoire de la musique, l’École classique viennoise et Généralités sur l’époque moderne. Il organisa les célébrations des centenaires de la mort de Haydn et de Beethoven (en 1909 et en 1927), et après ces dernières participa activement à la fondation de la Société internationale de musicologie, dont il devint président d’honneur. À l’occupation de l’Autriche (1938), il dut cesser toute activité. ADLGASSER ou ADELGASSER (Anton Cajetan), organiste et compositeur allemand (Innzell, Bavière 1729 - Salzbourg 1777). Il fut, dès son enfance, chanteur à Salzbourg, où il étudia la musique avec Eberlin, dont il devint plus tard le gendre. Il passa toute sa vie dans cette ville comme organiste à la Cour. De son vivant, il fut déclaré le meilleur de tous les organistes et clavecinistes. Étant entré en rapport avec Mozart, alors âgé de dix ans, et avec Michael Haydn, il écrivit avec eux le drame Die Schuldigkeit des ersten und fürnehmsten Gebotes (1767). On connaît de lui plus de vingt opéras et oratorios, des symphonies, de la musique religieuse et instrumentale. AD LIBITUM (lat. : « à volonté »). Comme les expressions a piacere, senza tempo, a capriccio, ad libitum est employé pour indiquer à l’interprète qu’une certaine liberté lui est permise dans le mouvement d’un passage, dans une cadence downloadModeText.vue.download 15 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 9 ou lors d’une pause (point d’orgue). Dans la musique des XVIIe et XVIIIe siècles, ad libitum indiquait la possibilité de remplacer un instrument par un autre (ex. : la flûte par le violon). Un autre sens possible est une liberté offerte à l’exécutant pour l’interprétation d’une partie vocale ou instrumentale. Le contraire d’ad libitum est obbligato (« obligé »). ADORNO (Theodor Wiesengrund), philosophe, musicologue et critique allemand (Francfort-sur-le-Main 1903 Viège, Suisse, 1969). Il étudia la musicologie à l’université de Vienne, et travailla la composition avec Alban Berg. Critique musical à l’Anbruch, il en devint le rédacteur en chef (19281931). Nommé maître de conférences à Francfort-sur-le-Main (1931), Adorno dut s’exiler deux ans plus tard, et, après un bref passage à Paris, s’installa aux ÉtatsUnis. De retour en Allemagne en 1949, il fut titulaire de deux chaires de philosophie et de sociologie à l’université de Francfort et, dès lors, occupa une place éminente tant sur le plan philosophique et politique que sur le plan musical. Préoccupé avant tout de l’art actuel, et de son devenir au sein de la société, l’auteur de la Philosophie de la nouvelle musique apparaît comme le créateur d’une nouvelle critique musicale qui se caractérise par une dialectique rigoureuse, héritée de Hegel. Sans négliger pour autant la psychologie du créateur et l’aspect concret des oeuvres, Adorno réserve une part importante à la sociologie. Il ne se contente pas de superposer les considérations théoriques, techniques, esthétiques et sociologiques, mais les articule entre elles et, par une analyse pénétrante à plusieurs niveaux, parvient à une connaissance globale qui, non seulement ne laisse rien échapper, mais encore ouvre à la pensée tant musicale que philosophique de larges et neuves perspectives. PRINCIPAUX ÉCRITS : Versuch über Wagner (Francfort, 193738. Trad. française : Essai sur Wagner, Paris, 1966) ; Philosophie der Neuen Musik (Tübingen, 1949. Trad. française : Philosophie de la nouvelle musique, Paris, 1962) ; Mahler (Francfort, 1960. Trad. française : Mahler, une physionomie musicale, Paris, 1976) ; Einleitung in die Musiksoziologie (Francfort, 1962) ; Quasi una Fantasia, Musikalische Schriften II (Francfort, 1963. Trad. française partielle : Vers une musique informelle dans la Musique et ses problèmes contemporains, Paris, 1963) ; Moments musicaux (Francfort, 1964) ; Impromptus (Francfort, 1968) ; Alban Berg, der Meister des kleinsten Übergangs (Vienne, 1968). AÉROPHONE. Ce terme s’applique à tout instrument dont le son est produit par la vibration d’une colonne d’air à l’intérieur d’un tube. Pour le hautbois et le basson par exemple, ce sont les anches doubles qui mettent l’air en vibration. L’élément vibrateur d’un tuyau d’orgue ou de la flûte est l’orifice latéral du tube. Dans le classement des instruments établi par Hornbostel et C. Sachs (1914), les différentes familles sont réparties selon l’élément physique se trouvant à l’origine du son. Aux côtés des aérophones, on distingue les membranophones, les cordophones et les idéophones. AFFEKTENLEHRE (all. pour « doctrine des passions »). Théorie esthétique du XVIIIe siècle, particulièrement associée aux noms de Quantz et de Carl Philip Emanuel Bach et selon laquelle la musique devait servir à exprimer les passions et les émotions, à chaque passion ou émotion correspondant une « figure » musicale particulière. S’y ajoutait notamment la question de savoir, d’une part, si un morceau donné devait se limiter à un seul Affekt (position conservatrice) ou s’il pouvait en opposer plusieurs (démarche typique de Carl Philip Emanuel Bach), et, d’autre part, si la musique instrumentale, en l’absence de paroles, pouvait exprimer, et même « dire » quelque chose de précis. ( ! EMPFINDSAMKEIT.) AFFETTO. Terme italien souvent utilisé par G.Caccini (Nuove musiche, 1602, préface) et les musiciens de l’époque baroque ; il possédait un double sens : 1. Un état d’âme. 2. Les embellissements vocaux parfois inspirés par un affetto exprimé dans le texte poétique. Il y a eu certainement confusion entre effetto (effet) et affetto, et le sens des deux mots est assez proche ici. L’affetto est un élément essentiel dans la musique de toute l’époque baroque, et Muovere l’affetto dell’animo représentait le but même de la musique. On trouve de nombreux exemples de jeux de mots donnant libre cours à l’utilisation des affetti en musique, par exemple entre amar (aimer), amaramente (amèrement) et Amarilli (nom de la femme aimée) : « Cruda Amarilli, che col nome ancora d’amar, ahi lasso. Amaramente insegni... » (B. Guarini). Le terme allemand correspondant est Affekt, et, au XVIIIe siècle, se développa l’Affektenlehre, associée en particulier à la musique de Carl Philip Emanuel Bach et selon laquelle une oeuvre devait « exprimer » une émotion bien précise. AFFETTUOSO (ital. : « affectueux »). Ce terme, surtout utilisé à l’époque baroque et qui a pour équivalent l’expression con affetto, indique l’expression d’un sen- timent tendre (ex. : andante affettuoso). AFRIQUE NOIRE (MUSIQUE D’). Malgré la diversité des ethnies et des caractères socioculturels, des traits communs suffisamment importants incitent à élaborer une étude globale de la musique des nombreux peuples d’Afrique noire. Qu’ils appartiennent aux groupes bantou (Afrique sud-équatoriale), nilotique (région du Haut-Nil et du lac Victoria), « soudanais » (nord de l’Équateur : Sénégal, Guinée, Côte-d’Ivoire, Nigeria, etc.), ou qu’ils soient issus de tribus nomades ou semi-nomades (Pygmées, bergers peuls, Bochimans), les Noirs d’Afrique ont des comportements musicaux comparables et des conceptions voisines du rôle de la musique. Les Africains ne se recommandent pas de systèmes musicaux théoriques, mais leurs traditions sont suffisamment fortes pour avoir survécu à l’islamisation et à la christianisation. Leurs musiques sont conçues comme des expressions collectives dont les professionnels n’ont pas le monopole, comme des systèmes de communication globaux qu’ils ne songent pas à expliquer par l’analyse. Dans la plupart des langues africaines, la hauteur relative des sons est signifiante, de sorte que les instruments peuvent non seulement accentuer la « musique » du discours, mais en imiter les rythmes et les « tons ». Le « langage » d’un tambour d’aisselle, d’une cithare-mvet, d’un arc-en-bouche ou d’une vièle haoussa n’est pas un code : c’est une langue usuelle, directement intelligible. Chaque instrument reflète la culture et la personnalité du musicien qui en joue et qui en est généralement le luthier. Loin de chercher le timbre pur et clair par des raffinements de facture, on s’ingéniera à brouiller le son, à l’enrichir de bruits qui accentueront sa singularité : pièces métalliques vibrant avec les cordes des luths ou les lames des sanzas, mirlitons adaptés aux caisses et aux résonateurs en calebasse, sonnailles fixées aux poignets des musiciens ou au pourtour des tambours. Les voix, elles-mêmes, sont rarement claires et pures, surtout chez les professionnels : oreilles bouchées, nez bouché, vibration de la langue, mirlitons sont des artifices fréquemment utilisés pour transformer la voix. La musique africaine fait souvent appel à une polyphonie simple, consciente, mais sans règle à priori : tierces parallèles (ou quintes dans les régions orientales), imitation canonique rudimentaire, ostinato. Il est peu probable que cette polyphonie, qui apparaît surtout dans les régions de forêts très éloignées du littoral, ait été introduite downloadModeText.vue.download 16 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 10 par les colons et les missionnaires européens. Elle fortifie plutôt l’hypothèse de traditions polyphoniques primitives, qui pourraient avoir précédé, dans différentes civilisations, le développement d’une musique savante monodique. Ce que nous appelons « avènement de la polyphonie » n’a sans doute été que la notation et l’adaptation systématique à la musique savante occidentale de vieilles pratiques populaires, considérées antérieurement comme impures. La polyphonie africaine ne ressortit pas à une technique comparable à notre contrepoint. Elle est naturelle et s’explique en considérant que, statistiquement, la différence (hétérophonie) est plus probable que la similitude (homophonie). La polyrythmie très fréquente peut s’expliquer de la même manière. Les tambours sont différents et l’ensemble indissociable que forme chacun, dans la conception africaine avec les muscles du tambourinaire, reflète nécessairement une personnalité singulière. Bien que tout le monde ou presque soit musicien en Afrique, il existe une caste de musiciens professionnels : les griots. Philosophes, conteurs, sorciers, historiens, ménestrels, ils sont de toutes les fêtes, rendent d’innombrables services, flattent et conseillent les riches et les puissants, dont ils savent exploiter les ressources à leur profit. En Afrique, on ne se réfère pas à une échelle fondamentale fixée par la théorie. Les instruments d’une même famille sont accordés les uns sur les autres, selon des règles traditionnelles qui varient d’une région à l’autre et parfois, dans une même région, d’une famille d’instruments à l’autre. Au milieu de la diversité des accords et, par conséquent, des échelles usuelles, on observe souvent des gammes pentatoniques du type do, ré, fa, sol, la, ou des gammes diatoniques fondées sur la série des harmoniques (y compris les harmoniques 7, 11, 13), par imitation des sons naturels de la trompe en défense d’éléphant (sur laquelle les plus habiles parviennent à donner les harmoniques 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12). D’autres gammes diatoniques sont de type « pythagoricien » (cycle des quintes justes) et peuvent ressembler au « phrygien » (octave ré-ré) ou à l’« hypolydien » (octave fa-fa) des Grecs. Certains xylophones malinkés (Afrique occidentale) donnent cinq ou sept intervalles à peu près égaux dans l’octave, offrant une curieuse analogie avec une gamme équiheptatonique des pays thaï et khmer, et avec la gamme équipentatonique indonésienne slendro... Aucune tradition musicale en Afrique noire ne paraît avoir fait usage d’intervalles inférieurs au demi-ton. Notre découverte de la musique africaine se heurte généralement à deux difficultés. D’une part, l’exploitation commerciale d’un primitivisme folklorique met l’accent sur les étrangetés coutumières, nous cachant l’essentiel d’une culture très riche. D’autre part, le sentimentalisme des intellectuels africains et des ethnologues sacralise l’art nègre traditionnel, au point de condamner toute évolution normale. La transformation de la société africaine, la régression des langues et des cultures autochtones, la diffusion croissante de la musique légère occidentale et de musiques commerciales africaines sont autant de facteurs de dissolution d’une civilisation musicale fertile ; mais, heureusement, des écrivains et des musicologues africains s’efforcent aujourd’hui de la protéger et de la développer. Beaucoup d’Africains pensent que leur musique pourrait survivre hors de l’ancien cadre social, échappant ainsi à une sorte d’apartheid culturel qui l’a trop longtemps isolée. AGAZZARI (Agostino), compositeur italien (Sienne 1578 - id. v. 1640). Il fut musicien à la cour de Matthias, gouverneur de l’Autriche, puis, dès son retour en Italie, s’affirma comme un des premiers partisans de la basse continue, et un de ses premiers théoriciens ; son traité Del Sonare sopra il basso con tutti li stromenti fut publié à Sienne en 1607. Après un séjour à Rome où il occupa diverses fonctions, il revint à Sienne, vers 1630, pour diriger la musique de la cathédrale. Parmi ses oeuvres, citons des messes, motets, psaumes, madrigaux et une pastorale, Eumelio (1606). AGINCOURT (François d’), compositeur et organiste français (Rouen 1684 - id. 1758). Élève de Boyvin à Rouen, il complète ses études auprès de Lebègue à Paris, où il est nommé organiste de Sainte-Madeleineen-la-Cité (1701). En 1706, il retourne à Rouen pour succéder à son maître comme organiste à la cathédrale Saint-Jean, tout en étant titulaire des orgues de SaintOuen et, à partir de 1714, l’un des quatre organistes de la chapelle royale de Versailles. Influencé par Lebègue et surtout par François Couperin et la musique italienne, il a publié en 1733 un Livre de pièces de clavecin comptant quatre « ordres » ou suites. Ses 46 pièces d’orgue, regroupées en six suites et constituant autant de brefs interludes pour le Magnificat, sont restées manuscrites de son temps. Ses quelques airs à voix seule et basse continue apparaissent dans les recueils de Ballard, édités en 1713 et 1716. AGNUS DEI (lat. : « agneau de Dieu »). Triple invocation faisant allusion à la métaphore employée par saint Jean-Baptiste pour désigner Jésus dans l’Évangile selon saint Jean (reprise par l’Apocalypse). Insérée au début du VIIIe siècle dans l’ordinaire de la messe par le pape Sergius Ier, elle répétait d’abord trois fois miserere nobis ; la dernière invocation fut remplacée au Xe siècle par dona nobis pacem pour préparer le baiser de paix, puis cette dernière phrase fut comprise comme une demande de délivrance des guerres, et l’est restée spécialement dans les messes avec orchestre des XVIIIe et XIXe siècles, où elle s’accompagne souvent d’un figuralisme guerrier (trompettes, etc.). Aux messes des morts, l’invocation devient dona ei(s) requiem (sempiternam) [« donnez-lui (leur) le repos » - on ajoute la 3e fois « éternel »]. L’Agnus Dei était d’abord chanté a clero et populo (« par le clergé et le peuple »), puis il est passé au chant de la chorale au même titre que les quatre autres pièces chantées de l’ordinaire dont il forme ainsi le no 5 et dernier ; il fait partie à ce titre de la messe polyphonique normale, qu’il clôt à partir du XVe siècle. Au XVIe siècle, il n’est pas rare de le voir écrit à cinq voix quand le reste de la messe est écrit à quatre. Toutefois, les messes de Requiem ayant pris l’habitude de traiter polyphoniquement le propre aussi bien que l’ordinaire, il n’en est plus, sauf exception, la pièce terminale. AGOGIQUE. H. Riemann, en 1884, employa le premier ce terme pour désigner les légères fluctuations de mouvement, s’écartant du strict mouvement métronomique d’ensemble, qui peuvent parcourir l’exécution d’une oeuvre, laissant une certaine marge d’interprétation et d’expression. C’est l’agogique qui permet le rubato. AGOSTINI (Paolo), compositeur et organiste italien (Vallerano v. 1583 - Rome 1629). Il épousa la fille de son maître, B. Nanini. Organiste à Santa Maria in Trastevere et dans plusieurs autres églises romaines, il prit en 1626 la suite d’Ugolini à la chapelle Vaticane de Saint-Pierre de Rome. Une partie seulement de son abondante musique religieuse (psaumes, magnificat, messes) a été conservée. Il fut maître dans l’art du contrepoint. AGRÉGAT ou AGRÉGATION. Superposition de sons ne présentant aucune cohérence qui permette de les rattacher à un accord ou à ses renversements, dans le cadre de l’harmonie classique. AGRÉMENT. Note ou groupe de notes employés surtout dans la musique française vocale et instrumentale des XVIIe et XVIIIe siècles pour orner une phrase mélodique. Le mot même évoque leur raison d’être : charmer, toucher, enchanter, être downloadModeText.vue.download 17 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 11 agréable à l’oreille. Les luthistes français utilisèrent les agréments pour orner leurs pièces, mais aussi pour prolonger la courte durée du son du luth ; les clavecinistes reprirent ce procédé d’écriture. Les agréments étaient indiqués par des signes bien connus des interprètes, mais dont le mode d’exécution pouvait varier selon les compositeurs, et qui, surtout, laissaient à l’instrumentiste une certaine liberté d’exécution liée à sa volonté d’expression. Une notation trop précise eût tendu à détruire cette liberté et cette souplesse caractéristique de la musique française, qui font toute la différence entre l’agrément et l’ornement habituel. Voici une liste des principaux agréments avec le terme musical courant auquel ils correspondent : le port de voix (appoggiature longue), le tremblement ou cadence (trille), le pincé (mordant), le doublé ou tour de gosier (grupetto), le coulé, l’aspiration (sorte de point d’orgue), l’arpègement dans la musique de clavecin, de luth ou d’orgue. On trouve une explication détaillée des différents agréments dans les tables d’ornements des clavecinistes français (Chambonnières, L. Marchand, et surtout F. Couperin, notamment dans son Art de toucher le clavecin, 1717). Quant aux ornements vocaux, essentiellement les mêmes d’ailleurs, on peut consulter à leur sujet les Remarques sur l’art de bien chanter, et particulièrement pour ce qui regarde le chant français (1668) de Bénigne de Bacilly. Les diminutions, chères aux compositeurs d’airs de cour, peuvent également entrer dans le cadre des agréments. AGRICOLA (Alexander), compositeur qui serait originaire du nord de l’Allemagne (v. 1446 Valladolid, Espagne, 1506). Il fut au service du duc Galeazzo Maria Sforza à Milan (1471-1474), du duc de Mantoue (1474), puis chantre de Laurent le Magnifique à la cathédrale de Florence. Regagnant les pays du Nord, il passa par la cour de France avant d’entrer au service de Philippe le Beau à Bruxelles (1500). Suivant la cour en Espagne, il y mourut de la peste. Agricola n’a guère subi l’influence de l’Italie. Il faut dire que, lors de son séjour dans ce pays, il côtoya des Italiens sans doute, mais aussi, à Florence, Obrecht, Isaac et surtout Josquin Des Prés, dont il se montra l’émule. Un esprit novateur et indépendant se révèle à travers ses 9 messes, ses 2 credos isolés, ses quelque 25 motets et ses 82 chansons. AGRICOLA (Johann Friedrich), compositeur et organiste allemand (Dobitschen, près d’Altenburg, 1720 - Berlin 1774). Élève de Bach (dont il fut l’un des nécrologues) à Leipzig et de Quantz à Berlin, il succéda en 1759 à C. H. Graun à la tête de la chapelle royale de cette ville et composa surtout des lieder et de la musique religieuse. AGRICOLA (Martin Sore, dit Martin), compositeur et théoricien allemand (Schwiebus, Silésie, 1486 ? - Magdebourg 1556). Fils de paysans, autodidacte en musique selon ses propres dires, Agricola se fixa à Magdebourg vers 1519-20, y fut nommé cantor de l’école municipale vers 1527 et le resta jusqu’à sa mort. Par ses compositions, il a contribué à la formation du répertoire liturgique protestant. Les quelques pages qui ont échappé à la destruction de Magdebourg (1632) permettent de le rattacher à l’école de Josquin Des Prés. Il joua un rôle pédagogique important en rédigeant des ouvrages qui servirent ensuite de base à l’enseignement musical dans les écoles protestantes : traités de chant choral à l’usage des jeunes enfants, écrits théoriques dans lesquels, en particulier, il proposa des équivalents en langue allemande pour des termes latins employés exclusivement jusqu’alors. AGUADO Y GARCÍA (Dionisio), guitariste et compositeur espagnol (Madrid 1784 - id. 1849). Contemporain et ami de Sor, après des débuts très précoces et une carrière en Espagne, il vécut à Paris (1825-1838), où il obtint de grands succès et fit l’admiration de Rossini, Bellini et Paganini. Il écrivit de nombreuses pièces diverses pour guitare, et un manuel, Metodo de guitarro (1825), encore utilisé de nos jours. AGUIAR (Alexandre de), compositeur portugais († Talavera 1600). Poète et instrumentiste, il fut ménestrel à la cour du roi Sébastien et du cardinal Henri de Portugal. Il reçut le surnom d’Orphée à la cour de Philippe II d’Es- pagne, où il jouit d’une grande réputation. Ses Lamentations de Jérémie ont été chantées pendant de longues années à Lisbonne à l’occasion de la semaine sainte. AGUIARI ou AGUJARI (Lucrezia, dite La Bastardella ou La Bastardina), soprano italienne (Ferrare 1743 - Parme 1783). Sa brève carrière fut éclatante. Elle déchaîna l’enthousiasme en ltalie, puis à Londres, et se retira de la scène en 1780. Sa voix très souple, au timbre agréable, atteignait dans l’aigu des sommets vertigineux. En 1770, à Parme, elle suscita l’admiration de Mozart en exécutant devant lui un exercice en vocalises s’étendant de l’ut3 à l’ut6. AGUILERA DE HEREDIA (Sebastián), organiste et compositeur espagnol (v. 1560-1570 - Saragosse 1627). Il fut organiste à Huesca, puis à Saragosse (1603). Disciple de Peralta, mais influencé par l’art de Cabezón, il est le meilleur représentant de la musique de l’Aragon. Il a laissé des pièces pour orgue, des psaumes et un magnificat (Canticum Beatissimae Virginis..., 1618). AHLE (Johann Rudolf), compositeur, organiste et théoricien allemand (Mühlhausen, Thuringe, 1625 - id. 1673). Il fut cantor à l’église Saint-André d’Erfurt, puis, dès 1654, revint dans sa ville natale pour y être organiste et bourgmestre. Il publia divers recueils de compositions, destinées aux instruments et aux voix, de caractère presque exclusivement religieux, et deux traités. Son influence sur la musique protestante fut considérable au XVIIIe siècle. Son fils, Johann Georg (16511706), devait prendre sa suite dans le domaine de la musique religieuse. AHO (Kalevi), compositeur finlandais (Forssa 1949). Élève de E. Rautavaara à l’académie Sibelius et de Boris Blacher à Berlin, il s’imposa avec sa Symphonie no 1 (1969), influencée par Chostakovitch, et son Quatuor à cordes no 2 (1970), et termina sa Symphonie no 2 (1970) avant même d’obtenir son diplôme de composition (1971, année de son Quatuor à cordes no 3). Les années 70 furent dominées par la sympho- nie - la violente et massive Cinquième est de 1975-1976, la « moderniste » Sixième de 1979-1980 - et la musique de chambre. La Septième Symphonie, dite Symphonie des Insectes, ne suivit qu’en 1988. Elle est issue de l’opéra Vie des insectes (1985-1987), d’après la pièce de Karel et Josef Capek. La très vaste Huitième (1993) est pour orgue et orchestre, et la Neuvième (1993-1994), plus légère, pour trombone et orchestre. Ses trois Concertos - pour violon (1981), pour violoncelle (1983-1984) et pour piano (1988-1989) - sont de conception nettement symphonique. On lui doit aussi la Clé, monologue dramatique pour chanteur soliste et orchestre de chambre (1978-1979). Il a enseigné la musicologie à l’université d’Helsinki, puis la composition à l’académie Sibelius de 1988 à 1993. Depuis cette date, une bourse de quinze ans de son gouvernement lui permet de se consacrer entièrement à la composition. AICHINGER (Gregor), compositeur allemand (Ratisbonne 1564 - Augsbourg 1628). Il doit à des études universitaires à Ingolstadt ses relations avec la famille des Fugger qui lui confia dès 1584 la charge de l’orgue de leur fondation à Saint-Ulrich downloadModeText.vue.download 18 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 12 d’Augsbourg. Un voyage en Italie (Venise, Rome, de 1584 à 1587) lui permet de suivre l’enseignement de G. Gabrieli. Au retour d’un pèlerinage à Rome, où il revêt l’habit ecclésiastique (1600), il reprend sa charge d’organiste et de vicaire à la cathédrale d’Augsbourg. De 1603 à 1609, il publie un grand nombre de recueils de musique spirituelle, dont les Ghirlanda di Canzonette spirituali (Augsbourg, 1603), les Sacrae dei laudes (Dillingen, 1609) et les Teutsche Gesenglein aus dem Psalter (Dillingen, 1609). Ses Cantiones ecclesiasticae (Dillingen, 1607) marquent l’introduction en Allemagne de la pratique de la basse continue, tandis que son oeuvre, essentiellement vocale, est dominée par une recherche d’expression influencée par le nouveau style dramatique italien. AIMARD (Pierre-Laurent), pianiste français (Lyon 1957). Élève d’Yvonna Loriod au Conservatoire de Paris, puis de Maria Curcio à Londres, il reçoit en 1973 le premier prix du Concours international Olivier Messiaen, inaugurant ainsi une carrière largement dévolue à la création contemporaine. En 1976, il remporte un 2e prix au Concours international de Genève et il entre à l’Ensemble InterContemporain, où il restera jusqu’en 1995. Profondément intéressé par la musique de son temps, il instaure avec plusieurs grands compositeurs de ce siècle (Ligeti, Stockhausen, Boulez, Messiaen, Benjamin, Stroppa, etc.) des relations fortes et suivies, présentant et défendant leurs oeuvres lors de concerts commentés où il mêle le répertoire du passé et celui du présent. AIMERIC DE PÉGUILHAN, troubadour français (Toulouse v. 1170 - Italie v. 1220). Successivement au service de nombreux princes, il voyagea beaucoup en Espagne et en Italie, et serait mort hérétique. Il a laissé une cinquantaine de pièces, dont six sont notées. AIR. 1. Élément gazeux faisant vibrer les cordes vocales et alimentant le souffle dans le chant, ainsi que dans le fonctionnement de l’orgue par l’intermédiaire des soufflets des tuyaux et des différents instruments à vent. 2. Mélodie dont on se souvient facilement, qu’on retient, sur laquelle on peut adapter des paroles différentes des paroles originales ; dans le sens de ligne générale d’une mélodie, l’usage du mot est devenu populaire. 3. Genre musical : le mot « air » est entré dans le vocabulaire musical français en 1571 avec la publication du Livre d’A. Le Roy ( ! AIR DE COUR) ; l’origine en est la chanson au luth du XVIe siècle, qui devient l’air de cour, puis la chanson ou l’air à boire ; il se développe intensément au XVIIe siècle avec le ballet de cour. Vers 1650, ce sera le tour de l’air en rondeau et plus encore de l’air sérieux, avec, en général, un second couplet en diminu- tion, appelé le double et souvent très orné. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, en France, mais aussi en Italie, l’air est souvent suivi d’un qualificatif, selon la forme ou le sentiment exprimé : air tendre, air gai, air en rondeau, air à variations, air de concert, etc. Dans le théâtre lyrique de cette époque, l’air est généralement précédé d’un récitatif, mais utilise plusieurs formes, soit anciennes, soit nouvelles comme l’aria col da capo venant d’Italie. L’oeuvre de Lully peut servir d’illustration. Au XIXe siècle, on évite cette forme d’air à reprise, qui interrompt l’action : l’air est en deux sections, mais celles-ci sont totalement différentes. Avec Wagner, l’air et le récitatif perdent leur individualité ; l’action se déroule sur une musique continue. Après Wagner, cette tendance s’étend, et, à la suite de Pelléas et Mélisande de Debussy, elle devient générale. « Air » est également utilisé, dans la musique instrumentale, comme titre de pièces à caractère mélodique ou dont la forme est proche de la musique vocale ; cet emploi est, bien sûr, particulièrement fréquent dans la musique française. Parfois, cependant, des pièces de toute évidence inspirées par la forme de l’air n’en portent pas le titre (Adagio du Concerto en « sol » de Ravel). AIR À BOIRE. Petite forme vocale célébrant le vin, dont l’origine remonte aux Grecs, à Rome, au Moyen Âge avec les trouvères. De source populaire, elle passe dans la chanson savante et paraît dans les recueils d’airs accompagnés au luth et dans les oeuvres de Lully, Couperin, Campra, etc., où le genre devient beaucoup plus raffiné. Au XVIIIe siècle, il est un sujet d’inspiration pour les chansonniers. Plus tard, Berlioz (la Damnation de Faust), Saint-Saëns, Gounod, Ravel (Don Quichotte à Dulcinée) ne dédaignent pas cette forme d’air, autonome ou encastrée dans une oeuvre complète. AIR DE CONCERT. Page indépendante pour soliste vocal et orchestre. Le genre fut surtout pratiqué à l’époque classique sur des textes en italien. Mozart en composa un grand nombre, de Va, dal furor portata K.21 pour ténor (1765) à Per questa bella mano K.612 pour basse (1791), la plupart étant cependant pour soprano, comme Ah, lo previdi !.. Ah t’invola K.272 (1777), destiné à Josepha Dusek, ou encore Alcandro, lo confesso... Non so, d’onde viene K.294 (1778), pour Aloysia Weber. On peut citer également Berenice, che fai ? Hob. XXIVa.10 de Haydn (1795), pour Brigida Banti, Ah perfido ! opus 65 de Beethoven (1796), pour Josepha Dusek, et le curieux Infelice opus 94 de Mendelssohn (1834, rév. 1843). AIR DE COUR. Ce genre spécifiquement français existait soit dans une version polyphonique à 4 ou à 5 voix, soit pour une voix seule (généralement le superius), les autres voix de la chanson polyphonique étant souvent simplifiées pour être jouées en accompagnement (réduites en tablature) par un instrument tel que le luth. La coupe de l’air de cour était strophique ; les textes, souvent signés de grands poètes du XVIIe siècle (Th. de Viau, Saint-Amant, Tristan l’Hermite, Malherbe), étaient fondés sur le thème de l’amour languissant. La ligne vocale, parfois sous l’influence de la musique mesurée à l’antique, épousait la longueur des vers, et la mélodie était composée sur le texte de la première strophe. Les autres strophes devaient se chanter sur la même mélodie : on attendait du chanteur qu’il les ornât à son goût, ce qu’il faisait parfois de manière abusive. Le genre fut illustré entre 1571, date de la publication du Livre d’airs de cour mis sur le luth par A. Le Roy, et 1650 environ, d’abord par Guédron (qui l’appelle aussi « récit »), G. Bataille et plus particulièrement A. Boësset, éminent mélodiste. La grande liberté rythmique des origines devint petit à petit prisonnière de la barre de mesure. L’air de cour influença le développement de la monodie a voce sola en Italie et celui de la technique vocale ; ensuite l’air de cour du « vieux Boësset » et de ses collègues profita à son tour de la science des Italiens et amena une réforme du chant en France (Nyert) ; avec M. Lambert et la génération suivante, il devint l’air sérieux dont les célèbres doubles étaient souvent d’une extrême virtuosité. La basse continue, tardivement introduite en France, remplaça la tablature ; l’air de cour fut désormais exclusivement monodique et contribua directement et de manière déterminante à la formation de l’opéra français avec Lully. AIR DE SUBSTITUTION (angl. Insertion Aria ; all. Einlagearie). Air écrit par un compositeur pour en remplacer un autre lors de la représentation d’un opéra d’un autre compositeur ou plus rarement de lui-même, compte tenu notamment de conditions locales différentes ou d’un changement de distribution. downloadModeText.vue.download 19 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 13 Cette pratique fut courante dans l’opéra italien jusqu’au début du XIXe siècle. Haydn en composa plusieurs pour les opéras représentés à Eszterhaza, par exemple en 1786 Sono Alcina e sono ancora Hob. XXIVb.9 pour la scène 5 de l’acte I de l’Isola d’Alcina de Gazzaniga, ou en 1790 la Moglie quando è buona Hob. XXIVb.18 pour la scène 10 de l’acte I de Giannina e Bernardone de Cimarosa. En 1783, pour une représentation viennoise d’Il curioso indiscreto d’Anfossi, Mozart composa pour la soprano Aloysia Lange (née Weber) Vorrei spiegarvi, oh Dio K.418 et No, che non sei capace K.419, et pour le ténor Johann Valentin Adamberger (créateur en 1782 du rôle de Belmonte dans l’Enlèvement au sérail) Per pietà, non ricercate K.420. En 1789, il destina à Luisa Villeneuve (créatrice en 1790 du rôle de Dorabella dans Così fan tutte) Alma grande e nobil core K.578 (pour I due baroni di Rocca Azzura de Cimarosa) ainsi que Chi sa, chi sa, qual sia K.582 et Vado, ma dove ? oh Dei K.583 (pour Il burbero di buon cuore de Martin y Soler). Pour la version viennoise de Don Giovanni (1788), Mozart remplaça l’air d’Ottavio Il mio tesoro par Dalla sua pace. De nos jours, on chante habituellement les deux. AIR SÉRIEUX. Il s’agit du prolongement de l’air de cour qui prit cette nouvelle appellation avec la génération de M. Lambert (1610-1696), le maître du genre, de S. Le Camus (16101677) et de Du Buisson († 1710). La forme de ces airs, toujours strophique, eut tendance à se limiter à deux couplets, la mélodie étant composée sur le premier ; le second couplet (le double) devait se chanter sur la base de cette mélodie, mais avec l’introduction d’une ornementation qui atteignait souvent une extrême virtuosité, dont on doit souligner toutefois que le but était essentiellement expressif ; avec l’apparition de ces difficultés vocales, l’art du chant progressa rapidement en France (Bacilly). Dans les nombreux recueils publiés chez Ballard au XVIIe siècle sous le titre conjoint d’Airs sérieux et à boire, l’air sérieux fut illustré par Lorenzani, Charpentier, Couperin, Campra, etc. Après 1720, avec le développement de l’opéra et le déclin de la maison Ballard, l’air sérieux disparut peu à peu. AIX-EN-PROVENCE (festival d’). Organisé par la ville d’Aix-en-Provence avec le concours de la Société du casino d’Aix-Thermal et de divers organismes et collectivités publics, le « festival international d’art lyrique et de musique d’Aixen-Provence », le plus célèbre festival de France, naquit du désir de l’imprésario Gabriel Dussurget de créer et d’animer une grande manifestation musicale dans le Midi. Séduit par le calme et les richesses artistiques d’Aix-en-Provence, G. Dussurget jeta son dévolu sur cette cité et reçut immédiatement l’appui de plusieurs personnalités locales. Il fut décidé de consacrer ce nouveau festival essentiellement à Mozart. Le 23 juillet 1948, eut lieu la manifestation inaugurale, un concert Mozart donné par l’orchestre des cadets du Conservatoire de Paris, sous la direction de Hans Rosbaud. Le 28 juillet, ce fut le premier spectacle d’opéra, Così fan tutte, donné par la compagnie Marisa Morel et dirigé par Hans Rosbaud, dans la cour de l’Archevêché, que le peintre Cassandre devait aménager par la suite en théâtre et qui devait devenir le lieu privilégié des spectacles lyriques aixois. Les talents conjugués de H. Rosbaud et de l’organisateur et découvreur de talents G. Dussurget donnèrent en peu d’années au festival sa brillante image de marque. Aix-en-Provence put mériter le nom de « Salzbourg français » en se distinguant par une caractéristique très importante : faute de moyens financiers, Aix présente à son public, en particulier dans le domaine du chant, non des vedettes consacrées, mais de jeunes artistes de talent, le plus souvent de futures grandes vedettes. À partir du Don Juan de 1949, et durant quelque vingt années, Aix fit entendre souvent, à de nombreuses reprises, de grands chanteurs, encore inconnus ou peu connus : Renato Capecchi, Léopold Simoneau, Graziella Sciutti, Ernst Haefliger, Leonie Rysanek, Rolando Panerai, Teresa Stich-Randall, Nicolaï Gedda, Teresa Berganza, Luigi Alva, Fritz Wunderlich, Pilar Lorengar, Christiane Eda-Pierre, Gabriel Bacquier, Jane Berbié, Gundula Janowitz, Josephine Veasey, sans parler de nombreux autres artistes tels que le chef d’orchestre Carlo Maria Giulini. En dehors des oeuvres de Mozart, qui demeurèrent alors le coeur du répertoire aixois, eurent lieu des représentations mémorables : Orfeo et le Couronnement de Poppée de Monteverdi, Didon et Énée de Purcell, et, de même, Platée de Rameau (avec Michel Sénéchal), Orphée et Iphigénie en Tauride de Gluck, Il Mondo della luna de Haydn, le Mariage secret de Cimarosa, le Barbier de Séville de Rossini, Falstaff de Verdi, Ariane à Naxos de Richard Strauss, Pelléas et Mélisande de Debussy. Cette liste est loin d’être limitative, et il convient de mentionner aussi les créations de Lavinia de Barraud (1961), les Malheurs d’Orphée de Milhaud (1962), Beatris de Planissolas de Jacques Charpentier (1971). Sur plusieurs plans, le festival d’Aix traça alors des voies nouvelles qui devaient avoir une influence profonde sur la vie lyrique française, innovations qui consistèrent dans l’élargissement du répertoire, le retour aux opéras classique et baroque, la restauration des versions originales d’opéras étrangers, enfin l’appel à des peintres connus qui n’étaient pas forcément décorateurs (Cassandre, Wakhevitch, Lalique, Ganeau, Malclès, Clayette, Derain, Balthus) et, pour la mise en scène, à des hommes de théâtre qui n’avaient pas ou n’avaient guère encore abordé le domaine du lyrique (Meyer, Sorano, Cocteau, etc.). Pour en terminer avec cette ère, précisons que les opéras étaient loin de constituer le seul attrait du festival. L’intérêt des récitals n’était pas moindre et, dans les nombreux concerts, la musique moderne et contemporaine fut à l’honneur. Maintes créations ou premières auditions en France s’y déroulèrent, allant d’Auric, Sauguet, Dutilleux, Rivier et Bondon à Guézec, Jolas et Koering en passant par Webern, Petrassi, Henze, Xenakis et Nono. Après une période moins éclatante, Bernard Lefort fut nommé directeur du festival en avril 1973. L’avènement du répertoire préromantique et romantique italien (Cherubini, Rossini, Donizetti, Verdi), l’appel à une nouvelle génération de metteurs en scène (Jorge Lavelli, dont la Traviata en 1976 et Alcina en 1978 ont fait date ; Jean-Pierre Vincent, JeanClaude Auvray, Jean-Louis Thamin), l’utilisation de la place des Quatre-Dauphins pour certains petits ouvrages (Pergolèse, Cimarosa, etc.) caractérisent cette nouvelle époque du festival où les concerts vocaux et instrumentaux demeurent extrêmement brillants. Des spectacles comme Così fan tutte de Mozart (1977), mis en scène par Jean Mercure, et surtout Alcina de Haendel, mis en scène par Lavelli, avec un plateau de chanteurs d’une qualité exceptionnelle, montrent que le changement s’effectue dans une certaine continuité. Mais c’est une ère très différente qui s’est ouverte avec la direction de Louis Erlo (1982-1996). En 1992, l’association qui gérait le festival a cédé la place, à la demande de l’État, à une société d’économie mixte. Nommé en 1995 alors qu’il était déjà directeur du Châtelet et de l’Orchestre de Paris, le successeur de Louis Erlo, Stéphane Lissner, prendra ses fonctions en 1998. ALAIN (Jehan), compositeur français (Saint-Germain-en-Laye 1911 - Saumur 1940). Fils du compositeur et organiste Albert Alain, frère de Marie-Claire et d’Olivier Alain, Jehan Alain appartient à une famille vouée totalement à la musique. À six ans, il improvisait déjà sur l’harmonium. À onze ans, il accompagnait les offices au grand orgue de Saint-Germain-en-Laye. Entré en 1928 au Conservatoire de Paris, Alain y fut l’élève de Ducasse, Dukas, Dupré. Il remporta en 1933 les premiers prix d’harmonie et de fugue, et, en 1939, d’orgue. Avant de quitter le Conservatoire, il était déjà connu comme composidownloadModeText.vue.download 20 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 14 teur. Ses Litanies furent créées le 17 février 1938 à l’église de la Trinité, en même temps que la Nativité du Seigneur de Messiaen. Mobilisé en 1939, Alain prit part à la bataille des Flandres, puis à la défense de Saumur où il mourut héroïquement. Son oeuvre se compose essentiellement de musique orchestrale, de musique instrumentale (pièces pour piano et, surtout, nombreuses pièces pour orgue), d’un Requiem (1938), d’une Messe brève (1938) et de la Prière pour nous autres charnels (1939), partition composée sur un texte de Péguy et orchestrée par Dutilleux. ALAIN (Marie-Claire), organiste française (Saint-Germain-en-Laye 1926). Fille d’Albert Alain, soeur de Jehan et d’Olivier Alain, elle fit ses études auprès de son père et au Conservatoire de Paris, où elle obtint le premier prix d’orgue dans la classe de Marcel Dupré en 1950. Elle connut vite la célébrité grâce à ses concerts et à de très nombreux disques, dont deux intégrales de l’oeuvre de J.-S. Bach. Son répertoire, étendu, ne connaît pas d’exclusive. On lui doit des harmonisations de noëls et de chansons populaires françaises. ALAIN (Olivier), compositeur, organiste et musicologue français (Saint-Germainen-Laye 1918). Fils d’Albert Alain, frère de Jehan et de Marie-Claire Alain. Élève d’Aubin et de Messiaen au Conservatoire de Paris, il a été directeur du conservatoire de SaintGermain-en-Laye de 1950 à 1964 ; puis, inspecteur de la musique au ministère de la Culture, il a continué à s’attacher aux problèmes de l’enseignement. Il a composé un Chant funèbre (1950), des pièces d’orgue, des motets, et écrit plusieurs ouvrages, dont l’Harmonie (Paris, 1965) et Bach (Paris, 1970). Ses recherches sur J.-S. Bach l’ont conduit à découvrir, dans une bibliothèque privée, à Strasbourg, quatorze Canons inédits, dont la première audition a été donnée dans cette ville en 1974. ALARD (Jean-Delphin), violoniste et compositeur français (Bayonne 1815 Paris 1888). Il fut professeur au Conservatoire de Paris de 1843 à 1875 (Sarasate fut l’un de ses élèves) et premier soliste à la chapelle impériale de Napoléon III à partir de 1858. Il a écrit des concertos, des fantaisies, des études, de la musique de chambre et une méthode pour le violon (l’École du violon, Paris, 1844). ALBÉNIZ (Isaac), pianiste et compositeur espagnol (Camprodón, Catalogne, 1860 - Cambo-les-Bains, Pyrénées-Atlantiques, 1909). Exceptionnellement précoce, il commence l’étude du piano à trois ans et joue en public l’année suivante. Au cours de plusieurs tournées de concerts en Espagne, il s’impose à la fois comme virtuose et comme improvisateur. Une fugue d’un an (1872-73) le conduit en Amérique du Sud et aux États-Unis, où il retourne en 1874. Sa vie y est difficile ; Albéniz est victime d’une crise de fièvre jaune. Grâce à une bourse, il se rend à Bruxelles où il est l’élève de Brassin. Il rencontre Liszt en 1880, puis donne des concerts en Amérique du Sud, à Cuba et en Espagne, où il écrit des zarzuelas (1882) avant de se marier et de se fixer à Barcelone, puis à Madrid (1885). Ses premières oeuvres, très influencées par Schumann, Mendelssohn et Liszt, s’effacent alors derrière les différentes pièces de la Suite espagnole, par lesquelles il fonde l’école espagnole en s’inspirant des rythmes et des thèmes populaires. Installé à Londres (1890-1893), Albéniz tente sa chance dans l’art lyrique, où il connaît un certain succès. Il se fixe en 1894 à Paris, où il rencontre les franckistes ainsi que Dukas, Debussy et Fauré, et devient professeur de piano à la Schola cantorum. Sa véritable carrière commence avec La Vega (1897) et les Chants d’Espagne. Déçu par l’accueil de son pays natal, il se considère désormais comme un exilé, et les quatre cahiers d’Iberia, son chef-d’oeuvre, sont l’écho de cette déception. Il meurt au Pays basque du mal de Bright à l’âge de 49 ans. Une fois dégagé de l’académisme de salon et de l’hispanisme de zarzuela qui ont marqué ses premières oeuvres, Albéniz fait figure de pionnier dans la renaissance de la musique espagnole au début du siècle. Tempérament généreux et d’une inspira- tion inépuisable, il a trouvé sa suprême expression dans la musique de clavier et il en a porté l’écriture à un degré de perfection insurpassé, synthèse de la virtuosité transcendante et d’une fidélité rigoureuse aux formes traditionnelles. C’est cependant dans la couleur et la sonorité que cette oeuvre, d’esprit rhapsodique, révèle ses traits les plus originaux : à ses lignes mélodiques généralement simples s’oppose une harmonie profuse et complexe, souvent inspirée des modes antiques empruntés au flamenco et systématiquement pimentée par des acciacatures savoureuses. Par ailleurs, le souci des sonorités a suggéré des innovations dans la technique pianistique (doigtés inhabituels, position des mains, attaque du clavier) dont se réclament la plupart des compositeurs contemporains, de Messiaen à Stockhausen. Les théories de Pedrell (Pour notre musique, 1891), suivant lesquelles la musique d’une nation doit être fondée sur les éléments populaires, ont trouvé en Albéniz leur plus parfaite illustration. C’est assez curieusement vers l’Andalousie mauresque que le Catalan Albéniz a, du reste, préféré tourner ses regards, révélant ainsi le génie de sa province natale à l’Andalou Manuel de Falla. ALBERT (Magister Albertus Pariensis), compositeur français († Paris v. 1180). Chantre à Notre-Dame de Paris, il composa la première pièce à trois voix connue, écrite dans le style du conduit. Il s’agit d’un Benedicamus Domino contenu dans le Codex Calixtinus de Saint-Jacques-deCompostelle (1140). ALBERT (Eugen d’), pianiste et compositeur allemand d’origine française (Glasgow, Grande-Bretagne, 1864 - Riga, Lettonie, 1932). Il fit ses études à la National Training School de Londres et fut plus tard l’élève de Liszt à Weimar. Pianiste exceptionnel, l’un des plus célèbres de son époque, il fut également chef d’orchestre et fut nommé, en 1907, directeur de la Hochschule für Musik à Berlin. Dès le début du siècle, il se consacra surtout à la composition. Son oeuvre abondante mêle l’écriture contrapuntique allemande à de nombreuses autres influences ; dans ses opéras, il se révèle vériste à la manière italienne, avec des effets appuyés, mais il cultive aussi le wagnérisme dans l’emploi du leitmotiv et la manière d’utiliser la mélodie continue. Il écrivit de la musique symphonique et instrumentale, des choeurs, des lieder et une vingtaine d’opéras, dont seuls Die toten Augen (1916) et surtout Tiefland (1903) ont échappé à l’oubli. ALBERT (Heinrich), compositeur allemand (Lobenstein, Thuringe, 1604 - Königsberg 1651). Élève de son cousin H. Schütz, il devint organiste à la cathédrale de Königsberg en 1630. Il composa pour la scène deux ouvrages (Cleomedes, 1635, dont il ne reste que deux airs, et Prussiarchus oder Sorbuisa, 1645, perdu), ouvrages qui suivirent de près le premier opéra allemand (Daphne de Schütz, 1627) et comptent donc parmi les plus anciens du genre. Mais c’est surtout dans le lied avec basse continue qu’Albert exerça une influence considérable. Par ses huit recueils d’Arien oder Melodien à une ou plusieurs voix d’inspiration religieuse ou profane, où il pratique la monodie à la manière italienne, il s’impose, avec son cadet A. Krieger, comme le père du lied allemand. Excellent poète, il mettait en musique le plus souvent ses propres textes ou ceux de son ami Simon Dach. downloadModeText.vue.download 21 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 15 ALBERTI (Domenico), compositeur italien (Venise v. 1710 - Rome v. 1740). Élève de Lotti, il fut claveciniste et chanteur. En 1737, il fit partie de l’ambassade de Venise à Rome et donna des concerts dans cette ville. Il a laissé son nom au procédé « basse d’Alberti », consistant à jouer décomposé en arpèges l’accord destiné à la main gauche au clavier. Alberti a composé des opéras (Endimione, Galatea, Olimpiade), des motets, des cantates et des sonates pour le clavecin qui parurent à Londres chez J. Walsh. ALBIN (Roger), violoncelliste, chef d’orchestre et compositeur français (Beausoleil, Alpes-Maritimes, 1920). Après des études musicales à Monte-Carlo, aux conservatoires de Nice et de Paris, il a fait, à partir de 1935, une remarquable carrière de violoncelliste, tant comme concertiste que comme violoncelle solo de grandes formations tels la Société des concerts du Conservatoire ou l’orchestre de l’Opéra de Paris. Il a aussi longtemps pratiqué la direction d’orchestre, et a été chef de l’orchestre symphonique de la radio de Strasbourg (1966). Ayant également, de 1945 à 1948, étudié la composition avec Busser et Milhaud, l’analyse et l’estéthique avec Messiaen, il a écrit des oeuvres instrumentales et symphoniques. ALBINONI (Tomaso), compositeur italien (Venise 1671 - id. 1751). Peut-être élève de Legrenzi, il étudia le chant, le violon et le contrepoint. Appartenant à une famille aisée, il resta toute sa vie, comme son compatriote Benedetto Marcello, un « amateur » (Il dilettante veneto), ce qui signifie qu’il n’eut jamais besoin de composer pour vivre. À part quelques brefs voyages, il passa toute son existence à Venise. Son premier opéra, Zenobia, fut représenté en 1694, et, en 1703, il se rendit probablement à Florence, où l’on donnait La Griselda. En 1722, il organisa les fêtes musicales en l’honneur du mariage du prince électeur Albert de Bavière avec la fille de l’empereur Joseph Ier, et, en 1724, il rencontra Métastase, dont il mit en musique, l’année suivante, la Didone abbandonata. Mais, de ses quelque 50 opéras, dont le dernier date de 1741, n’ont survécu entièrement que Zenobia (1694), Engelberta (1709) et la Statiza (1726), ainsi que l’intermède bouffe Vespetta e Pimpinone (1708). Ses oeuvres instrumentales le placent en revanche au premier rang des compositeurs vénitiens de son temps, à côté d’Antonio Vivaldi et de Benedetto Marcello. Tout au long de cette production, dont une partie seulement fut éditée de son vivant, sonates et concertos alternent, parfois au sein d’un même opus, et il en va de même des ouvrages adoptant la coupe de l’ancienne sonate d’église (lent-vif-lent-vif) ou du concerto moderne (vif-lent-vif). De même, des pages d’écriture polyphonique alternent avec d’autres où se manifeste une nette volonté novatrice (rythmes originaux, harmonies audacieuses). Bach, qui appréciait fort Albinoni, édifia deux fugues pour orgue à partir de thèmes de lui. Quant au célèbre Adagio d’Albinoni, c’est un pastiche réalisé au XXe siècle mais qui fut néanmoins pour beaucoup dans la redécouverte du compositeur depuis 1950. ALBONI (Marietta), contralto italien (Castello 1823 - Ville-d’Avray 1894). Elle débuta à Bologne en 1842 dans Saffo de Pacini, où elle fit d’emblée une impression considérable. À Londres, en 1847, dans le rôle d’Arsace de Sémiramis (Rossini), elle s’affirma comme l’une des plus grandes cantatrices du XIXe siècle. Elle avait un timbre d’une beauté exceptionnelle, une technique et un style exemplaires. Mais sa corpulence lui valut le surnom d’« éléphant ayant avalé un rossignol ». ALBORADA (esp. : « aubade »). Mélodie populaire de la Galice pour instruments seuls, de rythme très libre, mais martelé par un accompagnement uniforme. Des compositeurs tels que Rimski-Korsakov (Capriccio espagnol) et Ravel (Alborada del gracioso) l’ont introduite dans la musique savante. Par ce même terme, on désigne aussi un concert vocal simple, ou avec accompagnement instrumental, donné peu avant l’aube à l’occasion de festivités populaires, ou une composition que l’on doit chanter au lever du jour. ALBRECHTSBERGER (Johann Georg), compositeur, organiste et théoricien autrichien (Klosterneuburg 1736 - Vienne 1809). Organiste dans sa jeunesse à Melk, Raab (Györ, en Hongrie) et Maria Taferl, organiste de la Cour en 1772 et maître de chapelle à la cathédrale Saint-Étienne de Vienne en 1793, il fut ami de Mozart et de Haydn et donna, en 1794-95, des leçons de contrepoint à Beethoven, un de ses nombreux élèves. En 1798, il devint, avec Haydn et Salieri, membre honoraire de l’Académie royale de musique de Suède. Il a laissé une importante production de musique religieuse (dont 26 messes), d’orgue (fugues) et de musique instrumentale profane (quatuors, musique de chambre diverse, fugues pour cordes, concertos, 4 symphonies), ainsi que des ouvrages théoriques, très célèbres en leur temps, dont surtout Anweisung zur Komposition (1790 ; traduction française Méthode élémentaire de composition, Paris, 1814) et Kurzgefasste Methode, den Generalbass zu erlernen (méthode rapide de basse continue, 1792). Un contemporain le qualifia de « fugue ambulante », mais il fut à son époque le seul Viennois à écrire une fugue sur les lettres du nom de Bach. ALBRIGHT (William), compositeur américain (Gary Indiana, 1944). Élève de G. Schuller, puis de Ross Lee Finney, il a travaillé à Paris avec Olivier Messiaen et Max Deutsch. Professeur à l’université de Michigan, il est excellent pianiste et organiste. Les influences qu’il admet sont multiples, de la musique populaire au jazz, de l’écriture traditionnelle aux moyens les plus modernes d’expression. Ses oeuvres récentes utilisent même des éléments visuels, par exemple Beulahland Bag avec récitant, quatuor de jazz, bande et diapositives. On lui doit également des pages orchestrales (MasculineFeminine, Alliance, 1967-1970), Bacchanale (1981), de la musique de chambre (Caroms, 1966 ; Salvos, 1964 ; ou Foils, 1963-64), des pièces pour piano et pour orgue (Juba, 1965 ; Choral-Partita in an old Style ; Pneuma, 1966, et Organbook, 1967). ALDER (Cosmas), compositeur suisse (Baden v. 1497 - Berne 1550). Il fut enfant de choeur, puis cantor à la cathédrale de Berne. Il est l’un des seuls compositeurs polyphonistes de la Suisse réformée au XVIe siècle. Son oeuvre comprend principalement des motets latins (dont Inclytus antistes, écrit à l’occasion de la mort de Zwingli) ou allemands, et 57 Hymni sacri à 3 et 5 voix (Berne, 1553). ALDROVANDINI (Giuseppe Antonio Vincenzo), compositeur italien (Bologne v. 1673 - id. 1707). Élève de G. A. Perti, il fut membre, puis président de l’Accademia filarmonica et maître de chapelle honoraire du duc de Mantoue. Il composa notamment une vingtaine d’opéras (dont 11 connus), de la musique sacrée, 5 oratorios, des concertos, des sonates et des Cantate à voce sola (1701). Par son style, il appartient à l’école de Bologne. ALÉA, MUSIQUE ALÉATOIRE. La musique aléatoire est une musique présentant un certain degré d’indétermination pouvant affecter soit sa structure globale, soit un ou plusieurs de ses paramètres, sinon tous, une musique où les techniques des jeux de hasard sont considérées comme un processus compositionnel, une musique bâtie sur la logique mathématique de la loi des grands nombres, de la théorie des probabilités, etc. L’univers du système sériel, avec sa rigidité, ses contraintes, ses contradictions, est un univers où, d’une part, les relations ne sont plus définies une fois pour toutes, mais au contraire portées à un downloadModeText.vue.download 22 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 16 degré suprême de relativité et où, d’autre part, la surdétermination a pour conséquence l’imprévisibilité (d’où les surprises de Polyphonie X de Boulez). Or, précisément, la musique aléatoire se présente, en Europe, comme une libération de l’emprise sérielle, mais aussi comme son aboutissement logique : de l’affirmation d’un univers relatif, on passe aisément à l’idée d’une oeuvre mobile, ouverte. À cela s’ajoute la nécessité d’améliorer le rendement formel de la combinatoire sérielle, de renouveler la perception globale, d’appréhender un niveau plus subtil de différenciations. C’est dans cette perspective que s’inscrivent, en 1957, deux oeuvres marquant un tournant décisif de l’histoire de la musique au XXe siècle, Klavierstück XI (1957) de Stockhausen et la 3e Sonate pour piano de Boulez, toutes deux créées à Darmstadt, le temple même du sérialisme. Dans Klavierstück XI, Stockhausen propose une organisation mobile de dixneuf séquences de contenu déterminé (hauteur, rythme) dans un ordre choisi arbitrairement par l’interprète, et affectées des indications (tempo, dynamique, mode de jeu) notées à la fin de la séquence précédente. Dès lors que le regard de l’interprète tombe pour la troisième fois sur une séquence, l’oeuvre est achevée. Dans sa 3e Sonate, Boulez, poussant à bout les problèmes de forme qui lui sont chers, offre à l’interprète une possibilité de choix portant sur l’ordre des formants (à l’exception de Constellation, pivot central), l’ordre de certaines structures, l’élimination volontaire d’autres : un choix de parcours différents, tous néanmoins écrits, prévus, c’est-à-dire assumés par le compositeur. Ainsi se trouvent posés une poétique de l’indétermination et le statut même de l’oeuvre ouverte. L’article Aléa, publié par Boulez dans la Nouvelle Revue française (no 59, 1er nov. 1957) et repris dans son livre Relevés d’apprenti (1966), reflète les discussions passionnées qui s’instaurèrent alors et se veut réflexion sur la problématique de la nouvelle démarche créatrice. L’obsession formelle de Boulez y rejoint une certaine mystique du rôle du compositeur. L’acte compositionnel est défini par Boulez comme un choix constant, avec sa part d’irrationnel (la divine « surprise »), à l’intérieur de certains réseaux de probabilités, mais dont la finalité, ultime ruse du compositeur, est d’absorber le hasard. D’où une hiérarchie des hasards et la condamnation d’une démarche uniquement fondée sur la faiblesse ou la facilité, vil renoncement et simple transfert des responsabilités. « Un parcours problématique, fonction du temps, [...] ayant toutefois une logique de développement » serait une manière de concilier le « fini » de l’oeuvre occidentale, fermée, et la « chance » de l’oeuvre orientale, ouverte. Il est clair que dans les exemples cités plus haut, l’oeuvre se présente comme un champ de relations mobiles, une combinatoire de circuits ou, disons, une ville que l’on peut explorer en empruntant divers parcours pour se rendre d’un point Y à un point Z sans que son unicité en soit altérée. Cela revient à souligner qu’il n’y a pas une seule, mais x bonnes solutions prévues, en tout cas assumées par le compositeur. C’est ce que Pousseur appelle la « plasticité des éléments », ajoutant que « toute création artistique n’est que manipulation et combinaison d’éléments préalables ». Ainsi l’idée, chère au monde occidental, de l’oeuvre-objet - produit fini et intangible, porteur d’un message lié à une relation privilégiée du signifiant et du signifié - est ici battue en brèche. Ajoutons que ce nouveau type d’oeuvre réintègre le choix en instaurant une dialectique nouvelle entre l’oeuvre et son interprète, interprète dont elle revalorise le rôle, puisque l’auteur lui offre son oeuvre à achever au terme d’un dialogue (cf. Stockhausen demandant à son interprète de s’imprégner de sa musique pour mieux réussir dans cette tâche). Les problèmes d’exécution sont plus secondaires et plus élémentaires qu’il n’y pourrait paraître, car ils ne font que relever d’une nouvelle convention graphique ou gestuelle. Cette capacité de choix comme l’engagement et la qualité de réaction fondamentale des deux chefs d’orchestre sont testés dans Available Forms II (1962) d’Earle Brown, la forme naissant des réactions réciproques et spontanées, qui sont le vrai sujet d’étude. Cette revalorisation s’appuie, chez Christian Wolff, sur l’idée que le concert est un organisme vivant, une tranche de vie ou sa représentation. Wolff cherche à faire de l’acte musical une activité fondée sur l’échange, la coopération (cf. aussi Boulez : 2e Livre de Structures pour 2 pianos [1961]), à la fois moyen d’articulation et seules sources de musique susceptibles, en outre, de transformer les rapports entre les individus. Le public peut d’ailleurs intervenir (comme dans Votre Faust, 1967, de Pousseur) et influer sur le déroulement et le dénouement de la pièce (cf. aussi Kyldex de Pierre Henry, Hambourg, 1973). Cage, au contraire, semble avoir comme démarche de court-circuiter à tous les niveaux les aspects intellectuels des choix (conditionnés par notre mémoire culturelle) par l’intégration de tout événement sonore extérieur, par la consultation (à partir de 1951) du I Ching, livre ancien d’oracles chinois, et par l’utilisation de procédés de tirage au sort. C’est une tout autre orientation. La part réservée à l’interprète peut varier considérablement en fonction du degré d’indétermination de l’oeuvre, qui concerne la forme, les hauteurs, les durées, les timbres, les dynamiques, isolément ou non, être circonscrite à des moments précis ou s’élargir à la dimension de l’oeuvre entière. Le mouvement aléatoire devient général et caractérise la création musicale autour des années 1960-1965. Citons Berio (les Sequenza, Circles, Epifanie), de Pablo (Movil I, Modulos 1.5), Pousseur (Mobile, Votre Faust, Scambi), Stockhausen (Zyklus, Momente et, allant plus loin, Stop 65, Prozession, Plus Minus, Kurzwellen, Ylem, Aus den sieben Tagen), Kagel, Bussotti (5 Pièces pour piano pour David Tudor, la Passion selon Sade), Amy, Haubenstock-Ramati, etc. Dans son cycle Archipels, Boucourechliev propose à chaque interprète une série de structures plus ou moins déterminées, présentées avec des paramètres séparés et dispersés sur l’unique grande feuille de la partition comme autant d’îles ou d’archipels, la notation adoptée allant de l’écriture traditionnelle ou stimulus graphique. L’exécutant met en oeuvre les structures qu’il désire en puisant dans les propositions du compositeur, et les organise suivant sa propre nécessité musicale. C’est un excellent exemple d’oeuvre ouverte minutieusement élaborée. Il serait certes aisé de dire que l’histoire de la musique offre à l’aléatoire des précédents. La non-détermination de certains paramètres de la musique du Moyen Âge explique les problèmes que son interprétation, aujourd’hui, pose à tous les niveaux. Et Corelli ne confiait-il pas aux violonistes des andantes en forme de canevas, pour leur permettre d’y briller en brodant ? Quant à Veracini, en 1725, il propose, dans la préface de ses Suites, de choisir un certain nombre de pièces ad libitum dont l’agencement constituera une autre oeuvre parfaite... En réalité, les techniques nouvelles de création en littérature - Joyce (pour Brown), Mallarmé et son Livre (pour Boulez) - ou dans les arts plastiques - Pollock et surtout Calder, chez qui Brown trouva, outre la mobilité, la précision de l’organisation - servirent de catalyseurs. Ce n’est donc pas fortuitement qu’Earle Brown intitule en 1951 l’une de ses oeuvres Calder Piece, puisqu’un mobile du sculpteur y sert de « chef d’orchestre », déterminant par son mouvement le comportement des trois percussionnistes, qui peuvent d’ailleurs entretenir ledit mouvement. En relation étroite avec l’évolution artistique générale, le mouvement aléatoire américain est nettement antérieur à l’européen, mais son influence sur ce dernier n’a été réellement déterminante qu’à partir du séminaire assuré à Darmstadt, en 1958, par Cage sur « la composition comme processus », bien qu’une première tournée européenne l’eût conduit en 1954 à Paris, Milan, Londres et Donaueschingen où il inaugura ses oeuvres superposables. Ce downloadModeText.vue.download 23 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 17 qui intéresse Cage, c’est l’indétermination au niveau de l’acte compositionnel, c’est le hasard comme processus de création et, de Music of Changes à Empty Words, le I Ching lui permet de pousser plus loin son expérimentation. Ce hasard peut d’ailleurs prendre plusieurs formes : détermination des notes dans l’espace de la feuille-partition en fonction des imperfections du papier (Concert for piano and orchestra, Music for piano), calques transparents (comportant lignes, points, cercles) superposables à volonté (Variations I-IV, 19581963 ; Variations VI, 1966), qui laissent à l’interprète la responsabilité et la liberté d’effectuer lui-même les opérations nécessaires à la production des événements dans le temps et l’espace, examen de cartes astronomiques anciennes (Atlas eclipticalis, 1962 ; Études australes, 1976). Cage inaugure en 1964 son idée, généralisée par la suite, de superposition d’oeuvres distinctes avec 31 57.9 864 et 34 46.776 pour piano préparé. Avec cette pluralisation des techniques de hasard, il abandonne de son propre aveu toute prétention à la structure (il se situe hors du temps) et intensifie le sentiment d’espace : ainsi ses oeuvres ne sont plus des objets délimités, mais des processus sans commencement ni fin qui peuvent se combiner en des oeuvres-en-devenir. Toutefois, Cage ne cherche pas à produire du hasard mais avant tout, comme Christian Wolff, à laisser vivre les sons, c’est-à-dire aussi le silence (défini comme des événements sonores non voulus), d’où une série d’oeuvres indéterminées quant à l’instrumentation et au nombre des exécutants. Ainsi se traduit une attitude esthétique nouvelle : l’indifférence quant à la valeur culturelle ou non du matériau dans un souci d’objectivisme, dans le sens d’une écoute du quotidien. Mais, surtout, cette attitude est teintée de philosophie orientale : l’initiation de Cage au bouddhisme zen, en 1947, lui a sans doute appris l’acceptation, ou mieux, l’indifférence à l’égard de l’événement d’où qu’il vienne. On retrouve chez Feldman, dans sa musique between categories, cette écoute du temps et de l’événement (rare) qui invite à la découverte d’un sentiment plus oriental de la durée. On comprend fort bien, dès lors, que la notation traditionnelle sur portée soit inadéquate : pour donner des directions d’exécution, suggérer un climat ou un espace de transfert du visuel au sonore, on assiste à la recherche d’une écriture plus souple, plus plastique, qui aboutit à l’élaboration d’un système de notation propre à chaque compositeur, d’où la nécessité d’une notice explicative parfois plus longue que la partition elle-même. Prenons quelques exemples significatifs. Quand il propose, pour December 52, un simple ensemble de traits verticaux et horizontaux plus ou moins épais qui doivent stimuler, à partir de libres conventions, la créativité de ses interprètes, Brown fait songer à Mondrian et à Leck (cf. aussi Folio 52-53). Dès 1950, avec Projection I et Marginal Intersection (1951), Feldman se sert d’un ensemble de carrés et de rectangles répartis sur trois registres : la hauteur dans chaque registre, les dynamiques, l’expression restent à préciser, la durée étant à peu près indiquée par la longueur des rectangles, tandis que, dans Atlantis (1959), la grille indique le nombre de sons à jouer pour chaque instrument dans le laps de temps choisi pour exécuter l’unité de temps que représente le module. Cathy Berberian choisit la bande dessinée pour Stripsody, C. Wolff des quasi-idéogrammes dans Edges ; Ligeti joue, dans Volumina pour orgue, avec l’épaisseur et la sinuosité des traits indiquant en gros la densité des clusters, leurs changements de hauteur, tandis que Bussotti adopte systématiquement, dans les 5 Pièces pour piano pour David Tudor, le principe de la « page blanche ». Dans cette direction, l’aléatoire peut déboucher sur le happening, dont l’exemple est Fluxus, un groupe plutôt qu’un mouvement, né à New York en 1961 sur la base d’idées émises dans la publication An Anthology, éditée par La Monte Young et Mac Low. Faut-il parler d’une démission du compositeur ? Boulez n’a pas caché qu’il rejetait Klavierstück XI de Stockhausen au nom d’un excès de liberté accordé à l’interprète, et parce qu’il veut éviter la perte totale du sens global de la forme ; il restera toujours sur une certaine réserve. Or, nous avons vu que les multiples visages d’une oeuvre pouvaient être assumés par le compositeur, sinon contrôlés, et étaient une sorte de garant du renouvellement compositionnel, de sa jeunesse (même si tout interprète est conditionné). L’accueil de l’événement fortuit comme partie inté- grante de l’oeuvre, c’est-à-dire l’attitude de Cage, relève d’un autre état d’esprit, d’une autre attitude devant l’art et la vie, et, de fait, elle dérange par ses implications socioéconomiques et parce qu’elle est une manière de dérision. Au nom de la logique, Xenakis récuse en bloc ces précédentes formes de musique aléatoire et jusqu’à leur appellation, le hasard étant pour lui une chose rare, constructible jusqu’à un certain point, mais jamais susceptible d’improvisation. L’aléatoire ressort des mathématiques ; son calcul, la stochastique, « garantit d’abord dans un domaine de définition précis les bévues à ne pas commettre, et ensuite fournit un moyen puissant de raisonnement et d’enrichissement des processus sonores ». Le compositeur peut alors dépasser les contradictions de la sérialité, ses combinaisons élémentaires, sa polyphonie de lignes, pour contrôler la densité et la répartition des sons sur tout le spectre sonore, leur distribution de manière aussi affinée que possible et leurs transformations graduelles (de continuité à discontinuité, d’ordre à désordre, d’immobilité à mouvement). C’est également à la logique mathématique que Xenakis rattache ses musiques « stratégiques » fondées sur la technique du jeu (Stratégie, Duel, Linaia-Agon). Pour Barbaud, la démarche est identique : soumettre l’apparition des événements sonores à un calcul, canaliser le hasard des organigrammes. L’ordinateur est ainsi l’indispensable outil de travail ; bien plus, grâce au couplage avec convertisseur numérique-analogique, il devient un instrument. ALEGRÍAS (esp. : « allégresses »). Danse espagnole à 3/4, rapide, joyeuse et brillante, comme son nom l’indique. C’est l’une des danses les plus anciennes et les plus originales de la musique flamenco. ALEMBERT (Jean Le Rond d’), mathématicien et philosophe français (Paris 1717 - id. 1783). La musique fut l’une des principales préoccupations de ce représentant de la philosophie des lumières. En 1752 parurent ses Éléments de musique théorique et pratique, suivant les principes de M. Rameau, où il reprit les principes du musicien concernant l’harmonie et la composition. Ardent défenseur de Rameau, d’abord contre les lullystes, puis contre la troupe italienne des Bouffons, il intervint activement dans la vie musicale et théâtrale de son temps. ALESSANDRESCU (Alfred), pianiste et compositeur roumain (Bucarest 1893 id. 1959). Ses études se déroulèrent au conservatoire de Bucarest, puis à la Schola cantorum de Paris. Il fit une brillante carrière de pianiste et de chef d’orchestre. Même quand s’y décèlent la présence du folklore roumain et l’influence d’Enesco, ses oeuvres ne se dégagent pas toujours nettement des modèles de son maître Vincent d’Indy, de Wagner, Debussy, Dukas et R. Strauss. Il composa de la musique orchestrale et instrumentale, ainsi que des mélodies sur des textes de poètes français, ou d’expression française, et roumains. ALESSANDRO (Raffaele d’), compositeur suisse (Saint-Gall 1911 - Lausanne 1959). Il fit des études à Zurich, puis à Paris auprès de Nadia Boulanger, Roes, Marcel Dupré. D’abord organiste et pianiste admiré par Lipatti, il se consacra ensuite entièrement à la composition. Son oeuvre, d’une syntaxe et d’une esthétique tradidownloadModeText.vue.download 24 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 18 tionnelles, néoromantiques, comprend des oeuvres orchestrales (symphonies, concertos pour divers instruments, etc.), de la musique de chambre, des pages pour piano, dont six pièces pour la main gauche, de la musique vocale et un ballet. ALEXANDROV (Anatole), compositeur russe (Moscou 1888 - id. 1982). Encouragé par Taneev, il entra en 1910 au Conservatoire de Moscou après de solides études de littérature et d’histoire, y étudia le piano et la composition et reçut une médaille d’or pour son premier opéra, les Deux Mondes. Nommé professeur de com- position dans le même établissement en 1923, il y est resté pendant plus d’un demisiècle, comptant parmi ses élèves Bounine, Moltchanov, Gadjiev, etc. Il a écrit de la musique vocale (près de 150 romances, un millier de chansons enfantines), de nombreux opéras d’un style nettement folklorisant (Bela, 1945 ; le Gaucher, 1974), de la musique pour orchestre et de la musique de chambre. ALFANO (Franco), compositeur italien (Posilipo 1876 - San Remo 1954). Auteur d’opéras dont le plus célèbre fut Risurezzione (Turin 1904), d’après Tolstoï, de ballets dont Napoli (1901), monté aux Folies-Bergère, et Vesuvius (1938), ainsi que de trois symphonies (1909, 1932, 1934), il termina la dernière scène du Turandot de Puccini d’après les esquisses laissées par ce dernier. AL FINE. Expression italienne indiquant que lors de la reprise de la première partie d’un morceau, il faut la jouer « jusqu’à la fin ». ALFVÉN (Hugo), compositeur suédois (Stockholm 1872 - Falun 1960). Il étudia le violon au conservatoire de Stockholm (1887-1891) avant de se tourner vers la composition et de travailler avec Johan Lindegren. Ses oeuvres, que l’on peut considérer comme postromantiques, sont souvent inspirées par le folklore suédois. Citons 5 symphonies et Midsommarvaka (la Nuit de la Saint-Jean, 1904), qui, sous le titre de Rhapsodie suédoise, connut naguère une certaine popularité. ALGAZI (Léon), compositeur et musicologue français (Epure¸sti, Roumanie, 1890 - Paris 1971). Il compléta à Paris, auprès de Gédalge et de Koechlin, la formation musicale qu’il avait reçue à Vienne. Nommé en 1936 maître de chapelle à la Grande Synagogue de Paris, il s’est attaché à restaurer les anciens modes du chant hébraïque. Mais il souhaita également que la musique juive demeurât un art vivant et organisa à Paris, en 1957, un Congrès international de musique juive. Son oeuvre compte surtout des chants liturgiques. ALGORITHMIQUE (musique). Forme nouvelle de composition musicale, faisant appel à un appareil mathématique complexe dont les calculs, générateurs de l’oeuvre, ne peuvent être effectués qu’à l’aide de machines comme l’ordinateur. Ces algorithmes, ou procédés de calcul, ont fait leur apparition dans la composition durant les années 50, lorsque, sous l’influence du postsérialisme, les musiciens ont voulu maîtriser entièrement par l’intellect les processus de la création artistique et prévoir les probabilités de développement des idées génératrices d’une oeuvre, le programme se substituant alors aux thèmes et aux séries. En fait, on refusait le mot « exécré » d’inspiration. Le principal artisan et défenseur de la musique algorithmique est le compositeur P. Barbaud, lequel a d’ailleurs utilisé l’appareil mathématique à d’autres applications dans le domaine musical, par exemple à des études d’analyse musicologique. ALKAN (Charles Valentin Morhange, dit), compositeur et pianiste français (Paris 1813 - id. 1888). Premier prix de piano au Conservatoire de Paris à onze ans, prix de Rome en 1834, il acquit dans les années 1820 une réputation enviable de virtuose, mais Liszt et surtout Chopin détournèrent l’attention du public. Il se produisit alors dans de la musique de chambre tout en se consacrant à l’enseignement, et, vers 1848, se retira de la vie musicale parisienne pour n’y réapparaître sporadiquement qu’à partir de 1873. On l’a appelé le « Berlioz du piano », mais son style est plus retenu que celui de son aîné de dix ans. Sa musique est parfois aussi difficile que celle de Liszt, mais moins avancée sur le plan harmonique. Il a consacré à son instrument, outre quelques pages de musique de chambre et des transcriptions, une centaine de pièces, parmi lesquelles des caprices, fantaisies, impromptus, menuets et autres préludes, ainsi que la grande sonate op. 33 dite les Quatre Âges de la vie, parue en 1847. Des douze Études dans les tons mineurs op. 39, les no 4 à 7 forment une sorte de Symphonie pour piano seul. ALLA BREVE (ital. : « à la brève »). À l’époque de la Renaissance, l’unité de battue de la mesure, le tactus, était la semi-brève (la ronde actuelle) ; alla breve indiquait un changement non du rythme de la battue, mais de son unité de base, le tactus tombant dès lors sur la brève (valeur : deux rondes ou deux semi-brèves). Le signe de mesure C était remplacé par (« C barré »). La pulsation restant la même, mais l’intervalle entre deux battues correspondant à une unité de durée musicale double, alla breve voulait dire que la musique se jouait ou se chantait soudain deux fois plus vite. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, ce principe resta en vigueur, mais la valeur du tactus devint respectivement la noire et la blanche. Dans les tragédies lyriques du style de Lully, pour retrouver les rythmes « naturels » du langage déclamé, il est fait grand usage de changements de mesure, et en particulier du passage de C à , ce dernier étant souvent représenté simplement par le chiffre 2, l’unité de temps étant la blanche (deux blanches par mesure), par opposition à 4/4 (tempo ordinario à quatre noires par mesure). La battue à 2/2 donne en principe un résultat plus allant que celle à 4/4. Certaines pages classiques dont les éditions traditionnelles indiquent 4/4 ont été en réalité conçues par leur auteur à 2/2 (premiers mouvements des quatuors à cordes en ut majeur opus 64 no 1 et en mi bémol majeur opus 64 no 6 de Haydn, 1790). ALLARD (Maurice), basson français (Sin-le-Noble, Nord, 1923). Premier prix de basson au Conservatoire de Paris (1940), premier soliste à l’orchestre des Concerts Lamoureux (1942), puis à l’orchestre de l’Opéra de Paris (1949), Maurice Allard a remporté, en 1949, le premier prix au Concours de Genève. Professeur au Conservatoire de Paris depuis 1957, interprète de toute la littérature de son instrument, y compris des oeuvres contemporaines, il dirige une collection éditant des exercices pour le basson. ALLARGANDO (ital. : « en élargissant »). Terme demandant à l’interprète un élargissement, donc un ralentissement progressif du mouvement initial. ALLDIS (John), chef de choeur anglais (Londres 1929). Après des études au Collège royal de Cambridge, il a établi sa renommée comme chef de choeur et chef d’orchestre spécialisé dans le domaine du chant choral, avant de fonder, en 1962, sa propre formation. Celle-ci s’est très vite rendue célèbre par ses interprétations de musique contemporaine, quoique son activité s’étende également au répertoire classique et romantique, aussi bien dans la musique sacrée que dans l’opéra. Chef du choeur de l’Orchestre philharmonique de Londres de 1969 à 1982, Alldis a été de 1979 à 1983 downloadModeText.vue.download 25 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 19 directeur musical du Groupe vocal de France. ALLEGRETTO. Terme italien, diminutif d’allegro, indiquant un mouvement moins rapide. Le mot peut être suivi d’un qualificatif précisant le caractère du morceau, par exemple : giocoso (« joyeux »). ALLEGRI (Gregorio), compositeur italien (Rome 1582 -id. 1652). Chantre à Saint-Louis-des-Français à Rome, il devint prêtre et fut maître de chapelle à la cathédrale de Fermo (16071621), où il commença sa carrière de compositeur d’oeuvres sacrées, puis il fut nommé chantre de la chapelle pontificale (1629). Son nom est surtout attaché au célèbre Miserere pour neuf voix en deux choeurs, longtemps chanté pendant la semaine sainte à la chapelle Sixtine. L’oeuvre suscita un tel engouement que le pape menaça d’excommunication quiconque sortirait une partition de la chapelle ou la copierait. Mais Mozart, ayant assisté à l’office, transcrivit l’oeuvre de mémoire, après l’avoir entendue, semble-t-il, une seule fois. ALLEGRO (ital. : « gai, rapide »). 1. On rencontre ce terme dès le XVIIe siècle ; pendant un certain temps, il garda un sens expressif plus qu’il ne désigna un mouvement bien précis. Depuis le XVIIIe siècle, il indique un mouvement se situant généralement en dessous du presto. Mais, souvent, un autre terme vient préciser le caractère du morceau. On trouve par exemple : allegro con brio, ma non troppo, moderato, molto, appassionato, etc. 2. « Allegro » désigne aussi le premier mouvement de la sonate, de la symphonie ou du concerto classiques. ALLELUIA. Expression hébraïque signifiant « louez (hallelu) Dieu (Yah[veh]) », qui figure notamment en exorde des Psaumes CXIII et CXVIII, dits pour cette raison « le grand Hallel ». Celui-ci, dit le Talmud, devait être chanté dix-huit fois par an, et notamment pendant le repas pascal. Le mot hébreu est passé sans traduction dans la version grecque des Septante (283 av. J.-C.) et de là dans l’usage latin, où il a été compris comme une exclamation de joie. D’où son emploi privilégié au temps pascal, reflet de l’usage hébraïque, et, au contraire, son exclusion des offices de deuil ou des temps de pénitence. Mais en outre, à l’exemple du Livre de Tobie (XIII, 22, alleluia cantabitur), il a été employé substantivement, en latin comme en grec (Apocalypse, XIX), avec le sens de « chant de louange joyeux ». D’où ses deux acceptions distinctes, comme exclamation complétive et comme genre liturgique. 1.Comme exclamation de joie, l’alleluia est employé en s’insérant au début, au milieu ou à la fin de textes dont il reste indépendant. Cette addition, surtout en finale, est pratiquée au temps pascal de manière systématique, et parfois doublée ou triplée ; par exemple, Ite missa est - Deo gratias devient Ite missa est, alleluia, alleluia - Deo gratias, alleluia, alleluia. Le mot alleluia s’insère alors dans le texte chanté sans en modifier la nature. Il est donc indifféremment syllabique ou mélismatique selon le contexte où il s’insère. On notera que le mot hébreu est accentué sur la finale ; le grec et le latin transportent l’un et l’autre l’accent sur la pénultième (allelúia), d’où, avec le contre-accent latin, állelúia ; ce qui serait peut-être, selon Gustave Cohen, l’origine du refrain aoi inséré de façon mystérieuse dans la Chanson de Roland ; selon une thèse présentée en 1955, par l’auteur de cet article, le aoi issu de l’alleluia pénultième aurait pu former doublet avec l’nterjection de joie eia, fréquente dans la lyrique latine médiévale, qui serait cette fois dérivée de l’accentuation hébraïque initiale (alléluiá). 2. En tant que morceau autonome, l’alleluia semble avoir été d’abord l’un des principaux supports du chant responsorial ( ! ALTERNANCE), fournissant un refrain facile à faire répéter à l’assistance. Conservé dans le chant antiphonique, non seulement il s’y ajoute à l’antienne pour en souligner le caractère joyeux, surtout en temps pascal, mais il va parfois jusqu’à la supplanter, le mot alleluia répété syllabiquement autant de fois que nécessaire remplaçant sur la même mélodie le texte entier de l’antienne ordinaire : ce sont les antiennes alléluiatiques, qui n’ont pas été conservées de nos jours. De là peut-être le caractère populaire que semble avoir pris l’alleluia au Ve siècle, époque où le poète Sidoine Apollinaire décrit à Lyon « les mariniers adressant au Christ des chants cadencés, tandis que l’alleluia leur répond de la rive ». Ce caractère est conservé dans la chanson populaire, comme dans certains tropes tardifs qui s’y apparentent (O filii et filiae). 3. L’introduction de l’alleluia dans la messe, où il deviendra un genre musical d’une importance particulière, a été attribuée à saint Ambroise au IVe siècle. D’abord réservé au jour de Pâques, pour faire suite au graduel qui suit lui-même la lecture de l’épître, il s’est ensuite étendu à l’ensemble de l’année liturgique, à l’exception des offices des défunts, d’où il a été retiré par le 4e concile de Tolède, et des époques de pénitence (avent, carême), où il a été interdit par le pape Alexandre II au XIe siècle, de sorte que les fêtes souvent populaires qui marquaient volontiers les derniers jours précédant l’entrée dans ces périodes (cf. Carnaval, qui signifie « adieu à la viande ») ont parfois pris le nom d’« adieu à l’alleluia ». Dans les plus anciens offices, où il apparaît généralisé (bénévent), l’alleluia se chante partout sur une formule musicale unique ; on en trouve une dizaine à peine dans l’office milanais ; par la suite, il devient l’un des genres de composi- tion liturgique les plus riches et les plus abondants, même s’il existe fréquemment des alleluias refaits sur des modèles antérieurs. Alors que la liturgie hébraïque ne traite jamais l’alleluia de manière mélismatique, l’alleluia de la messe va devenir par excellence le type de la mélodie vocalisée : il utilise, en effet, largement des formules mélismatiques, les neumes dont le nom (gr. pneuma, « souffle ») évoque la large envolée et justifie l’appellation de jubilus qui leur a parfois été donnée. Dans cette dernière acception, l’alleluia, tout comme l’introït, l’offertoire et la communion primitives, dérive directement du chant de psaume encadré par son antienne ; le refrain alleluia tient alors lieu d’antienne, le psaume se voit réduit à un ou deux versets, et même parfois remplacé par un autre texte d’origine biblique ; mais, contrairement à l’introït, et peutêtre en raison de son caractère jubilatoire, la cantillation du verset se voit transmuée elle aussi en chant vocalisé, tandis que le refrain alleluia prend dans ses vocalises une ampleur dont saint Augustin a laissé un commentaire célèbre : « Celui qui jubile ne prononce pas de paroles, mais il exprime sa joie par des sons inarticulés. Dans les transports de son allégresse, ce qui peut se comprendre ne lui suffit plus, mais il se laisse aller à une sorte de cri de bonheur sans mélange de paroles. » L’exécution de l’alleluia, en raison de son développement, a donné lieu à une alternance particulière, que l’on peut présenter comme suit : -chantre soliste : alleluia (sans le mélisme sur le a final) ; -choeur : reprise alleluia prolongée par le développement mélismatique ; -soliste ou petit choeur : verset, arrêté peu avant les derniers mots du texte (astérisque dans les éditions modernes) ; P -choeur : achèvement du verset, qui comporte souvent lui-même un développement mélismatique sur la dernière syllabe. Reprise intégrale de l’alleluia avec son mélisme. Si l’on tient compte du fait que de nombreux alleluias, surtout tardifs (car on en composa jusqu’au XIIIe s.) reprennent dans leur mélisme final de verset tout ou partie du jubilus alléluiatique initial, on observe que le jeu d’alternance présenté ci-dessus introduit, peut-être fortuitement, une véritable structure formelle à downloadModeText.vue.download 26 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 20 refrain aAB. cB. AB, dont l’influence se retrouvera dans la constitution des formes poético-musicales (rondeau, virelai, ballade), génératrices à leur tour des formes musicales pures plus étendues que développera amplement la musique classique à venir. ALLEMANDE. Danse d’origine allemande, de tempo modéré, de rythme binaire, qui apparaît au début du XVIe siècle (Danceries de C. Gervaise). En Angleterre, on la rencontre sous les appellations alman ou almayne dans des titres qui comportent souvent aussi ce qui est probablement une dédicace (Dowland : Sir John Smith’s Almayne). L’allemanda se développe également en Italie. À partir du XVIIe siècle, l’allemande remplace la pavane et trouve sa place au début de la suite classique. Sa forme est généralement en deux parties avec reprises, sa mesure est toujours binaire et elle commence par une anacrouse. Le schéma tonal en est le suivant : tonique/dominante dominante/tonique. C’est dans cette forme que J.-S. Bach fait souvent appel à l’allemande dans ses Suites et Partitas, où il utilise surtout le style français très contrapuntique et formel. Au XIXe siècle, l’expression « à l’allemande » devient synonyme de « danse allemande », c’est-à-dire d’un rythme à 3/4 ou 3/2 ; l’allemande se rapproche alors du Ländler ou de la valse (Beethoven, Schubert). ALL’OTTAVA (ital. : « à l’octave »). Procédé qui permet d’écrire des notes situées au-dessus ou au-dessous de la portée, sans employer de lignes supplémentaires ; il est désigné dans les partitions par l’abréviation 8va. Cette abréviation est inscrite au-dessous des notes lorsqu’on doit descendre d’une octave, au-dessus si l’on doit exécuter les notes à l’octave supé- rieure. On peut également placer une ligne en pointillés en dessous (notes correspondantes jouées à l’octave inférieure) ou audessus (à l’octave supérieure) de la portée. ALMEIDA (Antonio de), chef d’orchestre français, né de parents portugais et américain (Paris 1928). Il commence ses études musicales en Argentine avec Ginastera, obtient une bourse pour étudier la physique à l’Institut de technologie du Massachusetts, mais choisit la voie de la musique. Il travaille aux États-Unis auprès de Hindemith (1949), Koussevitski (1949-50) et George Szell (1953) et, après une période consacrée à l’enseignement, aborde la carrière de chef d’orchestre. Directeur de l’orchestre de la radio portugaise de 1956 à 1960, il poursuit ensuite une carrière internationale. Il a été directeur de la musique de la ville de Nice et est depuis 1993 directeur musical de l’Orchestre symphonique de Moscou, fondé en 1989. Antonio de Almeida se livre aussi à des travaux de musicologie. Il a travaillé à une édition complète des symphonies de Boccherini (Vienne, 1969 et suiv.) et à un catalogue thématique des oeuvres d’Offenbach. ALMEIDA (Francisco Antonio de), compositeur et organiste portugais (1re moitié du XVIIIe s.). Sa vie reste mal connue. Il fut l’un des premiers boursiers envoyés par le roi Jean V à Rome, où il séjourna de 1722 à 1726 environ, et il fut peut-être l’élève d’Alessandro Scarlatti. Plusieurs de ses oratorios y furent exécutés. De retour à Lisbonne, il fut maître de chapelle à la Cour jusqu’en 1752. Ses oeuvres religieuses comme ses opéras marquent l’abandon, au Portugal, des influences espagnole et flamande au bénéfice du style italien. La Pazienza di Socrate (1733) fut le premier opéra portugais écrit à la manière italienne. Le seul des ouvrages lyriques d’Almeida à avoir été conservé entièrement, La Spinalba o vero il Vecchio Muto (1739), a connu à notre époque des représentations qui ont soulevé un intérêt certain. ALMURO (André), compositeur français (Paris 1927). Producteur d’émissions radiophoniques, spécialisé dans l’utilisation des moyens électroacoustiques, passionné par la poésie et le surréalisme, il a composé dans son studio personnel un grand nombre de pièces pour bande magnétique (Ambitus, Va-et-vient, Phonolithe, Mantra, etc.) et d’« opéras » électroacoustiques où il recherche un climat cérémoniel de magie et d’incantation, avec ou sans le support d’un texte. ALPAERTS (Flor), compositeur belge (Anvers 1876 - id. 1954). Il fit ses études avec Jan Blockx au conservatoire d’Anvers, où il devint ensuite professeur de théorie, contrepoint et fugue (1903), puis directeur (1933-1941). Il supervisa l’édition des oeuvres de Peter Benoît. En tant que compositeur, il peut être considéré, avec son poème symphonique Pallieter, comme l’un des premiers impressionnistes belges, quoique l’influence de Paul Gilson et de Richard Strauss l’ait conduit à une expression qui doit encore beaucoup au postromantisme. Alpaerts a composé des oeuvres pour orchestre (poèmes symphoniques, pièces concertantes, musiques de scène), de la musique de chambre, des mélodies et un opéra, Shylock. ALPHONSE X LE SAGE (Alfonso el Sabio), roi de Castille et de León, empereur germanique, législateur, guerrier, mathématicien, astronome, historien, poète et compositeur espagnol (Tolède 1221 Séville 1284). Imprégné de culture islamique, il redonna de l’éclat à l’université de Salamanque, où fut introduit l’enseignement de la polyphonie. Il s’y entoura des poètes et des musiciens les plus brillants de son temps chrétiens, arabes, juifs -, ainsi que de baladins mauresques. En collaboration avec ceux-ci, il écrivit plus de 400 cantigas, presque toutes consacrées à la louange de la Vierge. Il mourut, dit-on, du chagrin d’avoir à lutter contre son fils Sanche, qui s’était emparé du trône en 1282. Pièces destinées au répertoire des fêtes liturgiques et des célébrations populaires, Las Cantigas de Santa María réalisent une synthèse magistrale de l’art des troubadours et des trouvères, s’inspirant notamment des Miracles de Gautier de Coincy, des liturgies et des déchants populaires de l’époque wisigothique, des hymnes d’origine orientale et de certaines danses médiévales. Écrites en dialecte galicien, elles reprennent le schéma des virelais, des rondeaux et des laudes. Elles ont une importance capitale pour l’histoire de la musique, car elles sont conservées avec une notation. ALPHORN ou ALPENHORN. Nom allemand du « cor des Alpes », instrument folklorique en usage dans les montagnes de Suisse et des pays voisins. De perce conique, taillé dans du bois naturel, l’alphorn a l’aspect d’une énorme pipe, pouvant atteindre plusieurs mètres, et produit des sons amples d’une portée considérable. C’est lui qui sonne le fameux Ranz des vaches, évoqué par Beethoven dans la Symphonie pastorale et par Rossini dans Guillaume Tell. AL SEGNO (ital. : « au signe »). Cette indication précise qu’une section doit être répétée à partir de l’endroit marqué par le signe -S -, et non en son début, comme dans un da capo ordinaire. Le terme Da capo al segno indique que le signe se trouve au début de la section. ALSINA (Carlos Roqué), compositeur argentin (Buenos Aires 1941). Il a débuté comme pianiste avant de se tourner vers la composition. Artist-inResidence de la Fondation Ford à Berlin (1964-1966), il a travaillé avec Luciano Berio en 1965, passé deux ans à l’université de Buffalo, et s’est fixé ensuite à Berlin (1968), puis à Paris (1973). Cofondateur, en 1969, du New Phonic Art, groupe spécialisé dans l’improvisation et le « libre jeu d’ensemble », il s’est souvent orienté vers le théâtre musical, par exemple dans downloadModeText.vue.download 27 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 21 Oratorio 1964 pour 3 solistes, 4 acteurs et 3 groupes instrumentaux (1963-64, inachevé), la scène musicale Text (1965-66, inachevé), Text II pour soprano et 5 ins- truments (1966), Consecuenza pour trombone solo (1966). Sa première oeuvre, Trois Pièces pour chant et piano sur des textes de Shakespeare, date de 1956. Dans les années 70, il s’est imposé avec Überwindung pour 4 solistes et orchestre (Donaueschingen, 1970), Schichten pour orchestre de chambre (Royan, 1971), Omnipotenz pour orchestre de chambre (Royan, 1972), Approach pour 2 solistes et grand orchestre (Berlin, 1973). Ont suivi notamment Étude pour zarb (1973), le ballet Fusion pour 2 pianos, 2 percussionnistes et instruments annexes joués par les danseurs (Royan, 1974), le spectacle musical Encore (1976), Stücke pour grand orchestre (Royan, 1977), Harmonies pour solistes, récitant, choeur de femmes et orchestre (Paris, 1979), la Muraille (Avignon, 1981), Hinterland (créé au G. R. M. en 1982), Prima Sinfonia pour flûte, soprano, violoncelle et orchestre (1983), Concerto pour piano et orchestre (1985), Suite indirecte pour orchestre (Metz, 1989), Symphonie no 2 (1991). ALTÉRATION. 1. Modification de la hauteur d’un son par l’adjonction d’un signe qui le hausse ou le baisse toujours à partir de son état « naturel ». Dans la musique occidentale classique, où l’unité d’intervalle est le demi-ton, les altérations usuelles sont le dièse qui hausse la note d’un demi-ton, et le bémol qui la baisse d’un demi-ton ; il existe des altérations doubles (double dièse , double bémol ), dont l’effet est de hausser ou baisser la note de deux demi-tons, c’est-à-dire, dans la pratique, d’un ton, mais sans que cet intervalle d’un ton puisse harmoniquement être analysé comme tel, les deux demi-tons étant rarement de même nature. Le bécarre n’est pas un signe d’altération au sens propre, mais un signe d’annulation qui interrompt l’effet d’une altération antérieure pour remettre la note dans son état naturel. Dans certaines musiques orientales, et parfois dans la musique occidentale, lorsque le quart de ton intervient, le demi-dièse et le demibémol peuvent être employés. Enfin, les humanistes du XVIe siècle avaient quelque temps prôné, en vue d’un « chromatisme » imité des Grecs, différentes hauteurs de dièse , , , représentant respectivement un, deux ou trois quarts de ton. Les altérations peuvent être constitutives ou passagères, selon qu’elles appartiennent ou non à la gamme de la tonalité en cours. Les altérations constitutives de la tonalité initiale d’un morceau, écrites une fois pour toutes au début de ce morceau, forment l’armature (ou armure) et demeurent valables tant qu’elles figurent à la clef, même si la tonalité change. À ces altérations d’armature s’opposent les altérations accidentelles, qui sont, elles, écrites en cours de texte et ne restent valables que la durée d’une mesure, ou moins encore si plus loin, dans la même mesure, elles sont annulées par un bécarre ou une autre altération. Le sens actuel des altérations, tel qu’il vient d’être exposé, ne s’est fixé, progressivement, qu’au cours du XVIIIe siècle. Lire une partition antérieure selon les conventions du solfège actuel exposerait donc à de graves erreurs. 2. On appelle altération d’un accord la modification de hauteur d’un ou plusieurs de ses sons, considérés sur le plan harmonique par rapport à la composition normale de l’accord ( ! ACCORD). 3. On appelle altération d’un intervalle son extension ou son resserrement au-delà de son état juste, majeur ou mineur. ALTERNANCE. L’alternance, soit entre un soliste et un groupe, soit entre deux groupes, égaux ou non, appartient à tous les modes d’expression de la musique, les plus frustes comme les plus élaborés. En particulier, son rôle est fondamental dans le développement de la musique liturgique chrétienne, source de toute notre musique classique. Le noyau primitif semble y avoir résidé dans une lecture psalmodiée des textes saints, coupée par de brèves réponses des fidèles. Ce mode d’alternance fut sans doute supplanté, à la fin du IVe siècle (saint Ambroise à Milan), par un autre type dit antiphonie (qui a donné le mot antienne) entre deux demi-choeurs égaux. La polyphonie introduisit l’alternance entre les parties polyphoniques et les passages laissés en plain-chant strict ; par exemple, dans la Messe de Machaut, la polyphonie ne concerne qu’un Kyrie sur deux. Au XVIIe siècle, apparut une alternance choeur-orgue, dans laquelle l’un des partenaires prenait les versets pairs, l’autre les versets impairs. Les messes des organistes de l’époque sont presque toutes conçues ainsi ; on ne devrait jamais les exécuter comme une « suite » (ce qu’elles ne sont pas), mais toujours avec l’alternance de plain-chant qui les justifie et pour laquelle elles ont été faites. Il en est de même des faux-bourdons, conçus exclusivement pour alterner avec le plain-chant du choeur. L’alternance est particulièrement frappante dans le chant des Passions, où se répondent récitant, Christ et choeur ou « turba ». On retrouve le principe d’alternance dans le double choeur, en honneur au XVIe siècle (Gabrieli à Venise), et, plus tard, dans l’opposition entre petit et grand choeur que préfère le XVIIe siècle, notamment en France. Le principe de l’alternance est à l’origine des nuances, qui furent d’abord par paliers ou en écho avant l’apparition tardive du crescendo et du diminuendo, et aussi, à partir du XVIIe siècle, à la source de l’esthétique du concerto grosso (alternance d’un petit groupe instrumental avec l’ensemble ou ripieno), qui devait en se transformant donner naissance au concerto de soliste. Sous des formes moins évidentes, l’alternance a conservé une importance fondamentale. Après Schönberg, qui inventa même des signes spéciaux, N (Nebenstimme) ou H (Hauptstimme) prolongés d’un trait, pour mieux préciser l’alternance dans un ensemble des parties dominantes et des parties laissées à l’arrière-plan, nombreuses sont encore les pièces qui tirent de ce principe un élément important de leur structure (ex. : Dutilleux, symphonie no 2, dite le Double). ALTERNATIVO. Section contrastée jouant en gros le même rôle que le trio central dans un menuet, un même morceau pouvant en contenir une seule ou plusieurs. On trouve cette indication dans le quatuor à cordes en mi bémol majeur opus 76 no 6 de Haydn (1797), et assez souvent chez Schumann. ALTMANN (Wilhelm), musicologue allemand (Adelnau, Silésie, 1862 - Hildesheim 1951). Directeur du département musical de la Bibliothèque royale de Prusse à Berlin de 1915 à 1927, il a édité de nombreux catalogues musicaux ainsi que des oeuvres classiques, et s’est consacré spécialement au quatuor à cordes. ALTNIKOL (Johann Christoph), organiste et compositeur allemand (Berna, Silésie, 1719 - Naumburg, près de Kassel, 1759). Tout d’abord organiste à Breslau, il étudia ensuite la théologie à Leipzig, où il fut l’élève de J.-S. Bach, de 1744 à 1748. En 1749, il épousa Élisabeth, fille de Bach, et écrivit, sous la dictée, le dernier choral de son beau-père, Vor deinen Thron tret’ ich. Il fut plus tard organiste à Niederwiesa, puis à Naumburg. Altnikol a copié de nombreuses oeuvres de Bach, et ce dernier appréciait ses compositions ; mais de celles-ci nous ne possédons que quelques pièces pour clavier et quelques oeuvres religieuses. ALTO. 1. instrument à cordes. De même que le violon, l’alto est issu de la famille des violes de bras. On trouve la trace de downloadModeText.vue.download 28 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 22 cette origine (viola da braccio) dans les appellations italienne (viola) et allemande (Bratsche) de l’alto. L’alto est comme un violon fidèlement agrandi ; la forme et les matériaux en sont parfaitement identiques. L’alto mesure en moyenne 67 cm de long ; son archet est plus court et plus lourd que celui du violon. Ses quatre cordes sont accordées une quinte plus bas que celles du violon : ce qui fait que ses trois cordes les plus aiguës sont accordées sur les mêmes notes que les trois cordes les plus graves du violon. L’alto se tient de la même façon que le violon. Sa musique est écrite en clé d’ut 3e ligne. Sa technique est sensiblement la même que celle du violon, avec un mécanisme un peu moins agile, en raison de l’écart plus grand entre les doigts et du poids de l’archet. Jusqu’au XIXe siècle, l’alto fait souvent figure de parent pauvre du violon ; il est généralement joué par des violonistes médiocres, et c’est pourquoi on évite de lui confier des parties importantes. Bach, pourtant, aime à tenir la partie d’alto dans des exécutions, et, au XVIIIe siècle, quelques compositeurs s’intéressent déjà à l’instrument : Telemann, Bodin de Boismortier, Carl Stamitz, Michael Haydn, Dittersdorf, Cambini, Campagnoli. Mais c’est surtout Mozart qui enrichit la littérature pour alto avec des duos pour violon et alto et la symphonie concertante pour violon et alto (KV 364). Au XIXe siècle, de grands solistes, comme Paganini (violoniste, mais aussi altiste), achèvent de donner à l’alto sa vraie place. Outre les oeuvres de Spohr, Joachim et Vieux temps, citons Harold en Italie de Berlioz, « symphonie avec alto principal », écrite à la demande de Paganini. Schumann compose ses Märchenbilder op. 113 pour alto, et Brahms est l’auteur de deux sonates op. 120. Au XXe siècle, nombre de compositeurs écrivent pour l’alto : Reger, Koechlin, Bartók (1 concerto pour alto), Hindemith, altiste lui-même (1 concerto ; 5 sonates pour alto et piano), Milhaud (2 concertos ; 2 sonates), Enesco, Ropartz, Kodály, Walton, Britten, Copland, Martinºu. Plus près de nous, citons encore Bancquart (Écorces I pour violon et alto) et Berio (Sequenza VI pour alto solo). Parmi les ouvrages pédagogiques, nous mentionnerons ceux de Bruni, Woldemar, Joseph Vimeux, Dancla, Th. Laforge, Maurice Vieux, Léon Pascal, M.-T. Chailley, C. Lequien, E. Ginot et G. Massias. 2. instrument à vent de la famille des cuivres, occupant dans le groupe des saxhorns la place intermédiaire entre le grand bugle et le baryton. Construit en mi bémol, il sonne à l’octave inférieure du petit bugle, et sa morphologie est celle du baryton et de la basse, pavillon dirigé vers le haut. Il est très apprécié dans les formations d’amateurs pour sa tessiture moyenne et sa facilité d’émission. ALTO. Terme général indiquant la voix qui se situe entre la voix supérieure et le ténor, par exemple dans la chanson polyphonique des XVIe et XVIIe siècles. Cette partie, chantée le plus souvent par une voix élevée d’homme, soit en voix naturelle, soit en voix de fausset (contre-ténor), se notait en clef d’ut 3e ligne. Contratenor altus, traduit en italien, a donné également par contraction, contralto, la voix de femme la plus grave. AMATI, famille de luthiers italiens, établie à Crémone. Andrea (Crémone v. 1505 -id. v. Fondateur de l’école de Crémone lui qui, vers 1555, construisit véritables violons, issus de la 1578). ; c’est les premiers viole de bras. Antonio, fils d’Andrea (Crémone v. 1555 -id. 1640). Girolamo, frère d’Antonio (Crémone 1556 -id. 1630). Nicola, fils de Girolamo (Crémone 1596 -1684). Il fut le plus célèbre des Amati. Ses violons sont de dimensions très diverses ; les plus petits ont des formes gracieuses et une sonorité limpide ; mais les plus caractéristiques de son art sont peut-être les plus grands, à la sonorité puissante et expressive. Girolamo II, fils de Nicola (Crémone 1649 -1740). De réputation moindre, il conçut des instruments plutôt plats et d’assez petite taille. AMBITUS (lat. : « pourtour », notamment celui d’une maison, déterminant la propriété). Dans le vocabulaire du plain-chant, ce terme signifie, dans chaque mode, l’espace sonore utilisable autour de la finale tonique. C’est l’un des éléments de l’identification modale et, notamment, de la distinction entre modes authentes (gr. authentes, « qui domine ») et modes plagaux (gr. plagios, « situé de [chaque] côté ») : les authentes ont tout leur ambitus audessus de la finale tonique (sauf tolérance d’un degré de dépassement ornemental au grave), tandis que les plagaux répartissent leur ambitus de part et d’autre de cette finale. Du plain-chant, le mot s’est généralisé au sens d’étendue d’une mélodie, d’une voix ou d’un instrument, entre sa note la plus grave et sa note la plus élevée. Il ne faut pas confondre l’ambitus avec la tessiture, terme qui contient une notion de hauteur absolue : un soprano et une basse peuvent avoir même ambitus (par ex. une douzième) sans avoir pour autant même tessiture. De plus, la tessiture se réfère plus particulièrement au « bon registre » dans lequel un chanteur se sent à l’aise, tandis que l’ambitus désigne la totalité des notes qu’il peut atteindre. Une note peut donc être dans l’ambitus d’un chanteur sans être dans sa tessiture, alors qu’une note de la tessiture est obligatoirement dans l’ambitus. AMBROISE (saint) [Ambrosius Aurelianis], Père de l’Église, théologien et moraliste (Trèves 333 ou 340 - Milan 397). Évêque de Milan (374), il joua un rôle important dans la lutte contre l’arianisme, et aussi, selon la tradition, dans le développement de la liturgie occidentale en y introduisant de nombreuses pratiques musicales, pour la plupart empruntées à l’usage oriental, entre autres le chant de l’alleluia, des antiennes et le chant antiphonique ( ! ALTERNANCE). Il passe pour avoir composé lui-même des hymnes, et a donné son nom au chant ambrosien, considéré comme l’un des ancêtres du chant grégorien. AMBROS (August Wilhelm), musicologue et historien de la musique autrichien (Vysoké Myto, Bohême, 1816 Vienne 1876). Juriste à Prague et à Vienne, il publia à partir de 1862 une histoire de la musique qui, à sa mort, n’en était qu’au 4e volume et au début du XVIIe siècle, et qui fut ensuite poursuivie par d’autres. Comme compositeur, on lui doit notamment l’opéra tchèque Bratislav et Jitka. AMBROSIEN (chant). Chant liturgique en usage à Milan jusqu’à une période très récente, et qui diffère par de nombreux détails du chant grégorien, tout en se référant aux mêmes types. En se couvrant de l’autorité de l’évêque saint Ambroise († 397), il se situe deux siècles avant saint Grégoire († 604), éponyme du chant grégorien. Le rôle de ce dernier n’ayant été au mieux que celui d’un législateur a posteriori, on ne peut en tirer argument pour l’antériorité du rite milanais. Cette antériorité n’en est pas moins généralement admise, mais non sans nuances ni contestations ; les réticences portent surtout sur l’aspect composite du répertoire et sur le degré de fidélité de sa transmission. Le répertoire des hymnes est sans doute celui dont l’ancienneté et la continuité semblent le mieux assurées, de même que celui des « petites antiennes » non ornées et le mode de psalmodie, plus simple que la grégorienne ; le Gloria ambrosien semble bien, lui aussi, remonter au IVe siècle. MalheudownloadModeText.vue.download 29 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 23 reusement, aucun témoin écrit conservé du répertoire ambrosien ne semble avoir été rédigé avant le XIe siècle. Quelle que soit la marge d’incertitude sur les détails, le chant ambrosien reste, avec les quelques témoignages subsistant des rites prégrégoriens tels que le « vieux-romain » ou ceux des papes Léon Ier le Grand (440-461) ou Gélase Ier (492-496), l’un des plus importants éléments dans notre connaissance des origines du chant liturgique. Le Te Deum, qui remonte vraisemblablement au début du Ve siècle, porte parfois le titre d’« hymne ambrosienne », mais l’attribution à saint Ambroise n’est que l’une des cinq attributions anciennes, et non la plus vraisemblable. ÂME. 1. Petite pièce cylindrique en sapin, qui, dans les instruments à archet, est placée entre la table et le fond, sous le pied droit du chevalet ; l’âme renforce la table du côté droit, transmet les vibrations de la table au fond, et joue un rôle essentiel pour le timbre. 2. Sur la clarinette, petit orifice situé près de l’embouchure. AMEN. Mot hébreu à valeur adverbiale ou exclamative possédant des sens multiples : affirmation (Amen, dico vobis, « en vérité, je vous le dis », est une formule souvent employée par Jésus dans les Évangiles), conclusion, souhait, adhésion à ce qui vient d’être dit, acclamation, etc. Utilisé fréquemment dans la liturgie juive, le mot est passé tel quel dans la plupart des liturgies chrétiennes, tant latine que grecque ou slave, où il se prononce amin. Le psautier latin primitif traduisait Fiat, ce qui a entraîné l’Ainsi soit-il français, abandonné depuis le concile Vatican II. Musicalement, l’amen s’incorpore liturgiquement au texte qu’il conclut, à moins qu’il ne forme lui-même une réponse autonome ; ses formules mélodiques propres sont en ce cas généralement assez simples. En revanche, dès le XIVe siècle (fin du Gloria et du Credo dans la Messe de Machaut), les musiciens l’ont considéré comme matière de choix pour des développements vocalisés pouvant atteindre une très grande ampleur. À partir du XVIIIe siècle, dans le même esprit, il devient par tradition la conclusion brillante, souvent fuguée, de maints morceaux de messe ou d’oratorio ; d’où les sarcasmes dont l’abreuve Berlioz dans la Damnation de Faust (« Pour l’amen une fugue... »), où il en a rédigé une parodie. Un amen en faux-bourdon dit Amen de Dresde, en usage dans la cathédrale de cette ville, a fourni à Mendelssohn l’un des thèmes de sa symphonie Réformation (1830), repris par Wagner comme l’un des motifs essentiels de Parsifal (1882). Messiaen a illustré à sa manière les différentes acceptions de ce mot dans ses Visions de l’amen pour piano (1943). AMIOT (Jean Joseph Marie), jésuite et missionnaire français (Toulon 1718 Pékin 1793). En 1779, il publia une étude de la musique chinoise, sixième des quinze volumes de son ouvrage sur la culture chinoise : Mémoires concernant l’histoire, les sciences, les arts... des Chinois. AMON (Blasius), compositeur autrichien (v. 1558 - Vienne 1590). Enfant de choeur à la chapelle de l’archiduc Ferdinand à Innsbruck, il fut envoyé par celui-ci à Venise pour y faire des études musicales (1574-1577). Il devint ensuite frère franciscain à Vienne. Il composa de la musique religieuse (messes, motets), adoptant, le premier dans les pays germaniques, la pratique vénitienne des doubles choeurs (cori spezzati). AMOYAL (Pierre), violoniste français (Paris 1949). Titulaire à l’âge de douze ans d’un 1er Prix au Conservatoire de Paris, il étudie ensuite aux États-Unis auprès de Jasha Heifetz, avec qui il donne ses premiers concerts de musique de chambre. En 1971 commence sa carrière internationale. Il interprète les grands concertos romantiques et modernes, sous la direction de sir Georg Solti, Seiji Ozawa, Pierre Boulez, Eliahu Inbal, Lorin Maazel, etc. En 1977, il est nommé professeur au Conservatoire de Paris et en 1986 à celui de Lausanne. Parmi les violonistes de sa génération, il est l’un de ceux qui ont su trouver un équilibre harmonieux entre l’enseignement (masterclasses de violon solo et de musique de chambre) et la carrière de virtuose. Il possède l’un des plus célèbres stradivarius du monde, le Kochansky, qui date de 1717. AMY (Gilbert), compositeur et chef d’orchestre français (Paris 1936). Il est né d’un père anglais pour moitié et d’une mère bourguignonne, et fut, dans son enfance, attiré par l’architecture (il s’y intéresse toujours). Ses premiers contacts avec la musique furent décevants : il apprit le piano sans entrain. Vint l’année 1948 : « J’ai eu alors ma nuit de Noël claudélienne, mon père m’emmena au concert à Paris. C’est alors que la musique m’a vraiment impressionné. » Il copia Berlioz, Schubert, Schumann, et se mit à composer. Plus tard, il fut fasciné par Bartók, Stravinski, le groupe des Six, la polytonalité, les dissonances. À dix-huit ans, il découvrit la philosophie et approfondit ses choix. Il entra au Conservatoire de Paris et fut orienté par Michel Fano vers Olivier Messiaen, avec lequel il travailla deux ans. Il compta aussi parmi ses professeurs Darius Milhaud. Les cours d’analyse de Messiaen l’aidèrent à « rencontrer » Mozart, Chopin, Debussy. En 1957, sa Cantate brève pour soprano, flûte, marimba et vibraphone fut créée à Donaueschingen. La même année, Amy montra sa Sonate pour piano à Boulez et étudia avec celui-ci la direction d’orchestre. C’était l’époque brûlante du Domaine musical. Après s’être « senti dans un climat de solitude totale au Conservatoire », il fut « soudain jeté dans la vie ». Il écrivit alors Mouvements pour 17 instruments (1958). À Darmstadt (1959-1961), il découvrit Stockhausen et rencontra Maderna, Nono, Pousseur. Il composa Inventions (1959-1961) et développa un style personnel fait de rigueur et de raffinement, de lyrisme contenu et d’abstraction avec Épigrammes (1961), Cahiers d’épigrammes (1964) pour piano et Diaphonies pour orchestre de chambre (1962). À ces partitions relativement austères en succédèrent d’autres où s’épanouit plus librement son tempérament de poète : Triade pour orchestre (1963-64 ; création, Royan, 1966), la première version de Strophe pour soprano dramatique et orchestre (1964-1966), Trajectoires pour violon et orchestre (1966 ; création, Royan, 1968) et Chant pour orchestre (1967-1969). De cette époque date aussi Cycle pour percussions (1966). En 1967, succédant à Pierre Boulez, il prit la direction des concerts du Domaine musical, qu’il devait conserver jusqu’à leur disparition en 1973. En 1970 fut créé à Royan Cette étoile enseigne à s’incliner (le titre est celui d’un tableau de Klee) pour choeur d’hommes, 2 pianos, bande magnétique et divers instruments, oeuvre incantatoire comptant parmi ses plus significatives. Lui succédèrent notamment Récitatif, air et variation pour 12 voix mixtes (Royan, 1971), Refrains pour orchestre (Paris, 1972), D’un désastre obscur pour voix et clarinette (1971), à la mémoire de Jean-Pierre Guézec, D’un espace déployé pour orchestre et 2 chefs (1972 ; création à l’Orchestre de Paris, 1973), grande réussite s’il en fut, Sonata pian’e forte pour 2 voix et ensemble de chambre (1974), Seven Sites pour 14 solistes (Metz, 1975), Après... d’un désastre obscur (Châteauvallon, 1976), Échos XIII pour 13 instruments (1976), Stretto pour orchestre (Metz, 1977), une version réorchestrée de Strophe (1977 ; création, Paris, 1978), Trois Études pour flûte seule (Grenoble, 1979), Chin’anim Cha’ananim pour voix et petit ensemble (1979) et Une saison en enfer d’après Rimbaud pour piano, percussions, chant et bande magnétique réalisée autour du texte parlé à trois voix (enfant, femme, homme). Cette partition, une de ses plus ambitieuses, résulta d’une commande du groupe de recherche downloadModeText.vue.download 30 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 24 musicale de l’I. N. A. et fut créée à Paris en 1980. Suivirent Quasi una toccata pour orgue (1981), Quasi scherzando pour violoncelle (1981), Messe pour quatuor vocal, choeur d’enfants ad libitum, choeur mixte et orchestre (1983), la Variation ajoutée pour 17 instrumentistes et bande (1984), Orchestrahl pour orchestre (1985), Choros pour soli, choeur et orchestre (Lyon, 1989), Quatuor à cordes no 1 (1992), Inventions pour orgue (1993-1995), Trois Scènes pour grand orchestre (1994-1995), Brèves (quatuor à cordes no 2) [1995]. D’abord conseiller musical, à l’O. R. T. F. (1973), Amy a été, de 1976 à 1981, directeur du Nouvel Orchestre philharmonique de Radio-France. Il a obtenu le grand prix musical de la S. A. C. E. M. en 1972 et le grand prix national de la musique en 1979. En 1984, il a succédé à Pierre Cochereau à la tête du Conservatoire national supérieur de musique de Lyon. ANACROUSE. Note ou groupe de notes dépourvues d’accentuation, commençant une phrase musicale ou une composition, et précédant immédiatement le premier temps fort. ANALYSE (gr. analusis : « décomposition »). L’analyse consiste à étudier une oeuvre pour en définir la forme, la tonalité, la structure, le rythme, l’harmonie, l’orchestration, la thématique, la mélodie, la dynamique, etc. Au XXe siècle, l’analyse doit tenir compte des influences musicales primitives et extraeuropéennes, et non plus être fondée uniquement sur des données de forme et d’harmonie tonale, comme au XIXe siècle. Avec la musique sérielle, l’analyse devient un exercice beaucoup plus intellectuel que musical. « Le premier devoir de l’analyse musicale est de montrer les fonctions des différentes sections ; le côté thématique est secondaire » (A. Webern). Il y a actuellement trois classes d’analyse au Conservatoire de Paris. ANAPESTE. Pied ou unité rythmique de la poésie grecque et latine, formé de l’union de deux syllabes brèves et d’une longue, et indiqué par les signes -. L’origine du quatrième mode rythmique ), aux XIIe et XIIIe siècles, est en fait anapestique, la noire étant considérée alors comme une autre valeur brève. ANCERL (Karel), chef d’orchestre tchèque (Tucapy, sud de la Tchécoslovaquie, 1908 - Toronto, Canada, 1973). Né dans un milieu paysan, il étudia la composition au conservatoire de Prague avec A. Hába, et la direction d’orchestre, notamment, avec V. Talich et H. Scherchen, dont il fut l’assistant. À partir de 1931, il dirigea à l’Opéra de Prague et, à partir de 1933, à la radio de cette ville. Il entama alors une carrière internationale. Après un long séjour dans les camps de concentration durant la guerre, il reprit ses activités à l’Opéra de Prague et à la direction de la Philharmonie tchèque. Contraint à l’exil après le « Printemps de Prague », dont il fut l’un des artisans, il se réfugia aux États-Unis et devint directeur de l’Orchestre symphonique de Toronto. Il demeure célèbre pour les interprétations de ses compatriotes Dvořák, Smetana, Janáček, Martinºu, mais aussi pour celles de Bartók, Stravinski et Prokofiev. ANCHE. Languette fine et élastique en bois (roseau) ou en métal (laiton), qui est introduite dans l’embouchure des instruments à vent. (Cette languette peut encore être en argent [Chine, Japon] ou en paille [Soudan, Égypte].) L’anche entre en vibration grâce au souffle du joueur ou à l’air d’un soufflet, et communique cette vibration à la colonne d’air contenue dans le tube de l’instrument. Il y a trois sortes d’anches : l’anche simple, qui ne comporte qu’une seule languette (ex. : clarinette, saxophone) ; l’anche double, qui comporte deux languettes superposées (ex. : hautbois, basson) ; et l’anche libre, qui vibre en avant et en arrière à l’entrée d’une ouverture qu’elle ferme momentanément au passage de l’air (ex. : tuyaux d’orgue). À l’orgue, toute une famille de jeux est dite « jeux d’anches » ou « jeux à anche ». Le son est émis par une languette (dont la longueur est ajustable pour l’accordage au moyen d’une tige, la rasette) battant sur une gouttière métallique, l’anche proprement dite. Le tuyau sert de résonateur aux vibrations émises par la languette ; son diamètre, sa forme et sa longueur déterminent le timbre et la puissance du son. Les grands tuyaux coniques donnent le plus grand éclat : ce sont les jeux du type trompette ou du type chalumeau (s’ils sont de taille étroite). Les tuyaux à corps raccourci et à résonateur fournissent à la famille des anches les jeux de régale, de ranquette, de douçaine, de clarinette et, principalement, de cromorne et de voix humaine. ANCHIETA (Juan de), compositeur espagnol (Azpeitia, province de Guipúzcoa, 1462 - id. 1523). Chantre à la chapelle d’Isabelle de Castille et de Ferdinand d’Aragon (1489), maître de musique du prince don Juan (1495), puis abbé à Arbos (1499), il retourna, en 1504, à Azpeitia, où il fut recteur jusqu’à sa mort. Parallèlement, il exerça une charge de maître de musique à la cour de Charles V (1519). Considéré comme l’un des fondateurs de l’école polyphonique espagnole, Anchieta n’a retenu de l’art des Flamands que ce qui était nécessaire à un expressionnisme dramatique caractéristique du style national. Il a souvent construit ses oeuvres religieuses sur des thèmes profanes ; ainsi sa messe Eia Judios s’inspire-t-elle d’une chanson populaire évoquant les persécutions contre les juifs. Il a laissé des messes, plusieurs motets et des chansons polyphoniques profanes. ANDA (Geza), pianiste suisse d’origine hongroise (Budapest 1921 - Zurich 1976). Il fit ses études de piano dans son pays natal auprès de E. von Dohnanyi et débuta à Budapest sous la baguette de W. Mengelberg. Il prit la nationalité helvétique en 1942 et vécut dès lors en Suisse. Parallèlement à sa carrière de virtuose, il fut titulaire d’une classe de perfectionnement pianistique à Lucerne, poste où il succéda à Edwin Fischer. Pianiste au jeu maîtrisé, au style très pur, Anda est resté célèbre pour ses interprétations de Mozart, Brahms et Bartók. ANDANTE (ital. : « en allant », « en marchant »). Ce terme, apparu vers la fin du XVIIe siècle, désigna longtemps un tempo modéré, se situant entre l’adagio et l’allegro. Ce n’est qu’à l’époque romantique que son sens se modifia et qu’il indiqua un mouvement plus lent, se rapprochant de celui de l’adagio. N’étant pas très précis, le mot andante est souvent qualifié : par exemple, andante-allegro, andante ma adagio, andante sostenuto, andante cantabile. Le terme est parfois utilisé comme titre de morceau (Schumann : Andante et variations pour deux claviers op. 46), ou, souvent, comme titre de mouvement, par exemple dans une symphonie. ANDANTINO. Diminutif d’andante. Longtemps imprécis, ce terme indique en principe, aujourd’hui, un mouvement un peu plus rapide que l’andante. Il indique également le caractère d’une pièce moins développée qu’un andante ; il est à l’andante ce que la sonatine est à la sonate. ANDERSON (Marian), contralto américain (Philadelphie 1902). Au cours de sa longue carrière de concertiste, qui débuta en 1925, elle connut, aux États-Unis, quelques revers, dus au fait qu’elle était de race noire, mais aussi de nombreux triomphes (il lui arriva de chanter en plein air devant 75 000 personnes). En Europe, où elle fit des tournées après 1930, se produisant notamment au festival downloadModeText.vue.download 31 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 25 de Salzbourg à partir de 1935, elle acquit une immense popularité. En 1955, Marian Anderson fut la première chanteuse noire à paraître sur la scène du Metropolitan de New York (Ulrica dans Un bal masqué). Elle se retira en 1965. Toscanini admirait beaucoup cette forte personnalité, aux interprétations parfois déroutantes, mais toujours marquantes, qui fit carrière essentiellement dans le lied et l’oratorio, ajoutant aussi, à la fin de ses récitals, des negro spirituals. ANDRÉ, famille d’éditeurs et compositeurs allemands. 1. Johann (Offenbach, près de Francfort, 1741 - id. 1799). Il cultiva avec succès le singspiel, écrivit une trentaine d’oeuvres dans cette forme et jouit de l’admiration et de la collaboration de Goethe. Son style subit l’influence de l’école de Berlin (Graun, G. A. Benda). Il écrivit également des ballets, de la musique de scène et de nombreux lieder. En 1774, il fonda une maison d’édition, encore en activité aujourd’hui. 2. Johann Anton (Offenbach 1775 - id. 1842), fils du précédent. Il continua l’activité de son père dans l’édition, publiant, entre autres et pour la première fois, beaucoup d’oeuvres de Mozart, dont en 1800, Constance lui vendit en bloc les manuscrits plutôt qu’à Breitkopfu Härtel. Il écrivit deux opéras, des lieder, de la musique religieuse, de la musique symphonique et de la musique de chambre. ANDRÉ (Maurice), trompettiste français (Alès 1933). Il travailla dans la mine dès l’âge de 14 ans et fit ses premières armes dans la musique au sein des harmonies locales. Puis il étudia au Conservatoire de Paris, obtenant dès la première année le premier prix d’honneur au cornet et, l’année suivante, le premier prix de trompette. Il remporta les concours de Genève (1955) et Munich (1963). Trompette solo à l’orchestre des Concerts Lamoureux et à l’Opéra-Comique, il entreprit une carrière de concertiste qui lui valut rapidement un renom mondial. Doué d’une aisance et d’une technique prodigieuses, il domine complètement les difficultés que présente la musique baroque, qui constitue l’essentiel de son répertoire ; mais il interprète avec autant de bonheur les oeuvres contemporaines, aborde parfois le jazz et la musique légère. Professeur au Conservatoire de Paris de 1967 à 1978, il a formé une brillante jeune génération de trompettistes français parmi lesquels son fils Lionel, son petit-fils Nicolas, Bernard Soustrot et Guy Touvron. ANDRIESSEN, famille de musiciens néerlandais. Willem, compositeur et organiste (Haarlem 1887 - Amsterdam 1964). Il dirigea le conservatoire d’Amsterdam de 1937 à 1953 et fut organiste à la cathédrale d’Utrecht. Hendrik, frère du précédent, compositeur, organiste et pédagogue (Haarlem 1892 -id. 1981). Il a été directeur du conservatoire d’Utrecht, puis de La Haye (1949), et a enseigné l’histoire de la musique à Nimègue, de 1952 à 1962. Sa production religieuse, à partir de la Missa in honorem Ss. Cordis (1917), a tenté de retrouver la simplicité médiévale, et les références sérielles ont été fréquentes chez lui à partir de 1950. On lui doit beaucoup de musique religieuse et de nombreuses pièces d’orgue, Variations et fugue sur un thème de Johann Kuhnau pour orchestre (1935), un concerto pour orgue (1950), cinq symphonies (1930, 1937, 1946, 1954 et 1962) et les opéras Philomela, d’après Ovide (1948, créé au festival de Hollande 1950), et De Spiegel Van Venetie (1964). Jurriaan, fils du précédent, compositeur, pianiste et chef d’orchestre (Haarlem 1925). Élève de son père à Utrecht, il a étudié aussi à Paris (1947) et aux États-Unis (1949-1951), écrivant là sa Berkshire Symphonies (1949), dont le mouvement lent est une série de variations sur un thème de la Suite lyrique d’Alban Berg. De tempérament éclectique, il s’est intéressé au jazz (Concerto Rotterdam, 1967) et a écrit beaucoup de musiques de film et de scène. Sa 8e symphonie, La Celebrazione, date de 1977. Citons encore le monodrame radiophonique Calchas (1959), d’après Tchekhov, et les ballets Das Goldfischglas (1952), De Canapé (1953) et Time Spirit (1970). Louis, frère du précédent, compositeur (Utrecht 1939). Élève de son père et de K. Van Baaren, puis de Luciano Berio à Milan et à Berlin (1964-65), il a subi également les influences de Stockhausen et de Cage. Il a été en 1969 l’un des auteurs de l’opéra collectif Reconstruction, donné au festival de Hollande 1970, et enseigne depuis 1974 au conservatoire de La Haye. Parmi ses oeuvres, Hoketus pour 2 groupes d’instruments (1976-77), le « triptyque politique » sur des textes controversés comprenant Il Duce, d’après Mussolini (1973), Il Principe, d’après Machiavel (1973-74) et De Staat pour quatre voix de femmes et ensemble instrumental d’après la République de Platon (1973-1976), Symfonie voor losse snaren (symphonie pour cordes à vide) pour 5 violons, 2 altos, 3 violoncelles et 2 contrebasses solistes (1978), Mausoleum pour orchestre (1979), De Tijd pour ensemble (1981), les opéras Passion selon saint Matthieu, Orpheus et George Sand, créés en 1976, 1978 et 1980, De Snelheid (1981), Danses pour soprano et orchestre de chambre (1991), Hout (1991). ANDRIEU (Jean-François d’), compositeur et organiste français (Paris 1682 - id. 1738). Neveu de Pierre d’Andrieu, virtuose précoce, il est nommé organiste à SaintMerri dès 1704, poste auquel s’ajouteront ceux d’organiste de la Chapelle royale (1721) et de Saint-Barthélemy (1733). On lui doit un Livre de sonates à violon seul, trois Livres de pièces de clavecin, un Livre de sonates en trio, quelques Airs sérieux ou à boire et un recueil instrumental, les Caractères de la guerre, ou suite de symphonies ajoutées à l’opéra. Pour l’orgue, il écrivit un Premier Livre de pièces d’orgue (1739), où se maintenait la grande tradition liturgique de Lebègue, et un Livre de noëls, dans lequel il reprenait les oeuvres de son oncle en ajoutant quelques noëls de sa composition, pages brillantes, aimables et pittoresques. Comme pédagogue, enfin, d’Andrieu a laissé un précieux volume de Principes de l’accompagnement du clavecin (Paris, 1718). ANDRIEU (Pierre d’), compositeur et organiste français ([ ?] 1660 - Paris 1733). Il écrivit des Airs sérieux, publiés dans les recueils de Ballard, et composa des Noëls à variations pour orgue, réédités par son neveu Jean-François, a qui on en attribue souvent la paternité. ANERIO (Felice), compositeur italien (Rome v. 1560 - id. 1614). Il succéda en 1594 à Palestrina comme compositeur du choeur pontifical et en 1611 réforma avec Francesco Soriano le graduel romain. Contrairement à lui, son frère Giovanni Francesco (Rome v. 1567 - Graz 1630) composa aussi bien dans la prima que dans la seconda pratica et fut le premier compositeur romain à utiliser des instruments obligés (dans son Teatro armonico spirituale de 1619). ANERIO (Giovanni Francesco), compositeur italien, frère du précédent (Rome v. 1567 - Graz 1630). Maître de chapelle du roi de Pologne en 1606, puis à la cathédrale de Vérone, il regagna Rome pour enseigner au Collège romain. Ordonné prêtre en 1616, il fut maître de chapelle à Santa Maria dei Monti de 1613 à 1620. C’est un compositeur intéressant, dont l’oeuvre importante (principalement religieuse) comprend souvent des titres assez pittoresques, tels que Ghirlanda di sacre rose et Il dialogo pastorale al presepio (« le dialogue pastoral auprès de la crèche »). Il contribua à l’élaboration de la forme qui devint l’oratorio. downloadModeText.vue.download 32 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 26 ANET (Jean-Baptiste), violoniste et compositeur français ([ ?] 1661 - Lunéville 1755). Il fut l’élève de Corelli et débuta à Paris comme virtuose dans le cercle italien de Saint-André-des-Arcs, que présidait l’abbé Mathieu. C’est Anet qui, en se produisant à la cour et au Concert spirituel, révéla à la France l’élégance du violon dans le répertoire profane et donna à cet instrument ses lettres de noblesse. Avec Leclair, il imposa le genre de la sonate ; son premier Livre de sonates parut en 1724. Nommé au service de l’ex-roi de Pologne Stanislas Leszczy’nski, il se fixa à Lunéville en 1736. Anet fut un compositeur fécond et l’un des plus grands violonistes de son temps. ANFOSSI (Pasquale), compositeur italien (Taggia, près de Naples, 1727 - Rome 1797). Il étudia d’abord le violon, puis la composition et l’harmonie avec N. Piccinni. Ses premiers opéras ne connurent pas un très grand succès, mais avec L’Incognita perseguitata (Rome, 1773) vint la célébrité. Bientôt, cependant, il éprouva l’inconstance du public et partit à travers l’Europe. En 1792, il fut nommé maître de chapelle à Saint-Jean-de-Latran et se consacra à la musique d’église. Mozart s’intéressa à l’oeuvre d’Anfossi, composant des airs à insérer dans certains des 76 opéras qu’écrivit ce musicien. ANFUSO (Nella), soprano italienne (Alia, près de Palerme, 1942). Elle suit une double formation, littéraire et musicale, à l’université et au Conservatoire de Florence. Docteur ès lettres, elle étudie le chant à l’académie SainteCécile de Rome tout en poursuivant des recherches sur l’interprétation vocale au XVIIe siècle. Ces travaux historiques se révèlent décisifs pour l’originalité de son style interprétatif. Son but est de « retrouver l’unicité de la poésie et de la musique » qui, selon elle, caractérise avant tout les oeuvres de Caccini et de Monteverdi. En 1971, elle débute au Palazzio Vecchio de Florence et se produit régulièrement depuis en récital dans toute l’Europe. Douée d’une tessiture de trois octaves, elle chante les madrigaux pétrarquisants de Marchetto, les oeuvres de Rossi, mais aussi Vivaldi. Professeur de littérature dramatique et poétique au Conservatoire Boccherini de Lucca, paléographe des Archives d’État, elle organise des séminaires pour des étudiants du monde entier, malgré les vigoureuses polémiques suscitées par son style. Depuis 1989, elle a élargi son répertoire aux romances de Bellini, Catalani et Paganini. ANGELICI (Martha), soprano française (Cargese 1907 - Ajaccio 1973). Bien que sa vocation ait été marquée par ses origines corses, c’est à Bruxelles qu’elle reçoit sa formation à partir de 1928. Apprenant les rôles du répertoire italien, elle chante la Bohème à Marseille en 1936. L’année suivante elle débute à Paris, avant de suivre la troupe de l’Opéra-Comique au Brésil, lors de la tournée de 1939. Elle sera membre de cette troupe jusqu’en 1953, dans une période où de nombreuses créations s’ajoutent aux productions du répertoire. De 1953 à 1960, elle chante à l’Opéra de Paris. Ses triomphes dans le rôle de Micaëla amènent Karajan à l’engager dans Carmen à la Scala de Milan. Ses récitals furent également fameux, qu’elle concluait le plus souvent par des chants populaires de son île natale. ANGELIS (Nazzareno de), basse italienne (Aquila, près de Rome, 1881 Rome 1962). Enfant, il fit partie de la Capella Giulia, puis de la chapelle Sixtine. Il débuta à Aquila dans Linda di Chamounix de Donizetti (1903) et devint rapidement célèbre. Il se produisit beaucoup aux États-Unis et en Amérique du Sud, mais sa carrière est essentiellement liée à la Scala de Milan, où il chanta de 1907 (débuts dans La Gioconda de Ponchielli) à 1933. Sa voix était d’une beauté et d’une puissance exceptionnelles, sa technique accomplie et sa présence scénique impressionnante. Donnant aux personnages qu’il incarnait une dimension hors du commun, il a marqué, en particulier, les rôles de Moïse dans l’opéra de Rossini et de Mefistofele dans l’opéra de Boito, qu’il chanta 987 fois. Il se consacra aussi beaucoup aux oeuvres de Wagner. ANGERER (Paul), compositeur et altiste autrichien (Vienne 1927). Il a étudié le violon avec Franz Bruckbauer et F. Reidinger et la composition avec A. Uhl, à Vienne. Altiste dans l’Orchestre symphonique de Vienne, il a été de 1971 à 1986 directeur musical de l’orchestre de chambre de Pforzheim. Le style polyphonique de ses oeuvres rappelle Hindemith. Auteur de musique d’orchestre, le plus fréquemment écrite pour orchestre de chambre, il utilise des procédés anciens comme l’organum et le faux-bourdon. ANGERMULLER (Rudolph), musicologue allemand (Bielefeld 1940). Il a étudié à Mayence, Münster et Salzbourg (langue et civilisation françaises, histoire, musicologie). Assistant à l’Institut de musicologie de l’université de Salzbourg de 1967 à 1972, il est depuis cette dernière date bibliothécaire de l’Internationale Stiftung Mozarteum et codirecteur de la Neue Mozart Ausgabe. Sa thèse Antonio Salieri : sein Leben und seine weltliche Werke est parue en 1971. Il a publié également Sigismund Neukomm : Werkverzeichnis - Autobiographie - Beziehung zu seinen Zeitgenossen (1977), W. A. Mozarts musikalische Umwelt in Paris (1777-78) : eine Dokumentation (1982), ainsi que de nombreux articles. ANGIOLINI (Gasparo), danseur, chorégraphe et compositeur italien (Florence 1731 - Milan 1803). Arrivé à Vienne en 1754, il succéda en 1758 à son maître Franz Hilverding au poste de maître de ballet de la cour. Il connut son plus grand triomphe le 17 octobre 1761 avec la création au Burgtheater de Don Juan ou le Festin de pierre (musique de Gluck), le premier grand ballet d’action, dont il assura l’argument et la chorégraphie et dansa le rôle-titre. L’année suivante (5 octobre 1762), il assura la chorégraphie d’Orfeo ed Euridice. En 1765, il succéda à Hilverding à Saint-Pétersbourg, puis revint à Vienne en 1774 comme successeur de Noverre. Il séjourna à nouveau à Saint-Pétersbourg de 1776 à 1779 et termina sa carrière en Italie. ANGLAISE. Terme désignant aux XVIIe et XVIIIe siècles diverses danses anglaises diffusées en Europe, telles que la contredanse (country dance) ou encore le hornpipe. Il est curieux de noter que l’anglaise fut connue en Allemagne sous le nom de « française », et que J.-S. Bach introduisit une anglaise dans sa troisième Suite française en si mineur. Le tempo de l’anglaise est généralement assez vif avec une mesure binaire. ANGLEBERT (Jean Henri d’), compositeur, claveciniste et organiste français (Paris 1628 - id. 1691). Élève et successeur de Champion de Chambonnières, il occupa quelques postes d’organiste avant d’être nommé en 1662 dans l’ordinaire de la chambre du Roy pour le clavecin, charge plus tard confiée à François Couperin. Il abandonna ce poste à son tout jeune fils Jean-Baptiste Henri en 1674, date après laquelle on ne lui connaît plus d’activité. En 1689, il fit paraître un livre de Pièces de clavecin, regroupant 60 pièces en quatre ordres ; le livre est complété par un tableau des agréments, des Principes de l’accompagnement, Cinq Fugues pour l’orgue sur un même sujet et un Quatuor sur le Kyrie. À côté de quelques transcriptions de Lully, on y trouve le témoignage de l’un des maîtres du pre- mier âge de l’école française de clavecin. Ses deux fils, Jean-Baptiste Henri (Paris 1661 - id. 1735) et Jean Henri (Paris 1667 id. 1747), furent tous deux clavecinistes. downloadModeText.vue.download 33 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 27 ANGLÉS (Mgr Higinio), musicologue espagnol (Maspujols, prov. de Tarragone, 1888 - Rome 1969). Il fit des études de philosophie et de théologie à Tarragone, de musique à Barcelone (orgue, harmonie, composition) et de musicologie, d’abord à Barcelone avec F. Pedrell, puis à Fribourg avec W. Gürlitt et à Göttingen avec F. Ludwig. Après la guerre civile, durant laquelle il s’exila à Munich, il dirigea l’Institut espagnol de musicologie, à Barcelone, à partir de 1943, et fut président de l’Institut pontifical de musique sacrée de Rome, à partir de 1947. Spécialiste du Moyen Âge et de la Renaissance, véritable fondateur de l’école de musicologie espagnole, Anglés a laissé un grand nombre d’ouvrages et d’articles fondamentaux sur la musique de son pays et édité les oeuvres de Cabanillés, Morales, Alphonse X le Sage et Juan Pujol. Il a réalisé un catalogue musical de l’Espagne du XIIe au XVIIe siècle. ANHALT (Istvan), compositeur canadien d’origine hongroise (Budapest 1919). Il fait ses études en Hongrie avec Kodály et en France avec Nadia Boulanger et L. Fourestier. Il s’installe au Canada en 1949. Son style, fondé à l’origine sur le néoclassicisme, assimile, à partir de 1959, la musique électronique et les techniques modernes, unissant Varèse et Stockhausen aux musiques indienne, javanaise et africaine. Parmi ses oeuvres, citons 2 symphonies, Cento pour choeur à 12 voix et bande magnétique (1967), Welche Töne ? pour orchestre (1989). ANIMANDO (ital. : « en animant »). Terme indiquant que le tempo devient plus allant. ANIMATO (ital. : « animé »). Terme employé pour qualifier un tempo donné, exemple : andante animato. ANIMUCCIA (Giovanni), compositeur italien (Florence v. 1514 - Rome 1571). Il reçut sa formation dans l’entourage de Francesco Corteccia, puis entra au service du cardinal Ascanio Sforza à Rome. En 1555, il succéda à Palestrina comme maître de la chapelle Giulia. Avec un talent qui le rend digne de son grand prédécesseur, il écrivit surtout des madrigaux, de la musique religieuse (messes, magnificat), et, pour les réunions de son ami saint Philippe Neri, deux livres de Laudi spirituali (1563-1570) qui préfigurent l’oratorio et, par leur style déclamatoire, la monodie accompagnée. ANNIBALE (Il Padovano), compositeur italien (Padoue 1527 - Graz, Autriche, 1575). Premier organiste à Saint-Marc de Venise de 1552 à 1565, il s’établit à Graz, où il fut organiste, puis maître de chapelle de l’archiduc Charles d’Autriche. Il composa des madrigaux, des motets, une messe et des pièces pour orgue, édités chez Gardano à Venise. Ses ricercari et toccate furent parmi les premiers du genre. ANSERMET (Ernest), chef d’orchestre suisse (Vevey 1883 - Genève 1969). Il étudia parallèlement les mathématiques et la musique à Lausanne, puis à Paris, et fut nommé professeur de mathématiques à Lausanne (1906). Mais, après avoir travaillé la direction d’orchestre auprès de Mottl et Nikisch en Allemagne, il revint à la musique, en 1912, comme chef d’orchestre au casino de Montreux, où il devint l’ami de Ramuz et de Stravinski. Directeur musical des Ballets russes de Diaghilev de 1915 à 1923, il fonda en 1918 l’orchestre de la Suisse romande, dont il resta le directeur jusqu’en 1966. Chef au style plein d’acuité et de raffinement, Ansermet demeure particulièrement célèbre pour ses interprétations de Stravinski, Debussy et Ravel. Il a exposé sa conception de la musique dans un livre, les Fondements de la musique dans la conscience humaine (Neuchâtel, 1961), où il avoue sa fidélité exclusive au système tonal. Il composa quelques oeuvres et orchestra les Six Épigraphes antiques et deux des Ariettes oubliées de Debussy. ANTEGNATI, famille de facteurs d’orgues italiens établis à Brescia, dont l’activité est connue de 1480 environ jusqu’à la moitié du XVIIe siècle. Des sept générations successives d’Antegnati, l’organier le plus célèbre est Costanzo (Brescia 1549 - id. 1624), qui fut aussi organiste de la cathédrale de Brescia, compositeur et théoricien. Auteur de motets, messes et madrigaux, il a rédigé un traité, L’Arte organica (1608), où il donne notamment la liste et les caractéristiques de tous les instruments construits par la famille, ainsi que des indications sur l’accord et la registration. L’orgue des Antegnati est un instrument à un clavier et à pédalier rudimentaire ; il est riche en flûtes et principaux et en jeux de mutation aigus constituant un ripieno* par rangs séparés. Parmi les très nombreux instruments qu’ils établirent dans toute l’Italie du Nord, les principaux sont ceux de la cathédrale de Brescia (Bartolomeo Antegnati, 1481), de Sainte-Marie-des-Grâces à Brescia (Gian Giacomo Antegnati, 1533) et de la cathédrale de Milan (id., 1552). ANTES (John), compositeur américain (Frederick, Pennsylvanie, 1740 - Bristol, Angleterre, 1811). Membre de la communauté morave de Pennsylvanie, il partit pour l’Europe en 1764, devint pasteur en 1769, et s’embarqua la même année comme missionnaire pour Le Caire, où il devait rester jusqu’en 1781. De 1783 à sa mort, il vécut en Angleterre, continuant à s’intéresser non seulement à la musique, mais aussi à la mécanique et à la facture d’instruments. On lui doit des oeuvres sacrées préservées uniquement en Amérique, pour la plupart dans les archives de Bethlehem et de Winston-Salem (ont subsisté 25 pièces vocales concertantes et 13 mélodies de cantiques). Il fut aussi le premier Américain de naissance à avoir écrit de la musique de chambre (quatuors à cordes, trois trios à cordes op. 3 composés au Caire et parus chez John Bland comme étant de Giovanni A-T-S Dilettante americano). Dans un des carnets tenus par Haydn à Londres en 1791-92, on trouve cette notice le concernant : « Mr. Antis, évêque (sic) et petit compositeur. » ANTHEIL (George), compositeur améri- cain d’origine polonaise (Trenton, New Jersey, 1900 - New York 1959). Il fait ses études au Curtis Institute de Philadelphie, puis à New York avec Ernest Bloch. Après un bref séjour à Berlin où il présente sa Première Symphonie, il s’installe à Paris, s’intéresse au mouvement dada et compose son Ballet mécanique, « musique ultraviolette où l’idée est d’atteindre le plus abstrait de l’abstrait « : dix pianos y sont utilisés, ainsi que des trompes d’auto, enclumes, scies circulaires, etc. Cette tentative empirique d’extension de l’univers sonore n’est pas sans annoncer celles de Feldman et Cage. À la même époque, Antheil incorpore le jazz à ses ouvrages symphoniques ou lyriques. De retour aux États-Unis (1933), il renonce à l’avant-garde et revient à une esthétique néoromantique qui marque tous ses ouvrages ultérieurs. Fixé à Hollywood, il travaille dès lors dans les genres les plus divers, y compris la musique de film. ANTHEM (du grec latinisé, antiphona). Terme anglais désignant une composition chorale sur un texte sacré en langue anglaise, en usage dans l’Église anglicane. Au XVIe siècle, il existe deux types d’anthems, le full-anthem, qui peut être soit a cappella, soit accompagné à l’orgue, et le verse-anthem, qui se place entre les parties chorales, chanté par une voix soliste accompagnée à l’orgue ou aux instruments à archet. Avec Blow, Purcell et Pelham Humphrey, le verse-anthem se développe ; les anthems de Haendel atteignent des proportions grandioses au siècle suivant (par exemple : Zadok, the Priest). downloadModeText.vue.download 34 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 28 On continue à composer des anthems au XIXe siècle ; de nos jours, avec ou sans accompagnement, le genre inspire encore les compositeurs. ANTICIPATION. Procédé musical consistant en l’émission d’une note qui est étrangère à l’harmonie et qui appartient à l’accord suivant. Cette anticipation crée une dissonance, parfois chargée d’un grand pouvoir expressif, comme chez Monteverdi. Exemple : J. S. Bach, choral Ermunt’re dich, mein schwachen Geist. ANTIENNE (grec latinisé, antiphona : « voix en réponse »). Chant destiné primitivement à encadrer la psalmodie, c’est-à-dire la récitation modulée des psaumes. Le fait que cette récitation était pratiquée en « antiphonie » - par demi-choeurs alternés ( ! ALTERNANCE) - a donné naissance à ce terme impropre, car l’antienne ne semble jamais avoir été chantée ellemême en antiphonie. Les antiennes sont parmi les éléments les plus anciens de la liturgie. Les antiennes primitives, ambrosiennes, puis grégoriennes, étaient simples, syllabiques et courtes, souvent calquées sur un timbre stéréotypé et adapté au ton de la psalmodie ; beaucoup portent la trace d’un pentatonisme archaïque très accusé. Plus tard, les antiennes se développèrent, devinrent de plus en plus longues et relativement mélismatiques ; certaines antiennes tardives (Salve Regina) sont de véritables compositions, développées et isolées de leur contexte d’encadrement. Les introïts sont d’anciennes antiennes dont le psaume a été raccourci ; d’autres pièces (offertoire, communion) sont d’anciennes antiennes dont le psaume a ultérieurement disparu. ANTIPHONAIRE. Au sens ancien strict, ce terme désignait le livre liturgique contenant les antiennes (liber antiphonarius) pour l’office et celles pour la messe (introït, offertoire, communion). Ces pièces étaient chantées par le choeur, en alternance avec les répons, contenus dans un autre livre, le cantatorium, réservé aux solistes et plus tard appelé le graduel (liber gradualis) [trait, graduel, alleluia]. Plus tard, les répons furent insérés dans l’antiphonaire. ANTONIOU (Theodor), compositeur grec naturalisé américain (Athènes 1935). De 1945 à 1958, il étudie le violon, le chant et, avec M. Kalomiris, au conservatoire d’Athènes, la composition. Il travaille de 1958 à 1961 avec Y. Papaioannou, de 1961 à 1965 avec G. Bialas à Munich et, de 1964 à 1966, au studio de musique électronique de la radio bavaroise. En 1969, il obtient une chaire de composition à l’université de San Francisco. Malgré ses passages dans les studios d’électroacoustique, Antoniou compose avec des moyens traditionnels. Sa production comprend des oeuvres pour choeur, pour voix et instruments (Meli, pour chant et orchestre, 1963 ; Épilogue, pour mezzo-soprano, hautbois, guitare, cor, piano, contrebasse et percussion, 1963 ; Kontakion, pour solistes, choeur mixte et cordes, 1965 ; Klytemnestra, pour une actrice, ballet et orchestre, etc.), pour divers ensembles instrumentaux et pour orchestre, ces dernières oeuvres incluant des musiques de scène, de film et de la musique radiophonique. ANTUNES (Jorge), compositeur brésilien (Rio de Janeiro 1942). Il fait ses études à l’université du Brésil (master de violon et de composition) et passe son doctorat à Paris (Sorbonne, 1977). Il enseigne à l’université de Brasilia, dont il dirige aussi le département de musique. Pionnier de l’électroacoustique dans son pays, il fonde, à Rio de Janeiro, un centre de recherches « chromo-musicales » (1962), avant de travailler au studio de l’Institut Torcuato di Tella à Buenos Aires ainsi que dans différents studios européens, notamment à Utrecht et à Paris (GRM). On lui doit en particulier Catastrophe ultra-violette (1974), Simfonia das Directas (1984), la série des Meninos pour jeune violoniste et bande (1986-87). Il a fondé un groupe de musique expérimentale, le GeMUnB, et publié un livre sur la notation dans la musique contemporaine (1988). APERGHIS (Georges), compositeur grec (Athènes 1945). Venu à Paris en 1963, il y entreprend des études musicales et y suit des cours de direction d’orchestre (avec Pierre Dervaux) et de percussion. En 1967, sont créés Antistixis pour trois quatuors à cordes et Anakroussis I. Suivent notamment Symplexis pour orchestre symphonique et vingt-deux solistes de jazz et Kryptogramma pour percussions (1970). Frappé par Sur scène de Kagel, il s’oriente de plus en plus vers le théâtre musical : « Ce que je veux ? Répartir des scènes dans l’espace, accomplir un travail critique : il ne faut donc pas une pièce déjà existante ou des situations déjà imaginées par quelqu’un. » Le festival d’Avignon révèle en 1971 l’originalité d’Aperghis avec la Tragique Histoire du nécromancier Hieronimo et de son miroir pour voix de femme chantée, voix de femme parlée, luth et violoncelle. Puis sont créés Oraison funèbre (pour 2 barytons, une actrice et 10 instruments, Paris, 1972), Hommage à Jules Verne (Royan, 1972), Concerto grosso (pour chanteurs-acteurs, instruments et bande, Paris, 1972), les opéras Pandemonium (pour 4 voix de femmes, 4 barytons, 4 acteurs et 7 instrumentistes, Avignon, 1973), Jacques le Fataliste d’après Diderot (Lyon 1974) et Histoires de Loups (pour 5 voix de femmes, voix d’hommes et 9 musiciens, Avignon 1976), Je vous dis que je suis mort (Paris, 1979), Liebestod (Metz, 1982), oeuvres nourries d’autres disciplines artistiques. Les préoccupations sociales d’Aperghis apparaissent notamment dans la Bouteille à la mer (1976). Depuis 1976, le compositeur est animateur de l’A. T. E. M. (Atelier théâtre et musique) de Bagnolet. De l’action menée par l’A. T. E. M. avec les habitants de Bagnolet, sont nés divers spectacles, dont la Pièce perdue (1979). Le festival de La Rochelle de 1980 a vu la création de Quatre Récitations pour violoncelle seul. Citons encore l’Adieu pour orchestre (Paris, 1988), l’opéra Jojo (Strasbourg, 1990). A PIACERE (ital. : « à volonté », « à plaisir »). Terme indiquant qu’une certaine liberté dans le mouvement est laissée à l’initiative de l’interprète. Syn. : ad libitum. APOSTEL (Hans Erich), compositeur autrichien d’origine allemande (Karlsruhe 1901 - Vienne 1972). Il fit ses études au conservatoire Munz à Karlsruhe, puis travailla à Vienne avec Schönberg (1921) et Berg (1925). Il fut chef d’orchestre au Landestheater de Karlsruhe, puis professeur de piano et de composition à Vienne, et lecteur aux Éditions Universal. Il écrivit de la musique d’orchestre, des oeuvres pour piano, deux quatuors à cordes, des lieder sur des poèmes de Rilke, Hölderlin, Stefan George, et un Requiem. Appartenant à la seconde école de Vienne, ses oeuvres relèvent de la technique sérielle, qu’Apostel utilisa avec beaucoup de maîtrise et un rien d’académisme. APPASSIONATO (ital. : « passionné »). Terme indiquant dans une partition un style soutenu, tendu, avec de l’élan, de l’ardeur, de la passion. Employé surtout par les compositeurs de l’époque romantique, ce mot la caractérise d’ailleurs parfaitement. downloadModeText.vue.download 35 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 29 APPENZELLER (Benedictus), compositeur flamand (1re moitié du XVIe s.). De 1539 environ à 1551, il fut, à Bruxelles, maître des enfants de choeur de la chapelle de la reine Marie de Hongrie. Peut-être a-t-il été l’élève de Josquin Des Prés dont, en tout cas, il célébra la mort dans une déploration. Parmi ses oeuvres, jadis attribuées à Benedictus Ducis, citons une messe, des psaumes, des répons, des motets, des chansons, dont 22 furent publiées dans le recueil Chansons a quattre parties (Anvers, 1542). APPIA (Adolphe), metteur en scène suisse (Genève 1862 - Nyon 1928). Après des études à Vevey, Genève, Zurich, Leipzig, Paris et Dresde, il fut amené par sa passion wagnérienne à étudier la mise en scène dans des essais : la Tétralogie (1892), la Mise en scène du drame wagnérien (1895), Die Musik und die Inszenierung (1899). Après cette première période inspirée par le néoromantisme et le symbolisme, l’influence de la « rythmique » de Jaques-Dalcroze devint visible dans ses travaux ultérieurs : l’OEuvre d’art vivant (1921), la Mise en scène et son avenir (1923). C’est seulement à partir de cette époque qu’il mit lui-même en scène les drames wagnériens : Tristan et Isolde à Milan (1923), l’Or du Rhin et la Walkyrie à Bâle (1925). Il atteignit alors à l’abstraction avec des éléments scéniques constitués uniquement par des escaliers, des paliers, des tentures, des piliers et des éclairages. Appia fut le premier théoricien de la mise en scène moderne. Parmi bien d’autres, Wieland Wagner lui a été particulièrement redevable, et son influence est encore très perceptible de nos jours. APPLETON (Jon H.), compositeur américain (Los Angeles 1939). Il a fondé, en 1967, au Dartmouth College de Hanover (New Hampshire), un studio de musique électronique qui est devenu sous sa direction l’un des centres les plus ouverts et les plus actifs de cette technique aux États-Unis. Il y a mis au point, notamment, avec les ingénieurs Alonso et Jones, des systèmes informatiques de synthèse sonore (Synclavier) et d’enseignement musical, dont l’originalité tient dans leur facilité de manipulation, laquelle les rend accessibles au plus grand nombre. Dans son éclectique production musicale, où voisinent oeuvres chorales, travaux d’application et expériences audiovisuelles, domine cependant la musique électroacoustique. Il fut l’un des premiers Américains à utiliser les sons concrets pour des musiques très vivantes de « collage » ou d’évocation (Chef-d’oeuvre, 1967 ; Times Square Times Ten, 1969), avant de s’intéresser au synthétiseur comme source sonore exclusive (Stereopticon, 1972) et aux sons créés par ordinateur (Kungsgatan 8, 1971). APPOGGIATURE (ital. appoggiare : « appuyer »). Il s’agit d’une note étrangère à l’harmonie de l’accord avec lequel elle est entendue. La dissonance ainsi produite peut être plus ou moins prononcée. L’appoggiature, ou note appuyée, se trouve à une distance d’un demi-ton ou d’un ton (supérieur ou inférieur) de la note réelle de l’accord sur laquelle elle est résolue. L’appoggiature peut être longue (employée surtout à des fins expressives dans les morceaux plus tendres, moins dans les mouvements rapides) ou brève. Au XVIIe et au XVIIIe siècle, le bon goût en décidait la longueur. Cet ornement pouvait être : - soit indiqué par une petite note, comme chez L. Marchand, - soit sous-entendu, afin d’éviter une écriture défectueuse, comme dans les cadences de récitatifs. Par exemple, Haendel, cantate Della guerra amorosa, Exécutée avec une certaine liberté, le plus souvent sur le temps, l’appoggiature devait prendre une partie de la valeur de la note réelle. Elle en prenait la moitié dans une mesure binaire, les deux tiers dans une mesure ternaire et, lorsqu’elle précédait une note prolongée par une liaison, elle prenait toute la valeur de la première note réelle. Par exemple : Les compositeurs romantiques l’employaient généralement en notes normales. Par exemple : Wagner, Tristan et Isolde, Parfois, ils en supprimaient la résolution, c’est-à-dire la note réelle. Par exemple : Mahler, Ich bin der Welt abhanden gekommen (Rückert Lieder), Barrée, la petite note de l’appoggiature était très brève et exécutée avant le temps. ( ! ACCIACATURA.) APPUI. Dans la terminologie de la technique vocale, ce terme désigne soit la région abdominale, soit la région thoracique où se manifeste la tension musculaire pendant le chant. APPUYER. Renforcer un son, l’accentuer à un moment donné, indiqué par l’abréviation sf. (sforzando) ou par l’un des signes suivants : -, v, . AQUIN (Louis-Claude d’), organiste et compositeur français (Paris 1694 - id. 1772). Enfant précocement doué, issu d’une modeste famille d’intellectuels et d’artistes dont François Rabelais en personne -, il est le filleul d’Élisabeth Jacquet de la Guerre, claveciniste et compositeur, à qui il devra peut-être son initiation musicale. Dès l’âge de six ans, il joue du clavecin devant Louis XIV et la Cour. Devançant l’enseignement de ses maîtres, il s’impose très tôt comme organiste et comme compositeur. En 1727, il triomphe devant Rameau dans le concours pour le poste d’organiste à Saint-Paul, puis, quatre ans plus tard, il succède à Marchand aux Cordeliers. En 1739, c’est la consécration officielle, avec sa nomination, sans concours, au poste d’organiste de la chapelle royale, où il remplace d’Andrieu. Fêté par le public, il demeure simple et bon, farouchement indépendant et passablement bohème. Improvisateur stupéfiant, il répond au goût du jour sans y sacrifier. Au contraire, il s’efforce de maintenir l’orgue dans la grande tradition, en train de se perdre. Rameau lui-même le reconnaîtra : « On change de goût à tout moment. Il n’y a que M. d’Aquin qui ait eu le courage de résister à ce torrent ; il a toujours conservé à l’orgue les majestés et les grâces qui lui conviennent. » Les documents sont hélas ! trop peu nombreux pour étayer ce jugement : négligent et imprévoyant, il n’a que très peu publié de ses multiples compositions, en grande partie perdues ou restées manuscrites (Te Deum, Leçons de Ténèbres, Messes, Miserere, Cantates, etc.), tout comme ont été perdues les oeuvres manuscrites de Calvière, que sa veuve lui avait confiées pour les faire éditer. À part une cantatille, la Rose (1762), son oeuvre connue se résume à deux livres : Premier Livre de pièces de clavecin (1735) et Nouveau Livre de noëls pour l’orgue et le clavecin, dont la plupart peuvent s’exécuter sur les violons, flûtes, hautbois, etc. Les pièces descriptives pour le clavecin (le Coucou) s’inscrivent dans la lignée de celles de Couperin et de Rameau. Quant aux noëls pour orgue, ce sont de brillantes variations sur de populaires thèmes de chants traditionnels de Noël, genre très prisé à downloadModeText.vue.download 36 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 30 l’époque et dont d’Aquin fut incontestablement le maître. ARABE (musique). Musique modale, monodique, de transmission orale ou codée. Les termes de « musique arabe « ou « musique orientale « ont longtemps désigné les musiques conçues ou interprétées au sein de l’islām arabo-irano-turc, sans dif- férencier les spécificités nationales ou locales ou les hybridations exotiques. Si l’on se réfère aux structures modales maqām (modes arabo-irano-turcs), est arabe une musique mettant en jeu des structures : intervalles, genres tétracordes, formules mélodico-rythmiques, modes traditionnels développés au sein de l’islām araboirano-turc et dont la forme, improvisée ou composée, les thèmes, les particularités, le rythme, etc., relèvent plus précisément de traditions arabes ou assimilées. On y utilise, entre autres, des intervalles spécifiques que les musicologues mesurent en quarts de ton ou en commas. Si l’on se réfère aux rythmes, la musique arabe (de même que les musiques iranienne, turque, etc.) peut faire appel à une multitude de rythmes binaires ou boiteux dont les cellules juxtaposent, en application de codes précis, des temps denses (dum) et des temps clairs (tak), selon le point d’impact sur l’instrument de percussion. Si l’on se réfère à un critère ethnique, on considère comme arabe toute musique perpétuée ou créée dans un pays arabe, à l’exception des compositions ou interprétations délibérément occidentales. Si l’on se réfère à la langue, on remarque que de nombreuses chansons arabes du XXe siècle, composées sur un livret arabe classique ou contemporain, sont habillées d’orchestrations ou d’harmonisations occidentales et néanmoins considérées comme arabes. DES ORIGINES AU VIIE SIÈCLE. À l’origine, la musique « bédouine » de la période antéislamique (jāhilīya) est essentiellement vocale, de tradition orale, et utilise la psalmodie (tartīl), la récitation modulée (inchād), la poésie (chi`r) scandée par des percussions ou la mélopée du caravanier (hudā’). Outre le tambourin (daff), les instruments accompagnateurs sont le hautbois (mizmar, zamr), la vièle monocorde (rabāba) ou des luths archaïques (mizhar, muwattar, kirān, puis tunbūr et tanbūra). Des joutes et tournois poétiques ont lieu à La Mecque autour de la Pierre noire (Ka`ba). Au XXe siècle, on peut avoir une idée de ce que fut cette musique archaïque en découvrant les manifestations traditionnelles des Bédouins, nomades et villageois, les fêtes collectives de la péninsule et du golfe arabiques (sawt et fjirī, etc.), les joutes scandées du Liban (zajal), qui minimisent le rôle des instruments. Dès le VIe siècle, s’amorce au MoyenOrient une confluence artistique entre les traditions bédouines et les cultures byzantine et perse sassanide, autour des principautés de Hīra et de Ghassān. Au VIIe siècle, l’essor de l’islām va catalyser cette confluence et établir ses fondements techniques avec le rythme (īqā`), le chant élaboré (ghinā`) et le luth à manche court (`ūd). Ces trois éléments définissent une musique « méta-hellénique », monodique, improvisée sur un code modal, dont les intervalles, les genres tétracordes, les modes et les mélodies sont conçus sur le `ud avant d’être confiés à la voix du chanteur qui véhicule les mots, la poésie et l’émoi (tarab) en fonction de l’état d’âme (rūh) de l’assemblée. APOGÉE `ABBĀSSIDE (VIIIE-XIIIE S.). Sous les califes omeyyades, les musiques de Médine, La Mecque et Damas restent tributaires de préjugés « sémitiques » et confessionnels ; jugées comme un art ludique, elles sont plus volontiers confiées à des esclaves, à des étrangers (Persans ou Noirs), à des minoritaires non musulmans ou à des « entraîneuses » (qayna, qiyāna). Du VIIIe au XIIIe siècle, le mécénat des califes `abbāssides d’Iraq accentue les influences helléniques et persanes et marque les âges d’or de la musique au sein de l’islām, en dehors de tout préjugé racial ou religieux, d’où la prolifération des manuscrits et l’hégémonie des savants et artistes : Zalzāl, Ibrāhīm Mawsilī (VIIIe s.), Ishāq Mawsilī, Ziryāb, Kindī (IXe s.), Munajjim, Isfahānī, Fārābī (Xe s.), Ibn-Sīnā, dit Avicenne (XIe s.), Safiy al-Dīn (XIIIe s.), oeAbd al-Qadir Ibn-Ghaibī al Hāfiz al Maraqī (XIVe s.), etc., conduisant à une musique de haute technique conçue sur des `ūd à cinq rangs couvrant plus de deux octaves, admettant le démanché et les nuances dynamiques et décrivant les genres et modes selon un système commatique. Improvisée au sein des cénacles savants ou à la cour, cette musique raffinée a parfois utilisé des notations alphabétiques. Au XXe siècle, les intervalles commatiques sont encore utilisés en Turquie, par l’école de luth de Bagdad et dans des églises d’Orient (Grèce, Syrie, Iraq, etc.). Ils donnent une idée de ce que fut la technique à l’apogée du XIIIe siècle. EXPANSION ANDALOUSE (IXE S.). Au IXe siècle, une rivalité entre deux solistes de Bagdad, Ishāq Mawsilī et Ziryāb, provoque le départ de Ziryāb pour le Maghreb et l’Espagne musulmane, où il est accueilli à Cordoue par le calife omeyyade. Ziryāb, muni d’un `ūd à cinq rangs et créateur d’une école rationnelle de musique, aurait ainsi favorisé l’essor de la musique arabo-andalouse, illustrée par vingtquatre « suites » (nawba). Au XXe siècle, cette musique survit au Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie). Elle a conservé des aspects archaïques et ne module pas, restant dans un mode unique durant le déroulement de la « suite ». Afin de pallier les imprécisions dues aux périodes coloniales, il importe de bien restaurer son esprit et sa technique avant de la diffuser. Également amorcée à Bagdad et développée en Andalousie au IXe siècle, une réforme de la prosodie conduit à une nouvelle forme poétique, le muwachchah, qui, supplantant l’ancienne qasīda, est encore considéré au XXe siècle comme le symbole du classicisme arabe musico-poétique, sous forme de longues suites modulantes appelées fasil ou wasla, et présentant de nombreuses variantes locales. RÉCESSION (XIVE-XIXE S.). La prise de Bagdad par les Mongols (1258) et celle de Constantinople par les Turcs (1453) modifient l’équilibre de l’islām arabo-irano-turc. L’élitisme musical passe du mécénat des califes `abbāssides à celui des empereurs ottomans, et les meilleurs artistes sont consacrés à Istanbul. La musique des « provinces arabes » devient un art récessif de colonisés, d’où la régression des formes savantes ou instrumentales et le regain des formes populaires ou vocales, qui se différencient mieux de l’art ottoman. RÉVEIL DU XIXE SIÈCLE. Au XIXe siècle, la musique ottomane est florissante et la situation des pays arabes limitrophes de la Turquie reste acceptable. L’Iraq maintient la tradition confluentielle arabo-irano-turque à Bagdad et à Mossoul, avec le genre dit maqām al-`irāqī, poème chanté par un soliste, le maqāmtchī, accompagné par un quatuor spécifique, le tchalghī, comportant une cithare-tympanon (santūr), une vièle (jawza), un tambour-calice (tabla) et un tambour de basque (daff ou reqq). Ce maqām va être rénové par Rahmallah Chiltag, Ahmad Zaydān et Molla Othmān Mawsilī, avant d’être repris par les grands chanteurs iraqiens du XXe siècle : Rachīd Kundarjī, Muhammad Qubbānjī et Yusuf `Omar. Mais la résurgence de la tradition `abbāsside élitaire du `ūd ne se fera qu’en 1936 avec Cherif Muhieddin et son école de luth de Bagdad. En Syrie, Alep perpétue le muwachchah, et Damas la notion de classicisme. Au milieu du XIXe siècle, Michel Muchāqa propose une réforme de la théorie et de la pratique du `ūd et Abū-Khalīl Qabbānī rénove le style des chants profanes. Ils annoncent les grands artistes du XXe siècle : le « prince du luth » `Omar Naqichbendī et le chanteur Sabāh Fākhrī. En Égypte et au Maghreb, la musique s’est appauvrie. À la fin du XIXe siècle, un musicien du Caire, Abdū al-Hammūlī, a l’idée d’emprunter à Istanbul de nouveaux modes (maqām) et à Alep son art du muwachchah. De toutes parts jaillit l’idée downloadModeText.vue.download 37 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 31 de retourner aux âges d’or et d’analyser les musiques arabes pour mieux les confronter aux musiques européennes. C’est le réveil du nationalisme arabe. MÉDIAS DU XXE SIÈCLE. Au début du XXe siècle, l’effondrement de l’Empire ottoman facilite le réveil du nationalisme arabe et une renaissance (nahda) littéraire et musicale très active en Égypte. Cette renaissance s’attache au renouveau folklorique (Sayyīd Darwīch) et classique (Congrès de musique arabe, Le Caire, 1932). Deux talents vocaux exceptionnels (Umm Kulthūm et Muhammad Abd al-Wahhāb) vont régner sur un demi-siècle de chanson arabe et enchanter les foules. La qualification des artistes égyptiens les incite rapidement à dominer les médias arabophones (cylindre, disque, film, radio, télévision, cassettes), imposant leur style et leurs productions. Mais cette suprématie finit par se changer en monopole du divertissement, étayé par des oeuvres commerciales ou démagogiques abusant du mélodrame et des effets faciles. À ce jour, les masses arabes sont dominées par les « variétés » égyptiennes, effet encore accentué par les télévisions qui ont imposé au sein des familles le visage des vedettes élues, les mélodies et les formules stéréotypées. Après 1950, le Liban amorce une renaissance folklorique concrétisée par des opérettes - destinées aux festivals de Baalbek et confiées principalement à la plume des frères Rahbānī ou à la voix tendre de la chanteuse Fayrouz -, colportant une musique hybride promouvant modes orientaux, orchestrations occidentales et danses populaires arabes (surtout la dabka). De réels talents, comme ceux du chanteur Wadi` al-Safī ou du joueur de buzuq Matar Muhammad, doivent se frayer un chemin ardu entre les monopoles du Caire et de Baalbek. FOLKLORES CONTEMPORAINS. Actuellement, en rapport avec la tendance mondiale, tous les pays arabes s’efforcent de ranimer leurs patrimoines populaires. Ces traditions, mieux différenciées d’une région à l’autre que les traditions savantes, sont toujours vivantes et pratiquées au village à l’occasion des festivités. Elles reflètent aussi les survivances de certains patrimoines antéislamiques ou minoritaires (araméens, kurdes, coptes, berbères, etc.). Elles reposent néanmoins sur les mêmes structures modales que les musiques savantes, moyennant réduction de l’ambitus à une octave ou à un pentacorde. Ces manifestations populaires sortent désormais des campagnes et atteignent les théâtres nationaux, les lieux de villégiature, les festivals locaux ou internationaux ; d’où leur prise en charge par les administrations et une tendance à la normalisation, doublée de mises en scène, d’orchestrations et de chorégraphies spectaculaires qui soignent l’effet au détriment de l’authenticité. RÉSURGENCE DU RÉCITAL INSTRUMENTAL. La suprématie des chansons de variétés véhiculées par les médias a accentué la domination de la musique vocale et des orchestres pléthoriques ont étouffé le quatuor traditionnel (takht) et les instruments millénaires. Le luth court (`ūd), le luth long (tanbūra, buzuq), la citharetympanon (santūr), la cithare-psaltérion (qānūn), la flûte oblique (nāy) et leurs solistes ont été réduits aux rôles d’accompagnateurs. Les solos instrumentaux improvisés (taqsīm) sont devenus de brefs intermèdes. Cependant, à Bagdad, entre 1936 et 1948, se concrétise une résurgence de la pratique élitaire du `ūd, selon l’éthique de la période `abbāsside, avec l’école de luth de Bagdad, fondée et dirigée par Cherif Muhieddin. Cette institution ranime les intervalles commatiques, les nuances dynamiques, le démanché et les doigtés savants sur des `ūd à six rangs couvrant trois octaves. Elle va former les plus grands luthistes du monde arabe contemporain : Jamīl Bachīr (le plus subtil poète du luth), Salmān Chukur, Munīr Bachīr (le pionnier de la musique arabe en Occident), Jamīl Ghānim, Alī Imām... La délicatesse de leur jeu en récital oriental solo et la complexité de leurs modulations les rendent d’abord inaccessibles aux foules soumises à la chanson ou habituées à la pratique banale du `ūd usuel. Mais, à partir de 1970, le taqsīm arabe prend place dans le nouveau courant d’intérêt porté par l’Occident aux instruments orientaux. Et la consécration des grands solistes arabes par les médias occidentaux suscite un regain d’intérêt dans leurs pays d’origine pour la musique instrumentale. ARABESQUE. Nom donné à des pièces pour piano par certains compositeurs, tels que Schumann (op. 18) et Debussy (pour deux oeuvres de jeunesse). L’idée d’ornement, de ciselure est sans doute à l’origine du choix de ce titre, qui évoque, au sens propre, des entrelacements de feuillages et de figures de fantaisie que l’on trouve dans l’art arabe. ARAUJO (Pedro), compositeur portugais († Braga 1684). Il fut maître de chapelle et professeur au séminaire de Braga, de 1663 à 1668. À une époque où la musique d’orgue connaissait au Portugal un grand développement, Araujo se plaçait, par la qualité de ses oeuvres, à la tête d’une école de musiciens située dans le nord du pays et caractérisée par l’assimilation du style des organistes espagnols. ARBEAU (Thoinot, anagramme de Jehan Tabourot), théoricien français (Dijon 1519 - Langres 1595). Prêtre, chanoine de Langres, il est l’auteur d’un très important ouvrage : Orchésographie et traité en forme de dialogue par lequel toutes personnes peuvent apprendre et pratiquer l’honneste exercice des dances (1588). C’est le plus ancien traité concernant la danse et contenant la notation des musiques et des mouvements des diverses danses pratiquées à l’époque, les basses danses particulièrement. On y trouve des indications précises sur le jeu des instruments et l’accompagnement polyphonique, ainsi que des illustrations représentant les différentes phases d’exécution des danses. ARCADELT ou ARCHADELT, ARCADET, HARCHADELT (Jacques), compositeur franco-flamand (v. 1514-1568). Parti vraisemblablement très jeune en Italie, il est signalé à Florence vers 1530, puis en 1532, à l’issue d’un séjour lyonnais. Nommé en 1540 maître de la chapelle Sixtine, il se voit également attribuer le titre de chanoine de Liège. En 1546-47, il passe une année en France, puis rentre à Rome jusqu’en 1551, date à laquelle il devient maître de chapelle du cardinal de Lorraine ; il appartient à la chapelle royale de 1554 à 1562. La publication de son Premier Livre de madrigaux (Gardane, Venise, 1539), réédité quarante fois jusqu’en 1654, le place d’emblée parmi les grands madrigalistes de la première époque. Il est un de ceux qui donnent au genre sa forme définitive, dégagée de la frottola, et publie, entre 1539 et 1544, 250 madrigaux à 3 et à 4 voix, dont le célèbre Il Bianco e Dolce Cigno. Lorsque les luthistes mettent en tablature les premiers madrigaux, ils s’adressent aux musiciens ultramontains : un recueil entier, celui des Vindella, est alors consacré à Arcadelt, qui assumera bien souvent par la suite des paternités douteuses. S’il sait trouver le ton juste, fait de charme, de douceur et de mélancolie, qui convient au madrigal, Arcadelt ne renie pas pour autant ses origines, tantôt employant le style de la chanson française, tantôt cultivant celle-ci pour elle-même ; il joue même un rôle de précurseur en publiant à Paris, dès 1547, ce qui peut être considéré comme les premières chansons en forme d’air. ARCHET. Baguette, généralement en bois de Pernambouc, sur laquelle est tendue une mèche en crins de cheval, que l’on enduit de colophane. Il permet de mettre en vibration les cordes des instruments à cordes frottées, comme le violon, le violoncelle, la viole. L’extrémité inférieure de l’archet, le downloadModeText.vue.download 38 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 32 « talon », comporte une hausse mobile qui permet de régler la tension de la mèche, grâce à une vis à écrou actionnée par un bouton. Pendant des siècles, la baguette eut un profil convexe, en arc, d’où le mot « archet ». La facture de l’archet a évolué progressivement, mais, depuis toujours, les meilleurs « archetiers » sont français. ARCHILEI (Vittoria, dite LA ROMANINA), cantatrice italienne (Rome 1550-Florence apr. 1618). Un des premiers grands noms de l’histoire du chant soliste, elle épousa Antonio Archilei, lui-même compositeur et luthiste. Appelée à Florence par les Médicis pour les noces d’Éléonore avec Vincenzo di Gonzaga, elle commenca une carrière glorieuse. Appartenant à la Camerata de Bardi, elle créa notamment la plupart des opéras de Peri et de Caccini. On peut constater, en lisant la préface de l’Euridice de Peri, que celui-ci l’avait en très haute estime. ARCHILUTH. Terme désignant un groupe d’instruments à cordes pincées issus du luth : le théorbe, le luth théorbé et le chitarrone. Inventés en Italie vers la fin du XVIe siècle, les archiluths répondaient au désir des luthistes chanteurs de posséder des cordes graves supplémentaires, afin de mieux soutenir la voix. L’instrument tra- ditionnel à 6 cordes était conservé, mais il venait s’y ajouter des cordes graves (6 à 8), dites « sympathiques », montées hors manche. Ces cordes sonnaient à vide et étaient accordées dans la tonalité du morceau à interpréter. Parmi ces archiluths, seul le théorbe paraît avoir connu une vogue en France ; on y avait recours notamment pour jouer les basses continues. « Il ne faut pas s’étonner si plusieurs le préferrent au clavessin... » (S. de Brossard, Dictionnaire de la musique, 1703.) ARC MUSICAL. Instrument à corde, joué en Afrique, en Amérique du Sud, en Inde et en Océanie. Il se compose d’une corde tendue sur un bâton flexible, et pincée par le doigt ou par un bâtonnet de bois ou de bambou. La caisse de résonance est soit la bouche du joueur, lorsqu’il tient l’instrument serré entre les dents, soit une calebasse attachée à la corde ou au manche et en contact avec le buste de l’exécutant. L’arc musical peut aussi comporter des grelots. Par sa forme, il serait un ancêtre de la harpe. Il remonterait même au paléolithique, puisqu’on en trouve une représentation sur une gravure de la grotte des Trois-Frères, en Ariège, datant de l’époque magdalénienne (15 000 ans env. av. J.-C.). ARCO. Dans une partition, après un passage joué par les instruments à cordes sans l’aide de l’archet, c’est-à-dire pizzicato, le terme arco indique que l’instrumentiste doit reprendre son archet. ARCUEIL (école d’). En réaction contre la tendance agressive du groupe des Six, l’école d’Arcueil fut imaginée en 1924 par Maxime Jacob qui, associé à trois musiciens de ses amis, Henry Cliquet-Pleyel, Roger Désormière et Henri Sauguet, la plaça sous le patronage d’Erik Satie, lequel habitait précisément Arcueil. Ce groupe déclarait vouloir revenir à la simplicité, à la mélodie, à la pureté harmonique de Bach, tout en admettant les rythmes et les sonorités du jazz, voire l’esthétique du café-concert. Mais cette école d’Arcueil ne fut rien d’autre qu’une idée. Elle n’eut jamais de réalité juridique, de professeurs ou d’élèves, et se contenta d’attirer l’atten- tion du public sur quatre musiciens, qui, groupés autour de Satie, conservèrent chacun leur personnalité. La vie sépara vite ses membres : Satie mourut en 1925 ; Jacob, particulièrement doué, rentra dans les ordres ; Cliquet-Pleyel s’orienta vers la musique légère et la musique de film ; Désormière abandonna très vite la création pour se consacrer uniquement à la direction d’orchestre. Seul, Sauguet poursuivit une heureuse et longue carrière de compositeur, fidèle au conseil de Satie : « Marchez seuls. Faites le contraire de moi. N’écoutez personne ! ». ARENSKI (Antoni Stepanovitch), compositeur russe (Novgorod 1861 - Terioki, Finlande, 1906). Élève de Rimski-Korsakov au conservatoire de Saint-Pétersbourg, Arenski fut nommé professeur d’harmonie et de contrepoint au conservatoire de Moscou (1882). On lui doit, à ce titre, un Traité d’harmonie (1891) et un ouvrage sur les Formes musicales (1893-94). Par la suite, il succéda à Balakirev à la tête de la chapelle impériale (1895-1901). Fortement influencé par Tchaïkovski, Arenski semble n’avoir pas « donné toute la mesure de son très grand talent » (M.-R. Hofmann), et, malgré une nature généreuse et sensible qui se complaît dans les tonalités du mineur, ses oeuvres sont souvent d’inégale valeur. OEUVRES PRINCIPALES. Musique instrumentale : 2 symphonies ; 1 quatuor à cordes (dédié à Tchaïkovski) ; une centaine de pièces pour piano, dont 3 suites pour 2 pianos ; Nuit d’Égypte, ballet (1900). OEuvres lyriques et vocales : 3 opéras : Un songe sur la Volga (1892), Raphael (1894) ; Nal et Damayanti (1904) ; 1 cantate : la Fontaine de Bakhtchissarai (d’après Pouchkine). ARGENTA (Ataulfo), pianiste et chef d’orchestre espagnol (Castro Urdiales, Santander, 1913 - Los Molinos, Madrid, 1958). Après des études au conservatoire de Madrid, puis à Liège et à Berlin, il enseigna le piano au conservatoire de Kassel. Appuyé par Carl Schuricht, il s’orienta ensuite vers la direction d’orchestre et fonda l’Orchestre de chambre de Madrid. En 1947, il fut chargé de la direction de l’Orchestre national d’Espagne. Spécialiste des grands romantiques de la musique allemande, mais aussi des compositeurs espagnols, Ataulfo Argenta sut imposer un art à la fois sensible, dépouillé et empreint d’une fierté tout espagnole. ARGERICH (Martha), pianiste argentine (Buenos Aires 1941). Élève de V. Scaramuzza, Friedrich Gulda, Madeleine Lipatti et Nikita Magaloff, elle a obtenu, en 1965, le 1er prix au concours Chopin de Varsovie et a très vite acquis une réputation mondiale. La puissance de son jeu la fait admirer dans Prokofiev ou Bartók, mais sa nature impulsive et son humeur profondément romantique la rendent particulièrement proche de Schumann, Chopin et Liszt, dont elle est une interprète inspirée. ARGUMENT. Résumé de l’intrigue d’un opéra ou d’une oeuvre musicale dramatique. Au XVIIe siècle, en Italie, et notamment à Venise, on appelait « argomento » le résumé des événements survenus avant le début de l’ouvrage, de l’action proprement dite. ARIA. Équivalent italien d’air, mais dont le sens est moins vaste que celui du mot français ; il désigne plutôt une forme assez précise : une mélodie vocale ou instrumentale, monodique ou accompagnée. Au XVe siècle, on chantait des vers sur des mélodies connues (poesia per musica). Cette habitude prit son ampleur au siècle suivant, et ces mélodies recevaient souvent le titre d’une région (ex., la Romanesca). Des formes polyphoniques existaient aussi, des petites pièces telles que la villanella, la frottola, la canzona, pièces homorythmiques où la voix supérieure dominait. Bientôt, avec le mouvement humaniste des académies, l’aria monodique se développa, devint une sorte de récit (recitar cantando) soutenu par une basse continue. À la tête de ce mouvement, nous trouvons G. Caccini, avec son recueil Nuove Musiche (1601). downloadModeText.vue.download 39 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 33 Au XVIIe siècle, « aria » désignait essentiellement un style mélodique qui se distingua vite de celui du récitatif, il fut l’élément le plus important d’un genre nouveau : l’opéra, où le bel canto dominait la scène. Plusieurs formes d’aria coexistaient : l’aria strophique, l’aria en deux sections (AB) et l’aria col da capo (ABA’) qui devint vite la forme la plus utilisée durant toute l’époque baroque ; on la trouve également dans la cantate et la musique religieuse. Dans cette forme fermée qui coupait net toute action dramatique, le chanteur devait orner la reprise (A’) selon son goût et les possibilités de sa technique vocale, principe qui entraîna parfois certains abus. L’aria était généralement précédée d’un récitatif exigeant un style plus déclamatoire. En général, l’aria commençait par une ritournelle instrumentale, et, comme en France, elle adoptait un tour et portait un titre différent selon les sentiments à exprimer : aria cantabile, di bravura, da caccia, di guerra, del sonno (du sommeil). En Allemagne, J.-S. Bach surtout utilisa l’aria en la traitant dans un style concertant, avec une grande variété d’instruments obligés. Au XVIIIe siècle, afin d’éviter le da capo qui interrompt l’action, on employa parfois la cavatine de forme A B (Mozart : Cosi fan tutte, cavatine. Tradito, schernito). Au XIXe siècle, et pour la raison citée plus haut, on préféra souvent la cavatine à l’aria. Verdi, puis Wagner abandonnèrent cette forme fermée. Récit et aria devinrent une sorte d’arioso perpétuel, une « mélodie infinie », sans conclusion. Debussy ne composa aucune forme close, mais, au XXe siècle, avec les tendances néoclassiques, R. Strauss, Stravinski, Hindemith retrouvèrent l’aria traditionnelle et l’adaptèrent à la sensibilité contemporaine. Berg, dans Wozzeck, employa cette forme et l’intégra dans des pièces instrumentales ; dans Lulu, il l’utilisa de manière très classique, comme l’a fait plus récemment Henze (Nachstücke und Arien, 1977). ARIETTE. Pièce vocale de forme strophique, de style léger, d’allure dansante, semblable à l’aria, mais de dimensions moindres. Dans son Dictionnaire de 1703, S. de Brossard écrit : « Une ariette a ordinairement deux reprises, ou bien elle se recommence da capo, comme un rondeau. » On trouve souvent cette forme dans la cantate française (Bernier, Monteclair) et dans les opéras de Rameau ; elle fut introduite ensuite dans les opéras italiens de Bononcini et dans les opéras-comiques français de Monsigny et Grétry. ARIOSO. Pièce vocale de structure intermédiaire entre l’air, auquel appartient l’expression lyrique, et le récitatif, qui conserve le rythme de la parole. En 1703, S. de Brossard écrit : « Arioso veut dire d’un même mouvement que si l’on chantait un air. » C’est une forme plus développée, plus mesurée de récitatif, qui, tendant vers un plus grand lyrisme d’expression, se souvient des caractéristiques de l’air. Souvent, par exemple à un moment pathétique vers la fin d’un récitatif, la basse continue devient plus animée, voire mesurée, et le récit se transforme en arioso (J.-S. Bach : cantate BWV 82, fin du récitatif « Mein Gott ! Wann kommt das schöne : Nun ! »). L’arioso peut être un morceau mesuré indépendant, sans être pour autant un air (J.-S. Bach : cantate BWV 56, arioso « Mein Wandel auf der Welt »). L’arioso est typique du style de l’école de Monteverdi, de Cavalli. ARIOSTI (Attilio), compositeur italien (Bologne 1666 - ? v. 1729). Moine et courtisan, doué aussi bien pour l’orgue que pour le clavecin, le violoncelle et la viole d’amour, il séjourna à Mantoue, à Berlin - où sa présence fit scandale (il était moine et catholique) et où il composa les premiers opéras italiens donnés dans cette ville -, à Vienne - d’où il retourna en Italie comme agent de l’empereur Joseph Ier - et à Londres - où il joua de la viole d’amour durant les entractes d’Amadigi di Gaula de Haendel et dédia Six Lessons pour viole d’amour à George Ier. ARISTOTE, philosophe grec (Stagire 384 ou 383 - Chalcis 322 av. J.-C.). Élève de Platon, précepteur d’Alexandre le Grand, ce penseur, dont l’oeuvre est une somme des connaissances de son époque, voit dans la musique une imitation des états psychiques et, lui reconnaissant une valeur éthique, estime très important le rôle qu’elle joue dans l’éducation du citoyen. S’il a maintes fois écrit sur la musique, Aristote ne lui a pas consacré d’ouvrage particulier. Toutefois, ses connaissances sont précises. Redevenues vivantes au XIIIe siècle, ses idées ont considérablement influencé l’évolution de la musique occidentale. ARISTOXÈNE DE TARENTE, philosophe grec (354 av. J.-C. - ?). Sa pensée est celle d’un conciliateur qui voudrait harmoniser les conceptions pythagoriciennes et la théorie aristotélicienne. Élève d’Aristote, il est surtout connu comme théoricien de la musique. Dans ses ouvrages, Éléments de l’harmonie et Éléments de la rythmique, il donne des bases scientifiques à la rythmique, défend la théorie du tempérament égal, et rejette les calculs purement mathématiques des pythagoriciens au profit d’une appréciation qualitative et psychologique du son. Considéré comme l’un des plus grands théoriciens de l’Antiquité, il exerça une influence jusqu’à la fin du Moyen Âge. ARMA (Paul, pseudonyme d’lmre Weisshaus), compositeur français d’origine hongroise (Budapest 1905 - Paris 1987). Il fait ses études musicales à l’Académie Franz-Liszt de Budapest, notamment avec Bartók. En 1933, il s’établit à Paris. Il étudie les folklores de nombreux pays, tout particulièrement ceux de la Hongrie et de la France, et leur fait une large place dans son oeuvre. Il écrit des pièces pour piano, de la musique de chambre, de la musique d’orchestre, des oeuvres vocales et, plus récemment, de la musique pour bande magnétique. ARMATURE ou ARMURE. Terme désignant la ou les altérations constitutives d’une tonalité, écrites immédiatement après la clef, affectant toutes les notes de même nom, quelle que soit leur octave, et dont l’effet se prolonge pendant toute la durée du morceau. Les dièses et les bémols constitutifs du ton majeur ou mineur sont écrits dans un ordre établi. ARNAULT DE ZWOLLE (Henri), organiste, théoricien, ingénieur, astronome et médecin néerlandais, probablement d’origine française. (Zwolle ? - Paris 1466). Il exerça la médecine au service du duc de Bourgogne, Philippe le Bon, puis des rois de France, Charles VII et Louis XI. C’est en soignant ses malades qu’il succomba de la peste. Il composa, en latin, plusieurs traités, illustrés de figures, sur les instruments à clavier (orgue, clavicorde, clavicymbalum) et les instruments à cordes (harpe, luth). Ces traités, édités depuis, forment le premier grand document d’organologie connu et constituent une source inestimable sur les instruments de musique du XVe siècle. ARNAUT DANIEL, gentilhomme et troubadour originaire de Ribérac (Dordogne) [seconde moitié du XVIIe siècle]. Jongleur, il voyagea aux côtés de Richard Coeur de Lion et acquit une grande notoriété par la richesse de son inspiration mélodique et sa façon, très personnelle selon Dante, de « ciseler » la langue d’oc. Pétrarque aussi l’apprécia beaucoup et le désigna comme le premier entre tous et le grand « maître d’amour « ; il nous a laissé 18 pièces poétiques, dont 2 seulement sont notées. downloadModeText.vue.download 40 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 34 ARNAUT DE MAREUIL, troubadour de la région de Mareuil, dans le nord de la Dordogne (fin du XIIe s. - début du XIIIe s.). D’abord clerc, puis jongleur, il fut protégé par le vicomte de Béziers, Roger II, avant de l’être par Guillaume VIII de Montpellier. On lui a attribué une quarantaine de chansons, mais il semble que 26 seulement soient authentiques, dont 6 notées ; il cultiva également le genre courtois appelé « salut d’amour », épître en vers d’une qualité poétique remarquable. ARNE, famille de musiciens anglais. Thomas Augustine (Londres 1710 - id. 1778). Avec W. Boyce, il est le plus important compositeur anglais de son époque, et son oeuvre fait date dans l’histoire de l’opéra de son pays. Travaillant le jour chez un notaire, il s’exerçait la nuit sur une épinette introduite en cachette dans sa chambre, car son père ne voulait pas qu’il devînt musicien. Il triompha néanmoins de la volonté paternelle et, pour son premier opéra, choisit un texte d’Addison pour écrire une Rosamond. Il composa ensuite des opéras, des masques et de la musique d’église. Pour les représentations des pièces de Shakespeare au Dury Lane, il composa de nouvelles mélodies pleines de charme, par exemple, pour As you like it, Under the Greenwood Tree et Blow, blow thou Winter Wind. Sa chanson la plus célèbre reste Where the Bee sucks (dans The Tempest) ; réunis, ses airs remplissent 20 recueils. T. A. Arne naquit au moment où Haendel s’établissait en Angleterre. Jusqu’à nos jours, sa musique, fraîche, spontanée et originale, a souffert du voisinage écrasant de son aîné. Pourtant, c’est lui, et non Haendel (à l’exception de Semele, 1743), qui continua la tradition de l’opéra anglais après Purcell. Citons Thomas and Sally (1733) et Alfred (1740) dont un passage du final, le Rule, Britannia !, est resté l’une des mélodies patriotiques les mieux connues en Angleterre. T. A. Arne ne négligea pas la musique instrumentale, écrivant des sonates pour le clavecin, des ouvertures et des concertos pour orgue. Il faut mentionner également ses deux oratorios, Abel (1744) et Judith (1761). Michael, fils du précédent (Londres 1740 id. 1786). Il composa de la musique théâtrale, se ruina pour essayer de découvrir la pierre philosophale, puis revint à la composition. Pendant quelques années, il dirigea les oratorios de carême à Londres. ARNOLD (Malcolm), compositeur et trompettiste anglais (Northampton 1921). Il étudia avec Gordon Jacob au Collège royal de musique de Londres et fut premier trompettiste de l’Orchestre philharmonique de Londres (1942-1944 et 19461948). Maître de dans des oeuvres cinq ouvertures. huit symphonies, l’orchestration, il excelle brillantes, telles que ses Il a également composé des concertos pour di- vers instruments, le ballet Hommage to the Queen, un masque, les opéras The Dancing Master (1951) et The Open Window (1956), et des musiques de film, dont celle du Pont sur la rivière Kwaï. ARNOLD (Samuel), compositeur, organiste et éditeur anglais (Londres 1740 id. 1802). Auteur d’une cinquantaine d’opéras et pastiches et de neuf oratorios, docteur d’Oxford en 1773, organiste de la chapelle royale en 1783 et de la cathédrale de Westminster en 1793, il édita de 1787 à 1797 de nombreuses oeuvres de Haendel. Il fonda en 1787 le Glee Club et en 1790 la Society of Musical Graduates, où Haydn fut admis en 1791 après avoir été fait docteur d’Oxford. ARNOLD DE LANTINS, compositeur belge, originaire de Liège (XVe s.), peutêtre apparenté à Hugo de Lantins. Ce musicien, qui se rattache à l’école franco-flamande, séjourna vraisemblablement à Venise (deux chansons, Se ne prenez de moi pitié et Quand je mire vo doulce portraiture, sont datées de cette ville, mars 1428) avant de devenir chantre à la chapelle pontificale d’Eugène IV en 1431. Ses audaces comme ses hésitations caractérisent cette époque de transition. Il fut un des premiers à écrire une messe unitaire (Missa verbum incarnatum) et affectionna la chanson à 2 voix avec contratenor instrumental, manifestant dans ce genre une grande facilité d’improvisateur et une sensibilité nouvelle. ARNOLD VON BRUCK, compositeur flamand, d’origine suisse (Bruges 1490 Linz, Autriche, 1554). Ce musicien, qui devint premier maître de chapelle de l’empereur Ferdinand I, est l’un des compositeurs les plus importants du XVIe siècle par la manière de déclamer un texte en musique et par le style harmonique, proches de Josquin Des Prés. On connaît de lui 22 motets (de 2 à 6 voix), des hymnes et des lieder (de 3 à 6 voix), ainsi que des pièces écrites sur des chorals luthériens et des chansons profanes. Son oeuvre a été rééditée in O. Kade, Auserwählte Tonwerke ... des 15. und 16. Jahrhunderts (Leipzig, 1882). ARNOULD (Sophie), soprano française (Paris 1740 - id. 1802). Elle débuta en 1757. Dotée d’une voix plus belle que puissante, grande actrice, très recherchée dans les salons, elle créa en 1774 le rôle d’Euridyce dans l’Orphée de Gluck et le rôle-titre de son Iphigénie en Aulide. Elle se retira en 1788 et laissa des Souvenirs ainsi qu’une abondante correspondance. ARPÈGE (littéralement : « comme le jeu de la harpe »). Exécution successive des notes d’un accord, généralement de la note la plus grave à la note la plus aiguë, parfois inversement. Un accord arpégé est tout le contraire d’un accord plaqué, où les notes sont entendues ensemble. Dans l’accord arpégé, elles peuvent être lâchées immédiatement, comme par exemple dans la basse d’Alberti au XVIIIe siècle, ou alors tenues pour devenir un accord complet. Par exemple, François Couperin, les Vieux Seigneurs. L’accompagnement d’une mélodie est souvent fondé sur l’arpègement de l’accord. Par exemple, Chopin, Valse, opus posthume. ARPEGGIONE. Instrument à archet dérivé de la viole de gambe, à mi-chemin entre le violoncelle (par sa forme) et de la guitare (par ses six cordes), mis au point en 1823 par le luthier viennois Johann Georg Staufer et appelé également guitare-violoncelle ou encore guitare-archet. En 1824, sans doute sur commande de Staufer, Schubert écrivit pour arpeggione et piano une sonate (D.821) qu’aujourd’hui on joue en général au violoncelle. ARRANGEMENT. Transcription d’une oeuvre musicale pour un ou plusieurs instruments différents de ceux pour lesquels elle avait été primitive- ment écrite. L’adaptation d’une oeuvre symphonique pour un orchestre harmonique est un arrangement, de même que la transcription d’un solo de clarinette pour le violon en est un autre. Les réductions pour piano de pages symphoniques ou d’opéras sont également des arrangements. ARRAU (Claudio), pianiste américain d’origine chilienne (Chillan 1903 Mürzzuschlag, Autriche, 1991). Enfant prodige, il se produisit en public à cinq ans. Il fit ses études au conservatoire downloadModeText.vue.download 41 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 35 de Santiago, puis à Berlin où il travailla de 1913 à 1918 avec un élève de Liszt, Martin Krause. Nommé professeur au conservatoire de Berlin dès 1925, il se fixa dans cette ville pour de longues années, tout en commençant une longue et prestigieuse carrière de concertiste. Arrau allie une technique éblouissante et souple à un style d’une beauté souveraine. Ses interprétations sont sérieuses, profondes, mûrement construites. Bach, Beethoven, Schumann, Liszt et Brahms sont ses compositeurs de prédilection. ARRIAGADA (Jorge), compositeur chilien (Santiago du Chili 1943). Élève de Max Deutsch à Paris, il s’installe dans cette ville et y fonde, en 1970, le Studio de musique expérimentale du centre américain (S.M.E.C.A.), aujourd’hui disparu, qu’il anime jusqu’en 1975 avec le concours de son compatriote Ivan Pequeño. Ce studio modeste, mais actif, a accueilli de nombreux compositeurs boursiers de toutes nationalités et organisé des manifestations. Après plusieurs oeuvres sérielles, Arriagada a composé, au S.M.E.C.A. ou dans d’autres studios, un certain nombre d’oeuvres électroacoustiques, colorées et solides, qui se souviennent fréquemment de la musique traditionnelle de son pays, reprise de façon directe ou transposée, ou encore évoquée par l’utilisation d’instruments typiquement sud-américains : Quatre Moments musicaux (1970), Chili 70 (1970), Indio (1972), Arenas y màs alla (1974), Concierto Barocco (1975). ARRIAGA Y BALZOLA (Juan Crisóstomo de), compositeur espagnol (Bilbao 1806 - Paris 1826). Exceptionnellement précoce, il composa à onze ans un Octuor et, un an plus tard, une Ouverture pour orchestre. À treize ans, il écrivit un opéra, les Esclaves heureux, qui obtint un succès considérable à Bilbao. En 1822, il vint à Paris travailler avec Baillot (violon) et Fétis (harmonie et contrepoint), et fut répétiteur au Conservatoire à dix-huit ans. C’est alors qu’il écrivit ses oeuvres les plus importantes. Le surmenage qu’il s’imposait eut raison de sa santé fragile, et il mourut de tuberculose dix jours avant son vingtième anniversaire. En dépit des influences - notamment celle de Mozart - que son écriture révèle, l’expression d’Arriaga est parfaitement originale par sa couleur espagnole et par la vie intense qu’il sut conférer à des partitions de musique pure : quatuors, symphonie. Son aptitude à vaincre toutes les difficultés techniques lui permit de réaliser, au cours de sa brève existence, une oeuvre à la fois solide et inspirée. ARRIEU (Claude), femme compositeur française (Paris 1903 - id. 1990). Elle a fait ses études classiques à Paris, puis ses études musicales au Conservatoire, dans les classes de Dukas, RogerDucasse, G. Caussade et N. Gallon, et a obtenu un premier prix de composition en 1932. Jusqu’en 1946, elle a occupé des fonctions à la Radiodiffusion nationale (metteur en ondes, chef adjoint du service des illustrations musicales). En 1949, la première attribution du prix Italia de musique a été décernée, à Venise, à son oeuvre Frédéric général. Bien qu’elle ait été l’un des premiers compositeurs à participer aux recherches de P. Schaeffer, Claude Arrieu écrit une musique sans audaces, claire, élégante, d’un ton personnel, d’une très belle facture. Elle a composé pour le théâtre (Noé, texte d’A. Obey ; la Princesse de Babylone, texte de P. Dominique d’après Voltaire ; Cymbeline, d’après Shakespeare, Un clavier pour un autre, texte de J. Tardieu), pour l’orchestre (ballets, concertos pour divers instruments), pour le piano et pour des formations de chambre. Elle a écrit aussi des oeuvres vocales telles que la Cantate des sept poèmes d’amour en guerre (poème d’Eluard, 1946), des mélodies, des pièces chorales, de la musique de film et des oeuvres radiophoniques, dont la Coquille à planètes (texte de P. Schaeffer). ARRIGO (Girolamo), compositeur italien (Palerme 1930). Dans sa ville natale, il étudie le cor, puis la composition avec Turi Belfiore. Il vient travailler à Paris avec Max Deutsch (1954-1958) et retient l’attention des auditeurs de son trio à cordes. Tre Occasioni obtient le prix de la Biennale de Paris en 1965. Plusieurs autres de ses oeuvres sont données en France : à Paris, Thumos ; à Avignon, l’opéra Orden (livret de Pierre Bourgeade, 1969) ; à Paris encore, son deuxième opéra, Addio Garibaldi (1972). Ces derniers titres, auxquels il faut ajouter Cantate pour Urbinek (1969) ou encore Solarium pour orchestre (1976), cernent un paysage et une angoisse qui sont caractéristiques d’Arrigo. Comme plusieurs Italiens (ses aînés Nono et Dallapiccola), le compositeur est obsédé par la liberté, dont il fait chanter la voix en prenant appui sur des textes beaux et denses. Son Addio Garibaldi est tout empli de Verdi, autre amoureux de la liberté. Une couleur italienne est d’ailleurs toujours perceptible, dominante même chez Arrigo. Son style vocal est souvent proche de celui des madrigalistes et, pour ses Épigrammes, pour ses 3 Madrigaux, il fait appel à des sonnets de Michel-Ange. Des poètes modernes tels que Montale l’attirent aussi. Des « sons cris », des « sons lamentos » apparaissent dans des oeuvres vocales comme Episodi (monodrame sur des textes de poètes grecs anciens, 1963). Une prédilection pour les combinaisons instrumentales, peu habituelles, se fait jour dans la Cantate pour Urbinek (6 joueurs d’harmonica) et Addio Garibaldi (24 flûtes à bec). Ces deux dernières oeuvres, avec Orden, sont sans doute les plus originales, par leur thème comme par le témoignage de l’artiste qui regarde son temps, le vit, le retransmet. Actuellement directeur du Teatro Massimo de Palerme, Arrigo demeure un passionné, farouchement indépendant et même solitaire. « Je suis musicien, dit-il, par ma condition... Je n’ai qu’une possibilité : écrire de la musique. » ARS ANTIQUA. Terme appliqué à la musique allant des débuts de la polyphonie (fin du IXe s.) à 1320 environ, mais en particulier à celle du XIIe et du XIIIe siècle. L’Ars antiqua atteignit son apogée sous les règnes de Philippe Auguste et de Saint Louis. Cet art a cinq formes principales : 1.L’organum. Il est d’abord écrit à deux voix évoluant de façon parallèle : une voix chante la teneur (ou vox principalis), qui est une mélodie grégorienne, et l’autre donne la même mélodie à la quarte supérieure ou à la quinte inférieure ; c’est l’organum parallèle. Au début du XIIIe siècle, Pérotin compose des organa à 4 voix, beaucoup plus élaborés. 2.Le déchant. C’est une écriture essentiellement syllabique (note contre note), formée de la voix principale avec, au-dessus, la voix organale qui évolue par mouvement contraire avec des consonances d’unisson ou d’octave, de quarte ou de quinte. Cette technique, pratiquée vers les XIe et XIIe siècles, est employée également au XIVe siècle et une grande part d’improvisation est laissée aux « déchanteurs ». 3.Le motet. Il commence à se développer, pendant la seconde moitié du XIIIe siècle, aux dépens de l’organum. La forme est généralement à 3 voix : - la première voix, ou teneur, est écrite en valeurs longues sur un texte liturgique ou profane ; - la deuxième voix, ou duplum (motetus), évolue parallèlement en langue vulgaire, sur un texte différent ; - la troisième voix, ou triplum, chante un troisième texte. Ce mélange de textes, liturgiques ou profanes, va caractériser également le motet à l’époque de Guillaume de Machaut. 4.Le conduit (conductusb. Cette forme semble avoir été créée par l’école de Notre-Dame de Paris pour accompagner des processions. La teneur n’est plus une mélodie grégorienne, mais elle est librement inventée. Le conduit peut être à 1, 2 ou 3 voix, mais se caractérise par un style d’écriture plus syllabique que celui de l’organum. downloadModeText.vue.download 42 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 36 5.Le rondeau. Il est écrit comme un conduit à 3 voix et se singularise par sa forme, qui obéit à la forme littéraire du même nom comprenant plusieurs couplets et un refrain qui revient entre chacun des couplets. C’est dans cette forme que le contrepoint s’emploie avec le plus de liberté (Adam de la Halle). Ces différentes formes, développées, ouvrent la voie aux compositeurs du siècle suivant : ceux de l’Ars nova. ARSIS. Terme de métrique qui, dans l’Antiquité, indiquait que, dans la danse, le pied ou la main du danseur était en position élevée. Le mot thésis, en revanche, désignait l’abaissement, c’est-à-dire la pose ou la frappe du pied. Par extension, on désigne, en musique, par thesis, le temps fort, et par arsis, le temps faible. ARS NOVA. Terme qui signifie « art nouveau ». C’est le titre donné par Philippe de Vitry (1291-1361) à un traité qui nous renseigne sur ce que pouvait être l’enseignement de la théorie musicale au début du XIVe siècle. C’est aussi le nom donné au style polyphonique français (mais il s’applique également aux musiciens italiens du trecento) qui s’étend approximativement de 1300 jusqu’à la mort de Guillaume de Machaut en 1377. Il y a, à cette époque, une volonté profonde de renouvellement, due à une évolution des esprits liée à des événements historiques tels que la guerre de Cent Ans. L’Ars nova est caractérisé par différentes recherches : des formes nouvelles (le motet à 3 ou à 4 voix qui emploie souvent la technique de l’isorythmie, et les trois formes fixes de la chanson : ballade, rondeau et virelai), des sujets d’inspiration différente, des textes d’une plus grande qualité poétique (notamment dans le cas de Machaut), des thèmes musicaux plus lyriques (la voix supérieure, cantus, étant plus travaillée, voire ornée), des rythmes utilisés plus souplement, un contrepoint plus libre, des nouveautés tonales (notes sensibles et cadences à double sensible). Tous ces éléments de l’Ars nova annoncent l’âge d’or de la polyphonie franco-flamande au XVe siècle, préparée par une période de transition appelée l’Ars subtilior. ARS SUBTILIOR. Terme introduit en 1963 dans le langage de l’histoire de la musique par Ursula Günther, pour désigner la période qui s’étend entre la mort de Guillaume de Machaut (1377) et les premières oeuvres de G. Dufay, soit entre l’Ars nova et le début de la Renaissance. Le mot choisi est lié au caractère d’extrême raffinement propre à la musique de cette période. Parmi les musiciens de l’Ars subtilior, on peut compter ceux du manuscrit de Chantilly, notamment Baude Cordier. ARTARIA. Maison d’édition viennoise qui exista de 1769 à 1932. Les fondateurs en furent deux cousins, Carlo (1747-1808) et Francesco (17441808) Artaria, originaires de Blevio, sur le lac de Côme. Après avoir débuté dans les objets d’art, comme déjà à Mayence leurs pères Cesare et Domenico, et leur oncle Giovanni, ils se tournèrent vers l’édition musicale, d’abord en reprenant des publications étrangères (première annonce le 19 octobre 1776), puis en réalisant des éditions originales (première annonce le 12 août 1778). La firme devint rapidement la principale de Vienne. Au tournant du siècle, deux de ses collaborateurs fondèrent leur propre maison : en 1798 Tranquillo Mollo (plus tard Tobias Haslinger), et en 1801 Giovanni Cappi (plus tard Diabelli). Carlo et Francesco s’étant retirés dans leur ville natale, le fils de Francesco, Domenico Artaria (1775-1842), devint en 1804 seul propriétaire de la firme, non sans avoir épousé la fille de Carlo. Il eut comme successeur son fils August (1807-1893), et celui-ci, ses trois fils, Carl August, Dominik et Franz, morts respectivement en 1919, en 1936 et en 1942. Parurent chez Artaria beaucoup d’oeuvres de Haydn (les premières furent, en avril 1780, six sonates pour piano) et de Mozart (dont, en 1785, les six quatuors dédiés à Haydn), puis certaines de Beethoven et de Schubert. On possède plus de 70 lettres de Haydn à la firme, qui de son côté consacra à ce compositeur, de son vivant, environ 150 publications originales ou non. Mathias Artaria (17931835), de la branche de Mayence (plus tard Mannheim), mais installé à Vienne, fit paraître notamment en mai 1827 l’opus 133 (grande fugue) et l’opus 134 (transcription de la grande fugue pour piano à quatre mains) de Beethoven, qui venait de mourir ; Mathias Artaria s’intéressa aussi à Schubert. La dernière grande activité de la maison Artaria fut la publication, de 1894 à 1920, de la série des Denkmäler der Tonkunst in Oesterreich (reprise ensuite par Universal Edition). ARTAUD (Pierre-Yves), flûtiste français (Paris 1946). Après avoir obtenu les 1ers Prix de flûte et de musique de chambre au Conservatoire de Paris, il étudie l’acoustique musicale à l’université de Paris-IV. À partir de 1972, il est flûte solo aux ensembles l’Itinéraire et 2e2m, dévolus à la musique contemporaine. Il enseigne la flûte depuis 1965, a été musicien-animateur des J.M.F. de 1973 à 1980, responsable de 1981 à 1986 de l’atelier de recherche instrumentale de l’I.R.C.A.M., professeur à l’Académie de Darmstadt en 1982. En 1985, il est nommé professeur de musique de chambre au Conservatoire de Paris. Il a appartenu à plusieurs formations de musique de chambre, dont le quatuor de flûtes Arcade, qu’il a créé en 1964. Parallèlement à son activité de flûtiste et d’enseignant, il a dirigé plusieurs collections de musique contemporaine pour différents éditeurs. Comme concertiste, pédagogue et chercheur, il a contribué à développer l’art de la flûte, proposant un nouveau regard sur le répertoire traditionnel et suscitant de nombreuses créations. Il a obtenu en 1982 le Grand Prix d’interprétation de la musique française d’aujourd’hui, décerné par la S.A.C.E.M., et plusieurs grands prix du disque. ARTICULATION. Terme de phonétique désignant l’émission claire et précise des consonnes, qui permet la compréhension des syllabes et des mots. En chant, la bonne projection des consonnes, des voyelles, des syllabes est un élément indispensable de la technique vocale. Par extension, la musique instrumentale a repris ce terme pour désigner une exécution claire et une compréhension exacte du phrasé musical. On l’emploie aussi dans la technique d’un instrument (piano, violon, ...) nécessitant un délié des doigts. ARTS FLORISSANTS (les). ! CHRISTIE (WILLIAM). ARTUSI (Giovanni Maria), théoricien italien (Bologne v. 1540 - id. 1613). Cet élève de Zarlino, auteur de canzonette à 4 voix, éditées à Venise en 1598, serait oublié aujourd’hui si ses attaques contre Monteverdi ne l’avaient promu à une certaine célébrité. Dans le plus connu de ses pamphlets, L’Artusi ovvero delle imperfectioni della musica moderna (2 vol., Venise, 1600-1603), il condamne sans appel les audaces des novateurs. Particulièrement visé, Claudio Monteverdi répondit dans la préface de son livre de Madrigaux (1605) que le « compositeur moderne construit ses oeuvres en les fondant sur la vérité ». ASHKENAZY (Vladimir), pianiste russe (Gorki, Ukraine, 1937). Élève d’Oborine au conservatoire de Moscou, il a remporté en 1955 le second prix au concours Chopin de Varsovie, en 1956, le premier prix au concours de la reine Élisabeth de Belgique à Bruxelles et a été lauréat du concours Tchaïkowski (1962). Sa carrière a été lente, mais il est considéré, à l’heure actuelle, comme l’un des plus grands pianistes de sa génération. Il vit en Islande. Son répertoire est vaste, mais downloadModeText.vue.download 43 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 37 on peut citer Beethoven, Chopin, Brahms, Prokofiev parmi les compositeurs dont il donne des interprétations marquantes. Sa technique est étincelante, sans être jamais envahissante. Il joue les romantiques d’une manière limpide, sobre, presque classique, en fait très mûrie et profonde. Il consacre une grande part de son activité à la musique de chambre et à la direction d’orchestre. ASHLEY (Robert), compositeur américain (Ann Arbor, Michigan, 1930). Il étudie la composition à l’université du Michigan et à la Manhattan School of Music de New York (Master of Music, 1954). Collaborateur du Space Theatre, créé par le peintre Milton Cohen, cofondateur, avec le compositeur Gordon Mumma, de l’association ONCE, destinée à promouvoir un art syncrétique, Ashley s’est affirmé, depuis ses débuts, comme un auteur multimédia doublé d’un « performer ». Il utilise la vidéo, l’électronique et l’ordinateur pour réaliser une approche globale des phénomènes artistiques ayant une existence temporelle (bruits, gestes, paroles, sons). Son écriture vocale avoue les origines les plus diverses, du blues au Sprechgesang, de la chanson au sermon religieux. Reflet de ces préoccupations, l’opéra pour télévision Perfect Lives (19781984) évoque, avec les moyens des médias de masse, les animateurs de ces médias, dans un style où le théâtral se mêle au quotidien le plus banal et où l’action scénique se confond avec la vie propre des interprètes et des spectateurs (Ashley est souvent l’interprète de ses propres partitions, notamment vocales). Le compositeur traite l’actualité d’une manière volontairement immédiate, rudimentaire ; son style est proche de celui de la musique minimaliste, mais ce quotidien est en quelque sorte mythifié, dans un esprit très américain rappelant la littérature d’un John Dos Passos, comme dans l’opéra Improvement (Don Leaves Linda), élément d’une tétralogie C Now Eleanor’s Idea), dont l’élaboration doit s’étendre sur plusieurs années. Ashley a écrit d’autres opéras (That Morning Thing, 1967 ; Strategy, 1984 ; My Brother Called, 1989), des pièces de « théâtre électronique » (Kityhawk, 1964), des pièces « multimédia » (In Sara, Mencken, Christ and Beethoven, There Were Men and Women, 1972). ASIOLI (Bonifazio), compositeur et théoricien italien (Correggio 1769 - id. 1832). Compositeur très précoce, il vécut de 1799 à 1813 à Milan, où en 1808 il fut nommé directeur des études au conservatoire nouvellement fondé. On lui doit de la musique religieuse, des opéras, l’oratorio Jacob, de la musique instrumentale, dont d’intéressantes sonates pour piano, et des ouvrages théoriques parmi lesquels Principi elementari di musica (Milan, 1809). De 1806 à 1810, il eut comme élève le fils aîné de Mozart, Karl Thomas, arrivé chez lui muni d’une lettre de recommandation de J. Haydn. ASPIRATION. 1. Terme parfois employé, mais non généralisé (cf. Couperin), pour désigner un signe en forme d’accent vertical surmontant une note, pour l’abréger en la détachant de celle qui suit ; l’aspiration est en quelque sorte le superlatif du point désignant les « notes piquées », en les rendant plus brèves encore, bien que certains auteurs emploient parfois indifféremment les deux signes l’un pour l’autre. 2. Ornement usité au XVIIIe siècle dans la musique vocale et pour certains instruments à vent (flûte), consistant à toucher très légèrement le degré supérieur, sans lui donner la valeur d’une note véritable, entre deux notes qui se suivent à l’unisson, surtout quand la première est longue ; on peut aussi l’employer dans un mouvement mélodique légèrement descendant. L’aspiration n’est usitée que dans les morceaux de caractère grave ou pathétique, jamais dans les airs vifs ou gais. Les instruments, qui, comme le clavecin, ne peuvent toucher une note sans la jouer réellement, sont impropres à l’aspiration, encore qu’ils s’y essaient quelquefois (Saint-Lambert). Certains auteurs assimilent l’aspiration aux ornements appelés « accent », « plainte » ou « sanglot ». Lorsqu’elle est notée, ce qui n’est pas obligatoire, cette sorte d’aspiration peut s’écrire soit par une petite note, soit par un signe analogue à celui qui est présenté dans la première définition, mais placé entre les 53 41 26 notes et non au-dessus d’elles. ASPLMAYR (Franz), compositeur et violoniste autrichien (Linz 1728 - Vienne 1786). Il écrivit surtout de la musique de chambre et des ballets pour Noverre (après l’installation de ce dernier à Vienne en 1771), et, en décembre 1781, participa comme second violon à la fameuse exécution des quatuors opus 33 de Haydn devant l’empereur Joseph II et le grand-duc Paul de Russie (futur tsar Paul Ier). ASSAFIEV (Boris), compositeur et musicologue russe (Saint-Pétersbourg 1884 Moscou 1949). Il fut élève de Liadov (composition) et de Rimski-Korsakov (orchestration) au conservatoire de Saint-Pétersbourg (1904-1910), puis pianiste accompagnateur du corps de ballet au théâtre Mariinski. Conseiller du théâtre du Bolchoï, de 1925 à 1943, il accéda à la présidence de la Direction de l’union des compositeurs en 1948. Parallèlement, il exerça une activité de critique musical et consacra beaucoup de temps à la recherche. On lui doit de nombreuses biographies sur des compositeurs russes, essentiellement Tchaïkovski, Scriabine, Rimski-Korsakov, Moussorgski, Prokofiev, ainsi qu’une Histoire de la musique russe depuis le début du XIXe siècle. Assafiev fut un compositeur prolixe : 4 symphonies, 10 opéras, 28 ballets (dont plusieurs, comme la Fontaine de Bakhtchissaraï, 1933-34, appartiennent, en Union soviétique, au répertoire courant), de la musique de chambre et nombre de pièces et cycles vocaux. ASSAI (ital. : « beaucoup »). Ce terme, ajouté à d’autres indications de mouvement, en modifie ou complète le sens. Exemple : allegro assai, très animé, très vite. ASSOUCY (Charles Coypeau d’), poète et luthiste français (Paris 1605 - id. 1679). Personnage pittoresque, il voyagea beaucoup en France et en Italie et connut une vie riche en aventures. Il fut au service de Louis XIII (1635) et de Louis XIV (1653). Poète burlesque, il s’apparenta par son style à Scarron. Compositeur, il écrivit la musique d’Andromède de Corneille et plusieurs ballets. Il mettait lui-même ses nombreuses chansons en musique, mais la plupart de ses partitions sont perdues. ASTON ou ASHTON (Hugh), compositeur anglais (v. 1480 - en 1522). Les détails de sa vie sont mal connus. L’importance de son oeuvre est reconnue par tous, car on voit généralement en lui le premier compositeur de musique non vocale. Son Hornpipe pour le virginal est un exemple à peu près unique de l’écriture pour clavier de l’époque et annonce le style repris plus tard par John Bull. Aston est peut-être l’inventeur de la variation. Outre des oeuvres instrumentales, il composa sept motets, une messe et un Te Deum. ASUAR (José-Vicente), compositeur chilien (Santiago 1933). Après des études à l’université de Santiago, puis à Berlin avec Boris Blacher, il suivit les séminaires de Boulez, Stockhausen, Maderna et Ligeti à Darmstadt (1960-1962). Il dirige le département de technologie sonore à l’université de Santiago depuis 1969. Parmi ses oeuvres, citons : Encadenamientos pour flûte, basson, violon et violoncelle, plusieurs pièces avec bande magnétique, Guararia repano (bande et instruments typiques vénézuéliens) et Imagen de Caracas (voix, bande et instruments). downloadModeText.vue.download 44 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 38 A TEMPO (ital. : « au mouvement »). Locution utilisée dans le cours d’une partition pour ramener au mouvement initial une séquence qui vient d’être ralentie ou accélérée. La même indication peut être aussi donnée par la mention : tempo primo (« mouvement primitif »). ATHÉMATISME (gr. a privatif, et thema, « sujet posé »). L’athématisme qualifie une musique dans laquelle toute trace de thème véritablement posé est absente. Si l’on peut à la limite qualifier d’« athématique » le chant grégorien, où le « thème » n’est qu’une inflexion de la voix déterminant certains traits dans le cadre du mode, le terme est surtout employé à propos d’une grande partie de la musique du XXe siècle, à partir de Schönberg, plus encore de Webern, et de leurs successeurs. Schönberg utilisa parfois ses séries un peu comme des thèmes, mais Webern établit que l’utilisation de la série avec toutes ses conséquences logiques était en fait incompa- tible avec le principe du développement thématique. Dans une première étape, l’athématisme contraignit les compositeurs à employer de « petites formes », à se limiter à des oeuvres brèves (Webern). Plus tard, l’approfondissement du système de la série et de ses combinaisons diverses fit découvrir, dans le cadre de l’athématisme, de nouvelles lois d’articulation sonore, ce qui a permis de rendre sans cesse plus étendu ce monde sonore nouveau. ATONALITÉ. C’est l’état d’une musique dans laquelle sont suspendues les fonctions et lois tonales sur lesquelles reposait la musique occidentale depuis les précurseurs de Bach : tonique, hiérarchie des degrés, notion de consonance* et de dissonance, cadences, etc. Elle utilise de manière conséquente la totalité des ressources de la gamme chromatique (total chromatique), dont les douze demi-tons sont considérés comme équivalents, et se fonde sur le concept de l’émancipation de la dissonance. Il est difficile de fixer le moment de la naissance de l’atonalité. Elle était en germe dans le chromatisme de plus en plus exacerbé de Wagner et de la fin du XIXe siècle. Ce chromatisme finit par « envahir de façon définitive l’écriture harmonique ou contrapuntique, rendant les rencontres de sons inanalysables par une pensée tonale rationnelle » (P. Boulez). Les premières oeuvres de Schönberg (par ex., le sextuor Nuit transfigurée, 1899) témoignent de cet envahissement. Si l’on trouve des passages entièrement atonaux dans certaines oeuvres d’Ives, datées des alentours de 1900, c’est à Schönberg qu’il convient d’attribuer la paternité d’un atonalisme conscient et systématique, dans le dernier mouvement de son quatuor à cordes no 2 (1907-08). Cette tendance, chez Schönberg, s’affirme dans son cycle de mélodies le Livre des Jardins suspendus (1908-09) et culmine dans son Pierrot lunaire (1912). La dissolution de l’ensemble des lois, la liberté et l’indépendance complètes qui se manifestent dans cette dernière partition ne suffirent cependant pas au compositeur, qui ressentit le besoin d’introduire des règles dans cet univers informe ; le dodécaphonisme est une manière d’organiser l’atonalité, et il faut ici rappeler la phrase de P. Boulez : « L’atonalité est essentiellement une période de transition, étant assez forte pour briser l’univers tonal, n’étant pas assez cohérente pour engendrer un univers non tonal. » Pourtant, même après l’instauration de la musique sérielle, beaucoup de compositeurs ont préféré demeurer dans la liberté de l’atonalisme. Quoique l’atonalité, au sens strict du terme, caractérise particulièrement l’école de Vienne et ses divers descendants, elle n’est pas leur apanage exclusif. Dès les premières expériences de Schönberg, auxquelles s’ajoutaient les coups de boutoir donnés au système tonal par les impressionnistes français, la notion d’atonalité se répandit et irrigua, à des degrés divers, l’oeuvre de nombreux compositeurs comme Stravinski, Bartók, Hindemith, Honegger, voire Puccini. Elle contamina non seulement l’ensemble de l’écriture musicale de notre siècle, mais même la façon d’écouter la musique : un auditeur qui a entendu de la musique atonale ressent d’une manière nouvelle la musique tonale. Dans un sens élargi, atonalité peut qualifier la musique employant des micro-intervalles (quarts de ton et autres) et celle qui provient de matériaux sonores non traditionnels (musique concrète, musique électronique). L’atonalité est dorénavant un des traits dominants de tout le paysage musical. ATTACA (ital. attaccare, « attaquer », « attacher », « entamer un discours »). Dans une partition, à la fin d’un mouvement ou d’une partie d’une oeuvre, ce terme indique qu’il faut attaquer la partie suivante en enchaînant, sans coupure ou après un très court silence, et en adoptant aussitôt le nouveau tempo sans considérer ce qui précédait immédiatement (par exemple, passage du deuxième au troisième mouvement du 5e concerto pour piano de Beethoven). ATTAINGNANT ou ATTAIGNANT (Pierre), imprimeur et éditeur français (nord de la France ? - Paris 1552). Établi à Paris à partir de 1514, il fut le premier Français à éditer de la musique. Son activité fut considérable ; plus de cent recueils sortirent de ses presses : chansons et motets polyphoniques, pièces instrumentales, notamment ses célèbres Danceries, qui furent diffusées dans toute l’Europe. Il permit ainsi le rayonnement de la chanson polyphonique française de l’école de Paris, particulièrement des oeuvres de Sermisy, de Janequin, mais également des chansons de Josquin Des Prés. En 1538, il obtint le titre de « Libraire et imprimeur de musique du Roi », titre que la maison garda jusqu’en 1557, date à laquelle sa veuve céda devant la concurrence des éditeurs Le Roy-Ballard. ATTAQUE. Terme désignant la première ou les premières notes d’un morceau de musique (synonyme de « début »). Il désigne également le geste du chef d’orchestre précédant l’exécution des premières notes d’une oeuvre ou d’une partie d’oeuvre. Dans le vocabulaire du contrepoint, l’attaque s’identifie avec l’entrée du thème ou d’un sujet. Enfin, dans le domaine du chant ou de l’exécution instrumentale, on appelle « attaque » le geste de l’interprète provoquant le début de l’émission d’un son (attaque de la touche au piano ; position des lèvres pour les instruments à vent, etc.). ATTERBERG (Kurt), compositeur suédois (Göteborg 1887 - Stockholm 1974). Tout comme Alfvén, Atterberg peut être considéré comme un national-romantique tardif, mais à ce titre il est l’un des plus remarquables symphonistes suédois de ce siècle. En témoignent notamment, parmi ses neuf symphonies (composées de 1909 à 1956), les nos 2 (1913), 3 (Images de la côte ouest, 1916), 4 (Sinfonia piccola, 1918) et 6 (1928), mais aussi De fävitska jungfrurna (commande des Ballets suédois de Paris en 1920) et Fanal (1932), l’un de ses cinq opéras. ATTRACTION. C’est l’un des principes fondamentaux qui régissent la significabilité du langage musical dans la quasi-totalité de ses idiomes. L’attraction, qui motive les rapports de dynamisme entre sons successifs, est ainsi complémentaire de la consonance, qui règle les rapports de statisme entre sons indifféremment successifs ou simultanés. De par sa stabilité, en effet, la consonance tend vers l’immobilité, mais en même temps elle exerce sur ses voisins une attirance qui crée une tension, génératrice de mouvement et d’expressivité. L’attraction s’exerce de manière différente selon que le langage est mélodique ou harmonique, mais le principe reste identique. Il s’agit toujours d’une attirance du degré faible vers le degré fort voisin, sans que jamais puisse se manifester l’appel inverse : l’irréversibilité est une downloadModeText.vue.download 45 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 39 loi fondamentale de l’attraction. Celle-ci peut avoir des effets très divers ; elle peut notamment déplacer les notes attirées en rapprochant leur hauteur de celle de la note attirante (échelles attractives en ethnomusicologie, accords altérés en harmonie classique). Elle peut aussi donner à un degré ou un accord du ton employé une tension particulière : cette tension appelle dès lors une détente, ou résolution, qui consiste pour le degré attiré à rejoindre le degré attirant (dans l’ancienne théorie, on disait sauver au lieu de résoudre). Selon que cette résolution se produit ou non, il se crée une sémantique particulière qui est spécifique du langage musical, et qui correspond aux divers éléments de syntaxe de la phrase parlée : accords ou notes suspensives, conclusives, interrogatives, etc. ; Beethoven en donne un exemple célèbre en commentant le thème de l’un de ses quatuors : Muss es sein ? (interrogation : « cela doit-il être ? »), Es muss sein (affirmation : « cela doit être »). La dissonance, dès lors qu’elle est perçue comme telle (car on doit toujours rappeler son caractère relatif et partiellement subjectif), peut être, elle aussi, génératrice d’attraction, en faisant attendre une résolution vers la consonance la plus proche, résolution à laquelle le musicien reste libre de céder ou non ; c’est essentiellement par la manière dont il dose acceptations et refus, tensions et détentes, que le musicien parvient à rendre son discours signifiant et expressif. On peut classer les différentes attractions en deux catégories, selon qu’elles sont grammaticales ou expressives. L’attraction grammaticale est celle qui établit l’alternance des tensions et détentes en fonction de la seule significabilité de la syntaxe, sans leur donner de valeur affective particulière (par ex., dominante-tonique de la cadence « parfaite », ou rôle de la sensible, du triton, qui créent des attractions particulières sur lesquelles se fonde la phrase musicale). L’attraction expressive, elle, va au-delà des rapports syntaxiques minimaux et cherche à les intensifier par divers procédés, dont le chromatisme est l’un des plus importants : elle engendre ainsi une expression passionnelle dont certains auteurs (Monteverdi, Wagner) ont su faire un usage saisissant. En incluant dans sa théorie l’« émancipation de la dissonance », autrement dit en entendant abolir la distinction cependant naturelle entre consonance et dissonance, Schönberg, suivi par ses disciples, entendit négliger le phénomène de l’attraction ou, du moins, lui enlever toute occasion de se manifester. Il n’en est pas moins le moteur essentiel de la sémantique musicale, et l’on ne connaît guère d’autre langage que le langage atonal, sériel ou non, qui soit soustrait à son influence, si ce n’est quelques idiomes très primitifs ou, au contraire, des musiques traditionnelles d’un caractère rituel accusé qui en assure l’immobilisme - le nô japonais, par exemple. Ce sont là des exceptions qui ne peuvent entamer l’universalité du principe attractif dans presque toutes les musiques existantes. ATWOOD (Thomas), compositeur et organiste anglais (Londres 1765 - id. 1838). Protégé du prince de Galles, il séjourna de 1783 à 1785 à Naples, et de 1785 à 1787 à Vienne, où il fut élève de Mozart, qui semble l’avoir fort apprécié. Organiste à Saint-Paul de Londres en 1795, il écrivit les hymnes pour les couronnements de George IV (1821) et de Guillaume IV (1831), et, à cette époque, se lia d’amitié avec Mendelssohn. Il écrivit d’abord beaucoup pour la scène, puis se tourna surtout vers la musique religieuse. Ses devoirs de théorie et de composition avec Mozart ont été publiés en 1965. AUBADE. Concert de voix ou d’instruments donné à l’aube sous les fenêtres d’un personnage important ou d’un être cher. Son origine remonte au XVe siècle et sa pratique fut fréquente au XVIIe et au XVIIIe siècle, pour honorer de hauts personnages. À partir du XIXe siècle, plusieurs compositeurs, Bizet, Lalo, Rimski-Korsakov, Ravel (Alborada del gracioso), Poulenc, ont donné ce titre à des oeuvres de même esprit, de forme libre, instrumentales ou symphoniques. AUBER (Daniel François Esprit), compositeur français (Caen 1782 - Paris 1871). Son père recevait chez lui musiciens et artistes ; cette atmosphère eut une influence sur l’enfant. Celui-ci composa très tôt des romances qui enchantèrent les salons du Directoire. Envoyé en Angleterre pour s’initier au négoce, il revint en France en 1804 sans avoir oublié sa vocation musicale. Un concerto pour violon et un ouvrage lyrique, l’Erreur d’un moment, furent joués en 1806. Sous la férule de Cherubini, qui s’intéressait à lui, il écrivit des oeuvres religieuses et un opéra-comique, Jean de Couvin (1812). Mais ses premiers succès à Paris ne vinrent qu’avec la Bergère châtelaine (1820) et Emma (1821), joués à l’Opéra-Comique. Avec Leicester (1823) commença la collaboration d’Auber avec Scribe. Tous deux devinrent les meilleurs fournisseurs de l’Opéra et de l’Opéra-Comique. Près de cinquante partitions lyriques d’Auber y furent créées. Le compositeur toucha à tous les sujets, tous les genres, mais non à tous les styles de musique. La Neige (1823) reste une exception dans son oeuvre par son caractère rossinien et ses abondantes vocalises. Le compositeur demeura dans l’ensemble fermé aux influences italienne et allemande. Le Maçon (1825) illustre parfaitement son inspiration dans le domaine de l’opéra-comique, élégante, pétulante, nuancée, recourant à des thèmes très caractéristiques, qui se gravent dans la mémoire, et à une écriture extrêmement sûre. Avec la Muette de Portici (1828), qui précède d’un an Guillaume Tell de Rossini et de trois ans Robert le Diable de Meyerbeer, il ouvrit l’ère du grand opéra historique, à mise en scène spectaculaire. Cette oeuvre est d’une puissance et d’une passion surprenantes et convaincantes : lors de son exécution à Bruxelles en 1830, le duo « Amour sacré de la patrie » donna le signal des troubles révolutionnaires qui entraînèrent la séparation de la Belgique et de la Hollande. La Fiancée (1829), le Philtre (1831), le Cheval de bronze (1835), le Domino noir (1837), les Diamants de la Couronne (1841) connurent une faveur durable. Quant au succès de Fra Diavolo (1830), il s’est prolongé jusqu’à nos jours. Ajoutons qu’Auber écrivit une Manon Lescaut (1856) et un Gustave III (1833), dont le sujet est le même que celui d’Un bal masqué de Verdi. Auber entra à l’Institut en 1829, fut nommé l’année suivante directeur des concerts de la Cour, succéda à Cherubini comme directeur du Conservatoire en 1842 et fut maître de Chapelle de la Cour impériale à partir de 1857. AUBERT (Jacques), dit le VIEUX, violoniste et compositeur français (? 1689 Belleville, Paris, 1753). Élève de J.-B. Senallié, il fut nommé musicien du prince de Condé, en 1719, et devint intendant de la musique à Chantilly, probablement en 1722. Son opéra la Reine des Péris, représenté en 1725, déconcerta le public, habitué aux sujets mythologiques. Aubert a introduit en France le concerto pour violon en trois mouvements (1735), emprunté aux Italiens, ainsi que leur instrumentation (deux parties de violon et basse continue). Il a composé 5 livres de sonates pour son instrument. AUBERT (Louis), pianiste et compositeur français (Paramé, Ille-et-Vilaine, 1877 Paris 1968). Venu à Paris à dix ans, il y devint immédiatement célèbre grâce à sa voix de soprano et fut, en 1888, le créateur du Pie Jesu dans le Requiem de Fauré. Ce dernier fut son professeur de composition au Conservatoire. Dans un style sensible et distingué procédant de Fauré et de Debussy, Aubert écrivit de la musique instrumentale, en particulier pour piano, des poèmes symphoniques, des oeuvres chorales, de nombreuses mélodies et des ballets. Excellent orchestrateur, il fit des arrangements de partitions de Tchaïkovski, Chopin, Offenbach pour des spectacles de ballets à downloadModeText.vue.download 46 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 40 l’Opéra. Il pratiqua aussi la critique musicale. Il fut élu à l’Institut en 1956. AUBIN (Tony), compositeur et chef d’orchestre français (Paris 1907 - id. 1981). Au Conservatoire, il travailla la direction d’orchestre avec Philippe Gaubert et la composition avec Paul Dukas. Il obtint, en 1930, le premier grand prix de Rome pour sa cantate Actéon. En 1944, il fut nommé chef d’orchestre à la radio et commença à diriger des concerts dans les associations symphoniques de la capitale. Professeur de composition au Conservatoire à partir de 1946, il devint membre de l’Institut en 1975. Aubin possède le sens de la poésie et de l’émotion intérieure, et, s’il s’inspire volontiers de l’austérité de César Franck, il s’abandonne sans effort à la délicatesse d’un Ravel. Son écriture méticuleuse est dans l’ensemble traditionnelle, mais non conventionnelle. Sa production, peu abondante, est de grande qualité : musique de piano, musique de chambre, oeuvres vocales et symphoniques, ces dernières incluant des musiques de film ; pour le théâtre, il a écrit des ballets et l’opéra Goya (1974). AUBRY (Pierre), musicologue français (Paris 1874 - Dieppe 1910). Ce chartiste, qui enseigna à l’Institut catholique de Paris et à l’École pratique des hautes études, fut un des pionniers de la musicologie médiévale. Dès 1898, il entreprit d’étudier les troubadours et les trouvères à la lumière de la doctrine des modes rythmiques élaborée par les théoriciens du XIIIe siècle. Ses écrits comprennent : les Proses d’Adam de Saint-Victor (1900), Lais et descorts français du XIIIe siècle (1901), Trouvères et troubadours (1909). AUDITION. Dans le phénomène de l’ouïe, on désigne plus particulièrement par audition l’ensemble des processus qui font percevoir et reconnaître comme des sons, par notre conscience, les différences de pression à certaines fréquences, de l’air qui nous entoure et qui frappe les tympans de nos oreilles. Si l’anatomie de l’oreille est aujourd’hui bien connue, la transformation physiologique des différences de pression en influx nerveux (c’est-à-dire en « courant électrique » qui leur soit proportionnel) et celle de ces influx en sensations auditives n’ont pas reçu d’explication généralement admise ; la théorie de l’information et le principe de l’ordinateur fournissent à ce processus un modèle intéressant, mais ne suffisent pas à interpréter ces phénomènes de façon convaincante. En fait, de nombreux facteurs interviennent dans l’audition, comme la culture musicale du sujet et la prévision mentale qu’il peut faire de l’irruption d’un événement sonore, ce qui met en cause un autre phénomène mental, celui de la mémoire auditive. On n’explique guère, non plus, la faculté qu’ont certains individus d’identifier avec précision la hauteur absolue des sons, sans élément de comparaison - ce que l’on appelle l’« oreille absolue « ; encore faut-il signaler qu’avec l’évolution rapide du diapason, cette oreille absolue peut être remise sérieusement en question : elle serait surtout fonction du timbre et des rapports d’intervalles avec d’autres sons. Il est possible de mesurer le seuil d’audition de chaque oreille pour toutes les fréquences, du grave à l’aigu. Le tracé obtenu, ou audiogramme, permet des études statistiques sur l’audition. On constate ainsi que la sensibilité de l’oreille varie considérablement en fonction de la fréquence, la zone de plus grande sensibilité se situant entre 1 kHz et 2 kHz. Chez un sujet jeune, la bande passante s’étend approximativement de 20 Hz à 18 ou même à 20 kHz ; dès le début de l’âge mûr, l’acuité auditive se perd progressivement aux fréquences élevées, pour ne pas dépasser 8 à 10 kHz chez le vieillard, au maximum. C’est le phénomène de presbyacousie. On peut également observer sur les audiogrammes des distorsions de non-linéarité dans la courbe de réponse de l’oreille, pouvant aller jusqu’à de véritables surdités partielles à des fréquences bien déterminées : c’est le phénomène de socioacousie, provoqué par des lésions de l’oreille interne dues à la persistance de bruits intenses de même fréquence dans l’environnement sonore (c’est le cas d’ouvriers dans la métallurgie, par exemple). On a aussi généralement noté des pertes de sensibilité de l’audition et des surdités partielles chez les individus fréquentant régulièrement les discothèques, où le niveau de diffusion sonore est très élevé, de même que chez les amateurs de musique pop, dont les concerts sont, au sens propre, assourdissants. Il faut enfin mentionner le cas très particulier et inexpliqué du compositeur Olivier Messiaen, chez qui l’audition provoque des associations mentales avec des couleurs. AUDRAN (Edmond), compositeur français (Lyon 1842 - Tierceville, Seine-etOise, 1901). Fils d’un ténor connu, Marius Audran, il envisagea une carrière de maître de chapelle et entra à l’école Niedermeyer, où il fut le condisciple de Messager et de SaintSaëns. Ses parents s’étant fixés à Marseille, il y devint en 1861 organiste, puis maître de chapelle. Il écrivit des motets, mais aussi des romances et des partitions lyriques, parmi lesquelles le Grand Mogol, dont la création à Marseille en 1877 fit sensation. Il regagna alors Paris et s’y imposa sans coup férir avec les Noces d’Olivette (1879) et surtout la Mascotte (1880). Dès lors célèbre, il alimenta les théâtres d’opérette avec une trentaine de partitions souriantes, à l’écriture claire, parmi lesquelles Gilette de Narbonne (1882), Miss Helyett (1890) et la Poupée (1896), qui, sans atteindre la popularité de la Mascotte, demeurent parfois représentées de nos jours. AUER (Leopold von), violoniste hongrois (Veszprém 1845 - Dresde 1930). Enfant prodige révélé à Budapest puis à Vienne, il devient en 1863 le disciple de Joseph Joachim à Hanovre. Premier violon des orchestres de Düsseldorf et de Hambourg, il s’installe en Russie en 1868 pour enseigner au Conservatoire de SaintPétersbourg. Il y demeure jusqu’à la révolution de 1917 et devient l’un des plus grands pédagogues de son temps, publiant même deux méthodes d’interprétation. De 1868 à 1906, il est premier violon du Quatuor de la Société russe de musique, tout en jouant les solos au Ballet Impérial. Soliste prestigieux, il reproche d’abord ses extravagances techniques au Concerto de Tchaïkovski, qu’il jouera finalement en 1893. Glazounov, Taneïev et Arenski lui dédient également des oeuvres. Héritier spirituel de Joachim, il incarne un style d’excellence technique et de classicisme perpétué par ses élèves, dont Jascha Heifetz et Nathan Milstein. De 1928 à 1930, il dispense ses derniers cours au Curtis Institute de Philadelphie. AUGMENTATION. Dans un sens général, ce terme désigne la prolongation de la durée d’une note. On peut adjoindre à la note un point pour l’augmenter de la moitié de sa valeur, mais on peut également, dans un morceau, augmenter la durée de toutes les valeurs d’une manière égale proportionnellement à chacune. Dans une messe de Dufay (XVe s.) par exemple, les notes de la teneur, base de toute la structure polyphonique, peuvent être prolongées. Plus tard, une technique contrapuntique, fréquemment employée, est de faire réentendre un thème, un choral par exemple, en valeur plus longue. Ce procédé se rencontre chez Bach et ses contemporains, mais aussi parfois chez les compositeurs romantiques (Schumann, Brahms). AUGMENTÉ (intervalle). C’est un intervalle plus grand d’un demiton que l’intervalle habituel de même nom. Par exemple, do. fa est une quarte juste, do. fa dièse une quarte augmentée. Un accord étant parfois désigné par le nom de son plus grand intervalle, l’accord do. mi. sol dièse, par exemple, peut être appelé accord de quinte augmentée. downloadModeText.vue.download 47 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 41 AUGUSTIN (saint), [de son nom latin, Aurelius Augustinus], Père de l’Église, évêque d’Hippone (Tagaste, Est algérien, 354 - Hippone, auj. Annaba [Bône], 430). Il intéresse l’histoire de la musique par la place qu’il accorde à celle-ci dans ses spéculations symboliques (Enarrationes super psalmes) et par son traité De musica. Malgré son titre, les six livres de ce dernier traitent surtout de métrique et de rythmique poétique. Sans doute constituaient-ils la première partie d’un ouvrage inachevé, dont une seconde partie aurait été probablement consacrée à la mélodie. Saint Augustin a été le premier à relier la musique à l’idée d’amour, principalement d’amour de Dieu (cantare amantis est). Son commentaire sur les longues vocalises de l’alleluia (jubilus), considérées comme une expression de joie si intense qu’elle en déborde les possibilités de la parole, est resté justement célèbre. Il a joué un rôle important dans la formation d’une culture chrétienne et, dans tout l’Occident, son influence s’est exercée jusqu’à la Renaissance. AULOS (pluriel : auloi). Terme général pour désigner un instrument à vent employé par les Grecs et les Romains. Formé à l’origine d’un roseau, l’aulos fut ensuite fait en bois, en métal ou en ivoire. C’était une sorte de chalumeau commun à plusieurs civilisations antiques : Sumer, Babylone, l’Égypte. Les céramiques grecques, du VIIIe au IVe siècle av. J.-C., représentent de nombreux instruments, très souvent faits de 2 tuyaux ; l’un d’eux, plus grave, servait de basse et l’autre de chant. Le nombre de trous pouvait varier de 4 à 15, selon les époques. On observe 2 sortes d’auloi : les auloi à embouchure de flûte, parmi lesquels on trouve le monaulos, ou flûte droite, et la syrinx, ou flûte de Pan, à plusieurs tuyaux, très répandue ; et les auloi à anche double qui ont une tessiture plus grave. Certains auloi avaient des fonctions précises : le plus petit, ou parthenos, accompagnait les funérailles ou les sérénades ; le païdikon accompagnait les fêtes et les banquets ; le kitharisteros était joué dans les tragédies ; le teleios accompagnait les « pean « ; enfin, l’hyperteleios, le plus grave, accompagnait les libations aux dieux. Les auloi étaient non seulement des instruments orgiastiques, mais aussi des instruments très utilisés dans les grands concours musicaux. Bien que n’ayant pas un son très puissant, ils pouvaient être utilisés pour marquer la cadence des rameurs ou faire défiler les gymnastes ou les soldats, car le son en était pénétrant. Il semble que l’aulos double devait toujours faire entendre deux sons à la fois, car il était impossible à l’aulète de souffler dans un seul tuyau sans souffler dans l’autre. Dans les comédies d’Aristophane, on joue de l’aulos durant les intermèdes. On disait que les dieux de l’Olympe avaient peu de goût pour l’aulos, car il appartenait à Dionysos, aux silènes et aux ménades. AURIACOMBE (Louis), chef d’orchestre français (Pau 1917 - Toulouse 1982). De 1930 à 1939, il apprend le violon et le chant à Toulouse, ville à laquelle il demeurera attaché toute sa vie. D’abord violoniste à l’Orchestre radio-symphonique de Toulouse, il apprend la direction d’orchestre à partir de 1951 auprès d’Igor Markevitch, dont il sera l’assistant de 1957 à 1968. En 1953, il fonde l’Orchestre de chambre de Toulouse, composé d’une vingtaine de cordes. Vivaldi et d’autres compositeurs baroques sont l’essentiel du répertoire de son ensemble, qui grave plusieurs disques. Il dirige souvent des orchestres d’étudiants de haut niveau, au Conservatoire de Paris et au Mozarteum de Salzbourg. Il crée aussi des oeuvres d’Ohana et, en 1970, donne la première américaine de Ramifications de Ligeti. Gravement malade, il abandonne ses activités en 1971. AURIC (Georges), compositeur français (Lodève 1899 - Paris 1983). Il fait ses études au conservatoire de Montpellier, puis à celui de Paris, où il est l’élève de G. Caussade pour le contrepoint et la fugue, et se lie avec Honegger et Milhaud ; à la Schola cantorum, il suit les cours de composition de V. d’Indy. Il admire Satie, Stravinski et Chabrier. Ce n’est pas par hasard que Cocteau lui dédie, en 1919, le Coq et l’Arlequin, véritable manifeste de l’esprit nouveau placé sous la houlette de Satie : membre du groupe des Six, Auric est sans nul doute le plus authentique représentant de l’esprit contestataire, voire provocateur, qui anime ces musiciens. Plus tard, il accède à de hautes fonctions officielles : président de la S. A. C. E. M. (1954), administrateur général de la réunion des théâtres lyriques nationaux (1962-1968) ; il devient aussi membre de l’Institut, en 1962. Mais il ne se coupe jamais de la création vivante et, avec une inlassable curiosité, sait se tenir au courant des tendances les plus avantgardistes. La peur de se prendre au sérieux engendre le ton désinvolte d’Auric, sa verve, son ironie, qui s’expriment à travers un langage clair, concis. Le compositeur aime travailler en étroite relation avec les autres arts, d’où un goût marqué pour la musique de scène (Malbrough s’en va-t-en guerre de Marcel Achard, 1924 ; le Mariage de M. Le Trouhadec de Jules Romains, 1925 ; les Oiseaux d’Aristophane, 1927 ; Volpone de Ben Jonson, 1927, etc.), les ballets et la musique de film. Étroitement mêlé au second souffle des Ballets russes, il compose pour Diaghilev les Fâcheux (1924), les Matelots (1925), la Pastorale (1926). Plus tard, le Peintre et son modèle (1949), Phèdre (1950), Chemin de lumière (1952) révèlent la seconde manière d’Auric, puissamment vivante et tragique ; ce sont presque des oeuvres de théâtre, « car Auric considère et traite les ballets comme des opéras où la danse tient le rôle du chant » (A. Goléa). Dans la musique de film, il voit une occasion de rappro chement avec le grand public, une expérience novatrice, peut-être un moyen de renouer avec l’idée de « musique d’ameublement » chère à Satie. Dans ce domaine, le Sang du poète (1931), écrit pour Cocteau, précède une quarantaine de partitions, dont À nous la liberté (René Clair, 1932), l’Éternel Retour (Cocteau, 1943), la Symphonie pastorale (Delannoy, 1946), la Belle et la Bête (Cocteau, 1946), les Parents terribles (Cocteau, 1946), Orphée (Cocteau, 1950), MoulinRouge (Huston, 1953). Parallèlement, dans sa musique instrumentale, il sait retrouver les ressources du contrepoint et manifeste son sens aigu de la construction, en particulier dans la Sonate pour piano en fa majeur (1931) et la Partita pour 2 pianos (1955), conjonction de Satie et de Schönberg, méditation sur l’écriture sérielle. La série tardive des Imaginées (1965-1973) témoigne d’une réflexion sur les possibilités et la signification de la musique pure. AUSTIN (Larry D.), compositeur américain (Duncan, Oklahoma, 1930). Après ses études, il enseigne à l’université de Californie à Davis. Intéressé par le jazz moderne, il cherche d’abord à en étendre les possibilités, puis, ayant fondé le New Music Ensemble, il opte pour une « musique ouverte », plus ou moins libre dans une rythmique non métrique. Ses recherches se portent enfin vers l’union de la « musique ouverte », de la technologie moderne et des ressources théâtrales. Ainsi réalise-t-il un certain nombre d’oeuvres dites « theatrical pieces in open style » comme The maze, Bass ou The magicians (pour enfants, sons vivants et électroniques, lumière noire, diapositives et film), qu’il présente lui-même non comme pièces de musique, mais comme « objets de temps ». À partir de 1967, il a édité Source, publication de musique d’avantgarde. AUTHENTE (gr. : « qui domine », « principal »). 1. D’abord employé pour désigner trois modes de la musique grecque antique, ce terme sert, dans le système des huit modes ecclésiastiques, à distinguer quatre modes principaux, dits authentes, dont la mélodie se déroule au-dessus de la finale, et quatre downloadModeText.vue.download 48 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 42 autres, dits plagaux. Les quatre modes authentes sont le dorien (sur ré), le phrygien (sur mi), le lydien (sur fa) et le mixolydien (sur sol). 2.L’expression cadence authente est un synonyme peu employé de cadence parfaite. AUZON (Bruno d’), compositeur français (Dijon 1948). Spécialisé dans la musique électro acoustique, qu’il pratique surtout avec ses moyens personnels au Studio de la Noette, en Provence, il a fondé avec le pianiste Jacques Raynaut et le flûtiste Gérard Garcin un groupe d’interprétation de musiques « mixtes » (pour instruments et bande) et électroacoustiques. Ses Triades 1 et 2 (1977-78), Par la fenêtre entrouverte (1978) et Des arbres de rencontre (1979), pour percussion et bande, révèlent un auteur sensible et personnel. AVE MARIA. La plus usuelle des prières à la Vierge. Sa première partie réunit les deux salutations adressées à Marie dans l’Évangile de saint Luc, l’une par l’Ange (Ave gratia plena... Dominus tecum) lors de l’Annonciation, l’autre par Élisabeth à l’occasion de la Visitation (Benedicta tu... fructus ventris tui) avec ou sans l’addition des deux noms propres, Maria et Jesus. Cette partie est entrée très tôt dans l’office, d’abord sous forme d’antienne jusqu’à in mulieribus, puis d’offertoire, soit jusqu’à in mulieribus, soit jusqu’à ventris tui ; elle figure déjà dans la liturgie dite de saint Jacques le Mineur et dans l’antiphonaire grégorien primitif. Sa seconde partie est une invocation ; elle n’est pas tirée de l’Écriture sainte et date probablement du concile d’Éphèse (431), sauf la partie terminale (nunc et in hora mortis nostrae), qui serait une addition franciscaine du XIIIe siècle. Le texte musical de l’antienne a souvent été pris dans l’Ars antiqua comme teneur de motet et, au XVIe siècle, comme thème de messe ; mais, contrairement à ce qu’on pourrait penser et malgré son extrême diffusion dans la piété populaire, l’Ave Maria, en tant que prière et sous sa forme usuelle, n’a pas été très souvent mis en musique en dehors de l’antienne ou de l’offertoire liturgique. L’Ave Maria de Josquin Des Prés est fondé sur une séquence qui développe elle-même un trope de l’antienne, Ave Maria, Virgo serena. Celui d’Arcadelt est un faux du XIXe siècle, dû au maître de chapelle de la Madeleine à Paris, Dietsch. Le célèbre Ave Maria de Schubert, écrit sur une poésie allemande, que l’on a ensuite réadaptée en latin de manière apocryphe, est en réalité l’un des trois chants d’Ellen dans la Dame du lac de Walter Scott. Et le non moins célèbre Ave Maria de Verdi est une prière d’opéra, celle de Desdémone au dernier acte d’Othello. Quant à celui de Gounod, il s’agit de l’addition arbitraire d’une mélodie au premier prélude du Clavier bien tempéré de Bach, ainsi ravalé au rang d’accompagnement ; l’Ave Maria a remplacé dans ce rôle, en 1859, une première version datant de 1853, qui comportait des paroles de Alphonse de Lamartine. L’Ave Maria dit « de Lourdes » est un simple refrain de cantique populaire. Jadis célèbres, les Ave Maria de Fenaroli (1730-1818) et de Carafa (1787-1872) sont aujourd’hui oubliés. Le seul Ave Maria musical digne de ce nom est peut-être la Salutation angélique des Prières (19141917) d’André Caplet. À VIDE. Expression relative à la manipulation d’instruments à cordes. Jouer une corde à vide, c’est faire résonner la corde en entier sans poser le doigt dessus, ce qui raccourcirait la longueur de la partie résonnante. AVIDOM (Menahem), compositeur israélien d’origine polonaise (Stanislas, Pologne, 1908). Après des études à Paris, il est professeur à Tel-Aviv (1935-1945), secrétaire général de l’Orchestre philharmonique d’Israël (1945-1952), conseiller artistique au ministère du Tourisme, et il devient président de la Ligue des compositeurs d’Israël en 1955. Dans sa musique, les techniques modernes se mêlent à des éléments de musique orientale et aux rythmes de danse de son pays d’adoption. Il a composé 9 symphonies, 2 quatuors à cordes, 2 opéras et un opéra bouffe. PALAIS DES PAPES (chapelle du). La papauté siégea en Avignon de 1305 à 1377. Le Grand Schisme suivit alors, avec ses deux papes, l’un à Rome et l’autre en Avignon, situation précaire qui dura jusqu’en 1417. C’est durant la première de ces deux périodes que la chapelle du palais des Papes constitua non à proprement parler une école, mais un important foyer d’activité et de réforme musicale. Malgré un fort penchant des compositeurs pour la musique profane, qui fit l’objet d’une bulle de Jean XXII en 1324, on possède deux manuscrits, ceux d’Ivrée et d’Apt, qui semblent représenter une partie du répertoire de la chapelle. Ils contiennent des pièces à 3 voix traitant l’ordinaire de la messe, et font apparaître les noms de Philippe de Vitry, Baude Cordier, Jean Tapissier, etc. On sait aussi que Johannes Ciconia fut au service de Clément V, aux alentours de 1350. AVIGNON (festival d’). Ce fut initialement un festival d’art dramatique, créé en septembre 1947 sous l’impulsion de l’acteur et metteur en scène Jean Vilar, du poète René Char et de personnalités avignonnaises. Dès l’origine, la musique fit partie intégrante des spectacles de théâtre. Elle était signée par M. Jarre, G. Delerue, J. Besse, K. Trow, J. Prodromidès. Au bout de quelques années, des concerts vinrent s’ajouter aux programmes, en particulier des cycles d’orgue donnés dans les églises de la région. En 1968, un concert de l’Ensemble polyphonique de Paris, dirigé par Charles Ravier, comportant des oeuvres de B. Jolas, C. Ballif et G. Arrigo où « les limites de l’exploration vocale étaient diversement élargies » (G. Erismann), ouvrit l’ère du théâtre musical. Dès 1969, cette forme, où l’esprit d’ouverture, la participation du public, la polyvalence des exécutants s’accordaient à l’évolution de l’ensemble du festival, prit une part importante dans les programmes. Depuis, plusieurs dizaines d’oeuvres ont été jouées, le plus souvent en création. Les auteurs en sont, entre autres, C. Prey (Fêtes de la faim, 1969 ; On veut la lumière... allons-y !, 1969 ; les Liaisons dangereuses, 1974), G. Aperghis (Pandaemonium, 1973 ; Histoires de loups, 1976, etc.), G. Arrigo (Orden, 1969), A. Boucourechliev, P. Drogoz, A. Duhamel, A. Essyad, H. W. Henze, B. Jolas, M. Kagel, G. Ligeti, F.-B. Mâche, I. Malec, M. Ohana, M. Puig, R. Wilson et Ph. Glass, S. Yamashta. AVISON (Charles), compositeur et organiste anglais (Newcastle 1709 - id. 1770). Auteur de sonates et de concertos, il organisa dans sa ville natale et à Durham des sociétés musicales et des concerts par abonnement. Il est surtout connu par son traité An Essay on Musical Expression (1752) et par ses arrangements sous forme de concertos grossos de douze sonates de Domenico Scarlatti. AX (Emmanuel), pianiste polonais naturalisé américain (Lvov 1949). Il travaille d’abord le piano avec son père en Pologne. Après l’installation de sa famille à New York en 1961, il entre à la Juilliard School où il reçoit l’enseignement de Mieczyslaw Munz. Un premier concert à New York en 1973 marque le début de sa carrière, qui devient rapidement internationale. Après avoir été lauréat des Concours Chopin à Varsovie (1970) Vianna da Motta à Lisbonne (1971) et Reine Élisabeth de Belgique (1972), il remporte en 1972 le Ier Prix du Concours Rubinstein de Tel-Aviv, puis en 1979 l’Avery Fisher Prize. Les années 80 sont marquées par la création d’un trio avec le violoniste Young Uck Kim et le violoncelliste Yo-Yo Ma (avec lesquels il enregistre plusieurs oeuvres de Brahms), et d’un duo avec Yo-Yo Ma. Depuis 1990, Emmanuel Ax s’est aussi beaucoup intéressé à Haydn, dont il a downloadModeText.vue.download 49 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 43 enregistré plusieurs sonates, et à la musique du XXe siècle, interprétant Tippett, Henze ou Copland et créant des oeuvres d’Ezra Ladermann, William Bolcom et Joseph Schwantner. AYRE. Équivalent de l’air de cour, en France, à la même époque, ayre est le nom donné à la chanson anglaise à la fin du XVIe siècle, et surtout pendant une courte période de trente années environ au début du siècle suivant. Cette chanson était généralement conçue pour une voix seule (parfois deux, en dialogue) accompagnée au luth avec l’adjonction toujours possible d’une basse de viole. Souvent le luthiste était luimême le chanteur. C’était le cas du maître incontesté du genre, John Dowland. Mais d’autres musiciens illustrèrent cette forme avec autant de talent. Nous ne citons ici que quelques noms : Th. Morley, Ph. Rosseter, Th. Campion, Th. Ford. Comme pour l’air de cour français, la forme de l’ayre anglais est généralement strophique, la musique étant composée sur le texte de la première strophe. Cela pose souvent des problèmes de prosodie lors d’une exécution des autres strophes sur la même musique. Parfois, cependant, un ayre est durchkomponiert, par exemple l’admirable plainte de Dowland, In Darkness Let Me Dwell. Une grande importance est accordée à la beauté mélodique et à des recherches harmoniques. Il est fréquent que l’ayre anglais soit plus strictement mesuré que son équivalent français. downloadModeText.vue.download 50 sur 1085 B. Lettre par laquelle a été désignée d’abord la note ré dans la notation médiévale du système de Notker Balbulus, puis la note si dans le système d’Odon de Cluny. Elle indique toujours le si naturel dans les pays de langue anglaise, mais le si bémol (B flat en anglais) dans ceux de langue allemande, où le H représente le si naturel. En ce qui concerne la désignation des tonalités, B et b (majuscule et minus- cule) indiquent respectivement, pour les Anglais, si majeur et si mineur, pour les Allemands, si bémol majeur et si bémol mineur ; pour ces derniers enfin, Bes représente si double bémol. BABBITT (Milton), compositeur et théoricien américain (Philadelphie 1916). Mathématicien, il ne vint à la musique qu’à la suite de ses rencontres avec Marion Bauer, Philip James et surtout Roger Sessions, qui l’incita à mettre rapidement un terme à une carrière de compositeur de chansons et de comédies musicales. Subtil théoricien de la technique sérielle, reprenant et étendant la dernière manière de Schönberg dans l’utilisation des douze sons, il a créé un système personnel reposant sur une plus grande complexité et un plus grand raffinement des intervalles, liés à l’idée structurale qui sert de point de départ à l’oeuvre. Cette reformulation de la base empirique de la tradition musicale s’accompagne d’une exploration logique de la matière sonore dans ce qu’elle a de plus abstrait, qu’il s’agisse des possibilités des instruments ou de l’électronique. Professeur à l’université de Princeton, puis à la Julliard School, directeur du Centre de musique électronique de Columbia-Princeton et directeur de la musique à l’université de New York, il exerce une très grande influence sur les jeunes composiB teurs, et, s’il n’est pas absolument reconnu comme le chef de file de l’école américaine (notamment par le groupe de John Cage), il en demeure l’une des personnalités les plus importantes. Son rayonnement s’est également exercé à travers ses ouvrages théoriques (Some aspects of 12 tones compositions ; Past and present of the nature and limits of music ; The use of computers in musicological research ; 12 tones rhytm structure and the electronic medium), ainsi que par ses conférences, données aux États-Unis et en Europe (Salzbourg, Darmstadt), où il analyse ses conceptions avec brio. L’oeuvre de Babbitt comprend de la musique de piano, de la musique de chambre, de la musique pour voix et piano ou bande magnétique et des compositions pour instruments électroniques. BACARISSE (Salvador), compositeur es- pagnol (Madrid 1898 - Paris 1963). Prix national de composition musicale dans son pays en 1923, 1930 et 1934, critique musical, directeur artistique de l’Unión Radio de Madrid et de différents organismes culturels jusqu’à la guerre civile, Salvador Bacarisse vécut exilé en France à partir de 1939. C’était un traditionaliste, dont l’oeuvre, en majeure partie orchestrale, franche d’accent et ardemment optimiste, ne conservait qu’un contact discret avec l’art et le folklore espagnols. BACCALONI (Salvatore), basse italienne (Rome 1900 - New York 1969). Enfant, il fut soprano dans les choeurs de la chapelle Sixtine. Il débuta au théâtre Adriano de Rome dans le Barbier de Séville (rôle de Bartholo) et fut engagé à la Scala de Milan par Toscanini en 1927. Dès lors, il s’imposa comme la plus célèbre basse bouffe de son époque. Il chanta aux festivals de Glyndebourne (1936-1939) et de Salzbourg avant d’émigrer, au moment de la guerre, aux États-Unis, où il demeura longtemps attaché au Metropolitan Opera de New York. Salvatore Baccaloni possédait un timbre profond, que pourraient envier nombre de basses dramatiques, et un talent d’acteur exceptionnel. Bartholo (le Barbier de Séville, les Noces de Figaro), Osmin (l’Enlèvement au sérail), Alfonso (Cosi fan tutte), Leporello (Don Juan) et Don Pasquale furent ses rôles les plus marquants. BACCHANALE. Morceau de musique ou de danse dans le caractère des fêtes bachiques, lesquelles célébraient, dans le monde antique, le culte de Dionysos (Bacchus). À l’époque de la Renaissance, le terme a été appliqué à des compositions vocales, sur des thèmes populaires et burlesques, qui se chantaient à Florence. Mais il désigne surtout les divertissements d’opéra qui s’inspirent des danses des bacchantes, traditionnellement désordonnées et teintées d’érotisme. La bacchanale de Tannhäuser de Wagner et celle de Samson et Dalila de Saint-Saëns sont les plus typiques. BACEWICZ (Grażyna), femme compo- siteur polonaise (Ðód’z 1913 - Varsovie 1969). Elle étudia au conservatoire de Varsovie la composition avec K. Sikorski et le violon avec J. Jarzebski, puis travailla à Paris avec Nadia Boulanger. En tant que violoniste, elle donna pendant plusieurs années des séries de concerts en Pologne et à l’étranger, avant de se consacrer à la composition. Elle a reçu dans son pays le prix d’État en 1950 et 1952. La démarche downloadModeText.vue.download 51 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 45 musicale de ses débuts était d’expression néoclassique et fortement teintée par la musique populaire. Ultérieurement, Grażyna Bacewicz s’est ouverte à la nouvelle musique et a participé à son développement, notamment dans le cadre du sérialisme. Son oeuvre comprend essentiellement des compositions orchestrales, ainsi qu’un ballet (le Paysan qui devint un roi, 1953) et un opéra radiophonique (les Aventures du roi Arthur, 1959). BACH (Carl Philip Emanuel), compositeur allemand (Weimar 1714 - Hambourg 1788). Deuxième fils de J. S. Bach et de sa première femme Maria Barbara, et deuxième de ses quatre fils musiciens, le « Bach de Berlin et de Hambourg » fut l’élève de son père à Saint-Thomas, grava lui-même à 17 ans son premier menuet, et, après de solides études de droit, devint en 1738 claveciniste dans l’orchestre du prince héritier de Prusse. Lorsque celui-ci accéda au trône sous le nom de Frédéric II, il le suivit à Potsdam. Il se révéla rapidement un maître de la musique instrumentale, en particulier du clavier, et, à ce titre, marqua profondément son époque, aussi bien par ses Sonates prussiennes (1742), ses Sonates wurtembergeoises (1744) ou ses Sonates avec reprises variées (1760) que par son Essai sur la véritable manière de jouer des instruments à clavier (Versuch über die wahre Art, das Clavier zu spielen, 1753 et 1762, traduction française, Paris, 1979). Ce traité est fondamental pour la connaissance des questions d’interprétation au XVIIIe siècle. Des années berlinoises ne datent que deux ouvrages religieux, la cantate de Pâques Gott hat den Herzn auferwecket (1756) et surtout le Magnificat en ré (1749). À la mort de son parrain, Telemann (1767), il lui succéda comme directeur de la musique à Hambourg et occupa ce poste de 1768 à sa mort. Là, il fit entendre le Messie de Haendel, le credo de la Messe en si de son père, le Stabat Mater de Haydn et composa lui-même une assez grande quantité de musique religieuse dont les oratorios Cantate de la Passion (1769 ?), Die Israeliten in der Wüste (« Les Israélites dans le désert », version originale 1769) et Die Auferstehung und Himmelfahrt Jesu (« La résurrection et l’ascension de Jésus », version originale 1774), de nouveaux ouvrages pour clavier (6 recueils de Sonates, rondos et fantaisies pour connaisseurs et amateurs parurent de 1779 à 1787), de la musique de chambre et 10 symphonies (la moitié de sa production en ce domaine) : 6 pour cordes à l’intention du baron Van Swieten (1773) et 4 pour grand orchestre, parues en 1780. Dans son héritage se trouvaient la plupart des documents originaux de la famille Bach. Contrairement à celle de son frère, Wilhelm Friedemann, sa musique fut largement éditée de son vivant et sa renommée fut grande. Haydn (qui travailla ses sonates dans sa jeunesse) et Mozart l’admirèrent profondément, et le premier surtout, par certains côtés, fut son continuateur. Pionnier du concerto pour clavier (une cinquantaine), il fut, par ses brusques modulations dramatiques, ses rythmes imprévus, sa démarche parfois velléitaire, le plus grand représentant en musique de l’Empfindsamkeit. « Un musicien ne peut émouvoir que s’il est ému lui-même », disait-il volontiers, et, sous les notes d’un des dix-huit Probe-Stücke accompagnant l’Essai..., à caractère de récitatif, le poète Heinrich Wilhelm von Gerstenberg (1727-1823) put inscrire les paroles du monologue d’Hamlet. Son instrument préféré était le clavicorde. Parmi les domaines injustement méconnus de sa production, une vaste série d’Odes et lieder pour voix avec accompagnement de clavier. De la galanterie il sut éviter les écueils et il occupa en son siècle, pas seulement comme adepte de la nouvelle « forme sonate », une position unique. Il fut d’ailleurs le seul musicien de son rang à avoir couvert, par une production abondante, tout le deuxième tiers et une bonne partie du troisième tiers du XVIIIe siècle. Le catalogue de ses oeuvres dressé par Alfred Wotquenne (1905) est à peu de choses près une copie de celui, incomplet, réalisé après la mort du compositeur par un de ses amis, l’organiste Johann Jacob Heinrich Westphal (1756-1825). Un autre, dû à Eugen Helm, est paru en 1989. BACH (Georg Christoph), compositeur allemand (Erfurt, Saxe, 1642 - Schweinfurt, Basse-Franconie, 1697). Fils de Christoph Bach (1613-1661), Georg Christoph occupa, vingt ans durant, le poste de cantor à Themar (Saxe), avant d’obtenir la même charge à Schweinfurt. Là, il reçut la visite de ses frères Johann Christoph et Johann Ambrosius et, pour cette occasion, il composa une cantate sur le psaume 133 : Siehe wie fein und lieblich... (Oh ! qu’il est agréable et doux pour des frères de demeurer ensemble !). BACH (Heinrich), compositeur allemand (Wechmar 1615 - Arnstadt 1692). Fils de Johannes Bach, il fut d’abord musicien de la ville d’Erfurt, puis organiste à la Liebfrauenkirche et à l’Oberkirche d’Arnstadt. Il composa de nombreux concertos, des préludes de choral, des chorals, des motets et des cantates. Comme organiste, il jouit d’une assez grande réputation à son époque. BACH (Johann Bernhard), compositeur allemand (Erfurt, Saxe, 1676 - Eisenach, Saxe, 1749). Fils de Johann Aegidius, il étudia Erfurt avec Pachelbel avant de débuter comme organiste à la Kaufmannskirche (1695). Il fut ensuite nommé à Magdebourg, puis à Eisenach où il resta jusqu’à sa mort. Une partie seulement de ses compositions a été conservée (oeuvres pour orgue, chorals, fugues et 4 suites pour orchestre). BACH (Johann Christian), compositeur allemand (Leipzig 1735 - Londres 1782). Dernier enfant de J. S. Bach et de sa seconde femme Anna Magdalena, et dernier de ses quatre fils musiciens, le « Bach de Milan et de Londres » - appelé aussi Jean Chrétien - n’avait que quinze ans à la mort de son père et profita moins que ses deux demi-frères et que son frère de son influence et de ses conseils. Après 1750, il poursuivit sa formation à Berlin auprès de son demi-frère Carl Philip Emanuel, et, en 1755, alla en Italie, voyage qu’auparavant aucun Bach n’avait effectué. Là, il fut protégé par le comte Litta, devint l’élève du padre Martini, composa de la musique sacrée (Dies irae) et des opéras (genre qu’avant lui aucun Bach n’avait pratiqué), se lia avec Sammartini, et, pour devenir organiste à la cathédrale de Milan, se convertit au catholicisme. Il donna à Turin Artaserse (1760) et à Naples Catone in Utica (1761) et Alessandro nell’ Indie (1762). En 1762, il arriva à Londres comme compositeur attitré du King’s Theatre, et pendant vingt ans, premier Bach cosmopolite, premier Bach mondain, il participa activement à la vie musicale et théâtrale intense de la capitale britannique (où il accueillit en 1764 l’enfant Mozart et sa famille). Il organisa et dirigea à partir de 1765 avec le gambiste Carl Friedrich Abel les concerts par abonnements Bach-Abel (tenus à partir de 1775 à Hanover Square Rooms), fit chaque mercredi de la musique chez la reine, devint professeur des enfants royaux, introduisit en Angleterre le piano-forte. Dès 1763, il donna à Londres les opéras Orione et Zenaida, et en 1778 encore La Clemenza di Scipione. On le vit à Mannheim en 1772 et peut-être en 1775 pour les créations respectives de Temistocle et de Lucio Silla, et en 1778 à Paris (où il retrouva Mozart) afin de signer un contrat pour un opéra français (Amadis de Gaule, 1779). Sa mort prématurée émut surtout ses créanciers, mais provoqua chez Mozart cette réaction rare : « Bach n’est plus, quelle perte pour la musique ! » Ivresse mélodique, élégance, sensualité, facilité apparente caractérisent son style (il fut l’un des créateurs de l’allegro chantant repris par Mozart), mais n’en cachent pas moins le métier le plus sûr. D’une production très abondante, mais dont seule une partie fut éditée de son vivant, citons downloadModeText.vue.download 52 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 46 les douze sonates pour clavier op. 5 et op. 17, les six quintettes op. 11, les dix-huit concertos pour clavier op. 1 (le finale du sixième et dernier est une série de variations sur le God Save the King), op. 7 et op. 13, les vingt-quatre symphonies op. 3, op. 6, op. 8, op. 9 et op. 18. Certaines de ces symphonies sont en fait des ouvertures d’opéra, comme par exemple le célèbre op. 18 no 2 (ouverture de Lucio Silla). On lui doit aussi de très nombreuses symphonies concertantes et des airs de concert dont l’un (Ebben si vada) avec piano obligé. Il sacrifia largement au style galant, mais des oeuvres comme la sonate en ut mineur op. 5 no 6 ou la symphonie en sol mineur op. 6 no 6 nous montrent (comme ses improvisations au clavier montraient à ses contemporains) que lui aussi savait explorer profondeur et passion. Une des clés du personnage réside sans doute dans cette confidence à un ami : « Mon frère Carl Philip Emanuel vit pour composer, et, moi, je compose pour vivre. » BACH (Johann Christoph), compositeur allemand (Arnstadt, Saxe, 1642 - Eisenach, Saxe, 1703). Fils de Heinrich et petit-fils de Johannes, il fut organiste à Arnstadt, puis à Eisenach où il joua dans les trois églises, notamment à la Georgenkirche. Excellent musicien, il composa beaucoup. J. S. Bach joua quelques-unes de ses oeuvres à Leipzig et C. Ph. E. Bach le tenait en estime. Johann Christoph laissa des oeuvres pour le clavier (orgue ou clavecin), dont 44 chorals pour le service divin, des cantates et des motets. Ses quatre fils furent également musiciens. On le considère généralement comme le plus grand musicien de la famille Bach, antérieur à Jean-Sébastien. BACH (Johann Christoph Friedrich), compositeur allemand (Leipzig 1732 Bückeburg 1795). Fils aîné de J. S. Bach et de sa seconde femme Anna Magdalena et troisième de ses quatre fils musiciens, le « Bach de Bückeburg » fut éduqué par son père et mena, contrairement à ses frères, une carrière modeste et peu agitée. Engagé au début de 1750, juste avant la mort de son père, à la cour du comte de Schaumburg-Lippe à Bückeburg (Westphalie), il devait y rester jusqu’à sa mort, au service des comtes Wilhelm (jusqu’en 1777) et Friedrich Ernst (1777-1787), puis de la régente Juliane. Il dut d’abord se consacrer surtout à la musique italienne, en particulier jusqu’au départ en 1756 du maître de concerts Angelo Colonna et du compositeur G. B. Serini. La fin de la guerre de Sept Ans (1763) marqua pour la chapelle de Bückeburg un nouveau départ. L’écrivain Johann Gottfried Herder, qui séjourna à Bückeburg de 1771 à 1776, écrivit pour J. C. F. Bach les textes des oratorios Die Kindheit Jesu (« l’Enfance de Jésus », 1773) et Die Auferweckung des Lazarus (« la Résurrection de Lazare », 1773) et de diverses cantates. En 1778, il rendit visite, à Londres, à son frère Johann Christian. La plupart de ses oeuvres ne franchirent jamais les limites de Bückeburg. De ses vingt symphonies, dont sept seulement ont été préservées intégralement, la dernière, en si bémol majeur (1794), est un chef-d’oeuvre durable de l’époque classique. Dans les quinze dernières années de sa vie, surtout dans le domaine instrumental (sonates, musique de chambre, concertos), il fut moins influencé qu’auparavant par son demi-frère Carl Philip Emanuel et par les maîtres de l’Allemagne du Nord et se rapprocha du style de son frère Johann Christian et de l’équilibre classique. Il mit en outre à ses programmes des oeuvres de ses contemporains « avancés », dont Mozart. Avec son fils Wilhelm Friedrich Ernst (1759-1845), également musicien, devait s’éteindre la descendance mâle de Jean-Sébastien. Un catalogue des oeuvres de J. C. F. Bach a été réalisé par Hannsdieter Wohlfarth (1960, réimpr. 1971). ( ! NEUBAUER.) BACH (Johann Ernst), compositeur allemand (Eisenach, Saxe, 1722 - id. 1777). Il étudia avec son père, Johann Bernhard Bach, et avec son petit cousin, Johann Sebastian. D’abord élève à l’école SaintThomas de Leipzig, il entreprit ensuite son droit à l’université de la même ville. En 1749, il fut nommé organiste à la Georgenkirche d’Eisenach. La même année, il dédia au prince de Weimar une série de fables mises en musique. Lorsque le prince accéda au pouvoir (1756), Johann Ernst devint chef d’orchestre de la Cour tout en conservant ses fonctions d’organiste à Eisenach. Johann Ernst Bach a laissé des sonates pour clavier ou pour violon et clavier, des cantates d’église, des cantates profanes, une messe, un Magnificat, des psaumes. Outre ses compositions, il écrivit la préface d’un ouvrage du théoricien Jakob Adlung, Anleitung zu der musikalischen Gelahrtheit (méthode d’éducation musicale). BACH (Johann Ludwig), compositeur allemand (Steinbach 1677 - Meiningen, Saxe, 1741). Surnommé le « Bach de Meiningen », il étudia la théologie avant d’être musicien à Salzungen. En 1708, il fut nommé cantor et maître des pages de Bernhard Ier à Meiningen, puis, en 1711, directeur de l’orchestre de la Cour. Johann Sebastian a recopié de sa main les 18 cantates allemandes de Johann Ludwig Bach. Celuici est également l’auteur d’une Suite pour orchestre. BACH (Johann Michael), compositeur allemand (Arnstadt, Saxe, 1648 - Gehren, Saxe, 1694). Fils de Heinrich Bach et frère de Johann Christoph, il était le père de Maria Barbara, première femme de Johann Sebastian. Il étudia avec son père et fut, jusqu’en 1673, organiste à la cour d’Arnstadt, puis organiste à Gehren. Il fut également facteur d’instruments, expert en instruments à clavier et en violons. Ses oeuvres, essentiellement destinées à l’orgue, comptent aussi des motets et des cantates. BACH (Johann Nicolaus), compositeur allemand (Eisenach, Saxe, 1669 - Iéna, Saxe, 1753). Fils de Johann Christoph, il commença ses études à Eisenach, puis, en 1689, entra à l’université d’Iéna. En 1695, il obtint un poste d’organiste dans deux églises d’Iéna ; il en conserva un jusqu’à l’âge de 80 ans. Il construisit des clavecins et inventa le Lautenwerk, sorte de luth muni d’un clavier. L’organiste Jakob Adlung fut l’un de ses élèves. De ses oeuvres, il reste une messe brève, un Bicinium pour orgue et une cantate burlesque (le Crieur de vin et de bière d’Iéna). BACH (Johann Sebastian), compositeur allemand (Eisenach, Saxe, 1685 - Leipzig 1750). Issu d’une lignée de musiciens-ménétriers - organistes et cantors fixés en Thuringe depuis le XVIe siècle, dont l’un au moins, Johann Christoph (1642-1703), cousin germain de son père, avait été un compositeur d’une importance particulière -, il naquit le 23 mars 1685, la même année que Haendel et D. Scarlatti. Il était le dernier des huit enfants de Johann Ambrosius Bach (1645-1695), musicien des villes d’Erfurt et d’Eisenach, et d’Elisabeth Lämmerhirt (1644-1694). Johann Sebastian Bach fit des études générales, brillantes, au gymnasium d’Eisenach et eut l’occasion d’entendre son cousin Johann Christoph au clavecin et à l’orgue. Une oeuvre de ce dernier - le motet à 8 voix Ich lass dich nicht - devait lui être plus tard attribuée. ÉTUDES ET APPRENTISSAGE. Recueilli, à la mort de son père, par son frère aîné Johann Christoph (1671-1721), élève de Pachelbel et organiste à Ohrdruf, Bach poursuivit son instruction générale au lyceum d’Ohrdruf et fit ses études musicales avec son frère. À 15 ans, grâce à sa belle voix, il fut admis dans la manécanterie de la Michaeliskirche de Lüneburg : d’après les statuts, les choristes devaient être « nés de pauvres gens, sans aucune ressource, mais possédant une bonne voix ». Là, il lut et copia beaucoup de musique, fit la connaissance des organistes downloadModeText.vue.download 53 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 47 J. J. Löwe, ancien élève de Schütz, et de G. Böhm. Il effectua plusieurs voyages à Hambourg pour y écouter J. A. Reinken, entendit la chapelle française du duc de Celle et découvrit ainsi, entre autres, les oeuvres instrumentales de François Couperin. Avec le facteur d’orgues J. B. Held, il apprit à construire, à expertiser et à réparer les orgues, domaine où sa réputation dépassa bientôt celle de ses contemporains. LES DÉBUTS D’ORGANISTE. Quelque temps violoniste dans l’orchestre privé du duc Johann Ernst de Weimar, Bach fut nommé, en août 1703, organiste à la Neue Kirche d’Arnstadt, où il composa ses premières oeuvres religieuses - la cantate Denn du wirst meine Seele nicht in der Hölle lassen (« Car tu ne laisserais pas mon âme en enfer ») BWV 15 - et ses premières pages pour clavier, dont le Capriccio sopra la lontananza del suo fratello dilettissimo (« Caprice sur l’éloignement de son frère bien-aimé »). Il s’essaya à la toccata, au prélude et fugue, au prélude de choral. En octobre 1705, il fit à pied le voyage d’Arnstadt à Lübeck pour y entendre le célèbre organiste Buxtehude, qui lui offrit sa succession : mais Bach, comme d’autres avant et après lui, recula à la perspective de devoir épouser la fille du vieux maître. De retour à Arnstadt, il attira sur lui les foudres de ses supérieurs à la fois en raison de son absence prolongée et de par sa façon « inhabituelle » de jouer de l’orgue. Ces incidents et d’autres - comme l’indiscipline et le manque de dons pour la musique des choristes dont il avait la charge - le décidèrent à accepter, au cours de l’été 1707, la succession de Johann Georg Ahle à la Blasiuskirche de Mühlhausen. Le 17 octobre de la même année, il épousa sa cousine Maria Barbara (16841720), fille de Johann Michael Bach (16481694), organiste à Gehren. Celle-ci devait lui donner sept enfants, dont deux grands musiciens, Wilhelm Friedemann (17101784) et Carl Philip Emanuel (1714-1788). À Mühlhausen, il composa trois cantates d’église : Aus der Tiefe rufe ich, Herr, zu dir (« Des profondeurs, je t’appelle, Seigneur ») BWV 131, Gott ist mein König (« Dieu est mon roi ») BWV 71, et Der Herr denket an uns (« Le Seigneur pense à nous ») BWV 196. D’UNE COUR À L’AUTRE. En 1708, Bach devint musicien de chambre et organiste à la cour de Weimar, où en Thuringe, depuis 1707, son cousin Johann Gottfried Walther était organiste et enseignait la musique aux jeunes princes. Plus tard, sous le règne de Charles Auguste (1775-1828), cette Cour devait devenir « l’Athènes de l’Allemagne », devenir le lieu de résidence de Goethe et de Schiller, et attirer des hommes célèbres dans tous les domaines de la culture. Du temps de Bach, elle se distinguait déjà des autres cours allemandes, en particulier par une atmosphère d’austérité qui contrastait fortement avec le faste et la frivolité de mise ailleurs. Tout tournait autour de la religion, et Bach eut la chance de trouver là un patron dont les idées musicales allaient en gros dans le même sens que les siennes. Plusieurs voyages le menèrent à Cassel (1714), à la cour du duc Christian de SaxeWeissenfels (1716) et à Dresde (1717), où il devait rencontrer Louis Marchand pour une sorte de joute musicale, mais l’organiste français, craignant sans doute une défaillance, se déroba. À Weimar, Bach composa ses premières grandes oeuvres pour orgue (en particulier, le début de l’Orgelbüchlein, recueil de 46 chorals, et des pièces très célèbres comme la Toccata et fugue en « ré » mineur et la Passacaille et fugue en « ut » mineur) et pour clavier (toccatas, concertos d’après Vivaldi, Telemann, A. Marcello et le duc Johann Ernst de Weimar). La Cour était luthérienne et fort pieuse : d’où, chaque mois, de la part de Bach, une nouvelle cantate pour l’excellent ensemble de chanteurs et d’instrumentistes dont il disposait. Toutefois, à la mort du maître de chapelle J. S. Drese (décembre 1716), Bach n’obtint pas sa succession, et, pour exprimer son mécontentement, il fit une sorte de « grève sur le tas » tout en cherchant un autre poste ailleurs. Une offre lui était justement parvenue du prince Léopold d’Anhalt-Köthen, mais, quand il fit part de ses intentions au duc régnant de Weimar, celui-ci le mit aux arrêts « pour avoir sollicité son congé avec trop d’obstination ». En 1717, Bach arriva néanmoins à Köthen, où ses tâches allaient être bien différentes de celles qu’il avait connues à Weimar. La cour de Köthen était réformée (calviniste) : Bach ne devait donc ni jouer de l’orgue ni composer de la musique d’église. En revanche, le prince Léopold, passionné de musique instrumentale, attendait beaucoup en ce genre de son nouveau maître de chapelle. Il en obtint plus qu’il n’avait jamais espéré : Concerts brandebourgeois, dédiés, au printemps 1721, à Christian Ludwig, margrave de Brandebourg ; suites, partitas et sonates pour orchestre, violon seul, violoncelle seul, viole de gambe, flûte ou violon avec clavecin obligé ou continuo ; concertos pour violon ; et pour clavier (clavecin), le livre I du Clavier bien tempéré (1722), les 30 inventions et sinfonie, la Fantaisie chromatique et fugue (1720), le Petit Livre de clavier de Wilhelm Friedemann Bach (1720) et celui d’Anna Magdalena (1722), les suites anglaises et françaises. Ayant perdu Maria Barbara (juin 1720), Bach se remaria, en décembre 1721, avec la cantatrice Anna Magdalena Wilcken (17011760), qui allait lui donner treize enfants, parmi lesquels deux autres grands musiciens, Johann Christoph Friedrich (17321795) et Johann Christian (1735-1782). LE CANTORAT À SAINT-THOMAS. À l’automne 1720, Bach se rendit à Hambourg et improvisa devant le vieux Reinken sur le choral An Wasserflüssen Babylon (c’est ce choral qui, dans l’éblouissante exécution de Reinken, l’avait tenu luimême sous le charme quelque vingt ans auparavant). À la fin, Reinken, d’ordinaire avare de louanges, s’écria : « Je pensais que cet art était mort, mais je vois qu’il vit encore en vous. » En 1722, le prince Léopold, au service duquel Bach pensait passer le reste de ses jours, se maria. Or sa femme n’aimait ni la musique - Bach la traita d’amusa - ni l’art en général, et les conditions à la cour de Köthen changèrent totalement. Mais il se trouva qu’après la mort de Johann Kuhnau, cantor à l’école Saint-Thomas de Leipzig, le conseil de la ville avait proposé le poste à Telemann et à Johann Christoph Graupner, qui, tous deux, l’avaient refusé, puis à Bach. Celui-ci, ayant accepté, fut nommé en mai 1723 ; il devait rester à Leipzig jusqu’à sa mort. À Saint-Thomas, Bach assurait l’enseignement musical aussi bien que les cours de latin. La chorale de l’école était formée de musiciens médiocres ; sur 55 élèves, 17 seulement étaient capables de remplir correctement leur tâche. Outre ces fonctions, il était chargé de la musique des églises Saint-Thomas et Saint-Nicolas, ainsi que de celles de la ville et de l’université pour les cérémonies officielles. Ses relations avec l’université, le recteur Ernesti et le conseil de la ville allaient être marquées par d’incessantes disputes. Le conseil se plaignait des fréquentes absences de Bach, qui se rendait à Weimar, à Cassel - où il joua sur l’orgue de la Martinuskirche (1732) -, à Dresde, où vivaient Johann Adolf Hasse et son épouse, la célèbre cantatrice Faustina Bordoni. Dans cette dernière ville, il jouissait de l’estime du comte Hermann Carl Keyserling, pour qui il composa les Variations Goldberg (publiées en 1742), et joua sur l’orgue Silbermann de la Sophienkirche. En 1741, Bach visita Berlin, et, au printemps 1747, il se rendit à Potsdam sur l’invitation de Frédéric II de Prusse, au service duquel se trouvait son fils Carl Philip Emanuel. Bach improvisa une fugue sur un sujet donné par le roi, et, à son retour à Leipzig, en tira l’Offrande musicale. Mais une maladie des yeux, s’aggravant durant les dernières années, devait lui ôter presque entièrement la vue à la fin de 1749. Son élève - et gendre - Johann Christoph Altnikol allait écrire, sous sa dictée, ses dernières oeuvres. Dans les premières années de son cantorat à Leipzig, Bach composa surtout des downloadModeText.vue.download 54 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 48 cantates d’église, ainsi que l’Oratorio de Pâques et le Magnificat. Cette période fut couronnée par la Passion selon saint Matthieu, exécutée en 1729, le jour du vendredi saint. Bach écrivit ensuite des cantates profanes pour les fêtes en l’honneur de la famille régnante de Saxe, duché dont la capitale était Dresde, mais sur le territoire duquel se trouvait Leipzig (de 1697 à 1763, les princes-électeurs de Saxe furent en même temps rois de Pologne). L’année 1733, qui vit Frédéric Auguste II succéder à son père, fut marquée par de nombreuses festivités, auxquelles Bach contribua par trois cantates différentes pour la fête du nouveau monarque et les anniversaires de son fils le prince héritier et de son épouse. À cette époque appartiennent aussi les deux premières parties de la Klavierübung : d’une part, les 6 partitas dont la publication s’étendit jusqu’en 1731 et, d’autre part, l’Ouverture dans le style français et le Concerto italien, publiés en 1735 (la troisième partie de la Klavierübung devait être constituée d’oeuvres pour orgue et la quatrième des Variations Goldberg). L’Oratorio de Noël, en réalité succession de 6 cantates, date de 1734, l’Oratorio pour le jour de l’Ascension de 1735 et le livre II du Clavier bien tempéré de 1744. Au cours des dernières années de sa vie, Bach transcenda le passé, donnant la quintessence de l’art contrapuntique avec l’Art de la fugue, révisant des chorals pour orgue et complétant la Messe en « si » mineur, qui l’avait occupé de façon intermittente depuis 1733. Le 18 juillet 1750, il recouvra soudain la vue, mais il eut quelques heures après une attaque, suivie d’une fièvre qui l’emporta dix jours plus tard. UNE SYNTHÈSE GÉNIALE. De toutes les formes musicales, l’opéra est la seule à laquelle Bach ne se soit pas essayé (mais de nombreux épisodes des cantates s’en rapprochent fort par l’esprit). Comme de coutume à son époque, sa production comporte presque entièrement des oeuvres de circonstance étroitement liées aux exigences des postes qu’il occupait. Il ne fut pas créateur de formes ni de genres, mais il reprit ceux légués par ses prédécesseurs en les élargissant considérablement tant sur le plan structural qu’expressif, en les portant à un degré de perfection et d’universalité inconnu avant lui. Du point de vue architectural, il se renouvela sans cesse : ses inventions, ses fugues, ses cantates sont toutes construites différemment. L’oeuvre de Bach se distingue également par un caractère nettement polyphonique allant néanmoins de pair avec la clarté et l’abondance mélodique. On peut, à ce propos, parler de synthèse d’éléments germaniques et italiens ; cela sans oublier les influences françaises, elles aussi miraculeusement assimilées et magnifiées, en particulier dans les suites ou ouvertures - pour orchestre, qui approfondissent un modèle jadis créé par Lully. Si Bach fut l’héritier de la longue tradition polyphonique occidentale, il assuma parallèlement la grande révolution du XVIIe siècle (réduction de la structure sonore à une mélodie accompagnée par une basse) : son originalité essentielle est d’avoir été à la croisée de ces deux chemins, raison pour laquelle il ne devait pas avoir d’héritier musical direct. Sa synthèse ne pouvait intervenir qu’entre 1700 et 1750. L’évolution de l’esthétique musicale la rendait impossible ultérieurement, et, déjà à la fin de sa vie, Bach se trouva incompris et « dépassé » aux yeux de ses contemporains. À la tradition allemande, il reprit le choral luthérien, qui vivifia toute son oeuvre, vocale et instrumentale. LES OEUVRES INSTRUMENTALES. Bach conçut la plupart de ses oeuvres instrumentales à Weimar et à Köthen, où ses activités lui permirent d’acquérir la maîtrise des formes, du style, des combinaisons instrumentales. Il exploita les perfectionnements techniques apportés à la facture du violon, du violoncelle ou de la flûte. Le concerto à l’italienne l’intéressa particulièrement. Il transcrivit de nombreux concertos d’auteurs italiens, en écrivit lui-même pour violon et il fut aussi le premier à concevoir de véritables concertos pour clavecin et orchestre. Ceux-ci sont, presque tous, des transcriptions. Cependant, pour le 5e Brandebourgeois, il confia au clavecin non seulement un rôle de soliste, mais une audacieuse cadence de 65 mesures : on a pu dire de cet ouvrage qu’il était le premier en date de tous les concertos pour clavier. Sur les six Brandebourgeois, trois (nos 1, 3 et 6) font dialoguer divers « choeurs instrumentaux » d’égale importance, alors que les trois autres opposent aux cordes un groupe d’instruments solistes, et à ceux-ci un soliste principal (trompette dans le no 2, flûte dans le no 4, clavecin dans le no 5). Bach se passionna également pour le clavier (clavecin) seul. Là, il mena à terme les deux grandes formes léguées par ses prédécesseurs. Outre des oeuvres plus ou moins isolées, mais d’une grande importance comme la Fantaisie chromatique et fugue ou le Concerto italien, il y eut, en effet, d’une part les trois recueils de six suites chacun - françaises (1722), revêtant encore le caractère de la danse populaire, anglaises (avant 1722), adoptant davantage celui de la danse de cour, et allemandes ou partitas (1726-1731), plus proches de la musique pure - et, d’autre part, les deux livres du Clavier bien tempéré (1722, 1744), comprenant l’un et l’autre 24 préludes et fugues dans toutes les tonalités majeures et mineures et démontrant l’intérêt musical - pas seulement théorique - du tempérament égal (division de l’octave en douze demi-tons strictement égaux). Quant aux Variations Goldberg, elles témoignent d’une grande richesse d’invention et d’une science extrême du contrepoint, du canon en particulier : Bach y présente 9 genres différents de canons. Synthèse de formes - l’air varié s’y mêle à la passacaille -, cette oeuvre est aussi une synthèse de procédés d’écriture. Dans le quodlibet final, deux mélodies populaires viennent se superposer au thème de la passacaille. Bach jeta ici les solides fondements de la grande variation moderne. De l’écriture canonique, le sommet fut l’Offrande musicale, série de variations contrapuntiques sur le thème proposé par Frédéric II. Cette oeuvre, construite selon une structure symétrique chère à Bach, présente le plan suivant : ricercare/5 canons/sonate en trio/5 canons/ricercare. Cinq des canons sont à deux voix avec une troisième voix utilisant le thème royal comme cantus firmus, les cinq autres traitent des variations du thème de façon canonique. Sauf pour la sonate en trio et pour le 9e canon (flûte, violon et basse figurée), Bach n’a laissé aucune indication d’instruments pour cet ouvrage prenant appui, par sa virtuosité et sa rigueur polyphoniques, et en particulier par son usage du canon-énigme, sur la grande école franco-flamande des XVe et XVIe siècles. Pour le violon, Bach a écrit notamment 2 concertos, 1 concerto pour deux violons, 6 sonates avec clavecin adoptant la structure quadripartite de la « sonata da chiesa » (sonate d’église) et, surtout, 3 sonates et 3 partitas pour violon seul où il parvint à faire de cet instrument, en principe purement monodique, un instrument polyphonique. La chaconne en ré mineur de la 2e partita, avec ses 32 variations, est une page unique dans le répertoire du violon. UN DOMAINE PRIVILÉGIÉ : L’ORGUE. La musique pour orgue occupa Bach toute sa vie durant. Il écrivit environ 250 oeuvres pour orgue, soit fondées sur le choral, soit librement inventées. La usion d’éléments de provenances diverses, caractéristique de l’oeuvre de Bach en général, est ici particulièrement évidente. Bach composa plus de 150 chorals d’orgue, et les groupa en 4 grands recueils (Orgelbüchlein, chorals du cathéchisme formant la 3e partie de la Klavierübung, chorals de Leipzig, recueil de Schübler) tout en les traitant de manière très différente, en soumettant ces simples airs de cantiques à toutes les formes possibles de métamorphose : chorals ornés, figurés, contrapuntiques, en trio, variés, harmonisés, fugués, en canon, en fantaisie sur le choral, etc. Mais le choral se veut toujours expressif, traduction d’une idée clé s’imposant avec force, grâce, notamdownloadModeText.vue.download 55 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 49 ment, à divers procédés symboliques. Quand il mit en musique un texte - et ce fut presque toujours un texte religieux -, Bach ne laissa jamais passer une idée, une image ou un mot important sans en donner musicalement une transcription symbolique. De même, son élève Gottfried Ziegler put écrire : « Pour le jeu du choral, mon professeur, le maître de chapelle Bach, me l’enseigna de telle sorte que je ne joue pas les chorals simplement tels quels, mais d’après le sentiment indiqué par les paroles. » Le dernier choral de Bach, Vor deinen Thron tret’ich (« Je comparais devant ton trône »), atteste le goût du compositeur pour les symboles numériques : la première période du choral est énoncée en 14 notes et la mélodie entière en 41 notes rétrograde de 14. Par opposition aux chorals, les fantaisies, les toccatas, les préludes et fugues sont des pages brillantes illustrant les éléments décoratifs du culte. Avec le Clavier bien tempéré, ce sont là les pages de Bach qui, même durant son éclipse à la fin du XVIIIe siècle et pour une bonne partie du XIXe, ne cessèrent jamais d’être jouées. Les plus anciennes de ces pièces portent la marque à la fois d’une jeunesse bouillonnante et de l’influence des maîtres de l’Allemagne du Nord, avec, à leur tête, Buxtehude : ainsi la célèbre Toccata et fugue en « ré » mineur. Plus tard, à partir du séjour à Weimar et sous l’influence des Italiens et des maîtres de l’Allemagne du Sud (Pachelbel), la beauté plastique de la forme s’impose, mais toujours avec de saisissants contrastes (Toccata, adagio et fugue en « ut » majeur). Dernière grande oeuvre instrumentale entreprise par Bach, même si ce ne fut pas la dernière à laquelle il travailla, l’Art de la fugue (inachevé) devait réunir 24 fugues réparties en 6 groupes comprenant chacun 2 paires de fugues (rectus et inversus). Nous ne possédons que 20 de ces fugues, dont la dernière est incomplète. L’oeuvre, dont nous ignorons à quels effectifs elle était destinée - il est fort probable que Bach lui-même ne se posa jamais la question -, explore toutes les possibilités de l’écriture fuguée, et édifie à partir d’un thème court et très simple un monument grandiose - fugues simples à développement libre, fugues à conséquent obligé, fugues à plusieurs sujets - faisant un usage des plus savants de tous les procédés contrapuntiques connus. Cette partition didactique, d’une écriture transcendante, n’en est pas moins d’une grande beauté expressive, Bach n’ayant jamais été plus à l’aise, plus libre, plus inventif, que dans la fugue. LA MUSIQUE VOCALE. La musique vocale de Bach, comme sa musique instrumentale, est dominée par le choral, grand principe de la musique luthérienne. Les chorals sont présents dans les motets, les oratorios, les Passions et surtout dans les cantates, genre qui en est le plus directement issu. La cantate est au centre de l’oeuvre vocale de Bach, qui en écrivit cinq séries pour tous les dimanches et fêtes de l’année ecclésiastique. De ces quelque 300 cantates sacrées où se mêlent les influences du concerto profane, du concert sacré et de l’opéra italien, moins de 200 nous sont parvenues. La plupart reposent sur deux piliers extrêmes : au début, un grand choeur d’introduction presque toujours construit sur une mélodie de choral ; à la fin, le chant très simple du même choral (entonné également à l’époque, selon toute probabilité, par la foule des fidèles). Entre ces deux éléments, la liberté la plus complète dans la nature et l’enchaînement des pièces : airs à une ou plusieurs voix accompagnés par l’orchestre ou des instruments solistes, récitatifs, ariosos, autres choeurs construits ou non sur le choral. Dans ses cantates religieuses, qui musicalement ne contiennent guère de faiblesses, mais dont les textes - empruntés au pasteur Neumeister, à Salomon Franck, à Henrici (dit Picander), à Ch. M. von Ziegler ou à Christian Weiss, père et fils - sont souvent médiocres, Bach réutilisa à l’occasion, non sans parfois les métamorphoser en profondeur, des morceaux tirés de ses cantates profanes, voire de pages instrumentales. Il en va de même pour les trois oratorios, qui proviennent essentiellement de compositions (surtout profanes) antérieures. La musique de l’Oratorio de Pâques est composée à partir de cantates pastorales, celle de l’Oratorio de Noël, suite de six cantates, provient de diverses sources dont la cantate profane Preise dein Glücke, gesegnetes Sachsen (« Chante bien haut ton bonheur, Saxe bénie »), composée pour l’anniversaire de l’accession d’Auguste III de Saxe au trône de Pologne, celle de l’Oratorio de l’Ascension correspond à la cantate BWV 11. La pratique de la transcription fut d’ailleurs une des constantes de l’évolution de Bach, qui poursuivit ainsi l’identité du profane et du sacré, du vocal et de l’instrumental. De ses motets allemands, six nous sont parvenus, datant tous de la période de Leipzig. Il n’a pas composé de motets latins, mais a utilisé la langue latine pour le Magnificat et la Messe en « si » mineur. Du Magnificat, écrit à Leipzig, la première version fut composée en 1723 pour le jour de Noël : elle était en mi bémol majeur et comprenait, outre les douze morceaux du Magnificat latin, quatre interpolations en langue allemande, étroitement rattachées à la liturgie de Noël. Vers 1730, Bach révisa l’ouvrage, le transposa en ré majeur, permettant d’y introduire l’éclat des trompettes et des timbales et supprima les quatre interpolations (ce qui permit de le chanter également à Pâques et à la Pentecôte). La Messe en « si » mineur, monumental édifice, « catholique » par le texte mis en musique, mais véritablement oecuménique par sa portée spirituelle (voire par les emprunts qui y sont faits aux « cantates luthériennes » de l’auteur), fut entrepris en 1733 et comprend 25 morceaux (dont plusieurs repris de compositions antérieures) disposés en 4 sections. Bach écrivit aussi 4 messes brèves luthériennes. Des 4 Passions qui nous sont parvenues, la Passion selon saint Luc n’est probablement pas de Bach. De la Passion selon saint Marc, seul le livret de Picander a été conservé. Mais certains de ses airs et choeurs se retrouvent notamment dans l’Ode funèbre de 1727, dans la cantate pour alto solo Widerstehe doch der Sünde (« Résiste donc au péché ») BWV 54, de 1730 environ, et dans l’Oratorio de Noël. Restent la Passion selon saint Jean et la Passion selon saint Matthieu, datées respectivement de 1723 et de 1729. Ce sont comme d’immenses cantates où le récitatif prend une place importante. Le texte de l’Évangile en constitue la trame essentielle. Dans ces véritables drames sacrés, Bach se révèle comme un extraordinaire homme de théâtre sans théâtre. La Passion selon saint Jean, qui fait des emprunts au livret de Brockes déjà utilisé par Haendel pour tout ce qui est en marge du récit évangélique, est à la fois la plus intime et la plus violente. La Passion selon saint Matthieu, sur un livret de Picander, fait appel aux effectifs les plus importants jamais utilisés par Bach : deux choeurs (et choeur d’enfants), deux orchestres, deux orgues se répondant de part et d’autre de l’église, solistes vocaux et instrumentaux. L’une et l’autre combinent et opposent le récit dramatique avec intervention (aux côtés de l’évangéliste) de certains personnages (Pilate, Pierre, Judas) et du choeur (la foule, les apôtres), la méditation lyrique et individuelle (ariosos, airs), et enfin la prière (le choral). Avec ses 78 morceaux regroupés en une architecture sans faille, sa synthèse unique de bonheur et de tristesse et son rayonnement de tendresse et d’amour, la Passion selon saint Matthieu représente le plus haut sommet de ce que Bach écrivit pour l’Église protestante et l’un des plus hauts de la musique religieuse de tous les temps. OEUVRES PRINCIPALES DE MUSIQUE VOCALE. Cantates : 224 cantates, la vaste majorité étant des cantates d’église, 25 sont des cantates profanes ; quelques cantates sont d’une authenticité douteuse. 7 motets. Messes : Messe en si mineur ; 4 messes « luthériennes « ; 5 sanctus. Magnificat : Magnificat en ré majeur. Passions : Passion selon saint Matthieu ; Passion selon saint Jean ; Passion selon saint Luc. oradownloadModeText.vue.download 56 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 50 torios : Oratorio de Noël ; Oratorio de Pâques. Chorals : à 4 voix et instruments ; à 4 voix, environ 185. ARIAS ET LIEDER du Notenbuch (« Petit livre ») d’Anna Magdalena. Lieder spirituels. MUSIQUE INSTRUMENTALE. OEuvres pour orgue : 6 sonates, 24 préludes, toccatas ou fantaisies et fugues. 8 petits préludes et fugues ; environ 145 chorals, dont 46 de l’Orgelbüchlein, les 6 transcriptions « Schübler », chorals du livre III de la Clavier-Übung ; 6 concertos d’après Vivaldi et d’autres compositeurs ; 5 fantaisies ; 3 toccatas ; 3 préludes ; 8 fugues ; 4 trios ; aria. OEuvres pour clavier : inventions à 2 et 3 voix ; duos de la 3e partie de la Clavier-Übung ; suites anglaises ; suites françaises ; d’autres suites ; partitas ; Das Wohltemperierte Clavier (le Clavier bien tempéré I, II), 48 préludes et fugues ; 9 préludes et fugues ; 19 fugues ; fantaisie chromatique et fugue ; 5 fantaisies et fugues ; 5 fantaisies ; concerto et fugue ; 7 toccatas ; 4 préludes ; 9 petits préludes du Clavierbüchlein pour W. Friedemann ; 11 petits préludes ; 5 sonates ; Concerto italien ; 16 concertos d’après Vivaldi et d’autres compositeurs ; Variations Goldberg ; Capriccio sopra la lontananza del suo fratello dilettissimo. OEuvres pour luth : 2 suites ; 1 partita ; prélude, fugue et allegro ; prélude ; fugue. OEuvres pour instruments divers : sonates, suites et partitas pour le violon, la viole de gambe, flûte traversière, etc., avec ou sans la basse continue. Concertos : 2 concertos pour violon et 1 concerto pour deux violons ; concerto pour flûte traversière, violon et clavier ; 6 concertos brandebourgeois ; 7 concertos pour clavier ; 3 concertos pour 2 claviers ; 2 concertos pour 3 claviers ; 1 concerto pour 4 claviers. OEuvres diverses : 4 suites pour ensemble instrumental (ouvertures) ; sinfonia ; 7 canons ; Offrande musicale ; l’Art de la fugue. BACH (Wilhelm Friedemann), compositeur et organiste allemand (Weimar 1710 - Berlin 1784). Deuxième enfant et fils aîné de J. S. Bach et de sa première femme Maria Barbara, il étudia surtout auprès de son père, dont il fut le premier des quatre fils musiciens, et qui écrivit pour lui, entre autres, le Clavierbüchlein. Nommé organiste à Dresde (1733), il quitta cette ville, trop férue à son goût de musique italienne et où le prince électeur et sa femme favorisaient la religion catholique, et devint en 1746 organiste et directeur de la musique à Halle. Il conserva ces fonctions dix-huit ans en se consacrant beaucoup, comme compositeur, au domaine religieux (cantates), alors que les années de Dresde avaient été dominées par la musique instrumentale (symphonies, concertos, pièces pour clavier). Ayant eu avec les autorités de Halle de nombreux démêlés, notamment au moment de la mort de son père, il accepta, sans aller l’occuper, un poste à Darmstadt (1762) et finalement renonça à ceux dont il jouissait à Halle sans en avoir d’autres en vue (12 mai 1764) : dix-sept ans avant Mozart, il prit ainsi le risque de la liberté. Il resta à Halle jusqu’en 1770, séjourna quelque temps à Brunswick, et, en 1774, s’installa à Berlin. Il y fut bien reçu par Kirnberger et par la princesse Amélie de Prusse, à qui il dédia, en 1778, huit fugues à trois voix pour clavier (une transcription pour trio à cordes précédée d’un prélude de celle en fa mineur est attribuée à Mozart) ; il y subsista grâce à des leçons et à des récitals d’orgue (le premier fit sensation), mais y mourut en laissant sa femme et sa fille dans la plus complète misère. Une légende entretenue au XIXe siècle par le roman pseudo-historique de Brachvogel s’édifia rapidement autour de son nom et le présenta comme un ivrogne et un malhonnête homme. On peut en faire bon marché, tout comme de l’incompréhension et de l’irrespect qu’il aurait manifestés envers l’art de son père (dont néanmoins il prit moins soin des manuscrits que son frère Carl Philip Emanuel). Il souffrit particulièrement de sa situation entre deux âges, l’attachement à son père s’opposa chez lui à la fidélité à son temps : même sa production instrumentale, particulièrement réussie (Polonaises, Fugues, Sonates et Fantaisies pour clavier), sembla à ses contemporains surannée et inutilement compliquée. Il lui manqua la concentration et la force de volonté nécessaires pour faire bon usage de sa liberté et exploiter à fond ses intuitions géniales, mais ses oeuvres reflètent la personnalité sinon la plus forte, du moins la plus visionnaire, parmi les fils de JeanSébastien. Pionnier de la « forme sonate », il se réfugia dans un monde à lui, d’une rare intensité d’expression mais offrant peu de prises à ses successeurs immédiats. On lui doit, outre sa musique pour clavier, des pièces pour orgue, de la musique de chambre faisant souvent appel à la flûte, des symphonies et des concertos, des cantates et de la musique d’église. À sa mort, la seule notice nécrologique à laquelle il eut droit le qualifia de « plus grand organiste d’Allemagne ». Ce fut, en effet, le seul des quatre fils musiciens de Jean-Sébastien à perpétuer sur ce plan la tradition de la famille Bach. Un catalogue de ses oeuvres a été dressé par Martin Falck (1913). BACHAUER (Gina), pianiste grecque naturalisée anglaise (Athènes 1913 id.1976). Elle doit vaincre les résistances de son père qui refuse l’idée qu’une femme soit musicienne professionnelle, et suit deux années de droit à l’université d’Athènes. Elle remporte cependant en 1933 le Prix d’honneur du Festival international de Vienne. Elle étudie ensuite avec Cortot à l’École normale de musique de Paris et, en 1935, reçoit les conseils de Rachmaninov. La même année, Dimitri Mitropoulos la fait débuter avec l’orchestre du Conservatoire d’Athènes. Pendant la guerre, elle se réfugie en Égypte et donne de nombreux concerts de bienfaisance pour les armées. En 1947, sa carrière anglo-saxonne commence à l’Albert Hall de Londres. En 1950, seules trente-cinq personnes assistent à ses débuts au Carnegie Hall ! C’est pourtant en Amérique qu’elle s’impose comme une artiste marquante avec des récitals-fleuves qu’elle reprend aussi bien en Australie qu’en Nouvelle-Zélande ou en Israël. En 1966, elle triomphe enfin à New York, et aborde plusieurs concertos avec le Houston Symphony Orchestra. BACHELET (Alfred), compositeur et chef d’orchestre français (Paris 1864 - Nancy 1944). Il fut l’élève d’E. Guiraud au Conservatoire de Paris et obtint le grand prix de Rome en 1890 avec sa cantate Cléopâtre. Ensuite, il entra à l’Opéra Garnier comme second chef des choeurs avant d’y entamer, en 1907, une carrière de chef d’orchestre. Comme compositeur, Alfred Bachelet a manifesté un puissant tempérament dans trois oeuvres lyriques écrites sans la moindre concession au goût populaire, mais cependant riches de mélodies attachantes : Scemo (1914), Quand la cloche sonnera (1922), Un jardin sur l’Oronte (1932). Il succéda à Guy Ropartz à la tête du conservatoire de Nancy (1919). BACILLY (Bénigne de), compositeur, chanteur et théoricien français (Normandie v. 1625 - Paris 1690). Sa réputation de maître de chant fut grande sous Louis XIV, et il publia de nombreux volumes d’airs avec basse continue. Son ouvrage principal, traité intitulé Remarques curieuses sur l’art de bien chanter (1668), est très précieux pour la connaissance de la technique vocale, des ornements et de la prononciation dans la musique française du XVIIe siècle. Bénigne de Bacilly est également l’auteur d’un Recueil des plus beaux vers qui ont esté mis en chant (3 vol.), qui a permis l’identification de nombre d’auteurs des textes des airs de cour de l’époque. BÄCK (Sven Erik), compositeur suédois (Stockholm 1919 - id. 1994). Entré en 1938 à l’Académie royale de Stockholm pour suivre les classes de violon et d’alto, il y travailla la composition de 1940 à 1944 avec Hilding Rosenberg, puis poursuivit ses études à la Schola cantodownloadModeText.vue.download 57 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 51 rum de Bâle (1948-1950) et à l’académie de Sainte-Cécile, à Rome, auprès de G. Petrassi. Après avoir appartenu à des formations de musique de chambre, il dirige depuis 1959 l’École de musique de la radio suédoise. Dans un style éclectique, empreint d’une profonde connaissance de la musique du passé, il a composé 3 quatuors à cordes et diverses pièces instrumentales, de la musique vocale, dont un Concerto per bambini (1952) pour choeur d’enfants, des opéras de chambre, des ballets, des musiques de scène et de film. BACKHAUS (Wilhelm), pianiste allemand (Leipzig 1884 - Villach, Autriche, 1969). À dix ans, il entra au conservatoire de Leipzig et travailla avec Alois Reckendorf. Il entendit le 2e concerto pour piano de Brahms, joué en soliste par E. d’Albert sous la direction du compositeur, et reçut des conseils de ce dernier. En 1900, ses premiers concerts, à Londres, inaugurèrent sa longue carrière. Interprète, au début, de tous les romantiques, Backhaus finit par ne jouer pratiquement que Brahms et surtout Beethoven. Son jeu alliait grandeur, sobriété et pureté de style. BACON (Ernst), compositeur américain (Chicago, 1898 - Orinda, Californie, 1990). Élève d’Eugène Goossens et d’Ernest Bloch, il a été professeur au conservatoire de San Francisco, directeur des activités musicales régionales dans le cadre du Federal Music Project (1934-1937), professeur à l’école Eastman de Rochester, direc- teur de la faculté de musique à l’université de Syracuse. Il a obtenu le prix Pulitzer (1932) et le prix de la fondation Guggenheim (1939 et 1942). Son oeuvre, d’esprit néoclassique, inspirée par son pays et ses traditions musicales, comporte deux symphonies, des suites d’orchestre, un opéra folklorique (A tree on the plains, 1942), des cantates, de la musique de chambre et des mélodies. BACQUIER (Gabriel), baryton français (Béziers 1924). Après des études au Conservatoire de Paris, il chante, plusieurs années durant, dans les théâtres de province et, à partir de 1953, à la Monnaie de Bruxelles, puis, à Paris, à l’Opéra-Comique (débuts, en 1956, dans Sharpless de Madame Butterfly) et à l’Opéra (1958, d’Orbel de la Traviata). Son incarnation de Don Juan au festival d’Aix-en-Provence (1960) inaugure une carrière exceptionnelle qui le conduit sur toutes les grandes scènes du monde. Gabriel Bacquier est un chanteur à la voix peu spectaculaire, mais d’une extrême habileté. Son expression et son jeu scénique sont très raffinés, et son vaste répertoire va du bouffon au tragique. Le comte (dans les Noces de Figaro), Alfonso (Cosi fan tutte), Scarpia (Tosca), Golaud (Pelléas et Mélisande) lui ont, entre autres, valu la renommée. Il a enseigné l’art lyrique au Conservatoire de Paris jusqu’en 1987. BADINERIE. Ce terme a le même sens que bagatelle, mais avec une nuance de naïveté. On le rencontre dans la musique des XVIIe et XVIIIe siècles. Le plus célèbre exemple est la badinerie qui sert de finale à la Suite no 2 en si mineur, pour flûte et cordes, de J. S. Bach. BADINGS (Henk), compositeur néerlandais (Bandoeng, Indonésie, 1907 Maarheze 1987). Il écrivit ses premières oeuvres en autodidacte, travailla ensuite avec Wilhelm Pijper, donna sa symphonie no 1 en 1930, la no 2 en 1932 et devint célèbre avec la no 3 (1934). Il fut professeur aux conservatoires de Rotterdam et d’Amsterdam, puis dirigea celui de La Haye de 1941 à 1945. Il a enseigné ensuite à Utrecht (1961) et à Stuttgart (1962-1972). Son opéra radiophonique Oreste (1954) lui valut le prix Italia. Parti du langage classico-romantique, il en vint à explorer toutes les découvertes de son temps (polytonalité, emploi original des modes) et fut en son pays, à partir de 1952, un des pionniers de la musique électronique (ballet Kain, 1956). Sa production abondante comprend notamment 14 symphonies pour diverses formations (de 1930 à 1968), dont la 6e avec choeurs (Symphonie de Psaumes, 1953) ; des oeuvres symphoniques diverses et des ballets ; des concertos dont deux pour 2 violons (1954 et 1969), un pour 2 pianos (1954) et un pour basson et contrebasson (1963) ; de la musique de chambre, de piano et d’orgue ; de nombreuses partitions électroniques ; l’oratorio Apocalypse (1940) et une Passion selon saint Marc pour solistes, choeur d’hommes, orchestre et bande magnétique (1970-71) ; des opéras dont Martin Korda (1960). BADOARO, BADOERO ou BADOVERO (Giacomo), librettiste italien (Venise 1602 - id. 1654). Gentilhomme dilettante, il fournit à Monteverdi deux livrets d’opéra (Il Ritorno d’Ulisse in patria, 1641 ; Le Nozze di Enea con Lavinia, 1641). Il fit preuve d’une conception dramatique hardie pour l’époque et ne respecta pas toujours les règles traditionnelles. BADURA-SKODA (Paul), pianiste autrichien (Vienne 1927). Il a étudié le piano avec Viola Thern à partir de 1939 et au conservatoire de Vienne à partir de 1948, avant d’être, à Lucerne, l’élève, puis l’assistant, d’Edwin Fischer. Depuis 1960, il dirige des cours de perfectionnement à Vienne et à Édimbourg, et, depuis 1962, au Mozarteum de Salzbourg. Il s’est rendu célèbre par ses interprétations de Haydn, de Mozart, de Beethoven et de Schubert, souvent sur des instruments d’époque (il en possède une vaste et remarquable collection). Sa recherche de l’authenticité s’est aussi exprimée dans des ouvrages tels que Mozart-Interpretation, Anregungen zur Interpretation der Klavierwerke (initiation à l’interprétation des oeuvres pour piano de Mozart, en collaboration avec son épouse Eva Halfar, Vienne, 1957), Die Klaviersonaten von L. van Beethoven (en collaboration avec Jörg Demus, Vienne, 1970) et Bach-Interpretation (1990). BAER (Olaf), baryton allemand (Dresde 1957). Dès 1967, il fait partie du Kreuzchor de Dresde puis, à partir de 1978, étudie à la Musikhochschule de la même ville. Il devient membre du Semper Oper de Dresde et ne tarde pas à connaître ses premiers engagements internationaux. En 1983, il débute au Wigmore Hall de Londres, puis, en 1985, à Covent Garden dans le rôle d’Arlequin d’Ariane à Naxos de Richard Strauss. En 1986, il chante à nouveau cet opéra à Aix-en-Provence et débute comme Papageno à la Scala de Milan. En 1987, il chante dans Capriccio à Glyndebourne, où il incarne Don Juan en 1991. La même année, il chante la Flûte enchantée à Vienne sous la direction de Solti. Avec le pianiste Geoffrey Parsons, il consacre aussi une grande part de son travail aux lieder. Ses interprétations de Schubert et de Wolf, notamment, sont très appréciées. BAGATELLE. Composition musicale vive, légère et brève, présentée par son auteur comme une petite chose sans importance, conformément au sens général du terme (ital. bagatella, qui désigne un tour de bateleur). Ce genre, qui n’obéit à aucune règle précise, a été illustré notamment par Beethoven (bagatelles pour piano op. 33, op. 119 et op. 126 ; Bagatelle en « la » mineur « pour Élise »). BAGGIANI (Guido), compositeur italien (Naples 1932). Auteur d’oeuvres instrumentales, d’oeuvres mixtes utilisant des instruments traditionnels et des moyens électroacoustiques et d’oeuvres sur bande réalisées par ordinateur. Il a étudié avec Stockhausen à la Rheinische Musikschule de Cologne et a été membre de l’association Nuova Consonanza (1965-1975). Sa première downloadModeText.vue.download 58 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 52 oeuvre importante, Mimesi pour violon, alto, violoncelle, flûte, clarinette et basson (1967), fut jouée par Nuova Consonanza sous la direction de Gilbert Amy. Il a enseigné au conservatoire de Pesaro (19741978), et a réalisé vers la même époque trois oeuvres électroacoustiques : Twins pour piano, bande à deux pistes et appareils électroacoustiques (1971), Accordo presunto pour deux groupes instrumentaux et dispositif électronique (1973) et Senza voci I, bande magnétique à quatre pistes pour instruments électroniques et micro-ordinateur (1977-78). Particulièrement attiré par Charles Ives, il a consacré à sa mémoire Contr-Azione, pour deux orchestres (1975-76). En 1977, il a fondé avec W. Branchi l’association Musica verticale, qui se propose l’étude et la diffusion de la technologie musicale contemporaine. Il enseigne actuellement la composition au conservatoire de Pérouse. Ses oeuvres traduisent une méfiance profonde à l’égard du système tempéré traditionnel. Citons encore Senza voci II, pour bande à quatre pistes et ordinateur (1979-80) et 4 Studi pour 2 pianos (1981). BAGLAMA. Luth à manche long et à trois ou quatre rangs de cordes, utilisé en Turquie dans la musique populaire ou par les troubadours du Moyen-Orient. BAGPIPE. Littéralement, « pipeau à sac ». Cette version écossaise de la cornemuse ne diffère pas sensiblement du biniou breton. Le souffle de l’exécutant gonfle une outre de peau, doublée de tissu de laine, qui alimente en air sous pression quatre tuyaux à anche double, dont un chanter modulant, à huit trous et trois bourdons. Les régiments écossais de l’armée britannique ont encore leurs bagpipers, qui maintiennent une tradition militaire très ancienne. BAGUETTE. 1.Terme d’organologie qui désigne la partie de l’archet (ronde ou octogonale), aujourd’hui légèrement concave, où les crins sont attachés grâce à un coin de bois ; la baguette est généralement en pernambouc, bois dur et élastique. 2.Mince bâton à l’extrémité arrondie, dont on frappe la peau du tambour. - 3.Mince bâton en bois ou parfois en métal, de couleur claire, que tient le chef d’orchestre pour prolonger les gestes de sa main droite et rendre ceux-ci plus visibles pour les musiciens ; cet usage de la baguette ne remonte qu’au XIXe siècle. BAÏF (Jean Antoine de), poète, humaniste et musicien français (Venise 1532 Paris 1589). Il fit siennes les théories musicales de Platon, selon lesquelles la soumission de la musique à la poésie et l’union des deux à la danse engendrent les « effets » bénéfiques qu’on attend de l’éducation des futurs citoyens, dans une société harmonieuse. Pour produire ces effets, que les Grecs avaient obtenus par leur théâtre, Baïf fonda une Académie de poésie et de musique (1570) qui tint séance sous le patronage - et souvent en la présence - du roi Charles IX, dans la propre demeure du poète. Pour unir la poésie à la musique, Baïf agit en musicien et en orthophoniste : il écrivit une poésie mesurée d’après la durée relative des syllabes, longues ou brèves selon leurs sonorités, et d’après la combinaison de l’accent tonique avec les accents d’intonation. Mais, à son époque, la prononciation et l’orthographe françaises étaient indécises ; pour que le compositeur éventuel ne se trompât point sur les durées ni les interprètes sur la prononciation, il mit au point un système orthographique apte à transcrire avec précision la couleur des voyelles et le son des consonnes. Les plus grands musiciens de son temps tels Roland de Lassus, Nicolas de La Grotte, Claude Le Jeune et Jacques Mauduit, composèrent sur ses Chansonnettes et sur ses Psaumes. Il est juste de dire que, si la poésie mesurée n’a pas eu d’avenir, Baïf est, de tous les poètes français, celui qui a exercé la plus forte influence sur la musique de son époque. BAILLEUX (Antoine), compositeur, pédagogue et éditeur français ( ? v. 1720 Paris v. 1798). À partir des années 1760, et durant une trentaine d’années, il fut l’un des plus importants éditeurs de musique parisiens, publiant des oeuvres de Vivaldi ou Corelli mais aussi de compositeurs « modernes » comme Carl Stamitz ou Boccherini. Dès 1769 parut chez lui un groupe de six symphonies de Haydn (dont une apocryphe). Il publia en 63 volumes, réunissant 240 oeuvres, un Journal d’ariettes des plus célèbres compositeurs (1779-1788) et rédigea une Méthode raisonnée pour apprendre à jouer du violon (Paris, 1798). À sa mort, sa firme fut reprise par Erard. BAILLOT (Pierre), violoniste et compositeur français (Passy 1771 - Paris 1842). À dix ans, il entendit Viotti jouer un de ses concertos et ce musicien demeura toujours son modèle. En 1795, il travailla l’écriture avec Catel, Reicha et Cherubini. Sa réputation le fit nommer, la même année, professeur de violon au Conservatoire. De 1805 à 1808, il fit une tournée à Vienne (où il rencontra Haydn et Beethoven) et en Russie avec le violoncelliste Lamare, et fut premier violon solo à l’Opéra de Paris de 1821 à 1832. De 1814 à sa mort, il organisa à Paris d’importants concerts publics de musique de chambre. Baillot fut le dernier représentant français de la grande école classique du violon. Ses compositions (concertos, quatuors, trios, duos) sont aujourd’hui oubliées, mais son Art du violon (1834) sert encore de référence. BAIRD (Tadeusz), compositeur polonais (Grodzisk Mazowiecki 1928 - Varsovie 1981). Il étudia la composition avec Kazimierz Sikorski, puis avec P. Rytel et P. Perkowski à l’École nationale supérieure de musique de Varsovie, où il travailla aussi le piano avec Wituski. Parallèlement, il suivit des cours de musicologie à l’université. Tadeusz Baird appartient à cette génération de compositeurs qui s’est trouvée isolée du développement de la nouvelle musique en Europe occidentale et aux États-Unis à partir des années 50, et qui, restant ainsi à l’écart du sérialisme, a, d’une manière générale, pratiqué une approche de la musique bien plus immédiate, axée sur l’exploration de la matière sonore et l’affinement du jeu instrumental. Ses premières oeuvres (symphonie no 1, concerto pour orchestre, quatuor à cordes, etc.) témoignent de cette tendance. Comme ses contemporains, il bénéficia de la création du festival d’automne de Varsovie (1956), dont la vocation est la promotion de la jeune musique ; la confrontation avec des compositeurs venus d’autres horizons et le contact avec d’autres styles d’écriture et conceptions musicales ne peuvent qu’élar- gir leur propre façon d’envisager l’univers du son. Si, pour lui, la musique continua « d’être une manière d’exprimer les émotions, les sentiments et les aventures intérieures » de sa vie, ses oeuvres, « une sorte de carnet de notes », son « autobiographie écrite en sons », Baird expérimenta différentes utilisations formelles d’organisation des sonorités. À partir du moment où sa musique suit en quelque sorte l’évolution de sa propre vie intérieure, les méthodes de composition doivent suivre le même itinéraire, comme si chaque nouvelle problématique musicale devait décider de sa mise en forme ; aussi bien est-il difficile de parler d’un style spécifique à Baird, mais faut-il au contraire souligner la multiplicité de sa démarche. Cela explique sans doute son incursion dans le drame musical (Demain, 1966), la diversité de son travail sur la voix - des Quatre Sonnets d’amour pour baryton et orchestre de chambre sur des textes de Shakespeare (1956) aux Quatre Chants pour mezzosoprano et orchestre de chambre (1966) ou aux Lettres de Goethe, cantate pour baryton, choeur et orchestre (1970) -, ou downloadModeText.vue.download 59 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 53 encore son exploration des possibilités de l’orchestre - du concerto pour orchestre (1953) aux Scènes pour violoncelle, harpe et orchestre (1977). BAKER (Janet), mezzo-soprano anglaise (Hatfield, Yorkshire, 1933). Profondément émue dès son jeune âge par le chant religieux, elle travaille le chant à Londres avec Helen Isepp, remporte en 1956 le prix Kathleen Ferrier et débute à la scène en 1959, au festival de Bath, dans le rôle de la sorcière de Didon et Énée de Purcell, ouvrage dans lequel elle interprétera plus tard le personnage de Didon. Ses succès en concert au festival d’Édimbourg, en 1960 et 1961, lui ouvrent une carrière internationale qu’elle mène de front comme récitaliste et comme cantatrice de théâtre dans les répertoires anglais, italien, français et allemand. Ses interprétations de Purcell, Haendel, Bach, Monteverdi, Cavalli, Gluck, Mozart, Berlioz (les Troyens), Mahler, Britten (le Viol de Lucrèce) sont particulièrement remarquables. Sa voix est longue, souple, et son timbre a une grande personnalité. BAKFARK (Bálint) ou Valentin Greff-Bakfark, luthiste et compositeur hongrois (Brassó-Kronchtadt, Transylvanie, 1507 ? - Padoue 1576). Il passa sa jeunesse à la cour de Jean de Zápolya, futur roi de Hongrie, et y apprit le luth. À la mort de son protecteur, il s’installa à la cour du roi de France, Henri II, puis à celle du roi de Pologne. Un long voyage le conduisit notamment à Lyon, où il fit imprimer son premier livre de pièces pour luth chez J. Moderne (1553). Après divers voyages et un séjour à Vienne au service de l’empereur Maximilien, il s’établit à Padoue, où il mourut de la peste, cinq ans plus tard. Avec les frères Neusiedler, Bakfark est l’un des premiers luthistes à avoir écrit des pièces de virtuosité pour l’instrument polyphonique seul. Son oeuvre conservée est généralement regroupée par genres : oeuvres originales pour le luth (fantaisies), transcriptions de motets, madrigaux et chansons d’autres compositeurs (Janequin, Sandrin, Arcadelt, etc.). BAL. Danse folklorique de caractère vif et de rythme binaire, en usage dans l’ouest de la France. BALAFON. Xylophone africain, portatif, composé d’une douzaine de grandes lames de bois dur reposant sur autant de calebasses faisant office de caisses de résonance. Avec de nombreuses variantes, le balafon est répandu dans toute la partie occidentale du continent noir. BALAKAUSKAS (Osvaldas), compositeur lituanien (Vilnius 1937). Il étudie la musique à Vilnius, puis à Kiev (1966-1969). Il compose essentiellement de la musique de chambre, mais écrit aussi quelques pièces pour orchestre : Symphonie (1973), Ad astra (1976). Son langage est d’essence webernienne, mais, depuis 1970, il tente de retrouver, par des modes de 8 et 9 tons, de nouvelles possibilités harmo- niques comparables aux modes, surtout pentatoniques, de la musique paysanne. Dans le domaine des rythmes, chez lui très organisés, il reprend à son compte les résultats acquis par B. Blacher et H. Searle. Fort élaborée techniquement, la musique de Balakauskas s’oppose à la tradition soviétique, vouée à la cantate académique et à la symphonie miaskovskienne. BALAKIREV (Mili Alexeïevitch), compositeur russe (Nijni-Novgorod 1837 Saint-Pétersbourg 1910). Cet autodidacte naquit dans un milieu de toute petite noblesse ruinée. Oulibichev, riche gentilhomme et excellent biographe de Mozart, lui permit de se former au contact de l’orchestre qu’il entretenait et, en 1855, le présenta à Glinka. En 1877, Balakirev entreprit la réédition de l’oeuvre de Glinka. La même admiration le poussa, pour tenter une réforme musicale fondée sur les principes de ce maître, à réunir autour de lui, à Saint-Pétersbourg, de jeunes dilettantes : Cui, Moussorgski, Rimski-Korsakov et Borodine ; ce fut la « puissante petite bande », plus connue sous le nom de « groupe des Cinq ». Pour divulguer et mettre en pratique les idées du groupe, Balakirev créa, en 1862, l’École libre de musique, consacrée à la diffusion des oeuvres russes. Il vivait au jour le jour : leçons de piano, prestations dans des salons ; il fut même employé de gare, mais trouva enfin une relative sécurité matérielle comme directeur de la Chapelle impériale (1883-1895), institution qu’il réorganisa profondément. Souvent souffrant, atteint d’une grave maladie, il avait un tempérament autoritaire qui fut cause de l’isolement dont il souffrit à la fin de sa vie. Sur le plan de la composition, une soif de perfection dans sa propre musique peut sembler une fuite devant l’achèvement d’un acte : il mit seize ans pour écrire Thamar, oeuvre de vingt-trois minutes, et trente-six ans pour sa première symphonie. Le folklore fut une source importante de son inspiration. Balakirev manqua sans doute de souffle et de spontanéité, mais, sans lui, il n’y aurait pas eu de continuateur de Glinka, et, peut-être, pas de musique nationale russe. OEUVRES PRINCIPALES . - Ouvertures, 2 symphonies, 2 poèmes symphoniques, 2 concertos pour piano et orchestre, oeuvres pour piano seul (sonate, mazurkas, valses), nombreuses mélodies, choeurs. BALALAÏKA. Instrument populaire russe de la famille du luth, à caisse triangulaire montée de trois cordes simples ou doubles. Comme la mandoline, dont elle se rapproche aussi par sa touche garnie de frettes, la balalaïka se prête au jeu mélodique par le va-et-vient rapide d’un plectre sur la corde, qui produit ainsi un son tremblé continu. Elle existe en plusieurs tessitures, de la basse au soprano. On peut rencontrer des ensembles de balalaïkas très fournis. BALASSA (Sandor), compositeur hongrois (Budapest 1935). Ayant abordé la musique à l’âge de dixsept ans, il étudia d’abord la direction chorale (1952-1956), puis la composition à l’Académie de musique de Budapest avec E. Szervansky (1960-1965). Depuis 1964, il est producteur au département musical de la radio hongroise. Il écrivit la cantate Âge d’or pour soprano, choeur et orchestre en 1965, Zénith pour contralto et orchestre en 1967, et parvint à la célébrité avec son Requiem pour Lajos Kassak pour soprano, ténor, basse, voix mixtes et orchestre (1969). Cette oeuvre obtint le premier prix de la Tribune internationale des compositeurs, à Paris, en 1972. La même année, Balassa reçut le prix Erkel. Ses oeuvres suivantes, parmi lesquelles Iris pour orchestre (1971) ou Lupercalia, « concerto in memoriam Igor Stravinski » pour ensemble d’instruments à vent (1972), lui ont valu une audience internationale. On lui doit aussi de la musique de chambre et des mélodies. Son esthétique, dans la tradition expressionniste d’Emil Petrovics, révèle une personnalité inquiète, parfois violente, mais aux dons mélodiques évidents. En témoigne l’opéra Sur le seuil, sur un livret de Gaza Fodor d’après Draussen vor der Tür de Wolfgang Borchert, composé de 1973 à 1977 et créé à Budapest en 1978. BALÁZS (Árpád), compositeur hongrois (Szentes 1937). Il fait ses études au conservatoire de Szeged, puis à l’Académie F.-Liszt de Budapest, dans la classe de composition de F. Farkas (1961-1964). Successeur spirituel de Bartók, utilisant fréquemment la veine populaire, il ne s’est pas limité à un postsérialisme d’éthique bartókienne. L’importance de son oeuvre chorale en fait un continuateur de Kodály. Balázs a également composé de la musique symphonique, une musique de ballet, Quatorze Pièces faciles pour piano, des arrangements de chansons populaires et des musiques de film et de scène. downloadModeText.vue.download 60 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 54 BALBASTRE (Claude), compositeur, organiste et claveciniste français (Dijon 1727 - Paris 1799). Élève de Claude et de Jean-Philippe Rameau, il s’établit, en 1750, à Paris, où il fut titulaire des orgues de Saint-Roch (1756) et de Notre-Dame (1760). Il occupa plusieurs fonctions à la Cour, notamment celles de maître de clavecin de Marie-Antoinette et du duc de Chartres et d’organiste de la chapelle royale. Il survécut à la Révolution en composant des hymnes de circonstance, qu’il jouait à Notre-Dame, désaffectée. Virtuose et improvisateur acclamé, il écrivit dans le style rococo de son temps des pièces agréables, mais assez pauvres d’invention : airs et ariettes, sonates en quatuor, pièces de clavecin, 14 concertos pour orgue (perdus), et, son oeuvre la plus populaire, un recueil de Noëls formant 4 suites avec des variations pour le clavecin ou le forte-piano, que l’on joue aussi à l’orgue, comme le faisait Balbastre lui-même. BALFE (Michael William), chanteur et compositeur irlandais (Dublin 1808 Rowney Abbey, Hertfordshire, 1870). D’abord violoniste, il devint à Londres l’élève du chanteur Ch. Horn et s’initia aussi à la composition. En 1825, il se rendit en Italie pour se perfectionner en chant et en contrepoint. Engagé par Rossini, à Paris, comme premier baryton, il chanta Figaro (le Barbier de Séville) avec succès en 1827. Il passa la saison 1829-30 à Palerme comme chanteur et y fit créer son premier opéra, I Rivali di se stessi. Après avoir été le partenaire de la Malibran à la Scala, il regagna l’Angleterre et, sans abandonner le chant ni renoncer à ses nombreuses tournées à travers l’Europe, il composa une trentaine d’opéras d’une écriture agréable, parmi lesquels The Bohemian Girl (1843) connut la célébrité dans plusieurs pays. BALLAD. Mot anglais désignant une chanson sentimentale, dont on trouve de multiples exemples dans la comédie musicale américaine. La ballad a été l’objet d’innombrables emprunts de la part des musiciens de jazz, qui l’interprètent généralement en tempo lent. Au répertoire des ballads de Hoagy Carmichael (Star Dust), Vernon Duke, George Gershwin, Jerome Kern, Cole Porter (Body and Soul), Richard Rodgers, les musiciens de jazz ont ajouté des pièces telles que I let a Song go out of my Heart, de Duke Ellington, et Round’bout Midnight, de Th. Monk. BALLADE. Une des formes fixes de la poésie lyrique du Moyen Âge, la ballade est une composition strophique, à l’origine monodique, puis polyphonique. Il s’agit d’une chanson à danser, formée d’une ou plusieurs strophes identiques et reliées entre elles par un refrain. Chaque strophe comporte deux phrases musicales (la première répétée), suivies généralement du refrain (schématiquement : AAB+ refrain). Au XIIIe siècle, la ballade est illustrée par les trouvères, notamment Adam de la Halle, au XIVe par les musiciens de l’Ars nova, comme Guillaume de Machaut, auteur de 42 ballades (1 seule monodique, 16 à deux voix). Au siècle suivant, la ballade poursuit son développement avec G. Dufay et G. Binchois. La plupart des textes mis en musique parlent d’amour courtois pour une dame chère et inaccessible. La forme disparaît à la fin du siècle ( ! BALLATA). En Angleterre, la ballad, chantée au XIIIe siècle par des ménestrels et des jongleurs, épouse la forme des quatrains, et la musique des différentes strophes ne varie pas. Comme la ballata et la ballade fran- çaise, la ballade anglaise n’est pas par les musiciens du XVIe siècle. Le réapparaîtra plus tard pour désigner pièce narrative (par exemple, Keats, Belle Dame sans merci). traitée terme une la En Allemagne, la ballade est également un genre narratif, cultivé au XVIIIe siècle sous l’influence anglaise (par exemple, Bürger, Lénore). À l’époque du « Sturm und Drang », des poètes romantiques, tels Schiller, Goethe, s’inspirent des légendes anciennes. Schubert, Schumann, Brahms les mettent en musique, avec accompagnement de piano. Enfin apparaît au XIXe siècle, la ballade instrumentale, dont les 4 ballades pour piano de Chopin sont le modèle. Citons aussi Fauré (Ballade pour piano et orchestre) et Ibert (Ballade de la geôle de Reading pour orchestre, d’après O. Wilde). BALLAD OPERA. Forme anglaise de théâtre lyrique au XVIIIe siècle, différente aussi bien de l’opéra que de l’opéra-comique. Les dialogues sont parlés, les airs et les choeurs sont empruntés soit à des chansons populaires, soit à des oeuvres de maîtres renommés (Purcell, Haendel). Les plus célèbres parmi les compositions de ce genre sont le Beggar’s Opera (l’Opéra des gueux) de J. Gay et J. Pepusch (1728) et The Devil to pay de Ch. Coffey (1731), qui, traduit en allemand sous le titre Der Teufel ist los, fut à l’origine du Singspiel en Allemagne et en Autriche. Vers la fin du siècle, les ressources des chansons populaires s’épuisant, on eut de plus en plus recours à une musique originale et le genre se rapprocha de l’opéra-comique. BALLARD. Famille d’éditeurs et d’imprimeurs de musique français. La maison fut fondée en 1551 par Robert Ballard († 1588) avec son cousin, le luthiste, Adrien Le Roy et reçut un privilège du roi Henri II. Pendant cette période furent imprimés nombre de chansons polyphoniques, de messes, de psaumes et de motets (Sermisy, Janequin, Le Jeune, Goudimel, Lassus). La direction de l’entreprise se transmit ensuite strictement de père en fils jusqu’à la fin du XVIIIe siècle et à la septième génération. Pierre († 1639) reçut de nouvelles lettres patentes en 1633. Il publia des pièces pour luth et des oeuvres de Du Caurroy, Moulinié, Titelouze ; Robert II après 1650, les oeuvres de Du Mont et des opéras de Cambert comme Pomone (1671) ; Christophe (1641-1715), qui fut imprimeur de l’Académie royale de musique, d’innombrables airs à boire ainsi que les tragédies lyriques de Lully et les opéras de Campra, Destouches, Desmarets. Sous la direction de Jean-Baptiste Christophe (v. 1663-1750), la concurrence devint redoutable et la maison commença à perdre son hégémonie tout en éditant Charpentier, Delalande, Couperin et Rameau. Suivirent Christophe Jean François (v. 1701-1765) et Pierre Robert Christophe († 1812), qui dirigea la maison jusqu’en 1788. BALLATA (ital. ballare, « danser »). Forme répandue en Italie de la fin du XIIIe au XVe siècle. C’est une composition strophique, à l’origine monodique, plus tard polyphonique, destinée au chant et à la danse, dont la structure correspond, dans le domaine français, non à la ballade, mais au virelai. La forme fondamentale est la suivante : un refrain (ripresa) ; deux phrases (piedi) qui se chantent sur une même mélodie ; puis le retour, sur un texte nouveau, mais empruntant les rimes du refrain, de la phrase musicale du début (c’est la volta) ; enfin, le retour du refrain (ripresa), texte et musique. Soit, schématiquement : A BB A’A. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, la ballata fit fureur, notamment à Florence, avec Landini. Elle fut cultivée aussi par Nicolaus da Perugia, Bartolino da Padova, Ciconia, puis Dufay et A. de Lantins, avant d’être détrônée par la frottola. BALLET (MUSIQUE DE). La musique et la danse étroitement unies dans un spectacle habilement conçu, cela arrive parfois, et l’on assiste à ce que l’on appelle « une parfaite réussite ». Cette fusion s’est réalisée en mainte occasion depuis que la danse est montée sur la scène (le Triomphe de l’Amour, mus. de Lully, chorégr. de Beauchamp et de Pécourt, 1681), depuis qu’elle est devenue théâtrale. downloadModeText.vue.download 61 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 55 Au fil des siècles, le public a pu bénéficier d’un certain nombre de ces réussites. De ces chefs-d’oeuvre, quelques-uns sont arrivés jusqu’à nous ; nous pouvons donc les voir et les entendre, tout à la fois, dans leurs formes premières, grâce à des documents, des partitions intactes, des notations. Peut-on expliquer ce qui a si parfaitement réussi à un chorégraphe et à un musicien dont la collaboration se voit couronnée de succès ? Peut-on oublier que certains prônent la composition d’un ballet sur n’importe quelle musique, que d’autres, des compositeurs de renom ou qui se jugent eux-mêmes plus artistes que le chorégraphe, pensent que leur musique souffrirait d’une adaptation chorégraphique ? Peut-on oublier aussi que des chorégraphes, au nom de leur inspiration, « massacrèrent » des partitions exceptionnelles, que des danseurs - hélas sans rythme - ratèrent de beaux ballets bien construits et que des compositeurs médiocres eurent quand même droit à des morceaux chorégraphiques d’une rare qualité ? Le problème des rapports entre la musique et la danse, la musique et le ballet, a toujours été soulevé et nul n’a pu y apporter de véritable solution. La question est encore entière. Musique préexistante ou musique composée spécialement ? Le chorégraphe doit-il suivre fidèlement la partition sans trahir le compositeur ou même, dans certains cas, le librettiste ? Doit-il écrire son propre argument, réaliser son canevas chorégraphique et commander sa musique à un compositeur qu’il aurait préalablement choisi ? Ou bien, encore, doit-il composer dans le silence et chercher ensuite une musique adéquate ? Au-delà de ces questions, on peut, pourtant, affirmer que la musique et la danse ont eu de tout temps des rapports étroits et privilégiés. N’y avait-il pas qu’un seul mot, « danse », pour désigner la suite de pas et l’air sur lequel elle s’exécutait ? Peut-être cette interdépendance est-elle à l’origine d’une émancipation que la musique et la danse recherchaient depuis que les premiers auteurs du XVe siècle tentèrent de codifier les pas de danse et de défi- nir la danse dans son unicité. Plus la danse s’élaborait, plus elle tendait à son autonomie. Engendrant son propre rythme, la danse pouvait donner son tempo à la musique qui la soutenait. Danses de cour ou danses villageoises, divertissement de l’homme civilisé de la cité ou de l’homme rustique, les danses franchirent un pas considérable à partir du moment où la danse, expression première de l’homme, devint spectacle. La musique devint support, soutien, faire-valoir ou, au contraire, impulsion, élément essentiel de la composition dansée. C’est sensiblement vers le XVIe siècle que danse et musique eurent leur identité propre. Les danses de cour (gaillardes, pavanes), les danseries issues de chansons s’ordonnancèrent peu à peu, se construisirent dans un lieu, non pas clos, mais délimité, où, au niveau du sol, on pouvait suivre les évolutions, et où, au niveau d’une galerie surélevée, on pouvait lire les dessins et la géométrie des évolutions des danseurs. Les premières danses décrites s’ornèrent d’additions, de variations rythmiques dont on retrouve l’existence dans les musiques correspondantes. Au Moyen Âge, dans les fêtes et les festivités, la danse est déjà un spectacle. Mais la forme de ces spectacles n’est pas définie : on y donne pêle-mêle, à côté de la danse, des chants, des pantomimes, des acrobaties, des pièces de poésie. Mais c’est à cette époque que la danse commence à devenir figurative, encore qu’il faille noter que les danses portées à la scène et celles dansées dans les salles de bal sont presque identiques. Leur amalgame en forme de ballet se fera sous l’emprise de la musique et leur structure se pliera aux règles musicales. En fait le ballet « spectacle » sera toujours associé - du moins jusqu’à la fin du XVIIIe siècle - au théâtre et à l’opéra. DU BALLET DE COUR À L’OPÉRA-BALLET. L’engouement pour le ballet français et la quasi-faillite de l’implantation de l’opéra italien en France, en dépit des tentatives de Mazarin, sont deux faits bien réels. Le ballet de cour vécut trois décennies. Dans ce divertissement, il faut distinguer, dès le début, les parties vocales avec leur accompagnement, et la partition instrumentale dédiée exclusivement à la danse, aux danses. Il est clair qu’il y a une nette séparation des compétences. Sous le règne de Louis XIII, les musiciens de la Chambre du roi ne s’abaissent pas à ce genre de composition ; ils en laissent le soin à d’autres artistes, mais non des moindres, tel Cambefort. Pierre Guédron compose pour sa part la musique du Ballet de la délivrance de Renaud (1617). Antoine Boesset, musicien favori du roi, collabore à presque tous les ballets de cour et son fils Jean-Baptiste travaille avec Lully. Au début du règne de Louis XIV, le ballet de cour a déjà une structure bien définie. C’est, de plus, un genre musical qui a la faveur des courtisans et du peuple ; c’est un genre musical essentiellement français. Jusqu’au début du XVIIe siècle, les genres lyriques et chorégraphiques demeurent séparés. Pour la création d’un ballet de cour, le musicien travaille en collaboration directe avec le chorégraphe (on disait, alors, le compositeur de ballet). La réputation des musiciens français est telle que les compositeurs italiens, appelés par Mazarin, sollicitent toujours le concours des compositeurs français pour créer la musique des différentes entrées. Cette façon de valoriser la danse par rapport à la partie lyrique est très significative de l’époque. Partitions de qualité pour la danse, passages plus simples pour les parties chantées et purement musicales. Ni Luigi Rossi ni Francesco Cavalli ne peuvent faire vivre l’opéra italien en France. C’est pourtant un autre Italien, Jean-Baptiste Lully, venu très jeune en France, qui, de l’emploi le plus humble, s’élève à la charge de surintendant de la musique et crée l’opéra français. Il écrit d’abord la musique de ballet des opéras de Cavalli et danse lui-même. Il collabore avec Molière et Beauchamp. Maître du menuet, Lully l’a mis à la mode à la Cour. Devenu danse royale par excellence, le menuet prend alors place dans la suite instrumentale. Avec un sûr instinct, Lully apporte au public français ce que ce dernier espère ; une version musicale d’un genre théâtral que lui ont révélé Corneille et Racine, la tragédie. Son premier opéra - le premier opéra français - Cadmus et Hermione (1673) est un succès. D’Alceste (1674) à Armide (1686), Lully déploie son art de compositeur de musique et de ballet. Dans les ballets, il donne une composition particulière à l’orchestre (violons, flûtes et hautbois). L’opéra-ballet survivra avec Pascal Collasse qui termine Achille et Polyxème (1687), commencé par Lully, et compose Thétis et Pélée (1689), les Saisons (1695). André Campra donne l’Europe galante (1697). Avec Jean-Philippe Rameau l’opéra-ballet connaît son second souffle (les Indes galantes, 1735 ; les Fêtes d’Hébé, 1739). Il s’éteindra pourtant, faute de successeurs, avec Rameau. Il étouffe sous les critiques : dans ce genre composite, la danse, un de ses attraits majeurs, est accusée de rompre la progression dramatique. Cette attaque porte en elle la justification de la scission qui va séparer l’opéra et le ballet. Encore verra-t-on imposer dans les opéras du milieu du XIXe siècle une action chorégraphique, un « ballet obligé » (la Traviata, les Vêpres siciliennes de Verdi ; la Damnation de Faust, les Troyens de Berlioz ; Eugène Onéguine, la Dame de pique de Tchaïkovski). DE GLUCK ET MOZART, COLLABORATEURS DE NOVERRE, AU BALLET ROMANTIQUE. Les Encyclopédistes incitent les artistes à un « retour à la nature ». Rousseau déplore l’introduction de la danse hors de l’action dramatique. Diderot pense que la pantomime doit être liée à l’action dramatique, mais que la danse, en fait, ne doit pas intervenir. On peut compter Gluck parmi les compositeurs de musique de ballet. Son Don Juan (Vienne, 1761) est le fruit d’une collaboration étroite entre son libretdownloadModeText.vue.download 62 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 56 tiste, Calzabigi, le chorégraphe Angiolini et lui-même. Orphée, créé à Vienne la même année, s’orne d’un grand ballet d’Angiolini à l’acte II ; dans une nouvelle version (1774), Gluck inclut 6 ballets d’action. Pour Alceste (1767), il travaille avec Noverre, pour qui la création d’un ballet repose essentiellement sur la construction chorégraphique, la composition de la musique n’intervenant qu’en dernier lieu. Gluck et Noverre collaborent également pour Iphigénie en Tauride (Paris, 1779), qui comporte, outre une danse finale, des interventions dansées dès le premier acte. Noverre compose les danses des Petits Riens de Mozart (Paris, 1778). Contrairement à Gluck, Mozart fait peu appel à la danse pour ses opéras. Les quelques séquences dansées des Noces de Figaro ou de la Flûte enchantée ne sont jamais gratuites et s’intègrent parfaitement à l’action dramatique. Peu enclin à travailler pour le ballet, Beethoven compose pourtant les Créatures de Prométhée pour le chorégraphe italien Salvatore Vigano, qui présente cet ouvrage à Vienne en 1801. Le romantisme en matière de ballet s’est révélé dans une tendance à l’exotisme (la Bayadère, la Péri) et une tendance à l’immatérialité, une vision fantomatique des êtres et du monde (la Sylphide). Le chorégraphe, qui a écrit son histoire, construit son ballet ; il impose son schéma au musicien. Les partitions ne sont guère brillantes, mais elles s’adaptent parfaitement à la chorégraphie et traduisent assez bien l’atmosphère du ballet. Jean-Madeleine Schneitzhöffer est l’auteur de la musique de plusieurs ballets, mais il doit de survivre à la Sylphide (1832), ballet que compose Filippo Taglioni pour sa fille Marie. Adolphe Adam a une renommée plus grande que celle du compositeur de la Sylphide. Il est l’auteur de la musique de la Fille du Danube (chorégr. F. Taglioni, 1836), et signe celle de Giselle ou les Wilis (1841), sur une chorégraphie de Jules Perrot et Jean Coralli. Boris Assafiev et Tchaïkovski font l’éloge de sa partition. Plus tard, il réalise la Fille de Gand pour Albert (1842), puis la partition du Diable à quatre (1845) et le Corsaire (1856), ballets chorégraphiés par Mazilier. Les musiques de ballet deviennent ensuite de plus en plus insignifiantes. On passe rapidement aux dernières décennies du XIXe siècle pour trouver Léo Delibes qui signe Coppélia (1870) et Sylvia (1876), que règlent respectivement Arthur SaintLéon et Louis Mérante. Les Deux Pigeons, musique de Messager (chorégr. de Mérante, 1886), ont encore une version dansée actuellement. DE BOURNONVILLE À PETIPA. Au XIXe siècle, August Bournonville (1805-1879) a une méthode toute personnelle pour composer un ballet et choisir sa musique. Ayant écrit le sujet de son futur ballet, il l’oublie dans un tiroir ; le retrouvant ensuite, il le lit, et, s’il le juge digne d’être monté en ballet, il fait alors appel à un musicien. À partir de ce moment, le musicien travaille seul sur les indications du chorégraphe. Son oeuvre terminée, les deux hommes se concertent, découvrant de part et d’autre des détails, des nuances que ni l’un ni l’autre n’ont entrevus. Arrangement, refonte de différentes parties, modifications s’effectuent à partir de confrontations. En définitive, chacun d’eux s’est habitué à l’idée de l’autre. Si la musique est bonne, la mélodie agréable, le rythme correspondant à la construction chorégraphique, la partition sera dansante et dansable. À la fin du XXe siècle, une virtuosité gratuite, les luttes incessantes des étoiles ternissent le lustre de la danse. Le ballet se sclérose, il s’enlise dans l’indigence et peu de tentatives viendront le sortir de l’ornière avant la venue en France des Ballets russes. En Russie la composition musicale pour les ballets est tout autre. Pugni, Minkus et Drigo ont la haute main sur la musique de ballet. Fonctionnaires appointés des théâtres impériaux, ces musiciens sont considérés en qualité de compositeurs de ballet et on les surnomme « musiciens à tiroirs ». Ce surnom leur vient d’une technique toute particulière de création. Avant l’innovation - d’un incomparable apport artistique - de la collaboration d’un chorégraphe et d’un musicien de renom, le chorégraphe « commandait » sa musique à un compositeur patenté. Petipa, avant de travailler avec Tchaïkovski, demandait à Léon Minkus, compositeur attitré du Bolchoï, la musique pour un ballet. Ce dernier, qui avait en réserve des séquences musicales composées au hasard de son inspiration et qu’il avait classées par genres, puisait dans ce stock pour assembler un tout cohérent pouvant s’adapter à la chorégraphie de l’auteur qui avait minutieusement précisé toutes les indications scéniques. Il suffisait au musicien de faire des « raccords » pour que la partition soit complète. Cesare Pugni (musique du Petit Cheval bossu, de la Fille du Pharaon, du Corsaire), Léon Minkus (musique de Don Quichotte, de la Bayadère) et Ricardo Drigo (musique du Talisman, des Millions d’Arlequin) ont composé de cette manière plus de trois cents musiques de ballet. Les premières versions de nombre de ballets, dont le succès les fit danser jusqu’à nos jours et même inscrire au répertoire de différents théâtres et compagnies, ont résisté au temps, non pas grâce à leur support musical, mais à la chorégraphie et au livret dans la ligne de l’époque. Le même ballet remonté sur une musique différente reste encore valable aujourd’hui (par exemple, le Prisonnier du Caucase). L’association de Tchaïkovski et de Petipa propose des horizons nouveaux au ballet. Qui se souvient des premières versions de la Belle au bois dormant, du Lac des cygnes... ? Même sujet, nouvelle chorégraphie de M. Petipa, sur une partition de Tchaïkovski, le ballet connaît le succès, la tradition le transmet et le préserve de génération en génération. Où se situe la différence ? Où se situe la frontière entre la postérité et l’oubli ? La musique a été associée à la danse de manière délibérée. Le musicien a composé pour le chorégraphe ; tous deux ont travaillé ensemble avec une même volonté : réaliser un ballet. LE DÉBUT DU XXE SIÈCLE : ISADORA DUNCAN, LES BALLETS RUSSES. Le ballet aurait plutôt tendance à négliger l’apport de la danseuse américaine Isadora Duncan (1878-1927), dont la technique, si elle peut être ignorée du ballet, dans sa conception strictement théâtrale, n’en a pas moins, pour certains, transformé la danse, qui, après elle, allait être différente. Elle rejeta tout : la discipline classique, les chaussons de pointe et le tutu. Elle dansait pieds nus ; elle improvisait sur des musiques qu’elle aimait et qu’elle « sentait ». Quand Isadora Duncan parut, la danse se mourait. De tout. De sa virtuosité, de sa musique sans vie. Du cloisonnement qui séparait les artistes. Pourtant elle ne voulut pas s’intéresser à une musique spécialement conçue pour la danse. Pas plus qu’elle ne se tourna vers les compositions contemporaines, dont elle trouvait les rythmes antinaturels, ne convenant pas aux mouvements et impulsions naturels du corps. Elle affirmait que les partitions de cette époque ne pouvaient pas s’ins- crire dans le contexte d’une harmonie universelle, à laquelle elle voulait faire tendre la danse. Elle dansa sur du Bach, du Beethoven, du Chopin, mais elle le faisait avec une certaine réticence, trouvant que « c’était un crime artistique que de danser sur de telles musiques ». Diaghilev, organisateur de concert, a déployé une large activité pour faire connaître à l’Europe les musiciens de l’école russe. Il organisa des concerts où l’on découvrit Boris Godounov (avec le ténor Féodor Chialiapine) et la Khovanchtchina de Moussorgski. Dès 1909, il présentait à Paris ses Ballets russes, dont l’apport musical a été considérable. Après les musiques édulcorées et sans relief des compositions de la fin du XIXe siècle et des premières années du XXe, l’éclatement des orchestrations contemporaines réveilla l’intérêt du public qui n’attendait que ce révélateur pour porter au plus haut une musique étonnante et d’un autre registre. Avec les Ballets russes, il y avait la danse, la danse exécutée avec ferveur et passion par des artistes au nom dès lors downloadModeText.vue.download 63 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 57 prestigieux (Karsavina, Fokine, Balanchine, Nijinski, etc.). Il y avait aussi, chaque soir de représentation, un véritable concert qui soulevait également l’enthousiasme - et, parfois, la contestation - du public. Les compositeurs russes sont largement représentés : Borodine (les « danses polovtsiennes » du Prince Igor), Rimski-Korsakov (le Coq d’or, Shéhérazade) et, surtout, Stravinski avec l’Oiseau de feu, le Sacre du printemps, Petrouchka, Pulchinella, les Noces. Debussy, à qui il avait été demandé d’écrire une musique pour les Ballets russes, répondit par son fameux « Pourquoi ? ». Quelle signification donnait-il à cette interrogation : pourquoi non, après tout, pourquoi pas... ? Et il écrivit l’Aprèsmidi d’un faune, qu’il fit suivre - en dépit du scandale provoqué par la chorégraphie « osée » de Nijinski - d’une autre partition, Jeux, que signa le même chorégraphe. Qui pouvait imaginer que des com- positions pour piano de Chopin seraient orchestrées ? C’est, pourtant, ce qui arriva à plusieurs d’entre elles que Michel Fokine choisit pour régler Chopiniana (appelé par la suite les Sylphides). La partition du ballet regroupe plusieurs pièces (2 préludes, 1 nocturne, 3 valses et 2 mazurkas), dont l’orchestration a été demandée à Glazounov et à Keller. Ce choix incita de nombreux chorégraphes à choisir des partitions de musiciens célèbres pour monter leurs ballets. Pendant vingt ans, les Ballets russes concentrèrent dans leurs programmes l’essentiel de la musique contemporaine, avec ses tendances, ses innovations techniques et ses esthétiques. Certes, l’ensemble de ces musiques ne tenait pas totalement du chef-d’oeuvre, mais c’était plutôt un panorama de la musique contemporaine. Ravel (Daphnis et Chloé), Manuel de Falla (le Tricorne), Richard Strauss (la Légende Joseph), Francis Poulenc (les Biches), Georges Auric (les Facheux), Eric Satie (Parade) et Prokofiev (le Fils prodigue) étaient inscrits au répertoire. Cocteau avait demandé à Diaghilev de l’étonner ; il ne fut pas le seul à l’être. Mais Diaghilev, en plus de cet immense étonnement de l’oreille, de l’oeil et du coeur qu’il suscita par ses spectacles, ouvrit la voie à toute la contemporanéité, que fit découvrir le ballet aux nouvelles générations. Après la mort de Diaghilev, plusieurs troupes tentèrent de faire revivre les moments d’exceptionnelle qualité que tous, public et artistes, vécurent de 1909 à 1929. Ainsi furent les tentatives des Ballets de Monte-Carlo, dont l’éclat n’eut qu’une courte durée. Les Ballets suédois (1920-1925) voulurent du nouveau. Ils choisirent d’être l’avant-garde. Le ballet moderne doit refléter la vie intellectuelle de son temps et associer au même titre poésie, peinture, musique et danse. L’innovation des Ballets suédois de Jean Borlin et de Rolf de Maré se situe plutôt au niveau de la scénographie (les Mariés de la tour Eiffel) que dans le domaine musical, où ils firent appel à Casella, Satie, Milhaud, Alfvén, entre autres. De son côté, Ida Rubinstein (18851960) offrit des spectacles, éblouissants feux d’artifice, que l’aidèrent à préparer peintres, décorateurs et chorégraphes en renom, et dont les musiciens avaient pour noms Debussy (le Martyre de saint Sébastien), Sauguet (David), Honegger (Amphion, Sémiramis). ATTITUDES ET TENTATIVES DES CHORÉGRAPHES CONTEMPORAINS. Bien qu’influencé par Isadora Duncan dans sa recherche de la liberté d’expression, Fokine jugera - contrairement à cette danseuse « libre » - que l’on peut danser sur toute musique. C’est même cette volonté délibérée d’adaptation qui lui a fait composer un nombre considérable de ballets de genres totalement différents. De Chopiniana à Petrouchka, en passant par le Spectre de la rose (Weber), Daphnis et Chloé, Bluebeard (Offenbach), Francesca da Rimini (Tchaïkovski) ou le Lieutenant Kije (Prokofiev), toutes les partitions étaient préexistantes. Balanchine, le maître du ballet abstrait, a fait de la danse le contrepoint visuel de chaque partition ; partition qui est toujours antérieure à la chorégraphie. Ses grands ballets figuratifs ont suivi la tradition de la création chorégraphique, mais ses oeuvres abstraites, elles, ont suivi rigoureusement les partitions. Non pas absolument « pas contre note », car la musicalité et la compétence musicale de Balanchine sont plus subtiles, plus nuancées que ce jeu strict et respectueux de l’écriture d’une partition. Il s’en joue, il retient, il devance, il retrouve la phrase, la note même. Sans histoire à raconter, la danse est belle, elle est juste, elle est souvent émouvante. Elle est musique visuelle. Serge Lifar, qui fit partie des Ballets russes, a affirmé dans son Manifeste du chorégraphe (1935) certaines idées concernant la libération du ballet de toute contrainte musicale. Il voulait que la danse retrouve son autonomie et que le ballet ne soit l’illustration d’aucun art. La danse a, en elle-même, son propre rythme et c’est le chorégraphe qui conçoit la base rythmique du ballet. Ainsi en a-t-il fait pour la création de son ballet Icare, pour lequel il dicta les rythmes au compositeur Georges Szyfer. Mais, en fait, cette libération était illusoire, car, même simplifiée à l’extrême, comme ce fut le cas, à une rythmique d’instruments à percussion, la partition existait effectivement. D’ailleurs, Lifar revint de lui-même sur cette attitude et prit certains accommodements avec la musique. La contrainte semble, certes, difficilement tolérable pour le chorégraphe ; mais le compositeur se retranche derrière cette même appréhension quand il s’agit de créer sous les directives impérieuses du chorégraphe. Comment donc concevoir une libre collaboration, sans asservissement d’aucune sorte ? Comment ne jamais trahir le dessein d’un compositeur, qu’il soit présent ou non, au moment de la création chorégraphique ? Par exemple, pour Michel Descombey (né en 1930), « l’idée d’un ballet naît soit d’une anecdote, soit d’une musique préexistante ». Dans le premier cas, il faut choisir une musique qui soit adéquate à l’anecdote, dans le second cas, il faut que l’atmosphère de la musique choisie détermine un thème. C’est le cas pour sa Symphonie concertante qu’il régla sur la partition de Frank Martin. Le thème en est « la solitude, le refus des autres ». La diversité des rythmes et des timbres de la partition permit au chorégraphe de trouver une forme parfaitement adaptée à sa composition chorégraphique. Il choisit la forme concertante qui utilise les ressources offertes par l’association de plusieurs solistes avec l’orchestre, de plusieurs solistes entre eux ou de groupes différents entre eux. Descombey a pratiquement disséqué la partition, travaillant au magnétophone, repassant de nombreuses fois une même séquence pour en apprécier la pulsion rythmique. L’oeuvre qu’il a composée de cette manière, il l’a transmise point par point à ses danseurs, dans la recherche d’une perfection synchronique. Des tentatives de tous ordres ont été faites pour rendre la danse indépendante de la musique, tout en conservant à la musique un rôle de support rythmique sans que l’on retombe dans les inepties du XIXe siècle, soit pour que la danse « colle » parfaitement à la partition ou pour qu’elle soit une visualisation de la partition. Le Jeune Homme et la Mort, ballet que réalisa Roland Petit, d’après des indications de Jean Cocteau, aussi bien pour l’argument et la chorégraphie que pour les décors et les costumes, a été répété sur une musique de jazz au rythme syncopé. Le jour de la première seulement, les interprètes surent qu’ils allaient danser sur la Passacaille de Bach. Quelle preuve évidente, alors, que le ballet possédait déjà son propre rythme ! À cette méthode de travail on peut, peut-être, opposer celle d’un Balanchine, par exemple, qui règle ses chorégraphies comme le musicien compose sa partition ou comme le peintre agence son tableau. C’est-à-dire qu’il assigne à chacun de ses gestes une valeur qui a une réelle importance dans l’ensemble de la composition et les uns par rapport aux autres. Ses structures chorégraphiques se sont parfaitement adaptées à la musique sérielle. Pourtant, par ailleurs, que dire de ses méthodes downloadModeText.vue.download 64 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 58 de travail avec Stravinski, lorsque tous deux envisageaient la création d’Orphée comme n’importe quels chorégraphe et compositeur du XIXe siècle, minutant, évaluant la durée possible d’une traversée de scène ? Autre personnage de la danse contemporaine, Maurice Béjart est un amoureux de la musique. « J’écoute la musique parce qu’elle représente la charpente de ma vie », dit-il. Il sait, sans doute plus que tout autre, que la danse, reflet d’un instant donné, se périme rapidement. Ne dit-il pas lui-même que ses propres oeuvres seront bientôt dépassées, qu’un autre que lui en aura une vision nouvelle ? Son Sacre du printemps, qui renouvelait la version qu’en avaient donné les Ballets russes, s’est vu affronté par celle qu’a créée récemment John Neumeier. Pour Béjart, c’est aussi grâce à Isadora Duncan que la danse a pu être envisagée dans une autre ambiance sonore. Il est persuadé que, si Webern avait connu et aimé la danse, il aurait compris son travail de chorégraphe et qu’il aurait approuvé son adaptation de sa musique. Les musiques qu’il utilise sont parfois désarticulées, parfois brusquement coupées par des interventions étrangères, insolites, mais, souvent, pour apporter une information visuelle complémentaire. Il a abordé des partitions nullement faites pour la danse et en a conçu des oeuvres qui sont d’amples visualisations de la musique. La construction géométrique de Symphonie pour un homme seul (de Pierre Henry et Pierre Schaeffer) l’avait frappé ; il en a été de même pour le Marteau sans maître et Pli selon pli de Pierre Boulez. Pour Maurice Béjart, un ballet que l’on regarde peut être à l’origine d’une meilleure compréhension de la musique. Pour lui, la musique gagne presque toujours à servir de support à la danse, même si la composition chorégraphique se permet certaines libertés de rythmes ou d’expression. Il choisit toujours ses musiques en toute liberté. Méfiant à l’égard des « commandes », il a pourtant travaillé avec Berio pour I trionfi, ballet qu’on lui avait commandé pour être créé à Florence, en hommage à Pétrarque. Sans doute étaitce la première partition contemporaine écrite dans de telles conditions, mais cette collaboration, ce travail de recherche ont été des plus fructueux. Béjart, que cette expérience a pleinement satisfait, semble prêt à recommencer. Mais peut-être de telles réalisations poseraient-elles avec acuité les problèmes de la collaboration. Problèmes qui sont loin d’être résolus et qui, s’ils touchent les parties artistiques et musicales de l’oeuvre, n’en sont pas moins le reflet d’affrontement de personnalités. QUELQUES QUESTIONS EN FORME DE CONCLUSION. Les rapports de la musique et de la danse peuvent être résumés à une simple question de rythme. Mais ce serait évidemment trop schématiser. En musique, certaines partitions sont très simples tant leur lecture est évidente ; les points de repère auditif sont nets et il est aisé de jalonner la composition chorégraphique grâce à ces références. Souvent cette simplicité n’est qu’apparente et il est difficile de détecter des jalons auditifs pour construire une danse cohérente et bien adaptée à la partition. Une question peut encore se poser. Comment la danse, art de l’éphémère, peut-elle résister à l’usure du temps ? Comment la danse, reflet d’un moment privilégié, d’une époque peut-être, peutelle être associée à une musique qui, elle, même si elle n’est pas un chef-d’oeuvre incontestable, a de larges moyens de conservation (partitions écrites, imprimées, enregistrements magnétiques, disques) ? La musique, telle que l’a composée un musicien, conserve son identité ; le style de la danse - même classique - évolue. Un même ballet, dansé par des générations différentes de danseurs, n’a pas à chaque époque la même apparence visuelle. Une symphonie de Beethoven sera presque toujours égale à elle-même, les subtilités des variations d’interprétation se situant au niveau de la direction d’orchestre. La survie, ou du moins la longévité d’un ballet, peut être considérée par rapport aux qualités de celui qui l’a créé chorégraphiquement, mais aussi par rapport à celui qui en a composé la musique. Certaines partitions, qui n’ont pas été créées pour le ballet, ont fort bien supporté cette existence parallèle. Des compositeurs qui aimaient la danse, qui ne la redoutaient ni comme rivale ni comme élément destructeur, ont réalisé des partitions intéressantes (Bacchus et Ariane d’Albert Roussel ou l’Amour sorcier de Manuel de Falla). C’est l’évolution même de la musique qui a rendu son association avec le ballet plus difficile. L’arythmie de la plupart des partitions musicales contemporaines oblige le chorégraphe à des ruptures de phrases, à d’incessantes modifications dans son discours. L’évolution savante, intellectuelle de la musique a banni en partie le lyrisme que la musique tonale permettait d’exprimer. L’émotion ressentie naguère a fait place, le plus souvent, à un état de tension qui est peut-être à l’origine d’une autre forme de sensibilité. Mais qui a le plus évolué ? La musique qui a trouvé d’autres langages au cours de ses incessantes recherches ou la danse qui parvient, pour vivre son époque, à se plier à une discipline plus rigide encore que celle dont elle entendait se délivrer ? BALLETTO (ital. ; « ballet »). Terme désignant en particulier une chanson strophique à danser, généralement à cinq voix et de structure simple, caractérisée par un refrain sur les syllabes « fala-la ». À cette chanson, pouvaient se joindre les instruments. Cette forme connut une grande vogue en Italie à la fin du XVIe siècle et franchit rapidement les frontières. Son représentant le plus célèbre fut Giovanni Gastoldi, dont les Balletti a cinque voci parurent en 1591. En Angleterre, Thomas Morley publia, en 1595, ses Balletts a 5, dont le célèbre Now is the Month of Naying, que Rosseter arrangea pour concert instrumental. Peu à peu, le balletto devint une forme purement ins- trumentale. BALLIF (Claude), compositeur français (Paris 1924). Il a fait ses études au conservatoire de Bordeaux, puis à celui de Paris (1948-1951) avec Noël Gallon, Tony Aubin et Olivier Messiaen. Il a ensuite (1951) travaillé à Berlin avec Boris Blacher et Josef Rufer, ainsi qu’à Darmstadt avec Hermann Scherchen. En 1955, il a obtenu le premier prix de composition au concours international de Genève pour son oeuvre Lovecraft, et enseigna aux Instituts français de Berlin (1955-1957) et de Hambourg (1957-58). Rentré en France en 1959, il a travaillé au Groupe de recherches musicales de l’O. R. T. F. avant d’entreprendre une carrière de professeur. Il a enseigné l’analyse et l’histoire de la musique à l’École normale de musique de Paris (1963-64), la pédagogie, puis l’analyse au conservatoire de Reims (à partir de 1964). En 1968, il a participé à la fondation du département de musique de l’université Paris-VIII (Vincennes), qu’il a ensuite dirigé pendant un an, et il est, depuis 1971, professeur d’analyse au Conservatoire de Paris. En 1978-79, il a passé un an comme professeur à l’université McGill de Montréal, tandis que le compositeur et professeur Bruce Mather le remplaçait à Paris. Libre de toute école, Claude Ballif a adopté, dès les années 50, une position particulière, refusant l’alternative tonalité-atonalité, ne voyant dans les termes « tonal », « atonal » ou « modal » que les reflets de situations limites, et développant pour sa part le concept de métatonalité, fondé sur une échelle de onze sons et capable de prendre en compte toute écriture musicale. Son Introduction à la métatonalité (1953) est parue en 1956. Il a publié également une monographie sur Berlioz (1968) et de nombreux articles, dont certains réunis en volume (Voyage de mon oreille, 1979). Solitaire non dépourvu d’humour, c’est un homme de culture doté d’une grande curiosité et d’une solide foi religieuse. downloadModeText.vue.download 65 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 59 On lui doit à ce jour une bonne soixan- taine d’ouvrages. Citons, pour piano solo, 5 Sonates (1953-1960), Airs comprimés op. 5 (1953), Pièces détachées op. 6 (1952-53), Bloc-notes op. 37 (1961) ; 4 Sonates pour orgue op. 14 (1956) ; pour flûte et piano, la Sonate op. 23 (1958) et Mouvements pour deux op. 27 (1959) ; 3 trios à cordes, 3 quatuors à cordes (1955-1959) et de la musique de chambre diverse ; 1 quatuor pour trio à cordes et percussion op. 48 (1975) ; la série des 6 Solfegiettos pour instrument so liste (de 1961 à 1975) ; Imaginaire I à VI, série d’ouvrages tous conçus pour 7 instruments et tous basés sur un seul intervalle ; pour orchestre, Lovecraft op. 13 (1955), Voyage de mon oreille op. 20 (1957), Fantasio op. 21 (1957), Fantasio grandioso op. 21 B (création en 1977), Ceci et cela (1959-1965), À cor et à cri op. 39 (1962) ; comme oeuvres religieuses, Quatre Antiennes à la Vierge (1952-1965), les Battements du coeur de Jésus pour trompette, trombone et double choeur (1971) et le requiem la Vie du monde qui vient (1953-1972, créé à Paris en mai 1974) ; comme ouvrages avec voix, Phrases sur le souffle op. 25 (1958), Fragment d’une ode à la faim op. 47 pour 12 voix solistes (1974), Poème de la félicité op. 50 pour 3 voix de femmes, guitare et 2 percussions (1977). On lui doit encore Cendres pour percussion (création en 1972), et, comme oeuvres récentes, Ivre-Moi-Immobile op. 49 pour clarinette, petit orchestre et percussion (1976), une sonate pour clarinette et piano op. 52 (1978), l’Habitant du labyrinthe op. 54 pour 2 percussions (1980), Un coup de dé-Mallarmé op. 53, contresujet musical pour choeur symphonique, 2 percussions, 2 timbales, 2 contrebasses et un ruban sonore (1978-1980), l’opéra Dracoula (1984), la farce lyrique Il suffit d’un peu d’air (1990-1991). Claude Ballif a reçu le prix Arthur Honegger en 1974 et le grand prix musical de la ville de Paris en 1980. BALLO. Forme musicale populaire en Italie au début du XVIIe siècle. Il s’agit d’une pièce de circonstance (mariage, visite d’une personnalité importante, etc.) écrite généralement pour une voix soliste, représentant le poète, qui chante des strophes entrecoupées de ritournelles instrumentales. Pour terminer, vient la danse, accompagnée par les instruments, avec ou sans la participation d’autres chanteurs. BAN ou BANNIUS (Joan Albert), théoricien et compositeur néerlandais (Haarlem v. 1597 - ? 1644). Ordonné prêtre, il termina sa vie comme archevêque de Haarlem. Nous ne savons rien de sa production musicale (si ce n’est que, dans la composition d’un air de cour, il eut le dessous face à Boesset, lors d’une dispute esthétique à laquelle se mêlèrent Descartes, Mersenne et les principaux musiciens de l’époque). Mais ses traités font autorité en ce qui concerne la musique du XVIIe siècle et, en particulier, la monodie. Le plus célèbre est Dissertatio epistolica de musicae natura, origine, progressu et denique studio bene instituendo (Haarlem, 1637). BANCHIERI (Adriano), compositeur italien (Bologne 1567 - id. 1634). Élève de Gioseffo Guami, il fut organiste à San Michele in Bosco, près de Bologne, puis à Imola. Ce bénédictin, devenu abbé du Monte Oliveto (1620), fonda l’Accademia de’ Floridi (1614) et joua un rôle fort important dans la vie musicale à Bologne, où on l’appelait Il Dissonante. Monteverdi, O. Vecchi et G. Diruta étaient en relation avec lui, et ses ouvrages théoriques, tels que la Cartella musicale (1614) concernant les ornements vocaux, comptent autant que ses compositions sacrées et profanes. L’Organo suonarino (1605) précise les règles de l’accompagnement à partir d’une basse chiffrée. Banchieri composa des canzone et des sonates dans le style brillant de G. Gabrieli, comme le recueil Moderna harmonia (1612), ou des oeuvres pour double choeur (cori spezzati) comme les Concerti ecclesiastici (avec accompagnement d’orgue pour le premier choeur, ce qui justifie le titre de concerto). Également poète (il écrivait sous le nom de Camillo Scaglieri), Banchieri fut l’auteur de comédies madrigalesques non destinées à la scène. Celles-ci contiennent des mélodies faciles, agréables, dans un style homophonique et sur des textes souvent comiques tirés de la vie de l’époque. Parmi ces oeuvres, citons La Pazzia senile (1598), où figurent déjà, fait exceptionnel à cette époque, des indications de nuances (« forte », « piano »), la Barca di Venezia per Padova (1605) et il Festino nella sera del Giovedi grasso avanti cena (1608). BANCQUART (Alain), compositeur français (Dieppe 1934). Il a fait ses études au Conservatoire de Paris (1952-1960), notamment avec Darius Milhaud, a été altiste à l’Orchestre national de l’O. R. T. F. (1961-1973), puis conseiller artistique de l’Orchestre national de France (1975-76), il est devenu ensuite inspecteur de la musique au ministère de la Culture (1977-1984) et producteur pour Radio-France de Perspectives du XXe siècle, puis professeur de composition au C. N. S. M. de Paris (1984-1995). Sa formation d’altiste et son expérience à l’intérieur d’un orchestre se reflètent dans sa musique, marquée par son goût des timbres et sa passion pour la poésie. Sa personnalité s’est affirmée dans une série d’oeuvres instrumentales, et, plus encore peut-être, dans l’alliance musique-poésie des oeuvres vocales et chorales. Citons, parmi les premières, la Naissance du geste pour orchestre à cordes et piano (1961), Symphonie en trois mouvements pour grand orchestre (1963), un concerto pour alto (1964), Passages pour grand orchestre (1966), Palimpestes pour 22 instrumentistes, où il a expérimenté l’emploi systématique des quarts de ton (1967), Écorces I pour violon et alto (1967), II pour violon, clarinette, cor et piano (1968) et III pour trio à cordes (1969), Thrène I (1967) et II (1976) pour trio à cordes, cette dernière pièce en deux versions, l’une scénique sur un texte de Marie-Claire Bancquart et de Pierre Dalle Nogare et l’autre instrumentale, Simple, 6 pièces pour orchestre (1972), Une et désunie pour 2 trios à cordes (1970, version pour 2 orchestres à cordes 1973). Et, parmi les secondes, Strophes pour choeur mixte et ensemble instrumental (1966), Ombre éclatée pour voix de femme et orchestre (1968), Proche pour voix de basse et violoncelle ou alto (1972), À la mémoire de ma mort pour choeur mixte a cappella (1975-76). De 1977 date Ma manière de chat pour harpe seule. La même année, Bancquart fut cofondateur du C. R. I. S. S. (Collectif de recherche instrumentale et de synthèse sonore), centré sur le traitement instru- mental du son électrique : dans l’opérathéâtre l’Amant déserté, sur un texte de Marie-Claire Bancquart et de Pierre Dalle Nogare (1978), l’électronique se mêle à des instruments traditionnels électrifiés et certaines scènes sont écrites en quarts de ton (il en existe aussi une version instrumentale). Bancquart a écrit ensuite une Symphonie pour grand orchestre que, malgré l’ouvrage de 1963, il considère comme sa première (1979), une Symphonie de chambre pour violoncelle en quarts de ton, flûte et 14 instruments à vent (1980), Ma Manière de double pour violon seul (1980), Herbier pour voix et violon (1980), Voix pour 12 chanteurs (1981), une Symphonie no 2 (1981), une Symphonie concertante pour harpe et 13 instruments (1981), une Symphonie no 3 (Fragment d’Apocalypse) pour solistes vocaux et instrumentaux et orchestre (1983), l’opéra de chambre les Tarots d’Ulysse (1984), Mémoires pour quatuor à cordes (1985), une Symphonie no 4 (1987), Nocturne pour trio à cordes et orchestre (1987), une Symphonie no 5 « Partage de Midi » (1992). BAND. Terme désignant le petit ensemble instrumental, base de l’exécution du jazz traditionnel. Le band est formé d’une section rythmique (batterie, piano, guitare ou banjo, contrebasse ou tuba) et d’une section mélodique (trompette ou cornet, trombone, downloadModeText.vue.download 66 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 60 clarinette, puis saxophone). Un ensemble plus important est appelé big band. BANDE. Jusqu’au XVIIIe siècle, il s’agit d’une formation orchestrale régulière, composée en principe d’instruments de même famille. À la cour de Louis XIV, la Grande Bande des violons du roy réunissait non seulement des violons, mais également des altos, des violoncelles et des violones. Tombé en désuétude depuis la fin de l’Ancien Régime, le terme a laissé des traces dans la langue anglaise, où le mot band désigne toujours les formations de type militaire, les fanfares, harmonies (brass bands) et, d’une façon générale, les ensembles où dominent les instruments à vent, y compris les jazz bands, dance bands, etc. BANDIR ou BENDIR. Tambour sur cadre utilisé dans le monde arabo-islamique et plus particulièrement dans le Maghreb. BANDONÉON. Instrument de musique à soufflet et anches libres, plus proche du concertina que de l’accordéon. Beaucoup plus grand que le concertina, et de forme carrée, il en possède toutes les autres caractéristiques. Sa pureté de son et son étendue considérable sont très appréciées dans les formations typiques sud-américaines. BANDOURA. Instrument folklorique russe à cordes pincées, d’origine tartare, également employé dans l’Orient musulman. Proche parente de la balalaïka, la bandoura s’en distingue par sa caisse ovoïde et par un nombre de cordes très variable. BANDURRIA. Instrument à cordes pincées, proche de la guitare et de la famille des cistres par la forme de sa caisse ; sa tessiture est aiguë. En usage en Espagne depuis le XVIe siècle, la bandurria comporte jusqu’à six cordes simples ou doubles, au lieu de trois à l’origine, et se joue avec un plectre d’écaille. BANISTER (John), compositeur et violoniste anglais (1630 - Londres 1679). Charles II le remarqua et l’envoya se perfectionner en France. En 1663, il fut nommé chef des Violons du roi, poste dont il fut écarté en 1667 au profit d’un Français, Louis Grabu. Banister composa des airs et organisa à Londres, en 1672, les premiers concerts publics à entrée payante qui aient eu lieu en Angleterre. BANJO. Instrument à cordes pincées du folklore négro-américain dont il a été fait grand usage au début du jazz. Le banjo, à quatre, cinq ou six cordes, se joue avec un plectre et produit un son bref, percutant. Vers 1930, les banjoïstes de l’école New Orleans, Danny Barker, Mancy Cara, Johnny Saint-Cyr, Bud Scott, ont cédé la place, dans la section rythmique de l’orchestre de jazz, aux guitaristes. BANKS (Don), compositeur australien (Melbourne 1923 - Sydney 1980). Fils d’un musicien de jazz, il étudia au conservatoire de sa ville natale, et s’installa en Angleterre en 1950, poursuivant sa formation auprès de Mátyás Seiber (1950-1952), puis auprès de Milton Babbitt à Salzbourg, de Luigi Dallapiccola à Florence et, enfin, de Luigi Nono. Sa première oeuvre publiée fut une sonate pour violon et piano (1953). Les Trois Études pour violoncelle et piano (1955), le Pezzo drammatico pour piano seul (1956) et le concerto pour cor, écrit pour son compatriote Barry Tuckwell (1965), relèvent de la technique sérielle, mais ce n’est pas le cas du trio pour cor, également destiné à Tuckwell. De 1961 date la Sonata da camera pour 8 instruments à la mémoire de M. Seiber. Equation I (1963-64), Equation II (1969) et Settings from Roget (1966) sont autant de tentatives pour mêler le jazz et la musique d’orchestre, cela dans la voie appelée par Gunther Schuller « troisième courant » (Third Stream), en opposant volontiers une musique de jazz se mouvant rapidement et une musique d’orchestre se mouvant lentement. Suivirent Tirade pour mezzo-soprano, piano, harpe et trois percussionnistes sur trois poèmes de l’Australien Peper Porter (1968) et Intersections pour sons électroniques et orchestre (1969). Parmi les oeuvres orchestrales de Don Banks, citons encore Divisions (1964-65), Assemblies (1966), et, surtout, le concerto pour violon (1968). Fondateur de l’Australian Musical Association à Londres, Banks a été président de la Society for the Promotion of New Music (1967-68), et, en 1969, cofondateur de la British Society for Electronic Music. Retourné en Australie en 1973, il y a occupé des postes d’enseignant à Canberra (1974) et à Sydney (1978). BANTI (Brigida), soprano italienne (Monticelli d’Ongina 1756 - Bologne 1806). Fille d’un chanteur de rue, elle débuta à Paris en 1776, séjourna à Londres en 1779-80, puis parcourut l’Europe avant de revenir en 1794 à Londres, où elle se produisit jusqu’à sa retraite en 1802. C’était une admirable actrice qui brillait particulièrement dans les récitatifs dramatiques. Elle savait à peine lire les notes et l’écriture, mais compensait cette lacune par une mémoire prodigieuse. En 1795, Haydn écrivit pour elle son plus bel air de concert, Berenice che fai ? (ou Scena di Berenice). BANTOCK (sir Granville), compositeur anglais (Londres 1868 - id. 1946). Étudiant à la Royal Academy of Music (1889-1892), il fut attiré par les sujets orientaux ou celtiques. De 1893 à 1896, il publia The New Quarterly Musical Review et défendit avec passion la musique de ses contemporains, dirigeant des concerts de « premières auditions », financièrement désastreux. Professeur à l’université de Birmingham jusqu’en 1933, il fonda son enseignement aussi bien sur les classiques que sur la musique vivante. Il composa des poèmes symphoniques (Fifine at the Fair), des symphonies (Celtic Symphony, Hebridean Symphony), des oeuvres chorales (Omar Khayyám, 1906-1909), des cycles de mélodies anglaises (Old English Suites, 1909) et trois opéras. BAR. Terme allemand employé au Moyen Âge, par les maîtres chanteurs, pour désigner leurs chants. Le bar comporte un nombre impair de strophes (3, 5 ou 7) ; chaque strophe contient deux couplets sur la même mélodie, suivis d’une section différente quant à la musique et au texte. La structure d’une strophe est généralement : AA’B. Ce plan se retrouve souvent dans les chorals protestants, chez J. S. Bach par exemple. BARBAUD (Pierre), compositeur français (Alger 1911 - Nice 1990). Après des études de lettres et de musicologie, il est bibliothécaire à la Bibliothèque nationale, puis professeur d’éducation musicale à l’Institut national des sports. Il entreprend, au cours des années 50, des travaux pour introduire la pensée mathématique et les méthodes qui en découlent dans la composition musicale. À partir de 1958, Barbaud utilise un ordinateur, devenu indispensable devant la complexité croissante des calculs, et abandonne la composition manuelle et la simulation pour la composition automatique. C’est le moment où il fonde le Groupe de musique algorithmique de Paris avec Roger Blanchard et Janine Charbonnier. On peut dire que les travaux et réalisations de Barbaud ont précédé ceux de Xenakis. En remplacement de M. Philippot, Barbaud a enseigné au Conservatoire de Paris (1977-78) l’informatique musicale, c’est-à-dire « l’élaboration, au moyen de l’ordinateur, d’une partition qui soit cohérente au regard d’une certaine grammaire des sons ». L’informatique musicale permet l’établissement artificiel d’un downloadModeText.vue.download 67 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 61 discours musical, parfois fondé sur les concepts a priori de l’harmonie traditionnelle (Lumpenmusik, 1974-1978), et laisse souvent intervenir le hasard pur, à condition qu’aucune règle ne soit violée. Mais Barbaud préfère explorer des terres inconnues (Maschinamentum firminiense, 1971 ; Terra ignota ubi sunt leones, 1973). Son attitude intellectuelle est si rigoureuse qu’il s’oblige à prendre tels quels les résultats obtenus par l’ordinateur. Tant qu’il n’a pas eu de convertisseur numériqueanalogique à sa disposition - c’est-à-dire jusqu’en 1974 -, Barbaud a dû effectuer lui-même le décodage des résultats fournis et faire exécuter la partition obtenue par des instruments traditionnels. En 1973, il s’associe avec l’acousticien F. Brown et l’informaticienne G. Klein, et fonde le groupe B. B. K. (Barbaud, Brown, Klein). Dans les Marteaux maîtrisés, sa musique dépasse les possibilités des instruments, et l’ordinateur se charge de l’exécution. Barbaud était persuadé que, à l’avenir, cette manière de procéder remplacerait la production artisanale de la musique. BARBEAU (Marius), anthropologue, ethnologue et folkloriste canadien (SainteMarie, Québec, 1883 - Ottawa 1969). Professeur à l’université Laval (Québec), il fut l’un des premiers à s’intéresser au folklore et devint le plus éminent folkloriste du Canada. Il recueillit des chansons populaires, les transcrivit et les publia. Il écrivit un ouvrage, The Folk Songs of French Canada (les Chants populaires du Canada francais), et, grâce à lui, le Musée national du Canada possède plus de 5 000 mélodies folkloriques. BARBER (Samuel), compositeur américain (West Chester, Pennsylvanie, 1910 New York 1981). D’abord chanteur, il devient élève du Curtis Institute de Philadelphie où il étudie la composition avec Rosario Scalero. Il obtient le prix Bearns de l’université Columbia, le prix de Rome américain et le prix Pulitzer (1935). Au cours d’un séjour à Rome, il écrit ses premières oeuvres (quatuor, symphonie et le célèbre Adagio pour cordes) dans un style néoromantique. Le concerto pour violon (1939) ouvre une nouvelle période qui comprend, entre autres, la 2e symphonie, le Capricorn Concerto pour flûte, hautbois, trompette et cordes, le concerto pour violoncelle, le quatuor à cordes no 2 et la suite de ballet Medea (1946). On y trouve pêle-mêle une rythmique plus complexe, une couleur orchestrale allant de Debussy à Webern, une tendance de plus en plus nette vers le contrepoint dissonant, voire la polytonalité. Puis, Knoxville, summer of 1915 pour soprano et orchestre, et une sonate pour piano dédiée à V. Horowitz constituent une incursion sans lendemain dans le dodécaphonisme, dont on ne trouve plus guère de trace dans des oeuvres ultérieures comme Prayers of Kierkegaard pour solistes, choeur et orchestre. Vanessa (1957), opéra sur un livret de Menotti, est une oeuvre plaisante, sincère et sans prétention. Anthony and Cleopatra (1966), autre partition lyrique, ne manque pas de puissance, mais évite toute audace. Ainsi, difficile à enfermer dans les limites d’une seule tendance, Barber apparaît-il avant tout comme un compositeur à la sûreté technique sans faille, ayant le sens de la mélodie et se maintenant avec prudence dans un juste milieu. BARBIER (Jean-Noël), pianiste français (Belfort 1920 - Paris 1994). Élève de Blanche Selva et de Lazare Levy, il interrompt ses études musicales en 1939. Après la guerre, il se consacre surtout à l’écriture, publiant des romans, des articles de critique musicale et, en 1961, un Dictionnaire des musiciens français. À partir de 1950, il donne des concerts consacrés le plus souvent à la musique française (Debussy, Déodat de Séverac, Ibert, Chabrier, etc.). Son enregistrement de l’intégrale des oeuvres pour piano seul de Satie est primé par l’Académie du disque français en 1971. En 1974, il est nommé directeur du conservatoire de Charenton. Il est apparu dans le film de Robert Bresson Au hasard Balthazar (1966). BARBIER (Jules), librettiste français (Paris 1822-id. 1901). Seul ou en collaboration avec Michel Carré, il fournit des livrets à Gounod (Faust, Philémon et Baucis, Roméo et Juliette), Meyerbeer (le Pardon de Ploërmel), Ambroise Thomas (Mignon, Francesca da Rimini, Hamlet), Offenbach (les Contes d’Hoffmann), Victor Massé (les Noces de Jeannette). BARBIERI (Francisco Asenjo), compositeur espagnol (Madrid 1823 - id. 1894). Il entra à quatorze ans au conservatoire de Madrid, mais, son père ayant été tué dans une émeute, il dut gagner sa vie comme clarinettiste dans une clique militaire, pianiste de café, copiste et chanteur (il aurait interprété Basile dans le Barbier de Séville). Il devint l’un des créateurs essentiels du théâtre musical espagnol, vite opposé au mélodrame italien, qu’il parodia volontiers. L’oeuvre demeurée la plus célèbre de Barbieri, la zarzuela El Barberillo de Lavapiés (1874), est d’ailleurs une parodie du grand opéra historique et du Barbier de Rossini. Barbieri composa près de 80 zarzuelas. Wagnérien de la première heure, animateur infatigable, homme de culture exceptionnelle, il fut l’une des figures les plus marquantes de la musique espagnole avant Manuel de Falla. Il publia une ample anthologie de musiques anciennes espagnoles (Cancionero musical de los siglos XV y XVI) et édita les oeuvres de Juan del Encina. Il fut organisateur de concerts, professeur d’histoire de la musique au conservatoire de Madrid, et il écrivit de nombreux articles musicologiques. BARBIREAU (Jacques ou Jacobus), compositeur flamand (Mons v. 1408 - Anvers 1491). Il occupa, de 1440 à 1491, le poste de maître de chapelle à la cathédrale d’Anvers, où il augmenta considérablement le nombre de chantres ; il eut J. Obrecht pour successeur. Vers la fin de sa vie, envoyé par l’empereur Maximilien à Buda, il y fut reçu en grande pompe en raison de sa renommée. Trois messes (Terribilment, Virgo parens Christi et Faulx perverse, dont les sombres couleurs annoncent P. de La Rue), un motet et un Kyrie montrent que Barbireau s’inscrit dans la ligne stylistique d’Ockeghem. Parmi ses sept chansons conservées, Een vroylic wesen, à 3 voix, fut très célèbre aux XVe et XVIe siècles, et se rencontre dans plusieurs versions différentes, vocales et instrumentales. BARBIROLLI (John), chef d’orchestre anglais d’origine italienne (Londres 1899 id. 1970). Après des études de violoncelle à la Royal Academy of Music (1912-1917), il entreprit une carrière de violoncelliste. En 1925, il créa un orchestre à cordes (Barbirolli Chamber Orchestra). Nommé directeur musical et premier chef d’orchestre à Covent Garden en 1926, il succéda, en 1936, à Toscanini à la tête de l’Orchestre philharmonique de New York. De retour en Angleterre en 1943, il prit et conserva jusqu’à sa mort la direction de l’Orchestre Hallé de Manchester, dont il étendit la réputation. Particulièrement inspiré par Berlioz, Brahms, Verdi, Mahler, Sibelius, Barbirolli a aussi défendu les compositeurs anglais modernes (Vaughan Williams, Bax, Walton). Il a également eu une activité de compositeur de musique orchestrale et d’arrangeur. BARBITOS. Instrument à cordes pincées de tessiture grave, proche de la harpe, qui semble avoir été répandu, avant l’ère chrétienne, dans la plupart des pays de civilisation grécoromaine. BARBIZET (Pierre), pianiste français (Arica, Chili, 1922 - Marseille 1990). Au Conservatoire de Paris, il obtient trois premiers prix (piano, 1944). En 1948, il reçoit le Grand Prix du Concours international de Scheveningen ; en 1949, il est lauréat du Concours Marguerite LongdownloadModeText.vue.download 68 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 62 Jacques Thibaud. Parallèlement à sa carrière de virtuose, il se produit dans un cabaret de Pigalle en compagnie de Samson François et Pierre-Petit. De 1963 à 1990, il dirige le conservatoire de Marseille et, en 1974, il est nommé professeur de piano au Conservatoire de Paris, où il crée les « Lundis du Conservatoire », série de concerts consacrés aux jeunes talents. Il a formé avec le violoniste Christian Ferras un duo très renommé. BARBLAN (Otto), compositeur suisse (Scans, Engadine, 1860 - Genève 1943). Après des études musicales à Coire et à Stuttgart, et des débuts comme professeur de musique à l’école cantonale de Coire, il se fixa à Genève, en 1887, pour y assurer la charge d’organiste à Saint-Pierre. Également directeur de la Société de chant sacré et professeur au conservatoire de Genève, à partir de 1892, il prit une part active à la révision de Il Coral (psautier en langue romanche) et à celle du psautier romand. Pédagogue, son rôle auprès des jeunes compositeurs fut important. Son oeuvre, influencée par l’esprit germanique, comprend essentiellement des pages vocales (choeurs, psaumes, cantates, chants patriotiques), des pièces instrumentales (piano, orgue) et de la musique de chambre. BARBOTEU (Georges), corniste et compositeur français (Alger 1924). Né dans une famille de musiciens, il commence des études de cor à neuf ans, obtient à onze ans un premier prix au conservatoire d’Alger dans la classe de son père et devient premier soliste à l’orchestre symphonique de Radio-Alger en 1940. Il entre à l’Orchestre national de la R.T.F. en 1948, remporte le prix d’honneur de cor au conservatoire de Paris (1950) et le premier prix au Concours de Genève (1951). Professeur au Conservatoire de Paris depuis 1963, il poursuit une carrière de soliste, de musicien d’orchestre et de pédagogue. Ses stages à Darmstadt auprès de Stockhausen et son activité de compositeur témoignent de son intérêt pour la musique contemporaine. BARCAROLLE. Chant évoquant une atmosphère marine, et plus particulièrement les gondoliers vénitiens. Son rythme caractéristique, généralement à 6/8 ( ), suggère le balancement d’un bateau sur l’eau. La barcarolle se rencontre notamment dans la littérature pianistique (Chopin, Mendelssohn, Fauré), mais aussi dans l’opéra, par exemple chez Rossini (Otello et Guillaume Tell), chez Offenbach (les Contes d’Hoffmann), sans oublier le sublime trio de Cosi fan tutte (Mozart) « Soave sia il vento », qui y puise son inspiration. BARDE. Poète et chanteur de l’Antiquité celte, qui s’accompagnait sur un instrument traditionnel, le crwth. La conquête romaine et, surtout, l’évangélisation de la Gaule et des îles Britanniques ont fait disparaître la caste sacerdotale des bardes, qui vivaient dans la maison des grands seigneurs dont leurs chants conservaient la mémoire et célébraient les exploits. Les bardes ont, toutefois, subsisté au pays de Galles fort avant dans le Moyen Âge, à la cour de nombreux roitelets qui avaient conservé le goût de la poésie nationale. Au XIIIe siècle, l’unification de la Grande-Bretagne jeta à la rue ces trouvères d’un genre particulier, qui en furent réduits à la mendicité. Leur rôle avait été considérable dans le maintien d’une très riche tradition orale, et leur nom continue d’être donné aux poètes épiques ou lyriques, quelle que soit leur origine. BARDI (Giovanni), comte DI VERNIO, mécène, humaniste et compositeur italien (Florence 1534 - Rome 1612). Dès 1576, il réunissait à Florence des savants et artistes dont les réflexions s’inspiraient des idées de la Grèce antique. Les travaux de cette Camerata fiorentina (ou Camerata Bardi) contribuèrent grandement au développement du récitatif chanté fondé sur le stile rappresentativo. En 1592, Bardi quitta Florence pour Rome, où il fut au service du pape Clément VIII jusqu’en 1605. Il avait écrit des intermèdes musicaux pour des fêtes données à Florence, mais il ne nous reste de ses compositions que deux madrigaux à 4 et 5 voix. On a conservé également son Discorso mandato a Caccini sopra la musica antica. BARENBOÏM (Daniel), pianiste et chef d’orchestre israélien (Buenos Aires 1942). Il fait ses débuts de pianiste à l’âge de sept ans, à Buenos Aires. Il a ensuite, parmi ses professeurs, Edwin Fischer, Nadia Boulanger et Igor Markevitch. En même temps que grandit rapidement sa réputation de pianiste, il aborde, en 1962, la direction d’orchestre et travaille beaucoup avec l’Orchestre de chambre anglais. Avec cet ensemble, ses interprétations de Mozart, aussi bien comme chef d’orchestre (symphonies) que comme pianiste et chef (concertos), font très vite autorité. Il aborde alors la direction d’orchestre symphonique, où il acquiert aussi une grande réputation. Nommé directeur de l’Orchestre de Paris en 1974, il prend ses fonctions la saison suivante, pour les conserver jusqu’en 1988. En 1989, il est nommé directeur musical de l’Opéra de la Bastille, mais doit abandonner ces fonctions. En 1990, il succède à Solti à la tête de l’Orchestre de Chicago. Son successeur à l’Orchestre de Paris est Semyon Bychkov, dont le contrat viendra à terme en 1998. C’est un artiste prodigieusement doué, dont la polyvalence et la curiosité insatiable sont très caractéristiques de sa génération. Il pratique le piano en solo, en concerto, en musique de chambre, en accompagnement de chanteurs de lieder, et la direction d’orchestre en musique symphonique et en opéra. BÄRENREITER VERLAG. Maison allemande d’édition de musique, fondée en 1924 à Augsbourg par Karl Vötterle. En 1927, elle a été transférée à Kassel, d’où ses initiales BVK. Des filiales ont été créées à Bâle (1944), à Londres et à New York (1957) ; la filiale française, née en 1963, s’est installée en 1970 à Chambraylès-Tours (Indre-et-Loire) et a disparu en 1979. Parmi les nombreux ouvrages édités par BVK figure le célèbre dictionnaire Die Musik in Geschichte und Gegenwart (MGG). BVK publie plusieurs périodiques musicologiques et l’une de ses branches est consacrée à l’édition de disques. BARIOLAGE. Dans les instruments à cordes frottées, coup d’archet faisant alterner deux cordes ou bien entendre une note alternativement avec un doigt appuyé et avec la corde à vide. BARKAUSKAS (Vytautas), compositeur lituanien (Vilnius 1931). Après des études au conservatoire de Vilnius, il enseigne la théorie musicale dans ce même établissement, à partir de 1961. Depuis 1964, Barkauskas use d’un dodécaphonisme élargi, d’abord dans ses compositions de chambre (cycle de piano Poésie, 1964 ; Partita pour violon seul, 1967, etc.), puis dans des oeuvres vocales telles que La vostra nominanza e color d’erba (choeur de chambre et quintette à cordes, 1971). Il s’est fait connaître par les prix d’État attribués à des commandes officielles : Hommage à la révolution (1967) et la 2e symphonie (1971). BARKER (Charles Spackmann), facteur d’orgues anglais (Bath 1804 - Maidstone 1879). Il s’installa à Paris de 1837 à 1870, puis à Londres. Il construisit les orgues de Saint-Augustin, à Paris, de Saint-Pierre, à Montrouge, et ceux des cathédrales de Dublin et de Cork. Il est surtout connu pour avoir inventé une machine pneumatique à laquelle on a donné son nom : des leviers pneumatiques assistent la tracdownloadModeText.vue.download 69 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 63 tion des notes et permettent l’accouplement des claviers sans durcir le toucher. Aujourd’hui, la traction électrique, d’une part, le retour à une mécanique légère, souple et bien réglée, d’autre part, ont conduit à abandonner la machine Barker. BARLOW (Fred), compositeur français (Mulhouse 1881 - Boulogne-sur-Seine 1951). Pendant ses études d’ingénieur à l’École polytechnique de Zurich, il composa en amateur ses premières mélodies. En 1908, il vint s’installer à Paris pour travailler la musique. Ses maîtres, Jean Huré et Charles Koechlin, le libérèrent de sa passion pour Wagner ; ils lui firent connaître les richesses des modes anciens et les subtilités de la musique française moderne, que Barlow unit à son inspiration délibérément simple, douce, mais éloquente. Son oeuvre comprend notamment des pièces pour piano, dont de nombreux morceaux pour enfants, de la musique de chambre, l’opéra-comique Sylvie d’après G. de Nerval (1923), où s’exprime une troublante poésie, l’opérette Mam’zelle Prud’homme (1932), qui retrouve la verve d’Offenbach et la distinction de Messager, et deux ballets. BARONI (Leonora), chanteuse, compositeur, gambiste et théorbiste italienne (Mantoue 1611 - Rome 1670). Elle s’installa à Rome et sa célébrité y devint considérable à partir de 1630. Le violiste francais Maugars, séjournant dans cette ville, pensait en l’écoutant « estre desjà parmy les anges... » C’était une musicienne complète, un esprit brillant, qui se mêlait aussi de politique. Milton lui dédia son poème, inspiré de la Leonora du Tasse, Ad Leanoram Romae Canentem. Mazarin, qui fut à Rome son ami et peut-être son amant, la fit venir à la cour de France en 1643. Malgré un accueil extrêmement favorable et l’amitié d’Anne d’Autriche, elle ne s’y plut guère et retourna à Rome en 1645. Mais son séjour avait contribué à développer le goût pour l’art vocal italien et préparé le succès de l’Orfeo de Luigi Rossi (1647). BAROQUE. Ce terme contient l’idée d’une forme irrégulière, voire bizarre, et implique à l’origine une nuance péjorative. Il s’applique à un style dans l’histoire de tous les arts, y compris la musique, et correspond à une époque située entre 1600 et 1750 environ. Le baroque musical est né avec la monodie accompagnée et l’invention de la basse continue, opposant le stile moderno au stile antico de la Renaissance, dans la lignée de Palestrina et de la musique polyphonique. E. d’Ors précise que le style du baroque est conçu dans des « formes qui s’envolent » par opposition au classicisme qui emploie des « formes qui pèsent ». Pour Suzanne Clercx, « le baroque est un art de mouvement, c’est-à-dire un art où le dynamisme apparaît comme un caractère permanent [...], un art de variation, d’abondance, qui, fatalement, entraîne au maniérisme ». Il inclut en effet un goût de l’ornementation et de la virtuosité, souvent poussé par la vanité humaine à des excès dont parlent nombre d’écrivains de l’époque. Le baroque révèle le besoin de créer un monde irréel, extravagant, peuplé de contrastes bien marqués comme, en musique, ceux entre « forte » et « piano ». À cette époque apparaissent l’opéra, l’oratorio, la cantate ; la musique instrumentale se développe (concerto, sonate et toutes les musiques pour instruments à clavier, en particulier l’orgue). Ces différentes formes se divisent en trois groupes de style caractéristique : l’église (chiesa), la chambre (camera) et, bien entendu, le théâtre, puisque le baroque est un spectacle permanent. Ainsi, la sonate d’église et la cantate religieuse se distinguent-elles de la sonate de chambre et ses mouvements de danse et de la cantate de chambre, souvent dramatique, qui se rapproche du troisième groupe, celui de l’opéra. La forme a tre (à trois) est très caractéristique de l’écriture musicale baroque. Elle se compose de deux parties mélodiques (vocales ou instrumentales) soutenues par une troisième partie, la basse continue, qui comprend elle-même en général deux instruments, un instrument polyphonique et un à archet. C’est également à cette époque que s’affirment le sens de la tonalité et celui de l’harmonie. Dans la mesure où la monodie accompagnée et l’opéra se développent surtout en Italie, on peut dire que le style baroque en musique est né dans ce pays. En effet, l’Italie est, au XVIIe siècle, le principal centre d’une écriture fondée sur la basse continue, d’abord avec les musiciens de la Camerata fiorentina, Monteverdi, les membres de l’école romaine (L. Rossi, Carissimi, A. Cesti) et ceux de l’école vénitienne (F. Cavalli, G. Legrenzi). C’est dans la lignée des modèles italiens de l’opéra, de la cantate, de l’oratorio que se placent les musiciens allemands, de Schütz à Haendel, et aussi, le plus grand compositeur anglais du XVIIe siècle, Henry Purcell. À la même époque fleurit en Italie une production instrumentale qui, ayant pour point de départ la sonate et la sonate à trois, trouve, grâce aux efforts de Stradella, de Corelli, de Torelli et enfin de Vivaldi, sa structure définitive dans le concerto et la sonate classiques, dont les formes se consolideront, après Bach, avec son fils Carl Philip Emanuel et avec Haydn. En France, en revanche, il est difficile et parfois imprudent de parler de baroque en musique. La pratique de la basse continue s’y introduit très tard - vers 1640 -, et le luth, essentiellement un instrument de la Renaissance, garde sa suprématie. Dans ce pays se crée la tragédie lyrique, basée sur une déclamation régie par le rythme du langage racinien, en opposition avec le récitatif souple et parfois fort rapide des Italiens, beaucoup plus proche de la langue parlée. Quant à la musique instrumentale qui prend forme alors, elle est inspirée des rythmes de danse de toutes sortes provenant des ballets de cour et du répertoire des luthistes. Ainsi se dessine la suite française. C’est Lully qui, mêlant ces éléments préexistants à ceux de son Italie natale, amène la musique française, à peine sortie de la Renaissance, directement à un style dit « classique », contenant peu d’aspects baroques. Le baroque se définit donc en musique comme une déformation des techniques déjà existantes, leur mélange avec d’autres techniques naissantes fondées sur l’emploi de la basse continue et sur des « effets ». Peut-être l’exemple le plus frappant de ce mélange est-il la vaste fresque religieuse de Claudio Monteverdi : les Vêpres de la Vierge (1610). BARRAGE. Sur le piano, ensemble de barres en métal ou en bois servant à renforcer la caisse, ce qui permet d’accroître la tension des cordes. L’invention en est attribuée à Sébastien Érard. Sur le luth, le barrage consiste à renforcer la table d’harmonie, très fragile, par une série de fines lattes de bois. BARRAINE (Elsa), femme compositeur française (Paris 1910). Elle travaille avec Paul Dukas et obtient en 1929 le premier grand prix de Rome. Elle écrit deux symphonies (1931, 1938), riches, chatoyantes, encore traditionnelles. Poésie ininterrompue, d’après Eluard (1948), marque une évolution vers une expression plus vive et plus audacieuse. Viennent ensuite les Variations pour percussion et piano (1950) et la Nativité (1951). Le Livre des morts tibétain (auquel s’intéressera aussi Pierre Henry) est pour elle une illumination qui porte et inspire sa Musique rituelle pour orgue, tam-tam et xylophone (1968), l’une des oeuvres les plus marquantes qu’ait écrites cette « musicienne de l’essentiel » (C. Rostand). Citons aussi la Cantate du vendredi saint (1955). Elsa Barraine a aussi écrit des musiques de film, et le ballet la Chanson du mal-aimé (1950). En 1969, Elsa Barraine devient titulaire d’une classe d’analyse au Conservatoire de Paris. Dans le cadre de la Fédération musicale populaire, qui regroupe des chorales, et en collaboration avec le compositeur François Vercken, elle suscite des downloadModeText.vue.download 70 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 64 oeuvres nouvelles, jouant le rôle de médiatrice entre les chanteurs amateurs et les compositeurs. BARRAQUÉ (Jean), compositeur français (Puteaux 1928 - Paris 1973). Issu d’une famille bourgeoise, il apprit d’abord le piano et travailla au Conservatoire de Paris l’harmonie, le contrepoint et la fugue avec Jean Langlais, puis, de 1948 à 1951, l’analyse avec Olivier Messiaen. Compositeur exclusivement et fièrement sériel, il n’a laissé que six ouvrages auxquels vient s’ajouter son Étude pour bande magnétique (1954), résultat de ses travaux avec Pierre Schaeffer (1951-1954). Mais ses oeuvres sont de celles qui marquent une époque. Les deux premières sont la Sonate pour piano (1950-1952) et Séquence pour soprano, ensemble instrumental et percussions (1950-1955). La Sonate, la plus monumentale peut-être depuis la Hammerklavier de Beethoven, est en deux parties, de dimensions à peu près égales, mais dont la première, aux arêtes vives, est surtout rapide, et la seconde, envahie peu à peu de zones de silence, surtout lente. Elle ne fut créée - au disque ! - qu’en 1957, et on ne l’entendit en concert qu’en 1967. De Séquence, la version initiale date de 1950. Plus tard, Barraqué remplaça les poèmes de Rimbaud et d’Eluard par des poèmes de Nietzsche, et, en 1955 encore, ajouta deux interludes instrumentaux. L’ouvrage fut créé en 1956. La même année, Barraqué découvrit le roman de Hermann Broch la Mort de Virgile (achevé en 1947), et fut d’emblée captivé par cette vaste méditation, si proche de ses préoccupations propres, sur les rapports entre l’art, l’artiste et la société. « Le livre dépeint les dix-huit dernières heures de la vie de Virgile, depuis son arrivée au port de Brindisium (l’actuel Brindisi) jusqu’à sa mort dans l’après-midi du lendemain au palais d’Auguste. Bien que rédigé à la troisième personne, il s’agit d’un monologue du poète. C’est avant tout un bilan de sa vie, du bien-fondé - ou non - moral de cette vie, du bien-fondé - ou non du travail poétique auquel cette vie fut consacrée (Virgile désirait que toute son oeuvre fût détruite), mais, comme toute son existence est liée à son époque, ce bilan embrasse la totalité des courants spirituels et souvent mystiques qui parcoururent l’Empire romain en ce dernier siècle avant le Christ, et qui ont fait de Virgile un précurseur du christianisme » (Broch). Barraqué, fasciné notamment par le concept de la méditation à l’orée de la mort, conçut le projet (que sa démesure voulue condamnait d’avance à l’inachèvement) d’une vaste série de compositions, du piano solo à l’opéra, constituant un cycle de commentaires et de paraphrases des quatre parties du roman. La mort prématurée du compositeur, ainsi que la lenteur qu’il apportait à l’acte d’écrire, comme s’il s’agissait à chaque instant d’une question de vie ou de mort, ne lui permirent de mener à bien que ...au-delà du hasard pour quatre formations instrumentales et une formation vocale (195859, création en 1960) ; Chant après chant pour soprano, piano et 6 percussionnistes (1966) ; le Temps restitué pour soprano, soprano dramatique, choeur mixte à 12 voix et 31 instruments (1956-1968, créa- tion en 1968) ; et Concerto pour clarinette, vibraphone et 6 formations instrumentales (1968). De ces quatre partitions, les trois premières utilisent à des titres divers le texte de Broch, alors que la quatrième se rattache au roman de manière indirecte. Toutes unissent la rigueur intellectuelle la plus intransigeante et le romantisme le plus généreux et le plus ardent : c’est ainsi notamment que Barraqué put s’inscrire dans la descendance de Beethoven, maître qu’il révérait par-dessus tout. Tant par ses travaux sur la série - qui le conduisirent au système des séries proliférantes (permettant, à partir d’une série initiale, l’engendrement de séries dérivées toutes différentes, mais restant apparentées à l’originale) - que par ses recherches formelles, Barraqué ne ménage ni l’interprète ni l’auditeur, mais quelle récompense à l’issue de l’effort ! « La musique c’est le drame, c’est le pathétique, c’est la mort », disait-il. Cet athée solitaire, qui ne vivait que pour la musique, laissa peut-être la musique le détruire. La maladie exécuta ce que lui-même n’osa peut-être pas faire : arrêter sa vie, une vie qui avait été une fusion constante d’exaltation, de désespoir, de crises agressives, de persécution et de fureur. Conscient de sa valeur, il vécut et travailla en marge de la vie musicale. Son bagage ne représente que trois heures et demie de musique, mais peut-être faudrat-il plusieurs générations pour en mesurer la profondeur et les résonances. Auteur également d’une importante monographie sur Debussy (Paris, 1962) et de Debussy ou la naissance des formes ouvertes, thèse pour le C. N. R. S. (1962), il laissa à sa mort, en état d’inachèvement et sous un aspect à peu près indéchiffrable, Lysanias pour solistes, choeurs et grand orchestre, les Portiques du feu pour 18 voix a cappella et les Hymnes à Plotia I pour quatuor à cordes et II pour piano, cela sans compter divers projets parmi lesquels, pour la scène, l’Homme couché. BARRAUD (Henry), compositeur français (Bordeaux 1900). Après avoir été, à Paris, l’élève de Georges Caussade, Paul Dukas et Louis Aubert, il a mené parallèlement des activités de compositeur et d’organisateur, d’homme d’action. Il a été directeur des programmes musicaux à la R. T. F. de 1944 à 1948 et directeur de la chaîne nationale de 1948 à 1966. À ces deux postes, il a innové, atti- rant au micro Gide, Claudel, y créant dès 1944 une « intégrale Stravinski » et aidant un Boulez, un Xenakis et bien d’autres à s’imposer à une large audience. Plus récemment, son émission hebdomadaire « Regards sur la musique » est devenue l’une des plus écoutées des mélomanes. Sa curiosité pour tous les styles ne l’a pas empêché de développer une écriture très homogène et très caractéristique, avec un rythme qui lui est propre (commandé souvent par une figure de brève accentuée, obstinément suivie d’une longue appuyée), un goût pour les nombreuses subdivisions métriques produisant la vivacité du tempo, une largeur de mouvement sous-jacente et, surtout, une savante polyphonie, ne reculant pas devant la dissonance, qui le place sans aucun doute dans la descendance de Roussel. C’est une musique rigoureuse, noble, capable pourtant d’émotion immédiate, chargée d’un romantisme latent ; une musique apte à la méditation, à l’expression du spirituel et du métaphysique, mais aussi de l’humour (Trois Lettres de Madame de Sévigné, 1938 ; la Farce de Maître Pathelin, opéracomique, 1938 ; Huit Chantefables pour les enfants sages, texte de R. Desnos, 1946) et même d’une fantaisie surréaliste (le Roi Gordogane, opéra, 1975). Barraud a abordé des sujets ambitieux, et a su se montrer à leur hauteur, par exemple, dans l’oratorio le Mystère des saints Innocents, d’après Péguy (1946), dans la tragédie lyrique Numance (1952 ; Barraud en a tiré une Symphonie de Numance), dans Une saison en enfer, d’après Rimbaud (1968-69), la Divine Comédie, d’après Dante (1972) et Tête d’or, tragédie lyrique d’après Claudel (1980). Diverses oeuvres lyriques et dramatiques, des symphonies et de nombreuses pièces symphoniques, de la musique vocale, de la musique de chambre et quelques pièces pour piano complètent l’abondant catalogue des oeuvres du compositeur, qui s’est vu décerner en 1969 le grand prix national de la Musique. Barraud a également fait oeuvre de musicographe, notamment avec un Berlioz (Paris, 1955). BARRE. 1. Sur les instruments à cordes, petite pièce de sapin collée sur la face interne de la table, sous le pied gauche du chevalet et dans le sens longitudinal ; elle renforce la table du côté gauche et communique les vibrations du chevalet. 2. Sur l’orgue, partie de bois séparant les gravures du sommier. 3. Sur le clavecin, morceau de bois recouvert de feutre qui empêche les sautereaux de remonter trop haut. downloadModeText.vue.download 71 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 65 BARRE DE MESURE. Terme désignant une ligne verticale placée en travers de la portée (ou des portées), et qui indique des divisions métriques régulières. L’introduction de la barre de mesure telle que nous la comprenons aujourd’hui est relativement récente : elle ne date que du début du XVIIe siècle environ. Auparavant, on trouvait des barres de mesure placées de manière irrégulière, comme de simples repères, par exemple dans la musique de luth et, souvent encore, dans les airs de cour qui en découlaient. De nos jours, avec les fréquents changements de mesure ou même la disparition de la mesure, la barre tend à redevenir un simple repère visuel pour éviter les trop grandes difficultés d’exécution. BARRER. 1. Sur le luth et la guitare, raccourcir la longueur de la partie des cordes entrant en vibration et changer ainsi la hauteur des notes, en appuyant l’index sur les cordes concernées. 2. On peut barrer une petite note ornementale (appoggiature) d’un trait oblique pour rendre la valeur de cette note encore plus brève. 3. On parle de « barrer un luth » lorsque le facteur ajoute une série de barres de renforcement ( ! BARRAGE). BARRIÈRE (Françoise), femme compositeur française (Paris 1944). Cofondatrice (1970) et coresponsable, avec Christian Clozier, du Groupe de musique expérimentale de Bourges, elle a composé plusieurs oeuvres électroacoustiques ou « mixtes » (pour instrument et bande magnétique), oeuvres d’un style composite, difficilement définissable, où se manifeste le souci d’être « en prise » sur la réalité contemporaine (citations de chants révolutionnaires, références sonores diverses à notre société) et qui sonnent parfois comme de longues plaintes : Ode à la terre marine (1970), Java Rosa (1972), Aujourd’hui (1975), Chant à la mémoire des Aurignaciens (1977), Musique pour le temps de Noël (1979), Mémoires enfuies (1980). Ses deux oeuvres « mixtes », Cordes-ci-cordes-ça pour vielle à roue, violon et bande (1971) et Ritratto di Giovane (1973) pour piano et bande, jonglent ironiquement avec les formes classiques. BARRIOS (Angel), compositeur espagnol (Grenade 1886 - Madrid 1964). Fils d’un célèbre guitariste ami de Manuel de Falla, il étudia le violon, puis fut l’élève, à Madrid, de Conrado del Campo (1899) et, à Paris, d’André Gédalge (1900). Comme violoniste et aussi comme guitariste, il parcourut l’Europe pour populariser la musique espagnole. Il vint ensuite se fixer à Madrid et se consacra à la composition de zarzuelas, ainsi que de pages symphoniques et instrumentales toujours fortement inspirées par son pays. BARSHAI (Rudolf), chef d’orchestre et altiste russe naturalisé israélien (Labinskaïa, Russie, 1924). Au Conservatoire de Moscou, il étudie l’alto avec Borisovski et la composition avec Chostakovitch. Jusqu’en 1955, il mène une carrière de soliste et de chambriste, se consacrant en particulier au quatuor (Quatuor Philharmonique de Moscou et Quatuor Tchaïkovsky) et donne des concerts avec Guilels, Kogan, Rostropovitch. En 1955, il s’oriente vers la direction d’orchestre et fonde l’orchestre de chambre de Moscou, qu’il dirige jusqu’en 1976, et auquel de nombreuses oeuvres de compositeurs soviétiques ont été dédiées. En 1977, il émigre en Israël et commence à diriger dans le monde entier. De 1982 à 1988, il est chef permanent de l’orchestre symphonique de Bournemouth ; de 1985 à 1987, il dirige aussi l’orchestre symphonique de Vancouver. On lui doit plusieurs transcriptions pour orchestre, en particulier d’oeuvres de musique de chambre de Chostakovitch - celle du Quatuor no 8 appartient désormais, sous le nom de Symphonie de chambre, au répertoire d’orchestre courant. BARTALUS (István), compositeur et musicologue hongrois (Balvanyosvaralja 1821 - Budapest 1899). À la suite de Janos Erdelyi et Gabor Matray, il entreprit une vaste publication de mélodies populaires, avec accompagnement (7 vol., 1873-1896). Sans avoir recours aux méthodes que devait appliquer plus tard Béla Vikár, promoteur de l’étude scientifique du folklore, Bartalus joua un grand rôle dans le maintien de l’intérêt pour la musique « populaire ». Il fit paraître, par ailleurs, une importante anthologie d’oeuvres pour piano de compositeurs hongrois (1885) et publia de nombreuses monographies sur la musique de son pays à cette époque. BARTHÉLEMON (François Hippolyte), violoniste et compositeur français (Bordeaux 1741 - Londres 1808). Fils d’un Français et d’une Irlandaise, il se produisit comme violoniste en France, puis se rendit à Londres (1764), où, en 1766, il donna son premier opéra, Pelopida, et épousa la chanteuse Mary Young. On le vit à Paris (1767-1769), à Dublin (1771-72), en France, en Allemagne et en Italie (1776-77), mais l’essentiel de sa carrière se déroula dans la capitale britannique. Il composa d’autres opéras, des ballets, l’oratorio Jefte in Masfa (Florence, 1776), des quatuors à cordes, des concertos et des sonates pour son instrument, et fut considéré comme un des premiers violonistes de son temps. Sa fille Caecilia Maria composa également de la musique. Lors des deux séjours de Haydn à Londres (1791-1795), Barthélemon noua avec lui des liens d’amitié étroits et lui suggéra même, selon certaines sources, le sujet de la Création. BARTHOLOMÉE (Pierre), compositeur et chef d’orchestre belge (Bruxelles 1937). Il a étudié au conservatoire de Bruxelles de 1952 à 1957 (composition avec Henri Pousseur) et a été l’élève de Pierre Boulez pour la direction d’orchestre. Il a pro- duit des émissions musicales à la télévision belge, à partir de 1960, et fondé en 1962 l’ensemble instrumental Musiques nouvelles. Depuis septembre 1977, il est directeur musical et chef permanent de l’Orchestre de Liège, devenu en 1980 l’Orchestre philharmonique de Liège. Ses oeuvres reflètent les influences non seulement de Pousseur ou de Berio, mais des musiques des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Citons Chanson pour violoncelle (1964), Cantate aux alentours pour alto, basse, instruments et moyens électroacoustiques (1966), la Ténèbre souveraine pour quatuor vocal, 2 choeurs et orchestre (1967), Tombeau de Marin Marais pour violon baroque, 2 violes de gambe et clavecin, pièce en micro-intervalles notée sur tablature (1967), Premier Alentour pour flûte, alto et 2 violes de gambe (1966), Deuxième Alentour « Cueillir » pour voix d’alto, percussion et piano (1969-70), Troisième Alentour « Récit » pour orgue (1970), Harmonique pour orchestre (1970), Fancy pour harpe (1974), Fancy II pour harpe et petit orchestre (1975), Ricercar pour 4 saxophones (1974) et Sonata quasi une fantasia (1976) et Fancy as a ground pour orchestre de chambre (1980). BARTÓK (Béla), compositeur hongrois (Nagyszentmiklós, auj. en Roumanie, 1881 - New York 1945). Initié par sa mère au piano, il étudia, dès 1893, cet instrument et la composition avec Lászó Erkel, puis, sur les conseils d’Ernó Dohnányi, entra à l’Académie royale de musique de Budapest, où il travailla le piano avec István Thomán, élève de Liszt, et la composition avec János Koessler. En 1900, il se lia avec Zoltán Kodály. En 1902, la découverte des poèmes symphoniques de Richard Strauss influença ses premières oeuvres. Nationaliste convaincu, Bartók se fit connaître par Kossuth, poème symphonique exaltant le héros hongrois de la révolution de 1848. Il mena alors une carrière de pianiste, écrivit une sonate pour violon et piano sz 20, Burlesque sz 28 pour piano et orchestre, downloadModeText.vue.download 72 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 66 puis une rhapsodie pour piano sz 26. En 1905, il se présenta à Paris au concours Rubinstein, que remporta Wilhelm Backhaus. Mortifié, il rentra à Budapest pour se consacrer à la recherche des traditions populaires hongroises. Avec Kodály, il tenta de relier l’héritage de l’Orient à celui de l’Occident, ce dernier fondé sur les enseignements de Debussy quant au sens des accords, de Bach quant à « la transparence du contrepoint », de Beethoven quant à la forme. Professeur à l’Académie de musique de Budapest (1907), Bartók voulut, pour améliorer l’enseignement du piano, habituer les élèves aux mélanges de tonalités et à la relativité de la barre de mesure. Aussi commença-t-il une série de pièces didactiques qui, des 10 Pièces faciles sz 39 de juin 1908, devaient l’amener aux Mikrokosmos sz 107, terminés en 1937. En 1908, il écrivit son 1er quatuor à cordes, qui révèle les influences de Wagner et de Debussy. La violoniste Stefi Geyer lui inspira son 1er concerto pour violon sz 36, dont le premier volet devint le premier des 2 Portraits sz 37. Les 3 Burlesques sz 47 utilisèrent, en leur morceau central (Un peu gris), une technique nouvelle consistant à faire précéder une note d’appui d’un groupe d’ornementation que l’on « écrase » sur le clavier. En 1910, Bartók semblait avoir échappé à l’influence de Strauss, dont il critiqua violemment l’Elektra. En 1909, il épousa Márta Ziegler, qui, l’année suivante, lui donna un fils. La fréquentation de l’écriture modale des mélodies populaires inspira au compositeur les 4 Nénies sz 45, fondées sur des chants très anciens ignorant totalement « la tyrannie des systèmes modaux majeurs et mineurs ». L’année 1911 fut marquée par la mobilité percutante de l’Allegro barbaro pour piano sz 49 et par le Château de Barbe-Bleue sz 48, premier opéra utilisant spécifiquement la prosodie naturelle de la langue hongroise. Cette oeuvre inaugurait une collaboration particulièrement fructueuse entre Bartók et Béla Balázs, essayiste hongrois puisant ses idées politiques avancées dans les contes et ballades populaires. L’opéra de Bartók et de Balázs dépasse le cadre traditionnel et décrit la solitude de tout créateur, la destruction de tout un patrimoine d’amour par la soif d’une connaissance inutile. En 1913, Kodály et Bartók recueillirent deux cents chants arabes et kabyles et se penchèrent sur les patrimoines mongols, hongrois et finnois. Les intentions pédagogiques de Bartók coïncidaient alors avec son désir de recréer les musiques populaires qu’il découvrait. Il écrivit pour le piano : Danse orientale sz 54, 6 Danses populaires roumaines sz 56, 20 Noëls roumains sz 57. Il tenta une recréation par la voix avec les 9 Chansons populaires roumaines sz 59, les 5 Mélodies sz 61, 63, les 8 Chansons populaires hongroises sz 64. Mais la guerre l’empêcha de continuer ses recherches. Il écrivit alors son 2e quatuor sz 67. Au lendemain de la guerre, Bartók eut soudain l’espoir d’être aidé par les nouveaux gouvernants. Mais ces derniers restèrent enfermés dans un nationalisme étroit et critiquèrent son oeuvre, qui osait déborder du cadre national. Le compositeur disposait désormais d’une matière musicale qu’il pouvait recréer à sa manière. Il composa alors les Improvisations sur des chansons paysannes pour piano sz 74, d’une grande liberté de forme, et, surtout, ses deux sonates pour violon et piano sz 75 et 76, qui ont gardé, aujourd’hui encore, toute leur âpreté et leur nouveauté. Commande lui fut faite d’une oeuvre pour fêter le cinquantième anniversaire de la réunion de Buda et Pest : ce fut la Suite de danses (1923), formée de deux danses arabes, une danse hongroise et une roumaine, dont il réunit les identités rythmiques et modales dans un allégro final. En 1923, il se sépara de sa femme et épousa Ditta Pásztory. Il étudia alors Scarlatti, les clavecinistes de la Renaissance italienne, et composa son 1er concerto pour piano sz 83, créé en juillet 1927 avec l’auteur au clavier et Furtwängler au pupitre. Il effectua son premier voyage aux États-Unis, reçut un prix à Philadelphie pour son 3e quatuor sz 85 et écrivit deux Rhapsodies pour violon et piano sz 286 et 89 l’une à l’intention du virtuose Josef Szigeti et l’autre à celle de Zoltán Szekely. En 1930, dans sa Cantata profana, Bartók emprunta aux « colindas » (chants de Noël roumains) un thème légendaire : les neuf fils d’un paysan, transformés en cerfs, retrouvent la liberté ; ce thème rejoint le besoin pour tout un peuple asservi de vivre, de chanter, de courir les risques d’une indépendance toujours préférable à une soumission qui ramènerait le cycle infernal de l’incompréhension et de la guerre. En 1933, Bartók créa lui-même son 2e concerto pour piano à Francfort, accompagné par le chef d’orchestre Hans Rosbaud. À la demande d’Erich Döflein, il transcrivit pour deux violons des pièces pour piano ; ces 44 duos sz 98 devaient, selon lui, « aider les élèves à trouver la simplicité naturelle de la musique des peuples et aussi ses particularités rythmiques et mélodiques ». En avril 1935, le Quatuor Kolisch créa à Washington son 5e quatuor sz 102, que sa perfection de forme, son expressionnisme tendu et la complexité de son contrepoint rythmique placent au sommet de sa production de musique de chambre. En 1936, s’inquiétant de la poussée du nazisme, Bartók demanda que ses oeuvres subissent le même sort que celles des compositeurs d’origine israélite (interdiction à l’édition et à l’exécution). Il vint fréquemment se reposer en Suisse chez son ami, le chef d’orchestre Paul Sacher. Pour répondre à des commandes de ce dernier, il écrivit deux de ses chefs-d’oeuvre, la Musique pour cordes, percussion et célesta sz 106 et le Divertimento pour cordes sz 113, respectivement créés, par Sacher et l’Orchestre de Bâle, en 1937 et 1940. De retour d’un voyage en Turquie, il commença une oeuvre pour violon qui, par le voeu du dédicataire, le virtuose Zoltán Szekely, prit la forme d’un 2e concerto pour violon, que Szekely et le chef d’orchestre Mengelberg créèrent en avril 1939. Parallèlement à la Musique pour cordes, Bartók avait écrit une sonate pour 2 pianos et percussion sz 110, que sa femme et lui-même créèrent en janvier 1938 à Bâle. Après un voyage de reconnaissance aux États-Unis avec Szigeti, en 1939, Bartók décida de s’exiler et donna son dernier concert à Budapest le 8 octobre 1940 sous la direction de Janos Ferencsik. Il séjourna à New York comme chargé de recherches à l’université Columbia, fit quelques conférences, mais sa situation matérielle était des plus modestes. Bartók donna quelques concerts avec Szigeti et le clarinettiste de jazz Benny Goodman (Contrastes pour clarinette, violon et piano, sz 111) et transcrivit pour orchestre son concerto sz 110. Sa santé s’altéra peu à peu ; il était atteint de leucémie. En 1943, le chef d’orchestre Koussevitski lui commanda une oeuvre pour l’Orchestre symphonique de Boston, le concerto pour orchestre, créé en décembre 1944. Yehudi Menuhin lui demanda également une oeuvre ; Bartók écrivit la sonate pour violon seul sz 117. Le succès revint, les commandes affluèrent : il acheva presque son 3e concerto pour piano, termina les esquisses de la partie soliste d’un concerto pour alto destiné à l’altiste William Primrose. Ce fut la fin de la guerre ; Bartók ne vécut plus que dans l’espoir de retourner à Budapest. Mais il fut transporté à l’hôpital du West Side à New York, où il s’éteignit le 26 septembre 1945. Bartók est le premier ethnomusicologue dont la compétence s’est étendue à tout le bassin méditerranéen oriental, lieu de brassage des richesses de l’Orient et de l’Occident. Ses recherches l’ont amené à mettre en évidence les identités des musiques populaires, dont il s’est attaché à retrouver, au-delà des civilisations et des nationalismes, le langage commun. Il est ainsi remonté aux origines de la musique traditionnelle de son pays, débarrassant les mélodies recueillies des apports étrangers qui les avaient altérées. Conscient de la complexité des influences entre races, de la mouvance des mélodies transmises par tradition orale, il a créé une notation nouvelle lui permettant, non pas de reproduire ce matériau jamais figé, mais d’en consigner les schémas de base pour une éventuelle recréation savante. downloadModeText.vue.download 73 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 67 Imprégné de l’esprit de ces musiques populaires, Bartók a échappé à tout système harmonique clos. Il est vain de tenter de dissocier chez lui rythme et harmonie, son art étant fait de leur parfaite association. De ce fait, sa démarche de compositeur s’oppose à la conception romantique qui a attribué une si grande importance à l’invention thématique, prétendant chercher l’individuel dans toute chose. Bartók avait compris « à quel point la musique populaire est le contraire d’un art personnel, à quel point, de par son essence même, toutes ses manifestations sont collectives ». Progressivement, Bartók a réussi une synthèse unique entre modalité et tonalité, chromatisme et diatonisme. À l’examen attentif, on décèle une ambiguïté entre la liberté harmonique de ses oeuvres et la présence de dissonances non annoncées ni résolues. Le dualisme majeur-mineur est dépassé dans la mesure où l’ordre modal de la chanson archaïque, violemment diatonique, n’est pas gommé par l’accumulation des éléments chromatiques. Les oeuvres essentielles de Bartók laissent percevoir des pôles de toniques et de dominantes qui les organisent en dehors de toute rhétorique hiérarchisée, d’ordre traditionnel ou dodécaphonique. Les intervalles utilisés acquièrent une certaine autonomie, et, comme dans la chanson populaire, septième aussi bien que tierce ou quinte se présentent comme naturelles. Les proportions temporelles de ses oeuvres de la maturité, s’appliquant aux harmonies comme aux rythmes, sont conformes aux propositions issues du nombre d’or. Ernö Lendvai a même démontré que les rapports entre chromatisme et diatonisme ou l’utilisation du pentatonisme lydien, dorien, etc., peuvent être considérés comme la preuve d’un travail extrêmement original et personnel lié à la section d’or. La complexité formelle de l’art de Bartók est telle qu’il ne peut y avoir de néoou postbartokisme. Les nombreux compositeurs contemporains, qui ont subi l’influence de Bartók, se sont ordinairement limités à puiser dans la thématique de la chanson paysanne, sans s’astreindre au véritable travail de recréation auquel s’était soumis, puis par lequel s’était totalement exprimé leur maître à penser. L’universalisme du message bartokien montre que ce musicien a réussi à transcender l’origine même de ses sources. BARTOLINO DA PADLVA, moine et compositeur italien (fin du XIVe s. - début du XVe s.). Peu de détails de sa vie sont connus avec certitude. Fra Bartolino est l’une des figures marquantes de l’Ars nova italien, style qui naquit probablement à Padoue. Très connu de ses contemporains, à Florence par exemple, il exerça une influence sur tous les aspects de la musique de son pays, écrivant des ballate et des madrigaux polyphoniques - formes favorites du Moyen Âge italien - dans un style proche de celui du grand florentin Francesco Landini, plus facile et plus mélodique que celui des maîtres français de l’Ars nova. BARTOS (Jan Zdenek), compositeur tchèque (Králové Dvºur 1908 - Prague 1981). Après avoir étudié le violon et commencé une carrière de soliste, il a approfondi ses connaissances musicales, notamment dans le domaine de l’écriture, dans différents établissements de Prague (19331943). Il a occupé, à partir de 1945, d’importants postes officiels au ministère de l’Information, au département musical des éditions d’État de littérature, musique et beaux-arts et au service de la musique du ministère de l’Éducation et de la Culture. Il est devenu en 1958 professeur de composition et de théorie au conservatoire de Prague. Bartos est l’auteur d’ouvrages de vulgarisation, d’articles divers, et d’une abondante oeuvre de compositeur comprenant des opéras, opérettes, ballets et musiques de scène, des oeuvres symphoniques et concertantes, des cantates, des choeurs, de la musique de chambre, des pièces pour piano, des mélodies. C’est un compositeur doué qui manifeste une parfaite connaissance des découvertes et des audaces de son époque, mais qui ne s’y abandonne qu’avec réserve. BARYTON. 1. Voix de dessus, de la famille des basses, intermédiaire entre la basse chantante et le ténor, tant en timbre qu’en tessiture. Le mot « baryton » qui, étymologiquement, signifie « grave », apparut d’abord en France, à la fin du XVIIIe siècle, pour désigner précisément une voix de ténor de tessiture assez basse, dont JeanBlaise Martin (1768-1837) fut l’un des représentants, bien que le nom de ce dernier soit demeuré associé à un type de baryton à la voix claire et légère. Les rôles de cet emploi étaient notés en clef de ténor, Gluck, cependant, notait en clef de basse les rôles pour voix grave, mais de tessiture particulièrement élevée d’Oreste et de Thoas dans Iphigénie en Tauride. L’appellation de baritenore fut conservée pour désigner parfois certains ténors mozartiens et rossiniens. Toutefois, c’est déjà à cette nouvelle catégorie que se rattachèrent des emplois comme Don Juan dans l’opéra de Mozart, Pizarro dans Fidelio de Beethoven, Figaro dans le Barbier de Séville et Dandini dans la Cenerentola de Rossini, souvent chantés par Antonio Tamburini (1800-1876) ; ce chanteur fut appelé « basse », mais, au-delà de 1830, Bellini et Donizetti l’opposèrent à la basse dans des rôles antagonistes. L’emploi s’imposa mieux lorsque, le ténor contraltino ( ! TÉNOR) succédant au ténor grave, une véritable catégorie vocale, assurant l’intermédiaire entre la basse et ce nouveau ténor, devint indispensable. Le terme de baryton s’imposa avec le Français Paul Barroilhet (1810-1871), créateur du rôle d’Alphonse dans la Favorite de Donizetti en 1840. Verdi allait délimiter un type vocal précis, d’une tessiture relativement faible (si bémol 1 - la bémol ou la 3), mais unissant l’éclat et la souplesse du ténor à la rondeur de la voix de basse ; le « baryton-Verdi » ainsi défini, qu’il soit de caractère noble (Germont dans la Traviata), jeune et parfois amoureux (De Luna dans le Trouvère, Renato dans un Bal masqué, Posa dans Don Carlos), ou encore « vilain » (Macbeth, Rigoletto, Carlo dans la Force du destin), cet emploi, à une exception près - celui de Posa -, assurait la fonction dramatique d’antagoniste du ténor, dont il contrecarrait les projets sentimentaux, à titre de père, de frère ou de rival. En France, où s’était imposé le barytonMartin (jeune premier dans l’opérette, et souvent confident ou ami dans l’opéra-comique), le clivage fut moins net entre barytons et basses, le terme de baryton d’opéra équivalant pratiquement à celui de basse chantante : Jean-Baptiste Faure (18301914) chantait Alphonse de la Favorite et Méphisto dans le Faust de Gounod, mais créa le rôle de Posa ; les rôles de baryton dans Thaïs, les Contes d’Hoffmann, Lakmé, Louise, etc., sont encore aujourd’hui aussi bien distribués à une basse qu’à un baryton. La différence apparut encore moins en Russie et en Allemagne. En Russie, en effet, Ivan Melnikov créa les rôles de Boris Godounov dans l’opéra de Moussorgski et d’Igor (le Prince Igor de Borodine), cependant que Tchaïkovski faisait appel au véritable baryton-Verdi ; chez Wagner, barytons et basses se partagent les emplois de Wotan dans l’Anneau du Nibelung, Hans Sachs dans les Maîtres chanteurs, etc. Comme la basse bouffe, le baryton bouffe est avant tout un bon acteur doué d’agilité vocale. Si les dénominations de baryton brillant, héroïque, méchant, etc., varient selon les pays et les époques et demeurent assez imprécises, l’usage a mieux défini le baryton-Verdi, le baryton-Martin qui peut également chanter les rôles de Pelléas (Debussy) de Mârouf (Rabaud) et les jeunes premiers de l’opérette viennoise (le terme de baryton viennois correspond aux emplois écrits pour ténor par Johann Strauss, Franz Lehar, etc.) ; le barytonMartin convient particulièrement à l’interprétation de la mélodie française. Parmi les interprètes, dans le passé, on notera les barytons-Verdi, Varesi, Graziani, Cotogni, Battistini, Stracciari, De Luca, Ruffo, Galeffi, Tibbett ; en France, downloadModeText.vue.download 74 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 68 les barytons Devoyod, Maurel, Renaud, Noté, Endrèze ; parmi les interprètes de Wagner et de R. Strauss, Scheidemantel, Van Rooy, Bockelmann, Janssen, Schorr ; pour l’interprétation de la mélodie, Ch. Panzéra, G. Hüsch, H. Schlusnus, et, plus récemment, G. Souzay, C. Maurane, J. Jansen - par ailleurs titulaire du rôle de Pelléas - et D. Fischer Dieskau, qui, à l’instar de son prédécesseur H. Schlusnus, tient au théâtre les emplois de baryton les plus divers. 2. instrument à cordes frottées, joué à l’aide d’un archet et ressemblant à la basse de viole. Il comporte 6 ou 7 cordes en boyau, accordées comme sur la basse de viole, ainsi qu’un plus grand nombre de cordes (de 9 à 24) en acier dites « sympathiques ». En Italie, on l’appelait viola di bordone. Le baryton connut une certaine popularité au XVIIIe siècle, en Allemagne et en Autriche. Le prince Nikolas Esterházy avait une passion pour cet instrument. À son service, Joseph Haydn écrivit pour le baryton près de 150 partitions. 3. Instrument à vent de la famille des cuivres. C’est le saxhorn en si bémol, à trois pistons, de tessiture intermédiaire entre l’alto (en mi bémol) et la basse (en si bémol grave). Dans le vocabulaire du jazz, le mot baryton, sans autre précision, désigne non pas le saxhorn, mais le saxophone baryton. BARZUN (Jacques), historien et musicologue américain d’origine française (Créteil, Val-de-Marne, 1907). Professeur à l’université Columbia, dont il a été vice-recteur (1955-1967), Jacques Barzun a consacré son oeuvre d’historien à la pensée et à la culture européennes de 1789 à 1914. Mais il est aussi l’un des meilleurs spécialistes de Berlioz, qu’il a situé à sa vraie place dans le romantisme européen. Parmi ses écrits, citons Berlioz and the Romantic Century (2 vol., Boston, 1950), New Letters of Berlioz (New York, 1954), Berlioz and his Century (New York, 1956), Music in American Life (New York, 1956-1965), Critical Questions on Music and Letters, Culture and Biography, 19401980 (1982). BAS-DESSUS. Terme aujourd’hui abandonné et qui désignait les parties graves des voix élevées, de femmes, d’enfants ou de castrats, actuellement dénommées mezzo-soprano, alto ou contralto, d’après la terminologie italienne. Jusqu’à l’entrée en désuétude des clefs d’ut vocales, les bas-dessus s’écrivaient normalement comme les dessus ordinaires en clef d’ut 1re, ou exceptionnellement en clef d’ut 2e ligne. L’expression était usuelle aux XVIIe et XVIIIe siècles, tandis que son contraire haut-dessus, réservé aux voix exceptionnellement hautes, est toujours resté d’un emploi limité. BASHMET (Yuri), altiste russe (Rostov 1953). Il commence ses études musicales à Lvov avant d’entrer au Conservatoire de Moscou en 1971. En 1976, il remporte le premier prix du Concours international de Munich et débute une fulgurante carrière de soliste. Il est en effet le premier altiste à avoir donné des récitals solistes dans des lieux aussi prestigieux que la Scala de Milan et le Concertgebouw d’Amsterdam. Il devient le plus jeune professeur de l’histoire du Conservatoire de Moscou et se tourne, en 1984, vers la direction d’ensemble en fondant les Solistes de Moscou. Il donne des master-classes à Tours, où Sviatoslav Richter l’appelle dès 1983 pour participer au Festival de la Grange de Meslay. En 1988, il fonde un festival à Bonn-Rolandseck. En 1990, les Solistes de Moscou s’installent à Montpellier, mais un conflit avec les musiciens lui fait abandonner ses fonctions : il rassemble néanmoins d’autres instrumentistes sous une appellation voisine. Il crée de nombreuses oeuvres contemporaines, notamment de Denisov, Kantcheli et Schnittke. BASSANELLO. Instrument ancien à anche double, répandu en Italie jusqu’au XVIe siècle, qui présentait les principales caractéristiques du basson. BASSANI (Giovanni Battista), compositeur italien (Padoue v. 1657 - Bergame 1716). Il fit ses études musicales à Venise, où il fut notamment l’élève de G. Legrenzi. Il est possible qu’il y ait travaillé le violon avec Vivaldi. Quoi qu’il en soit, Bassani fut, après Corelli, l’un des meilleurs compositeurs de sonates de l’école de Bologne, où il devint membre de l’Accademia Filarmonica. Il fut nommé maître de chapelle à Ferrare (1688), puis à Santa Maria Maggiore de Bergame (jusqu’à sa mort). Outre ses Sonate a 3, Bassani a écrit des cantates profanes et religieuses, genre où il excella également, des oratorios (La Morte delusa, 1686) et des opéras dont quelques airs seulement subsistent. BASSE. 1. Sur le plan harmonique, terme générique désignant toute partie inférieure d’un accord : ce terme peut donc avoir plusieurs acceptions selon la manière dont on considère cet accord. La note la plus grave entendue matériellement est la basse réelle ou basse exprimée ; elle peut être différente (par exemple, si l’accord est « renversé ») de la basse harmonique, qui est la note la plus grave de l’accord remis dans son état primitif non renversé (dit alors « état fondamental »). Cette basse harmonique peut à son tour être différente de la basse fondamentale, qui est une note de même nom, mais située à une hauteur d’octave déterminée et qui est le son générateur de l’accord. 2. Sur le plan polyphonique, partie la plus grave d’un ensemble qui en comprend plusieurs. Elle ne prend, toutefois, pleinement ce nom qu’à l’époque (XVIe s.) où elle acquiert une importance harmonique qu’elle n’avait pas auparavant. La partie grave a d’abord été une partie mélodique du contrepoint, souvent le « chant donné « ou teneur (lat. tenor) ; puis on a contrepointé au ténor une partie com- plémentaire placée souvent, mais non systématiquement, en dessous d’elle et dite contre-teneur (lat. contratenor, ou en abrégé contra), ce qui a repoussé le ténor en seconde position dans la tessiture de bas en haut. On trouve au XVe siècle l’expression contrabassus, c’est-à-dire contra en basse, qui deviendra bassus au XVIe siècle, en même temps que la voix correspondante prendra une signification nouvelle, de plus en plus harmonique, qu’elle conservera jusqu’à nos jours. ! BASSUS. 3. Dans l’échelonnement vocal, famille groupant les diverses catégories de voix masculines graves (d’où, par extension, le même sens pour les instruments de l’orchestre). L’étendue moyenne de la voix de basse est la suivante : On divisait, autrefois, cette famille en deux catégories : basse-contre et basse-taille. On admet aujourd’hui trois divisions principales : basses profondes, basses chantantes, barytons. Dans le théâtre lyrique, les emplois de baryton se sont, dans l’ensemble, nettement différenciés de ceux de basse et comprennent leurs propres subdivisions ( ! BARYTON). En ce qui concerne la basse proprement dite, la terminologie d’opéra fait usage de diverses distinctions, de l’aigu au grave : - la basse-taille était, dans l’ancienne terminologie, la voix de dessus de la famille des basses, appelée également concordant. Elle correspond à l’actuel baryton ; - la basse chantante est une voix de tessiture moyenne entre la basse profonde et le baryton ; elle est très abondamment employée dans l’opéra aussi bien français (Méphisto dans le Faust de Gounod) qu’italien (Philippe II dans Don Carlos de Verdi) et russe (Boris Godounov) ; - la basse bouffe est une voix souple et agile, apte aux rôles de comédie (Uberto downloadModeText.vue.download 75 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 69 dans la Servante maîtresse de Pergolèse) ; certains rôles exigent une grande étendue (Osmin dans l’Enlèvement au sérail de Mo- zart est une basse bouffe devant avoir le registre grave d’une basse profonde, dont il se sert pour faire rire) ; -la basse-contre était, dans la terminologie de l’ancien opéra, la voix la plus grave de la famille des basses, placée en dessous de la basse-taille (Polyphème dans Acis et Galatée de Haendel) ; elle correspondrait presque à notre basse profonde, mais ce dernier terme insiste davantage sur l’utilisation d’un registre d’extrême grave ; - la basse profonde ou basse noble est la plus grave des voix masculines, mettant en valeur les notes extrêmes du registre grave (Sénèque dans le Couronnement de Poppée de Monteverdi, Sarastro dans la Flûte enchantée, le cardinal Brogni dans la Juive). Cette voix est exceptionnelle dans nos pays, plus fréquente chez les Noirs, ainsi que chez les peuples slaves, où elle constitue de superbes pupitres graves dans les choeurs. BASSE (voix de). La voix de basse fut employée pour d’importants solos dès la naissance de l’opéra et de l’oratorio, à l’aube du XVIIe siècle, et soumise aux mêmes exigences de virtuosité que les autres catégories vocales, mais sur une étendue souvent plus importante (ré 1-mi 3 chez Caccini). Cette voix, principalement destinée à l’incarnation de divinités (Caron dans Orfeo de Monteverdi, 1607) ou de personnes âgées (Manoah dans Samson de Haendel, rôle colorature écrit pour Giovanni Boschi), servit aussi, notamment dans l’opéra français, à personnifier l’amoureux, souvent malheureux, antagoniste du ténor ou du haute-contre : Louis Chassé (1699-1786) interpréta dans les opéras du style de Rameau ces rôles d’une tessiture généralement plus élevée, proche de celle de notre baryton actuel. À la fin du XVIIIe siècle, Mozart écrivait encore pour ces deux types de voix : rôles graves tels que ceux d’Osmin dans l’Enlèvement au sérail, créé par Ludwig Fischer (1745-1825), ou de Sarastro, rôles plus aigus pour des emplois d’amoureux, tels que ceux du Comte dans les Noces de Figaro et de Don Juan. Rossini confia à Filippo Galli (1783-1853) des emplois bouffes ou tragiques (Mustafa dans l’Italienne à Alger, Assur dans Semiramis) d’une très haute virtuosité. Durant le romantisme, la voix de basse fut surtout assimilée aux personnages royaux ou ecclésiastiques, âgés, nobles, etc., mais, dès la fin du XIXe siècle, elle servit à nouveau à personnifier des caractères très divers, jeunes ou vieux (opéras de Puccini, des compositeurs naturalistes, de R. Strauss, Rimski-Korsakov, Berg, etc.). L’éventail des attributions de la voix de basse correspond à sa couleur et à sa tessiture : la basse noble ou profonde, assez volumineuse et de couleur sombre (étendue do 1 - fa 3) a pour exemples les rôles du Cardinal (la Juive de Halévy), de l’Inquisiteur (Don Carlos de Verdi), de Hunding (la Walkyrie de Wagner), d’Arkel (Pelléas et Mélisande de Debussy), etc. ; la basse chantante, de caractère plus lyrique (étendue fa 1-fa dièse 3) est illustrée par ceux de Silva (Ernani de Verdi), Philippe II (Don Carlos), Méphisto (Faust de Gounod, cet emploi étant parfois tenu par des barytons), etc. L’Allemagne et la Russie différencient plus les caractères que les tessitures : basse démoniaque (Kaspar dans le Freischütz de Weber, Alberich dans l’Or du Rhin de Wagner), basse héroïque (Wotan), etc. Notons que, si les choeurs slaves renferment des basses au grave exceptionnellement étendu, l’opéra russe fait au contraire plus volontiers appel à une voix aiguë ; Féodor Chaliapine (18731938) était plus proche du baryton que de la basse. La voix de basse convient également au concert pour l’interprétation des lieder, des oratorios et cantates classiques, sans exiger une spécialisation exclusive de la part du chanteur. En revanche, l’emploi de basse bouffe, qui peut se satisfaire d’une moins belle qualité vocale, réclame non seulement une grande virtuosité et une articulation rapide, mais aussi, au théâtre, un talent d’acteur sûr. La voix de basse permet des carrières fort longues, les grands interprètes de cette catégorie quittant rarement la scène avant soixante-cinq ans. Parmi les grandes basses de notre siècle, on peut rappeler les Italiens Navarrini, De Angelis, Pinza, Pasero et Siepi, l’Espagnol Mardones, les Français Plançon, Delmas, Journet, Pernet, les Slaves Reizen, Pirogov, Kipnis, Christoff, et, dans des genres bien déterminés, S. Baccaloni, exemple type de la basse bouffe, et H. Hotter, aussi réputé dans l’interprétation du lied et de l’oratorio que dans celle du rôle de Wotan dans l’Anneau du Nibelung de Richard Wagner. BASSE CHIFFRÉE. Sorte de sténographie inventée au début du XVIIe siècle en même temps que la basse continue pour guider l’accompagnateur en lui suggérant, à partir de la basse écrite, les accords à employer sans avoir à en écrire les notes, ce qui faisait gagner au compositeur un temps considérable (on pouvait ainsi, sur deux portées - chant et basse -, écrire un opéra en quelques jours). Abandonnée vers 1750 en même temps que la basse continue, la basse chiffrée s’est maintenue dans l’enseignement comme auxiliaire pédagogique des études d’harmonie, mais c’est abusivement qu’on la considère comme un instrument d’analyse, car, non conçue dans cette optique, elle ne rend compte que très imparfaitement de la constitution des accords ; elle n’en donne qu’une description matérielle et n’intervient que fort mal dans leur explication grammaticale - d’où la nécessité d’un chiffrage de fonction complétant le chiffrage d’intervalles seul envisagé par la pratique de la basse chiffrée. Le principe de cette dernière est simple : au-dessus (ou en dessous) de la note de basse (basse réelle), sont notés un ou plusieurs chiffres dont chacun représente la note formant avec la basse l’intervalle indiqué par le chiffre. Selon les écoles, tantôt cet intervalle est indiqué réellement, tantôt il est réduit à un intervalle simple, sans dépasser la neuvième (ainsi la dixième est notée 3, car c’est une tierce redoublée à l’octave). Diverses conventions interviennent soit pour limiter le nombre de chiffres par des sous-entendus (par exemple, 6 pour 6 et 3), soit pour apporter diverses précisions (ainsi une croix indique la sensible, un chiffre barré marque un intervalle diminué, etc.). On note les altérations en les plaçant devant le chiffre, et les silences sont chiffrés par un zéro. Mais les conventions ne sont pas toujours uniformes et elles peuvent varier d’un auteur à un autre. La basse chiffrée, conçue comme un « guide-doigts » pratique à l’usage des accompagnateurs, a bien rempli sa fonction tant que ce qu’elle avait à noter restait limité à quelques accords simples et qu’ellemême ne visait pas à autre chose qu’à en suggérer les grandes lignes. Lorsque les auteurs ont voulu chiffrer minutieusement des basses devenues complexes (J. S. Bach), cette pratique devint une complication supplémentaire, et l’on conçoit que la basse chiffrée n’ait pas survécu à l’usage de la basse continue. BASSE CONTINUE (ital. basso continuo ; all. Generalbass ; angl. thorough-bass). Mode d’écriture inauguré en Italie, au début du XVIIe siècle, avec les premiers opéras et généralisé partout, ensuite, jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, avant de disparaître totalement vers 1775. Son apogée coïncida avec celle de l’art baroque en musique. Le principe en était de sous-entendre, dans tout ensemble instrumental ou vocal, la présence d’un accompagnement de remplissage, réalisé sur un instrument polyphonique (orgue, clavecin, luth, théorbe, etc.) et dont seule était écrite la basse, chiffrée ou non. Cette basse était généralement doublée par un autre instrument tel que la basse de viole, le violoncelle, le basson, etc., et comportait soit de simples basses réelles d’accords de soutien, soit une ligne mélodique et concertante. L’existence de la basse continue était considérée comme normale et toute absence d’indication contraire supposait sa présence ( ! TASTO SOLO). Ainsi est-il souhaitable que, même en l’absence d’indication formelle à ce sujet, un clavedownloadModeText.vue.download 76 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 70 cin prête son concours à l’exécution de certains mouvements lents des premières symphonies « classiques », de Haydn en particulier, pour compléter l’harmonie. La disparition de la basse continue coïncida avec l’abandon du clavecin au profit du piano-forte dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. BASSE D’ALBERTI. ! ALBERTI (DOMENICO). BASSE DANSE. Ce nom s’appliquait autrefois à des danses « terre à terre », caractérisées par l’absence d’élévation (pas lents et glissés), par opposition aux danses où intervenait le saut. La basse danse (XVe s. - début XVIe s.) était construite, comme la plupart des compositions de l’époque, sur une teneur (autre danse ou chanson), au-dessus de laquelle des instruments mélodiques à anche double improvisaient. Une source importante pour la connaissance de ces danses est l’oeuvre de Thoinot Arbeau, Orchésographie, traité en forme de dialogue par lequel toute personne peut facilement apprendre à pratiquer l’honnête exercice des danses (1589). BASSE DE FLANDRE. Instrument de musique rudimentaire particulièrement utilisé en Flandre au XVIe siècle, et parfois appelé en France « basse à boyau ». Elle était constituée essentiellement d’un bâton jouant le rôle de manche, d’une vessie de porc servant de caisse de résonance et d’une corde unique frottée à l’aide d’un archet primitif. BASSE FONDAMENTALE. Notion de base de l’harmonie tonale, telle qu’elle a été dégagée par Rameau, en 1722, à partir d’un théorème énoncé par Descartes en 1650. Remaniée en 1735 pour faire place à la théorie de la résonance, découverte en 1701 par Joseph Sauveur, mais dont Rameau semble n’avoir eu connaissance qu’en 1725, la basse fondamentale a subi, depuis lors, diverses rectifications de détail, mais n’a jamais été démentie dans son principe. Elle consiste essentiellement dans la recherche, pour chaque accord donné et après élimination éventuelle des notes étrangères, du son générateur dont la résonance contient toutes les notes de l’accord, si celui-ci est naturel, ou, s’il est artificiel, les notes de l’accord naturel dont il est issu. Ce son générateur, exprimé ou non, est la basse fondamentale de l’accord. Celle-ci est l’élément déterminant d’où découlent l’analyse et l’emploi des accords. Elle ne doit pas être confondue avec la basse harmonique, qui est la basse fondamentale transportée ou non à une octave quelconque, à condition qu’elle reste inférieure à tous les autres sons exprimés. BASSE HARMONIQUE. Note de basse (ou l’une de ses octaves inférieures) de tout accord formé de notes réelles et présenté dans son état fondamental, ce qui le rend analysable en tant qu’accord, en fonction de cette basse harmonique. Si l’accord est « renversé » ( ! RENVERSEMENT), la basse harmonique est celle qu’aurait l’accord une fois remis dans son état fondamental. La basse harmonique ne se confond pas obligatoirement avec la basse fondamentale, bien que toutes deux aient toujours le même nom de note : en effet, l’octave où se situe la basse fondamentale est commandée par la disposition de l’accord, tandis que l’octave où se situe la basse harmonique est indifférente pourvu qu’elle reste inférieure aux autres notes de l’accord ; la basse fondamentale commande la justification physique de l’accord, la basse harmonique suffit pour en déterminer l’analyse pratique. BASSE OBSTINÉE ou BASSE CONTRAINTE. Procédé de composition consistant à répéter inlassablement une cellule de base, généralement de quatre ou huit mesures, souvent une descente chromatique, qui demeure inchangée tandis que les autres parties se modifient. Le procédé de la basse obstinée est donc différent de celui du « thème varié » ( ! VARIATION), encore que la confusion ait parfois été faite (par exemple, les Variations Goldberg de J. S. Bach ne sont pas des variations à proprement parler, mais une suite de compositions distinctes sur une même basse obstinée). Le plus ancien exemple connu est sans doute le pes ou « pédale » de trois notes qui soutient sans arrêt le canon Sumer is icumen in dans le « chant du coucou », noté vers 1300 au monastère de Reading en Angleterre. Au XVIe siècle, la basse obstinée devint le signe distinctif de certaines danses, dont chacune possédait son schéma mélodique propre : passamezzo, romanesca, follia. Au XVIIe et au XVIIIe siècle, la basse obstinée fut le terrain d’élection de la chaconne et de la passacaille. La chaconne servit souvent de cadre, en France, au « grand ballet » des finales d’opéra ; mais elle y abandonna plus d’une fois son ostinato au cours des différents couplets, pour ne le retrouver qu’au refrain. Dérivé de la chaconne, le ground anglais fit de la basse obstinée, notamment dans l’opéra, un emploi pathétique dont l’exemple le plus célèbre est celui des adieux de Didon dans Didon et Énée de Purcell. Avec ses Variations Goldberg pour clavecin, sa chaconne pour violon seul et sa Passacaille et fugue pour orgue, J. S. Bach donna à la basse obstinée une ampleur inconnue jusqu’à lui. À l’époque classique, la basse contrainte tomba quelque peu en désuétude, mais les romantiques y firent de temps à autre des emprunts de caractère quelque peu archaïsant (Brahms, finale de la 4e symphonie). Elle semble avoir repris vigueur au XXe siècle (Webern, Dutilleux, etc.) ; mais la scène de Wozzeck intitulée par Alban Berg Passacaille ne se rattache que d’assez loin aux normes du genre. BASSE RÉELLE ou BASSE EXPRIMÉE. Note la plus grave d’un accord sous la forme dans laquelle il est exprimé. La basse réelle ne se confond pas toujours avec la basse harmonique ni avec la basse fondamentale, qui servent de base à son analyse. BASSETTO. 1. Terme italien quelquefois employé au XVIIe siècle pour désigner la partie grave d’un choeur de voix élevées, ne comportant pas de voix de basse ; on la confiait soit aux altos, soit aux ténors. 2. Le mot peut également désigner la basse de viole ou un instrument de même forme dont la tessiture se situe entre le violoncelle et la contrebasse. BASSON. Instrument à vent de la famille des bois, fait de deux tubes de bois parallèles, d’érable ou de palissandre, adaptés à une « culasse » qui les met en communication de sorte qu’ils forment un seul tuyau sonore continu. La « branche » antérieure est surmontée d’un pavillon ; l’autre, plus étroite et plus courte, supporte un mince tuyau de cuivre recourbé, le bocal, au bout duquel est fixée l’anche double de roseau. L’étendue du basson est considérable : 3 octaves et 1 quinte, partant du si bémol grave. Son timbre va d’un grave robuste, incisif, à un aigu un peu « bouché », capable d’une grande expression, en passant par un médium ferme mais doux. Le basson descend du fagotto, qui existait dès le XIVe siècle. Mersenne parle de fagot dans son Harmonie universelle de 1636, et ce nom, qui évoque l’aspect de l’instrument, un paquet de bois, est conservé en allemand (Fagott) et en italien (fagotto). Très utilisé dans les ensembles symphoniques au XVIIIe siècle, notamment pour doubler et renforcer les basses, le développement progressif de sa technique permit son emploi dans les formations de chambre (quintette KV 452 de Mozart, octuors de Beethoven, de Schubert). Il n’en était pas moins, jusqu’à l’époque romantique, d’une pratique difficile et d’une justesse approximative, malgré les efforts et l’ingéniosité de nombreux facteurs. L’Allemand Johann Adam Heckel (1812 ?-1877) apporta des perfectiondownloadModeText.vue.download 77 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 71 nements décisifs et développa un instrument muni de 24 clés et 5 soupapes. À la même époque, les recherches de plusieurs facteurs français contribuèrent aussi à donner au basson ses caractéristiques définitives. Il faut noter que la mise au point du contrebasson, plus grave d’une octave, se révéla encore plus délicate. BASSUS (lat. : « basse « ; ital. basso). Terme employé à partir de la fin du XVe siècle pour désigner la partie inférieure d’une polyphonie dans la tessiture des voix masculines graves. Il a remplacé le mot contratenor (en abrégé contra) après un bref emploi de contrabassus. Le changement de dénomination est intéressant, car il implique la notion de tessiture dans la conception polyphonique, alors que l’ancienne terminologie - contratenor, tenor, motetus (qui devint altus, supplanté plus tard par alto), triplum (qui devint superius, plus tard soprano) - ne retenait que la structure. Seul le mot tenor est passé d’une nomenclature à l’autre, mais en impliquant une notion de tessiture qu’il n’avait pas auparavant. L’emploi actuel du mot contrebasse au sens de « tessiture inférieure à celle de la basse » provient d’une dérivation légèrement postérieure du mot contra que l’on retrouve dans le terme basse-contre. BASTIAN (René), compositeur français (Strasbourg 1935). Autodidacte, polyvalent, interprète de musique électronique en direct sur synthétiseur, responsable du département électroacoustique du Centre européen de recherche musicale, animé à Metz par Claude Lefebvre, René Bastian est une personnalité unique dans le milieu musical francais, par son rare mélange d’humour, d’ouverture d’esprit, de haute compétence et de responsabilité dans l’engagement artistique. Il défend, notamment, le principe d’une musique électroacoustique libre, vivante et mobile, qui « n’a besoin que de presque rien pour exister », contre les académismes du beau son lisse et sans arêtes et contre le fétichisme technologique des studios lourds. Sa production, essentiellement destinée au synthétiseur en direct, avec ou sans dispositifs électroacoustiques et instruments associés (les Archanges au galop, 1971 ; le Pain du dinosaure, 1971-72 ; Extrasystoles, 1972 ; Avers, 1975-76 ; Régression 1, 2, 3, 1975-76), comprend aussi des oeuvres instrumentales (État 1, État second, 1976 ; le Rhin est mort, 1978, cantate, Partition III, 1978 pour 12 ensembles d’harmonie jouant en plein air) et des pièces « conceptuelles » (Concept-Concerts, 1959-1978). BASTIN (Jules), basse belge (Bruxelles 1933). Il étudie au Conservatoire de Bruxelles avec Frédéric Anspach. En 1960, il reçoit son premier engagement au Théâtre de la Monnaie, et remporte en 1963 un premier prix au Concours international de Munich. Jusqu’en 1964, il est première basse de l’Opéra de Liège, avant d’aborder les rôles de basse profonde du répertoire italien et français. En 1975, il débute à l’Opéra de Paris, où il chante le rôle du banquier dans Lulu en 1979. Depuis, il participe aux plus grands festivals, de Salzbourg à Aix-en-Provence, et aborde aussi bien les opéras de Berlioz, Chabrier et Ravel que ceux de Janacek ou Prokofiev. BATAILLE. Le thème des batailles n’a pas moins inspiré les musiciens que les peintres, mais ils n’en ont, en général, retenu que l’aspect extérieur et superficiel : appels, fanfares, chocs spectaculaires, auxquels s’ajoute volontiers, lorsqu’il s’agit pour l’auteur d’une victoire de son prince ou de son peuple, un chant de triomphe dominant la défaite de l’ennemi. Le Chef d’armée de Moussorgski, l’un des 4 Chants et danses de la mort, est un exemple quasi unique d’évocation vraiment dramatique des batailles. Sous l’aspect vocal, le genre apparaît dès la fin du XIVe siècle (Grimace : Alarme, alarme !), se poursuit au XVe et culmine au XVIe siècle, où Costeley écrit une Prise de Calais et une Prise du Havre, Janequin une Bataille de Metz, une Bataille de Renty et, la plus célèbre de toutes, la Guerre (connue sous le nom de la Bataille de Marignan). Cette dernière n’est pas un récit héroïque de la victoire de François Ier. Ayant pour propos d’amuser de « gentils Gallois », c’est-à-dire des bons vivants et joyeux drilles, elle traduit les bruits et épisodes du combat en une extraordinaire évocation d’orchestration chorale, qui a fait l’objet, dès sa parution, de très nombreuses transcriptions, surtout pour le luth. Elle a même été transformée en messe (messe la Bataille), probablement par Janequin lui-même, selon la technique de la messeparodie ( ! MESSE). Conformément à la casuistique amoureuse de la Renaissance, l’amour est souvent évoqué en termes de bataille (Claude Le Jeune, dans le Printemps : « Le dieu Mars et l’Amour sont parmi la campagne « ; suit la comparaison des deux actions) et donne lieu à des scènes musicales analogues les unes aux autres ; Monteverdi met sur le même plan ses Madrigali guerrieri ed amorosi (1638). Les opéras fourmillent, sinon de scènes de bataille difficiles à rendre au théâtre, du moins de « bruits de guerre » ou évocations symphoniques analogues. Le clavecin lui-même accueille des descriptions plus ou moins naïves de batailles terrestres ou navales. Abandonné par le piano-forte, le genre est, au XIXe siècle, abondamment recueilli par l’orchestre, et jusque dans les messes, où l’Agnus Dei, entre autres, par son Dona nobis pacem, si amplement développé par Beethoven dans sa Missa solemnis, appelle le contraste de la guerre à apaiser. Ouvertures, poèmes symphoniques, etc. - en attendant les musiques de film du XXe siècle - lui font bonne place, de la Victoire de Wellington (ou la Bataille de Vittoria), que Beethoven écrit en 1813 avec accompagnement de canon obligé, à l’Ouverture 1812 de Tchaïkovski (1880), la Sinfonia brevis de bello gallico de Vincent d’Indy (1918) ou la symphonie no 7 « Leningrad » de Chostakovitch (1941). BATAILLE (Gabriel), luthiste et compositeur français (Paris v. 1575 - id. 1630). Connu surtout par ses contemporains comme luthiste, il écrivait des chansons et faisait des transcriptions, pour voix seule et luth, d’airs de cour polyphoniques composés par Guédron, Mauduit, A. Boesset. Ainsi contribua-t-il au développement du chant soliste, alors tout nouveau. De 1608 à 1615, il publia six livres d’Airs de différents autheurs mis en tablature de luth chez P. Ballard. Quelques airs de sa composition figurent également dans des livres parus en 1617, 1618-1620. Parfois on peut discerner l’influence de la poésie mesurée à l’antique sur ses oeuvres. Bataille collabora aux ballets de cour sous Louis XIII. En 1617, Marie de Médicis fit de lui son maître de musique et, en 1624, il devint celui d’Anne d’Autriche. Bataille écrivit peu d’oeuvres, mais ses recueils constituent une intéressante anthologie de la musique de cour au début du XVIIe siècle. BATESON (Thomas), compositeur anglais (comté de Cheshire 1570 - Dublin 1630). Il fut le premier madrigaliste à obtenir un grade musical au Trinity College de Dublin. Il fut organiste de la cathédrale de Chester (1599-1609), puis de la cathédrale de la Trinité à Dublin (1609-1618). Il publia à Londres deux livres de madrigaux : le premier de 28 madrigaux de 3 à 6 voix (1604) ; le second de 30 madrigaux (1618). La fraîcheur mélodique de son inspiration inscrit l’oeuvre de Bateson dans la meilleure tradition des madrigalistes anglais (consulter E. H. Fellowes, édit., The English Madrigal School, vol. XXI, XXII). BATHORI (Jeanne-Marie BERTHIER, dite Jane), mezzo-soprano française (Paris 1877-id. 1970). Ayant débuté au concert en 1898, elle commença à Nantes, en 1900, une carrière d’opéra qui la conduisit notamment à la Scala de Milan en 1902. Mais, à partir de 1904, elle se consacra presque excludownloadModeText.vue.download 78 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 72 sivement à la mélodie française de son époque, faisant connaître dans le monde entier, et créant souvent, les oeuvres de Debussy, de Ravel, de Fauré, de Caplet, de Koechlin, de Satie et des membres du groupe des Six. Cette remarquable musicienne s’accompagnait volontiers elle-même au piano. Elle eut aussi une activité de pédagogue et de conférencière et publia deux ouvrages : Conseils sur le chant (1929) et Sur l’interprétation des mélodies de Claude Debussy (1953). BÂTON. 1. Au XIXe siècle, avant d’être remplacé par la mince baguette, plus maniable, un bâton de bois ou d’ivoire était utilisé par le chef d’orchestre pour diriger ses musiciens. Auparavant, aux XVIIe et XVIIIe siècles, on battait la mesure à l’aide d’une canne que l’on frappait sur le sol ; cette pratique causa l’accident qui fut à l’origine de la mort de Lully. Parfois aussi, on se servait d’un archet de violon ou d’un rouleau de papier tenu à pleine main. 2. Sur une portée, barre verticale traversant plusieurs interlignes et servant à noter les silences de plus d’une mesure. Le bâton peut être remplacé par des chiffres. BATTERIE. 1. Signal militaire ; le tambour battait ou roulait un rythme selon l’événement à annoncer (charge, retraite, etc.). 2. Par dérivation du sens précédent, le terme batterie désigne aujourd’hui, d’une manière familière, le groupe des instruments de percussion de l’orchestre. 3. Dans le jazz, la batterie (on dit aussi les drums), tenue par un seul musicien, se compose de la grosse caisse, de la caisse claire, des toms, des diverses cymbales et de quelques petits accessoires (woodblock, cloches, etc.). 4. Sur les instruments à clavier, la batterie est une façon d’arpéger les accords en répétant le motif parfois pendant plusieurs mesures (la basse dite d’Alberti est une forme de batterie). Cette technique est quelquefois employée aussi sur les instruments à archet. 5. Technique du jeu de la guitare qui consiste à frapper les cordes avec les doigts au lieu de les pincer. BATTISTELLI (Georgio), compositeur italien (Albano Laziale 1953). Il suit les cours du Conservatoire de L’Aquila. Cofondateur, en 1974, à Rome, du Groupe de recherche et expérimentation musicale « Edgard Varèse », il enseigne au Conservatoire de Pérouse et, en 1985-86, réside à Berlin comme invité de la DAAD. Compositeur « jaloux de son indépendance » (selon le musicologue Daniel Charles), Battistelli connaît son premier succès majeur avec Experimentum Mundi (1981), « oeuvre de musique imaginaire pour acteur, cinq voix naturelles de femmes, 16 artisans et trois percussionnistes », dans laquelle un ensemble accompagne des textes de l’Encyclopédie, au son des divers outils cités (marteau, enclume, scie, forge, etc.). La musique de Battistelli garde toujours une composante théâtrale, qu’il s’agisse de ses oeuvres scéniques (Aphrodite, monodrame d’après Pierre Lous, 1983 ; Teorema, parabole musicale adaptée librement d’après Pasolini, 1992 ; Prova d’orchestra, d’après Fellini, créé à Strasbourg en 1995) ou de ses pièces instrumentales (La fattoria del vento, 1988 ; Anarca, hommage à E. Jünger, 1988-89 ; Erlebnis, 1990). BATTISTINI (Mattia), baryton italien (Rome 1856 - Rieti 1928). Il aborda le chant après des études de droit et débuta en 1878 au théâtre Argentina de Rome dans la Favorite. Sa carrière dura près d’un demi-siècle ; il ne l’interrompit que peu avant sa mort. Il ne quitta guère l’Europe, mais, de Lisbonne à Moscou, il remporta des succès immenses et fut surnommé « la Gloria d’ltalia ». Battistini fut l’un des derniers et des plus grands représentants de la longue tradition du bel canto. Admirable dans les oeuvres de Rossini, Bellini, Donizetti et Verdi, auxquelles il apportait sa virtuosité transcendante et son sens exceptionnel du cantabile, il chantait les rôles les plus dramatiques sans se départir d’une élégance suprême. Quant aux rôles du répertoire plus moderne, postérieur à Verdi, dans lesquels il jugeait que l’élégance ne pouvait être de mise, il ne les inscrivait pas à son réper- toire. BATTUE. Matérialisation des temps de la mesure par un geste ou un bruit pour en assurer la transmission ou la régularité. Jusqu’au XVIIe siècle au moins, la battue se faisait par touchements du doigt ou tactus successifs, sans groupement en mesures : on comptait donc 1. 1. 1... Au XVIIe siècle, avec la généralisation des barres de mesure, on commença à grouper les battues par mesures (par exemple, 1. 2. 3. 1. 2. 3...), en donnant au geste de chaque temps une direction conventionnelle lui permettant d’être à tout moment identifié par les musiciens. Si la battue à 2 temps est aujourd’hui uniformisée, il n’en est pas de même des autres. À la française, la battue à 3 temps dessine dans l’espace un triangle. Celle à 4 temps dessine un angle droit : 1er temps de haut en bas, 2e de droite à gauche, 3e en retour de gauche à droite, 4e de bas en haut. À 5 temps, elle bat successivement une mesure à 3 temps et une mesure à 2 temps. À l’italienne au contraire, on ignore tous les mouvements latéraux et on ne quitte pas la ligne verticale. C’est la manière française qui est la seule enseignée dans les classes de solfège et de direction d’orchestre. La musique aléatoire a modifié, pour un secteur de la musique contemporaine, la pratique de la battue, en remplaçant tout ou partie de l’indication des temps par des signaux conventionnels, comportant notamment des indications de numéros de repère, excluant de la part du chef l’usage de la baguette. La main nue, parfois moins précise que la main tenant la baguette, apparaît en revanche plus expressive. Certains chefs, comme Pierre Boulez, ont systématiquement abandonné la baguette en toute circonstance, mais ne semblent pas avoir fait école sur ce point. BATTUTA. Terme italien pour « battue » et, par extension, pour « temps de la mesure », désignant également l’unité de battue, parfois différente de l’indication de mesure. Ritmo di tre battute indique par exemple pour la pulsation un regroupement trois par trois des mesures, et non des temps, à chaque mesure correspondant une seule battue (trois battues par groupe de mesures) : cela implique un tempo très rapide. Le Molto vivace (deuxième mouvement) de la Neuvième Symphonie de Beethoven (1824), bien qu’écrit à 3/4, s’entend en ritmo a quattro battute (groupes de quatre mesures avec une battue par mesure, donc quatre battues par groupe) ; à partir de la mesure 177 débute en outre un passage faisant alterner ritmo a tre battute et ritmo a quattro battute. L’Apprenti sorcier de Paul Dukas (1897) est écrit à 3/8, mais se dirige d’un bout à l’autre a tre battute (« à trois battues », correspondant à un groupe de trois mesures). BATUQUE. Danse populaire brésilienne, fortement influencée par les rythmes africains, et se rapprochant de la samba ou de la matchiche. BAUDELAIRE (Charles), poète français (Paris 1821 - id. 1867). Orphelin de père dès l’âge de six ans, il supporte mal le remariage de sa mère. Après des études faciles mais indisciplinées, il se voit offrir par ses parents un tour du monde destiné à épuiser son dandysme excentrique. Mais il l’interrompt, revient à Paris et fréquente les milieux littéraires en même temps qu’il se lie à Jeanne Duval (1842). Sans se laisser arrêter ni par ses démêlés avec la censure (les Fleurs du Mal, 1857) ni par l’aggravation inexorable d’une maladie vénérienne, il downloadModeText.vue.download 79 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 73 produit avec fièvre : les Paradis artificiels (1860), le Spleen de Paris, l’Art romantique (1868). Mais sa santé décline brutalement. Hospitalisé en 1866, il connaît une longue et douloureuse déchéance, dont la mort le délivre un an plus tard. Son attitude envers la vie, fondamentalement romantique, sera érigée au rang de système par un Wagner. Rien d’étonnant à ce que Baudelaire, après le premier concert donné par ce dernier à Paris le 25 février 1860, ait écrit au compositeur (dont la vie res- semble souvent à la sienne) une lettre demeurée célèbre, pour l’assurer de sa compréhension intime, lettre à laquelle Wagner répondit assez banalement. De même, lorsque l’année suivante Tannhaüser tomba à l’Opéra, Baudelaire publia-t-il dans la Revue européenne (1er avr. 1861) un article qu’il compléta ultérieurement, où il reprenait des thèmes chers : « la musique, capable de suggérer des idées analogues dans des cerveaux différents », réalise cette fusion des sons, des couleurs, des parfums, des espaces, des formes, dont rêvait déjà Hoffmann. Le poète est mort trop tôt pour participer, comme le feront plusieurs de ses amis, au triomphe de Wagner à Bayreuth. Mais en France, il a trouvé un compositeur fraternel en la personne d’Henri Duparc, lui aussi retranché du monde par la maladie et le doute sur sa création, et auquel on doit une Invitation au voyage et une Vie antérieure (1870) ouvrant grands les yeux sur la douleur, où le piano, seul, prolonge la vision. Au contraire, Debussy, qui aimait aussi Edgar Poe, s’est montré dans ses cinq poèmes (Recueillement, le Jet d’eau, la Mort des amants, le Balcon, Harmonie du soir, 1890) malhabile, trop jeune, trop peu inventif quant à la musicalité des mots. BAUDO (Serge), chef d’orchestre français (Marseille 1927). Il a fait ses études à Marseille, puis au Conservatoire de Paris, notamment avec L. Fourestier pour la direction d’orchestre. En 1966, il remplace Karajan à la Scala de Milan et dirige Pelléas et Mélisande. L’année suivante, il fonde avec Ch. Munch l’Orchestre de Paris, dont il assume la direction jusqu’en 1970. Il a été ensuite, de 1971 à 1987, directeur de l’Orchestre de Lyon (depuis 1984 Orchestre national de Lyon), qui, sous sa férule, est devenu une excellente formation. Serge Baudo a composé quelques oeuvres, dont les Danses païennes pour clarinette et percussion. Son successeur à Lyon est Emmanuel Krivine. BAUDRIER (Yves), compositeur français (Paris 1906 - id. 1988). Il s’orienta d’abord vers le droit, mais il découvrit que seule la musique pouvait lui apporter une possibilité d’évasion et une satisfaction spirituelle. Il devint alors élève de G. Lath, organiste du Sacré-Coeur. En 1936, il fonda le groupe « Jeune France » auquel s’associèrent Daniel Lesur, André Jolivet et Olivier Messiaen. Ces quatre musiciens allaient tenter de retrouver, pour leur art, les forces généreuses que connut jadis le romantisme de Berlioz. Baudrier, rejetant tout système d’écriture trop rigide, renouant en revanche avec les libertés rythmiques des anciens, se libéra de la tonalité sans s’enfermer dans un autre système. Ses compositions instrumentales ou vocales sont souvent fort sensibles, son style étant, en somme, celui de l’expression, d’une musique qui chante. Il a composé des pièces pour piano, deux quatuors à cordes (1939, 1941), de la musique symphonique (le Musicien dans la cité, 1936-37, rev. 1946 ; Partition trouvée dans une bouteille, mouvement symphonique, 1965), de la musique de films et des oeuvres vocales (Deux Poèmes de Tristan Corbière, 1939 ; Deux Poèmes de Jean Noir, composés au secret, 1944 ; Cantate de la Pentecôte, en collaboration avec M. Rosenthal et M. Constant, pour choeur de femmes et orchestre, 1950). BAUDRON (Antoine Laurent), violoniste et compositeur français (Amiens 1742 Paris 1834). Violoniste à la Comédie-Française (1763) puis directeur de son orchestre (1766), il collabora avec Beaumarchais et est probablement l’auteur du célèbre air « Je suis Lindor » inséré dans le Barbier de Séville (1775) et traité par Mozart en variations pour piano (K.354, 1778). Ses 6 Quartetti opus 3 (1768) sont considérés comme les premiers quatuors à cordes composés par un Français. BAUER (Harold), pianiste anglais naturalisé américain (Londres 1873 - Miami 1951). Il étudie d’abord le violon avant de se consacrer au piano en 1892, sur les conseils de Paderewski. En 1893, il commence une importante carrière à Paris et en Russie. Il joue aux États-Unis une première fois en 1900, avant de s’y installer en 1915. Il y fonde la Beethoven Association de New York, et se produit souvent avec Thibaud et Casals. Entre 1918 et 1941, il dirige une célèbre Société de musique de chambre. Il a été admiré par les plus grands compositeurs de son époque : Ravel lui dédie Ondine, il crée Children’s Corner de Debussy en 1908 et le Quintette d’Ernest Bloch en 1925. Il a cependant excellé dans le répertoire romantique, où il affectionnait surtout Schumann, Brahms et Franck. BAUER (Marion), femme compositeur américaine (Walla Walla, Washington, 1887 - South Hadley, Massachusetts, 1955). Elle fit des études à Paris avec Nadia Boulanger, Raoul Pugno, André Gédalge ; à Berlin avec Paul Ertel, et aux États-Unis avec Pierre Monteux et Campbell-Tipton. Sa musique, considérée au début comme audacieuse à cause de ses sympathies impressionnistes (pièces pour piano, 1er quatuor), apparaît en fait néoclassique avec un goût pour les sonorités raffinées et les combinaisons instrumentales chatoyantes. Son oeuvre comporte des pièces symphoniques, dont deux symphonies, de la musique de chambre, des choeurs et de nombreuses pièces pour piano. On lui doit également une oeuvre de musicographe. BAUGÉ (André), baryton français (Toulouse 1893 - Paris 1966). Il débuta à Grenoble en 1912, puis à l’Opéra-Comique dans Frédéric de Lakmé (1917). Il acquit une grande popularité entre les deux guerres. Sa voix typiquement française de baryton aigu, légère mais sonore, et son aisance en scène firent de lui un excellent interprète de Figaro du Barbier de Séville de Rossini et du répertoire d’opérette (par exemple, des oeuvres de Messager, Monsieur Beaucaire). BAUMONT (Olivier), claveciniste français (Saint-Dié 1960). Il obtient deux premiers prix (clavecin et musique de chambre) au Conservatoire de Paris et se perfectionne ensuite auprès d’Huguette Dreyfus et de Kenneth Gilbert. En 1982, il réussit le concours de solistes de Radio France et enregistre son premier disque. Il est ensuite régulièrement invité par le festival de piano de La Roque-d’Anthéron, ainsi que par celui de Radio France et Montpellier, et donne plusieurs récitals au Japon et aux ÉtatsUnis. Il joue régulièrement à deux clavecins avec Davitt Moroney, accompagne le contre-ténor James Bowman, la soprano Jill Feldman, publie des articles de musicologie. En 1992, il prend la direction du Festival Couperin de Chaumes-en-Brie. Il a enregistré l’intégrale de l’oeuvre pour clavecin de Rameau, ainsi que celle de Couperin. BAUR (Jurg), organiste et compositeur allemand (Dusseldorf 1918). Après des études à Cologne à la Musikhochschule, en particulier avec Philipp Jarnach (composition), et à l’université avec Karl Gustav Fellerer (musicologie), il devient professeur au conservatoire Schumann de Düsseldorf, puis directeur, depuis 1965, de cet établissement, ainsi que cantor et organiste à l’église SaintPaul (1952-1960). Son oeuvre reflète les influences successives de Reger, de Hindemith et de Bartok, puis de Schönberg. downloadModeText.vue.download 80 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 74 Il a écrit de la musique orchestrale, de la musique de chambre, des concertos et de la musique vocale (motets, lieder, dont un cycle : Herx stirb oder singe). BAX (sir Arnold), compositeur anglais (Londres 1883 - Cork, Irlande, 1953). Il fit ses études à partir de 1900 à la Royal Academy of Music. Ses premières oeuvres datent de 1903. Très doué, il transcrivait à vue n’importe quelle partition d’orchestre au piano. En 1910, il fit un court séjour en Russie et certaines de ses pièces pour piano en portent la trace. Mais, de sang à moitié irlandais, il imprégna avant tout ses oeuvres de l’amour de son pays et de l’attachement à la race celte, n’hésitant pas à s’inspirer du folklore dans ses compositions. Il participa d’autre part au mouvement littéraire nationaliste irlandais. On l’a nommé le « Yeats de la musique » à cause de son penchant pour un mysticisme coloré de romantisme. En 1941, il devint Master of the King’s Music. Bax a composé notamment des sonates pour piano, de la musique de chambre dont 3 quatuors à cordes, 7 symphonies (de 1922 à 1939), des poèmes symphoniques dont The Garden of Fand (1916) et Tintagel (1917), deux ballets, des choeurs et une cinquantaine de mélodies. BAYER (Joseph), compositeur, chef d’or- chestre et violoniste autrichien (Vienne 1852 - id. 1913). Directeur des ballets à l’opéra de Vienne à partir de 1885, il est célèbre encore aujourd’hui pour son ballet Die Puppenfee (1888). BAYLE (François), compositeur français (Tamatave, Madagascar, 1932). Abandonnant une carrière d’enseignant pour compléter une formation musicale d’autodidacte à Darmstadt et auprès d’Olivier Messiaen et de Pierre Schaeffer, il est l’un des premiers membres du Groupe de recherches musicales de l’O. R. T. F., en 1958, avant d’en devenir, en 1966, après Pierre Schaeffer, le véritable responsable. Le G. R. M., en effet, doit beaucoup à son inlassable activité d’animateur, de programmateur, de semeur d’idées et d’initiatives. Dans la personnalité très riche de ce créateur, le penseur et le théoricien tiennent une place importante, apparente jusque dans le titre de certaines oeuvres. Celles-ci se nourrissent souvent des suggestions nées d’une fréquentation assidue des courants d’idées modernes (philosophie bachelardienne de la connaissance, théorie des arts plastiques chez Paul Klee, mathématiques de René Thom), assimilées et transposées par lui dans le domaine musical avec plus d’intuition que de méthode. Sa musique ne s’aventure jamais dans le rêve sans auteurs de chevet : ceux que nous avons cités, mais aussi Bataille, Lewis Carroll, les surréalistes. François Bayle se propose, armé de ces références, d’explorer par ses oeuvres la « genèse des formes et des mouvements sonores, la grammaire de leur formation, leur relation avec les événements du monde plastique ou psychique ». En témoigne une somme comme l’Expérience acoustique (1969-1972), oeuvre géante en 5 volets et 14 mouvements, qui est un des chefsd’oeuvre de la musique électroacoustique par la cohérence et l’unité de sa conception et la puissance et la diversité de son inspiration : une de ces « utopies de sons » que seuls, jusqu’ici, Pierre Henry et Stockhausen avaient su créer pour les haut-parleurs. Aussi maîtrisée, mais plus intime, est la suite en 17 mouvements Jeïta (1969-70), inspirée par une grotte du Liban, dont la première partie atteint une perfection, une concentration et une poésie dignes du plus grand Ravel. Remon- tant dans le temps, on peut saluer avec les Espaces inhabitables (1967), inspirés de Bataille et de Jules Verne, la première cristallisation musicale des préoccupations théoriques qui devaient l’amener à cataloguer et à manier de plus en plus systématiquement les processus sonores repérés par lui comme appartenant en propre à la musique des haut-parleurs. Ce qui n’empêche pas ces oeuvres d’être foisonnantes d’images et de poésie et très séduisantes de couleurs. Mais les Vibrations composées (1973) et Grande Polyphonie (1974) semblent porter à la limite du dessèchement leur assurance de style, dans leur maîtrise un peu tendue, ce qui n’est pas le cas de Camera Obscura (1976), oeuvre-labyrinthe, ou d’Érosphère (1980), merveilleuse tapisserie musicale intégrant une oeuvre antérieure, Tremblement de terre très doux (1978), et renouant avec la poésie miroitante et scintillante de Jeïta. Dans cet itinéraire, une oeuvre à part met à jour plus explicitement le monde symbolique de François Bayle : c’est le Purgatoire (1972), d’après la Divine Comédie de Dante, second volet d’un triptyque commandé par le chorégraphe Vittorio Biagi, dont Bernard Parmegiani signait l’Enfer, et les deux compositeurs, le Paradis (1974). Interprétant librement le texte de Dante, lu par Michel Hermon, l’auteur en dégage le sens initiatique, invente, pour le placer au centre de son labyrinthe, le personnage de l’Ange-Feu, séducteur dangereux incarné par des flammèches et des pétillements sonores caractéristiques de Bayle, et conclut sur une très belle exaltation mystique de la résonance musicale pure, dont l’aimée Béatrice est le symbole. En 1983 ont été créés les Couleurs de la nuit pour bande et ordinateur (1982) et Son vitesse-lumière, version intégrale en 5 sections (1980-1983), et en 1990 Fabulae. BAYLERO. Chant du bayle « valet », en langue d’oc. Dialogue chanté, en partie improvisé autour de certaines notes invariables de la mélodie, échangé par les bergers de haute Auvergne se répondant d’un sommet à un autre. Joseph Canteloube a baptisé bailèro la première pièce de ses Chants d’Auvergne ; la mélopée chantée et le climat orchestral y évoquent un paysage immense et triste. BAYREUTH. Petite ville de Haute-Franconie dans le nord de l’État de Bavière, célèbre pour son festival exclusivement consacré aux oeuvres de Richard Wagner. Provisoirement banni de Bavière en 1865, las des intrigues de cour et de la surveillance jalouse que son protecteur Louis II exerçait sur lui, Wagner renonça au projet, lancé en 1864 par ce souverain, de construire à Munich un théâtre destiné aux représentations de l’Anneau du Nibelung, mais non à ce rêve, qu’il caressait depuis longtemps, d’un théâtre bien à lui, où ses oeuvres pourraient être jouées d’une manière parfaite. Il se mit en quête. Bayreuth retint son attention : il s’y dressait un théâtre, l’opéra des Margraves, à l’acoustique réputée et dont la scène était l’une des plus vastes d’Allemagne. À l’examen, cet édifice, qu’il visita en avril 1871, ne lui convint pas. Mais la compréhension qu’il rencontra à Bayreuth le décida : c’est là qu’il édifierait son théâtre des festivals (Festspielhaus), spécialement destiné à servir de cadre aux représentations solennelles de l’Anneau, oeuvre dont les dimensions et le caractère exigeaient, selon lui, des conditions d’exécution totalement différentes de celles d’un opéra traditionnel. L’ambitieux projet de Wagner était celui d’une véritable école où les interprètes, par le biais de l’étude de ses ouvrages, apprendraient les fondements du théâtre lyrique moderne : avènement d’acteurs-chanteurs se substituant aux « gosiers » sacrifiant tout à « la » note, restauration de la conception initiatique du spectacle que Wagner croyait déceler dans la tragédie grecque. C’est dans cette perspective que, reprenant les principes qu’en accord avec lui l’architecte Gottfried Semper avait posés pour le projet de Munich, Wagner conçut un bâtiment aux caractéristiques révolutionnaires (quoique inspirées, pour certains traits, du théâtre de Riga où il avait travaillé dans sa jeunesse) : une salle d’environ 1 800 places en amphithéâtre, sans loges ni baignoires, étagée sur trente gradins, avec une visibilité parfaite pour tous les spectateurs ; un orchestre profondément enfoncé dans une fosse de six gradins, recouverte aux trois quarts par deux auvents de bois mince dont l’un, du côté de la scène, fait office de proscenium, downloadModeText.vue.download 81 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 75 créant une fausse perspective qui trompe le spectateur sur la taille réelle des décors et même des personnages. Le fait de cacher l’orchestre répondait à deux préoccupations : d’abord, en supprimant cette source de lumière qui d’ordinaire s’interpose entre le public et le plateau, concentrer l’attention du spectateur sur le déroulement scénique ; ensuite, obtenir un son d’orchestre décanté, limpide, mal localisé, presque mystérieux, qui, jaillissant de l’invisible « abîme mystique », enveloppe idéalement les voix sans les masquer. À l’atmosphère sérieuse, fervente, ainsi recherchée, contribuent également l’austérité de la salle, sans dorure, sans ornement (elle était d’ailleurs considérée par Wagner comme provisoire ; les fonds disponibles avaient été utilisés en priorité pour créer un équipement scénique parfait, considéré, lui, comme définitif), l’inconfort des rudimentaires sièges de bois et le fait, nouveau pour l’époque, que la salle était plongée dans l’obscurité durant les représentations. L’école ne vit pas le jour, mais, dans l’édifice bâti grâce à la vente de cartes de patronage et, surtout, à une ultime et décisive aide de Louis II, le rideau se leva sur l’Or du Rhin, inaugurant un Anneau du Nibelung complet, en août 1876. L’événement, à la fois politique et artistique Guillaume II et l’empereur du Brésil y côtoyaient Liszt, Bruckner, Tolstoï, SaintSaëns, Tchaïkovski -, connut un succès rendu relatif par le déficit, qui interdit d’annoncer la date du festival suivant, et par l’indifférence du public d’opéra traditionnel. Le wagnérisme, pourtant, s’institutionnalisa cette année-là ; Nietzsche, voyant son ami accaparé par les associations « d’amateurs de bière, de peaux de bête et de Wagner », fuit Bayreuth à l’arrivée des premiers « pèlerins ». Six ans plus tard, la création de Parsifal (1882) fut accueillie avec déférence ; mais la mort de Wagner (1883) menaça la survie de Bayreuth. Parsifal fut joué en 1883 et 1884, mais des festivals isolés, arrachés au destin, n’avaient créé ni une habitude ni une tradition. Cosima Wagner décida alors d’assumer l’héritage. Entourée d’une extraordinaire équipe de chefs d’orchestre (Hans Richter, Hermann Levi, Felix Mottl), elle présenta à tour de rôle l’ensemble des oeuvres principales du maître, du Vaisseau fantôme à Parsifal. Avec l’aide de son fils Siegfried (18691930) et d’un conseiller musical, Julius Kniese, elle fit de Bayreuth une institution où, conception radicalement neuve, mise en scène et chant comptaient autant l’un que l’autre. Longtemps, on accusa Cosima d’avoir favorisé la naissance d’une « race de hurleurs » (B. Shaw). Mais de grandes voix, comme Rosa Sucher, étaient alors aussi rares qu’aujourd’hui. Il est vrai cependant que Cosima, qui estimait honorer les chanteurs en les engageant et les payait fort peu (pratique qui s’est maintenue à Bayreuth jusqu’à nos jours), ne craignit jamais de sacrifier la beauté vocale sur l’autel de l’articulation « wagnérienne » obligatoire qu’elle avait instituée, déclamation inspirée du théâtre parlé. Soumis à ce style dont ils ne pouvaient enfreindre la moindre règle sous peine d’expulsion, les vedettes du Bayreuth de l’époque, Erick Schmedes, Ernest Van Dyck, Theodor Bertram, Ellen Gulbranson, purent sembler au public des voix moins « belles » que leurs rivaux Leo Slezak, Jacques Urlus, Emil Fischer, Lillian Nordica, Felia Litvinne, qui chantaient librement Wagner dans les autres théâtres. Assurément, l’intégrité de la fidélité de Cosima à certaines volontés réelles, ou supposées, de Wagner ôta aux chanteurs toute spontanéité, toute imagination, et supprima sur le plan scénique toute possibilité d’innovation. En 1907, Cosima abandonna la direction du festival à Siegfried. Celui-ci se contenta, jusqu’à la guerre, de maintenir les méthodes instaurées par sa mère. Après le conflit, il eut grand mérite à réunir les fonds nécessaires pour la reprise, qui eut lieu en 1924. Cette période se caractérise par la création d’une régie des éclairages, la simplification des décors et l’utilisation de projections, un style plus naturaliste et psychologique dans la direction d’acteurs, bref, un heureux compromis entre les théories d’Appia, que Cosima avait formellement rejetées et qu’il n’osa suivre totalement, et la tradition. Des chefs comme Karl Muck et Michael Balling, des chanteurs comme Nanny Larsen-Todsen et le chef des choeurs Hugo Rüdel l’aidèrent à maintenir une haute qualité musicale et vocale. Les nouvelles productions de Tristan et Isolde (1927) et Tannhäuser (1930), qu’il mit en scène, furent critiquées par les passéistes, mais furent dans l’ensemble très admirées. Siegfried mourut en 1930, laissant à sa femme Winifred (1897-1979), depuis longtemps son assistante, un festival d’une tenue exemplaire, où pourrait briller la nouvelle génération de chanteurs wagnériens exceptionnels qui atteignait alors son apogée : Frida Leider, Alexander Kipnis, Friedrich Schorr, Lauritz Melchior, Lotte Lehmann, Emanuel List. Or, Bayreuth allait beaucoup changer. À mesure que l’Allemagne tombait sous la coupe du national-socialisme, de très nombreux artistes, imitant Toscanini dont la rupture avec Bayreuth (1933) fut éclatante, prenaient le chemin de l’exil. On ne trouva bientôt plus au festival que des chefs appréciés ou tolérés par le régime (Karl Elmendorff, Franz von Hoesslin, Wilhelm Furtwängler) et des chanteurs « protégés « : Max Lorenz, Franz Völker, Maria Müller, Margarete Klose, Jaro Prohaska, Ludwig Hofmann, Josef von Manowarda, Rudolf Bockelmann. Tous étaient au demeurant de remarquables acteurs-chanteurs, membres pour la plupart de l’opéra de Berlin dont le directeur, le chef d’orchestre et metteur en scène Heinz Tietjen (1881-1967), assura à partir de 1933 la direction artistique du festival. Avec l’aide du décorateur Emil Preetorius et du chef éclairagiste Paul Eberhardt, Tietjen créa un monde de symboles, d’archétypes, plus proche des réalisations ultérieures de Wieland et Wolfgang Wagner que du style de Siegfried. Toutefois, à travers cette forme nouvelle, Tietjen présenta un « message » de plus en plus ouvertement nationaliste. Hitler lui-même demeura relativement discret en raison de la sympathie aveugle, mais sincère, que lui vouait Winifred... mais Bayreuth était bel et bien devenu un temple culturel nazi, et si Germaine Lubin se flatte d’y avoir chanté Isolde en 1939, une Kirsten Flagstad préféra rejoindre au Metropolitan de New York tous les grands chanteurs exilés. La guerre limita l’activité du festival, l’écroulement du Reich l’interrompit en 1944. Touchée par la dénazification, Winifred dut céder la direction à deux de ses enfants, Wieland (1917-1966) et Wolfgang (1919). En 1951, le théâtre rouvrit ses portes. Une production, mise en scène par Wieland, de Parsifal, qui fit scandale avant de devenir unanimement admirée au fil des années, inaugurait l’ère du « nouveau Bayreuth ». Les deux frères s’attachèrent à définir un style de scénographie systématiquement épuré, jouant de la lumière et de la couleur pour fouiller le sens profond des oeuvres. Wieland se montra symboliste et rigoureux, Wolfgang plus humain, plus coloré. Les productions les plus remarquées furent celles de Wieland (Tristan et Isolde, 1952 et 1962 ; les Maîtres chanteurs, 1956 ; l’Anneau du Nibelung, 1965) ; elles furent à leur tour violemment combattues par les passéistes, mais vite admises et même saluées comme des exemples, des jalons dans l’histoire du théâtre ; ces visions décapantes amorçaient une réflexion idéologique qui allait bien au-delà du simple renouvellement de style. Un tel travail, décisif pour l’avenir de l’art lyrique, ne fut possible qu’avec la fidèle collaboration des chefs d’orchestre Hans Knappertsbusch, Wolfgang Sawallisch, Karl Böhm, André Cluytens, Josef Keilberth, Rudolf Kempe, des chanteurs Wolfgang Windgassen Hans Hotter, Leonie Rysanek, Gustav Neidlinger, Josef Greindl, Astrid Varnay, Martha Mödl, Birgit Nilsson, Anja Silja, et du chef des choeurs Wilhelm Pitz. Wieland mourut en 1966, année où, appelé par lui, Pierre Boulez dirigeait son premier Parsifal. Wolfgang a, depuis, assumé seul la responsabilité suprême. Brisant heureusement le rêve de certains de transformer Bayreuth en « musée downloadModeText.vue.download 82 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 76 Wieland », il a, tout en poursuivant ses propres recherches, ouvert le Festspielhaus à des metteurs en scène aussi divers qu’August Everding (le Vaisseau fantôme, 1969 ; Tristan et Isolde, 1974), Götz Friedrich (Tannhäuser, 1972 ; Lohengrin, 1979), Patrice Chéreau (l’Anneau du Nibelung, 1976), Harry Küpfer (le Vaisseau fantôme, 1978 ; Parsifal, 1982). En même temps, il a renouvelé les distributions en appelant des chanteurs (René Kollo, Peter Hofmann, Gwyneth Jones, Franz Mazura, Heinz Zednick) ne répondant pas aux cri- tères de puissance vocale que l’on associait au chant wagnérien depuis quelques dizaines d’années, mais capables d’affronter les exigences actuelles de la recherche et de la sincérité théâtrales. Ainsi Bayreuth demeure-t-il, comme à ses origines, un lieu d’avant-garde, un phare du théâtre contemporain. Wolfgang a confié à Norbert Balatsch la difficile succession de Wilhelm Pitz, à la tête des choeurs (qui sont une élite recrutée essentiellement dans les théâtres allemands, ainsi qu’à l’étranger), et mis l’orchestre (qui est une sélection de musiciens des orchestres d’opéra et de radio des deux Allemagnes) entre les mains de personnalités aussi exigeantes et aux conceptions wagnériennes aussi peu sclérosées que Pierre Boulez, Carlos Kleiber, Colin Davis ou Silvio Varviso. Wolfang, en accord avec sa mère, a définitivement assuré l’avenir du festival en suscitant la création, en 1973, d’une Fondation Richard Wagner (Richard Wagner Stiftung Bayreuth), qui, légataire des biens matériels et spirituels de la famille Wagner, est chargée de les gérer. Cette fondation regroupe la République fédérale d’Allemagne, l’État de Bavière, la Fondation régionale bavaroise, le district de Haute-Franconie, la Fondation de HauteFranconie, la ville de Bayreuth, la Société des amis de Bayreuth et les membres de la famille Wagner. Il a, enfin, développé les Rencontres internationales pour la jeunesse, nées en 1951, qui organisent, parallèlement au festival, des séminaires, des conférences, des ateliers de jeunes interprètes. Le succès du doyen des festivals ne se dément pas et s’est élargi aux dimensions du monde grâce à une intelligente collaboration avec la radio, le disque et, plus récemment, l’audiovisuel. BAZIN (François), compositeur français (Marseille 1816 - Paris 1878). Élève d’Auber et d’Halévy, il obtint le second grand prix de Rome en 1839, derrière Gounod, puis le premier, en 1840. Ses envois de Rome {Messe solennelle, oratorio la Pentecôte, Psaume CXXXVI) et le début de sa carrière furent consacrés à des oeuvres religieuses d’une très belle facture. Il se tourna ensuite vers le théâtre lyrique et écrivit des partitions tenant de l’opéra-comique et de l’opéra bouffe : petites oeuvres en 1 acte dont certaines, comme Maître Pathelin (1856), connurent le succès. Sa seule oeuvre plus développée, le Voyage en Chine (1865), jouit d’une grande popularité pendant plusieurs dizaines d’années. Il devint professeur au Conservatoire de Paris en 1844, et membre de l’Académie des beaux-arts en 1872. BEAT. Mot anglais désignant d’une manière générale les temps de la mesure, mais aussi, dans le jazz, la qualité du tempo par rapport aux critères propres à ce type de musique. Lorsque la partie de basse comporte régulièrement quatre noires par mesure, on parle d’un four-beat rhythm ; en revanche, si la deuxième noire n’est que sous-entendue, il s’agit d’un two-beat rhythm. Ces deux systèmes opposés peuvent se succéder au cours d’une même exécution. BEAUFILS (Marcel), critique et esthéticien français (Beauvais 1899 - id. 1985). De formation universitaire, excellent germaniste, orienté vers les recherches touchant à l’esthétique (il a été professeur d’esthétique musicale au Conservatoire de Paris), Beaufils est un des rares critiques qui ont traité avec bonheur ce difficile sujet que constituent les rapports du mot et de la musique. Son ouvrage sur le Lied romantique allemand (Paris, 1956) est particulièrement remarquable. Citons encore Wagner et le Wagnérisme (Paris, 1947), la Musique de piano de Schumann (Paris, 1951), Musique du son, musique du verbe (Paris, 1954) et la Philosophie wagnérienne : de Schopenhauer à Nietzsche (in Wagner, ouvr. collectif, Paris, 1962). BEAUJOYEUX (Baldassaro DA BELGIOIOSO ou Baltazarini DI BELGIOIOSO, dit Balthazar de),violoniste et chorégraphe italien (Piémont début du XVIe s., - Paris v 1587). Il arriva à Paris vers 1555 dans la suite du maréchal de Brissac. Catherine de Médicis l’accueillit à la Cour, le nomma violoniste de la Chambre et fit de lui son premier valet de chambre. Responsable des divertissements de la Cour, il est connu surtout pour avoir conçu en France le premier ballet de cour fondé sur un argument suivi et préfigurant l’opéra. Il organisa avec bonheur, à l’occasion du mariage du duc de Joyeuse avec mademoiselle de Vaudémont le 15 octobre 1581, le grandiose spectacle intitulé Ballet comique de la Royne (à l’origine Ballet de Circé) qui comportait des chants, des danses, des machines et des intermèdes instrumentaux, mais il ne semble pas avoir participé à la composition de sa musique due à Lambert de Beaulieu et à Jacques Salmon. BEAUMARCHAIS (Pierre Augustin Caron de), écrivain français (Paris 1732 id. 1799). Quoiqu’il ait enseigné les rudiments de la musique, et, en particulier, de la guitare, aux trois filles de Louis XV, écrit le livret d’un opéra, Tarare, mis en musique par Salieri (Paris, 1787), et composé de nombreuses romances (paroles et musiques), ses rapports avec la musique se fondent principalement sur ses comédies, le Barbier de Séville (1775) et le Mariage de Figaro ou la Folle Journée (d’abord interdite par Louis XVI et enfin représentée en 1784). Les intrigues à l’italienne de ces deux oeuvres courageuses, qui s’attaquaient aux privilèges, ont inspiré divers musiciens. En particulier, Mozart (1786) s’empara de la seconde, et Paisiello (1782), puis Rossini (1816) triomphèrent grâce à la première, que Beaumarchais avait d’ailleurs dès l’origine conçue comme un opéra-comique, et pour laquelle il avait lui-même écrit de la musique. BEBUNG (allemand pour « tremblement »). Effet produit au clavicorde en faisant osciller le doigt sur la touche à peu près comme les instrumentistes à cordes pour produire un vibrato. BEC. Embouchure de certains instruments à vent de la famille des bois. Dans la flûte douce (ou flûte à bec), c’est un court sifflet à biseau qui produit à lui seul la vibration initiale. Dans les instruments à anche simple (clarinettes, saxophones), le bec consiste en un cône allongé et aplati dont la partie inférieure évidée, appelée « table », est recouverte par l’anche qu’une « ligature » métallique maintient en place. Les becs de clarinette, autrefois taillés dans du bois dur, puis réalisés en ébonite, sont aujourd’hui coulés dans de la matière plastique, dont la stabilité est très supérieure. Il existe aussi, pour le jazz, des becs de saxophone en métal inoxydable. BÉCARRE. Dans l’usage actuel, signe de notation musicale qui précise que la note à laquelle il s’applique n’est pas altérée et qui annule les altérations ayant pu antérieurement affecter cette note. Comme les autres signes d’altération, le bécarre se place normalement avant la note qu’il affecte, et peut aussi s’employer en armature ou en chiffrage. Dans la musique sérielle, on a pris pour règle de placer un bécarre devant toute note naturelle, même s’il n’y a pas d’altération antérieure à annuler, afin d’éviter qu’une graphie différente ne suggère une différence de traitement entre notes naturelles et notes altérées. downloadModeText.vue.download 83 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 77 Les solfèges un peu anciens prescrivent, si l’on veut changer l’altération d’une note, par exemple affecter un bémol à une note subissant l’effet d’une altération par un dièse, de mettre d’abord un bécarre d’annulation ; on renonce aujourd’hui à cette complication inutile. Dans l’ancienne solmisation, le sens du bécarre était assez différent de celui qu’il a aujourd’hui ( ! BÉMOL). Sa graphie initiale était celle du bémol : un b minuscule, mais dont on prenait soin d’anguler la boucle ( , b carré, d’où bécarre, s’opposant à b, b arrondi, « mol », d’où bémol). Puis la différence de graphie apparut insuffisante et, pour éviter les confusions, on ajouta un petit trait descendant prolongeant la partie droite du « carré « : telle est encore sa forme actuelle ( ). Mais, jusqu’au XVIe siècle, il ne fut pas fait de véritable différence entre le bécarre et le dièse. BECERRA-SCHMIDT (Gustavo), compositeur chilien (Temuco 1925). Il a fait des études à l’université et au conservatoire de Santiago où il a eu pour professeurs Pedro Allende, Domingo Santa-Cruz et Carvajal. Professeur à l’université du Chili depuis 1947, il a été directeur de l’Institut de diffusion musicale (1959-1963) et de la télévision universitaire (1964). D’abord néo-classique à tendance folklorisante son style a évolué vers un modernisme éclectique non dépourvu de fantaisie (dans Juegos. il utilise, avec un piano et une bande enregistrée, des balles de ping-pong et des briques). Il est l’auteur de 3 symphonies, de concertos pour piano et pour guitare, de pièces de musique de chambre, dont 7 quatuors à cordes, de pages vocales (Machu Picchue, oratorio ; Llanto por el Hermano solo) et de compositions obéissant à des formules variées (Responso para José Miguel Carrera pour voix, quintette avec piano et percussion, etc.). BECHSTEIN (Friedrich Wilhelm Carl), facteur de pianos allemand (Gotha 1826 - Berlin 1900) . Après avoir travaillé avec divers facteurs de pianos, allemands ou français, il fonda sa propre maison à Berlin en 1853, puis créa des succursales à Londres, Paris et Saint-Pétersbourg. Les grands pianos de concert Bechstein étaient particulièrement réputés à l’époque romantique. La fabrique fut reprise par ses fils Edwin et Carl. BECK (Conrad), compositeur suisse (Lohn, Schaffhouse, 1901 - Bâle 1989). Élève de Volkmaar Andreae et de Reinhold Laquai à Zurich, puis de Nadia Boulanger au cours d’un long séjour à Paris (19231932), il reçoit également les conseils d’Honegger, Ibert et Roussel. Directeur de la section musicale de Radio-Bâle à partir de 1939, il est l’auteur d’une oeuvre importante, dont les caractères, proches de Hindemith et du néoclassicisme jusqu’en 1940, ont évolué ensuite vers un lyrisme plus détendu (jusqu’en 1950), et, plus tard encore, vers une syntaxe claire et sobre. Son oeuvre unit le souci d’une polyphonie stricte à celui d’une pureté de lignes, d’une simplicité qui se rapproche parfois d’éléments folkloriques. Il est l’auteur de 7 symphonies, 12 concertos, du poème symphonique Innominata, de 4 quatuors et 2 trios à cordes, de sonates pour différents instruments, d’oratorios (Angelus Silesius ; Der Tod zu Basel), de cantates (la Mort d’OEdipe ; Die Sonnenfinsternis), d’un Requiem, etc . BECK (Franz), compositeur allemand (Mannheim 1734 - Bordeaux 1809). Élève de J. Stamitz, il dut quitter sa ville natale à la suite d’un duel, étudia à Venise avec Galuppi, puis se rendit à Naples et de là en France. En 1757 déjà, on entendit à Paris des symphonies de lui. Il séjourna à Marseille, et, dès 1761, se trouvait à Bordeaux, ville où il fut organiste et chef d’orchestre, et qui devait rester sa résidence principale. En 1783, il fut appelé à Paris pour diriger son Stabat Mater, oeuvre longtemps inaccessible (partition en possession privée), mais finalement entendue à Bordeaux en 1996. On lui doit notamment l’opéra la Belle Jardinière (Bordeaux, 1767), le mélodrame l’Île déserte, une musique de scène pour Pandore (Paris, 1789), quelques hymnes révolutionnaires, et, surtout, une trentaine de symphonies dont celles parues en quatre groupes de six, sous les numéros d’opus 1 à 4, de 1758 à 1766, date après laquelle il ne publia plus rien. Ces oeuvres subjectives et très intéressantes sur le plan formel font de lui un des plus grands représentants, injustement ignoré, du style de Mannheim. BECK (Jean Baptiste), musicologue alsacien (Guebwiller, Haut-Rhin, 1881 - Philadelphie, États-Unis, 1943). Docteur en théologie de l’université de Strasbourg, il se fixa, en 1911, aux ÉtatsUnis, où il enseigna dans plusieurs universités. Dès 1907, ses travaux portaient sur la lyrique médiévale. Appliquant aux chants de trouvères la doctrine des modes rythmiques échafaudée par les théoriciens du XIIIe siècle, il professa que les rythmes de ces chants dérivent de la métrique des poèmes. Dans ce domaine, ses résultats sont analogues à ceux de Pierre Aubry. On doit à Jean Beck d’excellentes éditions de chants de trouvères et de troubadours : Corpus cantilenarum Medii Aevi (Paris Philadelphie, 1927-1938). BECKERATH (Rudolf von), facteur d’orgues allemand (Munich 1907 - Hambourg 1976). Son importante manufacture, fondée en 1949 et établie à Hambourg, a restauré des instruments anciens et construit des orgues de style classique, à traction mécanique, en Europe du Nord, aux États-Unis et au Canada. BECKWITH (John), compositeur canadien (Victoria, Colombie britannique, 1927). Il a fait ses études musicales à Toronto avec Alberto Guerrero et à Paris avec Nadia Boulanger. Pédagogue, pianiste et critique musical, établi à Toronto, fidèle à l’esthétique néoclassique et abordant tous les genres, il est l’auteur d’une oeuvre abondante comprenant en particulier des partitions pour orchestre, des opéras de chambre (Night blooming Cereus, The Shivaree), une musique de scène (The Killdear, pour piano préparé), de la musique de chambre et un grand nombre de pièces vocales. BÉCLARD D’HARCOURT (Marguerite), femme compositeur et musicologue française (Paris 1884 - id. 1964). Formée à la Schola cantorum, elle composa notamment un drame lyrique (Dierdane, 1941), un ballet (Raïmi ou la Fête du soleil, 1926), Trois Mouvements symphoniques (1932) et des oeuvres de musique de chambre où, à l’exemple de son maître Maurice Emmanuel, elle utilisa les ressources du langage modal. Elle orchestra le Mariage de Moussorgski et le Poème du Rhône, oeuvre posthume de M. Emmanuel. Elle est connue surtout pour ses travaux sur la musique des Incas et sur la chanson française au Canada. BEDFORD (David), compositeur anglais (Londres 1937). Né dans une famille de musiciens, il choisit très tôt sa voie et entre à la Royal Academy of Music, où il étudie avec Lennox Berkeley. Il est sensible au langage de Schönberg. En 1961, une bourse lui permet d’aller suivre des cours avec Luigi Nono à Venise. Il visite les studios électroniques de Milan en 1962, et subit aussi l’influence de Maderna. Bedford aime travailler avec les musiciens du monde de la « pop music », tels que Kevin Ayers et Mick Taylor des Rolling Stones. Cette collaboration débouche, par exemple, sur Star’s end (1974) pour 2 guitares électriques, un percussionniste « pop » et orchestre symphonique. Il a composé egalement des oeuvres pouvant être jouées par des enfants et des amateurs. La musique de Bedford est originale, mais, quoique très élaborée, elle n’a jamais l’apparence de la complication. Le compositeur aime puiser son inspiration dans un texte (Tentacles downloadModeText.vue.download 84 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 78 of the dark nebula, d’après une nouvelle de science-fiction d’Arthur Clarke). Une certaine élégance, héritée sans doute de Berkeley, caractérise son oeuvre et, comme celle de son maître, la musique de Bedford ne révèle pas toutes ses qualités à la première approche. Mentionnons encore Piece for Mo, une oeuvre pour choeur et orchestre, Star clusters, nebulae and places in Devon, et deux symphonies (1981, 1986). BEDINGHAM (John), compositeur anglais (XVe s.). Vivant à l’époque de la guerre de Cent Ans, ce musicien voyagea probablement sur le continent, puisque c’est là qu’ont été trouvées, dans des manuscrits, quelques oeuvres qui lui sont dues. Il est l’auteur de la messe cyclique Deuil angouisseux, qui se sert d’une ballade de Gilles Binchois, de 4 chansons (O rosa bella, le Serviteur, Grand Temps, Mon seul plaisir), et de quelques motets. Les solutions qu’il fournit aux problèmes posés par les règles strictes de l’écriture de l’époque en font un précurseur. BEDOS DE CELLES (dom François), moine bénédictin et facteur d’orgues français (Caux, Hérault, 1709 - abbaye de Saint-Denis 1779). Constructeur de l’orgue de l’abbaye de Sainte-Croix de Bordeaux, il fut surtout un expert de premier plan et eut à connaître toutes les grandes réalisations de son temps. Il consigna le fruit de son expérience pratique et de ses connaissances théoriques en un monumental traité, l’Art du facteur d’orgues (3 vol., 1766-1778), qui demeure aujourd’hui l’ouvrage de base inégalé en ce domaine, réédité et étudié par tous les facteurs d’orgues. BEECHAM (sir Thomas), chef d’orchestre anglais (Saint-Helens, Lancashire, 1879 Londres 1961). De formation autodidacte, il joua un rôle de premier plan dans la vie musicale britannique durant plus d’un demisiècle, donnant son premier concert en 1899 et le dernier en 1960. Outre ceux qu’il réorganisa, il ne fonda pas moins de trois orchestres, dont les deux derniers existent toujours : le Beecham Symphony Orchestra en 1909, l’Orchestre philharmonique de Londres en 1932 et le Royal Philharmonic Orchestra en 1946. En 1910, il présenta sous sa propre responsabilité artistique et financière deux saisons à Covent Garden au cours desquelles furent créées en Angleterre Elektra et Salomé de Richard Strauss. Il dirigea également en 1913 la première londonienne du Chevalier à la rose et organisa cette année-là et en 1914 deux grandes saisons d’opéras et de ballets russes avec, notamment, la première apparition en Angleterre de Serge de Diaghilev. Cette première période à Covent Garden prit fin en 1919, non sans qu’ait été fondée, dans l’intervalle, la Beecham Opera Company (1915). Après une retraite de quelques années due à des embarras financiers, Beecham fit sa réapparition en 1923, et en 1929, consacra un festival entier à Frederick Delius, compositeur dont il se fit toujours une spécialité. En 1932, la fondation de l’Orchestre philharmonique de Londres et son retour à Covent Garden, dont il fut le maître unique et incontesté de 1936 à 1939, lui assurèrent une position unique. Ces années furent marquées par de mémorables représentations d’opéras et par des concerts tout aussi mémorables, parmi lesquels le festival Sibelius de 1938. De 1940 à 1944, Beecham vécut surtout aux États-Unis et dirigea au Metropolitan Opera de New York. Il passa ses quinze dernières années à la tête du Royal Philharmonic Orchestra, et, au terme de sa carrière, avait dirigé plus de 70 opéras différents. Célèbre pour sa répartie et son sens de l’humour, dont il usait parfois sans ménagement, admiré pour son panache, pour son style incisif mais d’une suprême élégance, il vécut en grand seigneur en témoignant toujours d’un goût particulier pour la musique française, de Grétry et Méhul à Fauré et Debussy, et, notamment, pour Berlioz, dont il fut un des très grands interprètes. « Je donnerais tous les Brandebourgeois pour Manon de Massenet, sûr et certain d’avoir largement gagné au change », lança-t-il un jour comme boutade. Il excella aussi dans Haendel, Haydn, Mozart, Schubert, Bizet, Wagner, Puccini, Richard Strauss, Sibelius, et n’eut pas son égal, comme en témoignent de nombreux enregistrements, pour insuffler dynamisme et feu intérieur aux compositeurs qui suscitaient en lui « joie de vivre, et, qui plus est, fierté de vivre ». On lui doit une autobiographie (A Mingled Chime, Londres, 1944) et un livre sur Frederick Delius (Londres, 1959). BEECKE (Franz Ignaz von), compositeur allemand (Wimpfen-im-Talg 1733 - Wallerstein 1803). Membre, avec le jeune Dittersdorf, de la chapelle du prince von Sachsen-Hildburghausen, il entra chez les Oettingen-Wallerstein en Bavière en 1759 ou en 1760, et poursuivit au service de cette famille princière une carrière à la fois musicale (il composa plusieurs symphonies), administrative et militaire, atteignant en 1792 le grade de major. En 1766, il rencontra les Mozart à Paris. BEECROFT (Norma) femme compositeur canadienne (Oshawa 1934). Elle étudie au conservatoire de Toronto avec John Weinzweigz à Rome avec Petrassis à Tanglewood avec Copland et Lukas Foss, à Darmstadt avec Madernaz et s’initie aux techniques électroacoustiques à Toronto avec Myron Schaeffer et à Princeton avec Mario Davidovsky Assistante, puis productrice à la radio canadienne (1963-1969), elle déploie une grande activité en faveur de la musique contemporaine. Attirée au début par la technique sérielle, elle y a joint peu à peu des éléments électroacoustiques. On trouve dans son oeuvre des pages destinées à des formations instrumentales - traditionnelles ou insolites - et d’autres utilisant l’apport électroacoustique (From Dream of Brase pour récitant, soprano, choeurs, orchestre et bande ; Eleg, Undersea Fantasy, etc.) BEETHOVEN (Ludwig van), compositeur allemand (Bonn 1770 - Vienne 1827). On trouve la trace d’ancêtres de Beethoven à Malines et à Louvain (Belgique), des cultivateurs devenus citadins. Le nom signifie littéralement « jardin aux betteraves » et la particule « van » n’a point de sens nobiliaire. C’est à Malines que naquit, en 1712, le premier Beethoven musicien, « Ludwig l’Ancien ». Il s’installa à Bonn comme Hofmusikus du prince-archevêque. Johann, son seul enfant demeuré en vie, lui succéda à la chapelle princière comme ténor ; ce dernier épousa, en 1767, Maria Magdalena Keverich, fille du chef cuisinier du prince électeur de Trèves, femme douce et résignée, qui devait mourir de tuberculose en 1787. De leurs sept enfants, trois seulement survécurent. Ludwig, le deuxième des sept et l’aîné des trois frères survivants, naquit le 16 ou 17 décembre 1770 dans leur pauvre logis de la Bonngasse. UN TALENT PRÉCOCE ET HORS DU COMMUN. L’enfance de Beethoven ne fut pas heureuse, quoiqu’on ait exagéré les cruautés de Johann à l’égard de son fils qu’il voulait « enfant prodige » comme Mozart. Ses premiers maîtres furent selon l’occasion : Tobias Pfeiffer, ténor dans une troupe ambulante, le violoniste Rovantini, le vieil Aegidius Van der Eeden, organiste de la Cour. Christian Gottlieb Neefe, successeur de ce dernier, doit être considéré comme le premier maître sérieux de Beethoven. L’enfant fit de tels progrès sous sa férule qu’il reçut à douze ans un titre d’organiste suppléant, rétribué et investi de responsabilités croissantes, tandis que le père s’enfonçait dans l’alcoolisme et la déchéance. C’est à cette époque que Beethoven déserta de plus en plus le domicile paternel pour celui, accueillant et chaleureux, de la famille von Breuning, qui allait être son foyer d’élection. downloadModeText.vue.download 85 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 79 Très vite, le rayonnement de son talent dépassa ce cercle amical ; le comte Waldstein, favori du nouveau prince électeur libéral Max Franz, obtint que Beethoven effectuât un voyage d’études à Vienne. De ce premier séjour (du 7 au 20 avril 1787 environ), on ne sait pas grand-chose. La rencontre avec un Mozart tout absorbé par la composition de Don Giovanni et méfiant à l’égard des jeunes prodiges, semble être restée sans résultat : ni enseignement ni consécration - des encouragements peutêtre. Beethoven revint à Bonn pour assister à la mort de sa mère, tandis que son père sombrait tout à fait dans l’éthylisme. Johann et Kaspar, les plus jeunes frères, étaient alors à la charge de Ludwig (ils ne le lui pardonnèrent pas). De cette époque (1790) datent les cantates pour la mort de Joseph II, pour l’avènement de Léopold II, non jouées « à cause de leurs difficultés », oeuvres assez conventionnelles dont les maladresses laissent cependant présager un grand musicien. Aussi, lorsque Haydn les vit, lors d’un passage à Bonn, il invita le jeune Beethoven à faire des « études suivies » avec lui. Le fidèle Waldstein intervint une nouvelle fois et Beethoven quitta définitivement Bonn pour Vienne, le 2 novembre 1792. « Recevez des mains de Haydn l’esprit de Mozart », écrit Waldstein dans son album. LE PIANISTE DE L’ARISTOCRATIE VIENNOISE. Vienne, capitale du monde germanique, ville de cours, de palais et de faubourgs champêtres, était une ville de mode et de plaisirs, obstinément traditionaliste, résolument superficielle. Terre de génies, elle accueillit Beethoven d’abord avec grâce. D’emblée, il fut adopté par l’aristocratie mélomane : Lichnowsky, Lobkowitz, Schwarzenberg, Zmeskall von Domanovecs furent parmi les souscripteurs des 3 trios op. 1 (1794-95), oeuvres déjà marquées par la personnalité, sinon le style du jeune musicien. Avec les 3 sonates op. 2 pour piano (1795-96), dédiées à Haydn, Beethoven rendit à son ancien maître un unique hommage officiel. Ses études avec lui avaient été assez sporadiques : l’exemple de ses oeuvres lui fut bien plus profitable que ses leçons de contrepoint. Beethoven fréquenta, non moins sporadiquement, d’autres maîtres : Schenk, Albrechtsberger, Salieri ; il acquit rapidement, chez l’un ou l’autre, les connaissances techniques qui lui étaient nécessaires. En 1795, il était déjà en pleine possession de son métier, de sa personnalité, d’une virtuosité de pianiste hors du commun, comme en témoigne son premier grand concert viennois, en mars 1795, où il joua un concerto de Mozart, avec des cadences de sa composition, et une des versions primitives de son propre 1er concerto (publié plus tard comme 2e). Mais le domaine où le génie de Beethoven s’affirma déjà conquérant, irrésistible, ce fut, au dire de tous les témoins de l’époque, celui des improvisations au piano où il déchaînait son imagination sans entraves. Beethoven habitait alors chez le prince Lichnowsky et se produisait dans tous les salons viennois, arrachant « larmes » et « sanglots » (Czerny) à ses auditeurs bouleversés. UNE PENSÉE NOVATRICE. Dans les sonates op. 7, op. 10 pour piano (1796-1798), dans celle notamment en ré majeur, Beethoven fit entendre, déjà et d’emblée, la modernité de son génie, ses audaces, ses dissymétries, sa force dramatique inouïe : le largo e mesto de cette sonate op. 10 no 3 en est le surprenant témoignage. Tous les éléments du langage musical s’associent là, selon des modes nouveaux, en des structures où les anciennes hiérarchies sont bouleversées, les convergences harmoniques, rythmiques, dynamiques contestées. Les sonates suivantes, op. 13 Pathétique, op. 26 et 27, font éclater la menace beethovénienne sur la forme traditionnelle : bouleversements au niveau du dualisme thématique et des développements, mise en question de l’ordonnance des mouvements (sonate op. 27 Quasi una fantasia). Les 6 quatuors à cordes op. 18, publiés en 1801 (notamment, le premier composé, op. 18 no 3), attestent également cette pensée novatrice qui associe les lignes de force musicales selon des critères libres : oppositions de registres, de masses, d’intensités, contrastes brutaux, raffinements extrêmes. Le 6e quatuor (avant-dernier dans l’ordre de composition) fait entendre dans son adagio, intitulé la Malinconia (« la mélancolie »), l’une des pages les plus saisissantes de la musique, un développement halluciné et hallucinant d’harmonies sans polarité, de forces contradictoires, qui annonce le Beethoven des dernières années. Ces premières années viennoises furent les plus heureuses de Beethoven : succès, faveur des princes, amitiés profondes et durables avec Wegeler, Ries, Amenda, Zmeskall, le violoniste Schuppanzigh, inlassable pionnier de sa musique. Mais voici que, en 1801, dans deux lettres du mois de juin à Wegeler et à Amenda, qui avaient quitté Vienne, l’ombre apparut : Beethoven dévoilait ce qu’il cachait à tous depuis un certain temps - sa surdité naissante, croissante, bientôt irrémédiable. Son désespoir sembla momentanément apaisé - ou plutôt différé - par l’entrée dans sa vie « d’une jeune fille bien-aimée « : Giulietta Guicciardi, dont le charme frivole, à dix-sept ans, conquit Vienne ; Beethoven lui dédia la sonate op. 27 no 2, dite Clair de lune. De ce que fut cet amour réellement, des sentiments de l’un et de l’autre, nous ne savons rien, et tout le reste est légende. Toujours est-il que Giulietta épousa le comte Gallenberg et laissa Beethoven à la solitude et au désespoir, que traduisit, en 1802, un document poignant : le « testament d’Heiligenstadt ». L’idée de suicide hanta Beethoven : « C’est l’art et lui seul qui m’a retenu », écrivit-il. Lorsqu’il quitta sa retraite d’Heiligenstadt et rentra à Vienne, il avait sur sa table le manuscrit achevé de la 2e symphonie, dont la gaieté et l’entrain déjouent l’idée d’identité ponctuelle entre oeuvre et vie, chère aux commentateurs ; le 1er mouvement de la 3e symphonie était aussi esquissé. Dès la 1re symphonie, Beethoven avait manifesté l’audace de son génie. Dans la forme d’abord : le ton d’ut majeur n’est atteint qu’au terme d’une pérégrination harmonique de 12 longues mesures adagio, « anacrouse formelle » que l’on retrouve amplifiée dans la 2e symphonie (33 mesures adagio précèdent l’allegro initial). Dans l’orchestration ensuite : la suprématie hiérarchique des cordes y est contestée par une véritable promotion des instruments à vent (la critique reconnut ce fait en lui reprochant d’écrire « de la musique militaire »). Dans la 3e symphonie, achevée au début de 1804, la pensée orchestrale novatrice de Beethoven était à son point culminant : le timbre entre de plein droit dans l’architecture musicale, associé aux métamorphoses harmoniques, formant ce que l’on pourrait appeler des « modulations de timbre », dont voici un exemple extrait du 1er mouvement : mi bémol majeur/fa majeur/ré bémol majeur Violoncelles/Cor en fa/Flûte-violons en si bémol majeur/mi bémol majeur 2 flûtesaltos-basses/Tout l’orchestre. Dans le mouvement lent, marche funèbre, le timbre est associé aux rythmes en d’étranges alliages, sombres ou d’une clarté tranchante : ces associations inouïes créent le climat dramatique du morceau. Quant au mouvement final, il est bâti sur le thème du finale du ballet de Prométhée op. 43 et se déroule ostinato en 12 variations qui mettent entre parenthèses la forme traditionnelle du rondo. Le contexte historique de ce chef-d’oeuvre a fait couler beaucoup d’encre ; on sait que Beethoven, républicain convaincu dès 1798, l’avait dédié à Bonaparte, en qui il voyait l’égal des grands consuls romains. En apprenant que Bonaparte s’était fait sacrer empereur, il entra en grande fureur, déchira la page de dédicace et donna à son oeuvre le titre définitif de Sinfonia eroica. DE FIDELIO À LA PASTORALE. Pendant toute l’année 1804, Beethoven travailla à son unique opéra, Fidelio, d’abord intitulé Léonore, et dont le sujet, à la gloire de l’amour conjugal, dû au dramaturge français Bouilly, fut remanié plus tard par Treitschke. Achevé en 1805 et créé le 20 novembre dans une Vienne envahie par les troupes de Napoléon, dedownloadModeText.vue.download 86 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 80 vant un parterre clairsemé (presque tous les Viennois avaient fui), ce fut un échec complet. Sur l’insistance de ses amis, Beethoven consentit à d’importantes redistributions et coupures dans la partition, et fit représenter l’oeuvre, à nouveau, le 29 mars 1806. L’accueil fut meilleur. Ce n’est que huit ans plus tard que, retravaillé de fond en comble, l’opéra reçut sa forme définitive et connut le succès. On peut considérer Fidelio comme la préfiguration du drame musical moderne, tant par la liberté dans l’écriture des parties vocales et la consonance immédiate de la parole et de la musique que par le rôle capital dévolu à l’orchestre, véritable lieu théâtral d’où s’élèvent et rayonnent, en profonde unité, les voix. De ces années extrêmement fécondes (1804-1808) datent la 4e symphonie, la sonate op. 53, dédiée à Waldstein, d’une écriture pianistique révolutionnaire dans le domaine de la couleur, la grandiose sonate op. 57 Appassionata, le concerto pour violon, le 4e concerto pour piano dédié à l’archiduc Rodolphe, nouvel élève et ami de Beethoven, ainsi que les 3 quatuors op. 59 commandés par le prince Razoumovski, ambassadeur de Russie à Vienne et fervent admirateur du compositeur. Les dernières oeuvres ont été jugées « difficiles, compliquées, dissonantes « ; c’est dire leur modernité de conception, leurs exigences techniques d’interprétation aussi, notamment dans la fugue finale du 3e de ces qua- tuors, dont les « normes « conceptuelles et interprétatives, en dynamique, tessiture, vitesse et cohésion, sont absolument nouvelles, spectaculaires. « Que m’importe votre sacré violon lorsque l’esprit souffle en moi ! « Ce sont, enfin, les 5e et 6e symphonies, composées en même temps, entre 1805 et 1808, et exécutées ensemble pour la première fois le 22 décembre 1808. La Cinquième Symphonie est l’oeuvre la plus célèbre de Beethoven et celle qui, avec la Neuvième Symphonie, a suscité le plus de commentaires. Elle exalte et illustre la notion de thème. Celui-ci, composé de trois brèves et d’une longue, cellule rythmique élémentaire, se retrouve dans toute la poésie et toute la musique du monde, et dans mainte oeuvre beethovénienne, mais c’est son développement qui, dans la 5e symphonie, dans tous ses mouvements et de mille manières, le rend singulier, unique. Telle qu’en elle-même l’oeuvre la change, cette cellule, ailleurs anonyme, devient ici le « thème du Destin «. Tout autre est la voie de la 6e symphonie, dite Pastorale, qui puise son inspiration dans la nature, en demi-teintes, en couleurs raffinées, en poésie contemplative. « La description est inutile, note Beethoven, s’attacher davantage à l’expression du sentiment qu’à la peinture musicale. « Ainsi Beethoven met-il en garde contre une « musique à programme «, contre une interprétation exagérément pittoresque de sa musique qui pourrait interdire l’accès à ces « autres contrées « où la musique est souveraine. LASSITUDE ET ABATTEMENT. Brouillé avec Lichnowsky, à court de moyens, aspirant à la stabilité matérielle, fatigué de Vienne et de ses intrigues, Beethoven songea à partir. Fausse sortie, qui provoqua cependant, par l’intermédiaire de Marie von Erdödy, amie tendrement dévouée, un sursaut chez les aristocrates admirateurs du musicien. Les princes Kinsky, Lobkowitz, l’archiduc Rodolphe signèrent, le 1er mars 1809, un « décret « garantissant 4 000 florins de rente annuelle au compositeur, décret qui allait être dénoncé par leurs héritiers. Mais l’Autriche et la France étaient de nouveau en guerre. Dans le manuscrit du 5e concerto pour piano se glissent les mots « chant de triomphe pour le combat ! attaque ! victoire ! «. L’oeuvre est une symphonie plutôt qu’un concerto virtuose, le piano étant lui-même, de facture orches- trale, grandiose. Le surnom « l’Empereur « est d’origine aussi anonyme que gratuite. Après une audition à Leipzig, l’oeuvre fut créée à Vienne par Czerny en soliste, en 1812, et elle était dédiée à l’archiduc Rodolphe, de même que la sonate dite les Adieux, qui célèbre le retour du dédicataire après sa fuite de Vienne. Quelques figures féminines passèrent dans la vie de Beethoven, comme pour masquer celle qui, inconnue, détenait son véritable, sans doute son seul, amour. Bettina Brentano, la jeune amie de Goethe, Amalie Seebald, Teresa Malfatti ne furent que des amies, des amitiés amoureuses. Quant à l’» immortelle bien-aimée «, à laquelle s’adresse la fameuse lettre trouvée après la mort de Beethoven, son identité reste secrète. On a longtemps cru qu’il s’agissait de Thérèse von Brunsvick, mais on pense aujourd’hui que ce fut soit Joséphine von Brunsvick, soeur de Thérèse et veuve du comte Deym, soit plus probablement Antonie Brentano, cousine de Bettina. Cet été de 1812 (au cours duquel fut écrite la fameuse lettre) marqua la rencontre avec Goethe aux eaux de Teplice, l’achèvement de la Septième Symphonie, la composition de la Huitième lors d’un séjour à Linz. Encore un « couple symphonique « antinomique : à la mélancolie énigmatique qui émane du second mouvement de la Septième et qui, nous semble-t-il, irradie toute l’oeuvre, répond la joie explosive de la Huitième. Entre 1813 et 1819, Beethoven sembla traverser une longue et profonde crise. « Rien ne peut plus désormais m’enchaîner à la vie «, écrivit-il dans l’abattement. Sa production elle-même en fut atteinte, elle se réduisit à des oeuvres mineures, souvent purement alimentaires, d’où cependant émergent, comme pour défier le destin, quelques chefs-d’oeuvre : la sonate pour violoncelle op. 102 (1815), le cycle de lieder An die ferne Geliebte (1816) et la sonate op. 101 (1816), qui attaque de front les formes traditionnelles ; enfin, en 1817-1819, la sonate op. 106 - ces deux dernières oeuvres étant destinées au Hammerklavier, le piano à marteaux (celui-ci ne cessait de se perfectionner, et c’est aux « derniers modèles «, les plus chantants, que Beethoven destina ces sonates). La sonate op. 106 est un des chefsd’oeuvre de Beethoven, et il est impossible d’approcher en quelques lignes ses pages visionnaires qui culminent en la monumentale fugue née dans le conflit de forces contradictoires où elle puise sa violence : « Ce qui, précisément, donne aux fugues de Beethoven leur caractère exceptionnel, ce qui fait d’elles des créations uniques et inégalées, c’est cette confrontation périlleuse entre des rigueurs d’ordre différent qui ne peuvent qu’entrer en conflit ; aux frontières du possible, elles témoignent de l’hiatus qui va s’accentuant entre des formes qui restent le symbole du style rigoureux et une pensée harmonique qui s’émancipe avec une virulence accrue « (P. Boulez). La forme classique de la sonate achève de se disloquer dans les dernières oeuvres pour piano de Beethoven : liberté absolue avec l’opus 109 (1820) et ses variations finales, architecture visionnaire avec l’opus 110 (1821). La sonate op. 111 (1821-22), enfin, signe dans les résonances apaisées de son admirable arietta, 2e et dernier mouvement, l’» adieu à la sonate « selon Th. Mann (le Docteur Faustus). Voici l’un des édifices les plus codifiés du classicisme définitivement détruit, et voici l’ère ouverte à l’invention de nouvelles formes. AU FOND DE LA DÉTRESSE. 1817 et 1818 marquèrent le fond de la détresse beethovénienne. Aux maladies inflammation pulmonaire, jaunisse - et à l’isolement par la surdité, aux tourments secrets, dont quelques lettres se font l’écho, se joignirent les ennuis domestiques de tous ordres et la présence intermittente de son neveu Karl (que le frère de Beethoven avait confié, avant de mourir, à sa femme et au compositeur conjointement) - présence torturante, à laquelle Beethoven s’accrocha désespérément et que les procès d’une tutelle contestée rendirent d’autant plus douloureuse. Une oeuvre grandiose, qu’il garda pendant quatre ans sur le chantier, l’arracha à la détresse : ce fut la Missa solemnis, que l’archiduc Rodolphe, devenu archevêque d’Olmütz, lui avait commandée pour son intronisation solennelle. Voici Beethoven à nouveau dans la fureur de composer. Parallèlement aux dernières sonates, le Kyrie, le Gloria, le Credo virent le jour lentement, et, déjà, apparurent les esquisses d’une downloadModeText.vue.download 87 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 81 nouvelle symphonie : la Neuvième. L’une comme l’autre de ces oeuvres monumentales dépassent leur cadre consacré, église ou concert. Ni la Missa ni la Neuvième ne peuvent se définir exactement par les termes de messe et de symphonie : l’une, débordant une fonction liturgique, ouvre aujourd’hui de grands festivals, l’autre est devenue symbole et hymne sur toutes les lèvres. La messe est écrite par blocs, où le volume, le poids, les ensembles dominent et assujettissent le détail. Ce n’est que dans le Credo que le détail semble reprendre de l’importance, dans un style presque théâtral, défi à toute idée de musique religieuse. La fugue In vitam arrache la pièce à cette théâtralité, la replace dans sa vraie perspective architecturale. Le Dona nobis pacem conclut l’oeuvre dans la sérénité. La Neuvième Symphonie op. 125 semble avoir accompagné Beethoven durant toute sa vie créatrice. Dès 1792, il s’était enthousiasmé pour l’Ode à la joie de Schiller ; en 1817, il esquissa une oeuvre orchestrale avec voix. Puis, au fur et à mesure que la composition de la symphonie avança (1822-23), il renonça à un finale vocal. Ce n’est qu’à la fin de 1823 que s’opéra la synthèse : l’Ode de Schiller vint couronner l’oeuvre, exécutée le 7 mai 1824. Les trois premiers mouvements sont puissamment ancrés au finale par une introduction qui les remémore un à un. Le « thème de la joie « y fait alors une entrée discrète, presque tendre, aux cordes graves, et commence son expansion. Ce thème, très universellement connu de toute la musique, a été l’objet de recherches inlassables du compositeur ; on en connaît plus de deux cents états. Dans mainte oeuvre, Beethoven a cherché, à travers d’innombrables esquisses, l’état générateur le mieux approprié à l’expansion d’un thème. Ici, en revanche, il cherche son état idéal de permanence, inaltérable, inaltéré, qui sera porté par le chant innombrable. Aussi le « développement « du finale n’en est-il pas un à vrai dire, c’est l’amplification constante, la glorification d’une idée, l’incantation : par quoi ce finale porte, au-delà des salles de concert, sa destinée d’hymne. Une dernière oeuvre monumentale pour piano se glisse entre la Messe et la Neuvième : les 33 Variations sur une valse de Diabelli op. 120 (1819-1823), oeuvre vi- sionnaire entre toutes, où se nie la notion de thème, à la limite la notion de variation. Tout est thème, tout est métamorphose dans ce gigantesque parcours qui ne retient comme « donné « (omniprésent) qu’une formule harmonique rudimentaire qui, tout au long de l’oeuvre, va être l’agent unificateur de trente-trois éclats fulgurants de l’imagination. APAISEMENT ET SOLITUDE. Au cours des dernières années de son existence, Beethoven sembla atteindre un étrange équilibre. Sa vie fut désormais tout intérieure, tournée vers l’oeuvre ultime les derniers quatuors. Indifférent au succès, d’un aspect extérieur négligé, sauvage, il communiquait avec son entourage uniquement par les « cahiers de conversation « (dans lesquels Schindler, son « famulus «, a pratiqué coupures et destructions). On pouvait voir Beethoven, lorsque la maladie intestinale ou la faiblesse de sa vue ne le faisaient pas trop souffrir, attablé avec quelques amis à l’enseigne du Cygne d’Argent, manger des huîtres arrosées de bière et poursuivre de longs monologues philosophiques ou politiques, pessimistes, critiques, sauf à l’égard des Anglais, qu’il idéalisait. Son affection exclusive, jalouse, pour Karl (dont il avait la mère en horreur) envenima complètement leurs relations, et le neveu, désaxé par ces conflits incessants, fit une tentative de suicide. Effondrement, réconciliation, séjour précipité à Gneixendorf chez Johann : des scènes éclatèrent entre les deux frères, Beethoven quitta précipitamment la propriété sous la pluie, dans une carriole, et rentra à Vienne avec une double pneumonie. Il mourut le 26 mars 1827, pendant un violent orage. Seul la veille, il fut accompagné au tombeau par un cortège de 20 000 personnes. L’OEUVRE ULTIME. Les derniers quatuors sont les chefsd’oeuvre intérieurs de Beethoven. Leur numérotation n’est pas chronologique. Au 12e quatuor op. 127 (1824) et ses jeux de miroirs succède, dans l’ordre de la composition, le 15e op. 132, dont le troisième mouvement, Chant de reconnaissance, dans le mode lydien, est un des sommets de la musique. Le 13e quatuor, achevé en 1825, est en six mouvements. Dans l’avant-dernier, l’admirable Cavatine, les silences se font tout aussi éloquents que des sons. On sait que c’est la Grande Fugue qui devait terminer cette oeuvre ; Beethoven l’en détacha - geste accompli à regret, dit-on, geste logique cependant, nous semble-t-il, car à quoi un tel organisme, aux proportions gigantesques, aux tensions harmoniques inouïes, pourrait-il se « rattacher « ? La Grande Fugue op. 133, qui fait éclater - dans la mesure même où elle semble y souscrire - un schème classique, est un chef-d’oeuvre solitaire dans tous les sens du terme. Le 14e quatuor op. 131, achevé en 1826, est le plus audacieux du compositeur dans le domaine de la forme : ses sept mouvements si divers défient - et pourtant accomplissent, comme par l’effet d’une formidable pression - l’unité de l’oeuvre. Le 16e quatuor op. 135 (1826), le dernier composé et le plus bref du groupe, a été l’objet particulier de gloses, en raison de son célèbre exergue inscrit en tête du mouvement final : « Muss es sein ? - Es muss sein « (« Cela doit-il être ? - Il faut que cela soit «). Mais il s’agit, croit-on, d’une boutade, non d’une interrogation tragique du destin. Dans le Doux Chant de repos, chant de paix qui précède, dans ses admirables variations, Beethoven fait entendre une voix apaisée, sereine, une voix d’adieu. Si les derniers quatuors, les Variations Diabelli, les dernières sonates constituent le suprême accomplissement de la pensée visionnaire de Beethoven, ils procèdent d’un esprit novateur qui se manifeste dès les premiers chefs-d’oeuvre de sa vie créatrice. C’est là que, déjà et d’emblée, les fondements du langage hérité se voient contestés dans leurs hiérarchies musicales, dans leurs structures, ï sinon dans leurs formes. De la sonate op. 10 no 3 à celle de l’opus 53, de l’opus 57 à l’opus 111, du 3e quatuor op. 18 au 3e « Razoumovski « et à la Grande Fugue, chaque oeuvre apporte à l’édifice nouveau ses matériaux inédits. Dès lors, les divisions rigides de l’oeuvre beethovénienne en deux, trois ou quatre périodes (« période d’imitation-de transition-de réflexion «, selon Vincent d’Indy) paraissent fallacieuses, d’autant qu’elles impliquent une notion sommaire de « progrès «, notion trompeuse en art. Inclassable à l’intérieur de sa propre oeuvre, Beethoven l’est aussi à l’intérieur des catégories historiques. Classique ou romantique ? Beethoven semble dépasser d’emblée cette alternative où l’on tente de l’enfermer. Aux confins de deux uni- vers spirituels, son oeuvre échappe, par sa nature, à l’histoire : infiniment singulière, perpétuellement au présent, cette oeuvre est moderne, elle définit, éclaire, concrétise la notion même de modernité notion que l’homme moderne à son tour explicite, recrée, façonne dans son langage propre. C’est dans ce dialogue, que chaque génération, chaque individu poursuit avec l’oeuvre de Beethoven, que celle-ci se révèle actuelle et novatrice à jamais. BEHRENS (Hildegard), cantatrice allemande (Varel, près de Brême, 1937). De par ses origines - elle appartenait à une famille de médecins - rien ne la destinait à une carrière musicale ou théâtrale. Elle étudia le droit et s’orienta vers le barreau quand sa vocation lui fut révélée par sa participation, en tant qu’amateur, à la chorale de l’école de musique de Fribourg-enBrisgau. Elle entra alors à l’Opéra-Studio de Düsseldorf, où Herbert von Karajan la découvrit à l’occasion d’une répétition de Wozzeck et l’engagea aussitôt pour interpréter Salomé au festival de Salzbourg, en 1977. C’est dire que très peu d’années lui ont suffi pour ajouter à son répertoire Elisabeth de Tannhäuser, Elsa de Lohengrin, Kundry, Isolde, ainsi que l’Impératrice de la Femme sans ombre et Senta du Vaisseau fantôme, qui l’ont fait acclamer à l’Opéra de Paris pendant la saison 1980-81. Elle a abordé ensuite d’autres rôles wagnériens downloadModeText.vue.download 88 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 82 ainsi que certains rôles italiens et chanté en 1987 celui d’Elektra à l’Opéra de Paris. BELAÏEV (Mitrofan Petrovitch), éditeur russe (Saint-Pétersbourg 1836 - id. 1903). Fervent mélomane, Belaïev joua un rôle fondamental dans la vie musicale russe du dernier quart du XIXe siècle. Il organisait chez lui des soirées de musique de chambre consacrées à Haydn, à Mozart, etc. Admirateur passionné de Glazounov, il fonda à Saint-Pétersbourg, en 1885, les Concerts symphoniques russes dans l’intention d’y faire jouer les oeuvres de ce musicien. La même année, Belaïev créa à Leipzig une maison d’édition pour pu- blier les oeuvres de Glazounov, mais aussi celles de Borodine, Rimski-Korsakov, Moussorgski, Liadov, Tanéiev, etc. En 1891, il fonda les Concerts de musique de chambre pour l’exécution de la musique russe. À sa mort, Liadov, Rimski-Korsakov et Glazounov devinrent les administrateurs de la maison d’édition et des sociétés de concerts. BEL CANTO (litt. « beau chant »). Cette expression, qu’une certaine tradition populaire assimile encore parfois aux diverses manifestations de l’opéra traditionnel, définit en fait une manière de chanter et un style de composition donnés, correspondant à une période assez déterminée de l’histoire du chant italien, de la fin du XVIIe siècle aux premières décennies du XIXe. Il n’en demeure pas moins que ce terme ainsi que ses dérivés belcantiste et belcantisme, aujourd’hui fréquemment employés, peuvent s’appliquer, en dehors de ces limites, à tout autre type d’écriture ou d’interprétation qui se réclame de ses principes, quels qu’en soient le pays ou l’époque. Ces principes peuvent se définir essentiellement par : 1. La priorité donnée à la beauté du chant, non seulement dans l’interprétation, mais également dans une écriture musicale spécifique, où la prosodie du texte mis en musique obéit aux impératifs du chant, de sa respiration (d’où la symétrie des périodes), du dosage des registres de la voix, du choix des voyelles employées dans ces registres, etc. ; 2. L’obligation faite au chanteur, en certains endroits prévus du texte, d’enrichir la ligne de chant écrite par une ornementation (ou abbellimenti) appropriée (v. ORNEMENTS), ainsi que celle de pratiquer sur les points d’orgue des passages ou cadences de virtuosité de sa composition ; 3. La pratique de la sprezzatura (soit un phrasé stentato, c’est-à-dire « détendu ») qui libère la phrase chantée du carcan trop étroit du rythme inscrit, et, dès le XVIIIe siècle, celle du chant legato ou portato, qui consiste à lier les sons d’un mot ou d’une phrase en « portant » la voix d’une note vers la suivante, sans solution de continuité, mais laissant entendre très rapidement les sons intermédiaires, ainsi que le pratique le violoniste dans la technique du glissando. L’usage du portamento, qui donne une grande élégance au chant, survécut au bel canto et il était toujours préconisé dans tous les traités de la fin du XIXe siècle, tant en Italie qu’en France ou en Allemagne. On en déduit que le bel canto exigeait, de la part de l’interprète, une parfaite connaissance des lois de l’écriture, ainsi qu’une maîtrise vocale fondée sur un exceptionnel contrôle du souffle et sur une virtuosité spécifique qui dépassait, à cette époque, celle des instrumentistes ; cette virtuosité permettait d’une part de longues tenues et des nuances expressives, dont notamment la messa di voce (note enflée puis diminuée), d’autre part l’exécution de différents types de trilles, de gammes rapides diatoniques ou chromatiques, piquées ou liées, d’arpèges, etc. Cet art, que possédèrent au plus haut point les castrats d’opéra, eut pour véhicule, en particulier, la forme de l’aria da capo, où le chanteur est tenu d’ornementer très largement la redite de la section initiale, démontrant ainsi, à la fois, sa science et sa maîtrise vocale. Historique. Le terme, apparu vraisemblablement vers la fin du XVIIIe siècle, et qui sera couramment cité par Stendhal, fut sans doute créé par les amateurs et non par les musiciens. Il se substitua aux expressions buona maniera di cantare (Caccini), puis buon canto (Burney, 1772). Mais il s’agit bien du même art, dont G. Caccini pose déjà les bases (Prefazione alle nuove musiche, 1614), que définissent P. F. Tosi (Opinioni..., 1723) et G. B. Mancini (Riflessioni..., 1774) et auquel se réfère encore Garcia au XIXe siècle. Or, certaines de ses exigences laissent deviner une origine plus ancienne, notamment la virtuosité vocale (vraisemblablement héritée des chants alléluiatiques de la liturgie) dont le haut niveau est attesté par Diego Ortiz en 1553 et R. Rognoni en 1592. Mais le chant soliste ne trouva son plein épanouissement que lorsque la monodie eut supplanté la polyphonie, donnant naissance à l’art savant de l’opéra, de la cantate ou de l’oratorio ; avec ses premiers défenseurs, Monteverdi puis Cavalli, les premières constantes du beau chant s’appliquent non seulement à l’aria avec passages, mais au récitatif, qui, d’abord défini comme recitar cantando, se confond parfois avec l’aria, exigeant la même qualité de chant. C’est seulement à partir d’A. Scarlatti, vers 1680, d’A. Steffani, puis avec Haendel et ses contemporains que le bel canto, dédaignant le récitatif devenu mécanique et stéréotypé, trouve son terrain d’élection dans les arias, dont les chanteurs font le véhicule d’une virtuosité de caractère presque instrumental de plus en plus luxuriante, cela notamment dans l’opera seria, dont l’intérêt dramatique pâtit. Il faut remarquer que l’écriture belcantiste ne fut pas l’apanage exclusif des castrats, mais s’appliqua à tous les types vocaux, de la voix de basse, soumise à une grande virtuosité (Palantrotti, interprète de Caccini, puis Boschi et Montagnana aux temps de Haendel), à celle du soprano : Francesca Cuzzoni et Faustina BordoniHasse, au début du XVIIIe siècle, Elizabeth Billington et Brigida Banti, plus tard, rivalisèrent avec les grands castrats sur ce terrain. Remarquons aussi que le bel canto réclamait une émission vocale sonore et large : Caccini préconisa l’attaque du son à pleine voix et Tosi, lorsqu’il définissait le passage (ou l’union) des registres de la voix qui donne aux sons élevés leur couleur noble et généreuse, s’il condamnait les sons trop forcés, excluait, avec la même netteté, l’usage du fausset dans le medium et le grave des voix masculines. L’apogée du bel canto se situe peu après le milieu du XVIIIe siècle : dès cette époque, divers courants d’opinion réagissent contre sa prépondérance, non seulement en France où le souci du beau chant avait rarement prévalu, mais aussi en Italie où d’une part l’opera buffa et l’opera semi-seria, plus réalistes, allaient accorder moins d’importance au chant expressif, et d’autre part l’opera seria - notamment avec les compositeurs Jommelli et Traetta - se réformait sous l’influence de la tragédie lyrique française. À leur suite, Calzabigi (dont Gluck appliqua partiellement les théories dans ses derniers opéras) combattit ouvertement le bel canto. En fait, ce phénomène essentiellement italien se maintint beaucoup plus longtemps dans les pays anglo-saxons et en Espagne, où il avait fait souche, qu’en Italie même. On ne peut cependant lui rattacher qu’à titre marginal l’écriture italianisante des ariettes de Campra, de Rameau, de Philidor ou de Grétry, ainsi que l’école des sopranos suraigus de la fin du XVIIIe siècle, principalement appréciée en Allemagne et en Autriche ; en revanche, l’écriture vocale de J. S. Bach, dans sa musique religieuse, procède presque constamment des principes belcantistes adaptés à la langue allemande. À la fin du XVIIIe siècle, l’oeuvre vocal de Haydn, de Mozart ou de Cimarosa se rattache en bien des aspects au bel canto. Puis Rossini, dès 1813 (Tancrède), réaffirme mieux la prépondérance du bel canto, même au sein du récitatif obligé, largement orné. Pourtant, en codifiant les règles de cet art si intimement lié à celui de l’improvisation, en rédigeant lui-même la plupart de ses « passages », le compositeur prend ses distances par rapport au downloadModeText.vue.download 89 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 83 genre, dont le déclin est encore précipité par la disparition des castrats. Ce ne sont plus désormais que quelques composantes du bel canto qui survivront dans l’écriture vocale de Bellini (et à un moindre degré chez Donizetti, Mercadante et dans les premières oeuvres de Verdi), sous l’aspect d’une colorature plus ou moins mesurée et par l’usage du stentato et du portamento expressif. Notons que cet usage a su être préservé jusqu’à nos jours, non seulement dans l’interprétation des oeuvres belcantistes, mais encore en bien des pages de Debussy, Puccini ou Richard Strauss, avant que des auteurs plus récents, dont Luciano Berio, ne renouent avec l’esprit même du bel canto, esprit que le romantisme avait renié en entraînant l’art du chant vers d’autres horizons. Les oeuvres nouvelles avaient alors sacrifié à la vaillance vocale, délaissé peu à peu le chant fleuri et permis aux chanteurs de conquérir ces notes aiguës, brillantes, très appréciées d’un public devenu moins aristocratique ; avec, en outre, la priorité donnée au texte du livret et l’accroissement de la masse orchestrale, l’écriture romantique s’affirmait en opposition absolue avec les lois du bel canto. L’esprit belcantiste survécut néanmoins grâce à quelques interprètes, ceux qu’avait formés Rossini, d’abord la Malibran et Giuditta Pasta, le ténor Rubini ou la basse Tamburini, ensuite, ceux dont le répertoire demeura étranger aux vagues romantiques et naturalistes : la plupart des sopranos légers, d’Adelina Patti à Toti Dal Monte et Margherita Carosio, surent préserver la pureté du beau chant, sa virtuosité, son phrasé souple et nuancé, mais d’autres encore, les barytons et basses Mattia Battistini et Pol Plançon, les ténors Angelo Masini, Alessandro Bonci ou Fernando De Lucia, les sopranos dramatiques Celestina Boninsegna, Giannina Russ ou Giannina Arangi-Lombardi apportèrent parfois au disque naissant quelques échos d’un art oublié. Enfin, de nos jours, les cantatrices Joan Sutherland, Montserrat Caballé ou Marilyn Horne, le ténor rossinien Pietro Bottazzo ont su ressusciter en partie ce type de chant bien particulier, avec lequel les falsettistes modernes sont trop souvent en contradiction. BELKIN (Boris), violoniste russe naturalisé israélien (Sverdlovsk 1948). Il commence le violon dès l’âge de six ans, à l’École des jeunes prodiges de Moscou, puis au Conservatoire. En 1973, il obtient le premier prix du Concours national de violon et, l’année suivante, il est autorisé à émigrer en Israël. Une carrière internationale du plus haut niveau s’ouvre alors à lui, sous la direction de Zubin Mehta et de Leonard Bernstein. Ce dernier lui fait faire ses débuts parisiens en 1975, et aborde avec lui les grands concertos de Paganini et les deux de Prokofiev. Entre deux tournées mondiales - il est particulièrement demandé en Asie -, il enseigne, depuis 1987, à l’Académie Chigiana de Sienne. BELLAIGUE (Camille), critique français (Paris 1858 - id. 1930). Premier prix de piano au Conservatoire de Paris en 1878, il débuta en 1884 dans la critique musicale et entra en 1885 à la Revue des Deux Mondes. Écrivain élégant, mais superficiel, C. Bellaigue a écrit des ouvrages sur Mendelssohn (1907), Gounod (1910) et Verdi (1912), mais il a méconnu l’art de Franck et de Debussy, et, par une juste revanche, sa réputation de critique en a gravement souffert. BELLINI (Vincenzo), compositeur italien (Catane 1801 - Puteaux 1835). Fils d’un maître de chapelle, il révéla un talent précoce de compositeur et fut envoyé parfaire ses études au conservatoire de Naples auprès de Zingarelli, l’adversaire de Rossini. Son inclination première pour le style d’église et la musique ancienne se retrouve dans ses compositions de jeunesse dont on retient aujourd’hui quelques mélodies et un Concerto pour hautbois et cordes. Encore élève, Bellini écrivit l’opéra Adelson e Salvini (1825), dont la perfection formelle fit voir en lui le successeur de Rossini, celui-ci ayant définitivement quitté l’Italie. Le théâtre San Carlo de Naples lui commanda aussitôt Bianca e Fernando (1826) et la Scala de Milan, le Pirate (1827), sur un poème de Felice Romani, le librettiste italien alors le plus en renom. Il donna ensuite, avec des fortunes diverses, la Straniera (Milan, 1829), Zaïra (Parme, 1829), I Capuleti e i Montecchi (Venise, 1830), puis, en 1831, à Milan, la Somnambule et Norma au succès desquelles contribua considérablement la cantatrice Giuditta Pasta, cependant que la société féminine des salons de la capitale lombarde voyait en Bellini l’image de l’idole romantique, sorte de héros byronien consumé par le mal du temps. Après avoir donné, à Venise, Beatrice di Tenda (1833), Bellini quitta l’Italie, puis, au retour d’un bref voyage à Londres, s’établit à Paris, où, protégé par Rossini, il se lia notamment avec Chopin et écrivit pour le Théâtre des Italiens les Puritains (1835). Il mourut peu après des suites d’une infection intestinale. La disparition prématurée de Bellini a privé l’histoire de l’opéra du seul très grand rival qu’aurait eu Verdi ; contemporain de Pacini, Mercadante et Donizetti, il occupa une position déterminante entre le retrait de Rossini, en 1829, et l’avènement véritable de Verdi en 1842. Au confluent d’un art encore aristocratique et de la poussée romantique, il réalisa dans son oeuvre l’union parfaite entre la beauté classique et le thème de l’exaltation du héros - ou plus souvent de l’héroïne - condamné par le sort. Son culte des formes et des techniques du passé nous est attesté par une vingtaine de compositions religieuses écrites de 1810 à 1825 et par 7 symphonies de jeunesse, tandis que ses Polonaises pour piano à quatre mains (ainsi que celle de son Concerto pour hautbois) nous le montrent déjà sensible à l’art de Weber. N’oublions pas que son maître Zingarelli, tenant du vieil opera seria, n’avait pu l’empêcher de prêter une oreille favorable aux réformes novatrices de Rossini, et que Naples était en outre la ville la plus ouverte aux créations françaises et allemandes. Ayant étudié l’oeuvre de Haydn et, surtout, celle de Mozart, il fut sensible aux courants nouveaux et se trouva naturellement en parfaite communion spirituelle et artistique avec Chopin : de là naquit le frémissement jusque-là inconnu qui parcourt son écriture mélodique expressive, à la respiration plus ample, plus incantatoire et moins mesurée (l’invocation Casta diva, dans Norma), qui renouait avec la liberté rythmique monteverdienne (la sprezzatura), mais héritait encore de la virtuosité belcantiste, exempte d’effets de puissance dans l’aigu. On note encore, chez Bellini, soit le recours à la formule ancienne des structures par morceaux isolés, soit celle des vastes architectures « ouvertes « : dans les Puritains, certains actes se déroulent sans solution de continuité. Enfin, les cahiers d’esquisse de Bellini, aussi éloquents que ceux de Beethoven, révèlent que le don mélodique n’était chez lui que le fruit d’un long labeur, et que, afin de mieux laisser à la voix le contenu émotif du drame, il épurait sans cesse l’harmonie et l’orchestration pour n’en garder que le substrat, ce qui l’a fait méjuger au début du XXe siècle, époque où les paramètres esthétiques se référaient à l’harmonie wagnérienne ou debussyste. Notre époque a remis à sa vraie place ce compositeur, dont le monde sonore offre une intime parenté avec celui de Chopin. BÉMOL. Dans l’usage actuel, le bémol est l’un des signes d’altération ayant pour objet de déplacer la hauteur d’une note sans modifier ni son nom ni, le plus souvent, sa fonction. L’effet du bémol est de baisser d’un demi-ton chromatique la note devant laquelle il est placé. Il existe aussi un double-bémol qui, répétant deux fois l’opération, la baisse de deux demi-tons, ce qui, dans le système tempéré ( ! TEMPÉRAMENT), équivaut à un ton en sonorité matérielle, mais non en valeur grammaticale pour l’analyse. Aux origines de la notation, le bémol n’était pas une altération, mais le nom même de la note, B en nomenclature aldownloadModeText.vue.download 90 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 84 phabétique (notre si), avec spécification de sa forme la plus basse ; en effet, la note B pouvait être à volonté soit haute (B dur, écrit carré, d’où bécarre), soit basse (B mol, écrit rond b, d’où bémol). Le signe actuel du bémol a conservé le dessin du b minuscule arrondi. Quand on adopta la notation par neumes, puis par points, on prit soin parfois, mais non toujours, de spécifier auquel des deux B correspondait le signe placé à cet endroit, ce qu’on fit en notant le signe B, rond ou carré, soit à la place de la clef, soit après elle (ce qui a donné naissance à nos armatures), soit en cours de texte, avant la note ou avant le groupe dont la note faisait partie (ce qui a donné naissance à nos altérations accidentelles) ; cette indication est restée longtemps facultative, de sorte que l’absence d’altération ne signifiait pas que la note était « naturelle », mais que l’on n’avait pas cru utile de spécifier sa nature : il en fut ainsi jusqu’au XVIe siècle inclus. La même incertitude règne sur la durée de validité du signe : elle cesse souvent avec la ligne, mais peut aussi dépendre de règles compliquées de solmisation, dont on n’a pas encore à l’heure actuelle percé tous les secrets. Vers les XIIe et XIIIe siècles, l’usage des signes bécarre et bémol s’étendit à d’autres notes que le B, non pas pour les comparer, comme aujourd’hui, à leur position naturelle, mais, par analogie avec le B, pour en désigner la position haute ou basse, de sorte que sur certaines notes, fa ou do par exemple, on employait le bémol (position basse) là où nous mettrions un bécarre (position naturelle), et un bécarre (position haute) là où nous mettrions un dièse (un demi-ton au-dessus du naturel). Cet usage était encore parfois en vigueur au XVIIIe siècle, bien que l’usage actuel eût commencé à se répandre dès le XVIIe. On entend parfois dire que le bémol est plus bas d’un comma que le dièse correspondant. Un tel énoncé accumule les inconséquences. Il est emprunté à un système acoustique (dit « de Holder », XVIIe s.) qui n’est plus aujourd’hui em- ployé qu’occasionnellement, et il est faux hors de ce système. La plupart des musiciens utilisent le système du « tempérament égal » - celui du clavier usuel -, où dièse et bémol sont rigoureusement équivalents. Toutefois, sous l’effet de l’attraction, ceux qui ne sont pas prisonniers du clavier ont souvent tendance à « serrer les demi-tons » et à exagérer les différences d’intervalles lorsqu’ils pensent mélodiquement : ils se rapprochent alors, sans le savoir, du système pythagoricien, dont s’inspire celui de Holder, et où effectivement le dièse est plus haut que le bémol (mais non pas d’un comma au sens où l’entend Holder). À l’inverse, un choeur a cappella, attiré par la tierce basse de la résonance, aura les réactions inverses et se rapprochera sans le savoir du système zarlinien, où, tout au contraire, les bémols sont plus hauts que les dièses, aplanissant les différences au lieu de les accuser. BENATZKY (Ralph), compositeur tchèque (Moravské, Budoeejovice, 1884 Zurich 1957). Il étudia la musique à Prague, puis à Munich avec Felix Mottl, et vécut successivement à Berlin, à Paris, en Suisse, en Autriche, à Paris et, de nouveau, en Suisse. Il a écrit environ 5 000 romances, des musiques de film et de revue, et quelque 90 opérettes qui n’ont pas connu un succès durable, sauf une, l’Auberge du Cheval blanc, qui demeure l’une des plus populaires du répertoire. Le style de Benatzky est proche de la comédie musicale américaine, quoique l’Auberge emprunte certains traits à l’opérette viennoise. BENDA, famille de musiciens de Bohême, établie en Allemagne. Frantisek (Franz), violoniste et compositeur (Stare Benatzky 1709 - Neuendorf, près de Potsdam, 1786). Enfant de choeur à Prague et à Dresde, puis de nouveau à Prague, il entra en 1733 au service du prince-héritier de Prusse, le futur Frédéric II, et fut un membre illustre de l’école de Berlin. En 1771, il succéda à J. G. Graun comme premier violon de l’orchestre de Frédéric II. Il écrivit des sonates et des concertos pour son instrument, des oeuvres pour flûte, des symphonies. Jan Jiri (Johann Georg), violoniste et compositeur, frère du précédent (Stare Benatzky 1713 - Potsdam 1752). Il fut également au service de Frédéric II et ses oeuvres ne furent pas éditées. Jiri Antonin (Georg Anton), violoniste et compositeur, frère des précédents (Stare Benatzky 1722 - Köstritz 1795). Violoniste à Berlin en 1742, il s’y familiarisa avec les opéras de Graun et de l’école napolitaine, puis devint, en 1750, maître de chapelle à la petite cour de Gotha, où il écrivit des sonates, des symphonies, de la musique d’église. Un voyage en Italie (1765-66) l’orienta vers l’opéra, mais ce n’est que quelques années après qu’il écrivit les ouvrages dont il tira l’essentiel de sa célébrité : les mélodrames Ariane à Naxos (Gotha, 1775) et Médée (Leipzig, 1775), les singspiels Der Dorfjahrmarkt (Gotha, 1775), Walder (1776), Julie und Romeo (Gotha, 1776), Der Holzhauer (1778). Citons aussi Pygmalion. En 1778, Médée fit à Mannheim une grande impression sur Mozart, qui s’en inspira l’année suivante dans les scènes en forme de mélodrame de Zaide. Défendant, en 1783, pour le drame musical l’expression parlée par rapport au récitatif, Benda écrivit sa maxime célèbre : « Je ne puis renoncer à la vérité de la phrase, la musique y perd quand on lui sacrifie tout. » Joseph, violoniste, frère des précédents (Stare Benatzky 1724 - Berlin 1804). Il succéda à son frère aîné Frantisek comme premier violon de l’orchestre de Frédéric II. Anna Franciska, cantatrice, soeur des précédents (Stare Benatzky 1728 - Gotha 1781). Friedrich Wilhelm Heinrich, violoniste et compositeur, fils aîné de Frantisek (Potsdam 1745 - id. 1814). Il fut au service de la cour de Berlin. Karl Hermann Heinrich, violoniste, frère du précédent (Potsdam 1748 - Berlin 1836). Il fut premier violon à l’opéra de Berlin. Juliana, femme compositeur, soeur des deux précédents (Potsdam 1752 - Berlin 1783). Elle épousa le compositeur Johann Friedrich Reichardt. Friedrich Ludwig, violoniste et compositeur, fils de Jiri Antonin (Gotha 1746 - Königsberg 1792). Ernst Friedrich, fils aîné de Joseph, violoniste et claveciniste (Berlin 1747 - id. 1787). Karl Franz, violoniste, frère du précédent (1753-1817). Hans von Benda, chef d’orchestre allemand, descendant de Frantisek (Strasbourg 1888 - Berlin 1972). Il fonda en 1939 l’Orchestre de chambre de Berlin. BENEDETTI MICHELANGELI (Arturo), pianiste italien (Brescia 1920 - Genève 1995). Il a fait ses études à Brescia, puis au conservatoire de Milan, et a remporté le premier prix au Concours international de Genève en 1939. Après la guerre, la célébrité lui est venue rapidement. Quoique menant une carrière insolite et se produisant rarement, aussi bien en public que dans les studios d’enregistrement, Benedetti Michelangeli est considéré comme l’un des plus grands pianistes de notre temps. Sa technique exceptionnelle, avec un art du toucher et des colorations particulièrement remarquables, est au service d’une approche des oeuvres très réfléchie et sans concession. Benedetti Michelangeli se consacre, aussi, beaucoup à l’enseignement. BENEDICAMUS DOMINO. Formule dialoguée (Benedicamus Domino - Deo gratias) souvent employée comme clausule, d’abord pour clôturer les heures canoniques, puis transportée à la fin de la messe en alternance avec Ite missa est, qu’elle remplace en diverses circonstances. La réponse Deo gratias reprend le plus souvent la mélodie du Benedicamus, qui peut être soit originale, soit empruntée à downloadModeText.vue.download 91 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 85 un mélisme d’une autre pièce. Dans les messes polyphoniques, le Benedicamus Domino est très rarement inclus dans la composition, ce qui est paradoxal si l’on songe que c’est là l’une des parties de la messe qui se sont le plus prêtées, dans les débuts, aux amplifications de toutes sortes, tant verbales que musicales. Les tropes de Benedicamus sont parmi les plus développés et vont parfois jusqu’au remplacement du texte primitif par une longue série de couplets, où la formule n’apparaît qu’à la fin (trope de substitution) ; un exemple populaire fort connu est le cantique de Pâques O filii et filiae, qui ne révèle son origine qu’aux deux derniers couplets, dont le no 13 s’achève par Benedicamus Domino et le no 14 par Deo dicamus gratias. Dans les débuts de la polyphonie, le Benedicamus Domino était également apparu comme privilégié : très fréquemment traité en organum, il motive au XIe siècle, à Saint-Martial de Limoges, le premier motet connu, un Stirps Jesse sur teneur liturgique Benedicamus Domino. La messe de Guillaume de Machaut, qui s’achève par un Ite missa est, est une exception ; après elle, ni Ite missa est ni son substitut Benedicamus Domino ne figurent plus habituellement dans les « messes en musique ». BENEDICITE (lat. : « bénissez »). Terme générique désignant, quelle qu’en soit la formule, une prière avant le repas comportant bénédiction, parlée ou chantée, de la table et des mets. Une telle prière est régulièrement pratiquée dans les monastères, les presbytères et était traditionnelle, autrefois, dans les foyers chrétiens, dont certains la pratiquent encore. L’usage en est très ancien (une bénédiction analogue existe dans les repas juifs rituels), mais il ne s’est jamais dégagé de formule généralisée, et les usages, à cet égard, sont assez divers, allant d’une série assez longue de récitations et d’oraisons à un bref échange d’incipits sans lien grammatical entre eux (Benedicite-Dominus). Toutefois, tous ont en commun une invitation à bénir le repas, d’où le nom conservé. Au XVIe siècle, la Réforme a adopté l’usage du Benedicite dans la vie domestique et favorisé la pratique du chant pour l’exprimer. De nombreux compositeurs, réformés ou non, l’ont ainsi mis en musique à plusieurs voix, soit en latin, soit en langue vulgaire, surtout dans les pays touchés par la Réforme : France, Allemagne, Angleterre, Flandres. Le Benedicite a pour symétrique l’« action de grâces » (ou « grâces » en abrégé) de la fin du repas (dire les grâces). BENEDICTUS. 1. Deuxième partie du Sanctus qui forme l’une des parties chantées de l’ordinaire de la messe. C’est une courte formule, Benedictus qui venit in nomine Domini (« Béni celui qui vient au nom du Seigneur », Luc, XIII, 35), suivie, comme la première partie, du refrain Hosanna in excelsis. Alors que le Sanctus est un des chants les plus anciens de la messe, le Benedictus n’apparut qu’au VIe siècle, et on le trouva d’abord en Gaule ; puis il gagna Rome et l’Orient. Vers le XVe siècle, on prit l’habitude, surtout en polyphonie, de scinder le Sanctus en deux et de considérer le Benedictus comme un morceau à part. On le chanta d’abord pendant l’élévation, puis après celle-ci. Au XVIIIe siècle, apparut l’usage de remplacer le Benedictus après l’élévation par un motet, le plus souvent O salutaris, si bien que plusieurs messes de cette époque n’ont pas de Benedictus. Pour le traitement musical de l’Hosanna, l’usage chez les musiciens est resté variable, certaines messes incorporant le refrain au Benedictus, d’autres se contentant d’une reprise de celui du Sanctus. Dans sa messe en ré, Beethoven donne un traitement particulier au Benedictus en concrétisant par un violon solo, descendant des hauteurs, la venue de l’envoyé du Seigneur évoquée par le texte. 2. Il existe aussi dans la liturgie d’autres pièces commençant par le mot Benedictus. La principale est le cantique de Zacharie Benedictus Dominus Deus Israel (Luc, I, 68), qui figure avec le Magnificat et le Nunc dimittis parmi les « cantiques majeurs » de l’Église romaine. BENET (John), compositeur anglais (XVe s.). Comme Dunstable, à qui il a parfois été identifié, Benet travailla sur le continent, où ses oeuvres ont été conservées dans des manuscrits. Ses compositions comprennent une messe cyclique complète mais sans titre, un Gloria, un Sanctus, des fragments de messe et des motets de facture isorythmique. Aux côtés du grand Dunstable, des musiciens tels Power, Bedingham et Benet ont certainement contribué à l’influence de la « contanance angloise » sur les musiciens français de l’époque de la guerre de Cent Ans. BENEVOLI (Orazio), compositeur italien d’origine lorraine (Rome 1605 - id. 1672). Il fit ses études musicales avec V. Ugolini, puis devint maître de chapelle à Saint-Louis-des-Français, à Rome, avant de partir pour l’Autriche ; il séjourna à Vienne, à la cour de Léopold-Guillaume, de 1644 à 1646, et il y composa nombre de motets et autres pièces religieuses. De retour à Rome, il obtint le poste de maître de chapelle à Sainte-Marie-Majeure. Il fut longtemps connu surtout pour la messe polyphonique à 53 voix, dite Missa salisburgensis, mais cette oeuvre de 1682 lui fut attribuée à tort et est sans doute soit d’Ignaz Biber soit d’Andreas Hofer. Elle ne fut donc pas écrite en 1628 pour la consécration de la cathédrale de Salzbourg. Il existe aujourd’hui une édition des oeuvres complètes de Benevoli, où nous trouvons d’autres messes à plusieurs choeurs et à multiples parties réelles, maniées avec habileté dans la tradition palestrinienne. BEN-HAÏM (Paul FRANKENBURGER, dit Paul), compositeur israélien (Munich 1897 - Tel-Aviv 1984). Il a fait ses études à l’Akademie der Tonkunst et à l’université de Munich. Chef d’orchestre à l’Opéra de Munich (19201924) et à l’Opéra d’Augsbourg (19241931), il a décidé, en 1933, de s’établir en Palestine. Ses oeuvres révèlent les influences de la musique orientale et de la musique d’Europe centrale. À la suite de sa rencontre avec la chanteuse Brach Zefira, spécialiste des mélodies liturgiques et des chansons profanes des différentes communautés juives (1935), Ben-Haïm a écrit pour celle-ci des arrangements de chansons et trouvé là une source d’inspiration nouvelle. Il a d’autre part composé 4 symphonies, des concertos, des pièces pour piano, un Poème pour harpe, de la musique de chambre (trio à cordes, quatuor à cordes, quintette avec clarinette) et de la musique vocale, dont l’oratorio Joram (1931-32). BENJAMIN (George), compositeur, pianiste et chef d’orchestre anglais (Londres 1960). Il entreprend ses premières compositions dès l’âge de neuf ans et poursuit sa formation, de 1976 à 1978, au C.N.S.M. de Paris avec Yvonne Loriod (piano) et Olivier Messiaen (composition), puis, entre 1978 et 1982, avec Alexander Goehr au King’s College de Cambridge. Sa musique, désinvolte et colorée, témoigne d’un esprit versatile et polyvalent (At First Light pour orchestre de chambre, 1982). Benjamin s’initie à l’informatique musicale, et son travail à l’I.R.C.A.M. à partir de 1984 aboutit à la création d’Antara pour seize instruments et équipement électronique, commande pour le dixième anniversaire du Centre Georges-Pompidou. Dans cette oeuvre, le son de la flûte de pan est échantillonné, puis transmis aux claviers électroniques. La musique fait ainsi référence, comme presque toujours chez Benjamin, à la réalité acoustique la plus concrète, et la sonorité nouvelle ne se définit qu’en fonction de cette référence. Il a écrit des pièces pour piano (Sortilèges, 1981), de la musique de chambre (Octuor, 1978), des pièces pour orchestre (dont Ringed by the Flat Horizon, 1979-80, programmé dans le cadre des Promenades-Concerts), de la musique vocale (Upon Silence, pour mezzo-soprano et cinq violes da gamba, downloadModeText.vue.download 92 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 86 1990). La musique de Benjamin est accessible et garde toujours une certaine complaisance envers les formes et les images convenues (Upon Silence pour mezzo-soprano et 5 violes de gambe, 1990 ; Three Inventions, pour orchestre de chambre, commande du Festival de Salzbourg, 1995). BENNETT (Richard Rodney), compositeur anglais (Broadstairs, Kent, 1936). Il fut l’élève de Lennox Berkeley et de Howard Ferguson à la Royal Academy of Music de Londres (1953-1956) et commença à composer dès cette période. Puis il vint à Paris travailler avec Pierre Boulez (1957-58). De retour à Londres, il entreprit une carrière à la fois de compositeur - il se fit connaître, notamment, par des musiques de film - et de pédagogue, il enseigna, en particulier, au Peabody Institute de Baltimore. Parmi ses oeuvres, outre les nombreuses musiques de film, les compositions pour la radio, la télévision, les musiques de scène, on compte 2 symphonies, 4 quatuors à cordes, un concerto pour piano, diverses oeuvres pour en- semble de chambre et pour piano. Dans le domaine de la musique vocale, citons une oeuvre pour la chanteuse anglaise de jazz C. Laine, Soliloquy for Cleo Laine (1967), et trois opéras : The Ledge, The Mines of Sulphur (les Mines de soufre, 1963-1965), qui ont été joués avec succès dans de nombreux pays, et A Penny for a Song (1966). Compositeur sériel à l’origine, initié par les oeuvres de Webern à la musique dodécaphonique, marqué par ses deux années avec Boulez, Bennett a connu une évolution à partir de son retour à Londres. Dans ses oeuvres récentes, il semble s’attacher d’abord à la richesse de l’orchestration et aux textures instrumentales (Commedia IV pour cuivres). BENNETT (sir William Sterndale), compositeur et pianiste anglais (Sheffield 1816 - Londres 1875). Choriste dès l’âge de huit ans au King’s College de Cambridge, il fit, à la Royal Academy of Music de Londres, des études très complètes (violon, chant, piano, composition). Sa première oeuvre date de 1832 : c’est un concerto pour piano joué en 1833 en présence de Mendelssohn, qui demeura dès lors son ami, et auquel Bennett rendit visite en Allemagne en 1836, 1837 et 1838. Lors de son deuxième séjour, Bennett, remarquable pianiste, d’une personnalité très attachante, se lia d’amitié avec Schumann. Il créa, au Gewandhaus de Leipzig, deux de ses meilleures oeuvres, les ouvertures The Naiads et The Woodnymphs. Devenu professeur of Music, Bennett gnement, une très musique anglaise. à la Royal Academy exerça, par son enseiforte influence sur la Ayant fondé, à Londres, la Bach Society (1849), il dirigea, en 1854, la première exécution en Angleterre de la Passion selon saint Matthieu de Bach. Les nombreuses charges auxquelles il accéda à la fin de sa vie, notamment la direction de la Royal Academy (1866), le détournèrent de la composition. Son oeuvre comprend surtout des pièces pour piano, pour piano et orchestre, des pièces vocales et de la musique d’église. BENOIT (Marcelle), musicologue française (Lille 1921). Élève de Norbert Dufourcq au Conser- vatoire de Paris, elle obtient dans cet établissement un premier prix d’histoire de la musique en 1952 et un premier prix de musicologie en 1954 ; elle y a enseigné à partir de 1959, devenant chargée de cours en 1973. Spécialiste de la musique française des XVIIe et XVIIIe siècles, elle a fait dans ses recherches sur les institutions et sur la musique de cette époque un usage systématique et nouveau des archives, et a publié notamment Quelques nouveaux documents sur François Couperin, ses ancêtres, sa musique, son foyer (Paris, 1968), Versailles et les musiciens du roi : étude institutionnelle et sociale, 1661-1733 (Paris, 1970 ; thèse d’État, 1971), Musiques de cour : chapelle, chambre, écurie, recueil de documents, 1661-1733 (Paris, 1970 ; suppl. thèse d’État, 1971) et les Musiciens du roi de France (Paris, 1983). À partir de 1960, elle a dirigé avec Norbert Dufourcq les Recherches sur la musique française classique. Elle a également dirigé un Dictionnaire de la musique en France aux XVIIe et XVIIIe siècles (1992). BENOIT (Peter), compositeur belge (Harelbeke, près de Courtrai, 1834 - Anvers 1901). Après des études au conservatoire de Bruxelles avec Bosselet et Fétis, puis avec Louis Hanssens, directeur du théâtre de la Monnaie, il débuta dans la carrière de compositeur par des mélodrames flamands et un petit opéra, et remporta le prix de Rome belge, en 1857, avec le Meurtre d’Abel. Il voyagea en Allemagne et en France, et fut chef d’orchestre au théâtre des Bouffes-Parisiens. De retour en Belgique, il connut le succès avec une Messe solennelle et fonda à Anvers, en 1867, l’École flamande de musique, imposant le flamand comme langue unique et encourageant une musique qui reflétât l’esprit de la race. Son rôle fut, à la fois, culturel et politique. Benoit exerça une grande influence sur des compositeurs comme Mortelmans, Blockx, Wambach, etc. Sa musique, d’un lyrisme coloré, parcourue d’élans postromantiques et épiques, est une référence à laquelle le public est demeuré fidèle comme à celle d’un barde national. Outre ses oeuvres pour orchestre et ses opéras flamands, Benoit est surtout connu pour de vastes partitions avec choeurs : De Schelde (l’Escaut), De Oorlog (la Guerre), Antwerpen (Anvers), etc. BENSERADE (Isaac de), poète et auteur dramatique français (Paris 1613 - id. 1691). Après sa première tragédie, Cléopâtre (1635), il reçut la protection de Richelieu et conserva celle de Mazarin pendant la minorité de Louis XIV. Très estimé des dames et de la société des précieuses, Benserade devint le poète familier de la cour. Il écrivit, à partir de 1651, de nombreux ballets de cour (Cassandre, la Nuit, Psyché, Alcidiane, etc.) mis en musique collectivement par Lully, Jean de Cambefort, Michel Lambert, etc. Ses poèmes élégants, destinés à des spectacles de cour auxquels participait le jeune monarque, sont remplis de scènes allégoriques. Avec lui, le ballet de cour devint un divertissement plus cohérent et son influence fut loin d’être négligeable pendant les années qui précédèrent la naissance de l’opéra français avec Lully (1673). BENTOIU (Pascal), compositeur, musicologue et esthéticien roumain (Bucarest 1927). Il étudie la composition avec Mihaïl Jora (1944-1948) à Bucarest et travaille comme chercheur à l’Institut de recherches ethnologiques et dialectologiques de Bucarest (1953-1956). Après la chute du communisme en Roumanie, il sera président de l’Union des compositeurs (1990-1992). La musique de Bentoiu se caractérise par sa clarté, son sens de l’élocution (le compositeur a beaucoup écrit pour le théâtre), par le souci d’intégrer, dans des structures héritées du passé, bon nombre de procédés spécifiques de la musique d’aujourd’hui. Dans son opéra Hamlet (1966-1969, prix Guido Valcarenghi, Rome 1970), le compositeur met la diversité des moyens et des formes utilisés au service d’une synthèse originale entre drame et musique. L’opéra radiophonique le Sacrifice d’Iphigénie (1968, prix « Italia ») reprend des systèmes d’intonation propres à la musique roumaine ancienne pour recréer l’esprit et la signification du spectacle antique. Ses symphonies, surtout les dernières, témoignent de ses préoccupations concernant la relativisation des procédés stylistiques et la possibilité de construction de métastyles. On lui doit, entre autres, huit symphonies (1965-1987), plusieurs concertos (dont deux pour piano, 1954 et 1960, et un concerto pour violoncelle, 1989), six quatuors à cordes (1953-1982), plusieurs cycles de mélodies. Il se consacre actuellement à la reconstitution et à l’orchestration des symphonies inachevées de Georges Enesco (la Cinquième, dont la reconstitution fut terminée en 1995, sera bientôt suivie de la Quatrième). BendownloadModeText.vue.download 93 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 87 toiu a publié plusieurs livres d’esthétique musicale ainsi que Chefs-d’oeuvre d’Enesco (Bucarest, 1984, prix de l’Académie roumaine 1987). BENTZON (Jørgen), compositeur danois (Copenhague 1897 - Hørs-holm, près de Copenhague, 1948). D’abord étudiant en droit, il se tourna, en 1915, vers la musique, qu’il étudia avec Carl Nielsen, puis au conservatoire de Leipzig (1920-21). Avec Finn Høffding, il créa, en 1931, des écoles populaires de musique dont il s’occupa jusqu’en 1946. Son oeuvre, de style néoclassique, comprend de la musique d’orchestre, dont 2 symphonies, de la musique de chambre, dont 5 quatuors à cordes, et un opéra, Saturnalia (1944). BENTZON (Niels-Viggo), compositeur danois (Copenhague 1919). Cousin de Jørgen Bentzon, il appartient à une famille de musiciens, les Hartmann, dont la tradition remonte au XVIIIe siècle. D’abord attiré par le jazz, qu’il a étudié avec le pianiste Leo Mathiesen, il est entré au conservatoire de Copenhague pour y travailler le piano avec C. Christiansen et la théorie musicale avec K. Jeppesen. Sa carrière de compositeur, entreprise en 1942, s’est révélée brillante malgré une certaine nonchalance. Son oeuvre, considérable, possède des affinités avec celles de Hindemith et de Bartók. Elle comprend 15 symphonies (de 1942-43 à 1980), 2 concertos pour violon, 5 concertos pour pianos, des sonates, notamment pour piano et violon, de nombreuses oeuvres pour piano seul (sonates, partitas, études), des quatuors à cordes, des ballets, un opéra, Faust III (1963), créé à Kiel en 1964, ainsi qu’un opéra de chambre, Automaten (1974). BENZI (Roberto), chef d’orchestre fran- çais d’origine italienne (Marseille 1937). Ayant reçu très jeune une formation musicale poussée et ayant commencé l’étude de la direction d’orchestre dès l’âge de huit ans avec André Cluytens, Roberto Benzi fit ses débuts de chef d’orchestre à onze ans ; il se produisit en France, en Scandinavie, en Amérique du Sud, et tourna des films. Mais il interrompit cette carrière précoce pour suivre une scolarité normale et, sur le plan musical, pour approfondir les études d’écriture. Il reprit son activité de chef d’orchestre en 1957 et dirigea dans de nombreux pays avant d’assumer, de 1973 à 1987, année où lui succède Alain Lombard, les fonctions de directeur de l’Orchestre régional de Bordeaux-Aquitaine. Il a dirigé ensuite l’orchestre d’Arnhem (Pays-Bas). Son répertoire est essentiellement fondé sur la musique romantique. BERBERIAN (Cathy), mezzo-soprano américaine d’origine arménienne (Attleboro, Massachusetts, 1925 - Rome 1983). Après une éducation vocale traditionnelle, elle a consacré l’essentiel de son activité à la recherche de nouveaux modes d’expression vocale, mettant une intelligence, une sensibilité, une force de conviction exceptionnelles au service de la musique contemporaine. Maints compositeurs ont écrit spécialement à son intention, en particulier Luciano Berio dans des oeuvres comme Circles, Recital I et Sequenza III. C. Berberian fait essentiellement une carrière de concertiste, avec des récitals dont le programme va de la musique ancienne notamment Monteverdi, qu’elle affectionne - à l’avant-garde, en passant par de désopilantes parodies du chant traditionnel d’opéra ou de mélodie. La cantatrice n’hésite pas à employer le microphone pour amplifier ou modifier sa voix. Son aisance en scène, sa verve font de ses récitals un spectacle total. BERCEUSE. Forme de chanson populaire de rythme lent, faite pour endormir les enfants, la berceuse a donné naissance à un genre instrumental ou vocal caractérisé par le rythme obstiné de la basse, ainsi que par une mélodie doucement balancée. Parmi les compositions les plus connues inspirées par ce rythme, citons la Berceuse de Chopin pour piano, celle de Brahms pour chant et piano. Dans le domaine de l’orchestre, des berceuses ont été intro- duites par Fauré dans sa suite Dolly et par Stravinski dans l’Oiseau de feu. BEREZOVSKI (Maxime), compositeur russe (Gloukhovo, Ukraine, 1745 - SaintPétersbourg 1777). Choriste à la chapelle impériale, il y fut remarqué par le compositeur italien Zoppis, qui prit soin de sa formation. En 1765, l’impératrice Élisabeth l’envoya travailler à Bologne auprès de Martini. Son premier opéra Demophon, créé à Livourne en 1773, conquit rapidement toute l’Italie. De retour en Russie en 1774, il constata qu’il était tombé dans l’oubli et que sa musique ne plaisait guère. Il se suicida dans sa trente-deuxième année. Dans ses opéras, Berezovski ne rechercha pas les effets faciles et s’intéressa aux rapports entre le texte et la musique. Dans ses nombreuses cantates d’église, il tenta d’unir le style et l’esprit des chants orthodoxes à une technique d’écriture italienne. BERG (Alban), compositeur autrichien (Vienne 1885 - id. 1935). Avec Schönberg et Webern, Berg forme l’école de Vienne. Un moment tenté par la poésie, passionné de littérature, il devint, de 1904 à 1910, le disciple de Schönberg, à qui il dut toute sa formation musicale. Un héritage lui permit, en 1906, de quitter la fonction publique pour se consacrer à la musique ; cependant, il assura, aux éditions Universal, un travail de réduction d’oeuvres pour le piano et ne fut délivré de tout souci matériel qu’en 1920. Dès 19071908, ses oeuvres furent exécutées dans les milieux d’avant-garde viennois, provoquant parfois un scandale comme, par exemple, deux des 5 Lieder avec orchestre d’après des textes de cartes postales illustrées d’Altenberg (1913). Rappelé sous les drapeaux en 1914, mais maintenu à Vienne en raison de sa santé précaire, Berg entreprit la composition de Wozzeck, d’après la pièce de Büchner qu’il venait de voir à la scène ; c’est à la suite de la création de cet opéra à Berlin (1925), sous la direction d’Erich Kleiber, qu’il fut reconnu. Cette même année, il termina le Concert de chambre, en hommage à Schönberg, et entreprit la Suite lyrique. Parallèlement, son activité pédagogique était intense. La montée du nazisme, l’exil de Schönberg (1933) l’amenèrent à se retirer dans sa propriété des bords du Wörthersee, non loin de Klagenfurt. Ses efforts se concentrèrent, dès lors, sur la poursuite de la composition de Lulu, son second opéra, d’après Wedekind, composition entreprise en 1928. Mais la mort l’empêcha d’achever l’orchestration du dernier acte. La création des 5 Fragments symphoniques de Lulu en concert, sous la direction de Kleiber à Berlin (1934), constitua l’une des dernières manifestations publiques antinazies. Une septicémie emporta Berg en décembre 1935, quelques mois après la composition du concerto pour violon À la mémoire d’un ange, dont le titre évoque la mort de la jeune Manon, fille de l’architecte Gropius et d’Alma Mahler. Les adversaires de la méthode dodécaphonique et de la pensée sérielle en général ont toujours admis Berg en raison du caractère postromantique, sinon expressionniste, de certaines de ses pages. Il est de fait que ce compositeur n’a jamais refusé l’influence de Brahms, de Wagner ou de Schumann, sollicitant d’autre part l’amitié de Mahler, dont il est proche par la pensée, le souci formel et la recherche d’une sonorité orchestrale nouvelle. Il y a chez lui une obsession de la citation qui est une manière de s’enraciner dans la tradition (choral de Bach du concerto pour violon, etc.) ; cet enracinement est renforcé par le refus des formes brèves, chères à un Webern, exception faite des 4 Pièces pour clarinette et piano, au profit des schémas traditionnels. Ainsi, dans Wozzeck, chaque scène est-elle conçue au moyen d’une forme établie (suite, rhapsodie, passacaille, rondo) ; l’acte II se présente comme une vaste symphonie en cinq mouvements. Cet aspect constitue un élément d’approche pour un public désodownloadModeText.vue.download 94 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 88 rienté par une apparente rupture, rupture, qui, d’ailleurs, n’existe pas, même chez Schönberg. Certes, la spécificité de Berg est bien de « rattacher au passé chaque nouvelle étape du devenir de l’univers schönbergien » (Leibowitz), pour nier l’existence d’une rupture et pour affirmer une évolu- tion du mode de pensée et d’écriture : si déjà on peut parler, dans son quatuor op. 3, de suspension de la tonalité et, dans la passacaille de Wozzeck, de l’emploi d’une série de douze sons différents, c’est dans la Suite lyrique qu’il réussit la gageure de faire coexister la composition libre et le système dodécaphonique ; seule une moitié de l’oeuvre est dodécaphonique, le reste relevant de l’écriture atonale libre sans que ne soient nullement affectées l’unité de style et la cohérence de l’oeuvre. Dans le concerto pour violon, oeuvre strictement dodécaphonique comme le Vin et Lulu, Berg tente la synthèse de la sérialité et de la tonalité par l’intermédiaire d’une série de base déterminant quatre accords parfaits majeurs et mineurs et s’achevant par quatre tons entiers. L’analyse qu’il en a fait ne laisse planer aucun doute sur le caractère rationnel de sa démarche et l’organisation de son langage. Il va encore plus loin dans Lulu, où il découvre les premières méthodes de permutation de la série de douze sons, qui lui permettent d’engendrer de nouvelles séries - un procédé qui va être perfectionné plus tard par Boulez, puis par Barraqué. Mais Berg est aussi, et surtout, un homme de théâtre, qui s’est orienté vers la « geste dramatique », même dans son écriture instrumentale. Wozzeck peut, d’une certaine manière, être considéré comme l’aboutissement d’une conception romantique et même wagnérienne de l’opéra. Le thème de l’oeuvre - un fait divers - se transforme en un mythe : l’exploitation de l’homme et ses conséquences. Obsédé par l’idée de pallier l’absence de l’unité que peut engendrer la tonalité et ses possibilités harmoniques, Berg a recours à l’organisation des formes anciennes de la musique pure, à douze musiques d’enchaînement et à une sorte de leitmotiv pour assurer la continuité du discours musical. De plus, l’acte III est entièrement construit sur des inventions : sur une note (si), un accord, un rythme, un intervalle. La grande leçon de Berg réside dans la prééminence de l’expression, mais aussi, dans de nouvelles propositions architectoniques et un nouveau mode de développement des cellules thématiques. Toutefois, cette élaboration formelle très poussée ne vise qu’à un seul but : l’efficacité dramatique. Enfin, on doit signaler, dans Wozzeck et dans Lulu, la manière d’user de la voix : Berg y fait appel à différentes techniques d’émission, du bel canto à la voix parlée et au choeur à bouche fermée. BERG (Gunnar), compositeur danois (Saint-Gall, Suisse, 1909 - Berne 1989). Il a fait des études à Copenhague, à Paris avec Honegger et Messiaen, à Darmstadt avec Stockhausen. Influencé, à ses débuts, par Bartók, il a évolué vers une forme d’expression pointilliste aux structures multiples, se rattachant dans une certaine mesure au sérialisme. Ses oeuvres comprennent essentiellement des pièces pour orchestre, de la musique de chambre, des pièces pour piano et pour orgue et de nombreuses mélodies sur des textes de Shakespeare, Verlaine, etc. BERG (Josef), compositeur tchèque (Brno 1927 - id. 1971). Élève de Vilem Petrželka au conservatoire de Brno, puis critique musical, musicologue, théoricien, il a été l’un des animateurs de la vie artistique de Brno. Il écrivit à ses débuts plus d’une centaine d’arrangements ou de compositions originales pour l’orchestre populaire de la radio, sur de vieilles mélodies moraves. Puis se fit sentir l’influence occidentale celle de Henze, celle du studio de Cologne (Eimert, Stockhausen) -, ce qui détermina l’écriture de ses oeuvres pour petites formations de chambre : Sextuor pour harpe, piano et quatuor à cordes (1959), Nonuor (1962), Quatuor à cordes (1966). Berg a aussi tenté de pasticher l’opéra classique : en utilisant une mise en scène dépouillée, un petit effectif de chanteurs-acteurs, il a cherché à renouveler des mythes célèbres avec le Retour d’Ulysse (1962), Johanes Doktor Faust (1966), l’Orestie (1967). On y retrouve des traces de Stravinski, de Milhaud, au travers d’une écriture qui joue de la couleur de formations instrumentales inusitées. BERGAMASQUE (ital. bergamasca). Chanson à danser de rythme binaire, originaire de la province de Bergame en Italie. Elle emprunte souvent le schéma de la chaconne, c’est-à-dire une série de variations à partir d’une basse obstinée. Le terme apparaît pour la première fois dans le 3e livre de luth de Giacomo Gorzanis (1564), puis dans le 3e livre de villotte de Filippo Azzaiolo (1569). On trouve un célèbre exemple de bergamasque dans les Fiori musicali de Frescobaldi (1635). Au XIXe siècle, cette danse a adopté un tempo très rapide à 6/8 se rapprochant de la tarentelle. Mais c’est seulement la consonance agréable du mot et son emploi par Verlaine dans un poème qui ont inspiré le titre de Suite bergamasque à Debussy et celui de Masques et bergamasques à Fauré. La romanesca est une forme analogue à la bergamasque. BERGANZA (Teresa), mezzo-soprano espagnole (Madrid 1935). Après des études au conservatoire de Madrid, elle a fait ses débuts en récital, en 1955, et à la scène, en 1957, au festival d’Aix-en-Provence dans le rôle de Dorabella (Cosi fan tutte, Mozart), inaugurant ainsi une carrière mondiale. T. Berganza est une styliste remarquable, servie par une technique exemplaire qui maîtrise un timbre pur et incisif. Son répertoire s’est longtemps fondé sur deux personnages de Mozart (Chérubin des Noces de Figaro et Dorabella) et trois de Rossini (Rosine du Barbier de Séville, Isabella de l’Italienne à Alger et Cendrillon). Son interprétation du rôle de Ruggiero dans Alcina de Haendel est également célèbre. Elle a abordé plus récemment les personnages de Carmen (Édimbourg, 1977) et de Charlotte dans Werther de Massenet. Elle obient aussi de grands succès en récital, notamment dans le domaine de la mélodie espagnole. BERGER (Erna), soprano allemande (Cossebaude 1900 - Essen 1990). Elle étudie le piano et le chant à Dresde, et est engagée pour la première fois par Fritz Busch à la Staatsoper de cette ville en 1925. En 1929, elle entre au Stätdtische Oper de Berlin, où elle participe à la création de Christ-Elflein de Hans Pfitzner. Entre 1929 et 1933, elle chante au Festival de Bayreuth, et, à partir de 1932, à Salzbourg. Sa facilité dans l’extrême aigu et sa tessiture de colorature dramatique lui permettent d’aborder soixante-dix rôles, de Rossini à Richard Strauss. Dans les opéras de Mozart, elle triomphe dans les rôles de la Reine de la Nuit et de Constance. De 1934 à 1938 elle chante à Covent Garden, en 1949 au Metropolitan de New York. De 1955 à 1968, elle se consacre au lied et à l’enseignement. BERGER (Ludwig), compositeur allemand (Berlin 1777 - id. 1839). D’abord élève de Joseph Gürrlich dans sa ville natale, il se rendit à Dresde en 1801 pour y étudier avec Johann Gottlieb Neumann, mais celui-ci venait de mourir. De retour à Berlin, il y devint l’élève de Muzio Clementi, puis suivit ce dernier à Saint-Pétersbourg, où il resta jusqu’en 1812. L’invasion française l’obligea à gagner Stockholm, puis Londres, où il triompha comme pianiste. À partir de 1815, il vécut de nouveau à Berlin, comptant parmi ses élèves Mendelssohn et sa soeur Fanny. De ses nombreux lieder, cinq furent écrits vers 1817 sur des poèmes qui devaient former le noyau du cycle la Belle Meunière, plus tard mis en musique par Schubert. On lui doit aussi, pour piano, un concerto, des pages diverses dont les études op. 12 et op. 22, et sept sonates parmi lesquelles la Grande Sonate pathétique en ut mineur op. 7 (1804, version downloadModeText.vue.download 95 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 89 révisée publiée en 1812-1814), dédiée à Clementi et nettement inspirée de l’op. 13 de Beethoven. BERGER (Theodor), compositeur autrichien (Traismauer 1905 - Vienne 1992). Il a étudié la composition avec Franz Schmidt à l’Akademie fur Musik de Vienne, de 1926 à 1932. Son art se caractérise par une invention riche et exubérante, un style passionné et le goût de la beauté sonore recherchée pour elle-même, comme dans Rondino giocoso et Malinconia pour cordes (1938). Il a composé de la musique d’orchestre (Legende vom Prinzen Eugen, Concerto manuale, Concerto macchinale, Symphonischer Triglyph), un ballet (Homerische Symphonie), de la musique de chambre (2 quatuors à cordes, etc.), des oeuvres vocales (Faust, 1949) et des musiques de film. BERGERETTE. 1. Genre poétique et musical dérivé du rondeau, en vogue au XVe siècle en France ; à la différence du rondeau, la strophe du milieu n’a pas de refrain et sa longueur est variable, car elle n’est pas liée à celle de la première strophe. 2. Au XVIe siècle, bergerette est le nom donné à quelques basses danses. 3. Chanson populaire de caractère pastoral et amoureux, de forme strophique, répandue au XVIIIe siècle. BERGEROTTI (Anna), cantatrice italienne (Rome v. 1630 - fin XVIIe s.). Ce « trésor venu d’Italie » arriva à Paris en 1655. Elle fit partie de la troupe italienne qu’entretint Mazarin et participa aux représentations d’opéras de Cavalli (Xerse, Ercole amante). Elle chanta aussi dans presque tous les ballets de cour en compagnie des cantatrices françaises Mlle Hilaire et Mlle de La Barre et figura notamment dans les scènes italiennes composées par Lully. Elle fut admirée par tous, même par les nombreux ennemis de la musique italienne. Les concerts qu’elle organisa dans sa résidence parisienne furent célèbres jusqu’à l’étranger. Elle quitta Paris en 1668 et épousa un marquis italien. BERGLUND (Paavo), chef d’orchestre finlandais (Helsinki 1929). Il étudie le violon et la direction à l’Académie Sibelius d’Helsinki et travaille ensuite à Vienne avec Otto Rieger, puis à Salzbourg. En 1949, il est engagé comme violoniste dans l’Orchestre symphonique de la radio finnoise, formation qu’il dirige de 1952 à 1971, et qu’il élève à un niveau international. De 1972 à 1979, il dirige l’Orchestre symphonique de Bournemouth, de 1974 à 1979 l’Orchestre philharmonique d’Helsinki, de 1987 à 1992 l’Orchestre philharmonique de Stockholm et, depuis cette dernière date, celui de Copenhague. Parallèlement à ces différentes fonctions de chef permanent, il dirige aussi la plupart des grands orchestres américains. Particulièrement apprécié pour ses interprétations des oeuvres de Sibelius, dont il a enregistré deux intégrales des symphonies, et de Chostakovitch, il a aussi été l’ardent défenseur des oeuvres de Nielsen, dont il a enregistré les six symphonies. BERGMAN (Erik Waldemar), compositeur finlandais (Nykarleby 1911). Il a fait ses études à Helsinki, à Berlin et en Suisse. Intéressé par le grégorien et par les cultures d’Extrême-Orient, il recherche des formes d’expression nouvelles issues des sonorités impressionnistes aussi bien que de la technique sérielle ou du style tonal libre. Il a été, en Finlande, un pionnier de l’écriture dodécaphonique et son influence dans ce domaine s’est exercée à travers ses cours à l’Académie Sibelius. Il a surtout écrit des oeuvres pour orchestre, pour voix et pour piano. Son opéra l’Arbre qui chante a été créé à Helsinki en 1995. BERGONZI (Carlo), ténor italien (Parme 1924). Il a commencé sa carrière comme baryton, à Lecce, en 1948, dans le rôle de Figaro (Barbier de Séville, Rossini), puis a fait de nouveaux débuts comme ténor, à Bari, en 1951, dans André Chénier de Giordano et a acquis peu à peu une réputation mondiale. Sa voix est peu spectaculaire, mais d’une belle qualité ; sa technique et son style sont exemplaires. Il s’est consacré exclusivement au répertoire italien, de Donizetti à Puccini et Giordano, et, particulièrement, à Verdi. Ses interprétations de Radamès dans Aïda et de Riccardo dans Un bal masqué sont très renommées. BERIO (Luciano), compositeur italien (Oneglia, Ligurie, 1925). Issu d’une famille musicienne, il a eu son père pour premier professeur. Au conservatoire Verdi de Milan, il a étudié la composition avec Paribene et Ghedini, la direction d’orchestre avec Votto et Giulini. Il a subi l’influence de Dallapiccolla, son maître à Tanglewood (États-Unis). Certaines de ses premières oeuvres comme Nones (1954) sont d’inspiration sérielle. En 1955, Luciano Berio fonde avec son ami Bruno Maderna le studio de phonologie de la R. A. I. à Milan. Luigi Nono se joint à eux. C’est l’époque vive des premières découvertes électroacoustiques ; il écrit Thema (Omaggio a Joyce) [1958]. Dans ce lieu ouvert viennent travailler de jeunes compositeurs de tous pays, comme André Boucourechliev. Berio s’affirme comme un pionnier, un explorateur. À partir de 1960, il donne des cours à Darmstadt (mais là, on l’entend le soir improviser du jazz au piano, avec Maderna), à Darlington, à Mill’s College (Californie), à Harvard, à l’université Columbia. Il s’intéresse au rock, au folk, leur consacrant des essais et les mêlant dans le creuset de sa musique, laquelle est une musique libre, sans frontières. Berio a sondé, d’abord dans la clarté de l’intuition, puis prudemment, lucidement, des domaines originaux et longtemps oubliés de notre culture occidentale, en particulier celui de la voix, qu’il a littéralement libérée. La figure étrange et passionnée de Cathy Berberian apparaît dans sa vie et devient l’âme de sa création en même temps que l’« instrument » adapté à ses recherches : C. Berberian va créer nombre de ses oeuvres. Tout en enseignant la composition à la Juilliard School of Music de New York, Berio fait de nombreux voyages. Fulgurant, éclatant, limpide, baroque, fou de théâtre et de littérature, il dévore les poètes (Joyce, Cummings, Sanguineti). La mort de Martin Luther King l’émeut profondément, O King (1965, créé en 1967). Proustien, Berio retouche sans cesse ses oeuvres, élabore de nouvelles versions. Tout en aimant l’Amérique, il ne tranche pas ses racines italiennes. Il ne se laisse, de toute façon, enfermer dans aucun clan. On ne trouve chez lui aucune trace de parti pris théorique, aucune gratuité abstraite. Son intelligence prend appui sur la vie, sur une imagination généreuse, sur un esprit d’invention, une chaleur méditerranéenne qui garde le contact entre les hommes et l’art. Il libère une expression verbale souvent affective, spontanée, immédiatement descriptive : murmures, cris, souffles, pleurs, bruissements, onomatopées attachés à la vie corporelle. Il libère la respiration. Sa musique semble couler de source ; l’élégance de l’écriture en cache les complexités. Circles (1960), ou encore la série des Séquences (Sequenza I à XI, 1958-1988) pour instruments solistes, inventent, dans un jeu de manipulations et de métamorphoses, des formes nouvelles, et il en va de même de la série parallèle des Chemins. Voix ou instruments sont poussés à l’extrême limite de leur virtuosité, arrachés à leur tradition, élargis. Epifanie (1961) suit la même évolution : textes de poètes, écartelés, au bord du tragique. Harmoniste raffiné dans Folk Songs, Berio se montre un maître de la technique de la variation dans la série Chemins (1965-1975), où des commentaires variés à l’infini laissent apparaître des « collages ». Passagio (1962, créé en 1963), Laborintus II (1965), Recital I (1972) sont des approches très personnelles du théâtre musical. L. Berio semble downloadModeText.vue.download 96 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 90 être imprégné de tout ce qui vit, pour le laisser réapparaître tôt ou tard. On rencontre dans Sinfonia (1968) l’amour de Mahler, dans Sequenza VII (1969) pour hautbois un goût de la lumière, et, un peu partout, les jeux de la mémoire de ce qui fut aimé, entendu, rencontré. Chez Berio se côtoient des inflexions vocales ou instrumentales proches du jazz, la tension du nô japonais, l’esprit contemplatif de la musique indienne. Partout, le compositeur recrée des situations déchirantes ou paisibles. Coro (1976) est sans doute l’un des sommets de son oeuvre, une anthologie de l’homme, de son aventure et de son paysage intérieurs. Les langues, les folklores, les styles y sont brassés avec violence et tendresse. Après avoir dirigé jusqu’en 1980 le département électroacoustique de l’I. R. C. A. M. à Paris il devint responsable de l’antenne de cet organisme à Milan. Après Opera (1969-70), des oeuvres comme Linea (1974), Points on the curve to find (1974), Coro (1976), les opéras La vera storia (Milan, 1982), Un re in ascolto (Salzbourg, 1984) et Outis (Milan, 1995), Formazioni pour orchestre (1986), Concerto II « Echoing Curves « (Paris, 1988), Festum pour orchestre (Dallas, 1989), Chemins V pour guitare et orchestre de chambre (1992) ont montré que Berio avait encore le pouvoir de surprendre. Le compositeur s’explique : « Je crois qu’il faut vivre dans l’esprit de la fin de la Renaissance et des débuts du baroque, dans l’esprit de Monteverdi qui inventait la musique pour trois siècles à venir...» BÉRIOT (Charles Auguste de), violoniste et compositeur belge (Louvain 1802 Bruxelles 1870). Autodidacte, il était déjà en pleine possession de sa technique quand il rencontra Viotti en 1821 ; celui-ci le fit entrer dans la classe de Baillot, au Conservatoire de Paris. Puis une tournée triomphale en Angleterre établit sa renommée. Après la révolution de 1830, Bériot fit de nouvelles tournées avec la cantatrice Maria Malibran qu’il épousa en 1836. Il devint aveugle et paralysé après 1858. Son art élégant, qu’il transmit à ses disciples, notamment Henri Vieuxtemps, à travers son enseignement au conservatoire de Bruxelles (18431852), se retrouve dans ses compositions, par exemple ses 9 concertos pour violon. Il a écrit une Méthode de violon en 3 parties (1858) et a collaboré à des ouvrages de son fils Charles Wilfrid (1833-1914) sur l’accompagnement au piano. BERKELEY (sir Lennox), compositeur anglais (Boars Hill, Oxford, 1903 - Londres 1989). Après des études à l’université d’Oxford, il décida de se consacrer à la musique et séjourna, de 1927 à 1932, en France, où il travailla avec Nadia Boulanger, se lia d’amitié avec Francis Poulenc et se convertit au catholicisme. Il chercha aussi conseil auprès de Maurice Ravel et tira de cette formation et (peut-être) de son ascendance françaises un goût marqué pour l’élégance et la clarté, pour la forme et la concision. De 1946 à 1968, il a enseigné la composition à la Royal Academy of Music de Londres. Berkeley est un des compositeurs les plus respectés en Angleterre. Sa réputation s’est d’abord fondée sur des oeuvres à effectifs réduits, comme la Sérénade pour cordes op. 12 (1938) ou le Divertimento op. 18 (1943), sa première grande réussite. Il aime l’intimité et a beaucoup composé pour des formations de chambre : son trio pour cor, violon et piano op. 44 (1954), conçu pour Dennis Brain, est particulièrement remarquable, et on lui doit aussi un trio à cordes (1943) et trois quatuors à cordes (1935, 1942 et 1970). Sa musique pour piano est également importante (sonate op. 20, 1943). Comme son contemporain et ami Britten, Berkeley éprouve un vif penchant pour la voix : il a composé plusieurs cycles de mélodies, parmi lesquels les 4 Sonnets de Ronsard op. 40 (1952), les 4 Sonnets de Ronsard op. 62 pour ténor (1963), à la mémoire de Francis Poulenc, et, surtout, les 4 Poèmes de sainte Thérèse d’Avila op. 27 pour contralto et cordes (1947) : cette dernière page, sans doute son chef-d’oeuvre, fut destinée à Kathleen Ferrier. Ayant souffert de l’étiquette de miniaturiste, Berkeley a su montrer une autre forme de son talent dans ses concertos - pour piano op. 30 (1947), pour 2 pianos op. 34 (1948), pour violon op. 59 (1961) - , dans Dialogue pour violoncelle et orchestre op. 79 (1970), ainsi que dans ses quatre symphonies op. 16 (1940), op. 51 (19561958), op. 74 (1969) et op. 94 (1976-77). Il a moins réussi dans ses opéras Nelson op. 41 (Londres 1954), A Dinner Engagement op. 45 (Aldeburgh, 1954), Ruth op. 50 (Londres, 1956) et Castaway op. 68 (Aldeburgh, 1967), mais a écrit de belles oeuvres religieuses, dont le Stabat Mater op. 28 (1947), la Messe a cappella op. 64 (l964) et le Magnificat op. 71 (1968). BERLIN (histoire de la vie musicale à). Au début du XVIIe siècle, Berlin entra dans l’histoire de la musique avec des musiciens tels Johannes Eccard et Nikolaus Zangius, maîtres de chapelle à la cour du prince électeur. La musique protestante fut représentée dans la première moitié du XVIIe siècle par Johann Crüger. Pendant la guerre de Trente Ans, l’activité musicale connut un ralentissement comme dans le reste de l’Allemagne. En 1701, Berlin prit rang de résidence royale. C’est sous le règne de Frédéric II (1740-1786) que la ville devint un foyer musical important, les artistes se partageant entre la capitale de la Prusse et le séjour royal de Potsdam. On y rencontre Johann Joachim Quantz, Carl Philipp Emanuel Bach, les Benda, Carl Heinrich et Johann Gottlieb Graun, Johann Friedrich Reichardt, Christoph Nichelmann, Johann Philipp Kirnberger, Friedrich Wilhelm Marpurg et Carl Friedrich Zelter. Les compositeurs de l’école de Berlin se sont illustrés dans les domaines de la symphonie, de la musique instrumentale, du lied et de l’opéra. En 1742 fut inauguré l’Opéra royal Unter den Linden ou Hofoper (Opéra de la Cour). Berlin était également réputé à cette époque comme centre de théorie musicale. Au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe régna une activité intense : les orchestres, les sociétés chorales, les académies de musique religieuse, les opéras et les écoles de musique se multiplièrent, en particulier, de 1800 à 1832, sous l’impulsion de Zelter. La musique orchestrale se développa particulièrement dans la seconde moitié du XIXe siècle. De nombreuses formations furent créées : la Musikausübende Gesellschaft, fondée par Johann Philipp Sack en 1752, l’Orchestervereinigung Berliner Musikfreunde, devenue ensuite le Berliner Orchesterverein, le Königliches Hoforchester, devenu ensuite la Staatskapelle, qui compta parmi ses chefs Felix Weingartner et Richard Strauss, et, enfin, l’Orchestre philharmonique de Berlin qui, fondé en 1882, est considéré depuis plusieurs dizaines d’années comme l’un des meilleurs orchestres du monde ; il a eu notamment pour chefs Hans von Bülow (1887-1892), Arthur Nikisch (1897-1922), Wilhelm Furtwängler (1922-1945 et 1947-1954), Sergiu Celibidache (1945-1947) et Herbert von Karajan (depuis 1954). Au XXe siècle, sont venus s’ajouter les orchestres de la radio : Berliner Rundfunk pour Berlin-Est, Nordwestdeutscher Rundfunk et RIAS pour Berlin-Ouest. L’Orchestre RIAS a connu une période de grande notoriété quand Ferenc Fricsay en était le directeur (1948-1954). Parmi les sociétés chorales figurent le Choeur philharmonique, le Choeur de la cathédrale Sainte-Hedwige et la célèbre Singakademie, fondée, en 1791, par Christian Fasch et dirigée ensuite par Zelter ; c’est avec le concours de cette formation que Mendelssohn dirigea, en 1828, la Passion selon saint Matthieu de Bach, tombée dans l’oubli depuis près d’un siècle. Les académies de musique religieuse les plus importantes sont l’Akademie für Kirchenmusik, fondée en 1822, la Gesellschaft zur Förderung der kirchlichen Tonkunst et le Caecilienverein. Plusieurs grandes scènes d’opéra ont valu à Berlin sa renommée dans le domaine lyrique. Inaugurée en 1742, la Hofoper a vu la création du Freischütz de Weber en 1821 et l’opposition entre les downloadModeText.vue.download 97 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 91 partisans de cette oeuvre de style nouveau et ceux du style de Spontini, qui était alors directeur musical du théâtre. Les Joyeuses Commères de Windsor de Nicolai y furent créées en 1849. Baptisée, après 1918, Staatsoper (Opéra d’État), cette scène a eu pour intendants ou directeurs de la mu- sique Richard Strauss, Felix Weingartner, Karl Muck, Max von Schillings, Heinz Tietjen. Les créations de Wozzeck d’Alban Berg (1925), Christophe Colomb de Milhaud (1930), Das Herz de Pfitzner (1931) et Peer Gynt de Egk (1938) s’y sont, entre autres, déroulées. Située dans l’ancien secteur Est, la Staatsoper a eu pour directeurs musicaux, après la guerre, Franz Konwitschny (1955-1961) et Otmar Suitner, de 1964 à 1975. Le Deutsches Opernhaus, inauguré en 1912 et appelé après 1918 Städtische Oper (Opéra municipal), a compté parmi ses intendants Carl Ebert et parmi ses directeurs musicaux Bruno Walter et Ferenc Fricsay. Détruit en 1944, lors d’un bombardement aérien, il a repris en 1961 le nom de Deutsche Oper. Inaugurée en 1924, la Kroll Oper devint rapidement célèbre par son orientation très particulière ; notamment sous la direction d’Otto Klemperer (1927-1931), ce fut un théâtre de créations (opéras de Hindemith, etc.) et une scène d’avant-garde en ce qui concerne les décors et la mise en scène du répertoire. Une position comparable, dans le domaine de l’interprétation scénique, a été occupée après la dernière guerre par la Komische Oper, qui, ouverte en 1947, a appuyé sa célébrité sur les mises en scène de son intendant Walter Felsenstein. Dans le domaine de l’enseignement de la musique, les institutions les plus importantes sont l’université, où ont professé Philipp Spitta et Arnold Schering, la Hochschule für Musik, fondée en 1869, le conservatoire municipal (autrefois Stern’sches Konservatorium), le conservatoire Klindworth-Scharwenka, l’Institut für Musikforschung et la Berliner Kirchenmusikschule. BERLIOZ (Hector), compositeur français (La Côte-Saint-André, Isère, 1803-Paris 1869). C’est à La Côte-Saint-André, où son père était médecin, qu’Hector Berlioz reçut sa première éducation musicale. Il apprit à jouer du flageolet, de la flûte et de la guitare. À seize ans, muni de quelques rudiments théoriques puisés dans les traités d’harmonie de Rameau et de Catel, ainsi que dans les Éléments de musique de d’Alembert, il écrivit un quintette pour flûte et quatuor. Bachelier, en 1821, il partit pour Paris afin d’y suivre les études de médecine, selon le voeu de son père. Mais il y fréquenta plus volontiers l’Opéra que l’amphithéâtre de la Pitié et il voua à Gluck une admiration passionnée. Dès 1823, il travailla la composition avec Lesueur et, à l’automne de la même année, entreprit d’écrire une Messe solennelle, qui devait être exécutée, à ses frais, à l’église Saint-Roch, en 1825. Si cette messe fut très remarquée, elle laissa son auteur endetté. Et Berlioz vécut pauvrement. VOCATION : MUSICIEN. À cette époque, le jeune homme découvrit Weber ; ce fut une nouvelle flambée d’enthousiasme. Éliminé au concours de Rome (1826), il vit ses parents s’opposer à sa vocation artistique. Sa mère le maudit, mais son père finit par céder. Berlioz s’inscrivit alors au Conservatoire, où il étudia la composition avec Lesueur, le contrepoint et la fugue avec Reicha. En 1827, il se présenta à nouveau, sans succès, au concours de Rome. Peu après, il fut subjugué par Shakespeare, dont on joua Hamlet et Roméo et Juliette à l’Odéon ; en même temps, il tomba amoureux, et amoureux fou, de l’actrice irlandaise qui interprétait les rôles d’Ophélie et de Juliette, Harriet Smithson. Bientôt, il reçut un nouveau choc avec le Faust de Goethe. Son destin musical était déjà tracé. Une troisième fois, en 1828, Berlioz se présenta au concours de Rome et obtint le second grand prix avec Herminie. Il composa Huit Scènes de Faust. Après un nouvel échec au concours de Rome, pour lequel il écrivit la Mort de Cléopâtre (1829), l’année 1830 fut marquée par la Symphonie fantastique et par le premier grand prix de Rome avec la cantate la Dernière Nuit de Sardanapale. Le 5 décembre, dans la salle du Conservatoire, eut lieu la première audition de la symphonie. Liszt fut enthousiaste. UNE PÉRIODE AGITÉE. Berlioz se croyait alors guéri de sa passion pour Harriet Smithson et se fiança avec une jeune pianiste, Camille Moke. En mars 1831, il arriva à Rome, à la Villa Médicis. Il ne s’y plut guère et, ayant appris que Camille Moke avait rompu ses fiançailles, possédé par un désir de vengeance, il voulut regagner Paris. Mais il s’arrêta à Nice, où il écrivit les ouvertures du Roi Lear et de Rob Roy. De retour à Rome, en juin, il composa Lélio ou le Retour à la vie, présenté comme une suite à la Symphonie fantastique. En novembre 1832, Berlioz, redevenu parisien, fit exécuter, sous la direction d’Habeneck, la Symphonie fantastique et Lélio ; ces oeuvres remportèrent un grand succès. Harriet Smithson assistait au concert et, s’enflammant de nouveau, le compositeur lui déclara sa passion ; il devait l’épouser en octobre 1833. À la demande de Paganini, le musicien composa une oeuvre pour alto et orchestre, Harold en Italie, dont la première audition, avec Chrétien Urhan en soliste, fut donnée l’année suivante. Critique musical au Journal des débats à partir de 1835, il obtint, en 1837, la commande d’un Requiem, qui devait être joué aux Invalides, le 5 décembre. Cette partition fut très bien accueillie. Mais il n’en fut pas de même pour son opéra Benvenuto Cellini, qui, en 1838, ne fut représenté que quatre fois. Toutefois, en décembre de cette même année, un concert au cours duquel Berlioz dirigea Harold en Italie et la Symphonie fantastique apporta au compositeur une revanche : Paganini proclama son génie et lui fit don d’une somme de vingt mille francs qui lui permit d’éponger ses dettes et d’entreprendre en janvier 1839 la symphonie dramatique Roméo et Juliette, créée avec succès en novembre. Wagner assista à cette première et ne cacha pas son enthousiasme. L’année suivante, pour le dixième anniversaire des Trois Glorieuses, le compositeur dirigea sa Symphonie funèbre et triomphale. Au cours de cette période, la vie conjugale de Berlioz devenait insupportable ; le ménage se désagrégeait de jour en jour. Et, en 1841, le musicien s’éprit d’une cantatrice, Marie Recio. DES TRIOMPHES À L’ÉTRANGER. Commença alors l’ère des tournées de concerts à l’étranger, d’abord en Belgique, puis en Allemagne, où Marie Recio l’accompagna. Revenu à Paris, en 1843, Berlioz se sépara d’Harriet. En 1846, des concerts triomphaux à Prague et à Budapest le dédommagèrent des déceptions que lui avaient apportées les « festivals » qu’il avait organisés à grands frais à Paris. Il acheva la Damnation de Faust, qui fut créée sous sa direction en décembre, à l’Opéra-Comique ; ce fut un demi-échec. Criblé de dettes, le compositeur partit, en 1847, pour diriger des concerts en Russie ; il y remporta un très grand succès, à Saint-Pétersbourg comme à Moscou. En 1849, il écrivit son Te Deum. Liszt fit représenter Benvenuto Cellini à Weimar, en 1852, et, cette fois-ci, l’ouvrage remanié et abrégé fut fort bien accueilli. Mais la vie familiale de Berlioz demeurait difficile. En 1854, Harriet Smithson, malade depuis plusieurs années, paralysée, mourut. Le musicien épousa Marie Recio. La première exécution de l’Enfance du Christ, en 1854, fut un triomphe. Le Te Deum fut joué à Saint-Eustache en 1855. Élu à l’Institut l’année suivante, Berlioz se tourna de nouveau vers l’opéra : en 1859, il acheva les Troyens et, en 1862, Béatrice et Bénédict, dont la première eut lieu à Baden-Baden, tandis que les trois derniers actes des Troyens ne furent représentés qu’en 1863, à Paris, au Théâtre lyrique, sous le titre les Troyens à Carthage. 1862 fut aussi l’année de la mort de Marie Recio, qui laissa le compositeur en proie au découragement et à la solitude. En 1864, il démissionna du Journal des downloadModeText.vue.download 98 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 92 débats. Trois ans plus tard, son fils Louis (né en 1834) mourut de la fièvre jaune à La Havane. Berlioz était lui-même malade. Pourtant, il effectua un nouveau voyage en Russie. La fin de l’année 1868 fut particulièrement sombre : en décembre, la maladie le cloua au lit. Il mourut le 8 mars 1869 et fut enterré au cimetière de Montmartre. LE SENS DE L’UNIVERSEL. Hector Berlioz est une des grandes figures de la musique romantique européenne. Il fut mieux compris en Allemagne, en Bohême, en Hongrie et en Russie que dans son propre pays. Ses meilleurs défenseurs furent Paganini, Liszt et Schumann. Il est vrai que ses sources littéraires d’inspiration, puisées dans Shakespeare et Goethe, lui ont donné le sens de l’universel, dépassant le cadre étroit des frontières nationales. Mais, parmi ces sources, il y a aussi Virgile, et l’on ne peut nier, à côté du « fantastique » et des débordements de la passion, la clarté méditerranéenne d’Harold en Italie, de l’Enfance du Christ et des Troyens. Berlioz est un passionné lucide. Il conçoit dans l’enthousiasme, puis exécute froidement. Ce romantique est exactement le contraire d’un improvisateur. Il faut que sa vision poétique soit rendue avec évidence, il faut que la projection dans la musique de son « moi » omniprésent soit parfaitement perceptible. Même le rêve, même le délire cèdent chez lui au besoin d’énoncer clairement et d’enchaîner logiquement. Dès la Symphonie fantastique (1830), il rejette le schéma traditionnel de la symphonie, pour lui substituer une progression dramatique en cinq épisodes (Rêveries et Passions ; Un bal ; Scène aux champs ; Marche au supplice ; Songe d’une nuit de sabbat), qui évolue de la tendresse la plus pure au délire et au sarcasme, unifiée par la présence d’un thème obsessionnel, l’« idée fixe ». Avec le concours d’un alto solo « combiné avec l’orchestre de manière à ne rien enlever de son action à la masse orchestrale », Harold en Italie (1834) met de nouveau en vedette un personnage mélodique (analogue à l’« idée fixe »), qui se mêle à des paysages et à des scènes tout en poursuivant sa méditation solitaire. Roméo et Juliette (1839) se libère totalement des contraintes de la structure symphonique, au bénéfice d’une approche poétique, mais toujours logique, qui cerne l’action dramatique de diverses manières, tantôt la survolant, tantôt la commentant, tantôt s’y incorporant pour la vivre intensément. La Symphonie fantastique a pour soustitre « Épisode de la vie d’une artiste ». Roméo et Juliette est une « symphonie dramatique ». La Damnation de Faust (1846) est une « légende dramatique » sans être pour autant destinée à la scène ; ici, la symphonie évolue vers l’opéra. Tout est drame chez Berlioz. Les thèmes sont des personnages ; l’orchestre est un décor, un lieu scénique. La Grande Messe des morts ou Requiem (1837) n’échappe pas à cette loi, et même la confirme avec éclat. LA MODERNITÉ DE BERLIOZ. Berlioz est essentiellement un musicien de rupture. Il y a dans son oeuvre des moments où sa fougue créatrice anticipe étrangement sur les audaces de la musique du XXe siècle. Berlioz annexe des territoires encore vierges, ne s’embarrasse pas de contraintes, ne redoute pas la démesure. Peu lui importent les moyens, seul compte ce qu’il a à dire, et cette volonté d’aller jusqu’au bout de ce qu’il doit exprimer entraîne la découverte de moyens nouveaux qui élargissent le domaine du compositeur. Une orchestration « moderne », où le timbre, la couleur, la dynamique jouent un rôle prépondérant dans l’expression musicale, le sens du modal qui enrichit l’harmonie et affine la mélodie, une conception toute personnelle du contrepoint qui lui permet de superposer des éléments très différenciés, créant une sorte de simultanéité qui lui appartient en propre, le recours à la stéréophonie, telles sont quelques-unes des conquêtes de Berlioz, mais elles n’ont force d’évidence que parce qu’elles sont apparues dans des chefs-d’oeuvre (Symphonie fantastique, Requiem, Harold en Italie, Roméo et Juliette, la Damnation de Faust, les Troyens). On n’oubliera pas enfin que Berlioz fut un remarquable écrivain et un excellent critique musical. Ses passionnants Mémoires et ses livres sur la musique en témoignent. BERMAN (Lazar), pianiste russe (Leningrad 1930). Élève d’abord de sa mère, enfant prodige (il se produit pour la première fois en public à l’âge de sept ans), il n’entre qu’en 1948 au Conservatoire de Moscou, où il étudie avec Goldenweiser, Richter et Sofronitzki. Lauréat de plusieurs concours internationaux, dont en 1956 le Concours Reine Élisabeth de Belgique, il devient en U.R.S.S. l’un des pianistes les plus réputés de sa génération, pour sa virtuosité exceptionnelle et la clarté de son jeu. Pendant vingt ans, sa carrière se déroule presque uniquement en U.R.S.S. En 1976, son enregistrement du 1er concerto de Tchaïkovski sous la direction de Karajan le fait connaître hors de son pays et dans toute l’Europe. De même que Richter, Sofronitzki ou Guilels, il est l’un des très grands représentants de l’école russe de piano. Depuis la fin des années 1970, il se produit dans le monde entier. BERNAC (Pierre BERTIN, dit Pierre), bary- ton français (Paris 1899 - Villeneuve-lèsAvignon 1979). À partir de 1933, il se consacra exclusivement à la mélodie et, accompagné au piano par Francis Poulenc dont beaucoup d’oeuvres furent créées par lui, il constitua avec le compositeur un duo exceptionnel qui contribua beaucoup à la diffusion de la mélodie française dans le monde entier. L’art d’interprète de Bernac fit de lui l’un des grands noms dans le difficile domaine de la « parole en musique ». Il fut professeur à l’université Howard de Michigan et au conservatoire américain de Fontainebleau, avant de poursuivre son activité de pédagogue à Londres et à Saint-Jean-deLuz, notamment. BERNAOLA (Carmelo Alonso), compositeur espagnol (Ochandiano, Vizcaya, 1929). Il a fait ses études au conservatoire de Madrid et obtenu le prix national de la musique en 1962 et celui des Jeunesses musicales en 1967. Il a également travaillé à Rome avec Goffredo Petrassi et, à Darmstadt, avec Bruno Maderna. Parti d’une phase néoclassique, illustrée notamment par le Piccolo Concerto pour violon et orchestre à cordes (1959), il a évolué ensuite vers l’atonalité, sous le signe à la fois du sérialisme et de l’improvisation : en témoignent Superficie no 1 pour double quatuor d’instruments à cordes et d’instruments à vent (bois), piano et percussion (1961), Superficie no 2 pour violoncelle solo (1962, rév. 1965), Superficie no 3 pour flûte piccolo, saxophone alto, xylophone et bongos (1963), et Espacios variados pour grand orchestre (1962, rév. 1969). Heterofonias pour grand orchestre (1965, rév. 1967) est d’une conception plus abstraite, et influencée par les arts plastiques, alors que dans Impulsos pour grand orchestre (1970-1972) on retrouve certaines polarisations harmoniques ou formelles traditionnelles. Clarinettiste, Bernaola a écrit pour son instrument Oda für Marisa pour clarinette, cor et orchestre de chambre (1970), Argia Ezta Ikusten pour clarinette, vibraphone, piano et percussion (1973), et Superposiciones variables pour clarinette et 2 magnétophones (1975). On lui doit encore de nombreuses musiques de scène - pour les Femmes savantes, Lysistrata, Hedda Glaber, le Roi Lear - et de nombreuses musiques de film, et il a reçu à ce titre, de l’Association des composi- teurs de cinéma, le prix de la meilleure musique en 1967, 1969 et 1972. BERNARD (Robert), compositeur et musicologue suisse (Genève 1900 - Paris 1971). Après des études musicales à Genève, il se fixa à Paris en 1926. Pianiste, organiste, conférencier, professeur à la Schola candownloadModeText.vue.download 99 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 93 torum, directeur de la Revue musicale, président ou animateur de nombreuses associations, Robert Bernard se dévoua totalement à la cause de la musique. Il est l’auteur d’une oeuvre de style néoromantique, pour orchestre, pour des formations de chambre et pour la voix. On lui doit d’autre part de nombreux ouvrages de musicologie, notamment une Histoire de la musique (3 vol., Paris, 1961-1963). BERNARD (saint), théologien français appartenant à l’ordre de Cîteaux (château de Fontaine, près de Dijon, v. 1090 Clairvaux, Aube, 1153). Il n’était pas musicien au sens propre du mot, mais, par son esthétique de dépouillement et d’austérité, il provoqua dans la liturgie de l’ordre cistercien une série de restrictions : mélismes amputés, mélodies appauvries, ambitus réduit à dix notes au plus pour respecter la parole du psalmiste qui évoque son « psaltérion à dix cordes ». Saint Bernard est également cité comme l’auteur du Salve Regina, mais l’expression doit s’entendre au sens littéraire et non musical. BERNARD DE VENTADOUR, troubadour occitan (château de Ventadour, Corrèze, v. 1125 - abbaye de Dalon, Dordogne, v. 1195). C’est un des rares troubadours d’origine roturière. Il eut pour maître et protecteur Eble II, seigneur de Ventadour, qui lui enseigna l’art de « trouver ». Il tomba amoureux de Marguerite de Turenne, puis d’Aliénor d’Aquitaine, qui lui accorda sa protection. Il voyagea beaucoup en France et suivit sa maîtresse en Angleterre, où il séjourna à la cour d’Henri II. Il entra au service de Raimond IV, comte de Toulouse, avant de devenir moine à l’abbaye de Dalon. De ce très grand poète, il nous reste 45 textes, dont une vingtaine de chansons notées, presque toutes des chansons d’amour dans lesquelles la musique vient renforcer l’extrême beauté de chaque image. Bernard de Ventadour disait lui-même que « le chant qui ne vient pas du fond du coeur n’a pas de valeur ». La plus célèbre de ses chansons est sans doute Can vei la lauzeta mover. BERNARDI (Steffano), compositeur italien (Vérone 1576 ? - ? 1636). Il fut maître de chapelle à la cathédrale de Vérone avant d’entrer au service de l’évêque de Breslau. Il obtint ensuite le poste de maître de chapelle à Salzbourg, qu’il garda jusqu’à sa mort. Auteur de messes et d’oeuvres religieuses diverses, de madrigaux, de sonates, etc., il doit surtout sa réputation à un Te Deum à 48 voix réparties en 12 choeurs, qui fut exécuté pour la consécration de la cathédrale de Salzbourg en 1628. BERNERS (sir Gerald Hugh Tyrwitt-Wilson, lord), compositeur anglais (Arley Park, Shropshire, 1883 - Londres 1950). Membre du corps diplomatique de 1909 à 1920, il étudia la musique à Dresde et à Vienne, reçut les conseils de Stravinski, de Casella et de Vaughan Williams, et se lia d’amitié dans les années 1920 avec George Bernard Shaw, H. G. Wells et Osbert Sitwell. Son comportement social bizarre et son goût de la plaisanterie firent de lui une sorte de Satie britannique. Ses oeuvres les plus célèbres sont l’opéra le Carrosse du Saint-Sacrement, d’après Mérimée (Paris 1924) et le ballet The Triumph of Neptune (1926). BERNGER VON HORHEIM, minnesänger allemand, originaire de Souabe (fin du XIIe s.). On retrouve sa trace en Italie. On connaît de lui six chansons, où se manifeste une forte influence française. L’une d’entre elles a été identifiée par Friedrich Gennrich comme une nouvelle version d’une chanson de Chrétien de Troyes, D’amours qui a tolu a moi, ce qui attire l’attention sur l’important apport de Chrétien de Troyes au minnesänger. BERNHARD (Christoph), compositeur et théoricien allemand (Dantzig 1627 Dresde 1692). Il étudia à Dantzig avec Paul Siefert, puis à Dresde avec Heinrich Schütz. En 1649 et 1651, il voyagea en Italie où il rencontra Carissimi. Vice-maître de chapelle à Dresde (1655-1664), il devint maître de chapelle à Hambourg (1664), puis à Dresde (1681-1688). Sa musique vocale religieuse (concerts spirituels, Missa « Christ unser Herr zum Jordan kam ») se situe à mi-chemin de Schütz et de Johann Sebastian Bach. Bernhard est également l’auteur d’ouvrages théoriques. BERNIER (Nicolas), compositeur français (Mantes-la-Jolie 1664 - Paris 1734). Après avoir été enfant de choeur à la collégiale de Mantes, il aurait travaillé à Rome avec Caldara. En 1692, il enseigna le clavecin à Paris, puis fut, entre 1694 et 1698, maître de chapelle à la cathédrale de Chartres. De retour à Paris, il se fit connaître par un Te Deum, aujourd’hui perdu, qui fut joué dans plusieurs églises et à la Cour à Fontainebleau. En 1703, il publia son premier livre de motets et succéda, l’année suivante, à Marc-Antoine Charpentier à la Sainte-Chapelle. Il épousa, en 1712, l’une des filles de Marin Marais, collabora aux fêtes données à Sceaux par la duchesse du Maine et obtint, en 1723, l’un des quatre postes de sousmaître de chapelle à Versailles, vacants depuis la démission de Delalande. Outre une oeuvre religieuse comprenant des leçons de ténèbres et des motets, Nicolas Bernier a laissé de nombreuses pièces profanes ; airs sérieux et à boire et, surtout, 8 livres de cantates, genre qu’il fut l’un des premiers à illustrer, par exemple avec sa cantate le Café. Ses compositions, essentiellement vocales, allient avec bonheur les goûts français et italien. BERNIER (René), compositeur belge (Saint-Gilles-lès-Bruxelles 1905 Bruxelles 1984). Il a fait des études au conservatoire de Bruxelles et avec Paul Gilson. Critique, professeur aux conservatoires de Liège et de Mons et à l’Académie de musique de Bruxelles, puis, après la guerre, inspecteur de l’Éducation musicale pour la Belgique francophone, il s’inscrit dans la lignée des impressionnistes respectueux des formes classiques, partisans du langage modal et délicats harmonistes. En dehors d’un poème symphonique, d’un concerto pour saxophone et de deux ballets, il a surtout écrit pour la voix et pour des formations de chambre. BERNSTEIN (Leonard), compositeur, pianiste et chef d’orchestre américain (Lawrence, Massachusetts, 1918 - New York 1990). Il a étudié à l’université Harvard avec Walter Piston, Tillman Merritt et Edward Burlingame Hill jusqu’en 1939, puis au Curtis Institute de Philadelphie avec Fritz Reiner et Randall Thomson jusqu’en 1941. Élève de Koussevitski à Tanglewood, à partir de 1940, il y est devenu son assistant (1942), avant d’être celui d’Arthur Rodzinski à New York (1943). C’est là qu’ayant eu l’occasion de remplacer Bruno Walter au pied levé, il a commencé sa carrière de chef d’orchestre. Il a fait des tournées en Europe et a été le premier Américain d’origine à diriger l’orchestre de la Scala de Milan (Médée de Cherubini avec Maria Callas, 1953). Aux États-Unis, il a animé, à partir de 1954, des émissions de télévision. Après l’énorme succès de sa comédie musicale West Side Story (1957), succès prolongé par un film, il est nommé directeur musical de l’Orchestre philharmonique de New York (1958). Il a abandonné ce poste (1968) pour se consacrer à la composition, à ses émissions de télévision, à ses cours à l’université Harvard et à diverses charges officielles, mais a poursuivi jusqu’à sa mort sa carrière de chef sur le plan international. Pianiste de talent, chef d’orchestre fougueux, animateur et organisateur, compositeur populaire, Bernstein fut l’un des personnages les plus en vue de la musique américaine et même mondiale. Dans son oeuvre, qui vise souvent au spectaculaire et hésite devant les véritables audaces, se sont succédé, ou parfois mélangées pêledownloadModeText.vue.download 100 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 94 mêle, les influences de Stravinski, de Copland, de Hindemith, de Mahler, du jazz, du folklore, de l’opéra italien, de la pop music. Dans un langage universel et accessible, il parvient à traiter certains grands thèmes, celui de la foi perdue et reconquise, celui de la condition humaine. Il a rêvé de nouvelles formes de théâtre musical, mais ses tentatives, quoique convaincantes, demeurent un peu artificielles. Bernstein a composé notamment 3 symphonies (Jeremiah 1942, The Age of Anxiety 1948-49, Kaddish 1957) ; des ballets (Fancy Free 1944, Facsimile 1946) ; des musiques de scène et des musiques de film, dont celle pour On the Waterfront (Sur les quais, 1954) ; des oeuvres pour piano et des mélodies ; pour le théâtre, les comédies musicales On the Town (1944), Wonderful Town (1953), West Side Story (1957), l’opéra Trouble in Tahiti (1952), l’opérette Candide (1956), Chichester Psalms (1965) ; Mass, oratorio scénique pour chanteurs, danseurs, comédiens (1971) ; Songfest (1977) ; Slava, ouverture politique (1977) ; Meditation from Mass pour violoncelle et orchestre (1977) ; Divertimento pour orchestre (1980) ; A Musical Toast, à la mémoire d’André Kostelanetz (1980) ; Halil pour flûte, cordes et percussion (1981) ; l’opéra A Quiet Place (1982), créé à Houston en 1983 (version révisée comprenant Trouble in Tahiti, Milan 1984). BÉROFF (Michel), pianiste français (Épinal 1950). Prix d’excellence au conservatoire de Nancy en 1963, il est entré la même année au Conservatoire de Paris, dans la classe de Pierre Sancan. En 1966, il a obtenu un premier prix et a donné son premier concert avec orchestre. En 1967, il a donné son premier récital à Paris et remporté à Royan le premier prix du concours Olivier Messiaen. Il a alors commencé une carrière internationale. Son répertoire va de Bach à la musique contemporaine, mais ses interprétations de Debussy, Prokofiev et Messiaen sont particulièrement renommées. BERRY (Walter), baryton-basse autrichien (Vienne 1929). Il fait ses études à l’Académie de Vienne et débute à l’Opéra de Vienne en 1950. Il rencontre son premier succès dans le rôle du Comte des Noces de Figaro, ce qui lui vaut plusieurs engagements à Salzbourg dès 1952. Il épouse la mezzo-soprano Christa Ludwig, qui est aussi sa partenaire sur scène, principalement de 1957 à 1971. Sous la direction de Klemperer, Karajan ou Böhm, il fait partie des distributions qui ont suscité un certain âge d’or de l’art lyrique autrichien d’aprèsguerre. Doué d’une présence chaleureuse, il excelle aussi bien dans des rôles mozartiens comme Papageno, qu’en incarnant Wozzeck ou les personnages de Wagner, Richard Strauss et Bartok. Il crée plusieurs oeuvres contemporaines, notamment de Liebermann, Von Einem et Egk. Depuis 1990, il enseigne le lied et l’oratorio à la Hochschule für Musik de Vienne. BERTHEAUME (Julien ou Isidore), violoniste et compositeur français (Paris v. 1751 - Saint-Pétersbourg 1802). Il étudia avec Giardini et fit ses débuts à Paris au Concert spirituel, en 1761, avec une sonate de son maître. Il se produisit ensuite régulièrement au Concert spirituel, dont il fut directeur de l’orchestre à partir de 1783, y faisant entendre notamment les concertos de Gaviniès. En 1767, il entra à l’orchestre de l’Académie royale de musique. Grâce à un privilège obtenu en 1769, il commença à publier ses oeuvres. Parmi celles-ci, destinées essentiellement à son instrument (sonates, concertos, symphonies concertantes...), citons tout particulièrement sa Sonate dans le style de Lully pour violon, qui utilise la scordatura de la 4e corde, permettant ainsi des contrastes entre les registres. BERTON (les), famille de musiciens français. Pierre-Montan, compositeur et chef d’orchestre (Maubert-Fontaine, Ardenne, 1727 - Paris 1780). Après des études musicales à Senlis, il se rendit à Paris, où il fut engagé comme chanteur à Notre-Dame et à l’Opéra. À partir de 1755, il connut dans ce théâtre, au Concert spirituel et à la Cour, une carrière brillante de chef d’orchestre, qui lui donna l’occasion d’arranger des oeuvres lyriques, lors de leurs reprises. Il composa également pour la scène : Deucalion et Pyrrha (1755), Érosine (1766) et, en collaboration avec Trial, Grenier et La Borde, Sylvie (1765), Théonis et le Toucher (1767) et Adèle de Ponthieu (1772). Sa réputation était telle, qu’il participa, dès 1765 et jusqu’en 1778, à la direction de l’Opéra. Henri-Montan, compositeur, fils du précédent (Paris 1767 - id. 1844). Formé par son père et par Sacchini, il débuta comme violoniste dans l’orchestre de l’Opéra et assista, en 1786, à l’exécution de son premier oratorio au Concert spirituel. L’année suivante, ses opéras-comiques les Promesses de mariage et l’Amant à l’épreuve furent représentés. Attiré par la scène lyrique, il composa une cinquantaine d’ouvrages, dont certains s’inscrivirent dans la tradition de l’opéra-comique, tandis que d’autres annonçaient l’opéra historique de Meyerbeer. Ses drames, les Rigueurs du cloître (1790), Montano et Stéphanie (1799) et le Délire (1799), d’une écriture sensible et originale, ouvrent la voie au romantisme, et leur succès valut au compositeur le poste de chef d’orchestre à l’Opéra-Comique entre 1807 et 1815. BERTONI (Ferdinando), compositeur italien (Salo, lac de Garde, 1725 - Desenzano, lac de Garde, 1813). Élève du padre Martini, auteur d’un Orfeo sur le livret déjà mis en musique par Gluck (1776), il visita Londres à deux reprises (1778-1780 et 1781-1783) et s’y spécialisa dans la confection de pastiches pour le King’s Theatre. En 1785, il succéda à Galuppi au poste de maître de chapelle de Saint-Marc de Venise. BERTRAND (Antoine de), compositeur français (Fontanges, Auvergne, v. 1530 Toulouse 1581). À Toulouse, il se lia d’amitié avec le dramaturge Robert Garnier et appartint au cercle humaniste gravitant autour du cardinal Georges d’Armagnac, un milieu constitué de magistrats et de nobles. Vers 1570, il reçut la protection de Charles de Bourbon, mais, malgré la défense de cette puissante famille, son catholicisme militant lui valut d’être assassiné par les huguenots en 1581. Son oeuvre maîtresse reste les Amours de Ronsard (Premier Livre, 1576 ; Second Livre, 1578 ; Tiers Livre, qui ne comporte que trois pièces de Ronsard, 1578). Avec celle de Claude Le Jeune (Chansons de Ronsard), la réussite d’Antoine de Bertrand illumine la tentative d’union de la poésie et de la musique, inaugurée par le supplément musical à l’édition des Amours de Ronsard en 1552. Remarquable polyphoniste, Bertrand se réfère parfois à Lassus ou même à Josquin Des Prés par des voix groupées en duos, par des imitations (Ce ris plus doux ; le Coeur loyal) ; il tente les audaces harmoniques les plus grandes : quarts de ton (Je suis tellement amoureux), chromatismes chers aux madrigalistes italiens, mais adaptés pour ne pas choquer l’oreille française, modulations surprenantes (Ces deux yeux bruns ; Nature ornant la dame) ; comme Le Jeune, il hésite souvent entre le climat modal et tonal. Mais toute son inspiration est mise au service des vers de Ronsard. Il a pris la peine de préciser en préface que la musique ne doit pas « être enclose dans la subtilité des démonstrations mathémathiques », mais au contraire « recevoir le jugement du vulgaire » et « contenter l’oreille ». BERTRAN DE BORN, troubadour périgourdin (château de Hautefort, Dordogne, v. 1140 - abbaye de Dalon, Dordogne, v. 1215). Seigneur de Hautefort, qualifié de « semeur de discorde » par Dante dans son Enfer, Bertran de Born se mêla souvent aux affaires politiques. Il fut l’ami, puis l’ennemi, de Richard Coeur de Lion. Son downloadModeText.vue.download 101 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 95 oeuvre comprend une quarantaine de pièces, surtout des sirventès (d’inspiration politique et satirique), mais aussi des planh (plaintes) et des chansons d’amour. Une seule de ces pièces est notée ; il s’agit de Rassa, tan creis e mont’ e poja (Paris, B. N.). Bertran de Born connut vraisemblablement le troubadour Bernard de Ventadour à l’abbaye cistercienne de Dalon. Son fils, Bertran, mourut à la bataille de Bouvines (1214) ; on a conservé de lui deux sirventès. BERWALD (Franz Adolf), compositeur suédois (Stockholm 1796 - id. 1868). Il apprit le violon avec son père, d’origine allemande, qui était violoniste de l’orchestre de la cour. Mais son éducation musicale fut par ailleurs assez négligée et il ne reçut aucune instruction pour la composition et l’harmonie. Il commença cependant très tôt à donner des concerts et à composer et, en 1812, il devint violoniste de la chapelle royale. Il conserva cette fonction jusqu’à son départ pour Berlin (1829). Dans cette ville, il se lia d’amitié avec Mendelssohn et Zelter. En 1841, il se rendit à Vienne, où plusieurs de ses compositions furent données avec succès. Il y composa un opéra, Estrella de Soria, créé plus tard à Stockholm en 1862. Après d’autres voyages au cours desquels il visita Paris, Salzbourg, Vienne, Berwald rentra définitivement en Suède (1849). Quelques années plus tard, il devint membre de l’Académie royale de musique (1864) et professeur de composition au conservatoire de Stockholm (1867). L’oeuvre de Berwald, quoique peu abondante et peu estimée en Suède de son vivant, est d’une originalité certaine. Né un an avant Schubert, mort un an avant Berlioz, le compositeur rappelle tantôt ce dernier, tantôt Schumann, avec une écriture d’un grand pouvoir évocateur, mais aussi avec une concision, voire un côté abrupt qui lui sont très particuliers. Il s’y mêle enfin un certain classicisme et des traits sinon nationaux, du moins scandinaves. Berwald a écrit une symphonie de jeunesse détruite et quatre de maturité (dont une Symphonie sérieuse, une Symphonie capricieuse et une Symphonie singulière, etc.), 5 poèmes symphoniques (Jeu d’elfes, Souvenir des Alpes norvégiennes, etc.) tous composés en 1841 et 1842, avant ceux de Liszt, des ouvertures, de la musique de chambre (trios avec piano, quatuors à cordes, quintettes), quelques concertos (piano, violon) et deux opéras : Estrella de Soria (1841) et la Reine de Golconde, représenté seulement en 1968 pour le centenaire de sa mort. BÉSARD (Jean-Baptiste), luthiste et compositeur français (Besançon v. 1567 Augsbourg v. 1625). Il est surtout connu pour avoir publié une des premières grandes anthologies de musique pour luth, le Thesaurus harrnonicus (1603), qui comprend plus de quatre cents pièces, empruntées aussi bien aux musiciens les plus célèbres du temps qu’à certains qui ne figurent dans aucun autre recueil et seraient restés inconnus sans celui-ci. Docteur en droit, très érudit, grand voyageur, Bésard contribua dans une large mesure, par son inlassable curiosité et sa vaste culture, au développement du luth en France. On lui doit d’autre part, outre plusieurs compositions pour luth seul ou concertant, un important ouvrage pédagogique, Isagoge in artem testudinariam (Augsbourg, 1617). BESSEL (Vassili Vassiliévitch), éditeur russe (Saint-Pétersbourg 1843 - Zurich 1907). En 1869, il créa à Saint-Pétersbourg sa maison d’édition et fut aussi le rédacteur des revues Mouzykalny listok (« le Feuillet musical ») et Mouzykalnoié obozrenié (« l’Observation musicale »). Il publia et contribua à faire connaître les oeuvres de Dargomyjski, de Tchaïkovski et, surtout, des compositeurs du groupe des Cinq. C’est lui qui publia, en 1874, la partition pour piano et chant de Boris Godounov. BESSELER (Heinrich), musicologue allemand (Dortmund-Hörde 1900 - Leipzig 1969). Il fit des études de musicologie à Fribourg avec Willibald Gurlitt, puis à Vienne avec Guido Adler, Wilhelm Fischer et Hans Gal, et à Göttingen avec Friedrich Ludwig. Il fut nommé professeur successivement à Heidelberg (1928), Iéna (1949) et à l’université de Leipzig (1956). Il est l’auteur de très nombreux livres et articles d’une extrême importance sur la musique du Moyen Âge et sur Johann Sebastian Bach. Il a, d’autre part, édité une grande quantité d’oeuvres musicales, et a contribué à la publication des oeuvres complètes de Guillaume Dufay. BEUCHET-DEBIERRE. Maison spécialisée dans la facture d’orgues depuis 1862 et établie à Nantes. Son activité s’est étendue à l’ouest de la France et à la région parisienne, avec les orgues de Saint-Louis-des-Invalides (Paris) et de la cathédrale d’Angoulême. BEYDTS (Louis), compositeur français (Bordeaux 1895 - Caudéran, Gironde, 1953). Il étudia la composition et la direction d’orchestre à Bordeaux. Venu à Paris en 1924, il travailla avec Messager et se fit connaître par ses mélodies. Il s’imposa en 1931 avec l’opérette Moineau. Dans celle-ci, dans ses quatre autres opérettes ou comédies musicales, ses musiques de scène et de film (la Kermesse héroïque) et ses nombreuses mélodies, il a maintenu la tradition de Messager et de Reynaldo Hahn, celle d’une musique claire et mélodique, soutenue par une subtile orchestration. BIALAS (Günther), compositeur et pédagogue allemand (Bielschowitz, HauteSilésie, 1907 - Glonn, près de Munich, 1995). Il a étudié la musicologie à Breslau et la composition à Berlin. Bialas a enseigné à Breslau, Weimar et Detmold, puis a été nommé professeur à l’Académie de musique de Munich, en 1959. Son écriture s’est caractérisée par une conception élargie de la tonalité, puis par l’utilisation des modes et de la technique sérielle. Son oeuvre comprend de la musique d’orchestre, de la musique de chambre (quatuors à cordes, sonates, Partita pour 10 instruments à vent), des oeuvres pour piano, 7 Méditations pour orgue, des oeuvres vocales (choeurs, cantates, lieder), ainsi que de la musique théâtrale : Jorinde und Joringel, conte musical (1963) ; Hero und Leander, opéra (1966) ; Der Weg nach Eisenstadt (1980) ; Musik für Klavier und Orchester (1990). BIBA (Otto), musicologue autrichien (Vienne 1946). Il dirige depuis 1979 (après y avoir travaillé à partir de 1973) les archives, la bibliothèque et les collections de la Gesellschaft der Musikfreunde (« Société des amis de la musique ») à Vienne, et enseigne à l’École supérieure de musique et des arts figuratifs de cette ville. Il a réalisé de nombreuses expositions en Autriche et à l’étranger. Ses publications concernent surtout la musique autrichienne du XVIIe au XXe siècle : Die Wiener Kirchenmusik um 1783 (1971), Concert Life in Beethoven’s Vienna (1977), Beethoven und die « Liebhaber Concerte » in Wien im Winter 18071808 (1978), ou encore « Eben komme ich von Haydn... » Georg August Griesingers Korrespondenz mit Joseph Haydns Verleger Breitkopf Härtel 1799-1819 (1987). BIBALO (Antonio), compositeur nor- végien d’origine italienne et slovaque (Trieste, Italie, 1922). Il a fait, au conservatoire de Trieste, des études de piano et de composition. Antimilitariste, il a été emprisonné pendant la guerre, puis a mené une existence errante et a exercé divers métiers. Mais il a repris l’étude de la composition, en particulier en Angleterre avec Elisabeth Lutyens, et a remporté des prix de composition à Varsovie, à Bloomington (États-Unis) downloadModeText.vue.download 102 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 96 et à Rome. Son opéra le Sourire au pied de l’échelle, d’après Henry Miller (créé à Hambourg en 1965), lui a valu une certaine renommée. BIBER ou VON BIBERN (Heinrich Ignaz Franz), violoniste et compositeur autrichien (Wartenberg, Bohême, 1644 - Salzbourg 1704). Il est possible que Biber ait étudié avec le célèbre violoniste viennois Johann Schmelzer avant de devenir musicien à la cour d’Olmütz et de Kremsier. Puis il entra au service du prince-archevêque de Salzbourg et, à partir de 1677, dirigea le choeur d’enfants de la cathédrale de cette ville. Il fut nommé vice-maître de chapelle en 1679. Événement rare pour un musicien à l’époque, l’empereur Léopold Ier l’anoblit en 1690. Biber effectua divers voyages dans les cours d’Europe, notamment à celle de Munich. Avec Schmelzer, Biber fut le premier compositeur d’Europe centrale à écrire des oeuvres pour violon d’une réelle valeur artistique. Ses sonates révèlent à la fois des influences italiennes et allemandes, alliées parfois à un style d’improvisation qui lui est particulier. Il fit progresser la technique du violon, notamment dans l’utilisation des doubles cordes (héritage de la tradition polyphonique allemande) et dans l’emploi des positions élevées. Il était lui-même un véritable virtuose. Dans ses 16 sonates Sur les mystères du Rosaire (v. 1674), il utilise quatorze scordature différentes - en relation avec la tonalité de chaque pièce - qui permettent toutes sortes d’effets et de sonorités et facilitent le jeu des octaves, des dixièmes et même des onzièmes et douzièmes. C’est un exemple sans précédent dans l’histoire de la scordatura. Ses 8 sonates pour violon et basse continue (1681) révèlent sa connaissance des styles français (danses ornées), italien (technique de la variation) et allemand. Sa Passacaille pour violon seul sur une basse contrainte est une oeuvre exceptionnelle. On conserve un seul opéra de Biber, Chi la dura la vince (1687), qui témoigne d’une pensée originale, mais dont l’écriture vocale se fonde sur le bel canto italien. Sa musique religieuse est dominée par une messe concertante (Missa S. Henrici), mais il a également composé deux Requiem, des Vesperae longiores ac breviores pour 4 voix et instruments, des offertoires à 4 et un Stabat Mater. Il est sans doute l’auteur de la Missa saliburgensis à 53 voix jadis attribuée à drazio Benevoli. BICINIUM. Composition généralement vocale, à deux voix, connue de la Rome antique et qui s’est perpétuée jusqu’au XVIIe siècle. Les bicinia les plus célèbres datent du XVIe siècle (G. Rhau, Bicinia Gallica, Latina, Germanica, 1545 ; bicinia de Phalèse, parus à Anvers, 1590). Josquin Des Prés, R. de Lassus, Gastoldi, Th. Morley, etc., ont illustré cette forme dont la technique se retrouve au XVIIe siècle dans la musique d’orgue de l’école allemande. BIGOPHONE. Instrument populaire dérivé du mirliton, qui ne produit aucun son par lui-même. C’est la voix de l’exécutant qui fait vibrer une membrane solidaire du corps de l’instrument, lequel existe dans tous les formats et sous les formes les plus fantaisistes, imitant parfois celles des instruments classiques. L’effet amplificateur s’accompagne d’un nasillement caractéristique dont Offenbach, entre autres, a exploité les ressources comiques. Les bigophonistes restent nombreux dans certains pays, telle l’Espagne, où ils forment de véritables orchestres symphoniques. BIGOT (Eugène), chef d’orchestre français (Rennes 1888 - Paris 1965). Élève de Xavier Leroux, André Gédalge et Paul Vidal au C.N.S.M. de Paris, il fut nommé dès 1913 chef des choeurs au Théâtre des Champs-Élysées. De 1920 à 1923, il parcourut l’Europe avec les Ballets suédois, et en 1923 devint chef adjoint de la Société des concerts du Conservatoire. Il mena jusqu’à sa mort une très importante carrière dans les domaines symphonique et lyrique, en particulier à la radio, tout en dirigeant de 1935 à 1950 les Concerts Lamoureux et en assurant de 1936 à 1947 les fonctions de premier chef à l’OpéraComique. De 1957 à 1964, il présida le concours international des jeunes chefs d’orchestre de Besançon. BIGOT (Marie), pianiste française (Colmar 1786 Paris 1820). Elle reçoit ses premiers cours de sa mère, avec laquelle elle vit en Suisse, à Neuchâtel. À Vienne, elle épouse Paul Bigot, bibliothécaire du comte Razoumovski, et ne tarde pas à être admirée de Salieri, Haydn et surtout Beethoven. Ce dernier lui offre, en 1806, le manuscrit de l’Appassionata et entretiendra, avec elle et son mari, une correspondance témoignant d’une réelle amitié. En 1809, elle s’installe à Paris, où elle rencontre Cherubini et enseigne à partir de 1812. Elle compta parmi ses élèves Félix Mendelssohn. On lui doit également quelques pièces pour piano. BIHARI (János), compositeur et violoniste hongrois d’origine tzigane (Nagyabony 1764 - Pest 1827). Musicien errant, il fut le plus éminent représentant de la musique verbunkos à son apogée. Il fonda à Pest un orchestre de cinq musiciens, dont le répertoire était surtout fondé sur l’improvisation. Il connut son heure de gloire en 1820, lorsqu’il joua devant l’empereur François Ier. Victime d’un accident au bras en 1824, il perdit sa virtuosité et mourut dans la misère. Admiré par Beethoven et Liszt, il ne put, faute de connaissances musicales, noter lui-même les quelque 80 compositions qui lui sont attribuées ; elles furent transcrites par ses contemporains, comme Czerny. Bihari passe pour être l’auteur de la célèbre Marche de Rákóczi que Berlioz et Liszt, notamment, ont reprise, le premier dans la Damnation de Faust, le second dans une Rhapsodie hongroise. BILLAUDOT. Maison d’édition française fondée en 1896 par Louis Billaudot (1871-1936), qui la dirigea jusqu’à sa mort. Ses deux fils, Robert (1910-1981) et Gérard (1911-1986), y entrèrent en 1927 et en 1928 respectivement et la dirigèrent à partir de 1936, le premier jusqu’en 1957, le second jusqu’en 1979. Depuis cette dernière date, la maison est dirigée par François Derveaux (né en 1940), gendre de Gérard Billaudot. Elle a notamment acquis les éditions Costallat (sauf Berlioz) en 1958 et les Éditions françaises de musique en 1988, et s’est particulièrement consacrée depuis 1959 aux ouvrages d’enseignement (théorique et instrumental) et aux oeuvres instrumentales et d’orchestre. Elle participe depuis 1993 au projet éditorial Jean-Philippe Rameau, Opera Omnia (achèvement prévu en 2014, pour le 250e anniversaire de la mort du compositeur). Parmi les compositeurs représentés aux catalogues : Alkan, Tchaïkovski, Bizet, Chabrier, Koechlin, Le Flem, Ibert, Rivier, Sauguet, Arma, Baudrier, Martinon. BILLINGTON (Elizabeth), soprano anglaise (Londres 1765 - environs de Venise 1818). Née Weichsell, élève de J. C. Bach, puis du contrebassiste James Billington, qu’elle épousa en 1783, elle débuta la même année à Dublin dans l’Opéra des gueux de Pepusch. Haydn, qui l’entendit à Londres en 1791-92, vit en elle « un grand génie ». En 1794, deux ans après la parution de la brochure à scandale Memoirs of Mrs. Billington, elle partit pour l’Italie. Elle revint à Londres en 1801. Elle avait une voix très étendue (trois octaves) et d’une virtuosité exceptionnelle, mais on lui reprochait parfois sa froideur. Le peintre Reynolds la représenta sous les traits de sainte Cécile. BINAIRE. 1. Une mesure est dite binaire si la division des temps se fait par deux (ou puissances de deux), par exemple lorsque la noire, si elle est unité de temps, se divise en deux croches ou quatre doubles croches ou huit downloadModeText.vue.download 103 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 97 triples croches. La mesure à trois temps (ex. 3/4) est donc une mesure binaire. 2. La forme binaire est celle d’un morceau de musique en deux parties, souvent avec reprises ; en général, la première partie module vers la dominante et la seconde amène le retour de la dominante à la tonique. Cette forme se trouve notamment dans la suite classique au XVIIe siècle (allemande-courante-sarabande-gigue). BINCHOIS, DE BINS ou DE BINCHE (Gilles), compositeur franco-flamand (Mons v. 1400-probablement Soignies, près de Mons, 1460). Une célèbre miniature du Champion des dames de Martin Le Franc représente d’un côté Dufay vêtu d’une robe bleue d’allure cléricale, près d’un orgue portatif, et de l’autre Binchois en tunique rouge, portant une harpe. Fils de Jean de Binche, bourgeois de Mons, Binchois fut ordonné prêtre. Fut-il soldat auparavant, comme l’indique le texte de la Déploration sur la mort de Binchois (« Et sa jeunesse fut soudart »), mis en musique par Ockeghem ? En tout cas, on ignore les circonstances de sa formation musicale. Binchois est mentionné pour la première fois en 1424. Il fut, à Paris, au service de William de la Pole, comte, puis duc de Suffolk et musicien lui-même. Il suivit son maître en Hainaut et, peut-être, en Angleterre. Mais c’est au service du duc de Bourgogne, Philippe le Bon, qu’il fit l’essentiel de sa carrière. Il eut le grade de chapelain et reçut des prébendes non négligeables attachées à son titre de chanoine de Mons et de Soignies. Bien que sa musique religieuse soit souvent mentionnée dans les archives, ce qui nous en est parvenu est beaucoup moins abondant que sa musique profane. Fortement influencées par le style des chansons, ces compositions religieuses sont généralement à 3 voix. On a conservé des motets, des hymnes, des magnificats et des fragments de messes. Dans ces derniers, la technique du cantus firmus n’apparaît pas et, si Binchois puise parfois sa matière mélodique dans les chants grégoriens en les paraphrasant, l’esprit de ces fragments reste proche de celui des chansons. Les compositions psalmodiques ou hymniques demeurent extrêmement simples et contrastent avec la variété d’écriture que l’on rencontre dans les motets : isorythmie dans Nove cantum melodie, paraphrase dans Ave Regina coelorum. Binchois excella dans la musique profane. Plusieurs copies de certaines de ses chansons existent dans différents manuscrits, témoignant de la popularité qu’elles connurent. Les 55 chansons authentifiées, presque toutes à 3 voix et empruntant les structures poétiques à forme fixe du Moyen Âge, comprennent 47 rondeaux, 7 ballades et une chanson de forme libre (Filles à marier, exceptionnellement à 4 voix). Les poètes y chantent l’amour courtois ; la majeure partie d’entre eux reste inconnue, bien qu’on puisse citer Christine de Pisan (Dueil angoisseux, ballade), Alain Chartier (Triste Plaisir, rondeau) ou Charles d’Orléans (Mon cuer chante joyeusement, rondeau). Les chansons de Binchois ont une beauté mélodique certaine et leur sonorité est rendue plus chaleureuse par la présence de tierces et de sixtes (emploi du faux-bourdon et influence anglaise). La mélancolie, qui en est souvent le caractère dominant, rend surprenante l’appellation de « père de joyeuseté » donnée à Binchois par Ockeghem. Sans avoir la même liberté, le même esprit d’invention que son contemporain Guillaume Dufay, Binchois fut l’admirable serviteur d’un art de cour raffiné. BINET (Jean), compositeur suisse (Genève 1893 - Trelex, Vaud, 1960). Après des études à Genève, notamment avec Jaques-Dalcroze et Otto Barblan, et aux États-Unis avec Ernest Bloch de 1919 à 1923, il vécut à Bruxelles jusqu’en 1929, puis en Suisse. Il a laissé des oeuvres vocales (psaumes, odes, cantates), des pièces pour orchestre, des musiques de ballet, de radio, de film d’une écriture élégante et traditionnelle. BIONDI (Fabio), violoniste italien (Palerme 1961). Il donne son premier concert à douze ans avec l’orchestre de la radio-télévision italienne. Ouvert à tous les styles, il se tourne cependant assez vite vers l’interprétation des répertoires des XVIIe et XVIIIe siècles, en particulier italien. En 1981, il fonde le Quatuor Stendhal, qui joue sur ins- truments anciens, mais consacre aussi une part importante de son activité à la création contemporaine. En 1990, Biondi crée l’ensemble Europa Galante, dont il est le premier violon et le chef, formation remarquable par ses interprétations novatrices des concertos baroques italiens. Sa version des Quatre Saisons de Vivaldi est unanimement saluée par la critique. Biondi interprète aussi le répertoire romantique, enregistrant par exemple les sonates pour violon et clavier de Schubert et de Schumann, accompagnées au pianoforte. BIRET (Idil), pianiste turque (Ankara 1941). Élevée dans une famille imprégnée de musique, elle rêve longtemps de devenir philosophe ou médecin. Les liens qui unissent la vie musicale turque et la France expliquent qu’une bourse d’étude au Conservatoire de Paris lui soit attribuée très tôt. Elle obtient trois premiers prix : de piano, d’accompagnement chez Nadia Boulanger et, en 1954, de musique de chambre avec Jacques Février. En 1953, à douze ans, elle interprète le Concerto pour deux pianos de Mozart avec Wilhelm Kempff. De 1959 à 1961, elle étudie avec Alfred Cortot. Au cours de sa carrière internationale, elle joue notamment avec Pierre Monteux, Hermann Scherchen, et Yehudi Menuhin en 1973. D’une culture encyclopédique, elle étend son répertoire de Bach à la musique contemporaine, en privilégiant les oeuvres monumentales et contrapuntiques. Elle enregistre des intégrales de Brahms, Chopin, Liszt et Rachmaninov, et se spécialise aussi dans les transcriptions des symphonies de Beethoven par Liszt. Elle réalise elle-même des transcriptions des symphonies de Brahms. BIRTWISTLE (Harrison), compositeur anglais (Accrington, Lancashire, 1934). Il a d’abord étudié la clarinette. Reçu boursier au Royal Manchester College of Music (1952), il y a travaillé la composition avec Richard Hall avant d’entrer à la Royal Academy of Music de Londres. Il a fait partie du New Manchester Music Group. De 1962 à 1965, il a enseigné la musique dans un collège près de Salisbury. Une bourse de la fondation Markness lui a permis ensuite de passer deux ans aux ÉtatsUnis (1966-1968). Il a été professeur dans ce pays, d’abord à Swarthmore College en Pennsylvanie (1973-74), puis à l’université de New York à Buffalo (1975-76). Depuis 1975, il est directeur de la musique au National Theatre de Londres. Birtwistle possède un don mélodique certain, mais son style peut atteindre un degré de complexité considérable. Il a composé de la musique destinée aux écoles (The Mark of the Goat, Visions of Francesco Petrarca) et aime écrire pour la voix humaine. Son opéra en 1 acte Punch and Judy, sur un livret de Stephen Pruslin (1966-67, créé à Aldeburgh en 1968), témoigne de son talent lyrique. Il s’est souvent inspiré de la musique médiévale. Sa première oeuvre connue est Refrain and Choruses pour quintette à vent (1957). On lui doit : Chorales (1962-63) et The Triumph of Time (1972) pour orchestre ; Silbury Air pour petit orchestre (1977) ; pour la scène, Monodrama (1967), Down by the Greenwood Side (1969), Orpheus (19741977), une musique de scène pour Hamlet (1975), le ballet Frames (1977), la pièce de théâtre musical Bow Down (1977) ; The Fields of Sorrow pour choeur, 2 sopranos et ensemble (1977) ; de la musique de chambre comme Medusa pour ensemble de chambre (1969-70), 9 mouvements pour quatuor à cordes (1991-1996) et des pièces électroniques comme 4 Interludes from a Tragedy (1970), Chronometer (1971) et Chanson de geste (1973) ; les opéras Yan, Tan, Tethera (Londres, 1986) et Sir Gawain (Londres, 1991). downloadModeText.vue.download 104 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 98 BIS (lat. : « deux fois »). 1. Mention qui, placée à la fin d’un texte, d’un refrain par exemple, indique que ce texte doit être répété. 2. Exclamation par laquelle le public, au cours d’un concert, réclame la répétition d’un morceau. Dans la pratique, maintenant, le public réclame le bis le plus souvent à la fin du concert, et le ou les morceaux exécutés alors par l’interprète sont fréquemment des pièces hors programme, et non la répétition de pièces déjà entendues. Le soliste d’un concerto joue généralement en bis une pièce pour son instrument seul. Par extension, le mot bis désigne aussi des pièces brèves, parti- culièrement propres à être jouées dans les circonstances précitées. BISEAU. Pièce de bois ou de métal située dans la flûte, le flageolet, le sifflet. En la frappant, l’air insufflé provoque la vibration de la colonne d’air. Ce système existe aussi dans les jeux de flûtes de l’orgue. BIWA. Instrument japonais à cordes pincées, de la famille du luth. Originaire du Moyen-Orient comme le luth européen, mais importée au Japon dès le VIIIe siècle, la biwa est également caractérisée par une caisse de résonance en forme de poire, un manche très court et un chevillier à angle droit. Montée de quatre cordes, elle se joue avec un plectre. BIZET (Georges), compositeur français (Paris 1838 - Bougival 1875). Fils d’un professeur de chant, il eut pour premiers maîtres ses parents, jusqu’à l’âge de neuf ans. Entré au Conservatoire de Paris, il y fut l’élève de Marmontel (piano), Benoist (orgue), Zimmermann (harmonie) et Halévy (composition). Il travailla également avec Gounod, qui éprouva pour lui une vive sympathie. Après avoir obtenu de nombreuses récompenses, il remporta en 1857 le premier grand prix de Rome et partit pour la Villa Médicis. Il avait alors déjà composé un chef-d’oeuvre, la symphonie en ut (1855, créée en 1935 seulement), et s’était essayé à l’opérette, notamment en 1857 avec le Docteur Miracle, partition couronnée ex aequo avec l’oeuvre homonyme de Charles Lecocq, à l’issue d’un concours organisé par Offenbach, et représentée en alternance avec celle-ci aux Bouffes-Parisiens. À Rome, où il resta trois ans, Bizet fit beaucoup d’excursions, lut énormément et composa un peu : une opérette, Don Procopio, une symphonie descriptive avec choeurs, Vasco de Gama, une ouverture, la Chasse d’Ossian, une marche funèbre et un scherzo. Revenu à Paris, il connut une situation matérielle précaire, ce qui l’amena à entreprendre la transcription pour le piano de quantité de morceaux célèbres, voire d’opéras entiers. Il était d’ailleurs excellent pianiste, et émerveilla Berlioz et Liszt par la facilité de sa lecture et la sûreté de son jeu. En 1863, le Théâtre-Lyrique créa, sans grand succès, les Pêcheurs de perles, commande de son directeur Léon Carvalho, qui demanda trois ans plus tard à Bizet un deuxième ouvrage, la Jolie Fille de Perth. Entre-temps, Bizet apporta sa contribution à un ouvrage collectif, Malborough s’en va-t-en-guerre, fit jouer sa suite symphonique Roma et acheva un opéra, Ivan le Terrible ou Ivan IV, qui ne devait être représenté qu’en 1946. Il se maria en juin 1869 avec Geneviève Halévy, fille de son ancien maître, au château de Nühringen (Wurtemberg), et termina l’opéra Noé, laissé inachevé par ce dernier. Après la guerre de 1870, Bizet fut nommé chef des choeurs à l’Opéra, mais préféra un an plus tard le poste de chef de chant à l’Opéra-Comique. Ce théâtre monta Djamileh (1872) et lui commanda Carmen. C’est en novembre 1872 que Bizet connut son premier véritable succès avec l’exécution, aux Concerts Pasdeloup, de la première suite qu’il tira de sa musique de scène pour la pièce de Daudet l’Arlésienne, qui avait subi un échec six semaines auparavant. L’ouverture Patrie triompha en 1874 et, l’année suivante, ce fut la consécration, trop tardive et trop brève, avec la création de Carmen (mars 1875), qui souleva la fureur d’une partie de la critique, mais suscita de nombreux témoignages d’admiration, de celui de Théodore de Banville à celui de SaintSaëns. Trois mois plus tard, le 3 juin, Bizet mourut subitement. La popularité de l’Arlésienne, de la symphonie en ut, de Jeux d’enfants, des Pêcheurs de perles et surtout de Carmen, un des opéras les plus joués au monde actuellement, font de Bizet, à juste titre, un des plus célèbres musiciens français. Les reproches qui lui furent adressés de son vivant, par exemple celui de wagnérisme, nous paraissent aujourd’hui fort singuliers. Une pensée élégante et forte, un vocabulaire précis, une harmonie savoureuse, un grand pouvoir de suggestion et, dans Carmen, un souci de profonde vérité, voire de réalisme, qui ne consent cependant pas à la moindre vulgarité d’écriture, tels sont les traits essentiels d’un compositeur en qui Nietzsche voyait l’incarnation d’une musique « méditerranéisée ». Bizet, qui, en dehors de son voyage à Rome, ne quitta jamais Paris, évoqua à merveille l’atmosphère des différents pays où se déroulent ses ouvrages lyriques (surtout l’Espagne dans Carmen ou la Provence dans sa musique de scène pour l’Arlésienne). Il composait ses partitions comme un peintre ses toiles, créant et dosant savamment des couleurs personnelles. La limpidité et le caractère savant de son écriture sont particulièrement frappants dans des passages à plusieurs voix, comme le quintette de l’acte II de Carmen. BJÖRLING (Jussi), ténor suédois (Stora Tuna, près de Falun, 1911 - environs de Stockholm 1960). Dès l’âge de six ans, il appartint à un quatuor vocal masculin que formaient avec lui son père et ses deux frères. Il débuta en 1930 à l’opéra de Stockholm dans le rôle de Don Ottavio de Don Juan de Mozart. Il remporta des succès à l’étranger à partir de 1937 (Vienne, Londres). Ayant fait ses débuts au Metropolitan de New York en 1938 (Rodolphe dans la Bohème de Puccini), il demeura attaché à ce théâtre jusqu’en 1941 et de 1946 à sa mort. Son répertoire était essentiellement fondé sur les oeuvres de Puccini, Verdi, Bizet (Carmen), Gounod (Faust et Roméo et Juliette) et Massenet (Manon). Ses interprétations de Faust et Roméo, de Manrico dans le Trouvère de Verdi, de Riccardo dans Un bal masqué de Verdi, de Rodolphe dans la Bohème demeurent particulièrement célèbres. La voix de Björling était d’une beauté exceptionnelle, avec une émission et un style parfaits. Ses interprétations étaient empreintes d’un lyrisme poétique. Il eut aussi une activité de concertiste. BLACHER (Boris), compositeur allemand (Nou-tchouang, Chine, 1903 - Berlin 1975). Il suivit sa famille à Reval (actuellement Tallin, Estonie), à Irkoutsk (Sibérie) et à Charbin (Mandchourie), puis, en 1922, se fixa à Berlin. Il y étudia l’architecture et les mathématiques à la Technische Hochschule, puis, à partir de 1924, la composition avec Friedrich Ernst Koch à la Musikhochschule et la musicologie avec A. Schering, F. Blume et E. M. von Hornbostel à l’université. Il enseigna, en 1938-39, la composition au conservatoire de Dresde et, à partir de 1948, à la Musikhochschule de Berlin-Ouest, dont il fut directeur de 1953 à 1970. Il a eu notamment pour élèves Gottfried von Einem, Giselher Klebe, Heimo Erbse et Isang Yun. Blacher est l’une des figures les plus importantes de la musique allemande contemporaine. Son langage est parfois polytonal, parfois dodécaphonique comme dans le ballet Lysistrata (1950) et l’opéra Rosamunde Floris (1960). L’élément prédominant est le rythme. Ses oeuvres sont généralement construites à partir de courts motifs rythmiques, associés parfois à certaines combinaisons de timbres qui reviennent de manière organisée tout au long de l’ouvrage (Concertante Musik, 1937). Les « mètres variables », système rythmique fondé sur des séries mathématiques préétablies et consistant en changements sysdownloadModeText.vue.download 105 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 99 tématiques de mesure, sont utilisés pour la première fois dans les Ornamente pour piano (1950) qui portent le sous-titre Sieben Studien über variable Metren (7 Études sur les mètres variables) ; ils sont en accord avec la théorie de Joseph Schillinger qui tente de rationaliser la relation entre mathématiques et musique. L’influence du jazz apparaît notamment dans Jazzkoloraturen (1929), Concertante Musik (1937), 2 Poems for Jazz Quartet pour vibraphone, contrebasse, percussion et piano (1957) et Rosamunde Floris (1960). À partir de 1962, Blacher s’intéresse également aux techniques électroniques (Multiple Raumperspektiven et Elektronische Studie, 1962 ; Elektronische Impulse, 1965 ; Musik für Osaka, 1969, etc.). Il a constamment recherché la clarté, l’objectivité, l’économie des moyens, et son refus de l’expression, qui se traduit par une certaine sécheresse, évoque parfois Satie ou Stravinski dans la Symphonie de psaumes. Son Abstrakte Oper Nr 1 (Opéra abstrait no 1, 1953) ne comporte pas d’action et est chanté sur des combinaisons abstraites, sans aucune signification, de voyelles et de consonnes. D’une production abondante, citons encore les ballets Hamlet (1949), Der Mohr von Venedig (1955), Demeter (1963), Tristan (1965), l’opéra de chambre Roméo et Juliette (1943), l’opéra-ballet Preussisches Märchen (« Conte de Prusse », 1949), l’opéra avec bande magnétique Zwischenfälle bei einer Notlandung (« Incidents au cours d’un atterrissage forcé », 1964), les opéras Yvonne, Prinzessin von Burgund (1972) et Das Geheimnis des entwendeten Briefes, d’après Poe (1975). BLAINVILLE (Charles-Henri de), compositeur et théoricien français (Rouen ou village près de Tours ? v. 1710 - Paris ? apr. 1777). Sa vie reste encore mal connue : il semble qu’il ait vécu quelque temps à Rouen, puis qu’il se soit rendu à Paris, où il aurait bénéficié de la protection de mécènes comme la marquise de Villeroy. En dépit d’une oeuvre variée, en partie perdue, comprenant des sonates, des symphonies, des arrangements, des cantates profanes, des romances, des leçons de ténèbres, des motets et des ouvrages lyriques, il s’est davantage distingué comme théoricien que comme compositeur. Son Essay sur un troisième mode, accompagné d’une symphonie (jouée avec succès au Concert spirituel en 1751) qui met en pratique l’invention d’un « mode mixte » réunissant à la fois le majeur et le mineur, suscita l’intérêt des philosophes. BLAISE (Benoît), bassoniste et compositeur français († Paris 1772). Bassoniste de l’orchestre de la ComédieItalienne en 1737, il composa pour ce théâtre et pour celui de la Foire, avant la fusion des deux troupes en 1762. Auteur de danses, d’opéras-comiques, de parodies et de vaudevilles, il publia, en 1739, une cantate, le Feu de la ville, et, en 1759, trois recueils de chansons. Ses oeuvres les plus célèbres furent écrites en collaboration avec Favart : Annette et Lubin (1762) et Isabelle et Gertrude ou les Sylphes supposés (1765). Il eut l’art d’agencer des ouvrages élégants, aux mélodies agréables, empruntant parfois quelques thèmes à Campra, Philidor ou Gluck. BLANCHARD (Esprit Antoine), compositeur français (Pernes-les-Fontaines, Vaucluse, 1696 - Versailles 1770). Formé par Guillaume Poitevin à la cathédrale d’Aix-en-Provence, il fut nommé maître de chapelle successivement à l’abbatiale Saint-Victor de Marseille (1717), à Toulon (1727), à Besançon (v. 1733) et à Amiens (1734). En 1738, succédant à Bernier, il obtint l’un des quatre postes de sous-maître de la chapelle royale de Versailles (les trois autres étant occupés par Campra, Gervais et Madin). Compositeur d’oeuvres sacrées, Blanchard s’inscrit, avec son Te Deum, qui servit en 1745 à la célébration de la victoire de Fontenoy, et une trentaine de motets, dans la tradition de Delalande. Il soigna particulièrement l’instrumentation de ses ouvrages et introduisit la clarinette, vers 1761, dans l’orchestre de la chapelle royale. BLANCHET (Émile Robert), pianiste et compositeur suisse (Lausanne 1877 - id. 1943). Fils d’un organiste connu, Charles Blanchet, qui avait été élève de Moschelès, il fit ses études auprès de son père, puis à Cologne et enfin à Berlin, auprès de Busoni. Fixé à Lausanne, il fut professeur de piano au conservatoire (1904-1917) et directeur de cet établissement (1905-1908), se consacrant parallèlement à une carrière de concertiste et à la composition. Il a laissé une quantité considérable d’oeuvres pour piano (préludes, études, etc.) d’une écriture pleine d’intérêt sur le plan rythmique et contrapuntique. BLAND (John), éditeur anglais (Londres ? v. 1750 - id. ? v. 1840). Il débuta à Londres en 1776 et prit sa retraite dès 1795. En novembre 1789, il rendit visite à Haydn à Eszterháza et lui commanda les trois trios pour clavier, flûte (ou violon) et violoncelle Hob. XV.15-17. À cette visite est associée la célèbre anecdote du Quatuor du Rasoir (en fa mineur opus 55 no 2). Parurent chez lui comme opus 3 les premières oeuvres de chambre écrites par un Américain de naissance (trois trios à cordes de John Antes composés au Caire). BLASIUS (Matthieu Frédéric), compositeur et chef d’orchestre français (Lauterbourg, Bas-Rhin, 1758 - Versailles 1829). Il fut clarinettiste à l’Hôtel de Bourgogne, puis devint un des plus sûrs chefs d’orchestre de l’Opéra-Comique, où il débuta en 1802. Il fut le créateur de nombreuses oeuvres de Dalayrac, Boieldieu, Méhul, etc. Il composa lui-même surtout des romances, des marches militaires et des oeuvres de musique de chambre, mais aussi quelques charmants opéras-co- miques comme le Pelletier de Saint-Fargeau (1793). Il écrivit encore une Nouvelle Méthode pour la clarinette (Paris, 1796). BLATNY(Pavel), compositeur tchèque (Brno 1931). Héritier d’une lignée de musiciens, fils d’un élève de Janáček, Blatny a été luimême l’élève de Pavel Borkovec, et c’est avec un mémoire sur les oeuvres scéniques de ce dernier qu’il a obtenu, en 1958, un diplôme à l’issue de ses études de musicologie à l’université de Brno, menées parallèlement à des études de composition à Brno et à Prague. Poursuivant une formation éclectique, Blatny a fréquenté aussi bien les cours de Darmstadt (1965-1969) que les classes de composition de jazz à la Berklee School of Music de Boston. Influencé à ses débuts par Stravinski, Martinu, Prokofiev, puis par le baroque et la Renaissance, il a expérimenté depuis 1960 à peu près toutes les voies de la création contemporaine : musiques dodécaphonique, sérielle, aléatoire, électronique, etc. L’empreinte du jazz moderne est tout particulièrement perceptible chez lui et apparaît, par exemple, mêlée à d’autres tendances, mais souvent dominante, dans Concerto pour orchestre de jazz (1962), Per orchestra sintetica I et II (1960 et 1971), Étude pour trompette en quarts de ton (1964), Coda pour flûte, clarinette, contrebasse et percussion (1968), Histoire pour neuf musiciens de jazz (1968). La plupart de ses autres compositions sont écrites pour de petites formations instrumentales. BLAUKOPF (Kurt), musicologue autrichien (Czernowitz 1914). Il s’est spécialement consacré à la sociologie de la musique, dirigeant à partir de 1965 l’Institut de sociologie de la musique de Vienne et publiant en 1952 un important ouvrage sur le sujet (rév. en 1972). Il a également écrit un livre sur Mahler (Vienne, 1969 ; trad. française, 1979), et fait paraître sur ce compositeur un vaste volume documentaire et iconographique (Vienne, 1976). downloadModeText.vue.download 106 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 100 BLAVET (Michel), flûtiste et compositeur français (Besançon 1700 - Paris 1768). Après avoir étudié dans sa ville natale, il se rendit, à l’âge de vingt-trois ans, à Paris, où s’établit d’emblée sa réputation de flûtiste, qui gagna vite l’Europe. Quantz l’admira et Frédéric II lui proposa d’entrer à son service à la cour de Prusse. Blavet fit toutefois carrière en France, où il bénéficia de la protection du prince de Carignan et du comte de Clermont. En 1738, il entra dans la Musique du roi, et fut nommé deux ans plus tard au poste de premier flûtiste de l’Opéra. Il perfectionna la technique de la flûte traversière et composa plusieurs recueils de sonates pour une ou deux flûtes, parus entre 1728 et 1740. Il laisse également un concerto et plusieurs ouvrages lyriques, dont son « opéra bouffon » le Jaloux corrigé, qui date de 1752, année du début de la querelle des bouffons, et qui, ainsi que d’autres partitions de Blavet, classe celui-ci parmi les artistes français les plus italianisants de sa génération. BLAZE, famille de compositeurs et critiques musicaux. Henri (Cavaillon, Vaucluse, 1763 - id. 1833). Les compositions, essentiellement religieuses, de ce musicien délicat ne furent guère connues qu’en Provence où il enseignait la musique. Il signa aussi des sonates pour piano et fit éditer à Avignon de nombreuses études sur les musiciens de son temps. François, dit Castil-Blaze, fils du précédent (Cavaillon 1784 - Paris 1857). Après des études de droit et d’harmonie à Paris, il fut, à Cavaillon, avocat, puis sous-préfet, ensuite inspecteur de librairie. Il s’installa à Paris en 1820 et, après le succès de son livre De l’opéra en France (2 vol., 18201826), il fit une brillante carrière de critique musical, notamment au Journal des débats (1822-1832), où lui succéda Berlioz. Parallèlement, il signa des oeuvres fort singulières : d’une part, des adaptations d’ouvrages étrangers, où il modifiait, amputait les originaux et les enrichissait de pages musicales de son cru (par ex., transformation du Freischütz de Weber en Robin des bois, 1824) - Berlioz s’éleva à maintes reprises contre ces réalisations ; d’autre part, des livrets originaux ou adaptés de pièces de théâtre, qu’il habillait de musiques glanées dans les partitions de différents compositeurs (par ex., les Folies amoureuses, musiques de Mozart, Cimarosa, Paer, Rossini, Generali et Steibelt, 1823). Il composa aussi quelques partitions sur des livrets écrits par lui-même, ainsi que des romances, des pastiches et des messes. Il fit enfin paraître d’autres livres, souvent d’un grand intérêt, comme le Mémorial du Grand Opéra (1847). Henry, baron de Bury, fils du précédent (Avignon 1813 - Paris 1888). Après avoir été attaché d’ambassade, il devint l’un des critiques musicaux les plus célèbres de son époque et écrivit dans la Revue des Deux Mondes, la Revue de Paris et la Revue musicale. Il publia plusieurs études, dont une Vie de Rossini (1854). BLISS (sir Arthur), compositeur anglais (Londres 1891 - id. 1975). Sorti de l’université de Cambridge avec le titre de Bachelor of Music (1913), il a travaillé avec Stanford, Vaughan Williams et Holst au Royal College of Music de Londres. Pendant la Grande Guerre, il a été blessé sur la Somme (1916) ; ses premières oeuvres, dont un quatuor à cordes, furent écrites alors. En 1919, il s’est passionné pour la musique du XVIIIe siècle - il a dirigé notamment la Servante maîtresse de Pergolèse - et pour l’époque élisabéthaine. Le quintette avec piano, composé à cette époque, révèle l’influence de Ravel et de la musique française. Mais la Rhapsodie pour soprano, ténor et instruments, qui date également de 1919, marque la rupture soudaine avec les influences extérieures. Dès lors, quoique sensible à l’attirance de Stravinski et du groupe des Six, Bliss est sorti des sentiers battus. En 1923, il s’établit en Californie, où il devint, en 1940, professeur à l’université. Directeur du département musical international de la BBC, de 1942 à 1944, il reçut en 1953, à la mort d’Arnold Bax, le titre de « Master of the Queen’s Music ». Bien que chargée d’un certain romantisme, parfois vigoureuse et aux lignes bien dessinées, la musique de Bliss, d’une manière générale, relève de l’impressionnisme sur le plan de l’écriture. Son oeuvre comprend de la musique d’orchestre, dont la célèbre Colour Symphony (1921-22, rév. 1932), un concerto pour piano (1938) et un pour violon (1955), de la musique de chambre (4 quatuors à cordes, 2 quintettes dont un avec piano et un avec clarinette), des oeuvres vocales, et, pour le théâtre, des ballets, dont Checkmate (1937) et The Lady of Shalott (1958), ainsi que les opéras The Olympians (1949) et Tobias and the Angel (1960-61). BLITZSTEIN (Marc), compositeur américain d’origine russe (Philadelphie 1905 Fort-de-France, Martinique, 1964). Il commença ses études à Philadelphie et à New York, avec Alexander Siloti pour le piano et Rosario Scalero pour la composition, puis fut l’élève de Nadia Boulanger à Paris, et de Schönberg à Berlin. Ses premières oeuvres attestent l’influence néoclassique de Stravinski et du Paris des années 20. On perçoit ensuite celles de Hindemith, de Kurt Weill, de Dessau, et ses premières partitions lyriques eurent pour thèmes les luttes de classes et la justice sociale (The Cradle will rock, 1936 ; No for an Answer, 1941). Un sens dramatique certain y va de pair avec un langage typiquement américain, dans lequel les touches de jazz, la polyrythmie et la polytonalité pimentent des mélodies diatoniques chargées de dissonances. Son écriture, qui eut une grande influence sur Leonard Bernstein, n’évolua plus guère par la suite. L’oeuvre de Blitzstein comprend des pièces symphoniques, des ballets, des poèmes symphoniques - souvent avec voix solistes et choeurs -, de nombreuses musiques de film et de scène, 2 quatuors à cordes et des opéras, souvent proches du style de la comédie musicale (parmi eux, une nouvelle version de l’Opéra de quat’sous de Weill, 1951). BLOCH (Ernest), compositeur suisse naturalisé américain (Genève 1880 - Agate Beach, Oregon, 1959). Élève de Jaques-Dalcroze à Genève, il se destinait initialement à une carrière de violoniste et travailla avec Ysaye à Bruxelles avant d’étudier la composition à Francfort et à Munich, avec Ludwig Thuille. Il s’affirma en 1902 avec une gigantesque Symphonie. Après un bref séjour à Paris, il vécut en Suisse à partir de 1904. Sa première période créatrice, nettement postromantique, culmina avec son unique opéra, Macbeth (1910). De 1912 à 1916 s’édifièrent les diverses parties de son « Cycle juif », dont les 3 Poèmes juifs pour orchestre (1913), la rhapsodie hébraïque pour violoncelle et orchestre Schelomo (1915-16), son oeuvre la plus connue, et la Symphonie no 2 « Israël » pour 5 voix solistes et orchestre (1912-1916). Suivirent Baal Schem pour violon et orchestre ou violon et piano (1923) et Voix dans le désert pour orchestre avec violoncelle obligé (1936). De 1916 à 1930, puis de 1938 à sa mort, il vécut aux États-Unis, où il dirigea les conservatoires de Cleveland (19201925) et de San Francisco, et enseigna jusqu’en 1952 à l’université de Californie (Berkeley). D’une production abondante se détachent encore le Service sacré (19301933), deux Concertos grossos (1925 et 1952), dont le premier a acquis une certaine célébrité, un monumental Concerto pour violon (1938) et de la musique de chambre dominée par deux quintettes avec piano (1921-1923 et 1957) et, surtout, par cinq admirables quatuors à cordes (1916, 1945, 1952, 1953, 1956) formant en ce genre un des ensembles les plus importants du XXe siècle. Le premier quintette utilise les quarts de ton, les 2e et 3e quatuors la technique sérielle. Dans sa quête d’une musique hébraïque, Bloch ne s’est pas fondé sur des éléments superficiels et folkloriques, mais a tenté de retrouver l’esprit profond du peuple juif. downloadModeText.vue.download 107 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 101 BLOCKX (Jan), compositeur belge (Anvers 1851 - id. 1912). Venu assez tard à la musique, il fut l’élève de Peter Benoit. En 1876, il présenta un premier concert de ses oeuvres. Après avoir poursuivi ses études auprès de Reinecke à Leipzig, il revint à Anvers, où il occupa divers postes officiels. Considéré comme le plus important disciple de P. Benoit, il succéda à celui-ci, en 1901, à la direction du conservatoire royal. Ses ouvrages lyriques (Maître Martin, 1892 ; Princesse d’auberge, 1896 ; la Fiancée de la mer, 1901) se sont longtemps maintenus au répertoire des scènes flamandes. Blockx a aussi composé de la musique d’orchestre, un ballet (Milenka, 1886) et de la musique de chambre. BLOCS. Instruments à percussion de la famille des bois. Tous sont en bois dur, évidés et fixés à un pied. Les blocs plats sont parfois groupés par jeux chromatiques, comme les lames d’un xylophone. Le bloc cylindrique est construit en deux parties et donne deux notes différentes. Le bloc chinois, enfin, ressemble extérieurement à un gros grelot ouvragé et décoré. BLOM (Eric), critique musical anglais d’origine danoise (Berne, Suisse, 1888 Londres 1959). Critique au Manchester Guardian (19231931), au Birmingham Post (1931-1946), il fut rédacteur en chef de la revue Music and Letters, de deux dictionnaires (Grove’s Dictionary of Music and Musicians, 5e éd., 1954 ; Everyman’s Dictionary of Music, 1954) et dirigea une collection de monographies (Master Musicians) pour laquelle il écrivit lui-même le volume consacré à Mozart, compositeur à l’étude duquel il a particulièrement attaché son nom. Il traduisit également en anglais plusieurs ouvrages tels que le Schubert d’Otto Erich Deutsch. BLOMDAHL (Karl Birger), compositeur suédois (Växjö 1916 - Kungsängen, près de Stockholm, 1968). Après des études de composition à Stockholm, avec Hilding Rosenberg, il vint en France et en Italie grâce à une bourse (1946-47). De retour en Suède, il joua un rôle capital en faveur de la musique contemporaine, successivement comme membre du groupe du Lundi (porte-drapeau de l’évolution musicale en Suède après la guerre), comme président de la Société de musique de chambre Fylkingen (1950-1954), qu’il transforma en un centre de réflexion et de création, comme professeur de composition à l’Académie royale de musique de Stockholm (19601964) et, enfin, comme directeur musical de la radio suédoise, où il créa un studio de musique électronique. D’abord marqué par Hindemith, Blomdahl subit ensuite l’influence de Schönberg et de Bartók. Des recherches sur l’atonalité, le dodécaphonisme, la rythmique marquent alors ses ballets et ses oeuvres vocales, telles que l’oratorio Dans la salle des miroirs (1951-52). La cantate Anabase (1955-56), texte d’après Saint-John Perse, l’opéra Aniara sur un sujet de science-fiction (1959), amorcent l’évolution vers une écriture plus personnelle. Fioriture et Forma ferritonans (1961) sont des oeuvres pointillistes aux sonorités subtiles et poétiques, rappelant parfois Ligeti. Les dernières oeuvres de Blomdahl sont électroniques (Altisonans, 1966). Parmi ses autres compositions, on doit mentionner l’opéra-comique Herr von Hancken (1965) et de nombreuses musiques de film, notamment pour Ingmar Bergman. BLOMSTEDT (Herbert), chef d’orchestre suédois (Springfield, États-Unis, 1927). Il étudie d’abord au Collège royal de musique de Stockholm et à l’université d’Uppsala. Il complète ensuite sa formation à la Juilliard School de New York, puis à la Schola Cantorum de Bâle, et enfin à Tanglewood avec Leonard Bernstein. De 1950 à 1955, il est l’assistant d’Igor Markevitch à Salzbourg et, de 1954 à 1961, il dirige l’Orchestre symphonique de Norrköping, en Suède. Il est à la tête de plusieurs grands orchestres scandinaves : au Philharmonique d’Oslo de 1962 à 1968 ; à Stockholm, où il enseigne aussi la direction d’orchestre, jusqu’en 1971 ; et à l’Orchestre symphonique de la radio danoise de 1967 à 1977. Avec ce dernier, il enregistre l’intégrale des symphonies de Carl Nielsen. En 1975, il est nommé à la tête de la Staatskapelle de Dresde, qu’il quitte en 1985 pour diriger jusqu’en 1995 l’Orchestre symphonique de San Francisco. BLÖNDAL JÓHANSSON (Magnus), compositeur, pianiste et chef d’orchestre islandais (Skálar 1925). Après avoir terminé ses études en 1953 à la Juilliard School de New York (avec B. Wagenaar, M. Bauer et C. Friedberg), il fonde à Reykjavík le groupe Musica Nova en 1960. Au tournant des années 50 à 60, chef de file des compositeurs islandais d’avant-garde, il s’intéresse à toutes les formes d’expression musicale, à tous les langages et aux matériaux sonores les plus divers. Ses oeuvres, tant instrumentales (Minigrams, 1961) que pour instruments et bande magnétique (Study, 1957 ; Punktar, 1961), ou pour bande magnétique seule (Constellation, 1960), ont été des événements parfois violents de la vie musicale de son pays. BLONDEL DE NESLE, trouvère français (Nesle, Somme, v. 1150 - v. 1200). Ami du grand trouvère Gace Brulé, son nom est souvent confondu avec celui de Blondel, ménestrel au service de Richard Coeur de Lion. Les 24 chansons conservées de Blondel de Nesle sont toutes pourvues de mélodies notées ; elles sont réunies dans l’ouvrage de U. Arrburg, Die Singweisen des Blondel de Nesle (Francfort, 1946). BLOW (John), compositeur et organiste anglais (Newark, Nottinghamshire, 1649 - Londres 1708). Enfant, il fit partie du choeur de la chapelle royale, dirigé par Henry Cooke à partir de 1660, année du rétablissement de la chapelle, et commença, dès 1663, à composer des anthems. C’est à cette époque également qu’il travailla avec John Hingeston et avec Christopher Gibbons, le fils du grand Orlando. En 1668, il succéda à Albertus Bryne comme organiste à Westminster Abbey. Il participa à la musique de la Chambre, à la cour de Charles VII (Private Musick for Lutes and Voyces, Theorboes and Virginalls) et en devint le virginaliste attitré. Gentilhomme de la chapelle royale (1674), il prit la suite de Pelham Humphrey comme maître des enfants de cette chapelle et comme compositeur de la musique vocale. L’archevêque de Canterbury l’honora du titre de Doctor of Music (1677). Deux ans plus tard, il renonça à son poste d’organiste à Westminster en faveur de son élève Henry Purcell. En 1687, on lui confia la charge des choristes de Saint-Paul, poste qu’il abandonna en faveur d’un autre élève, J. Clarke. Entre-temps, il était devenu organiste à la chapelle royale. Enfin, en 1699, il reçut le titre de Composer of the Chapel Royal. Blow fut enterré à Westminster ; sa tombe porte à sa mémoire le Gloria en canon de son Service en sol. John Blow a laissé un catalogue important d’oeuvres variées et souvent d’une grande qualité. Professeur illustre, son enseignement lui a mérité l’estime de ses contemporains. Parmi ses élèves se trouvèrent Clarke, Croft, Daniel Purcell et, surtout, Henry Purcell. Auteur d’une belle et touchante ode sur la mort de ce dernier, Blow a signé avec le masque Vénus et Adonis ce qui est en fait l’un des premiers opéras anglais ; les styles français (ouverture, prologue) et italien (récitatif, audaces harmoniques) s’y mêlent harmonieusement. BLUES. Complainte du folklore négro-américain, dont les paroles, imprégnées de poésie populaire, sont quelquefois violentes et érotiques. Sur le plan musical, le blues se caractérise par l’usage d’un mode mélodique variable et, pour le type courant, par une downloadModeText.vue.download 108 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 102 coupe ternaire A. A. B. Les deux périodes A, de quatre mesures chacune, sont mélodiquement identiques, mais une variante harmonique intervient au début de la seconde, l’accord de sous-dominante remplaçant l’accord de tonique, tandis que la dominante colore la période B, conclusive. Les paroles s’organisent en strophes successives (une strophe = un chorus, généralement de douze mesures), chacune d’elles épousant le même schéma A. A. B., en deux vers dont le premier (A) est répété. Après chaque vers, qui occupe approximativement deux mesures, la fin de la période de quatre mesures donne lieu à une réponse instrumentale. Né vers la fin du XIXe siècle dans les populations rurales noires du sud des ÉtatsUnis, le blues est postérieur au negrospiritual et au chant de plantation, dont l’influence l’a marqué, ainsi, semble-t-il, que celle du folklore blanc contemporain. Le climat du blues est souvent mélancolique (blues est synonyme de cafard) ; d’où l’idée reçue qu’il ne se chante ou ne se joue qu’en tempo lent. L’usage voulait que le chanteur de blues s’accompagnât au banjo ou à la guitare. Il en était ainsi, le plus souvent, dans la tradition du blues rural (country blues), dont les premiers représentants, contrairement au pionnier Robert Johnson, émigrèrent vers le nord au cours de l’entredeux-guerres, venus d’Arkansas, comme Big Bill Broonzy (William Lee Conley), du Texas comme « Blind » Lemon Jefferson, de Louisiane comme Lonnie Johnson ou de Floride comme Tampa Red (Hudson Whitakker) et étaient des chanteursguitaristes. Toutefois, on voyait déjà un Washboard Sam (Robert Brown), un Will « Son » Shade s’accompagner au moyen d’instruments hétéroclites issus d’un bricolage ingénieux, tandis qu’un Sonny Terry et, avant lui, un « Sonny Boy » Williamson I faisaient alterner chant et harmonica. Une place à part peut être faite à Leadbelly (Huddy Ledbetter) qui mit le blues vocal à la mode dans les milieux intellectuels et artistiques de Greenwich Village, à New York. Dans les ghettos noirs des grandes villes et principalement à Chicago, le blues s’acclimate et, peu à peu, se transforme au contact des spectacles de vaudeville, dont le public de couleur est friand ; au contact du jazz aussi. Le piano tend à s’imposer à côté de la guitare ; il s’y substitue parfois. Des chanteurs-pianistes, tels que Leroy Carr et, plus tard, Memphis Slim (Peter Chatman), se font connaître. Il arrive que des musiciens de jazz, pianistes, comme Fletcher Henderson et James P. Johnson, ou cornettistes, comme Louis Armstrong et Joe Smith, soient conviés à accompagner les plus célèbres chanteuses de blues : Gertrude « Ma » Rainey, « la mère du blues », et sa disciple Bessie Smith, « l’impératrice du blues ». À New York, Lonnie Johnson a le privilège d’enregistrer quelques disques avec Louis Armstrong et Duke Ellington. On verra même un chanteur de blues très doué pour le jazz, Jimmy Rushing, se faire engager chez Count Basie. Parallèlement, une seconde génération de chanteurs-guitaristes venus du Sud s’agrège au courant du blues urbain (city blues) qui prédomine dès la fin de l’entredeux-guerres. Avec Andrew « Smokey » Hogg, John Lee Hooker, Sam « Lightnin » Hopkins et Muddy Waters (Mc Kinley Morganfield), le blues urbain apparaît moins fruste, moins rustique que ne l’était son ancêtre ; il devient même tendu, voire agressif, à l’image des jeunes Noirs qui récusent la passivité sociale de leurs aînés. L’art spontané (encore qu’il laisse peu de place à l’improvisation) du chanteur-guitariste ne se perdra pas et, dans les années 60 et 70, le succès d’un Riley « B. B. » King montre que le blues folklorique a conquis une petite audience internationale. L’après-guerre voit surgir de nouvelles formes de blues. La tradition vocale cherche un prolongement instrumental que nécessitent les grands dancings tels que l’Apollo Theater de Harlem. Désormais, le chanteur (« blues shouter ») crie le blues dans le micro plus qu’il ne le chante. Derrière lui, la guitare électrique, introduite par Aaron « T. Bone » Walker, et le saxophone ténor s’attachent à créer un climat d’excitation permanente que renforce un afterbeat hérité du jazz, mais hypertrophié. C’est le mouvement Rhythm’n’Blues, que préfigurent Wynonie Harris, Louis Jordan, Joe Turner et Eddie « Cleanhead » Vinson, et d’où sortiront les Chuck Berry, les Fats Domino, les Aretha Franklin, les Little Richard, voire Ray Charles. Par le canal de ces chanteurs populaires devenus vedettes de variétés, le blues a contaminé toute une partie du show business, et l’on trouve trace de son influence dans la pop music et le rock’n’roll des années 60. On a même pu parler, à propos des chansons de Bill Haley et d’Elvis Presley, d’un « blues blanc », dont l’interprétation est, il est vrai, involontairement caricaturale. Toutefois, on estime généralement que le blues doit ses développements les plus remarquables, sur le plan musical, aux artistes de jazz. Dès les premiers temps du jazz, en effet, le blues s’y est acclimaté et y a prospéré. Les pianistes de jazz, d’Earl Hines (Blues in Thirds) à Thelonious Monk (Blue Monk), en ont organisé et enrichi le langage harmonique. L’orchestre de Duke Ellington, l’orchestre de Count Basie, entre autres, lui ont consacré une importante partie de leur répertoire ; et certaines pièces ellingtoniennes (Black and Tan Fantasy, Saddest Tale, Ko-Ko, par exemple) débordent largement, par leur complexité et leur force expressive, le cadre de l’art populaire. La séquence harmonique du blues de douze mesures est fréquemment utilisée par les musiciens de jazz en tant que base d’improvisation, indépendamment de toute donnée mélodique. Le style du blues a profondément influencé le jazz tout entier ; en retour, les grands solistes de jazz, Louis Armstrong, Charlie Parker, Lester Young, ont donné du blues une image magnifiée. D’autre part, la relation privilégiée tonique-sousdominante a conduit les compositeurs de jazz à une reconsidération limitée du système tonal. BLUME (Friedrich), musicologue allemand (Schlüchtern, Hesse, 1893 - id. 1975). Élève de Hugo Riemann et de Hermann Abert, il obtint en 1921 le grade de docteur à l’université de Leipzig. Nommé en 1925 professeur à l’université de Berlin, il fut directeur de l’Institut de musicologie de l’université de Kiel (1934-1958), puis président de la Société internationale de musicologie (1958-1961). Il a également dirigé la commission mixte du Répertoire international des sources musicales (R.I.S.M.) et présidé le Joseph-Haydnlnstitut de Cologne (1955-1973). Il a édité les oeuvres complètes de Michael Praetorius, écrit de nombreuses études sur Bach, Mozart, Haydn et d’autres musiciens, et dirigé plusieurs publications, dont Das Chorwerk et surtout le dictionnaire Die Musik in Geschichte und Gegenwart (14 vol., 1949-1968). Des nombreux articles écrits par lui pour ce dictionnaire, sont parus en volume séparé ceux consacrés à la Musique de la Renaissance, à la Musique baroque, à la Musique classique et à la Musique romantique. BLÜTHNER (Julius Ferdinand), facteur de pianos allemand (Falkenhain, près de Merseburg, 1824 - Leipzig 1910). Il fonda la firme Blüthner 1853. Ses instruments font échappement amélioré et au aliquotes où une quatrième vibre à l’octave sans être la sonorité dans l’aigu. à Leipzig en appel au double système des corde, qui frappée, enrichit BOCCHERINI (Luigi), compositeur et violoncelliste italien (Lucques 1743 Madrid 1805). Il apprit le violoncelle, tout enfant, avec son père et devint un virtuose célèbre dès l’âge de quatorze ans, après s’être produit à Rome. Il fut ensuite engagé par le Théâtre impérial de Vienne, où il fit trois séjours de 1757 à 1764 ; de cette période date sa première oeuvre connue, un recueil de six trios à cordes (1760), suivi en 1761 d’un recueil de six quatuors à cordes. En 1764, Luigi et son père rentrèrent à Lucques, où furent écrits une cantate et les deux oratorios Giuseppe riconosciuto downloadModeText.vue.download 109 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 103 et Gioa, re di Giuda. Après la mort de son père (1766), Boccherini s’associa avec le violoniste Filippo Manfredini et entreprit avec lui des tournées qui le menèrent, notamment, à Paris (1767). Il se produisit au Concert spirituel, mais ne fut pas invité à Versailles. Admirant autant sa virtuosité d’instrumentiste que son talent de compositeur, l’ambassadeur d’Espagne à Paris le pressa d’aller à Madrid. Boccherini accepta, mais, à son arrivée dans la capitale espagnole (1769), il fut mal reçu, dit-on, par Brunetti, responsable de la musique à la Cour. En revanche, il trouva un soutien décisif auprès du frère du roi Charles III, l’infant Don Luis, qui lui conserva sa protection jusqu’à sa mort (1785) et avec lequel il s’installa en 1776 à Las Arenas, près de Madrid. Au cours de ces années, Boccherini composa une très grande quantité de musique de chambre pour des formations diverses, dont une série de quintettes à cordes s’inspirant parfois de motifs espagnols. L’étonnant Quintettino op. 30 no 6 dit La Musica notturna delle strade di Madrid (1780) reflète parfaitement cette période d’expérimentation euphorique. Ayant sans doute subi l’influence des idées de Jean-Jacques Rousseau lors de son séjour à Paris, Boccherini, italien lui-même, s’intéressait à une musique « locale » au moment même où la musique italienne régnait toute-puissante ! Après avoir entendu à Madrid les quatuors op. 33 (1781), l’ambassadeur de Prusse n’eut de cesse que Boccherini ne fût attaché à son souverain. Le compositeur, à partir de 1786, envoya à Frédéric-Guillaume II, excellent violoncelliste, une quantité considérable de musique, dont 28 quintettes et 16 quatuors. Dans la famille Benavente-Osuna, avec laquelle il s’était lié, Boccherini eut l’occasion d’entendre nombre d’oeuvres de Joseph Haydn et côtoya notamment Goya, le poète et dramaturge Moratin et l’écrivain anglais Beckford. Pour cette société éclairée, il composa son unique opéra, la Clementina, retrouvé en 1960. La vie de Boccherini de 1787 à 1796 est mal connue. On crut longtemps qu’il s’était rendu en Prusse, à la cour de Potsdam, alors qu’en fait il resta à Madrid, végétant dans une relative obscurité. À la mort de Frédéric-Guillaume II, en 1797, il proposa en vain d’envoyer de la musique à son successeur. Sous le Consulat, le poste de directeur du conservatoire de Paris lui fut offert, mais Boccherini préféra demeurer dans cette Espagne qu’il considérait presque comme sa patrie. Lucien Bonaparte, ambassadeur du Consulat à Madrid à la fin de 1800, attira sa sympathie et reçut la dédicace de deux groupes de six quintettes op. 60 et 62. Après le retour de L. Bonaparte en France, Boccherini ne vécut plus que de la vente de ses oeuvres, confiées depuis 1796 à Ignace Pleyel, un éditeur qui payait fort mal. Une suite de deuils précipita la mort du musicien à Madrid. Ses cendres furent ramenées en Italie en 1927 et ensevelies en la basilique Saint-François de Lucques. Boccherini fut un des plus grands compositeurs de musique de chambre pour cordes et le plus grand compositeur italien de musique instrumentale de la seconde moitié du XVIIIe siècle. La maîtrise d’écriture et l’aisance formelle de ses très nombreux quatuors et quintettes passèrent pour « inexplicables « chez un héritier du baroque italien, jusqu’au jour où Hugo Riemann soutint que Boccherini avait récolté à Paris les fruits de l’école de Mannheim. Cette hypothèse confirme l’importance du musicien créateur, avec Joseph Haydn, du quatuor à cordes et initiateur du quintette, où il préfère, comme plus tard Schubert, la formule à 2 violoncelles - entre le rococo italien et les grands classiques viennois. À la pureté relativement abstraite de ces derniers, Boccherini, pourtant spontanément mélancolique et même dramatique comme Mozart, oppose un souci des couleurs, des trouvailles instrumentales (archet utilisé col legno, etc.) et une exceptionnelle sensibilité aux atmosphères qui font de lui l’héritier de certains traits les plus remarquables de Vivaldi. Le quintette del Fandango fait ouvertement appel au folklore. La Musique nocturne de Madrid résume un art extraordinairement en avance sur son temps : elle naît des bruits incohérents d’instruments en train de s’accorder, évolue vers des fredons populaires et des souvenirs de musiques sacrées et aboutit à une intense péroraison relevant de la plus pure tradition des danses de cour. Longtemps, un ravissant menuet extrait du quintette op. 11 no 5 (1771) est resté l’oeuvre la plus célèbre de Boccherini, offrant de lui une image gracieuse et fragile. On découvre aujourd’hui qu’il fut un compositeur hardi, engagé, précurseur de ce qu’il devait y avoir de meilleur dans les musiques « nationales « du siècle romantique. BOCHSA (Robert), compositeur et harpiste français (Montmédy 1789 - Sydney, Australie, 1856). Auteur de nombreuses pièces pour son instrument, il débuta comme compositeur d’opéras, d’oratorios et de ballets avant de transformer la harpe en un instrument virtuose. Membre de la chapelle impériale puis de celle de Louis XVIII, il fut impliqué dans une histoire de faux et dut se réfugier en Angleterre (1817), où il devint le premier professeur de harpe à la Royal Academy of Music. De nouveaux scandales l’obligèrent à quitter le pays (1827). En 1839, il s’enfuit avec la soprano Ann Bishop, épouse du compositeur sir Henry Bishop. Il se produisit avec elle en un tour du monde au cours duquel il mourut. BODIN (Lars-Gunnar), compositeur suédois (Stockholm 1935). Animateur et, de 1969 à 1972, président d’un organisme essentiel dans la création musicale en Suède, la fondation Fylkingen, il est devenu après cette date directeur du studio de musique électronique du Conservatoire royal de Stockholm. Après des expériences de théâtre musical, il consacre l’essentiel de sa production aux moyens électroacoustiques, dans des oeuvres qui cherchent souvent à intégrer des thèmes liés aux techniques et aux disciplines modernes - cybernétique (Cybo I et Cybo II, 1967), théorie de la connaissance (Traces I, 1970, et Traces II, 1971), philosophie marcusienne (Toccata, 1969) -, et qui utilisent fréquemment des textes (« Text-Sound Composition », équivalent de la poésie sonore française). Il a également réalisé des oeuvres multimédias associant des moyens musicaux et visuels (Clouds, 1972-1976) et des musiques de ballet (Place of Plays, 1967 ; From One Point to Another Point, 1968). On peut citer encore la pièce pour bande From the Beginning to the End (1973) et la cantate radiophonique For Jón (1977). BOÈCE (Anicius Manlius Torquatus Severinus Boetius, en fr.), philosophe latin (Rome v. 480 - environs de Milan 524). Conseiller de Théodoric le Grand, il fut, au faîte d’une carrière politique, impliqué dans un procès et mis à mort. Entre 500 et 507, il avait écrit un traité en 5 livres. De institutione musicae. Cet ouvrage, qui s’inspire de Platon, d’Aristote, de Nicomaque et de Ptolémée, aborde la théorie musicale sous l’angle de l’acoustique et de l’harmonie. Boèce assigne une place majeure à la musique dans l’éducation, en raison de l’influence morale qu’elle peut exercer. Le Moyen Âge dut à ce traité sa connaissance de la théorie musicale de l’Antiquité ; jusqu’à la Renaissance, l’autorité de Boèce demeura incontestée. BOËLLMANN (Léon), compositeur et organiste français (Ensisheim, Haut-Rhin, 1862 - Paris 1897). Disciple et neveu, par alliance, d’Eugène Gigout, il travailla la musique à l’école Niedermeyer. Nommé organiste à SaintVincent-de-Paul, il disparut prématurément, laissant une oeuvre importante, qui fut jouée avec succès de son vivant : symphonie en fa majeur, Variations symphoniques pour violoncelle et orchestre, sonate pour violoncelle et piano, Fantaisie pour orgue et orchestre, musique religieuse abondante. On ne joue plus guère aujourd’hui que la Suite gothique pour downloadModeText.vue.download 110 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 104 orgue, l’une des très nombreuses pièces qu’il écrivit pour son instrument. BOËLY, famille de musiciens français. Jean-F ranço is (Saint-Léger-de-Crossy, Aisne, 1739 - Chaillot 1814). Il fut hautecontre à la Sainte-Chapelle, à Paris, compositeur (il est l’auteur d’un motet Beatus vir) et professeur de harpe à la cour de Versailles. Il a, en outre, écrit un Traité d’harmonie, d’après Rameau, resté inédit (1808). Alexandre Pierre François, organiste et compositeur, fils du précédent (Versailles 1785 - Paris 1858). Élève de l’Autrichien Ladurner, qui l’initia à la musique de Bach, de Haydn et de Beethoven, alors in- connus en France, il fut nommé, en 1840, organiste à Saint-Germain-l’Auxerrois et y demeura jusqu’en 1851, date à laquelle on le congédia en raison de l’« austérité » de la musique qu’il y jouait : Bach, Frescobaldi, Couperin, Walther, Kirnberger, les maîtres français ; à cette époque, c’était plutôt les transcriptions d’opéras-comiques qui faisaient fureur. Pour exécuter les oeuvres de Bach, réputées injouables, il fit installer à son orgue un pédalier à l’allemande, dont l’usage ne se généralisa, dans la facture française, que durant la seconde moitié du siècle. Ses rares auditeurs - Gigout, Franck, et surtout Saint-Saëns - furent émerveillés d’entendre ces oeuvres ressuscitées, ainsi que le contrepoint sévère par lequel il traitait les thèmes du plain-chant, que l’on commençait à redécouvrir. Il finit ses jours comme humble professeur de piano. Il laisse une oeuvre abondante : musique de chambre, nombreuses pages pour le piano (caprices, suites, études), oeuvres souvent concises, très soigneusement composées et d’une réelle couleur romantique, où il se montre l’héritier de Scarlatti, de Cramer, de Haydn et de Beethoven. Pour l’orgue, il a écrit douze Cahiers de pièces de différents caractères et quatre Livres pour orgue à pédales ou piano à trois mains, en plus de publications d’oeuvres anciennes et de transcriptions diverses. Il y renoue avec le style des maîtres français classiques (versets, duos, dialogues, tierces en taille) et s’inspire des Allemands (fantaisies et fugues, chorals ornés). Inconnu du grand public, il n’en a pas moins joué un rôle déterminant dans la renaissance de la musique française au XIXe siècle. En 1902, Saint-Saëns reconnut la dette des musiciens français envers lui, en publiant une collection de ses oeuvres. BOESMANS (Philippe), compositeur belge (Tongres 1936). Au conservatoire de Liège, il étudia d’abord le piano avec Stefan Askenase et Robert Leuridan et s’orienta vers la composition après avoir rencontré Pierre Froidebise, puis Henri Pousseur. Programmateur musical au 3e Programme de la R. T. B. (1962), il est pianiste de l’ensemble Musiques nouvelles et attaché, depuis 1971, au Centre de recherches musicales en Wallonie dirigé par Pousseur. La même année, il a pris des fonctions à la station de Liège de la R. T. B. et obtenu le prix Italia pour Upon La Mi pour voix et cor solo, 11 instrumentistes et amplification (1969). Sa production, issue du courant sériel postwebernien, tente de s’en dégager en réintégrant certaines fonctions harmoniques, des rythmes périodiques, des éléments mélodiques ou des mouvements conjoints. L’intuition y fait bon ménage avec la rigueur. Boesmans est, assurément, une des principales figures de la jeune musique belge. On lui doit notamment Cassation pour 5 instruments (1962), Sonance pour 2 pianos (1963), Verticales pour grand orchestre (1969), Fanfare I pour 2 pianos à 2 mains (1970) et II pour orgue (1972), Intervalles I (1972) et II (1973) pour grand orchestre et III pour voix solo et grand orchestre (1975-76), Sur mi pour 2 pianos, orgue électrique, crotales et tam-tam (1974), Multiples pour 2 pianos et orchestre (1974-75), Ring pour orgue électronique, harpe, piano, 2 percussionnistes et ensemble instrumental (1975). Attitudes, qui relève du théâtre musical, a été créé à Bruxelles en 1979 et repris à Avignon en 1980. Suivirent un Concerto pour violon (1979), Conversions pour orchestre (1980), l’opéra la Passion de Gilles (1982), Trakl Lieder (1988), l’opéra la Ronde (1993), Dreamtime (1993). BOESSET (Antoine), compositeur français (Blois 1586 ou 1587 - Paris 1643). Élève de Pierre Guédron, dont il devint le gendre et auquel il succéda à la charge de surintendant de la Musique du roi (1622), il fut un des musiciens favoris de Louis XIII, qui le nomma successivement maître de chant des bénédictines de Montmartre, maître des enfants de la musique de la Chambre du roi (1613) et surtout maître de la Musique de la reine (1615). De tempérament lyrique, il lui manqua malheureusement le sens dramatique qui lui aurait permis de mettre ses belles mélodies au service d’un argument suivi. Au contraire, dans de nombreux ballets « à entrées », la musique de Boesset et de ses collègues s’éloigne du courant nettement dramatique établi par Guédron. Mais Boesset vécut au temps des ballets de cour, et sa collaboration à ces spectacles fut parmi les plus importantes, tant par la qualité que par la quantité (la Délivrance de Renaud, 1617 ; Ballet des dandins, 1626 ; Grand Bal de la douairière de Billebahaut, 1626 ; Ballet de la félicité, 1639, etc.). Boesset est un admirable mélodiste, et les textes qu’il met en musique sont souvent tirés de l’oeuvre des meilleurs poètes, tels que Tristan, Théophile, Boisrobert ou Racan. Ses airs possèdent un charme irrésistible, une grâce et une harmonie entre poésie et musique qui lui méritèrent le respect de ses contemporains et qui le placèrent au premier rang des musiciens de son époque. Les airs du « vieux Boesset » ont été chantés longtemps après sa mort. Il est l’un des premiers à avoir employé la basse continue en France, et cette technique se rencontre dans ses derniers livres d’airs polyphoniques. Il a laissé en tout 9 livres d’Airs de cour à 4 et 5 parties (1617-1642). Ses airs pour une voix et luth se trouvent dans différents recueils parus chez Ballard entre 1608 et 1643. Il a également composé des messes et des motets à 4 et 5 voix. Son fils, Jean-Baptiste (1614-1685), devint surintendant de la Musique en 1644. Des airs de sa composition sont conservés. BOESWILLWALD (Pierre), compositeur français (Toulon 1934). Il est collaborateur, depuis 1972, du Groupe de musique expérimentale de Bourges. Sa production, d’abord consacrée presque exclusivement aux moyens électroacoustiques (la Promenade du dimanche, 1970) ; les 3 Tocatannes, 19731975 ; Dedans-dehors, 1975), s’ouvre ensuite à des expériences de théâtralisation de la musique par haut-parleurs, faisant intervenir un comédien, des projections, etc. (Homo dixit, 1977). Boeswillwald est un poète en prose de la musique électroacoustique, qui écrit au présent de l’indicatif avec un style bien à lui, familier, vif et aéré. BOETTICHER (Wolfgang), musicologue allemand (Bad Ems 1914). Ayant abordé la musique par l’étude du piano, il a donné, très jeune, des concerts. Mais il a renoncé à cette carrière pour se consacrer à la musicologie. À l’université de Berlin, il a été l’élève d’Arnold Schering et de Curt Sachs. Il a publié plusieurs ouvrages sur Schumann et poursuivi des recherches très étendues sur la musique de la Renaissance. Il a aussi préparé des éditions des oeuvres de Schumann et de R. de Lassus. En 1956, W. Boetticher a été nommé professeur à l’université de Göttingen, où il enseignait depuis 1949. Parmi ses principaux écrits, on peut mentionner : R. Schumann, Einführung in Persönlichkeit u. Werk (Berlin, 1941) ; O. di Lasso u. seine Zeit (2 vol., Kassel et Bâle, 1959-1969). BOEUF (Georges), compositeur français (Marseille 1937). Professeur de saxophone, instrument pour lequel il a écrit les deux quatuors Parallèles (1967-68) et l’Image poursuivie (1973), il a été membre du Groupe de musique expédownloadModeText.vue.download 111 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 105 rimentale de Marseille, fondé en 1968 par Marcel Frémiot, avant d’en devenir le responsable en 1974. Parmi ces oeuvres électroacoustiques, on peut citer : Mémoire (1972), le Départ pour la lune, pour orgue et bande magnétique (1972), Champs (1975), Jusqu’au lever du jour (1977), Du côté du miroir (1977), Phrases, pour flûte et bande (1977). Avec Michel Redolfi, il a conçu et créé Whoops (1re version, 1976 ; 2e version, 1977), première oeuvre pour « homo-parleur » (système de diffusion par haut-parleurs « greffés » sur le corps d’interprètes en action), et contribué à la réalisation collective du G.M.E.M., la Mer (1978). BÖHM (Georg), compositeur et organiste allemand (Ohenkirchen, près d’Ohrdruf, 1661 - Lüneburg 1733). Après des études à l’université d’Iéna, il séjourna à Hambourg avant d’occuper, de 1698 jusqu’à sa mort, le poste d’organiste à l’église Saint-Jean de Lüneburg, église où le jeune Johann Sebastian Bach fut choriste en 1700. Il composa 11 suites pour clavecin, une vingtaine d’oeuvres pour orgue, 23 lieder spirituels ; 9 cantates et 2 motets lui sont attribués. Influencé par les maîtres de l’Allemagne du Nord, Buxtehude en particulier, il marqua à son tour les organistes allemands du XVIIIe s., dont Johann Sebastian Bach qui l’imita dans ses premières oeuvres et lui emprunta un menuet dans le Petit Livre d’Anna Magdalena Bach. BÖHM (Karl), chef d’orchestre autrichien (Graz 1894 - Salzbourg 1981). Parallèlement à des études de droit à Graz, il étudie la musique à Vienne avec Eusebius Mandyczewski. Il devint premier chef d’orchestre à l’opéra de Graz en 1917. Bruno Walter l’engagea à l’opéra de Munich en 1921. Il fut nommé directeur de la musique à Darmstadt en 1927, au Stadttheater de Hambourg en 1931, fut directeur de l’opéra de Dresde, de 1932 à 1942, et de l’opéra de Vienne, de 1943 à 1945 et de 1954 à 1956. Durant cette deuxième période, il fut également premier chef de la Philharmonie de Vienne. Böhm a été l’ami de Richard Strauss, dont il a créé les opéras la Femme silencieuse et Daphné. Il a dirigé les premières représentations de nombreux autres ouvrages, comme Massimilla Doni d’Othmar Schoeck. Il a fait dans le monde entier une carrière aussi brillante comme chef d’opéra que comme chef d’orchestre symphonique. Ses interprétations, qui donnent une impression de perfection, de juste mesure, d’équilibre, sont particulièrement admirées dans les oeuvres de Mozart, Beethoven, Richard Strauss, mais aussi Brahms, Wagner et Bruckner. Il a écrit des lieder et de la musique de chambre. BÖHM (Theobald), flûtiste et compositeur allemand (Munich 1794 - id. 1881). Virtuose accompli que ses contemporains tenaient pour le plus grand flûtiste d’Allemagne, il a enrichi le répertoire de son instrument d’une vingtaine de concertos, fantaisies, variations et autres compositions d’un romantisme maintenant démodé. Mais son nom reste attaché aux améliorations considérables et définitives qu’il apporta à la flûte traversière à partir de 1830 (système de clés, perce cylindrique, etc. ; ! FLÛTE). Elles sont présentées dans son traité Über den Flötenbau und die neuesten Verbesserungen desselben, Mayence, 1847 (« de la fabrication et des derniers perfectionnements de la flûte »). Il écrivit également Die Flöte und das Flötenspiel, Munich, 1871 (« la flûte et le jeu de la flûte »). Le « système Böhm » a été adapté avec succès à d’autres instruments de la famille des bois, notamment la clarinette et le hautbois. BOIELDIEU (François Adrien), compositeur français (Rouen 1775 - Jarcy, Essonne, 1834). Fils du secrétaire de l’archevêque de Rouen, il devint enfant de choeur à la cathédrale et reçut de l’organiste Broche des notions de composition musicale, qui furent ses seules études. En effet, si, après ses premières oeuvres où l’instinct et le bon goût remplaçaient la science, il comprit qu’il lui faudrait apprendre son métier, c’est en autodidacte qu’il fit cet apprentissage. Étonnamment doué, Boieldieu écrivit à dix-huit ans son premier opéra-comique, la Fille coupable (1793), sur un livret de son père. L’accueil fait à un second ouvrage, Rosalie et Myrza (1795), l’incita à se fixer à Paris pour y poursuivre une carrière de compositeur. Reçu dans la maison Érard, il y rencontra Méhul et Cherubini, qui devinrent ses amis et le conseillèrent utilement. Les chanteurs Pierre-Jean Garat et Cornélie Falcon, en interprétant ses romances dans les salons, le rendirent célèbre. Le théâtre Feydeau lui ouvrit bientôt ses portes (1796), puis l’Opéra-Comique, où s’imposa en 1798 la Dot de Suzette, dont les gracieuses mélodies restèrent longtemps populaires. Le Calife de Bagdad (1800) et Ma tante Aurore (1803) furent chaleureusement accueillis. Les querelles de Boieldieu avec sa femme, la danseuse Clotilde Malfleuroy, décidèrent le compositeur à s’éloigner de Paris. Il partit pour Saint-Pétersbourg, où il obtint le poste de compositeur de la Cour. Il y resta sept ans et y composa six ouvrages, dont deux (la Jeune Femme colère, 1805 ; les Voitures versées, 1808) furent repris à Paris. Les triomphes de Jean de Paris (1812) et du Nouveau Seigneur du village (1813) marquèrent le retour de Boieldieu dans la capitale française. Déjà professeur de piano au Conservatoire, il y devint professeur de composition en 1817, succédant à Méhul. Il présenta l’année suivante le Petit Chaperon rouge, dont il avait particulièrement soigné l’écriture et qu’il déclara plaisamment être son discours de réception à l’Académie des beaux-arts, où il fut élu à cette époque. Après un silence de plusieurs années fut représenté son chef-d’oeuvre, la Dame blanche (1825), dont le succès s’est prolongé jusqu’à nos jours. Devenu veuf la même année, Boieldieu épousa la cantatrice Phillis. Atteint d’une laryngite tuberculeuse, il résilia ses fonctions au Conservatoire et se retira dans sa propriété de Jarcy, où il s’éteignit comblé d’honneurs, mais dans une situation matérielle difficile. Son service fu- nèbre eut lieu en grande pompe aux Invalides et on y joua le Requiem de Cherubini. Que l’on ait pu souvent, en parlant de Boieldieu, évoquer Mozart suffit à indiquer le ton de sa musique et sa qualité ; en même temps, l’art de ce compositeur apparaît spécifiquement français : tendre, spirituel, sensible, intelligent, ennemi de toute mièvrerie, d’une délicate originalité, avec une écriture à la fois simple et subtile. Wagner et bien d’autres grands musiciens ont dit toute leur admiration pour son talent. Outre une quarantaine d’ouvrages lyriques, Boieldieu a écrit de la musique de piano, dont plusieurs sonates, de la musique de chambre, un concerto pour piano (1792) et un concerto pour harpe (1795). BOIS. Terme générique qui désigne : 1. Les instruments à vent construits en bois, même de nos jours (hautbois, basson, cor anglais, clarinette, etc.) ; 2. Les instruments à vent qui, à l’origine, étaient construits en bois (flûte) ; 3. Les instruments à anche simple qui ont toujours été métalliques, mais que leur principe rattache aux bois (saxophones). La famille des bois comprend donc, pratiquement, la flûte et tous les instruments à anche simple ou double. BOISGALLAIS (Jacques), compositeur français (Le Mesle-sur-Sarthe, Orne, 1927). Il a été, au Conservatoire de Paris, l’élève de Samuel-Rousseau pour l’harmonie, de Simone Plé-Caussade pour le contrepoint, de Darius Milhaud et de Jean Rivier pour la composition. En 1955, il entre à la R. T. F. comme musicien-metteur en ondes, métier qu’il continue d’exercer pour Radio-France. Compositeur, il s’est vu décerner plusieurs récompenses : son 1er quatuor à cordes a obtenu le prix YvonneLiébin (1958), sa symphonie les Ombres, le premier prix de la Ville de Paris (1966-67). Il a essentiellement écrit des oeuvres pour downloadModeText.vue.download 112 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 106 orchestre et pour diverses formations instrumentales, d’une écriture ferme et colorée. On lui doit aussi des partitions de musique radiophonique. BOISMORTIER (Joseph Bodin de), compositeur français (Thionville 1689 Roissy-en-Brie 1755). Après avoir passé les vingt-cinq premières années de sa vie en Lorraine, où il rencontra H. Desmarest, alors surintendant de la musique du duc Léopold, il effectua plusieurs séjours à Perpignan. Quatre ans plus tard, il commença à éditer ses oeuvres à Paris, où il poursuivit sa carrière de compositeur. Ses compositions s’inscrivirent parfois dans la tradition de la musique française lorsqu’il écrivit des opéras comme Daphnis et Chloé (1747), sa sonate pour 2 flûtes et sans basse ou ses cantates, genre auquel il s’efforça toutefois d’apporter un renouveau, notamment dans Actéon (1732). Il fut aussi l’un des premiers musiciens français à adopter la forme tripartite du concerto italien, quand parurent, en 1727, ses 6 concertos pour 5 flûtes traversières. À cet instrument, il consacra bon nombre de sonates, tout en étant aussi inspiré par la vielle et la musette, pour lesquelles il composa plusieurs pièces qui témoignent du goût, alors très en vogue, pour la bergerie. Il céda aussi à la mode lorsqu’il intercala des noëls populaires dans son motet le plus célèbre, Fugit nox, qui eut le privilège de rester pendant vingt ans au répertoire de la chapelle royale. Par son inspiration, mais aussi par son style gracieux et élégant, Boismortier peut être considéré comme l’un des artistes les plus représentatifs de l’art musical français de la première moitié du XVIIIe siècle. BOÎTE À MUSIQUE. Le cylindre à picots, issu du principe de la roue à cames, était connu depuis la fin du Moyen Âge et servait à animer des carillons, des automates et autres objets mécaniques. Vers la fin du XVIIIe siècle, un horloger genevois eut l’idée de l’adapter à un mince peigne d’acier, dont les dents, de longueur inégale, produisaient autant de notes. Quand le cylindre tourne, entraîné par une manivelle ou, le plus souvent, par un mouvement d’horlogerie, les picots disposés sur une même ligne horizontale accrochent au passage le bout des lames correspondantes et les font vibrer. Des airs plus ou moins longs (suivant le diamètre du cylindre) peuvent être ainsi reconstitués avec leur accompagnement. Par la suite, des cylindres interchangeables ont permis aux modèles les plus perfectionnés de rivaliser avec l’orgue de Barbarie, quant à la variété du répertoire. C’est surtout au XIXe siècle que la boîte à musique a connu la plus grande vogue, jouant un rôle certain dans la diffusion de la musique. L’invention du phonographe semble lui avoir porté un coup fatal, mais on continue pourtant à en fabriquer, surtout en Suisse, à cause du charme archaïque et naïf, inimitable, qui se dégage de la sonorité de cet appareil. BOÎTE EXPRESSIVE. Disposition utilisée en facture d’orgues et consistant à enfermer tous les tuyaux d’un clavier dans un coffret étanche, clos vers l’avant par une série de jalousies mobiles actionnées par une cuiller ou une pédale commandée de la console. Les sonorités sont ainsi étouffées et s’éclaircissent en léger crescendo lorsque l’exécutant ouvre la boîte. Inventée au XVIIIe siècle, la boîte expressive a été très généralement répandue dans les orgues d’esthétiques romantique et postromantique, où elle répond au besoin de nuances nouvelles du style symphonique. Elle affecte les jeux du clavier de récit et, sur les instruments plus grands, ceux du clavier de positif. BOITO (Enrico, dit Arrigo), compositeur, poète et librettiste italien (Padoue 1842 - Milan 1918). Fils d’un sculpteur italien et d’une comtesse polonaise, il mena de pair des études musicales et littéraires dans des conditions difficiles, son père ayant abandonné le domicile familial. Il publia des poésies de caractère libertaire et entama une carrière de chroniqueur, puis, encouragé par Emilio Praga, l’un des pères de la « scapigliatura » ( ! VÉRISME), il se rendit à Paris, où il découvrit une musique instrumentale inconnue en Italie, rencontra Baudelaire, Rossini, Verdi (auquel il fournit les vers de l’Hymne des nations) et Gounod, dont il fit représenter le Faust à Milan. Conscient des faiblesses du livret de cet opéra, il rédigea un poème d’après les deux Faust de Goethe, en écrivit la partition et présenta l’oeuvre à la Scala en 1868, sans aucun succès. Révisé, notablement raccourci, ce Mefistofele triompha à Bologne en 1875, mais ne trouva sa forme définitive qu’après de nouvelles modifications pour sa nouvelle présentation à la Scala, en 1881, avec une éclatante distribution. Entre-temps, Boito s’était enflammé pour les courants nouveaux de l’art ; il milita en faveur de Wagner (on lui doit les versions italiennes de Rienzi et de Tristan, mais aussi celle du Freischütz de Weber) et prit position contre Verdi. L’éditeur Ricordi ayant réconcilié les deux artistes, Boito aida Verdi à la refonte de son Simon Boccanegra (1881), puis écrivit pour lui les livrets d’Otello et de Falstaff. Il fournit également des livrets à d’autres musiciens : son ami Franco Faccio (Hamlet), Ponchielli (La Gioconda), Catalani (La Falce) et Mancinelli (Ero e Leandre). Directeur du conservatoire de Parme, de 1889 à 1897, élu sénateur en 1912, il travailla longtemps à un Néron, dont il publia le livret en 1901, mais qu’il laissa inachevé ; complétée par Antonio Smareglia et Vincenzo Tommasini, l’oeuvre fut créée à la Scala de Milan en 1924, sous la direction de Toscanini. Esprit ambitieux et tourmenté, toujours insatisfait, à l’image de son héros Faust, Boito, auteur de recueils de vers, de romans, de drames, ne sut pas toujours mettre son talent musical à la hauteur de son inspiration littéraire ; son Mefistofele, oeuvre d’extrême jeunesse, n’en contient pas moins des pages prophétiques, cependant que Néron souligne la prodigieuse évolution de son style vers un modernisme affirmé. BOKANOVSKI (Michèle), femme compositeur française (Paris 1943). Après un stage au Groupe de recherches musicales de Paris, elle poursuit, dans son studio personnel, la réalisation d’oeuvres électroacoustiques et « mixtes » (pour instruments et bande) rares et méditées. On peut citer : Koré (1972), pour ensemble vocal et bande, Pour un pianiste (1974), pour bande et piano, pièce remarquable, dédiée à son instigateur et interprète Gérard Frémy, 3 Chambres d’inquiétude (1975-76), Suite pour l’Ange (1980) et les bandes sonores très denses et étudiées qu’elle a réalisées pour les films de Patrick Bokanovski (la Femme qui se poudre, le Déjeuner du matin, l’Ange). BOLCOM (William), compositeur américain (Seattle 1938). Il fit ses études à l’université de Washington, à Mill’s College, à l’université Stanford avec Leland Smith et au Conservatoire de Paris (1959-1961) avec Simone Plé-Caussade (contrepoint), Olivier Messiaen (esthétique), Darius Milhaud et Jean Rivier (composition). Il fréquenta aussi Darmstadt, où il subit l’influence de Pierre Boulez. Il a ensuite occupé diverses fonctions aux États-Unis, notamment celle d’assistant au Queen’s College de New York (1966-1968). Sa musique fait appel à des techniques très diverses : composition sérielle, expériences dans le domaine des microtons, etc. Son catalogue comprend notamment 4 symphonies, 9 quatuors à cordes, des oeuvres concertantes, des pièces pour différentes formations instrumentales (en particulier Sessions I à IV, 1965-1967) et les opéras d’acteurs Dynamite Tonite (1963), Greatshot (1969) et Theatre of the Absurd (1970). BOLÉRO. Danse espagnole et plus particulièrement andalouse, connue depuis la fin du XVIIIe siècle. Elle est issue de la séguedille et son inventeur serait le danseur Cerezo. AcdownloadModeText.vue.download 113 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 107 compagné, à l’origine, de chants et de castagnettes, le boléro se compose de trois couplets sur un mouvement modéré à 3/4. Des changements de rythme à l’intérieur du ternaire sont possibles. rappel schéma Le boléro s’est rapproché du fandango par l’accent de plus en plus nerveux des castagnettes. Weber, Auber, Chopin, Albéniz et Ravel (ce dernier dans un mouvement un peu plus lent) ont utilisé le rythme caractéristique de cette danse. BOLET (Jorge), pianiste cubain naturalisé américain (La Havane 1914 - Moutain View, Californie, 1990). Il étudie au Curtis Institute de Philadelphie avec Saperton, Hofman, Godowski et Moritz Rosenthal, puis à Vienne et à Paris. À l’âge de seize ans, il fait ses débuts à Carnegie Hall sous la direction de Fritz Reiner. De 1939 à 1942, il est l’assistant de Rudolf Serkin à la direction du Curtis Institute de Philadelphie. Sa carrière se partage d’emblée entre le piano et la diplomatie. En 1946, il prend la direction de la musique au Quartier général américain de Tokyo, où il dirige principalement des opérettes, dont la première japonaise de The Mikado de Gilbert et Sullivan. En 1960, il double Dirk Bogarde interprétant le rôle de Liszt dans le film Song without End. Ses interprétations des oeuvres de Liszt et de Chopin, ses deux compositeurs de prédilection, se réclament d’une tradition pianistique qui remonte à Rachmaninov et Lhevine mais aussi à Cortot. BOLOGNE (école de). La période la plus glorieuse de cette école, qui concerne en particulier la musique de violon, se situe dans la seconde moitié du XVIIe siècle et au début du XVIIIe. Cependant, on peut déjà citer, à la fin du XVe siècle, le nom de Giovanni Spataro, maître de chapelle de la basilique San Petronio et auteur d’ouvrages théoriques. C’est en raison de l’importante activité musicale à San Petronio qu’une véritable école se développa à Bologne. Après Girolamo Giacobbi (1567-1629), qui fit toute sa carrière attaché à la basilique, Maurizio Cazzati (v. 1620-1677) y devint maître de chapelle en 1657 et établit les bases formelles et stylistiques de l’école. Cazzati est l’auteur d’une oeuvre considérable (musique religieuse, sonates), mais sa musique n’a pas le souffle de celle de son élève Giovanni Battista Vitali (1632-1692), chez lequel l’invention thématique, qui se prête à un traitement en contrepoint, et la rigueur de l’écriture, alliées à une grande connaissance du violon, donnèrent naissance aux premiers chefs-d’oeuvre de l’école de Bologne. À San Petronio, Giovanni Paolo Colonna (1637-1695), puis Giacomo Antonio Perti (1661-1756) succédèrent à Cazzati. À cette époque, Bologne comptait un grand nombre d’académies, dont la plus importante était l’Accademia dei Filarmonici, fondée, en 1666, sur l’initiative de Colonna. Mozart devait y appartenir plus tard. Parmi les élèves de Perti, on trouve Giuseppe Torelli (1658-1709), Giuseppe Jacchini ( ?-1727) et le padre Martini (1706-1784). À l’Accademia dei Filarmonici, on rencontre, outre Torelli et Martini, Giovanni Battista Bassani, les Bononcini, Arcangelo Corelli. À l’intense vie musicale de Bologne sont également associés Giuseppe Felice Tosi et Domenico Gabrielli. Formé à Bologne, Corelli (1653-1713) poursuivit sa carrière à Rome. De Bologne, il hérita l’assurance avec laquelle il écrivit pour le violon et le talent avec lequel, dans ses concertos, il établit le contraste entre mouvements mélodiques et mouvements en contrepoint. Demeuré à Bologne et, depuis 1686, attaché à San Petronio, Torelli continua à cultiver le style du concerto et fixa la forme tripartite qui allait demeurer longtemps en vigueur : allegro-adagio-allegro. À sa mort, le centre de la création violonistique italienne se déplaça de Bologne à Venise. Cependant, le padre Martini continua d’attirer dans sa ville, durant tout le XVIIIe siècle, des disciples venus des quatre coins de l’Europe. BOMBARDE. 1. Instrument à vent en bois, de la famille du hautbois, en usage essentiellement du XVe au XVIIe siècle. Munie d’une anche double large et courte, d’un pavillon très ouvert et souvent d’une clé, elle existe en plusieurs tailles, correspondant à des tessitures différentes, et produit des sons d’une justesse approximative, mais d’une rare puissance. Le modèle aigu percé de sept trous s’est maintenu en Bretagne comme instrument folklorique. 2. Jeu d’orgue à anche, du type trompette, dont le tuyau est de forme conique régulière et de grande longueur, à grosse taille, fabriqué en étain ou en bois. Il sonne à l’octave grave de la trompette (16 pieds) ou à la double octave (32 pieds), prenant alors parfois le nom de contre-bombarde ou de bombardon. La bombarde est associée à la trompette et au clairon pour constituer une batterie d’anches complète, utilisée dans les tutti de l’instrument. On trouve la bombarde au pédalier, pour soutenir les basses, ou aux claviers manuels, soit au grand-orgue, soit, dans les grands instruments, à un clavier spécialement consacré à la batterie d’anches et prenant alors le nom de clavier de bombarde. BOMBARDON. Nom donné à la basse de la famille des bombardes en Allemagne et en Italie, aux XVIe et XVIIe siècles. Le terme bombardone était employé en Allemagne au XIXe siècle pour désigner un instrument grave, en cuivre et à vent, semblable à ce que nous appelons en France ophicléide. Enfin, bombardon est devenu le nom familier et général des instruments de cuivre de la tessiture la plus grave (saxhorn, contrebasse, tuba). BOMTEMPO (João Domingos), pianiste et compositeur portugais (Lisbonne, baptisé en 1775 - id. 1842). C’était l’un des dix enfants d’un musicien italien au service du roi Joseph. Il étudia le hautbois, le contrepoint et le piano, et devint premier hautbois de l’Orchestre royal (1795). En 1801, il partit à Paris pour s’y perfectionner ; jusqu’alors, les musiciens portugais se rendaient en Italie. En 1802, il rencontra dans la capitale française Muzio Clementi et son élève John Field ; le nouveau style pianistique de Clementi l’influença. À partir de 1804, plusieurs concerts établirent, à Paris, sa renommée de pianiste et compositeur ; il fit publier chez Leduc ses premières oeuvres. En 1810, après la création de sa 1re symphonie (1809), il se rendit à Londres, où Clementi publia, dans sa propre maison d’édition, plusieurs de ses partitions. En 1814, il regagna son pays natal, mais fit encore plusieurs séjours à Paris et à Londres, avant de s’installer définitivement à Lisbonne, en 1820. À son initiative naquit, en 1822, une société philharmonique, qui, par ses concerts, allait beaucoup contribuer, jusqu’en 1828, à l’évolution du goût des mélomanes portugais. En 1833, à la création du conservatoire de Lisbonne, Bomtempo en fut nommé directeur. Il finit sa vie entouré de respect. Son activité de pianiste, compositeur, pédagogue et organisateur alla à l’en- contre de la prépondérance du style italien et fit place à la musique instrumentale face à l’opéra. Le modernisme de son écriture pour le piano contribua à définir la technique de cet instrument alors en pleine évolution. Outre ses nombreuses compositions pianistiques, Bomtempo a écrit de la musique symphonique et concertante, des cantates et oeuvres religieuses, et de la musique de chambre. BONCI (Alessandro), ténor italien (Cesena, province de Forli, 1870 - Viserba, près de Rimini, 1940). Il débuta à Parme, en 1896, dans le rôle de Fenton de Falstaff de Verdi, acquit rapidement une notoriété internationale et fut engagé dans le monde entier. Sa carrière se poursuivit jusqu’en 1927. C’était un ténor lyrique à la voix limpide, émise avec une égalité parfaite. Son style raffiné, son art de « miniaturiste » (R. Celletti) firent de lui, avec Mattia Battistini, un des derniers représentants de la tradition du bel canto downloadModeText.vue.download 114 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 108 au début du XIXe siècle. Alessandro Bonci brilla particulièrement dans les oeuvres de Bellini et de Donizetti. BONDEDIVERS (Emmanuel), compositeur français (Rouen 1898 - Paris 1987). Fils du sacristain de l’église Saint-Gervais de Rouen, il commença, fort jeune, ses études musicales avec l’organiste Louis Haut. Orphelin à seize ans, il fut nommé organiste de Saint-Nicaise, travailla avec Jules Haelling, organiste de la cathédrale, puis, après la guerre, à Paris avec Jean Déré. Il écrivit trois pièces pour piano, les Illuminations, qu’il orchestra ; l’un de ces trois poèmes symphoniques, le Bal des pendus, fut joué sous la direction d’Albert Wolff aux Concerts Lamoureux. En 1934, il entra à la station de radio de la tour Eiffel et devint secrétaire général de la Radiodiffusion française, en 1938 ; il s’efforça de faire jouer les compositeurs français contemporains et participa à la création des dix premiers orchestres radiophoniques régionaux. Il fut aussi l’un des fondateurs du groupe le Triton. En 1935, son École des maris fut créée à l’OpéraComique. Directeur artistique de Radio Monte-Carlo (1945), directeur de l’OpéraComique (1949), où l’on créa sa Madame Bovary en 1951, il fut nommé directeur de l’Opéra en 1952, puis directeur de la musique de la Réunion des théâtres lyriques nationaux en 1959. Membre de l’lnstitut depuis 1959, il est, à partir de 1964, secrétaire perpétuel de l’Académie des beauxarts. Son opéra Antoine et Cléopâtre a été créé au théâtre des Arts de Rouen en 1974. Ses trois oeuvres pour le théâtre constituent l’essentiel de la production d’Emmanuel Bondeville. Ce sont des partitions vivantes, d’une écriture variée, d’une orchestration habile, d’une inspiration lyrique parfois brûlante. Bondeville a aussi écrit des pièces symphoniques, des motets et des mélodies. BONDON (Jacques), compositeur français (Boulbon, Bouches-du-Rhône, 1927). Il a fait ses études à l’école César-Franck, puis avec Charles Koechlin et au Conservatoire de Paris avec Jean Rivier et Darius Milhaud. Il a obtenu, en 1963, le grand prix musical du conseil général de la Seine pour l’ensemble de son oeuvre. Même si les influences de Milhaud et de Bartók sont perceptibles, Bondon apparaît comme un musicien libre et indépendant. Le fantastique et la science-fiction ont inspiré plusieurs de ses oeuvres. Bondon a écrit de la musique symphonique, de la musique de chambre (dont deux partitions remarquables : quatuor à cordes, 1958, et Giocoso pour violon et orchestre à cordes, 1960), de la musique vocale (dont le Pain de serpent pour voix et 14 instruments, 1959), de nombreuses musiques de films, les opéras Mélusine au Rocher (Luxembourg, 1969), Ana et l’albatros (Metz, 1970) et i. 330 (Nantes, 1975), l’oratorio le Chemin de Croix (1989). BONGO. Instrument à percussion cubain, de la famille des « peaux ». Le petit fût cylindrique du bongo, fait de planchettes juxtaposées à la manière des douves d’un tonneau, est fermé à la partie supérieure par une peau, dont la tension est réglable. Les bongos vont par paire, posée sur les genoux ou fixée sur pied, et se jouent soit à mains nues, soit avec des baguettes de tambour. BONI (Guillaume), compositeur français (Saint-Flour v. 1515 - Toulouse 1594). Il vécut dans l’entourage humaniste du cardinal Georges d’Armagnac, qu’il accompagna dans ses ambassades à Venise et à Rome. Celui-ci, devenu archevêque de Toulouse, lui confia la maîtrise de la cathédrale. Boni composa pour ce choeur deux volumes de motets à 5 et 7 voix, et d’autres pièces religieuses témoignant de l’influence de la musique italienne qu’il entendit au cours de ses voyages. Il écrivit aussi des chansons profanes sur des vers de Ronsard et de Pibrac (Sonetz de P. de Ronsard à 4 voix, Paris, 1576 ; les Quatrains du Sieur de Pibrac, de 3 à 6 voix, Paris, 1582 ; 2e livre, 1579). BONNET (Joseph), organiste et compositeur français (Bordeaux 1884 - SaintLuce, Canada, 1944). Élève de son père - lui-même organiste à Bordeaux (église Sainte-Eulalie), puis à Paris -, de Vierne, de Tournemire et de Guilmant, il fut nommé organiste de Saint-Eustache en 1906, poste qu’il occupa jusqu’à sa mort, tout en effectuant des tournées internationales, principalement en Amérique. Il a écrit pour son instrument et publié des éditions d’oeuvres classiques, notamment des Fiori musicali de Frescobaldi. Il s’est imposé par la pureté de son style d’exécution et par la réflexion qui présidait à ses interprétations. BONNET (Pierre), compositeur français (fin XVIe s.). On ignore pratiquement tout de son existence sinon qu’il naquit dans le Limousin et qu’il fréquenta la cour du roi Henri III jusqu’en 1586, année où il entra au service de Georges de Villequier, gouverneur de la haute et de la basse Marche. Il a laissé des airs et des villanelles à 4 et 5 voix (1er Livre d’airs, Paris, 1585 ; Airs et villanelles, Paris, 1600 et 1610). Comme les airs de Jean Planson, ceux de Pierre Bonnet, fort beaux, mettent l’accent sur l’importance mélodique de la partie supérieure et appartiennent à la première période de l’air de cour. Ses chansons s’inspirent parfois de la musique mesurée à l’antique, et leur écriture verticale contribue à la compréhension des paroles. Souvent, elles prennent la forme d’un dialogue (ex. : Francion vint l’autre jour, à 5 voix). BONNO (Giuseppe), compositeur autrichien d’origine italienne (Vienne 1710 id. 1788). Auteur surtout d’ouvrages religieux et d’opéras, il succéda en 1774 à Florian Gassmann au poste de maître de chapelle impérial et eut lui-même comme successeur Salieri. BONONCINI, famille de musiciens italiens. Giovanni Maria, violoniste et compositeur (Montecorone, près de Modène, 1642 - Modène 1678). Il fut probablement l’élève de Marco Uccellini et étudia la théorie et le contrepoint avec A. Bendinelli. Membre de l’Accademia Filarmonica de Bologne, il fut nommé, en 1671, violoniste à la chapelle de la cathédrale de Modène, puis, à partir de 1673, maître de chapelle. G. M. Bononcini fut le représentant le plus important de l’école instrumentale de Modène à la fin du XVIIe siècle. Il marqua de son talent la sonate d’église et la sonate de chambre, refusant toute virtuosité purement instrumentale, si ce n’est dans les Arie, correnti e sarabande op. 4, pièces écrites pour lui-même et son protecteur Obizzo Guidoni. Ses sonates de chambre représentèrent la dernière étape de l’évolution aboutissant, en 1685, à l’opus 2 de Corelli. Quelques-uns de ses recueils de musique instrumentale portent de jolis titres comme son opus 1 : I primi frutti del giardino musicale pour 2 violons et continuo (1666). Giovanni, parfois appelé, à tort, Giovanni Battista, compositeur (Modène 1670 - Vienne v. 1755). Fils du précédent, il fut l’élève de son père, de G. P. Colonna, à Bologne, et étudia le violoncelle avec G. Buoni. Il publia à Bologne, dès l’âge de quinze ans, Trattenimenti da camera op. 1. En 1687, il entra à la chapelle San Petronio de Bologne comme violoncelliste, puis à l’Accademia Filarmonica, avant de devenir maître de chapelle de San Giovanni in Monte. De 1689 à 1696, il se trouva à Rome au service du cardinal Pamphili. Après un bref séjour à Venise, il se rendit à Vienne où il fut nommé, en 1700, compositeur de la cour de Léopold Ier. Il séjourna en- suite à Berlin, à Milan, à Londres (1716), à Rome (1719) et, en 1720, de nouveau à Londres où il devint le rival de Haendel en tant que compositeur d’opéras italiens (l’Odio e l’Amore, 1721 ; Crispo et Griselda, 1722 ; Erminia et Farnace, 1723 ; Calfurnia, 1724 ; Astianatte, 1727). Accusé de plagiat, downloadModeText.vue.download 115 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 109 mêlé aux querelles entre prime donne (la Bordoni et la Cuzzoni), il dut quitter la capitale anglaise malgré la protection du duc de Marlborough. Après des séjours à Paris et à Lisbonne, il mourut dans la misère à Vienne. Son oeuvre, distinguée et de grande qualité, comprend des concertos, des sinfonie, des pièces de clavecin et des sonates, des cantates, des duos, une vingtaine de sérénades, environ 27 opéras (quelquesuns sont peut-être d’Antonio Maria, son frère), des oeuvres religieuses (messes, motets, Te Deum, Anthem funèbre pour John, duc de Marlborough) et 7 oratorios dont La Conversione di Maddalena et Ezechia. Antonio Maria, compositeur, parfois appelé, à tort, Marc’Antonio (Modène 1677 - id. 1726). Fils de Giovanni Maria et frère du précédent, élève de son père et, peut-être, de G. P. Colonna, il remporta un premier grand succès avec l’opéra Il Trionfo di Camilla, représenté à Naples en 1696. En 1702, il séjourna à Berlin avec son frère Giovanni ; puis il le retrouva à Vienne, où il fit jouer un grand nombre d’opéras et d’oratorios de 1704 à 1711. Il séjourna à Rome (1714), à Milan (1715), avant de regagner Modène (1716), où il fut chef d’orchestre aux théâtres Molza (1716-1721) et Rangoni (1720) et maître de chapelle à la cour du duc Rinaldo d’Este, de 1721 à sa mort. Antonio Maria a laissé des opéras, des oratorios, un Stabat Mater et une messe. Sa musique sacrée est d’une grande beauté. Certains opéras sont d’authenticité douteuse ; peut-être sont-ils confondus avec ceux de son frère Giovanni. Giovanni Maria, dit Angelo, violoncelliste (Modène 1678 - ?). Demi-frère d’An- tonio Maria et de Giovanni, il fut violoncelliste à la chapelle de la cathédrale de Modène. BONPORTI (Francesco Antonio), compositeur italien (Trente 1672 - Padoue 1749). Il étudia à Innsbruck et à Rome, peut-être auprès de Corelli, obtint un bénéfice à la cathédrale de sa ville natale, puis vécut à Padoue, à partir de 1740. « Gentiluomo di Trento », il fut ordonné prêtre et montra, mais en vain, encore plus d’ambition dans sa carrière ecclésiastique que dans sa carrière musicale. De ses douze recueils publiés (l’opus 1 en 1696 et l’opus 12 après 1745), tous sont profanes sauf l’opus 3. Les opus 8 et 9 ont disparu. Ces recueils ne regroupent pas six ou douze ouvrages chacun, comme d’usage à l’époque, mais dix. Bonporti a surtout cultivé le style da camera (sonates en trio). De ses Invenzioni a violine solo op. 10 (1712), quatre (nos 2 et 5 à 7) ont été copiées par J.-S. Bach et même publiées sous son nom. BONTEMPI (Giovanni Andrea Angelini, dit), compositeur, chanteur et théoricien italien (Pérouse v. 1624 - id. 1705). Chantre à Saint-Marc de Venise dès 1643, il se rendit à Dresde en 1650 où il devint vice-maître de chapelle sous l’autorité de Schütz. L’architecture, les sciences physiques tenaient une grande place dans sa vie, et il fut également à partir de 1650 ingénieur des machines du théâtre de Dresde. Il faut citer ses opéras Il Paride (1662), le premier opéra italien représenté en Allemagne du Nord (Dresde), et Dafne (1671). C’est à Schütz qu’il dédia un ouvrage théorique : Nova quatuor vocibus componendi methodus (Dresde, 1660). BONYNGE (Richard), pianiste et chef d’orchestre australien (Sydney 1930). Après des études de piano dans sa ville natale, il se produit d’abord comme pianiste dans son pays, puis choisit d’aller travailler à Londres. Il débute comme chef d’orchestre à Rome en 1962 et se consacre alors essentiellement à la direction d’orchestre et à la musicologie, liant étroitement ces deux activités. Avec sa femme, la cantatrice Joan Sutherland, il fait connaître, au théâtre, au concert et par le disque, de nombreuses oeuvres oubliées du XVIIIe et du XIXe siècle, notamment, dans le répertoire italien du bel canto classique et romantique. Dans l’exécution des partitions qu’il fait revivre, comme dans celle d’oeuvres connues et consacrées, il cherche à restituer un mode d’exécution authentique, sur le plan du tempo, de l’effectif orchestral, du choix des types vocaux et du style de chant (ornementation, etc.). Ces recherches, aboutissant généralement à une interprétation plus « légère » que l’interprétation traditionnelle, ont touché non seulement l’opéra italien, mais certaines oeuvres françaises (Meyerbeer) et le Don Juan de Mozart. BOOSEY AND HAWKES. Maison d’édition musicale et fabrique d’instruments londonienne, issue de la fusion, en 1930, des firmes Boosey and Co. et Hawkes and Son. La maison Boosey datait de 1792 environ, la maison Hawkes de 1865. Depuis la dernière guerre, son activité s’est étendue à de nombreuses succursales étrangères (États-Unis, Canada, Afrique du Sud, Australie, France, Allemagne, etc.). Son important catalogue comprend des oeuvres de R. Strauss, Stravinski, Prokofiev, Britten, Martinºu, Offenbach, Smetana, Bartók, etc. Boosey and Hawkes a acquis en 1996 le fonds de la maison allemande Bote und Bock (fondée à Berlin en 1838). BORDES (Charles), compositeur français (Rochecorbon 1863 - Toulon 1909). Élève d’Antoine François Marmontel (piano) et de César Franck (composition), il devint maître de chapelle à Nogent-surMarne (1887), puis à Paris, à l’église SaintGervais (1890). Il mit sur pied une chorale, les chanteurs de Saint-Gervais, qui se spécialisa dans le répertoire polyphonique sacré et profane des XVe, XVIe et XVIIe s., et se produisit dans toute la France. Chargé d’une mission officielle au Pays basque (1889-90), il recueillit et publia une centaine de chansons populaires (Archives de la tradition basque). Fondateur, avec Vincent d’Indy et Alexandre Guilmant, de la Schola cantorum (1894), il en créa une filiale à Montpellier. Son intense activité d’animateur et de pionnier de la décentralisation artistique eut raison de ses forces, et il disparut brutalement, au cours d’une tournée, à quarante-six ans. Ses oeuvres, comprenant notamment des mélodies, sont peu nombreuses, mais son influence fut importante dans la connaissance de la musique de la Renaissance, dont il édita des anthologies, et de musiciens de l’époque classique comme Rameau ou Clérambault. BORDONI (Faustina), soprano italienne (Venise 1700 - id. 1781). Ses débuts à Venise, en 1716, dans l’Ariodante de Pollarolo, furent suivis d’immenses succès dans toute l’Italie, puis en Allemagne et à Vienne. En 1726, Haendel la recruta pour sa troupe d’opéra italien de Londres où elle continua de triompher. Mais une rivalité demeurée fameuse l’opposa à Francesca Cuzzoni, provoquant une division dans le public et des incidents graves. De retour en Italie, elle épousa, en 1730, le compositeur Johann Adolf Hasse. Leurs carrières furent dès lors parallèles, essentiellement partagées entre Dresde et l’Italie. Excellente actrice, Faustina Bordoni possédait un timbre mordant et une brillante technique de l’ornementation. BORG (Kim), basse finlandaise (Helsinki 1919). Il se destine à la chimie avant de se tourner vers le chant, qu’il étudie à l’Académie Sibelius (1947-48), puis à Stockholm (1948). Sa carrière internationale débute en 1951, lorsqu’il chante à Copenhague le rôle de Méphisto dans le Faust de Gounod. La même année, son interprétation du rôle de Colline dans la Bohème lui vaut des engagements aux États-Unis. En 1956, il chante à Glyndebourne le rôle-titre de Don Giovanni et la Kovantschina à l’Opéra d’État de Munich sous la direction de Frenc Fricsay. Paris le découvre dans une Neuvième Symphonie de Beethoven dirigée par Igor Markevitch et dans un récital de mélodies avec le pianiste Erik Werba, son accompagnateur depuis 1951. Son ample downloadModeText.vue.download 116 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 110 tessiture lui permet d’aborder aussi bien les rôles de basse que de baryton, et il accorde une grande importance au respect de la diction, quelle que soit la langue abordée. Il enseigne de 1972 à 1990 au Conservatoire royal de Copenhague, puis se retire à Humlebaek, près de cette dernière ville. Outre de nombreux rôles d’opéra et d’oratorio, il a enregistré notamment des lieder de Schubert et de Schumann, les Chants et danses de la mort de Moussorgski (dont il a orchestré lui-même la partie de piano) et des mélodies de ses compatriotes Sibelius et Kilpinen. BOŘKOVEC (Pavel), compositeur tchèque (Prague 1894 - id. 1972). Il prit d’abord des leçons particulières de composition avec Josef Bohuslav Foerster et Jaroslav Křička. De 1925 à 1927, il fut, au conservatoire de Prague, l’élève de Josef Suk, qui l’éveilla au postromantisme. Sous cette influence, il écrivit le poème symphonique Stmívání et sa 1re symphonie (1926-27). Après avoir sacrifié à la mode et s’être placé dans le sillage de Stravinski et Honegger, il évolua vers un style vigoureux, s’apparentant au Hindemith didactique, avec son concerto grosso (1941-42), son 2e concerto pour piano (1949-50) et ses deux derniers quatuors à cordes (1947 et 1961). Deux autres symphonies (1955 et 1959) témoignent de son goût pour la construction classique alliée à des recherches polytonales et fondée sur un solide métier de contrapontiste rythmique. De 1946 à 1964, il enseigna au conservatoire de Prague et forma une grande partie de l’école musicale tchèque actuelle. Il a laissé des oeuvres pour piano, 5 quatuors à cordes, des sonates, 3 symphonies, 4 concertos, le ballet Krysař (Le preneur de rats joue de la flûte, 1939), deux opéras, Satyr (le Satyre, 1937-38) et Paleček (Tom Pouce, 1945-1947), des mélodies, des choeurs, des madrigaux. BORODINE (Aleksandr Porfirievitch), compositeur russe (Saint-Pétersbourg 1833 - id. 1887). « Je suis un musicien du dimanche », affirma Borodine lui-même. De fait, la musique resta toujours une occupation secondaire pour ce fils naturel du prince Lucas Guedeanov, qui fit sa carrière comme professeur de chimie à l’Académie militaire de médecine. Peut-être cela explique-t-il le caractère restreint de sa production et la lenteur de son rythme de travail. Boro- dine reçut des leçons de flûte, violoncelle, hautbois et, surtout, des leçons de piano de sa mère. S’étant lié d’amitié avec Moussorgski et Balakirev, en 1862, il participa à la constitution du groupe des Cinq. Tout en partageant les idées fondamentales du groupe, il se montra moins hostile que ses condisciples à l’emprise germanique sur la musique russe. « Je suis moi-même, de nature, un lyrique et un symphoniste. Je suis attiré par les formes symphoniques. » Balakirev l’encouragea, d’ailleurs, dans cette voie de la musique pure (1re symphonie, 18621867). Liszt, qui considérait la musique russe comme le seul courant de vitalité depuis le Parsifal de Wagner, en fit l’éloge. La 2e symphonie (1869-1876), menée de pair avec le Prince Igor, reflète l’influence de cet opéra. Vraie symphonie héroïque russe, elle symbolise le rôle historique que Borodine a joué : une synthèse entre la Russie et l’Occident par un mélange des sources populaires et des formes classiques ou romantiques européennes. Malgré la lenteur avec laquelle cette oeuvre a été élaborée, l’inspiration en est d’une richesse et d’une aisance étonnantes et les mélodies naissent spontanément. N’a-t-on pas dit qu’il y a dans le Prince Igor la matière d’au moins cinq opéras ? Commencée en 1869, l’oeuvre demeura inachevée à sa mort et fut terminée par Rimski-Korsakov et Glazounov. Le compositeur crée deux univers différents, l’un russe - celui d’Igor -, avec ses thèmes francs et diatoniques, l’autre oriental - celui de Kontchak -, avec son chromatisme, par exemple les Danses polovtsiennes ou la cavatine de Kontchakovna. Il préfère les formes italiennes traditionnelles (revues par Glinka) au style récitatif de Moussorgski. Le souci de la ligne générale l’emporte sur les détails. La voix occupe la première place, l’orchestre la seconde. En 1880, Borodine contribua à fêter les vingt-cinq ans de règne d’Alexandre III avec Dans les steppes de l’Asie centrale, mais ses sentiments politiques étaient ambigus. Son libéralisme donna la clé d’un certain nombre de ses mélodies, telles que la Princesse endormie, Chanson dans la forêt sombre, la Mer, dont la vraie lecture est parabolique. L’écriture de Borodine souligne son attachement à la simplicité de la ligne mélodique, à la légèreté et à l’agilité du contrepoint, à la clarté d’une harmonie riche en modulations. Le 2e quatuor, la 2e symphonie, à l’orchestration singulièrement audacieuse, connaissent une juste célébrité. BORREL (Eugène), musicologue français (Libourne 1876 - Paris 1962). Élève de Vincent d’Indy, il fonda en 1909, avec Félix Raugel, la Société Haendel, dont l’activité fut grande entre 1909 et 1913. Borrel réédita des oeuvres de musique ancienne pour le violon, instrument dont il jouait lui-même et qu’il enseigna à la Schola cantorum. Ses recherches portèrent principalement sur les maîtres français des XVIIe et XVIIIe s., comme l’indiquent les titres de ses principaux écrits : l’Interprétation de la musique française de Lully à la Révolution (Paris, 1934 ; rééd. Paris, 1977) ; Jean-Baptiste Lully (Paris, 1949). BORTNIANSKI (Dimitri), compositeur ukrainien (Gloukhovo, Ukraine, 1751 Saint-Pétersbourg 1825). Choriste à la chapelle impériale, il travailla à Saint-Pétersbourg avec Baldassare Galuppi (1765-1768) et suivit ce dernier à Venise. Il se perfectionna aussi à Bologne avec le padre Martini, puis à Rome et à Naples. Il rentra en Russie en 1779, et fut nommé directeur de la chapelle impériale de Paul Ier en 1796. Il composa des oeuvres pour la scène, puis se consacra à la musique religieuse. Il préconisa une étude attentive des chants neumatiques des XIIe et XIIIe s., qui devaient, selon lui, « contribuer à la naissance d’un style nouveau, d’une école foncièrement russe ». C’était là un langage neuf, qui annonçait étrangement les théories de Glinka. Tchaïkovski étudia les partitions de Bortnianski et en dirigea la réédition. Les oeuvres vocales (mélodies religieuses à 3 ou 4 voix, psaumes orthodoxes, 35 concerts à 4 voix, 10 concerts pour 2 choeurs, une messe, etc.) remplissent 10 volumes et furent publiées, à Moscou, aux alentours de 1880. Bortnianski écrivit aussi 3 opéras - tous trois créés en Italie -, 4 opéras-comiques de style français, des sonates et une symphonie. BÖRTZ (Daniel), compositeur suédois (Hässelholm 1943). Élève de H. Rosenberg et de K.-B. Blomdahl, il effectue des voyages d’études en Allemagne, France, Italie et Hollande (musique électronique à Utrecht avec M. Koenig). Börtz se distingue par son intérêt pour les idées philosophiques nées de Hesse et de Kafka et pour les prolongements du mouvement musical né avec Mahler et Bruckner ; sa Kafka-Trilogi (1966-1968, 1968 et 1969), les opéras Landskab med flod (1972) tiré de Sid dharta de Hesse, et Baccgabterna (19881990), en témoignent talentueusement. BOSCHOT (Adolphe), musicologue et critique musical français (Fontenaysous-Bois 1871 - Neuilly-sur-Seine 1955). Il fut surtout le biographe minutieux et enthousiaste de Berlioz, mais on ne peut oublier ni ses livres sur Mozart ni ses traductions des livrets du même compositeur. Critique musical à l’Écho de Paris (1910-1938), Adolphe Boschot fut élu, en 1926, à l’Académie des beaux-arts et, succédant à Ch.-M. Widor, en devint le secrétaire perpétuel en 1937. Ses travaux sur Berlioz comprennent : l’Histoire d’un romantique, en 3 volumes, I.la Jeunesse d’un romantique ; II.Un romantique sous downloadModeText.vue.download 117 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 111 Louis-Philippe ; III.le Crépuscule d’un romantique (Paris, 1906-1912, rééd. Paris, 1946-1950) ; le Faust de Berlioz (Paris, 1910 ; rééd. Paris, 1945). BOSCOVITCH (Alexander), compositeur et chef d’orchestre israélien (Cluj, Roumanie, 1907 - Tel-Aviv 1964). Il fit ses études à l’Académie de musique de Vienne et à Paris avec Paul Dukas, Nadia Boulanger et Alfred Cortot. Il devint chef d’orchestre de l’Opéra de Cluj, fonda et dirigea un orchestre symphonique juif, l’Orchestre Goldmark. Invité en Palestine, en 1938, pour la première exécution de sa suite d’orchestre la Chaîne d’or, inspirée de mélodies juives d’Europe de l’Est, il s’installa dans le pays et devint un des pionniers de la musique israélienne par ses compositions (concerto pour vio- lon, 1942 ; concerto pour hautbois, 1943, rév. 1960 ; Suite sémite, 2 versions, piano ou orchestre, 1946) et par les articles qu’il publia. Vers la fin de sa vie, il se tourna vers la technique sérielle (Concerto da camera pour violon et 10 instruments, 1962 ; Ornements pour flûte et orchestre, 1964). Sa cantate Fille d’Israël (1960) témoigne de son intérêt pour les relations entre la musique et la langue hébraïque, et pour la mystique de la kabbale. BOSE (Hans-Jürgen von), compositeur allemand (Munich 1953). Il fait ses études au conservatoire (19691972) et à la Hochschule für Musik (19721975) de Francfort avec, notamment, Hans Ulrich Engelmann. On note dans la création de von Bose deux tendances, apparemment contradictoires. L’une, proche du modernisme, poursuit une démarche rationnelle qui enjoint au matériau musical une évolution prédéterminée ; on y rattache des oeuvres comme Labyrinth II pour piano (1987) et, surtout, le troisième Quatuor à cordes (1986-1987), où le compositeur s’appuie sur des fonctions logiques pour élaborer des structures complexes sur le plan rythmique et sur celui de l’intonation. L’autre tendance, plus proche du postmodernisme, vise un art « subjectif » qui touche immédiatement et de manière simple l’auditeur : opéra Traumpalast 63, créé à Munich en 1990, conglomérat de styles variés, d’allusions diverses ; ou Solo pour violoncelle, 1979, réplique ambitieuse à l’écriture polyphonique baroque. De son catalogue font partie aussi Morphogenesis pour orchestre (1975), Travesties in a Sad Landscape pour orchestre de chambre (1978), l’opéra Chimäre d’après Lorca (Aix-la-Chapelle, 1986), les « scènes lyriques » Die Leiden des jungen Werthers, d’après Goethe (1983-1984, créé à Schwetzingen en 1986), l’oeuvre liturgique... Im Wind gesprochen (1984-1985), Labyrinth I pour orchestre (1987), Seite Textos de Miguel Angel Bustos pour soprano, accordéon et violoncelle (1991). BÖSENDORFER, famille de facteurs de pianos autrichiens. Ignaz (Vienne 1796 - id. 1849) fonda, en 1828, la firme Bösendorfer, que dirigèrent plus tard son fils Ludwig (Vienne 1835 - id. 1919), puis les fils de celui-ci, Alexander et Wolfgang Hutterstrasser. Inaugurée en 1872 avec un récital de Hans von Bülow, la salle de concerts Bösendorfer demeure un haut lieu de la vie musicale viennoise. Les pianos Bösendorfer sont aujourd’hui parmi les instruments de concert les plus réputés. BOSKOWSKY (Willi), violoniste et chef d’orchestre autrichien (Vienne 1909 Visp, Suisse, 1991). Il a fait ses études à l’Académie de musique de Vienne où, à partir de 1935, il a enseigné le violon. Premier violon solo de l’Orchestre philharmonique de Vienne à partir de 1939, il a créé l’Octuor de Vienne, en 1948, et en a été également le premier violon. Puis il a fondé l’Ensemble Mozart de Vienne. En 1955, il a succédé à Clemens Krauss à la tête de l’Orchestre philharmonique pour les concerts du nouvel an. Depuis 1969, il dirige l’orchestre Johann Strauss de Vienne et fait des célèbres valses sa spécialité. BOSSINENSIS (Francesco), luthiste et arrangeur italien (début du XVIe s.). Son nom est lié aux premières transcriptions de frottole (pièces vocales à 4 voix) pour voix soliste et luth, publiées chez Ottaviano Petrucci, à Venise, en 2 volumes (1509, 1511), sous le titre Tenori e contrebassi intabulati col sopran in canto figurato per cantar e sonar lauto. Les compositions utilisées par Bossinensis étaient de la main de divers auteurs, dont, en particulier, Bartolomeo Tromboncino. Dans ses arrangements, Bossinensis les fit précéder de courtes pieces uniquement instrumentales (ricercari), destinées au luth. Les versions pour voix seule et luth de chansons à plusieurs voix, qui se répandirent alors un peu partout en Europe, ne peuvent encore être qualifiées de monodies accompagnées, car leur écriture demeurait dépendante de leur origine polyphonique. BOSSLER (Heinrich), éditeur allemand (Darmstadt 1744 - Gohlis, près de Leipzig, 1812). Il fonda sa maison d’édition en 1781 à Spire où, de 1788 à 1790, il fit paraître la revue Musikalische Realzeitung, puis la transféra en 1792 à Darmstadt et en 1799 à Gohlis. À sa mort, son fils Friedrich lui succéda, mais la firme cessa ses activités en 1828. Chez Bossler à Spire parurent notamment en 1783 les trois sonates WoO 47 de Beethoven dédiées au prince-électeur Maximilian Friedrich de Cologne. BOSTON (vie musicale à). Dès les premiers temps de la colonisation, Boston connut une activité musicale importante. À la fin du XVIIe s., on y trouvait déjà un magasin de musique, des professeurs et des théoriciens. La plus ancienne référence à un public de concert et de théâtre date de 1731. La vie musicale y prit un essor considérable au XIXe s. Une école de chant fondée en 1815, la Haendel and Haydn Society, devint célèbre pour l’étude des grands maîtres européens. Des ensembles vocaux et instrumentaux, des orchestres amateurs ou semi-professionnels, des journaux et des éditeurs de musique, des sociétés de concert se constituèrent. Le premier festival de musique des États-Unis eut lieu à Boston, en 1858. En 1867, deux ans après celui d’Oberlin (Ohio), qui avait été le premier du pays, naquit un autre conservatoire, le New England Conservatory. Une troupe d’opéra apparut en 1879, mais le premier théâtre d’opéra n’ouvrit ses portes qu’en 1909. C’est surtout à son Orchestre symphonique que Boston doit, depuis près d’un siècle, son renom musical. Fondé par Henry Lee Higginson en 1881, cet orchestre n’a jamais cessé d’être constitué de quelques-uns des meilleurs instrumentistes d’Europe et d’Amérique. À sa tête se sont succédé George Henschel, Wilhelm Gericke, Arthur Nikisch, Emil Paur, Karl Muck, Henri Rabaud, Pierre Monteux, Serge Koussevitski, Erich Leinsdorf et, depuis 1974, Seiji Ozawa. Depuis Koussevitski, l’Orchestre symphonique de Boston favorise la création en passant des commandes à des compositeurs. On ne saurait oublier, d’autre part, le Boston Pops Orchestra, longtemps dirigé par Arthur Fiedler, qui, sur une esplanade spécialement aménagée, donne, pour des foules énormes, des concerts essentiellement consacrés à des oeuvres populaires. BOTE UND BOCK. Maison d’édition fondée à Berlin en 1838, et qui, depuis 1945, se consacre très largement à la musique contemporaine. Elle a été rachetée en 1996 par Boosey and Hawkes. BOTSTIBER (Hugo), musicologue autrichien (Vienne 1875 - Shrewsbury, Angleterre, 1941). Élève de Guido Adler, il occupa jusqu’en 1938 d’importants postes musicaux et administratifs à Vienne, et, en 1927, mena à terme la grande biographie de Haydn de Carl Ferdinand Pohl, laissée inachevée par la mort de ce dernier en 1887. downloadModeText.vue.download 118 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 112 BOTTESINI (Giovanni), contrebassiste, compositeur et chef d’orchestre italien (Crema 1821 - Parme 1889). Il apprit d’abord le violon, puis entra au conservatoire de Milan, où la seule place vacante fut dans la classe de contrebasse. Ce Paganini de la contrebasse dut donc sa carrière de virtuose au hasard. Il débuta dans des orchestres italiens, mais Verdi lui conseilla de tenter une carrière de soliste. Bottesini voyagea beaucoup (La Havane, Londres, Paris, Palerme, Barcelone). Directeur de l’orchestre du Théâtre-Italien à Paris (1855-1857), il fut nommé, en 1871, directeur du Lyceum Theatre de Londres et, à la demande de Verdi, dirigea la première d’Aïda au Caire. Il fut ensuite directeur du conservatoire de Parme, jusqu’à sa mort. Bottesini a promu son instrument à un rôle de soliste et sa Grande Méthode complète de contrebasse a fait date. Il a composé 4 opéras, dont Ero e Leandro (1879), et, surtout, un concerto, un Grand Duo concertant et une tarentelle pour la contrebasse. BOTTRIGARI (Ercole), théoricien et compositeur italien (Bologne 1531 - id. 1612). De famille riche et illustre, il travailla la composition avec Bartolommeo Spontone et écrivit quelques madrigaux dans sa jeunesse. Par la suite, il se consacra essentiellement à l’étude des lois scientifiques de la musique. Il fut conseiller d’État à Bologne (1551), puis, de 1575 à 1586, vécut à la cour de Ferrare, où il connut le Tasse et fréquenta les milieux humanistes. Il Desiderio, publié sous le pseudonyme de Alemanno Benelli (Venise, 1594), décrit la manière de faire de la musique dans les différentes Accademie : d’intéressantes descriptions y abondent ; on y trouve aussi une discussion concernant l’accord des instruments et leur classement. D’autres ouvrages théoriques de Bottrigari ont pour titres : Il Patricio (Bologne, 1593) et Il Melone secondo (Ferrare, 1602). BOUCHE. Ouverture latérale des tuyaux d’orgue dits, justement, « à bouche », pour les distinguer des tuyaux à anche. Cette bouche, qui s’ouvre horizontalement sur la partie aplatie du tuyau, comporte deux lèvres et une langue qui dirige l’air sous pression vers la lèvre supérieure, d’où l’effet vibratoire. Le principe est donc le même que celui du sifflet ou de la flûte à bec. On appelle également bouche le trou ovale qui constitue l’embouchure de la flûte traversière. BOUCHÉ (son). Tous les instruments de la famille des cuivres peuvent en principe recevoir une sourdine qui obture partiellement le pavillon. Ce cône d’aluminium ou de carton bouilli (parfois, l’instrumentiste plonge simplement sa main dans le pavillon) a pour effet non seulement d’assourdir le son de l’instrument, mais d’en modifier le timbre, surtout dans le cas de la trompette, qui, bouchée, revêt un tout autre caractère. Ce procédé est d’usage extrêmement fréquent dans le jazz. BOUCHE FERMÉE. Indication que l’on trouve dans la musique vocale et, plus particulièrement, chorale, et qui a pour but d’obtenir un effet quasi instrumental, le chant n’étant pas articulé. Cet effet sert souvent d’accompagnement : par exemple, une voix soliste peut chanter un texte sur un accompagnement à bouche fermée fourni par les choeurs. BOUCHERIT (Jules), violoniste et pédagogue (Morlaix 1877 - Paris 1962). Il commence le violon avec sa mère - qui enseigne également le piano - et entre en 1890 au Conservatoire, où il obtient son 1er prix deux ans plus tard. En 1894, il devient violon solo de l’Orchestre Colonne et entame une carrière internationale qui le mène à se produire avec Alfred Cortot ou Magda Taglieferro. Nommé professeur de violon au Conservatoire de Paris en 1920, il abandonne sa carrière de soliste pour se consacrer à l’enseignement, qu’il pratique également à l’École normale de musique ou au Conservatoire d’été de Fontainebleau. Michèle Auclair, Serge Blanc, Devy Erlih, Christian Ferras, Ivry Gitlis, Ginette Neveu et Manuel Rosenthal figurent parmi ses élèves. BOUCOURECHLIEV (André), compositeur français d’origine bulgare (Sofia 1925). Il a commencé ses études à l’Académie de musique de sa ville natale, puis est venu à Paris en 1949. À l’École normale de musique, il a étudié le piano avec Reine Gianoli et l’harmonie avec Georges Dandelot, avant d’enseigner lui-même le piano dans cet établissement, de 1952 à 1960. Il a aussi été l’élève de Walter Gieseking et travaillé, de 1957 à 1959, au studio de phonologie de Milan, où il rencontra Luciano Berio et Bruno Maderna et composa Texte I (195758). En 1960, il réalisa à l’O. R. T. F. une autre oeuvre électroacoustique, Texte II. Le contact avec les jeunes musiciens italiens, les cours de Darmstadt, les réflexions sur la musique sérielle (objet d’une enquête qu’il fit pour la revue Preuves), les rencontres avec Boris de Schloezer et avec Pierre Boulez furent d’importantes étapes dans son développement. Ses ouvrages répondent souvent à des pulsions de vie ou de mort. « Certaines oeuvres, dit-il, m’offrent le modèle de ma propre mort. Simple pressentiment peut-être, mais on ne peut nier que des pulsions s’exercent au moment de la création, qu’elles parlent à leur manière en déterminant un climat et certaines figures. L’oeuvre parle parfois plutôt que l’homme corporel. » Il écrivit Musique à trois pour flûte, clarinette et clavecin (1957), une Sonate pour piano (1959-60), Signes pour deux percussions, flûte et piano (1961). Son premier succès fut sans doute Grodek pour soprano, flûte et 3 percussions sur un texte de Georg Trakl (1963, création au Domaine musical). De 1966 date Musiques nocturnes pour piano, clarinette et harpe. Mais l’oeuvre qui attira définitivement l’attention sur lui fut Archipel I pour 2 pianos et percussion, une des réussites indéniables de la musique « aléatoire » (création au festival de Royan en 1967, version 2 pianos 1968). Suivirent Archipel II pour quatuor à cordes (Royan, 1969), Archipel III pour piano et 6 percussions (Paris, 1969), Archipel IV pour piano (Royan, 1970), et finalement Anarchipel pour 6 instruments concertants (harpe amplifiée, clavecin amplifié, orgue, piano et 2 percussions). À partir de cette dernière pièce, composée en 1970-71 et créée en 1972, on peut réaliser divers Archipels V pour chaque instrument seul (Archipel Vb pour clavecin, Archipel Vc pour orgue...). « Les partitions de la pièce sont comme de grandes cartes marines sur lesquelles les quatre interprètes sont amenés à choisir, à orienter, à concerter, à modifier sans cesse le cours de leur navigation, jamais deux fois la même entre les îles d’un archipel toujours nouveau à leurs regards. Dans ces eaux incertaines, ils ne vont cependant pas à la dérive : s’ils ne se voient ni n’échangent des signes de ralliement, ils s’écoutent, parfois s’appellent. Et c’est dans cette communion étroite, proprement musicale, de tous les instants, qu’ils tracent leur route imprévisible, mais partagée. La moindre décision de l’un engage totalement celle de l’autre. C’est dire que cette dépendance, où ils exercent leur liberté de choix, exclut totalement toute idée de hasard » (Boucourechliev, à propos d’Archipel I). En 1970, Boucourechliev a donné Ombres, « Hommage à Beethoven » pour 11 instruments à cordes, et, en 1971, Tombeau « à la mémoire de Jean-Pierre Guézec » pour clarinette et percussion, ou piano. Suivirent Faces pour 2 orchestres avec 2 chefs (1971-72), Amers pour 19 instruments (1972-73), Thrène pour choeurs, récitants et bande magnétique (1973-74), Concerto pour piano (1974-75), et Six Études d’après Piranese pour piano (1975). Le Nom d’OEdipe, sur un livret de Hélène Cixous, a été créé en oratorio à RadioFrance le 27 mai 1978, et scéniquement à Avignon le 26 juillet 1978. En mai 1980 a été entendu Orion, pour orgue, en avril downloadModeText.vue.download 119 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 113 1981 Ulysse, pour flûte (s) et percussions et en 1983 Orion III pour piano. Suivirent en 1984 Nocturnes pour clarinette et piano, Lit de Neige pour soprano et 19 instrumentistes, Le Miroir, 7 répliques pour un opéra possible pour mezzo-soprano et orchestre (1987). En 1988 fut créé à Genève les Cheveux de Bérénice. Suivirent Quatuor à cordes no 2 (1991), Quatuor-Miroir II (1992), Trois Fragments de MichelAnge pour soprano, flûte et piano (1995). Grand prix musical de la Ville de Paris en 1976, Boucourechliev enseigne depuis cette même année à l’université d’Aix-enProvence. Il exerce également une activité de critique. Parmi ses travaux de musicographe, des livres sur Schumann (1956), Beethoven (1963) et Igor Stravinski (1982), un Essai sur Beethoven (1991), le Langage musical (1993). BOUÉ (Georgette, dite Géorï), soprano française (Toulouse 1914). Après des études et des débuts à Toulouse, elle se perfectionna à Paris. Elle débuta à l’Opéra-Comique, en 1939, dans le rôle de Mimi de la Bohème de Puccini et à l’Opéra, en 1942, dans celui de Marguerite de Faust de Gounod. Elle fit une superbe carrière en France et fut invitée sur de grandes scènes étrangères. Sa voix limpide, capable de charme et de brio, était d’un type caratéristique de l’école française de chant, et elle faisait merveille dans de grands rôles du répertoire français : Marguerite, Mireille dans l’opéra de Gounod, Thaïs dans l’opéra de Massenet. Elle fut aussi une interprète célèbre du duc de Reichstadt dans l’Aiglon d’Ibert et de Honegger, et de Desdémone dans Othello de Verdi. Plus tard dans sa carrière, elle fit d’intéressantes incursions dans l’opéra contemporain (Colombe de Damase, le Fou et les Adieux de Landowski). BOUFFE (ital., opera buffa, « opéra bouffe »). Adjectif que l’on attribue à un genre de spectacle particulièrement comique. En France, au XIXe s., on qualifia de « bouffe » le chanteur (basse bouffe, etc.), la troupe, le théâtre (les Bouffes-Parisiens, créé par Offenbach) qui se consacraient à ce genre. BOUFFONS (querelle des). Querelle français débuta à tations, Servante entre les partisans de l’opéra et ceux de l’opéra italien, qui Paris en 1752, lors de représenpar la troupe des Bouffons, de la maîtresse de Pergolèse. J.-J. Rousseau, parmi les admirateurs de l’ouvrage italien, profita du succès de celui-ci pour critiquer, dans sa Lettre sur la musique française (1753), l’opéra français, illustré alors par Rameau : le récitatif n’avait pas le naturel de celui d’outre-monts, les choeurs manquaient de simplicité avec leur écriture contrapuntique, l’harmonie et l’orchestre étaient trop riches ; la langue française était jugée incompatible avec la musique. Aux attaques du coin de la reine dirigé par Rousseau, le coin du roi riposta : les spectacles des Bouffons ne comportaient que des airs et ne pouvaient rivaliser avec les grandes tragédies lyriques. La « guerre » devint aussi bien littéraire que musicale : on ridiculisait le merveilleux dans l’opéra français, tandis que l’on appréciait les personnages réalistes et de condition modeste que les intermèdes italiens mettaient en scène. La querelle des Bouffons s’inscrit, ainsi, dans ce mouvement en faveur de la « nature », qui a bouleversé la pensée européenne au milieu du XVIIIe siècle. BOUKOFF (Youri), pianiste bulgare naturalisé français (Sofia 1923). Il manifeste très tôt des dons exceptionnels et étudie au Conservatoire de Sofia, tout en poursuivant ses études secondaires au collège allemand de cette ville. En 1938, il donne son premier récital et en 1946 il reçoit le 1er Prix du Concours national de Bulgarie. Doté d’une bourse d’études pour la France, il entre dans la classe d’Yves Nat au Conservatoire de Paris, où il obtient l’année suivante le 1er Prix, premier nommé. Il se perfectionne ensuite auprès de Georges Enesco, Marguerite Long et suit les cours d’Edwin Fischer à Lucerne. De 1947 à 1952, il est lauréat de plusieurs concours internationaux (Marguerite Long en 1949 et Reine Élisabeth en 1952) et commence une brillante carrière en France et dans le monde. Sa triple culture, bulgare, allemande et française, fait de lui un artiste à la personnalité originale et riche, européen comme a pu l’être un Liszt. Il a réalisé le premier enregistrement intégral des sonates pour piano de Prokofiev. BOULANGER (Lili), femme compositeur française (Paris 1893 - Mézy, Yvelines, 1918). Ayant commencé ses études musicales avec sa soeur Nadia, elle signa sa première mélodie, la Lettre de mort, à onze ans et entra au Conservatoire en 1909. Elle y fut l’élève de Georges Caussade pour le contrepoint et de Paul Vidal pour la composition. Particulièrement douée et précoce, Lili Boulanger révéla très vite une sensibilité aiguë, une aptitude à atteindre le plus grand pathétique. Avec sa cantate Faust et Hélène, elle fut la première femme à obtenir le premier grand prix de Rome (1913). Mais la guerre l’empêcha de séjourner à la Villa Médicis autant qu’elle l’eût aimé ; de plus, elle souffrait déjà de la maladie qui devait l’emporter à vingt-cinq ans. Elle rentra à Paris et poursuivit sa carrière créatrice, se penchant avec prédilection sur des textes religieux ou funèbres. Son auteur préféré semble avoir été Maeterlinck ; elle mit plusieurs de ses poèmes en musique et commença, d’après sa Princesse Maleine, un opéra qui demeura inachevé. Elle se retira à Mézy et y composa sa dernière oeuvre, un Pie Jesu pour soprano, orgue, quatuor à cordes et harpe. Ainsi s’éteignit, si jeune, un talent fécond et d’une surprenante puissance. Le catalogue de Lili Boulanger comprend surtout de la musique vocale : des mélodies avec piano, Renouveau pour quatuor vocal et piano, des Psaumes (24 pour ténor, choeur et ensemble instrumental ; 129 pour choeur et orchestre ; 130 pour contralto, choeur et orchestre), la Vieille Prière bouddhique (1917) pour ténor, choeur et orchestre. On y trouve également des pièces pour piano, diverses oeuvres instrumentales dont une sonate pour violon et piano inachevée, de la musique symphonique (dont 2 poèmes symphoniques, Un matin de printemps et Un soir triste), la cantate Faust et Hélène et l’opéra la Princesse Maleine, demeuré inachevé. BOULANGER (Nadia), femme compositeur et pédagogue française (Paris 1887 - id. 1979). Dès son enfance, elle aima profondément la musique et se passionna toute sa vie pour son enseignement. Élève de Guilmant pour l’orgue et de Gabriel Fauré pour la composition au Conservatoire de Paris, elle obtint le second grand prix de Rome en 1908. Elle fut le guide affectueux de sa jeune soeur Lili. Elle devint assistante à la classe d’harmonie du Conservatoire de Paris (1909-1924), professeur à l’École normale de musique (1920-1939) et au conservatoire américain de Fontainebleau (1921-1939) où elle enseigna l’harmonie, le contrepoint, l’histoire de la musique. De 1940 à 1945, elle professa aux ÉtatsUnis et donna des concerts à la tête de l’Orchestre symphonique de Boston et de l’Orchestre philharmonique de New York. Nommée professeur à la classe d’accompagnement du Conservatoire de Paris en 1945, elle prit la direction du conservatoire américain de Fontainebleau en 1950. Il est impossible de citer tous les musiciens connus, venus du monde entier, qui furent, à leurs débuts, les élèves de cette pédagogue extraordinaire. Nadia Boulanger joua un rôle capital pour les rapports musicaux entre la France et les États-Unis. Elle eut toujours le souci de servir la cause des jeunes musiciens qu’elle estimait de valeur. Le rayonnement de son enseignement a éclipsé ses dons de compositeur, de pianiste et de chef d’orchestre. Elle composa peu, mais se dévoua à faire connaître, outre les oeuvres de sa soeur, celles des maîtres français de la Renaissance, celles de Bach, de Schütz. Elle a pardownloadModeText.vue.download 120 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 114 ticulièrement contribué à la redécouverte des madrigaux de Monteverdi qui, encore inconnus du grand public, furent enregistrés par un ensemble vocal et instrumental qu’elle dirigeait elle-même du clavier. En 1977, l’Académie des beaux-arts lui remit sa grande médaille d’or. Parmi ses nombreuses activités, elle fut également maître de chapelle du prince de Monaco. Ses oeuvres comprennent des pièces d’orgue, une Rhapsodie pour piano et orchestre, une cantate, Sirène, un cycle de mélodies écrit en collaboration avec Raoul Pugno, les Heures claires, et une oeuvre lyrique inédite, la Ville morte, d’après Gabriele D’Annunzio (également avec R. Pugno). BOULAY (Laurence), claveciniste française (Boulogne-sur-Seine 1925). Elle a étudié le clavecin, l’harmonie, le contrepoint au Conservatoire de Paris. Elle a soutenu une thèse sur l’interprétation de la musique française au XVIIIe s., et préparé de nombreuses éditions d’oeuvres de maîtres français des XVIIe et XVIIIe s. Elle est l’une des meilleures interprètes des oeuvres de François Couperin. Elle a enseigné à partir de 1968, au Conservatoire de Paris, la réalisation de la basse continue au clavecin. BOULEZ (Pierre), compositeur et chef d’orchestre français (Montbrison, Loire, 1925). Ce n’est qu’après avoir suivi la classe de mathématiques spéciales à Lyon que Boulez choisit de se consacrer à la musique et s’installa à Paris (1942). Il suivit, au Conservatoire, les cours d’Olivier Messiaen (premier prix d’harmonie en 1945), travailla le contrepoint avec Andrée Vaurabourg-Honegger et la méthode dodécaphonique avec René Leibowitz. Nommé directeur de la musique de scène de la Compagnie Renaud-Barrault (1946), il fonda, en 1954, sous ce patronage, les Concerts du Petit-Marigny, devenus, l’année suivante, le Domaine musical, dont le rôle fut capital dans la diffusion de la musique contemporaine en France - Boulez devait en céder la direction à Gilbert Amy en 1967. En 1958, cédant à l’invitation pressante de la station de radio du Südwestfunk de Baden-Baden et de son directeur, H. Strobel, Boulez se fixa à Baden-Baden. Son audience en Allemagne était, en effet, très grande, surtout depuis la création du Marteau sans maître (Baden-Baden, 1955), la première oeuvre à lui assurer un large public ; pendant ce temps, la France continuait de l’ignorer, du moins officiellement. Professeur d’analyse, de composition musicale et de direction d’orchestre à la Musikakademie de Bâle (1960-1966), il fut professeur invité à l’université Harvard en 1962-63, période où il rédigea son ouvrage théorique Penser la musique aujourd’hui. Son activité de chef d’orchestre s’intensifia et s’internationalisa : il créa Wozzeck à l’Opéra de Paris en 1963, donna des concerts avec l’orchestre de Cleveland, auprès duquel il exerça les fonctions de conseiller musical (1970-71), et fut chef principal de l’Orchestre symphonique de la BBC à Londres de 1971 à 1975 et directeur musical de l’Orchestre philharmonique de New York de 1971 à 1977. En 1976, dix ans après avoir dirigé Parsifal à Bayreuth à la demande de Wieland Wagner, il fut chargé d’y conduire, à l’occasion du centenaire du festival, l’Anneau du Nibelung, dans une mise en scène de Patrice Chéreau. Ce spectacle fut redonné sous sa direction jusqu’en 1980. Il a pris ses fonctions de directeur de l’I. R. C. A. M. à la fin de 1975, et a été nommé en 1976 professeur au Collège de France. « J’ai toujours pris Debussy pour modèle, j’ai toujours lu et analysé ses partitions. Avec Webern et Messiaen, c’est mon plus grand, mon permanent modèle. » Ainsi Pierre Boulez indique-til, en 1958, les références - reniées par la suite - de sa première étape créatrice. Il faudrait y ajouter, sur le plan rythmique, Stravinski (son étude Stravinski demeure analyse magistralement l’organisation rythmique du Sacre du printemps). De fait, le premier problème rencontré par le compositeur au lendemain de la guerre est celui de l’organisation rationnelle et totale de tous les paramètres du monde sonore. Ses premières oeuvres sont autant d’étapes dans la fertilisation de l’héritage des trois Viennois, Schönberg, Berg et Webern : Sonatine pour flûte et piano (1946), Première Sonate pour piano (1946), Deuxième Sonate pour piano (1947), Livre pour quatuor (1949) où Boulez propose un traitement sériel, outre des hauteurs, de tous les autres paramètres, pris successivement. La généralisation sérielle ne s’accomplit que dans Polyphonie X pour 18 instruments solistes (1951), un symbole graphique représentant le croisement de certaines structures, et dans le premier livre des Structures pour 2 pianos (1952). La série devint pour Boulez « un mode de pensée polyvalent, et non plus seulement une technique de vocabulaire », et s’élargit à la structure même de l’oeuvre engendrée. L’introduction de certaines possibilités de choix (réaction à un excès de contrainte) est, pour lui, une autre manière de poser des problèmes de forme dans un univers relatif, en perpétuelle variation, et d’esquisser de nouveaux rapports entre l’interprète et le compositeur. En réalité, avant les Klavierstücke (1956) de Stockhausen, Boulez souleva la question : choix et ordonnance des mouvements dans le Livre pour quatuor (1949), de certains parcours de la Troisième Sonate pour piano (1957) - tous néanmoins écrits, prévus et donc assumés par l’auteur (par ex., Formant no 3, Constellation-Miroir, imprimé en deux couleurs pour souligner la structure : vert, les points ; rouge, les blocs) - pour atteindre, en principe, une improvisation à deux par le biais des choix successifs et de l’interaction dans le second livre des Structures pour piano. Doubles pour orchestre (1957), devenu en 1964 Figures, Doubles, Prismes, remet en question l’organisation fixe de l’orchestre. Outre ses marges d’initiative dans la partie centrale, Éclat pour 15 instruments (1964), devenu en 1970 Éclat-Multiples, pose des problèmes d’interprétation des signes directionnels, tandis que, dans Domaines, pour clarinette et 21 instruments (1968), le clarinettiste, par ses déplacements, sollicite la réponse d’un des 7 groupes disposés en cercle et détermine ainsi la forme de l’oeuvre (la seconde partie étant un miroir de la première). D’autre part, Pierre Boulez a toujours été intéressé par les rapports du texte et de la musique. Après le Soleil des eaux (1948) et Visage nuptial (1951), c’est encore à René Char, qui représente une « concentration de langage », que Boulez s’adresse pour le Marteau sans maître (1954). Le texte et son contenu conditionnent la structure : 3 cycles très différenciés et s’interpénétrant autour d’un noyau, le poème (doublement présent dans le troisième), dont les deux autres pièces, instrumentales, constituent le développement, le commentaire. Le compositeur poursuit sa recherche avec les Deux Improvisations sur Mallarmé (1957), où il tente la « transmutation » de Mallarmé en musique, Poésie pour pouvoir (1958), un essai de spatialisation sans lendemain sur un texte d’Henri Michaux, puis Cummings ist der Dichter (1970), où le texte est seulement utilisé comme élément sémantique sonore. Le souci de la sonoristique est, en effet, porté à un haut degré chez Boulez. Il ne faut pas oublier son stage chez Pierre Schaeffer en 1952, où il réalisa Deux Études de musique concrète, même s’il n’avait alors vu dans la bande qu’un instrument de spéculation rythmique. Son goût pour le raffinement des timbres éclate dans le Marteau sans maître : c’est non seulement « du Webern qui sonne comme du Debussy » (H. Strobel), mais presque la création d’un univers sonore extrêmement oriental. Cette prédilection se perçoit aussi à travers les mélismes du Livre pour cordes (1968), recomposition de deux mouvements du Livre pour quatuor de 1948 ; les combinaisons de couleurs d’Éclat, la libération totale des sons dans Explosante-Fixe (1972-1974) ; et la grandeur hiératique de Rituel « In memoriam Maderna « (1974-1975). Depuis 1964, Boulez poursuit principalement son idée de « work in progress », d’oeuvre en devenir, c’est-à-dire downloadModeText.vue.download 121 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 115 d’une musique pouvant être développée, transformée à l’infini : une conception de l’oeuvre ouverte, mobile. Ainsi Pli selon pli intègre-t-il, dès 1960, les Deux Improvisations sur Mallarmé (1957) et ne trouve-t-il sa version définitive qu’en 1969. Ainsi Figures-Doubles-Prismes pour orchestre (1964) est-il un nouveau travail, très expressionniste, à partir de Doubles (1957), le Livre pour cordes (1968) un élargissement pour orchestre du Livre pour quatuor (1949), Multiples pour orchestre (1970) un développement d’Éclat pour 15 instruments (1964). Boulez donne donc une série de miroirs d’un premier état. Cette démarche est l’un des fondements de Répons pour ensemble instrumental, solistes et dispositif électro-acoustique (1981-1984...), oeuvre concrétisant un travail de plusieurs années à l’IRCAM et par laquelle, depuis Pli selon pli, Boulez a fait le plus sensation. En 1985 ont été créés Dialogue de l’ombre double pour clarinette et bande, en 1988 Dérive 2 pour 11 exécutants et en 1989 l’ultime version du Visage nuptial ainsi que Antiphonies pour piano et ensemble de chambre. Pour imposer la musique du XXe s. et ses conceptions personnelles, le compositeur a dû s’engager très tôt dans la polémique (Schönberg est mort, 1952), et bien des oeuvres ont été accompagnées d’une réflexion théorique (Son et verbe, 1958 ; Éventuellement, 1952). Relevés d’apprenti (1966) réunit des articles parus avant 1962. Penser la musique aujourd’hui (1963), condensé des cours de Darmstadt et de Bâle, est « une investigation méthodique de l’univers musical » et de sa tentative déductive de construire un système cohérent. Par volonté et par hasard (1975), Points de repère (1981) et Jalons pour une décennie (1989) actualisent cette réflexion. Une nouvelle édition de ses écrits a été lancée pour son 70ème anniversaire, inaugurée avec Points de repère I : Imaginer (1995). BOULIANE (Denys), compositeur canadien (Grand-Mère, Québec, 1955). Élève de Jacques Hétu et de Roger Bédard, chargé de cours pour l’harmonie, le contrepoint et l’instrumentation à l’université Laval de Québec de 1978 à 1980, il a également travaillé avec Ligeti à Hambourg (1980-1985). Il est actuellement directeur de l’Ensemble XXe Siècle de l’Orchestre symphonique de Québec et conseiller artistique du même orchestre, et enseigne depuis septembre 1995 la composition à l’université McGill de Montréal tout en résidant fréquemment à Cologne. On a parlé à son sujet de « musique du réalisme magique ». Il s’est imposé en 1982 avec Jeux de société pour quintette à vent et piano (1978-1980, rév. 1981), et parmi ses ouvrages, on peut citer Comme un silène entr’ouvert pour 7 instrumentistes et bande (2 versions, 1983-1985), À propos... et le Baron perché ? pour 10 instrumentistes (1985), Das Affenlied pour soprano solo d’après Gottfried Benn (en hommage à Ligeti, 1988), Une soirée Vian, méta-cabaret pour 8 musiciens (19901991), Concerto pour orchestre (Variations sans thème) pour orchestre (1988-1995). BOULT (sir Adrian), chef d’orchestre anglais (Chester 1889 - Farnham 1983). Ayant, pendant ses études à Oxford, décidé de devenir chef d’orchestre, il travailla à Leipzig avec Nikisch, puis, en 1918, débuta avec l’Orchestre philharmonique de Londres. Il enseigna la direction d’orchestre au Royal College of Music à partir de 1920. De 1930 à 1942, il assuma la responsabilité de toutes les émissions musicales de la BBC. Lorsque l’Orchestre symphonique de la BBC fut créé, en 1930, il en devint le premier chef et le resta jusqu’en 1950. Parmi les nombreux autres postes qu’il occupa, citons la direction de l’Orchestre philharmonique de Londres (1950-1957). Il a été anobli en 1937. Respecter les intentions de l’auteur, toujours conserver la clarté, donner à l’auditeur l’impression d’une absence d’effort, telles sont, d’après sir Adrian Boult, les conditions d’une interprétation idéale. Son vaste répertoire va de Bach et Haendel à ses compatriotes, Holst, Elgar, Vaughan Williams. BOUNINE (Revol), compositeur soviétique (Moscou 1924 - id. 1976). Élève de Chebaline et de Chostakovitch au conservatoire de Moscou, Bounine a voulu suivre l’évolution spirituelle de Chostakovitch, tentant de faire évoluer l’académisme miakovskien vers la simplicité épique, puis désespérée de Chostakovitch. Il a laissé 8 symphonies (19431970), des cycles vocaux sur des textes de Pouchkine, Nekrassov, Essenine, Petöfi, une Symphonie concertante pour violon et orchestre (1972), des concertos pour alto (1953) et pour piano (1963), des quatuors (no 1, 1943 ; no 2, 1956), un quintette avec piano (1946). BOUR (Ernest), chef d’orchestre français (Thionville 1913). Il a fait des études de piano, d’orgue et de théorie à Strasbourg et a été, pour la direction d’orchestre, l’élève de Fritz Munch et de Hermann Scherchen. Dès 1934, il organisa à Strasbourg, avec le chef et compositeur Frédéric Adam, des concerts de musique de chambre contemporaine. Dans les années 40 et 50, il occupa des postes pédagogiques et de chef d’orchestre à Mulhouse et à Strasbourg, et, en 1964, succéda à Hans Rosbaud comme chef de l’orchestre du Südwestfunk de BadenBaden, fonctions qu’il devait conserver jusqu’en 1979. À ce titre, il joua un rôle de premier plan dans la diffusion de la musique contemporaine et participa régulièrement au festival de Donaueschingen. Il a été l’invité d’honneur du festival de Royan en 1977, et, de 1976 à 1987, il a occupé les fonctions de chef invité permanent de l’Orchestre de chambre de la radio d’Hilversum. BOURDELOT (Pierre Michon, dit l’abbé), médecin et mélomane français (Sens 1610 - Paris 1685). Praticien réputé, il fut médecin du prince de Condé, puis, en 1642, obtint une des charges de médecin auprès de Louis XIII. Mélomane passionné, il amassa une multitude de documents et de renseignements afin d’écrire une Histoire de la musique. Il entreprit ce travail en collaboration avec son neveu Pierre Bonnet. Mais ce fut le frère de celui-ci, Jacques Bonnet, qui le termina et le fit paraître, en 1715, sous le titre Histoire de la musique et de ses effets depuis son origine jusqu’à présent... par M. Bourdelot (Paris, 1715 ; 2e éd., Amsterdam, 1725). Cet ouvrage de compilation, fort intéressant, contient de nombreuses inexactitudes. BOURDIN (Roger), flûtiste français (Mulhouse 1923 - Versailles 1976). Disciple de Jacques Chalande, Marcel Moyse et Fernand Caratgé, il fit ses études au conservatoire de Versailles (où il devint professeur en 1943) et au Conservatoire de Paris. À 17 ans, il obtint le poste de flûte solo aux Concerts Lamoureux. Il fonda un duo de flûte et harpe avec Annie Challan et un quatuor de flûtes avec Jean-Pierre Rampal, Pol Mule et M. Vigneron. De nombreuses oeuvres pour flûte lui sont dédiées. Il a composé Atlantide (1949) pour quatuor de flûtes, un ballet (Une certaine lady), des pièces pour flûte avec orgue et contrebasse (À la mémoire de Maurice Ravel, Votre concerto, Mr. Lully à la cour, etc.). BOURDIN (Roger), baryton français (Levallois 1900 - Paris 1974). Élève d’lsnardon et de Gresse au Conservatoire de Paris, il débuta à l’Opéra-Comique, en 1922, dans le rôle de Lescaut de Manon de Massenet. À l’Opéra de Paris, où il débuta en 1942, il fut notamment le créateur du rôle de Bolívar dans l’opéra de Milhaud (1950). Sa carrière internationale le conduisit notamment à Londres pour chanter le rôle de Pelléas en 1930. Il fut professeur au Conservatoire de Paris. Ce fut un artiste à la diction, au style et à la musicalité parfaits, et un excellent acteur. downloadModeText.vue.download 122 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 116 BOURDON. Grondement grave, note tenue, associée depuis le Moyen Âge à la notion d’accompagnement. Certains instruments populaires (cornemuse, vielle à roue) ont un système dit bourdon pour tenir une note grave. On appelle également bourdon l’avant-dernière corde grave du luth, de la basse de viole et, en Angleterre notamment, la voix grave qui soutient le chant improvisé des parties supérieures. Appliqué à l’orgue, ce terme désigne la famille de jeux de fonds, à tuyaux généralement en bois et de section carrée, ou plus rarement en métal. Bouché à son extrémité, le tuyau de bourdon sonne à l’octave grave de sa longueur réelle, avec un timbre particulièrement doux. C’est l’un des jeux de base de l’orgue, au pédalier comme à tous les claviers. Il sert à l’accompagnement du chant, mais aussi comme fondamental avec les jeux de détail, dans les ensembles de fonds et dans les pleins jeux. BOURGAULT-DUCOUDRAY (Louis Albert), compositeur français (Nantes 1840 - Vernouillet, Yvelines, 1910). Alors qu’il achevait ses études de droit à Nantes, il fit représenter au théâtre Graslin un petit opéra-comique, l’Atelier de Prague, dont le succès le décida à entrer au Conservatoire de Paris dans la classe d’Ambroise Thomas (1860). Grand Prix de Rome en 1862, il se lia, à la Villa Médicis, avec Massenet, Guiraud et Paladilhe. Revenu à Paris en 1868, il fonda l’année suivante une chorale avec laquelle il interpréta des oeuvres de Bach, des oratorios de Haendel et de Haydn. Envoyé en Grèce en mission officielle, pour recueillir des mélodies populaires, il en publia plusieurs recueils, puis se livra à des recherches semblables en Bretagne et en Écosse. Il fut professeur d’histoire de la musique au Conservatoire de Paris, de 1878 à 1908. Il composa des mélodies, des cantates, des pages symphoniques, dont plusieurs utilisent des thèmes et modes grecs d’origine très ancienne, et plusieurs ouvrages lyriques. BOURGEOIS (Jacques), critique musical français (Londres 1918). Il a débuté dans la critique musicale en collaborant aux revues Disques et ArtsSpectacles. Intéressé par toutes les formes de spectacle (le premier ouvrage qu’il a publié est une étude sur le cinéaste René Clair), il n’a pas tardé à se passionner pour le chant. L’essentiel de ses travaux, comme de ses activités, de présentateur radiophonique concerne l’opéra et l’art vocal. Il a été l’un des premiers à prôner le retour à l’école du bel canto. Il a été, de 1971 à 1981, directeur artistique du festival d’Orange. Il a écrit un Richard Wagner (Paris, 1959 ; rééd. 1976) et un Giuseppe Verdi (Paris, 1978). BOURGEOIS (Loys), compositeur français (Paris v. 1510-1561). Chantre à Saint-Pierre de Genève, où son nom apparaît dans les archives à partir de 1545, il resta à Genève jusqu’à la fin de 1552. Ce séjour détermina en grande partie la nature de son oeuvre. Il publia, en effet, à Lyon, en 1547, deux livres de psaumes à 4 parties ; un livre de 83 autres psaumes parut en 1554 et, selon Fétis, il en aurait publié 83 encore à Paris en 1561. Loys Bourgeois fut en grande partie responsable de la mise en musique du psautier huguenot. Il traita généralement les textes syllabiquement (une note = une syllabe). Bourgeois est également l’auteur d’un ouvrage didactique, le Droict Chemin de musique (Genève, 1550), et de quelques chansons profanes. BOURGOGNE (cour de). Au XVe siècle, à Dijon, capitale des ducs de Bourgogne, pendant les règnes de Philippe le Bon (1419-1467) et de son fils Charles le Téméraire (1467-1477), la musique ainsi que les autres arts tiennent une place très importante dans toutes les festivités, dont la nature nous est rapportée par Olivier de la Marche, qui, lui-même, y avait participé activement. Au service de cette cour, riche en couleurs et en manifestations somptueuses, un brillant groupe de musiciens, mis à part les oeuvres écrites pour la liturgie catholique, cultive la chanson dite « bourguignonne », généralement conçue à trois voix (G. Dufay, A. Busnois, G. Binchois, P. Fontaine, mais aussi l’Anglais R. Morton). Pour terminer la célèbre fête du faisan (1454), on donne le motet de Dufay (Lamentation Sanctae Matris Constantinopolitanae) avec comme cantus firmus un verset des Lamentations de Jérémie pour pleurer la chute de la ville en 1453 ( ! ÉCOLE FRANCO-FLAMANDE). BOURRÉE. Danse populaire française à deux ou trois temps, encore pratiquée dans le Berry et le Massif central. Adoptée par l’aristocratie, au début du XVIIe s., et devenue danse de cour, la bourrée a inspiré de nombreux musiciens qui l’ont fait figurer non seulement dans l’opéra-ballet, mais dans des suites (Bach, Haendel, etc.). Dans le vocabulaire de la danse académique, le « pas de bourrée » n’a que de lointains rapports avec l’original folklorique. BOUTRY (Roger), compositeur et chef d’orchestre français (Paris 1932). Entré au Conservatoire de Paris à onze ans, il y a fait des études traditionnelles et a été l’élève, notamment, de Tony Aubin (composition) et de Louis Fourestier (direction d’orchestre). Il a obtenu de nombreux prix, dont le grand prix de Rome en 1954, et a fait ses débuts de chef d’orchestre en 1955. Nommé professeur d’harmonie au Conservatoire de Paris en 1967, il est devenu en 1972 chef de la musique de la garde républicaine de Paris et a entrepris des tournées à travers le monde. Boutry a composé un oratorio, le Rosaire des joies (1957), de la musique symphonique et, bien entendu, de la musique d’harmonie ainsi que des pièces instrumentales. BOUTZKO (Iouri), compositeur russe (Loubny 1938). Élève de Bakassanian (composition) au conservatoire de Moscou, il devient, en 1968, assistant dans ce même conservatoire et se met à étudier les chants russes anciens, les éléments archaïsants d’un folklore d’origine paysanne ou religieuse. Il réussit, comme ses confrères Prigojine ou Slonimski, à se dégager des poncifs académiques en honneur à Moscou en utilisant des matériaux sonores empruntés à l’ancienne Russie, cependant qu’une prosodie extrêmement évoluée apparaît dans ses opéras, oratorios et cantates. Son oeuvre s’est imposée par le Journal d’un fou, opéra-monologue d’après Gogol (1964), les Nuits blanches, opéra d’après Dostoïevski (1968), Apocalypse, nouvelle chorégraphique (1973), l’Histoire de la révolte de Pougatchev (1968), 4 Chants russes anciens (1969), Concerto polyphonique pour 4 claviers (orgue, célesta, piano, clavecin, 1969), des mélodies, des sonates et un quatuor à cordes. BOUZIGNAC (Guillaume), compositeur français, originaire du Languedoc (fin du XVIe s. - apr. 1643). Il devint enfant de choeur à la cathédrale de Narbonne avant de diriger, en 1609, la maîtrise de la cathédrale de Grenoble. Il fut un temps au service de G. de la Chanlonye, juge-prévôt à Angoulême. Il semble qu’il ait été maître des enfants à Rodez et à Tours. Il travailla aussi pour le duc de Montmorency, gouverneur du Languedoc. En fait, nos connaissances biographiques à son sujet sont très fragmentaires. Ajoutons à cela qu’il n’a laissé aucune oeuvre imprimée ; mais les témoignages de ses compatriotes sont fort élogieux (Mersenne, Harmonie universelle, 1636 ; Gantez, l’Entretien des musiciens, 1641). La musique de Bouzignac n’est accessible que dans deux manuscrits, conservés l’un à la bibliothèque de Tours, l’autre à la Bibliothèque nationale. Ils contiennent trois messes à 2, 3 et 7 voix, des motets, des psaumes, des hymnes (4 à 7 voix) et quatre chansons françaises. Une soixantaine de motets, des messes et les chansons downloadModeText.vue.download 123 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 117 françaises se trouvent dans des éditions modernes. Bien que dix oeuvres seulement soient signées de la main de Bouzignac, on lui attribue généralement aujourd’hui la totalité des oeuvres du manuscrit de Tours (96 pièces) et une vingtaine parmi celles du manuscrit de Paris. À travers l’oeuvre de Bouzignac, nous pouvons observer la pénétration en France de l’influence italienne, puisque le compositeur écrit dans un style proche du madrigal dramatique de Marenzio ou de Vecchi et cherche à traduire en musique tous les mots du texte, utilisant au besoin des audaces harmoniques et mélodiques. Ses motets révèlent un élément de tension de caractère quasi théâtral dans l’alternance du choeur et du soliste ou le dialogue des deux choeurs. Par exemple, des scènes sacrées tirées de la vie du Christ, comme Unus ex vobis ou encore Ecce homo, ont certainement contribué à l’avènement de l’oratorio en France. Dans ce domaine, Bouzignac se présente comme le précurseur de Marc-Antoine Charpentier. BOWMAN (James), contre-ténor anglais (Oxford 1941). Choriste à la cathédrale d’Ely en 1960, il débute au sein des maîtrises d’Oxford, ce qui lui évite une formation académique. En 1966, Benjamin Britten l’engage dans son English Opera Group pour chanter Oberon dans le Songe d’une nuit d’été. C’est le début d’une longue complicité qui amène Britten à lui destiner son Canticle IV, Journey of the Magi (1971) et le rôle d’Apollon dans Mort à Venise (1973). Il inspire aussi The Ice Break à Michael Tippett en 1977. Réhabilitant la tessiture de contre-ténor dans la musique contemporaine, il participe aussi à la redécouverte du répertoire baroque : dès 1967, il chante avec David Munrow et le Early Music Consort of London. Il s’impose dans les oratorios de Haendel, dont Rinaldo, mis en scène par Pizzi en 1981 à Vérone et en 1985 au Châtelet. Il effectue de nombreuses tournées avec Christopher Hogwood et assure des master-classes depuis 1990. Après Alfred Deller, dont il n’est pourtant pas un disciple, il a largement contribué à redonner à la voix de contreténor un rôle désormais reconnu. BOYAU. Corde d’instrument à archet, faite avec la membrane médiane de l’intestin grêle du mouton. Les violons étaient autrefois entièrement montés en boyaux, chanterelle comprise. L’élévation progressive du diapason et la tension supplémentaire qui en résulte ont entraîné le remplacement de cette chanterelle par une corde d’acier moins fragile ; puis, pour des raisons de sonorité, le boyau de la corde la plus grave (sol) a été gainé d’une spirale de fil d’argent. Longtemps, le boyau nu est resté en usage pour les cordes intermédiaires de ré et de la, mais il tend à disparaître complètement au profit des cordes filées d’argent ou d’aluminium qui sonnent plus brillamment. Les autres instruments du quatuor ne sont pas épargnés par cette évolution. Cependant, le retour à une exécution fidèle de la musique baroque - s’accommodant d’une sonorité plus douce et jouée à un diapason plus bas d’environ un demi-ton que le diapason normal actuel - a entraîné récemment la remise en honneur du boyau, dans un usage spécialisé. BOYCE (William), compositeur et organiste anglais (Londres 1710 - id. 1779). Élève de Maurice Greene et de Johann Christoph Pepusch, il poursuivit ses études musicales malgré un début de surdité. Nommé, en 1736, compositeur de la chapelle royale, pour laquelle il composa de nombreux services et anthems, il reçut, l’année suivante, la charge des trois ensembles de Gloucester, Worcester et Hereford, connus sous le nom de Three Choirs. En 1755, il succéda à Greene comme maître de musique du roi. Mais, à partir de 1769, sa surdité empirant, il se retira à Kensington afin de se consacrer à son célèbre recueil de musique d’église Cathedral Music (3 vol., 1760-1778). Grâce à cette collection, le répertoire sacré de l’Église anglicane des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles put être en grande partie conservé. Si Boyce fut l’un des meilleurs compositeurs anglais du XVIIIe siècle, son oeuvre a souffert de la présence, en Angleterre, de la personnalité immense d’Haendel. Ses huit symphonies à 8 parties demeurent aujourd’hui des oeuvres originales et inspirées. Boyce composa également une soixantaine d’anthems, des services, des ouvertures, 12 sonates en trio, des pièces d’orgue et de clavecin, une cinquantaine d’odes, de la musique théâtrale, des airs, cantates, duos, contenus dans un recueil intitulé la Lyra britannica. BOYVIN (Jacques), organiste et compositeur français (Paris v. 1653 - Rouen 1706). Peut-être fut-il l’élève de Lebègue. En 1674, il fut nommé organiste à la cathédrale de Rouen et conserva cette charge jusqu’à sa mort. Après un incendie, son orgue fut magnifiquement reconstruit par Robert Clicquot et inauguré en 1689. Cette même année, Boyvin publia son premier Livre d’orgue, qui devait être suivi d’un second en 1700. Chacun de ces deux Livres contient des suites de six à dix pièces « dans les huit tons à l’usage ordinaire des églises ». Le premier est précédé d’un précieux Avis au public concernant le meslange des jeux de l’orgue, les mouvements, agréments et le toucher, et le second, d’un Traité abrégé de l’accompagnement pour l’orgue et le clavecin. Les suites font alterner pleins-jeux, dialogues, récits, basses, fugues, selon la meilleure tradition française. Outre un coloriste raffiné, Boyvin s’y montre un musicien expressif, qui manie avec délicatesse l’harmonie et le style fugué. Il est l’un des principaux jalons qui mènent de Titelouze à Grigny. BOZAY (Attilá), compositeur hongrois (Balatonfüzfö 1939). Il a fait ses études musicales à l’école de musique de Békéstarhos, puis à Budapest au Conservatoire Béla Bartók et à l’Académie Ferenc Liszt dans la classe de composition de Ferenc Farkas, d’où il est sorti en 1962. Nommé professeur de composition au conservatoire de Szeged (1962-63), il a été producteur à la radio hongroise (19631966), puis a séjourné à Paris grâce à une bourse de l’Unesco (1967). Depuis son retour en Hongrie, il s’est consacré exclusivement à la composition, remportant le prix Erkel en 1968. Influencé à la fois par Webern et Bartók, Attilá Bozay use soit d’une structure très stricte d’origine sérielle, soit d’une forme très souple fondée sur la dynamique et les jeux de timbre. Il semble vouloir retrouver l’esprit du verbunkos tout en se servant de techniques de permutation (séries de Fibonacci et de Seiber). Il s’est imposé sur la scène internationale à côté de György Kurtág et de Zsolt Durkó, ses aînés. Son oeuvre comprend essentiellement des compositions pour un instrument seul (piano, violon, violoncelle, cithare), de la musique de chambre pour différentes formations, dont 2 quatuors à cordes (1964, 1971), des pièces pour orchestre comme Pezzo concertato no 1 pour alto et orchestre (1965) et no 2 pour cithare et orchestre (1974-75), Pezzo sinfonico no 1 (1967) et no 2 (1975-76) et Variazioni (1977), et l’opéra la Reine Küngisz (1969). BRAHMS (Johannes), compositeur allemand (Hambourg 1833 - Vienne 1897). L’histoire de Johannes Brahms, c’est d’abord celle de son père. Johann Jakob Brahms, né en Basse-Saxe en 1806, reçut sa formation de contrebassiste (et, accessoirement, de flûtiste et de violoniste) dans une Stadtpfeiferei (orchestre municipal), institution typiquement allemande dont l’origine remontait au Moyen Âge : les membres de cette confrérie jouaient surtout des instruments à vent et se tenaient à la disposition de quiconque avait besoin de musiciens pour un bal, une cérémonie ou une fête publique ou privée. Dès qu’il eut son diplôme en poche, le jeune homme prit la route comme le voulait la tradition. La première étape de ce voyage à travers l’Allemagne fut aussi la dernière. Ayant facilement trouvé à s’employer à Hambourg, il s’y fixa pour toujours. En downloadModeText.vue.download 124 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 118 1830, âgé de 24 ans, il épousa sa logeuse, Christiana Nissen, qui avait 41 ans et n’était guère plus riche que lui, mais joignait à une certaine culture toutes les vertus domestiques. De cette union naquirent trois enfants, dont Johannes en 1833. UN ENFANT PRODIGE. La gêne financière qui pesa longtemps sur la famille (Johann Jakob avait depuis longtemps élevé ses enfants quand il trouva enfin une situation stable de contrebassiste à l’orchestre philharmonique) explique en grande partie les débuts de Johannes. Si précocement doué qu’il imagina un système de notation musicale avant de savoir qu’il en existait déjà un, l’enfant n’avait qu’un défaut aux yeux de son père : sa passion de la composition et du piano. Malgré ses préventions contre cet « instrument de riche » (d’ailleurs absent du minuscule logis familial) qu’il jugeait peu rentable, Johann Jakob fit donner des leçons au jeune garçon par un maître très estimé, Otto Cossel, lui-même disciple d’Édouard Marxsen, dont la réputation était grande dans toute l’Allemagne du Nord. À 10 ans, Johannes donnait en privé son premier récital, qui lui valut d’être adopté par l’illustre Marxsen en personne. Et celuici devait lui enseigner beaucoup plus que l’art de jouer du piano. Compositeur sans génie, mais technicien de premier ordre, il forma son élève dans le culte de Bach, de Mozart et de Beethoven. Parallèlement à ces études classiques, le jeune Brahms, tenu de contribuer au maigre budget familial, se livra bientôt à des travaux pratiques qui absorbèrent la plus grande partie de son temps. Entre 12 et 20 ans, il enseigna, accompagna des chanteurs ou des spectacles de marionnettes au théâtre municipal, publia sous divers pseudonymes quantité de morceaux de danse et de fantaisies sur des airs à la mode, donna quelques concerts, joua de l’orgue à l’église et, le soir, tint le piano dans des tavernes à matelots. C’est même dans ces lieux malfamés que l’adolescent assouvit une autre de ses passions, celle de la lecture : tout en « tapant » des valses et des polkas, il ne quittait pas des yeux un livre ouvert sur le piano. Puis il rentrait chez lui par le chemin des écoliers et se couchait à trois heures du matin, la tête pleine de musique qu’il notait à son réveil, quitte à la détruire ensuite. Très perfectionniste, il ne devait rien conserver de cette production de jeunesse qui comprend notamment d’innombrables lieder inspirés par ses lectures. Ce goût des livres et des longues promenades à pied n’allait jamais le quitter. Une nuit, s’étant trop éloigné de la ville et ayant pris le parti de dormir à la belle étoile, il contracta une angine. Survenant en pleine mue, cet accident l’affligea pour longtemps d’une « voix de fille » qui, vraisemblablement, ne surprenait guère chez ce garçon fluet, aux longs cheveux blonds. Il en paraissait simplement encore plus jeune qu’il n’était. DES RENCONTRES DÉCISIVES. En 1849, Brahms avait fait la connaissance d’un violoniste hongrois, Eduard Reményi, ancien condisciple du déjà illustre Joseph Joachim. Ce spécialiste de la musique tzigane, qui apportait beaucoup de fantaisie à son interprétation des classiques, reparut à Hambourg en 1853 et décida Brahms, son cadet de trois ans, à l’accompagner en tournée. Cette tournée, d’ailleurs fructueuse, aboutit à Hanovre où Joachim exerçait les fonctions de Kapellmeister de la Cour. Joachim, qui ne tenait pas son compatriote en très haute estime, fut, en revanche, conquis par la personnalité et le talent de Brahms ; leur rencontre fut le point de départ d’une amitié et d’une collaboration qui allaient durer toute leur vie. Précédés d’une lettre de recommandation de Joachim pour Liszt, Brahms et Reményi se rendirent ensuite à Weimar. Il ne semble pas que le jeune pianiste ait été séduit par l’ambiance mondaine qui régnait à l’Altenburg, où son glorieux aîné faisait l’objet d’un véritable culte. Plus tard, considéré à son corps défendant comme le chef de file des adversaires de la « musique de l’avenir », Brahms devait rendre justice à Franz Liszt et à Richard Wagner. À cette époque, l’élève de Marxsen était, à l’image de son maître, rebelle à toute innovation ; même Robert Schumann le laissait indifférent. Aussi quitta-t-il l’Altenburg sans regret, seul, Reményi ayant préféré s’attacher aux pas de Liszt. Muni par Joachim de nombreuses lettres qui lui garantissaient l’hospitalité chaleureuse des musiciens rhénans, il descendit à pied la vallée légendaire, s’attardant à Mayence, Bonn et surtout Mehlem, où un riche banquier mélomane, Deichmann, avait sa résidence d’été. Ce fut à Mehlem qu’il commença à apprécier la musique de Schumann, se préparant ainsi à la fameuse rencontre de Düsseldorf, le 30 septembre 1853. Dès le premier contact, les deux hommes sympathisèrent. Brahms, qui s’était mis au piano, joua sa sonate en ut majeur op. 1. Schumann l’interrompit à la fin du premier mouvement, appela sa femme Clara et pria son jeune confrère de recommencer. Clara Schumann, la première femme au monde - et longtemps la seule - à avoir fait profession de virtuose du clavier, fut à son tour conquise. Brahms, retenu à dîner, entra d’emblée dans l’intimité de la famille Schumann. Lui qui n’avait prévu qu’une brève halte à Düsseldorf y resta un mois, bientôt rejoint par Joachim. Avant le départ de Brahms, le 3 novembre 1853, Schumann décida en secret d’offrir un cadeau à Joachim, et c’est Brahms qui composa le scherzo de la sonate dite F-A-E (Frei aber einsam, la maxime de Joachim). À Brahms Schumann réserva une autre surprise de taille : un article dithyrambique dans l’influente Neue Zeitschrift für Musik, qu’il avait fondée vingt ans plus tôt à Leipzig. Après dix ans de silence, le maître reprit la plume pour annoncer au monde musical allemand, d’autant plus stupéfait que les héros du jour étaient Liszt et Wagner, sa découverte d’un « nouveau messie de l’art ». C’est aussi grâce à Schumann que Breitkopf et Härtel édita quelques- unes de ses premières compositions. Le jeune Brahms fut plus intimidé qu’encouragé par la gloire soudaine que lui valut cet article retentissant. Il ne lui échappa pas que les louanges de Schumann, exprimées en des termes qui ne ménageaient pas les susceptibilités du camp adverse, allaient l’exposer à de sévères critiques. De retour à Hanovre, il mit aussi peu d’empressement à publier ses quatre premiers opus qu’à faire le voyage à Leipzig, « cerveau » de l’Allemagne musicale, où Schumann et Joachim le pressaient de se rendre. La cité saxonne lui réserva pourtant un accueil chaleureux ; il y rencontra son premier admirateur français Hector Berlioz - et, de nouveau, Liszt, qui lui faisait toujours bonne figure. La fin de cette année triomphale le trouva dans sa ville natale, où il passa les fêtes en famille. Puis, il regagna Hanovre avec l’intention de s’y installer pour quelque temps, mais, le 20 janvier 1854, Robert et Clara Schumann y arrivèrent à leur tour pour entendre l’oratorio de Schumann, le Paradis et la Péri, en présence du roi George V. Schumann, dont l’équilibre nerveux laissait à désirer depuis plusieurs années, n’avait jamais paru plus heureux de vivre. Mais, dès son retour à Düsseldorf, il allait se jeter dans le Rhin. Brahms vola à son secours : Schumann se trouvait dans une clinique de Bonn, d’où il ne devait plus sortir. Pendant les deux années de son agonie, Brahms ne quitta guère Düsseldorf, consacrant la plus grande partie de son temps à la famille nombreuse de son ami : six enfants, puis, le 11 juin 1854, un petit Félix dont il fut le parrain. Cette situation avait naturellement favorisé entre Johannes et Clara une amitié propice à l’épanouissement d’un amour réciproque, qui ressemblait fort à l’idylle de Werther et Charlotte, au point que Brahms songea au suicide. Sans doute se faisait-il une trop haute idée de ses devoirs envers l’absent, et de l’amour en général, pour succomber jamais à la tentation. Notons aussi que la fréquentation des dames de petite vertu aidait Brahms à garder son équilibre. Par la suite, il devait lui arriver plus d’une fois d’aimer et d’être aimé, d’être tenté par le mariage et cette vie de famille qui avait pour lui tant d’attraits. Il rompit toujours au dernier moment, sous divers prétextes, non sans downloadModeText.vue.download 125 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 119 déchirement, redoutant en fait de perdre l’indépendance qu’il jugeait indispensable à lui-même et à l’accomplissement de son oeuvre. Mais la tendre amitié qui le liait à Clara Schumann, son aînée de quatorze ans, dura toute leur vie ; Brahms l’accompagna dans ses tournées, et l’on ne saurait sous-estimer la part que prit la grande pianiste à la diffusion de sa musique. DE HAMBOURG À VIENNE. Cette douloureuse épreuve n’avait pas empêché Brahms d’approfondir ses connaissances musicales et littéraires, ni de donner des concerts en Allemagne du Nord, seul ou avec Joachim. En 1857, il sollicita et obtint le poste de chef des choeurs à la cour du prince de Lippe, à Detmold, poste qu’il devait occuper jusqu’en 1859, non sans poursuivre son activité de compositeur et de concertiste. En janvier 1859 eut lieu à Hanovre la première audition du concerto no 1 op. 15 en ré mineur pour piano. Ce fut un succès d’estime, que suivit, cinq jours plus tard, un fiasco complet à Leipzig. Une troisième audition à Hambourg, en mars, fut accueillie de manière à le consoler de cet échec, mais il allait délaisser la musique orchestrale au profit du lied et de la musique de chambre pendant les deux années suivantes, après avoir démissionné de ses fonctions de musicien de cour, décidément incompatibles avec son caractère extrêmement timide. Ces deux années, Brahms les passa à Hambourg, dans l’espoir toujours déçu que ses concitoyens lui offriraient un poste officiel. Ou, plus exactement, il fit de Hambourg son port d’attache, d’où il s’éloigna fréquemment pour des séjours plus ou moins longs à Hamm (un village des environs), dans le Harz, à Oldenbourg, à Cologne, etc. En fait, depuis qu’il ne vivait plus chez ses parents, Brahms n’avait jamais passé et ne devait jamais passer six mois au même endroit, pas même à Vienne où il allait bientôt trouver son point de chute définitif. À la fin de 1862, las d’attendre, Brahms se rendit à Vienne, où il bénéficia d’un accueil qui passa ses espérances, notamment de la part du célèbre critique Hanslick. Il avait 30 ans. En pleine possession de ses moyens pianistiques, il multiplia les concerts et en profita pour imposer ses propres compositions, dont les Variations et fugue sur un thème de G. Fr. Haendel pour piano, que Clara avait créées en 1861. Le 6 février 1864, il eut une cordiale entrevue avec R. Wagner aux environs de Vienne. Un peu plus tard, il rencontrait le « roi de la valse », Johann Strauss, près de Baden-Baden. De 1866 à 1868, ses tournées le conduisirent jusqu’en Hollande, à Presbourg, Budapest, Copenhague et en Suisse, où il devait souvent retourner. De cette période d’intense activité datent le Requiem allemand et la Rhapsodie pour alto, choeur d’hommes et orchestre. En 1870, Brahms fit la connaissance de l’éminent pianiste et chef d’orchestre Hans von Bülow, que Wagner venait de trahir en lui prenant sa femme Cosima, la fille de Liszt. Hans von Bülow allait bientôt se faire l’un des plus actifs propagandistes de son nouvel ami. 1872, UN TOURNANT DANS LA CARRIÈRE DE BRAHMS. Nommé directeur de la Société des amis de la musique à Vienne, le compositeur décida de louer un véritable appartement, son premier et dernier domicile fixe puisqu’il devait y mourir. Il exerça avec conscience et succès ses fonctions à la tête des grands concerts viennois, et, s’il démissionna en 1875, c’est qu’il estimait avoir encore mieux à faire dans le domaine de la composition. D’ailleurs, l’indépendance matérielle lui était désormais acquise. Les droits d’auteur gonflaient son compte en banque d’autant plus qu’il y touchait à peine, ses cachets de concertiste suffisant à son modeste train de vie de célibataire que le luxe ne tentait pas. Cependant, le rythme de son existence allait être toujours à peu près le même, partagé entre les concerts pendant la saison d’hiver et, l’été, quelque retraite en pleine nature où rien ne venait le distraire de la composition. C’est au bord du lac de Starnberg, en Bavière, qu’il acheva les Variations sur un thème de J. Haydn ; à Rügen, village de pêcheurs sur la mer du Nord, il termina la symphonie no 1 en ut mineur ; à Pörtschach, en Carinthie, il composa la symphonie no 2 en ré majeur, le concerto pour violon, créé, naturellement, par Joachim, la première sonate pour violon et piano et les deux Rhapsodies pour piano. Au fil des années, la part du concertiste se réduisit. Brahms, qui n’avait jamais aimé le métier de virtuose (de l’avis de tous les témoins, y compris Clara Schumann, il jouait beaucoup mieux en petit comité qu’en public), délaissa le piano au profit de la direction d’orchestre. En 1874, le roi Louis II de Bavière lui décerna l’ordre de Maximilien en même temps qu’à Richard Wagner, son aîné de vingt ans. Si l’on songe à ce que représentait Wagner pour le jeune souverain, cette distinction donne la mesure de la réputation que Brahms avait acquise. En 1877, il fut aussi nommé doctor honoris causa de l’université de Cambridge, mais refusa obstinément de franchir le détroit pour revêtir la toge. Au printemps de 1878, Brahms visita l’Italie, pays qu’il aimait beaucoup, jusqu’en Sicile, escorté de son ami Billroth, un éminent chirurgien suisse qui le connaissait bien. Brahms se rendit souvent au-delà des Alpes. En 1879, c’est l’université de Breslau qui, à son tour, le nommait doctor honoris causa ; il la remercia en lui dédicaçant l’Ouverture académique, composée l’année suivante, ainsi que l’Ouverture tragique, non pas à Pörtschach, mais à Ischl, où il était plus tranquille. Entre-temps, le triomphe de sa symphonie no 2, à Hambourg, lui avait donné la satisfaction d’être enfin apprécié dans sa ville natale. Les années suivantes, jusqu’en 1885, furent dominées par son intense collaboration avec Bülow, qui venait de réorganiser l’orchestre du duc de Saxe-Meiningen et en avait fait l’un des meilleurs d’Allemagne. C’est Bülow qui lança le slogan flatteur des « trois B » (Bach-Beethoven-Brahms) ; il établit ses programmes en conséquence et partagea la baguette avec Brahms dans de brillantes tournées. Les troisième (fa majeur) et quatrième (mi mineur) symphonies, le deuxième concerto pour piano en si bémol majeur (achevé à Florence) datent de cette époque. Puis Bülow, surmené, peut-être agacé par la tranquille assurance de son collaborateur, se fâcha avec lui et donna sa démission. La brouille devait durer jusqu’en 1887. LE BRAHMS LÉGENDAIRE. Aux approches de la cinquantaine, Brahms s’était laissé pousser la barbe et apparaissait désormais tel que le représente l’iconographie classique. L’embonpoint aidant, son côté « gros ours » s’en trou- vait accentué. La physionomie ouverte était bien celle d’un bon vivant, gros mangeur, franc buveur et grand amateur de cigares et de café, doué d’une santé de fer et d’une résistance peu commune. Sportif à sa manière, il plongeait au petit matin dans les eaux glacées du lac de Starnberg et couvrait à pied des distances invraisemblables. En société, c’était un bouteen-train d’une bonne humeur inaltérable, partout accueilli à bras ouverts, bien que son franc-parler eût parfois la dent dure. Ses tourments intimes, il les gardait pour lui et les exorcisait par la musique, avec la pudeur qui caractérisait toutes ses actions et principalement les bonnes. Antón Dvořák, qui végétait misérablement à Prague, n’a jamais caché ce que sa carrière ultérieure devait à la générosité de Brahms. Mais bien d’autres personnes on ne le sut qu’après sa mort - avaient bénéficié d’une pareille munificence. C’est sous son aspect le plus débraillé que Brahms passa les étés de 1886, 1887 et 1888, en vue du lac de Thoune et de la Jungfrau ; dans ce site qui l’enchantait, il composa le double concerto pour violon, violoncelle et orchestre, les sonates pour violon en la majeur et ré mineur, la sonate no 2 pour violoncelle, son quatrième trio, bon nombre de choeurs et de lieder, et les Onze Chants tziganes. Il y reçut la visite de la jeune cantatrice Hermine Spies, pour qui il éprouva un tendre sentiment et qui contribua à l’inspirer. Mais cette idylle tardive ne devait pas plus aboutir que les downloadModeText.vue.download 126 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 120 autres ; et Brahms n’écrivit plus de lieder avant les Quatre Chants sérieux (1896), son chant du cygne. Le séjour d’Ischl, son ancienne résidence d’été, où il allait séjourner chaque année à partir de 1889, ne fut pas aussi fécond sur le plan musical : on ne peut y rattacher que les Intermezzi et Caprices op. 116 et 117. Qu’il fût là ou ailleurs, et bien qu’il continuât de manifester une prodigieuse vitalité quand il s’agissait de faire bombance entre amis ou de participer à des excursions périlleuses en Suisse ou en Sicile, quelque chose s’était brisé en lui. Une série de deuils et autres chagrins n’y furent sans doute pas étrangers. DOULEURS ET SOLITUDE. En 1891, année du merveilleux quintette en si mineur op. 115 et du trio op. 114 pour clarinette et cordes, se produisit une brouille avec Clara Schumann, vieillie, malade et aigrie. L’année suivante, il perdit sa soeur Élise et se fâcha avec son ami Billroth à propos de Massenet, dont il détestait la musique. En 1893, réconcilié avec Clara, il se réfugia en Italie pour se soustraire aux festivités organisées pour son 60e anniversaire. Mais au lieu de le célébrer le 7 mai à Venise, comme il en avait l’intention, il le passa à Messine au chevet d’un de ses compagnons, le poète Widmann, qui s’était brisé la cheville. En 1894 disparaissaient successivement Billroth, Bülow et le musicologue Alfred Spitta, dont la mort l’affecta profondément. Brahms, comme Mozart, avait heureusement rencontré « son » clarinettiste, et c’est ainsi que sa musique de chambre, un des domaines les plus riches et inspirés de son oeuvre (sonates ; trios, quatuors, quintettes souvent avec piano ; sextuors à cordes), se trouve enrichie d’un trio en la mineur, du quintette et de deux sonates, qui devaient être pratiquement ses dernières oeuvres avant les tragiques et prémonitoires Chants sérieux op. 121. Ce clarinettiste, nommé Richard von Mühlfeld, Brahms l’avait remarqué parmi les musiciens du duc de Saxe-Meiningen. En mai 1896, Brahms arriva à Bonn après quarante heures de chemin de fer pour enterrer Clara Schumann. Dès le mois suivant, sa magnifique santé l’abandonna. Il perdit l’appétit, maigrit et s’affaiblit jusqu’au 3 avril de l’année 1897, où il succomba à un cancer du foie et rejoignit au cimetière de Vienne ses confrères Mozart, Beethoven et Schubert. BRAHMS, « NOUVEAU MESSIE DE L’ART ». Deux séries de faits ont longtemps empêché une juste appréciation de la grandeur et du caractère « avant-gardiste » de la musique de Brahms : d’une part, les controverses qui, dans la seconde moitié du XIXe s., opposèrent les tenants de la « musique de l’avenir » (Wagner et Liszt) à ceux pour qui les grandes formes instrumentales héritées du passé n’étaient pas épuisées, et, qui, plus d’une fois, tentèrent d’enrôler Brahms sous leur bannière ; d’autre part, les liens évidents de Brahms avec le passé, reflétés tant dans ses oeuvres que dans l’admiration qu’il porta à des maîtres anciens, en son temps, inconnus ou tenus pour négligeables. Paradoxalement, ce second facteur est le principal fondement de la grandeur de Brahms et de son importance pour la musique du XXe siècle. Schönberg le vit bien, il fut le premier à se réclamer à la fois de Wagner et de Brahms. À la différence de ses prédécesseurs immédiats, Brahms s’intéressa au passé de façon vitale, un passé qui, pour lui, ne s’arrêtait pas à Bach, mais remontait jusqu’aux polyphonistes de la Renaissance, voire jusqu’aux origines du lied allemand. À son époque, il fut à peu près le seul à vouer un culte à Haydn, et ses séries de variations sur des thèmes de Haendel (pour piano) ou de Bach (finale de la symphonie no 4) furent les premières oeuvres importantes depuis la Renaissance à puiser leurs thèmes chez des compositeurs disparus depuis des lustres. Cela n’empêcha pas l’ombre de Beethoven d’avoir sur lui des effets parfois inhibants, qui le poussèrent à détruire de nombreuses partitions d’une qualité probablement comparable à celle d’autres qu’il jugea dignes de survivre, ou à attendre la quarantaine pour se faire connaître comme auteur de quatuors à cordes, puis de symphonies. Mais, de cette attitude fondamentale, plus intense et plus vivifiante chez lui que chez n’importe quel autre compositeur avant le XXe siècle, de cette attitude qui explique largement (tout en les réduisant à l’état de péchés véniels) les citations ou quasi-citations que contient sa musique, Brahms tira un sens de l’ordre et de l’architecture. Cette rigueur est d’autant moins réactionnaire qu’elle alla de pair avec une liberté et une invention linéaire et rythmique toutes novatrices, même révolutionnaires - son écriture harmonique n’est pas exempte d’audaces, mais, contrairement à celle de Wagner, elle apparaît toujours fonctionnelle, génératrice de formes au sens classique. Les superpositions et les oblitérations rythmiques existent chez Brahms, au point de parfois annihiler le sens de la barre de mesure, mais présentent en soi un haut degré d’organisation, où d’aucuns ont vu l’annonce du principe de la modulation métrique cher à Elliott Carter, ou, plus généralement, « la source de la structure polyrythmique de bien des partitions contemporaines » (Schönberg). Tout aussi important est le fait que, pardelà sa complexité rythmique (ou plutôt de pulsation), la densité de sa polyphonie linéaire et la richesse de ses relations motiviques, la musique ne perd jamais le sens de la direction, en particulier à cause du soin que le compositeur prit à conserver à ses lignes de basse agilité et mobilité. Brahms fut un admirable coloriste, en particulier dans la demi-teinte, mais il préféra toujours la substance au brillant extérieur et, après Bach et Haydn, il s’imposa comme le troisième grand artisan (au sens le plus noble du terme) de l’ère classicoromantique en Allemagne. D’où, malgré la splendeur de ses symphonies ou de ses concertos, ses trois domaines d’élection, tous synonymes d’intimité : le piano, la musique de chambre et le lied (il n’aborda ni le poème symphonique ni l’opéra). Le sextuor à cordes la Nuit transfigurée de Schönberg (1899) provient de Brahms autant que de Wagner, et c’est avec pertinence qu’Adorno a fait remarquer que Schönberg ne se serait jamais détourné de la pompe de son temps s’il n’avait puisé dans l’écriture « obligée » des quatuors à cordes de Brahms. Tout cela étant admis, il faut se garder de qualifier Brahms, ce Nordique attiré par Vienne, par les Tziganes et par l’Italie, de conservateur sur le plan esthétique (par opposition à son langage). Chez lui, esthétique et langage ne font qu’un. Comme nul autre à son époque, il réussit d’une part à mettre en rapport la science musicale la plus élaborée et les origines populaires de son art, d’autre part à « énoncer clairement cela même qui ne se conçoit qu’à peine et qui vit en nous obscurément en des régions où la raison n’a pas de prise... Il est probable que, sans sa science de l’écriture, Brahms se fût perdu, égaré dans sa propre forêt, étouffé par ses propres ombres, [alors que] la mélancolie la plus vague, les désirs les plus ambigus, les mouvements les plus flottants, les plus changeants, les plus indéfinis du coeur, s’expriment dans le langage le plus net, le contrepoint le plus clair qui soient » (Romain Goldron). Si, comme d’autres musiques postérieures (Mahler, Alban Berg), la musique de Brahms évoque globalement un paradis perdu, elle reste la première à avoir fait sienne cette démarche, et la seule à baigner dans la nostalgie avouée de ce paradis, dans le regret avoué d’être née trop tard. Le paradis perdu était encore proche : d’où la possibilité de la démarche de Brahms, qui ne pouvait qu’exclure les « feux et tonnerres » d’un Berlioz et qui explique aussi les côtés lucidement désabusés, amers parfois, de l’homme et du musicien. Brahms ne songea jamais, comme avant lui Schumann ou après lui Mahler, à se lancer à la poursuite d’un idéal inaccessible. Cela éclaire les réserves qu’il suscita, mais aussi sa position unique dans la musique germanique du XIXe siècle. downloadModeText.vue.download 127 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 121 BRAILLE (Louis), organiste français (Coupvray, Seine-et-Marne, 1809 - Paris 1852). Devenu aveugle à l’âge de trois ans, il fit ses études à l’Institution des aveugles à partir de 1819 et fut élève de Jean-Nicolas Marrigues. En 1833, il fut nommé organiste à Notre-Dame-des-Champs, puis, de 1834 à 1839, à Saint-Nicolas-des-Champs, et ensuite à l’église des Missionnaires-Lazaristes. Il fut aussi professeur à l’Institut national des jeunes aveugles et inventa un nouveau système d’écriture, qui est maintenant universellement employé tant pour les textes que pour la musique. BRǍILOIU (Constantin), ethnomusicologue roumain (Bucarest 1893 - Genève 1958). Il étudia à Vienne et à Paris, où il fut élève de Gédalge. Professeur à l’Académie de musique de Bucarest, il fonda, avec Enesco, la Société des compositeurs roumains. En 1928, il créa à Bucarest les Archives du folklore, puis, en 1944, à Genève, les Archives internationales de musique populaire. Il se fixa, en 1948, à Paris, où il fut nommé maître de recherches au C.N.R.S. Ses travaux (ouvrages écrits, éditions phonographiques du musée de l’Homme, de l’Unesco), d’une rigueur scientifique exemplaire appuyée sur des connaissances musicales très complètes, ont rénové les méthodes de l’ethnomusicologie. Pour une bibliographie de l’oeuvre de C. Brailoiu, on peut consulter le travail d’André Schaeffner, Bibliographie des travaux de Constantin Brailoiu (Revue de musicologie, 1959). BRAIN (Dennis), corniste anglais (Londres 1921 - Hatfield 1957). Élève de son père, Aubrey Brain, il s’imposa comme l’un des meilleurs cornistes de sa génération et comme un soliste de renommée internationale, avant sa mort tragique, dans un accident de voiture, à l’âge de 36 ans. Sa beauté de timbre ainsi que sa maîtrise technique demeurent légendaires. De nombreuses oeuvres ont été composées à son intention comme la Sérénade pour ténor, cor et cordes de Britten ; le trio op. 44 pour violon, cor et piano de Berkeley, et des concertos écrits par Gordon Jacob, Élisabeth Lutyens, Hindemith, etc. BRANLE. Danse française dont l’origine remonte au Moyen Âge, mais qui a connu une grande vogue au XVIe s. et au siècle suivant. La plupart des branles sont de mesure binaire ; d’autres, dits branles gais, peuvent être ternaires. Quant à la danse elle-même, il s’agit de former une chaîne et de se déplacer non en avant mais latéralement. Un grand nombre de branles (simples, doubles, de Bourgogne, etc.) ont été publiés à Paris au XVIe siècle par Attaignant (en particulier ceux de Claude Gervaise) et par Du Chemin. BRANT (Henry Dreyfus), compositeur américain (Montréal 1913). D’abord élève de son père, violoniste professionnel, il étudia ensuite au conservatoire de l’université McGill. En 1929, il s’établit avec sa famille à New York, où il continua ses études à l’lnstitute of Musical Art et à la Juilliard School, ainsi qu’avec Wallinford Riegger, George Antheil et Fritz Mahler. Dans les années 30, il fut orchestrateur et arrangeur pour Benny Goodman, puis composa et dirigea des oeuvres radiophoniques, des ballets et de la musique de film à Hollywood, New York et en Europe. Il a enseigné à l’université Columbia (1945-1952), à la Juilliard School (1947-1954), et professe à Bennington College depuis 1957. Influencé par Charles Ives, Brant a écrit, outre ses musiques de film et de théâtre, une bonne centaine d’oeuvres ayant volontiers recours à des sonorités insolites, comme dans Angels and Devils, concerto pour flûte avec un orchestre de piccolos, flûtes, et flûtes alto (1931, première audition en 1933). À partir des années 50, en réaction contre les musiques ne faisant référence qu’à « un seul style », il s’est systématiquement attaché à « confronter, entre eux, deux (et de préférence davantage) types de musique entièrement différents - d’où des combinaisons aussi hétérogènes que celles suggérant à la fois un ensemble dixieland, un gamelan balinais et un cortège militaire ». De là l’intérêt du compositeur pour les musiques « spatiales » et les oeuvres faisant appel à « deux groupes au moins, chacun conservant son propre style, irréductible au style des autres groupes, ainsi que ses propres schémas rythmiques, harmoniques et instrumentaux, en fonction de sa propre position, spécifique et isolée, dans la salle. Il n’y a pas d’échange de style ni de matériau de groupe à groupe ». Ces conceptions sont illustrées par Grand Universal Circus (1956), Voyage 4 (1963) ou encore Windjammer (1969). BRASSART (Johannes), compositeur flamand, originaire du diocèse de Liège (XVe s.). Il est mentionné en 1422 à Saint-Jeanl’Évangéliste à Liège où il fut succentor (« sous-cantor ») en 1423. Comme beaucoup de ses compatriotes, il visita l’Italie ; il fut, en effet, chantre à la chapelle papale d’Eugène IV (1431). Puis il regagna son pays natal, exerça jusqu’en 1434 les fonctions de chapelain à Saint-Lambert de Liège et, à partir de 1438, celles de chantre à Notre-Dame de Tongres où il fut également chanoine. En 1443, on le retrouve chantre principal de l’empereur Frédéric III, et sans doute était-ce à cette époque qu’il écrivit sa paraphrase à 3 voix du cantique allemand Christ ist erstanden (« le Christ est ressuscité »). Il ne nous a laissé que des oeuvres religieuses (pièces à 3 voix dont 5 motets et des mouvements de messe ; 5 motets à 4 voix), où il tente de ne pas sacrifier l’expression - on peut même parler, à son sujet, de grâce et de délicatesse - à son goût pour une écriture contrapuntique soignée. BRASSEUR (Élisabeth), chef de choeur français (Verdun-sur-Meuse 1896 - Versailles 1972). Elle commença à travailler la musique avec son grand-père, organiste à la cathédrale de Verdun, puis étudia le chant et le piano au conservatoire de Versailles. C’est dans cette ville qu’elle fonda, en 1920, la Chorale féminine de l’église Sainte-Jeanned’Arc qui, devenue mixte, prit, en 1943, le nom de chorale Élisabeth-Brasseur. Celle-ci devint l’une des plus célèbres formations françaises, participant à des centaines de concerts et de représentations d’opéras, créant des oeuvres de Honegger (Cantate de Noël), Florent Schmitt, Claude Delvincourt, Jacques Charpentier, Charles Brown, etc., et apportant régulièrement son concours, en particulier, au festival d’Aix-en-Provence. Après la mort d’Élisabeth Brasseur, la formation qui porte son nom a poursuivi ses activités sous la direction de Catherine Brilli. BRAUNFELS (Walter), pianiste et compositeur allemand (Francfort-sur-leMain 1882 - Cologne 1954). Il fut l’élève, pour le piano, de James Kwast à Francfort et de Leszetycki à Vienne, et, pour la composition, de Ludwig Thuille à Munich, ville où il vécut jusqu’en 1925. Il devint alors codirecteur avec Hermann Abendroth de la Staatliche Hochschule für Musik de Cologne, mais il fut congédié en 1933, et l’exécution de ses oeuvres fut interdite en Allemagne jusqu’en 1945. De 1945 à 1950, il retrouva la direction de l’école de musique de Cologne. Ses oeuvres relèvent d’une esthétique post romantique, mais avec une harmonie parfois fort peu conventionnelle. Il a composé des oeuvres symphoniques et concertantes, de la musique pour piano, un quintette et trois quatuors à cordes, des oeuvres chorales religieuses, des lieder et une douzaine d’opéras dont il écrivit en général lui-même les livrets. BREAM (Julian), guitariste et luthiste anglais (Londres 1933). Élève de son père, il se produisit en public pour la première fois à l’âge de douze ans et reçut les conseils d’Andrés Segovia. Il acquit bientôt une réputation mondiale. downloadModeText.vue.download 128 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 122 Au luth, il s’est spécialisé dans le riche répertoire des XVIe et XVIIe siècles, notamment dans les oeuvres de Dowland, où il lui arrive fréquemment d’accompagner des chanteurs. Virtuose de la guitare, Julian Bream interprète le répertoire habituel ; de plus, maintes oeuvres ont été composées à son intention, par exemple les mélodies de Britten Songs from the Chinese avec accompagnement de guitare. BREBOS, famille de facteurs d’orgues flamands (fin du XVIe s.). Ils émigrèrent en Espagne à l’invitation de Philippe II, en 1579. Gilles Brebos construisit les orgues à Louvain et à Anvers, puis les quatre orgues du palais royal de l’Escurial et de petits instruments pour la famille régnante d’Espagne. L’un de ses quatre fils, Hans, établit des orgues à Madrid et à Tolède (cathédrale). BRECHT (Bertolt), auteur dramatique allemand (Augsbourg 1898 - Berlin 1956). La collaboration avec des musiciens se situe au coeur de sa production. Pour lui, ajoutée au texte, la musique, par sa seule présence, constituait une attaque contre l’atmosphère étroite, lourde et visqueuse des drames impressionnistes. Il écrivit des textes d’opéras mis en musique par Kurt Weill (l’Opéra de quat’sous, Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny, Celui qui dit oui, celui qui dit non) et Paul Dessau (le Procès de Lucullus). Avec Weill et le chorégraphe Balanchine, il conçut le ballet les Sept Péchés capitaux des petitsbourgeois. Pour Weill, Dessau, Hans Eisler, Hindemith, Brecht écrivit les textes de sorte de cantates et de songs, forme qui ne s’apparente guère à la chanson occidentale en général, française en particulier, ni même avec le couplet de la chanson, aiguisée d’une pointe politique, du XIXe siècle. Le song est une arme plus acérée, qui évoque sans fard la condition ouvrière, qui stigmatise le mal, la misère, la cruauté, la bêtise. Dans les pièces de Brecht, les parties chantées retournent les situations, démasquent les personnages, procurent un point de vue nouveau (auquel correspond d’ailleurs un éclairage scénique particulier durant le chant), commentaire critique, souvent cruel, de l’action, trait de clarté orientant le spectateur. On doit aussi à Brecht un changement dans la façon d’envisager le chant, car il prit des acteurs, des danseurs et les fit passer du parler, du geste au chanter. BREGENZ. Ville d’Autriche sur le lac de Constance, capitale du Vorarlberg, abritant chaque été depuis 1956 un festival d’opéras et d’opérettes. Certaines représentations sont données sur un scène édifiée sur le lac même (Seebühne). BREITKOPF, famille d’éditeurs de musique allemands. La firme fut fondée, à Leipzig, en 1719, sur les bases d’une imprimerie remontant à 1542 par Bernhard Christoph Breitkopf (1695-1777). Elle imprima notamment des oeuvres de Leopold Mozart, Telemann et Carl Philipp Emanuel Bach. Gottlob Immanuel (1719-1794), fils du précédent, développa l’entreprise tout en faisant paraître, chaque année ou presque, de 1762 à 1787, un précieux catalogue thématique des oeuvres manuscrites ou imprimées qu’il avait en magasin (rééd. par Barry S. Brook, New York, 1966). Son fils Christoph Gottlob (1750-1800) s’associa en 1795 avec Gottfried Christoph Härtel (1763-1827), la maison devenant alors Breitkopf und Härtel. Härtel lui donna un second souffle en fondant la célèbre revue Allgemeine Musikalische Zeitung (17981848), en lui adjoignant une fabrique de pianos (1807) et en entreprenant l’édition des « oeuvres complètes » de Mozart, Haydn, Clementi et d’autres musiciens. Breitkopf und Härtel publia également plusieurs ouvrages de Beethoven. Gottfried Christoph Härtel eut comme successeurs ses deux fils, Hermann (1803-1875) et Raimund (1810-1888), et ceux-ci, privés d’héritiers mâles, leurs neveux (fils de leurs deux soeurs) Wilhelm Volkmann (1837-1896) et Oskar von Hase (18461921). Suivirent, de génération en génération, Ludwig (1870-1947), Wilhelm (18981939) et Joachim (1926) Volkmann, et les fils d’Oskar von Hase, Hellmuth (18911979) et Martin (1901-1970). Leur frère Hermann von Hase (1880-1945) joua un rôle de 1910 à 1914. La maison, qui, au XIXe siècle, avait compté parmi les fondateurs de la Bach-Gesellschaft et publié les oeuvres complètes de Bach, possédait pro- bablement à la veille de la dernière guerre le fonds musical le plus important du monde. Une grande partie de ses archives et de son matériel devait malheureusement disparaître dans un bombardement de Leipzig en 1943. Après la guerre, elle s’est retrouvée divisée du fait de la partition de l’Allemagne : l’ancienne maison mère, nationalisée en 1952, subsiste à Leipzig comme entreprise d’État, tandis qu’une filiale fondée à Wiesbaden en 1945 y existe depuis 1947 comme établissement indépendant. Après la réunification, le siège principal de la maison est demeuré à Wiesbaden, avec des filiales à Leipzig et à Paris. La direction est assurée depuis 1979 par Liselotte Sievers (1928), fille de Hellmuth von Hase, auparavant assistante de son père et de Joachim Volkmann. BRELET (Gisèle), philosophe et critique musicale française (Fontenay-le-Comte, Vendée, 1919 - La Tranche-sur-Mer, Vendée, 1973). Élève du Conservatoire de Paris et de la Sorbonne, elle soutint en 1949 une thèse sur le temps musical. Les structures temporelles de la musique et les problèmes d’interprétation, qui leur sont liés, ont fait l’objet d’une grande partie de ses recherches. En 1951, elle créa la Bibliothèque internationale de musicologie (Paris), remarquable collection d’ouvrages d’histoire et d’esthétique musicales. Ses principaux écrits sont : Esthétique et Création musicale (Paris, 1947) ; l’Interprétation créatrice (2 vol., Paris, 1951) ; Béla Bartók, Musique contemporaine en France in Histoire de la musique (« Encyclopédie de la Pléiade », t. II, 1963). BRENDEL (Alfred), pianiste autrichien (Loučná nad Desnau, Moravie, 1931). Il fit ses études avec Sofija Dezelic, Ludovika von Kaan, le compositeur Arthur Michl, Paul Baumgartner, Eduard Steuermann et Edwin Fischer. Il se fit, dès ses débuts, le champion d’oeuvres en marge du grand répertoire : Schubert, à l’époque encore peu joué, Busoni, Schönberg, les oeuvres les moins connues de Liszt. Aussi lui a-t-il fallu de longues années pour connaître la popularité. L’art de Brendel, nourri de profondes réflexions, est hypersensible, ses interprétations sont inspirées et imprévisibles, quoique profondément respectueuses des partitions. Il est célèbre surtout pour ses interprétations de Schu- bert, mais aussi de Beethoven et de Liszt. Son ouvrage Réflexion sur la musique a été traduit en français (Paris, 1979). BRENET (Marie Bobillier, dite Michel), musicologue française (Lunéville 1858 Paris 1918). Venue s’établir à Paris, en 1871, afin de se consacrer à l’histoire de la musique, elle collabora à plusieurs publications et écrivit de nombreux ouvrages sur les sujets les plus divers sans vouloir étudier une époque bien déterminée. Pour illustrer l’étendue de ses travaux, voici un choix des thèmes traités : Grétry, Deux Pages de la vie de Berlioz (1889), J. de Ockeghem (1893), Sébastien de Brossard (1896), Goudimel, Palestrina, Haendel, Haydn, ainsi que des sujets plus généraux tels que la Musique militaire, les Concerts en France sous l’Ancien Régime et les Musiciens de la Sainte-Chapelle du Palais (1910). BRENTA (Gaston), compositeur belge (Schaerbeek, près de Bruxelles, 1902 Bruxelles 1969). Élève de Paul Gilson et membre du groupe des Synthétistes, il entra en 1931 à l’Institut national de radiodiffusion belge où il occupa diverses fonctions et où son downloadModeText.vue.download 129 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 123 action fut grande en faveur de la musique contemporaine. Son style néoromantique unit à un goût particulier pour l’exotisme un sens de la mélodie ample et expressive, essentiellement tonale et parfois pimentée de dissonances imprévues. Brenta a composé, notamment, de la musique d’orchestre, dont une symphonie et un concerto pour piano, des ballets, de la musique de chambre, un Requiem, la Passion de Notre-Seigneur (1949), des mélodies et des choeurs a cappella. BRESGEN (Cesar), compositeur autrichien (Florence 1913 - Salzbourg 1988). Tout en occupant un poste d’organiste à Munich, il étudia à l’Akademie für Toukunst avec Emanuel Gatschner (orgue) et avec Joseph Haas (composition). En 1939, Clemens Krauss l’appela au Mozarteum de Salzbourg pour ensei- gner la composition. Dans ses oeuvres se révèlent les influences du folklore allemand, de la musique baroque, de Reger et de Stravinski. Bresgen a composé de la musique symphonique, dont la Frescobaldi-Symphonie (1953), des concertos, de la musique de chambre, onze opéras, dont certains destinés à un public d’enfants, des cantates et de nombreux choeurs, des cycles de lieder et un Requiem pour Anton Webern (1945). BRETÓN Y HERNÁNDEZ (Tomás), compositeur espagnol (Salamanque 1850 Madrid 1923). Il fit ses études à Salamanque, puis avec Arrieta à Madrid où, en 1901, il fut nommé professeur de composition au conservatoire royal. Pablo Casals et Manuel de Falla furent ses élèves. Bretón fut également chef d’orchestre, théoricien et directeur de plusieurs scènes lyriques. On lui doit de la musique de chambre très soignée et harmoniquement très audacieuse pour l’époque (un trio en mi, 3 quatuors à cordes, un quintette avec piano, un sextuor pour instruments à vent), un concerto pour violon dédié à la mémoire de Sarasate, de la musique symphonique de caractère descriptif, méritant souvent le qualificatif de « préimpressionniste » (Scènes andalouses, Salamanque, À l’Alhambra), et un oratorio, l’Apocalypse (1882). Mais Bretón doit surtout sa renommée à une dizaine d’opéras (Los Amantes de Teruel, 1889 ; La Dolores, 1895 ; Raquel, 1900 ; etc.) et davantage encore à une trentaine de zarzuelas, dont La Verbena de la paloma (1894). Dans ces deux genres, il s’évade, au moins en partie, du style italianisant à la manière d’Arrieta pour réaliser un type d’ouvrages lyriques spécifiquement espagnol, adaptant à la langue castillane une ligne mélodique, qui en souligne les inflexions avec naturel. BRÉVAL (Bertha Agnès Schilling, dite Lucienne), soprano française (Berlin 1869 Neuilly-sur-Seine 1935). Elle étudia le piano aux conservatoires de Lausanne et de Genève, puis le chant à celui de Paris. Elle débuta à l’Opéra de Paris, en 1892, dans le rôle de Selika de l’Africaine de Meyerbeer, et fit une carrière internationale, tout en demeurant essentiellement fidèle à l’Opéra de Paris, où elle fut la créatrice, notamment de trois rôles wagnériens : Brünnhilde (la Walkyrie), Eva (les Maîtres chanteurs de Nuremberg), Kundry (Parsifal). Elle participa à plusieurs créations mondiales, dont celle de Pénélope de Fauré, en 1913, à Monte-Carlo. Elle se retira, en 1921, pour se consacrer à l’enseignement. Valentine dans les Huguenots de Meyerbeer et Chimène dans le Cid de Massenet furent deux autres rôles célèbres de cette chanteuse à la voix ample et au timbre splendide. BRÉVAL (Jean-Baptiste), violoncelliste et compositeur français (Paris 1756 Chamouille, Aisne, 1825). Soliste virtuose, il se produisit souvent au Concert spirituel. Il fut aussi renommé pour ses qualités de pédagogue et de compositeur. Il publia un Traité du violoncelle (Paris, 1804). Son oeuvre, très abondante, d’une écriture élégante et habile, mais sans profondeur, garde un intérêt pédagogique. Elle comprend des concertinos, concertos, symphonies concertantes, des quatuors, duos, sonates et autres pièces de musique de chambre. BRÈVE. 1. Valeur de note depuis longtemps en désuétude, mais qui s’est maintenue dans les solfèges jusqu’au milieu du XXe siècle en désignant paradoxalement la plus longue des valeurs écrites, avec en principe la valeur de deux rondes ; son signe de silence était le bâton entre les lignes 3 et 4 de la portée. Ce paradoxe s’explique par l’histoire. À la fin du XIIe siècle, dans les débuts de la notation proportionnelle, les deux seules valeurs étaient la longue et la brève. Par la suite, et dès le XIIIe siècle, on n’a cessé de subdiviser ces deux valeurs primitives, sans pour autant modifier leurs noms. Semi-brève, minime, fusa, semi-fusa sont apparues ; mais, au fur et à mesure, on transportait chaque fois sur les nouvelles valeurs le tempo moyen des anciennes, qui se sont trouvées ainsi de plus en plus allongées, de telle sorte que, dès le XVe siècle, la brève, sans cesser de s’appeler ainsi, se trouvait la plus longue des valeurs usuelles, l’ancienne longue ne servant plus guère que de note finale équivalant à un point d’orgue. D’abord simple point noir, la brève s’est évidée au XIVe siècle pour devenir le carré de la notation blanche. Au XVIIe siècle, ce carré était devenu une ronde enserrée entre deux traits verticaux. Jusqu’au XVIIIe siècle, certains mouvements s’écrivaient exceptionnellement dans leurs valeurs antérieures plus longues, qui reprenaient alors leur tempo ancien plus rapide, ce que l’on appelait, selon les cas, alla breve ou alla semibreve. 2. En métrique, la brève, unité de scansion indivisible, se note par un demi-cercle ouvert vers le haut ( ). Ce signe est également utilisé dans la notation musicale grecque classique, mais généralement sous-entendu, seules étant notées les longues de diverses sortes. BRÉVILLE (Pierre Onfroy de), compositeur français (Bar-le-Duc 1861 - Paris 1949). D’abord destiné à la carrière diplomatique, il fit ses études musicales avec Théodore Dubois, puis avec César Franck. Il enseigna au Conservatoire de Paris et à la Schola cantorum et fut aussi critique musical et président de la Société nationale de musique. Wagnérien de la première heure, il ne refusa cependant pas l’influence de Franck et de Debussy. Son oeuvre se réclame d’une inspiration élégante et d’une grande vertu expressive, dont le meilleur témoignage est sans doute son cahier de mélodies (plus de cent). Bréville fut, avec d’lndy, Chausson, Coquard et SamuelRousseau, l’un des compositeurs qui terminèrent l’orchestration de l’opéra de Franck Ghisèle. Il a laissé également une Histoire du théâtre lyrique en France. BRIAN (Havergal), compositeur anglais (Dresden, Staffordshire, 1876 - Shoreham, Sussex, 1972). Largement autodidacte, il est surtout connu pour ses trente-deux symphonies, dont vingt-deux furent écrites à partir de 1954, et dix à partir de 1965. Beaucoup ne furent créées qu’après sa mort. La monumentale Première (1919-1927), dite The Gothic (pour chanteurs solistes, plusieurs choeurs dont un choeur d’enfants, quatre fanfares de cuivres et très grand orchestre), fut donnée pour la première fois par des amateurs en 1961 et par des professionnels en 1966. Longtemps considéré comme perdu, son opéra The Tigers (1916-1919, orchestré en 1928-29) fut retrouvé en 1977 et créé à la BBC en 1983. Il pratiqua également la critique musicale. BRICEÑO (Luis de), guitariste espagnol (XVIIe s.). Il fit paraître en 1626, chez Ballard, à Paris, une Méthode très facile pour apprendre à jouer de la guitare espagnole contenant, outre les conseils techniques, un grand downloadModeText.vue.download 130 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 124 nombre de pièces, chansons, romances, d’une bonne qualité didactique et musicale. BRIDGE (angl. : « pont »). Phrase « B » d’un thème de jazz de type AABA, à fonction généralement modulante. On dit aussi middle-part. BRIDGE (Frank), compositeur anglais (Brighton 1879 - Eastbourne 1941). Élève de Charles Villiers Stanford pour la composition, il acquit une renommée d’interprète comme violoniste (il fut membre du quatuor Grimson), comme altiste (il fut membre du quatuor Joachim) et comme chef d’orchestre. Il eut l’occasion de diriger les grands orchestres londoniens et les principales formations des États-Unis. Comme compositeur, il fut d’abord influencé par le postromantisme et par Brahms, ce dont témoignent notamment ses premières mélodies et ses premières partitions de musique de chambre, parmi lesquelles son quatuor à cordes no 1 (1906), les fantaisies pour quatuor à cordes (1901), trio avec piano (1907) et quatuor avec piano (1910), la suite symphonique The Sea (1910-11) et le poème symphonique Summer (1914). La Première Guerre mondiale, au cours de laquelle il écrivit son 2e quatuor à cordes (1915), fut pour lui un choc et orienta sa production vers un modernisme qui n’excluait ni la polytonalité ni certaines rencontres avec l’univers d’Alban Berg, et qui fit de lui, avec Vaughan Williams, le compositeur anglais le plus intéressant de sa génération. Inaugurée avec la sonate pour piano (1921-1924), cette nouvelle période créatrice fut marquée, entre autres, par les quatuors à cordes no 3 (1926) et no 4 (1937), le trio avec piano no 2 (1929), la rhapsodie symphonique Enter Spring (1927), le concerto élégiaque pour violoncelle et orchestre Oration (1930), la rhapsodie pour piano et orchestre Phantasm (1931), et par l’ouverture Rebus, sa dernière oeuvre achevée (1940). Son unique élève de composition fut Benjamin Britten. BRIDGETOWER (George Polgreen), violoniste anglais (Biala, Pologne, 1778 Peckham, Londres, 1860). Fils d’une mère européenne et d’un père antillais (d’après certaines rumeurs le Maure du prince Esterházy), il fit ses débuts au Concert spirituel, à Paris, le 13 avril 1789, puis passa en Angleterre, où, après avoir joué en même temps que Haydn à un concert de J. P. Salomon en 1791, il entra au service du prince de Galles. Il joua à Dresde en 1802 et 1803, et de là se rendit à Vienne, où Beethoven composa pour lui les deux premiers mouvements de la sonate pour piano et violon connue plus tard comme Sonate à Kreutzer. Ils les interprétèrent ensemble, avec un finale prévu à l’origine pour l’opus 30 no 1, le 24 mai 1803, et c’est sous cet aspect que l’ouvrage parut en 1805 sous le numéro d’opus 47. BRIDGMAN (Nanie), musicologue française (Angoulême 1910 - Paris 1990). Élève d’André Pirro, elle a consacré l’essentiel de ses travaux à la musique italienne des XVe et XVIe siècles. Elle est (ou a été) membre du comité de rédaction des Acta musicologica (Bâle), des Documenta musicologica (Kassel), de la Revue française de musicologie. Elle a effectué d’importants travaux pour le Répertoire international des sources musicales (R. I. S. M.) et a collaboré aux grandes publications françaises collectives (encyclopédies, dictionnaires). Son ouvrage la Vie musicale au quattrocento et jusqu’à la naissance du madrigal (Paris, 1964) témoigne de l’étendue de sa culture et de la profondeur de ses vues. Elle a signé aussi la Musique italienne (Paris, 1973). BRINDISI (ital. : « toast », « brinde »). On baptisait ainsi, dans les opéras italiens du XIXe siècle, les airs entonnés par un personnage durant une fête pour porter un toast ; on en trouve par exemple dans Lucrèce Borgia de Donizetti et la Traviata de Verdi. BRISURES. Dans les instruments à cordes frottées, coup d’archet détaché qui consiste à attaquer alternativement 2 cordes éloignées. BRITTEN (Benjamin), compositeur anglais (Lowestoft, Suffolk, 1913 - Aldeburgh 1976). Naître le jour de la Sainte-Cécile ne pouvait être de mauvais augure, d’autant que Benjamin Britten garda toute sa vie une passion pour l’oeuvre de son grand prédécesseur Henry Purcell, qui, souvent, dans ses propres Odes, rendit hommage à cette protectrice de la musique. Dès ses premières années, Britten entra en contact avec la musique ; sa mère était secrétaire de la société chorale de Lowestoft. Il reçut l’éducation traditionnelle dans la bourgeoisie anglaise et, à l’âge de douze ans, commença à travailler avec Frank Bridge dont l’enseignement devait le marquer profondément. À 16 ans, il entra au Royal College of Music de Londres et étudia sous la direction de John Ireland (composition) et de A. Benjamin (piano). C’est là qu’il composa le Phantasy Quartet op. 2 avec hautbois et les variations chorales A Boy was born op. 3. Il ne faut pas oublier que, durant toute sa vie professionnelle, Britten demeura un remarquable pianiste, dans ses propres oeuvres, le plus souvent en tant qu’accompagnateur, mais aussi dans Mozart par exemple. Sa Sinfonietta op. 1 fut entendue lors d’un concert public en 1933. Après le Royal College of Music vinrent des commandes de la radio, du cinéma et la rencontre avec le poète W. H. Auden pour une série de créations communes. En 1937, on joua à Salzbourg les Variations on a theme by Frank Bridge op. 10 pour orchestre à cordes. Après la mort de sa mère (1938), inquiet du tour que prenait la situation poli- tique en Europe, Britten partit pour les États-Unis (1939). Profondément antimilitariste, il trouva en Amérique la paix qui lui était nécessaire ; un désir impétueux de composer le posséda alors : les Illuminations ; Sinfonia da Requiem ; Sonnets of Michelangelo, etc. Il voulait s’expatrier, composer sur des textes autres qu’anglais, élargir ses horizons. Aux États-Unis, Britten atteignit sa maturité de compositeur et tenta un premier essai dans son domaine d’élection, l’opéra, avec Paul Bunyan op. 17, qu’il retira ensuite de son catalogue. En 1942, Britten prit une décision difficile : il décida de repartir pour l’Angleterre, où, réformé, il lui était accordé de poursuivre sa carrière de musicien. Avant son départ, Koussevitski lui demanda pourquoi il n’avait pas encore écrit d’opéra, Britten ayant déjà envisagé comme livret un poème de George Crabbe, Koussevitski lui proposa l’argent nécessaire. Après A Ceremony of Carols, oeuvre composée pendant son difficile voyage de retour vers l’Angleterre, il s’isola à Snape, et, à Sadlers Wells, son opéra Peter Grimes triompha le 7 juin 1945. Du jour au lendemain, Britten devint célèbre, inaugurant une ère nouvelle de la musique anglaise. Aussitôt, il abandonna momentanément le grand opéra traditionnel pour aborder un genre plus intime et difficile à réussir : l’opéra de chambre avec, d’abord, le Viol de Lucrèce (1946), Albert Herring (1947) [d’après un conte de Maupassant] et, plus tard, The Turn of the Screw (1954). Afin de donner ces opéras, mais aussi d’autres ouvrages contemporains, il créa, en 1946, le English Opera Group, dont il occupa les postes de directeur artistique, de chef et de compositeur. Deux années plus tard, il fonda le festival d’Aldeburgh, petite ville du Suffolk, où, dans une maison baptisée The Red House, il était installé depuis 1947. Désormais, le compositeur travailla près de la nature et de la mer, chère à l’âme britannique, aimant la pêche, le tennis, les voitures de sport et les longues promenades à travers les Suffolk Downs. Britten évitait Londres, sauf pour ses engagements professionnels. Il donna des concerts dans le monde entier, comme chef d’orchestre et comme accompagnadownloadModeText.vue.download 131 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 125 teur, le plus souvent en compagnie de son ami le ténor Peter Pears, créateur du rôle de Peter Grimes et pour qui Britten composa tant d’oeuvres vocales, telle la fameuse Serenade op. 31 (1943). Britten fut d’ailleurs essentiellement un compositeur de musique vocale ; il affectionnait toutes les voix et honorait les plus célèbres : K. Ferrier fut la première Lucrèce, les Songs and Proverbs of William Blake sont dédiés à D. Fischer-Dieskau et Phaedra op. 93 fut écrite pour Janet Baker. Mais sa musique est marquée par un goût prononcé pour les voix d’enfants (The Little Sweep ; A Ceremony of Carols ; Spring Symphony ; le rôle de Miles du Turn of the Screw ; War Requiem, etc.). Britten mit la langue anglaise en musique avec le génie d’un Purcell, musicien qu’il ne supportait pas d’entendre critiquer et dont il réalisa un nombre assez important d’oeuvres, parmi lesquelles une version nouvelle de Didon et Énée. Britten connut mieux que quiconque la personnalité rythmique que cette langue donnait à une oeuvre vocale. L’oeuvre de Britten ne peut être considérée comme révolutionnaire, mais elle est très personnelle, originale, lyrique et profondément anglaise. Homme pratique, il a déclaré que sa musique devait toujours répondre à un besoin, faire plaisir à un large public, mais il n’a pas pour autant sacrifié la qualité. Très cultivé, il connaissait la poésie et comprenait de manière pénétrante la musique des autres, en particulier celle des maîtres élisabéthains, de Bach, de Mozart et surtout de Schubert. Aujourd’hui, les oeuvres de Britten sont inscrites aux programmes de tous les festivals internationaux. En 1958, son opéra The Turn of the Screw (le Tour d’écrou), peut-être son chef-d’oeuvre lyrique, fut créé à la Fenice de Venise. Dans ses opéras, les sujets et les époques traités offrent une grande variété : la Rome de Tarquinius par exemple ou la magie de Shakespeare du Songe d’une nuit d’été (livret de Britten et Pears), la brutalité de la marine anglaise au XVIIIe siècle (Billy Budd) ou la « Venise » de Thomas Mann. Pourtant dans ces oeuvres, et dans bien d’autres, un même thème réapparaît avec une certaine insistance : celui de la défense de l’humanité contre les injustices. Les cycles de mé- lodies sont nombreux et importants. On this Island (W. H. Auden, 1938) contient la parodie de Purcell bien connue « Let the florid music praise ! » et les Songs and Proverbs of William Blake op. 74, créés à Aldeburgh en 1965, une étonnante évocation d’une mouche à qui le poète se compare. Britten a également fait des arrangements pour voix et piano de chansons populaires, anglaises et françaises. Si sa musique de chambre est réduite, les trois quatuors à cordes révèlent des qualités considérables ; citons également la sonate en ut pour violoncelle et piano op. 65 et les deux Suites op. 72, op. 80, écrites pour Rostropovitch (comme la symphonie pour violoncelle et orchestre op. 68). Composée avec une facilité étonnante, la musique de Britten peut atteindre parfois une certaine préciosité, mais son inspiration ne se contente jamais de banalités et son invention obéit à un sens très scrupuleux des formes traditionnelles qu’il sait renouveler (la passacaille de Peter Grimes, par exemple) sans les trahir. Quant à son génie des couleurs, de l’orchestration, que l’on se souvienne de l’atmosphère que le compositeur réussit à créer dès les premières notes du Songe d’une nuit d’été, dans une réunion harmonieuse du monde shakespearien avec l’Angleterre de notre siècle. BRIXI, famille de compositeurs tchèques ayant exercé leur activité dans le nordest de la Bohême. Simon, organiste, chef de choeur et compositeur (Vlkav, près de Nymburg, 1693 Prague 1735). Il vint en 1727 à Prague, où il fut nommé organiste et où il composa de nombreuses oeuvres de musique religieuse. František Xaver, compositeur (Prague 1732 - id. 1771). Fils de Simon, il devint orphelin à l’âge de cinq ans et doit son éducation très complète aux frères piaristes du collège de Kosmonosy. Il revint à Prague en 1750 comme organiste et fut nommé titulaire de l’instrument de la cathédrale Saint-Veit (1759-1771). Il mourut à trente-neuf ans de tuberculose. F. X. Brixi a laissé une oeuvre très abondante, surtout d’essence religieuse. Sa musique fut très appréciée dans toute la Bohême. Son style, direct et spontané, est affranchi de celui de ses prédécesseurs tout en s’appuyant sur une inspiration mélodique souvent populaire. Son abondante production sacrée comprend quelque 400 pièces (200 offertoires environ, 105 messes, 50 litanies et vêpres, 5 requiem, etc.). Sa musique instrumentale (Suite pour clavier, 5 concertos pour orgue ou clavecin, 2 symphonies, etc.) est réduite, mais annonce le style classique. Viktorín Ignác, chef de choeur et compositeur (Plzeň 1716 - Poděbrady 1803). Élève, également, des frères piaristes à Kosmonosy (1731-1737), il fut organiste et recteur à Poděbrady. Introduit par František Benda, il resta deux ans à la cour de Frédéric II. Il composa des oeuvres de musique religieuse. BRIZZI (Aldo), compositeur et chef d’orchestre italien (Alessandria 1960). Il a étudié l’alto et le piano aux conservatoires d’Alessandria (1975) et de Turin (1976-1978), puis au conservatoire de Milan le piano avec Paolo Castaldi et la composition avec Niccolo Castiglioni (1979-1981). Il a aussi étudié la composition à Arezzo avec Aldo Clementi et Brian Ferneyhough (1979-1981), suivi les cours de Darmstadt en 1982 et 1984, et travaillé à l’Atelier de recherche instrumentale de l’I.R.C.A.M. à Paris en 1983-1985. Il a enfin étudié la direction d’orchestre avec Mario Gusella, Franco Ferrara et Pierre Dervaux (1985-1987), et donné lui-même des séminaires, cours et conférences depuis 1978. Considéré comme un des plus brillants représentants de la jeune école italienne, il a écrit notamment Piccola serenata pour flûte, alto et percussion (1978), Wayang Purwa, concerto pour hautbois et orchestre (1978-1981), Objet d’art pour flûte et huit cordes (1980), Mirtenlied pour flûte et harpe (1982), Canto a tre voci pour trois voix récitantes, danseuse, violoniste, pianiste et quatre percussionnistes sur un texte de Umberto Saba (1983-84), Frammento II pour dix-sept instruments à vent (1984), Le Erbe nella Thule pour soprano et huit instruments (1984-85), Kammerkonzert no 1 pour flûte concertante, violon, clarinette et piano (1986) Déchets d’atelier pour deux pianos (1986) The smallest mustard seed pour douze voix solistes sur un texte de Robin Freeman (1986), Il Libro dell’interrogazione poetica I-III pour diverses formations (1983-1984/1987...), De la tramutatione de metalli I pour saxophones (1983-1986), II pour tuba (1985), III pour contrebasse (1985), IV pour percussion (1988). BRKANOVI’C (Ivan), compositeur yougoslave (Škaljari, près de Kotor, 1906 Zagreb 1987). Il fit ses études musicales à la Schola cantorum de Paris, puis avec Blagoje Bersa à Zagreb. Il a occupé des fonctions au Théâtre national croate et à la Philharmonie de Zagreb. Son oeuvre témoigne de la recherche d’un style national et d’une expression dramatique intense, proche de l’émotion musicale populaire, ce qui l’amène à composer plusieurs oeuvres inspirées du folklore croate (cérémonies de mariage dans Konavosko pirovanje, 1933, ou mélodies Krijes planina, 1942). Ivan Brkanovi’c a composé les opéras l’Équinoxe (1950) et Zlato Zadra (1re repr. 1954), 5 symphonies, la cantate le Triptyque pour solistes, choeur et orchestre, ainsi que de nombreuses oeuvres de musique de chambre. BROADWOOD SONS. Fabrique anglaise de clavecins et de pianoforte, fondée à Londres, vers 1728, par le Suisse Burkhard Tschudi (1702-1773). Ses clavecins furent parmi les plus appréciés, à l’époque, dans toute l’Europe. En 1770, Tschudi s’associa avec son gendre, l’ébéniste écossais John Broadwood (1732-1812), qui devait lui succéder. La firme réalisa de grands clavecins downloadModeText.vue.download 132 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 126 pour résister à la concurrence du pianoforte, puis se lança dans la fabrication de ce dernier instrument, adoptant la mécanique dite anglaise ( ! PIANO), inventée par Americus Backers. Au XIXe siècle, les héritiers successifs maintinrent la maison Broadwood à la pointe de la recherche des perfectionnements techniques du piano et donnèrent une extension considérable à cette firme qui existe encore à l’heure actuelle. BROD (Max), compositeur et écrivain israélien (Prague 1884 - Tel-Aviv 1968). Docteur en droit, il fut d’abord fonctionnaire à Prague où il se lia avec Kafka, dont il fut l’exécuteur testamentaire et le biographe. En 1939, il se fixa en Palestine, occupa des fonctions de conseiller au théâtre hébraïque Habimah de Tel-Aviv, tout en ayant une activité de critique musical. Il a composé des Danses palestiniennes pour orchestre, de nombreuses mélodies, le Requiem hebraicum (1943), etc. D’autre part, Max Brod a écrit des livrets d’opéra et un ouvrage sur Janáček (Prague, 1924), musicien dont il fut l’un des premiers à reconnaître la valeur. BRODERIE. 1. Au sens général, toute amplification de caractère ornemental, improvisée ou non, ajoutée à un texte musical donné. 2. En harmonie, toute note ou groupe de notes quittant une note réelle (c’est-à-dire qui fait partie de l’harmonie) par degrés conjoints pour y revenir ensuite sans provoquer de changement d’harmonie. La broderie peut être diatonique ou chromatique, supérieure ou inférieure ; elle est double quand une broderie inférieure suit une broderie supérieure ou vice versa. Il peut y avoir aussi des accords de broderies, des groupes-broderies (terme préconisé par Olivier Messiaen) ou même des tonalitésbroderies ; ces différents termes désignent des extensions du principe de la broderie. BROOK (Barry Shelley), musicologue américain (New York 1918). Élève de la Manhattan School of Music et de l’université Columbia (Master of Arts en 1942), il a obtenu un doctorat en Sorbonne, en 1959, et enseigne depuis 1945 à la City University de New York. Ses ouvrages principaux sont, en 1981, au nombre de cinq : la Symphonie française dans la seconde moitié du XVIIIe siècle (3 vol., Paris, 1962), The Breitkopf Thematic Catalogue, 1762-1787 (New York, 1966), Musicology and the Computer, Musicology 1966-2000 (New York, 1970), Perspectives in Musicology (1972) et Thematic Catalogues in Music, an Annotated Bibliography (1972). Il a pris la direction de la série The Symphony 1720-1840, publication en partition d’orchestre et en 60 volumes de 600 symphonies d’environ 200 compositeurs différents, dont beaucoup jamais éditées auparavant (premiers volumes parus dès l’année 1979). Il a été président de l’Association internationale des bibliothèques musicales. BROSSARD (Sébastien de), compositeur, théoricien et bibliophile français (Dompierre, Orne, 1655 - Meaux 1730). Après des études au collège des Jésuites et à l’université de Caen, il reçut en 1675 les ordres mineurs et en 1684 devint prêtre à Notre-Dame de Paris, puis en 1687 maître de chapelle et vicaire de la cathédrale de Strasbourg. En 1698, il se présenta au poste de maître de chapelle à la Sainte-Chapelle du Palais à Paris, mais le chapitre lui préféra Marc-Antoine Charpentier. La même année, il fut nommé maître de chapelle et grand chapelain à Meaux. Il fut longtemps surtout connu pour son Dictionnaire de musique (avant-projet publié en 1701), paru en 1703 avec une dédicace à Bossuet et plusieurs fois réédité jusque vers 1710 (seule l’édition de 1703 a survécu). Il s’agit du premier dictionnaire de musique en langue française et d’une source essentielle pour l’histoire de la musique en France au XVIIe siècle. Il comprend un « Dictionnaire des termes grecs, latins et italiens », une « Table alphabétique des termes français », un « Traité de la manière de bien prononcer » et un « Catalogue de plus de 900 auteurs ». Bibliophile averti, Brossard réunit une collection d’oeuvres musicales qu’il vendit en 1724-1726 à Louis XV contre une pension, dont il prépara un catalogue avec d’intéressantes annotations de sa main et qui constitue aujourd’hui un des fonds les plus précieux du département de la musique de la Bibliothèque nationale. Théoricien remarquable, intéressant comme compositeur, il pratiqua la plupart de grands genres de son époque, sauf le clavecin et l’orgue. En quantité, ce sont les airs (sérieux, à boire ou italiens) qui dominent sa production et qui en son temps firent le plus pour sa renommée. En musique religieuse, il a laissé trois grands motets - Miserere mei, Canticum Eucharisticon, In convertendo, les deux premiers cités au moins étant de l’époque de Strasbourg -, des petits motets, deux oratorios, des leçons de ténèbres ; en musique vocale profane, des oeuvres théâtrales dont Pyrame et Thisbé (1685), des cantates spirituelles (Samson trahi par Dalila) et italiennes (Leandro) ainsi qu’une cantate sérieuse (les Misères humaines) ; en musique instrumentale, des pièces pour luth, pour violon et en trio et des oeuvres pour orchestre. Un catalogue thématique a été publié en 1995 par Jean Duron (l’OEuvre de Sébastien de Brossard 1655-1730). BROUWER (Leo), guitariste et compositeur cubain (La Havane 1939). Il a débuté dans la carrière de guitariste en 1956, après avoir travaillé avec un élève d’Emilio Pujol. Il a fait des études de composition de 1955 à 1959 à La Havane, en 1959-60 avec Vincent Persichetti et Stepan Wolpe, et, enfin, à l’université de Hartford. Il a ensuite occupé diverses fonctions officielles à La Havane, à l’Institut des arts et de l’industrie cinématographiques (comme directeur du département musical, puis du département de musique expérimentale), et au conservatoire (comme professeur d’harmonie et de contrepoint, puis de composition). Des influences très diverses se décèlent dans la musique de Leo Brouwer, notamment celles d’lves, Cage, Nono, Kagel, Xenakis, qui ont déterminé un style s’orientant de plus en plus vers l’avantgarde, y compris vers la musique aléatoire. Le compositeur a été et demeure profondément engagé dans les réflexions et les bouleversements qui ont accompagné et suivi la révolution cubaine. Nombre de ses oeuvres (La tradición se rompe pour orchestre, 1967-1969 ; Cantigas del tiempo nuevo pour acteurs, choeur d’enfants, piano, harpe et 2 percussionnistes, 1969) sont liées par leur thème à un contexte purement cubain, sans pour autant que leur écriture ressortisse à un quelconque nationalisme musical. Les compositions de Brouwer comprennent essentiellement des pièces pour diverses combinaisons instrumentales, dont un certain nombre pour ou avec guitare, et des pièces pour orchestre comme Sonograma II (1964) ou Hommage à Mingus pour ensemble de jazz et orchestre (1965). Il a écrit plusieurs dizaines de musiques de film. BROWN (Charles), compositeur français (Boulogne-sur-Mer 1898). Il a travaillé à Paris le violon avec Lucien Capet et l’écriture à l’école César-Franck, notamment avec Guy de Lioncourt. Il a été violoniste aux Concerts Lamoureux (1938-1948), puis directeur de l’École nationale de musique de Bourges. On lui doit des oratorios (Évocations liturgiques, 1947 ; le Cantique dans la fournaise, 1946 ; Cantate pour sainte Jeanne de France, 1950), des symphonies et pièces symphoniques, des oeuvres concertantes, des trios, quatuors, quintettes. Son style relève d’une discipline classique. BROWN (Earle), compositeur américain (Lunenburg, Massachusetts, 1926). Trompettiste amateur, il fit, à Boston, des études de mathématiques et d’ingénieur, et suivit des cours de composition, d’orchestration et d’écriture avec Roslyn Brogue Henning, à la Schillinger School (1946-1950). Parallèlement, il s’initia aux théories mathématiques (appliquées à la downloadModeText.vue.download 133 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 127 musique) de Joseph Schillinger, avant de les enseigner lui-même (ainsi que la composition) à Denver (1950-1952). Mais s’il fut fasciné par ces théories, il ne devait pas en reprendre à son compte l’organisation extrême. Il fut influencé au début de sa carrière par Ives et Varèse, mais davantage encore par une certaine peinture (Pollock) et une certaine sculpture (Calder) américaines ; chez Calder, il trouva la « précision de l’organisation » et surtout l’idée de la mobilité d’une oeuvre. Ses premières oeuvres - 3 pièces pour piano (1951), Perspectives pour piano (1952), Musique pour violon, violoncelle et piano (1952) - rendent hommage à la fois au sérialisme et - comme, plus tard encore, Pentathis (1957) - aux théories de Schillinger. Mais Brown évolua rapidement vers la « forme ouverte », notion qu’il fut l’un des premiers à introduire en musique, et sa rencontre avec John Cage (1951), ainsi qu’avec Wolff et Feldman, fut à cet égard décisive. Il collabora avec Cage et David Tudor au projet de musique pour bande magnétique à New York (1952-1955), participa aux cours d’été de Darmstadt, à partir de 1955, fut directeur artistique des enregistrements de musique contemporaine chez Time Records (1955-1960), bénéficia d’une bourse Guggenheim en 1965-66 et fut nommé, en 1968, professeur de composition au conservatoire Peabody de Baltimore. Il le resta jusqu’en 1970. La forme ouverte et les techniques semi-aléatoires apparurent dans ses oeuvres à partir de 1953. Folio (1952-53) est un groupe de trois oeuvres - November 1952, December 1952 et 1953 - pour n’importe quel nombre d’instruments. December 1952 remplace les hauteurs écrites, et donc fixées par un exemple de notation graphique, par des lignes en diverses positions et de diverses longueurs, devant servir de support à l’improvisation d’un groupe quelconque de musiciens durant un laps de temps indéterminé. Dans 25 Pages pour 1 à 25 pianos (1953), le ou les exécutants peuvent disposer les pages dans l’ordre de leur choix, et l’on trouve un principe que Brown devait très souvent reprendre ultérieurement : une notation proportionnelle ne divisant pas le temps en unités précises, mais en durées relatives dont la longueur, laissée à l’initiative de l’exécutant, est suggérée par l’espacement des symboles. Convaincu qu’une musique est d’autant plus intense que l’exécution participe davantage à sa création, il s’intéressa moins à l’indétermination dans l’acte de composer, comme Cage, ou à la libération des sons, qu’au problème de la forme, aux présentations différentes d’un même matériau et à ses conséquences. À Available Forms I pour 18 musiciens (1961) succéda Available Forms II pour 98 musiciens et 2 chefs dirigeant chacun 49 exécutants (1962), la forme dépendant de la réciprocité et de la spontanéité des réactions des 2 chefs l’un par rapport à l’autre. Le procédé est semblable dans 9 Rarebits pour 1 ou 2 clavecins (1965) ou dans Synergy II pour orchestre de chambre (1967-68), alors qu’inversement, Corroboree (1964) pour 3 pianos ou le quatuor à cordes (1965) introduisent des structures mobiles à l’intérieur de formes fermées. Dans Calder Piece pour 4 percussionnistes et 1 mobile de Calder (1965), le rôle du chef est tenu par le mobile. Ses ouvrages n’en contiennent pas moins des éléments d’unité au sens traditionnel : ainsi l’usage obstiné, presque canonique, des quintes dans Available Forms I. Auteur également d’Octet I (1953) et d’Octet II (1954) pour bande, de Modules I et II pour petit orchestre et 2 chefs (1966), de Syntagm III (1970), Cross Sections (1973) et Color Fields (1975) pour orchestre, de Small Piece pour choeur (1975), de Tracer pour instruments et bande (1984), doté d’un sens raffiné des timbres, Earle Brown est apparu comme l’une des personnalités les plus importantes de l’avant-garde américaine. BROWNLEE (John), baryton américain (Geelong, Australie, 1901 - New York 1969). Sa voix fut découverte en Australie par Nellie Melba. Il étudia le chant avec Dinh Gilly à Paris et y débuta au Trianon-Lyrique en 1926. Il parut la même année au Covent Garden de Londres dans le gala d’adieux de Nellie Melba et débuta à l’Opéra de Paris, en 1927, dans le rôle d’Athanaël de Thaïs de Massenet. Tout en chantant, plus particulièrement, à l’Opéra jusqu’en 1936, puis au Metropolitan de New York jusqu’en 1957, il fit une carrière internationale. Son nom demeure lié aux premières années du festival de Glyndebourne, lors duquel il donna des interprétations célèbres du rôle de Don Juan. Pédagogue, il tint à la fin de sa vie une place importante dans la vie musicale des États-Unis et fut, en particulier, président de la Manhattan School of Music à New York. BRUCH (Max), compositeur allemand (Cologne 1838 - Friedenau, près Berlin, 1920). Il prit ses premières leçons de musique avec sa mère, puis étudia à Bonn, à Cologne et à Leipzig. En 1858 fut représentée à Cologne sa première oeuvre lyrique, le singspiel Scherz, List und Rache, d’après Goethe. En 1863, l’opéra Die Lorelei fut créé à Mannheim. Bruch occupa des postes de chef d’orchestre et de chef de choeur successivement à Mannheim, Coblence, Sondershausen, Berlin, Liverpool et Breslau. En 1872, son opéra Hermione fut donné à Berlin. Il épousa la chanteuse Clara Tuczek (1881) et, en 1892, fut nommé professeur de composition à la Musikhochschule de Berlin où il enseigna jusqu’en 1910. Fortement influencée par Brahms et très appréciée à son époque, l’oeuvre de Max Bruch se caractérise par une écriture d’une grande sûreté, par des mélodies généreuses qui s’inspirent parfois du folklore écossais, gallois ou allemand, par des accents postromantiques, mais aussi par un certain académisme. Il a composé trois symphonies, de la musique de chambre, de nombreuses oeuvres chorales et des oratorios, de la musique théâtrale. Sa Fantaisie écossaise pour violon et orchestre, l’un de ses concertos pour violon, le no 1 en sol mineur, et une pièce pour violoncelle et orchestre, Kol Nidrei, demeurent encore populaires de nos jours. BRUCHOLLERIE (Monique de la), pianiste française (Paris 1915 - id.1972). Élève de Cortot et d’Isidore Philipp au Conservatoire de Paris, elle y remporte un premier prix en 1928. Elle travaille également les rhapsodies de Liszt avec Emil von Sauer. En 1937, un prix au Concours Chopin lui vaut des engagements avec l’Orchestre de Varsovie. De 1941 à 1944, elle est sous engagement exclusif avec la Société des concerts du Conservatoire dirigés par Charles Münch. Entre 1955 et 1965, elle donne plus de 700 concerts dans le monde entier, notamment à Boston avec Ansermet. Professeur réputé au Conservatoire de Paris, elle devient infirme en 1966 à la suite d’un accident d’auto survenu en Roumanie. BRUCK (Charles), chef d’orchestre français (Temesvar, Hongrie, auj. Timisoara en Roumanie, 1911 - Hancock, Maine, 1995). Arrivé en France en 1928, diplômé de l’École normale de musique de Paris (piano), il devint l’élève de Pierre Monteux pour la direction d’orchestre et donna ses premiers concerts en Amérique du Nord en 1939. Après la guerre, il commença une grande carrière de chef d’orchestre, notamment à la tête de l’orchestre de la radio de Strasbourg, puis de l’Orchestre philharmonique de l’O. R. T. F., qu’il quitta en 1965. En 1968, il succéda à Monteux à l’école de direction d’orchestre de Hancock (Maine, États-Unis). Passionné de musique contemporaine, Charles Bruck a joué un rôle déterminant en faveur de celle-ci. Il est le créateur de plus de deux cents oeuvres au total. La rigueur exceptionnelle de ses interprétations n’y excluait nullement la chaleur. BRUCKNER (Anton), organiste et compositeur autrichien (Ansfelden, HauteAutriche, 1824 - Vienne 1896). Son grand-père fut le premier de cette ancienne famille rurale (originaire d’Oed, downloadModeText.vue.download 134 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 128 près d’Amstetten) à s’élever au rang de maître d’école en s’installant à Ansfelden (15 km au S. de Linz) en 1776. Il eut pour adjoint, dès 1814, son fils Anton Bruckner Sr., qui lui succéda en 1823 et épousa la même année Theresia Helm, dont il eut cinq enfants. L’aîné, Josef Anton Jr., naquit un an plus tard, le 4 septembre (il fut suivi de trois soeurs et d’un frère, Ignaz, à demi simple d’esprit). Le premier éveil musical du jeune Anton lui vint de son cousin Jean-Baptiste Weiss (1812-1850), organiste à Hörsching, chez qui il séjourna en 1835 et 1836, et écrivit ses premiers essais connus, 4 Préludes pour orgue. De retour à Ansfelden, il aidait déjà son père à la fois à l’école et au violon pour les bals villageois ; mais dès l’année suivante il vit mourir prématurément celui-ci, et il entra à la manécanterie de la voisine abbaye de Saint-Florian, où il fut accueilli par le supérieur Michaël Arneth, qui lui tint lieu de père adoptif. Là s’effectua sa formation générale et sa première instruction musicale, notamment, à l’orgue avec Anton Kattinger, alors titulaire de la future « BrucknerOrgel ». À l’âge de seize ans, placé devant le choix de son futur métier, Anton Bruckner répondit simplement : « Comme mon père « ; il poursuivit une année d’études à la Preparandie de Linz tout en prenant des leçons d’harmonie et de contrepoint auprès d’August Dürrnberger (1800-1880). Durant huit années, Anton demeura maître d’école adjoint dans de petits villages de Haute-Autriche, notamment, à Kronstorf, près de Steyr, où il prit des leçons avec l’organiste Leopold von Zenetti (1805-1892), puis à Saint-Florian même, dès 1845, avant d’y être enfin nommé, en mars 1848, organiste auxiliaire et, trois ans plus tard, titulaire. Hormis quelques pièces d’orgue et une profusion de motets sacrés, cette « première période » voit naître déjà deux oeuvres très significatives : en 1849 le Requiem en ré mineur, et, cinq ans plus tard, la Missa solemnis en si bémol, déjà le quatrième essai du genre. L’ORGANISTE DU « DOM ». La Messe, notamment, marqua un premier tournant dans la vie et la carrière de son auteur. À la disparition de son protecteur Michaël Arneth, le jeune organiste prit conscience que son destin n’était plus à Saint-Florian ; et, dans l’année qui suivit, après diverses épreuves et nanti de certificats de capacité, il se laissa convaincre de postuler d’abord à Olmütz puis à Linz, où il fut nommé à l’ancienne cathédrale, ou « Dom » (aujourd’hui Ignatiuskirche) en novembre 1855. Il demeura près de treize années dans la capitale provinciale, qui, de nos jours, notamment par un festival qui prend d’année en année plus d’importance, vénère son souvenir comme Salzburg le fait pour Mozart. Ce séjour fut divisé en deux étapes d’égale durée. La première offrit l’exemple, unique chez un artiste de cet âge, d’une remise en cause fondamentale de toute sa formation théorique. Le savant contrapuntiste viennois Simon Sechter (1788-1867), qui fut déjà sollicité trente-huit ans plus tôt, par Schubert, admit Anton comme élève. Il se rendait chez son professeur chaque mois en empruntant le service fluvial qui lui faisait descendre le cours du Danube, au travers d’un paysage exaltant, dont son oeuvre, par la suite, porta la trace. Ce cycle d’études (sanctionné en nov. 1861 par l’aptitude à enseigner en conservatoire) ne fut, toutefois, pas le dernier auquel il se soumit : durant deux années encore, il se perfectionna en technique orchestrale auprès du chef du théâtre de Linz, Otto Kitzler, de dix ans son cadet. Et celui-ci lui révéla tout le répertoire moderne, insoupçonné de l’organiste, de Weber à Wagner en passant par Spohr, Berlioz, Mendelssohn, Schumann et Liszt - le premier contact avec l’art wagnérien, notamment, eut lieu en février 1863 par la création linzoise de Tannhäuser. DU MUSICIEN D’ÉGLISE AU SYMPHONISTE. Tandis que Sechter interdisait à son élève tout travail créateur (la seule composition de cette époque, le Psaume 146 pour solos, choeur et orchestre, entreprise en 1856, fut terminée seulement en 1861), Kitzler suscita les premiers essais dans les formes instrumentales « nobles », avec le Quatuor à cordes en ut mineur (demeuré inconnu jusqu’en 1951) et la précieuse Ouverture en sol mineur, véritable trait d’union avec Schubert. Ces oeuvres remontent à 1862 ; et, l’année suivante, Bruckner signa sa toute première symphonie en fa mineur (dite « d’étude »), qu’il écarta plus tard de la numérotation définitive de même que celle en ré mineur entreprise aussitôt après et à laquelle, comme par un tardif remords, il attribua à la fin de sa vie le symbolique numéro « zéro « ! Dans ces années décisives de la « période de Linz », l’organiste édifia simultanément ses principaux monuments liturgiques. À côté d’une seconde série de motets comprenant le célèbre Ave Maria à sept voix (1861), allaient ainsi naître les trois principales Messes : no 5 (en édition no 1) en ré mineur, terminée et créée en 1864 et où le commentateur Moritz von Mayfeld crut déceler l’éclosion soudaine d’un génie (pour bien intentionné qu’il fût, cet ami de Bruckner ne se doutait ni de la somme de travaux ni de l’évolution continue dont l’oeuvre était en vérité l’aboutissement) ; no 6 (II) en mi mineur, avec accompagnement de quinze instruments à vent, écrite au cours de l’été 1866, mais créée seulement en 1869, en plein air, sur le chantier de la nouvelle cathédrale de Linz ; enfin no 7 (III), « la Grande », en fa mineur, la plus vaste, mais d’expression plus subjective que la précédente, entreprise en 1867 au cours d’une grave dépression nerveuse et comme pour « exorciser » le mal (créée en 1872 à Vienne, elle fut alors accueillie avec chaleur par Eduard Hanslick, qui la compara à la Missa solemnis de Beethoven). Mais tandis qu’il créait ces pages vibrantes d’une foi sincère, Anton devait faire abstraction de l’exigence, non moins impérieuse, d’une expression plus authentiquement personnelle, plus « engagée » aussi. Cette exigence éclata dans la symphonie, avec d’autant plus de force qu’elle avait été longtemps contenue. Les violents contrastes et le déchaînement agogique de la Symphonie no 1 en ut mineur (1865-66) n’eurent pas d’autre cause, ainsi que ses audaces formelles et harmoniques, qui firent d’elle la première pierre du renouveau moderne de la symphonie. Rien d’étonnant à ce qu’à sa première audition, le 9 mai 1868 à Linz (huit ans avant l’apparition de la Première Symphonie de Brahms), elle n’ait remporté qu’un succès d’estime, davantage adressé à l’organiste du Dom qu’au compositeur, qui, en vérité, dès cet instant, était incompris. Comme pour toutes ses oeuvres majeures jusqu’alors, Bruckner dirigea luimême cette création : depuis ses débuts, soulignons-le, son activité secondaire de chef de choeur l’amena maintes fois à paraître dans la vie musicale « séculière ». Ainsi Wagner, avec qui il était entré en rapport dès 1865, lui confia-t-il, en avril 1868, l’avant-première d’un choeur extrait des Maîtres chanteurs ; et lui-même écrivit, notamment pour sa chorale Frohsinn à Linz, maintes pièces toujours pratiquées en pays germanique, mais guère à l’étranger. Cependant Sechter, mort en septembre 1867, l’avait désigné pour lui succéder dans ses charges de professeur au conservatoire de Vienne et d’organiste de la chapelle impériale. Intimidé par la perspective de telles responsabilités, d’autant qu’il les ambitionnait, Anton hésita et il multiplia les démarches dans d’autres directions (Salzburg, Munich), pour céder enfin aux objurgations de Johann Herbeck, qui venait de découvrir la Symphonie inachevée de Schubert, et qui s’était fait aussi le prosélyte de notre musicien. Les décrets de nomination de Bruckner intervinrent, en juillet 1868, au conservatoire, et, le 4 septembre - jour de son 44e anniversaire -, à la Hofkapelle ; la semaine suivante, il s’embarqua sans retour pour Vienne, ne se doutant pas que cette ville allait devenir aussi son Golgotha. UN CARACTÈRE AMBIVALENT. L’homme mûr qui s’installa à Vienne, au numéro 42 de la Währingerstrasse, en compagnie de sa soeur cadette Maria-Anna (Nanni) qui tint son ménage, n’offrait pas encore l’image, aujourd’hui downloadModeText.vue.download 135 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 129 familière, de l’ascète chenu courbé sous le poids des ans et de l’adversité. Il conserva cependant la tendance, facile à confondre avec de l’humilité, à s’incliner devant toute autorité temporelle ou spirituelle, qu’elle lui fût imposée par les institutions ou qu’il l’eût lui-même choisie, comme ce fut le cas pour Wagner (dans la populaire silhouette dessinée par Otto Böhler, il paraissait plus petit que son confrère alors qu’en fait c’était l’inverse). Son comportement, son vêtement trop large nécessité par les mouvements qu’il exécutait aux claviers, son accent rural (l’équivalent pour la France de celui d’un paysan berrichon), tout cela prêtait à sourire, et il en était fort conscient. Mais avec une habileté qui suffisait à la démentir, il joua de cette réputation de niaiserie (Halb Gott, halb Trottel, « moitié Dieu, moitié benêt », disait, paraît-il, Mahler) pour endormir la méfiance de l’intelligentsia au sein de laquelle il se créa peu à peu une position que nul n’eût imaginé lui voir occuper un jour. Derrière une piété démonstrative, qui accentua encore son côté marginal, il dissimula une ambition amplement justifiée par son génie, mais que d’aucuns qualifient aujourd’hui d’« arriviste ». Après avoir, jusqu’à la trentaine passée, douté de sa vocation musicale, il prit conscience désormais de l’oeuvre qu’il était destiné à accomplir, et il était prêt à endurer les pires épreuves pour la mener à bien. Il savait qu’il n’allait la faire triompher que si sa position sociale lui en donnait les moyens. Étant fils et petit-fils d’instituteurs, il eut la chance d’être un bon pédagogue, et devait mettre ce don à profit avec une admirable persévérance non seulement au conservatoire, mais aussi à l’université, terrain où il était peu prédestiné à prendre pied. LA « SECONDE ÉCOLE VIENNOISE ». Après maintes sollicitations auprès du ministère, et sans se préoccuper de ce qu’il s’aliénait définitivement son collègue Hanslick en marchant par trop sur ses brisées, il obtint en effet en 1875 la création à son profit (mais, au début, sans émoluments) d’une chaire de théorie musicale ouverte aux étudiants du doctorat en philosophie, où se succédèrent durant vingt années les futurs grands noms de la pensée viennoise et pas seulement des musiciens. De ce maître qui entretenait avec eux des relations quasi familiales, la plupart de ses étudiants garderont un souvenir impérissable, l’honorant de multiples façons dans leurs écrits. Certains, comme Mahler, suivirent son enseignement à la fois au conservatoire et à l’université. Il eut, en outre, des élèves privés ; et un Hugo Wolf devait plaider pour lui avec acharnement dans le Wiener Salonblatt, et se réclamer de lui sans jamais avoir pris ses leçons. Le terme de « seconde école viennoise » doit donc s’appliquer, non pas au groupe de Schönberg (qui sera la « troisième ») mais à celui constitué par Bruckner et ses deux principaux héritiers Hugo Wolf et Gustav Mahler, avec aussi quelques autres noms, comme par exemple Franz Schmidt. Malgré de grandes divergences de pensée et de style, des affinités musicales frappantes les liaient sur le plan de l’écriture et même de certaines citations explicites ; et l’on ne saurait trop souligner l’antériorité de Bruckner dans les conquêtes de forme et de langage qui allaient marquer la fin du siècle et aboutir à l’éclatement du monde tonal. DU DÉSASTRE AU TRIOMPHE. Mais reportons-nous à l’arrivée du maître à Vienne, pour le suivre brièvement dans son destin musical - qui d’ailleurs se confondait avec sa vie privée, puisque la composition allait absorber tout le temps que lui laissèrent ses triples fonctions (dans les cinq dernières années de sa vie seulement il eut le loisir de s’y consacrer totalement, et il était alors trop tard pour qu’il puisse mener à bien son oeuvre ultime, la 9e Symphonie). Quant au bonheur intime d’un foyer, on sait qu’il lui fut toujours refusé, encore qu’en deux occasions, au moins, il y eût lui-même renoncé par intransigeance religieuse (du moins étaitce là le prétexte avoué). En 1870, sa soeur mourut, et il dut engager une servante, Kathi Kachelmayer, qui lui fut dévouée jusqu’à sa mort. Chaque été, il retourna au pays natal passer de studieuses vacances ; et trois grandes diversions, trois voyages lointains seulement marquèrent les vingthuit années du séjour viennois : deux tournées organistiques triomphales, en 1869, en France (Nancy et Paris) et, en 1871, à Londres ; et un voyage de tourisme, en 1880, en Bavière, Suisse et Haute-Savoie. Ne s’y ajoutèrent que quelques brefs déplacements en Allemagne pour assister à divers concerts de ses oeuvres, qui y furent parfois jouées avant de l’être à Vienne ; ou, bien sûr, au festival de Bayreuth, dont il devint d’emblée un familier. Les autres événements saillants furent rares. Au plan matériel, deux seuls déménagements (en 1877 pour la Hessgasse, à l’angle du Ring, et en 1895 pour le pavillon de garde du Belvédère mis à sa disposition par l’empereur François-Joseph) ; au plan de l’anecdote, sa réception par l’empereur, en 1886, où le monarque s’entendit demander par le musicien s’il ne pouvait « empêcher Hanslick de (le) démolir si méchamment « ; ou son unique rendez-vous avec Brahms, au restaurant « Zum roten Igel », où ils ne se comprirent qu’en matière culinaire ! Reste l’essentiel : les premières auditions des symphonies. Et là nous passons d’un extrême à l’autre, du désastre de la Troisième (16 déc. 1877) au triomphe de la Huitième (18 déc. 1892), tandis qu’en 1887 le rejet par Hermann Levi de la version primitive de cette même Huitième avait failli conduire Bruckner au suicide. À l’inverse, l’une des grandes joies de sa vieillesse fut, en novembre 1891, son accession au doctorat honoris causa de l’université de Vienne ; les solennités qui s’ensuivirent l’émurent jusqu’aux larmes. LES VERSIONS MULTIPLES. Ce fut donc l’édification du monument symphonique qui occupa principalement ses pensées à Vienne. Après un hiatus de trois années environ, dû à la nécessité de s’accoutumer à la vie urbaine nouvelle à laquelle il était si mal préparé, il y revint en 1871-72 avec la Deuxième en ut mineur, et le poursuivit désormais sans désemparer, en passant parfois des années (notamment de 1876 à 1879 et de 1888 à 1891) à remodeler le travail antérieur. La plupart des symphonies connurent ainsi deux, voire trois rédactions successives ou « Fassungen », souvent très divergentes, plus diverses variantes pour des mouvements isolés : tous ces textes ont aujourd’hui paru dans l’Édition critique intégrale réalisée à Vienne. Sans tenir compte des retouches mineures, on s’aperçoit, en considérant cette somme, que Bruckner a produit, non pas neuf ni onze symphonies, mais bien dix-sept ! (On en donne plus loin la nomenclature.) Ces remaniements systématiques répondaient, certes, d’abord au souci de perfectionner l’ouvrage, de mieux profiler un thème ou de resserrer la forme. Mais ils eurent parfois l’inconvénient de faire disparaître des hardiesses précieuses ; d’où l’intérêt de la redécouverte des versions primitives (« Urfassungen »). En outre, certaines des révisions les plus tardives furent influencées par les exigences des élèves et interprètes du compositeur, soucieux de rendre sa musique acceptable aux oreilles des contemporains ; et dans certains cas ils rédigèrent eux-mêmes de nouveaux textes, qui furent en réalité les premiers publiés. Ceux-ci sont aujourd’hui heureusement abandonnés, mais il en demeure des traces fâcheuses, notamment dans les dernières versions des Troisième et Huitième symphonies. L’« ART DE LA SYMPHONIE ». Bien qu’il s’agisse dans tous les cas de musique pure, et que l’ensemble ait pu être qualifié d’« Art de la symphonie » (A. Machabey), au sens de l’Art de la Fugue, chacune des symphonies - nous l’avons vu pour la Première - comporte en sa substance, sinon un programme précis, du moins un lien direct avec les circonstances de sa création et les sentiments qui assaillaient alors le musicien. En ce sens, Anton Bruckner s’affirma fondamentalement comme un romantique, donc un enfant de son siècle, ce qu’il fut aussi par sa situation chronologique, entre Beethoven et Schubert d’une part, Mahler et le downloadModeText.vue.download 136 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 130 XXe siècle de l’autre. Ces deux faits, à tout le moins, contrebattirent l’idée de son « intemporalité « ; et ce qu’on appela son « mysticisme » fut en vérité la traduction de son émerveillement devant toutes les beautés de ce monde et de sa gratitude envers Celui qu’il reconnaissait pour leur créateur. Ce terme constitua une constante de sa pensée dans toutes les symphonies et spécialement dans leurs adagios, dont les cinq derniers, au moins, comptent au nombre des pages les plus inspirées de toute la musique. Il reste que les terribles conflits qui sous-tendent cette pensée, et qui se traduisent notamment par des tensions harmoniques, dont le musicologue anglais Robert Simpson a fait une étude remarquable, justifient la conclusion de Gustave Kars : « On ne saurait imaginer qu’une oeuvre d’une telle portée et d’une telle complexité ait pu être le fruit d’une vie béate, d’où la lutte et le doute auraient été absents. » Si diverses par leur propos, les symphonies répondent toutes à une évolution sans faille, chacune s’appuyant sur les précédentes pour préparer la suivante. Leur structure formelle obéit à deux principes fondamentaux : d’une part l’unité interne, accomplissement et systématisation d’un processus ébauché déjà par le dernier Schubert, et qui consiste à fonder l’oeuvre sur une cellule mère qui féconde tous les mouvements et triomphe en conclusion ; d’autre part le trithématisme des mouvements de sonate, qui, de même que la succession des temps, répond à un souci primordial de contrastes (deux données vigoureuses ou épiques encadrent un « groupe du chant » de caractère lyrique). Contrairement à une idée trop répandue, ni leurs durées (à deux exceptions près : Cinquième et Huitième) ni leur effectif instrumental n’outrepassent maints exemples antérieurs (Berlioz). Le compositeur employait rarement des instruments autres que ceux de l’orchestre du dernier Beethoven ou de Brahms, mais il tira de cet orchestre des effets bien plus somptueux grâce à une technique plus moderne et surtout à un instinct infaillible dans le choix et la répartition des couleurs. L’influence de la registration organistique est évidente, mais elle se traduit, non par l’abus de doublures, mais par l’indépendance des groupes orchestraux, qui évoluent en grands blocs selon une démarche que seul le XXe siècle saura retrouver. À la pratique de l’orgue on peut, de même, rattacher les fréquentes césures (pauses générales) qui émaillent le discours brucknérien et préparent souvent l’énoncé d’une idée directrice. En réalité, ce rôle philologique du silence est commun aux trois grands romantiques autrichiens (Schubert, Bruckner, Mahler) : c’est un des traits fondamentaux qui les distinguent de leurs collègues d’Allemagne (de Beethoven à Reger), qui, dans la symphonie tout au moins, professent plutôt l’« horreur du vide « ! Enfin, toute création liturgique majeure étant, chez Bruckner, absente du catalogue viennois à la seule exception du Te Deum entrepris en 1881 et terminé en 1884, la tentation est forte de considérer que les symphonies de la grande période (2 à 9) unissent l’expression sacrée et l’expression profane en un seul et même genre : phénomène pratiquement unique dans la littérature musicale. Grâce à cette dualité autant qu’à ses conquêtes d’écriture, Anton Bruckner s’élève très au-dessus du cadre régional et même national pour s’égaler aux deux plus grands chantres de l’humanité, Jean-Sébastien Bach et Ludwig van Beethoven. C’est donc lui, et non Brahms, qui devrait constituer, si l’on tenait à cette image, le troisième terme de la trinité proclamée par Hans von Bülow ; et la multiplicité des études qui lui sont consacrées montre d’ailleurs combien s’affirment de jour en jour l’importance et la valeur de son message au regard de la musique de notre temps. LES CHEFS-D’OEUVRE VIENNOIS. Il reste à caractériser brièvement chacune des symphonies viennoises. La Deuxième a été qualifiée par August Goellerich, élève préféré et principal biographe de Bruckner, de « symphonie de Haute-Autriche », ce que justifie surtout son scherzo bondissant (la danse populaire sera d’ailleurs un terme constant dans les scherzos, au moins jusqu’à la Cinquième incluse). La Troisième, qui ambitionne pour la première fois d’allier l’inspiration épique beethovénienne et le monde des Nibelungen, fut dédiée à Richard Wagner ; et cela valut à son auteur vingt années d’ostracisme de la part de la critique traditionaliste viennoise. La Quatrième reçut son sous-titre de Romantique du compositeur lui-même, qui fournit aussi pour chaque mouvement un programme quelque peu naïf : elle est, dans l’ensemble, dominée par l’amour de la nature, mais bien moins tributaire d’intentions précises que la Pastorale, dont on la rapproche souvent. En revanche, sa structure cyclique est peut-être la plus parfaite. Premier point culminant de la chaîne et création éminemment typique de son auteur (qui ne l’entendit jamais !), la Cinquième (18751877) unit le climat religieux au lyrisme viennois en une formidable architecture sonore qui intègre une double fugue. La Sixième connaît en son adagio l’épilogue d’une des nombreuses idylles que le musicien se forgeait sans véritable espoir ; tandis que le scherzo est d’atmosphère fantomatique. La Septième fut celle qui valut à son auteur la gloire internationale : sa création à Leipzig, le 30 décembre 1884, par Arthur Nikisch, le tira du jour au lendemain de l’obscurité. Elle avait, il faut dire, de quoi séduire le plus vaste auditoire, tant par la noblesse de ses mélodies que par la somptuosité de sa parure orchestrale. L’adagio, où Bruckner emploie pour la première fois les tubas, fut entrepris dans le pressentiment de la mort de Wagner ; il s’achève sur la Trauerode qui, treize ans plus tard, devait accompagner son auteur à sa dernière demeure. La Huitième, la plus vaste et la plus complexe de toutes (elle occupa le compositeur de 1884 à 1890), comporte au moins trois éléments programmatiques : le glas (Totenuhr) qui résonne à la fin du premier mouvement dans la seconde version ; la peinture du paysan danubien dans le scherzo ; et le thème en trois vagues qui ouvre le finale et illustre une rencontre des empereurs d’Autriche, d’Allemagne et de Russie. Mais, au-delà de l’anecdote, la grandiose et cataclysmique péroraison, avec superposition de tous les thèmes de l’oeuvre, manifeste l’extrême limite des potentialités de la forme symphonique ellemême. Bruckner eût-il pu aller plus loin encore dans la Neuvième, qu’il dédia symboliquement « au bon Dieu « ? On pouvait l’attendre par les dimensions du premier mouvement, ou par la percée qui s’accomplit en matière harmonique (superposition de tous les degrés de la gamme diatonique) au sommet de l’adagio. Et dans les esquisses du finale, auquel le musicien travailla jusqu’à son dernier jour, les fonctions tonales semblent fréquemment suspendues. Mais ce dernier morceau ne parvint pas à son terme (il s’interrompit au seuil de la péroraison) : c’est donc sur le sublime apaisement de l’adagio, venant après la terrifiante course à l’abîme du scherzo, que le maître prit congé de son auditoire terrestre. À sa mort, le 11 octobre 1896, au terme d’un lent déclin et d’une hydropisie aggravée d’atteintes pulmonaires, il laissait parmi d’autres genres, au moins, deux oeuvres majeures : le Quintette à cordes en fa, avec deux altos (1879), et Helgoland (1893), sur un poème d’August Silberstein, pour choeur d’hommes et grand orchestre, couronnement d’une production chorale profane ininterrompue comportant une quarantaine de pièces. Enfin en musique sacrée, outre le Te Deum déjà cité, un bref et éclatant Psaume 150 (1892) et une dernière série de motets, les mieux connus et les plus neufs d’expression : quatre graduels (du Locus iste de 1869 au Virga jesse de 1885) ; Ecce sacerdos, avec cuivres (1886) ; Vexilla regis (1892). downloadModeText.vue.download 137 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 131 UN AUDITOIRE D’OUTRE-TOMBE. Les obsèques d’Anton Bruckner furent célébrées en grande pompe, devant le Tout-Vienne de la musique, le 14 octobre 1896, à l’église Saint-Charles. Quelques semaines auparavant, il réclamait encore de ses médecins une attestation écrite garantissant sa liberté ; et cette même exigence supérieure lui avait fait demander par testament que son cercueil demeurât exposé - et non inhumé - dans la crypte de Saint-Florian, au-dessous de l’orgue qui, depuis, porte son nom. Lorsqu’on exauça ce voeu, on découvrit une nécropole remontant aux invasions turques, et d’où l’on retira plusieurs milliers de crânes devant lesquels il joue désormais pour l’éternité ! BRUDIEU (Joan), compositeur français (Limoges v. 1520 - Urgel, Espagne, 1591). On ne sait presque rien de son enfance et de sa formation. Arrivé en Espagne en 1539, il fut maître de chapelle de la cathédrale d’Urgel en Catalogne, de 1539 à 1543 et de 1545 à 1577. Il fut ordonné prêtre en 1543. À partir de 1577, il fit quelques voyages, et on le trouve en 1585 à Barcelone où il publie ses Madrigales. Il abandonna l’année suivante toute fonction après avoir obtenu un bénéfice ecclésiastique important. Ses seize madrigaux (par exemple, Las Cañas) montrent qu’il connut les oeuvres de Janequin. Il marqua sa prédilection pour les dissonances, et son style d’écriture est moins strict que celui de son cadet Victoria. Cinq madrigaux sont écrits sur des textes catalans, notamment d’Auzias March, poète du XIIIe siècle. Brudieu est, d’autre part, l’auteur d’un Requiem à 4 voix, conservé en manuscrit. BRÜGGEN (Frans), flûtiste et chef d’orchestre néerlandais (Amsterdam 1934). Après des études dans sa ville natale, au conservatoire pour la musique et à l’université pour la musicologie, il s’est très vite imposé comme l’un des plus grands virtuoses actuels de la flûte traversière et plus encore de la flûte à bec. Passionné par ce dernier instrument, il en a, de nos jours, confirmé la renaissance en lui rendant accès aux salles de concert comme instrument soliste. Il a exhumé, interprété et souvent édité de nombreuses partitions du XVIIe et du XVIIIe siècle. Attentif à toutes les époques et à tous les genres de musique, il est le créateur d’oeuvres écrites spécialement pour la flûte à bec par des compositeurs comme Berio. Il collabore avec le facteur de flûtes Hans Coolsma, d’Utrecht, gardien de la célèbre tradition des facteurs de flûtes hollandais des XVIIe et XVIIIe siècles. Comme chef, il a fondé en 1981 et dirige depuis l’Orchestre du XVIIIe Siècle. BRUHNS (Nicolaus), organiste et compositeur allemand (Schwabstedt, Schleswig, 1665 - Husum, Schleswig, 1697). Après des études de violon, de viole de gambe, d’orgue et de composition, notamment avec Buxtehude, il passa sa brève carrière comme organiste à Husum, où il fut nommé en 1689. Ses oeuvres pour orgue - 4 toccatas et une fantaisie de choral sur Nun komm der Heiden Heiland -, qui révèlent un digne disciple de Buxtehude, par la virtuosité et le renouvellement incessant de l’imagination, furent rapidement célèbres dans toute l’Allemagne. Bruhns laissa également douze Concerts spirituels et Cantates, où son tempérament fougueux s’exprime par une écriture vocale et instrumentale recherchée et brillante. BRUITEUR. Exécutant qui accompagne une action dramatique de bruits destinés à en illustrer le déroulement et à en renforcer l’impact. Déjà, dans le théâtre antique, des bruiteurs étaient chargés, notamment, de faire vibrer de grandes plaques de bronze pour simuler l’orage accompagnant l’apparition du deus ex machina. Les mystères médiévaux en appelaient également au bruitage pour évoquer, par exemple, l’horreur de l’enfer. Le théâtre baroque fit grand usage de bruiteurs, mais c’est surtout pour le théâtre radiophonique et le cinéma que l’art du bruiteur eut à se développer, en simulant une extraordinaire quantité de sons à l’aide de moyens généralement rudimentaires. L’enregistrement de certaines oeuvres lyriques peut réclamer l’intervention d’un bruiteur (par exemple, l’orage du début de l’Otello de Verdi). Aujourd’hui, grâce au développement des techniques d’enregistrement, on tend à recomposer l’environnement sonore à l’aide d’éléments recueillis sur le vif. BRUMEL (Antoine), compositeur français (v. 1460 - v. 1520). Heurier à la cathédrale de Chartres en 1483, il fut nommé maître de chant des enfants à la cathédrale Saint-Pierre de Genève (1486-1492). Membre du choeur de Laon en 1497, il devint maître des enfants à Notre-Dame de Paris (1498-1500). Il vécut ensuite, peut-être, à Lyon, avant d’occuper le poste de maître de chapelle du duc de Ferrare, Alphonse Ier (1505). Ses treize messes utilisent le cantus firmus, profane (l’Homme armé, Bergerette savoyenne, À l’ombre d’un buyssonnet) ou liturgique (Pro defunctis sur l’introït de Requiem aeternam et le Dies irae, une nouveauté en matière de teneur). Mais si, dans ses premières messes, comme l’Homme armé, le superius et le ténor commandent encore les deux autres voix, la messe De Beata Virgine, plus tardive, semble avoir été pensée à 4 voix et s’ouvre, bien que timidement, au style nouveau (souci de l’harmonie, homorythmie). La souplesse et la variété qu’apportent ces qualités expressives contrebalancent le caractère parfois trop accusé de ses connaissances purement techniques et son attachement premier à la tradition. Le motet Laudate Dominum (il en a écrit environ une trentaine) est un excellent exemple de cet équilibre. En avançant dans sa carrière, Brumel accorde une attention spéciale à la déclamation (Sicut lilium inter spinas), à l’homorythmie (Missa Super Dringhs) et une place grandissante à la richesse sonore, signes d’une influence italienne directement subie. BRÜN (Herbert), compositeur israélien (Berlin 1918). Il a fait ses études au conservatoire de Jérusalem (1936-1938), notamment avec Stefan Wolpe pour la composition, et à l’université Columbia aux États-Unis (1948-49). De 1955 à 1961, il a orienté ses recherches vers l’utilisation de l’électronique et de l’électroacoustique en composition et, à partir de 1963, vers celle des ordinateurs. Il a commenté ses travaux dans de nombreux articles publiés dans divers pays, dans des cours à Darmstadt et dans des émissions de radio en Allemagne. Il est devenu professeur à l’université de l’Illinois en 1963. Herbert Brün a composé des oeuvres pour orchestre comme Mobile for Orchestra (1958), des oeuvres de musique de chambre, dont 3 quatuors à cordes (1953, 1957, 1961), des pièces pour piano, pour clavecin, des ballets, des musiques de scène et de la musique élec- tronique (Anepigraphe, 1958 ; Non sequitur VI, pour instruments et bande, 1966), parfois avec intervention d’un ordinateur (Infraudibles, 1968). BRUNEAU (Alfred), compositeur français Paris 1857 - id. 1934). Sa mère était peintre ; son père, violoniste et éditeur de musique. Entré au Conservatoire de Paris en 1873, il obtint un premier prix de violoncelle en 1876, travailla la composition avec Massenet et remporta le second grand prix de Rome en 1881. Après avoir abordé le théâtre lyrique, en 1887, avec Kerim, il se lia avec Émile Zola et tira d’un roman de ce dernier, le Rêve, un opéra-comique créé salle Favart en 1891. Influencé par le naturalisme littéraire, Bruneau résolut de le transplanter dans l’opéra et précéda dans cette voie Gustave Charpentier, choisissant ses héros parmi les humbles, paysans, ouvriers, soldats. D’abord surpris, le public se laissa conquérir par la sincérité de l’écriture de Bruneau et la noblesse des sentiments exprimés. Il imposa les personnages de Zola sur les scènes de l’OpéraComique et de l’Opéra avec l’Attaque du downloadModeText.vue.download 138 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 132 moulin (1893), Messidor (1897), l’Ouragan (1901), l’Enfant-Roi (1905). Après la mort de Zola, il se laissa tenter par des sujets pleins d’humour (le Roi Candaule, 1920) et par un drame historique de Victor Hugo (Angelo, tyran de Padoue, 1928). Le langage musical de Bruneau est simple et clair, mais lyrique, capable d’une grande vigueur, avec un don particulier pour évoquer la nature (forêt de l’Attaque du moulin, blés mûrs de Messidor, féerie du Paradou dans sa musique de scène pour la Faute de l’abbé Mouret de Zola). À ses oeuvres théâtrales, il faut ajouter quelques pièces symphoniques et de belles mélodies. Bruneau eut aussi une importante activité de critique et de musicographe. BRUNETTE. Brève composition pour 1, 2 ou 3 voix et basse continue sur un sujet galant et champêtre, voire pastoral, en vogue au XVIIIe siècle. La brunette tire son nom de l’idéal féminin de la « petite brune » de la poésie médiévale. Le genre est léger, tendre, et se rattache soit à la forme binaire de l’air de cour, soit à celle de la chanson avec refrain. L’éditeur parisien Christophe Ballard a publié un certain nombre de brunettes dans divers recueils. La brunette poursuivit sa carrière en devenant également instrumentale (flûte, hautbois, violon). BRUNETTI (Gaetano), compositeur italien (Fano, États pontificaux, v. 1740 Madrid 1808 ?). Élève de Nardini, il arriva avec sa famille en Espagne en 1762 et y bénéficia de la protection du prince des Asturies et du duc d’Albe. Il écrivit pour eux de nombreuses oeuvres. Il n’occupa aucune position officielle sous Charles III, mais, sous Charles IV, on le trouve mentionné comme « premier violoniste du roi ». Il fut, semble-til, lié d’amitié avec Boccherini. On perd toute trace de lui après 1798 et la date de sa mort est incertaine. Il écrivit un opéra, Jason, donné à Madrid en 1768 (perdu), et quelques pièces religieuses, mais sa production est pour l’essentiel instrumentale. Elle comprend beaucoup de musique de chambre et, surtout, 37 symphonies (dont 7 perdues) qui font de lui, avec Boccherini, le principal symphoniste italien de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Dans la plupart de ses symphonies, le menuet est écrit pour instruments à vent seuls. BRUNI (Antonio Bartolomeo), compositeur et violoniste italien (Cuneo 1757 id. 1821). Élève de Pugnani à Turin, installé à Paris en 1780, il y donna les opéras Célestine (1787), Claudine (1794) et la Rencontre en voyage (1798), et dirigea l’orchestre de l’Opéra-Comique (1799-1801) puis de l’Opéra italien (1801-1806). Il publia une méthode de violon et une d’alto. BRUNOLD (Paul), musicologue français (Paris 1875 - id. 1948). Organiste, il devint titulaire de l’orgue de Saint-Gervais. Également claveciniste, il édita les oeuvres de Dieupart, Clérambault, Jacquet de la Guerre et, en collaboration avec A. Tessier, celle de Chambon- nières. Il publia, en collaboration avec H. Expert, une Anthologie des maîtres français du clavecin des XVIIe et XVIIIe siècles. En 1946, il fut nommé conservateur du Musée instrumental du Conservatoire. Paul Brunold est l’auteur d’ouvrages théoriques, notamment un Traité des signes et agréments employés par les clavecinistes français (rééd. Nice, 1964) et une Histoire du grand orgue de Saint-Gervais (Paris, 1934). BRUSCANTINI (Sesto), baryton italien (Porto Civitanova, prov. de Macerata, 1919). Après des études de droit, puis de chant, il a débuté à la Scala de Milan en 1949 dans le rôle de Geronimo du Mariage secret de Cimarosa. À partir de 1951, sa participation aux festivals de Glyndebourne et de Salzbourg l’a rendu très vite célèbre. Sa voix souple, sa musicalité, ses talents d’acteur lui ont permis de s’illustrer essentiellement dans des rôles de Rossini (Figaro dans le Barbier de Séville, Dandini dans La Cenerentola), de Donizetti (Malatesta dans Don Pasquale) et aussi de Mozart (Alfonso dans Cosi fan tutte). BRUXELLES. La gloire de la chapelle dite « de Bourgogne » ou « du roi », au XVIe siècle, où avaient oeuvré Gombert, Créquillon, Canis, est sans doute à l’origine d’une tradition qui permit à Bruxelles, dans la seconde moitié du XVIe siècle et la première du XVIIe, le maintien d’une activité musicale régulière, marquée par l’émulation qui régna entre la chapelle du roi et la maîtrise de la collégiale Sainte-Gudule. En 1650, la cour de l’archiduc Léopold Guillaume accueillit pour la première fois un spectacle lyrique (Ulisse all’isola di Circe de Zamponi) ; en 1682, l’opéra du quai au Foin ouvrit ses portes, et le répertoire italien s’installa en maître. En 1700, l’Atys de Lully inaugura le « Grand Théâtre sur la Monnoye », futur théâtre de la Monnaie. Ce fut le début d’une période brillante où Bruxelles servit de tremplin à l’opéra italien dans sa conquête de l’Allemagne, de Vienne et de l’Angleterre, avant d’assurer le triomphe de l’opéra français avec les oeuvres de Campra, Destouches et Mouret. Le ballet était fort à l’honneur, et la célèbre danseuse Marie-Anne Camargo y fit ses débuts. La création de l’Académie de musique (1681) donna une impulsion à la musique instrumentale. Au XVIIIe siècle se constituèrent une importante bibliothèque musicale et un musée d’instruments. Bruxelles vit alors naître plusieurs compositeurs de talent, tel Pierre Van Maldere, violon solo à l’Orchestre de l’Opéra royal et auteur du premier opéra-comique belge. De l’École de musique, créée en 1813 par Jean-Baptiste Roucourt et devenue École royale en 1826, sortit en 1832 le conservatoire, que ses directeurs successifs, Fétis, Gevaert, Tinel, du Bois, Joseph et Léon Jongen, Marcel Poot, ont maintenu à un très haut niveau. Cet établissement a été une pépinière d’illustres maîtres, en particulier dans le domaine du violon, où une tradition installée depuis André Robberechts (1798-1860) est restée vivace au fil des générations, grâce à Charles de Bériot, Martin-Pierre-Joseph Marsick (qui fut aussi un professeur célèbre à Paris), Vieuxtemps, Ysaye, Mathieu Crickboom, Édouard Deru, Alfred Dubois et, enfin, l’élève de ce dernier, Arthur Grumiaux. Durant tout le XIXe siècle, des sociétés se fondèrent et diffusèrent largement l’art musical. Le cercle des XX, créé par Octave Maus pour la défense de l’art moderne, devint la Libre Esthétique, tremplin de la musique française en Belgique, qu’il s’agisse du franckisme ou de Debussy. Parallèlement, le théâtre de la Monnaie, devenu l’une des premières scènes d’Europe, créait maints opéras nouveaux. Après la Première Guerre mondiale sont nés, en 1930, l’Orchestre de l’I. N. R. (Institut national de radiodiffusion), en 1931, l’Orchestre symphonique de Bruxelles et des sociétés plus spécialisées comme Pro Musica Antiqua (fondée en 1930) ou la Sirène (fondée en 1934 en faveur de la musique contemporaine). En 1940, en pleine guerre, vit le jour à Bruxelles le Mouvement international des jeunesses musicales, à l’initiative de Marcel Cuvellier. Après 1950, le même éventail d’activités a permis à la fois la résurrection d’un passé musical injustement méconnu et l’essor de la jeune école belge, dont André Souris, puis Henri Pousseur ont été les personnalités les plus marquantes. Les studios, groupes d’études ou ensembles d’exécutants (Centre de recherches musicales de Wallonie, Studio de musique électronique de Bruxelles, Dédale, Logos, Musique nouvelle, Enteuxis, Pentacle, etc.) défendent et illustrent la musique contemporaine. Dans un autre domaine, l’ensemble Alarius s’est trouvé à une certaine époque à la pointe de la recherche dans l’exécution instrumentale de la musique ancienne et baroque. Des interprètes comme le violoniste Sigiswald Kuijken, le gambiste Wieland Kuijken, le claveciniste downloadModeText.vue.download 139 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 133 Robert Kohnen y firent leurs premières armes. L’ensemble Alarius se disloqua quelque temps après la mort accidentelle de son fondateur, le flûtiste Charles Maguire. Témoignent également de la vitalité de la vie musicale dans cette ville le concours d’interprétation Reine Elisabeth et le festival de musique contemporaine Ars Musica. BRUYNÈL (Ton), compositeur néerlandais (Utrecht 1934). Élève de Kees Van Baaren au conservatoire de sa ville natale (1952-1956), il s’est tourné, à partir de 1967, vers la musique électronique, et a écrit depuis une série d’oeuvres pour bande et sources sonores traditionnelles qui le placent au premier rang de la jeune école néerlandaise. Citons Études pour piano et bande (1959), plus tard utilisé comme ballet, Résonance I, en collaboration avec un groupe de danse (1962), Résonance II (1963), Relief pour 4 magnétophones et orgue (1964), Mobile pour 2 magnétophones (1965), Signes pour quintette à vent, 2 magnétophones et projections lumineuses (1969), Phases pour orchestre et bande (1974), Soft Song pour hautbois et bande, Translucent II pour cordes et bande (1978), Serène pour flûte et bande (1978), Toccare pour piano et bande (1979), John’s Lullaby pour choeur, bande et orchestre (1985). BUCCHI (Valentino), compositeur italien (Florence 1916 - Rome 1976). Il fut élève de V. Frazzi et de L. Dallapiccola au conservatoire de Florence. Également critique musical, il enseigna au conservatoire de Florence (19451957) et à celui de Venise (1951-52, 1954-55). À partir de 1957, il dirigea le collège musical de Pérouse et, de 1958 à 1960, fut directeur artistique de l’Accademia Filarmonica à Rome. Bucchi a écrit pour le théâtre : Il Gioco del barone (1939, première représentation 1944) ; Il Contrabasso (1954) ; Una notte in paradiso (1960) ; des ballets Raconta siciliano (1956) ; Mirandolina (1957) ; un mystère chorégraphique Laudes Evangelii (1952). Il a composé des oeuvres pour orchestre, des concertos (piano, violon), de la musique de chambre, de la musique de film, ainsi qu’une transcription moderne du Jeu de Robin et Marion (1951-52). BÛCHE DE FLANDRE ou BÛCHE. Instrument ancien à cordes frappées ou pincées, de facture rudimentaire. Peut-être formé, à l’origine, d’une véritable bûche évidée, il consistait en une simple caisse de forme oblongue, sur laquelle étaient tendues quelques cordes métalliques. BUCHNER (Hans), organiste, théoricien et compositeur allemand (Ravensburg 1483 - Constance 1538). Il étudia l’orgue avec Paul Hofhaimer et devint très vite l’un des plus éminents « Paulomimes » (ainsi appelait-on les disciples de ce musicien). Vers 1506, il fut nommé organiste de la cathédrale de Constance, dont l’orgue, reconstruit par Hans Schentzer (1516-1520), fut l’un des plus importants d’Allemagne. En 1526, l’évêque de Constance, chassé par la Réforme, dut se réfugier à Uberlingen, et c’est là que Buchner exerça désormais son art. Sa méthode d’orgue Fundamentum contient des pièces liturgiques pour les principales fêtes religieuses. Il a également signé des motets et des lieder. Ses oeuvres pour orgue ont été rééditées en 1974 à Francfort. BUCHT (Gunnar), compositeur, pédagogue et musicologue suédois (Stocksund 1927). Il étudie avec K.-B. Blomdahl, C. Orff, G. Petrassi et M. Deutsch. Sa position dans la musique suédoise le situe parmi les modernistes, grâce notamment à son langage d’une très grande rigueur. Président de la Société internationale de musique contemporaine de 1962 à 1972, il a écrit 7 symphonies (1952-1971), de la musique de chambre, des oeuvres vocales et instrumentales et de la musique électronique. BÜCHTGER (Fritz), compositeur allemand (Munich 1903 - Starnberg 1978). De 1921 à 1928, il étudia, à la Hochschule für Musik de Munich, l’orgue, la flûte, le chant, la direction d’orchestre, la théorie et la composition. De 1922 à 1931, il organisa et dirigea des festivals de musique nouvelle, faisant connaître les oeuvres de Hindemith, Egk, Krenek, Bartók, Stravinski, Schönberg. Il anima aussi des chorales et des orchestres d’amateurs. Toujours à Munich, il fonda en 1927 la Société pour la musique contemporaine, dirigea à partir de 1948 le Studio pour la musique nouvelle et, à partir de 1954, une école, la Jugendmusikschule, mettant en application les principes pédagogiques les plus modernes. En raison de l’hostilité du régime nazi à certaines formes de musique, en particulier à la musique sérielle, Büchtger, dans les années 30, ne franchit pas les limites de l’écriture tonale. Après la guerre, il se tourna vers le dodécaphonisme, mais l’utilisa en le combinant avec des procédés tonaux. Son oeuvre abondante comprend des pièces pour orchestre ou pour ensemble à cordes, de la musique de chambre, dont 4 quatuors à cordes (1948, 1957, 1967, 1969), de la musique chorale (la Cité de rêve pour 5 choeurs, 1961), des cantates, de nombreux oratorios, des mélodies d’après des textes de Villon et de Cummings. BUFFET D’ORGUE. Meuble entourant et contenant la soufflerie, la mécanique et la tuyauterie d’un orgue, à l’exception du moteur électrique de la soufflerie, qu’on cherche à isoler acoustiquement en le plaçant dans un local séparé. Le rôle du buffet est de masquer par un décor les organes de l’instrument, mais aussi, par le jeu de ses panneaux réflecteurs, d’améliorer la diffusion sonore des tuyaux qu’il renferme. Au cours des siècles, et selon les pays, la forme, la dimension et l’exécution des buffets d’orgue ont connu bien des variantes, qui en rattachent l’évolution à celle du mobilier religieux et des arts décoratifs : buffets simples ou doubles (le petit buffet de positif, à l’avant de la tribune, étant la réplique réduite du buffet principal, dit de grand-orgue), buffets à étages superposés (grands instruments), buffets en plusieurs éléments séparés (orgues baroques allemands), buffets plats (Italie) ou faisant alterner tourelles et plates-faces (France), buffets en nid d’hirondelle accrochés à la muraille, buffets à plusieurs façades différemment orientées (Espagne), etc. Meuble décoratif, le buffet d’orgue met en valeur certains tuyaux présentés en « montre », parfois décorés, dorés ou guillochés (par exemple, les chamades, caractéristiques de l’orgue espagnol) ; certains (quand ce n’est pas tous) sont factices et ne se justifient que pour le seul coup d’oeil. Le buffet d’orgue est orné de panneaux sculptés, de cariatides, de statues (anges musiciens), parfois même d’automates. Jusqu’au XVIIe siècle, le buffet est protégé par des volets peints qu’on ouvre avant de jouer. Suivant l’évolution du goût, le buffet d’orgue devient au XIXe siècle un meuble de style néogothique ou néo-Renaissance sans caractère personnel. Au XXe siècle, le parti pris de dépouillement et de stylisation a conduit à ne garder du buffet qu’un soubassement, la disposition des tuyaux apparents constituant le principal élément décoratif. Mais l’absence de panneaux et de toit réfléchissants nuit à l’acoustique, et on en revient, en Allemagne et en Hollande notamment, à placer la tuyauterie dans des caissons de bois traités de façon moderne. BUFFO. Substantivement, le mot désigne un chanteur spécialisé dans les emplois comiques de l’opera buffa. En tant qu’adjectif, buffo qualifie les chanteurs de manière plus précise : tenore buffo, basso buffo. Dès le XVIIIe siècle, le terme a été traduit en français par bouffe, avec le même sens. Dans l’opéra classique et le premier opéra romantique, l’élégance avec laquelle devaient être chantés les rôles élégiaques ou dramatiques exigeait pour les voix autant downloadModeText.vue.download 140 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 134 de préparation technique que de virtuosité nécessaire dans les rôles de buffo. Aussi est-ce plutôt à la fin du XIXe siècle et surtout au XXe que les personnages buffo ont été réservés à des chanteurs spécialisés, au volume vocal parfois réduit, mais capables de virtuosité, alors que les rôles dramatiques étaient attribués à des voix puissantes, mais non préparées selon la technique du bel canto. BUGLE. Instrument à vent de la famille des cuivres, le plus aigu du groupe des saxhorns. Extérieurement semblable à un clairon muni de trois pistons (bugle est le nom anglais du clairon militaire), il existe en deux formats : le petit bugle en mi bémol et le grand bugle en si bémol. BUISINE. Trompette ancienne de forme droite, au pavillon évasé, dérivée du buccin militaire des Romains. En usage pendant tout le Moyen Âge, surtout comme instrument d’apparat, la buisine fut repliée sur elle-même à partir du XVe siècle pour prendre la forme classique de la trompette de cavalerie. BUKOFZER (Manfred), musicologue américain d’origine allemande (Oldenburg 1910 - Berkeley, Californie, 1955). Il étudia au conservatoire Stern et à la Hochschule für Musik de Berlin, ainsi qu’avec Michael Taube. Il enseigna aux universités de Bâle, Cambridge, Oxford et Cleveland, puis à Berkeley. Ses recherches personnelles ont porté sur la musique du Moyen Âge, de la Renaissance et, plus particulièrement, sur celle de l’époque baroque. Il a écrit le premier ouvrage en langue anglaise consacré à l’histoire de la musique à cette époque (Music in the Baroque Era, rééd. Londres, 1948 ; trad. fr. Paris, 1982). Il a également publié Studies in Medieval and Renaissance Music (1950), un fac-similé de l’ouvrage de G. Coperario Rules how to compose (1610), ainsi que les oeuvres complètes de J. Dunstable (Musica Britannica VIII, 1954). Son édition Duns- table est reparue révisée en 1969. BULL (John), compositeur anglais (1562 ? - Anvers 1628). D’abord enfant de choeur et élève de Blitheman à la chapelle royale de la reine Élisabeth, il fut nommé organiste à la cathédrale de Hereford en 1582. Il obtint le doctorat des universités d’Oxford et de Cambridge et devint le premier professeur de musique du Gresham College à Londres en 1596 sur la recommandation de la reine. Sa santé l’obligea à quitter l’Angleterre en 1601 et il voyagea sur le continent, en France et en Allemagne. La mort d’Élisabeth (1603) n’entama ni sa position sociale ni sa réputation. Honoré et distingué également par Jacques Ier, il conserva son rôle de musicien officiel. Il se maria en 1607, entra au service du prince Henry (1611) et, avec Byrd et Gibbons, publia le premier recueil anglais de pièces pour le virginal (Parthenia, 1611). En 1613, il composa un anthem pour le mariage de l’électeur palatin avec la princesse Élisabeth. Peu après, sans doute pour des raisons en partie religieuses, il s’enfuit et obtint l’un des postes d’organiste de la chapelle royale à Bruxelles. Il se rendit ensuite à Anvers (1617), où il fut organiste de la cathédrale jusqu’à sa mort. L’oeuvre pour clavier de John Bull illustre parfaitement le génie de l’école des virginalistes anglais. L’écriture fait preuve d’un grand esprit d’invention, d’un sens remarquable des possibilités des instruments à clavier de l’époque et témoigne de la virtuosité de l’instrumentiste. Un certain nombre de ces pièces, dont un monument, les Walsingham Variations, figurent dans le Fitzwilliam Virginal Book. Avec Sweelinck, qu’il connaissait, Bull fut l’un des premiers musiciens à écrire de la vraie musique de clavier. Autour du cadre du portrait du musicien, un couplet pouvant se traduire ainsi : « Le taureau règne par la force dans les champs, mais Bull (= taureau) attire la bienveillance par son habileté. » BULL (Ole Bornemann), violoniste et compositeur norvégien (Bergen 1810 id. 1880). Quoiqu’il se soit produit comme violoniste à neuf ans, son père n’était pas favorable à une carrière musicale et l’envoya à Christiana faire des études de théologie. Mêlé à des agitations politiques, Bull dut quitter la Norvège en 1829 et se rendit à Kassel où il travailla avec Spohr. En 1831, il entendit Paganini à Paris et s’attacha dès lors à perfectionner sa technique. Il donna à Paris son premier concert, en 1832, déchaîna l’enthousiasme en Italie et entreprit des tournées triomphales à travers l’Europe, puis, après 1843, en Amérique. Il vécut alors alternativement en Norvège et aux États-Unis, où il perdit en partie sa fortune, qui était considérable, en tentant de fonder une colonie norvégienne. Sa mort fut un deuil national. Sa technique éblouissante fut comparée à celle de Paganini. Bull utilisait un archet et un violon conçus spécialement pour lui ; son violon avait un chevalet plat. À l’exception de quelques oeuvres de Paganini, il ne jouait en public que ses propres compositions qui, parfois inspirées du folklore norvégien, comprennent des oeuvres pour violon seul, pour violon et piano, et 2 concertos (1834, 1841). BÜLOW (Hans Guido von), pianiste, chef d’orchestre, compositeur et critique musical allemand (Dresde 1830 - Le Caire 1894). Élève de Friedrich Wieck et de Franz Liszt, il fut l’un des pianistes les plus fameux de son temps, mais sa renommée comme chef d’orchestre ne fut pas moins grande. Il fut un merveilleux animateur de la vie musicale dans les villes où il exerça son activité de chef : Munich (1864-1869), Meiningen (1880-1885 ; il rendit célèbre dans l’Europe entière l’orchestre de la cour de ce petit duché d’Allemagne centrale), Hambourg et Berlin (1887-1892). Prototype du chef d’orchestre moderne, il se considérait comme entièrement au service des oeuvres qu’il dirigeait et exigeait leur parfaite mise au point. Il défendait aussi bien les classiques que les jeunes compositeurs, et prenait souvent la parole devant son public pour expliquer les oeuvres. Conquis par l’art wagnérien dès 1849, il dirigea les premières de Tristan et Isolde (1865) et des Maîtres chanteurs de Nuremberg (1868). En 1857, il avait épousé Cosima de Flavigny, fille de Liszt, qui le quitta pour devenir la compagne de Wagner. Le divorce fut prononcé en 1870, mais, jusqu’en 1880, Bülow continua à défendre la cause wagnérienne. Bülow contribua à faire connaître Bach, Beethoven (notamment les dernières sonates pour piano, longtemps jugées incompréhensibles), Chopin, Liszt, Brahms, Richard Strauss. Parallèlement à la direction d’orchestre, il écrivit quelques partitions et eut une activité d’éditeur, de critique et de musicographe. Il demeure l’une des plus grandes intelligences musicales du XIXe siècle. BUNLET (Marcelle), soprano française (Fontenayle-Comte, Vendée, 1900 - Paris 1991). Elle débuta en 1926 en concert, et, en 1928, à l’Opéra de Paris dans le rôle de Brünhilde du Crépuscule des dieux de Wagner. Elle acquit bientôt une grande renommée dans les rôles wagnériens et chanta Kundry de Parsifal au festival de Bayreuth en 1931. Ariane dans Ariane et Barbe-Bleue de Dukas et des rôles de Richard Strauss, comme Elektra et Arabella, comptèrent parmi ses spécialités. Elle fut aussi une chanteuse de concert réputée et la créatrice des Poèmes pour Mi d’Olivier Messiaen. Sa voix était ample, d’une belle couleur et très expressive. BUNRAKU. Terme japonais désignant un genre de théâtre de marionnettes, du nom du Théâtre Bunrakuza, fondé à Osaka en 1862 par Uemura Bunrakuken. Vers le Xe siècle, on trouvait déjà au Japon des poupées articulées, sûrement importées du continent asiatique ; elles étaient le gagne-pain de mendiants errant downloadModeText.vue.download 141 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 135 à travers le pays. Puis les marionnettes se mirent au service de la foi, et les montreurs continuèrent à les présenter de village en village. En 1734, une nouvelle technique de manipulation des marionnettes, qui sont de grande taille et somptueusement vêtues, a donné à ce genre sa forme définitive. Les marionnettes s’expriment par le biais du jōruri, musique alliant le chant épique aux complaintes populaires, avec accompagnement de shamisen. Un chanteur installé sur une plate-forme, à droite de la scène, donne les monologues et les dialogues de tous les personnages, soit en parlant, soit en chantant, accompagné par le shamisen. Le joueur de shamisen n’a pas le droit de prononcer des mots, mais peut accompagner le narrateur-chanteur par des bruits vocaux divers (soupirs, grognements, etc.). Il peut y avoir plusieurs narrateurs et plusieurs instrumentistes, des instruments comme le kokyū, luth à trois ou quatre cordes, étant susceptibles de s’ajouter au shamisen. BURGHAUSER (Jarmil), musicologue et compositeur tchèque (Písek 1921). Il a fait ses études de lettres et de musicologie à Prague, tout en travaillant la composition avec J. Křička et O. Jeremiáš. Après la guerre, il s’est initié à la direction d’orchestre. Successivement lecteur à l’Académie de musique, chef répétiteur au Théâtre national, puis musicologue chargé de l’édition critique des oeuvres de Dvořák (dont il a établi le catalogue complet) et de Fibich, il a publié de nombreux articles et études théoriques. Son style se contente d’une technique sérielle modifiée qu’il nomme « système des séries harmoniques ». Sa production est relativement restreinte, axée sur l’orchestre et sur l’opéra. BURGMÜLLER (Norbert), compositeur allemand (Düsseldorf 1810 - Aix-la-Chapelle 1836). Il écrivit notamment deux symphonies (la seconde, inachevée), une ouverture, des lieder ainsi que de nombreuses pièces et sonates pour piano, et sa mort prématurée fut vivement déplorée par Schumann. BURKHARD (Willy), compositeur suisse (Evilard-sur-Bienne 1900 - Zurich 1955). Il fit ses études musicales à Leipzig, à Munich, et avec Max d’Ollone à Paris. Il fut professeur de composition au conservatoire de Berne de 1928 à 1933, puis, après une interruption de son activité due à la maladie, au conservatoire de Zurich à partir de 1942 et jusqu’à sa mort. Ce savant contrapuntiste a édifié une oeuvre très abondante, généralement inspirée par le sentiment religieux. À son désir de régénérer la musique liturgique, à son respect pour la musique chorale ancienne, pour Bach, pour Bruckner, sont venues s’ajouter, à un certain stade de son évolution, les influences de Scriabine, Hindemith, Bartók et Stravinski. Ses compositions comprennent notamment des oratorios (la Vision d’Isaïe, 1933-1935 ; l’Année, 1940-41), des cantates, un opéra (l’Araignée noire, 1948, rév. 1954), des symphonies et pièces pour orchestre, des oeuvres pour orgue, pour piano, diverses pièces instrumentales, de la musique de chambre et des mélodies. BURLESQUE (ital. burla, « farce »). Si, en littérature, burlesque évoque la parodie, la caricature bouffonne de sujets classiques réputés nobles, avec une nuance d’extravagance (en ce sens, les livrets des opéras bouffes d’Offenbach sont burlesques), en musique, le mot désigne simplement des pièces instrumentales assez brèves, de style libre et de caractère gai (Burlesque pour piano et orchestre de Richard Strauss, Burlesques pour piano de Bartók). BURMEISTER (Joachim), théoricien et compositeur allemand (Lüneburg 1564 Rostock 1629). À partir de 1586, il étudia à l’université de Rostock, y obtint le grade de magister et fut cantor au lycée de la ville. Il composa deux volumes de Psaumes spirituels (Geisfliche Psalmen, Rostock, 1601), mais sa renommée vient surtout de ses ouvrages théoriques, dont le dernier, Musica poelica (Rostock, 1606 ; rééd. en fac-similé, Cassel et Bâle, 1955), fait la synthèse des précédents. C’est un livre de rhétorique musicale où sont exposées des figures qui demeurèrent en vigueur durant toute l’époque baroque. BURMESTER (Willy), violoniste allemand (Hambourg 1869 - id. 1933). Il reçoit ses premières leçons de son père, éminent violoniste de l’Orchestre philharmonique de Hambourg. Entre 1882 et 1885, il étudie avec Joseph Joachim, dont il devient un disciple. Dès 1886, il inaugure une carrière de virtuose avec une prédilection pour les oeuvres de Paganini. Il joue à Londres en 1895 et effectue, en 1899, sa première tournée aux États-Unis. À partir de 1905, il intègre à son répertoire les oeuvres de Bach et de Haendel, qui supplantent Paganini et Brahms. Cette évolution vers un classicisme plus dépouillé sera le trait marquant de son héritage. C’est sans doute lui qui, vers 1902, suggère à Sibelius de composer un concerto. Il publie son autobiographie en 1926. BURNEY (Charles), compositeur et musicographe anglais (Shrewsbury 1726 Chelsea College, Londres, 1814). Son père s’appelait James Macburney, et il apprit la danse, le violon, le français et l’orgue avec Edmund Baker à Chester. À dix-huit ans, il fut remarqué par Thomas Arne, qui l’emmena à Londres et le fit travailler jusqu’à l’épuisement de ses forces (1744-1746). Nommé organiste à King’s Lynn (Norfolk) en 1751, il revint définitivement à Londres en 1760 et y donna, en 1766, The Cunning Man, adaptation du Devin du village de J.-J. Rousseau. Pour pouvoir écrire son ouvrage capital, General History of Music en 4 volumes (1er vol. 1776, 2e vol. 1782, 3e et 4e vol. 1789), il voyagea en 1770 en France et en Italie, puis en 1772 dans les pays germaniques et aux PaysBas. Les événements consignés par lui furent publiés sous les titres The Present State of Music in France and Italy (1771) et The Present State of Music in Germany, the Netherlands and United Provinces (1773). Il n’appréciait vraiment, sauf exception, que la musique de son temps. Ami de Samuel Johnson, il joua un rôle non négligeable dans les milieux littéraires. On peut toujours le consulter avec profit non seulement comme voyageur, mais comme arbitre du goût, ce dont témoignent en particulier ses Verses on the Arrival in England of the Great Musician Haydn (1791). BUSCH, famille de musiciens allemands. Fritz, chef d’orchestre (Siegen, Westphalie, 1890 - Londres 1951). Après des études au conservatoire de Cologne, il occupa des postes à Riga, Gotha, Bad-Pyrmont et Aix-la-Chapelle, et fut, après la Première Guerre mondiale, maître de chapelle, puis directeur à l’opéra de Stuttgart (19181922). Il dirigea ensuite l’opéra de Dresde (1922-1933), où il assura la création d’Intermezzo (1924) et d’Hélène d’Égypte (1928) de Richard Strauss, de Doktor Faust de Busoni (1925), de Cardillac de Hindemith (1926). Il fut pour beaucoup, à cette époque, dans la renaissance de Verdi en Allemagne. Privé de ses postes par le régime nazi, il vécut en Argentine de 1933 à 1936, à Stockholm et à Copenhague de 1937 à 1941, puis de nouveau en Amérique. À partir de 1934, il dirigea au festival de Glyndebourne, et les enre- gistrements d’opéras de Mozart réalisés là sous sa direction sont mémorables. Sa carrière de chef se poursuivit brillamment après la Seconde Guerre mondiale et il avait accepté, peu avant sa mort brutale, la direction de l’opéra de Vienne. Ce fut un des chefs les plus marquants de la première moitié du XXe siècle. Adolf, violoniste et compositeur (Siegen 1891 - Guilford, Vermont, États-Unis, 1952), frère du précédent. Élève du conservatoire downloadModeText.vue.download 142 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 136 de Cologne (1902-1908), il se lia en 1907 avec Max Reger, dont il devint un des interprètes privilégiés. Nommé en 1912 premier violon solo de la Société des concerts de Vienne (Wiener Konzertverein), il fonda la même année le quatuor du Konzertverein, qui, en 1919, devint le quatuor Busch. La renommée de cette formation ne l’empêcha pas de mener une carrière de soliste : il donna avec le pianiste Rudolf Serkin, qui devint son gendre, de remarquables séances de sonates. Son jeu, à la sonorité et au vibrato très particuliers, mettait en valeur la plasticité et le contenu expressif des oeuvres, et il fut, à la tête d’un orchestre de chambre portant son nom, un célèbre interprète des Concerts brandebourgeois de Bach. Il vécut aux États-Unis à partir de 1940, et, en 1950, fonda avec son frère Hermann et Rudolf Serkin une école de musique à Marlboro. Hermann, violoncelliste (Siegen 1897 Bryn Mawr, Pennsylvanie, 1975), frère des précédents. Élève du conservatoire de Cologne et de l’Académie de musique de Vienne, il joua en trio avec son frère Adolf et Rudolf Serkin, et fut membre, de 1930 à 1952, du quatuor Busch. Il enseigna à Marlboro, et, jusqu’en 1964, à l’université de Miami en Floride. BUSENELLO (Giovanni Francesco), poète et librettiste italien (Venise 1598 Legnaro, près de Padoue, 1659). De milieu aisé, il écrivit quelques pièces en dialecte vénitien, mais il doit aujourd’hui sa célébrité aux excellents livrets qu’il composa pour Monteverdi (L’Incoronazione di Poppea, 1642) et pour Cavalli (Gli Amori d’Apollo e di Dafne, 1640 ; La Didone, 1641 ; La Statira Principessa di Persia 1655 ; La Prosperità infelice di Giulio Cesare, 1654). Il témoigna de sa prédilection pour des sujets historiques et fut d’ailleurs le premier à en écrire. Il entra en conflit avec les compositeurs, jugeant que ses textes étaient trop malmenés pour les besoins de la musique. Il les publia en 1656 tels qu’il les avait vraiment conçus. BUSH (Alan), compositeur, chef d’orchestre et pianiste anglais (Londres 1900 - Watford 1995). De 1918 à 1922, il étudia le piano, l’orgue et la composition à la Royal Academy of Music, où il enseigna dès 1925. De 1922 à 1927, il travailla la composition avec J. Ireland, puis le piano avec A. Schnabel. De 1929 à 1931, il étudia la philosophie et la musicologie à l’université de Berlin. Il a voyagé comme conférencier ou chef d’orchestre en Allemagne, en U.R.S.S., en Europe centrale et aux États-Unis. Communiste militant actif, il voit ses oeuvres jouées plus souvent dans les pays de l’Est qu’en Angleterre. Il a écrit 3 symphonies, des concertos dont un pour piano, baryton solo et choeur d’hommes et un autre pour violon, de la musique de chambre, des mélodies, des cantates (Voices of the Prophets ; The Winter Journey, 1946). Il a composé un opéra important, Wat Tyler (1950), inspiré de la révolte des paysans en Angleterre en 1381. Il faut également citer d’autres ouvrages théâtraux tels Men of Blackmoor (1955, représenté en 1956), The Sugar Reapers ou Guyana Johnny (19611964), The Man who never died (19651968). Sa musique se caractérise par un aspect néomodal et une vigueur certaine. BUSNOIS (Anthoine, ou A. DE BUSNES, dit), compositeur et poète français († 1492). Originaire de Busnes, bourgade des environs de Béthune, il vécut d’une manière presque constante dans le milieu bourguignon pour le divertissement duquel il composa des chansons dont une soixantaine sont parvenues jusqu’à nous. Indignus musicus de Charles le Téméraire, alors comte de Charolais, il est cité en 1468 parmi les chantres, et si grande était l’importance que Charles le Téméraire accordait à la musique sur le plan de la magnificence, comme de la valeur éthique, que Busnois accompagna le duc dans tous ses déplacements, entre 1471 et 1475. Passé au service de Marguerite d’York (1476), il servit sa fille Marie de Bourgogne, épouse de Maximilien (1477). Sans doute est-ce lui qui mourut à Bruges en 1492 avec le titre de rector cantoriae de Saint-Sauveur. Busnois est l’un des rares compositeurs de son époque à avoir cultivé la poésie, comme en témoigne sa correspondance avec Jean Molinet, et il s’y montre habile disciple des rhétoriqueurs. Mais la pratique littéraire l’a amené à faire des trouvailles musicales : utilisation d’une voix parfois plus proche du récit que du chant ; division des voix en deux groupes, voix aiguës et graves dans Terrible Dame, procédé qui sera fréquent, par exemple, chez Josquin Des Prés ; renversement de thème, par exemple, dans le motet In hydraulis et dans la teneur de la chanson J’ay pris amours tout au rebours ; alternance de strophes binaires et ternaires, notamment dans les bergerettes ; un premier exemple de marche harmonique dans Au pauvre par nécessité. Libérant le contraténor de la teneur, Busnois aime les imitations, sait ménager et varier les effets et se sent plus à l’aise dans l’écriture à 3 voix égales, généralement graves ; les musiciens français du début du XVIe siècle écriront ainsi par prédilection. Il est maître dans l’art du rondeau et surtout de la bergerette, où son côté brillant mais un peu superficiel fait merveille. Ses neuf motets attestent ce souci d’invention singulière (sur teneur soit grégorienne, soit inventée). Même si Molinet l’associe à Ockeghem et si Tinctoris leur dédie son Liber de natura et proprietate tonorum, Busnois supporte malaisément la comparaison avec Ockeghem car, malgré son métier et son ingéniosité, il n’en a pas l’envergure. Outre ces oeuvres, Busnois a composé 2 Magnificat à 3 voix, une hymne et 3 messes à 4 voix, dont l’Homme armé. BUSONI (Ferruccio Benvenuto), pianiste et compositeur italo-allemand (Empoli, près de Florence, 1866 - Berlin 1924). Fils d’un clarinettiste italien et d’une pianiste allemande, il fut formé à la musique et particulièrement au piano par ses parents, donna ses premiers concerts à huit ans et dirigea à douze ans un Stabat Mater de sa composition. En 1888, il commença, par une fugue d’orgue, son monumental travail de transcription pour piano des oeuvres de Bach. Dès 1890, sa réputation de pianiste était établie ; au clavier, son style était caractérisé par un sens des vastes architectures et de la décoration, plus que par une émotion romantique. Entre 1902 et 1909, il dirigea à Berlin douze concerts de musique contemporaine, qui comportèrent notamment la première audition en Allemagne du Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy. En 1911, il joua en six récitals la majeure partie des oeuvres de Liszt, qu’il considérait comme l’oméga du clavier, Bach étant l’alpha. Un peu plus tard, il fit connaître au public les concertos pour piano de Mozart, alors très négligés, qu’il ornait d’intéressantes et aventureuses cadences. Malgré une dévorante carrière de virtuose voyageur et de professeur (il enseigna à Helsinki, Moscou, Boston, Berlin), il parvint peu à peu à faire de son activité de compositeur le centre de sa vie. Dans la composition, Busoni mit longtemps à devenir le novateur qu’il demeure pour la postérité. Il écrivit d’abord des oeuvres, certes, très élaborées, mais où dominait une virtuosité étourdissante, comme son concerto pour piano avec choeur final op. 39 (1904), et ne trouva qu’avec la Berceuse élégiaque op. 42 pour orchestre (1909) sa résonance personnelle. Cependant, depuis Rameau, aucun compositeur, avant de s’engager dans ses oeuvres les plus importantes, n’a exposé la théorie de sa pratique avec autant de conviction et de lucidité ni aussi succinctement : car, dans l’espace d’une mince brochure, son Projet d’une nouvelle esthétique musicale (1907) est un traité complet d’anticonformisme en matière de musique. Busoni y conteste le recours aux seuls modes majeur et mineur, la forme sonate, etc., et il y propose à peu près toutes les innovations qui allaient se faire jour pendant la première moitié du XXe siècle : polytonalité, emploi de modes anciens et de modes de fantaisie obtenus downloadModeText.vue.download 143 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 137 en distribuant les bémols et les dièses de toutes les façons sur les sept notes de la gamme diatonique, micro-intervalles, et même l’électronique, Busoni ayant déniché en Amérique le « dynamophone du docteur Cahill », capable de produire des timbres inédits. Il prôna un « jeune classicisme », un style se réclamant « de toutes les expériences du passé et de toutes les expérimentations actuelles ». En accord avec ses idées, il façonna la Fantaisie indienne op. 44 (1913) et Romanza e scherzoso op. 54 (1921) pour piano et orchestre, ainsi que 6 sonatines pour piano (1910-1920), toutes différentes, toutes marquées par des audaces diverses, y compris des dissonances sans pitié, ou des consonances enchaînées de façon insolite. Dans le domaine des ouvrages pour le théâtre, Projet avait esquissé une esthétique bien peu conventionnelle, surtout à cette époque, visant à éviter les inconvénients de la convention antiréaliste du chant en surenchérissant sur cet antiréalisme pour faire des opéras à l’aide « de situations et conflits invraisemblables au-delà de toute crédibilité » et reflétant uniquement « l’artificiel, le pas naturel et le surnaturel ». C’est pourquoi, après Die Brautwahl («le Choix de la fiancée, 1911), conte fantastique d’après Hoffmann, Arlecchino op. 50 (1916) et Turandot (d’après Gozzi, 1917) ressortissent à la commedia dell’arte, Turandot se référant aussi aux Mille et Une Nuits et au théâtre de marionnettes, et Arlecchino, dont le protagoniste est un rôle parlé, se compliquant d’une parodie d’opéra ; ce « caprice théâtral » s’ouvre par une fanfare dodécaphonique, plusieurs années avant que Schönberg n’ait mis en place ce système d’écriture. Quant à Doktor Faust (1925), on peut, dans une certaine mesure, le comparer à la Flûte enchantée de Mozart, en tant que spectacle pittoresque teinté de philosophie et de métaphysique. De 1910 à sa mort, Busoni fut le seul compositeur moderniste dont les recherches ne furent redevables ni à Debussy ni à Wagner. La ligne que ses affinités lui firent suivre part du dernier Beethoven, passe par Berlioz et s’italianise avec Liszt. À cette tradition, qu’il ne partage avec aucun autre, s’ajoute tout ce que son esprit inlassablement curieux lui proposait de fantaisie et de recherche. Il est significatif que parmi ses élèves, on compte des figures aussi dissemblables que Kurt Weill et Edgar Varèse, ainsi que de remarquables musiciens marginaux comme Arthur Lourié et comme Philippe Jarnach, qui orchestra et compléta les dernières pages de Doktor Faust (commencé en 1916). L’oeuvre de Busoni comprend essentiellement les quatre opéras déjà cités, dont il écrivit lui-même les livrets, une douzaine de pièces pour orchestre, quelques partitions pour piano et orchestre, un concerto pour violon op. 35 (1897), un concerto pour clarinette (1919), un divertimento op. 52 (1920) pour flûte et orchestre, quelques cantates et oeuvres chorales, de nombreuses pièces pour piano, dont 4 versions d’une Fantasia contrappuntistica (1912) d’après la fugue inachevée de l’Art de la fugue de Bach, de la musique de chambre (2 quatuors à cordes, oeuvres pour violoncelle et piano, etc.), des mélodies. On doit y ajouter 7 volumes de transcriptions d’oeuvres de Bach, des transcriptions d’oeuvres de Beethoven, Brahms, Liszt, etc., et des cadences pour des concertos de Beethoven et de Brahms. BUSSER (Henri), organiste, chef d’orchestre et compositeur français (Toulouse 1872 - Paris 1973). Il commença ses études musicales à la maîtrise de Toulouse, dont son père était l’organiste ; il les poursuivit à Paris à l’école Niedermeyer et les acheva au Conservatoire en obtenant en 1893 le premier grand prix de Rome. Il y avait été l’élève de Franck, Widor, Guiraud et Gounod, et succéda à ce dernier aux grandes orgues de Saint-Cloud. Sa première oeuvre lyrique, Daphnis et Chloé, fut créée à l’Opéra-Comique en 1897. Il aborda alors une carrière de chef d’orchestre, qui fut des plus brillantes, et s’exerça essentiellement à l’Opéra-Comique, où il débuta en 1902, et à l’Opéra (1905-1938). Professeur d’ensemble vocal au Conservatoire, à partir de 1904, professeur de composition dans ce même établissement de 1930 à 1948, il fut élu à l’Institut, en 1938, au fauteuil qu’avaient occupé Gounod et Pierné, puis fut directeur de l’Opéra-Comique (1939-40) et de l’Opéra (1946-1951). Tout au long de sa carrière, et jusqu’à un âge avancé, Henri Busser s’adonna à la composition. Dans un style académique inspiré par les leçons de ses maîtres, il écrivit mélodies, oeuvres pour choeur, pièces pour orgue ou pour piano, poèmes symphoniques, suites d’orchestre, ballets. Mais ce sont surtout ses oeuvres lyriques, d’une belle facture, qui lui valurent une certaine renommée : les Noces corinthiennes (d’après Anatole France, 1922) ; Colomba (d’après Mérimée, 1921), le Carrosse du saint sacrement (d’après Mérimée, 1948) et la Vénus d’Ille (d’après Mérimée, 1964). D’autre part, il révisa certaines partitions pour les théâtres lyriques nationaux : Mireille de Gounod (2 rév., 1901, 1939), les Indes galantes de Rameau (1952), Obéron de Weber (1954). Il révisa aussi Ivan IV de Bizet, pour la création de cet ouvrage à Bordeaux en 1951. BUSSOTTI (Sylvano), compositeur italien (Florence 1931). Il commence à étudier le violon à l’âge de cinq ans, abandonne l’école très tôt, grandit dans un milieu de théâtre. Élève au conservatoire Cherubini de Florence, il travaille le piano avec Luigi Dallapiccola. Une bourse lui permet de poursuivre l’étude du violon, mais les événements de la fin de la guerre l’empêchent d’en bénéficier jusqu’à l’examen final. À partir de 1949, Bussotti travaille en autodidacte, copiant des partitions dans les bibliothèques, découvrant Stravinski, Hindemith, et composant déjà avec prodigalité. À Aix-en-Provence, à Avignon, durant des rencontres de jeunes, le Marteau sans maître de Boulez l’impressionne. Il travaille auprès de Max Deutsch à Paris, en 1957, et rencontre Cage à Darmstadt, en 1958. Ses oeuvres commencent à être jouées. À Paris, au Domaine musical, Boulez dirige des fragments de Torso, lecture d’un texte de Brabanti, pour récitant, mezzo-soprano et orchestre, oeuvre volontairement non achevée, qui remporte un prix de la Société internationale de musique contemporaine. Invité, en 1964, par la fondation Rockefeller, Bussotti se rend aux États-Unis. En 1965 est créée au festival de Palerme la Passion selon Sade, « mystère de chambre avec tableaux vivants », oeuvre provocante, d’un lyrisme déchiré. Bussotti, avide d’expériences, dessine les costumes, conçoit la mise en scène, dirige, joue le rôle du récitant. Il professe une « éthique de la disponibilité » relevant selon lui d’une tradition humaniste propre à Florence, sa ville natale. 1967 est l’année de Marbre pour cordes, et de 5 fragments à l’Italie, pour sextuor vocal en choeur, sorte de madrigaux modernes renouant avec Gesualdo et Monteverdi. En 1969 suit The Rara Requiem pour 4 voix principales, sextuor vocal de solistes, choeur mixte, guitare et violoncelle solistes, piano, harpe, orchestre d’instruments à vent et percussions. C’est en quelque sorte un requiem d’amour. « Une personne vivante et jeune demande à un ami musicien de lui composer un requiem pour l’écouter de son vivant. » Cette personne est Romano Amidei, compagnon de Bussotti, en qui s’incarne Rara, personnage allégorique, présent dans plusieurs oeuvres du compositeur. The Rara Requiem comporte un montage de textes de vingt-quatre auteurs, d’Homère à Rilke, Mallarmé et Adorno. Mais cette oeuvre, apparemment chargée de culture, offre une démarche à reculons qui a permis de parler à son sujet de « mémoires du futur ». Dans The Rara Requiem, comme dans Pièces de chair (1958-1960), Torso ou Memoria pour baryton solo, 27 voix et orchestre, la musique est indissolubledownloadModeText.vue.download 144 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 138 ment liée à la course du sang, à la respiration retenue ou épanouie. Ces oeuvres évoquent la contemplation de soi, les paysages du dedans ; elles contiennent des jeux au deuxième degré, des pièges. De 1972 à 1973 date une des plus grandes réussites de Bussotti, le ballet (symphonie chorégraphique) Bergkristall. L’opéra Lorenzaccio, « mélodrame romantique dansé », créé à Florence en 1972, est imprégné d’un étrange lyrisme où se perçoit une odeur de mort ; mais on y retrouve cette écriture vocale d’une beauté parfaite, caractéristique de Bussotti, et évidente aussi dans Notte tempo (1975-76), drame lyrique commandé par la Scala de Milan. La voix fait chatoyer toutes ses possibilités. Mélismes, écarts, soupirs, rires, sanglots, gémissements, râles, agonies semblent toujours remonter du fond de la mémoire. La voix est comme dénaturée, au centre d’épisodes instrumentaux qui dessinent autour d’elle une mise en scène et un paysage, de la même manière que chez Monteverdi. Dans les oeuvres les plus récentes de Bussotti, comme la symphonie chorégraphique Il Catalogo è questo (Opus Cygne) pour flûte principale et orchestre (création à la biennale de Venise, 1980), l’opéra le Racine, pianobar pour Phèdre (Milan, 1980), ou le mélodrame L’ispirazione (1988), un climat passionné, quasi exaspéré, alterne avec une contemplation silencieuse. Le compositeur continue à se nourrir de lectures (Proust, Brabanti, Artaud, Musset). Il admire Pasolini, s’adonne au dessin et à la peinture (il expose à Paris en 1966 ; on doit signaler que la beauté graphique de ses partitions est remarquable), met en scène des oeuvres de Puccini, Stravinski, etc. Il a été de 1975 à 1979 directeur artistique du théâtre de la Fenice à Venise. BUTI (abbé Francesco), poète et librettiste italien (Narni ? - id. 1682). Docteur en droit, protonotaire apostolique, l’abbé Buti fut un diplomate avisé et un fin lettré qui joua un rôle important dans l’introduction de l’opéra italien en France au milieu du XVIIe siècle. Avec le cardinal A. Barberini, il arriva, en 1645, à Paris, où Mazarin le chargea de veiller sur les artistes ultramontains vivant dans la capitale. Il se distingua aussi comme librettiste des opéras à machines donnés à la cour : L’Orfeo (1647), Le Nozze di Petro e di Teti (1654) et Errole Amante (1662), écrits respectivement en collaboration avec les compositeurs L. Rossi, C. Caproli et F. Cavalli. BUTTING (Max), compositeur allemand (Berlin 1888 - id. 1976). Il étudia à Munich à partir de 1908, et, à ses débuts, se réclama surtout de Bach et de Reger. En 1922, il rencontra Schönberg à Vienne et participa pour la première fois au festival de Donaueschingen. Après 1945, il devint l’un des compositeurs les plus en vue de la R.D.A. (membre fondateur de l’Académie des arts à Berlin en 1950). On lui doit notamment dix symphonies (les cinq premières entre 1922 et 1944 et les cinq dernières entre 1945 et 1963) et dix quatuors à cordes (entre 1918 et 1971). BUUS (Jacob), compositeur flamand (Gand ? v. 1500 - Vienne 1564 ?). Il fut peut-être un disciple de Willaert, et on le trouve comme organiste à SaintMarc de Venise entre 1541 et 1556, puis au service de l’empereur Ferdinand comme organiste à la chapelle de la cour de Vienne. Son style s’apparente à celui de Cl. von Papa, et ses oeuvres présentent un vif intérêt historique. Il a composé 13 livres de Ricercari qu’on peut interpréter à l’orgue, à d’autres instruments ou à la voix, 43 Canzoni francesi (Venise, 1543, 1550) à 5 et à 6 voix d’inspiration généreuse, une trentaine de motets, ainsi que des pièces instrumentales dans le style du motet. BUXTEHUDE (Dietrich, originellement Diderik), compositeur et organiste allemand d’origine danoise (Hälsinborg ? v. 1637 - Lübeck 1707). De souche allemande, il passa les trente premières années de sa vie au Danemark (période dans laquelle ne s’inscrivent en toute certitude que trois oeuvres, peutêtre cinq) et les quarante dernières, les plus glorieuses, en Allemagne. Sans doute formé par son père, lui-même organiste (présent à Hälsinborg au plus tard en 1641 et mort à Lübeck en 1674), et probablement ensuite par Scheidemann à Hambourg (1654-1657), il occupa au cours de sa carrière trois postes d’organiste : à Hälsinborg (ville actuellement suédoise mais alors danoise) en 1657-58, à la paroisse allemande de Sainte-Marie d’Elseneur (Danemark) en 1660, puis à Sainte-Marie de Lübeck à partir de 1668. Il y succéda à Franz Tunder, dont, selon la tradition, il épousa la fille. C’est à Lübeck, ou il fut à la fois administrateur de l’église, responsable de la musique et organiste, que son activité se déploya : comme organiste de renommée européenne, il reçut la visite de Haendel et de Mattheson en 1703, puis celle de Bach, qui en 1705 vint à pied depuis Arnstadt et reçut du maître nordique l’un des plus grands chocs artistiques de sa vie (mais aucun de ces trois musiciens ne se résolut à épouser la fille de Buxtehude pour obtenir sa succession à un poste pourtant fort convoité) ; comme compositeur, il écrivit des pages religieuses et surtout des pièces d’orgue sans égales en leur temps. À Sainte-Marie de Lübeck, l’usage s’était développé pour l’organiste de donner chaque jeudi en dehors de tout office une sorte de récital public. Ayant décidé de conférer à ces manifestations une forme nouvelle, Buxtehude les transporta au temps de l’avent. À partir de 1673, pendant les cinq dimanches précédant Noël, eurent lieu après le prêche de l’après-midi les fameuses Abendmusiken (Musiques du soir) que Buxtehude devait décrire fièrement comme « ne se faisant nulle part ailleurs ». Il s’agissait chaque fois d’un ensemble cohérent pouvant s’étaler sur plusieurs dimanches et fait de musique sacrée (vocale et instrumentale) ainsi que de morceaux d’orgue. Or il ne reste malheureusement de ces Abendmusiken que trois livrets - Die Hochzeit des Lamms (1678), Castrum doloris (1705), Templum doloris (1705) - dont la musique est perdue. On sait toutefois qu’en 1705 furent utilisés comme exécutants deux choeurs de trompettes et timbales, deux de cors de chasse et de hautbois, plus de vingt violons, quatre choeurs dans les tribunes et un autre dans la nef, et évidemment les quatre orgues. D’autre part, il est vraisemblable que l’oratorio retrouvé en 1927-28 par W. Maxton et publié par lui en 1939 avec comme titre Das Jüngste Gericht (« le Jugement dernier ») ait été une Abendmusik de Buxtehude. Nous possédons en compensation plus de 120 compositions vocales sacrées de Buxtehude, dont certaines ont certainement retenti lors des Abendmusiken. Ces oeuvres, qui vont du genre du concert spirituel et de ceux du choral et de l’aria (l’influence du piétisme naissant sur Buxtehude est ici particulièrement nette) à celui de la cantate en plusieurs parties, influencèrent directement J. S. Bach, surtout dans sa période de Weimar (1707-1718). C’est néanmoins dans sa production pour orgue, la plus considérable (environ 90 pièces) et la plus belle avant celle de Bach, que Buxtehude fut le plus grand, c’est d’abord grâce à elle qu’il put fêter, après deux siècles d’oubli, une éclatante résurrection. On y trouve des toccatas, des préludes et fugues, des passacailles, des chorals ornés, des chorals variés. Destinées au grand instrument de la Marienkirche (Sainte-Marie), ces pièces possèdent une puissance de caractère, une densité et une ampleur constamment vivifiées par l’originalité de la pensée et soulevées par la véhémence du ton. C’est cette prodigieuse liberté d’expression d’une nature ardente qui devait tant impressionner le jeune Bach : la célèbre Toccata et fugue en ré mineur ou la Passacaille en ut mineur, sans doute écrites par ce dernier peu après sa visite à Lübeck, en sont les preuves évidentes, de même que les cantates de jeunesse BWV 106 (Actus tragicus) ou BWV 4 (Christ downloadModeText.vue.download 145 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 139 lag in Todesbanden) révèlent l’empreinte de Buxtehude. À noter cependant que les préludes et fugues (au nombre d’environ 25) de Buxtehude ne sont pas des diptyques comme ceux de Bach, mais, selon la tradition d’Allemagne du Nord, des praeludia, polyptyques d’un seul tenant faisant alterner des épisodes fugués et d’autres de caractère improvisé et virtuose en stylus phantasticus. Sur le plan instrumental, Buxtehude écrivit encore des pièces pour clavecin (25 connues, retrouvées en 1942 seulement, à savoir 19 suites et 6 séries de variations), et 21 sonates en trio dont 7 publiées probablement en 1694 (op. 1), 7 en 1696 (op. 2) et 7 restées manuscrites. Il fut en ce dernier domaine, avec son compatriote Johann Rosenmüller, un pionnier en Allemagne. Les sonates en trio de Buxtehude ont d’ailleurs la particularité d’exiger une viole de gambe, et donc d’opposer expressément cet instrument « ancien » à l’instrument « moderne » qu’était alors le violon. Buxtehude fut en son temps le premier compositeur germanique, et l’un des quatre ou cinq premiers à l’échelle européenne. Il faut connaître cette forte personnalité non seulement pour elle-même, mais pour l’influence déterminante qu’elle exerça sur le Bach de l’orgue et des cantates. BUZUQ. Luth à manche long. Instrument de musique traditionnelle. Dérivé du tanbûr médiéval, le buzuq ou tanbura-buzuq se retrouve de nos jours au Proche-Orient arabe, plus précisément chez les Tsiganes-Nawwār de Syrie et du Liban, sans que l’on puisse affirmer si son nom vient de bizik (turc) ou de buzurg (persan). Sa renaissance récente marque la réhabilitation du luth à manche long dans la musique traditionnelle arabe, dont le classicisme reposait exclusivement depuis treize siècles sur le ‘ūd, luth à manche court accordé par quartes. On décrira ici un buzuq, luth tsigane de Homs (Syrie) à 4 cordes. La caisse, piriforme, faite de fuseaux de bois, longue de 33 cm, large de 28 cm, et profonde de 17 cm, est fermée par une table plate de sapin présentant une ouïe ouvragée. Le manche, long de 51 cm, est muni de 27 frettes pour une octave et une quinte. La présence de 17 frettes pour l’octave grave, comme sur le tunbūr du Khorassan, explique le contresens des observateurs du XIXe siècle qui ont voulu diviser l’octave arabe en dix-sept tiers de ton égaux. En réalité, ces frettes sont ajustables au mode, maqām joué en dehors de toute notion de tempérament, mais en fonction de l’école à laquelle se rattache le musicien pour les systèmes d’intervalles (commatiques ou à quarts de ton) et pour les hauteurs des finales de mode (rāst en do, ré, fa, sol). Il est très facile de transposer les maqām-s sur le buzuq, dont le système n’est pas modulé à la quarte de façon rigoureuse comme celui du ‘ūd. Quatre cordes métalliques, dont la première est filée, tendues du bouton métallique au chevillier - soit sur un diapason de 77 cm lorsqu’elles vibrent à vide - reposent sur un chevalet et sont accordées en fonction de l’octave et de la quarte, par analogie avec le ‘ūd, soit le plus souvent sol1/sol2/do3-do3. Cette accordature peut être globalement abaissée ou élevée, en ré-sol ou en mi-la par exemple. Il existe d’autres types de buzuq. Certains buzuq-s n’ont que 23 frettes. D’autres sont pourvus de six cordes. On peut en voir de plus petite ou de plus grande taille, en particulier les buzuq-s fabriqués à Damas et à Beyrouth dont la longueur dépasse le mètre. Enfin, les buzuq-s des musiciens tsiganes-nawwâr sont ornés de nombreuses incrustations sur le manche, la table et la caisse. Les cordes du buzuq sont pincées par l’intermédiaire d’un plectre. BYLSMA (Anner), violoncelliste néerlandais (La Haye 1934). Issu d’une famille de musiciens, il commence l’étude du violon à l’âge de trois ans avec son père, pour choisir finalement le violoncelle à huit ans. En 1957, il obtient le Prix d’excellence au Conservatoire royal de La Haye et en 1959 le 1er Prix du Concours Pablo Casals. Parallèlement à ses activités de virtuose, il est violoncelle solo à l’orchestre de l’Opéra d’Amsterdam, au Nederlands Ballet Orkest, au Nederlands Kamer Orkest et, de 1962 à 1968, à l’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam. En 1970, il est nommé professeur au Conservatoire d’Amsterdam et au Conservatoire royal de La Haye. Longtemps étiqueté comme un spécialiste du baroque (il a en effet fréquemment joué avec Gustav Leonhardt, Frans Brüggen et les frères Kuijken), il s’intéresse en réalité tout autant au répertoire romantique et contemporain et joue sur trois violoncelles différents selon les oeuvres qu’il interprète. BYRD (William), compositeur anglais (Lincolnshire ? 1543 - Stondon, Essex, 1623). Il fut très probablement l’élève de Th. Tallis, mais on ne connaît pratiquement rien de ses débuts. Nommé en 1563 organiste de la cathédrale de Lincoln, il garda ce poste jusqu’en 1572. Il se maria en 1568 avec Juliana Birley et, en secondes noces, avec une femme prénommée Ellen. Cinq enfants naquirent de ces mariages. Byrd succéda à R. Parsons comme gentilhomme de la chapelle royale (1570) dont Tallis occupait le poste d’organiste. Ce dernier partagea cette situation avec son jeune confrère à partir de 1572, et les deux musiciens commencèrent une collaboration fructueuse. En 1575, ils obtinrent de la reine Élisabeth le privilège pour toute la musique imprimée en Angleterre pendant vingt et un ans. Pour célébrer cet événement, ils dédièrent à la reine un recueil de Cantiones sacrae (1575). Mais cette affaire d’imprimerie ne semble pas avoir été très lucrative ; dès 1577, les deux partenaires durent solliciter une aide financière. La reine l’accorda, mais sous forme de certaines terres et d’une rente. Après la mort de Tallis (1585), Byrd céda ce monopole, devenu son entière propriété, à Th. East, lequel publia les Psalms, Sonnets and Songs de W. Byrd (1588). Élevé dans la foi catholique, Byrd réussit à garder sa religion et son poste à la cour malgré les difficultés que lui im- posa la nouvelle liturgie anglicane. Son talent, son intelligence et l’octroi d’un compromis le préservèrent de la persécution. Ainsi composa-t-il et publia-til des oeuvres pour le rite romain (trois messes à 3, 4 et 5 voix ; environ 260 motets). Mais il écrivit aussi pour l’église anglicane 5 services, des anthems et des psaumes en anglais, une soixantaine d’oeuvres en tout. De fait, sa production est considérable : par la quantité comme par la qualité et la diversité. Et William Byrd est probablement, avec Henry Purcell, le plus grand compositeur anglais et l’un des meilleurs polyphonistes de tout le XVIe siècle. On peut le comparer à Victoria, à Lassus ou à Palestrina, et, si son domaine d’élection reste indiscutablement la musique religieuse - où seul Tallis en Angleterre peut être considéré au même titre -, son génie est présent dans toutes les formes musicales, à l’exception du répertoire de luth. Il a illustré le madrigal (120) avec parfois un accompagnement de violes, écrit des « rounds » (6) et des canons (32), des fantaisies (14) et des In nomine (7) pour violes, ainsi que 125 pièces pour le clavier. Quelques-unes de ces pièces (8) se trouvent dans le premier recueil de musique de clavier imprimé en Angleterre (Parthenia, 1611) ; d’autres figurent dans le Fitzwilliam Virginal Book ou dans My Ladye Nevell’s Booke. La musique de Byrd révèle une parfaite maîtrise technique, un don certain de mélodiste, d’ailleurs caractéristique de la musique anglaise en général, et un sens aigu de l’imagerie, qui lui permet de tirer profit des mots expressifs contenus dans un texte. Il a composé des airs, souvent de dévotion, pour une voix seule avec un accompagnement polyphonique (violes ou voix) dont il est le maître absolu. Byrd est l’un des fondateurs de l’école anglaise du madrigal. Bien qu’il fasse preuve d’une certaine réserve et d’un goût pour le style traditionnel, plus sévère, il sait aussi acdownloadModeText.vue.download 146 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 140 cueillir les techniques du madrigal italien. Parmi ses réussites, citons This sweet and merry month of May à 6 voix ou « some strange chromatic notes » de Come woeful Orpheus à 5 voix. Les trois messes de Byrd font appel à la vieille technique du « motif de tête », mais elles se distinguent par l’absence de teneur, ce qui laisse plus de liberté à chaque voix (« entrées en strette »). Dans sa musique de clavier, il se montre l’égal de ses collègues, sans les dépasser. Comme son cadet J. Bull, il a écrit des Walsingham Variations, des danses et des adaptations pour clavier de mélodies liturgiques. Tenu en haute estime par ses contemporains, Byrd, le « Father of Musick », mourut, selon son propre testament, « now in the eightieth year of myne age », à Stondon après avoir formé quelquesuns des musiciens les plus illustres de la génération suivante (Th. Morley, J. Bull et O. Gibbons). BYZANTIN (chant). Musique traditionnelle de l’Église orthodoxe grecque, et, par extension, musiques des Églises orthodoxes chrétiennes de l’Europe de l’Est et du Sud-Est, qui se sont développées sur la base du chant byzantin avant d’acquérir progressivement leur aspect national définitif. Le chant byzantin possède une origine composite dans laquelle se retrouvent les chants hébraïques des synagogues, les survivances de la musique grecque ainsi que d’autres éléments orientaux (syriens et arméniens). Le développement musical et social du chant byzantin est évidemment lié à celui de la liturgie orthodoxe, dont les deux formes principales furent établies dès la fin du IVe siècle par saint Basile le Grand et saint Jean Chrysostome - ce dernier fut évêque de Constantinople en 390. Les chants, toujours monodiques, étaient exécutés selon le principe antiphonaire, faisant alterner deux choeurs, le protopsaltis et le lampadarios. L’exécution était toujours a cappella, interdisant l’usage des instruments de musique. De nos jours, les églises orthodoxes continuent à observer cette règle. Toutefois, à Constantinople, les cérémonies à la cour de l’empereur, plus fastueuses que celles des églises, utilisaient l’orgue. En 757, l’empereur Constantin Copronyme en offrit un à Pépin le Bref. À l’exception d’un fragment d’hymne datant du IIIe siècle, les premiers manuscrits musicaux n’apparurent qu’au Xe siècle. L’écriture neumatique d’origine connut une évolution en plusieurs étapes, en passant par une notation dite « moyenne » (XIIe-XVe s.) et celle plus précise, nuancée et complexe de Ioannis Koukouzeles (XVe s.). Il faut savoir cependant que les manuscrits sont loin de transmettre la totalité des chants : nombre d’entre eux, réduits à de simples psalmodies, étaient exécutés de mémoire et transmis oralement. Parmi les premiers compositeurs byzantins, qui étaient aussi d’importantes personnalités religieuses, souvent canonisées par la suite, on connaît : saint Éphrem (306-373) ; Romanos le Mélode (VIe s.), à qui l’on doit de nombreux kontakion (poèmes religieux composés de nombreuses strophes toutes chantées sur une même mélodie) ; André de Crète (660-740), auteur du grand Kanon, forme venue remplacer le kontakion et composée de neuf odes appelées hiermos ; saint Sophrone de Jérusalem ; saint Germain de Constantinople ; et surtout saint Jean Damascène (678-749). On s’accorde à distinguer trois types de chant, selon leur degré d’ornementation : 1. hirmologique, chant simple des canons et des hiermos ; 2. stichérarique, plus orné, pour les stichères (courts textes intercalés entre les versets) et les tropaires (textes poétiques pour les fêtes religieuses) ; 3. mélismatique, très orné, exécuté par un soliste (psaltika) ou par le choeur (asmatika). À partir du XIVe siècle se développa un style d’une exubérance ornementale et d’une virtuosité excessive, souvent au mépris de l’intelligibilité du texte. Mais le principe le plus important, qui régit toute l’ordonnance musicale de la liturgie byzantine, est celui de l’octoechos (les huit voix) qu’on attribue à saint Jean Damascène, lequel n’a peut-être fait que codifier et développer un système déjà existant. Chaque semaine on exécutait des chants groupés en fonction de leur parenté mélodique, les faisant correspondre à l’un des huit modes grecs (quatre modes « authentes » et quatre modes « plagaux »). Ces appartenances n’ont d’ailleurs été déterminées du point de vue théorique que bien plus tard, aux XIIe et XIVe siècles, et restent dans une certaine mesure sujettes à cau- tion. Néanmoins, le cycle musical de huit semaines ainsi constitué reste un usage immuable des offices orthodoxes. L’influence musicale du chant byzantin s’est certainement exercée sur le chant gallican et le chant grégorien (le pape Grégoire le Grand avait été nonce à Constantinople), de même qu’elle a servi de base aux Églises orthodoxes slaves (serbe, bulgare, russe) avant de s’y mélanger avec des éléments mélodiques locaux. downloadModeText.vue.download 147 sur 1085 C C. 1. La lettre C désigne la note ut ou do dans les pays de langue anglaise et allemande. Ce système de lettres remonte au moins au IXe siècle et, d’autre part, figure sur la célèbre main de Guy d’Arezzo qui, au XIe siècle, inventa les syllabes ut-ré-mi, etc. Voici, dans trois langues, l’appellation des différentes altérations de cette note : français anglais allemand ut dièse C sharp Cis ut double dièse C double sharp Cisis ut bémol C flat Ces ut double bémol C double flat Ceses 2. Dans la notation proportionnelle, C, étant la moitié d’un cercle, indiquait le tempus imperfectus, c’est-à-dire une mesure nonuternaire, voire imparfaite. Aujourd’hui encore, cette notion persiste puisque C est le signe qui signifie une mesure à 4/4. signifie alla breve, une mesure qui se bat deux fois plus vite (2/2). 3. Autrefois, les deux principales clefs étaient celles de fa et d’ut (ou C), soprano, alto, ténor indiquant la position de cette note sur la portée : 4. C. est également employé comme abréviation dans la musique polyphonique pour cantus. D’autre part, B. C. signifie basse continue et D. C. da capo. CABALETTA. Air d’opéra bref, généralement simple et avec des sections à reprises. On en trouve un grand nombre dans les opéras de Rossini, où ils étaient destinés à recevoir l’ornementation improvisée des chanteurs à chaque reprise. Toujours au XIXe siècle, la cabaletta désigne la dernière partie d’un air particulièrement développé ; le genre appartient ainsi à la fin de l’époque du bel canto, et a été illustré en particulier par Bellini et Verdi (le Trouvère). CABALLÉ (Montserrat), soprano espagnole (Barcelone 1933). Elle fit ses études de chant au conservatoire de Barcelone et à Milan, et débuta en 1956 à l’opéra de Bâle dans le rôle de Mimi de la Bohème de Puccini. Au début de sa carrière, elle chanta des rôles très divers des répertoires italien, français et allemand. Après le triomphe qu’elle remporta en 1965 au Carnegie Hall de New York dans Lucrèce Borgia de Donizetti, elle s’est spécialisée dans le répertoire romantique italien de Rossini, Bellini, Donizetti, où elle a poursuivi l’oeuvre de réhabilitation de partitions longtemps négligées, entreprise par Maria Callas ; mais elle s’est distinguée de cette dernière en cherchant à rendre justice à ces partitions surtout à travers la perfection, l’extrême raffinement de l’exécution vocale, refusant de sacrifier une part de cette perfection à des impératifs théâtraux. Cependant, son timbre naturel, incisif, sait être très dramatique. Sa technique est l’une des plus accomplies de l’histoire du chant. CABANEL (Paul), basse française (Oran 1891 - Paris 1958). Après s’être orienté vers le droit, il étudie au Conservatoire de Toulouse de 1911 à 1913. Gravement blessé en 1916 à Verdun, il ne recommence ses études qu’en 1919. En 1922, il est engagé au Théâtre royal du Caire, où il chante les opéras de Bizet, Gounod et Massenet. Rentré en France, il demeure longtemps au sein des théâtres lyriques de Bordeaux et Vichy. Il lui faut attendre 1932 pour débuter à l’Opéra-Comique, et 1933 pour entrer à l’Opéra de Paris. En 1934, il y incarne Don Juan sous la baguette de Bruno Walter, puis Boris Godounov. En 1942, il est nommé professeur de déclamation lyrique au Conservatoire de Paris. En 1947, il cesse de se produire sur scène. Bien qu’il n’ait rencontré qu’une reconnaissance assez tardive, il a profondément marqué les rôles de Scarpia dans Tosca, de Méphisto dans la Damnation de Faust de Berlioz, et les trois rôles de basse dans les Contes d’Hoffmann. CABANILLES (Juan Bautista), compositeur et organiste espagnol (Algemesí 1644 - Valence 1712). Il fut le disciple de Vargas et de la Torre, à qui il succéda comme organiste à la cathédrale de Valence (1665), avant d’être ordonné prêtre en 1668. À la faveur de voyages en Italie et en France où il donna de nombreux concerts, il s’initia au répertoire des organistes italiens et français et sans doute subit-il l’influence de ses collègues, notamment dans l’art de la variation. Il combina ces éléments avec la tradition espagnole des vihuelistes et organistes. Cabanilles peut être considéré comme le plus grand organiste espagnol du XVIIe siècle, qui a porté au plus haut degré le style de Cabezón tout en s’engageant résolument dans la voie de l’orgue baroque. CABEZÓN (Antonio de), organiste et compositeur espagnol (Castrojeriz, près de Burgos, 1500 - Madrid 1566). Frappé de cécité dès son enfance, il étudia avec Garcia de Breza, organiste de la cathédrale de Palencia, et, en 1526, fut nommé organiste et claveciniste de la chadownloadModeText.vue.download 148 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 142 pelle royale de Castille, avant de devenir musicien de la chambre de Charles Quint. Il entra ensuite au service de Philippe II et l’accompagna dans ses voyages (Italie, Allemagne, Angleterre, Pays-Bas), ce qui lui permit de rencontrer les principaux musiciens des écoles étrangères. Dès lors se firent jour des influences réciproques, celle notamment de Josquin Des Prés sur son style polyphonique, la sienne sur l’école napolitaine et dans le domaine de la variation auquel il donna une ampleur considérable. Ce n’est que douze ans après sa mort (1578) que son oeuvre fut publiée, par les soins de son fils Hernando, luimême organiste et compositeur. Cette oeuvre, presque entièrement destinée au clavier, atteste l’importance de sa contribution à l’avènement d’une technique spécifiquement instrumentale, capable de rivaliser avec les plus belles polyphonies vocales. Mais elle pouvait également être exécutée sur vihuela ou harpe. La musique y reflète un mysticisme concentré qui commande un style grave, dépouillé et visant à la plénitude de l’harmonie. Cabezón a cultivé en maître les deux formes propres de la musique pour clavier en Espagne : le tiento et la variation. CABEZÓN (Hernando), organiste et compositeur espagnol (1541 - Madrid 1602). Fils d’Antonio de Cabezón, Hernando succéda à son père comme organiste et compositeur de la chapelle royale. Il publia une partie des oeuvres de son père en tablature dans le recueil intitulé Obras de música... (1578), dans lequel on trouve également quelques pièces de lui ainsi qu’un Glosado de son frère cadet Juan. CACCIA (ital. : « chasse »). Forme vocale prisée par les compositeurs de l’Ars nova florentin (Gherardello, Landini) au XIVe siècle et par ses disciples (J. da Bologna, N. da Perugia). Deux parties vocales, généralement assez ornées, se déroulent en canon audessus d’une teneur instrumentale. La forme s’est répandue à Florence en même temps que le madrigal (il n’y a pas de rapport avec le madrigal du XVIe siècle). Le texte poétique de la caccia évoque le plus souvent des scènes de chasse en les parsemant de cris (Feu ! feu ! ; Au secours !, etc.) et d’effets descriptifs. Par exemple, le Codex Squarcialupi (XVe s.), manuscrit d’une beauté impressionnante, contient entre autres des caccie (Gherardello, Tosto che l’alba). Le mot caccia est également employé pour préciser le caractère de certains instruments de l’époque baroque (hautbois da caccia, cor da caccia) auxquels Bach, pour ne citer que lui, a fait appel dans ses cantates. CACCINI, famille de musiciens italiens. Giulio, dit Giulio Romano, compositeur, luthiste et chanteur (Rome v. 1550 - Florence 1618). Il apprit le chant à Rome avec Scipione del Palla et entra au service des Médicis à Florence, peut-être dès 1565. Il fut, avec son collègue J. Peri, l’un des membres fondateurs de la célèbre Camerata fiorentina, groupe de poètes et musiciens se réunissant chez le comte Giovanni de’Bardi, surtout pendant les années 1570. De leurs discussions et de leurs expériences naquit peut-être l’opéra, mais d’abord une nouvelle utilisation dramatique de la musique, qui mettait en valeur le texte selon la conception qu’avait l’homme du XVIe siècle de la tragédie grecque. Il en sortit ce que l’on appela le stile rappresentativo, en réaction contre la polyphonie vocale qui, malgré des tendances homorythmiques, ne facilitait pas la compréhension des paroles chantées. On attribue généralement à Caccini ou à Peri l’invention du style récitatif, où la musique conserve le rythme naturel du langage parlé, avec un accompagnement instrumental destiné à fournir un simple soutien harmonique aux « passions » exprimées (Ho sempre procurata l’imitazione dei concetti delle parole, Caccini, Nuove Musiche). En 1600, Caccini composa le Rapimento di Cefalo à l’occasion du mariage de Marie de Médicis avec Henri IV. Seul un choeur final subsiste, publié dans le plus connu des recueils du compositeur, les Nuove Musiche (Florence, 1602). Renfermant des madrigaux et des airs pour voix seule, cet ouvrage constitue, tout particulièrement dans sa préface, une source précieuse pour notre connaissance de l’art du chant virtuose à l’époque de Caccini. Son opéra Euridice fut représenté à Florence en 1602 et, en 1614, parut un second livre de Nuove musiche e nuove maniere di scriverle. La cour des Médicis résonnait non seulement des passaggi de la belle voix de Giulio Romano, mais pouvait apprécier aussi les voix de sa famille (sa femme et ses deux filles). Francesca, chanteuse, claveciniste et compositeur (Florence 1587 - Lucques [ ?] v. 1640). Fille du précédent, elle a composé des airs à 1 et à 2 voix (1618), des pièces isolées et un ballet. CACERES (Oscar), guitariste uruguayen (Montevideo 1928). Il donne son premier concert dans sa ville natale à l’âge de treize ans. Il est l’un des guitaristes qui défendent le mieux la musique du XXe siècle en Amérique du Sud. En 1957, il donne la première audition en Uruguay du Concerto d’Aranjuez de Rodrigo. Au Brésil, il étudie la musique populaire et rencontre le compositeur Pixinguinha, ce qui lui permet d’aborder en connaisseur les oeuvres de Villa-Lobos : il donne les premières auditions à Rio de la Suite populaire brésilienne en 1958, du Concerto pour guitare et orchestre en 1963 et, en 1964, il joue en duo avec Jacob de Bandolim. En 1967, il fait ses débuts à Paris. Avec son partenaire Turibio Santos, il étend son répertoire aux pièces de la Renaissance et de l’époque baroque. CACHUCHA. Danse andalouse, proche du boléro, de tempo modéré, et généralement notée à 3/8. C’est une danse de soliste, à l’origine chantée et accompagnée à la guitare. Elle fut introduite au théâtre, sans doute par le chorégraphe Jean Coralli, dans le ballet le Diable boiteux de Casimir Gide, dansé à Paris par Fanny Elssler en 1836. CACOPHONIE. Assemblage discordant de voix ou d’instruments qui chantent ou jouent sans être d’accord, produisant un effet désagréable à l’oreille. Son contraire est euphonie. CADÉAC (Pierre), compositeur français (XVIe s.). En 1556, il était maître des enfants de la cathédrale d’Auch. Il publia chez les éditeurs parisiens Le Roy et Ballard diverses oeuvres dont un livre de Moteta 4, 5 et 6 vocibus (1555), ainsi que trois messes à 4 voix (1558). La messe Alma Redemptoris parut chez N. Du Chemin en 1556. Il faut y ajouter trois autres messes, des motets (2 à 6 voix), des chansons à 4 voix, telles que Je suis déshéritée, d’un style simple, d’une grande pureté d’expression, qui évoque celui de Cl. de Sermisy. CADENCE (en ital. cadenza : « chute «). 1. Au sens général, la cadence désigne le mouvement régulier des battues de temps. 2. En harmonie, on appelle cadence certains enchaînements d’accords introduisant dans le discours musical un caractère de ponctuation grammaticale plus ou moins conclusive. La cadence parfaite (dominante, V - tonique, I) est la plus conclusive de toutes. Cette signification conclusive de la cadence V-I ne s’est dégagée que peu à peu, durant le XVe siècle où de la perception mélodique on passe à la perception harmonique. L’enchaînement de la sousdominante (IV) à la tonique (I), la cadence plagale, est également conclusif, mais de manière moins affirmative, et est souvent doté d’un sens allusif de caractère religieux. Cette cadence emprunte son nom à sa présence fréquente dans l’accompagnement des « modes plagaux » du plainchant au XIXe siècle. La réunion de ces deux cadences donne la cadence complète, ainsi downloadModeText.vue.download 149 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 143 nommée parce que toutes les notes de la tonalité y sont exprimées. On appelle parfois cadences modales celles qui amènent la tonique par d’autres degrés que V ou IV. On les désigne par le numéro du degré employé (II, III, VI), le VIIe étant inusité. Si, au lieu d’aboutir sur un accord « solide » à son état fondamental, la cadence se fait sur un renversement de ce même accord, la fondamentale n’étant plus à la basse, la cadence est dite imparfaite pour le premier renversement (chiffrage 6/3) et ouverte pour le deuxième renversement (chiffrage 6/4). Cette dernière cadence introduit traditionnellement la cadence de soliste (v. § 3) dans le concerto classique (Haydn, Mozart). Lorsque l’accord de dominante (V), après avoir fait supposer une cadence à la tonique, mène de manière imprévue vers un autre degré, la cadence est dite rompue ou évitée. L’inversion de la cadence parfaite (V-I) entraîne un mouvement cadentiel concluant sur la dominante (I-V), de caractère suspensif. Elle prend généralement le nom de demi-cadence. Parmi les autres cadences, citons une variante de la cadence parfaite employée dans l’opéra italien ancien, la cadence italienne (II-IV-I), et également diverses cadences dites modales et caractérisées par l’absence de notes sensibles (dorien, phrygien, mixolydien). Dans la table d’exemples, ces cadences sont données sous leur forme la plus simple. Bien entendu, de nombreuses variations peuvent exister, et l’exemple O (cadence plagale amollie), variante de B, en donne un spécimen. 3. Dans un concerto de soliste, on attribue le nom de cadence à un intermède, généralement placé vers la fin du morceau et souvent introduit par la cadence ouverte (accord de 6/4), pendant lequel l’orchestre d’accompagnement s’interrompt pour laisser au soliste le temps de montrer son savoir jusqu’à ce qu’un signal convenu (souvent un trille prolongé) lui rende la parole. À l’origine, les cadences n’étaient pas écrites ; cette habitude apparut vers la fin du XIXe siècle. 4. Par analogie avec les cadences de concerto, les chanteurs donnent parfois le nom de cadence à des additions non écrites, improvisées, fréquentes dans l’opéra italien jusqu’à la fin du XIXe siècle. 5. Dans la littérature de chant et de clavier des XVIIe et XVIIIe siècles, la cadence figurait sur la liste des agréments à exécuter. Le plus souvent, cet ornement correspondait en fait au tremblement, équivalent de notre trille usuel. CADMAN (Charles Wakefield), composi- teur américain (Johnstown, Pennsylvanie, 1881 - Los Angeles 1946). Il étudia à Pittsburgh et fut chef de chorale et organiste avant de pouvoir vivre de sa musique grâce au succès populaire de quelques-unes de ses chansons, notamment At Dawning, qui dépassa le million d’exemplaires vendus. Sans considérer pour autant les thèmes de la musique indienne comme la base spécifique de la musique américaine, il en emprunta un grand nombre dans ses pages symphoniques ou dans ses opéras (Shanewis, 1918 ; The Sunset Trail, première représentation en 1922), ceux-ci évoquant d’ailleurs souvent les rapports des Indiens avec les Blancs. Cadman s’intéressa aussi au transcendantalisme (The Garden of Mystery, d’après Hawthorne, première représentation en 1925). CAESAR (Rodolfo), compositeur brésilien (Rio de Janeiro 1950). Formé à la musique électroacoustique au stage du Groupe de recherches musicales downloadModeText.vue.download 150 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 144 de Paris, où il a réalisé Curare (1974) et Tutti Frutti (1975), oeuvres prometteuses, il s’est installé ensuite à Rio de Janeiro pour continuer sa création (Curare II, 1977) et collaborer, comme « artiste sonoplastique », avec des créateurs d’autres disciplines, peintres, sculpteurs, etc. CAFFARELLI (Gaetano MAJORANO, dit), castrat sopraniste italien (Bitonto 1710 Naples 1783). Élève de Cafaro (d’où son surnom), il travailla avec le compositeur Porpora à Naples et débuta à Rome en 1726. Il devint rapidement célèbre, tant dans les grands théâtres italiens que dans toute l’Europe. Il chanta à Paris, à Londres dans des opéras de Haendel dans la lutte de ce dernier contre Hasse et... Porpora ! Il chanta également aux côtés du grand Farinelli. Caffarelli fut un technicien miraculeux de l’art du bel canto à son apogée ; spécialisé dans des rôles féminins, il eut une réputation légendaire, aux dires de ses contemporains, malgré une certaine froideur et des excès de virtuosité. CAGE (John), compositeur américain (Los Angeles 1912). Doué pour tous les arts, il songea d’abord à une carrière pianistique ou littéraire, puis hésita entre la peinture (il devait encore exposer une série de lithographies à New York en 1969) et la musique. Il choisit celle-ci sur les conseils de Henry Cowell, son professeur de composition à New York, et poursuivit ses études avec, entre autres, Arnold Schönberg à l’université de Californie du Sud (1934-1937). Une commande de musique de film l’orienta très tôt vers la percussion : il fonda un ensemble de batteurs, organisa des concerts sur la côte ouest des États-Unis et devint accompagnateur de la classe de danse de Bonnie Bird (où se forma Merce Cunningham) à la Cornish School de Seattle (1937-1939). Après avoir enseigné à la School of Design de Chicago (1941-42), il s’établit à New York, commença de collaborer avec Merce Cunningham (il devait devenir directeur musical de sa compagnie, dès sa création, en 1952), et noua d’étroites relations dans le milieu international de la peinture (Max Ernst, Peggy Guggenheim, Mondrian, plus tard Rauschenberg, Jasper Johns et Marcel Duchamp) tout en étudiant particulièrement, en musique, Anton Webern et surtout Erik Satie. À la fin des années 1940, Cage entreprit son initiation à la philosophie orientale et au zen (avec Daisetz Suzuki). En 1950 débuta sa collaboration avec le pianiste David Tudor. Il lança, en 1952, avec Earle Brown, Christian Wolff et Morton Feldman, le Project of Music for Magnetic Tape (premier groupe américain à produire de la musique pour bande), et de 1948 à 1952, participa aux cours d’été de Black Mountain, où il donna avec la Compagnie Merce Cunningham Theater Piece (1952), probablement le premier happening à s’être jamais déroulé aux États-Unis. En 1954, une tournée en Europe (Donaueschingen lui avait commandé deux oeuvres qui allaient devenir deux pièces superposables) le conduisit dans des hauts lieux de la musique contemporaine, comme Cologne, Milan et Paris (où il avait déjà séjourné en 1949 et rencontré Boulez et Schaeffer). Le groupe Cage-FeldmanTudor-Wolff devait dès lors jouer un rôle déterminant, voire historique, dans la diffusion de l’avant-garde américaine, et Cage lui-même devait devenir sur le plan esthétique, voire philosophique, le point de mire de toute une génération de compositeurs, surtout après les cours (la Musique comme processus) qu’il donna à Darmstadt en 1958 : il dynamisa alors le courant européen de la musique aléatoire - terme que lui-même ne devait jamais faire sien - inauguré en 1957 par le Klavierstück XI de Stockhausen. Toujours en 1958, il prononça au pavillon français de l’Exposition universelle de Bruxelles sa conférence Indeterminacy (« Indétermination »), et séjourna quatre mois au Studio de phonologie de la R. A. I. à Milan, tandis que le scandale de la première audition du Concerto pour piano et orchestre (oeuvre utilisant 84 systèmes de notation différents) consacrait au Town Hall de New York ses vingt-cinq années de création. Depuis 1966, John Cage a été compositeur en résidence aux universités de l’Illinois, de Californie (Davis), de Cincinnati et à l’université wesleyenne. En 1969, il a été élu au National Institute of Arts and Letters. Cage est un de ceux à qui l’on doit une nouvelle façon non plus de « penser en musique », mais de « penser la musique ». Il a introduit dans l’art des sons, selon une démarche tout à fait à l’opposé de celle d’un Pierre Boulez, la notion d’indétermination, l’idée de hasard et une conception neuve du silence, écrit pour des sources sonores et des exécutants non spécifiés quant à leur nombre et à leur nature, et récusé la notion traditionnelle d’oeuvre musicale. Il commença en utilisant de façon quasi sérielle une échelle de 25 demi-tons (Six Brèves Inventions, Sonate pour 2 voix, Sonate pour clarinette), mais se détourna vite de cette méthode, la recherche d’un substitut à la tonalité défaillante ne l’ayant jamais intéressé en soi. Beaucoup de ses innovations remontent dans leurs principes à la fin des années 1930. Il s’attacha alors aux structures fondées sur le rythme et le temps, et s’interrogea sur la nature des sons écoutés pour eux-mêmes, en dehors de toute culture ou « avant la culture « : d’où First Construction (in Metal) pour percussions (1939), ou encore Living Room Music (1940), ouvrages témoignant d’une nette indifférence envers la « valeur » en soi du matériau sonore, mais reculant comme chez Varèse les frontières de l’art musical. De la même époque datent ses premiers essais de musique électroacoustique avant la lettre : ainsi Imaginary Landscape No 1 pour deux électrophones à vitesse variable, enregistrements de sons sinusoïdaux, piano avec sourdine et cymbales (1939). Dans Imaginary Landscape No 4 (1951), il devait faire appel à 12 radios, 24 exécutants et un chef ; dans Cartridge Music (1960), à des micros de contact mettant en évidence des événements sonores jusqu’alors imperceptibles ou rejetés ; et pour la création de Variations II (1961) + III (1963), à un micro de contact de gorge amplifiant la déglutition d’un verre d’eau. L’invention la plus célèbre de Cage, celle du piano préparé - consistant à loger entre les cordes de l’instrument, ou ailleurs, des corps étrangers destinés à en modifier les sonorités et les propriétés acoustiques, et de façon plus fondamentale à accroître l’imprévisibilité du résultat sonore -, date de 1938 (Cage pallia ainsi l’impossibilité dans laquelle il s’était trouvé d’utiliser un orchestre de percussions pour la musique du ballet Bacchanales, qui lui avait été commandée par la danseuse Syvilla Fort) : de cette invention, les Sonates et Interludes (1946-1948), aux remarquables structures rythmiques, puis le Concerto pour piano préparé et orchestre de chambre (1951), tirèrent le plus large parti. Après cette exploration de l’indétermination au niveau du matériau sonore, Cage l’étendit à l’acte même de composer, par exemple en se servant de diagrammes, de jets de dés ou de pièces de monnaie. À partir de Music of Changes (1951), et jusqu’à Empty Words (1973-1976), il recourut volontiers pour ce faire à la méthode I-Ching, recueil d’oracles de la Chine ancienne permettant d’effectuer des opérations de consultation du sort et ainsi d’éliminer tout critère de choix subjectif tout en préservant dans le « produit fini » une structure, une forme : le hasard intervient ici au niveau de la composition, non de l’exécution. Ce « hasard » devait prendre chez Cage (y compris et surtout au niveau de l’exécution) d’autres aspects de moins en moins compatibles avec la notion traditionnelle de structure : détermination des notes dans l’espace de la feuille-partition en fonction des imperfections du papier dans Music for Piano (1953-1956) ou dans le Concerto pour piano et orchestre (1957-58) ; calques transparents superposables ad libitum dans les Variations I-IV (1958-1963) et VI (1966) ; examen de cartes astronomiques anciennes dans Atlas Edipticalis (1961) ou dans Études australes (1976). Cette pluralisation des techniques de hasard semble bien être un abandon de toute prétention à la strucdownloadModeText.vue.download 151 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 145 ture, une volonté de court-circuiter à tous les niveaux les aspects intellectuels du choix. Il ne s’agit pas pour autant de privilégier le hasard en soi, ce qui ressortirait encore à la logique, mais plutôt d’une tentative pour se rapprocher de la nature, pour libérer le son, mais aussi le silence. Dans 4’33’’ pour n’importe quel(s) instrument(s) [1952], pièce la plus indéterminée et la plus « silencieuse » qui soit, aucun son ne doit être produit, et ce pour montrer que de toute façon il en existe, qui doivent être entendus. Il n’y a pas non-oeuvre : c’est l’ambiance qui crée l’oeuvre, la seule indication précise étant celle de durée. Le souci de ne pas se couper de la nature apparaît aussi dans le fait qu’à de rares exceptions près, comme Fontana Mix (1958), composé au studio de la R. A. I. à Milan, Cage répugna à utiliser la bande seule : Bird Cage, donné en 1972 dans un espace où les gens étaient libres de bouger et les oiseaux de voler, met en jeu douze bandes magnétiques en superposition avec Monbird de David Tudor, et Lecture on the Weather (1976) est pour douze voix, bande magnétique et film. Dans HPSCHD pour 1 à 7 clavecinistes et 1 à 51 magnétophones, composition à l’ordinateur entreprise avec Lejaren Hiller à l’université de l’Illinois, est généralisée la technique du collage. On a parlé à propos de Cage de néo-dadaïsme, d’anarchisme, de provocation et même d’entreprise de dégradation, alors que s’il nous propose d’oublier les relations que nous trouvions dans l’art auparavant, c’est pour ne plus limiter la musique à une activité cérébrale, abstraite et élitiste. Avec lui, l’oeuvre est présentée comme une action - il parle d’acteur (performer) plus que de musicien ou d’interprète - et le geste comme générateur de sons. La musique est donc théâtre, « un autre mot pour désigner la vie « : en témoigne par exemple une de ses productions les plus récentes, Roaratorio, an Irish Circus on Finnegans Wake (1980). Mieux, sa démarche est un éveil à la fête par la participation que ses oeuvres réclament : ainsi 33 1/3 (1969) pour une douzaine d’électrophones et 250 disques que le public doit faire passer, ou Musiccircus (1967, 1970 et 1973), où la déambulation d’une source sonore à l’autre est indispensable. Trente Pièces pour cinq orchestres (1981) est une oeuvre dont l’autre titre, À la surface, fait référence à Thoreau. Une de ses dernières oeuvres est One Hundred and One pour orchestre (Boston, 1989). Pour Cage, la musique était un fait social, et il resta profondément persuadé que dans la mesure où dans et par sa musique il contestait par exemple l’hégémonie du chef ou la dictature du compositeur, pour s’attacher au contraire à la créativité de l’interprète, à l’indépendance et à la dignité de chacun (qu’il soit auditeur ou exécutant), ou à l’obligation d’une écoute réciproque avant toute intervention, c’est l’ordre social qu’il remettait en question. CAHEN (Robert), compositeur français (Valence 1945). Il est membre du Groupe de recherches musicales de Paris de 1971 à 1973, puis chargé de recherche en « vidéoacoustique » à l’Institut national de l’audiovisuel. Ses musiques électroacoustiques (Craie, 1971 ; Masques 2, 1973 ; la Nef des fous, 1975 ; Masques 3, 1978, pour piano et bande) comme ses courts-métrages, dont il réalise fréquemment la bande sonore, manifestent un don mélodique incontestable et un univers personnel et sensible de poète. CAHIER (Mme Charles), contralto américaine (Nashville, Tennessee, 1870 - Manhattan Beach, Californie, 1951). Un certain mystère entoure sa biographie, au point que les archives du Metropolitan contiennent des lettres de sa petite-fille demandant des renseignements sur sa carrière ! Née Sarah-Jane Layton Walker, elle débute sous le pseudonyme de Morris Black, puis est engagée par Mahler à l’Opéra de Vienne. Elle chante de 1907 à 1911 notamment le rôle-titre de Sansom et Dalila de Saint-Saens. En 1911, elle par- ticipe à la création posthume du Chant de la terre sous la direction de Bruno Walter. Mariée en 1905 à un aristocrate suédois, elle quitte Vienne en 1912 et devient professeur à New York. Parmi ses élèves figurent Marian Anderson et Lauritz Melchior. En 1930, elle enregistre, avec l’orchestre du Staatsoper de Berlin dirigé par Selmar Meyrowitz, deux lieder de Mahler, prestation considérée comme un témoignage d’une éventuelle tradition vocale mahlerienne. CAHUSAC (Louis de), librettiste, dramaturge et théoricien de la danse français (Montauban v. 1706 - Paris 1759). Il est surtout connu aujourd’hui pour avoir été le collaborateur le plus fidèle de Rameau, écrivant notamment le livret de la tragédie lyrique Zoroastre (1749), ainsi que ceux des opéras-ballets (les Fêtes de Polymnie), des pastorales héroïques (Zaïs, Naïs) et probablement de la tragédie lyrique les Boréades (1764), non représentée. Il a écrit un important traité intitulé la Danse ancienne et moderne (1754), où il tente de réhabiliter la pantomime dans le ballet académique et où il étudie sérieusement la danse antique, en particulier celle des Romains. CAILLARD (Philippe), chef de choeur français (Paris 1924). Après avoir été instructeur national du mouvement « À coeur joie », il a fondé un ensemble vocal portant son nom, spécialisé tout d’abord dans l’interprétation des oeuvres de la Renaissance, mais dont le répertoire s’est étendu peu à peu. Il a transcrit et édité de la musique vocale ancienne. CAILLAT (Stéphane), chef de choeur français (Lyon 1928). Il a fait ses études musicales à Lyon et à Paris (harmonie, contrepoint, orgue, direction d’orchestre), puis fondé et animé la chorale, l’ensemble vocal et le quatuor vocal qui portent son nom. Il dirige également l’ensemble Per cantar e sonar, créé en 1977 et spécialisé dans l’interprétation de la musique de la Renaissance. Son répertoire, très varié, comprend également des oeuvres contemporaines. Il a harmonisé des chants populaires et composé des oeuvres pour choeur : Illuminations (1973), Cantique (1974), Qui ? Quoi ? Comment ? (1975), Ma vie avec la vague (1980). Il a été de 1979 à 1993 directeur artistique du Festival d’art sacré de la Ville de Paris. CAISSE CLAIRE. Instrument à percussion de la famille des membranophones. Son aspect extérieur est à peu près celui du tambour, en plus plat, et sa peau inférieure, dite « peau de timbre », est doublée par une nappe transversale de 12 à 24 ressorts métalliques qu’un dispositif déclencheur amène facultativement à son contact. Ces ressorts entrent en vibration quand les baguettes (ou les balais) attaquent la peau supérieure, dite « peau de frappe », et renforcent le caractère sec, percutant, de la sonorité de l’instrument. CAISSE DE RÉSONANCE. Corps des instruments à cordes, dont la cavité sert à amplifier la vibration de ces dernières. La caisse est voûtée, étant formée d’un fond galbé, d’une table percée de deux ouïes ou d’une rosace, et parfois d’éclisses. Dans certains instruments, notamment orientaux, c’est la table qui est galbée et le fond plat. CAIX D’HERVELOIS (Louis de), violiste et compositeur français (Amiens v. 1680 - Paris 1760). Il fut l’élève du grand virtuose de la viole Marin Marais et du mystérieux Monsieur de Sainte-Colombe. Sa réputation fut grande de son vivant. Il publia six livres de Pièces de viole pour une ou deux violes et basse continue (Paris, 1719-1751), trois recueils de Pièces pour la flûte traversière et basse continue (Paris, 1726, 1731, 1736) et downloadModeText.vue.download 152 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 146 un livre de Pièces pour pardessus de viole (1751). Si plusieurs de ses oeuvres ont souvent figuré dans le répertoire traditionnel des violoncellistes, elles conviennent mieux à l’instrument pour lequel elles furent conçues et dont la technique est bien différente. CALANDO (ital. : « baisser »). Terme exprimant une notion de diminution de sonorité en même temps qu’un ralentissement du mouvement. CALATA. Danse italienne des XVe et XVIe siècles, de mouvement rapide. D’origine populaire, elle s’apparente à la basse danse, et est mise à l’honneur par les musiciens de cour. On peut trouver des exemples de la calata dans une publication de O. Petrucci, Intavolatura di lauto, livre IV (Venise, 1508). CALDARA (Antonio), compositeur italien (Venise 1670 - id. 1736). Élève de Legrenzi, il fut violoncelliste et chantre à Saint-Marc de Venise, maître de chapelle du duc de Mantoue (1700-1707), compositeur attaché au théâtre San Giovanni Crisostomo à Venise (1707-1709), maître de chapelle du prince Ruspoli à Rome (1709-1716). Ayant, durant l’été 1708, collaboré à Barcelone aux fêtes des noces du prétendant (contre Philippe V) au trône d’Espagne, il fut appelé plus tard à Vienne par ce souverain, devenu empereur sous le nom de Charles VI. Nommé en 1716 vice-maître de chapelle impérial sous l’autorité de Johann Joseph Fux, il demeura à Vienne jusqu’à sa mort. Sa production fut immense : quelque 87 ouvrages lyriques (dont Don Quichotte, 1727 ; Mithridate, 1728 ; La Clemenza di Tito, 1734, sur le livret de Métastase qui fut aussi utilisé par Mozart), plus de 30 oratorios et 30 messes, des motets et pièces sacrées diverses, une centaine de cantates profanes, des sonates, sonates en trio, quatuors, un septuor, des pièces pour clavecin. Son oeuvre, qui fut connue de Haydn, de Mozart et des compositeurs de l’école de Mannheim, est à la croisée des chemins entre le baroque et le préclassicisme. Son art, fondé sur un don mélodique exceptionnel et une grande science du contrepoint, se réfère au style instrumental de Corelli, au style polychoral des Gabrieli, à l’opéra vénitien, mais fait place aux prouesses vocales de l’école napolitaine, et offre des lignes flexibles, un lyrisme enveloppant, une intériorisation des sentiments, qui viennent d’Europe centrale plus que d’Italie, et annoncent davantage l’apogée du XVIII siècle qu’ils ne rappellent celle du XVIIe. CALDERÓN DE LA BARCA (Pedro), poète et dramaturge espagnol (Madrid 1600 - id. 1681). En intégrant de plus en plus la musique au spectacle, par des intermèdes chantés, par des danses ou par la présence de choeurs ou d’instruments en coulisse, Calderón a joué un rôle non négligeable dans les premiers âges du théâtre lyrique. La première zarzuela, El Jardín de Falerina (1648), et le plus ancien opéra espagnol connu, La Purpura de la rosa (de Hidalgo, 1660), l’eurent comme librettiste. Il a également utilisé la puissance d’évocation que permet la musique dans les autos sacramentales, avec des chants et des ballets. CALINDA. Danse des Noirs des Antilles et du sud des États-Unis, à l’origine danse rituelle africaine accompagnée de tambours. À l’acte II de l’opéra de Frederick Delius Koanga (1896-1897), dont l’action se déroule dans une plantation de Louisiane dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les esclaves chantent et dansent « la Calinda » durant les préparatifs des fêtes d’un mariage. CALLAS (Maria Anna Kalogeropoulos, dite Maria), soprano grecque (New York 1923 - Paris 1977). Elle fit ses premières études musicales aux États-Unis et les poursuivit en Grèce où elle s’installa en 1937. Elle débuta en 1939 à Athènes dans Santuzza de Cavalleria Rusticana de Mascagni et devint l’élève d’Elvira de Hidalgo au conservatoire d’Athènes. Entrée à l’opéra de cette ville en 1941, elle y interpréta une grande variété de rôles. Après avoir sans succès tenté sa chance aux États-Unis, elle se fit remarquer en 1947 aux Arènes de Vérone dans La Gioconda de Ponchielli. Elle chanta alors en Italie des rôles de grande soprano dramatique : Turandot dans l’opéra de Puccini, et des héroïnes de Wagner (Isolde dans Tristan et Isolde, Kundry dans Parsifal, Brünhilde dans la Walkyrie). Mais, appelée en 1949 à Venise pour remplacer au pied levé Margherita Carosio dans les Puritains de Bellini, elle découvrit son véritable uni- vers, celui du bel canto romantique italien, où elle devait s’affirmer de façon incomparable, ressuscitant un type de voix dramatique, mais capable de souplesse et de virtuosité, qui avait disparu. À la Scala de Milan, où elle débuta en 1950, Maria Callas inaugura une ère nouvelle, une grande partie du répertoire de ce théâtre étant choisie en fonction de sa présence. Elle y chanta des partitions auxquelles son nom est resté attaché, soit chefs-d’oeuvre célèbres dont elle proposait une vision nouvelle, soit oeuvres partiellement ou totalement oubliées, de la résurrection desquelles elle est à l’origine : Norma, la Somnambule et le Pirate de Bellini, la Vestale de Spontini, Médée de Cherubini, Alceste et Iphigénie en Tauride de Gluck, Anna Bolena, Poliuto et Lucie de Lammermoor de Donizetti, Macbeth, les Vêpres siciliennes et La Traviata de Verdi, sans oublier, dans le registre bouffe, le Turc en Italie de Rossini. Dans le même temps, Maria Callas chantait dans le monde entier, célébrée comme aucune autre cantatrice du XXe siècle ne l’avait été. En 1962, alors que ses moyens vocaux déclinaient, elle s’installa à Paris. En 1963 et 1965, elle donna quelques représentations de La Tosca et Norma à l’Opéra de Paris et au Covent Garden de Londres, et, quoiqu’elle eût été par la suite fréquemment annoncée et même affichée, elle ne parut plus au théâtre, se produisant seulement occasionnellement en concert. Possédant à l’origine une étendue vocale de près de trois octaves, avec une technique très remarquable, notamment dans le domaine de la vocalise, Maria Callas était une actrice admirable autant qu’une musicienne inspirée. La voir en scène était une expérience inoubliable. Son art a profondément marqué l’évolution du théâtre lyrique, tant dans le style d’interprétation que dans l’orientation du répertoire. Le don total de sa personne à des rôles très divers était incompatible avec toute prudence dans la manière de conduire la voix, ce qui explique la brièveté de sa carrière. CALLINET, famille de facteurs d’orgues français, actifs dans l’est de la France pendant un siècle environ (v. 17801890). Le fondateur de la dynastie, François (1754-1820), travailla avec Riepp, à Dijon, et transmit à ses successeurs l’héritage de la facture traditionnelle du XVIIIe siècle. Son fils Joseph (1795-1857) fut le plus remarquable organier de la famille et parvint à maintenir, dans la décadence de la facture au XIXe siècle, et avant l’épanouissement de l’orgue symphonique de Cavaillé-Coll, un style de grande tenue. Les quelque 150 instruments signés par les Callinet valent par la qualité de leur mécanique et de leur harmonisation. D’autres membres de cette illustre famille sont Claude-Ignace (1803-1874), frère de Joseph, Louis-François (1834 - v. 1890), fils de Claude-Ignace, ainsi que le cousin des frères Callinet, Louis (1786-1846), qui s’établit à Paris. CALMEL (Roger), compositeur français (Béziers 1921). Élève, au Conservatoire de Paris, de Simone Plé-Caussade pour le contrepoint et la fugue, de Jean Rivier et Darius Milhaud pour la composition, il a reçu le grand prix musical de la Ville de Paris (1958) et diverses autres récompenses. Musicien minutieux, il fait usage dans une certaine mesure des techniques dodécaphoniques, downloadModeText.vue.download 153 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 147 mais son écriture à l’harmonie riche, parfois violemment dissonante, reste caractérisée dans l’ensemble par une belle inspiration mélodique et une allure noble. Il a écrit une symphonie, des oeuvres concertantes, des suites et poèmes symphoniques, de la musique théâtrale (le Jeu de l’amour et de la mort, d’après Romain Rolland, 1966), des mélodies et cantates pour solistes (Cantate du jardin des Oliviers, pour baryton, clavecin et cordes, 1971 ; 5 Nocturnes pour mezzo-soprano et ensemble instrumental, 1973, etc.), des oeuvres chorales à caractère profane (Cantate de la vigne, 1974) ou religieux (Marie au Calvaire, oratorio d’après Péguy, 1977), Requiem à la mémoire de la reine Marie-Antoinette (1993). CALONNE (Jacques), compositeur belge (Mons 1930). Il a travaillé au conservatoire de Mons (1944-1947), puis avec Jean Absil, et a poursuivi des études personnelles. Il a suivi les cours d’été de Boulez et Stockhausen à Darmstadt, où plusieurs de ses partitions ont été créées et où il a obtenu un prix de composition en 1962. S’adonnant, parallèlement à la musique, à une activité picturale et littéraire, il a écrit notamment, pour orchestre : Chances (1961), Orbes (1965) ; pour instrument seul : Quadrangles pour piano (1959), Fenêtres et boucles pour piano (1960), Cahier pour violoncelle (1961) ; pour ensembles de chambre ou formations instrumentales diverses : Métalepses pour 9 exécutants (1957), Album pour quatuor (1958), Pages pour 19 instruments (1959), Tome pour 2 pianistes et 3 percussionnistes (1962), Scolies pour orchestre de chambre (1964), Mutations pour 2 à 5 pianos (1972-1975), Partiels pour violoncelle et 12 autres solistes (1974-1976). CALVÉ (Emma), soprano française (Decazeville, Aveyron, 1858 - Millau, Aveyron, 1942). Elle fit des études de chant à Paris et débuta à Bruxelles en 1882 dans le rôle de Marguerite de Faust de Gounod. Après de nouvelles études à Paris avec Mathilde Marchesi, elle entra à l’Opéra-Comique en 1886 et acquit une renommée internationale. Sa personnalité très particulière résultait de la fusion d’une technique vocale remarquable, appuyée par une grande virtuosité, et d’un talent d’actrice exceptionnel, tourné vers un réalisme parfois violent. Massenet écrivit pour elle Sapho et la Navarraise. Elle fut une interprète illustre du rôle de Carmen dans l’opéra de Bizet. CALVIÈRE (Antoine), organiste et compositeur français (Paris v. 1695 - id. 1755). Disciple de François Couperin, il fut organiste à la basilique de Saint-Denis et en diverses églises de la capitale, pour devenir finalement titulaire de l’orgue de NotreDame (1730) et succéder à Marchand en tant qu’organiste de la chapelle royale (1738). Il fut réputé pour sa virtuosité et surtout pour son talent d’improvisateur. De ses compositions pour orgue, il ne subsiste qu’un Récit de cromorne en taille. Il a également écrit des motets à grand choeur, aujourd’hui perdus. CALVIN (Jean), réformateur français (Noyon 1509 - Genève 1564). Alors qu’en Allemagne Luther réservait à la musique une large place dans le service sacré, Calvin lui assigna un rôle beaucoup plus étroit. Proscrivant l’usage de l’orgue et celui de la polyphonie, il n’admit à l’église que le chant à l’unisson, et le borna pour les textes (à quelques exceptions près) aux psaumes de l’Ancien Testament. Le premier recueil de chants de réformés de France, Aulcuns Pseaulmes et cantiques mys en chant, fut publié en 1539 à Strasbourg. Dans ce recueil se trouve le psaume LXVIII (le célèbre psaume « des Batailles ») dont la mélodie est de Mathias Greiter, musicien strasbourgeois. Le psautier huguenot, comprenant les 150 psaumes de David, fut achevé en 1562. Clément Marot et Théodore de Bèze, pour les textes, Loys Bourgeois, pour les chants, en furent les principaux auteurs. Calvin veilla à son unité et à son austérité. Il voulait que le chant des psaumes « ne soit ni léger ni volage, mais qu’il ait poids et majesté ». Sans doute n’a-t-il pas joué, dans l’histoire de la musique française, un rôle comparable à celui de Luther pour la musique allemande. Toutefois, c’est dans le climat spirituel du calvinisme que se sont développés, dès 1546, les psaumes polyphoniques qui, pour n’être pas destinés à l’église, n’en sont pas moins, sous les signatures de Pierre Certon, Loys Bourgeois, Claude Goudimel, Paschal de L’Estocart, Claude Le Jeune, des pages maîtresses de la musique religieuse française. CALVISIUS (Sethus), compositeur, théoricien, astronome et érudit allemand (Gorsleben, Thuringe, 1556 - Leipzig 1615). Il fit ses études aux lycées de Frankenhausen et Magdebourg, puis aux universités de Helmstedt et Leipzig. Il fut cantor successivement à la Paulinerkirche de Leipzig (1581), à Schulpforta (1582-1594) et à Saint-Thomas de Leipzig (1594-1615). Il a laissé des hymnes, des bicinia, des psaumes, des motets et des traités (Melopoeia sive Melodiae condendae, Erfurt, 1592 ; Compendium musicae practicae pro incipientibus, Leipzig, 1594, etc.), qui ont contribué à l’évolution du style contrapuntique au style harmonique. CALVOCORESSI (Michael Dimitri), musicologue et critique musical italien d’ascendance grecque (Marseille 1877 - id. 1944). Autodidacte en grande partie, il commença sa carrière de critique dans l’Art moderne belge, la Renaissance latine, puis devint correspondant du Monthly Musical Record. Sa correspondance avec Balakirev à partir de 1905 l’amena à s’intéresser particulièrement à la musique russe, dont il se fit le propagateur. Il fut l’un des principaux conseillers de Diaghilev lors de ses premières saisons parisiennes. Ses ouvrages, surtout son Moussorgski (1908), son Glinka (1911) et Masters of Russian Music (1936, en collaboration avec G. Abraham) font encore autorité. On lui doit aussi les traductions françaises des livrets de Boris Godounov et du Coq d’or, ainsi que du Traité d’orchestration de Rimski-Korsakov. CALZABIGI (Ranieri de), écrivain et librettiste italien (Livourne 1714 - Naples 1795). Après des études à Livourne et à Pise, il commença sa carrière de librettiste à Naples, comme imitateur de Métastase. Puis il se rendit à Paris, où, en 1750, il introduisit, avec Casanova, un système de loterie. Il y fut également engagé dans la querelle des Bouffons, ce qui l’incita à écrire son poème héroï-comique, la Lilliade. En 1761, il fut nommé à Vienne conseiller de l’empereur et commença, l’année suivante, à collaborer avec Gluck en lui fournissant un premier livret, Orfeo ed Euridice, suivi en 1767 et 1770 de ceux d’Alceste et de Paride ed Elena. Après son retour, en 1780, en Italie, où il passa les dernières années de sa vie, il participa également, en tant que librettiste, à la création d’ouvrages lyriques de Salieri et de Paisiello. Préconisant le retour à la tragédie des Anciens, défenseur des idées de Gluck, Ranieri de Calzabigi joua un rôle non négligeable dans la réforme de l’opéra. Il s’inscrit ainsi dans ce grand courant de pensée classique, en faveur dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. CAMARGO GUARNIERI (Mozart), compositeur, chef d’orchestre et pédagogue brésilien (Tietê, province de São Paulo, 1907). Il a fait ses études musicales à São Paulo, puis à Paris, en particulier avec Charles Koechlin. De retour dans son pays, il a été cofondateur de l’Académie brésilienne de musique en même temps que le prin- cipal animateur de la vie musicale à São Paulo, ville où il a occupé notamment les fonctions de professeur de composition et de directeur de l’orchestre municipal. Dans ses partitions, des éléments issus de la tradition folklorique sont moulés dans des formes généralement très classiques. Son oeuvre abondante comprend des symdownloadModeText.vue.download 154 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 148 phonies, des concertos pour piano, des quatuors à cordes, des sonates, des oeuvres pour orchestre de chambre, des cantates, des mélodies, un opéra-comique, Pedro Malazarte (1932), qui le rendit populaire, et un opéra, l’Homme seul (1960). CAMBEFORT (Jean de), compositeur français ( ? 1605 - Paris 1661). À partir de 1635, date à laquelle le musicien est mentionné pour la première fois, il fit une carrière de chanteur et de compositeur à la cour. Successivement au service des cardinaux de Richelieu et Mazarin, il exerça plusieurs charges dépendant de la musique de la Chambre : en 1643, celle de maître des enfants ; en 1655, celle de surintendant et, l’année suivante, celle de compositeur. Il publia en 1651 et en 1655 deux livres d’airs de cour, dont il est l’un des derniers représentants, et composa des récits pour des ballets, notamment pour le Ballet de la nuit, dansé en 1653. Sa musique, dont il faut apprécier les qualités mélodiques, influença les créateurs de l’opéra français. CAMBERT (Robert), compositeur français (Paris v. 1628 - Londres 1677). Élève du claveciniste Chambonnières, il succéda à Gigault en tant qu’organiste à l’église Saint-Honoré. Toutefois, c’est dans le genre profane qu’il se fit connaître. Suivant l’exemple de l’opéra italien, il fut l’un des premiers à mettre en musique une pièce destinée à être entièrement chantée en langue française. Après la Muette ingrate, composée en 1658 sans être représentée, ce fut la Pastorale, donnée à Issy en avril 1659. Lors de la reprise de l’oeuvre à la cour, en mai, Cambert fut encouragé par Mazarin et devint en 1662 maître de musique d’Anne d’Autriche. Il publia en 1665 des airs à boire et collabora avec le même librettiste que celui de la Pastorale, Pierre Perrin, à un nouvel ouvrage lyrique, Pomone. L’écrivain, ayant obtenu en 1669 le privilège de l’Opéra, fit représenter l’oeuvre avec faste, le 3 mars 1671, dans ce nouveau théâtre, après en avoir confié la direction musicale au compositeur, qui se chargea notamment de recruter les chanteurs. Perrin ayant été emprisonné pour dettes, Cambert dut se tourner vers un autre librettiste, Gilbert, pour écrire les Peines et les plaisirs de l’amour, pastorale créée en 1672. L’achat du privilège de l’Opéra par Lully* allait interrompre les représentations et amener Cambert à se rendre en Angleterre. Là, au service de Charles II, il put fonder une « Royal Academy of Music » et donner au public en 1674 son dernier ouvrage lyrique, Ariane. Trois ans plus tard, il mourait dans des circonstances obscures. De ses oeuvres écrites pour la scène subsistent quelques fragments de Pomone et de les Peines et les plaisirs de l’amour, qui présentent déjà cette alternance de récitatifs, d’airs, de duos, de trios, de choeurs et de pièces instrumentales, comme les ritournelles et les danses, qui constituent des éléments variés que l’opéra français devait conserver pendant plus d’un siècle. CAMBIATA (ital. nota cambiata : « note échangée »). Terme s’appliquant à des dissonances qui résultent du maniement des parties d’un morceau polyphonique. Deux sens lui sont attribués : il désigne soit une note de passage accentuée sur un temps fort, soit, plus souvent, d’après J. J. Fux (XVIIIe s.), une dissonance abordée par note conjointe et quittée par saut de tierce descendant avant de remonter sur une autre harmonie. Cette technique est fréquente chez les musiciens des XVe et XVIe siècles. CAMBINI (Giuseppe Maria), compositeur italien (Livourne 1746 - Bicêtre, Paris, 1825). Il fut l’élève de Manfredi, mais il n’est pas prouvé qu’il ait aussi travaillé avec le fameux Padre Martini. Il fit représenter à Naples en 1766 un opéra qui échoua complètement, et, après des aventures romanesques (il aurait été esclave en Barbarie), s’installa en 1770 à Paris, où il fut bientôt l’un des auteurs les plus écoutés, notamment dans le genre, alors très prisé, de la symphonie concertante. Il joua pour la première fois au Concert spirituel en mai 1773, et en décembre de la même année parut son opus 1 (une série de quatuors). Il devint un personnage influent, mais c’est sans doute à tort qu’il fut accusé d’avoir empêché l’exécution au Concert spirituel en 1778 de la symphonie concertante pour quatre instruments à vent de Mozart (d’autant que ce dernier parla alors de Cambini en termes assez flatteurs). Durant la période révolutionnaire, il devint directeur de théâtre et écrivit des hymnes pour les fêtes organisées par David. Il tomba ensuite dans l’oubli, bien qu’on trouve dans les premières années du XIXe siècle des articles de lui dans l’Allgemeine Musikalische Zeitung et les Tablettes de Polymnie. Il mourut dans le dénuement, selon certaines sources non pas à l’hospice de Bicêtre, mais en Hollande dès 1818. On lui doit de la musique vocale, mais c’est surtout dans le domaine instrumental qu’il triompha dans sa période de grande vogue. Il écrivit ainsi des symphonies, plus de 80 symphonies concertantes, des duos et trios, des quatuors pour diverses formations dont près de 150 quatuors à cordes (1773-1809, plusieurs furent attribués à Boccherini), et plus de 100 quintettes à cordes. CAMBRELING (Sylvain), chef d’orchestre français (Amiens 1948). Titulaire d’un 1er Prix de trombone au Conservatoire de Paris, il travaille la direction d’orchestre à l’École normale de musique de Paris avec Pierre Dervaux. En 1974, il est lauréat du Concours international de Besançon. Il fait ses débuts de chef d’orchestre en France à la tête de l’Orchestre de Lyon, où il est l’assistant de Serge Baudo de 1975 à 1981. En 1976, Pierre Boulez l’invite à venir diriger l’Ensemble InterContemporain. Il est invité à diriger plusieurs grandes productions d’opéra au Palais Garnier, sous la direction de Rolf Liebermann. En 1981, il fait ses débuts au festival de Glyndebourne et en 1984 à la Scala de Milan. De 1987 à 1991, il est directeur musical du Théâtre de la Monnaie de Bruxelles. En 1991, il est nommé conseiller musical à l’Opéra de Francfort, puis directeur général de la musique de cet établissement en 1993. Ouvert à tous les genres musicaux, il a mené sa carrière principalement dans le répertoire lyrique. CAMERA (ital. : « chambre »). Terme s’appliquant à la sonate ou au concerto pour distinguer une musique de chambre (sonata da camera, concerto da camera) de la sonate ou du concerto da chiesa, destinés à être joués dans une église. En principe, les différents mouvements d’une sonata ou d’un concerto da camera se réfèrent à des danses profanes dont ils portent les noms, alors que les titres des mouvements d’une sonata ou d’un concerto da chiesa ne correspondent qu’à des indications de tempo (adagio, allegro, etc.). CAMERATA FIORENTINA ou CAMERATA DI BARDI. Nom donné au mouvement culturel apparu à Florence vers 1575 et qui regroupa musiciens, chanteurs, poètes et théoriciens humanistes. On lui doit essentiellement la naissance du genre melodramma, du stile rappresentativo, autrement dit, de l’opéra. Les membres de la Camerata fiorentina se réunirent régulièrement jusqu’au début du XVIIe siècle. Ils se rencontraient d’abord chez Giovanni de’ Bardi, comte di Vernio et homme de grande culture. Vincenzo Galilei, Pietro Strozzi, Ottavio Rinuccini, Jacopo Peri, Giulio Caccini y parlaient de musique, de poésie et d’art. En 1592, après le départ de Bardi pour Rome, la Camerata élut demeure chez Jacopo Corsi. C’était le groupe culturel le plus actif de Florence, en matière de recherche théorique et intellectuelle, fidèle en cela à la tradition humaniste florentine du XVe siècle. La musique grecque antique y était à l’honneur. Un témoignage précieux des activités de la Camerata nous est pardownloadModeText.vue.download 155 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 149 venu avec le Dialogo della musica antica e moderna de V. Galilei (Florence, 1581). L’auteur y démontre la supériorité de la monodie grecque sur la polyphonie de la Renaissance, soulignant aussi son effet moral, opposé à l’hédonisme de la pratique contrapuntique. Galilei et Strozzi composèrent des oeuvres qui reflètent parfaitement leur conception de la monodie : le premier, Lamento del conte Ugolino, d’après la Divine Comédie de Dante, et le second, Fuor de l’umido nido (1579), que chanta G. Caccini. La monodie avait pour but principal de rendre le texte intelligible dans tous les détails, la musique n’étant que secondaire et au service des différentes « passions » contenues dans le texte. Les premières oeuvres importantes conçues selon les règles du nouveau style furent la Dafne (1597) et l’Euridice (1600) de J. Peri, la Rappresentazione di Anima e di Corpo (1600), de Cavalieri, une autre version d’Euridice de Caccini, que l’auteur des Nuove Musiche fit représenter en 1602. L’année 1607 fut marquée par un chef-d’oeuvre absolu : l’Orfeo de Monteverdi, qui apparaît comme un mélange de tous les styles en usage à l’époque. En cette même année, Marco da Gagliano fonda l’Accademia degli Elevati, qui prit la relève de la Camerata fiorentina avec l’Arianna de Monteverdi et une Dafne de Gagliano, les deux oeuvres datant de 1608. CAMPIAN ou CAMPION (Thomas), compositeur et poète anglais (Witham, Essex, 1567 - Londres 1620). Il se rendit à Cambridge en 1581 et y étudia probablement la médecine et peutêtre même la physique, sans obtenir de diplôme précis. Cependant, sa réputation dans le domaine scientifique parut, à l’époque, aussi bien établie que sa renommée comme poète et musicien. Il mourut à Londres et fut enterré à Saint Dunstan. Campian publia ses premières oeuvres dans A Booke of Ayres (1601), recueil d’airs pour voix soliste et luth soutenus par une basse de viole. Cet ouvrage comprend deux livres distincts, l’un de Campian, qui écrivit paroles et musique, l’autre de son ami Philip Rosseter. Quatre autres recueils devaient suivre, réunissant au total une centaine de morceaux pour voix soliste (I et II, v. 1613 [ ?] ; III et IV, v. 1617). Moins élaborées que celles de Dowland, les compositions de Campian sont néanmoins très caractéristiques du degré d’accomplissement auquel parvinrent les compositeurs anglais du début du XVIIe siècle. Elles révèlent un sens remar- quable des rapports entre la musique et le texte, en même temps qu’une sensibilité particulièrement affinée. Campian composa aussi plusieurs masques, dont il écrivit paroles et musique. Il est également l’auteur d’ouvrages théoriques. CAMPION (François), guitariste et théorbiste français (Rouen 1680 - Paris 1748). Guitariste et théorbiste de l’Académie royale de musique, il publia plusieurs ouvrages théoriques : Nouvelles Découvertes sur la guitare (Paris, 1705) ; Traité d’accompagnement pour le théorbe (Paris, 1710) ; Traité d’accompagnement et de composition selon la règle des octaves de musique (Paris, 1716). Il composa de nombreuses pièces, sonatines, fugues, danses, etc., qui exploitent toutes les possibilités de leur instrument et sont d’une grande richesse polyphonique. CAMPIONI (Charles-Antoine Campion, dit Carlo Antonio), compositeur français (Lunéville, Meurthe-et-Moselle, 1720 Florence 1788). Sa vie demeure mal connue. De 1764 environ à 1780, il fut maître de chapelle du grand-duc de Toscane à Florence. Il fut à son époque très apprécié pour sa musique religieuse et plus encore pour ses intéressantes compositions instrumentales : sonates à 3, duos pour violons ou pour violon et violoncelle, sonates pour clavecin, etc. CAMPO Y ZABALETA (Conrado del), compositeur espagnol (Madrid 1878 - id. 1953). Il fit ses études au conservatoire de Madrid avec Amato, Hierro et Emilio Serrano. Violoniste, altiste et chef d’orchestre, il fonda l’Orchestre symphonique de Madrid et le quatuor Francès, puis le quintette Madrid, avec Joaquín Turina. Professeur d’harmonie au Conservatoire royal de Madrid, puis de contrepoint, fugue et composition, il mena de front ces différentes activités et l’élaboration d’une oeuvre abondante qui s’inscrit dans le sillage du postromantisme germanique (influence de Richard Strauss). Plus que ses opéras et poèmes symphoniques, ses seize quatuors à cordes constituent la partie la plus originale de son catalogue et même la plus importante contribution de l’école espagnole à la mu- sique de chambre. Il a formé de nombreux disciples, tels Bacarisse, Bautista, Cristobal Halffter, Manuel Parada, etc., et son rôle d’animateur, surtout comme membre du quatuor Francès, a été considérable pour la connaissance de la musique instrumentale et la constitution d’un répertoire (Arregui, Villar, Chapi, etc.). OEUVRES. - Pièces pour orchestre. La Divine Comédie pour choeurs et orchestre (19051908), Granada (1917), Kasida (1920), Ofrenda a los caídos (1938), Ofrenda a la Santísima Virgen (1944) [poèmes symphoniques]. El Viento en Castilla (1942), Suite madrileña (1934), Concerto pour violon (1938), Concerto pour violoncelle (1944), Evocación de Castilla pour piano et orchestre (1931), Fantasía castellana pour piano et orchestre (1939). Musique théâtrale. quinze opéras, dont : El Avapies (1918), Bohemios (1919), La Malquerida (1925), Lola la Piconera (1949). - 20 zarzuelas, dont : La Flor del agua (1912), El Burlador de Toledo (1933), El Demonio de Isabela (1949). Musique religieuse. 2 messes, psaumes, motets. Ballets. Mascarada (1921), En la pradera (1943). CAMPRA (André), compositeur français (Aix-en-Provence 1660 - Versailles 1744). Fils d’un chirurgien originaire de Turin, Campra bénéficia, dès 1674, dans sa ville natale, à la cathédrale Saint-Sauveur, d’une excellente formation musicale, sous la direction de G. Poitevin. En 1681, il fut nommé maître de chapelle à Saint-Trophime d’Arles et deux ans plus tard à SaintÉtienne de Toulouse. En 1694, il obtint le poste de maître de musique à Notre-Dame de Paris, poste auquel il dut renoncer en 1700, pour se consacrer au genre profane que représentait l’opéra. Son premier ouvrage lyrique, l’Europe galante, avait connu en 1697 un très grand succès. Il fut suivi par une quinzaine d’opéras-ballets et de tragédies lyriques, dont certains, comme Hésione (1700), Tancrède (1702) ou les Fêtes vénitiennes (1710), eurent le privilège d’être repris plusieurs fois du vivant même de l’artiste. Dès les premières années du XVIIIe siècle, Campra fut chef d’orchestre à l’Académie royale de musique et devint à Paris un compositeur célèbre. Il donnait des leçons au duc de Chartres, qui réu- nissait dans son entourage des musiciens comme Morin, Gervais et Forqueray. Professeur également du futur Régent, il allait bénéficier de la protection de cette personnalité après la mort de Louis XIV : en 1718, il reçut une pension annuelle de 500 livres et, en 1722, il fut nommé sous-maître à la chapelle royale de Versailles. Cet emploi à la cour et celui qu’il exerçait, depuis 1721, chez les jésuites l’amenèrent à écrire davantage pour la musique religieuse : Campra lui consacra une trentaine de motets, une messe de requiem, des psaumes et de nombreuses pièces, aujourd’hui presque toutes perdues, destinées aux spectacles du collège Louis-le-Grand. Il ne laissa plus, en dehors de remaniements d’anciens ouvrages lyriques, qu’un seul opéra, Achille et Déidamie, créé en 1735, et ce malgré le poste d’inspecteur de l’Académie royale de musique, qu’il avait reçu en 1730, en remplacement de Destouches. Quelques circonstances lui donnèrent, toutefois, l’occasion de se tourner encore vers le genre profane : il composa en 1722 pour le prince de Conti, la Fête de l’Isle-Adam (musique perdue) et, en 1724, à l’occasion du mariage du duc de Chartres, le Lis et la Rose, oeuvre qu’il inséra dans son dernier downloadModeText.vue.download 156 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 150 livre de cantates, paru en 1728. En dépit du renom dont il avait joui auprès des mécènes à la ville et à la cour, Campra passa les dernières années de sa vie dans un très grand dénuement et mourut en 1744 dans un modeste logement à Versailles. L’oeuvre de Campra doit être appréciée dans sa diversité. Les motets et les messes témoignent généralement d’une recherche à la fois mélodique et harmonique, caractéristique de leur époque de création, en dépit d’une réelle originalité, sensible notamment dans le Requiem. On y retrouve la majesté pathétique de Delalande et l’union des goûts français et italien, chère aux contemporains du musicien aixois. La sonate et la cantate, genres ultramontains par excellence, exercèrent, avec l’opéra, une influence notable dans l’accompagnement instrumental et dans l’alternance des récits et des airs. L’oeuvre lyrique du compositeur est représentée par deux genres : l’opéra-ballet et la tragédie lyrique. Bien que Campra n’ait pas créé le premier, il a toutefois beaucoup contribué à son épanouissement. Il a bénéficié de la vogue dont jouissait le goût pour la couleur locale, goût que se plaisait à montrer généralement ce spectacle. Il a su avec charme et raffinement peindre des scènes vénitiennes en usant d’éléments directement empruntés au style ultramontain. C’est particulièrement sensible dans le petit opéra Orfeo nell inferi, écrit en 1699 sur des paroles italiennes, auquel on assiste à la fin du Carnaval de Venise et dans les trois cantates qui figurent dans les Fêtes vénitiennes. Les tragédies lyriques de Campra s’inscrivent davantage dans la tradition lullyste, que le compositeur a su toutefois renouveler : une instrumentation recherchée et une inspiration originale lui ont permis de laisser des pages délicates et poétiques, comme les célèbres plaintes des arbres de la forêt enchantée dans Tancrède. Par là, Campra ne doit pas être considéré comme un artiste de transition entre Lully et Rameau, mais avant tout comme l’un des meilleurs représentants de l’opéra français. CANARIE. Danse française du XVIe siècle, originaire d’Espagne et notée à 3/8, à 6/8 ou à 3/4. On la trouve surtout chez les clavecinistes. Son rythme rapide s’apparente assez à celui de la gigue. CANCAN. Sous ce nom, les cabarets parisiens présentent aujourd’hui une danse au mouvement endiablé, mais rigoureusement réglée, à peine acrobatique, presque sage. On est loin du véritable cancan né dans les bals publics sous le règne de Louis-Philippe, danse libre, échevelée, issue du galop de quadrille et écrite sur un rythme à 2/4 très rapide. Le cancan permettait des bonds, des écarts de jambes, des contorsions, des déhanchements ; son caractère « dévergondé » lui valut de faire fureur durant toute la seconde moitié du XIXe siècle. Gavarni l’illustra dans plusieurs de ses lithographies, et Offenbach l’utilisa dans ses opéras bouffes. CANCIONERO (esp. : « chansonnier »). Recueil de chansons polyphoniques, espagnoles ou portugaises, des XVe et XVIe siècles. Le plus important des cancioneros est probablement le Cancionero musical de Palacio, transcrit et publié en 1890 par Barbieri, puis révisé par H. Anglès. Il réunit 463 compositions à 2, 3 ou 4 voix, parfois avec un apport instrumental, élaborées entre 1460 et 1510. Ce sont, pour la plupart, des villancicos, des canciones et quelques pièces italiennes (frottole, strambotti), répartis en chansons de caractère amoureux, religieux, historique et romanesque, pastoral, burlesque, etc. Des musiciens les plus anciens (J. Urreda, M. Enrique, J. Cornago, Fr. de la Torre, Badajoz ou Peñalosa) aux plus modernes (J. del Encina, Escobar, A. de Mondejar ou Baena), on peut y suivre l’évolution de la technique comme moyen d’expression lyrique ou dramatique, dans le sens d’une simplification progressive. D’autres cancioneros méritent d’être signalés : celui de Juan Vasquez (Villancicos y canciones, 1551, transcrit par H. Anglès), celui de Claudio de Sablonara, embrassant l’époque de 1590 à 1640 (publié par Jesús Aroca), celui de la Casa de Medinacelli (transcrit et publié en 1950 par Miguel Querol), celui d’Upsala (découvert en Suède par Rafaele Mitjana et transcrit par Jesús Bal) et plusieurs de moindre importance publiés à Barcelone, Venise ou Prague au XVIe siècle. CANINO (Bruno), pianiste italien (Naples 1935). Il étudie le piano et la composition au Conservatoire de Milan, où il obtient deux premiers prix. Lauréat des concours de Bolzano et de Darmstadt, il consacre d’emblée une grande part de son activité à la musique contemporaine. Il se produit comme pianiste et claveciniste, partenaire de musiciens tels que Salvatore Accardo, Itzhak Perlman et surtout la soprano Cathy Berberian, avec qui il donne plusieurs récitals au programme original, mêlant la chanson, la mélodie, les contemporains. Avec le violoncelliste Rocco Filippini et le violoniste Cesare Ferraresi, il forme le Trio de Milan. Parallèlement à ses activités de concertiste, il enseigne au Conservatoire de Milan et compose. De nombreux musi- ciens ont composé à son intention : Berio, Bussotti, Donatoni, Rihm, Xenakis, etc. CANIS (Cornelius, de HONDT), compositeur flamand (Flandre v. 1510-1520 Prague v. 1561). Chantre à Notre-Dame d’Anvers, maître des enfants de la chapelle de Charles Quint à Madrid (1547), il devint maître de chapelle de Marie de Hongrie, régente des Pays-Bas, puis chapelain et chanoine de Courtrai, avant d’entrer à la chapelle de Ferdinand Ier à Prague. Auteur de 26 chansons françaises et d’une messe à 6 voix, Canis a surtout excellé dans le motet ; 26 motets sur des textes latins nous sont parvenus (3 à 6 voix). CANNABICH, famille de musiciens allemands. Martin Friedrich ou Matthias Friedrich ( ? v. 1700 - Mannheim 1773). Flûtiste et hautboïste, il fit partie de l’orchestre de la cour de Mannheim de 1723 à 1758 et enseigna la flûte au prince électeur Karl Theodor. Johann Christian (Mannheim 1731 Francfort-sur-le-Main 1798). Fils du précédent, élève de son père et de J. Stamitz, il entra dans l’orchestre de Mannheim en 1744 et en prit la direction après la mort de J. Stamitz (1757). Entre-temps, il avait étudié à Rome auprès de Jomelli (1753) et séjourné à Milan. Bientôt devenu un des chefs d’orchestre les plus célèbres d’Europe, il se produisit à Paris (1764, 1766, 1772), et se lia d’amitié avec Mozart à Mannheim en 1777-78. En 1778, il suivit avec son orchestre Karl Theodor à Munich, où il donna des concerts non plus seulement pour la cour, mais aussi en public, et où, en 1790, il reçut la visite de J. Haydn en route pour Londres. Il passa quelque temps à Vienne, en 1796, et mourut durant une visite chez son fils. Essentiellement compositeur de musique instrumentale, Johann Christian laissa, notamment, de la musique de chambre et plus de 100 symphonies. À partir des années 1770, il se consacra de plus en plus au ballet, genre où il put donner libre cours à son talent de coloriste (la Descente d’Hercule, les Meuniers provençaux, les Fêtes du sérail, la Foire de village hessoise). Beaucoup de ces ballets sont perdus. On lui doit également les opéras Azakia (1778) et les Croisés (1788), ainsi que le mélodrame Elektra (1780). Karl Konrad ou Karl August (Mannheim 1771 - Munich 1806). Fils du précédent, élève de son père pour le violon, il devint en 1800 directeur de la musique à Munich. CANON. 1. Genre polyphonique caractérisé par la similitude des voix qui se reproduisent l’une l’autre avec un décalage dans le temps. On appelle antécédent la partie proposée en premier, conséquents les parties downloadModeText.vue.download 157 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 151 suivantes, qui doivent être déduites automatiquement de l’antécédent, soit telles quelles, soit avec des modifications convenues à l’avance. Le canon le plus simple, type Frère Jacques, est celui dans lequel chaque voix entre sur la mélodie de l’antécédent en un endroit convenu de celui-ci et laisse ensuite le canon se dérouler de lui-même, répétant la mélodie un nombre de fois indéfini. C’est le canon perpétuel ou ouvert ; chacun s’arrête quand il en a assez. Parfois, on modifie le chant donné au moment de finir ; le canon est dit fermé et la partie modifiée porte le nom de coda. Dans certaines formes de canon, le conséquent est plus long ou plus court que l’antécédent ; on complète alors par des parties libres qui échappent à l’automatisme du canon. À côté de ces canons simples, les contrapuntistes n’ont jamais cessé de rechercher des procédés susceptibles de produire des canons élaborés (intervalles, rythmes). Par exemple, on peut faire commencer le conséquent sur un autre degré que l’antécédent ; ce genre de canon est désigné par l’intervalle qui sépare l’antécédent de sa réponse (canon « à la tierce », par exemple). Le canon peut aussi transformer la mélodie de l’antécédent ; il peut commencer par la dernière note et continuer de droite à gauche (canon rétrograde, dit aussi à l’écrevisse), ou bien remplacer chaque intervalle montant par le même intervalle descendant et vice versa. On peut égale- ment mélanger ces procédés et proposer un renversement de la rétrogradation. Sur le plan rythmique, on peut procéder soit à un resserrement des valeurs (canon en diminution), soit à leur élargissement (canon en augmentation). Ce genre de canon amène souvent à recourir à des parties libres pour combler la différence de longueur (cf. Bach, canons de l’Art de la fugue). Les contrapuntistes se sont souvent complu à présenter leurs canons sous forme de devinette, en n’écrivant que l’antécédent et le programme et en laissant à l’usager le soin de trouver la « résolution ». Le plus célèbre exemple de ce type de canon énigmatique est la série proposée par Bach dans l’Offrande musicale avec la devise significative Quaerendo invenies (cherchez et vous trouverez). Il y a enfin canon multiple (double, triple, etc.) quand plusieurs canons se déroulent simultanément. Tel est le cas du plus ancien canon identifié comme tel avec certitude, un double canon anglais sur le chant du coucou, Sumer is icumen in (v. 1300). De nos jours, Olivier Messiaen a appliqué le nom de canon rythmique à une imitation ne portant que sur les valeurs, indépendamment de l’élément mélodique. L’emploi du mot « canon » (grec ; « règle ») provient par dérivation de la « règle » ou mode d’emploi qui accompagnait généralement la notation de l’antécédent. La dénomination primitive était rotundellus ou rondellus, « qui tourne en rond », apparenté à rota (roue) et source du mot rondeau ; l’anglais round et l’allemand Radel se réfèrent à cette origine. Au XIVe siècle, la chace (chasse) en France et la caccia en Italie présentent le caractère de canons. À partir du XVe siècle, le canon est de plus en plus utilisé comme élément occasionnel de polyphonie, mais, en tant que genre, il n’est plus guère conservé que comme divertissement « domestique « : Haydn, Mozart, Cherubini en écriront souvent à ce titre. Le canon possède un abondant répertoire de caractère plus ou moins populaire dû au fait que, sous sa forme la plus simple, il constitue l’un des moyens d’accès les plus aisés vers la pratique polyphonique. Le canon était autrefois considéré comme une variété de la fugue, bien que ses règles soient très différentes. C’est pourquoi Bach a pu inclure les canons (fugues canoniques) dans son Art de la fugue. 2. Par extension du sens précédent, passage en style de canon (dit aussi canonique), ou dans lequel figure un canon, qu’il soit complet ou non, mélangé ou non à d’autres parties non canoniques. Compris de la sorte, les canons sont fréquents dans la musique de toutes époques depuis le XIIIe siècle au moins, tout particulièrement dans les messes et motets de la Renaissance. 3. Dans l’Antiquité grecque, on appelait canon harmonique l’ensemble des proportions numériques calculées sur le monocorde pour définir les intervalles, d’où le nom de canonistes parfois donné aux harmoniciens de l’école pythagoricienne. 4. Dans la liturgie latine, le canon est la partie essentielle de la messe, incluant la consécration et dite à voix basse entre le Sanctus et le Pater. 5. Canon byzantin. Avec le « kontakion », le canon est la forme la plus importante dans la musique de l’Église byzantine, mais il se trouve également dans sa poésie. Sa période de floraison se situe aux VIIIe et IXe siècles, et on peut citer à ce titre le nom d’André de Crète, auteur du Grand Canon. CANONIQUE. Qui fait appel au style du canon. Bach a écrit des Variations canoniques (Kanonische Veränderungen) sur le choral « Vom Himmel hoch ». CANSO ou CANZO (provençal : « chanson »). Pièce musicale et poétique des troubadours du XIIe siècle. La forme est celle d’une série de couplets (« coblas »), pour lesquels est composée une musique originale, fondée sur les échelles modales. Très voisin de l’hymne et du versus latin, le canso chante l’amour courtois avec une extrême richesse d’invention. Dépourvu d’accompagnement dans les chansonniers, il recevait un soutien instrumental, comme l’atteste l’ico- nographie. Parmi les compositeurs de canso, citons Bernard de Ventadour (Can vei l’alautzeta mover), Jaufré Rudel (Lan can li jorn) et Raimbaud de Vaqueiras. CANTABILE (ital. : « chantant »). Terme employé pour indiquer le caractère expressif d’un morceau. Les intervalles de la mélodie sont faciles et son ambitus demeure moyen. La qualification de cantabile fut très utilisée au XVIIIe siècle pour inviter les instrumentistes à jouer une mélodie en se rapprochant au maximum du style vocal du bel canto. De nombreux mouvements lents de Mozart, par exemple, comportent l’indication andante cantabile. CANTATE (en ital. cantata, de cantare, « chanter »). Composition vocale née au début du XVIIe siècle en Italie. La cantate est directement issue du madrigal ; à l’origine, elle est tout simplement la voix supérieure de ce même madrigal, les autres parties de l’édifice polyphonique n’étant pas chantées, mais jouées soit par un seul instrument comme le luth ou le chitarrone, soit par plusieurs instruments. C’est la monodie accompagnée de G. Caccini et ses collègues, dont 12 pièces des Nuove Musiche pour voix seule et basso continuo (1602) sont appelées des madrigaux. La cantate va se développer et se partager en deux catégories : la cantate d’église, parallèlement à l’oratorio, et la cantate de chambre, qui est le plus souvent un opéra en miniature. La forme se divise en un ensemble de récitatifs et d’airs pour une, deux et parfois trois voix, soutenues par la basse continue (instrument à clavier et instrument à archet) avec parfois un apport d’instruments mélodiques (1 violon, 2 violons, flûte, hautbois, etc.). La cantate d’église doit toujours, en principe, adopter un style d’expression plus sobre, intérieur, tandis que la cantate de chambre est souvent passionnée, dramatique et se prête à des effets de virtuosité. La cantate à deux voix va devenir un terrain de prédilection pour des expériences dans le domaine de l’harmonie, des sauts d’intervalles inatten- dus, et des effets particulièrement recherdownloadModeText.vue.download 158 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 152 chés, raffinés et destinés à un public de connaisseurs (Fr. Durante). Plusieurs pièces de Monteverdi (Tempro la cetra) peuvent déjà être assimilées à la cantate. Après des exemples de Francesco Cavalli, Giovanni Legrenzi est l’un des premiers musiciens de Venise à illustrer le genre de manière importante. À Rome, Carissimi, L. Rossi, suivis d’A. Cesti, adoptent un style mélodique caractéristique de la musique de cette ville, moins élaboré et plus sévère. À Bologne, d’abord avec G. Bassani, on renouvelle la forme de la cantate par l’adjonction d’une ritournelle instrumentale en introduction à la pièce, la formule deux violons et basse continue étant très fréquente. Autre centre important, Naples : avec A. Stradella et, surtout, A. Scarlatti, la cantate devient de plus en plus lyrique et expressive, d’une profonde richesse mélodique, d’une grande virtuosité dans les airs et d’un grand naturel dans les récitatifs. C’est à Naples que l’air à da capo, forme capitale de toute la musique baroque, se concrétise et se perfectionne. En France, la cantate se développe sur le modèle italien, mais seulement vers la fin du XVIIe siècle, avec, par exemple, la cantate de M.-A. Charpentier Coulez, charmants ruisseaux. Suivent les cantates françoises de J.-B. Morin, d’A. Campra, de N. Bernier, de L.-N. Clérambault ; M. Pignolet de Monteclair et Rameau écrivent de véritables petits opéras, conçus pour une ou deux voix le plus souvent, avec ou sans instruments obligés. Bien que la cantate française soit considérée comme un genre mineur, elle tient une place importante dans le développement de la musique dramatique en France. La cantate d’église en France, à la même époque, ne prend pas le nom de cantate, mais existe néanmoins sous forme de motets, divisés en récits et airs épousant ainsi la même structure. En Allemagne, on peut noter la présence de la cantate profane, mais c’est la cantate d’église qui fleurit et qui est mise au service de la liturgie protestante. Elle naît dans la seconde moitié du XVIIe siècle avec Heinrich Schütz, dont les Geistliche Konzerte sont écrits pour une à cinq voix et basse continue, puis avec Samuel Scheidt. Ces exemples seront suivis d’un grand nombre de compositeurs avant D. Buxtehude, précurseur de J. S. Bach. Celui-ci écrit un très grand nombre de cantates de plusieurs types, destinées aux différents « temps » du calendrier chrétien, y introduit le choral protestant, les sinfonie instrumentales, des airs à da capo, souvent accompagnés d’instruments obligés recherchés pour la beauté de leur couleur (hautbois d’amour, corno da caccia, etc.), des ensembles pour 4 voix mixtes. Après Bach, qui porte le genre à son apogée, la cantate ne sera plus qu’une oeuvre de circonstance chez Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, puis Brahms et, de nos jours, Stravinski, Prokofiev, Schönberg, etc. En France, la cantate demeure un modèle de concision et de possibilités de variété dans l’expression, puisque, en raccourci, elle peut contenir toutes les formes vocales et instrumentales. De 1893 à 1969, elle sera imposée comme épreuve pour l’obtention du prix de Rome. CANTATILLE. Terme français désignant au XVIIIe siècle une petite cantate de même plan, mais pour voix seule avec accompagnement d’un clavecin, éventuellement d’un instrument soliste, rarement plus. Les sujets abordés, d’une poésie légère, sans recherche dramatique, s’inscrivent dans les divertissements de l’opéra ou de l’opéra-ballet. La cantatille est conventionnelle, mondaine, toujours élégante, souvent sur le ton de la Badine - pour citer l’exemple de Monteclair qui y décrit « la jeune et badine Lisète » se promenant accompagnée de son chien. D’autres compositeurs français, comme Mouret, Boismortier, A.-L. Couperin, etc., ont écrit de nombreuses cantatilles. CANTATRICE (en ital. cantatrice). Soliste du chant plus particulièrement classique et de haute qualité. Le terme « chanteuse », plus général, est plutôt ré- servé à la chanson populaire, de variétés ou de jazz, qui peut, elle aussi, atteindre un haut niveau artistique. CANTE JONDO ou CANTE HONDO (esp. : « chant profond »). Chant andalou ancestral portant la marque des Arabes, qui se maintinrent en Andalousie jusqu’à la capitulation de Boabdil en 1492. Il se fonde sur la richesse modale des gammes antiques, sur les mélismes liturgiques byzantins et sur un ambitus mélodique étroit, ne dépassant pas la sixte. Là où le texte suggère la passion, sa mélopée laisse place à une riche ornementation improvisée. Se souvenant des vocalises du muezzin, le cante jondo privilégie l’usage réitéré et obsédant d’une même note accompagnée d’appoggiatures inférieures ou supérieures. Sans perdre son caractère hiératique et tragique, il a été influencé dans son évolution par le chant des gitans, qui s’établirent dans la région de Grenade au XVe siècle, et s’est dès lors exprimé à travers des formes toutes liées à l’idée de tristesse poignante, d’accablante fatalité : la seguiriya gitana, au rythme et à l’intonation très libres ; la soleá, chant de l’absence, de l’abandon ; le martinete, que les forgerons gitans rythmaient de leurs coups de marteau. Confondu à tort avec le flamenco, contaminé par des formes plus extérieures et plus spectaculaires, ce genre s’était édulcoré et se mourait lorsque le Centre artistique de Grenade organisa en 1922 un concours de cante jondo. Federico García Lorca et Manuel de Falla furent étroitement associés à l’organisation de ce concours, et l’étude publiée par Falla à cette occasion joua un rôle décisif dans la restauration du cante jondo authentique. CANTELLI (Guido), chef d’orchestre italien (Novare 1920 - aéroport d’Orly 1956). À quatorze ans, il donna son premier récital de piano, puis étudia le piano et la direction d’orchestre au conservatoire de Milan avec Pedrollo, Ghedini et Antonnio Votto. En 1943, il fut nommé chef d’orchestre et directeur artistique du théâtre Coccia de Novare. Presque immédiatement interrompue par la guerre, sa carrière reprit en 1945 et sa renommée s’étendit rapidement. Toscanini, qui l’appréciait particulièrement, l’invita à diriger l’orchestre symphonique de la NBC à New York (1949). À partir de 1951, il remporta de grands succès en dirigeant le Philharmonia Orchestra de Londres. Quelques jours avant sa mort dans une catastrophe aérienne fut annoncée sa nomination comme directeur de l’orchestre de la Scala de Milan. Ses interprétations, claires, vives, fouillées, incisives, intenses mais maîtrisées, le firent considérer comme l’héritier du style de Toscanini. CANTELOUBE (Marie-Joseph), compositeur français (Malaret, près d’Annonay, Ardèche, 1879 - Paris 1957). Élève de Vincent d’Indy à la Schola cantorum, il s’imposa comme un musicien régionaliste par excellence, tirant de l’inspiration terrienne la substance même de ses compositions. Non seulement ses nombreux recueils de chants folkloriques, qu’il harmonisa avec délicatesse et esprit (5 vol. de Chants d’Auvergne, 1923-1955 ; Chants populaires de haute Auvergne et du haut Quercy ; Chants d’Angoumois, du Languedoc, de Touraine, des Pays basques, etc. ; 400 choeurs à voix égales ou mixtes : Chants paysans, Chants des terroirs, etc.), mais aussi ses opéras, le Mas (1910-1913, première représentation à l’Opéra de Paris, 1929) et Vercingétorix (1930-1932, première représentation 1933), sont imprégnés de sa tendresse pour le terroir du Massif central. Il écrivit aussi des pages instrumentales et orchestrales, édita une Anthologie des chants populaires français (4 vol., Paris, 1939-1944) et publia des études, dont les Chants des provinces françaises (Paris, 1946). downloadModeText.vue.download 159 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 153 CANTIGA (esp. : « chanson »). Ce terme général désigne toutes les chansons écrites en Espagne et au Portugal au XIIIe siècle. Les plus célèbres sont sans doute les chants religieux en l’honneur de la Vierge Marie contenus dans l’anthologie Las Cantigas de Santa María, quelque 428 pièces en langue galicienne, attribuées à Alphonse X de Castille (dit le Sage). D’autres recueils sont également conservés (Lisbonne, Rome), dans lesquels les sujets traités sont, cette fois, profanes et témoignent de l’influence de l’art des troubadours. Trois manuscrits des Cantigas de Santa María existent aujourd’hui, et ceux de l’Escorial comportent des illustrations à la fois fort belles et importantes pour notre connaissance des instruments employés à l’époque. CANTILÈNE. (en lat. cantilena). Le terme est souvent employé aujourd’hui pour désigner une ligne mélodique particulièrement chantante, qui doit se dégager en relief au-dessus de son accompagnement. C’est aussi une manière d’interpréter où l’instrumentiste doit jouer sa partie comme une mélodie vocale ; sens très proche de cantabile. Jusqu’au IXe siècle, toute pièce chantée profane à une voix, de genre épique et lyrique, ou religieuse, mais seulement de forme monodique, reçoit le nom de cantilena. Plus tard, le terme désigne le chant polyphonique et, vers la fin du Moyen Âge, également la musique instrumentale. CANTILLATION (en lat. pop. cantillare). Style d’exécution d’une pièce vocale comme une psalmodie, situé à mi-chemin entre le vrai chant et la déclamation, et adopté dans la liturgie hébraïque et la liturgie chrétienne. CANTIQUE. 1. Au sens liturgique strict, le nom de cantique est réservé aux chants d’action de grâces de certains personnages transcrits dans l’Ancien ou le Nouveau Testament sous une forme lyrique. On a recensé 17 cantiques, dont 14 proviennent de l’Ancien Testament, les 3 autres étant de saint Luc : cantique de la Vierge ou Magnificat, de Zacharie ou Benedictus (ne pas confondre avec celui du Sanctus), de Siméon ou Nunc dimittis. Les principaux cantiques de l’Ancien Testament sont ceux de Moïse, des enfants dans la fournaise, d’Ézéchias et d’Habacuc. Les cantiques se chantent à l’office de la même manière que les psaumes, mais parfois avec un timbre spécial plus solennel. On donne quelquefois le nom de « cantique christologique » au Gloria in excelsis de la messe. 2. Au XVIe siècle, la Réforme française a donné le nom de cantiques spirituels à des pièces versifiées d’inspiration religieuse ou moralisatrice, toujours en langue vulgaire, et destinées à être chantées dans les assemblées pieuses ou les réunions familiales. Une grande partie du répertoire a été élaborée en dotant de nouvelles paroles des mélodies déjà connues. Le fait de « travestir » en cantique spirituel une chanson grivoise, par exemple, était considéré comme une action pieuse. De cette manière, Un jeune moine est sorti du couvent, chanson polyphonique assez leste de R. de Lassus, devient Quitte le monde et son train décevant. Les airs de cour du siècle suivant sont également transformés en « airs de cour servant de timbre à des cantiques » (M. Lambert). Mais il existe aussi des cantiques spirituels originaux, monodiques ou polyphoniques, comme les Octonaires de la vanité et inconstance du monde, du poète huguenot A. de La Roche-Chandieu, mis en musique par L’Estocart et surtout Cl. Le Jeune. Le cantique spirituel est avec le psaume français la principale manifestation musicale du calvinisme, aspect dominant de la Réforme en France et en Suisse. 3. À partir du sens précédent, l’Église catholique a ensuite donné le nom de cantique spirituel à un répertoire spécial de chants en langue vulgaire. Il existait de tels chants depuis longtemps, puisqu’au XIe siècle, déjà, on trouve dans un manuscrit de saint Martial de Limoges un cantique en français (dialecte limousin), mais c’est surtout à partir du XVIIe siècle que la confection des cantiques prit une grande extension. Si l’on excepte certains secteurs privilégiés comme le noël, ou certaines enclaves ethniques comme la Bretagne ayant fait du cantique une des expressions de leur art populaire, il faut bien reconnaître que le cantique, d’une poésie souvent fruste ou fade, et d’une mélodie qui vaut ce que vaut sa source, présente assez rarement une valeur littéraire ou musicale appréciable. Aujourd’hui, le cantique tend à supplanter toute autre forme de musique à l’église, et l’épiscopat en organise luimême la diffusion sous forme de fiches et dispose à cet effet des services du Centre national de pastorale liturgique. CANTO CARNIALESCO (ital. : « chant carnavalesque »). Chant d’origine florentine, de la fin du XVe siècle et des premières décennies du XVIe. Conçus pour célébrer les fêtes du carnaval et exécutés sur des chars somptueusement décorés, les plus célèbres exemples du genre datent de l’époque de Laurent le Magnifique. Leur style ainsi que leur forme peuvent être associés à la frottola, c’est-à-dire à une chanson simple de caractère populaire et homorythmique. Le canto carnialesco est souvent satirique. Les textes restent pour la plupart anonymes ; en revanche, la musique révèle des noms de compositeurs connus, tels que H. Agricola ou H. Isaac. CANTOR. Mot latin signifiant « chanteur », traduit en français par chantre lorsqu’il s’agit des chanteurs d’église et spécialement de ceux chargés du plain-chant, mais qui, conservé tel quel en allemand dans l’Église luthérienne, y a d’abord désigné celui qui était chargé de guider le chant en en donnant l’intonation ; de là le terme est devenu synonyme de « maître de chapelle ». Il est parfois reproduit dans ce sens en français : c’est ainsi que J. S. Bach fut « cantor » à Saint-Thomas de Leipzig. CANTUS (lat. : « chant »). 1. S’opposant à discantus (déchant), le cantus, dans la polyphonie médiévale, désigne la vox principalis (voix principale) dont le déchant constitue l’ornementation en contrepoint (c’est-à-dire point contre point ou note contre note), de sorte que le chant peut s’exécuter sans le déchant, mais, en principe, non l’inverse. 2. Quelquefois employé au lieu de superius pour indiquer la voix supérieure d’une pièce polyphonique qui, notamment au XVIe siècle, commence à se détacher comme étant la partie la plus intéressante mélodiquement. 3. Différentes catégories de chants sont appelées par des locutions composées, soit selon le genre (cantus planus ou plainchant ; cantus mensuratus ou chant mesuré, etc.), soit selon le rite correspondant (chant byzantin, chant ambrosien, etc.). CANTUS FIRMUS. L’une des acceptions de CANTUS § 3 ayant conservé en français son expression latine. 1. Dans la polyphonie religieuse du XVe siècle et au-delà, l’une des voix de la polyphonie présentant en valeurs plus longues que les autres parties la citation littérale d’un texte connu, généralement liturgique, soit que l’ensemble de la polyphonie en soit le développement, ou l’harmonisation, soit que le cantus firmus intervienne à titre de commentaire pour une citationréférence éclairant le sens du texte. On peut faire remonter la conception du cantus firmus aux teneurs d’organa de l’école de Pérotin, où le chant donné s’étalait en valeurs longues, tandis que les autres voix tissaient une broderie en valeurs courtes. Il arrive fréquemment que le cantus firmus présente un texte latin, alors que les autres voix sont en langue vulgaire. Le mélange se trouve dans le motet au Moyen Âge (G. de Machaut) ; Dufay a écrit une déploration sur la perte de Constantinople qui emploie le même principe, O très piteulx, en lui donnant pour cantus firmus un verset latin downloadModeText.vue.download 160 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 154 des Lamentations de Jérémie. Le procédé du cantus firmus se retrouve jusque dans la musique religieuse du jeune Mozart (motet Benedictus sit). 2. Au XVIIe et surtout au XVIIIe siècle, l’usage du cantus firmus s’étend au répertoire du choral luthérien, qui l’utilise aussi bien dans les cantates religieuses que dans les développements pour orgue, notamment dans le genre dit choral figuré, illustré principalement par Pachelbel, puis par J. S. Bach. Le choral De profundis de Bach, à double pédale (Aus tiefer Noth), en constitue l’un des exemples les plus parfaits. 3. À partir du XVIIIe siècle, la pédagogie a annexé la pratique du cantus firmus en lui enlevant le caractère signifiant qui le justifiait pour le transformer en simple artifice d’écriture, enseigné comme l’une des bases du contrepoint. Le cantus firmus ainsi compris n’est plus dès lors qu’une simple suite de valeurs longues quelconques sur lesquelles l’élève est prié de réaliser certains exercices d’écriture. 4. À l’imitation du cantus firmus ancien, on désigne parfois sous ce nom une mélodie quelconque lorsque, dans un ensemble polyphonique, elle se présente en valeurs plus longues que son entourage : un exemple célèbre en est le choral qui termine la 2e symphonie d’Arthur Honegger. CANZONA ou CANZONE (ital. : « chanson « ; pl. canzone ou canzoni). Terme italien au sens plus diversifié dans le temps et dans la forme que le mot français chanson. Il peut très bien ne pas s’appliquer à une pièce vocale, bien que le caractère mélodique soit toujours présent sous une forme ou sous une autre, rappelant ainsi l’art vocal. Dérivant du canso provençal, la canzona est d’abord une forme poético-musicale cultivée en Italie, dès le XIIIe siècle, mais, cette fois, elle est polyphonique et pas nécessairement chantée. La forme en est strophique. Plus tard, vers la fin du XVe siècle et au début du siècle suivant, on donne le nom de canzona à des compositions profanes éloignées du genre populaire (frottola, strambotto). Ce caractère sérieux se retrouve bientôt dans le madrigal italien. En effet, vers le milieu du XVIe siècle, la canzona désigne au contraire une composition légère, populaire et de forme strophique, où l’écriture verticale domine afin de faciliter la compréhension du texte. Né à Naples, ce type de composition se répand dans toute l’Italie et reçoit le titre de villanella ou villota, comme le recueil d’O. de Lassus (2e Libro de Villanelle, Moresche ed Altri Canzoni..., Paris, 1581), qui contient le célèbre Matona mia cara à 4 voix. Entre-temps, sous l’influence francoflamande, les musiciens italiens font aussi des transcriptions de chansons polyphoniques de l’école parisienne (en particulier celles de Cl. Janequin), de Josquin Des Prés et de bien d’autres, pour le luth et pour les instruments à clavier. Un musicien particulièrement actif dans ce domaine est Fr. da Milano, mais on peut citer également les noms de Cl. Merulo ou de G. Cavazzoni, l’auteur d’une Canzon sopra Il est bel est bon du Parisien Passe- reau. Après 1560, la forme instrumentale de la canzona francese se développe rapidement ; elle peut soit être une adaptation d’une pièce vocale, soit n’en prendre qu’une phrase, ou encore devenir une composition originale dans le même esprit, un des liens essentiels avec la chanson étant le rythme caractéristique du début : blanche-noire-noire. Cette musique devient plus idiomatique et mène à l’éclosion de la sonate. Les canzone les plus célèbres - destinées à tout un assortiment d’instruments auxquels les voix peuvent se joindre -, et peut-être aussi les meilleures, sont l’oeuvre de G. Gabrieli. Mélangées à des sonate, genre plus solennel, ces canzone sont publiées à Venise chez Gardano (Sacrae Symphoniae, 1597 ; Canzoni e Sonate, 1615), ainsi que chez Raverio dans une anthologie datant de 1608. L’écriture en imitation demeure fréquente dans ces pièces, mais on y trouve également de nombreux passages homorythmiques en même temps que plusieurs thèmes. Une variété rythmique est aussi introduite au moyen de sections contrastantes (binaires/ternaires) ; les instruments sont souvent répartis en deux groupes qui dialoguent entre eux. Les lignes mélodiques de Gabrieli (surtout celles des cornetti) peuvent recevoir une ornementation en diminution, du genre proposé par le « chef des instruments à vent » à Saint-Marc de Venise, le cornettiste G. dalla Casa, dans son ouvrage théorique (1584). Encore une fois, la canzona évolue vers une forme instrumentale, sans doute sous l’influence de sa voisine la sonata et sous celle du grand maître G. Frescobaldi, qui compose à la fois des canzone traditionnelles et d’autres fondées sur un seul thème avec variations. Ce dernier type de canzona, destiné aux instruments à clavier, continue à être écrit jusqu’au XVIIIe siècle. J. S. Bach en a signé un exemple, la Canzona (BWV 588, v. 1709). CANZONETTA (ital. : diminutif de canzona, « chansonnette »). Composition vocale profane de la fin du XVIe siècle, issue de la musique de danse instrumentale, c’est-à-dire de la bassedanse. Il s’agit d’une chanson dans laquelle se mêlent des éléments populaires et ceux, plus savants, du madrigal aristocratique. Généralement composée à 3 ou à 4 voix et de forme strophique, la canzonetta se caractérise par l’importance du cantus et du bassus, c’est-à-dire de la voix supérieure mélodique et de la basse qui joue un rôle essentiellement harmonique. L’importance de ces deux parties va conduire éventuellement à la cantate, mais d’abord à l’introduction de la basse continue. Les petites cantates du début du XVIIe siècle, telles que celles d’un L. Rossi ou d’un C. Caproli, reçoivent souvent le titre de canzone, de préférence à celui de canzonetta qui désignerait plutôt un air court et léger. Plus tard, le terme de canzonetta s’applique à une composition assez simple, et sans forme bien déterminée, pour une voix avec accompagnement. J. Haydn, par exemple, a écrit deux recueils de 6 Canzonets sur des textes anglais (1794, 1795) et, là encore, la forme strophique domine. CAPDEVIELLE (Pierre), compositeur et chef d’orchestre français (Paris 1906 Bordeaux 1969). Élève de Gédalge, Paul Vidal et Vincent d’Indy, il débuta en 1930 comme chef d’orchestre à l’Opéra de Grenoble. Nommé en 1944 directeur des émissions de musique de chambre à la radio, il fonda en 1952 l’Orchestre de chambre de la Radiodiffusion française. Son oeuvre comprend des mélodies sur des poèmes d’Apollinaire, Baudelaire, Suarès, Rilke, etc., de la musique instrumentale, 3 symphonies (1936, 1942, 1953), des fresques symphoniques (Incantation pour la mort d’un jeune spartiate, 1931), de la musique de scène, des cantates (la Tragédie de Pérégrinos, 1941) et deux opéras, les Amants captifs (19471950, première représentation 1960) et la Fille de l’homme (1967). CAPE (Safford), chef de choeur et compositeur américain (Denver, Colorado, 1906 - Bruxelles 1973). Il a étudié le piano et la composition à Denver, puis, à partir de 1925, à Bruxelles, où il a été l’élève de R. Moulaert (composition) et de Ch. Van den Borren (musicologie). En 1933, toujours à Bruxelles, il a fondé l’ensemble Pro musica antiqua afin de faire connaître la musique du Moyen Âge (G. de Machaut) et de la Renaissance à travers des interprétations d’un grand sérieux musicologique et d’un goût très sûr. Safford Cape a lui-même composé un trio à cordes, un trio avec piano, des pièces pour piano et de la musique vocale. CAPET (Lucien), violoniste, pédagogue et compositeur français (Paris 1873 - id. 1928). Élève de Jumas et Maurin au Conservatoire de Paris, il y obtint un premier prix de violon en 1893 et fonda aussitôt après un quatuor à cordes portant son nom, auquel il se consacra en même temps qu’à downloadModeText.vue.download 161 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 155 une carrière de soliste, et qui acquit une réputation mondiale. Professeur au conservatoire de Bordeaux de 1899 à 1903, il fut, à partir de 1907, titulaire de la classe de musique de chambre au Conservatoire de Paris ; il se lia alors avec Tournemire, qui lui enseigna la composition. Parallèlement, le quatuor Capet poursuivait son activité, s’illustrant en particulier dans les oeuvres de Beethoven. Lucien Capet a écrit 5 quatuors, 2 sonates, 6 études et diverses pièces pour violon, ainsi que quelques oeuvres symphoniques et vocales. Il est l’auteur d’un important ouvrage théorique, la Technique supérieure de l’archet (Paris, 1916). Il a aussi laissé une édition des quatuors de Beethoven. CAPITOLE (Théâtre du). Fondé à Toulouse en 1736, reconstruit en 1880, détruit par le feu en 1917, il a été entièrement rénové en 1974. Dans ce haut lieu du théâtre lyrique en France ont débuté plusieurs des meilleures voix françaises. Dirigé depuis 1990 par Nicolas Joël, il a vu au cours de la période récente les créations de Hop, Signor de Manuel Rosenthal (1962), du Silence de la mer d’Henri Tomasi (1964), de Gambara d’Antoine Duhamel (1980), de Montségur de Marcel Landowski (1985). Régionalisé en 1974, dirigé depuis 1968 par Michel Plasson, l’Orchestre du Capitole a acquis, grâce notamment à ses enregistrements de musique française, une dimension d’orchestre symphonique international. CAPLET (André), compositeur et chef d’orchestre français (Le Havre 1878 Neuilly-sur-Seine 1925). Après avoir entrepris des études musicales au Havre, il entra, en 1896, au Conservatoire de Paris dans les classes de Leroux, Lenepveu et Vidal, et remporta en 1901 le premier grand prix de Rome avec sa cantate Myrrha. Il débuta comme timbalier dans l’orchestre des Concerts Colonne et devint rapidement l’assistant d’É. Colonne. Directeur de la musique à l’Odéon à partir de 1899, Caplet fut aussi chef d’orchestre à l’opéra de Boston de 1910 à 1914. Mais la guerre interrompit sa brillante carrière ; touché par les gaz, il vit sa santé compromise et dut peu à peu réduire son activité. Aussi renonça-t-il à la direction de l’Opéra de Paris (1919), ainsi qu’à celle des orchestres des Concerts Lamoureux (1920) et des Concerts Pasdeloup (1922). Très lié avec Debussy - il dirigea la création du Martyre de saint Sébastien (Paris, 1911) et orchestra ou réduisit plusieurs de ses oeuvres -, Caplet se dégagea progressivement de l’influence de ce dernier, par exemple dans le Vieux Coffret (1917). Il devait aussi rejeter celle de Fauré. La pratique de la scène lyrique lui fit acquérir une connaissance des possibilités de la voix humaine qu’il utilisa avec une certaine audace (Inscriptions champêtres, 1914). On n’hésita pas à voir dans les quinze vocalises du Pain quotidien les prémices de la technique moderne du chant. Comme Debussy, le compositeur fréquenta Solesmes et se familiarisa avec le plain-chant ; sa foi lui inspira des oeuvres très attachantes (le Miroir de Jésus, 1923 ; Prières, 1914-1917) ; la Messe à 3 voix, 1919-20), caractéristiques de son souci d’un langage personnel exempt de stéréotypes. Caplet a écrit quelque trente-cinq mélodies, personnelles, difficiles à interpréter (en particulier les parties de piano). Soulignons enfin la hardiesse avec laquelle il employa la harpe dans le Masque de la mort rouge ou le violoncelle dans Épiphanie, ses deux oeuvres instrumentales essentielles. CAPODASTRE (en ital. capotasto). Petite barre d’ébène, d’ivoire ou de métal, placée transversalement en haut de la touche de certains instruments à cordes pincées (luth, guitare), et qui sert à raccourcir la longueur des cordes afin de modifier l’accord de l’instrument. Un type de doigté appelé le « barré » sert à obtenir le même résultat. Enfin, pour le violoncelle et la contrebasse, l’emploi particulier du pouce gauche, délimitant la longueur de vibration des cordes, constitue une technique qui fut connue parfois, jadis, sous le nom de capodastre. CAPRICCIO (ital. : « caprice »). Au XVIIe siècle, ce terme désigne une forme instrumentale, généralement courte, de caractère léger et souvent amusant, improvisée et pleine de fantaisie. Le capriccio emploie une écriture contrapuntique et ressemble à la canzona ; en effet, il n’y a guère de différence entre ces deux termes. On trouve les meilleurs exemples de capriccio chez Frescobaldi où un thème, comme celui du Capriccio sopra l’aria di Ruggiero, est exposé et suivi de plusieurs sections traitées en variations. Au XVIIIe siècle, J. S. Bach écrit un Capriccio sopra la lontananza del suo fratello dilettissimo. La forme contrapuntique du capriccio a contribué à la naissance de la fugue. Plus tard, prenant un sens plus général, le terme désigna une pièce libre, brillante et rapide, indiquant plutôt une manière de jouer. Le capriccio est soit un morceau pour instrument seul (les 24 Capricci de Paganini), soit une oeuvre concertante (Rondo capriccioso pour piano et orchestre de Mendelssohn), mais, dans les deux cas, prime le côté virtuose. Enfin, le capriccio peut être une pièce pour orchestre : par exemple, les évocations lors du mouvement des écoles nationales de la seconde moitié du XIXe siècle (Capriccio espagnol de Rimski-Korsakov, Capriccio italien de Tchaïkovski). CAPROLI ou CAPRIOLI (Carlo), dit CARLO DEL VIOLINO, compositeur italien (Rome v. 1615 - id. v. 1693). Élève de Luigi Rossi, il entra au service du prince Ludovisi, neveu du pape Innocent X. Sa réputation était déjà considérable lorsque l’abbé Francesco Buti, poète, librettiste et agent de Mazarin, le fit venir à Paris avec une troupe de chanteurs. Son opéra Le Nozze di Peleo e di Theti fut représenté le 14 avril 1654 à l’hôtel du Petit-Bourbon. Le spectacle, heureux mélange de comédie italienne et de ballet de cour français, connut un immense succès. Malheureusement, la partition de Caproli est aujourd’hui perdue. Seuls les airs du ballet, oeuvre de musiciens français, ont été conservés. Malgré cette réussite, le musicien regagna Rome, accompagné de sa femme, la Signora Vittoria, qui avait chanté le rôle de Theti. Sur la recommandation de Mazarin, il entra au service du cardinal Barberini (jusqu’en 1665). Gardien de la section des instruments de l’Accademia di Santa Cecilia, il fut nommé maître de chapelle de Saint-Louis-desFrançais (1667). Bien que son oeuvre demeure quasi inconnue, on sait que Caproli fut considéré, en son temps, comme l’un des meilleurs compositeurs de cantates. Quelque 70 canzoni e cantate témoignent de l’art subtil et extrêmement raffiné de ce musicien, tout comme l’oratorio Davide prevaricante e poi pentito (1683). CAPRON (Nicolas), violoniste et compositeur français ( ? v. 1740 - Paris 1784). Élève de Gaviniès, Capron fut l’un des violonistes les plus célèbres de son temps. Il fit carrière à l’Opéra-Comique, où il figure parmi les musiciens dès 1756, puis dans l’orchestre de La Pouplinière et au Concert spirituel, où il occupa, à partir de 1765, le poste de premier violon, qu’il conserva jusqu’à sa mort. Virtuose et excellent professeur, il composa pour l’instrument dont il jouait un recueil de sonates. Premier Livre de sonates à violon seul et basse op. 1 (1768), des concertos, dont la musique n’est pas conservée, et Six Duos pour 2 violons op. 3 (1777). Ses oeuvres témoignent des préoccupations de ses contemporains par l’adoption de la forme tripartite, du bithématisme dans l’allegro initial et du jeu de nuances préconisé par l’école de Mannheim. CARA (Marco Marchetto), compositeur italien (Vérone ? - Mantoue 1527). De 1495 à 1525, Cara résida à Mantoue, à la cour du marquis de Gonzague et dans le cercle musical qui entourait son épouse, Isabelle d’Este. ll suivit son maître à travers l’Italie du Nord (Venise, Milan), à une downloadModeText.vue.download 162 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 156 époque marquée par les vicissitudes de la guerre, notamment avec la France. Célèbre en son temps comme luthiste et comme chanteur, il fut, avec Tromboncino, l’un des compositeurs les plus importants de frottole, forme qui engendra le madrigal ; il en composa au moins une centaine. Cosimo Bartoli devait voir en lui l’un des successeurs les plus doués de Josquin Des Prés. En revanche, les frottole de Cara rendaient grand service à Isabelle d’Este, qui cherchait, avec ces compositions simples et attrayantes, le moyen de détrôner l’art franco-flamand en Italie. Ces oeuvres ont été publiées dans les recueils parus chez Petrucci à Venise (1504-1514), ainsi que dans d’autres publiés à Rome. Quelques pièces religieuses sont également attribuées à ce compositeur. CARAFA DI COLOBRANO (Michele), compositeur italien naturalisé francais (Naples 1787 - Paris 1872). Fils d’un prince de Colobrano, formé à Naples et à Paris, il fut officier de l’armée de Murat en Russie et ne se consacra définitivement à la composition qu’après Waterloo. Il triompha aussitôt avec une Gabriella di Vergy écrite pour Isabelle Colbran (Naples, 1816), et fit représenter à Paris Jeanne d’Arc d’Orléans (1821) et le Solitaire (1822). Fixé en France en 1827, naturalisé en 1834, il succéda à Lesueur à l’Institut, puis enseigna l’écriture au Conservatoire de Paris de 1840 à 1858. Outre plusieurs messes, un Stabat Mater et un Requiem, il donna de 1814 à 1838 quelque trente-six opéras francais ou italiens, enrichissant le style napolitain traditionnel par une écriture orchestrale extrêmement raffinée. Michele Carafa di Colobrano eut la malchance de mettre en musique plusieurs livrets qui devaient plus tard être repris par Auber, Donizetti ou Mercadante dans des oeuvres dont le succès effaça les siens. Il demeura un peu dans l’ombre de Rossini, qui le chargea d’écrire un ballet pour la reprise de sa Sémiramis à Paris en 1860. CARCASSI (Matteo), guitariste italien (Florence 1792 - Paris 1853). Avec son compatriote Carulli, il fut célèbre à Paris à partir de 1820. Sa carrière se partagea entre l’enseignement et les tournées de concerts qui lui firent parcourir l’Allemagne, l’Italie et l’Angleterre avant qu’il ne se fixât en France. Également compositeur, il écrivit quelque quatre-vingts pièces diverses pour la guitare, mais la part la plus intéressante de son oeuvre est constituée par sa Méthode et ses Études, qui témoignent d’une réelle expérience pédagogique. CARDEW (Cornelius), compositeur anglais (Winchcombe, Gloucestershire, 1936 - Londres 1981). Choriste à Canterbury (1943-1950), élève de la Royal Academy of Music de Londres (1953-1957), il a étudié ensuite la musique électronique à Cologne (1957-58), où il fut aussi assistant de Stockhausen (19581960), et avec Petrassi à Rome (1964-65). Ses premières pièces, d’esprit sériel, et la plupart pour piano (February Pieces, 1959-1961 ; 2 Books of Study for Pianists, 1959), exigent beaucoup de l’interprète sur le plan technique. À partir de 1960, sous l’influence de Cage, il s’est orienté vers la notation graphique et l’aléatoire (Treatise, 1963-1967). Cofondateur en 1969 du Scratch Orchestra, censé pratiquer la création collective, il s’est, en 1971, détourné de cette expérience, à son avis toujours coupée de la réalité sociale, pour fonder l’Ideology Group. Il s’est efforcé, depuis lors, à partir d’analyses marxistes, d’explorer les rapports entre la classe prolétarienne et la musique, et ce aussi bien dans ses écrits (Stockhausen Serves Imperialism, 1974) que dans sa musique (Four Principles on Ireland and Other Pieces, 1974). CARDON, famille de musiciens français du XVIIIe siècle, qui s’illustra par deux compositeurs. Jean-Guillain (Mons 1722 - Versailles 1788). Il arriva à Paris en 1761, entra, trois ans plus tard, à la chapelle royale comme violoniste et fut nommé en 1772 maître de violon du comte de Provence, futur Louis XVIII. Avant de devenir aveugle en 1780, il composa pour cet instrument des duos et des sonates, parus entre 1764 et 1770. Il publia également des recueils d’airs et d’ariettes avec accompagnement de violon, des trios à grand orchestre (1768 et 1772) et, à la fin de sa vie, un traité, le Rudiment de la musique ou Principes de cet art mis à la portée de tout le monde, par demandes et réponses (1786). Jean-Baptiste (Rethel v. 1760 - Saint-Pétersbourg 1803). Fils du précédent, il se fit connaître comme harpiste et, après avoir été au service de la comtesse d’Artois, il enseigna l’instrument dont il jouait à la cour. La Révolution allait interrompre sa carrière en France et l’amena à s’exiler en Russie, où il entra au service de Catherine II (1794). Il écrivit pour la harpe plusieurs sonates, deux symphonies concertantes (1787), deux trios (1790), et lui consacra un traité paru en 1784, l’Art de jouer de la harpe. CARDONNE (Jean-Baptiste, dit Philibert), compositeur français (Versailles 1730 - ? apr. 1792). Versaillais, il fit carrière à la cour en débutant comme page de la musique royale, sous la direction de Colin de Blamont. En 1743, son premier motet était exécuté et, deux ans plus tard, Cardonne entra comme chanteur à la chapelle royale, poste qu’il garda jusqu’à la Révolution. En 1755, il fut nommé maître de luth des pages, puis claveciniste et, en 1777, maître de musique de la Chambre, avant de devenir en 1781 surintendant honoraire. Son oeuvre variée comprend des sonates en trio pour deux violons et basse (1764), des sonates pour clavecin et violon obligé (1765), des syrnphonies, des concertos, des motets (17431748), des ariettes, une tragédie lyrique, Omphale (1769), et Ovide et Julie, acte de l’opéra-ballet les Fragments héroïques (1773). Son oeuvre lyrique, représentative de l’opéra français traditionnel, fut victime des attaques des partisans de la musique italienne. CARILLON. Jeu de cloches (sans battant), de timbres ou de tubes permettant un jeu mélodique plus ou moins étendu et varié suivant le nombre de ses éléments (quatre notes seulement pour les carillons primitifs et même ensuite pour certains carillons célèbres, comme le carillon de Westminster). À l’origine, qui semble remonter au haut Moyen Âge en ce qui concerne l’Europe occidentale, les corps sonores étaient frappés à l’aide d’un ou deux petits marteaux tenus à la main, comme c’est encore le cas du carillon d’orchestre ( ! CLOCHES). Mais, à partir du XIVe siècle et jusqu’au XVIe, qui vit son apogée aux Pays-Bas et sa large diffusion dans les pays voisins, le carillon connut des perfectionnements considérables. Les cloches se multipliant, chacune fut pourvue d’un marteau articulé, relié par câble à l’une des touches d’un gros clavier que le carillonneur frappait à coups de poing. Les modèles les plus importants étaient même munis d’un pédalier. Ainsi l’humble sonneur finit-il par se doubler d’un virtuose, voire d’un improvisateur, à l’occasion des fêtes carillonnées. D’autre part, le rôle fonctionnel du carillon en tant que complément des cloches d’église ou de beffroi entraîna l’invention de dispositifs mécaniques déclenchés par l’horloge elle-même. Le carillon put alors jouer automatiquement, à des heures déterminées, des airs préalablement « enregistrés » sur des cylindres à picots, ou plutôt à taquets, qui actionnaient les marteaux. Les carillons de ce type étaient parfois associés à des automates dont certains (jacquemarts) participaient à la percussion des cloches. Il en est qui fonctionnent encore, notamment en pays flamand où ils ont été soigneusement conservés, restaurés ou reconstitués. Par la suite, les marteaux ont été mis en mouvement par des systèmes pneumatiques, puis électriques, commandés par un clavier ordinaire qui peut éventuellement, dans le cas des cadownloadModeText.vue.download 163 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 157 rillons d’église, faire partie de la console de l’orgue. Signalons, enfin, les carillons électroniques, qui ne font qu’imiter la sonorité joyeuse et cristalline des cloches. Les carillons de porte, faits d’une grappe de tubes métalliques qui tintent en s’entrechoquant, ne sont pas à proprement parler des instruments de musique. En revanche, des carillons de bambou, tout à fait semblables aux carillons de porte sauf quant à la matière première, ont leur place parmi les percussions dans certains ensembles extrême-orientaux, et même dans les orchestres occidentaux modernes sous le nom anglais de wood-chimes, qui signifie littéralement « carillon de bois ». Le terme de carillon s’applique également aux morceaux de musique conçus non seulement pour le carillon, mais pour d’autres instruments chargés de l’évoquer (clavecin, piano, et, très fréquemment à l’époque moderne, orgue : Carillon de Marcel Dupré, Carillon de Westminster de Louis Vierne). Au XXe siècle, l’art des carillonneurs a connu une renaissance, actuellement personnifiée, en France, par exemple, par Jacques Launoy. CARILLON-LYRE. Glockenspiel dont les lames sont disposées verticalement, dans un cadre en forme de lyre qui est lui-même monté sur une hampe, comme le chapeau chinois. Cet instrument portatif, dont l’étendue ne dépasse pas l’octave, n’est employé que dans les ensembles de type militaire. CARISSIMI (Giacomo), compositeur italien (Marino, près de Rome, 1605 - Rome 1674). Peu de renseignements nous sont parvenus sur sa vie. On sait seulement qu’il fut chantre et organiste de la cathédrale de Tivoli (1624-1627), puis maître de chapelle de la cathédrale d’Assise (1628-29). De 1630 à sa mort, il occupa le poste de maître de chapelle de Saint-Apollinaire à Rome. Si Carissimi voyagea peu au cours de sa carrière, ses oeuvres, en revanche, furent estimées et jouées partout en Europe ; l’étendue de leur popularité est confirmée par le fait que des manuscrits de sa musique sont conservés dans de nombreuses bibliothèques, non seulement en Italie, mais aussi en Allemagne, en France et en Angleterre. L’excellent Dr. Burney qualifia Carissimi d’« admirable maître ». Et tout aussi élogieux furent les Français Maugars et P. Bourdelot. Carissimi est indiscutablement l’un des premiers grands maîtres de l’oratorio. Dans cette forme, il succéda à Cavalieri et à Quagliati, prenant comme point de départ le motet latin et faisant dialoguer les choeurs avec des voix seules qui incarnent les différents personnages du drame. En principe, le texte biblique est raconté par l’historicus ; les choeurs commentent l’action, renforçant ainsi l’expression, mais parfois aussi, ils sont utilisés à des effets spéciaux (échos) comme dans Jephté, le mieux connu des oratorios de Carissimi. Pour le rôle de la fille de Jephté, le plus développé de l’ouvrage, le compositeur emploie le style récitatif, le style arioso et l’air avec une grande souplesse. Sa production de musique religieuse est considérable : elle va du petit motet en dialogue (Tolle Sponsa), de l’histoire sacrée qui fait appel à trois personnages (Historia di Job) à l’oratorio en deux parties (Diluvium universale) pour lequel douze voix sont nécessaires. Quelles que soient les proportions de l’oeuvre, tout repose sur la seule basse continue, sauf dans de rares exceptions où deux violons prêtent leur concours (Historia di Ezechia). En revanche, les récitatifs, airs, duos, trios et choeurs (qui semblent demander un effectif réduit en raison des dimensions de l’accompagnement), parfois à huit voix en double choeur, se mêlent avec bonheur. Si l’aspect théâtral se fait sentir, il demeure discret et du meilleur goût, préservant une atmosphère de musique de chambre. La même variété de formes et de moyens d’expression caractérise les quelque 130 cantates de Carissimi. Peut-être son génie se manifeste-t-il ici mieux qu’ailleurs. Bien que le sujet traité soit généralement celui des peines d’amour, Carissimi est l’un des rares compositeurs romains à utiliser des thèmes comiques (Amor mio, che cosa è questo ?) ou à évoquer le jugement dernier (Suonerà l’ultima tromba) avec une puissance dramatique inattendue dans un genre si intime. C’est également dans ses cantates que le musicien se montre le plus sensible aux raffinements harmoniques ; la beauté des lignes mélodiques témoigne d’une certaine réserve, typique de l’école romaine. Au cours de sa brillante carrière, Giacomo Carissimi a trouvé le temps de former au moins trois élèves illustres : le Français M.-A. Charpentier, ainsi que les deux Italiens P. Cesti et A. Scarlatti. CARLIER, famille de facteurs d’orgues français des XVIe et XVIIe siècles. Originaires des Flandres, les Carlier travaillèrent dans le nord de la France, dans la région parisienne, en Normandie et dans les pays de la Loire. Crespin Carlier, de Rouen, construisit en 1620 les orgues de la collégiale de Saint-Quentin et, en 1629, celles de Saint-Ouen à Rouen. CARLSTEDT (Jan), compositeur suédois (Orsa 1926). Élève de Lars Erik Marsson à Stockholm (1948-1952), il a aussi étudié à Londres (1952-53), à Rome (1954-55), en Tchécoslovaquie et en Espagne. Il a joué un rôle important dans la vie musicale de son pays, fondant en 1960 la Société de musique contemporaine de Stockholm, et, en 1961, la branche suédoise des Jeunesses musicales. Parti du sérialisme, il a évolué vers un style où la tonalité retrouvait sa place. Sa symphonie no 1 date de 1952-1954 (rév. 1961). La deuxième, dite Symphonie de la fraternité (1968-69), est un hommage à Martin Luther King. On lui doit aussi, entre autres, quatre quatuors à cordes (1951-52, 1966, 1967 et 1972), un concerto pour violoncelle (1970) et un autre pour violon (1975). CARMAGNOLE. Chanson révolutionnaire anonyme, datant de l’époque où Louis XVII fut prisonnier au Temple, et danse, en forme de ronde, qui l’accompagnait. L’une et l’autre tenaient sans doute leur nom d’une pièce de vêtement : la veste à courtes basques et large collet, garnie de plusieurs rangs de boutons métalliques, que portaient dans le Midi les ouvriers piémontais originaires de Carmagnola. Inconnu à Paris jusqu’en 1792, ce costume y devint subitement populaire lors de l’arrivée des fédérés marseillais. CARMEN (Johannes), compositeur français de la première moitié du XVe siècle. Il fut qualifié d’« escripvain et noteur de chant » en 1403. Il fut chantre en l’église Saint-Jacques-de-la-Boucherie à Paris et est cité par Martin Le Franc dans son Champion des dames (v. 1440). On a conservé de lui deux motets isorythmiques et un motet à 4 voix, Pontifici decori speculi, en hommage à saint Nicolas. Ce dernier, bel exemple d’un rationalisme musical raffiné, combine une structure isorythmique générale et l’emploi pour les deux voix supérieures d’un canon, l’écriture de l’ensemble faisant songer à Ciconia. Ces trois motets ont été publiés par G. Reaney (Early, 15th Century Music, CMM II/I, 1955). CARMIRELLI (Pina), violoniste italienne (Varzi 1914 - Carpena 1993). Étudiant d’abord le violon et la composition au Conservatoire de Milan, elle remporte en 1937 le Prix national Stradivarius à Crémone, puis le Prix Paganini en 1940. Elle va devenir une éminente chambriste, fondant en 1949 le Quintetto Boccherini, qui s’attache à la redécouverte du compositeur éponyme. Elle est aussi premier violon du Quatuor Carmirelli, en activité de 1954 à 1962. En octobre 1962, l’Académie Sainte-Cécile de Rome lui confie le célèbre Stradivarius Toscan daté de 1690. Elle devient la partenaire de Rudolf Serkin au Festival de Marlboro et au Carnegie Hall en 1970, pour une intégrale des sonates de Mozart. En 1977, elle remplace Salvatore Accardo comme violon solo de I Musici. downloadModeText.vue.download 164 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 158 Enfin, en 1979, elle fonde le Quintetto Fauré di Roma. CARNEYRO (Claudio), compositeur portugais (Porto 1895 - id. 1963). Fils du peintre Antonio Carneiro, il vécut dans un milieu artistique. Sa vocation musicale s’affirma tardivement. Élève, à Porto, de Miguel Alves et de Carlos Dubbini (violon) ainsi que de Lucien Lambert (composition), il partit pour Paris en 1919 et s’y perfectionna avec Boucherit et Bilewski. Nommé professeur de solfège au conservatoire de sa ville natale en 1921, il retourna à Paris en 1924 pour y fréquenter la classe de composition de Charles-Marie Widor. Son oeuvre Prélude, choral et fugue, créée au théâtre du Châtelet par l’orchestre Colonne sous la direction de Gabriel Pierné, le 27 octobre 1923, y fut redonnée le 14 novembre 1925. Une bourse du gouvernement portugais permit à Carneyro de partir, en 1926, pour les États-Unis, où il épousa la violoniste Katherine M. Hickel (1927). De retour à Porto à la fin de 1928, il fit un nouveau séjour à Paris en 1933 pour travailler avec Paul Dukas. Enfin, il se fixa définitivement à Porto à partir de 1938. Nommé professeur de composition au conservatoire à la mort de Lucien Lambert, il organisa et dirigea un orchestre de chambre, fit des conférences, donna des leçons publiques, devint consulteur de la Radiodiffusion et membre du Cabinet d’études musicales de cette institution. Sa liste d’oeuvres augmenta et les premières auditions se succédèrent. En 1955, il fut nommé directeur du conservatoire de musique de Porto, se rendit en 1956 aux États-Unis, mais des difficultés de santé allaient bientôt l’éloigner de ses fonctions et diminuer ses activités. Carneyro avait hérité de son père - dans l’atelier duquel il habitait quand la mort le frappa - la sensibilité et la probité artistiques. Modestie, un certain mysticisme, goût pour le passé, étaient d’autres traits de sa personnalité, que son oeuvre reflète. Il a parfois cherché l’inspiration dans le folklore portugais et créé de très belles mélodies avec piano et avec orchestre. Parmi ses compositions, il faut citer Harpa Eolia, Paciências de Ana Maria, Raiana, Bailadeiras, pour piano (cette dernière aussi en versions d’orchestre, 1954 et 1962), Gradualis (1962), Portugalesas pour orchestre, Khroma (1954) pour alto et orchestre, et une importante musique de chambre, dont un quatuor à cordes, un quatuor avec piano, une Sonata pour violon et piano. CAROL (terme angl. prov. du fr. carole). Chanson qui consiste en un refrain à danser, ce refrain alternant avec des strophes confiées à une voix soliste. Au XVe siècle, la strophe garde sa forme monodique, mais le refrain est traité polyphoniquement. Depuis la Réforme, le carol est associé à la fête de Noël, ce qui est encore le cas aujourd’hui en Angleterre, où il désigne tout chant de Noël, traditionnel ou non. C’est à Benjamin Britten que l’on doit, au XXe siècle, une composition fondée sur cette tradition : A Ceremony of Carols. CAROLAN ou O’CAROLAN (Turlough), compositeur et harpiste irlandais (Nobber, comté de Meath, 1670 - Ballyfarnon, comté de Roscommon, 1738). Il apprit à jouer de la harpe après être devenu aveugle à dix-huit ans, et mena ensuite une vie itinérante, composant à la fois la musique et les paroles des chants qu’il interprétait. Ses quelque 220 chan- sons sont toutes en gaélique sauf une seule, O’Carolan’s Devotion (en anglais). Il fut le plus célèbre des musiciens itinérants irlandais, et le dernier à être également compositeur. Il semble avoir bien connu la musique « savante » de son temps, en particulier celle de Geminiani. En 1748, son fils collabora à une première édition de ses oeuvres, qui, malheureusement, n’a survécu qu’incomplète. On ignore en outre à peu près totalement comment il harmonisait ses chansons. Vers 1780 parut à Dublin A Favourite Collection of... Old Irish Tunes of... Carolan. CARON (Firmin ou Philippe), compositeur français (XVe s.). Loyset Compère voit en lui un magister cantilenarum, tandis que Tinctoris, dans son Liber de arte contrapuncti et dans son Proportionale, le rapproche d’Ockeghem et de Busnois dont il fut le contemporain. Peut-être eut-il même la chance d’être l’élève de Dufay. Quoi qu’il en soit, Caron s’efforce, comme lui, d’enjamber mélodiquement chaque vers. Il prise le temps binaire et le rythme du dactyle (une blanche suivie de deux noires), lequel se maintint longtemps dans la chanson française. Il possède un sens certain de la clarté et de la ligne mélodique. On lui doit une vingtaine de chansons, dont Accueillie m’a la belle, et quatre messes (Missa super l’Homme armé ; Accueillie m’a la belle ; Super Jesus autem ; Clemens et benigna). CARPANI (Giuseppe), écrivain, librettiste et poète italien (Vill’Albese, Côme, 1752 - Vienne 1825). Il vécut à Milan, puis, à partir de 1797, à Vienne. Son poème In questa tomba oscura fut mis en musique par plusieurs compositeurs dont Beethoven, et il traduisit en italien le livret de la Création de Haydn. Il a survécu essentiellement grâce à deux ouvrages consacrés respectivement à Haydn et à Rossini : Le Haydnine ovvero Lettere sulla vita e le opere del celebre maestro Giuseppe Haydn (Milan 1812, 2e éd. révisée Padoue 1923, trad. française Paris 1837), une des trois « biographies authentiques » de ce compositeur (ouvrage par certains côtés assez fantaisiste et plagié par Stendhal en 1814), et Le Rossiniane ossia Lettere musico-teatrali (Padoue 1824). CARPENTER (John Alden), compositeur américain (Park Ridge, Illinois, 1876 Chicago 1951). Élève de Paine (comme la plupart des compositeurs américains de sa génération) et d’Elgar, il mena de front, comme Ives, la composition et une carrière d’homme d’affaires, subissant tour à tour l’influence allemande et l’influence française. Son Concertino pour piano et orchestre (1915, révisé en 1947) et son ballet Krazy Kat (1921) sont les premiers exemples d’utilisation du jazz dans la musique américaine. L’humour des Aventures in a Perambulator (créé à Chicago en mars 1915) incita Diaghilev à lui commander un ballet s’inspirant de la vie et de l’esprit des États-Unis (Skyscrapers, 1926). Ses dernières oeuvres 2 Symphonies (1re symphonie en do maj., 1917, révisée en 1940 ; 2e symphonie, 1942), les 7 Âges (1945), Carmel Concerto (1948) - témoignent d’une plus grande densité de pensée. CARRÉ (Albert), auteur dramatique, librettiste et homme de théâtre français (Strasbourg 1852 - Paris 1937). Il dirigea l’Opéra-Comique de Paris à deux reprises, de 1898 à 1913, y faisant représenter Louise de Gustave Charpentier (1900) et Pelléas et Mélisande de Debussy (1902), puis de 1919 à 1925. Il fournit à Messager le livret de la Basoche (1890). CARRÉ (Michel), auteur dramatique et librettiste français (Paris 1819 - Argenteuil 1872). Oncle d’Albert Carré, il travailla, seul ou en collaboration avec Jules Barbier, pour Meyerbeer (le Pardon de Ploërmel), Gounod (huit livrets dont ceux de Faust, Mireille et Roméo et Juliette), Ambroise Thomas (Hamlet, Mignon), et écrivit la pièce dont sortit le livret des Contes d’Hoffmann d’Offenbach. CARRERAS (José), ténor espagnol (Barcelone 1946). Il commence le piano et le chant dès l’âge de six ans. Encore enfant, il est remarqué dans le Retable de maître Pierre de Falla dirigé par José Iturbi. Il étudie ensuite au Conservatoire de Barcelone, et débute au Liceo de Barcelone dès 1971. Les encouragements de Montserrat Caballé lui valent ses premiers engagements internationaux. En 1973, il chante la Bohème et débute à Covent Garden en 1974 dans la Traviata. Il s’impose d’emblée dans tous les opéras de Verdi et de Puccini, et devient l’un des ténors les plus populaires du monde. downloadModeText.vue.download 165 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 159 En 1975, il chante à la fois au Metropolitan dans Tosca et à la Scala dans Un bal masqué. Dès 1976, Karajan le fait venir à Salzbourg pour Don Carlos. Il reprend cet opéra à la Scala la saison suivante, mais cette fois avec Abbado et une mise en scène de Strehler. Atteint d’une leucémie en 1978, il ne revient sur scène qu’à l’été de 1980. Depuis, il reconquiert tous les publics et aime faire redécouvrir des opéras peu connus, de Donizetti, Verdi et Halévy notamment. CARRILLO (Julián), compositeur mexicain (Ahualulco 1875 - Mexico 1965). Il fit ses études à Mexico et, de 1899 à 1904, à Leipzig (composition, direction d’orchestre et violon) et à Gand (violon). Il se lia alors avec Romain Rolland, SaintSaëns et Debussy. De 1906 à 1924, il joua un rôle important dans la vie musicale de son pays - fondation de l’orchestre et du quatuor Beethoven (1909), direction du Conservatoire national de Mexico (1913, puis 1920-1924) - et à New York. Après plusieurs partitions académiques, dont la symphonie no 1 en ré (1901) et la symphonie no 2 en ut (1908), et tout en explorant l’atonalité (4 quatuors à cordes atonaux, 1917-1920), il orienta ses recherches vers le dépassement du système tempéré traditionnel pour aboutir à un système fondé sur les micro-intervalles, et codifié par lui aux alentours de 1920. Il fut ainsi l’un des premiers à écrire des oeuvres en quarts, tiers, huitièmes et seizièmes de ton : ainsi Preludio a Colón pour petit orchestre (1922), 3 Columbias pour orchestre (1926-1930), ou Fantasía Sonido 13 pour petit orchestre (1931). Horizontes (1950) est un prélude pour petit orchestre en quarts, huitièmes et seizièmes de ton, accompagné par un orchestre en demi-tons traditionnels, et Preludio 29 de Septiembre pour piano (1949) va jusqu’à utiliser les trentièmes de ton. Pour tous ces ouvrages, il fit naturellement construire les instruments - pianos, flûtes, clarinettes, harpes, etc. - appropriés, en particulier quinze pianos qu’on put voir à l’Exposition universelle de Bruxelles en 1958. Un de ses principaux champions, à partir de 1926, fut Leopold Stokowski, et son disciple le plus éminent, actuellement, est le Français Jean-Étienne Marie. Sa musique, extrêmement intéressante sur le plan sonore, n’en reste pas moins fidèle pour l’essentiel aux formes et à l’esthétique postromantiques, et ce avec de fortes résonances tonales (il divisa le ton en micro-intervalles, mais égaux entre eux). On lui doit également de nombreux écrits théoriques. CARSE (Adam), compositeur anglais (Newcastle-on-Tyne 1878 - Great Missenden, Buckinghamshire, 1958). Élève de Corder à la Royal Academy of Music de Londres (1893-1902), avant d’y enseigner lui-même l’harmonie et le contrepoint (1908-1922), Adam Carse fut surtout collectionneur d’instruments et se spécialisa dans leur étude et dans leur histoire. Il publia notamment : Practical Hints on Orchestration : Harmony Exercises (1919), Musical Wind Instruments (1939), The Orchestra in the XVIIIth Century (1940), The Orchestra from Beethoven to Berlioz (1948). Sa collection personnelle d’instruments anciens fut léguée en 1947 au Horniman Museum de Forest Hill à Londres. Sa production musicale est surtout orchestrale : 2 symphonies (la 1re, 1906 ; la 2e créée en 1908, révisée pour le festival de Newcastle en 1909), The Death of Tintagiles (d’après Maeterlinck, 1902), prélude pour Manfred de Byron (1904), Ouverture de concert (1904), poème symphonique In a Balcony (1905). On lui doit aussi des mélodies et de la musique de chambre, ainsi que la cantate The Lay of the Brown Rosary (1901). CARSON (Philippe), compositeur français (Neuilly-sur-Seine 1936 - Paris 1972). Membre du Groupe de recherches musicales de Paris, il y réalisa, avant d’être interrompu dans ses activités par la maladie, deux « classiques » de la musique concrète française des années 60 : Phonologie (1962) et Turmac (1962). Ces oeuvres sont construites chacune sur un matériau sonore unique, d’origine vocale pour la première, industrielle (bruits de machines d’une usine de Hollande) pour la seconde, qu’elles tiennent la gageure de manipuler au minimum (uniquement par montage dans Turmac) et d’assembler avec la plus grande clarté. On doit aussi à Philippe Carson Collages pour ensemble instrumental et bandes, pièce qu’il réalisa dans le même esprit pour l’expérience du concert collectif du G. R. M. (1963). CARTER (Elliott), compositeur américain (New York 1908). De ses études à l’université Harvard auprès de Walter Piston, puis à Paris auprès de Nadia Boulanger, il tira une formation purement néoclassique, sous le signe de Stravinski, de Hindemith, et de Copland, ce qui lui valut dix années d’incertitudes stylistiques illustrées notamment par le ballet Pocahontas (1939) ou la Première Symphonie (1942). Avec la Sonate pour piano (1945-46), le ballet le Minotaure (1947) et surtout la Sonate pour violoncelle (1948), son langage gagna en complexité rythmique tout en se libérant de la tonalité. Il reprit alors à son compte le concept de « modulation métrique », déjà utilisé de façon empirique par Charles Ives, et qui devait rester une constante de son style ; il s’agit d’un changement de tempo progressif par utilisation de valeurs irrationnelles, procédé auquel la musique de Carter doit une souplesse rythmique unique rendant sa notation et son exécution particulièrement difficiles. Aux Huit Études et Une Fantaisie pour quatuor à vent (1950) succéda le vaste Premier Quatuor à cordes (1951), premier prix du concours de quatuors de Liège et l’un des plus importants depuis Bartók et Schönberg : avec cette oeuvre, il se trouva lui-même. Les Variations pour orchestre (1954-55) inaugurèrent un nouveau principe, celui de la caractérisation psychologique des instruments. Ce principe reçut une très nette et très remarquable consécration dans le Deuxième Quatuor à cordes (1959), qui, comme plus tard le Troisième (1971), obtint le prix Pulitzer : dans cet ouvrage presque deux fois plus court que le quatuor précédent, chaque instrumentiste mène le jeu à son tour, avec un rôle psychologique très précis au sein d’une sorte de « théâtre musical ». Carter considère ses partitions les plus récentes comme des « scénarios », les ins- trumentistes comme des « acteurs ». Le Double Concerto pour clavecin, piano et deux orchestres de chambre (1961) poursuit dans cette voie, tout en donnant à chacun des deux ensembles instrumentaux (séparés dans l’espace comme, déjà, les quatre instrumentistes du quatuor de 1959) son propre répertoire mélodique et harmonique. En revanche, le Concerto pour piano (1964-65) oppose « un individu aux humeurs et aux idées changeantes et un orchestre traité de façon plus ou moins monolithique ». Le Concerto pour orchestre (1969-70), inspiré par le poème Vents de Saint-John Perse, traite pour l’essentiel de la « poésie du changement, de la transformation, de la réorientation des sentiments et des pensées », tandis que le Troisième Quatuor à cordes (1971), créé à New York après plusieurs révisions en janvier 1973, divise les quatre instruments en deux duos (premier violon - violoncelle et second violon - alto), dont l’un joue « quasi rubato » et l’autre « en rythme bien strict ». Suivirent un Duo pour violon et piano (1973-74), un Quintette de cuivres (1974), A Mirror on which to Dwell pour soprano et ensemble instrumental sur 6 poèmes d’Élisabeth Bishop (1975), première oeuvre vocale du compositeur depuis près de trente ans, Symphonie de trois orchestres (1976), Syringa pour mezzo-soprano, basse et 11 instruments (1978, In Sleep, in Thunder pour ténor et 14 exécutants (1981), Triple Duo pour 6 exécutants (1983). Penthode pour ensemble (1985), un Quatrième Quatuor à cordes (1986), un Concerto pour hautbois (1987), Remembrance (1988), un Concerto pour violon (1990), un Concerto pour violon (1990), un Quintette pour piano et vents (1991), Partita pour orchestre (1994), Of Challenge and of Love downloadModeText.vue.download 166 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 160 pour soprano et Piano (1995), Adagio tenebroso pour orchestre (1995), un Quatuor à cordes no 5 (1995). Carter a enseigné au Peabody Institute de Baltimore et à l’université Columbia et au Queens College de New York. Produisant relativement peu, il n’a reçu la consécration qu’à plus de cinquante ans, mais apparaît comme l’un des plus grands composi- teurs américains. CARTIER (Jean-Baptiste), violoniste et compositeur français (Avignon 1765 Paris 1841). Il vint à Paris, en 1783, compléter sa formation d’instrumentiste auprès de Viotti, qui l’introduisit à la cour : là, il fut accompagnateur de Marie-Antoinette jusqu’à la Révolution. En 1791, il entra dans l’orchestre de l’Opéra et fit partie, de 1804 à 1830, de la Musique de Napoléon, de Louis XVIII et de Charles X. Il finit sa carrière au Conservatoire, où il avait été nommé en 1828. Dans son ouvrage théorique, l’Art du violon, paru en 1798 et 1801 (réimpr. 1973), Cartier publia pour la première fois des pièces de Tartini, de Nardini et de Bach. Il consacra la plupart de ses oeuvres au violon en composant sonates, duos, airs variés, pots-pourris, études, caprices et concertos. CARULLI (Ferdinando), guitariste et compositeur italien (Naples 1770 - Paris 1841). Après avoir appris la guitare en autodidacte, il vint à Paris en 1808 et y mena une carrière de virtuose. Il publia environ 330 pièces diverses pour guitare seule, deux guitares et divers instruments, ainsi qu’un traité intitulé l’Harmonie appliquée à la guitare (Paris, 1825), une méthode de guitare et un manuel d’accompagnement. Si la part didactique de son oeuvre n’est pas négligeable, l’esthétique de ses multiples pièces souffre souvent d’une réelle pauvreté mélodique et harmonique. CARUSO (Enrico), ténor italien (Naples 1873 - id. 1921). Né dans une famille humble, dix-neuvième enfant d’un mécanicien, il dut travailler en atelier dès l’âge de dix ans. Chantant dans des églises, il apprit les rudiments de la musique, mais ne fit aucune étude vocale particulière avant 1891. Il débuta en 1894 au Teatro Nuovo de Naples à l’occasion de la création de L’Amico Francesco de Morelli. Les premières années de sa carrière furent modestes et difficiles. La création du rôle de Loris dans Fedora de Giordano au Teatro Lirico de Milan, en 1898, attira l’attention sur lui. Il fut engagé en Amérique du Sud, en Russie, débuta à la Scala de Milan en décembre 1900 dans la Bohème de Puccini et y créa en 1902 le rôle de Maurice de Saxe dans Adrienne Lecouvreur de Cilea. Dès lors célèbre, il fut accueilli sur toutes les grandes scènes du monde, mais, à partir de ses débuts au Metropolitan de New York dans Rigoletto (1903), ce théâtre devint son principal port d’attache. Il y participa notamment à la création mondiale de la Fille du Far West de Puccini en 1910. En 1919, sa santé s’altéra. Le 24 décembre 1920, toujours au Metropolitan, dans la Juive de Halévy, il parut pour la dernière fois en scène. Il regagna l’Italie et mourut dans sa ville natale, où il avait refusé de se produire depuis 1902, son interprétation de l’Élixir d’amour de Donizetti y ayant été fraîchement accueillie. La couleur de la voix de Caruso était d’une beauté exceptionnelle, avec quelque chose de velouté même dans la force. Cette voix était, à ses débuts, celle d’un demi-caractère lyrique. Elle gagna peu à peu en volume et sa couleur s’assombrit après l’ablation d’un nodule sur une corde vocale (1909). Son art peut être caractérisé par la réunion d’une technique irréprochable, qui le rattachait au passé, et de la recherche d’une interprétation moderne, inspirée par le réalisme. Cette synthèse de deux écoles avant lui inconciliables lui permettait d’interpréter les ouvrages de bel canto dans un style parfait, mais avec une intensité expressive jusque-là inconnue, et les ouvrages dramatiques avec tout le sentiment nécessaire, jusqu’à la violence, mais sans sacrifier la beauté de la voix. Son très vaste répertoire s’étendait du classicisme de Gluck et du romantisme élégiaque de Donizetti, en passant par Meyerbeer, Massenet, Puccini, etc., au vérisme de Leoncavallo et aux grands rôles de Verdi, sauf Othello, qu’il ne chanta jamais au théâtre. Le disque, encore balbutiant, dont il fut la première grande vedette, contribua sans aucun doute à sa popularité, demeurée unique. CARVER (Robert), compositeur écossais (1487 [ ?] - apr. 1546). Entré dans les ordres à seize ans, il vécut plus de trente ans à l’abbaye de Scone. Le célèbre manuscrit portant son nom, conservé à Édimbourg, contient sept de ses oeuvres : 5 messes (l’Homme armé à 4 voix ; Dum sacrum mysterium à 10 voix ; à 4 voix ; à 5 voix ; à 6 voix) et deux motets, Gaude flore virginali, à 5 voix, et O bone Jesu, écrit pour 19 voix et témoignant d’une richesse d’harmonie remarquable. Savant contrapuntiste et doué d’une inspiration généreuse, Carver est le plus grand compositeur écossais de sa génération. CARY (Tristram), compositeur anglais (Oxford 1925). Il fit à Oxford des études de science et de philosophie (1942, puis 1946-47), ainsi que de musique (1948-1951). Pionnier de la musique électronique dans son pays, il songea à la manipulation du son dès son service dans les radars de la marine durant la guerre, commença à expérimenter en 1947 et, vers 1949, produisit de la musique concrète avec un équipement rudimentaire. Mais les temps n’étant pas mûrs, il écrivit beaucoup de musiques de film (The Lady Killers, 1955) et (pour la chaîne de télévision B.B.C.) de scène (Jane Eyre, 1963 ; Madame Bovary, 1964), tout en se livrant à la composition traditionnelle (Concerto grosso pour 5 vents et 5 cordes, 1961). Le 15 janvier 1968, lors du premier concert à Londres de musique électronique avec des oeuvres de compositeurs anglais, on entendit de lui 3.4.5 (1967) et Birth is Life is Power is Death is God is... (1967). Fondateur en 1968 d’un studio de musique électronique au Royal College of Music de Londres, directeur depuis 1969 de Electronic Music Studios Ltd, il ne considère pas la musique électronique comme un domaine isolé du reste, et, dans Continuum (1969), oeuvre électronique, adopte une démarche quasi symphonique par certains aspects. CASADESUS, famille de musiciens français originaire de Figueras, en Catalogne. Luis, violoniste et guitariste (Paris 1850 id. 1919). Il publia l’Enseignement moderne de la guitare (Paris, 1913). Francis, fils du précédent, violoniste, chef d’orchestre, critique musical et compositeur (Paris 1870 - Suresnes 1954). Élève de Lavignac et de César Franck, violoniste à l’Opéra-Comique, critique musical à l’Aurore, il participa en 1921 à la fondation du conservatoire américain de Fontainebleau et en fut directeur. Il composa des drames lyriques, des ballets, de la musique de scène, de la musique symphonique et de la musique de chambre. Robert-Guillaume, dit Casa, frère du précédent, pianiste, acteur, chansonnier et compositeur (Paris 1878 - id. 1940). Il écrivit des opérettes et des chansons. Henri-Gustave, frère du précédent, violoniste et compositeur (Paris 1879 - id. 1947). Élève de Lavignac et Laforge au Conservatoire de Paris, il fit partie du quatuor Capet de 1910 à 1917. Il était aussi virtuose de l’alto et de la viole d’amour, et c’est la pratique de ce dernier instrument qui l’amena à fonder en 1901 la Société des instruments anciens, qui se produisit dans toute l’Europe jusqu’en 1939, et à reconstituer des oeuvres anciennes inédites. Il fut directeur du Théâtre lyrique de Liège et de la Gaîté-Lyrique à Paris et écrivit des opérettes. On lui doit aussi un ouvrage didactique, Méthode de la viole d’amour suivie de 24 Études pour la viole d’amour (Paris, 1931). downloadModeText.vue.download 167 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 161 Marius-Robert, frère du précédent, violoniste et compositeur (Paris 1892 - id. 1981). Virtuose du quinton, instrument de la famille des violes de gambe, il appartint à la Société des instruments anciens, animée par son frère Henri-Gustave, et fonda lui-même l’ensemble Violes et violons. Il écrivit surtout de la musique symphonique et instrumentale. Robert, fils de Robert-Guillaume, pianiste et compositeur (Paris 1899 - id. 1972). Élève de Diémer pour le piano, de son oncle Francis et de Xavier Leroux pour la composition, il fit une brillante carrière de concertiste en Europe et aux États-Unis et enseigna au conservatoire américain de Fontainebleau à partir de 1934. Pianiste sobre, rigoureux, aux interprétations équilibrées, remarquablement construites, gardant grâce à leur pureté une sorte de caractère classique jusque dans la musique des impressionnistes français, il se rendit célèbre notamment dans les oeuvres de Mozart, Beethoven, Debussy, Ravel. Il écrivit de la musique symphonique, des oeuvres concertantes pour divers instru- ments, des cadences pour certains concertos pour piano de Mozart, de la musique de chambre. Sa femme Gaby (Marseille 1901), élève de Diémer et de Marguerite Long, et son fils Jean (Paris 1927 - près de Renfrew, Ontario, 1972) furent également pianistes. CASALS (Pablo ou Pau), violoncelliste, chef d’orchestre et compositeur espagnol (Vendrell, prov. de Tarragone, 1876 - San Juan, Porto Rico, 1973). Il reçut de son père, qui était organiste, ses premières leçons de musique. Il étudia plus tard, à Barcelone, le violoncelle avec José García et l’harmonie avec J. Rodoreda, puis, au conservatoire de Madrid, la musique de chambre avec Jesús Monasterio et le contrepoint avec Tomás Bretón. Violoncelle solo de l’orchestre de l’Opéra de Paris de 1895 à 1898, il fut professeur de violoncelle au conservatoire de Barcelone à partir de 1897. Mais sa renommée croissante l’amena très vite à se consacrer essentiellement à une carrière de concertiste. Passionné de musique de chambre, il forma un quatuor à cordes, dont Mathieu Crickboom était le premier violon, et composa, à partir de 1905, avec Alfred Cortot et Jacques Thibaud, un trio qui est resté légendaire. En 1919, il fonda à Barcelone l’orchestre Pablo-Casals et eut dès lors, au moins occasionnellement, une activité de chef d’orchestre. S’étant établi en France, à Prades (Pyrénées-Orientales), il y créa un festival en 1950. Grâce à sa lucidité, sa bienveillance, son rayonnement et à la vivacité d’esprit qu’il avait conservée, il continua, jusqu’à sa mort, à jour un rôle dans la vie musicale mondiale. Devenu de son vivant un personnage de légende, Pablo Casals s’identifie littéralement au violoncelle, qu’il a contribué à mieux faire connaître. Il a révolutionné la technique du coup d’archet et atteint une pureté d’intonation inconnue avant lui. Il a exploré les possibilités jusque-là peu exploitées du registre aigu de l’instrument. De son jeu émanaient de la noblesse, de la profondeur, de la poésie. C’est qui a rendu populaires les oeuvres pour violoncelle de Bach et de Beethoven. Comme compositeur, il est l’auteur de pièces pour violoncelle solo, violoncelle et piano, violon et piano, d’une Sardana pour ensemble de violoncelles, de pièces de musique sacrée (dont un Miserere) et des oratorios La Visión de Fray Martin et El Pesebre (« la crèche »). CASANOVA (André), compositeur français (Paris 1919). Il mena de front des études musicales et de droit, fut élève de G. Dandelot à l’École normale de musique, et, surtout, devint en 1944 le premier disciple français de René Leibowitz, dont, malgré son utilisation très souple des techniques sérielles, il ne devait jamais renier l’enseignement. « Mon souci et mon propos sont d’être romantique et moderne », a-t-il déclaré. Plus proche d’A. Berg que de Webern, attiré sur le plan littéraire par J. Moal, Rilke, Joyce, Barbey d’Aurevilly, il a écrit notamment trois symphonies - no 1 (1949), no 2 da camera (1951-1969, créée en 1971), no 3 Dithyrambes (1964, créée en 1973) - ; Amorphoses pour orchestre (1961) ; Concerto pour violon (1964, créé en 1965) ; le Livre de la foi jurée, geste lyrique d’après la Chanson de Roland (1964), la Clé d’argent, d’après Villiers de l’Isle-Adam (1965) ; Règnes, trois allégories pour soprano et orchestre (1967) ; le Bonheur dans le crime, d’après Barbey d’Aurevilly (1969) ; la cantate ...Sur les chemins d’acanthes noires... (1974) ; Métaphonie pour grand orchestre (1977) ; 4 Dizains de la DELIE de SCEVE pour baryton et 10 instruments (1978) ; Esquisse pour une tragédie pour clarinette, 2 violons, alto, violoncelle et contrebasse (1979) ; Quintette à cordes (1988). CASANOVAS (Narciso), organiste et compositeur espagnol (Sabadell, prov. de Barcelone, 1747 - Montserrat 1799). Il étudia l’orgue, puis devint bénédictin à Montserrat, où il fut maître de l’Escolanía. L’un des meilleurs organistes et improvisateurs de son époque, il a laissé 5 motets, 13 psaumes, des répons, des messes, un Benedictus, un Salve Regina et des pièces pour clavecin, notamment une sonate dans le style de Haydn, qui a été publiée par Joaquín Nin. CASCATA (ital. : « cascade »). Ornement vocal en usage au XVIIe siècle, qui consiste à aller d’une note aiguë à une note grave (par ex., de la dominante à la tonique), plus ou moins éloignées l’une de l’autre, en parcourant une échelle de notes intermédiaires. En général, on ajoute les notes immédiatement supérieures ou inférieures (par ex., la sus-dominante et la sensible). Caccini en précise exactement l’emploi théorique dans sa célèbre préface des Nuove Musiche (Florence, 1602). CASELLA (Alfredo), compositeur et pianiste italien (Turin 1883 - Rome 1947). Élevé à Turin à l’heure du renouveau de la musique instrumentale italienne, il étudia à Paris en 1896 avec Fauré et Xavier Leroux, connut Debussy et Ravel, participa activement à la vie musicale parisienne et fut assistant de Cortot à sa chaire de piano au Conservatoire. Son goût le portait alors aussi bien vers les descendants spirituels de Mahler que vers Stravinski, dont l’influence se fait sentir dans les oeuvres de sa période française. De retour en Italie en 1915, il mena une intense activité de pianiste, de pédagogue, critique, musicologue, animateur, et participa à la renaissance des oeuvres des maîtres italiens des XVIIe et XVIIIe siècles. Prenant la tête du mouvement néoclassique de l’entre-deuxguerres avec Malipiero, Pizzetti et, dans une certaine mesure, Respighi, il se forgea un langage personnel dépouillé, également éloigné du romantisme et de l’impressionnisme, à la fois austère et attachant. Casella s’est affirmé dans tous les genres, et on lui doit notamment des concertos pour solistes (piano, violon, violoncelle, etc.) ou conçus dans la forme du concerto grosso (op. 43 pour orgue, cuivres, timbales et orchestre à cordes, op. 69 pour quatuor, piano, timbales, percussion et orchestre, etc.), des poèmes symphoniques, de la musique de chambre, de la musique instrumentale (notamment des pièces pour piano à quatre mains), des mélodies, etc. Parmi ses oeuvres pour la scène, on peut mentionner ses ballets Il Convento veneziano (1912, 1re représentation à Milan, 1925), La Camera dei disegni (1940) et La Rosa del sogno (1943), ainsi que La Giara (1924), comédie chorégraphique d’après Pirandello, son oeuvre la plus célèbre, et enfin ses oeuvres lyriques : La Donna serpente, d’après C. Gozzi (1932), La Favola d’Orfeo (1932) et Il Deserto tentato (1937). CASIMIRI (Raffaele), compositeur et musicologue italien (Gualdo Tadino, prov. de Pérouse, 1880 - Rome 1943). Il voua sa vie à l’étude et à la restauration de la musique sacrée, du grégorien aux débuts de la polyphonie. Dès 1901, on le trouve directeur à Rome du journal Rassegna Gregoriana. Ordonné prêtre la même année, il fut nommé maître de chapelle dans différentes villes de province, puis, en 1911, à Saint-Jean-de-Latran à Rome downloadModeText.vue.download 168 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 162 et, l’année suivante, fut également nommé professeur de composition à l’École supérieure de musique sacrée de Rome. Il fonda les périodiques Psalterium (1907) et Note d’Archivio per la Storia musicale (1924), l’almanach Sacri Concentus et la Bibliotechina Ceciliana, écrivit de nombreux articles et créa en 1919 un choeur, la Società Polifonica Romana, avec lequel il donna des concerts dans de nombreux pays. Son édition de l’oeuvre complète de Palestrina, entreprise en 1938, est restée inachevée (15 volumes publiés sur les 33 projetés). Casimiri composa des messes, oratorios et oeuvres sacrées diverses, ainsi que des pièces chorales profanes (Madrigali e Scherzi). CASINI (Giovanni Maria), compositeur italien (Florence 1652 - id. 1719). Il s’initia au contrepoint dans sa ville natale, puis vint à Rome travailler avec Simonelli et Pasquini, qui fit de lui un remarquable organiste. Il occupa ensuite des postes de second organiste (1676) et de premier organiste (1678) à la cathédrale de Florence et devint maître de chapelle et organiste du grand-duc Cosme III. Il s’intéressa, à la suite de Vicentino et de Colonna, à la renaissance de la musique de l’Antiquité, construisit même des clavecins, dont un à 4 octaves, divisées chacune en 31 notes, et à 125 touches, blanches et noires. Il composa des oeuvres pour orgue et de la musique d’église (motets, répons, oratorios). CASPARINI, dynastie de facteurs d’orgues allemands des XVIIe et XVIIIe siècles. Les divers membres de la famille travaillèrent en Italie, en Autriche et dans l’Europe du Nord (Prusse, Silésie, Pologne). L’activité d’Eugen Casparini (1623-1706), maître d’orgues de l’empereur d’Autriche, se déploya en Italie du Nord (Venise, Padoue), dans le Tyrol, à la cour de Léopold Ier à Vienne et en Allemagne. CASSADÓ, famille de musiciens espagnols. Joaquín, organiste et compositeur (Barcelone 1867 - id. 1926). Destiné à la prêtrise, il débuta comme organiste à Barcelone, puis y fonda la Capilla Catalana (1890). Il fonda ensuite un trio avec ses deux fils, avant de se consacrer à la pédagogie et à la composition. On lui doit notamment un opéra (El Monjo negro), des zarzuelas, trois poèmes symphoniques, une Sinfonia dramatica et une Fantaisie pour piano et orchestre. Gaspar, fils du précédent, violoncelliste et compositeur (Barcelone 1897 - Madrid 1966). Il fut l’élève de Pablo après ses études au conservatoire de Barcelone. Il joua en trio avec son père et son frère (disparu prématurément), puis fit une brillante carrière de virtuose et enseigna à l’Accademia Chigiana de Sienne. Ses oeuvres comprennent des pièces pour son instrument (y compris beaucoup de transcriptions), un concerto, une sonate, etc., mais également une Rapsodia catalana, un oratorio et trois quatuors à cordes. CASSARD (Philippe), pianiste français (Besançon 1962). Il obtient en 1980 le 1er Prix de musique de chambre et en 1982 celui de piano au Conservatoire de Paris, puis étudie avec Léon Fleischer et Bruno Seildlhofer. De 1982 à 1984, il se perfectionne à la Hochschule für Musik de Vienne auprès de H. Graf et y travaille aussi l’accompagnement du lied. En 1988, il remporte le 1er Prix du Concours international de Dublin, ce qui lui vaut de nombreuses invitations des grands orchestres britanniques. En 1990, il donne son premier concert aux États-Unis. Profondément intéressé par la musique de chambre, il a fondé en 1993 un quatuor avec Raphaël Oleg, Miguel da Silva et Marc Coppey. Il est aussi un accompagnateur de lieder accompli. CASSATION. Un des termes utilisés au XVIIIe siècle pour désigner une musique relevant du concept global de divertissement ou de divertimento. Ces termes furent alors souvent employés de façon synonyme, et inversement, les sources différentes d’une même oeuvre utilisent fréquemment l’un ou l’autre. Les traditions locales jouèrent sur ce plan un rôle non négligeable : presque toutes les oeuvres de musique de chambre de Haydn et de ses contemporains conservées à l’abbaye autrichienne de Göttweig y sont intitulées cassations. Ce n’est qu’avec H. C. Koch qu’à cette diversité terminologique fut donnée une base théorique. Le terme « cassation » proviendrait de l’italien cassazione (séparation, abandon, adieu), et désignerait une musique « mettant fin » à une manifestation de circonstance. On a aussi voulu le faire dériver de l’expression allemande gassatim gehen (aller en promenade nocturne dans un but amoureux, de Gasse : chemin, voie, ruelle), mais pour Koch, c’est « cassation » qui aurait donné « gassatim », et non l’inverse : effectivement, pouvaient se jouer en plein air non seulement une cassation, mais tout aussi bien un divertissement ou une sérénade. Mozart n’appela luimême cassations que quelques ouvrages de jeunesse (1769) pour ensemble instrumental (K. 62, 63, 99), et Haydn uniquement deux groupes de brèves pièces avec baryton (Hob. XII.19 et 20-23) sans doute destinées à « terminer » une soirée musicale chez le prince Esterhazy. CASSETTE. De son vrai nom « cassette compacte », et dite également « minicassette », elle a été lancée par les laboratoires de la firme Philips en 1963. Elle consiste en un petit chargeur contenant du ruban magnétique de petite largeur (3,81 mm) et de très faible épaisseur (0,020 mm maximum). Elle est destinée à fonctionner sur des magnétophones spéciaux, à vitesse de 4,75 cm/s, et son inscription magnétique sur quatre pistes permet l’enregistrement et la lecture dans les deux sens de défilement en stéréophonie, d’une durée totale qui peut atteindre deux heures. L’intérêt de la cassette est de pouvoir obtenir des enregistrements sonores à partir d’appareils portables, de coût peu élevé et de fonctionnement simple, et d’autoriser la diffusion de musique de son choix dans une automobile. Cepen- dant, pour atteindre à la qualité prescrite par les normes de la haute fidélité, la cassette exige d’être dotée d’une bande magnétique de performances élevées, et d’être utilisée sur des appareils perfectionnés, coûteux et d’un maniement délicat. Dans de telles conditions, la qualité d’enregistrement obtenue peut atteindre, voire dépasser, la qualité moyenne des disques. Mais ce n’est généralement pas le cas des cassettes préenregistrées, ou « musicassettes » produites industriellement et destinées à un usage d’exigences moindres. Après différentes tentatives pour développer des cassettes de standard différent, ce sont aujourd’hui les cassettes numériques qui semblent s’imposer. CASSUTO (Alvaro), chef d’orchestre et compositeur portugais (Porto 1938). Après des études de composition à Lisbonne (1955-1959), il a travaillé la direction d’orchestre, en particulier avec Karajan (1960), Pedro de Freitas-Branco (1960-1963) et Jean Fournet (1966). Chef adjoint de l’orchestre de chambre de la fondation Gulbenkian de 1965 à 1968, il a ensuite occupé à New York un poste d’assistant de Leopold Stokowski, et est devenu en 1971 chef permanent de l’orchestre de la radio de Lisbonne. Comme compositeur, il a été le premier au Portugal à utiliser la série dodécaphonique, et, dans les années 60, il a suivi Penderecki dans son exploration des clusters de cordes. Ses oeuvres principales sont pour orchestre : Sinfonia breve no 1 (1959) et no 2 (1960), In Memoriam Pedro de Freitas-Branco (1963), ou encore Évocations (1970). CASTAGNETTES. Instrument à percussion de la famille des bois. Ces cuillères de bois dur, toujours couplées, sont réunies par un cordon ou articulées au bout d’un manche pour claquer downloadModeText.vue.download 169 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 163 l’une contre l’autre, ou disposées côte à côte pour s’abattre sur un socle horizontal. Il existe aussi des castagnettes de fer, montées en pince ou sur socle. CASTELNUOVO-TEDESCO (Mario), compositeur italien naturalisé américain (Florence 1895 - Beverly Hills, Californie, 1968). Il fit ses études au conservatoire de Florence et avec I. Pizzetti, écrivit à l’âge de quinze ans Cielo di settembre (« Ciel de septembre ») pour piano, page orchestrée plus tard, et devint rapidement un des plus brillants représentants de la musique italienne. Les événements précédant la Seconde Guerre mondiale l’obligèrent à émigrer aux États-Unis, d’abord dans l’État de New York (1939) puis à Los Angeles, où il enseigna la composition à partir de 1946. Dans un style délicat et raffiné, il a composé les opéras La Mandragola d’après Machiavel (Venise 1926), Bacco in Toscana (Milan 1931), Aucassin et Nicolette (1938, première représentation, Florence 1952), Il Mercante di Venezia (Florence 1961) et Tout est bien qui finit bien (Florence 1959), l’un et l’autre d’après Shakespeare, The Importance of being Earnest d’après Wilde (1962), plusieurs ouvertures de concert pour des pièces de Shakespeare, des concertos dont deux pour guitare et un pour deux guitares, et de nombreuses pièces vocales et instrumentales dans à peu près tous les genres, parmi lesquelles des versions pour voix et piano, dans la langue originale, de toutes les chansons des pièces de Shakespeare (1921-1926). CASTÉRÈDE (Jacques), compositeur français (Paris 1926). Il a fait ses études au Conservatoire de Paris, y travaillant notamment le piano (premier prix en 1948), la composition (avec T. Aubin) et l’analyse (avec O. Messiaen). Premier grand prix de Rome en 1953 avec la cantate la Boîte de Pandore, il a été nommé professeur de solfège au C.N.S.M. de Paris en 1960, et y est devenu conseiller aux études en 1966, puis professeur d’analyse en 1970. Sa production, de caractère néoclassique, traduit nettement son appartenance à une tradition nationale. Au sein d’un catalogue de plusieurs dizaines d’oeuvres de toutes formes et utilisant volontiers des voix et des instruments peu habitués à évoluer ensemble, on peut citer une symphonie pour cordes (1952) ; une sonate pour piano et violon (1955), une pour piano (1967) et une pour piano et alto (1968) ; l’oratorio le Livre de Job (1959) ; la Chanson du mal-aimé d’après Apollinaire (1960) ; Quatre Poèmes de Robert Desnos pour baryton et piano (1965) ; deux concertos pour piano (1968, 1972) ; Images pour un jour d’été, concerto pour 2 pianos et cordes (1969) ; Hymn pour récitant, choeurs, orgue, cuivres et percussion (1973) ; In Memoriam Ludwig van Beethoven pour orchestre (1975) ; Avant que l’aube ne meure pour piano, violon, alto et violoncelle (1976) ; Fanfares pour La Fayette pour ensemble de cuivres (1976) ; Pianologie pour 3 pianos, chant et percussion (1977) ; Concert on a boat pour clarinette et orchestre à vents (1978) ; un concerto pour guitare (1979) ; Psaume VIII pour orgue, violoncelle et soprano (1987), Miroirs du rêve pour orchestre à cordes. Il a reçu en 1991 le Grand Prix de la Ville de Paris. CASTI (Giovanni Battista), librettiste italien (Acquapendente, près d’Orvieto, 1724 - Paris 1803). Rival de Da Ponte à Vienne, où il s’installa en 1783, il y écrivit le livret d’Il rè Teodoro de Paisiello (1784) et, pour Salieri, ceux de La grotta di Trofonio (1785), de Prima la musica e poi le parole (1786), avec attaques contre Da Ponte, de Cublai, Gran Can dei’Tartari (1788) et de Catilina (d’après Voltaire, 1792). En raison de leurs résonances politiques, ces deux derniers ouvrages ne furent pas représentés. Presque tous comiques, les livrets de Casti contiennent de nombreux traits satiriques. Fait poète de cour par l’empereur François II à la fin de 1792, il quitta définitivement Vienne en 1796. CASTIGLIONI (Niccolò), compositeur italien (Milan 1932). Il a fait ses études au conservatoire de sa ville natale avec Desderi, F. Ghedini, Margola et Fuga, puis au Mozarteum de Salzbourg avec Friedrich Gulda et Carlo Zecchi et, enfin, à partir de 1958, aux cours d’été de Darmstadt. Il a aussi eu comme maître Boris Blacher. Il s’est d’abord fait une renommée de pianiste virtuose au toucher et au jeu raffinés et, en 1961, a obtenu le prix Italia pour son opéra radiophonique Attraverso lo specchio (« À travers le miroir »). En 1966, il a émigré aux États-Unis, où il a d’abord été composer in residence au Center of Creative and Performing Arts de Buffalo. Nommé ensuite visiting professor in composition à l’université du Michigan à Ann Arbor, puis regent lecturer à l’université de Californie à San Diego, une sorte d’épuisement le força à rentrer en Europe, et, depuis le début des années 70, il a assez peu produit. Ses oeuvres, de tendance postsérielle élargie, surtout instrumentales, témoignent d’un tempérament lyrique et dramatique extrêmement vif et d’une sensibilité aiguë pour laquelle la musique ne doit se justifier que d’elle-même : « Tout comme un dessin où le noir des traits n’a d’autre fonction que d’articuler le blanc du papier, les Disegni (1960) sont de par leur forme un continuum du silence au sein duquel les notes viennent s’insérer pour articuler le silence par les sons » (à propos de sa pièce d’orchestre Disegni). Ses ouvrages, volontiers très courts, ont souvent quelque chose d’éphémère, qui répugne à la durée, telles les images d’un kaléidoscope. À propos de Gyro, pour choeur mixte et 9 instruments (1963), il a d’autre part fait remarquer « que depuis toujours un mystère, une exigence religieuse existent dans la science, et que la religiosité de tout temps peut s’exprimer aussi à travers la science. C’est le besoin de ne rien renier - dans le meilleur sens du terme - de ce qui est profane ». Il a écrit notamment Aprèslude pour orchestre (1959), Gymel pour flûte et piano (1960), A Solemn Music I (1963) et II (1965) pour soprano et orchestre de chambre sur des textes de John Milton, une symphonie en ut pour choeur et grand orchestre (avec 4 pianos et 4 clavecins) sur des textes de Ben Johnson, Dante, Shakespeare et J. Keats (1969-70), Inverno In-Ver, 11 poésies musicales pour orchestre (1972), Quodlibet pour piano et instruments (1976) ; Hymne pour choeur à 12 parties a cappella (198889) ; Fantasia concertata pour piano et orchestre (1991). On lui doit également un intéressant ouvrage de synthèse : le Langage musical de la Renaissance à nos jours. CASTIL-BLAZE (François) ! BLAZE. CASTILLON DE SAINT-VICTOR (Alexis de), compositeur français (Chartres 1838 - Paris 1873). Venu à la musique assez tard, après une brève carrière militaire, il fit ses études avec Delioux et Victor Massé, puis César Franck dont il fut l’un des disciples les plus doués. Il participa en 1871 à la fondation de la Société nationale de musique et en fut le secrétaire. Ses oeuvres symphoniques et instrumentales, présentées notamment dans le cadre des concerts de la Société nationale, se heurtèrent plus d’une fois à l’incompréhension et à l’hostilité du public, en raison de leur nouveauté. Castillon est l’un des premiers à avoir ressuscité, en France, la musique de chambre. La poésie, la fraîcheur et la force de son inspiration, écho d’un généreux tempérament romantique, font déplorer qu’il n’ait pas eu de connaissances assez solides en technique d’écriture pour affermir son style et son langage. Son oeuvre comprend essentiellement des pièces symphoniques, dont une symphonie, de la musique de chambre (un quintette pour piano et cordes, 2 quatuors à cordes, un quatuor pour piano et cordes, 2 trios pour piano et cordes, etc.) et des pièces pour piano. CASTRAT. Ce terme, qui est un doublet de châtré ou castré, désigne un type de chanteur, très en vogue aux XVIIe et XVIIIe siècles. Le castrat, n’ayant pas mué à la suite d’une émascudownloadModeText.vue.download 170 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 164 lation précoce, avait, grâce à de sévères études, développé les réflexes et la puissance d’une voix d’adulte agissant sur un larynx d’enfant. Pratiquée avant la puberté, la suppression (ou plutôt l’annulation des fonctions) des testicules compromet l’apparition des caractères sexuels principaux et, en particulier, arrête le développement du larynx, cependant que la croissance se poursuit et que la cage thoracique atteint la dimension de celle de l’adulte (et devient même, semble-t-il, anormalement volumineuse), faisant bénéficier de cette « soufflerie » d’adulte une voix dont le timbre avait gardé les caractéristiques de celle d’un jeune garçon. Les castrats, utilisés dès l’Antiquité dans certains cultes orientaux, gagnèrent le monde latin et l’Allemagne. La chapelle de Roland de Lassus, à Munich, en possédait six vers 1560. On en trouvait en Espagne, où ils furent indistinctement confondus avec les falsettistes artificiels, et bientôt à Rome où la chapelle Sixtine les admit officiellement dans ses choeurs (ainsi était résolu le problème des voix élevées là où les femmes étaient proscrites, alors que les enfants perdaient leur aigu dès qu’ils avaient acquis les connaissances musicales nécessaires et que les voix des falsettistes artificiels se révélaient trop faibles). L’opéra naissant récupéra ces voix étranges et quasi asexuées, capables d’incarner les rôles masculins ou féminins : Giovanni Gualberti créa le rôle d’Orfeo dans l’opéra de Monteverdi (1607), et ce fut aussi un castrat qui incarna Néron à la création du Couronnement de Poppée. Il est donc faux de croire que les castrats d’opéra eurent pour mission de remplacer l’élément féminin, et leur suprématie est bien antérieure à l’interdiction faite aux femmes de paraître sur les scènes romaines. Il faut seulement noter que l’Église approuvait implicitement une mutilation qu’elle condamnait officiellement et que des parents trop cupides couvraient d’un prétexte quelconque pour l’imposer à des enfants trop jeunes pour en saisir les conséquences ; il faut ajouter que les jeunes victimes n’étaient nullement sûres de devenir toutes célèbres et riches. Remarquons encore que, d’après d’Ancillon (Traité des eunuques, 1770), l’opération était parfaitement indolore, étant non une ablation, mais un type de sclérose après une longue immersion dans un bain bouilli et traité en conséquence ; précisons enfin que les castrats pouvaient parfois mener une existence conjugale, mais non procréer, et que leur état ne les prédisposait en rien à l’homosexualité. L’exceptionnelle qualité de leur chant venait non seulement de la particularité de leur timbre, très brillant, et de l’étendue de leur tessiture, mais aussi de leur vocation précoce inéluctable : entrés très jeunes dans des écoles spécialisées dont ils étaient pensionnaires, les castrats étudiaient pendant huit ou dix ans, et plus de dix heures par jour, non seulement les humanités et les sciences, mais la composition musicale, le jeu des instruments, et naturellement le chant, avec une persévérance inconnue des autres types d’interprètes. Leur art reposait sur une virtuosité sans faille, de type instrumental (les flûtistes, par exemple, travaillaient les mêmes exercices), avec ses gammes diatoniques et chromatiques, ses octaves piquées, ses trilles, etc., sur une remarquable longueur de souffle (on cite l’exemple de Farinelli, capable de tenir deux ou trois cents notes d’une seule haleine), sur leur étendue vocale (leurs résonances « de poitrine » se développaient dans le grave tandis qu’ils conservaient l’aigu de leur voix de tête initiale), mais aussi, et cela est trop oublié aujourd’hui, sur le caractère pathétique et profond de leur expression, enrichi par un inépuisable éventail de nuances. Leurs caprices, exagérés par les historiens, furent semblables à ceux que manifestèrent à toutes les époques les bénéficiaires du vedettariat artistique. Non seulement les castrats incarnaient des personnages masculins ou féminins, mais le costume qu’ils portaient n’était pas nécessairement en rapport avec le sexe du rôle : dans le cas d’incarnations masculines, le castrat était appelé musico, tandis que le terme primo uomo désignait, au sein d’une compagnie lyrique, son rôle de « vedette » au cachet le plus élevé. Les castrats, sur lesquels reposa l’édifice du bel canto, furent les interprètes d’élection de Scarlatti, Haendel, Pergolèse, Hasse, etc., et leur domaine privilégié fut l’opera seria ; mais, contrairement à la croyance générale, ils furent aussi souvent sollicités dans l’opera buffa. Il existait entre les castrats contraltistes et sopranistes une distinction, mais celle-ci tenait davantage à leur timbre qu’à l’étendue qui était d’ailleurs plus facile à apprécier dans l’ornementation qu’ils ajoutaient aux textes écrits que dans ces derniers ; on relève néanmoins l’emploi exceptionnel du ré 2, dans le grave, et du ré 5 dans l’aigu. Parmi les castrats les plus célèbres, citons Baldassare Ferri (1610-1680), avec lequel la virtuosité tendait déjà à l’emporter sur l’expression, puis Giovanni Grossi, dit il Siface (1653-1697), célèbre aussi pous ses conquêtes féminines, Nicola Grimaldi, dit il Nicolino (1673-1732), Francesco Bernardi, dit il Senesino (v. 1680-v. 1750), Antonio Bernacchi (16851756), pédagogue célèbre, Carlo Broschi, dit Farinelli (1705-1782), qui fut aussi ministre de Philippe V en Espagne, son rival Giovanni Carestini (1705-1782), doté d’un exceptionnel grave de contralto, Gaetano Majorano, dit Caffarelli (17101783), Gioacchino Conti, dit il Gizziello, Gaetano Guadagni (1725-1792), créateur de l’Orfeo de Gluck, Guiseppe Aprile (1732-1813), Giusto Tenducci (1736apr. 1800), dont le mariage fit scandale, Giuseppe Pacchierotti (1740-1821), jugé par certains supérieur à Farinelli pour son expression pathétique, Venanzio Rauzzini (1746-1810), pour qui Mozart écrivit Lucio Silla et l’Esultate Jubilate, Luigi Marchesi (1754-1829), Vincenzo Del Prato (1756-1828), créteur du rôle d’Idamante dans Idoménée de Mozart, et Girolamo Crescentini (1762-1846), pour lequel Cherubini écrivit, et qui fut décoré par Napoléon. Le dernier castrat d’opéra fut Giovanni Battista Velluti (1781-1861) : Pavesi, Morlacchi, Mayr, Rossini, et encore Meyerbeer en 1824, écrivirent pour lui. Il triompha dans toute l’Europe, eut de nombreuses aventures féminines, dirigea le Covent Garden de Londres où il parut jusqu’en 1829, et émut encore Stendhal en 1831. C’est à Londres également que chanta Pergetti en 1844, mais les derniers castrats furent ceux de la chapelle Sixtine : le directeur de celle-ci, Domenico Mustafà (1829-1912), auquel Wagner pensa un moment confier le rôle de l’eunuque Klingsor dans Parsifal, et dont la célèbre chanteuse Emma Calvé fut l’élève, puis Alessandro Moreschi (1858-1922), qui enregistra sur disques en 1902 ; son témoignage, certes imparfait, est suffisant pour confirmer à quel point ces voix différaient autant de celles des femmes que de celles des falsettistes modernes. CASTRO (Jean de), compositeur flamand originaire du pays de Liège ( ? v. 1540 - ? v. 1600). Il s’établit à Anvers, et semble avoir quitté cette ville pour des raisons politiques vers 1575, année où parut à Paris sous son nom un livre de chansons à trois voix. Il se dirigea vers l’Allemagne puis vers Lyon, où fut publié en 1580 un deuxième livre de chansons. On le retrouve en 1586 à Anvers, où parut un livre de chansons à cinq parties. Il occupa ensuite des postes à Düsseldorf et à Cologne, où peut-être il mourut (toujours est-il que six livres de musique de lui furent imprimés dans cette ville de 1593 à 1599). Castro fut un des compositeurs les plus appréciés et les plus édités de son temps. À l’aise à la fois dans le profane et dans le sacré, il a écrit des motets, trois messes parodiques, des chansons, des ma- drigaux. Sensible aux courants venus d’Italie, il mit souvent les mêmes textes que Roland de chercha son inspiration, entre la poésie de Ronsard. nouveaux en musique Lassus, et autres, dans CATALANI (Alfredo), compositeur italien (Lucques 1854 - Milan 1893). Il étudia la composition avec Antonio Bazzini à Milan, où il se fixa et mourut prémadownloadModeText.vue.download 171 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 165 turément. Son opéra La Falce, sur un livret de Boïto (1875), lui valut une immédiate renommée que ne confirmèrent qu’à demi Elda (1880, ébauche de sa future Loreley), Dejanice (1883), puis Edmea (1886), dont la création fut dirigée par Toscanini, son fervent admirateur, qui fit à cette occasion ses débuts en Italie. Loreley (1890) et La Wally (1892) donnent la pleine mesure du talent de ce romantique auquel on doit encore des romances et de la musique de chambre, de cet amoureux de la France et de l’Allemagne, attiré par le surnaturel weberien et wagnérien, et consumé, à l’image de ses héros, par un amour impossible. Son art, élaboré entre la maturité de Verdi et la naissance de la nouvelle vague vériste, occupe une place à part dans l’histoire de l’opéra italien, proposant une rare osmose entre une ligne de chant sensible et raffinée et un orchestre aux riches harmonies, d’une épaisseur quasi germanique. CATALANI (Angelica), soprano italienne (Sinigaglia 1780 - Paris 1849). Élevée dans un couvent à Gubbio, elle fut poussée vers le chant par son père à la suite de revers de fortune de sa famille. Elle débuta à Venise en 1797 dans Lodoiska de Mayr et s’imposa d’emblée par la facilité extraordinaire de sa voix, son intonation juste et pure et sa technique prodigieuse. Son agilité dans l’exécution des ornements les plus compliqués frappait d’autant plus que le volume de sa voix était considérable. Elle était très belle et son maintien en scène fut jugé « royal », mais son goût musical n’était pas irréprochable. L’apogée de sa carrière se situa entre 1806 et 1814 à Londres, où elle perçut des cachets d’un montant fabuleux. Elle fut à Paris direc- trice du Théâtre-Italien entre 1814 et 1817, puis parcourut l’Europe jusqu’à ses adieux à la scène en 1827. CATALOGUE THÉMATIOUE. Ouvrage donnant une liste d’oeuvres identifiées par leurs premières mesures ou incipit. Il peut s’agir des oeuvres (complètes ou non) de tel ou tel compositeur, soit encore (ce fut particulièrement le cas au XVIIIe siècle, notamment avec le catalogue Breitkopf) des oeuvres disponibles chez tel ou tel éditeur ou tel ou tel collectionneur. Mozart dressa un catalogue thématique de ses oeuvres à partir de 1784, Haydn en dressa ou en fit dresser deux (à partir de 1765 et de 1805 respectivement, l’un et l’autre incomplets). Un catalogue comme celui de Breitkopf n’exclut pas les erreurs d’attribution (on y trouve sous le nom de Haydn des oeuvres qui ne sont pas de lui). L’exemple des éditeurs fut suivi par les bibliothèques publiques ou privées. À partir du XIXe siècle, on établit systématiquement les catalogues thématiques des différentes collections et des oeuvres d’un même compositeur, ce travail de musicologue consistant à accompagner le thème cité du plus grand nombre possible de détails : titre précis, auteur du texte, formation, date et lieu de composition, dédicace, collection où est conservé le manuscrit, édition originale, rééditions, lieu, date et interprètes lors de la création, bibliographie relative à l’oeuvre. Parmi les catalogues thématiques les plus importants figurent ceux de W. Schmieder pour J.S. Bach (BWV), L. Köchel pour Mozart (KV ou K), A. van Hoboken pour J. Haydn (Hob), G. Kinsky et H. Halm pour Beethoven, O. E. Deutsch pour Schubert (D), A. Wotquenne puis Eugene Helm pour Carl Philip Emanuel Bach et Wotquenne également pour Gluck (Wq), Y. Gérard pour Boccherini (G), A. Tyson pour Clementi, P. Ryom pour Vivaldi (R). CATCH (angl. to catch, « attraper »). Forme musicale très populaire en Angleterre aux XVIIe et XVIIIe siècles. Il s’agit d’un jeu en musique, proche du canon ou encore du round, et où le maniement astucieux du texte poétique joue un rôle important. En effet, le but du catch est d’obtenir des effets verbaux amusants, parfois tout à fait grivois. De nombreux recueils de rounds and catches furent publiés, le premier étant le Pammelia (1609) de Th. Ravenscroft. Une écriture en contrepoint - souvent fort savant - fait appel à trois voix et parfois à dix voix. Parmi d’autres compositeurs de catches, citons H. Purcell et Th. Arne. CATEL (Charles-Simon), compositeur français (L’Aigle, Orne, 1773 - Paris 1830). Formé à Paris par Gossec, il fut nommé en 1790 accompagnateur de l’Opéra et chef adjoint de la musique de la garde nationale. Puis, lors de la création en 1795 de l’Institut national de musique, futur Conservatoire, il fut désigné comme professeur d’harmonie, avant de devenir inspecteur de cette école (1810). Il finit sa carrière membre de l’Institut, après avoir succédé à Monsigny (1815). Il laissa une oeuvre variée, qui reflète une évolution en trois temps. De 1792 à 1795, Catel composa des hymnes et des marches militaires pour les fêtes révolutionnaires. De 1795 à 1802, il se consacra à des oeuvres pour piano ou pour ensembles de musique de chambre (3 quatuors, 1796 ; 6 quintettes, 1797 ; 6 sonates, 1799), et à des ouvrages pédagogiques, comme l’Harmonie à la portée de tous (1802). Enfin, de 1802 à 1818, il se tourna vers la scène lyrique, pour laquelle il écrivit des opéras-comiques et des opéras, dont certains, tels Sémiramis (1802) ou les Bayadères (1810), connurent le succès. Dans son ballet héroïque, Alexandre chez Apelle (1808), il mit en oeuvre une orchestration particulièrement raffinée. Son oeuvre longtemps la plus connue est l’Auberge de Bagnères (1807). CAUCHIE (Maurice), musicologue français (Paris 1882 - id. 1963). Homme de lettres, il commença par publier des études sur la littérature du XVIIe siècle avant de s’intéresser à la musique. Il se pencha sur l’Odhecaton, recueil de motets et de chansons publié par Petrucci en 1501. Il rédigea ensuite, dans les colonnes du Ménestrel ou de la Revue de musicologie, toute une série d’articles consacrés à Cl. Janequin, P. Cléreau, A. Boesset, au protestant Cl. Le Jeune et à Couperin le Grand. Il effectua des recherches sur Ockeghem et sur l’éditeur P. Attaignant, édita des chansons de Janequin et collabora à l’édition complète des oeuvres de Couperin (l’Oiseau-Lyre, 1933). Il fut également l’auteur d’une Pratique de la musique (Paris, 1948), ainsi que de l’Index thématique des oeuvres de F. Couperin (Paris, 1949). CAUDA (lat. : « queue »). Terme employé au Moyen Âge avant de passer dans l’usage sous sa forme italienne coda avec un sens légèrement dérivé. 1. Au sens latin primitif, le mot cauda est employé, dans la musique non liturgique, pour désigner une partie mélismatique sur l’une des syllabes du texte chanté. Après l’Ars antiqua, la ballade du XIVe siècle et la frottola italienne du XVe ont généralisé la cauda terminale, ce qui a provoqué le glissement de sens vers la forme italienne ultérieure coda. 2. Dans la notation mensurale du XIIIe au XVIe siècle, la cauda est un trait vertical (haste) affectant certaines notes ou ligatures, et dont la forme est empruntée à la virga. CAUSSADE, couple de pédagogues français. Georges (Port-Louis, île Maurice, 1873 Chanteloup-les-Vignes, Yvelines, 1936). Il consacra toute son existence à l’enseignement. Au Conservatoire de Paris, il fut nommé professeur de contrepoint en 1905, puis de fugue en 1921. On lui doit deux ouvrages remarquables, Traité de l’harmonie et Technique de l’harmonie (1931). Simone Plé-Caussade (Paris 1897 Bagnères-de-Bigorre 1986). Elle succéda à son mari en 1928 comme professeur de fugue au Conservatoire. Élève de Cortot, elle eut une certaine notoriété comme pianiste. Compositeur, elle écrivit surtout des oeuvres pour piano (dont des sonates), ainsi que des pièces pour orgue, des choeurs, de nombreuses mélodies, des pages religieuses. Son écriture, traditionnelle, révèle beaucoup de poésie et de sensibilité. downloadModeText.vue.download 172 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 166 CAUSSÉ (Gérard), altiste français (Toulouse 1948). Au Conservatoire de Paris, il obtient deux premiers prix (alto et musique de chambre). De 1969 à 1971, il est l’altiste du Quatuor Via Nova, et de 1972 à 1980 celui du Quatuor Parrenin. En 1976, il entre à l’Ensemble InterContemporain, qu’il quitte en 1982 pour se consacrer à nouveau à la musique de chambre en petite formation, comme altiste du Quatuor Ivaldi. L’enseignement occupe une grande place dans sa carrière : d’abord au Conservatoire de Paris, où il assiste Jean Hubeau à la classe de musique de chambre, puis au Conservatoire de Lyon, où il est nommé professeur d’alto en 1982, enfin de 1987 à 1992 au Conservatoire de Paris. Il a créé de nombreuses oeuvres contemporaines, notamment de compositeurs français (Grisey, Hersant, Jolas, Koering, Lenot, Masson, Nigg, etc.). CAVAILLÉ-COLL, famille d’organiers français, dont le nom de Cavaillé devint, après un mariage, Cavaillé-Coll. Joseph Cavaillé, religieux (v. 1700 - v. 1767). Il apprit la facture d’orgues avec le frère Isnard. Jean-Pierre Cavaillé, neveu du précédent (1743-1809). Il travailla avec son oncle et lui succéda en Catalogne, en Languedoc et en Roussillon. On lui doit notamment l’instrument de Saint-Guilhem-le-Désert. Dominique-Hyacinthe Cavaillé-Coll, fils du précédent (1771-1862). Il fut l’élève de son père. Il s’installa à Montpellier avant de s’associer avec son propre fils à Paris, en 1834. Aristide Cavaillé-Coll, fils du précédent (1811-1899). Il est le plus illustre représentant de la famille. Formé par son père, il remporta très jeune le concours pour la construction de l’orgue de la basilique de Saint-Denis, qu’il édifia avec l’aide de son père. Dès lors installé à Paris, il construisit, pendant soixante ans, tous les grands intruments français de l’époque : Trocadéro, Madeleine, Sainte-Clotilde, Saint-Sulpice (1863), Notre-Dame, à Paris, Saint-Ouen à Rouen, Saint-Sernin à Toulouse. Ayant fait l’objet de restaurations ou d’agrandissements, ses instruments ne sont généralement plus aujourd’hui dans leur état d’origine. À la mécanique de l’orgue, Cavaillé-Coll a apporté de nombreuses innovations : emploi de la machine Barker, généralisation du pédalier à l’allemande, augmentation des combinaisons par tirasses, extension des claviers à 56 notes, amélioration importante de la soufflerie. Sur le plan sonore, il développe le clavier de récit avec boîte expressive, oppose les caractères des claviers, qu’il souhaite au minimum de trois, introduit des sonorités nouvelles (flûtes harmoniques et octaviantes) et modifie l’équilibre général de l’instrument, traité de façon plus grave et compacte, plus puissante aussi, et s’inspirant des couleurs de l’orchestre symphonique. Aristide Cavaillé-Coll a également présenté plusieurs mémoires d’acoustique à l’Académie des sciences. CAVALIERI (Catarina), soprano autrichienne (Vienne 1760 - id. 1801). De son vrai nom Franziska Kavalier, elle étudia avec Salieri et fit ses débuts à Vienne en 1775 dans La Finta Giardiniera d’Anfossi. Son nom reste lié à celui de Mozart : elle créa le rôle de Constance de l’Enlèvement au sérail en 1782, puis chanta celui d’Elvire lors de la première viennoise de Don Giovanni en 1788 (Mozart écrivit alors pour elle l’air Mi tradi) et celui de la comtesse lors de la reprise des Noces de Figaro en 1789. Une voix puissante compensait chez elle un physique désavantageux. CAVALIERI (Emilio de’), compositeur italien (Rome v. 1550 - id. 1602). Noble romain, fils de Tommaso Cavalieri ce beau garçon pour lequel Michel-Ange quitta Florence pour Rome -, Emilio Cavalieri apporta une importante contribution à la musique de la fin de la Renaissance et du début de l’époque baroque en étant l’un des premiers musiciens à composer dans le nouveau style monodique. Il passa la majeure partie de son temps à Florence, où il fut nommé intendant de l’activité artistique à la cour de Ferdinand Ier de Médicis en 1588. Membre de la Camerata de Giovanni Bardi, il y côtoya des artistes accomplis, tels G. Caccini et J. Peri. Il put mettre en pratique ses idées et fut parmi les premiers à utiliser la basse continue avec des signes destinés à guider les différents instruments. Sur des textes de la poétesse Laura Guidiccioni, il composa plusieurs pastorales (La Disperazione di Fileno, Il Satiro, Il Gioco della cieca), qui ont été perdues. Lors d’un de ses nombreux séjours à Rome, où il put sans doute voir, à la chapelle Sixtine, le portrait de son père peint par Michel-Ange, Cavalieri fit donner en 1600 la Rappresentazione di Anima e di Corpo, son oeuvre la plus célèbre, qui, malgré une certaine similitude avec l’oratorio, n’en est pas un. L’oeuvre est composée dans le nouveau stile rappresentativo, c’est-à-dire en récitatif, destiné à imiter le plus possible le rythme de la langue parlée. Bien qu’empreint d’une certaine sécheresse, ce récitatif ne manque pas d’expression, et la partition contient de nombreux choeurs, dans un style syllabique simple, qui introduisent un élément de contraste heureux. Dans le domaine de l’oratorio, on conserve de Cavalieri une partition intitulée L’Ascensione del Nostro Salvatore. D’autres musiques d’église ont également survécu : les Lamentations Hieronemiae Prophetae, écrites en collaboration avec Isorelli, ainsi que les Responsi pour 2 et 3 voix. CAVALLI (Pier Francesco Caletti-Bruni, dit Pier Francesco), compositeur italien (Crema 1602 - Venise 1676). Chantre dans sa ville natale, doté d’une belle voix de soprano, il attira l’attention du gouverneur de la cité, Federigo Cavalli, qui lui obtint un poste de chantre et d’organiste à la chapelle San Marco de Venise (1616). Dès lors, il se fit appeler P. F. Cavalli, du nom de son protecteur. La musique de cette chapelle était dirigée par Cl. Monteverdi et Cavalli devint son élève pour la composition. En 1640, il fut nommé titulaire de l’orgue de la chapelle et, à la mort de Monteverdi (1643), s’imposa comme la personnalité la plus importante de la vie musicale à Venise. À partir de 1639, le musicien commença à écrire pour le théâtre, mais il est fort possible qu’il ait, auparavant, collaboré à la production de quelques opéras de Monteverdi, composant, ici et là, une ritournelle instrumentale selon les instructions du maître. Entre 1639 et 1669, Cavalli écrivit 42 ouvrages lyriques, dont 4 dans la seule année 1651. Il fut le compositeur le plus remarquable de l’école vénitienne de sa génération en matière d’opéras. Son grand talent de mélodiste et son sens dramatique très développé l’orientèrent vers la scène. Sa musique, plus à la portée du grand public que celle de Monteverdi, visait les théâtres payants de Venise, le premier de ces établissements (San Cassiano) ayant ouvert ses portes en 1637. Sa véritable carrière débuta avec la représentation des Nozze di Teti e di Peleo (1639). Dès 1641, son style atteignait une certaine maturité avec son premier chef-d’oeuvre, La Didone. La partition contient notamment une scène d’adieu admirable, chantée par Énée, et reflète parfaitement le style de Cavalli : conçue de manière très continue, la musique part du récitatif pour se transformer en arioso et en air avec une souplesse inégalable. Suivirent d’autres opéras, dont certains sont redécouverts aujourd’hui : L’Egisto (1643) ; L’Ormindo (1644) ; Il Giasone (1649) ; La Calisto (1651) ; Xerse (1654) ; L’Erismena (1655). La réputation de Cavalli grandit au point que Mazarin refusa toute autre proposition pour fêter le mariage de Louis XIV que la commande d’un opéra à Cavalli. Les préparatifs et dépenses ainsi que diverses difficultés empêchèrent pourtant la représentation de L’Ercole amante, qui ne devait avoir lieu qu’en 1662, augmentée d’importantes scènes de ballet dues à J. B. Lully. Le spectacle ne rencontra pas le succès qu’il méritait et Cavalli, dégoûté, rentra à Venise où il allait écrire de la musique religieuse, dont une Missa pro defunctis, downloadModeText.vue.download 173 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 167 oeuvre concertante pour 8 voix et instruments, destinée à ses propres funérailles. Au cours de sa carrière, Cavalli composa également quelques pièces instrumentales, parmi lesquelles des sonates et canzoni (de 2 à 12 voix). De nos jours, la représentation des opéras de Cavalli est chose peu aisée. En effet, il faut tenir compte de la façon dont on notait la musique d’une oeuvre de scène à l’époque. Comme le Couronnement de Poppée de Monteverdi, tous les opéras de Cavalli sont composés sur deux por- tées (chant et basse) avec seulement, de temps en temps, une ritournelle notée à plusieurs parties où il est possible de chercher des conseils stylistiques. Nul besoin donc d’insister sur les difficultés que rencontre un éditeur moderne s’il veut faire « revivre » cette musique et préparer une édition de l’oeuvre (une réalisation). Cette tâche a été accomplie avec grand succès par des musicologues et musiciens spécialisés, notamment pour le festival de Glyndebourne. Tel est le génie dramatique de Cavalli qui n’attend, pour être redécouvert, que le talent et la fidélité du réalisateur. Les librettistes sont souvent excellents, tels Busenello ou Faustini, ce dernier étant particulièrement habile à mêler un drame essentiellement sérieux à toutes sortes de péripéties comiques pour créer un spectacle fort amusant et si typiquement italien lorsqu’il est bien réussi. CAVATINE. Pièce vocale à une ou deux parties sans da capo. Son écriture est plus mélodique que celle du récitatif, mais son lyrisme est moins ample que celui de l’air. Elle est dérivée de la cavata, terme qui, au XVIIIe siècle, conformément à son étymologie (lat. cavare, « graver, creuser »), désignait la terminaison, le résumé en quelque sorte gravé sous forme de sentence, d’un récitatif. À la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, la cavatine, devenue une forme plus développée et plus indépendante, garda de ses origines le caractère coulant de son débit vocal, évitant les reprises, les répétitions de texte. Elle était utilisée en particulier pour les entrées de personnages, leur permettant de se présenter, de situer leur position par rapport au déroulement de l’action (dans les Noces de Figaro de Mozart, cavatine de Figaro Se vuol ballare ; dans le Barbier de Séville de Rossini, cavatines d’Almaviva, puis de Rosine). Plus tard, le terme a désigné des morceaux ne répondant plus strictement à la définition originelle et se distinguant mal de l’air habituel (comme la cavatine de Faust dans l’opéra de Gounod). Le mot cavatine se rencontre aussi dans la musique instrumentale, avec un sens relativement mal défini. Il s’applique en général à une pièce essentiellement mélo- dique, libre de forme et concise. Beethoven baptisa « cavatine » le douloureux cinquième mouvement de son 13e Quatuor op. 130. CAVAZZONI, famille d’organistes italiens du XVe siècle. Marco Antonio, dit d’Urbino (Bologne v. 1490 - Venise apr. 1559). Il occupa divers postes d’organiste et de claveciniste en Italie du Nord et à Rome, et fut chantre à Saint-Marc de Venise. Son livre de Ricerchari, Motetti, Canzoni... (Venise, 1523) contient les premières pièces écrites spécialement, en Italie, pour instruments à clavier (Canzoni pour orgue). Girolamo, son fils (Urbino v. 1510 - Venise 1560). Élève de son père et de Willaert, il s’établit à Mantoue, où il fut organiste à Santa Barbara, et publia deux recueils de pièces d’orgue en tablature, dont la polyphonie serrée annonce Frescobaldi. Il fut le maître de Costanzo Antegnati. CAVENDISH (Michael), compositeur anglais (v. 1565 - Aldermanbury 1628). Il appartenait à une grande famille, proche de la cour. Après John Dowland, le maître incontesté de l’ayre anglais pour voix et luth, Cavendish se classe parmi d’autres excellents musiciens qui illustrèrent le genre avec talent et surent habilement marier le texte poétique à la musique (Campion, Danyel, Rosseter, Pilkington, Ford). Il a laissé des madrigaux à 4 et 5 voix, riches en mélodie et proches du style balletto, gai et enlevé, cher à Th. Morley. En 1598, il publia à Londres un recueil d’ayres, Tabletorie to the Lute, qui contient également 8 madrigaux à 5 voix. D’autres compositions de Cavendish ont paru dans des publications collectives, celles de Th. East (Whole Booke of Psalmes, 1592), de Th. Morley (The Triumphs of Oriana, 1601) et encore de Th. Ravenscroft (The Whole Booke of Psalmes with the Hymnes Evangelicall and Songs Spirituall, 1621). CAVOS (Catterino), compositeur et chef d’orchestre italien (Venise 1776 - SaintPétersbourg 1840). Fils du directeur du théâtre de la Fenice à Venise, Cavos remplit, dans ce haut lieu, les fonctions de chef de chant avant de diriger le théâtre de Padoue. Parti pour Saint-Pétersbourg à la tête d’une troupe italienne d’opéra (v. 1800), il devait y demeurer jusqu’à sa mort, exerçant une influence de plus en plus importante sur la vie musicale. Nommé chef d’orchestre du théâtre impérial en 1800, il en devint le régisseur en 1804, tout en étant professeur de chant au Collège de l’Ordre de Sainte-Catherine. Puis, chef attitré de l’orchestre de l’opéra russe (1806), il assuma, à partir de 1821, la direction générale de la musique. Il joua un rôle déterminant dans la diffusion d’oeuvres alors jugées audacieuses : sous sa baguette furent créées, en Russie, le Freischütz (Weber), Fra Diavolo (Auber), Robert le Diable (Meyerbeer). Bien plus, alors même qu’il avait écrit un opéra sur l’épisode d’Ivan Soussanine (représenté en 1815), il dirigea et imposa l’oeuvre de Glinka traitant le même sujet, la Vie pour le tsar (1836), avec une conviction et une chaleur révélatrices du regard qu’il portait sur la nouvelle musique russe. Il est vrai qu’il avait personnellement ressenti la nécessité de faire appel à des sujets historiques ou légendaires (outre Ivan Soussanine, Ilya Bogatyr, la Jeunesse d’Ivan III, le Cosaque versificateur) et même parfois à des thèmes musicaux populaires, sans toutefois pouvoir oublier ses origines italiennes. CAZZATI (Maurizio), compositeur italien (Guastalla, Reggio Emilia, v. 1620 - Mantoue 1677). Il fut maître de chapelle et organiste à la chapelle Sant’Andrea de Mantoue, puis maître de chapelle du duc de Sabbioneta à Bozzolo (1646-1648), et occupa la même charge à l’Accademia della Morte à Ferrare (1640-1651) et à Santa Maria Maggiore à Bergame (1653). De 1657 à 1673, il résida à Bologne, où il s’affirma comme un membre important de l’école de cette ville, notamment dans le domaine de la musique instrumentale. Il occupa le poste de maître de chapelle à San Petronio où l’activité musicale était particulièrement intense, mais dut le quitter à la suite d’une violente dissension avec Arresti, l’organiste de l’église. De retour à Mantoue, il entra au service de la duchesse Anna Isabella de Gonzague et fonda une imprimerie musicale. Maurizio Cazzati a laissé nombre de messes, psaumes, lamentations et autres oeuvres religieuses, de madrigaux, de cantates, d’oratorios dont la composition s’échelonna entre 1659 (Espressione in versi di alcuni fatti di S. Giuseppe) et 1669 (La Vittoria di S. Filippo Neri). Son oeuvre instrumentale, également abondante, se compose de sonates et danses diverses. CEBALLOS, famille de musiciens espagnols. Francisco ( ? - Burgos 1571). Maître de chapelle à Burgos de 1535 à sa mort, il a laissé 4 messes et 7 motets. Rodrigo, frère du précédent (Aracena 1525 - Grenade 1581). Il fut maître de chapelle à Malaga (1554), Séville (1556), Cordoue (1556), puis de la chapelle royale de Grenade (1561). Important compositeur de musique religieuse et profane, représentatif du Siècle d’or, il est l’auteur de messes, motets, et pièces sacrées diverses, de villanelles, éditées dans le Cancionero des ducs de Medinaceli, et de madrigaux, downloadModeText.vue.download 174 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 168 édités par Esteban Daza dans El Parnaso (Valladolid, 1576). CEBOTARI (Maria), soprano autrichienne d’origine russe (Kishinev, Bessarabie, 1910 - Vienne 1949). Elle chanta successivement aux Opéras de Dresde (1931-1936), où elle créa le rôle d’Aminta dans la Femme silencieuse de Richard Strauss, de Berlin (1936-1944) et de Vienne (1944-1949). Elle créa à Salzbourg les rôles de Lucille dans la Mort de Danton, de Gottfried von Einem (1947), et de Iseut dans le Vin herbé, de Frank Martin (1948). Grande interprète de Mozart (la Comtesse, Suzanne, Zerline) et de Richard Strauss (Sophie, Ariane), elle alliait une technique vocale raffinée à un physique séduisant. CÉDEZ (en ital. cedendo). Terme indiquant un léger fléchissement du mouvement établi, ce dernier étant repris lors de l’indication au mouvement. Souvent employé par Debussy, cédez est synonyme de retenu (ritenuto). CÉLESTA. Instrument à percussion inventé au XIXe siècle par le facteur Victor Mustel et perfectionné par son fils Auguste, qui en déposa le brevet en 1886. Extérieurement semblable à un petit piano de 4 ou 5 octaves, il est pourvu d’un clavier qui agit sur des lames métalliques lestées d’une masselotte, par l’intermédiaire d’un mécanisme de marteaux et d’étouffoirs. D’un son court, mais pur et très cristallin, il a été employé à l’orchestre par de nombreux compositeurs. CELIBIDACHE (Sergiu), chef d’orchestre et compositeur roumain (Roman 1912). Son père, officier de cavalerie, le destinait aux plus hautes fonctions. Il montra très jeune des dons exceptionnels dans les domaines des mathématiques, de la philosophie et de la musique. Consacrant trop de temps à cette dernière matière au gré de son père, il fut chassé par ce dernier et connut alors à Bucarest des années difficiles. En 1939, il vint travailler en Allemagne, à Berlin, à la Hochschule für Musik avec Tiessen et à l’université avec Schering et Schünemann, et soutint successivement des thèses de doctorat en musicologie (Principes de développement et éléments formels dans la technique de composition de Josquin Des Prés), en philosophie et en mathématiques. En 1945, il se présenta au concours de recrutement de premier chef d’orchestre de la Radio de Berlin, et fut admis, alors qu’il n’avait jamais auparavant tenu une baguette de sa vie. La même année, il fut nommé directeur de la Philharmonie de Berlin et le demeura jusqu’en 1952. Par la suite, il mena une vie itinérante, donnant sur tous les continents des concerts et des cours de perfectionnement pour la direction d’orchestre. Il est depuis 1979 directeur musical de la Philharmonie de Munich. Artiste exigeant, doté d’une organisation de pensée et d’une mémoire musicale exceptionnelles, il domine un très vaste répertoire, allant de Mozart aux compositeurs modernes. Appartenant à la religion bouddhique, il refuse toute commercialisation de son art et, peu satisfait des techniques actuelles d’enregistrement, il a réalisé peu de disques. Aussi n’a-t-il jamais accédé à la popularité auprès d’un très grand public. Il est également compositeur (4 Symphonies, un Concerto pour piano, etc.) mais s’oppose à toute exécution publique de ses oeuvres. CELLIER (Alexandre), organiste, compositeur et musicologue français (Molièressur-Cèze, Gard, 1883 - Paris 1968). Élève d’Alexandre Guilmant et de CharlesMarie Widor au Conservatoire de Paris, il fut nommé en 1910 organiste de l’église réformée de l’Étoile à Paris. Il fut aussi inspecteur de l’enseignement musical. Il a composé des pièces pour orgue, de la musique de chambre et quelques oeuvres orchestrales. On lui doit des éditions d’oeuvres de Nicolas Bernier, Marc-Antoine Charpentier et Michel-Richard Delalande. Alexandre Cellier a publié plusieurs ouvrages sur l’orgue : l’Orgue moderne (Paris, 1913), l’Orgue, ses éléments, son histoire et son esthétique (Paris, 1933) et Traité de la registration d’orgue (Paris, 1957). CENCERROS. Instrument à percussion de la famille des claviers. Ce nom espagnol a été donné par Olivier Messiaen à des cloches de vache bombées disposées par rangs, pour former des jeux qui couvrent jusqu’à 3 octaves et demie. CENSURE. En ce qui concerne les écrits sur la musique, la censure ne se distingue pas de ce qu’elle est dans les autres domaines. Elle s’est notamment exercée envers les livrets d’opéras ou d’oratorios de la même manière et dans la même mesure qu’envers les pièces de théâtre, en fonction de directives soit politiques (par exemple, Rigoletto de Verdi, dont le sujet, pris au Roi s’amuse de V. Hugo, dut être transplanté dans un milieu différent), soit morales (par exemple, Pelléas et Mélisande de Debussy, dont deux mesures durent être enlevées parce que le texte faisait allusion au lit des amants). La censure était plus préventive que corrective (Da Ponte fait grand cas, pour faire jouer les Noces de Figaro de Mozart, des adoucissements qu’il a apportés au modèle de Beaumarchais). Sur le plan religieux, l’Église exerçait sa propre censure (à Vienne, la Création de Haydn fut interdite dans les églises à cause de la coloration maçonnique de son livret pourtant biblique), et la Réforme, surtout chez les calvinistes, se montrait très sourcilleuse dans la sur- veillance des chansons profanes, dont elle dénonçait le caractère pervers, d’où les nombreuses « parodies » édifiantes qu’elles ont suscitées (Un jeune moine est sorti du couvent, de Roland de Lassus, devient ainsi Quitte le monde et son train décevant). En ce qui concerne la musique proprement dite, on peut plus difficilement parler de censure. On peut néanmoins considérer comme telle l’interdiction faite parfois aux Grecs de modifier les modes ou d’augmenter le nombre des cordes de lyre ; la décrétale Docta Sanctorum de Jean XXII (1322), condamnant sous des peines ecclésiastiques sévères (qui ne furent jamais appliquées) la déformation du plain-chant dans la polyphonie d’Ars nova ; les prohibitions de chants religieux sur thèmes profanes, notamment dans les messes polyphoniques qui ont suivi le concile de Trente ; l’interdiction à l’église du répertoire d’opéra ou de certains instruments comme le piano, qui entoura le Motu Proprio de Pie X (1903). Mais la véritable censure visant la musique en tant que telle ne s’est manifestée que comme corollaire des régimes totalitaires, qu’elle accompagne très fréquemment (interdiction des compositeurs juifs et de la musique « dégénérée » par Hitler vers 1937, décrets Jdanov contre la musique « bourgeoise » sous Staline en 1936, interdiction de la musique occidentale sous Mao Tsétoung en Chine, etc.). CENTRE DE DIFFUSION DE LA MUSIQUE CONTEMPORAINE (C.D.M.C.). Il a été inauguré à Paris en 1978. Plus de 6 000 oeuvres musicales (partitions et/ou enregistrements) peuvent y être consultées, les supports ayant suivi les évolutions les plus récentes de la technologie. Les oeuvres sont accompagnées de fiches techniques, des biographies des compositeurs, de leur catalogue. Après son installation à la Cité de la musique, le centre a ouvert en 1994 une section vidéo. Le C.D.M.C. est, en même temps, un outil de promotion qui publie une revue trimestrielle, Ostinato, organise des rencontres, des conférences et des concerts. Il a ouvert des antennes à l’étranger, au Japon et au Brésil notamment. CENTRE DE MUSIQUE BAROQUE DE VERSAILLES. Institution de production et de recherche musicale créée en 1987. La première mission du centre est la reconstitution du cadre musical du château de Versailles, notamment par l’organisadownloadModeText.vue.download 175 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 169 tion de concerts et de spectacles dédiés à la musique des XVIIe et XVIIIe siècles. Un Atelier d’études et de recherches a la charge de retrouver, de restaurer et d’éditer les manuscrits musicaux de l’époque. La formation des interprètes au répertoire et aux techniques adéquates incombe à l’Atelier lyrique, au Studio baroque de Versailles, ainsi qu’à la maîtrise (les Pages de la Chapelle). Depuis sa création, le centre s’est doté d’un service de documentation informatisé, d’une bibliothèque, d’un département des arts de la scène (qui a abouti à la création d’une structure indépendante, le Théâtre baroque de France, dirigé par Philippe Beaussant). Il publie aussi une collection de disques. CENTRE D’ÉTUDES DE MATHÉMATIQUES ET AUTOMATIQUE MUSICALES (C. É. M. A. M. U.). Association de recherche musicale créée en 1972, sur l’initiative du compositeur Yannis Xenakis, qui en est le président, à partir d’un groupe qu’il fonda en 1966, dans le cadre de l’École pratique des hautes études, sous le nom d’Émamu, avec François Genuys et les mathématiciens Marc Barbut et Georges-Th. Guilbaud. La nouvelle association comprend, autour de son animateur et inspirateur Xenakis, des personnalités scientifiques de diverses disciplines, et bénéficie du soutien du Collège de France, du Centre national d’études des télécommunications et de la fondation Gulbenkian. Son objet est l’application des connaissances scientifiques modernes et des moyens techniques (ordinateur) à la composition musicale. Elle a produit des travaux et des séminaires de recherche, donné des enseignements, contribué à des réalisations musicales, et présenté au public, en 1980, l’U. P. I. C., une « machine à composer » permettant à tous de dessiner des sons en vue d’un projet musical. Elle se consacre à des expériences sur la synthèse des sons par ordinateur, selon des postulats et des programmes qui diffèrent de ceux communément utilisés dans les autres studios (comme le programme Music V de Mathews). CEREROLS (Joan), compositeur catalan (Martorell 1618 - Montserrat 1676). Admis comme novice au monastère de Montserrat à l’âge de dix-huit ans, il n’en sortit pratiquement plus. Ses fonctions de maître de chapelle l’amenèrent à composer de nombreuses pièces de musique religieuse, surtout chorales, dont la renommée a largement franchi les murs de la célèbre abbaye. C’est notamment le cas de la Missa de Batalla, à trois choeurs. CERHA (Friedrich), compositeur et chef d’orchestre autrichien (Vienne 1926). Élève de Vasa Prihoda pour le violon et d’Alfred Uhl pour la composition à l’école supérieure de musique de Vienne, il a également étudié, à l’université, non seulement la musicologie, mais la philosophie et la philologie germanique. Violoniste, professeur à l’école supérieure de musique de Vienne à partir de 1959, il a séjourné à Rome en 1957, et fondé en 1958 l’ensemble de musique contemporaine Die Reihe, qui a joué à Vienne un peu le même rôle que le Domaine musical à Paris. On lui doit l’achèvement, ou plutôt l’orchestration, des parties manquantes du 3e acte de l’opéra Lulu d’Alban Berg. Comme compositeur, Cerha est parti des classiques du XXe siècle et des techniques sérielles issues de l’école de Vienne pour développer, à partir de 1956 surtout, un langage personnel qui privilégie la qualité du traitement des matériaux plutôt que des tendances puristes dans le choix de ces matériaux. Il a commencé à écrire dès 1942 (2 lieder pour soprano et piano sur des poèmes de Storm et Mörike), mais l’ouvrage le plus ancien qu’il retient habituellement est Deux Éclats en réflexion pour violon et piano (1956). On lui doit notamment : Espressioni fondamentali pour orchestre (1957) ; Relazioni fragili pour clavecin et orchestre de chambre (1957) ; Enjambements pour 6 interprètes (1959) ; Spiegel I à VII pour grand orchestre et bande magnétique (1960-1971), dont la première exécution d’ensemble a eu lieu au festival de la S. I. M. C. à Graz, en 1972 ; Verzeichnis pour 16 voix a cappella (1969) ; Curriculum pour vents (1972) ; Sinfonie pour orchestre (1975) ; Double Concerto pour violon, violoncelle et orchestre (1973-1976) ; Baal, opéra d’après B. Brecht (1980, créé au festival de Salzbourg en 1981) ; Netzwerk, oeuvre scénique (1981) ; Keintate pour voix moyenne et instruments (1982) ; Requiem für Hollensteiner (1984) ; Concerto pour flûtes (1986) ; opéra Der Rattenfänger d’après Zuckmayer (Graz, 1987) ; Monumentum für Karl Prantl (Salzbourg, 1989), Quatuor à cordes no 2 (1991). ČERNOHORSKÝ ou CZERNOHORSKY (Bohuslav Matěj), organiste et compositeur tchèque (Nymburk 1684 - Graz, Autriche, 1742). Il est considéré comme le plus important représentant de la musique baroque tchèque. Fils d’un instituteur organiste, il étudia la philosophie à Prague, puis entra au noviciat. Père minorite en 1703, regens chori à l’église Saint-Jacques de Prague, il enseigna dans cette ville et en Italie, où il fut envoyé par son ordre. Le « Padre Boemo » eut comme élèves des musiciens tchèques tels que Zach, Seger, Tuma, Haza, mais aussi Tartini et Gluck. D’un an l’aîné de Bach, il semble avoir fortement contribué à l’évolution de l’orgue baroque. Malheureusement, sa musique d’orgue a pour l’essentiel été détruite dans l’incendie de l’église Saint-Jacques en 1754. De nombreuses copies d’oeuvres de Froberger, Muffat, Roberday semblent être de sa main, parmi d’autres originales. Ses oeuvres vocales le désignent comme un représentant de l’école vénitienne tardive, tout comme A. Michna d’Otradovice. CERRETO (Scipione), compositeur et théoricien italien (Naples v. 1551 - id. apr. 1631). Il s’imposa comme auteur de madrigaux. Ses oeuvres sont aujourd’hui en grande partie perdues, mais on a conservé trois précieux ouvrages théoriques qui touchent la vie musicale en Italie au début du XVIIe siècle, et principalement l’improvisation en style contrapuntique. Ce sont Della prattica musica (...) [1601], Dell’arbore musicale (...) [1608] et Dialogo harmonico (...) [Ire version, 1626 ; 2e version, 1631]. CERTON (Pierre), compositeur français ( ? v. 1510 - Paris 1572). Clerc de matines à Notre-Dame de Paris (1529), Certon entra à la Sainte-Chapelle en 1532 et y occupa successivement les fonctions de chantre, maître des enfants de choeur (v. 1542), chapelain perpétuel (1548). Malgré des tensions avec la hiérarchie ecclésiastique, dues à son indépendance de caractère, il obtint une prébende de chanoine à Notre-Dame de Melun (1560) et devint à la fin de sa vie le protégé du seigneur de Villeroy. Continuant d’utiliser les techniques de la messe-parodie du siècle précédent (Sur le pont d’Avignon, Le temps qui court, Dulcis amica), Certon ne saurait montrer, sur le plan de la musique religieuse, une originalité particulière. En revanche, dans le domaine de la chanson, malgré l’écriture traditionnelle de ses premières pièces (Amour est bien, Jetez-les hors) et le style parisien (Un vert galant, Ho, le vilain), son rôle est d’importance historique et son oeuvre très estimable. Il est, en effet, l’un des quatre musiciens - avec Janequin, Goudimel et Muret - à mettre en application dès 1552 le souci tant affirmé par Ronsard de la nécessité du retour à l’union de la poésie et de la musique à l’image de l’Antiquité classique. Participant à l’appendice musical (10 morceaux à 4 parties imprimées sur deux pages en regard) du recueil des Amours de Ronsard publiés chez la veuve De La Porte, avec deux sonnets (Bien qu’à grand tort..., I, 5 et J’espère et crains, I, 8), il pose le problème des rapports du texte et de la musique. Il adopte les principes avancés par les théoriciens de la Pléïade : découpage strophique, traitement syllabique du texte, écriture homorythmique afin de faciliter la compréhendownloadModeText.vue.download 176 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 170 sion des paroles chantées. La même année, il publia un recueil entier, Premier Livre de chansons dans ce style nouveau. Adaptées pour voix et guitare, ces chansons, qui parurent sous le nom de « voix de ville », représentent une étape de transition entre la chanson parisienne du début du siècle et l’air de cour. CERVEAU (Pierre), compositeur français d’origine angevine (fin XVIe s. - début XVIIe s.). Il fut au service de l’évêque d’Angers Charles Myron, dédicataire du seul recueil qu’on ait conservé de lui : Airs mis en musique à 4 parties, publié chez la veuve Ballard et fils en 1599. Rappelant dans la préface de ses Airs que la chanson peut s’interpréter de plusieurs manières, Cerveau indique clairement que le terme d’air de cour, utilisé pour la première fois par A. Le Roy en 1571 (Livre d’airs de cour mis sur le luth) pour indiquer la transcription pour voix et luth d’une chanson polyphonique, s’applique aussi, à partir de 1597 (cf. Airs de cour... à quatre et cinq parties), aux airs à plusieurs voix. De ce fait, outre son recueil de 1599, on trouve des airs de cour de sa composition dans le troisième livre d’Airs mis en tablature de luth transcrits par G. Bataille (Ballard, 1611). Ajoutons que Cerveau fut influencé par le mouvement de musique mesurée à l’antique, dirigé par A. de Baïf et Th. de Courville dans le cadre de l’Académie de poésie et de musique créée en 1570. Citons enfin la présence de Cerveau à Troyes en 1604, époque où il contribua à la mise en musique des hymnes latines de L. Strozzi. Les chansons polyphoniques de Cerveau témoignent de la préférence accordée au superius, la partie mélodiquement la plus intéressante. Elles sont également de facture très élégante et peuvent compter parmi les meilleures de leur temps. CERVELAS. Instrument ancien de la famille des bois, à anche double, apparu à la fin du XVIe siècle. S’il ressemble vaguement à un gros saucisson - d’où son nom français -, le cervelas se présente plus précisément comme un cylindre de bois massif, de deux à trois fois plus haut que large, percé latéralement de petits trous ; un court pavillon émerge de la face supérieure, ainsi que l’anche parfois montée sur un « bocal » métallique recourbé. En fait, ce bloc est une véritable termitière, creusée d’un canal unique replié sur lui-même jusqu’à dix fois, de sorte que ce petit instrument trapu émet les mêmes notes graves que l’énorme contrebasson, avec moins de puissance toutefois. CERVERI DE GERONA, troubadour catalan (XIIIe s.). Il fut tour à tour à la cour d’Aragon (Jacques Ier, Pierre Ier et Pierre III), d’Alphonse le Sage, d’Henri II de Rodez et de Ramon Folch VI de Cardona. On connaît de lui plus de 110 pièces (estampidas, retroensas ou descortz) ; sans doute a-t-il pratiqué les genres les plus rares des chansons de son temps. Les oeuvres de Cerveri de Gerona ont été éditées par Martin de Riquer : Obras completas del trovador Cerveri de Gerona (Barcelone, 1947). CESARIS (Johannes), compositeur français (fin XIVe s. - début XVe s.). Cité par Martin Le Franc aux côtés de Carmen et de Tapissier dans son Champion des dames (v. 1440), Cesaris ne nous est connu que par un motet isorythmique, une ballade et sept rondeaux. Il soumet ces derniers aux mêmes subtilités d’écriture que la ballade (changement de mesure, syncope, ornementation), empruntant parfois aussi au motet l’usage de deux textes différents. Mais il est bien difficile d’affirmer si les souvenirs de l’Ars nova sont chez lui des caractéristiques plus intentionnelles que la simplicité du double rondeau Pour la douleur/Qui dolente. CESTI (Pietro), compositeur et chanteur italien (Arezzo 1623 - Florence 1669). Baptisé Pietro, il se fit frère franciscain et adopta le prénom d’Antonio, mais il est connu surtout sous le nom de Marc’Antonio, d’où la confusion qui régna à son sujet de nombreuses années durant. Bien qu’il fût l’élève de Carissimi à Rome, terre de la cantate par excellence, son style est très influencé par l’école vénitienne, notamment dans le domaine théâtral. Sa vie privée ne fut pas toujours conforme à ce qu’auraient souhaité ses supérieurs ecclésiastiques, en particulier ses relations avec le poète Salvatore Rosa, dont les lettres ont fourni nombre de détails révélateurs. Maître de chapelle à Volterra (1645), membre de la chapelle pontificale à Rome (1659), il devint vice-maître de chapelle de la cour impériale de Vienne (1665), avant de revenir à Florence en 1668. Certains prétendent que Cesti mourut empoisonné. L’essentiel de son oeuvre consiste en créations pour le théâtre. La plus célèbre est l’opéra Il Pomo d’oro, représenté dans des décors somptueux de Bernacini à Vienne, à l’occasion du mariage de Léopold Ier avec Marguerite d’Espagne (1666). Parmi ses autres ouvrages pour la scène, citons Cesare amante (1651) et Orontea (1656), tous deux créés à Venise, La Dori, son chef-d’oeuvre représenté pour la première fois à Florence en 1661 et donné ensuite dans toute l’Italie, suivi, en 1662, de la Serenata. Argia (1655) et La Magnanimità d’Alessandro (1662) furent créés à Innsbruck. En 1666, Cesti donna Il Tito à Venise et, enfin, à Vienne, Nettuno e la Flora festeggianti, suivi de trois autres ouvrages en 1667, La Disgrazie d’Amore, La Semirami et La Germania esultante. Cesti a également composé des motets, des airs profanes isolés et, surtout, des cantates pour 1 ou 2 voix qui sont importantes pour l’histoire de la forme, tout en offrant une haute valeur artistique. CÉSURE. D’abord terme de métrique, la césure est aussi, en musique, une pause à l’intérieur d’un motif, pause déterminée par la construction rythmique de la phrase. CHABANON (Michel Paul Guy de), écrivain, compositeur et violoniste français (Saint-Domingue 1729 - Paris 1792). Auteur d’un opéra (Sémélé) et de plusieurs pièces instrumentales dont une seule nous est parvenue, cet ami de Voltaire et de Rameau doit l’essentiel de sa notoriété à son activité d’homme de lettres. Il fut d’ailleurs élu à l’Académie des inscriptions et belles lettres en 1759, et à l’Académie française en 1780. Il a laissé deux tragédies, des traductions en prose de Pindare et Théocrite et d’intéressants travaux musicologiques qui commencent avec un Éloge de M. Rameau (1764) et s’achèvent sur De la musique considérée en elle-même et dans ses rapports avec la parole, les langues, la poésie et le théâtre (1785). CHABRIER (Emmanuel), compositeur français (Ambert, Puy-de-Dôme, 1841 Paris 1894). Né dans une famille bourgeoise implantée en Auvergne depuis plusieurs générations, il étudia, à six ans, le piano avec Manuel Zaporta, puis Mateo Pitarch. En 1852, ses parents s’installèrent à Clermont- Ferrand, où il travailla avec le violoncelliste Tarnowski. Une de ses compositions, Aïka, polka mazurka arabe, fut imprimée à Riom. En 1856, il suivit ses parents à Paris, où, tout en poursuivant ses études classiques, il étudia le piano avec Édouard Wolff, tandis que Th. Semet, puis R. Hammer et A. Hignard lui enseignèrent l’écriture. Bien qu’il se sentît une vocation de compositeur, Emmanuel Chabrier sembla accepter sans révolte l’idée de suivre la tradition familiale en poursuivant des études de droit qui le menèrent au ministère de l’Intérieur, où il resta de 1861 à 1880. Peu après, il fréquentait le milieu parnassien et s’y liait avec Verlaine, qui lui fournit le livret de deux opéras bouffes, Fisch-Ton-Kan et Vaucochard et Fils Ier. Les poètes qu’il rencontra alors lui inspirèrent, en 1862, neuf mélodies. Cette même année parurent ses Souvenirs de Brunehaut pour piano. Mais un projet plus ambitieux devait le retenir à partir de 1867 : la composition d’un opéra en 4 actes sur un livret de H. Fouquier : Jean downloadModeText.vue.download 177 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 171 Hunyade. À cette époque, il se lia aussi avec les impressionnistes, dont il allait être l’un des rares et des plus avertis collectionneurs. Son ami Manet fit plusieurs portraits de lui. En 1876, Chabrier devint membre de la Société nationale de musique qui allait accueillir la plus grande partie de ses oeuvres. Son Larghetto pour cor et orchestre y fut créé en 1877 et, l’année suivante, son Lamento pour orchestre. En 1877, le théâtre des Bouffes-Parisiens avait créé son opéra bouffe, l’Étoile. L’opérette Une éducation manquée fut jouée en 1879 dans un cercle privé. L’audition de Tristan et Isolde à Munich, en 1880, bouleversa le compositeur. L’année suivante, son ami Lamoureux créa les Nouveaux Concerts et l’appela pour le seconder dans l’étude des oeuvres wagnériennes qui allaient former le fond de son répertoire. Le musicien venait de composer ses Pièces pittoresques pour piano. Un voyage à travers l’Espagne, au cours de l’automne de 1882, lui inspira España. Donnée en première audition par Lamoureux en 1883, cette oeuvre rendit son auteur célèbre. Cette même année, il donna à la Société nationale de musique ses Valses romantiques pour 2 pianos. 1883 marqua un changement dans la vie de Chabrier. Désormais, il séjourna plusieurs mois, chaque année, à La Membrolle, petit village de Touraine, où il composa la majeure partie de son oeuvre. Après plusieurs tentatives lyriques infructueuses (Jean Hunyade, 1867 ; le Sabbat, 1877 ; les Muscadins, 1878), il composa Gwendoline, puis le Roi malgré lui. Mais ces deux oeuvres virent leur essor arrêté peu après leur création : le 10 avril 1886, à la Monnaie de Bruxelles pour Gwendoline, abandonnée après quelques représentations à la suite de la faillite du directeur ; le 18 mai 1887, pour le Roi malgré lui, à l’Opéra-Comique qui brûla une semaine plus tard. Quant à Briséis, Chabrier ne put l’achever pour raison de santé. Seul le premier acte fut joué après sa mort par Lamoureux (1897), avant d’être monté par l’opéra de Berlin, puis par celui de Paris. Sans l’amitié agissante de Félix Mottl - qui accueillit avec succès Gwendoline, en 1889, et le Roi malgré lui, en 1890, au théâtre de Karlsruhe, favorisant ainsi leurs entrées sur plusieurs grandes scènes d’outre-Rhin (Munich, Leipzig, Dresde, Cologne, Düsseldorf) -, Chabrier n’aurait connu que d’éphémères succès. Avant d’assister, impuissant, à la perte progressive de ses facultés, le compositeur écrivit encore quelques oeuvres radieuses où apparaissent les deux faces de son génie cocasse et tendre. Prélude et Marche française - qu’il rebaptisa Joyeuse Marche - fut créé en 1888 à l’Association artistique d’Angers, sous sa direction, avec Suite pastorale formée de quatre des Pièces pittoresques orchestrées, Idylle, Danse villageoise, Sous-Bois et Scherzo-Valse. En 1890, il publia une série de mélodies d’aspect tout nouveau, qu’il baptisa avec humour ses « volailleries ». Cette même année, il réorchestra la Sulamite vieille de six ans, et composa, pour l’inauguration de la maison d’un ami, l’Ode à la musique. Avec la Bourrée fantasque de 1891 confiée au piano - sur lequel il fut, au témoignage de tous, un remarquable virtuose -, il abandonna son papier réglé sur un chefd’oeuvre qui inaugurait une nouvelle manière de traiter cet instrument. Chabrier déroute. Comme son ami Manet, il présente « plusieurs manières admirables d’être soi ». Ses volte-face déconcertent. À peine remis de l’audition de Tristan et Isolde, qui l’assombrit, et le fit douter de lui, il composa allégrement l’éblouissante España. Connu pour son fervent wagnérisme - Fantin-Latour le campa devant le piano au centre d’une grande toile que le public baptisa les Wagnéristes ; le pape du wagnérisme, Lamoureux, se l’attacha à la fondation des Nouveaux Concerts -, il aborda la composition par de désopilantes opérettes écrites en collaboration avec son ami Verlaine : Fisch-Ton-Kan et Vaucochard et Fils Ier. Il écrivit des oeuvres plus ambitieuses que ces tentatives de jeunesse, mais sans abandonner pour autant sa veine comique. Parallèlement à Gwendoline et à Briséis, drames lyriques wagnériens d’intention, surtout à cause des livrets de Catulle Mendès, il composa non seulement d’autres opérettes comme l’Étoile, Une éducation manquée, le Roi malgré lui - opéra bouffe transformé en opéra-comique à la demande de Carvallho -, mais également des pièces orchestrales comme la Joyeuse Marche ou des romances telles que la cocasse suite des « volailleries », ainsi qu’il nommait plaisamment la Villanelle des petits canards, la Ballade des gros dindons, les Cigales, la Pastorale des cochons roses. Ce ne fut pas par hasard que des musiciens des plus divers, voire les plus étrangers les uns aux autres, chérirent comme un père spirituel un compositeur si mobile dans ses expressions. Son influence se décèle dans les directions les plus opposées, chez Fauré comme chez Richard Strauss, chez Messager comme chez Satie, chez Ravel, qui le vénéra, et chez Debussy, qui pourtant était plus secret sur ses sources, mais dont le Pelléas rappelle Briséis, chez R. Hahn et chez M. de Falla, chez Milhaud, Poulenc, etc. Mais quel que fût le genre qu’il adopta, comique ou grave, léger ou dramatique, la rupture des styles reste de surface et n’affecte pas sa manière. En toutes circonstances réapparaissent des obsessions syntaxiques qui lui confèrent un visage très particulier, où la tendresse, le chatoiement harmonique, l’imprévu rythmique, l’ardeur, la naïveté, tout un monde de sensations captées dans l’allégresse se combinent subtilement. Il n’aborda d’ailleurs pas les grandes surfaces. Point de symphonies, de poèmes symphoniques, de sonates comme chez ses amis de la Société nationale de musique qui gravitèrent autour de Franck. Chabrier fut un musicien sérieux, mais c’était un sérieux qui se cachait. Il ne joua pas les importants. La hiérarchie des genres, il l’ignorait et, de même que ses amis impressionnistes, Manet, Monet, Renoir, Sisley, Cazin, Sargent, dont les toiles, et des plus belles, illuminèrent son appartement, il traita avec une lucide conscience de courtes pages pour le piano comme l’Impromptu en ut majeur (1873) dédié - on pourrait dire symboliquement à Mme Manet, de petites pièces improprement appelées « pittoresques », la Bourrée fantasque ou des romances comme la troublante Chanson pour Jeanne, de même que ces peintres aimés donnèrent, par leurs vertus strictement picturales, de la noblesse à des sujets qui en principe n’en avaient guère : une serveuse de bar, une femme enfilant ses bas, une danseuse de café-concert... Cet autodidacte « écrivit » comme personne, avec la science cachée d’un maître déduisant avec sûreté l’effet recherché. Néanmoins, un départ relativement tardif dans la carrière musicale, un emploi de fonctionnaire au ministère de l’Intérieur, un enseignement musical dispensé hors des écoles patentées lui créèrent une réputation d’amateur. Lui-même ne fut pas sans en éprouver un obscur complexe. « J’ai peut-être plus de tempérament que de talent », confia-t-il trois ans avant sa mort. « De nombreuses choses que l’on apprend dans sa jeunesse, je ne les conquerrai plus jamais. » Sans doute regrettait-il cette aisance à composer qu’il observa chez tant de ses amis et camarades, Saint-Saëns, Massenet, Messager, Lecocq. « Je n’ai pas ce que l’on appelle de la facilité ! » soupira-t-il. Il est vrai qu’il travaillait minutieusement, au petit point, dans une trame serrée, où vinrent s’entrecroiser des éléments variés. On y trouve, et dès ses premières compositions, dès Fisch-Ton-Kan - avant un Fauré par exemple, plus long à se dégager de l’emprise tonale -, une utilisation très caractérisée des gammes modales. Les gammes défectives suivirent, comme par exemple dans la troisième des Valses romantiques. Wagner, Chopin, Schumann, qu’il a soigneusement étudiés, l’aidèrent à se libérer de contraintes d’une écriture toujours pesantes à l’esprit. Enchaînements inusités de neuvième parallèles, frottements audacieux autant que délicieux, accords incomplets sont chez lui autant de piments. Sa nature tellurique, liée à son hérédité auvergnate, lui fit, comme il le disait plaisamment, « rythmer downloadModeText.vue.download 178 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 172 sa musique avec ses sabots d’Auvergnat » et pas seulement dans la Bourrée fantasque - et retrouver dans la polyrythmie espagnole un monde rythmique en liberté qui le confirmait dans sa voie. Et Berlioz, dont il avait réduit à quatre mains Harold en Italie en 1876, n’avait pu que renforcer sa tendance à rompre avec les carrures prévues. Ajoutons-y l’esprit léger, allusif, tout d’accentuation, en trompe-oreille, de la musique de nos grands clavecinistes, qui anime tant de ses oeuvres, telles les Pièces pittoresques et la Suite pastorale qui en découle. Quant à son génie de l’orchestration, plus que chez certains musiciens, dont Berlioz en premier lieu, sa source pourrait en être décelée sur les toiles de ses amis impressionnistes où la couleur prélevée sur le motif irradie avec une véhémence et une pureté sans précédent. De même, sa couleur orchestrale aux timbres sans mélange, ignorant les bitumes, a pu choquer ou surprendre, jusqu’à paraître « crue, voire outrancière », même un ami et admirateur comme Vincent d’Indy, encore que le coup de soleil d’España lorsqu’il éclata sous la baguette de Lamoureux sous un tonnerre d’applaudissements ait, et pour longtemps, chassé plus d’une ombre, dissipé bien des brumes, éclairant vers l’avenir un radieux paysage musical français. CHACONNE ou CHACONE (esp. chacona ; ital. ciacona). Forme de danse ancienne, peut-être d’origine mexicaine, venue d’Espagne au début du XVIIe siècle et généralisée dans toute l’Europe aux XVIIe et XVIIIe siècles. Très voisine de la passacaille, elle s’est souvent confondue avec elle. Il semblerait cependant que chacune ait conservé des particularités ( ! PASSACAILLE), même si on trouve fréquemment les mêmes pièces portant, selon la copie ou l’édition, tantôt un titre et tantôt l’autre. Passée très tôt au répertoire du luth et de la guitare, puis au théâtre où Lully l’affectionne, parfois avec des parties chantées, elle y prend de grandes dimensions qui la font préconiser pour les finales d’opéra, jusqu’à Rameau et Gluck inclus. Dans ce cadre, la chaconne proprement dite sert généralement de refrain, et se prolonge par des couplets qui peuvent ne pas conserver ses caractéristiques. CHADWICK (George Whitefield), compositeur américain (Lowell, Massachusetts, 1854 - Boston 1931). Après des études à Boston, Leipzig (1877) et Munich (1879), il fut successivement, à Boston, organiste et professeur au New England Conservatory, qu’il dirigea de 1897 à 1930. Membre de l’École de Boston, il eut notamment comme élèves Horatio Parker et Daniel Gregory Mason. Il écrivit à Leipzig l’ouverture Rip Van Winkle, et devait, par la suite, largement rester fidèle à l’esthétique postromantique de sa formation germanique. Attiré par la musique à programme ou de caractère descriptif, il sut allier l’émotion (ouverture Melpomène, 1887) au pittoresque (poème symphonique Aphrodite, 1912) et à la verve typiquement américaine (Symphonic Sketches). On lui doit aussi le drame Judith (1901) et l’opérette burlesque Tabasco (1894). Il utilisa parfois les chants de la communauté noire, et dans la ballade symphonique Tam o’Shanter, d’après Burns (1915), ne recula pas devant certains « modernismes ». CHAILLEY (Jacques), compositeur et musicologue français (Paris 1910). Issu d’une famille de musiciens, successivement secrétaire général (1937), puis sous-directeur (1947) et enfin professeur d’ensemble vocal (1948) au Conservatoire national de Paris, professeur d’histoire de la musique à la Sorbonne et directeur de l’Institut de musicologie de l’université de Paris (1952), inspecteur général de la musique (1973), il a occupé des postes corporatifs importants (président du Comité national de la musique, 1962, de la Consociatio internationalis musicae sacrae, 1969, etc.) et sa carrière multiple a abordé presque tous les aspects de l’activité musicale. Chef de choeurs, il a été l’un des pre- miers animateurs des chorales de jeunesse (Alauda, 1929) ; chef d’orchestre, il a dirigé à la Comédie-Française en 1944 (débuts de Raimu) ; il est directeur de la Schola cantorum depuis 1962. Depuis son accession à la Sorbonne en 1952, son activité d’exécutant s’est progressivement effacée devant ses tâches d’enseignement et de recherche. Il a écrit d’importants traités, souvent novateurs (Traité historique d’analyse musicale, 1950 ; Traité d’harmonie au clavier, 1977), étudié la musique médiévale (Histoire musicale du Moyen Âge, 1950 ; l’École musicale de saint Martial de Limoges, thèse de doctorat d’État, 1952), l’histoire de la théorie musicale (l’Imbroglio des modes, 1960 ; la Musique grecque antique, 1979 ; la Musique et son langage, 1996), et renouvelé l’exégèse de nombreuses oeuvres classiques et modernes, de Josquin Des Prés à Bartók et Messiaen (les Passions de Bach, 1963 ; la Flûte enchantée, 1968 ; Parsifal, 1979). Il a créé et développé une discipline nouvelle, la philologie musicale, à laquelle il a consacré de nombreux travaux (Éléments de philologie musicale, 1981). Transposant dans l’art visuel ses méthodes d’analyse musicale, il a également abordé l’exégèse d’oeuvres plastiques et picturales (Jérôme Bosch et ses symboles, 1978). Compositeur, Jacques Chailley a écrit de la musique de chambre (Quatuor à cordes, 1939 ; Sonate pour alto et piano, 1942), de la musique symphonique (Symphonie, 1947), un opéra (Thyl de Flandre, 1953), un ballet avec Jean Cocteau, la Dame à la licorne (1952), des mélodies et de nombreux choeurs (le Cimetière marin, 1980). Il est considéré comme l’un des principaux représentants d’une modernité non agressive, qui se veut continuatrice et rejette aussi bien la répétition stérile du passé que sa négation destructrice. La carrière de Jacques Chailley et le catalogue analytique de son oeuvre musicale (129 titres) et musicologique (359 numéros) sont relatés dans un livre publié en 1980 sous le titre De la musique à la musicologie. Il est membre de l’Académie royale de Belgique, de l’Académie des beaux-arts de San Fernando à Madrid, et a été plusieurs fois lauréat de l’Académie des beaux-arts de l’Institut de France. CHAILLY (Luciano), compositeur italien (Ferrare 1920). Il a étudié le violon dans sa ville natale avec A. Boscoli, puis la composition à Milan avec C. Righini et R. Rossi avant de se perfectionner, à Salzbourg, avec Paul Hindemith et, pour la direction d’orchestre, avec A. Votto. Très vite intéressé par l’audiovisuel, il s’est occupé des programmes musicaux à la radio et à la télévision, et a été directeur artistique à la Scala (1968-1971), conseiller artistique au théâtre Regio de Turin (1972), directeur artistique de l’Angelicum de Milan (1973-1975), puis des Arènes de Vérone (1975-76), et directeur de l’organisation artistique de la Scala (1977). Il enseigne, en outre, la composition au conservatoire de Milan. Il a écrit, à ses débuts, beaucoup d’oeuvres instrumentales, mais a trouvé sa voie véritable à la scène, au théâtre. Ferrovia soprelevata (« Train surélevé »), écrit en collaboration avec Buzzati (1955), relève surtout du genre musique de scène, mais à partir de Una domanda di matrimonio (« Une demande en mariage »), d’après Tchekhov (1957), se succèdent de nombreux opéras, dont plusieurs « à succès » (Una domanda di matrimonio a connu plus de 200 représentations). Parmi eux, Il Canto del cigno (« le Chant du cygne »), d’après Tchekhov (1957), La Riva delle Sirti (« le Rivage des Syrtes »), d’après J. Gracq (1971), L’ldiota (« l’Idiot »), d’après Dostoïevski (1re représentation Rome, 1970), ou encore Sogno (ma forse no) [« Songe, mais peut-être, non »], d’après Pirandello (1975). On lui doit aussi Contrappunti a quattro dimensioni pour orchestre (1973), Kinder requiem (1977) et la Missa papae Pauli, dédiée à Paul VI (1964). Son fils Riccardo, chef d’orchestre (Milan 1953), a été nommé en 1982 chef permanent de l’Orchestre symphonique de la Radio de Berlin et, en 1986, a succédé à Bernard Haitink à la tête de l’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam. downloadModeText.vue.download 179 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 173 CHALEMIE. Terme désignant une famille d’instruments du Moyen Âge, de tailles diverses, avec ou sans pavillon, qui obéissent aux mêmes principes que le hautbois (anche double, perce conique), dont ils sont l’ancêtre. On appelle aussi chalemie des instruments plus primitifs à un, deux ou trois tuyaux. CHALIAPINE (Féodor), basse russe (Ometeva, province de Kazan, 1873 Paris 1938). Issu d’une famille très humble, ayant eu pour père un ivrogne, il eut une enfance difficile. Il chanta à l’église, puis participa à des représentations locales sans connaître la musique, fit de brèves études vocales, débuta à Tiflis, en 1893, dans le rôle de Méphisto de Faust de Gounod, puis fut engagé à Saint-Pétersbourg où il se familiarisa avec le répertoire français et italien. À partir de 1896, appartenant, à Moscou, à la compagnie privée du mécène Mamontov, il fréquenta l’élite littéraire et artistique russe et aborda les grands rôles du répertoire national. Il débuta au Bolchoï de Moscou en 1899, à la Scala de Milan en 1901 (dans Mefistofele de Boïto, avec Caruso, sous la direction de Toscanini), au Metropolitan de New York en 1907. À Paris, où il avait eu l’occasion de chanter en 1907, il remporta des triomphes, en 1908, au théâtre Sarah-Bernhardt, avec une troupe formée par Diaghilev, dans Boris Godounov, oeuvre alors encore peu connue hors de Russie, et que ce succès dans la capitale française contribua à imposer. En 1910, il créa à Monte-Carlo Don Quichotte de Massenet. Il regagna la Russie en 1917, mais la quitta définitivement en 1922. Il tourna, en 1933, le film de Pabst Don Quichotte (musique de Jacques Ibert) et fit ses adieux à la scène à Monte-Carlo en 1937, dans Boris Godounov. Sa voix était sonore mais de couleur très claire. Quoique doté d’une belle technique de chant, il tourna le dos au bel canto et imposa au théâtre lyrique des conceptions inspirées en partie du courant naturaliste et en partie du geste et de la parole larges des grands tragédiens, notamment russes, de son époque. Son style vocal relève souvent plus de la déclamation que du chant. Nul ne peut dire si un tel style, qui verse souvent dans ce qui nous semble être des exagérations calculées et contrôlées, serait ou non toléré par le public d’aujourd’hui. Les disques de Chaliapine surprennent parfois, mais ne constituent pas une pièce à conviction décisive, car son art consistait essentiellement en sa façon d’unir le chant et le geste. De plus, ainsi que le démontre l’échec de tous ceux qui tentèrent de l’imiter, son autorité en scène, son rayonnement d’acteur servi par un art extrême du maquillage, faisaient admettre toutes ses audaces. Il marqua tout particulièrement de sa personnalité les rôles de Boris Godounov, de Dossifei dans la Khovantchina de Moussorgski, du meunier dans Russalka de Dargomyjski, de Méphisto dans Faust de Gounod et Mefistofele de Boïto, de Don Quichotte dans l’opéra de Massenet et de Basile dans le Barbier de Séville de Rossini. CHALLAN (Henri), compositeur et pédagogue français (Asnières-sur-Seine 1910 - id. 1977). Élève de Jean Gallon et de Henri Büsser au Conservatoire de Paris, premier second grand prix de Rome en 1936, il se consacra surtout à l’enseignement et fut nommé, en 1942, professeur d’harmonie au Conservatoire. On lui doit une symphonie, un concerto pour violon et d’autres pièces orchestrales - instrumentales et vocales. Son frère jumeau René, mort à Nevers en 1978, a suivi la même filière, mais a remporté le premier grand prix de Rome dès 1935. Directeur artistique de la firme phonographique Pathé-Marconi pendant 26 ans, il est l’auteur de trois symphonies, de plusieurs concertos et d’un opéra bouffe, Jörgen de Danemark, créé à Metz en 1960. CHALUMEAU. Ce nom a été indistinctement appliqué à divers types d’instruments à anche, et confondu avec chalemie. En fait, chalumeau désigne précisément un instrument en général très court, à anche simple et perce cylindrique, en usage en Allemagne et en Italie dans la première moitié du XVIIIe siècle. On conserve des instruments du même type, mais plus longs, montrant que le chalumeau peut être considéré comme un ancêtre de la clarinette. Le terme de chalumeau peut aussi désigner le registre grave de la clarinette, et, dans la cornemuse, le tube conique percé de trous qui fournit la mélodie. Dans le langage courant, on parle aussi de chalumeau pour désigner un pipeau pastoral fait d’un tuyau de paille ou de roseau. CHAMADE. Disposition à l’horizontale des tuyaux de certains jeux d’orgue à anche. Le son, dans ces jeux, étant émis par l’extrémité du tuyau, cette disposition en renforce l’éclat pour les auditeurs. On place ainsi les deux ou trois jeux de la batterie d’anches, généralement au pied des tuyaux de la façade dont ils complètent l’effet décoratif. Cette pratique est propre aux instruments espagnols du XVIIIe siècle. Elle s’est peu répandue au-delà du monde ibérique, jusqu’au milieu du XXe siècle, où on la trouve assez souvent sur les grands instruments modernes. CHAMBRE (Musique de). Depuis le XIXe siècle, ce terme général s’applique à des oeuvres pour un petit nombre d’instruments solistes. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, avant la généralisation des concerts publics, il désignait une musique destinée à être exécutée chez un particulier, quel que soit son rang, par opposition à la musique d’église et à la musique de théâtre (cf. la distinction, v. 1700, entre la sonata da camera et la sonata da chiesa). La musique « de chambre » peut alors faire appel aux effectifs les plus divers et les traiter ou non en solistes ; elle peut être instrumentale ou vocale ; mécènes et, parfois, interprètes amateurs jouent dans son processus de production un rôle important. En France, sous François Ier, les musiciens au service du roi étaient répartis en trois groupes : ceux de la Chambre, de la Chapelle et de l’Écurie. Sous Louis XIII, la musique de chambre comprenait notamment deux surintendants et deux compositeurs, ainsi que la fameuse Grande Bande des 24 violons du Roy, fondée à la fin du XVIe siècle. Louis XIV créa en outre la bande des Petits Violons, ou Violons du Cabinet, associée à la Grande Bande en 1661, et la charge de maître de la musique de la Chambre du Roy. Les musiciens de la Chambre participèrent alors également à des concerts publics. Au milieu du XVIIIe siècle, la distinction entre musique de chambre au sens moderne et musique d’orchestre était encore assez floue : les quatuors pour orchestre de Johann Stamitz pouvaient, par exemple, être joués avec, par partie, soit un seul instrument soliste, soit plusieurs instruments, et le choix reste encore ouvert, aujourd’hui, pour certains divertimentos de Mozart des années 1770 (K 136-138, K 287, K 334). Mais aux alentours de 1760, Haydn et Boccherini écrivirent, indépendamment l’un de l’autre, les premiers spécimens du genre qui devait tout d’abord dominer la musique de chambre, puis en quelque sorte la symboliser : le quatuor à cordes, avec ses quatre instruments solistes et son absence de basse continue. À partir de 1770 et surtout de 1780, Haydn et Mozart, auxquels il faut joindre une multitude d’autres compositeurs avec à leur tête Boccherini, écrivirent consciemment des symphonies pour orchestre jouées surtout par des professionnels d’une part, des quatuors à cordes ou des trios avec piano conçus essentiellement à l’usage des amateurs d’autre part (en ce qui concerne la musique de chambre au sens moderne, les oeuvres les plus anciennes du répertoire précédèrent donc de plusieurs décennies le terme générique). Bien que destiné en principe aux amateurs, le second type d’oeuvres ne le céda pas au premier en complexité, bien au contraire. Et la dédicace, en 1785, par Mozart de six grands quatuors à cordes downloadModeText.vue.download 180 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 174 à un autre compositeur (Haydn), la composition par Haydn en 1793 des premiers grands quatuors (op. 71 et op. 74) expressément destinés à une vaste salle de concerts publics (Hanover Square Rooms à Londres), ainsi que la fondation des premiers quatuors de professionnels (cf. le rôle joué à Vienne par le violoniste Ignaz Schuppanzigh), marquèrent en la matière la revanche du compositeur-créateur et de la salle de concerts, d’une part, sur l’interprète-amateur et, d’autre part, sur l’intérieur privé, ces derniers continuant néanmoins à jouer un rôle non négligeable dans la vie musicale. La situation devait rester à peu près la même tout au long du XIXe siècle, en particulier sur le plan de la production, avec les nombreux duos, trios, quatuors, quintettes, sextuors, septuors, octuors ou nonettes de Beethoven, Schubert, Spohr, Weber, Mendelssohn, Schumann, Brahms, Smetana, Dvořák, Tchaïkovski, Franck, Saint-Saëns et bien d’autres. À noter toutefois que, pour des raisons aussi bien musicales que sociologiques, le quatuor à cordes en tant que tel perdit alors plus ou moins, au profit de la musique de chambre avec piano, la position en flèche qui avait été la sienne avec Haydn, Mozart, Beethoven et Schubert. Ce fut d’ailleurs moins une question de quantité, encore moins de qualité, que de moindre concordance avec le climat spirituel du siècle romantique. De ce siècle, l’instrument par excellence fut bien le piano, ce dont témoignent également les transcriptions alors réalisées pour piano, piano à quatre mains ou formations de chambre avec piano des symphonies et pièces diverses pour orchestre du répertoire classico-romantique. Ces transcriptions témoignent à leur tour qu’interprètes-amateurs et musique de chambre à domicile n’étaient pas morts, loin de là. La musique de chambre ne s’en installa pas moins solidement dans les lieux publics, ce qui se traduisit notamment par le phénomène de la « petite salle », par opposition aux grandes salles destinées aux orchestres symphoniques. Les frontières entre musique de chambre et d’orchestre, en principe bien étanches, étaient en fait plus ou moins perméables (cf. l’orchestration « musique de chambre » de la 4e symphonie de Brahms, et les sonorités « orchestrales » de ses sonates pour piano). Chez les compositeurs pratiquant les deux, comme Beethoven, les audaces harmoniques et formelles étaient fréquemment plus grandes dans la musique de chambre, conçue en partie au moins pour des interprètes, que dans la symphonie, destinée pour l’essentiel à des auditeurs. Dans le même ordre d’idées, on put souvent déceler chez l’auditeur (et a fortiori chez l’interprète-amateur) de musique de chambre une plus grande compétence technique, voire une meilleure perception auditive, que chez le simple habitué des concerts symphoniques. Tout cela aboutit, vers 1900, à une sorte d’éclatement. Mahler eut tendance à traiter en soliste chaque membre d’un orchestre aux effectifs très nombreux (trait de style qui devait largement caractériser le XXe s.) ; et Schönberg, avec la Nuit transfigurée (1899), fit relever la musique de chambre (il s’agit d’un sextuor à cordes) du genre poème symphonique, avant de faire scandale, en public, avec ses deux premiers quatuors à cordes (op. 7 et op. 10) et sa symphonie de chambre op. 9, au titre symbolique. Avec cette dernière oeuvre (1906), la musique de chambre (quinze instruments solistes) lâcha les amateurs tout en rejoignant l’orchestre sur des terrains nouveaux qu’Alban Berg devait explorer à son tour (1923-1925) avec son concerto de chambre pour piano, violon et 13 instruments à vent. D’Alban Berg également, la Suite lyrique pour quatuor à cordes (1926) a pu être qualifiée d’opéra latent. Il y a eu depuis 1900 les quatre quatuors à cordes de Schönberg, les six de Bartók, les cinq d’Ernest Bloch, les quinze de Chostakovitch, les trois de Cristobal Halffter, le Livre de Boulez, Archipel II de Boucourechliev, les Sonatas de Ferneyhough, Ainsi la nuit de Dutilleux, mais l’évolution amorcée au XIXe siècle s’est poursuivie au XXe : dans la mesure où, aujourd’hui, le quatuor à cordes conserve une position en flèche, c’est autant sur le plan du prestige que de la production proprement dite. L’éventail de la musique de chambre s’est, en effet, considérablement élargi, avec comme résultat que cette notion supporte de moins en moins une définition dogmatique : en relèvent finalement ces oeuvres pour voix et quelques instruments solistes que sont Pierrot lunaire de Schönberg (1912) et le Marteau sans maître de Pierre Boulez (1953-54). Le critère essentiel serait-il la capacité non seulement de jouer et de s’entendre soi-même, mais aussi de se mettre en retrait et d’écouter les autres ? Ce sont là autant d’éléments inséparables, même s’ils n’appartiennent pas qu’à elle, de la « musique de chambre moderne », née avec la dialectique du thème juste avant 1789 et évoquant irrésistiblement la concurrence, ou, si l’on préfère, le dialogue. CHAMINADE (Cécile), pianiste et femme compositeur française (Paris 1857 Monte-Carlo 1944). À partir de 1875, elle mena une brillante carrière de pianiste. Elle composa de nombreuses pièces pour piano et des mélodies qui connurent une grande vogue dans les salons de la bourgeoisie, mais aussi de la musique de chambre, des pièces symphoniques et un ballet, Callirhoë (1888). CHAMISSO (Louis Charles Adélaïde de, dit Adalbert von), écrivain et poète de langue allemande (1781 - 1838). Arraché par la Révolution à sa terre champenoise, Chamisso mena pendant longtemps, en Prusse, une existence besogneuse et précaire, jusqu’à ce qu’il réalise ses rêves d’enfant : devenir heureux père de famille, voyager, étudier. Explorateur (on le vit au Kamtchatka, dans le Pacifique), il a fui le monde littéraire de son temps pour se rapprocher d’une nature pure et simple, telle que, en bon disciple de Rousseau, il pouvait l’imaginer. Ses poèmes, tardifs, portent eux-mêmes la marque d’une droiture bourrue et tendre, parfois plate, toujours très proche du quotidien : qu’il chante des fiançailles vertueuses, l’art d’être grand-père ou le bonheur domestique, avec son cortège de joies et de deuils, ou qu’il s’aventure à considérer l’avenir, il prend toujours bien soin de ne pas écrire en dehors du droit sillon. Ce bon bourgeois éclairé n’a cependant trouvé la sérénité qu’après avoir exorcisé les errances, les maladresses, le ridicule maniaque, la tristesse, aussi, de sa jeunesse, dans son ouvrage le plus célèbre : Peter Schlemihl (1814). Ce conte, qui a fait beaucoup pour la popularité de son auteur, et où le héros, gaffeur éternel (tel est le sens du mot yiddish schlemihl), vend son ombre au diable, a inspiré à E. T. A. Hoffmann la matière de son conte les Aventures de la nuit de la Saint-Sylvestre. En musique, Chamisso n’a guère inspiré que Schumann (l’Amour et la Vie d’une femme), lequel d’ailleurs n’a tenu aucun compte des idées du poète sur le rôle subalterne de la femme dans le couple et a, au contraire, exalté sa capacité d’émotion. CHAMPAGNE (Claude), compositeur et pédagogue canadien (Montréal 1891 id. 1965). Il étudia le violon et le piano, puis entra au conservatoire de sa ville natale. D’abord influencé par la musique russe, ainsi qu’en témoigne son poème symphonique Hercule et Omphale (1918), il découvrit la musique française en 1919 et vint terminer ses études musicales à Paris avec Paul Dukas, André Gédalge, Charles Koechlin et Raoul Laparra. De retour au Canada (1928), il se consacra au développement de la vie musicale. Professeur de composition au conservatoire et à l’université de Montréal (1930), puis directeur suppléant du conservatoire (1942), il eut la plus heureuse influence sur ses nombreux élèves et révéla à des musiciens tels Vallerand, Pépin, Papineau-Couture, Mercure l’art de Debussy, Fauré, Dukas et Ravel. Ses propres compositions, disciplinées, élégantes, pénétrées d’une lumière méditerranéenne, s’en réclament volontiers, downloadModeText.vue.download 181 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 175 tout en s’inspirant du folklore canadien (Suite canadienne [1928], Images du Canada français, Danse villageoise, Paysanne). À la fin de sa carrière, il se créa un langage plus personnel avec son Quatuor à cordes (1951) et Altitudes (1959) sur des thèmes d’origine huronne. Son oeuvre comprend essentiellement des partitions symphoniques (Symphonie gaspésienne, 1945) et concertantes (Concerto pour piano, 1950), des pièces pour choeur et orchestre et de la musique de chambre. CHAMPION DE CHAMBONNIÈRES (Jacques), compositeur et claveciniste français (Chambonnières-en-Brie entre 1601 et 1611 - Paris 1672). Fils et petit-fils d’organistes, il descendait, par sa mère, d’un fameux luthiste écossais. Son père, Jacques Champion, jouait de l’épinette à la cour d’Henri IV et de Louis XIII. Dès l’âge de onze ans, Chambonnières devint, lui-même, joueur d’épinette de la Chambre du roi, puis organiste de la chapelle royale. Il s’intéressa alors au clavecin, ce nouvel instrument aux sonorités plus puissantes et aux registres plus riches en contrastes que le luth, qu’il allait peu à peu éclipser. Chambonnières fut, en fait, le fondateur d’une méthode française de clavier et l’un des premiers représentants d’une authentique école de clavecinistes en France. À la mort de son père (1638), il obtint le poste de claveciniste du roi qu’il garda jusqu’à sa mort, malgré une période de disgrâce. Il semble que, vers 1654, il ait été au service de la reine Christine de Suède qui venait de renoncer à son trône. Ayant prétendu qu’il était de famille noble, il dut s’exiler aux Pays-Bas (1656-1662) et s’installa à Amsterdam. Le jeu subtil et raffiné de Chambonnières lui a valu une réputation internationale. Ses compositions, toutes pour le clavecin, doivent encore beaucoup au style polyphonique des luthistes. Un certain nombre de ces pièces portent aussi des titres évocateurs qui vont marquer l’école française de clavecin (la Dunquerque, Madame la Reyne, le Tambourin des Suisses, l’Affligée...). Son oeuvre se limite à deux livres de pièces de clavecin (le premier date de 1670), mais ces pièces jettent les bases que vont développer ses successeurs. Les pièces sont groupées afin de composer des suites dans une même tonalité, certaines pouvant choisir le mode mineur ou vice versa par rapport à la tonalité principale. Il s’agit de danses (allemande, courante, sarabande, gigue) de la suite classique, auxquelles pouvaient s’ajouter une gaillarde, un menuet ou encore une chaconne. CHAMPS-ÉLYSÉES (Théâtre des). Théâtre parisien de 2 100 places qui aurait dû être construit sur les Champs-Élysées mais qui le fut avenue Montaigne tout en conservant sa dénomination d’origine. Son promoteur, Gabriel Astruc, plaça d’emblée sa programmation sous le signe de l’avant-garde : lors du concert inaugural, le 2 avril 1913, Saint-Saëns, Dukas, Debussy et d’Indy dirigèrent eux-mêmes leurs oeuvres. Le lendemain, la première représentation lyrique fut consacrée à Benvenuto Cellini de Berlioz (direction Weingartner), et le 15 mai y eut lieu la création mondiale de Jeux de Debussy, suivie le 29 mai par celle du Sacre du printemps de Stravinski. Le premier semestre 1914 vit la première parisienne de la version originale de Tristan et les premières françaises de celle des Maîtres chanteurs et de Parsifal. L’opéra ne réapparut au Théâtre des Champs-Élysées qu’en 1922 (représentations wagnériennes en italien), avec notamment, dans les années suivantes, la création de la version scénique du Roi David de Honegger (1924) et les visites de l’Opéra de Vienne (1924) et de Berlin (1937). Parallèlement furent donnés de très nombreux concerts symphoniques. Après 1945, le Théâtre des Champs-Élysées est resté un des hauts lieux de la vie musicale parisienne. Il a accueilli de très nombreux concerts de la radio, ainsi que d’innombrables orchestres tant français qu’étrangers, et vu en 1952, dans le cadre du festival « l’OEuvre du XXe siècle », la création française de Wozzeck d’Alban Berg. Cette politique d’accueil a été poursuivie et approfondie par ses deux derniers directeurs, Georges-François Hirsch (1984) et Alain Durel (depuis 1990). CHANCE (Michael), haute-contre anglais (Buckinghamshire 1955). Il pratique le chant dès l’enfance dans le très renommé choeur du King’s College de Cambridge et commence sa carrière de soliste en 1983. Il interprète le plus couramment les opéras de Haendel et de Monteverdi (Tamerlano à Lyon en 1985, Ptolémée du Jules César de Haendel à l’Opéra de Paris en 1988, Israël en Égypte à la Scala), mais excelle également dans les rôles de haute-contre des opéras de Britten (Obéron dans le Songe d’une nuit d’été, la Voix d’Apollon dans la Mort à Venise). Il a aussi participé à la création de plusieurs oeuvres contemporaines, dont notamment l’Ophelia de R.R. Bennett (1988), écrite pour lui. CHANCY (François de), chanteur, luthiste et compositeur français ( ? v. 1600 - Versailles 1656). Remarqué par le cardinal de Richelieu, il devint maître de sa musique en 1631. Il occupa successivement les postes de maître de musique de la Chambre du roi (v. 1635), puis de la chapelle du roi (v. 1649). Il collabora à la réalisation des ballets de cour, s’occupant de la musique vocale comme ses collègues Vincent et A. Boesset (Ballet de la vieille cour, 1635 ; Ballet de la prospérité des armes de France, 1639 ; Ballet du dérèglement des passions, 1652), la musique instrumentale étant confiée, en général, à d’autres musiciens. François de Chancy composa également des chansons à boire et des pièces pour le luth seul. En effet, il fut contemporain du grand luthiste français Denis Gautier. D’autre part, il publia deux livres d’Airs de cour à quatre parties (1635, 1644). Dans l’intéressante préface du premier livre, l’auteur indique qu’il est l’auteur de la plupart des textes poétiques. Quelques-uns de ces airs prennent la forme d’un dialogue avec un refrain à 4 voix (Faut-il mourir sans espérance ?). CHANSON. Qu’elle soit monodique ou polyphonique, la chanson savante en langue vulgaire représente la principale forme de composition musicale profane qui nous soit parvenue de toute la fin du Moyen Âge et de la Renaissance. Il faut la distinguer de la chanson populaire, qui se transmet de façon orale et échappe jusqu’au XVe siècle à la notation musicale (elle ne fait l’objet de collectes systématiques qu’à partir du XIXe siècle), même si elle intervient comme élément thématique dans la musique savante dès le XIIIe siècle. Historiquement, depuis le début de la notation musicale jusqu’à l’éclosion de la musique instrumentale qui marque la fin de la Renaissance, la chanson savante évolue considérablement, de la monodie sous-tendant un poème lyrique (fin XIe s.) à la polyphonie complexe des musiciens franco-flamands du XVIe siècle. On peut schématiquement distinguer trois grandes périodes dans l’histoire de la chanson savante : l’époque de la chanson monodique, dominée par la chanson des troubadours, puis des trouvères et des minnesänger, aux XIIe et XIIIe siècles ; la chanson polyphonique des XIVe et XVe siècles (Ars nova, Guillaume de Machaut, Ockeghem, Dufay, Josquin Des Prés) ; et la chanson de la Renaissance, au XVIe siècle (Janequin, Claude Le Jeune, Roland de Lassus). La chanson monodique. À la fin du XIe siècle, la poésie lyrique issue des tropes, des séquences et des hymnes, apparaît en pays d’oc avec les troubadours. Cette poésie très élaborée et raffinée demeure intimement liée à la musique ; elle est composée de vers destinés à être chantés - et sans doute aussi parfois mimés -, même si la musique ne nous en est pas toujours parvenue. En effet, les poèmes des troubadours ont été recueillis et notés, à partir de la fin du XIIIe siècle, dans des manuscrits collectifs appelés « chansonniers « ; mais sur la cinquantaine que nous en possédons pour les XIIIe et XIVe siècles, moins de la moitié seulement comportent un texte musical. Celui-ci indique avec précision downloadModeText.vue.download 182 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 176 le profil mélodique des chansons. Généralement destinées à une voix d’homme de tessiture moyenne, elles se déploient sur un ambitus plus étendu que le chant liturgique, faisant un plus large appel aux intervalles disjoints et aux altérations (il y est fait usage du bémol et du bécarre, ancêtre du dièse actuel). En cela, le chant des troubadours marque un progrès dans l’évolution de l’expression mélodique et se révèle comme véritablement moderne en son temps. Il constitue d’ailleurs la dernière forme occidentale de la monodie pure, libre, puisque, après l’éclosion de la polyphonie, toute ligne mélodique se réfèrera toujours, implicitement ou explicitement, à une harmonie sous-jacente. En revanche, la notation musicale des chansons des troubadours n’en fait pas apparaître la structure rythmique. La reconstitution de leur rythme est conjecturale et soulève encore d’ardentes polémiques parmi les spécialistes. La chanson n’exclut pas un soutien instrumental, largement attesté par les textes et l’iconographie ; mais celui-ci, qui devait sans doute doubler les parties chantées et apporter une assise rythmique par les percussions, n’a jamais fait l’objet d’une notation particulière, et on ne peut le reconstituer que de façon hypothétique. Développant tous les grands thèmes de l’amour courtois, chers à la grande société chevaleresque du XIIe siècle, les genres lyriques abordés par les troubadours peuvent être classés, selon Jean Beck, en deux familles principales : les chansons personnelles et les chansons narratives ou dramatiques. Parmi les premières, la chanson d’amour ou canso (chanson), la plus fréquente, la chanson politique ou morale, ou sirventés (sur des thèmes mélodiques déjà connus par ailleurs, qui par conséquent « asservissent » le poète - d’où son nom), l’ennui ou enneg (dépit amoureux ou social), la plainte ou planh (déploration sur la mort d’un personnage), le débat poétique, jeu parti ou tenso. Dans les chansons narratives ou dramatiques, on distingue l’aube ou alba (chant de séparation des amants au petit jour), les chansons d’histoire ou de toile (plaintes des jeunes filles sur leur sort), les romances (plus gaies et plus légères que les chansons de toile), les pastourelles (chansons légères mettant en scène des bergères) et les estampies ainsi que diverses formes de chansons à danser. La chanson de croisade relève de l’une et l’autre des deux familles. Les trouvères et les minnesänger qui se développent au XIIIe siècle à la suite des troubadours, respectivement en pays d’oïl et en terre germanique, reprennent la thématique de la lyrique occitane. On retrouve chez eux les différents genres cultivés par les troubadours, avec, là aussi, une prédominance très marquée pour la chanson d’amour : la canso des troubadours devient le son ou sonet des trouvères et le liet (ou lied) des minnesänger - dont le nom signifie d’ailleurs précisément « chanteurs de l’amour ». Sur le plan de la forme, la chanson des troubadours, des trouvères et des minnesänger relève de quatre genres principaux : - le type litanie, succession de strophes de durée égale avec un élément de refrain (autonome ou repris de la fin d’une strophe) ; - le type séquence-lai, succession de strophes différentes chaque fois répétées ; - le type hymne, succession de strophes différentes dont certaines peuvent être répétées ; - le type rondeau, où un refrain est systématiquement repris en choeur. LA CHANSON POLYPHONIQUE. Alors qu’au XIIIe siècle disparaît la chanson monodique, liée à la culture chevaleresque, la polyphonie religieuse, apparue au début de ce même siècle, se développe au point de gagner le domaine profane. Dès le début du siècle, en effet, il n’est pas rare que la polyphonie religieuse à quatre voix emprunte ses troisième et quatrième parties (respectivement triplum et quadruplum) à des chansons, savantes ou populaires, à danser ou à boire, quand ce n’est pas la partie principale, le ténor, qui y fait appel (c’est ainsi qu’il y aura plus tard de nombreuses messes de « l’Homme armé », qui doivent leur titre à la chanson du même nom leur servant de support thématique). De la sorte, la chanson profane est entendue avec un soubassement polyphonique complexe qui en enrichit considérablement la matière et l’expressivité. Les compositeurs vont donc pouvoir procéder à l’inverse, partir d’une mélodie profane et lui donner des parties d’accompagnement - au nombre de deux, d’abord, au XIVe siècle, puis de trois et jusqu’à cinq au cours du XVe siècle. Ainsi se cristallise au XIVe siècle, à l’âge de l’Ars nova, la cantilène ou chanson à trois voix, dont le génial représentant sera le poète et musicien Guillaume de Machaut. La composition part d’un poème auquel est associé la mélodie principale de la chanson, avec toute son ornementation et sa diversité expressive. C’est le superius, à quoi le compositeur adjoint une partie de ténor qui sert de base à la mélodie, et une partie intermédiaire de contreténor qui comble l’intervalle entre les deux voix extrêmes et enrichit le tissu harmonique. Mais contrairement à ce qui se produit pour le motet polyphonique, où les trois ou quatre parties sont chantées, parfois sur des textes différents, dans la chanson polyphonique, seule généralement la partie supérieure, la mélodie proprement dite, est alors chantée, les deux autres parties, beaucoup plus simples, étant exécutées sur les instruments. Grand poète et admirable virtuose de l’écriture, Guillaume de Machaut a laissé, à côté de 24 virelais monodiques, 9 virelais polyphoniques, 9 ballades, 21 rondeaux, 19 lais, une complainte et une chanson royale : corpus de plus de 100 pièces qui font de lui le maître de la chanson savante au XIVe siècle. Auprès de lui, ses contemporains pâlissent de son éclat : Jehan Vaillant, Jacob de Senlèches, François Andrieu. Le début du XVe siècle voit l’éclosion de la grande polyphonie franco-flamande et l’hégémonie musicale de la cour de Bourgogne. Gilles Binchois est alors le plus fameux représentant de l’art de la chanson polyphonique bourguignonne, avec 55 compositions. Plus novateur, son contemporain Guillaume Dufay marque un nouveau pas dans la conquête de l’expression poétique ; si ses chansons, d’un nombre supérieur à 80, sont pour la plupart des rondeaux à trois voix sur le modèle de ceux de Machaut, son art tend, néanmoins, à la mise au point d’une polyphonie à quatre voix d’égale importance. Pour ne conserver encore que trois voix, Johannes Ockeghem, à la fin du siècle, n’en adopte pas moins un type d’écriture d’une polyphonie sévère, à la trame extrêmement serrée ; ses 21 chansons font une part égale à chacune de leurs parties, comme dans les motets, et les trois voix sont chantées sur leurs paroles, sans doute doublées par des instruments. Au cours du XVe siècle se sont également développées la bergerette, dérivée du rondeau sous l’instigation d’Antoine Busnois, et la chace, canon à trois voix à l’unisson. Toutes les formes musicales du XVe siècle allaient trouver leur achèvement, avec Josquin Des Prés. Ce dernier laisse plus de 60 chansons de trois à six voix (le plus souvent à quatre), où une extrême science de l’écriture s’allie à un grand lyrisme expressif. Compositeur européen, il a su opérer la synthèse de la science polyphonique des artistes du Nord - Ockeghem, notamment - avec la clarté mélodique des Italiens. Sa maîtrise du contrepoint est parfaite - il utilise six voix, en triple canon, dans la chanson Baisies moy ma doulce Amye -, mais il est tout autant attentif à illustrer au plus près le texte par la musique, ce qui n’était guère le cas d’un Ockeghem, par exemple. Auprès de Josquin Des Prés, il faut mentionner Antoine Brumel, Antoine de Févin, Pierre de La Rue, Loyset Compère, Jehan Mouton. LA CHANSON DE LA RENAISSANCE. Les années 1530-1560 connaissent l’essor de ce qu’on appellera la chanson de la Renaissance, et, plus particulièrement, de la chanson « parisienne ». Il est, en partie, dû au développement de l’imprimerie downloadModeText.vue.download 183 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 177 musicale des Parisiens Attaingnant, Du Chemin, et Le Roy-Ballard, et du Lyonnais Moderne, qui diffusent largement et par grande quantité chansons, messes et motets. C’est l’époque où l’écriture contrapuntique commence à s’effacer derrière l’harmonie, aux accords et enchaînements riches en tierces et en sixtes, qui en adoucissent l’éclat. Le maître de cette école est Clément Janequin ; en quelque 250 chansons, il se montre habile à suggérer et à décrire, dans une invention rythmique éblouissante et une grande précision prosodique (le Chant des oiseaux, la Guerre, le Caquet des femmes, etc.). Il est aussi typiquement un artiste de la Renaissance, poursuivant l’idéal des poètes contempo- rains, avec, notamment, l’imitation de la nature et la recherche d’une expression de caractère théâtral, mettant en musique des textes de Marot, Melin de Saint-Gelais ou Ronsard. De Janequin, il faut rapprocher Pierre Certon, auteur de plus de 300 chansons de deux à treize voix. Son Premier Livre de chansons, publié en 1552, devait avoir une grande importance historique. En forme de vaudeville, cellesci concrétisent, en effet, l’avènement de l’écriture verticale, d’un style beaucoup plus simple que celle, encore très horizontale et contrapuntique, d’un Josquin Des Prés par exemple ; par ailleurs, elles sont fortement marquées par la chanson et la danse populaires. À ces courants d’influences s’ajoutent ceux que favorise, par l’imprimé, la diffusion des partitions musicales nouvelles, et particulièrement à cette époque celui du nouveau madrigal italien tel qu’il se développe alors sous l’influence des polyphonistes flamands travaillant dans la péninsule (Willaert, Cyprien de Rore). Ses traits dominants - primauté de la poésie, intensité de l’expression des sentiments humains, large usage du chromatisme viennent vivifier la chanson traditionnelle, et l’Européen Roland de Lassus, comme un siècle plus tôt l’avait fait Josquin Des Prés, réalise une admirable synthèse de tous ces courants divers. Ses nombreuses chansons françaises sont écrites pour quatre, cinq ou six voix, parfois davantage. Une dernière phase dans l’évolution de la chanson polyphonique peut être relevée lorsque, à partir de 1570 environ (date de la fondation de l’Académie de poésie et de musique, par Baïf et Courville), se répandent en France les recherches des poètes humanistes, qui tentent de renouer avec l’art (supposé) de l’Antiquité grecque et latine. Les musiciens - Claude Le Jeune, surtout, génial rythmicien, mais aussi Costeley, Goudimel ou Anthoine de Bertrand - s’inspirent des nouveaux vers français pour composer une « musique mesurée à l’antique », où le rythme musical est calqué sur le monnayage de durées prosodiques de la phrase poétique. Ils s’efforcent également de restaurer une écriture modale qui, pensent-ils, les relie à la musique grecque. Illustrant, notamment, les poèmes de Ronsard, ils vont mettre de plus en plus en vedette la partie supérieure de la polyphonie dont les autres voix se cantonnent progressivement au rôle d’accompagnatrices. Au terme d’une évolution longue et continue, la chanson polyphonique disparaît donc d’elle-même, à l’aube du XVIIe siècle, alors que se manifeste une conception nouvelle de la musique - la musique « baroque » -, de l’harmonie, et qu’apparaît la musique instrumentale en tant que telle. Dans cette mutation, la chanson polyphonique débouchera naturellement sur l’air accompagné. Au XXe siècle, certains compositeurs français, manifestant par là leur goût pour la musique de la Renaissance, ont écrit des chansons polyphoniques : Debussy (Trois Chansons de Charles d’Orléans), Ravel, Schmitt, Poulenc, Milhaud, etc. CHANSON AU LUTH. Le terme proprement dit date du XVIe siècle, mais on trouve déjà au Moyen Âge un emploi primitif du luth pour accompagner la voix (G. de Machaut). C’est, en effet, au début du XVIe siècle que paraît, pour la première fois à Venise, dans des recueils de musique imprimée, le terme tablature de luth indiquant une version pour voix et luth d’une chanson polyphonique (Intabulatura de lauto de Fr. Spinaccino, 1507). Il s’agit de frottole, et d’autres compositeurs suivent cet exemple, tels Fr. Bossinensis, B. Tromboncino. Les premiers madrigaux à recevoir ce traitement sont ceux de Ph. Verdelot. La chanson au luth est pratiquée également aux Pays-Bas (Josquin Des Prés, J. Planson), en Allemagne, en Espagne (L. Milán, D. Pisador), en Angleterre - où la musique pour voix et luth est particulièrement florissante - et en France. Dans ce dernier pays, le genre apparaît pour la première fois, semble-til, dans une publication de 1529, chez P. Attaingnant. En 1571, A. Le Roy publie un recueil de grande importance historique : Airs de cour mis sur le luth, contenant une pièce célèbre de Cl. de Sermisy, intitulée Tant que vivray. Entre 1603 et 1643, date à laquelle meurt A. Boesset, un très grand nombre d’airs de cour pour chant et luth voient le jour, quelques-uns en forme de dialogue. À la même époque, en Angleterre, l’ayre atteint son apogée avec, notamment, J. Dowland, le chef de file de cette école. CHANSON DE GESTE. Forme de récit épique du Moyen Âge. Les chansons de geste, datent, pour la plupart, des XIIe et XIIIe siècles, mais la plus célèbre d’entre elles est, sans doute, l’une des premières : la Chanson de Roland (fin XIe s.). Il s’agit de longs récits contant des exploits héroïques, par exemple un épisode tiré des croisades ou encore la geste de Guillaume d’Orange, celle-ci étant particulièrement développée. Le poème est divisé en sections de longueur variable appelées laisses ; il se chante sur une mélodie simple qui est répétée, mais à la fin, la mélodie bénéficie d’une modification, sorte de coda finale. CHANSONNETTE. 1. Titre donné au XVIe siècle à une chanson polyphonique imitée de la canzonetta italienne. 2. Diminutif ou sens péjoratif de la chanson. CHANSONNIER. 1. Terme désignant tout auteur de chansons et, plus spécialement, de textes de chansons. Mais on l’applique particulièrement à une certaine catégorie d’auteursinterprètes puisant leur inspiration dans l’actualité, appliquant les paroles de leur invention sur des airs en vogue et chantant leurs oeuvres satiriques sur des scènes de cabaret. Béranger, Nadaud furent de célèbres chansonniers. 2. Nom donné à tout recueil, imprimé ou manuscrit, musical, comportant soit le texte seul, soit le texte et une notation de chansons profanes du Moyen Âge émanant de divers auteurs. Il peut s’agir de recueils d’oeuvres de trouvères ou de troubadours ou, au XVe siècle, de recueils de chansons à une ou plusieurs voix. CHANT. Le chant, une des expressions orales de l’homme, demeure le reflet de chaque ethnie et de son évolution. Ainsi que le chant dit « classique », le chant qui relève des traditions orales exige parfois un apprentissage minutieux dont témoignent les chanteurs de ragas aux Indes, les griots de l’Afrique noire, etc. Mais le genre qui nous intéresse ici, lié au développement d’une musique élaborée, souscrit en toutes circonstances à des préoccupations communes : destiné à traduire par la voix une partition musicale plus ou moins immuable, le chant, en dehors de toute considération technique ou artistique, doit répondre à des exigences de constante audibilité et d’élocution intelligible, ces facteurs tenant compte de l’acoustique du lieu et de l’utilisation de la voix soit en solo, soit soutenue par un ou plusieurs instruments de musique. Les données essentielles de cet art bien policé n’ont pas subi de bouleversements fondamentaux depuis le XVe siècle, quand bien même les moyens de parvenir à de mêmes fins diffèrent encore selon le milieu, la culture, la langue et tous les éléments qui conditionnent les facultés downloadModeText.vue.download 184 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 178 d’audition du chanteur, celles-ci déterminant évidemment sa capacité de reproduction de sons connus. L’apprentissage du chant est, en effet, quelque peu semblable à la conquête de la parole par le nouveauné. Certains principes physiologiques identiques et immuables gouvernent donc l’émission vocale du chant et précèdent toute spécialisation, que ce chant soit ensuite plus particulièrement orienté vers le théâtre, le lied, l’oratorio, etc. Depuis l’Antiquité, et quel que fût son objet (art profane ou sacré, acte cultuel ou divertissement), le chant s’est toujours réclamé de l’une ou l’autre de deux conceptions opposées : il peut être un geste vocal pur, chant vocalisé sans paroles, de caractère incantatoire ou hédonistique (dit chant mélismatique), plus particulièrement lié aux civilisations magiques latines et orientales, type auquel se rattachent par exemple le chant de la synagogue et du temple, les lectures ornées du Coran, le chant flamenco ou les coloratures de l’opéra italien. Il peut, au contraire, se mettre au service de la transmission intelligible d’un texte (on le nomme alors chant syllabique, c’est-à-dire une note par syllabe) et se présente comme une sorte de récitation chantée. Cette seconde conception est davantage celle des civilisations rationnelles et nordiques, plus essentielle dans le lied germanique et la mélodie, dans la lecture des textes scripturaires de la liturgie, dans le Sprechgesang et ses prolongements au sein de l’opéra moderne. Elle est néanmoins également à la base du récitatif de l’opéra classique. Bien que ces choix relèvent avant tout de l’évolution de l’esthétique des genres lyriques, les interférences inévitables entre les deux conceptions ont considérablement influencé l’évolution du chant jusque dans sa technique même. Cet antagonisme entre « son » et « verbe », véritable pierre de touche des exercices du culte en tous lieux et en tous temps, fut notamment ressenti par l’Église chrétienne qui, tout en entretenant un enseignement vocal dont se réclamèrent plus tard les premiers chanteurs d’opéra, manifesta une méfiance vigilante envers les pouvoirs expressifs du chant : on en vint donc à observer une distinction stricte entre la récitation quasi syllabique des textes sacrés essentiels, d’une part, et, de l’autre, la libération jubilatoire des officiants, qui, par un effet de compensation inévitable, en vinrent à orner par d’interminables vocalises le chant du kyrie et surtout de l’alleluia. Dans le domaine de la musique profane, une luxuriance vocale tout à fait comparable est attestée par le traité de l’Espagnol Diego Ortiz (Rome, 1553), qui enseignait avant tout aux chanteurs comment composer eux-mêmes leurs variations et passages de virtuosité. Les mêmes tendances laissent des traces dans l’écriture des madrigaux pour voix soliste exécutés par de véritables professionnels du chant lors des fêtes princières de la fin du XVIe siècle en Italie, lorsque le triomphe définitif de la monodie accompagnée sur la polyphonie eut fait du chant le moyen primordial d’expression des compositeurs modernes. EN ITALIE, JUSQU’À ROSSINI. Auteur et interprète de plusieurs de ces madrigaux, Giulio Caccini énonça les objectifs de ce nouvel art dans les deux préfaces qu’il écrivit pour ses Nuove musiche (1602, 1614) : se faisant le porte-parole des humanistes florentins et romains des camerate (v. Camerata fiorentina), il posa la définition d’un recitar cantando (« dire » en chantant), récitatif très mélodique et volontiers ornementé permettant la compréhension du texte sans négliger pour autant la beauté du chant. Cette façon de favellare in armonia (raconter par les sons) se réclamait d’une voix ferme, riche, et de l’attaque du son bien ample. Il préconisait une grande liberté rythmique (la sprezzatura), l’emploi de toutes les nuances de coloris et de dynamique, ainsi naturellement que la maîtrise d’une parfaite virtuosité dans la vélocité, l’exécution des différentes espèces de trilles, mordants, gruppi, esclamazioni, etc., à l’usage de tous les types de voix « afin de se rapprocher au mieux du sens des mots et du goût ». Néanmoins, alors que Luzzaschi avait fait vocaliser la célèbre Vittoria Archilei (1550-1618) sur plus de deux octaves, Caccini préconisait généralement des tessitures plus restreintes, bien que, à son époque, la basse Melchior Palantrotti ait témoigné d’une extrême agilité sur une tessiture étendue (ré1-fa3), cependant que la voix aiguë masculine, rarement sollicitée au-delà du sol 3, correspondait, en fait, à celle du baryton actuel. Enfin, cette buona maniera di cantare faisait obligation aux interprètes d’improviser leurs propres « passages » de virtuosité en fonction du style et des « points d’orgue » que leur ménageaient les auteurs. Cette double exigence de technique vocale et de science musicale fut particulièrement assumée par les castrats, grâce à leur formation musicale sans équivalent, plus encore qu’à la nature de leur voix. Monteverdi confia au castrat Giovanni Gualberti le rôle titulaire de son Orfeo (1607), oeuvre où il appliqua les principes de Caccini : un sobre recitar cantando suffit à narrer la mort d’Eurydice, tandis que c’est par la magie d’un chant très orné qu’Orphée charme les divinités infernales (aria Possente spirto). Confirmant le caractère, en quelque sorte abstrait, que revêtait alors le chant, il confia encore à un castrat le rôle de Néron dans le Couronnement de Poppée (1642), tandis qu’une voix aiguë masculine y incarnait une femme âgée : la notion de correspondance entre un type de voix et un caractère ne devait apparaître que bien plus tard. Avec l’art de Baldassare Ferri (16101680), la virtuosité vocale atteignit le même niveau de perfection que les vertus expressives du chant, jusque-là tenues pour l’essentiel, et c’est cette virtuosité qui devint l’élément prédominant de ce que nous nommons aujourd’hui le bel canto, dont Pier Francesco, dans son Traité (1723) posa ainsi les principes : une technique identique pour tous les types de voix, un chant ferme et assuré, et un sain usage de toute l’étendue vocale, le chanteur devant se garder aussi bien de rechercher la puissance des notes aiguës que de détimbrer les notes graves par l’usage inconsidéré du fausset au-dessous de sa limite naturelle. En rappelant que « plus la voix monte vers l’aigu, plus les sons doivent être attaqués avec douceur », et que le mélange des registres était le seul moyen d’obtenir un chant modulé à l’infini, Tosi enseigna comment « utiliser les premières résonances de tête, dès le bas médium de la voix, afin que les dernières résonances de poitrine disparaissent audelà du mi 3 (le ré de notre diapason actuel), car c’est le fausset qui domine audelà ». Notons qu’il convient d’entendre ce terme fausset, non comme l’actuel falsetto, mais comme le falsettone ainsi défini par la phoniatrie moderne. Enfin, il reconnaissait néanmoins « la voix de tête comme plus apte à l’agilité » (c’est seulement avec Rossini que l’exécution des coloratures en bravura, c’est-à-dire en pleine voix, fut adoptée) et recommandait naturellement « l’étude des valeurs longues et lentes avant celles de la virtuosité et de l’interprétation ». Il ne fut guère écouté, en revanche, lorsqu’il préconisa une agilité qui fût propre au chant et qui différât du style instrumental, autre objectif qui ne fut atteint qu’à l’époque de Mozart ou de Rossini. En effet, avec Haendel et ses contemporains, l’art des castrats avait atteint son apogée dans une débauche de virtuosité au caractère purement instrumental. Cette perfection portant en elle-même un élément de saturation et de rupture, ces chanteurs en revinrent à cultiver à nouveau l’art de l’expression et du pathétique, et ils laissèrent peu à peu à d’autres types d’interprètes le soin de maintenir le flambeau de cette virtuosité. Haendel et Hasse s’intéressèrent à la voix de ténor, et le premier fit largement appel à l’agilité de basses telles que Montagnana, et, surtout, Giovanni Boschi, doué d’une belle étendue vocale (ré1-fa3), mais apporta tous ses soins à l’émancipation de la voix féminine qu’allait réhabiliter le XVIIIe siècle : interdites de séjour sur les scènes des États pontificaux en Italie, en raison de leurs moeurs relâchées, les cantatrices recevaient, au contraire, à Londres downloadModeText.vue.download 185 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 179 un accueil favorable. La voix de contralto de Francesca Vannini-Boschi fit merveille dans Rinaldo de Haendel en 1711, puis Antonia Merighi et surtout Vittoria Tesi (1700-1775) imposèrent davantage ce type vocal ; Hasse écrivit pour cette dernière cantatrice dans un registre véritablement approprié (sol2-fa4). Pourtant, le phénomène caractéristique plus particulier du chant haendelien fut l’intérêt sans précédent que le compositeur prêta au registre aigu des castrats et des sopranos. Et encore les textes écrits ne nous fournissent-ils qu’une idée relative des possibilités réelles de ces interprètes, qui donnaient leur véritable mesure dans les « embellissements » apportés aux arias, et notamment dans le da capo de ceux-ci, précisément destiné à mettre en valeur les possibilités les plus originales de chacun d’entre eux. De la célèbre Faustina Bordoni-Hasse (env. 17001781), une soprano grave habituellement limitée au sol 4, Haendel exigea parfois le si bémol 5, cependant qu’il écrivit le do 5 pour sa rivale Francesca Cuzzoni (1700-1770), une cantatrice qui, la première, mit vraiment en valeur les caractères de pureté et d’expressivité propres à la voix féminine aiguë. Gluck, dans ses premières oeuvres, puis Piccinni usèrent avec bonheur de cet engouement nouveau, alors même que, par un effet contraire, les castrats recherchaient dans la richesse de leur registre central des ressources insoupçonnées, car, ainsi que le remarque Rodolfo Celletti (La Vocalità, in Storia dell’ opera, Turin, 1977) « une des lois du XVIIIe siècle voulait que le chant expressif requière des voix de tessiture moins étendue « : un siècle plus tard, nous le constaterons, le chant wagnérien et vériste allait souscrire à cette théorie. Ayant désormais le champ libre, les sopranos rivalisèrent en exploits souvent gratuits et se lancèrent à la conquête des sons adamantins d’un registre suraigu que nul ne leur disputait : on vanta la qualité du chant de Brigida Banti ou bien les cas exceptionnels de l’Anglaise Élisabeth Billington (1766-1818), qui, à Naples et à Vienne, fit acclamer son étendue vocale de trois octaves (la2-la5), ou du contralto russe Ouranova, qui pouvait aussi chanter le rôle très élevé de la Reine de la Nuit dans la Flûte enchantée de Mozart ! Mais les spécialistes de ce type de chant se regroupèrent autour de l’école viennoise : l’Allemande Gertrud Mara (1749-1833) et Anna de Amicis (1733-1816), pour qui écrivit Mozart, atteignaient le mi 5, Élisabeth Wendling et la Polonaise Antonia Campi (1773-1822) le fa ; Mozart, toujours, écrivit fréquemment cette note, notamment pour sa belle-soeur Josefa Weber, qui créa le rôle de la Reine de la Nuit, pour Francisca Lebrun-Danzi (1756-1791), qui donnait le sol 5 (une note qu’en France Grétry requiert également dans Renaud d’Ast) et pour Aloysia Lange Weber, à l’intention de laquelle il composa l’air Popoli di Tessaglia, une page dont la tessiture aiguë n’a jamais été dépassée. Enfin, Mozart entendit en Italie la fameuse Lucrezia Agujari (dite la Bastardella, 1743-1783) gravir la gamme jusqu’au do 6, seulement égalée au XXe siècle par Erna Sack et par Mado Robin. Mais cette aventure particulière se développa, en fait, à contre-courant par rapport à l’esthétique dominante. Si les schémas essentiels du bel canto régissaient encore l’oeuvre vocal de Haydn, de Cimarosa et de Mozart, celui-ci, particulièrement sensible aux courants réformistes réclamant un chant « plus naturel », réduisit la liberté d’ornementation habituellement concédée aux interprètes, assigna volontiers une fonction dramatique à la colorature et commença à définir une correspondance entre les caractéristiques de timbre et de tessiture des voix et l’âge, le sexe, le caractère des personnages. Dans cette typologie, la voix de ténor, encore mal définie, trouva son meilleur emploi avec les rôles de jeune premier, un amoureux encore timide, généralement un type de ténor grave, virtuose au timbre parfois assez dramatique, s’opposant déjà au castrat, symbole évident de l’abstraction théâtrale : c’est en 1774 qu’avaient précisément paru les fameuses Réflexions de G. B. Mancini, très important théoricien de l’art vocal, où celui-ci déplorait la baisse de qualité musicale de l’enseignement du chant, la décadence de l’art des castrats, et, le premier, il se pencha sur les données physiologiques de la voix. EN FRANCE. Une véritable école de chant ne s’y affirma guère avant la fin du XVIIe siècle, l’exécution des airs de cour et des oeuvres religieuses n’exigeant jusque-là ni ambitus important, ni coloratures, ni endurance vocale particulière. Le premier pédagogue de renom, Pierre de Nyert (1597- 1682), n’est encore souvent mentionné que comme « chantre », bien qu’il ait puisé sa science auprès de maîtres italiens et transmis son enseignement à Michel Lambert, lui-même beau-frère de Mme Hilaire Dupuy, première cantatrice française de renom, et beau-père de Lully. Ce Florentin naturalisé français, comprenant néanmoins le parti à tirer d’une méfiance certaine contre le chant italien, attisée, en France, par les factions politiques hostiles à Mazarin, tenta au contraire de calquer un nouveau type de chant non sur la parole elle-même, mais sur la déclamation théâtrale, s’inspirant étroitement de la récitation de l’alexandrin racinien pour modeler un récitatif lyrique lent et mesuré, exempt de toute fioriture, au déplaisir des cantatrices, mais à la satisfaction d’un chanteur comme Beaumavielle († en 1688), réputé pour sa très belle voix de basse, mais qui chantait, dit-on, sans école, sans nuances, et soutenait exagérément des notes aiguës presque criées. De telles critiques permettent de mesurer les carences techniques de ce style que les Italiens surnommèrent bientôt urlo alla francese, ou « l’école du cri », termes déjà appliqués aux comédiens français. Pourtant, un phrasé plus musical allait peu à peu s’instaurer, mieux servi par les voix aiguës masculines, tailles et ténors hautes-contre. Ces derniers usaient d’une méthode de mélange des registres, assez voisine de la conception italienne, et leurs voix souples étaient plus particulièrement prisées dans la musique religieuse (M. A. Charpentier, M. R. De Lalande, Couperin, etc.). Mais ce fut, en fait, avec Marthe Le Rochois (1650-1728) que prit naissance une école véritable, dont devaient bientôt sortir les futurs interprètes de Rameau, dans l’oeuvre duquel s’opéra une judicieuse synthèse entre le récitatif d’origine lullyste, qui épousait désormais la musicalité de la langue chantée (et non plus de la déclamation récitée), et les italianismes introduits dans l’opéra français par l’intermédiaire de Campra, Mouret, etc. Le style vocal de Rameau, qui apparaît aujourd’hui comme le plus sûr ancêtre de l’arioso* wagnérien, comportait néanmoins des arias dont la noblesse n’excluait pas la présence de la virtuosité (cf. le rôle de Phèdre dans Hippolyte et Aricie). Ce style exigeait de grandes et belles voix, comme en possédait Marie Antier (1687-1747), la créatrice de Phèdre, ou, dans les emplois plus légers, la célèbre Marie Fel (1713-1794). Il réclamait des tessitures masculines très longues : plus de deux octaves pour la voix de basse, cependant que le ténor Pierre Jelyotte (1713-1797) imposait un chant presque italianisant. Cumulant même les emplois de taille et de haute-contre, il dépassait sans doute le do 4 dans Zoroastre (1749). La colorature italienne pénétra dans l’opéracomique de Philidor ou de Grétry, dont les interprètes féminines, Marie Jeanne Trial et Mme Laruette, étaient précisément des transfuges de la Comédie-Italienne. Une certaine confusion régna toutefois longtemps dans ce genre, quant aux tessitures masculines : Clairval, Martin, Elleviou se partageaient des emplois dont on ne saurait dire s’ils étaient destinés au ténor ou au baryton, type vocal nouvellement apparu, qui se présentait comme une variante, en plus grave, de la voix de ténor. L’opéracomique faisait, d’ailleurs, appel à des emplois se définissant davantage en termes de théâtre qu’en termes de voix : des interprètes célèbres, Antoine Trial, Jean-Louis Laruette, Rosalie Dugazon, dont les deux premiers possédaient des voix de qualité notoirement médiocre, laissèrent leur nom à des types d’emplois de comédie dans le répertoire lyrique léger, et non à des types vocaux. downloadModeText.vue.download 186 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 180 En revanche, dans ses dernières oeuvres tragiques, l’Allemand Gluck, venu se fixer en France, tendit à imposer un chant large et déclamé, sans fioritures, excluant même l’emploi des notes aiguës chez la femme. Toutefois, malgré de salutaires interférences entre les différentes écoles, le chant français demeurait sans comparaison possible avec le chant italien, et le musicologue anglais Charles Burney déplorait avec véhémence, en 1770, la façon dont les chanteurs de notre pays forçaient leurs voix, criaient et usaient de sons détimbrés, cela, affirmait-il, « faute d’école, car leurs voix sont naturellement très belles ». À la suite de Gluck, les Italiens Cherubini et Spontini allaient mieux réaliser une première tentative de fusion entre ce chant déclamé et la veine mélodique, qu’ils avaient héritée de leur pays natal, apportée en France, et qui allait heureusement influencer les auteurs français, tels que Mehul et ses successeurs. LE RÈGNE DE ROSSINI. Le brassage des tendances européennes, qu’accentua l’aventure napoléonienne, favorisa l’osmose entre les mérites de chaque école. Bien avant que Rossini n’en opérât une magistrale synthèse, était parue en 1804 à Paris la Méthode de chant du Conservatoire, due apparemment à un Italien, Bernardo Mengozzi (1758-1800), formé à l’école des castrats, dont il préconisait la technique, l’associant aux impératifs de déclamation et d’expression propres à l’opéra français. Mengozzi influença sensiblement l’écriture des auteurs d’opéracomique, en particulier de l’école dont Boieldieu fut le chef de file. Les principes techniques de Tosi et de Mancini y étaient mieux explicités (notamment le principe essentiel de la respiration abdominale, qui, par l’écartement des côtes, laisse le ventre plat), cependant, en adaptant la terminologie italienne aux principes cartésiens des Français, Mengozzi définissait comme « voix de milieu » (ou mixte) la zone médiane de la voix où sont intimement mêlés les registres dits de poitrine et de tête. Et, tandis que le chant italien faisait d’autant plus facilement souche en France qu’aucun courant nouveau n’y apparaissait plus, Rossini s’imposait à toute l’Europe, non seulement comme le seul grand auteur lyrique des trente premières années du siècle, mais aussi comme un théoricien soucieux de concilier les problèmes esthétiques, éthiques et techniques du chant. Tout en regrettant, sur le plan musical, la disparition des castrats, devenue effective en une vingtaine d’années, et qui, selon lui, portait un coup fatal au bel canto sinon au chant en son entier, Rossini en prit acte, et, pour combler cette lacune, il donna ses véritables lettres de noblesse au contralto féminin, déjà mis en valeur par Paisiello et Cimarosa, mais surtout par Zingarelli, Mayr, Paër, etc. Cette voix, qui conservait du castrat une certaine ambiguïté, un caractère hermaphrodite, s’imposa donc d’abord comme son premier substitut en incarnant, en travesti, les rôles de guerrier et d’amoureux (et conservant dans ce cas l’appellation de musico que l’on donnait aux castrats chantant ces rôles), puis en occupant une place importante comme prima donna bouffe : dans les deux cas, Rossini demanda à cette voix la même virtuosité qu’au castrat et une étendue importante (il écrivit un mi bémol 2 dans Ricciardo e Zoraide, fit généralement monter cette voix jusqu’au si4), mais en donnant toutefois le maximum d’intérêt au médium de sa tessiture. Il lui conféra, en outre, un caractère plus humain qu’instrumental, rompant ainsi avec la tradition haendelienne, cependant que le contralto lyrique, lié à la notion d’âge ou de rang, demeurait l’apanage du répertoire français. La disparition du castrat devait encore non seulement bouleverser toutes les habitudes, mais entraîner une redistribution plus complète des emplois dramatiques, alors que le siècle naissant allait peu à peu exiger du chant une expression nouvelle, en reportant sur les instrumentistes le goût pour la virtuosité transcendante : ce n’est pas un hasard si le public acclama soudain Paganini, Liszt et Thalberg dès l’instant où les chanteurs cessèrent d’évoluer sur la corde raide du funambulisme musical. Mais, en cette période de mutations, Rossini sut préserver, quasi intactes, les prérogatives essentielles du chant classique, que, dépouillant de son caractère instrumental, il prépara au frémissement nouveau du romantisme naissant. Il permit ainsi le rapprochement tant souhaité entre les écoles française et italienne, cependant qu’en Allemagne de nouvelles valeurs issues d’un romantisme largement adulte entraînaient les compositeurs vers une solution différente ; selon Roland Barthes, la naissance du lied romantique, autour de 1810, fut un autre phénomène de chant asexué, présentant, dans un cadre non latin, un autre type de substitution du castrat. Rossini avait décidément le champ libre pour redistribuer les cartes et établir désormais le chant dans son idéal de beauté et d’humanité : il signifia son congé au soprano suraigu encore utilisé par Mayr et Paër, préférant incarner l’éternel féminin en un nouveau type vocal, sorte de greffe du contralto, non sans rapport avec le soprano employé en France par Gluck, Cherubini et Spontini. Cette voix, conservant du contralto la richesse de son grave, s’élevait vers un registre aigu étendu, dont la fragilité même symbolisait la pureté féminine : Isabel Colbran (1785-1845) disposait d’un important clavier vocal (sol2-mi5), mis en valeur par Mayr, et Rossini en fit peu à peu la partenaire aiguë du contralto-musico. À sa suite, Giuditta Pasta (1797-1865) et Maria Malibran (1808-1836) incarnèrent tour à tour des emplois de mezzo-contralto et de soprano (Cendrillon dans La Cenerentola de Rossini et Amina dans La Somnambule de Bellini, par exemple) et méritèrent le surnom de soprano assoluto qui fit fortune à l’époque romantique. Tout cela ne fut rendu possible que par l’exacte connaissance qu’avait Rossini des impératifs de l’expression vocale : il se gardait de faire doubler la ligne de chant par les instruments, épargnait la voix dans la zone « de passage », récusait l’attaque à découvert des sons aigus, ainsi que leurs longues tenues, et utilisait la voix sur toute son étendue, mais ne s’aventurant généralement dans les zones extrêmes que par des coloratures à mouvement conjoint. Ces principes furent également appliqués aux voix masculines : pour la basse Filippo Galli (1783-1853), il écrivit de grands rôles bouffes ou tragiques (Mustafa dans l’Italienne à Alger, Selim dans le Turc en Italie, Mahomet dans l’opéra homonyme, Assur dans Semiramis, etc.) soumis à une colorature assez terrifiante. Et, toujours en conséquence de l’absence des castrats, il fut amené à opposer deux types de ténors qui, dans l’opera seria, avaient fonction d’antagonistes du drame : l’un, d’origine mozartienne, baritenore à la voix sombre et riche dans le grave, mais susceptible de s’aventurer dans le suraigu par l’emploi du falsettone, et dont l’Espagnol Manuel Garcia (1775-1832) fut le prototype ; l’autre, de timbre plus clair et de tessiture plus aiguë (ténor contraltino, dont l’opéracomique français devint friand), ces deux types étant soumis naturellement à une très grande virtuosité ainsi qu’à une tessiture très étendue (la2-ré4). Enfin, Rossini parvint à ce que l’on peut appeler une normalisation du chant, en imposant aux interprètes, autant que cela fut possible, une colorature écrite et non plus improvisée, qui prévoyait les aspects les plus variés d’expression et de vélocité pour toutes les catégories vocales. La colorature, souvent exigée à pleine voix, perdait ainsi le caractère décoratif et surajouté qu’elle avait souvent assumé antérieurement, pour faire partie intégrante de la mélodie elle-même (Bellini, puis Chopin dans son écriture pianistique en firent, après Rossini, la base même de leur style). Cette normalisation, dictée à Rossini par son souci de voir enfin la musique respectée, contenait malgré tout en germe une des causes majeures de la décadence du chant : abandonnant leur formation musicale qui avait été jusquelà le corollaire indispensable des études vocales, les chanteurs allaient désormais se consacrer à la recherche d’effets. En moins d’un siècle, ils devaient perdre leur downloadModeText.vue.download 187 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 181 agilité, et, en conséquence, la souplesse favorable aux nuances. Ainsi, alors que les réformistes se félicitaient de cette innovation rossinienne, le fait d’avoir retiré des études du chant l’art de l’improvisation allait conduire à la carence musicale, inéluctablement accompagnée d’un appauvrissement de l’interprétation, processus qui s’aggrava jusque vers 1950. Si Rossini, fixé en France après 1824, ne put jamais obtenir véritablement des chanteurs français une maîtrise vocale comparable à celle des Italiens, il réussit, néanmoins, à unir les fondements des deux écoles et ouvrit la porte au nouveau chant romantique. En effet, par souci d’exprimer l’exaltation du héros et son dépassement intérieur, l’écriture vocale franco-italienne traduisit alors ces émois nouveaux par un désir d’ascension vers l’aigu. Ce phénomène s’associait à un processus général déjà amorcé par Beethoven et Paganini dans le domaine du violon, par les facteurs de piano qui favorisaient désormais la clarté des dernières octaves (et y ajoutaient des notes supplémentaires), et par les progrès réalisés dans la technique des instruments à vent auxquels l’adjonction de clefs ou de pistons permettait aussi davantage de facilité et d’éclat dans l’aigu. LA VOGUE D’UN « AIGU HÉROÏQUE ». Ce qu’avaient déjà tenté la Pasta et la Malibran, le ténor G. B. Rubini (1794-1854) le réussit en son incarnation idéale de l’amant romantique aux passions malheureuses. Il fut l’interprète d’élection du romantisme lunaire de Bellini, qui sollicita sa voix jusqu’au fa 4 dans Bianca e Fernando, puis dans les Puritains (1835). Son partenaire Antonio Tamburini (1800-1876), cependant, donnait à la voix de basse des inflexions ténorisantes. Comme le note Rodolfo Celletti, « en moins de dix ans, si les notes extrêmes des voix n’ont pas changé, la tessiture moyenne du chant s’est élevée d’une tierce avec Bellini, Donizetti, Meyerbeer et Berlioz ». Mais à cette exaltation d’un romantisme byronien devait succéder le culte du nouveau héros hugolien, né de la bataille d’Hernani et des barricades de Juillet. Le registre aigu de la voix, après avoir traduit l’aspiration de l’être vers son idéal de pureté, devint l’image de ses sentiments généreux, héroïques, image liée par conséquent à un souci, tout à fait inconnu jusque-là, de vaillance vocale. Alors que Garcia demandait seulement au début du siècle que l’aigu ne fût pas moins puissant que le médium, le Français Gilbert Duprez (1806-1896), afin de mieux traduire par son chant la violence libertaire du personnage d’Arnold dans Guillaume Tell de Rossini, réussit à donner un éclat nouveau à la voix de ténor, en reculant les limites extrêmes des résonances dites de poitrine, non plus seulement jusqu’au si bémol ou au si 3 comme David ou Rubini, mais jusqu’au do 4, note dès lors appelée, lorsqu’elle était chantée selon cette technique, « ut de poitrine ». Duprez fit entendre cette note à Lucques, en 1831, lors de la création italienne de Guillaume Tell et réédita son exploit à Paris, en 1837, avec un succès foudroyant. Notons que le diapason avait alors déjà atteint (et allait dépasser souvent) l’étalon actuel de 442 fréquences. Le succès de Duprez détermina peutêtre le suicide de son prédécesseur Adolphe Nourrit (1802-1839), hautecontre à la déclamation noble et large, bien plus apprécié que Duprez par Rossini lui-même, et qui, comprenant qu’une ère était décidément révolue, tenta en vain d’imiter son cadet. En effet, alors que Duprez continuait par ailleurs à savoir utiliser toutes les ressources du registre de tête (Donizetti, en 1835, lui écrivit un mi bémol 4 dans Lucie de Lammermoor), son innovation fit souche. Même si son fameux « ut de poitrine » n’était encore qu’un son en voix mixte, habilement coloré de résonances plus viriles, mais n’ayant pas l’éclat que lui donnent les ténors modernes, les chanteurs et cantatrices de toutes tessitures se lancèrent à sa suite dans la même recherche d’effets, amenuisant, au profit d’un aigu héroïque, le registre grave de leur voix jusqu’à son atrophie partielle. Le contralto devint mezzo-soprano, la basse se fit baryton, ce qui affirmait définitivement l’existence de cet échelon désormais indispensable entre la véritable basse et le nouveau type de ténor aigu, et le soprano rossinien s’effaça peu à peu devant un nouveau soprano spinto, capable encore d’exprimer l’angélisme de l’« éternel féminin », par l’usage de notes aiguës éthérées : malheureusement, cet usage ne résista guère au désir des cantatrices - et non des compositeurs d’exécuter dans la nuance forte toute note tant soit peu élevée de leur registre. À la même époque, l’orchestre des opéras croissait en volume sonore et les compositeurs qui, de Spontini à Verdi, firent trop souvent doubler la ligne de chant par les instruments contraignirent insensiblement les chanteurs à rivaliser de puissance avec ceux-ci. Le chant perdit ainsi sa souplesse, et l’écriture mélismatique, jugée par certains surannée, fit place à une écriture syllabique que les excès du romantisme allaient plus tard transformer en scansion exagérée, insistant sur les consonnes. C’est en vain que Verdi voulut concilier « le feu et la flamme » avec la voix de son soprano sfogato (« élevé, aéré »), le chant pathétique de son baryton avec les « éclats terrifiants » réclamés à Macbeth et Rigoletto, et la langueur amoureuse d’un ténor prompt à tirer l’épée. Comme le note Rodolfo Celletti : « Pour la première fois dans son histoire, un problème d’éthique allait avoir des répercussions sur la technique même du chant, à partir d’un fait anodin en soi. » LA NOTION DE « RÉPERTOIRE ». Ce n’est pas un hasard si, à l’époque même où Verdi entraînait le chant sur des pentes vertigineuses (avant Wagner, et beaucoup plus que lui, pour peu que l’on observe scrupuleusement ses indications), paraissait à Paris le Traité complet de l’art du chant de Manuel Garcia Jr (1847, rév. 1856). Faisant le point sur l’évolution en cours, celui-ci signait là un ouvrage, qui demeure, aujourd’hui encore la base de toute étude du chant. Il y énonçait en termes clairs et indiscutables les principes essentiels de l’émission vocale, qui découlent de facteurs physiologiques et musicaux immuables et peuvent être adaptés ensuite à tout nouveau type de chant. Garcia y réaffirmait les principes de respiration que nous avons déjà évoqués (toutefois la respiration nasale, autrefois réputée la seule à garantir le fonctionnement parfait de l’émission chantée, devenait dans certains cas inconciliable avec les nouveaux styles d’écriture) et insistait plus que jamais sur la nécessité d’opérer la parfaite fusion des registres (qu’il nommait, lui aussi, de poitrine, de fausset, puis de tête), ces registres ayant des zones communes excédant parfois l’octave. Cette fusion réalisée sans discontinuité audible, grâce à divers artifices, dont la coloration appropriée des voyelles, et la modification insensible de celles-ci, tout au long de l’étendue vocale, grâce également à l’adoption des premières résonances de « fausset » dès le bas médium de la voix, assurait la parfaite homogénéité du chant, et permettait de le colorer et de le nuancer à l’infini sur toute la tessiture. Ce principe respectait en outre toutes les exigences de la colorature en permettant, néanmoins, de se plier aux impératifs d’un chant plus dramatique, lequel peut parfaitement être soumis à cette technique de base. La mise au point de Garcia Jr arrivait d’autant plus à propos que, jusque-là, les diverses modes observées dans le chant avaient seulement suivi l’évolution de la musique et n’avaient eu d’autre fin que de faciliter l’exécution d’oeuvres contemporaines. Mais à l’époque de Garcia Jr s’imposait la notion de « répertoire », qui obligeait désormais le chanteur à pouvoir interpréter tous les styles du passé, tout en demeurant disponible aux expressions nouvelles et aussi diverses qu’allaient être celles de Verdi, Gounod, Wagner, Mascagni, Debussy ou Strauss. Il faut constater que, depuis lors, aucun élément essentiel n’est apparu qui soit venu infirmer les données établies par Garcia. Les acquisitions plus récentes de la voix humaine, telles que les effets à bouche fermée, l’annexion du rire, du hoquet et de certaines onomatopées (ainsi downloadModeText.vue.download 188 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 182 que l’a réussi avec un véritable génie une cantatrice du XXe siècle, Cathy Berberian, d’abord rompue au plus pur belcantisme), débordent le cadre d’une étude réservée au chant. Mais les deux seules créations véritables postérieures à cette époque ont été, d’une part, le parlando introduit par Dargomyjski et Moussorgski dans la Russie des années 1860-1880, et repris à leur compte par Debussy, Ravel et leurs autres disciples ; d’autre part, le Sprechgesang, sorte de chant parlé ou de déclamation mélodique. Il s’est révélé que la première de ces innovations était parfaitement réductible aux principes traditionnels, dont Moussorgski n’entendait pas s’écarter, même s’il haïssait la colorature italienne ; et que la seconde, de par la volonté délibérée de son promoteur, échappait au domaine du chant, malgré les tentatives (demeurées un phénomène marginal, isolé dans le temps et les lieux), qui furent faites au début du siècle en Allemagne, d’appliquer à l’univers vocal de Wagner et de Strauss un style de chant dérivé du Sprechgesang. Les importantes mutations que l’on a pu constater dans la manière de concevoir le chant depuis un siècle sont, en fait, beaucoup moins dues à l’évolution de l’écriture lyrique qu’à l’inobservation des règles du chant par ses interprètes : ni les auteurs du grand opéra français ni les compositeurs véristes n’avaient su prévoir les trahisons que des chanteurs infidèles pourraient infliger à leurs oeuvres. Il n’en est pas moins vrai que certains auteurs lyriques les incitèrent à cette inobservation en gonflant immodérément la sonorité des orchestres, en abaissant les tessitures des rôles (ainsi que le pratiquèrent Wagner, puis Verdi à la fin de sa carrière), en ne sollicitant plus les notes extrêmes des voix. Les chanteurs purent ainsi abuser de la puissance exclusive de leurs notes centrales, perdant ainsi progressivement toute souplesse, atrophiant, parfois irrémédiablement, leur organe. Comme toujours, un phénomène social est lié à ce stade d’évolution : en l’occurrence, la démocratisation de l’opéra, souhaitée par Verdi, et déjà déplorée, en 1845, par Rossini, qui la commentait ainsi : « Il ne s’agit plus aujourd’hui de savoir qui chante mieux, mais qui crie le plus », ajoutant quelques années plus tard : « Plus on gagne de force dans l’aigu, plus on perd de grâce (...), et lorsque la paralysie de la gorge survient, on a recours au chant déclamé, c’est-à-dire, aboyé et détonnant (à savoir, chanté trop bas). Alors, pour couvrir ces excès vocaux, on fait donner l’orchestre plus fort. » LA PERSISTANCE DU BIEN-CHANTÉ. S’il est exact que, durant un siècle entier, cette tendance à chanter toujours trop fort allait s’accroître, suscitant par réaction la naissance d’une école incitant à chanter systématiquement tout trop piano, avant que le fossé ne se creusât irrémédiablement entre ces deux tendances, une certaine fidélité à la tradition du bien-chanté persista : - dans les pays demeurés hors des nouveaux courants de création lyrique (ÉtatsUnis, Espagne, Scandinavie, etc.), et dont les écoles de chant, comme les publics, restèrent attachés aux normes anciennes ; - dans l’école française d’opéra-comique et d’opéra lyrique, dans l’école russe ou chez les Slaves, où se perpétua la tradition d’un chant toujours attaché à traduire toutes les nuances de l’expression ; - au sein même des courants progressistes, où, tout en adoptant une dramaturgie nouvelle, certains auteurs (Puccini et Cilea en Italie, par ex.) surent néanmoins préserver intactes les prérogatives du chant ; - auprès de certaines catégories vocales délaissées par les auteurs modernes : les ténors légers, les sopranos légers, entre autres, dont le répertoire ne fut pas renouvelé, demeurèrent les héritiers de l’ancien style de chant, au point que la pureté du chant d’un John McCormack (18841943), des Devriès, Sobinov, Smirnoff, Jadlowker, d’une Maria Barrientos (18841946), d’une Amelita Galli Curci (18821963), d’une Toti Dal Monte (1893-1975) acquit une saveur presque anachronique ; - par la pérennité d’une école de chant entretenue par les disciples directs des enseignants formés du vivant de Rossini. En effet, durant les cinquante années qui suivirent la mort de Rossini (1868), l’interprétation vocale avait subi des bouleversements profonds, dus, bien souvent, à des phénomènes sociologiques particuliers ou communs à tous les pays : ainsi la promotion de nouvelles classes sociales, souvent très éprises de musique et s’accordant mal avec les derniers feux d’un bel canto aristocratique, classes qui se reconnurent plus facilement dans les opéras du type naturaliste, peu enclins aux raffinements de l’art vocal ; ainsi une certaine démesure du postromantisme, tant dans l’Allemagne de Bismarck où le concept du surhomme nietzschéen se doubla, sur les scènes d’opéra, par le culte d’un gigantisme vocal sans fondements, qu’en France où un même besoin de violence, attisé par l’exaltation d’un passé national grandiose destinée à venger l’affront de la récente défaite, rassemblait pêle-mêle le grand opéra, le drame naturaliste, l’interprétation « héroïque » des oeuvres de Wagner et de Verdi, cependant que s’accentuait le divorce entre ce style nouveau et l’art vocal « élitaire » cher aux milieux symbolistes et aux auteurs de la mélodie française, tous également hostiles aux plus diverses manifestations de la lyrique italienne. L’héritage belcantiste, qui ne survivait qu’au travers de la faveur populaire envers le vieil opéra-comique, ne pouvait se perpétuer, ne serait-ce qu’en raison de la faible qualité musicale et dramatique de ce répertoire. LE DÉCLIN DE L’ART DU CHANT. Entre 1900 et 1920 allait donc s’établir un style de chant quelque peu passe-partout, et lorsque l’écriture vocale ne fut plus enseignée aux compositeurs, l’évolution de l’art du chant se sclérosa. L’influence des nouvelles générations fut, dans ce domaine, quasi nulle jusqu’aux alentours de 1950. Alors, des auteurs tels que Luciano Berio, Pierre Boulez, Betsy Jolas, Penderecki, etc., bien que dans un contexte musical très différent, renouèrent avec les vieux principes d’un chant instrumental n’ayant d’autre objet que soi-même. Mais avant ces courants récents, un même type de chant assez déclamatoire avait donc été appliqué aux styles les plus divers, et il l’est encore souvent aujourd’hui, notamment en France. Il est curieux de constater, entre autres exemples, que le chant wagnérien fut absolument trahi en Allemagne (par la volonté expresse des héritiers de Wagner, qui lui appliquèrent ce style déclamatoire) alors qu’il sut conserver une grande partie de sa pureté aux États-Unis, jusqu’aux approches de 1940. Ces conceptions furent également répandues par quelques grands chefs d’orchestre qui allaient succéder dans la faveur du public aux cantatrices, ténors ou pianistes virtuoses naguère adulés : le cas de Gustav Mahler, privilégiant les « acteurs » aux dépens des « chanteurs », en est significatif, mais plus encore celui d’Arturo Toscanini (18671957), mythifié pour son prétendu respect apporté aux partitions dont il n’observait, en réalité, que certaines prescriptions instrumentales, manifestant par ailleurs le dédain le plus absolu à l’égard des volontés des compositeurs en matière d’écriture vocale, ne respectant ni les tempi rubati, ni les nuances, ni l’ornementation écrites, et pratiquant au besoin la suppression des pages qui lui déplaisaient ! Malgré tout, le processus de décadence fut assez lent pour que le disque, apparu dans les années 1900, nous ait conservé l’image sonore des innombrables grands chanteurs de cette époque. En 1913, un spécialiste du chant tel que Reynaldo Hahn jugeait la santé de cet art irrémédiablement compromise par rapport à un passé récent. Mais le disque, même s’il ne sélectionnait que les meilleurs chanteurs, fut le parfait témoin de ces mutations quasi physiologiques : la raréfaction des grands sopranos dramatiques au-delà des années 20, l’inaptitude aux nuances et à la colorature de la plupart des interprètes doués de grandes voix, l’adhésion des nouvelles écoles au chant déclamé. Il nous révèle cependant que les plus émidownloadModeText.vue.download 189 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 183 nents représentants de la nouvelle vague lyrique avaient d’abord été d’excellents chanteurs formés selon les plus pures exigences du vieux style : Gemma Bellincioni (1864-1950), Eugenia Burzio (1879-1922), Anna Bahr-Mildenburg (1872-1947), Enrico Caruso (1873-1921), Ernst Van Dyck (1861-1923), Titta Ruffo (1877-1953), Fedor Chaliapine (1873-1938) et bien d’autres qui connurent d’abord un légitime succès et purent ensuite malmener des voix encore capables de résister à ces excès, mais autant de grands interprètes dont les successeurs ne copièrent que les manifestations extérieures de ces excès. Au-delà de 1940, ces excès devinrent la base même des études du chant et, lorsque la guerre eut précipité le déclin d’une tradition dont les derniers représentants s’éteignaient après de longues carrières sainement conduites, de nouvelles va- leurs - en particulier le physique et le jeu de l’acteur, impossibles à ignorer à l’ère du cinéma - remplacèrent celles du chant, au lieu d’y ajouter leur nécessaire complément. L’enseignement perdit peu à peu toute base solide et les grandes Méthodes furent oubliées ou ignorées. Parallèlement, les techniques modernes d’enregistrement fournissaient une image totalement artificielle de la voix chantée, une image déformée que tentèrent maladroitement de reproduire de nouvelles générations de jeunes chanteurs qui, du fait de la guerre, n’avaient jamais pu apprécier, au théâtre, les derniers tenants de la vieille école, dont l’éclatante supériorité était démontrée par le nombre : à la veille de 1900, la Scala de Milan comptait un fichier de deux cent quatre-vingt-dix ténors prêts à intervenir à la moindre défaillance de l’artiste engagé ! Les années qui suivirent 1950 virent avaliser ce renoncement au texte écrit, à ses nuances, à ses exigences de diction et de virtuosité. Le mélange des registres n’étant plus enseigné, non plus que la messa di voce ( ! BEL CANTO), le chant devint monocorde, parfois lourd, dur, inapte à l’interprétation du fait de voix courtes, forcées, blanches et pauvres en ressource musicale, et dont le style musical déficient n’était que le fruit d’une technique vocale déficiente. Impossible à soumettre à ce chant athlétique, le répertoire de concert, d’oratorio et de mélodies fut, en revanche, trop souvent abandonné à d’excellents musiciens ne disposant pourtant d’aucune base de technique vocale. Et c’est en l’absence de toute unité d’école de chant que cet après-guerre ne put tresser de couronnes qu’à une poignée d’artistes lyriques, parfaitement exceptionnels dans tous les sens du terme, sans que le public semble avoir bien perçu, pour nous en tenir à deux exemples éloquents, quelle prodigieuse technique de chant avait soutenu les premiers pas et l’art d’interprètes d’une Maria Callas (1923-1977) ou d’un Dietrich Fischer-Dieskau (1925), ni bien compris que les dons hors pair de quelques autres artistes n’aient trop souvent débouché, faute de bases techniques suffisantes, que sur d’éphémères carrières. UN RENOUVEAU CERTAIN. Une remise en question de toutes ces valeurs s’est amorcée à partir de 1960. Il est encore difficile de définir quelles en ont été les causes vraiment déterminantes : y par- ticipèrent l’hédonisme d’une société ayant surmonté les séquelles du dernier conflit mondial, la venue vers les scènes lyriques d’un public jusque-là exclusivement attaché au concert, un souci musicologique plus aigu, notamment dans les pays anglosaxons, les efforts de quelques grands artistes qui jouèrent le rôle de pionniers, et d’autres facteurs encore. Il faut remarquer que des interprètes comme Joan Sutherland, Marilyn Horne, Montserrat Caballé, Alfredo Kraus, Carlo Bergonzi, plus tard, Renato Bruson, quoique ayant, dès leurs débuts, fourni la preuve éclatante de leur parfaite maîtrise d’une technique de chant de type ancien, ne furent appréciés à leur juste valeur que longremps après, lorsque le public fut prêt à comprendre leur message. On ne saisit pas non plus, sur le moment, la portée du rôle joué par le chef d’orchestre H. von Karajan, qui, au début de sa carrière, s’était attaché à rendre leur style vocal originel à certaines oeuvres, et, notamment, à celles de Wagner. Il en va de même pour l’art du falsettiste anglais Alfred Deller, qui, même s’il ne proposait qu’une solution de compromis, amorça un retour aux sources du bel canto. C’est peut-être ce désir de retrouver l’esprit d’un beau chant perdu qui, en même temps qu’il provoquait la réapparition des falsettistes comme une nostalgie des voix de castrat et de haute-contre, a, en retour, fait disparaître de la scène lyrique les grandes voix dramatiques, et, notamment, les voix masculines. La générosité vocale parfois trop excessive des générations précédentes ne suffit pourtant pas à justifier l’engouement plus récent pour un chant ascétique, aux sons détimbrés, qui ne fut ni celui des castrats ni celui de l’époque romantique dont le répertoire, soudain remis à l’honneur, n’a pas toujours trouvé les interprètes masculins qu’il lui faudrait. Dans l’enseignement du chant, un mouvement s’est amorcé, qui, parti des pays anglo-saxons, a atteint l’Espagne et l’Italie, mais n’a guère encore véritablement touché la France où, malgré quelques indices réconfortants, la pédagogie du chant a, dans ses grandes directives, conservés les mêmes bases techniques qu’en 1950. Ce mouvement a néanmoins pour résultat que l’on chante et interprète généralement Verdi, Wagner et Mozart mieux, en 1980, qu’on ne le faisait en 1955, même s’il faut constater que l’absence des grandes personnalités d’hier a précisément permis cette notion d’école, une absence de personnalités aussi évidente dans la direction d’orchestre, un domaine où la fidélité musicologique et le talent spécifique de chef d’orchestre ne se conjuguent plus que très rarement. Ces considérations rendent compréhensible l’exécution des opéras de Haendel et de Rossini, inconcevable il y a un quart de siècle au niveau de qualité vocale où elle se pratique couramment aujourd’hui, même, et surtout, en l’absence de chefs et de chanteurs de très grand renom. Il ne faut pas pour autant mésestimer le rôle des grandes « stars « de la scène, dans la mesure où seul un courant de portée universelle peut parachever l’oeuvre entreprise. De tout temps, des chanteurs de très grand relief ont, soit agi sur leur époque, soit permis aux compositeurs d’appuyer leur action sur leur talent. Farinelli, la Malibran, Duprez, la Patti, Chaliapine, Caruso, Maria Callas ont, d’une manière ou d’une autre, influencé leurs époques respectives : seule une personnalité d’un rayonnement aussi indiscutable saura donner à l’art du chant l’impulsion nouvelle qui fera de lui le reflet des aspirations d’une nouvelle génération. CHANTAVOINE (Jean), critique musical et musicologue français (Paris 1877 Mussy, Aube, 1952). Après des études de philosophie à Paris, puis d’histoire de la musique à Berlin, où il fut l’élève de Max Friedländer, Chantavoine collabora à diverses revues comme la Revue hebdomadaire (1903-1920), l’Excelsior (1911-1921) et le Ménestrel. En 1906, il fonda aux éditions Alcan la collection les Maîtres de la musique, dans laquelle il publia en particulier un Beethoven et un Liszt. De 1923 à 1937, il fut secrétaire général du Conservatoire de Paris. À la curiosité et à l’instinct du chercheur (il exhuma, par exemple, un opéra de jeunesse de Liszt, Don Sanche), Chantavoine joignait l’esprit de synthèse ; il appliqua son talent de musicologue à des travaux de vulgarisation et d’initiation comme le Petit Guide de l’auditeur de musique (2 vol., Paris, 1947-48). Parmi ses principaux ouvrages, citons : Beethoven (Paris, 1906) ; Liszt (Paris, 1910) ; De Couperin à Debussy (Paris, 1921) ; les Symphonies de Beethoven (Paris, 1932) ; Mozart dans Mozart (Paris, 1948) ; Mozart (Paris, 1949) ; le Poème symphonique (Paris, 1950). CHANTEFABLE. Terme provenant de « chanter » et de « fabler » (parler), et désignant un récit médiéval où alternent des parties en vers chantés et des passages en prose destinés à être récités. downloadModeText.vue.download 190 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 184 L’oeuvre la plus représentative du genre est Aucassin et Nicolette (XIIIe s.), qui se situe ainsi entre la chanson de geste et le roman en prose. CHANTERELLE. Corde la plus aiguë et la plus fine d’un instrument à cordes frottées (violon, etc.) ou pincées (luth, etc.) et à manche. Le terme n’est jamais appliqué aux cordes des instruments à clavier. CHANTRE. Transcription littérale du mot latin cantor qui signifie « chanteur », mais dont, si l’on excepte un emploi poétique détourné de son sens musical (le « chantre des amours »), l’usage s’est restreint à la musique d’église. Les chantres ont été longtemps considérés comme des membres du clergé ; ils étaient organisés, au Moyen Âge, selon une hiérarchie (sous-chantres, chantres, préchantres), qui faisait de leur état une véritable fonction ecclésiastique : le préchantre portait gants, anneau et bâton et venait immédiatement après l’évêque. Ils sont devenus, aujourd’hui, de simples employés d’église et tendent même à disparaître dans l’après-concile. Bien que l’on ait parfois, surtout aux XVe et XVIe siècles, employé le mot « chantre » pour les chanteurs de maîtrise, il a cessé d’avoir cours dans cette acception et s’est appliqué surtout aux chanteurs spécialisés chargés du plain-chant, et qui, même laïcs, pouvaient revêtir pour l’office des orne- ments ecclésiastiques, tels que soutane, surplis et chape, et prendre place dans le choeur comme de véritables ministres du culte. CHAPEAU CHINOIS. Instrument à percussion d’origine orientale, employé dans certaines musiques militaires à partir du XVIIIe siècle, mais peu à peu abandonné dans le courant du XXe. Il consiste en un croissant de métal garni de grelots et autres corps sonores, que font tinter les secousses imprimées à la hampe sur laquelle il est monté. Son aspect décoratif est généralement souligné par divers ornements : dôme en forme de cloche, queues de cheval, etc. CHAPELET (Francis), organiste français (Paris 1934). Il aborde l’orgue à l’école César-Franck avec Édouard Souberbielle, avant d’entrer au Conservatoire de Paris. En 1961, il y obtient ses premiers prix d’orgue et d’improvisation. En 1964, il est nommé cotitulaire de l’orgue de Saint-Séverin, et commence une carrière internationale. Il se passionne pour la facture instrumentale, particulièrement celle des orgues espagnols. Il en devient un grand spécialiste, et signe les premiers enregistrements mondiaux réalisés sur nombre d’entre eux, dont celui de la cathédrale de Salamanque. Il explore le répertoire ibérique des XVIe et XVIIe siècles. En 1979, il crée l’Académie de ParedesFuentes de Nava, en Castille. Depuis 1980, il est professeur au Conservatoire de Bordeaux et, en 1981, le gouvernement espagnol le nomme expert pour les orgues historiques de Castille et de León. En 1994, il fait un voyage au Mexique pour y découvrir les orgues baroques. On lui doit plusieurs compositions pour son instrument. CHAPELLE. Au sens religieux, le terme de chapelle (dérivé de la chape, ou manteau, de saint Martin, conservée, selon la tradition, dans l’oratoire des rois de France) désigne un lieu de culte privé (chapelle d’un château, d’un couvent), par opposition à l’église (lieu de l’assemblée des fidèles) et à la cathédrale (siège de l’évêque). Par extension, le terme s’applique au personnel attaché à ce lieu de culte (« chapelain », prêtres, ser- viteurs laïques) et, particulièrement, aux chantres. La chapelle royale remonte aux origines de la royauté franque, mais Charlemagne et, surtout, Robert le Pieux en aménagèrent le service. Sous Charles VII, la chapelle comprenait 12 prêtres chantres, avec à leur tête Ockeghem. Elle se développa au XVIe siècle et comptait une cinquantaine de personnes sous Louis XIII. Louis XIV lui donna son extension définitive, lui adjoignant des instrumentistes nombreux, et autorisa les femmes à chanter à sa tribune. Le maître de la chapelle royale était un prélat, chargé des rapports de la musique et de la liturgie ; le chef effectif de la musique était le sous-maître (quatre à partir de Louis XIV). Les maisons princières eurent aussi leurs chapelles (celle des ducs de Bourgogne particulièrement importante au XVe siècle), mais, les entraînant peu à peu dans leur déclin, ne subsista finalement que la seule chapelle royale. Le Dauphin eut néanmoins sa chapelle particulière à Saint-Germain. En Allemagne, Kapell ou Capell désigna aussi à l’origine la musique privée d’un prince ; mais la distinction entre musique sacrée et musique profane s’effaça, et les villes libres s’attachèrent également des « chapelles », terme qui devint pratiquement synonyme d’orchestre. Le maître de chapelle est, en France, le chef d’un ensemble (vocal, instrumental) attaché à un édifice religieux, quel qu’il soit (chapelle privée, église, cathédrale) ; le Kapellmeister est, en Allemagne, un simple chef d’orchestre (l’équivalent allemand du maître de chapelle est alors le cantor). CHAPELLE ROYALE (la). ! HERREWEGHE (PHILIPPE). CHAPÍ Y LORENTE (Ruperto), compositeur espagnol (Villena, province d’Alicante, 1851 - Madrid 1909). Élève de son père, musicien amateur, il joua du fifre, dès l’âge de dix ans, dans une harmonie locale dont il fut chef de musique durant son adolescence et pour laquelle il composa diverses oeuvrettes. En 1867, il partit à Madrid travailler avec E. Arrieta. En 1874, il fut nommé chef de musique d’un régiment d’artillerie. La même année, lauréat du conservatoire de Madrid, il fut envoyé à Rome où il étudia les an- ciens polyphonistes espagnols et écrivit ses premiers opéras. De retour en Espagne en 1878, il ne tarda pas à devenir, grâce à ses ouvrages lyriques, un des compositeurs les plus populaires du pays. Fondateur de la Société des auteurs espagnole (1893), il fut, avec Bretón et Chueca, l’un des premiers maîtres de Manuel de Falla. Son oeuvre comprend des partitions assez conventionnelles de musique symphonique et de musique de chambre, quelques opéras et surtout 155 zarzuelas, dont les plus célèbres sont La Tempestad (1882), La Bruja (1887) et La Revoltosa (1897). Tout en témoignant d’une qualité d’écriture suffisante pour faire penser tantôt à Puccini, tantôt à Messager, les zarzuelas de Chapí ont donné à cette forme sa portée universelle, en fixant le sentiment national et la langue qui le traduit, dans un refus de l’italianisme. Ce sont les chefs-d’oeuvre du genre. CHAPORINE (Youri Alexandrovitch), compositeur soviétique (Gloukhov, province de Tchernigov, 1887 - Moscou 1966). Venu assez tard à la musique, il fit des études d’histoire, de philologie et de droit avant de suivre les cours du conservatoire de Saint-Pétersbourg (1913-1918). Directeur de la musique du Grand Théâtre de Leningrad (1919-1928), puis du théâtre Pouchkine (1928-1934), professeur au conservatoire de Moscou à partir de 1939, il devint secrétaire de l’Union des compositeurs en 1952. De 1926 à 1930, il avait présidé, à Leningrad, l’Association de musique contemporaine, qui, jusqu’en 1932, encouragea en U. R. S. S. l’art d’avantgarde et fit connaître, par exemple, Pierrot lunaire de Schönberg, Wozzeck de Berg ou la musique de chambre moderne (concerts du quatuor Amar avec Hindemith à l’alto). Mais Chaporine s’inspira essentiellement de la musique russe du XIXe siècle - de Borodine dans sa façon de traiter les masses chorales, de Tchaïkovski et de Rachmaninov pour l’invention mélodique - ainsi que du chant populaire. Il cultiva surtout la musique vocale, et son langage, dans la cantate Sur le champ de Koulikovo (1938) downloadModeText.vue.download 191 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 185 ou l’oratorio le Dit de la bataille pour la terre russe(1944), demeure très traditionnel, non sans références explicites au « réalisme socialiste ». Son oeuvre la plus célèbre est l’opéra les Décembristes, d’après Tolstoï (composé entre 1930 et 1950). CHAPPELL CO. Maison d’édition anglaise, fondée, à Londres, en 1810, par Samuel Chappell, J. B. Cramer et Fr. T. Latour. La firme fut ensuite dirigée par William Chappell (18091888), Thomas Chappell (1819-1902) et Samuel Arthur Chappell (1834-1904). Outre la musique classique, les éditions ont notamment publié des recueils de musique de variétés anglaise, des opéras et des opérettes (comédies musicales). CHAPUIS (Michel), organiste français (Dole 1930). Élève d’Édouard Souberbielle et de Marcel Dupré, au Conservatoire de Paris, il a effectué des recherches musicologiques sur les oeuvres, les conditions d’exécution et d’ornementation, et l’esthétique des maîtres classiques français et des orgues baroques allemands. C’est ainsi que, sous son impulsion, s’est développée en France une nouvelle école d’interprétation de la musique ancienne pour orgue, et que s’est manifesté un mouvement de regain d’intérêt en faveur de l’orgue des XVIIe et XVIIIe siècles français et allemand, auprès des jeunes facteurs d’instruments. Ses enregistrements discographiques de Grigny, de Couperin, de Buxtehude et de Bach ont fait référence en la matière. Organiste titulaire à Saint-Séverin de Paris, depuis 1964, expert en facture d’orgues et professeur (il a enseigné au conservatoire de Strasbourg), il fait une carrière internationale et participe à de nombreux cours et académies consacrés à l’orgue ancien. CHARIVARI. 1. Concert fait de bruits volontairement discordants, obtenus au moyen d’ustensiles divers, ou de huées. Le charivari est donné en signe de désapprobation ou comme sérénade à des jeunes mariés. 2. Chanson improvisée par des marins occupés à faire un travail de force, pour se donner du courage, et dans laquelle le « meneur » de la chanson pouvait railler les supérieurs. En 1826, la Marine d’État interdit la pratique du charivari sur ses navires. CHARLESTON. Danse américaine rapide, voisine du foxtrot, qui doit son nom à la ville de Caroline du Sud où elle était dansée par les Noirs. Elle fut utilisée pour la première fois dans les revues de Cecil Mack et de Jimmy Johnson (1922), avant d’être remarquée par certains compositeurs américains comme Copland et Gershwin (séquence terminale d’Un Américain à Paris). Entre 1925 et 1930, elle a connu, en Amérique et en Europe, une très grande vogue, mais sa popularité a très vite décliné. Elle comporte habituellement deux pas sur chaque pied, l’autre étant lancé en arrière. CHARLIER (Olivier), violoniste français (Albert 1961). En 1975, il obtient un 1er Prix de violon au Conservatoire de Paris et travaille ensuite avec Jean Hubeau, Yehudi Menuhin et Pierre Doukan. Lauréat de cinq concours internationaux (2e Prix Long-Thibaud, Grand Prix Rainier de Monaco), il remporte aux États-Unis les Young Concert Artists International Auditions en 1989. En 1991, il reçoit le Prix Nadia et Lili Boulanger. Toutes ces distinctions lui valent d’être invité à jouer avec de grands orchestres et à se produire sur les grandes scènes dans le monde. Il joue régulièrement avec la pianiste Brigitte Engerer. CHARPENTIER (Gustave), compositeur français (Dieuze, Lorraine, 1860 - Paris 1956). Après la défaite de 1871, ses parents se fixèrent à Tourcoing et c’est dans cette ville que Gustave Charpentier prit ses premières leçons de violon et de clarinette. Employé à quinze ans dans une filature, il organisa une « société de sérénades » en collaboration avec son patron, Albert Lorthiois. Celui-ci, frappé par les qualités musicales de son jeune comptable, l’envoya au conservatoire de Lille. Un prix de violon et un prix d’harmonie lui valurent une bourse de la municipalité de Tourcoing, qui lui permit de se rendre à Paris (1881). Élève de Massard (violon), de Pessard (harmonie) et de Massenet (composition), il obtint, en 1887, le premier grand prix de Rome avec sa cantate Didon, qui connut un grand succès aux Concerts Colonne. Pensionnaire de la villa Médicis, il voyagea dans toute l’Italie et composa successivement Impressions d’Italie, qui devait triompher en 1891 aux Concerts Lamoureux, la Vie du poète, symphonie - drame pour solistes, choeur et orchestre, créée au Conservatoire en 1892, et le premier acte de Louise. De retour à Paris, il s’installa dans une chambre à Montmartre et s’intégra dans l’atmosphère si vivante de la Butte, dont il subit toujours l’heureuse influence. C’est dans la rue qu’il donna ses premiers concerts publics. Cela commença par de simples défilés chantants, puis, souvenir de Tourcoing, par des sérénades. Enfin, il présenta le 24 juillet 1898, sur la place de l’Hôtel de Ville, le Couronnement de la muse, qui eut un grand retentissement populaire et que l’on devait en partie retrouver dans le troisième acte de Louise. À cette époque, il fonda le Conservatoire de Mimi Pinson, dont le but était d’offrir des places de théâtre aux jeunes ouvrières parisiennes. Mais dès 1902, il y fit donner gratuitement des cours de musique et de danse, en vue de réaliser par la suite un « théâtre du peuple », qui ne vit d’ailleurs jamais le jour. Louise, son roman musical et son oeuvre maîtresse, fut créée en février 1900 avec un rare succès, qui devait se prolonger jusqu’à nos jours. Ce succès établit sa réputation, et après avoir simplement annoncé un second ouvrage et une trilogie musicale, il fut élu à l’Institut, en 1912, au fauteuil de Massenet. La trilogie musicale ne fut jamais composée. Quant à Julien, créé en 1913, il se révéla n’être que le développement sur la scène de la Vie du poète. Julien est une oeuvre hybride et un peu maladroite, mais qui n’en contient pas moins des pages d’une grande beauté. Par la suite, le compositeur voyagea beaucoup à travers l’Europe, mais ne composa pratiquement plus. Sensible, sincère et naturellement bohème, Gustave Charpentier se passionna pour la nature, l’existence des gens simples, les réactions populaires. Il rechercha le lyrisme caché dans les humbles destinées et n’hésita pas, en particulier dans Louise et dans Julien, à mettre en musique une mansarde, une ménagère à son fourneau, un ouvrier dans son foyer. On a voulu le classer parmi les musiciens réalistes ou naturalistes ; il le fut moins en tout cas qu’un Alfred Bruneau, et sut toujours apporter une émouvante note romantique aux scènes les plus prosaïques de la vie moderne. Sans cesse soucieux de généreuses préoccupations sociales, il a très peu écrit, n’a jamais songé à entreprendre une oeuvre de musique pure. Mais il a organisé partout des fêtes démocratiques et il a, avec sa Louise, merveilleusement développé la chanson du coeur de Paris. CHARPENTIER (Jacques), compositeur français (Paris 1933). Après avoir commencé seul l’étude de la musique (piano, orgue, direction d’orchestre), il effectua aux Indes (1953-54) un séjour décisif pour son évolution future, s’y initiant à la musique classique traditionnelle du pays. À son retour, il travailla avec Tony Aubin (composition) et Olivier Messiaen (analyse musicale), obtenant les premiers prix de philosophie et analyse (1956), et de composition (1958). L’influence de Messiaen se manifeste notamment dans une de ses oeuvres les plus originales, les Soixante-Douze Études karnatiques (1957-1983), recueil longtemps ouvert où le piano est traité en percussions avec étagement de résonances en des sonorités s’apparentant à divers instruments indiens. Entré aux Jeunesses musicales de downloadModeText.vue.download 192 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 186 France en 1959, il fut nommé inspecteur principal de la musique (1966), inspecteur général (1975) et succéda à Jean Maheu au poste de directeur de la musique, de l’art lyrique et de la danse au ministère de la Culture et de la Communication (19791981). Fondateur du Centre d’études du grégorien et de musiques traditionnelles comparées à l’abbaye de Sénanque (1975), grand prix musical de la Ville de Paris (1978), il a parfois écrit en style néoclassique, en particulier dans la Symphonie brève (1958), la Sinfonia sacra pour le jour de Pâques (1965) ou le Prélude pour la Genèse (1967). Parmi ses oeuvres récentes, une 5e Symphonie (1977) ; une Symphonie no 6 pour orchestre et orgue (1978) ; Béatrix de Planissolas, opéra en 5 actes et en langue d’oc, créé au festival d’Aix-en-Provence en 1971 ; un Te Deum (1978) ; le Livre d’orgue, commande des Journées de musique contemporaine de Metz (1973). Il a été directeur musical de la ville de Nice (1982), et est l’auteur d’une thèse, Introduction à la musique de l’Inde. CHARPENTIER (Marc Antoine), compositeur français (Paris 1643 - id. 1704). Fils d’un maître écrivain, il partit dans les années 1660 pour Rome, où il subit l’influence des compositeurs romains, notamment celle de Carissimi, dont l’empreinte se retrouve tout au long de son oeuvre. Il y resta trois ans. De retour en France, il fut probablement mêlé aux cercles italianisants, qui, sous le règne même de Lully, pratiquaient et diffusaient la musique ultramontaine. On sait peu de chose sur cette période de sa vie, jusqu’au moment où Molière, brouillé avec Lully en 1671, fit appel à lui pour ses comédies-ballets. Il composa pour lui les intermèdes de la Comtesse d’Escarbagnas (1671) et du Malade imaginaire (1673), et refit la musique des comédies antérieurement composées par Lully (le Sicilien). Après la mort de Molière, il poursuivit sa collaboration avec les comédiens français, malgré les limites imposées au genre par le tout-puissant surintendant. Il devint en 1679 compositeur de la Musique du Dauphin (que Louis XIV disait parfois préférer à la sienne), tout en continuant à composer pour Mademoiselle de Guise. En 1683, une grave maladie l’empêcha de concourir pour le poste de sousmaître de la chapelle royale. Vers 1688, il devint maître de musique des jésuites (rue Saint-Antoine), pour qui il devait composer de nombreuses oeuvres en tout genre : du grand Miserere des jésuites aux opéras sacrés du collège de Clermont. Musicien très prisé, il écrivit de nombreuses oeuvres de circonstance, notamment pour PortRoyal de Paris, puis devint maître de composition de Philippe d’Orléans. Célibataire, il fut admis en 1698 comme maître de musique de la Sainte-Chapelle, poste qu’il devait occuper jusqu’à sa mort. L’oeuvre de Charpentier est immense et fort diverse. Bien qu’empêché de pra- tiquer la musique de théâtre autant que, peut-être, il l’aurait pu, en raison de l’ostracisme de Lully, il a laissé un nombre important d’oeuvres dans ce domaine, des divertissements comme les Arts florissants à l’opéra sacré David et Jonathas (1688) [un autre, Celse, est perdu], et à l’opéra Médée (1693). Il peut être considéré, avec Orphée descendant aux Enfers, comme l’introducteur en France de la cantate profane, genre qui fleurit après lui avec E. Jacquet de la Guerre, Morin, Clérambault et Campra. Ses intermèdes pour les comédies de Molière, Donneau de Visé, sa musique de scène pour Polyeucte de Corneille ne sont pas négligeables. Mais l’essentiel de son oeuvre est religieuse. Charpentier pratiqua tous les genres. À la différence de ses contemporains français, qui n’ont qu’exceptionnellement pratiqué la messe en musique, il a laissé 12 oeuvres en ce domaine, à voix seule, à 4, 6 et 8 voix, dont une « pour les instruments au lieu des orgues », où l’on trouve une intéressante tentative de transcription orchestrale des habitudes de ses collègues organistes. Il fut pratiquement seul aussi à pratiquer le genre - héritage de Carissimi - de l’histoire sacrée, où l’on retrouve, avec un souci de coloriste que n’avait pas son maître et une diversité d’écriture sans doute plus grande aussi, les caractères de l’oratorio romain (le Fils prodigue, Esther, Judith, Cécile vierge et martyre, le Reniement de saint Pierre, le Jugement de Salomon...). Dans ces deux domaines, messe et histoire sacrée, Charpentier a suivi des chemins inhabituels en France. Il fut novateur également dans le domaine des Leçons de ténèbres : Michel Lambert avait montré la voie, Charpentier la pratiqua avec assiduité et amplifia le genre, écrivant jusqu’à 31 versions de Leçons. Hymnes, motets et psaumes - dans la droite ligne de la tradition française, mais dans un style bien à lui - de toutes les manières possibles : à voix seule, pour petit ensemble vocal avec ou sans « symphonie », pour choeur à 4, 5, 6, 8 voix ; s’essayant audacieusement à des formules neuves (Laudate Dominum pour 4 voix de femmes sans basse continue, Magnificat pour 3 voix d’hommes et instruments sur une basse obstinée...). Quelques oeuvres instrumentales enfin, dont un Concert à quatre parties de violes et une Sonate à huit. L’ensemble de ces oeuvres, dont quelques-unes seulement ont été publiées de son vivant, est réuni dans 28 volumes autographes conservés à la Bibliothèque nationale de France, auxquels s’ajoutent 3 traités manuscrits : Abrégé des règles de l’accompagnement, les Règles de composition et les Remarques sur les messes à 16 parties d’Italie. Indépendamment de l’ampleur de son oeuvre, Charpentier se signale par la richesse de son écriture. Sa science harmonique est remarquable, l’habileté de son contrepoint ne faiblit jamais. Aucun musicien français de son temps n’a son audace dans l’usage de la dissonance expressive, du chromatisme, de la modulation. Si Charpentier est peut-être moins homme de théâtre que Lully, il dispose d’une syntaxe d’une richesse expressive infiniment subtile et forte, toujours au service de l’émotion, et, en particulier, de l’émotion religieuse. Sa liberté mélodique, son sens de l’ornementation vocale sont aussi admirables que son invention dans le domaine de la couleur instrumentale. CHÂTELET (Théâtre du). Théâtre parisien sur la rive droite de la Seine, construit à l’emplacement du Théâtre du Cirque impérial et inauguré en 1862 : il était alors le plus grand théâtre de la capitale. Il fut longtemps consacré au théâtre parlé et abrita pendant près d’un siècle les Concerts Colonne. En 1909, Diaghilev y installa ses Ballets russes. Strauss y dirigea la création française de Salomé en 1907, et Mahler celle de sa Deuxième Symphonie en 1910. Maurice Lehmann, seul directeur de 1931 à 1966, et son successeur Maurice Marcel Lamy en ont fait un lieu privilégié de l’opérette : triomphent alors Francis Lopez et Luis Mariano. Après un dépôt de bilan (1970), une période transitoire et des travaux considérables, le Châtelet rouvrit ses portes en 1980. Sous la direction de JeanAlbert Cartier puis (à partir de 1988) de Stéphane Lissner, il est devenu un des hauts lieux de la musique et de l’opéra à Paris, consacrant largement ses saisons à un ou plusieurs compositeurs précis (en 1995 à Arnold Schönberg). CHAUMONT (Lambert de Saint-Théodore, dit), organiste et compositeur wal- lon (pays de Liège v. 1645 - Huy 1712). Moine carmélite, il fut curé d’une paroisse proche de Liège où il tint l’orgue. En 1695, il publia un livre de Pièces d’orgue sur les huit tons, augmenté d’un Traité de l’accompagnement, d’une Règle générale pour toucher le contrepoint et d’une Méthode d’accorder le clavecin. Le style des huit suites de douze à quinze pièces qui composent son livre d’orgue se rapproche de celui de Nivers et de Lebègue. downloadModeText.vue.download 193 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 187 CHAUSSON (Amédée-Ernest), compositeur français (Paris 1855 - Limay, près de Mantes, 1899). Évoluant dans un milieu familial aisé (son père était entrepreneur de travaux publics) mais feutré, Ernest Chausson se vit confié à un précepteur, Brethous-Lafargue, qui suscita en lui le goût de l’étude et de la culture (lecture, dessin, expositions, concerts) et le fit pénétrer dans divers salons littéraires ou musicaux (chez Mme Jobert, Mme de Rayssac). Chausson y côtoya des artistes qui devaient avoir une influence non négligeable sur son esthétique : Fantin-Latour, Odilon Redon, Vincent d’Indy, qui allait le présenter à César Franck. Son caractère grave, méditatif, voire mélancolique, s’en trouva renforcé, comme sa soif d’absolu qui le fit alors hésiter entre la littérature, le dessin, la musique. Pour complaire à sa famille, Chausson passa sa licence (1876), puis son doctorat en droit (1897). Reçu avocat à la cour d’appel de Paris, il préféra rejoindre, au Conservatoire, les cours de Massenet (classe d’instrumentation, 1879-1881) et de Franck (auditeur libre). À ce double enseignement qui imprègne les Mélodies de jeunesse, et le Trio - de forme franckiste « cyclique » -, Chausson ajouta l’influence de Wagner découvert à Munich (1879 : le Vaisseau fantôme, Tétralogie ; 1880 : Tristan) et Bayreuth (1882, Parsifal). Dès cette époque, il se montra plus sûr de son langage : Sept Mélodies, op. 2 ; Viviane, poème symphonique, dédié à sa fiancée, Jeanne Escudier qu’il emmena, après son mariage (le 20 juin 1883), en voyage de noces à Bayreuth. Désormais, Chausson mena une existence partagée entre la famille et la musique (composition, animation de la Société nationale de musique - S. N. M.). Auprès de sa femme et de ses cinq enfants, il trouva équilibre et bonheur réel, qui s’expriment bien dans sa Correspondance et dans des oeuvres telles que la Nuit, le Réveil, Apaisement, Cantique à l’épouse. Il entreprit de nombreux voyages, en Touraine, dans les Pyrénées, à Arcachon (1893-94), en Italie (Rome, Fiesole, 1894-95) ou en Suisse (Morgins, 1899), tant pour parfaire la santé de sa fille Annie que pour pouvoir créer librement. À Paris, durant la saison, il recevait, en son salon célèbre du 22 boulevard de Courcelles, toute l’intelligentsia de son temps - de Mallarmé à Régnier, de Tourgueniev à Lalo, des franckistes à Debussy et Albéniz, d’Ysaýe à Cortot. Travailleur infatigable (« ne comprenant que l’effort, constant en toutes choses et dirigé vers le même but », écrivait-il à P. Poujaud), Chausson s’acharnait sur ses partitions, à la fois pour réduire à néant son défaitisme latent et pour ne point passer aux yeux du monde musical pour un amateur aisé. Tout ceci explique que, tard venu à la musique et mort prématurément d’un accident de bicyclette, à 44 ans, alors qu’il travaillait au 3e mouvement de son Quatuor à cordes, Chausson ait finalement laissé un oeuvre important, en nombre comme en qualité, et où tous les genres se trouvent pratiquement représentés. Cet oeuvre s’étend sur quelque dix-sept années, de 1882 à 1899. Marquées par sa vaste culture littéraire (Chausson était familier de tous les classiques, anciens et modernes, en particulier allemands) et artistique (beau-frère du peintre Henry Lerolle, il sut réunir une collection de toiles romantiques et impressionnistes remarquables, signées Delacroix, Courbet, Corot, Renoir, Degas, Monet, Redon ou Denis), ses compositions peuvent se grouper en 3 périodes. 1882-1887 : formation du langage, mélodies élégantes, style sobre, mais plus sensible à la joliesse du propos qu’à la profondeur du sentiment (héritage de Massenet, qui se retrouve dans les Papillons, le Charme, Sérénade italienne). Mais bien vite se superposent une recherche harmonique plus poussée, une langue plus dramatique que soulignent des enchaînements hardis et un souci nouveau du timbre orchestral ; apparaît là le double héritage de Franck (mélodies comme Nanny, la Caravane, le Trio) et de Wagner (Viviane, op. 5). 1886-1894 : devenu secrétaire de la S. N. M. (1886), Chausson se trouva étroitement mêlé au milieu musical. D’où un style plus élaboré, plus dramatique aussi. À part quelques oeuvres de circonstance (Chant nuptial, 1887 ; Trois Motets, 1888), cette période fut dominée par des oeuvres majeures, de très haute inspiration et de nature essentiellement dramatique : Poème de l’amour et de la mer (commencé dès 1882, mais terminé en 1892), la Légende de sainte Cécile (1891), et surtout l’opéra le Roi Arthus auquel Chausson consacra huit longues années (1886-1895), au cours desquelles il écrivit encore sa noble Symphonie en « si » bémol op. 20 (1889-90) et le Concert op. 21 (1889-1891), qui, l’un et l’autre, soulignent son appartenance au franckisme (forme cyclique, modulations nombreuses, intensité de l’expression lyrique). 1894-1899 : la mort de son père, la fréquentation des poètes symbolistes, la découverte du roman russe (Tolstoï, Dostoïevski, Tourgueniev), enfin le sentiment confus de sa mort prématurée accentuèrent chez Chausson son pessimisme latent. Il en naît l’admirable cycle des Serres chaudes sur des poèmes de Maeterlinck (1893-1896), le désenchantement de la Chanson perpétuelle sur un texte de Charles Cros (1898), le fantastique et presque morbide Poème op. 25 pour violon et orchestre, qui trahissent un postromantisme exacerbé dont Chausson souhaitait d’ailleurs sortir. Sous l’influence de son ami Debussy, dont il admirait les oeuvres - sans peut-être toujours les aimer -, Chausson, devenu pleinement maître de sa technique, éprouvant le désir d’épurer son style et de tendre vers un classicisme fait de clarté et de concision, à la fois dans l’architecture et le discours, retrouva alors les chemins de la musique de chambre : Quatuor avec piano op. 30 (1897), oeuvre lumineuse, déridée ; Ballata d’après Dante (1896-97), Quelques Danses et Paysage (1895-96) pour piano, enfin l’ultime Quatuor à cordes, austère, dépouillé, grandiose, commencé en 1897 mais que la mort l’empêcha d’achever. De tempérament intimiste (d’où les nombreuses mélodies), formé à l’école de Massenet, Franck et Wagner, de Beethoven et Schumann, Chausson sut se dégager très rapidement des influences reçues pour retrouver le sens de l’architecture classique française et la règle qui corrige l’émotion. D’une grande probité, généreux autant que délicat (témoin son aide discrète à Debussy ou Albéniz), lié d’amitié avec les plus grands artistes de son époque, il apparaît ainsi comme un témoin et un acteur privilégié de la sensibilité française de son temps. CHAUVET (Guy), ténor français (Montluçon 1933). Lauréat du Concours international de chant de Toulouse en 1955 et du Concours des voix d’or en 1958, il entre à l’Opéra de Paris et se fait connaître rapidement dans les rôles de Mario (La Tosca), Don José (Carmen), Faust, Don Carlos, et se produit aussi dans les grands rôles de ténor des opéras wagnériens (Lohengrin, Parsifal). En 1971, il chante Radamès (Aïda) aux arènes de Vérone en alternance avec Carlo Bergonzi, avec un succès triomphal. Il s’intéresse aussi à l’opéra du XXe siècle (Mahagonny, Wozzeck). Parmi ses très grands rôles, il faut citer enfin Otello et Samson. Doté d’une grande voix et d’une aisance scénique souvent saluée par la critique, il est de ces rares chanteurs qui ont interprété avec un égal bonheur les partitions italiennes, allemandes et françaises du répertoire lyrique. CHAVEZ (Carlos), compositeur mexicain (Mexico 1899 - id. 1978). Élève de son frère (piano) puis de Manuel Ponce, il commença à composer dès l’enfance et se forma également en Europe (où il découvrit Schönberg et Stravinski) et à New York. En 1921, une commande du ministère de l’Instruction publique (le ballet El Fuego nuevo) lui donna l’occasion d’exploiter le « primitivisme » de la musique aztèque, ce qui devait marquer nombre de ses partitions ultérieures, en particulier les ballets Los Cuatro soles downloadModeText.vue.download 194 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 188 (1926, 1re représentation, Mexico, 1930) et La Hija de Colquide (1942), que dansa Martha Graham en 1946. En 1928, il fonda l’Orchestre symphonique du Mexique et prit la direction (jusqu’en 1934) du conservatoire de Mexico, et de 1947 à 1952, il fut à la tête de l’Institut national des beauxarts. Au titre de toutes ces occupations, il mena une action considérable en faveur de la musique contemporaine. Très attaché au folklore, y compris aux instruments indigènes, il a laissé une production vaste et variée, qui reflète largement ses préoccupations sociales et politiques et comprend notamment des oeuvres d’orchestre comme la Symphonie indienne (1935-36), la Symphonie prolétarienne pour choeurs et orchestre (1934) ou l’Ouverture républicaine (1935), des concertos pour 4 cors (1re aud. sous la direction de Chavez, Washington, 1937), pour piano (19381940, 1re aud., New York, 1942), pour violon (1950, 1re aud., 1952), de la musique de chambre dont trois quatuors (1921, 1932 et 1944) et quelques partitions témoignant de recherches plus abstraites comme Exagonos, Poligonos et Espiral, trois sonates pour piano (1917, 1919 et 1928), ainsi que des oeuvres chorales telles que Tierra mojada (1932), El Sol (1934), La Palma azul (1940) ou Canto a la tierra (1946). CHAYNES (Charles), compositeur français (Toulouse 1925). Né de parents musiciens et professeurs au conservatoire de Toulouse, il a très tôt suivi les cours de cet établissement, puis a complété ses études au Conservatoire de Paris, en particulier avec Darius Milhaud et Jean Rivier, et obtenu le premier grand prix de Rome en 1951. Grand prix musical de la ville de Paris en 1965, il a été, de 1964 à 1975, responsable du programme FranceMusique à l’O. R. T. F., faisant preuve à ce poste d’un grand esprit d’ouverture. Depuis 1975, il est chef du service de la création musicale à Radio-France. Partisan d’un langage atonal, mais sans avoir appliqué de façon stricte le principe de la série, il a manifesté d’étroites affinités avec le monde méditerranéen et avec des compositeurs italiens comme Luigi Dallapiccola ou Goffredo Petrassi. Parmi ses oeuvres principales : Concerto pour orchestre à cordes (1953) ; Ode pour une mort tragique pour orchestre (1954) ; des Concer- tos pour trompette (1958), pour violon (1958, créé en 1961), pour orgue (1966) ; Trois Études linéaires (1963), Expressions contrastées (1966) et Transmutations (1970-71) pour orchestre ; Quatre Poèmes de Sappho pour soprano et trio à cordes (1968) ; un Quatuor à cordes (1970) ; Tarquinia pour ondes Martenot, percussions et piano (1973) ; Pour un monde noir pour soprano et orchestre (1978) ; Erzebet, six mouvements lyriques pour une femme seule (Paris, 1983) ; Visages mycéniens pour orchestre (1985) ; les opéras Noces de sang d’après Lorca (Montpellier, 1988) et Jocaste (1993). CHEBALINE (Vissarion), compositeur soviétique (Omsk 1902 - Moscou 1963). Élève de M.-I. Meritov à Omsk, puis de N. Miakovski au conservatoire de Moscou (1925-1931), il y fut chargé de cours dès 1928 et nommé, en 1935, professeur titulaire, avant de se voir promu recteur du conservatoire (1942-1948). Il fut lauréat d’État (1943 et 1947). Artiste du peuple de la république de Russie (1947), député au Soviet suprême, Chebaline a fait carrière de musicologue on lui doit l’édition critique et l’achèvement de nombreuses partitions, telles que la Foire de Sorotchinski de Moussorgski ou la Symphonie-ouverture de Glinka -, de pédagogue et de compositeur. Il a laissé 5 Symphonies (1925, 1929, 1934, 19351949, 1962), Lénine, symphonie dramatique (1931), Sinfonietta (1949), Concerto pour violon (1940), Concerto pour piano (1960), 9 Quatuors à cordes (1923-1963) ainsi que de la musique vocale - la cantate Moscou (1946) fut écrite pour le huit centième anniversaire de la ville -, des choeurs a cappella, des mélodies, des chansons, des musiques de scène et de film, et des opéras dont le Marié de l’ambassade (1942), la Mégère apprivoisée (1946-1956). CHÉDEVILLE, famille de musiciens français. Les liens de parenté qui les unissaient aux Hotteterre leur permirent de faire carrière à Paris dans l’orchestre de l’Opéra et à la cour dans la musique de l’Écurie. Les deux aînés, Pierre (Oulins, Eure-et-Loir, 1694 Paris 1725) et Esprit Philippe (Oulins 1696 - Paris 1762), furent ordinaires de l’Académie royale de musique depuis au moins 1713, avant que le cadet, Nicolas (Sérez, Eure, 1705 - Paris 1782), ne le devînt en 1725. Les trois frères exercèrent à la cour, comme hautboïstes, à partir de 1714, 1723 et 1725. À l’Opéra, Nicolas fut le seul à porter le titre de joueur de musette, bien que ses deux aînés fussent connus pour fabriquer cet instrument et qu’Esprit Philippe composât pour ce dernier des duos, des sonates, des noëls et des « concerts champêtres ». Certaines de ces oeuvres sont également écrites pour vielle et sont représentatives du goût pour la pastorale galante, alors en vogue. Des pièces de Nicolas, destinées à une ou plusieurs musettes, témoignent de cette mode et portent des titres évocateurs : Amusements champêtres (1729), les Galanteries amusantes (1739), Menuets champêtres (apr. 1735). CHEDRINE (Rodion Constantinovitch), compositeur soviétique (Moscou 1932). Il fut l’élève de A. Svechnikov à l’école Chorov (1945-1950), puis de I. Chaporine (composition) et de Y. Fliera (piano) au conservatoire de Moscou (1950-1955). Tout comme Prokofiev, il s’imposa comme pianiste et compositeur avec son 1er Concerto (1954). Dans une veine posttchaïkovskienne agrémentée d’humour et de rythmes hérités de Prokofiev, Chedrine accumule des succès mérités avec sa 1re Symphonie (1956-1958), le ballet le Petit Cheval bossu (1958-59), une Suite de chambre pour harpe, accordéon, violons et 2 contrebasses (1965), dans l’esprit du Quintette op. 39 de Prokofiev. Sa musique de chambre est alerte et claire : 2 Quatuors, Quintette avec piano, 24 Préludes et Fugues, Cahier polyphonique pour piano. Depuis 1967, Chedrine use librement de formes sérielles : Poèmes avec la voix du poète A. Vosnessenski, contralto, choeur mixte et grand orchestre (1968), où transparaît l’influence du Polonais Penderecki. Avec le ballet Anna Karénine (1972), le compositeur revient aux procédés néoromantiques et aux « collages ». Avec ses Concertos pour piano no 2 (Carillon, 1968) et no 3 (Variations et thème, 1976), il tente de faire se rejoindre la Russie ancienne et des sonorités néostravinskiennes dernière manière. CHEF D’ORCHESTRE. Les termes de chef d’orchestre et de direction d’orchestre entraînent dans nos pays latins une notion « dirigiste » qui fausse relativement son rôle, mieux dénommé chez les Anglo-Saxons, conducting. Paradoxalement, en consacrant nombre de maestros au vedettariat, le public comprend souvent mal leur utilité. Cette incompréhension a été accentuée depuis une vingtaine d’années par l’éclosion d’orchestres de chambre de 12 à 15 musiciens, qui se passent très facilement de chef. Tant que les ensembles instrumentaux de l’époque baroque furent réduits à ces petits effectifs, le compositeur-directeur de la musique organisait les répétitions de ses musiciens, puis les surveillait du clavecin, sur lequel il réalisait la basse continue. Ainsi travaillèrent Vivaldi, Bach, Haendel et même le jeune Haydn. Les interprétations actuelles de ce répertoire, sous la direction d’un chef, relèvent donc de la plus haute fantaisie. La musique d’église faisait parfois exception, puisque le maître de chapelle pouvait rudement frapper les temps de sa canne sur le sol. Dans cette « préhistoire » du chef d’orchestre, une seconde phase apparut au cours du XVIIIe siècle : la fortune du violon, son écriture virtuose adaptée à des musiciens d’orchestre plus capables, à l’instar de l’ensemble de Mannheim, déplacèrent le chef du clavecin au violon. De là, il faisait downloadModeText.vue.download 195 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 189 répéter ses instrumentistes et leur indiquait les départs en concert. Une troisième phase s’ouvrit avec Beethoven : l’écriture symphonique se compliqua, se précisa, certaines nuances étaient inattendues, « anormales » (par exemple le crescendo menant à la nuance piano, ou les sforzando répétés), et le premier violon pointant son archet vers les groupes instrumentaux concernés ne suffit plus. Pour être plus maniable, l’archet raccourci, allégé, devint une baguette : le chef d’orchestre au sens moderne était né. Il se plaçait devant les musiciens, et certains compositeurs furent des chefs de grande valeur (Weber, Berlioz, Mendelssohn, Liszt, Wagner). Après 1850, l’apparition du chef interprète - non compositeur - annonça une quatrième période. Le fossé s’élargit entre l’écrit et une tradition d’interprétation parfois douteuse, le compositeur n’étant plus là pour se défendre. Le chef d’orchestre prit alors une nouvelle responsabilité d’ordre moral, qui fut quelquefois outrepassée : Gounod dut, en 1873, réagir pour diriger ses propres oeuvres conformément à ses vues. Cependant, les différentes fonctions de chef (à l’opéra ou au concert) restèrent bien séparées jusqu’au milieu du XXe siècle : Toscanini dirigea d’abord des opéras et se consacra ensuite aux concerts symphoniques. Mais la plupart des grands chefs de notre époque, comme Klemperer, Solti, Karajan, Maazel, pratiquent les deux répertoires. Le but du chef d’orchestre est d’unifier le jeu des instrumentistes en tenant compte de sa propre vision musicale, pour servir l’oeuvre du compositeur devant le public. Pour cela, les connaissances musicales nécessaires sont très vastes, et le rôle du chef est multiple. La technique, parfois appelée gestique, répond à des conventions générales, mais doit être appliquée particulièrement à chaque partition. La fonction primordiale du bras droit, tenant la baguette, est d’assurer le tempo et ses variations éventuelles par accident ou par volonté, de souligner la mise en place rythmique des différents instruments, d’indiquer la nuance dynamique par l’amplitude du geste et simultanément l’articulation musicale (staccato, legato, etc.). Le bras gauche rappelle les entrées des instruments et exprime le sentiment musical. La symétrie entre les deux bras reste donc exceptionnelle chez les chefs bien formés. Cependant, ces critères sont généraux, et les fonctions sont fréquemment interverties ou modifiées suivant les exigences de la musique. Le fait que cette action ne puisse être décrite d’une manière à la fois globale et précise indique en même temps l’impossibilité d’une pédagogie rationnelle et unifiée : les plus grands maîtres ne sont pas issus d’écoles de direction. L’observation des répétitions d’autrui, l’étude des partitions et une longue expérience personnelle sont des facteurs déterminants. Le chef d’orchestre doit ajouter à une gestique efficace de sérieuses connaissances psychologiques. Arrêter un orchestre et dire la chose juste n’est rien sans le « bien-dire ». Le chef doit, en effet, s’assurer une collaboration, compliquée du fait que l’on ne s’adresse pas avec le même vocabulaire à un hautboïste, un corniste ou un timbalier. Cet art difficile rejoint la question de l’autorité, dont Gounod dit qu’elle émane de celui qui s’attire non l’obéissance à contrecoeur, mais la soumission volontaire, l’adhésion du consentement intime. Il ne faut pas oublier non plus que l’apparence physique joue un rôle considérable en la matière : tel chef corpulent ne tirera pas la même sonorité d’un orchestre que tel autre, élancé. Le public favorisé par une place située en arrière de l’orchestre aura eu la chance de comprendre l’importance du regard ou de l’absence de regard - d’un chef sur les musiciens. Le rayonnement de sa présence, sensible au concert, trouve ici un puissant moyen d’expression. D’autres questions ressortissent à des modes passagères. Ainsi, au début du XXe siècle, la plupart des chefs dirigeaientils très droits, figés dans une position qui laissait subsister une énergique battue. Les jeunes chefs plus décontractés ont été accusés d’être des danseurs gesticulateurs, mais l’excès en ce sens - souvent inefficace et gênant pour les musiciens - a été freiné par la radio et le studio d’enregistrement, d’où le public est absent. Quelques chefs, par conviction personnelle, ont abandonné la baguette pour ne diriger qu’avec les mains. Ce moyen a pu servir la métrique complexe de certaines pages contemporaines, mais la baguette bien employée comme prolongement du bras est d’une lecture plus aisée pour l’orchestre, et surtout les musiciens éloignés. Enfin, la question du « par coeur » revient périodiquement depuis son introduction par le grand chef allemand Hans Richter. Ce procédé est désavoué par ceux qui savent son influence déterminante sur le public, enthousiasmé de prouesses touchant à l’acrobatie. En réalité, la malhonnêteté serait foncière si le chef ne faisait que suivre par la battue une ligne mélodique prépondérante mémorisée. Or Toscanini, par exemple, dont la mémoire était légendaire, dirigeait ses répétitions par coeur, prouvant ainsi sa connaissance des partitions jusque dans les moindres détails. Les grands chefs actuels trouvent deux avantages à ce système : d’une part, la sensation de posséder tout à fait la partition permet d’en suivre le déroulement mental, tout en la réalisant avec l’orchestre ; d’autre part, un contact permanent avec les musiciens assure la continuité expressive de l’oeuvre. Cependant, le grand E. Ansermet dé- daignait le « par coeur », en lui reprochant de renforcer le côté spectaculaire de la direction. Ce dernier aspect prend, de nos jours, une importance croissante, car le public s’identifie volontiers au chef d’orchestre, incarnation de l’activité musicale au-dessus de l’anonymat de l’orchestre. Son prestige en vient à attirer dans cette activité des interprètes ayant acquis leur renommée dans d’autres disciplines (M. Rostropovitch, D. Fischer-Dieskau). La direction d’orchestre n’est donc pas une, mais multiple, et les différentes personnalités qui s’y intéressent lui apportent des réponses aussi variées que sont leurs tempéraments. À cette richesse s’oppose un avenir compromis par le dédain des compositeurs vivants à l’encontre de l’orchestre symphonique, institution musicale historique qui ne répond plus tout à fait à leurs besoins d’expression. CHERKASSKY (Shura), pianiste russe naturalisé américain (Odessa 1909 Londres 1995). Il commence à étudier la musique à l’âge de quatre ans. En 1922, sa famille s’installe à Baltimore (États-Unis). L’année suivante, il entre à l’Institut Curtis de Philadelphie où il étudie avec J. Hofmann. Sa carrière débute en 1928. Hors des États-Unis, il se fait connaître d’abord en Allemagne, en Autriche et en France. Héritier de la grande école russe de piano, son répertoire de prédilection comprenait les oeuvres de Liszt, Chopin, Schumann, Rachmaninov. Il s’est produit sur les plus grandes scènes du monde, fascinant son auditoire par son jeu extrêmement brillant, mais libre de toute virtuosité conventionnelle. CHERUBINI (Luigi), compositeur italien (Florence 1760 - Paris 1842). Fils d’un claveciniste du théâtre de la Pergola à Florence, il fut d’abord initié au style religieux sévère, composa sa première messe à treize ans, puis étudia le style dramatique à Bologne, auprès du compositeur Sarti, écrivant également des sonates pour clavier dans l’esprit de Galuppi. À dix-neuf ans, il écrivit son premier opéra, Il Quinto Fabio (1780), encore dans l’esprit de Métastase, et donna à Milan, Florence, Venise, Rome et Mantoue une dizaine d’oeuvres lyriques de genre seria ou semiseria, conçues à partir de livrets traditionnels, mais dénotant déjà une ten- dance à étoffer l’orchestration, ainsi qu’à privilégier les finales aux dépens de l’aria orné, comme le faisait Mozart à Vienne, à la même époque. Après s’être produit à Londres (La Finta Principessa, 1785 ; Il Giulio Sabino, 1786), il fit représenter à Turin son dernier opéra italien (Ifigenia in Aulide, 1788) et s’établit à Paris, où il se lia avec Viotti et Marmontel. Celui-ci écrivit à son intention un livret français, tiré de downloadModeText.vue.download 196 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 190 Métastase, pour Démophon (1788) - représenté sans grand succès à l’opéra. D’autres oeuvres furent créées au théâtre Feydeau, dont Cherubini devait prendre la direction artistique. Le compositeur s’assura très rapidement une situation de premier plan à Paris, au lendemain de la mort de Gluck et de Sacchini, entre les derniers triomphes de Grétry et les premiers opéras de Le Sueur, Méhul et Boieldieu. Lodoiska, comédie héroïque, créée en 1791, confirma la puissante originalité de son talent. En 1794, il fit partie, auprès de Sarrette, de la commission d’inspecteurs chargée de l’établissement qui allait devenir le Conservatoire de Paris. Ses ouvrages suivants, toujours écrits dans la forme de l’opéra-comique avec dialogues parlés, témoignent d’une évolution entre le drame larmoyant, alors en honneur à Paris, et la comédie élégiaque et sentimentale d’esprit préromantique. Mais en 1797, en restaurant la tragédie antique dans un style faisant la synthèse de Gluck et des Italiens, il signait, avec la partition de Médée, l’acte de naissance du drame romantique. Éclipsée dans les pays latins par le succès de l’opéra de Mayr (1813) sur le même sujet, l’oeuvre, enrichie de récitatifs chantés que les lois du genre avaient à l’origine interdits à Cherubini, devait entamer en Allemagne vers 1860 sa véritable et glorieuse carrière. En 1800 fut donné les Deux Journées (ou le Porteur d’eau), un des plus grands succès de Cherubini. L’échec d’Anacréon, en 1803, décida le compositeur à renoncer à sa manière légère. Puis, son inspiration étant à l’opposé des goûts de Napoléon, il partit en 1805 pour Vienne, où il suscita l’admiration de Haydn et de Beethoven. L’Empereur l’y retrouva, et malgré leur mésentente, le réinstalla dans ses fonctions d’inspecteur à Paris. Ce fut alors pour Cherubini, dans le cadre d’une semi-retraite auprès de la princesse de Chimay, un retour vers la musique religieuse, interrompu, occasionnellement, par la composition d’ouvrages lyriques, dont Pygmalion (1809), écrit pour le castrat Crescentini, fort prisé de Napoléon, et les Abencérages (1813). Son unique Symphonie fut destinée à la Société philharmonique de Londres (1815). Le retour des Bourbons permit à Cherubini de connaître une nouvelle ascension : il devint surintendant de la chapelle royale en 1814, membre de l’Institut en 1815 et, enfin, directeur du Conservatoire de 1822 à l’année de sa mort ; il reçut la cravate de commandeur de la Légion d’honneur en 1842. Si l’on excepte Ali Baba (1833), refonte d’un ouvrage de jeunesse, ses trente dernières années furent dédiées à la musique religieuse (Requiem à la mémoire de Louis XVI, 1816 ; Messe pour le sacre de Louis XVIII (1819, non exécutée) ; Messe pour le sacre de Charles X (1825) ; Requiem pour voix d’hommes, 1836) et à la musique de chambre - ses six Quatuors (1814-1837), dont le deuxième (1829) est la transcription de sa Symphonie, constituent en ce domaine le sommet de la production française du temps. La musique de Cherubini est la parfaite expression d’un homme dont l’image a été malencontreusement déformée par les railleries de Berlioz, qui, pourtant, l’admirait et sut l’imiter, et par le mépris où l’ont tenu des générations d’historiens. Sous des dehors austères, Cherubini cachait une âme sensible, et, prisonnier d’une pensée classique, il se sentait égaré dans la période romantique dont il traduisit néanmoins à merveille les premiers émois. Il faut, en effet, noter que Cherubini est le seul compositeur de première grandeur à avoir été à la fois contemporain de Mozart et de Beethoven. Ses sonates pour clavier et son premier opéra précèdent Idoménée et l’installation de Mozart à Vienne, son dernier Quatuor est postérieur à ceux de Beethoven et son ultime Requiem évoque celui de Berlioz, composé à la même époque. Cherubini avait, dès sa jeunesse, mal admis le carcan du vieil opera seria, dont il avait su étoffer l’orchestre, libérer le récitatif et développer les finales ; Démophon, avec ses récitatifs chantés et sa discrète colorature, avec son impossible tentative d’unir Gluck à Mozart et l’opera seria au goût français, échoua, alors que la veine élégiaque de Cherubini s’adaptait soudain avec bonheur à un nouveau type de sensibilité française. Les sujets « idylliques » d’Élisa, des Deux Journées, de l’Hôtellerie portugaise, ainsi que les divers ouvrages écrits en collaboration avec Boieldieu, son cadet de quinze ans, semblent opérer la synthèse idéale des styles de Piccinni, de Gluck et de Grétry, mais avec un tout autre raffinement harmonique. D’autre part, Lodoiska et Faniska - qui appartiennent au genre plus ambitieux de l’« opéra héroïque », présentant une héroïne rédemptrice -, et Anacréon, écrit pour l’Opéra de Paris, offrent une parenté avec Méhul, alors que les Abencérages, ultime tentative qui emprunte encore à Gluck sa raideur et ses structures fermées, témoignent de quelque anachronisme, au lendemain de la réussite de Spontini, qui venait alors de donner à Paris la Vestale et Fernand Cortez. Médée demeure donc l’oeuvre la plus marquante de Cherubini ; elle présente en filigrane les prémices des réformes wagnériennes, par l’emploi de leitmotive (principe également utilisé par le compositeur dans d’autres opéras), par le rôle de moteur donné à l’orchestre et par son écriture vocale qui se présente souvent comme un arioso tenant du récit et de l’aria et obligeant l’interprète à de grands intervalles dans la ligne vocale, avec un appui dramatique sans précédent. Romantique malgré lui, contemporain de Rossini, mais étranger à son influence, admiré de Beethoven, Schumann, Wagner et Brahms, éduqué en Italie, Français d’adoption et honoré par l’Allemagne, Cherubini occupe un rôle éminent dans l’élaboration du romantisme musical européen. CHESTER, éditeurs britanniques. En 1860, la maison s’établit à Brighton avec une bibliothèque de prêt. À la suite de son acquisition, en 1915, par Otto Marius Kling, la maison fut transférée à Londres, et se spécialisa dans les partitions russes, puis dans la musique contemporaine étrangère. La bibliothèque de prêt continua de jouer un rôle très important. Parut ensuite un petit périodique, The Chesterian, qui se transforma en revue trimestrielle spécialisée en musique contemporaine. La maison d’édition, devenue ultérieurement une société, se spécialisa également dans la musique anglaise. CHEVALET. 1. Dans les instruments à cordes, petite pièce de bois sur laquelle sont tendues les cordes ; elle repose sur la table de l’instrument et lui transmet les vibrations des cordes ; elle est donc l’un des éléments qui déterminent la sonorité de l’instrument. Dans les instruments à cordes frottées, le chevalet, de forme découpée, possède deux pieds dont l’un est situé au-dessus de la barre et l’autre au-dessus de l’âme. Dans une partition, la mention sul ponticello (ital. : « sur le chevalet ») indique que l’exécutant doit jouer de l’archet sur la partie des cordes proche du chevalet, ce qui provoque une sonorité détimbrée assez particulière. 2. Au piano, pièce parallèle au chevillier et sur laquelle les cordes sont tendues. 3. À l’orgue, partie qui soutient les bascules de la soufflerie. CHEVILLARD (Camille), compositeur et chef d’orchestre français (Paris 1859 Chatou 1923). Fils d’un violoncelliste célèbre, Alexandre Chevillard (1811-1877), il fit des études de piano au Conservatoire de Paris, mais n’apprit jamais la composition. Pourtant, dès 1882, il écrivit un Quintette pour piano et cordes qui fut apprécié. En 1887, il fut engagé comme chef de chant par Charles Lamoureux, dont il épousa la fille l’année suivante. Il créa en 1889 la Société Beethoven pour la divulgation de la musique de chambre du maître de Bonn, à la connaissance de laquelle son père avait déjà beaucoup oeuvré. Il devint l’adjoint de Lamoureux en 1892 et lui succéda au downloadModeText.vue.download 197 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 191 pupitre de son association de concerts en 1897. Professeur d’ensemble instrumental au Conservatoire à partir de 1907, il fut nommé directeur de la musique à l’Opéra en 1914. Chef d’orchestre précis mais sensible, Camille Chevillard avait une prédilection pour Wagner, pour Liszt, pour les symphonies des romantiques allemands, et pour les Russes, dont il fut un des tout premiers en France à diriger les partitions. En revanche, il avait peu de sympathie pour la musique de ses contemporains français. Compositeur, il a surtout laissé de la musique de chambre, ainsi que des oeuvres pour piano, pour chant et piano, et quelques pièces symphoniques. CHEDIVERS. Sur les instruments à cordes et à manche (violons, luths, guitares, etc.), ainsi que sur les harpes et sur la plupart des instruments à cordes et à clavier, petite pièce cylindrique, fixée dans la tête de l’instrument, sur laquelle vient s’enrouler l’extrémité de la corde et qu’il suffit de tourner pour modifier la tension de celle-ci, de façon à obtenir l’accord désiré. Il y a donc une cheville par corde, faite ordinairement de bois, sauf sur la guitare classique pour laquelle on utilise, depuis le XIXe siècle, des chevilles métalliques à filetage. CHEVILLIER. Dans les instruments à cordes, extrémité du manche, portant les chevilles. Le chevillier des instruments à archet se termine en général par une volute parfois ornée d’une tête sculptée. Le chevillier du luth possède des caractéristiques particulières : il est totalement indépendant du manche et seulement collé à l’extrémité de celuici, avec lequel il forme un angle perpendiculaire. Cette configuration, qui remonte aux origines de l’instrument, semble avoir été rendue nécessaire surtout par le grand nombre des cordes du luth. CHEVREUILLE (Raymond), compositeur belge (Bruxelles 1901 - Montignies-leTilleul 1976). Autodidacte, puis auditeur au conservatoire de Bruxelles (classes de Minet et de Rasse), il a été, parallèlement à sa carrière de compositeur, ingénieur du son (19361959) et directeur des programmes musicaux (1956-1963) à la radio et télévision belges. D’esprit éclectique, ses oeuvres - tonales, atonales ou polytonales - témoignent d’une esthétique traditionnelle mais étran- gère à tout système, d’une grande variété de formes et d’expressions, et dont l’enthousiasme et la vitalité manquent rarement leur effet. On lui doit notamment 9 symphonies (dont une « de chambre » et une avec quatuor vocal), des concertos, des ballets dont Cendrillon (1946), la cantate Évasions (1942), le conte symphonique Barbe-Bleue (1949), l’opéra de chambre Atta Troll d’après Heine (1952), de la musique de chambre ainsi que des pièces pour piano. CHEVROTEMENT. Dans la terminologie du chant, défaut résultant d’une mauvaise coordination de l’émission vocale. Le chevrotement est un défaut fonctionnel et peut être un signe de vieillissement du chanteur. On a coutume de dire, dans le langage courant, que la voix « bouge ». CHIAVETTE (ital. chiavetta). Diminutif de « clef ». Ce nom est quelquefois donné à une clef musicale prenant la place de la clef habituelle pour éviter les lignes supplémentaires aiguës, comme le font encore aujourd’hui, par exemple, la clef de sol pour l’alto à cordes ou la clef d’ut 4e pour le violoncelle. Le principe, introduit au XVIe siècle, était de décaler d’une ligne vers le bas la hauteur du nom des notes ordinaires, dites « clefs naturelles » (chiavi naturali), ce qui faisait gagner une tierce vers l’aigu. Ainsi donna-t-on pour chiavette à la clef d’ut 1re du superius la clef de sol seconde, qui la supplanta par la suite. Au XVIe siècle, une chiavette entraînait souvent avec elle un décalage équivalent de l’ensemble des clefs, sauf éventuellement pour la basse hésitant parfois entre les deux systèmes, de sorte que l’on parle parfois de notation « haute » ou « basse », selon le groupe de clefs employées. Le système des chiavettes est à l’origine de l’adoption de la clef de sol seconde à la place de la clé de sol première pour l’écriture du clavier dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, et, par extension, à la place des clefs 1re et 3e pour les parties vocales au cours du XIXe siècle. De plus, en l’absence du diapason fixe, il incitait les chanteurs à prendre un diapason plus bas qu’avec les clefs naturelles, puisqu’il les prévenait que la tessiture écrite serait plus élevée. Symétriquement aux chiavettes aiguës, on a quelquefois essayé, pour favoriser les tessitures écrites graves, des chiavettes graves, dites chiavi trasportati (par exemple, ut 2e au lieu de ut 1re), mais leur usage est resté limité : assez curieusement, on les trouve surtout dans les musiques funèbres. Certains théoriciens modernes (Riemann) ont voulu trouver dans l’usage des chiavettes le témoignage de transpositions au sens moderne du mot ; leurs arguments n’ont généralement pas paru convaincants. CHIFFOLEAU (Yvan), violoncelliste français (Nantes 1956). Après ses études au Conservatoire de Nantes, il entre au Conservatoire de Paris dans la classe d’André Navarra, où il obtient un 1er Prix de violoncelle en 1973 et un 1er Prix de musique de chambre en 1974. Lauréat de cinq concours internationaux de 1975 à 1981 (Tchaïkovski en 1974, Rostropovitch en 1981), il commence une brillante carrière internationale, se produisant comme soliste et en formation de chambre. CHIFFRAGE. Opération qui consiste à disposer, au-dessus ou en dessous des notes d’une basse continue (continuo), des chiffres qui, en fonction d’une convention, représentent des accords. Le système fut introduit au moment de l’avènement de la monodie accompagnée en Italie, à l’aube du XVIIe siècle. Sorte de sténographie musicale, ces chiffrages s’avérèrent si pratiques au bout de quelques années qu’ils furent adoptés partout en Europe pendant toute la période de la basse continue, c’est-à-dire à partir de 1600 environ, jusqu’à la seconde moitié du XVIIIe siècle. Vers la fin de cette époque, dans la musique de J. S. Bach en particulier, les harmonies à « chiffrer » étaient devenues presque trop compliquées pour le système en usage, qui allait bientôt tomber en désuétude. CHIFFRE. Le ou les nombres qui représentent un accord dans l’opération de chiffrage d’une basse continue. On parle du chiffre d’un accord ou alors de son chiffrage. CHILD (William), organiste et compositeur anglais (Bristol. 1606 - Windsor 1697). Après avoir été reçu Bachelor of Music d’Oxford en 1631, il succéda, en 1632, à l’organiste John Mundy à la chapelle Saint-George de Windsor, tout en occupant la même position à la chapelle royale de Londres. En 1643, par suite de la dispersion des musiciens de la cour lors de la Révolution, il se retira à la campagne et s’y consacra à la composition. L’année même de la Restauration, en 1660, il reprit sa place à la cour, où il fut parmi les musiciens privés du roi, et succéda à Ferrabosco quatre ans plus tard. Sa principale publication (1639) est un recueil de vingt psaumes à trois voix, en forme d’anthems, avec basse pour orgue ou théorbe. Il a, en outre, composé un certain nombre d’anthems et de services, et des pièces pour violes et pour instruments à vent. Plusieurs de ses catches ont été publiées dans des anthologies d’Hilton et de Playford, et une partie de sa musique sacrée, dans des recueils d’Arnold et Boyce. Bien que certains traits stylistiques soient assez nouveaux pour l’époque (usage du stile concitato monteverdien, et surtout adoption généralisée du système tonal downloadModeText.vue.download 198 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 192 avec modulations bien définies), il reste un musicien d’assez bas niveau, qui évolua fort peu au cours de sa carrière. CHILDS (Barney), compositeur américain (Skopane, Washington, 1926). Docteur en lettres anglaises et professeur d’université, il a commencé de composer à vingt-trois ans, avant de travailler de 1952 à 1955 avec L. Ratner, C. Chavez et A. Copland, et enfin E. Carter. D’abord influencé par Hindemith et Chavez, il s’est intéressé ensuite à Ives, à Carter et aux mélodies traditionnelles des Indiens d’Amérique. Indifférent au goût du public, il n’a jamais utilisé la série, mais, depuis 1961, il a cultivé le son « réel » (sons indéfinis et inhabituels venant de sources dispa- rates et enregistrés au magnétophone). Il est notamment l’auteur de 2 symphonies, de concertos, de Jack’s New Bag pour 10 exécutants (1966), de The Golden Bubble (1967) pour sarrussophone, contrebasse et percussion. Dans Nonet (1967), apogée de ses recherches, chaque interprète assemble et organise sa partie avant l’exécution. CHIMENES (Myriam), musicologue française (Paris 1952). Elle a obtenu un doctorat en musicologie avec Khamma, ballet de Claude Debussy : histoire et analyse (1980). Elle est depuis 1984 conservateur du Centre de documentation Claude-Debussy, depuis 1985 membre du comité de rédaction de l’édition critique des oeuvres complètes de Claude Debussy (elle a édité à ce titre en 1988 Jeux avec Pierre Boulez) et depuis 1988 chargée de recherche au C.N.R.S. Elle a publié notamment la Princesse de Polignac et la création musicale (in la Musique et le Pouvoir, 1987), le Budget de la musique sous la IIIe République (in la Musique : du théorique au politique, 1991) et la « Nomenklatura » musicale en France sous la IIIe République : les compositeurs membres de l’Académie des beaux-arts (in Musique et médiations : le Métier, l’Instrument, l’Oreille, 1994) et édité Francis Poulenc : correspondance 1910-1963 (1994). Elle dirige depuis 1994 le Groupe de recherches sur la vie musicale en France pendant la Seconde Guerre mondiale. CHINOISE (MUSIQUE). La musique chinoise aurait été déjà florissante lorsqu’a commencé le défrichement des terres (v. - 3200). La tradition attribue à des reines et à des empereurs légendaires (confondus sans doute avec des dynasties) l’invention des principaux instruments et la création du système musical. Mais on ne dispose d’aucune source historique antérieure à la grande destruction des livres, ordonnée par l’empereur Shi Huâng Ti (- 212). En revanche, les ouvrages plus tardifs sont innombrables. Une gigantesque encyclopédie, réunie à la fin du XVIIIe siècle, contient 482 volumes sur le seul sujet de la musique ! LE SYSTÈME MUSICAL. Le système des lyu, sur lequel repose la théorie musicale, daterait du IIIe millénaire avant notre ère. Il s’agit d’une série-étalon de tuyaux sonores, qui fixe en même temps le diapason et la valeur des intervalles. Selon la légende, un nommé LingLouen aurait imaginé le principe des lyu en taillant des flûtes en roseau, chacune de longueur égale aux 2/3 de la précédente (rapport de quinte juste), mais en doublant éventuellement les longueurs pour rester dans des dimensions pratiques, comprises entre celles du premier lyu ou huângtchong et sa moitié. En prenant comme unité la longueur du premier roseau, il obtenait les valeurs suivantes : 1er roseau : 1 ; 2e roseau : 2/3 ; 3e roseau : (2/3) 2 = 4/9 ou en doublant 8/9 ; 4e roseau : 8/9 × 2/3 = 16/27, etc. Il s’arrêta au 12e roseau, car le 13e aurait eu une longueur très voisine de celle du demi-huâng-tchong (octave). La série de sons obtenus par ces lyu est l’échelle qu’engendre le « cycle des quintes « : chaque tuyau donne la quinte du précédent, ramenée dans la limite d’une octave par réduction d’octave (longueurs doublées). La dimension du premier lyu a souvent varié au cours des siècles : il donnait récemment un fa dièse (23 cm). Si on lui attribue le son do pour la commodité, les douze lyu successifs produiront les sons suivants, qui forment entre eux des intervalles ressortissant à la théorie pythagoricienne : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 (13) do sol ré la mi si fa do sol ré la mi (si) Dans l’antique tradition chinoise, les douze lyu correspondaient aux douze lunes, aux douze mois de l’année, aux douze heures de la journée chinoise. En l’an - 45, le théoricien King Fâng exposa la progression des lyu par quintes jusqu’au 60e : les douze primitifs, multipliés par le nombre des éléments. On fit même plus tard, à titre de pure spéculation, des tables où le cycle était poussé beaucoup plus loin, pour retrouver des coïncidences à d’autres cycles numériques : 666e quinte (« cycle de la bête «), 25 824e quinte (précession des équinoxes), etc. Dans la pratique, l’échelle des douze lyu suffit. Elle constitue une base musicale logique, puisqu’elle donne tous les intervalles du système et qu’à partir de la dou- zième quinte (13e lyu) on tombe dans un deuxième cycle semblable au précédent, à un comma près.(Voir schéma ci-dessous) Sous chaque note est indiquée la fraction caractéristique de l’intervalle formé avec la tonique - rapport des fréquences -, si toutes les quintes sont justes. Les intervalles entre les degrés voisins ne sont pas égaux. On distingue : -des grands demi-tons, appelés apotomes dans la terminologie pythagoricienne (2 187/2 048) ; ils sont désignés par A ; -des petits demi-tons, appelés limmas (256/243) ; ils sont désignés par L. Cette autre tion, sique série de lyu ne représente pas chose qu’une échelle de transposisans fonction mélodique, car la muchinoise n’est pas chromatique. La gamme usuelle, dite « pentaphonique «, est fondée sur les quatre premières quintes (les cinq premiers lyu). (Voir schéma page suivante) Aux sons de la gamme pentaphonique (en notes blanches) sont ajoutés deux sons (en notes noires) correspondant aux 6e et 7e lyu (cinquième et sixième quintes). Ces deux sons complémentaires ressemblent à des sensibles, dont l’emploi souligne l’importance des degrés que nous appelons tonique et dominante. Chacune des notes de cette gamme usuelle porte un nom, distinct de la nomenclature des lyu, que l’on pourra lire au-dessus de la portée. Les intervalles entre deux sons consécutifs sont toujours des tons 9/8 (T) ou des limmas 256/243 (L). Le kong, premier degré de la gamme pentaphonique, ne coïncide pas nécessairement avec le huâng-tchong : il peut se déplacer dans l’échelle des lyu, donnant naissance à des transpositions de la gamme. De plus, la finale ou tonique n’est pas toujours le kong : en la déplaçant d’un degré à l’autre de la gamme pentaphonique, on détermine différents aspects de l’octave, appelés tyao (« système «). Le tyao n’a pas le caractère d’une mode, comme le râga : il serait comparable au murchhanâ de la musique de l’Inde. Il y a 5 tyao dans chacune des douze « tonalités « définies par les lyu, soit un total de 60, correspondant aux différents mois, jours et heures. Les anciens théoriciens attribuaient aux cinq sons de la gamme des affinités mystédownloadModeText.vue.download 199 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 193 rieuses avec les 5 planètes, les 5 couleurs, les 5 éléments, etc. Enracinée dans le cycle des quintes, la musique chinoise n’utilise pas d’autre type d’échelle modale. En changer conduirait à sauter des quintes, ce qui dénaturerait le cycle. La variété mélodique s’obtient par les changements de tonique ou de tyao et par l’ornementation. Dans la musique classique, les parties procèdent normalement à l’unisson ou à l’octave. Les exceptions à cette homophonie ne participent pas d’une conscience polyphonique ; tantôt elles résultent du jeu de l’ornementation, tantôt elles consistent à à substituer la quinte à l’octave, par convenance à une meilleure tessiture vocale ou instrumentale. En revanche, le raffinement et la variété de l’instrumentation ont toujours joué un rôle fondamental ; et, à la chute de l’empire (- 1911), de nombreuses règles avaient subsisté du cérémonial compliqué qui fixait jadis les places des musiciens dans les orchestres impériaux. Les Chinois utilisent depuis fort longtemps des caractères empruntés à l’écriture ordinaire pour noter la musique, mais ne connaissent pas d’oeuvre écrite antérieure au XVIe siècle. La notation est d’ailleurs d’une imprécision remarquable et ne permet pas d’assurer la transmission fidèle d’un répertoire traditionnel. Le symbolisme confus des explications théoriques ne paraît pas plus propice à la pérénnité d’une civilisation musicale, qui date pourtant de plus de cinq mille ans ! Mais le système musical chinois est essentiellement non évolutif ; il n’a pas enregistré de progrès ni subi de mutation radicale. Il s’est seulement corrompu au contact de la civilisation occidentale. UNE MUSIQUE DE TRADITIONS. Ce qui caractérise la musique chinoise par rapport à la musique occidentale, c’est son aspect statique. Bien qu’elle ait subi diverses transformations au cours des siècles, la notion de progrès, au sens où nous l’entendons, lui est totalement étrangère. Des courants d’influence d’abord hellénistiques, puis hindous, barbares et enfin européens, l’apparition progressive de nouveaux instruments ont altéré son style de manière variée. Mais ces modifications ont été considérées dans une optique d’enrichissement et non d’évolution. La musique repose, depuis des millénaires, sur les mêmes bases philosophiques. Elle est toujours fondée sur un déterminisme astrologique et cosmologique qui règle l’organisation des sons et des modes, la classification et l’utilisation des instruments, le rituel des cérémonies, la danse, etc. Il s’est, en fait, produit au fil des temps, au lieu d’une évolution, un lent appauvrissement des traditions musicales, qui ont fini par sombrer dans un oubli presque total. Le seul apport des dernières dynasties a été l’opéra, qui a constitué, jusqu’à nos jours, l’essentiel de la vie musicale en Chine. Si la mythologie fait remonter les bases du système musical et l’invention de plusieurs instruments à des dates bien antérieures, la musique ne commence vraiment à prendre forme que sous les Tcheou (v. 1050-249 av. J.-C.). C’est sous cette dynastie que s’organise tout le rituel des cérémonies religieuses et civiles, tant à la cour qu’au temple ou dans les campagnes. C’est également l’époque des grands philosophes, Lao-Tse (v. 604-517 av. J.-C.), fondateur du taoïsme, et Confucius (554479 av. J.-C.). Ce dernier a précisé quel devait être le rôle de la musique et sa philosophie a influencé profondément la musique en Chine. Divers ouvrages conservés (Chi-king ou livre des odes et Li-ki ou livre des rites, avec un chapitre, le Yo-ki, consacré à la musique) ont permis de constater que le système théorique, inspiré de la philosophie, et la plupart des instruments étaient déjà établis à cette époque. Ts’in (249-206 av. J.-C). Ils détruisirent la plupart des écrits et des instruments. Han (206 av. J.-C.-220 apr. J.-C.). C’est une période importante dans l’histoire de la musique chinoise. Tout d’abord, le courant bouddhique venu d’Inde (61-62) se propage, amenant avec lui de nouveaux rites et instruments. La musique prend de plus en plus d’importance. On crée un ministère de la Musique, dont dépend une école, et l’orchestre est en quatre sections (religieuse, civile, de festivité et militaire), entretenant jusqu’à 829 musiciens et plusieurs centaines de danseurs. Période d’anarchie (220-618). La Chine, alors partagée en plusieurs empires, s’imprègne de divers courants extérieurs. C’est une période d’échanges actifs, et, alors qu’elle exporte ses propres musiciens en Corée et au japon, la cour chinoise ellemême entretient, en 581, sept orchestres, parmi lesquels figurent des ensembles de Corée, d’Inde, de Boukhara et de Koutcha. Tang (618-907) et Song (960-1280). C’est l’âge d’or des arts et des lettres en Chine. Les éléments traditionnels et les courants étrangers se fondent en un ensemble cohérent et homogène. La musique de cour prend une ampleur considérable et y participent les orchestres étrangers de l’époque précédente. Au VIIIe siècle, on distingue six orchestres « debout « (jouant dans la partie basse de la salle) et huit orchestres « assis « (jouant dans la partie haute), comprenant 500 à 700 exécutants, ainsi qu’un grand ensemble hors du palais. Les instrumentistes et danseurs sont recrutés parmi les élèves du premier conservatoire, le Li Yuen (ou Jardin des Poiriers), fondé en 714 et qui joue un grand rôle dans le développement du théâtre et de la danse en Chine. Les orchestres se multiplient dans les provinces et à l’armée. La production musicale s’enrichit considérablement et dans tous les domaines, mais particulièrement dans celui de la musique de chambre. La poésie contemporaine est mise en musique et on assiste au développement de la littérature pour le k’in, dont on perfectionne la technique, et du luth p’i-p’a. Yuan (1280-1368). Période mongole. C’est le début d’une lente désintégration qui se poursuit jusqu’à la fin de la dernière dynastie. Les souverains étrangers essaient, dans un but démagogique, de retrouver la tradition musicale et de rassembler les orchestres. Mais le résultat n’est qu’une imitation appauvrie ou déformée de la grandeur passée. Leur seul apport est l’introduction en Chine de nouveaux instruments. Bien que méprisé de l’élite intellectuelle, une place importante est maintenant accordée au drame musical, le Yuan-k’in (ou musique des Yuan), qui, en unissant ces trois éléments, récit, chant et pantomine, est à l’origine de l’opéra chinois moderne. Ming (1368-1644). L’intérêt suscité par la musique est maintenant purement intellectuel. C’est l’époque (1596) où le prince Tsai-yu effectue ses recherches sur la tradition musicale antique et sur le tempérament égal. Mais ses découvertes restent dans le domaine de la théorie et, à part l’opéra où la musique prend de plus en plus d’importance, les autres genres continuent à se déprécier. Ce phénomène est accentué par le début de la pénétration européenne. Tshing ou dynastie mandchoue (16441912). La situation de l’art musical est au downloadModeText.vue.download 200 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 194 plus bas. L’influence européenne s’accentue et la désintégration devient totale. La technique instrumentale se simplifie à l’extrême et l’éminente littérature du passé tombe dans l’oubli. Seule l’opéra continue à jouir d’une certaine popularité et développe différents styles régionaux. Époque moderne. Seuls subsistent des éléments traditionnels, l’opéra, dont la popularité s’est étendue à l’Occident, et la musique folklorique. La musique rituelle s’est considérablement appauvrie et, quant à la musique de cour, on n’en rencontre que quelques manifestations à la cour japonaise. le gouvernement actuel, conscient de cette situation, encourage les recherches sur la musique dynastique et les instruments traditionnels, tels le k’in ou le p’i-p’a, pour lesquels on se remet à composer (ex. : Jar Fushi ou Shyu Yuanbair pour le k’in). À la suite de la pénétration européenne, de nombreux musiciens ont été formés à l’étranger et l’influence occidentale a laissé une empreinte indélébile sur la culture musicale chinoise. les instruments occidentaux sont présents dans les orchestres et on trouve des solistes de renommée internationale (par ex. le violoniste Ma Su-tsung). Un certain nombre de compositeurs (Cheng Lu-cheng, Chang Wen-kang, etc.) écrivent des symphonies, concertos ou grandes oeuvres chorales et le répertoire traditionnel européen commence à se répandre. Les grands centres musicaux sont Pékin, Chang-hai et Canton, mais de plus en plus de villes de province créent leurs propres écoles et orchestres. LES FORMES MUSICALES. Musique rituelle. Utilisée dans les temples et à la cour, elle consiste en hymnes alliant poésie, musique et danse. Tout est minutieusement déterminé : le nombre et la place de chaque interprète, les actions de l’empereur, chaque figure de danse, la tonalité du morceau, de façon à respecter l’harmonie des lois de l’univers (points cardinaux, saisons, etc.). Les danseurs tiennent d’une main une flûte, de l’autre un bouquet de plumes de faisan. La mélodie est syllabique, en valeurs longues et régulières, en général en vers de quatre pieds, doublée des vents et des cloches à l’unisson et accompagnée d’accords au cheng (orgue à bouche) et au k’in (en accords brisés pour indiquer les subdivisions rythmiques). Harmoniquement, ces accords ne comprennent que l’octave, la quinte et la quarte. Les instruments à percussion, très importants, indiquent le début et la fin de la cérémonie, des hymnes et des vers. Musique de chambre. Elle concerne surtout la cithare ou k’in, qui fut de tout temps l’instrument de l’élite intellectuelle, et le p’i-p’a. Il s’agit soit de pièces instrumentales, soit de poésie accompagnée. Elle est de nature essentiellement mélodique et une technique très élaborée (nombreux portamenti et différents types de vibrati, par ex.) permet d’obtenir des inflections subtiles et un ensemble d’une incroyable délicatesse. Opéra. Son apparition est relativement tardive dans l’histoire de la musique chinoise, puisqu’il ne date que du XIVe siècle. À cette époque, il était divisé en deux catégories, le Tsa chü, ou style du Nord, classique et accompagne de la flûte, et le Hsi wen ou style du Sud, plus libre et accompagné du luth. C’est sous les Ming qu’il prit sa forme a peu près définitive. On interdit, à l’époque, la scène aux femmes, ce qui obligea les hommes chargés des rôles féminins à développer une voix de fausset, devenue maintenant typique de l’opéra chinois. Par suite d’une popularité grandissante au cours des deux derniers siècles, il a engendré de très nombreux styles de drames musicaux (400 environ actuellement), qui diffèrent par le genre de sujet, le rôle de la musique, l’instrumentation, le type de mélodie, etc. Le genre le plus répandu et le plus célèbre à l’étranger est l’opéra de Pékin. Il n’y a pas de mise en scène ou de décors ; ces artifices sont remplacés par des conventions de jeu, de costumes, de masques et par le mime. On continue à employer la voix de fausset pour les rôles de femmes ou de jeunes gens. L’orchestre, assez réduit (4 à 8 musiciens), est composé, d’une part, des cordes (violon erh-hu) et des vents (comme les hautbois so-na), qui accompagnent les voix, et, d’autre part, des percussions (claquettes de bois, petit tambour pan-ku), qui ponctuent les phrases et marquent la mesure. les parties chantées sont réservées à des moments privilégiés, le reste du discours se faisant dans une sorte de Sprechgesang. Musique folklorique. On la rencontre soit en ville sous forme de chansons de rue (accompagnant les processions nuptiales et funéraires), soit dans les campagnes. Dans ce dernier cas, elle est d’un intérêt considérable, car son répertoire, très ancien, est directement issu de l’antique rituel des fêtes saisonnières. Dans les deux cas, il s’agit de simples mélodies, en général pentatoniques, accompagnées de quelques instruments populaires (luths, violons, flûtes, hautbois et petit tambour). Elle a exercé une certaine influence sur la musique rituelle et la musique instrumentale. On assiste à l’heure actuelle à un regain d’intérêt pour ce qui est, en fait, le seul témoignage vivant de la culture musicale chinoise, et les éléments folkloriques constituent un aspect important des compositions modernes, tant dans le domaine de l’opéra que dans les autres domaines. La pénétration occidentale en Chine a définitivement influencé la musique de ce pays. Pour le moment, les deux styles cohabitent. Une partie des musiciens, soucieux d’authenticité, effectuent des recherches, se penchent sur la musique folklorique et les traditions populaires, et utilisent les instruments indigènes. D’autres, formés en Europe, composent des oeuvres purement occidentales (symphonies, concertos) et ont intégré les instruments de l’Ouest. Ces deux tendances, toutefois tendent à se mêler de plus en plus. Les orchestres unissent les deux types d’instruments et les compositeurs occidentalisants tirent leur matériel thématique du folklore. Enfin, le socialisme donne lui- même une certaine couleur à la musique contemporaine en fournissant thèmes et motifs aux oeuvres vocales et en encourageant la création de grandes fresques chorales et les compositions collectives. LES INSTRUMENTS. La classification chinoise des instruments repose non pas sur le mode de production du son comme en Occident, mais sur la matière qui les compose. Elle distingue donc huit classes d’instruments : pierre, métal, soie, bambou, bois, cuir, terre et gourde, associant à chacune d’entre elles une saison, un point cardinal et un élément. Par souci de clarté, les instruments sont ici regroupés d’après la tradition occidentale. idiophones. On trouve, parmi eux, les instruments les plus anciens, à savoir les lithophones et les cloches, présentés soit individuellement en série de 12 accordés sur les 12 lyu (the king pour les pierres, potchong pour les cloches), soit en carillon de 16 (pyen king et pyen tchong). Le fang est un carillon de lames d’acier. Il existe de nombreuses sortes de gongs de bronze, dont les plus courants sont le lo, le kin, le thong tyen, le tcheng et le un lo ou yun ngao (carillon de 10 petits gongs). Les cymbales, po ou thong po et les claquettes de bois (peipan) sont surtout utilisées au théâtre. Certains instruments particuliers ne se trouvent que dans les temples, tel le yu (instrument de bois sculpté en forme de tigre) et le tchou (auge de bois carrée) pour les rites confucianistes, ou le mu-yu (poisson en bois laqué) utilisé par les prêtres bouddhistes et taoïstes. membranophones. Ils se présentent sous diverses formes (tambours, tambours de basque, timbales) et nombreux sont ceux d’origine étrangère. parmi les instruments plus traditionnels, on trouve le po fou (petit tambour), le pan-kou (à l’opéra), le kyen kou (grand tambour) et le tchang kou. On remarquera, au nombre d’instruments rentrant dans ces deux catégories, l’importance accordée en Chine aux percussions. Leur rôle n’est pas seulement rythmique. Ils sont essentiels dans les cérémonies religieuses, où ils indiquent le début et la fin des chants rituels. On confiera donc souvent à un percussiondownloadModeText.vue.download 201 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 195 niste le rôle de chef d’orchestre. C’est, en outre, sur eux que s’accordent les autres instruments. aérophones. Ils sont également très anciens, puisque dérivés des tuyaux cylindriques produisant les lyu. Les flûtes sont, de loin, la classe la plus importante et la plus primitive. On trouve des flûtes droites (yo, employée seulement comme accessoire figuratif dans les pantomines), des flûtes de Pan (phai syao) et des flûtes traversières (tchhi). C’est à ce groupe qu’appartient le ti, instrument très répandu et utilisé à de nombreuses occasions. Parmi les instruments à anche, citons les hautbois (so-na, très populaire, et hwan-tseu) et, les trompettes (ta-t’ung-kyo et cha-chaio). L’ocarina chinois, le hyuen, est le seul instrument en terre cuite encore utilisé. On peut aussi inclure dans cette classe un des instruments les plus typiques de la musique chinoise, le cheng ou orgue à bouche, datant environ du XIIe siècle av. J.-C.). cordophones. L’instrument le plus typique est le k’in ou cithare à sept cordes, dont l’invention est attribuée à Fou-hi, premier souverain mythique. Sa forme, ses dimensions et les matériaux qui le composent sont tous symboliques. C’était un instrument très apprécié de l’aristocratie et pour lequel il existe une abondante littérature. Toujours parmi les cithares, on trouve le se, à 25 cordes et le tcheng (petit se de 14 cordes). Les luths les plus populaires sont le p’i-p’a (instrument court à 4 cordes), le son hyen (à 3 cordes et au manche très long) et le yueh ch’in (4 cordes et de forme lunaire). Ils accompagnent tous les trois chansons, danses et ballades. Il existe divers genres de violon dont les plus courants sont le kou khin et le erhhu, à 2 cordes (très populaire). On trouve enfin une harpe à 22 cordes, le k’ung hu, et une sorte de psaltérion, le yang-k’in, qui accompagnent aussi la musique populaire. CHION (Michel), compositeur français (Creil 1947). De 1971 à 1976, il a travaillé au Groupe de recherches musicales de Paris, comme responsable de diverses activités d’enseignement, de recherche, de radio et de publications. Parallèlement, il a composé plusieurs oeuvres électroacoustiques, la plupart axées sur des textes, et d’un style baroque et coloré : la Machine à passer le temps (1972), le Prisonnier du son (1972), Requiem (1973), On n’arrête pas le regret (1975), album nostalgique de « scènes d’enfant », Tu (1977-1981), qui aborde le thème du couple impossible, à travers des textes de Desnos et des scènes de la Flûte enchantée, et Melchisédech (1980). Travaillant, depuis 1976, indépendamment de tout groupe, Michel Chion se consacre de plus en plus à l’image, réalisant des films de court métrage, et enseignant la « mise en scène du son » au cinéma. On lui doit aussi des écrits musicologiques et théoriques, et des ouvrages sur la musique parmi lesquels Pierre Henry (1980), le Poème symphonique et la musique à programme (1993), la Symphonie à l’époque romantique (1994) et la Musique au cinéma (1995). Esprit touche-à-tout, Michel Chion s’est trouvé, sans l’avoir voulu, à l’écart d’un mouvement assez général de « restauration » des valeurs musicales traditionnellement « françaises » qui sévit dans la musique électroacoustique récente, à quelques exceptions près (bon goût, discrétion, netteté et poli du matériau, haro sur la musique « dramatique », etc.). Plutôt enclin à pratiquer la musique électroacoustique comme un « cinéma pour l’oreille » à grand spectacle, il se revendique comme un héritier de Fellini, aussi bien que de la musique de Pierre Henry ou du premier Pierre Schaeffer (celui des Orphées et de la Symphonie pour un homme seul). Dans sa production, la critique a surtout remarqué jusqu’ici son Requiem de 1973, souvent rapproché de l’univers de Jérôme Bosch. On peut y trouver en effet un condensé de ses « tendances « : recherche de l’émotion à travers le foisonnement des situations et des voix ; contrastes appuyés et montage dramatisé ; travail de la matière sonore dans ses irrégularités, son grain, son épaisseur, plutôt que pour la rendre lisse et propre ; omniprésence de la « voix humaine », utilisée en dehors des techniques traditionnelles. De 1982 date la Ronde, et de 1984 la Tentation de saint Antoine. CHITARRONE. De la famille des archiluths, le chitarrone fut l’instrument préféré du compositeur Giulio Caccini qui recommande cet instrument pour accompagner la voix dans la préface de ses Nuove musiche (1602). La caisse du chitarrone ressemble à celle du luth, mais le manche est fort allongé afin d’accommoder, à l’extérieur, des cordes graves supplémentaires, dites cordes sympathiques et accordées dans le ton du morceau à accompagner. Un autre chevillier, plus près de la caisse, comporte les cordes habituelles du luth et peut être en boyau ou en métal. Le chitarrone, souvent d’une très grande beauté et muni d’une rosace ouvragée, est apparu en Italie au cours du dernier tiers du XVIe siècle. Aujourd’hui, il est courant de faire appel à cet instrument pour le continuo des premiers opéras de l’époque baroque (l’Orfeo de Claudio Monteverdi). CHOEUR (grec choros ; lat. chorus). Ensemble de chanteurs. Dans l’Antiquité grecque, le choeur accompagnait la tragédie et la comédie ; on a trouvé sur un papyrus datant de 200 avant Jésus-Christ un fragment de choeur de la tragédie Oreste d’Euripide. Le choeur connut un nouvel essor avec la religion, surtout la religion protestante où l’ensemble de la cérémonie est chanté par les fidèles. Au Moyen Âge, les chansons populaires à l’unisson accompagnaient les danses. De nos jours, le choeur a gardé toute son importance dans la liturgie des églises chrétiennes et dans la vie scolaire. Dans l’Antiquité, ils sont à l’unisson, ou à l’octave, souvent accompagnés par l’aulos et par des percussions. Au Xe siècle, on différencie les registres d’hommes ou même d’enfants. Vers le XIIe siècle, on trouve des partitions écrites à 4 voix, l’Église prend en charge l’instruction de petits chanteurs : ce sont les « enfants de choeur », pour qui sont créées, dans chaque diocèse, des maîtrises. À la fin du XVe siècle, on écrit pour 7 ou 8 voix, et même des oeuvres pouvant être chantées par 40 voix ; suivant leur composition, on distingue : - les choeurs à voix égales, composés de plusieurs parties, mais pour des voix de tessiture semblable ; - les choeurs mixtes, comprenant des voix d’hommes, de femmes et même d’en- fants. De plus en plus, le choeur augmente son effectif, dans l’opéra et l’oratorio, aux XVIIe et XVIIIe siècle, alors que voix et instruments se groupent et forment partie intégrante de l’orchestre. De nombreux opéras du XIXe siècle et des opérettes contiennent des choeurs, qui ont même pu représenter des symboles de luttes politiques, comme certains choeurs de Verdi. Au XIXe siècle, de nombreuses associations masculines, particulièrement en Allemagne, forment des choeurs ou orphéons, pour chanter des idées patriotiques ou religieuses. Dans de nombreux grands lycées, actuellement, existent des ensembles de chant choral, généralement dirigés par le professeur d’éducation musicale. Le terme de choeur peut aussi signifier des groupes de cordes ou d’instruments de même famille qui jouent à l’unisson. CHOEUR. Appellation utilisée pour désigner un rang de deux ou trois cordes actionnées en même temps sur certains instruments à clavier (piano, clavecin) ou à cordes pincées (luth, vihuela, guitare baroque) et qui résonnent généralement à l’unisson. Toutefois, sur certains luths et sur la guitare en usage jusqu’au XVIIIe siècle, quelques choeurs comportaient deux cordes à distance d’une octave, produisant de curieux phénomènes de doublures analogues aux jeux de l’orgue. CHOEUR DE LUTH. Les cordes du luth étant groupées par deux, accordées à l’unisson ou parfois à l’octave, chaque paire est appelée choeur ou downloadModeText.vue.download 202 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 196 rang. On parle donc de luth à 4 choeurs, 6 choeurs, etc. CHOJNACKA (Élisabeth), claveciniste polonaise (Varsovie 1939). Élève de l’École supérieure de musique de Varsovie, elle y obtint son diplôme en 1962, puis étudia à Paris avec Aimée Van de Wiele. En 1968, elle remporta le premier prix au concours international de Vercelli. Spécialiste de la musique contemporaine, elle a créé en France des oeuvres de Ligeti, Donatoni, Berio et Penderecki. Des compositeurs tels que Constant, Ohana, Ferrari, Mâche, Cristobal Halffter, Donatoni, Miroglio, Jolas et Xenakis ont composé des oeuvres à son intention. CHOPIN (Frédéric Francis), compositeur et pianiste polonais (Zelazowa Wola, près de Varsovie, 1810 - Paris 1849). Son père, Nicolas Chopin, originaire de Marainville dans les Vosges, émigré en Pologne, avait épousé une parente de la famille Skarbek dont il était précepteur : Justyna Krzyzanowska. Une fille, Louise, précéda Frédéric, qui naquit le 1er mars 1810 ; deux autres filles devaient naître par la suite. UNE ENFANCE HEUREUSE ET PRÉDESTINÉE. À Varsovie, Nicolas Chopin, professeur au lycée, prend en pension des fils de propriétaires terriens, parmi lesquels Frédéric trouvera par la suite ses amitiés les plus durables : Titus Woyciechowski, les Wodzinski, Fontana, Slowaki... Au sein de sa famille, très musicienne, l’aptitude précoce de l’enfant se révèle très tôt. Premières leçons à six ans avec sa mère. Il n’aura, en fait, qu’un seul maître : Adalberg Zwyny, d’origine tchèque, qui lui communique ses deux passions : Bach et Mozart. À sept ans, il compose une Polonaise et une Marche militaire. Son premier concert à huit ans (un concerto de Gyrowetz) lui vaut d’être salué comme un « génie musical » en tant qu’interprète. Mais sa réputation s’établit aussi comme compositeur. Même engouement qu’autour de Mozart enfant. Frédéric Chopin joue devant la tzarine mère et devant le grand-duc Constantin. La cantatrice Angelica Catalani lui offre une montre en or. À douze ans, n’ayant plus rien à apprendre de Zwyny, il lui dédie une Polonaise. Cet enfant prodige est néanmoins d’un naturel très enjoué, doué pour le dessin, les imitations, le théâtre. Les vacances dans les environs lui permettent de prendre contact avec le folklore et les musiques paysannes, mazurkas, obereks, kujaviaks, et d’en imprégner son oreille. Il va ensuite au lycée, pour trois ans, jusqu’à son baccalauréat, tout en continuant de se développer pianistiquement ; étudie avec Josef Elsner l’harmonie et le contrepoint. De cette époque datent Variations sur un air allemand (1824), Rondo op. 1 (1825), Polonaise en « si » bémol min. (1826), Variations pour flûte et piano sur un thème de Rossini (1826). Puis Chopin entre au conservatoire, fondé par Elsner lui-même. Ce dernier, musicien appliqué et abondant, excellent pédagogue, saura reconnaître l’étonnante progression de son élève. L’année 1827 est particulièrement prometteuse, qui voit naître les Variations op. 2 sur « Don Juan » (publiées à Vienne trois ans plus tard, elles provoqueront chez Schumann le fameux « Chapeau bas, Messieurs, un génie ! »), la Polonaise en « ré » mineur op. 71 no 1, le Rondo à la mazurka en « la » majeur op. 5, le Nocturne en « mi » mineur op. 72 no 1 (posth.). Mais cette même année, sa jeune soeur Émilie meurt, en mars, épreuve qui le marque comme un avertissement. LES SUCCÈS DE VIRTUOSE. En 1828, un voyage à Berlin lui permet d’entendre cinq opéras, dont le Freischütz, ainsi que l’Ode pour sainte Cécile de Haendel, mais surtout renforce son désir de se perfectionner et de se faire connaître à l’étranger. « Que m’importent les louanges locales ! » Voeu qui va dans le sens du conseil d’Elsner : « Le maître qui ne sait pas se laisser dépasser par son élève est un mauvais maître. » Ses succès de virtuose lui valent d’être accueilli au château d’Antonin chez le prince Radziwill, mélomane averti et violoncelliste, à qui il dédie son Trio op. 8. C’est en cette année 1828 qu’il compose également le Rondo pour deux pianos op. 73, la Grande Fantaisie pour piano et orchestre sur des airs polonais op. 13, le Rondo « Krakowiak » op. 14, la Polonaise en « si » bémol op. 71 no 2, enfin, hommage à son maître, et dédiée à celui-ci, la Sonate en « ut » mineur op. 4. Mais la vraie nouveauté, dans cette phase brillante, se trouve du côté des deux premières Études qui marquent chez le jeune compositeur, non enivré de ses succès, un souci de la méthode et une exceptionnelle exigence au niveau de la technique transcendante, dont Paganini, venu jouer à Varsovie, lui a fourni un exemple qu’il n’oubliera plus. À Vienne, où il se rend en 1829, Chopin donne deux concerts (deux « académies musicales »). Accueilli, une fois de plus, par l’aristocratie, il rencontre Gyrowetz et Czerny. Blahetka salue en lui « un artiste de premier ordre qui tient un rang honorable à côté de Moscheles, de Herz et de Kalkbrenner ». Mais il ne gagne pas un sou. Et c’est le retour par Prague, Teplitz, Dresde et Breslau. De charmants visages de jeunes admiratrices, comme Élisa et Wanda Radziwill, éclairent ses séjours à Antonin. Premiers émois sentimentaux. Mais le sentiment qu’il éprouve pour Constance Gladkowska, jeune cantatrice, élève au conservatoire, ne trouvera d’exutoire que dans le lyrisme des deux concertos, sommets de la période varsovienne. Si cet amour, pudique et vite oublié, s’épanche librement dans le larghetto du Concerto en « fa » mineur, et plus tard, dans la romance du Concerto en « mi » mineur, seul, et par un étrange transfert, son ami préféré, Titus Woyciechowski, en reçoit la confidence. Son premier grand concert public a lieu à Varsovie le 17 mars 1830 au Théâtre national. Chopin marque une certaine déception. Mais un deuxième concert marque le triomphe du Concerto en « fa » mineur et du Rondo « Krakowiak ». LES ADIEUX À LA POLOGNE. Son départ est pourtant décidé. Varsovie est à la veille du soulèvement. Dernières vacances en famille à Zelazowa Wola. Dernier concert en Pologne, le 11 octobre 1830, avec, en première audition, le Concerto en « mi » mineur. Au cours du banquet de départ lui est remise une coupe d’argent contenant de la terre de Pologne. Adieux définitifs le 2 novembre, jour des morts. « J’ai l’impression que je pars pour mourir. » Vienne de nouveau. Une semaine après son arrivée, éclate l’insurrection de Varsovie. Son père lui écrit de ne pas rentrer. Ce second séjour est un échec complet. L’Autriche n’est guère favorable aux révolutions. Chopin ne réussira même pas à se faire éditer. « Ils n’impriment que du Strauss. » Confondue avec le souvenir de sa patrie blessée, l’image de Constance l’obsède. Il l’imagine aux prises avec les cosaques. Le Scherzo en « si » mineur op. 20 exprime son angoisse, une nuit dans la cathédrale Saint-Étienne, son souci pour les siens, le regret de ne pas participer à la lutte. Il quitte Vienne pour Munich où il donne un concert dans la salle de la Société philharmonique. Les compliments vont au virtuose. C’est à Stuttgart qu’il apprend la capitulation de Varsovie (18 sept.). Les pages de son Journal de Stuttgart expriment son désespoir et un désir d’anéantissement, qui ne sont pas sans rappeler le Testament d’Heiligenstadt de Beethoven muré dans sa surdité et sa souffrance. Comme le Scherzo en « si » mineur, l’Étude en « ut » mineur op. 10 no 12, dite la Révolutionnaire, traduit ce climat de tension visionnaire et apocalyptique, dont la littérature pianistique n’offre alors aucun autre exemple semblable. Sans doute estce la première fois que la musique et le génie d’un musicien se mettent ainsi directement au service d’une nation meurtrie par l’oppression. LA CONQUÊTE DE PARIS. Chopin ne réussit à obtenir qu’un passeport pour Londres portant la mention « passant par Paris ». Il y arrive à l’automne 1831 et s’y installe au 27, boulevard PoisdownloadModeText.vue.download 203 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 197 sonnière. Coup de foudre pour cette ville qui a pris parti pour la Pologne. « Le plus beau des mondes », « Paris répond à tous les désirs », écrit-il à Titus. Enfin et surtout, Paris est, à ce moment, la capitale de la musique. « J’ai trouvé dans cette ville les premiers musiciens et le premier opéra du monde. » Il s’enthousiasme pour la voix de la Malibran. Paër le présente à Rossini, à Cherubini et à Kalkbrenner. Ce dernier lui dit qu’il joue « dans le style de Cramer, mais avec le toucher de Field » et lui offre de le faire travailler pendant trois ans. À Varsovie, la famille s’insurge contre ce jugement : Frédéric ne risque-t-il pas de perdre son originalité, ce qu’il doit au sol natal, au contact de ce prétentieux qui s’est permis de corriger le Concerto en « mi « ? Ce qu’on craint surtout de ce côté, c’est que, « au lieu de s’immortaliser par des opéras » - Elsner appelait de ses voeux la naissance d’un style national polonais dans l’opéra -, il se consacre uniquement au piano. Par Kalkbrenner, Chopin fait la connaissance de Camille Pleyel, dont il défendra la marque et qui le fournira en instruments jusqu’à la fin de sa vie. C’est dans les salons Pleyel qu’en février 1832 il donne son premier concert parisien. Liszt, Hiller, Berlioz, le chanteur Nourrit, le violoncelliste Franchomme (dont il écoute les conseils pour son Grand Duo concertant pour piano et violoncelle sur des thèmes de Robert le Diable), Heine, Mendelssohn sont devenus ses amis. Si ce premier concert couvre à peine les frais, Fétis discerne dans la musique du nouveau venu « une abondance d’idées originales » et prévoit d’emblée « la profonde influence » que les formes ainsi proposées sont destinées à exercer « sur les données futures des oeuvres écrites pour le piano ». Rare intuition critique. Chopin, pour lors surtout accueilli dans les salons polonais (le prince Czartoryski, chef de l’émigration, et le comte Plater), ne vit que grâce à l’aide paternelle. Le choléra (été 1832) vide Paris. Chopin songe à repartir. Peut-être l’Amérique ? Valentin Radziwill, rencontré par hasard, l’emmène chez le baron James de Rothschild. Il conquiert son auditoire. Le voilà lancé. Libéré de l’obligation des concerts, il donnera des leçons, environ quatre heures par jour. Dans ce milieu qui fait les réputations, il est l’événement de la saison. Il fera plus qu’y trouver un moyen de vivre, il y trouvera de fidèles admiratrices, souvent bonnes musiciennes, et qui seront d’excellentes propagatrices de son oeuvre et de sa « méthode ». Cette période mondaine fait de lui un des artistes les plus recherchés de la capitale. « Si j’étais plus sot que je ne suis, je me croirais à l’apogée de ma carrière. » Il loge au 5, rue de la Chaussée-d’Antin, dans un appartement meublé avec raffinement, s’habille chez les meilleurs faiseurs, fréquente les lieux à la mode, a un cabriolet. De Varsovie, il reçoit des conseils d’économie. Ainsi, aux antipodes d’un Liszt, trouvet-il un équilibre matériel compatible avec son mode de création. Si, en dix-huit années de vie parisienne, il se produit dans dix-neuf concerts, en fait, il ne jouera en soliste que quatre fois seulement. « Tu ne saurais croire, écrivait-il déjà à Titus avant de quitter la Pologne, quel martyre c’est pour moi, durant trois jours, avant de jouer en public. » Tout en lui - et sa musique même - refuse les grandes extériorisations habituelles. Berlioz écrit qu’il exécute ses Mazurkas « comme pour un concert de sylphes et de follets »... « au superlatif du piano » et l’appelle « le Trilby des pianistes ». Nullement grisé par ces succès mondains, Chopin achève et publie, entre 1832 et 1834, les douze Études de l’opus 10 dédiées à Liszt, 6 Nocturnes de l’opus 9 et de l’opus 15 (où les happy few conviés à certaines soirées reconnaissent « la note bleue » qui a tant fait pour fixer une certaine image mélancolique et aristocratique de son inspiration), les Variations sur le thème de Ludovic Halévy, Je vends des scapulaires op. 12, la Grande Fantaisie sur des airs polonais op. 13, le Rondo « Krakowiak » op. 14, le Rondo en « mi » bémol majeur op. 16, Quatre Mazurkas op. 17, la Grande Valse en « si » bémol majeur op. 18 et le Boléro en « do » majeur op. 19, composé à Varsovie sur une proposition rythmique de la Muette de Portici d’Auber et publié cette fois sous le titre, surprenant chez Chopin, de Souvenir d’Andalousie. La diffusion rapide de ces oeuvres, en France et à l’étranger, est soulignée par la Revue musicale comme « un phénomène inexplicable ». Rarement l’histoire de la musique a retenu une accession aussi immédiate à la célébrité. Même si Chopin se défie de certaines interprétations, Liszt, Kalkbrenner, Hiller, Osborne, Stamaty, Clara Wieck contribuent largement à le faire connaître. Sept cahiers de compositions paraissent, entre 1832 et 1835. Ses éditeurs sont Schlesinger pour la France, Wessel pour l’Angleterre, Breitkopf et Härtel pour l’Allemagne. UN PÉNIBLE ÉPISODE SENTIMENTAL. Le deuxième volet de sa vie sentimentale est celui de Maria Wodzinska, soeur de deux jeunes gens qui ont été autrefois en pension chez ses parents à Varsovie. Au retour d’un voyage à Aix-la-Chapelle, au printemps 1834, et d’une descente du Rhin avec Mendelssohn, Chopin est invité par la comtesse Wodzinska à se rendre à Genève. Pendant l’hiver 1834-35, il donne plusieurs concerts à Paris. L’un dirigé par Berlioz, l’autre avec Liszt. En février, Salle Érard. En mars, chez Pleyel. Aux Italiens, au profit des Polonais, avec Nourrit et Falcon. En avril, au Conservatoire où l’Andante spianato est vivement applaudi. Chopin est à ce moment en excellente forme physique. « Il n’y a que le regret du pays qui le consume », note son ami Orlowski. Ce même hiver, il rencontre Bellini, lequel meurt quelques mois plus tard. À Karlsbad, pour la première fois depuis la séparation, Frédéric retrouve ses parents. « Notre joie est indescriptible... » Ceux-ci repartent pour la Pologne. Chopin ne les reverra plus. À Dresde, il rejoint les Wodzinski et Maria. En la quittant, il recopie pour elle la Valse op. 69 no 1, dite de l’Adieu, composée à cette époque, mais non point, contrairement à la légende, pour cette circonstance. À Leipzig, il voit Mendelssohn et les Wieck, écoute Clara. Il est de retour à Paris en octobre 1835. Période de dépression. Le bruit court qu’il crache le sang. Le Courrier de Varsovie annonce même sa mort. Ce qui ne l’empêche pas de composer plusieurs Mazurkas de l’opus 24 et de l’opus 67, les Polonaises de l’opus 26, d’achever la première Ballade, de composer deux Nocturnes de l’opus 27 et trois Valses (op. 69 no 1, op. 70 no 1, op. 34 no 1). En avril 1836, concert Salle Érard avec Liszt qui soulève l’enthousiasme en jouant les Études. En juillet, Chopin rejoint les Wodzinski, à Marienbad cette fois, et demande la main de Maria. Les fiançailles doivent rester secrètes, exige la comtesse ; ce qui donnera à Frédéric le temps de se soigner. Il repasse par Leipzig et joue à Schumann sa Ballade. Les Wodzinski ont regagné Sluzewo en Pologne. Vainement Chopin attendra de voir se confirmer ses espoirs. À la fin de l’automne 1836, chez Liszt et Marie d’Agoult à l’hôtel de France, première rencontre, plutôt négative des deux côtés, avec George Sand. « Qu’elle est antipathique, cette Sand ! » confie Frédéric à Hiller. « Et est-ce bien une femme ? J’arrive à en douter. » Ils se reverront pourtant un peu plus tard, chez Chopin cette fois, rue de la Chaussée-d’Antin, lors d’une soirée pendant laquelle Liszt et Chopin joueront à quatre mains la Sonate en « mi » bémol de Moscheles. Sand invite Chopin à venir à Nohant avec Franz Liszt et Marie d’Agoult. Mais alors qu’il attend toujours un signe de Maria, il préfère accompagner à Londres Camille Pleyel au cours de l’été 1837. Les Wodzinski, cet été-là, restent en Pologne. Ainsi s’achève ce pénible épisode sentimental. LA PÉRIODE DE LA MATURITÉ. Revenu de Londres, Chopin retrouve ses élèves et ses leçons. En octobre 1837, paraît le second cahier des Études op. 25, dédié à Marie d’Agoult. Il commence à travaildownloadModeText.vue.download 204 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 198 ler aux Préludes, où se retrouveront ses trois qualités essentielles : passion, lucidité, concision. C’est une fois de plus le tribut payé à Bach dont « la structure de l’oeuvre, écrit-il, ressemble à ces figures géométriques parfaitement dessinées, dans lesquelles tout est à sa place, aucune ligne n’est de trop ». Compositions « d’un ordre tout à fait à part », notera Liszt, et qui, en dépit du titre, n’introduisent à rien d’autre qu’à un inventaire complet de toutes les incitations créatrices, de toutes les alternances qui construisent la personnalité de l’homme et du musicien. En février 1838, Chopin joue devant Louis-Philippe et, le mois suivant, donne deux concerts à Rouen, le second, à l’appel d’Orlowski, au profit de ses compatriotes polonais. Ce qui lui vaut, de la part de Legouvé dans la Gazette musicale, des encouragements à se produire plus souvent en public. « Si, désormais, on se demande encore quel est le plus grand pianiste du monde, de Thalberg ou de Liszt, le monde répondra à ceux qui t’ont entendu : Chopin ! » Autre signe de cette gloire « phénoménale », la visite que lui rend le virtuose qu’il a le plus admiré : Paganini. Il ne quitte pas Paris, cet été-là. George vient le voir de Nohant. Finalement, elle brusque les choses : « Loin de moi les forts !... J’ai besoin de nourrir cette maternelle sollicitude qui s’est habituée à veiller sur un être souffrant et fatigué. » Thème constamment repris par elle au cours de ses apologies successives. Leur liaison va durer neuf ans. Leur intimité peut-être seulement quelques mois. À la recherche d’un climat doux pour l’hiver, ils choisissent Majorque. Ils y arrivent en pleine saison des pluies et vont s’installer, à trois lieues de Palma, à la chartreuse de Valdemosa. Chopin recommence à tousser. Dans ces immenses couloirs, il se croit poursuivi par des fantômes. Sur le piano envoyé par Pleyel, il travaille sans discontinuer et achève les Préludes qu’il expédie le 12 janvier 1839 à son ami et ancien condisciple de Varsovie, le pianiste Julian Fontana, qui lui servait, à cette époque, de secrétaire et de copiste. Il lui annonce l’envoi prochain d’une Ballade (la deuxième, qui sera dédiée à Schumann pour le remercier de lui avoir dédié ses Kreisleriana), de deux Polonaises (en la majeur et en do mineur), ainsi que du troisième Scherzo. La Mazurka en « mi » mineur op. 41 no 2, les deux Nocturnes de l’opus 37 (sol mineur et sol majeur), enfin l’esquisse de la Sonate en « si » bémol mineur, dite Funèbre, appartiennent aussi à cette période. Cernés par l’hostilité de la population, une atmosphère quelque peu fantasmatique et surtout un climat qui ne convient guère à un malade, ils quittent les lieux le 12 février. À Palma, Chopin a une hémoptysie. À Marseille, ils assistent au service religieux pour l’enterrement du célèbre ténor Adolphe Nourrit, qui s’est suicidé à Naples. Bref séjour à Gênes. Et, le 22 mai, c’est le départ pour Nohant. La liaison de Chopin et de Sand aura désormais un caractère conjugal : stabilité, imperméabilité réciproque, récriminations et jalousies, mais accord implicite. Entre George et ses enfants, Maurice et Solange, Chopin aura l’illusion d’un foyer. Ces huit années correspondent à celles de sa maturité et c’est à Nohant, pendant ces longs étés, qu’il composera désormais. Pendant le premier été dans le Berry, il procède à la révision de l’édition française des oeuvres complètes de Bach, achève la Sonate en « si » bémol mineur, les Nocturnes de l’opus 37 et les Mazurkas de l’opus 41. Revenu à Paris, Chopin s’installe rue Tronchet. L’année suivante, il rejoindra George et les enfants rue Pigalle. Avec Moscheles, qu’il vient de rencontrer chez le banquier Léo, il est invité à jouer à Saint-Cloud devant la famille royale. Le salon de George voit se mêler artistes et gens du monde. Chopin continue à enseigner et travaille. Troisième Ballade op. 47, deux Nocturnes op. 48, la Tarentelle op. 43 - pour ce morceau, s’est-il souvenu de Gênes ? Plutôt de Liszt et de Rossini. Le 26 avril 1841, concert très brillant et mondain chez Pleyel. La chanteuse Pauline Viardot vient cet été-là à Nohant. Chopin se sent complètement assimilé à sa nouvelle famille. « Calme et serein, écrit-il, comme un bébé au maillot. » Nouveau concert chez Pleyel, l’hiver suivant (février 1842), avec Pauline Viardot et Franchomme, qui bientôt remplacera Fontana, parti pour l’Amérique, dans ses fonctions de factotum. Le même soir que ce concert, meurt à Varsovie le vieux Zwyny. Deux mois plus tard, Jas Matuszinski, camarade d’enfance avec qui Chopin a longtemps cohabité, succombe à la suite d’hémoptysies répétées. George se hâte d’emmener Chopin à Nohant où Delacroix fera un long séjour. Entre les deux hommes est née une profonde amitié. Mais si le musicien reste étranger au génie du peintre, fermé à toute discussion esthétique, Delacroix le situe d’emblée à la place que lui accordera la postérité. « C’est l’artiste le plus vrai que j’aie rencontré. » Cette année 1842 voit naître la quatrième Ballade qui, évoluant vers la fantaisie, tendant vers le style polyphonique, est la plus dense, la plus prémonitoire : « géniale improvisation stylisée » où Cortot découvre « les accents précurseurs de l’impressionnisme ». Le quatrième Scherzo, également contemporain, tout de lumière et de poésie, semble faire éclater lui aussi le cadre que Chopin s’est fixé au départ. Revenus à Paris, Sand et Chopin s’installent aux nos 5 et 9, square d’Orléans : « petite Athènes » où logent déjà Alexandre Dumas, Pauline Viardot et la comtesse Marliani. Tous n’ont qu’une cour à traverser pour se rendre les uns chez les autres. L’année 1843 voit paraître, éditées en 1844, trois Mazurkas op. 56, deux Nocturnes op. 55. Nicolas Chopin meurt à Varsovie le 3 mai 1844, coup terrible pour Frédéric. Sa soeur Louise et son beau-frère viennent faire un séjour à Nohant. C’est l’année de la Sonate en « si » mineur op. 58 et de la Berceuse op. 57. Au contact des siens, Chopin a retrouvé des forces. Il continue de vivre sous la protection de George, qui, pour sauvegarder les apparences, a toujours affecté de jouer les gardes-malades. « UNE MYSTÉRIEUSE APOTHÉOSE ». Sur le plan de la création, et alors qu’il approche de la fin, Chopin est déjà entré dans cette phase où, échappant à l’anxiété et aux fantasmes morbides, il se tourne paradoxalement vers la joie et la lumière méditerranéennes. Et c’est, l’année suivante (1845), la merveilleuse Barcarolle, qui unit au thème ondin le chant du timonier et le balancement des eaux du Switez. La brisure de l’accord initial dans un lumineux ruissellement annonce Debussy. « Le Nocturne tristanesque ne nous révélera pas d’élans plus passionnés, d’inflexions plus tendres... », note Cortot. Et Ravel de même, après avoir salué « le thème en tierces, souple et délicat, constamment revêtu d’harmonies éblouissantes », voit là « une mystérieuse apothéose ». Beaucoup plus que le testament d’une vie et d’une expérience créatrice, c’est une ouverture vers l’avenir. Cette même liberté formelle qui fait sortir Chopin du cadre qu’il s’est fixé pour la ballade ou le scherzo - en fait de toutes les formes utilisées par lui - et déboucher sur la fantaisie, apparaît de même dans l’étonnante liberté (le titre indique bien cette évolution à partir de l’incitation rythmique originale) de la Polonaise-Fantaisie op. 61 en la bémol majeur terminée l’année suivante. Durant cette année 1846, Chopin, qui depuis des années n’a rien écrit que pour le piano, revient à la musique de chambre avec la Sonate pour violoncelle et piano op. 65. Il compose aussi les deux Nocturnes de l’opus 62. Son oeuvre n’est pas tout à fait terminée, mais il a dit l’essentiel. Et bien au-delà de la « petite note bleue ». Il y aura encore, l’année suivante (1847), et presque comme un retour du passé, les trois Valses de l’opus 64, fixant la perfection du modèle ; les trois Mazurkas de l’opus 63. Il achèvera aussi les dix-sept Chants polonais op. 74, publiés après sa mort par Fontana. Encore une Valse en 1848, et, en 1849, la dernière downloadModeText.vue.download 205 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 199 Mazurka op. 68 no 4, oeuvre ultime. Mais l’élan créateur est désormais cassé depuis sa rupture avec Sand (août 1847). Faut-il en trouver la raison dans les démêlés autour du mariage de Solange avec le sculpteur Clésinger ? Ou bien dans des divergences de tempérament, accrues chez Sand alors qu’elle aborde sa phase militante et se tourne vers le socialisme ? Chopin a toujours fui, chez George, certains invités : Arago, Edgar Quinet, Louis Blanc. « Étranger à mes idées..., dira Sand, il ne comprenait que ce qui était identique à lui-même. » La mésentente des enfants de George a certainement précipité la rupture. L’été 1847, pour la première fois depuis Majorque, Chopin n’est pas invité à Nohant. Se brise cette illusion familiale qui lui est devenue nécessaire pour vivre et pour travailler. Dernier concert parisien chez Pleyel le 16 février 1848. Une dernière fois, Chopin parvient à divulguer à ce public qui s’est arraché les billets « le mystère d’une exécution qui n’a pas d’analogue dans notre région terrestre » (Gazette musicale). La chute de Louis-Philippe empêche le second concert d’avoir lieu, le prive de ses élèves partis en province et, donc, de ses ressources. Un voyage en Angleterre et en Écosse n’est qu’un recours désespéré qui ne peut que hâter sa fin. Les concerts sont épuisants pour lui, malgré l’accueil qu’il reçoit en général. Il rentre à Paris le 24 novembre 1848. D’abord installé à Chaillot pour éviter l’épidémie de choléra, il admire de loin le panorama de la capitale. Défilé inces- sant d’amis et d’admiratrices. Il se décide à appeler sa soeur. Louise arrive le 8 août. On le transporte en septembre, au 12, place Vendôme, côté soleil. Il meurt le 17 octobre 1849. UN « GÉNIE MUSICAL » RECONNU. Salué « génie musical » à huit ans, Chopin est né sous le signe de la précocité et d’une reconnaissance quasi immédiate de ses dons de pianiste et de compositeur, les deux étant liés. Quittant Varsovie à vingt ans, il a déjà écrit ses deux concertos et s’apprête à réinventer musicalement une Pologne qu’il vient de perdre définitivement. En fait, il invente tout : lui-même, ses sources, et, en partie, le piano. Un instrument qu’on entendait pour la première fois avec cette multiplicité de nuances et de timbres et qui se révélait à travers lui. En même temps, dès ses premières oeuvres, se révèlent une voix intérieure, une exigence méthodique, un style qui déjà lui appartiennent en propre. D’autres se laisseront attirer par les grands développements thématiques et orchestraux, l’opéra ou le poème symphonique ; Chopin, dès le départ, sait que sa mesure exige à la fois un cadre plus limité, mais répondant aussi pour chaque morceau à une incitation immédiate et dominante. Il ne se réfère pas à des formes établies, mais cherche dans celles-ci une invitation thématique ou un support rythmique. Valses, Préludes, ou Mazurkas restent les éléments d’un vocabulaire qu’il utilise sans contrainte dans le cadre d’une invention strictement contrôlée. C’est cette personnalisation transcendante du style, cette variété de l’inspiration, ce sens de la nuance, cette fluidité du jeu, cette liberté tonale qui ont tant frappé ses contemporains, aussi bien Schumann, Berlioz ou Liszt que la critique en général. Sous leur plume, le mot génie quand il s’applique à Chopin désigne et rend indiscernables les deux aspects de la révélation qu’il représente : une musique entièrement originale dans des formes nouvelles ou renouvelées (scherzo, prélude, sonate, etc.), une musique puisant idéalement aux sources d’un folklore largement réinventé, enfin, à travers celle-ci, une écoute absolument neuve de l’instrument. Si cette admiration lui est acquise dès ses premiers contacts avec les autres musiciens, elle ne l’amène pas pour autant à se départir d’une certaine réserve. Les concerts le rebutent et les manifestations d’un vaste auditoire l’effraient plus qu’elles ne le rassurent. Chopin ne se conçoit pas comme un improvisateur sur des thèmes lancés par la salle. Là encore, il sait choisir sa mesure : un cadre assez restreint - élèves, amis, admiratrices dévouées -, cellule d’un culte appelé à toucher très vite d’autres milieux. Ce choix initial d’une élite, d’une aristocratie ouverte à la musique, a sans doute été pour lui à l’origine d’un malentendu qui s’est maintenu par la suite, du fait d’interprètes mineurs ou débutants alanguissant à plaisir la phrase et le rythme. Chopin n’a pas à être lavé du reproche d’être un musicien de salon, ou voué au morbide et aux évanescences. L’oeuvre, même quand elle paraît relativement accessible, reste d’un niveau transcendant et échappe aux apprentissages et même aux aptitudes moyennes. Trahie dès que le côté brillant ou nostalgique de certaines pages est trop souligné, elle exige de l’interprète cette suprême maîtrise, cette totale intelligence du texte, enfin ce complet équilibre entre la virtuosité et l’inspiration, seul capable, comme Chopin lui-même l’a indiqué, de réconcilier « les savants et les sensibles ». Aux antipodes de la facilité et de l’épanchement, cet extrême raffinement, ces fluctuations de la tonalité, ces dissonances, ces alternances dynamiques, ces ruptures d’accords arpégés, ces délicates parures entraînées par ce jeu coulé amènent une sorte de transparence, de luminosité impressionniste, qui font de lui un jalon essentiel et l’ancêtre direct de Claude Debussy. Encore ne faut-il pas oublier que la véritable nature du musicien est tout entière dans ces alternances dynamiques, entre la sérénité et de soudains déchaînements de violence, entre la pudeur, le repli sur soi et de soudaines révoltes créant tout à coup une sorte de climat visionnaire, de sursaut épique. Génie multiple à la mesure d’une sensibilité riche, diverse, angoissée, mais allant au-delà de ses fantasmes, de ses drames personnels et capable d’inscrire au côté de ceux-ci le drame de son peuple luttant contre l’oppression. Chopin est le premier compositeur de son niveau à s’être voué uniquement au piano, révélant - et d’abord aux virtuoses de son temps - une technique brimant les usages de l’époque, un jeu « en souplesse » plutôt que « en force », des attaques, des intervalles vertigineux, une mobilité de la main, une éducation du doigté qui introduit l’intelligence et la sensibilité dans le pur mécanisme, une rapidité foudroyante du trait, un usage conjugué des deux pédales, le tout concourant à la complète maîtrise du clavier et de l’instrument. Si, compositeur, Chopin donne à tout ce qu’il produit de solides bases harmoniques, enferme l’apparente improvisation dans un réseau d’indications d’une netteté voulue, il a certainement rêvé d’une « méthode des méthodes », rassemblant l’essentiel de son enseignement. Plus exemplaire que réellement pédagogue, il s’en est tenu à une dizaine de pages, assez persuadé, on peut le penser, que l’expérience essentielle du pianiste était incluse dans sa musique, et plus valablement que dans un traité. Au coeur de ce qu’on a souvent appelé le « secret de Chopin », l’emploi du rubato, cette liberté de mouvement comportant l’altération du temps dans certains passages afin de souligner l’expression. C’est une erreur à coup sûr d’affirmer comme Berlioz : « Chopin supportait mal le frein de la mesure ; il a poussé beaucoup trop loin, selon moi, l’indépendance rythmique. » L’exigence de celui-ci est toute différente. Temps dérobé, mesure souple (en général à la main droite), le rubato donne à la phrase mélodique dans la partie chantante un accent de terroir en soulignant l’expression. Mais lui-même, dans une formule célèbre, limite les risques d’une interprétation trop poussée d’une telle licence : « Que votre main gauche soit votre maître de chapelle et garde toujours la mesure », dit-il à Georges Mathias. Ainsi, quelle que soit la nature du sentiment qui l’amène à la création, tout s’équilibre chez Chopin autour des exigences rationnelles et dans une complexe alchimie. Son coup de génie, c’est d’avoir eu, à dix-neuf ans, la révélation de cette exigence à la fois méthodique et transcendownloadModeText.vue.download 206 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 200 dante en composant sa première Étude, après avoir entendu Paganini et par référence à Bach, son musicien préféré avec Mozart. Et aussi, en opérant ce choix essentiel, en dehors de tout programme anecdotique : « La musique et la musique seule. » Un sensible, oui, mais comme peut l’être un très grand poète : à partir d’un langage original, entièrement dominé, et aussitôt identifiable. Chopin est, en plein romantisme, tant par son caractère, ses goûts littéraires et artistiques, tourné vers le XVIIIe siècle. Par ses réticences personnelles face à certains témoins de son temps, il est, sinon un classique, du moins un être cultivant l’intériorité, étranger à tous les messianismes, à tous les déballages prophétiques. Le premier musicien, à coup sûr, à avoir exprimé de façon persuasive son identité personnelle. Ce pudique ne nous parle que de lui-même. Dans ces alternances de passion et d’exigence formelle qui forment la structure de presque chaque morceau, il dessine peu à peu, par touches successives, son paysage intérieur. S’il ne refuse pas le développement, le style rhapsodique, la variation, il ne se soumet jamais à la musique à programme. Ses plus intenses intuitions, Chopin les livre de façon concise, sans se répéter, tantôt dans une sorte de sursaut, tantôt sous le couvert du secret et de l’énigme. Beaucoup s’y sont trompés : sous le masque du sylphe, Chopin lui aussi écrivait « la musique de l’avenir », et, après lui, le piano n’a plus été ce qu’il était avant lui. Le cantabile si caractéristique de sa mélodie permet-il de parler de son italianisme ? On sait qu’il recommandait à ses élèves d’utiliser le chant et que d’autre part il était passionné d’opéra et a eu des contacts avec les plus grands chanteurs de son temps. Une certaine plénitude du phrasé mélodique, l’accent direct et pathétique de certains thèmes peuvent évoquer le style vocal, mais, si l’influence n’est pas à récuser, il est évident que son « italianisme » subit lui aussi une complète métamorphose et que la version qu’il nous en donne est spécifiquement instrumentale. Même métamorphose d’ailleurs pour la Barcarolle. Chopin ne réussit jamais à être autre chose que lui-même. En revanche, la « mélodie natale », ce mélange de nostalgie slave (le zal) et de bravoure patriotique, est chez lui constamment présente. Mais cet apport lui aussi se trouve transfiguré, « personnalisé », même dans les mazurkas où la référence est directe au plan de l’émotion et de l’intention poétique, exceptionnellement au plan de la citation. Chopin procède moins par réminiscence que par analogie, la « mélodie natale » n’étant jamais plus vraie chez lui que lorsqu’il l’invente. De même, jamais avant lui la polonaise n’a été traversée par ce souffle de révolte et n’a été, pour ceux qui la dansaient, ce poème visionnaire. Néanmoins, ces citations, imaginaires pour la plupart, font pour la première fois entrer le folklore musical dans le cycle des nationalités et de la lutte des peuples pour leur libération. Il reste que ce choix thématique (cette réinvention plutôt) n’a aucun caractère scientifique ou documentaire. Indépendamment du besoin qu’éprouvait Chopin de se maintenir ainsi en contact avec les siens et de faire preuve de fidélité patriotique, ce choix va dans le sens de la mobilité rythmique et de la liberté tonale, et c’est là une recherche qui sera poursuivie de façon plus poussée par la suite par d’autres musiciens à la recherche soit de leur identité propre, soit d’une identité régionale. LE PHÉNOMÈNE CHOPIN. Si l’on considère maintenant l’extraordinaire postérité de Chopin en regard de la triple revendication de celui-ci - choix du piano contre la collectivité orchestrale, choix des petites formes contre l’opéra ou la symphonie, choix enfin d’un cercle restreint de fidèles et d’admirateurs -, on ne pourra que s’étonner de l’éclatement de ce cadre volontairement limité et de la diffusion toujours plus grande de l’oeuvre. Pas de traversée du désert pour cette dernière, pas de retombée de cet engouement audelà des images légendaires du musicien agonisant, qu’on peut tenir désormais pour anecdotiques et marginales. Ce qui frappe aujourd’hui, quand on examine le phénomène Chopin dans le monde, dégagé d’un certain contexte morbide passé à l’arrière-plan, c’est son extrême vitalité. Point tant parce que la Pologne a fait de Chopin un héros national, mais parce qu’il reste, au plus haut niveau, par ses oeuvres, une sorte de test, aussi bien pour les jeunes virtuoses au début de leur carrière et voulant se situer sur la scène internationale que pour les gloires confirmées du clavier, lesquelles, d’une génération à l’autre, se sont transmis le flambeau. De Liszt à Anton Rubinstein et à Paderewski, de Cortot à Horowitz et à Lipatti, Chopin n’a jamais cessé d’être servi, en effet, par les plus grands interprètes. Il reste encore à travers le monde un des musiciens les plus joués en concert. Et, bien entendu, un des plus enregistrés. Au catalogue des grandes gravures historiques, un ensemble d’intégrales monumentales permet non seulement de comparer au plus haut niveau des interprétations remarquables, souvent opposées (Claudio Arrau ou Horowitz), mais également de faire apparaître la diversité, l’énorme pouvoir de renouvellement de l’oeuvre. L’attrait que cette oeuvre exerce sur le public et sur les jeunes pianistes apparaît dans l’intérêt international soulevé depuis 1927 par le concours Chopin de Varsovie. Pour l’année 1980, le nombre de demandes d’admission, venant de 21 pays, a dépassé 200 candidats : 171 ont été retenues parmi ces très nombreuses demandes. Si Bayreuth ou Salzbourg contribuent à maintenir le culte d’une oeuvre donnée au niveau de la perfection en recourant pour chaque festival à des interprètes déjà mondialement reconnus et confirmés, le concours de Varsovie, en fixant la limite d’âge à 32 ans, s’emploie à unir le prestige et la défense de l’oeuvre de Chopin en révélant de nouveaux talents dans une compétition largement internationale, véritable compétition olympique dans le domaine du piano. Des noms comme celui de Chostakovitch, d’Uninski, de Malcuzinski, avantguerre, et, plus récemment, d’Harasiewiecz, d’Ashkenazy, de Pollini, de Marta Argerich et de Zimmermann suffisent à en souligner l’importance et l’impulsion qu’il peut donner à un jeune virtuose. Longtemps la prééminence des Russes et des Polonais a semblé être la règle. La compétition est de plus en plus ouverte, et l’apparition de l’Iran et de la Chine, mais, surtout, la percée des pia- nistes japonais prouvent à quel point le phénomène Chopin échappe aux limites culturelles du monde occidental. L’écho de cette oeuvre et de cette grande voix intérieure a trouvé sa vraie dimension audelà des limites que peut-être l’artiste a désirées et qu’il jugeait les plus favorables à sa propre survie et à son propre épanouissement. CHOPIN (Henri), compositeur français (Paris 1922). Polyvalent et cosmopolite, semant, au cours de ses tournées et de ses voyages, concerts, expositions, essais, romans, poèmes, films expérimentaux, il est un des principaux auteurs de « poésie sonore » ultralettriste enregistrée. Par rapport à ses pairs dans cette technique (Bernard Heidsieck ou François Dufrene) qui utilisent généralement la bande magnétique comme un simple support, une « mémoire » objective de leurs travaux, son originalité fut d’utiliser dès le début les manipulations électroacoustiques pour transformer le matériau vocal. CHORAL. L’adjectif s’applique à tout ce qui concerne les choeurs : musique chorale, formation chorale. Par extension, le substantif est employé pour ensemble choral, choeur. Mais le terme de choral désigne deux formes musicales précises : d’une part les cantiques luthériens, qu’ils soient à l’unisson ou harmonisés, d’autre part les pièces pour orgue basées sur ces mélodies de cantiques. downloadModeText.vue.download 207 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 201 Les premiers recueils de chorals luthériens furent publiés dès 1524, aux tout débuts de la Réforme. Luther ayant fondé la pratique cultuelle de la religion nouvelle sur le chant collectif, à la maison ou au temple, il entreprit aussitôt, avec plusieurs collaborateurs, de rédiger les poèmes de ces cantiques - chants de louange, d’enseignement, paraphrases du dogme, psaumes. La musique de ces cantiques fut soit composée spécialement (Luther luimême y participa, avec Agricola, Heyden, Walter, etc.), soit, souvent, empruntée à des mélodies existant antérieurement plain-chant, mélodies religieuses, chansons profanes. Le style musical des chorals est de caractère populaire, d’intonation facile et de carrure marquée, en phrases courtes correspondant à des vers généralement de huit pieds, avec ponctuation régulière en fin de phrase. Ce style populaire et cette simplicité de chant ont contribué au succès rapide des chorals, diffusés par de très nombreux recueils imprimés. La composition des chorals s’est poursuivie tout au long des XVIe et XVIIe siècles, en particulier pendant la guerre de Trente Ans ; les oeuvres écrites par la suite en ont souvent dénaturé le caractère, et l’Église luthérienne est revenue, aujourd’hui, à ses vieux chants authentiques. Dès le XVIe siècle, le choral, comme d’ailleurs le psaume, qui en est l’équivalent dans l’Église protestante française, a fait l’objet d’harmonisations à plusieurs voix, mais préservant la simplicité d’exécution pour les assemblées de fidèles. Également très répandu, le genre fut illustré par des compositeurs comme Schein, Praetorius, Franck ou Hassler au XVIe siècle. C’est ce type de choral qui ponctue les cantates d’église de Bach. Les mélodies de chorals et les textes religieux qui y sont attachés ont si fortement imprégné la sensibilité du monde culturel luthérien, que les compositeurs ont très tôt pris l’habitude de les citer dans leurs oeuvres, souvent en cantus firmus. Le procédé a d’ailleurs dépassé le domaine d’expression germanique et de foi protestante. C’est ainsi que l’un des chorals fondamentaux de l’Église réformée, Ein feste Burg ist unser Gott (« C’est une puissante forteresse que notre Dieu »), circule dans toute la musique religieuse luthérienne (chez Bach, à de nombreuses reprises), mais aussi dans des oeuvres symphoniques ou théâtrales comme la Symphonie no 5 de Mendelssohn (« Réformation »), l’ouverture des Huguenots de Meyerbeer ou l’Histoire du Soldat de Stravinski. À l’orgue, le choral a été traité de diverses manières, soit pour introduire (« préludes de choral »), soit pour commenter (chorals variés) le chant du choral par l’assemblée. La mélodie du choral est exposée et accompagnée en un contrepoint dont les éléments rythmiques, harmoniques et mélodiques illustrent de façon souvent figurée et poétique les thèmes liturgiques et les intentions religieuses exprimées par le texte du choral. Le thème du choral se prête aussi à être traité en sujet de fugue, en fantaisie ou en partita : la mélodie, exposée en harmonisation simple, fait ensuite l’objet de variations (une par strophe de texte). Le chef-d’oeuvre du choral varié est les variations canoniques sur Vom Himmel hoch de J. S. Bach. Schein, Scheidt, Sweelinck, Buxtehude, Pachelbel, J. S. Bach surtout, ainsi que leurs élèves, ont été parmi les principaux compositeurs de chorals pour orgue. On a continué à en écrire au XIXe et au XXe siècle (Brahms, Reger) ; mais certaines pièces de ce nom, comme les trois chorals de César Franck, n’utilisent pas de mélodie de choral et ne se réfèrent pas à l’un des types de chorals d’école. CHORALES. Il est probable que toutes les civilisations de l’Antiquité ont pratiqué le chant choral à titre religieux, patriotique, militaire ou simplement artistique, mais les premières chorales organisées de l’ère chrétienne ont été celles des églises, paroissiales ou conventuelles. (Une maîtrise de NotreDame existait à Paris dès le VIIe siècle). Il y eut ensuite, à partir de la fin du Moyen Âge, des chorales de cour que de nombreux princes, à commencer par le pape, entretenaient au même titre que leurs « bandes » de musiciens. Un troisième type de chorales naquit en Allemagne, à l’époque de la Réforme, avec la création de véritables sociétés (Kantoreigesellschaften), dont l’exemple fut suivi en France avec un siècle de retard. La première académie musicale française de ce genre semble avoir été celle de Rouen, en 1662. Enfin, l’invention italienne de l’opéra et sa diffusion dans toute l’Europe entraînèrent la formation de chorales d’un quatrième type, attachées à des théâtres. Toutes ces catégories, sans parler des chorales militaires des pays slaves, sont toujours représentées et, dans certains cas, par des formations fort anciennes. La maîtrise de Notre-Dame, déjà mentionnée, est treize fois centenaire ; la Thomaschule de Leipzig date de 1312, et les Wiener Sängerknaben sont ceux de la Hofburgkapelle, fondée en 1498 par l’empereur Maximilien. L’Allemagne possède bien d’autres chorales célèbres, telles que les Regensburger Domspatzen (Ratisbonne), le Kreuzchor de Dresde ou la Capella Antiqua de Munich. Mais la Grande-Bretagne (John Alldis Choir, Ambrosian Singers, Monteverdi Choir) ou l’Espagne (le Pays basque surtout) sont aujourd’hui à peine moins riches en belles voix disciplinées. De presque tous les pays d’Europe, auxquels il convient de rattacher l’Amérique du Nord et l’ex-Union soviétique, la France passe pour être la plus démunie sous ce rapport. Pourtant, la liste serait longue des chorales qui y ont prospéré de la Révolution à nos jours. Citons au moins le choeur de la Société des concerts du Conservatoire (1828), ancêtre de notre choeur de l’Orchestre de Paris, la Société pour la musique vocale religieuse et classique (1843), l’Orphéon municipal que dirigea Gounod, l’Harmonie sacrée de Charles Lamoureux (1873), Concordia (1879), et plus récemment la chorale Félix-Raugel (1928-1945), la psallette NotreDame de Jacques Chailley, la chorale Yvonne-Gouverné, la chorale ÉlisabethBrasseur, l’ensemble vocal Marcel-Couraud, la chorale Audite Nova, l’ensemble vocal Philippe-Caillard, l’ensemble vocal Stéphane-Caillat, le Choeur national de Jacques Grimbert, sans oublier les choeurs de l’Opéra transfigurés par Jean Laforge, les choeurs et la maîtrise de Radio-France. Ajoutons à ces formations professionnelles ou semi-professionnelles les Chanteurs de Saint-Eustache, importante chorale d’amateurs qu’anime le R. P. Émile Martin, et des ensembles de province justement réputés : la Cigale de Lyon, l’Ensemble vocal de Lyon, la chorale Saint-Guillaume et le Choeur de la cathédrale de Strasbourg, l’ensemble vocal Jan de Ockeghem de Tours, l’Ensemble vocal de Nantes, l’Ensemble vocal de Toulouse, l’Ensemble vocal universitaire de Montpellier, l’ensemble vocal Josquin Des Prés à Poitiers, l’ensemble vocal Da Camera à Bourges, la maîtrise Saint-Évode de Rouen, la maîtrise de la cathédrale de Reims, la maîtrise de la cathédrale de Dijon, la maîtrise Gabriel-Fauré à Marseille. Et aussi les quelque 500 chorales d’amateurs que groupe le mouvement À coeur joie fondé par César Geoffray. CHÔRO (mot brésilien, d’origine africaine). Le xôlo des Cafres, chanté et dansé, ayant été introduit à Rio de Janeiro vers 1850, devenu, par déformation, « xôro », puis « chôro », désignait, à l’origine, les groupes d’instruments populaires (mandoline, guitare, ou petite guitare nommée cavaquinho, cornet à piston, trombone, flûte, clarinette, ophicléide) qui jouaient des sérénades et des musiques de danse (valses, polkas, lundus, tangos ou schottisches) ou se livraient à des improvisations dominées par un soliste et employant la technique de la variation. Par extension, le terme en vint à s’appliquer aux morceaux exécutés par ces groupes, dans une nuance sentimentale qu’on généralisa abusivement pour en faire le trait le plus caractéristique, jusqu’au moment où d’autres danses moins languides (assustados ou arrasta-pé) furent également désignées ainsi. Avec Villa-Lobos enfin, le chôro devint « une nouvelle forme de composition musicale qui synthétise les différentes modadownloadModeText.vue.download 208 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 202 lités de la musique brésilienne, indienne et populaire », en se proposant d’évoquer les lois de la nature et jusqu’aux sensations physiques comme le climat, la couleur et l’odeur des pâturages brésiliens. Parmi les 16 chôros que Villa-Lobos a laissés, certains n’utilisent qu’un instrument (piano ou guitare) alors que d’autres font appel à des formations importantes (orchestre, fanfare et choeur). CHORO (Alexandre Étienne), compositeur et musicologue français (Caen 1771 - Paris 1834). Prodigieusement doué, il parlait et écrivait, à 15 ans, le latin, le grec et l’hébreu ; il fut secrétaire particulier du mathématicien Gaspard Monge et apprit la théorie musicale après avoir été reçu à l’École polytechnique et à l’École des mines. Il publia, en 1806, une Collection générale des oeuvres classiques, où figuraient Josquin Des Prés, Goudimel, Palestrina, Carissimi ; en 1808, les Principes de composition des écoles d’Italie ; et, en 1811, les Considérations sur la nécessité de rétablir le chant de l’Église de Rome dans toutes les églises. Chargé en 1812 de réorganiser les maîtrises des églises, il fut nommé directeur de l’Opéra en 1816, mais dut démissionner dès 1817. Il fonda alors l’Institution royale de musique clas- sique et religieuse, qui exista jusqu’en 1830, et, avec ses élèves, donna tous les mois des concerts destinés à éduquer le public et au cours desquels eurent lieu les premières auditions, à Paris, d’oeuvres de Bach, Haendel, Palestrina. Il a composé de la musique d’église et des romances, mais on doit surtout saluer en lui l’esprit universel et érudit, l’animateur infatigable et le pédagogue de talent qui, avant Fétis, témoigna d’une curiosité féconde pour les musiciens des XVe et XVIe siècles. CHOSTAKOVITCH (Dimitri), compositeur russe (Saint-Pétersbourg 1906 Moscou 1975). Chostakovitch aura été marqué jusque dans son hérédité. Sa famille était d’origine sibérienne, son grand-père paternel, révolutionnaire polonais, ayant été déporté dans cette partie du monde. La musique régnait au sein du foyer familial. Le père, ingénieur, possédait une jolie voix et chantait ; la mère pratiquait le piano et donnait des leçons aux enfants. Dimitri entra à treize ans au conservatoire de sa ville natale pour étudier le piano et la composition, notamment avec Maximilien Steinberg. Le conservatoire était alors dirigé par Alexandre Glazounov. C’est au cours de ses études qu’il écrivit ses premières oeuvres, dont les Danses fantastiques pour piano (1922) et la Première Symphonie (1925), une des symphonies les plus mûres composées par un musicien de dix-neuf ans. Plus tard, en 1937, il fut nommé professeur à ce même conservatoire. Installé à Moscou en 1943, il enseigna au conservatoire tout en poursuivant son activité créatrice. La renommée de Chostakovitch à l’étranger connut une extension considérable, notamment en Grande-Bretagne, à partir des années 1960, alors que dans un pays comme la France les tenants d’un concept étroit d’avant-garde se livraient à des commentaires peu amènes, sans disposer des pièces indispensables à la pleine connaissance du sujet, comme les opéras le Nez et Lady Macbeth de Mzensk ou les Quatrième et Huitième Symphonies, longtemps frappés d’interdit par le régime soviétique. Chostakovitch concevait généralement ses compositions dans sa tête, pour les jeter fébrilement sur le papier. La maladie qui le mina au cours des dernières années de sa vie n’entama pas ses facultés : c’est peu de jours avant sa mort qu’il acheva son opus 147, la Sonate pour alto et piano. Dès 1927, le gouvernement de son pays lui commanda une symphonie, la Deuxième, afin de commémorer l’anniversaire de la révolution d’Octobre. Ce fut le début d’une étrange carrière de compositeur « officiel », marquée par une alternance spectaculaire de consécrations et de réprimandes. Après quelques années de franc succès, la Pravda dénonça violemment, le 26 janvier 1936, le « chaos au lieu de musique » qu’aurait été l’opéra Lady Macbeth de Mzensk, pourtant inspiré d’un grand classique russe de même titre dû à Nikolai Leskov. Vinrent les purges staliniennes, au cours desquelles Chostakovitch échappa de peu à une arrestation. Pour couper court à toute nouvelle attaque, il décida de ne pas faire jouer sa Quatrième Symphonie, oeuvre de toutes les audaces. Il rentra en grâce avec une symphonie qui, pour être plus classique, n’en est pas moins dramatique, la Cinquième (1937). Au cours de la guerre, sa Septième Symphonie (1941) célébra l’héroïque résistance de Leningrad contre l’assiégeant hitlérien. Mais, en 1948, le rapport Jdanov définissant l’esthétique du « réalisme socialiste » frappa de nouveau Chostakovitch et sa Neuvième Symphonie de 1945. Reconsidéré avec le Chant des forêts (1949), le musicien allait encore être mis à l’index en 1962 lorsqu’il s’attaqua, par le truchement des poèmes d’Evgueni Evtouchenko, dans sa Treizième Symphonie, aux calamités qui s’étaient abattues sur la société soviétique avec le stalinisme : l’antisémitisme, l’oppression, l’angoisse quotidienne, l’arrivisme. L’art de Chostakovitch s’attache à traduire l’âme russe jusque dans ses moindres replis. D’une santé précaire, de caractère visiblement pessimiste, Chostakovitch est, d’ordinaire, dramatique et solennel, mais il abonde volontiers, aussi, dans une veine satirique souvent grinçante (scherzos de nombreuses de ses oeuvres, ballet l’Âge d’or, 1929-30). Si, lors de ses débuts, il s’intéressa à l’avant-garde occidentale, notamment à Berg, Stravinski et Hindemith, et conçut des oeuvres hardies comme l’opéra le Nez, dès la fin des années 20, il semble s’être résolu à n’écouter que les voix de la Russie éternelle, élaborant petit à petit un langage très personnel, quoique fidèle dans l’ensemble au système tonal, un langage hors du temps quant à la « technique », et cependant très proche de la sensibilité contemporaine. Dans cette perspective, les oeuvres des dernières années sont parvenues à des sommets, souffrant moins que les précédentes de certaines inégalités. Mais Chostakovitch peut être un musicien d’une exceptionnelle puissance, capable aussi bien d’évoquer d’immenses horizons ou des faits épiques que de plonger profondément dans l’âme humaine, ou encore de faire preuve d’une verve sarcastique. Bien souvent il s’élève, même si son écriture reste relativement traditionnelle, au niveau des plus grands, parvenant à marier la profondeur visionnaire d’un Moussorgski (qu’il étudia toute sa vie) et l’appareil musical d’un Mahler, dont il est l’héritier direct, au moins dans le domaine symphonique (notamment Quatrième Symphonie). Aussi ne faut-il pas s’étonner s’il s’épanouit dans les formes consacrées du quatuor et de la symphonie et si plusieurs de ses oeuvres les plus délibérement néoclassiques (Préludes et fugues op. 87 pour piano [195051]) comptent également parmi ses réussites les plus inspirées. L’essentiel de son oeuvre se compose de quinze symphonies (le projet de Chostakovitch était d’en écrire vingt-quatre) ; de quinze quatuors à cordes (vingtquatre étaient également envisagés) ; de six concertos (deux pour violon, deux pour violoncelle, deux pour piano dont un avec trompette) ; de trois opéras (le Nez, d’après Gogol, 1928 ; Lady Macbeth de Mzensk ou Katerina Ismaïlova, d’après Leskov, 1932, 1re représentation, Leningrad, 22 janvier 1934, révisé en 1962 ; les Joueurs, d’après Gogol, 1941, resté inachevé) ; d’une opérette (Moscou, quartier Tcheriomouchki, 1958), de trois ballets (l’Âge d’or, 1929-30 ; le Boulon, 1930-31, le Clair-Ruisseau, 1934-35) ; de nombreuses oeuvres de formes et de fonctions diverses pour orchestre ou petit ensemble ; de très nombreuses musiques de scène (notamment pour Maïakovski et pour Hamlet de Shakespeare) et de films (dont la Montagne d’or, 1931, et l’Homme au fusil, 1938) ; d’un oratorio (le Chant des forêts, 1949) ; de cantates (l’Exécution de Stenka Razine, poème d’Evtouchenko, 1964) ; de mélodies ; de nombreuses oeuvres de chambre (du duo à l’octuor) et pour piano seul (deux sonates, vingt-quatre Préludes et fugues). Chostakovitch a, en outre, proposé (1940) une orchestration de Boris Godounov de Moussorgski, plus proche de l’original que celle de Rimski-Korsakov, downloadModeText.vue.download 209 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 203 ainsi qu’une restructuration et réochestration de la Khovanchtchina (1959) du même Moussorgski. C’est un retour à la musique vocale qui a caractérisé la production du compositeur au cours des dernières années de son existence. Loin de constituer un cas d’espèce, la Treizième Symphonie, qui avait été précédée par un cycle de 5 mélodies pleines d’ironie, les Satires (1960), sur des poèmes de Sacha Tchiorny, a été suivie par une oeuvre dominant son époque par la force de son inspiration et de son caractère émotionnel, la Quatorzième Symphonie (1969), où, grâce à un choix judicieux de poèmes de García Lorca, Apollinaire, Küchelbecker et Rilke, Chostakovitch a fait partager ses interrogations sur le sens de la vie, la solitude de l’homme et de l’artiste, la mort. L’un des thèmes fréquemment présent au sein de cet âge philosophique est celui de l’écrasement de l’artiste créateur par un pouvoir tyrannique, et la liste des cycles vocaux ne serait pas complète sans l’évocation des Sept Romances sur des poèmes d’Alexandre Blok, chef-d’oeuvre d’élévation et de pureté (1967), des Six Poèmes de Marina Tsvetaveva (1974), de la Suite sur des vers de Michel-Ange (1974), et des Quatre Stances du capitaine Lebiadkine d’après Dostoïevski (1975). Purement instrumentale, l’ultime Quinzième Symphonie (1971), plus sereine devant le destin, semble tirer sa substance de l’assurance de la continuité de la vie observée dans la nature elle-même. La mort d’un des musiciens les plus mystérieux du vingtième siècle a été suivie de la parution de divers documents. Témoignage, les Mémoires de Dimitri Chostakovitch, recueilli par le musicologue soviétique Solomon Volkov (traduction française André Lischke, 1980), a suscité des réserves par le fait même que Chostakovitch ne se confiait jamais par la parole et qu’on y a retrouvé des textes déjà publiés dans la presse soviétique. En revanche, la portée de Lettres à un ami (traduction française Luba Jurgensova, 1994) est apparue indiscutable. Ces lettres, adressées par Chostakovitch au fil des ans à Isaac Glikman, son ami, confident et collaborateur de toujours, fournissent des informations sur ses problèmes de création et ses soucis quotidiens. On y voit comment le musicien, au plus fort de l’adversité, préservait son énergie grâce à un humour subtil. À ces précieuses pièces du dossier s’ajoute un document musical longtemps resté caché dans ses papiers personnels. En 1948, condamné comme Prokofiev et Khatchaturian par le décret de Jdanov, il exerça toute son ironie dans une cantate satirique, Raïok (galerie de portraits), où Staline, Chepilov et Jdanov sont mis en scène et ridiculisés pour leur mauvais goût musical et leurs travers oratoires dans un style d’opérette volontairement simplifié. CHOU (Weng-chun), compositeur américain d’origine chinoise (Chefoo, Chine, 1923). Il a étudié à Shanghai (1941-1945) et à Boston (1946-1949), ainsi qu’avec B. Martinu (1949) et E. Varèse (1949-1954). Citoyen américain en 1958, il est entré en 1964 à la faculté de musique de l’université Columbia. Sa musique, qui incorpore la tradition et les chants populaires chinois dans une syntaxe occidentale allant jusqu’au contrepoint atonal, s’inspire aussi volontiers de prétextes anecdotiques ou pittoresques liés au folklore chinois : d’où son coloris particulier. Sa production comprend notamment Landscapes (1949, 1re aud. San Francisco 1953), All in the Spring Wind (1952-53) et And the Fallen Petals (1954) pour orchestre, Yü Ko pour 9 exécutants (1965), Yün pour vents, 2 pianos et percussion (1969). On lui doit aussi divers écrits, en particulier sur Varèse. CHOUDENS. Maison d’édition musicale fondée en 1845 par Antoine de Choudens (mort en 1888). Elle fut ensuite dirigée par ses fils Antoine et Paul, par Paul seul jusqu’à sa mort en 1925, puis par les gendres de Paul, Gaston Chevrier et André Leroy. À sa tête, se trouve actuellement André Chevrier de Choudens. Le fonds réputé de cette maison comprend une grande quantité d’ouvrages lyriques de Berlioz, Bizet, Gounod, Bruneau, Offenbach, Messager, Bondeville, Landowski, etc., des musiques de film, des oeuvres symphoniques de compositeurs français contemporains, des solfèges, méthodes et ouvrages pédagogiques divers. CHOWNING (John M.), compositeur américain (1934). Il a fait ses études musicales (percussion, écriture, composition) à Stanford et à Paris avec Nadia Boulanger. Il révolutionna, à Stanford vers 1965, la synthèse directe des sons par ordinateur, en inventant une technique originale et pratique de synthèse des timbres complexes par modulation de fréquence (brevets américains). De ses travaux, qui ont porté également sur la simulation de trajectoires sonores dans l’espace par des sons de synthèse, l’acquis appartient désormais au « fonds commun » de la recherche internationale : il en a illustré brillamment l’efficacité sur le plan sonore par des oeuvres comme Turenas, Sabalith, Stria. Directeur du Stanford Computer Music Project depuis 1975, John M. Chowning a collaboré étroitement avec l’I.R.C.A.M. après la création de cet organisme. CHRÉTIEN DE TROYES. trouvère du XIIe siècle, d’origine champenoise. Il résida longtemps à la cour de Champagne, puis eut pour protecteur Philippe d’Alsace, comte de Flandre. Avec ce poètemusicien s’instaura un véritable renouveau poétique ; Chrétien de Troyes fut en effet le premier à faire passer le lyrisme provençal dans la langue d’oïl, ceci sur les conseils d’une autre protectrice, Marie de Champagne, fille de Louis VII et d’Aliénor d’Aquitaine. Si deux de ses chansons seulement nous sont parvenues (Amors tançon et bataille ; D’amors qui m’a tolu a moi), il a laissé cinq « romans » écrits en octosyllabes : Erec et Enide (v. 1170), Cligès (v. 1176), le Chevalier au lion ou Yvain, le Chevalier de la charrette ou Lancelot, ces deux derniers ouvrages écrits entre 1177 et 1181. Tous deux s’inspirent des légendes celtiques du roi Arthur. Enfin, et surtout, il écrivit un autre « roman », empreint d’un grand mysticisme, le Conte du Graal ou Perceval, commandé par Ph. d’Alsace en 1180 et resté inachevé. Ce conte devait être traduit et chanté par le minnesinger Wolfram von Eschenbach, comme le fit Gottfried de Strasbourg pour Tristan. C’est de cette version allemande du Graal que Wagner allait s’inspirer, au XIXe siècle, pour composer son dernier drame lyrique, Parsifal (Bühnenweihfestspiel). Le style de Chrétien de Troyes est à la fois novateur et fort élégant. CHRISTIE (William), claveciniste et chef d’orchestre américain naturalisé français (Buffalo 1944). Il étudie le piano, l’orgue et le clavecin, notamment avec R. Kirkpatrick. Diplômé de Harvard et de Yale, il s’installe en France en 1971 et enregistre son premier disque pour l’O.R.T.F. Parallèlement, il continue ses études de clavecin avec Kenneth Gilbert et Davitt Füller. De 1971 à 1975, il fait partie du Five Centuries Ensemble, groupe expérimental consacré aux musiques ancienne et contemporaine. En 1976, il rejoint le Concerto vocale dirigé par René Jacobs, où il tient le clavecin et l’orgue jusqu’en 1980. Il fonde en 1979 les Arts florissants, ensemble avec lequel il se consacre à la redécouverte du patrimoine français, italien et anglais des XVIIe et XVIIIe siècles. Sa passion pour la déclamation française le conduit à aborder la tragédie lyrique, et il se voit rapidement confier la direction musicale de productions d’opéras avec les Arts florissants. Il contribue largement à la redécouverte de l’oeuvre de Marc-Antoine Charpentier. Parmi les grandes productions qu’il a dirigées, il faut citer Hippolyte et Aricie de Rameau en 1983, Atys de Lully en 1987, les Indes galantes de Rameau en 1990 et, la même année, la première intégrale depuis 1674 de la musique du Malade imaginaire de Marc-Antoine Charpentier pour la pièce de Molière. De 1992 à 1995, downloadModeText.vue.download 210 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 204 il a été chargé de la classe de musique ancienne au Conservatoire de Paris, créée à son intention. Avec les Arts florissants, il a enregistré de nombreux disques consacrés au répertoire baroque, français en particulier, souvent en première mondiale. CHRISTINÉ (Henri), compositeur français (Genève 1867 - Nice 1941). Il fit des études à l’université de Genève et fut professeur de lycée dans cette ville. Il apprit la musique durant ses heures de loisir et jouait du piano et de l’orgue. Ayant épousé une chanteuse de café-concert, il quitta l’enseignement, s’installa à Nice et composa des chansonnettes pour sa femme, puis peu à peu pour les grandes vedettes du moment (Dranem, Mayol, Fragson, etc.) qui firent de ses oeuvres de célébrissimes succès (la Petite Tonkinoise, etc.). S’étant fixé à Paris au début du siècle, il signa quelques opérettes en un acte, mais conquit définitivement la popularité avec Phi-Phi, en partie par un concours de circonstances, car cette oeuvre, dont la répétition générale eut lieu aux BouffesParisiens le 11 novembre 1918, bénéficia de l’euphorie de l’armistice. Christiné composa encore une douzaine d’opérettes dont seule Dédé s’est, aux côtés de Phi-Phi, maintenue au répertoire. Formées d’une suite de chansonnettes et de quelques ensembles ou finales très simples, utilisant les rythmes de danses nouvelles tel le foxtrot, les oeuvres de Christiné s’écartèrent de l’opérette et fondèrent, en fait, la comédie musicale. CHRISTOFELLIS (Aris), sopraniste grec (Athènes 1966). Il se destine d’abord au piano, qu’il étudie au Conservatoire d’Athènes et à l’École normale de Paris avec France Clidat. En 1983, il travaille le chant avec Fofi Sarandopoulo : sa tessiture se révèle d’une étendue exceptionnelle de trois octaves et demi, particulièrement riche dans les aigus. Cela lui permet d’aborder le répertoire destiné aux castrats du XVIIIe siècle. En 1984, il donne son premier récital en France, et fait ses débuts dans l’Olimpiade de Vivaldi à Francfort. Il chante Hasse, Porpora, Haendel, et a rendu hommage à l’illustre Farinelli en recréant sa Sérénade nocturne au roi d’Espagne. CHRISTOFF (Boris), basse bulgare (Plovdiv, près de Sofia, 1918). Diplômé en droit, il entreprenait une carrière dans la magistrature quand sa voix fut découverte au sein d’un choeur de Sofia auquel il appartenait. Une bourse accordée par le roi lui permit d’aller étudier à Rome avec le célèbre baryton Riccardo Stracciari, qui lui transmit une très belle technique de bel canto. En 1946, il débuta au concert, puis se produisit pour la première fois sur scène au Teatro Adriano de Rome dans le rôle de Colline de la Bohème de Puccini. La même année, il chanta à la Scala de Milan le rôle de Pimen dans Boris Godounov de Moussorgski, oeuvre dont il aborda le rôle-titre en 1947 sur la même scène. Il fit ensuite une carrière internationale dans les répertoires italien et russe, ainsi que dans le rôle de Méphisto de Faust de Gounod, et aborda en Italie certains rôles wagnériens. Sa voix, sans être d’une puissance exceptionnelle, était d’une couleur belle et rare, et d’une homogénéité exemplaire. L’extrême raffinement musical de ses interprétations était valorisé par une très grande présence scénique. Boris Godounov (Moussorgski) et Philippe II de Don Carlos (Verdi) ont compté parmi ses interprétations les plus remarquées. CHRISTOU (Iannis), compositeur grec (Héliopolis, Égypte, 1926 - Athènes 1970). Il étudia à Cambridge la philosophie avec Ludwig Wittgenstein (1945-1948), la composition avec H. F. Redlich (1948-49), et l’instrumentation à Sienne avec Francesco Lavagnino. De 1960 à sa mort, dans un accident d’automobile, il vécut à Athènes et dans l’île de Chio, écrivant une musique en général sérielle, et d’inspiration mystique et magique. On lui doit notamment 3 symphonies (1951, 1954-1958, 19591962), le poème symphonique la Musique de Phénix (1948), Psaumes de David pour baryton, choeur et orchestre (1953), Gilgamesh, oratorio assyrien (1958), l’opéra The Breakdown (1964), la Femme à la strychnine pour 5 comédiens et orchestre de chambre (1967). CHROMATIQUE. Nom qui, au cours de l’histoire musicale, a été donné successivement à divers systèmes ayant en commun l’utilisation privilégiée du demi-ton ou de ses dérivés. 1. Dans l’Antiquité grecque, c’est, aux côtés du diatonique et de l’enharmonique, l’un des 3 genres déterminés par la place des notes mobiles entre les deux notes fixes qui, à distance de quarte l’une de l’autre, enserrent le tétracorde. En théorie simplifiée, le tétracorde chromatique se compose, en descendant, d’une tierce mineure incomposée (c’est-à-dire formant intervalle conjoint) et de 2 demi-tons, par exemple la/fa dièse/fa bécarre/mi. On appelle spécialement chromatique (en substantif) le 2e degré de ce tétracorde, parce qu’il en est la note caractéristique, ainsi que l’intervalle formé entre ce degré et le suivant. Mais la composition ainsi définie n’est qu’une approximation moyenne, l’emplacement des notes mobiles pouvant varier dans une proportion plus ou moins grande en raison de la pratique des nuances : Aristoxène cite 3 types de chromatique, dont l’un (chromatique mou) faisant usage de tiers de tons au lieu de demi-tons. Le genre chromatique passe, aux dires du pseudoPlutarque, pour avoir été introduit dans la tragédie postérieurement à Eschyle, mais il précise que les citharèdes le pratiquaient longtemps avant. On peut le considérer, en philologie musicale, comme une étape intermédiaire entre le diatonique et l’enharmonique dans le phénomène de glissement des notes mobiles sous l’effet attractif descendant de la borne inférieure du tétracorde. 2. Au Moyen Âge et jusque vers le milieu de la Renaissance, le chromatique est tombé en désuétude en tant que genre. Le terme transmis dans les écoles avec des bribes de théorie grecque apparaît de temps à autre sans valeur bien définie, mais ne semble recouvrir aucune réalité vivante. Il arrive dans la polyphonie que par le jeu de la musica ficta, un degré altéré par attraction succède au même degré non altéré ou vice versa : cette relation, qui plus tard eût été ressentie comme chromatique, ne semble en rien l’avoir été ; elle demeure perçue comme une simple mutation. 3. À partir de 1544, sous influence humaniste, des compositeurs comme Cyprien de Rore, suivi par Vicentino et Zarlino en Italie, par Claude Le Jeune en France, etc., s’efforcent de créer un genre chromatique imité des Grecs en glissant dans la polyphonie de leur temps la suite d’intervalles du tétracorde de ce nom, y compris la tierce mineure qui, au début, fait partie du chromatique. La tierce mineure une fois abandonnée, le chromatique reste caractérisé par la succession de deux demi-tons, et parfois de trois. Peu à peu, c’est cette succession elle-même qui deviendra le principal critère du chromatique ; mais elle est restée longtemps dépendante d’un autre critère qui est la mesure de l’intervalle : il y avait un demi-ton chromatique entre deux notes de même nom différemment altérées, le demi-ton étant diatonique si le nom des notes se faisait suite. Ce demi-ton se retrouvait en effet avec même mesure dans la gamme diatonique alors que l’autre était propre à la gamme chromatique. En système pythagoricien (mélodique), l’intervalle chromatique était plus grand que le diatonique ; par contre, en système zarlinien (harmonique), le chromatique était plus serré que le diatonique. 4. La théorie classique conserve les mêmes définitions, à l’exception des différences de mesure des intervalles diatoniques ou chromatiques abolies par le tempérament égal, du moins en théorie : elles réapparaissent en effet fréquemment par instinct lorsque la justesse n’est pas réglée à l’avance par un clavier pré-accordé (violonistes, chanteurs, etc.). Par extension, on appelle également chromatique l’altération occasionnelle d’un ou plusieurs degrés downloadModeText.vue.download 211 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 205 pour raisons attractives, et gamme chromatique celle formée par une succession de demi-tons. Mais cette succession n’implique en rien l’égalité fonctionnelle de ces demi-tons : le ton, divisé ou non en deux demi-tons, reste une unité structurelle de perception, non l’addition de deux demitons exprimés ou non. La gamme diatonique reste donc perçue à l’arrière-plan de toute gamme chromatique et en détermine les fonctions. 5. Le dodécaphonisme de Schönberg donne au chromatique une valeur différente en considérant la gamme chromatique comme un point de départ indépendant des relations diatoniques, et le demi-ton, indifféremment chromatique ou diatonique, comme unité de décompte des gammes de manière à éliminer les fonctions issues du diatonisme. Il appelle total chromatique l’ensemble de l’échelle obtenue par juxtaposition inorganique des 12 demi-tons qui divisent l’octave. Certains, en prolongeant l’exemple d’Olivier Messiaen, ont tenté d’assimiler au total chromatique la juxtaposition échelonnée des durées et des intensités, et de la traiter de manière analogue, mais cette conception ne semble pas s’être généralisée. 6. Un instrument est dit « chromatique » lorsqu’il est susceptible de donner toutes les notes de la gamme chromatique alors que d’autres instruments de la même fa- mille n’ont pas cette possibilité (ex. accordéon chromatique). CHROMATISME. Terme relativement récent faisant référence à l’emploi d’éléments chromatiques dans le vocabulaire ou dans le style. Le chromatisme est très souvent employé à titre d’élément de tension impliquant un caractère douloureux ou passionnel et s’oppose ainsi au diatonisme, mieux adapté par sa stabilité à l’évocation des sentiments ou des situations exemptes de perturbations (v. figuralisme) : chromatisme des madrigalistes italiens (Marenzio, Gesualdo), chromatisme de Liszt, de Wagner (notamment dans Tristan et Isolde), de Richard Strauss, etc. CHRYSANDER (Karl Heinz Friedrich), musicologue allemand (Lübtheen, Mecklembourg, 1826 - Bergadorf, près de Hambourg, 1901). Docteur de l’université de Rostock (1855), il se consacra à l’étude de Haendel en s’attachant à replacer le musicien dans son contexte historique. Il entreprit de publier ses oeuvres complètes, d’abord au sein d’une Société Haendel, créée en 1856, puis, à la dissolution de celle-ci, avec ses seuls moyens. Après avoir installé dans sa propre maison un atelier de gravure musicale et une imprimerie, il fit face à de graves difficultés matérielles et financières jusqu’au jour où, en 1894, il put céder son édition à une nouvelle Société Haendel, fondée à Londres. CHUNG (Kyung-Wha), violoniste coréenne (Séoul 1948). Elle est la plus jeune fille d’une famille de sept enfants. Son père, un homme d’affaires important, lui fait apprendre le piano dès l’âge de sept ans, mais elle préfère le violon : à neuf ans, elle joue déjà le Concerto de Mendelssohn avec l’Orchestre symphonique de Séoul ! De 1961 à 1967, elle étudie à la Juilliard School de New York, où Ivan Galamian fait fructifier ses dons prodigieux. Elle remporte un triomphe au Concours Loventritt de 1967 : en résulte une tournée dans une centaine de villes américaines. En 1968, elle débute avec le New York Philharmonic, et en 1970 avec l’Orchestre symphonique de Londres et André Prévin. La même année, elle signe un contrat d’exclusivité avec Decca. Elle joue les concertos d’Elgar et de Bartók avec Solti en 1977, celui de Beethoven en 1979 avec Kondrashine et la Philharmonie de Vienne. Elle joue aussi Bach, Stravinski, Vieuxtemps et le Concerto de Walton, qu’elle enregistre sous la direction du compositeur. Elle se produit en trio avec sa soeur Myung-Wha et son frère MyungWung. En 1980, elle joue pour la première fois sous la direction de ce dernier. CHUNG (Myung-Wha), violoncelliste coréenne naturalisée américaine (Séoul 1944). Après ses débuts publics à Séoul en 1957, elle part avec sa soeur Kyung-Wha à la Juilliard School de New York. Elle y étudie de 1961 à 1967, puis reçoit les conseils de Piatigorski à l’Université de Californie de Sud. En 1968, elle obtient le premier prix du Concours de San Francisco, et en 1971 celui de Genève. Elle consacre une part importante de sa carrière à la musique de chambre. En trio avec sa soeur et son frère Myung-Wung, elle joue les oeuvres de Brahms, Beethoven, Mendelssohn, Tchaïkovski et Chostakovitch. CHUNG (Myung-Wung), chef d’orchestre et pianiste coréen (Séoul 1953). Dès 1960, il fait ses débuts de pianiste avec l’Orchestre symphonique de Séoul. Installé aux États-Unis en 1968, il étudie au Mannes College et à la Juilliard School, s’orientant progressivement vers la direction d’orchestre. En 1974, il remporte le second prix du Concours Tchaïkovski à Moscou, puis, de 1975 à 1978, il se perfectionne avec Sixten Ehrling et Franco Ferrara. De 1978 à 1981, il est assistant de Giulini à Los Angeles. En 1982, il fait ses débuts avec l’Orchestre de Paris et s’installe en Europe en 1983. De 1984 à 1990, il dirige l’Orchestre symphonique de la Radio de Sarrebruck. En 1989, il accepte une lourde responsabilité : prendre la tête de l’orchestre de l’Opéra de Paris. Le 17 mars 1990, il inaugure l’Opéra Bastille avec les Troyens de Berlioz. Il décide d’agrandir l’orchestre, et plaide pour une séparation plus nette des activités lyriques et du ballet. Dès 1990, une tournée en Corée et plusieurs enregistrements remarqués chez Deutsche Gramophon - Lady Macbeth de Mzensk de Chostakovitch et la Turangalila-Symphonie de Messiaen, notamment - traduisent une réussite certaine. Malgré son aura, il est contraint à une démission houleuse en 1994. Il reprend alors une carrière de chef invité, à Vienne, Londres ou Philadelphie. CIAMPI (Marcel), pianiste français (Paris 1891-id.1980). Il est élève de Diémer au Conservatoire de Paris. En 1909, il y obtient un premier prix de piano, puis poursuit ses études avec Perez de Brambilion, ancien élève de Clara Schumann et d’Anton Rubinstein. Son style romantique est particulièrement apprécié par Pablo Casals et Jacques Thibaud qu’il accompagne souvent. George Enesco est aussi son partenaire, et lui dédie sa sonate pour piano no 3, qu’il crée en 1938. Entre 1941 et 1961, il est professeur au Conservatoire de Paris où il acquiert une grande réputation pédagogique. Il compte parmi ses élèves Hephzibah, Yaltah et Jeremy Menuhin, ainsi qu’Yvonne Loriod. CICCOLINI (Aldo), pianiste italien naturalisé français (Naples 1925). Au conservatoire San Pietro a Majella de Naples, il a étudié le piano avec Denza et la composition avec Alessandro Longo. Il a donné son premier concert en 1942 au théâtre San Carlo de Naples. En 1949, il a remporté le prix Long-Thibaud et entrepris une carrière internationale. Après avoir été professeur de piano au conservatoire de Naples, il enseigne, depuis 1971, au Conservatoire de Paris. Ciccolini est un interprète fin, cultivé, au toucher subtil, qui est apprécié dans la musique romantique et plus encore dans la musique française de la fin du XIXe et du début du XXe siècle (Saint-Saëns, Chabrier, Satie, de Séverac, etc.). Il a enseigné de 1971 à 1989 au Conservatoire de Paris. CICONIA (Johannes), compositeur liégeois (Liège v. 1335 - Padoue 1411). Fils d’un pelletier, il reçut sa formation musicale à la cour des papes, à Avignon. Il y fut au service d’Aliénor de Comminges, vicomtesse de Turenne, nièce de Clément VI. De 1357 à 1367, il fit partie de la maison du cardinal Gilles d’Albornoz, chargé de reconquérir les États pontificaux d’Italie : ce fut l’occasion pour lui d’un contact downloadModeText.vue.download 212 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 206 étroit avec l’Ars nova italienne et l’art de Jacopo da Bologna et de Francesco Landini, à l’instar desquels il écrivit madrigaux, caccie et ballades. À la mort du cardinal, il regagna Liège où il devint titulaire d’une prébende à la collégiale Saint-Jeanl’Évangéliste. Il composa alors, semble-t-il, messes et motets, y effectuant la synthèse de l’Ars nova française, italienne et des usages avignonnais. Mais il adopta une notation simplifiée de l’écriture proportionnelle ( ! NOTATION) et unifia le Gloria et le Credo par un ténor commun, un motif initial et une construction isorythmique. On y trouve aussi l’emploi du faux-bourdon dont S. Clercx-Lejeune avance l’origine italienne et même l’appellation. Après 1404 ( ?), Ciconia quitta Liège pour Padoue. Chanoine à la cathédrale de cette ville, il portait le titre de musicus ou de magister et avait pour mission d’enseigner la musique et de composer. Ce séjour favorisa une réflexion théorique sur la musique antique et médiévale, réflexion contenue dans trois traités : De arithmetica institutione (perdu ?), Nova musica, De proportionibus, outre l’esquisse d’un De tribus generibus melorum (« les trois genres mélodiques »). La musique y est comprise comme le reflet des nombres divins et le moyen de connaissance de l’Organisation. Toutefois, la musique spéculative prend chez lui appui sur l’ouïe. CIFRA (Antonio), compositeur italien (Terracina 1584 - Loreto 1629). Il acquit sa formation musicale enfant en chantant à Saint-Louis-des-Français de Rome et en étudiant avec Bernardino Nanino (1594-1596). Il fut alors successivement maître de chapelle au Collegium Germanicum de Rome en 1609, à la Santa Casa di Loreto de 1609 à 1622, à Saint-Jean-deLatran de 1622 à 1625 et enfin à nouveau à Loreto de 1626 jusqu’à sa mort. Sa production musicale, énorme, a par bonheur été conservée. Elle comprend de très nombreux livres de motets (de 1 à 12 voix) et de madrigaux, quatre livres de messes de 4 à 6 voix, plusieurs livres de litanies, psaumes et vêpres, des ricercari, arie, scherzi et canzonette. Cifra est un des musiciens les plus importants de la grandiose école polypho- nique romaine, comme en témoigne la richesse de voix de ses messes et motets, aux harmonies somptueuses. D’un autre côté, on peut déjà percevoir l’influence de la monodie accompagnée, plus développée à cette époque à Venise et surtout à Florence, qui se traduit, dans ses motets et madrigaux, par une émancipation de la ligne mélodique. Ce phénomène est accentué par l’utilisation généralisée de la basse continue, qui, sous forme d’ostinato, sert parfois de base harmonique à des variations vocales. Cette situation musicale ambiguë dans une période de transition, ainsi que la grande beauté de ses oeuvres font de Cifra un des maîtres incontestés de l’école romaine de ce début du XVIIe siècle. CIKKER (Ján), compositeur slovaque (Banská Bystrica 1911 - Bratislava 1989). Orphelin de père dès l’âge de quatre ans, il doit à sa mère sa première formation musicale, en particulier au piano. De 1930 à 1935, il étudie au conservatoire de Prague, avec Křička (composition), Dědeček (direction d’orchestre) et Wiedermann (orgue). Il se perfectionne auprès de Novák, puis de Weingartner à Vienne (1936-37). Dès 1939, il enseigne la théorie musicale au conservatoire de Bratislava, et est nommé lecteur à l’Opéra national slovaque. Depuis 1951, il est professeur de composition à l’École supérieure de musique et d’art dramatique de Bratislava. Sa première période de création touche essentiellement les formes instrumentales (1re Symphonie en ut, 1930 ; Épitaphe, 1931 ; Prologue symphonique, 1934 ; Caprice, 1936 ; Symphonie « le Printemps », 1937 ; Symphonie 1945 [1974-75] ; Concertino pour piano, 1942 ; Idylle, ballet, 1944). Puis, en 1953, il s’oriente vers la scène. On lui doit six opéras : Juro Janosik (1954) sur un livret de Stefan Hoza, Beg Bajazid (1957) sur une vieille ballade slovaque contant un épisode historique du XVIe siècle, Mr. Scrooge (1959, 1re représentation 1963) d’après un conte de Noël de Dickens, Résurrection d’après Tolstoï (1962), qui se rapproche de l’opéra de Berg, le Jeu de l’amour et de la mort d’après le drame de Romain Rolland (1969-1973), enfin Coriolanus d’après Shakespeare (créé à Prague en 1974). L’ensemble de son oeuvre, très abondante, s’appuie sur un style vigoureux, une harmonie de timbres fort évoluée, un sens dramatique naturel qui fait de Cikker le maître incontesté de l’école slovaque contemporaine. CILEA (Francesco), compositeur italien (Palmi, Calabre, 1866 - Varazze, Ligurie, 1950). Formé au conservatoire de Naples, il y présenta son opéra Gina (1889), puis composa Tilda (1892) à la demande de l’éditeur Sanzogno. Il écrivit encore l’Arlésienne, d’après Daudet (1897) et connut surtout la gloire avec Adrienne Lecouvreur (1902) ; ces deux dernières oeuvres furent créées avec Caruso, alors à l’aube de sa renommée. D’inspiration plus sévère, Gloria (1907) semble avoir mis un terme à la carrière de créateur de Cilea. Remarquable pianiste, celui-ci enseigna le piano, puis la composition, notamment à Naples où il fut directeur du conservatoire de 1916 à 1935. Proche de l’école vériste dans ses premiers opéras, il s’en écarta presque totalement ensuite, mettant sa nature délicate et raffinée au service d’une orchestration claire et limpide et d’une écriture vocale nuancée, utilisant toute la gamme d’expressions de la voix humaine. CIMAROSA (Domenico), compositeur italien (Aversa 1749 - Venise 1801). Né dans une famille pauvre, il reçut à Santa Maria di Loreta de Naples un enseignement musical très complet, et débuta au théâtre en 1772 avec Le Stravaganze del Conte, sorte de comédie musicale, et Le Magie di Merlina e Zoroastro, intermède burlesque. En 1778, il remporta à Rome un énorme succès avec L’Italiana in Londra, et à partir de 1780, fut unanimement considéré comme le grand rival de Paisiello en matière d’opéra bouffe italien. Durant les années suivantes, quelques opéras sérieux comme Il Convito di pietra (1781), sur le thème (simplement esquissé) de Don Juan, alternèrent avec les oeuvres bouffes, toujours majoritaires (I Due Baroni di rocca azzura, 1783 ; Il Fanatico burlato, 1787). Invité en 1787 à la cour de Russie, que Paisiello avait quittée trois ans plus tôt, il s’y rendit en un voyage de six mois qui fit figure de tournée triomphale (Livourne, Parme, Vienne, Varsovie). Il fit représenter à Saint-Pétersbourg, où il prit momentanément la succession de Giuseppe Sarti, des oeuvres déjà écrites, et en composa de nouvelles, dont deux opéras sérieux (Cleopatra, 1789 ; La Vergine del sole, 1789) et un Requiem pour les funérailles de l’épouse de l’ambassadeur de Naples. En disgrâce, Cimarosa arriva à Vienne à la fin de 1791, au moment de la mort de Mozart. Son ancien protecteur, le grandduc de Toscane, devenu l’année précédente l’empereur Léopold II, lui ayant commandé un opéra bouffe, il donna le 7 février 1792 Il Matrimonio segreto (« le Mariage secret »), qui devait rester son ouvrage le plus célèbre (110 représentations en 5 mois à Naples en 1793). De retour à Naples, Cimarosa composa encore quelques-unes de ses partitions les meilleures, comme Le Astuzie femminili (1794). Durant l’éphémère république parthénopéenne (1799), il accepta d’écrire et de diriger un hymne républicain pour une cérémonie organisée par les Français, ce qui lui valut d’être emprisonné au retour des Bourbons. Gracié, il jugea plus prudent de s’expatrier, et mourut peu après, non empoisonné comme le veut la légende, mais d’une tumeur au bas-ventre. Sa production instrumentale est des plus réduites (un concerto pour deux flûtes et un autre pour clavecin, quelques pièces et 32 sonates en un seul mouvement pour clavecin), et sa production religieuse à peine plus importante. Quant à ses opéras, ils se comptent par dizaines. Cimarosa fut bien plus qu’un mélodiste « délicieux », pour reprendre une formule de Stendhal, qui l’idolâtrait. Avec son sens inné du théâtre, il sut également (quoique de façon typiquedownloadModeText.vue.download 213 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 207 ment italienne) donner vie à l’orchestre, et (tendant en cela la main à Mozart) se révéla un remarquable constructeur d’ensembles vocaux, dans ses finales d’actes et en d’autres endroits en cours d’action. Ce n’est pas pour rien que Il Matrimonio segreto réussit à survivre tout au long du XIXe siècle. De la renommée de son auteur témoigne aussi le fait que, de tous les compositeurs dont Haydn dirigea des opéras à Eszterháza de 1780 à 1790, celui qui fut représenté par le plus grand nombre de partitions différentes (12, totalisant 76 représentations) eut nom Domenico Cimarosa. FILM (musique de). Les relations entre le cinéma et la musique sont multiples, profondes, complexes, et aussi anciennes que le cinéma lui-même. On sera donc contraint ici de n’évoquer qu’en passant certains aspects de la question, tel celui de la « biographie filmée de musicien », genre qui, à quelques exceptions près (Abel Gance sur Beethoven, Traugott Müller sur Wilhelm Friedemann Bach, Ken Russel sur Tchaïkovski, JeanMarie Straub sur Jean-Sébastien Bach, Milos Forman sur Mozart), a inspiré peu de films marquants ; ou telle la comédie musicale américaine, expression cinématographique qui a suscité de nombreux chefs-d’oeuvre, mais qui, du point de vue proprement musical, puise ses auteurs, son style, ses formes dans un répertoire destiné à la scène. On s’attardera plutôt sur les fonctions et les procédés propres à la musique de film, avant d’en esquisser un parcours historique. LES FONCTIONS DE LA MUSIQUE DE FILM. Où situons-nous, quand nous regardons un western classique, l’orchestre qui joue sur des images de chevauchée ? Certes pas quelque part dans le paysage ou dans le « hors-champ » de l’image, où il serait caché à notre vue - sauf quand le réalisateur veut en tirer un gag burlesque ou critique, comme Mel Brooks dans Le shérif est en prison ou Jean-Luc Godard dans Sauve qui peut la vie (1980). Nous le situons dans une sorte de « proscenium », d’avant-scène imaginaire, de fosse d’orchestre, là où se place l’orchestre d’opéra, là où se plaçait le pianiste du cinéma muet. Par ailleurs, il arrive fréquemment que l’élément musical soit intégré dans l’action du film, par l’intervention de chanteurs, d’instrumentistes, d’orchestres, de tourne-disques, de postes de radio, etc. - donc qu’il soit « situé » imaginairement dans le champ ou le hors-champ de l’image. Cette musique « dans le film » (que, selon les auteurs, on appelle « diégétique », « objective », ou « naturelle ») tenait une grande place dans les premiers films sonores, où l’on manifestait un étonnant souci de légitimer l’audition de musique dans l’action, par la vision de musiciens de rue, de gramophones, etc., comme si, le son venant de derrière l’écran, on ne savait pas où placer la musique de film, qu’on avait jusqu’alors si facilement admis d’entendre venant de dessous l’écran, jouée par le pianiste ou l’orchestre de service. Peu à peu se sont créés des usages de mise en scène et, chez le spectateur, des habitudes de perception, selon lesquels il n’y a pas de séparation rigoureuse entre la musique « du film » (de proscenium) et la musique « dans le film ». De même que, dans l’opéra, un instrument soliste ou un petit ensemble jouant sur la scène s’intègre sans rupture dans le tissu musical de l’orchestre principal situé dans la fosse, de même il est fréquent de voir, au cinéma, un personnage jouer au piano un thème qu’accompagne ou que prolonge un « orchestre fantôme ». Abel Gance est allé jusqu’à sonoriser des images de Beethoven « composant » sa Symphonie pastorale « au piano » par l’audition orchestrale de cette oeuvre. Il ne fit qu’accentuer un procédé répandu. Pourquoi une atteinte aussi grande à la « vraisemblance » choque-t-elle moins le spectateur qu’un minime « faux raccord » visuel ? Sans doute parce que dans le film la musique, retrouvant les fonctions qu’elle assure déjà dans l’opéra, semble représenter un lieu transcendant toutes barrières de temps et d’espace. C’est elle qui aide à passer en quelques secondes du jour à la nuit, d’un continent à un autre, d’une génération à l’autre. Non assujettie aux lieux que montre l’image, pouvant à la fois s’y fixer (musique « dans le film ») et s’en envoler, elle est une espèce de plaque tournante spatio-temporelle, comme dans certaines histoires de science-fiction, où un « trou » dans le continuum permet de franchir temps et espace à volonté. Un des premiers exemples connus dans le cinéma parlant est une scène du film Hallelujah (1929) de King Vidor, où une brève chanson de Noirs commencée sur le bord du fleuve se continue sans transition sur le bac qui sert à le franchir, et se termine, le couplet suivant, de l’autre côté de la rive. Dans ce cas, la chanson a servi, entre autres, à contracter la perception du temps. La musique, dans le film, agit sur la perception du temps : donnée si élémentaire, si universelle, qu’on s’étonne de ne pas la voir plus souvent énoncée. Ainsi la musique peut-elle aider à franchir des sauts dans le temps en direction du futur ou du passé (« flash-back »). De même, elle sert souvent, du point de vue dramaturgique, à dilater le temps, à étirer indéfiniment une situation de suspense (scènes de meurtre imminent, chez Hitchcock, par exemple). En même temps qu’elle dilate ou qu’elle contracte, elle assure un lien, une continuité entre des plans cinématographiques distincts, qu’elle suture, qu’elle fait tenir aussi solidement que le ruban adhésif utilisé au montage ! De même, dans l’opéra, l’action se fige quand le soliste attaque son air, puis se précipite dans les récitatifs. Des réalisateurs comme Alfred Hitchcock, Sergio Leone, Stanley Kubrick ont su utiliser cette fonction dilatante de la musique pour étirer à l’infini des scènes d’attente ou d’affrontement. Ce sont là des rôles hérités de la convention, que certains dénoncent, mais qui font partie du « vocabulaire » de la mise en scène cinématographique, et ne doivent pas être tenus pour négligeables. Comme elle agit sur la perception du temps, la musique influence celle de l’espace, autre élément du langage cinématographique. Son espace propre (généralement celui, large et mouvant, d’un orchestre symphonique) joue par rapport à l’espace visuel du film pour le prolonger, le contrarier, l’élargir, lui faire écho, et plus rarement pour le rétrécir : comme si la musique avait souvent pour rôle d’ouvrir un espace que le cadre visuel du film a dû forcément rapetisser et concentrer. Enfin, elle joue une fonction évidente de ponctuation : tel accord de trombones, telle percussion sur un geste, une réplique ou un plan les isole des autres, les détache, découpe l’enchaînement visuel en créant un effet de sens parfois aussi important que la ponctuation dans la phrase ; et l’on sait qu’un déplacement de virgule ou de point peut modifier de fond en comble le sens d’un texte. Élément de ponctuation et de découpage de la narration, moyen de modeler l’espace-temps du film, de le contrarier ou de le dilater - mais aussi agent inducteur de perceptions dynamogéniques (c’est-àdire de perceptions de mouvement, d’excitations corporelles créées chez le spectateur par le son, qui le font participer plus intensément) ; mais aussi, et encore, agent synesthétique, jouant sur des correspondances sensorielles de rythme, de couleur, de luminosité, de « grain », entre son et image, la musique de cinéma a donc un rôle qui dépasse largement celui de renforcer la valeur émotionnelle des scènes clés, en aidant à faire pleurer ou frissonner au bon moment. Ce rôle qu’on peut dire « structurel », dans la mise en scène, elle le joue moins par sa valeur propre qu’en tant qu’élément du tout qu’est le film. Certes, il n’est pas un de ces rôles, que nous avons signalés, qui n’ait déjà été utilisé dans les genres dramatiques traditionnels, nô japonais, mélodrame romantique, théâtre de foire, cirque, grand opéra ou théâtre élisabéthain - mais pourquoi la musique ne retrouverait-elle pas, ici, comme ailleurs, ses fonctions primitives ? Une fonction plus symbolique, moins réductible à un schéma simple, est celle que la musique joue, précisément, dans la structure symbolique du film, en tant que downloadModeText.vue.download 214 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 208 signifiant d’une destinée, d’une promesse, d’une malédiction ou d’un paradis perdu. Dans des films aussi divers que M. le Maudit, de Fritz Lang, l’Intendant Sansho, de Kenji Mizoguchi, India Song, de Marguerite Duras, Rencontres du troisième type, de Steven Spielberg, une simple chanson, voire un motif de cinq notes, dans le dernier film, s’inscrit au coeur du film comme moteur même de l’action, signifiant tour à tour de la compulsion au meurtre (Lang), du lien avec la mère perdue (Mizoguchi), de l’amour mort et éternel (Duras), d’un espoir de communication galactique (Spielberg). Plus qu’un personnage, la musique tient la place d’une sorte de « fatum », incarnant la substance même du désir qui agite les personnages, le metteur en scène, les spectateurs eux-mêmes. Et cela (c’est ici que beaucoup de musiciens se montrent hostiles ou méfiants), quelle que soit, finalement, la « valeur » de cette musique en soi. Qu’est-ce qu’une « bonne » musique de film ? Les meilleurs musiciens de l’écran, les plus grands réalisateurs déclarent souvent que c’est celle qui se met au service du film comme totalité. La mode récente (inaugurée, semblet-il, au Japon) des concerts de musique de film permet de constater que beaucoup des plus belles musiques de l’écran, arrachées au film, paraissent souffrir de redondance, de linéarité. Mais, si l’on arrangeait le Doppelgänger de Schubert ou les Quatre Chants sérieux de Brahms pour violon et piano, supprimant d’un coup le texte et la voix, leur grandeur ne serait- elle pas affaiblie ? La question de la valeur « intrinsèque » de la musique de film peut paraître donc un peu scholastique et oiseuse, comme le serait celle de la valeur en soi de beaucoup de musiques religieuses ou rituelles. Le « transfert symbolique », comme dit Jean Mitry, qui permet notamment à la musique de transporter avec elle l’idée d’un destin, est évidemment fréquemment lié à l’utilisation du procédé wagnérien de leitmotiv. Chose curieuse, ce n’est pas toujours quand elle épouse émotionnellement le destin du personnage (qu’elle lui est « empathique ») que la musique se trouve personnifier le plus fortement ce destin ; c’est au contraire quand, par rapport à lui, elle se définit comme indifférente, mécanique, commune, collée à ce destin par le hasard d’une coïncidence, d’une simultanéité, d’une rencontre. On peut la dire alors « an-empathique », et combien de moments cruciaux, dans des films, ne sont-ils pas associés au déroulement d’une musique an-empathique, boîte à musique, limonaire de manège, piano mécanique, chanson de gramophone, chanteur qui passait par là ; combien de héros de films ne sont-ils pas morts (plus rarement revenus à la vie) sur les accents indifférents et inéluctables d’une musique « an-empathique ». LE STYLE ET LES MOYENS. De même que le cinéma intègre, pour son plus grand bien, des procédés dramaturgiques fort anciens, qui viennent de références au théâtre, au cirque, à l’opéra, de même la musique de film emprunte son langage aux musiques existantes par ailleurs : même quand un Prokofiev écrit une partition très élaborée pour Eisenstein (Alexandre Nevski, 1938), il l’écrit dans son style à lui, un peu « adouci » pour la circonstance. En laissant de côté les musiques de style traditionnel citées et intégrées en tant que telles dans les films qui utilisent des sujets ou des situations musicales (chansons, numéros chorégraphiques, jazz, etc.), on retrouve dans l’écriture des partitions de musiques de film des références stylistiques bien précises : à côté de Ravel, du Liszt des Poèmes symphoniques, de Mahler, de Richard Strauss, parfois de Prokofiev et même de Bartók, c’est la référence wagnérienne qui domine. Peutêtre d’abord à cause de la conception fon- damentalement dramaturgique, ouverte et dynamique de sa musique (poussant toujours en avant, avec un grand impact rythmique), et aussi à cause du principe simple et efficace du leitmotiv. La plupart des grandes musiques de film, en effet, sont construites sur ce principe, c’est-à-dire sur un nombre limité de motifs dont chacun est associé à un protagoniste, une situation, un décor, un « thème » (la mort, le destin, l’amour). C’est le cas de films aussi divers que Psychose (1960, HitchcockHerrmann), Alexandre Nevski, déjà cité, les Visiteurs du soir (1942, Carné-Thiriet), Hiroshima mon amour (1959, ResnaisFusco-Delerue), Casanova (1976, FelliniRota), Autant en emporte le vent (1939, Fleming-Steiner). Ce dernier film, en particulier, comporte 16 thèmes principaux dont un pour chaque personnage principal, reliés par des affinités et des contrastes, qui ont le même rôle symbolique que dans la Faust-Symphonie de Liszt ou la Tétralogie de Wagner. De même, dans la construction du film, ils suivent un parcours parallèle à la dramaturgie, pour la renforcer : ils grandissent, s’émeuvent, meurent, renaissent, etc., avec les personnages ou les situations qu’ils représentent, et se battent entre eux dans les films de guerre (bataille de thèmes dans les scènes de combat d’Alexandre Nevski). Pourquoi des « motifs » plutôt que des « thèmes « ? Parce qu’un thème au sens traditionnel est une forme assez développée et surtout conclusive, bouclée par une cadence. Le motif, ou micro-thème, plus bref, et surtout plus ouvert, se laissant facilement mémoriser à l’insu même du spectateur (qui n’écoute pas la musique pour elle-même), est mieux adapté au cinéma, encore que Theodor W. Adorno et Hanns Eisler en aient critiqué l’emploi. La musique de cinéma exige des formes courtes, et le compositeur doit se plier à des minutages précis, qui lui demandent de faire 50 secondes pour un baiser d’amour, 2 minutes pour un meurtre, 30 secondes pour un trajet en voiture, etc. Même si le film est baigné de musique en permanence, cette musique enchaîne différentes situations, et l’on ne peut s’attarder à des développements sophistiqués, sauf quand l’architecture du film ou de la scène a été conçue en étroit rapport avec la musique, ce qui est rarement le cas. La plupart du temps, cette architecture préexiste à la musique, elle commande au musicien de frapper fort et vite, ou au contraire de s’effacer dans des répétitions de motifs un peu passe-partout, ce « papier peint » musical dont Stravinski parlait avec mépris. Curieusement, l’utilisation de formes fermées, à caractère nettement conclusif dans les films (chansons, thèmes développés), est très souvent associée à la mort, à la séparation, à l’absence. Si l’orchestre symphonique prédomine dans les partitions des films classiques, le choix des sonorités joue un rôle très important ; c’est là que la musique de cinéma fait jouer des affinités de matière, de sensations, de grain, entre les textures sonores et visuelles. L’art des grands réalisateurs et des grands musiciens de films est de déterminer une palette, un univers de sonorités propres au film (choix des instruments à cordes exclusivement, dans la musique de Bernard Herrmann pour Psychose, correspondant au parti pris visuel d’un noir et blanc très contrasté). Il faut ajouter que ce travail de composition de la partition musicale d’un film peut se faire aussi bien avec des musiques préexistantes qu’avec une musique originale. Dans le volet central de son triptyque le Plaisir (1952), d’après Maupassant, le réalisateur Max Ophuls a su admirablement utiliser tour à tour Offenbach, Béranger, Mozart et des cantiques populaires dans une savante construction thématique qui culmine avec une audition bouleversante de l’Ave Verum mozartien dans une église de campagne. Tous les styles sont donc admissibles et admis dans la musique de film, avec, cependant, des emplois très stéréotypés. Le compositeur doit souvent se transformer en pasticheur pour les films d’époque, faisant du faux baroque, ou construisant de toutes pièces du « faux égyptien »... comme Wagner recréait complètement le style de ses Maîtres chanteurs. On a remarqué aussi que le spectateur de cinéma tolère souvent des styles très modernes, qu’il ne supporterait pas d’entendre à la radio. Enfin, si talentueux ou génial que puisse être le compositeur, le rôle du réalisateur est souvent déterminant dans la qualité musicale d’un film. Avec des réadownloadModeText.vue.download 215 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 209 lisateurs comme Visconti, Syberberg, Fel- lini, Resnais, Tarkovski, Duras, Bresson, Bergman, Leone, Coppola, etc., film et musique s’interpénètrent si intimement qu’ils fusionnent en un même genre global, comme avec l’opéra. UN SURVOL HISTORIQUE. La première projection des frères Lumière, le 28 décembre 1895, à Paris, était déjà accompagnée par un piano ; uniquement, disent certains, pour couvrir le bruit de l’appareil de projection et pour faire supporter le caractère irréel et fantomatique de ces silhouettes muettes qui s’agitaient sur l’écran, de ce train fonçant sur le public sans bruit. On peut penser pourtant que, déjà, la musique de film remplissait les fonctions précédemment évoquées, et on la trouvait dans presque toutes les projections, jouée par un pianiste, voire un harmonium ou un orgue, parfois un petit ensemble de chambre, et dans les grandes salles d’exclusivité, par un orchestre symphonique qui pouvait être très important. Le répertoire était puisé soit dans le domaine classique, soit dans des recueils originaux destinés spécialement au cinéma, pour accompagner les différents stéréotypes de situation (catastrophe, amour, poursuite, danse orientale, etc.). Enfin, dans les grandes occasions, des partitions originales étaient écrites pour accompagner la projection d’un film nouveau (le chef étant muni d’une espèce de « pupitre de synchronisation » quand le synchronisme devait être très précis). C’est ainsi que Saint-Saëns écrivit une partition pour l’Assassinat du duc de Guise (1908), Erik Satie pour Entr’acte (1924) de René Clair, Edmund Meisel pour le Cuirassé Potemkine (1925), de Serge Eisenstein, Darius Milhaud pour l’Inhumaine (1924), de Marcel L’Herbier, etc. La plupart du temps, cependant, on pouvait recourir à des catalogues d’« incidentaux » ou de « musiques incidentales » (comme celui publié en 1919 par Giuseppe Becce) ou enchaîner, selon les péripéties de l’action, la Chevauchée des Walkyries au Prélude en « do » dièse mineur de Rachmaninov. Quand Stanley Kubrick, dans 2001 A Space Odyssey (1968), ou Francis Ford Coppola dans Apocalypse Now (1979), utilisent le Beau Danube bleu ou la fameuse Chevauchée wagnérienne, ils réactualisent certains procédés du cinéma muet. Il y eut aussi des expériences de synchroni- sations de films muets avec des musiques enregistrées sur disques de gramophone dès 1904 ; ainsi signale-t-on une version condensée du Faust de Gounod réalisée en 1906 ! Commencées avec l’invention du cinéma, ces expériences ne se répandirent et n’aboutirent qu’avec la mise au point du cinéma « parlant », avec sa pellicule sonore sur le même support que le film. Le premier « parlant », The Jazz Singer (1927), est en fait un film « chantant » et musical. La comédie musicale est donc un genre aussi ancien que le cinéma sonore (et même muet), et elle a atteint son apogée dans le cinéma américain. À l’origine simple transposition filmée de revues de music-hall ou d’opérettes, elle est vite devenue, avec Busby Berkeley notamment (Gold Diggers, 1933), un genre autonome, fruit d’un croisement audacieux entre les possibilités d’ubiquité du cinéma et le cadre magique de la scène. Les grands metteurs en scène de comédies musicales, outre Berkeley, furent Vincente Minnelli, Stanley Donen, George Cukor, Ruben Mamoulian, plus récemment Bob Fosse. Les grands musiciens du genre sont les mêmes que ceux qui écrivaient, pour les scènes de Broadway, la même musique : George Gershwin, Irving Berlin, Rodgers et Hart, Cole Porter, Kander et Ebb, Leonard Bernstein, Jerome Kern, etc. L’opéra filmé lui-même est un genre aussi vieux que le cinéma. Les meilleures réussites ne sont pas forcément celles où l’on cherche à « aérer » l’action, mais celles où, comme Ingmar Bergman dans sa version de la Flûte enchantée (1975), on a su marier le cadre de la scène (même s’il est transgressé après avoir été posé) et le regard librement orienté de la caméra. Naturellement, le play-back (procédé où les chanteurs miment leur chant préenregistré, qui leur est diffusé pendant le tournage) est le plus souvent adopté pour réaliser un opéra filmé, malgré une tentative comme celle de Jean-Marie Straub, avec le Moïse et Aaron de Schönberg, pour faire un opéra filmé en « son direct ». Dans la majorité des films de fiction tournés après le début du cinéma « parlant », on trouve aussi un accompagnement musical : parfois d’un bout à l’autre du film (le « 100 p. 100 musical » prôné par Max Steiner), parfois dans une assez grande proportion, rarement pas du tout. Le cinéma d’Hollywood a beaucoup utilisé un certain type de musique symphonique de style postromantique, qui continue de fonctionner très bien dans les films les plus récents : la musique de John Williams pour la Guerre des étoiles (1977), par rapport à celle de Steiner ou Korngold, est de même inspiration. Curieusement, une grande partie des musiciens de film de la période classique hollywoodienne est d’origine russe, hongroise, tchèque, allemande : Max Steiner (1888-1971), Miklosz Rózsa (1907), Dimitri Tiomkin (1894-1979), Erich Wolfgang Korngold (1897-1957), Hugo Friedhofer (1902), Bronislav Kaper (1902) sont quelquesuns des compositeurs « classiques » du cinéma américain, à côté d’Adolf Deutsch (1897-1980), David Raksin (1912), Franz Waxman (1906-1967), Alfred Newman (1901-1970), Alex North (1910-1991), et Bernard Herrmann (1911-1975), musicien d’Orson Welles et de Hitchcock, autour duquel s’est développé un culte. Dans une génération plus récente, qui intègre souvent des éléments pris au jazz, à la variété, aux recherches contemporaines, et dont les orchestrations plus « éclatées » sentent parfois moins les violons et plus les bois et les cuivres, on trouve John Williams (1932), Lalo Schifrin (1932), Léonard Rosenman (1924), André Prévin (1929), Henry Mancini (1924-1994), Jerry Goldsmith (1929), Quincy Jones (1933), Burt Bacharach, Jerry Fielding, etc. Un retour à l’esthétique chargée, lyrique, « opératique » de Steiner, Rozsa, Herrmann s’est manifesté dans les années 70, sur l’initiative de réalisateurs comme Alain Resnais, Brian de Palma et Stephen Spielberg, et a fait émerger des compositeurs comme John Williams (1932), James Horner, Danny Elfman, George Fenton. Parmi les compositeurs du cinéma anglais, on citera John Addison (1920), John Dankworth (1927), Roon Godwin (1929), Richard Addinsell (1904-1977), et des auteurs « de concert » comme William Walton (qui travailla pour Laurence Olivier), Richard Rodney-Bennett, Peter-Maxwell Davies, etc. La France a longtemps connu une situation où les grands noms de la musique de concert écrivaient pour le cinéma : Henri Sauguet, Jacques Ibert, Maurice Thiriet, Arthur Honegger et, surtout, Georges Auric (chez Jean Cocteau notamment) travaillèrent avec les plus grands réalisateurs français. En revanche, la génération dite « d’avant-garde » répugne le plus souvent à se « commettre » avec le cinéma, sauf dans le domaine de la musique électroacoustique (Parmegiani, Canton, Bokanowski, Schwarz, Zanési, etc.) et à quelques exceptions près (Maurice Le Roux). Cependant, comme ailleurs, des compositeurs se sont consacrés spécialement au cinéma, dont le légendaire Maurice Jaubert (1900-1940), compositeur de l’Atalante de Jean Vigo ou du Jour se lève de Carné, ressuscité à titre posthume dans des films de François Truffaut. On peut citer aussi Paul Misraki (1908), Georges Van Parys (1902), les compositeurs de chansons Joseph Kosma (1905-1969) et Vincent Scotto (1876-1952), et, plus récemment, Maurice Jarre (1924) - émigré en Amérique comme les Korngold d’antan -, les excellents Georges Delerue et Pierre Jansen, puis ceux qui favorisent le « joli thème » qui chante et embue les yeux, François de Roubaix (1939-1975), Francis Lai (1932), le brillant Michel Legrand (1932), auteur d’un des rares « opéras » 100 p. 100 chantants écrits pour le cinéma (les Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy), Michel Magne (1930), Philippe Sarde (1948), Gabriel Yared (1949), Éric Demarsan (1938). En Italie, downloadModeText.vue.download 216 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 210 à côté de Fiorenzo Carpi, Armando Trovajoli, Mario Nascimbene, Renzo Rossellini, Roman Vlad, Franco Mannino, Luis Bacalov, Nicolá Piovani, Gian-Franco Plenizio, émergent 3 noms : ceux de Giovanni Fusco (1906-1968), musicien sobre et cérébral des films d’Antonioni ; Ennio Morricone (1928), suprêmement doué pour gaspiller son immense talent, tel un Rossini, et qui transgressa les habitudes en composant des musiques qui s’« entendent » beaucoup, contrairement à la règle qui veut qu’elles se fondent et se fassent oublier ; enfin le grand Nino Rota (1911-1979), dont l’association privilégiée avec Federico Fellini a immortalisé « tel qu’en lui-même » le style à la fois léger et profond, qui prend ses racines dans les genres les plus modestes et les plus populaires (cirque, music-hall), pour en extraire la quintessence d’émotion. On peut citer aussi les Allemands Hanns Eisler, Paul Dessau, les Grecs Manos Hadjidakis et Mikis Theodorakis, le Polonais Krysztof Komeda, le Suédois Erik Nordgren, le Russe Eduard Artemyev. Si, parmi les musiciens dits « de concert », Chostakovitch écrivit abondamment pour le cinéma, on connaît surtout en Europe le travail pourtant rare et localisé de Prokofiev, à cause des deux films d’Eisenstein qu’il mit en musique, Alexandre Nevski et Ivan le Terrible (19431945). La conception du rapport image/ son dans ces deux films n’est pas révolutionnaire, elle est simplement étudiée avec plus de soin, de conscience, de talent et de concertation mutuelle qu’il n’est de coutume. Les procédés qu’elle met en oeuvre (mise en rapport de temporalités, de dimensions rythmiques, plastiques, de masses et de matières entre le son et l’image) se retrouvent aussi bien dans les films dits « expérimentaux » traités par Michel Fano (compositeur-réalisateur de « bandes sonores » pour Robbe-Grillet) que dans des films d’allure très classique, avec des chansonnettes et des orchestrations traditionnelles. Cette alchimie de la musique et du cinéma ne se réduit pas à des procédés, les classifications habituelles entre les genres, les styles n’ont pas de sens ici. Qu’importe que soit « dodécaphonique », « expérimentale » ou « tonale » une partition musicale quand l’alchimie fait son oeuvre et qu’elle unit indissolublement le blues écrit par Carlos d’Alessio au chant d’amour fou mis en film par Marguerite Duras sous le titre d’India Song. CIRY (Michel), compositeur français (La Baule 1919). Connu surtout comme peintre et comme graveur, il a travaillé avec Nadia Boulanger et, tout en refusant les techniques d’avant-garde, a su échapper au néoclassicisme. Esprit mystique, il s’est, à partir de 1947, consacré presque exclusivement au domaine religieux, non sans s’opposer violemment, sur ce point précis, à un Olivier Messiaen. Ses 5 premières symphonies, pour choeur et orchestre, portent les titres significatifs de Symphonie de douleur « Stabat Mater » (1951), Dies Irae (1952), Symphonie d’espérance « De profundis » (1954), Symphonie de pitié (1954), Symphonie de paix (1955). La sixième (Symphonie sacrée, 1958) est pour voix d’alto et orchestre sur des textes de R. M. Rilke. On lui doit aussi le Mystère de Jésus (Gethsémani) [1953], le quatuor à cordes Ecce homo (1955), un concerto pour piano, vents et batterie (1948), Stèle pour un héros (1949), la Pietà pour cordes (1950). CISTRE. Instrument ancien à cordes pincées, à caisse ronde, fond plat et au manche allongé. Héritier de la cithare de l’Antiquité, il apparaît dans l’iconographie dès le VIe siècle. À son apogée, à partir du XVIe siècle, il était, comme la mandoline, et à la différence du luth, monté de cordes métalliques, souvent doubles. Il lui fut consacré de nombreux recueils, parus chez les grands éditeurs de Paris, d’Anvers ou de Londres. Après une éclipse, le cistre connut un regain de vogue à la fin du XVIIIe siècle, mais sa forme s’était entre-temps altérée et on rencontre alors différents types de cistres de factures fort diverses. Il ne faut pas confondre le cistre et le sistre, instrument à percussion. CITÉ DE LA MUSIQUE. Établissement public inauguré à Paris en 1993. Visant une pluralité d’approche (écouter, apprendre, pratiquer, voir), le projet associe sur un même site la création, la diffusion, l’enseignement, la documentation, l’information et la conservation. Dans une architecture inspirée par le caractère temporel des formes musicales (un espace « qui se parcourt, que l’on ne peut jamais saisir d’un seul regard » selon son concepteur, l’architecte Christian de Portzamparc), la Cité de la musique s’adresse aussi bien à l’amateur qu’au professionnel averti, qu’elle souhaite mettre en contact et en interaction. L’activité de l’établissement se déroule notamment autour de la salle de concerts (800 à 1 200 places, selon la disposition), modulable d’une point de vue géométrique et acoustique, ce qui permet une programmation éclectique (musique baroque, contemporaine, jazz, musiques du monde) dans un cadre correspondant à chacun des styles illustrés. Le musée de la Musique veut donner à voir et à entendre les instruments dans une présentation originale (« exposition permanente »). Un amphithéâtre y est destiné aux démonstrations d’instruments acoustiques, électroniques ou informatiques. Le Centre de documentation musicale et chorégraphique comprend notamment une multimédiathèque qui utilise les nouveaux supports de conservation et de diffusion de l’information. Depuis 1996, un Institut de pédagogie musicale fait aussi partie de l’établissement. La Cité de la musique organise en outre des stages (Académie de musique du XXe siècle, entre autres) et déploie une activité éditoriale (livres, CD-ROM). CITHARE. On appelait cithare, dans l’Antiquité classique, l’instrument aujourd’hui appelé lyre. La cithare n’était, en fait, qu’une lyre améliorée, à la caisse de résonance plus développée. Le terme est de nos jours appliqué par les musicologues à tout instrument à cordes pincées dépourvu de manche, quelle que soit sa forme (vina de l’Inde, etc.). Mais il désigne particulièrement la cithare d’Europe centrale, dont les nombreuses cordes accordées chromatiquement et résonnant à vide sont tendues sur une caisse plate de forme trapézoïdale. CITRON (Pierre), musicologue français (Paris 1919). Agrégé de l’Université, docteur ès lettres, il a été notamment attaché de recherche au Centre national de la recherche scientifique (1957-1960), directeur des études à l’Institut français de Londres (1960-1963) et professeur de littérature française à la faculté des lettres de Clermont-Ferrand (1963-1969). À partir de 1970, il a occupé le même poste à Paris-Sorbonne. Il a édité des oeuvres de Balzac, Villiers de l’lsleAdam et Giono. Comme musicologue, on lui doit des ouvrages sur Couperin (1956) et Bartók (1963), ainsi que l’édition des Mémoires (2 vol., 1969) et - en collaboration avec Frédéric Robert - de la Correspondance générale d’Hector Berlioz (six volumes de 1972 à 1995, septième et dernier volume à paraître). CLAIRON. 1. Instrument à vent de la famille des cuivres. Cette sorte de trompette sans pistons, de perce conique plus grosse et de forme plus ramassée que la trompette, a une sonorité aussi claire, mais moins sèche. Réglementaire dans l’armée française, le clairon est chargé des diverses sonneries de service, de combat et de cérémonie, encore qu’il tende à tomber en désuétude sauf dans ce dernier domaine. Les clairons sont également employés en grand nombre, avec les tambours, dans les « cliques » militaires et civiles. 2. Jeu d’orgue à anche, du type trompette, dont le tuyau est de forme conique régulière, à grosse taille, en métal. Il sonne à l’octave aiguë de la trompette (4 pieds). Ce registre dote le pédalier - où il est parfois downloadModeText.vue.download 217 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 211 appelé à jouer en soliste - ou les claviers manuels ; il est le plus souvent associé à la trompette, et éventuellement à la bombarde, en batteries d’anches utilisées dans les tutti. 3. Second registre (registre du médium) de la clarinette. CLAPISSON (Antonin Louis), compositeur français (Naples 1808 - Paris 1866). Après avoir étudié le violon à Bordeaux, il se rendit à Paris, où il entra en 1830 au Conservatoire. Élève de Reicha (composition) et de Habenek (violon), il reçut en 1832 un deuxième prix qui lui permit de devenir second violoniste à l’Opéra. Ce poste, qu’il conserva jusqu’en 1838, et ses qualités de mélodiste l’amenèrent à se tourner vers la scène lyrique. Son grand opéra Jeanne la Folle (1848) n’ayant pas réussi, il continua à composer surtout de la musique de demi-caractère, écrivant en tout plus de vingt opéras-comiques. La Perruche (1840), la Promise (1854) et surtout la Fanchonnette (1856) connurent un très vif succès, tandis que le Code noir (1842) et Gibby la Cornemuse (1846) furent considérés comme ses meilleurs ouvrages lyriques. Clapisson se fit également connaître par plus de deux cents chansons, dont certaines furent popularisées par des textes de Béranger, et par une collection d’instruments de musique, qui vint enrichir, à Paris et à Londres, le musée du Conservatoire et le Victoria and Albert Museum. CLAQUEBOIS. Instrument ancien de la famille des percussions. C’était en fait, comme son nom l’indique, un xylophone rudimentaire. CLAQUETTE. Instrument à percussion en bois, apparenté à la crécelle, et constitué de deux lames que l’on fait claquer l’une contre l’autre. CLAQUETTES (danse à) [en angl. tap dance]. Danse moderne issue du folklore noir américain. Elle est fondée, comme le zapateado espagnol, sur le jeu des pieds frappant le sol, alternativement, de la pointe et du talon. Son effet sonore est généralement renforcé par l’emploi de souliers spéciaux, ferrés aux deux bouts, qui forment avec le plancher de véritables instruments à percussion. CLARINETTE. Instrument à vent de la famille des bois. Les lois de l’acoustique sont ainsi faites qu’un tuyau sonore de perce cylindrique sonne comme un tuyau fermé, c’est-à-dire à l’octave inférieure d’un tuyau conique de même longueur. C’est pourquoi la clarinette possède, au grave, près d’une octave de plus que le hautbois. Elle est également caractérisée par son anche simple, une mince lame de roseau qui, fixée à un bec, vibre contre la lèvre inférieure de l’exécutant. Historiquement, la clarinette s’apparente à de nombreux instruments à anche simple et perce cylindrique dont l’origine se perd dans la nuit des temps, et qui se retrouvent sous diverses formes jusqu’en Extrême-Orient. Dans le monde occidental, l’ancêtre direct de la clarinette est le chalumeau médiéval, mais le premier instrument qui lui ressemble vraiment est d’invention relativement récente. C’est un facteur de Nuremberg, Johann Christoph Denner (1655-1707), qui s’avisa vers 1690 de supprimer la capsule où était enfermée l’anche du chalumeau, et d’ajouter au tuyau sonore un pavillon dont la forme rappelait celle de la petite trompette ou clarino, d’où le diminutif « clarinette ». Avec les fils de Denner, puis avec un grand clarinettiste originaire de Bohême, Joseph Beer (1744-1811), l’instrument connut des améliorations successives se traduisant, comme pour tous les bois, par la multiplication des trous et des clés. Elle acquit ses vertus actuelles d’agilité et d’étendue (3 octaves et une sixte) grâce au système de Theobald Böhm, au milieu du XIXe siècle. Mais depuis une centaine d’années déjà, malgré ses imperfections, elle possédait l’essentiel de ses caractéristiques de timbre et de ses possibilités expressives (large éventail de couleurs, du moelleux au mordant, de son registre grave appelé chalumeau ; chaleur et brio de son registre de médium ou clairon ; incisivité et, s’il le faut, ironie de son aigu) et avait attiré les plus grands compositeurs. Rameau l’introduisit dans l’orchestre de son opéra Zoroastre (1749) ; l’école de Mannheim la dota d’un riche répertoire de soliste ; Mozart l’employa de manière inspirée dans l’instrumentation de ses symphonies et de ses opéras et lui confia un rôle prépondérant dans deux partitions d’une extrême qualité, le Concerto pour clarinette K 622 et le Quintette pour clarinette et cordes K 581. Toutes sortes de bois (buis, grenadille, etc.) ont servi à la construction de la clarinette. Il y en a même eu de métalliques. Aujourd’hui, l’ébène est pour ainsi dire seule employée. Le modèle le plus répandu, et de loin, est en si bémol. Il en existe également dans les tonalités plus hautes d’ut et de mi bémol (petite clarinette) et celle, plus grave, de la. Dans les versions encore plus graves, l’instrument change sensiblement de forme en raison de ses dimensions. Le cor de basset en fa, jadis coudé en son milieu, est de nos jours rectiligne sauf un bocal métallique légèrement incurvé qui supporte le bec. La clarinette alto en mi bémol, avec son pavillon métallique recourbé vers le haut, affecte déjà la forme d’un « S », encore plus accusée dans la clarinette basse en si bémol ou en la. Citons enfin une clarinette contralto (en fa ou en mi bémol) et une clarinette contrebasse en si bémol grave. CLARINO. Nom donné, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, à une sorte de trompette qui permettait d’exécuter les passages suraigus que comporte fréquemment la musique baroque, et dont l’exemple le plus célèbre est fourni par le Deuxième Concert brandebourgeois de J. S. Bach. Si l’existence de cet instrument ne fait aucun doute, les musicologues en sont encore réduits aux hypothèses sur sa nature exacte et sa construction, car aucun exemplaire n’est parvenu jusqu’à nous. La trompette naturelle - c’est-à-dire démunie des pistons qui ne furent mis au point que vers 1830 - n’émet en effet que les harmoniques du son fondamental, harmoniques qui ne se suivent par degrés conjoints que dans une tessiture très élevée, purement théorique en ce qui concerne les instruments de perce et de dimensions normales. On a évoqué la possibilité d’une trompette à anche, ou à trous, ou comportant à la fois une anche et des trous. Mais de récentes tentatives de reconstitution donnent à penser que le clarino était plutôt une véritable trompette munie d’une très petite embouchure, dont le très long tube était plusieurs fois enroulé sur lui-même, en forme de cercle, à la manière du cor de poste (posthorn). Encore l’instrument de ce type exige-t-il une prodigieuse virtuosité, mal récompensée par la fausseté de la plupart des notes. Le clarino est aujourd’hui avantageusement remplacé par la petite trompette en si bémol aigu à quatre pistons, le quatrième ayant pour effet de transposer l’instrument dans le ton de fa. CLARKE (John, ou Clarke-Whitfield), organiste et compositeur anglais (Gloucester 1770 - Holmer 1836). Après des études à Oxford, il partit en 1789 en Irlande, où il occupa différentes positions d’organiste et de chef de choeur (à Ludlow, Dublin et Armagh). À la suite de la révolte de 1799, il rentra en Angleterre pour y exercer, jusqu’en 1820, les mêmes fonctions au Trinity College et au Saint John’s College de Cambridge, où il fut nommé professeur de musique en 1821. En 1820, il devint organiste et chef de choeur à la cathédrale d’Hereford, poste qu’il abandonna en 1832. Musicien infatigable, Clarke est l’auteur de mélodies, de glees, d’un oratorio (The Crucifixion and the Resurrection), et surtout d’une anthologie en quatre volumes de services religieux et d’anthems (Cathedral Music). Il a publié, en outre, downloadModeText.vue.download 218 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 212 un recueil de trente anthems de maîtres contemporains, et a effectué de nombreux arrangements, en particulier des oeuvres de Haendel. CLASSICISME. Terme tendant parfois à se confondre avec l’expression « musique classique ». Très employé, quoique souvent de façon ni claire ni précise, il recouvre, selon les périodes ou les pays, des réalités fort diverses. La musique « classique » peut s’opposer à celle dite « populaire » ou « légère », et comprend alors toute la musique savante (ou « sérieuse ») européenne, de Pérotin aux successeurs de Boulez. Dans ce contexte « savant », on peut distinguer musique classique et musique contemporaine, et faire débuter celleci avec Debussy, par exemple, ou avec la génération Boulez-Stockhausen. Mais on appelle « classique » contemporain une personnalité ou une oeuvre dont la situation et le rang ne sont plus contestés par les spécialistes, ni même parfois par le grand public, ce qui est le cas de nombreuses partitions de Boulez ou de Stockhausen. Dans le même ordre d’idée, on considère Schubert comme le représentant « classique » du lied allemand et Liszt comme celui du poème symphonique, car ils furent les premiers à donner, de ces genres respectifs et dans un contexte historique et esthétique précis, des spécimens convaincants, exemplaires et durables. Mais Schubert et Liszt relèvent de ce qu’on appelle traditionnellement le romantisme musical. Et de fait, on oppose aussi musique classique à musique romantique, musique baroque, musique de la Renaissance, musique médiévale. En ce sens, le classicisme versaillais de Lully (1632-1687) à Rameau (1683-1764) et le classicisme viennois de Haydn (1732-1809), Mozart (1756-1791) et Beethoven (1770-1827) correspondirent bien à deux âges d’or, mais ne se confondirent ni dans le temps ni surtout esthétiquement. Le premier fut essentiellement d’Ancien Régime, le second annonciateur et contemporain de la Révolution française. Et le passage de l’un à l’autre fut symbolisé par un événement culturel d’importance, la Querelle des bouffons (1752). Ils n’ont pas toujours cultivé les mêmes formes, et leurs architectures, leurs dynamiques musicales sont inconciliables, y compris dans les genres pratiqués par l’un et par l’autre, comme le concerto et surtout l’opéra (le quatuor à cordes et la symphonie ne reçurent leurs lettres de noblesse qu’avec le classicisme viennois, historiquement la première « école » qui n’eut jamais besoin d’être redécouverte). À noter qu’en musique, comme en littérature, le terme « classique » est d’invention assez récente (v. 1800), et chronologiquement plutôt postérieur à celui de musique « romantique », celui-ci ayant largement suscité celui-là. Il reste que, à partir de Goethe, l’opposition classicismeromantisme en musique agita beaucoup les esprits, notamment chez les écrivains. Beaucoup se préoccupèrent surtout de défendre un programme : d’où les premières accusations de sécheresse, de pédantisme et de formalisme lancées contre le « classicisme », ce qui est aussi absurde que de le définir uniquement, même en prônant ces vertus, par rigueur formelle, raison, logique et bon goût. Alors que E. T. A. Hoffmann venait de qualifier Haydn et Mozart (et a fortiori Beethoven) de romantiques en raison de leur rôle dans l’émancipation de la musique instrumentale, seule capable selon lui, par son abandon des paroles, du programme, d’exprimer l’inexprimable, et que la génération de 1830 s’apprêtait à redécouvrir Bach (1685-1750), contemporain de Rameau, Goethe lui-même alla sans doute au coeur du problème : « Technique et mécanisme poussés à l’extrême conduisent les compositeurs à un point où leurs oeuvres cessent d’être de la musique, et n’ont plus rien à voir avec les sentiments humains ; confronté à elles, on ne peut rien apporter qui vienne de son propre esprit ou de son propre coeur » (lettre à Eckermann, 12 janvier 1827). Cette phrase méconnue, selon laquelle n’est plus musique celle qui par sa puissance despotique paralyse l’auditeur et le prive de son pouvoir d’imagination, en dit long sur Goethe et sur ses goûts, mais n’en touche pas moins un point essentiel en affirmant que « c’est précisément l’équilibre des fonctions de l’artiste et de l’auditeur qui caractérise l’attitude classique » (Friedrich Blume). CLAUDEL (Paul), poète et auteur dramatique français (Villeneuve-sur-Fère 1868 - Paris 1955). Il a reconnu sa dette envers Beethoven à qui il devait, disait-il, pour la formation de son art, autant qu’à Shakespeare et aux tragiques grecs. En se situant par rapport à Richard Wagner, le poète s’est efforcé d’établir de nouveaux liens entre la parole et le chant. Grâce à sa collaboration avec Darius Milhaud, commencée dès 1913 avec Agamemnon et Protée, poursuivie de 1915 à 1922 avec les Choéphores et les Euménides, puis en 1929 avec Christophe Colomb, Claudel a pu montrer comment la mélodie peut jaillir de la parole et la phrase du rythme élémentaire, de même que la poésie peut surgir de la réalité la plus grossière. Ses recherches ont abouti à substituer à l’esthétique traditionnelle du drame lyrique celle d’un théâtre musical mettant en jeu les formes les plus diverses de l’expression. La collaboration de Claudel et d’Arthur Honegger dans Jeanne au bûcher n’est pas moins importante : en se conformant strictement aux indications du poète, Honegger a composé l’une de ses plus grandes oeuvres. LIVRETS ET ARGUMENTS DE BALLETS : l’Homme et son désir, ballet (1917) ; la Femme et son ombre, ballet (1923) ; Christophe Colomb, opéra (1929, créé en 1930) ; le Festin de la sagesse, oratorio dramatique (1934) ; Jeanne au bûcher, oratorio dramatique (1934) ; la Danse des morts, oratorio dramatique (1938). ÉCRITS SUR LA MUSIQUE : Richard Wagner. Rêverie d’un poète français (1927) ; le Drame et la Musique (1930) ; le Poison wagnérien (1938) ; Sur la musique (1942) ; Hector Berlioz (1943) ; le « Beethoven » de Romain Rolland (1946) ; Arthur Honegger (1946) ; le Dauphiné sous l’archet de Berlioz (1949). CLAUSULE. Section d’organum en style de déchant (teneur mesurée) venue se substituer à une section en style organum (teneur non mesurée) ou à une section plus vaste en style de déchant (démarches associées au nom de Pérotin et aux modifications apportées au Magnus liber de Léonin). Exécutée séparément, avec texte nouveau à la voix organale (selon la technique du trope) et hors de tout contexte liturgique, la clausule fut à l’origine du motet médiéval. Le terme peut aussi signifier « fin de phrase » et, par extension, se rapprocher de « formule cadentielle ». CLAVÉ (José Anselmo), compositeur et chef de chorales espagnol (Barcelone 1824 - id. 1874). Entièrement autodidacte, venu à la musique après avoir dû abandonner pour raisons de santé le métier de tourneur, il composa quelques zarzuelas, des romances, des choeurs, et fut un grand animateur de la vie musicale catalane. Ayant pris en 1845 la direction d’une société musicale d’étudiants, « La Aurora », il la transforma en un groupe choral à la manière des orphéons français, qui prit le nom de « La Fraternidad » (1850), puis « Euterpe » (1857). À l’instar de ce groupe se constituèrent en Catalogne de nombreuses sociétés chorales. Clavé demeura le catalyseur de ce mouvement en organisant des concours et des fêtes auxquelles se joignaient des musiciens professionnels. Au cours de l’une d’elles, en juillet 1862, il dirigea la « marche des pèlerins » de Tannhäuser : ce fut la première exécution d’une page de Wagner en Espagne. Attaché au progrès social, Clavé participa d’autre part activement à la vie politique de sa province. downloadModeText.vue.download 219 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 213 CLAVECIN (en angl. harpsichord ; en all. Kielflügel ou Cembalo ; en ital. clavicembalo). Famille d’instruments à clavier dont les cordes sont mises en vibration par un mécanisme comportant un plectre. De forme, d’étendue et de dimensions variables, le clavecin a été employé dans toute l’Europe dès le milieu du XVe siècle, pour ensuite disparaître presque complètement de la vie musicale vers 1800, cédant ainsi la place à un instrument totalement différent et correspondant mieux à l’évolution du goût à cette époque : le piano-forte. Redécouvert par quelques pionniers au début du XXe siècle, le clavecin a progressivement retrouvé son langage propre tout en élargissant son répertoire par l’augmentation de ses possibilités. Sous l’action conjuguée des compositeurs et de certains facteurs d’instruments, on assiste aujourd’hui à la naissance d’un clavecin nouveau mis à la disposition d’interprètes de talent défendant courageusement la musique de leur temps. LES ORIGINES. On ne sait pas avec précision à quelle date apparaît le clavecin en Europe. Son nom nous est révélé pour la première fois, sous la forme latine clavicymbalum, dans un poème en bas allemand de 1404, Der Minne Regeln. On pense généralement que ce nouvel instrument résulte de la combinaison, réalisée par un artisan inconnu, d’un instrument à cordes à caisse trapézoïdale d’origine arabo-persane, le « qâ nun », avec un clavier à touches étroites comme ceux des orgues portatifs ou positifs. Dès 1420, de nombreux témoignages iconographiques attestent la rapidité de sa diffusion. Vers 1440, un traité capital révèle les règles de construction de divers instruments parmi lesquels figure en bonne place le clavicimbalum. Rédigé par Henri Arnaut de Zwolle (v. 1400-1466), physicien et astronome du duc de Bourgogne Philippe le Bon, puis de Louis XI, ce manuscrit constitue le seul traité de construction de toute l’histoire de la facture de clavecins. Le plan très précis du clavicimbalum qui nous est proposé a de quoi surprendre le lecteur ; en effet, toutes les dimensions de l’instrument sont indiquées par rapport à un « module » de base qui sera ensuite reporté selon une « série » mathématique précise (1, 2, 3, 5, 8, 13...). Aucune dimension mesurée n’est indiquée et toutes les reconstitutions actuelles sont des hypothèses qui s’appuient principalement sur la largeur des touches du clavier. Les plus vraisemblables de ces reconstitutions conduisent à un instrument relativement court à la courbe très prononcée - un arc de cercle parfait -, tendu d’un seul rang de cordes de fer. Son étendue est de trois octaves (35 notes de si à la) et sa sonorité extrêmement brillante et percutante s’explique à la fois par le faible volume de la caisse de résonance, par les plectres de bronze qui mettent les cordes en vibration, et par l’absence de tout système d’étouffoir. Cette dernière particularité contraint l’interprète à adopter un tempo plus que modéré s’il veut éviter toute confusion. Il n’y a pas à cette époque de littérature spécifique spécialement destinée au clavicimbalum. Son clavier lui permet cependant d’aborder les transcriptions de messes polyphoniques ou bien les tablatures d’orgue d’un Conrad Paumann, dont le Fundamentum Organisandi voit le jour en 1452. Son encombrement réduit et sa légèreté lui permettent sans doute aussi de participer à des musiques de divertissement où son éclat et la précision de son timbre lui permettent de soutenir quelque « danserye ». Certains regretteront peut-être que le quatrième dispositif décrit par Henri Arnaut de Zwolle pour mettre les cordes en vibration ait été si rapidement oublié : il s’agissait d’une sorte de levier comportant un « crampon » métallique, projeté contre la corde par la touche du clavier. Oublié pendant trois siècles, il devait être redécouvert ensuite pour devenir... le marteau du piano-forte ! LE FONCTIONNEMENT. Dès le milieu du XVe siècle, le principe directeur du clavecin est acquis. Il restera identique, plus ou moins amplifié, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Ce principe est simple : un certain nombre de cordes métalliques, de longueur décroissante et correspondant chacune à une note de la gamme, sont tendues au moyen de chevilles d’accord entre deux points fixes. L’un de ces points fixes est destiné à transmettre et amplifier la vibration des cordes, au moyen de la table d’harmonie, véritable membrane de bois mince qui agit à la façon d’une peau de tambour. Le second point fixe est placé sur une partie généralement non résonnante. La réunion de ces différents points constitue respectivement le chevalet et le sillet. Le mécanisme de mise en vibration de chaque corde, le sautereau, est constitué d’une mince réglette de bois (d’environ 14 × 3 mm de section dans un clavecin classique) armée d’un plectre à sa partie supérieure. Ce plectre, jadis en plume de corbeau et maintenant souvent remplacé par un matériau de synthèse, est enchâssé dans une languette de bois dur susceptible de pivoter autour d’un minuscule axe métallique. Un infime ressort, autrefois tiré d’une soie de sanglier, maintient cette languette en position verticale de repos. Lorsque l’on enfonce une touche du clavier, le sautereau qui repose sur l’arrière de la touche se soulève d’autant, guidé dans sa course par une réglette de bois percée de mortaises : le registre. Le plectre qui se trouvait sous la corde accroche ou « pince » celle-ci dans son mouvement ascendant, la mettant ainsi en vibration. La corde « sonne » jusqu’à ce que ses vibrations s’éteignent par perte d’énergie. Relâche-t-on cette même touche ? Le sautereau retombe par son propre poids, son plectre rencontre à nouveau la corde dans un mouvement inverse qui oblige la languette à basculer autour de son axe, laissant ainsi échapper la corde sans émission de son. Toute vibration parasite est évitée grâce à un étouffoir de drap ou de feutre qui coiffe le sautereau. À chaque touche du clavier correspond au moins une corde mise en vibration par un sautereau. S’il a existé des clavecins à une corde seulement pour chaque note, les facteurs ont eu bientôt l’idée - inspirés peut-être en cela par les facteurs d’orgues - d’ajouter une seconde corde, accordée à l’unisson ou à l’octave de la première, créant ainsi des « jeux » supplémentaires. Ces jeux posséderont chacun leur propre rang de sautereaux sur des registres séparés qui pourront être mis « en jeu » ou « hors jeu » au moyen de mécanismes simples actionnés par le musicien. Par analogie avec l’orgue, l’arrangement des différents jeux d’un clavecin est appelé sa « disposition ». Si nous ajoutons que tout clavecin doit posséder une caisse de résonance close à l’inverse de celle du piano moderne -, nous aurons résumé tous les éléments spécifiques propres à cet instrument. Tous les clavecins dignes de ce nom possèdent ces caractères généraux, mais leur structure ainsi que leur disposition ont sans cesse varié selon les époques ou selon les régions, aboutissant ainsi à des instruments d’esthétique et de sonorité différentes que l’on a l’habitude de regrouper au sein de plusieurs grandes écoles. LA FACTURE ITALIENNE. Celle-ci représente un cas particulier parmi toutes les écoles européennes de facture de clavecins. En effet, ses caractères dominants se retrouvent tout au long de son histoire, pendant près de trois siècles, sans que le schéma initial né vers 1500 subisse de profondes altérations : tout se passe comme si l’instrument primitif avait été parfait dès le début de son histoire. Seules des modifications mineures (étendue, suppression ou adjonction d’un jeu, mise à d’autres diapasons, etc.) attestent, par ces déviations par rapport au schéma type, la vitalité et la créativité d’un art qui a toujours su éviter la monotonie. Historiquement et technologiquement, l’école italienne est celle qui suit au plus près le principe directeur « bourguignon » légué par Henri Arnaut de Zwolle au milieu du XVe siècle. Historiquement d’abord, les clavecins les plus anciens sont dus à des facteurs italiens, à une exception près. Il ne se passe « que » soixante ans endownloadModeText.vue.download 220 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 214 viron entre la rédaction du célèbre traité et les premiers instruments qui nous sont parvenus. Techniquement ensuite, ces premiers facteurs ont suivi de très près la construction « harmonique » dans l’élaboration de leurs plans et de leurs tracés. À l’examen, on devine aisément l’existence d’un « module » de base qui se retrouve, multiplié ou réduit, dans toutes les parties de l’instrument. L’un de ces modules, et le plus évident, est la conséquence d’une loi physico-acoustique qui veut qu’une corde sonore, d’un matériau et d’un diamètre donnés, sous une tension égale, sonne une octave en dessous d’une corde de référence moitié moins longue. C’est cette constatation qui régit l’ensemble de la production italienne pendant ces trois siècles en incitant les facteurs à adopter la « règle de la juste proportion » pour le tracé de leur plan de cordes. La longueur de la corde correspondant à l’ut de 1 pied (1ʹ) est souvent prise pour module, et cette valeur (comprise entre 280 et 300 mm) sera simplement doublée d’octave en octave sur presque toute l’étendue du clavecin. Cette construction quasi mathématique va conférer au clavecin italien sa caractéristique visuelle principale qui est une courbe extrêmement prononcée. L’éclisse courbe est en effet parallèle au chevalet dont la place est déterminée par la longueur des cordes. On observe cependant une altération de la « juste proportion » dans le grave, de façon à ne pas obtenir un instrument exagérément long et fragile, ainsi que des cordes molles et sans timbre. La pointe du chevalet est alors simplement brisée par l’emploi d’une courte portion droite soutenant les cordes les plus longues. Sous l’aspect de la fabrication proprement dite, le clavecin italien est une caisse fermée, d’une ligne très élancée, construite avec des matériaux de faible épaisseur. Son poids en est donc relativement réduit. À titre d’exemple, un instrument dû au facteur Trasuntino, daté de 1538, pèse seulement 12 kg, clavier compris, pour une longueur de 2,08 m ! C’est donc une technique de fabrication qui s’apparente encore beaucoup à la lutherie proprement dite. Sur le plan pratique, la caisse est construite à partir d’un fond en sapin dont l’épaisseur varie de 10/11 à 21/22 mm selon les instruments. Ce fond est parfois consolidé par des traverses « en écharpe », clouées et collées diagonalement pour renforcer l’assemblage. Sur cette assise plane seront fixées, par simple collage ou par encastrement, des équerres qui supporteront une « couronne de contre-éclisses » servant ultérieurement d’appui à la table d’harmonie. Des arcsboutants partant du fond et rejoignant les contre-éclisses viennent encore rigidifier cette charpente sans nuire à sa légèreté. Le sommier qui recevra les chevilles d’accord est généralement issu d’un bloc de noyer et est fixé solidement sur des supports en ménageant un espace ou « fosse » à l’avant de la table, espace destiné au passage des registres. Il est à noter que la majorité des instruments italiens anciens comportent une « fosse » placée en oblique par rapport au sommier et au clavier : le registre est ainsi plus éloigné du clavier au grave qu’à l’aigu. Nous retrouvons là une préoccupation majeure des facteurs pour tenter de maintenir une harmonie entre les rapports des points de pincement de chaque corde sur toute l’étendue du clavier. Les éclisses sont ensuite collées sur la périphérie de cette charpente. Ce sont des planches minces, de 3 à 6 mm d’épaisseur et de 180 à 200 mm de largeur, généralement en cyprès mais aussi parfois en noyer. Après assemblage, ces éclisses ainsi que le bas de la caisse seront ornés de moulures au profil très accentué. Moulures ornementales, certes, mais qui joueront surtout le rôle de renforts destinés à rigidifier ces surfaces déformables, sans augmenter sensiblement le poids de l’ensemble. La table d’harmonie est préparée, généralement, à partir d’un assemblage de minces feuillets de cyprès, mais parfois aussi d’épicéa, puis dotée de son barrage (armature de la face interne destinée à délimiter avec précision des aires de vibration) et de son chevalet (baguette moulurée et cintrée qui transmet les vibrations à la table). Cette table est collée sur les contre-éclisses et prête à recevoir, après « division » et « pointage », un ou deux rangs de cordes très fines, généralement en fer et en laiton. Il n’entre donc dans l’élaboration de la caisse des instruments italiens que des matériaux légers et résonnants. Cette légèreté conduisant à une relative fragilité, le clavecin italien est contenu dans un étui ou « caisse extérieure » en bois plus massif. C’est cette caisse qui recevra le couvercle et c’est sur celle-ci que s’exercera le talent des peintres et des ornemanistes, car l’instrument lui-même est toujours laissé nu, dans la beauté du bois soigneusement poli. Un piètement qui peut aller jusqu’à l’extravagance supporte le tout, lorsque le clavecin est fixé à demeure. En cas de déplacement fréquent - les princes n’aiment-ils pas être accompagnés de leurs musiciens ? - une table peut le recevoir, deux tréteaux permettent d’en jouer. Une autre singularité intéressante est l’adoption systématique par les facteurs italiens - et par les musiciens, par conséquent - d’un clavecin à un seul clavier dont l’étendue reste longtemps fixée autour de quatre octaves. Pour cette étendue, représentant 49 notes, le clavier ne comprend souvent que 45 touches, l’octave la plus grave étant amputée de certains demi-tons. Cela résulte de l’accord particulier des instruments à clavier préconisé jusqu’au milieu du XVIIIe siècle au moins. Cet accord, dit « à tempérament inégal », avait pour cause l’impossibilité de diviser l’octave en douze demi-tons égaux en conservant des intervalles (tierce, quinte, etc.) acoustiquement « justes ». Les musiciens « trichaient » donc en favorisant certaines tonalités au détriment de certaines autres, peu employées (fa dièse mineur, par exemple). Tous les systèmes gravitant autour de ce principe avaient pour énorme avantage de rendre l’oeuvre musi- cale « expressive » par sa tonalité même. En revanche, le nombre de tonalités autorisées était plus restreint, d’où la présence de cette « courte octave » dans les claviers de l’époque, dans une région sonore où la main gauche ne réalise que l’harmonie. Générale au XVIe siècle et pendant presque tout le XVIIe, cette pratique disparut peu à peu, à mesure que l’étendue des claviers augmentait pour atteindre quatre octaves et une quinte, entièrement chromatiques, au XVIIIe siècle. Avec ses deux seuls jeux de « huit pieds » (8ʹ) et son clavier unique, le clavecin italien possède une vie et une présence indiscutables. La légèreté des matériaux favorise une attaque du son très mordante suivie d’un son très coloré et relativement peu soutenu. Son timbre lumineux ne pardonne pas la moindre erreur de phrasé ; mais qu’il soit servi par un musicien sensible et averti, qu’il soit surtout accordé selon l’un des « tempéraments inégaux », alors il servira mieux que n’importe quel autre les oeuvres étonnantes qu’ont écrit pour lui Giovanni Picchi, Salomone Rossi, Girolamo Frescobaldi, ou... les « virginalistes » anglais ! LA PÉNINSULE IBÉRIQUE. Fort peu de chose distingue la facture italienne de celle de la péninsule, ce qui est assez normal compte tenu de l’étroitesse des liens qui ont uni ces deux régions sous l’Ancien Régime. Plan et matériaux y sont identiques et seuls quelques éléments du décor accusent des différences sensibles. Il faut cependant reconnaître que peu de clavecins espagnols ou portugais antérieurs au XVIIIe siècle nous sont parvenus. En revanche, les instruments portugais de la fin du XVIIIe qui ont survécu permettent peutêtre de résoudre le problème posé par certaines sonates de Domenico Scarlatti. On sait que plusieurs sonates du Napolitain dépassent l’étendue des plus grands clavecins construits en Europe à son époque, et atteignent le sol aigu, alors que les instruments italiens atteignent tout juste le mi. Plusieurs instruments existent, qui permettent d’élaborer une hypothèse satisfaisante, deux parmi ceux-ci atteignant le la aigu (instruments de Manuel Anjos Leo de Beja - 1700 et Joze Antunes - 1789). Au service de Maria Barbara, ex-infante du Portugal, reine d’Espagne, pour qui il a composé de nombreuses « sonates », downloadModeText.vue.download 221 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 215 Scarlatti ne peut avoir ignoré de tels instruments et c’est peut-être dans cette voie que l’on peut souhaiter une plus grande authenticité dans l’interprétation de ses oeuvres. LA FACTURE FLAMANDE. Vouloir esquisser une histoire du clavecin en Europe revient, en fait, à étudier plus particulièrement deux pays : l’Italie et les Flandres. Issues toutes deux du vieux tronc commun « bourguignon », leurs caractéristiques spécifiques divergent sensiblement au milieu du XVIe siècle. Tandis que l’Italie influence la facture espagnole et portugaise, les Flandres inspirent fortement les facteurs français, allemands et anglais. Comme celle de tout produit manufacturé important, l’histoire du clavecin, en Flandres, reflète l’histoire politique et économique de ses principaux centres. Dès le XIVe siècle, Bruges jouit d’une opulence incontestée due à sa situation géographique lui permettant d’offrir au commerce l’un des plus fameux ports de l’Europe du Nord. Malheureusement, l’envasement progressif de ses accès, dès le milieu du XVe siècle, donne l’avantage à Anvers. Toute la vie artistique brugeoise y est transférée et le trafic international dont bénéficie la ville à cette époque porte loin des frontières le renom de la cité. Parmi toutes les activités que cette opulence naissante contribue à développer, la facture instrumentale tient une place non négligeable. Dès le XVIe siècle, les nombreux facteurs de clavecins sont regroupés au sein de la « guilde de Saint-Luc », confrérie réunissant des peintres et des sculpteurs, et codifiant leurs activités. L’appartenance à cette guilde permet simplement aux facteurs de réaliser eux-mêmes la décoration de leurs clavecins. Il faut attendre une ordonnance de 1558 pour que dix d’entre eux, dont les noms sont ainsi passés à la postérité, soient reconnus comme facteurs à part entière. Trois instruments seulement nous sont parvenus des cosignataires de cette ordonnance : celui de Joost Karest (1548), un autre de Martin Van der Biest (1580) et un troisième de Lodwijck Theewes (1579). L’instrument de Karest, un virginal conservé au Musée instrumental de Bruxelles, atteste d’une profonde influence italienne : plan polygonal, éclisses fines à moulures, présence d’une caisse extérieure. Mais des différences fondamentales l’éloignent du type traditionnel italien : clavier entièrement « en retrait », guidage des sautereaux par la table et par un guide séparé, et surtout adoption d’un module de cordes plus long que sur la plupart des instruments italiens (ut de 1ʹ : 292 mm). Il s’agit donc d’un instrument hybride dû à un facteur né à un carrefour d’influences, Karest se disant lui-même « de Colonia ». L’étude de nombreux documents iconographiques confirme la présence de ce type d’instrument jusque dans la seconde moitié du XVIe siècle. On considère généralement que le clavecin flamand typique est dû à une dynastie de facteurs anversois, les Rückers, actifs pendant plus d’un siècle, et dont le fondateur, Hans Rückers « le Vieux » est admis à la guilde de Saint-Luc en 1579. Il meurt vraisemblablement en 1598, laissant à deux de ses fils, Johannes II (15781643) et Andreas I (1579-1654) le soin de continuer la tradition familiale. Admis tous deux comme membres de la guilde en 1610 et 1611, ceux-ci transmettent à Andreas II (1607 - apr. 1667) les secrets du métier. Le nom des Couchet, dont Johannes (1611-1655) est le plus illustre, est inséparable des précédents dans l’élaboration du clavecin flamand traditionnel. La facture anversoise de cette époque se distingue de la facture italienne par ses conceptions et par ses procédés de fabrication. Dès la fin du XVIe siècle, les Rückers adoptent une politique de « modèles » de clavecins pour des usages bien définis, modèles qu’ils reproduiront à de nombreux exemplaires sans modification. Ces modèles sont conçus pour se mêler aux autres instruments de musique groupés en familles homogènes depuis le début de la Renaissance. Pour les seuls clavecins, en plus de l’instrument « standard » accordé au ton, les ateliers anversois fabriquent des clavecins plus courts pour être accordés un ton ou une quinte au-dessus ou bien même à l’octave. Conception différente encore par le choix d’un module de cordes « long » (ut de 1ʹ : 355/356 mm pour l’instrument au ton). La règle de la juste proportion est sensiblement corrigée par un raccourcissement progressif des cordes graves et un allongement sensible des cordes aiguës avec comme zone charnière la région des 2ʹ. Il en résulte une courbe du chevalet peu prononcée. L’éclisse courbe n’est plus parallèle au chevalet, mais s’en écarte dans les basses alors qu’elle s’en rapproche à l’aigu. La fabrication proprement dite est différente de celle pratiquée en Italie. Le clavecin ne sera pas élaboré en partant du fond, mais par assemblage successif des différentes éclisses montées « en l’air ». Matériaux et dimensions diffèrent aussi. Le tilleul, le peuplier ou le saule traités en fortes épaisseurs (13 à 14 mm pour les éclisses) sont seuls employés pour la fabrication de la caisse, le sommier étant constitué d’un fort bloc de chêne débité « sur quartier ». Chaque éclisse est assemblée à sa voisine par un joint « en mitre » assurant une cohésion suffisante de l’ensemble. L’habituelle couronne de contre-éclisses augmente encore la rigidité qui est accrue par un double système de traverses, coincées entre l’échine (grande éclisse droite) et la courbe. Les traverses inférieures sont perpendiculaires au fond - qui sera posé après le tablage et peut-être même le cordage du clavecin - tandis que les traverses supérieures ou arcs-boutants viennent résister à la tension des cordes, au niveau des contre-éclisses. La table est exclusivement constituée de feuillets d’épicéa d’une épaisseur variant, dans un même instrument, de 2 mm à 3,5/4 mm. Elle comporte un chevalet de 8ʹ et un chevalet de 4ʹ. Le barrage intérieur est assez complexe mais sert lui aussi à délimiter des aires de vibration précises. Entre la table et le sommier rectangulaire viennent se loger deux registres avec guide inférieur fixe. Le clavier unique comporte 45 touches pour une étendue de quatre octaves, la plus grave étant « courte ». Les « marches » (ou notes diatoniques) sont plaquées d’os blanchi et poli, pendant que les « feintes » (ou notes chromatiques) sont faites de blocs de chêne noirci. Le clavecin type est tendu de deux rangs de cordes, laiton pour le grave et fer pour le reste. La disposition courante est généralement un jeu de 8ʹ plus un jeu de 4ʹ, bien que l’on rencontre parfois des instruments ne possédant que deux 8ʹ. La nécessité de fournir des instruments de différentes tailles utilisés à des fins de transposition a conduit les facteurs anversois, dès la fin du XVIe siècle, à concevoir et à réaliser un clavecin double réunissant l’instrument au ton et l’instrument transpositeur, tendu lui aussi de deux rangs de cordes (1 × 8ʹ + 1 × 4ʹ). La transposition est obtenue par deux claviers indépendants et décalés, placés l’un sous l’autre. Cette pratique que l’on conçoit assez mal de nos jours s’est maintenue jusque dans la seconde moitié du XVIIe siècle, période à laquelle les facteurs substituèrent des claviers alignés et accouplables qui devaient particulièrement s’illustrer pendant tout le XVIIIe siècle, sous l’appellation - moderne - de « clavecin contrastant ». Les clavecins flamands sont abondamment décorés. La table est ornée d’un liseré d’arabesques et d’un semis de fleurs et de petits animaux. La « rose » qui comporte les initiales du facteur participe à cette composition et attire les regards avec sa couverture de feuilles d’or. L’intérieur du couvercle reçoit une garniture de papier moiré sur laquelle se détachent les grandes lettres d’une devise latine. Des papiers imprimés, comme celui dit « aux hippocampes », garnissent les éclisses situées au-dessus du clavier. Il n’y a plus de caisse extérieure, le clavecin étant suffisamment robuste. On peut donc peindre les éclisses, afin de ne pas laisser le bois à nu. Sauf commande spéciale, les motifs les plus couramment rencontrés sont les faux marbres, traités en bandes ou en médaillons sertis dans des imitations de ferrures. Le piètement, souvent composé de puissants et nombreux balustres, redownloadModeText.vue.download 222 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 216 flète bien l’opulence et le goût des citoyens prospères de la vieille cité commerçante. La sonorité des clavecins flamands est plus robuste que celle des instruments italiens, et le son est plus soutenu, conséquence logique de la relative lourdeur de la construction. C’est sans doute cela, associé à une indéniable clarté, qui confère à ces instruments un caractère polyphonique très marqué, où chaque partie du discours sonore est intégralement respectée. Les « ricercari » et « fantaisies » d’un Jan Pieterszoon Sweelinck y sont particulièrement bien adaptées, de même que les oeuvres de William Byrd et de John Bull, deux des plus prestigieux « virginalistes » anglais. La tradition anversoise n’a pas disparu avec le dernier des Rückers et le XVIIIe siècle a vu s’amplifier le schéma initial légué par ces artisans. Afin de correspondre à la musique du jour, l’étendue des clavecins s’accroît pour atteindre cinq octaves complètes, à partir du fa, vers 17451750. La caisse de l’instrument s’allonge pour répondre aux longues cordes de l’extrême grave, le nombre des jeux est porté à trois (2 × 8ʹ + 1 × 4ʹ) et l’on ajoute même un rang de sautereaux séparé, traversant le sommier en oblique et pinçant l’un des huit pieds tout près du sillet. La sonorité de ce jeu « nasal » est particulièrement riche en partiels aigus et contraste radicalement avec les autres jeux. Les noms de Johannes Daniel Dulcken (actif de 1736 à 1769), de Johannes Petrus Bull et de Jakob Van den Elsche doivent être associés à ces derniers feux du clavecin flamand, de même que l’original Albertus Delin qui oeuvrait à Tournai entre 1743 et 1770. LA FACTURE FRANÇAISE. Nous avons vu précédemment que la Bourgogne était le lieu d’origine du clavicymbalum, et l’absence de documents contraires nous autorise à supposer que ce type d’instrument était répandu dans toute l’Europe cultivée d’alors. Les liens économiques et culturels privilégiés que le « grand duc d’Occident » entretenait avec les autres pays a certainement favorisé la rapide expansion du prototype décrit par Henri Arnaut de Zwolle. De nombreuses représentations en attestent dans des pays aussi divers que l’Angleterre, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suède et jusqu’en Istrie, ancienne dépendance vénitienne maintenant rattachée à la Yougoslavie. Les facteurs ont dû s’intéresser rapidement à la construction de l’instrument à sautereaux, car les noms de plusieurs d’entre eux nous sont parvenus. En revanche, et c’est là le principal paradoxe de l’école française, pas un seul clavecin antérieur à la seconde moitié du XVIIe siècle n’a survécu. Curieuse situation où les textes sont nombreux (H. A. de Zwolle, Mersenne, Trichet, La Rousselière, l’Ency- clopédie, etc.) et où les instruments font défaut. Entre 1440 et 1636, année de la publication de l’Harmonie universelle du religieux Marin Mersenne, existe un trou de deux siècles sur lequel nous ne savons presque rien. L’instrument décrit par Mersenne semble s’inspirer de la tradition italienne : construction légère, éclisses fines et courbe prononcée supposant l’adoption assez rigoureuse de la règle de la juste proportion. L’instrument possède deux rangs de cordes et son clavier unique contient quatre octaves entièrement chromatiques, d’ut à ut. Les quelques clavecins de la fin du XVIIe siècle qui nous restent montrent une amplification de ce schéma. Tous ces instruments possèdent deux claviers et n’ont apparemment jamais été des instruments transpositeurs, au sens flamand du terme. La caisse est plus imposante, sensiblement plus longue et plus large et les éclisses en noyer ou en sapin sont d’une épaisseur moyenne entre les mesures italiennes et les mesures flamandes. L’instrument est entièrement monté à partir d’un fond en sapin et, comme en Italie, adopte les équerres soutenant les éclisses et les contre-éclisses. Les facteurs empruntent cependant à leurs homologues du Nord des arcs-boutants renforçant la caisse à la hauteur des contre-éclisses. Un module assez long (de 302 à 320 mm pour l’ut de 1ʹ), associé à une correction importante de la règle de la juste proportion, confère à ces instruments de la fin du siècle une courbe tenant le milieu entre celles des deux précédentes écoles. Tous ces clavecins sont tendus de trois rangs de cordes (2 × 8ʹ + 1 × 4ʹ) et leur étendue maximum est de quatre octaves plus une quarte (de sol à ut) avec l’octave courte à la basse. Les facteurs qui ont le mieux illustré cette période portent les noms de Denis (toute une dynastie), Jaquet, Richard, Barbier, pour les facteurs parisiens, ou encore l’étonnant Vincent Thibaut de Toulouse pour la province. À leurs successeurs revient le mérite d’avoir profondément modifié ces éléments afin de donner naissance au grand clavecin français du XVIIIe siècle. S’inspirant désormais plus étroitement des modèles flamands, les Nicolas Dumont (actif entre 1673 et 1708), Pierre Bellot (1675 - apr. 1732) et surtout Nicolas Blanchet (1660-1731) donnent naissance à des instruments à forte personnalité. Ceux-ci possèdent un ou deux claviers de plus de quatre octaves (fa à ré, fa à mi) faisant parler deux ou trois rangs de cordes (2 × 8ʹ ou 2 × 8ʹ + 1 × 4ʹ). La construction de la caisse s’apparente à la méthode flamande, avec l’emploi systématique du tilleul comme matériau de base, la table étant, bien entendu, en épicéa. Le barrage, de même que la structure interne sont fidèlement dérivés des modèles flamands dont ils sont, parfois, la simple amplification. Un module de cordes assez long (compris entre 340 et 365 mm), associé à une règle de proportion radicalement corrigée (basses raccourcies et aigu allongé), confère à ces instruments un aspect robuste et puissant non dénué d’élégance. Si la décoration de la table s’inspire nettement des instruments anversois - avec plus de modelé, cependant -, le décor extérieur ainsi que celui du couvercle reflètent les caractéristiques des styles et des ornements en vigueur à la cour de France. Le piètement ressortit lui-même beaucoup plus à l’histoire du siège qu’à celle de la facture instrumentale : balustres ou colonnes torses en bois naturel jusqu’à la fin du XVIIe siècle, pieds à gaine avec entretoises sous Louis XIV, solides pieds cambrés nerveusement sculptés de la Régence. Les deuxième et troisième générations de facteurs français se contentent de parfaire ces modèles, grâce surtout à des mécaniques irréprochables et un timbre fortement caractérisé. Parmi ces facteurs, les Blanchet (François-Étienne Ier et II), Jean-Claude Goujon, les frères Hemsch, puis plus tard Pascal Taskin fournissent la cour et les musiciens parisiens, pendant que Collesse, Donzelague et Stirnemann à Lyon ou Sébastien Garnier à Reims honorent les commandes des amateurs provinciaux. À l’aube de la Révolution, le clavecin français typique est un instrument à un ou à deux claviers, d’une étendue de cinq octaves complètes (du fa au fa), possédant trois rangs de cordes (2 × 8ʹ + 1 × 4ʹ), que les inventions de Taskin (jeu de « peau de buffle », genouillères pour actionner les jeux) ou de Sébastien Érard (clavecin « mécanique ») ne préservent pas de la tourmente. Prudemment, certains facteurs commencent d’ailleurs à commercialiser des pianos-forte. Il n’y a pas, comme en Italie, de relative homogénéité du timbre des clavecins français. Un instrument de Vincent Thibaut, par exemple, ne préfigure en rien la sonorité d’un grand clavecin de Hemsch des années 1750. Au premier convient parfaitement la grandeur un peu hiératique des pièces de Chambonnières, Danglebert ou Louis Couperin, cependant que le second rend pleinement justice aux suites de François Couperin le Grand groupées en « ordres », ou à la prodigieuse invention des oeuvres de Jean-Philippe Rameau. Ces derniers clavecins se caractérisent essentiellement par la somptuosité de leur grave, le moelleux du médium et la brillance parfois agressive de leurs aigus. Ils ne sont absolument pas « polyphoniques » et l’interprétation d’oeuvres allemandes y est parfois problématique. Par contre, la musique française pour clavecin se montre toujours en parfaite adéquation avec le type d’instrument qui l’a vue naître. downloadModeText.vue.download 223 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 217 LE RAVALEMENT DES CLAVECINS FLAMANDS. Les clavecins anversois ont été prisés, de tout temps, loin de leur pays et particulièrement en France. À la fin du XVIIe siècle, leur étendue s’avère trop restreinte et leur ancienne mécanique a du mal à rivaliser avec les claviers neufs parisiens. Les facteurs de la capitale agrandissent donc le vieil instrument tout en conservant la majeure partie des bois originaux, cause de ce timbre si recherché. Le clavecin est totalement mis en pièces, élargi et rallongé, les chevalets et sillets prolongés sont redivisés pour correspondre à la mesure de l’octave française, plus étroite que celle des Flandres. L’ensemble de la décoration est soit simplement retouché, soit entièrement refait au goût du jour. La mécanique (claviers, registres, sautereaux) est refaite à neuf selon l’étendue de la « musique nouvelle », et l’instrument plus que centenaire recommence une nouvelle vie sous le nouveau vocable de « Rückers-Blanchet » ou « Rückers-Taskin « ! Il y a, certes, différents degrés dans l’ampleur de ces reconstructions et certains instruments sont « ravalés » plusieurs fois. Cette opération, extrêmement coûteuse puisqu’elle s’élève au prix d’un bon clavecin neuf, devient la spécialité de certains facteurs parisiens qui y déploient une habileté diabolique. Ceux- ci proposent même parfois des « clavecins contrefaits de Flandres », totalement neufs mais qui ont l’honnêteté de se présenter comme tels ! C’est ainsi que les « petites affiches » de 1769 ont proposé « un clavecin du célèbre Goujon, tenant l’accord deux ans ( !), ayant pour titre Rückers, les claviers sont de Blanchet... ». Ces pratiques ne parviennent pas à sauver « le royal et majestueux clavecin » de Balbastre d’une disparition certaine, alors que « le nouveau venu, cet instrument de chaudronnier » que fustige Voltaire fait peu à peu la conquête des coeurs et des esprits : ici commence l’histoire du piano. LA FACTURE ANGLAISE. Le style propre de la facture de clavecins en Angleterre ne s’affirme réellement qu’au cours du XVIIe siècle. Jusque-là coexistent, comme sur le continent, des instruments d’esthétique flamande ou italienne. C’est l’époque où tout instrument à sautereaux, quel qu’il soit, grand ou petit, reçoit l’appellation générique de virginal. Ce peut être un petit instrument à un rang de cordes du type rectangulaire comme à Anvers, ou bien de plan polygonal comme en Italie, comme cet instrument dit « de la reine Élisabeth » conservé au Victoria and Albert Museum de Londres. Ce terme peut aussi désigner un grand clavecin à un ou deux claviers ; ce dernier est souvent nommé dans les inventaires « a pair of virgynalles ». Les musicologues ont nommé cette époque féconde en oeuvres pour clavier le siècle des « virginalistes », créant ainsi une confusion qui risque de conduire les interprètes à utiliser exclusivement de petits instruments pour les oeuvres admirables d’un Orlando Gibbons, d’un John Bull ou d’un William Byrd. Un « claviorganum » - combinaison d’un clavecin et d’un orgue - de 1579 construit par un Flamand installé à Londres, Lodewijck Theewes, nous permet de constater une légère dérive par rapport aux modèles anversois typiques. L’étendue est plus grande (quatre octaves chromatiques, de ut à ut), et la disposition comporte déjà trois rangs de cordes (2 × 8ʹ + 1 × 4ʹ). La structure de l’instrument reste cependant très « flamande ». À l’opposé, un clavecin de 1622, dû au facteur John Haward, révèle un plan directeur italien avec ses structures légères et sa courbe très prononcée. Le matériau est cependant typiquement britannique puisqu’il s’agit d’un instrument entièrement construit en chêne, à l’exception de la table d’harmonie, bien sûr. Son étendue dépasse les quatre octaves (de ut à mi chromatique, ou de sol à mi avec l’octave courte) mais sa disposition est inconnue. Un instrument de transition construit en 1683 par Carolus Haward achève de nous dérouter. Son plan est articulé autour d’un module de cordes extrêmement court (257 mm pour l’ut de 1ʹ) et sa disposition ne comporte que deux 8ʹ. Trois particularités signalent ce clavecin : l’éclisse courbe est raccordée à l’échine par une « contre-courbe », la caisse est construite entièrement en noyer, et l’on note pour la première fois l’emploi d’un rang de sautereaux séparé, pinçant un des 8ʹ très près du sillet : le « lute stop » ou jeu nasal. Il faut attendre l’établissement à Londres de deux émigrés pour voir la facture anglaise prendre un essor inouï. Le premier, Burkat Shudi (1702-1773) est d’origine suisse alors que le second, Jacob Kirkman (1710-1792) est né près de Strasbourg, à Bischwiller. Tous deux vont rationaliser la fabrication des clavecins au point d’imposer leur style pendant tout le XVIIIe siècle. Respectivement créés en 1730 et 1738, leurs ateliers bénéficient de cette révolution dans le travail artisanal qui naît à cette époque et qui prépare la grande révolution industrielle de l’Angleterre. Les clavecins ne sont plus élaborés un à un dans le secret des ateliers, avec chacun leur identité propre, mais au contraire à partir de modèles standards pratiquement immuables, reproduits identiquement par le moyen de la fabrication en série. On estime à environ deux mille clavecins la production totale des deux firmes sur une période de cinquante ans. Elle se répartit en clavecins à un clavier et à deux claviers en proportion à peu près égale. Trois modèles de base sont régulièrement fabriqués dans ces ateliers : - clavecins à 1 clavier à 2 × 8ʹ ; - clavecins à 1 clavier à 2 × 8ʹ + 1 × 4ʹ ; - clavecins à 2 claviers : 2 × 8ʹ + 1 × 4ʹ + lute stop. L’aspect en est puissant et le seul décor de la caisse est le chatoiement des bois de placage, acajou et noyer, disposés « en panneaux » délimités souvent par des filets de buis. Aucune peinture n’orne le couvercle ni la table d’harmonie. Le clavier reproduit la disposition actuelle des touches du piano, marches plaquées d’ivoire, feintes en ébène. La structure de la caisse en sapin et en chêne est d’une grande complexité. Elle tente d’opposer à la tension continue des cordes une charpente rigide et très lourde merveilleusement exécutée mais souvent dépourvue d’efficacité : en effet, les instruments anciens de ce type sont souvent considérablement déformés. L’épaisseur des matériaux employés est souvent plus importante qu’en France à la même époque et le timbre de ces instruments est très soutenu et très rond. Il lasse l’auditeur assez rapidement par un excès de somptuosité dans le timbre et un manque de contraste entre les deux 8ʹ. Ceci conduit sans doute les facteurs à généraliser le jeu nasal, ce « lute stop » qui est souvent utilisé en jeu contrastant, en de brusques oppositions avec le plenum, oppositions facilitées par le « machine stop », mécanisme de changement rapide des jeux commandé au pied ou à la main. En 1769, Burkat Shudi prend un brevet pour un dispositif composé de lattes d’acajou articulées, placées au-dessus des cordes et venant obturer la table d’harmonie au moyen d’une pédale commandée progressivement par le pied du musicien. Ces « jalousies » (venetian swell) autorisent de relatifs crescendo qui ne suffisent pas à sauver l’instrument au tournant du XIXe siècle. En 1809, les ateliers de Kirkman construisent leur dernier clavecin. Le travail des nombreux facteurs de clavecins anglais a été admirablement mis en valeur à diverses époques par une pléiade de musiciens comptant parmi les plus importants de leur temps. En premier lieu, les « virginalistes » dont les oeuvres ont vu le jour entre 1550 et 1620 environ et que nous connaissons grâce à deux recueils importants, le Parthenia or the Maydenhead et surtout le Fitzwilliam Virginal Book, collection comprenant près de trois cents pièces. Trois grandes figures émergent de cette gigantesque compilation des différentes formes d’écriture pour le clavier en usage à cette époque : celles de William Byrd (15431623), musicien universel, de John Bull (1562-1628), le plus savant de tous et le plus attaché aux timbres instrumentaux, et surtout de Giles Farnaby (1565-1640), le plus profondément original. On note l’absence curieuse dans le Fitzwilliam Virginal Book d’oeuvres du célèbre Orlando downloadModeText.vue.download 224 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 218 Gibbons (1583-1625), considéré à son époque comme l’un des plus grands. À ces suites de danses (pavanes, gaillardes, allemandes) s’enchaînent des oeuvres de musique « pure », plus abstraites, telles que les variations sur un thème, les fantaisies (fancy) et ricercari. John Morley et Martin Peerson complètent cette liste de musiciens qui ont contribué à l’éclat des règnes d’Élisabeth Ire et de Jacques Ier. Il faut attendre ensuite Matthew Locke (1630-1677), John Blow (1649-1708) et surtout Henry Purcell (v. 1659-1695) qui adapte au caractère anglais la « suite » du continent, composée d’une succession de danses groupées dans un ordre défini. Les suites importantes pour clavecin écrites par Georg Friedrich Haendel (1685-1759) marquent un sommet dans la suite instrumentale que les oeuvres de Thomas Arne (1710-1778), le dernier des clavecinistes anglais, ne parviendront pas à éclipser. Le clavecin anglais de la seconde moitié du XVIIIe siècle s’adresse alors plus spécialement aux sonates romantiques allemandes d’un Carl Philipp Emanuel Bach (17141788), d’un Wilhelm Friedemann Bach (1710-1784) et surtout convient admirablement à l’exécution des sonates pour clavier de Joseph Haydn. Déjà à cette date, la frontière est mouvante entre les oeuvres spécifiquement écrites pour le clavecin et celles pensées pour le piano-forte. LA FACTURE ALLEMANDE. C’est en Allemagne que naît le terme de « clavicymbalum », dans un poème de 1404. Ceci suppose une connaissance de cet instrument, sinon une pratique régulière du métier de facteur de clavecins. Dès le début du XVIe siècle, sont publiés de nombreux traités musicaux où figurent déjà tous les représentants de la famille des instruments à clavier à cordes pincées. Le premier ouvrage, le Musica Getutscht de Sébastien Virdung, est publié à Bâle en 1511. Il est suivi par les ouvrages de Martin Agricola (Musica Instrumentalis Deutsch, Wittenberg, 1528), et Othmar Luscinius (Musurgia seu Praxis Musicae, Strasbourg, 1536). Malgré l’imprécision des gravures ornant ces traités, on peut cependant déduire que l’étendue habituelle était comprise entre 38 et 40 notes, en partant du la ou du si au grave. L’échelle des illustrations suppose un accord en quatre pieds (une octave plus haut que la normale). Là encore, nous ne nous éloignons pas du schéma « bourguignon » de Henri Arnaut de Zwolle. C’est pour de tels instruments qu’écrivent des musiciens tel Conrad Paumann (1410-1473) dont le Fundamentum Organisandi de 1452 n’est pas strictement réservé à l’usage des organistes. Aux XVIe et XVIIe siècles, subsistent, dans les pays germaniques, des instruments de type italien ou flamand, sans qu’il soit possible de voir là une facture nettement individualisée. Force nous est de consulter les traités, car les instruments authentiques ne nous sont pas parvenus. Le plus important de ceux-là est la Syntagma Musicum, publiée de 1615 à 1620 par le compositeur et théoricien Michael Praetorius (1571-1621). Il nous décrit sept instruments en usage à son époque : trois de type « virginal », deux clavecins, un clavecin vertical monté de cordes de boyau et un claviorganum. Après Praetorius, survient une éclipse de plus d’un demi-siècle, due probablement aux conséquences économiques de la guerre de Trente Ans. De plus, les compositeurs des pays du Nord ont souvent préféré l’orgue comme moyen d’expression, plutôt que l’instrument à sautereaux. C’est d’ailleurs souvent un facteur d’orgues qui signe occasionnellement un clavecin, les attributions respectives des deux corps de métier étant encore floues. Au XVIIIe siècle, la facture allemande est dominée par deux écoles : celle de Hambourg (Allemagne du Nord) avec la dynastie des Hass (4 facteurs), Fleischer (3 facteurs) et Zell, et une école de l’Allemagne de l’Est et du Sud, géographiquement plus dispersée, dont les chefs de file sont Carl August Gräbner et surtout les Silbermann. La facture hambourgeoise - et celle des Hass en particulier - représente une exception par rapport aux standards pratiqués à la même époque dans le reste de l’Europe. Ces particularités sont la multiplication des rangs de cordes (2ʹ, 4ʹ, 8ʹ et 16ʹ), du nombre de registres (jusqu’à 6 pour certains clavecins) et des claviers portés parfois au nombre de 3. Il faut sans doute voir là un reflet de la passion qu’éprouvent les musiciens allemands pour l’orgue. La disposition de ces instruments d’exception peut sembler extravagante si l’on songe que le clavier supérieur comporte (sur un exemple dû à Johann Adolph Hass daté de 1740) un jeu de 8ʹ avec plectres en plume et seulement une « basse » de 2ʹ, sur 30 notes. Le clavier inférieur, lui, constitue un plenum imposant, avec, dans l’ordre, un 4ʹ, un 8ʹ (plectres en cuir), un 16ʹ (plectres en plume) et une basse de 2ʹ de 44 notes cette fois-ci ! LE JEU DE 16ʹ DANS LES INSTRUMENTS HISTORIQUES. Si l’on cherche attentivement des exemples anciens et authentiques de jeux de seize pieds au clavecin, il est évident que l’on en trouve quelques-uns, particulièrement en Allemagne du Nord, mais aussi en Alsace. Ces exemples ont toujours constitué des exceptions et le fait est toujours souligné comme dans cette annonce du Strassburger Gelherte Nachrichten de 1783 proposant la vente « d’un grand clavecin inhabituel, de Silbermann, sonnant en 16ʹ ». Les Hass eux-mêmes, pourtant habitués à cette pratique, semblent en avoir pressenti les limites acoustiques. On ne peut, en effet, charger exagérément une table d’harmonie sans nuire à son rendement acoustique et obtenir ainsi un instrument assourdi et confus. Les instruments qui comportent ce jeu ont toujours été construits de manière particulière, avec chevalet et table séparés (Hass, Swannen) et ont été davantage considérés comme des clavecins d’apparat et de prestige que comme de véritables instruments de musique. Tous ces exemples sont, par ailleurs, très tardifs et la littérature qu’ils auraient pu servir est déjà très adaptée au piano-forte. Ce qui est certain, c’est que l’un des plus grands compositeurs de tous les temps, J. S. Bach, a forcément connu ces tentatives, car il était en contact permanent avec les plus grands facteurs de son temps. Il serait plus que hasardeux d’en déduire qu’il en appréciait le principe. D’ailleurs aucun des instruments lui ayant effectivement appartenu ne comportait de jeu de 16ʹ. L’ÉCOLE ALLEMANDE DE L’EST. En Saxe et en Thuringe s’est développée une école bien proche de la facture française. Les instruments à deux claviers ont la disposition habituelle 2 × 8ʹ + 1 × 4ʹ, avec seulement un 8ʹ au clavier supérieur. La simplicité mécanique est de règle, avec un accouplement « à tiroir » qui s’effectue parfois en faisant coulisser le clavier inférieur. Les clavecins de cette école sont d’une sobriété exemplaire, en comparaison avec leurs homologues hambourgeois : le bois de la caisse est souvent laissé à nu, qu’il soit de chêne comme dans les instruments de Carl August Gräbner (1749 - apr. 1796) ou de superbe noyer verni chez les Silbermann. Le timbre de ces clavecins est assez proche de celui des français, avec néanmoins un caractère polyphonique plus marqué, et des aigus moins agressifs. Leur rareté ne permet pas d’affirmer qu’ils servent mieux que d’autres la littérature écrite pour eux, qui est très abondante. Signalons pour mémoire les oeuvres pour clavecin de Johann Kaspar Kerll (1627-1693), Johann Krieger (16511725), Delphin Strunck et Karlman Kolb (Certamen Aonium, 1733). Les pièces pour clavecin de Johann Peter Kellner (17051772), dont le Manipulus Musices a été publié en 1753-1756, sont beaucoup plus intéressantes et sont curieusement teintées d’italianismes annonçant l’éclosion prochaine de la forme sonate. Georg Philipp Telemann (1681-1767), toujours prolixe, a laissé un nombre très important de pièces pour clavecin, comportant des suites, plus de 20 fugues (1731) et ses curieux Dixhuit Canons mélodieux, sonates en duo publiées en 1738 à Paris. L’oeuvre la plus importante de toutes est, sans conteste, celle de Jean-Sébastien Bach dont les suites (Suites anglaises, Suites françaises), les Variations Goldberg, les toccatas et partitas, le Concerto italien, les inventions et symdownloadModeText.vue.download 225 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 219 phonies sont dans toutes les mémoires. Les préludes et fugues du Clavier - clavecin ? bien tempéré de même que son Art de la fugue constituent des sommets inégalés. À l’inverse des musiciens français, J. S. Bach n’écrit pas une musique étroitement associée au timbre et au caractère du clavecin qui la traduit ; l’instrument est presque interchangeable, sans altération sensible du message musical. Seules quelques indications d’utilisation de deux claviers (Variations Goldberg, Concerto italien) signalent une exigence particulière de la part du compositeur. Au moins deux de ses fils ont laissé une trace durable dans la littérature tardive écrite pour le clavecin. Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), dans ses fantaisies et surtout ses Würtembergische Sonaten de 1744, tente de revitaliser par une invention nouvelle l’instrument vieux de trois siècles, avant de consacrer son art à l’emploi exclusif du piano-forte à partir de 1780. Son frère Johann Christian (17351782), sensiblement plus jeune, laisse le choix de l’instrument à l’exécutant dès la parution de son opus 5, constitué de Six Sonates pour le clavecin ou le piano-forte dédiées à S. A. S. le duc Ernest de Mecklembourg. Dualité d’un instrument moribond que ne pourra sauver de l’oubli l’intérêt de Félix Mendelssohn découvrant Bach et ...le clavecin chez son maître Zelter. LA FACTURE CONTEMPORAINE. Après l’abandon presque unanime du clavecin vers 1780-1790 au bénéfice du piano-forte, le XIXe siècle développe et perfectionne l’instrument qui correspond le mieux au goût de cette époque : le piano. Les anciens facteurs de clavecins qui ont échappé à la tourmente révolutionnaire se reconvertissent dans la fabrication et la vente du nouvel instrument. C’est l’époque où se créent les grandes manufactures de pianos. Quelques rares musiciens, cependant, n’oublient pas le clavecin et tentent de le faire revivre au cours de concerts « historiques « : Ignace Moscheles et Charles Salaman à Londres, Karl Engel en Allemagne et plus tard Louis Diemer en France. Quelques facteurs, généralement formés à la technique de construction du piano, entretiennent ou « restaurent » les clavecins les moins moribonds. Un exemple assez unique est représenté par Louis Tomasini, ancien technicien du piano, qui va même jusqu’à copier des instruments de Henri Hemsch vers 1885. En 1882, la famille Taskin confie à Tomasini la restauration du clavecin familial construit en 1769 et, à cette occasion, la firme Érard, réputée pour la qualité de ses pianos, est autorisée à en dresser un plan complet. Ce relevé sera utilisé pour la fabrication des nouveaux clavecins Érard qui marquent le véritable renouveau de cet art, en France. Quelques années plus tard, sous l’impulsion de la musicienne Wanda Landowska, la firme Pleyel construit un clavecin muni d’un jeu de 16ʹ et dont les registres sont actionnés par des pédales. D’autres firmes - particulièrement en Allemagne et en Grande-Bretagne - entreprennent la fabrication de nombreux clavecins, pour satisfaire un goût naissant pour la musique des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, dont on commence à s’apercevoir qu’elle s’adapte très mal au piano moderne. Hélas, ces instruments sont des interprétations du clavecin, repensées par des fabricants de pianos et pour la fabrication desquels sont mises à contribution toutes les techniques du piano : tables lourdes et épaisses, éclisses en contre-plaqué, sommier de piano, clavier et mécanique lourds, eux aussi dérivés du piano, cordes très grosses et fortement tendues, etc. Cet instrument qui n’était que légèreté jusqu’au XVIIIe siècle se voit maintenant renforcé d’un cadre métallique, et ce n’est pas sans raisons que certains facteurs parlent à son sujet de « piano-fortification du clavecin « ! Généralement dotés de deux claviers de cinq octaves (fa à fa), ils comportent un jeu de 16ʹ, deux de 8ʹ et un de 4ʹ, dont les registres et l’accouplement se font à l’aide de pédales (de cinq à sept, suivant la disposition). L’aspect de ces clavecins évoque un compromis entre l’ancien instrument et le moderne piano à queue, dont ils ont parfois le poids. À condition de ne pas se référer aux oeuvres anciennes, le timbre de ces instruments est musicalement intéressant et la facilité de « registration » qu’ils proposent peut permettre l’élaboration d’oeuvres nouvelles. Leur usage est néanmoins à éviter pour l’interprétation des pièces anciennes qui réclament un toucher d’une grande légèreté et d’une grande précision et un son beaucoup plus limpide. Ce type de clavecin a cependant permis l’éclosion de quelques chefs-d’oeuvre, parmi lesquels le concerto de Manuel de Falla (Pleyel), celui de Francis Poulenc et celui de Frank Martin. À l’étranger, d’autres firmes adoptent plus ou moins ces principes de fabrication et il suffit de mentionner les noms de Neupert et Wittmayer en Allemagne, Lindholm en Allemagne de l’Est, Gobble et De Blaise en Grande-Bretagne, etc. Depuis quelques années, ces firmes ont parfois un atelier spécial où sont élaborés des instruments plus rigoureux basés sur des modèles authentiques. Peu après les années 50, un courant né aux États-Unis influence considérablement le cours de la facture des clavecins. Généralement issu de facteurs isolés, ce mouvement consiste d’abord à mieux connaître les bases historiques du clavecin, par de nombreuses études des instruments eux-mêmes, études assorties de véritables relevés scientifiques, et par une meilleure approche des rapports qui régissent les oeuvres écrites pour le clavecin avec l’instrument lui-même. De ces travaux naissent des ouvrages hautement spécialisés dont le plus bel exemple est sans conteste Three Centuries of Harpsichord Making de Frank Hubbard, publié aux États-Unis en 1965. Après avoir acquis la conviction que la meilleure façon de servir la musique du passé est de revenir intégralement à une copie rigoureuse des bons exemples anciens, ces facteurs endossent la double responsabilité de produire des clavecins et de former des émules. Au nombre de ces grands facteurs, on retrouve Frank Hubbard (1920-1975), déjà cité, son ancien associé de Boston, William Dowd, dont les ateliers sont remarquablement actifs, et Martin Skowroneck, qui oeuvre isolément à Brême. Leurs élèves et successeurs sont infiniment trop nombreux pour être tous cités ; signalons seulement que la production de chaque atelier est extrêmement variable, d’un instrument par an à quelques dizaines, et que les modèles proposés reflètent généralement un éclectisme dicté par des nécessités de répertoire, phénomène nouveau dans l’histoire du clavecin. Depuis quelques années seulement, et grâce à des interprètes courageux et talentueux, les compositeurs s’intéressent à nouveau au clavecin et les noms de György Ligeti, Maurice Ohana, Yannis Xenakis, François-Bernard Mache et de bien d’autres restent attachés à cette nouvelle « résurrection » du clavecin au XXe siècle. LE PHÉNOMÈNE DU « KIT ». Le « kit » est un produit manufacturé, plus ou moins complexe, livré par le fabricant à une clientèle de particuliers qui en assure l’assemblage et la finition pour son usage personnel. Sous la demande croissante des amateurs et en raison de la production limitée de certains ateliers, quelques artisans ont l’idée, autour des années 60, de fabriquer des pièces détachées de clavecins destinées à être assemblées ensuite par des amateurs. Plus ou moins élabo- rées à l’origine, ces panoplies se perfectionnent à partir des années 70 au point de proposer des éléments dont les normes de qualité s’alignent sur celles exigées par les facteurs les plus renommés. Wolfgang J. Zuckermann est le promoteur avisé de ce système, suivi de près par l’atelier de Frank Hubbard dont la production est cependant nettement moins importante. On estime, à l’heure actuelle, que les ateliers Zuckermann ont fabriqué près de vingt mille ensembles de pièces susceptibles de devenir des clavecins. La France produit aussi des kits depuis 1969, de même que certains ateliers britanniques. Ce parti pris est séduisant car il permet de réduire considérablement les coûts de fabrication tout en diminuant les délais de livraison. En contrepartie, et malgré l’information downloadModeText.vue.download 226 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 220 dispensée par certains fabricants auprès des amateurs, la réussite systématique est loin d’être assurée et un certain pourcentage d’instruments défectueux est inévitable. Cette solution nécessite en outre un endroit relativement spacieux réservé au montage de même qu’un outillage assez coûteux. Avec ses contradictions, la formule est néanmoins intéressante et permet à de très nombreux amateurs d’accéder au monde fascinant du clavecin. CLAVES. Instrument à percussion de la famille des « bois », consistant en une paire de courts bâtons de bois dur que l’on frappe l’un contre l’autre. CLAVICORDE (en angl. clavichord ; en all. Klavichord). Instrument de musique à clavier et à cordes frappées, d’encombrement réduit, ce qui le rend aisément transportable. Les débuts du clavicorde sont mal connus ; l’instrument semble dériver du monocorde déjà employé par Pythagore au VIe siècle avant J.-C. pour ses expériences acoustiques. Le monocorde (qui donne plus tard « monocordion » et « manicordion ») se compose d’une corde musicale tendue entre deux chevalets fixés sur une caisse de résonance, généralement rectangulaire. Un troisième chevalet, mobile, permet de diviser la longueur de la corde en deux parties et de démontrer ainsi les rapports fondamentaux existant entre les sons émis et les différentes longueurs de corde. Le clavicorde est né le jour où un artisan a imaginé d’adapter au monocorde primitif le clavier des orgues « positifs » et de remplacer le chevalet mobile par des lamelles métalliques fixées perpendiculairement à l’arrière des touches du clavier et appelées tangentes. Lorsqu’on enfonce une touche, la corde correspondante est mise en vibration par la tangente qui la frappe en un point bien déterminé, la subdivisant ainsi en deux parties. Une ligature de feutre étouffe la section la plus courte de chaque corde. La section la plus longue vibre aussi longtemps que la pression est maintenue sur la touche et le son finit par s’éteindre de lui-même. Si l’on relâche rapidement cette même touche, la note émise est instantanément étouffée par la bande de feutre. Pendant toute la durée du son, la tangente reste donc au contact de la corde, comme le prolongement direct du doigt du musicien, contrairement au piano moderne, par exemple, où le marteau quitte la corde après la frappe. En imprimant à la touche de subtiles variations de pression, le musicien peut donc obtenir, contrairement aux autres instruments à clavier, une sorte de « vibrato » qu’il peut doser à son gré. Pendant tout le haut Moyen Âge et jusqu’à la fin du XIIIe siècle, le manicordion est utilisé comme instrument de musique mélodique et non plus comme simple appareil d’expérimentation acoustique. L’augmentation du nombre de ses cordes et leur groupement par « paires » accordées à l’unisson, permettent assez tôt le jeu polyphonique. Survivance de l’antique monocorde, une même paire de cordes (on disait un « choeur ») peut produire plusieurs notes conjointes grâce à des tangentes appartenant à plusieurs touches consécutives. Ainsi peut-on produire deux, trois et jusqu’à quatre notes sur un même choeur. Cette économie de moyens va encore dans le sens de la réduction des dimensions d’un instrument déjà peu encombrant. Ce type de clavicorde est dit « lié » (angl. fretted clavichord ; all. gebunden Klavichord). C’est sous cette forme qu’il apparaît un peu partout en Europe occidentale aux environs de l’an 1400. Un poème en allemand de 1404, Der Minne Regeln, cite déjà le « clavichordium » aux côtés du « clavicymbalum » comme instrument de musique représentatif de l’amour courtois. Les premiers témoignages iconographiques du clavicorde apparaissent dès 1425 : ce sont alors de petites boîtes rectangulaires comportant un clavier d’environ trois octaves, placé en saillie sur le grand côté. Il possède un ou plusieurs chevalets rectilignes fixés sur une table d’harmonie de très faible surface. L’instrument se pose sur une table et permet d’accompagner chanteurs et instrumentistes. Le célèbre traité de Henri Arnaut de Zwolle, rédigé vers 1436-1440, passe en revue les divers instruments de musique en usage à son époque et donne, après le luth, l’orgue et le clavecin, un diagramme précis pour la construction du clavicorde. Son plan est rectangulaire et le clavier en saillie possède une étendue de trois octaves plus une note : de si à ut, soit 37 touches, entièrement chromatiques. On distingue clairement la progression décroissante de la longueur vibrante, du grave à l’aigu, ainsi que l’emplacement exact des tangentes qui donne au clavier cette curieuse figure d’éventail, caractéristique des clavicordes liés. Deux variantes de cet instrument sont représentées quelques feuillets plus loin avec la même minutie et portent le nom de dulce melos que les musiciens français du XVe siècle appelleront « doulcemelle » et parfois « doulcemere ». Le principe de construction du clavicorde, particulièrement simple, varie peu au cours des siècles et les influences d’école sont réduites. Les facteurs italiens tentent quelque temps de sortir du plan rectangulaire initial et l’on rencontre parfois, au XVIe siècle, des instruments à plan polygonal à éclisses fines agrémentées de moulures (Domenicus Pisaurensis, 1543). Partout ailleurs, seules diffèrent les proportions, ainsi que l’étendue, qui augmente progressivement pour atteindre quatre octaves complètes vers 1600. Chose remarquable eu égard à la très faible puissance sonore de l’instrument, on rencontre parfois des clavicordes dotés d’un clavier manuel et d’un pédalier dont le plus ancien exemple connu est un dessin allemand daté de 1467. Il s’agit là, sans doute, d’instruments d’étude, particulièrement destinés aux organistes. Il faut attendre 1725 pour que l’on mentionne expressément un clavicorde comportant un choeur de cordes différent pour chaque note du clavier. Cette nouveauté, annoncée comme une création du facteur Daniel Tobias Faber, de Crailsheim, en Saxe, a reçu le nom de « clavicorde libre » (all. bundfrei Klavichord). En fait, il semble que, dès 1690-1700, quelques rares instruments aient été conçus de cette façon. Le clavicorde « lié » présente en effet l’inconvénient de poser de sérieux problèmes d’articulation lors de l’exécution de notes conjointes descendantes à cause de l’utilisation d’un même choeur de cordes pour plusieurs notes ; certains traits, certains phrasés sont même impossibles. L’examen des quarante-huit préludes de Jean-Sébastien Bach, publiés en 1722, ne laisse aucun doute à ce sujet et leur exécution requiert un grand clavicorde lié. C’est en Europe du Nord que le clavicorde est le plus longtemps construit et apprécié et seuls deux pays s’enorgueillissent de compter autant de facteurs, sinon plus, que tous les autres réunis : l’Allemagne et la Suède. Il est en effet curieux de constater - et le fait n’a pas reçu à ce jour d’explication vraiment satisfaisante - que l’Italie, la France, l’Espagne, l’Angleterre et les Flandres se sont progressivement et totalement désintéressées du clavicorde au cours du XVIIe siècle. Pour la France, par exemple, si l’activité de nombreux « faiseurs de manicordions » est attestée entre 1630 et 1650, il n’en existe plus un seul en 1700, tant à Paris qu’en province. En revanche, il est logique de constater que la plus forte concentration de facteurs de clavicordes ait justement lieu, au cours du XVIIIe siècle, sur une aire géographique qui voit naître le mouvement « Sturm und Drang », embryon du romantisme. Le clavicorde possède en effet sur tous les instruments à clavier l’incontestable supériorité de permettre « l’expression », grâce au contrôle permanent du son par le doigt du musicien. Les compositeurs en useront - certains en abuseront - et les innombrables facteurs s’empresseront de mettre à leur disposition des instruments de plus en plus grands dont l’étendue atteindra cinq octaves et une quinte (fa à ut) vers 1800. Ce n’est que vers 1830 qu’est abandonnée la fabrication de ce petit instrument, au timbre si délicat et si attachant. Le piano-forte reste seul vainqueur downloadModeText.vue.download 227 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 221 d’un combat, acharné en ses dernières décennies. S’il ne nous est parvenu aucun clavicorde français ni anglais qui nous permette de juger de la qualité de cette facture, nombreux sont les exemples signés par les maîtres allemands. On retiendra, pour mémoire, la dynastie des Hass de Hambourg, actifs pendant tout le XVIIIe siècle, Georg Haase (1650-1712), facteur saxon, Jakob Adlung (1699-1762) d’Erfurt, plus célèbre par son ouvrage Musica Mechanica Organoedi publié après sa mort en 1768, Christian Gottlob Hubert (1714-1793) d’Ansbach, et surtout les Schiedmayer d’Erlangen (actifs entre 1711 et 1860), les Schmahl d’Ulm et de Regensburg (entre 1692 et 1815), ainsi que les Silbermann saxons ou alsaciens, dont il nous reste nombre de témoignages de la qualité de leur travail. LA MUSIQUE ÉCRITE POUR LE CLAVICORDE. À ses débuts, aux XVe et XVIe siècles, les pièces écrites « en tablature » concernent indifféremment tout instrument à clavier quel qu’il soit. Nous avons vu que la possibilité d’adjoindre un pédalier au clavicorde lui permet même d’aborder la littérature propre à l’orgue. Les choses n’évoluent qu’au cours du XVIIIe siècle, à une époque où l’instrument commence à être reconnu et apprécié pour ses qualités sonores spécifiques et non plus comme simple instrument de travail. Tous les grands organistes allemands pratiquent le clavicorde, sans que ce choix soit précisé outre mesure dans leurs oeuvres : l’écriture seule permet de choisir un instrument plutôt qu’un autre. Ainsi écrivent Froberger (1616-1667), Buxtehude (1637-1707), Pachelbel (1653-1706), Fischer (16651746) et Kuhnau (1660-1722). Avec J. S. Bach (1685-1750), les choses évoluent : si les suites anglaises et les partitas nécessitent un instrument relativement étendu comme le clavecin d’alors (de sol à ré), les oeuvres purement didactiques comme les inventions, les suites françaises ou le Clavier bien tempéré se cantonnent dans la limite des quatre octaves du clavicorde, d’ut à ut. Il appartiendra à deux de ses fils, Wilhelm Friedemann (1710-1784) et sur- tout Carl Philipp Emanuel (1714-1788) de valoriser le caractère si particulier du clavicorde. Ce n’est certes pas par hasard que Mozart possède un clavicorde (« lié ») qu’il affectionne tout particulièrement, et c’est avec une sorte de tendre complicité que Carl Philipp Emanuel écrit, en 1781, un merveilleux rondo Abschied von meinem Silbermann’schen Clavier. En effet, aucun autre instrument ne peut traduire avec autant de délicatesse et de spontanéité les états d’âme des musiciens de cette fin du XVIIIe siècle. Instrument de la plus rigoureuse intimité, l’art du clavicorde saura être cultivé en secret des dizaines d’années encore, puisqu’un Busoni n’hésitera pas à lui dédier ses « pièces pour clavicorde à pédalier ». CLAVICYTHERIUM. Instrument de musique à clavier et à cordes pincées de la famille du clavecin. Sébastien Virdung emploie le premier le terme de clavicytherium pour désigner un type de clavecin vertical, dans le Musica Getutscht de 1511. Il en signale la nouveauté en précisant que les cordes sont généralement en boyau, ce dont doutent les organologues modernes. Le plus ancien clavicytherium connu est conservé au Royal College of Music de Londres et s’apparente à la facture italienne ; il semble remonter au premier quart du XVIe siècle. Le mécanisme du clavicytherium est un peu plus complexe que celui du clavecin, car les sautereaux, disposés horizontalement dans leurs registres, ne peuvent retomber par leur propre poids. Les facteurs eurent l’idée d’attacher chaque sautereau à une sorte d’équerre, solidaire du levier de touche : le poids supplémentaire de ce « renvoi » suffit en principe à ramener le sautereau à sa position initiale. Certains facteurs ont cependant utilisé des ressorts à cet effet, compliquant ainsi le mécanisme tout en le rendant plus fragile. Bien entendu, le clavicytherium a suivi l’évolution de la facture au cours des siècles, mais la production en a toujours été limitée. Quelques facteurs semblent s’en être fait une spécialité, ainsi qu’en attestent certains instruments prestigieux, comme celui de l’empereur Léopold Ier de Habsbourg, construit vers 1675 par Martin Kaiser (Kunsthistorisches Museum de Vienne), et surtout ceux fabriqués à Tournai par Albert Delin entre 1750 et 1780. Ce type de construction permet un gain de place important par rapport au clavecin traditionnel, et le musicien assis à son clavier bénéficie pleinement de la sonorité de la table d’harmonie disposée verticalement, face à lui. Le réglage de la mécanique, plus délicat, a cependant freiné l’expansion de ce type d’instruments. CLAVIER. Ensemble de touches mettant en fonctionnement les organes émetteurs du son d’un instrument de musique (tuyaux, anches, cordes, lames, oscillateurs électroniques, etc.), sous l’action des doigts, des mains ou des pieds de l’exécutant - dans ce dernier cas, on l’appelle généralement pédalier. On trouve des claviers sur de nombreux instruments à vent (orgue, accordéon, régale, harmonium), à cordes pincées (clavecin, épinette, virginal), à cordes frappées (piano, hammerflügel, clavicorde), à percussion (célesta, glockenspiel, carillon), ainsi que sur les instruments électroniques (orgues, synthétiseurs). Le clavier peut également ne faire que modifier la hauteur des sons sans en provoquer l’émission : c’est le cas de la vielle à roue. La forme et l’étendue des claviers ont beaucoup évolué avec les siècles et selon les instruments. Un clavier rudimentaire apparaît dès les hydraules de l’Antiquité et les premiers orgues connus (époque carolingienne). Ce ne sont tout d’abord que quelques tirettes ouvrant le passage de l’air aux tuyaux de l’instrument, comme le feraient des clés - d’où le nom de clavier. Progressivement, des baguettes associées à des soupapes se substituent aux tirettes. Au XVe siècle, des touches larges et peu profondes remplacent définitivement les dispositifs antérieurs ; elles sont alignées en deux rangées et correspondent à la gamme chromatique complète : les sept notes diatoniques (ou notes blanches de notre piano actuel), côte à côte, et un second rang présentant les cinq notes altérées, ou « feintes ». Peu à peu, les touches s’allongent et se font plus étroites ; au début du XVIIe siècle, le clavier est constitué à peu près sous la forme que nous lui connaissons au XXe siècle. Les touches sont généralement faites en tilleul et plaquées d’ivoire ou d’ébène, en une alternance de noir et de blanc qui a varié selon les époques ; basculant autour d’une pointe, en leur centre ou en leur extrémité, elles actionnent soupapes, sautereaux, marteaux, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un système de transmission du mouvement mécanique, quand elles ne se contentent pas de réaliser un simple contact électrique. L’étendue du clavier du clavecin, puis du piano, ne va cesser de s’accroître trois siècles durant. Au début du XVIIe siècle, elle atteint en général quatre octaves. Mais dès cette époque, des facteurs tendent à l’accroître vers le grave, en « aval », d’une quinte (clavier à « ravalement »), parfois même d’une octave entière (« grand ravalement »). À l’orgue, on utilisa assez souvent les deux ou trois premières touches altérées dans le grave, inemployées par l’écriture musicale de cette époque, pour leur faire jouer les notes diatoniques inférieures sans allonger le clavier ; on appela cette disposition l’« octave courte ». Jusqu’à Mozart, le clavier du clavecin ne dépasse pas cinq octaves. Le piano-forte atteint six octaves au début du XIXe siècle (Beethoven), et bientôt six octaves et demie (Schumann, Chopin). Le piano va peu après se stabiliser à sept octaves et une note, soit 85 touches, de la à la. Aujourd’hui, on monte à 88 notes, jusqu’au do aigu ; et certains pianos de concert prolongent dans le grave leur étendue, de deux notes et même davantage (parfois jusqu’au do grave, réalisant un instrument de 8 octaves, soit un clavier de 97 touches), pour donner plus de profondeur aux résonances. downloadModeText.vue.download 228 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 222 Les claviers d’orgue, au contraire, se sont beaucoup moins agrandis : les jeux sonnant à l’octave ou à la double octave n’en rendaient pas l’extension nécessaire. Au XVIIIe siècle, ils ne comptent que 54 notes (quatre octaves et demie, de do à fa), portées à 56 notes au XIXe siècle (do à sol). Au XXe siècle, ils atteignent parfois 61 notes (cinq octaves, de do à do). Aux différents claviers de l’orgue correspondent des types de jeux et des caractères de timbres qui s’organisent en plans sonores. Ils portent des noms que leur ont légués la tradition et la fonction qui leur est dévolue : grand orgue et récit ou positif, sur les instruments à deux claviers ; grand orgue, positif et récit sur ceux à trois claviers. Les claviers supplémentaires sont nommés écho, bombarde ou grand choeur, selon l’esthétique des instruments. Les orgues de facture allemande distinguent souvent deux claviers de positif : positif de dos (Rückpositiv) et positif de poitrine (Brustwerk). Diverses tentatives de modification du clavier ont été proposées, pour jouer des notes supplémentaires (quarts de tons), ou pour permettre une virtuosité ou des effets que l’on espérait accrus. Elles ont toutes avorté. Seul s’est répandu, sur les harmoniums, le système de clavier transpositeur : l’ensemble des touches peut se déplacer dans un châssis par rapport à la mécanique de l’instrument, pour permettre aux exécutants ne sachant pas transposer de jouer toujours un morceau de façon identique sur le clavier, tout en le faisant entendre dans une autre tonalité. CLAVIOLINE. Instrument électronique comportant un clavier peu étendu (2 octaves au maximum) et des registres permettant de régler l’intensité, la dynamique, le vibrato, et ainsi d’imiter d’autres instruments. Purement monodique, il ne peut guère être utilisé que pour jouer une mélodie accompagnée par un autre instrument tel que le piano. Son timbre sans beauté limite son usage à la musique légère et au bruitage. CLEF (en lat. clavis). Signe conventionnel attribué à une note définie, et qui, placé sur une ligne déterminée de la portée, indique la correspondance entre cette note et cette ligne. On emploie trois sortes de clefs qui correspondent aux trois notes sol, fa et do, ces dernières conservant leur nom archaïque clefs d’« ut », et on les place sur certaines lignes à l’exclusion des autres. La clef se place normalement au début de chaque portée et se répète à chaque ligne. On compte aujourd’hui cinq clefs usuelles : fa 4e, sol 2e, ut 1re, ut 3e et ut 4e. Les solfégistes y ajoutent deux clefs fictives ( fa 3e et ut 2e) qui ne sont plus employées, mais qui complètent un système de sept clefs connu dans les conservatoires et grâce auquel, selon la clef choisie, n’importe quelle note écrite peut prendre n’importe quel nom de note. Ce procédé est commode, notamment à l’école, pour l’étude de la transposition. Le système des « sept clefs » : Le mot clef désignait, dans la théorie médiévale, non pas le signe, mais le nom de la note, pris en fonction de sa position sur le clavier (qui tire de là son nom) par opposition à la voix (vox) qui était le nom de la note énoncé en fonction des intervalles où elle s’insérait. Chaque note avait ainsi une clavis fixe, désignée par une lettre, et plusieurs voces mobiles (syllabes) entre lesquelles on choisissait ; par exemple, notre la actuel était, dans le système appelé solmisation, A « la »-« mi »-« ré ». C’est pourquoi on a donné le nom de clef à la lettre que l’on inscrivait sur la portée pour en déterminer les correspondances. Au début, on pouvait employer toutes les lettres, mais on choisit de préférence celles qui commandaient la place du demi-ton : soit le B (rond ou carré), soit le C ou le F qui, s’ajoutant parfois au B, sont devenus les premières clefs, dites d’ut ou de fa. Le G (clef de sol aujourd’hui très usitée) vint plus tard. Les clefs furent d’abord écrites en lettres ordinaires, généralement minuscules, puis se stylisèrent en prenant progressivement les formes que nous connaissons actuellement. À l’origine, la clef la plus usuelle était la clef d’ut, placée sur n’importe quelle ligne, et relayée par la clef de fa lorsque l’écriture descendait trop bas : c’est encore le système employé en grégorien. La clef de sol n’intervenait qu’exceptionnellement. Son usage se développa au cours des XVIIe et XVIIIe siècles et spécialement avec l’écriture du clavecin, puis du piano-forte, qui abandonna peu à peu la clef d’ut pour la clef de sol de main droite. Les clefs d’ut n’existent plus, aujourd’hui, que pour quelques rares instruments comme l’alto (3e ligne), le basson ou le violoncelle (4e ligne). À l’inverse, l’extension de la clef de sol a entraîné vers 1850, pour la voix de ténor, la création d’une clef de « sol » trans- positrice, par laquelle il faut entendre les notes écrites une octave plus bas. À l’origine les clefs pouvaient se placer sur toutes les lignes de la portée. Peu à peu, s’établit le système par lequel on employait la clef de fa pour les parties de basse et trois clefs d’ut pour les autres voix allant de la 1re à la 4e ligne. On obtenait ainsi un classement des voix d’après la clef employée : ut 1re ligne désignait le superius (soprano), ut 2e ligne le « second dessus » (mezzo-soprano), ut 3e ligne le « bas-dessus » (contralto ou haute-contre), ut 4e ligne la taille (ténor ou parfois baryton). Ce système est tombé en désuétude de nos jours ; depuis un siècle l’usage habituel est devenu : soprano et alto (sol 2e ligne), ténor (sol transpositeur), basse ( fa 4e ligne). CLEMENCIC (René), flûtiste à bec, chef d’orchestre, musicologue et compositeur autrichien (Vienne 1928). Avant de s’orienter définitivement vers la musique, il a étudié les mathématiques, l’ethnologie et la philosophie ; il est docteur en philosophie de l’université de Vienne. Il a appris le piano et le clavecin, puis, à Nimègue et à Berlin, la flûte à bec, et, à Vienne et Paris, la musicologie. Il a commencé une carrière de flûtiste à bec en 1957, et rassemblé une collection de flûtes à bec et instruments voisins de tous pays et de toutes époques, dont il joue dans ses concerts. Il a fondé en 1969 un ensemble de musique ancienne à effectif variable, le Clemencic Consort, qui n’utilise que des instruments anciens (originaux ou copies). Cet ensemble est destiné à l’exécution de musiques du Moyen Âge, de la Renaissance, de l’époque baroque, et d’oeuvres d’avant-garde écrites pour instruments anciens. Les réalisations de musique ancienne profane et sacrée jouées par cette formation ont pour auteur Clemencic lui-même, qui, pour ses travaux, s’appuie non seulement sur des données musicologiques, mais sur une vaste documentation à l’aide de laquelle il veut comprendre la réalité quotidienne des époques passées, et y retrouver la fonction sociale de la musique. Les réalisations et les interprétations de René Clemencic se caractérisent par leur vigueur rythmique et leur verdeur. Sa vision de la musique sacrée de la fin du Moyen Âge tend à rapprocher celleci de la musique profane, dans un esprit de pompe et de liesse de ton populaire. Clemencic accuse en effet volontiers de « puritanisme » et de « cécilianisme » les interprétations de cette musique généralement données de nos jours. CLEMENS NON PAPA (Jacques Clément ou Jacob Clemens, dit), compositeur flamand (Flandre ou île de Walcheren v. 1510 - Dixmude v. 1556). Maître de chant et prêtre à Saint-Donatien de Bruges (1544), puis maître de chapelle du duc d’Aerschot, Philippe de Croy, à Beaumont, Clemens non Papa devint chantre et compositeur à la cathédrale de Bois-le-Duc (1550) avant d’occuper le poste de maître de chapelle à Dixmude où il mourut au printemps 1556. downloadModeText.vue.download 229 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 223 L’importance des publications dont il fit l’objet de son vivant témoigne de l’estime dans laquelle le tenaient tous les grands éditeurs, notamment Attaïngnant (Paris), Susato (Anvers), et surtout Phalèse (Louvain), qui édita ses messes (1556-1559), 8 livres de motets et 4 livres de Souterliedekens (psaumes en néerlandais sur des mélodies populaires). Mais ce n’est qu’à partir de 1546, époque de ses premières relations avec Susato, qu’il prit l’habitude de se dénommer Clemens non Papa, pour se démarquer non du pape Clément VII (mort en 1534), comme on l’a affirmé longtemps, mais d’un poète religieux vivant à Ypres et appelé le « père Clemens », en latin « Clemens papa ». Son sens polyphonique, parfois objet de comparaison avec Palestrina, prend appui sur un style imitatif et des formules concises ; une certaine nervosité mélodique et rythmique fait oublier un langage largement fondé sur des formules préexistantes qui expliquent peut-être sa fécondité. E. Lowinsky a cru trouver chez lui des marques de l’usage d’un chromatisme secret, échappant à l’écriture parce que réprouvé par l’Église. Cette thèse a été mise en pièces par Bernet Kempers. CLÉMENT (Edmond), ténor français (Paris 1867 - Nice 1928). Après des études au Conservatoire de Paris, il débuta à l’Opéra-Comique en 1889 dans le rôle de Vincent de Mireille de Gounod et, tout en commençant une carrière internationale, il demeura jusqu’en 1909 essentiellement lié à ce théâtre, où il participa à de nombreuses créations comme la création française de Falstaff de Verdi (1894). De 1909 à 1913, il se produisit aux États-Unis, en particulier à New York et Boston, et y fut très apprécié. Il regagna la France et poursuivit sa carrière jusqu’en 1927. Ténor lyrique à la voix claire et très souple, excellent acteur, doté d’une diction exemplaire, il fut considéré comme un représentant caractéristique de l’art vocal français. Il fut un célèbre interprète de Manon de Massenet, Faust et Roméo et Juliette de Gounod. CLÉMENT (Félix), organiste et musicographe français (Paris 1822 - id. 1885). Adolescent, il apprit la musique en secret et ne put s’y vouer ouvertement qu’à partir de 1843. Il fut maître de musique et organiste du collège Stanislas, maître de chapelle des églises Saint-Augustin et SaintLouis-d’Antin, puis organiste et maître de chapelle de l’église de la Sorbonne. Il manifesta un intérêt, à l’époque méritoire, pour la musique du Moyen Âge, même si la forme sous laquelle il publia des oeuvres de cette période peut paraître, aujourd’hui, maladroite. Il lança l’idée d’un institut de musique d’église, qui aboutit à la fondation de l’école Niedermeyer. Il publia des méthodes de plain-chant et de musique vocale, et divers ouvrages, notamment les Musiciens célèbres depuis le XVIe siècle jusqu’à nos jours (Paris, 1868). Choisi par Pierre Larousse, Clément rédigea plusieurs milliers de notices pour le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle. Les notices concernant les opéras furent publiées séparément dès 1869 sous le titre de Dictionnaire des opéras (suivi plus tard de 4 suppléments, 1869-1881, et d’éditions postérieures complétées par Arthur Pougin). Cet ouvrage, destiné dans l’esprit de Pierre Larousse à familiariser le public avec son entreprise encyclopédique alors en cours, est présenté par lui, dans son avertissement de 1869, comme « une épreuve avant la lettre du Grand Dictionnaire universel ». CLÉMENT (Franz), violoniste, chef d’orchestre et compositeur autrichien (Vienne 1780 - id. 1842). Enfant prodige, il participa à certains concerts de Haydn en Angleterre en 1791, et fut violoniste à Vienne de 1802 à 1811, puis de 1818 à 1821. Son jeu était plus délicat que puissant, mais il était doté d’une mémoire prodigieuse et d’une virtuosité phénoménale. Beethoven écrivit pour lui son concerto pour violon op. 61, dont il donna la première audition le 23 décembre 1806. CLEMENTI (Aldo), compositeur italien (Catania 1925). Il découvrit la musique à treize ans grâce au piano, obtint son diplôme de pianiste en 1946, se perfectionna l’année suivante avec Pietro Scarpini à Sienne, et pour la composition, suivit les cours d’Alfredo Sangiorgi (élève de Schönberg), puis de Goffredo Petrassi à Rome (1952-1954). Il fréquenta aussi les cours d’été de Darmstadt (1955-1962), où ses oeuvres furent jouées en 1956, 1957 et 1960, et après sa rencontre avec Bruno Maderna (1956), travailla au Studio di Fonoglia de Milan. Episodi pour orchestre (1958) et Sette scene pour orchestre de chambre (1961) lui valurent respectivement en 1959 et en 1963 le deuxième et le troisième prix de la S. I. M. C. (Société internationale de musique contemporaine). Il enseigne la théorie musicale à l’université de Bologne. Aldo Clementi est l’auteur de l’action musicale en 1 acte sur un sujet et du matériau visuel d’Achille Perilli, Collage (1961), ainsi que d’oeuvres instrumentales, vocales-instrumentales et électroniques. Il s’est imposé avec son Concertino in forma di variazioni pour orchestre de chambre (1956). Jusqu’en 1959, il a cherché à élaborer des structures brèves et longues à partir d’accélérations ou de ralentissements mesurés déterminant des zones sonores diversifiées par leur densité et par leur tension. Entre 1959 et 1961, il a cherché à résoudre ces mêmes problèmes avec des structures aléatoires toujours transcrites en écriture déterminée. Depuis 1961, chaque oeuvre développe une seule texture contrapuntique très dense, qui réapparaît variée. Progressivement, le compositeur a réduit les variations au minimum pour « annuler toute dialectique ». Sous l’influence de la peinture informelle, il s’est alors attaché à effacer les détails de la microstructure au profit d’une sorte de matérialisme statique. La polyphonie dense des années 1964-1968 est plutôt « optique » et « illusoire » que matérielle. De ces années datent notamment les musiques électroniques Collage 2 (1960-61) et Collage 3 (1966-67), Informel I pour 12 musiciens (1961), II pour 15 musiciens (1962) et III pour grand orchestre sans percussions (1961-1963), Variante A pour choeur mixte et grand orchestre sur le texte latin de la messe (1963-64), B pour 36 musiciens (1964) et C pour grand orchestre (1964), Reticolo 11 pour 11 musiciens (1966), Reticolo 4 pour quatuor à cordes (1968), Reticolo 12 pour 12 cordes (1970), Concerto pour piano et 7 instruments (1970). Les oeuvres des années 1970 développent un contrepoint polydiatonique complexe. Citons Blitz, action musicale en hommage à Marcel Duchamp (1973), Manualiter pour orgue (1973), Sinfonia da camera pour 36 musiciens (1974), Reticolo 3 (B. A. C. H.) pour 3 guitares (1975), trois Concertos opposant respectivement un soliste à un ensemble instrumental et à un carillon un piano (1975), une contrebasse (1976) et un violon (1977), Intermezzo pour 14 instruments à vent et piano préparé (1977), Otto frammenti d’une ballade de Charles d’Orléans (1978), Quintetto pour cordes (1978), Collage 4 (Nel mio sangue) [1979], Es, rondeau en 1 acte, livret du compositeur à partir de Es de N. Saito pour 3 sopranos, 3 mezzo-sopranos, 3 contraltos, orchestre et 9 instruments (1978-1980, création à la Fenice de Venise en 1981), Concerto pour piano et onze instruments (1986). CLEMENTI (Muzio), compositeur, pianiste et facteur de pianos italien (Rome 1752 - Evesham, Angleterre, 1832). Fils d’un orfèvre aimant beaucoup la musique, il fut, après des études dans sa ville natale, adopté par un gentilhomme anglais, Peter Beckford, qui l’emmena fin 1766 ou début 1767 dans sa propriété du Dorset, où il continua à se former durant sept ans. À Londres, où il s’installa en 1773 ou 1774, donna des récitals et dirigea l’orchestre de l’opéra italien au King’s Theatre, la renommée lui vint surtout après la publication de ses six sonates op. 2 (1779). En 1780, il entreprit la première de ses nombreuses tournées à travers l’Europe : Paris, Strasbourg, Munich, Vienne (où, en décembre 1781, l’empereur Joseph II le mit en comdownloadModeText.vue.download 230 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 224 pétition pianistique avec Mozart, qui le jugea « une mécanique, sans un sou de sensibilité ni de goût »), Zurich, Lyon (où une affaire sentimentale sans lendemain le fixa plus d’un an), Rome peut-être. Rentré à Londres fin 1783, il en repartit pour Lyon et Berne en 1784, puis s’établit dans la capitale britannique de 1785 à 1802, s’y consacrant à la composition, à la direction d’orchestre, ainsi qu’à sa carrière de pianiste (qu’il arrêta soudain et apparemment sans raison en 1790) et de professeur. En 1798, de son association avec Longman et Broderip, qui venaient de faire faillite, naquit la firme « Longman, Clementi and Co. ». Sous cette raison sociale et (après 1801) d’autres, il se livra jusqu’à sa retraite en 1830, et en témoignant d’un sens commercial avisé, à l’édition, à la vente et surtout à la manufacture de pianos. En 1802, il partit avec son élève préféré John Field pour une nouvelle grande tournée en Europe qui jusqu’en 1810 le mena successivement à Paris, Vienne, Saint-Pétersbourg (où se fixa Field), Berlin, Dresde, Prague, Vienne, Zurich, Leipzig, Berlin (où à 52 ans il épousa une jeune fille de 19 ans), en Italie (où sa femme mourut en donnant naissance à un fils), puis à Berlin, Riga, Saint-Pétersbourg, Vienne (où il conclut avec Beethoven d’avantageux contrats d’édition), Rome, Milan et enfin Vienne, d’où il repartit pour Londres. Le 6 juillet 1811, il y épousa Emma Gisburne, qui lui donna 2 fils et 2 filles. Partageant son temps entre la composition, sa fabrique de pianos et la direction d’orchestre, il participa en 1813 à la fondation de la Philharmonic Society, et se rendit encore sur le continent - Paris, Vienne, Allemagne, Italie - en 1817-18, 1820, 1821-22 et 182627. À sa mort, il eut des obsèques nationales et fut enterré à Westminster Abbey. Il fit ses débuts au clavecin et écrivit ses premières sonates pour cet instrument, mais de son vivant déjà (dans les années 1820), on l’appela le « père du pianoforte ». Sa carrière d’interprète servit en effet de modèle aux innombrables pianistes virtuoses du début du XIXe siècle, et comme compositeur, non seulement il se consacra presque exclusivement au clavier, mais créa le style pianistique moderne à la fois sur le plan technique (octaves et tierces parallèles) et sonore, ce dont devaient largement s’inspirer ses élèves et successeurs, avec à leur tête Beethoven (qui mettait les sonates de Clementi au-dessus de celles de Mozart). Il est possible que les remarques désobligeantes de Mozart à son égard, et qui lui causèrent un véritable choc lorsqu’il en entendit parler au soir de sa vie, aient été en partie dictées par l’envie. De ses sonates, plusieurs (comme l’opus 34 no 2 en sol mineur) naquirent à l’origine comme des concertos, mais une seule (l’opus 33 no 1 en ut majeur) a survécu également sous cette forme. Les dernières, les trois de l’opus 50, avec notamment la célèbre Didone abbandonata, parurent en 1821, mais furent sans doute composées pour l’essentiel dès 1804-1805. Plusieurs, en particulier l’opus 13 no 6 en fa mineur (1785), l’opus 25 no 5 en fa dièse mineur ou les opus 40 no 2 en si mineur et no 3 en ré majeur (1802), sont des chefs-d’oeuvre qui devraient apparaître fréquemment aux programmes des récitals. Clementi compositeur ne se résume en rien aux six sonatines op. 36 (1797) connues de tous les apprentis pianistes. On lui doit également un célèbre recueil didactique, le Gradus ad Parnassum op. 44 (3 vol. 1817, 1819 et 1826) et deux symphonies (op. 18, 1787). Plusieurs autres symphonies furent composées et exécutées dans les années 1790 et aux alentours de 1820, mais jamais éditées et laissées dans un état de désordre quasi inextricable. Quatre, dont une faisant usage du God Save the King, ont été reconstituées dans les années 1970 par Pietro Spada. CLÉRAMBAULT, famille de musiciens français, active durant la seconde moitié du XVIIe siècle et tout le XVIIIe siècle. Dominique (Paris en 1647 - id. 1704). Il fut violoniste, membre des Vingt-Quatre Violons du Roy. Louis-Nicolas, fils du précédent, organiste et compositeur (Paris 1676 - id. 1749). Formé par son père, il apprit sans doute le violon, puisqu’on le trouve plus tard recensé parmi les « musiciens sympho- nistes ». Il travailla également la technique des instruments à clavier, principalement l’orgue, avec André Raison. Pour la composition, enfin, il fut l’élève de Jean-François d’Andrieu. Suppléant de Nivers, puis titulaire, en 1715, des orgues de la maison royale de Saint-Cyr, où il était aussi surintendant de la musique, il assura encore la charge d’organiste à Saint-Sulpice, où ses fils devaient lui succéder jusqu’en 1773. En outre, il prit la suite de Raison à la tribune des Jacobins (1719). Sa carrière de compositeur fut jalonnée par la publication de nombreux recueils qui rencontrèrent un succès considérable : un Livre de clavecin (1704), un Livre d’orgue (1710), une abondante oeuvre profane - Airs sérieux et à boire, cinq volumes de Cantates à une ou deux voix (Orphée, Médée), des cantates isolées, des divertissements et des intermèdes pour le théâtre. Sa musique religieuse n’est pas moins importante : Airs spirituels et moraux, six livres de Motets, deux tomes de Chants et Motets à l’usage des dames de SaintCyr, un oratorio (Histoire de la femme adultère), un Te Deum. Clérambault est le premier maître de la sonate et de la cantate françaises, inspirées des modèles italiens, mais adaptées à l’esprit national, selon les principes de la « réunion des goûts » prônée par Couperin. S’il ne possède pas le génie ardent de Couperin, il est sans doute l’un de ceux qui réussissent la plus séduisante synthèse de la noblesse polyphonique française avec la souplesse lyrique et l’art du développement des Italiens, dans la tonalité d’une sensibilité gracieuse. À l’orgue, il est l’un des derniers représentants de la grande école française et du style sérieux, avant que ne se développent les pièces de concert du siècle de Louis XV. César François Nicolas, dit « le fils », fils du précédent (Paris v. 1705 - id. 1760). Organiste, il succéda à son père et composa quelques cantates. Évrard Dominique, frère du précédent (Paris 1710 - id. 1790). Également organiste, il succéda à son tour à son père, à Saint-Cyr, aux Jacobins et à Saint-Sulpice. CLERCX-LEJEUNE (Suzanne), musicologue belge (Houdeng-Aimeries, Hainaut, 1910 - Liège 1985). Elle a d’abord suivi des études classiques, avant de s’orienter vers la musicologie, travaillant notamment sous la direction de Ch. Van den Borren à l’université de Liège, où elle devint docteur en 1940. De 1941 à 1949, elle a occupé les fonctions de bibliothécaire au Conservatoire royal de Bruxelles. Professeur de musicologie à l’université de Liège à partir de 1945 et animatrice des Colloques de Wégimont (1953), elle est l’auteur d’importantes études sur Ciconia, dont elle a publié les oeuvres complètes. Son livre le Baroque et la Musique (1949), axé essentiellement sur l’esthétique musicale, fait autorité et constitue l’un des rares ouvrages consacrés à la musique de cette époque. CLÉREAU (Pierre), compositeur français du XVe siècle. Il fut maître des enfants de la cathédrale de Toul en 1554, ce qui explique sans doute certaines compositions religieuses (4 messes à 4 voix et une Missa pro mortis, Du Chemin, 1554 ; Missa cum 4 v. ad imitationem missae Virginis Mariae condita, Du Chemin, 1557 ; Messe Dum deambularet et 2 motets, Du Chemin, 1557). Il joua un rôle non négligeable dans le domaine de la chanson ; il écrivit sur des textes de Ronsard et publia, en 1566, chez Le Roy et Ballard, 2 livres d’Odes (il choisit les strophes de ce poète qui l’intéressaient davantage) dans un style presque uniquement harmonique, à 3 voix. La même année parurent un livre de chansons françaises et italiennes à 3 voix et deux autres à 4 voix. En 1567, il publia un livre de Cantiques spirituels chez Le Roy et Ballard. L’apport de Pierre Cléreau est double : il fut un des maillons de l’implantation d’un style madrigalesque en France et il contridownloadModeText.vue.download 231 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 225 bua au développement de l’air de cour par la place donnée à la voix supérieure dans ses chansons. CLÈVES (Johannes de), compositeur flamand (Clèves, Prusse, v. 1529 - Augsbourg 1582). Il eut ses premiers contacts avec la musique à la maîtrise de la cathédrale de Clèves. De- venu maître de chapelle de l’église SaintPierre à Leyde (Pays-Bas), il composa de nombreuses pages polyphoniques à l’usage de cette paroisse. Il devait quitter les PaysBas pour l’Autriche et, en 1553, il appartenait à la chapelle de l’empereur Ferdinand Ier, à Vienne, comme ténor. En 1564, après la mort de l’empereur, il gagna Graz où il fut nommé maître de chapelle à la cour de l’archiduc Charles II. De retour à Vienne en 1570, il écrivit des motets, des messes et des Cantiones sacrae. Neuf ans plus tard, il se rendit à Augsbourg où il finit ses jours, composant à son aise auprès du maître de chapelle de la cathédrale, Bernhard Klingenstein, qui l’avait appelé pour perfectionner ses propres connaissances musicales. Clèves ne composa que des oeuvres religieuses : Cantiones sacrae, Augsbourg, 1559 ; Cantiones seu harmonicae sacrae de 4 à 10 voix, Augsbourg, 1579-80 ; des messes et des motets qui sont conservés en manuscrits. Il se recommandait des traditions franco-flamandes et témoignait d’une grande science dans l’art du contrepoint. CLICQUOT. Famille d’organiers français d’origine rémoise, dont les deux plus fameux représentants, Robert (1645-1719) et François-Henri (1732-1790) comptent au nombre des meilleurs facteurs d’orgues de l’Europe classique. Robert Clicquot, actif à Paris pendant plus de quarante ans, a construit de nombreux instruments dans la région parisienne et dans les provinces avoisinantes : chapelle du château de Versailles, Saint-Louis-desInvalides à Paris, Saint-Quentin, Blois, Laon, Rouen, etc. Quant à François-Henri, théoricien, expert et facteur de grande renommée, il a poursuivi les travaux familiaux, restaurant et agrandissant les instruments de ses aïeux, et a construit lui-même de nombreux instruments nouveaux (Sarlat, Poitiers, 1776 ; Souvigny, 1790). Son activité s’est étendue sur la France entière, qu’il a dotée de grands instruments de puissant caractère et d’une splendide harmonie, de style très original. La couleur de ses jeux de flûte, la poésie de ses hautbois, la rondeur de ses batteries d’anches donnent à ses réalisations les plus belles sonorités de l’orgue classique français. CLIDAT (France), pianiste française (Nantes 1938). Brillante élève du Conservatoire de Paris, où elle reçoit l’enseignement de LazareLévy, Maurice Hewitt, Roland-Manuel, Norbert Dufourcq, Robert Siohan, etc., France Clidat obtient à douze ans son premier prix de piano. Trois ans plus tard, l’adolescente crée à Genève le Concerto en « la » mineur de Sauguet sous la direction d’Ernest Ansermet, et amorce la carrière de concertiste qui fera applaudir partout dans le monde, dans un répertoire très éclectique, son tempérament d’artiste et sa rare virtuosité. Le prix international Franz Liszt, qu’elle remporte à Budapest en 1956, révèle ses affinités particulières avec le maître hongrois. D’où l’enregistrement qu’elle a réalisé, en vingt-huit disques, de la seule « intégrale » existante de l’oeuvre pour piano de Liszt, dont elle a publié par ailleurs un Dictionnaire analytique, complété par un essai : Aux sources littéraires de Liszt. CLIQUET-PLEYEL (Henri), compositeur français (Paris 1894 - id. 1963). Élève de Gédalge et Koechlin au Conservatoire de Paris, il se fit remarquer avec un Premier Quatuor à cordes (1912), mais dut interrompre ses études à cause de la guerre et ne passa aucun concours. Après avoir écrit un élégant et prometteur Deuxième Quatuor à cordes (1923), il participa en 1924 à la fondation de l’école d’Arcueil, dont il adopta la simplicité, la pureté harmonique, le goût pour les rythmes et les sonorités de jazz. Particulièrement attiré par cette dernière tendance, il abandonna la musique de chambre pour la musique de cabaret, de café-concert. Il signa des chansons, des airs de danse, notamment de charmants tangos, puis, à l’avènement du cinéma sonore, des musiques de film. Après la Seconde Guerre mondiale, il revint à une inspiration plus classique, et composa de la musique de chambre, de la musique vocale et des oeuvres symphoniques d’une écriture distinguée, à l’inspiration mélodique aisée, mais devenue quelque peu anachronique. CLIQUETTE. Instrument à percussion constitué par deux ou plusieurs lames de bois ou d’une autre matière, reliées ou non par une ligature ou une charnière, et qui, entrechoquées, produisent un cliquetis. Au Moyen Âge, les lépreux s’en servaient pour avertir les populations de leur passage. La cliquette fut ensuite adoptée par divers marchands ambulants, qui signalaient ainsi leur présence. Sous forme de deux planchettes de bois évidées et articulées à la manière d’un livre, elle est encore en usage dans les offices religieux, pour indiquer aux fidèles le moment de se lever ou de s’asseoir. CLOCHE. Instrument à percussion de la famille des « métaux ». La cloche a été connue dès la préhistoire sous des formes et dans des matériaux très variés qui subsistent d’ailleurs chez certains peuples. Mais le modèle répandu en Europe, et qui n’a guère changé depuis le Moyen Âge, apparaît comme une sorte de vase renversé, en bronze, dont la hauteur est à peu près égale au diamètre maximal. La cloche mobile est pourvue d’un battant accroché dans son axe, qui frappe la paroi intérieure quand elle est mise en branle. Il est aussi possible de mettre en mouvement le seul battant, à l’aide d’une corde, sans que la cloche bouge. Quant aux cloches fixes, comme celles qui composent les jeux de carillon, elles sont frappées de l’extérieur par des marteaux mécaniques ou tenus à la main. La cloche fournit une note fondamentale (d’autant plus grave qu’elle est grosse) accompagnée de nombreuses harmoniques qui font la richesse de son timbre. Le son de la cloche, qui porte très loin, joue depuis des siècles un rôle fonctionnel dans la vie des paroisses et des communes. Il n’annonce pas seulement les offices religieux, mais tous les événements heureux ou tragiques qui intéressent la population. Citons, parmi les cloches d’église les plus célèbres, le bourdon de Notre-Dame de Paris, fondu en 1686 et qui pèse 13 tonnes, et la « Savoyarde » du Sacré-Coeur de Montmartre (1907) qui en pèse 18 ; elles sont légères en comparaison de la grosse cloche du Kremlin « 202 tonnes ». La beauté de la sonorité des cloches a fasciné bien des compositeurs, qui ont tenté de l’évoquer, sinon de l’imiter, par des procédés d’écriture, en particulier dans des pièces pour piano (la Grande Porte de Kiev dans les Tableaux d’une exposition de Moussorgski ; la Vallée des cloches dans les Miroirs de Ravel ; la Cathédrale engloutie dans les Préludes de Debussy). Ils ont plus rarement employé les cloches elles-mêmes comme instrument d’orchestre : la constitution très particulière de leurs harmoniques rend leur usage très complexe ; cependant, Wagner, par exemple, y a fait appel au troisième acte de Parsifal. Les cloches d’orchestre sont, comme les cloches d’église, en bronze. On les suspend à un bâti et on les frappe avec un maillet en bois nu, ou recouvert de peau. Souvent, les compositeurs se sont contentés d’utiliser des jeux de timbres ou des cloches-tubes. CLOCHES DE VACHE (en angl. : cow-bell). Instrument à percussion de la famille des « métaux ». downloadModeText.vue.download 232 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 226 Ce sont effectivement des cloches de vache (clarines), mais dépourvues de battant, fixées sur un pied par groupes d’importance variable. Frappées au moyen de toutes sortes de baguettes, elles rendent un son assez court. CLOCHES-TUBES. Instrument à percussion de la famille des « métaux ». Des tubes métalliques, suspendus à un portique, font fonction des cloches d’église, trop lourdes, encombrantes et coûteuses. On les frappe avec un maillet de bois, dont un côté est garni de cuir ou de feutre. CLOSTRE (Adrienne), femme compositeur française (Thomery, Seine-etMarne, 1921). Élève au Conservatoire de Paris, d’Yves Nat pour le piano, de Darius Milhaud, Jean Rivier et Olivier Messiaen pour la composition, elle a été premier grand prix de Rome en 1949 et grand prix musical de la Ville de Paris en 1955. Attachée aux recherches contemporaines, mais leur reprochant de ne pas aboutir à des systèmes de langages cohérents, elle a utilisé des techniques sérielles sans abandonner pour autant la plastique mélodique traditionnelle. Son domaine d’élection est le théâtre lyrique, avec notamment Spectacle Tchekhov, composé de Raïssa ou la Sorcière (1952) et le Chant du cygne (1961), les Musiciens de Brême, d’après Grimm (1957), Julien l’Apostat, d’après Ibsen (1971), Nietzsche (1975), Cinq Scènes de la vie musicale (1980), le Secret (1981), l’Albatros, d’après Baudelaire (1986-1988), Annapurna, d’après le récit de Maurice Herzog (1988). On lui doit aussi des oeuvres d’orchestre (Concert pour le souper du roi Louis II, 1957) et de chambre (Sun pour quatuor à cordes, 1992), ainsi que la cantate de chambre The Fioretti di San Francesco d’Assisi (1953, 1re audition 1955). CLOZIER (Christian), compositeur français (Paris 1945). Venu du stage du G. R. M., il a créé en 1969 avec Alain Savouret le groupe d’improvisation Opus N, et surtout a fondé, en 1970, avec Françoise Barrière le Groupe de musique expérimentale de Bourges (G. M. E. B.), participant de près à ses nombreuses activités techniques et pédagogiques dans le domaine électroacoustique. On lui doit à ce propos la conception d’un mini-studio portatif destiné aux enfants, le gmebogosse, et d’un système original de diffusion en concert (par diversification et répartition des couleurs sonores, le gmebaphone. Ses oeuvres comprennent notamment la Discordatura, « concrètesuite » réalisée par manipulation de sons de violon (1970), le concret-opéra À vie (1971), Symphonie pour un enfant seul (1972-1974) et le Phlogiston (1975), À la prochaine, la taupe (1978), Aporie et Apocope (1979), Quasars (1980), ainsi qu’un certain nombre de spectacles musicaux. CLUSTER. Initialement, groupe de notes frappées au piano par la main à plat ou le poing, ou encore l’avant-bras, soit dans une ou plusieurs régions du clavier, soit par glissades. Cette technique d’écriture et d’exécution appartient à la musique contemporaine. Elle a été amplement étudiée, à l’origine, par le compositeur américain Henry Cowell. Par extension, toute combinaison de sons rapprochés formant des grappes sonores, plus ou moins compactes, par opposition aux sons distincts d’un accord. CLUYTENS (André), chef d’orchestre français d’origine belge (Anvers, Belgique, 1905 - Neuilly-sur-Seine 1967). Il fit ses études au conservatoire royal d’Anvers. Chef de chant au Théâtre-Royal de cette ville, il y fut nommé en 1927 chef titulaire en remplacement de son père. Il vint en France en 1932 poursuivre sa carrière, fut directeur de la musique au Capitole de Toulouse, chef d’orchestre à l’opéra de Lyon, et s’établit à Paris en 1942. Il y fut nommé directeur musical de l’Opéra-Comique en 1947 et succéda à Charles Munch comme chef attitré de la Société des concerts du Conservatoire en 1949. À l’Opéra-Comique, il participa à de nombreuses reprises importantes et à des créations comme celle de Bolivar de Milhaud. Il mena une carrière internationale, et fut en particulier le premier chef français à diriger au festival de Bayreuth, où il débuta en 1955 dans Tannhäuser. Son répertoire était vaste. Il fut tout spécialement renommé pour ses interprétations de musique française symphonique (Berlioz, Franck, Ravel) et lyrique (Bizet, Gounod), des oeuvres de Wagner, des symphonies et ouvertures de Beethoven, ainsi que de musique russe. Son style, élégant, juste, clair, sans emphase, ne manquait pas d’intensité. COATES (Albert), chef d’orchestre et compositeur anglo-russe (Saint-Pétersbourg 1882 - Milnerton, Le Cap, 1953). Après des études musicales à Saint-Pétersbourg, il entra au conservatoire de Leipzig en 1902 où il travailla le violoncelle, le piano et surtout la direction d’orchestre avec Nikisch. Celui-ci le nomma comme assistant à l’Opéra de Leipzig, et sa carrière débuta avec les Contes d’Hoffmann. En 1906, il fut chef principal à l’Opéra d’Eberfeld, puis à Dresde et à Mannheim. Invité à Saint-Pétersbourg pour diriger Siegfried, il devait y demeurer chef pendant cinq ans. Coates ajouta alors à son répertoire un grand nombre d’ouvrages russes et se fit une réputation en Europe et en Amérique, notamment comme interprète des oeuvres de Scriabine. Il a composé de la musique d’orchestre et de chambre ainsi que des oeuvres pour le théâtre. COATES (Eric), compositeur anglais (Hucknall, Nottinghamshire, 1896 Chichester 1957). Il étudia à Nottingham le violon et la composition. En 1906, grâce à une bourse de la Royal Academy of Music de Londres, il apprit l’alto avec Tartis et la composition avec F. Corder. Dès 1907, il fit partie d’un quatuor à cordes et, en 1912, il fut altiste au Queen’s Hall Orchestra. Après 1918, il se consacra uniquement à la composition, écrivant des mélodies, des petits ouvrages d’orchestre (Miniature Suite, Joyous Youth Suite), des ouvertures (The Many Makers, Dance Interlude). Il publia son autobiographie Suite in Four Movements, à Londres (1953). COBLA. 1.Strophe de la poésie lyrique occitane et en particulier des troubadours. On rencontre de nombreux types de coblas, se distinguant aussi bien dans leur structure générale que sur le plan de la métrique et des rimes. La variété de ces formes répondait avec une extrême subtilité au contenu expressif des poèmes. 2.Ensemble instrumental traditionnellement réuni en Catalogne pour jouer des sardanes. Il comprend : 1 flaviol (sorte de flûte à bec à 7 trous qui prélude à la danse par une improvisation libre à peu près invariable) ; 2 tiples (chirimias ou hautbois aigus à 10 trous issue du chalun arabe) ; 2 tenoras (chirimias graves aux sons éclatants, à l’octave inférieure du tiple) ; 2 cornets ; 1 trombone ; 2 fiscornes (instruments à piston) ; 1 contrebasse et 1 tambourin (frappé simultanément par le joueur de flaviol). La vraie cobla ne joue que des sardanes. COCCIA (Carlo), compositeur italien (Naples 1782 - Novarre 1873). Fils d’un violoniste, il étudia le chant et la composition à Naples, où Paisiello le fit nommer pianiste de Joseph Bonaparte. Après des débuts de compositeur incertains, il s’affirma à Venise, notamment avec Clotilde (1815) grâce à un emploi audacieux des choeurs, puis à Padoue, Milan et Lisbonne (1820-1823). Il enseigna à Londres et y donna avec succès une Maria Stuarda (1827) écrite pour la Pasta, avant de rentrer en Italie l’année suivante. Délaissant progressivement l’opéra bouffe pour l’opera seria, il en soigna l’orchestra- tion, mais se heurta à l’incompréhension des Napolitains (La Figlia dell’ Arciere, 1834, écrit pour la Malibran). En 1837, il succéda à Mercadante comme maître downloadModeText.vue.download 233 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 227 de chapelle à Novarre ; il gagna l’estime de Verdi qui voulut l’associer à son projet de Requiem à la mémoire de Rossini. Doué mais négligent, apte à saisir l’intérêt de toute innovation, Coccia laissa trentesept opéras, dont on peut encore retenir la Donna selvaggia (1813) et surtout Caterina di Guisa (1833). COCHEREAU (Pierre), organiste et compositeur français (Saint-Mandé, Seine, 1924 - Lyon 1984). Formé au Conservatoire de Paris, il fut l’élève de Marcel Dupré et de Henri Büsser. À dix-huit ans, il devint titulaire de l’orgue de l’église Saint-Roch, à Paris, puis, en 1955, il succéda à Léonce de Saint-Martin aux claviers de l’orgue de Notre-Dame de Paris. Depuis 1960, il est directeur du conservatoire de Nice, tout en demeurant titulaire des grandes orgues de NotreDame de Paris. Il est également devenu directeur (1979-80), puis président (à partir de 1980) du Conservatoire national supérieur de musique de Lyon. Pierre Cochereau met son étonnante virtuosité au service des grands compositeurs-organistes de l’école symphoniste - Vierne et Dupré notamment -, dont il est un remarquable interprète, et d’un talent d’improvisateur directement issu de la tradition postromantique. Il est également compositeur (deux concertos pour orgue et orchestre, une symphonie, de la musique de piano et de la musique de chambre). COCHINI (Roger), compositeur français (Lyon 1946). Il est membre depuis 1973 du Groupe de musique expérimentale de Bourges (G.M.E.B.). Il a réalisé pour la bande magnétique quelques oeuvres qui sonnent comme une musique électroacoustique de chambre, et dont le ton de confidence nocturne, lumineuse et angoissée à la fois, déjà présent dans Remparts d’Ainay (1972), réalisé au G.R.M., s’affirme plus épanoui dans Éva ou les Yeux fermés (1974) et les Chansons de geste (1977). COCLICO (Adrian « Petit »), compositeur et théoricien flamand (Flandres 1499 ou 1500 - Copenhague v. 1563). On suppose que le surnom de « Petit » lui était donné en raison de sa taille. En 1545, il fut inscrit à l’université de Wittenberg (Prusse). Puis il se rendit à Francfort-surOder, et, en 1547, à Stettin. Membre de la chapelle du duc Albert de Prusse (15471550), il s’installa, à la fin de 1550, à Nuremberg, où il publia un livre de motets, Musica reservata, consolationes piae ex psalmis Davidicis (1552), et un traité théorique Compendium musices, dans lequel il transmet les règles du contrepoint de Josquin Des Prés, dont il prétendait être l’élève, l’appelant « le prince des musiciens ». En 1555, il fut à Wismar, au service du duc de Mecklembourg. Puis, en 1556, il entra comme chanteur à la chapelle du roi Christian III de Danemark pour laquelle il composa des motets. Adrian Coclico, l’un des derniers illustrateurs de la grande tradition polyphonique franco-flamande, s’est appliqué à établir une correspondance étroite entre le verbe et la musique. COCTEAU (Jean), poète français (Maisons-Laffitte 1889 - Milly-la-Forêt 1963). Son nom est lié à celui d’Erik Satie et au groupe des Six. Dans le Coq et l’Arlequin (1918), il a fait le procès de l’impressionnisme musical, prônant le retour à la simplicité, glorifiant l’esthétique du cirque et du music-hall exaltant aussi bien la concision et la netteté du langage de Satie que le tumulte organisé du Sacre du printemps de Stravinski. Dans Carte blanche (1920), il a rendu compte, à sa manière, brillante et cursive, des activités des musiciens du groupe des Six, lesquels (Louis Durey excepté) collaborèrent à la mise en musique de son texte, les Mariés de la tour Eiffel (1921). Pour Erik Satie, Jean Cocteau a écrit l’argument du ballet Parade (1917) et un livret d’opéra-comique, Paul et Virginie, qui, du côté du musicien, demeura à l’état de projet. Pour Darius Milhaud, il a écrit les arguments du Boeuf sur le toit (1920) et du Train bleu (1924), et le livret du Pauvre Matelot (1926). Francis Poulenc a mis en musique la Voix humaine (1958) et la Dame de Monte-Carlo (1961). Arthur Honegger, qui en avait d’abord écrit la musique de scène (1922), a composé en 1927 sur l’Antigone de Cocteau son meilleur ouvrage lyrique. Pour Georges Auric, Jean Cocteau a écrit l’argument du ballet Phèdre (1950). Il lui a demandé la musique de ses films les plus importants : le Sang d’un poète (1930), l’Éternel Retour (1943), la Belle et la Bête (1945), l’Aigle à deux têtes (1947), les Parents terribles (1948), Orphée (1949). Avant tout soucieux du spectacle, Cocteau a suivi avec passion l’évolution du ballet, collaborant avec Serge de Diaghilev (Parade, le Train bleu), avec Serge Lifar (Phèdre), avec Roland Petit (le Jeune Homme et la Mort). Il ne s’est pas contenté de fournir aux musiciens des livrets d’opéras et des arguments de ballets. Il a mis luimême en scène les Mariés de la tour Eiffel, le Pauvre Matelot, Antigone, OEdipus rex, la Voix humaine. Il a tenu le rôle du récitant dans l’Histoire du soldat de Stravinski. En 1962, il a dessiné des décors pour Pelléas et Mélisande. Inspirateur ou animateur, meneur de jeu ou metteur en scène, du début à la fin de sa carrière, le poète n’a cessé de collaborer avec les musiciens. Son nom est autant inscrit dans l’histoire de la musique et de la danse que dans celle de la littérature. PRINCIPAUX ÉCRITS SUR LA MUSIQUE : le Coq et l’Arlequin (1918) ; Carte blanche (1920) ; Fragments d’une conférence sur Satie (Revue musicale, mars 1924). LIVRETS : Paul et Virginie (livret d’opéra-comique, en collaboration avec R. Radiguet, 1920) ; les Mariés de la tour Eiffel (spectacle, musique de G. Auric, A. Honegger, D. Milhaud, F. Poulenc, G. Tailleferre, 1921) ; le Pauvre Matelot (complainte en 3 actes, musique de D. Milhaud, 1926) ; OEdipus rex (opéra-oratorio, musique de I. Stravinski, 1927) ; Cantate (musique de I. Markevitch, 1930) ; Patmos (musique de Y. Claoué, 1962). ARGUMENTS DE BALLET : le Dieu bleu (en collaboration avec F. de Madrazo, musique de R. Hahn, 1912) ; Parade (musique de E. Satie, 1917) ; le Boeuf sur le toit (pantomime, musique de D. Milhaud, 1920) ; le Train bleu (opérette dansée, musique de D. Milhaud, 1924) ; le Jeune Homme et la Mort (mimodrame, musique de J.-S. Bach, 1946) ; Phèdre (musique de G. Auric, 1950), la Dame à la Licorne (musique de J. Chailley, 1953) ; le Poète et sa Muse (mimodrame, musique de G. C. Menotti, 1959). CODA. Mot italien, désignant d’une manière générale dans une oeuvre musicale, et surtout instrumentale, tout développement de caractère libre prolongeant l’une des parties constitutives du plan sans en faire réellement partie. La coda terminale étant la plus fréquente - par exemple à la fin de la réexposition de la forme sonate -, et amenant souvent la conclusion, on a tendance à limiter le sens du mot coda à celui d’une terminaison. Mais dans les oeuvres à plan classique et à caractère évocateur, la coda prend volontiers la forme d’un intermède descriptif (chants d’oiseaux dans la Symphonie pastorale de Beethoven). COEUROY (Jean Belime, dit André), musicologue et critique français (Dijon 1891 Latrecey 1976). Élève de Max Reger à Leipzig, agrégé d’allemand, il fonda, en 1920, la Revue musicale avec Henry Prunières, il en fut le rédacteur en chef jusqu’en 1937, et collabora à Ère nouvelle de 1920 à 1925, à ParisMidi de 1925 à 1939 et à Gringoire de 1927 à 1939. Il dirigea la section musicale de la Société des Nations (1929-1939) et fut maître de conférences à Harvard (193031). Directeur de collections d’ouvrages sur la musique, il écrivit lui-même de nombreux livres et traduisit de l’allemand le Debussy de Heinrich Strobel, ainsi que les Souvenirs de Bruno Walter. Esprit très ouvert, curieux de toute nouveauté, André Coeuroy s’est, un des downloadModeText.vue.download 234 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 228 premiers, intéressé au jazz, au disque, à la radio. Il a consacré une grande partie de ses travaux à l’étude du romantisme. Il s’est attaché à définir les relations des écrivains avec les musiciens et, dans plusieurs de ses ouvrages (Musique et litté- rature, Appels d’Orphée, Wagner et l’esprit romantique), il a fait oeuvre d’historien de la littérature autant que de musicologue. COHEN (Harriet), pianiste anglaise (Londres 1895 - id. 1967). Elle débuta à l’âge de treize ans. Blessée à la main droite en 1948, elle se consacra beaucoup à la musique de son temps, en particulier aux oeuvres de Bartók et d’Arnold Bax, reçut en dédicace les Variations symphoniques (1917) et le Concerto pour la main gauche (1949) de ce dernier ainsi que le Concerto de Vaughan Williams (1933), et traita des problèmes d’interprétation dans Music’s Handmaid (1936). COHEN (Jeff), pianiste américain (Baltimore 1957). En 1976, il entre au Conservatoire de Paris où il obtient les prix de piano et de musique de chambre dans les classes de Reine Gianoli et Geneviève Joy, avant de poursuivre sa formation auprès de Léon Fleisher aux États-Unis et de Peter Feuchtwanger en Angleterre. Chef de chant au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles, professeur à l’École d’art lyrique de l’Opéra de Paris, puis responsable musical au Théâtre du Châtelet, il mène une carrière de chef de chant et d’accompagnateur, se produisant en compagnie de June Anderson, Cecilia Bartoli, Hélène Delavault, Jean-Paul Fauchécourt et bien d’autres. Avec le baryton François Leroux, il a enregistré des disques de mélodies de Duparc, Fauré, Hahn, Gounod, et avec Véronique Dietschy des lieder de Mozart accompagnés au pianoforte. Il est aussi compositeur de musiques de scène et de film et animateur d’émissions sur la musique pour la télévision française. COIN (Christophe), violoncelliste et gambiste français (Caen 1958). Il étudie avec André Navarra au Conservatoire de Paris, où il obtient un 1er Prix de violoncelle en 1974, puis avec Nikolaus Harnoncourt à l’Académie de Vienne, enfin à la Schola cantorum de Bâle avec Jordi Savall. De 1977 à 1983, il est régulièrement invité par le Concentus musicus de Vienne, Hesperion XX ou l’Academy of Ancient Music, et apporte son concours à la plupart des autres ensembles européens spécialisés dans l’interprétation de la mu- sique ancienne. En 1984, il crée l’ensemble Mosaïques, qui connaît rapidement le succès. Il est nommé la même année professeur de violoncelle baroque et de viole de gambe au Conservatoire de Paris. Violoncelliste du Quatuor Mosaïques, il prend en 1991 la direction de l’Ensemble baroque de Limoges. COLACHON. Instrument ancien originaire d’Orient et qui fut utilisé en Italie du Sud - où lui fut donné le nom de colascione -, à partir du XVIe siècle, avant de se répandre à travers l’Italie et l’Europe, et d’y demeurer en vogue jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. C’est une variété de luth, à petite caisse de résonance et à très long manche, dont les cordes, au nombre variable de deux à six (mais le plus souvent de deux ou trois), étaient accordées par quarte. Le colachon se jouait le plus souvent avec un plectre. COLASSE ou COLLASSE (Pascal), compositeur français (Reims 1649 - Versailles 1709). Après des études à Paris au collège de Navarre, il entra au service de Lully qui l’engagea, en 1677, comme chef d’orchestre de l’Opéra. Auprès du musicien florentin, il apprit son métier de compositeur. Il obtint en 1683 un quartier à la chapelle royale et fut désigné en 1687 pour terminer la tragédie lyrique, Achille et Polyxène, que son maître avait laissée inachevée à sa mort. Outre des oeuvres religieuses comme les Cantiques spirituels de Racine (1695), plusieurs airs publiés chez Ballard et des divertissements comme l’Impromptu de Livry (1688), il écrivit surtout pour la scène de l’Académie royale de musique en lui consacrant une dizaine d’ouvrages lyriques. Considéré comme le fils spirituel de Lully, il souffrit de cette réputation. Il lui fut reproché notamment d’insérer dans ses partitions des airs de son maître. En dépit de ces emprunts à un autre compositeur, Colasse apparaît comme un novateur : il développa beaucoup les possibilités expressives de l’orchestre et fut le premier à décrire par la musique une tempête dans sa tragédie lyrique, Thétis et Pélée (1689), ainsi qu’à mettre en musique un véritable opéra-ballet, les Saisons (1695). COLBRAN (Isabella), soprano espagnole (Madrid 1785 - Bologne, Italie, 1845). Elle étudia à Madrid, puis en Italie, fit ses débuts à Paris en 1801 et triompha à la Scala de Milan en 1807. Elle fut simultanément la maîtresse du célèbre imprésario Barbaja et du roi de Naples, mais les abandonna tous deux, en 1815, pour vivre avec Rossini qu’elle épousa en 1822. C’est pour elle que ce dernier délaissa la veine bouffe pour écrire la majeure partie de ses opere serie qu’Isabella Colbran allait créer : Elisabetta, regina d’Inghilterra, Otello, Armida, Mosè, Maometto II et Semiramide. Isabella Colbran compte parmi les très grandes tragédiennes-chanteuses de l’histoire de l’opéra. Son jeu, au caractère grandiose, impressionna ses contemporains. À l’apogée de sa carrière, l’étendue de sa voix dépassait deux octaves et demie. Elle fut un soprano dramatique, coloratura à l’agilité exemplaire, comme le prouvent les rôles écrasants que Rossini écrivit pour elle. Sa musicalité, la noblesse et la pureté de son style furent aussi souvent louées. Sa voix s’altéra prématurément et elle abandonna la scène dès 1824. COLIN DE BLAMONT (François), compositeur et écrivain français (Versailles 1690 - id. 1760). Fils d’un musicien ordinaire de la Chambre, il collabora aux Nuits de Sceaux de la duchesse du Maine avant de devenir, en 1719, surintendant de la musique de la Chambre du roi. Son ballet héroïque, les Fêtes grecques et romaines, remporta un grand succès à l’Académie royale de musique (1723). Avec son librettiste Fuzelier, il fut le créateur du ballet héroïque auquel Rameau, toujours avec le même Fuzelier, devait donner ses lettres de noblesse avec les Indes galantes (1735). Colin de Blamont écrivit plusieurs ouvrages de ce genre (les Caractères de l’amour, 1736 ; les Fêtes de Thétis, 1750), mais aussi des motets (1732), des cantates françaises (1723, 1729) et des airs à boire (5 recueils). Il fut également l’auteur d’une pastorale héroïque Endymion (1731). Devenu maître de musique de la Chambre en 1726, anobli en 1750, il se consacra à la composition des spectacles de la Cour. Il écrivit, en 1728, l’éloge nécrologique de Delalande, dont il avait été l’élève et, au moment de la Querelle des bouffons, adversaire de la musique italienne, il s’opposa à Jean-Jacques Rousseau en publiant un Essai sur les goûts anciens et modernes de la musique française (Paris, 1754). COLIN MUSET, trouvère français (1re moitié du XIIIe s.). D’origine champenoise, aux limites de la Lorraine, il fut également jongleur, c’està-dire interprète. Son activité se situe entre 1220 et 1240, et il fréquenta notamment la cour des ducs de Lorraine. On conserve de lui une vingtaine de chansons (publiées en 1912 par le médiéviste Joseph Bédier), dont sept sont pourvues d’une notation musicale. Parmi ces pièces qui contiennent de nombreux détails sur sa vie errante et les cours qu’il visita, il faut citer un descort et une supplique Sir cuens, j’ai viélé. Son oeuvre se signale par la fraîcheur de l’inspiration et par la limpidité des mélodies. COLLAER (Paul), musicologue, ethnologue et chef d’orchestre belge (Boom 1891 - Bruxelles 1989). Musicien amateur, de formation scientifique, il a été le principal animateur de downloadModeText.vue.download 235 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 229 la vie musicale en Belgique, à partir de sa vingtième année : conférences-récitals, manifestes confiés à des revues spécialisées, organisation de concerts participent alors d’un besoin d’apostolat au profit des musiques encore inconnues. Après la guerre, Paul Collaer prend la tête du mouvement d’avant-garde, fonde les Concerts pro arte (1922), puis les « Concerts anciens et modernes » (1933) et dirige les émissions musicales à la radio belge (1937-1952), dont il fait un moyen actif de diffusion de la musique contemporaine (les Six, Satie, Stravinski, Roussel, Rieti, Hindemith, Bartók, Schönberg et l’École de Vienne). Après avoir abandonné ses fonctions (1953), il fonde les Colloques de Wégimont (1954) et se consacre à l’ethnomusicologie. Il prospecte la Sicile, le Portugal et la Grèce, en quête de polyphonies populaires, et réalise des enregistrements qu’il commente dans un esprit de large humanisme. Parmi ses ouvrages : Stavinski (Bruxelles, 1930), Signification de la musique (Bruxelles, 1944), Darius Milhaud (Anvers/Paris, 1947), la Musique moderne (Paris/Bruxelles, 1905-1955), Darius Milhaud (Genève, 1982). COLLARD (Catherine), pianiste française (Paris 1947 - id. 1993). Elle fait ses études au Conservatoire de Paris dans la classe d’Yvonne Lefébure et de Jean Hubeau, et obtient un 1er Prix de piano en 1964 et un 1er Prix de musique de chambre en 1966. Puis elle se perfectionne avec Yvonne Loriod. Elle remporte en 1969 deux premiers prix : celui du Concours Claude Debussy et celui du Concours Olivier Messiaen. Elle est aussi lauréate des Concours Casella, Busoni et Viotti et, en 1970, elle remporte le Prix de la Vocation. Elle a donné au long de sa carrière une place de choix à l’enseignement et à la musique de chambre, dirigeant par exemple les Rencontres internationales de piano en Pays basque, ou animant les festivals de Perros-Guirec et du Périgord vert ou encore l’Académie Maurice Ravel de Saint-Jean-de-Luz. Profondément attachée à la musique de chambre, elle a eu plusieurs partenaires privilégiés : la pianiste Anne Quéfellec, avec qui elle a formé un duo renommé ; les violonistes Catherine Courtois et Régis Pasquier ; et, dans les dernières années de sa vie, la violoncelliste Sonia Wieder-Atherton et la contralto Nathalie Stutzmann. De même que son professeur Yvonne Lefébure, elle a été une grande interprète de la musique de Fauré et, plus généralement, de la musique française, mais son goût pour les romantiques allemands l’a aussi amenée à interpréter et à enregistrer fréquemment les oeuvres de piano et de musique de chambre de Brahms et de Schumann, deux compositeurs auxquels elle était particulièrement attachée. Elle a également consacré plusieurs disques à Haydn. De 1976 à sa mort, elle a enseigné au Conservatoire de SaintMaur. COLLARD (Jean-Philippe), pianiste français (Mareuil-sur-Ay 1948). Après avoir obtenu un 1er Prix de piano au Conservatoire de Paris en 1964, il étudie avec Pierre Sancan. Il est lauréat de plusieurs concours internationaux, dont le Concours Long-Thibaud en 1969 et le Concours Cziffra en 1970. La musique de chambre, le piano solo et le concerto occupent une place d’égale importance dans sa carrière. Régulièrement invité aux ÉtatsUnis, il joue fréquemment avec l’Orchestre de Philadelphie, l’Orchestre symphonique de Boston, le New York Philharmonic, mais aussi en Allemagne, au Japon et, bien sûr, en France, où il s’est produit de nombreuses fois avec l’Orchestre national de France et l’Orchestre philharmonique de Radio France. En musique de chambre, il a pour partenaires privilégiés le violoniste Augustin Dumay, le pianiste Michel Béroff ainsi que les violoncellistes Gary Hoffmann ou Frédéric Lodéon. COLLA PARTE (ital. : « avec la partie », sous-entendu, « principale »). Locution employée soit pour économiser la copie d’une partie en invitant un instrumentiste ou un chanteur à se mettre à l’unisson d’un autre, soit pour l’inviter à suivre toutes les nuances et inflexions rythmiques de la partie principale. COLLA VOCE (ital. : « avec la voix »). Locution employée comme colla parte, mais plus particulièrement pour inviter un instrumentiste à suivre toutes les inflexions d’un chanteur, soit qu’il en double la partie, soit qu’il doive simplement s’adapter à ses changements de mouvement. COLLECTIF DE RECHERCHE INSTRUMENTALE ET DE SYNTHÈSE SONORE (C. R. I. S. S.). Organisme fondé en 1977 par Hugues Dufourt, Alain Bancquart et Tristan Murail, dans le but d’assimiler et de fondre dans un système d’expression cohérent les innovations encore éparses de la technologie électronique. Son idée-force est que cette technologie affecte non seulement la production des sons, mais aussi la sensibilité et mêmes les catégories de la pensée musicale, et il regroupe compositeurs et interprètes, avec comme objectifs une recherche systématique et collective des possibilités de production et de transformation des sons électriques en direct, un programme d’équipement favorisant ce travail, une investigation méthodique des nouvelles ressources de l’instrument traditionnel et de la voix, une entreprise de réflexion collective sur les nouvelles catégories de la pensée musicale et l’élaboration dans la composition musicale de nouveaux principes d’organisation formelle appropriés à l’emploi de la technologie électronique. Parmi les oeuvres suscitées par cette réflexion, Saturne de Hugues Dufourt (1979). Le C. R. I. S. S. a été un élément moteur dans les manifestations du groupe de l’Itinéraire. COLLECTIF MUSICAL INTERNATIONAL 2E2M (études expression des modes musicaux). Ensemble créé à la fin de 1971 par Denise Foucard, maire adjoint (chargée des Affaires culturelles) de Champigny, et le compositeur Paul Méfano, dans le but d’offrir un débouché à la jeune musique, de permettre aux compositeurs français et étrangers de se faire jouer, de mettre le public en contact avec les oeuvres nouvelles, notamment au moyen d’animations préconcerts, et de favoriser l’éducation musicale du plus grand nombre en liant très étroitement l’expression musicale de référence et les voies nouvelles de la création. Avec ses quelque 40 concerts par an, tant à Paris et dans la région parisienne qu’en province et à l’étranger, le Collectif musical international 2e2m occupe une des toutes premières places dans l’action menée en faveur de la musique contemporaine sans sacrifier pour autant à la politique du vedettariat. À partir de lui ont été fondés un quintette à vent et un quatuor à cordes (Quatuor français 2e2m), et il a réalisé plusieurs disques. COLLEGIUM AUREUM. Ensemble instrumental allemand, fondé en 1964 par Franzjosef Maier, qui en est, depuis cette date, le premier violon. Il joue sur des instruments originaux et/ou authentiques : les cordes sont pour la plupart des XVIIe et XVIIIe siècles et d’origine italienne, les vents, des originaux ou des copies. Il se consacre surtout au répertoire baroque (Bach, Haendel, Rameau), préclassique (fils de Bach, Carl Stamitz) et classique du XVIIIe siècle (Haydn, Mozart), mais a fait également quelques incursions dans le début du XIXe siècle, jouant par exemple l’Héroïque de Beethoven dans les mêmes conditions (effectifs, types d’instruments) que lors de sa première audition en 1804. COLLEGIUM MUSICUM. Libre association d’amateurs et éventuellement de professionnels pratiquant la musique. L’héritage des Kantorei, des groupements de maîtres chanteurs et autres confréries fut repris, du XVIe au XVIIIe siècle, en Allemagne et dans les régions soumises à l’influence allemande (Suisse, Suède, Bohême), par des cercles downloadModeText.vue.download 236 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 230 d’amateurs, d’abord inorganisés, puis structurés, ayant pour objet l’exécution en commun de musique, vocale à l’origine, et par la suite instrumentale. Ces cercles se donnèrent des noms en langue commune, par exemple, en Allemagne, das Musikkränzlein (« le petit cercle musical »). Mais, avec la participation croissante d’étudiants à ces activités, l’appellation latine de collegium musicum, qui apparaît pour la première fois à Prague en 1616, vint à être la plus largement répandue. Les réunions étaient en général hebdomadaires ; la plus pure tradition de cette pratique excluait la présence de tout auditeur ; en tout cas, les séances n’étaient pas largement ouvertes au public. Le développement de ces cercles entraîna l’enrôlement de professionnels. Les collegia musica atteignirent un haut niveau de qualité et connurent un grand rayonnement, en particulier à Hambourg, Francfort et Leipzig. J. Kuhnau, Telemann, J. F. Fasch et J.-S. Bach comptent au nombre des musiciens qui dirigèrent les activités du collegium musicum de Leipzig. Dans cette ville, Bach s’assura le concours des étudiants pour l’exécution de ses Passions. Au fur et à mesure que les collegia musica rendaient leurs activités publiques, la notion de concert au sens moderne s’imposait. Ainsi les collegia sont-ils à l’origine de nombreuses institutions de concert, et, en particulier, à Leipzig, du Gewandhaus. Au XIXe siècle, les collegia musica furent presque oubliés. C’est le nouvel essor des mouvements de jeunesse qui provoqua leur renaissance. À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, sous l’impulsion de Hugo Riemann, puis de Willibald Gur- litt, presque chaque université allemande mit un point d’honneur à constituer ou reconstituer un collegium musicum actif. Pour répondre aux besoins de cette pratique musicale, Riemann, qui créa à Leipzig le premier collegium moderne, exhuma de nombreuses partitions anciennes, qu’il publia d’ailleurs dans un vaste recueil portant le titre de Collegium musicum (Leipzig, sans date). Dans les années qui suivirent la Grande Guerre, les collegia musica furent des foyers où l’on redonna vie à la musique baroque en cherchant à en respecter le style exact. Les collegia musica ont aussi été, très tôt, à la pointe du combat pour le retour à la pratique des instruments anciens. COL LEGNO (ital.) . Expression utilisée dans le jeu des instruments à cordes frottées et indiquant que l’on doit frapper les cordes avec le bois de l’archet et non jouer avec les crins, ce qui produit un effet particulier employé, par exemple, par Liszt dans Mazeppa et dans la Danse macabre. Dans Wozzeck, Berg utilise le col legno legato, qui consiste à frotter les cordes avec la baguette. On en trouve également un exemple à la fin de l’adagio de la symphonie en fa majeur no 67 de Haydn (17751776). COLLET (Henri), compositeur, critique et musicologue français (Paris 1885 - id. 1951). À la suite des deux articles qu’il publia les 16 et 23 janvier 1920, dans Comoedia, sous les titres : Un livre de Rimsky et un livre de Cocteau - les Cinq Russes, les Six Français et Erik Satie, et les Six Français, le nom d’Henri Collet est resté attaché à la formation du groupe des Six. Il faut également retenir les travaux d’Henri Collet sur la musique espagnole qu’il contribua grandement à faire connaître en France. Docteur ès lettres en 1913 avec une thèse sur le Mysticisme musical espagnol au XVIe siècle, il avait déjà publié en 1911 une étude sur les Cantigas d’Alphonse le Sage. Allaient suivre des ouvrages sur Victoria, puis sur Albéniz et Granados. Élève de Pedrell, conseillé par Déodat de Séverac, Henri Collet a composé des oeuvres d’inspiration ibérique qui, peut-être injustement, sont aujourd’hui oubliées. COLLOT (Serge), altiste français (Paris 1923). Au Conservatoire de Paris il obtient les premiers prix d’alto (1944) et de musique de chambre (1948), et se forme à la composition avec Arthur Honegger. De 1944 à 1957, il est l’altiste du Quatuor Parrenin, puis de 1957 à 1960 du Quatuor de l’O.R.T.F., et enfin du Trio à cordes français. Intéressé par la musique contemporaine, il s’associe jusqu’en 1970 au Domaine musical, où il crée plusieurs partitions, dont la Sequenza pour alto solo de Berio, écrite à son intention. De 1957 à 1986, il est alto solo à l’orchestre de l’Opéra de Paris et en 1990-91, altiste du Quatuor Bernède. De 1969 à 1988, il a enseigné au Conservatoire de Paris. COLÓN (Teatro). Le plus célèbre théâtre d’opéra d’Amérique latine, situé à Buenos Aires. Le premier Theatro Colón (2 500 places) fut inauguré le 25 avril 1857 avec La Traviata. Le bâtiment fut vendu à la Banque nationale en 1887, mais le théâtre actuel (plus de 3 000 places assises, 1 000 places debout) n’ouvrit qu’en 1908 avec Aida : il fut longtemps un des hauts lieux du répertoire italien, avec notamment une « saison Toscanini » (1912), et, dans une moindre mesure, français. Dans les années 1930, l’établissement s’ouvrit davantage aux oeuvres allemandes, tchèques ou russes (en 1931, Klemperer y dirigea le dernier Ring de sa carrière). En 1968, pour le cinquantenaire du nouveau théâtre, de mémorables représentations de la Flûte enchantée, de Fidelio, d’Aida, de Carmen et de Samson et Dalila furent dirigées par Beecham. En 1964 fut créé au Colón Don Rodrigo de Ginastera. COLONNA (Giovanni Paolo), compositeur italien (Bologne 1637 - id. 1695). Fils du facteur d’orgues Antonio Colonna, il eut pour maîtres Carissimi, Abbatini et Benovoli. Organiste de Saint-Apollinaire à Rome, puis, à Bologne, de San Petronio, où il devint maître de chapelle de cette église en 1674, il fut l’un des fondateurs de l’Accademia dei filarmonici, qui devait compter plus tard des noms illustres, dont Mozart lui-même ; il compta parmi ses élèves G. B. Bononcini. Presque toutes ses oeuvres sont de la musique religieuse (messes, 1684, 1685, 1691 ; psaumes, 1681, 1683, 1694 ; motets, 1681 ; litanies, 1682 ; des oratorios en manuscrit). Par ailleurs, il est l’auteur de quatre opéras, dont Amilcare (Bologne, 1692). COLONNE (Judas Colonna, dit Édouard), violoniste et chef d’orchestre français (Bordeaux 1838 - Paris 1910). Issu d’une famille nombreuse, peu fortunée, il sut s’imposer par sa ténacité. Élève, au Conservatoire de Paris, de Narcisse Girard, Elwart et Ambroise Thomas, il obtint ses prix d’harmonie en 1858 et de violon en 1863. Mais il était déjà premier violon dans l’orchestre Pasdeloup. Il entra alors à l’orchestre de l’Opéra. Participant à une tournée de concerts aux États-Unis, il y eut l’occasion de faire ses débuts de chef d’orchestre. De retour à Paris, il fonda, en 1873, avec le concours de l’éditeur Hartmann, le Concert national, installé au théâtre de l’Odéon et où furent créés, l’année suivante, sous sa direction, les Erinyes et Marie-Magdeleine de Massenet. En 1874, le Concert national devint l’Association artistique et se transporta au Châtelet, où il prit plus tard le nom de Concerts Colonne. Promu chef à l’Opéra (1891), Édouard Colonne y conduisit Lohengrin debout, ce qui était alors une nouveauté dans la direction d’un ouvrage lyrique. Il devait notamment créer au Palais Garnier Samson et Dalila de Saint-Saëns et la Walkyrie de Wagner. Chef aux interprétations chaleureuses, Colonne joua un grand rôle dans la formation musicale de sa génération, grâce à l’intérêt soutenu des programmes qu’il jouait, notamment à la tête de son association. Il travailla à imposer définitivement Berlioz, contribua à la diffusion de l’art de Wagner et Tchaïkovski et fit connaître aux Parisiens Bizet, Gounod, Saint-Saëns, Lalo et, plus tard, Chausson, Debussy et Gustave Charpentier. COLOR (ital. : « couleur »). Ce terme peut avoir deux significations, distinctes, mais mal déterminées. downloadModeText.vue.download 237 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 231 1. À partir du XIIe siècle, color s’applique à tout moyen destiné à rendre la musique plus belle. Il s’agit en général d’orner la ligne mélodique, mais une dissonance peut également remplir ce même rôle, tout comme, à titre de citation, l’emploi de mélodies provenant d’autres oeuvres. De nos jours, la musicologie, au sujet du motet polyphonique des XIVe et XVe siècles, emploie color pour parler de la répétition d’une cellule mélodique (la répétition d’une cellule rythmique étant appelée talea). 2. Procédé de notation qui utilise des teintes différentes pour colorer les notes, ce qui modifie le rythme à la lecture. Dans les manuscrits du XIVe siècle, on trouve des notes rouges à la place des notes noires ; une note colorée prend une valeur moindre. Au cours du siècle, ces notes noires sont à leur tour évidées (avènement du papier) et les nouvelles blanches deviennent les valeurs les plus fréquentes ; une note noire est désormais considérée comme colorée. Les notes colorées peuvent aussi être la marque du cantus firmus. En revanche, au XVIe siècle, le color, utilisé dans les chansons et madrigaux, n’a plus de signification rythmique et se réfère au sens du texte littéraire. COLORATION (lat. colorare, « orner »). Terme d’écriture musicale qui consiste à orner et à embellir une mélodie, afin de la transformer. Ce procédé employé depuis le XIVe siècle fut très utilisé au XVIIe siècle (superius des oeuvres polyphoniques), puis au XVIIe pour les parties supérieures des pièces de luth, de clavecin et d’orgue. COLORATURE. 1. Ornementation virtuose d’une mélodie vocale, soit écrite par le compositeur lui-même, soit laissée à l’improvisation du chanteur. Le terme est synonyme de la diminution, de la fioriture, de la vocalise ou du passage et s’applique parfois aussi à un type d’écriture instrumentale ornée. Le goût pour l’embellissement virtuose d’une ligne mélodique est la composante essentielle du style bel canto italien, qui a dominé la musique vocale des débuts de la monodie accompagnée à l’aube du XVIIe siècle jusqu’aux oeuvres lyriques de Rossini, Bellini et Donizetti. Le triomphe du chant colorature se situe au XVIIIe siècle dans la forme de l’air à da capo, air pourvu d’une reprise de la première partie, qui devient le véhicule de sortes de prouesses vocales et de virtuosité parfois exagérées et critiquables. L’époque romantique, tout en préservant la technique du bel canto, diminue l’importance du chant colorature qui disparaît peu à peu. On peut le constater dans les opéras de Verdi : Léonora (le Trouvère) est encore un rôle très vocalisant ; en revanche, quatorze années plus tard, celui d’Élisabeth (Don Carlos) est déjà d’une écriture nettement plus épurée. 2. Nom impropre donné au soprano léger, possédant de grandes facilités dans l’aigu et capable d’atteindre des notes exceptionnelles (contre fa ou sol). Par exemple, le rôle particulièrement brillant de la Reine de la Nuit (la Flûte enchantée de Mozart) est confié traditionnellement à un soprano dit « colorature ». COMBARIEU (Jules), musicologue français (Cahors 1859 - Paris 1916). Élève de Philipp Spitta à l’université de Berlin, il poursuivit ses études à la Sorbonne et soutint en 1894 une thèse sur les Rapports de la musique et de la poésie considérées du point de vue de l’expression. Professeur de musicologie au Collège de France de 1904 à 1910, il avait fondé, en 1901, la Revue d’historique et de culture musicale. Esprit scientifique, trop systématique peut-être, mais ouvert à des méthodes de travail qui, à son époque, n’étaient pas - en France du moins - d’usage courant, Jules Combarieu eut le mérite d’élargir le champ de la musicologie en lui associant d’autres disciplines telles la philologie, l’histoire des religions, l’ethnologie, la sociologie. COMBINAISON. À l’orgue, système mécanique, pneumatique ou plus généralement électrique, qui permet d’appeler un jeu ou un groupe de jeux par une simple pression sur une pédale, un piston, un bouton sous un clavier ou un domino, au pied ou à la main. Le but des combinaisons est de favoriser les changements de registration en cours d’exécution, sans distraire l’exécution par des manoeuvres de registres. Ce système, apparu sur les instruments classiques, s’est développé avec les techniques modernes, et, en particulier, grâce à l’électronique. On distingue les combinaisons fixes et les combinaisons ajustables. Fixes, c’est-àdire prévues par le facteur d’orgues et non modifiables, elles appellent ou renvoient les jeux d’anches, les jeux de fond, le tutti, etc. Ajustables, elles permettent à l’organiste de préparer et d’enregistrer à volonté, pour chaque exécution, les mélanges de jeux de son choix, tels qu’il souhaite les utiliser dans son interprétation. Les grands instruments modernes comptent plusieurs combinaisons ajustables par clavier et pour l’ensemble de l’orgue, en plus de combinaisons fixes. COMÉDIE-BALLET. Genre théâtral composite, créé par Molière et Lully, et dont l’existence fut réduite aux dix années de leur collaboration (16611671), malgré la courte apparition de Charpentier. L’histoire de sa création, en apparence fortuite, lors des fêtes de Vaux (août 1661), en explique la nature et la raison d’être. Molière raconta lui-même que, pour la représentation des Fâcheux, afin de donner aux danseurs le temps de se changer entre les différentes entrées du ballet, on intercala celles-ci entre les scènes de la comédie : procédé de l’intermède, qui n’était pas nouveau. Ce qui l’était, ce fut l’initiative de Molière (semblait-il) de donner à la comédie et au ballet le même sujet, afin « de ne pas rompre le fil ». Les Fâcheux, comédie « à tiroir », présenta ainsi, tour à tour, des « fâcheux dansant » et des « fâcheux parlant ». Lully ne collaborait à cette oeuvre que pour une courte pièce. La comédie-ballet apparut ainsi, dès l’origine, comme la fusion du ballet de cour, genre musical favori en France, et de la comédie proprement dite. En 1664, Molière et Lully donnèrent ensemble le Mariage forcé et, dans les années suivantes, ne créèrent pas moins de dix oeuvres : la Princesse d’Élide (1664), l’Amour médecin (1665), le Médecin malgré lui (1666), Mélicerte (1666), la Pastorale comique (1667), le Sicilien (1667), Georges Dandin (1668), Monsieur de Pourceaugnac (1669), les Amants magnifiques (1670), le Bourgeois gentilhomme (1670). Après la rupture de Molière et de Lully, qui suivit de près la tragédie en musique de Psyché (1671), Molière tenta de poursuivre dans le genre de la comédie-ballet, dont le suc- cès resta très grand, et fit appel à MarcAntoine Charpentier pour la Comtesse d’Escarbagnas (1671-72), le Malade imaginaire (1673) et les reprises de ses pièces antérieures avec une musique nouvelle (le Sicilien). La mort de Lully interrompit définitivement la destinée de cette fusion des genres. La comédie-ballet fut généralement conçue, elle-même, pour s’intégrer dans un ballet de cour ; ainsi le Sicilien faisait-il à l’origine partie du Ballet des Muses, et le Bourgeois gentilhomme était-il suivi du Ballet des nations. Certaines oeuvres souffrirent de l’alliance artificielle d’une comédie et de divertissements musicaux (Georges Dandin). Mais, dans la plupart des cas, les deux artistes eurent le souci d’intégrer les deux domaines, et Molière accumula les situations où il était « naturel » que musique et danse apparussent : la sérénade à la fenêtre (le Sicilien), la leçon de chant et de danse (le Bourgeois gentilhomme), etc. Dans les meilleurs cas, l’élément musical et chorégraphique servait à faire rebondir l’action (colère de Mme Jourdain lors de la sérénade donnée par son mari). Si certaines comédies-ballets ne se différencièrent guère par leur sujet des thèmes habituels à Molière, elles le conduisirent parfois à glisser vers des sujets plus lyriques et à créer un climat downloadModeText.vue.download 238 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 232 particulier (la Princesse d’Élide), qui rapprochait l’oeuvre de l’opéra. La disparition de Molière sonna le glas d’une forme de théâtre musical au profit de l’opéra, et consacra la séparation du théâtre chanté et du théâtre parlé, que l’opéra-comique tenta, au XVIIIe siècle, de faire fusionner à nouveau. COMÉDIE MÊLÉE D’ARIETTES. Un des ancêtres de l’opéra-comique français. Apparue vers 1715, appelée d’abord « pièce à ariettes », elle insérait dans une comédie parlée des airs sur une musique originale, s’opposant ainsi au vaudeville, qui dotait de nouvelles paroles une musique déjà connue et qu’elle finit par sup- planter. COMÉDIE MUSICALE. La naissance de la comédie musicale provient sans doute de la rencontre des auteurs de chansons de Tin Pan Alley, aux États-Unis, avec l’opérette européenne. Tin Pan Alley était un quartier légendaire à la situation géographique floue (on le situait vers la 28e Rue à New York en 1900), où des émigrants d’Europe s’efforçaient de vendre leurs chansons au plus offrant des directeurs de revue et de music-hall. Offenbach et l’opéra bouffe français, Gilbert-Sullivan et l’opéra-comique anglais, Strauss et l’opérette viennoise, autant d’attraits pour les auteurscompositeurs ambitieux qui plagiaient Franz Lehar, dont l’opérette, la Veuve joyeuse, séduisait le public américain. En 1866, un producteur, Wheatley, mêla à l’épopée dramatique l’Escroc noir une troupe de ballet désoeuvrée par l’incendie du lieu où elle devait se produire. Un mélodrame, quelques mesures de musique, de la danse, ce fut le succès. En 1890, on monta Voyage à Chinatown, à partir de danses et de mélodies populaires, nouveau succès. Ces précédents incitèrent Jerome Kern, compositeur, et Oscar Hammerstein à créer Show Boat (1927), une opérette construite selon le schéma classique : scène jouée suivie d’une chanson ; mais les situations étaient familières au public : l’oppression des Noirs dans le Sud. Montée à Broadway, Show Boat obtint un triomphe. C’était la porte ouverte aux comédies musicales. Les mélodies signées Rudolf Friml, Sigmund Romberg, Irving Berlin, Cole Porter ou Richard Rodgers accrochèrent l’esprit. Paroliers et auteurs de livrets fournirent, eux aussi, leur part de rêve, dans ces années de crise, en offrant au public une vision souriante du monde. Les frères Gershwin, George (compositeur) et Ira (parolier), montèrent Of Thee I sing en 1931, puis Porgy and Bess (1935), qui se situait aux confins de l’opéra. Hollywood ne pouvait rester indifférent au succès populaire. Transcendée par des sorciers de la chorégraphie comme Busby Berkeley, par les superproductions et les interprètes prestigieux (Fred Astaire, Ginger Rogers, Judy Garland, Mickey Rooney), la comédie envahit les écrans dans le monde. Citons Broadway Melody d’Edmund Goulding (1928, chansons de Nacio Herb Brown), le Grand Ziegfeld de Robert Z. Leonard (1936, musique d’lrving Berlin et Walter Donaldoon), En avant la musique de Busby Berkeley (1940), Un Américain à Paris de Vincente Minnelli (1951, musique de George Gershwin). À Broadway, les succès continuèrent, le compositeur Leonard Bernstein créa West Side Story (1957), My Fair Lady (musique de Frederick Loewe) fut présentée en 1956. Mais les années 60 virent le déclin du genre, et les réussites publiques de Hair (musique de Galt Mac Dermot) ou de Jesus Christ Superstar (musique de Andrew Lloyd Webber) restent isolées. COMETTANT (Jean-Pierre Oscar), compositeur et critique musical français (Bordeaux 1819 - Montivilliers, SeineMaritime, 1898). Élève de Carafa au Conservatoire de Paris, il composa quelques pièces pour piano et des oeuvres de musique religieuse. Après un séjour aux États-Unis (1852-1855), il revint à Paris, où, en 1871, il fonda un institut musical. Critique musical au Siècle, il fut de ceux qui, lors de la création de Carmen, méconnurent le génie de Bizet, mais il eut un rôle important de vulgarisateur en présentant au grand public, de manière claire et vivante, des informations touchant à la musique, à la musicologie et aux instruments. PRINCIPAUX ÉCRITS : la Propriété intellectuelle (1858) ; Histoire d’un inventeur au XIXe siècle : Adolphe Sax (1860) ; la Musique, les musiciens et les instruments de musique chez les différents peuples du monde (1869) ; les Compositeurs illustres de notre siècle (1883) ; Un nid d’autographes (1886). COMMA. Intervalle très petit, mais très perceptible par une oreille, même non exercée. Dans la différence entre le demi-ton diatonique et le demi-ton chromatique, le second est plus grand d’un comma que le premier. L’intervalle d’un ton entier a la valeur de neuf commas, le demi-ton diatonique est égal à quatre commas et le demi-ton chromatique à cinq commas. On appelle aussi comma pythagoricien la différence, ou l’intervalle, entre le si dièse et le do lorsque le premier est obtenu par la succession de douze quintes ( ! CYCLE DES QUINTES), et le second par la succession de sept octaves. COMMETTE (Édouard), organiste et compositeur français (Lyon 1883 - id. 1967). Après avoir étudié à Paris, notamment sous la direction de Widor, il retourna dans sa ville natale, où il fit toute sa carrière, y étant titulaire des principales tribunes, et, enfin, de la primatiale SaintJean (1904). C’est sur cet orgue qu’il a été le premier en France à enregistrer au disque des oeuvres de Bach. Il a publié quatre recueils de pièces d’orgue, et composé de la musique religieuse, des mélodies et des oeuvres pour piano. COMMUNION. Chant ou morceau d’orgue accompagnant ou suivant l’acte liturgique de ce nom au cours de la messe. 1. À l’origine, comme pour l’introït, le chant de la communion consistait dans des versets de psaumes encadrés d’une antienne ; cette forme a été conservée dans la messe de requiem. Le psaume a ensuite disparu pour ne laisser en place que l’antienne, chantée par le choeur ou lue par le prêtre après le rangement des vases liturgiques de la communion. 2. Le temps de la communion, variable lorsque celle-ci est distribuée aux fidèles, constituait dans la messe d’orgue, avec l’entrée, l’introït et la sortie, l’un des moments privilégiés laissés à la disposition de l’organiste, d’où, surtout à partir du milieu du XIXe siècle, la prolifération de morceaux d’orgue, généralement de mouvement modéré et de caractère mélodique, destinés à cet emploi et en prenant souvent le nom. Dans la messe avec choeurs, au contraire, le temps de la communion était généralement soit pris sur l’exécution des morceaux placés avant ou après elle, soit meublé par des chants de provenance diverse, de sorte qu’il n’existe dans ce répertoire que peu de morceaux spécifiques de ce nom. Il en est de même dans le culte protestant, où l’on chante des cantiques de communion pris dans le répertoire général, sans qu’ils constituent un genre à part. COMPENIUS, famille d’organiers et or- ganistes allemands originaires de Hesse, actifs de 1580 à 1670. Des huit Compenius recensés, le plus célèbre est Esaias 1 (1560-1617), dont un précieux petit instrument à tuyaux de bois a été transféré par lui-même au château danois de Frederiksborg, où il est demeuré intact et accordé au tempérament inégal. C’est le seul vestige de l’art d’une dynastie qui domina l’Allemagne du XVIIe siècle, où elle installa de nombreux instruments riches en jeux de détail. Ami de Praetorius, Esaias Compenius fut aussi un théoricien écouté et rédigea un traité de facture d’orgues. downloadModeText.vue.download 239 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 233 COMPÈRE (Louis, dit Loyset), compositeur français ( ? v. 1450 - Saint-Quentin 1518). Formé à la cathédrale de Saint-Quentin, il parfit son éducation musicale au contact de l’Italie en entrant comme chantre au service du duc Sforza de Milan (1474). Il y côtoya Josquin Des Prés, Agricola, Gaspard Van Weerbeke. Il fut chantre ordinaire du roi de France, Charles VIII, en 1486, puis on le trouve à Cambrai en 1498, à Douai en 1500, et enfin à Saint-Quentin où il fut chanoine. Loyset Compère a laissé quelques témoignages de ses compositions religieuses. Ce ne fut pas un hasard s’il cita, dans son motet Omnium bonorum plena, Dufay comme son premier maître, puis Busnois, Tinctoris, Ockeghem, Josquin... Il avait, en effet, été formé dans l’esprit de l’école bourguignonne : ses deux messes (l’Homme armé et Allez regrets sur une chanson de Hayne Van Ghizeghem) et bien des motets s’y rattachent. D’autres pages portent la marque de son séjour en Italie ; ses préoccupations s’apparentent à celles de Weerbeke, mais son discours est souvent morcelé car le compositeur développe peu ses idées. Pour cette raison, peut-être, Compère fut avant tout un compositeur de chansons. Grâce à ces dernières, il compta parmi les musiciens les plus importants des années 1500 et figura en bonne place dans les premiers recueils d’O. Petrucci à Venise. Il reprit parfois l’écriture à 3 voix de la chanson bourguignonne sur des formes fixes et la chanson de style motet sur des teneurs liturgiques (Male bouche, le corps). Déjà s’y manifeste son goût pour les imitations et la progression des voix par deux (superius et ténor dans Venez regrets et Royne du ciel) ou le canon (Un franc archer). Il y a chez lui une simplicité générale du propos. Ses chansons à 4 voix, équilibre nouveau de l’époque de Josquin, font fréquemment usage d’une technique parlando (Je suis amie du fourrier, l’Autre Jour) ou de la répétition, par exemple, dans Et dont revenez-vous où 10 syllabes sont sur le même degré la. Compère ne dédaigna pas la satire (Nous sommes tous de l’ordre de saint Babouin) ni même la grivoiserie (Une plaisante fillette) et la plupart de ses pages débordent de gaieté, d’humour. COMPLAINTE. Chant populaire strophique de caractère narratif sur un sujet religieux ou légendaire : complainte de la Passion, du Juif errant, etc. Contrairement à l’étymologie, la complainte ne comporte pas obligatoirement de caractère plaintif, et l’on emploie peu le terme au sens de « déploration funèbre » tel que le comprennent les troubadours pour leurs « planhs », hérités des planctus latins de l’époque carolingienne. Il est possible, toutefois, que le terme provienne de ces derniers, les planctus carolingiens ayant souvent un caractère narratif en même temps que de déploration. Les complaintes commencent fréquemment par des formules d’exhortation qui annoncent le sujet en réclamant l’attention des auditeurs : Écoutez tous, grands et petits, La Passion de Jésus-Christ, etc. Au XVIIIe siècle, certains colporteurs facétieux ont introduit dans la complainte des éléments satiriques ou parodiques qui ont peu à peu déconsidéré le genre et ont fini par entraîner sa disparition. COMPRIMARIO (ital. : « celui qui accompagne le premier rôle »). Terme désignant, dans l’opéra, les confidents ou confidentes, dont la présence jus- tifie les épanchements des héros, et, plus généralement, tout personnage secondaire. CONCENTUS (lat. : « accord »). Terme employé dans la liturgie latine pour désigner les chants dans lesquels l’aspect musical, mélismatique ou non, prime la déclamation, tandis que dans l’accentus, la musique ne sert que de support à la récitation chantée (psalmodie). CONCENTUS MUSICUS DE VIENNE. ! HARNONCOURT (NIKOLAUS). CONCERT (en ital. concerto). 1.Forme musicale. Le mot italien a servi, dès le XVIe siècle, à désigner des pièces instrumentales en forme de dialogue à plusieurs parties (concertare, « rivaliser »), puis, après évolution du genre, celles où un instrument, ou un groupe d’instruments solistes, dialogue avec l’orchestre. Introduit en France au XVIIe siècle, sa transcription concert s’est stabilisée dans l’acception primitive : petit groupe d’instruments dialoguant. La pièce ainsi nommée concert est de forme assez libre, empruntant à la suite, à la sonate. C’est ainsi que l’entendent M. A. Charpentier (Concert à 4 parties de violes), Montéclair (Sérénade ou Concert divisé en 3 suites de pièces, 1697), Couperin (Concerts royaux, 1722 ; les Goûts réunis ou Nouveaux Concerts, 1724 ; Concert sous le titre d’Apothéose (...) de M. de Lully, 1725). Le titre donné par Rameau à ses Pièces de clavecin en concerts (1741) est particulièrement explicite : il manifeste que l’auteur prend consciemment ses distances vis-à-vis de la sonate avec basse continue, en plaçant trois instruments sur un pied d’égalité. Le concert est de la sorte un genre spécifiquement français, et le titre des Concerts à plusieurs instruments, dits « concerts brandebourgeois » (déformé en « concertos brandebourgeois »), dont la dédicace est d’ailleurs en français, rattache ces oeuvres au domaine de la musique de chambre à très petit effectif instrumental dialoguant, beaucoup plus qu’au concerto à l’italienne. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, des compositeurs soucieux de renouer avec la tradition française ont ressuscité le terme de concert avec le programme esthétique qui lui était attaché, afin de manifes- ter leur refus des formes issues du romantisme allemand : du Concert pour piano, violon et quatuor de Chausson (1891) au Concert champêtre de Poulenc (1928). 2.Mode d’exécution en public. Les concerts sont aussi anciens que la musique elle-même. Toutefois, c’est seulement au XVIIIe siècle qu’ont été organisés les premiers concerts publics dont la musique fût l’unique objet, indépendamment de toute représentation théâtrale ou célébration religieuse, civile ou militaire. À Paris, le Concert spirituel, fondé par Philidor, dura 66 ans, de 1725 à 1791. Il n’eut pas de rival sérieux avant la fondation en 1770 du Concert des amateurs, remplacé en 1780 par le Concert de la Loge olympique, lequel disparut en 1791. Mais ce fut au siècle suivant que les concerts publics connurent un véritable âge d’or. En 1828, Cherubini et Habeneck fondèrent la Société des concerts du Conservatoire, qui allait fonctionner jusqu’à sa réorganisation, en 1967, sous le nom d’Orchestre de Paris. En 1861, 1873 et 1881, naissent successivement trois associations symphoniques qui existent encore : les Concerts populaires de Jules Pasdeloup, le Concert national d’Édouard Colonne et les Nouveaux Concerts de Charles Lamoureux. Chichement subventionnés, composés de musiciens pratiquement bénévoles qui gagnent leur vie ailleurs, Pasdeloup, Colonne et Lamoureux se produisent chaque dimanche à la même heure, entre matinée et soirée, du début de la saison jusqu’à Pâques. (Ces concerts dominicaux constituent aujourd’hui la principale activité des trois formations centenaires, qui ont joué un rôle considérable dans la diffusion des grandes oeuvres.) L’Orchestre de Paris, au contraire, est un établissement officiel qui dispose en permanence de musiciens salariés. Il en va de même pour les deux grandes formations de la radio d’État, l’Orchestre national de France (fondé en 1933 par le jeune ministre des P. T. T. Jean Mistler), et le Nouvel Orchestre philharmonique (ex-Radio-lyrique) -, le tout récent Ensemble instrumental de Paris et les harmonies militaires : Musique de la Garde républicaine (qui a aussi son orchestre symphonique), Musique de l’Air, Musique des Équipages de la Flotte, Musique des Gardiens de la paix. Si l’on ajoute à tous ces ensembles l’Orchestre de l’Ile-de-France créé en 1973, l’Orchestre de l’Opéra qui se produit de plus en plus en concert, et de nombreuses formations de chambre telles que l’Orchestre Jean-FrandownloadModeText.vue.download 240 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 234 çois-Paillard, l’Orchestre Paul-Kuentz ou « la Grande Écurie et la Chambre du Roy », on conçoit que l’agglomération parisienne ne manque pas de concerts malgré la disparition de l’Orchestre symphonique de Paris et des Concerts Straram entre les deux guerres, ou des Concerts Oubradous depuis. Quant aux ensembles spécialisés dans la musique contemporaine, la perte du Domaine musical a été compensée par l’ensemble Ars nova, la création de l’E. I. C. (Ensemble intercontemporain), de l’ensemble de l’Itinéraire, du Collectif musical international 2e2m, etc. Pourtant, les salles de concert proprement dites sont assez rares. La Salle Herz de la rue du Mail, où furent acclamées tant de célébrités de l’époque romantique, a disparu. Autre salle historique, celle des Menus-Plaisirs, rue du Conservatoire, où fut créée la Symphonie fantastique de Berlioz, ne s’ouvre plus guère au public malgré son excellente acoustique et la parfaite conservation de son décor Directoire. Restent, sans compter les petites salles de moins de 500 places, la Salle Pleyel (2 300 places, mais acoustique inégale), la Salle Gaveau (véritable boîte à musique mais 1 000 places seulement), le grand auditorium (Studio 104) de la Maison de Radio-France (1 000 places environ), et l’immense Palais des Congrès (3 700 places, auxquelles l’Orchestre de Paris a fini par renoncer, en faveur de la Salle Pleyel, faute de pouvoir s’y faire entendre normalement). Les théâtres et les églises (mais pas encore les cirques bien que Pasdeloup eût donné l’exemple en organisant ses premiers concerts au Cirque d’Hiver) bénéficient de cette pénurie. L’Opéra, le Théâtre des Champs-Élysées et le Châtelet sont des salles de concert tout indiquées, pour le cadre comme pour l’acoustique. Le Théâtre de la Ville (1 000 places) se transforme en salle de concert presque chaque soir à 18 h 30, pour des séances d’une heure dont le succès a donné des idées à plus d’un directeur ou impresario parisien. L’Athénée, les Variétés, le SaintGeorges, parmi d’autres, consacrent vo- lontiers leur jour de relâche à la musique. Enfin, le concert à l’église connaît une vogue extraordinaire, même s’il ne s’agit pas de musique sacrée, conçue en fonction de l’acoustique très particulière de la plupart des édifices du culte. Saint-Eustache, Saint-Roch, Saint-Gervais, SaintÉtienne-du-Mont, le temple protestant des Billettes, Saint-Séverin, voire NotreDame et la Madeleine, où chaque note est multipliée par quatre, sont les plus fréquentés sous ce rapport. En ces dernières années, le concert a également annexé plusieurs lieux historiques restaurés, tels que la Conciergerie et quelques hôtels du Marais. En province, la politique de Marcel Landowski a permis de fonder sur des bases solides d’excellents orchestres régionaux : Bordeaux-Aquitaine, Lyon, pays de la Loire, Philharmonique de Strasbourg, Toulouse, Lille, etc. Mais, là encore, les orchestres manquent de salles. Si l’Orchestre de Lyon dispose du vaste et très moderne auditorium Maurice-Ravel (2 000 places), celui de Bordeaux joue surtout au Palais des Sports car ni le Grand-Théâtre ni la Salle Jacques-Thibaud, toute neuve, ne peuvent accueillir des milliers d’auditeurs. À l’étranger, nombre de pays possèdent des orchestres illustres par l’ancienneté et la qualité. Bornons-nous ici à citer quelques salles où ils se produisent. Londres est sans doute la capitale la mieux pourvue en salles de très grande capacité avec le Royal Albert Hall, achevé en 1871 (plus de 6 000 places) et le Royal Festival Hall (3 000 places) ; à Amsterdam, le célèbre Concertgebouw possède sa propre salle (2 200 places), tout comme la Philharmonie de Berlin a la sienne, un chef-d’oeuvre d’architecture fonctionnelle (2 400 places) ; Bruxelles a le Palais des Beaux-Arts (2 000 places) ; Anvers, la Salle Reine Élisabeth (2 000 places). La Tonhalle de Zurich compte également 2 000 places, 300 de plus que la Musikvereinsaal de Vienne, mais la Liederhalle de Stuttgart en réunit 3 200, et le Kulturpalast de Dresde 2 400. Les États-Unis justifient-ils dans ce domaine leur réputation de terre d’élection du gigantisme ? Le Philharmonic Hall de New York offre bien 2 800 places, et le Symphony Hall de Boston 2 600, mais le fameux Carnegie Hall, qui date de 1891, 2 000 seulement. CONCERTATO. Mot italien généralement accolé au mot stile (en fr. style concertant) et employé à la fin du XVIe siècle pour désigner le style alors nouveau dans lequel voix et instruments alternaient par groupes au lieu de se mêler de façon uniforme tout au long de la pièce. Par extension, le terme fut employé jusqu’au XVIIIe siècle pour désigner le style d’alternance entre divers groupes d’instruments tel qu’il apparut notamment dans le concerto et le concerto grosso. Dans l’opéra italien ancien, on l’utilise quand tous les personnages chantent ensemble. CONCERTGEBOUW. Mot néerlandais signifiant « bâtiment de concert », l’édifice portant ce nom étant situé à Amsterdam. La grande salle du Concertgebouw a été inaugurée le 3 novembre 1888 ; depuis cette date, l’Orchestre du Concertgebouw (devenu en 1988 Orchestre royal du Concertgebouw) n’a eu que cinq directeurs : Willem Kes (jusqu’en 1895), Willem Mengelberg (1895-1945), Eduard Van Beinum (1945-1959), Bernard Haitink (1961-1988) et Riccardo Chailly (depuis 1988). Parmi les chefs associés et premiers chefs, on relève les noms de Pierre Monteux (1925-1934), Eugen Jochum (19611964) et Kirill Kondrachine (1979-1981). Depuis Mengelberg, l’orchestre possède une très forte tradition mahlérienne, entretenue surtout par Haitink. CONCERTINA. Sorte d’accordéon dont l’invention par le physicien anglais sir Charles Wheatstone (1829) semble avoir précédé de peu celle de l’accordéon proprement dit. Il s’en distingue par sa forme hexagonale, ses dimensions qui sont restées petites, l’extension beaucoup plus grande de son soufflet, le petit nombre de ses touches grâce au système diatonique (une note en tirant, une autre en poussant), et surtout sa pure sonorité. Hors de son pays d’origine, où des ensembles de concertinas, généralement féminins, participent encore à certains offices religieux, cet instrument fait toujours partie de l’attirail des « clowns musicaux » dans le monde entier. CONCERTINO. Diminutif de concerto, soit au sens propre « petit concert ». Ce terme désigne, au XVIIIe siècle, un petit groupe d’instruments solistes chargé de dialoguer avec le ripieno (« plein ») ou orchestre proprement dit dans le concerto grosso. L’ensemble concertino + ripieno formait le tutti ou « grand concert » (concerto grosso), qui a laissé son nom au genre. Le concerto de soliste, appelé aujourd’hui concerto tout court, ne fut d’abord qu’une variante du concerto grosso, celle où le concertino était représenté par un seul instrumentiste, puis il supplanta complètement le concerto grosso au XIXe siècle. Dans le peu qui en subsista (Beethoven, Brahms), on cessa de parler de concertino et la partie correspondante fut considérée au contraire comme une amplification du soliste (doubles ou triples concertos), consacrant ainsi le transfert du rôle principal du groupe au soliste dans l’esprit individualiste du romantisme. Au XXe siècle, le terme concertino est parfois employé comme simple diminutif, désignant soit un concerto, soit un concert c’est-à-dire un morceau d’orchestre, de dimension plus réduite et d’effectif moins important que le concerto ou le concert normal. CONCERTO. Genre musical faisant dialoguer un soliste instrumental (plus rarement 2 ou 3) avec une formation instrumentale ou un orchestre, et les confrontant de manière à mettre en valeur l’expression et la virtuosité du ou des solistes, avec des épisodes en solo où ceux-ci font briller leurs ressources downloadModeText.vue.download 241 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 235 (notamment dans des « cadences » de style improvisé). La plupart des grands concertos du répertoire, depuis le XVIIIe siècle, sont pour piano et orchestre, et, secondairement, pour violon et orchestre, mais on en trouve aussi pour violoncelle, flûte, hautbois, basson, cor, alto, contrebasse, harpe, claviers divers (clavecin, positif d’orgue), bref, pour tous les instruments, y compris la percussion (Milhaud), l’harmonica (Wiener), l’accordéon, le saxophone, le trombone, le tuba, etc. Il existe aussi des « doubles concertos » (par exemple, pour violon et violoncelle, de Brahms), dits parfois « symphonies concertantes » (comme celle de Mozart, pour violon et alto) et des « triples concertos » (de Beethoven, pour piano, violon et violoncelle). Le concerto grosso, genre propre à l’époque baroque, faisait dialoguer avec le tutti instrumental, non un ou des solistes indépendants, mais un petit ensemble de solistes, ou « concertino », pris dans cet orchestre. Genre plus ancien que la symphonie, au sens moderne, le concerto a beaucoup évolué dans sa forme, et c’est au XVIIIe siècle qu’il a trouvé sa coupe « classique » en 3 mouvements (vif-lentvif, plan de l’ouverture à l’italienne) et la forme propre à chaque mouvement : forme sonate bithématique pour l’allegro initial, forme lied ternaire A B A, ou à variations pour le mouvement lent central ; et forme rondo (parfois rondo-sonate) ou « thème et variations », pour le dernier mouvement rapide. UNE BRÈVE HISTOIRE. Le nom de concerto s’est appliqué successivement à plusieurs genres. Primitivement, un « concerto » (du lat. concertare, « se concerter », « converser », et non pas seulement « lutter », « rivaliser ») est une pièce où des voix ou des instruments dialoguent et se confrontent ; bref une musique pour ensemble, puisque toute oeuvre à plusieurs voix les fait se répondre, se combiner, converser. Le compositeur italien Gastoldi publie en 1581 des concerti musicali pour formation instrumentale ad libitum. À la fin du XVIe siècle, le concerto da chiesa (« concerto d’église ») est une pièce pour voix accompagnée, sur un texte religieux, pouvant utiliser le double choeur (Concerti a 6/16 voci, 1587, des frères Gabrieli, Concerti ecclesiastici, de Banchieri, 1595, et Viadana, 1602, 1607). Bach luimême appelle parfois ses cantates des concertos. Le concerto da camera (« concerto de chambre ») est l’équivalent profane du concerto d’église, dans un style plus léger. Alors que le concerto da chiesa est d’une écriture grave et souvent fuguée, le concerto da camera est souvent comme un madrigal accompagné d’instruments. Au XVIIe siècle, les expressions sinfonia, canzone, concerto sont souvent équivalentes. C’est dans ce genre de pièce instrumentale que se serait développé, vers 1750, le principe d’une différenciation entre un petit effectif de solistes, le concertino, ou coro favorito, et le grand effectif, pleno choro, appelé aussi ripieno, concerto grosso ou tutti. Ainsi serait né le genre nommé, par extension, concerto grosso, pour grand ensemble et petit ensemble sorti de son sein, genre que l’on tend souvent à considérer comme une forme archaïque, encore peu différenciée, du concerto de soliste moderne : mais cette manière de comprendre les formes du passé par référence avec celles du présent, dont elles seraient l’esquisse grossière, mérite d’être reconsidérée. Le concerto grosso a été inauguré sans doute par Stradella (Concertos de 1680), et continué par Corelli (12 Concertos grossos op. 6, 1714, dont le fameux Concerto pour la nuit de Noël), Georg Muffat (6 Concertos grossos, 1701) et Giuseppe Torelli (12 Concertos da camera, 1686, oeuvres qui utilisent déjà la forme vif-lent-vif de l’ouverture italienne, alors que les autres peuvent en comporter 4 ou 5), et Pietro Locatelli (12 Concertos grossos, 1721). Les 6 Concerts brandebourgeois de Bach (1721) sont des concertos grossos. Déjà, en 1677, Bononcini propose un concerto grosso où le concertino est réduit à un violon solo, donc un concerto de soliste moderne. Les premiers concertos grossos sont pour deux ensembles de cordes (ripieno et concertino), la section de solistes étant issue du tutti comme par « mitose » cellulaire, et, de la même façon, on tend à voir dans la mise en vedette d’un soliste, au sein du concertino, la deuxième étape d’une évolution biologique. L’étude de la genèse du concerto donne souvent lieu à ces interprétations « finalistes », qui présentent le concerto de soliste comme la forme achevée d’un processus de différenciation, à partir d’un chaos instrumental primitif. Il faut alors rappeler que le modèle du concerto de soliste était présent à l’état latent dans toute la musique vocale de monodie accompagnée (également dans la littérature d’orgue), et qu’il n’avait besoin que d’être transposé au domaine purement instrumental. On reparlera plus loin de ces origines vocales du concerto de solistes. Au reste, la généalogie du concerto, éminemment « impure », faite de croisements, est de celles qui peuvent embarrasser le musicologue, s’il y cherche une progression linéaire. On constate donc un certain parallélisme dans la mise en vedette des chanteurs solistes (castrats et prime donne) et celle des solistes instrumentaux, avec le perfectionnement de la lutherie et de la technique d’exécution, au sein notamment de l’école italienne. Les oeuvres de Tomaso Albinoni (36 concertos de violon à 5, concertos pour trompette, flûte, hautbois, etc.) et surtout d’Antonio Vivaldi (plus de 200 concertos pour violon, dont les Quatre Saisons, et un grand nombre d’autres - 300 environ - pour tous les autres instruments imaginables, sauf précisément le clavecin : 27 pour violoncelle, 20 pour hautbois, 39 pour basson, 15 pour flûte traversière, etc.) fixent la forme du concerto baroque en 3 mouvements viflent-vif, avec un certain type de dialogue entre le soliste et le tutti. Comme la plupart des oeuvres de l’époque, ces concertos sont publiés par séries, par livraisons, et ne prétendent pas être chacun une oeuvre unique. Le canevas est presque toujours le même : un allegro à un thème, où le tutti répète une sorte de ritournelle, entre laquelle le soliste place ses interventions consistant souvent en traits de virtuosité sans identité thématique ; un mouvement lent et chantant directement inspiré de l’aria vocale ; un allegro à ritournelle d’une forme assez semblable à celle du premier mouvement. L’alternance entre solo et tutti est très serrée, surtout chez Vivaldi, mais pas aussi codifiée que dans le concerto classique. En France, Michel Mascitti, Joseph Bodin de Boismortier (6 concertos pour flûte traversière), J. Aubert (6 concertos, 1734) et surtout Jean-Marie Leclair l’Aîné (6 concertos op. 7, 1737, 6 concertos op. 10, 1743) développent le genre, comme Telemann en Allemagne (plus de 100 concertos pour violon, viole, alto, flûte, hautbois, trompette, cor, etc.). Leclair aurait introduit dans l’allegro initial le principe du bithématisme (forme sonate à deux thèmes), qui devait donner naissance au moule du premier mouvement de concerto classique, mis au point et consolidé par Carl Philipp Emanuel Bach, Haydn et Mozart. Fait important : même si un Vivaldi, comme par jeu, se plaît à éprouver sur tous les instruments de son époque, de la mandoline à la viole d’amour, l’efficacité de la formule du concerto soliste, qu’il a su plus que tout autre rendre parlante, les deux cinquièmes de ses concertos publiés sont pour violon, c’est-à-dire pour un instrument issu de l’orchestre et qui peut à tout moment revenir s’y fondre. En effet, la formation instrumentale utilisée pour la majorité des concertos emploie les seules cordes, plus un clavecin (ou un positif d’orgue) pour le continuo. Tout instrument autre que le violon, l’alto ou le violoncelle, incorporé dans le concerto, est donc ipso facto en position de soliste - ce qui n’est plus le cas dans les premiers concertos pour violon de Mozart, dont l’orchestre comprend également les hautbois et les cors. Les flûtes, les tromdownloadModeText.vue.download 242 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 236 pettes et les timbales s’introduisent également dans l’orchestre du concerto à cette époque. C’est au milieu du XVIIIe siècle que le violon passe la main au clavier, et surtout au piano-forte, comme soliste de prédilection pour le concerto, tandis que l’orchestre d’accompagnement se fait plus important. Un des responsables de cette évolution a été Jean-Sébastien Bach, avec ses concertos pour un, deux, trois ou quatre claviers (écrits entre 1729 et 1736), qui seraient les premiers du genre, et qui sont pour la plupart des transcriptions de concertos pour violon de Vivaldi ou de lui-même. On pourrait penser que Bach, passant d’un instrument à l’autre, rénoverait complètement la formule : au contraire, admiratif du modèle italien (qu’il reprend aussi dans son Concerto italien, pour clavier, où l’instrument soliste fait les tutti et les solos à lui tout seul), il respecte ce moule, et s’il adapte, bien sûr, les traits violonistiques, il ne fait rien pour déguiser que le clavecin est ici un substitut du violon. Par ailleurs, le clavecin chez lui continue fidèlement de la main gauche sa fonction de continuo, tout en brillant à la main droite. Cela explique que le clavier des concertos de Bach, à part des moments de virtuosité localisés (cadence du 5e Concert brandebourgeois), est comme soudé à l’orchestre par sa main gauche, et, s’associant humblement aux tutti, n’a pas le statut de personnage autonome, maître d’oeuvre, dramaturge, micro-orchestre, etc., qui est celui du piano dans les concertos de Mozart. Quant aux concertos pour orgue de Haendel, écrits pour servir d’introductions ou d’entractes à ses oratorios, ils mêlent dans un éclectisme très mondain les formes et les styles favoris à l’époque (styles français, italien, formes de suite, de passacaille) et ne cherchent pas à promouvoir un genre spécifique. Au reste, ce sont souvent des adaptations et des transcriptions de sonates ou d’autres oeuvres. On peut imaginer que c’est l’expérience des concertos pour clavier joués en famille qui a incité les fils de Jean-Sébastien Bach (Wilhelm Friedemann, 7 concertos pour clavier, Carl Philipp Emanuel, environ 50, Jean-Chrétien, 18) à en développer le genre - mais on peut dire aussi qu’il s’agit d’une évolution générale, liée à l’apparition du piano-forte comme instrument expressif, et à ses progrès en nuances, en étendue, en puissance. Le XVIIIe siècle est l’âge d’or de l’innovation dans la lutherie des instruments à clavier, avec Cristofori, Silbermann, Stein. Désormais, le pianoforte peut se faire entendre par-dessus une masse instrumentale, et, avec l’allégement du continuo qu’il assure encore chez Mozart, il acquiert son autonomie, peut rentrer et sortir plus facilement. En même temps, c’est l’avènement des virtuoses du piano-forte qui dirigent l’orchestre depuis leur instrument et supplantent de plus en plus le violon à cette place d’honneur, comme chefs et meneurs de jeu. On attribue aussi à Wilhelm Friedemann et Carl Philipp Emanuel Bach le mérite d’avoir enrichi la forme du premier mouvement de concerto par l’apport d’un second thème, et l’adaptation du moule de la forme sonate (exposition réitérée à deux thèmes, la première fois à l’orchestre seul, la seconde fois avec le soliste ; puis développement et réexposition). Ce n’est pas la dernière fois que le concerto, genre qui tend au frivole et au mondain, va faire l’objet d’aménagements visant à le rendre plus sérieux, plus consistant, plus complexe : au reste, ces efforts porteront surtout, au niveau de la forme, sur le premier mouvement, les deux autres conservant souvent leur simplicité originelle de structure - notamment le troisième, qui garde obstinément, même chez les romantiques et les modernes, sa naïveté de forme (rondo à refrain, la forme la plus populaire) et son enjouement brillant et superficiel. La transposition dans le concerto de la forme sonate (étudiée plus loin) permet au premier mouvement de concerto de prendre plus d’ampleur, en lui offrant une armature plus complexe et développée, que dans le concerto baroque, monothématique. Mais en même temps que la forme du concerto pour clavier se raffine, on en écrit moins, et ces concertos deviennent de plus en plus des oeuvres particulières et uniques : Carl Philipp Emanuel Bach en fit 50, Mozart, 27 (dont quelques transcriptions), Beethoven 5, Chopin 2, Schumann 1. Mozart adopte le cadre bithématique et ne le remet pas en question, mais le porte à son maximum d’expression, de profondeur et de pathétique, en particulier dans les concertos K. 466, K. 488 ; K. 491, K. 595. Après lui, le concerto (contrairement à la symphonie, qui ne se réalise pleinement qu’avec Beethoven) pourra augmenter en nombre de mouvements, en richesse d’orchestration, en complexité et en variété de formes, il grandira moins qu’il ne « grossira », dans une espèce d’amplification ornementale qui n’est pas un approfondissement. À cette époque, le concerto de clavier est un genre très prisé du public de concert, on guette l’interprète à la cadence, où il doit montrer ce qu’il sait faire, on apprécie les traits de virtuosité, les gammes, les roulades, comme on fait à l’opéra pour la prima donna - contexte mondain que Mozart saura transcender sans omettre d’en jouer le jeu. Cette seconde moitié du XVIIIe siècle est certainement la plus féconde en concertos de clavier, avec les fils de Bach, la famille Stamitz, Abel, Ditters von Dittersdorf, Joseph Haydn, en attendant les pianistes virtuoses du début du XIXe siècle, les Steibelt, Cramer, Hummel, Field, Ries, Spohr, Kalkbrenner, Mosscheles, Thalberg, qui eux-mêmes en produiront un certain nombre, d’où, peut-être, entre 1835 et 1840, une certaine usure du genre dont Schumann se fit l’écho en 1839. Le concerto pour violon n’est pas complètement abandonné (nous en avons 5 de Mozart, 3 de Joseph Haydn), non plus que celui pour flûte, hautbois, violoncelle, etc., mais ces oeuvres, plus légères en général, ne suscitent pas le même engouement. Par la suite, chez les grands romantiques, à l’initiative de Beethoven (qui après 2 concertos de piano faciles et pleins de verve, prit au sérieux, voire au tragique, le genre, dans les 3 derniers), le concerto tend à devenir un genre rare, qu’on n’aborde pas sans vouloir le réinventer, lui donner une « profondeur » (plus ou moins empruntée au modèle de la symphonie), qu’il n’est pas censé avoir d’emblée : les rares concertos de piano (Schumann en a composé 1 ; Brahms, 2 ; Liszt, 2) et ceux pour violon (Mendelssohn, 1 ; Brahms, 1) ne sont plus les jalons insouciants d’une série, exploitant la même formule, mais des oeuvres ambitieuses, tendues, à la gestation parfois difficile (chez Schumann et Brahms notamment, dont les concertos passèrent par divers stades avant de prendre leur forme définitive). Néanmoins, ces oeuvres n’en respectent pas moins le « cahier des charges » du concerto selon l’attente du public : virtuosité, acrobaties et, dans le dernier mouvement, enjouement bondissant. Cependant, si seuls les grands concertos romantiques chargés d’intentions ont survécu, il est certain que le concerto de série, divertissement sans prétention, dont les témoignages sont aujourd’hui presque tous oubliés, tenait toujours une grande place, à l’époque, pour faire briller la virtuosité des vedettes du clavier. Les concertos de Weber peuvent être considérés comme des échantillons représentatifs de ce mélange de bravoure cavalière et de sentimentalité qui servit de recette à tant de concertos du XIXe siècle formule où seul peut-être un Chopin a su être pleinement lui-même, comme Mozart, sans la remettre en cause. Le concerto moderne de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, propulsé par de nouveaux progrès dans la facture instrumentale et dans la technique pianistique, semble renoncer à réinventer complètement le genre. Même s’il modifie le nombre des mouvements et la structure thématique, il semble prendre son parti de la vocation brillante et mondaine du concerto, ce qui ne l’empêche pas d’atteindre parfois au pathétique : les concertos pour divers instruments de Saint-Saëns, Dvořák, Tchaïkovski, Grieg, Rachmaninov ruissellent d’une virtuosité sans complexes. D’autres compositeurs, en revanche, à l’exemple d’un Schubert downloadModeText.vue.download 243 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 237 au début du XIXe siècle, ne se commettent pas avec le genre, pour des raisons très diverses : c’est le cas de Berlioz (malgré son Harold en Italie, pour alto et orchestre, concerto avorté), Moussorgski, Wagner, Bruckner, Mahler, Hugo Wolf, Debussy, Fauré, Dukas, d’Indy (malgré sa Symphonie cévenole, piano et orchestre), Franck (dont les Variations symphoniques n’en sont pas un non plus), etc. L’esprit de sérieux, chez les uns, la vocation au « vrai », chez les autres, ou le sens d’un certain message ont pu les détourner des conventions du genre, incontournables. Mais après le romantisme, peut-être par réaction contre les épanchements métaphysiques, une nouvelle vague de concertos arrive, des concertos très aérodynamiques, percussifs, ivres de vitesse et de couleurs sonores, motoristiques, avec Ravel, Prokofiev, Stravinski, Chostakovitch, Bartók, dont les 3 concertos sont très beethovéniens, Gerschwin, Copland, etc., auteurs qui viennent souvent soit d’outre-Atlantique, soit des pays de l’Est, et non de la vieille Europe. Les concertos de chambre (Kammerkonzerte) de Hindemith, comme certains concertos de Stravinski, tentent de retourner aux sources du concerto grosso et du concerto baroque, dans un souci de néoclassicisme et de « nouvelle objectivité » (Neue Sachlichkeit). En France, avec l’esthétique d’agrément et le retour des compositeurs à des formes plus ramassées, ceux-ci inondent le public de petits concertos, parfois un peu « miniatures », avec Milhaud, Poulenc (qui louche vers Mozart), Ibert, Françaix, et même chez Jolivet, pourtant assez distant de cette esthétique. Mais après cette vague de néoconcertos, le concerto contemporain est de plus en plus une somme de cas particuliers : quoi de commun entre ceux de Ligeti, Zimmermann, Maderna, qu’une commune référence à un genre daté et fixé « tel qu’en lui-même » dans ses 3 formes canoniques : concerto baroque à la Vivaldi ou à la Bach ; concerto mozartien, concerto romantique. Par ailleurs, beaucoup d’oeuvres se réfèrent au concerto dans leur formule en évitant d’en revendiquer le titre ; le cas de ces « cryptoconcertos » de Xenakis, Boulez, Dutilleux sera examiné plus loin. L’ESPRIT DU CONCERTO. On fait souvent dériver « concerto » du verbe latin concertare qui signifie « se quereller », « se battre », mais aussi « débattre ». Et l’on s’autorise de cette référence étymologique pour parler du concerto comme d’un « affrontement » entre un soliste et un orchestre, comme entre deux parties belligérantes. Mais si l’on cherche comment, dans le détail, se traduit cette situation de guerre, on est bien embarrassé pour en trouver des exemples : il apparaît, plutôt, que soliste et orchestre se font beaucoup de politesses, s’assistent mutuellement, se renvoient la balle, se servent d’écrin ou de faire-valoir. Bref, on ne trouve pas beaucoup de marques d’hostilité dans leurs rapports (se couvrir, énoncer simultanément deux idées concurrentes, se contredire, se couper la parole, etc.), et, cependant, il est vrai qu’une odeur de poudre et de bataille flotte souvent au-dessus des concertos, dans les premiers mouvements notamment, souvent martiaux, avec des rythmes pointés et des allures de marche (l’Empereur de Beethoven, le Concerto pour violon en ré majeur de Mozart, celui pour piano en fa mineur de Chopin). Alors ? S’il y a bien une atmosphère martiale dans beaucoup d’ouvertures de concertos, c’est plus au niveau de la parade que du combat entre ennemis : comme dans une « revue des troupes », où chaque partenaire montre à l’autre comment il remplit bien son rôle, le soliste empanaché comme un général, et l’orchestre au complet bien rangé et astiqué, présentant les armes en bon ordre. À côté de cette inévitable référence à la guerre, il est aussi important de rappeler les origines vocales du concerto. Un parallèle serait instructif entre l’histoire de la musique vocale en Occident et celle du concerto. La voix accompagnée est la situation concertante primitive : tout ce qui définit le concerto (mise en vedette d’un personnage ; jeu de répliques, d’échos, d’imitations, d’alternances avec l’ensemble ; latitude d’improvisation et d’ornementation laissée au soliste), tout cela se trouve déjà présent dans la musique vocale. De plus, les mouvements lents de concertos sont souvents, bien plus nettement que dans les symphonies, sonates ou quatuors, de grandes cantilènes qui se réfèrent au modèle vocal, au phrasé vocal, voire au souffle humain, même quand il s’agit du piano ou du violon. Il apparaît évident que le soliste instrumental personnifie le chanteur, plus qu’il n’en imite la fonction. L’essence du concerto est bien celle d’un genre dramatique. Sous l’angle musical, on peut inventorier les formes d’association entre le soliste et l’ensemble ; elles ne sont pas en nombre infini : - l’homophonie, quand le soliste énonce un thème bien ensemble avec l’orchestre mobilisé au complet. Cette situation, très courante dans les nombreux tutti du concerto baroque, devient assez rare dans le concerto classique et romantique ; - la doublure, quand il s’agit d’une partie du soliste qui double une partie de l’orchestre et réciproquement, et si cette partie n’est pas la mélodie du tutti. Dans les concertos de Bach pour clavecin, la main gauche double le continuo. Mais dans d’autres cas, il arrive rarement au soliste de doubler un instrument ou un pupitre de l’orchestre en s’effaçant derrière lui : c’est le contraire qui se produit souvent, quand un instrument à vent (flûte, hautbois, clarinette) intervient pour doubler temporairement la main droite du piano (Concerto en « la » mineur pour piano de Schumann). Courante dans le concerto romantique, cette situation n’est pas fréquente chez Mozart ; - l’alternance ; c’est la situation la plus évidente. Souvent l’orchestre et le soliste n’alternent pas sans se passer la parole à l’aide de diverses formules de transition, de cadences, de silences, d’anacrouses, de repos à la dominante, ou bien en se « raccordant » par un accord émis ensemble. Ce vocabulaire de transitions, souvent redondant du seul point de vue musical, joue un grand rôle dans la structure dramatique du concerto ; - les répliques ; quand cette alternance est serrée, on a affaire à des jeux de répliques entre les partenaires soit en imitation, soit en se partageant les deux termes d’une formule mélodique sur le modèle question/réponse ou affirmation/réplique. Ces répliques sont souvent traitées en marches harmoniques qui conduisent à une sorte d’explosion ou de tutti après un va-et-vient serré. Ce sont elles qui pourraient justifier l’idée du concerto comme « affrontement », puisqu’elles miment le plus évidemment la situation d’une discussion. Pourtant, elles ne tiennent pas dans le concerto une place très importante en proportion du reste. Cette fameuse situation de dialogue, de concertation qui définit le concerto se manifeste plus souvent par une espèce de passation, de transfert permanent et réciproque d’un rôle, d’un pouvoir, d’une continuité ; - le soutien ; c’est le cas bien connu où l’orchestre s’allège, se fait discret pour soutenir le soliste, harmoniquement, par des accords tenus ou énoncés en notes répétées, et rythmiquement, par des ostinatos. L’orchestre crée alors un fond sur lequel se détache la voix individuelle. La situation inverse (le soliste soutenant l’orchestre) se rencontre surtout dans les débuts du concerto, dans la fonction de continuo conservée par le soliste. Peu à peu, ce rôle s’efface, et, quand le soliste s’ajoute en voix secondaire par-dessus l’orchestre, c’est plutôt pour l’ornementer ; - l’ornementation ; quand l’orchestre fait valoir sa masse, son volume, son impact rythmique, sa densité harmonique, le soliste peut, en regard, jouer de son agilité, de son mordant, qu’il doit à son indépendance et à son unicité. Il se sert alors souvent de ses ressources de virtuosité pour ornementer une reprise ou une transition d’orchestre d’arpèges, de gammes, de trilles, de batteries, de tenues dans l’aigu (pour le violon) - ajouts qui sont redondants par rapport à l’information rythmique, harmonique, mélodique donnée downloadModeText.vue.download 244 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 238 par l’orchestre seul, mais qui jouent un rôle ornemental important ; - la ponctuation ; cette ornementation peut avoir en même temps un rôle de ponctuation dans le continuum musical. On sait l’importance de la ponctuation dans l’écrit, et même dans la parole, et comment son déplacement ou son altération peuvent bouleverser le sens, modifier le style. C’est la même chose pour la musique : les accords légers en pizzicati qui ponctuent la phrase du soliste, les sonneries claironnantes qui l’introduisent ou la concluent n’ont pas pour seul rôle de « cimenter » ou de réaffirmer la continuité musicale, ni de rappeler la présence de l’orchestre quand il est au second plan. Elles servent aussi à découper, à souligner des phrases, des unités musicales, et contribuent à en organiser et à en hiérarchiser la durée, en détachant tel accord, telle cadence par rapport à telle autre qui n’est pas ponctuée ni soulignée. Cette liste de situations respectives du soliste et de l’orchestre n’est pas exhaustive : ce qui en ressort, cependant, c’est que, dans le concerto, les partenaires s’opposent et rivalisent moins entre eux qu’ils ne se répartissent et ne se transmettent des rôles, selon certains rites. Leur opposition n’est-elle pas déjà suffisamment signifiée par leur différence d’identité, de timbre, de place ? Mais que se passe-t-il quand un instrument de l’orchestre se détache de l’ensemble et vient dialoguer en solo avec le soliste officiel (par ex., la clarinette à la mesure 67 du premier mouvement du Concerto de piano de Schumann) ? A-t-on subitement un fragment de sonate piano/ clarinette ? Non, puisque la clarinette est perçue, même en soliste, comme membre, délégué de l’orchestre, en second plan par rapport au soliste, ne serait-ce qu’acoustiquement (éloignement « géographique » du solo d’orchestre par rapport à l’instrument soliste, que respectent les mixages des disques de concertos). L’orchestre en tant qu’entité dialoguant avec le soliste, à travers « sa » clarinette ou « ses » premiers violons, est un concept, une abstraction : qu’il reste « présent » aussi bien dans les tutti que dans les solos de hautbois ou les tenues de cordes relève d’une convention d’écoute, d’un schéma mental tout à fait irréductible à des critères musicaux précis. Cette convention régit, pour nous Occidentaux acculturés au concerto, la perception que nous en avons. Il resterait à savoir si une personne, non acculturée à cette perception de l’orchestre comme entité présente en chacun de ses membres isolés, la retrouverait par la seule logique proprement musicale des rythmes, des harmonies, des mélodies. Sans cette convention, en effet, toute intervention d’un pupitre ou d’un soliste isolé par rapport au soliste principal deviendrait alors une sorte de cas particulier. Dans la symphonie classique, l’orchestre est également posé comme un « tout », une somme irréductible à l’addition de ses parties, et il leur est transcendant. Mais nous pouvons « entrer » dans cet orchestre, comme dans un « tout » ouvert et mouvant, et analyser par l’écoute telle ou telle partie sans perdre le sentiment du tout. La situation du concerto a pour effet de faire (psychologiquement) « serrer les rangs » à l’orchestre, devant le soliste. L’orchestre se posant en orchestre face au soliste (et non seulement face à l’auditeur), et vice versa, on a une situation en miroir, en imitation, de type « imaginaire » au sens lacanien. Si rivalité il y a, elle est, à ce niveau-là, dans une identification réciproque. L’écoute (aussi bien la conception par le compositeur, ou l’exécution par les interprètes, ou la prise de son par l’ingénieur) dans un concerto ne peut être trop analytique, par rapport à l’orchestre, sans risquer d’en briser la cohésion et de renvoyer chaque instrument, chaque pupitre à son particularisme, le posant en « rival » isolé par rapport au soliste, et du même coup par rapport au reste de l’orchestre. C’est ce qui se produit, parfois délibérément, dans certains concertos modernes, à l’orchestration émiettée, qui remettent en cause la hiérarchie classique. Il est certain que ce rapport en miroir du groupe et du soliste dans le concerto, la façon dont chacun tient plus ou moins son identité de l’autre, n’est pas sans évoquer des modèles sociaux, et l’on pourrait s’amuser à raconter les vicissitudes du concerto en termes sociologiques : comment, sorti du rang (cas du violoniste), ou au contraire d’une caste à part (cas du pianiste), un individu se pose à la fois en guide, en délégué, en miroir pour la collectivité, lui donne la parole et la prend d’elle. L’orchestration classique cherche à créer un corps orchestral homogène et fondu, qui prend dans chaque pupitre ce qu’il peut donner au service de la collectivité, mais sans le laisser accaparer l’atten- tion. Cette unité précaire, cette complémentarité, cette harmonie s’appuie sur le renoncement de chaque instrument à être trop personnel et à vouloir tout faire, au profit d’une répartition hiérarchisée des rôles : dans les concertos de Mozart, les cors font des tenues, les hautbois des doublures ou des tenues, etc. Et quand on y entend un solo de flûte, c’est souvent en association avec le hautbois et le basson, formant comme un petit ensemble délégué par le grand pour s’opposer au soliste ; mais c’est rarement une flûte trop personnelle, trop insistante. Par rapport à cette masse homogénéisée, le soliste est comme délégué par elle pour faire parade au maximum de son individualité, pour l’exhiber, pouvant compter sur la masse comme faire-valoir, miroir, caisse de résonance. Une intervention aussi voyante et personnelle que celle du violoncelle solo dans le début du mouvement lent du Deuxième Concerto pour piano en si bémol de Brahms est déjà un décentrement du concerto, qui en détruit l’équilibre traditionnel. Or l’orchestre contemporain, à force de grandir et de se diversifier, a fini par exploser et s’atomiser. L’orchestration moderne détruit la traditionnelle répartition des rôles, donne à chaque pupitre des interventions imprévisibles, qui compromettent à tout instant la position du soliste. On peut définir l’un par l’autre le concerto et la symphonie, les deux grands genres orchestraux dans la musique occidentale. Par rapport à la symphonie, genre sérieux, coiffé depuis Beethoven d’une auréole métaphysique, le concerto a toujours gardé une réputation justifiée de genre mondain, de rite social, de tournoi cérémoniel, mettant en jeu des valeurs non musicales de virtuosité, de parade. Alors que la symphonie est devenue avec Beethoven un genre apogée, plus haute forme de la composition, à laquelle un Brahms osait à peine se mesurer, le concerto n’a pas même gagné avec les chefs-d’oeuvre de Mozart une réputation semblable, et même Mozart, tout en portant cette forme au sublime, n’a pas voulu l’épurer du côté mondain, « morceau de concours », qui lui est consubstantiel. Par ailleurs, les deux genres ont suivi des trajectoires parallèles et différentes. Le concerto a trouvé son moule initial (en 3 mouvements) bien plus tôt que la symphonie ; mais bientôt la symphonie a dépassé le concerto en dimension, en complexité de forme, en ambition. Et quand le concerto a « vu » la symphonie grandir, s’élever, il a voulu l’imiter, s’affronter à d’aussi grandes durées, lui empruntant (ainsi qu’à la sonate) la forme bithématique pour le premier mouvement. Ce qui est notable, c’est justement que le concerto a rarement atteint les proportions de la symphonie romantique, non seulement pour des raisons de nombre de mouvements, mais par une sorte de logique interne qui le rendait, au contraire de la symphonie, non susceptible d’expansion infinie. Le Deuxième Concerto pour piano de Brahms, avec ses 4 mouvements et sa longue durée, est une exception. Encore adopte-t-il pour le dernier mouvement un ton de rondo bon enfant, comme s’il ne voulait plus suivre jusqu’au bout le modèle de la symphonie, avec son finale préparé en lourde apothéose pleine de conflits et de gestations complexes. Du point de vue de la texture orchestrale et de la forme, les compositeurs romantiques ont souvent voulu tirer le concerto vers la symphonie : en épaississant l’orchestration, en complexifiant la forme, en tresdownloadModeText.vue.download 245 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 239 sant l’orchestre et le soliste de façon plus étroite. Ils n’ont pu ou voulu donner au concerto cette dignité purement musicale, cette aura de pureté compositionnelle qui était reconnue à la symphonie. Pourquoi donc le concerto n’est-il pas doué de cette capacité d’expansion qui a permis à la symphonie de rester elle-même en atteignant les proportions géantes qu’on lui a connues à l’époque de Mahler et de Bruckner ? Pourquoi, après de si nombreuses tentatives pour le « symphoniser », est-il obstinément revenu à son moule en 3 mouvements et à ses dimensions modestes ? Peut-être, entre autres raisons, parce que le concerto fonctionne non, comme la symphonie, sur une longue recherche, une quête ouverte et susceptible de se prolonger indéfiniment, mais plutôt comme un jeu codé, qui n’a de sens que s’il se déroule dans une temporalité limitée. De plus, la forme du concerto, basée sur une oscillation, une dualité entre soliste et orchestre, a vite fait, si cette oscillation n’est pas dosée, de donner une impression « en dents de scie », qui risquerait de devenir vite fastidieuse alors que l’orchestre de la symphonie peut se ramifier ou se rassembler à l’infini sans lasser. Autre différence : alors que dans la symphonie, tout peut et même doit être intégré dans l’architecture musicale, le concerto, lui, fonctionne aussi sur une certaine rhétorique de « prise de paroles », d’échanges entre le soliste et la masse, qui amène à remplir une bonne partie du temps avec tout un « tissu conjonctif » de traits de virtuosité, de formules de passation, de ponts orchestraux qui sont redondants par rapport à la pure substance musicale, et qu’accuse encore le procédé d’alternance entre les partenaires. Inversement, un concerto complètement allégé de ses formules de politesse et de sa rhétorique et qui est une pure construction musicale, comme le Concerto pour piano op. 42 de Schönberg, ressemble un peu à un concerto fantôme qui ne joue pas le jeu complètement. D’où il ressort que le concerto est effectivement en partie un genre dramatique, régi par un code de relations entre le soliste et l’orchestre posés comme personnages, code qui ne peut se ramener à des relations musicales abstraites. Aborder le concerto comme pur projet formel, en intégrant ses conventions dans un propos seulement musical au sens le plus abstrait, est plus difficile qu’il n’y paraît. C’est ce qu’ont tenté en particulier les trois Viennois, Berg (dans son Concerto de chambre ou Kammerkonzert), Webern (Concerto op. 24), Schönberg (Concerto pour piano), et l’on constate soit que la rhétorique du concerto réapparaît dans leurs oeuvres ; soit que l’esprit du concerto y disparaît pour laisser la place à un discours concertant qui tend à niveler les rôles. Bien sûr, cette théâtralité tient pour une grande part aux conventions de la virtuosité qui sont génératrices de redondance musicale. Y a-t-il un seul concerto sans virtuosité ? Une telle oeuvre est difficile à retrouver sauf à deux ou trois exemplaires (Webern, le Concerto à la mémoire d’un ange de Berg, pour violon) - tant la démonstration de virtuosité fait partie du concerto, genre ornemental par excellence, supposant donc la possibilité d’une certaine redondance. Dans le concerto mozartien pour piano ou pour violon, la virtuosité est délimitée à des traits de liaison entre les thèmes et à des épisodes très précis (dans le développement, les cadences), mais elle ne touche pas, ou peu, les thèmes, qui sont généralement exposés par le piano à nu, avec de légères broderies. Mais dans le concerto romantique et postromantique, les progrès techniques aidant, la virtuosité gagne tout le jeu du piano, se complique, s’empâte, et les thèmes eux-mêmes sont souvent exposés la première fois dans une version ornée d’arpèges et de traits. C’est peut-être pourquoi beaucoup de thèmes de concertos (le premier mouvement du Concerto pour violon de Beethoven, quatrième Concerto pour piano de SaintSaëns) ont la « noble simplicité » d’un choral : on les sent prêts à être ornés et décorés à l’infini, et les compositeurs veulent peut-être que sous cette parure ils gardent un port altier. Un Chopin, dont le style s’est incorporé l’ornementation comme un trait de langage et un moyen d’expression, est à l’aise dans le concerto romantique et dans une certaine hypertrophie ornementale de virtuose, avec laquelle il sait faire de l’art. D’autres compositeurs, comme Saint-Saëns, récupèrent le vocabulaire du romantisme sans y croire, en gardent le foisonnement ornemental, tout en recherchant parfois la « noblesse » du genre symphonique et de la musique pure : position ingénieuse et calculatrice, consistant à « faire dans le concerto » un exercice de style, et qu’ont pratiquée également Ravel, Prokofiev, Stravinski. La virtuosité se manifeste notamment dans la cadence pour le soliste, que la tradition situe à la fin de chacun des 3 mouvements, mais surtout à la fin du premier, et secondairement du troisième. Cette cadence était encore du temps de Mozart une enclave d’improvisation subsistant dans un genre écrit, où le soliste (qui souvent était en même temps l’auteur et le chef d’orchestre) se ménageait un succès. On dit que c’est pour parer aux excès qui rendaient ces cadences interminables que Mozart et ses successeurs ont noté leurs cadences originales, nous permettant de savoir dans quel esprit elles étaient menées. De plus en plus, elles furent prévues dans l’architecture de l’oeuvre : celle du premier mouvement du Concerto pour piano en la mineur de Schumann, dense et tendue, proche de certains préludes du Clavier bien tempéré de Bach, n’a sans doute pas grand-chose à voir avec ces vagabondages peu modulants dans les thèmes du concerto, en quoi consistait au XVIIIe siècle la cadence. Cette cadence était le seul moment où l’orchestre laissait pendant une certaine durée le soliste complètement seul, sans l’accompagner ou le ponctuer, et l’inévitable retour attendu de l’orchestre, qui est là et qui attend pour conclure, donnait à ces cadences frénétiques une allure de « tout pour le tout ». Ce n’est pas tout de parler de virtuosité ; il faut souligner aussi que celle qui est propre au concerto a un caractère particulier, qui peut être différent de la virtuosité des oeuvres pour piano solo. On peut prendre le cas d’un Debussy qui n’a jamais écrit de concerto ; non qu’il fût ennemi de la virtuosité, loin de là, mais il semblait aimer dans la virtuosité d’abord cette matière irisée, fluctuante et nuancée qu’elle pouvait créer. Or la virtuosité de concerto tend à être plus ou moins dure et démonstrative, surtout dans les passages rapides avec l’orchestre. Pour passer au même niveau que lui et parfois passer pardessus, le soliste doit souvent « projeter la voix », parler fort, sur un ton plus gros, plus souligné, plus contrasté que dans les pièces pour soliste (Chopin n’a pu faire de concerto, qui sauvegarde la finesse et l’exquise fragilité de son piano, qu’en réduisant souvent au minimum le rôle de l’orchestre). La virtuosité du soliste de concerto, et plus particulièrement du piano, est non seulement plus « grosse », elle est aussi et surtout d’essence discursive, et ne peut se résoudre en matière, en poussière lumineuse. Elle est la voix de quelqu’un qui parle et, même, parfois bavarde. Ce qu’illustre très clairement le cas de ces musiciens, qui, dans leurs oeuvres pour piano seul, ont su admirablement utiliser la matière, les timbres, les sonorités créées par la virtuosité pianistique, mais qui ont dû, dans leurs concertos, revenir à une virtuosité plus conventionnelle et discursive. Entre Gaspard de la nuit de Ravel et son Concerto en « sol » majeur, entre les Jeux d’eau à la villa d’Este de Liszt et ses concertos, c’est le même degré de virtuosité, mais ce n’est pas le même piano. C’est du piano démonstratif, rhétorique, ce n’est plus le piano-microcosme, avec un arc-en-ciel de sonorités. Par ce qui n’est qu’en apparence un paradoxe, le piano doit donc, pour dialoguer avec l’orchestre et se poser face à lui en piano, renoncer à certaines de ses nuances les plus intimes. Cette virtuosité n’empêche pas le tragique ; et c’est Mozart qui a su, plus encore que Beethoven, dégager l’essence tragique du genre - mais un tragique individuel, personnifié, par opposition au tragique downloadModeText.vue.download 246 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 240 collectif et impersonnel de la symphonie. Pourtant, nous l’avons dit, le concerto a été rarement (sauf justement chez Mozart) un de ces genres ultimes où le compositeur s’engage tout entier et va au bout de lui-même. Si grands furent-ils dans leurs concertos, Beethoven, Brahms, Schumann laissent le sentiment que le « moi » qu’ils y délèguent, dans le rôle du soliste, est un peu tempéré, arrangé, convenable, moins absolument eux-mêmes que le « moi » de leurs sonates, pièces pour piano et symphonies. Seules exceptions postmozartiennes, peut-être, Chopin (mais ce Chopin des concertos, tout à fait authentique, n’est peut-être pas le plus attachant) et, dans une certaine mesure, Bartók et Berg dans le Concerto à la mémoire d’un ange pour violon et orchestre. C’est peut-être dans la mesure où Mozart assume complètement la part d’humanité qu’il y a dans le jeu du « paraître » et ses conventions, que les gammes et les traits les plus banals de ses concertos sonnent comme aussi authentiques, l’impliquent aussi fort que ses thèmes les plus émouvants. Ses successeurs auront pour la plupart une position plus critique et distanciée vis-à-vis des conventions de virtuosité du concerto, et, en manifestant le désir de les « ennoblir », tout en les conservant, ils ont fait de leurs concertos des oeuvres ambitieuses et calculées, moins absolues parfois que leurs autres créations. Un Schubert, proche à certains égards de Mozart, n’a jamais écrit de concerto, et l’on attribue cela à son dédain pour les genres mondains. Pourtant, il a su très bien écrire sur commande des pièces de genre et de caractère, et même une pièce de virtuosité caracolante comme la Wanderer-Fantaisie pour piano, que Liszt a d’ailleurs arrangée en Konzertstück pour piano et orchestre de façon très convain- cante. On se demande si un concerto de Schubert n’aurait pas été une pièce de genre à la Weber... Dans la mesure où le soliste de concerto représente effectivement l’individu, à la fois personnage et meneur de jeu du drame musical, on est frappé par le contraste entre la soumission du piano de concerto mozartien à un ensemble de lois qui délimitent sa place et ses interventions, et la liberté avec laquelle le soliste de concerto romantique tend à se mêler de tout, y perdant un peu en présence tragique. Car c’est dans le jeu consenti de conventions sociales que se dégage le tragique du concerto chez Mozart. Par ailleurs, on ne peut oublier, ne l’aurait-on entendue qu’une fois, la surnaturelle fragilité de ces thèmes de trois notes avec lesquels Mozart fait parfois ses mouvements lents de concertos. Elle n’est sans doute pas sans lien avec la juvénilité du piano de l’époque, et il est peut-être plus difficile de la traduire avec le grand piano moderne, bravache et sûr de lui. Ce climat de naissance, d’origine, ne sera pas souvent retrouvé dans le concerto romantique. Dans la première mesure du Deuxième concerto pour piano en si bémol de Brahms, on a ce fameux appel de cors, comme une fanfare douce, qui évoque les forêts germaniques, appel primitif que reprend aussitôt le piano, dans son style à lui, avec des accords profonds et limpides. En 4 mesures, il s’est produit comme une « passation » entre ces cors venus du fond des âges, des origines et le piano de concert - une passation, dans laquelle l’instrument moderne et raffiné semble reprendre le flambeau de quelque chose de très ancien et diffus, auquel il donne aussitôt un visage plus culturel, individuel. Ce début semble reprendre le concerto à sa genèse, aux sources de la différenciation individuelle, à la racine de l’écho, du mimétisme originaire. Tel est peut-être le secret du concerto, enfoui sous les fleurs de salon. LE CONCERTO ET SES SOLISTES. L’histoire du concerto peut aussi se raconter à travers la concurrence des deux grands instruments solistes de la musique classique occidentale : piano et violon, violon et piano. Par rapport au piano, le violon présente dans le concerto de soliste une originalité irréductible : il est sorti du rang, de la masse, tout prêt à s’y fondre à nouveau à n’importe quel moment - ce qui lui donne une certaine souplesse pour y rentrer et en sortir. Il est nommé, d’ailleurs, jusque dans les concertos de Mozart et de Mendelssohn, « violon principal », ce qui veut tout dire. Alors qu’un piano, malgré tous les efforts qu’il fait pour cela, chez un d’Indy, par exemple (Symphonie cévenole, pour piano et orchestre), ou un SaintSaëns (Symphonie en « ut » mineur), ne peut s’y fondre incognito. Mais le violon n’émerge bien de la masse, acoustiquement parlant, que s’il joue dans l’aigu, pardessus ses congénères de la troupe. Alors que le piano perd sa sonorité quand il monte dans l’aigu, la résonance étant plus courte et abrupte, les harmoniques plus pauvres, le violon, lui, s’épanouit dans ces zones séraphiques ou grinçantes qui sont proches de ses limites supérieures. Mais il ne peut s’auto-accompagner que dans une mesure très réduite (doubles cordes), et beaucoup moins facilement que le piano. Il ne peut pas être son propre continuo, et semble voler souvent à la cime de l’orchestre qui l’accompagne, en apesanteur. Nous avons déjà dit la relative désuétude dans laquelle est tombé, au XIXe siècle, le concerto pour violon, au bénéfice du piano. Cela malgré des virtuoses-phénomènes comme Paganini, dont l’exemple diabolique n’encouragea pas les compositeurs de son temps à écrire pour lui (cf. les vicissitudes d’Harold en Italie), mais suscita plutôt une réaction d’émulation et de défi pianistique : c’est à qui voudra montrer, en adaptant Paganini au piano, que le clavier peut faire aussi bien et mieux que lui. Apparemment le violon est moins apte, pour le XIXe siècle, que le piano à représenter un « microcosme d’individu ». Les concertos de violon de Beethoven, Mendelssohn, Brahms, et celui presque posthume de Schumann proche de la folie, sont des tentatives isolées dans ce siècle. Au XXe siècle, Berg choisit le violon et son immatérialité pour chanter la « mémoire d’un ange « ; le concerto de violon de Bartók est, lui aussi, presque un requiem. Tandis que ceux de Stravinski, Prokofiev, Chostako vitch raclent un peu diaboliquement cet instrument à la fois exalté et déchu, dans la tradition paganinienne, qui a inspiré à d’autres tant de « rhapsodies espagnoles » ou de « rondos cappriciosos » souvent sans prétention. C’est donc, à quelques exceptions près, en musique de chambre que le violon solo est utilisé au mieux dans la musique du XIXe et du XXe siècle. Le piano est dans un cas différent. D’abord encore enfoui dans les basses, avec les instruments qui assurent le continuo, l’instrument à clavier s’impose au premier plan, comme un instrument qui peut entièrement se suffire à lui-même, et, plus encore, comme un microcosme d’orchestre, par son registre, ses possibilités polyphoniques et dynamiques : l’orchestre se reflète en lui, transposé, stylisé, réuni. Non seulement le piano n’est pas sorti de l’orchestre comme le violon, mais aussi son timbre est assez irréductible, particulier, pour que son inclusion « anonyme » dans la masse orchestrale soit difficile. La seule manière dont il peut s’y ajouter est décorative : c’est en faisant des guirlandes de traits et d’arpèges ; encore, là, ne trompe-t-il personne. Il n’est pas de l’orchestre. Ce qui convient bien à l’esthétique accumulative et ornementale d’un Olivier Messiaen, dans ses « cryptoconcertos » pour piano et orchestre, la Turangalîla-Symphonie et les Couleurs de la cité céleste. Cette esthétique, en effet, ne procède pas par fusion, mais par addition d’éléments, et l’incapacité du piano à se fondre dans la masse instrumentale en fait justement pour elle un auxiliaire précieux. Autonome, irréductible, armé pour « réduire » en lui la partie d’orchestre, le piano peut donc être dans le concerto ce primus inter pares (« premier entre semblables »), dont parle Jean-Victor Hocquart à propos de Mozart ; ce personnage qui est en même temps dramaturge et meneur de jeu. Aussi comprend-t-on que le terme concerto s’est souvent identifié à « concerto pour piano », avec Mozart, Beethoven, Brahms, Schumann, Ravel, downloadModeText.vue.download 247 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 241 Prokofiev, Bartók ; la dramaturgie du concerto avait trouvé en cet instrument un protagoniste insurpassable. Aux dires de beaucoup, c’est le violoncelle qui viendrait en troisième position, bien après le violon et le piano, parmi les instruments solistes élus par le concerto : certes, son timbre ne ressort pas aussi facilement, surtout dans le registre médium que l’orchestre étouffe sans peine, et le nombre des traits possibles est plus limité. Mais l’ampleur, l’expressivité et la générosité de son timbre en font un partenaire exceptionnel. S’il n’y a jamais eu de vogue du concerto de violoncelle, comme pour le piano ou le violon, il y a eu toujours un répertoire fidèle et riche, de Vivaldi, Platti, Tartini, Boccherini, en passant par Haydn (deux concertos en ut et en ré) - mais pas Mozart -, jusqu’aux concertos de virtuose du XIXe siècle (Duport, Rombert, Servais, Franchomme) et aux concertos romantiques de Schumann, Lalo, Saint-Saëns, Brahms (Concerto pour violon et violoncelle), Dvořák, et, plus près de nous, Hindemith, Schönberg, Prokofiev, Milhaud, Katchaturian, Honegger, Jolivet, Zimmermann, et, enfin, Henri Dutilleux, bien que son oeuvre Tout un monde lointain ne revendique pas ce titre de concerto. Son plan en 5 parties soudées n’a rien à voir avec celui du concerto classique, mais le type de relations qu’y établissent le soliste et l’orchestre est bien « concertant ». Utilisé ici beaucoup plus souvent qu’il n’est de coutume dans son registre aigu et suraigu (ce qui lui permet de passer pardessus un orchestre fourni), l’instrument a bien ce rôle de double, de personnage meneur de jeu, en qui la musique vient se rassembler, et dont elle part pour se ramifier, se multiplier. Le début de cette oeuvre est d’ailleurs remarquable par son climat de « genèse », rappelant lointainement celui du 2e concerto de piano de Brahms : d’une résonance archaïque et magique de percussion s’extrait une phrase de violoncelle, qui monte vers l’aigu, et derrière le soliste qui chante, peu à peu l’orchestre se dessine, se condense, comme né d’un coup de baguette magique (on retrouve aussi, dans un climat très différent, cette genèse, cette brume originelle, dans le début du Concerto pour piano en « ré » mineur K. 466 de Mozart). Avec son beau timbre étouffé, qui n’a pas l’ampleur de celui du violoncelle, l’alto est encore plus difficile à manier dans un concerto. À l’époque préclassique, la taille réduite de l’orchestre lui permet de tenir son rang de soliste, dans des concertos comme ceux de Benda, de Ditters von Dittersdorf ou des Stamitz, ou dans la Symphonie concertante pour violon et alto K. 364 de Mozart. Hector Berlioz, par esprit de contradiction, voulut écrire pour Paganini, non un concerto de violon, mais un concerto d’alto, qui devint la symphonie avec alto solo, Harold en Italie, oeuvre en demi-teinte, dans laquelle l’instrument n’est guère appelé à briller. Le concerto d’alto de Bartók (1945) est une oeuvre crépusculaire écrite pour le commanditaire William Primrose, laissée en plan par la disparition du compositeur et achevée par Tibor Serly. Le projet de Bartók était d’y opposer un orchestre « transparent » au « caractère sombre et plutôt masculin » de l’alto. Encore plus sombre, la contrebasse a pour elle dans le concerto, par rapport à l’alto, son caractère extrême, donc très voyant. On ne joue plus beaucoup les concertos de virtuoses écrits par Ditters von Dittersdorf, Vanhal ou Dragonetti. Les concertos pour instruments à vent tiennent une place particulière : les bois, notamment, ont pour eux ce caractère fluide, volubile et léger qui en font des partenaires souples ; mais contre eux, dans le concerto de vaste dimension, le manque d’assise et d’ampleur de leur timbre, et le fait qu’ils semblent tenir difficilement la durée en solo. Les concertos de flûte de Mozart (2 concertos, plus le concerto pour flûte et harpe), Telemann, Quantz, Cimarosa, Gluck ont souvent un ton de « bergerie » que refusa le romantisme, délaissant la flûte solo, sauf au sein de l’orchestre. Les concertos modernes pour flûte sont également assez rares (André Jolivet, Jacques Ibert, Frank Martin). De même, le concerto pour hautbois, en faveur à l’époque baroque et préclassique (Telemann, Haendel, Dittersdorf, Mozart) et oublié presque complètement à l’époque romantique, fut ressuscité plus tard, dans les concertos plus ou moins néobaroques de Richard Strauss, Henri Tomasi, Darius Milhaud. Parmi les contemporains, Bruno Maderna est un des rares compositeurs à avoir écrit pour le hautbois des concertos d’une certaine ampleur. Instrument bien plus récent, la clarinette a connu une carrière concertante plus rare - mais peut-être aussi flatteuse - avec le concerto de Mozart (oeuvre de maturité, alors que les concertos pour flûte, ou pour basson, sont des oeuvres juvéniles), ceux de Weber, la Rhapsodie de Debussy, ou les Domaines de Boulez. Affectionné par Vivaldi, le basson brille encore chez Mozart et Weber, mais le romantisme le relègue dans l’orchestre comme pour la flûte ou le hautbois, et il ne réapparaît que dans les concertos modernes de Jolivet et de Marcel Landowski. Le saxophone, puissant et expressif, mais réputé roturier chez nos musiciens « sérieux », surtout depuis que le jazz s’en est emparé, n’a jamais réussi à se faire admettre définitivement dans le cénacle instrumental classique, et on compte peu de concertos pour saxophone, parmi lesquels on peut citer ceux d’Alexandre Glazounov, de Jean Rivier, de Jacques Ibert. Instrument très archaïque, le cor doit à ses difficultés d’émission, surtout à découvert, de tenir une place particulière dans le concerto : autant la virtuosité coulante de la flûte désamorce un peu, à la limite, l’impression de « performance » qui est liée à ce genre, autant le caractère claironnant et tendu, sur la « corde raide », de l’émission du cor renforce, un peu cruellement même, cet effet de performance : après Telemann, on connaît les 4 concertos de Mozart (qui étaient des commandes), les 2 de Haydn et le difficile Konzertstück pour 4 cors de Schumann. La même remarque peut être faite à propos de la trompette et des autres cuivres. Presque chaque instrument occidental a eu droit à son ou ses concertos, et on se reportera aux différents articles qui traitent de chacun d’eux pour compléter ce rapide aperçu, dont il ressort qu’il y a des instruments plus ou moins « concertables » et qu’il existe une sorte de hiérarchie des instruments par rapport au genre du concerto, selon les formes qu’il prend à chaque période de la musique. LA FORME DU CONCERTO. « Le concerto n’a pas de forme propre », écrit André Hodeir, non sans raison, dans un petit ouvrage sur les Formes de la musique. Cette affirmation peut faire bondir : qui ne sait que le concerto classique est généralement en 3 mouvements, vif-lent-vif ; et qui ne ressent la force des conventions qui, dans le concerto classique, dictent à chaque mouvement son moule et font, par exemple, presque obligatoirement du dernier mouvement un rondo tourbillonnant ? Malgré tout ce qu’on a pu faire depuis Weber pour la remettre en cause, la forme en 3 mouvements a tenu bon de Vivaldi à Berg, Bartók, Stravinski, ce qui dénote en elle une nécessité de structure. Et, pourtant, peu de formes ont été aussi souvent aménagées, reprises que celle du concerto, pour finalement revenir à leur essence initiale. Cette forme symétrique et ternaire a tendance à se refermer sur elle-même assez rapidement. Alors que, parvenue au terme de son deuxième mouvement, la symphonie voit encore devant elle un parcours assez long et complexe de 2 mouvements, la première mesure du dernier mouvement de beaucoup de concertos a déjà un caractère bouclé, conclusif : c’est un thème de rondo enlevé, indiscutable, pimpant - et il est clair que malgré des épisodes intermédiaires plus ou moins richement variés en thèmes, en tempo, ce thème revient autant de fois qu’il le veut pour l’emporter haut la main, sans discussion. D’où cette impression, à la limite, qu’un concerto est, sinon déjà terminé, du moins, déjà « joué », du point de vue formel, dès la première mesure de son rondo final ; impression qui frappe downloadModeText.vue.download 248 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 242 aussi les commentateurs des concertos de Mozart : après le tragique ou le pathétique du mouvement lent, la musique saute à pieds joints dans une insouciance totale, sans ombre, qui ne prend même pas la peine d’apporter un semblant d’écho et de réponse à l’inquiétude du deuxième mouvement, et qui l’ignore complètement. Ce geste formel abrupt, refermant les horizons infinis qui s’ouvraient encore il y a quelques secondes, pour donner le spectacle clos d’une réjouissance mondaine (et même pas panique ou tellurique, comme parfois dans la symphonie), participe, croyons-nous, de l’esprit du concerto. Dans la symphonie, on peut voyager dans les éléments, les étoiles, le minéral, le métaphysique, le jour et la nuit. Le concerto classique, lui, ne nous laisse pas quitter longtemps le clan des humains. On essaiera ici, pour conclure, d’étudier à travers plusieurs oeuvres de référence dans le domaine du concerto ces pro- blèmes de forme. On prendra par exemple, pour commencer, le cas d’un concerto baroque, et, plus précisément, le premier mouvement du concerto le Printemps en mi majeur des Quatre Saisons, où le violon joue en soliste. On y entend successivement : une ritournelle dansante en mi majeur du tutti dans lequel se fond encore le « violon principal « ; ce violon se détache du peloton pour émettre des trilles imitant le chant des oiseaux, et non mélodiques ; 2 autres violons solos sortent du rang pour triller avec lui, comme dans un concerto grosso ; après quoi le violon principal se fond avec les premiers violons pour un autre épisode imitatif en doubles croches liées 2 par 2 évoquant les « zéphyrs » (mes. 31). C’est à la mesure 47 qu’il a droit à son premier solo, pour lui tout seul, une sorte de marche harmonique traitée en arpèges brisés ; nouveau tutti sur le thème de ritournelle, en do dièse mineur, où le violon solo redevient simple fantassin ; nouveau solo à 3, avec 2 autres violons solos, pour imiter les oiseaux ; thème secondaire du tutti ; bref solo en doubles croches menant à la ritournelle finale. Dans ce bref inventaire, on peut constater : l’alternance serrée des solos et des tutti ; la répartition tranchée des fonctions entre des tutti qui se réservent la mélodie (tutti auquel se joint alors le solo), et les solos réservés à une virtuosité athématique et impersonnelle (gammes, arpèges, marches harmoniques modulantes). Bref, le soliste n’énonce jamais seul la partie mélodique, laquelle s’identifie au tutti : le tutti chante, le solo fait des gammes. Par ailleurs, l’individualité de ce dernier n’est pas mise en valeur autrement que par le privilège de la virtuosité. Mais il faut se hâter de dire que la situation se renverse complètement dans le mouvement lent central : l’orchestre se transforme alors en « tapis d’accompagnement », et le violon solo peut chanter alors tout son saoul, en vedette, une grande aria d’inspiration vocale et opératique. Quant au troisième mouvement, il referme l’oeuvre sur une Danza pastorale de forme rondo (refrain et couplets) parfaitement identique de structure au mouvement précédent. Si l’on examine le Concerto pour clavecin et orchestre en ré mineur BWV 1052 de Jean-Sébastien Bach, connu pour être une transcription d’un concerto de violon, qui pourrait être d’un autre compositeur, in- connu, y trouve-t-on une forme essentiellement différente ? Le premier allegro de ce concerto, également monothématique, débute par une ritournelle de 6 mesures, jouée à l’unisson par tout l’orchestre, dans un style vivaldien. Le clavier, qui a joué d’abord avec le tutti, commence par un solo de virtuosité athématique ; une nouvelle reprise de la ritournelle au tutti, cette fois-ci harmonisée, ou plutôt contrepointée par 3 autres parties, évolue vers le ton de la mineur ; nouveaux traits en mouvement perpétuel du soliste, dans le style des préludes du Clavier bien tempéré, traits que l’orchestre accompagne d’imitations sur le début du thème ; c’est à la mesure 40 que le soliste s’empare pour la première fois de ce début de thème pour le traiter en imitations simples (comme le fait aussi le continuo). Il n’ira pas plus loin dans ses interventions thématiques en solo, mais, par contre, il ne cesse d’entretenir une perpétuelle ébullition rythmique et harmonique, avec des traits, des ostinatos ; un superbe fondu enchaîné, où l’orchestre s’efface à pas de loup derrière lui, comme dans le 5e Concert brandebourgeois, lui laisse même un instant toute la place pour poursuivre ce jeu de virtuosité. Parallèlement, le clavier ne cesse pratiquement pas de doubler le continuo à la main gauche, tout en jouant son rôle de soliste ou en doublant les tutti - si bien qu’il joue sans interruption. Dans ce concerto en ré mineur, du point de vue de l’initiative thématique, le clavecin se trouve donc dans la même situation que le violon de Vivaldi ; même si ses traits, ses ostinatos ont une substance musicale autrement plus consistante que chez Vivaldi. De même, le mouvement lent laisse chanter le soliste à loisir, avant un allegro final, qui, de structure identique au premier, semble simplement en être l’accélération, l’épuisement. Les innovations apportées plus tard à la forme du concerto visent, entre autres buts, à casser cette symétrie, en transformant complètement le premier mouvement, mais sans toucher pour l’essentiel à la simplicité de forme et d’allure du dernier. C’est donc l’allegro initial qui fait l’objet d’une « transfusion de formes », à partir de la sonate et de la symphonie. On lui applique le cadre bithématique, avec exposition réitérée, développement, réexposition. Cette transposition, qui doit tenir compte de la dualité soliste/orchestre, ne va pas sans obliger à des amé- nagements qu’il est passionnant d’étudier sur pièces, avant d’en parler en général, à travers le cas particulier d’un des plus beaux concertos : le K. 466 en ré mineur pour piano et orchestre de Mozart, une oeuvre souvent dite préromantique, mais qui est du pur Mozart (Messiaen la rapproche des premières scènes de Don Giovanni). Il faut d’abord préciser que les concertos dont fait partie le K. 466 étaient joués par Mozart lui-même au clavier, d’où il dirigeait également l’orchestre, et on rappellera, avec Paul et Eva Bakura-Skoda, que tout en jouant sa partie, Mozart se servait aussi de son clavier pour « assurer un continuo et étoffer l’harmonie ». La présence de ce continuo, parfois écrit en toutes notes et parfois non, s’explique par le « manque de parties intermédiaires explicitement écrites dans la plupart des musiques du XVIIe et du début du XVIIIe siècle ». Dans ce concerto, où une partie de continuo est notée (mais n’est pas toujours reproduite sur les éditions modernes), ce continuo est parfois fait de notes très graves, jouables seulement, compte tenu du contexte, par une troisième main, ou sur un pédalier, comme celui que Mozart s’était fait construire pour son usage personnel. Avec le piano moderne, une partie de ce continuo est donc injouable telle quelle - mais il faut souligner que les notes graves qu’il faisait résonner étaient plus légères, plus transparentes que les notes équivalentes sur le piano d’aujourd’hui. Ce continuo n’était pas permanent et il était « purement harmonique, sans agréments, sans aucune addition de matériel thématique ». Si bien que dans les concertos de Mozart, le piano « joue deux rôles distincts et contradictoires : celui d’un instrument soliste (...) et celui d’un instrument d’orchestre ». Mais la grande question de forme qui nous intéresse ici est la suivante : le piano jouait-il ce continuo dès le début, dès la première exposition, c’est-à-dire avant le moment officiellement écrit de son entrée ? Pour ce K. 466, on peut en douter, et rejoindre l’opinion des Badura-Skoda, qui constatent les difficultés de « doubler les basses dans l’exposition sans détruire l’effet de syncope des cordes, ainsi que le contraste entre le solo et le tutti, particulièrement important dans ce concerto ». On peut donc admettre que pour un certain nombre des grands concertos de Mozart, dont celui-ci, le piano attendait la fin de la première exposition pour entrer. Le contraire serait-il prouvé, que cela ne toucherait pas beaucoup l’analyse qui suit : en effet, le piano continuo, qui double les basses et les harmonies de l’exposition, peut, à la limite, être considéré comme downloadModeText.vue.download 249 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 243 un personnage, un rôle différent du piano solo qui intervient plus tard. Donc, ce premier mouvement commence par une exposition apparemment complète, où le soliste reste muet. Cette exposition comprend, mesures 1 à 22, le premier thème, A, en ré mineur, agogique et syncopé, dans le grave des cordes, qui se termine sur un accord de dominante. Un pont mène à des oscillations tragiques, qui se stabilisent finalement sur ce même accord de dominante sur la ; bref silence. Au lieu de se résoudre, comme on l’attend, en ré mineur, c’est un nouveau thème (apparemment en fa majeur) qui résonne, formé de deux éléments, sur le modèle question/réponse (question aux hautbois et aux bassons, réponse à la flûte - cela 3 fois consécutives). On peut alors considérer ce thème comme le thème B attendu, au relatif majeur du thème principal, mais faute d’être assuré que c’est lui vraiment, ce deuxième thème que nous garantit par contrat la forme sonate, nous l’appellerons pour le moment thème B. À travers une marche harmonique d’abord ascendante, puis descendante, B a vite fait de déclencher un nouveau tutti tragique, avec des trémolos de violon, toujours en ré mineur (d’ailleurs B est dans un fa majeur « putatif », puisque sa quinte do n’est que timidement effleurée). Ce tutti se termine par un thème de coda, conclusif et résigné, en ré mineur, aux violons (on verra plus tard que ce thème secondaire est réservé aux cordes seules, à cette place, et qu’il ne sera pas repris par le soliste ni par un autre pupitre). L’exposition traditionnelle semble donc terminée, mais le soliste entre, pour ouvrir ce que d’aucuns appellent la « vraie exposition » (après la « fausse », celle de l’orchestre seul), et que d’autres nomment la « deuxième », mais que nous proposons d’appeler l’exposition soliste, par opposi- tion avec l’exposition orchestre qui précède. Le piano, au lieu de reprendre le thème A initial, attaque par un nouveau thème en ré mineur, très simple et chantant, le premier thème fortement dessiné dans ce concerto (ceux précédemment entendus ont un côté spasmodique, embryonnaire, qui crée une atmosphère de « chaos primitif »). Ce thème, qu’on retrouvera par la suite confié au piano et toujours à lui seul, jamais repris ni même commenté par l’orchestre, ce thème qui signe donc l’identité du soliste, a-t-il quelque chose de spécifiquement pianistique ? Nullement. Il irait très bien à l’orchestre, de même que le thème des cordes, à la fin de l’exposition orchestre, chanterait parfaitement au piano. Simplement, l’un et l’autre sont « réservés ». Ce nouveau thème énoncé au piano seul s’accompagnant lui-même, sans soutien, et qu’on appellera thème S (comme « soliste »), se conclut par des traits cadentiels où intervient l’orchestre en soutien, et qui ramènent enfin, mesure 91, au début de l’oeuvre, c’est-à-dire au thème A syncopé, en ré mineur, donc à l’exposition soliste proprement dite, qui est aussi une réexposition nous donnant à entendre beaucoup de déjà entendu. Le piano laisse haleter les cordes seules pendant 4 mesures, et ne s’en mêle qu’à la mesure 95, rajoutant à la main droite une sorte de basse d’Alberti brisée, tout en doublant le continuo à la main gauche. Plus la musique avance, plus on voit alors le piano, d’abord pris dans la masse, s’en dégager en montant dans l’aigu, tirer l’attention à lui en dépassant les cordes dans leur ascension. Il n’en faut pas plus à Mozart pour signifier une relation pathétique d’indépendance surveillée du soliste. À la mesure 108, l’orchestre s’est complètement effacé en fondu, comme s’il renonçait à suivre et déléguait la musique au piano ; mais il rentre, mesure 110 en tutti pour jouer les accords qui annoncent le repos à la dominante. Mesure 115, de nouveau résonne aux bois le début de ce thème B, qui semblait avoir des prétentions de « second thème » de forme sonate, et toujours dans ce ton ambigu fa majeur/ ré mineur. Seulement, aux réponses de la flûte se substituent celles du piano, en notes légères (comme s’il avait toujours eu là sa place, et que la flûte l’avait remplacé en son absence) ; et le ton de fa majeur, au lieu d’être rapidement recouvert, comme dans l’exposition orchestre, par le ré mi- neur totalitaire, se confirme, se précise. Une cadence de virtuosité du piano nous amène en pleine lumière, d’abord énoncé au piano solo (mes. 127), puis repris aux vents (mes. 135), un thème tout nouveau qui s’avère finalement être le seul, le vrai, l’authentique thème B, au relatif majeur (fa majeur), chantant et léger, tel qu’il convient à un second thème de forme sonate en mineur. Un thème B que l’exposition orchestre nous avait caché, contrairement à l’habitude même de Mozart, qui, en principe, les énonce tous les deux, dès le début. Il s’avère aussi que dans l’exposition orchestre, conformément à la règle du concerto de forme sonate, on n’avait pratiquement pas quitté le ton de ré mineur, hors cette échappée ambiguë, comme une faible lueur, du thème B, qui de surcroît « jouait » au deuxième thème. On commence à voir avec quel génie simple Mozart joue des phénomènes de prévisibilité, de répétition, de préparation et de leurre que lui permet le principe de la double exposition. Comment, en jouant le jeu, il joue avec lui et transfigure la convention, ou, plutôt, met à jour sa dimension symbolique (ici, le déplacement introduit par l’entrée du soliste personnage dans une forme apparemment déjà constituée et fermée). L’astuce de la forme sonate dans le premier mouvement de concerto, et qui n’est pas une invention de Mozart, c’est donc que l’exposition soliste seule donne aux 2 thèmes, qui constituent la justification de sa structure, leur ton définitif : thème A au ton principal, thème B à la dominante, ou, comme ici, au relatif majeur (ou ailleurs mineur). L’exposition orchestre, elle, doit maintenir le ton principal autant que possible. Pourquoi une telle convention, qui peut être source de monotonie, de renoncer à tout changement tonal marqué avant l’entrée du soliste ? Probablement pour éviter de briser la continuité tonale avant cette entrée - et peut-être aussi pour lui réserver la primeur des initiatives modulantes (ce qui donne une fonction à son entrée, qui n’est pas seulement d’ornementation et de prise en charge d’une musique « déjà faite »). Troisième raison probable : l’exposition orchestre, dans le cas contraire, devrait se conclure en affirmant le ton de la dominante ou du relatif, et l’entrée du soliste dans le ton initial sonnerait alors comme un « retour en arrière », un « recommen- cement ». Le principe même de l’opposition de tonalité entre les 2 thèmes A et B de l’exposition soliste relève évidemment du souci de n’entrer dans le « vif du sujet » qu’avec le soliste, pour donner à son intervention toute sa force, au lieu de le faire arriver quand l’essentiel a été dit. D’où l’idée de cette exposition orchestre (qu’il est contestable d’appeler, comme le font certains, une « fausse exposition », car que faut-il entendre ici par vrai et faux ?), qui prépare le terrain en affirmant obsessionnellement le ton principal - ce qui n’a pas été sans gêner les compositeurs, les incitant à rechercher d’autres solutions, comme celle d’introduire tout de suite le piano dans sa fonction thématique. À ce propos, il est intéressant de lire l’avis d’un musicologue anglais : « C’est en fait, dit-il, une grande erreur de considérer l’introduction orchestrale (autrement dit l’exposition orchestre) comme une sorte d’exposition trompeuse (deceptive) de forme sonate et une erreur encore plus grande de considérer celle-ci et la véritable exposition, après l’entrée du soliste, comme une double exposition » (Grove’s Dictionary). Cette position exprime pour le moins un embarras très partagé sur le statut formel qu’il convient de donner à ces expositions de concerto. Alors commence le « développement », ou Durchführung en allemand, qui amène ce qu’on appelle le « second solo » du piano, le premier étant celui de l’exposition soliste, et le troisième celui de la réexposition. Ici, le développement oppose (il s’agit bien d’opposition) le thème S, toujours assumé par le piano seul, et le début du thème A à l’orchestre, que le soliste orne et environne de ses traits rapides. On voyage ainsi du ton initial de downloadModeText.vue.download 250 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 244 fa majeur en sol mineur, puis en mi bémol majeur, puis un fragment de A réduit à sa cellule de base minimum donne lieu à un épisode de virtuosité au piano, qui finit par venir, comme essoufflé, se reposer sur une pédale grave de la, préparant au retour du ton initial et à la réexposition. Cette réexposition, variée par les interventions et les ornementations du soliste, nous confirme que le thème B, immuablement en fa majeur/ré mineur, est bien un thème secondaire de transition, et que B, ramené cette fois-ci de fa majeur en ré mineur, est bien le second thème. Au sortir du thème B, la virtuosité du piano se fait de plus en plus pressante, amenant bientôt le moment fatal de la cadence, introduit par l’accord de quarte et sixte du ton, qui prépare presque toujours ce moment dans les concertos. Nous n’avons pas, pour ce concerto, la cadence originale de Mozart, mais celles retrouvées pour d’autres concertos permettent d’en retrouver l’esprit : Paul Bakura-Skoda propose ainsi (Alfred Brendel également) une cadence dans le style de l’époque, car il estime que celles de Beethoven, écrites spécialement pour ce concerto, sont trop romantiques et hors du style mozartien. Selon lui, ces cadences étaient peu modulantes et ne troublaient pas excessivement l’impression tonale fortement réaffirmée par la réexposition, ce qui est logique, si près de la fin. La cadence, assez développée, de Beethoven est à cet égard un véritable « second développement », creusant à l’intérieur de la forme une cavité modulante supplémentaire réservée au soliste seul et décentrant la forme. À la fin de cette cadence, quelle qu’elle soit, le piano prépare avec insistance le retour au ton initial, dans lequel conclut le tutti, seul, comme au début, le piano étant retourné au silence. On a vu ainsi à la fois la difficulté à cerner, à nommer cette forme de premier mouvement de concerto ; mais aussi l’art avec lequel Mozart se sert de cette forme « aménagée ». Ce principe d’un troisième thème (notamment repris dans le concerto K. 491 en ut mineur), par lequel entre le piano et qui lui est réservé, le pose tout de suite comme individu irréductible et casse la littéralité de la nouvelle exposition, déplaçant ses perspectives, donnant une nouvelle force aux thèmes déjà entendus, dérangeant leurs rapports respectifs, entre eux et par rapport à lui. Faisons l’expérience (mentale) d’amputer du début de l’exposition soliste ce thème additionnel S, et joignons directement la fin de l’exposition orchestre à la reprise de A, telle qu’elle figure dans l’exposition soliste. Cela reste beau, mais textuel, répétitif, symétrique ; et le pianiste dès lors ne semble entrer que pour ajouter ses broderies. Une étude des autres premiers mouvements de concertos de Mozart montrerait comment, dans cette forme à « double exposition », l’entrée du soliste est préparée de telle sorte qu’elle n’est pas seulement comme une addition sur un texte initial. Les rapports apparemment, indéfinissables, entre cette fausse préexposition, ou ouverture, et cette exposition seconde, ou « vraie », s’éclaireront peut-être mieux si l’on se réfère à l’opéra : il y a l’ouverture qui énonce des thèmes projetés vers le futur, thèmes qui « vont avoir lieu », et l’action qui les amène au présent, qui les actualise et les inscrit forcément comme « déjà entendus ». Cette rétroaction se retrouve dans la double exposition de concerto. Il n’y a pas de présent pur dans l’opéra ni dans le concerto, en ce cas, puisque le présent tire sa force d’avoir déjà eu lieu, sous la forme d’une « annonce » (comme entre l’ouverture de Don Giovanni et la scène finale du Commandeur). Mais il a eu lieu, sans la voix, sans le personnage. Ce personnage, c’est ici le piano, dont la présence actualise les thèmes et leur donne leur essor définitif, leur être. Après ces chefs-d’oeuvre mozartiens qui fixent moins le genre dans une forme intouchable qu’ils n’en exploitent la dramaturgie d’une manière unique et bouleversante, le concerto suit une double évolution : d’une part, vers un concerto facile et brillant, où le compositeur ne donne de lui-même que son savoir-faire, son savoirbriller ; d’autre part, vers des recherches diverses, au coup par coup, pour régénérer le genre, le rééquilibrer. En règle générale, l’orchestre de concerto grossit, s’enrichit de plus en plus souvent des cuivres et des timbales (exceptionnels chez Mozart), tandis que, parallèlement, le soliste gagne en technique, et son instrument en possibilités de jeu. Ainsi Beethoven « touche-t-il » au moule du concerto pour introduire des innovations, dont aucune ne deviendra la règle : d’une part, il introduit tout de suite le soliste (concerto pour piano no 4 en sol majeur, et surtout no 5, l’Empereur, en mi bémol majeur, où le piano prélude par une cadence de virtuosité) ; d’autre part, il lie le 2e et le 3e mouvement, le passage de l’un à l’autre étant traité comme une nouvelle « genèse » où se prépare et s’édifie le thème nouveau. Le premier mouvement de l’Empereur, notamment, est merveil- leusement construit pour tenir la durée, et habile à relancer l’intérêt dans l’exposition soliste, bien que tous les thèmes aient déjà été entendus dans l’exposition orchestre. Ce principe de la soudure entre les 2e et 3e mouvements sera repris par Mendelssohn, dans son Concerto pour violon en mi mineur op. 64, qui enchaîne presque sans reprendre sa respiration ses 3 mouvements. La jonction entre les 2 derniers y est assurée par un bref allegretto, dont le rôle, comme chez Beethoven, est de préparer l’éclatement du rondo, et aussi de le retarder. Même préoccupation chez Schumann (Concerto pour piano en la mineur), dans un épisode interstitiel qui fait naître lentement le thème du rondo final à partir d’un rappel du thème principal du premier mouvement, soulignant par là leur unité thématique, et le principe cyclique qui régit la forme. Tout se passe, en fait, comme si l’on cherchait à franchir d’une manière mieux préparée, moins brutale, plus réfléchie, l’abîme qui sépare le 2e mouvement lyrique ou rêveur, et le dernier mouvement, délibérément facile et optimiste, négateur de toute tension. Saut qui se produit justement là où, dans la symphonie, le scherzo ou le menuet vient faire « tampon » entre le mouvement lent et le finale. On peut voir aussi, chez Schumann, comment la division en 2 expositions, dans le premier mouvement, a été remplacée par une exposition unique, où le piano solo, abrégeant les formalités, rentre tout de suite dans le vif du sujet : comment aussi le piano et l’orchestre collaborent plus étroitement, sans ce compartimentage des rôles, ce code de conduite auquel se plient les concertos de Mozart. Ainsi, tantôt les violons doublent la main gauche du piano, tantôt, inversement, le piano répand généreusement sur l’orchestre les fruits de sa virtuosité, sans attendre son tour. Plus souple, plus raffinée et coulante, la forme est peut-être moins tendue dramatiquement que chez Mozart, ou plutôt sa dramaturgie tend à se calquer sur celle de la symphonie, une symphonie-concerto. En revanche, sa rhétorique (tout ce vocabulaire de base de traits, d’échos, de répliques, de ponctuations, d’échanges) reste à peu près semblable, même si elle s’enrichit de quelques procédés nouveaux. Un texte de Schumann, écrit en 1839 dans sa Revue musicale, à propos du concerto pour piano en ré mineur de Mendelssohn, donne le ton de ce désir de rénovation que les compositeurs un peu ambitieux manifestaient à l’endroit du concerto. Il constate d’abord que les progrès du piano, le fait qu’il puisse se suffire, pourraient entraîner le déclin du genre : « Le nouveau jeu du piano veut, par bravade, dominer la symphonie à l’aide de ses seuls moyens propres, et c’est là qu’on peut chercher la raison de ce fait que la dernière époque a donné naissance à si peu de concertos de piano (...). Nous devons donc attendre le génie qui nous montrera, d’une neuve et brillante manière, comment l’orchestre doit être lié au piano, de façon que celui qui domine l’ensemble, assis au clavier, puisse épanouir la richesse de son instrument et de son art, et que cependant l’orchestre, occupant auprès de lui plus que le simple rôle de spectateur, traverse artistement la scène downloadModeText.vue.download 251 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 245 de ses caractères variés. » Notons que Schumann, lui-même, use d’un vocabulaire se référant au théâtre. Mais il réclame de « sérieux et dignes solos de concert », et pas des cascades de trilles et de sauts d’octave. Autre suggestion : « Le scherzo (...) tel que la symphonie et la sonate nous l’ont rendu familier ne pourrait-il pas être introduit avec effet dans le concerto ? Il en résulterait un agréable tournoi avec les instruments solos de l’orchestre. » (Traduction, Henri de Curzon.) Avec l’intermezzo central de son Concerto pour piano (écrit entre 1841 et 1846) substitué au mouvement lent habituel, Schumann tente l’expérience. Mais dans son Concerto no 2 en « si » bémol, Brahms va plus loin, puisqu’il ajoute ce scherzo, un vrai scherzo de symphonie, en ré mineur, avec un trio en fanfare, aux 3 mouvements de rigueur et cela en deuxième position, entre l’allegro appassionnato et l’andante. Mais l’allegretto gracioso final se plie au rite du rondo insouciant, et dès le début de ce rondo, encore une fois, tout semble joué. Ce concerto, qui est peut-être le plus vaste du répertoire, un vrai concerto-symphonie, se rallie finalement à un modèle qui date de Vivaldi. Les autres concertos à 4 ou 5 mouvements enchaînés, qui seront tentés par Liszt ou Saint-Saëns, seront de proportions plus réduites. Au XXe siècle, beaucoup de musiciens prennent le concerto dans son moule classique en 3 mouvements et redonnent une certaine vitalité à la virtuosité : Béla Bartók, ainsi, s’accommode très bien de ses conventions, car le « brillant » est une des touches de sa palette, et il sait assumer la virtuosité tout en la rendant nerveuse, inquiète, tendue, en quête d’on ne sait quelle réponse. Prokofiev, lui, joue aussi à fond le jeu du concerto, dans une perspective dynamique : le Troisième Concerto pour piano, avec son andante à variations, est une belle coulée d’énergie, dans une tradition illustrée par les Italiens et par Jean-Sébastien Bach. À la fin de sa vie, Bartók s’acquitte même d’une commande de « concerto pour orchestre » (titre déjà utilisé par Kodály). Autant dire pour orchestre et... lui-même ; non point tant un concerto où les pupitres font tour à tour la parade devant la masse dont ils sont issus (situation illustrée par le seul deuxième mouvement, le « jeu des couples »), mais une oeuvre où l’orchestre se regarde dans un miroir et se fait une démonstration d’homogénéité, de puissance et de virtuosité - toujours la revue des troupes, mais avec le chef d’orchestre pour seul capitaine. Ici, la volonté de faire une oeuvre « extérieure » est délibérée. On se souvient peut-être que le ballet Petrouchka de Stravinski est né d’une idée de concerto ; nouvel indice de l’essence dramaturgique de ce genre, dont témoigne le récit du compositeur : il rêvait de traiter le piano comme un personnage, « un pantin subitement déchaîné, qui, par ses cascades d’arpèges diaboliques, exaspère la patience de l’orchestre, lequel à son tour par des fanfares menaçantes... ». Fanfares contre arpèges, la puissance contre la vélocité, on retrouve ici l’idée qui préside à tant de concertos. Aujourd’hui, le titre « concerto » est moins utilisé qu’autrefois, mais nombre d’oeuvres dites d’« avant-garde » sont bien des « cryptoconcertos » s’inspirant de procédés propres à ce genre : qu’il s’agisse de la Grande Aulodie de Bruno Maderna, pour flûte, hautbois et orchestre atomisé en petits groupes ; des Domaines de Pierre Boulez, pour clarinette et groupes d’orchestre, où le soliste se mesure de même à un orchestre éclaté ; des Synaphaï, pour piano et orchestre, de Xenakis, morceau de bravoure assez lisztien ; ou des grandes pièces pour orchestre ou ensemble instrumental avec piano d’Olivier Messiaen, déjà citées (Turangalîla-Symphonie, Réveil des oiseaux, Couleurs de la cité céleste), ou encore de Tout un monde lointain, pour violoncelle et orchestre, d’Henri Dutilleux. Ces oeuvres utilisent le soliste dans une tradition bien établie, même si elles ne reprennent pas la coupe en 3 parties. D’autres oeuvres, comme le Concerto grosso, de Vºinko Globokar, sont une réflexion sur le genre concertant et le statut de soliste, que remet en jeu l’écriture contemporaine, soit par dilution de son identité dans une poussière d’effets sonores, soit par promotion de chaque membre d’un orchestre au rang de soliste, qui se trouve, dès lors, déchu de ses privilèges. Beaucoup d’oeuvres modernes sont des espèces de « sociodrames » musicaux et cherchent à critiquer ou à rénover les rôles traditionnels (Stockhausen, Nono, Kagel, Ligeti, Ferrari, etc.), mais elles témoignent souvent, par leur ambiguïté, qu’il n’est pas si facile de briser les schémas anciens et d’en trouver de nouveaux. Mais des Concertos ont été écrits tout récemment par Ligeti, Marcel Landowski, Renaud Gagneux, Lutoslawski, Michel Decoust, Heinz Holliger. Le concerto, tel le fameux couteau de Lichtenberg (couteau sans lame, auquel il manque le manche), est un concept, qui, à la limite, se passe de soliste et d’orchestre : on a eu le Concerto sans orchestre pour piano seul de Schumann, et le Concerto pour orchestre (sans soliste) de Bartók. Que reste-t-il, si l’on supprime la lame et le manche ? Un mystérieux esprit concertant, baladeur et volubile, dont on sait seulement que quelque chose de l’ordre de la parade et du miroir s’y exhibe, quelque chose de typiquement humain. CONCERTO GROSSO. La forme du concerto grosso fait appel à une répartition tripartite de la masse sonore : un violon principal dont le rôle est strictement fonctionnel ; le concertino qui groupe un ensemble restreint de solistes ; le grosso (ripieno) ou tutti qui représente l’anonymat de l’orchestre. Si le nom de concerto grosso apparaît dans l’édition de l’opus 2 de L. Gregori (1698), les premiers compositeurs qui semblent s’y être intéressés sont Stradella (1676), Corelli (1682), Gregori (1698), Muffat (1701) et Torelli (1709). Mais c’est A. Corelli (1653-1713) qui est le véritable créateur de la coupe classique du concerto grosso. Il en laisse douze, dont huit relèvent du style d’église et quatre du style de chambre. L’effectif instrumental est identique pour tous les concertos : 2 violons et basse continue pour le concertino ; 2 violons, 1 alto et basse continue pour le grosso. Chaque groupe instrumental possède sa basse chiffrée et la forme générale de ces oeuvres hésite entre celle du concerto d’église en quatre mouvements et celle du concerto de chambre en quatre ou sept morceaux inspirés des formes et des titres de danse. Quelques concertos de Corelli sont en cinq mouvements séparés par deux repos : grave, allegro-vivace-largo et allegro. Parallèlement, G. Torelli (1658-1709) renforce l’effectif du grosso par les hautbois, bassons, trompettes et timbales, mais c’est A. Vivaldi (1678-1741) qui dote, définitivement, le concerto grosso d’une coupe en trois mouvements : allegro, adagio, allegro. Généralement, les deux allegros sont de forme sonate monothématique, avec réexposition de l’idée au ton principal, ou de forme rondo. Quant à la pièce lente, elle est, le plus souvent, de forme binaire et construite autour d’une ritournelle qui revient périodiquement et toujours modifiée. Même si Vivaldi écrit aussi des concertos grossos en quatre, cinq ou sept mouvements, il codifie le plan classique de cette forme qui s’exporte à travers toute l’Europe. L’Allemagne l’accueille très favorablement, et ses compositeurs se plaisent à offrir des versions interchangeables entre les cordes et les vents, pour les concertinos. On assiste également à une multiplication des combinaisons instrumentales, qui fait beaucoup pour l’enrichissement du groupe de solistes. Mais la forme la plus achevée du concerto grosso est représentée par les « Six concerts avec plusieurs instruments » de J.-S. Bach (1685-1750). Dans les Concerts II, IV et V, il oppose le concertino au grosso ; dans les I, III, VI, les parties concertantes agissent en groupe, quitte à voir apparaître, de temps à autre, un instrument soliste. Les combinaisons instrumentales sont très variées et offrent une place de choix aux vents. En dehors du premier, ces concerts sont tous en trois downloadModeText.vue.download 252 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 246 mouvements avec un allegro monothématique ou bithématique (II), un adagio de forme binaire (II, IV, V, VI), ou qui se résume à 2 mesures (I) ou à 2 accords (III) ; un final monothématique fugué (II, III, V) ou non (IV), de forme rondo (I), ou construit sur trois éléments (VI). Dans le 4e concert, l’adagio s’enchaîne au final. Avec son 5e concert, J.-S. Bach ouvre la voie au concerto de soliste pour clavier, à cette forme qui, précisément, supplante pour un temps celle du concerto grosso. Il faut attendre le « retour à Bach » du XXe siècle pour voir les compositeurs se pencher de nouveau sur cette forme : E. Bloch, M. Reger, H. Kaminski, E. Krenek, P. Hindemith, B. Bartók, W. Lutowslawski, I. Stravinski... Si la coupe ternaire reste généralement de rigueur, le style, le rythme, les combinaisons instrumentales et le langage harmonique sont du XXe siècle, et toutes les esthétiques contemporaines peuvent s’adresser à cette forme revivifiée. CONCERT SPIRITUEL. Entreprise de concerts publics fondée en 1725 à Paris par Anne Danican Philidor et qui poursuivit ses activités jusqu’au 13 mai 1790, totalisant près de 1 300 manifestations. Au début, on y entendit beaucoup de motets de Lalande, mais le répertoire tant vocal qu’instrumental et tant français qu’étranger évolua avec le temps : de la fin des années 1730 au début des années 1760, il fit une large place à Mondonville, et, à partir de 1777, il fut de plus en plus dominé par les symphonies de Haydn. Le Concert spirituel servit de modèle et d’exemple à plusieurs institutions semblables nées en Europe dans le courant du siècle (concerts Bach-Abel à Londres, concerts du Gewandhaus à Leipzig), et pour un instrumentiste ou un chanteur, y débuter était un événement important. La direction fut assurée par Philidor jusqu’en 1727, puis le privilège passa à Pierre Smart et Jean-Joseph Mouret (17281733), à l’Académie royale de musique (1734-1748), à Pancrace Royer et Gabriel Capperan (1748-1762, à ceci près qu’en 1755 Royer fut remplacé par sa veuve), à Antoine Dauvergne, Gabriel Capperan et Nicolas-André Joliveau (1762-1771), à Antoine Dauvergne et Pierre Montan Berton (1771-1773), à Pierre Gaviniès, Simon Leduc et François-Joseph Gossec (17731777), et enfin à Joseph Legros (17771790). Les concerts eurent lieu jusqu’en avril 1784 dans les salles des Suisses (ou des Cent-Suisses) du palais des Tuileries, puis dans la salle des Machines (occupée de 1770 à 1782 par la Comédie-Française) du même palais. Au dernier concert dans l’ancienne salle (13 avril 1784), on programme exprès, sous le titre de « Symphonie où l’on s’en va », la Symphonie des Adieux (no 45 en fa dièse mineur, composée en 1772) de Haydn. À partir du 24 décembre 1789, la famille royale s’étant installée aux Tuileries, les concerts furent organisés en divers autres lieux. TRENTE (CONCILE DE). La nécessité de réunir un concile oecuménique s’imposait depuis des années, et le pape Paul III, face aux progrès de la Réforme, s’y était décidé dès 1536. Mais les grandes puissances catholiques - le Saint Empire romain germanique, l’Espagne, la France et le Saint-Siège lui-même - étaient si divisées que le concile ne put siéger à Mantoue en 1537, ni à Vicence l’année suivante. Une trêve dans ces conflits armés ou non intervint enfin en 1544, et le pape convoqua les pères conciliaires pour 1545 à Trente, cité choisie parce qu’elle était à la fois italienne et ville d’Empire. Le concile s’ouvrit le 13 décembre avec trente-quatre participants seulement, presque tous italiens. Transféré à Bologne en 1547 pour cause d’épidémie, il fut ajourné sine die en 1549. Un nouveau pape, Jules III, le rouvrit à Trente en 1551 et le suspendit une fois de plus en 1552. Son successeur Paul IV, hostile au principe même du concile, se garda bien de le ressusciter, et c’est Pie IV qui s’en chargea en 1562 après dix ans d’interruption. La vingt-cinquième et dernière session eut lieu en décembre 1563. Parfaitement conscient du fait que la Réforme était née d’une révolte contre les abus d’un clergé laxiste et corrompu, Paul III avait espéré lui couper l’herbe sous le pied et ramener au bercail les brebis égarées. Mais il était déjà beaucoup trop tard, et il fallut y renoncer, du moins dans l’im- médiat. En revanche, le concile de Trente s’attacha à définir la position de l’Église en matière de dogme et à remettre de l’ordre dans ses institutions, jetant ainsi les bases d’une contre-réforme qui devait porter ses fruits au siècle suivant. Discipline et austérité étaient donc à l’ordre du jour. Elles ne pouvaient épargner la liturgie et, partant, la musique qui accompagne les offices. (Un semblable souci de ne plus prêter le flanc à l’accusation de triomphalisme devait jouer un grand rôle quatre siècles plus tard, lors du concile Vatican II.) Les plus zélés des pères conciliaires n’envisageaient rien moins que le retour pur et simple au chant grégorien et l’interdiction de toute musique contemporaine. Ils ne furent guère suivis et, dans son avant-dernière session du 11 novembre 1563, le concile se borna à formuler des recommandations qui visaient certains excès de la polyphonie moderne : l’abus du style fugué, qui tendait à rendre incompréhensibles les textes sacrés à force de répétitions et de superpositions, et surtout celui des tropes (ou « farcis ») empruntés à des chansons ou des danses profanes de caractère parfois licencieux. Pour appliquer ces consignes générales, le pape Pie IV nomma, le 2 avril 1564, une commission de huit cardinaux où figuraient notamment son neveu Charles Borromée, futur saint et Michel Ghisleri, le futur pape Pie V (qui devait être également canonisé). À son tour, cette commission invita le collège des chanteurs apostoliques à désigner huit délégués pour élaborer les détails de la réforme. L’illustre Palestrina, ancien protégé du pape Jules III, n’en faisait pas partie, ayant été exclu de la Sixtine par une décision antérieure, en tant qu’homme marié. C’est pourtant lui qui fournit le modèle à suivre avec sa fameuse Messe du pape Marcel, à six voix, dédiée pour des raisons diplomatiques à ce pontife qui n’avait régné que trois semaines en avril 1555. Pie IV l’entendit le 19 juin 1565 et, enthousiasmé, créa pour son auteur le poste de compositeur de la chapelle apostolique. À moins de deux ans de la clôture du concile, le profil de la musique sacrée selon le rite romain était fixé. CONCITATO (ital. : « agité »). Terme par lequel Monteverdi, en 1638 (préface du 8e livre de madrigaux), désigna un style particulier de récitatif, dont il se proclamait l’inventeur. Il consiste en une déclamation musicale rapide, sans battue rigoureuse de mesure et comportant de nombreuses répétitions de notes, qui devait être articulée avec toutes les nuances expressives de la parole prononcée dans un mouvement d’émotion. Le genre est, du reste, antérieur au mot : sous le nom de « genre représentatif », le madrigal du 7e livre (1619), dit La lettera amorosa, en offrait déjà l’un des exemples les plus parfaits. CONCORDANT. Terme employé au XVIIe siècle pour désigner une voix intermédiaire entre la basse et le ténor, soit approximativement notre baryton. Dans la famille des violes, instrument correspondant à la même tessiture, entre la basse et la « taille ». CONCRÈTE (MUSIQUE). Nom donné en 1948 par Pierre Schaeffer à une nouvelle forme d’expression musicale, dont il fut l’inventeur et, avec Pierre Henry, le pionnier principal. Cette forme consiste à composer à partir de sons enregistrés (sur disque puis sur bande magnétique), en travaillant et en combinant ces sons à différents niveaux, en les enregistrant, en les manipulant sur leur support d’enregistrement sans passer, la plupart du temps, par une notation préalable, d’ailleurs impossible. En quelque sorte, la musique concrète était à la musique instrumentale ce que le cinéma est au théâtre. Les sons utilisés étaient de provenances downloadModeText.vue.download 253 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 247 diverses (instrumentale, anecdotique, « naturelle », issus de corps sonores tels que tiges, ressorts, tôles, etc.), mais le plus souvent microphoniques, c’est-à-dire captés dans un espace quelconque, à partir d’un corps résonnant, par opposition aux sons électroniques, créés par des oscillations électriques transmises directement au haut-parleur, qu’employait alors la musique électronique, née en Allemagne. Aujourd’hui, à tort ou à raison, la « mu- sique concrète » est considérée comme un courant révolu ; comme le cubisme en peinture, elle correspond à une recherche qui a été englobée, absorbée par d’autres courants, et l’on parle plutôt aujourd’hui, pour les oeuvres composées avec cette technique, de musique électroacoustique. Cependant, dès le départ, la musique concrète était pour Pierre Schaeffer, son inventeur, plus qu’une nouvelle technique « futuriste » parmi d’autres ; c’était surtout une nouvelle manière de faire, de comprendre, d’entendre la musique. C’est pourquoi les lignes qui suivent, dues à Pierre Schaeffer lui-même, ne parlent de la musique concrète qu’en la resituant dans le contexte plus global de la musique contemporaine, et d’abord par rapport à la musique électronique avec laquelle elle fut un temps opposée. Résolument acoustique, la musique concrète cherche son matériau dans les corps sonores, dont le son est capté par micro et éventuellement manipulé après enregistrement : soit mécaniquement (par montage ou variation de vitesse de lecture), soit électriquement (par filtrage du spectre des fréquences et amplification). La musique électronique, née en 1950 au studio de la radio de Cologne, recourt au son synthétique fourni par des oscillateurs électriques de fréquences ou des générateurs d’impulsions. Ces sons qui ne préexistent pas dans la nature ne sont perçus qu’après avoir été amplifiés et rendus audibles par les haut-parleurs. La symétrie des procédés ne s’oppose pas seulement comme l’analyse des sons naturels ou la synthèse de sons artificiels. Elle révèle aussi bien deux sources d’inspiration : l’une fondée sur le goût des sons acoustiques et le recours à leurs ressources, l’autre sur la détermination, par la théorie et le calcul, de réaliser des sons mentalement préconçus. Ainsi s’affrontent aussitôt « empiristes » et « rationalistes ». Quant aux résultats, de toute façon surprenants, ils montrent que les sons naturels, après manipulation, sont souvent plus « inouïs », plus riches, plus vivants que les sons électroniques, qui révèlent volontiers leur commune origine : le « timbre » du synthétiseur, dont les variations, théoriquement illimitées, sont vite banalisées. Enfin deux esthétiques spontanées résultaient de procédés divergents, mais tous deux primitifs dans les années 50. La musique concrète de Pierre Schaeffer et de Pierre Henry fut tout d’abord réalisée au tourne-disque, faute de magnétophone. Les prélèvements sonores étaient isolés sur des « sillons fermés », recombinés entre eux par copie et mélanges successifs. La musique électronique de Herbert Eimert, bientôt rejoint par K. H. Stockhausen et aidé de l’acousticien Meyer-Eppler, permettait des subtiles « mixtures » de fréquences, mais de quel clavier disposer pour en jouer, sauf à recourir au mélochord de Bode et au trautonium de Trautwein ? LES ANCÊTRES. Aux deux procédés de renouvellement du sonore, voire du musical, on cherche volontiers des précédents. Les musiciens concrets auraient alors pour précurseurs les « bruitistes » italiens, dont le manifeste l’Art des bruits date de 1913. Pierre Henry rend un hommage ultérieur à Russolo et Marinetti dans son oeuvre Futuristie (1975), ce qui n’empêche pas Pierre Schaeffer de nier toute parenté avec ce mouvement, totalement oublié en 1948, et, en tout cas, inconnu de lui à l’époque. De même, quel que soit le mérite des pionniers allemands précités, Bode et Trautwein, dont l’émule français est Maurice Martenot, leur propos commun était d’adjoindre les performances variées et étendues d’un instrument électronique à ceux de l’orchestre, mais registré dans la tradition musicale. Cet emploi fut d’ailleurs illustré notamment par Hindemith pour le trautonium en 1931, et, pour les ondes, Martenot par des oeuvres de Milhaud, Messiaen et Jolivet. Les parentés authentiques doivent être recherchées ailleurs et au-delà des apparences. Si la musique concrète accepte le bruit comme matériau, c’est pour le traiter comme matière première et en tirer des sons estimés « convenables » au propos musical. Si la musique électronique recherche la pierre philosophale dans la combinatoire des fréquences, c’est pour outrepasser le domaine traditionnel, déjà condamné par l’école de Vienne. Même si les premières oeuvres concrètes s’intitulent Études de bruits, c’est davantage par modestie que par prétention futu- riste ou surréaliste. En fait, dès l’arrivée des magnétophones, en 1950, la musique concrète applique au son les techniques du cinéma pour l’image. De leur côté, les musiciens électroniques postulent le progrès musical, soit pour dépasser la performance des instrumentistes traditionnels, soit pour fournir aux compositeurs, avec une rigueur accrue, l’extension de leur combinatoire. LES MUSIQUES D’ÉPOQUE. On ne saurait bien élucider la divergence précédente sans évoquer son interférence avec d’autres courants. On rappellera d’abord brièvement la crise dominante de la musique contemporaine, qui oppose, en ce milieu du XXe siècle, les héroïques défenseurs de la tradition mélodico-harmonique et les doctrinaires de la série. Si Varèse est revendiqué comme précurseur par des tendances divergentes, c’est bien parce que son oeuvre reste équivoque autant que novatrice. On peut aussi bien en critiquer l’aspect concret, l’incorporation d’un montage de bruits peu convainquant sur bande magnétique en solo avec l’orchestre. Déserts, créé en 1954 aux Champs-Élysées, conjugue l’orchestre de l’O. R. T. F. dirigé par Hermann Scherchen avec du « son organisé » (avec l’aide de Pierre Henry, quoique retravaillé par l’auteur sans cesse depuis lors). Si Xenakis fait un passage à la musique concrète, en 1956, c’est pour s’en écarter bientôt, en préférant orchestrer directement à partir de modèles inspirés soit de modèles géométriques, soit de ceux des lois du hasard. Si, enfin, des compositeurs comme Ivo Malec et François-Bernard Mâche s’inspirent volontiers de leurs pratiques concrètes, c’est souvent pour confier à l’orchestre, par une nouvelle écriture, le soin de recréer un sonore plus proche de l’exécution musicale habituelle. LES ÉCHAPPATOIRES. Émerge John Cage, dont on ne sait jamais s’il se prend au sérieux lorsqu’il propose quelques minutes de silence (les bruits de l’auditoire constituent l’oeuvre), ou un clauster répété plus de trois cents fois au piano, ou un concert de postes de T. S. F. Pourtant, parmi nombre d’excentricités figurent des pièces pour piano préparé (du « Mozart pour gamelong »), dont il est l’inventeur. Contemporain de la musique concrète, c’est ce piano, rempli de crayons et de gommes qu’emploie aussi avec virtuosité Pierre Henry (dont Bidule en « ut »). De son côté, Mauricio Kagel propose un spectacle musical à la fois sérieux et dérisoire, qui tient davantage du happening que de l’art musical. UN CHASSÉ-CROISÉ. Entre-temps, les plus fanatiques défenseurs de la musique calculée et rigoureuse (et à leur tête Stockhausen) ont incorporé dans leurs oeuvres, toujours réputées électroniques, les pires excès de la confusion sonore, ceux-là mêmes dont ils accusaient la musique concrète à ses débuts, et qu’elle-même réprouvait : voix déformées, piaulements de récepteurs de radio, débris d’hymnes nationaux, bruits bizarres, mélopées de nirvāna à bouche fermée, inspirées par la foi du charbonnier dans un boudha d’importation. downloadModeText.vue.download 254 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 248 En somme, vingt ans après 1948, la revanche des concrets était complète et souvent pour le pire, et bien contre le gré des fondateurs. Sous le nom de musique électronique, c’était tantôt le morne déroulement des événements sonores, tantôt leur malaxage injustifié. Inversement, bien des groupes issus de l’expérience concrète s’étaient mis à l’électronique, attendant eux aussi, du perfectionnement des synthétiseurs, voire de l’informatique, les ressources d’une musique introuvable. Quant à l’orchestre, il restait à l’émanciper. Les tenants des idées de 1968 lui reprochèrent de rester soumis à la férule du chef, au diktat du compositeur. Libérés du chef, les musiciens se devaient désormais d’apporter chacun leur créativité. Enfin, le dernier trait de la modernité était de jouer des instruments à rebours : des instruments à cordes derrière le chevalet, des instruments à vent comme claquettes et de la voix comme cri. LE PUBLIC. On ne peut guère s’étonner dans ces conditions que le grand public ait décroché, n’ait plus trouvé dans la pratique du concert, même soutenue par le snobisme ou la technologie, le plaisir musical auquel la tradition l’avait habitué. D’où le transfert massif de la jeunesse sur la pop music, qui ne s’inspire pas forcément du meilleur jazz, et son engouement pour la musique classique. D’où la difficulté de la discographie, qui a beau présenter des collections assez complètes d’un quart de siècle de musique expérimentale, sans pouvoir s’assurer vraiment un succès populaire. Pierre Henry seul a connu quelques « tubes », du jerk à l’apocalypse, lancé aussi par le succès des Ballets de Béjart, que sa musique accompagnait. C’est que Pierre Henry a pu convoquer, à différentes reprises, des foules de jeunes en audition directe, avides de retrouver le jeu des fonctions musicales, de bénéficier du « voyage » proposé dans l’espace imaginaire, par cet extraordinaire aventurier du long parcours sonore. D’où la faveur enfin de musiques exotiques répondant presque seules à ces fonctions de « mise en condition ». C’est bien là, on le sait, le propos avoué des musiques qui nous viennent d’Orient, pour la méditation, ou d’Afrique, pour une danse qui va jusqu’à la possession. Faute de retrouver une authentique tradition d’« états intérieurs », vraiment conscients et consciencieux, on se contente en général du vague à l’âme et de la chaleur communicative qui résulte des grands rassemblements. Soit que l’accumulation des participants et des formations de pop music rétablisse un climat de fête, soit que la redondance des musiques répétitives, avec leurs infimes variantes, fournisse aux usagers une « drogue de la durée », en retrouvant spontanément la fascination des primitifs « sillons fermés ». LA RECHERCHE MUSICALE. Cette expression évoque tantôt les oeuvres d’essai ou d’avant-garde, tantôt la recherche instrumentale de « nouveaux moyens », plus rarement une démarche fondamentale, dont on ignore si elle relève de la science ou de l’art. À la vocation de compositeur P. Schaeffer préfère celle de chercheur. Il définit une recherche fondamentale en musique à l’instar d’une linguistique, encore qu’il dénonce le transfert abusif du modèle de la langue. La musique est précisément ce que le langage des mots n’atteint pas. Pourtant, la même « articulation » semble jouer entre sonore et musical tout comme entre phonétique et phonologique. Avant même de songer au « langage musical » dans une « articulation supérieure », on peut donc préconiser une approche de l’objet sonore, porteur potentiel de valeurs ou caractères musicaux. Deux différences apparaissent alors tant avec la musicologie qu’avec la linguistique traditionnelle. Ces deux démarches partaient de langages existants, d’un code culturel, dont les unités élémentaires sont déduites grâce au contexte. Dans une musique en devenir, postulée à partir de matériaux « inouïs », la tentation est de remonter de l’élément à l’organisation, du simple au complexe. C’est ce qui peut expliquer les échecs parallèles des deux investigations, et peu importe alors qu’elles soient empiriques ou rationnelles. Tandis que la phonétique étudie avec le plus grand soin un matériel sonore limité à l’instrument phonatoire humain, une phonétique généralisée du sonore doit envisager l’ensemble des sons possibles. Pour pouvoir en apprécier la convenance musicale, on doit commencer par décrire une morphologie et une typologie des objets sonores considérés comme unités de perception. C’est ce que vise le Traité des objets musicaux paru en 1966 et résumant quinze ans d’investigation. OEuvre considérable mais inachevée, de l’avis même de son auteur, puisque ce solfège, « le plus général qu’il soit », devrait être complété par un Traité des organisations musicales. L’ÉNIGME MUSICALE. C’est dans une investigation des « intentions » de l’oreille, de ses façons de percevoir, de sa gestalt, que les travaux de P. Schaeffer ont été les plus féconds, sans convaincre forcément des milieux toujours attachés à une description physique des sons et à une combinatoire préconçue. Outre que la tendance « rationaliste » résiste opiniâtrement aux enseignements expérimentaux, et que des centres comme l’I. R. C. A. M. feignent d’ignorer un acquis indispensable, il n’est pas sûr que l’électronique, même relayée par l’informatique, permette si vite de résoudre l’énigme musicale. Au niveau supérieur des complexités, le sens de l’énoncé musical provient d’un jeu entre les valeurs et les caractères musicaux. Longtemps, du moins en Occident, cette dialectique a été celle des hauteurs et des durées, le timbre ne jouant qu’un rôle de différenciation des parties concertantes. Cette musique, qui a produit les plus grands chefs-d’oeuvre en vertu d’une très simple grammaire de la tonalité, semble aujourd’hui épuisée. C’est en vain qu’on se tourne vers les musiques d’autres civilisations, mal conservées et mal explorées, qui toutes relèvent de grammaires différentes, quoique inspirées de principes analogues. La grande coupure pratiquée au cours du XXe siècle, aussi bien par la négation sérielle que par l’irruption électroacoustique, laisse largement ouvert le problème de la « musique même ». Le champ de son développement estil illimité comme le croient certains, par analogie au progrès scientifique ? Ou estil borné par la nature même de l’homo sapiens, lui-même contenu dans ses registres de perception et de sensibilité, d’expression et de communication ? De sorte que c’est en profondeur et non en surface, dans la conscience d’entendre et non pas seulement dans les moyens de faire, que devraient s’exercer la réflexion et le progrès. Ce qui peut mener à une conclusion : l’investigation musicale ramène esentiellement à une anthropologie, de même que la divergence des manifestations actuelles, des inspirations et des écoles reflète éloquemment la pittoresque incertitude de la société contemporaine. LES GRANDES DATES DE LA MUSIQUE CONCRÈTE. Entre 1948, date de naissance officielle, et le début des années 60, où la musique concrète renonce à son étiquette propre pour se fondre dans le courant « électroacoustique », l’histoire du genre compte deux ou trois tournants importants. Les premiers essais de Schaeffer, les Études de bruit de 1948 (Étude aux chemins de fer, pour piano ou violette, aux tourniquets, Étude pathétique) sont, hormis la dernière, plus « abstraites » dans leur propos que les titres ne le donnent à penser. Ainsi l’Étude aux chemins de fer, sur des sons de locomotive, est une « étude de rythme » plus qu’un tableau descriptif. Après ces oeuvres brèves (pas plus de 5 minutes chacune), auxquelles il faut ajouter la Suite 14, l’arrivée de Pierre Henry, alors tout jeune, vient donner l’élan décisif : ce sont les oeuvres communes, plus vastes et ambitieuses, la Symphonie pour un homme seul, 1949-50, les 2 opéras concrets Orphée 51, 1951, et Orphée 53, 1953, où chacun apporte son talent : l’aîné, son humour, son sens dramatique, son oreille très personnelle et son sens de la proportion très fin et sensible (et naturellement aussi ses arguments et ses downloadModeText.vue.download 255 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 249 textes) ; le cadet, sa créativité sans frein, sa vitalité, son sens inimitable de l’espace et de la vie du son. Pierre Henry s’affirme parallèlement par une production copieuse d’oeuvres expressionnistes ou « virtuoses ». Cependant, Pierre Schaeffer cherche déjà avec Abraham Moles, Jacques Poullin, etc., puis avec une équipe de chercheurs, les bases d’un Solfège de l’écoute, qui aboutira dans le monumental Traité des objets musicaux (1966). En 1951, le Groupe de recherche de musique concrète, issu du studio d’essai de la R. T. F., a été officialisé. C’est le noyau initial du futur Groupe de recherches musicales, fondé en 1958. La petite équipe du G. R. M. C. des années 50 (Schaeffer, Henry, Arthuys, Poullin, etc.) se répand en expériences, en analyses de l’objet sonore, et ses travaux suscitent des polémiques, notamment de la part des jeunes musiciens « sériels » (Boulez, Barraqué, Stockhausen), qui, venus s’essayer à la musique concrète de 1951 à 1952 armés pour penser la musique en notes et en structures écrites, se trouvaient désarmés devant ce matériau qui n’obéissait pas toujours à leurs intentions. Il y eut des attaques violentes, dont la musique concrète ne semble pas s’être relevée dans l’avantgarde, aujourd’hui officielle, et, pourtant, combien la connaissent autrement qu’à travers ces anathèmes d’il y a vingt-cinq ans. En 1958, nouveau tournant, avec le départ de Pierre Henry, la reprise en main du G. R. M. C. par Pierre Schaeffer, qui réorganise le groupe, le baptise Groupe de recherches musicales, lui donne pour programme de mener à bien l’investigation du sonore et la recherche rigoureuse d’une musique généralisée, conçue à partir du son tel qu’il est perçu. Si l’on reste attaché au matériau « concret » (les sons microphoniques), c’est désormais pour faire une musique « abstraite » anti-expressionniste, à l’opposé de la Symphonie pour un homme seul (encore que celle-ci soit pleine de recherches formelles et d’écriture), et mettant en valeur des variations de caractères sonores dans le champs de l’écoute. Il s’agit de dégager l’abstrait du concret. Les 3 Études de 1958-59 de Pierre Schaeffer (Étude aux allures, aux sons animés, aux objets) donnent l’exemple, suivies par les premiers travaux « concrets » de Mâche, Ferrari, Bayle, Malec, etc., qui sont les piliers du nouveau G. R. M. Avec l’avènement de la « musique électroacoustique », courant plus global et syncrétique, et, surtout, après la parution du bilan du Traité des objets musicaux, cette école de Paris, si elle garde une identité très forte, tend à se diversifier en styles, en démarches multiples. Seul, ou presque, Pierre Henry, travaillant à partir de 1960 dans son propre studio, Apsome, est resté dans ses dernières oeuvres très proche du rêve primitif de la musique concrète. La musique « acousmatique » du G. R. M. actuel, les musiques électroacoustiques récentes composées en France empruntent des chemins différents. Mais la musique concrète est loin d’être un phénomène strictement localisé dans le temps et dans l’espace (Paris, entre 1948 et le début des années 60), puisque certaines des plus grandes oeuvres dites aujourd’hui électroacoustiques (Variations pour une porte et un soupir de Pierre Henry ; Espaces inhabitables de Bayle ; Violostries de Parmegiani ; même les Hymnen de Stockhausen et Acustica de Mauricio Kagel) doivent beaucoup à l’expérience de la musique concrète primitive ; et que l’on peut suivre les prolongements de ce courant aujourd’hui considéré comme révolu, dans la production de compositeurs aussi divers que Henry, Bayle, Ferrari, Xenakis, Malec, Parmegiani, Savouret, Redolfi, Chion, Grisey, Levinas, etc., et à l’étranger, de Mimaroglu, Riedl, Kagel, De Pablo, et même Cage et Stockhausen. CONDÉ (Gérard), compositeur et musicographe français (Nancy 1947). Autodidacte de formation - ses premiers essais datent de 1961 -, Gérard Condé a fait ses études d’harmonie au conservatoire de sa ville natale avant d’aller suivre à Paris, entre 1969 et 1972, l’enseignement de Max Deutsch pour la composition. Parmi une quarantaine de partitions incluant parfois une dimension théâtrale, avec ou sans support littéraire, on citera Mémorial (197172) pour baryton et quintette à cordes ; Darjeeling (1976), rituel pour un chanteur, Rondo varié pour tubiste (1978), Rêve d’amour, action musicale (1982), deux Trios à cordes (1980 et 1986), Élans pour violoncelle et piano (1988), le Chant du silence pour baryton et orchestre (1992), les Miracles de l’Enfant Jésus pour choeur d’enfants (1994), Éveil pour orchestre (1995). La plupart d’entre elles utilisent une technique d’écriture dérivée du principe de la série de douze sons mais, à travers l’usage de la gamme par tons entiers et d’intervalles consonants, il réintroduit les notions de polarité et de justesse absolue. À partir de 1968, Gérard Condé a collaboré à un certain nombre de revues musicales ; en 1975, il entre au journal le Monde, auquel il consacre l’essentiel de son activité de critique. CONDUCTEUR. Partition ou partie sur laquelle suit le chef d’orchestre. On emploie surtout l’expression lorsqu’il ne s’agit pas d’une partition détaillée (grande partition), mais d’une réduction simplifiée, ou même d’une partie d’orchestre, lorsqu’elle est suffisamment explicite pour permettre la direction. CONDUIT. 1. Dans une construction musicale, passage d’intérêt secondaire dont le rôle est surtout de créer une transition. Dans la fugue notamment, on appelle conduit la prolongation du sujet qui sépare parfois son exposition de l’entrée de la réponse. 2. Dans l’office médiéval (lat. conductus), et spécialement du IXe au XIIe siècle, chant d’usage local, strophique ou non, accompagnant un déplacement : par exemple le « conduit de l’âne » orientis partibus accompagnant l’entrée de cet animal lors de l’office des Fous à Sens ou à Beauvais. 3. Par extension, le mot s’est appliqué, surtout aux XIIe et XIIIe siècles, à divers chants latins versifiés non liturgiques traitant des sujets les plus variés, qu’ils soient pieux, profanes, satiriques, d’actualité, etc. Les conduits, appelés aussi versus (au singulier pour désigner l’ensemble d’une pièce), figurent parmi les ancêtres immédiats du répertoire des trouveurs et, particulièrement, des premiers troubadours aquitains ; une des collections de versus les plus importantes se trouvait au XIe siècle à Saint-Martial de Limoges. 4. Par dérivation du sens précédent et par le fait que de nombreux conduits, primitivement à 1 voix, ont été harmonisés en déchant à 2 ou 3 voix, le mot « conduit » a désigné, principalement dans la polyphonie de l’Ars antiqua (XIIe-XIIIe s.), des chants latins à plusieurs voix comportant une voix initiale (vox prius facta) spécialement composée, et non pas, comme dans l’organum ou le motet primitif, issue d’un modèle liturgique, harmonisée syllabiquement, en principe note contre note, toutes les parties chantant le même texte. Certains conduits, dits cum cauda, comportaient au début ou en finale des puncta organi (passages d’organum) vocalisés, ce qui a donné naissance par contre-sens à l’expression « point d’orgue ». Le conduit représente le premier exemple de chants polyphoniques composés ex nihilo, sans le support d’un texte liturgique préexistant. CONJOINT. Deux sons ou groupes de sons différents sont conjoints lorsqu’ils sont réunis par une conjonction ; ils sont disjoints dans le cas contraire. CONJONCTION. 1. Caractère d’un intervalle dont les deux termes sont en relation directe de voisinage, sans qu’il soit besoin, pour l’identifier, de faire appel à des sons intermédiaires, même si de tels sons existent : ainsi entre do et ré il y a conjonction, bien qu’il existe entre eux un do dièse ou ré bémol, parce que celui-ci n’est pas pris en considération dans l’échelle diatonique, seule envisagée lorsqu’on énonce à la suite le downloadModeText.vue.download 256 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 250 do et le ré. Alors que les anciens solfèges ne signalaient la conjonction que dans le cadre de la mélodie heptatonique, on étend aujourd’hui cette notion à la tota- lité des échelles et on reconnaît 3 sortes de conjonction, dont la première est commune à presque tous les langages musicaux, alors que les deux dernières ne sont ressenties que dans le langage harmonique occidental. -La conjonction mélodique consiste dans le voisinage des deux sons dans la gamme formée par l’échelle considérée, que celle-ci soit diatonique (ex. do-ré), chromatique (ex. do-do dièse) ou préheptatonique, c’est-à-dire formée dans le cycle des quintes par 2 sons (ditonique, ex. do-sol-do à caractère mélodique) ou par 3 sons (tritonique, ex. do-fa-sol-do) ou par 4 (tétratonique, ex. do-ré-fa-sol-do) ou par 5 (pentatonique, ex. do-ré-fa-solla-do) ou par 6 (hexatonique, ex. do-rémi-fa-sol-la-do), l’heptatonique rejoignant le diatonique ci-dessus. Ainsi une tierce mineure, disjointe en heptatonique, peut être conjointe en pentatonique, tandis qu’une tierce majeure n’est jamais mélodiquement conjointe. -La conjonction d’arpège, qui n’est ressentie que dans le langage harmonique occidental depuis l’assimilation de l’accord parfait naturel (XVIe s. env.), consiste dans l’appartenance des notes en cause à un même accord de soutien, exprimé ou sous-entendu ; ainsi, sur un accord do-misol, il y aura conjonction d’arpège entre do et mi, entre do et sol, entre mi et sol, etc. En langage tonal, une mélodie est essentiellement constituée par un mélange de conjonctions mélodiques et de conjonctions d’arpège, tandis que, en langage monodique non harmonique, seules les conjonctions mélodiques apparaissent comme telles. -La conjonction harmonique enfin, qui n’existe que dans le langage de ce nom et ne s’applique qu’à la succession des basses fondamentales des accords, consiste dans le voisinage des sons en cause sur le tableau des harmoniques dit tableau de la résonance, et son efficacité décroît rapidement à mesure qu’on s’éloigne du point d’origine de ce tableau. Ainsi, pour un tableau do1-do2-sol2-do3-mi3-sol3 etc., il y aura conjonction harmonique maximum dans l’octave (do1-do2), conjonction harmonique forte dans la quinte (do2-sol2), et la quarte (sol2-do3), moins forte dans les deux tierces majeure (do3-mi3) et mineure (mi3-sol3), négligeable ensuite. C’est la conjonction harmonique qui règle, en syntaxe tonale, la succession des accords et leur degré de ponctuation harmonique, et le refus de cette conjonction, inclus dans la théorie de l’« émancipation de la disjonction » énoncée par Schönberg, est l’un des éléments essentiels de la rupture entre le langage qui en découle et ceux qui l’ont précédé. 2. En musique grecque antique, on dénommait conjonction (synaphê) la proximité de deux tétracordes réunis par une note commune, par exemple mi-la et la-ré, la disjonction (diazeuxis) apparaissant quand les tétracordes se rejoignent sur deux notes voisines et non plus communes, par exemple mi-la et si-mi, l’intervalle la-si étant dit alors « ton disjonctif ». De plus la théorie donne le nom de tétracorde conjoint ou disjoint au tétracorde placé au-dessus de la mèse (la central) soit en conjonction (la-ré) soit en disjonction (si-mi), bien que ce dernier soit le seul disjoint du système où tous les autres apparaissent conjoints. CONLON (James), chef d’orchestre américain (New York 1950). À la Juilliard School, il travaille la direction avec Jean Morel. Remarqué par Maria Callas alors qu’il est encore étudiant, il est amené à diriger la Bohème. Ses débuts officiels ont lieu en 1971 à Spoleto, inaugurant une carrière qui fait une large part à l’opéra. En 1976, il commence à diriger au Metropolitan Opera de New York. Il dirige pour la première fois à Covent Garden en 1979 et à l’Opéra de Paris en 1984. En 1979 il est nommé directeur musical du Cincinnati May Festival, consacré à la musique chorale. De 1983 à 1991, il est le directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Rotterdam. En 1989, il est nommé directeur général de la musique à l’Opéra de Cologne, et en 1990 chef permanent de l’orchestre du Gürzenich de Cologne, postes qu’il quitte à sa nomination en 1995 à celui de directeur musical de l’Opéra de Paris. CONON DE BÉTHUNE, trouvère français (v. 1160 - 1220). Fils de Robert V de Béthune, il apprit son art auprès de son oncle Huon d’Oisy, seigneur de Cambrai. Il participa à deux croisades (la IIIe et la IVe), et fut nommé, en 1217, sénéchal d’Empire à Constantinople, après la prise de la ville par les armées chrétiennes (1204). Le chroniqueur Villehardouin (la Conquête de Constantinople) le loue pour son talent poétique. On a conservé une dizaine de ses chansons, auxquelles s’ajoute un petit nombre d’attributions plus douteuses. Dix chansons en tout sont pourvues d’une notation musicale (Oïmi ! Amore dure départie). Aussi célèbre comme guerrier que comme trouvère, il serait mort en Orient. CONQUE. Instrument à vent primitif, fait d’un grand coquillage marin du même nom, appelé aussi « triton », dont on brisait la pointe pour former embouchure. Elle figure donc parmi les ancêtres lointains des trompes (trompettes, trombones) et des cors. CONRAD (Doda), basse polonaise, naturalisé américain (Szczytnik, Silésie, 1905). Sa mère, la cantatrice Marya Freund, lui fait étudier la musique très jeune. À Milan et New York, il étudie ensuite avec E. de Gogorza, et fait ses débuts à Paris dans une opérette de Maurice Yvain dont Mistinguett est la vedette. En 1936, il entre à l’Ensemble vocal de Nadia Boulanger, et donne, dans les années qui suivent, de nombreux récitals de mélodie française. Il crée des oeuvres pour voix de basse composées à son intention (dont les Mouvements du coeur, oeuvre collective sur des poèmes de Louise de Vilmorin, et les Visions infernales de Sauguet, sur des poèmes de Max Jacob). Parallèlement à son activité de récitaliste, il a occupé comme organisateur de concerts une place importante dans la vie musicale et mondaine française. CONSERVATOIRE. (ital. :conservare, :« conserver »). Établissement où l’on « conserve » les traditions d’un art. Le terme italien conservatorio désignait, à l’origine, un orphelinat, un asile ou un hospice où des enfants abandonnés étaient recueillis et initiés à la musique. Le conservatorio le plus ancien est celui de Santa Maria di Loreto, à Naples, fondé en 1587 par Giovanni di Tapia. Venise possédait 4 ospedali, établissements du même genre, dont le plus connu est celui « della Pieta », où le maître de musique a longtemps été Vivaldi. C’est au XVIIIe siècle que le mot conservatoire est entré dans la langue française, pour désigner un établissement où est enseignée la musique, mais dans lequel les différentes classes sont accessibles uniquement par concours. Outre le Conservatoire de Paris, créé en 1795, et qui est un établissement supérieur d’enseignement de la musique, d’autres conservatoires ont été fondés en province dès le XIXe siècle : Douai (1806), Lille (1816), Roubaix (1820), Toulouse (1821), Avignon (1828), Marseille (1830), Caen (1835), Aix-en-Provence (1849)... Parmi les établissements dépendant aujourd’hui du ministère de la Culture, figurent 20 conservatoires nationaux de région (1975), mais le Plan décennal pour la réorganisation des structures musicales françaises (1969-1978) en prévoyait 27. Ces conservatoires de région doivent obligatoirement enseigner 32 disciplines, parmi lesquelles 30 disciplines obligatoires et 2 disciplines à choisir parmi 16 autres. Leurs directeurs sont nommés sur concours par le ministère de la Culture, ainsi que les professeurs des downloadModeText.vue.download 257 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 251 différentes disciplines. Depuis septembre 1966, fonctionnent des classes à horaires aménagés, créées par le ministère de la Culture et le ministère de l’Éducation, pour permettre à des élèves de poursuivre une scolarité normale, avec des horaires allégés, tout en suivant des études musicales. Deux baccalauréats ont été créés : le baccalauréat A 6 et le baccalauréat de technicien en musique F 11. Ces deux baccalauréats ouvrent la porte des universités au même titre que les autres baccalauréats. Un Conservatoire national supérieur a été créé à Lyon en 1979. CONSERVATOIRE (SOCIÉTÉ DES CONCERTS DU). Ensemble symphonique et choral français qui a donné des concerts à Paris jusqu’en 1967, date à laquelle il prit le nom d’Or- chestre de Paris. La Société des concerts du Conservatoire (S. C. C.) tire son origine de la même source que le Conservatoire de Paris, car elle est descendante de l’orchestre militaire de la garde nationale, institué par Sarrette dans les débuts de la Révolution. La S. C. C. a été officiellement fondée le 15 février 1828, par arrêté de la maison du roi Charles X. Le violoniste Habeneck avait insisté auprès de Cherubini, directeur de l’École royale, pour que reprissent les « exercices publics » des élèves, interrompus en 1815. Il s’agissait, en fait, de véritables concerts qui offraient des programmes très intéressants. En 1832, l’appellation « Société des concerts » fut confirmée, et le nombre de concerts fixé à 7 pour la saison. L’effectif des musiciens et des chanteurs était, en 1828, de 76 instrumentistes et 78 choristes. Le premier concert, dirigé par Habeneck le 8 mars 1828, s’ouvrit sur la Symphonie héroïque de Beethoven. Entre 1828 et 1848, Beethoven, alors peu connu en France, fut le compositeur le plus joué, aux côtés de Mozart, Haydn, Weber, Gluck, Berlioz et Mendelssohn. Des interprètes et des cantatrices de renom venaient se produire aux concerts de la société : Liszt, Chopin, Vieuxtemps, Baillot, Mlle Falcon, Mme Pauline Viardot. Jusqu’en 1922, les concerts étaient donnés dans la Vieille Salle du Conservatoire ; ils furent ensuite transférés au théâtre des ChampsÉlysées. Habeneck resta au poste de chef d’orchestre jusqu’en 1848. Il fut remplacé par Narcisse Girard (1848-1860), puis par Alexandre Tilmant (1862-63), qui fit faire leurs débuts à Sarasate et à F. Planté, et qui dirigea le 5e concerto de Beethoven, interprété par Clara Schumann. En 1863, Tilmant démissionna, et Georges Hainl fut élu directeur contre Berlioz. Il fit connaître des compositeurs et des interprètes nouveaux : Wagner, Saint-Saëns, Th. Dubois, Fauré, Rubinstein, et dirigea les oeuvres récentes de Berlioz, Gounod, Franck. En raison d’un public de plus en plus vaste, le nombre de concerts fut doublé à partir de 1867. De 1872 à 1885, la direction fut assurée par Édouard Deldevez, qui créa Ruth et les Béatitudes de Franck, ainsi que des oeuvres de Schumann, Reyer, Lalo, Bizet. Jules Garcin (1885-1892), poursuivit l’oeuvre de ses prédécesseurs en réservant une place importante à Chabrier, Fauré, Lalo, mais aussi à Haendel, Bach, Schumann et Brahms. Paul Taffanel (1892-1901) exécuta en priorité SaintSaëns et Franck. Eugène Marty (19011908) accueillit le groupe de musiciens de la Schola cantorum : Vincent d’Indy, E. Chausson, P. Dukas, G. Ropartz, ainsi que Claude Debussy. De jeunes interprètes : Cortot, Thibaud, Casals y commencèrent une carrière qui allait devenir prestigieuse. De 1908 à 1919, André Messager dirigea des programmes très classiques où figuraient à côté des noms précédemment cités ceux de Florent Schmitt, Richard Strauss, Henri Busser, Henri Rabaud ; les solistes étaient I. Paderewski, G. Enesco, L. Capet, J. Thibaud, F. Busoni, Cl. Croiza. En 1917, la S. C. C. effectua une tournée en Suisse, et, en 1918, une grande tournée de prestige aux États-Unis. Après la Première Guerre mondiale, alors que la France musicale commençait à s’engager dans de nouvelles voies, la S. C. C. se montra hostile à la musique nouvelle qui sortait des règles traditionnelles. Malgré les luttes de Philippe Gaubert, directeur de 1918 à 1938, le comité resta opposé au renouvellement du répertoire. Gaubert, démissionnaire, fut remplacé par Charles Munch, qui montra un souci d’originalité dans ses programmes, avec des oeuvres peu jouées de maîtres anciens et des oeuvres nouvelles de jeunes compositeurs. Mais il dut à son tour démissionner en 1946. Le comité engagea alors André Cluytens. Contrairement à la tradition, Cluytens ne faisait pas partie de la société, mais fut engagé sous contrat. Traditionnellement, les membres de la S. C. C. devaient obligatoirement appartenir au Conservatoire, en tant que professeurs, élèves ou anciens élèves. Jusqu’en 1946, ils élisaient leur chef, qui devenait président de la société, ainsi que 7 musiciens qui constituaient le comité. Le directeur du Conservatoire était d’office président d’honneur. Le cahier des charges, imposé par le ministère des Beaux-Arts, astreignait le comité à certaines obligations : 30 concerts par saison, dont 18 devaient présenter des oeuvres contemporaines, et un minimum de 4 heures pour des premières auditions, ceci avec le concours d’un nouveau premier prix de Conservatoire par saison. Depuis 1925, la S. C. C. ne comportait plus de choeurs. Les membres de la S. C. C. ne touchaient pas de salaire, mais une part de recette calculée en fin d’exercice et augmentée d’une subvention de l’État. Cette situation matérielle fut une des principales raisons de la léthargie dans laquelle tomba peu à peu la S. C. C. : les musiciens étaient contraints de partager leurs activités entre elle et d’autres ensembles, et n’avaient donc pas le temps de participer à un nombre suffisant de répétitions pour obtenir la perfection d’exécution qui avait assuré la réputation de cet orchestre. Après 1962, le président d’honneur R. Gallois-Montbrun suggéra à André Malraux, ministre de la Culture, d’en faire un orchestre d’État. Malgré la réticence de nombreux musiciens, il poussa à la création, en 1967, de l’Orchestre de Paris, qui garda certains membres de l’ancienne S. C. C. et recruta de nouveaux musiciens pour en agrandir l’effectif. CONSERVATOIRE NATIONAL SUPÉRIEUR DE MUSIQUE ET DE DANSE DE PARIS. Le Conservatoire national supérieur de musique puise son origine dans l’École de musique de la garde nationale, créée par Bernard Sarrette en l’an III (1795). Jusqu’à la Révolution, l’enseignement musical était dispensé par les maîtrises, les écoles de musique et les psallettes qu’entretenaient les chapitres des différentes églises. Le projet de Sarrette comportait la création de 30 écoles de musique du 1er degré, 15 du 2e degré, en remplacement des maîtrises, quelques écoles de perfectionnement du 3e degré, et une école supérieure à Paris. L’enseignement devait y être entièrement gratuit. Mais seule cette école supérieure fut créée. Par la suite, d’autres écoles furent fondées en province. Après la Révolution, les chapitres qui en avaient les moyens rouvrirent leurs maîtrises. L’École supérieure de musique passa successivement par plusieurs dénominations : École gratuite de la garde nationale (1792), Institut national de musique (1793), Conservatoire national de musique et de déclamation (1795). Sous la Restauration, elle devint l’École royale de musique, puis redevint Conservatoire de musique et de déclamation (1822), avant de prendre son titre définitif : Conservatoire national supérieur de musique. Installé d’abord à l’hôtel des Menus-Plaisirs, faubourg Poissonnière, il déménagea en 1911 dans un ancien collège de jésuites situé au no 14 de la rue de Madrid. Lors de la création de son école, Sarrette s’entoura de 5 inspecteurs : Méhul, Grétry, Gossec, Lesueur et Cherubini. Un arrêté du 29 vendémiaire an IV fixa à 600 le nombre des élèves, filles et garçons. Ce nombre fut réduit dans les années suivantes, de 600 à 400, tandis que celui des professeurs passa de 115 à 70. downloadModeText.vue.download 258 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 252 Depuis sa fondation, le Conservatoire a vu se succéder 14 directeurs. Sarrette (1796-1815) s’efforça d’attribuer à chaque discipline une méthode d’enseignement qui lui fût propre et bénéfique, il institua les bourses pour les chanteurs et créa la bibliothèque. François Perné (1815-1822) fit don à la bibliothèque de ses manuscrits de Guillaume de Machaut et du châtelain de Coucy. Luigi Cherubini (1822-1842) obtint de faire admettre 2 élèves étrangers dans chaque classe et créa, à partir des anciens « exercices publics » des élèves, la Société des concerts du Conservatoire. Daniel Auber (1842-1871) fut le directeur le plus longtemps en poste. Lui succédèrent Ambroise Thomas (1871-1896), Théodore Dubois (1896-1905). Gabriel Fauré (19061920) créa une classe de contrepoint, discipline enseignée jusque-là en classe de composition, et choisit les membres du jury parmi les musiciens réputés (Ravel, Debussy, Dukas). Puis vinrent Henri Rabaud (1920-1941), Claude Delvincourt (1941-1954), qui créa en 1943 l’Orchestre des cadets du Conservatoire - devenu un des orchestres parisiens les plus brillants et qui permit, pendant l’occupation allemande, de soustraire les jeunes musiciens à la déportation -, Marcel Dupré (19541956). La direction de Raymond Loucheur (1956-1962) marqua une période de rigidité plus administrative qu’artistique. Raymond Gallois-Montbrun, violoniste et compositeur, a modifié l’organisation de la scolarité des disciplines instrumentales, les études se déroulant désormais en deux cycles, et le concours pour l’obten- tion du premier prix ayant lieu au cours du second cycle. En 1966, il créa la classe de perfectionnement, en 1969, une classe de guitare classique confiée à Alexandre Lagoya et, en 1977, une classe d’instrumentation et d’orchestration confiée à Marius Constant. Il apporta des modifications dans l’enseignement de la danse, en obligeant les danseurs à l’étude du solfège et de l’histoire de la musique. Lui ont succédé Marc Bleuse (1983), puis Alain Louvier (1986). Le Conservatoire dépend du ministère de la Culture. Les études des disciplines enseignées sont régies par un règlement de 106 articles. L’enseignement est gratuit, les élèves étant seulement tenus de payer les droits d’immatriculation et les droits d’inscription. L’admission des élèves se fait par des concours, qui ont lieu au cours du premier trimestre scolaire. Chaque discipline est astreinte à des limites d’âge minimales et maximales, qui vont de 10 ans (harmonie, piano, harpe, violon, violoncelle et solfège) à 30 ans (classe de préparation au concours de recrutement de directeur). Les élèves peuvent bénéficier de bourses d’études. Les récompenses attribuées à la fin des cycles d’études sont : des certificats (pouvant porter sur plusieurs disciplines), des diplômes, des premiers et des seconds prix, des premiers et seconds accessits, des premières, deuxièmes ou troisièmes médailles, selon les disciplines. Parmi les professeurs qui ont enseigné au Conservatoire depuis sa création et qui ont contribué à établir sa renommée en France et à l’étranger, il faut citer : Gossec, Méhul, Lesueur, Berlioz, Fétis, Kreutzer, Massenet, Widor, Guilmant, M. Emmanuel, H. Busser, P. Dukas, A. Cortot, Cl. Croiza, M. Moyse, A. Bruneau, M. Dupré, Roland-Manuel, Ch. Tournemire, M. Beaufils, M. Maréchal, L. Laskine, N. Dufourcq, O. Messiaen, etc. La durée des études au Conservatoire varie de 1 à 5 ans. Les élèves instrumentistes du second cycle ne peuvent se présenter que trois fois pour l’obtention du premier prix. La radiation peut être prononcée pour les élèves qui n’ont pas obtenu de récompense pendant deux années consécutives. Le cycle de perfectionnement, d’une durée de 2 ou 3 ans, est réservé aux seuls titulaires d’un premier prix (piano, violon, musique de chambre, chant, direction d’orchestre). L’enseignement y est dispensé par les professeurs et les assistants du Conservatoire, ainsi que par des personnalités extérieures à l’établissement : P. Badura-Skoda, Y. Menuhin, H. Szeryng, M. Rostropovitch, D. Bachkirov, S. Célibidache, P. Dervaux. Les oeuvres des étudiants en composition sont programmées annuellement dans 8 à 12 concerts symphoniques et 4 concerts radiodiffusés. Un poste de professeur-animateur a été créé à cette intention. Une enquête de décembre 1975 indique que 90 à 95 % des premiers prix d’instruments sont engagés dans des orchestres français ou étrangers ; 70 % des pianistes exercent un métier musical, 15 % sont des solistes ; 80 % des chanteurs ont une situation correspondant à leurs études ; pour les compositeurs, peu nombreux sont ceux qui peuvent vivre de leurs oeuvres, mais ils sont directeurs ou professeurs dans des conservatoires ; parmi les disciplines d’érudition, 80 % des premiers prix ont des postes dans l’enseignement secondaire, sont salariés de maisons d’édition, de firmes de disques, critiques musicaux, commentateurs d’émissions musicales, dans une moindre proportion, musicologues ; 80 % des prix de direction d’orchestre ont une situation ; 79,5 % des danseurs récompensés sont entrés dans la vie professionnelle. Le Conservatoire possède un musée instrumental, inauguré en 1864, et dont la collection se monte actuellement à plus de 3 000 instruments. Il faut souligner le rôle joué par la comtesse de Chambure (Geneviève Thibault), conservateur du musée de 1961 à 1973, dans l’acquisition des instruments, ainsi que dans leur présentation. La bibliothèque du Conservatoire est devenue l’une des premières du monde par la richesse de ses manuscrits (Don Giovanni de Mozart, sonate Appassionata de Beethoven, Carmen de Bizet, principales oeuvres de Berlioz, Lalo, Chabrier, Debussy). Dans la salle de travail, les lecteurs ont à leur disposition la plupart des ouvrages concernant toutes les matières musicales : partitions, dictionnaires musicaux, encyclopédies, biographies, en français et dans les langues étrangères. En 1911, le legs Malherbe a beaucoup augmenté les collections de partitions, lettres autographes et manuscrits. Après la création, en 1964, du département de musique de la Bibliothèque nationale, une grande partie des fonds de la bibliothèque du Conservatoire y ont été transférés. Il faut citer enfin la discothèque inaugurée en 1975, munie de cabines d’écoute et possédant en 1980 plus de 7 000 disques, dont une partie importante a été fournie en 1975 par le legs Pincherle. Cette discothèque est une annexe de la Phonothèque nationale. CONSOLE. Bâti ou meuble contenant tous les organes de commande d’exécution d’un orgue : claviers et pédalier, jeux et combinaisons, accouplements et tirasses, pédales d’expression, etc. Dans l’orgue classique, la console est le plus souvent encastrée dans le corps du grand buffet, l’organiste tournant le dos à la nef ; on la dit alors « en fenêtre ». La facture romantique en fait un meuble séparé, que l’adoption de la technique de transmission électrique va pouvoir rendre indépendante et même mobile, particulièrement dans le cas des orgues de salles de concert. CONSONANCE. Notion éminemment relative. Se dit d’un intervalle qui est, en une situation socioculturelle donnée, ressenti comme agréable à l’oreille. Au Moyen Âge, les consonances étaient la quarte, la quinte et l’octave. À partir de la Renaissance, la quarte devint une dissonance, et les consonances furent dites soit « parfaites » (octave et quinte), soit « imparfaites » (tierce et sixte). Pour des raisons de formalisme pédagogique, cette dernière notion est encore utilisée de nos jours, bien que de nombreux autres intervalles soient jugés agréables à l’oreille. CONSORT (lat. consortium, « réunion »). Mot anglais, souvent employé en GrandeBretagne pour désigner un groupement musical d’exécutants, de chanteurs ou d’instrumentistes. downloadModeText.vue.download 259 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 253 Dans ce dernier cas, on distinguait, aux XVIe et XVIIe siècles, le whole consort (« consort complet »), formé d’une seule famille d’instruments homogènes - par exemple, des flûtes à bec -, et le broken consort (« consort brisé ») mélangeant plusieurs familles d’instruments, par exemple bois et cordes. CONSTANT (Marius), compositeur et chef d’orchestre français (Bucarest, Roumanie, 1925). Ses études, entreprises à Bucarest, où il obtint le prix G. Enesco (1943), furent poursuivies au Conservatoire national supérieur de musique de Paris (1945-1949), et pour la direction d’orchestre à l’École normale de musique. Marius Constant a eu pour maîtres O. Messiaen, T. Aubin, N. Boulanger, J. Fournet et A. Honegger. Prix Italia en 1952 pour le ballet le Joueur de flûte, il a été directeur musical de la chaîne modulation de fréquence de l’O. R. T. F. (1953), puis directeur musical des Ballets de Paris de Roland Petit (1956-1966), avant d’être de nouveau investi de responsabilités importantes à l’O. R. T. F. (19631967). Il fut ensuite nommé directeur de la musique du ballet de l’Opéra de Paris (1973-1978), et depuis 1978 il est professeur de la nouvelle classe d’orchestration et d’instrumentation du Conservatoire de Paris. En 1963, il a fondé l’ensemble instrumental Ars nova, une des principales formations françaises spécialisées dans la musique contemporaine, et, en 1968, a reçu le grand prix national de la musique. Ses premières oeuvres eurent pour titres Haut-Voltage, ballet pour Maurice Béjart (1956), Contrepointe (1957) et Cyrano de Bergerac (1959), ballets pour Roland Petit. Mais ce ne fut qu’avec les Vingt-Quatre Préludes pour orchestre, créés sous la direction de Leonard Bernstein en 1959, qu’il s’imposa vraiment. Contrairement à bien des compositeurs de sa génération, Constant n’a jamais adopté le système sériel. Il s’est en revanche attaché aux problèmes de timbre et de forme, dans les Vingt-Quatre Préludes mais aussi dans Turner (1961), trois essais pour orchestre mettant en jeu quarante solistes instrumentaux et visant à « interpréter l’inspiration » du grand peintre anglais. Il s’est orienté également vers l’aléatoire et l’improvisation, en par- ticulier avec les Chants de Maldoror, pour récitant, chorégraphe-chef d’orchestre, 23 musiciens « improvisateurs » - choisissant le moment et le contenu de leurs interventions en fonction de ce que leur inspirent le récitant et à travers lui Lautréamont et 10 violoncellistes (1962). La même recherche inspire Winds, pour 6 bois, 7 cuivres et contrebasse (1968), ouvrage de caractère plus abstrait au cours duquel les interprètes utilisent, à l’occasion, d’autres instruments à vent à fonction habituellement non musicale (flûtes à coulisse, sirènes à bouche), et Traits (Cadavres exquis), improvisation collective (1969) suivie plus tard de Traits, du genre « théâtre musical » (1975). On doit encore à Marius Constant, pour la scène, le Souper et la Serrure, d’après J. Tardieu (1969), et le Jeu de sainte Agnès, cérémonial d’église parlé et chanté en provençal ancien (1974) ; Par le feu, pour soprano dramatique et orchestre (1968) ; comme ballets, Rain (1960) et le Violon (1962), pour Roland Petit, Ponant 19 (1964), Éloge de la folie (1966), Paradis perdu (1966), Candide, pour clavecin et orchestre (1970), mimodrame d’après Voltaire créé à l’Opéra de Hambourg et faisant coexister musicalement deux discours parallèles - celui du clavecin jouant la Triomphante du 10e ordre de F. Couperin et celui de l’orchestre -, Septentrion « saltavit et placuit », avec éléments de jazz et de free-jazz (1975), et Nana, pour Roland Petit (1976) ; et, parmi une abondante production instrumentale, Chaconne et marche militaire (1968), Moulin à prière, pour deux clavecins (1969), Quatorze Stations, pour un percussionniste solo et six instruments (1970), Strings, pour clavecin et douze cordes (1972), Silete, pour clavecin (1973), Faciebat anno 1973, pour 24 violons et orchestre (1973), Psyché, pour deux pianos et percussion (1975), Stress, pour trio de jazz, piano soliste, quintette de cuivres et percussion (1977), Concerto « Gli elementi », pour trombone et orchestre (1977), Symphonie, pour instruments à vent (1978), Concertante, pour saxophone alto et orchestre (1978), Neuf Pièces, pour flûte et piano (1978), Harpalycée, pour harpe ou harpe et quintette à cordes (1979), Alléluias, pour trompette et orgue (1980), NanaSymphonie, pour grand orchestre (1980), Cent Trois Regards dans l’eau, concerto pour violon et orchestre (1981), D’une élé- gie slave, pour guitare (1981), la Tragédie de Carmen (1981), l’oratorio Des droits de l’homme (1989), un Quatuor à cordes (1990), Impressions de Pelléas d’après Debussy (1992). CONSTANTINESCU (Paul), compositeur roumain (Ploiesti 1909 - Bucarest 1963). Il a fait ses études à Bucarest, en particulier avec Constantin Brǎiloiu, puis à Vienne avec Joseph Marx, et enseigné à l’Académie de musique religieuse (1933-1941), puis au conservatoire de Bucarest (19411963). Titulaire de nombreux prix Enesco et de prix d’État, il s’est intéressé au folklore de son pays, mais aussi à la liturgie byzantine. On lui doit notamment, parmi une production abondante, l’opéra-comique Une nuit orageuse (1935), le poème chorégraphique Noces dans les Carpates (1938), de la musique symphonique et de chambre, des mélodies et des choeurs, ainsi que, dans le domaine religieux, un Oratorio de Pâques (1946) et un Oratorio de Noël (1947). CONTI (Francesco Bartolomeo), théorbiste et compositeur italien (Florence 1682 - Vienne 1732). Il fit une grande partie de sa carrière à Vienne, où il fut attaché à la Cour comme théorbiste (1701-1705), puis comme compositeur à partir de 1713. Il écrivit pour la scène une quarantaine d’oeuvres relevant de genres divers : des tragédies lyriques, des pastorales et surtout des tragi-comédies comme Don Chischiotte in Sierra Morena (1719), qui remporta un grand succès à Vienne, et où se manifeste un instinct comique efficace mais plein de nuances. Conti écrivit aussi des oratorios, des pièces d’église diverses et des cantates de chambre. CONTINUO. Terme pratiquement synonyme de basse continue. Toutefois, par un léger glissement de sens, d’ailleurs parfaitement injustifié, on a tendance à appeler basse continue la partie instrumentale jouant la basse (violoncelle ou basson), et continuo l’instrument à clavier jouant les accords représentés par leurs chiffres (chiffrage, basse chiffrée). CONTRAFACTURE. Traduction peu usuelle du latin contrafactum ou contrafacta, plus souvent conservé en français. Le terme désigne un arrangement fait à partir d’une composition vocale existante en lui adaptant de nouvelles paroles. Au XVIe siècle, on employait le terme « travestissement », aux XVIIe et XVIIIe siècles celui de « parodie ». Mais ce dernier mot pouvait aussi recouvrir des transformations plus profondes qu’un simple changement de paroles. CONTRALTO. Nom désignant la voix féminine la plus grave, et l’interprète qui la possède. À l’origine, le terme alto regroupait génériquement les emplois féminins graves, que ceux-ci fussent chantés par des femmes, des enfants ou des falsettistes, et il est encore en usage en Allemagne (Alt), cependant qu’il prête à confusion, en France, avec l’instrument du même nom et, en Italie, avec l’adjectif haut. Dans le chant soliste, les parties d’alto furent longtemps exécutées par des falsettistes et surtout par des castrats contraltistes ; J.-J. Rousseau employait le mot contralto comme synonyme de haute-contre, et, d’autre part, en 1847, Manuel Garcia jr. appelait encore le ténor suraigu « ténor contraltino ». La tessiture généralement retenue pour la voix de contralto (du sol2 au sol4) conduit par conséquent le contralto à downloadModeText.vue.download 260 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 254 utiliser son registre de poitrine sur près de la moitié de son étendue vocale ; cette voix fut assez rare au XVIIe et surtout au XVIIIe siècle, et c’est à tort que l’on range parfois dans cette catégorie la Française Maupin ou l’Italienne Faustina BordoniHasse, dont les rôles de soprano grave n’excédaient jamais le do3 comme limite inférieure ; en revanche, Vittoria Tesi (v. 1700-1775) et Francesca Vanini-Boschi, toutes deux interprètes de Haendel (la seconde, créatrice des rôles masculins d’Ottone dans Agrippina et de Goffredo dans Rinaldo de ce même compositeur), pouvaient bien être définies comme contraltos. C’est à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, et en raison de la disparition progressive des castrats, que les compositeurs tendirent à rechercher dans la voix grave féminine une certaine ambiguïté hermaphrodite : à l’époque de Rossini, le contralto incarnait soit des rôles masculins de guerrier ou d’amoureux (Tancredi, Arsace de Sémiramis, etc.) et conservait alors le surnom de musico, porté naguère par les castrats destinés à ces emplois, soit des rôles de protagoniste féminin, généralement de caractère bouffe (Isabelle dans l’Italienne à Alger, Rosine dans le Barbier de Séville, Angelina dans Cenerentola) ; Rossini n’hésitait pas à leur assigner une étendue vocale prodigieuse : un mi bémol2 dans Ricciardo e Zoraide (au sein d’un ensemble) et, dans l’aigu, le si4 écrit ou souvent sollicité implicitement. Vaccai, Bellini ou Donizetti - et parfois Meyerbeer et les Français - écrivirent encore des rôles d’adolescent pour le contralto travesti (Roméo dans I Capuleti e i Montecchi de Bellini, Maffio Orsini dans Lucrezia Borgia et Smeton dans Anna Bolena de Donizetti, etc.), mais, le romantisme entraînant les chanteurs à élever leur tessiture et à briller par la puissance des notes aiguës, le mezzo-soprano prit la succession du contralto. Les véritables rôles de contralto de premier plan disparaissaient presque au-delà de 1850 (sinon en Russie, avec Marfa dans Khovanstchina de Moussorgski ou Lel dans Sniegourotchka de Rimski-Korsakov), et par voie de conséquence, les interprètes aussi ; le contralto n’avait plus généralement que des emplois épisodiques chez Verdi, Wagner et leurs successeurs, emplois de sorcières ou de prophétesses (Ulrica dans Un bal masqué), de femmes âgées ou de nourrices (celles de l’opéra russe, de Pelléas de Debussy, d’Ariane et Barbe-Bleue de Dukas, la Cieca dans la Gioconda de Ponchielli, etc.) et surtout emplois de caractère (dame Marthe dans Faust de Gounod, Mistress Quickly dans Falstaff de Verdi, Madame Flora dans le Médium de Menotti, etc.), cependant que cette voix convient toujours au concert et à l’interprétation du lied, de Schumann à Brahms et Mahler. Les contraltos les plus célèbres furent, au XIXe siècle, Maria Marcolini, Rosamunda Pisaroni, Marietta Brambilla, Marietta Alboni, Sofia Scalchi et en Russie, Anna Vorobieva-Petrova et Daria Leonova, puis dans la première moitié du XXe siècle Guerrina Fabbri, Marie Delna, Maria Gay, Sofia Preobrajenskaia, et au concert Kathleen Ferrier. Mais dans la majorité des cas, les cantatrices douées de cette voix parviennent, grâce à leur éducation vocale, à aborder de nombreux rôles de mezzo-soprano. CONTRATENOR. Mot latin (masculin) traduit en ancien français par contre-teneur (féminin), et qui désigne, antérieurement aux XVIe et XVIIe siècles, une voix de la polyphonie de caractère spécial, introduite au XIVe siècle à titre de complément à la partie de ténor, jusque-là la plus grave. Souvent placée sous le ténor, mais de même tessiture que lui, d’où croisements fréquents, elle s’est, à l’époque de Dufay, franchement placée à la partie la plus grave, repoussant ainsi le ténor à l’emplacement qu’il a depuis lors conservé, et donnant progressivement naissance à la notion de partie de basse, nom qui finit par supplanter le sien au XVIe siècle. On distinguait parfois le contratenor bassus, le plus fréquent, et le contratenor altus plus élevé (haute-contre). L’exécution du contratenor a probablement été d’abord instrumentale, tandis que celle des parties supérieures était le plus souvent vocale. Ces distinctions se sont effacées aux approches de la Renaissance. CONTREBASSE. Instrument à cordes et à archet, le plus grave de la famille des violons, correspondant au registre de seize pieds de l’orgue. Issue du violone ou contrebasse de viole, elle est apparue dans la seconde moitié du XVIe siècle en Allemagne du Sud, et une centaine d’années plus tard en France. Elle avait à l’origine cinq ou six cordes, accordées par quartes, par quintes, ou par tierces et quartes alternées. De nos jours, ses caractéristiques ne sont pas encore totalement stabilisées. Elle reproduit parfois la forme du violoncelle, mais le plus souvent celle de la basse de viole, avec une caisse effilée en ogive. Elle comporte, de l’aigu au grave à partir du sol[1-] : sol, ré, la, mi. Certaines contrebasses ont cinq cordes, la cinquième étant soit l’ut grave, soit l’ut au-dessus du sol[1]. L’instrument mesure environ 1,95 m de haut, dont une caisse de 1,10 m. Il existe un petit modèle de 1,60 m. L’archet peut être convexe comme celui de la viole, rectiligne ou concave. Sa longueur est d’environ 67 cm. Le registre de la contrebasse est d’environ deux octaves et une sixte, quatre octaves avec les sons harmoniques. On note la musique en clé de fa 4e ligne, les sons réels sonnant à l’octave inférieure des sons écrits. Dans le jeu, où la main gauche utilise au moins huit positions, le pouce pouvant servir de sillet mobile, le démancher joue un rôle important en raison de la taille de l’instrument. Le vibrato, le glissando, le trille, l’extension font partie de la technique de la contrebasse, mais la lourdeur de l’archet est défavorable au jeu dans un tempo rapide, ainsi qu’aux sauts d’une corde à l’autre. La contrebasse fut d’abord réservée à l’usage de l’église, où elle renforçait le seize pieds de l’orgue. On commença à l’utiliser dans les orchestres de théâtre à la fin du XVIIe siècle. Longtemps, elle ne servit qu’à doubler les violoncelles à l’octave inférieure. Les virtuoses Domenico Dragonetti (1763-1846), puis Giovanni Bottesini (1821-1889) firent la démonstration des possibilités de l’instrument et ne contribuèrent pas peu à son émancipation. Beethoven fut l’un des premiers à confier à la contrebasse une partie plus intéressante (traits du scherzo de la 5e Symphonie, « orage » de la 6e). Berlioz l’utilisa pour des passages mélodiques. Mais un répertoire de musique de chambre, de symphonies concertantes et de concertos se développa également. Parmi les compositeurs ayant mis en valeur la contrebasse, citons : au XVIIIe siècle, K. Ditters von Dittersdorf (quintettes avec contrebasse, duo pour alto et contrebasse, symphonies concertantes, concertos), W. Pichl, A. Zimmermann, J. B. Vanhal, I. Holzbauer, Mozart (aria Per questa bella mano), Joseph Haydn, Michael Haydn, F. A. Hoffmeister, J. Sperger ; au XIXe siècle, Bottesini, Schubert dans la Truite, SaintSaëns dans le Carnaval des animaux, etc. ; au XXe siècle, E. Bigot (Capriccio), E. Bozza (pièces), M. Bitsch (suite pour contrebasse solo), Ch. Chaynes (Lied, scherzando et finale), Koussevitski (concerto, pièces), F. Farkas (Sonatine sur des chants populaires hongrois) et Hindemith (sonate). Dans le domaine pédagogique, nous citerons les méthodes de G. Bottesini (1869), J. Kraft (Der Weg zur Griffsicherheit und Technik ; Schule der Bogentechnik), G. Marangoni (Scuola teoretica-practica del contrabasso), N. Marcelli (The Carl Fischer basic method) et F. Simandl (New method for double bass), et les exercices techniques ou études de Baillot, Bottesini, H. E. Kayser, Gasparini, W. Gadzinski et A. Weber. D’autre part, la contrebasse a toujours joué un rôle important dans la musique de jazz. CONTRE-CHANT. Partie mélodique secondaire, entendue en même temps qu’un chant principal. Le terme n’est pas limité à un emploi technique particulier, mais s’emploie downloadModeText.vue.download 261 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 255 quand on veut mettre en relief le caractère mélodique propre d’une ligne secondaire. CONTREDANSE (en angl. country dance, « danse campagnarde »). Danse collective et mixte, vive et aux rythmes fortement marqués, d’origine populaire, qui se répandit d’Angleterre sur le continent, dès la fin du XVIIe siècle, et connut une grande vogue pendant tout le XVIIIe, qui l’intégra à l’opéra-ballet. Dansée tantôt en cercle, tantôt en ligne, les couples se faisant vis-à-vis, elle a inspiré d’innombrables airs de musique instrumentale ou vocale, qui ont longtemps subsisté dans le répertoire du concert et du théâtre, ainsi que des couplets et des chansons populaires. La célèbre chanson de l’époque révolutionnaire Ça ira s’inspire du rythme de la contredanse. CONTRE-EXPOSITION. En termes de fugue, on appelle contre-exposition une seconde et facultative présentation de l’exposition, faisant suite à la première en ordre inversé (réponse, puis sujet), et généralement réduite à 2 entrées au lieu des 4 entrées au minimum de l’exposition. CONTREPOINT. Technique d’écriture musicale qui consiste à écrire plusieurs mélodies superposées les unes aux autres et destinées à être entendues simultanément. Dans le contrepoint primitif (manuscrit Enchirias musices, Xe s.), il y avait seulement deux mélodies superposées, ayant chacune le même nombre de notes, d’où l’expression : note contre note, soit punctus contra punctum, soit contrepoint. En se compliquant, l’écriture contrapunctique devint d’une extraordinaire richesse dans les siècles qui suivirent et, jusqu’au début du XVIIe siècle, où l’on commença à préférer une écriture plus harmonique (accord par accord). Le contrepoint de la Renaissance était modal. Les techniques se référant à la tonalité ne semblaient guère, à l’origine, favoriser le contrepoint. J.-S. Bach est l’un des premiers musiciens qui nous ait légué des exemples magnifiques de contrepoint tonal. CONTRE-SUJET. Terme utilisé seulement en ce qui concerne la composition de la fugue. La première phrase mélodique de cette dernière est dite sujet (c’est, en quelque sorte, le thème). Elle est suivie par une autre phrase dans laquelle les rôles de la tonique et de la dominante sont intervertis, cette deuxième phrase étant dite réponse. À la ligne mélodique de la réponse s’ajoute une troisième phrase qui l’accompagne et pour laquelle le compositeur s’efforce de faire preuve de la plus grande imagination contrapunctique. Cette troisième phrase que l’on entend en même temps que la réponse est dite contre-sujet. CONTRETEMPS. Se dit d’accentuations rythmiques qui se produisent soit sur les temps dits « faibles » d’une mesure, soit entre les temps. Par exemple, dans la mazurka, l’accentuation est souvent placée à contretemps sur le deuxième temps d’une mesure à 3/4 qui est, théoriquement, un temps faible. Les contretemps sont souvent indispensables à la variété rythmique. CONTRE-TÉNOR. Néologisme dérivé de l’anglais counter tenor, et sans justification dans la langue française. Employé sans discernement, il semble désigner indifféremment soit le chanteur falsettiste, soit le ténor haute-contre. Étymologiquement ce terme désignerait une partie vocale chantée « contre » - c’est-àdire près de - celle du ténor, autrement dit la partie d’alto féminin ou masculin. CONVERTISSEUR ANALOGIQUE-NUMÉRIQUE (A/N) et CONVERTISSEUR NUMÉRIQUE-ANALOGIQUE (N/A). Le convertisseur A/N est un dispositif qui transforme un signal sonore continu (variations du voltage électrique) en une information discrète exprimée sous la forme de nombres binaires. Chaque paire de nombres ainsi obtenus représente la mesure de la variation des grandeurs physiques (niveau de la tension ou amplitude) à un instant précis. Cette information est ainsi protégée de la dégradation ; elle est rendue apte à être stockée, modifiée, « interprétée » par un outil informatique (ordinateur, échantillonneur, lecteur de CD, magnétophone DAT). Le convertisseur N/A réalise l’opération inverse : il transforme l’information numérique en signal électrique continu qui peut être exploité par une console de mixage, un amplificateur, un haut-parleur ou un magnétophone analogique. En règle générale, le signal sonore reconstitué sous forme d’onde doit être filtré pour écarter les bruits parasites produits par l’opération. Ce type de convertisseur est toujours présent sur les lecteurs de CD ou les magnétophones DAT. COOKE (Benjamin), compositeur anglais (Londres 1734 - id. 1793). Fils d’un éditeur de musique, il fut confié à John Pepusch dès sa neuvième année. En 1752, il succéda à son maître à la tête de l’Academy of Ancient Music et eut luimême comme successeur Samuel Arnold (1789). Il fut nommé maître de choeurs à Westminster (1757) et, en 1762, après la mort de John Robinson, devint organiste de l’abbaye. Il fut reçu docteur en musique par les universités de Cambridge (1775) et d’Oxford (1782). En 1783, on le retrouva organiste à Saint-Martin-in-the-Fields. Il est enterré dans le cloître de l’abbaye de Westminster où une inscription murale célèbre son talent. Son oeuvre, considérable, a été surtout écrite pour l’église (services, anthems, hymnes, psaumes). On lui doit aussi diverses odes. Dans le domaine instrumental, il a composé des concertos, des pièces pour orgue, des lessons pour le clavecin. De son vivant, il publia une collection de ses glees et catches, sa réputation de compositeur s’étant surtout fondée sur ce genre de musique vocale. COOKE (Henry), compositeur et chanteur anglais (v. 1616 - Hampton Court 1672). Il appartint d’abord aux enfants de la chapelle royale. Après la guerre civile, il fut nommé basse à la chapelle royale et maître des enfants (1660). Il travailla avec Henry Davenant au Siege of Rhodes et chanta le rôle de Soliman. Sous son impulsion, on commença à employer les instruments à cordes à la chapelle royale. Son oeuvre comprend une trentaine d’anthems, des odes, des hymnes, des airs, ainsi que des intermèdes musicaux pour le théâtre. Il se retira à Hampton Court en 1669. COPERARIO (Giovanni Coprario, de son vrai nom JOHN COOPER), compositeur anglais ( ? v. 1575 - Londres 1626). On ne connaît rien des premières années de sa vie, mais il fut sans doute confié à un musicien professionnel au service d’une famille aisée selon les habitudes de l’époque. En raison de la présence, en Angleterre, de familles comme les Ferrabosco, il comprit les avantages qu’il pouvait tirer à donner une consonance italienne à son nom, ce qu’il fit pendant un séjour en Italie (v. 1604). En 1606, il publia à Londres un recueil de chansons au luth, Funeral Teares for the Death of the... Right Honorable the Earle of Devonshire, et, en 1613, sept chansons au luth sur des poèmes de Thomas Campion : Songs of Mourning, déplorant la mort du prince Henry. La même année, il fit un voyage à Heidelberg pour accompagner Elizabeth, fille de Jacques Ier, qui venait d’épouser l’Électeur palatin, le prince Frédéric. De retour à Londres, il composa trois airs pour le Earl of Somerset’s Masque, représenté le 26 décembre 1613. Deux antiennes, The Teares or Lamentacions of a Sorrowful Soule, parurent chez W. Stansby (1614). Lors d’un séjour dans le Wiltshire, au service d’Edward, comte de Hertford, il donna des leçons à un élève particulièrement doué, William Lawes. Il n’obtint un poste officiel à la Cour qu’au moment de l’accession de Charles Ier au trône (1625). Celui-ci le nomma compositeur ordinaire downloadModeText.vue.download 262 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 256 et musicien pour les luths et les voix. À la mort du musicien, ce même poste revint à Alfonso Ferrabosco. Mises à part les oeuvres vocales citées, auxquelles s’ajoutent 21 villanelle italiennes, des madrigaux italiens et quelques airs, l’abondante production de Giovanni Coperario est presque exclusivement consacrée aux instruments, essentiellement aux instruments à archet. Il a écrit des fantasia-suites (fantasia-almain-galliard), dont 16 pour un violon et 8 pour deux violons, basse de viole et orgue. Mais la fantasia pour un ensemble de violes occupe une place prépondérante dans son oeuvre (8 pour deux violes, 10 pour trois violes, 7 pour quatre violes, 49 pour cinq violes, 8 pour 6 violes). Ces pièces révèlent leur dette envers l’Italie, mais leur style d’écriture s’éloigne distinctement des modèles vocaux (madrigal, canzona alla francese) et devient plus instrumental. Les tessitures s’agrandissent en même temps que se développe un intérêt rythmique et harmonique très personnel ; leur structure est fondée sur le contrepoint imitatif et sur une grande liberté formelle. Coprario a également signé quelques pièces isolées pour la lyra-viol (seule ou « en consort ») ainsi qu’un traité, Rules How to Compose, conservé en manuscrit. COPLA (esp. : « strophe »). Terme désignant, dans le villancico, les diverses pièces que relie entre elles un refrain ou estribillo. Mais copla est en même temps le nom d’une forme poétique et musicale populaire, d’origine extrêmement ancienne, très employée notamment en Andalousie. La copla a été adoptée par nombre de grands poètes jusqu’à notre époque et même par des mystiques tel saint Jean de la Croix. COPLAND (Aaron), compositeur américain (Brooklyn, New York, 1900 - id. 1990). Issu comme Gershwin, son aîné de deux ans, d’une famille de modestes émigrés russes, il n’aborda le piano qu’à quatorze ans, avant de recevoir les leçons du très conservateur Rubin Goldmark. Après la Première Guerre mondiale, il se rendit au conservatoire américain de Fontainebleau, alors dirigé par Paul Vidal, mais, déçu, il se tourna vers Nadia Boulanger, alors débutante, ce qui lui permit de s’imprégner des oeuvres de Ravel, Stravinski, Milhaud. En France, où il vécut de 1921 à 1925, il paracheva aussi sa formation de pianiste auprès de Ricardo Viñes. Il s’orienta alors vers une esthétique proche de celle officiellement accolée au groupe des Six et évoquant surtout celle de Poulenc : défiance vis-à-vis de Debussy comme de Wagner et de ses conséquences (Schönberg), souci de bien écrire, quelque peu abstraitement pourtant (Dance Symphony, 1re audition, Philadelphie, 1931 ; Music for the Theater, 1925 ; Symphonie avec orgue, écrite pour N. Boulanger, 1925). De retour dans son pays et soutenu par une bourse Guggenheim, Copland étudia les diverses possibilités offertes par Stravinski, le jazz, la polytonalité, le folklore américain et sud-américain : d’où un style « cosmopolite » fortement teinté de néoclassicisme, avec des oeuvres comme la Première Symphonie, version révisée de la Symphonie avec orgue (1928), la Deuxième (Short Symphony, 1933), la Troisième (1946), la Sonate pour piano (1941), le Concerto pour clarinette, pour orchestre à cordes, harpe et piano (1re audition, New York, 1950), destiné à Benny Goodman (1948), ou les musiques de film pour Des souris et des hommes de J. Ford (1939) ou l’Héritière de W. Wyler (1949). De ces années datent également ses quatre partitions les plus célèbres, et sans doute les plus assurées de survivre : le spirituel El Salón México (1936), et les grands ballets lyriques Billy the Kid (1938), Rodeo (1942) et Appalachian Spring (1944), hymnes à l’Ouest américain. À partir de 1950, Copland - d’ailleurs plus attiré par Webern que par Schönberg - s’engagea quelque peu dans la voie du sérialisme, produisant notamment la Fantaisie pour piano (1955-1957), Connotations pour orchestre (1961-62), Music for a great City (Londres, 1964), Inscape, pour orchestre (1967), un duo pour flûte et piano (1970-71). Défenseur de la musique contemporaine, en particulier américaine, il a animé avec R. Sessions une association de concerts spécialisés (19281931), dirigé ensuite l’American Festival of Contemporary Music à Yaddo (New York), exercé une grande activité au sein de la Société des compositeurs américains et de la SIMC, soutenu Bartók émigré à New York, donné pendant vingt-cinq ans des cours à Tanglewood et s’est multiplié en articles, conférences et concerts. Considéré un peu comme le Grand Old Man de la musique américaine, il a publié What to Listen for in Music (New York, 1938), Music and Imagination (Cambridge, 1952), The New Music, etc. COR. Instrument à vent de la famille des cuivres. Il doit son nom, par analogie de destination, à divers instruments rudimentaires qui remontent à des origines très reculées et qui étaient souvent faits d’une corne de vache, exceptionnellement d’une défense d’« olifant ». En fait, le cor simple présente toutes les caractéristiques de la trompe de chasse : l’embouchure très étroite, le pavillon très évasé et la forme circulaire due à l’enroulement (3 à 8 tours) du tube, dont la longueur considérable (près de 5 m) permet l’émission par le seul jeu des lèvres de la plupart des harmoniques du son fondamental. Cette trompe, toujours en usage, était d’un emploi difficile à l’orchestre en raison de sa tonalité immuable. Sa transformation en « cor d’harmonie » a consisté à intercaler, entre l’instrument et l’embouchure, des tubes de rechange plus ou moins longs, appelés « tons ». Mais le cor n’en restait pas moins réduit aux harmoniques, c’est-à-dire à une série d’une quinzaine de notes, assez rapprochées à l’aigu pour former un semblant de gamme chromatique, mais de plus en plus espacées vers le grave. C’est seulement vers 1760 qu’un corniste allemand de l’Opéra de Paris, Haempel, découvrit qu’en bouchant plus ou moins le pavillon avec la main, on pouvait abaisser la note d’un demi-ton ou davantage. Les ressources mélodiques du cor s’en trouvèrent accrues, mais l’échelle chromatique restait fort incomplète et il fallait une grande habileté pour atténuer l’inévitable différence de timbre entre les « sons ouverts » et les « sons bouchés ». Toutes ces difficultés allaient être résolues par l’invention des pistons, en 1813, par l’Allemand Stoelzel (1780-1844). Après quelques tâtonnements, le corniste parisien Joseph Meifred mit au point le système à 3 pistons qui est encore en vigueur non seulement pour le cor, mais pour le cornet, la trompette et la plupart des saxhorns. Chaque piston ouvre un circuit supplémentaire qui allonge le tube et, par conséquent, abaisse la note émise : d’un ton pour le premier, un demi-ton pour le deuxième et un ton et demi pour le troisième. Trois tons en tout, donc, si l’on enfonce les trois pistons à la fois, de sorte que l’instrument gagne une quinte dans le grave. Le cor moderne, disposant de toutes les notes de la gamme chromatique sur trois octaves et une sixte, était né. Signalons toutefois quelques innovations plus récentes : vers 1890, le 3e piston « ascendant », qui élève la note au lieu de l’abaisser ; en 1935, le « cor double » muni d’un barillet ou d’un 4e piston ayant pour effet de transformer instantanément le cor en fa en cor en si bémol ; et depuis peu, le pavillon démontable, qui facilite grandement le transport de l’instrument. Sans doute le cor a-t-il perdu, en même temps que ses imperfections, une partie de sa personnalité. Cela explique la résistance que, pendant plus de cinquante ans, de nombreux instrumentistes et compositeurs opposèrent au cor à pistons. En 1875, Bizet s’en passait encore dans Carmen, et l’enseignement du cor simple au Conservatoire ne fut supprimé qu’au début de notre siècle. COR ANGLAIS. Instrument à vent de la famille des bois. Il n’a rien d’un cor et son attribution à l’Angleterre est vraisemblablement due downloadModeText.vue.download 263 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 257 à une corruption de l’adjectif « anglé ». Il n’est autre, en effet, que l’ancienne « haute-contre », ou alto, du hautbois en fa, donc à la quinte inférieure du hautbois en ut. Cet instrument étant trop long pour que les doigts de l’exécutant puissent accéder aux trous correspondant aux notes graves, on lui donna une forme coudée, ou « anglée ». Le système des clés ayant résolu ce problème mécanique, le « cor anglais » moderne est aussi rectiligne que le hautbois, sauf un court « bocal » métallique légèrement incurvé sur lequel se fixe l’anche double. Extérieurement, et sa taille mise à part, il se distingue aussi du hautbois par son pavillon en forme de poire. Mais son mécanisme et son doigté sont identiques. CORBETTA (Francesco, connu aussi sous le nom de FRANCISQUECORBETTE ou CORBETT), luthiste, guitariste et compositeur italien (Pavie v. 1615 - Paris 1681). Après avoir parcouru l’Europe, il se fixa vers 1656 à Paris, où il exerça une influence considérable sur l’évolution du jeu de la guitare, et fut aussi au service de Charles II d’Angleterre. Son élève Robert de Visée tira un large profit de ses leçons. Corbetta publia cinq livres de guitare : Scherzi armonici (1639), Varii capricci (1643), Varii scherzi di sonate per la chitana spagnola (Bruxelles, 1648), la Guitare royalle dédiée au roy de la Grande Bretagne (Paris, 1670) et la Guitare royalle dédiée au Roy (Paris, 1673). CORBIN (Solange), musicologue française (Vorly, Cher, 1903 - Bourges 1973). Ancienne élève de la Schola cantorum, elle a été, de 1929 à 1933, maître de chapelle suppléant à Bourges. De 1937 à 1940, elle a étudié le plain-chant à l’Institut grégorien de Paris. Docteur ès lettres (1957), elle a été directeur d’études à l’École pratique des hautes études et, de 1961 à 1970, a enseigné l’histoire de la musique et la musicologie à l’université de Poitiers, y créant l’institut de musicologie. Spécialisée dans l’étude des débuts de la musique d’église en Occident, elle a, en 1960, rassemblé la somme de ses recherches dans un remarquable ouvrage : l’Église à la conquête de sa musique. Elle a dirigé pour le C. N. R. S. l’établissement du Répertoire des manuscrits médiévaux contenant des notations musicales. CORBOZ (Michel), chef de choeur et chef d’orchestre suisse (Marsens, près de Fribourg, 1934). Après des études au conservatoire de Fribourg et à l’institut Ribeaupierre de Lausanne, il devient maître de chapelle de l’église Notre-Dame du Valentin à Lausanne en 1953 et conserve ce poste seize ans durant. En 1961, il fonde l’Ensemble vocal de Lausanne, qui acquiert rapidement une renommée internationale et auquel se joint par la suite un ensemble instrumental. Il enseigne à l’École normale de Bienne, au conservatoire de Genève, et occupe les fonctions de directeur des choeurs de la fondation Gulbenkian à Lisbonne. Il a composé des oeuvres chorales (Missa in laetitia, Cantate à Notre-Dame, motets). Michel Corboz est avant tout l’interprète de la musique religieuse des XVIIe et XVIIIe siècles, et particulièrement de Monteverdi, Jean-Sébastien Bach et MarcAntoine Charpentier. Pour traduire ce répertoire, il ne se fonde pas sur de strictes recherches musicologiques, mais retrouve la vérité des partitions par d’autres voies, se fiant à son instinct, à son intelligence, à sa sensibilité. Il est capable de transfigurer les ensembles qu’il dirige et de leur faire partager sa propre foi et sa profonde compréhension des oeuvres, grâce au rayonnement exceptionnel de sa personnalité chaleureuse. CORDE. Fil tendu entre deux points fixes solidaires d’un corps sonore - caisse de résonance ou table d’harmonie - que l’on fait vibrer soit en l’écartant de sa position d’équilibre (instruments à cordes pincées), soit en la frottant (instruments à archet), soit en la frappant (piano, etc.). La corde peut être faite d’un simple fil métallique, d’un simple boyau d’origine animale ou, depuis peu, d’un simple fil de nylon. Mais le vrai boyau tend à disparaître et les « cordes filées », jadis réservées aux notes graves, se répandent de plus en plus. Elles consistent en une « âme » d’acier, de boyau ou de matière synthétique autour de laquelle s’enroule en spirale un fil plus mince de cuivre, d’argent ou de nylon. Certains instruments à cordes pincées, comme la mandoline, emploient des cordes doubles. Le piano emploie même des cordes triples, dans l’aigu, auprès des cordes simples dans le grave et doubles dans le médium. Il faut signaler aussi les « cordes sympathiques » de certains instruments anciens tels que le chitarrone ou archiluth, auxquelles l’exécutant ne touche pas, et qui résonnent à l’unisson des notes jouées. Au pluriel, le mot « cordes » désigne l’ensemble des instruments à archet et plus particulièrement le quatuor (premier et second violon, alto et violoncelle), auquel s’ajoute, dans l’orchestre, la contrebasse. CORDE À VIDE. Dans le domaine des instruments à cordes comportant un manche, se dit des notes jouées sans le secours d’un doigt de la main gauche. Dans le cas du violon, le sol grave est obligatoirement une corde à vide ; le ré, le la et le mi le sont facultativement. Le fait que la main gauche n’intervienne pas interdit évidemment le vibrato et contribue à rendre les notes à vide plus claires, mais plus plates et moins expressives. Le compositeur (ou le réviseur) peut y avoir recours pour obtenir un effet particulier et, dans ce cas, les indique parmi les doigtés en plaçant le signe 0 (zéro) au-dessus de la note. COR DE BASSET. Instrument ancien de la famille des bois, à anche simple, très en faveur jusqu’à Mozart inclus. De tessiture relativement grave et, de ce fait, trop long pour que l’exécutant pût atteindre tous les trous d’un instrument de forme droite, il était coudé en son milieu à la manière du « cor anglé », dit « anglais ». Les clés du système Boehm ont rendu cet artifice inutile. Dans la version moderne du cor de basset, qui se confond pratiquement avec la clarinette alto en fa, seuls sont coudés le pavillon et le « bocal » métalliques. COR DE CHAMOIS. Jeu d’orgue à bouche, conique, de 8, 4 ou 2 pieds, ou encore de 2 1/3 pieds ou 1 1/3 pied. Sa sonorité est douce et évoque celle du cor. CORDES SYMPATHIQUES. Dans certains instruments à cordes frottées comme la viole d’amour, cordes qui se mettent en vibration lorsqu’on en frotte d’autres. CORDES VOCALES. Nom donné à l’ensemble des muscles et des ligaments qui ferment partiellement l’orifice glottique du larynx et constituent la partie vibrante de l’organe de la phonation. Elles doivent ce nom à leur fonction plutôt qu’à leur forme, qui évoque davantage deux lèvres symétriques d’écartement variable. CORDIER ou TIRE-CORDES. Dans les instruments à cordes, pièce de bois (généralement d’ébène) permettant de fixer les cordes à leur extrémité inférieure et se terminant par une attache en corde de boyau fixée à un bouton. CORDIER (Baude), compositeur français (Reims fin du XIVe s. - déb. du XVe s.). Contemporain de Jean Tapissier, il appartient à l’époque qui se situe entre la mort de G. de Machaut et la maturité de G. Dufay et que l’on appelle aujourd’hui Ars subtilior (U. Günther). Son oeuvre, éditée par G. Reaney dans Early XVth Century Music (CMM XI, 1, Anvers, 1955), comprend un fragment de messe à 3 voix provenant du manuscrit d’Apt et une dizaine de chansons (3 et 4 voix) que contient le manuscrit de Chantilly : tel, par exemple, l’élégant rondeau a 3, Tant plus vous voy, downloadModeText.vue.download 264 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 258 tant plus me semblés belle, qui fait encore usage de la cadence à double sensible dite « Machaut », mais témoigne aussi d’un certain lyrisme italianisant. CORDOPHONE. Terme d’organologie, rarement employé, qui désigne l’ensemble des instruments à cordes frappées, pincées ou grattées, à l’exclusion des instruments à cordes frottées (instruments à archet). CORELLI (Arcangelo), violoniste et compositeur italien (Fusignano, près de Ravenne, 1653 - Rome 1713). Issu de l’une des plus illustres familles de sa ville natale, il prit vraisemblablement ses premières leçons de musique à Faenza où se déroula la plus grande partie de son enfance. Mais ce fut à Bologne, où il séjourna de treize à dix-sept ans, qu’il reçut une formation suivie auprès de deux éminents représentants de la fameuse école bolonaise de violon : Giovanni Benvenuti et Leonardo Brugnoli. Il est probable qu’il y travailla également le contrepoint avec Giambattista Bassani. Dès 1670, il était admis à l’Accademia filarmonica. On manque de témoignages précis sur son activité dans les quelques années suivantes. Sans doute fit-il, à Rome, d’obscurs débuts de violoniste d’orchestre. Et c’est peut-être à cette époque que se situent ses rares voyages. Non pas, comme le prétend certaine légende, à Paris où Lully, jaloux de son talent, aurait pris soin de lui fermer toutes les portes, mais en Allemagne où l’on croit retrouver sa trace à Heidelberg et en Bavière, notamment à Munich. Ce qui est certain, c’est que, à l’exception d’un séjour à Naples en 1708, il ne quitta plus guère Rome à partir de 1680. Dans la Ville éternelle où l’ex-reine Christine de Suède, convertie au catholicisme, tint une véritable cour où les musiciens étaient rois, Corelli accumula, dès lors, les succès de virtuose, de chef d’orchestre et de compositeur. Nommé en 1682 maître de chapelle de l’église Saint-Louis-des-Français, il publia en 1685 ses douze premières Sonate a tre (deux violons et continuo). En 1687, il conduisit dans le palais de la reine Christine un mémorable concert qui réunissait 150 musiciens. Alors protégé par le cardinal Pamfili, il passa deux ans plus tard au service d’un autre prince de l’église, le cardinal Pietro Ottoboni, neveu du pape Alexandre VIII, qui devait l’héberger jusqu’à sa mort. La gloire de Corelli ne connut pas d’éclipse avant 1708, année cruciale pendant laquelle il fit la connaissance de Haendel (dont il dirigea même un oratorio), rencontra Alessandro Scarlatti et revint ulcéré de Naples où son succès fut fort mitigé. Il semble qu’il n’ait jamais su briller dans d’autres compositions que les siennes, même écrites à son intention. On rapporte qu’à Naples, il avait raté un trait difficile dans une pièce de Scarlatti, puis s’était obstiné à jouer en ut majeur, par distraction, un passage en ut mineur. D’un naturel sensible et fort peu combatif, il se désespéra de ces échecs et renonça bientôt à se produire en public. Toutefois, il n’était nullement oublié quand il mourut à la fin de sa soixantième année, tandis qu’on achevait de graver ses douze Concerti grossi op. 6. Grand amateur d’art, il avait légué son importante collection de tableaux au cardinal Ottoboni, qui lui fit élever un monument funéraire au Panthéon de Rome, près du tombeau de Raphaël. L’épitaphe fait mention du titre de « marquis de Ladenburg » que lui avait décerné l’Électeur palatin PhilippeGuillaume, en remerciement d’une dédicace. Par une exception remarquable dans l’histoire de la musique italienne, Corelli n’a jamais écrit pour les voix. Musique religieuse et opéra sont donc absents de son oeuvre, qui comprend six numéros d’opus de douze pièces chacun. Les quatre premiers, publiés à Rome de 1681 à 1694, sont alternativement des Sonate da chiesa et des Sonate da camera pour deux violons et continuo. L’opus 5, pour violon et continuo, date de 1700. L’opus 6, enfin, réunit les Concertos grossos, d’une écriture particulièrement élaborée, qu’il ne faut pas confondre avec les Concertos grossos publiés à Londres en 1735, qui sont des transcriptions par Geminiani des opus 1, 2, 3 et 5. Parmi de très nombreuses rééditions, se distingue celle des oeuvres complètes par J. et F. Chrysander (Londres, 1888-1891), revues par Joseph Joachim. Le style violonistique de Corelli, perpétué jusqu’à Viotti et Rode par l’intermédiaire de ses élèves Geminiani, Somis, Gasparini, Locatelli, etc., fut essentiellement caractérisé par l’approfondissement des ressources expressives de l’instrument, d’où une certaine réaction contre les abus de la virtuosité pure (doubles cordes par exemple). Quant à la tessiture, Corelli ne dépasse jamais la troisième position, c’est-à-dire le ré au-dessus de la portée. Mais Corelli a également fait école en tant que compositeur ; il peut être, en effet, considéré comme l’inventeur du concerto grosso, qui donna lieu à tant de chefs-d’oeuvre de la musique baroque. CORKINE (William), luthiste et compositeur anglais (déb. du XVIIe s.). On sait qu’il jouissait aussi d’une bonne réputation en tant que virtuose de la lyra-viol, mais ce détail mis à part, on ne connaît rien de sa vie. En 1610, il publia un livre d’airs pour voix et luth suivi, en 1612, du Second Book of Ayres, Some to sing and play to the Base Violl alone, Others to be sung to the Lute and Base Violl, with New Corantoes, Pavins, Almaines..., titre qui révèle la pratique, fréquente à l’époque, d’accompagner la voix par une viole seule, l’instrumentiste pouvant ajouter quelques accords en doubles cordes afin d’affirmer l’harmonie. La disposition de l’édition originale de ces pièces indique également qu’elles étaient destinées surtout à des musiciens amateurs, chanteurs et instrumentistes réunis autour d’une table. Les deux livres d’airs ont été réédités par E. H. Fellowes dans The English Lute-Songs (série II, Stainer et Bell, Londres, 1926). CORNELIUS (Peter), compositeur et poète allemand (Mayence 1824 - id. 1874). Violoniste dans un orchestre de théâtre, acteur, il étudia la composition avec Siegfried Wilhelm Dehn à Berlin de 1844 à 1846. En 1852, il se rendit à Weimar où il se lia d’amitié avec Liszt. Il écrivit dans la Neue Zeitschrift für Musik, traduisit des conférences données en français par Liszt et s’adonna à la composition. Il vécut à Vienne de 1859 à 1864. Devenu l’ami intime de Richard Wagner, il suivit ce dernier à Munich en 1865, sur l’invitation du roi Louis II, et y enseigna l’harmonie à la Königliche Musikschule (École royale de musique), dirigée par Hans von Bülow. Attiré à la fois par la littérature et par la musique, il publia en 1861 un volume de poèmes, Lyrische Poesien, et, sensible à l’exemple de Wagner, il écrivit les livrets de ses propres opéras ainsi que des textes pour certains de ses lieder. Créé sous la direction de Liszt au théâtre de Weimar en décembre 1858 et accueilli par des sifflets, ce qui amena Liszt à remettre sa démission au grand-duc, le gracieux opéra-comique le Barbier de Bagdad a gagné plus tard une juste popularité en Allemagne et demeure l’oeuvre la plus connue de Cornelius. L’influence de Wagner se révèle dans les opéras le Cid, représenté à Weimar en 1865, et Gunlöd, resté inachevé. La fine personnalité de Cornelius apparaît mieux dans ses lieder, qui, ainsi que ses duos et trios vocaux, empruntent leur texte - quand le compositeur n’en était pas lui-même l’auteur - à Heine, Hölderlin, Eichendorff, Chamisso, Uhland, Cervantes, Shakespeare, etc. Ce sont des oeuvres à la prosodie raffinée, à l’écriture pianistique vive, frémissante, aux harmonies originales. Cornelius a également écrit un requiem (1863), et des choeurs sur des textes de Goethe, Luther, Schiller, Horace, Thomas Moore, ainsi que sur des textes liturgiques. CORNEMENT. Incident technique (défaut de transmission ou fuite de vent) qui fait sonner un tuyau d’orgue sans qu’on ait enfoncé la touche correspondante, ou lorsqu’on joue une note voisine. downloadModeText.vue.download 265 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 259 Dans ce dernier cas, on parle plus précisément d’« emprunt ». CORNEMUSE. Instrument folklorique, à vent, de la famille des bois. Le bagpipe écossais et le biniou breton sont les membres les plus connus de ce groupe, répandu depuis des siècles, sous diverses formes, dans l’Europe entière. La cornemuse est caractérisée par une outre de peau, alimentée en air sous pression au moyen d’une embouchure. De cette outre partent plusieurs tuyaux sonores, à anche double enfermée dans une capsule. Seul un de ces tubes, percé de trous, permet de jouer une mélodie ; les autres sont des « bourdons », dont chacun donne une seule note continue. D’une sonorité aigre et pénétrante, mais non dénuée de volume grâce aux accords fournis par les bourdons, la cornemuse est par excellence un instrument de plein air, propre à accompagner des marches militaires aussi bien que des danses paysannes. Comme la musette, dont la vogue fut immense aux XVIIe et XVIIIe siècles, quand les grands seigneurs se déguisaient volontiers en bergers, la cabrette, qui a encore ses virtuoses dans le Massif central (Auvergne et Bourbonnais), est une petite cornemuse sans embouchure, gonflée par un soufflet placé sous le bras gauche. CORNET. Instrument à vent de la famille des cuivres. Sous sa forme primitive - celle d’une trompe de chasse en réduction -, ce « petit cor » fait toujours partie de l’arsenal cynégétique en Europe centrale. Mais il servait aussi aux postillons, d’où son nom allemand de Posthorn. L’invention des pistons, aux environs de 1820, conduisit les facteurs à abandonner l’enroulement circulaire au profit du schéma horizontal de la trompette, en moins allongé. Le cornet à pistons est ainsi devenu un instrument très voisin de la trompette, avec le même doigté et presque la même tessiture. Mais l’embouchure plus profonde et le tube plus évasé lui procurent un timbre plus rond, une agilité plus grande, et, surtout, une facilité d’émission qui lui ont valu, au XIXe siècle et même au-delà, une immense popularité auprès des musiciens amateurs. (On sait que la transcription pour cornet d’airs d’opéras célèbres fut l’une des besognes alimentaires auxquelles se livra Richard Wagner lors de son premier séjour à Paris.) On lui reproche aujourd’hui sa sonorité un peu canaille et, à l’orchestre, il est généralement remplacé, parfois à tort, par la trompette. CORNET (Peter), organiste et compositeur flamand ( ? v. 1575 ? - Bruxelles 1633 ? ). On sait peu de chose de sa vie, si ce n’est qu’il fut organiste à Bruxelles, à la chapelle des archiducs, entre 1593 et 1626. Les neuf pièces pour orgue qui subsistent de son oeuvre (deux courantes, une antienne sur le Salve Regina, une toccata et cinq fantaisies) le placent néanmoins au premier rang des organistes flamands de son temps avec Sweelinck, dont il subit l’influence. Marquée également par la musique vénitienne, son écriture est plus souple et plus chantante que celle de ses compatriotes. CORNET À BOUQUIN. C’était à l’origine un olifant amélioré, fait d’une corne de bouc (d’où son nom), ou de tout autre ruminant, et percé de trous, comme tous les instruments de la famille des bois, pour permettre l’émission de plusieurs notes. Il fut d’ailleurs bientôt construit en bois, parfois gainé de cuir, mais son embouchure conique en bois dur, ivoire ou métal continuait de l’apparenter à la famille des cuivres. De forme droite, légèrement courbe ou en « S » très allongé, il a donné naissance au serpent, de tessiture beaucoup plus grave. CORNYSHE (William), compositeur, écrivain et acteur anglais ( ? v. 1468 Londres 1523). Il obtint un poste à la cour d’Henri VII, sans doute à partir de 1493, mais, par la suite, il connut quelques déboires à cause de ses écrits satiriques et fut emprisonné. En 1509, il devint maître des enfants de la chapelle royale. Jusqu’en 1516, il demeura l’un des principaux acteurs des pièces de la Cour et, jusqu’en 1520, il écrivit des disguisings pour cette même Cour (ainsi The Garden of Esperance, 1517). Il jouit d’une grande faveur auprès d’Henri VIII, qui mit lui-même en musique un certain nombre de ses vers. L’oeuvre de William Cornyshe, qui, outre les pièces religieuses que contient entre autres The Eaton Choirbook, comporte également des chansons profanes à 3 et parfois à 4 voix, atteste la vitalité de ce genre de musique à l’époque. Ah Robin, Gentle Robin, par exemple, est un petit chef-d’oeuvre de simplicité écrit sous forme d’un canon avec un contre-chant plus lyrique dès qu’il est question de my lady. Citons enfin son magnificat. Très variée et pleine de talent et d’imagination, l’activité artistique de Cornyshe demeure caractéristique du développement et du raffinement intellectuels à la cour du second Tudor. Pour une édition moderne des oeuvres profanes, on peut consulter Musica britannica (vol. 18, 1962, éd. J. Stevens). Pour les oeuvres contenues dans The Eaton Choirbook, voir Musica britannica (vol. 10-12, 1956-1961, éd. F. L. Hawison). CORO SPEZZATO (ital. : « choeur brisé »). Expression italienne, quelquefois employée au XVIe siècle pour désigner une forme spéciale de double choeur, très pratiquée à Saint-Marc de Venise, où elle était favorisée par la disposition des tribunes ; elle consistait surtout dans l’alternance des deux choeurs qui s’unissaient à la fin en un seul grand choeur. CORREA DE ARAUXO ou ARAUJO (Francisco), organiste, compositeur et théoricien espagnol ou portugais ( ? v. 1575 - Séville v. 1663). Malgré son importance historique, sa vie et son activité demeurent presque méconnues. On sait qu’il était prêtre et qu’il fut titulaire de l’orgue de l’église Saint-Sauveur de Séville à partir de 1598 et jusqu’à une date postérieure à 1633. En 1626, il publia un ouvrage théorique et pratique intitulé Libro de tientos y discursos de música práctica y téorica d’organo, intitulado Facultad organica ; il y réunit 70 pièces d’orgue classées par ordre de difficulté, pour la plupart des tientos (sortes de préludes en style fugué), et un exposé théorique sur les diverses formes d’écriture pour l’orgue illustrées par son livre. CORREA DE AZEVEDO (Luis Heitor), musicologue et folkloriste brésilien (Rio de Janeiro 1905 - Paris 1992). Après avoir exercé différentes fonctions de journaliste et d’organisateur de la vie musicale brésilienne, il fut le premier musicologue à occuper, en 1939, la chaire de folklore national de l’actuelle École de musique de l’université fédérale de Rio de Janeiro. Membre de la Commission nationale du livre didactique (1945-1948), il fut appelé, à partir de 1947, à diriger les services musicaux de l’Unesco à Paris. On lui doit la fondation du Conseil international de la musique et la publication de la série Archives de la musique enregistrée. À la suite de la création de l’Institut des hautes études de l’Amérique latine à l’université de Paris, entre 1954 et 1958, Correa de Azevedo donna une série de cours sur l’histoire de la musique. Il fut, par ailleurs, invité à différentes reprises par plusieurs universités des États-Unis. Enfin, il a publié plusieurs ouvrages au Brésil : Gammes, rythmes et mélodies dans la musique des Indiens brésiliens ; Musique et musiciens du Brésil ; Cent Cinquante Ans de musique au Brésil (1800-1950). CORRETTE (Michel), organiste, compositeur et pédagogue français (Rouen 1709 - Paris 1795). Fils de Gaspard Corrette, qui publia en 1703 une messe pour orgue, il reçut de son père une formation d’organiste qui lui permit d’occuper plusieurs tribunes à Paris : en 1726, celle de Sainte-Marie-en- la-Cité ; en 1737, celle du grand prieur de downloadModeText.vue.download 266 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 260 France ; en 1750, celle des jésuites de la rue Saint-Antoine ; en 1759, celle du prince de Condé ; et, en 1780, celle du duc d’Angoulême. Ces postes allaient le conduire à écrire deux livres d’orgue (1737, 1750) et de nombreuses pièces, qui tantôt s’inscrivent dans la tradition, avec des préludes ornementés ou des versets fugués, tantôt témoignent du goût de l’époque, avec les concertos de symphonie ou les musettes. Corrette se tourna également vers la musique profane et composa, à partir de 1733, des vaudevilles pour les spectacles des foires de Saint-Laurent et Saint-Germain. Il s’intéressa aussi à des instruments divers, en leur consacrant des ouvrages pédagogiques, publiés entre 1738 et 1784, et en recherchant dans ses oeuvres de nouvelles combinaisons de timbres : il mêla aux cordes, dans ses concertos comiques qui comptent parmi les premiers concertos écrits pour instruments à vent - des flûtes, des hautbois, des musettes ou des vielles. Il manifesta un même souci de variété dans ses sources d’inspiration : il ne se contenta pas, comme beaucoup de ses contemporains, de puiser dans des modèles italiens, mais il sut aussi faire appel à des thèmes choisis dans des chansons populaires ou dans des noëls. CORTECCIA (Francesco), compositeur italien (Florence 1502 - id. 1571). Ordonné prêtre, il s’installe à Florence, où il est nommé organiste de San Lorenzo en 1531 et, plus tard, maître de chapelle à la même église (1542). Entre-temps il entre au service de Cosme Ier de Médicis, en 1539, comme maître de chapelle et compositeur de la Cour, poste qu’il réussit à garder jusquà sa mort. Francesco Corteccia est un compositeur loin d’être insignifiant. Doué d’un sens dramatique toujours en éveil, il a contribué à l’éclosion de la monodie accompagnée, écrivant des intermèdes musicaux pour des pièces de théâtre (Il Commodo de A. Landi, Il Furio, La Cofanario de F. d’Ambra). Il a publié à Venise deux livres de madrigaux à 4 voix (1544-1547) et d’autres à 6 voix (1547). Dans le domaine de la musique religieuse, il a composé deux livres de respons à 4 voix (Venise, 1570), des psaumes et deux livres de motets à 5 et à 6 voix (Venise, 1571). Plus intéressantes encore sans doute sont ses deux passions (Passio secundum Joannem, 1527 ; Passio secundum Matthaeum, 1532), le récit étant déclamé sans musique par le testo et commenté par des choeurs à 4 voix, harmonisé généralement avec simplicité mais d’une expressivité émouvante ; l’écriture homorythmique est au service de la parole. Ces deux oratorios comptent parmi les tout premiers en Italie. CORTÈGE. Variété de marche instrumentale ayant un caractère aristocratique (Cortège solennel pour orchestre de Glazounov) ou visant à parodier ce caractère (Cortège burlesque pour piano à 4 mains de Chabrier). CORTOT (Alfred), pianiste, chef d’orchestre et pédagogue français (Nyon, Suisse, 1877 - Lausanne 1962). Né d’un père français et d’une mère suisse, il commença l’étude du piano avec ses soeurs, et eut l’occasion d’entendre jouer Clara Schumann. Il entra au Conservatoire de Paris dans les classes d’Émile Decombes (qui avait reçu les conseils de Chopin) et de Louis Diémer pour le piano, de Raoul Pugno et de Xavier Leroux pour l’écriture. Il obtint son premier prix de piano en 1896. Fervent wagnérien, il fut chef de chant à Bayreuth et, dans le cadre d’une Société des festivals lyriques qu’il avait fondée, dirigea en 1902 à Paris, en première audition, Tristan et Isolde et le Crépuscule des dieux. L’échec financier de ces exécutions l’obligea à reprendre ses activités de pianiste, mais non à renoncer à la direction d’orchestre et à l’organisation de concerts : il fonda en 1903 l’Association des concerts Cortot et y donna les premières auditions à Paris de la Missa solemnis de Beethoven, de Parsifal de Wagner, de la Légende de sainte Élisabeth, du Requiem allemand de Brahms, de mélodies de Moussorgski, mais aussi d’oeuvres de D’Indy, Chausson, Lekeu, Magnard, Roussel, Ladmirault, etc. En 1905, il forma avec le violoniste Jacques Thibaud et le violoncelliste Pablo Casals un trio demeuré fameux ; il joua aussi beaucoup en duo avec Casals et plus encore avec Thibaud. De 1907 à 1917, il fut professeur de piano au Conservatoire de Paris. En 1918, il fonda, avec A. Mangeot, l’École normale de musique, en demeura longtemps le directeur et y donna des cours d’interprétation réputés où il eut notamment pour disciples Dinu Lipatti, Clara Haskil, Magda Tagliaferro, Yvonne Lefébure, Vlado Perlemuter et Samson François. Il donna son dernier concert à Prades en 1958, avec Pablo Casals. Ce grand ambassadeur de l’art français a mérité plus qu’aucun autre d’être appelé un « poète du piano ». Ses interprétations, servies par un toucher admirable, par une sonorité très particulière, liquide, profonde, sans dureté même dans la plus grande force, étaient le reflet d’un véritable univers spirituel, d’une ample vision d’humaniste, le fruit d’une profonde réflexion parcourue d’intuitions qui donnaient à son phrasé un tour très personnel. Son répertoire était vaste, mais son jeu s’accordait particulièrement à la musique de Chopin, Schumann, Liszt et Debussy. Sa pédagogie s’orientait beaucoup plus vers une compréhension profonde des oeuvres que vers la technique pure ou vers des recettes d’exécution. Elle rattachait sans cesse une analyse précise à un vaste contexte esthétique. On en trouve l’image dans le Cours d’interprétation recueilli par Jeanne Thieffry (2 vol., Paris, 1934), mais aussi dans des ouvrages écrits par Cortot lui-même d’une plume brillante : la Musique française de piano (3 vol., Paris, 1930-1932), Aspects de Chopin (Paris, 1949). Cortot a également laissé des éditions de travail d’oeuvres de Chopin, Schumann, Franck, etc. COSSET (François, appelé parfois COSSETTE ou COZETTE), compositeur français (Saint-Quentin v. 1610 - id. ? v. 1673). Il fit toute sa carrière dans des maîtrises, soit comme enfant de choeur, soit comme sous-maître ou maître. À la mort de Veillot en 1643, il fut nommé chef de la maîtrise de Notre-Dame de Paris. Il démissionna de ce poste en 1646 à la suite de critiques formulées par la reine à son égard au sujet d’une mauvaise exécution d’un Te Deum. Il revint à Reims, reprenant en 1650 son poste de maître de chapelle avant d’être nommé à Amiens pour diriger la maîtrise de la cathédrale. En 1664, il était à SaintQuentin et se consacra à la composition. L’oeuvre de François Cosset, uniquement religieuse, est fondée sur une écriture en contrepoint stricte, respectant le style palestrinien, notamment, dans les huit messes pour solos et choeurs à 4, 5 et 6 voix conservées, où elle est sans accompagnement instrumental. COSTE (Napoléon), guitariste et compositeur français ( ?, département du Doubs, 1806 - Paris 1883). Parallèlement à une carrière de virtuose, il étudia à fond la composition musicale à Paris, où il se fixa en 1830. Son oeuvre compte plus de 70 pièces pour la guitare, d’une écriture brillante et très marquée par l’esthétique à la mode à la fin du XIXe siècle. S’attachant également à améliorer les possibilités de son instrument il y ajouta une septième corde (ré grave), qui ne fut cependant pas conservée après lui. COSTELEY (Guillaume), compositeur français (Pont-Audemer [ ?] v. 1531 Évreux 1606). Organiste et valet de chambre du roi Charles IX à partir de 1560, puis d’Henri III, il fit partie du cercle humaniste de la comtesse de Retz et se lia d’amitié avec J. A. de Baïf et R. Belleau. Il appartint donc au mouvement qui allait aboutir à la création de l’Académie de musique et de poésie en 1570 et s’attacher plus spécialement à faire revivre l’éthos de la musique et ses effets. Retiré dès 1570 à Évreux, Costeley y fonda en 1575 un puy, ou concours de composition, mais ses liens avec la Cour se maintinrent puisque, en 1599, il était encore qualifié de « conseiller du roi ». Curieusement, on ne possède de cet organiste qu’une fantaisie pour clavier (« Sus downloadModeText.vue.download 267 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 261 orgue ou espinette »). Le recueil Musique, qu’il publia chez Le Roy et Ballard en 1570 - contenant 103 chansons destinées surtout à mettre en valeur la rare étendue des chanteurs du roi -, témoigne de l’élégance et du charme de son style pour ne citer que la plus célèbre d’entre elles, Mignonne, allons voir si la rose (Ronsard). Costeley affectionna l’écriture verticale comme en témoigne l’alternance d’homophonie et de polyphonie dans Mignonne ou Allez mes premiers amours, premier pas vers la conquête du sentiment harmonique - admirablement démontré dans Mignonne avec l’entrée tardive de la basse sur « Las ! Voyez comme en peu d’espace » - et, qui, dans le cas, souligne le sens du texte et la progression de la pensée. Il tenta aussi, avec Seigneur Dieu ta pitié, une incursion dans le domaine de la musique non diatonique (il préconisa les tiers de tons non seulement pour les voix, mais aussi pour les instruments) et annonça déjà l’air de cour par une vingtaine de chansons strophiques « en forme d’air », genre qui se répandit dans la seconde moitié du XVIe siècle (P. Bonnet, J. Planson), sous l’influence des nouvelles formes poétiques. COTILLON. Danse ancienne caractérisée, comme le branle, par le déplacement latéral des pieds. Le cotillon réunissait quatre ou huit danseurs et comportait souvent des scènes mimées ajoutées aux figures classiques. Quand il fut passé de mode, vers la fin de l’Ancien Régime, son nom fut donné à la simple farandole qui, comme lui, servait de conclusion aux bals de société. COTTE (Roger), musicologue et organologue français (Clamart 1921). Il fit ses études musicales au Conservatoire de Paris, entre 1940 et 1948, avec G. Crunelle (flûte), Samuel-Rousseau (harmonie et contrepoint), P. Brunold (organologie), et passa en 1961 son doctorat de musicologie à la Sorbonne, sous la direction de J. Chailley. Chef du Groupe d’instruments anciens de Paris depuis 1953, il a été nommé, en 1957, professeur à la Schola cantorum et a été directeur du laboratoire de musicologie de la Sorbonne. Ses recherches et ses interprétations ont concerné essentiellement Rousseau (enregistrement du Devin du village), la musique maçonnique (Mozart, Beethoven, Himmel, Taskin), sur laquelle il a écrit plusieurs études, et les instruments, notamment la flûte à bec, pour laquelle il a enregistré une méthode par le disque (1973). COULÉ. Ornement des XVIIe et XVIIIe siècles, instrumental ou vocal, qui indique une succession rapide de notes. Le plus utilisé est la tierce coulée, qui est souvent signalée par une petite barre oblique entre les deux notes concernées d’un accord. Cet ornement, joué en général avant le temps et dans les morceaux de caractère gracieux, fut très en usage dans les pièces de clavecin de F. Couperin. Pour indiquer le coulé, on peut aussi écrire les notes à jouer, en petits caractères, mais le signe habituel lui est néanmoins préférable. COULISSE. Partie mobile du tube, en forme d’« U », que l’on rencontre dans certains instruments à vent, en particulier le trombone, et qui, s’actionnant d’avant en arrière, détermine un allongement ou un raccourcissement de la colonne d’air et, par là même, une variation de la hauteur du son. COUP D’ARCHET. Il indique, dans le jeu des instruments à cordes frottées, les différentes manières de mouvoir l’archet sur la corde, à l’endroit correct, dans la direction et à la vitesse prescrites, et avec la pression nécessaire. Le mouvement d’archet qui va du talon à la pointe est appelé « tiré » (que l’on note par le signe U) et celui qui va de la pointe au talon « poussé » (V). Les principaux coups d’archet sont le détaché, le legato, le martelé, le sautillé, le spiccato, le staccato, le staccato à ricochet, le staccato volant, etc. Lorsqu’une partition ne porte pas d’indications assez précises, les instrumentistes à cordes d’un orchestre de chambre ou d’un orchestre symphonique doivent se mettre d’accord sur les coups d’archet, pour obtenir une interprétation homogène. COUP DE GLOTTE. En technique vocale, geste physiologique qui provoque l’expulsion de l’air et la naissance du son par l’écartement des cordes vocales et l’ouverture de la glotte. Il était, en général, recommandé par les maîtres italiens et français et il est parfaitement analysé et décrit dans les traités de Garcia et de Faure au XIXe siècle. Ce geste doit naturellement s’exécuter avec souplesse et sans donner à l’auditeur l’impression que la voyelle est précédée d’un « H ». C’est seulement dans le cas de cette exagération (ce que les maîtres anciens appelaient hoquet, ou coup de poitrine) qu’il a pu acquérir une nuance péjorative sous la plume de certains théoriciens, qui commettent ainsi une transgression de vocabulaire sans remettre en cause ce principe physiologique. COUP DE LANGUE. Procédé d’émission commun à tous les instruments à vent occidentaux, les « bois » comme les « cuivres ». La langue de l’exécutant, poussée vers l’avant de manière à obturer hermétiquement l’ouverture des lèvres, est brusquement retirée vers l’arrière, selon une comparaison couramment utilisée, comme pour recracher un bout de fil, libérant l’air sous pression fourni par les poumons. Le coup de langue est utilisé pour le jeu staccato. COUPERIN (dynastie des).ESD Elle a souvent été comparée à la dynastie allemande des Bach. Le rapprochement est d’autant plus séduisant que le plus ancien musicien connu du nom de Couperin, Mathurin, fut contemporain de Veit Bach († 1619), le meunier mélomane, arrière-arrière-grand-père de Jean-Sébastien, tandis que Céleste Couperin, organiste et professeur de piano, s’éteignit en 1860, quinze ans après la mort de Wilhelm Friedrich Ernst Bach. Les deux dynasties ont la même durée, la même ascension et culminent presque au même moment. La musique remonte beaucoup plus loin chez les Couperin qu’on ne le croyait encore récemment. Mathurin Couperin (1569-1640), « laboureur » et « procureur » à Beauvoir, petit village de la Brie, possédait le titre de « maître joueur d’instruments », qui allait passer à son fils Charles. L’inventaire après décès de celuici montre, chez un simple « tailleur d’habits » à Chaumes-en-Brie, de nombreux instruments de musique : violons, violes, flûtes, hautbois, qui laissent supposer une pratique musicale de quelque importance. Des mariages attestent tout un réseau d’alliances avec des musiciens, et une vie artistique étonnamment intense dans ce milieu de paysans, artisans et hommes de loi à l’échelle d’une bourgade de province. Trois fils de Charles I Couperin, Louis, François I et Charles II, découverts par le claveciniste de la Cour Jacques Champion de Chambonnières, opèrent la « muta- tion » et adoptent l’état de musiciens professionnels. Louis Couperin (Chaumes-en-Brie 1626 Paris 1661). Installé à Paris vers 1650 à la suite de Chambonnières, il est nommé violiste de la Chambre du roi et titulaire de l’orgue de Saint-Gervais en 1653 (cet instrument restera dans la famille jusqu’en 1830). Pressenti pour occuper la charge de claveciniste de la Chambre, il se récuse pour ne pas porter tort à son bienfaiteur Chambonnières, et est nommé ordinaire de la Chambre pour la viole, et comme tel accompagne les ballets de cour. À sa connaissance du style français, L. Couperin joint très vite celle de la manière italienne, qu’il a acquise, semble-t-il, au contact de Froberger (à Paris en 1652). Auteur de 130 pièces de clavecin et de quelque 70 pièces d’orgue découvertes en 1957 et enfin entièrement livrées au public, de Fantaisies pour les violes, de 3 Fantaisies en trio, il a écrit une musique d’une grande audace downloadModeText.vue.download 268 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 262 harmonique et d’un lyrisme contenu. Les pièces d’orgues découvertes ont révolutionné l’histoire de cet instrument en France, et font de Louis Couperin le trait d’union qui manquait entre Titelouze et Nivers. Préludes non mesurés à la manière des luthistes français côtoient des pièces à la manière de Frescobaldi, des pièces de danse pour le clavecin, des fugues et fantaisies pour l’orgue, qui témoignent, avant son neveu François II Couperin, du souci d’allier les « goûts » français et italien. Il meurt en 1661, à trente-cinq ans. François I Couperin (Chaumes-en-Brie 1630 - Paris 1701). Frère du précédent, bon pédagogue, il ne semble pas avoir laissé de compositions, et a été écarté de la succession à l’orgue de Saint-Gervais. Charles II Couperin (Chaumes-en-Brie 1638 - Paris 1679). Frère des précédents, il semble avoir rejoint son frère et avoir eu très tôt une charge à la Cour (il est violiste dans le Ballet de la raillerie en 1659). À la mort de Louis, il lui succède à l’orgue de Saint-Gervais (1661) et meurt en 1679 sans laisser de compositions. Il est le premier Couperin à s’être fait appeler « sieur de Crouilly », du nom d’une terre familiale près de Beauvoir, titre que reprend son fils François II. Marc-Roger Normand (1663-1734), cousin des précédents, organiste à Turin. La génération suivante est représentée, outre François II Couperin, dit LE GRAND (1668-1733), par le fils de François I. Nicolas Couperin (1680-1748). Musicien du comte de Toulouse, il prend la succession de François II, son cousin, à l’orgue de Saint-Gervais. Sa soeur aînée, Marguerite-Louise Couperin (1676-1728), a été une chanteuse réputée, à laquelle son cousin François II dédie une partie de ses motets pour la chapelle de Versailles. La troisième génération des Couperin musiciens comprend : Armand-Louis Couperin (1727-1789), fils du précédent, organiste de Saint-Gervais et de plusieurs autres églises de Paris, dont Notre-Dame pour un quartier. Il laisse des pièces pour clavecin avec accompagnement de violon, des sonates en trio, des motets, une cantate. Il a épousé la fille du facteur de clavecins Blanchet. Des quatre enfants de François II, la fille aînée, Marie-Madeleine Couperin (1690-1742), a été religieuse et organiste de l’abbaye de Maubuisson, et la cadette, Marguerite-Antoinette Couperin (1705-1778), claveciniste de la Cour et maître de clavecin des Enfants de France (les filles de Louis XV en particulier). On louait beaucoup son jeu « savant et brillant ». Les deux fils, l’un mort en bas âge et l’autre ayant rompu ses attaches avec sa famille (François-Laurent, encore vivant à Montauban en 1740), joints aux deux filles célibataires, laissent s’éteindre la filiation de François Couperin le Grand. La cinquième génération est donc constituée de la seule filiation d’ArmandLouis Couperin : Pierre-Louis Couperin (v. 1755-1789), organiste, qui succède à son père, et Gervais-François Couperin (1759-1826), qui tient à son tour l’orgue de Saint-Gervais. Il laisse une symphonie, des pièces pour le clavecin et le piano, des romances. La dernière génération est représentée par Céleste Couperin (1793-1860), fille du précédent, qui tient l’orgue de ses ancêtres jusqu’en 1830 et meurt dans la misère. COUPERIN (François, dit François II, LE GRAND), compositeur français (Paris 1668 id. 1733). Unique fils de Charles Couperin, orphelin à l’âge de onze ans, il fut élevé par sa mère, qui confia son éducation musicale à Jacques Thomelin, organiste de SaintJacques-la-Boucherie. Les minutes du conseil de fabrique de l’église Saint-Gervais nous apprennent que M. R. Delalande assura l’intérim de la charge d’organiste, que François Couperin occupa de fait dès 1685, et qu’il conserva jusqu’en 1723. En 1689, il épousa Marie-Anne Ansault, dont il eut quatre enfants : Marie-Madeleine (1690-1742), religieuse et organiste à l’abbaye de Maubuisson (soeur Marie-Cécile) ; François-Laurent ( ? - vivant en 1747), qui disparut et sembla avoir mené une vie errante ; Marguerite-Antoinette (17051778), claveciniste de la Chambre du roi et maître de clavecin des Enfants de France ; et Nicolas-Louis (1707- ?), mort sans doute en bas âge. François Couperin obtint en 1790 le privilège pour un Livre d’orgue consistant en deux messes, qui ne furent pas imprimées, mais diffusées en manuscrit. Vers 1692-93, il composa ses premières sonates, dans la manière italienne : la Steinquerque et la Française, qui furent diffusées sous un pseudonyme italien, dans les milieux italianisants de la capitale. En 1693, à la mort de son maître Thomelin, il obtint par concours le poste d’organiste de la chapelle royale pour le quartier de janvier, charge qu’il conserva jusqu’en 1730. Il composa divers motets pour petits ensembles destinés à la chapelle royale, dont certains furent imprimés « de l’ordre du Roy » (1703 à 1705) et quelques-uns destinés à sa cousine Marguerite-Louise, chanteuse réputée et membre de la musique de la Cour. « Professeur-maître de clavecin » du Dauphin (duc de Bourgogne), il enseigna la musique à plusieurs enfants de la famille royale, ainsi que, quelque temps, à la jeune infante passagèrement fiancée à Louis XV. Dès 1707, quelques pièces de clavecin furent publiées par Ballard dans des recueils collectifs, mais son premier livre parut en 1713 seulement, succédant à de nombreuses publications similaires, notamment au premier livre de Rameau (1706). En 1714-15, il publia les Leçons de ténèbres pour le mercredy, annonçant la parution de deux autres séries (pour le jeudi et le vendredi), qui ne virent jamais le jour. Vers la fin du règne de Louis XIV, sa musique de chambre, délaissant l’italianisme des premières sonates, s’orienta vers la forme de la suite française, dans les Concerts royaux composés pour le roi, puis dans les Goûts réunis. Après l’Art de toucher le clavecin (1716), où il donna, non sans désordre, mais avec finesse, ses conseils de pédagogue, il publia trois nouveaux livres de clavecin (1717, 1722, 1730), réédita ses sonates en les complétant d’une suite, sous le nouveau titre des Nations : à l’italianisme de la première partie fit place un style synthétique où le « goût italien » et le « goût français » se conjuguaient. Sa dernière oeuvre dans ce domaine consistait en deux Suites pour les violes. François Couperin semblait de santé délicate, voire maladive, et ne cessa de s’en plaindre. Nous savons peu de choses sur sa vie intime et sa personne, qui paraît être restée très secrète. Brillant jeune musicien, qui publia à vingt-deux ans un chef-d’oeuvre (les Messes d’orgue), il appartint à l’avant-garde italianisante (ses sonates furent les premières composées en France à la manière de Corelli). Occupant à vingt-cinq ans d’importantes charges à la Cour, chevalier de l’ordre de Latran (1702), respecté et honoré, il fit cependant une carrière moins brillante qu’il ne paraît : modestie ou maladie, il resta en retrait. Il abandonna ses diverses charges (1723, Saint-Gervais, 1730, organiste et claveciniste du roi), et ses dernières années semblent avoir été douloureuses. L’ensemble de son oeuvre porte une double marque : d’une part, l’héritage de la tradition française, par l’intermédiaire de ses maîtres organistes (Thomelin, sans doute Delalande), de son oncle François, des clavecinistes issus, comme son père et ses oncles, de l’enseignement de Chambonnières, et aussi de l’opéra, dont sa bibliothèque contenait maints volumes ; d’autre part, la tradition italienne, qu’il connut très tôt dans les cercles italianisants de la capitale (SaintAndré-des-Arcs ?). Ces deux apports, d’abord assez distincts (tradition française dans les messes, tradition italienne dans les sonates et la plupart des motets), se rejoignent dans une tentative consciente de synthèse : certaines oeuvres (les Goûts réunis, l’Apothéose de Lully) se présentent comme des « manifestes » de l’alliance des styles, tandis que l’oeuvre pour clavecin les mêle ou les juxtapose tour à tour. À la tradition française, Couperin emprunte l’élégance mélodique, le goût de la danse, l’ornementation, tandis que l’Italie lui insdownloadModeText.vue.download 269 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 263 pire une carrure, un goût de la symétrie, l’emploi, discret mais caractéristique, du chromatisme, et maintes formules instrumentales. Les Messes d’orgue, écrites à l’âge de vingt ans, manifestent des dons éclatants. Elles se plient aisément aux contraintes du règlement très strict de l’archevêché de Paris (1662) et à celles de la tradition française, issue tant du style contrepointé de Titelouze que de celui, plus léger et plus mélodique, de Lebègue ou de Nivers. Couperin fait alterner les versets polyphoniques sur thème de plain-chant à la basse ou en taille (kyrie, et in terra pax, sanctus, agnus Dei) et des pièces libres : duos, trios, basses de trompette ou de chromhorne, dialogues. L’offertoire de la Messe des paroisses est un grand triptyque, qui allie un mouvement lent d’ouverture, un ricercar au contrepoint hardi et un mouvement de gigue. La Messe des paroisses est d’un ton plus solennel et d’une écriture plus ample, la Messe des couvents, plus intime quoique plus mondaine de ton. La musique vocale sacrée constitue une part non négligeable de l’oeuvre de Couperin, en grande partie manuscrite. Les Motets de l’ordre du roy manifestent un goût très vif des effets vocaux et instrumentaux venus d’Italie et un sens quasi impressionniste du coloris instrumental. Les deux recueils manuscrits de Versailles et du comte de Toulouse comportent des pièces diverses à 1, 2 et 3 voix, moins mondaines, souvent d’une inspiration religieuse très douce, tendre, d’une émotion voilée. L’oeuvre religieuse culmine avec les trois Leçons de ténèbres à 1 et 2 voix, où la tradition française issue de Lambert et de Charpentier (alliant le récitatif à un art vocal très orné issu de l’air de cour) se tempère en un remarquable équilibre. La musique vocale profane, en l’absence des cantates perdues (Ariane abandonnée), se réduit à quelques vaudevilles, brunettes et canons ; seule, la brunette Zéphire, modère en ces lieux, avec ses 5 variations, dans le style de l’air de cour, a quelque ampleur. La musique de chambre, pratiquée par Couperin tout au long de sa vie, suit une évolution très marquée. Les premières sonates en trio sont construites sur le modèle italien, et font alterner les mouvements lents et vifs de la sonata da chiesa. Un peu courtes d’inspiration dans les débuts, elles prennent plus d’ampleur avec la Sultane (à 4 parties), avec l’Impériale et avec l’Apothéose de Corelli : écriture en imitation, mouvements lents avec basse mélodique, embryons d’écriture concertante (la Sultane), avec par instants de brefs mouvements chantants d’inspiration française. Les Concerts royaux marquent une mutation : c’est la suite chorégraphique à la française qui apparaît, tandis que les Goûts réunis tentent une synthèse des deux « manières », tantôt alternées (8e concert « dans le goût théâtral », plus nettement français, 9e concert Il Ritratto dell’amore, reprenant la sonate italienne), tantôt fondues. Les 11e et 12e concerts, à deux violes, annoncent le recueil des Pièces pour violes, constitué de deux suites, l’une constituée des danses habituelles, l’autre de mouvements de sonate italienne encadrant une émouvante Pompe funèbre. L’Apothéose de Corelli est une ample sonate à l’italienne, dont les mouvements sont pourvus de titres, tandis que l’Apothéose de Lully est une véritable pièce à programme, décrivant avec humour l’arrivée du musicien au Parnasse, et qui s’achève par la Paix du Parnasse, sonate à 3, consacrant l’alliance des goûts français et italien. L’oeuvre de clavecin, répartie en 4 livres, groupe 240 pièces en 27 ordres : forme d’une extrême liberté, initialement inspirée de la suite, mais qui, très vite, n’a d’autre unité que celle de la tonalité et surtout d’une atmosphère particulière à chacun. L’évolution est assez nette. Le Premier Livre (1713), constitué sans doute de pièces plus ou moins anciennes, est plus disparate. Au Deuxième (1717), l’étoffe se resserre : c’est une série plus grave, parfois sévère. Le Troisième (1722) est plus poétique, plus léger, glissant souvent vers l’humour, qui culmine au début du Quatrième (1730) pour laisser place, dans les 4 derniers ordres, à un ton douloureux, parfois amer, et qui a presque complètement abandonné les anciennes formes de danse. La plus grande partie de ces pièces est pourvue de titres, parfois délicats à interpréter. Certains sont des dédicaces (à des amateurs : la Villers ; à des musiciens : la Forqueray, la Garnier ; à des élèves : la Conti, la Méneton, etc.) ; d’autres paraissent être des portraits, sans qu’il soit toujours possible de le déterminer avec certitude. Quelques pièces sont des « tableaux de genre « : les Vendangeurs, les Petits Moulins à vent. D’autres titres, au contraire, qualifient la musique elle-même : la Séduisante, la Lugubre, la Ténébreuse, ou en indiquent le ton : la Petite Pince-sans-rire, les Langueurs tendres, le style (la Harpée, les Grâces naturelles) ou l’écriture (les Tours de passe-passe). Certaines pièces, mais très peu, sont des pièces à programme (les Fastes de la grande et ancienne ménestrandise). Sous le titre se cache souvent une pièce de musique pure (les Folies françaises sont une série de variations dans le style de la Folia), et telle pièce n’est, malgré son « sujet » apparent, qu’une petite toccata dans le style des clavecinistes italiens (les Tic-toc-chocs, le Réveil-Matin). La forme des pièces affecte soit la structure binaire issue de la danse, soit le rondeau, parfois des structures plus complexes (rondeau double, ou mélange des deux formes). L’écriture est extrêmement variée, tantôt simple et harmonique, tantôt savamment contrepointée et utilisant librement l’imitation. L’ornementation brillante et notée avec précision est typiquement française (trilles, pincés, ports-de-voix, coulés, aspirations), tandis que la complexité de l’harmonie et l’usage discret du chromatisme, quelques basses obstinées ou basses d’Alberti rappellent l’écriture italienne - les deux manières étant plus savamment mêlées que dans la musique de chambre de Couperin. Plus encore que dans le reste de son oeuvre, il est, ici, novateur et distance ses modèles, Chambonnières, L. Couperin, Marchand. Et, mieux qu’ailleurs, dans cette synthèse parfaitement aboutie, apparaît un musicien sensible, tendre, dont l’humour cache souvent une secrète, mais profonde, mélancolie. COUPLET. Dans l’acception courante, d’origine d’ail- leurs fort ancienne, c’est le terme correspondant, en musique, à celui de strophe en poésie, c’est-à-dire, dans la chanson, l’élément de renouvellement laissant apparaître des textes différents sous une même mélodie et alternant avec un refrain dont musique et texte sont fixes. Dans la musique instrumentale des XVIIe et XVIIIe siècles et, spécialement, dans les pièces pour clavecin, le mot prend un sens plus particulier, mais dérivé du précédent : il désigne une variation, un retour orné, agrémenté, du thème principal, apparaissant entre deux rondeaux qui sont l’équivalent du refrain. COURANTE (ital. corrente). Danse dont l’origine - italienne ou française - remonte au XVIe siècle ; avec l’allemande, la sarabande et la gigue, elle prend la deuxième place dans la suite instrumentale classique. Elle est d’abord à deux temps rapides, au XVIe siècle en France, et c’est ainsi qu’elle est décrite par Th. Arbeau (Orchésographie, 1588), avant d’adopter un tempo plus modéré au siècle suivant, pour devenir une danse de cour extrêmement populaire sous Louis XIV, cette fois à trois temps (3/2 ou 6/4) et d’une allure plus aristocratique. La forme en est généralement binaire avec une reprise de chaque section. En Italie, la corrente choisit un rythme ternaire, un tempo rapide (3/8 ou 3/4) et une écriture plus simple et régulière que dans la courante française, plus gracieuse et contrapuntique. On trouve de nombreux exemples des courantes, d’abord chez les luthistes, puis dans les suites des maîtres français du clavecin (Chambonnières, d’Anglebert, les deux Couperin, Froberger). Chez J. S. Bach, on constate l’emploi du type français ; G. F. Haendel, en revanche, a eu recours aux deux styles. downloadModeText.vue.download 270 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 264 COURAUD (Marcel), chef d’orchestre et chef de choeur français (Limoges 1912 Paris 1986). Il fit ses études à l’École normale de musique et prit des cours d’orgue avec André Marchal. En 1944, il fonda l’ensemble vocal Marcel-Couraud avec lequel il exécuta et enregistra des chansons et des madrigaux de la Renaissance (Lassus, Costeley, Janequin, Monteverdi) et des oeuvres contemporaines, notamment les Trois Petites Liturgies de la présence divine de Messiaen. En 1967, il fut nommé chef des choeurs de l’O. R. T. F. et, l’année suivante, il y créait l’ensemble des douze solistes des choeurs de l’O. R. T. F. avec lesquels il se consacra principalement à l’étude du répertoire contemporain. Leur répertoire comprenait, entre autres, les Cinq Rechants de Messiaen, le Dodécaméron d’Ivo Malec, le Récitatif, air et variations de Gilbert Amy, Nuits de Xenakis et la Sonate à douze de Betsy Jolas. Couraud a également enregistré des choeurs de Brahms avec l’Ensemble vocal de Stuttgart et a publié à l’intention des chefs de choeur des Cahiers de polyphonies vocales. COURVILLE (Joachim Thibaut de), compositeur, chanteur et instrumentiste français (Paris 1581 - ?). Il tenait à la cour le poste de joueur de lyre. En 1570, il fonda avec J.-A. de Baïf l’Académie de poésie et de musique, à laquelle appartenaient également les compositeurs Cl. Le Jeune et J. Mauduit. Le musicien et le poète tentèrent de réussir une harmonie parfaite entre les deux arts. Malheureusement, très peu d’oeuvres de Thibaut de Courville subsistent : trois airs dans le livre d’Airs mis en musique de son élève italien F. Caietain et cinq pièces strophiques pour voix et luth insérées dans les recueils de G. Bataille (début du XVIe s.). Deux d’entre elles, sur des poèmes de Desportes (Si je languis d’un martire incogneu - qui comporte une ornementation vocale virtuose et ressemble ainsi à un « double » - et Sontce dards ou regards), ont été éditées par A. Verchaly (Airs de cour pour voix et luth, Paris, 1961). COUSSEMAKER (Charles, Edmond, Henri de), musicologue français (Bailleul, Nord, 1805 - Lille 1876). Parallèlement à une carrière de magistrat, après quelques essais de composition musicale, il se consacra à des recherches historiques et musicologiques. Il est considéré comme l’un des pionniers de la musicologie médiévale et, aujourd’hui encore, les spécialistes peuvent consulter ses travaux avec profit, au moins sur le plan historique. PRINCIPAUX ÉCRITS : Hucbald, moine de Saint-Amand, et ses traités de musique (Douai, 1841) ; Histoire de l’harmonie au Moyen Âge (Paris, 1852) ; Chants populaires des Flamands de France (Gand, 1856) ; Drames liturgiques du Moyen Âge (Rennes, 1860) ; l’Art harmonique aux XIIe et XIIIe siècles (Paris, 1865) ; OEuvres complètes du trouvère Adam de La Halle (Paris, 1872). COVENT GARDEN. Nom de trois théâtres situés depuis 1732 au même endroit dans Bow Street à Londres, la dénomination provenant de ce qu’auparavant l’emplacement était occupé par le jardin d’un couvent. Dans le premier théâtre, inauguré le 7 décembre 1732 avec la pièce The Way of the World de William Congreve, eut lieu en 1743 la première londonienne du Messie de Haendel. Le 10 décembre 1791, Haydn y vit The Woodman de William Shield et trouva le théâtre « très sombre et très sale, presque aussi grand que le théâtre de la cour (Burgtheater) à Vienne », le public des galeries « très impertinent » et l’orchestre « somnolent ». Ce premier bâtiment brûla en 1808. Inauguré le 18 septembre 1809, le deuxième théâtre vit en 1826 la création mondiale d’Oberon de Weber et devint en 1847 le Théâtre-Italien. Il brûla en mars 1858, et le troisième théâtre ouvrit ses portes le 15 mai suivant avec les Huguenots de Meyerbeer. En 1892, alors que depuis 1888 l’établissement avait à sa tête sir Augustus Harris, Mahler y dirigea pour la première fois un cycle Wagner (dont le Ring) en langue originale, donné par sa troupe de Hambourg. Les années 1930 furent dominées par Beecham, et virent aussi de mémorables représentations dirigées par Furtwaengler, Weingartner et Reiner. Après avoir servi de salle de danse de 1940 à 1945, le théâtre rouvrit en 1946. La salle actuelle compte 2 250 places. Furent notamment créés à Covent Garden, outre Oberon de Weber, The Pilgrim’s Progress de Vaughan Williams (1951), Billy Budd (1951) et Gloriana (1953) de Britten, Troilus and Cressida de Walton (1954), les quatre premiers des cinq opéras de Tippett (de 1955 à 1977), Taverner de Peter Maxwell Davies (1972), We Come to the River de Henze (1976), Sir Gawain de Harrison Birtwistle (1991). COWELL (Henry Dixon), compositeur américain (Menlo Park, Californie, 1897 Shady Hill, New York, 1965). Violoniste, puis pianiste, il s’imposa dans les années 20 comme l’un des principaux représentants, avec Edgar Varèse, Charles Ives et Carl Ruggles, des tendances avantgardistes de la musique de son pays. Dès sa première apparition en public (1912), il fit scandale avec des pièces comme The Tides of Manaunaun, où sont juxtaposés un matériau thématique néoromantique et des notes agglomérées (tone-clusters), obtenues en frappant le clavier de la paume de la main ou de tout l’avant-bras. Il poussa plus loin cette technique dans Advertisement (1914). Mais son élargissement des possibilités du piano ne se limita pas aux clusters : Aeolian Harp (1923), The Banshee (1925) et Sinister Resonance (1925) en utilisent les cordes selon une technique plus ou moins violonistique, et annoncent par là les pièces pour instrument préparé de John Cage. Précurseur original et audacieux, il écrivit un morceau pour piano, Fabric, qui témoigne de l’intérêt que, dès 1914, il porta aux problèmes de rythme : convaincu que les factures polyrythmiques qu’il envisageait dépassaient les capacités humaines, il conçut et construisit, en collaboration avec Léon Theremine, un instrument à clavier-percussion pouvant produire les combinaisons rythmiques les plus complexes, le rythmicon, et l’utilisa en combinaison avec l’orchestre, en particulier dans Rhytmicana (1931). Il fut également, avec ce qu’il appela la « forme élastique », un pionnier de l’aléatoire : ainsi dans Mosaic (1934), troisième de ses cinq quatuors à cordes. Ses origines californiennes furent une des raisons de son goût pour les cultures et les musiques de l’Asie, dont il utilisa avec bonheur les rythmes, les échelles, les tournures mélodiques. Il ne négligea pas pour autant le passé musical américain, les vieilles ballades et les anciens airs fugués de la Nouvelle-Angleterre ; dans Tales of our Countryside (1939), ou dans le cycle Hymns and Fuguing Tunes (1944-1964), au style coloré et direct, il chercha à étendre à une forme plus moderne certains éléments de base de cette musique. Cowell fut tantôt un musicien d’avant-garde, tantôt un musicien traditionnel, mais il sut soigneusement séparer ces deux traits de sa personnalité. Ami de Berg et de Bartók, conférencier et pédagogue, Cowell enseigna à la Stanford University, à la New School for Social Research et aux universités de Californie et Columbia : parmi ses élèves, George Gershwin et John Cage. On lui doit quelques écrits, à la tête desquels New Musical Resources (1930, rééd. 1969). Défenseur de la musique d’autrui, il fonda en 1927 New Music Quarterly, société pour la publication d’oeuvres contemporaines - Ives, Ruggles, Thomson, mais aussi Webern et Schönberg -, dont le catalogue fut repris dans les années 60 par Theodor Presser. Sa production relativement abondante comprend notamment vingt symphonies (1918-1965), des pages pour orchestre comme Vestiges (1924), Synchrony (1930) ou Old American Country Set (1937), des concertos (piano, harpe, percussion, harmonica, koto japonais, etc.), de la musique de chambre et vocale, et l’opéra inachevé O’Higgins of Chile (1947). downloadModeText.vue.download 271 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 265 CRAFT (Robert), chef d’orchestre américain (New York 1923). Élève de Pierre Monteux (direction d’orchestre) et de Stravinski (composition), tenu en haute estime par Schönberg, il se fit aux États-Unis le propagandiste le plus efficace de l’école de Vienne et révéla l’oeuvre de Webern à Stravinski, ce qui fut à l’origine de la conversion tardive de l’auteur du Sacre au sérialisme. Comme chef, il fut le premier à enregistrer l’intégrale de la musique de Webern et a gravé également la plus grande partie de celle de Schönberg. Devenu le familier de Stravinski, il a publié avec lui et/ou sur lui Conversations with Igor Stravinsky (1959), Memories and Commentaries (1960), Expositions and Developments (1962), Dialogues and A Diary (1963 et 1968), Themes and Episodes (1967), Retrospectives and Conclusions (1969) et Stravinsky : the Chronicle of a Friendship, 1948-1971 (1972). CRAMER, famille de musiciens allemands établis en Angleterre. Wilhelm (Mannheim 1745 - Londres 1799). Élève de J. Stamitz et de Ch. Can- nabich, il fit partie de l’orchestre de Mannheim et s’installa à Londres en 1773, y menant une double carrière de violoniste et de chef d’orchestre. Dans les années 1780, alors qu’il dirigeait le Professional Concert (en activité de 1783 à 1793), il tenta sans succès de faire venir J. Haydn dans la capitale britannique. Franz, fils du précédent (Schwetzingen 1772 - Londres 1848). Violoniste, il devint en 1837 Master of the King’s Music (« Maître de la musique du roi »). Johann Baptist, frère du précédent (Mannheim 1771 - Kensington, Londres, 1858). Pianiste et compositeur, élève de Samuel Schröter et de Muzio Clementi pour le piano, et de Carl Friedrich Abel pour la théorie, il entreprit dès 1788 une carrière de pianiste international, mais sans cesser de considérer Londres comme son port d’attache. Il fit, à Vienne, la connaissance de Beethoven, qui annota ses Études de sa propre main, et, en 1824, fonda à Londres une maison d’édition. On lui doit 105 sonates, 7 concertos et des pièces diverses pour piano, de la musique de chambre et surtout un ensemble d’études (Grosse praktische Pianoforteschule [1815], « Grande École pratique du piano »), dont beaucoup, en particulier celles sélectionnées par Hans de Bülow, sont toujours utilisées actuellement. CRAMER (Carl Friedrich), écrivain et éditeur allemand (Quedlinburg 1752 - Paris 1807). Professeur de philosophie à Kiel de 1775 à 1794, il dut quitter son poste à cause de ses sympathies pour la Révolution française, et s’établit à Paris. Son Magazin der Musik, une des plus importantes revues musicales de l’époque, parut à Hambourg de 1783 à 1787, puis à Copenhague en 1789. CRAS (Jean), compositeur et marin français (Brest 1879 - id. 1932). Il n’abandonna jamais sa carrière d’officier de marine, atteignant le grade de contreamiral, major général du port de Brest, mais après des études de composition avec Henri Duparc (1901) et d’orgue avec Alexandre Guilmant, il composa aussi souvent que possible : opéra Polyphème (19121918), suite symphonique Journal de bord (1927), Concerto pour piano (1931), mu- sique de chambre et pour piano, mélodies. CRAWFORD-SEEGER (Ruth), femme compositeur et folkloriste américaine (East Liverpool, Ohio, 1901 - Washington 1953). Elle a fait ses études au conservatoire de Chicago, puis à New York avec Charles Seeger, qu’elle épousa en 1931. Installée avec son mari à Washington, en 1935, elle y réalisa, à partir de 1937, plusieurs milliers de transcriptions d’airs populaires américains, d’après des enregistrements de la bibliothèque du Congrès, et composa des accompagnements de piano pour environ 300 d’entre eux, visant ainsi à développer, grâce au folklore, les méthodes d’enseignement musical pour enfants. Comme compositeur, elle a témoigné d’une certaine audace au sein des formes traditionnelles, en particulier par les tournures quasi sérielles de son quatuor à cordes (1931). Outre ses 8 volumes de chants folkloriques, elle a laissé, notamment, une suite pour quintette à vent et piano (1927, 1re audition Cambridge, Mass., 14 déc. 1975), une autre pour piano et cordes (1929), 2 Ricercari pour voix et piano (1932), une suite pour quintette à vent (1952) et des mélodies. CRÉCELLE. Instrument à percussion de la famille des « bois ». À la différence du jouet du même nom, dont le manche est solidaire d’une molette fixe et qu’on fait tourner à la manière d’une fronde, c’est la molette qui tourne, actionnée par une manivelle. L’autre main tient l’instrument et peut faire varier la pression des lames de bois sur la molette. CREDO. Mot initial traditionnel de plusieurs textes latins dits symboles (du grec sun-ballo, « réunir »), destinés à condenser dans le minimum de mots l’essentiel du dogme catholique, en vue de sa mémorisation et de sa récitation. Le plus ancien Credo, dit Symbole des Apôtres, a été l’objet de diverses additions lors des conciles successifs (Nicée 325, Constantinople 380), et, sous cette forme simplifiée, introduit dans l’ordinaire de la messe d’abord sur ordre de Charlemagne dans ses États en 798, puis officiellement au XIe siècle, d’abord récité, puis chanté. Le célébrant chantait l’intonation, les fidèles reprenaient au mot Patrem, de sorte que, dans de nombreuses messes polyphoniques, la musique n’est composée qu’à partir de ce mot. Dans les livres de chant grégorien, le Credo n’est habituellement pas inclus dans les groupements de messes musicales, mais y figure à part ; on lui connaît une dizaine de mélodies, dont 4 seulement sont cataloguées dans les livres usuels (encore la deuxième n’est-elle qu’une variante de la première) ; la troisième n’est pas antérieure au XVe siècle : elle fait sans doute corps avec le Kyrie et le Gloria d’une messe d’origine anglaise dite pour cette raison messe des Angles, ce qu’une déformation populaire a travesti en messe des anges. Le Credo 4 serait, selon certains, la partie de ténor d’une composition polyphonique de l’Ars nova, à 2 ou 3 voix selon les versions. Dans les messes en plain-chant composées au XVIIe siècle par plusieurs maîtres de chapelle (les plus connues sont celles d’Henri Dumont), le Credo est traité au même titre que les autres pièces. L’ancien usage gallican remplaçait credo par le pluriel credimus. En ce qui concerne la polyphonie, avant l’ère de composition des messes unitaires, le Credo (Patrem) a été assez rarement mis en musique avant le XIVe siècle, mais fréquemment depuis cette période. Après quoi, il figure normalement dans la grande majorité des messes polyphoniques, de même que, à partir du XVIIe siècle, dans les messes avec orchestre (à l’exception des messes de requiem) ; il y est parfois découpé, en raison de sa longueur, en plusieurs morceaux successifs, auquel cas, traditionnellement, la musique présente un caractère recueilli à l’approche des mots Et homo factus est, sur lesquels le roi Saint Louis avait introduit l’usage de s’agenouiller, dramatique pour le Crucifixus, triomphant pour Et resurrexit. La conclusion Et vitam venturi saeculi, amen, à partir du XVIIIe siècle, est fréquemment un final fugué, analogue à la péroraison du gloria (Cum sancto spiritu). Dans sa Messe de Gran, Liszt donne un commentaire théologique très personnel en introduisant, contrairement à l’usage, le caractère dramatique de la Crucifixion dès l’annonce de l’Incarnation. Pour adapter le Credo à son usage, la Réforme l’a traduit en strophes de choral (Luther en allemand, Calvin en français après Clément Marot) en s’inspirant de la mélodie du Credo 3. C’est sous cette forme (Wir glauben all in einen Gott) que le Credo prend place parmi les chorals d’orgue de Bach et de ses congénères. downloadModeText.vue.download 272 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 266 CRÉMONE (luthiers de). Ville renommée surtout pour son école de lutherie. C’est là que naquit et travailla le premier des Amati, Andrea (v. 1505-1579) avec ses fils Antonio et Girolamo. Le plus célèbre des Amati fut Nicola, fils de Girolamo, et le maître de Andrea Guarneri, premier nom de cette famille qui atteignit le meilleur d’elle-même avec Bartolomeo Giuseppe, dit « Del Gesù ». Également lié aux Guarneri et l’un des plus grands luthiers italiens, Antonio Stradivari fut aussi élève de Nicola Amati. Crémone possède aujourd’hui une remarquable bibliothèque musicale, léguée par le musicologue Gaetano Cesari. CRÉQUILLON (Thomas), compositeur franco-flamand († Béthune ? 1557). Sa vie est mal connue. Membre de la chapelle bruxelloise de Charles Quint à partir de 1540 environ, chanoine de Termonde, puis de Béthune, il mourut peut-être victime de l’épidémie de peste qui ravagea la ville en 1557. Particulièrement à l’aise dans le genre du motet où s’épanouit son style postjosquinien (il en laissa 116), il aima les développements mesurés, un contrepoint judicieusement aéré, les longues phrases mélodiques, et se soucia du sens du texte. L’écriture de ses chansons, au nombre de 192 (ce nombre, supérieur à celui de ses motets, est un trait remarquable pour un flamand), se ressentit de cette influence. Créquillon écrivit aussi 16 messes, 5 psaumes et des lamentations. CRESCENDO (ital. crescere, « augmenter »). 1. Indication de nuance qui commande l’augmentation progressive de l’intensité sonore, par exemple de piano (p) à fortis- simo (ff), et qui peut aussi bien s’appliquer à quelques notes qu’à un grand nombre de mesures (la totalité de l’oeuvre en ce qui concerne le Boléro de Ravel). Son symbole graphique est un angle aigu couché sous la portée, la pointe du côté gauche (S). Son contraire est decrescendo. Avant que le mot lui-même n’apparaisse dans la terminologie musicale (début XVIIIe s.), l’effet auquel il correspond était employé, désigné dans les partitions par des expressions telles que piano, un poco forte, più forte. 2. Associé à l’opéra italien du début du XIXe siècle, ce terme est devenu synonyme d’un procédé d’orchestre consistant à répéter de nombreuses fois une phrase musicale assez courte (deux ou quatre mesures) ou un fragment de cette même phrase, le crescendo étant obtenu non par l’accroissement de sonorité de chaque exécutant, mais par l’adjonction de nouveaux instruments à chaque répétition du thème. Ce procédé, dont Giuseppe Mosca et Pietro Generali revendiquèrent l’« invention », fut employé avec succès par Mayr et popularisé par Rossini (surnommé « Monsieur Crescendo »), qui l’utilisa non seulement dans ses ouvertures d’opéra (après l’exposition du second thème), mais également dans l’accompagnement orchestral des arias. CRESPIN (Régine), soprano française (Marseille 1927). Elle fait ses études vocales au Conservatoire de Paris où elle obtient des prix d’opéra et d’opéra-comique (1949) et de chant (1950). Après ses débuts à Mulhouse, en 1950, dans le rôle d’Elsa de Lohengrin (Wagner), elle débute à Paris, l’année suivante, successivement dans Tosca de Puccini à l’Opéra-Comique et dans Lohengrin à l’Opéra, où elle chante de nombreux rôles et participe à la création française des Dialogues des carmélites de Poulenc (1957). C’est surtout à partir de 1958 que se développe son importante carrière internationale, qui la conduit notamment à Bayreuth (Kundry dans Parsifal, de 1958 à 1961 ; Sieglinde dans la Walkyrie, 1961) et à Milan (Fedra de Pizzetti, 1959). Dotée d’une voix puissante, mais au timbre plein de charme, Régine Crespin a pu s’imposer aussi bien dans des rôles dramatiques du répertoire italien (Tosca, Amelia d’Un bal masqué de Verdi) que dans les rôles wagnériens et dans l’opéra français (Didon des Troyens, Marguerite de la Damnation de Faust de Berlioz). Sa volonté d’approfondissement du détail des textes et de la psychologie des personnages a fait d’elle aussi l’une des plus subtiles interprètes de la Maréchale dans le Chevalier à la rose de Richard Strauss. Elle a été nommé en 1976 professeur au Conservatoire de Paris. CRESTON (Joseph Guttoveggio, dit Paul), compositeur américain (New York 1906 - San Diego 1985). S’il reçut une solide formation de pianiste et d’organiste (il a été spécialiste de l’orgue de cinéma au temps du muet, puis titulaire pendant trente-trois ans des orgues de l’église Saint-Malachy à New York), il est un autodidacte quant à la composition. Son oeuvre n’en comprend pas moins cinq symphonies (composées entre 1940 et 1955), un poème symphonique (Threnody, 1938), un oratorio, deux messes et de nombreuses pièces instrumentales et vocales, qui se réfèrent volontiers aux sources liturgiques. Paul Creston a également enseigné à Washington à partir de 1967 et a signé deux ouvrages de théorie musicale : Principles of Rhythms (1964) et Creative Harmony (1970). CRINS. Ils forment la mèche de l’archet, dans les instruments à cordes frottées. Ils sont fixés à leur extrémité supérieure dans la tête de la baguette, au moyen d’un coin de bois, et, à leur extrémité inférieure, dans la hausse. Celle-ci, grâce à une vis logée dans le talon, permet de régler la tension de la mèche. Les crins proviennent généralement de la queue d’étalons blancs. On les enduit d’une résine, la colophane. Le frottement des crins sur la corde produit la vibration. CRISTOFORI (Bartolomeo), facteur de clavecins italien (Padoue 1655 - Florence 1731). Après avoir construit des clavecins et des instruments à archet à Padoue, il vécut à Florence, où il fut au service de Ferdinand de Médicis, puis fut conservateur du musée instrumental de Cosme III de Médicis. Il imagina de substituer aux sautereaux du clavecin, qui n’autorisent aucune nuance, des marteaux qui frappaient les cordes plus ou moins fort selon la façon dont étaient attaquées les touches du clavier. Il baptisa gravicembalo col piano e forte cet instrument qui utilisait aussi le principe de l’échappement simple (v. piano) et celui de l’étouffoir. Cristofori est donc, au même titre que l’Allemand Silbermann, l’un des inventeurs du piano-forte, ancêtre du piano moderne. CRITIQUE MUSICALE. Activité littéraire proposant au lecteur une information et une appréciation personnelle relative à un fait musical (concert, enregistrement, parution d’un livre). Selon la nature de l’événement, la compétence ou les préoccupations particulières du critique, mais également selon qu’il s’agit d’un quotidien ou d’une revue spécialisée, la critique musicale entretient des rapports plus ou moins étroits avec le journalisme, la littérature, la musicologie ou l’esthétique. Chacune de ces quatre composantes devrait, par ailleurs, trouver sa place au sein d’un article de critique musicale digne de ce nom. S’il est d’une lecture rebutante, dépourvu de style, que ses références historiques sont hasardeuses ou qu’il se borne à émettre des opinions sans prendre de recul, il manque presque toujours son but. Les contraintes de la presse, qui obligent le plus souvent à écrire rapidement un texte court, rendent difficile l’exercice régulier et persistant d’une critique musicale de qualité. Quoiqu’on puisse trouver quelques précédents au XVIIe siècle dans des journaux tels que le Mercure français, la Gazette de France (qui donna à partir de 1645 des comptes rendus d’opéras, italiens pour la plupart), le Mercure galant (où l’on pouvait lire des « Dialogues sur la musique »), la critique musicale ne prit un véritable développement en France qu’au début du XVIIIe siècle, peut-être à la faveur de la rivalité entre la musique française et downloadModeText.vue.download 273 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 267 la musique italienne. La critique apparut à cette époque également sous forme de livres : Du Bos, dans ses Réflexions critiques sur la peinture et la poésie (1719), réserva une large place à la musique, mais ce fut Le Cerf de la Viéville de Frémeuse (1674-1707) qui lança la critique livresque en 1704, établissant sous forme de dialogues une comparaison entre la musique italienne et la musique française. Le baron Friedrich Melchior von Grimm, qui vécut en France à partir de 1750, s’illustra principalement par des pamphlets : Lettre de M. Grimm sur « Omphale » (1752), le Petit Prophète de Boemischbroda, le Correcteur des Bouffons et la Guerre de l’Opéra (1753), dans lesquels, à l’exception de Lully et de Rameau, il blâmait sévèrement les compositeurs français, ainsi que le public. La Lettre sur la musique (1753) de JeanJacques Rousseau prit parti sans ménagements pour les Italiens, sa Lettre d’un symphoniste reprenait le même sujet sur le mode de l’ironie et lui valut la colère des musiciens de l’Opéra. L’Examen des deux principes avancés par M. Rameau était une dissertation sur des points de théorie, les Fragments d’observations sur l’Alceste de Gluck et l’Extrait d’une réponse du petit faiseur à son prête-nom (sur l’Orphée de Gluck) furent d’excellents exemples de critiques analytiques qui auraient pu être signés par Berlioz. Au XVIIIe siècle, outre le Mercure de France (issu du Mercure galant), deux journaux français réservaient une place importante à la critique musicale : le Spectateur français et le Journal de musique par une Société d’amateurs. Les articles, en règle générale, n’étaient pas signés, tradition qui resta vivace pendant la première moitié du XIXe siècle. Alors que la critique musicale du XVIIIe siècle, à l’exception de quelques polémiques, était restée assez mesurée dans son expression et se bornait le plus souvent à un simple compte rendu, celle du XIXe siècle allait devenir plus littéraire avec des prétentions à la dissertation esthétique. Confrontée à une évolution plus rapide du langage musical, à l’élargissement du public, aux excès délibérés du courant romantique et à la redécouverte progressive de la musique des siècles précédents, la critique musicale se trouva assez rapidement en difficulté. Selon qu’elle attaquait ou qu’elle prônait les artistes novateurs, elle fut bourgeoise et conservatrice ou, beaucoup plus rarement, progressiste. La mode s’en mêlant, il était parfois difficile de discerner la part de jugement personnel du critique. Paradoxalement, certains critiques devaient leur célébrité à des jugements que la postérité n’a pas ratifiés : François-Joseph Fétis (1784-1871), fondateur de la Revue musicale en 1827, ne ménagea pas Berlioz dans sa Biographie universelle des musiciens (1833) ; Paul Scudo (1806-1864) fut un adversaire déclaré de Berlioz, Verdi et Wagner ; Édouard Hanslick (1825-1904) combattit violemment l’esthétique wagnérienne. Il faut reconnaître cependant que Fétis et Hanslick avaient, sur tant de cuistres dont les noms sont aujourd’hui oubliés, la supériorité de posséder une véritable culture musicale sur laquelle se fondait leur appréciation esthétique. Tantôt pour des raisons alimentaires, tantôt parce qu’ils éprouvaient le besoin de s’exprimer sur leur art, un certain nombre de compositeurs du XIXe puis du XXe siècle ont pris la plume du critique : à la suite de E. T. A. Hoffmann, Weber laissa de nombreux écrits sur la musique (critiques, essais, textes analytiques, roman autobiographique), Berlioz signa plus de huit cents feuilletons, dont le style exemplaire, l’originalité et l’abondance des idées témoignèrent de ses dons littéraires évidents dans le Rénovateur, la Gazette musicale, le Journal des débats. Schumann fonda la Nouvelle Revue musicale (Neue Zeitschrift für Musik), en 1834, après que le directeur de l’Allgemeine Musikalische Zeitung lui eut reproché ses éloges trop vifs de Chopin. Certains écrivains, Théophile Gautier, Gérard de Nerval, Baudelaire, exercèrent épisodiquement la fonction de critique musical, mais tandis que des amateurs comme Oscar Comettant, dans le Siècle, Camille Bellaigue dans la Revue des Deux Mondes, Arthur Pougin dans le Ménestrel, jetaient l’anathème sur Bizet, sur Wagner, sur Franck et sur Debussy, il fallait bien reconnaître la supériorité, en matière de critique musicale, de compositeurs comme Ernest Reyer, successeur de Berlioz de 1866 à 1898 au Journal des débats, Camille Saint-Saëns, Gabriel Fauré au Figaro (1903-1921), Claude Debussy dans diverses revues, surtout de 1901 à 1903, puis de 1911 à 1914, Alfred Bruneau dans Gil-Blas, le Figaro et le Matin, Paul Dukas, de 1892 à 1932, dans diverses revues, Florent Schmitt en 1913-14 dans la France et, de 1929 à 1939, dans le Courrier musical et le Temps, Reynaldo Hahn pour le Figaro de 1933 à 1945. Une exception pouvait être faite en faveur de Willy (Gauthiers-Villars) qui, avec la collaboration plus ou moins avouée d’Alfred Ernst et de quelques autres, mettait dans la bouche de l’ouvreuse du cirque d’Été une foule de bons mots en faveur de Debussy, de Wagner et des franckistes, mots fondés sur des remarques techniques dont l’exactitude presque pédante contrastait à merveille avec le ton volontiers gouailleur. Depuis la Seconde Guerre mondiale, le nombre des critiques musicaux-compositeurs a considérablement diminué : l’information semble prendre le pas sur la critique proprement dite, surtout dans le domaine de la création contemporaine. Soucieux de ne pas renouveler les erreurs de leurs prédécesseurs, beaucoup de critiques veulent adopter une attitude « objective », jugeant plus utile de renseigner le lecteur sur la nature d’une oeuvre ou la démarche d’un compositeur que de la louer ou de la blâmer. La critique musicale deviendrait ainsi un facteur d’éducation du grand public. Cette transformation semble due tout autant à des causes extérieures : changement de la conjoncture musicale, évolution du journalisme et élargissement du public, qu’à une modification de la conception que se font les critiques musicaux de la fonction qu’ils exercent. S’il se trouve naturellement parmi eux quelques musiciens, la majorité se compose de mélomanes avertis, dont certains n’ont même aucune pratique musicale ; l’expérience prouve cependant que dans le domaine de la critique l’intuition d’un amateur sensible peut se révéler supérieure aux jugements d’un musicien médiocre. Il n’existe d’ailleurs aucun enseignement destiné à former des critiques musicaux ni aucune réglementation de la profession. Étant donné le très petit nombre de tribunes régulières et convenablement rémunérées, faut-il préciser que beaucoup exercent par ailleurs un second métier et exercent la critique comme un violon d’Ingres ? Les domaines sur lesquels s’exerce la critique musicale tendent à se diversifier. Si la critique de partitions nouvelles, fréquente au XIXe siècle, a été remplacée par celle des disques, des comptes rendus portant sur des expériences pédagogiques s’ajoutent à ceux des concerts, des représentations d’opéras et de livres. Qu’il s’agisse d’oeuvres nouvelles ou de la résurrection d’ouvrages oubliés, le critique sera toujours tenté de se faire prophète ou historien en expliquant si cette musique lui semble viable et dans quel contexte elle se situe. Au contraire, pour les oeuvres du répertoire, on attend du critique qu’il saisisse ce qui fait l’originalité de l’interprétation ou sa supériorité. Pour la représentation d’opéras, le critique doit être à même d’apprécier la valeur d’une mise en scène et connaître les voix. La critique de disques doit tenir compte de certaines données techniques (prise de son, gravure, effets spéciaux). Il va sans dire que c’est seulement dans le domaine de l’exécution qu’il existe une certaine objectivité ; malheureusement, lorsqu’un critique a relevé les fausses notes et autres accidents, beaucoup plus nombreux qu’on ne croit, il n’a fait qu’une toute petite partie de son travail : le reste est presque exclusivement du domaine de la subjectivité et de l’intuition. L’indépendance de la critique est un sujet aussi délicat que le problème de sa crédibilité : les lois de la concurrence font une obligation d’accorder la même place downloadModeText.vue.download 274 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 268 dans tous les journaux aux événements les plus saillants, ce qui réduit celle qui peut être consacrée aux autres. Ainsi la critique est-elle, même à son corps défendant, l’alliée du vedettariat. Par ailleurs, ne seraitce que par la pratique des interviews, le critique a des contacts personnels avec les artistes, ce qui rend illusoire son impartialité. Il s’agit là, en réalité, d’un faux problème, car la fréquentation des musiciens reste pour lui la meilleure source d’information et favorise parfois de salutaires remises en question. Le critique n’ignore pas non plus que ses articles peuvent avoir une influence sur la reconduction ou l’octroi des subventions accordées aux manifestations dont il est invité à rendre compte. Ainsi s’abstiendra-t-il d’être tranchant si une expérience intéressante ne commence qu’à moitié bien, ou louera-t-il excessivement un effort méritoire même si le résultat se révèle décevant. Enfin, les attachés de presse de plus en plus nombreux exercent une pression constante sur les journalistes. Toutes ces réalités quotidiennes sont beaucoup plus dangereuses pour l’indépendance d’esprit du critique que les potsde-vin, qui ont disparu en tant que tels. Après avoir tenté d’acheter le critique, on lui a limé les dents, et, le prestige factice de la profession étant soigneusement entretenu, il se trouve pieds et poings liés, à la merci des événements : souvent la critique musicale se transforme en publicité rédactionnelle gratuite, les articles favorables ou ceux qu’on a pu tronquer habilement sont alors utilisés à des fins publicitaires et c’est ainsi que se créent les modes et les mythes. Si le critique peut avoir une utilité, c’est dans quelques domaines très précis : donner une information sur les événements de la vie musicale, répandre dans le public les découvertes de la musicologie, dénoncer certains abus, attirer l’attention sur ce qui semble le meilleur. CROCE (Benedetto), philosophe et théoricien de l’art italien (Pescasseroli, Abruzzes, 1866 - Naples 1952). Secrétaire de la Società di Storia patria, il collabora à la Rassegna musicale et fit également oeuvre de critique. Fondateur de la revue la Critica (1903), il s’attacha particulièrement à définir la notion de baroque, qu’il envisagea comme une décadence, et il lia cette question à l’histoire générale des idées et de l’art. Idéaliste, il faisait de la création artistique le produit de l’intuition et de l’expression ; son esthétique tendait à dégager la musicologie de l’influence allemande. Certains historiens de la musique en Italie ont adopté sa position, tels Alfredo Parente, Guido Pannain, Massieno Mila, Luigi Ronga. PRINCIPAUX ÉCRITS : Estetica come scienza dell’espressione e linguistica generale (Palerme, 1902 ; 11e éd., Bari, 1965 ; trad. fr. 1904) ; Problemi di estetica e contributi alla storia dell’estetica italiana (Bari, 1910 ; 6e éd., Bari, 1966) ; Breviario d’estetica (Bari, 1913 ; 14e éd., 1962) ; Storia dell’età barocca in Italia (Bari, 1929 ; 2e éd., Bari, 1946) ; La poesia : introduzione alla critica e storia della poesia e della letteratura (Bari, 1936 ; 8e éd., 1969). CROCE (Giovanni), compositeur italien (Chioggia v. 1557 - Venise 1609). Zarlino, son maître, le fit entrer dans le choeur de la basilique San Marco à Venise où, en 1603, il fut nommé maître de chapelle, succédant à Baldassare Donato. Il composa principalement des motets (1594, 1603, 1607, 1615), messes à 5 et à 8 voix (1596), psaumes (1596), sacrae cantiones (1601), lamentations (1603, 1610), magnificat (1605) et plusieurs livres de madrigaux, dont trois à 5 voix (Venise, 1585, 1592, 1594). Le doge Grimani fut pour lui un protecteur de marque. Sa renommée s’étendit jusqu’en Angleterre, car Giovanni Croce est l’une des figures les plus marquantes de l’école vénitienne de cette époque. (Un de ses madrigaux a été choisi par Th. Morley pour son recueil The Triumphs of Oriana [1601].) Ses comédies madrigalesques sont truculentes et pittoresques (Mascarate piacevoli e ridicolose per il carnevale Venise, 1590). Triaca musicale (1595), composée sur des paroles en patois vénitien, est une oeuvre originale et frappante. CROCHE. Note d’une durée égale à la moitié d’une noire. CROES (Henri-Jacques de), compositeur belge (Anvers 1705 - Bruxelles 1786). Violoniste à l’église Saint-Jacques d’Anvers jusqu’en 1729, maître de chapelle du prince de Thurn et Taxis (1729-1744), il revint à Bruxelles comme membre de la chapelle royale, qu’il dirigea de 1749 à sa mort. De son oeuvre immense, beaucoup de pages ont disparu, notamment les 36 messes, 69 motets, 28 symphonies et 32 sonates qu’il offrit pour 300 florins au gouverneur général de Bruxelles en 1779, alors qu’il se trouvait dans une situation précaire. Sa musique religieuse, ses concertos et sa musique de chambre (sonates en trio et divertissements) attestent une nature généreuse, qui s’exprime alternativement dans le style italien ou français. CROFT (William), compositeur anglais (Nether Ettington, Warwickshire, 1678 Bath 1727). Il fut d’abord enfant de choeur à la chapelle royale. Il eut pour maître J. Blow, organiste à Sainte-Anne, et devint ainsi, lui-même, organiste de cette cathédrale en 1700. Il fut nommé Gentleman Extraordinary, puis organiste de la chapelle royale en 1704. En 1708, il devint organiste à Westminster Abbey et maître des enfants de la chapelle royale. Il reçut le titre de Doctor of Music de l’université d’Oxford, en 1713, après avoir présenté à cette occasion deux odes ayant pour sujet la paix d’Utrecht. Il a laissé de nombreuses chansons, des sonates pour clavecin, violon et flûte, ainsi que des oeuvres de musique d’église (Musica sacra, 1724). CROISEMENT. 1. Terme employé dans l’écriture musicale lorsqu’une voix passe au-dessus de celle qui lui est normalement supérieure. Cette technique est fréquente dans la musique vocale polyphonique, dans le madrigal à cinq voix, par exemple, faisant appel à deux sopranos ou à deux ténors de tessitures approximativement égales. Elle se perpétue dans les oeuvres instrumentales du XVIIe siècle (Monteverdi, Charpentier), notamment dans une écriture pour deux dessus (instruments mélodiques) et basse continue. Dans les devoirs d’harmonie académique, il est recommandé d’éviter le croisement des parties en général. 2. Le croisement peut se trouver aussi dans la musique de clavier où la main gauche passe au-dessus de la main droite et vice versa (par exemple dans le rondo de la sonate en ut majeur op. 53 l’Aurore de Beethoven). Cette pratique remonte aux clavecinistes et Domenico Scarlatti en a fait un usage particulièrement brillant. CROIZA (Claire Conelly, dite), cantatrice française (Paris 1882 - id. 1946). Mezzo-soprano, elle a débuté à Nancy, chanté à la Monnaie de Bruxelles de 1906 à 1913, puis à l’Opéra Comique à partir de 1914. Retirée de la scène en 1927, elle se consacra à l’enseignement et fut nommée professeur au Conservatoire en 1934. En dehors de ses principaux rôles à l’opéra (Elektra, Poppée, Charlotte, Orphée, Dalila, Pénélope, Carmen), elle fut au concert une remarquable interprète des mélodies de Claude Debussy, de Gabriel Fauré et de Maurice Ravel. CROMORNE. 1. Instrument ancien de la famille des bois, à anche double enfermée dans une capsule. Sa forme recourbée en « J » lui procure une longueur utile supérieure à son encombrement et lui vaut son nom (de l’all. Krummhorn, « cor tordu »). Apparu à la fin du XVe siècle et complètement abandonné depuis deux siècles, le cromorne connaît actuellement un regain de faveur dans la musique dite « ancienne ». Il se distingue downloadModeText.vue.download 275 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 269 des autres « bois » par un timbre très caractéristique, à la fois sombre et percutant ; il existe en plusieurs registres, les instruments étant construits selon les tessitures de la voix humaine. 2. Jeu d’orgue à anche, dont le tuyau est de forme cylindrique et deux fois plus court que la normale. Sa sonorité rappelle celle de l’instrument du même nom. Placé au clavier de positif, il a été l’un des timbres solistes de prédilection des organistes classiques français. CROS (Charles), poète et inventeur français (Fabrezan, Aude, 1842 - Paris 1888). Ami de Verlaine et de Villiers de l’IsleAdam, familier de la bohème littéraire, aux environs de 1870, il eut son heure de gloire au club des Hydropathes et au cabaret du Chat-Noir, tout en s’adonnant à d’ingénieuses recherches dans le domaine de l’électricité, de la photographie et de l’acoustique. Son nom est surtout lié à l’invention du phonographe, qu’il appelait « paléophone ». C’est en avril 1877 qu’il adressa à l’Académie des sciences une communication contenant « la description d’un procédé d’enregistrement et de reproduction des phénomènes de l’ouïe », précédant de huit mois le dépôt du brevet du phonographe d’Edison. L’Académie Charles-Cros, fondée en 1948, décerne chaque année un certain nombre de grands prix du disque. CROSSE (Gordon), compositeur anglais (Bury 1937). Diplômé d’Oxford, puis élève de Goffredo Petrassi à Rome, il est l’auteur de quelques opéras dont un Purgatory, d’après Yeats, et de diverses pièces pour orchestre, mais il s’est surtout spécialisé dans la composition d’oeuvres éducatives pour enfants et petits ensembles instrumentaux, telles que Meet my Folks ! et Ahmet the Woodseller. CROTALES. Instrument à percussion de la famille des idiophones. Provenant de la Grèce antique, il s’agit en général de deux morceaux de bois qui s’entrechoquent à l’aide d’une charnière. L’instrument est employé, notamment, pour rythmer la danse, comme les castagnettes auxquelles les crotales ressemblent. CRÜGER (Johann), compositeur, organiste et théoricien allemand (Grossbreesen 1598 - Berlin 1662). Il fait ses études à Guben, Olomouc, en Tchécoslovaquie, et à Ratisbonne. En 1615, il se rend à Berlin où il est précepteur dans une famille jusqu’en 1620. Il étudie ensuite la théologie à Wittenberg. De 1622 à sa mort, il est cantor de Saint-Nicolas à Berlin. Il a composé un grand nombre de chorals dont certains ont été repris par J. S. Bach : Nun danket alle Gott, Jesu meine Zuversicht, Jesu meine Freude, Schmücke, o liebe Seele. Ils ont été publiés sous le titre de Praxis pietatis melica (Berlin, 1647) et réédités de nombreuses fois. Il a également écrit des motets (Meditationum musicarum paradisus primus, Berlin, 1622, et secundus, Berlin, 1626). Comme théoricien, Johann Crüger est l’auteur de plusieurs ouvrages dont : Praecepta musicae practicae figuralis (Berlin, 1625) et Musicae practicae praecepta (ibid., 1660). CRUMB (George), compositeur américain (Charleston, Virginie occidentale, 1929). Il a fait ses études à l’université de l’Illinois, à l’université du Michigan avec Ross Lee Finney (1954), au Berkshire Music Center, puis à Berlin avec Boris Blacher (1955-56). Professeur à l’université du Colorado de 1959 à 1964, puis à l’université de Pennsylvanie à partir de 1965, il a reçu le prix Pulitzer 1968 pour Echoes of Time and the River pour orchestre (1967). Sa musique, souvent d’une concision et d’une austérité issues tout droit de Webern, marquée aussi par l’influence de Debussy et des traditions orientales, doit sa forte originalité à ses sonorités, ses aspects rituel et mystique, et témoigne d’une intense sensibilité poétique. Plusieurs des oeuvres de Crumb sont basées sur des poèmes espagnols de Federico García Lorca, tels les quatre livres de Madrigals pour soprano, percussion, flûte, harpe et contrebasse (I et II 1965, III et IV 1969), deux des sept volets de Night Music I pour soprano, piano, célesta et percussion (1963), Songs, Drones and Refrains of Death pour baryton, guitare, contrebasse et piano électriques et deux percussionnistes (1968), Night of the Four Moons (1969), et Ancient Voices of Children pour mezzo-soprano, soprano garçon, hautbois, mandoline, harpe, piano électrique et percussion (1970). Pour réaliser ses subtils effets de timbre, reflets de son désir de « contempler les choses éternelles », Crumb a élaboré de nouvelles techniques d’exécution et fait appel à de nombreux instruments des musiques populaires et traditionnelles. Son style de maturité s’est manifesté pour la première fois dans les Cinq Pièces pour piano (1962). On lui doit aussi Night Music II pour violon et piano (1964), Eleven Echoes of Autumn pour flûte alto, clarinette, piano et violon (1965), Black Angels pour quatuor à cordes électriques (1970, in tempore belli), reflet de la guerre du Viêt-nam, Vox balaenae pour flûte, violoncelle et piano amplifiés (1973), Makrokosmos I pour piano, II pour piano amplifié, III pour piano et percussion (1972-1974), et IV (Celestial Mechanics), Star Child pour soprano et orchestre (1977), oeuvre dirigée par quatre chefs donnant chacun un tempo différent, Apparition pour mezzo-soprano et piano (1979), Gnomic Variations pour piano (1981), A Haunted Landscape pour orchestre (1984), The Sleeper pour soprano et piano (1984), Zeitgeist pour deux pianos amplifiés (1987). CRUSELL (Bernhardt Henrik), compositeur, clarinettiste et chef d’orchestre finlandais (Uusikaupunki 1775 - Stockholm 1838). Il commence sa carrière à treize ans comme musicien militaire à Viapori (1788-1791), puis il est première clarinette dans l’orchestre de la cour de Stockholm (1793). Il fait ses études à Berlin avec F. Tausch (1798). Il voyage à Saint-Pétersbourg (1er concerto pour clarinette opus 11, dédié au tsar Alexandre Ier), puis, en 1803, à Paris, où il travaille la clarinette avec Lefèvre et la composition avec Gossec. De 1803 à 1812, il vit à Stockholm et, de 1812 à 1819, il reprend sa carrière de virtuose et de chef d’orchestre. Malade, il se consacre de nouveau à la composition à partir de 1820. Crusell appartient à la lignée des grands virtuoses cosmopolites qui apparaît avec le XIXe siècle. Contemporain de Beethoven, aîné de Schubert, il met son talent de compositeur à la disposition des interprètes et surtout le consacre aux instruments à vent qu’il apprécie et connaît. Auteur d’une musique plaisante qui ne tombe jamais dans les défauts du genre, il est un esprit cultivé qui, à défaut de génie, maîtrise au plus haut point le langage et la forme. Il n’y a jamais chez lui de maladresse technique et il possède un sens de la mélodie qui, souvent, le rapproche de Schubert. Son unique opéra, Lilla Slafvinnan (la Petite Esclave, 1824), utilise des thèmes populaires et ses trois concertos pour clarinette - opus 11 (v. 1807), opus 1 (1810) et opus 5 (v. 1815) - font regretter qu’il n’ait pas consacré plus de temps à la composition. CRWTH (chrotta, crouth, crowd). Instrument à cordes frottées, l’un des premiers à avoir été utilisé par des musiciens occidentaux. Il semble être d’origine celtique et reste en honneur jusqu’au XVIIIe siècle au pays de Galles et en Bretagne. Il est découpé et creusé dans une seule pièce de bois, sauf la table d’harmonie. Deux parties sont découpées dans le haut de ce trapèze allongé ; entre elles se trouve le manche qui comporte en général six cordes. Mahillon pense que les cordes étaient jouées simultanément et que l’on pouvait obtenir des effets sonores semblables au bag-pipe. Le crwth était tenu comme un violon, et, en plus, l’instrumentiste passait à son cou une lanière pour le soutenir. downloadModeText.vue.download 276 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 270 CSÁRDÁS (de csárda, « auberge » en hongrois). Danse d’origine savante (v. 1840), peu à peu adoptée par les milieux populaires qui, sous l’influence des interprètes tziganes, en réalisent de savantes chorégraphies. Ses éléments rythmiques et mélodiques proviennent des verbunkos. Les premières csárdás sont dues à M. Rózsavölgyi, tandis que Liszt en écrivit dans les années 1880 : Csárdás macabre, Deux Csárdás (1884). Sa vogue s’étendit à l’opérette viennoise (Kalman, Lehar), propagée par les orchestres tziganes. CTÉSIBIOS, physicien grec établi à Alexandrie au IIIe siècle av. J.-C. Il est l’auteur de nombreuses mécaniques, et on le considère depuis l’Antiquité comme l’inventeur de l’orgue primitif ou hydraule, dont Vitruve donne une description détaillée. CUCUEL (Georges), musicologue français (Dijon 1884 - Grenoble 1918). Ses deux ouvrages essentiels, qui étaient ses thèses de doctorat en Sorbonne, ont vu le jour en 1913 : la Pouplinière et la Musique de chambre au XVIIIe siècle et Étude sur un orchestre au XVIIIe siècle. À la même époque se rattachent les Créateurs de l’opéra-comique, publiés l’année suivante. CUÉNOD (Hugues), ténor suisse (Corseaux-sur-Vevey 1902). Son cas est probablement unique, puisqu’il enseigna pendant plusieurs années (au conservatoire de Genève) avant de se produire en public, en concert (Paris, 1928), puis sur scène. Presque quinquagénaire, il débuta à la Scala de Milan en 1951. Trois ans plus tard, il paraissait pour la première fois au festival de Glyndebourne et à l’opéra de Covent Garden, se limitant toujours à un petit nombre de rôles très typés, comme ceux de Basilio des Noces de Figaro ou de l’Astrologue du Coq d’or. En 1981, il reparaissait sur la scène du Grand-Théâtre de Genève, dans le rôle du Majordome du Chevalier à la rose et, en 1982, chanta dans Turandot à Londres. CUI (César), compositeur et critique russe (Vilna 1835-Petrograd 1918). Français par son père, un officier napoléonien demeuré en Russie après la retraite de 1812, il fit des études d’ingénieur militaire et enseigna toute sa vie à l’Académie du génie de SaintPétersbourg. C’était un spécialiste des fortifications (Traité de la fortification des camps, Abrégé de l’histoire de la fortification). Il serait probablement resté un amateur (il composa très jeune à la manière de Chopin et reçut des leçons de Moniusko), s’il n’avait rencontré en 1856 Balakirev, puis Dargomyjski. Son talent littéraire, son goût de polémiste lui firent jouer un rôle historique de tout premier plan dans la lutte pour le triomphe des idées du groupe des Cinq. De 1864 à 1868, il écrivit, en effet, dans la Revue et gazette musicale, des articles parfois jugés excessifs et violents. Il y défendait avec acharnement ses amis sans, toutefois, leur ménager ses critiques. Tout en rendant justice aux maîtres du passé, il estimait que la vraie musique avait pris naissance avec Beethoven, mais il critiqua vivement Wagner. Publiés en français à Paris, en 1880, ces articles constituent en quelque sorte la première histoire russe de la musique russe. Ce recueil fut adressé à la comtesse belge de Mercy-Argenteau en 1883, après que cette dernière découvrit la musique russe grâce à son compatriote le musicien Jadoul. Ainsi débuta une longue amitié qui s’employa à faire connaître les Cinq. Cui vint en personne recevoir l’accueil triomphal du public pour la représentation du Prisonnier du Caucase par l’opéra de Liège (Noël 1885). Défenseur des idées du groupe des Cinq, Cui était-il un compositeur représentatif de leurs tendances musicales ? Il est très difficile de l’admettre. En effet, compositeur fécond, il ne fut jamais heureusement inspiré par les thèmes populaires de son pays. Certes, son activité musicale s’était d’abord portée sur le genre lyrique (10 opéras), mais il ne s’inspira que rarement de sujets russes, exception faite du Prisonnier du Caucase (1857, actes I et III ; 1881-82, acte II ; 1re représentation à Saint-Pétersbourg, 16 févr. 1883), du Festin pendant la peste (1900, 1re représentation 1901) où il appliquait timidement les procédés chers à Dargomyjski, de la Fille du Capitaine (1909, 1re représentation Saint-Pétersbourg, 1911), autant d’oeuvres inspirées de Pouchkine. Ses sujets étaient plus souvent empruntés aux écrivains français, Hugo (Angelo, 1re représentation Saint-Pétersbourg, 1876), Richepin (le Flibustier, 1888-89 ; 1re représentation Paris, Opéra-Comique, 1894). De même pour ses mélodies choisissait-il plus volontiers Hugo ou Coppée. Sur le plan musical, ses origines françaises se retrouvent aussi dans l’imitation du style d’Auber, mais les traces de son premier amour, l’opéra italien, sont sensibles dans le découpage général et les mélodies-cantilènes. Il aimait les grandes toiles lyriques sans se rendre compte qu’il manquait de souffle et de puissance pour les mener à bonne fin et que ses sujets, mélodramatiques, s’y prêtaient mal. En revanche, Cui était un miniaturiste-né. L’influence de Schumann est sensible dans ses oeuvres instrumentales, celle de Dargomyjski dans ses romances, plutôt faites pour être dites que chantées ; elles se moulent sur le rythme du vers ou de la phrase ; il y a chez lui une aptitude à saisir l’union du texte et de la musique. Fidèle aux désirs de Dargomyjski, Cui acheva son Convive de pierre et, en 1916, révisa, puis termina la Foire de Sorotchinski de Moussorgski. Enfin, il collabora avec Balakirev, Moussorgski et Rimski-Korsakov à l’opéraballet Mlada.. CUIVRÉ. Couleur de son qui évoque l’éclat métallique du cuivre et qui est naturellement produite par certains instruments du même nom, du moins dans certains cas. Le son de la trompette non bouchée est presque toujours cuivré sur toute l’étendue de l’instrument ; celui du trombone l’est surtout dans le grave et à partir de la nuance forte. Le cor, sauf fortissimo, est, à volonté, cuivré ou non ; si le compositeur désire un son cuivré, il l’indique au moyen d’une croix (+). Le tuba et les autres saxhorns ne sont pratiquement jamais cuivrés. CUIVRES. Tous les instruments à vent de construction métallique, à l’exception des flûtes et des instruments métalliques à anche, qui sont rattachés aux « bois ». Le métal employé n’est pas à proprement parler le cuivre, mais un alliage de cuivre, généralement le laiton, souvent argenté, nickelé ou verni extérieurement. Les « cuivres », de perce toujours conique, comportent obligatoirement un pavillon et, à l’autre extrémité, une embouchure amovible. Le terme de « cuivres clairs » est parfois appliqué aux trombones, trompettes et cornets à pistons, dont le son est particulièrement brillant, tandis que celui des saxhorns est relativement éteint. Le cor, capable du plus vif éclat comme d’une très douce rondeur, se situe entre les deux groupes. CURSUS. Formule rythmique en usage dans le débit du latin classique et médiéval pour donner aux fins de phrases ou d’incises une cadence harmonieuse. Le cursus forme ainsi transition entre la prose et la versification, qu’il a souvent influencée, et, bien qu’indépendant de la musique, a joué sur la rythmique de celle-ci un rôle non négligeable. En latin classique, le cursus est métrique ; il joue sur la longueur de syllabes. En latin médiéval, il devient accentuel et joue sur les alternances d’accentuées et d’atones ; il y eut souvent d’ailleurs transfert de l’une à l’autre, la longue se transformant facilement en accentuée, et la brève, en atone, compte tenu du développement du « contre-accent » qui, dans le latin downloadModeText.vue.download 277 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 271 médiéval, empêche qu’il y ait plus de deux atones de suite. L’emploi du cursus est presque constant dans l’office latin, qui lui doit l’harmonie de ses rythmes verbaux, et son rôle a été capital lors du passage en musique du rythme libre au rythme mesuré, accompli surtout au XIIe siècle, à travers les versus et les séquences de « nouveau style ». CURTIS (Alan), chef d’orchestre, claveciniste et musicologue américain (Masone, Michigan, 1934). En 1955, il est Bachelor of Music de la State University, puis Master of Music de l’université d’Illinois (1956). Il mène alors une carrière de claveciniste, de chef d’orchestre et de musicologue. Il est professeur à l’université de Berkeley en Californie depuis 1970. Il a publié en 1963 la musique de clavier de Sweelinck et les pièces de clavecin de Louis Couperin (Heugel, 1978). L’enregistrement, sous sa direction, de l’opéra de Haendel, Admeto (1727), peut être considéré comme un modèle du genre. CURZON (Clifford), pianiste anglais (Londres 1907-id. 1982). Il étudie à la Royal Academy of Music où il entre en 1919, puis, de 1928 à 1930, à Berlin avec A. Schnabel et enfin à Paris avec W. Landowska et N. Boulanger. Il commence à cette époque une carrière de concertiste qui, d’Angleterre, le mène à travers l’Europe où il se produit lors des grands festivals, puis aux États-Unis où il effectue de nombreuses tournées. Bien qu’il reste un excellent interprète de Mozart, sa virtuosité exceptionnelle (dont il n’abuse cependant jamais) et son souci des détails (hérité de Schnabel) l’ont plutôt orienté vers l’exécution des grandes oeuvres romantiques (Beethoven, Schubert). CURZON (Henri de), musicologue français (Le Havre 1861 - Paris 1942). Archiviste, bibliothécaire à l’Opéra-Comique (1926), critique musical au Journal des débats, fin lettré, Henri de Curzon, à qui on doit des traductions des lettres de Mozart (1928) et des Écrits sur la musique et les musiciens de Schumann (1898), a publié des monographies (Grétry, 1907 ; Rossini, 1920 ; Fauré, 1923), des ouvrages d’histoire musicale et des répertoires bibliographiques (Franz Schubert, bibliographie critique, 1899 ; Guide de l’amateur d’ouvrages sur la musique, 1901-1909). CUZZONI (Francesca), cantatrice italienne (Parme 1700-Bologne 1770). Elle débuta à Venise, puis obtint un grand succès à Londres où elle parut en 1723, créant Teofane dans Ottone de Haendel auprès de partenaires prestigieux (la Durastanti, Il Senesimo et la basse Boschi), auxquels elle fut désormais associée lors des principales reprises et créations des opéras de Haendel (Jules César, Tamerlano, Rodelinda, etc.). Une rivalité l’opposa à Faustina Bordoni, rivalité parodiée dans The Beggar’s Opera, et les compositeurs Buononcini et Haendel les réunirent dans leurs distributions, le premier dans Astianatte (1727), le second dès Alessandro (1726). En 1728, la cantatrice quitta l’Angleterre et parut à Venise et à Vienne, puis revint à Londres en 1734 où elle se heurta à l’idolâtrie exclusive que le public portait désormais aux castrats Farinelli et Carestini. Elle retourna en Allemagne, chanta à la cour de Würtemberg, tenta un malheureux concert à Londres en 1750, parut en Hollande et finit misérablement. Elle avait épousé le musicien Sandoni auquel son nom est parfois associé. Bien que mauvaise actrice, plutôt laide, la Cuzzoni, grâce à la beauté de sa voix, fut la première cantatrice capable de ravir aux castrats leur célébrité sans partage : son soprano d’une pureté exceptionnelle s’élevait jusqu’au do5 (le « contre-ut »), alors inusité. Elle semble être à l’origine d’un chant dont la flexibilité n’excluait pas le pathétisme, excellant en outre dans le trille expressif, qualités qu’atteste l’écriture spécifique que lui réserva Haendel dans des pages demeurées célèbres tels les airs Piangero et V’adoro, pupille, du rôle de Cléopâtre, ou Ombre, piante, dans Rodelinda. CYCLE. Ensemble de pièces de même nature, indépendantes les unes des autres, mais réunies sous un titre global et reliées entre elles par une idée commune ; le terme s’emploie surtout pour des groupements de mélodies (Beethoven, À la bien-aimée lointaine ; Fauré, la Bonne Chanson). CYCLE DES QUINTES. Enchaînement de sons par quintes montantes ou descendantes, ou plus exactement par alternance de quintes montantes et de quartes descendantes dans l’ordre ascendant, vice versa dans l’ordre descendant. On est convenu, pour la commodité, de présenter le cycle des quintes à partir du fa en montant (fa-do-sol-ré-la-mi-si), à partir du si en descendant (si-mi-la-ré-sol-do-fa, rétrogradation du précédent) ; le premier cycle donne l’ordre des dièses adopté pour les armatures, le second, l’ordre des bémols. On pourrait théoriquement continuer le cycle au-delà des sept notes ci-dessus, en abordant en montant les dièses, puis les doubles dièses, en descendant les bémols, puis les doubles bémols. Dans le système tempéré égal, le cycle des quintes peut être traduit par un cercle fermé, puisque, après douze quintes, la jonction se fait par enharmonie entre la treizième note et la première (1-fa, 2-do, etc., 13-mi dièse = fa ; en descendant : 1-si, 2-mi, etc., 13-do bémol = si), mais cette propriété disparaît si l’on considère les quintes avec leur valeur juste de rapport d’harmoniques 2/3 (système pythagoricien) : mi dièse est alors plus haut que fa, do bémol plus bas que si. La différence, dite comma pythagoricien, a été calculée depuis longtemps (531441/524288) et constitue la principale difficulté de l’accord des instruments à clavier ( ! PARTITION). La valeur du cycle des quintes ne réside pas cependant dans ces jeux numériques ou graphiques sans grand intérêt musical, mais dans le rôle d’une importance extrême qu’il tient en toute occasion dès qu’apparaît le souci d’une construction musicale quelconque. Ce rôle commence avec la construction des gammes, dans lesquelles il fournit la structure consonantielle de base de la quasi-totalité des échelles existantes. Il se poursuit avec l’élaboration des « systèmes » (musique grecque) et des « modes » (Moyen Âge, musiques orientales), puis dans notre musique occidentale avec le développement de la « conjonction harmonique » qui, à partir du XVIe siècle environ, en règle le sémantisme ; il détermine dans le système tonal les grands jalons de la marche des basses fondamentales, de la ponctuation cadencielle, des modulations, du plan tonal, etc. Seul s’en est dégagé l’atonalisme de Schönberg, encore que, ne renonçant pas à l’échelle de douze sons tempérés qui reste tributaire de ce même cycle, il introduise une contradiction en refusant de prendre en considération le « mode d’emploi » qui lui est lié et sans lequel cette échelle n’aurait pu exister. CYCLIQUE (FORME). Terme inventé par Vincent d’Indy pour désigner un procédé de composition dont il attribue la découverte à Beethoven et la mise en oeuvre à César Franck, et qu’il a contribué lui-même à généraliser. Le principe du « cyclisme » est d’apparenter entre eux, au moyen d’un ou plusieurs éléments communs, plusieurs thèmes appartenant à des mouvements différents d’une même oeuvre, thèmes qui n’en conservent pas moins leur personnalité en restant propres au mouvement auquel ils appartiennent. Dans chaque groupe, le thème exposé en premier est considéré comme un thème générateur ou thème cyclique. Dans la théorie de d’Indy, l’apparentement cyclique peut être poussé très loin : c’est ainsi qu’il considère le thème initial de la Sonate pour violon et piano de Franck comme générateur de celui du final, parce que tous deux commencent par une montée de deux notes suivies d’une descente de cinq notes. downloadModeText.vue.download 278 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 272 Bien qu’appliqué avec rigueur dans de nombreuses oeuvres scholistes, notamment celles de d’Indy lui-même, le principe cyclique a été accueilli hors de cette école avec une certaine réserve. Il n’en répond pas moins à un phénomène extrêmement sensible dans toute la musique de la fin du XIXe siècle : recherche des apparentements de thèmes par dérivation les uns des autres. CYLINDRE. 1. Dans les instruments à vent, tube à l’intérieur duquel se meut le piston. Autrefois, on appelait les instruments à vent, instruments à cylindre. 2. Dans les orgues mécaniques, pièce cylindrique en bois, sur la surface de laquelle sont implantées des petites pointes qui viennent soulever les touches, lorsque le cylindre est en mouvement. 3. Dans les enregistrements, les cylindres étaient destinés au phonographe d’Edison, c’est à cause de leur forme qu’on leur a donné ce nom. Ils étaient faits d’un composé à base de cire, gravés verticalement au lieu de l’être horizontalement, comme les disques modernes. On les a toujours gravés individuellement, malgré quelques perfectionnements qui n’ont jamais permis leur fabrication en série. Après avoir été détrôné par le disque de Berliner, le cylindre continua, néanmoins, d’être utilisé dans les dictaphones. CYMBALA ou CIMBALLE. Instrument ancien à percussion, de la famille des « métaux ». C’était un triangle traversé de plusieurs anneaux, dont le tintement s’ajoutait à celui de la tige. CYMBALE. À l’orgue, jeu de mixture, composé en principe de trois tuyaux par note, faisant entendre les trois sons d’un accord parfait, haut dans l’aigu. La cymbale classique élimine souvent la tierce au profit de doublures de quintes et d’octaves (jusqu’à quatre et cinq rangs). Au fur et à mesure que s’élève la fondamentale, des reprises sont nécessaires, les petits tuyaux atteignant la limite supérieure d’acuité auditive ; la cymbale se maintient ainsi dans l’ambitus de trois octaves. On l’utilise en composition dans le plénum ou le petit plein-jeu, où elle apporte lumière et légèreté. CYMBALUM. Instrument à cordes frappées, dont le nom trahit des origines communes avec le tympanon (angl. Dulcimer). Resté très populaire en Europe centrale et orientale, surtout en Hongrie, c’est, de nos jours, un instrument dont les cordes sont montées sur une caisse de forme trapézoïdale, sans couvercle ; l’exécutant frappe directement les cordes au moyen d’une paire de battes. L’étendue du cymbalum est de quatre octaves. Le poids et la dureté variables des battes, la possibilité d’attaquer la corde plus ou moins sèchement et de laisser la batte rebondir sur la corde, procurent au cymbalum des ressources expressives considérables. CZERNY (Karl), pianiste, pédagogue et compositeur autrichien (Vienne 1791-id. 1857). Élève de son père et du violoniste Wenzel Krumpholz, puis de Beethoven (1800-1803), il jouait du piano à trois ans, composait à sept, et à dix, jouait de mémoire le répertoire le plus valable et le plus important. À quinze ans, il avait lui-même des disciples, et, plus tard, il donna des leçons à Liszt. Son catalogue de compositeur compte plus de 1 000 ouvrages : symphonies, concertos, musique de chambre, variations (dont celles pour piano et orchestre sur l’Hymne impérial de Haydn), 24 messes, 4 requiems, environ 300 graduels et offertoires, cela sans compter d’innombrables arrangements et transcriptions - reflets d’une époque de haute virtuosité pianistique. Tous ces ouvrages sont tombés dans l’oubli, mais sa production didactique, dont Die Schule der Gelaüfigkeit (« l’École de la virtuosité »), Die Schule des Virtuosen (« l’École du virtuose ») ou Die Kunst der Fingerfertigkeit (« l’Art de délier les doigts »), reste aujourd’hui encore à la base de tout enseignement pianistique. CZIFFRA (Gyorgy), pianiste français d’origine hongroise (Budapest 1921). Fils d’un musicien professionnel, Gyorgy Cziffra se produit en public dès l’âge de cinq ans et entre au conservatoire FranzLiszt quatre ans plus tard, mais la guerre interrompt une carrière qui s’annonçait brillante. Rendu à la vie civile après quatre ans sous les drapeaux et un an de captivité, il en est réduit à jouer dans les cafés jusqu’en 1950. Politiquement suspect, il perd encore trois ans entre les prisons et les camps de concentration, et n’en remporte pas moins le prix Liszt en 1954. Lors des événements de 1956, il réussit à fuir la Hongrie avec sa femme et son fils (le futur chef d’orchestre), et se révèle au monde occidental, le 2 décembre, par un concert au Châtelet. Du jour au lendemain, c’est la gloire. Sa prodigieuse virtuosité, son extraordinaire tempérament romantique font de lui un incomparable interprète de Liszt et, plus discuté, de Chopin. Désormais fixé dans la région parisienne, l’artiste se fait également mécène. En 1966, il se charge de la restauration des orgues de la ChaiseDieu et y fonde un festival annuel de musique. En 1968, année de la naturalisation, naît à Versailles, avec le concours de la municipalité, le concours international de piano qui porte son nom et dont le premier lauréat est Jean-Philippe Collard (1969). En 1973, il achète l’ancienne chapelle royale Saint-Frambert, à Senlis, la restaure et la transforme en auditorium. Enfin, la fondation Cziffra vient en aide aux jeunes artistes de toutes disciplines. Son fils György (Georges) Cziffra junior, chef d’orchestre (1942-1981), se produisit souvent avec lui. downloadModeText.vue.download 279 sur 1085 D. Lettre par laquelle on désigne la note ré dans les pays de langues allemande et anglaise. D y représente la tonique des tonalités ré majeur et ré mineur. français anglais allemand ré bémol D flat Des ré double bémol D double flat Deses ré dièse D sharp Dis ré double dièse D double sharp Disis DA CAPO (D. C.) [ital. : « à nouveau », « à partir du début »]. Expression qui s’emploie pour indiquer une reprise à partir du commencement. Si cette reprise ne doit pas se poursuivre jusqu’à la fin, l’arrêt est indiqué par le mot fin, en italien fine, au-dessus d’une double barre. Le da capo se signale par l’indication correspondante, abrégée ou non, ou encore par un signe conventionnel de renvoi, généralement répété au début du morceau, et qui peut être soit placé audessus d’une double barre, soit formé de deux points précédant cette double barre ; en ce dernier cas, les mêmes deux points (au milieu de la portée) doivent figurer en rappel à l’emplacement où l’on renvoie, surtout s’il y a une anacrouse précédant l’emplacement exact du renvoi. Le da capo était, au XVIIIe siècle, caractéristique des airs d’opéra, qui en portaient parfois le nom (aria da capo) en exigeant la reprise de la première partie de l’air, mais cette reprise pouvait être ornée ( ! DOUBLE), même si l’ornementation n’était pas écrite explicitement. D DAHLHAUS (Carl), musicologue allemand (Hanovre 1928 - Berlin 1989). Il a étudié à Göttingen et à Fribourg, soutenant une thèse sur les messes de Josquin Des Prés. Il enseigne depuis 1967 l’histoire de la musique à l’université technique de Berlin, et dirige l’édition complète des oeuvres de Wagner. Ses nombreuses publications concernent plus particulièrement la musique des XIXe et XXe siècles, ainsi que la place de la musique dans le monde moderne (Grundlage der Musikgeschichte, 1977 ; Die Idee der absoluten Musik, 1978 ; Musikalischer Realismus, 1984). DALAYRAC ou D’ALAYRAC (NicolasMarie), compositeur français (Muret, Haute-Garonne, 1753 - Paris 1809). Son père, qui l’avait successivement destiné aux carrières juridique et militaire, ne put l’empêcher de devenir musicien. Sous-lieutenant à Versailles dans la garde du comte d’Artois, il compléta sa formation musicale avec François Langlé et fit jouer en 1781, sous un pseudonyme ita- lien, deux petites pièces, le Petit Souper et le Chevalier à la mode, qui furent tant applaudies que leur véritable auteur fut bientôt dévoilé. Le succès de l’Éclipse totale, l’année suivante, le conduisit à quitter les armes pour se consacrer davantage à l’art lyrique. Il composa plus de cinquante opéras-comiques, qui s’inscrivent dans la tradition de Monsigny et de Grétry. Nina ou la Folle par amour (1786) est considéré comme son meilleur ouvrage. On peut également citer : le Corsaire (1783), Azemia (1786), Camille (1791), Adolphe et Clara (1799), Maison à vendre (1800) et Gulistan (1805). Ses emprunts à Rameau ou à Méhul et surtout son instinct scénique lui assurèrent le meilleur accueil du public et Boieldieu, Auber, Adam, Franck et Berlioz admirèrent la beauté de ses mélodies et l’élégance de son style. DALBAVIE (Marc-André), compositeur et chef d’orchestre français (Neuilly-surSeine 1961). Il commence très tôt des études de piano et remporte à dix ans le Concours général de France. Au Conservatoire de Paris, il travaille la composition avec Michel Philippot et l’orchestration avec Betsy Jolas. Il prend des cours avec John Cage à Londres (1980) et avec Franco Donatoni à Sienne (1984). Entre 1983 et 1985, il suit les cours de Tristan Murail. Dalbavie, qui appartient depuis 1985 au département de la recherche musicale de l’I.R.C.A.M., fait partie d’une génération qui s’est vite familiarisée avec l’ordinateur et en a tiré toutes les conséquences. Il parle souvent du rôle stimulateur que jouent l’informatique et l’outillage électronique, mais trouve aussi que « l’univers technologique est déjà insuffisant » pour l’imagination des compositeurs de sa génération. Dans les Paradis mécaniques pour onze instruments (1982-83), Dalbavie travaille avec des « accords/timbres », la trame de l’oeuvre étant constituée par la transformation progressive des objets dans le temps. Des images sonores spécifiques au monde de l’informatique musicale sont appropriées par l’écriture purement instrumentale. Dans Interludes pour violon solo (1987), il poursuit une abstraction radicale du jeu de l’instrument, débarrassé pour l’occasion de toute rhétorique ou expressivité. On lui doit aussi les Miroirs transparents pour orchestre (1985), Diadèmes pour alto principal transformé, ensemble instrumental et ensemble électronique, Instances pour choeur, orchestre et dispositif électronique (1991), Seuils pour soprano, orchestre et dispositif électronique. Il a downloadModeText.vue.download 280 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 274 reçu plusieurs prix de composition, dont celui de la S.A.C.E.M. (1985). DALBERTO (Michel), pianiste français (Paris 1955). Il étudie au Conservatoire de Paris avec Vlado Perlemuter et Jean Hubeau et obtient un 1er Prix de piano en 1972. Il se perfectionne ensuite auprès de Nikita Magaloff, et remporte en 1975 le Prix Clara Haskil puis en 1978 le 1er Prix du Concours international de Leeds. Sa carrière se partage d’emblée entre le piano solo, la musique de chambre et, dans une moindre mesure, le concerto. Il se produit en compagnie d’Augustin Dumay, Henryk Szering, Viktoria Mullova et la soprano Barbara Hendricks, avec qui il a enregistré un disque de mélodies de Fauré. En 1991, il est nommé directeur artistique de l’Académie internationale et du Festival des Arcs, consacré à la musique de chambre. D’ALESSIO (Carlos), compositeur argentin naturalisé français (Buenos Aires 1935 - Paris 1992). En même temps que l’architecture, il étudie la musique avec Guillermo Graetzer. En 1962, il part pour New York, où il apprend le tango et fait son chemin dans le milieu underground : il organise des happenings à la Brooklyn Academy et au MOMA, notamment A Concert is a concert is a concert. En 1972, il se fixe à Paris où il collabore avec le metteur en scène Alfredo Arias et le Groupe TSE. En 1974, il rencontre Marguerite Duras. Pour elle, il écrit d’abord la musique du film la Femme du Gange (1974), puis India Song (1975), dont le slow, d’une nostalgie irrésistible, a fait le tour du monde. Puis il collabore à Des journées entières dans les arbres et Vera Baxter (1977), le Navire Night (1979) et les Enfants (1984). L’écoute d’une de ses valses fait naître l’écriture d’Éden-Cinéma. Il signe aussi les partitions d’Hécate de Da- niel Schmidt (1982), Delicatessen de Caro et Jeunet (1990), et travaille au théâtre, notamment avec Claude Régy. Il joue parfois sa musique en récital, à la Roqued’Anthéron en 1985, et à Paris en 1991. DALL’ABACO (Evaristo Felice), compositeur italien (Vérone 1675 - Munich 1742). Violoniste réputé, il vécut quelques années à Modène - sans doute à partir de 1696 -, puis s’établit à Munich, où il devint maître de chapelle de l’Électeur Max Emmanuel (1704). Il accompagna la Cour à Bruxelles et dans divers déplacements, notamment, à plusieurs reprises, à Paris. Il fut peutêtre l’élève de Torelli et certainement l’un des premiers à fixer l’ordre des pièces de la sonate préclassique. Son oeuvre, destinée à son instrument et publiée en grande partie à Amsterdam, compte des exemples des deux genres de la sonate : Sonate da camera pour violon et basse continue op. 1 (v. 1705-1706) et op. 4 (1714), 12 Concerti a 4 da chiesa op. 2 (v. 1712-1714), deux recueils de 6 Concerti a più strumenti op. 5 (v. 1717). Vers 1712-1715, il publia à Paris XII Sonate da chiesa e da camera a tre op. 3, et vers 1730, Concerti a più strumenti op. 6. DALLAM, famille de facteurs d’orgues anglais, actifs au XVIIe siècle. Le fondateur de la firme fut probablement Thomas Dallam ; le plus célèbre de ses successeurs, Robert Dallam, (1602-1665), construisit les orgues du New College d’Oxford, de la cathédrale Saint-Paul de Londres et des cathédrales de Canterbury et de Durham. Les deux frères de Robert, Ralph et George Dallam, furent également facteurs. DALLAPICCOLA (Luigi), compositeur italien (Pisino d’Istria 1904 - Florence 1975). Il commença ses études musicales à Graz où sa famille avait été exilée pour raisons politiques pendant la Première Guerre mondiale : son père était patriote italien, et Pisino était sous la domination autrichienne. En 1923, il entra au conservatoire de Florence où il étudia le piano avec E. Consolo et la composition avec V. Frazzi. À partir de 1926, il se produisit en duo avec le violoniste Sandro Materassi, s’employant surtout à faire connaître les oeuvres contemporaines. En 1934, il fut nommé professeur de piano au conserva- toire de Florence. Il travailla aussi comme critique musical au journal florentin Mondo. Il enseigna la composition aux États-Unis : à Tanglewood (1951-1952), au Queen’s College de New York (19561959) et à l’université de Berkeley (1961). Il était membre de l’Académie bavaroise des beaux-arts (1953) et de l’Akademie der Künste de Berlin (1958). En 1954, il édita en collaboration avec G. M. Gatti les Scritti sulla musica de Busoni. Les premières impressions musicales de Dallapiccola ont été le Don Juan de Mozart et les opéras de Wagner, le Pelléas et Mélisande de Debussy, le Pierrot lunaire de Schönberg, les Noces de Stravinski, ainsi que les oeuvres de Mahler, de Busoni et de Berg. Comme compositeur, il se fait connaître en 1932 avec sa Partita pour orchestre et soprano, forme redevenue à la mode à cette époque. Les oeuvres importantes de sa « première manière », qui dure jusque vers la fin des années 30, sont Deux Chants du Kalewala (1930), la Rapsodia d’après la Chanson de Roland (193233) et surtout les Six Choeurs de Michelangelo Buonarotti (1933-1936). Le style en est un néomodalisme, qui se ressent de l’influence des XVe et XVIe siècles (Dufay, Palestrina). C’est une musique statique, abstraite, concise. La première étape de son évolution laisse apparaître un chromatisme de plus en plus serré, déjà sensible dans les Choeurs de Michel-Ange. En 1937-1939, Dallapiccola compose son premier opéra Volo di notte (Vol de nuit) d’après Saint-Exupéry, dominé par un pessimisme cherchant refuge dans la solitude et dans l’idéal. Il y utilise à la fois le chant et le sprechgesang. Presque en même temps (1938-1941), il écrit ses Canti di Prigionia, sur des textes de Marie Stuart, Boèce et Savonarole. À partir de ces années, marquées par l’apogée du fascisme, les thèmes de la captivité et de la liberté vont le hanter toute sa vie durant et trouvent leur meilleure expression dans son opéra Il Prigionero (1944-1948), d’après la Torture par l’espérance de Villiers de l’Isle-Adam, et la Légende d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak de Ch. De Coster. Entre-temps, il écrit le ballet Marsias (1942-43 ; repr. Florence, 1948), dans lequel il fait un fréquent usage d’harmonies de quartes superposées. C’est à partir du milieu des années 1940 que le dodécaphonisme commence à s’intégrer à son écriture : Liriche Greche (1942-1945), Chaconne, intermezzo et adagio pour violoncelle seul (1945), Rencesvals (1946). Dans Il Prigionero, ce dodécaphonisme est déjà un fait accompli, et plus encore dans l’oratorio Job (1950). Dans la musique vocale, les intonations mélodiques continuent à refléter l’influence wagnérienne. À l’intérieur de son style dodécaphonique, Dallapiccola utilise non seulement les intervalles dissonants propres à la musique sérielle (secondes, septièmes, neuvièmes), mais aussi des intervalles consonants, ce qui le différencie des dodécaphonistes viennois. Ayant adopté le dodécaphonisme librement et naturellement, Dallapiccola s’est aussi affranchi de toute prise de position sectaire : « La tonalité existe et existera sans doute encore longtemps », déclare-t-il en 1951. À partir de 1953, il s’oriente vers des recherches rythmiques et tend vers une rigueur et un dépouillement comparables à ceux de Webern (Cinque Canti, 1956). Mais ses attaches avec le néoclassicisme et les traditions de la musique italienne réapparaissent parfois, notamment dans la Tartiniana (1951) et la Tartiniana seconda pour violon, piano et orchestre (1956). Parmi les oeuvres les plus importantes de ses dix dernières années, il faut citer l’opéra Ulisse, d’après J. Joyce (1968). Compositeur conscient de l’évolution musicale de son siècle, Dallapiccola sut garder une dimension romantique en traduisant dans sa musique des expériences vécues. Par la richesse et l’éclectisme de ses références musicales et littéraires, par l’affinement de son style technique, il fut l’une des personnalités les plus marquantes de la musique italienne du XXe siècle. downloadModeText.vue.download 281 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 275 DALLERY, famille de facteurs d’orgues français originaires du Pas-de-Calais, en activité au XIIIe et pendant la première moitié du XIXe siècle. Ils construisirent et restaurèrent de nombreux instruments à Paris et dans le nord de la France, et ils furent un temps associés avec les Clicquot. Par exemple, les orgues de Saint-Merri, de la Sainte-Chapelle et de Saint-Nicolas-des-Champs à Paris sont les produits de l’association de Pierre Dallery avec François-Henri Clicquot. DAMASE (Jean-Michel), compositeur, pianiste et chef d’orchestre français (Bordeaux 1928). Il commence ses études de solfège au cours Samuel-Rousseau et compose, à neuf ans, une mélodie, le Rouge-Gorge, sur un poème de Colette. Élève de Cortot à douze ans, il entre l’année suivante au Conservatoire de Paris, dans la classe d’A. Ferté, et obtient son premier prix de piano en 1943. Il étudie l’harmonie avec M. Dupré et la composition avec H. Busser. En 1947, il reçoit le premier grand prix de Rome pour sa cantate Et la belle se réveilla, puis le grand prix de la Ville de Paris en 1959. Il entame, dès l’âge de dix-sept ans, une carrière de pianiste (Europe, ÉtatsUnis, Amérique latine), puis s’oriente vers celle de chef d’orchestre, notamment au bénéfice de la Compagnie chorégraphique du marquis de Cuevas. De 1961 à 1964, il enseigne le piano à l’École normale de musique de Paris. Compositeur fécond, aimant la mélodie gracieuse, l’orchestration raffinée, Damase s’est révélé un musicien indépendant, tout en conservant l’attachement à la tonalité et en s’affirmant comme un héritier des traditions classiques de la musique française. S’il a écrit de nombreuses oeuvres vocales (mélodies, choeurs) et de la musique de chambre pour divers effectifs (duos, trios, quintettes), il s’est aussi beaucoup intéressé à la musique de théâtre et en particulier au ballet (Piège de lumière, 1952 ; le Prince du désert, 1955 ; Othello, 1957). Son oeuvre lyrique, renouant avec les traditions de l’opéra-comique, s’est aisément imposée. Sa Colombe, d’après Anouilh, créée au festival de Bordeaux en 1961, a révélé une poésie élégante, une écriture délicate et une instrumentation subtile. Son Héritière, dans un tout autre esprit, a confirmé ces qualités au GrandThéâtre de Nancy en 1974. DAMOREAU-CINTI (Laure CINTHIE-MONTALANT, épouse DAMOREAU , dite Laure), soprano française (Paris 1801 - Chantilly 1863). Elle obtint au Conservatoire un prix de solfège dès 1808 et un prix de piano dès 1810. Elle parut dans les salons de la reine Hortense comme pianiste prodige, puis comme harpiste. Elle entreprit en 1811 l’étude du chant avec Plantade et remporta un premier prix en 1815. Le célèbre pédagogue Manuel Garcia la prit sous sa protection et la fit débuter en concert en 1815. Elle aborda la scène, l’année suivante, au Théâtre-Italien dans Una Cosa rara de Martin y Soler. Devenue célèbre, elle participa à de nombreuses créations comme celles, à l’Opéra, du Comte Ory de Rossini (1828), de la Muette de Portici d’Auber (1828), de Guillaume Tell de Rossini (1829) et de Robert le Diable de Meyerbeer (1831), et, à l’Opéra-Comique, du Domino noir d’Auber (1837). Elle se retira de la scène en 1842, fit des tournées de concerts jusqu’en Amérique, puis se consacra à un poste de professeur au Conservatoire de Paris auquel elle avait été nommée en 1834. Parmi les nombreuses chanteuses célèbres de son époque, Laure Damoreau-Cinti se distingua par la pureté de son style et la justesse de son expression. DAMROCH, famille de musiciens américains d’orgine allemande. Leopold, violoniste, chef d’orchestre et compositeur (Posen 1832 - New York 1885). Docteur en médecine après des études à Berlin, il se consacra ensuite à la musique et dirigea en Allemagne plusieurs orchestres de théâtre, jusqu’à sa nomination comme membre de la chapelle de la cour à Weimar. Il occupa ensuite diverses fonctions à Breslau et fit des tournées, comme violoniste, aux côtés de Hans de Bülow et Carl Tausig. Fixé à New York en 1871 pour y diriger la chorale Arion, il fonda tour à tour l’Oratorio Society et la New York Symphony Society, avec lesquelles il donna des concerts réputés. Il manifesta le même esprit d’organisation dans la création d’une entreprise d’opéra allemand au Metropolitan de New York, après la chute d’une troupe italienne. À côté de sa prodigieuse activité au service de la musique, son oeuvre de compositeur pâlit un peu. On lui doit cependant des partitions à la structure ferme, brahmsienne, mais dont l’écriture, dans le détail, révèle l’influence de Liszt : pièces pour violon, mélodies, oeuvres chorales (Ruth und Noemi, idylle biblique, etc.) et ouvertures pour orchestre. Franck Heino, compositeur et chef d’or- chestre, fils du précédent (Breslau 1859 New York 1937). Élève de Moszkovski, il se fixa aux États-Unis en même temps que son père. Il fit une carrière de chef d’orchestre dans différentes villes américaines, fut chef des choeurs au Metropolitan Opera et inspecteur musical des écoles. Walter, chef d’orchestre et compositeur, frère du précédent (Breslau 1862 New York 1950). Il fit ses études avec son père et avec Hans de Bülow. Il fonda en 1894 la Damrosch Opera Company, qui fit connaître l’oeuvre de Wagner à travers les États-Unis. Chef d’orchestre au Metropolitan Opera et directeur de plusieurs sociétés de concert, défenseur des grands compositeurs européens de son époque, dont il créa les oeuvres aux ÉtatsUnis, il donna une impulsion très vive à la vie musicale américaine. Il jeta d’autre part les bases du conservatoire américain de Fontainebleau. Compositeur, il écrivit des musiques de scène, de la musique de chambre, des oeuvres chorales et des mélodies. Il commanda à Sibelius Tapiola (1926). DANCLA (Jean-Baptiste), violoniste et compositeur français (Bagnères-de-Bigorre, Hautes-Pyrénées, 1817 - Tunis 1907). Il entra au Conservatoire de Paris dans la classe de violon de Baillot et obtint un premier prix en 1833. Il travailla ensuite la composition avec Berton, l’harmonie avec Halévy et le contrepoint avec Reicha. Il obtint le second grand prix de Rome en 1838, mais se consacra à une carrière de violoniste qu’il accomplit dans différents orchestres avant d’être admis comme premier violon dans celui de l’Opéra puis, en 1841, comme violon-solo à la Société des concerts du Conservatoire. Membre de la chapelle impériale (1853), il fut nommé professeur adjoint au Conservatoire en 1855, puis professeur en 1860. Il abandonna ces différents postes en 1892 pour prendre sa retraite et voyager. Compositeur d’une rare fécondité, Dancla écrivit de nombreuses pièces pour violon ainsi que de la musique de chambre et des symphonies concertantes. Il signa, par ailleurs, différents ouvrages pédagogiques et des mémoires. Il eut deux frères : Arnaud (1819-1862) qui fut violoncelliste, professeur au Conservatoire et signataire d’une méthode de violoncelle ; Léopold (1822- 1895), qui fut violoniste, en particulier à l’Opéra et à l’Opéra-Comique. DANCO (Suzanne), soprano belge (Bruxelles 1911). Elle a fait ses débuts à Gênes en 1941 dans le rôle de Fiordiligi (Cosi fan tutte) de Mozart. Elle a beaucoup chanté en Italie où elle créa Wozzeck de Berg (San Carlo de Naples, 1943) et en Angleterre. Son répertoire de théâtre était extrêmement divers, allant de Mozart à Puccini en passant par Berlioz et Debussy. Suzanne Danco possédait une voix de soprano lyrique, longue, agile et d’une homogénéité exemplaire. Ses interprétations témoignaient d’un grand raffinement musical. DANDELOT (Georges), compositeur et pédagogue français (Paris 1895 - SaintdownloadModeText.vue.download 282 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 276 Georges-de-Didonne, Charente-Maritime, 1975). Au Conservatoire de Paris, il fut l’élève, notamment, de Roussel et de Dukas pour la composition. Après la Première Guerre mondiale, il se consacra à l’enseignement, d’abord à l’École normale de musique (à partir de 1919), puis au Conservatoire, où il fut nommé professeur d’harmonie en 1943. Il ne négligea pas pour autant la composition et écrivit des oeuvres lyriques, de la musique de chambre, de la musique instrumentale, des oratorios et de charmants ballets conçus pour les enfants. Son écriture, influencée par celle de ses maîtres, mais aussi par celle de Debussy, témoigne de grandes qualités mélodiques. Elle est souvent délicate, mais sait aussi traduire un lyrisme ardent. L’oratorio Pax (1937) est un des rares cris de protestation contre la guerre qui aient été émis par les compositeurs de sa génération. Dandelot a écrit des ouvrages didactiques de solfège et d’harmonie, qui demeurent très employés de nos jours ; il a d’autre part édité les oeuvres de musique baroque. DANIEL ou DANYEL (John), compositeur et luthiste anglais ( ? v. 1565 - ? v. 1630). Son père était musicien, et son frère Samuel (1562-1619), poète. Les deux frères occupèrent, l’un après l’autre, le poste de « Inspector of the Children of the Queen’s Revels ». L’université d’Oxford honora John Daniel du titre de « Batchelor in Musicke » (1604). En 1606, celui-ci publia un recueil de 20 Songs for the Lute, Viol and Voice, augmenté d’une pièce pour luth seul (éd. moderne : The English School of Lutenist Song Writers 1/12, Londres, 1959). En 1625, il devint membre de la Royal Company of Musicians for the Lute and Voices. Après la mort de Samuel, John publia une édition des oeuvres du poète dédiée au prince Charles (1623). DANIEL-LESUR, compositeur français (Paris 1908). Sa mère, musicienne accomplie, lui fait prendre ses premières leçons d’orgue et de composition avec Charles Tournemire. En 1919, il entre au Conservatoire ; Olivier Messiaen est son condisciple dans les classes d’harmonie et de fugue. En 1927, il devient le suppléant de Charles Tournemire à l’orgue de Sainte-Clotilde. Sa Suite française est créée par Pierre Monteux à l’O. S. P. en 1935. La même année, il est nommé professeur de contrepoint à la Schola cantorum, et, l’année suivante, il fonde, avec Yves Baudrier, André Jolivet et Olivier Messiaen, le groupe « Jeune France ». Entré dans les services artistiques de la Radiodiffusion nationale au début de 1939, Daniel-Lesur est mobilisé en septembre ; il revient à la vie civile au mois d’août 1940 et rejoint la radio en zone libre. En 1942, il revient à Paris. De 1945 à 1957, il compose de nombreuses oeuvres de musique de chambre et de musique vocale (parmi lesquelles la Suite médiévale [1946] et le Cantique des cantiques [1953]). Déjà un thème s’impose à lui, celui d’Andrea del Sarto, qu’il aborde en 1947 par une musique de scène, suivie, en 1949, d’un poème symphonique. La pièce d’Alfred de Musset lui inspire enfin un opéra, créé à l’opéra de Marseille en 1969. Parallèlement à son activité de compositeur, Daniel-Lesur a assumé des tâches importantes à la radio, à la télévision et au ministère des Affaires culturelles, où lui a été confiée, en 1971-72, la direction de l’Opéra. De 1957 à 1961, il a été directeur de la Schola cantorum. Attaché aux traditions de la musique française, mais refusant le néoclassicisme, qu’il considère comme une « commodité mécanique pire encore que celles de la musique systématique », esprit logique et sensible, épris de clarté, Daniel-Lesur a réussi d’une manière assez exceptionnelle à allier dans son oeuvre rigueur et sensualisme. Il fait revivre des formes anciennes comme le ricercare et la passacaille ; sa liberté de musicien est fondée sur des choix, des contraintes volontaires. Son Cantique des colonnes, sur le poème de Valéry, sa Symphonie d’ombre et de lumière témoignent autant de la hauteur de sa pensée que de la perfection de son art. Et son chef-d’oeuvre, Andrea del Sarto, recrée avec bonheur le climat de la Renaissance italienne. En 1982 a été créé l’opéra Ondine, d’après Giraudoux. DANIÉLOU (Alain, dit SHIVA SHARAN) ethnomusicologue francais (Neuilly-surSeine 1907 - Lonay, près de Lausanne, 1994). Après avoir travaillé le chant avec Charles Panzéra et la composition avec Max d’Ollone, il s’est fixé en Inde et s’est consacré à l’étude de la musique et de la religion hindoues. Élève de l’université de Santiniketan au Bengale, puis directeur de l’école de musique de cet établissement, il s’est installé en 1935 à Bénarès, où il a été nommé directeur de l’Institut de musicologie (1949), puis, en 1954, à Madras. Membre de l’École française d’ExtrêmeOrient (1959) et du Conseil international de musique à l’Unesco (l960), il a été nommé, en 1963, directeur de l’Institut de musique comparée de Berlin. Sa connaissance exceptionnelle de la musique de l’Inde et ses travaux de sémantique musicale lui ont conféré un renom mondial. Principaux écrits : Introduction to the Studies of Musical Scales (1943) ; Catalogue de musique classique de l’Inde (1952) ; Northern Indian Music (2 vol., 1949-1954) ; Musique de l’Inde (1966) ; Sémantique musicale (1967) ; The Ragas of Northern Indian Music (1968) ; Situation de la musique et des musiciens dans les pays d’Orient (1971). DANZI (Franz), compositeur allemand (Mannheim 1763 - Karlsruhe 1826). Fils d’un violoncelliste de l’orchestre de Mannheim, élève de l’abbé Vogler, il resta dans sa ville natale lorsque l’orchestre partit pour Munich en 1778 et ne l’y rejoignit qu’en 1783. Il voyagea à partir de 1791 en Italie et en Allemagne, puis revint à Munich, mais la mort de sa femme (1800) et des difficultés avec son collègue Peter von Winter le poussèrent à quitter cette ville. Il fut de 1807 à 1812 maître de chapelle à Stuttgart, où il connut Weber, puis à Karlsruhe jusqu’à sa mort. On lui doit des cantates, des opéras comme Die Mitternachtsstunde (Munich, 1788), Der Kuss (Munich, 1799), Iphigenie in Aulis (Munich, 1807) ou Rübezahl (Karlsruhe, 1813), des lieder, des quintettes à vent demeurés célèbres, des symphonies concertantes, de la musique de chambre (en particulier pour violoncelle), etc. Il a exercé sur Weber une influence assez nette. DAO (Nguyen Thien), compositeur vietnamien (Hanoi 1940). Il a fait ses études au Conservatoire de Paris, en particulier avec Olivier Messiaen, a travaillé également avec le Groupe de recherches musicales de l’O. R. T. F., s’est fait connaître avec Tuyen Lua pour flûte, piano, quatuor à cordes et une percussion, dont la création au festival de Royan de 1969 suscita de violentes controverses, et a obtenu en 1974, avec Mau Va Hoa pour grand orchestre, le prix de composition Olivier-Messiaen. Héritier de deux civilisations, Dao a poussé ses recherches dans la triple direction du rythme - rythme extra-humain ne découlant pas du rythme cardiaque et dont les tempos, extrêmement lents et extrêmement rapides, sont issus de la conception cosmique du rythme oriental et de la formidable technicité du XXe siècle -, de la fréquence suspensive ou du non-tempérament (la hauteur de chaque son étant en constante mobilité dans les registres très graves et très aigus) et du silenceméditation (comme articulation du discours musical, le silence permettant « de me transporter dans un autre espace, ailleurs »). Sa musique oscille souvent entre une immobilité aux limites du silence et une extrême violence. Son catalogue, d’une trentaine d’oeuvres, comprend notamment : The 19 pour 4 voix de femmes, ensemble instrumental, 5 percussions et ondes Martenot (créé au festival de Royan de 1970) ; Bat Khuat pour 5 percussionnistes (1969, créé en 1970) ; Khoc To Nhu pour 12 voix mixtes a cappella (1971) ; Koskom pour grand orchestre (1971) ; May pour 1 percussionniste (créé à Royan downloadModeText.vue.download 283 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 277 en 1974) ; Ba MeViêt-nam pour contrebasse et ensemble instrumental, oeuvre fixée dans tous ses détails (1974) ; Phu Dong pour voix, percussion et quintettes de cuivres, oeuvre ouverte inspirée d’une ancienne légende vietnamienne (1973) ; Gio Dong (1973) pour voix seule, sur des textes de la littérature vietnamienne du XIVe siècle à nos jours ; Framic pour flûte basse seule (1974) ; Camatithu pour 6 percussionnistes (1974) ; Giai Phong pour grand orchestre et dispositif électroacoustique (1974-1976) ; Ten Do Gu, concerto pour percussion (1980) ; Hoang Hon, cycle de mélodies pour soprano et orchestre (1980) ; Blessure/Soleil, concerto pour clarinette et orchestre de chambre (1983) ; Symphonie pour pouvoir, commande de Radio France pour le bicentenaire de la Révolution (1989) ; deux opéras, My Chan Trong Thuy, créé à la Salle Favart à Paris en décembre 1978 et relatant un ancien épisode des guerres entre Chine et Viêt-nam, et Écouter-Mourir, créé à Avignon le 24 juillet 1980 et traitant, d’après une vieille légende, de la place de la musique dans les relations humaines ; Quatuor à cordes no 1 (1991) ; les Perséides pour soprano et sextuor à cordes (1992). DA PONTE (Lorenzo), poète et librettiste italien (Ceneda, aujourd’hui Vittorio Veneto, 1749-New York 1838). Né dans une famille de confession juive, il s’appelait en réalité Emmanuele Conegliano, et prit le nom et le prénom de l’évêque de Ceneda lorsque son père se convertit avec ses trois fils (1763), dont il était l’aîné. Ordonné prêtre en 1773, il enseigna à Trévise puis à Venise, et, en 1779, fut banni pour quinze ans de cette ville pour adultère. Après un bref séjour à Dresde, il s’installa en 1781 à Vienne, où Joseph II le nomma librettiste du nouveau théâtre italien. Il écrivit d’abord pour Salieri, mais obtint ses premiers grands succès en 1786 avec Le Nozze di Figaro destiné à Mozart, et surtout Una cosa rara destiné à Martin y Soler. En 1787, il écrivit pour Salieri Axur, d’après Tarare de Beaumarchais, pour Martin y Soler L’Arbore di Diana et pour Mozart Don Giovanni, et en 1789-90 pour Mozart Cosi fan tutte. La mort de son protecteur Joseph II (1790) l’obligea à quitter Vienne. Il se rendit à Prague (où il rencontra Casanova), puis à Dresde, et à l’automne de 1792 arriva à Londres, où, compte non tenu de séjours en Hollande (1793) et en Italie (1798), il devait rester treize ans. Nommé librettiste du King’s Theatre en 1793, il perdit plus tard cette place, et des difficultés financières croissantes le forcèrent à émigrer en Amérique avec sa famille (1805). À New York, il fut épicier puis libraire et professeur d’italien, et, en 1825, assista à la première de Don Giovanni dans cette ville : ce fut pour lui une sorte d’apothéose. Il y écrivit aussi ses mémoires (Memorie di Lorenzo Da Ponte di Ceneda scritte da esso, New York, 1823-1827, éd. rév. 182930), ouvrage intéressant, paru à plusieurs reprises (dont deux en 1980) en français, mais qu’il faut se garder de prendre au pied de la lettre. Ses livrets, dont le nombre dépasse la trentaine, valent moins par leur profondeur que par leur vivacité et leur simplicité, et surtout par leur sens remarquable des contrastes, de l’antithèse et de l’opposition de caractères. À ce titre, sa plus grande réussite semble bien être Cosi fan tutte. D’ARANYI (Jelly), violoniste anglaise d’origine hongroise (Budapest 1893-Florence 1966). Petite-nièce de Joseph Joachim et soeur cadette de la violoniste Adila Fachiri, qui sera sa partenaire, elle reçoit sa formation à l’Académie royale de Budapest. Une extrême virtuosité, alliée à un son âpre et audacieux, la désigne comme l’interprète idéale de la nouvelle musique hongroise. De là viennent les dédicaces d’oeuvres majeures qu’elle crée et qui jalonnent sa carrière. Ainsi les deux sonates pour violon et piano de Bartók, qu’elle joue avec le compositeur, à Londres, en 1922 et 1923, et Tzigane de Ravel, qu’elle crée en 1924. Établie en Angleterre dès 1925, elle consacre une grande part de son activité à la musique de chambre, jouant les trios de Haydn et de Beethoven, ou des sonates classiques avec la pianiste Myra Hess. Elle inspire également des compositeurs anglais : en 1925, Ralph Vaughan-Williams lui dédie son Concerto Academico, et, en 1930, elle crée avec sa soeur le Double Concerto de Gustav Holst. En 1938, elle crée en Angleterre le Concerto pour violon de Schumann. Elle apparaît une dernière fois avec Adila Fachiri en 1960, pour une exécution du Concerto pour deux violons de Bach. DARASSE (Xavier), organiste et compositeur français (Toulouse 1934 - id. 1992). Il a été élève du Conservatoire de Paris, dans les classes d’harmonie, de contrepoint, de fugue, d’orgue et improvisation, d’analyse musicale et de composition, avant d’obtenir le premier grand prix de Rome, en 1964. Grand prix d’exécution et d’improvisation des Amis de l’orgue, il commença une brillante carrière d’exécutant, marquée par l’originalité de ses interprétations du répertoire baroque et par sa curiosité pour tout le répertoire contemporain et les nouvelles techniques de jeu c’est ainsi qu’il donna une transcription personnelle des Variations pour piano op. 27 de Webern. Mais un grave accident devait le conduire à renoncer à ses activités de concertiste, pour se consacrer à l’enseignement de l’orgue et de l’écriture et à la composition. Il est notamment l’auteur d’une grande pièce pour orgue, Organum I (1970), dédiée à son maître Olivier Messiaen. Il a dirigé en 1991-92 le C.N.S.M. de Paris. DARGOMYJSKI (Alexandre), compositeur russe (Dargomyz 1813 - Saint-Pétersbourg 1869). « Un petit homme en redingote bleu pâle, avec un gilet rouge et affligé d’une invraisemblable voix de fausset », tel apparaissait à ses contemporains Dargomyjski, fils de riches gentilshommes campagnards. Très tôt, il prit des leçons de piano, violon et alto et lorsque, en 1840, il fréquenta les salons de Saint-Pétersbourg, il brilla par sa virtuosité pianistique et par l’aimable tournure de ses premières compositions (pièces pour piano et mélodies). En 1833, Joukovski et Koukolnik le présentèrent à Glinka qui lui prodigua ses encouragements. Le succès de la Vie pour le tsar de Glinka décida Dargomyjski à écrire un opéra ; mais il ne s’orienta pas, comme ce dernier, vers des sujets nationaux, leur préférant des sujets romantiques français. Un premier projet, Lucrèce Borgia (d’après Hugo), n’ayant pas abouti, il entreprit, malgré les conseils de ses amis, un opéra Esméralda, dont il composa lui-même le livret d’après Notre-Dame de Paris de Hugo (1838-1841) ; l’oeuvre ne fut acceptée qu’en 1847 et montée l’année suivante avec un médiocre succès. Entre-temps, un voyage le mena de Vienne à Paris et Bruxelles (1845) : il y rencontra Auber, Halévy, Meyerbeer et se lia d’amitié avec Fétis. À son retour, Dargomyjski, toujours à la recherche de sa voie, termina un opéra-ballet, le Triomphe de Bacchus (1848), qui ne fut monté que dix-neuf ans plus tard, sans succès. Désemparé par de tels délais et décidant d’être enfin luimême, il se retira en 1853 sur ses terres, ne passant qu’une partie de l’hiver dans la capitale, où il organisait soirées et réunions musicales privées. Moussorgski, en 1856, y fut admis et par la suite y amena ses amis. Dans ce climat, Dargomyjski termina, en 1855, un projet caressé depuis longtemps, la Roussalka, d’après Pouchkine, puis entreprit le Convive de pierre (Don Juan), toujours d’après Pouchkine, mais la mort ne lui permit pas de l’achever. Selon ses instructions, Cui réalisa les dernières pages et Rimski-Korsakov orchestra l’oeuvre. Dargomyjski eut sur la musique russe une influence considérable en complétant l’action de Glinka. Tournant le dos à l’esthétique d’Auber et d’Halévy visible dans ses premiers essais de théâtre lyrique, il chercha à développer un aspect que Glinka, à ses yeux, a négligé : les éléments dramatiques (cf. scène de la folie du meunier, dans Roussalka). Si sa grande manière naturaliste ne se révélait pas d’une façon évidente dans la Roussalka downloadModeText.vue.download 284 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 278 (l’orchestration est empâtée, le découpage traditionnel, et l’imitation de Glinka complaisante), une innovation d’importance y apparaissait : le récitatif. « Je veux que le son exprime directement le mot. Je veux dire la vérité. » Tel était son but et, essayant de cerner les rapports étroits de la musique, du texte et de la parole, il poussa à l’extrême dans le Convive de pierre cette recherche de la déclamation lyrique prise aux sources même de la vie. Il fit, en effet, lire le texte de Pouchkine à des comédiens, nota leur déclamation, la compara aux inflexions de la voix parlée naturelle. La ligne mélodique vocale qu’il adopta fut ainsi une sorte de traduction juxtalinéaire du poème de Pouchkine, visant l’expression pure et juste, la vérité psychologique et dramatique. Cette quête remit en cause le découpage traditionnel : le Convive ne compte pas un seul choeur, seulement deux chansons ; tout le reste est récitatif. Lors de sa création, en 1872, l’oeuvre connut auprès d’un public amateur de mélodies flatteuses, d’effets pittoresques, un échec encore plus grand que celui de la Roussalka. C’est pourtant là qu’il faut chercher les origines de Boris Godounov ou du Mariage de Moussorgski, de Mozart et Salieri de Rimski-Korsakov ou du Joueur de Prokofiev. La paternité de l’école nationale est bien partagée entre Glinka et Dargomyjski. DARMSTADT (festival de). Pendant plus de deux décennies, le festival international de Darmstadt a représenté une des plaques tournantes des nouvelles tendances musicales de l’après-guerre. Créé en 1946 par Steinecke et installé au Jagdschlof Kranichstein, le festival permit tout d’abord de faire le point sur les acquis de l’école de Vienne (Schönberg, Berg et Webern), puis, grâce à la confrontation des figures marquantes de la jeune génération, de rendre compte des divers courants d’idées qui traversèrent le langage de la musique dès le début des années 50. Beaucoup plus qu’un festival, Darmstadt fut considéré comme un lieu de rencontres pour plusieurs générations, sous l’impulsion de Wolfgang Steinecke ; Edgar Varèse, Ernst Krenek furent invités en 1950, Olivier Messiaen y participa en 1949 et 1952. Quant aux musiciens qui entreprirent leurs recherches au moment de la création de Darmstadt, ils s’y retrouvèrent presque tous, une année ou une autre, pour y présenter leurs oeuvres et leurs pensées esthétiques : P. Boulez, K. Stockhausen, H.-W. Henze, G. Ligeti, H. Pousseur, J. Cage, E. Brown, B. A. Zimmermann, Y. Xenakis, M. Kagel, B. Maderna, L. Berio, L. Nono, S. Bussotti, D. Schnebel, F. Donatoni, etc. Une des grandes forces de Darmstadt, qui ne se manifestera pas dans d’autres festivals, fut d’allier plusieurs fonctions complémentaires : diffusion, production, enseignement, information, sans qu’aucun de ces domaines n’apparût jamais sacrifié par rapport aux autres. Si les concerts pouvaient être envisagés comme une part importante du festival (avec les créations d’oeuvres telles que Kontrapunkte ou Kreuzspiel de K. Stockhausen, Polyphonie X de P. Boulez), son activité n’était pas exagérément axée sur l’aspect « diffusion ». À ce propos, il faut souligner que les programmes intégrèrent à de nombreuses reprises des oeuvres devenues « de référence » (de Mahler, Ives, Scriabine, Ravel, Stravinski) et s’ouvrirent également aux musiques extra-européennes (le musicien indien Ravi Shankar intervint notamment en 1957). L’enseignement délivré à Darmstadt constitua très vite un pôle d’attraction unique pour les musiciens de divers pays : cours d’instruments, qui furent souvent un catalyseur décisif pour la littérature instrumentale, à travers la personnalité de musiciens comme S. Gazzeloni (flûte), A. Kontarsky (piano), D. Tudor (piano), F. Pierre (harpe), K. Caskel (percussions), G. Deplus (clarinette) ; cours de direction d’orchestre avec H. Scherchen, B. Maderna ; cours de composition avec la plupart des compositeurs précités ; cours d’esthétique avec T.-W. Adorno, H. Stückenschmidt, H. Strobel ; cours d’acoustique avec H. Eimert, W. Meyer-Eppler. Ces cours et conférences suscitèrent la publication d’un ensemble de fascicules, les Darmstädter Beiträger, qui rassemblent des textes déterminants pour l’appréhension des musiques actuelles (Penser la musique aujourd’hui de P. Boulez, de nombreux articles analytiques de K. Stockhausen, G. Ligeti, M. Kagel, etc.). À partir du milieu des années 60 se développèrent des ateliers de composition posant le problème de la création collective : ainsi naquit, en 1967, Ensemble, selon certains principes déduits d’oeuvres de K. Stockhausen comme Mikrophonie, Plus-Minus ; ce processus de composition de groupe associait douze compositeurs dont T. Marco, J. Fritsch, J. Mac Guire, M. Maiguashca. En 1968, à l’occasion d’un atelier dirigé par K. Stockhausen, Musik für eine Haus regroupa, pour un projet où la spatialisation des sources sonores jouait un rôle essentiel, C. Miereanu, M. Maiguashca, R. Gehlhaar, J. Peixinho, etc. Au cours des années 70 se dessina toutefois un essoufflement progressif ; peut-être les options esthétiques des organisateurs du festival se firent-elles plus restrictives, l’omniprésence de certains grands « ténors » de la musique d’avantgarde freina-t-elle quelque peu les apports de générations plus jeunes. Si l’on put noter plus récemment la présence, au sein du festival de Darmstadt, de compositeurs comme M. Monnet, B. Ferneyhough, G. Grisey, V. Globokar, susceptibles d’insuffler des idées nouvelles, il n’en reste pas moins que ce festival semble tributaire d’une image de marque privilégiée, à un moment précis de l’évolution des musiques du XXe siècle, avec ses compositeurs de prédilection et leurs épigones. Nombreux étaient les musiciens qui, vers 1980, attendaient que Darmstadt change de cap ou que se développent de nouveaux Darmstadt. Friedrich Hommel, directeur de 1982 à 1994, a largement répondu à leurs espoirs. Il a eu comme successeur en 1995 Solf Schaefer, auparavant directeur du département musique de la radio autrichienne à Graz. DARRÉ (Jeanne-Marie), pianiste française (Givet 1905). Elle est l’élève de Marguerite Long au Conservatoire de Paris, où elle obtient un 1er Prix à l’âge de quatorze ans. Elle fait ses débuts l’année suivante à Paris, mais sa carrière ne prend véritablement son essor qu’en 1924. En 1958, elle est nommée professeur de piano au Conservatoire de Paris. Elle a assuré la création de plusieurs oeuvres contemporaines, dont la Sonatine de Noël Gallon (1931). DART (Thurston), claveciniste et musicologue anglais (Kingston 1921 - Londres 1971). En 1938, il étudie le clavecin au Royal College of Music de Londres, puis, en 1945, se perfectionne en Belgique avec Charles van den Borren. En 1946, il débute une carrière de claveciniste, et de 1948 à 1955 tient le continuo dans l’orchestre Boyd Neel. Il occupe aussi de nombreux postes universitaires, notamment à Cambridge, et dirige plusieurs sociétés musicologiques qui assurent une grande influence à ses conceptions sur la musique ancienne. Dans les années 1950, il collabore à la parution d’une centaine de disques de l’Oiseau-Lyre. En 1964, il fonde une faculté d’enseignement musical au King’s College de Londres. Il se spécialise surtout dans les oeuvres de Bach et de John Bull. Il a aussi supervisé de nombreuses éditions de Byrd, de Couperin et de madrigalistes anglais. DAUTREMER (Marcel), compositeur et pédagogue français (Paris 1906 - id. 1978). Il étudia le violon, puis entra au Conservatoire de Paris, où il fut l’élève de Samuel-Rousseau (harmonie), Noël Gallon (contrepoint), Paul Dukas (composition) et Philippe Gaubert (direction d’orchestre). Il devint ensuite professeur de musique dans les écoles de la Ville de Paris. En 1946, il fut nommé directeur du conservatoire de Nancy et devint chef de l’Orchestre symphonique de cette ville. De downloadModeText.vue.download 285 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 279 1948 à 1958, il fut président de l’Association des directeurs de conservatoires nationaux et municipaux. Il a composé des oeuvres pour piano, de la musique instrumentale, des choeurs et des oeuvres pour orchestre. Son écriture, claire, franche, révèle un goût pour la polytonalité qui lui vient de son maître Paul Dukas. Dautremer a été aussi l’auteur de plusieurs ouvrages pédagogiques et, notamment, d’un Cours complet d’éducation musicale (1952). DAUVERGNE ou D’AUVERGNE (Antoine), violoniste et compositeur français (Moulins 1713 - Lyon 1797). Violoniste comme son père, il entra, en 1741, en tant qu’instrumentiste dans la musique de la Chambre du roi, puis en 1744 dans l’orchestre de l’Opéra. Dès 1739, lors de la publication de ses sonates pour un et deux violons, il s’était fait également connaître comme compositeur. En 1751 furent donnés ses concerts de symphonies à quatre parties et, l’année suivante, son premier opéra, les Amours de Tempé, dont le succès allait déterminer sa carrière dramatique. Jusqu’en 1771, il écrivit une dizaine d’ouvrages lyriques, qui firent de lui un artiste de renom. Des postes honorifiques lui furent confiés : en 1755, celui de compositeur et maître de musique de la Chambre ; en 1762, celui de codirecteur du Concert spirituel - qui lui donna l’occasion de faire exécuter des motets de sa composition ; en 1764, celui de surintendant de la musique ; et à trois reprises, entre 1769 et 1790, celui de directeur de l’Opéra. Ses oeuvres théâtrales ne furent cependant pas toujours bien accueillies, notamment celles composées sur des livrets qui avaient déjà été mis en musique par ses prédécesseurs à l’Académie royale de musique, comme Énée et Lavinie (1758), Canente (1760) ou la Vénitienne (1768). L’opéra-comique, genre dont il fut l’un des créateurs, semblait lui convenir davantage que l’opéra. Dans son intermède à l’italienne les Troqueurs (1753), il sut allier les styles français et italien, mais, contrairement à ce qui devait caractériser l’opéra-comique français, les récitatifs y étaient chantés et non parlés. DAVAUX, D’AVAUX ou DAVAU (JeanBaptiste), compositeur français (La CôteSaint-André, Isère, 1742 - Paris 1822). À l’âge de vingt-cinq ans environ, il se rendit à Paris, où ses premières compositions, deux ariettes (1768) et son Concerto pour violon (1769), connurent un vif succès. En 1784, il s’intéressa au « chronomètre » de Bréguet, l’un des ancêtres du métronome ; puis il s’essaya dans le théâtre lyrique en écrivant deux opéras-comiques, Théodore ou le Bonheur inattendu (1785) et Cécilia ou les Trois Tuteurs (1786). Violoniste, il réussit davantage dans la musique instrumentale et composa pour les cordes six Duos d’airs connus (1788), six Trios concertants (vers 1792), trois recueils de six Quatuors (1773, 1779, 1780), trois Svmphonies à grand orchestre (1784), et surtout treize Symphonies concertantes (vers 1792-1794), qui furent très applaudies au Concert spirituel et dont il fut l’un des premiers, en France, à illustrer le genre. DAVENSON (Henri) ou (Henri Irénée MARROU), historien et musicologue français (Marseille 1904 - Châtenay-Malabry 1977). Ancien élève de l’École normale supérieure et de l’École française de Rome, collaborateur de la revue Esprit (1934), professeur à la Sorbonne (1945), membre de l’Institut (1967), il a publié, sous son vrai nom, Henri Irénée Marrou, des ouvrages sur l’Antiquité classique et sur l’origine du christianisme, qui lui ont valu une renommée internationale. Trois de ces ouvrages sont consacrés à saint Augustin. Un quatrième, publié en 1942 sous la signature d’Henri Davenson, est un Traité de la musique selon l’esprit de saint Augustin. Suivirent, sous la même signature, le Livre des chansons ou Introduction à la connaissance de la chanson populaire française (1944), et les Troubadours (1961). L’oeuvre d’Henri Irénée Marrou est plus vaste que celle d’Henri Davenson mais ce savant était aussi un artiste, et le musicologue apparaît, chez lui, de la même qualité que l’historien. DAVID (Félicien), compositeur français (Cadenet, Vaucluse, 1810 - Saint-Germain-en-Laye 1876). Initié très jeune aux rudiments de la musique par son père, mais devenu tôt orphelin, il fut placé à l’âge de huit ans dans la maîtrise de l’église Saint-Sauveur à Aix-en-Provence. Une bourse lui permit de poursuivre ses études chez les jésuites, mais il s’échappa de cette école pour travailler dans l’étude d’un avoué et jouer dans l’orchestre du théâtre d’Aix. À treize ans, il composa un quatuor à cordes. En 1829, il accéda au poste de maître de chapelle de Saint-Sauveur. L’année suivante, il se rendit à Paris. Reçu par Cherubini, il montra à ce dernier une pièce vocale, Beatus vir, écrite pour Saint-Sauveur, et fut immédiatement admis au Conservatoire. Gagné à la doctrine des saint-simoniens, il écrivit pour eux des hymnes et partit en 1833, avec quelques autres apôtres, comme missionnaire de leur cause à Constantinople, à Smyrne et en haute Égypte. Reculant devant le choléra, il regagna Paris en 1835, non sans rapporter des visions colorées qu’il résolut de traduire dans ses compositions. Il publia deux recueils pour piano, Mélodies orientales (1836) et les Brises d’Orient (1845), qui eurent peu de succès. Une symphonie, un nonetto pour instruments à vent furent plus tard accueillis avec davantage de faveur ; enfin, en 1844, l’oratorio le Désert, où David résumait toutes ses impressions d’Orient, obtint un triomphe extraordinaire et la carrière du musicien prit vraiment son essor, du moins en France, car quelques concerts qu’il donna en Allemagne n’obtinrent pas le succès escompté. En 1851, avec la Perle du Brésil, David s’imposa comme compositeur lyrique, et le théâtre devint son domaine de prédilection. Toutes ses créations ne renouèrent certes pas avec le succès du Désert, et un oratorio, l’Eden (1848), salué avec admiration par une partie de la critique, n’emporta pas l’adhésion du public. Mais au théâtre, David obtint plusieurs nouveaux triomphes, notamment, en 1862, avec Lalla Roukh d’après Thomas Moore. Il succéda à Berlioz comme bibliothécaire au Conservatoire, puis à un fauteuil de l’Institut, en 1869. DAVID (Johann Nepomuk), compositeur autrichien (Eferding 1895 - Stuttgart 1977). Compatriote de Bruckner, il fut formé à Saint-Florian, puis devint instituteur avant de se perfectionner dans l’écriture musicale à l’Académie de Vienne. Il fut plus tard nommé au conservatoire de Leipzig, professeur (1934), puis directeur (1939). Après avoir ensuite enseigné au Mozarteum de Salzbourg, il devint professeur à la Musikhochschule de Stuttgart. Héritier de la tradition autrichienne, David reste fidèle à un contrepoint savant et à l’art de la variation, tels qu’ils étaient pratiqués à l’orgue, dont le style l’a beaucoup influencé, ou tels qu’ils les a étudiés et analysés dans la musique de la Renaissance et dans les oeuvres de Bach. Son harmonie, tonale, et son style n’échappent pas toujours à un certain académisme postromantique, mais son inspiration est forte et généreuse. Il a écrit huit Symphonies, des Variations pour orchestre, deux Concertos pour violon et orchestre, une importante musique chorale (Deutsche Messe, Missa choralis, Requiem chorale, des Choeurs et des Motets), un oratorio (Ezzolied, 1957), de la musique de chambre et de nombreuses partitions pour l’orgue. DAVIDE (Giacomo), ténor italien (Presezzo, près de Bergame, 1750 - Bergame 1830). Meilleur ténor de la fin du XVIIIe siècle, grâce à une voix à la fois large et virtuose, il débuta à Milan en 1773. En 1779, on tenta en vain de l’engager au King’s Theatre de Londres. Il ne s’y produisit que durant la seule saison de 1791, ce qui contribua fortement, dans la capitale britannique, à la fin du règne des castrats et à l’essor de celui des ténors. Haydn écrivit alors pour lui l’un des deux rôles-titres de son Orfeo ed Euridice. Son fils Giovanni downloadModeText.vue.download 286 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 280 (Naples 1790 - Saint-Pétersbourg 1864) fut également un célèbre ténor (le premier de son temps selon Stendhal). La fille de Giovanni, Giuseppina (1821-1907), chanta à Rome et à Saint-Pétersbourg. DAVIES (sir Henry Walford), organiste, compositeur et musicologue britannique (Oswestry, Shropshire 1869 Wrington 1941). Choriste de Saint George’s Chapel en 1882, élève de Parrat (1885-1890), il étudia la musique religieuse anglaise. Il fut ensuite élève du Royal College of Music et y devint professeur de contrepoint en 1895. Organiste et chef de choeur du Temple Church à Londres (1898-1923), il y développa l’exécution de la musique d’église. Les années 1902-1912 marquent une période de composition féconde (choeurs, oratorios). En 1919-1926, il enseigna à l’université de Wales, puis au Gresham College de Londres. Il fut anobli en 1922. Il consacra beaucoup d’activités à la formation de maîtres de musique et aux problèmes de l’éducation musicale populaire. En 1926 et en 1939, il effectua des séries d’émissions à la BBC. En 1934, il fut nommé Master of King’s Music. Il a exercé une grande influence sur la vie musicale de sa génération, principalement sur la musique religieuse. DAVIES (Hugh Seymour), compositeur anglais (Exmouth, Devon, 1943). Après avoir étudié à l’université d’Oxford (1961-1964), il travaille avec K. Stockhausen de 1964 à 1966 et se consacre à des recherches sur la musique électroacoustique, créant des groupes de musiciens, organisant des concerts et fabriquant ses propres instruments (tels différents types de shozyg). Dans ses compositions, il expérimente tout d’abord sur le matériel musical sous une forme traditionnelle (par exemple, Quintet pour 5 exécutants, 5 microphones, sinesquare-wave generator, 4 channel switching unit, potentiomètres, et 6 haut-parleurs, en 1967-68), puis sur la forme en utilisant des instruments classiques (par exemple, Kangaroo pour orgue, 1968), pour finalement limiter l’objet sonore au matériel électroacoustique et à des instruments fabriqués en fonction des données de l’oeuvre. Il est, en outre, l’auteur d’une Discography of Electronic Music and Musique concrète (1964-1966) et d’un Répertoire international des musiques électroacoustiques, réalisé en 1968 pour le Groupe de recherches musicales de l’O.R.T.F., entre autres. DAVIES (Peter Maxwell), compositeur anglais (Manchester 1934). Après des études au Royal Manchester College of Music (1952-1956) et à l’université de Manchester (1952-1957), il fut l’élève, à Rome, de Goffredo Petrassi (1957), directeur de la musique à l’école primaire de Cirencester (1959-1962), où il se fit remarquer par ses méthodes pédagogiques destinées aux jeunes enfants, puis élève de Roger Sessions à Princeton (1962-1964). Il passa ensuite un an à l’université d’Adélaïde en Australie (1966). Sa première oeuvre, une Sonate pour trompette et piano, date de 1955. Suivirent notamment Cinq Pièces pour piano (1956) et Prolation pour orchestre (1959). Il a souvent eu recours, en les imprégnant ou non d’esprit sériel, aux techniques médiévales, et a fréquemment « arrangé » des oeuvres d’autres compositeurs. De ses activités pédagogiques à Cirencester témoignent par exemple Five Klee Pictures pour orchestre de jeunes (1959, rév. 1976) et O Magnum Mysterium pour voix, instruments et orgue (1960). Le Quatuor à cordes (1961), les Frammenti di Leopardi pour soprano, contralto et instruments (1962) et la Sinfonia pour orchestre de chambre (1962) tirent leur inspiration de Monteverdi. Maxwell Davies envisagea alors un opéra sur la vie du compositeur du XVIe siècle John Taverner, ce qui se traduisit tout d’abord par les deux Fantaisies pour orchestre sur un in nomine de John Taverner (1962 et 1964). Dans les années suivantes, ses oeuvres prirent un aspect parodique, au sens médiéval comme au sens moderne du terme, et un aspect théâtral : de cette double veine relèvent Revelation and Fall pour soprano et 16 instruments sur des textes de Georg Trakl (1965-66) - où l’on perçoit des échos de Franz Lehar ; Antechrist pour ensemble de chambre (1967), d’après un motet du XIIIe siècle ; Missa super l’Homme armé pour récitant/chanteur et ensemble de chambre (1968) ; St. Thomas Wake, foxtrot pour orchestre sur une pavane de John Bull (1969) ; Eight Songs for a Mad King pour chanteur et ensemble de chambre (1969) ; ou encore Vesalii Icones pour danseur, violoncelle et ensemble de chambre (1969). En 1967, Maxwell Davies fonda avec Harrison Birtwistle l’ensemble des Pierrot Players, dissous en 1970 et immédiatement reconstitué - avec lui-même comme seul directeur - sous le nom de Fires of London (1971). En cette même année 1971, il écrivit la musique des deux films de Ken Russell The Devils et The Boy Friend. En 1970, il s’installa dans l’archipel des Orcades (en anglais Orkney), au nord-est de l’Écosse, et, dès lors, sa musique prit un tour plus ample, plus lyrique. En 1972 fut créé à Covent Garden son opéra Taverner, terminé en 1970. Il a écrit depuis, entre autres, From Stone to Thorn pour mezzo-soprano et ensemble instrumental (1971), Hymn to St. Magnus pour ensemble avec mezzo-soprano, Stone Litany pour mezzo-soprano et orchestre (1973), Symphonie no 1 pour orchestre (1976), l’opéra de chambre The Martyrdom of St. Magnus (1977), l’opéra pour enfants The Two Fiddlers (1978), le masque le Jongleur de Notre-Dame (1978), le ballet Salome (1978), Black Pentecost pour voix et orchestre (1979), Solstice of Light pour ténor, choeur et orgue (1979), l’opéra de chambre The Lighthouse (1979, créé à Édimbourg, 1980), l’opéra pour enfants Cinderella (1980), A Welcome to Orkney pour ensemble de chambre (1980), les chants de cabaret The Yellow Cake Review (1980), Symphonie no 2 (1980, création à Boston, févr. 1981), une Sonate pour piano (1981), une Symphonie no 3 (1984), plusieurs concertos (dits Strathclyde Concertos) dont un Concerto pour violon (1986), un pour hautbois (1987), un pour violoncelle (1988), un pour trompette (1988), un pour cor et trompette (1989), un pour basson (1993), une Symphonie no 4 (Londres, 1989), une Symphonie no 5 (1994). Peter Maxwell Davies a fondé en 1977 le festival de Saint-Magnus dans les Orcades, et dirige depuis 1980 la Dartington Summer School of Music. DAVIS (sir Colin), chef d’orchestre an- glais (Weybridge, Surrey, 1927). Élève du Royal College of Music, il en sort clarinettiste virtuose et ne se spécialise qu’ensuite dans la direction d’orchestre. Il débute en Suède, à la tête d’un orchestre de chambre. Appelé en 1952 à conduire les ballets au Royal Festival Hall, il passe cinq ans plus tard à l’orchestre de la BBC écossaise, puis au Sadler’s Wells Opera qu’il dirige jusqu’en 1964. Premier chef d’orchestre et conseiller artistique (1967), puis directeur artistique (1971-1986) de l’opéra royal de Covent Garden, il est le chef anglais le plus célèbre de sa génération. Son nom doit être associé à celui de Berlioz : fervent admirateur du compositeur français, il a poursuivi des recherches sur ce dernier, en association avec le musicologue David Cairns, et a enregistré toutes ses oeuvres principales. Aussi remarquable chef symphonique que chef d’oratorio, d’opéra et de ballet, Colin Davis brille dans un vaste répertoire qui va de Mozart et Haydn à Britten et Tippett, en passant par les grands compositeurs romantiques. Il a été principal chef invité de l’Orchestre symphonique de Boston et directeur musical de l’Orchestre de la radio de Munich (1983-1992). Il a pris en 1995 la direction musicale de l’Orchestre symphonique de Londres. DAVY (Richard), compositeur anglais ( ? v. 1467 - ? v. 1516). Organiste et maître de chapelle au Magdalene College, à Oxford (1490-1492), il fut ordonné prêtre en 1497. En 1501, il fut nommé chapelain du grand-père d’Anne Boleyn, sir William Boleyn, puis de son fils (1506-1515). Il écrivit principalement downloadModeText.vue.download 287 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 281 de la musique religieuse. Compositeur le mieux représenté dans le Eton Choirbook (antiennes, motets), il signa une Passion selon saint Matthieu qui, pour être incomplète, n’en demeure pas moins le premier exemple de Passion dont le compositeur soit connu. L’oeuvre, dont le titre exact est Passion for Sunday, fut donnée pour la première fois en la cathédrale de Westminster en 1921. DAZA (Esteban), vihuéliste et compositeur espagnol (milieu du XVIe s.). Il fut l’un des derniers représentants de l’importante école espagnole de vihuela. Il publia à Valladolid, en 1576, le dernier recueil en trois parties connu pour vihuela seule et intitulé : Libro de música de cifras para vihuela intitulado « El Parnasso ». Le premier livre réunit des fantaisies composées par Daza lui-même ; le second, des transcriptions de motets français et espagnols, et le troisième, des versions instrumentales de chansons polyphoniques également d’origines française et espagnole. Les diverses pièces ainsi réunies témoignent d’une grande qualité de facture. DEAN (Winton Basil), musicologue anglais (Birkenhead 1916). Il a étudié au King’s College à Cambridge (1934-1938), ainsi qu’avec Philip Radcliffe. Il s’est spécialisé dans Haendel et Bizet, écrivant sur le premier Handel’s Oratorios and Masques (Londres, 1959) et Handel and the Opera Seria (Londres, 1970), et, sur le second, l’ouvrage de référence Bizet (Londres, 1948, 2e éd. rév. G. Bizet. His Life and Work, Londres, 1965, 3e éd. Londres, 1976). DEBOST (Michel), flûtiste français (Paris 1934). Il entre au Conservatoire de Paris en 1952 et obtient un 1er Prix de flûte en 1954. Il est lauréat de plusieurs concours internationaux : Moscou (1957), Prague (1959), Munich (1960), Genève (1961). En 1959, il fonde avec le pianiste Christian Ivaldi un duo qui connaît un grand succès. En 1960, il entre à la Société des concerts du Conservatoire comme flûte solo et y demeure de 1967 à 1989, après la transformation de cette formation en Orchestre de Paris. De 1981 à 1989, il enseigne la flûte au Conservatoire de Paris. À partir de 1989, il mène une intense activité de professeur invité, au Canada et aux ÉtatsUnis en particulier. DEBUSSY (Claude Achille), compositeur français (Saint-Germain-en-Laye 1862 Paris 1918). Il est issu d’une famille modeste. Son père, Manuel-Achille Debussy, et sa mère, Victorine-Joséphine-Sophie Manoury, tenaient un commerce de porcelaines, 38, rue au Pain à Saint-Germain-en-Laye. Son parrain, Achille Arosa, banquier et collectionneur d’art, habitait Cannes : là, l’enfant, au cours de quelques séjours, reçut ses premières leçons de piano d’un nommé Cerrutti ; là, il vit pour la première fois la peinture de son temps (Arosa collectionnait Corot, Jongkind et les impressionnistes). Là, enfin, il connut la mer et ses couleurs changeantes. Les parents de Debussy ne lui donnèrent point d’éducation générale sérieuse. Quant à ses dons musicaux, c’est à Mme Mauté de Fleureville, élève de Chopin, que revient le mérite de les avoir véritablement découverts et cultivés. Son enseignement du piano fut assez éclairé pour que, à la fin de 1872, Debussy soit admis au Conservatoire de Paris, dans les classes de Marmontel et de Lavignac. Il devait y passer douze années de sa vie, conflictuelles et frondeuses, mais il y acquit une formation professionnelle extrêmement solide. En 1879, Marmontel, quoique en mésentente avec le jeune Debussy, recommanda celui-ci à Mme Nadejda von Meck, la mystérieuse et passionnée protectrice russe de Tchaïkovski, qui cherchait un « pianiste-déchiffreur » pouvant également enseigner la musique à ses enfants. Les trois séjours en Russie auprès de Mme von Meck, prolongés par des voyages en Autriche et en Italie, allaient avoir pour Debussy des conséquences importantes : enrichissement culturel, rencontres de musiciens, auditions de grandes oeuvres. Entre-temps, Debussy devint l’élève de Guiraud au Conservatoire. L’enseignement de Guiraud, qui appelait le musicien à réfléchir sur son art et sa technique, convint admirablement à Debussy qui se lia de véritable amitié avec son maître. En 1883, il fut admis à concourir pour le prix de Rome, mais n’obtint qu’un deuxième prix avec la cantate le Gladiateur (perdue). C’est avec l’Enfant prodigue que, l’année suivante, Debussy remporta le grand prix. Lorsqu’on le lui annonça : « ... Que l’on me croie ou non, je puis néanmoins affirmer que toute ma joie tomba... Je vis nettement les ennuis, les tracas qu’apporte fatalement le moindre titre officiel. Au surplus, je sentis que je n’étais plus libre. » Tout Debussy est dans ces phrases. LA PÉRIODE DE BOHÈME. Après un séjour écourté à Rome, à la villa Médicis, dont l’atmosphère conventionnelle et guindée lui sembla irrespirable, Debussy s’installa définitivement à Paris, 42, rue de Londres, en 1887. Sa liaison amoureuse avec la belle Gabrielle Dupont, dite Gaby, qui faisait vivre le ménage de ses maigres revenus, et des rencontres artistiques importantes marquèrent ces années de vie bohème. Debussy fréquentait Mallarmé aux fameux « mardis » de la rue de Rome ; en 1888, il fit un premier voyage à Bayreuth ; il y retourna en 1889 et en revint « follement wagnérien « : c’est avec d’autant plus de violence qu’il allait plus tard renier son « idole ». En 1889 aussi, il découvrit la musique d’ExtrêmeOrient à l’Exposition universelle. Cette même année, il lut la partition de Boris Godounov que Saint-Saëns avait rapportée de Russie. Mais ces découvertes musicales semblaient répondre à des résonances intérieures propres, plutôt qu’elles n’exercèrent sur lui des « influences ». Laissé inachevé, l’opéra Rodrigue et Chimène sera « terminé » par Edison Denisov et créé pour la réouverture de l’Opéra de Lyon en 1993. LES VICISSITUDES DE LA VIE PUBLIQUE. La première audition du Prélude à l’aprèsmidi d’un faune, le 22 décembre 1894, triomphale (l’oeuvre fut bissée), marqua la fin de la période « bohème », le début d’une vie publique tourmentée, polémique, qui culmina avec la création de Pelléas et Mélisande. Au cours des dix années qui séparèrent la découverte de la pièce de Maeterlinck de la première représentation tumultueuse de l’opéra, en 1902, naquirent des chefs-d’oeuvre : les Trois Chansons de Bilitis sur les poèmes de Pierre Louÿs (1897-98), les Nocturnes (1897-1899), Pour le piano (1896-1901). Années difficiles matériellement, affectivement aussi : Lily Texier, employée dans une maison de couture et meilleure amie de Gaby (qui tenta de se suicider), devint la femme de Debussy le 19 octobre 1899. Les Nocturnes triomphèrent le 9 décembre 1900, aux concerts Lamoureux. Debussy commença à être recherché, admiré, fréquenta les cafés élégants, rencontra Léon Daudet, Reynaldo Hahn, Toulet, Proust. Sa situation matérielle s’améliora quelque peu grâce à sa collaboration à la Revue blanche. Monsieur Croche antidilettante, recueil des articles de Debussy, témoigne de son anticonformisme absolu, de sa verve, de son humour impitoyable. Cependant Pelléas était inscrit au répertoire de l’Opéra-Comique pour être représenté en 1902. C’est alors qu’éclata la célèbre brouille entre le compositeur et Maeterlinck. Celui-ci réservait le rôle de Mélisande à sa femme, la cantatrice Georgette Leblanc. Mais Debussy, ayant entendu la jeune écossaise Mary Garden, lui confia aussitôt ce rôle : « C’était en effet la même voix douce que j’avais entendue au plus profond de mon âme... » Maeterlinck retira alors son autorisation, intenta une action en justice, mais Debussy obtint gain de cause. L’oeuvre fut enfin représentée le 30 avril 1902, dans une atmosphère houleuse créée par une cabale orchestrée par Maeterlinck et ses amis. À l’entracte, « debussystes » et adversaires en vinrent downloadModeText.vue.download 288 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 282 aux mains, la police intervint. Et c’est grâce au calme froid de Messager, au pupitre de direction, que la représentation put être menée à son terme. Les critiques devaient témoigner, dans leur majorité, d’une totale incompréhension. Toutefois, la deuxième représentation fut triomphale, et Pelléas fut joué pendant trois mois à bureaux fermés. Désormais, Debussy était un compositeur célèbre. LES ANNÉES D’ÉCRITURE. En 1903, Debussy fit la connaissance d’Emma Bardac, née Moyse, femme belle, brillante, musicienne. Il la rejoignit à Pourville en 1904, abandonnant sa femme qui tenta, comme naguère Gaby, de se suicider. Le scandale éclata, la presse et le public prirent le parti de l’épouse délaissée. Rompant avec tout le monde, Debussy se réfugia à Jersey, puis à Dieppe où il termina la Mer. Après un double divorce, Debussy et Emma Moyse se marièrent en 1905. Ils s’installèrent dans un élégant hôtel particulier square du Bois-de-Boulogne où, le 30 octobre 1905, deux semaines après la création de la Mer, naquit leur fille Claude-Emma, dite Chouchou. Désormais, Debussy mena une vie confortable et retirée, toute vouée au travail, tandis que sa renommée se répandait dans le monde entier et que Pelléas triomphait à Bruxelles, Berlin, Rome, Milan, puis New York. Entre 1902 et 1908, Debussy écrivit une part importante de son oeuvre de piano (la plus vaste de la musique française après celle de Fauré) : Estampes (1903), Masques et l’Isle joyeuse (1904), les deux recueils des Images (1905-1908), Children’s Corner (1906-1908). Des pièces maîtresses de musique vocale furent rédigées en cette même période : Trois Chansons de France (1904), la deuxième série des Fêtes galantes (1904), le Promenoir des deux amants (achevé en 1910). Enfin, les Images pour orchestre dont l’orchestration de gigues fut achevée par A. Caplet (1907-1912). Deux projets scéniques d’après Edgar Poe ne furent pas menés à terme : le Diable dans le beffroi et la Chute de la maison Usher. Les parties achevées et les esquisses de cette seconde oeuvre, récemment complétées par Juan Allende Blin, attestent une intention créatrice allant encore plus loin que Pelléas dans la rénovation de l’opéra. En 1910, Debussy fut invité par Diaghilev à collaborer avec D’Annunzio pour une oeuvre sur le thème de saint Sébastien, avec Ida Rubinstein dans le rôle principal. Le Martyre de saint Sébastien, achevé en trois mois, fut représenté au Théâtre du Châtelet en mars 1911 par les Ballets russes, avec un succès incertain. Diaghilev commanda aussi à Debussy le ballet Jeux, représenté le 15 mai 1913 dans la chorégraphie de Nijinski, deux semaines avant la création mouvementée du Sacre du printemps. Ce n’est cependant ni cet événement ni le sujet « scandaleux » (un jeu discrètement érotique à trois) qui voua cette oeuvre magistrale à l’indifférence et à l’oubli qu’elle devait connaître jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La guerre de 1914 éveilla en Debussy des sentiments nationalistes violents. On peut y trouver une raison à l’hostilité qu’il témoigna à Schönberg, qu’il qualifia de « dangereux ». À cette époque, le compositeur commença à signer ses oeuvres « Claude Debussy, musicien français », notamment les 3 Sonates, pour violoncelle et piano, flûte, alto et harpe, violon et piano (1915-1917). De 1915 datent, enfin, les derniers chefs-d’oeuvre, les Douze Études pour piano et la suite En blanc et noir composée pour deux pianos. En 1917, Debussy, déjà gravement malade, parut en public pour la dernière fois, pour jouer avec Gaston Poulet sa Troisième Sonate. MODERNITÉ ET AUDACES. Nous commençons aujourd’hui seulement à comprendre la modernité de l’oeuvre de Debussy, à en mesurer la portée. Il a repensé les rapports des éléments constitutifs du phénomène musical, instauré entre eux des hiérarchies mouvantes, créé des formes inédites pour chaque nouvelle oeuvre. Son langage dénonce la vétusté des méthodes d’approche analytique traditionnelles encore en cours. Irréductible à ces méthodes, comme aux catégories normatives des genres ou schèmes formels préfabriqués, ce langage est tout aussi irréductible aux catégories de l’histoire qui procèdent du principe de filiation. Debussy apparaît, en effet, sans antécédents comme sans successeurs immédiats (« Les debussystes me tuent »). Son prédécesseur n’est pas Franck, mais Monteverdi ; ses héritiers sont non ses pâles épigones, mais Varèse, Messiaen, Boulez : il anticipe d’un demi-siècle sur son temps. Sa trajectoire est d’une remarquable unité : d’emblée Debussy est lui-même, pleinement, dans le Faune. Ses dernières oeuvres, longtemps mal comprises en raison de leur audace, sont des oeuvres visionnaires, jusqu’au seuil de la mort : les Études, En blanc et noir. Et sa trajectoire est solitaire, ne connaît de contemporains dignes de ce nom qu’en littérature (Mallarmé), en peinture (le Monet des Nymphéas). On a beaucoup commenté les influences subies par Debussy, pour en exagérer l’importance. On ne sait si Debussy avait entendu la musique de Moussorgski lors de ses séjours en Russie, et il a peu parlé des résonances que la partition de Boris, lue à Paris, avait suscitées en lui. Sans doute avait-il trouvé dans cet « art de curieux sauvage », sur le plan harmonique, un principe d’indépendance, les prémices d’une notion d’accord « en soi », à fonction fugitive, instantanée, dont il allait faire l’un des traits essentiels de son langage. Sur le plan mélodique, en re- vanche, si le langage vocal des deux musiciens procède du « récitatif mélodique », ils divergent quant à leurs conceptions de celui-ci. Le récitatif de Moussorgski, qui s’attache avec rigueur à la prosodie slave, est beaucoup plus proche du chant que n’est celui de Pelléas. Quoi qu’il en soit, il s’agit, certainement, sinon d’influence, du moins d’un rôle de « révélateur » que le musicien russe aura joué sur les goûts du jeune musicien en pleine croissance. Avec Wagner, en revanche, le problème est plus ambigu. L’intérêt - plus tardif de Debussy pour la musique wagnérienne porte sur les plans harmonique, thématique, théâtral. Dans le premier domaine, on constate un phénomène d’attirance et de rejet simultanés, spécialement dans les Cinq Poèmes de Baudelaire, où plane l’ombre de Tristan. Dans le domaine thématique, la rencontre avec Wagner n’est pas sans avoir laissé de traces, et l’agressivité même des propos debussystes sur le principe des leitmotive en témoigne. Toutefois, « il s’agit [dans Pelléas] plutôt d’arabesques liées aux personnages euxmêmes, sans variations autres que décoratives, [... et qui] n’irriguent pas totalement l’oeuvre » (Boulez). Le mot clé est de Debussy lui-même : « Il fallait désormais chercher après Wagner et non d’après Wagner. » Voilà qui caractérise également la situation divergente des deux musiciens dans l’histoire : l’un s’y trouve profondément inscrit, dans une lignée qui, venant de Beethoven et des romantiques, va vers Schönberg, chercheur « d’après Wagner ». L’autre est solitaire. La rencontre de Debussy avec Satie apparaît comme beaucoup plus innocente, anecdotique presque. Quoi qu’en ait affirmé le musicien d’Arcueil, ses conséquences apparaissent aujourd’hui comme infimes, au regard de la cosmogonie musicale debussyste. La rencontre avec les musiques d’Extrême-Orient, en revanche, a été plus marquante, dans la mesure où ces musiques, entendues en 1889, ont confirmé Debussy dans ses conceptions du rythme et du timbre (richesse foisonnante de l’un, primauté structurelle de l’autre), patentes déjà dans le Faune. LE TEMPS MUSICAL CHEZ DEBUSSY. Sur le plan harmonique, Debussy est d’emblée un novateur. S’il n’a pas, comme Schönberg, envisagé consciemment une suspension de la tonalité, tout se passe comme s’il laissait les fonctions tonales perdre leur pouvoir d’elles-mêmes, au bénéfice d’une fonction proprement sonore des agrégats. Les accords : « D’où viennent-ils ? Où vont-ils ? Faut-il absolument le savoir ? Écoutez, cela suffit. » Si downloadModeText.vue.download 289 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 283 une fonction tonale existe encore, jusque dans les dernières oeuvres de Debussy, c’est comme une survivance, comme référence à un lieu de plus en plus incertain, « de sorte qu’en noyant le ton, on peut toujours, sans tortuosités, aboutir où l’on veut, sortir et entrer par telle porte qu’on préfère », dit-il à Guiraud, étant encore au Conservatoire. Les harmonies « élargies » cessent, au-delà de certaines limites, d’intensifier des qualités spécifiquement tonales, pour ne plus représenter que des « blocs sonores ». La fonction de ces blocs se déplace alors vers le domaine du timbre, et c’est sous cette catégorie-là qu’on les perçoit, qu’on peut en rendre compte utilement. Comme les hauteurs, les intensités des sons contenus dans un bloc sont déterminantes de sa qualité globale. C’est la raison pour laquelle Debussy indique avec tant de précision chaque intensité et chaque nuance : il se soucie, autant que de leur rôle expressif, de leur fonction dans la constitution du timbre. Quant au timbre, il s’agit là d’une des dimensions les plus importantes du langage musical debussyste. Qu’elle soit fonction de la distribution des intensités et des rythmes au sein du phénomène sonore ou résultante d’alliages instrumentaux subtils et inédits, la couleur, infiniment riche et surtout mouvante, n’est pas un « revêtement », une qualité accessoire de la structure musicale, mais une dimension architectonique de plein droit, susceptible de prendre en charge de façon privilégiée le développement. L’inventaire et la structure des durées chez Debussy sont d’une richesse incomparable au regard de toute la musique européenne jusqu’alors. La fonction métrique de la barre de mesure tend ici à se dissoudre ; les durées, libérées de la « carrure » métrique, se développent, foisonnent librement. L’« étalon » rythmique n’est pas ici préfabriqué mais inventé, librement et diversement, il se confond avec la structure elle-même, pure de toute contrainte de symétrie : conception qui se découvre très tôt chez Debussy et culmine dans Jeux et les Études. Cette souplesse rythmique à laquelle contribuent aussi les valeurs dites irrationnelles (triolets, quintolets, etc.), ainsi que l’infinie mobilité du tempo sont des caractéristiques essentielles du temps musical chez Debussy. Les recherches rythmiques d’aujourd’hui s’en inspirent directement. L’ÉLABORATION D’UN LANGAGE PROPRE. On peut considérer le premier cycle des Fêtes galantes (1881-82), sur des poèmes de Verlaine, comme inaugurant l’oeuvre personnelle de Debussy. De ces mélodies, Mandoline est la plus connue. On y trouve sur le plan harmonique les germes du langage debussyste (parallélismes d’accords, étagement d’intervalles). La Damoiselle élue d’après D. G. Rossetti (1887-88) est, de la période romaine de Debussy, la meilleure oeuvre. Y apparaissent certains procédés de récitatif, ou plutôt de déclamation chantée, qui préfigurent Pelléas, ainsi que la fine ciselure des lignes vocales, les harmonies en fondu enchaîné, les couleurs orchestrales en tons pastel. Si dans les Ariettes oubliées (1887-88), d’après Verlaine, la marque personnelle de Debussy s’affirme de plus en plus, dans les Cinq Poèmes de Baudelaire, la hantise de Wagner est contradictoirement présente. C’est dans cette lutte livrée à Wagner, dont le Jet d’eau constitue le point culminant, que l’oeuvre puise sa tension. Avec le Quatuor à cordes (1893), Debussy parvient à se libérer de cette emprise ; ce seraient plutôt des réminiscences franckistes que l’on pourrait y trouver. Plus significatif et plus personnel est, ici, le ton de Debussy, volubile et changeant, qui revivifie le plan formel du quatuor. Un thème principal parcourt et unifie les quatre mouvements classiques. Le premier chef-d’oeuvre incontesté de Debussy est le Prélude à l’après-midi d’un faune (1892-1894). Comme Mallarmé, son inspirateur, Debussy se révèle là poète moderne de la musique, inventeur de sa rythmique, de sa syntaxe, de sa rhétorique, de sa forme propres. Les incessantes fluctuations de l’harmonie (considérée sous l’aspect horizontal ou vertical), la richesse rythmique, la souplesse et la liberté du phrasé instaurent d’emblée une nouvelle « façon de parler » en musique. L’écri- ture instrumentale est d’un raffinement et d’une légèreté incomparables. Quant à la forme, si l’on peut y distinguer à l’analyse un plan traditionnel (exposition-développement-reprise-coda) très libre, à l’audition, en revanche, on ne perçoit qu’une continuité en constante transformation où les retours apparaissent comme des évocations, des souvenirs modifiés, non comme des reprises. « L’idée engendre la forme », écrit Paul Dukas au lendemain de la création, résumant ainsi, en une phrase, une des caractéristiques fondamentales de l’oeuvre debussyste. Les Chansons de Bilitis (1897-98), sur des textes de Pierre Louýs, comprennent 3 mélodies : la Flûte de Pan, la Chevelure, le Tombeau des naïades. Dans leur ligne vocale se précise ce jeu infiniment habile entre récitatif et chant pur, qui fait la respiration de Pelléas, oscillant entre la domination de la prosodie et le chant pur. Debussy va écrire également une musique de scène autour de ces poèmes, qu’il transcrit en 1913 pour piano à 4 mains sous le titre Six Épigraphes antiques (Ernest Ansermet va transcrire cette partition pour grand orchestre). Les trois Nocturnes (18971899), inspirés par la peinture de Whistler, comprennent Nuages, Fêtes et Sirènes. Au grand orchestre, cette dernière pièce ajoute un choeur de femmes, chantant uniquement sur la voyelle « a ». Forme, harmonie, couleurs constituent une totalité admirablement homogène et profondément originale, et cela, dans la mesure même où Nuages fait entendre, pour les interpréter sur un mode purement debussyste, des souvenirs de Moussorgski. Les titres se réfèrent-ils à un programme ? Certainement pas ; il s’agit néanmoins, ici, d’un rapprochement singulier entre musique et peinture, sur lequel Debussy lui-même nous éclaire dans un texte important (écrit vraisemblablement pour la présentation du concert) : « Le titre Nocturnes veut prendre ici un sens plus général et surtout plus décoratif. Il ne s’agit donc pas de la forme habituelle du nocturne mais de tout ce que ce mot contient d’impressions et de lumières spéciales. Nuages : c’est l’aspect immuable du ciel avec la marche lente et mélancolique des nuages finissant dans une agonie de gris, doucement teintée de blanc. Fêtes : c’est le mouvement, le rythme dansant de l’atmosphère, avec des éclats de lumières brusques, [... ] de poussières lumineuses participant à un rythme total... » Impressions, poussières lumineuses, rythme total : autant de mots clés de la création moderne, plastique et musicale, d’une époque. « PELLÉAS ET MÉLISANDE « : NI MODÈLES, NI POSTÉRITÉ VÉRITABLE. Pelléas et Mélisande, de même que toute l’oeuvre de Debussy est solitaire dans l’histoire musicale, est une oeuvre isolée dans l’histoire de l’opéra moderne. Elle procède du récitatif mélodique. Plus proche du récitatif ancien (Renaissance, baroque) que du chant, le récitatif debussyste s’appuie sur la parole, souveraine conductrice. « Au théâtre de musique on chante trop », explique Debussy à son maître Guiraud, dès 1889. « Il faudrait chanter quand cela en vaut la peine, et réserver les accents pathétiques. Il doit y avoir des différences dans l’énergie de l’expression. Il est nécessaire par endroits de peindre en camaïeu et de se contenter d’une grisaille... Rien ne doit ralentir la marche du drame : tout développement musical que les mots n’appellent pas est une faute... » Toute l’esthétique de Pelléas est ici définie. Debussy ne modifie pas le texte de Maeterlinck. Les coupures qu’il y pratique n’entraînent pas la révision d’un déroulement dramatique, somme toute, traditionnel. Il y a « mise en musique » dans le plein sens du terme d’une pièce théâtrale choisie dans ce but et bien choisie : elle répond à l’esthétique et à la thématique de Debussy jusque dans les symboles qu’elle lui offre et qui lui sont chers, celui de l’eau, omniprésente, celui de la chevelure, etc. Le drame se déroule en 5 actes. L’argument en est relativement simple. Dans un pays hors du temps et de l’espace, Golaud, downloadModeText.vue.download 290 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 284 petit-fils du roi Arkel, a trouvé Mélisande perdue dans une forêt : « Je ne sais ni son âge, ni qui elle est, ni d’où elle vient. » Il l’épousera : mais son jeune frère Pelléas aimera Mélisande et son amour sera partagé. Golaud, dans une scène de jalousie, tuera Pelléas et torturera Mélisande pour tenter de lui arracher la « vérité ». Mais Mélisande mourra en emportant avec elle le secret de son amour. La caractérisation musicale s’exerce dans Pelléas à deux niveaux : celui de la scène ou tableau, celui du personnage. Celui-ci est caractérisé par un type thématique à la fois proche et différent des leitmotive wagnériens : ce thème est de nature infiniment labile, « volatile » - prêt à s’intégrer et à se « dissoudre » dans la trame mouvante, fugace, ailée. Au niveau de la scène ou tableau, en revanche, la caractérisation musicale apparaît beaucoup plus marquée, solide et volontaire : elle constitue un des facteurs essentiels de la force dramatique de l’oeuvre. Chaque scène possède son caractère propre, grâce à une « qualité musicale intrinsèque », à sa couleur orchestrale, à l’harmonie, au tempo. On s’est arrêté pendant longtemps au symbolisme, quelque peu exsangue, du « contenu » théâtral, et au principe du récitatif qui régit l’oeuvre sur le plan musical. Aujourd’hui qu’elle est mieux comprise et interprétée sur les deux plans, nous identifions dans la musique la source véritable et exclusive de sa force théâtrale : « C’est dans la mesure où la structure musicale aussi bien vocale qu’instrumentale - y assume la pleine responsabilité scénique qu’aujourd’hui nous trouvons en Pelléas un chef-d’oeuvre irremplaçable » (Boulez). D’AUTRES CHEFS-D’OEUVRE. La Mer, commencé en 1903, terminé en 1905, est un des chefs-d’oeuvre de Debussy. Ce poème symphonique comprend 3 parties : De l’aube à midi sur la mer, Jeux de vagues, Dialogue du vent et de la mer, titres qui se réfèrent une fois de plus à la vision, tout en échappant à une intention descriptive : on peut dire que c’est le titre qui illustre la musique, non le contraire. Le premier morceau énonce une progression, une augmentation progressive de l’éclairage musical à laquelle concourent tous les éléments du langage - timbres, rythmes, intensités, enchaînements harmoniques - dans des rapports changeants, de plus en plus tendus. La deuxième pièce, Jeux de vagues, abolit tout repère formel. Le titre est précis : il désigne un champ temporel ouvert, non orienté, pur de toute tension. Le timbre y apparaît comme dimension primordiale : ce sont les couleurs orches- trales sans cesse changeantes, mouvantes, qui prennent en charge la structuration et l’évolution du temps musical ; il s’agit d’une des pièces les plus audacieuses du compositeur. La troisième partie est dominée par un thème ; nous sommes loin, cependant, d’un développement classique. Car le thème n’est pas ici pris comme matériau, mais plutôt comme une référence statique par rapport à laquelle s’ordonne un univers d’oppositions constantes. La Mer est peut-être l’oeuvre la plus visionnaire de Debussy. À certains égards, et quoi qu’on en ait dit, elle va plus loin que Jeux. C’est dans la Mer que Debussy porte à son accomplissement cette poétique de l’instant en fuite qui est la marque singulière de son génie. Images, oeuvre pour orchestre (composée entre 1906 et 1912), est consacrée dans l’esprit de Debussy à l’Écosse avec Gigues, avec Rondes de printemps à la France et avec les 3 pièces d’Iberia à l’Espagne. Sauf dans Iberia, les éléments folkloriques y sont à peu près insaisissables (la chanson Nous n’irons plus au bois, dans les rondes, passe sous divers déguisements). Comme dans Jeux de vagues, la couleur orchestrale est ici souveraine formatrice, notamment dans la seconde pièce d’Iberia, les Parfums de la nuit, chef-d’oeuvre dans le chefd’oeuvre. Le développement par imbrication des structures de couleurs conduit, paradoxalement, à une impression de quasi-immobilité du temps musical - c’est là une des caractéristiques les plus secrètes de la musique de Debussy - et c’est comme à regret que le compositeur semble s’arracher à cette pénombre pour se laisser entraîner par la fougue rythmique du troisième morceau, tout de contrastes. Le second recueil des Fêtes galantes date de 1904 et comprend, sur des poèmes de Verlaine, les Ingénus, le Faune, Colloque sentimental. Danse sacrée et danse profane pour harpe et orchestre à cordes date aussi de 1904. La Rhapsodie pour saxophone et orchestre (1901-1911), commandée à Debussy par une Américaine qui pratiquait cet instrument, est restée inachevée (Debussy travaillait mal sur commande) nous la connaissons dans la version établie et orchestrée par R. Ducasse à partir des esquisses de Debusssy. Les Trois Chansons de France sont de la même époque et ont le même caractère « antiquisant » que les danses. Plus tardif (1904-1910) est le cycle pour voix le Promenoir des deux amants, chef-d’oeuvre un peu précieux et rarement joué, sur des textes de Tristan L’Hermite. On peut le considérer comme un postlude à Pelléas. Tout en déployant la lecture du texte avec son sens prodigieux de la prosodie française, Debussy le transforme en chant pur d’une rare beauté. L’UNIVERS PIANISTIQUE. L’oeuvre de piano de Debussy, dont la majeure partie naît à partir de 1903, est d’une conception profondément novatrice. Nous passons sur les oeuvres de jeunesse d’où émergent cependant les 2 Arabesques (1888-1891), la Suite bergamasque (1890-1905) avec le célèbre Clair de lune, Pour le piano (Prélude, Sarabande, Toccata, 1896-1901). Dans Estampes (1903) [Pagodes, Soirée dans Grenade, Jardins sous la pluie], le clavier devient docile aux moindres inflexions de l’imagination. Cependant, Debussy n’accède pas encore complètement à cette écriture pianistique qui, par-delà le propos pittoresque ou évocateur, le fera entrer dans un univers sonore nouveau qu’inaugure l’Isle joyeuse (1904) : jeux sur les septième et onzième harmoniques, irisations, halos lumineux de matière pulvérisée. La première série des Images pour piano (1905), qui comprend Reflets dans l’eau, Hommage à Rameau et Mouvements, procède plus étroitement de cette conception de l’écriture avec des sons plutôt qu’avec des notes. Les timbres sont ici la matière première, et les développements thématiques, quelle que soit leur importance, ne peuvent en être dissociés. La « liquidité » des Reflets dans l’eau est obtenue par l’atomisation rythmique extrêmement fine des harmonies et des résonances dans le temps. Dans le deuxième livre des Images (1908) - Cloches à travers les feuilles, Et la lune descend sur le temple qui fuit, Poissons d’or -, l’écriture proprement sonore est encore plus virtuose et plus radicale. C’est le timbre qui articule, par ses transformations, des formes entières ; les harmonies complexes, les intensités, le rythme en sont les agents, dans le premier morceau notamment, où ils sont constitués en couches superposées, autant de « formants » individualisés et concomitants. Quant aux étagements d’intensités différenciées dans les agrégats verticaux, l’accord final du deuxième morceau en fournit un exemple caractéristique et laisse prévoir l’écriture d’un Stockhausen. Le troisième morceau, Poissons d’or, constitue une synthèse admirable de toutes ces innovations. Children’s Corner (1906-1908) comporte 6 pièces. Avec ce cycle, Debussy revient aux pièces de caractère. Détente plutôt que recherche, évocations pittoresques plutôt qu’aventure aux limites de l’abstraction picturale ; geste affectueux enfin : l’oeuvre est dédiée à Chouchou. Si l’écriture pianistique n’est pas aussi poussée que dans les oeuvres précédentes, elle n’est pas moins efficace, avec moins de moyens. Entre le style des Images où s’épure une recherche sonore audacieuse et celui de Children’s Corner, les Préludes (premier livre 1909-10, second livre 19101912) tiennent un juste milieu. L’évocation, la pièce de caractère se donnent des moyens pianistiques extrêmement riches. Les titres sont donnés à la fin des morceaux et semblent dévoiler le propos évocateur ; on peut dire une fois de plus que c’est la musique qui crée le titre, non downloadModeText.vue.download 291 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 285 le contraire. La thématique de chaque prélude est très inégalement anecdotique : c’est dans ce jeu entre peinture figurative et non figurative que réside l’originalité de la conception et la variété de la réalisation. Dans le premier livre, des préludes comme Voiles, le Vent dans la plaine ou Ce qu’a vu le vent d’ouest sont de véritables essais sur la couleur, l’élément figuratif y apparaissant comme générique, tandis que la Sérénade interrompue, la Danse de Puck ou Minstrels accentuent le caractère anecdotique, l’élément thématique y étant appuyé. Le second livre tend davantage vers l’abstraction, avec notamment Brouillards, la Terrasse des audiences au clair de lune ou Ondine. Feux d’artifice est d’une audace harmonique extraordinaire et préfigure - de très loin mais très clairement - le style pianistique tardif de Boulez. Enfin, les Tierces alternées, pure spéculation sur l’intervalle de tierce, annonce le style des Études. LE RETOUR À LA MUSIQUE VOCALE. La Rhapsodie pour clarinette et orchestre (1909-10), écrite pour les concours du Conservatoire de Paris, est une pièce de circonstance d’une grande élégance d’écriture et d’un charme un peu facile. Le ballet Khamma (1912-13) est le résultat - inachevé - d’une commande de la danseuse anglaise Maud Allen, oeuvre traitée un peu à la légère aussi bien par la commanditaire que par le commandité. L’orchestration a été achevée par Ch. Koechlin mais l’oeuvre n’a été jouée pour la première fois qu’en 1947. Après ces oeuvres relativement mineures, Debussy revient à la musique vocale avec le Martyre de saint Sébastien (1911), à mi-chemin entre l’oratorio et la musique de scène, commandé par les Ballets russes, sur un texte de D’Annunzio. L’oeuvre, qui dure environ quatre heures dans sa version scénique intégrale et qui comporte environ une heure de musique, a été composée en trois mois. Comme l’écrit Debussy, « le culte d’Adonis [y] rejoint celui de Jésus « ; voilà pourquoi l’oeuvre fut mise à l’index par l’archevêque de Paris. Dansé, parlé, chanté, ce « mystère » souffre d’une conception et d’une forme hybrides. Debussy, qui aspirait à le refondre, ne s’en préoccupa plus. Dans cette oeuvre, le compositeur semble revenir en arrière, se parodier lui-même sur le mode antiquisant : c’est le style de la Damoiselle élue avec la spontanéité en moins. Un spectaculaire malentendu avec soi-même peut advenir à tout grand artiste, sans pour autant diminuer sa stature - en l’occurrence, celle d’un géant. Les Trois Poèmes de Mallarmé et bientôt Jeux récusent avec éclat la théorie, fondée sur l’incompréhension de sa modernité, d’un Debussy en déclin. Soupir, Placet futile, Éventail, sur des poèmes de Mallarmé, sont peut-être les plus belles mélodies de Debussy et celles où il s’aventure au plus loin par rapport à la tonalité. Rappelons que Ravel met en musique, la même année, deux de ces mêmes poèmes, pour soprano et un ensemble instrumental presque identique à celui qu’utilise Schönberg dans Pierrot lunaire (1912). C’est encore pour un ensemble analogue que Stravinski écrit, également en 191213, ses Trois Poésies de la lyrique japonaise. Il est impossible de ne pas rapprocher ces quatre oeuvres, si différentes certes, mais toutes écrites au moment où Schönberg prend conscience de la suspension de la tonalité. L’oeuvre de Debussy ne subit pas une influence schönberguienne directe ; elle rend néanmoins compte, avec autant de force que les autres, et dans un langage qui lui est propre, de la crise de la tonalité en cette époque historique. UN BALLET POUR ORCHESTRE. Jeux (1912-13) est contemporain du Sacre du printemps et sa première représentation précède celle de l’oeuvre de Stravinski de deux semaines. Mais si le Sacre affirmait alors sa modernité sur le mode violent et scandaleux, Jeux, beaucoup moins agressif, mais plus insidieux et tout aussi moderne, ne put forcer le mur d’indifférence qui l’entoura dès sa création. Il est, en tout cas, édifiant de constater que les trois oeuvres majeures européennes nées à la veille de la Première Guerre mondiale Pierrot lunaire, Jeux et le Sacre - ont resurgi dans la seconde moitié du siècle, dans le même ordre chronologique, pour inspirer les recherches musicales de notre époque. Pierrot d’abord, qui présida à l’atonalisme, le Sacre ensuite, qui stimula les recherches rythmiques demeurées en sommeil aux temps du dodécaphonisme, Jeux enfin, qui réémergea, admirable exemple, au moment où la musique se penchait sur sa rhétorique et ses formes : «Jeux marque l’avènement d’une forme musicale qui, se renouvelant instantanément, implique un mode d’audition non moins instantané » (Boulez). Les témoignages fervents des compositeurs de cette génération doivent cependant être complétés aujourd’hui, un recul supplémentaire étant pris à l’égard d’une oeuvre devenue familière. Les caractéristiques modernes que l’on a remarquées dans Jeux - la discontinuité des séquences cloisonnées, l’asymétrie totale de la forme, la dialectique complexe des timbres, les éléments prémonitoires d’une Klangfarbenmelodie (« mélodie de timbres ») - se découvrent déjà dans une oeuvre exemplaire comme Jeux de vagues, deuxième partie de la Mer, structurant un discours tout aussi mobile et peutêtre plus subversif encore, au regard de la rhétorique musicale classique. Paradoxalement, ces éléments semblent là plus difficiles à saisir ou à décrire, car Jeux de vagues ne renvoie à aucune référence, à aucune obligation formelle que celle de la perpétuelle mouvance. Jeux, en revanche, est un ballet, conçu et composé comme tel. Outre son inventaire thématique, qui renvoie (bien que légèrement et de façon toujours nouvelle) aux phases de l’argument, ses structures se réfèrent implicitement et explicitement à celles de la danse. Les sé- quences cloisonnées, si elles émerveillent par la discontinuité, l’asymétrie formelle qu’elles scandent, renvoient dans le même temps - et ce, dans l’audition, non dans l’analyse - aux numéros chorégraphiques qu’elles se proposent d’engendrer et de servir, laissant apparaître ici où là une rythmique fonctionnelle de la danse, relativement simplifiée. Ces considérations ne sauraient diminuer la signification et l’importance de Jeux, mais aident à replacer l’oeuvre dans la trajectoire debussyste et dans l’évolution de notre entendement. LES ÉTUDES : UNE OEUVRE VISIONNAIRE. Les deux livres d’Études pour le piano (juin-sept. 1915) constituent un des sommets de la littérature pianistique. Ils sont dédiés à Chopin - au souvenir de ses 24 Études. Ce genre pédagogique, réputé austère, a fourni aux deux compositeurs le point de départ d’oeuvres visionnaires. Le premier livre de 6 études traite des problèmes pianistiques définis par leurs titres (Pour les cinq doigts, Pour les tierces, Pour les quartes, Pour les sixtes, Pour les octaves, Pour les huit doigts). Le second livre, avec ses titres (Pour les degrés chromatiques, Pour les agréments, Pour les notes répétées, Pour les sonorités opposées, Pour les arpèges composés, Pour les accords), se réfère plus explicitement aux problèmes de sonorités et d’interprétation : rarement études ont été consacrées à ce type de problèmes étrangers à la pure virtuosité. Dans les 12 Études, le propos technique est situé à un très haut niveau et demande une maîtrise absolue du clavier. Mais par-delà le fait pédagogique si original et exigeant s’imposent la modernité et la beauté de chaque pièce. Au niveau du microcosme comme du macrocosme, de la cellule, de la structure et de la forme, les Études inventent tout ; elles ignorent toute référence et refusent de se constituer en référence : que Debussy ne crée pas de doctrine ou d’école, c’est dans les Études que cela apparaît à l’évidence. Les formes sont étrangères à tout schéma préétabli (quelques rares dispositions tripartites font exception à ce principe). L’écriture pianistique, par-delà le contrat technique de chaque étude, incarne les spéculations musicales les plus abstraites. Les Cinq Doigts, les Tierces, les Octaves constituent des thèmes abstraits généralisés à la forme entière, qui libèrent le musicien de toute contrainte thématique au niveau de la figure ; celle-ci peut, dès lors, se plier à toutes les inflexions de l’imagination, à tous les jeux de l’esprit - inversions, midownloadModeText.vue.download 292 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 286 roirs, variations asymétriques, etc. Pour les cinq doigts montre l’attitude désinvolte de Debussy à l’égard de la tonalité, tour à tour affirmée et détruite. Pour les quartes offre des exemples remarquables de structures cloisonnées. Pour les huit doigts est une étude de couleurs - à la limite, on peut l’entendre comme un seul son aux variations de timbre innombrables. Pour les agréments aborde l’exécution des blocs sonores, verticaux ou horizontaux, et la répartition interne des intensités. Enfin, avec Pour les sonorités opposées, Debussy se livre à une polyphonie de timbres, où registres, intensités, attaques se trouvent distribués de façon très nouvelle dans l’espace musical. On peut y voir sinon un embryon de sérialisation de paramètres, du moins une première tentative de leur distribution autonome et rationnelle dans un tissu polyphonique. On peut penser que Messiaen s’en est inspiré pour Modes de valeurs et d’intensités. LES DERNIÈRES GRANDES COMPOSITIONS. En blanc et noir (été 1915) est contemporain des Études. La technique des séquences cloisonnées, caractéristique du dernier Debussy, y prédomine. Dans le premier mouvement, Avec emportement, on remarque tout particulièrement l’alternance de structures d’attaques incisives et de groupes de valeurs très rapides. Le dernier morceau est traité dans le même esprit, mais la trame générale y est plus continue, plus fluctuante. Le deuxième morceau, le plus remarquable des trois, déploie une palette de couleurs en demiteintes dans une harmonie presque atonale. Les couleurs sombres prédominent, sur lesquelles se détachent de courts traits aux sonorités d’acier. « Ces morceaux veulent tirer leur couleur, leur émotion du simple piano, tels les gris de Vélasquez », écrit Debussy. Une fois de plus, le compositeur définit une hiérarchie paramétrique moderne, avec le timbre au sommet, et ce, sur un instrument réputé monocolore, privé des richesses sonores de l’orchestre. De lointaines fanfares rappellent que ce deuxième morceau est dédié à J. Charlot, tué au front le 3 mars 1915. Les 3 Sonates (1915-1917) sont les dernières grandes oeuvres de Debussy. Le projet initial du compositeur, mû par des sentiments patriotiques, était d’écrire 6 sonates pour divers instruments, à la manière des concerts de Rameau, et qu’il signerait « Claude Debussy, musicien français ». Cette référence au XVIIIe siècle n’est pas arbitraire : elle se traduit, dans la composition elle-même, par un retour aux formes traditionnelles, jusqu’alors menacées, corrodées par Debussy. Des 3 Sonates composées, la première, pour violoncelle et piano, en ré mineur, est la moins souvent jouée, la plus libre et la plus fantasque, surtout dans le deuxième mouvement où se poursuit le discours cloisonné, fragmenté, en apparitions et disparitions brusques, du dernier Debussy. Le musicien voulait intituler cette oeuvre Pierrot fâché avec la lune : faut-il y voir une pointe ironique à l’adresse de Schönberg, considéré comme « ennemi » à plus d’un titre ? La deuxième Sonate, pour flûte, alto et harpe, en fa majeur (1915), utilise un ensemble inusité, « variation » des formations classiques, et qui, surtout, offre des ressources sonores très raffinées. C’est, des trois, la plus accomplie dans la forme, la plus subtile dans l’expression des contraires, la plus élaborée quant aux couleurs. La troisième Sonate, pour violon et piano, en sol mineur (1916-17), est la plus populaire, la plus limpide aussi, quoiqu’elle ait coûté le plus d’efforts au compositeur déjà miné par la maladie. Dans une lettre au violoniste Hartmann, Debussy parle de l’idée « cellulaire » qu’il vient de trouver pour le troisième mouvement. « Malheureusement les deux premières parties ne veulent rien savoir. » Ces mots traduisent-ils une lutte, au sein même de la forme, entre le classicisme de la conception et une idée beaucoup plus audacieuse qui vient y faire irruption ? Quoi qu’il en soit, c’est dans un esprit classique et dans une volonté d’unité (le thème du premier mouvement revient pour ouvrir le finale) que l’oeuvre sera achevée en 1917. C’est la dernière oeuvre du compositeur, écrite dans la plus grande misère physique, mais avec la légèreté de main et l’« invisibilité de la construction » (Strobel) propres à cet architecte du rêve et de la poésie visionnaire qu’est Debussy. DECAUX (Abel Marie), organiste et compositeur français (Auffay, Seine-Maritime, 1869 - Paris 1943). Il fit ses études à Rouen et commença à apprendre la musique et l’orgue à la maîtrise de la cathédrale. Puis il vint à Paris travailler l’orgue avec Charles-Marie Widor et la composition avec Massenet. Tout en occupant, à partir de 1903 et pour un quart de siècle, le poste d’organiste au Sacré-Coeur de Montmartre, il enseignait l’orgue à la Schola cantorum. De 1926 à 1937, il partit pour les États-Unis et enseigna l’orgue à l’Eastman School of Music, à Rochester. Il composa peu, sinon quelques pièces pour orgue, mais s’attacha d’une façon toute particulière à l’étude des modes, manifestant une curieuse prescience de langage schönberguien en écrivant ses Clairs de lune pour piano (19001907). On l’avait d’ailleurs surnommé le « Schönberg français ». DÉCHANT (en lat. discantus). Dans la polyphonie à 2 voix des débuts de l’Ars antiqua (XIIe-XIIIe s.), conçue à l’origine comme addition a posteriori d’une voix ornementale au-dessus d’un chant principal monodique préexistant, celuici était dit cantus et la voix ornementale discantus - en français « déchant « : d’où les dérivés « déchanter » (discantare), « déchanteur » (discantor), etc. Le déchant étant en général placé au-dessus du chant, le terme a peu à peu glissé vers le sens de voix supérieure et même vers celui de tessiture haute, qu’on retrouve dans la nomenclature anglaise ou allemande des violes, flûtes à bec et autres instruments de musique (discant, diskant ; ! TREBLE). DÉCHIFFRAGE. Terme usuel employé aujourd’hui pour la « lecture à vue » de la musique, c’està-dire pour l’interprétation immédiate, d’après l’écriture, d’un morceau inconnu auparavant. L’expression s’explique par l’usage de la basse chiffrée qui, du XVIIe siècle au milieu du XVIIIe siècle, régissait l’écriture d’accompagnement dans la musique d’ensemble, et en vertu duquel la première tâche d’un « lecteur » était de « réaliser », c’est-à-dire de traduire en notes le chiffrage qui lui était soumis par le compositeur. Le terme a survécu à la désuétude de la basse chiffrée. DÉCIBEL (dB). Unité de mesure de l’intensité des sources sonores. Un bel égale 10 décibels. Ce système pratique a été adopté pour la musique aussi bien qu’ailleurs, lorsqu’il s’agit de mesurer le niveau des bruits. On peut constater, par exemple, que deux trompettes jouées ensemble ne sonnent pas deux fois plus fort ; leur intensité peut être déterminée grâce à un système de mesures dû à G. T. Fechner, fondé sur le logarithme. DÉCLAMATION. Art de déclamer, c’est-à-dire de réciter à haute voix avec le ton et les gestes convenables. Au théâtre, les comédiens récitèrent longtemps leurs rôles avec une certaine emphase qui dénaturait souvent le sens de leurs paroles. Talma fut le premier à réagir contre ce genre trop solennel, mais aujourd’hui bien des acteurs pèchent par l’excès contraire : sous prétexte d’être naturels, ils veulent ignorer la diction. Au théâtre lyrique, la déclamation se doit de rendre audible et compréhensible un texte chanté, de ne pas rendre ridicule un texte parlé sur la musique selon le principe du parlando ou du « récitatif ». Le fait de psalmodier, comme il est pratiqué dans le chant liturgique, est déjà de la déclamation, mais elle conduit à la monotonie. Elle ne prend son relief et sa vigueur que lorsqu’elle épouse un phrasé mélodique auquel souvent elle impose son rythme. downloadModeText.vue.download 293 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 287 La déclamation musicale grecque était mesurée, celle du chant grégorien également. Dans l’opéra, en particulier l’opéra français, les airs sont toujours un peu déclamés, les récitatifs légèrement chantés. Mais dans l’opéra-comique, où la musique n’intervient par définition que pour enrichir l’action d’une pièce, les déclamations parlées et chantées interviennent alternativement. Toutes les deux d’ailleurs ont le même but : permettre à l’auditeur de comprendre le message de l’auteur et du compositeur. C’est au musicien, dans l’opéra comme dans le lied, qu’incombe la tâche de concilier le texte et la mélodie. Négliger le premier l’oblige à donner toute la puissance d’expression à la seconde, ce qui est le cas par exemple de quelques oeuvres de Verdi (la Force du destin, le Trouvère), où le musicien, ayant à interpréter des textes médiocres, préfère les effacer en ne s’intéressant qu’aux passions, aux ambiances, aux évolutions de l’esprit. En revanche, l’association des déclamations parlées et musicales est parfaitement atteinte dans des oeuvres de Wagner, de Schubert, de Hugo Wolf et de Debussy. C’est que le texte et la mélodie ont leurs rythmes et leurs accents propres. Ils ont leurs accents grammaticaux, présentés sous forme de longues et de brèves, et leurs accents oratoires révélés par les modulations des sentiments dont l’interprète est agité lorsqu’il traduit un texte chanté. Ces deux déclamations, littéraire et musicale, se retrouvent dans un phrasé clair comme expressif, dans un ton juste qui ne trahit pas le message exprimé. Le chant étant accompagné, il arrive que les intonations chantées soient différentes des intonations harmoniques. Dire juste et chanter juste ne sont pas les mêmes choses. L’interprète doit donc traduire la pensée du musicien au-delà des mots qu’il prononce. Sa déclamation doit s’appuyer sur une diction compréhensible, s’accompagner de gestes appropriés, se moduler sur les intonations de la mélodie. C’est là tout un art, en effet, qui exige beaucoup de travail, de sensibilité, d’intelligence. Trop d’artistes négligent d’étudier la déclamation lyrique sans se douter qu’une déclamation fausse entraîne une interprétation fausse et, de ce fait, trahit le message à eux confié par un auteur et un compositeur. La déclamation d’un interprète peut transformer totalement les valeurs d’un texte et de sa mélodie. DECOUST (Michel), compositeur français (Paris 1936). Élève de Louis Fourestier, Georges Dandelot, Yvonne Desportes, Jean Rivier, Darius Milhaud et Olivier Messiaen au Conservatoire de Paris à partir de 1956, il a obtenu le grand prix de Rome (1963), puis suivi les cours de Karlheinz Stockhausen et de Henri Pousseur à Cologne (1964-65) et de Pierre Boulez (direction d’orchestre) à Bâle (1965). Il a été animateur musical régional dans les Pays de la Loire (19671970), responsable des activités musicales dans les maisons de la culture de Rennes et de Nevers (1970-1972), directeur-fondateur du conservatoire municipal de Pantin (1972-1976) et responsable du département pédagogique de l’I. R. C. A. M. (1976-1979). Il a été inspecteur principal de l’enseignement musical, chargé de la recherche au ministère de la Culture, et a été, de 1991 à 1994, directeur général de l’enseignement musical au district de Montpellier. Paraphrasant Pierre Boulez, Michel Decoust affirma en 1973 : « Cette expérience (du sérialisme) compte parmi mes plus grands échecs... En 1966, tout compositeur qui n’avait pas compris la nécessité de sortir de l’impasse où nous avait engagés le sérialisme était en deçà des problèmes de la composition à cette époque. » Parmi ses premières oeuvres, Ellips pour voix et piano (1964), Horizon remarquable pour voix et orchestre (1964) et Distorsion pour flûtes (1966). De ses préoccupations pour les problèmes de la perception et de la spatialisation de la musique témoigne Polymorphie pour orchestre, créé à Royan en 1967 avec les instrumentistes à vingt-deux mètres de haut et les auditeurs « noyés dans le son ». Suivirent Interaction pour trio à cordes (1967), Instants stabiles pour ensemble d’instruments (1967), États pour choeur (1968), Sun pour 12 cordes et alto solo (1970), M. U. R. pour choeur (1971), Aentre pour 3 cuivres et bande (1971), Actions pour 2 instrumentistes (1972), Et/ ou pour 44 pianos (1972), T’aï pour ensemble d’instruments et voix (1972), qui « évoque à sa façon les traditions du Japon telles qu’elles ont pu être traduites dans la conscience européenne depuis Debussy, Stravinski, Messiaen », Si et si seulement pour orchestre (1972), 7. 854. 693. 286 pour bandes à 8 pistes (création à Royan en 1972), 8. 393. 574. 281 pour formation libre (1972), Et, ée ou é ée pour orchestre et choeur (1973), Ion pour voix et bande (1973), Inférence pour orchestre (1974), Iambe pour 12 instruments (1976), Interphone pour bande à 2 pistes avec synthèse numérique par ordinateur (1977), l’Application des lectrices aux champs pour orchestre et voix (1977), Spectre pour orchestre d’harmonie (1978), Traduit du silence pour clavecin, violoncelle, clarinette, clarinette basse et voix sur un texte de Joë Bousquet (1980), Je, qui d’autre pour ténor, baryton et ensemble instrumental (créé en 1987) De la gravitation suspendue des mémoires pour orchestre (créé en 1987), Concerto pour violon (1990), Lignes pour clarinette et quatuor à cordes (1992), Cent phrases pour éventail pour 6 voix et 13 instruments d’après Paul Claudel (19951996). DECRESCENDO. Terme italien indiquant qu’il faut diminuer l’intensité d’une note ou d’une phrase musicale. Contraire de crescendo (« en augmentant »), decrescendo est synonyme de diminuendo, les deux termes pouvant être remplacés par le signe O. DEGRADA (Francesco), musicologue et compositeur italien (Milan 1940). Il a fait ses études au conservatoire de Milan, où il a obtenu un prix de piano en 1961 et un prix de composition en 1965. Il a enseigné l’histoire de la musique aux conservatoires de Bolzano, de Brescia et de Milan, puis à l’Institut de musicologie de l’université de Milan, dont il est devenu le directeur en 1976. Ses recherches concernent la Renaissance, la période baroque et la musique contemporaine. Membre de plusieurs sociétés musicales, il est aussi responsable des éditions critiques chez Ricordi à Milan. Il a publié de nombreuses études et collaboré à des émissions radiodiffusées ou télévisées. PRINCIPAUX ÉCRITS : Sylvano Bussotti e il suo Teatro (Milan, 1976) ; Antonio Vivaldi da Venezia all’Europa (Milan, 1978) ; Il Palazzo incantato. Studi sulla tradizione del melodramma dal Barocco al Romanticismo (2 vol., Florence, 1980) ; Antonio Vivaldi veneziano europeo (Florence, 1980) ; Studi Pergolesiani (éd., 1986 et 1988) ; Andrea Gabrieli e il suo tempo (Florence, 1988). DEGRÉ. Terme employé en analyse musicale pour désigner toute note de l’échelle tonale ou modale considérée dans sa fonction, c’està-dire par rapport au son de référence (tonique dans la musique tonale), numéroté I par définition. Les Grecs analysaient leurs degrés par rapport aux tétracordes, en leur donnant des noms sans les numéroter ; le chant grégorien les situait par rapport à un noyau, variable selon le mode, déterminé par le binôme finale-teneur ou corde de récitation (dite plus tard « dominante »), et non pas par hexacordes comme on le croit parfois : l’hexacorde n’a jamais été rien d’autre qu’une convention solfégique, servant à la solmisation. La musique harmonique a été la première à considérer ses degrés par rapport à l’octave et à dicter leur équivalence d’une octave à une autre : elle les numérote donc en montant de I à VIII selon l’échelle diatonique, opère une mutation VIII I et recommence ensuite. Certains auteurs n’emploient pas le chiffrage VIII et passent directement de VII à I. Les degrés chromatiques sont exclus de la numérotation : on les considère soit comme des notes de passage entre deux degrés voisins, soit comme de simples dédownloadModeText.vue.download 294 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 288 placements des degrés diatoniques, le plus souvent causés par l’attraction exercée par des degrés forts sur les degrés faibles. Outre leur numérotation, les degrés de la musique tonale ont aussi reçu des noms de fonction : I (ou VIII) tonique, III médiante, IV sous-dominante, V dominante, VII sous-tonique, dite « sensible » lorsqu’elle est à un demi-ton de VIII ; les noms de fonction des degrés II (sus-tonique) et VI (sus-dominante) sont peu employés. DEGTIARIOV (Stépan), compositeur russe (Borisovka, gouv. de Kursk, 1766 près de Kursk 1813). Il était serf du comte Chérémétiev, qui possédait sa troupe de musiciens personnelle. Devenu élève de Sarti, il alla se perfectionner en Italie. Il fut ensuite chef d’orchestre et répétiteur chez Chérémétiev, et fut affranchi après la mort du comte. Bien qu’une partie de son oeuvre soit perdue, il en subsiste de nombreux concerts vocaux religieux et un grand oratorio patriotique, Minine et Pojarsky ou la Libération de Moscou, qui fut représenté à Moscou en mars 1811. Degtiariov est représentatif de la génération intermédiaire entre les compositeurs du règne de Catherine II et ceux de l’école russe du XIXe siècle. On lui doit aussi la traduction russe (1805) du traité Regole armoniche de Vincenzo Manfredini, paru en 1775. DELAGE (Maurice), compositeur français (Paris 1879 - id. 1961). Venu tardivement à la musique, il trouva auprès de Maurice Ravel, dont il fit la connaissance vers 1902, appui et conseils ; il allait d’ailleurs être, avec Léon-Paul Fargue et Ricardo Vinès, un des familiers du compositeur. Il écrivit, en 1908, un poème symphonique, Conté par la mer. Mais, sur l’avis de Vincent d’Indy, cette oeuvre fut refusée par la Société nationale de musique. Ravel soutint alors son ami, et le conflit qui s’ensuivit au sein de la Société nationale entraîna, en 1910, la création de la Société musicale indépendante (S. M. I.). Après un voyage aux Indes, Maurice Delage composa ses Poèmes hindous pour soprano et dix instruments, que Rose Féart créa en 1913. En 1923, Koussevitski dirigea aux Concerts de l’Opéra son Ouverture pour le ballet de l’Avenir. Walter Straram créa, en 1933, son triptyque orchestral, Contrerimes (Nuit de Noël, Hommage à Manuel de Falla, Danse). Une oeuvre pour chant et piano, In morte di Samuraï (1950), et un poème symphonique, le Bateau ivre (d’après Arthur Rimbaud, 1954), attestent ensuite la continuité d’un talent subtil, reconnu seulement d’une élite. Maurice Delage a peu écrit. Mais ce qu’il a consenti à publier est d’une très grande qualité. Ses 4 Poèmes hindous et ses 7 Haï-Kaï (1923) témoignent d’un extrême raffinement de la pensée et d’un sens délicat des équilibres sonores. DELALANDE (Michel Richard), compositeur français (Paris 1657 - Versailles 1726). Fils d’un tailleur parisien, il reçut son éducation musicale à Saint-Germain-l’Auxerrois. Organiste et claveciniste, il occupa les tribunes des Grands-Jésuites, du Petit-Saint-Antoine et de Saint-Gervais, où il succéda en 1672 à Charles Couperin, avant de céder sa place au jeune François Couperin. En 1681, il fut chargé de donner des leçons de clavecin aux princesses légitimées, Mlles de Blois et de Nantes, et devint, l’année suivante, organiste à SaintJean-en-Grève. En 1683, il obtint l’un des quatre postes de sous-maître de la chapelle royale. Dès lors, il connut, dans sa carrière à la cour, une ascension plus éclatante que celle qu’avait connue Lully lui-même. Il reçut les trois autres postes de la chapelle, après les départs successifs de Goupillet, Minoret et Colasse, et recueillit toutes les charges de la Chambre : en 1689, celle de surintendant ; en 1690, celle de compositeur ; et en 1695, celle de maître de la musique. En dépit de ce cumul et de l’abandon de ses postes d’organiste à Paris, il se consacra surtout à la musique religieuse. Il fut sans doute incité à se perfectionner dans ce genre par le roi, qui subissait, pendant cette période, l’influence dévote de Mme de Maintenon. La plupart des motets du compositeur, qui constituent son oeuvre maîtresse, furent écrits à cette époque et témoignent de l’atmosphère religieuse dans laquelle vivait la cour à la fin du règne de Louis XIV. Après la mort du monarque, Delalande collabora avec Destouches au ballet les Éléments, dansé aux Tuileries en 1721 par le jeune Louis XV. L’année suivante, il perdit sa femme, la chanteuse Anne Rebel, et demanda au souverain l’autorisation de se retirer. Il se démit de toutes ses charges et reçut du roi l’ordre de Saint-Michel. Il devait se remarier en 1723 et mourir trois ans plus tard. Une quarantaine de ses meilleurs motets furent publiés, après son décès, par les soins de Colin de Blamont et connurent une certaine vogue jusqu’à la Révolution. Bien que la majorité des oeuvres de Delalande soit consacrée à la musique religieuse, plusieurs divertissements écrits pour la cour témoignent aussi de sa production dans le genre profane. Ces pièces, qui n’ont pas l’envergure des tragédies lyriques, s’inscrivent toutefois dans la tradition lullyste. Elles présentent des aspects divers : cantate profane (les Fontaines de Versailles, 1683), ballet (le Palais de Flore, 1689), pastorale (l’Amour fléchy par la constance, 1697) ou intermèdes écrits pour des comédies. Pour l’orchestre, Delalande composa notamment les célèbres Symphonies pour les soupers du roy, ainsi que quelques pages dans ses oeuvres sacrées (symphonie du Te Deum). C’est dans le domaine de la musique religieuse que De- lalande s’illustra et devint l’un des meilleurs représentants de la musique française. À côté de trois leçons de ténèbres, il laissa 71 grands motets, dont certains présentent deux versions différentes du même texte sacré. Parmi les plus connus : De Profundis (1689), Beati omnes (1698), Regina coeli (1698), Quare fremuerunt gentes (1706). Ces oeuvres adoptent tantôt une écriture verticale, chère à Lully, tantôt une polyphonie mouvante, comme la pratiquait Charpentier. Elles sont conçues pour un effectif vocal important, et offrent une alternance de grands et de petits choeurs. L’orchestre ne se contente pas de soutenir les voix, mais a pour rôle d’exposer une idée dans un prélude ou de mettre en relief le timbre d’un instrument dans les passages réservés aux solistes. Des ensembles vocaux, tels les trios et les quatuors, apportent encore de la variété à ces ouvrages, qui commentent le texte sacré avec souplesse, en traitant un ou plusieurs versets dans un même moule. Delalande sut porter le motet à son apogée en lui conférant une spiritualité que seuls Bach et Haendel ont été capables d’atteindre, à cette époque, dans des oeuvres religieuses monumentales. DELANNOY (Marcel), compositeur français (La Ferté-Allais 1898 - Nantes 1962). Il se destina d’abord à l’architecture, commença à composer en autodidacte et fit parler de lui avec le Poirier de misère, d’après une légende flamande (créé à l’Opéra-Comique en 1927). Il travailla ensuite avec Arthur Honegger et, dans un style néoclassique influencé par la chanson française et le jazz, laissa dans tous les genres un catalogue considérable. Son oeuvre la plus célèbre est le ballet la Pantoufle de vair, d’après Cendrillon de Charles Perrault, créé aux États-Unis en 1931, sous le titre Cendrillon ou la Pantoufle de vair, puis à l’Opéra-Comique en 1935 après avoir été remanié en 1934. Il fut également un critique musical sévère, mais pertinent. DELERUE (Georges), compositeur français (Roubaix 1925 - Los Angeles 1992). Élève du Conservatoire de Paris, il a été directeur musical du festival d’Avignon (1948-1950), puis chef d’orchestre du Club d’essai de la radiodiffusion française (1951-1957). Il a écrit un Quatuor à cordes en 1948 et un autre en 1971, l’opéra de chambre Ariane en 1954, a fait représenter deux grands opéras, le Chevalier de neige sur un livret de Boris Vian (Nancy, 1957) et Medis et Alyssio sur un livret de Micheline Gautron (Strasbourg, 1975). Il a donné également des pages symphoniques comme la Symphonie concertante downloadModeText.vue.download 295 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 289 pour piano et orchestre (1957) ou les Variations libres pour un libre penseur musical (sur le nom de Ludwig van Beethoven) pour orchestre (1975). Mais c’est surtout par ses très nombreuses musiques de scène, radiophoniques et de film que, grâce à un métier très sûr, il a acquis la célébrité. Citons celles pour la Mort de Danton de Büchner (Avignon, 1949) ou les Mouches de J.-P. Sartre (Nîmes, 1950), pour les Rois maudits de M. Druon (1974) et pour les films Hiroshima mon amour (1958), la Peau douce (1964), le Conformiste (1970), les Deux Anglaises et le continent (1971), Une belle fille comme moi (1972), le Chacal (1974), Banlieue Sud-Est (1977), la Gifle (1978), le Dernier Métro (1980). Il a aussi signé plusieurs spectacles son et lumière. DELIBES (Clément Philibert Léo), compositeur français (Saint-Germain-du-Val 1836 - Paris 1891). Ayant montré de bonne heure des dispositions pour le chant, il fit partie de plusieurs chorales avant d’entrer à l’âge de douze ans au Conservatoire de Paris. Après y avoir obtenu en deux ans un premier prix de solfège, il y étudia le piano, l’orgue, l’harmonium et la composition (classes de Le Couppey, Benoist, Bazin et A. Adam). Il commença à travailler comme accompagnateur au Théâtre-Lyrique et comme organiste à Saint-Pierre de Chaillot, tout en donnant des leçons particulières. En 1855, il composa une opérette sur un texte de J. Moinaux, Deux Sous de charbon, représentée au théâtre des FoliesNouvelles. Il continua à pratiquer ce genre assez régulièrement jusqu’en 1869 et composa une quinzaine d’opérettes, la plupart représentées au théâtre des Bouffes-Parisiens, parmi lesquelles Six Demoiselles à marier (1856), l’Omelette à la Follembuche (1859), les Musiciens de l’orchestre (1861), le Serpent à plumes (1864), Malbrough s’en va-t-en guerre (1868), cette dernière oeuvre écrite en collaboration avec Bizet, Jonas et Legouix. En même temps, il commença à écrire des opéras-comiques pour le Théâtre-Lyrique (Maître Griffard, 1857 ; le Jardinier et son seigneur, 1863). Son engagement à l’opéra, en 1863, en qualité d’accompagnateur, puis de chef de choeur, lui ouvrit des possibilités nouvelles. En 1866, il écrivit, en collaboration avec le compositeur polonais Minkus, son premier ballet, la Source, sur un sujet oriental de Ch. Nuitter, avec une chorégraphie de A. Saint-Léon. Le succès de la Source, reprise à l’étranger sous divers titres (La Sorgente, en Italie ; Naïla, en Allemagne), prouva que Delibes possédait un sens naturel de l’esthétique chorégraphique. L’année suivante, il composa un divertissement, le Pas des fleurs, pour la reprise du Corsaire de son maître Adam. En 1870, Coppélia d’après un conte de Hoffmann, l’Homme au sable, lui assure l’immortalité dans le domaine du ballet. C’est, avec Sylvia (1876), l’une de ses rares oeuvres qui continuent à tenir l’affiche de nos jours. Dans le répertoire lyrique, les compositions les plus valables de Delibes sont Le roi l’a dit (Opéra-Comique, 1873), et surtout Lakmé (ibid. 1883), qui doit sa popularité au charme sentimental et exotique de son sujet hindou, autant qu’à son coloris, son invention mélodique et la souplesse de son écriture vocale. En 1882, Delibes a écrit une série de danses pour la reprise de la pièce de Victor Hugo Le roi s’amuse (ce même texte avait servi de base au livret de Rigoletto de Verdi). Son dernier opéra, Kassya, laissé inachevé, fut terminé et orchestré par Massenet. Delibes était également l’auteur de nombreuses oeuvres vocales profanes et religieuses, aujourd’hui à peu près oubliées. DELIUS (Frederick), compositeur anglais (Bradford 1862 - Grez-sur-Loing, Seineet-Marne, 1934). En partie d’origine allemande, il se révéla bon violoniste dès son enfance, mais ses parents cherchèrent à le détourner de la musique. À l’âge de vingt ans, il s’installa en Floride comme planteur d’oranges, et consacra son temps libre à la musique, étudiant tout d’abord seul, à l’aide d’ouvrages théoriques. De retour en Europe, il fut, au conservatoire de Leipzig, l’élève de Reinecke. S’il ne tira pas grand profit de cet enseignement, il reçut en revanche l’influence déterminante de Grieg, alors à Leipzig. Cette influence est évidente dans Sleigh Ride (1888). À partir de 1890, il vécut surtout en France, d’abord à Paris, puis à Grez-sur-Loing, où il devait finir ses jours. En 1890, il avait épousé le peintre Jelka Rosen. Les partitions se succédèrent jusqu’en 1924, époque à laquelle une maladie le paralysa et le rendit aveugle. Toutes ses dernières oeuvres furent écrites avec la collaboration de Eric Fenby, jeune musicien du Yorkshire, qui, plus tard, devait enregistrer ses trois sonates pour violon et piano et écrire un livre à sa mémoire (Delius as I knew him, 1936). Delius vécut plus de quarante ans en France, mais sa musique y demeure pratiquement inconnue. Elle est en revanche très appréciée en Angleterre, grâce aux initiatives de sir Thomas Beecham, défenseur infatigable du compositeur. En 1929, Delius fut décoré par le roi George V à l’occasion d’un festival de ses oeuvres organisé par Beecham au Queen’s Hall de Londres. Ce fut son dernier voyage en Angleterre. On peut remarquer chez Delius des parentés avec Debussy dans la couleur orchestrale, mais son plus grand modèle resta Grieg. Il excelle dans les évocations de nature, soit avec le grand orchestre (Brigg Fair, 1907), soit avec des moyens plus réduits, comme dans les deux chefsd’oeuvre que sont Summernight on the River (1911) et On hearing the first Cuckoo in Spring (1912) : la première de ces miniatures recrée l’atmosphère d’une nuit d’été sur le Loing aux alentours de Grez. Sa mélodie, envoûtante et souvent confiée aux instruments à vent, repose sur des harmonies richement chromatiques. Sa musique est inimitable ; elle suit son propre chemin, qu’il s’agisse pour elle d’évoquer son pays natal (Over the Hills and Far Away, 1895) ou la capitale française (Paris, the Song of a Great City, 1899), ou de jeter un regard en arrière sur toute une vie créatrice (A Song of Summer, 1930). Pour choeurs et orchestre, il a composé notamment Appalachia (1902), Sea Drift d’après W. Whitman (1903), A Mass of Life d’après Nietzsche (1904-05), Songs of Sunset (1906-07), A Song of the High Hills (1911-12, avec choeurs sans paroles), Requiem (1914-1916), Eventyr (1917, avec seulement quelques interjections vocales). On lui doit également des mélodies, de la musique de chambre, dont le quatuor à cordes de 1916-17, des concertos, ainsi que six opéras : A Village Romeo and Juliet d’après G. Keller (19001901, créé en 1907), le plus célèbre et le plus réussi ; Irmelin (1890-1892, créé par Beecham en 1953), The Magic Fountain (1893), Koanga (1895-1897, créé en 1904), Margot-la-Rouge (1902) et Fennimore and Gerda (1909-10, créé en 1919). À signaler aussi la musique de scène pour Hassan or the Golden Journey to Samarkand de J. E. Flecker (1920). DELLA CASA (Lisa), soprano suisse (Burgdorf, canton de Berne, 1919). Après avoir étudié le chant à Zurich, elle débuta en 1941 à Solothurn-Biel dans le rôle principal de Madame Butterfly de Puccini. En 1947, elle chanta au festival de Salzbourg le rôle de Zdenka dans Arabella de Richard Strauss, ouvrage où elle ne tarda pas à s’illustrer dans le rôle d’Arabella elle-même. En 1947 également, elle devint membre de la troupe de l’Opéra de Vienne, à laquelle elle demeura attachée de longues années, tout en poursuivant une carrière internationale. Soprano lyrique au timbre d’une rare beauté, Lisa Della Casa joignait à une superbe technique, tant dans le cantabile que dans la coloratura, de merveilleux dons d’actrice. Elle demeure célèbre essentiellement comme interprète de Mozart (Donna Elvire dans Don Juan, la Comtesse dans les Noces de Figaro) et de Richard Strauss (la Maréchale dans le Chevalier à la rose et Arabella). DELLA CORTE (Andrea), musicologue et critique italien (Naples 1883 - Turin 1968). Autodidacte, il fut professeur d’histoire de la musique au conservatoire Verdi de downloadModeText.vue.download 296 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 290 Turin à partir de 1926 et à l’université de la même ville à partir de 1939. Critique à La Stampa de 1919 à 1967, mais aussi historien et esthéticien, il est considéré comme un pionnier de la musicologie italienne et écrivit de nombreux ouvrages consacrés au théâtre lyrique italien des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Il s’intéressa d’autre part aux problèmes de la critique contemporaine, à ceux de l’interprétation ou encore à la pédagogie de la composition. Il publia un grand nombre d’articles dans la Rassegna musicale de G. M. Gatti et dans la Rivista musicale italiana. PRINCIPAUX ÉCRITS : Antologia della storia della musica (2 vol., Turin, 1927-1929 ; 4e éd., 1945) ; Satire e grotteschi di musica e di musicisti d’ogni tempo (Turin, 1947) ; Disegno storico dell’Arte musicale (Turin, 1950) ; L’Interpretazione musicale e gli interpreti (Turin, 1951) ; Drammi per musica dal Rinuccini allo Zeno (2 vol., Turin, 1958). Ses monographies concernent Alfano, Bellini (en collaboration avec Pannain), Galuppi, Gluck, Goethe, Mozart (2 ouvrages, dont un en collaboration avec Barblan), Paisiello, Pergolèse, Piccinni, Salieri, Serato, Verdi. Il collabora en outre avec G. M. Gatti pour le Dizionario di musica (Turin, 1925 ; 6e éd., 1959) et avec G. Pannain pour la Storia della musica (2 vol., Turin, 1952 ; 4e éd. en 3 vol., 1964). DELLER (Alfred), contre-ténor et chef d’orchestre anglais (Margate, Kent, 1912 - Bologne, Italie, 1979). Il appartint à un choeur d’église de sa ville natale, travailla en autodidacte la voix d’alto mâle (contre-ténor), fit partie des choeurs de la cathédrale de Canterbury (1940-1947), puis de ceux de Saint-Paul à Londres, tout en commençant une carrière de soliste (ses premiers disques datent de 1949). En 1950, il constitua un groupe de chanteurs, généralement accompagné d’instrumentistes, le Deller Consort, dont il fut le chef et l’animateur, et dont le but était de faire connaître l’art du madrigal anglais et la musique de l’époque élisabéthaine. L’extension du répertoire du Deller Consort amena plus tard Alfred Deller à une véritable activité de chef d’orchestre, par exemple dans des oeuvres lyriques de Purcell ou de Haendel. Parallèlement à sa carrière de chanteur, Deller se consacra à la pédagogie, en particulier en France lors de stages à l’abbaye de Sénanque en Provence. Oubliée pendant un siècle et demi, parfois même méprisée, la voix de contre-ténor avait seulement survécu à l’état latent dans l’exécution de la musique religieuse en Angleterre, et n’était plus défendue et illustrée que par des personnalités très isolées comme le chanteur américain Russell Oberlin. Alfred Deller a été le chef de file d’une nouvelle école d’interprètes qui retrouvent et cultivent cette voix. Mais parmi les contre-ténors apparus durant ces dernières décennies, la voix d’Alfred Deller possédait une couleur très particulière, une pureté cristalline que nul n’a, à ce jour, égalée. L’art de Deller était caractérisé par un sens du style, une musicalité et un goût parfaits. Il a donné des interprétations que l’on peut qualifier d’idéales de la musique anglaise d’époque élisabéthaine, par exemple des ayres de John Dowland. Grâce à sa technique, Deller a pu aussi tenter, dans des oeuvres comme Sosarme de Haendel, de ressusciter sinon le timbre des castrats, assez différent de celui des contre-ténors, du moins leur virtuosité et leur art de l’expression. La voix de Deller était de celles qui peuvent inspirer des compositeurs : Britten écrivit pour lui le rôle d’Obéron dans le Songe d’une nuit d’été (1960). L’un des enfants d’Alfred Deller, Mark, s’est à son tour forgé une voix de contreténor et assume la responsabilité du Deller Consort depuis la mort de son père. DELLO JOIO (Norman), compositeur américain (New York 1913). Son père, italien de naissance, était organiste, et il le devint lui-même à quatorze ans. Il fit ses études à l’Institute of Musical Art de New York (1936), à la Juilliard School (1939-1941), puis, en 1941, avec Hindemith, qui devait le marquer profondément. Prix Pulitzer en 1957 pour Meditations on the Ecclesiastes pour orchestre à cordes, il a écrit, parmi de nombreuses pages instrumentales et vocales, A Psalm of David pour piano, cuivres, percussion et cordes (1950), et le ballet Héloïse et Abélard (1969). De son opéra consacré à Jeanne d’Arc, The Triumph of Saint Joan, une première version fut retirée après sa création. Le compositeur en tira The Triumph of Saint Joan Symphony (1951). Une seconde version, The Trial at Rouen, fut donnée à la télévision en 1955. Le compositeur en tira, pour la scène, The Triumph of Saint Joan (New York, 1959). DELMAS (Jean François), basse française (Lyon 1861 - Saint-Alban-de-Montbel, Savoie, 1933). Il étudia au Conservatoire de Paris et débuta en 1886 à l’Opéra de Paris dans le rôle de Saint-Bris des Huguenots de Meyerbeer auquel il donna un éclat particulier. Il devait rester dans ce théâtre comme première basse jusqu’en 1911, créant de nombreux ouvrages (dont Thaïs de Massenet). Il fut un des grands chanteurs wagnériens français : ses interprétations de Wotan dans la Tétralogie, de Hans Sachs dans les Maîtres chanteurs, de Gurnemanz dans Parsifal, étaient renommées. Sa voix de basse chantante était longue, ample et dramatique, sa déclamation, superbe, et sa présence scénique, convaincante. DELMET (Paul), compositeur français (Paris 1862 - id. 1904). Il appartint jusqu’en 1897 au groupe d’artistes liés au cabaret du Chat-Noir, où il interprétait chaque soir les romances et chansons qu’il composait sur des textes de poètes tels qu’Armand Silvestre et Théodore Botrel. Élève de Massenet, ayant hérité de son maître le goût et le don de la mélodie délicate, il fut un des enchanteurs de la Belle Époque, imposant au public ses thèmes insinuants, enveloppants et tendres. Certaines de ses chansons comme Envoi de fleurs connurent une popularité immense. DEL MONACO (Mario), ténor italien (Florence 1915 - Trévise 1982). Autodidacte, il s’est instruit au moyen d’enregistrements réalisés par les grands chanteurs du passé. Il débuta en 1939 à Pesaro, dans le rôle de Turridu (Cavalleria rusticana). Après la guerre, il commença une carrière internationale qui le conduisit dans le monde entier, triomphant dans les rôles les plus dramatiques du répertoire italien. Radames d’Aïda, Otello, Canio de Paillasse étaient ses personnages de prédilection. Son timbre à la fois corsé et brillant possédait une admirable égalité sur toute l’étendue du registre et un éclat exceptionnel. À défaut de subtilité musicale, les interprétations de Mario Del Monaco avaient une intensité et une vitalité auxquelles on ne pouvait rester insensible et sa voix fut, sans aucun doute, une des plus remarquables qu’on ait pu entendre récemment. DELNA (Marie LEDAN, dite), cantatrice française (Meudon 1875 - Paris 1932). Presque sans formation vocale, elle fit ses débuts à l’Opéra-Comique en 1892 dans le rôle de Didon des Troyens à Carthage de Berlioz, dans lequel son instinct dramatique fit dire d’elle par Sarah Bernhardt : « Qui donc lui a appris à mourir, à cette petite ? » Elle fit à l’Opéra-Comique l’essentiel de sa carrière, remportant un vif succès dans des créations comme l’Attaque du moulin de Bruneau (1893) et la Vivandière de Godard (1895). Elle fut la première interprète, en France, de Charlotte dans Werther de Massenet, et de Mrs. Quickly dans Falstaff de Verdi. Elle se produisit moins souvent à l’Opéra, où elle brilla notamment dans les rôles de Fidès du Prophète de Meyerbeer, et Dalila de Samson et Dalila de Saint-Saëns. Elle se produisit à Milan, à Londres et à New York où elle chanta Orphée de Gluck sous la direction de Toscanini. Sa voix fut l’une des plus belles voix féminines graves de son époque. Son style s’éloignait parfois délibérément du chant pour se tourner vers la déclamation. downloadModeText.vue.download 297 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 291 DELVINCOURT (Claude), compositeur français (Paris 1888 - Orbetello, Toscane, 1954). Il étudia le solfège dès l’âge de sept ans avec Boellmann et l’harmonie avec Henri Busser. En 1902, il devint élève de Falkenberg (piano) et entra au Conservatoire de Paris en 1908 dans les classes de Caussade (contrepoint et fugue) et de Widor (composition). Ses premières compositions datent de 1907-1908 : quintette pour cordes, duo pour violon et piano. En 1910, il se présenta au concours du prix de Rome, mais n’obtint un second prix que l’année suivante et, finalement, le premier grand prix en 1913 avec Hélène et Faust, ayant ainsi composé successivement quatre cantates officielles. Engagé volontaire en 1914, il fut gravement blessé en 1915, perdit un oeil et cessa pratiquement de composer pendant plusieurs années. Mais, dès 1923, plusieurs associations de concerts parisiennes affichèrent ses oeuvres, et il aborda le théâtre au Grand Cercle d’Aix-les-Bains en 1937 avec un ballet, le Bal vénitien, version orchestrée d’une suite pour six instruments composée en 1930. Nommé directeur du conservatoire de Versailles en 1931, il y organisa des concerts de chambre et fit représenter par ses élèves au théâtre Montansier son opéra bouffe la Femme à barbe (1938). Au cours des années 30, il composa plusieurs musiques de film (la Croisière jaune, l’Appel du silence, Soeurs d’armes). Il avait cinquante-trois ans lorsqu’il fut appelé à succéder à Henri Rabaud à la tête du Conservatoire de Paris. Esprit ouvert à tous les éléments du progrès, il y modernisa l’enseignement et aménagea les règles concernant les admissions et les concours. Afin de soustraire ses élèves au service du travail obligatoire en Allemagne, il créa pour eux et avec eux l’Orchestre des cadets du Conservatoire, qui allait devenir une jeune phalange symphonique particulièrement appréciée. Après la guerre, l’Opéra monta son mystère, Lucifer (1948), achevé depuis 1940, sur un texte de R. Dumesnil, et la Comédie-Française lui commanda une nouvelle musique de scène pour le Bourgeois gentilhomme. Musicien distingué, doublé d’un humaniste, ayant conservé une prédilection pour les mystères du Moyen Âge et pour la chanson française, Claude Delvincourt trouva la mort dans un accident d’automobile, à soixante-six ans. DÉMANCHÉ. Dans les instruments à cordes, ce terme indique un changement rapide de la main gauche pour passer d’une position à une autre, plus ou moins éloignée ; ce changement peut être ascendant ou descendant. DEMANTIUS (Christoph), compositeur allemand (Reichenberg, Bohême, 1567 Freiberg, Saxe, 1643). Après des études universitaires à Wittemberg et peut-être un bref séjour à Leipzig, il est nommé cantor à Zittau (1597), puis à Freiberg (1604). Son Isagoge artis musice lui assure dès 1602 une réputation de pédagogue. Ses recueils de chansons profanes (1595, 1614 et 1615) le situent dans la lignée de R. de Lassus et de L. Lechner. Dans son important recueil d’introïts, de proses et de messes, les Triades sioniae (Freiberg, 1619), il aménage la technique de la basse continue en imposant à l’organiste un cantus generalis. La Corona harmonica (Leipzig, 1610) ou la Passion selon saint Jean (Freiberg, 1631) sont autant de points culminants d’une oeuvre où les formes et les moyens stylistiques traditionnels se chargent d’une expression nouvelle qui préfigure les recherches de l’herméneutique musicale à venir. DEMARQUEZ (Suzanne), femme compositeur et musicologue française (Paris 1899 - id. 1965). Après des études au Conservatoire de Paris, elle a composé des oeuvres de musique de chambre, des quatuors vocaux et des mélodies. Elle s’est fait surtout connaître par ses excellents ouvrages sur Purcell et sur Manuel de Falla. Parmi ses principaux écrits, citons : Purcell (Paris, 1951) ; André Jolivet (Paris, 1958) ; Manuel de Falla (Paris, 1963) ; Hector Berlioz (Paris, 1969). DEMESSIEUX (Jeanne), femme organiste et compositeur française (Montpellier 1921 - Paris 1968). Brillante élève du Conservatoire de Paris et disciple de Marcel Dupré, elle a été organiste titulaire à l’église du Saint-Esprit (1933), puis à la Madeleine (1962). Interprète demeurée célèbre pour son extraordinaire virtuosité, elle a également enseigné l’orgue au conservatoire de Nancy et à celui de Liège. Elle a publié plusieurs oeuvres pour son instrument, ainsi qu’un Poème (1952) pour orgue et orchestre. DEMI-CADENCE. Formule tonale caractérisée par un arrêt sur l’accord de dominante, généralement par succession harmonique degré I-degré V, et ayant habituellement une signification suspensive ou interrogative. On dit aussi cadence (ou repos) à la dominante ( ! CADENCE, 2). DEMI-PAUSE. Figure de silence dont la durée est égale à la valeur d’une blanche. La demi-pause se place sur la troisième ligne de la portée. DEMI-SOUPIR. Figure de silence dont la durée est égale à la valeur d’une croche. DEMI-TON. Les sept notes qui constituent les gammes, majeures et mineures, du système tonal sont réparties selon des intervalles inégaux. Approximativement, la distance qui, dans la gamme de do majeur, sépare le mi du fa et le si du do est la moitié de celle qui sépare les autres notes. Cette distance est le demi-ton, alors que le do et le ré, par exemple, sont séparés par un ton entier (deux demi-tons). Avant le système dit « à tempérament égal », les demi-tons n’étaient pas tous égaux car ils ne représentaient pas exactement la moitié d’un ton. On distinguait donc entre le demi-ton diatonique, séparant deux notes différentes d’une même gamme (par exemple, si-do en do majeur) et le demi-ton chromatique, séparant deux notes de même nom mais de gammes différentes (par exemple, fa-fa dièse). En revanche, lorsque le tempérament égal est employé, l’octave se trouve divisée en douze demi-tons, tous égaux. DEMUS (Jorg), pianiste autrichien (Saint Poelten 1928). Formé à l’Académie musicale de Vienne, il est un interprète autorisé des classiques et des romantiques allemands (Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, Schumann, Brahms), mais aussi de Debussy. Depuis les années 60, il s’efforce, par ses conférences illustrées et ses enregistrements, de populariser l’interprétation des compositeurs viennois sur des piano-forte d’époque. Réputé également comme accompagnateur, il a pris la succession de Gerald Moore auprès de Dietrich FischerDieskau. DEMUTH (Norman), compositeur et musicologue anglais (South Croyden, Surrey, 1898 - Chichester, Sussex, 1968). Choriste à la chapelle de Windsor, puis élève du Royal College of Music à Londres, soldat volontaire en 1915, grièvement blessé en France, il a exercé de multiples activités. Chef des choeurs, organiste, nommé en 1930 professeur de composition à la Royal Academy of Music, il a écrit quatre symphonies, plusieurs concertos, des ballets, des oeuvres lyriques et un Requiem à la mémoire de Claude Delvincourt (1955). En 1950, l’Institut de France l’a élu « Officier d’Académie » en qualité d’associé étranger. Norman Demuth a consacré l’essentiel de ses travaux musicologiques (en langue anglaise) à la France : M. Ravel (1947) ; A. Roussel (1947) ; C. Franck (1949) ; P. Dukas (1949) ; Introduction to the Music of Gounod (1950) ; V. d’Indy (1951) ; French Piano Music (1959). downloadModeText.vue.download 298 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 292 DENIS, dynastie de facteurs d’instruments et d’organistes, actifs à Paris aux XVIe et XVIIe siècles. Son plus ancien représentant connu est Robert Ier (v. 1520-1589). À partir de 1544, il est mentionné à Paris comme facteur d’orgues et épinettier. Les membres suivants de la famille, dont les liens de parenté ne sont pas toujours établis avec certitude, élargissent cette activité vers la fabrication de toutes sortes d’instruments à cordes (luths, notamment), leur commerce, ainsi que vers la pratique de l’orgue. Le plus réputé est Denis II, petitfils de Robert Ier (Paris v. 1600 - id. 1672). Élève de Florent Bienvenu, qui l’initie aux théories de Titelouze, il a été organiste à Saint-Barthélemy ; facteur d’épinettes apprécié de Mersenne, il est aussi l’auteur d’un Traité de l’accord de l’espinette avec la comparaison de son clavier avec la musique vocale. Les autres membres de la famille, connue jusqu’en 1718, en poursuivent la double vocation, surtout comme facteurs d’épinettes et de clavecins ; ils sont apparentés au facteur d’orgues Thierry et à l’organiste Marchand. DENIS (Didier), compositeur français (Paris 1947). Il a été élève d’Olivier Messiaen, qui l’a influencé dans sa conception du rythme et du déroulement du temps. Pensionnaire de la villa Médicis à Rome de 1971 à 1973, il a reçu le prix de la Fondation de la vocation (1969) et celui de la S. A. C. E. M. en 1973. Passionné par la voix, il a écrit nombre d’oeuvres vocales en utilisant le texte plus pour la musique des mots que pour leur signification - tantôt chantés, tantôt dits avant ou pendant l’exécution instrumentale. Dans ses oeuvres, il sait allier un souci de la forme à une grande fraîcheur dans le coloris orchestral. L’éventail de sa production est large, de la musique de théâtre (Pour « le Marchand de Venise » [1969] pour orchestre), aux pièces instru- mentales (Lèvres, Rouge [1974] pour alto et 30 instruments), en passant par les partitions pour voix, dont la plus réussie est peut-être Cinq fois je t’aime (1968, créée à Paris en 1970) pour coloratur, récitant et orchestre. DENISOV (Edison Vassilievitch), compositeur soviétique (Tomsk, Sibérie, 1929). À l’instigation de son père, ingénieur, il fait des études scientifiques supérieures à l’université de Tomsk (1946-1951). Il vient à Moscou suivre les cours de composition de V. Chebaline et N. Peiko (19511956). Il est actuellement chargé de cours au conservatoire de Moscou. Grand admirateur de Chostakovitch, Denisov semble avoir détruit ses premiers essais. Son opus no 1 est une Musique pour 11 instruments à vent et timbales (1961) qui fait se rejoindre la grammaire schönberguienne du Quintette op. 26 et un hommage à Bartók. L’opus no 2, des Variations pour piano, montre dès lors l’influence de Boulez, de Stockhausen et de Nono. Denisov se fait admettre dans le domaine réservé des grands créateurs postweberniens lors de la première de sa cantate, le Soleil des Incas, pour soprano, 10 instruments, 3 voix d’hommes sur des poèmes chiliens de Gabriela Mistral. Tout en jouant d’un pointillisme instrumental emprunté au Marteau sans maître de Boulez, il reste dans la tradition russe pour ce qui est du traitement de la voix. Pendant dix ans (1964-1974), il a poursuivi ses recherches sonores sur diverses formations instrumentales : Crescendo-diminuendo pour clavier et 12 cordes (1965), Ode pour clarinette, piano, percussions (1968), Musique romantique pour hautbois, harpe et trio à cordes (1968), Silhouettes pour flûte, 2 pianos et percussions (1969), 3 Pièces pour violoncelle (1970), Trio avec piano (1971), Sonate pour violoncelle, Sonate pour saxophone (1971), enfin ses Signes en blanche pour piano seul (1974). Tout comme Prigojine, Denisov revient aux intonations archaïsantes pour la conduite de la voix humaine : Pleurs pour soprano, piano et percussions sur des textes populaires (1966), Automne pour choeur à 13 voix solistes a cappella sur des paroles de V. Khlebnikov (1968), Chant d’automne pour soprano et grand orchestre (1971). Depuis 1970, il s’adonne également au style concertant, du fait de fréquentes commandes de solistes occidentaux. À retenir le Concerto pour violoncelle (1972), pour piano (1974), pour flûte (1975), pour percussions (1978). Peinture pour grand orchestre (1970) est son oeuvre symphonique la plus réussie qui soit parvenue en Occident. L’importance des oeuvres de Denisov est encore difficile à apprécier, la vie musicale soviétique les laissant à l’écart. On a pu entendre ses ouvrages à Royan, au Domaine musical, à l’Automne de Varsovie, au concert de clôture de l’exposition Paris-Moscou en 1979, mais il est évident que l’oeuvre n’a pas l’audience qu’il mérite. En 1986 a été créé à Paris l’opéra l’Écume des jours, d’après Boris Vian, et, en 1988, une Symphonie. Il a « terminé » l’opéra inachevé de Debussy Rodrigue et Chimène (Lyon, 1993). DÉPLORATION. Terme employé surtout du XIVe au XVIe siècle et désignant un poème en musique composé à l’occasion de la mort d’un personnage illustre pour célébrer ses mérites et exprimer le regret de sa disparition. La déploration succède au planctus latin (Planctus Karoli sur la mort de Charlemagne) ou au planh méridional (planh de Richard Coeur de Lion), mais ceux-ci étaient ordinairement monodiques, alors que la déploration est souvent polyphonique ; l’une des plus anciennes est la double ballade composée par F. Andrieu sur la mort de Guillaume de Machaut, le Noble Rhétorique. Au XVIIe siècle, ce genre d’hommage posthume devint surtout instrumental et prit le nom de « tombeau ». DEPRAZ (Xavier), basse française (Paris 1926). Élève du Conservatoire de Paris, il a débuté en 1952 à l’Opéra-Comique dans le rôle de Basile du Barbier de Séville de Rossini et à l’Opéra dans celui de Palémon de Thaïs de Massenet. Tout en s’illustrant dans le répertoire, il a participé aux premières représentations, à l’Opéra-Comique, du Rake’s Progress de Stravinski (rôle de Nick Shadow, 1953), et à l’Opéra, de Dialogues des carmélites de Poulenc (rôle du marquis de La Force, 1957). Parmi ses autres incarnations remarquables, il faut relever celle du personnage de Peter Bell dans le Fou de Landowski avec le Centre lyrique populaire de France. Artiste cultivé, il a donné des interprétations extrêmement fouillées, aussi bien sur le plan musical que sur le plan scénique. Il est depuis 1973 professeur d’art lyrique au Conservatoire de Paris. DE PROFUNDIS. Premiers mots du Psaume 129 (130 dans l’usage réformé) dans lequel David pécheur crie sa détresse « du fond de l’abîme », implore la miséricorde divine et proclame sa confiance dans la rédemption finale d’Israël. Adopté par l’usage catholique comme l’une des pièces maîtresses de la liturgie des défunts - où il figure notamment dans le rituel des obsèques -, ce psaume a été souvent utilisé comme texte de motet aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les De profundis de Lully et de Delalande sont particulièrement célèbres. Adapté en strophes allemandes par la liturgie luthérienne (Aus tiefer Noth), il figure à ce titre dans le répertoire des chorals et a souvent été traité comme tel par les organistes, notamment par J.-S. Bach. DERING (Richard), compositeur anglais ( ? v. 1580 - Londres 1630). Il vécut en Angleterre et en Italie, et se convertit au catholicisme. Nommé Bachelor of Music à Oxford en 1610, il fut, à une époque de sa carrière, organiste des bénédictines anglaises à Bruxelles, puis probablement organiste de la reine Henriette d’Angleterre, après l’accession au trône de Charles Ier en 1625. Il composa des oeuvres religieuses dans le style anglais et destinées au culte catholique (Cantiones sacrae à 5 voix avec basse continue, 1617 ; des Cantica sacra à 6 voix, 1618 ; à 2 et 3 voix avec basse continue, 1662, 1674). Dans le downloadModeText.vue.download 299 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 293 domaine de la musique profane, il écrivit des canzonette italiennes (1620), des madrigaux italiens dans le nouveau style avec basse continue à 1, 2 et 3 voix, qui rappellent ceux d’un Sigismondo D’India, des madrigaux anglais, des fantaisies et des danses pour violes. Dering est connu surtout pour ses « Cris » (City Cries and Country Cries), dont des Cries of London dans la tradition de ceux de Th. Weelkes. DERMOTA (Anton), ténor autrichien (Kropa 1910 - Vienne 1989). Il étudia l’orgue et la composition à Laibach, puis le chant à Vienne, et débuta en 1936 à l’opéra de Vienne dans le rôle d’Alfredo de La Traviata de Verdi. Après avoir débuté à Salzbourg dans le petit rôle de Zorn des Maîtres chanteurs de Wagner sous la direction de Toscanini, il remporta au festival de cette ville un grand succès en 1938, dans le rôle de Don Ottavio de Don Juan. Il fit ensuite une carrière internationale, sans cesser d’être attaché à l’opéra de Vienne. Sa voix exquise et veloutée était assez solide pour qu’il pût aborder plusieurs rôles de Verdi, ainsi que le personnage d’Hérode dans Salomé de Richard Strauss. Mais ce musicien remarquable demeure avant tout l’un des plus grands ténors mozartiens que l’on ait connus. DERVAUX (Pierre), compositeur et chef d’orchestre français (Juvisy-sur-Orge, Essonne, 1917 - Marseille 1992). Dès l’âge de treize ans, il joua de la batterie dans des orchestres de genre. Il fut, au Conservatoire national de Paris, l’élève de Ferté, d’Yves Nat et de Marcel SamuelRousseau. Il débuta comme chef d’orchestre, accompagnant les attractions au cinéma Paramount, et comme timbalier à l’orchestre Pasdeloup, où Albert Wolff, lui ayant donné des leçons de direction d’orchestre, le fit monter au pupitre de l’association. En 1947, il entrait à l’Opéra-Comique avec Manon, et, en 1956, à l’Opéra avec Rigoletto. Dans ces deux théâtres, il dirigea le répertoire ainsi que plusieurs créations, dont la première représentation, à l’Opéra, du Dialogue des carmélites de Poulenc (1957). Pierre Dervaux a beaucoup travaillé à l’étranger, en particulier au Canada où il fut à la tête du conservatoire de Québec. Il a présidé à la création et à l’organisation de l’Orchestre des Pays de la Loire. Il est également président-chef d’orchestre de l’Association des concerts Colonne. Accaparé par ces différentes activités, il n’a eu que peu de temps à consacrer à la composition, mais ses compositions révèlent un musicien de bonne facture, élégant, aux harmonisations habiles, dont l’oeuvre comprend des partitions symphoniques et concertantes, des pièces pour piano et des mélodies. DESCARTES (René), philosophe français (La Haye, Touraine, 1596 - Stockholm 1650). Un essai de jeunesse, le Compendium musicae, écrit en 1618 et publié après sa mort en 1650, renferme l’essentiel de ses vues sur l’art musical. Le philosophe établit une distinction entre le « beau absolu », qui est conforme aux lois mathématiques, et le « beau subjectif », qui dépend du goût individuel. L’esthétique ne peut traiter que du beau absolu, et c’est là sa limite. Descartes reconnaît, dès lors, l’existence de l’irrationnel dans le domaine de l’art. La pensée de Descartes a influencé la philosophie de la musique dans l’Allemagne de la fin du XVIIIe siècle ; elle a ouvert la voie qui mène à la Critique du jugement d’Emmanuel Kant (1790). D’autre part, dans sa correspondance avec son ami le père Mersenne ou avec le physicien hollandais Christiaan Huygens, Descartes évoque souvent la musique. Le Compendium musicae a été publié en fac-similé par G. Birkner (Strasbourg, 1965). DESCAVES (Lucette), pianiste française (Paris 1906 - Paris 1993). Elle est l’élève de Marguerite Long au Conservatoire de Paris, puis celle d’Yves Nat et obtient un 1er Prix de piano en 1923. Sa carrière s’oriente d’emblée vers l’enseignement : assistante de Marguerite Long, puis d’Yves Nat, elle est nommée en 1941 professeur de piano au Conservatoire de Paris. Elle n’abandonne pas pour autant l’activité de concertiste et joue sous la direction de Münch, Cluytens, Dervaux, Fourestier. Intéressée par la musique de son temps, elle crée des oeuvres de Jolivet (Danses rituelles, 1942 ; Concerto pour piano, 1951) et de Rivier (Concerto pour piano, 1954). DESCORT (lat. discordia : « désaccord »). Terme s’appliquant à un genre difficile de poésie lyrique en langue occitane, cher aux troubadours des XIIe et XIIIe siècles. Il marqua ensuite de son influence l’art des trouvères. Le descort est formé de cinq à dix strophes toutes différentes quant à leur longueur, leur métrique et leur mélodie. Parfois, des langues différentes peuvent être employées, par exemple, chez Raimbaut de Vaqueiras, afin d’accentuer le désaccord. On trouve des traces de la technique du descort dans d’autres pays (Allemagne, Italie), et notamment dans la musique de la péninsule Ibérique, jusqu’au XVe siècle. DESCRIPTIVE (musique). Musique qui s’attache à imiter ou à évoquer des phénomènes naturels, des événements, voire des personnages ou des lieux. La musique dite descriptive n’est pas un genre codifié et réglementé, mais un « mode d’être » de la musique auquel presque tous les compositeurs ont plus ou moins sacrifié. Par rapport au cadre plus général de la « musique à programme », qui l’englobe (et qui peut véhiculer des sentiments et des sensations, soutenir un texte, évoquer des situations, raconter des histoires), la musique descriptive s’applique plus particulièrement à refléter, voire à imiter directement des phénomènes naturels ou matériels : en ce sens, elle est souvent « imitative ». Les thèmes favoris de la musique descriptive sont généralement pris dans l’univers naturel de l’homme : le cycle des saisons (Vivaldi, Haydn, Milhaud, Tchaïkovski) ; l’orage (Beethoven, Berlioz, Richard Strauss et les grands orages d’opéra chez Wagner, Verdi) ; l’eau (Beethoven, Schubert, Mendelssohn, Ravel, Liszt, Smetana, Debussy, Wagner, Poulenc) ; la chasse (Janequin, Vivaldi, Berlioz, César Franck, le genre musical de la « caccia » au XVe siècle) ; le chant des oiseaux (Rameau, Couperin, Vivaldi, Bach, Beethoven, Schumann, Wagner, Respighi, Saint-Saëns, Messiaen) ; la guerre (Janequin, Beethoven, Tchaïkovski, ainsi que les multiples « batailles » des XVIe et XVIIe siècles) ; les cloches (Berlioz, Debussy, de Falla, Ravel, Mahler) ; les moments de la journée, en particulier le matin, avec l’éveil des bruits (de Falla, Grieg, Debussy, Schönberg, Ravel, Ferrari) ; et la nuit (Boccherini, de Falla, Debussy, Ravel, Mendelssohn, Schönberg, Mahler). Les machines de l’univers moderne ont inspiré également nombre de compositeurs, de Prokofiev à Honegger, Mossolov, Varèse, Antheil, Satie, aux « bruitistes » italiens (Russolo, Marinetti) et quelques compositions de musique électroacoustique. La « description » musicale est plus complexe, dans son essence, que la simple transposition de la manifestation acoustique d’un phénomène. En d’autres termes, Franz Liszt, évoquant les Jeux d’eau de la villa d’Este, traduit aussi bien le « murmure » audible des fontaines qu’une impression visuelle et rythmique de déferlements finement subdivisés, d’épanchements lumineux, etc., qui s’associent dans la perception à l’audition des « jeux d’eau ». Ainsi a-t-on pu faire des descriptions musicales de phénomènes par nature silencieux, tels que le coucher de soleil (Nuages, de Debussy), ou même de concepts. Beethoven avait soin de préciser que sa Symphonie pastorale était plus une traduction d’impressions ressenties que de perceptions objectives : mais comment faire la part des unes et des autres, dans maints cas où une image sonore brute, telle qu’un chant d’oiseau chez Messiaen, se trouve investie de ce que le compositeur et l’auditeur y logent d’émotion, de force symbolique ? En effet, le passage downloadModeText.vue.download 300 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 294 de l’imitation à la symbolisation plus ou moins codée et conventionnelle est insensible : c’est le problème du figuralisme en musique. On peut dire que toute musique descriptive est potentiellement symbolique. Beaucoup de figures musicales conventionnelles ont une origine lointainement descriptive, puis symbolique. Par ailleurs, on peut s’interroger sur le fonctionnement de la musique descriptive (comment l’auditeur reconnaît qu’il s’agit de l’orage, de l’eau, du matin), quand on constate la différence, le gouffre, entre la réalité acoustique d’un phénomène (susceptible aujourd’hui d’être enregistré et observé) et sa description par des moyens musicaux. Il y a généralement peu de rapport acoustique entre une tempête réelle et une tempête en musique, sinon que cette dernière retrouve parfois une certaine structuration des événements dans le temps. Nous savons que la perception la plus brute est déjà une « composition » complexe réalisée par le cerveau. À plus forte raison, les peintures musicales les moins transposées, apparemment, sont déjà des stylisations, des recompositions, empruntant parfois leur vocabulaire à la plus banale convention (analogue à celle qui exprime, dans la langue française, l’aboiement du chien par « oua-oua », image acoustique très éloignée de l’aboiement réellement perçu). Comme l’a rappelé Pierre Schaeffer, il n’y a de son que « dans la tête », d’où vient que la musique descriptive, cherchant les repères de son objectivité, ne pourra les trouver que dans la conscience de l’auditeur, en aucun cas dans une réalité supposée « objective » en dehors de tout sujet percevant. On peut penser que certaines musiques électroacoustiques dites « anecdotiques », comme celles de Luc Ferrari, et parfois chez Varèse, François-Bernard Mâche, Pierre Henry, François Bayle, etc., bouleversent les données du genre, en utilisant des « images » enregistrées de phénomènes acoustiques naturels, donc apparemment la réalité brute du phénomène, et non sa stylisation en notes jouées par des instruments, comme chez Messiaen. Cependant, même ces images apparemment « brutes » ont été cadrées, découpées, assemblées ; elles sont une coupe dans le temps et dans l’espace, comme une photographie l’est pour un phénomène visible. Il arrive même qu’il soit plus difficile d’évoquer à l’auditeur une réalité sonore par son enregistrement que par son image musicale conventionnelle. On peut aussi se demander dans quelle mesure le titre, le commentaire ne jouent pas un grand rôle pour l’identification des images musicales proposées par la musique descriptive. Combien d’auditeurs reconnaîtraient l’orage des Quatre Saisons de Vivaldi, si on ne le leur avait pas désigné comme tel ? Ce bref survol des problèmes de la musique descriptive ne doit pas laisser oublier que la musique du monde entier et de toutes les époques comporte beaucoup d’éléments descriptifs et symboliques. On peut donc dire que cette tendance au descriptif est une de ses pentes naturelles, et non un dévoiement ou une perversion. C’est au contraire la musique dite « pure » qui est une conquête, le résultat artificiel et concerté d’une sublimation - et non l’état naturel de la musique dans sa virginité. Du reste, ce n’est que depuis peu de temps (fin du XIXe s. ?) que la musique occidentale ressent sa dualité entre la tendance descriptive et l’expression abstraite comme un clivage douloureux, et que toute intention figurative est repoussée avec horreur par la plupart des auteurs dits « sérieux » - sauf, justement, chez un esprit indépendant comme Olivier Messiaen, lequel n’a pas plus de problèmes qu’un Bach ou un Mozart pour suivre un propos à la fois descriptif et abstrait. Ajoutons que certains genres, certaines périodes, certaines catégories de musiciens ont affectionné le genre descriptif, dans l’histoire occidentale : les madrigalistes italiens, la chanson polyphonique française (Janequin), les virginalistes anglais, l’école française classique de clavecin (Couperin), le poème symphonique et l’ouverture de concert, au XIXe siècle, et, d’une manière générale, la plupart des musiques faites autour de textes, dont l’opéra, qui contient, même chez les auteurs les plus « théoriciens » (Schönberg, Berg), un nombre considérable de moments descriptifs, intégrés dans une narration et un propos dramatico-musicaux. DESMAREST (Henry), compositeur français (Paris 1661 - Lunéville 1741). Page de la Musique du roi, il reçut son éducation musicale auprès de Robert et de Du Mont. Ayant été écarté d’un des postes de la chapelle royale, il se tourna vers l’art lyrique. En 1686, il donna deux opéras à la cour, puis devint, à partir de 1693, l’un des principaux compositeurs de l’Académie royale de musique. Jusqu’en 1698, il fournit en moyenne un ouvrage par an au théâtre parisien. Sa carrière dans l’opéra fut interrompue par une aventure galante : en raison de l’enlèvement d’une de ses élèves, dont il s’était épris, il dut quitter la France. En 1699, il entra à Bruxelles au service de Maximilien Emmanuel de Bavière, puis en 1701, à Madrid, à celui du roi d’Espagne, Philippe V. Enfin, en 1707, il fut surintendant à la cour de Lorraine. Entre-temps, en 1704, sa tragédie lyrique, Iphigénie, laissée inachevée lors de son départ de Paris, fut représentée dans cette ville, grâce à Campra qui termina l’oeuvre. Pardonné par le régent en 1720, Desmarest allait avoir l’occasion de retourner en France et d’assister, en 1722, à la création de son dernier opéra, Renaud ou la Suite d’Armide. N’étant pas parvenu, en 1726, à succéder à Delalande à la chapelle royale, il termina sa carrière en Lorraine. En dépit de ses échecs pour entrer à la chapelle du roi, il laissa une messe à deux choeurs, deux Te Deum et plusieurs psaumes et motets. Son oeuvre lyrique fut critiquée de son vivant : on lui reprochait de plagier Lully, ce qui est en effet sensible dans un opéra comme Circé (1694). Certains de ses ouvrages furent toutefois appréciés et ne manquent pas d’originalité : Didon (1693), Iphigénie (1704). DESORMIÈRE (Roger), compositeur et chef d’orchestre français (Vichy 1898 Paris 1963). Élève de Charles Koechlin, il écrit ses premières compositions, dont des mélodies sur des Quatrains de Francis Jammes. Il reçoit le prix Blumenthal de composition en 1922. En 1923, il prend la direction des concerts de l’école d’Arcueil qui réunit Maxime Jacob, Henri Sauguet et Cliquet-Pleyel autour d’Erik Satie. Dès l’année suivante, il se consacre à la direction d’orchestre, n’écrivant plus que quelques partitions pour le cinéma. Il est successivement chef d’orchestre aux Ballets suédois (1924), aux Ballets russes de Serge de Diaghilev (1925), à la Société de musique d’autrefois (1930). En 1931, il ressuscite, au théâtre Pigalle, de vieux opéras-comiques : On ne s’avise jamais de tout de Monsigny, Giannina e Bernadone de Cimarosa. Par la suite, il devient directeur musical des Ballets russes de Monte-Carlo (1932). En 1937, il entre à l’Opéra-Comique en dirigeant la création en France du Testament de tante Caroline d’Albert Roussel. Il assume ensuite, dans ce théâtre, la responsabilité de nombreuses créations et reprises, notamment dans le répertoire français. En 1945, il est chargé de diriger les spectacles de ballets au palais Garnier et, en 1948, il participe à la fondation de l’Association française des musiciens progressistes. En 1950, atteint de paralysie, il doit cesser toute activité. Mais ce chef, aux interprétations raffinées, riches en coloris subtils, a été durant un quart de siècle un ardent défenseur de la musique française, en particulier contemporaine. C’est à lui, en effet, que l’on doit, entre autres, les créations de la Chatte de Henri Sauguet, la Mort du tyran de Darius Milhaud, Passacaille de Daniel-Lesur, les Animaux modèles de Francis Poulenc, le Soleil des eaux de Pierre Boulez et la Première Symphonie de Henri Dutilleux. DESPORTES (Berthe Melitta, dite Yvonne), femme compositeur française (Coburg, Saxe, 1907 - Paris 1993). Élève de Marcel Dupré, de Maurice Emmanuel et de Paul Dukas au Conservatoire de Paris (1925-1932), Premier Grand Prix downloadModeText.vue.download 301 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 295 de Rome en 1932, elle a partagé sa carrière entre la composition et l’enseignement, dirigeant au Conservatoire une classe de solfège de 1943 à 1959, puis de composition et de fugue de 1959 à 1978. Comme compositeur, elle est une traditionaliste non conformiste. Ses oeuvres pour le théâtre, comme Maître Cornelius (1939), d’après Balzac, la Farce du carabinier (1943), la Chanson de Mimi-Pinson ou le Forgeur de merveilles (1965), d’après O’Brien, sont fort spirituelles, et de son intérêt pour la percussion témoignent Voyage au-delà d’un miroir (1963), pour trois percussions, Vision cosmique (1964), pour percussion avec bronté - instrument à percussion métallique inventé par son fils -, et Au-delà de la prière (1970), pour bronté et orchestre à cordes. On lui doit aussi trois concertos (À bâtons rompus pour 2 percussions ; le Tambourineur pour percussion ; l’Exploit de la coulisse pour trombone), trois symphonies (Saint Gindolph ; Monorythmie ; l’Éternel féminin) et un Traité d’harmonie en vingt leçons (1978). DESSAU (Paul), compositeur allemand (Hambourg 1894 - Berlin 1979). Il a occupé après la Première Guerre mondiale des postes à Hambourg, Cologne, Mayence, Berlin. En 1933, il émigra à Paris, puis aux États-Unis, et, en 1948, se fixa à Berlin-Est, où il poursuivit sa collaboration avec B. Brecht : musiques de scène pour Mère Courage (1946) et pour le Cercle de craie caucasien (1954) ; opéras Das Verhör des Lukullus (« le Procès de Lucullus », 1949), devenu après controverses et remaniements Die Verurteilung des Lukullus (« la Condamnation de Lucullus », 1951), et Maître Puntila (1966). Attiré dans sa jeunesse par les techniques dodécaphoniques, il s’en est assez vite éloigné, choisissant délibérément une voie plus ouverte et plus large : « Écrire une musique réaliste, c’est ce qui compte pour moi. » Il a sans doute donné le meilleur de lui-même dans des témoignages comme In memoriam Bertolt Brecht (1957), Requiem pour Lumumba (1963), ou encore Lénine, musique pour orchestre no 3 avec choeur final sur l’Épitaphe pour Lénine de B. Brecht (1970). On lui doit encore des musiques de scène pour les différents Faust de Goethe (1949-1953), Variations sur un thème de Bach pour orchestre (1964), les opéras Lancelot (1967-1969) et Einstein (1971-1973). Une oeuvre scénique posthume d’après Büchner, Leonce und Lena, a été créée à l’opéra de Berlin-Est fin 1979. DESSUS. Terme général désignant soit les voix, soit les tessitures les plus aiguës d’un ensemble. Dans la terminologie des XVIIe et XVIIIe siècles, on distinguait les hauts dessus et les bas dessus, correspondant à peu près au soprano et au mezzo-soprano. On employait aussi ce terme pour désigner les instruments aigus d’une même famille (par exemple, dessus de viole), ou encore, dans l’orgue, des jeux « coupés » (généralement à partir soit de l’ut3, soit du fa3) n’affectant que la partie supérieure du clavier. Dans le titre des pièces d’orgue, il désigne un morceau comportant un récit de solo à la partie supérieure. DESTOUCHES (André-Cardinal), compositeur français (Paris 1672 - id. 1749). Fils d’un marchand parisien, il fit ses études chez les jésuites au collège Louisle-Grand, de 1681 à 1686. Puis il partit en 1687, avec le père Tachard, pour le Siam, comme mathématicien et géographe. À son retour (1688), il renonça aux ordres. En 1692, il entra chez les Mousquetaires noirs et participa à la guerre de la Ligue d’Augsbourg. Là, il commença à écrire des airs sérieux et à boire. Il quitta l’armée en 1694 pour se perfectionner en musique avec Campra et collabora bientôt avec ce dernier en composant trois airs pour l’Europe galante, opéra-ballet créé en 1697. La même année, il fit interpréter sa pastorale, Issé, en présence de Louis XIV. L’oeuvre fut applaudie et Destouches devint l’un des artistes les plus appréciés du roi. De 1699 à 1703, ses tragédies lyriques, Amadis de Grèce, Marthésie et Omphale, ainsi que sa comédie-ballet, le Carnaval et la Folie, eurent le privilège d’être données en concert avant d’être représentées à l’Opéra de Paris. Cette protection lui valut également d’être nommé en 1713 inspecteur de ce théâtre. La mort de Louis XIV ne vint pas interrompre sa carrière. En 1718, il acheta à Delalande la charge de surintendant de la musique, avant de collaborer avec ce musicien au ballet les Éléments, qui fut dansé par le jeune Louis XV aux Tuileries en 1721. Destouches n’allait plus écrire qu’un seul ouvrage lyrique, les Stratagèmes de l’amour, créé en 1726, en dépit du poste de directeur artistique de l’Opéra qu’il reçut en 1728. Entre-temps, en 1727, il avait été nommé maître de la musique de la Chambre. Pour Marie Leszczy’nska, il organisa les Concerts de la reine, avant de se démettre de toutes ses charges. À côté de quelques cantates et de plusieurs airs sérieux et à boire, le reste de l’oeuvre conservé de Destouches est consacré à l’art lyrique. Parmi les meilleurs opéras peuvent être cités la pastorale Issé (1697), qui fut augmentée de deux actes dans une nouvelle version (1708), ainsi que les tragédies lyriques Omphale (1700) et Callirhoé (1712). Sa comédie-ballet, le Carnaval et la Folie (1703), témoigne de l’influence italienne et pourrait être rapprochée des opéras-ballets de Campra. DÉTACHÉ. Mode d’exécution dans lequel les notes doivent être séparées, c’est-à-dire jouées sans legato (jeu lié). S’appliquant plus particulièrement aux instruments à archet, le détaché, qui peut être plus ou moins prononcé, se fait en jouant une seule note par « tiré » ou « poussé », et en interrompant nettement le son entre le « tiré » et le « poussé ». DEUTSCH (Max), compositeur autrichien (Vienne 1892 - Paris 1982). C’est en 1912, alors qu’il suivait les cours de Guido Adler à l’université de Vienne, que Max Deutsch devint l’élève de Schönberg en même temps que le précepteur de son fils. Il l’accompagna à Amsterdam comme assistant en 1920-21. Nommé chef titulaire du Blüthner Orchestra à Berlin, il composa la musique du film de Pabst le Trésor, puis vint s’établir à Paris en 1924. C’est là qu’il résida désormais et dirigea notamment la première exécution en France du Kammerkonzert de Berg et d’importants fragments des Gurre Lieder de Schönberg. Naturalisé français en 1948, après avoir fait la guerre dans la Légion étrangère, il se consacra dès lors à l’enseignement de la composition, puis fonda, en 1960, les Grands Concerts de la Sorbonne où les oeuvres de ses élèves les plus marquants, données en création, voisinaient avec celles des principaux compositeurs du XXe siècle, sans exclusive. En 1971, il devint professeur de composition à l’École normale de musique de Paris. Plus de trois cents compositeurs de tous les pays ont trouvé à travers lui une approche de la musique dans laquelle le dire occupe moins de place que le faire : « Mettez-vous au piano et jouez » était l’un de ses conseils les plus pressants. Loin d’être concentré exclusivement, il s’en fallait de beaucoup, sur l’étude de la méthode dodécaphonique, l’enseignement de Max Deutsch reposait sur l’analyse des oeuvres de Schönberg de la période 19081913, mais également sur toutes celles qui, de Monteverdi à Mahler en passant par Beethoven, Brahms et Wagner, ont fait la somme des acquisitions précédentes, en insistant davantage sur la permanence d’un certain nombre de principes d’écriture fondamentaux que sur les bouleversements esthétiques ou techniques qui ont jalonné l’histoire de la musique. Quoiqu’il n’ait jamais cessé d’écrire de la musique, Max Deutsch n’a pas cherché à s’imposer comme compositeur. Parmi ses oeuvres, presque toutes détruites avant sa mort, il faut citer une Symphonie en cinq mouvements, une Symphonie pour solos, choeurs et orchestre d’après Péguy, des mélodies, des Choeurs d’hommes d’après Vinci, une messe, une musique de scène pour la Fuite (1946) de Tristan Tzara, et un opéra, le Joueur. downloadModeText.vue.download 302 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 296 DEUTSCH (Otto Erich), musicologue autrichien (Vienne 1883 - id. 1967). Il commença sa carrière comme critique d’art du journal Die Zeit (1908-1909), puis devint assistant à l’Institut d’histoire de l’art de l’université de Vienne (1910-11). Il se dirigea ensuite vers la musicologie, entreprenant des recherches sur les mu- siciens viennois et particulièrement sur Franz Schubert, de l’oeuvre duquel il établit, en 1951, un catalogue thématique qui a été universellement adopté. De 1939 à 1951, il vécut exilé en Angleterre, et prit la nationalité de ce pays en 1947. DEUX PIEDS. Nom donné aux jeux d’orgue faisant entendre la note jouée deux octaves au-dessus de la hauteur normale (8 pieds) attribuée à la touche. Pour la justification du terme, voir le mot pied. DEVCIK (Natko), compositeur yougoslave (Glina, Croatie, 1914). Il a fait ses études à Zagreb, Vienne et Paris, et fréquenté les cours d’été de Darmstadt. En 1962, il a été nommé à la tête du département composition de l’Académie de musique de Zagreb, et a travaillé en 196768 au Centre de musique électronique de Columbia-Princeton. Auteur de l’opéra la Sorcière de Labin (1957), de Microsuite pour piano (1965), de Fibula pour 2 orchestres (1967), il s’intéresse aussi bien à la musique populaire de l’Istrie qu’aux techniques les plus avancées, et a publié sur ces sujets de nombreux articles. DÉVELOPPEMENT. Utilisation, dans une construction musicale, d’un thème ou d’un fragment de thème précédemment exposé, d’où l’on extrait divers éléments, ou bien que l’on présente avec ou sans modifications, de manière variée ou en combinaisons diverses, et qui fournit ainsi une matière musicale plus ou moins étendue restant constamment tributaire du thème. Le principe du développement est l’une des découvertes les plus importantes de la construction musicale classique. Le développement constitue souvent, par exemple, la section la plus intéressante de la forme sonate, prenant place après l’exposition. Inconnu jusqu’à la fin du Moyen Âge, qui utilisait comme unique élément de structure soit la reprise, soit l’étirement du chant donné, il fait son apparition progressive dans la polyphonie au cours du XVe siècle, avec les entrées successives de voix en imitation. Il reçoit une impulsion décisive à la fin du XVIe siècle avec le ricercare, qui en systématise et étend l’emploi tout au long d’une section, puis d’une pièce entière. Le développement ne cessera ensuite de se perfectionner pour devenir l’un des éléments fondamentaux de la construction musicale, jusqu’au XXe siècle où diverses écoles battront en brèche sa suprématie ou renonceront totalement à avoir recours à lui. DEVIENNE (François), flûtiste et compositeur français (Joinville 1759 - Charenton 1803). Il s’intéressa très jeune aux instruments à vent et devint bientôt à la fois virtuose de la flûte et excellent bassoniste. En outre, il écrivit un grand nombre d’oeuvres, notamment des concertos, pour ces deux instruments. Bassoniste et flûtiste à la garde des Suisses, flûtiste dans l’orchestre du Théâtre de Monsieur en 1788, puis du théâtre Feydeau en 1792, il fut, à la fondation du Conservatoire (1795), nommé professeur de flûte et publia une Méthode de flûte théorique et pratique. Dans le domaine de la musique vocale, il signa des airs, des romances et écrivit des opérascomiques, dont les Visitandines (1792), qui connut un vif succès. Travailleur infatigable, il fut, dès 1802, atteint d’aliénation mentale et dut être interné l’année suivante. DEVISE. Phrase, souvent à double sens, ou présentant un aspect de devinette, que les contrapuntistes, du XIVe siècle à J.-S. Bach, adjoignaient volontiers à des canons énigmatiques ( ! ÉNIGME) ou à des voix de polyphonie (le plus souvent teneurs écrites elles-mêmes en rébus, et qui suggéraient la solution à ceux qui parvenaient à les comprendre). L’une des plus anciennes devises connues est le texte du rondeau de G. de Machaut, Ma fin est mon commencement. Les devises de l’Offrande musicale de Bach sont restées célèbres ; par exemple : Notulis crescentibus crescat fortuna regis (« tandis qu’augmentent les notes, que croisse la fortune du roi ») est à la fois une dédicace courtisane et une indication technique suggérant une résolution de canon par augmentation. DEVRIÈS (Daniel, dit Ivan), compositeur français (Saint-Lunaire, Ille-et-Vilaine, 1909). Fils du ténor David Devriès, il est aussi, par sa mère, arrière-petit-fils de Théophile Gautier et de la cantatrice Ernesta Grisi. Après ses études secondaires, il étudie l’harmonie, avec M. Samuel-Rousseau, le contrepoint et la fugue au Conservatoire de Paris, avec Georges Caussade. De 1936 à 1974, il travaille à la radio en qualité de metteur en ondes. Son oeuvre, ouverte à diverses influences du XXe siècle (Debussy, Bartók, rythmes de jazz), comprend de la musique symphonique (Trois Mouvements symphoniques, 1953), une comédie musicale le Clou aux maris (1961-1963), d’après Labiche, de nombreuses musiques de scène et des illustrations musicales pour l’O. R. T. F. En 1961, il a obtenu le grand prix musical de la Ville de Paris. DHOMONT (Francis), compositeur français (Paris 1926). Élève de Charles Koechlin et de Nadia Boulanger, après quelques oeuvres instrumentales, il s’oriente vers la musique électroacoustique et s’installe peu à peu un studio personnel en Provence, où il compose notamment Cités du dedans (1972), Syntagmes (1975), Métonymie (1976), À cordes perdues (1977) pour contrebasse et bande, oeuvres dont certaines ont été distinguées au concours du Groupe de musique expérimentale de Bourges. Il prend toute sa stature au début des années 1980 avec des oeuvres puissantes et d’une éloquence sombre et poétique, comme Sous le regard d’un Soleil noir (1981, sur des textes de Ronald Laing) ou Chiaroscuro (1987), et aussi comme professeur, au Québec, où il s’installe pour une quinzaine d’années, et où il est à l’origine de tout un courant talentueux de musique « acousmatique » (électroacoustique). Stéphane Roy, Robert Normandeau, Gilles Gobeil, etc., comptent parmi ses élèves. Il joue également un rôle non négligeable de défenseur de la musique électroacoustique, par de nombreux articles et dossiers, comme ceux qu’il dirige dans le cadre de la revue Lien, fondée par la compositrice belge Annette Van de Gorne. DIABELLI (Anton), compositeur et éditeur autrichien (Mattsee, près de Salzbourg, 1781 - Vienne 1858). Il fit ses premières études musicales avec son père, fut élève au collège bénédictin de Michaelbeuren, chanta à la chapelle de Salzbourg où il rencontra Michael Haydn, avec qui il perfectionna sa formation musicale. En 1803, après avoir fréquenté quelque temps le collège cistercien de Raitenhaslach, il alla s’établir à Vienne, où il se fit rapidement apprécier comme professeur de musique (piano et guitare). En 1818, s’associant avec Peter Cappi, il fonda une maison d’éditions musicales, qui publia notamment les oeuvres de Schubert, et racheta les fonds de plusieurs autres éditions, dont celle de Johann Traeg. En 1852, elle fut reprise par C. A. Spina et plus tard, après la mort de Diabelli, par F. Schreiber en 1872. Ses activités de pédagogue et d’éditeur n’empêchèrent pas Diabelli d’être un compositeur fécond, à l’inspiration spontanée et agréable, quoique imitative et sans grande envergure. Ses nombreuses pièces, sonatines, arrangements pour piano, violon ou guitare continuent à faire partie du répertoire des musiciens débutants. Il écrivit aussi beaucoup de musique religieuse (choeurs, messes, offertoires), ainsi que des singspiele. Mais s’il acquit une certaine célédownloadModeText.vue.download 303 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 297 brité, c’est moins grâce à ses propres oeuvres que grâce à Beethoven, qui écrivit sur une de ses valses son plus important cycle de variations (33 Variations sur une valse de Diabelli op. 120, 1822-23), répondant ainsi à une proposition que Diabelli avait lancée à de nombreux compositeurs de son temps pour rentabiliser sa maison d’édition. DIABOLUS IN MUSICA. Expression latine (« le diable dans la musique «), parfois employée pour désigner, en rappelant l’aversion qu’il suscitait au Moyen Âge, l’intervalle de triton (trois tons entiers de suite, par ex. fa-si bécarre), considéré par la grande majorité des théoriciens comme un écueil à éviter tant dans la mélodie que dans la polyphonie. Toutefois, la croyance généralisée selon laquelle cette expression faisait partie du vocabulaire médiéval ne repose sur aucun document : bien qu’alors présentée comme traditionnelle, elle n’est attestée nulle part avant le XIXe siècle. DIAGHILEV (Serge Pavlovitch de), fondateur des Ballets russes (Novgorod 1872 - Venise 1929). Homme du monde et dilettante, qui n’était ni musicien, ni peintre, ni danseur, mais qui possédait au plus haut point le goût et l’intelligence de tous les arts, il se fit connaître en 1899 en publiant la revue Mir Iskoutsva (« le Monde de l’art »). Presque aussitôt, il organisa la première exposition en Russie de peintres impressionnistes français, puis des concerts de musique contemporaine. En 1905, il présenta à Saint-Pétersbourg une exposition consacrée à Deux Siècles de peinture et de sculpture russes, qu’il transporta à Paris l’année suivante. Le succès de cette première manifestation parisienne l’encouragea à persévérer. Il revint en 1907 avec une série de cinq concerts, en 1908 avec Fedor Chaliapine dans Boris Godounov, en 1909 avec les Ballets russes qu’il venait de créer, et dont la saison inaugurale au théâtre du Châtelet connut un triomphe retentissant. La compagnie, recrutée à Saint-Pétersbourg, réunissait quelques étoiles promises à une célébrité mondiale (Nijinski, Fokine, Pavlova, Karsavina, Ida Rubinstein) et bénéficiait du concours de deux peintres russes qui devaient faire école : Léon Bakst et Alexandre Benois. Diaghilev en fit l’instrument de sa conception du ballet, spectacle total où la musique et la décoration sont aussi importantes que la danse. Jusqu’à sa mort, qui entraîna celle des Ballets russes mais non leur esprit, il resta fidèle à cette formule. Il avait également pour principe de ne jamais se répéter, au risque de déconcerter et même de choquer. Aussi favorisa-t-il des chorégraphies révolutionnaires (à commencer par celles de Nijinski) et fit-il appel à des musiciens contemporains (Stravinski, Debussy, Ravel, Prokofiev, Erik Satie, le groupe des Six), ainsi qu’à des peintres d’avant-garde (Picasso, Derain, Rouault, Matisse, Braque, Gontcharova, Larionov), sans parler de l’apport littéraire d’un Jean Cocteau. Vingt années durant, les Ballets russes (devenus de moins en moins russes) furent un extraordinaire foyer de création dans tous les domaines, y compris celui de la mode. Plus qu’un impresario ordinaire, Diaghilev était un mécène particulièrement doué, mais un mécène sans fortune qui s’entendait admirablement à mobiliser celle de ses brillantes relations. DIALOGUE. Morceau de musique comportant systématiquement une alternance soit entre deux groupes instrumentaux, soit entre un petit et un grand choeur, soit entre deux solistes, ou entre soliste et choeur, voire simplement entre plusieurs voix ou groupes de voix d’un même choeur. Le terme apparaît dans la seconde moitié du XVIe siècle, principalement à Venise, et s’applique alors surtout à la musique vocale, tandis qu’on l’utilisera surtout aux XVIIe et XVIIIe siècles, pour la musique instrumentale, spécialement dans la musique d’orgue (dialogue entre deux jeux ou deux claviers). On trouve même alors des dialogues sans alternance, le terme signifiant simplement que les deux mains ne jouent pas sur le même clavier. Certains auteurs enfin, tel M. A. Charpentier, ont parfois employé le mot « dialogue » au sens de petit « oratorio à personnages ». Le terme est aujourd’hui parfois repris par archaïsme, mais a cessé d’appartenir au vocabulaire courant. DIAPASON. 1. Nom donné à l’octave (littéralement : « par tous »), dans la terminologie de la musique grecque antique, conservée en latin médiéval. L’explication de ce terme est restée controversée ; elle constitue, du reste, l’une des questions d’école soulevées par Aristote dans son ouvrage apocryphe, les Problèmes musicaux (19e section). 2. Son de référence sur lequel s’accordent « tous » les instruments susceptibles de jouer simultanément. Le choix de ce son (de même que sa fréquence ou « hauteur absolue ») a d’abord été variable ; au cours du XIXe siècle, l’usage s’est établi de le fixer sur le la3 (dit la du diapason), mais ce n’est qu’en 1859 et en France seulement que sa fréquence a pu d’abord être normalisée (435 Hz - on disait « vibrations doubles » - à la seconde, à la température de 18 oC). Cette normalisation a été étendue au plan international en 1885, puis, devant les multiples entorses qu’elle ne cessait de subir - car le « diapason » n’a jamais cessé de monter -, elle a été modifiée théoriquement en 1939 et en 1953 (440 Hz à 20 oC), sans que pour autant ait pu être enrayée une ascension qui se poursuit encore de manière variable d’un pays à l’autre (445 Hz en moyenne en 1979). Ce qui pose de redoutables problèmes tant aux chanteurs qu’aux facteurs d’instruments, voire aux instrumentistes à carrière internationale. Ce problème, qui apparaît insoluble, n’est pas étranger aux divergences fondamentales qui opposent entre eux les partisans d’une éducation musicale appuyée sur la hauteur absolue et ceux qui entendent la fonder sur la hauteur relative, les deux données étant en réalité différentes et complémentaires ; la seconde, tributaire de la normalisation, n’a pu évidemment être envisagée qu’à partir de celle-ci, ce qui interdit de la prendre en considération en deçà des deux dates indiquées (1859-1885 selon les pays). 3. Instrument destiné à faire entendre le son de référence défini ci-dessus (en principe le la3) en vue de l’accord des instruments. Les plus anciens diapasons, selon la légende, auraient été des cloches conservées au palais de l’empereur de Chine et nommées liu (« lois »), sur lesquelles devaient s’accorder les instruments rituels. Ni l’Antiquité gréco-romaine, ni le Moyen Âge, ni la Renaissance n’ont envisagé le diapason : la hauteur absolue se prenait au jugé en fonction de la seule tessiture - ce que continuent à faire à peu près toutes les musiques non écrites. Les premiers diapasons semblent avoir été de petits tubes sonores, parfois à « pompe » étalonnée, puis on leur préféra le « diapason à fourche », tige d’acier recourbée en U inventée en 1711 par l’Anglais John Shore. Les chefs de choeur se servent également d’un « diapason à bouche », comportant une anche battante simple. Le son choisi pour le diapason est généralement le la3, mais on trouve également des diapasons étalonnés en do ou même en si bémol (dans le cas des instruments à vent). 4. Le terme diapason a d’autre part un sens particulier en lutherie et en organologie. Dans la construction des instruments à vent, il désigne l’ensemble des rapports adoptés entre la perce (diamètre) et la longueur, ou hauteur, des tubes. Le même sens s’applique aux tuyaux d’orgue. Un large diapason (ou taille) assure aux jeux ouverts, de fond, une sonorité plus ronde ; un diapason étroit donne une sonorité plus incisive (montres, gambes). Dans la construction des instruments à cordes, le terme diapason désigne le rapport entre la longueur de la table et celle du manche (entre sillet et éclisses). downloadModeText.vue.download 304 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 298 DIAPENTE. Intervalle de quinte. Le menuet du trio avec baryton en la majeur no 94 de Haydn est intitulé Canone in Diapente : canon à la quinte inférieure, à proprement parler « in Subdiapente », par opposition à « in Epidiapente » (à la quinte supérieure). DIAPHONIE. Mot d’origine grecque, désignant la « divergence » des voix ; en musique grecque antique, on le trouve opposé soit à homophonie (« unisson ») pour désigner deux sons de hauteurs différentes, soit à symphonie (« sons s’accordant ensemble ») pour désigner péjorativement la dissonance. À l’époque carolingienne, on l’applique aux premiers essais de polyphonie, organum primitif ou déchant. Le mot est tombé en désuétude à partir du XIIe siècle environ. DIASTOLE. Terme utilisé au XVIIIe siècle pour indiquer les divisions d’un morceau en phrases ou sections. DIATONIQUE. 1. Dans l’Antiquité, et d’abord en musique grecque, le genre diatonique désignait une division régulière du tétracorde : mi-rédo-si, deux tons suivis d’un demi-ton. 2. Pour les théoriciens européens, les intervalles diatoniques sont ceux qui appartiennent ou peuvent appartenir à une même échelle modale ou à une même gamme du système tonal. Ce sont donc des intervalles dont les notes ne portent pas le même nom, par exemple, do-ré, mifa, si-do sont diatoniques, mais fa-fa dièse, si bémol-si sont chromatiques. 3. Une gamme est dite diatonique lorsqu’elle est constituée d’une succession d’intervalles de tons et de demi-tons, toutes les notes de cette gamme ayant un nom différent comme, par exemple, celle de do majeur : do-ré-mi-fa-sol-la-si-do (1 ton + 1 ton + 1/2 ton + 1 ton + 1 ton + 1 ton + 1/2 ton). En revanche, la gamme chromatique est une succession de demitons (do-do dièse-ré-ré dièse, etc.). L’invasion de plus en plus la gamme diatonique par le à la fin du XIXe siècle, a bué à la désintégration du insistante de chromatisme, largement contrisystème tonal. DIDEROT (Denis), écrivain français (Langres 1713 - Paris 1784). Avec d’Alembert, Diderot fut fondateur et rédacteur de l’Encyclopédie (1751-1772). Grand amateur de musique, il se donna la tâche de traiter des instruments et des questions d’ordre esthétique concernant cet art. D’autres ouvrages de Diderot réservent une place à la musique, comme ses Mémoires sur différents sujets de mathématiques (Paris, 1748), en quatre parties, où il traite des problèmes d’acoustique et d’un projet pour la construction d’un orgue mécanique. Dans le Neveu de Rameau (inédit à sa mort), le philosophe attaque le célèbre compositeur en affirmant : « Il n’est pas décidé que ce soit un génie [...], qu’il soit question de ses ouvrages dans dix ans. » En 1771, Diderot fit paraître un livre intitulé Leçons de clavecin et principes d’harmonie par M. Bemetzrieden, sous forme de dialogue, dans lequel l’auteur donne des leçons à un élève, son fils. Comme J.-J. Rousseau, Diderot se prononça en faveur de la musique italienne lors de la Querelle des bouffons en 1752, et contre les partisans de l’ancien opéra à la manière de Rameau. DIEMER (Louis), pianiste et compositeur français (Paris 1843 - id. 1919). Élève de Marmontel, auquel il devait succéder en 1888 comme professeur de piano au Conservatoire de Paris, il dut sa renommée à la perfection classique de son jeu. Fondateur de la Société des instruments anciens, il manifesta beaucoup d’intérêt pour la reconstitution de la musique des maîtres du passé. Dans cette optique, il publia une collection intitulée les Clavecinistes français en 4 volumes, ainsi que la première édition moderne des Pièces de clavecin de François Couperin. D’autre part, il forma de nombreux disciples, dont Cortot, Risler et Robert Casadesus. Il est l’auteur de 3 concertos, de musique de chambre, de mélodies et de pièces pour piano. DIEPENBROCK (Alphonse), compositeur néerlandais (Amsterdam 1862 - id. 1921). Docteur de l’université d’Amsterdam, mais autodidacte en musique, il étudia seul les chorals de Bach, les quatuors de Beethoven, les oeuvres de Palestrina et des maîtres du XVIe siècle, en particulier de Sweelinck. Professeur de latin et de grec à Bois-le-Duc, il commença à composer dans un style personnel où une mélodie librement issue du grégorien rejoint la solide facture de Bach (Missa in die festo, 1890). Peu après, la découverte du chromatisme wagnérien l’orienta vers une nouvelle syntaxe grâce à laquelle il put faire écho à ses goûts littéraires (Hölderlin, Novalis, Nietzsche) dans de nombreuses pages chorales qui ne sont pas sans grandeur. En 1910 enfin, et après qu’il eut découvert Franck et Fauré, Debussy contribua à l’éloigner de Wagner, et le contact avec la poésie française (de Baudelaire à Verlaine) fut à l’origine de mélodies marquées par l’influence impressionniste. Ses dernières partitions sont des musiques de scène, également influencées par Debussy, et où il renouait avec son humanisme féru d’Antiquité (les Oiseaux, Électre). Il est le premier compositeur d’envergure dans son pays depuis Sweelinck, et le premier Néerlandais qui ait pris une part entière aux mouvements intellectuels européens de son temps. Mahler était son ami et Schönberg le tenait en haute estime. Bien que n’ayant eu aucun disciple, il eut une influence considérable sur le développement de la musique de son pays. DIES (Albert Christoph), peintre et écrivain allemand (Hanovre 1755 - Vienne 1822). Il se rendit à Rome en 1775, et voyagea en Italie, où il rencontra Goethe et se spécialisa dans la peinture de paysages. Installé à Vienne en 1797 et en 1805, il se vit commander par le prince Nicolas II Esterházy une série de tableaux représentant le jardin à l’anglaise de son château d’Eisenstadt. De 1805 à 1808, en trente entretiens avec Haydn, il réunit le matériau de ses Biographische Nachrichten von Joseph Haydn nach mündlichen Erzählungen desselben entworfen und herausgegeben (« Récits biographiques de Joseph Haydn réalisés et édités d’après des communications orales de ce dernier », Vienne, 1810 ; rééd. Berlin, 1959), une des trois « biographies authentiques » de ce compositeur. DIÈSE ou DIÈZE. Signe d’altération placé devant une note pour la hausser d’un demi-ton ; le mot adjectivé peut s’adjoindre au nom de la note altérée (par exemple, do dièse). Le signe du dièse est celui qu’avait autrefois le bécarre dans une graphie cursive (b minuscule carré, avec prolongement des hampes). Jusqu’au XVIe siècle, en effet, le dièse et le bécarre étaient confondus sous le nom de bécarre et désignaient la position haute de certaines notes mobiles, formant un ton avec la note inférieure, tandis que le bémol désignait leur position basse, formant seulement un demi-ton. L’abandon de la solmisation ayant fait disparaître les dénominations mobiles pour ne conserver que les noms de l’hexacorde dit « naturel », ultérieurement complétés par la note si, le bécarre qui désignait correctement le mi ou le si naturels ne correspondait plus à sa fonction pour le fa ou le do. C’est pourquoi on le dédoubla : le bécarre du mi et du si conserva son nom et sa forme graphique (prolongement partiel de deux hampes verticales seulement du b minuscule carré), le bécarre du fa et du do adopta le nom nouveau de dièse et la forme cursive du même signe (prolongement des 4 traits tant horizontaux que verticaux ; en outre, le graphisme fut longtemps plus incliné que celui du bécarre nouveau style, prenant la forme d’une double croix oblique ; ce graphisme est aujourd’hui à nouveau redressé). Après downloadModeText.vue.download 305 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 299 quoi, le nom et le signe du bécarre furent affectés par analogie à toute note remise dans sa position « naturelle » (le mot faisant référence à l’ancien hexacorde, et non à une quelconque qualité plus ou moins innée). Le nom et le signe du dièse furent affectés de même à toute note haussée d’un demi-ton par rapport à cette même position naturelle. Le nom dièse provient du chromatisme humaniste du dernier quart du XVIe siècle. En voulant reconstituer les trois « genres » de la musique grecque antique, qui incluaient des quarts de ton pour l’enharmonique, on imagina de distinguer trois sortes de bécarres : le normal conservant sa graphie de double croix penchée ; le grave (1/4 de ton plus bas) noté par une croix simple ; l’aigu (1/4 de ton plus haut) noté par une croix triple. Entre ces trois signes naissait l’intervalle de quart de ton, en grec diesis, d’où l’on tira le mot dièse. La croix simple et la croix triple eurent une existence éphémère, mais le nom emprunté au diesis resta accolé au signe. En nomenclature alphabétique (allemande), le dièse se marque par l’adjonction à la lettre désignant la note (B excepté) du suffixe is : Ais, Cis, etc. DIÈSE (double). Signe d’altération placé devant une note pour la hausser de deux demi-tons, ce qui équivaut matériellement à un ton entier, mais s’analyse comme l’addition de deux demi-tons successifs, le double dièse servant le plus souvent à hausser d’un nouveau demi-ton une note déjà diésée, et non pas à hausser d’un ton une note naturelle. Le double dièse s’écrivait autrefois par deux dièses accolés l’un à l’autre. On y substitue aujourd’hui une simple croix oblique, signe ayant eu autrefois des significations différentes, sorties de l’usage (ornement ou dièse inférieur chromatique). On exigeait au XIXe siècle, pour annuler le double dièse, soit un double bécarre, soit un bécarre précédant la nouvelle altération, mais on a renoncé à cette inutile complication. DIES IRAE. LITTÉRALEMENT « JOUR DE COLÈRE ». L’une des 5 proses ou séquences conser- vées par le concile de Trente et affectée à la messe des morts ou requiem. Attribuée à Thomas de Celano, moine franciscain de la première moitié du XIIIe siècle, elle se divise en 2 parties séparées par une strophe « orpheline » (c’est-à-dire sans répétition mélodique symétrique), reprenant la mélodie de la 1re strophe (Rex tremendae majestatis). La première partie (str. 1 à 6) décrit avec une grande richesse de coloris les terreurs du Jugement dernier, lorsqu’une « trompette au son effrayant » (Tuba mirum spargens sonum) ressuscitera les morts pour les faire comparaître. La seconde partie (str. 7 à 16) implore la clémence divine. Une « coda » en 2 strophes orphelines (depuis Lacrimosa) n’appartenait pas à la version primitive. Le Dies irae a été souvent mis en musique par les compositeurs, soit isolément, soit dans le cadre des messes de requiem (Palestrina, Victoria, Legrenzi, Lully, etc.). Les romantiques l’ont considéré comme le prototype du plain-chant et en ont souvent utilisé le thème initial, avec ou sans allusion funéraire (Berlioz, Symphonie fantastique ; Saint-Saëns, Symphonie avec orgue, etc.). Au XIXe siècle, peut-être même plus tôt, on lui adjoignit pour remplacer les versets pairs un faux-bourdon qui a été utilisé à titre allusif par les compositeurs, au même titre que la mélodie de plain-chant (Liszt, Danse macabre). Le Tuba mirum, confié sans doute pour la première fois au trombone par Mozart (Requiem), a servi en quelque sorte de pierre de touche aux orchestrateurs : Berlioz et Verdi notamment s’y sont illustrés ; Fauré, en revanche, n’a pas inclus le Dies irae dans son Requiem ( ! REQUIEM). DIÉSIS. Dans la musique grecque antique, le plus petit intervalle de l’échelle envisagée. Comme dans cet intervalle figurait obligatoirement au moins un degré mobile, variable selon le genre et les nuances, la mesure du diésis était elle aussi variable (Aristoxène en signale trois sortes au moins). En diatonique et en chromatique, le diésis correspondait au limma (approximativement demi-ton), en enharmonique à la moitié de ce limma (approximativement quart de ton). La mesure du diésis constituait du reste l’un des problèmes discutés entre écoles rivales, notamment entre pythagoriciens raisonnant sur les nombres et aristoxéniens se référant au jugement de l’oreille. Le mot dièse de la théorie classique dérive du diésis antique ( ! DIÈSE). DIETER (Christian Ludwig), compositeur et violoniste allemand (Ludwigsburg, Wurtemberg, 1757 - Stuttgart, 1822). Formé au prytanée militaire de Stuttgart, il fit de la prison pour désertion, puis fut nommé en 1781 premier violon de l’orchestre du grand-duc Karl Eugen, poste qu’il occupa jusqu’à sa retraite en 1817. Comme compositeur, il s’illustra surtout dans le genre du singspiel. Il en laissa une dizaine dont Der Irrwisch (1779), Des Teufels Lustschloss (1802), sur un texte de Kotzebue, mis aussi en musique par Schubert (1813-1814), et Belmonte und Konstanze (1784), sur un livret de Bretzner analogue à celui de l’Enlèvement au sérail de Mozart (1781-1782). Pour cette raison, Stuttgart n’entendit l’Enlèvement au sérail qu’en 1795, une dizaine d’années après la plupart des autres villes allemandes. DIEUPART (Charles), compositeur et claveciniste français ( ? v. 1670 - Londres v. 1740). Il fit ses études musicales en France et participa aux activités de quelques chapelles et maîtrises. Puis il s’installa à Londres, y devint un professeur célèbre et se fit remarquer au théâtre du Drury Lane à partir de 1704. Il prit part à la composition de plusieurs ballets ou opéras dont les partitions ont été perdues. Virtuose du clavecin, il composa de nombreuses pièces pour cet instrument ainsi que des oeuvres vocales. Mais nous ne connaissons aujourd’hui que ses Six Suittes de clavessin... publiées à Amsterdam (rééd. 1935), cinq airs à une voix et basse continue, quelques-uns pourvus d’un accompagnement de flûte, et trois airs à une voix et basse continue. Nombre de ses oeuvres furent connues en Europe et intéressèrent même J.-S. Bach. Si, devant la maîtrise de l’écriture d’un Couperin, ses oeuvres de clavecin pâlissent un peu, on y découvre néanmoins maintes pages de qualité. DIFERENCIAS (esp. : « variations »). Dans la musique espagnole du XVIe siècle, le terme diferencias s’applique à une série de variations fondée le plus souvent sur un thème de chant grégorien ou sur une mélodie d’origine populaire. Ces variations pouvaient être de caractère harmonique ou mélodique, et être composées pour le luth, la vihuela ou l’orgue. Le genre a été illustré par des maîtres tels que Cabezón, Mudarra, Narváez et Valderrabáno. DILESKY (Nikolaï), compositeur et théoricien ukrainien (Kiev 1630 - Moscou v. 1680). Il passa sa jeunesse en Pologne, où il reçut sa formation musicale. Arrivé à Moscou à la fin des années 1670, il se trouva à la tête d’une véritable école de compositeurs et de maîtres du chant choral. Il contribua au développement et à la popularisation en Russie du chant partesny (ou partessien), grands choeurs religieux écrits souvent à huit ou douze voix. On lui doit aussi le premier grand ouvrage de théorie musicale paru en Russie, la Grammaire musicale, qu’il écrivit d’abord en langue polonaise à Vilna en 1675, puis traduisit lui-même en russe à Moscou en 1679. Il y exposait les principes de la solmisation, de la construction des accords et de la conduite des voix, en indiquant la différence entre les harmonies majeures (« joyeuses ») et mineures (« plaintives »). downloadModeText.vue.download 306 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 300 DILLON (James), compositeur écossais (Glasgow 1950). Il commence son activité musicale en jouant dans des formations de musique traditionnelle écossaise et dans des groupes de rock, mais étudie en même temps la musique ancienne, l’acoustique ainsi que la linguistique à Londres. Compositeur autodidacte, Dillon est une nature indépendante qui ignore les filiations évidentes, même si son goût pour l’expression directe, pour l’impact purement sonore et un certain pragmatisme semblent le situer dans la descendance d’un Varèse. Il écrit une musique peu soucieuse des catégories esthétiques et des classifications traditionnelles. Fasciné par les trajectoires sonores complexes, par la notion de densité sonore, mais il gère d’une façon origi- nale le rapport entre l’instrument individuel et la masse mouvante que constituent les autres protagonistes de jeu (Ignis noster pour grand orchestre, 1991-92). Son écriture orchestrale, telle qu’elle apparaît dans Helle Nacht (1986-87) par exemple, vise l’expression directe à travers la réunion d’images antagonistes, l’opposition permanente des registres, le traitement subjectif du temps musical : un temps autonome qui se construit par couches superposées se contestant mutuellement dans un processus de réinterprétation permanente (l’Évolution du vol pour soprano et petit ensemble, 1989-1993). La brillante pièce pour piano Spleen (1980), ainsi que la cantate Come live with me pour voix de femme et instruments (1981), qui utilise des extraits du Cantique des cantiques, ont été parmi les premières oeuvres révélant le talent de James Dillon. Dans son catalogue, bien fourni, on relève également A Roaring Flame pour voix de femme et contrebasse (1982), Überschreiten pour ensemble (1986), Vernal Showers pour violon et ensemble (1992), Blitzschlag pour flûte et orchestre (19901995), le cycle Nine Rivers pour voix, instruments et électronique (dont le dernier volet, Oceanos, est programmé en 1996, aux Promenades-Concerts). DIMINUÉ. Se dit d’un intervalle qui est plus petit d’un demi-ton que ceux qui sont déclarés « justes » ou « mineurs ». Par exemple, les notes do-sol forment une quinte juste, mais les notes do-sol bémol une quinte diminuée. La tierce mineure (do-mi bémol), baissée d’un demi-ton devient une tierce diminuée (do-mi double bémol). Ou encore, les notes si-la se trouvent à un intervalle de septième mineure, si-la bémol à un intervalle de septième diminuée. Par extension, ce mot s’applique aux accords dont le plus grand intervalle est diminué. Par exemple, les notes si-ré-fa-la bémol constituent l’accord de septième diminuée, c’est-à-dire un accord de neuvième sans la note fondamentale (sol) [ ! HARMONIE]. Les notes si-ré-fa forment un accord de quinte diminuée. DIMINUENDO. Terme indiquant une nuance allant en diminuant, synonyme de decrescendo. Cette nuance est indiquée dans les partitions par le signe O ou l’abréviation dim. DIMINUTION. 1. Dans la théorie des XVe et XVIe siècles, le terme désigne le passage d’une mesure à une autre telle que la même valeur écrite y reçoit une durée N fois plus courte, comme cela se passe encore actuellement quand on passe de C (où une blanche vaut 2 temps) à C barré (où la même blanche vaut seulement 1 temps). La diminution changeait donc l’écriture, mais non obligatoirement la durée. 2. Dans le vocabulaire classique, au contraire, le terme désigne une nouvelle présentation d’un thème ou d’un fragment en durées plus courtes que dans sa présentation de référence (par exemple, sans changer de tempo, un thème en blanches énoncé en noires). La diminution change donc avant tout la durée et, accessoirement seulement, l’écriture. 3. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, on appelait diminution une variation monnayant le thème en valeurs plus courtes au moyen de notes de passage ou d’ornementation. 4. Par extension du sens précédent, on a parfois étendu le terme « diminution » à toutes sortes d’ornementations, spécialement dans la musique vocale. DIMOV (Bojidar), compositeur bulgare (Lom 1935). Après des études musicales à Sofia, il se rend à Vienne, puis se fixe en 1968 à Cologne, où il fonde l’ensemble « Trial and Error », spécialisé dans le répertoire contemporain. Ayant fréquenté dans son enfance les milieux du théâtre, il en garde un goût marqué pour le spectacle visuel et la synthèse entre différentes formes d’art : son Bonner Raumspiel (1970-71) est un « jeu artistique compétitif » dont les « joueurs », musiciens (chanteurs et/ou instrumentistes) ou mimes (danseurs et/ ou acteurs), sont dirigés par un « meneur de jeu » dans une sorte de liberté surveillée. DINICU (Grigorias), violoniste et compositeur roumain (Bucarest 1889 - id. 1949). De 1902 à 1906, il fit ses études au conservatoire de Bucarest. Il travailla le violon avec le grand pédagogue Carl Flesch, ainsi qu’avec Nitzulescu-Lupu et Filip. Violoniste à la Philharmonique de Bucarest et à l’orchestre Pro Musica, il dirigea également une formation de musique populaire. Il fit des tournées en Angleterre, en France, en Belgique et aux États-Unis. Musicien aux talents multiples, il refusait la distinction brutale entre musique savante et musique populaire. Dans ses récitals, il interprétait aussi bien les oeuvres classiques et romantiques que le répertoire des lautari ( ! LAUTAR). Il recueillit et transcrivit des mélodies populaires roumaines et composa quelques pièces pour violon dont une, Hora staccato, figura longtemps au répertoire des virtuoses, notamment à celui de J. Heifetz, qui en fit un brillant arrangement en 1932. DIRGE. Terme anglais signifiant « thrène », « hymne funèbre ». Le quatrième volet de la Sérénade opus 31 de Benjamin Britten (1943), sur un poème écossais anonyme du XVe siècle, est intitulé Dirge (chant funèbre). Quatre des sept volets de la Cantate d’Igor Stravinski (1951-52) sont intitulés A Lyke-Wake Dirge, et le quatrième volet (sur un texte de Walt Whitman) du Dona Nobis Pacem de Ralph Vaughan Williams (1936) porte comme titre Dirge for two Veterans. DIRUTA (Girolamo, de son vrai nom MANCINI), compositeur et théoricien italien (Deruta, près de Pérouse, 1561 - ? apr. 1609). Il eut pour premier maître Batista Capuani, moine franciscain comme lui. À Venise, où il vécut une dizaine d’années, il travailla avec Zarlino, Porta et l’organiste Claudio Merulo, dont il fut l’un des plus brillants sujets. Il tint, en effet, successivement les orgues de Chioggia (1597), puis de Gubbio (1609). Son traité Il Transilvano constitue la première tentative pour étudier la technique spécifique de l’orgue. Dédié à Sigismondo Battoni, « principe di Transilvania », l’ouvrage, resté longtemps célèbre, se divise en deux parties : la première (Venise, 1593 ; rééd. 1597, 1609, 1612, 1625), sous forme de dialogue entre Transilvano et Diruta, envisage les problèmes techniques et d’interprétation, avec de nombreuses illustrations musicales ; la seconde (Venise, 1609 ; rééd. 1622) aborde les diminutions, le contrepoint, les modes et leurs transpositions, avec des exemples musicaux de Luzzaschi, Florini, Banchieri et Diruta lui-même. DISCORDANCE. Contrairement au latin discordantia qui est simplement synonyme de dissonantia et s’oppose à concordantia en englobant l’usage régulier de la dissonance, l’emploi actuel de ce mot exclut cette dernière acception et comporte un aspect péjoratif en désignant l’association abusive de sons incompatibles entre eux. downloadModeText.vue.download 307 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 301 DISCOTHÈQUE. Le terme de discothèque est utilisé dans trois acceptions différentes. LIEU DE STOCKAGE DE DISQUES, la discothèque est généralement organisée en casiers et rayonnages. Le mode de conservation des disques le plus rationnel est l’empilement à l’horizontale, en très petites quantités : tout risque de voile est ainsi écarté, mais il faut éviter le danger d’écrasement des disques. C’est pourquoi on préfère le plus souvent le stockage vertical, qui doit s’effectuer en casiers assez étroits dans lesquels les disques resteront serrés, pour demeurer constamment à la verticale. Pour ces différentes raisons, le groupage de disques en coffrets (éventuellement calés par de la mousse à l’intérieur du coffret) est préférable aux simples pochettes cartonnées. Température et humidité de la discothèque doivent être maintenues dans des valeurs normales et régulières, les disques redoutant particulièrement les excès de chaleur et de siccité. Le classement des disques ne pose guère de difficultés pour les discothèques d’amateurs possédant quelques dizaines ou quelques centaines d’enregistrements : par ordre alphabétique de compositeurs, par époques ou par genres musicaux. Dans les grandes discothèques, il est nécessaire de passer par un fichier qui renvoie au lieu de classement. ORGANISMES PUBLICS OU PRIVÉS, les discothèques de consultation ou de prêt acquièrent des enregistrements et en assurent la conservation à l’usage du public professionnel ou amateur. Ce sont les discothèques municipales de prêt, organisées à l’image des bibliothèques municipales et sur le modèle de la Discothèque de France, créée en 1959 à Paris, les discothèques d’entreprises ou de documentation pédagogique, les phonothèques et discothèques de consultation et de documentation de grandes instances : Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou (centre Beaubourg), conservatoires et universités, musées d’ethnologie et d’ethnomusicologie, centres culturels, etc. Les deux plus grandes discothèques françaises sont constituées par le fonds de la Phonothèque nationale, dépendant de la Bibliothèque nationale, qui régit le dépôt légal, et celui de la radio : discothèque centrale de Radio-France (1 500 000 disques) et phonothèque de l’Institut national de l’audiovisuel (archives sonores de la radio). Selon leurs statuts, ces discothèques assurent la consultation ou le prêt au grand public ou à des bénéficiaires particuliers. On appelle aussi discothèques des « boîtes de nuit » où l’on se réunit pour danser et écouter de la musique enregistrée. DISJOINT (mouvement). Progression mélodique de deux notes qui ne se succèdent pas immédiatement, c’està-dire qui sont distantes de plus d’un ton. Par exemple, do-la ou do-sol sont disjoints, alors que do-ré ou do-si sont conjoints. DISSONANCE. Cette notion, aussi relative que celle de consonance, s’applique à un intervalle ou un accord non agréable à l’oreille, en fonction d’habitudes socioculturelles données. Par exemple, la tierce, qui, de nos jours et depuis longtemps, est une consonance, fut une dissonance au début de la polyphonie (vers le début du Xe siècle) et l’était encore en France pendant le premier quart du XVe siècle ( ! ACCORD). DI STEFANO (Giuseppe), ténor italien (Motta S. Anastasia, Catania, 1921). Il fit ses débuts, en 1946, dans le rôle de Des Grieux de Manon de Massenet. Ses qualités de timbre, le charme de ses incarnations lui valurent immédiatement la faveur du public. Ce fut le commencement d’une carrière internationale qui le conduisit au Metropolitan Opera de New York en 1948 (le duc de Mantoue de Rigoletto), au théâtre Colón de Buenos Aires en 1951 (Edgardo de Lucia di Lammermoor), à l’Opéra de Paris en 1954 (Faust). Au début de sa carrière, il se limitait à ces rôles lyriques et son chant valait pour ses sonorités veloutées autant que pour sa ligne. Mais, à partir de 1955, il aborda des parties plus lourdes telles que Don José de Carmen, Canio de Paillasse, Turridu de Cavalleria rusticana, Calaf de Turandot, sacrifiant au dramatisme les plus belles qualités d’une voix qui ne tarda pas à se détériorer. DISTINCTION. Terme peu usuel, emprunté riens latins (distinctio, discours ») pour désigner ou une cadence intérieure musicale. aux grammai« ponctuation du une subdivision de la phrase DISTIQUE. Terme d’origine grecque (mot à mot « deux membres de phrase »), emprunté aux grammairiens pour désigner une phrase musicale formée de deux parties symétriques : par exemple les deux premières incises du thème de l’Ode à la joie dans la 9e Symphonie de Beethoven forment un distique. DISTLER (Hugo), compositeur allemand (Nuremberg 1908 - Berlin 1942). Après des études d’orgue, de piano et de composition à Leipzig (1927-1931), il fut six ans organiste à Lübeck, puis devint professeur et chef de choeur à Stuttgart (1937-1940) et ensuite à Berlin. Son esprit luthérien et ses activités d’organiste orientèrent la plus grande partie de sa production vers le domaine religieux : citons les 52 motets du cycle Der Jahreskreis (1933), la Choral-Passion op. 7 (1933), la cantate Wo Gott zum Haus nit gibt sein Gunst (1935), ou encore la Geistliche Chormusik op. 12 (1934-1941). Au point de vue instrumental, il écrivit des pièces pour orgue et des oeuvres diverses parmi lesquelles un Concerto pour clavecin op. 14 (1936) qui fut sélectionné par les nazis comme spécimen d’art « dégénéré ». Son dégoût du régime de Hitler et le sentiment que pour lui il n’y avait plus rien à faire dans ce contexte le poussèrent au suicide. DITTERSDORF (Carl Ditters von), violoniste et compositeur autrichien (Vienne 1739 - château de Rothlhotta, Bohême, 1799). À douze ans, il entra comme page et violoniste au service du prince von Sachsen-Hildburghausen, qui veilla sur son éducation et le confia, pour ses études de composition, à Giuseppe Bonno. Par l’intermédiaire du prince, Dittersdorf - qui s’appelait toujours Ditters, ne devant être anobli qu’en 1773 - obtint un poste dans l’orchestre de la cour de Vienne. En 1763, il effectua avec Gluck un voyage à Bologne, et, de 1765 à 1769, occupa comme successeur de Michael Haydn les fonctions de maître de chapelle de l’évêque de Grosswardein en Hongrie (aujourd’hui Oradea en Roumanie) : il écrivit en ce lieu des symphonies, des concertos pour violon, et son premier opéra, Amore in musica (1767). Il entra ensuite à Johannisberg, non seulement comme musicien mais comme titulaire de plusieurs emplois administratifs importants, au service du comte Schaffgotsch, prince-évêque de Breslau. Se trouvant à la tête d’un théâtre, il composa là plusieurs opéras parmi lesquels Il Finto Pazzo per amore (v. 1775). Il fit au cours de ces années plusieurs séjours à Vienne, et y fréquenta Haydn et Mozart, participant comme violoniste aux premières auditions privées des quatuors de Mozart dédiés à Haydn. Écrits dans un style agréable et vif, ses nombreux concertos, ses symphonies (dont vers 1783 un cycle sur les Métamorphoses d’Ovide), ses ouvrages de musique de chambre (dont six quatuors à cordes datés de 1787-1788), firent de lui un des auteurs les plus prisés de l’époque. On lui doit aussi des oratorios, dont Esther (Vienne, 1773), et beaucoup d’opéras italiens ou allemands dont l’un, Doktor und Apotheker (Docteur et Apothicaire, Vienne, 1786), devait survivre jusqu’à nos jours après avoir éclipsé pour un temps le Figaro de Mozart, créé quelques semaines auparavant. Certaines de ses pages instrumentales furent attribuées à Haydn. Mais il mourut dans la midownloadModeText.vue.download 308 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 302 sère et à peu près oublié deux jours après avoir achevé de dicter ses Mémoires. DITTRICH (Paul Heinz), compositeur allemand (Gernsdorf, R. D. A., 1930). Il a fait ses études de 1951 à 1956 à l’École supérieure de musique avec Fidelio Finke (composition) et Gunter Ramin (direction de choeur), puis de 1958 à 1960 à l’Académie des arts de Berlin-Est avec R. Walter Regeny (composition). Il a enseigné à l’École supérieure de musique de Berlin de 1963 à 1976, et y a repris, en 1979, un poste de professeur de composition. Il est le principal compositeur de la République démocratique allemande à s’être imposé (surtout depuis 1970) sur le plan international. Ses oeuvres sont au nombre d’une trentaine. Citons les Fleurs de Baudelaire pour 3 sopranos aigus et 10 instruments (1969) ; Kammermusik I pour 4 bois, piano et bande (1970), II pour hautbois, violoncelle, piano et sons électroniques (1975), III pour quintette à vent et baryton (1974) et IV pour soprano, 7 instruments et synthétiseur (1977) ; Memento vitae sur un texte de Brecht (1971-1974) ; un Concerto pour hautbois (1973-74), un pour violoncelle (1974) et un pour hautbois et flûte (1978) ; Konzert I pour clavecin et 7 instruments (1976) et II pour alto, violoncelle et orchestre (1978) ; Illuminations pour orchestre (1975-76) ; Cantus I pour orchestre (1974-75) et II pour soprano, violoncelle et orchestre (1977-78) ; Voix intérieure pour deux violoncelles (1978) ; Engführung pour soprano, live-électronique et orchestre, d’après des textes de Paul Celan (1980-81) ; et La Métamorphose d’après Kafka pour acteurs, ensemble instrumental et 5 vocalistes (1983). DIVERTISSEMENT (en ital. divertimento). Aux XVIIe et XVIIIe siècles, en France, le divertissement désigne un ensemble de danses, de chants et de pièces instrumentales destiné à prendre place entre les actes ou à la fin des actes, voire au milieu des actes, d’une comédie-ballet (le Bourgeois gentilhomme de Lully, 1670), d’un opéraballet (les Indes galantes de Rameau, 1735) ou d’une tragédie lyrique (Cadmus et Hermione de Lully, 1673). Issu du ballet de cour, plus ou moins rattaché à l’action, ce type de divertissement restera typique de l’opéra français et survivra sous des formes et des appellations diverses non seulement dans Iphigénie en Aulide de Gluck (1774), mais jusque dans Faust de Gounod (1859), Samson et Dalila de Saint-Saëns (1877) et Pâdmâvati d’Albert Roussel (1918). On appelait aussi divertissement, aux XVIIe et XVIIIe siècles, les parties de chant ou de danse (auxquelles venait s’ajouter le vaudeville final) intercalées dans une pièce. Dans la musique instrumentale (mais aussi parfois vocale) de la fin du XVIIe siècle et de la plus grande partie du XVIIIe, le terme « divertissement », qui évoque surtout pour nous certaines oeuvres de Haydn, de Mozart et de leurs contemporains, recouvre des réalités fort diverses. Pour la musique de chambre, en particulier germanique, du milieu du XVIIIe siècle, les termes « divertissement », « sérénade », « nocturne », « cassation » furent souvent employés de façon synonyme, et, inversement, les sources différentes d’une même oeuvre utilisent souvent l’un ou l’autre. Des quatre, celui de « divertissement » a la portée la plus générale, au point de pouvoir éventuellement englober les trois autres, et surtout la plus fonctionnelle, la plus liée en soi au fait de distraire, de « divertir ». Pour H. C. Koch, le divertimento est un ouvrage à deux, trois, quatre ou plusieurs parties instrumentales, avec un seul instrument par partie et tournant le dos non seulement à la polyphonie mais aussi au « travail thématique » propre au style sonate. Pour Mozart, fidèle en cela à la tradition salzbourgeoise, c’est essentiellement (mais non exclusivement) une oeuvre tendant vers la musique de chambre, avec un seul instrument par partie, en plusieurs mouvements et pour cordes et/ou vents, ceci par opposition à la sérénade, conçue en principe pour orchestre et destinée à des occasions plus solennelles. L’origine de ce concept de divertissement semble se trouver dans la musique de chambre vocale italienne de la fin du XVIIe siècle : en 1681, Carlo Grossi appela son opus 9 Il Divertimento di Grandi, musiche da camera o per servizio di tavola... con dialogo amoroso e uno in idioma ebraico. Vers 1730, Francesco Dutante publia des Sonate per cembalo divise in studi e divertimenti, distinguant ainsi des oeuvres « sérieuses » et « légères ». Pour la musique de clavier, le terme passa d’Italie en Autriche, où il fut repris notamment par Georg Christoph Wagenseil, et à sa suite par Joseph Haydn. Celui-ci, se faisant ainsi le reflet d’une tradition assez spécifiquement autrichienne, appela longtemps (jusqu’au début des années 1770) « divertimento » des oeuvres qui, pour nous, sont des sonates pour clavier, des quatuors à cordes ou des trios pour baryton. Par exemple, tant que ses oeuvres pour clavier en plusieurs mouvements n’étaient destinées qu’à « divertir » ou à des cercles réduits, Haydn les qualifia de divertimentos ; dès qu’elles devinrent plus ambitieuses (sonate en ut mineur no 33 Hob. XVI. 20, de 1771), ou surtout destinées à l’édition (sonates nos 36-41 Hob. XVI. 21-26, de 1773), il les qualifia de sonates. De même, il appela « divertimentos » ses quatuors jusqu’à l’opus 20 (1772) et ne leur donna leur dénomination moderne qu’à partir de l’opus 33 (1781). D’une façon générale, on peut dire qu’avant 1780 le concept de divertimento englobait (ou pouvait englober), en Autriche, toute musique instrumentale non orchestrale, même de caractère sérieux, et qu’après cette date seulement il s’appliqua plus spécifiquement à une musique de caractère plutôt léger. Le caractère de légèreté du divertissement se perpétua largement au XIXe siècle (notamment dans le pot-pourri) et, surtout, au XXe, mais le terme lui-même survécut à peine au XVIIIe (Divertissement à la hongroise D 818 de Schubert, Divertissement op. 6 de Roussel, Divertissement pour cordes de Bartók). Dans la fugue, on appelle divertissements des épisodes plus détendus et plus libres que le reste, qu’on trouve en particulier juste avant la strette, mais dont la présence n’a cependant rien d’obligatoire. DIVISÉS (en ital. divisi). Lorsque, dans une partition, une partie instrumentale attribuée aux instruments à cordes, celle des violoncelles par exemple, contient des notes doubles, le terme divisé (ou son abréviation div.) indique que les musiciens du groupe concerné doivent se partager la tâche au lieu de jouer le passage en doubles-cordes. Cette habitude, assez courante notamment dans les oeuvres pour orchestre à cordes, apparut à l’époque romantique. On peut citer à titre d’exemple la symphonie Pathétique de Tchaïkovski, dans laquelle les basses sont souvent divisées pour accentuer le caractère sombre de l’oeuvre. DIVISION. 1. Opération consistant à morceler une valeur en plusieurs valeurs plus petites (par exemple, la ronde se divise en 2 blanches ou 4 noires, etc.). 2. Dans l’Antiquité et au Moyen Âge, le mot division s’appliquait surtout à la division du canon, c’est-à-dire à la manière de graduer la règle mesurant les diverses sections de cordes vibrantes sur le monocorde servant à étudier les intervalles. 3. En plain-chant, on appelle division les barres de grandeurs différentes qui séparent les incises pour marquer les respirations et indiquer le phrasé, la grandeur des barres étant proportionnelle à l’importance de la respiration. Ne pas confondre ces barres de division avec les barres de pause, qui, dans la notation mesurée, en ont pris approximativement le tracé. 4. En Angleterre, aux XVIe et XVIIe siècles, le mot division a à peu près le même sens que diminution en France. DIVISION-VIOL. Nom donné, en Angleterre, à un type de basse de viole, de taille intermédiaire entre la consort-viol et la lyra-viol. Ses dimensions réduites permettaient à l’exécutant un meilleur maniement de l’instrument downloadModeText.vue.download 309 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 303 et donc une plus grande dextérité d’exécution. On a écrit pour cet instrument nombre de divisions (ancêtre de la variation, consistant à « diviser » un thème en valeurs longues en valeurs beaucoup plus courtes et à les orner), ce qui lui a donné son nom. Certaines pièces demandaient même une grande virtuosité. Parmi les grands amateurs de division-viol, il faut citer Playford (Division-Violin, 1688) et surtout Christopher Simpson (The Division Violist, 1659 ; Division Viol, 1667). DIVITIS (Antonius ou Antoine), compositeur franco-flamand (début du XVIe s.). On ne connaît rien de sa vie - peut-être est-il né à Louvain vers 1475 ? - avant sa nomination à la cathédrale Saint-Donatien de Bruges comme maître des enfants (1501-1504), puis comme sous-chantre. Devenu maître de chant à Malines en 1504, il entra comme chantre au service de Philippe le Beau et le suivit en Espagne (1505-06). En 1515, il était membre de la chapelle du roi de France François Ier, en compagnie de Jean Mouton et d’Antoine Févin. Mais on ne saurait affirmer qu’il fut le Richardus Antonius signalé en 1526 à Rome à la chapelle pontificale. Trois messes et quelques fragments de messes isolés, trois motets, deux magnificat, un petit nombre de chansons et quelques pièces en manuscrit, seuls témoins de son oeuvre, montrent un compositeur en possession de toutes les ressources techniques de son métier, mais dont la préoccupation constante était la limpidité et le naturel du discours. Ainsi s’explique le fait qu’il fût attentif aux rapports du texte et de la musique, qu’il écrivît de nombreux passages dans un style homorythmique et fît une place importante aux effets de nature harmonique. DIXIÈME. Intervalle formé entre les extrêmes de dix degrés diatoniques successifs. La dixième est en fait le redoublement de la tierce à l’octave supérieure, par exemple do-mi. DLUGORAJ (Wojciech), luthiste polonais ( ? v. 1550 - ? apr. 1619). Virtuose à la cour du roi Étienne Báthory, il est l’auteur d’une tablature de luth publiée en 1619 et des Chorea polonica où apparaissent des rythmes de danses polonaises et des schémas mélodiques empruntés au folklore traditionnel. Des fantaisies, des danses polonaises et villanelles de sa composition se trouvent dans le Thesaurus harmonicus du Français Jean-Baptiste Bésard, publié à Cologne en 1603. Quant à la forme, son oeuvre révèle une influence italienne certaine, ainsi qu’un sens de la tonalité déjà assez affirmé. DLUGOSZEWSKI (Lucia), femme compositeur américaine (Detroit 1931). Elle fait ses études à l’université de Detroit et à la Mannes School of Music, puis, en privé, avec Varèse (1951). Depuis 1960, elle est professeur à l’université de New York et à la New School for Musical Research. Elle travaille également pour la Fondation de danse moderne. Curieuse de timbres et de sonorités rares, elle a inventé toute une série de percussions (en verre, plastique, bois, papier, métal) et des instruments utilisant des archets ou des plectres faits d’une grande variété de matériaux. En 1958, elle avait déjà formé un orchestre de 100 percussions (verre, bois, etc.). Ses idées ont été influencées par les philosophies orientales et par l’oeuvre de F.S.C. Northrop. À côté de réalisations conformes à ses découvertes (Ubu Roi, 1952, musique de scène pour orchestre de sons quotidiens), on trouve dans son oeuvre un certain nombre de partitions conçues en fonction des éléments traditionnels : orchestre (Arithmetic Points, 1955 ; Beauty Music I, II and III, 1965), piano (3 sonates), voix (Parker Tyler Language, 1970 ; Desire, 1952), ou musique de chambre (quatuor à cordes). DO. Syllabe de solfège substituée au XVIIe siècle à la syllabe ut introduite par Guy d’Arezzo et jugée peu euphonique, mais que l’on conserva dans certaines expressions (clef d’ut, ut majeur). On en ignore l’origine. Certains en attribuent l’introduction à Giovanni Doni (1594-1647), qui aurait pris la première syllabe de son nom, mais cette assertion n’a pas été prouvée. Dans les pays de langues allemande et anglaise, la note do est représentée par la lettre C. DOBIAS (Václav), compositeur tchèque (Radčice 1909 - Prague 1978). Instituteur autodidacte, il ne vint que tard à la musique, et n’entra qu’en 1937 au conservatoire de Prague, où il reçut l’enseignement de Joseph Bohuslav Foerster, de Vitezslav Novák et de Alois Haba, avant de devenir un musicien officiel de la République démocratique tchécoslovaque. Son oeuvre, quantitativement importante, a oublié peu à peu les leçons de Haba, dont Dobias s’était inspiré jusqu’à la guerre, et s’en tient globalement au conformisme des commandes d’État. Il fut à partir de 1969 le président de l’Union des compositeurs tchécoslovaques. DOBLINGER. Maison d’éditions musicales à Vienne et, depuis 1959, à Munich. À l’origine, il s’agissait d’une bibliothèque musicale de prêt, fondée en 1816 par J. Mainzer. Après sa mort, elle fut reprise - en 1857 - par Ludwig Doblinger (1816-1876), puis par Bernhard Herzmansky, en 1876. Le fils de ce dernier en resta propriétaire jusqu’en 1954, date où la maison fut reprise par Christian Wolff. Elle connut une période particulièrement faste lors de la vogue de l’opérette viennoise dans les premières années du XXe siècle. Depuis 1950, elle consacre une partie importante de son activité aux compositeurs contemporains, mais aussi à la musique classique, avec la série Diletto musicale, ainsi qu’aux ouvrages didactiques. DOBRONIC (Antun), compositeur yougoslave (Jelsa, Croatie, 1878 - Zagreb 1955). Il fit ses études au conservatoire de Prague avec Novák et devint professeur au conservatoire de Zagreb en 1921. Il composa de nombreuses oeuvres pour la scène, dont des opéras (Mara, l’Homme de Dieu, Goran, Rkac) et le ballet le Cheval géant ; 4 symphonies ; des poèmes symphoniques (les Noces ; Au long de l’Adriatique ; Rhapsodie bosnienne, quintette avec piano). Sa musique, imprégnée de folklore, est d’une écriture qui oscille entre le néoromantisme et l’expressionnisme. DOBROWOLSKI (Andrzej), compositeur polonais (Lwów 1921). Il commence des études d’orgue, de clarinette et de chant au conservatoire de Varsovie ; après la guerre, il poursuit ses études de composition avec Artur Malawski et de théorie musicale avec Stefania Ðobaczewska à l’École nationale supérieure de musique de Cracovie. Secrétaire général de la Société des compositeurs de Pologne de 1957 à 1969, il enseigne ensuite la composition et la théorie à l’École supérieure de musique de Varsovie, et participe aux activités du Studio expérimental de la radio polonaise. Auteur de plusieurs oeuvres instrumentales - Trio pour hautbois, clarinette, basson (1965) ; Symphonie concertante pour hautbois, clarinette, basson et orchestre à cordes (1960) ; Musique pour cordes et 4 groupes d’instruments à vent (1964) ; Musique pour orchestre no 3 (1972-73), etc. -, Dobrowolski a également exploité les sources électroniques (Passacaglia, 1960) et électroacoustiques (Musique pour bande magnétique et hautbois solo, 1965 ; Musique pour bande magnétique et piano, 1972). Son passage progressif d’une écriture « classique », souvent inspirée du folklore, à l’utilisation des techniques contemporaines fait de lui une figure très représentative des compositeurs polonais de sa génération. DODÉCAPHONIQUE (musique). Nom donné aux musiques atonales utilisant les 12 degrés chromatiques, et, plus downloadModeText.vue.download 310 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 304 particulièrement, à toute musique composée selon le système dodécaphonique sériel mis au point par Arnold Schönberg entre 1908 et 1923 ( ! SÉRIELLE [MUSIQUE]). Ce système utilise en effet les 12 sons chromatiques (dodécaphonique signifie : de 12 sons), selon des lois que Schönberg a peu à peu dégagées, et qui ont été modifiées, affinées, compliquées ou détournées par ses élèves (Berg, Webern, Eisler), ses successeurs, et lui-même. D’autres compositeurs, comme Joseph-Mathias Hauer ou Falke, ont conçu des systèmes dodécaphoniques différents du sien, mais qui n’ont pas été adoptés ou repris. Dodécaphonique est un terme forgé à partir du grec et à l’usage des Français par René Leibowitz, propagateur en France de la musique sérielle, pour désigner de façon concise ce que les Allemands, et Schönberg lui-même, nommaient la musique de douze sons (Zwölftonmusik), et qu’ils nomment plus rarement, après Leibowitz, Dodekaphonische Musik. De fait, une musique dodécaphonique peut n’être pas sérielle (ce fut le cas des oeuvres composées par Schönberg, Berg, Webern, avant l’invention de la série), et une musique sérielle peut n’être pas dodécaphonique, c’est-à-dire, par exemple, utiliser des séries de moins ou de plus de douze sons (micro-intervalles) ou appliquer le principe sériel à tout autre caractère du son que la hauteur. Cependant, on utilise en français les deux termes « dodécaphonique » et « sériel » de manière interchangeable, ce qui est la source de bien des malentendus. POURQUOI LE NOMBRE DOUZE ? Parce qu’il y a 12 sons chromatiques dans la gamme, de demi-ton en demi-ton - le demi-ton étant l’intervalle le plus petit admis dans le système tempéré occidental. C’est avec ces 12 sons que la musique occidentale jouait de plus en plus librement, en respectant de moins en moins les règles traditionnelles qui en limitent ou en fixent l’usage. Il n’y a donc 12 sons que depuis l’adoption d’un tempérament égal selon le système défini par Werckmeister, où l’octave est divisée en 12 demi-tons égaux, et non, comme d’autres systèmes le proposaient, en 53 neuvièmes de ton, ou 43 septièmes de ton. L’oeuvre de Bach, le Clavier bien tempéré, fêtait l’adoption du tempérament, avec deux fois 12 préludes et fugues (dans les 12 tons majeurs et les 12 tons mineurs). Hérité de la tradition tonale, ce nombre de 12 pouvait apparaître vite contraignant et arbitraire. Boulez chercha rapidement à s’en échapper. Il écrivait en 1953 : « La série n’est pas un ultrathème lié à jamais aux hauteurs (...). Elle n’est donc fixée sur aucun chiffre particulier. » Et de moquer la croyance fétichiste au « salut par le nombre 12 » chez les dodécaphonistes académiques. Le nombre 12 comporte pourtant bien des propriétés intéressantes. D’abord, c’est un multiple de 2 et de 3. Une série de 12 sons peut se décomposer en 6 groupes de 2, 4 groupes de 3, 3 groupes de 4, 2 groupes de 6, ce qui ouvre des possibilités de symétrie, d’imitation, de construction à l’intérieur même de la série. Possibilités que Schönberg, Berg, Webern surtout, n’ont pas manqué d’utiliser. Certaines séries de Webern, en particulier, sont elles-mêmes déjà de petites compositions sérielles à partir de cellules de 3 ou 4 sons, transposées, rétrogradées, etc., à l’intérieur de la série, ce qui limite ainsi le nombre de ses variantes possibles (sur les 48 proposées dans le cadre sériel), et aussi le nombre des figures d’intervalles, rendant le discours peut-être plus perceptible et renforçant le sentiment d’unité. On pourrait dire, à la limite, que certaines pièces dodécaphoniques de Webern sont construites à partir de microséries de 3 ou 4 sons. La divisibilité par 12 est une des plus prégnantes pour l’esprit humain, pour employer un terme emprunté à la psychologie de la perception : elle se perçoit bien. Elle se retrouve aussi bien dans la division du temps (12 mois dans une année, ou 4 saisons de 3 mois, ou 2 périodes de 6 mois entre les deux solstices ; 2 fois 12 heures dans la journée, et 12 heures entre midi et minuit) que dans la versification (à l’hexamètre latin - vers de 6 pieds, ou 2 fois 3 pieds - correspond l’alexandrin - vers de 12 pieds -, qui est le plus utilisé dans la littérature française, à partir du XVIe siècle, et qui se divise, comme la série, en 2 hémistiches, ou en 3 sections de 4 pieds, etc.). Il y a aussi les 12 signes du zodiaque, les temples dodécastyles, à 12 colonnes, etc. Ce n’est pas là « mystique des nombres », mais simple constat des propriétés et des commodités propres au chiffre 12, qui ont certainement été déterminantes pour l’adoption du système tempéré à 12 demitons, et donc pour la musique dodécaphonique, qui les reprend tels quels. DODÉCAPHONISME ET PANCHROMATISME. Les 12 sons mis en situation d’égalité de principe par les règles sérielles (cette « égalité » a été brillamment mise en doute par les analyses d’Edmond Costère) constituent ce que l’on appelle le « total chromatique », et la musique qui l’utilise peut être dite « panchromatique ». Or ce n’est un « total » que selon la convention héritée du système tempéré, et liée au principe tonal ; l’oreille occidentale ellemême perçoit bien plus de sons dans une octave. Les musiciens sériels avaient donc à assumer le paradoxe d’utiliser un matériau de 12 sons hérité d’un système dont, par ailleurs, ils cherchaient par tous les moyens à éviter les réminiscences (règles de non-répétition, interdictions d’octave, pour « brouiller » toute polarisation tonale). Il y avait de quoi se sentir en porte à faux, et cela explique peut-être, d’une part, l’évolution de Schönberg vers un « dodécaphonisme tonal » réintégrant les fonctions tonales, et, d’autre part, la fuite en avant des ultras du sérialisme vers une surenchère de complexité, à l’opposé de Webern, dont ils se réclamaient et qui, lui, simplifiait sa musique autant que possible. D’autres enfin cherchaient des divisions plus petites de l’octave, dans les micro-intervalles. Comme s’il s’agissait, par différents moyens, de saturer le champ de travail, les possibilités d’emploi des hauteurs (saturer, c’est-à-dire rendre tel qu’un supplément de la chose ajoutée soit impossible ou inutile). Derrière cette idée d’un épuisement des possibles, il y avait un fantasme de totalité que rend bien le terme de « pantonal » appliqué par Schönberg à la musique dodécaphonique. Or, une fois atteint et dégagé des règles tonales qui semblaient l’emprisonner (c’est Boulez qui parle de la tonalité comme d’une « servitude »), le total chromatique des 12 sons se révélait n’être pas plus un « total » qu’un univers de 6 sons ou de 24 sons. PRÉMONITIONS DU DODÉCAPHONISME, DODÉCAPHONISME ET ATONALITÉ. On s’est diverti à chercher des séries de 12 sons dans toute la musique classique (dans le thème de l’Offrande musicale, par exemple, thème qui n’était pas de Bach). René Leibowitz en trouve une dans la pièce pour piano Nuages gris de Liszt, effectivement très audacieuse (Évolution de la musique, 1951). La contre-expérience consisterait à chercher si on ne trouve pas les 12 sons tout aussi bien dans des oeuvres très banalement tonales - dans un trait chromatique, par exemple, ou dans 3 accords de septième diminuée enchaînés chromatiquement. L’utilisation du « total chromatique », en soi, ne rend pas une musique prédodécaphonique - à ce compte, c’est toute la musique, depuis le XVIe siècle, qui l’est -, tout dépend des fonctions assurées par ces 12 sons. Suivant le principe de Schönberg, ils ne doivent avoir de relations « qu’entre eux », d’égal à égal, alors que les exemples relevés dans le passé reposent sur une harmonie tonale et des polarisations privilégiant certaines notes, les autres étant notes de passage, appogiatures, etc. L’emploi du mot « atonal » - qui n’est que privatif, et qui laisse entendre une dépendance par rapport à la tonalité, sous la forme d’un refus - irritait Schönberg, qui préférait parler de Zwölftonmusik (« mu- sique de 12 sons »). En ce sens, la musique dite atonale, dont il y a d’innombrables exemples depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours, est généralement dodécaphonique, mais ce n’est pas obligatoire. Elle peut n’utiliser que 2, 3 ou 7 hauteurs downloadModeText.vue.download 311 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 305 différentes seulement. Par ailleurs, vers la fin de sa vie, Schönberg a cherché un « dodécaphonisme tonal » dont le principe même faisait horreur à certains de ses héritiers (Boulez, Hodeir, etc.), et que ces derniers regardaient comme une régression, un désaveu, une erreur. Comme le montre Schönberg dans l’Ode à Napoléon, ou Berg dans le Concerto à la mémoire d’un ange, on peut retrouver les fonctions tonales dans une certaine utilisation sérielle des 12 sons (en forgeant, par exemple, une série dérivée de 4 accords parfaits et d’une gamme par tons entiers, permettant au choral de Bach de s’insinuer dans le concerto de Berg). De telles hybridations furent sévèrement condamnées par les sériels français de l’après-guerre. Cependant, elles se répandirent : les Canti di prigionia, de Dallapiccola, en 1938-1941, mélangent librement les procédés dodécaphoniques et les relations tonales. Plus près de nous, les Métaboles d’Henri Dutilleux (1965) utilisent incidemment une série de 12 sons (dans le mouvement central Obsessionnel), mais restent très tonales avec leur polarisation sur un mi obsédant, tout en employant constamment le total chromatique. MORT DU DODÉCAPHONISME ? Il devient de bon ton de déclarer le dodécaphonisme mort. En fait, c’est le système sériel qui semble en voie d’abandon, ou du moins tellement assoupli, mélangé, etc., qu’il perd sa signification originelle. Il ne faut pas oublier non plus qu’on a décrété la tonalité morte il y a plus de cinquante ans, au moment même où le système tonal occidental colonisait par la radio, le cinéma, de nouvelles régions du monde, pour se retrouver aujourd’hui triomphant plus que jamais, jusque dans la musique dite d’avant-garde (hypertonalisme de l’école répétitive américaine). On se gardera donc de prophéties faciles. Le dodécaphonisme en tant que prohibition de la tonalité semble en déclin. Il n’en triomphe pas moins sous d’autres formes que le système sériel. De plus en plus de musiques, comme celle d’Henri Dutilleux, ou d’ex-sériels, pratiquent un dodécaphonisme polarisé tonalement, utilisant les 12 sons hiérarchisés par l’emploi de notes pivots, créant des relations d’attraction et un centre tonal. Peut-être le dodécaphonisme sériel est-il mort à la fois d’avoir été pris trop à la lettre par les uns (ceux que moquait Boulez, et qui fétichisaient le nombre 12) et par les autres trop par l’esprit : en voulant transposer le principe sériel sur d’autres caractères du son, intensité, durée, couleur, etc., là où ce principe semble moins efficace, prégnant, plus vulnérable et contestable. Les « ultrasériels » lui ôtaient peut-être de sa force, qui tient à un enracinement dans les perceptions de hauteur développées par tout le système tonal occidental. En effet, on oublie presque toujours que « douze sons », dans le mot « dodécaphonique », signifie en fait « douze hauteurs de son ». Un do dièse n’est pas un son, mais un degré de hauteur. En tant que son, ce do dièse, joué au piano, se définit par de multiples propriétés, dont la hauteur est la plus prégnante, certes, mais pas la seule. L’aventure consistant à sortir du monde des 12 degrés de hauteur familiers, pour aborder la zone interdite des « bruits », a été tentée par des compositeurs de formation sérielle ; mais il ne semble pas que cette formation les ait toujours suffisamment armés pour affronter les problèmes nouveaux d’un monde sonore où 12 degrés ne constituent plus un total, mais bel et bien une minuscule partie d’une foule de propriétés difficiles à entendre, à noter et à « maîtriser » toutes à la fois. DODGE (Charles), compositeur américain (Ames, Iowa, 1942). Il a fait des études musicales à l’université d’Iowa avec Bezancon et Herwig, à l’Aspen Summer School avec Darius Milhaud, à Tanglewood avec Gunther Schuller et Arthur Berger, à l’université Columbia avec Jack Beeson, Otto Luening et Vladimir Ussachewski. Il a suivi les travaux de la faculté de Columbia-Princeton en ce qui concerne la musique électronique et l’utilisation des ordinateurs. Titulaire de nombreux prix et récompenses, y compris le prix de la fondation Koussevitski (1969), il a été nommé assistant à l’université Columbia, élu président de l’American Composers Alliance (1971), et il collabore également à un centre de recherches IBM pour l’usage de l’informatique en musique. Après avoir écrit des oeuvres comme Rota pour orchestre (1966) et diverses pièces instrumentales, qui témoignent d’un emploi très personnel de la technique sérielle, Charles Dodge semble s’être tourné exclusivement vers la composition par ordinateur. Dans ce domaine, on peut citer parmi ses oeuvres Changes (1967-1970) et Humming (1971). DOHNANYI (Ernö), pianiste, compositeur et chef d’orchestre hongrois (Poszony, aujourd’hui Bratislava, en all. Pressburg, 1877 - New York 1960). Enfant doué pour la musique, il prit des leçons avec l’organiste de la cathédrale de Poszony, puis travailla à Budapest avec Thoman (piano) et Koessler (composition). Il donna son premier concert à neuf ans, reçut à dix-huit les compliments de Brahms - qui s’entremit pour faire jouer à Vienne son opus no 1, un Quintette avec piano -, se rendit à Berlin auprès d’Eugen d’Albert et se lança, avec l’aide de ce dernier, puis de Hans Richter, dans une carrière internationale de pianiste. Introduit en 1905 par d’Albert au conservatoire de Berlin pour y enseigner le piano, Dohnanyi y reçut le titre de professeur en 1908. Il fut nommé en 1914 au conservatoire de Budapest et élu dans cette ville - au lendemain de la guerre - président de la Société philharmonique, où il soutint Kodály et Bartók, et, en tant que chef d’orchestre, dirigea leurs oeuvres, les faisant parfois entendre pour la première fois dans la capitale hongroise. En 1934, il prit la direction du conservatoire Ferenc-Liszt. En 1948, il quitta Budapest pour des motifs politiques et s’installa tout d’abord en Argentine, puis, en 1949, en Floride, à l’université de Tallahassee où il forma de nombreux compositeurs et pianistes. La carrière de Dohnanyi, pianiste virtuose et compositeur, l’a fait fréquemment comparer à Rachmaninov. Pur produit de la tradition germanique, son oeuvre reste fidèle à l’esthétique de Brahms, tout en étant sensible, comme son modèle, à la musique de Johann Strauss ou des Tziganes. Bien que n’ayant pas suivi Bartók et Kodály dans leurs conquêtes d’une musique spécifiquement nationale, il les soutint, malgré l’opposition des officiels. L’ensemble de son oeuvre semble aujourd’hui anachronique. Sa musique de chambre, encore méconnue (3 quatuors à cordes, 2 quintettes, une sonate pour violon, etc.), renferme le testament musical le plus solide de son auteur. Les références hongroises sont rares et artificielles : la suite pour piano Ruralia hungarica (1923-24), un Credo hongrois pour ténor, choeur et orchestre, les variations pour piano Sur un thème hongrois, des Chansons populaires. Son oeuvre symphonique comporte notamment une Symphonie de jeunesse en fa op. 3 (1895-96), influencée par Liszt et le jeune Richard Strauss, un magnifique Konzertstück pour violoncelle op. 12 (1903-1904), où l’on retrouve la tendresse schumannienne et les élans du Don Quichotte straussien, une Suite d’orchestre en fa dièse mineur op. 19 (1908-1909), où Debussy vient colorer des variations brahmsiennes, enfin les fameuses et spirituelles Variations sur une chanson enfantine op. 25 (1914), où le piano soliste égrène le Ah, vous dirai-je Maman mozartien. Ici, Dohnanyi s’amuse au collage, opposant Wagner à Mozart, et cite tour à tour des références amicales de Brahms (1er Concerto pour piano, finale de la 4e Symphonie), des valses viennoises et la Boîte à joujoux de Debussy. La pantomime le Voile de Pierrette (1908-1909), les trois opéras Tante Simone, la Tour du voïvode, le Ténor ne sont toutefois pas exempts de longueurs. Son oeuvre de piano, qu’il enregistra en 1956, permet de saisir l’art d’un musicien au métier brillant, solide, mais que les problèmes de construction embarrassent. Ayant trop cherché le secret de la forme classique chez Brahms, sa propre écriture downloadModeText.vue.download 312 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 306 est hésitante et ne devient naturelle que dans les pièces d’allure rhapsodique où le compositeur retrouve les réflexes du Hongrois improvisateur, la couleur, la rythmique et la respiration propres à une tradition austro-hongroise alliant Schubert, Brahms et les Tziganes. DOIGTÉ. Choix des doigts à employer pour l’exécution d’un trait sur un instrument à clavier, à cordes frottées ou pincées, à trous, à clés ou à pistons. Ce choix, dont l’importance est considérable pour la facilité, voire la possibilité du jeu, est souvent suggéré à l’instrumentiste par des annotations chiffrées. On comprend que les partitions destinées à des amateurs ou des débutants soient beaucoup plus chargées de semblables indications que celles qui s’adressent à des professionnels, en pleine possession de leur technique instrumentale. La densité des indications de doigté dépend aussi de la nature de l’instrument : faible dans le cas des instruments à vent qui ne laissent à l’exécutant qu’un choix très limité, elle est nécessairement plus forte et plus utile pour les instruments à cordes, qui offrent maintes façons d’émettre la même note, et, bien entendu, pour le piano. DOÏNE ou DOÏNA. D’origine vraisemblablement orientale, la doïna proprement dite appartient au folklore roumain et consiste en de courtes formules plus ou moins fixées dans une échelle diatonique limitée, sur lesquelles l’interprète improvise et bâtit une mélodie. Très proche, par certains côtés, de la psalmodie liturgique, elle s’en éloigne cependant en faisant intervenir au milieu du style syllabique de brusques ornements, vocalises et gloussements, et en alternant sections chantées et sections parlées. À cause de son caractère lent et mélancolique, on baptise maintenant doïna toute pièce musicale ayant ces caractéristiques (« chant long », plaintif), quelle qu’en soit sa structure. Depuis longtemps l’un des principaux attributs du folklore roumain, elle a, dès le XIXe siècle, intéressé les compositeurs (on en relève des exemples, en 1850, dans les Airs nationaux roumains de Henri Ehrlich, élève de Chopin). Mais c’est Bartók qui, le premier, en a fait une étude détaillée (Volksmusik der Rumänen von Marameresch). La doïna a, depuis lors, fait son entrée dans la musique classique roumaine avec les cahiers de Doïne de Stan Golestan et par l’influence qu’elle a exercée sur les oeuvres de compositeurs comme G. Enesco, par exemple. DOLCE (ital. : « doux »). Terme de nuance qui non seulement désigne un jeu piano, mais implique aussi un caractère mélodieux, gracieux et reposant. Gabriel Fauré a fait grand usage de cette indication, notamment dans ses mélodies. DOLCISSIMO. Terme de nuance italien signifiant « très doux ». DOLENTE (ital. : « douloureux »). Terme de nuance qui indique un caractère plaintif, triste et affligé. On trouve parfois le superlatif dolentissimo. DOLES (Johann Friedrich), compositeur, organiste et chef d’orchestre allemand (Steinbach, Thuringe, 1715 - Leipzig 1797). Élève de Bach à Leipzig de 1739 à 1742, il devint cantor à Freiberg en Saxe (1744), puis cantor à Saint-Thomas de Leipzig en 1755, comme successeur de Gottlob Harrer (1703-1755), lui-même successeur de Bach. Il prit son poste en 1756 et le conserva jusqu’en 1789, date à laquelle il démissionna. Peu avant (avril 1789), il fit exécuter devant Mozart, de passage à Leipzig, le motet de Bach Singet dem Herrn ein Neues Lied. Comme compositeur, il écrivit surtout de la musique religieuse. DOLMETSCH, famille de musiciens et de musicologues anglais d’origine francosuisse. Arnold, fils d’un facteur de pianos (Le Mans 1858 - Haslemere 1940). Il fit ses études de violon à Bruxelles, avant d’être nommé professeur, au Dulwich College. Il s’intéressa tout particulièrement aux instruments anciens : viole, clavecin, luth. Après un apprentissage à Boston et à Paris (Gaveau), il fonda, en 1914, à Haslemere, sa propre maison de facture d’instruments dans le but de faire renaître la musique ancienne. Pour faciliter sa tâche, il donna des auditions avec l’aide de sa famille, dont les membres pouvaient constituer un Consort of Viols traditionnel. Son livre intitulé The Interpretation of the Music of the 17th and 18th Centuries (Londres, 1915) demeure un ouvrage de référence. Mabel, danseuse et gambiste (Londres 1874 - id. 1963). Troisième épouse d’Arnold, elle publia des ouvrages sur la danse en Angleterre, en France, en Espagne et en Italie. Leurs enfants, Nathalie (Chicago 1905), Rudolph (Cambridge, Massachusetts, 1906 - en mer 1942) et Carl (Fontenay-sous-Bois 1911), ont joué un rôle important dans le regain de popularité des musiques d’autrefois, que ce soit comme auteurs de livres, comme éditeurs de partitions anciennes ou, encore, comme instrumentistes. Carl Dolmetsch est devenu un virtuose de la flûte à bec. La firme familiale continue encore à construire toute une gamme d’instruments anciens (flûtes à bec, violes, luths, clavecins, etc.). DOMAINE MUSICAL. Concerts fondés en octobre 1954 par Pierre Boulez. Le Domaine musical constitue dans l’histoire de ces trente dernières années un événement culturel tout à fait exceptionnel ; de par les options esthétiques qui y ont été défendues, il se situe d’emblée sur un terrain expérimental, vouant ses efforts à la connaissance et la diffusion de la jeune musique, en marge de la musique officielle. Sans doute a-t-il bénéficié d’un contexte propice, l’impulsion d’après-guerre. Sa création est d’ailleurs contemporaine de tout un mouvement extrêmement actif qui se traduit par l’apparition de grands festivals, et, notamment, celui de Darmstadt ; dans toute l’Europe, en effet, se manifeste un courant dynamique en faveur de la musique la plus récente : d’importantes responsabilités sont confiées à de très jeunes compositeurs dont les oeuvres font l’objet de fréquentes créations. Après la cassure provoquée par le second conflit mondial, un véritable renouveau de la musique est désormais possible grâce à la jeune génération de musiciens. Ce qui caractérise plus spécifiquement le Domaine musical, c’est d’être une structure permanente dans laquelle peut se dérouler, de manière continue, une véritable action musicale définie en fonction d’objectifs précis, de visées esthétiques à vocation didactique. Il n’est pas sans signification que le projet ait pris naissance hors du milieu musical. Due à l’initiative d’Arthur Honegger, la rencontre de Pierre Boulez et de Jean-Louis Barrault en 1945 représente les prémices de l’aventure ; engagé pour un spectacle de la compagnie Renaud-Barrault, Pierre Boulez en devient rapidement le directeur de la musique. Déjà l’idée de fonder un lieu qui pourrait accueillir la musique contemporaine est en germe ; elle se concrétise en 1953 lorsque Simone Volterra fait construire le petit théâtre Marigny. L’année suivante, le Domaine musical est officiellement créé, sous la présidence de Suzanne Tézenas, qui lui assure une autonomie financière fondée sur un mécénat. D’emblée, Pierre Boulez déclare son intention de faire connaître une musique qui ne soit pas celle des milieux officiels, qui se situe délibérément à l’écart des chapelles ; il s’agit avant tout, pour lui, de « créer des concerts pour qu’une communication se rétablisse entre les compositeurs de notre temps et le public intéressé à la promotion de son époque ». Organiser des concerts consiste moins à monter downloadModeText.vue.download 313 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 307 des spectacles qu’à rendre compte d’une musique vivante, en évolution, et à faire participer le public à son dynamisme. Aussi, ce qui est apparu à certains comme un manque d’objectivité, une sélection arbitraire dans le choix des programmes, résulte en réalité d’une prise de position qui d’ailleurs ne variera pas jusqu’au départ de Pierre Boulez - très nette à l’égard de la diffusion musicale. Les objectifs du Domaine musical sont définis en fonction de critères précis : cerner la problématique musicale contemporaine, la privilégier sans toutefois exclure systématiquement les musiques de référence. Car si, à cette époque, Pierre Boulez, comme plusieurs de ses contemporains, adopte une position de refus radical vis-à-vis des musiques du passé, de tout héritage musical, y compris celui pourtant fort subversif de Webern, le Domaine musical se doit, dans la sélection de ses concerts, d’échapper à tout parti pris stylistique ou esthétique qui contredirait l’intention didactique. Toutefois, les oeuvres proposées au public sont choisies en fonction d’une conception linéaire de l’histoire de la musique afin de pouvoir mettre en évidence ce qui, dans les musiques du passé, a présenté « une résonance plus particulièrement actuelle », décelé des rapports, des filiations possibles. Trois types d’oeuvres, correspondant à trois époques, sont ainsi présentés : des oeuvres anciennes de référence faisant partie d’un moment de l’histoire qui ne cesse pourtant de nous concerner, tel notamment l’Art de la fugue ; des oeuvres du XXe siècle inconnues en France pour des raisons politiques, comme celles des musiciens de l’école de Vienne, Schönberg, Berg et Webern ; enfin les musiques de jeunes compositeurs (H. Pousseur, K. Stockhausen, B. Maderna, L. Nono, A. Boucourechliev, G. Amy, etc.), qui peuvent désormais disposer d’un lieu privilégié pour leurs créations, assurés par ailleurs d’excellentes interprétation et direction. En effet, la précision apportée à la préparation des programmes s’accompagne d’exigences extrêmes sur le plan de la qualité d’exécution, le Domaine musical se voulant « à l’abri des reproches d’incompréhension et d’amateurisme », et y réussissant en faisant appel à des chefs tels que Stravinski, Scherchen ou Craft. Cependant, malgré l’importance qu’a pu revêtir le Domaine musical, le rôle indéniable qu’il a assumé tout au long de ces années, il est également certain que le manque d’éclectisme qui lui a été reproché, à tort au début, contribue, au fur et à mesure, à sa sclérose ; le dynamisme du départ s’est probablement effrité alors que disparaît l’intention qui l’a provoqué, le souci de rendre compte d’un présent en mutation, et que se substitue progressivement à ce qui a été une aventure expérimentale, une institution au conformisme d’une avant-garde officialisée, d’où a été désormais abolie toute initiative de recherche, de renouveau. Lorsque Pierre Boulez quitte le Domaine musical en 1967, Gilbert Amy en reprend la direction ; mais ses activités cessent définitivement en 1973. En 1992 est paru le livre de Jesus Aguila le Domaine musical - Pierre Boulez et vingt ans de création contemporaine. DOMINANTE. Degré qui, dans un mode donné, assume après la tonique le principal rôle structurel, en constituant soit un point d’appui provisoire, soit un point de départ vers la tonique conclusive. 1. La musique grecque, articulée sur le tétracorde, ignore la notion de dominante, encore que la borne aiguë (la) de son tétracorde principal mi-la, dite la mèse, joue un rôle analogue en préparant souvent la chute conclusive sur le mi final. La musique grégorienne n’en dégage la notion que progressivement, et attend le XVIIIe siècle pour lui donner le nom de « dominante » par analogie avec la musique classique : le nom médiéval est teneur (lat. tenor) ou corde de récitation, rappelant que c’est sur elle que, dans la psalmodie, se récite le texte (sur les dominantes modales grégoriennes, ! MODE). 2. Les dominantes grégoriennes, qui ne faisaient pas intervenir le concept harmonique, se situent en principe à la quarte de la finale tonique pour les modes plagaux, à la quinte pour les modes authentes (avec déplacement respectif à la tierce ou à la sixte lorsqu’elles tombaient sur le si, note mobile dont le « roman » a fait couler beaucoup d’encre depuis le Moyen Âge). 3. En leur donnant une signification harmonique (d’où les cadences dites plagales et parfaites), la musique tonale a réservé le nom de dominante à la seule quinte, mais la théorie n’en a été fixée qu’à partir de Rameau, qui emploie encore le terme de dominante tonique. En musique classique, depuis ce temps, le mot dominante désigne exclusivement le cinquième degré du ton, et seulement lorsqu’il est à la fois quinte juste et employé en fonction harmonique : par exemple, en do, la dominante est sol, mais on considère sol comme dominante dans un accord sol-si-ré, et non pas dans un accord do-mi-sol. DOMINGO (Placido), ténor espagnol (Madrid 1941). Installé à l’âge de huit ans au Mexique avec ses parents, il a fait ses études musicales au conservatoire de Mexico et a débuté en 1961, à l’opéra de Mexico, dans le rôle d’Alfredo de La Traviata de Verdi. C’est surtout à partir de 1968, à la suite de triomphes remportés à l’opéra de Ham- bourg et au Metropolitan de New York, où il avait fait ses débuts en 1966, que sa renommée internationale a pris de l’ampleur. Son vaste répertoire couvre l’opéra italien, de Bellini à Puccini, certains rôles français (Carmen, Samson et Dalila, Werther) et certains rôles wagnériens. Sa voix est celle d’un ténor lyrique, souple mais particulièrement solide, capable d’aborder des emplois de ténor dramatique comme Othello dans l’opéra de Verdi. Son phrasé élégant et noble, son sens d’un pathétique sobre, ses qualités d’acteur rendent particulièrement heureuses ses interprétations de héros de Verdi et de Puccini. Musicien complet, il est parfois monté au pupitre de chef d’orchestre. DONATO (Baldassare), compositeur italien ( ? v. 1530 - Venise 1603). Organiste et chantre apprécié, toute sa carrière fut liée à Saint-Marc de Venise. Maître de la Cappella piccola de 1562 à sa suppression par Zarlino en 1565 (Donato en garda un vif ressentiment), puis maître de chant au séminaire de Saint-Marc, il devint enfin maître de chapelle de la célèbre basilique à la mort de Zarlino en 1590. Il poursuivit néanmoins son enseignement au séminaire. Auteur de plusieurs livres de madrigaux et de motets religieux publiés chez Gardano à Venise, Donato dut surtout sa réputation de compositeur à ses villanelles aux rythmes dansants alla napolitana qui respectent la structure traditionnelle à quatre voix. DONATO DA FIRENZE (da Cascia), compositeur italien (XIVe s.). On ne sait pratiquement rien de sa vie. Les seules de ses compositions qui aient été conservées sont quatorze madrigaux à deux voix, un madrigal à trois voix et une ballata et un virelai à deux voix. La plupart des poèmes mis en musique sont anonymes. Parmi les madrigaux, on en connaît trois de Niccolò Soldanieri, un d’Antonio degli Alberti et un d’un certain Rigo Belondi. Sa relation avec les poètes précités et la prédominance d’oeuvres à deux voix permettent de situer sa période d’activité musicale entre 1355 et 1375, au sein de l’Ars nova florentine. Son style, parfois assez proche de celui de Lorenzo Masini et de Giovanni da Cascia, se distingue par un traitement élaboré de la ligne mélodique, aux nombreux mélismes, et par la déclamation du texte, échelon- née entre les voix, qui rappelle un peu la technique de la caccia. Ce phénomène est encore plus sensible dans le madrigal à trois voix, Faccia chi de, se’ l po, dont les deux voix procèdent en canon. downloadModeText.vue.download 314 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 308 DONATONI (Franco), compositeur italien (Vérone 1927). Il a commencé le violon à sept ans, et, encouragé par son premier maître Piero Bottagisio, s’est consacré entièrement à la musique dès la fin de ses études secondaires. Il a obtenu à Bologne des diplômes de chef de choeur (1950) et de composition (1951), a suivi jusqu’en 1953 les cours d’Ildebrando Pizzetti à Rome, puis a enseigné l’harmonie et le contrepoint au conservatoire de Bologne. Il a occupé un poste analogue au conservatoire Giuseppe-Verdi de Milan (1955-1967), puis a été nommé professeur de composition au conservatoire G.-Verdi de Turin (1968) et à celui de Milan (1969). Il enseigne depuis 1970 la composition aux cours d’été de l’Académie de Sienne (Accademia musicale Chigiana) et a succédé, en 1978, à Goffredo Petrassi à la chaire de composition de l’Académie Sainte-Cécile de Rome. Il a rencontré Bruno Maderna en 1953 et participé aux cours de Darmstadt en 1954, 1958 et 1961. Donatoni est passé brusquement, vers 1957-58, d’un langage postbartokien avancé aux préoccupations alors les plus urgentes et n’a pratiquement pas connu de phase postsérielle stricte. Ses oeuvres de maturité, jusqu’en 1977 exclusivement instrumentales, développent des principes d’inspiration sérielle tout en utilisant des procédés de hasard liés à un symbolisme très personnel dans le jeu des chiffres. Dans les plus anciennes, comme For Grilly, improvisation pour 7 musiciens (1960), ou Sezioni pour orchestre (1961), l’influence de Cage est assez nette, et le hasard est vécu comme une sorte de renonciation au jeu de l’écriture. Suit une période qualifiée par le compositeur de « retrouvailles avec le matériau » et inaugurée par Puppenspiel 2 pour flûte et orchestre (1965), « acte d’émancipation des automatismes compositionnels, libération incontrôlée du matériau ». Naissent alors plusieurs ouvrages fondés sur la préexistence d’un matériau externe, voire historique : Souvenir (Kammersymphonie opus 18), créé au festival de Venise 1967 et dont le matériau d’origine comprend 363 fragments de Gruppen de Stockhausen ; Etwas ruhiger im Ausdruck pour flûte, clarinette, violon, violoncelle et piano (1967), dont le matériau de base est emprunté à la 8e mesure du 2e morceau de l’opus 23 de Schönberg ; le chef-d’oeuvre qu’est Solo pour 10 cordes (1969) ; Doubles II pour grand orchestre (1970) ; Secondo Estratto pour harpe, clavecin et piano (1970) ; Quarto Estratto pour 8 instruments (1974). Dans une troisième période, le hasard est vécu comme expérience directe et comme confrontation immédiate au chaos, par exemple avec To Earle Two pour 2 orchestres (1971-72), « composition funéraire, déprimante, dépressive, sépulcrale, exercice sur la matière inerte, abstention à l’égard de la forme » (Donatoni). On assiste enfin à un retour insolite de certaines polarisations harmoniques ou formelles : évocations du motif B. A. C. H. dans Voci pour grand orchestre (1972-73), alternances strophiques dans Lied pour 13 instruments (1972), où est élaboré un matériau sonore issu d’une oeuvre de Sinopoli. Dans Espressivo composition pour hautbois, cor anglais et grand orchestre (1973-74), une seule hauteur sonore est mise en évidence. Parmi les ouvrages les plus récents de Donatoni, il faut citer Lumen pour 6 instruments (1975), Portrait pour clavecin et orchestre (1976-77), Diario 1976 pour 4 trompettes et 4 trombones (1977), Spiri pour 10 instruments (1977), De près pour voix de femme, 2 octavins et 3 violons (1978), ... ed insieme bussarono pour voix de femme et piano (1978), Arie pour voix de femme et orchestre (1978-79), The Heart’s Eye pour quatuor à cordes (1979-80), le Ruisseau sur l’escalier pour 19 instruments et violoncelle solo (1980), L’Ultima Sera pour voix de femme et 5 instruments (1980-81), Tema pour 12 instruments (1981), Feria pour 5 flûtes, 5 trompettes et orgue (1981), Lame pour violoncelle (1982), Abyss pour voix grave de femme, flûte basse et 10 instruments (1983), Ombra pour clarinette contrebasse (1983), l’opéra Atem (Milan 1985), Sestetto pour sextuor à cordes (1985), Eco pour or- chestre de chambre (1986), Arpèges pour 6 instruments (créé en 1987), Midi pour flûte (1989). DONAUESCHINGEN (festival de). Important festival de musique contemporaine depuis plus d’un demi-siècle, le festival de Donaueschingen a connu deux périodes bien distinctes. À partir de l’été 1921 se déroule, sous l’égide du prince Egon de Fürstenberg, un festival de musique de chambre consacré à la production d’avant-garde. De 1921 à 1926, ce festival a lieu à Donaueschingen, petite ville thermale du sud de l’Allemagne (Forêt-Noire). Au cours des différentes saisons sont jouées, entre autres, des pages de Paul Hindemith, Richard Strauss, Ferruccio Busoni, Alois Haba, Philipp Jarnach, Arnold Schönberg, Alban Berg, Anton Webern, Béla Bartók, Ernst Krenek. Le directeur musical est Heinrich Burckhardt. Le rayonnement déjà considérable de ce premier festival sert d’impulsion déterminante pour la création d’une section de musique contemporaine au festival de Salzbourg et pour la formation de la Société internationale de musique contemporaine (S. I. M. C.). En 1927, le festival se transporte à Baden-Baden. Quelques années plus tard, le nazisme va faire disparaître en Allemagne, pour plusieurs années, toute activité prospectrice dans le domaine de la musique vivante. Ce n’est qu’en 1950, sous l’impulsion de la radio de Baden-Baden (Südwestfunk) et du critique et musicologue allemand Heinrich Strobel (1898-1970), que le festival de Donaueschingen connaît une seconde naissance et prend une ampleur extraordinaire. Traditionnellement organisée le deuxième ou le troisième week-end d’octobre, cette manifestation a, dès lors, suscité la découverte et entraîné l’éclosion de la presque totalité des créations contemporaines les plus significatives. Heinrich Strobel en assume la responsabilité artistique entre 1950 et 1970. C’est sans conteste la plus grande période de gloire de Donaueschingen. Otto Tomek lui succède jusqu’en 1975. À partir de cette date, Josef Häusler assure la direction artistique générale (le critique de jazz Joachim Ernst Berendt s’occupe plus particulièrement de la partie réservée au jazz). Le prince Joa- chim de Fürstenberg est président d’honneur. L’organisation et la régie technique sont assurées par la ville de Donaueschingen et par la radio de Baden-Baden (Südwestfunk). Entre 1950 et 1970, le festival de Donaueschingen est reconnu dans le monde entier comme le symbole même du festival audacieux et novateur. Il joue un rôle fondamental dans la découverte des voies nouvelles de la musique. Homme à l’indépendance intellectuelle et esthétique rare, Heinrich Strobel a été le principal artisan de cette réussite. Nombre d’oeuvres importantes ont vu leur création mondiale à Donaueschingen. Mais, outre ces créations, le festival a permis depuis près de quarante ans la création européenne d’un nombre tout aussi remarquable de partitions, des dernières pages d’Igor Stravinski aux premiers ouvrages des plus jeunes générations. DONI (Antonio Francesco), musicographe italien (Florence 1513 - Montselice, près de Padoue, 1574). Auteur de nombreux ouvrages, dont trois sont consacrés à la musique (notamment le Dialogo della musica, publié à Venise en 1544), il fournit des renseignements sur la vie musicale dans cette ville. Doni illustre son propos à l’aide d’une sélection de madrigaux de différents compositeurs. Dans les autres livres (Prima Libraria, 1550, Seconda Libraria, 1551), il donne une intéressante liste des accademie actives en Italie à son époque et essaie pour la première fois d’établir une bibliographie musicale. DONIZETTI (Gaetano), compositeur italien (Bergame 1797 - id. 1848). Issu d’une famille pauvre, il fut reçu à neuf ans à la Scuola caritatevole di musica (« École charitable de musique »), fondée par Mayr dans sa ville natale, il y apprit le downloadModeText.vue.download 315 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 309 clavecin et la composition et dut à l’intérêt que lui témoigna son maître, ainsi qu’à son soutien financier, de pouvoir compléter ses études à Bologne sous la conduite du père S. Mattei. Afin de venir en aide à sa famille, il s’engagea dans l’armée, mais ses premières réussites de compositeur lui permirent bien vite de s’en libérer. Son oeuvre Enrico di Borgogna l’avait fait connaître en 1818, mais ce fut Zoraide di Granata (1822) qui lui valut son premier succès réel. Mieux accueilli à Naples et dans l’Italie méridionale que dans sa Lombardie natale, Donizetti fit jouer - dans les genres bouffe, semi-seria et seria - une trentaine d’oeuvres, qui, tout en révélant un talent affirmé, le laissaient néanmoins dans l’ombre de Rossini, dont Bellini, son cadet de quatre ans, semblait déjà lui ravir l’héritage. La gloire véritable ne lui vint qu’en 1830 avec Anna Bolena, oeuvre habilement démarquée du Pirate de Bellini, mais qui, dans l’interprétation de la Pasta et du ténor G. B. Rubini, lui valut la faveur des Milanais. Cette faveur se confirma en 1832 avec l’accueil réservé à son Élixir d’amour. Donizetti donna alors ses grands chefs-d’oeuvre tragiques - drames romantiques ou historiques tels que Torquato Tasso, Lucrezia Borgia, Maria Stuarda, Lucia de Lammermoor, Roberto Devereux, etc. La disparition prématurée de Bellini lui laissa le champ libre, mais la direction du conservatoire de Naples n’en échut pas moins à Mercadante, à une période où il connut de grands malheurs, perdant subitement sa femme après ses parents et ses trois enfants. Recommandé par Rossini, il vint à Paris en 1838 et y donna, en langue française, la Fille du régiment, la Favorite et les Martyrs en 1840, avant d’être nommé compositeur impérial à Vienne où il présenta Linda di Chamounix et Maria di Rohan. Il revint à Paris donner Dom Sébastien et Don Pasquale (1843), mais le travail incessant auquel il s’était adonné, les chagrins et une vie dissolue eurent raison de ses forces et le conduisirent à de graves désordres mentaux, puis à la paralysie nerveuse. Interné à Ivry en janvier 1846, il regagna Bergame et s’y éteignit après quelques mois de souffrances. La gloire de Donizetti, comme le mépris qui s’ensuivit, ne reposa longtemps que sur la connaissance restreinte de son oeuvre. Vers 1930, mais surtout depuis 1955, la redécouverte d’un romantisme européen fondé sur d’autres valeurs que celles de la culture germanique a permis de rendre à Donizetti sa véritable place dans l’évolution de l’opéra. Sans doute l’abondance d’une production qui comprend plus de soixante-dix oeuvres lyriques, de la musique sacrée, instrumentale, etc., at-elle nui à l’homogénéité de son oeuvre, dont les pages essentielles suffisent néan- moins à mesurer la qualité d’un talent confinant au génie véritable. Sa formation extrêmement poussée, sa connaissance de Haydn, Mozart et Gluck lui permirent de se démarquer peu à peu et de laisser libre cours à sa personnalité véritable. Des livrets plus soignés, la bonne perception de situations tragiques (où l’influence de Bellini se fit longtemps sentir, Lucia de Lammermoor devant tout aux Puritains, qui la précédèrent de peu), et le conflit romantique de l’amour impossible lui inspirèrent un langage plus fort et un traitement plus énergique de la voix chantée qui jetait un pont entre l’inspiration aristocratique de Bellini et la veine sanguine et populaire de Verdi. Nous trouvons en effet chez Donizetti à la fois les effusions pathétiques de Lucie, de Maria di Rohan, d’Elisabetta dans Roberto Devereux, de Pauline dans les Martyrs et d’autre part les élans si profondément humains de cette même Elisabetta, d’Anna Bolena, ceux d’Edgardo dans Lucie et de Fernand dans la Favorite. En même temps se profilent tous les aspects du baryton naissant, tour à tour noble et amoureux (Dom Sébastien, la Favorite), ou d’une « méchanceté » dont les éclats eussent été parfaitement impensables avant 1830 (Lucia de Lammermoor). Enfin, dernier grand auteur comique de l’histoire de l’opéra italien, Donizetti parvint à renouveler le genre avec Il Campanello ou Betly et à écrire, avec l’Élixir d’amour, un chef-d’oeuvre du genre semiseria où un pathétique sincère voisine avec les meilleures inventions d’un comique purement musical. DOPPIO (ital. : « double »). Doppio più lento : deux fois plus lent. Doppio movimento : deux fois plus vite (mouvement double). DORATI (Antal), chef d’orchestre américain d’origine hongroise (Budapest 1906 - Gerzensee, Suisse, 1988). Élève, notamment, de Bartók et de Kodály, il monte dès l’âge de dix-huit ans au pupitre de l’opéra de sa ville natale. Il collabore ensuite avec Fritz Busch à l’opéra de Dresde (1828-29), puis est nommé à Münster (1929-1932). En 1933, son engagement aux Ballets russes de Monte-Carlo marque un tournant dans sa carrière ; jusqu’en 1945, passant d’une compagnie à l’autre, il se consacre presque uniquement au ballet, dont il enrichit d’ailleurs le répertoire en composant, d’après Johann Strauss, la partition de Graduation Ball. Depuis, plusieurs grands orchestres, américains, entre autres, se sont successivement attaché Antal Dorati en qualité de directeur artistique : celui de Dallas jusqu’en 1949, celui de Minneapolis jusqu’en 1960, l’Orchestre symphonique de Londres, puis l’Orchestre symphonique de la BBC de 1962 à 1966, les orchestres philharmoniques d’Israël et de Stockholm (1966-1970), le National Symphony Orchestra de Washington (1970-1977), le Royal Philharmonic Orchestra de Londres (1975-1978), et, enfin, l’Orchestre symphonique de Detroit (1977-1981). Son style se caractérise par un grand sens de la couleur et du rythme. Son vaste répertoire va de Haydn à Bartók, Stravinski et Gerhard en passant notamment par Dvořák. Dorati a consacré à Haydn un monument discographique sans précédent, avec ses enregistrements de la plupart des opéras, de tous les oratorios et de toutes les symphonies de ce compositeur. DORET (Gustave), compositeur et chef d’orchestre suisse (Aigle, canton de Vaud, 1866 - Lausanne 1943). Ayant fait ses premières études musicales auprès du violoniste Joachim, il fut ensuite, à Paris, l’élève de Marsick pour le violon, de Théodore Dubois et de Massenet pour la composition. En 1893, il devint chef d’orchestre aux concerts d’Harcourt, où il dirigea, entre autres, des programmes historiques consacrés aux polyphonistes de la Renaissance, et à la Société nationale. Dès ses premières compositions (Voix de la patrie, cantate, 1891) se révéla sa passion pour l’art et le folklore helvétiques. Il écrivit, par la suite, de nombreuses musiques de scène pour les pièces de René Morax, que l’on représentait au théâtre de verdure du Jorat, à Mézières, où, dans une atmosphère populaire, s’épanouissait l’âme de la Suisse romande. Préoccupé par le rôle social de la musique, il s’intéressa à l’art choral. Ce sont les caractères et les aspirations de la terre romande qu’il évoque dans presque toutes ses oeuvres : ses choeurs, sa Cantate du centenaire, ses mélodies qui s’appuient sur le folklore, ses pages symphoniques très descriptives comme le triptyque Gaudria et ses ouvrages lyriques comme les Armaillis (1906) ou la Tisseuse d’orties (1926). Gustave Doret a également laissé divers écrits sur la musique, dont Temps et Contretemps (Fribourg, 1942). DORIA (Renée), soprano française (Perpignan 1921). Après des études d’harmonie, elle fait ses débuts à l’Opéra de Marseille en 1942. En 1944, elle débute à l’Opéra-Comique dans Lakmé, puis en 1947 à l’Opéra de Paris, où elle chante la Reine de la Nuit. Sa carrière exemplaire fait d’elle une des chanteuses françaises les plus populaires des années 1940 et 1950. Elle a triomphé dans plus de soixante rôles, aussi bien dans les opéras de Mozart que dans les Contes d’Hoffmann, le Dialogue des carmélites de Poulenc et l’Heure espagnole de Ravel. DORIEN. Les Doriens constituaient une peuplade du sud de la Grèce continentale (au downloadModeText.vue.download 316 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 310 N.-O. d’Athènes), qui donna son nom à une échelle, puis à un ton de la musique grecque antique, ultérieurement au premier mode de la musique grégorienne et enfin, selon les écoles, au mode de ré, de do ou de mi dans la musique modale harmonique. L’échelle dorienne primitive nous est connue par un musicographe du IIe siècle, Aristide Quintilien. Elle correspondait à l’échelle enharmonique normale de l’octocorde, avec un degré supplémentaire au grave, et c’était explicitement à elle que, selon cet auteur, Platon faisait allusion lorsque, dans la République, il recommandait l’harmonie dorienne comme noble et grave, propre à exalter les vertus civiques. On en déduit que la musique dorienne devait avoir un tel caractère et se tenait dans une tessiture relativement grave. Quand s’élabora la théorie des tons de hauteur, le nom de dorien fut donné au ton le plus grave : un ton au-dessus venait le phrygien, puis le lydien. Plus tard on ajouta le mixolydien, puis le système s’accrut progressivement jusqu’à 7 ou 8 tons d’abord (7 pour Ptolémée ; 8 pour Boèce), 15 tons ensuite. Ces tons ayant principalement pour objet l’accord de la lyre, on se fonda sur la lyre octocorde, et on donna à chaque accord de cette lyre le nom du ton auquel renvoyait cet accord lorsque, de l’intervalle utilisé, on remontait au son d’origine de la gamme commune. Ce furent les noms topiques des espèces d’octave. Ils n’ont eu qu’une existence éphémère, mais, par la confusion qu’ils ont introduite entre les « tons » et les « harmonies », baptisés « modes » par les musicologues du XIXe siècle, ils ont induit ceux-ci dans une erreur qui n’est pas encore dissipée de nos jours. Ce fut dans cette seule nomenclature que l’octave de mi prit le nom d’octave dorienne, ce qui incita à tort l’helléniste Westphal, et, à sa suite, Gevaert et M. Emmanuel, à définir le dorien comme un mode de mi et à lui donner dans la théorie une prééminence factice. Au IXe siècle de notre ère, un traité anonyme, dit Alia musica, en commentant Boèce, qui donnait une liste de 8 noms topiques des tons de la musique grecque, crut que cette liste s’appliquait aux 8 tons du plain-chant ; il en recopia la nomenclature sous celle des 8 tons d’église ; c’est ainsi que le premier ton (ou mode) ecclésiastique, qui est un mode authente de ré, puis par extension toute musique construite sur l’échelle modale de ré, se vit attribuer arbitrairement le nom de mode dorien, qu’il a conservé jusqu’à nos jours en acception commune, bien que concurrencée par les autres interprétations. Du XVIe au XVIIIe siècle, des théoriciens humanistes, conscients des inconséquences que contenait la théorie des modes telle que l’avait transmise l’Alia musica, mais insuffisamment documentés sur la question, entreprirent de la corriger à leur manière et introduisirent de nouvelles nomenclatures de leur cru qui ne firent qu’alimenter la confusion. Ce fut ainsi que pour Zarlino (1573) le dorien devint le mode de do, et c’était dans cette acception qu’il devait être entendu chez plusieurs compositeurs de cette période. DORNEL (Antoine), organiste et compositeur français ( ? v. 1685 - Paris 1765). Il fut organiste à Sainte-Madeleine-enla-Cité et à l’abbatiale Sainte-Geneviève à Paris. En 1725, il succéda à Drouart de Bousset comme maître de musique à l’Académie française, pour laquelle il écrivit des motets à grand choeur, aujourd’hui perdus. Pratiquant, comme François Couperin, la « réunion des goûts » italien et français, il écrivit un Livre de symphonies (1709), qui contient six suites en trio de six à huit pièces chacune. Ses Sonates à violon seul et ses Suites pour la flûte et la basse (1711) sont également marquées par l’influence italienne. Pour le clavier, il a laissé Quarante-Huit Pièces de clavecin (1731) et des Pièces d’orgue, dans l’esprit de Lebègue. Pour la voix, il a composé quelques Airs sérieux et à boire. Dornel a également écrit un ouvrage théorique, le Tour du clavier sur tous les tons (Paris, 1745). DØRUMSGAARD (Arne), compositeur, chanteur et écrivain norvégien (Fredrikstadt 1921). Après des études de piano, d’harmonie et de contrepoint, il s’est établi en France (1950) et y a étudié le chant avec Maria Castellazi (1952-1960). Son oeuvre principale est l’édition des Canzoni scordate, anthologie de chansons européennes de 1400 à 1900 (Paris 1963). DORUS-GRAS (Julie), soprano belge (Valenciennes 1805 - Paris 1896). Elle étudia au Conservatoire de Paris, mais débuta à Bruxelles en 1825. C’est là que, en 1830, elle incarnait Elvire lors de la fameuse représentation de la Muette de Portici d’Auber qui déclencha la révolte des Pays-Bas. Engagée à l’Opéra de Paris, elle créa les rôles d’Alice dans Robert le Diable de Meyerbeer (1831) et de la reine Marguerite dans les Huguenots (1836). Sa voix était celle d’un soprano aigu au timbre flexible, dont la virtuosité était remarquable. DOUBLE. 1. Nom quelquefois donné, au Moyen Âge, au rapport de fréquence 2/1, c’est-àdire à l’octave. Le mot est alors au féminin (s.-e. « proportion »). 2. Dans la polyphonie médiévale, traduction du latin duplum, qui désigne la deuxième voix placée au-dessus de la teneur. Tombé en désuétude au cours du XIIIe siècle, ce terme fut alors supplanté par celui de motet (motettus), dont l’évolution a mené vers des acceptions différentes. 3. Dans la musique de luth et dans l’air de cour et l’air sérieux du XVIIe siècle, puis jusqu’au milieu du XVIIIe, parfois aussi dans la musique de clavier (Gavotte et 6 Doubles de Rameau), ainsi que dans l’air d’opéra de forme ABA dit aria da capo, reprise ornée du couplet ou de la partie initiale qui avait été exposée sans ornementation, ou très peu ornée. Les ornementations du double n’étaient souvent pas écrites : on attendait de l’interprète qu’il les ajoutât à sa façon et selon ses propres possibilités, ce qui rend très difficiles les tentatives de restitution, et condamne les reprises non ornées que font aujourd’hui, en se fiant au texte seul, de nombreux interprètes. Pourtant, quelques échantillons de doubles notés existent et peuvent être étudiés avec profit. Par exemple, un grand nombre d’airs de Michel Lambert ont été agrémentés de doubles ornés de sa main, sans doute afin d’enseigner cette technique à ses élèves. DOUBLÉ (double cadence, brisé, tour de gosier). Nom donné au gruppetto par les clavecinistes français du XVIIe siècle et employé dans la musique vocale et instrumentale des XVIIe et XVIIIe siècles surtout. Il se présente comme un S couché, posé au-dessus de la note ornée, laquelle doit être exécutée entourée de ses secondes supérieure et inférieure. Si l’un des sons est altéré, on l’indique en plaçant l’altération en question au-dessus ou au-dessous du doublé. On peut commencer le doublé ou gruppetto par la note inférieure : Mais ce dernier type, quoique mentionné par Brossard (1703) et Walter (1732), est peu employé par la suite. DOUBLE BARRE. Double trait vertical traversant toute la portée et suivant la dernière mesure d’une oeuvre ou d’une partie d’oeuvre. La double barre accompagne aussi un changement de mesure ou d’armature. Précédée , ou downloadModeText.vue.download 317 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 311 suivie , de deux points, elle indique la reprise de la partie d’oeuvre située du côté des points. DOUBLE BÉMOL. Signe d’altération abaissant de deux demitons une note, c’est-à-dire d’un demi-ton supplémentaire une note déjà bémolisée en vertu, ou non, de l’armature de la tonalité. Ce signe bb, placé devant une note, demeure valable pendant toute la mesure, sauf indication contraire. DOUBLE CHOEUR. Division de la masse chorale en deux groupes d’égale importance et de composition semblable, le plus souvent à quatre voix mixtes (soprano, alto, ténor et basse). Ce procédé d’écriture a pour effet, non seulement de doubler le nombre des voix, mais de leur apporter une dimension supplémentaire par une forme dialoguée de « question » et de « réponse ». DOUBLE CONCERTO. Concerto pour deux instruments solistes et orchestre (par exemple, le Concerto pour deux violons de J.-S. Bach ; le Concerto pour flûte et harpe de Mozart ; le Concerto pour violon et violoncelle de Brahms). DOUBLE CORDE. Technique permettant de jouer simultanément deux notes différentes sur un instrument à archet, en attaquant à la fois deux cordes voisines. L’exécution correcte des passages en double corde pose à la main gauche des difficultés d’autant plus grandes que le trait est plus rapide, et constitue sans doute l’élément le plus spectaculaire de la virtuosité d’un violoniste. DOUBLE CROCHE. Note dont la durée est égale à la moitié de celle d’une croche, le quart de celle d’une noire. Le silence de durée correspondante est le quart de soupir. DOUBLE DIÈSE. Signe d’altération haussant de deux demitons une note, c’est-à-dire d’un demi-ton supplémentaire une note déjà diésée en vertu de l’armature de la tonalité. Ce signe en forme d’X, placé devant une note, demeure valable pendant toute la mesure, sauf indication contraire. DOUBLETTE. Jeu d’orgue de la famille des principaux ( ! PRINCIPAL), sonnant à la double octave de la fondamentale (quinzième, ou harmonique 4). Son tuyau le plus grave mesure 2 pieds de haut. La doublette sert à composer le cornet ; elle est également utilisée dans le plénum, ou comme jeu de détail. DOUBLURE. En matière de théâtre lyrique ou de ballet, artiste qui a suivi les répétitions et qu’on tient en réserve, sans qu’il figure à l’affiche, pour remplacer le titulaire d’un rôle en cas d’indisposition. DOUÇAINE. Instrument médiéval de la famille des bois. Son origine reste extrêmement mystérieuse. Guillaume de Machaut le cite dans le Remède de fortune au XIVe siècle. Il possédait sans doute la sonorité douce qui lui a donné son nom. C’était un instrument à anche, mais on ne sait si celle-ci était simple ou double. Son étendue était probablement assez réduite (un peu plus d’une octave), située dans une tessiture de ténor. DOUGLAS (Barry), pianiste anglais (Belfast 1960). Au Royal College of Music de Londres, il étudie avec John Barstow, et se perfectionne ensuite avec Maria Curcio. En 1983, il est lauréat du Concours international de Tel-Aviv et en 1986 du Concours Tchaïkovski. Après ses débuts au Carne- gie Hall de New York en 1988, il est invité par le Cleveland Orchestra, le Los Angeles Philharmonic, le Philadelphia Orchestra. Il effectue plusieurs tournées au Japon et en Nouvelle-Zélande et se produit dans toute l’Europe. DOWLAND, famille de musiciens anglais. John, luthiste et compositeur (Londres ? 1563 - id. 1626). On ne sait rien de ses premières années ni de sa formation musicale. Après la mort de son père en 1577, il entra au service de sir Henry Cobham, qu’il accompagna à Paris lorsque celui-ci y fut nommé ambassadeur d’Angleterre (1580). Pendant son séjour dans la capitale française, Dowland se convertit au catholicisme. De retour en Angleterre, il se maria. L’université d’Oxford lui décerna le titre de Bachelor of Music (1588), de même que l’université de Cambridge (av. 1597). Dowland essaya d’obtenir un poste officiel à la cour, mais sa religion empêcha cette nomination (« My religion was my hindrance. »). Déçu, il décida de partir, d’abord pour l’Allemagne, sur l’invitation du duc de Brunswick. De là, après avoir visité les cours de Wolfenbüttel et de Hesse, il voyagea en Italie, à Venise où il rencontra Giovanni Croce qu’il admirait beaucoup, puis à Padoue, Gênes, Ferrare et Florence. Il sollicita les conseils de Luca Marenzio à Rome et publia une des lettres du maître dans la préface de son First Booke of Songes or Ayres (1597) ; Marenzio se montra disposé à l’accueillir, mais on ignore si cette rencontre eut lieu. En tout cas, Dowland quitta rapidement Florence où des catholiques anglais en exil voulurent le mêler à un complot contre la reine Élisabeth. Désireux de revoir sa famille, il écrivit au chancelier d’Angleterre, sir Robert Cecil, qui avait signé son permis de voyage. Passant de nouveau par l’Allemagne, il reçut une lettre de Henry Noel qui le pressait de rentrer en Angleterre, puisqu’il pouvait enfin y espérer un poste à la cour. Le destin en décida autrement, et, en 1598, il fut nommé luthiste du roi Christian IV de Danemark. Outre une courte visite en Angleterre (1604-1605), Dowland demeura à l’étranger jusqu’en 1606, date à laquelle il fut renvoyé de Copenhague en raison de sa mauvaise conduite. Entre-temps, il publia ses deuxième et troisième livres d’Ayres (1600-1603). Installé à Londres, il devint, en 1612, l’un des King’s Musicians for the Lutes et fit paraître la même année sa dernière oeuvre, A Pilgrimes Solace, recueil d’airs contenant une pièce sur un texte italien (Lasso vita mia) et quelques airs de dévotion admirables. Entre 1622 et 1623, il entreprit un autre voyage à l’étranger. Sa réputation de luthiste virtuose et de chanteur, interprète de ses propres airs, répandue dans toute l’Europe, finit par gagner l’Angleterre. À partir de 1621 - il figura ainsi sur le registre de l’état civil à Sainte-Anne de Blackfriars -, il eut droit au titre de Doctor. Dowland est, sans nul doute, le plus grand compositeur d’ayres au luth pendant la courte période - 1597-v. 1630 - où le genre connut une immense faveur en Angleterre. Si plusieurs courants stylistiques ont marqué son oeuvre, l’ayre est surtout issu de l’air de cour français que Dowland avait certainement entendu à Paris (G. Tessier, P. Guédron), dont des éditions circulaient aussi outre-Manche et dont les textes originaux étaient souvent traduits. Comme son modèle, l’ayre se rattache à la Renaissance et non à la monodie naissante venue d’Italie. Il peut être interprété par une voix soliste accompagnée au luth (et à la viole) ou par un ensemble de violes, ou encore par un quatuor vocal (Ayres for Four Voices), avec ou sans accompagnement instrumental, le choix restant libre. En revanche, dans le domaine de l’harmonie, Dowland se montre en avance sur ses collègues français, de même que dans la complexité de son écriture pour le luth. En bon humaniste, il se révèle particulièrement sensible à l’atmosphère de chaque texte qu’il met en musique ; son génie mélodique et rythmique lui permet downloadModeText.vue.download 318 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 312 de traduire chaque vers à la perfection. La forme de ses ayres est généralement strophique (le chanteur doit introduire un choix d’ornements discrets selon les sentiments exprimés et afin de varier les autres strophes) ; parfois, il emploie une mélodie continue, comme dans In darkness let me dwell. « Semper Dowland semper dolens », il excelle dans les pièces mélancoliques (I saw my lady weep ; Go crystal tears). Parfois, il compose un air sur un rythme de danse, par exemple, la gaillarde Awake, sweet love, thou art returned ; il peut aussi reprendre, comme bien d’autres, les cris de la ville (Fine Knacks for Ladies). Dowland a laissé une quantité de belles pièces pour luth seul (galliards, pavanes, fantaisies, etc.), dédiées souvent à des personnalités connues (The Earl of Derby’s Galliard ; Sir John Smith his Almaine ; Mrs. Winter’s Jumpe, etc.). Enfin, de 1604 datent les célèbres Lachrymae, série de 21 danses à cinq parties avec luth. Mais, malgré la qualité de cette oeuvre instrumentale, ce sont surtout les Ayres qui constituent un événement de première importance dans l’histoire de la musique vocale. Robert, luthiste anglais (Londres 1586 - id ? 1641). Fils du précédent, il prit la suite de son père à la cour de Charles Ier. Il composa quelques pièces pour luth et publia, en 1610, deux anthologies : A Musicall Banquet (airs de plusieurs pays dont la France) et Varietie of Lute-Lessons (pièces pour luth et deux commentaires sur cet instrument). DOXOLOGIE. Mot grec signifiant « parole de gloire », par lequel on désigne, dans les chants et prières de l’Église chrétienne, des formules de louange simples ou développées, soit indépendantes, soit accolées à d’autres pièces, le plus souvent en conclusion. Pour lutter contre les hérésies hostiles au dogme trinitaire, notamment l’arianisme au IVe siècle, on multiplia très tôt les doxologies adressées aux trois personnes divines, telles que le Gloria Patri à la fin des psaumes, et l’usage de terminer les chants versifiés par une strophe doxologique, elle aussi trinitaire, se répandit non seulement pour les hymnes, mais aussi pour de nombreuses autres pièces. DOYEN (Jean), pianiste et compositeur français (Paris 1907 - id. 1982). Élève, au Conservatoire de Paris, de L. Diémer et de M. Long, il obtint son premier prix de piano en 1922. Il étudia ensuite le contrepoint et la fugue avec Georges Caussade, et la composition, avec Paul Vidal et Henri Busser. En 1937, il reçut le prix Gabriel-Fauré. En 1941, il fut nommé professeur de piano au Conservatoire de Paris, succédant à Marguerite Long. Artiste racé, il est l’un des plus grands interprètes de la musique française de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, et, par-dessus tout, de Fauré et Ravel. Il est, d’autre part, l’auteur d’une Suite pour quatuor à cordes, d’un Concerto pour piano et orchestre, de Rondels pour 4 voix mixtes a cappella, d’un Requiem et de Marine, pour quatuor à cordes et quatuor vocal féminin. DRAESEKE (Felix August Bernhard), compositeur allemand (Coburg 1835 Dresde 1913). Après des études au conservatoire de Leipzig, il se lia aux milieux lisztiens, occupa des postes à Berlin et à Dresde, puis enseigna le piano à Lausanne (1863-1874) et à Genève (1875). Rentré en Allemagne en 1876, il devint, en 1884, professeur de composition au conservatoire de Dresde. D’abord influencé par Liszt et Wagner, il s’orienta ensuite comme compositeur vers une sorte de néoclassicisme qui lui fit écrire, en 1906, un violent article polémique contre Richard Strauss (Die Konfusion in der Musik). On lui doit notamment quatre symphonies, dont Tragica (no 3, 1886) et Comica (no 4, 1912), de la musique de chambre et pour piano dont une Sonata en ut dièse mineur (1862-1867), des oeuvres vocales dont les trois oratorios Christi Weihe, Christus der Prophet et Tod und Sieg des Herrn (1895-1899), et des opéras parmi lesquels König Sigurd (18531857), Herrat (1877-1879), Gudrun (18791884) et Merlin (1900-1905). DRAGHI, famille de musiciens italiens. Antonio, compositeur (Rimini 1635 Vienne 1700). Auteur d’opéras prolifique, il fut également chanteur et poète. Il mena à Vienne l’essentiel de sa carrière et y exerça une grande influence sur la vie musicale. Kapellmeister de la cour en 1659, il fut nommé, en 1673, intendant de la musique de théâtre de l’empereur Léopold Ier et Kapellmeister de l’impératrice Éléonore de Gonzague. En trente-huit ans, il composa 67 opéras, 116 fêtes et sérénades, 37 oratorios, des hymnes, 2 messes et des cantates. Il écrivit lui-même certains de ses livrets d’opéras. Carlo Domenico, organiste et fils du précédent (Vienne 1669 - id. 1711). D’abord élève de Ferdinand Richter, il fut, après un séjour d’apprentissage en Italie, nommé organiste à la chapelle de la cour à Vienne. Il laissa quelques airs de sa composition. Giovanni Battista, claveciniste et organiste (v. 1640-1708). Il fut peut-être le frère d’Antonio et s’établit en Angleterre, où il devint organiste de la reine (1673) puis de Jacques II (1687). On connaît de lui un recueil de Six Selected Suites of Lessons, destinées à être jouées au clavecin et publiées peu avant sa mort par Walsh à Londres. DRAGONETTI (Domenico), contrebassiste et compositeur italien (Venise 1763 - Londres 1846). Il apprit en autodidacte le violon, puis la contrebasse, joua de ce dernier instrument dans divers orchestres de sa ville natale à partir de l’âge de treize ans, et, en 1794, partit pour Londres, qui devait rester sa résidence principale. Il joua au King’s Theatre aux mêmes concerts que Haydn. En 1798 et en 1808, il se rendit à Vienne jouant devant Beethoven la sonate pour violoncelle et piano op. 5 no 2 de ce dernier. Il se produisit beaucoup en association avec le violoncelliste Robert Lindley. La contrebasse de Dragonetti (qui jouait aussi volontiers du violoncelle) fut comparée en son temps à un lion apprivoisé ayant perdu sa férocité, mais conservé toute sa force et toute sa grandeur. Il écrivit pour son instrument des pièces diverses en solo ou avec accompagnement de piano ou d’orchestre, au moins huit concertos et plus d’une trentaine de quintettes. DRAME. Il peut être héroïque, joyeux, larmoyant, lyrique, musical, romantique, sacré ou populaire, etc., toutes expressions qui se substituent au mot opéra lorsqu’une oeuvre chantée destinée à la représentation théâtrale (ou liturgique) semble ne correspondre à aucune des données qu’implique normalement le mot opéra. La dénomination de drame est, en principe, expressément indiquée par les auteurs, mais elle n’est parfois que le fruit d’une tradition postérieure. Le drame liturgique, forme précise sans rapport avec l’opéra et très antérieure à lui, est ici laissé à part. Avant que le terme générique « opéra » n’ait été consacré par l’usage, des appellations telles que fable en musique, représentation sacrée, comédie pastorale, action musicale, tragédie lyrique, drame sacré, etc., s’appliquèrent à l’oeuvre musicale dans son ensemble, alors que dramma per musica désignait seulement, au XVIIe siècle, le poème dramatique destiné à être mis en musique. Néanmoins, à la fin du XVIIIe siècle, certains compositeurs italiens, notamment Salieri et Sacchini, utilisèrent dramma per musica comme équivalent d’opéra. De son côté, le terme « drame sacré », sans frontières bien nettes, fut appliqué à certains oratorios (sans doute en fonction de leur éventuelle mise en scène théâtrale), mais aussi - et encore au XIXe siècle - aux opéras dont le sujet s’apparentait à l’Ancien et au Nouveau Testament. Plus tard, « drame » devint antinomique d’« opéra », lorsque ce dernier mot apparut comme lié à une tradition et à un genre où prédominait l’élément musical au détriment du poème auquel il dictait ses structures. C’est prédownloadModeText.vue.download 319 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 313 cisément une attitude opposée qu’avaient adoptée les rationalistes du XVIIIe siècle, qui, estimant que le mot opéra désignait, étymologiquement, une « oeuvre » totale, fixèrent des distinctions assez nettes entre les structures de genres dits opera seria, opera semi-seria, opera buffa, opéra-comique, tragédie lyrique, etc. ( ! OPÉRA.) D’autre part, des poèmes de Métastase mis en musique de façon très conventionnelle, autour des années 1750, par Adolf Hasse et par Gluck parurent respectivement sous les titres de Drame et de Drame musical ; c’est par cette dernière expression que, en 1770, le musicologue anglais Charles Burney désignait l’opéra, cependant qu’en Italie, depuis Jommelli, le terme melodramma avait commencé à s’imposer - et cela pour plus d’un siècle comme équivalent d’opéra. DRAMMA GIOCOSO, MELODRAMMA GIOCOSO. L’épithète giocoso (« joyeux ») fut employée dès le dernier tiers du XVIIIe siècle par Piccini, Haydn, Sarti, Paisiello, Salieri, Mozart, etc., pour désigner certains opéras semi-seria où se mêlaient des éléments gais et tristes. Le terme était, en réalité, impropre, dans la mesure où il s’agissait d’oeuvres bâties selon les structures de l’opera buffa ou semi-seria, mais dont le sujet présentait des éléments pathétiques ou mêmes tragiques (Don Juan de Mozart). Rossini utilisa également le terme dramma buffo (le Turc en Italie), et les appellations dramma giocoso ou melodramma giocoso survécurent jusqu’au milieu du XIXe siècle avec Verdi et les frères Ricci. DRAME LARMOYANT, COMÉDIE LYRIQUE OU HÉROÏQUE. L’expression « drame larmoyant », qui appartenait plus au théâtre parlé (Diderot, Beaumarchais, mais aussi Sedaine) qu’au théâtre lyrique, désignait un genre sentimental et pathétique à dénouement heureux, que l’on nomme également « pièce à sauvetage » ou « opéra-rédemption » et dont les poèmes furent mis en musique par les compositeurs français d’opéras-comiques de la fin du XVIIIe siècle, bientôt imités par les Italiens et par les Allemands durant les premières années du XIXe siècle. Bien qu’aucune oeuvre lyrique ne porte expressément cette mention (mais plutôt opéra, drame ou comédie « héroïque »), on range dans cette catégorie le Déserteur de Monsigny, sur un livret de Sedaine (1769), et, plus tard, les divers ouvrages lyriques écrits sur les livrets de Lodoïska et du Porteur d’eau, ainsi que sur l’Amour conjugal de Bouilly. DRAME LYRIQUE, DRAME MUSICAL. Les étrangers retiennent généralement le terme « drame lyrique » comme un équivalent français de l’expression opera seria. Prise à la lettre, on relève cette appellation notamment chez Gluck (Alceste), Grétry (Guillaume Tell), Verdi (Ernani, etc.), Halévy (le Val d’Andorre), Gounod (Faust), Thomas (Mignon), Marchetti (Ruy Blas). Elle se rencontre plus fréquemment encore après 1880 et figure par exemple sur les partitions d’Othello de Verdi, Werther de Massenet, l’Attaque du moulin de Bruneau, Pelléas et Mélisande de Debussy, Résurrection d’Alfano, Macbeth de Bloch, Lodoletta de Mascagni, le Fou de Landowski, etc. D’autre part, le terme drame musical fut employé par Landi (San Alessio, 1634), par Cavalli (Giasone, 1649), par Haendel et Gluck et, enfin, par Wagner, mais seulement à propos de Tristan et Isolde, cependant que Moussorgski, après avoir baptisé opéra Boris Godounov, n’hésita pas à appeler sa Khovanchtchina « drame musical populaire ». LA SÉPARATION ENTRE OPÉRA ET DRAME. En fait, plutôt que de rechercher un quelconque lien entre ces oeuvres aux dénominations souvent dues au hasard et que rien, jusqu’en 1860, ne permettait de différencier des autres opéras venant des mêmes compositeurs, il semble opportun d’examiner les causes de la séparation intervenue soudain entre opéra et drame (lyrique ou musical). Bien que très réticent à souscrire au terme de drame musical, Wagner, dans son traité Opéra et Drame (1851), présenta ces deux concepts comme antinomiques : le premier définissant un genre constitué de morceaux successifs où la musique, en dictant le choix des structures, prévalait sur le texte et, selon Wagner, empêchait toute unité dramatique ; le second impliquant, au contraire, que le poème, expression de l’idée, impose ses lois à la musique, devenue commentaire et prolongement du texte, avec ses structures libres ou « ouvertes » (ce que les adversaires d’un tel concept considérèrent, quant à eux, comme une absence de structures). Il s’agissait donc là de divergences qui concernaient non seulement la structure, mais l’éthique même de l’oeuvre lyrique : un siècle plus tôt, Gluck avait préconisé de « réduire la musique à sa véritable fonction, celle de seconder la poésie », cependant que Mozart affirmait que « la poésie devait être la fille obéissante de la musique ». On retient donc que la structure n’est pas un élément suffisant pour déterminer l’esprit du drame musical, dans la mesure où la juxtaposition des airs, duos et ensembles - dans Don Juan ou Cosi fan tutte de Mozart - aboutit à une plus grande unité organique du drame que l’enchaînement artificiel des scènes de Tannhäuser ou Lohengrin de Wagner. D’autre part, les grands blocs continus que l’on rencontre dans les opéras de Rossini et, surtout, de Bellini, ne peuvent d’aucune manière être considérés comme relevant du drame musical, cependant que Tristan et Isolde nous apparaît aujourd’hui comme devant son unité davantage à la musique qu’au poème. Wagner a parfaitement atteint son idéal dans l’Or du Rhin (1854, 1re représentation Munich, 22 sept. 1869), oeuvre qui ne présente aucune solution de continuité et où il est virtuellement impossible d’isoler un monologue ou un duo construits en tant que tels. On peut donc considérer que cette conception désigne le drame musical comme une oeuvre lyrique où prévaut l’élément symphonique et où il est difficile d’isoler un monologue ou un ensemble nettement architecturé au sein d’un discours musical « continu ». On ne saurait toutefois réduire le drame musical à ces seuls problèmes de technique : Puccini, par exemple, paraîtrait alors plus proche du genre que Debussy. Il faut aussi considérer son éthique, qui est non seulement un refus délibéré de la logique vocale du monde latin et une large préférence accordée au chant déclamé, mais encore une ambition avouée s’exprimant dans un choix de thèmes littéraires, historiques, philosophiques (cette ambition a d’ailleurs souvent laissé l’oeuvre en deçà des buts proposés). Ainsi, au-delà du postromantisme germanique qui fut son terrain d’élection, le drame musical rejoint-il le drame lyrique français avec les oeuvres des franckistes : Chausson, d’Indy, Magnard, Ropartz, Rabaud, Debussy et Fauré. Audelà, certaines oeuvres comme Wozzeck, d’Alban Berg, s’inscrivirent encore dans la descendance du drame musical, mais présentent pourtant, dans la forme, un retour aux structures isolées. Ce retour est l’un des traits de l’opéra du XXe siècle, qui, une fois passée la vague romantique, a très souvent cherché à retrouver l’esprit de l’oeuvre d’art classique. DRAME LITURGIQUE. Nom donné, au XIXe siècle, à des éléments non officialisés souvent introduits dans la liturgie depuis le IXe siècle, visant à donner une représentation figurative à des textes chantés greffés sur la liturgie officielle ( ! OPÉRA). Une extension plus récente fait parfois employer le terme pour désigner, dans les religions non chrétiennes, des manifestations du culte présentant un caractère de figuration dramatique. Considéré avec raison comme l’origine du théâtre occidental, le drame liturgique s’est formé de manière progressive autour de 2 thèmes principaux : le cycle de Noël et le cycle de Pâques. Le premier a pour noyau une prophétie apocryphe de la naissance du Christ, attribuée à la sibylle et insérée dans une leçon de matines. On a d’abord personnalisé la sibylle en invitant un chantre distinct à venir chanter sa prophétie en vêtements appropriés, puis on lui a adjoint d’autres prophètes, enfin on a composé des scènes entières chantées et downloadModeText.vue.download 320 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 314 jouées sur des thèmes prophétiques de la venue du Christ (Sponsus à Limoges, Jeu de Daniel à Beauvais). Avec ce dernier, ces représentations accentuent leur mise en scène, font appel à des étudiants ; avec le Jeu d’Adam et Ève du manuscrit de Tours, elles se détachent de l’office, quittent le choeur pour le parvis, abordent entre les chants liturgiques un dialogue parlé en vers français : le théâtre proprement dit est prêt à se séparer du drame liturgique (XIIe s.). Le cycle de Pâques, en revanche, n’a jamais quitté l’office. Il a pour noyau un trope d’introït comportant un dialogue entre l’ange et les saintes femmes au tombeau du Christ (Quem queritis in sepulchro ?, « Qui cherchez-vous dans le sépulcre ? »). Ce dialogue, transporté à matines, réparti entre des personnages chantant et jouant, se vit progressivement amplifié jusqu’à englober toute l’histoire de la Résurrection, et devint un prototype sur lequel se greffèrent d’autres actions, y compris Noël (Quem queritis in presepe ?, « Qui cherchez-vous dans la crèche ? »), sans toutefois déborder le cadre et l’usage local. Les historiens littéraires divisaient autrefois le drame liturgique en liturgique (latin), semi-liturgique (vernaculaire) et profane. Ces critères, exclusivement littéraires ou scéniques, sont aujourd’hui à peu près abandonnés, le drame liturgique justifiant son existence dans le cadre de l’office et ne méritant plus son nom en dehors de lui. Sa conception, fondée sur cette insertion (cf. Te Deum terminal de matines chanté par les acteurs), est celle des actes liturgiques à base de chants, gestes et costumes symboliques et non de mise en scène réaliste comme elle le deviendra par la suite. DRAMMA PER MUSICA. Comme son équivalent français « drame musical », ce terme peut laisser planer une certaine équivoque dans la mesure où il désigna, à l’origine, un poème tragique exclusivement destiné à être mis en musique, puis par extension, le drame mis en musique lui-même. Au XVIIe siècle, le dramma per musica désignait essentiellement ce que nous nommons aujourd’hui livret, mais, à la fin du XVIIIe, quelques compositeurs, notamment Salieri ou Sacchini, l’adoptèrent également pour qualifier certains de leurs opéras, en particulier lorsque le poème était dû à un auteur célèbre tel que Métastase, devant lequel ils manifestaient ainsi leur humilité de compositeur. DREYFUS (Huguette), claveciniste française (Mulhouse 1929). Elle fait ses études musicales à ClermontFerrand, puis à Paris à l’École normale et au Conservatoire national. Elle se passionne ensuite pour le clavecin et devient l’élève de Ruggiero Gerlin à l’Accademia Chigiana de Sienne (1953-1957). Elle fait ses débuts à Paris en 1960. Depuis cette date, Huguette Dreyfus est une concertiste de renommée internationale, dont les interprétations font autorité aussi bien dans la musique française que dans les oeuvres de J.-S. Bach. Elle collabore régulièrement avec l’orchestre Paul-Kuentz, le violoniste Eduard Melkus et le flûtiste Christian Lardé. Elle enseigne à la Schola cantorum le clavecin et, à l’université de Paris-Sorbonne, la réalisation de la basse continue. DROGOZ (Philippe), compositeur français (Berck-sur-Mer 1937). Il a étudié les mathématiques (1955-1958) et la musique aux conservatoires de Toulouse (1955-1958) et de Paris (1958-1968). Dans ce dernier établissement, ses maîtres furent notamment André Jolivet et Jean Rivier (composition) et Olivier Messiaen (analyse). Second grand prix de Rome (1967), il a enseigné dans les écoles de la Ville de Paris (1962-1964) et au conser- vatoire de Bobigny (1969-1975), et il est depuis 1970 professeur et responsable de l’Atelier de recherche musicale du conservatoire de Montreuil. Membre du G. E. R. M. de 1968 à 1973, il s’est signalé dès la fin de ses études comme une personnalité totalement indépendante, suivant, sans souci des modes et des écoles, un cheminement personnel, alternativement rigoureux et fantaisiste. Il a orienté ses recherches à la fois sur la forme, les combinaisons de timbres instrumentaux et électroniques, la relation compositeurinterprète et sur la musique de film et le théâtre musical, participant pour ce dernier point à la création du groupe 010. On lui doit, parmi une production abondante, Antinomies I pour 12 cordes (1967), Antinomies II pour orchestre (1969) et Antinomies III pour instruments (1969), la musique pour le film Un homme qui dort (1973), la pièce radiophonique Au château d’Argol (1970), et sur le plan du théâtre musical Lady Piccolo et le Violon fantôme (1976), Mais où est passée lady Piccolo (1976-77) et Yo ou l’Opéra solitaire (1979). DROTTNINGHOLM. Château royal en Suède doté d’un théâtre édifié en 1764-1766 et très utilisé sous le règne de Gustave III. Restauré en 1922, ce théâtre abrite depuis 1948 des saisons estivales d’opéra (Mozart, Haydn, Haendel, Gluck, Paisiello, Grétry). De tous ceux actuellement en activité dans le monde, c’est le seul dont la machinerie et les décors remontent au XVIIIe siècle. DROUET (Jean-Pierre), percussionniste et compositeur français (Bordeaux 1935). Premier Prix de trompette du conservatoire de Bordeaux, il obtient un premier prix de percussion au Conservatoire de Paris en 1958. Il travaille la composition avec René Leibowitz, Jean Barraqué, Michel Puig et André Hodeir, et, souhaitant devenir musicien de jazz, joue avec Kenny Clarke et Lester Young. Sa rencontre avec Luciano Berio, en 1960, le décide à se consacrer à la musique contemporaine. Il participe aux concerts du Domaine musical, aux festivals de Darmstadt, Royan, Metz, Donaueschingen, La Rochelle, appartient à l’ensemble Musique vivante, collabore à de nombreuses créations. Il s’intéresse vivement aux percussions extra-européennes : zarb, tablas. Curieux des rapports entre musique et spectacle, il compose des musiques de scène et plusieurs ballets. Se tournant vers la pédagogie, il écrit une série d’oeuvres de musique de chambre pour percussions, à l’intention des exécutants de tous niveaux. Mais il n’interrompt pas pour autant sa propre carrière de percussionniste, où il brille en particulier dans l’art de l’improvisation. DROUET (Louis), flûtiste et compositeur français (Amsterdam 1792 - Berne 1873). Premier flûtiste de Louis Bonaparte, roi de Hollande, en 1808, puis de Napoléon en 1811, il fut ensuite membre de la chapelle de Louis XVIII. Il se rendit à Londres en 1817, et fut nommé en 1840 maître de chapelle à Cobourg. Ses tournées le menèrent jusqu’aux États-Unis. Surnommé le « Paganini de la flûte », il composa essentiellement pour son instrument. DRUCKMANN (Jacob), compositeur américain (Philadelphie 1928). Élève d’A. Copland à Tanglewood (194950), il a étudié ensuite à la Juilliard School (av. 1954-1956) et à l’École normale de musique de Paris (1954-55), puis, en 1965, au Centre de musique électronique de Columbia-Princeton, avant d’y travailler lui-même à partir de 1967. Il a écrit, entre autres, Dark upon the Harp pour mezzosoprano, quintette de cuivres et percussion (1962), The Sound of Time pour soprano et orchestre sur des textes de Norman Mailer (1965), Animus I pour trombone et bande (1966), II pour mezzo-soprano, deux percussionnistes et bande (1969), et III pour clarinette et bande (1969), et publié, dans la Juilliard Review, Stravinsky’s Orchestral Style (1957). DÜBEN, famille de musiciens allemands puis suédois des XVIe et XVIIe siècles. Parmi les nombreux compositeurs de cette famille, il faut citer. downloadModeText.vue.download 321 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 315 Andreas I (Lützen 1558 - Leipzig 1625). Il fut organiste à Wurtzen et à Saint-Thomas de Leipzig. Andreas II, fils du précédent (v. 1597 Stockholm 1662). Élève de Sweelinck, il fut organiste de la cour de Suède (1621), puis maître de la chapelle royale (1640). Gustav I, fils d’Andreas II, organiste et compositeur (Stockholm v. 1628 - id. 1690). Il entre à la chapelle royale en 1647, puis en devient maître en 1663, année où il succède à son père. Il est surtout connu pour sa collection de manuscrits autographes et d’éditions imprimées (environ 1 500 oeuvres vocales et 300 oeuvres instrumentales tant allemandes que françaises et italiennes, et dont beaucoup sont des unica), conservée à la bibliothèque d’Uppsala (Dübensamlingen). La dynastie des Düben se poursuit avec Gustav II (1660-1726) puis Anders (1673-1738) qui se succèdent au poste de leur père Gustav I. DUBOIS (François Clément Théodore), compositeur francais (Rosnay, Marne, 1837 - Paris 1924). Il fit ses études à Reims, puis au Conservatoire de Paris avec Marmontel, Benoist, Bazin et Ambroise Thomas. En 1861, il obtint le grand prix de Rome avec la cantate Atala. Il devint maître de chapelle à Sainte-Clotilde et composa les Sept Paroles du Christ (1867). Puis il fut nommé maître de chapelle à la Madeleine où il succéda à Saint-Saëns comme organiste en 1877. Au Conservatoire de Paris, il fut professeur d’harmonie (1871), professeur de composition (1891) et directeur de 1896 à 1905. Ses oeuvres, très nombreuses (3 symphonies, des concertos, 2 quatuors à cordes, de la musique religieuse, etc.), sont pour la plupart aujourd’hui oubliées ; en revanche, son Traité d’harmonie (Paris, 1921 et 1968) sert toujours de référence. DUBOIS (Pierre-Max), compositeur français (Graulhet, Tarn, 1930 - Paris 1995). D’abord inscrit au conservatoire de Tours, il est, au Conservatoire de Paris, l’élève de Darius Milhaud pour la composition. Grand Prix de Rome en 1955, Grand Prix musical de la Ville de Paris en 1964, il s’en tient à la tradition mélodique et tonale sans se laisser influencer par les courants de la recherche. On lui doit, notamment, de nombreuses pièces de musique instrumentale, des concertos, des chansons, un opéra (les Suisses, 1972), un opéra bouffe (Comment causer, 1970), une cantate et trois ballets. DUBROVAY (László), compositeur hongrois (Budapest 1943). Il fait ses études au conservatoire BélaBartók, puis à l’académie F.-Liszt de Budapest jusqu’en 1966. Nommé professeur au conservatoire de Drama, il part comme assistant à l’Opéra de Hambourg (1971-72), puis étudie la composition à Cologne avec Karlheinz Stockhausen. À ses premières partitions, instrumentales et surtout chorales, succèdent des oeuvres électroacoustiques, à partir de Klänge für Orgel (1972). DU CAURROY (François Eustache), compositeur français (Beauvais 1549 - Paris 1609). Chantre à la chapelle royale (1569), lauréat du prix d’Évreux en 1575, il fit une brillante carrière au service de la royauté comme maître de chapelle adjoint (1578), compositeur de la Chambre du roi (1595), puis surintendant de la musique, charge qu’Henri IV créa pour lui. Parallèlement, il accumula les prébendes à Dijon, Orléans, Provins, Passy, Saint-Cyr-en-Bourg. À lire les jugements du XVIIe siècle, il était tenu en haute estime et considéré comme un exemple « pour la grande harmonie de sa composition et de son riche contrepoint » (Mersenne). De fait, ses motets révèlent un usage savant du contrepoint traditionnel acquis, de son propre aveu, « par la lecture des bons auteurs et la pratique des anciens », bien qu’il y ait introduit le double choeur. Influencé par Claude Le Jeune, il accorde une place à la musique mesurée à l’antique. Cette tendance, qui apparut tardivement (1609), était peut-être due à la publication du Printemps par Cécile Le Jeune (soeur de Claude) en 1603. À vrai dire, Du Caurroy ne réussissait que médiocrement à illustrer cette tentative dans les quinze chansons mesurées qu’il inséra dans son livre de Meslanges (1610). Son goût du contrepoint strict éclata tout particulièrement dans les 42 Fantaisies pour violes en forme de ricercar qui ne furent publiées qu’en 1610. Lorsqu’il composa à partir d’un cantus firmus, chaque fragment du thème reçut un développement d’une grande ampleur. Le cantus firmus lui-même était souvent emprunté, parfois de sa propre inspiration. Il donna prétexte à des divertissements fugués à moins que ce cantus firmus ne fût devenu un élément fondamental du grand choral contrapuntique que les organistes allemands comme Pachelbel ou Buxtehude imposèrent. Du Caurroy fut l’auteur d’une cinquantaine de motets, dont un Te Deum à 6 voix (1609) et de psaumes. Sa Messe pour les défunts à 5 voix (1606) servit par la suite de messe de requiem lors d’obsèques royales (Henri IV, Louis XIII). DUCHABLE (François-René), pianiste français (Paris 1952). Au Conservatoire de Paris, il étudie avec J. Benvenutti et M. Giraudeau-Basset. Il remporte, en 1968, un 1er Prix au Concours Reine Élisabeth de Belgique et en 1973 le Prix de la Fondation Sacha Schneider. Cette même année, il est remarqué par Arthur Rubinstein, qui l’encourage chaleureusement et l’aide à obtenir ses premiers engagements internationaux. En 1980, il donne plusieurs concerts avec l’Orchestre philharmonique de Berlin dirigé par Herbert von Karajan ; il est alors très rapidement reconnu en Allemagne. Passionné par les oeuvres de Chopin et de Liszt, il est aussi un grand interprète de Beethoven. Son enregistrement des Études de Chopin a été couronné en 1981 par le Grand Prix de l’Académie Charles-Cros. Son intégrale de l’oeuvre concertante de Poulenc a reçu en 1986 le Grand Prix de l’Académie du disque français. DU CHEMIN (Nicolas), éditeur français (Sens v. 1520 - Paris 1576). Libraire à Paris dès 1540, il publia entre 1549 et 1576 plus de cent livres de musique en collaboration avec les compositeurs Nicole Reynes (1548-1551), Claude Goudimel (1551-1555), Loys Bisson (1561-1567) et Henry Chandor (1576). Son catalogue se composait d’au moins 41 messes (1552-1568), 73 motets, 178 psaumes, 176 pièces instrumentales et 693 chansons, production qui parut entre celles d’Attaingnant et de Le RoyBallard. Il comprenait, à côté d’ouvrages théoriques, des oeuvres d’artistes provinciaux, Cléreau, Colin ou Manchicourt, et de musiciens étrangers, comme l’Espagnol Francisco Guerrero. DUCOL (Bruno), compositeur français (Annonay 1949). Il a fait ses études musicales à Lyon puis au Conservatoire de Paris (où il a obtenu le premier prix de composition en 1977) avec Claude Balliff, Olivier Messiaen, Pierre Schaeffer et Guy Reibel. Parti de techniques post- ou parasérielles, il a ensuite orienté ses recherches surtout vers la grande formation orchestrale et le théâtre lyrique. On lui doit notamment Metalayi I pour orchestre (1976-77) et Horizons vertigineux pour piano (1978). On lui doit encore Metachronie pour soprano et petit orchestre (1972), Blaue Hochzeit pour orgue et ensemble de cuivres (1974), une Sonate pour flûte et piano, Écoute le vent des rêves, action musicale et dramatique (1976), Points flous pour 8 instrumentistes (1978), Scène I pour guitare électrique et bande magnétique (1977), Scène II pour ensemble d’instruments électroniques et bande (1979), Praxitèle, opéra de chambre (1980-1986), Metalayi no 3, concerto pour piano et orchestre (1990), l’opéra les Cerceaux de feu (1991). Il a été boursier de la villa Médicis à Rome en 1981-1983. downloadModeText.vue.download 322 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 316 DUFAUT (DU FAULT ou DU FAULX), luthiste et compositeur français (milieu du XVIIe s.). On ignore presque tout de sa vie. Et il serait totalement inconnu s’il n’avait laissé douze pièces dans la Tablature de luth de différents autheurs sur des accords nouveaux, publiées chez P. Ballard en 1631, et d’autres pièces manuscrites éparpillées dans les bibliothèques de Paris, Besançon, Berlin, Rostock, Vienne, souvent des danses pourvues de sous-titres qui seront bientôt chers aux clavecinistes français ; on trouve également des « tombeaux », pièces dédicacées à la mémoire d’un ami, d’un poète ou d’un autre musicien. Il semble que Dufaut ait beaucoup voyagé ; en tout cas, on le rencontre en Angleterre en 1669. Vers 1630, il est, à Paris, l’élève du luthiste Denis Gaultier que l’on reconnaît souvent dans son style. Comme la plupart des grands musiciens français, Dufaut possède le goût d’une harmonie savante qui demeure néanmoins discrète et raffinée. DUFAY (Guillaume), compositeur français (Hainaut v. 1400 - Cambrai 1474). Son lieu de naissance reste imprécis : peut-être Chimay ou Cambrai. Il reçoit sa formation musicale au diocèse de Cambrai comme puer altaris. Cambrai est à l’époque un important centre de musique religieuse, connu jusqu’au Vatican qui en fait venir des musiciens. Les maîtres de Dufay sont V. Bréion, N. Malin, R. de Locqueville, compositeurs intermédiaires entre l’Ars nova de G. de Machaut et l’école franco-flamande dont Dufay va être le premier grand représentant. Sa vie peut se partager en quatre périodes : apprentissage à Cambrai (jusqu’en 1419), période italienne (jusqu’en 1437), période itinérante entre plusieurs cours (jusqu’en 1450) et retour définitif à Cambrai. Ayant fait partie, à l’âge de dix-sept ans, de la suite de l’évêque Pierre Dailly au concile de Constance, Dufay y rencontre Carlo Malatesta qui le prend en 1419 à sa cour de Rimini. Il y reste jusqu’en 1428. De cette époque datent ses premiers motets, dont Apostolo glorioso. En 1427, il est ordonné prêtre. Pendant cinq ans (14281433), il séjourne à Rome où il retrouve un autre Cambraisien, Nicolas Grenon. À la suite d’une insurrection, le pape est obligé de se réfugier à Florence où Dufay le suit. En 1433-1435, on le voit à Chambéry, à la cour de Savoie, qui est un centre d’échanges entre la France et l’Italie. Il revient à Florence et, en 1436, compose pour l’inauguration du Dôme le motet Nuper rosarum flores. La même année, il reçoit un canonicat pour Cambrai, mais avant de s’y fixer, il va passer douze années partagé entre plusieurs cours : celle de Ferrare, celle de Savoie, celle de Bourgogne, où est établi son illustre contemporain et ami Gilles Binchois. Il acquiert au cours de ces années une notoriété considérable et jouit de l’estime et des faveurs de plusieurs monarques (Charles VII, Louis XI). De retour à Cambrai, il s’occupe d’une maîtrise d’enfants. Cette dernière période de sa vie est musicalement la plus productive. La musique de Dufay est la résultante de plusieurs influences complémentaires : l’art français de Machaut, dont il a certainement connu les oeuvres, la « contenance angloise » de Dunstable, importante par les innovations harmoniques qu’elle a introduites (prédominance de la tierce), enfin l’influence italienne due à ses voyages. Compositeur très éclectique, Dufay a joué un rôle également important dans la musique profane et la musique religieuse. La première plaît par son naturel, sa spontanéité mélodique, sa sensibilité. La seconde vaut par l’élaboration de son écriture, par sa solidité et par son sens de la grandeur religieuse. Les chansons de Dufay (virelais, ballades et surtout rondeaux) sont au nombre de 83, dont 8 sur des textes italiens. Le virelai, qui est une chanson à danser, est à deux voix, une voix mélodique et une teneur. Les ballades et les rondeaux sont pour la plupart à trois voix, la voix supérieure étant chantée et les deux autres souvent confiées à des instruments. Les ballades de Dufay (Resveillez-vous et faites chière lie, C’est bien raison, J’ay mis mon coeur et ma pensée) sont numériquement moins importantes que les rondeaux, car ce genre était en déclin à cette époque, de même que le virelai. Le rondeau, au contraire, atteint son apogée au milieu du XVe siècle chez Dufay (La plus mignonne de mon coeur, Donnez l’assaut à la forteresse, Adieu m’amours), de même que chez Binchois. Dans ses 76 motets, ses fragments de messes et ses messes entières, Dufay montre le désir de s’émanciper des excès d’artifices de l’Ars nova, en simplifiant l’écriture mais aussi en privilégiant l’expression. Toutefois, dans les motets écrits avant 1446, il conserve encore le principe de la teneur isorythmique. De plus en plus, la voix dominante ne va plus être le ténor mais le supérius, qui conduit la mélodie, et on remarque très nettement une tendance à l’écriture en imitation. Le madrigalisme commence à faire son apparition. Dans certains cas, Dufay indique des parties instrumentales obligées (par exemple, les trombones dans le Gloria ad modum tubae). La superposition de plusieurs textes, courante dans les motets de l’Ars nova, se retrouve parfois : ainsi dans le motet Ecclesiae militantis écrit pour l’intronisation du pape Eugène IV (1431), les cinq voix possèdent des textes différents ; ou la célèbre Lamentation de Constantinople (1454), dans laquelle un fragment latin des Lamentations de Jérémie est superposé à un texte français. Les neuf messes intégrales de Dufay sont écrites sur diverses teneurs, profanes, inventées ou liturgiques. Les teneurs profanes sont fournies par des thèmes de chansons populaires comme Se la face aye pale ou l’Homme armé : cette dernière doit, par la suite, être reprise par de nombreux compositeurs, dont Ockeghem et Josquin, et, même, au XVIIe siècle par Carissimi. En 1463 et 1464, Dufay écrit ses deux dernières messes, Ecce Ancilla Domini et Ave Regina caelorum, sur des teneurs liturgiques empruntées à des antiennes à la Vierge. Avec Dufay commence l’une des grandes époques de la musique française : l’école franco-flamande, issue de la guerre de Cent Ans et dont le rayonnement reste constant jusqu’à la fin du XVIe siècle, dominant toute la musique occidentale. DUFOUR (Denis), compositeur français (Lyon 1953). Très fécond, il s’illustre aussi bien dans le domaine de la musique « acousmatique » (électroacoustique) que dans celui de la musique instrumentale, mais c’est dans la première qu’il reste le plus réputé, grâce à des oeuvres comme la « suite concrète » Bocalises (1977, à partir de sons tirés de bocaux de verre), ou la Messe à l’usage des vieillards (1986-87), une de ses nombreuses pièces « parlées » intégrant des textes de l’écrivain Tom Aconito. Son style très volubile est caractérisé par une grande invention sonore sur le plan du détail, inscrite dans des formes souvent larges et détendues, presque nonchalantes. Membre de l’I.N.A.-G.R.M. (Groupe de recherches musicales), il a également joué un rôle significatif comme professeur de composition au C.N.R. de Lyon et à Perpignan, et a lancé le festival de musique acousmatique « Futura ». DUFOURCQ (Norbert), musicologue français (Saint-Jean-de-Braye 1904 Paris 1990). Élève d’André Marchal et d’Amédée Gastoué, archiviste-paléographe (1928), docteur ès lettres (1935), professeur d’histoire de la musique au Conservatoire de Paris (1941-1975), organiste de l’église SaintMerri depuis 1923, Norbert Dufourcq apparaît à la fois comme un spécialiste et comme un généraliste. Par ses travaux personnels et par ceux qu’il a suscités, le spécialiste - qui dirige les revues l’Orgue et Recherches sur la musique française classique, et a publié les oeuvres de Nivers, Dornel, Titelouze, Clérambault, Daquin, Raison et Lebègue - a largement contribué à remettre en valeur l’immense patri- moine de la musique française des XVIIe et XVIIIe siècles. Le généraliste a dirigé d’importants ouvrages collectifs (Larousse de la musique, 1957). Il est, pour la collection Que sais-je ?, directeur des ouvrages d’hisdownloadModeText.vue.download 323 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 317 toire et de technique musicales et a luimême écrit dans cette série plusieurs volumes : l’Orgue (1948), le Clavecin (1949). Ses livres sur l’orgue et sur Bach (Esquisse d’une histoire de l’orgue... et Documents inédits..., 1935 ; J.-S. Bach, le maître de l’orgue, 1948 ; le Livre de l’orgue français. 1589-1789, 1969-1982) et son Histoire de la musique française (1949) témoignent de son esprit de synthèse. DUFOURT (Hugues), compositeur français (Lyon 1943). Il a fait des études universitaires dans sa ville natale, a étudié le piano au conservatoire de Genève, et, de 1965 à 1970, a travaillé la composition avec Jacques Guyonnet et a collaboré avec ce dernier au Studio de musique contemporaine de Genève tout en participant, à Lyon, à l’organisation des concerts du groupe Musique du temps. En 1968, il eut la charge des concerts de musique contemporaine au théâtre de la Cité de Villeurbanne. Agrégé de philosophie en 1967, il a été maître-assistant à l’université Jean-Moulin de Lyon (1971-1979). Il a été ensuite chargé de recherche au C. N. R. S. (1979-1984). Il a été un des responsables du groupe de l’Itinéraire, et a participé en 1977 à la fondation du Collectif de recherche instrumentale et de synthèse sonore (C. R. I. S. S.). Attiré à la fois par les problèmes de la grande forme dynamique et de la lutherie électronique, ce qui le fait s’intéresser en particulier, parmi les maîtres de la première moitié du XXe siècle, à Igor Stravinski et à Edgard Varèse mais aussi à Jean Sibelius, Hugues Dufourt est de ceux qui considèrent que la composition musicale doit aller de pair avec la réflexion théorique, et qui refusent l’incompatibilité entre le parti pris technologique et la capacité de créer et de raisonner. Entre autres tâches ambitieuses, il assigne à la musique d’aujourd’hui celle de maîtriser les nouvelles sonorités - pas seulement l’électroacoustique, mais aussi, voire surtout, les sonorités nées de l’essor prodigieux de la pratique instrumentale par le biais de l’écriture, et de parvenir ainsi à de nouveaux principes d’organisation formelle. Son oeuvre la plus ancienne est Brisants pour piano et 16 instrumentistes (1968). Mura della città di Dite (1969) - au titre emprunté à Dante (Dite, nom de Lucifer, désigne par extension la cité maudite enfouie au centre de la Terre, monde clos où s’abolit la raison du monde) - est une assez brève partition pour 17 instrumentistes (quintette à cordes, vents, percussions, harpe et orgue électronique) en deux parties de caractère opposé, la première heurtée et la seconde immobile. Down to a Sunless Sea pour 16 cordes (1970), au titre extrait d’un poème de Coleridge, est un ouvrage à la mémoire de Carpaccio, écrit « en me remémorant les ors de Venise et l’éclat de sa lagune » (H. Dufourt). Suivit Dusk Light pour 4 chanteurs et 16 instrumentistes (1971). Au festival de Royan de 1977 furent créés Erewhon, vaste « symphonie » pour 150 instruments à percussion (1972-1976), et l’Orage (La Tempesta) d’après Giorgione pour flûte contrebasse et basse, cor anglais et hautbois, clarinette contrebasse et basse, trombone, orgue électrique, vibraphone et guitare électrique (1976-77). Centrée sur des timbres insolites et graves et sur leur expansion volumétrique, cette dernière oeuvre s’inspire des structures de dédoublement du tableau de Giorgione. Antiphysis, pour flûte principale et orchestre de chambre (1978), fut créé au festival de La Rochelle de 1978 dans le cadre du concours de flûte pour la musique contemporaine. Sombre Journée, pour 6 percussionnistes (1976-1977), créé en 1979, faisait à l’origine partie d’Erewhon. Dans Saturne, pour ensemble d’instruments électroniques, 6 percussionnistes et ensemble d’instruments à vent (1979), sorte de monument à la gloire de l’Itinéraire, sont réunis les trois familles instrumentales qui pour le compositeur ont le plus contribué au renouvellement du matériau sonore. Surgir, pour grand orchestre (19801984), hommage à Pierre Boulez pour son 60e anniversaire, résulte d’une commande de l’Orchestre de Paris (création en 1985). Suivirent la Nuit face au ciel, trois pièces en sextuor pour 6 percussionnistes (1984), élément d’une création collective née dans le cadre du Centre Acanthes ; la Mort de Procris pour 12 voix mixtes a cappella (1986), inspirée de Piero di Cosimo ; l’Heure des traces pour 20 instrumentistes (1986), titre emprunté à une sculpture d’Alberto Giacometti ; Hommage à Charles Nègre pour sextuor (1986), musique du film Quai Bourbon, inaugurant avec les deux pièces précédentes, également de 1986, la période « après-Surgir » du compositeur, qui rejoint son monde dit « de jeunesse « ; Plus-oultre pour percussion soliste (1990), où il est à nouveau question de « franchissement des limites « ; L’île sonnante pour percussion et guitare électrique (1990), au titre inspiré de Rabelais ; Noche oscura en quatre parties pour six voix d’hommes a cappella d’après un poème de saint Jean de la Croix (1991) ; le Philosophe selon Rembrandt pour orchestre (1987-1992), deuxième du cycle de quatre pièces pour orchestre actuellement en chantier (cycle des Hivers) ; Quatuor de saxophones (1993) ; The Watery Star pour octuor (1993), d’après The Winter’s Tale de Shakespeare, oeuvre empreinte de « poétique minimaliste « ; An Schwager Kronos pour piano (1994), pièce marquée par la virtuosité ; Dédale, opéra en trois actes sur un livret de Myriam Tanant (Lyon, 1995) ; l’Espace aux ombres pour ensemble (1995). Directeur de recherche au C. N. R. S. depuis 1985, Hugues Dufourt est devenu en 1982 directeur du Centre d’information et de documentation « Recherche musicale » (C.I.D.R.M.), unité mixte du C. N. R. S. bénéficiant du soutien de l’École normale supérieure, de la Direction de la musique au ministère de la Culture et de la Direction de la recherche au ministère de l’Éducation nationale. Il dirige depuis 1989 la formation doctorale « Musique et Musicologie du XXe siècle », accréditée par l’École des hautes études en sciences sociales de Paris et aidée par l’unité pédagogique de l’I.R.C.A.M. Il a soutenu en 1991 sa thèse de doctorat en philosophie et est l’auteur de nombreux écrits dont Musique, Pouvoir, Écriture (1991). DUGAZON (Louise), mezzo-soprano française (Berlin 1755 - Paris 1821). Elle fut la plus célèbre chanteuse d’opéracomique de son temps et créa une soixantaine de rôles. Sa voix était celle d’un mezzo léger, au timbre clair, excellant dans le lyrisme et la douceur plus que dans la virtuosité. Ce genre d’emploi a conservé son nom (« un rôle de dugazon »). Son fils Louis Gustave (1780-1826) fut compositeur. Élève de Gossec, il écrivit quatre opéras-comiques, trois ballets et de nombreuses romances. DUHAMEL (Antoine), compositeur français (Paris 1925). Il a fait ses études au Conservatoire de Paris et surtout avec René Leibowitz, et a participé aux cours d’analyse d’Olivier Messiaen (1945-1950) : de ses préoccupations d’alors, qui le firent envisager également la psychologie et la peinture, témoignent ses Variations pour piano sur l’opus 19 no 6 de Schönberg (1949). Suivirent notamment l’Ivrogne ou le Scieur de long, opéra en 1 acte d’après Baudelaire (1951-52) et l’oratorio profane la Maison des morts (1953-1956). De 1957 à 1971, il s’est largement orienté vers la musique de film, avec, par exemple, Pierrot le Fou (1965) et Week-End (1967) de Jean-Luc Godard, Baisers volés (1968), la Sirène du Mississippi (1969) et Domicile conjugal (1970) de François Truffaut, et M. comme Mathieu de Jean-François Adam (1971). À partir de 1968, il s’est beaucoup intéressé à l’opéra et au théâtre musical, et a donné en ce domaine, entre autres, Lundi Monsieur vous serez riche (Strasbourg, 1968), l’Opéra des oiseaux (Lyon, 1971), Ubu à l’Opéra (Avignon, 1974), Gambara, d’après Balzac (Lyon, 1978), Cirque impérial (Avignon, 1979), les opéras Quatre-vingt-treize d’après Hugo (1989) et les Aventures de Sindbad le marin (1991). downloadModeText.vue.download 324 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 318 DUKAS (Paul), compositeur français (Paris 1865 - id. 1935). Envers lui, l’histoire de la musique s’est conduite de façon très capricieuse. Bien qu’ayant vécu soixante-dix ans, il se limita à sept oeuvres principales et à cinq partitions plus réduites, dont un Prélude élégiaque sur le nom de Haydn, pour le centenaire de la mort de ce maître (1909), une Plainte au loin du faune, à la mémoire de Debussy (1920), et un Sonnet de Ronsard (1924). De ses oeuvres principales, une seule, l’Apprenti sorcier, a vraiment atteint la célébrité, alors que son opéra Ariane et Barbe-Bleue reste pratiquement inconnu, et que sa Sonate et ses Variations pour piano sont au répertoire de très peu de pianistes. Il aurait donc pu rester toute sa vie un musicien méconnu, admiré de quelques-uns mais ignoré des autres, comme le furent et le sont toujours Maurice Emmanuel et André Caplet. Or il fut, à partir de sa trente-deuxième année et jusqu’au-delà de sa mort, un musicien fameux et populaire, grâce à l’Apprenti sorcier, mais aussi à ses activités de critique (il publia des écrits sur la musique jusqu’à la fin de sa vie) et de professeur de composition au Conservatoire de Paris (où il succéda en 1928 à Charles-Marie Widor et eut parmi ses élèves Olivier Messiaen). Auparavant, à partir de 1924, il avait été inspecteur de l’enseignement musical pour les conservatoires de province. À cette époque, et depuis longtemps, il ne publiait plus rien. Durant les deux dernières décennies de son existence, il détruisit toute une série d’ouvrages, entièrement ou presque achevés : une deuxième symphonie, une sonate pour piano et violon, un poème symphonique (le Fils de la Parque), un drame lyrique (le Nouveau Monde), deux ballets (le Sang de Méduse et Variations chorégraphiques). Il fut, en effet, de ceux, bien rares, qui « ne se résignèrent qu’au chef-d’oeuvre ». Condisciple de Debussy au Conservatoire de Paris, il obtint le second prix de Rome (1888), mais jamais le premier. Deux ouvertures de jeunesse (pour le Roi Lear de Shakespeare et pour Götz von Berlichingen de Goethe) ne nous sont pas parvenues. Mais une troisième, d’après Polyeucte de Corneille, fonda d’emblée sa réputation (1892), bien qu’elle se plaçât sous le signe du postromantisme wagnérien et franckiste. Cinq ans plus tard (1897), la symphonie en « ut » fut assez froidement accueillie. En mai suivant, le scherzo l’Apprenti sorcier, un des plus brillants et des plus réussis de tous les poèmes symphoniques, remporta, en revanche, un triomphe qui ne s’est jamais démenti depuis. À ces trois partitions d’orchestre succédèrent deux monuments pour piano dédiés au grand interprète beethovénien Édouard Risler, qui en as- sura la création : la Sonate en « mi » bémol mineur (1901) et Variations, interlude et finale sur un thème de Rameau (1903). Ces deux ouvrages montrent que Dukas, s’il se trouvait alors dans le camp des debussystes, ne s’en situait pas moins parmi les héritiers de Beethoven. La sonate, dont le troisième mouvement contient une fugue, est un net hommage à l’auteur de la Hammerklavier, et les variations à celui des Diabelli (d’autant que, comme la valse utilisée par Beethoven, le thème de Rameau choisi par Dukas, le Lardon des pièces de clavecin en ré, semble à première vue des plus insignifiants). Mais l’ombre de Liszt règne également dans la sonate, et les variations ne vont pas sans quelques harmonies impressionnistes. Les quatre années suivantes furent consacrées à Ariane et Barbe-Bleue, opéra en 3 actes sur un livret de Maurice Maeterlinck, créé à l’Opéra-Comique le 10 mai 1907. On l’a rapproché de Pelléas, et il est sûr que son langage harmonique est largement fondé sur la gamme par tons et sur d’autres procédés « debussystes ». Mais il y a des éléments tout autres dans Ariane, qui, contrairement à Pelléas, est symphonique autant que lyrique (non seulement par son traitement de l’orchestre, mais aussi par sa structure tonale rigoureuse), et dont quinze ans avant Wozzeck le premier acte adopte exactement la forme variations. Quant au ballet la Péri, dernière partition importante de Dukas, il fut donné pour la première fois (après avoir été promis à la destruction et sauvé au dernier moment) non par Serge de Diaghilev, comme prévu, mais par N. Trukhanova au théâtre du Châtelet en avril 1912 : avant le ballet proprement dit, une éblouissante fanfare de cuivres, « chef-d’oeuvre qui précède le chef-d’oeuvre ». Le silence de Dukas, comme ceux de Rossini et de Sibelius - celui-ci, son exact contemporain, donna sa dernière grande oeuvre en 1926, soit trente ans avant sa mort -, a fait l’objet de nombreux commentaires. Le compositeur ne fut jamais le moins du monde névrosé, et ne souffrit jamais, jusqu’à sa dernière brève maladie, d’aucune perte de vitalité. Il avait sans doute, entre autres, le don assez rare d’être paresseux sans mauvaise conscience, aimant la lecture, la vie en général et le commerce de quelques amis, ne se sentant jamais frustré et n’ayant aucune ambi- tion vers les honneurs (il fut néanmoins élu à l’Institut au fauteuil d’Alfred Bruneau en 1934). Il éprouvait un dédain ironique pour les exigences de son époque en matière d’expérimentation moderniste, ne permit jamais (contrairement à Ravel) à Stravinski de l’influencer, et n’éprouva de sympathie particulière ni pour la génération des Six, ni pour l’expressionnisme viennois. Pour mal avisée qu’elle ait été, rien en définitive ne suscite davantage le respect que la décision de ce grand orchestrateur et architecte de préférer un compositeur silencieux à un compositeur demeuré tant bien que mal en activité, mais dont la musique eût convergé vers le silence. DULCIANE. Jeu de fond de l’orgue, à corps étroit, en général de huit pieds, qui sonne comme une gambe, mais avec plus de douceur. Il a été surtout utilisé dans l’orgue symphonique français. DULCIMER. Instrument médiéval à cordes frappées à l’aide d’une paire de baguettes en bois. Il ne faut pas confondre le dulcimer avec le psaltérion, qui lui ressemble, mais dont les cordes sont pincées. Le terme apparaît au cours du XIVe siècle, et fait allusion sans aucun doute à une sonorité douce. Le dulcimer se compose d’une caisse de résonance, tenue sur les genoux, à travers laquelle les cordes, généralement montées en choeurs, sont tendues par une série de chevilles de chaque côté. L’instrument comporte deux chevalets, également de chaque côté, et la table d’harmonie est décorée d’une ou deux roses. L’étendue de l’instrument semble avoir varié considérablement, et Agricola, en 1528, parle d’un dulcimer de plus de trois octaves. À partir du XVIe siècle, il a été progressivement remplacé par les instruments à clavier. DU MAGE (Pierre), organiste et compositeur français (Beauvais 1674 - Laon 1751). Appartenant à la génération de l’apogée de l’orgue classique français, Du Mage en est l’un des grands représentants ; mais une vie itinérante, surtout en province, ne lui a pas assuré le rayonnement auquel il pouvait prétendre. Fils d’un Pierre Du Mage, musicien à la cathédrale de Beauvais, il reçut l’enseignement de Marchand, probablement à Paris, et fut nommé organiste à la collégiale de Saint-Quentin dans les premières années du XVIIIe siècle. Le magnifique orgue que Robert Clicquot venait d’y terminer en 1701 fut sans doute un stimulant pour le Premier Livre d’orgue contenant une suite du premier ton, qu’il publia en 1708. En 1710, il devint organiste à la cathédrale de Laon, où il écrivit un second Livre d’orgue, aujourd’hui disparu. En 1719, il quitta, semble-t-il, la musique pour entrer dans l’administration, mais on le voit réapparaître à Notre-Dame de Paris en 1733, pour l’inauguration du nouvel orgue de Thierry. Toute son oeuvre se résume donc aux huit pièces de la Suite du premier ton, où se retrouve l’opposition classique de pages polyphoniques de style sévère, avec des récits gracieux et pittoresques. downloadModeText.vue.download 325 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 319 DUMAY (Augustin), violoniste français (Paris 1949). Il fait ses études au Conservatoire de Paris avec Roland Charmy (violon) et Jean Hubeau (musique de chambre) et obtient un 1er Prix de violon en 1962. L’année suivante, à quatorze ans, il donne un premier concert remarqué au Théâtre des ChampsÉlysées. De 1962 à 1967, il étudie avec Arthur Grumiaux en Belgique. Dès le début de sa carrière, il consacre une grande part de son activité à la musique de chambre, se produisant avec Jean-Philippe Collard, Frédéric Lodéon, Michel Béroff, Yo-Yo Ma et Maria-João Pirès. Attaché à faire connaître la musique française, il a contribué à réhabiliter les oeuvres de plusieurs compositeurs, dont Albéric Magnard. Son violon est un stradivarius de 1721 ayant appartenu à Fritz Kreisler. DUMESNIL (René), écrivain et critique musical français (Rouen 1879 - Paris 1967). Ayant fait des études de médecine et de littérature, reconnu comme un des meilleurs spécialistes de l’oeuvre de Gustave Flaubert, René Dumesnil fut, au Mercure de France et au Monde, un critique musical impartial, scrupuleux et précis. Il publia d’excellents ouvrages de vulgarisation et de synthèse sur des sujets très divers. Il fut élu à l’Académie des beauxarts en 1965. Parmi ses ouvrages sur la musique, on peut citer : le Don Juan de Mozart (1927, 2e éd. 1955), Richard Wagner (1929, 2e éd. 1954), Histoire illustrée de la musique (1934), la Musique française entre les deux guerres (1946), Histoire illustrée du théâtre lyrique (1953), Histoire de la musique (compléments de l’ouvrage de J. Combarieu), l’Aube du XXe siècle (tome 4) et la Première Moitié du XXe siècle (tome 5, 1958, 1960). DUMITRESCU (Iancu), compositeur, chef d’orchestre et musicologue roumain (Sibiu 1944). Il a fait des études au Conservatoire de Bucarest (1962-1968) et a suivi les cours de Sergiu Celibidache à l’université de Trèves (1978-1981). Ce contact lui révéla la portée musicale de la phénoménologie, dont il allait appliquer les conclusions à l’élaboration d’un concept aussi bien interprétatif que créatif. Il a fondé en 1966, avec quelques enthousiastes, le premier studio de musique électronique de Roumanie. Dix ans plus tard, il fonde l’Ensemble Hyperion, véritable atelier de création qui réunit bon nombre de compositeurs roumains élaborant les principes d’une nouvelle avant-garde. La musique de Iancu Dumitrescu témoigne d’une fantaisie structurelle et timbrique sans faille dont le fondement est constitué par le concept d’acousmatique, signifiant, pour lui, l’enrichissement de l’impact sonore par l’occultation de la source du son et le rejet de toute incidence anecdotique (Perspectives au Movemur pour quatuor à cordes, 1979 ; Cogito-Trompe-l’oeil pour deux contrebasses, piano préparé, percussion et objets métalliques). La musique orchestrale de Dumitrescu se caractérise par la même recherche de l’expression inouïe, de la plasticité et de la ductilité du son, un son auquel le compositeur attribue souvent une signification symbolique (Aulodie Mioritica pour contrebasse et orchestre, 1981 ; Astrée lointaine pour orchestre d’harmonie, trois groupes de percussion, piano et saxophone basse soliste, 1992). Il a écrit en outre Grande Ourse pour deux bassons, piano préparé, percus- sion et bande (1981-82), Nimbus I-III pour trois trombones, percussion et bande synthétisée (1985), Mythos pour ensemble de chambre (1994), Kronos Holzwege Quartet pour quatuor à cordes (1994), Mnemosyne pour ensemble (1994). DUMKA. Pièce pensive, rêveuse au lyrisme typiquement slave. Elle correspond à la méditation française, à la rêverie (Traümerei) allemande. Habituellement écrite en forme de lied, elle peut s’introduire dans la musique de chambre, comme par exemple dans le Trio op. 90 de Dvořák. DU MONT (Henri, ou DETHIER), organiste et compositeur wallon (Villers-l’Évêque, près de Liège, 1610 - Paris 1684). Il se fixe très tôt avec sa famille à Maestricht, où il est chantre, puis organiste (1630) de la collégiale Notre-Dame. Il perfectionne vraisemblablement sa formation au cours de séjours à Liège, où il travaille sans doute avec Léonard de Hodemont. Vers 1635, il adopte le nom de Du Mont traduction française de De Thier -, et arrive à Paris en 1638. Il devient organiste de Saint-Paul en 1640 (il conserve ce poste toute sa vie) et, peu avant 1653, claveciniste et organiste du duc d’Anjou. Il abandonne cette position en 1660 pour celle de claveciniste de la reine et, à la suite d’un concours organisé pour la succession de Jean Veillot en 1663, est nommé, avec Pierre Robert, maître de la chapelle royale (qui compte quatre musiciens). En 1672, Du Mont obtient avec Robert la charge de compositeur de la chapelle du roi, libre depuis la mort de Thomas Gobert, et, en 1673, est nommé maître de la musique de la reine. Il laisse cette position en 1681 et se retire de la cour en 1683. À part quelques pièces de clavecin parues dans des anthologies de l’époque et de menues chansons, il a composé uniquement, mais en très grande quantité, de la musique sacrée. Il a fait paraître un recueil de Cantica sacra suivi de Litanies, puis un livre de Meslanges (à II, III, IV et V parties), contenant des chansons, motets, magnificat, préludes et allemandes pour orgue et pour violes et des Litanies à la Vierge, auquel il ajoute un recueil de Préludes. Il est enfin l’auteur d’un recueil d’Airs à 4 parties sur la paraphrase des psaumes d’Antoine Godeau, de plusieurs livres de motets, de Cinq Messes en plainchant et d’un oratorio, Dialogus de anima. Les cinq messes, ou Messes royales, sont demeurées célèbres, car elles ont été chantées (surtout celle du premier ton) dans les églises françaises jusqu’au XIXe siècle. On les appelle « royales » à tort, car elles ont été composées à l’usage des couvents et paroisses et n’ont jamais été exécutées à la cour. Les compositions les plus intéressantes de Du Mont sont ses motets : des petits motets à 1, 2 ou 3 voix accompagnées de la basse continue et parfois de quelques instruments, et des Motets à deux choeurs. Les premiers étaient chantés à la cour après l’élévation, aux vêpres et au salut du saint sacrement. Les Motets à deux choeurs sont écrits non pas pour deux choeurs égaux mais pour un petit choeur de cinq solistes et un grand choeur composé du reste des chanteurs, accompagnés d’un orchestre complet, qui devient de plus en plus indépendant des voix. On exécutait ces motets avant l’élévation et à la fin de la messe (Domine salvam fac regem) et lors des offices solennels. Le rôle de Du Mont est considérable dans l’histoire de la musique sacrée en France. Il a tout d’abord importé certains traits stylistiques de la musique italienne, avec laquelle il s’était familiarisé à Liège. Sans avoir été le premier compositeur à avoir publié en France des pièces avec basse continue, il en a systématisé l’usage. Il a introduit de même le genre du petit motet à 1, 2 ou 3 voix, qui devait devenir si populaire. Mais surtout, il a, sur la base des essais de ses prédécesseurs, Nicolas Formé et Jean Veillot, édifié le grand motet français et ouvert la voie à M. A. Charpentier et Michel-Richard Delalande. DUNI, famille de musiciens italiens. Antonio (Matera, Pouilles, v. 1700 Schwerin, Allemagne du Nord, apr. 1768). Il contribua à introduire la culture italienne en Espagne et, surtout, en Europe du Nord et de l’Est, notamment à Schwerin, où il fit représenter en 1756 un intermède, L’Amor mascherato, et à Moscou, où, l’année suivante, il enseigna le chant. Il composa une oeuvre variée comprenant des cantates (Londres, 1735), des motets et des symphonies. Egidio Romualdo (Matera 1709-Paris 1775). Élève de Durante à Naples, il se fit connaître, comme son frère, hors de son pays : à Londres en 1737, à Leyde en 1738 et surtout à Paris où il se fixa en 1757. Son downloadModeText.vue.download 326 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 320 séjour à la cour de Parme, où régnait le gendre de Louis XV, l’avait accoutumé à la culture française et il sut très vite s’adapter au goût de son nouveau pays. Respectueux de la prosodie, il fut très apprécié des Parisiens, ce qui lui valut d’être nommé, en 1761, directeur de la Comédie-Italienne. Après avoir écrit en Italie une douzaine d’opéras traditionnels, il se consacra désormais à l’opéra-comique, collaborant avec les librettistes les plus célèbres, Anseaume, Vadé et Favart. Ses ouvrages les plus connus sont le Peintre amoureux de son modèle (1757), la Fille mal gardée (1758), Nina et Lindor (1758), les Deux Chasseurs et la Laitière (1763), l’École de la jeunesse (1765), la Fée Urgèle (1765) et les Moissonneurs (1768). Sa musique, mieux écrite pour la voix que pour l’orchestre, témoigne de l’influence de Philidor, notamment lorsqu’elle peint les sentiments tendres et pathétiques. DUNSTABLE (John), compositeur, astronome et mathématicien anglais ( ? entre 1380 et 1390 - Londres 1453). On possède fort peu de renseignements sur lui. Sans doute fut-il associé à la vie musicale de l’abbaye de Saint-Alban, près de Londres. Un de ses précieux livres sur l’astronomie (manuscrit conservé à Cambridge) révèle un détail important : Dunstable fut le musicien du duc de Bedford, régent de France après la mort du roi Henry V en 1422. Cela explique que la plupart de ses oeuvres sont contenues dans des manuscrits continentaux. Le mariage du duc de Bedford avec la soeur de Philippe le Bon lia les Anglais aux Bourguignons et permit à Dunstable de rencontrer Binchois et Dufay. L’influence de l’école anglaise s’exerça ainsi sur les musiciens français. La réputation de Dunstable fut considérable en son temps, et le poète Martin Le Franc écrivit, dans le Champion des Dames, qu’« ilz... (Dufay et Binchois)... ont prins de la contenance Angloise et ensuy Dunstable Pour quoi merveilleuse plaisance Rend leur chant joyeuse et notable ». Une cinquantaine de compositions de Dunstable ont été conservées, dans lesquelles il est possible de discerner le mélange des styles anglais et français car, il faut le souligner, le musicien n’a pas dédaigné de son côté ce qu’un homme plus jeune comme Guillaume Dufay pouvait lui apporter. M. Bukofzer a énuméré les différentes techniques qu’on peut remarquer dans l’oeuvre de Dunstable : déchant anglais, style ballade, style gymel, motet isorythmique, pièces ayant une voix supérieure très ornée, traitement libre dans toutes les voix, double structure. Cette oeuvre, avec son aspect chaleureux et mélodique issu de la chanson bourguignonne, comprend des motets à 3 voix comme l’élégant Quam pulchra es d’une séduisante naïveté - et à 4 voix - comme le motet isorythmique Veni sancte Spiritus pour lequel deux textes sont employés. Elle inclut également des fragments de messes, ainsi qu’une version polyphonique du Magnificat. Trois chansons à 3 voix subsistent, dont Durez ne puis. Des deux autres, d’authenticité douteuse, le célèbre O rosa bella se trouve dans dix-sept manuscrits et son texte incite à se demander si Dunstable n’aurait pas visité l’Italie. Contemporain de Lionel Power, de Johannes Benet et de Bedingham, John Dunstable fut le plus grand compositeur anglais de sa génération. Le fameux théoricien Tinctoris devait le qualifier de primus inter pares estimant qu’il était un important novateur et que l’oeuvre des musiciens anglais de cette époque était digne de l’expression ars nova. DUO (ital. duetto ; angl. duet ; all. Duett). Composition destinée à deux musiciens (chanteurs ou instrumentistes), avec ou sans accompagnement. Le genre peut être en un seul ou en plusieurs mouvements avec des proportions plus ou moins vastes. On peut y inclure, par exemple, aussi bien les bicinia (chants à 2 voix), que les duos pour violons de Mozart ou encore la sonate traditionnelle pour instrument mélodique avec accompagnement de la basse continue ou du piano. Dans la musique de chambre vocale, on doit mentionner les duetti da camera de maîtres tels que Marco da Gagliano, Francesco Durante, Agostino Steffani et surtout Haendel, tout comme certains canti amorosi à deux voix de Monteverdi. DUOLET. Lorsque la division du temps musical est ternaire, c’est-à-dire que chaque temps est divisé en trois parties égales, comme dans la gigue à 6/8 ou à 6/4, la notation peut avoir recours exceptionnellement à une division en deux parties. Dans ce cas, et dans les mesures citées, on aurait respectivement deux croches et deux noires en duolet. Dans une valse à 3/4, on peut également trouver une mesure de deux noires en duolet, soit un rapport de deux pour trois. DUPÁK. Danse populaire tchèque vive, à 2/4, dont les mouvements caractéristiques sont le trépignement et le piétinement. Elle a trouvé sa forme idéalisée dans la sixième des Danses tchèques pour piano de Smetana. DUPARC (Henri), compositeur français (Paris 1848 - Mont-de-Marsan 1933). Il fit ses études au collège des jésuites de Vaugirard où César Franck enseignait la musique. Ses premières oeuvres demeurèrent inédites (sonate pour violoncelle, quelques mélodies), mais, dès 1870, il écrivit l’Invitation au voyage, chef-d’oeuvre qui inaugurait l’ère parnassienne de la mélodie française. Une période de douze ans s’ouvre alors pendant laquelle il participa à la vie artistique militante. C’est chez lui notamment que Saint-Saëns et Romain Bussine fondèrent la Société nationale, dont il fut longtemps secrétaire. Jusqu’en 1884, il poursuivit régulièrement, mais très lentement, son oeuvre, faite de mélodies et d’incursions dans le domaine orchestral, parmi lesquelles Lénore (1875), qui consacra son nom dans la vie musicale officielle. Une maladie nerveuse l’obligea alors à quitter Paris et le priva de son activité créatrice. Pendant les cinquante années qui lui restaient à vivre, il assista, en pleine lucidité, à la paralysie de son talent. Musicien cultivé, grand admirateur de Wagner et du romantisme germanique, Duparc n’a jamais réalisé l’oeuvre dont il rêvait et dont les formes idéales auraient été la grande pièce symphonique et le drame lyrique. Aux étoiles et Lénore ne se dégagent qu’imparfaitement des influences consenties et le projet d’une Roussalka (d’après Pouchkine), auquel il travailla pendant plus de dix ans, n’aboutit qu’à la destruction des esquisses. En revanche, son mince recueil de mélodies contient quelques-unes des plus précieuses réussites de la musique française. Synthèse de la romance et du lied, le poème lyrique qui naît ainsi, et spécialement en marge de textes de qualité (Baudelaire, Leconte de Lisle, Th. Gautier, Jean Lahor), marque un moment décisif de l’évolution du genre, entre Gounod, Fauré (contemporain de Duparc) et Debussy. Dès la Chanson triste (1868) et surtout l’Invitation au voyage (1870), la fidélité à la forme strophique va de pair avec la franchise des modulations et le raffinement qui s’exerce à prolonger les images du verbe. Extase, plus ou moins volontairement écrite « en style de Tristan », emploie en même temps des enchaînements typiquement franckistes. Pour la première fois, cette oeuvre assigne à la couleur harmonique une équivalence sonore avec l’image poétique, alors que Sérénade florentine sollicite du mode hypophrygien (mi plagal) une fluidité que le rythme syncopé ponctue avec une extrême douceur. Phidylé (1882) et la Vie antérieure (1884), sa dernière mélodie, attestent enfin l’expression définitive et originale du poème chanté capable de traduire musicalement la pensée et le sens du texte. Les accompagnements pour piano, souvent conçus en des phrases très larges et toujours très travaillés, présentent de grandes difficultés d’exécution. La plupart d’entre eux ont été orchestrés par le compositeur. Si Duparc, par le climat douloureux ou violent dans lequel il se complaît, se downloadModeText.vue.download 327 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 321 rattache au second romantisme propre aux disciples de César Franck, il dépasse tous ceux-ci par la noblesse de sa pensée, la profondeur de son inspiration, sa puissance évocatrice. Sans qu’on puisse vraiment discerner une influence directe, il est certain que sa conception de la mélodie a été, pour Gabriel Fauré, un exemple précieux. DUPÉRIER (Jean), compositeur et critique musical suisse (Genève 1886 - id. 1976). Élève au conservatoire de Genève, il y fut professeur d’harmonie jusqu’en 1929 et se fixa ensuite à Paris. Il a laissé des réflexions sur la musique à travers plusieurs ouvrages : Lettre à un sourd sur la musique et les musiciens ; Lettre d’un musicien ambulant à son confrère sédentaire ; Mémoires d’une flûte ; Musique ? Son oeuvre de compositeur d’une élégante facture néoclassique, comprend des pages symphoniques (dont deux Symphonies, 1953 et 1954), un Quatuor, deux ouvrages lyriques (Zadig, 1938 ; le Malade imaginaire, 1943), des choeurs et des mélodies. DUPHLY (Jacques), organiste, claveciniste et compositeur français (Rouen 1715 - Paris 1789). Il fit ses études à Rouen où il fut l’élève de François d’Agincourt à l’église SaintJean. Vers 1730, il fut nommé organiste de la cathédrale d’Évreux. Il revint à Rouen en 1734 pour tenir les orgues de l’église Saint-Éloi puis, en 1740, de Notre-Damela-Ronde. Mais il s’intéressa ensuite au clavecin et, abandonnant l’orgue et sa ville natale, il se fixa à Paris et se fit connaître de la société de la capitale, écrivant des pièces de clavecin qui ont pour titre les noms de quelques-uns de ses admirateurs. Son oeuvre se situe vers la fin de la période pendant laquelle le clavecin régna en maître suprême. Duphly a laissé 46 pièces pour cet instrument (4 livres : 1744, 1748, 1756, 1768), qui témoignent d’une certaine sobriété dans l’ornementation, d’un goût pour le style galant, ainsi que de recherches dans le domaine sonore, puisque le clavier, grâce aux ravalements d’un Pascal Taskin, s’étendait maintenant jusqu’au fa grave. Les pièces de clavecin sont disponibles dans une édition moderne de Françoise Petit (Paris, 1967). DUPLUM. Nom latin donné, au Moyen Âge, plus spécialement dans les oeuvres de l’école de Notre-Dame (Léonin, Pérotin), à la voix située au-dessus du ténor ( ! TENEUR). Dans les motets du XIIIe siècle, le duplum prend le nom de motettus, une troisième voix supérieure pour compléter la polyphonie s’appelant le triplum. Le nom de duplum continua à être employé dans d’autres compositions, par exemple dans les rondeaux à trois voix d’Adam de la Halle. DU PRE (Jacqueline), violoncelliste anglaise (Oxford 1945 - Londres 1987). Elle a étudié à la Guildhall School of Music de Londres, puis à Paris avec Paul Tortelier et enfin avec Pablo Casals et Mstislav Rostropovitch, se révélant très rapidement du niveau de ses maîtres. En 1967, elle épouse Daniel Barenboïm, avec qui elle forme un duo très remarquable, enregistrant avec lui, entre autres, une version exceptionnelle des Sonates pour violoncelle et piano de Brahms. Tous deux se produisent aussi en trio avec Pinchas Zuckermann. En 1972, atteinte d’une sclérose en plaques, elle doit interrompre sa carrière. Elle a légué l’un de ses violoncelles, un stradivarius de 1712, à Yo-Yo Ma. DUPRÉ (Marcel), organiste et compositeur français (Rouen 1886 - Meudon 1971). Toute sa famille fut musicienne : ses deux grand-pères organistes à Rouen (à Saint-Maclou et à Saint-Patrice), son père organiste à l’Immaculée-Conception d’Elbeuf, puis à Saint-Ouen de Rouen, sa mère pianiste et violoncelliste. Aussi ses dons très précoces furent-ils encouragés et développés : à huit ans, il se produisit déjà en concert, et à douze ans il fut nommé organiste titulaire à l’église Saint-Vivien de Rouen. Il travailla ensuite avec Guilmant, puis avec Vierne, Widor et Diémer. Au Conservatoire de Paris, il remporta les prix de contrepoint, de fugue et d’orgue, tout en suppléant déjà Widor à Saint-Sulpice (1906). En 1914, ce fut la consécration officielle du premier grand prix de Rome. Au lendemain de la Grande Guerre, Dupré devint le premier virtuose international de l’orgue. Dès 1920, il donna au Conservatoire, en dix récitals, la première audition intégrale de l’oeuvre d’orgue de Bach, qu’il exécuta de mémoire. Il fit des tournées dans tous les pays, totalisant plus de deux mille concerts de par le monde, dont huit cents aux seuls États-Unis, tout en poursuivant ses activités françaises de professeur et de musicien : professeur d’orgue et d’improvisation au Conservatoire de Paris (1926), à l’École normale de musique de Paris, titulaire de l’orgue de Saint-Sulpice (1934), directeur général du conservatoire américain de Fontainebleau (1947), directeur du Conservatoire national supérieur de musique de Paris (1954-1956), directeur du Comité national de la musique. En 1956, il fut élu à l’Académie des beaux-arts. Sa virtuosité confondante l’a fait surnommer le « Liszt de l’orgue » par son élève Olivier Messiaen ; il possédait en effet une maîtrise absolue de ses gestes et de sa pensée, maîtrise qu’il a transmise à ses nombreux et brillants élèves ; toute la jeune école d’orgue française, l’une des meilleures au monde, lui est redevable à un titre ou à un autre. Cette maîtrise en faisait un prodigieux technicien de l’improvisation : il pouvait créer sur l’instant des développements musicaux dans les formes les plus complexes, fugue, canon, sonate en trio, choral orné, symphonie, etc. Son oeuvre de compositeur se ressent de cette virtuosité intellectuelle, et tend à laisser dans l’ombre l’expression de sa sensibilité personnelle au profit de préoccupations formelles qui sont allées croissant dans son évolution. Dupré s’est surtout adressé à son instrument : Trois Préludes et fugues op. 7 (1912), son oeuvre la plus convaincante avec la Symphonie-Passion op. 23 (1924), ainsi que la Suite bretonne op. 21 (1923), le Chemin de la croix op. 29 (1931-32), Trois Préludes et fugues op. 36 (1938), le Tombeau de Titelouze op. 38 (1942-43). Mais son oeuvre, qui compte plus de cinquante numéros d’opus, comprend également des pages pour piano, de la musique de chambre, de la musique vocale (la France au calvaire, op. 49, oratorio, 1952-53), des oeuvres pour orchestre (Symphonie en « sol » mineur op. 25, 192728 ; Cortège et litanie op. 19, 1921, pour orgue et orchestre). Il a publié des transcriptions de Mozart, de Haendel et de Bach, et des ouvrages didactiques importants : Traité d’improvisation (Paris, 1924), Méthode d’orgue (Paris, 1927), Cours de contrepoint (Paris, 1938), Cours de fugue (Paris, 1938), Manuel d’accompagnement du plain-chant grégorien (Paris, 1937), etc. Il a aussi édité les oeuvres pour orgue de Bach, de Mendelssohn, de Schumann, de Franck, etc., doigtées et annotées (chez Bornemann). Il laisse un recueil de souve- nirs, Marcel Dupré raconte (1972). DUPREZ (Gilbert), ténor français (Paris 1806 - id. 1896). Son nom reste attaché à l’emploi du « contre-ut de poitrine », c’est-à-dire à une manière puissante, héroïque, de chanter les notes extrêmes du registre de ténor, alors que ses prédécesseurs, García, Rubini, Nourrit, etc., avaient recours aux nuances de la voix mixte à partir du sol aigu. Duprez ne fut pas le premier ténor à donner le « contre-ut de poitrine », mais il fut le premier à l’employer systématiquement, par exemple dans Guillaume Tell de Rossini. Il avait débuté à Paris en 1825, sans succès, dans le rôle d’Almaviva du Barbier de Séville. Il se rendit alors en Italie et opta pour une nouvelle technique de voix « sombrée ». L’expérience lui réussit et Donizetti le choisit pour créer le rôle d’Edgardo dans Lucie de Lammermoor (1835). En 1837, il revint à Paris, et, imposant un style héroïque nouveau, triompha dans les ouvrages qu’avait créés Adolphe Nourrit, provoqua la démission de ce dernier et contribua à développer le goût du public pour une vigueur vocale préférée downloadModeText.vue.download 328 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 322 au raffinement des nuances. Il créa Benvenuto Cellini de Berlioz (1838) et la Favorite de Donizetti (1840), mais sa voix ne tarda pas à donner des signes de fatigue. Il se consacra ensuite à l’enseignement. Il eut parallèlement une activité de compositeur (huit opéras, etc.) et écrivit des ouvrages sur le chant (l’Art du chant, 1845). DUPUIS (Sylvain), chef d’orchestre et compositeur belge (Liège 1856 - Bruges 1931). De 1865 à 1876, il fait ses études au Conservatoire de Liège. En 1881, il remporte le Prix de Rome, puis séjourne à Bayreuth et à Paris, où il se lie avec d’Indy. De retour à Liège, il prend en 1886 la direction de la société chorale La Legia, et fonde en 1888 les Nouveaux Concerts symphoniques. De 1900 à 1911, il dirige le Théâtre de la Monnaie à Bruxelles et, de 1911 à 1926, le Conservatoire de Liège. Son activité relie toujours la pédagogie avec le souci de rendre la musique nouvelle accessible à un public populaire, grâce aux sociétés chorales notamment. Comme chef lyrique, il introduit à la Monnaie Wagner, Debussy et les franckistes, et, au concert, il est un des premiers à diriger Mahler. On lui doit les opéras la Cour d’Ognon et Moïna, trois grandes cantates, le poème symphonique Macbeth, des pièces instrumentales et de nombreux choeurs et mélodies. DU PUY ou DUPUY (Édouard Jean-Baptiste Camille), compositeur, violoniste, chanteur et chef d’orchestre (Corcelles, Suisse, 1770 ou 1771 - Stockholm 1822). Après ses études à Paris avec Dussek, il devient successivement maître de chapelle du prince Henri de Prusse, puis musicien et chanteur à la cour de Suède, d’où il est expulsé en 1809. Réfugié à Copenhague où il participe à la défense de la ville avant d’en être également expulsé, il retourne en Suède en 1811 avec l’établissement de la cour de Bernadotte. Plus que par ses aventures, ses talents d’interprète et son surnom de « Don Juan du Nord », il survit grâce à un remarquable opéra, Ungdom og galskab (« Jeunesse et folie », 1806), dont l’ouverture est toujours inscrite au répertoire des orchestres danois et suédois. DUPUY (Martine), mezzo-soprano française (Marseille 1952). Elle étudie le chant au Conservatoire de Marseille, et débute avec de petits rôles à l’Opéra de la même ville. Elle travaille ensuite avec Rodolfo Celletti, professeur de Ruggero Raimondi. Elle se consacre essentiellement au répertoire italien, mais chante aussi, dès 1977, à Lyon, le rôle de Charlotte de Werther. Elle triomphe notamment dans les opéras de Rossini (Semiramis, la Cenerentola, la Donna del Lago). En 1988, elle débute au Metropolitan de New York dans Giuletta des Contes d’Hoffmann. Menant sa carrière avec discernement, elle déclare préférer les rôles mélancoliques ou belliqueux aux personnages limpides comme Rosine du Barbier de Séville, qu’elle délaisse. DUR. Épithète appliquée, dans la langue allemande, au mode majeur (par exemple, C dur signifie do majeur). DURAND. Maison d’édition musicale française, fondée en 1869 par M. Schoenwerk et Auguste Durand (mort en 1909), organiste et compositeur. En 1891, elle devint une société en nom collectif, « A. Durand et Fils », formée entre Auguste Durand et son fils Jacques Durand. Ce dernier, qui fut condisciple de Debussy et de Paul Dukas au Conservatoire de Paris, continua l’oeuvre de son père en éditant, outre les oeuvres de ces deux compositeurs, celles de la plupart des musiciens français de son temps. Après la mort de Jacques Durand en 1928, son cousin René Dommange (mort en 1977) prit la direction de la maison et lui donna, en 1947, sa raison sociale actuelle, « Durand et Cie ». La société est maintenant dirigée par Mme René Dommange et son neveu Guy Kaufmann. Le très important catalogue des éditions Durand est surtout remarquable par sa grande homogénéité et par le fait qu’y figure la quasi-totalité des grands compositeurs français de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe : Saint-Saëns, Fauré, Debussy, Dukas, Massenet, Lalo, Ravel, d’Indy, Schmitt, Rabaud, Widor, Ropartz, Roger-Ducasse, Roussel, Caplet, Busser, Bachelet, Aubert, Milhaud, Ibert, Delvincourt, Ferroud, Poulenc, Messiaen, Duruflé, etc. Outre cette étonnante contribution à la musique contemporaine qui se poursuivit jusqu’aux années 50, les éditions Durand, qui avaient commencé (sous la direction de Saint-Saëns) la publication des oeuvres complètes de Rameau - entreprise malheureusement interrompue en 1918 -, se sont consacrées à l’édition des grands classiques, souvent révisés par des musiciens modernes de renom comme Saint-Saëns, Fauré, Debussy, Dukas. DURANTE (Francesco), compositeur italien (Frattamaggiore, près de Naples, 1684 - Naples 1755). Il travailla la musique avec son oncle Angelo au conservatoire de Naples, puis étudia le violon avec G. Francone. Peut-être fut-il également l’élève d’un grand maître, B. Pasquini. Il est curieux de constater que, bien que napolitain, originaire d’une ville où l’opéra fleurissait tout particulièrement, Durante, à l’exception de choeurs composés pour la tragédie Flavio Valente, n’a pas écrit pour le théâtre. En revanche, ses duos de chambre (pour 2 voix et basse continue) sont remarquables par leur originalité et leurs audaces harmoniques. En fait, ces oeuvres furent destinées à l’enseignement, comme en témoigne, dans leur titre, la mention : « ... Per imparare a cantare » (« Pour apprendre à chanter »). Sa musique religieuse, importante, comprend les oratorios La Cerva assetata (1719), Abigaile (1736), San Antonio di Padova (1753), 13 messes dont deux Requiem, des psaumes, des motets, des antiennes et des litanies. Comme Alessandro Scarlatti, il a écrit des madrigaux à une date où le genre tombait quelque peu en désuétude. Pour les instruments, il a composé des sonates, des pièces pour clavecin (Toccate), des concertos, ainsi que 8 quatuors concertants pour cordes. Son oeuvre est immense et 62 volumes manuscrits sont conservés à la Bibliothèque nationale de Paris. Dans sa musique, Francesco Durante usa du contrepoint avec élégance, maîtrise et aisance ; l’aspect mélodique reste essentiel ; il est parfois teinté de sentimentalité, comme en témoigne par exemple le célèbre air de dévotion Vergin tutt’amor, que Parisotti a publié dans ses Arie antiche. Si Durante n’a pas été un compositeur particulièrement original, il fut généralement considéré par ses contemporains comme un excellent pédagogue. Il forma Traetta, Sacchini, Piccinni, Egidio Duni, Paisiello, Pergolèse, Jommelli. En prenant en considération ses élèves qui, paradoxalement, devaient tous consacrer la majeure partie de leur carrière au théâtre lyrique, on cite souvent aujourd’hui Durante comme le fondateur de l’école napolitaine. DURASTANTI (Margherita), soprano italienne (active de 1700 à 1734 environ). En 1700, elle apparaît dans un pastiche à Venise, et entre en 1707 au service du prince Ruspoli à Rome. Elle y rencontre Caldara et surtout Haendel, qui lui confie plusieurs cantates et le rôle de Magdalena dans l’oratorio la Resurrezione. De 1709 à 1712, elle est la prima donna de neuf opéras de Lotti à Venise, puis de cinq opéras d’Alessandro Scarlatti à Naples. Dès 1720, Haendel l’engage à Londres pour l’inauguration de la Royal Academy, où elle triomphe dans le rôle-titre de Radamisto. Actrice assumant habilement les rôles masculins, couverte, dit-on, de bijoux mirobolants, « la Comtesse » devient une partenaire privilégiée de Haendel : Gismonda dans Ottone, Vigile dans Flavio en 1723 et Sextus dans Giulio Cesare en 1724 sont les créations marquant ses premières saisons londoniennes. Haendel, qui subit la rivalité du Nobility Opera, la rappelle en 1733. Ottone, Acis et Galatée et la création de Tauride dans Arianna sont les downloadModeText.vue.download 329 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 323 dernières apparitions de sa carrière, qui semble s’arrêter après 1734. DURAZZO (comte Giacomo), impresario et diplomate italien (Gênes 1717 - Venise 1794). Devenu en 1749 ambassadeur de Gênes à Vienne, il obtint en 1754 la charge de directeur des spectacles des deux théâtres impériaux, publia anonymement une Lettre sur le méchanisme de l’opéra italien et, soutenu en cela par le chancelier Kaunitz, qui recherchait l’alliance de Louis XV, favorisa les genres venus de France de l’opéra-comique et de l’opéra-ballet. Il joua un grand rôle dans la carrière de Gluck, qu’il fit nommer en 1754 directeur musical des théâtres impériaux (Burgtheater et Kärtnertortheater), qu’il encouragea à composer des opéras-comiques en français et qu’il mit en rapport avec Angiolini et Calzabigi. Congédié de son poste à la tête du Burgtheater à la suite d’intrigues menées par Georg Reutter (1764), il fut jusqu’en 1784 ambassadeur de Vienne à Venise, où, en 1771, il reçut Mozart et son père. Dans les années 1780, il informa régulièrement le prince Nicolas Esterhazy (leurs épouses respectives étaient parentes) de la situation de l’opéra en Italie, contribuant ainsi à donner aux saisons d’opéra dirigées par Haydn à Esterhaza tout le lustre possible. DURCHKOMPONIERT (all. : « composé d’un bout à l’autre »). Se dit, essentiellement pour le répertoire classico-romantique relevant de la forme sonate, d’un morceau tendant vers (ou atteignant) le développement perpétuel, avec répétitions textuelles et éléments de réexposition réduits au minimum. Cette notion est surtout associée à la musique d’Arnold Schönberg, mais peut s’appliquer aussi à certaines pages bien antérieures, comme l’allegro initial de la symphonie en ré majeur no 96 (le Miracle) de Haydn, composée en 1791. DURÉE. La durée d’une note (le mot se passe de définition) a toujours été considérée par la théorie classique, avec sa hauteur (dite plus récemment fréquence) et son timbre, comme l’une des composantes essentielles du son musical. Berlioz a sans doute été le premier à y joindre un quatrième élément, son point d’origine, source de la « stéréophonie ». Dans l’écriture musicale usuelle, la durée d’une note est indiquée, pour une mesure et un tempo déterminés, par la forme ou valeur du signe qui la représente (noire, croche, etc.), et le rythme résulte de la manière dont s’articulent entre elles non seulement les durées, mais aussi et surtout les points d’appui sur lesquelles elles se greffent. On ne peut donc considérer l’agencement des durées comme un élément suffisant pour une définition du rythme, pas plus que la mesure, qui n’en est qu’un découpage parfois arbitraire. DUREY (Louis), compositeur français (Paris 1888 - Saint-Tropez 1979). Diplômé de l’École des hautes études commerciales, il a travaillé le solfège, l’harmonie, le contrepoint et la fugue avec Léon Saint-Requier. En 1920, avec Auric, Honegger, Milhaud, Poulenc et Germaine Tailleferre, il faisait partie du groupe des Six, rassemblé autour de Jean Cocteau, mais il s’en écarta l’année suivante pour retrouver son indépendance. Il resta fidèle à Debussy, son premier modèle, par-delà toutes les influences qu’il subit : Schönberg (l’Offrande lyrique) ; Stravinski (Deux Pièces à quatre mains : Carillons et Neige) ; Satie (Trois Poèmes de Pétrone) ; Ravel (le Bestiaire). Il atteignit à une expression plus romantique avec le Troisième Quatuor et la comédie lyrique d’après Mérimée l’Occasion. En 1936, il adhéra à la Fédération musicale populaire (dont il fut le secrétaire général à partir de 1953 et qu’il présida à partir de 1956), et, en 1948, il fut nommé vice-président de l’Association française des musiciens progressistes. Il reçut la médaille d’argent de la Ville de Paris en 1960 et le grand prix de la mu- sique française en 1961. En 1937, Louis Durey lâcha la plume pour la reprendre sept ans plus tard, la mettant alors au service de ses convictions politiques (en 1936, il avait adhéré au parti communiste français). Cet intimiste se mua en tribun : ses cantates, ses chants de masse et harmonisations de chansons de terroir pour chorales d’amateurs allaient exercer un impact durable et irréversible sur les nouvelles oeuvres de musique pure apparues entre 1953 et 1974 (sa dernière partition porte le numéro d’opus 116), de même que ses reconstitutions de chansons polyphoniques de la Renaissance. En 1964, la Bibliothèque nationale organisa une exposition de ses manuscrits et de ses souvenirs. La meilleure part de l’oeuvre de Louis Durey apparaît nettement, à toute époque de sa carrière, dans ses mélodies, quatuors vocaux et choeurs avec petit ensemble instrumental (Éloges, le Printemps au fond de la mer, Dix Choeurs de métiers). DURKÓ (Zsolt), compositeur hongrois (Szeged 1934). Il fait ses études de composition auprès de Ferenc Farkas à l’académie de Budapest, puis auprès de Goffredo Petrassi à l’académie Sainte-Cécile de Rome, dont il obtient le diplôme en 1963. Immédiatement remarqué par la critique internationale, il est devenu, à côté de György Kurtág et d’Attilá Bozay, un des représentants les plus éminents de l’école musicale hongroise actuelle. Très attiré par la musique du Moyen Âge, il fait reposer son écriture sur les éléments « horizontaux » de la musique, allant jusqu’à bâtir une oeuvre comme Fioriture sur un équivalent du cantus firmus médiéval, plus que sur les éléments « verticaux ». Il s’inspire aussi de la musique populaire hongroise, dans son essence du moins, non dans ses couleurs : la musique de Durkó, en effet, est très austère, quoique la notion de timbre semble avoir pris quelque importance pour lui dans les années 1970. DURR (Alfred), musicologue allemand (Berlin 1918). Consacrant ses recherches principalement à l’oeuvre de J.-S. Bach, dont il est devenu l’un des plus éminents spécialistes, Alfred Durr est, depuis 1962, directeur adjoint de l’Institut Bach de Göttingen. En 1951, il publie ses Studien über die frühen Kanta- ten J.S. Bachs (« Études sur les premières cantates de J.-S. Bach ») à Leipzig. Il signe également un ouvrage sur la chronologie de la musique vocale de Bach à Leipzig (Zur Chronologie der Leipziger Vocalmusik J.-S. Bachs, Bach Jahrbuch, 1957). Avec W. Neumann, il travaille sur une nouvelle édition des oeuvres complètes de J.-S. Bach (Neue Ausgabe sämtlicher Werke). Trente volumes de cet ouvrage appelé la Neue Bach Ausgabe (N. B. A.) ont paru entre 1954 et 1968. DURUFLÉ (Maurice), organiste et compositeur français (Louviers 1902 - Louveciennes 1986). Il a d’abord été l’élève de Haelling, à la cathédrale de Rouen, avant d’être au Conservatoire de Paris celui de Gigout (orgue), de Gallon (harmonie), de Caussade (contrepoint et fugue) et de Dukas (composition), et de travailler l’orgue avec Vierne et Tournemire. Titulaire de l’orgue de Saint-Étienne-du-Mont à Paris depuis 1930, il a été le suppléant de Vierne à Notre-Dame (1929-1931) et celui de Dupré au Conservatoire. De 1943 à 1973, il a été chargé d’une classe d’harmonie au Conservatoire. À l’exemple de son maître Dukas, Duruflé écrit peu et soigne à l’extrême l’expression de sa pensée. Ses oeuvres principales sont Prélude, adagio et choral varié sur le Veni Creator pour orgue (1930), Trois Danses pour orchestre (1937), Prélude et fugue sur le nom d’Alain pour orgue (1943), Requiem pour solos, choeur, orchestre et orgue (1947), Messe « cum jubilo » pour baryton solo, choeur et orchestre ou orgue (1966). DUSAPIN (Pascal), compositeur français (Nancy 1955). Après des études secondaires puis universitaires, il travaille la composition avec Iannis Xenakis et Franco Donatoni. En 1977, il reçoit le prix de la Fondation de la downloadModeText.vue.download 330 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 324 vocation. En 1981, il devient boursier de la villa Médicis à Rome (période 1981-1983). Compositeur remarquablement original, Pascal Dusapin est aujourd’hui considéré comme un des plus sérieux espoirs au sein de la jeune musique française, ainsi que dans l’avant-garde internationale. Son univers sonore se situe en partie dans la descendance de Yannis Xenakis mais s’en distingue déjà très nettement. Son langage, qui utilise largement le total chromatique et les micro-intervalles, fait preuve d’une invention renouvelée, voire d’une certaine brillance expressive, et frappe par la rigueur de construction et la radicalité parfois très violente des procédés d’écriture : hauteurs en perpétuel glissement, jeu de timbres brutalement antagonistes, austérité et complexité du contrepoint rythmique, sens aigu de la polyphonie et des grandes densités dynamiques. Dusapin s’est révélé soudain, et avec beaucoup d’acuité, en 1977, par des oeuvres instrumentales, telles que Souvenir du silence (1976) pour treize cordes solistes, ou instrumentales-vocales, telles que Igitur (1977) pour voix de femmes, sept cuivres et six violoncelles (sur un texte de Lucrèce), et Lumen (1977, rev. 1980) pour voix de femmes, trois cuivres et quatre cordes. Depuis 1977, Pascal Dusapin a composé Timée (1978) pour grand orchestre, l’Homme aux liens (1978) pour deux sopranos et trois violons (texte de Lucrèce), le Bal pour quinze instruments (1979), la Rivière (1979-80) pour grand orchestre, Musique fugitive (1980) pour trio à cordes, Musique captive (1980) pour neuf instruments à vent, Inside pour alto seul (1980), où se confirme son attirance pour une écriture serrée conciliant violents contrastes et remarquables qualités expressives. Suivirent, en 1982, l’Aven pour flûte et orchestre, Tre Scalini pour orchestre, Fist pour 8 instruments, Invisa pour violoncelle solo, Niobé pour voix et vents, en 1983, un Quatuor à cordes, en 1984, Hop. En 1985 ont été créés Assai pour grand orchestre, et, en 1989, à Avignon, l’opéra Roméo et Juliette. De la même année est daté Times Zones pour quatuor à cordes. Suivirent l’operatorio La Melancholia (1990), les opéras Medeamatérial (1991) et To be sung d’après Gertrude Stein (1992-1993), Time Zone, quatuor à cordes no 2 (1989), Quatuor à cordes no 3 (1993), Khôra pour orchestre à cordes (1993). DUŠEK (František Xaver), pianiste et compositeur tchèque (Choteborky 1731 - Prague 1799). Après un séjour de formation à Vienne, où il fut l’élève, pour le clavier, de Georg Christoph Wagenseil, il se fixa à Prague comme professeur de piano. C’est surtout son amitié avec Mozart qui a lié son nom et celui de sa femme Josepha (Prague 1754-id. 1824), pianiste et chanteuse, à l’histoire de la musique. C’est dans la maison de campagne des Dušek, la villa Bertramka, que Mozart termina Don Giovanni en 1787 et la Clémence de Titus en 1791. Pour Josepha, qu’il avait déjà rencontrée à Salzbourg en 1777, Mozart écrivit l’air de concert Bella mia fiamma K. 528 (3 nov. 1787, juste après la première de Don Giovanni), et ce fut elle qui, en 1796, créa à Prague le fameux Ah ! perfido de Beethoven. DUSSEK OU DUSIK, famille de musiciens tchèques. Jan Josef, organiste et compositeur (Mlazovice 1738 - Caslav 1818). Professeur de musique à Chlumencz, puis cantor de la ville de Caslav, il écrivit surtout pour l’orgue et l’église. Jan Ladislav, pianiste et compositeur (Caslav 1760 - Saint-Germain-en-Laye 1812). Fils du précédent, il fit ses études aux collèges de Jihlava et de Kutna Hora, et obtint un diplôme de l’université Charles-IV de Prague. Il séjourna à Malines en 1779, y fut organiste ainsi qu’à Berg-op-Zoom, et, vers 1782, entreprit une tournée à travers l’Europe, travaillant à Hambourg avec Carl Philipp Emanuel Bach, passant deux ans chez le prince Radziwill en Lituanie. Remarqué par Marie-Antoinette en 1786, il s’établit à Paris après un voyage en Italie pour voir son frère. En 1790, fuyant la Révolution, il s’installa à Londres, où il participa comme pianiste aux mêmes concerts que Haydn et où, en 1792, il épousa la chanteuse Sophia Corri (1775-1847). Il entra dans la maison d’édition de son beau-père Domenico Corri (1746-1825), mais celle-ci ayant fait faillite, Dussek dut quitter précipitamment l’Angleterre en 1800 pour échapper à la prison pour dettes, laissant derrière lui sa femme et sa fille. Il se rendit à Hambourg, fut ensuite le maître de chapelle et l’ami du prince Louis Ferdinand de Prusse (1803-1806), et termina sa vie au service de Talleyrand. Virtuose incomparable qui arrachait des cris d’admiration à ses auditeurs, célèbre aussi par le moelleux de son tou- cher, il a laissé plus d’une centaine de compositions (sonates, variations, pièces d’occasion, musique de chambre, concertos) pour son instrument, ainsi que des ouvrages divers dont six sonatines pour harpe. Ses oeuvres les plus connues - la Consolation, sonatines op. 20 (à l’origine avec flûte) - ne sont pas nécessairement les plus significatives. Mais de grandes sonates comme l’opus 35 no 3 (C. 151) en ut mineur (1797), l’Adieu op. 44 (C. 178) en mi bémol (1800), l’Élégie harmonique sur la mort de Louis Ferdinand de Prusse op. 61 (C. 211) en fa dièse mineur (1807), le Retour à Paris ou Plus ultra op. 70 (C. 221) en la bémol (1807) ou l’Invocation op. 77 (C. 259) en fa mineur (1812), comptent tant musicalement que par leur écriture pianistique parmi les plus intéressantes de l’époque, et certaines ne furent pas sans influencer Beethoven. Ces pages ouvrent en même temps la voie au romantisme d’un Chopin ou d’un Schumann. Un catalogue thématique de l’oeuvre de Jan Ladislav Dussek a été dressé par Howard Allen Craw. František Josef Benedikt, organiste, chef d’orchestre et compositeur (Caslav 1766 - Zaticina v. 1817). Frère du précédent, il fut chef d’orchestre à Venise (1782), à Milan (1786), à Laibach (1790), puis de nouveau à Venise (1806). DUTILLEUX (Henri), compositeur français (Angers 1916). Il commence ses études musicales au conservatoire de Douai, avec Victor Gallois. Il entre en 1933 au Conservatoire de Paris où il suit l’enseignement de Jean Gallon (harmonie), Noël Gallon (contrepoint et fugue), Henri Büsser (composition), Philippe Gaubert (direction d’orchestre) et Maurice Emmanuel (histoire de la musique). En 1935 et 1936, il obtient les premiers prix d’harmonie, puis de contrepoint et fugue. En 1938, il reçoit le grand prix de Rome, mais son séjour à la villa Médicis est interrompu par la guerre. Sa première oeuvre, jouée à Paris (1941), est une Sarabande pour orchestre que dirige, aux Concerts Pasdeloup, Claude Delvincourt. Charles Panzera crée en 1943 ses quatre mélodies pour chant et piano. En 1944, Dutilleux compose, sur un poème de Jean Cassou, la Geôle, pour chant et orchestre. Nommé, l’année suivante, directeur du Service des illustrations musicales de la radiodiffusion française, il occupe ce poste jusqu’en 1963. De 1945 à 1953, il écrit des musiques de scène, des musiques de film, des musiques radiophoniques et se trouve en contact avec des musiciens de toutes tendances et de toutes disciplines. Son travail à la radio, absorbant, mais enrichissant, le conduit à des réflexions qui influencent sa propre évolution. En 1948, Geneviève Joy crée sa Sonate pour piano à la Société nationale de musique. En 1951, à la tête de l’Orchestre national, Roger Désormière dirige en première audition à la radio la Première Symphonie. En 1953, le Loup, ballet sur un argument de Jean Anouilh et Georges Neveux, est créé, dans les décors de Carzou, par la compagnie Roland-Petit. Henri Dutilleux se rend en 1959 aux États-Unis pour assister à la création de sa Deuxième Symphonie à Boston, sous la direction de Charles Munch. À cette oeuvre, qui était une commande de la Fondation Koussevitski, succèdent les Métaboles, downloadModeText.vue.download 331 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 325 commandées par l’orchestre de Cleveland et créées par Georges Szell en 1965, puis un concerto pour violoncelle et orchestre que Mstislav Rostropovitch a demandé à Henri Dutilleux, intitulé Tout un monde lointain (création au festival d’Aix-enProvence en 1970). Le grand prix national de la musique lui est décerné en 1967 par le ministère des Affaires culturelles pour l’ensemble de son oeuvre, et, en 1970, il est nommé professeur de composition au Conservatoire de Paris. En 1977, son quatuor à cordes Ainsi la nuit est créé à Paris par le quatuor Parrenin et, fait inhabituel pour un quatuor, est bissé par un public où les jeunes compositeurs sont nombreux. De la même année date Timbres, Espace, Mouvement pour orchestre. En octobre 1985 ont été créés à Paris par Isaac Stern un Concerto pour violon, en 1989, à Zurich, Mystère de l’instant pour 24 cordes, cymbalum et percussions (commande de Paul Sacher), à Besançon en 1991 les Citations, diptyque pour hautbois, clavecin, contrebasse et percussion. Mystère de l’instant a été révisé pour grand orchestre à cordes en 1995. L’unanimité qui s’établit sur le nom et l’oeuvre de Henri Dutilleux n’est pas le fait d’un hasard. Parti d’une tradition classique assouplie par les acquisitions harmoniques et instrumentales de la musique impressionniste, il prend nettement conscience, dès 1944, des problèmes de langage qui se posent au musicien contemporain à qui est interdit tout retour en arrière. C’est d’abord par une purification de la pensée et de sentiment que Dutilleux accomplit la révolution nécessaire. Il rejette les faux-semblants, ne cherche pas à étonner, poursuit la quête d’une vérité intérieure. Son langage, qui oscille entre l’atonal et le modal, tend à effacer les repères trop voyants, les structures trop rigides, au bénéfice d’une souplesse rythmique et mélodique qui s’accompagne d’une instrumentation de plus en plus subtile. Tel est, de la Sonate pour piano et de la Première Symphonie à la Deuxième Symphonie et aux Métaboles, le sens d’une évolution qui trouve son accomplissement dans l’oeuvre pour violoncelle et orchestre intitulée Tout un monde lointain et dans le quatuor à cordes Ainsi la nuit. Le désir de rigueur et la curiosité d’un « monde lointain », la logique et le rêve cohabitent chez le musicien qui a écrit en 1961 ces lignes significatives : « Il y a évidemment une forme particulière à chaque oeuvre, selon une évolution intérieure. Ce problème de formes, de structures qui s’éloigneraient des cadres préfabriqués me préoccupe de plus en plus. » L’oeuvre de Henri Dutilleux est, aujourd’hui, exemplaire parce que, dans un temps de grande confusion, elle indique la seule ligne qui mérite d’être suivie, celle d’une vérité poétique. Dans la Première Symphonie qui est comme « la naissance et le déroulement d’un rêve », dans le ballet le Loup, où le fantastique et la passion sont indissolubles, dans la Deuxième Symphonie ou le Double, où les recherches de polyrythmie et de polytonalité se muent en un jeu de miroirs, dans les Métaboles, cette oeuvre qui n’est qu’un enchaînement de métamorphoses, dans Tout un monde lointain, où le violoncelle solo s’identifie à l’idée d’évasion suggérée par l’univers baudelairien, dans le quatuor Ainsi la nuit, qui est une extraordinaire musique nocturne où le statisme et la mobilité concourent à maintenir un climat de mystère, Henri Dutilleux allie la rigueur de la composition aux vertiges de l’imagination. S’il médite longuement, s’il écrit peu, s’il corrige scrupuleusement, toutes ses oeuvres sont importantes par leur densité, par leur apport esthétique et spirituel. Dutilleux est une des figures majeures de la musique française du XXe siècle. DUTOIT (Charles), chef d’orchestre suisse (Lausanne 1936). Il étudie le violon, le piano et la direction d’orchestre au Conservatoire de Lausanne, puis l’alto et la direction au Conservatoire de Genève. Il se perfectionne à Sienne avec Alceo Galliera et suit en 1959 des stages de direction à Tanglewood. En 1959, il commence à diriger l’Orchestre de la Suisse romande et l’Orchestre de chambre de Lausanne. De 1964 à 1966, il est le chef de l’Orchestre de la radio de Zurich. Parmi de nombreux engagements à la tête de grands orchestres symphoniques et lyriques, il faut citer ses fonctions de directeur de l’Orchestre symphonique de Montréal à partir de 1977 (formation avec laquelle il a réalisé de nombreux enregistrements), et sa nomination comme directeur musical de l’Orchestre national de France en 1991. Il s’est particulièrement distingué dans la musique française des XIXe et XXe siècles, dans le répertoire de ballet et plus généralement dans Stravinski. DUVAL (Denise), soprano française (Paris 1921). Après des études suivies au Conservatoire de Paris, elle chanta aux Folies-Bergère, puis débuta à l’Opéra-Comique en 1947 dans le rôle de Cio-Cio-San de Madame Butterfly de Puccini. La même année, elle créa le rôle de Thérèse dans les Mamelles de Tirésias de Poulenc. Son nom devait rester par la suite lié à ce musicien, qui lui demanda de créer le rôle de Blanche dans le Dialogue des carmélites et écrivit pour elle la Voix humaine. Elle interpréta de nombreux autres ouvrages contemporains. Dans le répertoire, Thaïs dans l’opéra de Massenet, Concepción dans l’Heure espagnole de Ravel, et Mélisande dans Pelléas et Mélisande furent ses rôles d’élection. Elle se produisit à l’étranger (Milan, Buenos Aires, etc.), mais dut se retirer tôt de la scène pour raisons de santé et se consacra à l’enseignement. Sa voix n’avait pas des possibilités exceptionnelles, mais sa pré- sence dramatique, son talent d’actrice, son pouvoir d’émotion, en firent une artiste d’un rare mérite. DVOŘÁK (Antonín), compositeur tchèque (Nelahozeves, Bohême, 1841 Prague 1904). Fils d’un boucher-cafetier, il commença à apprendre le métier de boucher et dut à l’organiste du bourg de Zloniče sa première formation musicale. Son père se résigna difficilement à l’envoyer à l’école d’organistes de Prague en 1857. Il acquit simultanément une solide formation classique d’organiste et de pianiste et l’expérience de la musique de danse et de brasserie comme violon dans l’orchestre de Komzak. En 1862, il obtint une place d’altiste du rang dans l’orchestre de l’Opéra national, récemment fondé par Smetana, et découvrit les oeuvres de ce dernier, en particulier la Fiancée vendue, premier exemple convaincant d’un nationalisme musical tchèque. Profondément persuadé désormais de son rôle de musicien national, il dut son premier succès de compositeur à un hymne patriotique, les Héritiers de la Montagne blanche. En 1873, il quitta l’Opéra, devint titulaire de l’orgue de l’église Saint-Adalbert de Prague et épousa Anna Cermakova, qui devait lui donner six enfants. Il reçut une bourse pour se rendre et travailler à Vienne, où il fit la connaissance de Brahms. Ce dernier l’aida beaucoup, le recommandant à son éditeur Simrock, qui édita, de Dvořák, notamment les Chants moraves, les Danses slaves et plusieurs Symphonies, et au chef d’orchestre Hans de Bülow, qui contribua de manière déterminante à propager l’oeuvre du musicien et à lui faire acquérir une renommée européenne. En 1879, Dvořák entreprit son premier voyage en Angleterre, où il devait venir neuf fois, y dirigeant maintes exécutions de ses oeuvres et y créant même sa Septième Symphonie, commande de la Société philharmonique de Londres, en 1885. Mais ces succès à l’étranger ne satisfaisaient pas ce chantre de l’âme tchèque, qui cherchait toujours une oeuvre décisive pour imposer à Prague même la tradition dont il se sentait le dépositaire. Il écrivit alors un grand oratorio national, Sainte Ludmilla (dont l’héroïne est un important personnage historique, prosélyte du christianisme, et grand-mère de Venceslas, premier duc chrétien de Bohême), et un opéra, le Jacobin, qui met en scène des types caractéristiques : l’instituteur aux idées avancées, sa fille, belle et pure, le seigneur local, noble et généreux, et son fils, malheureusement fourbe. C’était le début d’une série d’oratorios et d’opéras natiodownloadModeText.vue.download 332 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 326 naux dont le plus populaire reste Rusalka (1900). Ne remportant pour l’heure que des succès mitigés, Dvořák continua à voyager, et créa sa Huitième Symphonie en 1890 à Prague. Ayant reçu un étrange télégramme d’une Américaine, Mrs. Jeanette Thurber, lui offrant la direction du conservatoire de New York, qu’elle avait fondé, il accepta et partit y enseigner de 1892 à 1895. Ses oeuvres « américaines » restent parmi les plus connues, telle la Neuvième Symphonie, écrite entre le 1er janvier et le 23 mai 1893, et créée le 16 décembre de la même année au Carnegie Hall de New York, sous la direction du chef allemand Anton Seidl. C’est juste avant cette première exécution que Dvořák ajouta à la partition le titre « du Nouveau Monde ». À partir de son retour à Prague en mai 1895, il veilla à imposer ses oeuvres et leur inspiration tchèque aux capitales musicales d’alors, Vienne et Berlin, qui lui rendirent hommage en le nommant membre de leurs académies. Devenu une véritable gloire nationale, il mourut le 1er mai 1904 à Prague. Son héritage musical et spirituel dépasse aujourd’hui le cadre étroit où la tradition l’a un temps enfermé. Dvořák est certes l’auteur des seize Danses slaves pour piano à quatre mains, dont les versions orchestrales imposèrent son nom à travers le monde. Mais il serait erroné de croire que son art demeurait strictement dans le sillage du classicisme d’un Brahms, de la spontanéité intimiste d’un Schubert. Si Dvořák n’a rien apporté de majeur à l’écriture musicale, son oeuvre énorme ne doit pas être considérée pour autant comme une extension provinciale et folklorisante du romantisme triomphant. Dvořák a créé la véritable tradition symphonique et de chambre de la musique tchèque moderne. Il ne puise pas seulement son authenti- cité mélodique et rythmique dans le folklore populaire slave, mais il donne à cette musique des titres de noblesse en l’introduisant dans le moule des grandes formes classiques, symphonies, concertos, trios, quatuors, sans en détruire l’essence. Il est à remarquer que, dès ses débuts, il s’était tourné vers la musique de chambre : son opus 1 est un quintette à deux altos, suivi peu après par son premier Quatuor. À travers les neuf symphonies (dont quatre symphonies de jeunesse publiées à titre posthume et longtemps ignorées du public), à travers les quatorze quatuors, ensemble monumental demeuré jusqu’à une date récente en partie inconnu, et dont l’édition même est à peine achevée, se révèle le cheminement du compositeur. Les premières partitions sont foisonnantes de thèmes ; l’imagination du musicien y apparaît d’emblée dans sa richesse, mais la maîtrise manque encore, ce que traduit en particulier une tendance à la prolixité à laquelle Dvořák mettra longtemps à échapper. Une tentation wagnérienne se décèle dans la Troisième Symphonie, dans la première version de l’opéra le Roi et le Charbonnier (rendu plus personnel ensuite par des remaniements) et surtout dans les Deuxième, Troisième et Quatrième Quatuors. Le compositeur se laisse entraîner par une séduisante liberté rhapsodique, parsème son curieux Quatrième Quatuor d’intéressantes audaces d’écriture et de forme, mais se laisse trop systématiquement, et parfois maladroitement, attirer vers la « mélodie infinie » et le chromatisme ; de plus, certaines oeuvres atteignent un développement presque monstrueux (le premier mouvement du Troisième Quatuor dure quelque vingtcinq minutes ; l’ensemble de cette oeuvre, soixante-dix). Puis vient la maîtrise croissante de la grande architecture, mais, avec le respect évident pour Haydn, Schubert, Beethoven, apparaît une nouvelle tentation, celle d’un certain cosmopolitisme, tentation bientôt repoussée. Les symphonies, à partir de la Cinquième (1875), les quatuors, à partir du Huitième (1876), s’imposent comme des oeuvres majeures au sein de la littérature vouée à ces deux grands genres, par la sûreté de la plume, mais en même temps par l’affirmation d’une personnalité qui a désormais trouvé sa voie, d’une personnalité intensément nationale, qui apparaît aussi dans des oeuvres comme le Quatrième Trio avec piano ou Dumky. Les oeuvres « américaines » ne relèvent pas à proprement parler d’un style particulier, mais s’enrichissent d’éléments spécifiques et constituent une parenthèse sur laquelle il convient de s’arrêter. La Symphonie du Nouveau Monde, par exemple, a fait l’objet d’exégèses divergentes ou même contradictoires. Mais qu’on décide ou non d’y reconnaître, dans le troisième thème du premier mouvement, la mélodie du spiritual Swing low, sweet chariot, qu’on admette ou non les faits très controversés de savoir si Dvořák eut réellement l’occasion d’entendre des chants indiens originaux, ou si l’on peut trouver dans son inspiration la trace d’éléments populaires blancs, on ne peut nier que la Neuvième Symphonie et plusieurs autres partitions écrites sur le sol des États-Unis révèlent un goût pour la gamme pentatonique, des traits rythmiques (syncopes) et harmoniques qui permettent de parler d’une « manière américaine ». Enfin, avec les Treizième et Quatorzième Quatuors, op. 105 et 106, Dvořák parachève la réalisation de son ambition, la fusion d’un style national et d’un classicisme universel. Conscient peut-être de ne plus pouvoir se dépasser dans cette voie, ou désireux de se mesurer, sûr de sa maîtrise, avec son aîné Smetana sur les terrains de prédilection de ce dernier, Dvořák tourne le dos à la forme sonate et consacre ses dernières années exclusivement au poème symphonique et à l’opéra ; dans ses cinq poèmes opus 107 à 111, l’Ondin, la Sorcière de midi, le Rouet d’or, le Pigeon des bois et le Chant héroïque (ce dernier créé sous la direction de Gustav Mahler), la souplesse de la forme l’aide à oser un langage encore plus personnel et souvent plus moderne - parfois presque impressionniste - que dans ses symphonies. Ces dernières oeuvres furent considérées comme un recul par le public cultivé germanophone, qui attendait une dixième symphonie. Pourtant c’est le poème symphonique et le quatuor qui forment les maillons, la structure musicale qui permettront aux héritiers de Dvořák - Josef Suk, Vitezslav Novak, Leoš Janáček (celui-ci conduisit la première exécution du Pigeon des bois), Bohuslav Martinºu - d’atteindre, en transcendant une tradition respectée, à une profonde originalité. Ainsi, par un lent mûrissement, Dvořák, à ses débuts artisan instinctif et besogneux, devint l’égal tchèque de Brahms. Le climat parfois nostalgique, finalement optimiste de ses oeuvres en fait l’un des rares chantres de l’espérance tenace, telle la devise vivante de sa terre natale. DYNAMIQUE. Dans le domaine de l’interprétation musicale, le terme de dynamique désigne l’ensemble des nuances d’intensité utilisées par l’exécutant, avec les crescendos, les decrescendos et les accents. Il s’applique à caractériser les différences de niveau sonore entre deux sons ou deux passages musicaux. Mais le terme est surtout employé dans le domaine de l’acoustique et de l’électroacoustique, notamment pour les systèmes d’enregistrement et de reproduction des sons. On désigne alors par dynamique l’écart qui sépare le plus faible niveau sonore perceptible au-dessus du bruit de fond du système, et le son le plus intense qui ne soit pas affecté de distorsion. On parle également de rapport signal/bruit. Cette expression plus imagée désigne le rapport des intensités sonores maximales aux intensités sonores minimales. Il s’exprime en décibels (dB), et se calcule au moyen d’une équation logarithmique simple : D = 10 log 1/4SB, formule où D désigne la dynamique, S l’intensité sonore du signal le plus fort transmis sans distorsion, et B l’intensité sonore du signal le plus faible immédiatement perceptible au-dessus du bruit de fond. La dynamique naturelle d’un grand orchestre symphonique jouant dans une salle de concert atteint 80 à 90 dB ; elle peut même dépasser ces valeurs dans le cas de formations très importantes, usant de contrastes extrêmes (100 à 110 dB pour le Requiem de Berlioz). Mais les appareils d’enregistrement downloadModeText.vue.download 333 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 327 et de reproduction sonores, ainsi que les supports de l’information acoustique (disque, bande magnétique), sont, de par leur nature physique, limités dans la dynamique qu’ils peuvent fixer ou trans- mettre ; de même, les conditions d’environnement acoustique lors de la reproduction des sons constituent, elles aussi, l’un des principaux facteurs de limitation de la dynamique. C’est ainsi qu’un disque courant, reproduit sur une chaîne électroacoustique de qualité moyenne, dans un appartement en milieu urbain, ne peut guère délivrer une dynamique supérieure à 30 dB, alors que le message d’origine qu’il s’agit de reproduire pouvait présenter une dynamique de 90 dB. Cela signifie, en d’autres termes, que l’écart d’intensité entre les sons les plus faibles et les sons les plus puissants ne pourra guère excéder un rapport de 101 à 103 (soit de 1 à 1 000), tandis que le message d’origine présentait un rapport d’intensités de 101 à 109 (soit de 1 à 1 000 000 000). Faute de pouvoir reculer ces limites, inhérentes à tout système physique, on est contraint de limiter la dynamique à tel ou tel stade de l’enregistrement, de la transmission ou de la reproduction des sons, soit en intervenant manuellement sur les potentiomètres de volume, soit en usant de compresseurs expanseurs automatiques (mais le résultat musical risque fort de se ressentir de cet automatisme), soit en intercalant dans la chaîne des circuits spéciaux, de type Dolby. Ces interventions consistent à abaisser le niveau des sons les plus intenses et à relever celui des plus faibles, afin d’éviter qu’à la reproduction les premiers ne soient affectés de distorsions en saturant le système, et que les seconds ne se perdent dans le souffle de la chaîne ou le bruit de surface des disques. Cet aplatissement du relief d’une exécution musicale doit être mené et contrôlé avec la plus grande délicatesse, afin de trahir le moins possible les conditions acoustiques naturelles et le jeu des artistes enregistrés. Les techniques nouvelles d’enregistrement et de reproduction, par impulsions codées et par procédé digital, tel qu’on le met en oeuvre dans les disques vidéo, devraient apporter des progrès considérables dans la restitution de la dynamique sonore. downloadModeText.vue.download 334 sur 1085 E E. Lettre par laquelle fut désignée la note mi dans la notation musicale du Moyen Âge. Elle indique toujours le mi dans de langue anglaise ou allemande, syllabes de Gui d’Arezzo ne sont tées. Voici, dans trois langues, tion des différentes altérations note : les pays où les pas adopl’appellade cette français anglais allemand mi bémol E flat Es mi double bémol E double flat Eses mi dièse E sharp Eis mi double dièse E double sharp Eisis EAST (Michael), compositeur anglais (v. 1580 - Lichfield 1648). En 1606, il obtint le grade de Bachelor of Music de l’université de Cambridge. Il fut nommé Master of the Choristers à la cathédrale de Lichfield (1618), puis organiste. Son oeuvre, assez abondante, est d’une qualité non négligeable. Elle se compose de musique vocale et instrumentale, et fut publiée en sept recueils successifs. D’abord parurent deux livres de madrigaux à 3, 4 et 5 voix (1604 et 1606). Le troisième (1610) contient une musique apt both for Viols and Voyces (« convenant aux violes et aux voix ») : il s’agit non seulement de madrigaux, mais de pastorales, de fantaisies instrumentales et de pièces de musique religieuse (anthems). Les autres recueils datent de 1618, 1619, 1624. Enfin, en 1638, East publia The Seventh Set of Fancies (« Septième Livre de fantaisies ») pour violes. Les madrigaux ont été édités dans The English Madrigal Composers (Oxford, 1921, rééd. 1948, rév. T. Dart, 1961). EAST (Thomas), imprimeur et éditeur anglais ( ? v. 1540 - Londres 1608). Peu de temps après la mort de Thomas Tallis (1585), William Byrd, qui partageait avec ce dernier le monopole de l’imprimerie musicale en Angleterre, céda ce privilège à un homme plus doué en affaires : Thomas East. Celui-ci développa considérablement cette entreprise en achetant de nouveaux caractères et en engageant des ouvriers adroits. À partir de 1588, East publia la plupart des oeuvres religieuses et profanes de l’époque élisabéthaine (Psalms, Sonets and Songs de W. Byrd). En six ans, il imprima plus de recueils qu’il n’en avait été fait durant les quatre-vingts années précédentes. On connaît Thomas East uniquement comme imprimeur ; il ne paraît pas avoir été compositeur. EBEN (Petr), compositeur tchèque (Žamberk 1929). Interné à Buchenwald à quatorze ans, il reprend, à son retour, ses études de piano auprès de František Rauch et de P. Bořkovec pour la composition à l’académie Janáček de Brno (1948-1952). Il partage sa vie entre sa carrière de pianiste, sa chaire d’assistant en musicologie à l’université Charles-IV de Prague et la composition. Son oeuvre témoigne d’une invention mélodique inconnue en Bohême et en Moravie depuis Janáček. L’ensemble de ses compositions vocales est d’une qualité permanente, puisant ses nombreux sujets dans le patrimoine mélodique de son pays ou dans une savante recréation de l’époque grégorienne et de la Renaissance. Sa connaissance de la voix humaine, en soliste ou dans le choeur, en fait un compositeur profondément original, tant par son inspiration que par ce qu’il obtient sur le plan sonore, sans pour autant chercher les performances requises par les partitions d’un Messiaen, d’un Berio ou d’un Xenakis. Ses réussites dans ce domaine sont multiples : Six Chants d’amour sur des textes médiévaux (1951), Chants sur des poèmes de Rilke (1961), Chants d’amour et de mort pour choeur mixte (1958), Pragensia pour choeur et instruments anciens (1972). D’autres partitions, instrumentales, retiennent l’attention : Concerto pour orgue « symphonia gregoriana » (1954), Concerto pour piano (1961), Vox clamantis pour orchestre (1970), le ballet Malédictions et bénédictions (1983). EBERL (Anton), compositeur et pianiste autrichien (Vienne 1765 - id. 1807). Ami et peut-être élève de Mozart vers 1785-1786, il effectua des tournées comme pianiste et fut de 1796 à 1800 maître de chapelle à Saint-Pétersbourg. Il revint ensuite dans sa ville natale. Il composa des opéras, des symphonies et surtout de la musique pour piano (sonates, concertos) et de chambre. EBERLIN (Daniel), compositeur allemand (Nuremberg ? 1647 - Kassel ? v. 1715). Il embrassa tout d’abord la carrière militaire et combattit dans les troupes pontificales contre les Turcs. Il occupa des fonctions de musicien et de secrétaire privé à Eisenach, à Hambourg et à Kassel, où il fut nommé maître de chapelle, vraisemblablement en 1678. Après la découverte d’un déficit dans le service d’administration des monnaies dont il avait la responsabilité à Eisenach, il s’enfuit de cette ville en 1692 et à partir de 1705 fut capitaine de la milice à Kassel. De son oeuvre ont été conservés un recueil imprimé de sonates en trio et, en manuscrit, trois cantates. L’une de ses filles, Amalia Louise Juliana, épousa Georg Philipp Telemann, qui loua downloadModeText.vue.download 335 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 329 la maîtrise de son beau-père dans le jeu de violon et l’art du contrepoint. EBERLIN (Johann Ernst), compositeur et organiste allemand (Jettingen 1702 Salzbourg 1762). D’abord élève au collège des jésuites d’Augsbourg, il s’installa à Salzbourg en 1721, s’y perfectionna auprès de l’organiste de la cathédrale Matthäus Gugl, et, en 1729, devint organiste de la cathédrale et de la cour. De 1749 à sa mort, il fut maître de chapelle à la cathédrale et à la cour, postes auxquels, en 1762, Leopold Mozart espéra en vain lui succéder. Outre ses pièces d’orgue, il laissa une production essentiellement religieuse - plus de 50 messes, 12 requiem, oratorios, offertoires, etc. - et, à ce titre, en particulier par la solidité de son écriture contrapuntique et par son goût pour les tournures populaires germaniques, exerça sur le jeune Wolfgang Amadeus Mozart une influence que celui-ci reconnut toujours volontiers. EBLE DE VENTADORN (Eble II, dit LE CHANTEUR ), troubadour français ( ? v. 1090 abbaye du Mont-Cassin, Italie, 1149). On n’a retrouvé aucune de ses oeuvres, mais il est certain que son influence fut très importante. Comme son suzerain Guillaume de Poitiers, il cultiva musique et poésie. Il fit de son château (Ventadour, en Corrèze) un lieu de rencontre des troubadours et des jongleurs. Dans ce cénacle se développa le talent de Bernard de Ventadour, qui fut peut-être son parent. Il partit en croisade avec Louis VII et mourut sur le trajet du retour. ÉCART. Intervalle plus ou moins grand entre deux notes. Les traités d’harmonie traditionnelle interdisent au compositeur d’écrire un écart dépassant l’octave entre les parties supérieures ; un écart plus grand est permis entre le ténor et la basse. Sur les instruments à clavier, la main ne permet guère de jouer un intervalle dont l’écart soit supérieur à la dixième. Aussi les écarts plus grands sont-ils généralement arpégés, technique qui est assez courante, par exemple, dans le jazz. ECCARD (Johannes), compositeur allemand (Mühlhausen 1553 - Berlin 1611). Il étudia probablement le chant et la composition dans sa ville natale avec Joachim à Burck. De 1567 à 1571, il fut choriste à la chapelle de la cour de Weimar et travailla avec J. Hermann. De 1571 à 1573, il fut chantre à la chapelle de Munich où il étudia avec Roland de Lassus. De 1577 à 1578, il fut au service des Fugger à Augsbourg avant d’entrer à celui de Georg-Friedrich de Prusse-Ansbach à Königsberg, où il fut successivement vice-maître de chapelle (1580), puis maître de chapelle (1604). À partir de 1608, il occupa le poste de maître de chapelle à la cour de Berlin. Ses compositions religieuses s’efforcent de rendre audible la mélodie liturgique sans sacrifier les exigences du contrepoint (Geistliche Lieder auf dem Choral, Königsberg, 1597). De même, dans son oeuvre profane (Neue deutsche Lieder, Mülhausen, 1578 ; Neue Lieder, Königsberg, 1589), il tente de concilier les formes plus légères de la chanson avec l’écriture de la polyphonie savante. ECCLES (Eagles), famille de musiciens anglais. Solomon (? v. 1617 - Spitalsfield, Londres, 1682). Pendant de nombreuses années, il mena une carrière extrêmement fructueuse, mais vers 1659-60 abandonna sa profession pour devenir quaker, et fanatique, brisant tous ses instruments et brûlant ses livres de musique. Il se fit finalement cordonnier. En 1667, il publia néanmoins un curieux pamphlet contre la musique pratiquée à l’église, A Music-Lector or The Art of Music, et, après un voyage en Amérique, se remit à composer. Solomon, sans doute le neveu du précédent (? v. 1640-1650 - Guilford 1710). Henry, frère du précédent (? v. 16401650 - Londres 1711). Il fut violoniste chez le roi Jacques II. John, fils du précédent (Londres v. 1668 Hampton Wick 1735). À partir de 1690, il devint compositeur attitré pour le théâtre, mais sans jamais atteindre la notoriété de son prédécesseur, Henry Purcell, et fut nommé en 1700 Master of the King’s Music (« Maître de la musique du roi »), prenant sa retraite en 1715. Il publia trois grands livres d’airs en 1698-1700, 1704 et 1710, et en 1702 A Set of Lessons for the Harpsichord (« Recueil de leçons pour le clavecin »). Henry, sans doute parent du premier Henry (? v. 1675-1685 - ? v. 1735-1745). Il travailla à Paris. Thomas, frère du précédent (? v. 1672 - ? 1745). ÉCHANGE. Terme employé dans le langage harmonique pour désigner une note mélodique située entre deux sons identiques appartenant à deux accords (ou à un même accord répété) et à distance d’un ton ou d’un demi-ton. L’échange est en fait une broderie simple de la note harmonique qu’elle orne. Lorsque, après l’échange, on entend de nouveau le son identique, celui-ci peut appartenir soit à la même harmonie que précédemment, soit à une harmonie différente (ex. un sol dans un accord de sol ; note d’échange la - retour au sol qui fait maintenant partie d’un accord de do). ÉCHANTILLONNEUR. Dispositif (micro-ordinateur spécialisé ou logiciel pouvant fonctionner sur un micro-ordinateur à vocation audiovisuelle) qui réalise la numérisation du son, la gestion, éventuellement la modification, et la reproduction des fichiers qui en résultent. Il réalise la conversion de la variation continue d’un signal sonore analogique (fourni, par exemple, par un microphone) en une suite discrète de nombres binaires par des prélèvements, appelés « échantillons », effectués à intervalles réguliers. Le nombre d’échantillons prélevés par unité de temps s’appelle fréquence d’échantillonnage. La fidélité du résultat dépend de la fréquence d’échantillonnage : plus ce taux est élevé, plus le son numérisé est proche du signal analogique originel (le théorème de Shannon montre que la fréquence d’échantillonnage doit être au moins égale au double de la fréquence sonore la plus haute, sinon un effet nommé repliement - aliasing - donne naissance à des sons parasites ; comme la limite du domaine audible est de 20 kHz, la fréquence d’échantillonnage le plus souvent utilisée, par exemple par les disques compacts, est de 44,1 kHz). Le son numérique ainsi obtenu peut être stocké sur une mémoire (disque dur, disquette, disque optique, etc.) et, éventuellement, joué à l’aide d’un clavier - dont la plupart des échantillonneurs sont dotés-, à n’importe quelle hauteur, quelle que soit la hauteur initiale du signal analogique. Un échantillonneur se compose d’une ou plusieurs entrées audio, d’un convertisseur analogique-numérique, d’une mémoire de stockage, des outils de gestion et de traitement numérique des échantillons (transposition, modification de l’enveloppe), d’un convertisseur numérique-analogique, d’une ou plusieurs sorties audio. ÉCHAPPÉE. Terme qui s’applique à n’importe quelle note étrangère à l’harmonie, à condition que l’échappée succède par mouvement conjoint à une note réelle et qu’elle mène ensuite à l’accord suivant par mouvement disjoint, qu’elle fasse partie de l’harmonie de cet accord ou non. Si elle en fait partie, l’échappée possède le même effet que l’anticipation. Elle peut être de longue ou de courte durée, être brodée ou simple, être précédée ou suivie d’une appoggiature. En général, l’échappée est supérieure à la note réelle. ÉCHELLE. Terme qui désigne l’ensemble des sons employés dans un système mélodique donné, mais sans que ces sons soient soudownloadModeText.vue.download 336 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 330 mis à une organisation déterminée ou à une hauteur fixe. L’échelle concerne notamment les musiques primitives, indiennes, orientales, etc., mais le mot ne doit pas être employé pour celui de mode, qui suppose, lui, une organisation. Évoluant à partir du cycle des quintes, les échelles furent d’abord composées de deux sons seulement (échelle ditonique, par exemple, fa-do). Ensuite s’ajoutèrent les échelles tritonique, tétratonique, pentatonique (de loin la plus usitée, par exemple dans la musique chinoise), hexatonique qui contient un demi-ton (par exemple, mi-fa), le maximum étant un ensemble de sept sons (heptatonique). ÉCHO. Phénomène acoustique qui consiste en une ou plusieurs répétitions distinctes d’un son. On dit qu’il y a écho « simple » si le son n’est répété qu’une seule fois, et écho « multiple » s’il est répété deux fois ou davantage. Le phénomène d’écho est dû à un décalage temporel entre la perception directe d’un son et la perception du même son après que celui-ci ait subi une ou plusieurs réflexions sur une surface (mur dans une salle, flanc de montagne dans la nature). Ce décalage provient de ce que la vitesse du son dans l’air (340 m/s) est peu élevée, contrairement à celle de la lumière : une distance de 34 m entraîne un retard de 1/10 seconde (ou 100 millisecondes) entre le moment de la perception et le moment de l’émission d’un son. Si ce décalage temporel est peu important, il n’y a pas répétition, mais simple prolongement du son émis ; on parle alors de réverbération plus ou moins longue. Pour qu’il y ait écho, il faut que le son réfléchi ne parvienne à l’auditeur qu’après un certain temps qui permette de le différencier nettement du son émis. Ce temps est de l’ordre de 100 millisecondes pour la musique, et seulement de 40 millisecondes pour la parole. Au-delà, l’écho se manifeste, et en se superposant à la suite des sons émis dans un morceau musical ou un texte parlé, il en brouille l’intelligibilité. Ce phénomène constitue donc un défaut acoustique extrêmement nuisible dans les salles - on y remédie en rendant certaines parois absorbantes, ou en brisant le parallélisme de certains murs. Dans la nature, l’écho n’est guère plus qu’une curiosité, mais qui a toujours intéressé les musiciens. Dès le XVIe siècle, les compositeurs se sont plu à imiter le phénomène de l’écho dans leurs oeuvres polyphoniques où cette recherche offrait une difficulté contrapuntique supplémentaire : Marenzio, Roland de Lassus, Claude le Jeune, notamment, ont écrit des chansons ou des madrigaux polyphoniques à double choeur, en canon, dans lesquels le second choeur, décalé et moins intense, produit un effet d’écho. Avec l’opéra italien au XVIIe siècle, l’écho, instrumental ou vocal, devient un effet théâtral très prisé, dès l’Orfeo de Monteverdi (début de l’acte V) ; il est de rigueur chaque fois que le livret évoque, par exemple, la nymphe Écho ou Narcisse. Mais on le retrouve aussi dans la musique religieuse de cette époque, en particulier, celle destinée à Saint-Marc de Venise (Audi coelum des Vêpres de la Vierge de Monteverdi). Dans la musique concertante et instrumentale, nombreux sont les compositeurs qui pratiquent les effets d’écho entre deux groupes orchestraux (Purcell, Haendel, Vivaldi). Mozart réalise un triple écho dans son Notturno pour quatre orchestres. Plus près de nous, on voit encore un Hindemith écrire, en 1944, un écho pour flûte et piano. Dans la musique pour instruments à clavier, l’opposition de deux ou plusieurs plans sonores, matérialisés par les claviers superposés de l’orgue ou du clavecin, a favorisé les oppositions en écho, au XVIIIe siècle principalement. C’est notamment le cas des noëls à variations des organistes français de ce temps, qui ont usé et abusé de ces effets. On en est venu à donner le nom d’écho à l’un des claviers de l’orgue. ECKARD (Johann Gottfried), compositeur et pianiste allemand (Augsbourg 1735 - Paris 1809). Arrivé à Paris en 1758, il y devint le rival de Schobert et fut un des premiers à y écrire des sonates pour clavier. En 17631764, il y rencontra la famille Mozart. En 1767, à Salzbourg, Mozart tira d’un de ses mouvements de sonate (opus 1 no 4) la matière de l’andante de son concerto en ré K. 40. ÉCLISSES. Terme d’organologie qui désigne, dans les instruments à cordes (violons, altos, violoncelles, contrebasses), les côtés de la caisse reliant le fond à la table d’harmonie, et dont la courbe épouse le contour de l’instrument. Elles sont renforcées à l’intérieur par les contre-éclisses. ÉCORCHEVILLE (Jules), musicologue français (Paris 1872 - Perthes-les-Hurlus, Marne 1915). Élève de César Franck de 1887 à 1890, il s’initia aux disciplines musicologiques à Leipzig, sous la direction de Riemann (1904-1905). Il obtint son doctorat à l’université de Paris en 1906 (thèses : 20 Suites d’orchestre du XVIIe siècle français ; De Lully à Rameau. L’Esthétique musicale.) et fonda, l’année suivante, la Revue S.I.M. (Société internationale de musicologie). Ami de Debussy et de Ravel, il défendit les nouvelles tendances de la musique française en même temps qu’il dressait l’inventaire du fonds de musique ancienne de la Bibliothèque nationale (Catalogue du fonds de musique ancienne de la B.N., 8 vol., Paris, 1910-1914) et qu’il poursuivait ses recherches sur les luthistes. Il mourut au front en 1915, laissant inachevée son oeuvre d’historien, qui était d’une grande qualité et riche de promesses. ÉCOSSAISE. Contredanse d’origine écossaise, issue des « country dances » ou « danses de campagne », et écrite sur un rythme ternaire. Elle apparaît en France au début du XVIIIe siècle, avec une mesure à 2/4 ou 2/8 et sur un tempo très animé. À la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, elle sert de prétexte à des compositions de musique pure : Beethoven, Weber, Schubert, Chopin ont écrit des Écossaises. ÉCREVISSE. ! RÉCURRENCE. ÉCURIE. Aux XVIe-XVIIIe siècles, l’un des trois corps musicaux attachés à la cour du roi de France (les deux autres étant la Chambre et la Chapelle). Créée sous François Ier, l’Écurie était à l’origine composée en grande partie de musiciens italiens. Elle était placée sous la direction du grand écuyer et se trouvait au bas de l’échelle dans la hiérarchie des musiciens de cour. Au milieu du XVIe siècle, sa composition instrumentale était la suivante : trompettes, sacqueboutes (trombones), cornets, hautbois, musettes du Poitou, cromornes, violons, trompettes marines, fifres, tambours et deux maîtres à danser. À la fin du XVIe siècle, les violons étaient entrés à la Chambre, et l’Écurie était devenue essentiellement une formation d’instruments à vent. Cependant, ses musiciens, sachant jouer de plusieurs instruments, étaient parfois amenés à jouer du violon, dont le rôle consistait surtout à doubler les parties de hautbois. L’Écurie fournissait les musiciens pour les cérémonies et spectacles en plein air, à l’occasion de l’accueil d’ambassadeurs étrangers, des couronnements, des baptêmes, mariages et enterrements de membres de la famille royale. Elle devait également escorter le roi lors de tous ses déplacements. Les charges étant transmises héréditairement, il s’était créé à l’intérieur de l’Écurie de véritables dynasties de musiciens, surtout à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle : les Chédeville, les Hotteterre, les Marchand, les Philidor. Ils jouèrent un rôle considérable dans le développement du répertoire (suites de danses notamment) et dans celui de la technique des instruments à vent. downloadModeText.vue.download 337 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 331 EDA-PIERRE (Christiane), soprano française (Fort-de-France 1932). Née dans une famille musicienne, elle a étudié avec Jean Planel, est entrée en 1954 au Conservatoire de Paris dans la classe de Charles Panzera, et a travaillé ensuite avec Jeanne Decrais. Elle a fait ses débuts en 1958 à l’Opéra de Nice dans le rôle de Leila des Pêcheurs de perles de Bizet, et, l’année suivante, a chanté Papagena à Aixen-Provence. Elle est entrée à l’Opéra-Comique en 1960, a chanté ensuite à l’Opéra dans les Indes galantes de Rameau, et participé en 1968 à la reprise de Zoroastre de ce compositeur. D’abord soprano colorature lyrique, elle a abordé par la suite des rôles plus dramatiques, et, à cet égard, son interprétation d’Alcina de Haendel, à Aix-en-Provence en 1978, a marqué un tournant dans sa carrière. Elle a créé des oeuvres contemporaines, parmi lesquelles D’un espace déployé de Gilbert Amy et Pour un monde noir et Erzsebet de Charles Chaynes, et réalisé plusieurs enregistrements, dont une intéressante sélection d’airs de Grétry et de Philidor. EDELMANN (Jean-Frédéric), pianiste et compositeur français (Strasbourg 1749 Paris 1794). Il arriva à Paris vers 1775. Jusqu’en 1786, il publia dans cette ville et ailleurs seize recueils de musique instrumentale pour clavecin accompagné ou non, mais plusieurs de ces ouvrages indiquent plutôt le pianoforte, instrument dont, comme pédagogue, il fut un des propagateurs dans la capitale française. Leur côté souvent théâtral témoigne de l’influence de Gluck. Edelmann écrivit également pour la scène et mourut guillotiné. ÉDIMBOURG (FESTIVAL D’). Capitale de l’Écosse située près de l’estuaire du Forth. Cette ville dont le nom est lié, depuis 1947, à celui du festival international a depuis longtemps été un important centre musical qui pouvait être comparé aux autres centres britanniques. C’est au début du XVIIIe siècle que la vie musicale y commença sa véritable activité. Vers 1705, Édimbourg comptait un certain nombre de concerts privés. Vers 1721, un « Music Club » existait, qui présentait des programmes de musiques italienne et écossaise. La première société musicale officielle fut fondée en 1728 : The Edinburgh Musical Society, qui dura jusqu’en 1798. À côté d’oeuvres de Corelli, Haendel, Haydn et Mozart, on pouvait entendre celles de musiciens écossais tels que Erskine, Earl of Kellie, jouées par des Écossais. L’année 1815 vit s’ouvrir le festival d’Édimbourg sous la direction de sir Walter Scott et Henry Mackensie. Des festivals identiques eurent lieu en 1819, 1824 et 1843. Peu à peu, le théâtre royal s’éveilla. En 1858, un nombre plus important de concerts réguliers avaient eu lieu grâce à la création de l’Edinburgh Choral Union, société qui poursuit ses activités de nos jours. De 1914 à 1940 fut professeur à l’université de la ville une personnalité importante de la vie musicale en Grande-Bretagne, sir Donald Tovey. De nos jours, la saison d’hiver est très riche en manifestations musicales, avec la saison d’opéras, des concerts symphoniques, des récitals et les Lunch Hour Concerts donnés à la Scottish National Gallery. Mais l’événement musical le plus important de l’année est le festival international qui a lieu à la fin de l’été. INTERNATIONAL FESTIVAL OF MUSIC AND DRAMA. Durant trois semaines, ce festival offre un vaste choix de représentations d’opéras, de ballets, de théâtre, des concerts symphoniques et choraux, des récitals, des concerts de musique de chambre, des récitals de poésie, des expositions, des concerts de musique militaire. C’est en 1947 que débute cette manifestation, placée sous le patronage du roi George VI, dans ce pays encore très éprouvé par la guerre. Les fondateurs en sont la comtesse de Rosebery, Rudolf Bing, directeur général de l’Opéra de Glyndebourne, H. Harvey Wood, représentant de l’Écosse au British Council, lord Cameron et sir John Falconer. Édimbourg fut choisie en raison de son site et des possibilités matérielles qu’elle pouvait offrir : théâtres, salles de concert, hôtels, etc. R. Bing assure la direction du festival de 1947 à 1949. D’emblée, il montre la teneur artistique qu’il entend lui donner en invitant l’Orchestre philharmonique de Vienne, Bruno Walter, Elisabeth Schumann, Kathleen Ferrier, le quatuor Schnabel-Szigeti-Primrose-Fournier. Il monte Le Nozze di Figaro de Mozart et Macbeth de Verdi avec l’Opéra de Glyndebourne. Les représentations théâtrales sont assurées par l’Old Vic, qui joue deux pièces de Shakespeare (la Mégère apprivoisée et Richard II), ainsi que par la compagnie Louis-Jouvet du théâtre de l’Athénée, invitée pour donner l’École des femmes de Molière et Ondine de Giraudoux. Les ballets sont aussi bien représentés avec Margot Fonteyn, Beryl Grey et Frederick Ashton, ainsi qu’avec le Sadlers Wells Ballet, dansant la Belle au bois dormant de Tchaïkovski. En 1948, les représentations dramatiques sont plus nombreuses : la troupe de Jean-Louis Barrault donna Hamlet dans une traduction française d’A. Gide et les Fausses Confidences de Marivaux. En 1950, Ian Hunter succède à R. Bing. Cette année est marquée par l’exécution du Requiem de Verdi par l’orchestre et les choeurs de la Scala, dirigés par Victor de Sabata. Puis on note la présence, en 1951, du New York Philharmonic Orchestra, dirigé par Bruno Walter et D. Mitropoulos ; en 1952, de l’Opéra de Glyndebourne et de l’Opéra de Hambourg ; en 1954, de la ComédieFrançaise avec le Bourgeois gentilhomme de Molière. C’est l’assistant de I. Hunter, Robert Ponsonby, qui lui succède à la direction en 1956. En 1957, la troupe de la Scala donne La Sonnambula de Bellini avec Maria Callas. L’Opéra royal de Stockholm apporte, en 1959, le Wozzeck de Berg et Die Walküre de R. Wagner. En 1961, le nouveau directeur, lord Herewood, fait jouer les Gurrelieder de Schönberg et la 8e Symphonie de Mahler, et décide de consacrer le festival, chaque année, à un ou deux musiciens. L’année 1962 est consacrée à Chostakovitch et à l’école russe ; l’année 1963, à des musiciens de l’Inde. En 1966, sous la direction de Peter Diamand, une troupe de l’Opéra écossais présente The Rake’s Progress et l’Histoire du soldat de Stravinski. En 1968, le War Requiem de Britten est donné par le New Philharmonic Orchestra et les choeurs du festival d’Édimbourg dirigés par l’auteur et C. M. Giulini. Le bicentenaire de Beethoven, en 1970, est célébré par la Missa solemnis sous la direction de C. M. Giulini. Le vingt-cinquième anniversaire du festival fut commémoré avec beaucoup d’éclat : La Cenerentola de Rossini par le Mai musical florentin, dirigé par Cl. Abbado avec T. Berganza, Die Walküre par la troupe de l’Opéra écossais, le Ballet royal danois. Des oeuvres de Penderecki et de Lutoslawski sont jouées, et le Philharmonic de Berlin se produit sous la direction de son chef H. von Karajan, dans Das Lied von der Erde de G. Mahler. En 1973 a lieu la première production de l’Opéra du festival d’Édimbourg avec Don Giovanni de Mozart, dirigé par D. Barenboïm, suivi deux ans plus tard par Le Nozze di Figaro. En 1976, le festival invite le Théâtre national japonais de Bunraku. En 1979, P. Diamand est remplacé par John Drummond. Le succès et la qualité artistique du festival ont fait d’Édimbourg un des buts de vacances culturelles européens, à côté de Salzbourg, d’Aix-en-Provence et de Bayreuth. ÉDITION MUSICALE. L’édition musicale, qu’il ne faut pas confondre avec l’édition de disques, consiste essentiellement dans le commerce des partitions de musique, classique ou autre, ainsi que d’ouvrages d’enseignement tels que méthodes d’instruments, solfèges, etc., que l’éditeur fait imprimer et met ensuite en vente par l’intermédiaire des marchands de musique. Si le concept d’édition date au moins de l’Empire romain (Atticus, copiste de Cicéron, eut le premier l’idée de faire le commerce de textes manuscrits), il faut attendre la fin downloadModeText.vue.download 338 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 332 du XVe siècle, à la suite de l’invention de l’imprimerie typographique, pour voir appliquées à la musique les idées d’Atticus. Le premier éditeur de musique connu, Ottaviano Petrucci, sait profiter à la fois de l’invention récente de Gutenberg, de l’évolution de la notation musicale vers une plus grande précision et des besoins grandissants de la liturgie. Installé à Venise, il fait paraître des messes et des motets de Josquin Des Prés (1516), Agricola, Obrecht, imprimés à l’aide de caractères mobiles, analogues à ceux utilisés pour les textes littéraires. Son idée fait rapidement son chemin et, dès 1516, un autre éditeur, Andrea Antiquis de Montona, publie à Rome le premier livre de musique sacrée où l’on retrouve Josquin, avec Pierre de La Rue, Mouton, etc. Dès lors, les éditeurs de musique se multiplient rapidement, surtout en France, avec Pierre Attaingnant à Paris, Guaynard à Lyon, puis, plus tard, Haultin à La Rochelle, Jacques Moderne et Granjon à Lyon, Chaunay à Avignon, etc. Enfin l’année 1552 voit la création de la maison Le Roy-Ballard - de l’association de deux cousins, Adrian Le Roy et Robert Ballard. Alors va commencer l’extraordinaire dynastie des Ballard, qui, pendant deux siècles, bénéficie d’un véritable monopole de l’édition de musique en France. Munis d’un privilège régulièrement renouvelé et s’assurant le contrôle des moyens d’impression par l’acquisition systématique des collections typographiques, les Ballard sont, dès le début du XVIIe siècle, maîtres absolus du marché de la musique et défendent farouchement leur position dominante, n’hésitant pas à attaquer en justice tous ceux qui essayent d’imprimer de la musique sans leur autorisation. Leur histoire est jalonnée de nombreux procès - certains retentissants comme celui contre le fils de Lully - toujours favorables à leur cause. La première conséquence de cette absence de concurrence se manifeste par une baisse progressive de la qualité des éditions, les Ballard négligeant de moderniser leurs caractères typographiques qui ne suivent pas l’évolution de la notation. Dans la double intention de pallier l’insuffisance technique et de combattre le monopole, d’autres moyens d’impression sont recherchés : lithographie, gravure et même la copie manuscrite dont le commerce redevient un moment rentable. Ainsi s’impose, à partir de 1660, la gravure en taille-douce, qui met finalement un terme à l’exclusivité des Ballard et fait faire du même coup de considérables progrès à la qualité des partitions. Les Ballard essayent d’obtenir également le privilège pour la taille-douce, mais sans succès. Le déclin de leur maison commence alors que naissent de nouveaux éditeurs, encouragés par la nouvelle liberté d’entreprendre comme par le rayonnement exceptionnel de la vie musicale parisienne à cette époque. L’édition musicale française - Chevardière, Huberty, Sieber, Imbault - atteint de ce fait, au XVIIIe siècle, un niveau partout envié, d’autant plus que la concurrence étrangère est encore faible, malgré l’activité de maisons comme Walsh, Forster ou Longman and Broderip à Londres, Le Cène à Amsterdam ou Breitkopf à Leipzig. Ce n’est qu’avec les périodes classique et romantique que la grande édition allemande et autrichienne prend son immense essor, à la mesure des compositeurs de ces pays et de leur renommée mondiale : Artaria à Vienne (Haydn, Mozart), Naegeli à Zurich (Bach, Haendel), André à Offenbach (Mozart, Beethoven). Certains poursuivent encore aujourd’hui leur activité : Simrock à Bonn (Beethoven, Haydn), Schott à Mayence, Breitkopf à Leipzig et Wiesbaden, Boosey à Londres, Lemoine et Leduc à Paris. Au XIXe siècle paraissent les premières grandes éditions monumentales chez Breitkopf, Schlesinger (Paris), Peters (Leipzig), tandis que le répertoire lyrique, en pleine expansion, fait la fortune et constitue l’essentiel de grands fonds éditoriaux français actuels : Heugel (créé en 1839), Choudens (1845), Durand (1869). Le répertoire symphonique français est alors quelque peu délaissé, parce que peu rentable, et la maison Durand reste longtemps quasiment la seule à éditer les symphonistes français : Debussy, Dukas, Schmitt, Roussel, Ravel, etc. Il faut attendre le milieu du XXe siècle pour assister à un renversement de tendance, avec le déclin sensible de l’opéra et de l’opérette, et l’arrivée de cette nouvelle source de droits d’exécution que constitue la radiodiffusion. Malgré celle-ci, le répertoire symphonique est loin d’avoir remplacé, dans le chiffre d’affaires des éditeurs, l’apport important qu’a longtemps constitué la musique lyrique, et les ouvrages d’enseignement sont maintenant majoritaires dans la plupart des catalogues. L’édition des oeuvres contemporaines destinées au concert devient dans bien des cas un véritable mécénat, étant donné le petit nombre d’exécutions auxquelles peut prétendre une oeuvre nouvelle et la faible affluence du public. Aujourd’hui, l’édition musicale souffre moins de l’hiatus compositeur-public, phénomène fort ancien, que de la difficulté éprouvée à combler les risques inhérents à la production contemporaine pour le concert par d’autres sources de financement rentables, telles que le furent le théâtre lyrique ou la musique populaire (aujourd’hui, l’affaire des producteurs phonographiques). Divers problèmes techniques et commerciaux se posent en outre aux éditeurs : l’inadéquation des méthodes de reproduction (archaïques), de promotion, la médiocre diffusion de la musique imprimée (entraînant de trop faibles tirages pour maintenir les prix de revient à un niveau acceptable), le système caduc des locations de matériels d’orchestre, etc. Autant de questions que la profession devra résoudre, sans doute au prix d’une profonde mutation (des méthodes et des buts), pour éviter à moyen terme le risque d’une quasi-disparition. LES CONTRATS. À la remise du manuscrit de son oeuvre à l’éditeur, le compositeur signe avec celuici un « contrat de cession » par lequel il cède son oeuvre à l’éditeur moyennant un partage qui se fait, en France, de la manière suivante : - les droits d’exécution sont fixés statutairement par la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (S. A. C. E. M.) à raison de 1/3 pour l’éditeur et 2/3 pour le compositeur (à partager par moitié avec l’auteur des paroles, si l’oeuvre comporte un texte) ; - les droits de reproduction mécanique, relatifs aux enregistrements de l’oeuvre, sont répartis contractuellement entre les ayants droit : le plus souvent, 50 % à l’éditeur, 50 % au compositeur (à partager avec l’auteur s’il y a lieu) ; -la redevance en pourcentage sur la vente ou la location des partitions, également contractuelle, est fondée généralement sur le prix de vente en gros de la partition. Le compositeur touche le plus souvent 10 % de ce prix sur chaque exemplaire vendu ou 20 % sur le montant de la location des parties d’orchestre. Des avances remboursables peuvent quelquefois être accordées par l’éditeur sur ces royalties, de même que des « primes de cession » non remboursables. LA FABRICATION. Une fois le contrat signé, les différentes étapes de la fabrication commencent : - la gravure : lorsque la composition typographique fut abandonnée, celle-ci fut remplacée par la gravure en taille-douce. À l’aide de poinçons représentant les figures de notes, le graveur copiait la partition sur des plaques de cuivre. Le cuivre fut ensuite remplacé par un alliage à base d’étain, moins onéreux. Une fois gravées, ces plaques étaient directement utilisées dans les presses des imprimeurs pour le tirage des partitions. Plus tard, elles firent l’objet d’un report sur des feuilles de zinc passées en machine. Cette dernière technique est encore utilisée, bien que la gravure sur étain soit de plus en plus rare. Celle-ci a été détrônée depuis la dernière guerre par la « simili-gravure », où la plaque d’étain est remplacée par une feuille de papier calque, encrée à l’aide de poinçons, et reportée ensuite photographiquement sur le support en zinc. Cette dernière technique a constitué un grand downloadModeText.vue.download 339 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 333 progrès sur le plan du prix, du stockage ou de la correction des fautes. On peut également écrire à la plume et à l’encre de Chine sur le calque, procédé de plus en plus employé, étant donné le petit nombre de simili-graveurs encore en activité. La disparition progressive de ce métier va, à court terme, poser un grave problème aux éditeurs qui devront susciter de nouvelles techniques de remplacement, la copie manuscrite ne pouvant constituer qu’un pis-aller. Parmi celles-ci, on peut déjà observer les essais de copie à l’aide de procédés par report de figures de notes autocollantes (du type « letraset »), et surtout l’expérimentation sur ordinateur, très concluante, mais d’un coût très élevé. Nul doute que cette dernière méthode, lorsque l’informatique se sera suffisamment répandue, constituera la réponse à ce grave problème ; - la copie : le papier calque permettant la copie à la plume, c’est ainsi que sont maintenant établies les parties séparées d’orchestre (appelées « matériel d’orchestre ») pour les oeuvres symphoniques. Le « copiste » établit chaque partie sur calque, d’après la partition. Cela rend facile la reproduction des matériels à l’unité, par un procédé reprographique analogue au tirage des plans d’architecte, le tirage en grand nombre n’étant que très rarement nécessaire. L’ASPECT COMMERCIAL. Les éditeurs tirent leurs redevances de plusieurs sources : - la vente de partitions : les partitions sont généralement mises à la disposition du public par les marchands de musique spécialisés qui achètent directement chez les éditeurs (avec 30 à 40 % de remise) ou bien chez un grossiste (il en existe deux à Paris : Consortium musical et le Service de distribution musicale). Le petit nombre de détaillants et leurs problèmes de stockage rendent très difficile la distribution d’oeuvres nouvelles, le marchand ne pouvant prendre le risque d’acheter une partition qui ne sera peut-être pas vendue. Il attend donc la commande d’un client avant de s’approvisionner. Quelques essais de dépôts analogues à ceux des libraires ont été tentés sans grand succès, l’inorganisation des éditeurs constituant un obstacle aussi grand que l’esprit peu aventureux des marchands ; - la location des matériels d’orchestre : les « matériels d’orchestre » des oeuvres symphoniques ne sont, mis à part quelques classiques, presque jamais en vente, mais en location. Pour chaque exécution d’une oeuvre symphonique, l’organisme programmant le concert loue le matériel directement chez l’éditeur pour un prix variant selon le minutage, le nombre d’instruments, l’importance du concert, etc. Ce système de location pose de nombreux problèmes aux éditeurs (remise en état, manutention, expédition, stockage) et aux utilisateurs (disponibilité, prix de location parfois trop élevés pour les ensembles non professionnels, par exemple). Nul doute que là aussi de nouvelles méthodes devront être employées, peut-être grâce à l’informatique dont les possibilités semblent tout à fait adaptées (mise en mémoire de la partition permettant la sélection des parties et leur multiplication à la demande, transposition automatique, suppression des erreurs de transcription, etc.) ; - les droits d’exécution et droits de reproduction mécanique : ceux-ci sont perçus auprès des utilisateurs par la S. A. C. E. M. pour les droits d’exécution, par la S. D. R. M. (Société pour le droit de reproduction mécanique) pour les droits de reproduction, et distribués par ces deux sociétés directement aux ayants droit : auteur, compositeur, éditeur. En ce qui concerne la musique dite « sérieuse », par opposition à la musique légère, ces droits donnent très rarement lieu à d’importants revenus, tant pour les auteurs que pour l’éditeur. L’importance respective de ces différentes sources de revenus est très variable d’un éditeur à l’autre, suivant le type d’oeuvres en catalogue (méthodes, pièces pédagogiques, oeuvres symphoniques, ballets, chansons [et suivant le genre de musique édité] avant-garde, classique, néoclassique, musique légère, etc.). À l’heure actuelle, peu nombreuses sont les maisons d’édition musicale qui prennent le risque d’éditer les oeuvres symphoniques. Parmi les plus actives dans ce domaine, qui ne sont pas toujours les plus importantes, citons Salabert, Jobert, Leduc, Transatlantiques, Rideau rouge. D’autres firmes se spécialisent plus ou moins dans l’enseignement (Lemoine, Billaudot), tandis que plusieurs parmi les plus illustres maisons françaises cessent pratiquement toute activité éditoriale et réinvestissent d’importants revenus dans des domaines extramusicaux. L’ÉDITION MUSICALE DANS LE MONDE. -France : Durand, Heugel, Leduc, Choudens, Salabert, Jobert, Bornemann, Amphion, Transatlantiques, Eschig, Billaudot, Rideau rouge, Costallat, Enoch, Lemoine, Delrieu. -Allemagne : Schott’s Söhne, Bärenreiter, Breitkopf und Härtel, Otto Junne, Bote u. Bock, Sikorski, Lienau, Edition Modern, Heule, Cranz, VEB Deutscher Verlag, Gerig, Heinrichshofen, Hofmeister, Peters, Ries u. Erler, Trekel, Zimmermann. -Autriche : Doblinger, Hochmuth, Österreichischer Bundesverlag, Scheider, Universal. -Suisse : Eulenburg, Helbling, Hug, Foetisch, Henn. -Angleterre : Belwin-Mills, Chester, Faber, Novello, Oxford University Press, Paxton, Robbins, Boosey and Hawkes, Chappell, Leeds. -Espagne : Alier, Boileau, Ediciones Musicales Madrid, Música Moderna, Biblioteca Fartea, Unión Musical Española, Emec, Alpuerto. -Italie : Berben, De Santis, Forlivesi, Ricordi, Zanibon, Suvini Zerboni, Carisch. -États-Unis : Ashley, Associated Music Publishers, Barnegat, Mel Bay, Berklee Press Publications, Franco Colombo, Columbia, Marks, Musik Sales Corporation, Schirmer, Smith, Presser, Ditson. -Pays-Bas : Broekmans et Von Poppel, Harmonia Uitgave, Van Teeseling, Donemus. -Danemark : Wilhelm Hansen. -Belgique : Maurer, Schott frères. -Canada : Berandol, Harris, Algord, Kerby, Forbes. ÉGALES (voix). Non sans impropriété, on désigne sous ce nom, en musique chorale, par opposition à « voix mixtes », une tablature faite d’un ensemble de voix de même nature (voix d’hommes ou voix, indifféremment, de femmes ou d’enfants), mais non obligatoirement de même tessiture. EGEDACHER, (les) famille de facteurs d’orgues bavarois, actifs au XVIIe et au XVIIIe siècle. Joseph Christoph (Straubing 1646 - Salz- bourg 1706) construisit l’orgue de l’abbaye de Waldsassen et entreprit la construction de l’orgue de la cathédrale de Salzbourg. Son fils, Johann Christoph (Munich 1664 - Salzbourg 1747), fut l’un des plus grands facteurs d’orgues de son époque. Travaillant principalement dans la région de Salzbourg, il fut notamment l’auteur des instruments de la cathédrale de Salzbourg. Son frère Johann Ignaz (? 1675 - Passau 1744) s’établit à Passau, où il construisit l’orgue de la cathédrale. Un troisième frère, Johann Georg, fut le collaborateur de Johann Ignaz à Passau. L’un des deux fils de Johann Christoph, Johann Rochus (? 1714 - Salzbourg 1785), fut facteur d’orgues de la cour de Salzbourg. Son frère Johann Joseph (mort à Salzbourg en 1787) collabora avec lui et lui succéda à la cour en 1774. downloadModeText.vue.download 340 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 334 EGGE (Klaus), compositeur, critique musical et musicographe norvégien (Gransherad, Telemark, 1906 - Oslo 1979). Il commence à composer dans les années 30 (sonate pour piano Draumkvede, 1934) et atteint sa pleine maturité créatrice à partir des années 40. Son attitude artistique et esthétique le situe aux côtés de H. Saeverud, H. Lie, S. Jordan, K. Anderson et E. Kjellsby, entre les tenants de la tradition musicale norvégienne et un modernisme réfléchi. Une écriture très ferme et qui favorise le traitement contrapuntique et polyphonique avec une prédilection pour la forme variation et la métamorphose, telles sont les caractéristiques principales d’une oeuvre qui trouve en Norvège une profonde résonance. Si certaines de ses compositions utilisent surtout un matériau folklorique, telles Sveinung Vreim op. 11 (1941) pour solistes, choeurs et orchestre ou Noreg-songen op. 16 (1952) pour choeurs et orchestre, ce sont les domaines symphonique (5 symphonies : Lagnadstonar op. 17 [1942], Giocosa [1947], Louisville [1957], Sopra Bach-Egge [1967] et Dolce quasi passacaglia [1969]) et concertant (concertos pour piano no 2 op. 21 [1944], pour violon op. 26 [1953] et pour violoncelle op. 29 [1966]) qui établissent l’essentiel de la réputation de son oeuvre. K. Egge a représenté la Norvège à l’Unesco au Conseil international de musique et a été président de l’Association des compositeurs norvégiens. EGGEBRECHT (Hans Heinrich), musicologue allemand (Dresde 1919). Successeur de W. Gürlitt à la chaire de musicologie de Fribourg, il s’est spécialisé dans la terminologie musicale (Studien zur musikalischen Terminologie, 1955), et a dirigé à ce titre la partie « termes musicaux (Sachteil) de la dernière édition du dictionnaire de Riemann. Il a écrit notamment Heinrich Schütz Musicus Poeticus (1959), Die Geschichte der Beethoven Rezeption (1972), Die Musik Gustav Mahlers (1982) et Bachs Kunst der Fuge - Erscheinung und Deutung (1985). EGIDIUS (Magister de Aurelianis), théologien et compositeur français (Orléans v. 1340 - Avignon v. 1400). Il fit ses études en Allemagne, en Italie et à Paris. En 1379, il fut reçu docteur en théologie et se fixa dans l’entourage du pape Clément VII qu’il suivit en Avignon. Ayant rempli des missions d’ambassade en 1379, 1385 et 1393, Egidius, après la mort de Clément VII en 1394, resta au service de son successeur Benoît XIII. C’est en Avignon qu’il semble s’être intéressé à la composition. Plus jeune que les musiciens de l’Ars nova Philippe de Vitry et Guillaume de Machaut, Egidius a signé des oeuvres polyphoniques aux mélodies élégantes, mais aux rythmes subtils caractéristiques des musiciens de la période entre Machaut et Dufay (Ars subtilior). On lui doit des ballades et un motet isorythmique à 4 voix. L’une des ballades est dédiée à Clément VII ; une autre, au duc de Berry à l’occasion de la visite de ce dernier au pape en 1389, avec sa fiancée Jeanne de Boulogne. EGK (Werner), compositeur allemand (Auchsesheim, près d’Augsbourg, 1901 Inning-am-Ammersee, Bavière, 1983). Il a fait ses études musicales à Francfort- sur-le-Main, puis à Munich avec Carl Orff. Nommé chef d’orchestre à la radio bavaroise, il s’est établi à Munich en 1929. Il a été ensuite chef à la Staatsoper de Berlin de 1937 à 1941, directeur de l’école supérieure de musique de cette ville de 1950 à 1953, et président de l’Union des compositeurs allemands et de la Société allemande des auteurs et éditeurs de musique à partir de 1950. Il s’est établi en 1953 à Lochham, près de Munich. Mêlé jeune aux mouvements d’avant-garde de la musique allemande, il a été influencé par Stravinski et par l’école française de l’entre-deux-guerres (Suite française d’après Rameau, 1949). D’une façon générale, sa musique est d’un « modernisme » mesuré, sans pouvoir être qualifiée de « néoclassique ». Soucieux d’un langage expressif et immédiatement assimilable, il a su se conquérir un grand public sans faire des concessions qui seraient allées contre sa nature. Son tempérament et ses dons l’ont poussé à consacrer l’essentiel de son travail de créateur au théâtre. Ses principales partitions sont des oeuvres lyriques : Columbus (1932), Die Zaubergeige (le Violon enchanté, 1935), Peer Gynt (1938), Circle (1945, rév. 1966), Irische Legende (« Légende irlandaise », 1955, rév. 1970), oeuvre pathétique admirable à reflets autobiographiques, le Revizor d’après Gogol (1957), où la musique épouse parfaitement le comique du texte et des situations, Die Verlobung in San Domingo d’après Kleist (1963). Il faut aussi mentionner des grands ballets : Joan de Zarissa, créé à Berlin en 1940 et que Lifar a présenté à Paris en 1942, Abraxas, que Janine Charrat a créé à Munich en 1948, la Tentation de saint Antoine (1947, rév. 1952), Casanova in London (1969). EGOROV (Youri), pianiste russe naturalisé néerlandais (Kazan 1954 - Amsterdam 1988). Il étudie le piano au Conservatoire de Kazan. En 1971, il est lauréat du concours Long-Thibaud et entre au Conservatoire de Moscou. Distingué lors des Concours Tchaïkovski à Moscou et Reine Élisabeth à Bruxelles, il commence en 1978 ses grandes tournées internationales avec des débuts retentissants à New York et à Chicago, ainsi que de nombreux concerts en Hollande - en particulier avec l’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam. En 1980, il fait ses débuts en Angleterre (un concert mémorable au Queen Elisabeth Hall) et en Allemagne. En 1981, il donne son premier récital en France, au Festival international de piano de La Roque-d’Anthéron. Après ce brillant début de carrière, il est emporté par la maladie, à l’âge de trente-trois ans. EICHENDORFF (Joseph von), écrivain et poète allemand (Lubowitz, haute Silésie, 1788 - Neisse 1857). Après les « classiques de Weimar (Goethe, Hölderlin, Schiller) et l’école d’Iéna (les frères Schlegel, Tieck, Novalis), la vie littéraire allemande éclate brutalement, au moment où Napoléon met fin au Saint Empire romain germanique (1806). Alors, tandis que Goethe vieillit et que Jean Paul, autre splendide isolé, poursuit une création loin des modes, se développent plusieurs foyers culturels préoccupés de dégager une germanité spirituelle prenant sa source aux plus anciennes fontaines. Le groupe dit « de Heidelberg » est de ceuxlà, qui réunit les frères Grimm avec leurs contes, Arnim et Brentano, collectionneurs des chants populaires qui donneront Des Knaben Wunderhorn, ainsi que, de manière épisodique, quelques poètes comme Eichendorff, avec lesquels meurt doucement le romantisme. Eichendorff, dont la production est tout aussi abondante que variée, tourne le dos aux fantômes tragiques ou grotesques de ses prédécesseurs, pour se plonger dans les souvenirs de son enfance. Par-delà les crises de l’âme ou du corps, c’est bien vers le foyer originel qu’il retourne, source de sa vie et de ses impressions. Il pense ainsi mettre un terme à l’agitation, inquiète sans doute mais trop mondaine, qu’il contemple autour de lui. Mais, pour originale qu’elle soit, son inspiration ne se renouvelle guère. On en voit bien les limites et le talent dans ses nouvelles (Die Zauberin im Herbste, das Marmorbild, et même le Taugenichts et Ahnung und Gegenwart), où les conflits traditionnels du héros romantique se résolvent dans l’appel à de fortes certitudes morales et religieuses. En outre, la prose, chez lui, n’est qu’un prolongement du lyrisme, sans véritable construction dramatique. Au contraire, il excelle à peindre, avec une certaine indolence, les aspirations vagues de l’adolescence, un goût du lointain, tempérés par une lassitude qui se confond avec le retour au père (qui, pour ce croyant serein, est aussi le Père). En définitive, la musique a beaucoup fait pour la postérité d’Eichendorff : Brahms, au meilleur de son inspiration, Wolf (vingt lieder), peut-être trop inquiet, et Schumann, dans le remarquable Liederkreis op. 39, y ont trouvé les échos downloadModeText.vue.download 341 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 335 d’une nature divinisée, consolatrice idéale de ceux qui souffrent. EIMERT (Herbert), compositeur et théoricien allemand (Bad Kreuznach 1897 Düsseldorf 1972). Il fit ses études à l’École supérieure de musique (avec H. Abendroth) et à l’université de Cologne, et travailla dans cette ville, jusqu’en 1945, comme journaliste, comme critique et à la radio. En 1951, il fonda le Studio de musique électronique de la radio de Cologne, qu’il devait diriger jusqu’en 1962, et y appela bientôt à ses côtés le jeune Stockhausen (1953). En 1954, sept morceaux électroniques (dont deux de Eimert et deux de Stockhausen) réalisés dans ce studio étaient présentés pour la première fois en public. À partir de 1965, il fut professeur à l’École supérieure de musique de Cologne, dont il dirigea aussi le Studio de musique électronique nouvellement fondé. Il édita la revue Die Reihe (huit cahiers de 1955 à 1962). Il avait été l’un des premiers musiciens germaniques à écrire selon la technique dodécaphonique. Plus important comme théoricien, comme pédagogue et comme publiciste que comme compositeur, il a néanmoins laissé quelques « classiques » de l’électronique tels que Etüden für Tongemische (1954) ou Epitaph für Aykichi Kuboyama pour récitant et sons électroniques (1960-1962). EINEM (Gottfried von), compositeur autrichien (Berne 1918-1996). Fils d’attaché militaire, il étudia notamment avec Boris Blacher à Berlin, et remporta son premier succès avec le ballet Prinzessin Turandot op. 1 d’après C. Gozzi (1942-43, créé à Dresde en 1944). La renommée internationale lui vint avec l’opéra la Mort de Danton op. 6, d’après G. Büchner (1944-1946, créé à Salzbourg par Fricsay en 1947). Suivirent entre autres, comme partitions pour la scène, les ballets Pas de coeur op. 16 (Munich, 1952) et Medusa op. 24 (Vienne, 1957), et les opéras le Procès op. 14, d’après F. Kafka (Salzbourg, 1953), Der Zerrissene op. 31, d’après J. Nestroy (Hambourg, 1964), la Visite de la vieille dame op. 35, d’après F. Dürrenmatt (Vienne, 1971), Kabale und Liebe op. 44, d’après F. Schiller (Vienne, 1976), et Die Hochzeit Jesu (« les Noces de Jésus », Vienne, 1980). Ces oeuvres, sur lesquelles repose principalement la réputation de leur auteur, doivent leur succès à de solides qualités dramatiques et théâtrales ainsi qu’à leur fidélité au système tonal. On doit aussi à G. von Einem des partitions symphoniques et de chambre Philadelphia Symphonie op. 28 (1960), Bruckner-Dialog op. 39 (1971), Wiener Symphonie op. 49 (1976), Ludi Leopoldini (1980), quatre quatuors à cordes (1975 à 1981), enfin diverses oeuvres vocales dont An die Nachgeborenen, cantate op. 42, d’après F. Hölderlin (1973-1975), Lieder vom Anfang und Ende pour voix moyenne et piano (1981), et Gute Ratschläge (1982). Sa Symphonie no 4 a été créée à Vienne en 1988, et son Quatuor à cordes no 5 terminé en 1991. EINSTEIN (Alfred), musicologue américain d’origine allemande (Munich 1880 El Cerrito, Californie, 1952). Il étudia dans sa ville natale la composition et la musicologie et, en 1903, obtint à l’université de Leipzig son doctorat avec une thèse sur la littérature allemande pour la viole de gambe aux XVIe et XVIIe siècles. Critique musical à la Münchner Post de 1918 à 1927, puis au Berliner Tageblatt, il quitta l’Allemagne en 1933, s’installa près de Florence et, en 1939, se fixa aux ÉtatsUnis, dont il devint citoyen en 1945. Il enseigna au Smith College de Northampton jusqu’en 1950. Son oeuvre de musicologue, très importante, est consacrée principalement à la musique italienne et allemande des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles (Gluck, Londres, 1936 ; Mozart, New York, 1945 ; The Italian Madrigal, Princeton, 1949). Mais, à la fin de sa vie, il a aussi publié, sur Schubert (New York, 1951) et sur la Musique romantique (New York, 1947), deux ouvrages importants. Le second témoigne de l’esprit de synthèse et de l’originalité des vues de ce musicologue qui joignait à l’érudition de l’historien un sens critique toujours en éveil. Il fut responsable des 9e, 10e et 11e éditions du dictionnaire de Riemann, et de la 3e édition du catalogue Köchel des oeuvres de Mozart (Leipzig, 1937 ; rév. Ann Arbor 1947). EISLER (Hanns), compositeur allemand (Leipzig 1898 - Berlin-Est 1962). Très tôt attiré par la musique, il se forme en autodidacte avant de suivre l’enseignement de Schönberg à Vienne (1919-1923), puis à Berlin à partir de 1925. Introduit dans les cercles d’avant-garde où il rencontre S. Wolpe et E. Krenek, il donne à ses compositions un tour à la fois critique et ironique (Zeitungsausschnitte, « Coupures de journaux », 1925-26 ; Tempo der Zeit, « Tempo du siècle », 1929) et s’engage dans des activités politiques qui le poussent à écrire de nombreux choeurs et cantates, et à propos desquelles de violentes controverses l’opposent à Schönberg. Entre 1927 et 1933, il compose beaucoup pour le théâtre et le cinéma, et sa rencontre avec l’acteur-interprète Ernst Busch en 1928 l’entraîne définitivement hors des limites de la salle de concert. Ses ballades sont, après ses Massenlieder (« Lieder de masse ») comme Der rote Wedding ou le Kominternlied, l’instrument principal de sa propagande (Anrede an den Kran « Karl », Ballade von der Krüppelgarde, Ballade von der Wohltätigkeit, etc.). Elles sont conçues de façon assez libre, selon le schéma alternatif couplet-refrain. Leur mélodie est calquée sur le rythme déclamatoire du texte ainsi que le prescrit la technique des Agitproptruppen (troupes d’agitation-propagande), et leur accompagnement est confié à un petit orchestre inspiré des groupes de jazz des années 20. Elles doivent beaucoup aux songs de Kurt Weill, mais Eisler recherche moins les effets de distanciation que celui-ci, et pousse la simplification harmonique jusqu’à un quasi-retour à la tonalité classique, ce qui donne à son langage un caractère en même temps « naïf et constructif « : c’est ainsi du moins que le qualifie Brecht, avec lequel il entame alors une longue collaboration (Kuhle Wampe, 1932 ; Die Mutter, 1931 ; Die Massnahme : un Lehrstück pièce pédagogique - composé en 1930). En 1933, Eisler quitte l’Allemagne et, après avoir voyagé à travers l’Europe, s’installe en 1938 aux États-Unis. Il poursuit durant cet intervalle une production très diverse (Deutsche Symphonie op. 56 sur des textes de Brecht, 1937), ne négligeant pas le style dodécaphonique qui fait lui aussi partie intégrante de sa personnalité musicale (14 Arten, den Regen zu beschreiben, « 14 façons de décrire la pluie », 1940), et illustre son expérience cinématographique par le livre intitulé Komposition für den Film, réalisé en collaboration avec Adorno en 1947. La même année, il doit s’exiler à nouveau et s’établit en 1950 à Berlin-Est où, comblé d’honneurs et de charges officielles, il compose des musiques socialistes (hymne de la R. D. A.) qui ont malheureusement beaucoup perdu de la virulence de celles des années 1920. EISMA (Will), compositeur néerlandais (Soengailiat, Indonésie, 1929). Il a travaillé au conservatoire de Rotterdam le violon avec Jewsey Wulf et la composition avec Van Baaren (1948-1953), commencé une carrière de violoniste comme membre de l’Orchestre de Rotterdam, puis s’est perfectionné en composition avec G. Petrassi à Rome (1959-1961) et a étudié la musique électronique avec G.-M. Koenig à Utrecht. D’abord adepte du docécaphonisme, il a évolué vers un style de plus en plus libre, et se tourne à l’occasion vers l’électroacoustique. Il a écrit notamment un quintette à cordes (1961), un concerto pour 2 violons et orchestre (1961), Archipel pour quatuor à cordes (1964) Volumina pour orchestre (1964), Fontemara pour quintette à vents (1966), la Sonorité suspendue pour trio à cordes (1970), le Gibet (1971), Strategic Sonority pour un ou plusieurs ensembles (1974), Collected Papers pour instrument soliste, percussion et synthétiseur (1974), Caprichos pour clarinette basse et bande magnétique (1974), Helena is coming late downloadModeText.vue.download 342 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 336 pour quatuor à cordes et synthétiseur (1975), et le Cheval mort (1976) d’après Aloysius Bertrand pour voix, instruments et dispositif électroacoustique, Liwung pour gamelan et bande magnétique (1977), Gadget pour orchestre (1979), Metselwerk pour percussion soliste et orchestre (1979). EITNER (Robert), musicologue allemand (Breslau 1832 - Templin, près de Uckermark, 1905). D’abord professeur de musique, il se consacra entièrement à la musicologie à partir de 1863. Il s’est attaché à établir les bases scientifiques de l’histoire de la musique en publiant les sources de nombreuses oeuvres des XVIe et XVIIe siècles. En 1868, il prit part à la fondation de la Gesellschaft für Musikforschung (Société de recherches musicologiques) au sein de laquelle il joua un rôle important, assurant notamment la rédaction de sa revue. En 1881, Eitner publia la première édition moderne de l’Orfeo de Monteverdi. Ses travaux de bibliographie et ses recherches de documents d’archives ont eu une importance capitale ; ils constituent l’origine lointaine et la base de grandes publications modernes, et tout particulièrement du R. I. S. M. (Répertoire international des sources musicales). Les publications d’Eitner comprennent : Bibliographie der Musik- Sammelwerke des 16.u. 17. Jh (Berlin, 1877) et le monumental Biographisch-bibliographisches Quellenlexikon der Musiker und Musikgelehrten... (10 vol., Leipzig, 1900-1904, rév. 1959-1960) qui va jusqu’au milieu du XIXe siècle. EL BACHA (Abdel Rahman), pianiste libanais et français (Beyrouth 1958). Il étudie le piano avec Zvart Sarkissian puis au Conservatoire de Paris avec Pierre Sancan. Lauréat du Concours LongThibaud en 1975 et du Concours Reine Élisabeth de Belgique en 1978, il se produit rapidement dans le monde entier. En 1983, son premier disque consacré à Prokofiev obtient le Grand Prix de l’Académie Charles-Cros. Maîtrisant un vaste répertoire de concertos, il interprète avec bonheur Beethoven, dont il a enregistré l’intégrale des sonates pour piano. Mais il est aussi très attaché aux oeuvres de Bach, Mozart, Chopin, Schumann et Ravel. ÉLECTROACOUSTIQUE (musique). Locution utilisée en France pour désigner une technique musicale, et même un genre apparus dans les années 50 : il s’agit de la musique pour bande magnétique réalisée en studio par le compositeur, et utilisant indifféremment des sons d’origine « concrète » (enregistrés par micros) et des sons « électroniques » (issus d’appareils tels que : générateurs électroniques, synthétiseurs, ordinateurs, etc.) qui sont manipulés, assemblés, organisés, pour aboutir à des oeuvres destinées à être diffusées par haut-parleurs. Une oeuvre de musique électroacoustique n’a donc d’existence matérielle que sur le support de la bande magnétique, comme le film sur sa pellicule. La partition ne joue donc ici, en général, qu’un rôle secondaire pour la préparation de l’oeuvre, sa réalisation en studio ou sa diffusion en concert. Ce n’est pas le cas des musiques électroacoustiques en direct, appelées aussi « live electronic music ». On considère généralement que la musique électroacoustique date de 1956, année où fut réalisé par Karlheinz Stockhausen le Chant des adolescents (Gesang der Jünglinge), qui passe pour être la première oeuvre à avoir utilisé en même temps des « sons concrets » (ici la voix d’un petit garçon) et des sons électroniques. Auparavant, la musique électroacoustique existait surtout sous la forme de deux courants distincts et même plus ou moins rivaux : la musique concrète française fondée et défendue par Pierre Schaeffer, et la musique électronique allemande n’utilisant que des sons issus de « générateurs » (ancêtres encore rudimentaires des actuels synthétiseurs). La même année 1956, une musique de ballet de Pierre Henry, Haut-Voltage, associait également sons électroniques et concrets. Dans la fin des années 50, la distinction des musiques concrètes et électroniques cessa d’être aussi tranchée qu’elle l’était et les compositeurs utilisèrent de plus en plus fréquemment les deux types de sources. Ce qui ne veut pas dire qu’on n’a plus créé ensuite d’oeuvres purement « concrètes » (comme les monuments récents de Pierre Henry : Futuristie, Dieu) ou purement « électroniques » - ce qui est le cas de la production courante de nombreux studios, surtout depuis l’apparition du synthétiseur. Mais on a cessé de faire de l’emploi de l’un ou l’autre de ces deux types de sources une pierre de touche, un critère esthétique. Et si les traditions propres de la musique concrète et de la musique électronique (la première plutôt empirique et sensible, la seconde plutôt systématique et abstraite) continuent à exister dans la musique électroacoustique actuelle, c’est mêlées et distinctes à la fois. On peut signaler, par ailleurs, que l’expression musique électroacoustique est typiquement française : le genre se dénomme en anglais « electronic music » ou « tape music », en allemand « elektronische Musik », en italien « musica elettronica ». Si l’on y trouve aussi des expressions comme « elektroakustische Musik », les autres langues sont loin de faire nos subtiles distinctions, ce qui est normal, puisque c’est en France surtout que la musique électroacoustique a fleuri comme un genre à part, avec ses créateurs propres, ses circuits de diffusion, voire son public spécifique. Même en France, cependant, sa situation est loin d’être simple : elle est à la fois un genre et une technique, et cette technique est susceptible d’être associée de mille façons aux techniques traditionnelles (musique « mixte », pour instruments et bande magnétique) et d’évoluer dans les directions les plus variées. Le mot d’ordre de certains centres de recherches récemment fondés, comme l’I. R. C. A. M. de Paris, rejoignant en cela le goût croissant de la musique contemporaine pour les hybridations, le mélange des moyens, semble être d’arracher cette musique à son isolement pour la pratiquer en association avec les techniques instrumentales, audiovisuelles, etc. Le sens de l’histoire leur donnerait-il bientôt raison qu’il ne faudrait pas pour autant déplorer ce statut marginal, qui nous a valu des chefs-d’oeuvre comme ceux de Pierre Henry, François Bayle, Bernard Parmegiani, Alain Savouret, Ilhan Mimaroglu, etc., où se trouvent approfondis et exaltés les moyens propres de la musique électroacoustique. PANORAMA HISTORIQUE. Entre la fin des années 50 et le début des années 70, on assiste à une lente et sûre progression de la musique électroacoustique sur le terrain qu’elle s’est définie, cependant qu’on voit apparaître les premières tendances qui la mèneront à son actuel éclatement. En 1958, le Groupe de recherches musicales reçoit son nom définitif et engage, sous la direction de Schaeffer, les importantes recherches dont le bilan a été consigné dans le Traité des objets musicaux, paru en 1966. Pierre Henry crée dans son studio « Apsome », fondé en 1958, ses premiers grands classiques : la Noire à soixante, Voyage, Variations pour une porte et un soupir, etc. Des studios apparaissent dans le monde entier, entre autres à Milan (1953), Tokyo (1953), Varsovie (1957), Utrecht (1961), etc. La fin des années 60 et le début des années 70 voient une floraison de grands monuments qui marquent le genre : Hymnen (1967) de Stockhausen, Espaces inhabitables (1966), Jeïta (1970) et l’Expérience acoustique (1970-1973) de Bayle, l’Apocalypse de Jean (1968), Fragments pour Artaud (1965-1968) et Mouvement-RythmeÉtude (1970) de Pierre Henry, Pour en finir avec le pouvoir d’Orphée (1972) de Parmegiani, etc. Cependant, dans les années 60, on a vu apparaître les premières expériences de musique électroacoustique en direct (groupes Sonic Art Union, Nuova consonanza, Musica elettronica viva, etc.), de synthèse de sons par ordinateur (Mathews, Pierce, Risset, etc., aux États-Unis) et surtout le développement fulgurant du synthétiseur, qui concentre, sous un volume réduit et de façon maniable pour downloadModeText.vue.download 343 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 337 tous, un ensemble de possibilités de création de sons électroniques autrefois aussi coûteuses que malaisées à rassembler. On sait comment le synthétiseur s’est popularisé dans des versions instrumentales (appareils pour groupes pop, munis d’un clavier comme le piano) pour devenir une espèce d’orgue électronique perfectionné, et comme il a envahi tous les genres et tous les media (pop, jazz, variétés, cinéma, publicité, etc.). On sait aussi que le matériel nécessaire pour créer la musique électroacoustique s’est répandu, miniaturisé et démocratisé au point que ce que contenait de moyens techniques un studio professionnel du début des années 60 est aujourd’hui à la portée des particuliers. D’où la prolifération des studios privés, s’ajoutant aux studios publics animés par des groupes, qu’on connaissait jusqu’alors et qui continuent de se multiplier. C’est à une consécration, mais aussi à un éclatement de la musique électroa- coustique qu’on assiste à la fin des années 70. Tout ce qui faisait sa spécificité (matériel de création, domaine sonore à part) lui a été emprunté par les musiques de grande diffusion pour être « récupéré » et vulgarisé. Dans un premier temps, la musique électroacoustique avait inspiré de nouvelles façons d’utiliser l’orchestre et l’instrument pour créer des « objets sonores » nouveaux, des blocs, des matières évoluantes (musiques « tachistes » et plastiques de Xenakis, Ligeti, de l’école polonaise). Dans un second temps, avec le développement de la « live electronic music » et de l’utilisation des instruments électrifiés, les musiciens sont en mesure de faire produire en direct, par des exécutants vivants, un grand nombre des effets et des matériaux sonores dont la création et la reproduction nécessitaient autrefois le studio et la bande magnétique. Mais croire que la musique électroacoustique n’a rien apporté de plus que de tels « effets » et de tels matériaux, désormais susceptibles d’être produits en direct, c’est méconnaître ce très grand pouvoir d’expression et d’organisation que demeure le montage, sans compter d’autres techniques de manipulation, de mélange, etc., qui exigent le travail en studio et le différé. Cependant, si la musique électroacoustique classique sur bande continue d’être pratiquée, le sentiment général s’affermit qu’elle ne serait plus la « musique de l’avenir », qu’elle aurait fait son temps. Son mode de diffusion - le concert de hautparleurs, parfois agrémenté d’une « spatialisation » active de l’oeuvre qui, tout en lui apportant beaucoup de vie, est rarement perçue comme une intervention vivante par l’auditoire - apparaît à beaucoup ingrat et archaïque. La curiosité, les espoirs tendent à se reporter vers des expériences plus globales, mêlant le son, l’image, les lumières, le geste. Et pourtant, tout est loin d’avoir été dit en musique électroacoustique : l’immense et riche domaine des sons concrets n’a-t-il pas été délaissé par presque tous les compositeurs, à peine avait-il été commencé à être défriché, au profit des facilités du synthétiseur ? À la fin des années 70, l’avenir de cette musique apparaît plutôt indécis. Certes, on investit aujourd’hui beaucoup de temps et d’argent sur les recherches de synthèses sonores par ordinateur. Depuis qu’elles ont commencé (années 60), elles ont apporté de nouvelles ressources sonores et quelques oeuvres estimables - rien encore de grand, de fort, de bouleversant. Les révolutions viennent des hommes, et non seulement des moyens, et l’entichement actuel pour les technologies sophistiquées pourrait bien être le signe négatif d’un manque d’idées et de programmes plutôt que celui, positif, d’un glorieux « bond en avant ». Parallèlement à ces recherches lourdes réservées aux studios importants, la popularisation des micro-ordinateurs va-t-elle, en ouvrant le domaine de la synthèse sonore informatique aux particuliers, lui apporter un sang neuf ? On ne saurait encore le prévoir. PANORAMA GÉOGRAPHIQUE. Si étonnant que cela puisse paraître à certains, la France se trouve être le pays privilégié de la musique électroacoustique, non par la quantité de musique produite (elle est dépassée par les U. S. A.), mais par le degré de maturité, d’autonomie et d’élaboration esthétique et technique que ce genre y a connu - sans compter qu’on y trouve, de Pierre Henry à François Bayle, la plupart des grands créateurs qui l’ont illustré. En particulier, c’est le seul pays où la diffusion des musiques électroacoustiques en concert ait fait l’objet d’un soin particulier et où elle ne soit pas une formule passive et neutre. Des « orchestres de haut-parleurs », des systèmes de diffusion originaux permettant une interprétation vivante de ces musiques, en agissant sur la répartition spatiale, les dosages d’intensité et de couleur, y sont couramment employés. Il y a aussi en France une tradition propre de la musique électroacoustique, issue du courant de la musique concrète : elle reste attachée à une fabrication artisanale, empirique, par le compositeur lui-même, de sa matière sonore, de sa musique, plutôt que par l’assistance d’un technicien ou d’un système automatique. Pierre Henry, installé depuis 1958 dans son studio Apsome monté « pierre par pierre », domine toute la musique électroacoustique. Ce grand solitaire, qui fut le premier à se consacrer entièrement à cette musique, n’a pas seulement créé une oeuvre géniale mais il a aussi vivifié, par ses audaces, un terrain qui sans lui serait demeuré stérile. Sa façon directe et généreuse de prendre à bras-le-corps les grands problèmes de la musique électroacoustique, d’assumer le genre sans réserve, fut pour beaucoup d’autres un exemple et une stimulation. C’est en France aussi que se situent quelques-uns des studios les plus actifs dans le monde : au premier rang, ne serait-ce que par son ancienneté, le Groupe de recherches musicales de l’I. N. A., fondé par Pierre Schaeffer et animé par François Bayle, qui a accueilli ou gardé plus ou moins longtemps dans son sein quelques-uns des auteurs les plus importants, et qui a développé une intense activité de création, de diffusion, de pédagogie et de recherche. À la fin des années 60, d’autres centres très actifs se sont affirmés : le Groupe de musique expérimentale de Bourges, créé en 1970 par Christian Clozier et Françoise Barrière, tient une place importante et a organisé un réseau international d’échanges et de communications entre les studios du monde entier, qui est une de ses originalités. Créé en 1968 par Marcel Frémiot, le Groupe expérimental de Marseille, animé par Georges Boeuf, a démarré de façon prometteuse, et a acquis ensuite une véritable autonomie. On peut citer aussi le Studio du conservatoire de Pantin, le Groupe art-musiqueinfo de Vincennes, le département électroacoustique de l’I. R. C. A. M. à Paris, animé par Luciano Berio jusqu’en 1980, et plusieurs studios en voie de création ou de développement à Strasbourg, Pau, Vierzon, Metz (C. E. R. M.), etc., ainsi que le C. I. R. M. (Jean Étienne Marie), installé à Paris puis à Pantin, et à Nice depuis 1975, et le Studio de l’American Center de Paris (S. M. E. C. A., Jorge Arriagada), sans oublier ceux, de plus en plus nombreux, qui travaillent avec leur matériel privé ou comme invités temporaires des studios publics : Almuro, Ferreyra, Ferrari, Radigue, Bokanovski, Dhomont, d’Auzon, Chion, Tazartes, Cahen, Canton, Maticic, etc. Paradoxalement, malgré cette floraison d’auteurs et de création, la musique électroacoustique en France reste un peu à l’écart de la musique contemporaine officielle, rançon d’un isolement où, par ailleurs, elle a puisé beaucoup de sa force. Dans les autres pays d’Europe, le « tissu » des studios et des auteurs est moins serré, mais on n’en trouve pas moins des centres très actifs, qu’il s’agisse de la Belgique avec le studio de l’I. P. E. M. de Gand (Goeyvaerts, Goethals) et celui de Léo Kupper à Bruxelles ; de la Hollande, avec le Studio de sonologie de l’université d’Utrecht (Weiland, Ponse, Koenig), qui est un des centres les plus anciens et les plus fréquentés ; de l’Autriche, avec le Studio de la Hochschule de Salzbourg, dirigé par Klaus Ager, et celui de la Hochschule de Vienne (Dieter Kaufmann) ; de la Suisse avec le Centre de recherches sonores de la Radio-Suisse romande (Zumbach) et des downloadModeText.vue.download 344 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 338 auteurs comme Guyonnet, Boesch, Kessler ; de la Grande-Bretagne, avec le studio de Norwich (Dennis Smalley) et celui de l’université d’York ; de l’Irlande (Roger Doyle) ; de la Suède, avec le studio de la fondation Fylkingen et celui de Stockholm (E. M. S., fondé par Knut Wiggen), etc. L’Allemagne de l’Ouest est le lieu de naissance de la musique électroacoustique des années 50 au studio de la W. D. R. de Cologne, où continue de travailler le grand Stockhausen et où sont venus par ailleurs Höller, Huber, Kagel, etc. En Italie, on connaît surtout le fameux Studio de phonologie musicale de la R. A. I., fondé à Milan en 1953 par Luciano Berio et Bruno Maderna qui y ont composé des oeuvres marquantes. Luigi Nono y a produit également de nombreuses bandes, mais ce studio a cessé ses activités. D’autres centres se sont révélés dans d’autres villes, à Florence (Pietro Grossi), Rome, Padoue, Pise, Turin (Enoce Zaffiri). L’Europe de l’Est comprend quelques studios, généralement rattachés à des radios nationales (comme les premiers grands studios de l’Europe de l’Ouest : Paris, Cologne, Milan, etc.). C’est en Pologne qu’on trouve un des plus anciens, celui de Varsovie, fondé par Joseph Patkowski et où ont travaillé Wladimir Kotonski et surtout Eugeniuz Rudnik. En Tchécoslovaquie, citons les studios de Bratislava (Peter Kolman) et de Prague ; en Hongrie, le studio de Budapest (Zoltan Pongracz) ; en Yougoslavie, celui de Belgrade (Vladan Radovanovic, Paul Pignon) ; en Russie, la personnalité d’Édouard Artemiev, etc. Aux U. S. A., pour ainsi dire, chaque université possède son studio, et c’est surtout dans ce cadre que se développe la production de musique électroacoustique. Cette musique y est rarement considérée comme un genre à part, autonome, et les bandes magnétiques produites sont généralement destinées à des oeuvres « mixtes » (pour instruments et bandes) ou « mixed media » (avec lumières, ballet, cinéma, etc.). Une grande exception est Ilhan Mimaroglu, qui n’hésite pas à bâtir des fresques purement électroacoustiques. Parmi les très nombreux studios, on citera celui de Valencia, en Californie (Barry Schrader), ceux du Mills College, à Oakland, Californie (Subotnick, Oliveros), de San Diego, d’Urbana, dans l’Illinois (Hiller, Amacher, Gaburo), de Iowa City, Iowa (Peter-Tod Lewis), d’Ann Arbor, Michigan, le dynamique studio du Dartmouth College de Hanover, New Hampshire (Jon Appleton, autre figure marquante) et, à New York, le vénérable studio de l’université Columbia-Princeton où Wladimir Ussachevsky et Otto Luening ont fondé en 1952 la « tape music » (musique pour bande) américaine, et où ont travaillé entre autres Milton Babbitt, Jacob Druckman et surtout Ilhan Mimaroglu. Près de New York, citons encore celui de Stony Brook (Bulent Arel) et celui de John Cage et Daniel Tudor à Stony Point. Presque tous ces studios fonctionnent dans le cadre d’universités, mais il ne faudrait pas oublier les « laboratories » installés dans divers organismes où ont été menées des recherches de pointe : par exemple, celui de la Bell Telephone, à Murray Hill, New Jersey, où Max Mathews et d’autres compositeurs ont développé les premières recherches de synthèse sonore par ordinateur. Au Canada, on retrouve à peu près les mêmes conditions de production et de diffusion de la musique électroacoustique qu’aux U. S. A. On retiendra, outre les studios de l’université Carleton d’Ottawa, de l’université de Toronto, de l’université Simon Fraser à Burnaby (R. Murray Schafer), de l’université Mac Gill à Montréal (Pedersen, Longtin, Joachim, CoulombesSaint-Marcoux), de l’université Laval de Québec (Nil Parent), le nom du pionnier en matière technique et de l’inventeur qu’a été Hugh Le Caine. En Amérique du Sud, la musique électroacoustique ne vit pas sans difficultés matérielles et sociales, même si de nom- breux compositeurs (qui doivent souvent venir en Europe pour se former, et revenir ensuite dans leur continent pour tenter d’y implanter des studios) s’y adonnent : pour l’Argentine, Alberto Ginastera, Gabriel Brnic, Lionel Filippi, Luis-Maria Serra (ces deux derniers animant le studio Arte 11 à Buenos Aires) ; pour le Brésil, Jorge Antunes (studio de Brasília) et Rodolfo Caesar ; pour le Chili, Vicente Asuar ; pour le Venezuela, Raul Delgado. D’autres sont venus s’installer en Europe, tels Jorge Arriagada, Ivàn Pequeñó, Edgardo Canton, Beatriz Ferreyra, Horaccio Vaggione, etc. Au Japon, on connaît surtout le studio de la N. H. K. (radiotélévision) à Tokyo, où des compositeurs comme Toshiro Mayuzumi, Makoto Moroi, Toru Takemitsu, etc., se sont inspirés de la tradition nationale pour créer des oeuvres électroacoustiques. Et, pour l’Australie, on peut citer les noms de Warren Burt et d’Andy Mac Intyre. Dans cette énumération très abrégée ont été omis volontairement les noms de ceux qui se consacrent en priorité à la musique électroacoustique en direct, ou « live electronic music ». Ils sont évoqués dans l’article spécialement consacré à cette rubrique. ÉLECTRONIQUE (musique). Nom donné, d’une manière très générale, à toutes les musiques utilisant pour leur composition, leur réalisation ou leur exécution, des appareils électroniques (instruments, synthétiseurs, magnétophones, ordinateurs, etc.), et, dans un sens plus particulier, à la musique spécifiquement composée sur bande magnétique (on dit alors en français, plus communément, musique électroacoustique). Enfin, dans un sens restreint et localisé, cette expression désigne la musique créée exclusivement avec des sons électroniques de synthèse, à l’exclusion de toute source dite « concrète ». Dans ce troisième sens, la musique électronique s’opposa, vers le début des années 50, à sa « soeur », la musique concrète. Le terme « électronique » étant resté longtemps évocateur de modernité, on appela « électroniques » aussi bien les musiques réalisées selon une concep- tion nouvelle, avec des appareils de studio (et rentrant donc dans ce que nous appelons la musique électroacoustique et la live electronic music), que les musiques d’écriture plus traditionnelle, écrites pour des « instruments électroniques » qui prolongeaient dans leurs possibilités les instruments traditionnels : parmi eux, le Tellharmonium (1906) de Taddeus Cahill ; l’aétérophone (1927) de Léon Thérémine ; le sphérophone (1923) de Jorg Mager ; les Ondes Martenot (1928) de Maurice Martenot, qui furent de ces instruments les plus durables et les plus utilisés dans la musique française ; le Trautonium (1930) de Friedrich Trautwein, pour lequel écrivit Hindemith, et sa version modernisée, le Mixtrautonium d’Oskar Sala, utilisé dans les musiques de film et de radio, etc. Dans cette famille d’« instruments électroniques » utilisant, pour créer le son, des oscillations électriques, mais se présentant souvent comme une extension ou comme une imitation de l’orgue, on trouve aussi l’ondioline de Georges Jenny, la clavioline de Constant Martin, le melochord de Harald Bode, etc., et certains modèles de synthétiseurs dits « présélectionnés » (« presets »). On voit ainsi des manuels techniques qui décrivent des orgues électroniques de conception traditionnelle (destinés à jouer la musique occidentale tempérée) s’intituler manuels de « musique électronique », ce qui introduit une certaine confusion. Dans ce foisonnement d’instruments nouveaux, on retrouve des points communs : l’attachement au clavier, la possibilité de reproduire l’échelle tempérée ou au contraire d’en sortir (par des glissandos, des micro-intervalles) et enfin une référence évidente ou cachée à l’orgue, comme multi-instrument produisant des sons susceptibles d’être entretenus indéfiniment par un procédé mécanique ou électrique. L’orgue incarne le rêve de l’instrument « global », celui qui contient les autres, avec ses jeux, son étendue, sa puissance, et bien des conceptions d’instruments électroniques nouveaux ont repris ce rêve. downloadModeText.vue.download 345 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 339 Dans un sens plus particulier, on utilise parfois l’expression de musique électronique en français comme synonyme de musique électroacoustique, dans le même sens que electronic music en anglais, elektronische Musik en allemand, musica elettronica en italien, etc. ( ! MUSIQUE ÉLECTROACOUSTIQUE.) La musique électronique représente enfin, à l’intérieur des musiques électroacoustiques, une tendance particulière. Par opposition à la musique concrète, elle se définit comme utilisant exclusivement des sons dits « synthétiques », créés à partir d’oscillations électriques, enregistrés et composés sur bande magnétique. Au début, les moyens électroniques de synthèse sonore étaient rudimentaires : ce furent des « générateurs » de sons (« sinusoïdaux », « carrés » ou « blancs ») ou d’« impulsions », empruntés à des laboratoires de mesure qui, dans les années 50, servirent aux premières expériences de musique électronique. Dans les années 60 apparut le synthétiseur, beaucoup plus pratique et riche de possibilités, et, dans les années 70, se développa la synthèse par ordinateur. Ces moyens servirent des esthétiques différentes. En 1951, peu après la naissance de la musique concrète, était fondé le Studio de musique électronique de la West-Deutsche-Rundfunk (W. D. R.) à Cologne, en Allemagne, par Herbert Eimert et Werner Meyer-Eppler. Son but était la réalisation d’oeuvres pour bande magnétique créées à partir de sons de synthèse, conçues et organisées selon des règles très strictes d’inspiration sérielle à partir de partitions préalables extrêmement précises (contrairement à la musique concrète, qui fut la plupart du temps une musique « sans partition »). Dans ce studio vinrent travailler notamment Karlheinz Stockhausen (Studie 1 et 2, 1953) et Gottfried-Michael Koenig (Klangfiguren, 1954). Parallèlement, la « tape music » américaine (musique pour bande, devenue plus tard « electronic music »), inaugurée principalement par Luening et Ussachevsky (Tape Music Center, créé en 1952 à New York), utilisait les sons électroniques d’une manière plus empirique et décontractée, le compositeur Milton Babbitt représentant pourtant, avec quelques autres, l’école « sérielle » de la musique électronique aux États-Unis. À la fin des années 50, plusieurs oeuvres de Stockhausen, Pierre Henry, Ligeti abolirent les frontières entre les genres en mélangeant les sons concrets et électroniques, ou bien en transformant des sons d’origine vocale en textures abstraites (Berio). Ce fut le début de ce que l’on appela d’abord la « musique expérimentale « puis « la musique électroacoustique «, terme qui s’imposa en France. ÉLÉGIE. Genre de poésie apparaissant dans la littérature grecque, écrite selon une métrique particulière (distique « élégiaque ») et habituellement accompagnée par l’aulos. Les sujets traités furent d’abord divers (vin, amour, armée, vie politique, morale) mais le genre fut bientôt consacré surtout à des thèmes tristes. Plus près de nous, le terme désigne une oeuvre de caractère mélancolique, impliquant souvent une contemplation réfléchie et sans dramatisation de la mort. Les plaintes et les nombreux « tombeaux », poétiques et musicaux, de l’époque baroque, époque obsédée par la mort, peuvent être considérés comme des sortes d’élégies. Le terme lui-même ne réapparaît cependant dans la musique qu’avec le triomphe de l’Empfindsamkeit, au XVIIIe siècle. Reichardt et Zumsteeg l’emploient, ainsi que plus tard Beethoven. Par la suite, l’élégie pourra devenir le titre de pièces purement instrumentales ayant le ton de la mélancolie (Dussek, Liszt, Fauré, Florent Schmitt, etc.). ÉLÉONORE D’AQUITAINE, reine de France, puis d’Angleterre ( ? v. 1122 abbaye de Fontevrault, Maine-et-Loire, 1204). Fille de Guillaume X, le dernier duc d’Aquitaine, elle était la petite-fille de Guillaume IX, le premier troubadour connu. En 1137, elle épousa le futur roi de France Louis VII, mariage par lequel l’Aquitaine fut annexée au royaume de France. Très belle et intelligente, elle fut la protectrice des poètes et des musiciens, des troubadours aussi bien que des trouvères. Bernard de Ventadour la suivit outre-Manche lorsque, son mariage avec Louis VII ayant été annulé, elle épousa Henri II Plantagenêt et devint reine d’Angleterre (1154). Son fils Richard Coeur de Lion fut lui-même trouvère, et les autres enfants de ses deux mariages jouèrent tous un rôle dans le développement de la vie artistique. ÉLÉVATION. 1. Mouvement de la voix du grave vers l’aigu. 2. Épisode de la messe au cours duquel le prêtre soulève successivement l’hostie et le calice aussitôt après les consécrations correspondantes. L’élévation ne comporte rituellement aucune musique, mais en allongeant la durée du sanctus qui la précède de peu, tandis que le prêtre continuait l’ordo à voix basse, la polyphonie amenait fréquemment le chant du sanctus à déborder sur l’élévation, ce que les liturgistes voulurent éviter. C’est dans cette intention que le chant du sanctus fut coupé en deux et celui du benedictus transporté après l’élévation bien que sa place liturgique demeurât avant. Mais les musiciens ne s’en tinrent pas pour satisfaits, et l’on prit l’habitude de meubler l’élévation soit par un motet, soit par un morceau d’orgue de mouvement modéré et de caractère recueilli (Frescobaldi, Toccate per l’Elevazione). À la fin du XIXe siècle, les liturgistes réagirent à leur tour et exigèrent pendant l’élévation un silence total, ce qu’à son tour vint abolir la nouvelle messe dite « de Paul VI » en faisant parler ou chanter le célébrant pendant tout le canon, consécration incluse, enlevant ainsi radicalement aux musiciens toute possibilité d’intervention d’ordre artistique. ELGAR (sir Edward), compositeur anglais (Broadheath 1857 - Worcester 1934). Né d’un père marchand de musique et organiste à l’église catholique de Worcester, il se forma en autodidacte, et, dès l’âge de quinze ans, préféra travailler comme assistant dans la boutique de son père plutôt que dans une étude d’avoué. Il donna en 1890 l’ouverture Froissart op. 19, acheva en 1892 la Sérénade pour cordes op. 20, fit entendre en 1896 et en 1898 respectivement les cantates King Olaf op. 30 et Caractacus op. 35, mais ne s’imposa vraiment (d’ailleurs du jour au lendemain) qu’à plus de quarante ans, avec les Variations sur un thème original (ou Enigma Variations) pour orchestre op. 36 : de cette oeuvre, créée par Hans Richter en 1899, le thèmeénigme est suivi de quatorze variations dédiées chacune à une personne de l’entourage du compositeur, « énigmatiquement » désignée par ses initiales. En 1900 fut exécuté au festival de Birmingham, et les deux années suivantes en Allemagne, l’oratorio The Dream of Gerontius (« le Rêve de Gerontius ») op. 38, également un de ses ouvrages les plus célèbres, sur un poème du cardinal Newman traitant du drame du chrétien face à la mort. Ainsi se trouvaient définies les deux directions principales dans lesquelles il devait s’engager. Suivirent en effet, pour orchestre, les ouvertures Cockaigne op. 40 (1900-1901) et In the South op. 50 (1904), la Symphonie no 1 en la bémol op. 55, créée par Hans Richter en 1908, la Symphonie no 2 en mi bémol op. 63 (1911), et l’étude symphonique Falstaff op. 68 (1913), sans doute sa partition la plus ambitieuse ; et, parmi les oeuvres avec voix, les oratorios The Apostles (« les Apôtres ») op. 49 (19021903) et The Kingdom (« le Royaume ») op. 51 (1901-1906), qui fait usage du leitmotiv wagnérien, ainsi que les cantates profanes The Music Makers (« les Faiseurs de musique ») op. 69 (1912) et The Spirit of England (« l’Esprit de l’Angleterre ») op. 80 (1917). Ce à quoi il convient d’ajouter des pièces d’occasion comme les cinq fameuses marches op. 39 intitulées Pump and Circumstance (1901-1930), la grande downloadModeText.vue.download 346 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 340 réussite qu’est l’Introduction et Allegro pour cordes op. 47 (1904-1905), le cycle de mélodies Sea Pictures (« Tableaux marins ») op. 37 (1897-1899), le Concerto pour violon op. 61 (1909-10) et le Concerto pour violoncelle op. 85 (1919), sa dernière grande partition achevée, et, en musique de chambre, les trois ouvrages tardifs que sont la Sonate pour piano et violon op. 82 (1918), le Quatuor à cordes op. 83 (1918) et le Quintette pour piano et cordes op. 84 (1918-19). Fait en 1924 maître de la Musique du roi, seule fonction officielle qu’il ait acceptée à l’exception de la chaire de musique à l’université de Birmingham de 1905 à 1908, il passa ses quinze dernières années dans un silence à peu près total, ayant été très affecté par la mort de sa femme en avril 1920. Il faut dire aussi que l’Angleterre d’après la Première Guerre mondiale n’était plus celle qu’il avait connue et aimée. Considéré dans son pays comme un compositeur de premier plan, trop souvent ignoré ailleurs, il mérite da- vantage cet « excès d’honneur » que cette « indignité ». Ce fut un grand maître de l’orchestre, et on trouve indéniablement chez lui des pages hautement inspirées. La musique de Purcell et des compositeurs anglais des XVIe et XVIIe siècles ne signifia à peu près rien pour lui, ce qui ne devait pas être le cas de ses cadets immédiats comme Vaughan Williams, mais il contribua grandement à redonner à l’Angleterre une place de choix (et par là même confiance en soi) en matière de création musicale. L’indication nobilmente, qu’on retrouve souvent dans ses partitions, le résume en quelque sorte : par-delà le pessimisme de ses dernières oeuvres, écrites sous le coup de la guerre, il personnifia typiquement la Grande-Bretagne du roi Édouard VII, à la mémoire duquel il dédia d’ailleurs sa 2e Symphonie. À sa mort, il laissa inachevés une 3e Symphonie et l’opéra The Spanish Lady, d’après The devil is an ass de Ben Jonson. ELMAN (Mischa), violoniste américain d’origine russe (Talnoi, district de Kiev, 1891 - New York 1967). Il étudia le violon à l’Académie impériale de musique d’Odessa, puis avec Leopold Auer au conservatoire de Saint-Pétersbourg, où César Cui lui enseigna d’autre part la composition. Il fit de brillants débuts à Berlin dès 1904, puis se produisit dans diverses villes d’Allemagne, à Londres, puis en Amérique (1908). Il fut dès lors considéré comme l’un des plus grands violonistes de son époque. Sa sonorité était très particulière, fascinante, et sa musicalité, très grande. Il a écrit pour son instrument quelques pièces et des arrangements. ELMENDORFF (Karl), chef d’orchestre allemand (Düsseldorf 1891 - Hofheim am Taunus 1962). Issu du conservatoire de Cologne, il s’est surtout distingué dans Wagner, ce dont témoigne sa présence au pupitre du Festspielhaus de Bayreuth de 1927 à 1942. ÉLOY (Jean-Claude), compositeur français (Mont-Saint-Aignan, Seine-Maritime, 1938). Marqué dans sa jeunesse par la découverte de Debussy, de Messiaen, du Marteau sans maître de Boulez, il entra à douze ans au Conservatoire de Paris et y obtint de 1957 à 1960 les premiers prix de piano, de musique de chambre, d’ondes Martenot et de contrepoint. Il suivit également de 1957 à 1960 les cours de Henri Pousseur et de Hermann Scherchen à Darmstadt et de 1961 à 1963 ceux de Pierre Boulez à Bâle. En 1961, Chants pour une ombre pour soprano et 9 instruments lui valut un second prix de composition dans la classe de Darius Milhaud. De cette première phase créatrice marquée par le sérialisme et par l’influence de Boulez - mais aussi par celle de Varèse, rencontré aux États-Unis en 1964 - relèvent Étude III pour orchestre (1962) et surtout Équivalences pour 18 instrumentistes (1963). C’est moins vrai déjà de Poly-Chromies I et II pour orchestre à vent, 6 percussions et harpe (1964). En 1966, Éloy écrivit la musique du film la Religieuse de Jacques Rivette, dont il tira l’année suivante Macles pour 6 groupes d’instruments. En 1968 suivit celle de l’Amour fou, de Rivette également. Ce film dure quatre heures, et là se manifesta nettement, pour la première fois, l’attrait exercé sur le compositeur (qui dès 1960 avait visité l’Égypte) par l’Orient. Deux années passées comme professeur d’analyse à Berkeley (1966-1968) lui firent prendre pleinement conscience de l’influence de certaines musiques de l’Orient et de l’Asie sur sa propre évolution. Faisceaux-Diffractions pour 28 instrumentistes (1970), commande de la Library of Congress, fut le reflet de cette rupture avec le sérialisme : dans cette musique violente, où les instrumentistes sont divisés en trois « orchestres », la notion de temps joue un rôle essentiel. « Après les rigueurs de Darmstadt, la musique indienne, où prime la naissance du son, la vie intrinsèque du son dans sa beauté sensuelle, avec mille détails à l’intérieur de ce son, me fascinait » (Éloy). Mais c’est surtout dans Kamakala pour trois groupes d’orchestre, trois chefs et cinq choeurs de douze voix mixtes (1971) que se manifesta ce qui, de plus en plus, avait constitué un pôle opposé à ses conceptions de départ : l’Orient. Là fut tentée la synthèse - jugée par lui indispensable et inévitable - de l’Orient et de l’Occident. Éloy rejette à ce propos le mot « intégration » (de l’Orient par l’Occident), et préfère celui d’« hybridation », opposant par exemple la musique néosé- rielle et postsérielle « fondée sur l’utilisation du discontinu dans tous les plans » au « sens très fort de la continuité des événements sonores » des Orientaux. Invité par Stockhausen au Studio de musique électronique de la radio de Cologne, Éloy lui dédia l’oeuvre qu’il y réalisa en 197273 : Shanti (« paix » en sanscrit), musique de méditation pour sons électroniques et concrets, créée à Royan en 1974 et considérée comme un élargissement de cette démarche. Cette oeuvre longue (deux heures et demie) expérimenta de nouveaux rapports entre le timbre et le temps. Au Studio électronique de la N. H. K. à Tokyo fut réalisée une nouvelle oeuvre de vastes dimensions, Gaku-No-Michi (« les Voies de la musique »), film sans images pour sons électroniques et concrets (197778) s’écartant de toute évocation d’événements ou d’émotions et tendant à faire sentir la réalité de l’infini. À propos de Fluctuante-Immuable pour orchestre (1977), commande de l’Orchestre de Paris, le compositeur évoqua « l’immobilité sous-jacente et permanente d’un discours toujours varié et renouvelé en dehors de toute connotation philosophique ou extramusicale ». En effet, Éloy ne cherche nullement à intégrer une quelconque théorie « orientale » à un langage européen, mais bien plutôt à enrichir la tradition d’Occident par une perception neuve des choses et du temps, précisant avoir trouvé dans la musique orientale une sorte d’improvisation transcendée qui, fait remarquable, repose sur « une base toujours perceptible sur laquelle se développe l’esprit de la variation ». Sa démarche de compositeur, il n’est pas inutile de le préciser, ne fait appel ni à l’improvisation ni au hasard, et sa musique est entièrement « écrite ». Yo-In (« Réverbérations »), musique pour un rituel imaginaire avec bande magnétique, un percussionniste, un modulateur et des jeux de lumière (1979), fut créé au S. I. G. M. A. de Bordeaux en 1980. En 1980 fut réalisée sur l’U. P. I. C. de Yannis Xenakis Étude IV, oeuvre soustitrée « Points-Lignes-Paysages ». Ont suivi notamment À l’approche du feu méditant..., cérémonie bouddhique (1983), Sappho Hikétis pour 2 voix de femme et bande (1989), Rosa, Sonja... d’après Rosa Luxemburg (1991). Personnalité ouverte à des activités fort diverses (il a été pendant un an directeur de la musique au Festival d’automne de Paris et a publié de nombreux articles) ainsi qu’aux autres arts, Éloy a reçu de la S. A. C. E. M. le grand prix de la musique de chambre en 1971 et le prix de la promotion de la musique symphonique en 1980. Il a reçu en outre le Prix national de la musique en 1981. downloadModeText.vue.download 347 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 341 ELSNER (Józef Ksawery), compositeur et chef d’orchestre polonais (Grotków, Silésie, 1769 - Varsovie 1854). Chef d’orchestre au Théâtre national de Varsovie, fondateur et directeur d’une école supérieure de musique en 1810 et du premier conservatoire polonais en 1821, maître de Chopin et de presque tous les compositeurs polonais de la première moitié du XIXe siècle, J. Elsner se consacra au développement de la culture nationale et tenta, dans son oeuvre, d’échapper aux influences étrangères, en particulier celle de l’opéra italien, pour développer des caractéristiques musicales spécifiquement polonaises ; c’est ainsi qu’il publia en 1805 un recueil d’une trentaine de mélodies (dont certaines de M. Kamienski et de J. Stefani), chants de style galant et mélodies pastorales où plusieurs tendances stylistiques annoncent le mouvement romantique. J. Elsner écrivit également plusieurs opéras consacrés à des thèmes historiques où s’introduisent des motifs de danses polonaises (notamment de mazurka et de polonaise) : Sept fois un (1804), Leszek le blanc (1809), le Sultan Wampum (1800), la Belle Urzella (1806). Il est l’auteur de plusieurs oeuvres d’inspiration religieuse de grande valeur dont la Messe latine où apparaît une mélodie de chant traditionnel, l’oratorio la Passion du Christ (1832), un Requiem (1826). Son oeuvre pour musique de chambre a été principalement composée avant 1800 à Lvov ; elle comprend des sonates pour piano, violon, des trios, quatuors, variations. Franc-maçon, J. Elsner composa l’Hymne au grand orient de Pologne. Il écrivit aussi plusieurs traités théoriques et son influence en tant que pédagogue fut décisive pour la vie musicale polonaise au XIXe siècle. ELSSLER, famille de musiciens autrichiens. 1.Joseph, copiste (Kiesling, Silésie ? -Eisenstadt 1782). Entré en 1764 chez les Esterhazy comme copiste, il servit aussi de copiste privé à Haydn, dont le premier catalogue des oeuvres (Entwurf Katalog) est en partie de sa main. 2.Johann, copiste, fils du précédent (Eisenstadt 1769-Vienne 1843). Copiste privé de Haydn à partir de 1787, il devint en outre son factotum à partir des années 1790, l’accompagna lors de son second voyage en Angleterre (1794-1795) et vécut dans son entourage immédiat jusqu’à sa mort en 1809. Le second catalogue des oeuvres de Haydn (Haydn Verzeichnis) est à peu près entièrement de sa main. 3.Fanny, danseuse, fille du précédent (Vienne 1810-id. 1884). Après des débuts à Vienne, elle se produisit en Italie (1824), à Berlin (1830), à Londres et à Paris (1834) et fit de 1840 à 1842 une tournée triomphale en Amérique avant de se retirer en 1851. Elle fut comme danseuse la plus grande représentante du ballet romantique. EMBOUCHURE. Désigne, dans tout instrument à vent de la famille des cuivres, la partie qui se trouve en contact avec les lèvres de l’exécutant. C’est un petit entonnoir en métal plus ou moins épais, aux rebords plus ou moins larges, de forme extérieure hémisphéri que, conique ou cylindrique, que l’on enfonce à l’entrée du tuyau sonore. D’une manière générale, les petites embouchures facilitent l’émission des notes aiguës, et les grosses celle des notes graves, d’où une différence de format considérable entre, par exemple, l’embouchure du tuba et celle de la trompette. Mais chaque instrument requiert aussi une perce (appelée « grain ») et un profil intérieur particuliers, sans parler des modifications de détail dont le choix dépend des préférences de l’instrumentiste. On appelle également « embouchure » la plaque métallique, percée d’un trou ovale, des flûtes traversières modernes. ÉMISSION. Phénomène physique de la production d’un mouvement vibratoire, véhicule de sons. Le mot est employé en particulier dans la terminologie de la technique vocale. En ce sens, le mode de production du son est étudié dans l’article phonation. EMMANUEL (Maurice), compositeur et musicologue français (Bar-sur-Aube 1862 - Paris 1938). Dès son enfance à Beaune, où ses parents se sont fixés en 1867, Maurice Emmanuel découvrit les richesses du folklore en écoutant les chants des vignerons. En 1880, il entra au Conservatoire de Paris et suivit les cours de la Sorbonne. Il obtint en 1886 sa licence ès lettres. Au Conservatoire, il fut l’élève, en histoire de la musique, de Bourgault-Ducoudray, qui encouragea ses recherches sur la musique modale et, en composition, de Léo Delibes, qui réprouva ses audaces. En dehors du Conservatoire, il reçut des leçons d’Ernest Guiraud, chez qui il rencontra Claude Debussy. Ses premières oeuvres, Sonate pour violoncelle et piano (1887), Ouverture pour un conte gai (1890), témoignent de son indépendance vis-à-vis de l’enseignement officiel. En 1895, Maurice Emmanuel soutint en Sorbonne sa thèse de doctorat, un Essai sur l’orchestique grecque. Il avait entrepris cette étude, non pour faire preuve d’érudition, mais « pour y retrouver de la vie et, musicalement, des richesses en sommeil ». Après avoir enseigné l’histoire de l’art dans des lycées, Maurice Emmanuel fut, en 1907, nommé professeur d’histoire de la musique au Conservatoire de Paris. Il occupa ce poste jusqu’en 1936. Ses oeuvres, à l’exception des Six Sonatines, composées entre 1893 et 1925, et des Trente Chansons bourguignonnes (1913), furent rarement exécutées, mais la création de Salamine, en 1929, à l’Opéra de Paris, fit une forte impression. Ce compositeur original, dont l’art viril et sobre s’appuyait sur une connaissance approfondie de la musique antique et des sources populaires, n’est pas encore apprécié à sa juste valeur ; mais l’influence qu’il a exercée en remettant en honneur les modes anciens et la rythmique grecque est unanimement reconnue. On lui doit aussi un traité fondamental, Histoire de la langue musicale (1911). EMPFINDSAMKEIT. Terme allemand signifiant « sensibilité », et désignant un courant littéraire et musical du XVIIIe siècle en réaction contre le rationalisme de l’Aufklärung (des Lumières) : ce n’est plus l’harmonie préétablie de la nature et des hommes qu’il faut explorer, mais leurs remous profonds et insondables. Pour le musicien, la science importe donc moins que la liberté de l’inspiration et de la forme. D’où une floraison de fantaisies cherchant à exprimer les mouvements de l’âme, fantasieren ne signifiant alors pas improviser selon les règles en faisant étalage de sa science, mais exprimer ses humeurs et ses sentiments en improvisant. La personnalité la plus représentative de l’Empfindsamkeit en musique fut Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), dont certaines oeuvres, en particulier pour clavier, traduisent des états d’âme changeants jusqu’à la bizarrerie, et non sans traits velléitaires : ce en quoi l’Empfindsamkeit se distingue nettement du Sturm und Drang, plus tardif (v. 1770), « préromantique » lui aussi, mais dont les explosions même brusques n’excluent pas une discipline d’ensemble. Pour autant que l’on sache, le terme empfindsam apparut pour la première fois en 1755 sous la plume de l’écrivain et publiciste Christoph Friedrich Nicolai (1733-1811). Lessing s’en empara dans sa traduction du Sentimental Journey (« Empfindsame Reise ») de Laurence Sterne (1768), et il devint à la mode. EMPRUNT. 1. Les harmonistes nomment « emprunt » ou « modulation passagère » l’emploi occasionnel, dans une tonalité déterminée, d’altérations ou de formules cadencielles appartenant à une autre tonalité, sans pour autant entraîner de véritable modulation. Ils sont toutefois divisés sur l’étendue à donner à cette notion. Pour les tonalistes stricts, développant l’enseignement downloadModeText.vue.download 348 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 342 de Rameau, toute altération étrangère à la tonalité, à moins qu’elle ne soit strictement de passage, détermine un emprunt à la tonalité dont elle fait partie. Pour les antiramistes, dont le principal porte-parole fut Momigny vers 1800, n’importe quelle altération peut entrer dans n’importe quelle tonalité tant qu’elle ne fait pas oublier la référence à la tonique, ce qui restreint considérablement la notion d’emprunt. Celle-ci se voit à nouveau très circonscrite par la notion de naturalisation dégagée par J. Chailley dans ses recherches de philologie musicale ; cette notion simplifie considérablement l’analyse en réintégrant dans un cadre tonal normal, conforme à la perception, des inflexions dont l’analyse antérieure eût exigé des cascades d’emprunts sans cohérence ni justification psychologique. 2. En facture d’orgue, on parle d’emprunt lorsque, en raison d’une imperfection telle qu’une fuite d’air, on entend sonner une note qui n’a pas été jouée. 3.cÀ l’orgue également, l’emprunt est une technique grâce à laquelle un clavier autre que le clavier habituel joue un jeu déterminé. Par exemple, un jeu de clavier du grand orgue peut être entendu sur le pédalier. ENCHAÎNEMENT. Manière de faire se succéder de façon cohérente les sons, les accords ou les différentes parties du discours musical. On réserve aussi parfois le nom d’enchaînement à des fragments plus ou moins formulaires sans valeur signifiante intrinsèque, dont le seul objet est d’établir une liaison entre deux éléments successifs. Sur les principes d’enchaînement en ce qui concerne les sons et les accords, voir l’article conjonction. On appelle enfin « enchaînement » la succession sans interruption de deux morceaux ou mouvements distincts ; l’enchaînement est alors indiqué dans la partition par le mot « attaca ». ENCINA (Juan del), compositeur et poète espagnol (Salamanque 1468 León 1529). Fils d’un cordonnier, il devint l’élève de Nebrija à l’université de Salamanque, puis entra au service du duc d’Albe et eut la charge des diverses manifestations artistiques organisées par cette illustre famille. C’est ainsi qu’il composa et dirigea en 1492 un poème pastoral (églogue) ayant pour sujet la Nativité. Au cours de sa carrière, il cultiva d’ailleurs particulièrement le genre de l’églogue, dans sa forme espagnole des autos sacramentales, qui annonce l’oratorio (Auto del Repelón, etc.). Encina lui-même précise que la plupart de ses oeuvres poétiques et musicales furent composées avant l’âge de vingt-cinq ans, c’est-à-dire avant son départ pour Rome, lié au fait qu’il n’avait pas obtenu le poste de maître de chapelle qu’il convoitait à Salamanque. Il fit plusieurs séjours à Rome entre 1500 et 1516. Au cours du dernier (1514-1516), il publia sa Farsa de Placida y Victoriano. Lors d’un voyage en Terre sainte, il fut ordonné prêtre, et sa première messe (1519) lui inspira une description poétique (Tribagia, 1521). De 1523 à sa mort, il occupa les charges de chanoine de León et Málaga. Encina fut surtout un compositeur de villancicos ou chansons d’amour. Une centaine environ, constituant la majeure partie de son oeuvre, ont été conservées, notamment dans deux chansonniers, essentiellement le Cancionero del Palacio (1496, rééd. par H. Anglés : Monumentos de la música española, vol. V, 1947 ; X, 1951 ; XIV, 1953), mais aussi le Cancionero de Upsala, paru à Venise en 1556 (rééd. par J. Bal y Gay, El Colegio de México, 1944). Dans ces pièces bien équilibrées, le plus souvent à 4 voix, l’expression du lyrisme et de l’émotion se fait à travers une technique de plus en plus maîtrisée, donnant une impression de simplicité ; on y remarque la qualité de l’invention mélodique, en particulier celle du superius, et la correspondance exacte de la musique avec les textes. Certaines pièces laissent même prévoir de manière surprenante, dans l’importance accordée au texte, la réforme que devait connaître l’Italie à la fin du XVIe siècle. ENCINAR (José Ramón), compositeur espagnol (Madrid 1954). Il a travaillé la guitare et étudié au conservatoire de sa ville natale, puis à l’Accademia Chigiana de Sienne avec Franco Donatoni en 1971 et (après une année à Milan) en 1972. Depuis 1973, il dirige à Madrid le groupe Koan, spécialisé dans l’exécution des oeuvres contemporaines, et, depuis 1976, enseigne comme assistant la composition à l’Accademia Chigiana. Il a écrit notamment un quintette pour piano et cordes (1969) et un autre pour harpe, clavecin, guitare, alto et violoncelle (1971), Homenaje aJ. Cortazar pour voix et 4 instruments (1971), Intolerancia pour 19 cordes (1972), Abhava pour guitare et bande (1972). Tukuna pour 4 clarinettes (1973), Cum plenus forem enthusiasmo pour vihuela et 10 instruments (1973), El aire de saber cerrar los ojos pour guitare à 10 cordes (1975), Ballade pour soprano et harpe sur des textes de Charles d’Orléans (1978), Concert Movement pour clarinette et orchestre de chambre (1979), Canción pour voix et instruments sur un texte de Luis Cernuda (1981). ENCLUME. Instrument à percussion de la famille des « métaux ». Il consiste en une série de blocs d’acier de différentes longueurs posés sur socle qui fait caisse de résonance. Ces blocs sont frappés avec un marteau. Un emploi de cet instrument à des fins descriptives se rencontre, par exemple, dans le choeur des gitans du Trouvère, de Verdi, ou dans l’Or du Rhin, de Wagner. ENDRÈZE (Arthur Kraekmer, dit), baryton américain (Chicago, États-Unis, 1893 - id. 1975). Venu en France en 1918, il entra au conservatoire américain de Fontainebleau, où il fut l’élève de Charles Panzéra, puis travailla avec Jean de Reszké. Il débuta à Nice en 1925 dans le rôle de Don Juan, et fut engagé à l’Opéra de Paris en 1929 (débuts dans Valentin de Faust). Quoique invité à se produire à l’étranger, il fit ensuite l’essentiel de sa carrière à l’Opéra-Comique et surtout à l’Opéra, où il chanta une grande variété de rôles du répertoire français, allemand et italien et créa de nombreux ouvrages, dont Guercoeur de Magnard (1931), et Maximilien (rôle de Herzfeld, 1932) de Milhaud. Il fut aussi le créateur du rôle de Metternich dans l’Aiglon d’Ibert et Honegger à l’Opéra de Monte-Carlo en 1937. Endrèze fut un chanteur modèle par son phrasé et sa diction, et un artiste complet, musicien et acteur exceptionnel. Iago dans Otello de Verdi et Hamlet dans l’opéra d’Ambroise Thomas comptent parmi les rôles qu’il marqua de son empreinte. ENESCO (George), compositeur, violo- niste, pianiste et chef d’orchestre roumain (Liveni-Vîrnav, près de Dorohoi, 1881 - Paris 1955). Il fit de 1888 à 1894 des études au conservatoire de la Société des amis de la musique de Vienne, notamment avec J. Hellmesberger (musique de chambre) et J. Hellmesberger Jr (violon) ; ce dernier lui fit rencontrer Brahms. En 1894, Enesco composa ses premières oeuvres : une Introduction et une Ballade pour piano. Il se rendit à Paris et y fut au Conservatoire, de 1895 à 1899, l’élève de Marsick et White (violon), Ambroise Thomas et Théodore Dubois (harmonie), Gédalge (contrepoint), Massenet et Fauré (composition). Il trouva dans la capitale française un milieu artistique et intellectuel qui stimula ses facultés. La princesse Bibesco l’introduisit dans les cercles musicaux, le présenta à Saint-Saëns, ainsi qu’à Édouard Colonne qui dirigea en 1898 la première audition du Poème roumain. La même année, Enesco créa aux côtés de Cortot sa 1re Sonate pour violon et piano. En 1900, il se produisit pour la première fois comme violoniste aux concerts Colonne : ce fut le début d’une grande carrière de soliste, comprenant notamment des tournées aux États-Unis à partir de 1923, carrière qui downloadModeText.vue.download 349 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 343 n’interrompit pas son activité de compositeur, dont une des dates essentielles est 1931 ; cette année vit l’achèvement de l’opéra OEdipe, oeuvre qui avait préoccupé Enesco pendant trente ans et devait être créée à l’Opéra en 1936. En 1937, il épousa la princesse Cantacuzène. Après la Seconde Guerre mondiale, il participa à Bucarest à une exécution de l’intégrale des Quatuors de Beethoven et travailla à ses dernières oeuvres : le 2e Quatuor à cordes (1950-1953), la Symphonie de chambre pour 12 instruments solistes (1954) et le poème symphonique Vox maris (1950). Enesco fut un musicien complet, aux dons riches et multiples, et un éminent professeur de violon, qui eut notamment pour élève Yehudi Menuhin. Son auréole d’interprète a trop souvent fait oublier la profonde originalité de ses compositions. Dans celles-ci, il s’inspira du folklore de son pays, mais son évolution tendit vers une utilisation de plus en plus sublimée de celui-ci. Le folklore assume encore un rôle pittoresque dans les deux Rhapsodies roumaines (1901). Mais déjà vers la même époque, il est mieux maîtrisé dans la 1re Symphonie (1905), qui utilise le langage polyphonique de la fin du XIXe siècle, notamment celui de Brahms, avec une parfaite domination mais sans académisme, dans la 2e Sonate pour violon et piano (1899), l’Octuor (1900), le Dixtuor (1906), qui font une synthèse originale entre une inspiration nourrie des grandes traditions classiques et romantiques et un chant puisant aux sources populaires. Mais c’est dans la 3e Sonate pour violon et piano « dans le caractère populaire roumain » (1926) que le génie d’Enesco éclate vraiment : ici le folklore est transcendé, le chant du violon jaillit, entièrement inventé et comme improvisé librement, plus brûlant encore que chez ces « lǎutari » qui ont bercé l’enfance du compositeur. Dans cette assimilation « organique » du folklore, Enesco, tout en retrouvant le chant profond de sa race, utilise une écriture audacieuse, avec des recherches de timbres qui évoquent Schönberg et Webern et des quarts de ton que l’on retrouve dans OEdipe. Dans cet opéra puissant et généreux, un riche matériau musical traduit la grandeur du mythe grec et sa force tragique. La noble figure d’OEdipe acquiert ici une dimension universelle et une profonde signification humaine, symbolisant le pathétique combat de l’homme contre le Destin. C’est la clef de voûte de l’oeuvre d’Enesco. Les dernières oeuvres comme le 2e Quatuor à cordes et la Symphonie de chambre utilisent une construction chère au compositeur : une forme cyclique où les idées musicales se perpétuent d’un mouvement à l’autre, se métamorphosent progressivement, et ne se développent complètement qu’à la fin de l’oeuvre tout entière, réalisant ainsi l’intégration des mouvements dans une unité morphologique supérieure. ENGEL (Carl), musicographe, éditeur et compositeur américain d’origine allemande (Paris 1883 - New York 1944). Il fit ses études aux universités de Strasbourg et de Munich, et étudia la composition avec Ludwig Thuille. Installé aux États-Unis à partir de 1905, il y fut conseil- ler musical de la Boston Music Company (1909-1922) et responsable musical de la Library of Congress à Washington (19221934). En 1929, il fut nommé directeur du périodique musical Musical Quarterly et président des éditions Shirmer. Il a laissé de nombreux articles musicographiques, deux ouvrages (Alla breve, from Bach to Debussy, 1921 ; Discords Mingled, 1931), ainsi que des compositions et des transcriptions vocales, de la musique pour violon et pour piano. ENGELMANN (Hans Ulrich), compositeur allemand (Darmstadt 1921). Après avoir commencé dans sa ville natale des études musicales interrompues par la guerre, il a travaillé la composition avec Fortner à Heidelberg et suivi les cours d’été de Krenek et Leibowitz à Darmstadt. Parallèlement, à l’université de Francfort, il a été l’élève d’Adorno en philosophie et a poursuivi des études de musicologie conclues par une thèse sur Mikrokosmos de Bartók (Wurtzbourg, 1952). Il a été à partir de 1969 chargé de cours de composition à la Musikhochschule de Francfort. Conseiller artistique au Landestheater de Darmstadt de 1954 à 1961, il a toujours vécu très près des milieux du spectacle et, dans son oeuvre abondante, les musiques de scène, de radio (opéras radiophoniques Doktor Fausts Höllenfahrt, « le Voyage de Faust en enfer », 1949-50 ; Der Fall van Damm, « le Cas van Damm », 1966-67 ; etc.), de film tiennent une place importante. Il a aussi composé de la musique d’orchestre (Stele für Büchner, canto sinfonico pour solistes, choeur et orchestre, 1986), des oeuvres pour piano, diverses oeuvres instrumentales, des cantates, des choeurs, des ballets. Adepte de la technique sérielle, il s’est progressivement tourné vers la musique électronique. Il est, d’autre part, l’auteur de nombreux articles de recherche et de réflexion. ENGERER (Brigitte), pianiste française (Tunis 1952). Elle entre à l’âge de onze ans au Conservatoire de Paris, dans la classe de Lucette Descaves, et obtient quatre ans plus tard un 1er Prix de piano. Lauréate du Concours Long-Thibaud en 1969, elle part l’année suivante étudier au Conservatoire de Moscou, où elle reste jusqu’en 1975. En 1974, elle est lauréate du Concours Tchaïkovski et en 1978 du Concours Reine Élisabeth de Belgique. En 1980, Herbert von Karajan l’invite à jouer avec l’Orchestre philharmonique de Vienne. Daniel Barenboïm l’invite à son tour à se produire avec l’Orchestre de Paris, Zubin Mehta avec le New York Philharmonic. Elle réserve une place importante à la musique de chambre. La puissance et la finesse de son jeu lui permettent d’interpréter avec bonheur aussi bien les pièces lourdes du répertoire (la Wandererfantasie de Schubert, les Tableaux d’une exposition de Moussorgski ou les dernières sonates de Beethoven) que les pièces poétiques et fantasques d’un Schumann. ENGLERT (Giuseppe Giorgio), organiste et compositeur suisse (Fiesole, Italie, 1927). Élève du conservatoire de Zurich (W. Burkhard, H. Funk) de 1945 à 1948, il s’installa en 1949 à Paris et y poursuivit ses études d’orgue avec André Marchal (1949-1956), dont il devint l’assistant à Saint-Eustache (1957-1962). Il fréquenta aussi les cours de Darmstadt. Codirecteur du Centre de musique de Paris (19641968), il fut appelé en 1970 à enseigner à l’université Paris VIII (Vincennes) sur le thème de l’expression musicale collective, et y fonda en 1975 le Groupe art et informatique de Vincennes (G. A. I. V.), avec, comme objectif, la production et la présentation « live » de musique électronique avec des instruments hybrides. Il a également travaillé au Groupe d’études et de recherches musicales (G. E. R. M.) de Pierre Mariétan. Comme oeuvres autonomes, on lui doit notamment les Avoines folles pour quatuor à cordes (1962-63), Fragment pour orchestre (1964), le Roman de Kapitagolei pour orchestre (1966-67), Cantus plumbeus non pulsando pro organo pour orgue (1972), Quatuor « S » pour synthétiseur (1978-79), Trinsin-Funpol pour 5 instruments (1980). Viennent s’y ajouter des oeuvres-contributions comme Vagans animula pour orgue et bande magnétique (1969), où l’instrumentiste doit répondre, d’après des indications de l’auteur, à une bande préalablement réalisée à partir des sons de l’orgue, et des productions collectives comme Musique... Sic (université Paris VIII, 1971) ou Sept Heures d’activités continues autour de mini-ordinateurs (G. A. I. V., 1978). ENGLISH OPERA GROUP . « Groupe anglais d’opéra » fondé par le compositeur Benjamin Britten, le librettiste Eric Crozier et le décorateur John Piper au lendemain de la création, à Glyndebourne, du premier opéra de chambre de Britten, The Rape of Lucretia, en juillet 1947. La jeune compagnie, qui se proposait d’ouvrir un débouché au nouveau théâtre lyrique, a monté avec un soin downloadModeText.vue.download 350 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 344 extrême plusieurs ouvrages de Britten (Albert Herring, The Beggar’s Opera, The Turn of the Screw, etc.), d’Easdale et de Berkeley, ainsi que des oeuvres de Purcell et autres compositeurs anciens. On lui doit aussi la fondation en 1949 du festival d’Aldeburgh et celle de l’Opéra Studio, devenu par la suite Opera School, puis National School of Opera. De nombreuses tournées ont fait applaudir hors de son pays d’origine l’English Opera Group, qui a été financièrement absorbé par l’Opéra royal de Covent Garden en 1961. ENGLUND (Einar), compositeur finlandais (Gotland, Suède, 1916). Après ses études à l’Académie de musique d’Helsinki où, de 1933 à 1941, il mène de front la composition avec Selim Palmgren, l’orchestration avec Leo Funtek et le piano, puis à Tanglewood (États-Unis), où, en 1949, il travaille avec Aaron Copland, Englund s’affirme aussi bien comme compositeur, pianiste, critique musical au Hufvudstadsbladet de Helsinki (1957) que comme professeur de théorie musicale à l’Académie de musique d’Helsinki (1958). En 1948, la création de sa 2e symphonie est le premier événement important de l’ère postsibelienne en Finlande. Compositeur inventif et indépendant, il utilise un langage tonal élargi de manière non conventionnelle. Son orchestration est vigoureuse et sa thématique est servie par une grande clarté formelle. Il a écrit 7 symphonies en 1946, 1948 (Koltrast, « l’Oiseau noir »), 1971, 1976, 1977-78 (Fennica), 1984 (Aphorismes) et 1988, des concertos pour piano (1955, 1974), pour violon (1981), pour flûte (1985) et pour violoncelle (1954), plus de 20 musiques de film (Valkoinen peura, « le Renne blanc », 1954), de la musique instrumentale et vocale et 2 ballets (Sinuhe, 1965 ; Odysseus, 1959). ENHARMONIE. 1. Dans la musique grecque, le « genre enharmonique » désignait une division irrégulière du tétracorde (v. chromatique, diatonique). Cette division irrégulière utilisait ce que nous appellerions, de nos jours, des quarts de ton, par exemple mido-do un quart de ton plus bas -si. 2. Actuellement, et depuis l’apparition de la polyphonie occidentale, l’enharmonie désigne des enchaînements, soit mélodiques, soit harmoniques, entre des notes dont la hauteur se trouve être presque la même (tout à fait la même sur le clavier des instruments accordés au tempérament égal), mais dont la fonction musicale et surtout harmonique peut être différente. Par exemple, sur le piano, do dièse et ré bémol sont représentés par la même note. Mais do dièse peut évoquer la tonalité de ré majeur, en même temps que ré bémol peut évoquer celle de la bémol majeur. Dans l’Enharmonique, célèbre pièce de clavecin de Rameau, lors de la douzième mesure après la barre de reprise, un accord de septième diminuée appartient par enharmonie aux tonalités de ré mineur et de fa mineur. À Londres, Haydn écrivit deux oeuvres (la cantate Berenice che fai ? et la symphonie no 102) contenant des modulations enharmoniques spectaculaires, et prit bien soin d’indiquer aux exécutants (en anglais) qu’il s’agissait de the same note (la même note). ÉNIGME. Phrase ou sentence (dite aussi devise) jointe à un canon énigmatique pour en faciliter la résolution. On en trouve, par exemple, dans l’Offrande musicale de J.-S. Bach. ENOCQ (Étienne), facteur d’orgues français ( ? - Paris 1682). Il fut associé à son beau-frère Robert Clicquot. En sa qualité de facteur d’orgues du roi, il construisit des instruments de salon ou de chapelle pour les châteaux des Tuileries, de Fontainebleau, de Saint-Germain-en-Laye et de Versailles. ENREGISTREMENT. Si le rêve de l’enregistrement des sons remonte à l’Antiquité, il ne suscita que des fantaisies poétiques (Platon, Rabelais, Cyrano de Bergerac) jusqu’à ce qu’un Français, Léon Scott de Martinville, s’avisant du mouvement vibratoire des sons, construisît son phonautographe (1857) : un stylet, mis en vibration par une membrane recevant la pression acoustique, traçait l’ondulation correspondante sur une plaque de verre enduite de noir de fumée et se déplaçant régulièrement. Ce procédé, qui anticipa exactement sur le microphone et le burin de gravure, fixait une image des sons émis, mais était malheureusement impuissant à les reproduire. Vingt ans plus tard, le 16 avril 1877, le poète français Charles Cros donna la description d’un appareil qu’il nommait paléophone : le déplacement latéral d’un burin, mis en vibration, gravait une empreinte dans la matière d’un disque en rotation. Ce disque pouvait servir à en fabriquer d’autres identiques, par galvano-plastie et pressage. Et en procédant à l’inverse de l’enregistrement, on le lisait et il engendrait des vibrations acoustiques dans un cornet amplificateur. Le principe de l’enregistrement et de la reproduction sonore sur disques était trouvé, mais il demeura dix ans à l’état d’idée, sans connaître de réalisation pratique. La même année, l’Américain Thomas Alva Edison fit construire une machine de type analogue, dans laquelle les vibrations étaient enregistrées sur un cylindre tournant (12 août 1877). Homme avant tout pragmatique, Edison ne chercha pas à concrétiser un rêve, mais plus simplement à faciliter le travail de bureau par une machine permettant de dicter le courrier ; le cylindre y était réutilisable à volonté après lecture, puisqu’on pouvait effacer l’inscription gravée par rabotage. Perfectionné par Bell et Tainter, le graphophone d’Edison fut la première machine parlante couramment exploitée, et le resta jusqu’au lendemain de la Grande Guerre. Il fut très utilisé comme appareil de bureau, mais son développement comme système de lecture de musique enregistrée se heurta à l’impossibilité de réaliser une duplication industrielle des cylindres : chacun devait être enregistré individuellement. Les travaux des Français Henri Lioret, puis Charles et Émile Pathé, et des Allemands Joseph et Emile Berliner allaient développer l’idée de Charles Cros. En 1898, les frères Berliner fondèrent à Hanovre la première compagnie spécialisée dans la fabrication de disques pour gramophones tirés en séries industrielles : ce fut la Deutsche Grammophon Gesellschaft. Le succès fut foudroyant. Dès les premières années du siècle, la production annuelle se chiffra par millions de disques, pour un catalogue de plusieurs milliers de titres. Désormais, la grande aventure était partie, les firmes éditrices de disques et les fabriques de gramophones de toutes sortes, sans cesse perfectionnés, se multiplièrent et se diversifièrent. Dès 1908, un premier enregistrement intégral de Carmen fut réalisé (en allemand, avec Emmy Destinn). En 1913, la première gravure complète d’une symphonie de Beethoven, la Cinquième, était effectuée par l’Orchestre philharmonique de Berlin, sous la direction d’Arthur Nikisch. En 1919, le pianiste Wilhelm Kempff signa son premier contrat d’enregistrement, tandis que Caruso (mort en 1921) confiait à la cire l’équivalent d’une dizaine d’heures d’enregistrement en soliste. Vers 1926, l’application de la lampe triode permit l’invention de l’amplificateur. Le gramophone devint électrophone, et d’« acoustique », l’enregistrement, considérablement amélioré, devenait « électrique ». Ce fut une ère nouvelle qui s’ouvrait. Datèrent de cette époque de nombreux enregistrements aujourd’hui réédités dans des conditions sonores très honorables (Chaliapine, Busch, Kreisler, Mengelberg, Weingartner, Thill, Huberman, etc.). Il fallut attendre un quart de siècle pour que se produisît la nouvelle révolution, avec le microsillon et la hautefidélité. Le microsillon marque un âge nouveau dans la diffusion du disque auprès du public le plus large, développement qui downloadModeText.vue.download 351 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 345 intéresse désormais tout autant la sociologie que l’histoire de la musique : abandon de la pratique musicale au profit de l’écoute passive, énorme consommation musicale en tous lieux, accès à une vaste culture sonore, fixation de très nombreux événements acoustiques. Comme la photographie, le disque permet de constituer un « musée imaginaire » de la musique, de tous les âges et de tous les pays. En outre, par la référence toujours possible à d’autres interprétations, gravées avec la rigueur idéale (sinon toujours musicale et vivante) autorisée par la technique du montage de la bande magnétique, la virtuosité instrumentale et l’exigence du public se sont considérablement accrues sous l’effet du microsillon. Mais devant les excès de tant de stérile perfection technique, on en revient aujourd’hui à l’émotion de la pratique musicale, de l’enregistrement sur le vif et de la spontanéité de l’expression qui donnaient tout leur prix aux enregistrements et aux interprétations du passé : c’est la juste revanche de la musique sur la technique. En un siècle d’histoire, le disque a connu un développement considérable et de multiples standards quant à son format, sa vitesse de rotation, ses procédés de gravure et de fabrication. Le prodigieux essor du disque et de la « haute-fidélité », après la Seconde Guerre mondiale, a entraîné une indispensable normalisation internationale autour du disque microsillon ; mais une nouvelle époque de l’enregistrement et de la reproduction sonores s’amorce au tournant des années 80, avec le disque « numérique » ou « audiodigital » à lecture par rayon laser, dont aucune normalisation n’a cependant encore vu le jour en raison du formidable enjeu économique que représente l’adoption de tel ou tel procédé industriel. LE MICROSILLON. Il a été officiellement lancé le 21 juin 1948 à New York par les laboratoires CBS, à la suite des travaux du Belge René Snepvangers et de l’Américain Peter Goldmark. Il s’est répandu aux États-Unis, puis en Europe, au début des années 50. Sa réalisation matérielle a nécessité la mise au point, entre autres, d’une matière vinylique spéciale, de texture beaucoup plus fine et plus résistante que la gomme laque employée jusqu’alors ; du même coup, l’adoption de ce matériau, l’acétochlorure de polyvinyle, a entraîné de très importantes améliorations électroacoustiques du support discographique. Le microsillon présente les caractéristiques principales suivantes : - la légèreté : de l’ordre de 150 g pour un disque de 30 cm de diamètre, contre 360 g pour un disque 78 tours de mêmes dimensions ; - la robustesse : le microsillon est incassable, mais sa surface est néanmoins beaucoup plus vulnérable que celle du disque 78 tours (empoussiérage, électrisation, sensibilité aux rayures) et il risque davantage de se voiler ou de se déformer sous l’action de la pression ou de la chaleur ; - la durée : l’étroitesse du sillon et la technique du pas variable, qui permet de loger plus économiquement les spires les unes contre les autres, font atteindre une durée de l’ordre de la demi-heure (au maximum) par face de disque 30 cm, contre quelque 4 min 30 s avec le disque 78 tours. Une durée de 23 à 25 min par face, en stéréophonie, représente la valeur moyenne la plus favorable à la qualité. On peut dépasser la demi-heure, mais au détriment de l’effet stéréophonique et de la dynamique musicale, et avec des distorsions élevées ; - la fidélité : la structure moléculaire de la pâte dans laquelle sont pressés les microsillons a diminué fortement le bruit de fond propre du disque, et donc permis d’accroître la dynamique. Simultanément, les nouvelles techniques de l’électronique ont élargi le spectre des fréquences reproduites, vers l’aigu comme vers le grave. Les perfectionnements de ces techniques ont contribué, à partir de 1960, à graver et à presser des disques stéréophoniques, dans lesquels les deux flancs du sillon reçoivent une information différente, correspondant à chacun des deux canaux de la stéréophonie. Le sillon du disque 33 tours monophonique microsillon a une largeur nominale de 70 micromètres (7/100 de mm) ; sa largeur moyenne est de l’ordre de 55 micromètres, et ne descend pas au-dessous de 50 micromètres. Les deux flancs gravés de ce sillon forment entre eux un angle de 90o, et le rayon du fond du sillon est de 5 micromètres. En stéréophonie, la largeur moyenne du sillon est de 40 micromètres ; elle ne descend pas au-dessous de 35 micromètres ; le rayon du fond du sillon est de 6 micromètres. Ce sont les flancs du sillon qui portent l’information mécanique, sorte de relief variable qui sera traduit en signaux sonores, et non pas le fond du sillon que la pointe de lecture ne doit surtout pas atteindre (ce qui risque de se produire si elle est usée ou inadaptée). Deux grands types standards ont été retenus par les fabricants et ratifiés par l’usage du public : - le disque de 30 cm tournant à 33 tours/ minute. La durée des faces est compatible avec les oeuvres de musique classique, ce qui évite la plupart du temps les coupures au milieu du déroulement musical ; - le disque de 17 cm tournant à 45 tours/minute. Le diamètre étant plus petit, on a adopté une vitesse plus élevée pour maintenir une qualité sonore suffisante. La durée d’enregistrement permet de loger deux chansons par face, ce qui, avec son prix modique et sa maniabilité, en fait le support idéal de la musique de variété. Son large trou central est destiné à l’usage des systèmes de changeur automatique des tourne-disques. D’autres formes standards, beaucoup plus rares et échappant au circuit commercial du grand public, existent pour des applications spéciales, notamment les disques à très faible vitesse de rotation. Le passage de la monophonie à la stéréophonie, au début des années 60, a posé des problèmes de compatibilité entre les deux types de gravure. Il fallait que les nouveaux disques stéréophoniques puissent, sans danger matériel ni détérioration sonore, être lus par n’importe quel équipement monophonique, avec une qualité (monophonique) normale tout en autorisant les meilleures conditions d’écoute en stéréophonie à l’aide des équipements appropriés. La solution fut trouvée en 1964 avec la « gravure universelle », gravure stéréophonique dans laquelle on limite volontairement les amplitudes de modulation verticale qui excéderaient un certain seuil. La diminution d’effet stéréophonique qui s’ensuit n’affecte que de brefs passages et ne nuit théoriquement pas beaucoup à la perception de l’espace sonore. Avec la pratique de l’écoute stéréophonique, on a cherché à apporter un effet stéréo à des disques enregistrés antérieurement en monophonie. Un artifice électronique provoquant une dispersion de certaines fréquences sur deux canaux a pu faire illusion un certain temps, et l’on a ainsi regravé des enregistrements monophoniques stéréophonisés artificiellement en « pseudo-stéréo » (procédé Breitklang). Cette opération entraînant une perte de cohérence de l’image sonore, de nombreux éditeurs de disques ont, fort heureusement, abandonné ce procédé au profit de regravures monophoniques authentiques. LES NOUVELLES TECHNIQUES. Mais la recherche d’une fidélité toujours plus haute ne cessant de se poursuivre, des techniques nouvelles sont apparues au cours des années 70, qui préludent incontestablement à une importante révolution - la plus importante, peut-être, puisque devant supprimer le frottement entre une pointe et le disque -, révolution qui point à l’aube des années 80, celle du disque « numérique » ou « audiodigital ». La tétraphonie (ou quadriphonie). Elle répond au désir d’améliorer davantage la perception de l’espace sonore et sa reproduction. En procédant à une sorte de double stéréophonie, on peut capter les ondes provenant à l’oreille de l’auditeur depuis les différentes directions d’une salle de concert ; symétriquement, la downloadModeText.vue.download 352 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 346 reproduction de ces ondes dans le local d’écoute restitue plus fidèlement les conditions naturelles de l’audition. Ce procédé implique une gravure spéciale des disques au travers d’un codage, pour pouvoir loger une information double dans chaque flanc de sillon ; à la lecture, un décodeur reconstitue les quatre informations, traitées alors par un équipement correspondant (amplificateur quadruple, quatre enceintes acoustiques judicieusement placées). Quoique les éditeurs de disques aient réalisé dans cette perspective leurs nouvelles prises de son et qu’ils aient même publié certains enregistrements en tétraphonie compatible avec la stéréophonie et la monophonie, le procédé ne s’est pas encore répandu. Il faut en trouver la cause principale dans l’accroissement important du coût des équipements domestiques et de leur encombrement, pour un résultat sonore auquel tout le monde n’est pas encore très sensible. LA GRAVURE DIRECTE. Revenant à la technique ancienne utilisée au temps des disques 78 tours, c’est-à-dire avant l’utilisation du magnétophone, ce procédé consiste à faire abstraction du magnétophone d’enregistrement et de tous les artifices électroniques intermédiaires entre le microphone et le burin graveur. Le gain en qualité est réel (diminution du souffle, augmentation de la dynamique), mais tout repentir est interdit (absence de montage). En outre, le tirage se trouve limité. Ce procédé est surtout valable pour le jazz. LE STANDARD 30 CM 45 TOURS/MINUTE. En adoptant la vitesse supérieure pour les disques 30 cm, on augmente la qualité de restitution (à condition que la qualité de la bande originale le justifie) : extension des fréquences reproduites vers l’aigu, réduction du bruit de fond, affaiblissement du taux de distorsion, meilleure restitution des transitoires. Cette qualité se paie d’une légère diminution de la durée disponible sur chaque face (20 minutes au maximum). LE PROCÉDÉ DES IMPULSIONS CODÉES (« PCM »). Procédé très complexe dérivé de l’informatique, il consiste à traiter le signal électrique fourni par les microphones de prise de son, sous forme de séries d’impulsions enregistrées en « tout-ou-rien ». L’amélioration de qualité du signal provenant du magnétophone (spécial) d’enregistrement est spectaculaire (dynamique, spectre de fréquences, séparation entre canaux, absence de pleurage). Ce signal peut être gravé sur disque par les techniques conventionnelles ; les disques ainsi réalisé sont sensiblement meilleurs que les autres, mais la matière même du disque et la lec- ture par frottement d’une pointe dans le sillon en limitent les performances. Le disque compact. Le procédé des impulsions codées a pu être étendu à l’ensemble des techniques de prise de son et d’enregistrement sonore, ainsi qu’à la gravure et à la lecture du disque, faisant entrer celui-ci dans l’ère nouvelle ouverte par l’application à la reproduction sonore des techniques de numérisation utilisées en informatique. Le signal acoustique n’est plus reproduit par une inscription continue le reproduisant analogiquement à lui-même, mais, comme pour une image en télévision, par le truchement d’une analyse point par point qui en permet ensuite la reconstitution. Une fois transformé en signal électrique, le son est analysé à intervalles de temps réguliers très rapprochés, par « échantillons ». Sa valeur instantanée, à chaque prise d’échantillon, est mesurée et traduite en un nombre exprimé en numération binaire, c’est-à-dire à l’aide de 0 et de 1, éléments ou « bits », en un « mot » de 14 bits, 16 bits ou davantage. Plus long est le mot, meilleure est la « résolution », donc plus grande la finesse dans le rendu sonore. Le standard adopté a retenu une fréquence d’échantillonage de 44,1 kHz (c’est-àdire 44 100 échantillons par seconde), et une résolution de gravure de 16 bits. La gravure de l’information sur un support ne consiste plus en la déformation mécanique d’une matière sous l’effet d’une modulation, mais en l’inscription de signaux élémentaires s’opposant à l’absence de signal, dont rend compte un relief de « creux » et de « bosses » à la surface du disque. Ce profil binaire est inscrit par gravure électrochimique sur un support argenté réfléchissant, en une spirale se développant du centre vers l’extérieur du disque, de 0,5 micron de largeur (un demi-millième de millimètre). La surface est protégée mécaniquement par une couche transparente plastique dure, d’un millimètre d’épaisseur. Cette technique permet la fabrication industrielle des disques par pressage. La lecture s’opère à vitesse linéaire constante, au moyen d’un rayon lumineux (laser) dont la modulation, après réflexion sur la surface du disque, est transformée en signal électrique par un préamplificateur-décodeur approprié, signal ensuite traité par la chaîne de reproduction so- nore traditionnelle (amplificateur, enceintes acoustiques). Outre ceux des informations musicales, le disque porte un certain nombre d’autres signaux, notamment de durée, d’identifications diverses, d’asservissement de sa vitesse de rotation, ainsi que de systèmes très complexes de protection de données et de correction des erreurs. Mis au point en Europe par les laboratoires de la firme Philips, sous la direction de Jaap Sinjou, et au Japon par ceux de Sony, sous la direction de Toshi Tada Doi, le nouveau petit disque « compact », ou CD (pour Compact Disc), a été présenté officiellement en 1980. L’adoption d’une normalisation internationale unique en a permis un succès très rapide, dès qu’ont été miniaturisés les matériels de lecture encore extrêmement volumineux à l’époque du fait de la complexité des circuits convertisseurs, et perfectionnées les très délicates techniques de fabrication des disques. Les premiers produits, disques et platines de lecture, sont apparus sur le marché en 1982. En moins de dix ans, ils avaient totalement supplanté le disque « noir », ou microsillon, de quelque standard qu’il se réclame. Peut-être pas définitivement, d’ailleurs, dans la mesure où quelques perfectionnistes, reprochant une certaine absence de « naturel » aux sons ainsi reconstitués, restent fidèles à la technique analogique du microsillon que certains fabricants ont recommencé à produire en petites quantités. Ce sont là les inconvénients (provisoires ?) dont se paient les avantages évidents du nouveau disque. Plus grand confort d’écoute, par une durée accrue (75 à 80 minutes environ, en stéréophonie, soit deux fois plus de temps sur une seule face que les deux faces d’un disque microsillon), plus grand réalisme, grâce à la disparition du bruit de fond et des bruits de surface - le disque compact est silencieux -, se traduisant par une dynamique considérable (96 dB). Avantages matériels, également : petites dimensions (diamètre de 12 cm), manipulation entièrement automatisée, disparition de l’usure et de la détérioration causée par la lecture à la surface des fragiles disques « noirs ». Gain économique, enfin, puisque, à durée égale, le prix de revient du disque compact s’est rapidement révélé inférieur à celui du microsillon. Ce constat contredit les craintes légi- timement manifestées lors du lancement du disque compact. On pouvait en effet supposer que l’extrême complexité de la fabrication du nouveau disque entraînerait un coût de production prohibitif, mais l’énormité du marché mondial a permis un amortissement très rapide des investissements initiaux, et les enjeux économiques ont suscité de rapides progrès industriels. Coût et complexité risquaient de concentrer la fabrication des disques dans les mains de quelques grandes compagnies multinationales, bloquant ainsi la route aux petits producteurs indépendants ; or, l’apparition d’usines de soustraitance a permis au contraire un accès plus aisé à la réalisation des disques. Enfin, les scientifiques pouvaient également redouter que le standard adopté figerait la technique sans espoir d’amélioration possible ; l’ingéniosité des chercheurs à downloadModeText.vue.download 353 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 347 permis, là encore, de surmonter ce réel obstacle. Contrairement à ces prévisions pessimistes, la mise sur le marché du disque compact a provoqué une relance spectaculaire, pour plusieurs années, d’une branche économique alors en perte de vitesse ; elle a suscité l’apparition de nombreuses petites maisons d’édition, et surtout provoqué un accroissement considérable des catalogues d’enregistrements, à la fois en oeuvres inédites et en artistes inconnus. L’application à la reproduction sonore de la technique numérique déjà utilisée, non seulement dans la reproduction des images, mais plus généralement pour l’ensemble du traitement des informations, ouvre à ce domaine des perspectives imprévisibles. Le petit disque compact n’est lui-même qu’une étape éphémère dans l’histoire de la transmission de la musique, avant le disque enregistreur effaçable, le développement du disque audiovisuel d’informations (CD-ROM), des chaînes multimédia interactives ou l’accès à de multiples banques de données spécialisées (Internet) sur les autoroutes de l’information. ENSALADA. Composition vocale de caractère joyeux, répandue en Espagne au XVIe siècle. Très proche du quodlibet, elle était constituée de mélodies sacrées ou profanes, appartenant souvent au répertoire populaire, superposées et possédant chacune son propre texte (qui pouvait être en espagnol aussi bien qu’en latin ou que dans un dialecte local), l’ensemble constituant une pièce polyphonique respectant les règles de l’écriture traditionnelle. Les ensaladas ont fréquemment été transcrites et jouées par les organistes et vihuelistes de l’époque. ENSEMBLE. 1. Terme désignant un groupe de musiciens, chanteurs ou instrumentistes, qui exécutent un morceau en équipe. Un ensemble vocal est un choeur, un ensemble instrumental est un orchestre, mais le mot « ensemble » apporte une précision en introduisant la notion d’effectif réduit, de réunion de solistes. De même, l’expression « musique d’ensemble » évoque le cadre intime de la musique de chambre. 2. Le terme s’applique également à des parties d’oeuvres où chantent simultanément divers solistes, par exemple aux sextuors, septuors, etc., que l’on rencontre, notamment pour les finals d’actes, dans les oeuvres lyriques à partir de l’époque de Mozart. L’ensemble est un des moyens d’expression privilégiés dont dispose le théâtre lyrique, car il permet, grâce à l’aptitude de l’oreille humaine à discerner plusieurs lignes mélodiques simultanées, de faire connaître en un même moment les sentiments agitant plusieurs personnages. La plupart des grands compositeurs lyriques, notamment Mozart, Rossini et Verdi, se sont imposés par leur maîtrise dans la construction des ensembles. ENSEMBLE INTERCONTEMPORAIN. Ensemble de 31 solistes fondé en 1976, et dont les activités ont débuté en même temps que celles de l’Institut de recherche et de coordination acoustique/musique (I. R. C. A. M.), auquel il est associé. Il a comme président Pierre Boulez ; son directeur musical a été Michel Tabachnik (jusqu’au 31 juillet 1977) ; Peter Eötvös lui a succédé de 1979 à 1991. Depuis 1992, le titulaire du poste est David Robertson. En 1977, les activités de l’E. I. C. et celles de l’I. R. C. A. M. se sont déroulées parallèlement, mais l’E. I. C. ne se veut pas l’orchestre de l’I. R. C. A. M. Il a ses concerts et sa saison propres. Mais la collaboration entre les deux organismes est étroite. Sur le plan des concerts, l’E. I. C. s’attache à la fois aux « classiques contemporains » et à la création d’oeuvres nouvelles. Sur le plan pédagogique, il organise des stages, séminaires, ateliers et séances d’animation. Il se préoccupe également des échanges entre compositeurs et instrumentistes. Enfin, il sert souvent de terrain d’application pratique aux recherches et aux expériences menées à l’I. R. C. A. M. Tout cela à Paris et hors de Paris. Depuis sa fondation, l’E. I. C. a organisé une moyenne annuelle de 130 à 150 manifestations, et donné en création mondiale plus de 50 oeuvres françaises et étrangères, parmi lesquelles Je vous dis que je suis mort de G. Aperghis, Ma manière de chat d’A. Bancquart, Chemins V et Sequenza VIII de L. Berio, Messagesquisse de P. Boulez, Antiphysis de H. Dufourt, Modulations de G. Grisey, Va et vient de H. Holliger, Espaces mouvants de P. Mefano, Cuts and Dissolves de W. Rihm, Mirages de J.-C. Risset, Michaels Reise um die Erde de K. Stockhausen et Lo Shu I-III de H. Zender. ENTÉ. Adjectif emprunté à l’horticulture (il signifie « greffé ») et appliqué dans le dernier tiers du XIIIe siècle à un procédé de composition à la fois littéraire et musical consistant à insérer dans un contexte original, parlé ou chanté, un fragment de chanson connue cité avec sa musique propre (v. trope). Les fragments cités pouvaient appartenir à des répertoires variés, mais la source principale en était les refrains de rondeaux à danser, ce qui leur fit donner le nom générique de refrains, même s’ils n’étaient cités qu’une seule fois. La mode des refrains entés fut introduite dès 1214 dans le roman en vers (qui était lu à haute voix) avec le roman de Guillaume de Dole de Jean Renart, puis gagna la chanson de trouvères, le motet (surtout profane) et le théâtre parlé, où cet usage peut être considéré comme l’origine des « vaudevilles » qui, au XVIIIe siècle, donnèrent naissance à l’opéra-comique. Adam de la Halle s’est particulièrement illustré tant dans le motet enté que dans le théâtre à refrains, qu’il a inauguré avec le jeu de la Feuillée et surtout le jeu de Robin et Marion, mis à la scène avec insertion de refrains entés de deux scénarios usuels de chanson, la « pastourelle » (chevalier courtisant une bergère) et la « bergerie » (divertissement pastoral). ENTONNER. Mot d’origine liturgique (intonare, « introduire le ton ») réservé d’abord au chantre qui, en commençant seul un psaume ou une antienne, indiquait dans quel ton liturgique le chant devait être poursuivi par l’ensemble du choeur. Le terme s’est généralisé pour signifier le fait de commencer seul un chant ou une chanson continués par l’ensemble des chanteurs, ou même parfois de simplement les commencer quelle qu’en soit la suite. ENTRÉE. 1. Synonyme d’arrivée, l’entrée est le moment de fêter en musique la venue d’un personnage, ou d’un groupe de personnages, en scène, dans une ville ou à l’église. La notion d’« entrée » liée à la musique a une origine très ancienne. Vers la fin du Moyen Âge, il existait des sortes de ballets (entremets) où les participants, déguisés et masqués, entraient accompagnés de musique. Depuis fort longtemps, des pièces de circonstance ont été composées ou improvisées pour célébrer l’entrée dans une ville d’un roi ou d’une personnalité importante. Ainsi, H. Purcell, au XVIIe siècle, en a écrit un certain nombre (par exemple, Fly, bold rebellion pour célébrer le retour de Charles II à Londres). Dans le ballet de cour français, les différentes scènes dansées s’appelaient des entrées. Le même principe se perpétua, d’abord dans les comédies-ballets où des entrées de ballet formaient des intermèdes musicaux au sein de la comédie (par exemple, « Entrée des Scaramouches, Travelins et Arlequins » dans le Bourgeois gentilhomme de Molière et Lully), puis dans l’opéra-ballet où, selon J.-J. Rousseau, « chaque acte forme un sujet séparé ; l’entrée de Vertumne dans les Élémens (Destouches) ; l’entrée des Incas dans les Indes galantes (Rameau) ». 2. Dans une partition, entrée désigne l’apparition d’un thème musical, l’intervention d’une nouvelle partie instrumentale downloadModeText.vue.download 354 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 348 ou vocale. On parle ainsi de l’entrée des voix dans une fugue. 3. Enfin, l’entrée est parfois une sorte de prélude ou d’ouverture, servant d’introduction à une suite de pièces (v. intrada). ENTREMONT (Philippe), pianiste et chef d’orchestre français (Reims 1934). Il étudie d’abord avec Marguerite Long puis avec Jean Doyen au Conservatoire de Paris, où il obtient deux premiers Prix (musique de chambre en 1948, piano en 1949). Lauréat du Concours Long-Thibaud en 1953, il se fait connaître pendant une quinzaine d’années comme pianiste, jouant sous la direction de Stravinski, Milhaud, Bernstein, Monteux, Boulez, Ozawa, etc. En 1967, il commence à diriger et se voit nommé en 1976 directeur musical et chef permanent de l’Orchestre de chambre de Vienne. De 1980 à 1986, il dirige l’Orchestre philharmonique de La Nouvelle-Orléans, de 1986 à 1989 l’Orchestre symphonique de Denver, et de 1988 à 1990 l’Orchestre Colonne à Paris. En 1994, il devient le principal chef invité de l’Orchestre de chambre d’Israël. Il a reçu plusieurs grands prix du disque, dont le Prix de l’Académie du disque français pour son intégrale de l’oeuvre pour piano de Ravel. ÉOLIEN. (en grec aiolos). De Éole, dieu des Vents. Éolien est le nom donné tardivement aux neuvième et dixième modes ecclésiastiques, c’està-dire aux modes de la (éolien, mode authente ; hypoéolien, mode plagal. V. mode, modes ecclésiastiques). La harpe éolienne est un instrument dont l’origine remonte à l’Antiquité, et qui tirait son nom du fait que le vent faisait vibrer ses cordes. EÖTVÖS (Peter), compositeur et chef d’orchestre hongrois (Székelyudvarhely 1944). Il commence l’étude de la composition avec Zoltán Kodály dès l’âge de quatorze ans, à l’Académie de musique de Budapest. Pendant ses études, il est déjà directeur musical du Théâtre Vigzinhaz et compose de la musique de scène, ainsi que pour le cinéma et la télévision. Une bourse allemande lui permet de poursuivre ses études à Cologne (de 1966 à 1968), où il travaille aussi la direction d’orchestre. Il y rencontre Stockhausen et devient membre de son ensemble, participant ainsi à bon nombre de créations du compositeur, notamment en Allemagne ou à l’Exposition universelle d’Osaka (1970). Il créera par la suite, en tant que chef d’orchestre, les opéras Donnerstag aus Licht (1981) et Montag aus Licht (1988) de Stockhausen à la Scala de Milan. Depuis 1974, il est l’invité des plus grands orchestres européens. Eötvös a été directeur musical de l’Ensemble InterContemporain (19791991) et principal chef invité de l’Orchestre symphonique de la BBC (19851988). Il compose une musique illustrant son sens du théâtre (Chinese Opera, pour orchestre de chambre, 1966 ; Il maestro, pièce clownesque pour un pianiste et deux pianos à queue, 1974 ; Triangel, actions pour un percussionniste créatif et vingtsept musiciens, 1993). Il a composé aussi le quatuor à cordes Korrespondenz, inspiré par la correspondance entre Leopold et Wolfgang Amadeus Mozart (1992), et Psychokosmos pour cymbalum et orchestre (1993). EPHRICIAN (Angelo), chef d’orchestre et compositeur italien (Trévise 1913 - id. 1982). Après avoir étudié le violon, obtenu une licence en droit et exercé un an une fonction de magistrat, il participe activement à la lutte antifasciste clandestine et devient à la fin de la guerre directeur du premier journal libre de Venise. Ayant goûté à la critique musicale, il décide de se consacrer entièrement à la musique et travaille la direction d’orchestre en autodidacte. En 1947, il fonde l’Istituto italiano Antonio Vivaldi, qui, sous la direction artistique de G. F. Malipiero et avec l’aide de l’éditeur Ricordi, publie des oeuvres de Vivaldi. Par cette initiative et par son activité parallèle de chef d’orchestre, Ephrikian joue un rôle déterminant dans la rapide renaissance du compositeur vénitien. Il consacre par la suite sa double action d’éditeur et de chef d’orchestre à d’autres compositeurs italiens de la fin du XVIe, du XVIIe et du XVIIIe siècle italien, notamment à Gesualdo, Stradella, Alessandro Scarlatti. Compositeur, il a écrit des oeuvres traditionnelles mais n’a pas dédaigné les techniques nouvelles, qu’il utilise par exemple dans son Stabat Mater (1961) pour solistes, choeur, orchestre et bande magnétique. ÉPINETTE. Instrument à clavier et à cordes pincées. L’épinette est une version simplifiée de son frère aîné, le clavecin, et ne comporte qu’un seul registre, généralement de 8 pieds, quelquefois sonnant à l’octave (4 pieds). Elle peut être construite selon des plans différents (rectangulaire, ressemblant ainsi au virginal ; polygonal et, plus tard, à côté courbe). Les cordes sont montées perpendiculairement aux touches du clavier ou légèrement en oblique. L’épinette n’était pas seulement un instrument domestique, comme le piano droit moderne auquel on la compare souvent. Elle avait son rôle à jouer dans la musique de son époque, en Italie notamment où, par exemple, sa sonorité brillante était prisée pour faire ressortir les parties supérieures d’un madrigal, ou pour soutenir discrètement une voix soliste. La plus ancienne épinette connue est conservée au musée de Pérouse et date de 1493. La vogue de l’instrument se poursuivit pendant les XVIe et XVIIe siècles. Au XVIIIe, sa forme emprunta au clavecin son côté courbe et l’épinette orna les salons de ceux qui ne pouvaient se payer le luxe d’un instrument plus grand. Parmi les facteurs d’épinettes, on peut citer les Baffo et Bertolotti à Venise, les Richard, Denis et Taskin en France, les Haward et Hitchcock en Angleterre et, aux Pays-Bas, les Ruckers. ÉPINETTE DES VOSGES. Instrument à cordes pincées, peut-être originaire de la région dont il porte le nom. Les cordes, en deux groupes (mélo- diques et bourdons), sont tendues sur une caisse rectangulaire en bois. On les fait sonner soit en les grattant du pouce, soit, comme pour le psaltérion, en se servant d’un bec de plume. L’épinette des Vosges fut très employée dans la musique populaire aux XVIIIe et XIXe siècles. Elle ne doit pas être confondue avec l’épinette. ÉPISODE. 1. Ultérieurement généralisé dans des acceptions usuelles, le terme désignait à l’origine certaines subdivisions de la tragédie grecque antique, assimilables aux « actes » de notre théâtre, à ceci près qu’ils étaient séparés entre eux non par un « entracte », mais par les entrées du choeur, d’où leur nom, qui signifie « entre les entrées ». Certains épisodes étaient parlés, d’autres chantés en tout ou en partie, les parties chantées correspondant aux moments les plus dramatiques. 2. Dans l’architecture musicale, on appelle parfois épisode des passages ayant leur unité et leur indépendance, souvent avec une idée de digression ou de dispersion par rapport au plan d’ensemble. Par exemple dans le rondo, les retours du thème principal sont entrecoupés d’épisodes, tous différents. ÉPÎTRE. Transcription liturgique du mot latin epistola, qui signifie simplement « lettre ». L’épître constitue, dans la messe traditionnelle, la première des deux lectures solennelles faites à haute voix ou chantées sur un timbre psalmodique propre dans la première partie de la messe, la seconde étant l’évangile. Cette lecture, variable selon la fête, était tirée soit de l’Ancien Testament, soit des lettres (épîtres) d’apôtres, d’où son nom, et se faisait obligatoirement du côté gauche de l’autel (à droite pour l’assistance), dit « côté épître « ; la droite honorifique (à gauche pour l’assistance) était le « côté évangile ». La lecture de downloadModeText.vue.download 355 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 349 l’épître, comme celle de l’évangile, traditionnellement en latin, fut dans certains pays, dont la France, transférée en langue vulgaire peu avant le concile Vatican II ; cette réforme semble avoir servi de ballon d’essai pour la campagne d’élimination de la liturgie latine menée après le concile en invoquant son autorité, mais, en fait, à l’encontre de ses prescriptions. La messe de Paul VI a rétabli l’usage antérieur de deux épîtres distinctes, l’une consacrée à l’Ancien Testament, l’autre au Nouveau. ÉRARD, famille française de facteurs de pianos, de harpes et d’orgues. Sébastien (Strasbourg 1752 - Paris 1831). Fils de menuisier, il entra en 1768 comme ouvrier dans l’atelier d’un facteur de clavecins et se distingua immédiatement par son esprit inventif, son incessante recherche de perfectionnements. Il construisit un « clavecin mécanique », instrument complexe mais qui connut un grand succès. Protégé par la duchesse de Villeroy et installé dans l’hôtel de celle-ci, il construisit en 1777 le premier pianoforte français. Rejoint à cette époque par son frère Jean-Baptiste (Strasbourg 1745-Paris 1826), il fonda un établissement qui connut un développement rapide. Il apporta au piano, notamment, les perfectionnements suivants : faux marteau à double pilote (1790), échappement simple (1794), remplacement de la pointe du sommier des chevilles par une agrafe (1809), barrage métallique, échappement double (1822). Il inventa différentes variantes de piano : piano à deux claviers, piano-secrétaire, piano-clavecin, « piano organisé » (ce dernier était la combinaison d’un piano avec un petit positif à deux claviers). Son apport à la facture de la harpe fut également très important : en remplaçant le mécanisme à crochets ou à béquilles par un mécanisme à fourchettes et en créant le mécanisme à double mouvement, il amena l’instrument à son stade actuel. Il s’intéressa à l’orgue et construisit l’instrument du palais des Tuileries (18271829). Pierre (Paris 1794 - id. 1865). Fils de Jean-Baptiste, il poursuivit brillamment l’oeuvre de son oncle Sébastien et fit paraître deux essais historiques sur l’évolution de la harpe et du piano. La maison Érard poursuivit son existence et finit par s’associer en 1959 à la maison Gaveau au sein de la société Gaveau-Érard. ERB (Donald), compositeur américain (Youngstown, Ohio, 1927). Après des études à Kent State, Cleveland, Indiana et Paris (Nadia Boulanger), Donald Erb enseigna lui-même à Cleveland et Indiana. Malgré la formation traditionnelle à laquelle se rattachent certaines pages symphoniques (Christmas Music, 1967 ; The Seventh Trumpet, 1969 ; Cummings Cycle, 1963) ou instrumentales (quatuor à cordes, Correlations, 1958 ; Summer Music pour piano, Antipodes pour quatuor à cordes et percussion, 1965), il a recours occasionnellement à des moyens d’expression propres à sa génération (Reconnaissance, 1967, pour moog synthétiseur, violon, contrebasse et piano). ERB (Karl), ténor allemand (Ravensburg, Souabe, 1877 - id. 1958). Il était employé municipal dans sa ville natale lorsque sa voix fut découverte et il débuta, sans avoir fait d’études de chant, en 1907 au Hoftheater de Stuttgart dans Der Evangelimann de Kienzl. À Lübeck, puis de nouveau à Stuttgart, il se familiarisa avec le répertoire, chantant les rôles les plus variés, de Lohengrin à l’opérette, avant d’être engagé en 1913 à Munich où il devint le ténor favori de Bruno Walter et où il fut le créateur, en 1917, de Palestrina de Pfitzner. À partir de 1930, il abandonna la scène et se consacra au concert. Il devint l’interprète le plus célèbre à son époque de l’évangéliste dans les Passions de Bach, ainsi qu’un éminent chanteur de lieder. Il conserva intacte jusqu’à soixante-dix ans sa voix d’un timbre très particulier, menée avec une habileté, une musicalité, un sens de l’articulation et du phrasé exceptionnels. ERB (Marie-Joseph), organiste et compositeur français (Strasbourg 1858 - Andlau, Bas-Rhin, 1944). Élève, à Paris, de l’école Niedermeyer, puis de Widor, il se perfectionna dans le jeu du piano auprès de Liszt, à Weimar. Il fut organiste à Sélestat, puis à Saint-Jean de Strasbourg, et professeur de piano, d’orgue et de composition au conservatoire de Strasbourg, de 1910 à 1937. Son oeuvre de compositeur est très vaste et touche à tous les genres, dans le style postromantique. EREDE (Alberto), chef d’orchestre italien (Gênes 1909). Il a étudié le piano, le violoncelle et la composition à Gênes, Milan et Bâle, et la direction d’orchestre auprès de Félix Weingartner. Il s’est fait connaître avant la Seconde Guerre mondiale en montant au pupitre des festivals de Glyndebourne et de Salzbourg. Après la guerre, il a occupé des postes de directeur musical notamment à l’Orchestre symphonique de la Radio de Turin (1945-1946), à l’opéra de Düsseldorf (1958-1962) et à l’Orchestre symphonique de Göteborg, tout en menant une carrière internationale. Chef sobre, il est particulièrement renommé pour ses interprétations d’opéra. ERICKSON (Robert), compositeur américain (Marquette, Michigan, 1917). Élève d’Ernst Krenek, Robert Erickson a très rapidement évolué de l’atonalité à la technique sérielle (concerto pour piano, 1er quatuor, variations pour orchestre), puis à des moyens d’expression se référant à des recherches de timbres (2e quatuor, General Speech pour trombone, faisant intervenir des sons vocaux et parlés en cours d’exécution), des rythmes nouveaux (Ramus pour piano) et l’électroacoustique (Ricercare à 5 pour trombone et bande, Cardenitas 68 pour voix, 6 instruments nouveaux et bande, Down at Piraens pour choeurs et bande, Pacific Sirens pour bande et de 10 à 14 instruments, etc.). Il est professeur à San Diego et San Francisco. ERICSON (Eric), chef de choeur et organiste suédois (Boras 1918). Il étudie à l’École supérieure de musique de Stockholm puis à la Schola cantorum de Bâle. En 1945, il fonde le Choeur de chambre de Stockholm, qui deviendra en 1988 le Choeur Ericson. En 1949, il est nommé organiste et chef de choeur à l’église Saint-Jacob de Stockholm. En 1951, il fonde le choeur de la radio suédoise, qu’il dirige jusqu’en 1984. Il dirige aussi, de 1951 à 1985, le choeur d’hommes d’Uppsala Orphei Drängar. En 1968, il est nommé professeur de direction chorale au Conservatoire royal de Stockholm. En 1974, il dirige l’enregistrement de la bande originale du film de Bergman la Flûte enchantée. Il est à la fois un très grand maître du répertoire choral ancien et un musicien ouvert à la création de son temps : il a assuré avec le choeur qui porte son nom la création de plusieurs oeuvres contemporaines. ERKEL (Ferenc), pianiste, chef d’orchestre et compositeur hongrois (Gyula 1810 - Budapest 1893). Issu d’une famille d’origine néerlandaise, il fit ses premières études à Pozsony, commença sa carrière à Kolozsvár (Cluj) et s’installa à Pest en 1834. À l’ouverture du théâtre national en 1838, il en fut nommé premier chef d’orchestre, puis en devint le directeur musical et le demeura jusqu’en 1884. En 1853, il créa les concerts de la Société philharmonique de Budapest, qu’il dirigea jusqu’en 1869. De 1875 à 1886, il enseigna le piano à l’Académie royale de musique et en fut directeur. En 1884, malgré son âge, il fut nommé directeur à vie de l’opéra national de Budapest, qui venait d’ouvrir. L’oeuvre d’Erkel dans le domaine lyrique servit, par les sujets qu’elle aborda, à cristalliser une certaine forme de la résistance du peuple hongrois à la domination autrichienne. Après une oeuvre de jeunesse, Mária Báthori (1840), il fit représenter en 1844 László Hunyadi, qui met en scène un héros sincère et downloadModeText.vue.download 356 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 350 droit, victime d’un roi félon d’origine allemande. Le librettiste de cette oeuvre, Béni Egressy, lui fournit encore le texte de Bánk bán, terminé en 1852 et créé à Pest en 1861. Pourtant, sur le plan musical, Erkel, pas plus dans ses opéras que dans ses partitions symphoniques, n’apparaît comme un rénovateur puisant aux authentiques sources hongroises. Parti des modèles de Rossini, Bellini, Auber et Meyerbeer, il se laissa peu à peu gagner à l’influence allemande, celle de Wagner en particulier, évidente dans ses dernières oeuvres, le Roi Étienne (1885) et Ouverture solennelle (1887). La production d’Erkel comprend dix opéras, six opéras-comiques (dont Sarolta, 1862), l’hymne national hongrois, des musiques de scène, des ouvertures, des pièces pour piano et des oeuvres de musique de chambre. ERLANGER (Camille), compositeur fran- çais (Paris 1863 - id. 1919). Élève d’Émile Durand et de Léo Delibes au Conservatoire de Paris, il obtint le grand prix de Rome en 1888. Parmi ses envois de la villa Médicis, une légende dramatique d’après Flaubert Saint Julien l’Hospitalier, dont fut tiré plus tard le poème symphonique la Chasse fantastique (1893), remporta un grand succès. Par la suite, les partitions lyriques d’Erlanger, jouées à l’Opéra et à l’Opéra-Comique, notamment le Juif polonais (1900), le Fils de l’étoile (1904) et Aphrodite (1906), connurent également le succès par leur Iyrisme vigoureux, leur pathétique sincère, leur orchestration colorée et pittoresque. Elles n’ont pu cependant se maintenir à l’affiche. Erlanger est également l’auteur de nombreuses mélodies et d’un Requiem. ERLANGER (baron Rodolphe d’), musicologue français (Boulogne-sur-Seine 1872 - Sidi-bou-Saïd, Tunisie, 1932). Il s’installa en Tunisie en 1910 afin d’étudier la musique arabe. Il traduisit en français les écrits des grands théoriciens arabes de la période allant du Xe au XVIe siècle, et recueillit de nombreuses mélodies populaires d’Afrique du Nord, notamment de Tunisie, qu’elles soient d’origine hispanoarabe, arabo-berbère, juive ou nègre. Son oeuvre capitale est la Musique arabe (6 vol., Paris, 1930-1959) ; à partir du vol. 3, l’ouvrage fut publié par H. G. Farmer. ERLEBACH (Philipp Heinrich), compositeur allemand (Esens, Frise, 1657 - Rudolstadt, Thuringe, 1714). Arrivé en 1678 à la cour du comte von Schwarsburg-Rudolstadt, il y devint maître de chapelle en 1681. Il laissa plusieurs centaines de cantates sacrées, et fut en son temps un des principaux compositeurs d’Allemagne centrale à illustrer le genre, apparaissant à ce titre comme un important prédécesseur de Bach. ERLIH (Devy), violoniste, chef d’orchestre et pédagogue français (Paris 1928). Il commence l’étude du violon (d’oreille) avec son père et entre au Conservatoire de Paris dans la classe de J. Boucherit en 1941. Il obtient son premier prix de violon en 1945 et, dix ans plus tard, remporte le premier prix du concours Long-Thibaud. Nommé professeur au Conservatoire de Marseille en 1968, il fonde en 1973 les Solistes de Marseille, qu’il dirige. De 1982 à 1995, il est professeur au Conservatoire de Paris. Il compose Violostries avec B. Parmegiani (1965), le ballet la Robe de plumes (1965) ainsi que différentes cadences de concertos. De son vaste répertoire ressort son goût pour la musique du XXe siècle, qui l’amène à créer des oeuvres allant de Milhaud à Constant, en passant par Chaynes, Tomasi, Loucheur ou Jolivet, dont il interprète également le Concerto pour violon et dont il a épousé la fille Christine. « Il rend contemporaine la musique classique et classique la musique contemporaine » (M. Fleuret, 1958). ERLO (Louis), metteur en scène et directeur de théâtre français (Lyon 1929). De son véritable nom Camerlo, il se forma avec son oncle Paul Camerlo, directeur de 1949 à 1969 de l’Opéra de Lyon, où luimême signa en 1952 sa première mise en scène (Lohengrin). Sa première mise en scène à l’Opéra de Paris fut consacrée à Iphigénie en Tauride de Gluck (1965), ce qui lança sa carrière internationale. Il a dirigé l’Opéra de Lyon de 1969 à 1995, date à laquelle lui a succédé Jean-Pierre Brossmann, et le festival d’Aix-en-Provence à partir de 1982. Nommé en 1995, son successeur à ce dernier poste, Stéphane Lissner, doit prendre ses fonctions en 1998. ESCHENBACH (Christoph), pianiste et chef d’orchestre allemand (Breslau, Silésie, 1940). Orphelin, il reçoit ses premières leçons de piano de sa mère adoptive, Wallydore Eschenbach, et remporte à dix ans le premier prix au concours Steinway de Hambourg. Il poursuit l’étude de l’instrument avec Hans Otto Schmidt à Cologne, puis Eliza Hansen à Hambourg. À l’université de musique de cette dernière ville, il travaille la direction d’orchestre, le violon et la composition. Il est, en 1962, lauréat d’un prix décerné par l’union des stations de radio allemandes, et obtient en 1965 un premier prix au concours Clara Haskil de Lucerne. Parallèlement à une carrière internationale de pianiste, il entame, en 1973, une carrière de chef d’or- chestre. Comme pianiste, il consacre une grande part de son activité à la musique de chambre, où il se révèle un interprète d’exception, à la musique à quatre mains et à deux pianos, ainsi qu’à l’accompagnement de chanteurs de lieder. En soliste, il a un très vaste répertoire, classique (surtout Mozart), romantique (Beethoven, Chopin, Schubert, Schumann, Brahms) et moderne (Henze, etc.). Ses interprétations, au climat expressif très changeant, pleines d’intuitions fulgurantes, sont souvent très personnelles. ESCHENBACH (Wolfram von), poète allemand (Eschenbach, près d’Ansbach, Bavière, v. 1170 - ? v. 1220). C’est à la cour du landgrave Hermann de Thuringe qu’il écrivit l’essentiel de son Parzival et c’est là, sans doute, qu’il rencontra Walther et Morungen. Dans Willehalm, il adapta la légende française de Guillaume d’Orange. Il a laissé 7 chansons et relancé la mode de la chanson d’aube (Tagelied), dont il a accentué le caractère dramatique. La notoriété de Wolfram von Eschenbach comme poète et comme musicien fut si durable qu’il apparaît encore dans le manuscrit de Colmar comme chef de file des Meistersinger. ESCHIG (Max), éditeur français (Opava, Tchécoslovaquie, 1872 - Paris 1927). C’est en 1907 qu’il fonda sa maison de la rue de Rome, qui était à l’origine une filiale de Schott. Interné pendant la Première Guerre mondiale en tant que ressortissant autrichien, il reprit ses activités en 1919, rachetant divers catalogues français, représentant d’importants éditeurs étrangers (Breitkopf, Simrock, Schott, etc.) et se consacrant aussi à une production originale. La maison Eschig a publié quantité d’oeuvres françaises contemporaines (Ravel, Satie, Milhaud, Poulenc, Honegger, Françaix, etc.), ainsi que des partitions de Stravinski, Hindemith, M. de Falla, Villa-Lobos et Lehar. À la mort de Max Eschig, elle est devenue une société anonyme. ESCRIBANO (Juan), compositeur espagnol (Salamanque ? v. 1480 - Rome 1557). Venu à Rome en 1502, il y fut chantre à la chapelle pontificale de 1507 à 1539 et doyen du collège des chantres à partir de 1535. On le retrouve plus tard à Salamanque, mais il revint à Rome à la fin de sa vie. Son oeuvre fait de lui l’un des grands maîtres de la polyphonie de l’école castillane, tant dans le contrepoint de ses oeuvres sacrées (un Magnificat, des motets, des lamentations) que dans le style syllabique de ses canzoni, dont deux nous sont connues par un recueil publié à Rome en downloadModeText.vue.download 357 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 351 1510. L’Italie l’influença sans faire perdre à son art une certaine sévérité qui est propre à l’Espagne. ESLAVA rion), pagnol 1807 - Y ELIZADO (Don Miguel Hilacompositeur et musicologue es(Burlada, province de Navarre, Madrid 1878). Cet ecclésiastique, issu d’une famille modeste d’origine catalane, fut maître de chapelle de la cathédrale de Séville (18321847), maître de la chapelle royale (1847), professeur de composition au conservatoire de Madrid (1854), puis directeur de cet établissement (1866). Son oeuvre de compositeur comprend notamment 140 oeuvres sacrées et trois opéras « nationaux » dans lesquels des éléments d’histoire et de folklore espagnols sont présentés dans un langage en fait très influencé par le style italien. Il écrivit également plusieurs ouvrages didactiques et fonda en 1855 la Gaceta musical de Madrid, revue qui devait être appelée à jouer un rôle important. Son nom reste enfin attaché à la publication de la Lira sacrohispana (10 vol., Madrid, 1869), importante anthologie (et la première en date) regroupant des oeuvres de musique religieuse espagnole du XVIe au XIXe siècle. ESQUIVEL DE BARAHONA (Juan), compositeur espagnol (Ciudad Rodrigo v. 1565 - ?, apr. 1613). Il fut maître de chapelle à la cathédrale de Salamanque, puis à celle de Ciudad Rodrigo (1611-1613). On perd ensuite sa trace. Une publication, présumée posthume, date de 1642, mais il est possible que le compositeur ne soit mort qu’après cette date. Il s’agit de son Discours sur l’art de la danse, publié à Séville, qui traite des pavanes, gaillardes, etc. Dans ses oeuvres religieuses, il introduisit le style concertant, assez exceptionnel pour l’époque, avec une vigueur dont le meilleur exemple demeure sa Missa de batalla à 6 voix (1608). Mais, parmi les huit messes qu’il a laissées, F. Pedrell admirait également sa Missa pro defunctis (1613). Juan Esquivel a également composé des psaumes, des hymnes, des magnificat et des motets : Motecta festorum et dominicarum cum communi sanctorum, IV, V, VI et VIII voces concinnanda (1608). ESSWOOD (Paul), contre-ténor anglais (Westbridgford, comté de Nottingham, 1942). À la mue, sa voix de soprano garçon se transforme en une voix naturelle d’alto masculin. Il fait ses études musicales au Royal College of Music de Londres, appartient jusqu’en 1971 au choeur de l’abbaye de Westminster et entreprend une carrière de soliste qui devient vite éclatante grâce à la beauté de son timbre, d’une extrême douceur, toujours éloigné du cri, à son art du chant et au raffinement musical de ses interprétations. Esswood chante les rôles d’opéra (Othon dans le Couronnement de Poppée de Monteverdi, etc.) et les parties d’oratorio de la musique baroque anglaise et italienne correspondant à sa tessiture, mais il a aussi créé à Chicago en 1978 le rôle de la Mort, écrit à son intention par Penderecki dans son opéra Paradis perdu. ESSYAD (Ahmed), compositeur marocain (Sale, Maroc, 1938). Résidant en France depuis 1962, il a travaillé cette année-là avec Max Deutsch, mais avait fait auparavant de solides études dans son pays natal, tant en ce qui concerne la musique (conservatoire de Rabat) que la civilisation arabo-islamique. Héritier de deux cultures, il s’est préoccupé de réaliser la synthèse de la musique arabo-berbère, dont le support est oral, et de la musique européenne, de tradition écrite. Parmi ses oeuvres, Yasmina pour violon, violoncelle et baryton (1965), Nadîm pour piano et percussion (1970), une Symphonie pour grand orchestre (1971), la suite électroacoustique Sultanes (1972-73), la cantate pour contralto, trois groupes de cordes, percussion et récitant Identité (1974-75), la pièce musicale sur un texte berbère le Collier des ruses, donnée à Avignon en 1977, l’ouvrage lyrique l’Eau, créé à Radio-France en 1985, les Opéras-lumières les Voix du silence et de la pierre (Avignon, 1994) et l’Exercice de l’amour (Radio-France, 1995). ESTAMPIE. (en occitan estampida). Essentiellement associée à la danse, l’estampie est, selon l’une des définitions conservées, datant de la fin du XIVe siècle, une mélodie à danser mais comportant des paroles, et, selon une autre, une danse instrumentale sans texte poétique. Populaire au Moyen Âge, elle semble trouver son origine à la fin du XIIe siècle. Le terme proviendrait du germanique stampjan (« frapper ») et c’est justement par un accompagnement de battements de pieds et de mains qu’on aidait les jongleurs instrumentistes et joueurs de vièles à donner à cette danse son rythme enlevé caractéristique. Le sujet le plus souvent évoqué était l’amour, et l’estampie faisait partie du répertoire des troubadours. La première pièce connue du genre, peut-être une adaptation, a été composée vers 1190 ; il s’agit du célèbre Kalenda maya de Raimbaud de Vaqueiras, troubadour provençal. ESTERHÁZY. Famille noble hongroise, elle est passée dans l’histoire de la musique essentiellement pour avoir eu Haydn à son service, d’abord comme vice-maître de chapelle (1761-1766), puis comme maître de chapelle (17661809). Originaire de l’est de la Hongrie, elle dut sa fortune au soutien que, dans les luttes politiques du XVIIe siècle, elle apporta aux Habsbourg. D’eux, elle obtint pour son chef la dignité de baron en 1613, de comte en 1626 et de prince en 1687. Cette dernière dignité devint héréditaire en 1712, et fut attribuée à tous les membres de la branche aînée en 1783. Le fondateur de la fortune des Esterházy fut Nicolas (1583-1645) qui, en compensation de domaines perdus à l’est, reçut en 1622 la souveraineté sur Eisenstadt (en hongrois Kismarton), et en 1626 sur Forchtenstein, localités alors à l’ouest de la Hongrie, et actuellement à l’est de l’Autriche. Il eut comme successeurs ses deux fils Ladislas (1626-1652) et Paul (1635-1713). Ce dernier, nommé palatin de Hongrie en 1681, jeta en 1674 les bases de la chapelle que devait illustrer Haydn, et fut non seulement mécène éclairé, mais aussi compositeur : en 1711 parut à Vienne son Harmonia caelestis, recueil de 55 cantates sacrées (dont 40 en solo, 6 en duo et 9 chorales) couvrant toute l’année ecclésiastique. Il fit d’autre part d’Eisenstadt un centre culturel important. Ses deux fils Michel (1671-1721) et Josef (1687-1721) lui succédèrent. À la mort de Josef, son fils Paul II Anton (1711-1762), qui devait engager Haydn en 1761, était mineur. La régence fut exercée jusqu’en 1734 par sa mère Maria Octavia (16861762), veuve de Josef : ce fut elle qui, en 1728, engagea comme maître de chapelle Gregorius Werner (1693-1766), le prédécesseur de Haydn. Quatre princes Esterházy eurent Haydn à leur service : après Paul II Anton, son frère Nicolas Ier, dit Nicolas le Magnifique (1714-1790), puis Anton (1738-1794), fils du précédent, et enfin Nicolas II (17651833), fils d’Anton. Le principal des quatre fut Nicolas Ier, qui, dans les années 1760, se fit construire dans la plaine hongroise un château qu’il baptisa Esterháza, qu’il rendit digne de Versailles, et dont il fit sa résidence principale à la place de celui d’Eisenstadt (cela tout en conservant son palais à Vienne). Haydn le servit pendant vingt-huit ans, et c’est sous son règne que la splendeur des Esterházy atteignit son apogée. Anton n’aimait pas la musique : il retourna à Eisenstadt, congédia la troupe d’instrumentistes et de chanteurs entretenue par son père et pensionna Haydn, qui put alors accomplir ses deux voyages à Londres. Quant à Nicolas II, il reconstitua une troupe et rappela Haydn à son service, tout en commandant des ouvrages aux autres compositeurs de l’époque (Messe en ut de Beethoven en 1807). Dernier prince Esterházy à entretenir une chapelle importante, il comptait parmi ses fonctionnaires le père de Franz Liszt, également violondownloadModeText.vue.download 358 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 352 celliste dans son orchestre. Il eut comme successeurs Paul III (1785-1866), Nicolas III (1817-1894), Paul IV (1843-1898), Nicolas IV (1869-1920), et enfin Paul V (Dr Paul Esterházy), douzième et dernier prince de la lignée directe, né en 1901 et mort sans descendance en 1989, après n’avoir disposé, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, que de ses biens situés en Autriche (dont les châteaux d’Eisenstadt et de Forchtenstein), et plus de ceux situés en Hongrie (dont le château d’Eszterháza). C’est lui qui, en 1932, fit élever à Haydn dans la Bergkirche d’Eisenstadt un mausolée où le compositeur est inhumé depuis 1954. Parmi les membres de la branche cadette, le comte Franz (17171785), pour les funérailles duquel Mozart écrivit sa Musique maçonnique funèbre (ou Ode funèbre) K. 477, et le comte Karl (1775-1834), qui engagea Schubert pour donner des leçons à ses filles. ESTEVE (Pablo), compositeur espagnol (Catalogne, peut-être Barcelone ?, v. 1730 - Madrid 1794). Venu à Madrid vers 1760 comme maître de chapelle d’une maison ducale, il ne tarda pas à devenir le compositeur en vogue des théâtres madrilènes. Il écrivit plusieurs centaines de tonadillas, des zarzuelas, une foule de petites oeuvres scéniques diverses, et des adaptations d’opéras italiens, par exemple de La Buona Figliola de Piccinni. Son oeuvre, vite oubliée, fut redécouverte par Pedrell et Joaquín Nin. ESTRELLA (Miguel Angel), pianiste argentin (San Miguel de Tucuman 1936). Il commence ses études musicales en 1955 au Conservatoire de Buenos Aires avec le pianiste Oreste Castronuovo et les poursuit auprès de Celia de Bronstein et des compositeurs Erwin Leuchter et Jacobo Fischer. De 1965 à 1970, grâce à des bourses et prix obtenus dans des concours internationaux, il réside en Europe, principalement à Paris et Londres. Il y a travaille avec M. Long, V. Perlemuter, T. Osborne, M. Curcio, M. Tagliafero, Y. Loriod. De 1968 à 1971, il est l’élève de Nadia Boulanger. La première partie de sa carrière se déroule en majeure partie en Amérique latine. En 1977, il est emprisonné et torturé en Uruguay pour avoir accueilli un opposant au régime en place. Grâce à l’action d’un comité de soutien présidé par Nadia Boulanger, Yehudi Menuhin et Henri Dutilleux, il est libéré en 1980 et vit depuis en France. Il a publié en 1983 Musique de l’espérance. ETCHEVERRY (Henry Bertrand), bary- ton-basse français (Bordeaux 1900 Paris 1960). Il fit une brillante carrière à l’Opéra de Paris où, à partir de 1932, il incarna entre autres Méphistophélès dans Faust et la Damnation, Sparafucile dans Rigoletto, le Roi dans Aïda et Hamlet, Boris Godounov, Don Juan, Saint-Bris dans les Huguenots, Fasolt dans l’Or du Rhin, Hunding, puis Wotan dans la Walkyrie. Il chanta aussi à l’Opéra-Comique (débuts en 1937 dans Pelléas et Mélisande), et fut pendant quinze ans, dans cette dernière oeuvre, un Golaud sans rival. ETCHEVERRY (Jésus), chef d’orchestre français (Bordeaux 1911 - Paris 1988). Professeur de violon au conservatoire de Casablanca et violon solo à l’Opéra de cette ville, Jésus Etcheverry était déjà attiré par la direction d’orchestre quand, en 1943, une défection lui fournit l’occasion de monter au pupitre. Ses débuts au pied levé furent si convaincants que Léon Ledoux, directeur du théâtre, le maintint à ce poste. De retour en France après la guerre, il fut engagé par Marcel Lamy au Grand Théâtre de Nancy, auquel il est resté fidèle malgré d’innombrables prestations dans le reste de la France et à l’étranger. En 1957, notamment, il a été appelé à l’Opéra-Comique et y est resté dix ans, dirigeant aussi un certain nombre de représentations à l’Opéra. Mais c’est à Nancy qu’il a décidé de prendre sa retraite, en mars 1981, après y avoir dirigé l’un de ses ouvrages de prédilection, Werther, qu’il a d’ailleurs enregistré. Essentiellement chef de théâtre, il a particulièrement bien servi le répertoire français. ÉTENDUE. Malgré quelque flottement dans la terminologie, le sens de ce terme, proche de celui d’ambitus, diffère de celui de registre et tessiture en ce qu’il désigne la totalité des sons conjoints accessibles à une voix ou à un instrument déterminé, quel qu’en soit le mode d’émission, alors que les deux termes sus-indiqués concernent plus particulièrement les sons favorables à une bonne émission. L’extrême aigu ou l’extrême grave d’une voix, utilisables exclusivement de manière occasionnelle, appartiennent ainsi en principe à son étendue, mais non à sa tessiture. ETHNOMUSICOLOGIE. Ce concept recouvre une discipline d’origine récente. Le mot a été utilisé pour la première fois vers 1945 par le Hollandais Jaap Kunst, spécialiste de la musique indonésienne. Définie comme « l’étude des musiques non européennes et du folklore de l’Europe », ou bien comme « la musicologie des civilisations dont l’étude constitue le domaine traditionnel de l’ethnologie » (Gilbert Rouget), l’ethnomusicologie a eu quelque difficulté à déterminer ses buts, ses limites et ses méthodes. Partant du principe que son objet est l’étude, sous tous ses aspects, du phénomène musical dans les civilisations de tradition orale, elle inclut dans son domaine les musiques dites « primitives » de l’Afrique et de l’Océanie, les musiques savantes de l’Asie et le folklore occidental dont elle étudie, selon les mêmes méthodes, les systèmes musicaux, les gammes, les intervalles, les instruments de musique ainsi que le rôle de la musique dans la société. Cela soulève inévitablement quelques questions, en particulier en ce qui concerne la transcription employée comme base d’analyse. Le fait qu’il existe, dans les différentes civilisations, des conceptions diverses de ce que l’on appelle génériquement la musique a toujours été reconnu. Les Grecs parlaient des modes lydien ou phrygien visiblement empruntés à d’autres cultures que l’athénienne. Les traités sanscrits sur la musique employaient l’expression déshi sangita (« musique des différents pays ») qui rappelle les « musiques nationales » de l’Union soviétique. Des orchestres du Népal et du Champa (Indochine) étaient invités à certaines époques à la cour de Pékin. C’est à la fin du XVIIIe et surtout au début du XIXe siècle que le monde occidental a commencé à s’intéresser à la philosophie, à la littérature et aux arts plastiques des autres civilisations. Mais alors que la sculpture et la peinture de la Grèce, de l’Inde, de la Chine, et plus tard de l’Afrique, n’étaient en rien considérées comme primitives ou inférieures à l’art contemporain de l’Europe, il n’en était pas de même pour la musique. La littérature musicale occidentale, grâce à un système de notation remarquable, avait connu un développement si important, les musiciens y voyaient un « progrès » si évident que toutes les autres conceptions de l’art musical se trouvaient reléguées, à leurs yeux, à un état de prémusique, d’art sous-développé, de balbutiements de peuples qui n’avaient pas encore découvert l’harmonie. Le problème du musicien devant une musique qui lui est étrangère est qu’il la juge du point de vue de celle qui lui est familière, considérée comme la norme. Dans les Soirées d’orchestre, où il rendait compte de l’Exposition universelle de Londres (1851), Berlioz écrivait : « Les Chinois et les Indiens auraient une musique semblable à la nôtre s’ils en avaient une, mais ils sont à cet égard plongés dans les ténèbres les plus profondes de la barbarie et dans une ignorance enfantine où se décèlent à peine quelques vagues et impuissants instincts ; de plus les Orientaux appellent musique ce que nous nommons charivari... Le peuple chinois chante comme les chiens aboient, comme les chats vomissent quand ils ont avalé une arête. » Les anciennes traditions musicales de l’Europe furent elles aussi considérées downloadModeText.vue.download 359 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 353 comme du folklore, un art primitif, plus ou moins spontané, alors qu’il s’agissait souvent d’anciens systèmes musicaux obéissant à des règles très élaborées. A. Varagnac, dans sa Définition du folklore (1938), n’hésite pas à écrire : « Le folklore ce sont les croyances collectives sans doctrine, les pratiques collectives sans théorie », conception typiquement romantique analogue à celle de la vie qui naît spontanément du fumier. Ce point de vue fut, plus ou moins implicitement, étendu à l’étude de la musique des autres continents. L’ÉCRITURE MUSICALE. Des formes de notation musicale étaient connues en Inde et en Chine bien des siècles avant l’Europe, mais elles servaient seulement à indiquer des thèmes et des modes et non comme base d’exécution. Le gagaku japonais utilisait toutefois un système assez complet. Dans la psalmodie religieuse de l’Europe médiévale, comme dans le chant védique, des neumes, signes indicatifs placés au-dessus des paroles des chants, étaient employés. Une notation syllabique analogue au solfège, qui existait déjà en Inde au Ve siècle avant notre ère, est toujours en usage. Il existe par ailleurs en Inde une notation mnémotechnique très élaborée des rythmes qui n’a d’équivalent dans aucune autre civilisation. La notation peut avoir trois buts différents. Elle peut être un aide-mémoire permettant de rappeler les grandes lignes des modes ou des thèmes que l’exécutant développe et sur lesquels il improvise ; elle peut être un moyen d’analyse, d’étude, de comparaison intéressant uniquement les théoriciens ; elle peut être aussi une description détaillée de ce que le musicien doit exécuter, comme c’est le cas de la musique occidentale qui semble un cas unique. Toutefois, une transcription n’est jamais complète. Certains éléments d’attaque des sons, de style, de mouvement, d’ornement restent de tradition orale. C’est pourquoi, même en Occident, l’interprétation d’une oeuvre écrite peut varier considérablement. L’expérience montre que les tentatives d’écriture détruisent les subtilités d’intonation, le sentiment poétique, la faculté d’improvisation et la virtuosité rythmique qui sont l’essentiel de la musique indienne, iranienne ou arabe. Même en Europe, certaines formes de musique telles que le jazz, le flamenco, la musique tzigane perdent tout caractère si on cherche à les jouer d’après une partition écrite. Chez les peuples qui n’utilisent pas l’écriture, la transmission des oeuvres musicales se fait, comme pour la littérature, par tradition orale, qui n’est pas nécessairement moins efficace ou moins précise que la tradition écrite. La musique indonésienne n’est pas moins complexe que la musique européenne et obéit à des règles aussi formelles. Il existe pour toute musique un « corpus référentiel » et des méthodes pour le transmettre. Dans la musique de l’Inde, en dehors des définitions théoriques très complètes, l’instrumentiste utilise souvent de petits poèmes chantés qui l’aident à se remémorer les caractéristiques d’un mode particulier avant de commencer à jouer. L’écriture n’est donc pas un critère absolu et peut, dans certains cas, apparaître comme un facteur négatif. Les premières approches des musiques de tradition orale de l’Europe et des autres continents se firent sur la base de transcriptions souvent très approximatives. Dans son Dictionnaire de la musique (1768), J.-J. Rousseau présente des notations d’un « air chinois », d’une « chanson des sauvages du Canada », d’une « chanson persane ». La transcription utilisée comme méthode dans l’ethnomusicologie et les études modernes de folklore ne peut indiquer qu’un squelette approximatif des mélodies transcrites et ne permet pas d’en apprécier l’esthétique ou l’action psychologique. Elle ne peut en aucun cas être employée comme base d’exécution, car elle ne permet pas d’en reproduire le style, la vitalité, les variations, qui sont des éléments essentiels de la musique de tradition orale, laquelle se trouve dépouillée de sa signification, de sa raison d’être. Herzog, dans sa Musical Topology in Folksongs (1937), disait déjà que la transcription « falsifiait » la musique populaire. Les limites que l’écriture pose à la musique constituent un problème que le musicien occidental doit lui aussi aujourd’hui affronter. « La musique contemporaine, en refusant de plus en plus l’espace du texte, brise le cadre qui la situait comme un genre achevé jusqu’alors... Dans le même temps que la musique occidentale - et en partie sous l’influence des musiques extraeuropéennes - se dégage du privilège de l’écrit, l’ethnomusicologie le reprend à son compte... pour tenter d’y insérer les musiques de tradition orale » (François Caillat). L’ÉTUDE DES THÉORIES MUSICALES. Avant l’apparition de l’ethnomusicologie, considérée comme une discipline à part, un certain nombre de musicologues avaient entrepris des travaux qui s’appuyaient sur les théories musicales et non pas seulement sur les hasards de l’écoute. Les premières tentatives ont été le Mémoire sur la musique des Chinois (1779) du père Amiot, suivi du Mémoire sur la musique de l’ancienne Égypte (1816) de Villoteau, commandé par Bonaparte. Le Résumé philosophique de l’histoire de la musique de Fétis parut en 1852. En 1886, Carl Stumpf publia un article sur les Chants des Indiens Bellakula. De 1812 à 1824, Albert Lavignac et Lionel de la Laurencie réunirent dans l’Encyclopédie de la musique et dictionnaire du Conservatoire une série d’études sur la musique de la Chine, de l’Inde, de la Turquie, etc., qui restent des documents de premier ordre. Jaap Kunst publia son important ouvrage sur la musique indonésienne De Toonkunst van Bali en 1925, suivi de Music in Java (1949). Alain Daniélou publia en 1943, à Londres, son Introduction to Musical Scales, suivi, en 1949, de Northern Indian Music. Entretemps, le baron Rudolf d’Erlanger avait publié sous le titre de la Musique arabe, de 1930 à 1959, six volumes de traductions commentées des traités arabes du Moyen Âge sur la musique (al Farabi, Safi ud din, Avicenne, etc.) et des études sur les genres et les systèmes musicaux. Dans l’Encyclopédie Fasquelle de la musique (1958), dirigée par François Michel, plusieurs articles concernant l’Asie sont fondés sur une étude musicale et pas seulement ethnomusicologique. L’Institut d’études comparatives de la musique de Berlin a publié, depuis 1966, en français, anglais et allemand, une série d’ouvrages basés sur les théories musicales des différentes cultures. LES UTILISATEURS. Certains musiciens occidentaux se sont intéressés à noter des mélodies populaires ou orientales surtout afin de les utiliser dans leurs compositions et de donner ainsi à celles-ci un caractère national. Nul n’ignore la Marche turque de Mozart, empruntée d’ailleurs à une version hongroise, et beaucoup plus mozartienne que turque. Balakirev fut le premier à recueillir les mélodies populaires des moujiks. D’autres compositeurs russes, de Borodine à Stravinski, s’inspirèrent de mélodies populaires. Bartók nota une quantité considérable de chants hongrois et roumains qu’il utilisa dans son oeuvre. Les Espagnols (Falla, Granados) mais aussi Bizet et Ravel s’inspirèrent du cante jondo et du flamenco. Debussy a été fortement impressionné par la musique indonésienne. Ces transpositions dans un autre idiome, si elles peuvent servir à donner une sorte de couleur locale, ne sont que des aperçus pittoresques qui ne donnent aucune idée des possibilités expressives des langages musicaux dont elles prétendent s’inspirer. J.-S. Bach avait été l’un des premiers à utiliser des airs populaires, mais une bourrée de Bach ne permet pas de reconstituer le style des danses dont il a emprunté les thèmes. Les emprunts par les musiciens occidentaux de phrases provenant d’autres langages musicaux les dénaturent et ne laissent rien subsister de leur signification profonde, de ce que, dans leur propre idiome, ils permettent d’exprimer. Il en est de même pour les downloadModeText.vue.download 360 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 354 essais d’harmonisation de la musique modale indienne ou arabe. L’ENREGISTREMENT. Ce fut la découverte de l’enregistrement qui permit à des musicologues d’étudier en laboratoire des fragments fixés de formes musicales de tradition orale. L’enregistrement sur cylindre, à l’aide du phonographe Edison, permit de recueillir de brefs mais nombreux documents qui pouvaient être ensuite analysés et commentés sans contact direct avec les musiciens des peuples concernés. En Europe de l’Est, Béla Vikar avait recueilli, en 1889, les chants épiques de la Carélie finlandaise. Il fut le premier à utiliser le phonographe et créa la première phonothèque de Budapest. Après lui, Béla Bartók, assisté par Zoltán Kodály, enregistra des milliers de mélodies hongroises, slovaques, turques, arabes, serbo-croates, ukrainiennes et bulgares. C’est également en 1889 que J. W. Fewkes réalisa aux États-Unis les premiers enregistrements des Indiens Zunis et Passamoquoddy. En 1900, le docteur Azoulay procéda à des enregistrements lors de l’Exposition universelle à Paris. En 1902, le Phonogrammarchiv de Berlin débuta grâce à la visite en Allemagne de l’orchestre de la cour du Siam. Ce centre, auquel collaborèrent Carl Stumpf, Erich von Hornbostel, Robert Lachmann et Curt Sachs, joua un rôle capital. Il fut à l’orgine des méthodes créées pour l’analyse des formes musicales des diverses cultures par la suite employées partout ailleurs. À la même époque, le Finlandais Ilmari Krohn établit un système de classification des mélodies populaires. C’est principalement des travaux du Phonogrammarchiv que naquit ce que l’on devait plus tard appeler ethnomusicologie, qui développa peu à peu des théories souvent contestables sur les origines de la musique et sur le rôle de la musique dans la société ainsi que sur les instruments de musique. Des transcrip- tions à fins d’analyse fondées sur des enregistrements forment un des principaux aspects de la méthode ethnomusicologique. Mais lorsqu’il s’agit de formes improvisées qui diffèrent à chaque exécution et dont on ne connaît pas les thèmes de base, ce genre de travail risque de rester hors de la réalité. Le Phonogrammarchiv fut fermé à l’époque du nazisme. Plusieurs de ses experts, tels que Curt Sachs et George Herzog, poursuivirent leur travail aux ÉtatsUnis. En 1929, Constantin Braïloiu avait créé à Bucarest les archives roumaines de folklore. Réfugié plus tard à Genève, il joua un rôle important dans la formation de l’ethnomusicologie française. Le département d’ethnomusicologie, créé en 1944 au musée des Arts et Traditions populaires, est, depuis sa fondation, dirigé par Claudie Marcel-Dubois. Gilbert Rouget, au musée de l’Homme, s’intéresse principalement à la musique africaine. Des collectionneurs, tels que Henry Balfour en Angleterre, avaient commencé à réunir d’importantes collections d’instruments de musique dits « primitifs ». Le musée de Terwuren en Belgique possède une vaste collection d’instruments principalement africains. Ces instruments furent analysés et décrits sans tenir compte des techniques des luthiers qui les construisaient, ni de l’habileté des musiciens qui les utilisaient. Curt Sachs publia une History of Musical Instruments (1940), André Schaeffner, son Origine des instruments de musique, en 1936. Tran Van Khe, à Paris, prépare une importante étude comparative des instruments de musique chinois, vietnamiens, coréens, mongols et japonais. Les méthodes de classification proposées diffèrent peu de celles des anciens traités hindous. Il aura fallu attendre 1980 pour qu’un luthier italien, Paolo Ansaloni, s’intéresse aux secrets de la technique indienne, aux proportions des instruments, aux bois et aux vernis utilisés qui ne sont pas moins étonnants que ceux de Stradivarius. ART MUSICAL OU MUSIQUE ETHNIQUE. Les valeurs d’art ne font pas normalement partie des préoccupations des ethnologues. La Revue du musée de l’Homme (Paris) de 1967 mentionne, à propos du fonds discographique du musée, une « rubrique destinée à annoncer régulièrement les disques de musique «primi- tive et exotique« ». Dans le département d’ethnomusicologie, des enregistrements de clarines de vaches savoyardes, des sonogrammes de bergers des Pyrénées, voisinent avec des ragas exécutés par Ravi Shankar, considérés comme un matériel intéressant essentiellement les « hommes de science ». Parlant de la musique de l’Inde, le célèbre ethnomusicologue allemand Marius Schneider n’hésitait pas à dire : « Ces musiques nous intéressent en tant qu’objets d’études scientifiques. Mais la musique c’est Bach et Mozart. » Ce genre de point de vue semble aujourd’hui dépassé. Il existe une tendance, particulièrement aux États-Unis, à remettre à sa place le concept d’ethnologie et à ramener les diverses disciplines groupées artificiellement dans l’ethnomusicologie aux catégories plus générales de musicologie, d’organologie, de sociologie de la musique qui s’appliquent également à la musique occidentale. Le musicologue américain Charles Seeger considère que la musique dans son ensemble concerne la musicologie et que des termes tels que musicologie historique ou ethnomusicologie sont malheureux. De même, François Caillat remarque : « En prenant les musiques de tradition orale pour objet d’étude, l’ethnomusicologie semble recéler un paradoxe... Si la méthode d’enquête et de collecte se dessine effectivement très vite, il n’en est pas de même des buts... L’ethnomusicologue, en voulant chercher les différentes modalités du fait musical, ne se donne-t-il pas une méthode sans objet réel ? » Considérer la musique écrite comme un domaine à part est probablement une erreur. Le langage parlé ou musical évolue par tradition orale et non sur la base de l’écrit. Il ne faut pas confondre langage et littérature. Il apparaîtrait plus normal de considérer la musique occidentale comme un cas particulier dans le cadre d’une musicologie générale, fondée sur la tradition orale et l’aspect audible de la musique, que comme l’objet d’une musicologie considérant essentiellement l’aspect écrit, c’est-àdire la méthode de fabrication et de transmission. La musique comme phénomène social n’est pas vraiment différente en Occident de ce qu’elle est dans d’autres civilisations. On ne peut parler d’organologie sans tenir compte de l’origine asiatique de beaucoup d’instruments tels que le luth (de l’arabe el ud), le violon, la guitare. Une meilleure connaissance des valeurs d’art musical des autres civilisations conduira probablement à une reconsidération de ce que l’on a appelé, un peu hâtivement, ethnomusicologie. La grande musique de l’Inde, de la Chine, du Japon, de l’Indonésie est le fruit d’une philosophie, d’une esthétique, d’une théorie complexe résultant d’une longue évolution. Elle est apte à exprimer les émotions les plus subtiles et les plus profondes. En tant que « langage de l’âme », elle reprend peu à peu la place qui lui était due parmi les autres arts. Quelles que soient les structures qu’il emploie, on ne peut séparer un langage de sa signification puisque c’est sa raison d’être. Il en est de même du langage musical qui n’a d’autre sens que ce qu’il permet d’exprimer à ceux qui l’emploient. Dans une thèse publiée en 1977, le musicien indonésien Sutarno explique : « Quelles que soient les conclusions apportées par les chercheurs étrangers dans leurs essais d’histoire de la musique javanaise, je ne peux entrer dans leurs considérations puisque le musicien javanais c’est moi, que je ressens ainsi la musique, que je la pratique dans cet état d’âme et que l’histoire de la civilisation javanaise m’appartient. » LE RETOUR AUX VALEURS D’ART. L’apparition de la bande magnétique, puis celle du magnétophone portatif, qui permettaient des enregistrements faits sur place dans les régions les plus reculées, suivis du disque microsillon qui en permettait une large diffusion, donnèrent une dimension nouvelle à la musique de tradition orale. On recréait, par l’enregistrement, un objet musical supérieur en fait à la partition puisqu’il inclut, dans le downloadModeText.vue.download 361 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 355 moindre détail, tous les éléments d’expression, de style, de mouvement, que la partition ne peut au mieux que suggérer. C’est donc seulement depuis le milieu du XXe siècle que l’art musical des différentes civilisations de tradition orale a pu prendre sa place auprès du grand public, d’abord par des séries de disques de haute valeur artistique, en particulier les collections de disques de l’Unesco. La première anthologie de la musique classique de l’Inde fut publiée par Ducretet-Thomson en 1955. C’est en grande partie grâce au disque qu’une place de plus en plus importante a pu être accordée aux musiciens traditionnels et aux spectacles musicaux de l’Asie et de l’Afrique dans les programmes de concerts auparavant réservés à la musique occidentale. L’appropriation par l’ethnomusicologie de la musique de l’Asie et de l’Afrique, considérée comme primitive parce que non écrite, devait aller de pair avec son appréciation par un public musicien de plus en plus vaste qui en admirait les chefs-d’oeuvre. D’assez nombreux jeunes musiciens occidentaux étudient aujourd’hui la musique indienne et en deviennent des interprètes valables. Mantle Hood à l’université de Californie à Los Angeles (UCLA) a constitué un gamelan javanais et établi un important centre d’enseignement pratique de la musique indienne et indonésienne. À Paris, un musicien vietnamien, Tran Van Khe, dirige, dans le cadre de l’Institut de musicologie, un centre d’études de musique orientale. Un centre d’enseignement a été créé à Venise sous la direction de Ivan Vandor. À l’Institut d’études comparatives de la musique créé à Berlin en 1963 et à Venise en 1970 pour la diffusion, dans la culture générale, de l’art musical des diverses civilisations de l’Asie et de l’Afrique, le terme ethnomusicologie a été banni comme représentant un eurocentrisme fleurant le colonialisme, et inacceptable pour les musiciens des cultures extra-européennes qui restent stupéfaits et outragés lorsque l’on prétend étudier, sans les consulter, leur art musical comme s’il s’agissait d’un art enfantin, plus ou moins spontané, analogue au bruissement des insectes ou au chant des oiseaux. L’ethnomusicologie, qui a rendu des services indéniables, apparaît aujourd’hui, grâce au contact des cultures, une conception dans beaucoup de cas dépassée et dont les méthodes sont à reconsidérer. Menacée dans ses privilèges, elle devra peu à peu s’adapter à son rôle devenu secondaire, les valeurs d’art triomphant de la curiosité ethnologique. ETKIN (Mariano), compositeur argentin (Buenos Aires 1943). Ses études à Buenos Aires, puis en Europe, l’ont mis en contact avec des personnali- tés aussi diverses que Boulez (1965-66, à Bâle), Ginastera, Maurice Le Roux, Earle Brown, Xenakis, Sessions. Il a également étudié la musique électronique à l’université d’Utrecht avec Gottfried Koenig et a travaillé à la Juilliard School de New York avec Berio (1969-70). Il a remporté de nombreux prix de composition internationaux, notamment celui de la radio hollandaise avec Elipses pour orchestre à cordes (1969). Pianiste et chef d’orchestre spécialisé dans la musique contemporaine, il est devenu une des personnalités les plus actives de la musique argentine. L’éclectisme de son style de composition reflète les nombreuses influences qu’il a subies. Il a abordé le domaine de la musique aléatoire avec un Quintette à vent (1961). On peut citer parmi ses oeuvres Distancias pour piano (1968) et des pièces pour différentes formations instrumentales : 3 Parabolas pour orchestre de chambre (1963), Entropias pour 7 cuivres (1965), Estáticamóvil I et II (1966), etc. ÉTOUFFOIR. Petite pièce du mécanisme d’un piano consistant en un morceau de bois garni de feutre (au clavecin, un bout de feutre sans support), qui s’applique à chaque corde pour l’empêcher de vibrer. L’enfoncement de la touche libère la corde de l’étouffoir tout en déclenchant l’action du marteau (piano) ou du sautereau (clavecin). Si on lâche ensuite la touche, l’étouffoir retombe sur la corde, coupant net le son. Au piano, la pédale de droite permet de retarder ce mouvement de l’étouffoir et l’interruption du son. ÉTUDE. Mot désignant, dans la tradition occidentale, un genre musical (plutôt qu’une forme) représenté par des pièces à vocation didactique, généralement destinées à un instrument soliste (le plus souvent au piano, mais aussi au violon, à la guitare, à la flûte, etc.), pièces plutôt courtes et groupées en recueils (souvent par 6, 12 ou 24) et dont chacune explore un problème spécifique de technique musicale : le plus souvent de technique d’exécution instrumentale, parfois aussi de technique d’écriture. Il arrive même que certaines études pour piano (de Czerny, par exemple) soient de purs exercices digitaux, sans ambition musicale. Le genre de l’étude au sens moderne s’est développé surtout au XIXe siècle, mais déjà dans la musique ancienne et baroque furent publiés nombre de recueils didactiques destinés à faire assimiler la technique d’un instrument soliste comme le clavecin ou l’orgue : les Lessons de Purcell ou Haendel, les Sonates de Domenico Scarlatti, publiées en Italie comme « Esercizi » (« exercices ») et en Angleterre comme « Lessons », les pièces pédagogiques de Telemann (le Parfait Maître de musique) sont, en quelque sorte, des études. Les très nombreuses pièces pédagogiques de Jean-Sébastien Bach (dont le Clavier bien tempéré) ne sont pas centrées sur des problèmes précis de technique ou de doigté, mais veulent faire assimiler le langage musical en même temps que le mécanisme instrumental. Si la virtuosité existe déjà à part entière (dans certains préludes du Clavier bien tempéré, par exemple), elle ne constitue pas encore un terrain spécialisé, illustré par des oeuvres spécifiques. C’est au XIXe siècle que le développement de la technique pianistique (et aussi violonistique), avec l’apparition des grands virtuoses comme Paganini, Liszt, Hummel, suscite la floraison de multiples recueils d’études explorant des difficultés spécifiques de l’instrument : gammes, arpèges, trilles, tierces, octaves, accords parallèles, etc., pour le piano, doubles cordes et traits rapides pour le violon. L’étude devient, comme dit Roger Wild, « l’analyse en action d’une formule technique », une espèce de décomposition, par la répétition, d’une difficulté particulière. Symétriquement, à la virtuosité croissante de certaines études correspond souvent une simplification compensatrice du langage et de la structure musicale : une étude pour piano est souvent (mais pas toujours) de forme élémentaire, binaire parfois, construite sur une base mélodique et harmonique évidente, même si elle est très ornementée, afin de mettre en valeur la prouesse technique. Cela n’empêche pas la musicalité. Dans les belles Études de Chopin, par exemple, si on cherche l’armature harmonique et mélodique derrière la virtuosité et les détails d’écriture « audacieux », on la trouve souvent robuste et simple, comme dans les improvisations échevelées du jazz classique, où intervient le même principe de compensation : souplesse et virtuosité de l’élocution, de la parole musicale, sur la base d’une « langue » simplifiée. Paradoxalement, le genre de l’étude conduit à deux extrêmes : des pièces de difficulté élémentaire pour débutants ou amateurs (chez Czerny, Bertini, Steibelt, Clementi, parfois) et des morceaux de bravoure, de très haute virtuosité, accessibles, comme disait Schumann, à une demi-douzaine d’artistes dans le monde. Le XIXe siècle romantique est donc le siècle des grands cahiers d’études pour clavier, de Jean-Baptiste Cramer (Étude en 42 exercices, 1804-1810), de Muzio Clementi (Gradus ad Parnassum, 1817-1826, méthode en 100 études progressives et doigtées, parodiée par Debussy dans Children’s Corner), de Johann-Nepomuk Hummel (24 Études op. 125 pour le piano), d’Ignaz Moscheles (qui agrémentait certains de ses morceaux didactiques en les traitant en « pièces de genre »), de Karl Czerny, downloadModeText.vue.download 362 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 356 d’Istvan Heller, élève du précédent (plus de 100 études), de Daniel Steibelt, Theodor Kirchner, Franz Kalkbrenner, etc. Mais c’est surtout avec Franz Liszt, Frédéric Chopin, Charles-Valentin Alkan, Sigismond Thalberg que l’étude dépasse sa destination pédagogique, à usage domestique et privé, pour devenir un « cheval de bataille » dans les concerts. Curieusement, c’est l’exemple, non d’un pianiste, mais d’un violoniste, le phénoménal et magique Paganini, qui encouragea les compositeurs-pianistes à se surpasser dans cette voie. Ses 24 Caprices pour violon solo fascinèrent ceux-ci, et leur inspirèrent de multiples transcriptions, adaptations, variations pour le piano, qui sont autant d’études : les 6 Études d’après Paganini de Liszt (1838), dont la Chasse et la célèbre Campanella ; les 2 séries d’Études de Schumann, op. 3 et op. 10, les 2 cahiers de Variations de Brahms sur le thème du Caprice en « la » mineur (1862-63), sans compter les adaptations de Rachmaninov, Dallapiccola, etc. L’exemple de Brahms illustre la proximité entre le genre de l’étude et celui de la variation, laquelle consiste aussi à greffer sur un thème simple, à la progression harmonique et à la carrure évidentes, une ornementation de traits instrumentaux, d’accords, de distorsions multiples, dans un souci de renouvellement et de brio qui conduit à traiter chaque variation comme un « ostinato » utilisant une formule technique privilégiée. En 1827, Liszt publia (à seize ans) une Étude en 12 exercices (il en prévoyait 12 autres, pour parcourir tous les tons majeurs et mineurs), exercices qu’il retravailla plus tard (1837, 1839, 1854), les enluminant, les compliquant de nouvelles difficultés, pour en faire les fameuses 12 Études d’exécution transcendante (1851), dont la plupart sont agrémentées de soustitres descriptifs : Paysage, Mazeppa, Feux follets, Harmonies du soir, Chasse-Neige, etc. On doit aussi à Liszt 2 Études de concert (Dans les bois, Ronde des lutins) et l’{‘}Etude de perfectionnement « ab irato » (en colère) écrite spécialement pour un recueil d’études rassemblé par Moscheles et Fétis, la Méthode des méthodes. C’est pour ce même recueil que Chopin écrivit en 1840 3 Études qui ne figurent pas dans ses 2 fameux cahiers op. 10 et op. 25, de 12 Études chacun. Si l’on retrouve ce chiffre de 12 (ou 6, ou 24) dans maint recueil d’études, c’est sans aucun doute par référence à Bach (et à son Clavier bien tempéré) considéré par les romantiques comme le père de l’étude, et pas toujours pour épuiser les 12 tons. Ainsi les 24 Études de Chopin n’utilisent que 7 tons majeurs et 8 tons mineurs. Le premier cahier, op. 10, dédié à Liszt, fut écrit entre l’âge de dix-huit et vingt-quatre ans, et les morceaux ne comportent pas de sous-titres (ceux de Tristesse et d’Étude révolutionnaire, pour la dernière, sont dus à l’imagination d’amis, d’éditeurs, ou d’adaptateurs). Malgré des combinaisons harmoniques complexes, des modulations hardies, des chromatismes osés, il est clair que ces études explorent d’abord des problèmes techniques. C’est la suggestion des doigts qui commande l’idée musicale, le jeu qui guide l’écrit, et non l’inverse. On a donc des études centrées sur l’extension de la main en vastes arpèges (1re), l’attaque et le chevauchement des doigts faibles (2e), l’utilisation exclusive des touches noires (5e), le passage du pouce (8e), les accords en sixtes brisées (10e), les accords arpégés aux deux mains (11e), etc. À deux ou trois exceptions près, dont le fameux Tristesse en mi majeur, lent et mélodique, la plupart des morceaux sont de tempo rapide, d’essence dynamique et du type « mouvement perpétuel » en ostinato, une seule difficulté étant ressassée dans chaque étude. Par un biais apparemment sophistiqué, l’étude romantique de piano retrouve la virtuosité bondissante et répétitive de certaines musiques orales (indienne ou africaine), où le musicien tourne de la même façon autour d’une cellule musicale dynamique, comme pour l’épuiser. La deuxième série des 12 Études, op. 25, explore de même des arpèges (1re), des tierces chromatiques (6e), des sixtes enchaînées (8e), des octaves parallèles aux deux mains (10e). La 9e étude, dite « Papillon », peut être dite « étude de toucher ». Par un dosage étonnant de simplicité chantante, jusque dans le « prestissimo » le plus étourdissant, et de brillant pianistique, les Études de Chopin échappent à la froideur d’une performance hautaine et sont devenues peut-être les plus populaires d’un répertoire pourtant fourni. Quant à Robert Schumann, outre ses transcriptions d’après Paganini, il devait nommer Études symphoniques pour piano son opus 13, composé en 1834-1837, qui est en fait une série de 12 variations sur un thème du capitaine von Fricken, et qui cherche, comme chez Chopin, à dégager la musicalité derrière la prouesse technique. Les Études postromantiques de Busoni, Hans Pfitzner, Alexandre Scriabine, perpétueront le genre. Dans l’école française de piano, Debussy est l’un des rares à avoir continué la tradition, publiant en 1915 deux cahiers de 6 Études qui, intentionnellement, tout en offrant des difficultés techniques précises à surmonter, ne comportent aucun doigté fixé par l’auteur, celui-ci alléguant les différences entre les mains de chaque soliste. Le premier cahier est très « digital » (pour les 5 doigts, pour les tierces, les quartes, les sixtes, les octaves et les 8 doigts, c’est-à-dire sans le pouce). Debussy explique comment le parti pris de faire une étude de « sixtes », par exemple, l’amène à construire son harmonie sur cet intervalle. Plus nouvelles dans le genre, les études du deuxième cahier portent souvent sur des recherches de sonorité et de timbre : en particulier l’Étude pour les sonorités opposées, qui veut créer des contrepoints de nuances, de dynamiques et de tempo. Les autres (pour les degrés chromatiques, pour les agréments, pour les notes répétées, pour les arpèges composés, pour les accords) imbriquent étroitement une recherche de technique instrumentale et une recherche d’écriture. À mesure que les problèmes de langage préoccupent de plus en plus les compositeurs, on les voit tenir une place grandissante dans le genre de l’étude : en particulier dans le cycle Mikrokosmos, en 6 recueils, de Béla Bartók, qui est en fait une méthode allant du très facile vers le moyennement difficile, initiant aussi bien à une écriture nouvelle (rythmes impairs, chromatismes) qu’aux techniques nouvelles qu’elle entraîne (mais qui restent cependant, chez lui, dans la continuité du piano romantique). Quand, beaucoup plus récemment, Olivier Messiaen compose ses 4 Études de rythme (1949), dont le célèbre Modes de valeurs et d’intensité, c’est la recherche de langage construite sur le papier qui prédomine, même si on y retrouve les techniques spéciales d’attaque du piano introduites par l’auteur. De même, les Études karnatiques de Jacques Charpentier explorent en même temps une écriture modale et des types d’attaque inédits. La recherche de virtuosité digitale ayant été « saturée », et paraissant plafonner, les compositeurs modernes cherchent du nouveau du côté des sonorités, des attaques, des timbres, plutôt que du côté de la rapidité des traits : c’est le cas de l’important cycle des Études pour agresseurs d’Alain Louvier, pour piano, clavecin, orgue, où les « agresseurs » en question sont les parties de la main ou du bras qui « attaquent » l’instrument ; ou bien de la Sequenza IV, pour piano, de Luciano Berio. Ce dernier a d’ailleurs consacré à différents instruments solistes la série de pièces de virtuosité Sequenze, où les recherches de sonorité (et, secondairement, de vélocité) sont au premier plan. Dans les musiques concrète, électronique, électroacoustique, qui mettent en jeu des techniques nouvelles en même temps que de nouvelles façons de « parler en musique », on ne s’étonnera pas que foisonnent les Études destinées soit, pour le compositeur, à assimiler les techniques du studio, soit à explorer systématiquement des traitements de sons, des caractères sonores, des sources, des modes d’assemblage de sons, etc. (Études pathétique, aux objets, etc., de Pierre Schaeffer, Studie 1 et 2, de Stockhausen, Mouvement-Rythme-Étude, de Pierre Henry, et d’innombrables oeuvres de Reibel, Parmegiani, Koenig, Eimert, downloadModeText.vue.download 363 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 357 Luening, Savouret, Ferrari, etc.). On y retrouve d’ailleurs les constantes de l’étude traditionnelle : linéarité et simplicité de la forme, limitation dans le choix des éléments sonores et musicaux qu’on explore systématiquement, tendance à la démonstration de virtuosité, etc. Si nous avons parlé surtout des études pour piano, il ne faudrait pas oublier les études pour violon de Kreutzer, Bériot, sans compter celles déjà citées de Paganini ; les études pour violoncelle de Grützmacher, Franchomme ; pour guitare, de Sor, Villa-Lobos, Jolivet. Chaque instrument possède son répertoire spécifique d’études, souvent sous la forme de Méthodes progressives comprenant soit des pièces originales composées par l’auteur de la méthode, soit des compilations de pièces empruntées au répertoire. EULENBURG (Ernst), éditeur allemand (Berlin 1847 - Leipzig 1926). C’est en 1874 qu’il fonda sa maison, qui se borna tout d’abord à publier des oeuvres chorales et des livres d’enseignement, puis se spécialisa dans les partitions de poche tant classiques que modernes. Son fils Kurt, qui lui succéda en 1911, transféra le siège de la société à Londres en 1939, et ouvrit après la guerre des filiales à Zurich et Stuttgart. EUPHONIUM. Terme employé en Angleterre pour désigner le tuba ténor en si bémol de la famille des saxhorns. Au XIXe siècle, l’euphonium était un autre nom de l’ophicléide. Enfin, le terme peut désigner un jeu à anches libres, caractéristique de l’orgue romantique. EUTERPE (groupe). Nom que les compositeurs E. Horneman, G. Matthison, E. Grieg et R. Nordraak donnèrent à leur groupe, en 1865 à Copenhague. Bien qu’éphémère, celui-ci eut une grande importance dans l’évolution musicale norvégienne et dans la lutte contre l’esthétique mendelssohnienne représentée au Danemark par N. Gade. EVANGELISTI (Franco), compositeur italien (Rome 1926 - id. 1980). Après des études d’ingénieur à Rome, il décida en 1948 de se consacrer à la musique, étudia la composition avec D. Paris et le piano avec E. Arndt, et, de 1952 à 1960, suivit régulièrement les cours d’été de Darmstadt. De cette période datent ses premières oeuvres, d’inspiration sérielle. Sa rencontre avec H. Meyer-Eppler en 1952 éveilla son intérêt pour la musique électronique. À l’invitation de H. Eimert, il travailla (1956) au Studio électronique de la radio de Cologne, où il rencontra G. M. Koenig, K. Stockhausen, H. Helms, H. K. Metzger et plus tard M. Kagel et G. Ligeti. Il fut également appelé par H. Scherchen au Studio d’électroacoustique expérimentale de l’Unesco à Gravesano. En 1958, avec Stockhausen et Nono, il participa à l’inauguration du Studio expérimental de la radio polonaise et du Festival d’automne de Varsovie. Il travailla ensuite activement à la diffusion de la musique contemporaine, organisant la Semaine internationale de musique nouvelle de Palerme en 1959, fondant en 1960 l’association Nuova Consonanza dans le but de promouvoir la musique contemporaine, de stimuler un plus grand public, et aussi d’affirmer le statut de la création collective par opposition à l’oeuvre-objet. En 1967, il compta parmi les fondateurs du Studio électronique de Rome. Ses activités pédagogiques furent nombreuses, et il rédigea, outre plusieurs articles, le livre (inédit) Dal silenzio a un nuovo mondo sonore. Appunti degli anni 57-77 (« Du silence à un nouveau monde sonore. Notes des années 57-77 »). Après 1962, craignant de se répéter, Evangelisti s’est pratiquement arrêté de composer, du moins sur le plan individuel. On lui doit : 4 ! (4 « fattoriale »), petites pièces pour piano et violon (195455) ; Ordini, structures variées pour 17 instruments (1955) ; Proporzioni, struc- tures pour flûte solo (1958) ; Aleatorio pour quatuor à cordes (1959) ; Random or not Random, notes des années 19571962 pour orchestre (1962) ; Incontri di fasce sonore, composition électronique (1956-57) ; Spazio a 5 pour 4 groupes de percussion, voix et moyens électroniques (1959-1961) ; Die Schachtel, action mimoscénique pour mimes, projections et orchestre de chambre sur un sujet de Fr. Nonnis (1962-63). EVANS (Geraint) baryton anglais (Pontypridd, pays de Galles, 1922 - Aberystwyth, pays de Galles, 1992). Il a étudié le chant à Cardiff, Hambourg, Genève et Londres, et débuté en 1948 au Covent Garden de Londres dans le rôle du Veilleur de nuit des Maîtres chanteurs de Wagner. Il a connu son premier grand succès en 1949, sur la même scène, dans le rôle de Figaro des Noces de Figaro de Mozart. Tout en menant une carrière internationale, il a consacré beaucoup de son activité à Covent Garden, y participant à des créations comme celles de Billy Budd de Britten (rôle de Flint, 1951) ou Troilus et Cressida de Walton (rôle d’Antenor, 1954), et à Glyndebourne (1949-1961). Excellent musicien, acteur remarquable, il a notamment marqué de sa personnalité des rôles de Figaro et de Leporello chez Mozart et de Falstaff chez Verdi. EXAUDET (André Joseph), violoniste et compositeur français (Rouen 1710 - Paris 1762). Il travailla le luth et la viole avant de se consacrer à un instrument plus au goût du jour : le violon. Il s’engagea dans l’orchestre de l’Opéra de Paris en 1749. En 1758, il entra dans la Musique de la chambre du roi et, l’année suivante, succéda à Gabriel Caperan comme directeur des 24 Violons. À partir de 1751, il se produisit au Concert spirituel. Disciple de Jean-Marie Leclair, il composa de nombreuses sonates pour son instrument (2 Livres pour violon et basse, Paris, 1744 et 1760 ; 6 Sonates en trio, Paris, 1751). André Joseph Exaudet est l’auteur d’un célèbre Menuet (tiré d’une des 6 Sonates en trio op. 2, 1751) dont la popularité a duré jusqu’au XIXe siècle. EXÉCUTION. Action de chanter ou de jouer une oeuvre musicale. Le terme d’exécutant est couramment employé, concurremment à celui d’interprète. L’exécutant s’interpose entre le compositeur et l’auditeur, et son rôle est donc capital pour la bonne compréhension d’une oeuvre. La qualité de l’exécution dépend de deux éléments distincts : la technique proprement dite, c’est-à-dire la traduction matériellement correcte du texte musical, et l’interprétation, qui fait entrer en jeu la fonction créatrice de l’exécutant et son rapport avec l’oeuvre (sur ce rapport et son évolution historique, v. interprétation). Parfois aussi, l’exécution fait intervenir l’improvisation. Il peut arriver que le compositeur soit son propre exécutant, notamment dans la musique électroacoustique où il manipule lui-même les divers appareils qu’il utilise. Le développement de la technique d’enregistrement permet la reproduction d’exécutions, pour ainsi dire, techniquement parfaites, mais l’utilisation systématique du procédé de montage de bandes, permettant le collage de fragments de différentes exécutions, tend à ôter une partie du souffle, de la spontanéité de l’interprétation. Aussi a-t-on assisté ces dernières années à une recrudescence de l’intérêt pour les enregistrements pris d’une seule traite sur le vif, au théâtre ou au concert. EXERCICE. Pièce musicale destinée à entraîner l’exécutant à vaincre une difficulté technique bien précise par la répétition d’un même motif, sans préoccupation esthétique. Les recueils d’exercices se sont développés en même temps que la pratique de la musique instrumentale. Il existe aussi des exercices pour la voix. Citons à titre d’exemple, pour le piano, les recueils de Hanon, Czerny, Stamaty, Burgmüller ; pour le violon, ceux de Dancla, Rode, downloadModeText.vue.download 364 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 358 Mazas, Rodolphe Kreutzer, Sevcik ; pour la voix, ceux de Concone, Panofka, Vaccai. L’étude peut être considérée comme une sorte d’exercice plus élaboré, dans la mesure où le compositeur ajoute au propos technique un propos expressif. EXPANDEUR. Générateur de sons sans clavier. Appelé aussi « boîte à sons », l’expandeur utilise les mêmes principes qu’un synthétiseur mais il est destiné à être piloté par un séquenceur ou un ordinateur doté d’un programme approprié. Les sons numériques sont générés par la modulation de fréquence ou par l’échantillonnage (les techniques le plus souvent utilisées aujourd’hui) selon les commandes transmises par le programme à travers la norme MIDI (Musical Instrument Digital Interface : protocole qui régit la communication standardisée de l’information musicale entre ordinateurs, instruments numériques, consoles, etc.). La plupart des expandeurs sont poly-timbriques : on peut assigner à chacune des voix superposées un timbre différent. EXPÉRIMENTALE (musique). Expression employée dans les années 50 et 60 pour désigner les musiques concrète, électronique et électroacoustique, et plus généralement toutes les musiques dites d’« avant-garde » qui cherchaient à innover dans l’emploi des instruments traditionnels ou des sources sonores, comme dans la fabrication de sources sonores nouvelles et dans la conception de processus de composition inédits, etc. Ainsi, on appelait « expérimentales » tout aussi bien les démarches pourtant très divergentes d’un Pierre Schaeffer, d’un Pierre Henry, d’un John Cage, d’un Karlheinz Stockhausen, d’un Mauricio Kagel, etc., en se contentant de cette étiquette dont le sens n’a jamais été précisément codifié. Plus spécifiquement, on parlait en France, dans les années 50, de « musique expérimentale » pour désigner une conception élargie de la musique concrète, c’est-à-dire une nouvelle façon d’entendre et de faire la musique, non pas à partir de systèmes élaborés sur partition ou dans l’abstrait, mais à partir du concret de l’écoute, « à l’oreille ». Des compositeurs comme Ivo Malec, François Bayle, François-Bernard Mâche, Luc Ferrari, au Groupe de recherches musicales, composaient alors aussi bien pour la bande magnétique que pour les instruments traditionnels, dans un esprit de curiosité pour tout l’univers sonore, sans exclusives fondées sur des systèmes a priori. C’est Pierre Schaeffer qui avait tenté de lancer cette appellation, pour la substituer à celle de musique concrète, qui était la source de bien des malentendus. C’est dans ce sens, synonyme à peu près de « musique électroacoustique », qu’Abraham Moles publia son ouvrage sur les Musiques expérimentales, Henri Pousseur son essai sur le même sujet (Fragments théoriques 1), et que l’on publia des disques de « musique expérimentale » (v. électroacoustique [musique]). Assez curieusement, si aujourd’hui on n’emploie plus guère l’expression de musique expérimentale dans cette acception, elle a survécu dans l’appellation officielle des deux principaux groupes de musique électroacoustique qui se sont créés en France dans les années 70 : le Groupe de musique expérimentale de Bourges, et le Groupe de musique expérimentale de Marseille. Mais certains parlent encore de musique expérimentale pour regrouper tant bien que mal diverses tendances récentes, de la musique dite « aléatoire » (Boucourechliev, Lutoslawski) à l’« algorithmique » (Barbaud) en passant par les musiques « minimales » (La Monte Young, Niblock, Radigue), « conceptuelles » (Schnebel, Brecht), « répétitives » (Glass, Reich, Riley), le « théâtre musical » (Kagel, Aperghis). Dans ce sens, répertorier les différentes musiques expérimentales reviendrait à faire un inventaire de toutes les recherches actuelles. On se gardera donc de chercher un sens trop précis à cette appellation, qui traduit la difficulté actuelle (masquée par de savantes dissertations sur le fond) pour embrasser dans des dénominations claires et caractéristiques la diversité des courants musicaux contemporains. EXPERT (Henry), musicologue français (Bordeaux 1863 - Tourettes-sur-Loup, Alpes-Maritimes, 1952). Ancien élève de l’école Niedermeyer, Henry Expert se consacra à l’étude des musiciens français du XVIe siècle (Janequin, Certon, Le Jeune, L’Estocart, Goudimel, etc.) dont il publia un grand nombre d’oeuvres. Professeur à l’École des hautes études (1902), fondateur de la Société d’études musicales et de concerts histo- riques (1903), bibliothécaire à la bibliothèque Sainte-Geneviève (1905-1909) et au Conservatoire national (1909-1933), il joua un rôle prépondérant dans la remise en valeur de la musique française de la Renaissance, grâce à ses publications : les Maîtres musiciens de la Renaissance française (23 vol., 1894-1908), les Théoriciens de la musique au temps de la Renaissance (1900), Messe « la Bataille » de Cl. Janequin (1905), la Fleur des musiciens de Pierre de Ronsard (1923), les Monuments de la musique française au temps de la Renaissance (10 vol., 1926-1929), Florilège du concert vocal de la Renaissance (8 cahiers, 192829), etc. EXPOSITION. Une des parties de la fugue et de la forme sonate. Dans la fugue, l’exposition constitue la première partie et comporte quatre entrées (sujet-réponse-sujet-réponse). Dans la forme sonate classique, l’exposition est la section du début, pendant laquelle, en principe, les principaux thèmes sont énoncés. En général, le matériau musical présenté au cours de l’exposition est amplifié dans la section qui suit, appelée développement. EXPRESSION. Dans la mesure où l’art des sons a pour objet d’exprimer jusqu’à l’inexprimable, il tombe sous le sens que l’expression est l’essence même de la musique. Mais de tous les éléments qui concourent au but recherché, c’est justement le seul qui échappe au contrôle du compositeur luimême. S’il peut noter avec exactitude la hauteur et la durée des sons, indiquer sans ambiguïté les temps et les nuances, il en est réduit quant à l’expression proprement dite à un vocabulaire approximatif, consacré par l’usage ou purement personnel. Dans la première catégorie figurent les locutions italiennes classiques, les maestoso, affettuoso et autres con grazia, la plus banale de toutes étant ce con espressione qui fait figure de pléonasme ou de rappel à l’ordre. On comprend qu’un Claude Debussy, au début du siècle, ait éprouvé le besoin de préciser sa pensée en recourant à des annotations littéraires du genre « profondément calme (dans une brume doucement sonore) » [la Cathédrale engloutie]. Cet exemple, parmi d’autres, prouve que l’écriture musicale est impuis- sante à traduire l’expression dans toute sa subtilité. C’est à l’interprète qu’il appartient de combler les lacunes du texte en l’enrichissant de sa sensibilité subjective. Certains jeux dits expressifs de l’orgue romantique sont enfermés dans une « boîte d’expression » à ouverture variable, commandée par une pédale, qui permet de passer progressivement du piano au forte. Un système analogue est couramment appliqué aux harmoniums. Quant aux instruments électroniques à clavier, il suffit d’un potentiomètre pour obtenir l’effet recherché. EXPRESSIONNISME. Mouvement artistique essentiellement pictural à l’origine, qui gagna rapidement tous les arts, et se développa en Allemagne à partir de 1905 environ autour de deux groupes, Die Brücke, fondé en 1905 par E. L. Kirchner, et Der Blaue Reiter, fondé en 1911 par Kandinsky. Guidés par une réaction commune contre le naturalisme et l’impressionnisme, les artistes cherchent à exprimer les forces vitales de leur être, et renoncent pour cela aux critères conventionnels du beau pour arracher à leur « moi » les formes anguleuses de visions intérieures. Ils aspirent à un homme noudownloadModeText.vue.download 365 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 359 veau, et leurs conceptions idéologiques du monde (Weltanschauung) expliquent les glissements politiques ultérieurs du mouvement. Il ne faut pas rechercher en musique de programme expressionniste. En effet, malgré le désir de Kandinsky d’une oeuvre synthétique unissant tous les arts (tentative du Son jaune en 1909), seul Schönberg participa effectivement en 1911 aux activités du Blaue Reiter, et ceci plutôt par la contribution de ses toiles et de ses articles que par sa musique elle-même. Cependant, on peut isoler les traits relevant directement de l’expressionnisme que l’on distingue, de façon plus ou moins dense, dans la production musicale des années 10 et 20. On assiste tout d’abord à une exacerbation maladive de tous les paramètres du langage musical, prise de possession de l’univers des sons qui va faire éclater les cadres accoutumés de l’oeuvre : les intervalles sont distendus (redoublements) et les plus « expressifs » d’entre eux privilégiés (2e, 4e, 7e, qu’ils soient diminués ou augmentés), les registres sont dispersés jusque dans les extrêmes de l’échelle sonore, le tissu compositionnel revêt la luxuriance d’enchevêtrements organiques aux lignes brisées par des écarts et des contrastes brutaux. Cette exacerbation crée une tension constante qui engendre l’atmosphère érotique criante d’opéras tels que les Stigmatisés de Schrecker ou Salomé de Strauss. L’oeuvre expressionniste d’autre part est mouvement, geste en perpétuel devenir qui libère l’essence psychologique de l’homme, et s’épanouit particulièrement bien sur scène, dans le drame, en collaboration avec dramaturges et metteurs en scène (Kokoschka/Hindemith : Meurtre, espoir des femmes, 1921, par exemple, mais par-dessus tout, les deux drames de Schönberg intitulés Erwartung [« Attente »], 1909, qui met en scène un unique personnage, et la Main heureuse, 1913, qui fait intervenir le Sprechgesang, sorte de « parlé-chanté » sans hauteurs fixes, à la fois cri déchirant et lame d’acier - procédé très expressionniste). Pour intensifier l’élan vital de leur musique, les compositeurs cherchent à réduire à ses seuls éléments essentiels le langage, et vont bientôt rejeter tout ce qui conduit à des redites, comme le thème et son développement classiques (athématisme et « développement continu » dans Erwartung), favorisant à la place la technique de la variation, déduisant d’une même cellule initiale tous les niveaux de la composition (« Nuit », 8e pièce du Pierrot lunaire de Schönberg). Condensée, cette nouvelle « oeuvre en soi » s’organise selon sa logique interne, en une « forme absolue » (succession de petites formes achevées dans Wozzeck de Berg), microcosme qui renvoie l’image de l’ordre universel que l’on retrouve dans les recherches de correspondances entre sons et couleurs de Hauer ou de Scriabine (Prométhée), dans le « panchromatisme », inspiré indirectement de Schwedenborg, d’un Schönberg, dans le transcendantalisme de Ives (The Unanswered Question, 1906). Toutes les voix sont d’importance égale, indépendantes (d’où une écriture plutôt contrapuntique : « la Tache de lune », 18e pièce du Pierrot lunaire de Schönberg), les sons ont tous le même poids (émancipation de la dissonance et atonalité, cristallisées historiquement par l’évolution de Schönberg), chaque élément a un rôle structurel (d’où l’écriture pour ensemble de solistes). L’absence de contrainte formelle extérieure oblige au début les compositeurs à sauver l’unité de l’oeuvre par l’intervention d’un texte (4e mouvement du 2e quatuor de Schönberg), par une structure intervallique ou rythmique (Sacre du printemps de Stravinski, ostinatos dans l’op. 16 de Schönberg, 1re pièce), par une écriture aphoristique (6 pièces op. 6 de Webern, 1909), ou par cette « mélodie de timbres » (Klangfarbenmelodie : 3e pièce de l’op. 16 de Schönberg), qui est en même temps une manifestation de la suggestivité recherchée dans le maniement de la matière à l’état pur (cf. idées de Kandinsky). Mais cet univers atonal s’organise bientôt en un système dodécaphonique (théories de Hauer, 1920 ; pièces op. 25 de Schönberg, 1921-1923) et se coule dans les moules formels de la musique baroque (Suite op. 29 de Schönberg, 1926). C’est de cet aspect plus « constructiviste » que découle l’évolution logique qui amena de nombreux compositeurs à élaguer leur musique pour en faire mieux ressortir la structure interne et la beauté abstraite, à la régénérer par une réduction puisée dans le retour aux forces originelles (folklore chez Bartók par exemple ; rythme, jazz et force magique de la danse chez Stravinski ou Krenek). Cependant, on tend à l’heure actuelle à mettre de côté cet aspect plus tardif et rationnel de l’expressionnisme, parallèle d’ailleurs à l’évolution du Blaue Reiter, dans l’acception très générale du terme. La qualification d’« expressionniste » renvoie en effet maintenant à une musique somme toute très romantique et entachée de symbolisme, et à l’éternel dilemme opposant musique intellectuelle et musique expressive. EXTENSION. Fait d’écarter un doigt pour atteindre une note en dehors de la position où l’on se trouve. Dans les instruments à cordes, l’extension, supérieure ou inférieure, se pratique souvent pour éviter de changer de corde ou de position. EYBLER (Joseph Leopold), compositeur autrichien (Schwechat, près de Vienne, 1765 - Vienne 1846). Il étudia à la maîtrise de la cathédrale Saint-Étienne de Vienne, puis fut élève d’Albrechtsberger (1776-1779). Protégé par Mozart et Haydn, il fut directeur de la musique à l’église des Carmélites (17921794) puis au cloître des Écossais (17941824), professeur de musique à la cour (1801), vice-maître de chapelle impérial en 1804 et maître de chapelle impérial comme successeur de Salieri de 1824 à 1833, date à laquelle une attaque l’obligea à se retirer. À la mort de Mozart, ce fut lui qui entreprit de terminer son Requiem, mais il abandonna cette tâche et la transmit à Süssmayer. Il écrivit beaucoup de musique religieuse, dont un Requiem en ut mineur (1803) et l’oratorio Die vier letzten Dinge (1810), au livret à l’origine destiné à Haydn, et des pages instrumentales dont de remarquables quintettes à cordes. Il fut anobli en 1835. downloadModeText.vue.download 366 sur 1085 F F. 1. Lettre par laquelle était désignée la note fa dans la notation musicale du Moyen Âge. Elle indique toujours le fa dans les pays de langue anglaise, allemande et slave, où les syllabes de Guy d’Arezzo ne sont pas adoptées. français anglais allemand fa bémol F flat Fes fa double bémol F double flat Feses fa dièse F sharp Fis fa double dièse F double sharp Fisis 2.F. est d’autre part l’abréviation de forte. FA. Nom donné à la quatrième note de l’échelle naturelle de do majeur dans le système de Guy d’Arezzo. Dans les pays de langue anglaise, allemande et slave, la même note est désignée par la lettre F. La clé de fa indique sur la portée, suivant sa position, soit la note située sur la quatrième ligne (fa 4e), soit celle située sur la troisième ligne (fa 3e). Mais cette dernière est aujourd’hui tombée en désuétude. FACTEUR. Ce terme s’emploie à propos de tous les artisans qui construisent des instruments de musique, à l’exception des spécialistes des instruments à cordes, et plus particulièrement à cordes frottées, qui sont appelés luthiers. On peut être facteur d’orgues, de clavecins ou de harpes (ces trois écoles étaient particulièrement importantes en France avant la Révolution) ou encore de pianos ou d’instruments à vent. L’activité du facteur d’instruments est appelée la facture. Selon la façon dont a été élaboré un instrument, on peut parler de sa plus ou moins bonne ou mauvaise facture. Autrefois, les instruments sortis des ateliers, notamment des facteurs de clavecins et de harpes, étaient souvent, par la beauté de leur décoration, de véritables oeuvres d’art. FAIGNIENT (Noé), compositeur flamand (Cambrai v. 1540 ? - Anvers ? v. 1598). Il étudia la musique à la maîtrise de la cathédrale d’Anvers où il se fixa après avoir été reçu citoyen bourgeois de cette ville en 1561. En 1580, il fut nommé maître de chapelle du duc Eric II de Brunswick. Il se montra ouvert à tous les styles et a laissé des chansons françaises, des chansons sur des textes flamands, des madrigaux italiens et des lieder allemands. Dans ces oeuvres, il a cherché à traduire fidèlement par sa musique le détail des mots du texte. Sa position est celle d’une sorte de trait d’union entre la musique d’essence polyphonique, avec sa pensée essentiellement « horizontale », et le nouvel art méridional faisant appel à une écriture de plus en plus harmonique, voire « verticale ». En 1568, Faignient publia à Anvers deux livres de Chansons, madrigales et motetz. Noé Faignient sympathisa également avec la Réforme et composa des psaumes huguenots. FALCON (Cornélie), soprano française (Paris 1814 - id. 1897). Elle fut l’élève de Louis Nourrit (le père du célèbre ténor Adolphe Nourrit) au Conservatoire de Paris et débuta à l’Opéra en 1832 dans le rôle d’Alice de Robert le Diable de Meyerbeer. Elle devait créer par la suite Valentine dans les Huguenots de Meyerbeer, Rachel dans la Juive de Halévy, et s’illustrer dans Don Giovanni de Mozart (Donna Anna) et la Vestale de Spontini (Giulia). Sa carrière, écourtée par la pratique de rôles lourds et par la fatigue que son style déclamatoire fit subir à son gosier, ne dura que six ans. En 1838, la voix lui manqua en scène et elle dut se retirer définitivement. Elle unissait une présence artistique considérable à un timbre sombre et corsé qui était une nouveauté à l’époque. Falcon devait laisser son nom à cet emploi particulier de soprano dramatique que Meyerbeer en France, Wagner en Allemagne, Verdi en Italie, devaient utiliser et développer. FALCONIERI (Andrea), compositeur et luthiste italien (Naples 1586 - id. 1656). Il vécut à Parme, où il occupa le poste de luthiste à la cour, puis à Florence et à Rome (1604). Il s’installa ensuite à Modène (1620-1621) avant d’entreprendre des voyages, peut-être jusqu’en Espagne et en France. Professeur au Collegio S. Brigida à Gênes, de 1632 à 1637, il retrouva sa ville natale avec un poste de maître de chapelle à la cour (1639). Son oeuvre comprend des Villanelle... con l’Alfabeto per la Chitarra spagnola à 1-3 voix (Rome, 1616), deux recueils de Musiche (airs à 1-3 voix et basse continue) publiés en 1619 à Florence et à Venise, un livre de pièces religieuses à 5 et 6 voix. Enfin en 1650, à Naples, parut un Libro di Canzone, Sinfonie, Fantasie, Capricci, Brandi, Correnti, Volte per Violini e Viole, overo altro Strumento a 1, 2 e 3 con il b.c., dont le titre est significatif du goût musical de l’époque. Les arie de Falconieri sont généralement de forme strophique : la mélodie demeure sensible aux mots imagés de la première strophe ; la basse soutient une harmonie discrètement recherchée et digne d’un musicien de cour raffiné. downloadModeText.vue.download 367 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 361 FALLA (Manuel de), compositeur espagnol (Cadix 1876 - Alta Gracia, Argentine, 1946). Andalou par son père, mais Catalan par sa mère, Falla doit à l’audition d’une symphonie de Beethoven sa vocation de compositeur. Élève, à Madrid, de José Trago (piano) et de Pedrell (composition), il compose quelques zarzuelas avant de prendre part à un concours organisé par l’Académie des beaux-arts et pour lequel il écrit la Vie brève (1904-1905). En 1907, il se rend à Paris où il résidera jusqu’en 1914. Il connaît Dukas, Debussy, Ravel, Albéniz et Vinés qui joue ses Quatre Pièces espagnoles à la Société nationale et lui suggère Nuits dans les jardins d’Espagne. De retour en Espagne, il se fixe à Madrid où il écrit l’Amour sorcier, inspiré par les récits fantastiques d’une gitane, puis le Tricorne, destiné aux Ballets russes. La mort de ses parents (1919) le conduit à quitter Madrid pour Grenade où il habitera, avec sa soeur, jusqu’en 1939. C’est l’époque du Retable de maître Pierre, commande de la princesse de Polignac, et du concerto pour clavecin écrit pour Wanda Landowska, mais aussi d’une étude passionnée du cante jondo, en compagnie de García Lorca. En 1927, il entreprend l’Atlantide, vaste ouvrage auquel il travaillera jusqu’à sa mort et qu’il laissera inachevé. Les 4 Homenajes à Arbos, Dukas, Debussy et Pedrell sont sa dernière oeuvre avant le départ pour l’Argentine. Invité à diriger plusieurs concerts pour le 25e anniversaire de l’Institut culturel de Buenos Aires, il y devait succomber à une crise cardiaque consécutive à de longs mois de maladie et sans réaliser son ultime désir de finir ses jours dans un couvent des environs de Cordoue. À la crise de vérisme qui lui a inspiré la Vie brève, c’est en héritier d’Albéniz que Falla écrit ses premières partitions, aboutissement de la renaissance musicale espagnole amorcée par Iberia et à laquelle l’école française a donné la meilleure impulsion. Venu lui-même lui demander son épanouissement, il a eu la révélation de l’univers harmonique fascinant de Debussy et de sa maîtrise à faire table rase des conventions tonales et rythmiques qui emprisonnent alors la musique. Par ailleurs, Louis Lucas, dont l’Acoustique nouvelle (1854) est prophétique, apporte des fondements rationnels à l’émancipation de la fantaisie. Enfin, sa manière toute personnelle d’assimiler les caractères essentiels de la musique espagnole conduit Falla à un style original, plus classique que celui de ses prédécesseurs. Sans perdre le contact avec les mélodies et les rythmes folkloriques, il en a surtout interrogé l’esprit au point de faire de l’Amour sorcier l’expression définitive du chant gitanoandalou. Dès le Tricorne, cependant, l’évolution d’un langage qui se réclame de Scarlatti correspond à un passage du temporel au spirituel qui délaisse bientôt le « pittoresque » de l’Espagne pour une vision plus âpre et plus intérieure de son patrimoine culturel. À l’option heureuse des vingt premières années de sa vie, le laborieux effort des vingt dernières oppose le spectacle d’une tension physique et spirituelle qui n’est pas éloignée d’une sorte de stoïcisme, mais dont les opérations ne sont plus des miracles. Incantation, carmen et sortilèges restent liés aux étapes de l’ascension purificatrice et c’est, pour terminer, le chant d’un hidalgo sorti des tableaux du Greco. Le Retable et surtout le concerto de clavecin attestent l’effort vers la plénitude du dépouillement, dans une assimilation parallèle des musiques anciennes et de la technique de Stravinski. À défaut de la messe qu’il désirait écrire, c’est cependant dans l’Atlantide, immense épopée exaltant l’alliance de l’âme ibérique et du christianisme, que Falla réalise sa conception dernière de la musique, simplifiée à l’extrême, soit dans le plus pur diatonisme, soit dans le plus archaïque modal. Partition que terminera Ernesto Halffter et qui donne de la démarche de Falla une conclusion qu’on aurait tort de considérer comme un échec ou un renoncement. Le tracé linéaire des mélodies et la transparence harmonique ne font qu’y refléter, avec la douce intensité requise par le sujet, la lumière d’une intériorité ouverte à l’infini. FALSETTISTE. Celui qui chante en voix de fausset. Mais tous les chanteurs masculins ou féminins utilisant partiellement ce registre, l’usage a défini par ce terme le chanteur se servant exclusivement de sa voix de fausset sur toute son étendue vocale, et non pas seulement pour le registre ainsi appelé. C’est le cas des jeunes garçons avant la mue, mais tout chanteur peut le réaliser par une éducation vocale particulière qui exclut toute résonance de poitrine, et qui, par le maintien du larynx en position élevée, parvient à reculer vers le grave la limite naturelle du registre de fausset (dans la définition où les mots fausset et tête sont employés comme synonymes). La voix du falsettiste, dont la tessiture est assez voisine de celle du contralto féminin, est toutefois moins puissante et moins apte aux diverses colorations. On distingue les falsettistes sopranistes et contraltistes, mais on range sous la même appellation les falsettistes « artificiels » et les falsettistes « naturels », ces derniers étant les castrats ou les enfants. Depuis l’interdit de saint Paul excluant les femmes du choeur de l’église, les parties aiguës de la polyphonie sacrée furent d’abord chantées par les jeunes enfants, mais, ceux-ci ayant rarement les connaissances musicales suffisantes avant l’âge de la mue, il fallut faire appel aux falsettistes, qui furent, à l’époque de la Renaissance, particulièrement réputés en Angleterre, ainsi qu’en Espagne où il semble qu’ils aient acquis une technique venue de l’Orient, mais où les castrats se mêlèrent insensiblement aux falsettistes artificiels. Dans le chant soliste, les falsettistes furent aisément supplantés par les castrats ou par les hautes-contre, et se réfugièrent dans le domaine de la musique de chambre avant que leur emploi ne tombât en désuétude. Avec la disparition des castrats, les falsettistes réapparurent à l’église et au théâtre, puis on assista à la résurrection de ce type vocal dans la seconde moitié du XXe siècle, notamment avec le disque où la technique de l’enregistrement supplée aisément au faible volume de ces voix. Le pionnier de cette renaissance fut Alfred Deller (1912-1979), bientôt suivi par Russel Oberlin, puis, de nos jours, par James Bowman, Paul Esswood, René Jacobs, etc. Les falsettistes sont parfois appelés improprement contre-ténors ou, par erreur, hautes-contre. Certains compositeurs tels que Benjamin Britten ont écrit pour cet emploi vocal qui se rencontre également dans de nombreuses expressions du folklore en Afrique noire, au Japon et dans d’autres pays. Sur disque, les falsettistes ont tenté d’interpréter les rôles écrits jadis pour les castrats, bien que leurs voix n’aient ni l’étendue, ni l’éclat, ni l’éventail de coloris de ces derniers. FALSETTO (ital : « fausset »). Registre le plus aigu de la voix masculine, situé au-delà des dernières résonances aiguës du registre dit « de poitrine ». Ce terme provient du latin falsus, ou bien fauces (« gorge »). Ce mode d’émission est obtenu par l’obturation partielle de la glotte (les cordes vocales ne vibrant que sur un tiers environ de leur longueur), et en maintenant le larynx en position haute ; il conduit au relâchement du pharynx et demeure pauvre en couleurs et en résonances. Généralement utilisé par les chanteurs durant leurs répétitions afin d’éviter toute fatigue superflue, il peut être requis pour certains effets comiques, pour imiter la voix féminine, et il est d’usage dans certaines traditions populaires, notamment pour l’effet de jodel, dit vulgairement tyrolienne. On peut exceptionnellement se servir du falsetto pour l’exécution de certaines notes suraiguës d’un air ou d’un rôle. L’émission en falsetto sur toute l’étendue vocale est le fait du falsettiste et non du haute-contre. FALSETTONE (ital : « gros falsetto »). Mode d’émission vocale qui tient en partie du falsetto, également appelé « falsetto renforcé » (cf. A. Cotogni) ou « mixte appuyé « ; il diffère en effet du falsetto pur, car il requiert downloadModeText.vue.download 368 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 362 le mélange des résonances de tête et des résonances thoraciques. À l’époque du bel canto, et pendant une grande partie du XIXe siècle, il servait à l’émission des notes aiguës des rôles de ténor, notamment dans les oeuvres de Rossini, Bellini, Donizetti et dans l’opéra français de demi-caractère. Les notes émises en falsettone peuvent se prêter aux colorations les plus diverses, et par conséquent donner l’illusion d’une certaine vaillance. À l’ère romantique, certains ténors l’employaient jusqu’au fa 4. FANCY (vieil angl. : « fantaisie », de l’ital. fantasia). Forme instrumentale très employée aux XVIe et XVIIe siècles. La fancy atteignit son apogée à l’époque élisabéthaine. Elle était généralement écrite dans un style libre, imitatif et fugué, et souvent composée à partir d’un cantus firmus. Le genre in nomine est une sorte de fancy. Les instruments employés étaient l’orgue, le virginal, le luth et surtout les violes en « consort ». Parmi les compositeurs de fancies, citons O. Gibbons, Th. Morley, P. Philips, W. Byrd, G. Farnaby et, plus tard, H. Purcell. FANDANGO. Danse populaire espagnole et plus particulièrement andalouse, souvent adaptée à la scène, exécutée sur un rythme ternaire par un couple qui s’accompagne lui-même du jeu des castagnettes. Bien qu’il ait pour thème la passion amoureuse, et l’exprime par le mime autant que par la danse, le fandango impose à l’homme et à la femme de ne jamais se toucher. Peut-être importé d’Amérique latine, il était déjà très répandu au XVIIe siècle. Quelques compositeurs l’ont introduit dans leurs oeuvres, par exemple Rimski-Korsakov à la fin de son Capriccio espagnol, mais aussi, bien sûr, les princi- paux compositeurs espagnols (Albéniz, de Falla, Granados, Soler) ou ayant vécu en Espagne (Boccherini). FANFARE. À l’origine, composition musicale pour trompettes de cavalerie ou trompes de chasse. Par extension, tout morceau de musique exécuté par un ensemble de cuivres. Le terme désigne aussi l’ensemble de cuivres lui-même. À partir de Monteverdi (l’Orfeo), de nombreux opéras (Castor et Pollux de Rameau, Fidelio de Beethoven, Aïda de Verdi, etc.) ont fait appel à une fanfare indépendante de l’orchestre symphonique et qui intervient sur scène ou en coulisses. À l’époque romantique, un exemple de fanfare particulièrement grandiose (quatre ensembles de cuivres) annonce le Tuba mirum dans le Requiem de Berlioz. Dans la Péri de Paul Dukas, des Fanfares précèdent le ballet proprement dit. FANO (Michel), compositeur et musicographe français (Paris 1929). Il fait ses études musicales au Conservatoire de Paris, se fait tout particulièrement remarquer dans les matières théoriques et obtient des premiers prix de musique de chambre (classe de Pierre Pasquier), harmonie (Jean Gallon), fugue (Noël Gallon), composition (Tony Aubin) et analyse (Olivier Messiaen). Très vite, sa Sonate pour 2 pianos (1952) et son Étude pour 15 instruments attirent l’attention sur lui au festival de Darmstadt. Parallèlement, il écrit de nombreux articles sur la musique moderne et contemporaine et collabore avec Pierre-Jean Jouve pour une étude sur Wozzeck d’Alban Berg (Paris, 1953). Il devient alors ingénieur du son, puis monteur de cinéma, produit et réalise plusieurs films pour le cinéma et la télévision. La composition de partitions pour des films constitue dès lors l’essentiel de son activité musicale. On peut citer notamment ses musiques pour des films de Robbe-Grillet (l’Immortelle, 1962 ; TransEurop-Express, 1966 ; l’Homme qui ment, 1968), Aurel (la Bataille de France, 1963), Tazieff (Volcans interdits, 1965). Pour la partition de la Griffe et la Dent, il obtient le grand prix technique du festival de Cannes en 1976. D’autre part, Michel Fano a été chargé de cours de 1967 à 1972 à l’Institut national du spectacle à Bruxelles, de 1971 à 1974 à la faculté de Vincennes et en 1973 à l’I. D. H. E. C. Il est responsable du département Recherche à l’Office de création cinématographique. FANTAISIE. Toute composition de structure assez libre et proche de l’improvisation, ce qui d’ailleurs n’exclut pas pour autant la rigueur ni les rapports avec des formes strictes en usage, ou dont la forme n’a qu’une importance secondaire, peut recevoir le titre de fantaisie. Le genre est comparable au ricercare, à la toccata, au prélude. Selon S. de Brossard (Dict. de 1703) : « C’est à peu près comme capricio. » Enfin, la fantaisie est presque toujours une pièce instrumentale. L’âge d’or de la fantaisie se situe au XVIe siècle. En Italie, elle s’identifie alors avec le ricercar, de style contrapuntique. Partout en Europe occidentale on écrit des pièces appelées fantaisies, fancies, fantasie, pour les instruments à clavier (virginal, orgue, clavecin), pour le luth et la vihuela, et surtout, en Angleterre, pour ensemble de violes (pièces d’écriture imitative et fuguée, aux thèmes parfois populaires, et agrémentées d’épisodes variés alternant avec ceux en contrepoint). En France, Claude le Jeune et Eustache du Caurroy ont également laissé des fantaisies pour violes. Au XVIIe siècle, on retrouve la fantaisie en Italie (Frescobaldi), puis en France avec Louis Couperin et enfin Marin Marais. Au XVIIIe siècle, J.-S. Bach, avec son goût de l’improvisation et sans le moindre esprit de système, a donné ce titre à certaines pièces traitées comme des préludes ou des toccatas, et souvent suivies d’une fugue : fantaisie en ut mineur pour orgue BWV 562, fantaisie et fugue en sol mineur pour orgue BWV 542, fantaisie chromatique et fugue pour clavier en ré mineur BWV 903. Wilhelm Friedemann et Carl Philipp Emanuel Bach, en représentants typiques de l’Empfindsamkeit, ont écrit un grand nombre de fantaisies pour clavier. Mozart, malgré son respect de la forme qui lui fit rarement tenter l’aventure, a composé quelques fantaisies dont celle en ut mineur pour piano (K. 475). Haydn appela fantaisies les mouvements lents de ses quatuors op. 54 no 2 et op. 76 no 6. Beethoven appela quasi una fantasia ses deux sonates op. 27, et écrivit en outre une fantaisie pour piano (op. 77) et une autre pour piano, orchestre et choeurs (op. 80). Toutes ces pages de Mozart, Haydn et Beethoven sont d’une profonde cohérence, mais échappent à certains critères habituels du style « sonate «. Le terme fantaisie en effet implique parfois l’anormal, jamais l’anarchie. L’époque romantique s’éprit de la fantaisie pour éviter les contraintes des formes « strictes « du classicisme. Mais elle utilisa le terme de façon de plus en plus arbitraire, y compris pour désigner une sonate comportant quelques « irrégularités «. Tous les grands musiciens de l’époque ont illustré la fantaisie, le plus souvent dans des oeuvres pour piano : Schubert (Wanderer-Fantaisie, sonate D. 894), Chopin, Mendelsohnn, Brahms, et même Wagner avec une pièce pour piano en fa dièse mineur. Très significative est la fantaisie op. 17 de Schumann, qui dans cet hommage à Beethoven se garda bien d’avoir recours au cadre extérieur ni même aux principes de la sonate, mais en prit plutôt le contrepied, aboutissant ainsi à un immense chefd’oeuvre. Inversement, et c’est tout aussi significatif, Liszt ne songea pas à appeler fantaisie sa sonate en si mineur, malgré sa structure en apparence si peu orthodoxe, ni plus tard Schönberg sa symphonie de chambre op. 9 (Sibelius l’envisagea, mais y renonça finalement, pour sa 7e symphonie). Liszt appela en revanche fantaisies les sortes de pots-pourris qu’il composa à partir des airs d’opéras de Verdi, Donizetti ou Mozart. Les compositeurs du XXe siècle n’ont pas délaissé le genre. Après Debussy et Fauré (fantaisies pour piano et orchestre), D. Milhaud et A. Jolivet ont écrit des fantaisies pour formations instrumentales diverses. Il y a même des exemples downloadModeText.vue.download 369 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 363 où la voix humaine a été employée, mais ils demeurent exceptionnels. Vaughan Williams a composé sur une chanson populaire une oeuvre bien connue (Fantasia on Greensleeves), et aussi une célèbre Fantaisie sur un thème de Thomas Tallis retrouvant l’esprit des oeuvres anglaises du XVIe siècle, et Schönberg une fantaisie pour violon et piano (op. 47). Depuis un siècle, c’est dans la musique d’orgue (Liszt, Franck, Reger) que le genre est le plus resté fidèle à l’ancienne tradition. FARANDOLE. Probablement originaire de la Grèce antique, encore pratiquée dans le midi de la France où elle fait figure de danse nationale des Provençaux, la farandole est une danse collective et mixte ; hommes et femmes alternant, les danseurs font cercle en se tenant par la main et se déplacent par pas de côté sautés, jusqu’à ce qu’un couple conducteur se détache et, passant sous les bras levés d’un autre couple, entraîne la bande sur un itinéraire improvisé. Le mot farandole désigne aussi la musique à 6/8 qui accompagne cette danse, en principe jouée par des flûtes (fifres, galoubets) ainsi que l’accompagnement rythmique des tambourins. FARINA (Carlo), violoniste et compositeur italien (Mantoue v. 1600 - peut-être Massa, Toscane, v. 1640). Remarquable instrumentiste, il se fit engager comme maître de chapelle à la cour de Dresde, où Heinrich Schütz était installé depuis 1614. Ce séjour dura de 1625 à 1632. Puis Farina fit des voyages à Dantzig et à Parme avant de retrouver sa ville natale. Carlo Farina est une figure importante dans l’histoire de la sonate pour violon, instrument qu’il contribua largement à propager en Allemagne. Il développa à l’intérieur de cette forme la technique de son instrument, étant le premier à employer les harmoniques, le staccato, le pizzicato. Sur le plan strictement musical ses oeuvres sont d’une grande expressivité, comme son admirable Sonata tertia detta la Moretta (à trois), datant de 1620 ; l’écriture pour les deux violons atteint une virtuosité considérable pour l’époque dans une série de variations qui exploitent, notamment, une technique très prisée dans la musique vocale, celle de l’écho. Farina a publié cinq livres de Pavane, Gagliarde, Brandi, Mascherate, Arie francesi, Volte, Balletti, Sonate e Canzoni (à 2, 3 et 4 voix) parus à Dresde de 1626 à 1628. FARINELLI (Carlo Broschi, dit), castrat soprano italien (Andria, prov. de Bari, 1705 - Bologne 1782). Élève de Porpora, puis de Bernacchi qui l’avait vaincu dans une joute vocale, il débuta triomphalement à la scène en 1722, à Rome, dans Eumene de Porpora. Il obtint les plus grands succès à Vienne, puis à Londres où il fut la vedette de la compagnie de Porpora, rivale de celle de Haendel. En 1737, il chanta à Madrid devant le roi Philippe V qui le retint à sa cour vingtdeux ans durant. On dit que Farinelli chantait chaque soir les quatre mêmes airs au roi, pour soigner la neurasthénie de ce dernier. En 1750, il persuada Ferdinand VI, successeur de Philippe V, de fonder un opéra italien à Madrid. On peut dire que Farinelli est ainsi à l’origine de l’école de bel canto espagnole qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours. Il joua aussi un rôle politique qui le força à quitter l’Espagne à l’avènement de Charles III (1759). Il se retira près de Bologne, où il s’adonna à la musique instrumentale. Farinelli fut sans aucun doute un des plus illustres chanteurs de tous les temps. C’était un virtuose extraordinaire, mais aussi un musicien accompli, au goût parfait. FARKAS (Ferenc), compositeur hongrois (Nagykanizsa 1905). Élève de Léo Weiner et d’Albert Siklós à l’académie F.-Liszt de Budapest (19231928), puis de Respighi à l’académie Sainte-Cécile de Rome (1929-1931), il compose de la musique pour les films du metteur en scène Paul Fejös à Copenhague. En 1935, il revient en Hongrie, professant à Budapest, à Kolozsvár, puis Székesfehérvár. Depuis 1948, il est professeur de composition à l’académie F.Liszt de Budapest. Son oeuvre abondante, au style clair, de forme classique, connaît un succès immédiat. Artiste émérite de la République populaire hongroise, titulaire du prix Kossuth (1950), du prix Erkel (1960), il a assuré la continuité de la tradition classique issue de Haydn comme de Kodály. Farkas Ferenc a écrit de nombreuses pièces symphoniques et concertantes, de la musique de chambre, des pièces pour piano, des mélodies, des oeuvres pour choeur et orchestre (cantates, messe, etc.), et pour choeur a cappella, ainsi que quelques oeuvres pour le théâtre (opéras, ballets, musiques de scène). FARNABY (Giles), compositeur anglais ( ? v. 1565 - Londres 1640). Il exerça le métier de menuisier. Peut-être fut-il également facteur d’instruments. Il vivait à Londres lorsqu’il se maria en 1587. Il fut reçu Bachelor of Music à l’université d’Oxford en 1592. En 1598, il publia un recueil de Canzonets to Foure Voyces, agréables madrigaux à 4 voix pouvant honorablement se ranger aux côtés de ceux de John Bennet (1599) et de John Farmer (1599). D’une écriture très personnelle, avec des recherches harmoniques et rythmiques, ces madrigaux attestent l’originalité du compositeur. Quelques pièces spirituelles ont d’autre part été conservées dans des recueils collectifs, ainsi que des psaumes et des motets en manuscrit. Le Fitzwilliam Virginal Book contient plus de cinquante pièces destinées au virginal et c’est surtout sur elles que repose la réputation de Giles Farnaby. Le brio de ces compositions - toujours élégantes et d’une expression très contrôlée - témoigne d’une grande maîtrise de l’écriture pour le clavier. La brève pièce Tell me Daphne est un modèle de perfection avec sa modulation au relatif majeur et la symétrie de ses proportions. Parmi les virginalistes du tournant du siècle, Farnaby ne le cède sans doute qu’à William Byrd. Il faut aussi signaler que le Fitzwilliam Virginal Book renferme quelques pièces de Richard Farnaby, fils de Giles. FARRANT (Richard), organiste et compositeur anglais ( ? v. 1530 - Windsor 1580). Il fut « Gentleman » de la chapelle royale, sous Édouard VI. En 1564, la reine Élisabeth le nomma maître de choeur et organiste de la chapelle Saint-Georges de Windsor, où il resta jusqu’à sa mort, tout en gardant son titre à la chapelle royale. On connaît de lui un Morning and Evening Service in « A » minor, deux antiennes (Hide not thy Face, Call to Remembrance), quelques pièces pour le virginal, des pièces pour voix avec accompagnement de violes, et des fragments d’oeuvres. Mais le « service » intitulé Farrant in « D » minor a pour auteur John Farrant, qui fut organiste à la cathédrale d’Ely (1567-1572) et à la cathédrale de Salisbury (1587-1592). Daniel Farrant, fils de Richard, fut violoniste de Jacques Ier (1606-1625). Les manuscrits de quelques pièces d’orgue de sa composition se trouvent à la cathédrale de Durham. FARRAR (Geraldine), soprano américaine (Melrose, Massachusetts, 1882 Ridgefield, Connecticut, 1967). Elle étudia à Boston, à Paris, puis à Berlin où elle débuta en 1901 à la Hofoper, dans Marguerite du Faust de Gounod, qui devait demeurer un de ses rôles de prédilection. Elle se perfectionna ensuite avec Lilli Lehmann avant de retourner aux ÉtatsUnis. Elle chanta pour la première fois au Metropolitan Opera de New York en 1906 (rôle de Juliette dans Roméo et Juliette de Gounod) et appartint à ce théâtre jusqu’à son retrait de la scène en 1922 (ayant affirmé depuis longtemps qu’elle se retirerait à quarante ans, elle tint parole). Elle créa Suor Angelica de Puccini en 1918. Ses interprétations de Manon (Massenet) et de Butterfly (Puccini) furent célèbres. Son physique ravissant et ses dons d’actrice, qui firent d’elle une artiste complète et une des premières grandes interprètes lyriques modernes, lui permirent également de downloadModeText.vue.download 370 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 364 triompher au cinéma à l’époque du muet (elle y incarna même Carmen). Elle avait une voix de soprano lyrique claire, pure, mais en même temps chaleureuse et expressive. FARRENC (Aristide), flûtiste et musicographe français (Marseille 1794 - Paris 1865). Installé à Paris en 1815, il y devint second flûtiste au Théâtre-Italien et y ouvrit un magasin de musique et une presse d’imprimerie, publiant notamment des éditions françaises de Beethoven. Sa femme Louise, née Dumont (Paris 1804 - id. 1875), pianiste, élève de Hummel, de Moscheles et de Reicha, composa trois symphonies (1843, 1846 et 1849) et de nombreuses pages pour son instrument. À la mort de son mari, elle poursuivit seule l’édition du monumental et excellent Trésor des pianistes, où parurent pour la première fois, entre autres oeuvres d’autres compositeurs, plusieurs sonates de Carl Philip Emanuel Bach. FARSA. Mot italien désignant un opéra comique ou un opéra bouffe en un acte. À l’origine, la farsa pouvait se confondre également avec l’intermezzo bouffe en deux parties, mais à la fin du XVIIIe siècle il désignait explicitement l’oeuvre en un seul acte. La farsa pouvait être plus longue ou même de genre plus sentimental que l’opéra bouffe, ainsi La Cambiale di matrimonio de Rossini. FARWELL (Arthur), compositeur et pédagogue américain (Saint Paul, Minnesota, 1872 - New York 1952). Il fit des études musicales à Boston, à Berlin avec Humperdinck et Pfitzner et à Paris avec Guilmant. De retour aux États-Unis, il s’intéressa à la musique des Indiens et fonda en 1901 une maison d’édition, la WaWan Press, destinée à soutenir la musique américaine et l’étude des sources traditionnelles (musiques indienne, négro-américaine et chants de pionniers). Parmi les nombreuses activités qu’il eut ensuite, on peut citer celles de fondateur de l’American Music Society (1905), de rédacteur à l’hebdomadaire Musical America, de conseiller auprès de la municipalité de New York pour l’organisation des concerts (1910-1913), de directeur de l’École de musique de New York (19151918), d’inspecteur de la musique dans les écoles publiques, et de professeur à l’université de Californie. Sa conviction lui permit de créer un mouvement en faveur de la musique de son temps, qu’elle s’inspirât ou non des sources populaires. Il écrivit lui-même, dans un style postromantique, des oeuvres pour orchestre (The Domain of the Hurakan, 1902, etc.), pour choeurs, pour choeurs et orchestre (Mountain Song, 1931), des partitions pour la scène (Caliban, 1916 ; The Gods of the Mountain, 1916, création Minneapolis, 1929), de la musique instrumentale, notamment pour piano, et des mélodies. Il a publié des collections de chants traditionnels américains d’origines diverses (Folk-songs from the West and South, entre 1901 et 1926). FASCH, famille de compositeurs allemands. Johann Friedrich (Büttelstedt, près de Weimar, 1688 - Zerbst 1758). Il étudia à l’école Saint-Thomas de Leipzig avec Johann Kuhnau, puis à l’université de Leipzig (1708-1711), où il fonda un Collegius Musicum. Il voyagea pendant quelques années, se perfectionna en composition avec Graupner et Grünewald à Darmstadt, vécut notamment à Bayreuth, à Gera où il occupa des fonctions de secrétaire, à Greiz où il fut organiste, et à Lukaveč en Bohême où il entra au service du comte Morzin. En 1722, il fut nommé maître de chapelle à la cour de Zerbst. Parmi ses nombreuses compositions instrumentales (concertos, sinfonie, sonates, trios, quatuors), on peut souligner l’intérêt tout particulier de ses suites d’orchestre d’une conception hardie, dont J.-S. Bach, qui en faisait grand cas, recopia quelquesunes. J. F. Fasch composa aussi en abondance de la musique sacrée : 11 messes, 2 Credo, une centaine de cantates, une Passio Jesu Christi (1723), 4 psaumes. Il écrivit encore quelques opéras. Christian Friedrich Carl (Zerbst 1736 Berlin 1800), fils du précédent. Il étudia la musique avec son père, puis, à partir de 1750, avec Hertel à Strelitz, et se perfectionna à Klosterberg et Magdebourg. En 1756, il fut nommé second claveciniste de la cour de Frédéric II à Berlin, puis en 1774 chef d’orchestre de l’opéra royal, et se consacra ensuite principalement à l’enseignement. En 1791, il fonda la Singakademie (Académie de chant) de Berlin, où il attira l’attention, par des exécutions, sur l’oeuvre de Bach alors totalement oubliée. L’activité de la Singakademie donna le signal du chant choral en Allemagne et cette initiative de C. F. C. Fasch peut être considérée comme une étape décisive de la vie musicale. Vers la fin de sa vie, le compositeur détruisit un grand nombre de ses oeuvres manuscrites. Parmi celles qui nous sont parvenues, on remarque de nombreuses partitions instrumentales, dont des variations et des sonates pour clavier, et de la musique vocale sacrée : 6 cantates, 4 psaumes, 4 odes, des motets, un Requiem, une Messe à 16 voix, l’oratorio Giuseppe riconosciuto, etc. À la tête de la Singakademie lui succéda son élève Zelter. FAUQUET (Joël-Marie), musicologue français (Nogent-le-Rotrou 1942). Il a étudié les arts plastiques avant de se consacrer à la musique. Auteur d’une thèse sur Alexis de Castillon (1976) et d’une thèse de doctorat sur les Sociétés de musique de chambre à Paris de la Restauration à 1870 (1981, publiée en 1986), il est entré au C.N.R.S. en 1983. Il y est directeur de recherche depuis 1993 et y anime depuis 1984 un séminaire d’histoire sociale de la musique, dont il a publié les travaux avec Hugues Dufourt (la Musique et le Pouvoir, 1987 ; la Musique : du théorique au politique, 1991). On lui doit notamment un Catalogue raisonné de l’oeuvre de Charles Tournemire (1979), Correspondance d’Édouard Lalo (1989) et l’édition de Voyage d’un musicien en Italie (1809-1812) de A. Blondeau (1993). FAURE (Jean-Baptiste), baryton et compositeur français (Moulins 1830 - Paris 1914). Il étudia le chant au Conservatoire de Paris et fit ses débuts à l’Opéra-Comique dans le rôle de Pygmalion de Galatée de Victor Massé en 1852. Il fut engagé en 1861 à l’Opéra, dont il devint l’une des vedettes et où il créa de nombreux rôles, notamment ceux de Posa dans Don Carlos de Verdi, Nelusko dans l’Africaine de Meyerbeer, et Hamlet dans l’opéra d’Ambroise Thomas. Ses interprétations de Don Juan (Mozart) et Guillaume Tell (Rossini) furent fameuses. Il obtint aussi de grands succès à Bruxelles, Londres, Vienne et Berlin, et se retira de la scène en 1880 pour se consacrer au concert. Son art exceptionnel, quintessence des caractères du chant français, était fondé sur le raffinement de la diction et l’élégance du phrasé. De 1857 à 1860, il fut professeur au Conservatoire de Paris. Il écrivit plusieurs livres concernant la pédagogie du chant, notamment la Voix et le Chant (1866) et Aux jeunes chanteurs (1898). Il composa des mélodies dont deux, Crucifix et les Rameaux, ont connu une durable célébrité. FAURÉ (Gabriel), compositeur français (Pamiers, Ariège, 1845 - Paris 1924). Fils de T. Fauré, instituteur et directeur de l’école normale de Montgauzy-Foix, il ressentit ses premières émotions musicales à l’harmonium de la chapelle du collège paternel. Envoyé dès l’âge de neuf ans à Paris pour suivre les cours de l’école de musique classique et religieuse de Niedermeyer, il ne connut guère de vie familiale ni d’encouragements. Ses études musicales et générales médiocres le laissèrent longtemps insatisfait, jusqu’au jour où il rencontra Saint-Saëns, jeune et brillant professeur de piano, qui lui révéla Schumann, Liszt et Wagner. Il écrivit alors sa première oeuvre, le Papillon et la Fleur downloadModeText.vue.download 371 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 365 (1861), mélodie d’après V. Hugo, bientôt suivie d’autres mélodies ou romances, des 3 Romances pour piano (1863) et du Cantique de Jean Racine (1865). À vingt ans, Fauré sortit de l’école Niedermeyer nanti d’un 2e prix d’harmonie, d’un 1er prix de composition et d’un prix d’excellence de piano, pour rejoindre un poste d’organiste à l’église Saint-Sauveur de Rennes (1866). Si Rennes s’enorgueillit encore d’avoir accueilli Fauré, celui-ci vécut en pensum ses quelques années de vie provinciale. Mais la guerre fut déclarée et Fauré s’engagea en juillet 1870. Cette époque troublée est marquée par l’amitié de Messager, rencontré en Suisse pendant la Commune. À son retour à Paris, Saint-Saëns aida Fauré à se faire une place parmi les organistes parisiens, d’abord comme titulaire à Saint-Honoré-d’Eylau, organiste du choeur de Saint-Sulpice, suppléant à la Madeleine, puis maître de chapelle de cette même église en remplacement de Théodore Dubois (1877). L’école Niedermeyer lui proposa aussi un poste de professeur et il commença à affronter le monde musical. Fauré était alors un jeune homme brun, au physique romantique ; ses qualités de pianiste et d’accompagnateur en faisaient un invité très recherché, et il fréquenta assidûment le salon Viardot, pensant même épouser Marianne, l’une des filles de Pauline Viardot. La rupture de ce projet (1877) allait être une grande déception pour le compositeur. Parallèlement, il participa à la fondation de la Société nationale, destinée à promouvoir la musique française, et en assura le secrétariat dès 1874. Ce fut aussi une période de voyages intéressants : il accompagna Saint-Saëns à Munich et Cologne où l’on donnait la Tétralogie. Wagner exerça sur lui une attirance très mélangée : on retrouve dans sa musique quelques traces de wagnérisme dans l’orchestration (Prométhée) ou dans l’allure épique de certaines mélodies (Larmes, Au cimetière). Ces années, riches d’expériences diverses, préparèrent une période de création intense : les 2 Quatuors avec piano (1876-1886), 6 Nocturnes (1875-1894), 6 Barcarolles (1880-1896), le Requiem (1887-1890), la Ballade (18771879) et de nombreuses mélodies : 1er et 2e Recueils, la Bonne Chanson (1892-1894). Les événements familiaux orientèrent également sa pensée créatrice : enthousiasme lors de son mariage avec Marie Fremiet (1883), fille du sculpteur E. Fremiet, et douleur à la perte de ses parents (1886 et 1888), dont nous trouvons l’expression dans le Requiem. En 1892, Fauré fut nommé inspecteur des conservatoires et une nouvelle vie, plus libre, lui fut offerte. Sa notoriété enfin établie lui permit aussi d’accéder au poste de titulaire du grand orgue de la Madeleine, puis à celui de professeur de composition au Conservatoire où il succéda à Massenet (1896). Les élèves qu’il forma furent nombreux et justement célèbres Ch. Koechlin, Fl. Schmitt, L. Aubert, N. Boulanger, M. Ravel, etc. -, mais il n’eut jamais aucun imitateur tant son style, fait d’un emploi original d’éléments traditionnels, était insaisissable. Le couronnement de cette carrière professorale allait être son accession à la direction du Conservatoire (succession de Th. Dubois), établissement dont il n’avait pas été élève et ne possédait aucune récompense. On peut lire dans les journaux du temps que sa brillante conduite aux armées joua un rôle dans cette nomination. Dès que Fauré prit son poste, il devint un vrai « tyran », ce qui signifie qu’il s’employa à rétablir la discipline et à apporter du sérieux dans un enseignement qui avait beaucoup vieilli. Cette attitude intransigeante lui fut d’ailleurs amèrement reprochée. À partir de 1903, le compositeur dut assumer une surdité presque totale, handicap qui, pourtant, n’entrava en rien sa carrière. Succès et honneurs l’accompagnèrent en ces années : accueil favorable de sa tragédie lyrique Prométhée aux arènes de Béziers (1900), élection à l’Académie des beaux-arts (1909) et création de son opéra Pénélope (1913) à Monte-Carlo. Mais son isolement physique et moral fut bientôt tel qu’il se consacra uniquement à des oeuvres intimistes : musique de chambre, mélodies et pièces pour le piano. En 1920, Fauré abandonna la vie publique comblé d’honneurs (décorations, hommage national à la Sorbonne en 1922), et s’éteignit en 1924, après avoir brûlé ses oeuvres inachevées. Fauré est avant tout un homme du XIXe siècle, nourri de romantisme et militant pour une musique constamment expressive et introspective. À l’encontre de Debussy et de Ravel, auxquels son nom est parfois associé, il ne participa aucunement aux luttes musicales qui animèrent le XXe siècle. Le dernier grand choc qu’il éprouva fut celui de la création de Pelléas et Mélisande (1902), dont les répercussions sur l’art vocal fauréen furent grandes, puis il entra dans le domaine du silence (surdité), commençant une troisième manière, très idéalisée, que l’on qualifie parfois justement d’ascétique. On peut en effet diviser sa production en trois manières : la première, jusqu’en 1880, est encore très romantique, liée à la mode et à la vie des salons, alors que la deuxième (1881-1902) est la plus représentative de la personnalité du compositeur. Il y développe une harmonie chatoyante (la Bonne Chanson), des couleurs orchestrales éclatantes (Prométhée), au service d’un art sensuel et chaleureux. La troisième période, liée à la surdité, abolit la précédente, et on ne peut s’empêcher de songer à ce qu’aurait été une évolution en droite ligne, sans la coupure causée par son infirmité. Fauré n’est pas par nature un musicien intimiste et l’ascète des dernières années. Il faut donc se garder de lui dénier, en se fondant sur la troisième manière, toute vigueur et tout romantisme. Il n’est pas exclusivement l’homme du charme et des musiques exquises, mais aussi un Méditerranéen et un passionné, comme en témoignent les Quatuors avec piano. FAUSSE RELATION. Les harmonistes désignent sous ce vocable le fait de faire entendre, soit simultanément, soit consécutivement, deux sons réputés incompatibles entre eux. Les fausses relations cataloguées concernent principalement le triton (intervalle de 3 tons consécutifs, par exemple fa-si bécarre) et l’octave augmentée ou diminuée ; ces intervalles sont par contre recherchés comme préférentiels par les musiciens sériels ou simplement atonalistes, comme ils l’étaient autrefois dans la musique polyphonique. FAUSSET. Technique de chant utilisant le registre de tête (ou de fausset) d’une voix d’homme (ténor ou baryton). On emploie aussi fréquemment pour la désigner le terme italien correspondant, falsetto. Le fausset peut être développé afin d’ajouter des notes aiguës au registre de poitrine normalement employé, à la « voce piena e naturale » selon l’expression des vieux maîtres italiens. Mais le fausset peut être également développé au point de devenir le registre principal de la voix. Le chanteur cultivant cette technique est alors appelé falsettiste. Les sons produits par la technique du fausset sont pauvres en harmoniques ; ils possèdent une couleur particulière, d’une pureté et d’une douceur indéniables, dépourvue de vibrato, et avec peu de timbre. Le fausset, qui utilise un minimum de souffle, permet une grande virtuosité, mais reste assez limité sur le plan de l’expression et exige beaucoup de goût de la part de celui qui y a recours. Autrefois, la technique du fausset fut surtout utilisée à l’église, soit en soliste, soit pour chanter les parties supérieures (soprano ou alto) dans la musique polyphonique, contribuant à préserver la clarté du contrepoint. Le fausset apparaît fréquemment dans la musique populaire occidentale, par exemple dans le jodel, et aussi dans les civilisations musicales extra-européennes. FAUX-BOURDON. Expression d’origine controversée désignant, au départ, un procédé d’harmonisation très employé aux XVe et XVIe siècles dans la musique d’église, puis ayant changé de sens au XVIIe siècle. downloadModeText.vue.download 372 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 366 L’explication courante du mot tient au fait que les accords de sixte dont était formé le faux-bourdon primitif, renversement du bourdon ou résonance en accords parfaits, étaient produits par le fait de chanter la fondamentale in falso, c’està-dire en fausset, à l’octave ; cette explication a été contestée, sans qu’aucune autre se dégage avec certitude. Probablement dérivé du gymel anglais, qui harmonisait le chant donné en lui ajoutant des tierces parallèles supérieures, avec début et fin en « consonance parfaite » de quinte, le faux-bourdon procède de la même manière en ajoutant dans une troisième voix supérieure l’octave à la quinte et la sixte à la tierce, et en meublant les transitions en notes de passage. On obtient ainsi un schéma d’harmonisation très simple, qui pouvait probablement être improvisé par les chantres, et dont les compositeurs se sont inspirés en lui donnant de multiples prolongements ornementaux. D’abord placé à la partie inférieure, le chant donné est ensuite passé à la partie supérieure. Le faux-bourdon intervient très fréquemment dans la musique religieuse du XVe siècle, et laisse des traces tout au long du XVIe. On en trouve encore à la fin du siècle chez Victoria, par exemple dans le célèbre Ovos omnes. Il disparaît au XVIIe siècle, et le terme, conservé, change alors de signification, désignant par dérivation toute harmonisation à plusieurs voix des formules clausulaires ou responsoriales de l’office (par exemple, Amen, ou Et cum spiritu tuo). L’Amen de Dresde, d’où Mendelssohn a tiré l’un des thèmes de sa symphonie Reformation et Wagner l’un des principaux motifs de Parsifal, est un faux-bourdon. De même la psalmodie polyphonique des versets pairs du Dies irae, utilisée par Liszt dans sa Danse macabre à la suite de la mélodie du plain-chant. FAVART (Charles-Simon), poète, auteur dramatique, librettiste et acteur français (Paris 1710 - Belleville 1792). Jeune pâtissier, il écrivit des poèmes qui lui valurent d’emblée quelque notoriété, et débuta à la foire Saint-Germain avec des comédies et des parodies mêlées de vaudevilles comme les Deux Jumelles (1734) et la Chercheuse d’esprit ( 1741). Il devint directeur de l’opéra-comique de la foire Saint-Germain (1743), épousa en 1745 celle qui devait devenir la vedette de la troupe, puis prit la direction du théâtre ambulant de l’armée du maréchal de Saxe, mais la passion, non payée de retour, du maréchal pour sa femme le contraignit à disparaître quelque temps du monde théâtral. Redevenu directeur de la scène à la foire Saint-Laurent, il écrivit de nouvelles comédies dont Bastien et Bastienne (1753), plus tard mise en musique par Mozart, les Trois Sultanes, mise en musique par Gilbert en 1761 et pour laquelle Haydn, en 1777, devait écrire une musique de scène à l’origine de sa symphonie no 63 (la Roxolane), Ninette à la cour (1755), qui connut un triomphe, et Annette et Lubin (1762). Il obtint à plusieurs reprises le concours des compositeurs Monsigny (Annette et Lubin), Philidor, Grétry (la Rosière de Salenci) et surtout Duni (les Moissonneurs, 1768). Nommé par la faveur de la marquise de Pompadour directeur de l’Opéra-Comique en 1757 (d’où l’attribution ultérieure de son nom à la salle abritant ce genre de spectacle), il entra en rapports avec le comte Durazzo, intendant du théâtre impérial de Vienne, et avec Gluck, qui le chargea de traduire en français son Orfeo. Dans une salle nouvelle, inaugurée en 1783 sous le nom de Théâtre-Italien, il acheva de forger le premier vrai répertoire de l’opéra-comique français, et donna à ce genre nouveau une âme et un style. FAVART (Marie DURONCERAY ou DU RONCERAY, épouse), comédienne et chanteuse française (Avignon 1727 - Belleville 1772). Élevée à Lunéville, elle vint à Paris en 1745 et débuta alors à l’opéra-comique de la foire Saint-Germain comme danseuse. En 1745, elle épousa Charles Favart. Intelligente, spirituelle, jolie, jouant délicieusement la comédie et chantant à ravir d’une voix de soprano très léger, elle s’imposa dans les pièces à vaudevilles jouées par la troupe. Elle suivit ensuite la destinée de son mari, et fut la vedette des théâtres dont il était responsable. Elle usa de son rayonnement et de sa célébrité pour lutter contre l’invasion des oeuvres étrangères et des artistes italiens, et, si elle joua dans la Servante maîtresse de Pergolèse, ce fut dans une traduction française. Elle collabora avec des auteurs et des compositeurs, et forma bon nombre des interprètes qui s’illustrèrent à cette époque dans les créations de Monsigny, Grétry et Philidor. FAVOLA IN MUSICA (ital. : « fable en musique »). Expression désignant à la naissance du genre certains opéras de caractère légen- daire ou mythologique. Ce fut le cas en 1607 de l’Orfeo (ou La Favola d’Orfeo) de Monteverdi. FAVOLA PER MUSICA (ital. : « fable pour la musique »). Vers l’an 1600, « histoire » de caractère légendaire ou mythologique rédigée sous forme dramatique pour être mise en musique. FAVRE (Georges), compositeur et musicologue français (Saintes 1905). Il a étudié la composition au Conservatoire de Paris dans les classes d’André Gédalge et de Paul Dukas, et l’histoire de la musique à la Sorbonne, où il a été l’élève de Paul-Marie Masson. Il a soutenu en 1944 une thèse de doctorat sur Boieldieu, été inspecteur général de l’enseignement de la musique au ministère de l’Éducation nationale, et a publié des ouvrages pédagogiques. Georges Favre a écrit, outre des partitions à caractère pédagogique, des pièces pour piano et des oeuvres de musique de chambre, mais l’activité du musicologue, orientée principalement sur Boieldieu, dont il a réédité les Sonates pour piano, et sur Dukas, a éclipsé celle du compositeur. Principaux écrits : Boieldieu. Sa vie, son oeuvre (2 vol., Paris, 194445) ; Paul Dukas. Sa vie, son oeuvre (Paris, 1948) ; la Musique française de piano avant 1830 (Paris, 1953). FAYRFAX (Robert), compositeur anglais (Deeping Gate, Lincolnshire, 1464 Saint-Albans, Hertfordshire, 1521). On le trouve en 1496 porteur du titre de « gentleman » de la chapelle royale. Il devint ensuite, vers 1502, organiste à l’abbaye de Saint-Alban. En 1504, il fut reçu docteur de l’université de Cambridge et, en 1511, à Oxford, il fut honoré du premier doctorat de musique connu. Il fut ensuite à la tête des chantres de la chapelle qui accompagnèrent le roi Henri VIII au Camp du Drap d’or en 1520. L’oeuvre de Fayrfax comprend une douzaine de motets dont Ave Dei Patris Filia (conservé dans plusieurs manuscrits), deux Magnificat, six messes à 5 voix dont O bone Jesu et surtout la Missa Albanus (sans Kyrie) dont chaque section exploite la technique du motif de tête chère à Dufay ; quelques chansons profanes, dont sept sont contenues dans le Manuscrit Fayrfax, complètent cette liste, dominée par la messe cyclique (six ont survécu). Le style contrapuntique de Fayrfax a tendance à négliger l’écriture en imitation au profit d’un contrepoint plus sévère (note contre note), caractéristique des maîtres du début de la Renaissance. Il fut considéré par ses contemporains comme le plus grand musicien anglais de sa génération. FEDER (Georg), musicologue allemand (Bochum 1927). Il a fait de 1949 à 1955 des études de musicologie, de philosophie et d’histoire aux universités de Tübingen, de Göttingen et de Kiel (avec Friedrich Blume). Entré en 1957 au Joseph Haydn Institut de Cologne, organisme fondé en 1955 dans le but de réaliser l’édition complète des oeuvres de Haydn, il en prit la direction en 1960, succédant ainsi à Jens Peter Larsen, et l’a conservée jusqu’en 1990. Il a eu downloadModeText.vue.download 373 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 367 comme successeur Horst Walter. Auteur de nombreux articles, parmi lesquels Probleme einer Neuordnung der Klaviersonaten Haydns, 1963 (« Problèmes d’une nouvelle classification des sonates pour piano de Haydn »), Die Überlieferung und Verbreitung der handschriftlichen Quellen zu Haydns Werken, 1965 (« la Transmission et la Dissémination des sources manuscrites des oeuvres de Haydn »), Die beiden Pole im Instrumentalschaffen des jungen Haydn, 1970 (« les Deux Pôles dans la production instrumentale du jeune Haydn »), Haydns frühe Klaviertrios, 1970 (« les Trios avec piano de jeunesse de Haydn ») et Joseph Haydn als Mensch und Musiker, 1972 (« Joseph Haydn comme homme et comme musicien »), il a édité à partir de 1965, dans le cadre du Joseph Haydn Institut, les Haydn-Studien. FEDERHOFER (Helmut), musicologue autrichien (Graz 1911). Directeur de l’Institut de musicologie de l’université de Mayence à partir de 1962, éditeur de la revue Acta Musicologica, il a travaillé notamment sur Johann Joseph Fux et sur Mozart. FEDOROV (Vladimir), musicologue français (Tchernigov, Russie, 1901 - Paris 1979). Élève à Paris de l’École des hautes études, de l’École des chartes et de l’Institut d’art et d’archéologie, il a acquis sa formation musicale lors de séjours aux conservatoires de Dresde, de Leipzig et de Paris. Il s’est fait connaître par ses recherches sur la musique russe, tout en poursuivant une carrière de bibliothécaire à la Sorbonne (1933-1939), puis au département de la musique de la Bibliothèque nationale. De 1946 à 1966, il a été conservateur de la bibliothèque du Conservatoire. Il a fondé, en 1951, l’Association internationale des bibliothèques musicales (A.I.B.M.) et a présidé, de 1964 à 1966, le Conseil international de la musique à l’Unesco. Secrétaire général, puis, en 1974, président du Répertoire international des sources musicales (R.I.S.M.), il a dirigé la revue Fontes artis musicae. Ses nombreux travaux, tout en étant le reflet de vues souvent originales, se sont signalés par leur rigueur. Principaux écrits : Moussorgski, biographie critique (Paris, 1935) ; Interférences (dans Musique russe, Paris, 1953) ; S. Prokofiev (Encyclopédie de la Pléiade, Histoire de la musique, II, Paris, 1963) ; J.Ph. Rameau (catalogue de l’exposition à la Bibliothèque nationale, 1964) ; Debussy vu par quelques Russes (dans Debussy et l’évolution de la musique au XXe siècle, Paris, 1965). FEINTE (MUSIQUE). 1.Traduction littérale du latin musica ficta (« musique imaginée »), ainsi nommée du fait que les altérations écrites n’y correspondent pas obligatoirement à celles qui devaient être exécutées, et qui devaient être « imaginées » en fonction d’un code compliqué. La musica ficta découle du fait que la solmisation, forme ancienne du solfège, avait été conçue au XIe siècle pour résoudre les problèmes d’altération posés par la mobilité du si ( ! BÉCARRE) dans une musique qui ne connaissait pas d’autre altération que le si bémol. Lorsque intervinrent d’autres altérations (du fa dièse, XIIIe s., à la totalité, fin XVIe s.), on ne sut pas adapter le système aux nouvelles nécessités, et l’on s’appliqua à tout ramener aux données initiales devenues inadaptées, moyennant des règles de plus en plus complexes que les musicologues modernes ne sont pas encore parvenus à traduire avec clarté. Il semble du reste acquis que, même pour les contemporains, ces règles étaient loin d’être toujours nettes et laissaient souvent place à des divergences d’interprétation. C’est pourquoi, jusqu’à l’abolition de la musique feinte (dont il subsiste des vestiges jusqu’à la fin du XVIIe siècle), la lecture des altérations dans l’écriture sur portées comporte toujours une part variable d’incertitude, qu’ignore par contre la notation par tablature. Nous pratiquons encore nous-mêmes inconsciemment le principe de la musique feinte lorsque, contre toute logique, nous solfions une note altérée en énonçant le seul nom de la note naturelle et en sousentendant (« imaginant ») l’altération non énoncée. 2.Nom jadis donné aux touches noires (autrefois blanches) du clavier d’orgue ou de clavecin. FELD (Jindřich), compositeur tchèque (Prague 1925). Fils du célèbre professeur de violon Jindřich Feld (1883-1953), il étudie la composition d’abord avec E. Hlobil (19451948) au conservatoire de Prague, puis avec J. Rídký à l’académie de Musique et d’Art dramatique (1948-1952). Violoniste, puis altiste, il enseigne la composition au conservatoire de Prague depuis 1972. Il s’est fait connaître par son Divertimento pour cordes, hommage à Bartók dont l’influence s’est fait sentir jusqu’au Concerto pour orchestre (1951). À cette époque, son écriture unit l’élégance du Stravinski néoclassique au lyrisme naturel de l’école française (Concerto pour flûte, 1954 ; Concerto pour violoncelle, 1958). Sa seconde période de création semble dominée par la pénétration spirituelle de l’héritage de Martinºu ; ainsi ses Trois Fresques (1963), comparables par leur intensité, leur tension modale aux Trois Paraboles de Martinºu. Cette tendance atteint son expression la plus absolue dans son 4e Quatuor (1965) où se joignent le souvenir de Martinºu et Bartók et celui de la Suite lyrique de Berg. En 1967, Feld étend à l’orchestre les conquêtes de ce 4e Quatuor en l’orchestrant, réalisant ainsi sa 1re Symphonie. Depuis lors, à la demande de nombreux solistes tchèques, Feld écrit toute une série de pièces concertantes ou solistes dont l’écriture use avec aisance d’un dodécaphonisme élargi, fondé sur une connaissance des ressources expressives de chacun des instruments solistes : Sonate pour piano (1971-72), Concerto pour piano (1973), Concerto pour violon (1976-77). Il a également composé des oeuvres pour orchestre, pour diverses formations de chambre, quelques oeuvres vocales, des musiques de film et des musiques de pièces radiophoniques, ainsi que de nombreuses oeuvres didactiques, proches par l’esprit des partitions équivalentes de Bartók. Feld est désormais l’un des rares exemples, parmi les compositeurs de son pays, à avoir su assumer la tradition occidentale du patrimoine tout en faisant oeuvre de novateur. FELDMAN (Morton), compositeur américain (New York 1926 - Buffalo, N. Y., 1987). Élève de Riegger (contrepoint) et Stefan Wolpe (composition), il étudie aussi la peinture. Sa rencontre avec Cage (1951) conforte ses idées déjà révolutionnaires. Avec David Tudor, Earle Brown et Christian Wolff, au début des années 50, il cherche les moyens de détruire la continuité musicale traditionnelle, de libérer les sons et s’intéresse aux arts plastiques, en particulier à l’école de New York. Ces jeunes musiciens comprennent que les peintres de cette école jettent les bases d’un art proprement américain, ce qui est aussi leur but. Peut-être la fréquentation du milieu pictural new-yorkais explique-t-elle le désir de Feldman de vivre la composition comme une totale aventure sonore abstraite, et, par voie de conséquence, dans une première période de son évolution, l’emploi de partitions graphiques. Morton Feldman envisage cette aventure, liée pour lui à la libération des sons et à leur projection dans l’horizontalité temporelle, dans le cadre de l’indétermination et du canevas graphique. Aussi, dans Projection I pour violoncelle (1950-51) et Marginal Intersection pour orchestre (1951), exemples types, la hauteur dans chaque registre, les dynamiques, l’expression restent à préciser, la durée étant à peu près indiquée par la longueur des rectangles. Plus que de permettre l’improvisation pour elle-même, Morton Feldman souhaite ainsi créer de nouveaux types de relations sonores. À noter que dans Marginal Intersection, l’utilisation downloadModeText.vue.download 374 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 368 de deux oscillateurs électriques émettant des fréquences très graves ou très aiguës à peine audibles, qui relancent les sons instrumentaux, provoque des échanges temporels sur le plan vertical et horizontal. Un usage constant de dynamiques très faibles et l’absence d’un rythme précis contribuent parfois à donner faussement l’impression d’une musique statique. Il faudrait plutôt parler, bien avant les clusters de Ligeti, d’une sorte de nuage sonore en suspension et en mouvement perpétuel (The Swallows of Salagan, « les Hirondelles de Salagan », pour choeur mixte et 23 instruments, 1960). Ainsi, dans Marginal Intersection, les instruments de l’orchestre rentrent ou sortent selon leur libre arbitre à l’intérieur de leur intervention. Même lorsque Feldman abandonne la partition graphique (sauf pour Atlantis pour 17 instruments [1958] et Out of « Last Pieces », « Tiré des Dernières Pièces », pour orchestre [1958]) et cherche, dans les années 1955-1958, une notation plus précise et une plus grande clarté de propos, il expérimente toujours l’indétermination d’un paramètre : dans Piece for 4 pianos, c’est la durée libre d’une séquence identique pour chacun des instruments ; dans Durations (5 pièces instrumentales, 1960-1962), le déphasage obtenu constitue une sorte de réverbération de la séquence de base. De plus, il y a chez Morton Feldman la recherche d’une musique d’une extrême simplicité qui, dans ses emplois répétitifs, préfigure peut-être la nouvelle musique américaine des années 70 : on remarque, dans Christian Wolff at Cambridge (1963) pour choeur a cappella, la reprise inlassable de 16 accords pp ; dans Madame Press died last week at the age of ninety (« Mme Press est morte la semaine dernière à quatrevingt-dix ans », 1971), pour ensemble instrumental, la répétition d’une tierce mineure. Les oeuvres plus tardives comme False Relationship and the Extended Ending (« Fausse Relation et fin différée », pour violon, violoncelle, trombone, 3 pianos et carillon, 1968), On Time and Instrumental Factor (« Temps et facteur instrumental », pour orchestre, 1969) ou encore The Viola in my life (« l’Alto dans ma vie », 4 pièces pour alto et divers instruments, 1970) rejettent tout aspect indéterminé. Citons encore Quatuor à cordes no 2 (1983) et Violin and String Quartet (1985). L’aventure de Feldman est bien celle du son, parfois celle du silence, jamais celle de la forme qui naît de l’instant. Sa musique se situe entre des catégories (Between Categories, pour 2 pianos, 2 carillons, 2 violons et 2 violoncelles, 1969), « entre temps et espace, entre peinture et musique, entre la construction de la musique et sa surface ». N’ouvre-t-il pas par là la voie à une méditation, à une perception du temps proches des conceptions orientales ? En tout cas, à l’écoute du temps et de l’événement, Feldman exige de l’auditeur une disponibilité totale. FELLEGARA (Vittorio), compositeur italien (Milan 1927). Après des études d’ingénieur à l’École polytechnique (1945-1948) et des études de mathématique et de physique à l’université de Milan, il étudie la composition à partir de 1951 avec L. Chailly au conservatoire Giuseppe-Verdi. En 1958, il obtient le 2e prix international de composition de la S. I. M. C. À partir de 1960, il enseigne la composition à l’Institut musical Gaetano-Donizetti de Bergame. Une de ses premières oeuvres importantes, Octuor pour vents (1953), a été créée au festival de Donaueschingen en 1955. Suivirent notamment Ricercare fantasia pour piano (1951), Preludio, fuga e postludio pour piano (1952-53), Omaggio a Bach, thème et variations pour piano (1975) et Studi in forma di variazioni pour orchestre de chambre sur un fragment de Bach (1978). Des oeuvres comme Lettere di condannati a morte della resistenza italiana pour récitant, choeur et orchestre (1954), Requiem di Madrid pour choeur mixte et orchestre sur un texte de F. García Lorca (1958) et Dies irae pour choeur mixte et instruments sur un texte de F. García Lorca (1959) ont une résonance nettement politique, tout comme celles sur des textes de N. Balestrini (Mutazioni, ballet en 6 tableaux, 1962), P. Eluard (Épitaphe pour 2 sopranos et 5 exécutants, 1964), G. Leopardi (Cantate pour 2 voix de femmes et orchestre, 1966), P. Verlaine (Notturno pour soprano, contralto, choeur d’hommes et orchestre, 1971), N. Sachs (Zwei Lieder pour choeur de femmes et orchestre, 1974). Parmi ses autres oeuvres, retenons : 4 Invenzioni pour piano (1949), Fuga pour cordes (1950), Concerto pour orchestre (1952), Concerto breve pour orchestre de chambre (1956), Epigrafe pour récitant et 5 instruments (1955), Sinfonia pour orchestre (1957), Serenata pour orchestre de chambre ou 9 instruments (1960), Frammenti I pour orchestre de chambre (1960), Variations (Frammenti II) pour orchestre de chambre (1961), Chanson pour soprano et orchestre de chambre sur des textes de P. Eluard (1974), Herbstmusik (hommage à Mahler) pour quatuor à cordes (1986) ; Stille Nacht pour orgue et 9 instruments à vent (1990). FELLOWES (Edmond Horace), musicologue et éditeur anglais (Londres 1870 Windsor 1951). Maître de choeur, d’abord à la cathédrale de Bristol, puis à la chapelle Saint George de Windsor, bibliothécaire du Saint Michael’s College de Tenbury de 1918 à 1948, il fut un des meilleurs spécialistes de la musique élisabéthaine et jacobéenne, dont il a publié de nombreuses transcriptions. Principaux écrits : The English Madrigal (Londres, 1925, rééd. 1947) ; W. Byrd (Oxford, 1923, rééd. 1928) ; O. Gibbons (Oxford, 1925, rééd. 1951) ; English Cathedral Music from Edward VI to Edward VII (Londres, 1941, rééd. 1945) ; publications : The English Madrigal School (36 vol., Londres, 1913-1936), The English School ol Lutenist Song-Writers (32 vol., Londres, 1920-1932), The Collected Works of W. Byrd (20 vol., Londres, 1937-1950). FELSZTYN (Sébastien de), théoricien et compositeur polonais (Felsztyn, Galicie, v. 1490 - ?, apr. 1544). Il fit ses études musicales à Cracovie. La Capella regia rorantistarum (dont le nom est attaché à la messe « rorate » chantée quotidiennement à la chapelle de l’Assomption de la Vierge) y stimulait alors l’exécution de la musique polyphonique et joua un rôle important pour le développement de l’art de Sébastien de Felsztyn. Il fut l’auteur de divers ouvrages publiés à Cracovie, notamment l’Opusculum utriusque musicae (1515), le recueil de chants grégoriens Opusculum musicae (1518), Modus regulariter accentuandi (1518), Pro institutione cantu simplice seu gregoriano (1519), Aliquot Hymni (1522) et Directiones musicae ad cathedralis (1543). FENICE (la). Depuis deux siècles, principal théâtre d’opéra de Venise. Sa construction fut décidée après l’incendie du San Benedetto, et son nom (le « Phénix » renaissant de ses cendres), choisi en conséquence. L’inauguration eut lieu le 16 mai 1792 avec I Giuocchi d’Agrigento de Paisiello. Il fut détruit par le feu en 1836, puis reconstruit et plusieurs fois réaménagé avant le second incendie de janvier 1996 : il sera reconstruit au même endroit (façade et entrée sur une place, autre entrée sur un canal) et à l’identique (magnifique décoration et bleu comme couleur dominante, loges et galerie, parterre de 850 places). Rossini y connut son premier triomphe (Tancredi, 1813), mais La Traviata et Simon Boccanegra de Verdi, lors de leurs créations respectives (1853 et 1857), y furent des échecs. Au XIXe siècle, l’établissement fut peu à peu supplanté par La Scala de Milan, en partie à cause de la domination et de la censure autrichiennes, qui durèrent à Venise jusqu’en 1866 et dont témoigne la séquence initiale du film Senso de Visconti. Eut lieu à La Fenice, en 1897, la création de la Bohème de Leoncavallo. Une nette renaissance est intervenue à partir des années 1930, et, depuis, La Fenice a vu notamment les créations mondiales de The Rake’s Progress de Stravinski (1951), de The Turn of the Screw de Britten, d’IndownloadModeText.vue.download 375 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 369 tolleranza de Nono et de Lorenzaccio de Bussotti (1979), ainsi que la première scénique de l’Ange de feu de Prokofiev (1955). FERENCSIK (Janos), chef d’orchestre hongrois (Budapest 1907 - id. 1984). Élève d’A. Fleischer (direction d’orchestre) et de L. Lajtha (composition) au conservatoire de Budapest, il est devenu assistant (1927) puis chef d’orchestre (1930) à l’opéra de Budapest. Il a pratiquement fait toute sa carrière dans cette ville, à l’exception de courtes périodes comme assistant à Bayreuth (1930-31) et à l’opéra de Vienne (1948-1950, puis 1964). En 1953, il a été nommé directeur musical de l’opéra de Budapest et chef principal de l’orchestre d’État hongrois. Il a obtenu le prix Kossuth en 1951 et en 1961. Grand interprète de Bartók et de la musique hongroise en général, il s’est également illustré dans le répertoire classique. FERGUSON (Howard), compositeur et musicologue anglais (Belfast 1908). Il fait à Londres ses études de piano avec Harold Samuel et travaille la composition au Royal College of Music avec Reginald Owen Morris. Ensuite, il devient professeur de composition à la Royal Academy of Music, de 1948 à 1963. Grand amateur de Brahms, il s’inscrit dans un courant de jeunes compositeurs néoromantiques. Excellent pianiste, il est particulièrement attiré par la musique de chambre. Il fait ses débuts au moment de la Seconde Guerre mondiale et organise les concerts de Midi à la National Gallery. Son catalogue de compositeur est assez réduit (musique de chambre, quelques oeuvres pour orchestre, mélodies). Mais il faut citer, parallèlement, ses excellentes éditions pédagogiques consacrées à la musique de clavier en 4 volumes : Style and Interpretation, anthologie de la musique de clavier du XVIe au XIXe siècle (1963-64), ainsi que ses Anthologies complémentaires de musique de clavecin des écoles française, italienne (2 vol. chacune, 1966, 1968), allemande (2 vol., 1970), anglaise (2 vol., 1971). FERMATA. Ancien nom du point d’orgue dans son acception de signe d’arrêt. FERNANDEZ (Oscar Lorenzo), compositeur brésilien (Rio de Janeiro 1897 - id. 1948). Il fit ses études à l’École nationale de musique de Rio avec Enrique Oswald pour le piano et Francisco Braga pour la composition. Il devint professeur d’harmonie dans cet établissement (1925-1936), avant d’être nommé en 1936 directeur du conservatoire brésilien. Chef d’orchestre, fondateur de la revue Ilustração musical, conférencier, il joua un rôle éminent dans la vie musicale de son pays. Son oeuvre de compositeur, intimement liée au folklore, comprend des partitions symphoniques et concertantes (Suite sinfônica sur 3 thèmes populaires, 1925 ; poèmes symphoniques Imbapara, 1929 ; Reisado de pastoreio, 1930 ; Symphonie no 1, 1re audition 1949 ; Variations symphoniques pour piano et orchestre, 1948, etc.), des pièces pour piano, de la musique de chambre, des mélodies et un opéra, Malasarte, créé en 1941 à Rio de Janeiro, sous la direction du compositeur. FERNANDEZ CABALLERO (Manuel), compositeur espagnol (Murcie 1835 Madrid 1906). Élève d’Eslava au conservatoire de Madrid, il y obtint un premier prix de composition en 1856. Violoniste et chef d’orchestre, il fit ensuite des tournées internationales à la tête de troupes de zarzuelas. Devenu aveugle en 1894, il dicta ses dernières partitions à son fils. Plus de deux cents zarzuelas constituent l’essentiel de son oeuvre. Les plus connues sont El Primer Día feliz, Gigantes y cabezudos, La Viejecita, El Cabo primero, El Salto del pasiego, Los Sobrinos del capitán Grant, Château Margaux. Fernandez Caballero a également écrit de la musique vocale sacrée. FERNEYHOUGH (Brian), compositeur anglais (Coventry 1943). Né dans un milieu modeste, il reçoit une première formation musicale dans un contexte populaire et folklorisant - il joue dans les orchestres de fanfares ou brass bands - avant de s’orienter très vite vers la composition. Il obtient les diplômes d’exécutant et d’enseignant à l’École de musique de Birmingham (1961-1963), poursuit des études de composition et de direction d’orchestre à la Royal Academy of Music de Londres (1966-67). Après avoir étudié auprès du compositeur Lennox Berkeley, Brian Ferneyhough quitte la Grande-Bretagne (1968), effectue un bref stage à Amsterdam auprès de Ton de Leeuw, puis s’installe à Bâle pour y travailler avec Klaus Huber (1969-1971), dont il devient l’assistant comme professeur de composition à la Musikhochschule de Freiburg (Allemagne fédérale) - poste qu’il occupe toujours. Ferneyhough est titulaire de divers prix et bourses, dont le prix du concours Gaudeamus (PaysBas, 1969), celui de la fondation Heinrich Strobel (Allemagne fédérale, 1973), le premier prix au concours de composition de la S. I. M. C. (Rome, 1974). Il est invité à séjourner un an à Berlin-Ouest sous les auspices du Service allemand d’échanges académiques (DAAD, 197677). Ses toutes premières compositions datent de 1963. Jusqu’en 1974, date de sa révélation soudaine au festival de Royan, la complexité de pensée et l’extrême difficulté de ses oeuvres empêchent leur large diffusion. Cette situation s’inverse totalement à partir de 1974 ; Ferneyhough voit son importance peu à peu reconnue grâce à de nombreuses exécutions à Royan, Donaueschingen, Venise, Londres, Paris (I. R. C. A. M.), etc. La démarche compositionnelle de Brian Ferneyhough part d’une assimilation remarquablement complète et profonde de l’expérience de la musique sérielle généralisée telle qu’ont pu la vivre un Pierre Boulez, un Karlheinz Stockhausen ou un Luigi Nono durant les années 1950-1960. Ferneyhough adapte les impératifs de la pensée sérielle à son propre tempérament, véhément, expressionniste, et les exploite dans le sens d’une totale radicalisation. Prometheus pour sextuor à vent (1967), Epicycle pour vingt cordes solistes (1968), Missa brevis pour douze voix solistes a cappella (1969), Sieben Sterne pour orgue (1970-71) et surtout les Sonatas pour quatuor à cordes (1967) - immense monument polyphonique de plus de quarante minutes de durée - sont les principaux jalons d’une première période de création qui s’interrompt en 1972 par trois années de silence. Durant cette même période, le compositeur exacerbe, avec des pièces telles que Cassandra’s Dream Song pour flûte seule (1970) ou Firecycle bêta pour grand orchestre et cinq chefs (1969-1971), les difficultés d’exécution et les pousse délibérément aux limites du possible. La complexité purement technique devient un élément de tension psychologique qui s’intègre de manière constitutive et particulièrement active dans le processus structurel de l’oeuvre. Transit pour six voix solistes et orchestre de chambre (1972-1975) inaugure une deuxième phase créatrice, où Ferneyhough développe en l’amplifiant et la dépassant la pensée postsérielle et la virtuosité « paroxystique ». La série des trois pièces intitulées Time and Motion Study (I, pour clarinette basse seule, 19711977 ; II, pour violoncelle solo et dispositif électroacoustique, 1973-1976 ; III, pour seize voix solistes et dispositif électroacoustique, 1974) et Unity Capsule pour flûte seule (1975-76) explorent toujours plus avant la personnalité d’instruments solistes en intégrant d’une manière subtile des qualités de production du son habituellement rejetées par la technique instrumentale à un discours éminemment dialectique ; instrument en perpétuelle expansion vers ses propres limites naturelles et interprète réagissent l’un vis-à-vis de l’autre à travers un processus méthodologique très spécifique. Dans La terre est un homme pour grand orchestre (1976-1979) et dans le Deuxième Quatuor pour deux violons, alto et violoncelle (1979-80), Brian Ferneyhough prolonge les structures d’articulation discursives et downloadModeText.vue.download 376 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 370 polysémiques des Sonatas pour quatuor à cordes, tandis que Funérailles I pour deux violons, deux altos, deux violoncelles, contrebasse et harpe (1969-1977) et Funérailles II pour deux violons, deux altos, deux violoncelles, contrebasse et harpe (1978-1980) illustrent un processus de recomposition à partir d’un matériau de base « souterrain ». Se définissant luimême comme un « mystique sceptique » en quête de la « nature positive du doute », Brian Ferneyhough crée une musique foncièrement originale, aux virtualités polyphoniques évidentes, aux soubassements harmoniques très riches, qui démontre souvent un puissant souci architectonique et un sens aigu de la grande forme (cf. Sonatas, Transit, Time and Motion Study II). Son écriture - strictement organisée - confronte les interconnexions spécifiques et pragmatiques du matériau à la « névrose créatrice » de l’interprète. Cette musique est très exigeante, car elle est toujours d’une extraordinaire densité d’informations. Elle reflète une extrême rigueur et une réelle grandeur. Parmi ses autres oeuvres, retenons : Sonatine pour trois clarinettes et basson (1963) ; Four Miniatures pour flûte et piano (1965) ; Coloratura pour hautbois et piano (1966) ; Epigrams pour piano (1966) ; Sonate pour deux pianos (1966) ; Trois Pièces pour piano (1966-67) ; Lemma-Icon-Epigram pour piano (1980-81) ; Carceri d’invenzione, en sept volets (création intégrale à Donaueschingen en 1986) ; un Quatuor à cordes no3 (1987) ; un Quatuor à cordes no 4 avec voix (1990) ; Terrain pour violon solo et ensemble (1992). FÉRON (Alain), compositeur français (Dakar 1954). Élève d’Ahmed Essyad (1981), il inscrit son travail et sa réflexion dans la descendance de Schönberg, écrivant une musique dodécaphonique mais non sérielle, atonale mais usant de colorations modales. Il a assumé de 1984 à 1986 la responsabilité de la série « Perspectives du XXe siècle » à Radio France et a été en 1991 boursier « hors les murs » de la Villa Médicis. Il a composé une vingtaine d’oeuvres, parmi lesquelles Charades pour ensemble instrumental (1982), l’opéra de chambre la Barrique d’Amontillado d’après Edgar Poe (1984), Liturgie des morts pour sextuor vocal et ensemble instrumental « In memoriam Claude Vivier » (1987), Trois Motets pour choeur a cappella (1990), l’opéra l’Ève future d’après Villiers de L’Isle Adam (1993), l’opéra pour marionnettes le Trésor de la nuit pour soprano, ténor, baryton, clarinette, violon, violoncelle et piano (1995). FERRABOSCO, famille de musiciens d’origine italienne. La plupart de ses membres vécurent en Angleterre et jouèrent un rôle important dans l’évolution de la musique dans ce pays au XVIIe siècle. Domenico Maria, compositeur italien (Bologne 1513 - id. 1574). D’abord musicien dans sa ville natale, puis au Vatican, il fut chantre à la chapelle papale de 1550 à 1555. Il a laissé des madrigaux (pub. Venise, 1542) et des motets. Alfonso I, compositeur italien, fils aîné de Domenico (Bologne 1543 - id. 1588). De nombreux détails de sa vie assez aventureuse et de ses voyages nous sont connus par l’abondante correspondance qu’il a laissée. Malgré une position bien établie en Angleterre, où il résida de 1562 à 1578 et où il fut musicien à la cour de la reine Élisabeth, il passa les dix dernières années de sa vie en Italie, laissant ses fils à Greenwich. Il a écrit de nombreux madrigaux, des motets, un miserere, des lamentations et quelques pièces pour luth. Son art fut très apprécié de ses contempo- rains qui l’ont souvent comparé à William Byrd. Plusieurs de ses madrigaux, avec des textes traduits en anglais, figurent dans le célèbre recueil intitulé Musica transalpina (2 vol., 1588, 1597). Alfonso II, appelé LE JEUNE, compositeur anglais, fils illégitime du précédent (Greenwich v. 1575 - id. 1628). Il dut son éducation musicale à Gomer Van Awsterwycke, musicien émigré à la cour d’Élisabeth. Après la mort de son maître (1592), Ferrabosco entra au service de la reine. En 1604, il devint l’un des musiciens du nouveau roi Jacques Ier et eut la charge d’enseigner la musique au prince Henri. À cette époque, il commença à collaborer avec Ben Jonson et Inigo Jones à la composition des masques somptueux représentés à la cour des Stuarts. Entre 1605 et 1622, il écrivit la musique de huit masques, dont le premier fut The Masque of Blackness et le dernier The Masque of Augurs, à l’élaboration duquel participa également Nicholas Lanier. En 1609, il publia un livre de pièces exclusivement instrumentales : Lessons for 1. 2. and 3 Viols (Londres). À la mort du prince Henri en 1612, Ferrabosco conserva son poste à la cour et dut désormais donner des leçons au prince Charles. À partir de cette date, sa renommée de compositeur sembla avoir été éclipsée par celle de John Coprario. Cependant, après la mort de Coprario (1626), Alfonso II fut nommé compositeur ordinaire auprès du roi Charles Ier. Il mourut deux années plus tard. De son mariage avec Ellen, fille de N. Lanier, Ferrabosco eut sept enfants, dont trois fils qui devinrent musiciens : Alfonso (mort avant 1660), Henry (mort en 1658) et John (mort en 1682). Alfonso Ferrabosco II a laissé des oeuvres vocales et instrumentales. Les premières comprennent des ayres, 13 motets, un recueil de Lamentations, un motet à 4 voix, un autre à 3 voix, quelques antiennes ainsi que 23 madrigalettes à 4 voix. Les secondes se composent de fantaisies (23 à 4 violes), de danses (almains, pavans), de In nomine (3 à 5 et 2 à 6) pour violes, et de quelques pièces pour la lyra-viol ; avec Coprario, il fut le premier à écrire pour cet instrument. FERRARI (Luc), compositeur français (Paris 1929). Après un apprentissage musical multiple et varié (École normale de musique, ren- contre de Varèse, lecture de Leibowitz, etc.), il commence à composer dans un style bartokien ou sérialisant mais déjà marqué par le dynamisme bouillonnant et la vitalité qui parcourent toute sa production. Parmi ses premières oeuvres instrumentales, citons Antisonate (1953) pour piano, et la série des Visages I à IV pour diverses formations de chambre. En 1958, il entre au Groupe de recherches musicales de la R. T. F., dirigé par Pierre Schaeffer. Pendant quelques années, Ferrari en est le jeune touche-à-tout doué et brillant, avec des oeuvres électroacoustiques comme Visage V (1961) ou Tautologos I (1961) et II (1961). Dans ces deux dernières pièces s’annonce déjà le principe de répétition qui prendra dans son oeuvre une importance croissante. Avec Hétérozygote (1964), qui est demeuré un classique de la musique électroacoustique, il ose réintroduire dans la « musique concrète » l’usage longtemps prohibé (sauf chez Pierre Henry) des sons naturalistes, anecdotiques. Il fera de même dans Music Promenade (1969) et les 2 Presque rien (1970, 1977). En 1963, Ferrari quitte le G. R. M. et diversifie ses activités : cours de composition à l’étranger, notamment en Allemagne, pays qui l’accueille plusieurs années ; animation, émissions de télévision. Il se remet à l’instrumental : Flashes (1963) pour 14 instruments, Symphonie inachevée (1963-1966) pour orchestre, Und so Weiter (1966) pour piano et bande, etc. Dans la série des Sociétés I à VI, différentes situations de jeu explorent les relations entre chef, instrumentistes, instruments et même public (par ex. dans Société V, Participation or not Participation, pour différents groupes de public). Ferrari remet en question de plus en plus nettement la musique, en tant que phénomène de communication, et en tant que catégorie esthétique vouée au « beau ». Il se veut de plus en plus fabricant de témoignages. Ses musiques sont faites avec des moyens pauvres et recherchent une nouvelle simplicité subversive. Ce sont parfois des bandes magnétiques downloadModeText.vue.download 377 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 371 jouant le rôle de supports, d’incitations pour des improvisations instrumentales laissées à la liberté des exécutants (Éphémères, 1975 ; Et tournent les sons dans la garrigue, 1977). D’autres travaux sont constitués de montages audiovisuels qui mettent en accusation la société moderne ou enquêtent sur des expériences de révolution : Allo, ici la terre (1972), Labyrinthe de violence (1975) ou la série des Algéries. D’autres enquêtes plus intimes sont réservées à la bande magnétique seule, avec des éléments musicaux simples et répétitifs : Journal d’un journaliste amateur (1972), Danses organiques (1973). Dans ses oeuvres récentes s’affirme un Ferrari épanoui, dynamique, qui joue avec bonheur et efficacité des « armes » musicales les plus simples : rythmes obsédants, procédés de développement par répétition. Deux de ses oeuvres les plus populaires dans cette voie sont Musique socialiste ou Programme commun (1972) pour clavecin et bande, et Cellule 75 (1975) pour piano, percussion et bande. Citons encore Histoire du plaisir et de la désolation pour orchestre (1982), En un tournement d’amour pour orchestre (1986), l’opéra Labyrinthe Hôtel (Strasbourg, 1990), Cahier du soir (1991-1992), Pénétration harmonique (1995). FERRAS (Christian), violoniste français (Le Touquet, Pas-de-Calais, 1933 - Paris 1982). Il a fait ses études au conservatoire de Nice, puis à celui de Paris avec Calvet, et s’est perfectionné avec Enesco. Après avoir débuté à treize ans à Paris en concert, il a obtenu le premier prix au concours international de Scheveningen en 1948, ainsi que le prix Long-Thibaud. Il a alors entamé une grande carrière internationale. Le jeu de Ferras est d’une grande perfection et sa sonorité d’une pureté exceptionnelle. L’éclat de ses exécutions de grand concertiste n’exclut pas une approche très intérieure des oeuvres. Dans la musique de chambre, il sait, dans le respect de la tradition française, faire apparaître le sentiment sans l’étaler. Comme interprète de musique de chambre, il a associé son nom à celui de Pierre Barbizet. FERRERO (Lorenzo), compositeur italien (Turin 1951). D’abord autodidacte, il a ensuite étudié la composition avec Massimo Bruni (écriture) et Enore Zaffiri (musique électronique) tout en s’intéressant particulièrement à John Cage, auquel il a consacré sa thèse. Il a travaillé également au Groupe de musique électronique de Bourges (1972-73), et participé à partir de 1974 aux activités du groupe Musik-Dia-LichtFilmGalerie de Josef Anton Riedl à Munich. Il dirige depuis 1980, avec Sylvano Bussotti, le festival Puccini de Torre del Lago en Toscane. Il ne s’est jamais senti attiré par les systèmes sériels, privés, selon lui, de fondement psycho-acoustique, mais s’attache au contraire aux harmoniques et aux spectres sonores, par exemple dans Siglied pour orchestre de chambre (1975), ou dans Romanza senza parole pour 10 exécutants (1976). Son utilisation de la virtuosité vocale repose exclusivement sur les principes du bel canto italien du XVIIIe siècle, non sur la virtuosité expressionniste ou vériste. Ses principes d’instrumentation, issus de l’électroacoustique, cherchent à effacer la distinction entre les familles instrumentales traditionnelles au profit de groupes de timbres similaires émis pour différents instruments en fonction de leurs registres spécifiques. Il est notamment l’auteur de plusieurs oeuvres destinées à la scène : Rimbaud, sur un texte de L. F. Caude (1974-1978), Invito a nozze, ballet en un acte (1978), et Marilyn, scènes des années 50 en deux actes, livret de L. Ferrero et F. Bossi (1979), Night (Munich, 1985), Salvatore Giuliano (Rome, 1986), Charlotte Corday (Rome, 1989), le Bleu Blanc Rouge et le Noir (Paris, 1989). On lui doit encore, entre autres, Ellipse II pour clavicorde ou clavecin (1975), Ellipse III pour quatre (ou plus) voix ou instruments (1975), Le néant où l’on ne peut arriver pour solistes, 2 choeurs, choeur d’enfants, cuivres et percussions, sur un texte de B. Pascal (1976), Arioso pour orchestre et instruments électroniques (1977), Ellipse IV (Waldmusik) pour 20 instruments à vent et instruments populaires (1977), Ellipse V-VIII pour violon, flûte, violoncelle, piano (1977-78), Ellipse en septuor pour 7 instruments (1980), Balletto per orchestra pour grand orchestre (1980), Ombres pour 17 instruments et électronique (1984), Concerto pour piano (1991), Requiem pour les victimes de la Mafia (Palerme, 1993). FERREYRA (Béatriz), femme compositeur argentine (Córdoba 1937). En France depuis 1961, elle a fait partie de 1964 à 1970 du Groupe de recherches musicales de Paris, où elle a collaboré avec Guy Reibel et Henri Chiarucci aux recherches sur le « solfège expérimental » conduites par Pierre Schaeffer, et commencé une production - qu’elle poursuit dans d’autres studios (celui de Bourges, notamment) - d’oeuvres électroacoustiques d’un style intime et personnel, souvent dans des tonalités glauques et contemplatives (Demeures aquatiques, 1967 ; Étude aux sons flegmatiques, 1971 ; Siesta blanca, 1972), et dans lesquelles le thème de la voix humaine, enregistrée ou imitée électroniquement, sarcastique, insinuante ou démente, tient une grande place (Médisances, 1968 ; l’Orviétan, 1974 ; Canto del Loco, 1975 ; Ecos, 1978). Elle a également créé des musiques destinées à des expériences musicothérapiques et entrepris un cycle d’oeuvres « mixtes » (pour instrument et bande) avec Tierra quebrada (1976-77), pour violon et bande, et la Symphonie concertante pour le chat et son astrologue (1978), pour piano et bande. FERRIER (Kathleen), contralto anglaise (Higher Walton, Lancashire, 1912 Londres 1953). Elle avait désiré devenir pianiste, mais dut plusieurs années exercer le métier de téléphoniste, tout en donnant des leçons de piano et en se produisant comme accompagnatrice dans de modestes concerts. Sa voix fut découverte en 1937 et plusieurs personnalités telles que le chef d’orchestre Malcolm Sargent l’engagèrent à étudier le chant, ce qu’elle fit notamment avec Roy Henderson à Londres. Elle débuta en 1942 à Newcastle en chantant la partie d’alto dans la Passion selon saint Matthieu de Bach et se fit connaître à Londres lors d’une exécution du Messie de Haendel à l’abbaye de Westminster en 1943. Sa renommée d’interprète d’oratorio grandit vite. Elle fit ses débuts sur une scène au festival de Glyndebourne en 1946 dans le rôle de Lucrèce lors de la création du Viol de Lucrèce de Britten. Ce personnage et celui d’Orphée dans l’oeuvre de Gluck, qui fut à son répertoire à partir de 1947, furent les deux seuls qu’elle joua au théâtre. C’est plutôt comme chanteuse d’oratorio (Bach, Haendel), de mélodies et de lieder (Schumann, Brahms, Mahler) qu’elle entreprit une carrière internationale que la maladie devait interrompre prématurément. Kathleen Ferrier avait une voix au timbre parfaitement homogène et d’une beauté rare. Elle en accroissait le pouvoir expressif par des interprétations d’une émotion sobre mais profonde fondées sur le raffinement d’inflexions liées, avec une rare intuition, aussi bien au sens des textes qu’à la ligne musicale. FERROUD (Pierre Octave), compositeur et critique musical français (Chasselay, Rhône, 1900 Debreczen, Hongrie, 1936). Il se destinait à une carrière scientifique quand la rencontre d’Édouard Commette, organiste de la primatiale Saint-Jean à Lyon, l’amena à abandonner la chimie au profit de la musique. Il fut ensuite l’élève de Guy Ropartz à Strasbourg puis, de nouveau à Lyon, celui de Florent Schmitt qui enseignait alors l’harmonie au conservatoire. P. O. Ferroud, que sa fin prématurée a empêché de donner toute sa mesure, est l’auteur de plusieurs sonates, d’un trio d’anches, d’un quatuor à cordes, d’une symphonie, de mélodies sur des poèmes de Valéry, P. J. Toulet et Supervielle, de deux ballets et d’un opéra bouffe, reflétant des influences très diverses, mais caractérisés par le refus de tout lyrisme. Il fut downloadModeText.vue.download 378 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 372 aussi le fondateur en 1932 de la société « le Triton », et critique musical de Paris-Soir, Musique et Théâtre et Chantecler. FESCH (Willem de), violoniste et compositeur néerlandais (Alkmaar 1687 Londres 1757). On le trouve professeur de violon à Amsterdam à partir de 1710, puis maître de chapelle à la cathédrale d’Anvers de 1725 à 1731. Il se fixa à Londres en 1732, y joua et enseigna son instrument et dirigea les concerts de Marylebone Gardens. Il connut une certaine notoriété après la création de ses oratorios Judith (1733), Love and Friendship et Joseph (1744), malheureusement perdus. C’est surtout cependant comme com- positeur de musique instrumentale qu’il attire l’attention par des oeuvres très influencées par le style italien, écrites aussi bien aux Pays-Bas qu’en Angleterre : duos de violons, duos de flûtes, sonates à 2 violoncelles, sonates en trio, concertos et concerts divers. FESTA (Costanzo), compositeur italien (Villafranca Sabauda, près de Turin, v. 1490 - Rome 1545). Chantre à Ischia auprès de la duchesse de Francavilla, puis à la chapelle papale au Vatican, il termina ses jours à Rome et fut l’un des fondateurs de l’école romaine. Son importance comme compositeur de madrigaux fut reconnue par ses contemporains et, parallèlement à Verdelot et Willaert, il joua un rôle décisif dans le développement de cette forme spécifiquement italienne. Son style, d’une originalité certaine, se distingue par une grâce toute méditerranéenne. Costanzo Festa a laissé d’autre part des messes, un livre de magnificat, une centaine d’hymnes et environ cinquante motets. FESTA TEATRALE (ital. : « fête théâtrale »). Au XVIIIe siècle, opéra écrit pour une occasion solennelle (mariage royal ou princier) et à sujet de préférence mythologique ou allégorique. Portèrent cette dénomination Acide de Haydn (1763, pour les noces du fils aîné du prince Nicolas Esterházy), ou encore Ascanio in Alba de Mozart (1771, pour les noces de l’archiduc Ferdinand d’Autriche et de Maria Beatrice d’Este). FESTSCHRIFT. ! MÉLANGES. FÉTIS (François-Joseph), musicologue et compositeur belge (Mons 1784 Bruxelles 1871). Il étudia le clavecin, le violon et, au Conservatoire de Paris, le piano avec Boieldieu et l’harmonie avec Rey. À partir de 1813, il fut organiste à Douai et, en 1821, devint professeur de composition au Conservatoire de Paris. Il fonda en 1827 la Revue musicale qui devait fusionner en 1835 avec la Gazette musicale. En 1827 aussi, il fut nommé bibliothécaire au Conservatoire de Paris et en 1833, directeur du conservatoire de Bruxelles. Il fut aussi maître de chapelle du roi des Belges. Bien qu’il ait composé des oeuvres orchestrales et instrumentales, un requiem et des opéras-comiques, la postérité n’a retenu que l’importance de son rôle de critique et de chercheur dont témoignent ses nombreux et souvent importants ouvrages, mémoires ou articles de musicologie, de théorie et de pédagogie musicales. Il faut voir en lui, plus que le critique sans doute partial et à l’esprit étroit qui fut l’objet des sarcasmes de Berlioz, l’un des fondateurs de la musicologie moderne. Sa monumentale Biographie universelle des musiciens et bibliographie générale de la musique (8 vol., Paris, 1835-1844) est imprégnée de l’idée, qu’il fut un des premiers à défendre, que les chefs-d’oeuvre du passé sont, du point de vue de l’art et pas seulement de l’archéologie, aussi intéressants que ceux du présent. Les idées qu’il a exposées dans son Traité complet de la théorie et de la pratique de l’harmonie (Paris, 1844) ont une portée révolutionnaire, laissant prévoir, au terme de l’évolution de l’harmonie dans la musique européenne, un ordre « omnitonique » admettant toutes les possibilités d’équivoque tonale. Dans son Histoire générale de la musique (5 vol., Paris, 1869-1876), restée inachevée, il reconnut l’intérêt des musiques extra-occidentales et apparaît, en cela aussi, comme un précurseur. FEUERMANN (Emanuel), violoncelliste autrichien (Kolomyja, Galicie, 1902 New York 1942). En 1909, il vint avec sa famille à Vienne où il étudia le violoncelle avec Anton Walter. Il se produisit en public dès l’âge de onze ans, puis se perfectionna à Leipzig. À seize ans, il s’installa à Cologne comme professeur au conservatoire, violoncelle solo de l’orchestre du Gürzenich et membre du Quatuor Bram Eldering. De 1929 à 1933, il fut professeur à la Hochschule de Berlin, puis vécut à Zurich, s’exila aux États-Unis et fut nommé professeur au Curtis Institute de Philadelphie en 1941. Considéré malgré sa disparition prématurée comme l’un des grands violoncellistes du siècle, Feuermann, remarquable interprète de musique de chambre, a en particulier joué en trio, d’une part, avec Arthur Schnabel et Bronislav Huberman, d’autre part, avec Arthur Rubinstein et Jascha Heifetz. FÉVIN (Antoine de), compositeur français (Arras v. 1470 ou 1475 - Blois 1511 ou 1512). Glaréan qualifie d’heureux disciple (felix aemulator) de Josquin ce fils d’un échevin d’Arras, dont on sait seulement qu’il fut chantre à la chapelle du roi Louis XII. Si l’on se fie au jugement de ses contemporains (Crétin, Mouton, Louis XII) et aux publications qui l’honorèrent (Petrucci publia en 1514 six motets, en 1515 trois messes à 4 v.), il jouissait d’une réputation et d’une estime solides. Contrairement à Divitis, Févin ne prête aucune attention au texte et à sa déclamation. La marque la plus significative de son style est l’emploi des voix groupées par deux en duo, emploi qui, si l’on y ajoute l’usage de la technique de l’imitation et un évident souci de clarté, accrédite le jugement de Glaréan. On connaît de Févin 11 messes (dont Mente tota, Ave Maria, Sancta Trinitas), un requiem, des fragments de messes, une vingtaine de motets, des magnificat, des lamentations et une quinzaine de chansons françaises. FÉVRIER, famille de musiciens français. Henry, compositeur (Paris 1875 - id. 1957). Élève, au Conservatoire, de Massenet, Fauré, Leroux et Pugno, il fut surtout marqué par les leçons de Messager, son premier maître. Après avoir pratiqué la musique de chambre et la mélodie, il révéla ses dons pour le théâtre avec le Roi aveugle (1906). En 1909, l’Opéra-Comique monta Monna Vanna (sur un poème de Maeterlinck), son chef-d’oeuvre. Suivirent notamment Carmosine (Gaîté-Lyrique, 1912), Gismonda (Chicago, 1919), la Damnation de Blanchefleur (Monte-Carlo, 1920), l’Île désenchantée (Opéra, 1925) et la Femme nue, d’après Henry Bataille (Monte-Carlo, 1929). Jacques, fils du précédent, pianiste et pédagogue (Paris 1900 - Remiremont 1979). Élève d’Édouard Risler et de Marguerite Long, professeur au Conservatoire de Paris à partir de 1959, il a formé plusieurs générations de pianistes et mené une brillante carrière internationale, particulièrement consacrée à la musique française. Il fut choisi par Maurice Ravel pour créer en France le Concerto pour la main gauche. FIALA (Joseph), compositeur tchèque (Lochovice, Bohême, 1748 - Donaueschingen 1816). Il fit des études de violoncelle et de hautbois à Prague, joua dans l’orchestre de la comtesse Netolitzky, à la chapelle du prince Öttingen-Wallerstein à Öttingen en 1774, puis à la chapelle du prince-archevêque de Salzbourg, de 1778 à 1785, et rencontra Mozart à Vienne. Après un séjour à Saint-Pétersbourg au service de Catherine II et du prince Orlov, il s’installa en Allemagne en 1792 et fut nommé violoncelle virtuose à la cour du prince de Fürstenberg à Donaueschingen. Fiala est l’auteur de duos concertants pour violon downloadModeText.vue.download 379 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 373 et violoncelle, pour flûte ou hautbois et basson, de plusieurs quatuors à cordes, divertimentos, symphonies et concertos. Mozart a parlé avec faveur de certaines de ses oeuvres. FIBICH (Zdenek), compositeur tchèque (Vseborice 1850 - Prague 1900). Fils d’un maître forestier, il étudia la musique à Prague, notamment avec Smetana, et au conservatoire de Leipzig, où il travailla en particulier le piano avec Moscheles. De retour à Prague en 1871, il fut second chef et maître de choeur au Théâtre national, abandonna cette fonction en 1878 pour protester contre les tendances de la direction, fermée à Smetana et à Wagner, et, à l’instar de tous les partisans de Smetana, il eut rarement une position officielle stable. Son oeuvre très vaste laisse percevoir l’évolution de son style : des pièces de chambre, des ballades et chansons, et l’opéra Bukovin (1870), mystérieux appel de la forêt, dénotent l’influence de Schumann. Celle de Liszt apparaît dans l’oeuvre pour orchestre, notamment dans huit poèmes symphoniques. L’opéra Blanik (18741877), écrit pour le futur Théâtre national tchèque, s’engage dans la voie ouverte par Smetana. C’est ensuite d’une attirance vers Wagner que témoigne l’opéra la Fiancée de Messine d’après Schiller (1894). Fibich semble s’épanouir dans cette manière d’écrire et s’affirme plus encore dans la trilogie mélodramatique Hippodamie (1890), au langage original. Le compositeur teinte peu à peu ses élans dramatiques de senti- mentalité, abandonne les grandes formes au profit de cycles pour piano (Nalady, dojmy a upominky, véritable journal intime, 1892-1899) ou pour petite formation (Scènes à la Watteau pour flûte, piano et cordes, 1897). Sa dernière oeuvre importante est l’opéra Sarka (1897). FICTA (musica). Pratique consistant, dans la musique du Moyen Âge et de la Renaissance, à omettre dans la notation des altérations censées être observées dans l’exécution. FIEDLER (Arthur), chef d’orchestre américain (Boston 1894 - id. 1979). Son père, d’origine autrichienne, violoniste à l’orchestre de Boston, lui donne ses premières leçons. À l’âge de quinze ans, il part avec sa famille pour Berlin, où il étudie avec W. Hess. Il entreprend alors l’étude de la direction d’orchestre. En 1915, il est violoniste dans l’orchestre de Boston. Il fonde en 1924 le Boston Sinfonietta, qu’il dirige. En 1929, il se produit lors des Concerts de l’Esplanade (concerts en plein air) qui connaissent un succès triomphal dès la première saison. Il prend la place de Casella à la tête du Boston « Pop’s Orchestra », dans un répertoire de musique populaire auquel se mêlent les grandes pages symphoniques du répertoire - concerts pour le grand public qui ont fait sa gloire. FIELD (John), pianiste et compositeur irlandais (Dublin 1782 - Moscou 1837). Issu d’une famille de musiciens, il fut contraint par son père et son grand-père à une étude intensive du piano et débuta en public en 1792. En 1794, il fut conduit à Londres où il devint l’élève de Clementi. Celui-ci l’emmena en 1802 à Paris, où son interprétation des fugues de Bach et d’oeuvres de Haendel suscita l’admiration et où il publia son premier recueil de sonates, puis en Allemagne et en Russie. Field se fixa à Saint-Pétersbourg en 1804 comme professeur et y acquit une grande renommée. Il s’installa en 1823 à Moscou, qu’il quitta en 1831 pour Paris, la Belgique, la Suisse et l’Italie. Tombé gravement malade à Naples, il y vécut des mois difficiles jusqu’à ce qu’une famille russe le ramenât à Moscou. Sur le chemin du retour, Vienne réserva un accueil triom- phal à ses Nocturnes : en 1814, Field avait été le premier à donner ce titre à des pages pour piano. Field occupe une place importante dans l’évolution de la technique du jeu de piano, et une position non négligeable comme compositeur (il écrivit de nombreuses oeuvres pour piano seul, des concertos pour piano et des quintettes avec piano). Dans ses pièces brèves en particulier, qui précèdent souvent chronologiquement celles des grands romantiques (Schubert, Mendelssohn, Chopin, Schumann) qu’elles semblent annoncer, l’invention mélodique semble couler sans effort et les intentions expressives reflètent tous les courants du premier romantisme. Une page comme le Nocturne no 12 en « sol » majeur, par exemple, a toute la fougue spontanée d’un lied amoureux de Schumann. FIFRE. Petite flûte traversière de bois, à six trous, en si bémol ou en ré. Cet instrument de plein air, au son clair et perçant, a été réglementaire dans l’armée française, de François Ier à Napoléon III, et l’est encore dans les musiques militaires de plusieurs nations d’Europe. FIGURALISME. Mot d’introduction récente, par lequel on désigne la traduction musicale des images du texte par des moyens analogiques ; par exemple les idées de montée ou de descente par les mouvements mélodiques correspondants, les animaux par la description de leur démarche ou de leur cri, la majesté par des arpèges d’accords parfaits, etc. On employait autrefois le mot « madrigalisme », mais si le madrigal emploie effectivement très fréquemment le figuralisme, il n’est ni le seul ni le premier. Le figuralisme était connu de la musique grecque antique (par exemple, le « nome pythique » décrivait le combat d’Apollon et du serpent) comme il l’est de diverses musiques populaires (l’Alouette roumaine) ; il n’est absent ni du chant grégorien (communion de la Pentecôte) ni de la polyphonie médiévale (motet Descendi in hortum meum, XIIIe s.), mais il y tient un rôle malgré tout assez secondaire. En re- vanche, il devient, à partir de Josquin Des Prés, l’un des éléments essentiels de l’inspiration et de la composition musicales. Il connaît son apogée avec J.-S. Bach (tous les mots d’une cantate ou d’une passion de ce maître sont traduits avec une incroyable minutie, et aussi le texte sous-entendu de ses chorals d’orgue). S’il a perdu quelque peu, depuis le XIXe siècle, de sa précision quasi automatique, il n’a jamais disparu de la musique tant que celle-ci a entendu conserver la valeur signifiante que seules lui dénient les écoles les plus récentes. FIGURE. Terme assez général employé dans diverses circonstances où la signification musicale est liée à sa représentation matérielle. En notation, la figure est, au sens propre, la forme de la note écrite, d’où l’application du mot à la valeur rythmique que cette forme représente (noire, croche, etc.), et, à partir du XVIIIe siècle, l’opposition entre plain-chant (écrit en notes carrées) et musique « figurée » (écrite en notes rythmiques). En stylistique, on appelle figure un dessin musical d’aspect déterminé, surtout quand il évoque une analogie visuelle (v. figuralisme) ; on nommait autrefois figure ce que nous appelons aujourd’hui « cellule », élément premier de la construction musicale. On donne parfois aussi ce nom aux différents signes d’ornementation (trilles, gruppetti, etc.), bien que le terme soit vieilli en ce sens. FIGURÉ (chant). Expression dont la signification doit être reliée à l’un des sens du mot figure, celui de « signe d’ornementation ». On parlait de « chant figuré » (ital. canto figurato) pour désigner une ligne vocale ornée au moyen de procédés généralement assez stéréotypés. FIGURÉ (choral). Forme particulière à certains chorals d’orgue des XVIIe-XVIIIe siècles dans laquelle chaque motif est présenté d’abord sous forme d’une entrée en imitations downloadModeText.vue.download 380 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 374 (souvent strette ou entrée de fugue), ensuite en valeurs longues énonçant le texte original exact. Du nom de son principal introducteur, on l’appelle parfois « choral à la Pachelbel ». FIGURÉE (musique). On désignait ainsi dans la musique religieuse du XVIIe au XIXe siècle les pièces musicales écrites par les compositeurs, par opposition au plain-chant liturgique. Il arrivait même (Berlioz en est coutumier) que l’on opposât tout simplement la « musique » au « plain-chant ». L’expression a succédé à la musica mensurata que le Moyen Âge opposait au planus cantus ou cantus ecclesiasticus. FILÉ (son) [en ital. filar un suono, filar la voce]. Ce terme, synonyme de celui de messa di voce employé par les maîtres de chant anciens, s’applique à la voix humaine mais aussi aux instruments à archet. Sur une longue note tenue, le son est d’abord émis, pianissimo, augmenté graduellement ensuite jusqu’au forte, puis diminué à nouveau. FILETS. Dans les instruments à cordes, étroites bandes incrustées sur les bords de la table et du fond pour les renforcer et éviter l’apparition de fissures. FILM D’OPÉRA. On peut dire sans exagération que l’opéra a été le cinéma du XIXe siècle, prodiguant à son public émotions, exotisme, passions, féérie, spectacle, et même ces deux ingrédients traditionnels du spectacle populaire que sont la violence (duels, meurtres) et l’érotisme (danses lascives, filles-fleurs de Wagner). Rien d’étonnant donc si, à ses débuts, le cinéma muet - qui était la plupart du temps, rappelons-le, projeté avec une musique jouée en direct - lui a rendu la pareille : soit en adaptant de nombreuses fois des opéras populaires comme Carmen ou la Bohème (les acteurs jouant l’action en pantomime, et l’orchestre exé- cutant un pot-pourri instrumental des airs les plus fameux), soit même en proposant des films d’esprit opératique, qui pouvaient - comme le fabuleux Cabiria, de Pastrone (1914), film « antique » inspiré de Salambô et gratifié d’une partition originale d’Aldebrando Pizzetti - inclure dans leur musique des airs destinés à être chantés par un interprète « vivant » se synchronisant avec l’acteur sur l’écran. Beaucoup des premiers courts-métrages « parlants », vers la fin des années 1920 aux États-Unis, sont d’ailleurs des airs d’opéra enregistrés par les voix les plus fameuses de l’époque, comme Martinelli. Par la suite, l’opéra filmé - qui posait dans les années 30 de nombreux problèmes techniques, notamment pour la restitution des voix féminines et de l’orchestre, sans compter les problèmes de mise en scène - deviendra un genre sinon prolifique, du moins assez pratiqué, notamment en Union soviétique et en Italie, où l’on adopte sans complexe la technique consistant à demander à l’acteur de jouer en « play-back » sur la voix d’un chanteur connu : un des plus célèbres exemples en est l’Aïda de Clemente Fracassi, où Sophia Loren prête sa plastique à Renata Tebaldi. C’est dans les années 1970 que, à la faveur des procédés « Dolby stéréo » (qui permettent de généraliser à beaucoup de salles le son haute-fidélité stéréophonique), le film-opéra devient un genre vedette, notamment sous l’impulsion de producteurs comme Robert Stigwood (producteur d’opéras rock, comme Tommy), Tarak Ben Amar et Daniel Toscan du Plantier. Ce dernier notamment est à l’origine d’une série de réalisations, assez inégales, dont le point commun est d’associer le nom d’un réalisateur prestigieux à celui d’un opéra connu, alors que jusque-là l’opéra filmé était souvent considéré comme un genre esthétiquement inférieur. L’idée lui est sans doute venue de la très grande réussite esthétique, critique et publique représentée par la Flûte enchantée, de Bergman (1975). S’ensuivent des oeuvres comme le Don Giovanni de Joseph Losey (1976), la Bohème de Luigi Comencini (1987), Carmen de Francesco Rosi (1984), Boris Godounov de Zulawski (1989) et le magnifique Parsifal de Hans-Jürgen Syberberg (1982), qui, en situant l’action dans un décor étonnant constitué de l’agrandissement en studio du masque mortuaire de Wagner, et en jouant très franchement du play-back et de l’hétérogénéité du corps et de la voix (Parsifal, chanté par Rainer Goldberg, est joué à l’écran d’abord par un jeune homme, et ensuite par une jeune fille), résout magistralement certaines des difficultés du genre. Il est vrai qu’avec une option radicalement inverse (choix d’un décor réel de plein air, et option pour le son direct, car nous entendons la voix des chanteurs réellement captés au moment de la prise de vue), Jean-Marie Straub et Danièle Huillet ont pu ainsi, avec leur Moïse et Aaaron (1974), réaliser une belle oeuvre, qui a entre autres mérites celui de donner au message politique et religieux de Schönberg toute sa dimension. Enfin, le kitsch même de la mise en scène conventionnelle d’opéra, quand il est bien défendu, avec des interprètes qui ont le sens de la caméra, peut donner, comme avec la fougueuse Taviata de Franco Zeffirelli (1983), avec Teresa Stratas en Violetta, de belles réussites. Bien sûr, il y a beaucoup de déchets et d’oeuvres ratées, mais pas plus que dans les autres genres cinématographiques. La conclusion est qu’il n’y a aucune solution satisfaisante in abstracto aux nombreux problèmes posés par le film-opéra, et notamment par l’apparente discordance entre une forme d’expression en principe vouée au naturalisme, le cinéma, et une autre où règnent les conventions du chant et de l’effusion lyrique et sentimentale. Certains réalisateurs ont même suscité avec bonheur des opéras spécifiquement conçus et écrits pour l’écran, comme Jacques Demy avec les Parapluies de Cherbourg (1964, musique de Michel Legrand), Une chambre en ville (1982, musique de Michel Colombier), ou le Portugais Manoel de Oliveira avec les Cannibales (1988, musique de Joao Paes). Il n’est pas inutile, enfin, de citer les très nombreux réalisateurs de cinéma pour lesquels l’opéra est une référence absolue, qu’ils cherchent à transposer dans les conventions propres du cinéma réaliste dialogué : de Friedrich Wilhelm Murnau à Francis Ford Coppola et de Max Ophuls à Akira Kurosawa, ils sont légion depuis les débuts du septième art. FILTZ (Johann Anton), compositeur allemand (baptisé à Eichstätt, Bavière, 1733 - Mannheim 1760). On ne sait rien de sa jeunesse ni des contacts avec la Bohême que son oeuvre semble prouver. On le retrouve en 1754 violoncelliste dans l’orchestre de Stamič à Mannheim, ville où il fit toute sa carrière jusqu’à sa mort prématurée. Sa célébrité fut grande de son vivant et d’importants éditeurs publièrent ses oeuvres aussitôt après sa disparition. H. Riemann a établi un catalogue thématique de ses compositions où l’on trouve 41 Symphonies, 24 Sonates en trio, un recueil de Sonates pour violon (ou violoncelle), 6 Quatuors à cordes, 3 Concertos pour flûte. Filtz est un mélodiste spontané, qui recourt fréquemment à des danses tchèques dans les mouvements rapides de ses symphonies. Sa Symphonie bohême ou sa Symphonie périodique no 4 prouvent une volonté d’expression proche de celle de Jean-Chrétien Bach et Mozart. Mort trop tôt pour avoir pu s’épanouir, il demeure l’un des représentants les plus intéressants de la musique instrumentale préclassique. FINAL ou FINALE. On emploie indifféremment les deux formes de ce nom masculin, dont la seconde n’est pas un féminin mais un emprunt à l’italien. L’expression est surtout usitée dans le théâtre lyrique, où elle désigne la dernière scène non seulement de l’ouvrage, mais aussi de certains autres actes lorsque celle-ci revêt une certaine ampleur et présente un caractère brillant. Au XVIIIe siècle, le final d’opéra-comique se différenciait souvent des autres mordownloadModeText.vue.download 381 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 375 ceaux par sa musique ininterrompue, comportant une suite de scènes juxtaposées qui contrastait avec la brièveté des morceaux isolés précédents ; le final d’opéra était souvent un morceau de bravoure faisant appel à toute la maîtrise du compositeur, avec ensembles vocaux (quintette, sextuor, etc.) et larges développements musicaux. À partir du classicisme viennois, on appelle aussi finale le dernier mouvement d’une sonate, d’une symphonie, d’un quatuor. Ces mouvements ayant souvent un aspect brillant ou véloce, on retrouve parfois le terme pour désigner des morceaux isolés de même caractère (C. Franck, Finale pour orgue). FINALE. Nom féminin, à ne pas confondre avec final. Note terminale d’une mélodie, souvent confondue avec la tonique du mode, ce qui est non moins souvent controversé. En chant grégorien, la tonique porte de préférence le nom de finale, mais les deux notions peuvent diverger : dans la psalmodie, par exemple, la finale formulaire réelle n’est pas toujours, loin de là, la tonique modale. FINCK (Heinrich), compositeur allemand (Bamberg, 1444 ou 1445 - Vienne 1527). Après avoir passé, semble-t-il, la plus grande partie de son existence à la cour de Cracovie où il a été enfant de choeur (1460-1470), puis maître de chapelle (1498-1505), c’est à un âge avancé (1510) qu’il est appelé à Stuttgart, à la cour du duc Ulrich de Wurtemberg. De 1514 à 1519 il est probablement au service de Maximilien. Vers 1520, il est compositeur au chapitre de Salzbourg. Peu de temps avant sa mort, il reçoit de Ferdinand Ier la direction de la chapelle impériale. Cette longue existence et son parcours expliquent les contrastes d’une oeuvre dont les premiers témoignages, comme les hymnes du manuscrit de Berlin (40021), traduisent une écriture sévère aux lignes brisées. Les 29 chansons publiées en 1536 par J. Formschneider, les 22 hymnes des Sacrorum hymnorum (Wittemberg, 1542) ou la Missa in summis (à 6 v.) portent en revanche la marque du style franco-flamand de l’époque josquinienne. FINE (Vivian), femme compositeur américaine (Chicago 1913). Elle a fait des études dans sa ville natale au Collège de musique et au Conservatoire américain, où elle a été l’élève de Ruth Crawford-Seeger, puis à l’école JaquesDalcroze de New York ; elle a aussi été l’élève de Djane Lavoie-Herz - elle-même disciple de Scriabine (piano), de Roger Sessions (composition) et de George Szell (orchestration). Vivian Fine a fait une carrière de pianiste spécialisée dans la musique contemporaine et a eu une très importante activité de pédagogue dans différentes villes des États-Unis, notamment à l’université et à la Juilliard School de New York. Son oeuvre, qui révèle l’influence de ses maîtres, de Cowell et de Copland, comprend essentiellement des pièces pour diverses petites formations instrumentales auxquelles se joint parfois la voix humaine. FINISSY (Michael), compositeur anglais (Londres 1946). Après des études musicales au Royal College of Music de Londres, il fait un long séjour en Italie. Excellent pianiste, il mène une double carrière de concertiste et de compositeur. Loin de s’enfermer dans sa spécialité, il se montre attiré par les arts visuels et compose de la musique de ballet ou de film. Il s’est intéressé aussi à l’opéra de chambre. Influencé par le cinéma, en particulier par celui d’Eisenstein, il a essayé de transposer dans des formes proprement musicales le montage parallèle et d’autres techniques cinématographiques. De son catalogue, bien rempli, il faut citer avant tout Light Matter pour ténor, mimes et danseurs, hautbois d’amour, guitare et percussion, oeuvre donnée en 1975 au Festival de Royan. Il a écrit en outre sept concertos pour piano (1975-1981), Offshore pour orchestre (1976), Whitman pour voix et instruments (1981-1983), un quatuor à cordes (1984), ainsi que l’opéra The Undivine Comedy (1988). FINKE (Fidelio), compositeur allemand (Josefstal, Bohême, 1891-Dresde 1968). Il a occupé jusqu’en 1939 divers postes à Prague, et enseigné à Dresde de 1946 à 1951, puis à Leipzig de 1951 à 1958. On lui doit notamment l’opéra Die Jakobsfahrt (1932-1935), diverses oeuvres pour orchestre et cinq quatuors à cordes (de 1914 à 1964). FINNILÄ (Birgit), alto suédoise (Falkenberg 1931). Née dans une famille de musiciens, elle complète sa formation à la Music Academy de Londres. En 1953, elle débute à Göteborg. Elle privilégie les récitals de lieder, de Brahms et Sibelius en particulier, qu’elle chante dans le monde entier depuis 1966. Elle aborde relativement peu l’opéra, malgré ses triomphes dans l’Orphée de Gluck et le Viol de Lucrèce de Benjamin Britten. Les pages pour alto de la musique baroque lui conviennent parfaitement : dès 1968, elle triomphe à New York en chantant Bach et Theodora de Haendel. Pré- sente à Salzbourg depuis 1973, et à l’Opéra de Paris dès 1976, elle incarne Erda dans la Tétralogie de Wagner. FINSCHER (Ludwig), musicologue allemand (Kassel 1930). Auteur d’une thèse sur Loyset Compère, il a été assistant à Kiel puis à Sarrebrück (1967), et enseigne depuis 1968 la musicologie à l’université de Francfort. Ses recherches concernent plus particulièrement Josquin Des Prés et son époque, ainsi que le classicisme viennois (Studien zur Geschichte des Streichquartetts. Von den Vorformen zur Grundlegung durch Joseph Haydn, 1974). FINZI (Graciane), femme compositeur française (Casablanca 1945). Élève d’Elsa Barraine et de Tony Aubin, elle s’est particulièrement consacrée au théâtre musical, avec notamment Avis de recherche (1981), 3 Opéras drôles (1984) et Pauvre assassin, d’après Pavel Kohout (1987), dont la création à Strasbourg en 1992 lui a valu le prix de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques. FIOCCO, famille de compositeurs belges originaire d’Italie. Pierre-Antoine (Venise v. 1650 - Bruxelles 1714). Il se fixa à Bruxelles vers 1681 comme deuxième maître de chapelle de la cour. En 1694, il fonda l’Opéra du Quaiau-Foin où il fit représenter des opéras de Lully auxquels il ajouta des prologues de sa composition. Il devint premier maître de chapelle en 1703 et fut aussi maître de chant à Notre-Dame-du-Sablon. Il écrivit surtout des oeuvres chorales sacrées : messes, motets, etc. Jean-Joseph, fils du précédent (Bruxelles 1686 - id. 1746). Il succéda à son père, dont il était l’élève, dans ses fonctions à la cour et à Notre-Dame-du-Sablon. On connaît de lui des oratorios, des répons et autres oeuvres chorales sacrées. Joseph-Hector, fils de Pierre-Antoine (Bruxelles 1703 - id. 1741). Élève de son père, il fut violoniste, puis vice-maître de chapelle à la Chapelle royale et devint maître de chapelle de la cathédrale d’Anvers (1731-1737), puis de Sainte-Gudule à Bruxelles. Dans sa musique sacrée (motets, messes, leçons de ténèbres), les influences italienne et versaillaise, judicieusement équilibrées, participent à l’expression d’une sensibilité riche et audacieuse. J. H. Fiocco écrivit aussi des pièces de clavecin dans l’esprit français. FIORAVANTI (Valentino), compositeur italien (Rome 1764 - Capoue 1837). Il mena de pair des études littéraires, picturales et musicales, débuta au théâtre à dix-sept ans et vint se perfectionner avec Fenaroli à Naples, où Gli Inganni fortunati (1788) consolida sa renommée. Le Cantatrici villane (1799), inénarrable satire d’une représentation de patronage, mâtinée de dialecte napolitain, fit rapidement downloadModeText.vue.download 382 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 376 le tour de l’Europe (Goethe l’accueillit à Weimar sous le titre Le Virtuose ridicule) et n’a jamais quitté l’affiche. Après avoir dirigé le São Carlos de Lisbonne (18031807) et s’être fait applaudir à Paris, il rentra à Naples, mais eut la sagesse de s’effacer devant Rossini ; il accepta en 1816 un poste de maître de chapelle à SaintPierre de Rome, se consacra à la musique sacrée, et termina sa carrière lyrique avec Ogni eccesso è vizioso (1824). Malgré ses incursions dans le domaine seria, Fioravanti demeure le maître de l’opera buffa napolitain, dans lequel il introduisit non seulement le dialecte, mais également le procédé du parlé sur accompagnement musical, et, enfin, à la suite de Paisiello, l’alternance du parlé et du chanté (Raoul de Créqui, 1811, fait ainsi alterner vers et prose) imitée de l’opéra larmoyant français dont il s’inspira souvent. Par son sens aigu de la caractérisation, sa concision et la verve de ses ensembles, Fioravanti, qui suscita un véritable fanatisme de la part du petit peuple, occupa dans l’évolution du genre bouffe la place qu’occupa Mayr pour l’opera seria. Son fils Vincenzo (Rome 1799-Naples 1877) fut également un compositeur de talent. Son frère Giuseppe, ainsi que deux fils de ce dernier furent des chanteurs renommés. FIORITURE. Ornementation, écrite ou non, ajoutée à un texte musical. Le mot, emprunté à l’italien, dérive du latin où le Moyen Âge dénommait déjà flores les artifices vocaux ajoutés au chant (Jérôme de Moravie, XIIIe s.) ; il est souvent affecté d’un sens péjoratif. FIRKUSNY (Rudolf), pianiste américain d’origine tchécoslovaque (Napajedla 1912 - Staatsburg, New York, 1994). Élève de Janacek et de Josef Suk, il se perfectionna avec Artur Schnabel à Berlin avant de se fixer en 1940 aux États-Unis, où sa carrière prit tout son essor, notamment à la Juilliard School. Interprète hors pair de Smetana, Dvořák (dont il s’appropria le Concerto pour piano), Janacek, Martinu, il excellait également dans Beethoven (dont il enregistra de façon mémorable le Concerto no 3), Schumann, Debussy. Il a rejoué dans son pays natal en 1990, après un demisiècle d’exil. FISCHER (Adam), chef d’orchestre hongrois et autrichien (Budapest 1949). Il étudie au Conservatoire de Budapest, puis avec Hans Swarowski à Vienne et Franco Ferrara à Sienne en 1970 et 1971. De 1971 à 1974, il occupe divers postes d’assistant et de chef en Autriche, avant de diriger l’orchestre d’Helsinki de 1974 à 1977, puis celui de Karlsruhe entre 1977 et 1979. De 1981 à 1984, il est directeur général de la musique à Fribourgen-Brisgau avant de se voir confier, en 1985, une nouvelle formation : l’Orchestre Haydn austro-hongrois, qui rassemble des membres de plusieurs phalanges viennoises et hongroises. Créant un Festival Haydn dans le château des Esterházy à Eisenstadt, il poursuit une carrière internationale de chef lyrique. En 1986, il dirige à la Scala la Flûte enchantée, et en 1989 fait ses débuts à Covent Garden tout en étant directeur musical de l’Orchestre de Cassel de 1987 à 1992. FISCHER (Annie), pianiste hongroise (Budapest 1914 - id. 1995). Elle étudie le piano à Budapest avec Arnold Székely et Ernö Dohnanyi et se produit en public dès l’enfance. En 1933, elle remporte le premier prix du Concours Liszt à Budapest. Elle part pour la Suède en 1941 et ne rentre en Hongrie qu’en 1946, pour entamer une carrière internationale. Pendant les années 1947-1950, elle se produit notamment en compagnie d’Otto Klemperer. En 1965, elle est nommée professeur à l’Académie de musique de Budapest. Interprète majeure des oeuvres de Mozart, Liszt et Schumann, remarquée par Walter Legge dans les années 1960, elle enregistre chez EMI des disques qui sont des moments d’exception. FISCHER (Edwin), pianiste et chef d’orchestre suisse (Bâle 1886 - Zurich 1960). Son père était hautboïste d’orchestre et altiste dans un quatuor. E. Fischer étudia de 1896 à 1904 au conservatoire de Bâle, notamment avec Hans Huber, puis se perfectionna en piano auprès du disciple de Liszt Martin Krause et d’Eugen d’Albert au conservatoire Stern de Berlin, où il fut lui-même professeur de 1905 à 1914. Il enseigna aussi, parallèlement à sa carrière de concertiste, à l’Institut de Potsdam à partir de 1914 et au Conservatoire national de Berlin de 1931 à 1935. Également intéressé par la direction d’orchestre, il fut à la tête du Musikverein de Lübeck à partir de 1926 et du Bachverein de Munich de 1928 à 1932 ; il eut son propre orchestre de chambre avec lequel il ressuscita l’ancienne pratique de diriger l’exécution des concertos, notamment ceux de Bach et de Mozart, depuis le clavier. Il retourna en Suisse en 1942 et donna des cours de perfectionnement à Lausanne de 1945 à 1958. Comme pianiste, E. Fischer est resté célèbre par ses interprétations de Bach - il fut le premier pianiste à enregistrer l’intégrale du Clavier bien tempéré -, Mozart, Beethoven et Brahms, interprétations caractérisées par le respect du texte et son approfondissement, par la grandeur dans la méditation et la simplicité dans l’éloquence. Il écrivit des études sur Bach (1945), Beethoven (1956), et des Considérations sur la musique (Wiesbaden, 1949 ; trad. fr. Paris, 1951). FISCHER (Jan František), compositeur tchèque (Louny 1921). Élève de J. Řídký à l’Académie de musique et d’art dramatique de Prague (19451948), il milite à l’Union des compositeurs tchécoslovaques, où il est successivement responsable de la musique de chambre (1949-1953), puis président de la section « composition ». Il se fait connaître comme compositeur de musique de film (Grand’mère automobile, 1958 ; Belle Cavalcade, la Demoiselle laide, etc.), de dessins animés (le Diable et Catherine ; Gallina Vogelbirdae, 1963 ; Marmite, bous, prix de la biennale de Venise, 1963), de scène (les Fiancés, 1956 ; Roméo, Juliette et les Ténèbres, 1962, etc.), dans la tradition de V. Trojan. Il écrit, de même, des chansons satiriques, politiques et patriotiques. Il compose, par ailleurs, essentiellement de la musique instrumentale et de chambre, dans la tradition impressionniste tchèque de J. Suk, bien qu’une oeuvre comme Sedm dopisºu (« Sept Lettres », 1971) dénote une attirance tardive vers un postsérialisme virtuose. FISCHER (Johann Caspar Ferdinand), compositeur allemand ( ? v. 1670 - Rastatt 1746). On ignore tout de sa jeunesse. En 1692, année de la naissance de son fils, il était au service du margrave de Bade à Schlackenwerth, et resta attaché à cette famille (à partir de 1716 à Rastatt) jusqu’à sa mort. Il fut un des principaux et un des premiers compositeurs à introduire en Allemagne le style instrumental issu de la suite de ballet française, mise au point par Lully. Son opus 1, le Journal du printemps (Augsbourg, 1695), comprend 8 suites d’orchestre pour ensemble de cordes à 5 parties avec trompettes. Son opus 2, les Pièces de clavessin (Schlackenwerth, 1696, rééd. sous le titre de Musicalisches Blumen-Büschlein, Augsbourg, 1699), 8 suites pour clavier dont 6 ajoutent aux quatre volets (allemande-courante-sarabandegigue) fixés par Froberger des « galanteries » (menuets, gavottes, rigaudons) à la française. Toujours pour clavier, le Musicalischer Parnassus (Augsbourg, 1738) est fait de 9 suites débutant parfois par une ouverture à la française, Ariadne musica (Schlackenwerth, 1702, puis Augsbourg, 1715), de 20 préludes et fugues dans autant de tonalités différentes, et le BlumenStrauss (Augsbourg 1732), de 8 suites relevant des divers modes ecclésiastiques, et comprenant chacune 1 prélude, 6 fugues et 1 finale. Auteur également de quelques partitions pour la scène (perdues), il fut unanimement reconnu comme un des plus grands clavecinistes de son temps, et downloadModeText.vue.download 383 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 377 son Ariadne musica fut certainement une des sources d’inspiration de J.-S. Bach pour le Clavier bien tempéré. FISCHER (Johann Christian), compositeur et hautboïste allemand (Fribourg 1733-Londres 1800). Après avoir été au service de la cour de Dresde et de celle de Potsdam, il arriva en 1768 à Londres, où il participa aux concerts Bach-Abel et épousa en 1780 la fille du peintre Gainsborough (qui fit son portrait). De 1786 à 1790, il fit des tournées en Europe, et Mozart l’entendit à Vienne en 1787 (en 1774, il avait composé sur un menuet de Fischer ses variations pour clavier K. 179). Fischer écrivit notamment dix concertos pour son instrument. FISCHER-DIESKAU (Dietrich), baryton allemand (Berlin 1925). Élève du ténor Georg A. Walter, célèbre interprète de la musique de Bach et du répertoire de lieder, il débuta en 1947 à Fribourg-en-Brisgau dans le Requiem allemand de Brahms et parut pour la première fois sur scène en 1948 à la Städtische Oper de Berlin dans le rôle de Posa de Don Carlos de Verdi. Il a mené depuis une triomphale carrière internationale dans le domaine de l’opéra comme dans ceux du concert et du récital. Sa technique remarquable lui a permis d’aborder un répertoire d’opéra étonnamment vaste pour un baryton lyrique, répertoire qui s’étend à peu près à toutes les époques et toutes les écoles, du bel canto de Haendel à l’expressionnisme de Berg et à l’écriture contemporaine en passant par Mozart (Don Juan, le Comte dans les Noces de Figaro, etc.), Verdi (Falstaff, etc.), Richard Strauss (Mandryka dans Arabella, etc.) et Wagner (Wolfram dans Tannhäuser, Amfortas dans Parsifal, Sachs dans les Maîtres chanteurs, etc.). En récital, son génie s’impose de manière incontestable non seulement dans le lied romantique allemand (Schubert, Schumann, Brahms, etc.), mais dans tout le répertoire de la mélodie : école de Vienne, école française, etc. Son art, qui relève autant de l’expression verbale que de l’expression musicale, est fait de la restitution très fine de chaque détail des textes, consécutive à une réflexion sur leur sens profond. Esprit curieux, FischerDieskau a participé à la création mondiale de nombreuses oeuvres comme l’opéra de Frank Martin la Tempête (1956) ou le War Requiem (1962) de Britten, et il a tiré de l’oubli d’innombrables partitions : pages négligées de grands compositeurs (son monumental enregistrement de l’intégrale des lieder pour voix d’homme de Schubert témoigne de ce souci d’exhaustivité), oeuvres de musiciens de second plan. Il a abordé aussi la direction d’orchestre. Penseur et écrivain, il est notamment l’auteur d’un ouvrage sur les Lieder de Schubert (Wiesbaden, 1971 ; trad. fr. Paris, 1979) d’une exceptionnelle hauteur de vue. Il a définitivement quitté la scène en 1993. FIŠER (Lubos), compositeur tchèque (Prague 1935). Élève d’E. Hlobil au conservatoire de Prague, il assimile les enseignements essentiels de la musique sérielle et postsérielle, l’héritage spirituel de Bartók et Martinºu, les études sur les mètres variables de Blacher, les recherches sur la voix de Berio ou Xenakis, tout en demeurant fasciné par Debussy et les premières oeuvres de Boulez. Mais sa création n’est pas le reflet scolaire de ses acquis successifs. Dans les Quinze Feuillets d’après l’Apocalypse de Dürer pour orchestre (1964-65), il réalise une chaîne de brèves cellules d’une pureté graphique digne de son modèle. Dans les Caprichos pour deux choeurs (1966), inspirés par Goya, il use d’un mode ancien en six tons. Dans le Requiem pour soprano, basse, choeur et orchestre (1968), il atteint un expressionnisme dramatique intense. Ses recherches sur la voix se révèlent notamment dans les Lamentations sur la destruction de la ville d’Ur (1971), pour soprano, baryton, trois récitants et choeur d’enfants intervenant par scansion et déclamation. Dans Double pour orchestre (1970), dans Crux pour violon solo, timbales et cloches (1970), il recherche un jeu, un dialogue entre le compositeur et son interprète. Tout comme Feld et Kopelent, Fišer se refuse à utiliser les grammaires musicales contemporaines, qui n’ouvriraient pas de nouveaux horizons à la sensibilité et qui ne donneraient pas matière à de nouveaux échanges par le jeu de libres structures d’accueil pour l’interprète. FISTOULARI (Anatole), chef d’orchestre anglais d’origine russe, (Kiev, Russie, 1907 - Londres 1995). Il étudia la musique avec son père, luimême chef d’orchestre, et fit une carrière d’enfant prodige, débutant à l’âge de sept ans à l’Opéra de Kiev en dirigeant la 6e Symphonie de Tchaïkovski. En 1929, il quitta la Russie. De 1933 à 1936, il dirigea à Paris l’Orchestre des saisons du Grand Opéra russe de Chaliapine. Il appartint ensuite (1937-1939) aux Ballets russes de Monte-Carlo, puis s’établit à Londres, où il fut notamment quelques années, à partir de 1943, principal chef de l’Orchestre philharmonique. Ce fut un interprète célèbre de la musique symphonique russe et de l’ensemble du répertoire de ballets. FLAGEOLET. Petite flûte en forme de sifflet : un petit tube aplati dirige le souffle de l’exécutant sur une ouverture en biseau qui fait vibrer une courte colonne d’air. D’une sonorité perçante et même criarde, capable de se faire entendre dans le pire brouhaha, le flageolet a régné dans les bals publics pendant plus d’un siècle. Certains modèles ont bénéficié du « système Böhm ». FLAGSTAD (Kirsten), soprano norvégienne (Hamar 1895 - Oslo 1962). Fille d’un chef d’orchestre et d’une pianiste, elle fit ses débuts à l’Opéra d’Oslo en 1913 dans le rôle de Nuri de Tiefland de D’Albert. Pendant vingt ans, elle fit une carrière modeste à Oslo, puis en Suède à Göteborg, dans un répertoire très vaste. Engagée en 1933 à Bayreuth pour les rôles secondaires d’Ortlinde de la Walkyrie et de la troisième Norne du Crépuscule des dieux, elle y revint l’année suivante chanter Sieglinde de la Walkyrie et Gutrune du Crépuscule. Ses débuts au Metropolitan de New York, en 1935, dans le rôle de Sieglinde firent sensation et la consacrèrent définitivement, la conduisant à une carrière internationale. Elle fit ses adieux officiels à la scène en 1953, mais se produisit encore en concert en 1955. Elle dirigea l’Opéra d’Oslo de 1958 à 1960. Sa voix était la réunion unique d’une puissance exceptionnelle, d’un timbre splendide, chaleureux et plutôt sombre, parfaite- ment égal sur toute son étendue, d’une technique vocale irréprochable et d’une musicalité raffinée. Cette voix était en elle-même expressive, mais son caractère monumental et, au sens propre, extraordinaire, conduisit Flagstad à faire des héroïnes qu’elle incarnait des personnages hiératiques et surhumains. FLAMENCO. Mot espagnol à l’étymologie discutée (pourrait être le nom commun signifiant flamant, ou bien vient de flamme). Nom donné aux chants et danses populaires d’Andalousie. Le caractère du flamenco est le résultat de l’accumulation d’apports successifs ; aux sources locales probablement préhistoriques se sont ajoutées l’influence de l’émigration sumérienne, celle du plain-chant grégorien, des mélopées arabes, de la musique juive, et enfin, à partir du XVe siècle, celle des inflexions des gitans. Cette dernière a été déterminante dans la constitution du flamenco tel qu’il est connu depuis plusieurs siècles, avec son caractère vif et relativement spectaculaire, alors que la survivance des apports plus anciens nourrit une forme distincte, également propre à l’Andalousie, le cante jondo, plus poignant et secret. FLATTERZUNGE. Ce mot allemand formé du substantif Zunge (« langue ») et du verbe flattern (« voltiger ») désigne, dans le jeu des downloadModeText.vue.download 384 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 378 instruments à vent, un coup* de langue répété à une cadence très rapide, une sorte de roulement lingual qui produit un effet de trémolo. Cette technique, qui s’applique notamment à la flûte ainsi qu’à quelques autres instruments dont la trompette, semble avoir été employée dès le début du XIXe siècle, mais elle est particulièrement à l’honneur dans la musique contemporaine. FLAUTATO. Dans les instruments à cordes frottées, technique qui consiste à promener légèrement l’archet sur la touche pour obtenir une sonorité flûtée. FLECHA (Juan Mateo, dit FLECHA L’ANCIEN), compositeur espagnol (Prades, Pyrénées-Orientales, 1481 - monastère de Poblet, près de Tarragone, 1553). Ce carme fut chantre, puis maître de chapelle à la cathédrale de Lérida (1523) et maître de musique des infantes de Castille, filles de Charles Quint. Son oeuvre comprend des pages religieuses, publiées en partie par Miguel de Fuenllana dans son Orphenica Lira (Séville, 1554), et des ensaladas à 4 ou 5 voix qui, écrites sur des textes latins, catalans, castillans, italiens ou français, rejoignent la chanson française par l’importance réservée à la mélodie, par le propos généralement descriptif et la variété de l’expression. FLECHA (Fray Mateo, dit FLECHA LE JEUNE), poète et compositeur espagnol (Prades, Pyrénées-Orientales, 1530 monastère de Portella, prov. de Solsona, 1604). Neveu de Juan Mateo Flecha et, comme lui, carme, il entra en 1543 au service des infantes de Castille. On le retrouve en Italie en 1564. Il accompagna Maria, épouse de l’empereur Maximilien II, à la cour d’Autriche, où il occupa les postes de chapelain et de chantre de la chapelle impériale (1568). En 1579, il devint abbé à Tihany en Hongrie, puis retourna en Espagne en 1599 pour finir ses jours avec le titre d’abbé au monastère de Portella. Un recueil de madrigaux à 4 et 5 voix de sa composition, dédié à Maximilien II, parut à Venise en 1568. À l’exception d’un seul texte en langue espagnole, l’ensemble est en italien et constitue un bon exemple du genre. Flecha composa également une pièce instrumentale a 5 (Harmonia), ainsi que des ensaladas parues à Prague en 1581 dans un recueil comportant aussi des oeuvres de son oncle. FLENTROP, facteurs d’orgues néerlandais du XXe siècle. Ils ont restauré plusieurs instruments historiques (Alkmaar, 1940-1949 ; Zwolle, 1953-1955) et construit des orgues en Europe et en Amérique du Nord. Les Flentrop pratiquent une facture de tradition baroque, à traction mécanique. FLESCH (Carl), violoniste et pédagogue hongrois (Wieselburg, Moson, 1873 Lucerne 1944). Il étudia au conservatoire de Vienne avec Grün et à celui de Paris avec Sauzay et Marsick. Il donna son premier concert à Vienne en 1895, et sa carrière de virtuose prit une ampleur internationale à partir des premières années du siècle. Parallèlement, il eut une activité constante d’enseignement, notamment aux conservatoires de Bucarest et d’Amsterdam, à Berlin, où il dirigea en particulier un cours de perfectionnement à la Hochschule für Musik (1921-1923), et au Curtis Institute de Philadelphie (1924-1928). Ce fut l’un des plus grands pédagogues modernes du violon. Il compta parmi ses élèves Max Rostal, Szymon Goldberg, Ida Haendel, Ginette Neveu, Alma Moodie, Ricardo Odnoposoff, Henryk Szeryng et Bronislaw Gimpel. Il a, d’autre part, laissé plusieurs ouvrages théoriques. FLEURET (Maurice), critique musical français (La Talaudière, Loire, 1932 Paris 1990). Après des études au Conservatoire de Paris de 1952 à 1956, il devient conférencier aux J. M. F., compose des musiques de film et de scène, et écrit dans plusieurs périodiques avant de devenir chef de rubrique au Nouvel Observateur en 1964. Spécialiste des musiques nouvelles, il a dirigé de nombreux festivals de musique contemporaine (Saint-Étienne en 1968, les Semaines musicales internationales de Paris de 1968 à 1974, le festival Xenakis de Bonn en 1974) et les activités musicales du musée d’Art moderne de la Ville de Paris (de 1967 à 1977 et à nouveau depuis 1980) ; de 1977 à 1981, il est directeur artistique du festival de Lille et il a été directeur de la Musique au ministère de la Culture de 1981 à 1986 et lancé alors la fête de la Musique. Il a été en 1986 l’un des deux fondateurs de la bibliothèque Gustav-Mahler. Il a étudié aussi les traditions musicales lointaines (Afrique, Asie et Amérique latine). FLEURTIS ou FLEURETIS. Nom donné aux XVIIe et XVIIIe siècles aux procédés d’harmonisation à plusieurs voix non écrites, parfois appliqués au plain- chant par les chantres. FLOQUET (Étienne-Joseph), compositeur français (Aix-en-Provence 1748 Paris 1785). Élève de la maîtrise de la cathédrale SaintSauveur à Aix, il remporta des succès dès l’âge de dix ans avec ses premiers motets. Il vint étudier à Paris en 1769, et son premier ouvrage lyrique, l’Union de l’Amour et des Arts, fut représenté à l’Opéra en 1773. Une Chaconne qui en était tirée fit fureur sur tous les clavecins de la capitale. En revanche, Azolan (1774) fut comparé défavorablement aux oeuvres de Gluck, qui triomphaient alors, et subit un échec. Il partit alors travailler à Naples avec Sala et à Bologne avec le padre Martini. De retour à Paris, il obtint le succès avec un ouvrage de demi-caractère, la pastorale le Seigneur bienfaisant (1780). Il voulut se mesurer de nouveau à Gluck et composa une partition sur le livret d’Alceste de Quinault, pour l’opposer à l’oeuvre de Gluck, représentée à Paris en 1776. Mais l’Académie royale refusa son ouvrage. Il s’éteignit découragé, victime d’une maladie de langueur. Cette fin prématurée priva la scène française d’un musicien doué, ayant le sens de l’action théâtrale. FLOTHUIS (Marius), compositeur et musicologue néerlandais (Amsterdam 1914). Il a étudié la musicologie, la philologie et le piano, mais est, en partie, autodidacte en composition. Il a été directeur artistique adjoint (1937-1942 et 1953-1955), puis directeur artistique (1955-1974) de l’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, et enseigne depuis 1974 la musicologie à l’université d’Utrecht. Parmi ses oeuvres, surtout instrumentales et influencées par Debussy, Bartók et Pijper, un Concerto pour flûte et petit orchestre (1944), Symphonische Muziek (1957), Per sonare ed ascoltare pour flûte et orchestre (1971), Canzone pour quintette à vents (1978), Cantus amoris pour orchestre à cordes (1979). C’est un spécialiste reconnu de Mozart. FLOTOW (Friedrich von), compositeur allemand (Teutendorf, Mecklembourg, 1812 - Darmstadt 1883). Il fit ses études musicales à Paris, notamment avec Reicha, et connut à partir de 1836, avec des opéras écrits sur des livrets français, ses premiers succès sur de petites scènes de notre capitale, où il devait vivre jusqu’en 1848, puis de 1863 à 1870. Le Naufrage de la Méduse (1839) le consacra définitivement. Alessandro Stradella (1844) le fit connaître en Allemagne. Martha (1847) s’imposa dans toute l’Europe comme son plus grand succès et le seul qui se fût maintenu jusqu’à une date récente. Pourtant, à Paris, l’Ombre (1870) fut en son temps considérée comme un chef-d’oeuvre. Flotow, qui fut intendant au théâtre de la cour de Schwerin de 1856 à 1863, écrivit des musiques de scène, des ballets, des mélodies, un peu de musique instrumentale, mais l’essentiel de son oeuvre est constitué par une quarantaine de partitions lyriques. Sa musique, issue downloadModeText.vue.download 385 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 379 de sa formation au sein de l’école française sous l’influence de l’opéra italien, est très habilement écrite. Elle vaut plus par la qualité de son inspiration mélodique que par sa force dramatique. FLÜGEL (all. : « aile »). Ce nom désigne en langue allemande soit un grand clavecin, soit un piano à queue, instruments dont la forme évoque celle d’une aile. Le terme se retrouve dans des noms composés comme Hammerflügel. FLÛTE. Instrument à vent de la catégorie des « bois » et, vraisemblablement, le plus ancien de tous les instruments à l’exception des percussions. La flûte est, en effet, sous sa forme primitive, un simple sifflet que la nature fournit presque tout fait : tronçon de bambou ou de roseau, os creux, etc. L’air insufflé dans ce corps sonore, en se brisant sur le bord d’une de ses deux ouvertures, suffit à le faire entrer en vibration. Bien entendu, ce sifflet n’émet qu’une note. Mais si l’on en juxtapose plusieurs, de longueurs différentes, le nombre des notes émises est multiplié d’autant ; c’est le principe de la flûte de Pan. Une autre solution consiste à percer dans le corps de l’instrument des trous que l’exécutant bouche avec ses doigts, de manière à produire la note grave fondamentale quand tous les trous sont bouchés. Ce type de flûte est de loin le plus répandu, sous les formes les plus variées, et cela dans presque toutes les civilisations. En Europe occidentale, la flûte droite et la flûte traversière coexistent depuis le haut Moyen Âge. La vogue actuelle de la musique et des instruments anciens a réhabilité la première, appelée aussi flûte à bec ou flûte douce (flauto dolce en italien, Blockflöte en allemand, recorder en anglais). Comme l’un de ses noms l’indique, elle comporte un bec, du même bois que le tube de perce conique, qui dirige le souffle de l’exécutant sur la tranche d’un biseau. Il en existe une famille entière, de la basse au sopranino, mais l’instrument concertiste par excellence est l’alto (2 octaves du fa3 au fa5), avec un abondant répertoire illustré notamment par Bach, Telemann, Haendel et Vivaldi. La flûte traversière, dont l’embouchure est un simple trou latéral, a l’avantage d’être plus sonore et d’une plus grande étendue ; c’est pourquoi, dès le XVIIIe siècle, elle a supplanté la flûte à bec, jugée trop discrète, quand les violons eurent eux-mêmes détrôné les violes. Et c’est aussi pourquoi elle seule a bénéficié de tous les perfectionnements ultérieurs. Le plus grave défaut des « bois » en général, et de la flûte en particulier, résidait dans le fait que les doigts de l’exécutant ne pouvaient boucher qu’un petit nombre de trous, d’où la nécessité, pour obtenir les demi-tons et certaines notes aiguës, de recourir aux doigtés « en fourche », aux trous partiellement bouchés, aux demitrous et autres artifices qui ne favorisent ni la justesse ni une exécution rapide. On imagina de percer de nouveaux trous, fermés au repos par des plateaux à ressort et ouverts à volonté par pression sur une clé. Ainsi naquirent les flûtes à 1 clé (disposition qui a été conservée dans le fifre réglementaire), 4 clés et davantage. La flûte traversière que connut Bach ne descendait qu’au ré3 et ne comportait que la clé de ré dièse. La « patte d’ut » qui la prolonge d’un ton vers le grave ne fut inventée qu’un quart de siècle après sa mort. Mais il appartenait au virtuose bavarois Theobald Böhm (1794-1881) de créer la flûte moderne. Le système qui porte son nom, et qui devait être également appliqué à la clarinette et au hautbois, n’a pas subi de modification essentielle depuis 1832. En revanche, le bois a été progressivement abandonné au profit du métal, plus sonore et plus stable (maillechort argenté, argent et même or). La « grande flûte » classique, longue d’environ 67 cm et démontable en 3 parties, est percée de 13 trous que commandent 9 clés et 6 plateaux ouverts ou fermés. Son étendue dépasse 3 octaves (de l’ut3 à l’ut6 et même au-delà pour les meilleurs instrumentistes) et son timbre pur, très caractéristique, lui permet de se faire entendre dans les formations orchestrales les plus importantes. Signalons aussi la stridente petite flûte ou « piccolo » qui sonne à l’octave supérieure, mais seulement à partir du ré, et la grande flûte alto, en sol, improprement appelée « flûte basse « ; car il existe aussi une vraie flûte basse, en ut grave, d’un usage tout à fait exceptionnel. FLÛTE. À l’orgue, famille de jeux de fond de section plus forte que les principaux, ce qui leur confère une sonorité plus douce et plus chaleureuse. Construits en métal ou en bois, les tuyaux du jeu de flûte peuvent être cylindriques, mais aussi coniques, ou bouchés et percés d’une cheminée. Au XIXe siècle, on a fait donner à certains jeux de flûte, soumis à une pression plus élevée, l’octave supérieure (flûte « harmonique » et flûte « octaviante »), et l’harmonique 3 ( ! QUINTATON). La famille des jeux de flûte s’étend du grave à l’aigu de l’instrument, et se trouve représentée dans toutes les compositions d’orgues. FOCCROULLE (Bernard), organiste belge (Liège 1953). Il étudie avec Herbert Schoonbroodt au Conservatoire de Liège, puis avec Xavier Darasse, Bernard Legacé et Gustav Leonhardt. Son intérêt pour la musique contemporaine le porte d’emblée à interpréter ce répertoire, parallèlement à son travail sur les oeuvres baroques : de 1974 à 1976, il se produit au Festival de Royan. Il joue la musique d’orgue du XVe au XXe siècle, avec une prédilection pour l’oeuvre de Bach, dont il a enregistré l’intégrale sur des orgues historiques. Il appartient à plusieurs ensembles de musique ancienne, dont le Ricercar Consort, et consacre aussi une part importante de son activité à l’enseignement - professeur d’analyse musicale au Conservatoire de Liège, il est régulièrement invité à donner des masterclasses dans les académies d’été. En 1992, il est nommé directeur du Théâtre de la Monnaie à Bruxelles. FOERSTER (Josef Bohuslav), compositeur, pédagogue et critique musical tchèque (Prague 1859 - Vestec, près de Stará Boleslav, 1951). Fils de Josef Foerster, organiste, compositeur et théoricien slovène (Osenice 1833 - Prague 1907), et neveu d’Antonin Foerster, organiste, théoricien et chef de choeur (Osenice 1837 - Novomesto 1926), il reçut de son père une éducation musicale poussée, se révéla aussi habile peintre que musicien et écrivain, et fut témoin de la création de nombreuses oeuvres de Smetana et Dvořák en même temps que de la querelle opposant les partisans du nationalisme tchèque le plus étroit à ceux qui voulaient s’ouvrir sur l’étranger, quitte à devoir parler allemand. Foerster vécut à Hambourg, où il fut professeur au conservatoire et critique, occupa les mêmes fonctions à Vienne à partir de 1903, fréquenta Mahler et Richard Strauss. Nommé professeur au conservatoire de Prague en 1919, il en fut directeur de 1922 à 1931. Son oeuvre considérable comprend essentiellement de la musique symphonique et concertante, un peu de musique de chambre et de nombreuses compositions vocales, essentiellement des choeurs. Elle émane d’un tempérament riche, à la fois lyrique, méditatif, frôlant le mysticisme, humaniste, et capable de puissance héroïque. On lui doit le rajeunissement de la musique chorale tchèque. Dans le domaine de la recherche mélodique, harmonique et rythmique, il a permis la transition entre le romantisme patriotique et la pureté modale de l’école tchèque moderne. FOLÍA (esp. : « folie »). 1. Forme musicale très utilisée dans la musique instrumentale des XVIIe et XVIIIe siècles. Le nom original folía désigne une danse portugaise du XVIe siècle, qui s’est par la suite répandue en Espagne (d’où sa dénomination française courante de folies d’Espagne) ; elle entra dans ce dernier pays au répertoire des vihue- listes, puis conquit l’Europe à partir du downloadModeText.vue.download 386 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 380 XVIIe siècle. Cette danse portugaise était vive et animée, et, étymologiquement, le mot folía provenait sans doute de termes tels que foliar (« se réjouir », « se divertir »). En Espagne, elle prit parfois les noms de foliada, folijones, folion, et elle apparut sous une forme instrumentale, plus rarement vocale. Comme danse théâtrale, elle fut utilisée, notamment, par Lope de Vega. Elle eut tendance à ralentir, et, lorsqu’elle se répandit à travers l’Europe au XVIIe siècle, la folía instrumentale (pour violon, viole de gambe, clavecin) fut fréquemment employée, avec une mélodie ayant fini par se figer et à laquelle devait en définitive s’attacher plus particulièrement le nom de folía ou de folies d’Espagne, comme base de variations instrumentales sur un thème de seize mesures à 3/4 ou à 3/2 ; l’exemple le plus célèbre est celui de la douzième sonate de l’opus 5 de Corelli, pour violon et continuo (1700), qui est une série de 23 variations sur une simple basse contrainte de folía (celle-ci s’était ainsi rapprochée de la chaconne et de la passacaille). Avant Corelli, elle avait été popularisée par d’Anglebert (cycle de 22 variations pour clavecin, 1689). Toujours en France, elle fut adoptée par Lully et Marin Marais. De nombreux compositeurs devaient réutiliser le thème de la folía dans les circonstances les plus diverses : Vivaldi, Pasquini, Pergolèse, D. Scarlatti, Bach (Cantate des paysans), Keiser (Der lächerliche Prinz Jodelier), Carl Philipp Emanuel Bach (variations pour clavier), Grétry (l’Amant jaloux), Cherubini (ouverture de l’Hôtellerie portugaise), Liszt (Rhapsodie espagnole), Nielsen (Maskarade), Rachmaninov (Variations sur un thème de Corelli, ce titre étant donc musicologiquement inexact). 2. Chanson populaire lyrique, synonyme de copla. 3. Danse populaire originaire des îles Canaries. FOLQUET DE MARSEILLE, troubadour provençal, d’origine italienne ( ? v. 1155 - ? 1231). D’abord marchand à Marseille comme son père, il se consacra ensuite à l’art des troubadours et devint le protégé du comte Raimon de Toulouse et du roi Alphonse II d’Aragon. Plus tard, il entra dans les ordres et se fit nommer prieur à l’abbaye du Thoronet, près de Toulon. En 1205, il fut élu évêque de Toulouse. Très convaincu par la nécessité de parer ses vers de musique, Folquet a même écrit qu’une strophe sans musique est comme un moulin sans eau. De ses trente chansons conservées, treize sont pourvues de musique. La mélodie en est ensoleillée, facile. Son art fut très apprécié de Dante, qui va jusqu’à l’accueillir dans son Paradis. FOMINE (Evstignei), compositeur russe (Saint-Pétersbourg 1761 - id. 1800). Formé à l’Académie des beaux-arts de sa ville natale, il alla ensuite se perfectionner à Bologne auprès du padre Martini et de Mattei (1782-1786). En Russie, il ne semble pas avoir occupé de poste officiel avant 1797, date à laquelle il devint répétiteur, accompagnateur et arrangeur au Théâtre impérial de Saint-Pétersbourg. Nourri d’influences étrangères, il se consacra pour l’essentiel au domaine lyrique. Son premier opéra, Boyeslav, le héros de Novgorod, sur un livret de Catherine II, fut composé et créé en 1786. Les Américains, composé en 1788, ne fut représenté qu’en 1800. Citons encore deux ouvrages posthumes, Clorinde et Milon (1800) et la Pomme d’or (1803). D’autres lui ont été attribués à tort. Son oeuvre la plus personnelle est sans doute le mélodrame Orphée et Eurydice (1792), où l’on décèle l’influence de Gluck. FOND (jeux de). Ensemble de jeux de l’orgue, par opposition aux jeux d’anche et aux jeux de mutation et de mixture. Les tuyaux à bouche qui les composent peuvent être de sections différentes, ce qui détermine quatre familles de sonorité parmi les fonds : les principaux (de taille moyenne), les gambes (de taille faible), les flûtes (de taille forte). Ces tuyaux sont ouverts ; s’ils sont fermés, la sonorité plus douce est celle des bourdons. Leur hauteur couvre toute l’étendue de l’instrument dont ils constituent la base sonore, d’où leur nom. FONDAMENTALE. Note qui, dans l’harmonie tonale traditionnelle, engendre les autres notes d’un accord par le jeu des harmoniques dits naturels. Dans tous les systèmes musicaux, la justesse de ces harmoniques n’est qu’approximative, surtout dans le système tempéré ( ! TEMPÉRAMENT). Les notes engendrées par la fondamentale sont, théoriquement, la tierce, la quinte, la septième, la neuvième, les harmoniques plus élevés étant rarement utilisées dans l’harmonie ( ! HARMONIE). On dit qu’un accord est dans sa position fondamentale quand la note fondamentale est à la basse. On parle de basse fondamentale pour désigner la suite des notes fondamentales dans les enchaînements d’accords, ou plus précisément la suite des notes de basse, telles qu’elles deviendraient si tous les accords étaient ramenés à leur position fondamentale. FONTAINE (Pierre), compositeur français (Rouen v. 1380 - ? v. 1450). Formé dans la maîtrise de la cathédrale de Rouen, il est mentionné pour la première fois en 1404 dans les registres de la chapelle de Philippe le Hardi, dont il devint chapelain en 1415. Comme beaucoup de musiciens franco-flamands, il fit le voyage en Italie. De 1420 à 1427, il fut membre de la chapelle pontificale de Martin V. Ordonné prêtre en 1433 à la suite de son retour à la cour de Bourgogne (1428), il occupa alors les fonctions de second chapelain de 1431 à 1447. Il eut pour successeur Gilles Binchois. On n’a conservé de Fontaine que sept chansons à 3 voix et une à 4 voix (Mon doulx amy). Ces oeuvres sont sans prétention, mais aimablement tournées. J’ayme bien celui qui s’en va (3 voix) offre une mélodie particulièrement attachante. À son plaisir, volontiers serviraye est une chanson écrite pour trois voix d’hommes. FORBES (Elliot), musicologue et pédagogue américain (Cambridge, Massachusetts, 1917). On lui doit l’édition révisée et mise à jour de l’ouvrage fondamental de A. W. Thayer sur Beethoven (Thayer’s Life of Beethoven, Londres et Princeton 1964). FORD (Thomas), luthiste et compositeur anglais ( ? v. 1580 - Londres 1648). En 1611, on le trouve au service du prince Henry, dont la mort (1612) fut une perte considérable pour la musique en Angleterre. De 1626 à la guerre civile, il fut l’un des musiciens du roi Charles Ier. Il fut enterré à Westminster. Ford fut avant tout un compositeur d’ayres et compte, après J. Dowland, parmi les meilleurs illustrateurs de cette forme. Ses chansons au luth parurent dans le premier recueil de la publication Musicke of Sundrie Kindes (1607). Elles étaient destinées soit à une voix soliste, soit à un consort de quatre chanteurs et, dans ce dernier cas, probablement sans accompagnement. Le deuxième recueil contient des duos pour deux lyra-viols (Pavans, Galiards, Almaines, Toies, Ligges, Thumpes, etc.). D’autres pièces, des danses et de la musique religieuse, sont conservées en manuscrit. Dix airs de Thomas Ford ont été publiés dans The English LuteSongs par E. H. Fellowes (Série I, Londres, 1921 ; rééd. Th. Dart, 1966). FORKEL (Johann Nikolaus), historien et théoricien allemand de la musique (Meeder, Saxe-Cobourg, 1749 - Göttingen 1818). Il entreprit ses études musicales avec le cantor de Meeder, J. H. Schultesius, puis au Johanneum de Lüneburg. Préfet du choeur de la cathédrale de Schwerin en 1767, il s’inscrivit en 1769 à l’université de Göttingen ; organiste titulaire à downloadModeText.vue.download 387 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 381 l’église de cette université en 1770, il y donna aussi des cours sur la musique à partir de 1772 et en devint le directeur musical en 1779. Jusqu’en 1815, il y dirigea les concerts hebdomadaires. N’ayant pas obtenu la succession de C.P.E. Bach à Hambourg, il resta à Göttingen jusqu’à sa mort. Forkel a laissé quelques oeuvres instrumentales, des cantates et un oratorio, mais il a été essentiellement historien et musicologue. Ses écrits sont marqués par l’historicisme et l’universalisme caractéristiques de l’esprit de l’université de Göttingen et plus généralement du siècle des Lumières. Jugeant la musique de son temps décadente, il a tenté d’expliquer l’évolution de cet art et de définir les lois générales qui lui sont spécifiques tout en considérant que la musique participe à l’idée de progrès universel, lequel est associé à l’existence de la raison. Vérifiant méthodiquement les sources qu’il devait utiliser, Forkel a entrepris une étude systématique de la musique et affirme que son histoire n’est autre que celle de son progrès immanent. Il a été l’un des premiers à lier à cette discipline l’esthétique et la philosophie et il fut aussi l’auteur, grâce notamment à des renseignements fournis par Wilhelm Friedemann et surtout Carl Philip Emanuel, de la première monographie sur J.-S. Bach : Über J. S. Bachs Leben, Kunst und Kunstwerk (Leipzig, 1802 ; nombreuses rééd., trad. française, Paris, 1876 et 1981). S’il n’est plus reconnu aujourd’hui comme le fondateur du la musicologie moderne, on accorde cependant à Forkel un rôle éminent dans l’histoire de celle-ci en raison du caractère scientifique de sa démarche et parce que son travail bibliographique reste fondamental. Incontestablement, il influença ses élèves de Göttingen (Humboldt, Tieck, Schlegel, Wackenroder), tandis qu’il montra une incompréhension presque totale de ses contemporains (Goethe, Schiller, Kant, Hegel). FORLANE. À l’origine, danse populaire italienne de la province du Frioul. Elle se répandit ensuite dans toute l’Italie et notamment à Venise. Dès le XVIIe siècle, elle figure parmi les danses pratiquées à la cour de France. La forlane, qui est de rythme binaire (6/8 ou 6/4), se rencontre dans de nombreuses suites instrumentales du XVIIIe siècle, par exemple dans le Quatrième Concert royal de F. Couperin. La forlane est proche de la gigue. FORME. Ce mot est employé dans deux sens : un sens général s’appliquant à toute musique ; un sens particulier, celui du schéma de construction selon lequel est construite une oeuvre donnée. Dans le sens général, sa signification est semblable à celle qu’il possède dans tous les autres arts : c’est ce qui fait que l’oeuvre est perçue comme étant quelque chose de plus (et de mieux) que le résultat du hasard, et qu’elle est plus (et mieux) que la somme de ses parties (cf. Schönberg : « La forme est tout ce qui assure la logique et la cohérence du discours musical. »). Certains compositeurs ont parfois nourri l’illusion d’une musique « sans forme » (Varèse, Cage). La discussion d’une telle idée demanderait de longs débats philosophiques. On peut aussi prétendre qu’il existe toujours une forme et qu’elle est seulement plus ou moins banale ou complexe. Dans le sens particulier, la forme désigne un schéma de construction plus ou moins élaboré, caractérisant soit une oeuvre donnée, soit tout un type d’oeuvres. Par exemple, la forme fugue, la forme sonate, la forme rondo, la forme passacaille, etc. Il faut alors faire la différence entre la forme dite d’école, qui correspond à un schéma très strict, et dont l’application est un excellent exercice pour l’étudiant en composition, mais dont le résultat est presque toujours une oeuvre seulement académique ; et la forme dite libre dans laquelle, l’esprit du schéma étant conservé, le compositeur introduit les variantes les plus originales. Par exemple, la plupart des Sonates de Beethoven sont des modèles d’une libre interprétation de la forme sonate traitée avec une géniale imagination. FORMÉ (Nicolas), compositeur français (Paris 1567 - id. 1638). Enfant de choeur à la Sainte-Chapelle, il y étudia la musique et en fut l’un des clercs à partir de 1587. Trois années plus tard, il entra comme chantre ordinaire à la chapelle du roi, avant de devenir sous-maître de chapelle à la mort de Du Caurroy (1609). Louis XIII l’admirait beaucoup et le fit nommer en 1624 abbé commendataire de l’abbaye Notre-Dame de Reclus (diocèse de Troyes). Enfin, en 1626, il devint chanoine de la Sainte-Chapelle. Nicolas Formé se voulait l’inventeur du motet à deux choeurs, genre qui allait être, plus tard, au coeur du répertoire de la chapelle royale à Versailles. Il obtint de l’éditeur Ballard que celui-ci n’imprimerait jamais d’autre musique de ce style que la sienne jusqu’à sa mort. Louis XIII aimait tant chanter la musique de Formé qu’après la disparition de celui-ci il conserva son oeuvre enfermée dans une armoire personnelle, puisque « lui seul en avoit la clef ». De cette oeuvre, il ne reste que de la musique religieuse : une messe pour deux choeurs (à 4 et 5 voix), dédiée à Henri IV et à son fils Louis XIII, suivie d’un motet à deux choeurs Ecce tu pulchra es (Ballard, 1638). Le Cantique de la Vierge Marie selon les Tons ou Modes usités en Léglise (à 4 voix) existe en manuscrit. FORMULE. Terme employé pour désigner soit un timbre de récitation, soit, parfois péjorativement, une tournure stéréotypée : une « formule de cadence », une basse obstinée, etc. FORNEROD (Aloys), compositeur suisse (Montet-Cudrefin 1890 - Fribourg 1965). Il fit ses études à Lausanne, à Paris à la Schola cantorum et à Strasbourg avec Pfitzner. Il fut violoniste à Lausanne, puis enseigna les matières théoriques à Lausanne, Saint-Maurice et Fribourg, où il devint directeur du conservatoire en 1954. L’influence de la musique française, et principalement de Gabriel Fauré, ainsi que celle du grégorien sont présentes dans toute son oeuvre, qui comprend des pages symphoniques et concertantes, de la musique instrumentale, notamment des sonates, des pièces chorales profanes et religieuses, un opéra-comique, Geneviève (1954), et des mélodies. Quoique d’esprit néoclassique, son écriture claire et élégante présente des tournures originales. Il eut aussi une activité de critique. FORQUERAY, famille de musiciens français du XVIIIe siècle, d’origine écossaise et installée en France depuis 1548. Antoine, violiste et compositeur (Paris 1672 - Mantes 1745). Fils d’un violiste de la cour de Louis XIV, il joua à cinq ans de la viole devant le roi, dont il devint un des pages avant d’être nommé musicien ordinaire de la Chambre. Comme M. A. Charpentier, il enseigna son art au régent Philippe d’Orléans. En 1736, il se retira à Mantes où il demeura jusqu’à sa mort. La réputation d’Antoine Forqueray fut très grande. Violiste virtuose, il a laissé pour son instrument quelque 300 pièces avec basse continue. Certaines de ces pièces furent transcrites pour le clavecin par son fils Jean-Baptiste comme, par exemple, la Rameau, en hommage au maître de Dijon. C’est, selon toute probabilité, pour retourner le compliment que celui-ci baptisa la Forqueray la belle fugue des Pièces de cla- vecin en concert de la cinquième suite, qui contient une partie de basse particulièrement travaillée. Jean-Baptiste Antoine, violiste (Paris 1699 - id. 1782). Fils d’Antoine, il fut aussi un célèbre maître de la basse de viole et succéda à son père comme musicien ordinaire de la Chambre. À partir de 1761, il fut au service du prince de Conti, jusqu’en 1776. On possède de lui trois pièces de viole, ainsi que les excellentes transcriptions citées plus haut. Michel, organiste (Chaumes-en-Brie 1681 - Montfort-l’Amaury 1757). Cousin de Jean-Baptiste, il fut maître de chapelle à Paris, à l’église Saint-Martin-des-Champs, à partir de 1703. Il occupa le poste d’orgadownloadModeText.vue.download 388 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 382 niste à Saint-Séverin de 1704 à sa mort. On ne possède aucune oeuvre de sa composition. Nicolas Gilles, organiste (Chaumes-enBrie 1703 - id. 1761). Neveu de Michel Forqueray et né comme lui dans le village d’où vint la dynastie des Couperin, il fut nommé à plusieurs postes d’organiste à la chapelle du roi Louis XV (1724), à SaintLaurent (1726), aux Innocents (1731), à Saint-Merri (1740). En 1757, il succéda à son oncle à Saint-Séverin. On ne conserve de lui que quelques airs parus dans des recueils collectifs chez Ballard. FORRESTER (Maureen), contralto canadienne (Montréal 1930). Formée à Toronto, elle débuta en concert à Montréal en 1953. Son interprétation de la Deuxième Symphonie de Mahler sous la direction de Bruno Walter, à New York en 1956, établit sa renommée. Elle a fait l’essentiel de sa carrière au concert, se partageant entre le récital de mélodies et l’oratorio. Parmi ses rares apparitions au théâtre, on peut citer son incarnation du rôle de Cornelia dans Jules César de Haendel. FORSTER (Georg), médecin, compositeur et éditeur allemand (Amberg, Bavière, v. 1510 - Nuremberg 1568). À partir de 1521 environ, il fit partie de la chapelle de la cour de Heidelberg. Il étudia ensuite la médecine à Ingolstadt, puis à Wittenberg, et obtint en 1544 le grade de docteur de l’université de Tübingen. Il publia à Nuremberg plusieurs recueils rassemblant les oeuvres de divers compositeurs : les Teutsche Liedlein (5 vol., 1539 à 1556) comprennent 321 lieder à 4 et 5 voix, dont 38 sont de Forster lui-même ; Selectissimarum mutetarum partim 5, partim 4 v. tomus primus (1540) réunit 27 motets ; Tomus tertius psalmorum selectorum (1542) se compose de 40 psaumes, et Josquin Des Prés figure au nombre des auteurs. Le propre style de composition de Forster était nettement conservateur. FORSTER (William), facteur de violons et éditeur anglais (Brampton, Cumberland, 1739 - Londres 1808). Installé à Londres en 1759, il excellait dans la fabrication des violoncelles et livra au prince de Galles, futur George IV, trois contrebasses. Dans les années 1780, il fut avec Artaria à Vienne le principal éditeur de Haydn. Lui succédèrent dans ses affaires son fils William II (Londres ? 1764 id. ? 1824), puis les deux fils de ce dernier, William III (1788-1824) et Simon Andrew (1801-1870), qui dans son History of the Violin (Londres 1864) publia pour la première fois la plupart des documents sur les relations entre Haydn et son grandpère. FORTE (ital. : « fort »). 1. Généralement indiqué dans les partitions par l’abréviation f, ce terme est une nuance d’intensité dont le sens va de soi ; son superlatif fortissimo est très usité. 2. Au piano, on appelle souvent la pédale de droite « pédale forte ». FORTE-PIANO. Généralement indiqué dans les partitions par l’abréviation fp, ce terme désigne une attaque forte suivie immédiatement d’une nuance atténuée ou piano. FORTISSIMO. Généralement indiqué dans les partitions par l’abréviation ff, ce terme est une nuance d’intensité, et signifie « très fort ». On peut rencontrer fff, qui correspond à une force plus grande encore. FORTNER (Wolfgang), compositeur allemand (Leipzig 1907 - Heidelberg 1987). Après des études de musique, de philosophie, de psychologie et de germanistique dans sa ville natale, il a enseigné à Heidelberg (1931), Detmold (1954), Fribourgen-Brisgau (1957), et participé aux cours d’été de Darmstadt. Excellent pédagogue, il a compté parmi ses élèves H. W. Henze, et fait beaucoup pour la musique contemporaine, notamment en organisant à partir de 1947 des concerts Musica viva. Il a flirté, après la guerre, avec le dodécaphonisme, en particulier dans sa Symphonie de 1947. Parmi ses oeuvres instrumentales, Mouvements pour piano et orchestre (1954), et Triplum pour trois pianos et orchestre (1966). Dans le domaine vocal, qui l’attire particulièrement, il a écrit Chant de naissance, sur un texte de Saint-John Perse (1958), Immagini pour soprano et 13 cordes (1966), et surtout des opéras comme Noces de sang d’après Lorca (1957), Dans son jardin Dom Perlimpin aime Belisa d’après Lorca (1962), Elisabeth Tudor (1972) et That Time, d’après Samuel Beckett (1977). FOSS (Lukas), compositeur, chef d’orchestre et pianiste américain (Berlin 1922). De son vrai nom Lukas Fuchs, il émigra avec sa famille en 1933 à Paris, où il étudia jusqu’en 1937 au Conservatoire avec Lazare-Levy (piano) et Noël Gallon (contrepoint), puis aux États-Unis. Il travailla alors au Curtis Institute de Philadelphie, puis avec Hindemith à Yale. Il devint pianiste (1944), puis assistant de Koussevitski (1946-1953) à l’orchestre de Boston. Après un séjour à Rome, il fut nommé professeur de composition à l’université de Californie à Los Angeles (1953-1963), puis directeur et chef d’orchestre de la Philharmonie de Buffalo. Dans un premier temps, il cultiva comme compositeur un style traditionnel avec une grande aisance et un certain bonheur dans le lyrisme, assimilant très bien Hindemith, Copland et Stravinski, spécialement dans ses oeuvres pour la voix (The Prairie, 1942 ; Song of Songs, « Cantique des Cantiques », 1946 ; Griffelkin, 1955). Mais, en 1957, il fonda à l’université de Californie un ensemble de chambre consacré à l’improvisation et aux pro- blèmes de la collaboration entre compositeur et interprètes, et ce travail transforma radicalement sa pensée. Il se rapprocha d’abord du sérialisme (Time Cycle pour soprano et orchestre ou clarinette, 1960), puis s’intéressa à la forme ouverte - Élytrés pour flûte, violon, piano, harpe et percussion (1964) et Fragments d’Archiloque pour contre-ténor, récitant, choeur, mandoline, guitare et percussion (1965) - et à l’aléatoire. Il propose des combinaisons précalculées d’événements toujours notés entre lesquels, dans le cas d’Élytrés et d’Archiloque, le chef choisit (comme il choisit son point de départ et d’arrêt) une version possible. Dans le Concerto pour violoncelle (1966), c’est le soliste qui sélectionne l’un des trois accompagnements suggérés, les deux autres se combinant alors pour former le mouvement suivant. Une grande partie des oeuvres de cette période ont recours à l’électroacoustique ou à des caractéristiques électroacoustiques que Foss tente d’approcher par le biais instrumental : distorsion (Baroque Variations, pour orchestre, 1967), retour (Echoi IV), superposition de bande (Concerto pour violoncelle où le soliste lutte avec une partie de violoncelle préenregistrée). Sans doute Foss cherche-t-il, au-delà, des moyens d’expression artistique interchangeables (gestes, mots, notes) : Paradigm 68, pour percussionniste-chef, petit ensemble instrumental et bande, est presque une oeuvre de théâtre musical avec son humour qui fait penser à Kagel. Pendant de nombreuses années, Foss a travaillé dans le sens d’une musique anonyme, c’està-dire sans compositeur, d’une musique non improvisée car commandée par des règles précises, non composée car non notée comme dans Non Improvisation pour piano, percussion, violoncelle et clarinette (1967) où, selon ses termes, la « composition (est) devenue exécution ». Cela n’exclut nullement un recours à la notation traditionnelle dans d’autres circonstances, comme dans le Quatuor à cordes no 3 (1974) où la seule liberté laissée aux interprètes est de répéter certains modèles musicaux (mais peut-on répéter de manière identique ?). Dans tous les cas, Foss réclame de nouvelles relations non seulement entre le compositeur, sa musique et les interprètes, mais entre les interprètes eux-mêmes (Géod, 1969) et avec le public. Il a écrit récemment, pour downloadModeText.vue.download 389 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 383 le cinquantenaire de Tanglewood, Celebration pour orchestre (1990). FOSTER (Stephen Collins), compositeur américain (Lawrenceville, Pennsylvanie, 1826 - New York 1864). Musicien amateur, il fut autodidacte comme Ives. Planteur, il vécut à l’orée du Sud au milieu des Noirs, mais aussi sillonna les grandes villes du Nord. Il écrivit environ 200 chansons (dont beaucoup de negro minstrels) parmi lesquelles on peut citer les titres de My Old Kentucky Home, Old Black Joe, Old Folks at Home, Massa’s in the Cold Ground, Swanie Ribber. Ces oeuvres lui valurent une popularité à peine imaginable. Elles ne sont pourtant pas aussi faciles et conventionnelles qu’on le croit en Europe. Mais leur sentimentalité, où transparaît une tendre alliance avec la nature, ou bien leur fantaisie burlesque riche de vitalité primitive, sont étroitement liées aux plus profondes racines de la mentalité américaine, à la nostalgie de l’histoire du pays, de ce qui est passé et qui est perdu. FOUCQUET OU FOUQUET, famille de clavecinistes, d’organistes et de compositeurs français, actifs à Paris au XVIIe et au XVIIIe siècles. Gilles († Paris 1646) fut organiste à SaintLaurent et à Saint-Honoré. Antoine († Paris 1708) fut organiste à Saint-Josse (1658), à Saint-Eustache (1681) et à la chapelle de la reine MarieThérèse (1669). Son fils, Pierre († Paris 1735), succéda à son père à l’orgue de Saint-Eustache et à Marchand à Saint-Honoré (1707-1708). Il composa des Sonates pour violon et des Airs sérieux et à boire. Son frère, Antoine († Paris av. 1740), fut organiste à l’abbaye de Saint-Victor et à l’église Saint-Laurent. Le fils de Pierre, Pierre-Claude (Paris 1694-id. 1772), est le plus illustre représentant de la famille. Il fut organiste à l’abbaye de Saint-Victor (1758), à Saint-Honoré, à Saint-Eustache et à Notre-Dame (1761), ainsi qu’à la chapelle royale. Il publia trois livres de Pièces de clavecin, de 1749 à 1751. Ses deux fils, François Pierre Charles (Paris 1726id. 1765) et Louis Marc (Paris v. 1710-id. apr. 1790), lui succédèrent aux claviers de l’orgue de Saint-Honoré. L’un de leurs parents, Marie Louis, fut organiste à SaintEustache. FOUET. Instrument à percussion de la famille des « bois ». Destiné à imiter le claquement du fouet, il est formé de deux chevrons de bois dur réunis par une charnière. FOURCHOTTE (Alain), compositeur français (Nice 1943). Disciple de Mario Vittoria, il remporte un premier prix de conservatoire ainsi que le grand prix de la ville de Nice. Par la suite, il se rend aux cours d’été de Darmstadt. Depuis, il se range parmi les indépendants, se dégage du mouvement postsériel, et cherche « l’utilisation maximale d’un matériau librement choisi au départ... ». Il a collaboré au Centre international de recherche musicale (1978-1983) et au festival MANCA de Nice, et enseigne depuis 1988 à l’université de cette ville. Il a écrit notamment Glyphes (La Rochelle, 1978), l’opéra de chambre Médée (1981), Sillages, concerto pour piano et orchestre (1987), Quietum pour flûte, clarinette et quatuor avec piano (1992). FOURESTIER (Louis), chef d’orchestre et compositeur français (Montpellier 1892 Paris 1976). Il commença ses études dans sa ville natale, où il travailla le violoncelle, et les acheva au Conservatoire de Paris dans les classes de Leroux (harmonie) et V. d’Indy (direction d’orchestre). Il obtint le prix de Rome en 1925 et composa par la suite des oeuvres symphoniques et un Quatuor à cordes révélant un tempérament original sachant se soumettre à une sévère discipline d’écriture. Parallèlement, ayant débuté comme violoncelliste à l’Opéra-Comique à son retour de Rome, il monta au pupitre de ce théâtre en 1927 pour diriger Cavalleria rusticana de Mascagni. Ce fut le début d’une remarquable carrière de chef d’orchestre où sa maîtrise et la clarté de son style s’exercèrent dans le répertoire lyrique le plus vaste, ainsi que dans la musique symphonique et les ballets. Il débuta en 1938 à l’Opéra, qu’il ne quitta qu’en 1965. Il enseigna la direction d’orchestre au Conservatoire de Paris de 1945 à 1963. FOURNET (Jean), chef d’orchestre français (Rouen 1913). Il a étudié la flûte, la direction d’orchestre et la composition au Conservatoire de Paris, a commencé sa carrière comme chef d’orchestre lyrique à Rouen (1938), puis à Marseille (1940). Après avoir rempli à partir de 1941 des fonctions à la Radio de Paris, il a été, à partir de 1944, chef d’orchestre à l’Opéra-Comique et professeur de direction à l’École normale de musique, poste qu’il a assumé juqu’en 1962. Il a été, aux Pays-Bas, directeur des orchestres de Radio Hilversum (1961) et de la Philharmonie de Rotterdam (1968). Il a regagné la France pour prendre, à sa création (1973), la direction de l’Orchestre de l’Île-de-France. Son talent est particulièrement apprécié dans la musique française romantique et impressionniste. Il devait conserver ce poste jusqu’en 1982. FOURNIER (Pierre), violoncelliste français (Paris 1906 - Genève 1986). Il a fait ses études au Conservatoire de Paris où il a ensuite été professeur de 1941 à 1949. Sa brillante carrière internationale l’a vu apparaître aussi bien en récital dans les Suites pour violoncelle seul de Bach que dans le répertoire des grands concertos romantiques et postromantiques et dans la musique de chambre, qu’il a pratiquée notamment avec le violoniste Josef Szigeti, le pianiste Artur Schnabel et l’altiste William Primrose. Il a consacré une part importante de son activité à la musique du XXe siècle (Bloch, Martinºu, etc.). C’est un des plus grands violoncellistes de notre temps par la beauté de la sonorité et la profondeur de la musicalité. FOURNITURE. Jeu de mixture de l’orgue, composé, dans un nombre et un agencement variant avec les factures, de plusieurs tuyaux par note, sonnant en octaves et en quintes par rapport au son fondamental ; la fourniture peut ainsi compter quatre à dix rangées (ou « rangs ») de tuyaux, soit autant de tuyaux par note. Associée à la cymbale, plus aiguë, elle constitue le plein-jeu. FOX-TROT. Danse originaire d’Amérique du Nord, où elle apparut vers 1910. Mouvement de marche modéré, à 4/4, mais fortement syncopé. Plusieurs compositeurs d’opérette l’ont utilisé entre 1920 et 1940, ainsi que Ravel dans l’Enfant et les sortilèges (épisode de la théière). FRAMERY (Nicolas-Étienne), compositeur, écrivain et théoricien français (Rouen 1745 - Paris 1810). Auteur notamment de l’opéra-comique la Sorcière par hasard (1768), dont la représentation lui valut d’être nommé surintendant de la musique du comte d’Artois (futur Charles X), de nombreux livrets et articles et d’un Mémoire sur le Conservatoire de musique (1795), il fit paraître une Notice sur Joseph Haydn... contenant quelques particularités de sa vie privée, relatives à sa personne ou à ses ouvrages (Paris 1810). Il avait tiré pour cette brochure la plupart de ses informations de la bouche d’un des principaux élèves de Haydn, Ignaz Pleyel, établi à Paris depuis 1795 : elle contient beaucoup d’affabulations et d’anecdotes déformées, ce que ne manqua pas de relever Georg August Griesinger, auteur lui-même d’une biographie de Haydn (Leipzig 1809-10). FRANÇAIX (Jean), pianiste et compositeur français (Le Mans 1912). Son père, Alfred Françaix, était directeur du conservatoire du Mans et sa mère diridownloadModeText.vue.download 390 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 384 geait une chorale. Il est donc élevé dans la musique et, très précoce, signe sa première oeuvre pour piano (Pour Jacqueline) à l’âge de neuf ans. 1921 est l’année de la mort de Saint-Saëns. Très ému, l’enfant rassure son père en affirmant qu’il remplacera le maître disparu ! Il commence à travailler la composition avec Nadia Boulanger en 1922. Puis il entre au Conservatoire de Paris (1926) dans la classe de piano d’Isidore Philipp. Il obtient son premier prix en 1930 et s’engage dans la carrière d’accompagnateur à travers la France. Mais l’essentiel de son activité est la composition, où il révèle une sûreté d’écriture qu’il met au service d’un style très personnel. En 1932, âgé de vingt ans, il présente une Symphonie qui provoque une tempête de protestations (Françaix la retirera de son catalogue). Puis, avec une facilité déconcertante, avec beaucoup de grâce, d’élégance, souvent de l’humour et toujours une grande maîtrise technique, il écrit des pages de musique instrumentale, symphonique, concertante (dont un Concerto pour piano de 1936, peut-être son oeuvre la mieux connue), des mélodies, de nombreux ballets toujours fort bien accueillis et dont certains sont représentés à l’Opéra de Paris. Il aborde le théâtre lyrique avec une oeuvre comique pour ténor, basse et petit orchestre, le Diable boiteux, créée chez la princesse de Polignac en 1938. Dans ce domaine, son oeuvre maîtresse reste la Princesse de Clèves (Rouen, 1965). Dans sa musique de chambre, les mouvements sont souvent très courts, pétillants de vitalité, d’une écriture brillante qui prise les tempos rapides (Trio à cordes, 1933). Il a signé plusieurs musiques de film, collaborant notamment avec Sacha Guitry (Si Versailles m’était conté, 1953). FRANCESCATTI (René, dit Zino), violoniste français (Marseille 1902 - La Ciotat 1991). Issu d’une famille de musiciens, il commença l’étude du violon à cinq ans, se produisit en public très jeune, mais fit ses vrais débuts en concert à Marseille en 1918. Il se fit entendre pour la première fois à Paris en 1924, après avoir compté parmi ses maîtres Jacques Thibaud, ce qui le rattache à l’école franco-belge. À partir des années 30, il jouit d’une renommée mondiale. Son jeu étincelant le fit apprécier tout particulièrement dans le répertoire romantique. FRANCESCO DA MILANO (Francesco CANOVA, dit), luthiste et compositeur italien (Monza, Lombardie, 1497 - ? probablement 1543). On le trouve en 1510 à Mantoue, où il travaille le luth avec Angelo Testagrossa, protégé d’lsabella d’Este, fille d’Hercule Ier de Ferrare. En 1530, Francesco est au service du cardinal Hippolyte de Médicis ; en 1535, il est à Rome et accompagne en 1538 le pape Paul III au concile de Nice. Là, le roi François Ier l’entend jouer du luth et l’applaudit avec beaucoup d’enthousiasme. Francesco da Milano est l’auteur du premier ricercar pour le luth qui ait été conservé. En dehors de ses transcriptions de chansons et de motets d’autres compositeurs (Clément Janequin, Claudin de Sermisy), furent publiés à Venise, entre 1536 et 1547, sous le titre Intabolatura de liuto de diversi, con la bataglia, et altre cose bellissime, des pièces originales pour luth, des ricercari, et des fantaisies qui révèlent un art remarquable de conduire les voix ainsi qu’une grande variété thématique. Il composa également des pièces libres réclamant de l’exécutant une extrême virtuosité. On ne trouve aucune danse dans les pièces publiées. Son style est un heureux mélange de l’art savant du contrepoint hérité des Franco-Flamands et d’un goût typiquement italien pour le stvle de l’improvisation (modo di diminuire). Ses oeuvres, toujours d’une grande clarté d’écriture, comptent parmi les plus belles de toute la littérature du luth. FRANCHETTI (Alberto), compositeur italien (Turin 1860 - Viareggio 1942). Issu d’une famille noble et aisée, il étudia, malgré l’interdit paternel, à Turin, Venise et Dresde, s’imprégnant d’une culture germanique qui transparaît clairement dans sa Symphonie en « mi » mineur (1886) et dans son opéra Asraël (1888), dont son père se décida alors à financer une somptueuse production qui fit le tour du monde. Verdi le signala aux Génois, qui lui attribuèrent la commande officielle de l’opéra Cristoforo Colombo (1892), où l’épopée s’effaçait souvent derrière la peinture des sentiments de Colomb. Une même attitude vériste se retrouve dans Germania (1902), cependant que Franchetti laissait libre cours à son tempérament de symphoniste dans ses poèmes orchestraux Loreley et Nella Silva nera. D’Annunzio révisa à son intention sa Figlia di Jorio (1906), oeuvre dans laquelle le musicien voulait revenir « à la pure mélodie italienne ». Des ouvrages mineurs suivirent, et, après avoir assumé quelque temps la direction du conservatoire de Florence, Franchetti quitta la vie musicale en 1928. Plus proche de Boito, Catalani ou Smareglia que des véritables auteurs véristes, Franchetti a sans doute manqué d’une inspiration musicale à la hauteur de ses ambitions philosophiques et de sa science d’écriture. FRANCHOMME (Auguste), violoncelliste et compositeur français (Lille 1808 Paris 1884). Après avoir remporté en 1826 un premier prix de violoncelle au Conservatoire de Paris dès sa première année d’études dans cet établissement, il fit partie de divers orchestres parisiens et fut professeur au Conservatoire de 1846 à sa mort. Ami de Chopin, il donna à ce dernier des conseils sur l’écriture pour le violoncelle, et Chopin lui dédia sa Sonate pour violoncelle et piano. Franchomme écrivit un certain nombre de pièces pour violoncelle seul ou pour violoncelle et orchestre, ainsi que des transcriptions. FRANCISCUS (Magister), musicien français de la seconde moitié du XIVe siècle, encore mal identifié actuellement. On lui attribue essentiellement deux ballades à 3 voix figurant dans le manuscrit de Chantilly : Phiton, Phiton beste tres venimeuse et De Narcisus, qui semble avoir été une pièce très connue. Le style de ces oeuvres est proche de celui de Guillaume de Machaut. FRANCISQUE (Antoine), luthiste et compositeur français (Saint-Quentin v. 1570 - Paris 1605). Quoique sa notoriété n’ait pas été grande de son vivant, il tient une place importante sur le plan historique par l’existence de son livre de tablatures le Trésor d’Orphée, publié à Paris chez Ballard en 1600 et accompagné d’un texte de commentaires théoriques. Les 71 pièces, surtout des danses, qui composent cet ouvrage constituent, avec les oeuvres du contemporain de Francisque, J.-B. Bésard, une étape essentielle de la littérature française pour le luth. FRANCK (César-Auguste), compositeur français (Liège, Belgique, 1822 - Paris 1890). Fils d’un modeste employé de banque désirant faire de lui un pianiste virtuose à l’égal de Liszt, César Franck a d’abord étudié à l’École royale de musique de Liège avant de venir, au début de 1835, à Paris, où, après avoir suivi les cours de Reicha et Zimmermann, il entre dans la classe de piano de ce dernier au Conservatoire en même temps que dans celle de Leborne pour la fugue et le contrepoint. Dès 1838, il obtient un « grand prix d’honneur » de piano, jamais décerné jusque-là. Il obtiendra encore un prix de fugue (1840) et d’orgue (1841, classe de Benoist). Pressé par son père de donner des concerts, il quitte cependant le Conservatoire en 1842 et se produit en de nombreuses villes de Belgique et d’Allemagne, puis à nouveau à Paris. Pour ces concerts, il compose de nombreuses pages de virtuosité imposées par son père, telles que Ballade, Fantaisie, Duos à quatre mains (sur le « God save the King » ou des airs tirés d’opéras en vogue) ; il écrit également des oeuvres pour piano et violon (Andante quietoso) downloadModeText.vue.download 391 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 385 qu’il interprète avec son frère Joseph, élève de Habeneck et de Le Couppey. Au-delà de cette production virtuose, le « vrai » Franck doit être cherché dans quelques oeuvres personnelles, écrites à l’insu de son père : les trois Trios de 1839-1842 notamment, dédiés au roi des Belges, et où déjà s’affirme - en particulier dans le premier en fa dièse - le principe cyclique cher au musicien ; ou encore l’églogue biblique Ruth (1844-45) créée Salle Érard en 1846 devant un parterre de personnalités (Liszt, Meyerbeer, Spontini, Moscheles, Pixis). Ce sera le dernier succès de jeunesse de Franck. À partir de cette époque, en effet, les tensions s’exacerbent dans ses relations avec son père, ce dernier refusant de donner son consentement au mariage de César avec une de ses élèves, Félicité Desmousseaux, mariage qui sera célébré en 1848. Toutefois, coupé désormais de son père, qui était jusque-là son imprésario, Franck va être obligé de mener une vie besogneuse, employant, pour vivre, tout son temps soit à courir le cachet (douze concerts comme accompagnateur, essentiellement à Orléans, jusqu’en 1863, payés 80 francs en 1845, 100 francs en 1856, 120 en 1859), soit à donner des leçons de piano à 1,50 ou 2 francs la demiheure (chez lui, 69, rue Blanche, ou dans divers collèges parisiens), soit enfin à tenir l’orgue : d’abord à Notre-Dame-de-Lorette (1845), puis à Saint-Jean-Saint-Fran- çois-du-Marais (1853). Ce dernier poste aura au moins l’avantage de lui faire toucher un instrument révolutionnaire, un orgue symphonique, oeuvre de CavailléColl - un des premiers du célèbre facteur -, dont Franck va devenir bientôt à la fois l’ami et le faire-valoir. Cette époque est à peu près vide de créations proprement dites : quelques mélodies, un opéra-comique écrit, cette fois, sous la pression de sa femme, fille d’acteurs, le Valet de ferme, demeuré inédit et qui lui coûtera deux ans d’efforts vains (1851-1853). Mais c’est pour le musicien un temps de repliement sur soi, de réflexion, de mûrissement intérieur dont l’épanouissement viendra peu après, lorsque Franck sera nommé en 1858 organiste de Sainte-Clotilde à Paris. À partir de là, son génie va peu à peu se former, éclore, s’élever. Pour honorer ses fonctions et son public de fidèles, Franck va d’abord composer quelques oeuvres religieuses : Messe solennelle, Andantino pour orgue, 3 Motets de 1858, 3 Antiennes pour grand orgue de 1859, Messe à 3 voix de 1860 qui débouchent sur les magnifiques 6 Pièces pour le grand orgue de 1860-1862. Ces dernières, par leur facture révolutionnaire (forme très structurée, le plus souvent en triptyque), leur écriture savante, leur langage pénétré de ferveur (Prière, Pastorale), même si l’influence du siècle reste parfois encore perceptible (dans la Grande Pièce symphonique ou dans Final), sonnent le réveil de l’orgue religieux en France et annoncent les symphonies pour orgue des successeurs de Franck (Vierne, Widor, notamment). À partir de cette date, le musicien est devenu lui-même et n’écrira que des chefsd’oeuvre arrachés au temps et plus encore à ses fonctions qui le harcèlent. Sous le choc de la défaite de Sedan, en effet, quelques admirateurs et élèves de Franck ont fondé la S. N. M. (Société nationale de musique), dont la devise, « Ars gallica », est tout un programme : faire jouer la musique française ; susciter des oeuvres de compositeurs français. Nommé en 1872 professeur d’orgue au Conservatoire, Franck va dès lors attirer près de lui nombre de jeunes compositeurs (d’Indy, Duparc, Chausson, etc.) qui, formant la célèbre « bande à Franck », feront sortir leur professeur de l’anonymat et l’obligeront ainsi à se manifester par des oeuvres nouvelles. À partir de 1872, Franck va donc poursuivre parallèlement une triple carrière : de professeur (au Conservatoire), d’organiste (à Sainte-Clotilde), de compositeur. Chaque année, ou presque, verra désormais l’éclosion d’une oeuvre majeure, composée le plus souvent pendant les vacances d’été : ainsi, en 1878-79, le Quintette qui marque pour la musique de chambre en France une renaissance préparée par Lalo et Saint-Saëns et pour Franck lui-même le début d’une période créatrice intense, chaque fois renouvelée dans son approche et approfondie dans son essence. Ainsi naîtront des oeuvres majeures telles que les poèmes symphoniques le Chasseur maudit (1882), les Djinns (1884) et Psyché (1887-88), Prélude, choral et fugue pour piano (1884), les Variations symphoniques pour piano et orchestre (1885), l’admirable Sonate pour piano et violon (1886), Prélude, aria et final (1886-87), la Symphonie en « ré » mineur (1886-1888), le Quatuor à cordes (1889), enfin les Trois Chorals (1890) qui seront sa dernière oeuvre et son testament de compositeur pour orgue. L’influence de Franck, artiste d’une absolue sincérité et d’une très grande probité, s’est développée sur trois plans : il s’est d’abord imposé comme rénovateur de la musique de chambre. À une époque où la France tourne ses regards essentiellement vers la scène, il montre qu’il peut y avoir plus de musique dans un Quintette ou dans un Quatuor que dans un opéra tout entier. De là son langage hérité de Beethoven et Schumann, parfois marqué par Wagner dans ses oeuvres symphoniques. De là également la forme, extrêmement charpentée, avec une prédilection pour le cadre ternaire. De là surtout ce procédé de la forme cyclique, déjà totalement contenu dans le Trio en « fa » dièse de 1842 (écrit à vingt ans) et qui, par la résurgence des thèmes de l’un à l’autre mouvement et leur superposition dans le volet final, donne à ses compositions une solide architecture et une très grande unité. De là enfin l’écriture extrêmement mouvante et chromatique où dominent de riches modulations qui sont autant d’éclairages nouveaux apportés au discours. L’influence de Franck a été prépondérante également dans le domaine de l’orgue. Tandis que maints titulaires de tribunes se contentaient d’« orages » ou de « fantaisies sur des airs d’opéra », il remet l’orgue sur le chemin de l’église et de la prière. À cet égard, ses trois recueils sont exemplaires : avec les Six Pièces de 1862, il a renouvelé l’esthétique de l’instrument (écriture, forme) et se montre précurseur de la symphonie pour orgue ; avec les Trois Pièces de 1878, écrites pour l’inauguration de l’orgue Cavaillé-Coll de l’ancien Trocadéro, il démontre les possibilités symphoniques pures qui font de son instrument un rival de l’orchestre (d’où les titres « profanes » de ce recueil : Fantaisie en la mineur, Cantabile en si, Pièce héroïque où le compositeur joue avec maîtrise du contraste de deux thèmes). Avec les ultimes Trois Chorals de 1890, enfin, Franck propose une fusion du choral de style allemand et du lyrisme grégorien, mais aussi du chromatisme hérité de Wagner et du contrepoint traditionnel. Il offre ainsi une immense synthèse de tout ce qui avait été écrit avant lui. Son influence, enfin, se marque par le mouvement spirituel qu’il a su créer autour de lui, ses élèves étant devenus ses amis ; la « bande à Franck » groupera bon nombre des meilleurs musiciens français de l’époque. Même lorsqu’il suscita chez ses successeurs des réactions contraires à sa propre esthétique, la « manière » de Franck se perçoit encore chez eux : ainsi dans leurs Quatuors, Debussy et Ravel se souviendront-ils de la forme cyclique. En fait, et au-delà de la pure beauté des oeuvres qu’il laisse, où ce grand sentimental se raidit afin d’épurer son message, Franck n’aura cessé, toute sa vie, directement ou indirectement, d’être un exemple. Sans doute a-t-il payé à son siècle cent fautes de goût en raison de sa culture assez rudimentaire et de cette naïveté parfois déconcertante qui le fit surnommer, mais abusivement, « Pater Seraphicus « : abusivement, car ce chaste est un violent sensuel que maintes partitions révèlent. Mais derrière les plus grands chefsd’oeuvre - le Quintette, Prélude, choral et fugue, Psyché, les Trois Chorals -, un homme s’affirme, passionné, vrai, et tourné vers les plus hauts sommets. Toute son oeuvre est la narration de cette conquête volontaire durement, mais pleinement, assumée. downloadModeText.vue.download 392 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 386 FRANCK (Melchior), compositeur allemand (Zittau, Saxe, v. 1580 - Cobourg 1639). Il commença à étudier la musique dans sa ville natale et vécut successivement à Augsbourg, où il fut chantre, à Nuremberg, et à Cobourg où il fut maître de chapelle de 1603 à sa mort. Son oeuvre, qui comprend principalement des lieder polyphoniques et des danses conçues pour toutes sortes d’instruments, se situe dans la lignée de la musique polyphonique du XVIe siècle, mais révèle également l’influence de la musique italienne et celle des mélodies populaires. Parmi ses publications, on peut citer ses Newe Pavanen, Galliarden und Intraden (Cobourg, 1603), 4 volumes de Sacrae Melodiae (1601, 1604, 1605, 1607), 4 volumes de Laudes Dei vespertinae (Cobourg, 1622), le Paradisus musicus (1636) ; 2 volumes de Deutsche weltliche Gesäng und Täntze (Cobourg, 1604, 1605), ainsi que les Viertzig neue deutsche Täntze, avec instruments (1623). FRANCOEUR, famille de musiciens français. Joseph (Paris v. 1662 - id. v. 1741). Il appartint aux Vingt-Quatre Violons du roy. Louis (Paris v. 1692 - id. 1745), fils du précédent. Élève de son père, il fut à la tête des Vingt-Quatre Violons du roy à partir de 1717. Il a laissé deux livres de Sonates pour violon seul et basse. François. Violoniste, compositeur et chef d’orchestre (Paris 1698 - id. 1787). Fils de Joseph. Élève de son père, il entra à quinze ans dans l’orchestre de l’Opéra. Après avoir publié un 1er Livre de sonates à violon seul et basse continue (1720), il séjourna à Vienne et Prague et s’y produisit en soliste. Rentré en France en 1725, il donna avec François Rebel des duos de violons au Concert spirituel et signa avec lui son premier opéra, Pyrame et Thisbé, représenté avec grand succès à l’Académie royale de musique en 1726. Il fut nommé en 1727 compositeur de la Musique de la chambre du roi et publia un 2e Livre de sonates après 1730. Nommé chef d’orchestre à l’Opéra en 1733, il dirigea la première oeuvre lyrique de Rameau, Hippolyte et Aricie. Il fut, avec son inséparable ami Rebel, promu en 1743 inspecteur de l’Académie royale, puis directeur de 1749 à 1753 et de 1757 à 1766. Ils accueillirent à l’Opéra Zoroastre de Rameau, mais aussi la troupe italienne qui fut à l’origine de la Querelle des bouffons. Durant la seconde période de leur direction, ils créèrent en particulier plusieurs oeuvres de Dauvergne. Des intrigues consécutives à l’incendie de la salle du Palais-Royal en 1763 les incitèrent à démissionner. Entre-temps, toujours avec Rebel, Francoeur avait composé une dizaine d’ouvrages lyriques et de ballets. Louis-Joseph. Compositeur et chef d’orchestre (Paris 1738 - id. 1804). Neveu et élève de François Francoeur, il fut nommé en 1762 surintendant de la Musique du roi et fut de 1767 à 1780 chef d’orchestre à l’Opéra, où il dirigea de nombreuses premières dont celles d’Iphigénie en Aulide, Orphée et Eurydice, Alceste et Armide de Gluck. Choisi en 1791 comme régisseur général de l’Opéra, et en 1792 comme directeur, avec Cellerier, pour une durée de trente ans, il devint suspect l’année suivante et fut arrêté. Libéré après le 9-Thermidor, il abandonna toute activité. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages lyriques (dont seul Lindor et Ismène, en 1 acte, 1766, fut représenté), d’oeuvres pour violon et d’un traité d’instrumentation, Diapason général de tous les instruments à vent. FRANCO-FLAMANDE (musique). Le terme de musique franco-flamande est couramment utilisé par les musicologues pour désigner le vaste foyer où se développa la polyphonie vocale, profane et religieuse, après la période de l’Ars nova et avant l’ultime floraison de la Renaissance, c’est-à-dire à la fin du XIVe et durant presque tout le XVe siècle. Géographiquement, ce foyer se confond avec le duché de Bourgogne, fondé en 1363 lorsque Jean le Bon en donna la possession à son fils Philippe le Hardi, et agrandi en 1430 par l’annexion des provinces septentrionales. Le duché perdit son existence politique en 1482, avec le rattachement de la Bourgogne à la couronne de France, tandis que les Flandres passaient à l’empire. Mais il avait constitué, un siècle durant, une zone d’influences et de rayonnement artistique intense entre le royaume de France et les possessions germaniques. Pour bien saisir ce que signifie cette expression de musique « franco-flamande », il faut la rapprocher d’une réalité histo- rique, celle de la guerre de Cent Ans. Pendant cette période, en effet, la vie créatrice avait reflué des régions occidentales, où se déroulaient les combats, vers le duché de Bourgogne, où les arts étaient largement favorisés en de nombreuses villes, de Dijon à Anvers, en passant par Cambrai ou Arras, Saint-Quentin ou Bruges. Chapelles ducales et service des églises accueillaient les musiciens, que les princes emmenaient d’ailleurs dans leur suite lors de leurs nombreux déplacements, suscitant ainsi de fructueux échanges artistiques. Poètes-musiciens vivant à l’ombre des églises, parfois prêtres eux-mêmes, ces compositeurs circulent souvent beaucoup, menant une véritable carrière internationale, comme Brumel. Certains s’en vont même jusqu’en Italie du Nord, dans des centres tels que Milan ou Ferrare (Obrecht y est mort). Lorsqu’ils écrivent des chansons polyphoniques profanes, c’est en langue française - la langue que parlent la plupart d’entre eux -, ce qui les rattache à la tradition de l’Ars nova. Mais ils n’en sont pas moins et avant tout hommes des provinces du Nord ; leur attrait pour l’emploi d’une polyphonie complexe dans la musique religieuse va faire progresser considérablement l’écriture contrapuntique savante, qui va ensuite se répandre par toute l’Europe du XVIe siècle. À la fin du XVe siècle, en effet, lorsque finit la guerre de Cent Ans, le style religieux de la musique franco-flamande prend ses distances d’avec celui du gothique français pour s’européaniser, en même temps qu’il perdra de sa sévérité et du caractère de jeu savant, raffiné mais abstrait, qu’il avait fini par revêtir. À la musique franco-flamande se rattachent les principaux musiciens suivants : Gilles Binchois (Mons v. 1400-Soignies 1460), Guillaume Dufay ( ? v. 1400-Cambrai 1474), Anthoine Busnois (Busne ?-Bruges 1492 ?), Johannes Ockeghem (Flandres v. 1425-Tours v. 1495), Josquin Des Prés (Picardie v. 1440-Condésur-Escaut 1521 ?), Jacob Obrecht (Bergop-Zoom 1450-Ferrare 1505), Loyset Compère( ? v. 1450-Saint-Quentin 1518). Si la notion de « musique franco-flamande » demande à être précisée et utilisée avec discernement, celle d’»école franco-flamande », parfois employée, ne recouvre quant à elle aucune réalité historique ni artistique, du fait de la multiplicité des centres musicaux et de la diversité des compositeurs qui s’y rencontrent. FRANÇOIS (Samson), pianiste français (Francfort-sur-le-Main, Allemagne, 1924 - Paris 1970). Il commença ses études de piano en Italie et donna son premier concert à l’âge de six ans aux côtés d’un orchestre dirigé par Mascagni. Il étudia ensuite aux conservatoires de Belgrade et de Nice, à l’École normale de musique de Paris avec Yvonne Lefébure (1936-1938) et au Conservatoire de Paris dans la classe de Marguerite Long. En 1941, il donna son premier concert public à Paris, interprétant le Premier Concerto de Liszt. En 1943, il remporta le premier prix du premier concours Long-Thibaud et commença tout de suite après la guerre sa carrière internationale. Interprète véritablement inspiré, au toucher d’une variété infinie, aussi capable de grâce que de puissance, de délicatesse que de brusquerie, il s’est illustré notamment dans les oeuvres de Chopin, Schumann, Liszt, Debussy et Ravel. Il composa un Concerto pour piano et orchestre (1951) et des pièces pour piano. FRANCON DE COLOGNE, théoricien et compositeur allemand du XIIIe siècle. Il écrivit, peut-être vers 1280, l’Ars cantus mensurabilis, où il expose les principes downloadModeText.vue.download 393 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 387 du nouveau système de notation mesurée, dite aujourd’hui franconienne, grâce auquel l’exécution simultanée et rigoureuse de plusieurs parties, aux rythmes différents, devenait possible. Une nouvelle méthode précise de notation se révélait en effet nécessaire, du fait que les anciens modes rythmiques s’appliquaient avec de moins en moins de rigueur. L’influence de Francon fut très grande jusqu’au XVIe siècle, son traité souvent copié et commenté. Francon, qui était praeceptor de la Maison de l’ordre de Saint-Jean à Cologne, avait travaillé à Paris, ce qui fit croire à l’existence d’un Francon de Paris. Il fut un compositeur estimé, mais on ne connaît de lui qu’un motet à 3 voix (Homo miserabilis). FRANZ (Robert), compositeur allemand (Halle 1815 - id. 1892). De son vrai nom Robert Knauth, issu d’une famille de riches commerçants, il ne put faire qu’à l’âge de vingt ans des études musicales sérieuses, qu’il mena à Dessau de 1835 à 1837. De retour à Halle, il végéta jusqu’en 1841 : nommé organiste de la Ulrichskirche, et en 1842 chef de la Singakademie, il publia en 1843 son premier recueil de douze lieder pour chant et piano, qui attira aussitôt l’attention de Schumann, puis de Mendelssohn, de Liszt et de Wagner. Il écrivit quelque 350 lieder jusqu’en 1858, date à laquelle sa surdité l’obligea à renoncer à la composition ainsi qu’à la charge de directeur de la musique à l’université qu’il occupait depuis 1851. Les vingt dernières années de sa vie auraient été difficiles sans l’aide généreuse de ses amis et admirateurs, au premier rang desquels Liszt joua un rôle déterminant. Franz publia encore des transcriptions d’oeuvres de son compatriote Haendel et de J.-S. Bach. À part quelques oeuvres religieuses pour choeur, sa production originale consiste uniquement en ses lieder, tous écrits pour mezzo-soprano. À l’image de la modestie et de la pudeur de Franz, ils n’ont guère d’ampleur, de développement. Mais l’invention mélodique, même tenue volontairement dans un étroit carcan, est variée, pleine de charme. L’écriture, claire et élégante, est exactement adaptée aux textes, choisis avec soin (Goethe, Heine, Eichendorff, Lenau, Osterwald, etc.). Certaines de ces pièces, malgré leur dimension réduite, atteignent à la grandeur : Die Lotosblume (la plus achevée aux yeux du compositeur), Mutter, o sing mich zur Ruh, Bitte, Wonne der Wehmuth. FRÉDÉRIC II LE GRAND, roi de Prusse, compositeur et flûtiste amateur (Berlin 1712 - Sans-Souci, Potsdam, 1786). Il étudia la musique avec G. Hayne, organiste de la cathédrale de Berlin, et travailla ensuite la flûte avec J. J. Quantz et la composition avec C. H. Graun. En 1732, il forma un orchestre privé dans son château de Rheinsberg. Devenu roi en 1740, il rassembla autour de lui de nombreux artistes et musiciens dont J. G. Graun, Chr. Nichelmann, Quantz, Fr. Benda et Carl Philipp Emanuel Bach. Il constitua un orchestre et fit construire un Opéra, inauguré en 1742 avec Cesare e cleopatra de C. H. Graun. En 1747, lors de la visite de J.-S. Bach à Potsdam, il proposa au musicien un thème d’improvisation que celui-ci reprit ensuite dans son Offrande musicale, dédiée à Frédéric II. Le roi composa lui-même de la musique d’orchestre, dont quatre Symphonies, quatre Concertos pour flûte et cordes, 121 Sonates pour flûte et clavecin, trois cantates profanes, ainsi que des airs d’opéras insérés dans les ouvrages de Graun, Nichelmann, Hasse, etc. Il écrivit également des livrets d’opéras et des pièces de théâtre. FREIRE (Nelson), pianiste brésilien (Boa Esperanza 1944). Il commence l’étude du piano à l’âge de trois ans et travaille avec N. Obino et L. Branco. En 1957, il est lauréat du Concours international de Rio de Janeiro et part pour Vienne étudier avec Bruno Seidlhofer. En 1964, il remporte le 1er Grand Prix du Concours Vianna da Motta et, à Londres, les médailles d’or Dinu Lipatti et Harriett Cohen. Il s’est produit dans le monde entier, sous la direction de chefs tels que Jochum, Maazel, Dutoit, Boulez, Previn, etc., et joue régulièrement en duo avec Martha Argerich. FREITAS (Frederico de), compositeur et chef d’orchestre portugais (Lisbonne 1902 - id. 1980). Élève du conservatoire de Lisbonne dans les classes de piano, violon, harmonie et composition, il n’a pas encore achevé ses études quand, en 1924, un concert de ses oeuvres est organisé en son honneur. À partir de 1926, il voyage beaucoup et se familiarise avec les techniques de composition les plus modernes, tout en se préparant à une carrière de chef d’orchestre. Mais son ouverture aux influences novatrices étrangères s’accompagne d’une volonté bien arrêtée de promouvoir une véritable école portugaise. C’est dans cet esprit qu’en 1940 il fonde la Société chorale de Lisbonne et participe à la création d’une compagnie nationale de ballet. Chef titulaire de l’orchestre symphonique de Porto en 1949, directeur de l’orchestre de la radio nationale en 1956, il a enrichi leur répertoire de nombreuses premières auditions. En tant que compositeur, on lui doit notamment un opéra (Luzdor), six ballets, la symphonie Jerónimos, un concerto pour flûte et orchestre, une messe et diverses pièces instrumentales et chorales, souvent d’inspiration folklorique. FREITAS BRANCO (les de), famille de musiciens portugais. Luís, compositeur et pédagogue (Lisbonne 1890 - id. 1955). Sa naissance dans un milieu aristocratique et fortuné a certainement favorisé la formation de ce musicien exceptionnellement cultivé. Après avoir bénéficié dans sa ville natale deG l’enseignement des Portugais Tomas Borba et Augusto Machado, du Belge Désiré Pâque et de l’Italien Luigi Mancinelli, il se rend à Berlin, où il est l’élève de Humperdinck. À vingt ans, il achève Paraísos Artificiais, le premier de ses cinq poèmes symphoniques. L’année suivante le trouve à Paris, où il fait la connaissance de Claude Debussy et travaille avec Gabriel Grovlez. Jeune marié, il s’installe à Madère jusqu’en 1914, mais des revers de fortune provoqués par la révolution de 1910 l’obligent à monnayer ses nombreux talents. De retour à Lisbonne, il y occupera jusqu’en 1947 des postes importants dans l’enseignement musical officiel, où son influence sera considérable. En 1929, il fonde la revue Arte Musical, que remplacera vingt ans plus tard la Gazeta Musical (1950). Conservateur en politique, Luís de Freitas Branco l’était beaucoup moins en musique ; influencé par l’impressionnisme debussyste, puis tenté par l’atonalisme, il revint toutefois à une conception néoclassique. Il laisse cinq poèmes symphoniques, quatre symphonies, une « symphonie dramatique » pour solos, choeurs, orgue et orchestre (Manfredo), un concerto et deux sonates pour violon, un quatuor à cordes, diverses pièces pour piano, des mélodies et des compositions chorales. Pedro, chef d’orchestre, frère du précédent (Lisbonne 1896 - id. 1963). Après avoir mené de front des études d’ingénieur et des études musicales, travaillant en particulier le violon et le chant, il débute comme chef d’orchestre aux théâtres S. Carlos de Lisbonne et S. João de Porto. Après un séjour à Londres en 1925, qui lui vaut de profiter des conseils de Bruno Walter, il fonde en 1927 la première compagnie d’opéra entièrement portugaise et, en 1928, les Concerts symphoniques de Lisbonne, qui révéleront au public portugais de nombreuses oeuvres contempo- raines. FREMAUX (Louis), chef d’orchestre français (Aire-sur-la-Lys, Pas-de-Calais, 1921). Il a fait ses études (interrompues par la guerre) au Conservatoire de Paris, et a dirigé de 1956 à 1965 l’orchestre de l’opéra de Monte-Carlo, puis, de 1968 à 1971, l’orchestre philharmonique Rhône-Alpes. Il a aussi été de 1969 à 1978 directeur musical et premier chef de l’orchestre et du choeur de Birmingham en Angleterre, où il s’est fait apprécier notamment par downloadModeText.vue.download 394 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 388 ses interprétations de Berlioz. Il a été de 1979 à 1982 à la tête de l’orchestre symphonique de Sydney, en Australie. FRÉMIOT (Marcel), compositeur français (Paris 1920). Élève, entre autres, d’Olivier Messiaen et de René Leibowitz, il fut directeur artistique de diverses firmes de disques, avant de devenir professeur d’histoire de la musique au conservatoire de Marseille, où il fonda en 1968 une classe de musique électroacoustique qui fut à l’origine du Groupe de musique expérimentale de Marseille, qu’il devait diriger jusqu’en 1974. On lui doit plusieurs oeuvres pour bande magnétique : Cadastre (1970), Sonate avec Likenbé (1971), Ricercare 2 (1973) ; pour voix et bande Tant et tant d’arbres (1977), le Coin des choses (1978) ; des réalisations pour le ballet, avec la danseuse-chorégraphe Dora Feïlane (Danse, image et cri, 1977) et des oeuvres pour choeur (la Môme Néant, texte de J. Tardieu, 1977). FRÉMY (Gérard), pianiste et compositeur français (Bois-Colombes 1935). Élève du Conservatoire de Paris dans la classe d’Yves Nat, il remporte un premier prix en 1951, puis obtient en 1956 une bourse du gouvernement soviétique pour travailler trois années durant au conservatoire de Moscou dans la classe de Heinrich Neuhaus, dont il devient finalement l’assistant. Rentré en France après avoir donné une quarantaine de concerts en U.R.S.S., il poursuit son activité de concertiste tout en s’adonnant à la composition (Fantaisie pour violon et piano, 1956 ; Autobiophonie, 1973 ; Petite Musique d’amitié, 1974 ; etc.). FRENI (Mirella), soprano italienne (Modène 1936). Issue d’une famille très humble, elle a débuté au Teatro comunale de Modène en 1955 dans le rôle de Micaela de Carmen. Ses interprétations de Zerline de Don Juan au festival de Glyndebourne en 1960 et au Covent Garden de Londres en 1961, celle de Suzanne des Noces de Figaro à Londres en 1962, lui ont ouvert les portes de la carrière internationale. En 1963, elle a débuté à la Scala de Milan sous les traits de Mimi de la Bohème de Puccini. Durant ces premières années, elle interprétait plutôt des rôles légers ou lyriques-légers, comme ceux mentionnés plus haut, ou encore Marguerite de Faust de Gounod, Marie de la Fille du régiment et Adina de l’Élixir d’amour de Donizetti. Tout en continuant à chanter certains d’entre eux, elle a abordé dans le répertoire verdien des rôles de plus en plus lourds, partant de Violetta de la Traviata pour aboutir à Aida. La voix de Mirella Freni est claire et puissante avec un beau timbre fruité ; son émission est parfaitement maîtrisée et ses incarnations sont pleines de charme. FRESCOBALDI (Girolamo), organiste, claveciniste, chanteur et compositeur italien (Ferrare 1583 - Rome 1643). Il apprit la musique auprès de son père et surtout de l’organiste Luzzaschi. Voyageant de bonne heure, et se faisant connaître et apprécier comme exécutant et comme chanteur, il se rendit à Rome en 1604, ville qu’il n’allait plus quitter qu’occasionnellement, y occupant les charges d’organiste à l’académie SainteCécile, puis à Santa Maria in Trastevere, et enfin, en 1608, à la basilique Saint-Pierre, poste qu’il tint jusqu’à sa mort. Il voyagea encore, allant à Bruxelles (1607), à Mantoue (1615), et passant quelque temps à Florence (1628-1634), après quoi il resta sédentaire à Rome. Sa renommée était alors considérable : il passait pour le meilleur organiste de l’Europe, et pour l’un des plus grands compositeurs de son temps. On venait le consulter de toutes parts, et il était donné en exemple par des écrivains comme le père Mersenne (Harmonie universelle, 1636). Témoin de cette renommée, son oeuvre a été largement éditée, rééditée et diffusée de son vivant : une douzaine de volumes parurent ainsi, contenant Toccate, Canzone, Capriccii, Fantasie, Partite (c’est-à-dire des variations), Arie, Ricercari, Balletti. Le recueil le plus célèbre est celui des Fiori musicali op. XII, publié à Venise en 1635. Musique vocale ou musique instrumentale, pour l’orgue ou pour le clavecin, elle n’est pas fondamentalement novatrice dans la forme ou dans la technique, mais, en ce premier âge du baroque, elle assouplit considérablement les formes plus rigides de la Renaissance. Dans la musique instrumentale, qui fut son domaine d’élection, Frescobaldi introduisit le chromatisme, les dissonances, les effets de contrastes, la variation, et usa, en de nombreuses pièces, du style fugué. L’aspect purement instrumental et dégagé de la polyphonie vocale de ces pages eut un écho plus grand en Allemagne qu’en Italie, auprès de Froberger, élève de Frescobaldi, ou de maîtres comme Tunder, Buxtehude ou Muffat. J.-S. Bach lui-même recopia de sa main les Fiori musicali qui exercèrent sur son art une influence décisive. FRETTE. Dans la facture du luth, de la guitare et des instruments qui sont leurs dérivés, le terme désigne les séparations placées sur le manche, de demi-ton en demi-ton, délimitant les « cases » où l’interprète place les doigts pour raccourcir les cordes. Sur le luth, les frettes sont constituées de simples morceaux de boyau (ou de Nylon) liés autour du manche, tandis que sur la guitare on utilise depuis le XIXe siècle de minces tiges de métal incrustées dans le bois du manche. FREUND (Marya), soprano polonaise naturalisée française (Wroclaw 1876 - Paris 1966). Elle étudie d’abord le violon avec Pablo de Sarasate, puis le chant avec Henri Criticos. Dès ses débuts à Vienne en 1898, elle se consacre au répertoire de son temps. Elle chante les lieder de Mahler et, en 1913, crée les Gurrelieder de Schönberg à Vienne. En 1922, elle donne les premières auditions française, belge et anglaise du Pierrot lunaire. Debussy, Fauré et Ravel trouvent en elle une interprète ardente, tout comme Stravinski, Szymanovski et Poulenc. Elle compta parmi ses élèves Germaine Lubin, Jennie Tourel et Marie Powers. FREYLINGSHAUSEN (Johann Anastasius), théologien allemand (Gandersheim, Basse-Saxe, 1670 - Halle 1739). Il fut directeur de l’Hospice des orphelins et du Pädagogium de Halle. Sa contribution à l’histoire de la musique consiste en deux recueils de lieder spirituels : Geistreiches Gesangbuch... (Halle, 1704) et Neues Geistreiches Gesangbuch.. (ibid., 1714). Ces deux ouvrages constituent une somme unique en son genre, tant par les textes (ils comprennent respectivement 683 et 815 lieder) que par les nombreuses mélodies rassemblés ; ces dernières sont proposées avec une basse chiffrée. Le caractère émouvant, voire sentimental de ces oeuvres, les rattache au piétisme. FRICK (Gottlob), basse allemande (Ölbronn, Wurtemberg, 1906 - Mühlacker 1994). Il entra dans les choeurs de l’opéra de Stuttgart en 1927 et s’éleva peu à peu au rang de soliste, débutant à Cobourg en 1934. Il fut engagé en 1938 à l’opéra de Dresde auquel il appartint jusqu’en 1950. Après la guerre, il s’imposa comme une des plus grandes basses d’Allemagne et fit une carrière internationale. Son répertoire allait des rôles wagnériens (Hunding de la Walkyrie, Hagen du Crépuscule des Dieux, le roi Henri de Lohengrin, etc.) à celui de Sarastro dans la Flûte enchantée ou au personnage comique d’Osmin dans l’Enlèvement au sérail, en passant par les opéras-comiques de Nicolai ou Lortzing. Il pouvait plier son beau timbre, d’une couleur très particulière, aussi bien à l’expression de la rudesse la plus sauvage qu’à celle d’une grande bonté. downloadModeText.vue.download 395 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 389 FRICKER (Peter Racine), compositeur anglais (Londres 1920 - Santa Barbara, Californie, 1990). Descendant de l’écrivain Jean Racine, il a fait ses études au Royal College of Music de Londres, puis auprès de Matyas Seiber, et, en 1953, succéda à Michael Tippett comme directeur de la musique du Morley College. Après des débuts prometteurs, son nom apparut moins souvent dans les programmes de concerts de son pays, ce qui explique en partie qu’en 1964 il alla enseigner à l’université de Santa Barbara en Californie, où il réside toujours. Dans un style chromatique très personnel et d’une belle densité contrapuntique, il a écrit notamment cinq symphonies (194950, 1951, 1960, 1964-1966 et 1975-76), deux concertos pour violon (1951-52 et 1954), un pour alto (1953), un pour piano (1954), Concertante no 2, pour 3 pianos, cordes et timbales (1951), Concertante no 4, pour flûte, hautbois, violon et cordes (1968), des oeuvres vocales comme l’opéra la Mort de Vivien (1956), l’oratorio The Vision of Judgment (1957-58), un Magnificat (1968) et Six Mélodies de Francis Jammes (1980), de la musique de chambre (dont trois quatuors à cordes de 1947-48, 1953 et 1974-1976 et un célèbre quintette à vents de 1947), de piano et d’orgue. FRICSAY (Ferenc), chef d’orchestre hongrois (Budapest 1914 - Bâle 1963). Après de brillantes études dans sa ville natale avec Kodály et Bartók, il fut nommé dès l’âge de vingt ans au pupitre de l’orchestre philharmonique et du théâtre de Szeged, fonctions qu’il cumula de 1939 à 1945 avec la direction de l’orchestre philharmonique et de l’orchestre de l’opéra de Budapest. Mais sa réputation internationale date de 1947, quand il remplaça Otto Klemperer au festival de Salzbourg pour la création de Dantons Tod (« la Mort de Danton ») de Gottfried von Einem. Appelé l’année suivante à diriger l’orchestre de la RIAS et celui de l’opéra de BerlinOuest, chef d’orchestre de l’opéra de Munich de 1956 à 1959, il inaugura en 1961 le nouvel opéra de Berlin. On lui doit un essai, Ueber Mozart und Bartók, publié à Francfort en 1962. FRIED (Oskar), chef d’orchestre et compositeur allemand naturalisé russe (Berlin 1871 - Moscou 1941). À quinze ans, il est membre d’une troupe de musiciens ambulants. En 1889, il est corniste d’un orchestre de musique légère à Francfort et rencontre Humperdinck. Influencé par le wagnérisme, il travaille la composition. De 1894 à 1897, il suit un apprentissage assez bohème, fréquentant peintres et écrivains à Düsseldorf, Munich et Paris. En 1898, il se fixe à Berlin, où il joue un rôle grandissant : de 1904 à 1910, il dirige la société chorale Stern, et, dès 1905, l’orchestre des « Nouveaux Concerts ». De 1907 à 1910, il est aussi chef de l’importante « Société des amis de la musique » de Berlin, et, à partir de 1908, du Blüthnerorchester. Lié avec Mahler, il dirige toutes ses symphonies. Entre 1920 et 1930, il enregistre de nombreux 78 tours, dont la Deuxième Symphonie de Mahler et l’Oiseau de feu de Stravinski. Face au nazisme, il choisit d’émigrer en U.R.S.S., où il est nommé en 1934 chef de l’Orchestre de Tbilissi. Il acquiert le passeport russe en 1940, dirige l’Orchestre radio-symphonique de Moscou, et enfin l’Orchestre d’État de l’U.R.S.S. On lui doit de nombreuses compositions, parmi lesquelles une Nuit transfigurée pour deux chanteurs et orchestre, qui connut le succès en 1901. FRIEDLÄNDER (Max), musicologue allemand (Brieg, actuellement Brzeg en Pologne, 1852 - Berlin 1934). Également baryton, il a consacré l’essentiel de ses travaux au lied et à la chanson populaire allemande, et publié un ouvrage sur les lieder de Brahms. FRIMMEL (Theodor von), musicologue autrichien (Amstetten 1853 - Vienne 1928). Spécialiste de Beethoven, il édita sa correspondance (1910-11) et pendant deux ans le Beethoven Jahrbuch (1908-09). Il ne réunit jamais ses innombrables notes et articles en un ouvrage de synthèse, mais publia en 1926 le Beethoven Handbuch, importante étude documentaire et bibliographique (rééd. 1968). FRITZSCHE (Gottfried), facteur d’orgues allemand (Meissen, Saxe, 1578 - Ottensen, près de Hambourg, 1638). Son activité d’organier se déploya dans l’Allemagne du Nord-Ouest, où il ne subsiste malheureusement plus aucun témoin authentique de ses réalisations. Fréquentant les compositeurs, les théoriciens et les organiers, il contribua à l’avènement de la grande facture allemande baroque. FROBENIUS (les). Famille de facteurs d’orgues danois établis depuis 1909, auteurs de quelque 600 instruments, surtout au Danemark, mais aussi en Scandinavie et en Grande-Bretagne. La réalisation classique des orgues Frobenius, leur harmonisation dans le style baroque de l’Europe du Nord les font rechercher pour interpréter la musique de Bach et de ses prédécesseurs et contemporains. FROBERGER (Johann Jakob), organiste, claveciniste et compositeur allemand (Stuttgart 1616 - château d’Héricourt, près de Montbéliard, 1667). Issu d’une famille de musiciens, il fut d’abord organiste à Rome, de 1637 à 1641, et reçut les conseils de Girolamo Frescobaldi. Sa vie fut itinérante : il parcourut l’Europe entière, au service de divers princes ou faisant jouer ses oeuvres au concert. En 1652, il séjourna à Paris. S’imprégnant des styles et des manières qu’il rencontra, il en fit une synthèse séduisante qui préfigure la « réunion des goûts » chère aux musiciens français, à François Couperin notamment, au XVIIIe siècle. Il influença des compositeurs comme Bach et Haendel. À sa double formation, allemande et italienne, il ajouta des éléments empruntés aux musiques française et anglaise. Son influence se manifesta d’abord au travers de copies manuscrites, car, à l’exception de sa Fantaisie sur l’hexachorde et d’une fugue parues dans des recueils collectifs, toutes ses oeuvres (essentiellement écrites pour l’orgue ou pour le clavecin) ne furent publiées qu’après sa mort, en 1693 (Diverse ingeniosissime, rarissime e non maj più viste curiose Partite) et en 1696 (Diverse curiose e rarissime Partite). Elles consistent en toccatas, caprices, ricercari, fantaisies, canzone, suites et fragments de suites. FRÖHLICH (Friedrich-Theodore), compositeur suisse (Brugg 1803 - Aarau 1836). Il fit ses études de droit puis de musique à Berlin (avec Zelter et Klein). Professeur à l’école cantonale d’Aarau, il donna une vive impulsion à l’activité musicale de la région par son activité pédagogique et de chef d’orchestre et de choeurs. Comme compositeur, il fut le premier musicien romantique suisse. Il a laissé une symphonie, quatre quatuors, un quintette, des lieder (sur des poèmes de Novalis et de Ruckert), de nombreux choeurs (Wem Gott will rechte Gunst erweisen, Passions Kant, etc.), des messes et quantité d’oeuvres d’inspiration religieuse. FROIDEBISE (Pierre), organiste et compositeur belge (Ohey 1914 - Liège 1962). Après avoir étudié aux conservatoires de Namur et de Bruxelles, il alla se perfectionner à Paris auprès de l’organiste Charles Tournemire, puis se fixa à Liège où il s’illustra comme professeur d’harmonie au conservatoire, organiste de l’église Saint-Jacques et maître de chapelle du grand séminaire. Son oeuvre de compositeur, peu abondante, reflète une vaste culture tant intellectuelle que musicale, allant jusqu’au dodécaphonisme et aux arts de l’Extrême-Orient. downloadModeText.vue.download 396 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 390 FROMENT (Louis de), chef d’orchestre français (Toulouse 1921 - Cannes 1994). Élève de Louis Fourestier et d’André Cluytens, il fonda en 1949 l’Orchestre du Club d’essai de la Radiodiffusion française puis son propre orchestre de chambre. Il fut directeur musical des casinos de Cannes et de Deauville (jusqu’en 1956) et du casino de Vichy (1953-1969), ainsi que chef permanent des orchestres de Radio Nice (1958-1959) et surtout de l’Orchestre symphonique de Radio-Télé Luxembourg (1958-1980), dont il est resté ensuite principal chef invité. Son enregistrement avec Irma Kolassi du Poème de l’amour et de la mer d’Ernest Chausson est demeuré inégalé. FROTTEMENT. Dissonance inhabituelle chargée d’une certaine saveur. Le terme exclut en général toute intention péjorative. FROTTOLA (ital. ; de frocta : « mélange de pensées et de faits rassemblés au hasard »). Terme qui désigne une composition polyphonique vocale, populaire en Italie au XVe siècle, de forme strophique simple et caractérisée par un refrain. Le plus souvent, les strophes sont de six vers octosyllabes (4 + 2). La musique comporte deux sections, chacune de deux phrases. L’écriture, à 4 voix, est généralement homorythmique, la mélodie facile d’un ambitus réduit, les voix les plus importantes étant le superius et la basse, cette dernière remplissant déjà une fonction harmonique. Un rythme initial fréquemment employé est le suivant : (par exemple, Ostinato vo’ seguire de B. Tromboncino). La poésie, écrite pour être mise en musique, est souvent banale et surtout frivole. Quant à l’interprétation, la formule à adopter est libre. Fr. Bossinensis, par exemple, a laissé des transcriptions de frottole pour voix seule et luth. Le centre d’activité des compositeurs de frottole se trouve à Mantoue à la cour d’Isabella d’Este, entre 1470 et 1530 environ. Deux compositeurs particulièrement actifs dans ce domaine sont Bartolomeo Tromboncino et Marco Cara. Une importante collection de frottole a paru chez O. Petrucci à Venise entre 1504 et 1514. Proches de la frottola sont le strambotto et l’oda. FRÜHBECK DE BURGOS (Rafael Frühbeck, dit DE BURGOS), chef d’orchestre espagnol d’origine allemande (Burgos 1933). Il fait ses études de violon dès l’âge de sept ans, puis entre aux conservatoires de Bilbao et de Madrid. Il obtient le prix RichardStrauss à Munich, débute comme chef d’orchestre dans les théâtres de zarzuelas, mais reprend ses études, pendant deux ans, à la Hochschule de Munich. De retour en Espagne, il dirige l’orchestre municipal de Bilbao (1958) où il introduit pour la première fois des oeuvres d’avant-garde. Il se fixe à Madrid, en 1962, comme chef de l’Orchestre national d’Espagne avec lequel il voyage. Sa carrière internationale date de cette époque, où il est appelé à conduire également les orchestres de Berlin, Paris, Boston, Vienne, Munich, Lisbonne, Genève, Buenos Aires et Londres. En 1975, il est nommé directeur artistique et chef permanent de l’orchestre de Montréal. FRUMERIE (Gunnar de), compositeur et pianiste suédois (Nacka 1908 - Mörby 1987). Ses études se déroulent à Stockholm, Vienne et Paris (avec A. Cortot et Sabanejev) où il est fortement impressionné par la musique de Debussy. Une grande partie de son oeuvre est écrite pour le piano (Chaconne, 1932 ; Quatuor avec piano, 1941 ; Variations et Fugue, 1932 ; 4 concertos ; Ballade symphonique, 1943-44 ; concerto pour 2 pianos, 1953 ; trio avec piano no 2, 1952 ; 2e quatuor avec piano, 1963). Le style de Frumerie est d’un grand classicisme tempéré par des élans romantiques. FRYE (Walter), compositeur anglais du XVe siècle, actif vers 1450-1475. On ne connaît rien de ses origines. En 1457, il appartenait à la corporation des musiciens de Londres, mais la plupart de ses oeuvres se trouvent dans des manuscrits d’origine bourguignonne, ce qui laisse supposer que Walter Frye mena au moins une partie de sa carrière sur le continent. Sans doute plus jeune que Dunstable († 1453), Frye a continué à influencer les musiciens continentaux en leur apportant les « consonances » du style anglais. Il a laissé 3 messes, qui emploient la technique du cantus firmus (Summe Trinitati et Nobilis et pulchra [à 3 voix] et Flos regalis [à 4 voix]), 6 motets (5 étant à 3 voix) dont Sospitati dedit et l’Ave Regina, repris plus tard par Obrecht dans un motet et une messe du même nom, ainsi que quatre chansons. FUCHS (Aloys), musicologue et collectionneur autrichien (Razova, Moravie, 1799 - Vienne 1853). Fonctionnaire, également chanteur, il se constitua à partir de 1820 une précieuse collection d’autographes, de copies et d’éditions rares (Bach, Gluck, Haydn, Mozart, Beethoven et d’autres) dont la plupart devaient aller après sa mort à la Bibliothèque royale de Berlin et à celle de l’abbaye de Göttweig en Autriche. Cette collection possède toujours une valeur musicologique certaine, et il en va de même des divers catalogues thématiques dressés par Fuchs, en particulier de celui consacré à Haydn (manuscrit 1839, publié en fac-similé en 1968). FUCHS (Robert), compositeur et pédagogue autrichien (Frauenthal, Styrie, 1847 - Vienne 1927). Élève du conservatoire de Vienne (1865), il y enseigna l’harmonie (1875-1912) puis la théorie et le contrepoint, et fut organiste à la chapelle impériale de 1894 à 1905. Comme compositeur, il écrivit notamment deux messes, des pièces d’orgue, les opéras Die Königsbraut (1889) et Die Teufelsglocke (1893), ainsi que des oeuvres pour piano, de musique de chambre et de musique symphonique fort appréciées de Brahms, mais il obtint surtout le succès par ses sérénades, qui lui valurent d’être appelé « Serenaden-Fuchs ». Pédagogue de renom, il contribua à former d’innombrables élèves parmi lesquels Gustav Mahler, Hugo Wolf, Frauz Schreker et Jean Sibelius. FUENNLLANA (Miguel de), vihueliste et organiste espagnol aveugle (Navalcarnero v. 1500 - Valladolid v. 1579). Il publia en 1554 à Séville un recueil de tablatures, comprenant 182 pièces pour vihuela, intitulé Orphenica Lyra. Divisé en 6 livres, ce recueil comprend à la fois des oeuvres de sa composition et des transcriptions d’auteurs espagnols et étrangers de l’époque. FUGATO (ital. : « fugué »). Terme utilisé par extension pour dire « en style fugué », ou « (un peu) comme une fugue ». Traditionnellement, il indique qu’un passage d’un morceau (et non le morceau tout entier) est traité dans le style de la fugue, mais sans posséder toute la rigueur de celle-ci, par exemple sur le plan de la conduite des voix, ou encore sur celui de la définition et du traitement du sujet. Là aussi, la terminologie succéda à la pratique. Certains mouvements de structure binaire de la musique préclassique commencent dans le style fugué puis deviennent homophone, et/ou ne font participer au style fugué que leurs voix supérieures, non leurs basses : ils peuvent être (en particulier chez Franz Xaver Richter) ou non (en particulier chez les composi- teurs italiens ou viennois) intitulés fugato. En outre furent parfois appelées fugato, à cette époque, de véritables fugues (Michael Haydn). Avec le classicisme viennois, le procédé devint plus rare, et prit en général une autre fonction, celle de rendre plus dense et plus dramatique un développement de forme sonate ou un couplet downloadModeText.vue.download 397 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 391 central de rondo (finale du quatuor op. 55 no 1 de Haydn, finale de l’Héroïque de Beethoven). À partir de la même période, et avec la même fonction, on trouve des fugatos au sein de séries de variations pour le reste homophones (premier mouvement du quatuor op. 76 no 6 de Haydn, finale de l’Héroïque de Beethoven). Comme mouvements ou oeuvres avec fugato datant de ces années, on peut encore citer, de Dittersdorf, le finale du quatuor en la majeur ; de Mozart, les finales du quatuor K. 387, du concerto pour piano K. 459, de la Plaisanterie musicale K. 522 et de la symphonie Jupiter, ainsi que l’ouverture de la Flûte enchantée ; de Haydn, les finales de plusieurs trios pour baryton, du quatuor op. 64 no 5 (l’Alouette) et des symphonies nos 95 et 101 (l’Horloge) ; de Beethoven, les deuxièmes mouvements de la 7e symphonie et du quatuor op. 95, ainsi que les Variations Diabelli. Aux époques romantique et moderne, cet usage du fugato devait se poursuivre, jusqu’à parfois servir à « remettre en marche » un discours, en d’autres termes remédier à un fléchissement de l’inspiration. FUGÈRE (Lucien), baryton français (Paris 1848 - id. 1935). Il fit ses débuts au café-concert. Engagé à l’Opéra-Comique en 1877, il y resta trente-cinq ans, chantant plus de cent rôles du répertoire français et étranger. Il chanta, parmi les premiers, le père de Louise et Boniface dans le Jongleur de Notre-Dame. Dans le répertoire étranger, il faut mentionner Papageno, Figaro, Leporello et Falstaff. Il chanta jusqu’à l’âge de quatre-vingts ans et célébra cet anniversaire dans une représentation de la Basoche de Messager (rôle du duc de Longueville). L’art de Fugère était caractéristique du chant français à son meilleur : phrasé exemplaire, articulation parfaite, goût musical. Il était, en outre, un remarquable comédien. FUGUE. Genre de composition dont les deux caractères essentiels sont : 1o un style contrapuntique rigoureux, c’est-à-dire résultant exclusivement de la combinaison de lignes mélodiques, toutes d’égale importance, sans qu’aucune note puisse entrer dans un accord sans être d’abord justifiée mélodiquement ; 2o la prédominance d’un thème principal nommé sujet, présenté et développé successivement par chacune des voix selon des conventions définies. Nous disons bien « principal » et non pas « unique », comme on le fait souvent, car non seulement une fugue peut avoir plusieurs sujets (fugues multiples), ou exceptionnellement des sections hors thème (codas), mais encore elle présente et développe le plus souvent, outre le sujet, des thèmes secondaires appelés contre-sujets ; ceux-ci doivent répondre à des caractéristiques définies, qui seront exposées ciaprès. LE TERME « FUGUE ». Issu du latin fuga (« fuite »), il apparaît au XIVe siècle, souvent comme équivalent de chace ou chasse (en ital. caccia) pour désigner soit un canon, soit simplement un style caractérisé par le fait que les parties se répondent en présentant successivement le même dessin, évoquant par analogie la fuite du gibier devant le chasseur (d’où le nom). Longtemps le terme est resté vague et a désigné plutôt un style (dit « imitatif ») qu’une forme définie. Celle-ci s’élabore peu à peu au cours du XVIIe siècle par transformation de l’ancien ricercar, mais sans que le terme « fugue » le recouvre obligatoirement : c’est très progressivement que les deux notions en viennent à se rejoindre. Encore continuat-on longtemps à dénommer « fugues » des genres qui, au sens strict du mot, ne seraient plus aujourd’hui reconnus comme tels ; par exemple le canon, que Bach appelle encore « fugue canonique », et auquel il réserve une section dans son Art de la fugue, de même qu’à des variétés de fugues aujourd’hui disparues, telles que « fugues-miroirs », « contre-fugues », etc. L’exceptionnel développement donné par J.-S. Bach à la fugue a conduit les théoriciens à codifier après lui le genre à partir de son exemple, en dressant sous le nom de fugue d’école un « portrait-robot » d’un plan de fugue qui n’a jamais existé tel quel dans son oeuvre, mais qui réunit à peu près les principaux procédés qu’il emploie le plus fréquemment. C’est cette « fugue d’école » qui sera enseignée à partir du XIXe siècle dans tous les conservatoires, et à qui la fugue en tant que genre empruntera les principaux éléments de sa définition usuelle. LA FUGUE AVANT J.-S. BACH. Le principe de la fugue, dont on peut déjà déceler les prémisses dans certains motets polyphoniques du XIIIe siècle, se développe au XIVe et se généralise dans la chanson polyphonique des XVe et XVIe siècles, sous forme d’exposition successive d’un motif à chacune des voix, d’abord sur n’importe quel degré, puis selon une alternance plus stricte dans laquelle la dominante répond à la tonique et vice versa. Ce « balancier » peut dans certains cas entraîner une modification de la « réponse » par rapport au « sujet » (que l’on appelle respectivement dux et comes, c’est-à-dire « conducteur » et « compagnon »). Cette modification est dite mutation ; pratiquée ou non selon les cas, elle deviendra obligatoire dans la « fugue d’école ». L’entrée de chaque voix se règle au mieux des possibilités du contrepoint, que l’exposition précédente soit terminée ou non ; le deuxième cas, de beaucoup le plus fréquent, prendra plus tard le nom d’entrée en strette, et sera rejeté par l’exposition de la fugue d’école. Au XVIe siècle se répand, tant dans le motet religieux que dans la chanson profane, une forme dite « à sections », particulièrement employée quand la pièce polyphonique développe un modèle monodique. Dans ce cas, chaque phrase du modèle se voit successivement développée, sur les paroles correspondantes, formant une « section » dans laquelle la mélodie du modèle circule souvent d’une voix à l’autre, la section initiale (et parfois d’autres aussi) étant presque toujours soumise à la forme d’exposition présentée ci-dessus. Vers 1525, sous l’impulsion des Franco-Flamands de Venise (Willaert) se crée une forme instrumentale dite ricercare (« recherche ») qui n’est autre que la transposition sans paroles du motet à sections, mais dans laquelle les différents thèmes de section sont inventés sans référence à un texte. D’Italie, le ricercare se répand en Espagne (ricercar, tiento), en France (fantaisie), en Angleterre (fantasy, fancy), et trouvera sa plus grande expansion chez les organistes du nord de l’Allemagne et des pays voisins (Sweelinck, Buxtehude) qui en feront progressivement la fugue proprement dite. Ce dernier passage consistera surtout dans l’unification des sections (sujet unique au lieu de plusieurs thèmes accolés) et dans la suppression de l’entrée en strette au bénéfice de l’« entrée de fugue » laissant toujours terminer le sujet avant d’en présenter la réponse. Les entrées en strette ne disparaîtront pas pour autant, mais seront reportées à titre de nouveaux développements dans le cours de la fugue, et de préférence vers la fin, où elles formeront l’une des sections obligatoires de la fugue d’école. BACH ET LA FUGUE CLASSIQUE. Bien que tous les éléments de la fugue classique puissent déjà se retrouver, épars ou réunis, chez divers prédécesseurs de J.-S. Bach (Frescobaldi, Buxtehude, etc.), ce dernier maître a porté la fugue à un tel degré de développement que c’est toujours à lui qu’on se réfère pour définir le genre à son apogée, sans du reste le limiter aux pièces qui en portent le titre, car le style fugué lui est si naturel qu’il l’emploie en toutes occasions. La diversité de ses fugues est telle qu’on ne peut ici en esquisser la description. On se bornera à transcrire en le simplifiant le schéma type de ce « portrait-robot » que constitue, on l’a dit, la fugue d’école, appuyée sur l’exemple de Bach sans jamais correspondre exactement à aucun de ses modèles. 1.Exposition, ou présentations successives du thème par chacune des voix (en nombre variable, mais très souvent 4). Le thème s’appelle sujet lors de sa première présentation, réponse dans sa deuxième où tonique et dominante se « répondent » rédownloadModeText.vue.download 398 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 392 ciproquement. La réponse comporte normalement mutation (cf. ci-dessus) ; si par exception elle ne fait pas mutation, elle est dite réelle. On l’appelle tonale lorsque, avec ou sans mutation, elle se maintient sans moduler dans le ton initial du sujet. La continuation du sujet sous la réponse prend le nom de contre-sujet et constituera tout au long de la fugue un thème secondaire pouvant donner lieu aux mêmes développements que le sujet proprement dit ; exceptionnellement le contre-sujet peut même par anticipation accompagner déjà le sujet dans sa première présentation (fréquent chez Beethoven). L’exposition de fugue est en outre soumise à des règles minutieuses qu’on ne peut présenter ici, et qui font l’objet de véritables traités. 2.Développement, consistant en une série de sections appelées divertissements, obligatoirement constituées à partir soit du sujet, soit du contre-sujet, et qui sont périodiquement ponctuées d’entrées du sujet en divers tons, dont les deux principaux sont le relatif et la sous-dominante (on y ajoute parfois le 2e degré, considéré comme dominante de la dominante). La dernière section du développement est souvent une strette (combinaison du sujet avec lui-même en différentes présentations), et il peut même y en avoir plusieurs. 3.Réexposition ou dernière présentation du sujet dans le ton principal, parfois précédée d’une longue tenue ou pédale qui la met en valeur. La réexposition, qui peut être textuelle ou abrégée, conduit soit directement à la conclusion, soit à une « coda » plus ou moins développée. 4.Coda facultative, qui peut être soit un nouveau développement, de préférence dans un caractère différent, soit même un hors-d’oeuvre, abandonnant pour la première fois le thème, et parfois le style de la fugue, pour terminer de façon brillante ou expressive. FORMES PARALLÈLES DE LA FUGUE. Outre les fugues « normales » ci-dessus décrites, la fugue a engendré un grand nombre de formes dérivées. Une fuguette (en ital. fughetta) est une fugue régulière de petites dimensions. Un fugato est une ébauche de fugue insérée sans être menée à terme dans un morceau non fugué ; il est souvent réduit soit à une exposition (Beethoven, allegretto de la 7e symphonie), soit à une exposition suivie d’une strette. Une fugue multiple (double, triple, etc.) est une fugue à plusieurs sujets : le premier sujet donne d’abord lieu à une exposition et à un premier développement ; puis il s’interrompt et le deuxième sujet est présenté de la même manière ; après quoi les deux sujets se combinent. S’il y a 3 sujets ou plus, on fait de même pour chacun des suivants, chaque sujet nouveau devant se combiner avec tous les précédents. La fugue canonique (fuga canonica), encore appelée telle par Bach et incluse par lui dans son Art de la fugue, n’est plus aujourd’hui considérée comme une fugue, mais comme un canon. D’autres formes de fugue, recherchant des combinaisons sophistiquées, ont été pratiquées, surtout au XVIIIe siècle, à titre de démonstrations de virtuosité d’écriture. Citons la contre-fugue ou fugue a rovescio, dans laquelle la réponse est le renversement du sujet (Bach lui consacre une section dans son Art de la fugue) ; la fugue-miroir (même remarque), écrite de telle sorte qu’on puisse la lire soit telle quelle, soit en renversement intégral (en posant le papier verticalement sur un « miroir » horizontal, on doit lire une nouvelle fugue, tout aussi correcte que la première, en changeant seulement les clefs, et, s’il y a lieu, les altérations et l’ordre des voix) ; la fugueécrevisse (cancrizans), dont le sujet peut se lire tantôt normalement, tantôt en commençant par la fin ; la fugue par augmentation, ou par diminution, ou par les deux à la fois, dans laquelle interviennent des présentations du sujet en augmentation ou en diminution par rapport à la présentation régulière initiale ; la fugue-strette, dans laquelle la réponse entre avant la fin du sujet (plusieurs contre-fugues de l’Art de la fugue sont aussi des fugues-strettes), etc. Toutes les combinaisons possibles restent ouvertes à l’imagination. LA FUGUE APRÈS BACH. Considérée par l’époque de la musique « galante » comme un genre « passéiste », et, bien qu’enseignée aux futurs compositeurs à titre d’exercice de plume, la fugue a cessé à peu près alors d’être employée ailleurs que dans la musique d’église, où, sous l’influence de Haendel plutôt que de Bach, elle s’est installée comme forme traditionnelle de certains morceaux brillants (Cum sancto spiritu, Amen, etc.) : Berlioz la raillera à ce titre dans sa Damnation de Faust. Mozart en découvre l’intérêt vers 1782, quand Van Swieten lui apporte la révélation de J.-S. Bach ; il l’adopte alors et l’intègre à son style, qui s’en trouve singulièrement renouvelé. Haydn l’avait déjà précédé, en particulier dans trois des finales de ses quatuors op. 20 (1772), et Beethoven romantise la fugue en accroissant le dramatisme et la complexité (fugue de la sonate Hammerklavier, Grande Fugue op. 133). Cependant, la fugue reste exceptionnelle chez les romantiques et postromantiques, encore que beaucoup la cultivent de manière quasi marginale (Schumann, Liszt, Franck, Brahms). Peu prisée de l’esthétique debussyste, elle réapparaît vers le milieu du XXe siècle (Stravinski, Honegger) et se transforme pour s’adapter à l’affaiblissement des structures tonales, abandonnant ses règles strictes pour ne conserver que la rigueur formelle de son style aisément reconnaissable (Bartók, Schönberg). FUKUSHIMA (Kazuo), compositeur japonais (Tokyo 1930). Rejoignant en 1953 un studio de musique expérimentale formé par Toru Takemitsu et Yuasa dans le cadre de la Sony Corporation, le Jikken Kobo, il y compose des oeuvres pour bande magnétique. Il se fait connaître avec des oeuvres comme Ekagura (1958), pour flûte alto et piano, pièce caractéristique de sa manière de transposer sur la flûte moderne (instrument qu’il affectionne) les inflexions, les sonorités et les modes de jeu du shakuhachi, flûte traditionnelle japonaise (on sait le rôle prédominant que tient la flûte dans cette musique, par rapport aux instruments à archet). En 1961, Fukushima est invité à Darmstadt pour des conférences sur la musique japonaise. Après des séjours en Occident, il se fixe à Tokyo comme professeur de musique au Ueno Gakuen College. On peut encore citer dans son oeuvre : Hikyo (1962), pour flûte, cordes et percussions ; Mei (1962), et Kadha no4 (1963), pour flûte solo ; Sui-rin (1967), pour 2 pianos et 2 percussions ; Tsuki-shiro (1965), pour piano, harpe, percussions et 52 cordes ; Shun-san (1969), pour flûte solo ; et Sui-en (1972), pour piano. FURIANT. Danse populaire tchèque au mètre changeant de 2/4 en 3/4, portée au rang de forme musicale par Smetana dans la première Danse tchèque pour piano, de même que par Dvořák en l’orchestrant. Elle est proche du galop viennois, mais infiniment plus complexe par les figures de danse collective qu’elle propose. FÜRSTENAU, famille de musiciens allemands. 1.Caspar, flûtiste et compositeur (Münster 1772 - Oldenburg 1819). 2.Anton Bernhard, flûtiste et compositeur, fils du précédent (Munster 1792 Dresde 1852). Il fit en 1815 la connaissance de Weber à Prague, et l’accompagna à Londres en 1826. Membre de l’orchestre de Dresde à partir de 1820, il laissa deux Méthodes et de nombreuses pièces pour son instrument. 3.Moritz, flûtiste, compositeur et écrivain, fils du précèdent (Dresde 1824 - id. 1889). Il succéda à son père comme premier flûtiste de l’orchestre de Dresde en 1852, et laissa d’importants ouvrages sur l’histoire de la vie musicale dans cette ville. downloadModeText.vue.download 399 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 393 FURTWÄNGLER (Wilhelm), chef d’orchestre et compositeur allemand (Berlin 1886 - Baden-Baden 1954). Il étudia la composition avec J. Rheinberger et M. von Schillings à Munich, le piano avec Conrad Ansorge à Berlin, et, après avoir été chef d’orchestre à l’opéra de Strasbourg (1910), directeur de la musique à Lübeck (1911-1915) et chef d’orchestre à l’opéra de Mannheim (19151920), il succéda en 1922 à Arthur Nikisch à la tête de l’orchestre du Gewandhaus de Leipzig tout en prenant la direction de la Philharmonie de Berlin, avec laquelle il devait rester associé jusqu’à sa mort : d’où sa gloire et sa position unique, qui firent de lui le chef allemand le plus prestigieux de sa génération, et un des trois ou quatre plus grands de son temps. Directeur musical du festival de Bayreuth en 1931, il accepta diverses fonctions officielles à l’arrivée de Hitler au pouvoir, mais, très vite, il se heurta aux autorités, et, le 4 décembre 1934, se démit de tous ses postes officiels. Quatre mois plus tard, en avril 1935, il faisait sa réapparition dans un programme Beethoven (qu’en mai 1947 il devait redonner tel quel pour son premier concert à Berlin après la guerre), assura la direction musicale de Bayreuth en 1936-37, et jusqu’à la chute du régime, sans pouvoir se résoudre à émigrer, s’efforça de concilier une attitude qu’il voulait apolitique, les services qu’il estimait pouvoir rendre à la population grâce à la musique, ses actes de courage, ce qu’on voulut le voir faire et ce qu’inévitablement il lui fallut supporter. Après la guerre, il reprit ses tournées à travers le monde, et dirigea notamment aux festivals de Lucerne et de Salzbourg. Peu de chefs surent comme lui allier à l’intensité expressive le geste souverainement unificateur. Grand maître de la transition, il excella dans Beethoven, dans Wagner, dans Brahms, dans Bruckner, dans des oeuvres comme la 4e symphonie de Schumann, d’une façon générale dans tout le répertoire allemand de Haydn et Mozart à Hindemith et à Richard Strauss, et aussi bien dans le domaine symphonique que dans l’opéra. Il a laissé de nombreux disques, et on en édite toujours de nouveaux en provenance des archives les plus diverses : depuis sa mort, sa réputation n’a subi aucune éclipse. Il fut également compositeur (un concerto pour piano, 2 sonates pour piano et violon, un quintette avec piano, 3 symphonies, un Te Deum et 2 choeurs pour Faust) et auteur de plusieurs livres et écrits très révélateurs de sa personnalité : l’édition française la plus complète et la plus récente porte le titre global de Musique et Verbe (1979). FUSA. Valeur de note apparue au XVe siècle par subdivision de la semi-minime. Celle-ci ayant l’aspect d’une noire en écriture losangée, on forma la fusa en adjoignant à sa hampe un crochet angulaire qui lui fit prendre parfois le nom de crochuta. Elle est devenue notre « croche ». Dans certains cas, la fusa peut être évidée. Elle prend alors l’aspect d’une blanche munie d’un crochet. La fusa blanche (de même que ses subdivisions) est encore employée de temps à autre jusqu’au XVIIIe siècle lorsque la semi-minime qu’elle divise est blanche elle-même (l’équivalent serait pour nous la noire dans une mesure à 3/2 ou à C barré). On trouve parfois la traduction française « fuse ». FUX (Johann Joseph), compositeur, théoricien et pédagogue autrichien (Hirtenfeld, Styrie, 1660 - Vienne 1741). Il fit ses études à Graz, d’abord au collège des jésuites (1680), puis au Ferdinandeum (1681), mais il n’est pas sûr qu’il soit allé les poursuivre en Italie. Remarqué par l’empereur Léopold Ier, il se rendit à Vienne, où, en 1696 au plus tard, il devint organiste à l’église des Écossais (Schottenkirche). Il fut ensuite vice-maître (1705) et maître (1712) de chapelle à Saint-Étienne, vice-maître (1713) et maître (1715) de chapelle à la cour. Il devait occuper ce dernier poste, auquel il succéda à une lignée d’Italiens, jusqu’à sa mort, en gros durant tout le règne de l’empereur Charles VI, et, durant ces vingt-six années, donner à la chapelle impériale un très grand éclat. Représentant le plus éminent du baroque autrichien en musique, il laissa plus de 500 oeuvres qui font de lui à la fois un tenant de la tradition polyphonique héritée de Palestrina et un des fondateurs de la musique autrichienne du XVIIIe siècle. Sa musique de clavier découle de Froberger et annonce Gottlieb Muffat. Dans sa musique instrumentale, il retint notamment la leçon de Corelli : son principal recueil en ce domaine fut le Concentus musicoinstrumentalis, imprimé à Nuremberg en 1701 (il s’agit du seul recueil de lui publié de son vivant dont des exemplaires aient survécu). On lui doit aussi une dizaine d’oratorios, une vingtaine d’opéras dont Costanza e Fortezza, exécuté à Prague en 1723 pour le couronnement de Charles VI comme roi de Bohême, et de très nombreuses oeuvres religieuses a cappella (comme la fameuse Missa Canonica que Michael Haydn devait copier de sa main en 1757) ou dans le style concertant. Sa célébrité auprès de la postérité lui vint surtout de son Gradus ad Parnassum, sans doute le plus remarquable traité de contrepoint jamais écrit : paru en 1725 en latin sous forme d’un dialogue entre maître (Palestrina) et élève (Fux) suivi d’une discussion du style de composition libre, il fut traduit en allemand en 1742, en italien en 1761, en français en 1773 et en anglais en 1791. Joseph Haydn y apprit presque seul, en autodidacte, les lois du métier, avant de le mettre lui-même entre les mains de divers élèves, dont Beethoven. Des géné- rations de compositeurs, surtout autrichiens, se formèrent directement ou indirectement grâce au Gradus, à commencer par les principaux élèves de Fux, parmi lesquels Gottlieb Muffat, Georg Christoph Wagenseil et Jan Dismas Zelenka. Particulièrement intéressants sont les exemplaires du Gradus possédés en leur temps, et annotés par eux à des fins personnelles ou didactiques, par Gregor Joseph Werner, le Padre Martini, Léopold Mozart et Joseph Haydn, cités ici dans l’ordre chronologique de leurs naissances : ces exemplaires annotés reflètent en effet les vues différentes qu’on pouvait avoir du Gradus au fur et à mesure qu’on s’avançait dans le XVIIIe siècle. Devaient en outre se fonder sur le Gradus d’autres traités comme ceux d’Albrechtsberger et de Cherubini. Cet ouvrage devait valoir à Fux, à partir du siècle romantique et dans certains milieux, une réputation de sécheresse et de pédantisme parfaitement injustifiée. Au contraire, tant par le Gradus que par ses oeuvres musicales, il fut de ceux qui jetèrent pour le futur classicisme viennois, en particulier pour sa façon légère et dense à la fois de traiter le contrepoint, les bases les plus solides. downloadModeText.vue.download 400 sur 1085 G G. 1. Lettre par laquelle fut désignée la note sol dans la notation musicale du Moyen Âge. Elle indique toujours le sol dans les pays de langue anglaise ou de langue allemande, où les syllabes de Guy d’Arezzo ne sont pas adoptées. Voici, dans trois langues, l’appellation des différentes altérations de cette note : français anglais allemand sol bémol G flat Ges sol double bémol G double flat Geses sol dièse G sharp Gis sol double dièse G double sharp Gisis 2. Ce fut aussi le signe de la clef de sol qui s’est peu à peu transformé en sa représentation actuelle. GABLER (Joseph), facteur d’orgues allemand (Ochsenhausen 1700 - Bregenz 1771). Il est surtout connu pour avoir réalisé en Souabe deux instruments très importants qui se sont conservés jusqu’à aujourd’hui, dans les abbayes bénédictines d’Ochsenhausen (1729) et de Weingarten (17371750). Dom Bédos de Celles donne une ample description de ce dernier instrument dans son Art du facteur d’orgues. GABRIELI (Andrea), compositeur italien (Venise v. 1510 - id. 1586). Ses débuts sont assez obscurs, mais il fut très probablement l’élève à Venise d’Adrien Willaert. Il fut chantre à la basilique San Marco, puis organiste à Vérone, et, vers 1557, organiste à l’église San Jeremia à Venise. Dès cette époque, il briguait le poste d’organiste à San Marco, mais s’en trouva une première fois évincé par Claudio Merulo. Ce fut en 1585 seulement, après le départ de Merulo pour Parme, qu’il put partager ces fonctions avec son neveu Giovanni. En 1562, il rencontra Roland de Lassus à la cour de Bavière, et poursuivit ses voyages jusqu’en Bohême et en Autriche. Puis il quitta l’entourage d’Albert de Bavière et revint à Venise en compagnie de Lassus. Il commença dès lors à écrire un certain nombre de musiques de circonstance, se chargeant par exemple des fêtes pour célébrer la victoire de don Juan d’Autriche à Lépante (1571). Au Teatro Olimpico à Vicence eut lieu en 1585 la représentation de l’OEdipe de Sophocle dont les choeurs furent l’oeuvre d’Andrea Gabrieli. Surtout compositeur de musique religieuse, Gabrieli a néanmoins écrit environ 250 madrigaux, d’abord à 3 voix, mais aussi faisant appel à des effectifs plus importants. Le recueil de 1587 contient des madrigaux allant de 6 à 16 voix. Profitant des excellents instrumentistes dont Venise pouvait s’enorgueillir, ainsi que des lieux dont les possibilités acoustiques pouvaient être exploitées, surtout à San Marco, il se lança dans la composition d’oeuvres concertantes, dans la conquête de l’espace sonore, employant souvent deux choeurs (ou plus), dialoguant entre eux et placés à une certaine distance l’un de l’autre dans les deux tribunes opposées de l’édifice. Avec son neveu, il devait porter cette technique des cori spezzati à son apogée. Dans les oeuvres vocales, il faut remarquer un plus grand souci de clarté du texte chanté par rapport aux musiciens de l’école franco-flamande. Les oeuvres instrumentales, où le style fugué domine (Ricercari, Canzoni alla francese), sont écrites pour toutes sortes d’instruments. Le second genre est illustré notamment par une Battaglia, basée sur la célèbre composition de Cl. Janequin (Bataille de Marignan). GABRIELI (Giovanni), compositeur italien (Venise 1557 - id. 1612). Neveu d’Andrea Gabrieli, il fut son élève avant de faire, de 1575 à 1579, un voyage à Munich où il rencontra Roland de Lassus. Il revint à Venise en 1580 et y resta jusqu’à sa mort. En 1585, il partagea avec son oncle la charge de premier organiste à San Marco et, depuis cette date jusqu’en 1607, il eut également des fonctions à la Scuola San Rocco. Ses oeuvres à double choeur sont un reflet de l’architecture de San Marco. Parmi ses nombreux élèves célèbres, il faut citer surtout Heinrich Schütz qui séjourna à Venise de 1609 à 1613. Giovanni Gabrieli avait une immense admiration pour son oncle. Il en fut toute sa vie le défenseur et fit habituellement publier les oeuvres de ce dernier avant les siennes. À de nombreux titres, on peut considérer Giovanni comme un précurseur. En ce qui concerne les formes musicales, son architecture est particulièrement solide, et contraste avec le goût italien de l’époque pour les musiques très ornées. Sur le plan de l’écriture, il a introduit à travers un contrepoint savant et rigoureux un style parfois concertant où les timbres prennent toute leur valeur. Les parties qu’il a écrites, pour les cornets à bouquin ou pour les violons (dont le répertoire était encore à ses débuts), sont des exemples remarquables de son talent dans ce domaine, ainsi qu’une indication de l’excellence des instrumentistes vénitiens dont il disposait. On doit le considérer à juste titre comme l’un des précurseurs de l’orchestration, cela bien qu’il ait laissé le choix des instruments aux interdownloadModeText.vue.download 401 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 395 prètes en indiquant généralement con ogni sorte di stromenti sur la page de titre de ses publications. En adoptant souvent le genre de la canzone alla francese, ces compositions restent d’abord assez proches du modèle, avec leur rythme dactylique initial (longue-brève-brève), mais peu à peu s’en écartent pour devenir de plus en plus concertantes. Le titre n’est plus qu’un point de départ et cette évolution est nette dans les Canzoni e Sonate de 1615 par rapport aux Sacrae symphoniae de 1597. Dans le domaine de la musique vocale religieuse, Gabrieli a laissé des motets (faisant souvent appel à un nombre considérable de voix), des magnificat, des litanies, des mouvements de messe. Pour orgue, il a composé des Intonationi publiés avec ceux de son oncle en 1593. GABRIELLI (Caterina), soprano italienne (Rome 1730 - id. 1796). Fille du cuisinier du prince Gabrielli et connue sous le sobriquet de La Goghetta, elle travailla avec Porpora, dont elle fut une des rares élèves féminines, et fit ses débuts à Venise en 1755 dans Antigona de Galuppi. Elle créa plusieurs opéras italiens de Gluck, à Vienne, entre 1755 et 1760, et chanta avec succès dans toute l’Europe, où sa beauté lui valut des aventures sentimentales avec de nombreuses têtes couronnées. Sa soeur, Francesca, fut une chanteuse de second plan qui lui donna souvent la réplique dans les rôles de confi- dente. GABRIELLI (Domenico), violoncelliste et compositeur italien (Bologne v. 1659 - id. 1690). Célèbre virtuose du violoncelle, il fut surnommé il Minghino del violoncello. Il exerça son métier de violoncelliste à Bologne et à Modène. Il écrivit onze opéras qui furent joués à Vérone, Padoue et Venise. La plus célèbre de ces oeuvres fut Cleobulo (Bologne, 1683). Il a également laissé trois oratorios, des cantates à voix seule et de la musique instrumentale pour violon et violoncelle. L’ensemble de son oeuvre, sans pouvoir prétendre à figurer au tout premier plan, est pourvu de maintes qualités d’esprit et d’invention. GABURO (Kenneth), compositeur et pédagogue américain (Somerville, New Jersey, 1926). Il a fait ses études à l’Eastman School of Music, à l’académie Sainte-Cécile de Rome (avec Petrassi) et à l’université de l’Illinois, et a partagé sa carrière entre l’enseignement et la composition, fondant en 1964 le New Music Choral Ensemble. Son intérêt pour l’électronique et pour l’exploration des propriétés acoustiques, physiologiques et structurelles du langage se reflète notamment dans Lingua I-IV (1965-1970), oeuvre de théâtre musical d’une durée de six heures. GABUS (Monique), femme compositeur française (Cambrai 1924). Élève de Jean Gallon, Tony Aubin et Olivier Messiaen au Conservatoire de Paris, elle y a obtenu des prix d’harmonie et de composition. Éprise de simplicité et d’intériorité, elle a écrit des oeuvres symphoniques et chorales, de la musique de chambre, des mélodies, des vocalises, ainsi que divers recueils de pièces pour piano destinées à la jeunesse. Citons en particulier la Nuit obscure, cantate pour soprano, choeur et orchestre sur un texte de saint Jean de la Croix, créée en janvier 1961 par Albert Wolff au concert marquant ses cinquante ans de direction d’orchestre. GACE BRULE (Gaces Brulez), trouvère français (aux environs de Meaux v. 1159 - ? v. 1213). D’origine champenoise et de petite noblesse, il fut l’un des plus importants trouvères de son époque. Il eut pour maître Conon de Béthune et fit partie de l’entourage de Marie de France et de Louis de Blois. Il a laissé une abondante production, environ 70 pièces dont la plupart sont notées. Ses chansons sont d’une grande aisance mélodique. On peut citer parmi les titres, Contre tems que voy frimer, les Oisillons de mon pais et de bone Amour, Blaus m’est estez. Pour un aperçu de son art, on peut consulter une édition moderne en fac-similé du Chansonnier Cangé par J. Beck (le Chansonnier des troubadours et des trouvères, no 1, Paris, 1927). GADE (Niels Wilhelm), compositeur danois (Copenhague 1817 - id. 1890). Il fut le premier compositeur important du Danemark après D. Buxtehude. Fils d’un modeste luthier, il étudia le violon avec F. T. Wexhall, un élève de L. Spohr, et la composition avec C. Weyse et A. P. Berggreen ; le succès de sa première oeuvre, l’ouverture d’Ossian (1840), attira sur lui l’attention de F. Mendelssohn et de L. Spohr, ce qui lui permit d’obtenir une bourse pour étudier à Leipzig. Il se lia avec R. Schumann et F. Mendelssohn, devint professeur au conservatoire de cette ville, puis seconda Mendelssohn au Gewandhaus (il y créa le concerto de violon de son ami pendant la saison 1845-46) avant de lui succéder, à sa mort. En 1848, Gade retourna à Copenhague, où il prit la tête, en 1850, du Musikforeningen et fonda avec J. P. E. Hartmann et H. S. Paulli, en 1866, le Conservatoire royal. Jusqu’à sa mort, il occupa une place de plus en plus grande dans la vie musicale de son pays qu’il marqua de son conservatisme et de l’esthétique de Leipzig. Ces caractères s’expriment dans son oeuvre par un délicat romantisme, légèrement teinté d’un discret lyrisme danois. Son style, élégant et aisé, et son expression pleine de mesure marquent ses meilleures oeuvres, tels la 4e de ses huit symphonies (1850), le ballet Et Folkesagn (1853), l’opéra-ballet Elverskud (1853), et sous-tendent ses cinq ouvertures, cantates et lieder, tandis que sa musique de chambre, ses pièces pour piano l’apparentent aux meilleurs représentants de la musique de salon. GAFORI (Gaffurio, Franchino), théoricien et compositeur italien (Lodi 1451 - Milan 1522). Il vécut successivement à Mantoue, Vérone, Gênes et Naples. Il fut l’élève de Godendach et fut ordonné prêtre vers 1473. De 1478 à 1480, il vécut à Naples et fit la connaissance de Johannes Tinctoris ; il y publia son Theoricum opus, musicae disciplinae (1480). Chassé de Naples par la peste, il devint maître de chapelle à la cathédrale de Milan (1484). Il y resta jusqu’à la fin de ses jours, publiant ses autres traités : Practica musicae (1496), Angelicum ac divinum opus musicae (1508), De Harmonia musicorum instrumentorum opus (1518). Un autre ouvrage parut à Turin en 1520 : Apologia adversum ... adversus Joannem Spatarium. Gafori se révèle comme le précurseur de Zarlino dans sa façon de concevoir la musique du point de vue harmonique. En tant que compositeur, il a laissé des oeuvres de musique d’église (13 messes, stabat mater, litanies, motets, antiennes, hymnes, 11 magnificat) ainsi qu’un petit nombre de pièces profanes. GAGLIANO, famille de musiciens italiens. Giovanni Battista Zanobi, dit Da Gagliano (Florence 1594 - id. 1651).Il remplaçait son frère aîné Marco à San Lorenzo de Florence lorsqu’il s’absentait, ou était écarté de l’office par sa santé fragile, et lui succéda à sa mort en 1643 comme maître de chapelle à la cathédrale et à la cour. Contrairement à son frère, il n’était pas prêtre. Il n’est guère cité dans les histoires de la musique que pour avoir participé (avec Caccini) à la composition d’une Rappresentazione di Martirio di Santa Agata donnée à San Giorgio de Florence le 10 février 1622, avant d’être reprise le 22 juin suivant chez le cardinal de Médicis. La musique de cet oratorio est perdue. Marco Zanobi, dit Da Gagliano, frère aîné du précédent (Florence 1582 - id. 1643). Il est ordonné prêtre et devient l’élève de Luca Bati, maître de chapelle de San Lorenzo de Florence (1595-1608) avant de prendre sa place à sa mort. En 1611, il est musicien attitré du grand-duc de Toscane et, tandis qu’il s’élève régulièrement dans la hiérarchie ecclésiastique, il fonde en 1607 l’Accademia degl’Elevati, downloadModeText.vue.download 402 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 396 qui, comme celle du comte Bardi, réunit chanteurs, compositeurs et amateurs. À partir de 1607, il est protégé du cardinal Ferdinand de Gonzague avec lequel il entretient une intéressante correspondance parvenue en partie jusqu’à nous. En décembre de cette même année, il se rend à Mantoue pour y faire représenter La Dafne, son premier opéra, jugé par Jacopo Peri la meilleure mise en musique jamais tentée du poème de Rinuccini. Cette oeuvre courte contient en particulier des danses fort attrayantes, et sa préface rédigée pour la publication reste un document fondamental sur l’opéra à ses débuts. Gagliano y combat notamment le goût des prouesses vocales et exige une parfaite diction de ses chanteurs. Il y manifeste la plus grande admiration pour les opéras de Peri ainsi que pour l’Arianna (1608) de Monteverdi. Il précise quels sont les usages instrumentaux en matière d’accompagnement et recommande l’emploi d’une sinfonia préliminaire... pour obtenir le silence du public. Il semble que La Dafne de Gagliano ait été donnée ensuite à Florence au cours du carnaval de 1610. Après avoir composé à Mantoue une série d’oeuvres pour la semaine sainte, Gagliano revient à Florence en avril 1608. Puis, de nouveau à Mantoue, il travaille sur L’Idropica, (Guarini) aux côtés de Monteverdi, S. Rossi, Gastoldi. À Florence, il compose, pour les cérémonies du mariage de Ferdinand Gonzague avec une Médicis (1616), une sorte d’allégorie mythologique célébrant l’union du sang des deux maisons (La Liberazione di Tirteco e d’Arnea autori del sangue toscano). En 1624 et 1626, suivent deux oratorios sacrés (mais représentés sur scène), dont la musique n’a pas été conservée (La Regina Sant’Orsola et Istoria di Judit). On possède une partie du livret et de la musique d’un dernier opéra, La Flora, représenté à l’occasion du mariage du duc de Parme (Farnèse) et de Marguerite de Médicis (1628) au palais Pitti. En dehors des Responsoria publiées à Venise en 1630, on ne sait plus rien de l’activité ultérieure de Gagliano. On pense que, après 1624, sa santé, qui avait toujours été fragile, l’empêcha de poursuivre ses activités. Il est enterré à San Lorenzo de Florence le 26 février 1643. Très sévère pour lui-même, il n’avait publié que peu d’oeuvres. Dans le domaine du madrigal, il laisse 6 livres à 5 voix. Les Musiche a 1 - 3 voci contiennent quelques morceaux admirables d’une grande expressivité. La monodie à voix seule, Valli profonde, doit être considérée comme une des plus réussies de tout le répertoire de l’époque. GAGNEBIN (Henri), compositeur suisse (Liège 1886 - Genève 1977). Après des études à Lausanne, Berlin et Paris (Schola cantorum avec Vincent d’Indy et Blanche Selva), il a été organiste à la Rédemption à Paris (1910-1916), puis à Saint-Jean de Lausanne (1916-1925). Directeur du conservatoire de Genève de 1925 à 1957, il y a enseigné jusqu’en 1961. Il fonda en 1938 le concours international de Genève, qu’il présida jusqu’en 1959. On lui doit notamment quatre symphonies (1911, 1921, 1955, 1970), des pièces symphoniques, de la musique de chambre. Spécialiste de la musique religieuse protestante, il a écrit dans cet esprit l’oratorio Saint François d’Assise (1933), le Requiem des vanités du monde (1938), deux Suites d’orchestre sur des psaumes huguenots (1950 et 1966), les Mystères de la foi d’après Francis Jammes (1958), des pièces d’orgue. Il a aussi écrit des livres, dont Musique, mon beau souci (Neuchâtel, 1969) et participé à l’édition complète des oeuvres de Claude Goudimel. GAGNEPAIN (Bernard), musicologue français (Sully-sur-Loire 1927). Après avoir suivi des études littéraires et musicales, il participa au Séminaire européen de musique ancienne de Bruges dont il devint directeur en 1967. Spécialiste de la musique française ancienne, auteur d’une thèse sur Jean Servin comportant la mise en partition de l’oeuvre entière de ce compositeur, il est assistant au Conservatoire national supérieur de musique pour l’histoire de la musique préclassique et, en même temps, chargé de cours à la Sorbonne pour la musique de la Renaissance et la paléographie musicale. Il a collaboré à des ouvrages collectifs, tels que la Musique sous la direction de Norbert Dufourcq (Paris, 1965) et l’Encyclopédie des musiques sacrées (Paris, 1969), ainsi qu’à des dictionnaires et à des encyclopédies musicales françaises ou étrangères, et publié notamment la Musique française du Moyen Âge et de la Renaissance (1961) et Histoire de la musique au Moyen Âge2. XIII-XIVe siècle (1996). GAGNEUX (Renaud), compositeur français (Paris 1947). Élève d’Alfred Cortot pour le piano et pour la composition de Henri Dutilleux, Tony Aubin et Karlheinz Stockhausen, grand prix de la musique de chambre de la S. A. C. E. M. en 1978, il est carillonneur au beffroi de la mairie annexe du 1er arrondissement de Paris. Il a écrit un certain nombre d’indicatifs pour FranceMusique, ainsi que la musique originale de la série de quarante courts métrages Encyclopédie du cinéma français. Parmi ses oeuvres : Endeka pour orchestre (1971) ; Rolling Music pour orchestre (1972) ; D’après, musique électroacoustique (1972) ; Dédale et Icare, qui relève du théâtre musical (1975) ; Messe pour instruments, choeurs et soprano (1976, création cette même année au festival d’Avignon), seconde version sous le titre de Messe de requiem pour grand orchestre, solistes, choeurs et maîtrise d’enfants ; Malkruth I, II, III, IV, musique électroacoustique et instrumentale (1978) ; Dix Personnages en quête d’auteur, montage-collage pour dix musiciens (1980) ; Te Deum (1987) ; l’opéra Orphée (Strasbourg, 1989) ; Trois Mouvements pour orchestre (1992), un Concerto pour violoncelle (1990-1993). GAGNON (Ernest), organiste et folkloriste canadien (Québec 1834 - id. 1915). Il fait ses études au Dominion College de Montréal, à Paris avec Durand et Herz, puis est organiste à la basilique de Québec (1864-1876). Il est l’un des meilleurs folkloristes canadiens français. Ses Chansons populaires du Canada (1865) ont eu un immense rayonnement. Il a harmonisé un grand nombre de mélodies populaires et de noëls du Québec. GAILLARDE. Danse rapide probablement d’origine italienne, pratiquée surtout aux XVIe et XVIIe siècles. De rythme ternaire, dansée sur cinq pas, elle a été introduite en France par Pierre Attaignant et Claude Gervaise. Au XVIIe siècle, une confusion s’est établie avec la gallarda espagnole, variation continue sur un groupe de huit à dix mesures (Cabanilles en composa plusieurs). Le genre de la gaillarde a connu une floraison remarquable en Angleterre : maintes pièces pour clavier du Fitzwilliam Virginal Book sont des gaillardes, et on en trouve aussi dans les airs au luth de John Dowland. Dans les suites instrumentales de l’époque, la gaillarde succède et s’oppose souvent à la pavane tout en étant fondée sur le même matériau. GAJARD (dom Joseph), musicologue français (Sonzay, Indre-et-Loire, 1885 Solesmes, 1972). Profès de l’abbaye de Solesmes en 1911, il succéda en 1914 à dom Mocquereau comme maître de choeur, et participa activement à la résurrection du chant grégorien. On lui doit tout ou partie de l’édition du deuxième volume du Nombre musical grégorien (1914), des Matines de la semaine sainte et de Noël, d’un nouvel Antiphonaire monastique, d’un Office de Noël, d’un Office des défunts, etc. Directeur de la Paléographie musicale en 1930, de la Revue grégorienne en 1946 et des Études grégoriennes en 1954, dom Gajard a également assumé la responsabilité de tous les enregistrements de disques grégoriens à partir de 1930. downloadModeText.vue.download 403 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 397 GAL (Hans), compositeur et musicologue autrichien (Brunn an Gebirge 1890 - Édimbourg 1987). Élève de Mandyczewski et de Guido Adler, il composa dans la première partie de sa carrière plusieurs opéras (Der Zauberspiegel, 1930), et dirigea jusqu’en 1933 le conservatoire de Mayence. En 1938, il s’installa en Écosse, et de 1945 à 1957 enseigna à l’université d’Édimbourg. Il a notamment écrit un Brahms (1961) et Franz Schubert oder die Melodie (1970). GALANT (style). Terme s’appliquant à une esthétique musicale caractérisant une partie de la production des années 1730-1780, mais valable également pour certaines oeuvres antérieures ou postérieures. Le mot « galant » - de l’ancien verbe « galer » - signifiait une manière extravertie de s’exprimer, « être vif, joyeux, se réjouir », et le style galant correspondait moins à un mode d’écriture qu’à un état d’esprit. Ses aspects extérieurs furent la renonciation à la polyphonie, l’accent mis sur la séduction mélodique, la variation ornementale, la décoration, et aussi la virtuosité conçue comme un but en soi. D’où, comme définition possible, la « rencontre entre le souci du prestige technique et l’obligation de rester plaisant » (J. Massin). Le style galant s’oppose donc, sans toutefois en être nécessairement totalement absent, à Bach et à Rameau en tant que derniers grands représentants de l’ère baroque, à l’Empfindsamkeit d’un Carl Philipp Emanuel Bach, à Gluck, au travail de pionnier de Joseph Haydn dans les années 1760, ou encore au Sturm und Drang des compositeurs autrichiens des alentours de 1770. Parmi ses représentants, un certain Telemann, beaucoup de musiciens de cour, et surtout Jean-Chrétien Bach, son plus parfait porte-parole sans doute. Historiquement et esthétiquement, il fallut dépasser le style galant sans pour autant en ignorer les acquisitions. Ce fut essentiellement l’oeuvre de Mozart et de Joseph Haydn, qui sacrifièrent au style galant, mais dont le style de maturité (à partir de 1780) est inconcevable sans ce phrasé articulé, cette polarisation tonique-dominante, ce souci des contrastes et ce dramatisme tonal qui sont autant de sublimations des recettes du style galant, et qui rendent, en fin de compte, sa genèse inséparable de celle de ces genres dramatiques entre tous que sont le concerto pour piano et l’opera buffa italien. En d’autres termes, le style galant, bien que, par de nombreux traits, d’essence aristocratique et expression de l’art de vivre de l’aristocratie, résulta, entre autres, de l’apparition d’un public nouveau, le public bourgeois, qui, à l’Opéra ou au concert, souhaitait avant tout être diverti ; or, comme l’a fait remarquer Adorno, ce désir de divertissement eut comme effet dialectique positif, par opposition à la relative unité de facture du baroque, une diversification de la matière première « composée », aboutissant finalement à cette relation dynamique entre unité et diversité sur laquelle devait se fonder le classicisme viennois. Ce fut notamment pour avoir su mettre le style galant et son côté théâtral au service de leur dynamique formelle que Haydn et Mozart, contrairement à ce qu’avaient dû faire leurs prédécesseurs immédiats et eux-mêmes en leurs débuts, n’eurent plus à choisir entre surprise dramatique et cohérence à grande échelle, entre expression et élégance, mais purent réaliser, de ces objectifs jadis contradictoires, la synthèse magistrale que l’on sait. GALEFFI (Carlo) baryton italien (Venise 1884 - Rome 1961). Il fit ses débuts à Rome, en 1904, dans Lucia di Lammermoor (rôle d’Enrico). Sa voix superbe le fit triompher sur toutes les grandes scènes du monde en dépit d’un style de jeu très mélodramatique. Il créa de nombreux ouvrages (Nerone de Boito, L’Amore dei tre re de Montemezzi, Isabeau de Mascagni) et fut Amfortas lors de la première de Parsifal en Italie. Comme Lauri-Volpi et Caniglia, Galeffi appartenait à cette catégorie de chanteurs italiens de la période entre les deux guerres chez qui la splendeur du timbre et l’ampleur vocale l’emportaient sur le goût musical et la qualité du style. GALILEI (Vincenzo), théoricien et compositeur italien ( ? apr. 1520 - Santa Maria a Monte, près de Florence, 1591). Venu à Florence comme luthiste vers 1540, il bénéficie très vite de la protection du comte Bardi, qui l’envoie vers 1563 à Venise étudier la théorie musicale avec Zarlino. il s’établit ensuite à Pise, où il enseigne le luth pendant quelques années et se fixe à Florence en 1572. Très actif au sein de la Camerata florentine, il est une des grandes figures de la recherche théorique musicale de cette époque, au service de laquelle il met peu à peu exclusivement ses dons d’interprète et de compositeur. Après un premier traité, le Fronimo (1568-69), sur les transcriptions de chansons pour luth, il commence vers 1570 un manuel didactique (sans doute destiné à ses élèves), où il traite des idées exposées par Zarlino dans ses Istitutioni harmoniche, mais y trouve bientôt des contradictions avec certains principes de la musique grecque qu’il connaissait déjà. Il entre alors en contact en 1572 avec G. Mei, spécialiste romain de la musique grecque ancienne, et, pendant une dizaine d’années, s’établit une correspondance fructueuse entre les deux hommes (Galilei effectue même deux voyages à Rome pour s’entretenir avec Mei). Le résultat de cet échange est la publication à Florence, en 1581, du Dialogo della musica antica et della moderna. il s’agit en fait d’une tentative de réforme de la musique de l’époque selon les principes des Anciens. Galilei y réfute tout d’abord les théories de Zarlino concernant l’accord et les modes, et dénonce les modes ecclésiastiques comme faux. Il établit ensuite que seule la musique monodique est apte à exprimer le sens profond d’une poésie et permet la déclamation du texte, et condamne certains effets des madrigalistes (peintures de mots). Pour illustrer ses théories, il met en musique dans le nouveau style monodique (avec accompagnement de luth) et exécute en 1582 devant les membres de la Camerata deux Lamentations de Jérémie et la lamentation d’Ugolino dans l’Enfer de Dante. Zarlino ne réplique qu’en 1588 avec les Sopplimenti musicali, et il est à nouveau attaqué par Galilei en 1589 dans le Discorso intorno all’opere di messer Gioseffo Zarlino, qui réfute ses déclarations sur les fondements mathématiques des lois musicales. L’auteur critique d’autre part les règles trop rigides de Zarlino et Artusi concernant les dissonances et en accepte certains types pour des raisons expressives, tels que les utilisait C. de Rore, par exemple. Les derniers essais théoriques de Galilei, non publiés, renferment des informations intéressantes sur certaines expériences acoustiques et sur l’étude de la génération du son. Ces compositions reflètent les préoccupations théoriques de leur auteur. Outre les exemples donnés dans les traités et les Lamentations mentionnées ci-dessus, elles incluent deux livres de transcriptions pour luth (Intavolature de liuto..., 1563 ; Libro d’intavolatura di liuto..., 1584), qui s’attachent à reproduire l’aspect mélodique de la chanson dans un style assez homophone et à très forte tendance tonale. Avec ses deux livres de madrigaux (1584, 1587), en particulier le second, il est dans la lignée de C. de Rore et préfère la forme d’expression apportée par des mouvements chromatiques, des dissonances et suspensions harmoniques aux traditionnelles peintures de mot qu’il avait tant critiquées. L’importance de Galilei est donc capitale dans l’histoire de la théorie musicale et dans l’évolution des formes (début du règne de la monodie accompagnée). Il est enfin le père du célèbre physicien Galileo Galilei. GALIMIR (Félix), violoniste autrichien naturalisé américain (Vienne 1910). De 1922 à 1928, il fait ses études au Conservatoire de Vienne avec Adolf Bak. En 1929, il fonde un quatuor qui porte son nom, et qui réalise en 1936 le premier enregistrement de la Suite lyrique de Berg. En 1938, il émigre aux États-Unis, où il downloadModeText.vue.download 404 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 398 commence une brillante carrière de chambriste et de professeur. Il est également membre du NBC Symphony Orchestra et, dès 1954, enseigne à Marlboro. En 1962, il est nommé à la Juilliard School de New York, et en 1976 au Mannes College. Son quatuor, refondé en 1938, poursuit son activité jusqu’en 1985. GALLICAN (chant). L’une des grandes familles de chant liturgique qui, en France, comme le chant ambrosien à Milan, le mozarabe en Espagne et le vieux-romain dans le centre de l’Italie, tenta longtemps de maintenir ses particularismes face à l’unification grégorienne imposée par la papauté et soutenue par les empereurs carolingiens. Ces particularismes, au reste non systématiquement unifiés, n’atteignaient pas le fond de la liturgie, mais portaient sur de nombreux détails d’ordonnance, de texte (par exemple, on disait credimus, « nous croyons », au lieu de credo, « je crois »), sur le répertoire, les tournures mélodiques (on y trouvait souvent des psalmodies à 2 cordes de récitation comme dans le tonus peregrinus), et même sur la prononciation du latin (on a prononcé le plus souvent en « U » jusque vers 1920). Le chant gallican a été progressivement éliminé à partir du IXe siècle, et il en reste peu de témoins systématiques, mais de nombreuses pièces gallicanes se sont glissées dans les livres de chant français, parfois même étrangers (le Te Deum, par exemple, a une origine gallicane), et y ont subsisté plus ou moins longtemps. Au XVIIe siècle, le particularisme gallican semble avoir abandonné cet aspect du répertoire pour se réfugier vers d’autres manifestations, par exemple dans le « plain-chant parisien » resté en usage jusqu’à la réforme de Solesmes au début du XXe siècle. GALLI-CURCI (Amelita), soprano italienne (Milan 1882 - La Jolla, Californie, 1963). Elle aborda le chant en autodidacte, et débuta à Trani dans le rôle de Gilda de Rigoletto en 1906. Après une dizaine d’années dans les principaux théâtres d’Italie, elle fut engagée au Metropolitan Opera de New York, où elle triompha pendant dix ans dans les rôles de soprano leggero. En dépit de sa légèreté, la voix de Galli-Curci, dans la grande tradition du bel canto, passait de façon incroyable. GALLIERA (Alceo), chef d’orchestre italien (Milan 1910 - Brescia 1996). C’est son père, lui-même fils de compositeur et professeur au conservatoire de Milan, qui dirigea ses études. Dès l’âge de vingt-deux ans, Alceo Galliera enseignait à son tour l’orgue et la composition en ce même conservatoire. Il fit ses débuts de chef d’orchestre en 1941 à la tête de l’académie Santa Cecilia de Rome, mais la guerre interrompit son activité et il dut s’exiler pendant deux ans en Suisse. En 1945, le festival de Lucerne lui fournit l’occasion d’un nouveau départ, cette fois pour une grande carrière internationale. Il a été notamment directeur de l’Orchestre municipal de Strasbourg pour plusieurs saisons à partir de 1964. Son oeuvre de compositeur comprend un ballet pour la Scala - Le Vergine savie e le Vergine folli (1942) -, des pièces pour orchestre, de la musique de chambre et des mélodies. GALLI MARIÉ (Célestine), mezzo française (Paris 1840 - Vence 1905). Elle débuta à Strasbourg en 1859 et fut engagée en Belgique et en Italie, puis à l’Opéra-Comique de Paris où elle chanta régulièrement entre 1862 et 1885 et créa Mignon d’Ambroise Thomas et Carmen de Bizet (son nom est resté attaché à ce dernier rôle). Sa voix était sombre et corsée, quoique relativement légère, et elle passait pour une excellente actrice. GALLOIS (Patrick), flûtiste français (Linselles 1956). Après avoir été l’élève de R. Hériché et M. Larrieu, il entre au Conservatoire de Paris pour y travailler avec J.-P. Rampal et A. Marion. En 1975, il obtient un 1er Prix de flûte. La même année, il est engagé comme flûte solo à l’Orchestre philharmonique de Lille. De 1977 à 1985, il occupe le même poste à l’Orchestre national de France. À partir des années 1985-1990, il se fait connaître davantage comme soliste, se produisant en concerto ou en formation de chambre. GALLOIS-MONTBRUN (Raymond), violoniste et compositeur français (Saigon 1918 - Paris 1994). Entré au Conservatoire de Paris en 1929, il y obtint quatre premiers prix (violon en 1934, harmonie en 1936, fugue et contrepoint en 1937, composition en 1939). Premier grand prix de Rome en 1944 avec la cantate Louise de la Miséricorde, il mena dans les années qui suivirent une double carrière de virtuose et de compositeur, signant surtout des oeuvres pour le violon et pour le piano : 12 Études, caprices de concert pour violon seul (1948), Concerto pour violon et orchestre (1949), Mélodies et proverbes, 12 pièces pour piano (1951), Variations de concert pour violon et piano (1957), Sonate pour piano (1958). On lui doit aussi de la musique symphonique comme la Symphonie japonaise (Tokyo, 1951), le poème symphonique le Port de Delft (1960) ou le Concerto pour piano (1963), et de théâtre comme le Rossignol et l’Empereur (1959) et Stella ou le Piège de sable (1963). Sur le plan pédagogique, il a été directeur de l’École nationale de musique de Versailles (1957-1962) avant de devenir directeur du Conservatoire de Paris (1962-1983), où il a notamment, en 1966, créé des cours de 3e cycle. GALLON (les), famille de compositeurs et pédagogues français. Ils honorèrent l’enseignement du Conservatoire de Paris et signèrent des oeuvres fort personnelles dans un style néoclassique avancé. Ils comptèrent parmi leurs élèves, entre autres, Tony Aubin, Marcel Delannoy, Maurice Duruflé, Henri Dutilleux, Raymond Gallois-Montbrun, Olivier Messiaen. Jean (Paris 1878 - id. 1959). Il fut, au Conservatoire, l’élève de Lavignac, Diémer, Vidal et Lenepveu. Il dirigea les choeurs de la Société du Conservatoire de 1906 à 1914. Après la Première Guerre mondiale, il fut nommé professeur d’harmonie au Conservatoire de Paris (19191949). Il a composé des mélodies, une Messe à 4 voix, Six Antiennes pour orchestre à cordes et orgue, un ballet Hansli le Bossu en collaboration avec son frère, de même que divers écrits pédagogiques. Noël (Paris 1891 - id. 1966). Il fut initié à la musique par sa mère, professeur de piano, et par son frère Jean, de treize ans son aîné. Au Conservatoire de Paris, il fut l’élève de Rougnon, Rissler, Lavignac et surtout Henri Rabaud, dont il devait être le tout premier disciple. Grand Prix de Rome en 1910, il fut nommé après la guerre (1920) professeur de solfège au Conservatoire de Paris. Six ans plus tard, il succéda à André Gédalge comme professeur de fugue et de contrepoint. En outre, à partir de 1935, il fut directeur du concours Léopold-Bellan. Noël Gallon a composé un drame musical Paysans et soldats (1911), le ballet Hansli le Bossu (1914, avec son frère), de la musique de chambre dont une Sonate pour flûte et basson (1952), un Quintette pour harpe et cordes (1953), des oeuvres pour orchestre et des mélodies. En collaboration avec son frère, il a publié des ouvrages pédagogiques (Cent Dictées musicales à trois parties, Paris, 1942 ; Cinquante Leçons de solfège rythmique, 2 recueils, Paris, 1964) et, en collaboration avec M. Bitsch, un Traité de contrepoint (1964). GALLUS (Jakob, Jacobus Handl, Gallus, vocatus CARNIOLANUS), musicien slovène (Ribnica 1550 - Prague 1591). Moine cistercien des couvents autrichiens de Melk et Zwettl, il appartient à la cour de Vienne dès 1574, puis devient regens chori de la chapelle de l’évêque d’Olomoutz (1580-1585). En 1581, il passe à l’ordre des Jésuites. Il séjourne à Breslau avant de terminer sa vie à Prague, comme cantor de l’église Saint-Jean-in-Vado dans la vieille ville. Il ne fut rien de moins que l’équivadownloadModeText.vue.download 405 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 399 lent de Palestrina en Slovénie et Bohême. Dans ses oeuvres profanes en particulier (Harmoniae morales [1589, 1590], Moralia [1596]), il donne la primauté à la ligne mélodique, jouant d’effets chromatiques et de recherche de timbres qui seront les secrets de la nouvelle musique italienne. Les modulations sont fréquentes, adaptées au sens des textes et à leur prosodie. L’emploi de certains intervalles, tel le triton, étonne les musicologues. GALOP. Danse rapide à deux temps, originaire d’Europe centrale, dont le rythme particulier évoque approximativement le galop d’un cheval. GALUPPI (Baldassare, dit IL BURANELLO du nom de l’île du littoral vénitien, Burano, où il naquit), compositeur italien (Venise 1706 - id. 1785). Fils d’un violoniste, il composa en 1722 l’opéra La Fede nell’incostanza, qui n’eut pas de succès, puis devint l’élève préféré de Lotti. Il remporta son premier triomphe de compositeur avec Gl’odi delusi dal sangue (1728), écrit en collaboration avec Pescetti. Compositeur attitré d’opéras italiens au théâtre de Haymarket à Londres de 1741 à 1743, il devint vicemaître de chapelle (1748), puis maître de chapelle (1762) à Saint-Marc de Venise, et fut ensuite maître de chapelle de la cour de Catherine II à Saint-Pétersbourg (17651768). De ses opere serie, seuls Alessandro nell’Indie (Mantoue, 1738) et L’Olimpiade (Milan, 1747) eurent quelque succès. Ce fut essentiellement un maître de l’opéra bouffe, ce dont témoignent en particulier les oeuvres nées de sa collaboration avec Carlo Goldoni : L’Arcadia (1749), Il Mondo della luna (1750), Il Mondo alla roversa (1750), Le Virtuose ridicole, d’après les Précieuses ridicules de Molière (1752), Il Filosofo di campagna (1754), La Diavolessa (1755). Il Filosofo di campagna, en son temps un des opéras bouffes les plus prisés, est parfois ressuscité de nos jours. Galuppi semble avoir été l’un des premiers compositeurs à saisir l’importance théâtrale et musicale des finales d’acte. Il écrivit en tout 91 opéras. On lui doit également 27 oratorios, d’autres ouvrages pour l’église et de la musique instrumentale dont sept Concerti a quattro pour cordes et surtout 51 Sonates pour clavecin qui font de lui l’un des principaux pionniers du genre. GALWAY (James), flûtiste irlandais (Belfast 1939). Il étudie au Royal College of Music de Londres et à la Guildhall School of Music, puis au Conservatoire de Paris (1960-61) avec G. Crunelle et J.-P. Rampal, enfin avec Marcel Moyse. Il est d’abord musicien de théâtre au Royal Shakespeare Theater de Stratford, puis au Sadler’s Wells et au Covent Garden, dont il devient le premier flûtiste. En 1966, il entre à l’Orchestre symphonique de Londres ; en 1967, il est nommé première flûte du Royal Philharmonic Orchestra et, de 1969 à 1975, il est première flûte solo à l’Orchestre philharmonique de Berlin. Puis il entame une véritable carrière de soliste, interrompue par un accident. Il se consacre depuis en majeure partie à l’enseignement. GAMBE. 1. Famille de jeux de fond de l’orgue. La gambe est appelée aussi viole de gambe. Les jeux « gambés », aux tuyaux de métal, se caractérisent par une taille étroite qui leur donne une sonorité plus mordante que celle des principaux. Surtout employés dans l’orgue symphonique de style romantique, ils sonnent à l’échelle normale (8 pieds), au grave et plus rarement à l’aigu (16 et 4 pieds). Ils sont également baptisés violoncelle et salicional. 2. Abréviation courante de la basse de viole ( ! VIOLE DE GAMBE). GAMELAN. Ce mot javanais désigne une formation orchestrale propre à Java et à Bali, caractérisée par la prédominance d’instruments à percussion très élaborés : jeux de cloches, jeux de gongs, métallophones, xylophones, etc. Révélé au monde occidental lors de l’Exposition universelle de Paris en 1889, le gamelan et ses sonorités étranges ont exercé une influence certaine sur la musique européenne par l’intermédiaire, notamment, de Claude Debussy. GAMMA. Lettre grecque correspondant au « G ». Lorsqu’on forma l’alphabet musical latin ( ! CLEF), on adapta les lettres à l’échelle du système grec qui commençait au la : A désigne donc le la, et on marque le changement d’octave par le changement de graphie des lettres : capitales, puis minuscules, puis minuscules doublées. Mais, dans certains modes plagaux ecclésiastiques, le chant pouvait descendre jusqu’au sol sous le A initial. On avait donc besoin d’un G inférieur, et il n’existait pas de « sous-capitales ». On donna à ce G la forme et le nom du G grec, et, comme c’est lui qui ouvrait la nomenclature, celle-ci prit son nom et devint la « gamme ». Parmi les syllabes de solmisation, le gamma ne pouvait recevoir que la syllabe ut, d’où son nom complet de gamma ut, devenu parfois gamut par contraction. GAMME. 1. Nomenclature des sons appartenant soit à une échelle, soit à une tonalité ou à un mode déterminés, rangés par degrés conjoints. La gamme s’énonce le plus souvent de tonique à tonique sur l’étendue d’une octave (1 à 8) : « Une gamme de do majeur. » 2. Exercice usuel chez les instrumentistes, consistant à jouer à la suite, en combinaisons variées, tous les sons d’une gamme donnée : « Gamme en tierces, faire ses gammes. » -3.Le mot gamme est parfois employé abusivement pour échelle ou mode : « Tel passage est en gamme par tons entiers. » GANASSI (Silvestro dal Fontego), compositeur et théoricien italien (Venise 1492 - ? milieu du XVIe s.). Instrumentiste lui-même - célèbre comme joueur de flûte et de viole de gambe -, il appartint à la Signoria de Venise (SaintMarc). Il fut l’auteur de la première méthode pour la flûte connue (La Fontegara, 1535) ainsi que de l’un des premiers traités pour la viole publié en deux volumes (Regola rubertina, 1542). Ces ouvrages contiennent de précieux renseignements concernant la technique de ces instruments à l’époque. Le second explique également l’art de la diminution, de la transposition, et de l’accompagnement d’une pièce vocale. Notés en tablature de viole, les volumes de la Regola rubertina renferment des ricercari pour un seul instrument, employant parfois une écriture à 2 voix grâce à la technique du jeu en doubles-cordes. GANNE (Louis), compositeur et chef d’orchestre français (Bruxières-lesMines, Allier, 1862 - Paris 1923). Au Conservatoire de Paris, il étudia la composition et l’harmonie avec Théodore Dubois et l’orgue avec César Franck, obtenant un premier prix d’harmonie en 1881 et un premier prix d’orgue en 1882. La même année, il devint chef d’orchestre aux Folies-Bergère et, en 1892, au Nouveau-Théâtre de la rue Blanche, avant de prendre la direction du casino de Royan (1900) et celle de l’Opéra de Monte-Carlo (1905). Il fonda les concerts symphoniques Louis-Ganne, qui connurent longtemps une fidèle audience. Mais depuis 1895, il dirigeait chaque année les bals de l’Opéra, ce qui l’amena à se fixer à Paris en 1910, ayant, d’autre part, été nommé chef d’orchestre au théâtre Apollo. Il y fit représenter ses opérettes Cocorico (1913) et la Belle de Paris (1921). Compositeur plein de verve, il a écrit des marches militaires, dont la célèbre Marche de Lorraine, des ballets, des opéras-comiques, parmi lesquels les Saltimbanques (1899) et Hans le joueur de flûte (1906). downloadModeText.vue.download 406 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 400 GÄNSBACHER, famille de musiciens autrichiens. 1. Johann Baptist, organiste et compositeur (Sterzing, Tyrol du Sud, 1778 Vienne 1844). Élève de l’abbé Vogler et d’Albrechtsberger, il composa en 1806 une messe pour Nicolas II Esterházy et, en 1823, succéda à Joseph Preindl au poste de maître de chapelle de la cathédrale SaintÉtienne de Vienne. 2. Josef, chanteur et musicologue, fils du précédent (Vienne 1829 - id. 1911). Ami de Brahms, qui lui dédia sa sonate pour violoncelle opus 38, il fut à Vienne le plus célèbre professeur de chant de son époque et participa comme codirecteur à l’édition complète des oeuvres de Schubert. GARANT (Serge), compositeur canadien (Québec 1929 - Sherbrooke, Québec, 1986). Largement autodidacte, il s’est intéressé immédiatement à l’avant-garde de la première moitié du XXe siècle (Schönberg, Webern), sans commencer par les classiques, et a étudié avec Claude Champagne à Montréal, puis avec Olivier Messiaen à Paris (1951). Il découvrit dans cette ville la musique de Boulez. Adepte du sérialisme, il a fait appel dans ses oeuvres à la logique mathématique tout en s’attachant de près aux questions de sonorité. L’année de sa fondation (1966), il devint directeur musical de la Société de musique contemporaine du Québec. On lui doit notamment : Ouranos (1963) et Ennéade (1964) pour orchestre ; Phase I pour mezzo-soprano et trois instruments (1967) ; Phase II pour mezzo-soprano et deux orchestres (1968) ; Offrande I pour petit orchestre (1969) ; Offrande II pour grand orchestre (1970) ; Circuits I (1971), II (1972) et III (1973) et Chant d’amours pour soprano, mezzo, baryton et ensemble instrumental (1975). GARCIA (Manuel, dit parfois GARCIA L’ANCIEN), ténor espagnol (Séville 1775 - Paris 1832). Orphelin, il est d’abord choriste à la cathédrale de Séville. En 1802, il écrit une oeuvre d’un genre nouveau en Espagne, l’opérette El Seductor arrepentido. De 1808 à 1811, il fait un premier séjour à Paris avant de partir pour l’Italie. En 1815, il crée à Naples le rôle de Norfolk dans Élisabeth, reine d’Angleterre de Rossini. Le compositeur, enchanté par son art, écrit pour lui le rôle d’Almaviva dans le Barbier de Séville, qu’il crée à Rome en 1816. De 1816 à 1825, il se partage entre Londres et Paris, où il réside au Théâtre-Italien. Il y monte aussi ses propres opéras. De 1825 à 1829, il prend la tête de la première troupe italienne à avoir fait une tournée à New York, et jusqu’au Mexique. Il retourne ensuite à Paris et se consacre à l’enseignement. Il a fondé une dynastie de chanteurs dont trois de ses enfants sont d’illustres représentants : Maria Malibran, Pauline Viardot et Manuel Garcia II ont marqué tout le XIXe siècle. Parmi ses autres élèves, on relève aussi Adolphe Nourrit. GARCIA ABRIL (Anton), compositeur espagnol (Teruel 1933). Il a fait ses études aux conservatoires de Valence et de Madrid, puis à Sienne (Accademia Chigiana) et à l’académie SainteCécile de Rome, et a été l’élève de Van Kempen et de Petrassi. Garcia Abril est, depuis 1957, professeur au conservatoire de Madrid. Son oeuvre, peu nombreuse, est d’une grande densité d’expression dans un langage néoclassique. Elle comprend des pages orchestrales (concerto pour cordes, Don Juan, ballet, concerto pour piano), de la musique de chambre (3 pièces pour double quintette et percussion) et de la musique vocale (Homenaje a Miguel Hernandez, Cantico del creature). GARCÍA LORCA (Federico), poète et dramaturge espagnol (Fuente Vaqueros 1898 - Véznar 1936). Il fut profondément influencé par le folklore musical de son pays, notamment par le « cante jondo », forme pure du flamenco, ainsi que par le flamenco gitan. Il était également un bon pianiste amateur, ayant étudié cet instrument dans son enfance, et réalisa des arrangements de chansons populaires. Parmi les compositeurs qu’il rencontra, on peut citer Joaquin Turina et, surtout, Manuel de Falla sur lequel il écrivit, et avec lequel il étudia le cante jondo, fondant même avec lui, en 1922, un concours pour cette expression musicale. Lui-même composa de petites musiques de scène destinées aux représentations données par son théâtre itinérant La Baraca, qu’il dirigea dans les années 30. Les oeuvres poétiques et dramatiques de García Lorca ont inspiré, surtout après sa mort, de nombreuses compositions : parmi celles-ci, mentionnons les opéras de Vittorio Rieti, 1949, et de Wolfgang Fortner, 1962 (ainsi que l’opéra radiophonique de Bruno Maderna, 1962), sur la pièce l’Amour de Don Perlimplin avec Bélise en son jardin ; les trois opéras de Juan José Castro, 1956, Wolfgang Fortner, 1957, et Sandor Szokolay, 1962-1964, sur les Noces de sang, 1933 (Bodas de sangre, 1933) ; l’opéra de Juan José Castro sur la Savetière prodigieuse, 1943, et, enfin, une grande cantate de Maurice Ohana pour récitant, baryton, clavecin, choeurs et ensemble instrumental, composée en 1950 sur le Llanto por Ignacio Sanchez Mejias (déploration funèbre pour la mort de Sanchez Mejias), oeuvre écrite en 1934 par García Lorca pour célébrer la mémoire d’un torero tombé dans l’arène. En commémoration de sa mort sous les balles franquistes ont été composées un certain nombre d’oeuvres musicales, entre autres de Francis Poulenc (Sonate pour clarinette et violon, 1942-43) et l’Epitaffio per Federico Garcia Lorca, 1952-53, de Luigi Nono. Le compositeur américain Georg Crumb a souvent utilisé des textes de García Lorca, notamment dans ses Ancient Voices of Childrens, 1970 ; enfin, ses poèmes ont fait l’objet de multiples versions chantées, adaptées en chansons populaires. GARCISANZ (Isabel), soprano espagnole (Madrid, 1934). Elle fait ses études au Conservatoire de Madrid avec Angeles Ottein. Titulaire d’une bourse d’État, elle complète sa formation pendant trois ans à l’Akademie für Musik de Vienne. Dès 1960, elle commence une carrière internationale, s’imposant dans tous les grands rôles mozartiens, au Festival de Glyndebourne notamment. Elle chante aussi Rossini, Donizetti et l’Enfant et les sortilèges de Ravel. Elle entretient un lien privilégié avec la musique contemporaine : en 1974, elle crée Medis et Alissio de Georges Delerue. De Maurice Ohana elle chante les Cantigas et crée Sybille (1970) et la Messe (1977). En 1992, elle participe à la création du Château des Carpathes de Philippe Hersant. Elle chante également un répertoire de mélodies espagnoles avec piano ou guitare. GARDANO (GARDANE, Antonio), imprimeur italien, d’origine française (France v. 1509 - Venise 1569). Il se fixe vers 1537 à Venise, où il obtient un privilège d’imprimeur, et, à partir de 1556, italianise son nom français, Gardane en Gardano. Il introduit en Italie la méthode d’impression de Pierre Haultin, qui utilisait des caractères comprenant à la fois la note et la ligne, ce qui permettait d’imprimer la musique en une seule opération au lieu de deux comme le faisait Petrucci. Il obtient, malgré la rivalité incessante de la firme Scotto, un succès grandissant. Ayant publié des oeuvres littéraires à ses débuts, il se limite rapidement à la seule édition musicale. En 1538, soit un an après son arrivée à Venise, il publie trois recueils importants, Motetti del frutto, Canzoni francese a 4 et un premier livre de madrigaux d’Arcadelt, qu’il admirait beaucoup. Par la suite, il produit un second livre du même auteur ainsi que de nombreux re- cueils de compositeurs divers (Willaert, Rore, Lassus). Il publie relativement peu de recueils de chansons, accordant une place plus importante à la musique sacrée et surtout aux madrigaux, qui constituent l’essentiel de sa production. Il est lui-même l’auteur de nombreuses pièces, dont une soixantaine de chansons, deux messes et quelques motets. Leur succès fut si grand qu’elles furent rééditées par différentes firmes européennes (y compris Scotto, son rival vénitien) jusqu’en downloadModeText.vue.download 407 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 401 1635. À sa mort, la maison est reprise par ses fils Alessandro et Angelo, puis après leur séparation en 1575, par Angelo seul qui, jusqu’à sa mort en 1611, lui conserve sa place privilégiée dans le monde de l’édition musicale italien. De fait, durant toute la seconde moitié du XVIe siècle, la maison Gardano a pratiquement l’exclusivité de l’impression des madrigaux italiens. De son côté, Alessandro, qui se fixe à Rome de 1583 à 1591, reprend le métier de l’édition et imprime surtout de la musique sacrée (Giovannelli, Marenzio, Palestrina, Victoria). À la mort d’Angelo, la firme dont ses descendants tentent vainement de protéger l’existence se laisse peu à peu miner par la concurrence des autres maisons italiennes, en particulier Vincenti, pour disparaître définitivement vers 1685. GARDEN (Mary), soprano écossaise (Aberdeen 1874 - Londres 1967). Elle étudia à Chicago, puis à Paris, où elle travailla avec Mathilde Marchesi et Lucien Fugère. Elle conquit une réputation immédiate en remplaçant au pied levé Louise Rioton, la créatrice de Louise, au milieu d’une représentation, sans avoir jamais appris le rôle autrement qu’en assistant aux répétitions de l’ouvrage. En 1902, elle fut la créatrice de Mélisande dans l’oeuvre de Debussy. Elle resta à l’Opéra-Comique jusqu’en 1907, effectuant d’autres créations moins prestigieuses. En 1907, elle chanta Thaïs de Massenet à New York et, en 1910, Salomé de Richard Strauss à Paris. Elle passa ensuite vingt ans à l’opéra de Chicago dont elle contribua à établir la réputation. Sa dernière représentation fut Carmen en plein air à Cincinnati, en 1931. Si elle chantait les emplois les plus divers, Mary Garden n’avait pas une voix exceptionnelle, mais était une musicienne accomplie et une grande actrice, douée d’une forte personnalité. GARDINER (John Eliot), musicologue, chef de choeurs et chef d’orchestre anglais (Fontmell Magna, Dorset, 1943). Élève de Thurston Dart et de Nadia Boulanger, fondateur de Monteverdi Choir (1964), il s’est spécialisé dans la musique du XVIIe siècle et de la première moitié du XVIIIe, s’attachant en particulier à Rameau, dont il fut le premier à diriger les Boréades (Londres, 1975). De 1982 à 1989, il a été directeur artistique de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, et est depuis 1991 premier chef de l’Orchestre symphonique de la Radio de Hambourg. GASPARINI (Francesco), compositeur italien (Camajore, Lucques, 1668 - Rome 1727). Élève de Corelli et de Pasquini, il fut d’abord maître de choeur à l’Ospedale de la Pietà de Venise, puis, en 1725, maître de chapelle à Saint-Jean-de-Latran. Sa santé ne lui permit pas d’occuper pleinement ses fonctions, mais il put malgré tout consacrer du temps à l’enseignement et l’on compte B. Marcello et Quantz parmi ses élèves. Il fut aussi l’acteur d’une dispute célèbre avec Alessandro Scarlatti, dispute qui se déroula par un échange de cantates. Sa correspondance donne de nombreux renseignements sur lui-même et sur ses élèves, notamment Marcello. Son oeuvre se compose d’opéras (environ une soixantaine) et de musique d’église, formes, toutes deux, aussi brillantes sous sa plume. Sa réputation dépassa les frontières de l’Italie et atteignit en particulier l’Angleterre, ses opéras étant parmi les premiers à être représentés dans ce pays. Il faut aussi citer un traité d’accompagnement, très respecté en Italie : L’Armonico pratico al Cimbalo (Venise, 1708). GASSMANN (Florian), compositeur autrichien (Brüx, Bohême, 1729 - Vienne 1774). Désirant devenir musicien contre la volonté de son père, il se rendit en Italie, où il étudia peut-être avec le Padre Martini et donna ses premiers opéras, Merope (Venise, 1757) et Issipile (Venise, 1758). Arrivé à Vienne en 1763, il y succéda à Gluck comme compositeur de ballets de la cour. Lors d’un nouveau voyage en Italie, il rencontra à Venise en 1766 le jeune Salieri, dont il fit son élève et qu’il amena à Vienne. En 1771, il fonda la TonkünstlerSozietät, première institution de concerts publics à Vienne, et l’inaugura en mars de l’année suivante avec son oratorio La Betulia liberata. En 1772 également, il succéda à Georg Reutter le Jeune au poste de maître de chapelle impérial. De ses opéras, il faut citer surtout, dans le genre bouffe, L’Amore artigiano (1767) et La Contessina (1770). En 1770, lors d’un troisième séjour en Italie, il présenta à Rome Ezio. On lui doit également des oeuvres religieuses, dont plusieurs messes et un requiem, de remarquables symphonies, et de la musique de chambre (quatuors à cordes). Un catalogue thématique de ses oeuvres instrumentales a été dressé en 1976 par George R. Hill. Ses deux filles Maria Anna (1771-1858) et Thérèse (17741837) furent des chanteuses de talent. GASTOLDI (Giovanni Giacomo), compositeur italien (Caravaggio v. 1555 - ? 1622). D’abord probablement l’élève de Jachet de Wert, il est ordonné prêtre et entre au service des Gonzague à Mantoue où il est nommé maître de chapelle à Santa Barbara. C’est à la cour de cette famille illustre qu’il rencontre Pallavicino, A. Striggio et Monteverdi. Ensuite, on le trouve à Milan en 1609, maître de chapelle à la cathédrale. Compositeur de musique instrumentale (Il Primo Libro della musica a 2 voci, 1598), de madrigaux (quatre livres de Madrigali a 5 voci chez Gardano à Venise, 1588-1602) et de nombreuses oeuvres de musique religieuse (messes, magnificat, motets, psaumes et vêpres), dans lesquelles il montre toute sa science du contrepoint, Gastoldi doit sa célébrité à un recueil de Balletti a cinque voci (1591), qui a connu non moins de trente rééditions dont une à Paris. En dehors de leur popularité, les Balletti « per cantare, sonare et ballare » (écrits pour les spectacles de danse à la cour de Mantoue), avec leur vitalité rythmique, leurs fa-la-la caractéristiques, forme strophique et écriture surtout verticale, ont influencé, certes, Monteverdi (Scherzi musicali), mais également Th. Morley en Angleterre (Ballets a 5, 1595). Interprétées instrumentalement ou vocalement, ces oeuvres ont atteint pleinement leur objectif premier : O compagni, allegrezza, allegrezza (Introduttione a i Balletti). GASTOUÉ (Amédée), musicologue français (Paris 1873 - Clamart 1943). Il étudie le piano avec Deslandres, l’orgue avec Guilmant, l’harmonie avec Lavignac et la composition avec Magnard. Durant toute sa vie, il cumule les fonctions d’enseignant, de chercheur et de compositeur. Collaborateur de la Schola cantorum dès sa fondation, il y enseigne la musicologie de 1900 à 1903, puis le chant grégorien à la mort de Vincent d’Indy. Il est également professeur au petit collège Stanislas dès 1906 et donne aussi par la suite des cours à l’Institut catholique et à l’École des hautes études. En relation, dès sa jeunesse, avec les pères des abbayes de Solesmes et de Saint-Wandrille, il se bat pour le renouveau du chant grégorien (Cours théorique et pratique de chant grégorien, 1904 ; Traité d’harmonisation du chant grégorien sur un plan nouveau, 1910 ; l’Art grégorien, 1911). Mais ses connaissances s’étendent à toute la musique sacrée en général. Il est considéré comme l’un des plus grands spécialistes de musique byzantine et participe à toutes les conférences sur ce sujet. Il collabore à l’édition du Graduel Vatican (1908) et écrit une Histoire du chant liturgique à Paris (1904) et l’Église et la musique (1936). Grâce à sa publication de Pièces de polyphonie religieuse du IXe au XVe siècle et des Primitifs de la musique française, il sort de l’oubli les conduits des XIIe et XIIIe siècles, G. de Machaut et sa messe. Il a, en outre, participé au dépouillement des fonds musicaux de la Bibliothèque nationale et des bibliothèques du Conservatoire, de l’Opéra et de l’Arsenal. Ses travaux de chercheur l’amènent à prendre une part plus ou moins importante à la rédaction de nombreuses revues (Musica sacra, Rassegna gregoriana). downloadModeText.vue.download 408 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 402 Il est également l’un des fondateurs de la Société française de musicologie, qu’il préside de 1934 à 1936. Quant à ses compositions, elles comprennent essentiellement de la musique sacrée (messes, motets, oratorios). GATTI (Theobaldo di), compositeur français, d’origine italienne (Florence v. 1650 - Paris 1727). Virtuose de la viole de gambe et de la basse de violon, il se rendit à Paris vers 1675 et se fit engager dans l’orchestre de l’Académie royale de musique. Admirateur de Lully, il demeura au sein de l’orchestre de l’Opéra et à Paris le reste de sa vie. Il fut l’auteur d’Airs italiens publiés chez Ballard (1696) et de deux opéras : une pastorale, Coronis (1691), et une tragédie lyrique fort bien reçue, Scylla, publiée chez Foucault en 1701. Avec Paolo Lorenzani, Theobaldo di Gatti fut l’un des seuls musiciens « italiens » actifs à la cour de Louis XIV sous la domination de Lully. GAUBERT (Philippe), flûtiste, compositeur et chef d’orchestre français (Cahors 1879 - Paris 1941). Élève de Taffanel au Conservatoire de Paris, il obtint le premier prix de flûte à l’âge de quinze ans. Il travailla la composition avec Fauré et fut second grand prix de Rome en 1905. Depuis 1904, il secondait André Messager au pupitre de la Société des concerts du Conservatoire où il était également flûte solo. Il devait devenir un flûtiste virtuose sans égal et un chef d’une grande autorité et d’une grande sensibilité, tant au concert qu’au théâtre. En 1908, il fut nommé professeur de flûte au Conservatoire, et, en 1919, professeur de composition. La même année, il devenait chef permanent de la Société des concerts du Conservatoire, tandis que Jacques Rouché lui confiait la direction musicale de l’Opéra. Il assura de nombreuses créations parisiennes, notamment le Chevalier à la rose, Turandot, Elektra. Comme compositeur, il a laissé de nombreuses pièces, sonates et transcriptions pour flûte, un concerto pour violon, de la musique symphonique (Symphonie en « fa », 1936) et des ballets (Philotis, 1914 ; Alexandre le Grand, 1937 ; le Chevalier et la Damoiselle, 1941), dont les deux derniers sur des livrets de Serge Lifar. GAUCELM FAIDIT, troubadour français (Uzerche v. 1180 - ? v. 1215). Il fut un poète estimé qui voyagea beaucoup au cours de sa carrière et qui connut tous les grands troubadours de l’époque. D’origine bourgeoise, il entra à la cour de Boniface de Montferrat. Puis il partit en croisade avec ce dernier et revint en 1204. On a conservé avec certitude 65 de ses chansons, dont 14 sont notées. La plus célèbre d’entre elles est une déploration, appelée « planh » sur la mort, en 1199, de Richard Coeur de Lion, lui-même trouvère : Mortz es lo reys e son passat mil an. GAULTIER ou GAUTIER, nom de luthistes. Ennemond, dit GAULTIER LE VIEUX, ou GAULTIER DE LYON (Villette, Dauphiné, 1575 - Nèves 1651). Il fut musicien à la Musique royale et valet de chambre de Marie de Médicis, il connut une immense notoriété de son vivant, tant comme virtuose et compositeur que comme pédagogue. En effet, avec son cousin Denis Gaultier, il fut à l’origine d’une brillante école de luthistes, qui compte à peu près tous les virtuoses de la génération suivante (Mouton, Du Faut). Comme compositeur, il a laissé de nombreuses pièces dispersées dans des collections diverses et publiées après sa mort. Plusieurs d’entre elles connurent un succès durable, tels le Tombeau de Mezangeau ou le Testament du Vieux Gaultier. Denis, dit GAULTIER LE JEUNE ou GAULTIER DE PARIS, cousin du précédent (Paris v. 1603 - id. 1672). Il fut l’élève de Charles Racquet, organiste à Notre-Dame de Paris. Il enseigna le luth à Ninon de Lenclos et nous a laissé de nombreuses pièces pour le luth, publiées notamment dans les recueils : Rhétorique des dieux (1652) et Pièces de luth sur trois différents modes nouveaux (v. 1670), qui témoignent d’une recherche de tonalités nouvelles et d’ornementations de plus en plus riches, impliquant une extension de la technique qui a fait date dans l’histoire de l’instrument. Ces pièces consistent surtout en danses (allemande, courante, sarabande, parfois une gigue) groupées en suites. Gaultier leur donne des titres évocateurs et cette tradition va se perpétuer chez les clavecinistes français, d’abord avec Champion de Chambonnières. Pierre, dit GAULTIER D’ORLÉANS ou DE ROME (XVIIe s.). Moins célèbre que les deux premiers, auxquels il n’était sans doute pas apparenté, il naquit à Orléans et publia, en 1638 à Rome, un livre de luth intitulé les oeuvres de Pierre Gaultier l’Orléanois. Jacques, dit GAULTIER D’ANGLETERRE (XVIIe s.). Il n’était probablement pas apparenté aux précédents. Il dut s’expatrier vers 1617 après avoir tué un gentilhomme et se réfugia à Londres ; Buckingham le fit entrer à la Musique royale où il resta jusqu’en 1647. Bien que jouissant d’une certaine réputation parmi le public londonien de l’époque, on ne sait où ni quand il mourut (sans doute avant 1660). GAUSSIN (Allain), compositeur français (Saint-Sever, Calvados, 1943). Il a fait ses études au Conservatoire de Paris (prix de composition avec Olivier Messiaen en 1976), et été admis à l’Académie de France à Rome (villa Médicis) [1977-78]. Parmi ses oeuvres : Source 4 pour choeur de femmes (1974), Vent solaire (1re vers. 1975) pour choeur, cuivres, percussion et bande magnétique (1976), Ogive I pour cordes et clavecin (1977), Éclipse pour ensemble instrumental et deux pianos (1979), Ionisation-Rituel pour soprano, flûte, récitant et orchestre (1980), Arcane pour piano seul, créé à Metz en 1984, Années-lumières pour orchestre (1992). GAUTHIER-VILLARS (Henry, dit Willy), romancier et critique musical français (Villiers-sur-Orge 1859 - Paris 1931). Il fut le premier mari de Colette, avec laquelle il signa la série des romans de Claudine. Mais il était aussi critique musical et écrivit dans un grand nombre de revues : Art et critique, Revue encyclopédique, Monde artiste, et surtout l’Écho de Paris où il tenait la rubrique intitulée les Lettres de l’ouvreuse, qui lui valut la notoriété. Il ne possédait pas une grande érudition musicale, et encore moins de notions techniques, mais une certaine sensibilité accordée au goût du jour et une intuition qui s’est parfois révélée juste. Il a été l’un des rares à reconnaître le génie de Debussy dans le Prélude à l’après-midi d’un faune. Ses articles étaient écrits dans un style distrayant, comique, plein de calembours, et prévus pour atteindre un vaste public. Les titres de ses feuilletons parlent pour euxmêmes : la Mouche des croches, Entre deux airs, Accords perdus, la Colle aux quintes, Garçon, l’audition. Il a également écrit avec Pierre de Bréville une notice explicative sur Fervaal de Vincent d’Indy, a traduit en français les livrets de Bastien et Bastienne de Mozart et de l’Amour tzigane de Lehár, et a rédigé les livrets de Claudine (musique de Berger), de la Petite Sirène (de Polignac) et du Troisième Larron (C. Terrasse). Il a publié une biographie de Bizet (1912). GAUTIER (Judith), femme de lettres française (Paris 1845 - Saint-Énogat 1917). Fille de Théophile Gautier et de Ernesta Grisi, elle fut l’épouse de Catulle Mendès dont elle divorça en 1874. Admiratrice de Wagner, elle se rendit à plusieurs reprises à Bayreuth, se lia avec l’auteur de la Tétralogie, et devint une ardente propagandiste de son art et de ses idées. Elle écrivit, en 1882, un ouvrage sur Wagner, et, en 1898, traduisit Parsifal. Elle a publié ses Mémoires (le Collier des jours, 1902-1909). downloadModeText.vue.download 409 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 403 GAUTIER (Théophile), écrivain français (Tarbes 1811 - Paris 1872). Poète, romancier et critique, il a, de 1836 à 1855, collaboré à la Presse, au Moniteur universel et au Journal officiel. Ardent défenseur du mouvement romantique, il fut l’ami d’Hector Berlioz et l’un des premiers, en France, à soutenir Richard Wagner. Lié à la famille de Carlotta Grisi, il a écrit pour la célèbre danseuse le livret de Giselle (1841). Un de ses poèmes a inspiré à Jean-Louis Vaudoyer l’argument du ballet le Spectre de la rose (1911). Plusieurs musiciens ont mis en musique des poésies de Théophile Gautier : Hector Berlioz (les Nuits d’été) ; Charles Gounod (Chanson du pêcheur, Primavera) ; Georges Bizet (Absence) ; Camille Saint-Saëns (Lamento) ; Henri Duparc (Au pays où se fait la guerre, Lamento) ; Gabriel Fauré (Chanson du pêcheur, les Matelots, Seule, Tristesse). OEUVRES CRITIQUES : les Beautés de l’opéra (en collaboration avec Jules Janin, 1845) ; Histoire de l’art dramatique en France depuis vingt-cinq ans (1858-59) ; Histoire du romantisme (1872) ; Portraits contemporains (1875) ; Souvenirs de théâtre (1883). GAUTIER DE COINCI, trouvère français (Coinci v. 1177 - Soissons 1236). Né dans la région de Soissons, il entre au monastère de Saint-Médard en 1193. En 1214, il est prieur de l’abbaye de Vicq-surAisne. Il est de la lignée des grands trouvères de cette région, tels que Conon de Béthune ou Colin Muset. Sa réputation est fondée surtout sur un important recueil intitulé les Miracles de Notre-Dame. il s’agit en général d’adaptations de modèles latins qui font appel à des formes métriques ainsi qu’à des mélodies déjà existantes. Cela ne diminue en rien leur intérêt réel. Gautier l’adaptateur a puisé dans certaines séquences liturgiques, mais également dans les chansons profanes destinées à honorer la Vierge. GAUTIER DE DARGIES, trouvère français ( ? v. 1165 - ? apr. 1236). Il est membre d’une famille noble originaire de la région de Grandvillers, près de Beauvais. La seule information biographique sûre le concernant est sa participation à la troisième croisade (1189) dans la suite de Philippe Auguste ; mais son nom apparaît sur divers documents (1195, 1201, 1206, 1236). Il nous reste une vingtaine de ses chansons, dont 19 avec notation musicale (parmi lesquelles se trouvent trois descorts). Elles se distinguent par une individualité de forme aussi bien poétique que mélodique, l’auteur appréciant en particulier les structures asymétriques et se permettant même parfois de libérer la phrase mélodique de la forme poétique (Maintes fois). Son style musical est très varié, avec une conscience assez forte d’un centre tonal et des mélodies ayant parfois un ambitus impressionnant (Se j’ai esté). Le rythme est d’une grande richesse, très orné, avec une tendance à l’irrégularité. Ces particularités de style et le nombre relativement important de ses chansons conservées donnent à Gautier de Dargies une place privilégiée parmi les musiciens de son temps. GAVEAU, famille de facteurs de pianos français. Joseph-Emmanuel (Paris 1824 - id. 1903). Il fonde la maison Gaveau en 1847. L’année suivante, il invente la mécanique à lames qui remplace celle à baïonnettes dans le piano droit. Il ajoute un ressort à boudin au piano à queue d’Érard. Il eut également l’idée d’un piano démontable. Gabriel-Joseph-Emmanuel (Paris 1866 - id. 1935). Il fonda sa propre fabrique (1911-1939). Étienne, fils de Joseph-Emmanuel ( ? 1872 - Paris 1943). Il succède à son père. Il a fondé la salle Gaveau, en 1908, rue La Boétie. Ses fils Marcel et André lui ont succédé. Depuis 1960 la fabrique de pianos est devenue la maison Gaveau-Érard. GAVEAUX (Pierre), chanteur et compositeur français (Béziers 1761 - Charenton 1825). D’abord destiné à la carrière ecclésiastique, il étudia la musique avec Franz Beck à Bordeaux, devint, en 1780, maître de chapelle au théâtre de cette ville, puis commença une carrière de ténor qui devait le mener au Théâtre de Monsieur à Paris en 1789 et à l’Opéra-Comique en 1801. En 1812 se manifestèrent chez lui les signes d’une aliénation mentale qui devint totale et définitive en 1819. Comme compositeur, il écrivit des musiques révolutionnaires, et, dans un style aimable et charmant, des ballets parmi lesquels l’Amour à Cythère (1805), des romances, et surtout des opéras-comiques dont le plus connu reste Léonore ou l’Amour conjugal (Paris, 1798), sur un livret de Bouilly que devaient réutiliser, plus ou moins modifié, Paer, Simon Mayr et surtout Beethoven. GAVINIES (Pierre), violoniste et compositeur français (Bordeaux 1728 - Paris 1800). Fils d’un luthier installé à Paris en 1734, autodidacte, il se produisit au Concert spirituel, en 1741, puis surtout de 1748 à 1765, et fut, de 1773 à 1777, avec Gossec et Leduc l’un des directeurs de cette institution. De 1796 à sa mort, il enseigna le violon au Conservatoire de Paris. Son jeu lui valut d’être appelé par Viotti le « Tartini français ». Très grand interprète, il a notamment composé pour son instrument Six Sonates op. 1 (1760), Six Sonates op. 3 (1764), Six Concertos op. 4 (1764), Six Sonates en trio op. 5 (v. 1774) et les 24 Matinées (1800), études dans toutes les tonalités qui, aujourd’hui encore, comptent parmi les pièces de virtuosité les plus prisées des violonistes. On lui doit encore l’opéra-comique le Prétendu op. 2 (1760), des concertos et des ouvrages de musique de chambre restés manuscrits, des symphonies perdues et trois sonates posthumes (Berlin, s. d.) pour violon avec accompagnement de violoncelle dont l’une, en fa mineur, dite Son tombeau. GAVOTTE. Danse française particulièrement gracieuse, généralement à deux temps et de forme binaire avec reprises. La gavotte est plutôt gaie, avec ou sans anacrouse, et construite par multiples de 4 mesures. Parfois aussi, elle peut prendre un caractère tendre. Apparue au XVIe siècle, la gavotte, qui serait issue du branle, doit son nom à la ville de Gap en Dauphiné, dont les habitants s’appellent les Gavots. Très en vogue sous Louis XIV et Louis XV, elle fait souvent partie de la suite instrumentale, d’abord chez les luthistes, puis chez les clavecinistes (L. Marchand, les Couperin, Rameau). Elle peut être suivie d’une musette : c’est le sous-titre de la Gavotte II de J.-S. Bach (3e Suite anglaise). On la trouve également dans le ballet de cour, puis dans la tragédie lyrique où il arrive que le thème de la gavotte soit d’abord l’objet de la danse avant de recevoir des paroles chantées. Une autre tendance est celle de la gavotte en rondeau dont Lully offre un bel exemple dans son Atys de 1676. Au XIXe siècle, cette danse retourne au domaine de la danse campagnarde mais, comme de nos jours, elle sera quelquefois ressuscitée par les compositeurs. GAVOTY (Bernard), critique et musicologue français (Paris 1908 - id. 1981). Ingénieur agronome, licencié ès lettres, il fit des études musicales très poussées qui devaient le conduire au poste d’organiste titulaire de Saint-Louis-des-Invalides. En 1945, il succéda à Reynaldo Hahn comme critique musical du Figaro, sous le pseudonyme de Clarendon. En 1948, il publia Les Français sont-ils musiciens ?, que devaient suivre bien d’autres volumes, dont plusieurs biographies (Chopin, R. Hahn, etc.) qui font autorité. Brillant écrivain et conférencier, Bernard Gavoty a été élu à l’Académie des beaux-arts en 1975. GAVRILOV (Andreï), pianiste russe (Moscou 1955). Il étudie d’abord avec sa mère, puis avec T. Kessner et L. Naoumov, et enfin, après downloadModeText.vue.download 410 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 404 ses années d’apprentissage au Conservatoire de Moscou, avec S. Richter. En 1974, il remporte le 1er Prix du Concours Tchaïkovski. Il joue partout les grands compositeurs russes romantiques et modernes. À la fin des années 80, il fait ses débuts aux États-Unis et commence à se produire dans le monde entier. En 1989, il reçoit le prix international de l’Académie Chigiana de Sienne. GAY (John), écrivain anglais (Barnstaple, Devonshire, 1685 - Londres 1732). Ami de Pope et de Swift, il écrivit des poésies, huit pièces de théâtre, le livret d’Acis et Galathée de Haendel (1718), et surtout trois ballad operas dont le célèbre Beggar’s Opera (« Opéra du gueux », 1728). Le succès de cet ouvrage le poussa à lui donner une suite, Polly (1729, création en 1779). Après sa mort parut encore Achilles in Petticoats (1733). GAZZANIGA (Giuseppe), compositeur italien (Vérone 1743 - Crema 1818). Élève de Porpora et de Piccinni, il écrivit dans les années 1770 plusieurs opéras pour diverses villes d’Italie. En 1786, son Il Finto cieco, sur un livret de Da Ponte, fut représenté à Vienne. Il obtint un grand succès en février 1787 à Venise avec Don Giovanni Tenorio o sia Il Convitato di pietra, sur un livret de Bertati qui fut une des sources d’inspiration de Da Ponte pour son Don Giovanni mis en musique la même année par Mozart. Il n’est pas exclu que ce dernier ait connu la partition de Gazzaniga. Il existe en effet entre les deux Don Giovanni, sur le plan musical, quelques analogies de surface. En outre, le premier Don Giovanni de Gazzaniga, le ténor Antonio Baglioni, fut ensuite le premier Don Ottavio de Mozart (qu’il ait parlé à celui-ci de l’ouvrage qu’il avait chanté à Venise est tout à fait plausible). GAZZELONI (Severino), flûtiste italien (Roccasecca 1919 - Cassino 1992). Élève de Tessarini au conservatoire Sainte-Cécile de Rome, il s’est imposé dans les années 50, tout en étant flûte solo de l’Orchestre de la R.A.I., comme l’un des principaux interprètes d’oeuvres contemporaines. De nombreux compositeurs, dont Bruno Maderna, ont écrit pour lui des partitions mettant en valeur les ressources de son instrument, ainsi que sa prodigieuse technique. Il a enseigné notamment aux cours d’été de Darmstadt. GEBAUER, famille de musiciens français d’origine saxonne. Michel Joseph hautboïste et compositeur (La Fère, Aisne, 1763 - Russie 1812). Fils d’un militaire, il devint instrumentiste dans la musique des gardes suisses (1777), altiste à la chapelle royale (1783), puis instrumentiste à la garde nationale (1791) et dans divers théâtres. Il enseigna au Conservatoire (1795-1800), dirigea la musique de la garde impériale, et disparut lors de la retraite de Russie. Outre divers duos, il a laissé environ 200 marches militaires. François René frère du précédent, bassonniste et compositeur (Versailles 1773 Paris 1845). Élève de son frère et de François Devienne, il fit partie de l’orchestre de l’Opéra, de 1799-1800 à 1826, ainsi que de la chapelle impériale puis royale, et enseigna le basson au Conservatoire de 1795 à 1802, puis de 1824 à 1838. On lui doit notamment des marches militaires et, pour basson, treize concertos et une méthode (v. 1820). Pierre, Paul frère des précédents, cornistes et compositeur (Versailles 1775 Paris ?). Corniste au Théâtre du Vaudeville, il mourut jeune en laissant vingt duos pour deux corps. Étienne François frère des précédents, flûtiste et compositeur (Versailles 1777 Paris 1823). Il laissa des transcriptions d’airs d’opéra en duo et une centaine de pièces pour flûte seule. Michel Joseph fils du précédent, altiste et compositeur, a écrit des duos et une méthode d’alto (1820). GEBRAUCHSMUSIK (all. : « musique utilitaire »). Terme inventé dans les années 1920 par Paul Hindemith, apôtre d’une Neue Sachlichkeit (nouvelle objectivité), pour désigner des oeuvres à usage en principe strictement pratique (Construisons une ville, jeu musical pour enfants). La démarche fut reprise par des compositeurs comme Milhaud, Weill, Copland. GÉDALGE (André), compositeur, théoricien et pédagogue français (Paris 1856 Chessy, Seine-et-Marne, 1926). Son père s’opposant à sa vocation musicale, il fut libraire jusqu’en 1884, date à laquelle il entra au Conservatoire de Paris dans la classe d’Ernest Guiraud. En 1885, il obtint le second grand prix de Rome avec sa cantate la Vision de Saül. À partir de 1893, il fut répétiteur au Conservatoire dans les classes de Guiraud et de Massenet. Le Petit Savoyard, pantomime en 4 actes (1891), a été suivi en 1899 de la première audition de son Concerto pour piano et de la 3e Symphonie (1910). En 1905, il devint professeur de contrepoint et de fugue au Conservatoire de Paris. Possédant une vaste culture, travailleur acharné, Gédalge fut un pédagogue de premier plan. Ses cours furent fréquentés par Ravel, Rabaud, Enesco, Koechlin, Roger-Ducasse, Milhaud, Honegger, Fl. Schmitt et Ibert. Prenant pour modèles Bach et Mozart, les grandes lignes de son enseignement ont été le retour à la musique pure, le goût du contrepoint et l’importance mélodique. Comme compositeur, il refusa toute concession aux modes, écrivant de la musique instrumentale, quatre symphonies, des concertos, des chansons et des mélodies, huit ouvrages pour le théâtre, dont le ballet Phoebé (Paris, 1900). Son Traité de la fugue (Paris, 1901) a été un ouvrage très estimé. GEDDA (Nicolaï), ténor russo-suédois (Stockholm 1925). Né de parents russes établis en Suède, il débuta à l’Opéra de Stockholm en 1952 dans le Postillon de Longjumeau d’Adam. Son succès détermina une carrière internationale. Il fut engagé à l’Opéra de Paris en 1954, chanta au Covent Garden de Londres en 1955 et au Metropolitan Opera de New York en 1957. Il interprète avec une égale aisance les répertoires italien, allemand, français et russe, grâce à sa connaissance des langues et à sa maîtrise des styles. Son timbre plus velouté que percutant, sa technique fondée sur une utilisation de sa voix mixte, évoquent davantage les grands ténors de la première moitié du XIXe siècle que la manière héroïque de ceux de l’époque actuelle. Gedda a su prouver l’efficacité de cette technique dans les ouvrages les plus différents, depuis Gluck et Mozart jusqu’à Debussy, en passant par Weber, Bellini, Berlioz, Gounod, Bizet et Moussorgski. Ses nombreux disques sont des modèles d’interprétations difficiles à surpasser. GEIRINGER (Karl), musicologue américain d’origine autrichienne (Vienne 1899 - Santa Barbara, Californie, 1989). Élève de Guido Adler, il a été conservateur des archives, de la bibliothèque et du musée de la Société des amis et de la musique à Vienne (1930-1938), professeur au Royal College of Music de Londres (193940), professeur de musicologie à l’université de Boston (1941-1961), et, depuis 1962, directeur des études musicales à Santa Barbara (université de Californie). il s’est spécialement intéressé à Bach, Haydn et Brahms, et a écrit sur ces trois compositeurs plusieurs ouvrages et de nombreux articles : Joseph Haydn (Potsdam, 1932) ; Johannes Brahms (Vienne, 1935) ; Haydn, a Creative Life in Music (New York, 1946, plusieurs éd. rév. jusqu’en 1982, dont en all. J. Haydn. Der schöpferische Werdegang eines Meisters der Klassik, Mayence, 1959) ; The Bach Family (New York, 1954, trad. fr. Bach et sa famille, Paris, 1955) ; J. S. Bach, the Culmination of an Era (New York, 1966, trad. fr., Paris, 1970). Pour son soixante-dixième anniversaire, il a reçu le mélange Studies in 18th Century Music (Londres, 1970). downloadModeText.vue.download 411 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 405 GELBER (Bruno Leonardo), pianiste ar- gentin (Buenos Aires 1941). Ses parents, tous deux musiciens, lui font étudier le piano à l’âge de trois ans. Trois ans plus tard il commence à travailler avec Vincenzo Scaramuzza. À huit ans, il donne son premier récital à la radio, malgré une année d’immobilité forcée due à une attaque de polio. En 1956, déjà célèbre en Argentine, il joue sous la direction de Lorin Maazel. En 1960, il vient travailler à Paris et rencontre Marguerite Long, dont il devient l’élève. Un an plus tard, il remporte le 3e prix du Concours Long-Thibaud. Son répertoire fait une large part aux oeuvres de Schumann, Beethoven, Chopin, Schubert, Liszt et Brahms. il s’est vu décerner le Prix des discophiles et, à deux reprises, le Grand Prix de l’Académie Charles-Cros. GEMINIANI (Francesco), violoniste et compositeur italien (Lucques 1687 - Dublin, Irlande, 1762). Après des études à Lucques avec son père, il travaille à Milan avec C. A. Lonati, puis à Rome avec Corelli et à Naples avec A. Scarlatti. Après avoir occupé un poste de violoniste à Lucques de 1707 à 1710, il part pour l’Angleterre. De 1733 à 1740, il est à Dublin où il enseigne et donne des concerts privés. Au théâtre Drury-Lane de Londres, il dirige les concerts du Carême de 1740 à 1749. Dans la capitale anglaise, il rencontre Haendel et se fait applaudir comme violoniste. C’est en 1751 qu’il publie à Londres un traité important, The Art of Playing on the Violin (rééd. en facsimilé, 1952). Geminiani fait encore divers séjours à Paris et à Londres, puis se rend à nouveau en Irlande en 1759. Compositeur de second plan, il a néanmoins ajouté l’alto au trio traditionnel de solistes (deux violons et basse) dans le concerto grosso, genre qu’il a illustré abondamment, ainsi que la sonate. Geminiani, tout en reprenant les principes formulés par Corelli, a fait progresser la technique du violon, notamment en ce qui concerne le démancher et les doubles-cordes. GENCER (Leyla), soprano turque (Istanbul 1927). Elle fait ses débuts à Ankara en 1950 dans le rôle de Santuzza (Cavalleria rusticana), puis elle se rend à Milan où elle se perfectionne avec Gianina Arangi-Lombardi qui lui donne la grande tradition de l’opéra romantique. Elle chante au San Carlo de Naples, puis à la Scala de Milan à partir de 1956. Elle y crée l’année suivante le Dialogue des carmélites de Francis Poulenc (rôle de la seconde prieure). Mais bientôt elle se spécialise dans les opéras de Donizetti, à la renaissance desquels elle a beaucoup contribué. Certains opéras de jeunesse de Verdi (La Battaglia di Legnano, I due Foscari) lui doivent également des reprises marquantes, ainsi que des opéras oubliés de Rossini (Elisabetta, regina d’lnghilterra). Dans le répertoire contemporain, elle a aussi défendu l’Ange de feu de Prokofiev. GENDRON (Maurice), violoncelliste et chef d’orchestre français (Nice 1920 Grez-sur-Loing 1990). Sa vocation fut partiellement déterminée par l’exemple des vedettes de la musique qui se produisaient alors fréquemment entre Cannes et Monte-Carlo. Premier prix du Conservatoire de Paris à l’âge de quatorze ans, il n’a pas attendu d’y être nommé professeur en 1970 pour former de nombreux élèves, dont beaucoup occupent aujourd’hui les premiers pupitres dans des formations mondialement réputées, telles que l’Orchestre philharmonique de Berlin. Son premier coup d’éclat fut la création à Londres en 1945, sous la direction de Benjamin Britten, du Concerto op. 58 de Prokofiev. Partenaire habituel de Yehudi et Hephzibah Menuhin, il enseigne aussi à l’école Menuhin en Angleterre et parcourt le monde non seulement en qualité de virtuose, mais de chef d’orchestre, ayant travaillé cette discipline avec Roger Désormière, Hermann Scherchen et Willem Mengelberg. Parmi ses nombreux enregistrements figurent ceux des concertos de Haydn et de Boccherini sous la baguette de Pablo Casals, qui lui ont valu d’être considéré comme le dauphin du maître catalan. GENERALI (Pietro), compositeur italien (Masserano, Vercelli, 1773 - Novarre 1832). Avec Mayr et Fioravanti, on peut tenir Generali pour l’un des meilleurs précurseurs de Rossini, dont il annonça parfois certaines touches expressives. Ses débuts à Rome - où il avait étudié - avec Gli Amanti ridicoli (1800) lui valurent aussitôt une renommée qui persista longtemps au-delà des frontières, et ses Baccanali di Roma (1816) furent joués jusqu’à La Havane. Une santé précaire qui, plus d’une fois, l’empêcha de parachever ses partitions comme il eût fallu, et l’éclatant succès de Rossini assombrirent son humeur et le menèrent à Barcelone, puis à Lisbonne, avant qu’il n’acceptât le poste de maître de chapelle à Novarre. Excellant dans le genre comique, habile orchestrateur, il se distingua tout autant dans l’opera seria et fut un pédagogue renommé ; il eut notamment pour élève Luigi Ricci. Parmi ses nombreux succès, on retiendra encore L’ldolo cinese (1807), La Moglie giudice del Marito (1809) et surtout Adelina (1810), ainsi que Attila (1812), la Vestale (1816), etc. Sur son monument funéraire, on fit inscrire qu’il avait inventé le procédé du crescendo. GENERO CHICO (esp. ; « petit genre »). Terme désignant un type de zarzuela en un acte extrêmement populaire en Espagne, et à Madrid en particulier, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. il s’agit, en fait, d’une sorte de résurgence de la sainete du XVIIIe siècle, qui dépeignait les coutumes et les du peuple. De la même façon, le genero chico est une espèce de théâtre miniature, satirique la plupart du temps, et dont les thèmes littéraires sont pris dans le quotidien et la vie du peuple, et les thèmes musicaux, dans la tradition folklorique espagnole et, principalement, madrilène. Les meilleurs auteurs de pièces de théâtre de l’époque n’ont pas hésité à écrire des livrets de genero chico tels, par exemple, Carlos Fernandez Shaw (qui écrivit également La Vida breve, mis en musique par M. de Falla) ou Ricardo de la Vega, auteur, entre autres, de la Verbena de la Paloma, qui, sur une musique de T. Breton, eut un succès retentissant. Parmi les principaux compositeurs de genero chico, citons d’abord Francisco Aranjo Barbieri, initiateur du renouveau national dans la musique espagnole, T. Breton, Geronimo Gimenez, dont El Baile de Luis Alonso assura la célébrité, José Serrano, auteur prolifique, et surtout R. Chapi et Federico Chueca, véritable Strauss madrilène. La popularité fulgurante du genre se traduisit par la construction, à Madrid seul, de 11 théâtres réservés à ce type de divertissement. Elle était due, à la fois, au caractère populaire de la pièce et à l’attention dont l’ont entourée d’éminents auteurs, mais aussi à sa courte durée, liée à la tradition de l’époque du théâtre par « section » (les établissements vendaient, pour une somme modique, des billets valables pour la durée d’un acte seulement). GENOUILLÈRES. À l’aide d’une bande de cuir attachée autour du genou de l’exécutant, celuici pouvait ainsi actionner un système de genouillères situées sous le clavier de l’instrument qui lui permettait de changer rapidement de registre sans qu’il ait besoin d’ôter les mains du clavier. Le célèbre facteur de clavecins français, Pascal Taskin, au XVIIIe siècle, est généralement considéré comme l’inventeur de ce système ingénieux. Employées également sur les premiers pianos, les genouillères furent peu à peu remplacées par des boutons manuels (comme à l’orgue), puis par des pédales. GENRE. Terme vague, aujourd’hui employé sans attribution déterminée : on parle du « genre lyrique » aussi bien que du « genre variétés » ou du « genre descriptif », du « genre symphonie » ou du « genre downloadModeText.vue.download 412 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 406 concerto », voire du « genre gai » ou du « genre ennuyeux ». Dans la musique grecque antique, par contre, le mot genre (genos) avait un sens précis, et désignait le mode de répartition des intervalles entre les bornes fixes (quarte) du tétracorde. On distinguait 3 genres théoriques : le diatonique, le chromatique et l’enharmonique ; mais par l’emploi des nuances, ce nombre pouvait être considérablement accru ; ainsi, Aristoxène dénombre 2 subdivisions du diatonique et 3 du chromatique, ce qui, avec l’enharmonique, donne 6 formes en tout ; encore précise-t-il que cette liste n’est absolument pas limitative. GEOFFRAY (César), chef de chorale, pédagogue et compositeur français (Lyon 1901 - Soucieu-en-Jarrest, Rhône, 1972). Il fut, à Lyon, élève de Florent Schmitt. Frappé par l’indigence de l’enseignement de la musique dans les écoles françaises, il entreprit de remédier de son mieux à cette carence en amenant la jeunesse à la musique vivante par la pratique du chant en commun. En 1938, il fut nommé professeur d’harmonie au conservatoire de Lyon et le resta jusqu’en 1944. Après la guerre, il se consacra à l’organisation de chorales au sein de différentes formations du scoutisme français et fonda en 1947 le mouvement choral international À coeur joie, dont il resta le président jusqu’à sa mort. De 1945 à 1966, il fut instructeur du chant choral à l’Éducation nationale. Outre quelques pièces pour piano et pour orgue et deux poèmes symphoniques (les Offrandes, 1925 ; Au bon soleil, 1926), son oeuvre est essentiellement vocale, profane ou religieuse. Il a composé près de 500 choeurs à l’intention des ensembles À coeur joie. GÉRARD (Yves), musicologue français (Châlons-sur-Marne 1932). Il a fait des études de philosophie à l’université de Nancy, des études de musique au conservatoire de Nancy (piano et solfège, premier prix en 1953), puis au Conservatoire de Paris dans les classes de N. Dufourcq (histoire de la musique, premier prix en 1956) et de Roland-Manuel (esthétique, premier prix en 1958). Il a effectué des travaux sur Boccherini (Thematic, Bibliographical and Critical Catalogue of the Works of Luigi Boccherini, Londres, 1969), sur Saint-Saëns et sur la correspondance de Berlioz (participation à l’édition de sa Correspondance générale). En 1975, il a succédé à N. Dufourcq à la tête des classes d’histoire de la musique et de musicologie du Conservatoire de Paris, et, depuis la même année, il est professeur invité de l’université Laval de Québec. Il a travaillé à Vancouver (1984-1986) et à l’université du Maryland (depuis 1987) et a publié en 1991 Saint-Saëns : Regards sur mes contemporains. GERBER (Ernst Ludwig), musicologue allemand (Sondershausen 1746 - id. 1819). Il succéda à son père, Heinrich Nikolaus (1702-1775), qui avait été l’élève de J.-S. Bach, dans les fonctions d’organiste et de secrétaire de la cour de Sondershausen. Érudit et collectionneur (son importante bibliothèque fut acquise par la Société des amis de la musique à Vienne), il a publié des dictionnaires qui contiennent de précieuses indications iconographiques et un essai de bibliographie des ouvrages imprimés de Haydn (1792). PRINCIPAUX ÉCRITS : Historisch-biographisches Lexicon der Tonkünstler (2 vol., Leipzig, 1790-1792) ; Neues historisch-biographisches Lexicon der Tonkünstler (4 vol., Leipzig, 1812-1814, traduit en français par F.J.M. Fayolle sous le titre de Dictionnaire historique des musiciens, Paris, 1810-11, 1817). GERBERT (Martin, baron de Hornau), musicologue allemand (Hornau, près de Horb-sur-Neckar, 1720 - Saint-Blasien 1793). Prêtre (1744), professeur de théologie et prince-abbé du monastère de Saint-Blasien (1764), il recueillit des manuscrits anciens en Allemagne, en France et en Italie, et, après lui avoir rendu visite (1761), correspondit avec le padre Martini jusqu’à la mort de ce dernier. Ses écrits comptent parmi les sources les plus précieuses pour l’étude de l’histoire de la musique, en particulier du Moyen Âge. GERHARD (Roberto), compositeur espagnol d’origine suisse (Valls, Catalogne, 1896 - Cambridge 1970). Élève de Pedrell et de Granados en Espagne, puis de Schönberg à Vienne et à Berlin (1923-1928), il se fixa à Barcelone avant d’émigrer en Angleterre en 1939. Les oeuvres principales de sa première période sont deux ballets, Don Quixote (1940-41) et Pandora (1943-44), l’opéra The Duenna d’après Sheridan (1945-1947), non représenté et non publié, et surtout le Concerto pour violon (1950). Il développa ensuite une conception originale, fondée en particulier sur les rythmes, de l’esprit sériel, avec notamment le Quatuor à cordes no 1 (1950-51) et la Symphonie no 1 (1952-53). Suivirent notamment la Symphonie no 2 (1957-1959), qu’il devait réviser partiellement à la fin de sa vie sous le titre de Métamorphoses, la Symphonie no 3 dite Collage, avec bande magnétique (1960), et la cantate The Plague (« la Peste »), d’après Albert Camus (1963-64). Cette période sérielle, qui fait de lui un des plus éminents parmi les disciples de Schönberg, culmina avec le Concerto pour orchestre (1965) et la Symphonie no 4 (1967). Citons encore un Quatuor à cordes no 2 (1960-1962) et, comme oeuvres écrites pour petit ensemble, Libra pour 6 instrumentistes (1968) et Leo pour 10 instrumentistes (1969). Il laissa inachevée une Symphonie no 5. GERINGAS (David), violoncelliste lithuanien (Vilnius 1946). Enfant prodige, il n’entre pourtant qu’à l’âge de dix-sept ans au Conservatoire de Moscou, où il étudie avec M. Rostropovitch. En 1969, il remporte le 1er prix du Concours de Bakou et en 1970 celui du Concours Tchaïkovski. Après plusieurs tournées en Occident, il s’installe en 1976 en R.F.A., est engagé comme violoncelle solo dans l’orchestre symphonique du NDR et enseigne au Conservatoire de Hambourg. Il a fondé le trio Geringas, avec l’altiste Vladimir Mendelssohn et le violoncelliste Emile Klein. Dans cette formation, il joue du baryton. Il a enregistré des trios avec baryton de Haydn et l’intégrale des concertos pour violoncelle de Boccherini (trois disques couronnés par l’Académie Charles-Cros). GERLE (Hans), luthiste et facteur de luths allemand ( ? fin XVe s. ou début XVIe Nuremberg 1570). On sait peu de chose de ce bourgeois, issu d’une famille de facteurs d’instruments installée à Nuremberg. Son intérêt ne réside pas dans ses compositions originales pour le luth (quelques Préludes), mais dans les indications précieuses qu’il fournit sur les montages, les modes de jeu et ornementations des luths (et aussi des violes de gambe et des violes sans frette), comme en témoignent ses ouvrages Musica Teusch (1532) et Tablatur auf die Laudten (1533). Ses transcriptions de pièces vocales indiquent son désir d’élargir le répertoire du luth (lieder allemands, chansons françaises). Il a développé la technique du luth (doubles cordes à l’unisson, notes répétées et jeu brisé). Ses oeuvres ont donné lieu à un travail important : la transcription automatique de ses tablatures pour luth par le groupe E.R.A.T.T.O. du C.N.R.S. publiée par la S.F.M. (Paris, 1974). GERLIN (Ruggero), claveciniste italien (Venise 1899 - Paris 1983). Diplômé comme pianiste du conservatoire de Milan, Ruggero Gerlin s’est fixé définitivement à Paris après avoir découvert le clavecin grâce à Wanda Landowska, dont il fut pendant vingt ans le disciple et le partenaire. Enseignant à son tour au conservatoire San Pietro a Majella de Naples et à l’académie Chigiana de Sienne, il a formé de très nombreux élèves tout en menant une longue carrière de concertiste international, seul ou avec orchestre, faisant apprécier une éblouissante virtuosité qui downloadModeText.vue.download 413 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 407 n’exclut nullement le sens poétique. On lui doit, outre ses enregistrements sanctionnés en 1949 et 1965 par le grand prix du Disque, une édition intégrale, publiée en 1943, des toccatas d’Alessandro Scarlatti et des sonates de Benedetto Marcello et Gianbattista Grazioli. GEROLD (Théodore), musicologue français (Strasbourg 1866 - Allenwiller, BasRhin, 1956). Après avoir étudié la théologie à l’université de Strasbourg et le chant à Francfort-sur le-Main et à Paris, il soutint, en 1910, une thèse de doctorat sur le chant français au XVIIe siècle. Il a enseigné l’histoire de la musique aux universités de Bâle et Strasbourg, et s’est fait connaître par ses ouvrages sur le chant en France au XVIIe siècle et la musique du Moyen Âge. PRINCIPAUX ÉCRITS : Clément Marot, les Psaumes avec leurs mélodies (Strasbourg, 1919) ; l’Art du chant en France au XVIIe siècle (Strasbourg, 1921) ; les Pères de l’Église et la Musique (Paris, 1931) ; la Musique au Moyen Âge (Paris, 1932) ; Histoire de la musique des origines à la fin du XIVe siècle (Paris, 1936). GERSHWIN (George), compositeur américain d’origine russe (New York 1898 Hollywood 1937). Pianiste éblouissant, il dut sa première gloire à un exceptionnel don de mélodiste qui l’amena (notamment en collaboration avec son frère Ira Gershwin) à composer quelque 500 « songs » qui tiennent de la mélodie européenne, de l’air d’opérette, de la rengaine anglo-saxonne et du jazz tout en manifestant une personnalité entre toutes reconnaissable malgré un confondant pouvoir de renouvellement. La qualité « classique » de cette production est attestée par le fait que les chansons des frères Gershwin sont toujours au répertoire des chanteurs actuels et que leurs thèmes ont été très largement adoptés par le jazz (I got rhythm, Lady be good, Do it again, Fascinating Rhythm, The man I love, Embraceable you, Someone to watch over me, etc.). Conscient de cette noblesse conférée à la chanson, Gershwin, tout en continuant de produire des shows pour Broadway (manières d’opérettes liées à l’actualité et où ces songs peuvent être repris de succès antérieurs s’ils sont en situation), évolua vers une forme de musique plus ambitieuse, rejoignant la tradition « classique « : Rhapsody in blue (1924), Concerto en « fa » (1925), Un Américain à Paris (poème symphonique, 1928), Seconde Rhapsodie (1931), Ouverture cubaine (1932), Variations sur « I got rhythm » (1934). Cet effort de synthèse devait trouver son expression définitive dans son chef-d’oeuvre, l’un des plus grands opéras du répertoire : Porgy and Bess (1935). Lors de l’avènement du cinéma parlant, Gershwin fut évidemment sollicité par Hollywood, mais ne participa de son vivant qu’à trois réalisations : Delicious (1931), Shall we dance (1936-37) et Damsel in distress (1937), avant d’inspirer, à son tour, un très grand nombre de films reprenant ses shows de Broadway, incluant une ou plusieurs de ses chansons, voire de ses partitions symphoniques (Un Américain à Paris, 1951), et contant sa vie (The man I love, 1946), ou restituant son opéra (Porgy and Bess, réalisation Otto Preminger, 1959). Gershwin est demeuré si actuel et reste si profondément symbolique de l’Amérique de l’entre-deux-guerres qu’un Woody Allen fait encore appel à sa musique pour évoquer un certain rêve américain (Manhattan, 1978). GERTLER (André), violoniste hongrois naturalisé belge (Budapest 1907). De 1914 à 1925, il est à l’Académie de Budapest élève d’Hubay en violon et de Kodaly en composition. Ami de Bartók, il devient son partenaire dans de nombreux récitals pour piano et violon, dès 1925 et jusqu’en 1938. En 1928, cependant, il s’installe en Belgique, et fonde en 1931 le Quatuor Gertler, en activité pendant vingt ans. Grand interprète de la musique de son temps, il joue le Concerto de Berg cent cinquante fois en public et, en 1945, donne la première audition européenne de la Sonate pour violon seul de Bartók. Avec son quatuor, il joue également les oeuvres d’Honegger. Professeur au Conservatoire de Bruxelles dès 1940, il enseigne entre 1945 et 1959 à la Hochschule für Musik de Cologne, puis à Hanovre de 1964 à 1978. GERVAIS (Charles-Hubert), compositeur français (Paris 1671 - id. 1744). Il semble qu’il ait accompli toute sa carrière à Paris et à Versailles. En 1697, il fait représenter, à l’Académie royale de musique, une tragédie lyrique, Méduse, sur un livret de l’abbé Boyer. En 1700, il devient le surintendant et maître de musique du duc d’Orléans. Sa carrière bénéficie alors de la protection de ce prince, grand amateur de musique et compositeur lui-même. Gervais publie un recueil de six Cantates françoises (Ballard, 1712) et, en 1716 (peut-être en collaboration avec le régent), écrit une nouvelle tragédie, Hypermnestre, qui va être reprise jusqu’en 1765. Il compose ensuite un ballet intitulé Amours de Protée (1720). En 1723, Delalande décide de céder trois des quatre quartiers de la Chapelle royale et nomme Ch.-H. Gervais (sans doute appuyé par le régent) au dernier (oct.-déc.). De cette activité nouvelle naissent un grand nombre de motets versaillais, pour la plupart à 6 voix avec 4 instruments concertants, et conservés en manuscrit. Ami de Campra et de Desmarets, Ch.-H. Gervais possède un style élégant, mélodieux et original, influencé, certes, par le maître aixois, mais capable d’émouvoir et non dépourvu de saveur harmonique. Son talent est très caractéristique de la détente dans les qui se produit en France après la mort de Louis XIV. GERVAISE (Claude), instrumentiste et compositeur français (XVIe s.). On ne sait rien de sa vie, sinon qu’il vécut à Paris vers 1550, et qu’il fut probablement joueur de viole, puisqu’il a laissé deux livres de pièces pour cet instrument, malheureusement perdus. De 1550 à 1557, Pierre Attaingnant puis sa veuve éditèrent sous son nom six livres de Danceries (branles, pavanes, gaillardes). Beaucoup de ces pièces ne sont que des adaptations pour les instruments de chansons polyphoniques de l’école parisienne (Janequin, Certon). En 1556, Claude Gervaise signa un autre livre contenant « XXVI chansons musicalles a troys parties... » (Attaingnant). 65 danses ont été rééditées par les soins de Henry Expert (Expert Maître XXIII, 1908). GESUALDO (Don Carlo, prince de Venosa), compositeur italien (Naples v. 1560 - Avellino 1613 ?). Issu d’une des familles les plus nobles et les plus anciennes du royaume des DeuxSiciles, il comptait parmi ses oncles le cardinal Carlo Borromeo dont la protection lui fut d’un grand secours tout au long d’une vie d’excès. Son père, compositeur amateur, fonda une académie musicale pour qu’il pût développer ses dons précoces. Il jouait du luth, chantait et composait. G. de Macque, Bartolomeo Roy et Pomponio Nenna firent partie de cette académie qui allait bientôt rivaliser avec celle, plus célèbre, du comte Bardi à Florence. Nenna fut sans doute d’ailleurs le principal maître de Gesualdo et lui enseigna l’art du madrigal. En 1578, Torquato Tasso fut admis à l’académie. Les deux premiers livres de madrigaux de Gesualdo mettent très souvent en musique des textes de ce grand poète. En 1586, Gesualdo épousa sa cousine Donna Maria d’Avalos, femme très belle, dont c’était le troisième mariage. Cette union ne fut guère heureuse : Gesualdo délaissa très vite sa femme qui reporta son affection sur le duc d’Andria. En 1590, découvrant son déshonneur, il fit poignarder les deux amants en sa présence. Redoutant la vengeance des familles, il se réfugia dans son château de Gesualdo et s’y prépara à l’éventualité d’un siège. Doutant de tout, même de la légitimité de son fils, il le fit étouffer. Grâce à son oncle, il put signer un contrat de fiançailles avec Eleonora d’Este, fille d’Alfonso d’Este, duc de Ferrare (1593). Ce second mariage fut encore plus houleux. La famille d’Este s’acharna à faire divorcer Eleonora, qui s’y opposait et réussit à ramener son époux dans le downloadModeText.vue.download 414 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 408 sein de l’Église. Gesualdo composa alors de la musique religieuse, dont un livre de répons pour l’office de ténèbres. Dans ces oeuvres, on note pour thème premier celui de la mort avec, en contre-chant, la parole du décalogue : « Tu ne tueras point. » L’oeuvre de Gesualdo comprend deux parties distinctes : la musique profane et la musique religieuse, chacune correspondant à une époque déterminée. En 1958 fut découvert le manuscrit d’un recueil de dix Gagliarde a 4 per suonare le viole et d’une Sinfonia a quattro antiche qui, avec une pièce de clavecin que possède le British Museum, constitue sa contribution à la musique instrumentale. Cette oeuvre est le reflet, avec l’audace d’expression d’un musicien attaché à la Renaissance mais qui annonce à plusieurs égards l’époque baroque, des excès d’une vie étonnante. À la lecture de ses six livres de madrigaux à 5 voix (un autre est à 6 voix), on découvre le cheminement d’un compositeur « révolutionnaire », en ce sens qu’il tente l’expérience d’un langage totalement nouveau et libre de toutes contraintes. Quant à l’expression, elle atteint souvent une intensité angoissée, voisine de la violence, soit dans la sensualité de ses madrigaux exploitant au maximum chaque occasion offerte par le texte (par exemple, Moro lasso al mio duolo), soit dans la contrition, le recueillement qui sont l’essence de la musique religieuse. Si on a pu qualifier Gesualdo de « génie hors pair », c’est qu’il a su allier une écriture d’une grande richesse contrapuntique à des recherches d’harmonie, où le chromatisme et les retards (parfois non résolus) conduisent à des dissonances fort en avance pour l’époque. GEVAERT (François-Auguste, baron), compositeur et musicologue belge (Hyusse 1828 - Bruxelles 1908). Fils de boulanger, élevé dans un millieu paysan, il montra des dispositions musicales précoces. En 1841, son père l’envoya à Gand étudier auprès du compositeur Jan Mengal, qui dirigeait alors le conservatoire. Prix de Rome en 1847, Gevaert fit représenter son premier ouvrage lyrique, Hugues de Zomerghem, sans grand succès, et partit pour l’Italie en 1849. Il visita aussi l’Espagne où il composa une Fantaisie sur des motifs espagnols, et l’Allemagne, avant de s’installer à Paris en 1853. Il y vécut jusqu’en 1870, composant une dizaine d’opéras, dont Quentin Durward (1858) fut le mieux réussi, une cantate, Jacob Van Artevelde, des choeurs, un Te Deum, un Quatuor à vents et des récitatifs pour le Fidelio de Beethoven, lors de sa représentation à Paris en 1860. Mais il s’occupait déjà de pédagogie et publia en 1863 un Traité général d’instrumentation. En 1867-1870, il fut directeur de la musique à l’Opéra de Paris, faisant représenter notamment Hamlet d’Ambroise Thomas, le ballet Coppélia de Delibes, et favorisant l’entrée au répertoire du Faust de Gounod en 1869. L’Opéra ayant fermé ses portes lors du siège de Paris, Gevaert retourna en Belgique. En 1872, il fut nommé directeur du conservatoire de Bruxelles, succédant à Fétis. Abandonnant alors presque totalement la composition, il se consacra à l’enseignement et à la musicologie. L’année de sa mort, il écrivit cependant l’hymne national du Congo, Vers l’avenir, sur commande du roi Léopold II. Mais il fut surtout l’auteur du Nouveau Traité d’instrumentation (1885), du Cours méthodique d’orchestration (1890), et du Traité d’harmonie théorique et pratique (1905-1907). Polyglotte, s’étant intéressé aux langues orientales et à la musique antique, il publia également trois ouvrages musicologiques d’une haute érudition : Histoire et Théorie de la musique de l’Antiquité (Gand, 18751881), la Mélopée antique dans le chant de l’Église latine (Gand, 1895-1896), et les Problèmes musicaux d’Aristote en collaboration avec Vollgraff (Gand, 1903). Ces ouvrages s’ajoutent à l’excellente Méthode de plain-chant qu’il avait publiée à Paris en 1856. Il était membre de l’Académie de Belgique, et reçut en 1907 le titre de baron. GEWANDHAUS. (allemand pour « maison aux tissus »). Fondés à Leipzig en 1781 par Johann Adam Hiller, les concerts du Gewandhaus furent inaugurés le 25 novembre de cette année-là dans une salle située dans la partie supérieure du bâtiment. De 1835 à 1847, ils eurent comme chef permanent Mendelssohn. Parmi ses successeurs, on peut citer Carl Reinecke (1860-1895), Arthur Nikisch (1895-1922), Wilhelm Furtwaengler (1922-1928), Hermann Abendroth (1934-1945), Vaclav Neumann (1964-1968), Kurt Masur (depuis 1970). Ils virent notamment la création, au XIXe siècle, du Concerto pour piano no 5 de Beethoven (1811), de la Symphonie no 9 de Schubert (1839), des Symphonies no 1 (1841), no 2 (1846) et no 4 (1841) et du Concerto pour piano (1846) de Schumann, de nombreuses oeuvres de Mendelssohn dont la Symphonie écossaise (1842) et le Concerto pour violon (1845), du Concerto pour violon de Brahms (1879), de la Symphonie no 7 de Bruckner (1884). GHEDALIA (pseudonyme de GHEDALIA TAZARTES), compositeur français (Paris 1947). Depuis 1974, il pratique l’« impro-muz « ; ainsi a-t-il baptisé sa technique de réalisation de bandes magnétiques, par superposition en re-recording de couches successives d’improvisation (surtout vocales, mais aussi instrumentales), qui prennent forme au fur et à mesure qu’elles s’accumulent. Il crée, en pur autodidacte et avec généralement sa propre voix pour unique source, de fantastiques délires musicaux, d’une inspiration forte et parfois bouleversante ; citons, entre autres, la Torture mieux qu’à la radio (1975), Temps réel (1976), Un sourire inécrasable (1977), la Couvée du schizophrène (1977), Pauvre Opéra vécu... (1978). Il présente lui-même ses musiques en concert avec une partie vocale supplémentaire faite en direct, des actions scéniques, des environnements de diapositives et d’images, etc. Faite avec peu de moyens, mais avec ce qu’il faut de talent, de souffle et de sens musical pour en tirer le meilleur parti, la musique de Ghedalia est une des révélations des années 70 dans le domaine de l’électroacoustique. GHEDINI (Giorgio Federico), compositeur et pédagogue italien (Cuneo, Piémont, 1892 - Nervi, près de Gênes, 1965). Il a fait ses études à Turin et à Bologne, et enseigné au Liceo musicale de Turin (v. 1920), puis au conservatoire de Parme (1938) et à celui de Milan (1941), qu’il a dirigé de 1951 à 1962. il s’est forgé un style polyphonique personnel largement influencé par la musique des anciens maîtres italiens, cela dès sa Partita (1926) et son Concerto grosso (1927). Outre de nombreuses oeuvres orchestrales et de chambre, on lui doit les opéras Gringoire (1915, non représenté), Maria d’Alessandria (1937), Re Hassan (1939, rév. 1961), La Pulce d’oro (1940), Le Baccanti (1948), Billy Budd (1949) et La Via della croce (1961), l’oratorio La Messa del Venerdì santo (1929), et l’opéra radiophonique Lord Inferno (Prix Italia, 1952, version scénique L’Ipocrita felice, 1956). GHERARDELLO DA FIRENZE, compositeur italien ( ? v. 1320-1325 - ? 1362 ou 1363). Son oeuvre est importante même si la quantité en est assez réduite. Appartenant à la deuxième génération de musiciens de l’école florentine du Trecento, comme Niccolo da Perugia, Gherardello fut l’un des meilleurs et des plus représentatifs. Compositeur de madrigaux (à ne pas confondre avec le madrigal du XVIe siècle), d’une caccia à 3 voix et de ballate, il composa également deux mouvements de messe (un Gloria et un Agnus Dei). Musicien savant, il possède un style d’écriture très typique des préoccupations théoriques florentines de l’époque. Par exemple, la caccia intitulée Tosto che l’alba et contenue dans le beau manuscrit Squarcialupi à Florence prend la forme d’un canon à deux voix mélismatiques (à l’unisson) au-dessus d’une teneur en valeurs longues. Le texte évoque les cris des chasseurs et le son des trompes. downloadModeText.vue.download 415 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 409 GHIAUROV (Nicolaï), basse bulgare (Velingrad 1929). Il débuta à Sofia en 1955 dans le Barbier de Séville (rôle de Basile), après des études de chant à Moscou. Sa carrière internationale commença en 1958, à la Scala de Milan où il chanta d’abord le Grand Inquisiteur dans Don Carlos de Verdi, avant d’aborder le rôle de Philippe II, dans lequel il allait triompher partout, notamment à Londres, Vienne, Paris, New York. Son autre rôle majeur est celui de Boris Godounov qu’il incarna, en particulier, au festival de Salzbourg. Sa voix de basse chantante ample et superbement timbrée est une des plus spectaculaires qui se puisse entendre. GHISI (Federico), compositeur et musicologue italien (Shanghai 1901 - Luzerna San Giovanni 1975). Élève de Fausto Torrefranca, il a enseigné à Florence, Pérouse (1945-1974) et Pise (1963-1970), et s’est surtout consacré à la musique italienne, et plus particulièrement florentine, du XIVe siècle au début du XVIIe. GIARDINI (Felice de), violoniste et compositeur italien (Turin 1716 - Moscou 1796). Élève de Somis à Turin, il se produisit en Allemagne et à Paris, puis s’établit en 1750 à Londres, où il mena une longue et brillante carrière. Retourné en Italie en 1784, il revint à Londres en 1790 comme entrepreneur d’opéra (son mauvais caractère l’y fit se quereller avec Haydn en 1792). Il partit pour la Russie vers 1793. Ce grand interprète laissa, comme compositeur, des concertos et des sonates pour son instrument, de la musique de chambre diverse dont des quatuors à cordes ainsi que des pages vocales, parmi lesquelles l’oratorio Ruth (1763). GIARNOVICHI (Giovanni Mane Jarnowick, dit), violoniste et compositeur italien, sans doute d’origine croate (Palerme ? v. 1735-1745 - Saint-Pétersbourg 1804). Personnalité excentrique, auteur de concertos pour violon, il séjourna à Paris de 1770 à 1779, à Vienne en 1786, à Londres de 1791 à 1796. Tant dans la capitale française que plus tard dans la capitale britannique, il fut supplanté par Viotti. GIBBONS (Orlando), compositeur anglais (Oxford 1583 - Canterbury 1625). Il est le fils de William et Mary Gibbons. Son père est l’un des city waits (« musiciens municipaux ») de la ville de Cambridge depuis 1567. Ses frères, Edward, Ellis et Ferrando, sont également des musiciens de métier. En 1596, il entre dans les choeurs de la chapelle de King’s College. En 1605, il est nommé au poste prestigieux d’organiste de la chapelle royale, qu’il conserve toute sa vie. L’année suivante, il est élu Bachelor of Music de l’université de Cambridge et épouse Elisabeth Patten, fille d’un officier de la chapelle royale. L’héritage de son beaupère va plus tard s’ajouter aux revenus qu’il reçoit pour son poste d’organiste et aussi comme membre des Musicians for the virginalls de la Chambre du roi à partir de 1619. En 1622, il est nommé Doctor of Music à l’université d’Oxford. Il succède ensuite à John Parsons comme organiste de l’abbaye de Westminster (1623). Il ne lui reste alors plus que deux années à vivre, mais il a l’occasion d’organiser les solennités musicales des funérailles de Jacques Ier en avril 1625 et d’en préparer d’autres pour l’arrivée de la nouvelle reine d’Angleterre, Henriette-Marie de France. Mais il est soudainement frappé d’apoplexie le 5 juin. Il est enterré dans la cathédrale de Canterbury au moment précis où toute la cour est assemblée pour célébrer le mariage de Charles Ier. L’oeuvre d’Orlando Gibbons, par sa qualité, peut se comparer à celle de William Byrd. Comme ce dernier, il se distingue surtout par sa musique religieuse et par ses pièces pour le clavier, quelques-unes paraissant dans le recueil Parthenia (v. 1613). Il a composé environ quarante anthems, mais, contrairement à la plupart de ses contemporains, il n’écrit pas sur des paroles latines, se consacrant uniquement au rite anglican. À l’exception de deux anthems (publiés dans Teares or Lamentacions of a Sorrowful Soule par W. Leighton, 1614), aucune de ces oeuvres religieuses n’est publiée de son vivant. Certaines sont des verse anthems, écrites dans le style polyphonique pour choeurs, mais avec des interventions solistes et pourvues d’un accompagnement pour l’orgue ou pour les violes ; d’autres sont destinées à des choeurs seulement comme, par exemple, l’impressionnant édifice polyphonique à 8 voix : O clap your hands. Son recueil Madrigals and Motets of 5. Parts : apt for Viols and Voyces (1612) contient le célèbre madrigal d’une simplicité émouvante The Silver Swan, exploitant le thème du cygne dans la musique, populaire depuis le Moyen Âge. La dernière pièce, Trust not too much, renferme une étonnante série de pédales harmoniques (sweet violets). La participation de Gibbons aux Cries of London, aux côtés de Weelkes et Dering, illustre encore un autre aspect de son talent et appelle la comparaison avec les Cris de Paris de Cl. Janequin. Dans le domaine de la musique instrumentale, en dehors d’un grand nombre de pièces pour le clavier (Fantasies, Pavans, Galliards), qui témoignent des capacités techniques de l’un des plus grands virtuoses de l’époque, il a signé des oeuvres pour le consort (notamment les violes), dont vingt-huit Fantasies de 2 à 6 parties (surtout à 3) et cinq In nomine. Neuf de ces fantaisies sont publiées en 1620. GIDE (André), écrivain français (Paris 1869 - id. 1951). Romancier et essayiste, il a tenu, de 1889 à 1949, un journal intime où il est souvent question de musique. Pianiste amateur, mais excellent musicien, André Gide a écrit des Notes sur Chopin (1931, rév. 1938), dans lesquelles il oppose au Chopin des jeunes filles et des virtuoses le poète secret et profond chez qui il découvre des affinités avec Baudelaire. Pour Igor Stravinski, André Gide a écrit en 1933 un mélodrame en trois parties, Perséphone. Darius Milhaud a mis en musique des extraits de la Porte étroite (Alissa, 1913 ; rév. 1931) et le Retour de l’enfant prodigue (1917). Jean Rivier a composé en 1931 des tableaux symphoniques inspirés par le Voyage d’Urien. GIELEN (Michael), compositeur et chef d’orchestre autrichien d’origine allemande (Dresde 1927). Il fit ses études à Buenos Aires, où son père s’était installé en 1939, et débuta comme assistant au théâtre Colón avant d’occuper des postes à Vienne, Stockholm, Cologne. Il a été de 1977 à 1987 directeur musical de l’Opéra de Francfort et est depuis 1986 directeur musical de l’Orchestre de la radio de Baden-Baden. Influencé comme compositeur par Schönberg, dont il a introduit l’oeuvre en Argentine, Gielen a, au cours de sa brillante carrière de chef d’orchestre, beaucoup fait pour la musique contemporaine, dirigeant notamment à Cologne le 15 février 1965 la première scénique des Soldats de Bernd Aloïs Zimmermann. GIESEKING (Walter), pianiste allemand (Lyon 1895 - Londres 1956). Né en France de parents allemands, il ne fit aucune scolarité et ne commença à travailler professionnellement le piano qu’à l’âge de seize ans. Après le retour de sa famille en Allemagne, il entra au conservatoire de Hanovre et étudia pendant cinq ans avec Karl Leimer. Il se produisit pour la première fois en public en 1915. Après la Première Guerre mondiale, au cours de laquelle il fut mobilisé et joua dans un orchestre militaire, il entreprit une activité de concertiste (Berlin, Londres, Italie, Suisse, États-Unis). Son jeu élégant et raffiné, sa sonorité transparente firent de lui un interprète réputé de la musique française (Debussy et Ravel notamment). Mais il avait également à son répertoire Mozart, Beethoven, Schubert, Schumann, Liszt et Brahms. Il possédait une mémoire downloadModeText.vue.download 416 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 410 musicale prodigieuse et une technique naturelle ne nécessitant qu’un minimum de travail. En 1947, il prit la direction de la classe de piano au conservatoire de Sarrebruck. Il a publié Modernes Klavierspiel (1930), en collaboration avec son maître Leimer, a écrit des articles sur l’interprétation pianistique et a laissé ses Mémoires So wurde ich Pianist (1963). Il a également composé des pièces pour piano, des mélodies, de la musique de chambre. GIGAULT (Nicolas), organiste et compositeur français (Paris v. 1627 - id. 1707). Il fut organiste à Saint-Honoré (1646), puis à Saint-Nicolas-des-Champs (1652), poste qu’il conserva jusqu’à sa mort en le cumulant avec ceux d’organiste à SaintMartin-des-Champs, puis de l’hôpital du Saint-Esprit. Possédant chez lui un orgue et des instruments précieux, ce fut un bourgeois aisé et respectable, expert en facture d’orgues et professeur - il fut probablement, avec Roberday, l’un des maîtres de Lully. Il a laissé deux recueils de compositions. Un Livre de musique dédié à la très Sainte Vierge... (1683) contient des pièces convenant aussi bien à l’orgue qu’au clavecin et à divers instruments ; il présente les premiers noëls à variations de l’école française. Quant au Livre de musique pour l’orgue (1685), c’est, avec 184 pièces, le plus important de toute l’école d’orgue de notre pays. Il comprend trois messes, de nombreux morceaux groupés en six séries suivant les tons de l’Église, un Te Deum en 21 versets, suivi enfin de quatre pièces du huitième ton. Si la valeur de toutes ces pièces est inégale, Gigault n’en présenta pas moins plusieurs traits originaux et intéressants. C’est ainsi qu’il fut le premier à écrire pour son ins- trument en polyphonie à cinq voix ; il aimait aussi la manière de Frescobaldi ou celle de Titelouze, qu’il emprunta parfois dans son contrepoint, et il pratiquait une harmonie personnelle, émaillée de dissonances inattendues. Toutes ces pièces sont destinées à l’usage strictement liturgique, comme en témoignent l’emprunt de nombreux thèmes grégoriens et la concision de ces commentaires musicaux appelés à s’insérer dans le déroulement des offices religieux. GIGLI (Beniamino), ténor italien (Recanati 1890 - Rome 1957). En 1914, il obtint le prix au concours international de Parme. Il débuta la même année à Rovigo dans Enzo de La Gioconda de Ponchielli. Quatre ans plus tard, il incarnait le Faust du Mefistofele de Boito, sous la direction de Toscanini à la Scala de Milan. À partir de 1920, il chanta régulièrement au Metropolitan Opera de New York où on le considérait comme le successeur de Caruso. Sa voix, caractéristique de l’école italienne, fut l’une des plus belles du siècle. Malheureusement, il ne possédait aucun don d’acteur, et il commit des erreurs de style en appliquant les procédés expressifs de l’école vériste au bel canto, ce qui contribua à la dégénérescence de l’interprétation de l’opéra romantique italien. En revanche, il excella dans Puccini, Mascagni, Leoncavallo, même s’il n’eut pas l’intelligence musicale de Caruso. GIGOUT (Eugène), organiste et compositeur français (Nancy 1844 - Paris 1925). Il fit ses études à la cathédrale de Nancy, puis à Paris, à l’école Niedermeyer, où il devint l’un des élèves préférés de SaintSaëns et l’ami de Fauré. En 1863, il fut nommé organiste titulaire de Saint-Augustin, à Paris, où il demeura jusqu’à sa mort. À l’école Niedermeyer, il enseigna l’écriture, le piano et l’orgue, puis il succéda à Guilmant à la classe d’orgue du Conservatoire (1911), classe où son élève et disciple Marcel Dupré allait plus tard lui succéder à son tour. Son oeuvre de compositeur est immense et tout entière vouée à l’orgue, qu’il soit de concert ou de culte (Cent Pièces brèves dans la tonalité du plain-chant, 1889 ; Album grégorien, 1895 ; Cent Pièces nouvelles, 1922 ; quelques motets avec orgue, des pièces isolées ; 2 Rhapsodies ; 2 Suites et des Poèmes mystiques). Plus de six cents pièces sont destinées au service religieux. Son écriture châtiée respecte les règles du contrepoint classique, mais, en revanche, sa mélodie se renouvelle au contact du plain-chant grégorien. GIGUE. Danse d’origine anglaise ou irlandaise [Jig ou Gigg(e)]. On retrouve l’étymologie dans le mot allemand pour l’instrument populaire à faire danser par excellence (Geige = violon). En vogue en Angleterre à l’époque élisabéthaine, la gigue se répandit très vite en France et en Italie (giga). Chez les virginalistes anglais, la gigue pouvait adopter une mesure binaire ou ternaire (Bull, Farnaby et les maîtres du Fitzwilliam Virginal Book) et ce fut le cas également chez les luthistes français (D. Gaultier). Cependant, en France, le rythme allait devenir généralement pointé et être noté soit à 6/8, soit à 6/4. Le thème est souvent repris en imitation par les différentes voix et, au début de la seconde section de la forme binaire, est présenté sous sa forme renversée. En Italie, le tempo est nettement plus rapide, mais ni l’imitation ni le renversement ne sont pratiqués. À l’époque baroque, la gigue est très fréquemment la pièce finale de la suite instrumentale, par exemple chez Haendel et J.-S. Bach, dans leurs suites ou partitas pour le clavecin, où, en général, le style français est préféré. Après la mort de Rameau, la mode pour la gigue semble avoir été dépassée et Rousseau écrivit en 1768 : « L’on n’en fait plus guère en France. » Néanmoins quelques exemples réapparurent dans les oeuvres des compositeurs du XXe siècle. GILBERT (Anthony), compositeur anglais (Londres 1934). Élève de M. Seiber et de W. Goehr, influencé par O. Messiaen, il a écrit notamment l’opéra en 1 acte The Scene-Machine, version modernisée de la légende de Faust (1971), et une symphonie jouée à Cheltenham en 1973. GILBERT (Kenneth), claveciniste, organiste et musicologue canadien (Montréal 1931). Il a étudié au conservatoire de Montréal et a été l’élève de R. Gerlin (clavecin) et de G. Litaize (orgue). Professeur à Montréal, à Ottawa et à Anvers, il a notamment réalisé des enregistrements des oeuvres complètes pour clavecin de Couperin et de Rameau, et édité celles de Couperin et de Domenico Scarlatti. GILLES (Jean), compositeur français (Tarascon 1668 - Avignon 1705). Il fait ses études musicales à la maîtrise d’Aix-en-Provence sous la direction de Guillaume Poitevin auquel il succède, en 1693, comme maître de chapelle à la cathédrale Saint-Sauveur. On le trouve à Agde (1695), puis, en 1697, à Montpellier où il dirige la musique des états généraux du Languedoc. il s’installe ensuite à Toulouse, ayant la charge de la maîtrise de Saint-Étienne. À sa mort, il laisse une oeuvre de qualité qui a conquis, depuis longtemps, tout le midi de la France. Il semble qu’il n’ait écrit que de la musique religieuse. Le style mélodieux de Jean Gilles est ensoleillé et italianisant. C’est ce qu’on peut remarquer particulièrement dans les motets à voix seule. D’autre part, il sait aussi bien que Delalande, le grand maître du motet à grand choeur, illustrer le genre pratiqué à la chapelle royale de Versailles (Motets à grand choeur et symphonie). Une oeuvre importante de Gilles, restée longtemps célèbre, est le Requiem, écrit probablement à Toulouse et publié seulement en 1764. GILLIS (Don), compositeur américain (Cameron, Missouri, 1912 - Columbia 1978). Après des études à l’université du Texas, il a débuté comme trompettiste avant d’être directeur des programmes musicaux de la radio de New York, puis professeur dans différentes universités. Sa musique, d’approche aisée, aimable et divertissante, ne comporte aucune recherche particulière de langage et de style. Elle ne se propose que de plaire et d’amuser. Parmi un catalogue immense, comprenant notamdownloadModeText.vue.download 417 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 411 ment 12 symphonies (dont la Symphonie no 5 1/2, 1948, dite Symphonie pour rire, créée par Toscanini), 4 poèmes sympho- niques et 9 pièces orchestrales avec récitant, 8 opéras et de nombreuses pièces de musique de chambre, citons l’essai dramatique Let us pray (1973), pour récitant, choeurs, orchestre, bande et images en mouvement. GILSON (Paul), compositeur et pédagogue belge (Bruxelles 1865 - id. 1942). Élève de l’Athénée de Bruxelles, Paul Gilson termina ses études avec Gevaert avant d’obtenir le grand prix de Rome (1889). Sa brillante carrière de pédagogue, à Anvers puis à Bruxelles, a peut-être fait davantage pour sa réputation que son oeuvre pourtant solide, vivante et prestigieusement orchestrée, comprenant environ 400 numéros : la Mer et Variations symphoniques (orch.), des opéras (Princesse rayon de soleil et Gens de mer), la cantate dramatique Francesca de Rimini, des pièces pour piano (Suite nocturne), la Captive (drame chorégraphique), etc. GIMENEZ ou JIMENEZ, VOIRE XIMENEZ, JERONIMO, compositeur espagnol (Séville 1854 - Madrid 1923). Il vint à Paris pour étudier au Conservatoire avec Alard, Savard et A. Thomas. Il fut directeur de théâtre à Madrid, fondateur de l’Union des musiciens espagnols et animateur de la Société des concerts de Madrid fondée par Chueca. Il composa des symphonies, des mélodies et surtout des zarzuelas d’une verve et d’un souffle irrésistibles. Il a grandement contribué au développement du genero chico (musique théâtrale légère). L’intermezzo des Noces de Luis Alonzo (1897) est devenu un véritable symbole de la musique populaire espagnole, au même titre que la Danse du feu de Manuel de Falla. Parmi ses autres oeuvres célèbres, il faut citer le Bal de Luis Alonzo (1896), La Tempranica, « Précocité » (1900), La Torre del Oro (1900), Enseignement libre (1901). Falla reconnaissait en lui l’un des créateurs de l’école nationale espagnole. GINASTERA (Alberto), compositeur et pédagogue argentin (Buenos Aires 1916 - Genève 1983). Les références au folklore argentin ont longtemps été sa principale préoccupation, d’abord dans une écriture inspirée du franckisme (les ballets Estancias et Panambi), puis dans un style de tonalité élargie (Sonate pour piano, Variations concertantes). il s’en est ensuite évadé, au moins en ce qui concerne l’écriture, allant désormais de la technique sérielle (à partir du deuxième quatuor, 1958) au total chromatique et à l’écriture « spatiale » où des clusters se superposent aux structures de base, pour évoquer un monde fantastique et hallucinant où la réalité est recréée par l’imagination (la Cantata para América mágica, 1960 ; les opéras Don Rodrigo [1964], Bomarzo [1967], et Beatrix Cenci [1971] ; les concertos pour piano et violoncelle, etc.). Professeur au conservatoire de Buenos Aires, il est, depuis des années, le principal animateur de la vie musicale en Argentine et a formé une génération de compositeurs largement informée des techniques compositionnelles d’aujourd’hui. Parmi ses dernières oeuvres, un troisième quatuor à cordes (1973), la cantate dramatique Milena (1973), l’opéra Barabbas (1976-77) d’après Ghelderode, une sonate pour violoncelle et piano (1979), Jubilum pour orchestre (pour le quatrième centenaire de Buenos Aires, 1980), un deuxième concerto pour violoncelle (Vienne, 1981), une Symphonie no 2 (Saint-Louis, 1983). GINDRON (François), compositeur suisse ( ?, v. 1491 - Lausanne 1564). Prêtre à la cathédrale de Lausanne et ayant occupé, par ailleurs, des fonctions administratives, il fut l’un des meilleurs compositeurs de son temps pour le motet et la monodie huguenote. Ses 20 mélodies pour les Proverbes de Salomon et l’Ecclésiaste traduits par Accace d’Albiac du Plessis furent publiées par Janequin (Paris, 1558). Il a lui-même publié 7 motets remarquables à Genève (1555) et écrit la musique des Psaumes sur des textes de Marot et Théodore de Bèze, en utilisant les modes anciens et dans des harmonisations à 4 ou 5 voix. GINEZ PEREZ (Juan), compositeur espagnol, (Orihuela 1548 - ? v. 1612). Maître de chapelle à Orihuela, puis à Valence, Ginez Perez est le fondateur de l’école valencienne de musique religieuse dans la pratique traditionnelle des polyphonies à 2, 3 et 4 voix. On connaît de lui des motets, un magnificat, les Psaumes 113, 114, 119, 120, 129 et 137, des versets pour l’avent, des vêpres à 4 voix et autres pièces vocales à 3, 4, 5 et 6 voix, conser- vés pour la plupart en manuscrit, et que Pedrell a redécouverts. Il est l’un des plus grands musiciens de son temps par la puissance de l’inspiration, l’intensité du sentiment religieux et la qualité du style. GIOCOSO. (ital. : « joyeux »). Terme pouvant indiquer soit l’allure d’un morceau (allegro giocoso), soit son caractère général qui peut s’étendre à un ouvrage entier (Mozart, Don Giovanni, dramma giocoso). GIORDANI (Giuseppe), compositeur italien (Naples 1743 - Fermo 1798). Élève du conservatoire de Naples, il composa de nombreux opéras dont Eppomina (Florence, 1779). Après sa nomination en 1791 au poste de maître de chapelle de la cathédrale de Fermo, il se consacra surtout à la musique religieuse. Il fut souvent confondu avec Tommaso Giordani, avec lequel il semble n’avoir eu aucun lien de parenté. GIORDANI (Tommaso), compositeur italien (Naples v. 1733 - Dublin 1806). Son père, impresario, chanteur et librettiste, s’installa avec ses enfants en Grande-Bretagne en 1753. À Londres, Tommaso donna en 1756 l’opéra La Commediante fatta cantatrice. On le retrouve en 1764 à Dublin, où fut représenté en 1767 Phyllis at Court. De 1768 à 1783, il séjourna de nouveau à Londres, paraissant notamment au King’s Theatre. En 1783, il ouvrit avec le chanteur Leoni un théâtre d’opéra à Chapel Street à Dublin, mais cette entreprise échoua, et après son mariage en 1784, il se consacra surtout à l’enseignement. Il écrivit en 1789 un Te Deum pour la guérison du roi George III, et son dernier opéra, The Cottage Festival, fut représenté en 1796. On lui doit une cinquantaine d’opéras et beaucoup de musique instrumentale (sonates, concertos). GIORDANO (Umberto), compositeur italien (Foggia 1867 - Milan 1948). Il fut, avec Mascagni et Leoncavallo, l’auteur le plus significatif du mouvement vériste ( ! VÉRISME). Après de solides études accomplies à Naples, il se fit remarquer avec Marina (1888) et Mala vita (1892), devenue en 1897 Il Voto, puis avec Regina Diaz (1894), mais ne connut véritablement la gloire qu’en 1896 avec André Chénier, créé à la Scala de Milan, et où, tout en démarquant parfois la récente Manon Lescaut de Puccini, il faisait preuve d’un sens inné du théâtre, offrant en outre au ténor un rôle de grand relief. C’est au contraire pour la grande actrice et chanteuse Gemma Bellincioni qu’il écrivit en 1898 Fedora, d’après Sardou, oeuvre qui révéla Caruso. C’est probablement parce qu’il tenta d’échapper à l’image de marque que lui avaient imprimée les succès d’André Chénier et de Fedora que Giordano ne retrouva plus tout à fait la même faveur avec Siberia (1903), Marcella (1907), Mese Mariano (1910), Madame Sans-Gêne, d’après Sardou (New York, 1915), Giove a Pompei (en collaboration avec Franchetti, 1921), ni avec La Cena delle beffe (1924) et Il Re (1929), opéras où se révèle un soin tout à fait nouveau apporté à la partie orchestrale. downloadModeText.vue.download 418 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 412 GIOVANNELLI (RUGGERO, ou RUGGIERO GIOVANELLI), compositeur italien (Velletri, près de Rome, v. 1560 Rome 1625). Il est d’abord maître de chapelle à l’église San Luigi dei Francesi à Rome (15831591), puis à la Chiesa dell’Anima du Collegium germanicum. Il est peut-être élève de Palestrina, dont il prend la succession à Saint-Pierre en 1594, et il entre à la chapelle Sixtine en 1599, où il reste jusqu’en 1624. Ses motets, madrigaux et villanelles ont, seuls, été publiés, mais il est également l’auteur d’un grand nombre de pièces religieuses (messes, psaumes, motets). GIOVANNI DA CASCIA (Johannes de Florentia), compositeur italien (XIVe s.). Il appartient, comme Jacopo da Bologna, à la première génération de musiciens du Trecento. Né près de Florence, il est d’abord organiste à Santa Maria del Fiore avant de s’installer à Vérone à la cour de Mastino della Scala. Les renseignements sur sa vie sont très rares, mais il est pos- sible qu’il ait vécu quelque temps à Milan. Son oeuvre a fait l’objet d’une édition moderne, due à N. Pirotta, in The Music of 14th Century in Italy : (American Institute of Musicology, 1954). Elle comporte 16 madrigaux (à ne pas confondre avec le genre du XVIe s.) à 2 voix et 3 caccie. Dans les madrigaux, les deux voix (cantus et ténor) sont pourvues de texte, et les mélismes se trouvent surtout au début et à la fin de chaque vers. GIRAUDEAU (Jean), ténor français (Toulon 1916 - id. 1995). Il étudie le violoncelle et le chant au Conservatoire de Toulon où ses parents sont professeurs. En 1942, il fait ses débuts à l’Opéra de Montpellier avant de devenir, jusqu’en 1947, pensionnaire des Théâtres lyriques. À ce titre, il chante sur la plupart des scènes provinciales avant de faire ses débuts en 1947 à l’Opéra-Comique puis à l’Opéra de Paris, où il se produira jusqu’en 1968. Possédant plus de cent rôles du répertoire, il crée aussi de nombreux opéras contemporains, de Milhaud, Jolivet, Rabaud, Rosenthal et Tomasi. Il participe aux premières françaises de l’Ange de feu et du Joueur de Prokofiev, de Souvenirs de la maison des morts de Janáček, et incarne un Chouïski magistral dans Boris Godounov, dès 1949. Nommé professeur au Conservatoire de Paris en 1955, il enseigne également à l’École normale puis, en 1968, devient maître des études vocales de la Réunion des théâtres lyriques de France et directeur de l’Opéra-Comique. GIRDLESTONE (Cuthbert Morton), musicologue anglais (Bovey-Tracey, Devonshire, 1895 - Saint-Cloud 1975). Il fit ses études à l’université de Cambridge et à la Sorbonne. Il enseigna la littérature française de 1926 à 1960 au King’s College à Newcastle-on-Tyne et à l’université de Durham. Ses recherches sur la musique sont consacrées au XVIIIe siècle. Il a collaboré à plusieurs publications collectives et revues spécialisées, dont Recherches sur la musique française classique et la Revue de musicologie, et il a traduit le Traité des agréments de Tartini (1961). PUBLICATIONS : Jean-Philippe Rameau, his Life and Work (Londres, 1957 ; rév. en 1969 ; trad. française, Paris, 1962) ; Mozart et ses Concertos pour piano (Paris, 1939 ; rééd., 1953). GIROUST (François), compositeur français (Paris 1738 - Versailles 1799). Formé à Notre-Dame de Paris, maître de chapelle de la cathédrale d’Orléans (1756), lauréat du Concert spirituel pour son motet Super flumina Babylonis (1768), maître de chapelle des Saints-Innocents (1769), il écrivit pour le sacre de Louis XVI, à la chapelle duquel il passa en 1775, la messe Gaudete in Domino semper. Après avoir été surintendant de la musique du roi (1782-1792), il écrivit durant la Révolution plusieurs pièces patriotiques (Chant pour la fondation de la République). GITLIS (Ivry), violoniste israélien (Haïfa 1922). Premier Prix du Conservatoire de Paris à douze ans, il poursuit ses études avec Enesco, Thibaud et Carl Flesch, mais doit se réfugier à Londres pendant la guerre. Le public lui fait un triomphe au concours Thibaud-Long de 1951, qui décide de sa carrière internationale. Une fougue irrésistible caractérise le style de ce virtuose, fondateur en 1972 du festival de Vence, où ses dons d’animateur permettent aux musiciens de s’exprimer dans la plus complète liberté. GIULIANI (Mauro), guitariste et compositeur italien (Bisceglie, près de Bari, 1781-Naples 1829). Il quitta l’Italie en 1807 pour Vienne, dont il fit rapidement la conquête comme concertiste, professeur et compositeur, et où il séjourna jusqu’en 1819. il s’installa ensuite à Naples après une tournée à travers l’Europe. On lui doit pour son instrument, traité soit en soliste, soit combiné avec d’autres musiciens (deux guitares, musique de chambre, concertos), plus de deux cents oeuvres écrites sous le signe d’une brillante virtuosité. GIULINI (Carlo Maria), chef d’orchestre italien (Barletta 1914). Élève à Rome de Remy Principe (alto), d’Alessandro Bustini (composition) et de Bernardo Molinari (direction d’orchestre), il fit ses débuts de chef dans cette ville en 1944, et devint en 1946 directeur musical de la radio italienne, donnant notamment plusieurs opéras peu connus d’Alessandro Scarlatti. En 1950, il devint chef à la radio de Milan, et fit ses débuts au théâtre lyrique avec La Traviata de Verdi. En 1951, une exécution en studio d’Il Mondo della luna de Haydn attira sur lui l’attention d’Arturo Toscanini et de Vittorio de Sabata, à qui il succéda en 1953 comme chef principal à la Scala de Milan. Il occupa ce poste jusqu’en 1956. Il dirigea à cette époque au Mai musical florentin ainsi qu’aux festivals de Hollande et d’Aix-enProvence (Iphigénie en Tauride de Gluck, Il Mondo della luna de Haydn). Dans le domaine symphonique, il n’élargit son répertoire qu’avec prudence, n’abordant, par exemple, les symphonies de Beethoven que dans les années 60. Il est devenu également un grand interprète de Bruckner, Brahms et Mahler. Au théâtre, il travailla notamment avec Maria Callas et avec de très grands metteurs en scène. Après des représentations de La Traviata à Londres en 1967, il décida de ne se consacrer pour un temps qu’à la musique symphonique : il ne devait revenir à la scène lyrique qu’en avril 1982, avec huit représentations de Falstaff à Los Angeles. Devenu principal chef invité de l’Orchestre symphonique de Chicago en 1969, il a été chef principal de l’Orchestre symphonique de Vienne de 1973 à 1976, et, de 1978 à 1984, comme successeur de Zubin Mehta, chef principal de la Philharmonie de Los Angeles. Artiste raffiné, il possède une sensualité typiquement italienne mais toujours parfaitement dominée. Au disque, il a signé notamment trois versions de référence d’ouvrages lyriques : Don Giovanni de Mozart en 1960, Don Carlos de Verdi en 1971 et Rigoletto de Verdi en 1979. GIURANNA (Bruno), altiste et chef d’orchestre italien (Milan 1933). Sa mère, Barbara, pianiste professionnelle, encourage ses débuts. Il étudie le violon et l’alto à l’Académie Sainte-Cécile de Rome, et décide d’apprendre également la viole d’amour. Cette particularité le fait remarquer rapidement, et il se consacre à la musique de chambre baroque et classique. En 1951, il est parmi les membres fondateurs d’I Musici, et crée le Trio à cordes italien. De 1961 à 1972, il enseigne dans les plus prestigieuses institutions italiennes, à Milan, Rome et Sienne. De 1969 à 1972, il est professeur à la Hochschule de Detmold, et, depuis 1983, à celle de Berlin. Entre 1978 et 1980, il est l’altiste du Quatuor Vegh, et se tourne vers la direc- downloadModeText.vue.download 419 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 413 tion d’orchestre où il est un mozartien reconnu. Depuis 1983, il dirige l’Orchestre de chambre de Padoue. GIUSTINI (Luigi ou Ludovico), claveciniste et compositeur italien (Pistoia 1685 - id 1743). De nos jours, on se souvient de lui pour avoir publié des Sonate da cimbalo di piano e forte detto volgarmente di martelletti op. 1 (Florence, 1732), c’est-à-dire des sonates destinées à être interprétées sur le nouvel instrument de Bartolomeo Cristofori paru en 1698. GIUSTO (ital. : « juste »). Terme qui indique le mouvement juste (tempo giusto) d’un morceau, c’est-à-dire strictement en mesure et dans le mouvement exact, généralement un mouvement modéré. GLAREAN (Glareanus, Heinrich Loris, dit), humaniste et théoricien suisse (Mollis, canton de Glaris, 1488 - Fribourg 1563). Il fait des études littéraires et musicales à Berne, Rottweil (Allemagne), puis, à partir de 1506, à Cologne où il devient, pour la musique, l’élève de Cochlaeus. Il enseigne d’abord le grec et le latin à Bâle (1514-1517) avant de séjourner, sur la recommandation d’Érasme, à la cour de François Ier (1517-1522). Fréquentant les milieux humanistes parisiens et le compositeur Jean Mouton, il tente même d’ouvrir une école mais, déçu par la vanité des discussions sorbonnardes, il regagne Bâle en 1522 et se fixe, de 1527 à sa mort, à Fribourg où il enseigne la poésie et la théologie. Éditeur de Tacite, Horace, Boèce, il est l’auteur de deux ouvrages théoriques sur la musique : Isagoge in musicen (« Introduction à la musique »), parue en 1516, et le Dodecachordon, rédigé entre 1519 et 1539 et édité en 1547. Si le premier ouvrage traite brièvement des intervalles, des hexacordes et des modes, le second est d’une importance capitale pour la connaissance de la musique de son époque. S’inscrivant dans la tradition de Boèce et de Gafori, il s’arrête largement sur le problème de la modalité et porte à 12 les 8 modes traditionnels du Moyen Âge. Il traite de l’évolution de la polyphonie et livre de précieux renseignements et jugements sur Ockeghem, Obrecht, Josquin, Brumel, Isaac, Mouton, ainsi que sur les débuts de la musique mesurée à l’antique. GLASS (Philipp), compositeur américain (Chicago 1937). Il fait ses études à l’université de Chicago et à la Juilliard School. De 1964 à 1966, il séjourne en France, rencontre Ravi Shankar avec lequel il travaille pour une musique de film, et s’initie au tabla avec Alla Rakha. Il fait plusieurs séjours en Inde en 1966, 1970 et 1973. En 1968, il fonde à New York un groupe d’instruments amplifiés (claviers électroniques, vents, cordes, et plus tard voix) et crée One plus one (« 1 + 1 »), sa première oeuvre « additive ». La création d’Einstein on the Beach de Bob Wilson au festival d’Avignon (1976), puis sa reprise à Paris dans le cadre du Festival d’automne lui apportent la consécration. Désirant remplir totalement un espace de sons, Glass utilise un processus basé sur la progression additive (progression arithmétique, 1 + 1, 1 + 2, 1 + 2 + 3, etc.) d’une figure répétitive donnée, qu’il inaugure donc avec One plus one, joué par un soliste tapant des doigts sur la table. La répétition de la figure rythmique et l’adjonction de figures mélodiques créent des séries de mouvements inattendus qui exercent une sorte de fascination sur le public. Glass considère que c’est la structure qui permet au son d’exister. En 1970, il est amené à s’intéresser à l’effet physiologique de la musique et à créer par la suite des effets psycho-acoustiques. Dans Music in 12 Parts (1971-1974), dont l’exécution peut durer plusieurs heures, il introduit des élongations de sons sur plusieurs mesures et des successions d’accords, procédés qui seront développés dans Another Look at Harmony (1974), et dans Einstein on the Beach. Philipp Glass représente la réactualisation de la tonalité dans un nouvel environnement. GLAZOUNOV (Alexandre), compositeur russe (Saint-Pétersbourg 1865 - Neuilly- sur-Seine 1936). Descendant d’une des plus anciennes familles d’éditeurs russes, Glazounov s’avère un enfant précocement doué pour la musique. Sans avoir jamais fréquenté aucun conservatoire, il apprend en deux ans l’harmonie et les techniques de la composition sous la direction de RimskiKorsakov. Il a seize ans lorsque Balakirev dirige à Saint-Pétersbourg sa première symphonie, qui lui vaut par ailleurs les encouragements de Liszt. La même année (1882) voit la création de son premier quatuor à cordes. Glazounov est accueilli chaleureusement dans le cénacle de Belaiev, riche mécène et mélomane qui va devenir rapidement son plus fervent admirateur. En 1884, Belaiev crée les Concerts symphoniques russes pour faire jouer en priorité les oeuvres de Glazounov, puis il fonde en 1885 les éditions Belaiev à Leipzig pour les publier. En 1887-88, Glazounov aide Rimski-Korsakov à achever le Prince Igor de Borodine, dont il orchestre aussi la troisième symphonie. En 1889, il participe, avec Rimski-Korsakov, aux concerts de musique russe de l’Exposition universelle à Paris, où il revient en 1907 lors des concerts organisés par Diaghilev. En 1896, il dirige ses oeuvres en Angleterre, ayant reçu entre-temps la commande d’une Marche triomphale pour l’Exposition universelle de Chicago. Institué à la mort de Belaiev (1903) administrateur de toutes ses fondations, il en devient président en 1908. À partir de 1899, il enseigne au conservatoire de Saint-Pétersbourg, dont il devient directeur après les événements de 1905. Il restera à ce poste jusqu’en 1928, faisant preuve d’une admirable générosité envers les étudiants matériellement défavorisés. Émigré en 1928, Glazounov s’installe à Paris et effectue des tournées en Europe et aux États-Unis. Il fait la connaissance de Marcel Dupré et lui dédie sa dernière oeuvre, la Fantaisie pour orgue. Il meurt en 1936, le jour même où un concert de ses oeuvres doit être donné par l’orchestre Lamoureux. En 1972, ses cendres seront exhumées du cimetière de Neuilly et transportées à Leningrad. La puissance créatrice de Glazounov ne se ralentit qu’à la fin de sa vie et s’exerce dans presque tous les genres. Au début de sa carrière, sous l’influence nationaliste du groupe des Cinq, il écrit des oeuvres d’inspiration russe : les poèmes symphoniques Stenka Razine (1885), la Mer (1889), le Kremlin (1890), le Printemps (1891). En 1889, les Français le trouvent plus russe que Tchaïkovski. Il contribue, d’autre part, à élargir le répertoire de la musique de ballet : en 1897, Raymonda est créé à l’Opéra impérial de Saint-Pétersbourg dans une chorégraphie de Marius Petipa. L’année suivante, il écrit Ruses d’amour et les Saisons (création en 1900). En 1907, il orchestre pour Diaghilev la suite Chopiniana, qui devient en 1909 les Sylphides, et, en 1910, fait un arrangement orchestral du Carnaval de Schumann. Glazounov est l’un des rares Russes à n’avoir pas écrit d’opéras. C’est surtout dans le domaine de la musique pure qu’il s’exprime avec une aisance remarquable : 8 symphonies, 7 quatuors, 5 concertos (pour violon, pour piano, pour violoncelle, pour saxophone). Il reçoit dix-sept fois le prix Glinka destiné à couronner les oeuvres symphoniques. Les problèmes de développement de thèmes, les rythmes, l’écriture polyphonique le passionnent, et la richesse de son orchestration surpasse parfois celle de Rimski-Korsakov. Mais Glazounov est un compositeur foncièrement académique, réfractaire à toute forme d’évolution du langage musical. Cependant, chacune de ses nouvelles oeuvres est accueillie comme un événement, car sa maîtrise est ressentie comme un aboutissement de la musique russe et surtout comme une fusion des styles des écoles de Saint-Pétersbourg (nationalisme) et de Moscou (occidentalisme). Par les influences (Chostakovitch, Tcherepnine, Miaskovski) ou les réactions (Prokofiev, downloadModeText.vue.download 420 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 414 Stravinski) qu’il provoquera, il joue un rôle important à une époque où la musique russe cherche son second souffle. GLEE. Pièce vocale, écrite pour au moins trois voix solo a cappella, et dont le genre s’est particulièrement développé en Angleterre entre 1750 environ et 1830 (bien que le terme apparaisse déjà dans certains recueils du XVIIe siècle). Les glees ont eu une grande vogue et une certaine fonction sociale, étant interprétés dans les clubs d’hommes londoniens (ce qui provoqua la création de glee-clubs), et sont, pour cette raison, principalement écrits pour voix d’hommes. Ils sont caractérisés par de courtes phrases assez simples, sujettes à de nombreuses variations de rythme et de tempo. L’écriture harmonique est de style vertical et on n’y trouve pas d’effets contrapuntiques. Parmi les plus célèbres compositeurs de glees, citons tout d’abord Samuel Webbe l’aîné, dont la carrière (1740-1816) coïncide avec la période d’apogée de la forme, mais aussi Collcott, Horsley, Stevens et Webbe junior. GLIÈRE (Reinhold), compositeur soviétique (Kiev 1875 - Moscou 1956). Fils d’un facteur d’instruments d’origine belge, il travaille très tôt le violon et, dès l’âge de quatorze ans, manifeste ses dispositions en écrivant un quatuor à cordes. Après avoir entrepris ses études musicales à Kiev, il entre au conservatoire de Moscou (1894-1900), où il reçoit l’enseignement de Sokolovski et Hrimaly (violon), Taneiev (contrepoint), Arenski (harmonie) et Ippolitov-Ivanov (composition). Glière fréquente aussi, vers 1900, le groupe Belaiev. À Berlin, en 1905-1907, il se familiarise avec la direction d’orchestre grâce aux conseils d’Oskar Fried. Déjà il se fait connaître comme compositeur et apparaît dans ses premières oeuvres comme l’un des plus sûrs représentants de la tradition musicale russe (cf. ses 3 Symphonies monumentales), malgré l’influence de Liszt et de l’école française contemporaine sur le langage de son poème symphonique, les Sirènes (1908). Dès ce moment aussi, il entame une carrière de pédagogue (initiant Prokofiev à l’écriture à partir de 1902) ; il est nommé professeur au conservatoire de Kiev en 1913, puis directeur en 1914 ; en 1920, il devient professeur au conservatoire de Moscou et le reste jusqu’en 1941, accueillant dans ses cours Miaskovski, Davidenko, Ivanov-Radkevitch, Knipper, Litinski, Novikov, Rakov, etc. Son enseignement oriente assurément une partie de ses compositions. Parallèlement, il se livre à un réel travail d’ethnomusicologie et participe à l’affirmation musicale des minorités nationales soviétiques : en 1923, il écrit, en effet, le premier opéra azerbaïdjanais, Chah-Senem, d’après une légende du XVIe siècle, oeuvre de syncrétisme musical entre le folklore azerbaïdjanais et la tradition russe (première en russe, Bakou, 1926 ; première en azerbaïdjanais, Bakou, 1934). Il a également consacré beaucoup d’efforts à l’opéra ouzbek en composant, en collaboration avec T. Sadykov, une musique de scène sur des thèmes populaires ouzbeks pour Gul-Sara (Tachkent, 1936), transformée plus tard (1949) en opéra, et un autre ouvrage lyrique, Leïli et Medjnoun (Tachkent, 1940). Tout en continuant à écrire des oeuvres de musique de chambre pure, il crée le premier ballet soviétique sur le thème révolutionnaire de l’union de tous les prolétaires du monde : le Pavot rouge (1927). C’est l’histoire d’un navire soviétique arrivé dans un port chinois dans les années 20, des relations toutes simples qui se nouent entre les marins soviétiques et la population, des amours de la jeune Tao-Hoa et du capitaine russe, dont elle sauve la vie. Glière y introduit des danses à la mode tels le charleston ou le boston et y adapte la fameuse danse des marins de la chanson révolutionnaire Yablochko (« la Petite Pomme »). Il est revenu à la fin de sa vie au ballet en écrivant pour le cent cinquantième anniversaire de la naissance de Pouchkine (1949) une musique très simple, très dansante, celle du Cavalier de bronze. Puis, en 1951-52, il compose Tarass Boulba (d’après Gogol) et, en 1953, reprend son ballet, les Comédiens, en cherchant à le rapprocher de sa source littéraire (Fuente Ovejuna, le drame de Lope de Vega) : ainsi naît la Fille de Castille, son dernier ballet. GLINKA (Mikhaïl Ivanovitch), compositeur russe (Novospasskoïé, province de Smolensk, 1804 - Berlin 1857). Ses premières impressions musicales furent celles de la musique religieuse et d’un orchestre de serfs que possédait sa famille. À partir de 1817, faisant ses études classiques à l’Institut pédagogique de Saint-Pétersbourg, il prit quelques leçons de piano avec Field puis avec Carl Meyer, et de violon avec Boehm. Sa première oeuvre importante, Variations sur un thème de Mozart pour harpe (1822), fut écrite alors qu’il n’avait pas encore de réelle formation de compositeur. La même année, un voyage au Caucase lui fit découvrir la musique orientale. Pendant plusieurs années, il fit de la musique en autodidacte, produisant des mélodies russes et italiennes et une sonate en 2 mouvements pour alto et piano (1826). En 1830, il partit pour un voyage de trois ans en Italie afin d’y étudier l’art du chant. Il y découvrit les opéras de Bellini, Donizetti, Rossini. En revenant d’Italie, il s’arrêta à Berlin, où, pendant cinq mois, il allait étudier le contrepoint et mettre en ordre ses connaissances musicales avec S. Dehn, qui resta son seul véritable maître. Rentré en Russie, en 1834, il se mit à travailler à un opéra russe, Ivan Soussanine, sur un sujet historique proposé par le poète Joukovski et mis en livret par le baron Rosen. Le même sujet avait été traité en 1815 par l’Italien Cavos : au début du XVIIe siècle un paysan sauva le futur tsar Michel Romanov d’un attentat, grâce à un subterfuge par lequel il sacrifia sa propre vie. Pour plaire à Nicolas Ier, Ivan Soussanine fut intitulé la Vie pour le tsar et représenté à Saint-Pétersbourg le 27 novembre 1836. Il connut un immense succès auprès du public, mais provoqua la mauvaise humeur de certains critiques qui y virent « de la musique de cochers ». De 1837 à 1839, Glinka fut chef de choeur à la chapelle impériale. En 1840, il composa la musique de scène pour une tragédie de Koukolnik, le Prince Kholmsky. Au cours de ces années, il travailla à son second opéra Rouslan et Ludmilla d’après un conte en vers de Pouchkine, qui fut représenté six ans jour pour jour après le précédent, le 27 novembre 1842. Il semblait devoir bien se maintenir au répertoire, mais l’année suivante, une troupe italienne arrivée à Saint-Pétersbourg détourna l’attention des mélomanes russes. Déçu, Glinka quitta la Russie (1844) et entreprit un long voyage en France et en Espagne. Il passa la saison 1844-45 à Paris, se lia avec Berlioz et put, grâce à lui, faire exécuter plusieurs de ses oeuvres lors de trois concerts en mars et avril 1845. Il était le premier Russe joué en France. Il resta ensuite deux ans en Espagne (18451847), y étudiant le folklore espagnol. De ce séjour devaient naître deux fantaisies pour orchestre, la Jota aragonaise (1845) et Souvenir de Castille devenue après remaniement Une nuit d’été à Madrid (184849). Les années 1847-1852 se passèrent entre Novospasskoïé, Varsovie et SaintPétersbourg. 1848 vit la composition de la Kamarinskaïa, fantaisie pour orchestre sur deux thèmes populaires russes. En 1852-1854, Glinka vécut de nouveau à Paris, mais mena une vie retirée, en raison de sa santé défaillante. Il travailla à une symphonie ukrainienne, Tarass Boulba d’après Gogol, qu’il ne put achever et détruisit. De retour à Saint-Pétersbourg, il entreprit de rédiger ses Mémoires (185455). En avril 1856, il partit pour Berlin afin d’y travailler avec son vieux maître Dehn à l’étude des anciens modes religieux et de chercher sur cette base un nouveau style d’harmonisation des chants de l’Église russe. Mais il mourut prématurément le 15 février 1857. Il serait inexact d’affirmer que Glinka ait été le premier à citer des chants russes dans ses oeuvres ou à s’inspirer de sujets nationaux, ce qu’avaient déjà fait, à titre de divertissement, Pachkévitch, Fomine downloadModeText.vue.download 421 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 415 et d’autres compositeurs de la fin du XVIIIe siècle. Mais Glinka a été le premier à imprégner véritablement son langage des tournures mélodiques populaires et à donner à l’opéra russe une dimension dramatique, le transformant en « une solennité religieuse et patriotique » (Henry Mérimée). Certes, dans ses deux opéras, l’influence italienne reste sensible dans la division par numéros, la tendance à la virtuosité vocale et le peu de souci de la prosodie. Mais les choeurs et les airs d’Ivan Soussanine donnent toute leur dimension épique au peuple et au héros qui le représente, et nombre de scènes annoncent les opéras de Moussorgski. De son côté, Rouslan et Ludmilla, avec ses tableaux de l’Antiquité russe et sa féerie orientalisante, se retrouve dans les opéras-contes de Rimski-Korsakov. Dans Rouslan, Glinka met pour la première fois en scène un barde russe chantant une cantilène allégorique, de même qu’il est le premier à utiliser des mélodies et des rythmes orientaux (choeur persan, lezghinka, marche de Tchernomor). L’orientalisme, qui s’est déjà fait sentir dans le Prince Kholmsky, se retrouve dans les fantaisies espagnoles. À la base de l’école symphonique russe, la Kamarinskaïa établit le principe de la paraphrase et de la variation instrumentale des thèmes, opposé au développement de la symphonie germanique. L’orchestration de Glinka révèle un sens des coloris sonores et des nuances qui lui valut l’éloge de Berlioz lui-même. Ses hardiesses harmoniques sont souvent remarquables (gamme par tons dans Rouslan). Les nombreuses mélodies de Glinka, notamment le cycle Adieu à Saint-Pétersbourg (1840), laissent ressentir les influences de l’aria italienne, de la romance française, mais aussi de la chanson russe et de la ballade romantique. Ses pièces et cycles de variations pour piano relèvent de la musique de salon et présentent beaucoup moins d’intérêt. GLISSANDO. Passage d’une note à l’autre « en glissant » de façon continue sur les notes intermédiaires. Ce procédé d’exécution, auquel se prêtent tout particulièrement la voix humaine, les instruments à archet et le trombone à coulisse, est d’un emploi délicat. L’effet obtenu verse facilement dans la vulgarité, au point que le glissando descendant est parfois flétri du nom fantaisiste de degueulando. GLOBOKAR (Vinko), compositeur et instrumentiste yougoslave (Anderny, Meurthe-et-Moselle, 1934). Après plusieurs années passées en France, il se rend en Yougoslavie avec ses parents (1947) et poursuit ses études scolaires et musicales à Ljubljana. Dès 1955, il rentre en France. Inscrit au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, en classe de trombone, il remporte le premier prix en 1959. Il complète sa formation d’instrumentiste en suivant des cours de composition et de direction d’orchestre avec René Leibowitz. Depuis 1968, il assume une carrière d’enseignant (professeur de trombone à la Staatliche Hochschule für Musik de Cologne et de composition aux Kölner Kurse für Neue Musik), d’instrumentiste et de compositeur. En 1969, Globokar fonde le New Phonic Art Ensemble avec Carlos RoqueAlsina, Jean-Claude Drouet et Michel Portal. Cet ensemble, constitué de solistes virtuoses, a pour vocation la promotion de nouvelles formes musicales et de techniques de jeu telle l’improvisation. Vinko Globokar fait partie de cette nouvelle génération de musiciens pour qui la pratique musicale correspond à une activité globale, le travail de composition étant indissociable de celui d’interprète. Sa formation de virtuose lui permet d’aborder la composition d’une manière spécifique, d’introduire dans son projet compositionnel une attention particulière à l’instrument, mais aussi à l’instrumentiste, aux rapports intimes qui naissent entre eux. Mais, si Vinko Globokar n’a pas écrit de théâtre musical à la manière de Mauricio Kagel, de Dieter Schnebel ou de Michel Puig, il a pourtant été de ceux qui ont permis, par leur démarche, d’envisager les implications visuelles et gestuelles de l’instrument dans sa relation à l’espace. La virtuosité instrumentale, toujours présente dans ses oeuvres, n’est pas simplement une habileté mécanique : il s’agit bien pour lui de laisser transparaître sous le jeu instrumental sa propre sensibilité tactile ainsi que de multiplier les voies d’approche du corps instrumental. Aussi son répertoire est-il particulièrement riche et varié. Plusieurs de ses oeuvres posent les rapports entre interprètes comme des entrecroisements de données, non seulement musicales mais psychosociales ; c’est, par exemple, le cas de Traumdeutung (1967), psychodrame pour 4 choeurs sur le texte d’Edoardo Sanguinetti, ou de Drama (1971), qui concrétise une sorte de psychodrame entre un pianiste et un percussionniste. La situation engendrée par les rapports qui peuvent s’instaurer entre le soliste et l’ensemble des instrumentistes est particulièrement exploitée dans Ausstrahlungen (1972), pour soliste et 20 musiciens ; pour Globokar, en effet, rien de cet ensemble de composantes que constitue le jeu musical ne doit être écarté. L’orchestre étant, au fond, une microsociété régie par des règles et des codes, les fonctions professionnelles qui s’établissent nécessairement entre ses citoyens doivent entrer dans le jeu au même titre que les éléments purement musicaux (par exemple, dans Concerto grosso [1969-70] pour 5 solistes instrumentaux, choeurs et orchestre). On lui doit encore Monolith pour flûte (1976), Un jour comme un autre, oeuvre de théâtre musical créée à Avignon en 1979, Miserere pour 5 récitants, 3 groupes instrumentaux et orchestre (1982), Réalités/Augenblicke pour film, diapositives, bande et 5 chanteurs (1984), Sternbild der Grenze, pièce de théâtre musical d’après Peter Handke (créé à Metz en 1985), les Émigrés (Bonn 1987, version intégrale Radio France 1990). Pour Vinko Globokar comme pour toute une tendance actuelle de la jeune musique, l’instrument est considéré comme un potentiel acoustique à explorer par-delà les conventions et hiérarchies de valeurs. Les difficultés qui surgissent dans les partitions ne peuvent plus être considérées comme insurmontables. Au contraire, la virtuosité doit se donner comme un élément intégrant de la composition elle-même. Aussi Globokar a-t-il été investi jusqu’en 1980, au sein de l’I. R. C. A. M., de la responsabilité du département chargé de l’exploration des nouvelles ressources instrumentales et vocales en collaboration avec des acousticiens et des physiologues. À ces problèmes se sont ajoutés ceux de l’étude de la notation et de la codification des nouvelles partitions, de la lutherie et de ses prolongements électroacoustiques, et de la tradition orale. GLOCKENSPIEL. Terme allemand généralement préféré au français « jeu de timbres ». il s’agit d’un instrument à percussion qui consiste en une série de lames sonores de longueur variable, mises en vibration soit à l’aide de marteaux tenus à la main, soit par un clavier. C’est aujourd’hui une version perfectionnée du « carillon » de Papageno dans la Flûte enchantée de Mozart. Au lieu d’être disposées verticalement, les lames sont montées à plat sur deux rangs, les notes de la gamme d’ut majeur occupant le premier et les notes altérées le second, par groupes de deux et trois, comme au piano. L’étendue de l’instrument est de deux octaves et demie. Des instruments de sonorité similaire sont le xylophone et le célesta que Tchaïkovski a rendu célèbre (Casse-Noisette). GLORIA. Premier mot de plusieurs pièces de la liturgie latine. 1. Gloria Patri..., doxologie terminale de la récitation des psaumes. 2. Gloria in excelsis deo, cantique de louange, chanté à la messe après le Kyrie eleison. Les premiers mots sont empruntés à l’Évangile de saint Luc (cantique des anges aux bergers, lors de la Nativité), la downloadModeText.vue.download 422 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 416 suite a été ajoutée progressivement. Le gloria ne se chante pas aux jours de deuil ou de pénitence. Dans ses versions les plus anciennes, il a conservé un aspect litanique (par exemple, XVe Messe). Mis assez tôt en polyphonie, il s’y présente habituellement sous le titre Et in terra, les premiers mots étant réservés au célébrant. Il fait partie normalement des messes en musique, dont il constitue le second morceau. Lorsque les messes avec orchestre prirent une certaine ampleur, le gloria, comme le credo, fut fréquemment découpé en morceaux distincts, dont il devint usuel de traiter le dernier, Cum sancto spiritu, en final brillant, souvent fugué. Depuis le XVIe siècle, le gloria est rarement traité par les musiciens comme morceau isolé. Il existe cependant quelques exceptions notables (Vivaldi, Poulenc). GLOSE (glosa). Dans la terminologie espagnole, principalement au XVIe siècle, on appelait glosa toute espèce d’amplification d’un modèle donné, soit par variation ornementale (differencia), soit par développement thématique (tiento, ricercar), apparentant la glose au tiento ou au ricercare. GLUCK (Christoph Willibald), compositeur autrichien (Erasbach 1714 - Vienne 1787). Le père de Gluck était garde forestier, ce qui était alors une condition assez élevée : Kuno, le père d’Agathe dans le Freischütz de Weber, occupait la même fonction et avait droit aux égards de la communauté paysanne. C’est sans doute grâce au patron de son père, un prince Lobkowitz, que Gluck séjourna successivement à Prague, à Vienne et à Milan. Mis à part des sonates en trio, quatre ballets et quelques oeuvres de musique vocale, Gluck se consacra essentiellement à la composition d’opéras. Ses vingt et un premiers opéras, tous en langue italienne, furent représen- tés dans les plus grands théâtres d’Europe, de Naples à Londres et Copenhague. En 1754, il se fixa à Vienne, où, protégé par le comte Durazzo, directeur des théâtres de la cour, il composa des opérascomiques en français, parmi lesquels le Diable à Quatre (1759), le Cadi dupé (1761) et les Pèlerins de La Mecque ou la Rencontre imprévue (1764). Le tournant de sa carrière fut sa rencontre avec l’écrivain italien Calzabigi, dont la collaboration amena Gluck à dépasser les cadres de l’opéra italien traditionnel : avec Orfeo (Vienne, 1762) commençait ce que Gluck lui-même appela sa « réforme de l’opéra ». La clef la plus précieuse de cette « réforme » nous est sans doute fournie par la nomenclature des genres d’opéra au XVIIIe siècle, dont Gluck réutilisa les différents éléments dans une synthèse profondément originale. Il est significatif, par exemple, que l’Orfeo se situe dans une tradition qui remonte aux débuts de l’histoire de l’opéra, celle de l’azione teatrale (encore appelée festa teatrale). il s’agissait là d’une forme réservée à des occasions spécifiques (divertissements princiers), mais qui présentait pour Gluck des avantages considérables : les sujets mis en scène étaient de nature mythologique et exigeaient la mise en oeuvre d’un éventail de moyens expressifs plus large que dans le dramma per musica, à savoir une orchestration variée, de nombreux morceaux choraux et de grands récitatifs accompagnés. Mais à ces composantes de base Gluck ajoute des procédés venus d’un horizon opposé, celui de l’opéra français. Ainsi, le premier tableau garde l’aura poétique de la pastorale italienne, tout en suivant des principes de construction analogues à ceux d’une scène de Rameau. De même, la structure de l’air à da capo est écartée, à une exception près (Che fiero momento), au profit de formes plus rares mais plus souples, dérivées de l’opéra-comique, tels l’air strophique (Chiamo il mio ben così), le rondeau (Che farò), ou le vaudeville final. Ces recherches formelles prouvent bien que la réforme gluckiste ne s’est pas manifestée par une réduction de la part relative de la musique en regard du texte. À l’éparpillement d’arias stéréotypées a fait place une construction en longues scènes fortement structurées, permettant d’intensifier la tension dramatique sur une bien plus grande échelle. Mais il est tout aussi indéniable que cette volonté délibérée de rompre avec les conventions de l’opera seria passe par une nouvelle conception du livret. On verra Wagner suivre un cheminement semblable lorsqu’il arrivera, avec le Vaisseau fantôme, à sa propre définition du « drame musical ». Tournant le dos aux intrigues de palais qui formaient la trame des opéras métastasiens, Calzabigi reprend le mythe d’Orphée dans toute sa nudité primitive, sans la moindre péripétie secondaire qui vienne en entraver le déroulement. Il tranchait ainsi le noeud gordien de la complexité dramatique et permettait du même coup au musicien de concentrer ses moyens expressifs autour d’un but unique : exprimer dans toute sa force la douleur d’Orphée et sa détermination d’arracher Eurydice à la mort. Cette austérité draconienne sur le plan de l’intrigue laissera, certes, la place à une plus grande diversité de personnages dans les opéras que Gluck écrivit par la suite, mais constitue bien le point de départ de sa réforme. L’apport d’Alceste (1767) aux expériences commencées dans Orfeo dépasse de loin l’idée que peut en donner sa préface, célèbre manifeste rédigé par Calzabigi. Le hiératisme néoclassique de son architecture, qui repose en grande partie sur des « piliers » choraux, s’accompagne d’une recherche plus poussée encore de la complexité psychologique : dans la ligne de Che farò, l’air d’Alceste Io non chiedo, où se succèdent cinq tempos différents, suit toutes les émotions du texte avec une diversité de moyens qui le situe encore plus loin du monolithisme inhérent au cadre du da capo. Sans précédent également dans l’opera seria est le souci de la continuité dramatique, qui se traduit tantôt par des transitions d’un mouvement à l’autre, tantôt par l’intervention de plusieurs personnages différents (pouvant exprimer des sentiments parfois contradictoires) au sein d’un même morceau. D’autres opéras composés à Vienne à la même époque, Telemaco (1765) et Paride ed Elena (1770), témoignent également d’une grande inventivité, sans atteindre au grandiose d’Alceste. Les années qui suivirent Paride ed Elena furent consacrées à la composition d’Iphigénie en Aulide, en vue d’une représentation à Paris (1774). Il est probable que Gluck ait voulu y trouver une consécration internationale, sans se douter que l’esprit partisan du milieu littéraire français et les traditions pesantes de l’Académie royale de musique lui compliqueraient beaucoup la tâche. Mais il faut surtout voir dans ce changement de terrain le désir d’explorer plus avant les possibilités musicales et dramatiques inhérentes à la tragédie lyrique. C’était certes là un genre en sommeil depuis le Zoroastre de Rameau (1749), mais Gluck devait lui insuffler une vie nouvelle, qui donna lieu à un net regain d’activité dans les années qui précédèrent la Révolution. Iphigénie en Aulide est, à certains égards, l’opéra le plus novateur que Gluck ait écrit. La richesse dialectique des tirades raciniennes trouve pour la première fois son équivalent musical dans quatre gigantesques monologues, confiés à Agamemnon et à Clytemnestre : les variations de tempo, la finesse de la déclamation, l’intensité de l’accompagnement orchestral en font les sommets de l’oeuvre. Le choeur, dont le rôle dans Alceste était resté dans une large mesure d’ordre décoratif et structurel, prend ici toute sa dimension scénique : l’écriture antiphonique est maintenant utilisée à des fins réalistes pour rendre l’affrontement des partisans de Calchas et des défenseurs d’Iphigénie. À l’extrême opposé, les récitatifs les moins dramatiques, ou certains airs en demiteinte, n’échappent pas à une relative banalité. Le génie propre de Gluck le portait davantage aux grandes constructions musicales, centrées sur les points forts de l’action. Armide (1777), composée sur un ancien livret de Quinault, souffre d’un texte disparate et encombré de divertissements chorégraphiques, et trahit l’impasse où risquait de mener une conformité trop grande aux schémas de la tragédie lyrique. downloadModeText.vue.download 423 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 417 Le dernier « drame-opéra » de Gluck, Iphigénie en Tauride (1779), témoigne chez le compositeur et son librettiste d’une conscience aiguë de ces problèmes. Si les airs courts n’en ont pas disparu, leur style plus nettement mélodique leur confère davantage d’individualité et de force. Mais la grande originalité de cette oeuvre réside surtout dans la longueur de certains de ses airs, qui réintroduisent des épanchements lyriques tels qu’on n’en trouvait encore que dans l’opéra italien. La volonté de synthèse est analogue à celle d’Orfeo et d’Alceste, mais en sens inverse cette fois-ci. Le point culminant de l’acte II, et de l’opéra tout entier, avec Ô malheureuse Iphigénie, intervient au milieu d’une succession de solos, de récitatifs et de choeurs typique de l’opéra français. La grande lamentation d’Iphigénie prend ainsi tout son relief, portée par la dynamique propre à la tragédie lyrique, mais s’en détachant nettement par ses dimensions et par l’ampleur italienne de son envolée mélodique. Le premier morceau d’Iphigénie en Tauride constitue lui aussi un ultime pas en avant, dans un domaine dont l’importance apparaissait déjà clairement dans la préface d’Alceste : « J’ai imaginé que l’ouverture devait prévenir les spectateurs sur le caractère de l’action qu’on allait mettre sous leurs yeux, et leur en indiquer le sujet. » L’ouverture d’Iphigénie en Aulide, dont Wagner a donné une pénétrante analyse, présentait déjà l’originalité de se poursuivre sans interruption dans le premier monologue d’Agamemnon, dont elle partage également le thème principal. La scène de tempête sur laquelle débute Iphigénie en Tauride produit un effet plus frappant encore, tant par sa signification psychologique que par la hardiesse de ses procédés musicaux. La tourmente qui amène Oreste et Pylade sur « les bords cruels et sinistres » de la Scythie symbolise l’état d’âme de l’héroïne, en qui un songe est venu encore aviver l’angoisse de l’exil. L’entrée d’Iphigénie, au plus fort du déchaînement de l’orchestre, se fait dans le ton du relatif mineur, et non dans la tonalité principale, qui ne sera plus jamais explicitement rétablie ; après un repos sur la dominante, un récitatif très modulant vient prendre le relais, et les solos, les récitatifs et les choeurs s’enchaînent ainsi dans tout le premier acte sans la moindre césure. L’extension de la continuité musicale sur plusieurs morceaux est sans doute l’apport majeur de Gluck à l’évolution de l’opéra. Il reste difficile d’évaluer la postérité de son oeuvre, dans la mesure où les transformations que subit le genre au tournant du XIXe siècle ne peuvent s’expliquer que par des déterminations très complexes ; mais il suffit de lire les écrits de Berlioz et de Wagner pour se convaincre de l’importance que revêtait à leurs yeux ce novateur passionné, dont la musique portait en elle tous les traits contradictoires d’un style en pleine mutation. Si l’oeuvre de Gluck nous apparaît aujourd’hui sous un jour différent - on en retient surtout la grandeur néoclassique - c’est souvent qu’elle ne trouve pas d’interprètes suffisamment engagés pour en exprimer toute la force. Mais Gluck souffre plus encore de la date de ses plus grandes oeuvres, qui fait presque de lui un contemporain de Mozart, alors qu’il était de quarante-deux ans son aîné et que le relatif immobilisme de son écriture harmonique le rattache nettement à l’époque précédente. Les deux années qui séparent Iphigénie en Tauride (1779) d’Idomeneo (1781) rendent mal compte de la rupture radicale intervenue entre les deux oeuvres, au-delà de leurs ressemblances apparentes : chez Gluck, une architecture monumentale, où l’intensité expressive reste toujours subordonnée à l’action ; chez Mozart, un foisonnement de formes nouvelles, sous-tendues par le dynamisme du langage musical classique. GLYNDEBOURNE. Manoir élisabéthain du Sussex, près de Lewes (Grande-Bretagne), où se déroule chaque été un festival d’art lyrique, depuis 1934 (à l’exception des années de la guerre). Le fondateur John Christie, époux de la soprano Audrey Mildmay, fit construire un théâtre jouxtant la demeure dont il avait hérité. Les premières représentations, en mai 1934, furent réalisées pendant quinze jours avec une scène étroite, mais bien équipée (elle allait être agrandie en 1938), et une salle de 300 spectateurs. En 1937, celle-ci fut portée à 600 spectateurs, et, en 1953, le théâtre atteignit 750 places. Le festival, à l’origine consacré à Mozart, s’ouvrit avec les Noces de Figaro et Così fan tutte. En 1936, Glyndebourne présentait ses productions de Così, les Noces, la Flûte enchantée, Don Juan et l’Enlèvement au sérail. 1938 vit l’accession de Verdi avec Macbeth et de Donizetti avec Don Pasquale. En 1946, avec l’English Opera Group, c’était la première mondiale du Viol de Lucrèce de Britten. 1947 vit celle d’Albert Herring, également de Britten, ainsi que l’Orfeo de Gluck avec Kathleen Ferrier. Citons encore les productions du Rake’s Progress de Stravinski, de l’Ormindo ou de la Calisto de Cavalli. Les opéras, tou- jours chantés dans leur langue d’origine, sont l’objet d’un grand soin dans le choix des interprètes, souvent jeunes, mais d’une grande vraisemblance dramatique. Fritz Busch et Carl Ebert, chef et metteur en scène, eurent pour successeurs Vittorio Gui, John Pritchard et Bernard Haitink pour le premier, et Günther Rennert pour le second. Glyndebourne, au coeur de ses jardins et de ses prés, cultive une tradition où les joies de la musique se doublent de celles de la campagne : un festival dans le vrai sens du terme. Une nouvelle salle a été inaugurée en 1994. GNESSINE (Mikhaïl Fabianovitch), compositeur soviétique (Rostov-sur-le-Don 1883 - Moscou 1957). En 1901, il entra au conservatoire de Saint-Pétersbourg dans les classes de Rimski-Korsakov, de Liadov et de Glazounov. il s’est intéressé très tôt au langage harmonique de Mahler et aux différentes musiques orientales. Attiré, d’autre part, par les recherches du metteur en scène Meyerhold tendant à recréer le théâtre à l’antique, il travailla avec lui en 19121914, faisant un cours de déclamation musicale et écrivant des choeurs pour Antigone et OEdipe roi de Sophocle. Il enseigna la composition, à partir de 1923, à l’École de musique fondée par sa soeur Elena à Moscou en 1895, puis de 1925 à 1935 au conservatoire de Moscou, de 1935 à 1944 à celui de Leningrad, et de 1944 à 1951 au nouvel institut Gnessine. Fils d’un rabbin, il a écrit des oeuvres sur des sujets bibliques et a introduit dans la musique russe la musique traditionnelle juive (Variations sur un thème populaire israélite, 1917 ; Pages du Cantique des cantiques, 1919 ; Chansons israélites sur des textes en yiddisch, 1923-1926 ; Orchestre israélite au bal du gouverneur, 1926). En 1921-1923, il a séjourné en Palestine où il a composé son opéra la Jeunesse d’Abraham. À partir de 1926, les thèmes officiels soviétiques sont venus s’ajouter dans son oeuvre aux thèmes orientaux et israélites. Il a chanté avec force les révolutions et la puissance de l’U. R. S. S. dans le Monument symphonique 1905-1917 (1925-26), et l’Armée rouge (1943). Puisant dans les folklores des peuples de l’U. R. S. S., il a écrit Chants populaires de l’Azerbaïdjan pour quatuor, Adyghée pour sextuor, Cinq Chants des peuples de l’U.R.S.S. pour piano à quatre mains. Parmi ses nombreux élèves, il faut citer A. Khatchaturian et T. Khrennikov. GOBBI (Tito), baryton italien (Bassano del Grappa 1915 - Rome 1984). Il fit des études de droit avant de se consacrer au chant, et débuta à Rome, en 1937, dans le rôle de Germont (La Traviata). Le succès de sa carrière est dû à ses dons d’acteur et à son intelligence musicale, plus encore qu’à ses capacités vocales. Son timbre sombre et corsé est sans doute plus remarquable par les effets qu’il sait en tirer que par sa beauté intrinsèque. Son répertoire, très vaste, comprend une centaine d’opéras. Tragédien impressionnant, Gobbi s’est surtout illustré dans les grands rôles de Verdi : Rigoletto, Macbeth, Boccanegra, Iago, mais aussi dans le Wozzeck de Berg. Il a chanté dans le monde entier, a downloadModeText.vue.download 424 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 418 enregistré de nombreux disques, et tourné dans vingt-six films. GODARD (Benjamin), violoniste et compositeur français (Paris 1849 - Cannes 1895). Il travailla le violon avec Richard Hammer, puis entra au Conservatoire de Paris dans les classes de Vieuxtemps (violon) et de Reber (composition). Il concourut vainement pour le prix de Rome. Il joua, comme violoniste ou altiste, dans différents ensembles de musique de chambre. Compositeur, il écrivit de nombreuses pages pour violon, pour piano (24 Études), des mélodies, des oeuvres symphoniques (Symphonie gothique, 1883 ; Symphonie orientale, 1884 ; Symphonie légendaire, 1886), et huit opéras qui ne s’imposèrent guère sauf le dernier, la Vivandière (1895), à l’orchestration terminée par Paul Vidal. Musicien distingué, toujours satisfait de lui-même, mais ne s’attardant guère à parachever ses compositions, il fut cependant assez populaire de son temps. En 1887, il fut nommé professeur de la classe d’ensemble instrumental au Conservatoire. On lui doit une orchestration des Scènes d’enfant de Schumann. Phtisique, il se retira en 1892 sur la Côte d’Azur où il mourut. De nos jours, on ne se souvient que de son opéra Jocelyn (1888). GODOWSKI (Leopold), compositeur et pianiste américain, d’origine polonaise (Wilno 1870 - New York 1938). Il fait ses études à l’École de musique de Berlin avec Bargiel et Rudorff. Après une première tournée en tant que pianiste (1884), il étudie la composition à Paris avec Saint-Saëns en 1886, et effectue de nombreuses tournées en France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Godowski enseigne le piano au conservatoire de Chicago de 1890 à 1900, puis à l’Akademie der Tonkunst de Vienne en 1909, et s’installe définitivement aux États-Unis en 1914. Il a composé essentiellement des oeuvres de musique de chambre et des études de concert dans un style néoclassique (Renaissance, Triakontameron, Walzermasken), ainsi que des transcriptions d’oeuvres de Chopin et de Strauss (Symphonic Metamorphoses on Johann Strauss’s Waltzes). Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages didactiques, dont The Progressive Series of Piano Lessons. GOEBEL (Reinhard), violoniste allemand (Siegen 1952). Il étudie à Cologne avec Saschko Gawriloff et à Amsterdam avec Marie Leonhardt. En 1973, il fonde l’ensemble Musica Antiqua de Cologne. À la tête de cet ensemble, il explore le répertoire d’orchestre français, italien et allemand des XVIIe et XVIIIe siècles. Depuis le début des années 1980, l’ensemble a acquis une grande notoriété en Europe, se produisant dans de nombreux pays. GOEHR (les), famille de compositeurs. Walter, compositeur et chef d’orchestre allemand (Berlin 1903 - Sheffield 1960). À partir de 1933, il vécut en Grande-Bretagne. Élève de Schönberg, il composa en 1930 un opéra radiophonique, Malpopita. Il partagea ses activités entre la BBC et le disque. Alexander, compositeur anglais (Berlin 1932). Fils du précédent, il fut l’élève de Richard Hall, puis fit un séjour à Paris où il étudia auprès de Messiaen et d’Y. Loriod. Il regagna l’Angleterre en 1956. De 1960 à 1968, il travailla à la BBC, puis, en 1968, fit un voyage à Tokyo. En 1967, il constitua, pour le festival de Brighton, le Music Theatre Ensemble. L’université de Yale (États-Unis) lui confia une charge de professeur assistant. Depuis 1976, il enseigne à Cambridge. Ses oeuvres font volontiers appel aux techniques sérielles. Il a composé de la musique instrumentale dont un Quatuor à cordes (1967), une Sonate pour piano (1951-52), des oeuvres pour orchestre dont la Little Symphony (1963) et des concertos (violon, 1961-62 ; piano, 1971-72), de la musique vocale (Four Songs from the Japanese, 1959) et, pour le théâtre, un ballet (la Belle Dame sans Mercy) créé à Édimbourg en 1958, et l’opéra Arden must die (Hambourg, 1967). Citons encore l’oratorio Babylon the Great is fallen (Londres, 1979). GOETHE (Johann Wolfgang), écrivain et poète allemand (Francfort-sur-le-Main 1749 - Weimar 1832). Il n’avait pas vingt-cinq ans qu’il était déjà considéré comme le génie absolu de la poésie allemande, héritier de Lessing, Wieland et Klopstock. Après une enfance et des études heureuses, ces dernières marquées par ses premiers essais poétiques, il vient à Strasbourg et y célèbre, devant des amis éblouis, les démons puissants qui font de lui un héros du Sturm und Drang. Il découvre aussi, au contact de Herder, l’originalité et la supériorité du génie allemand. Sa production, en particulier Götz, Werther (1774) et quelques satires mordantes, lui vaut d’être appelé auprès du grand-duc de Weimar (1775). Là, en même temps qu’il devient conseiller politique, il s’intéresse aux sciences de la nature et donne désormais à ses poèmes l’ordre et l’équilibre qu’il découvre ou souhaite dans le monde. Cet apollinisme altruiste se traduit dans Iphigénie (1779), Torquato Tasso (1789) et les Élégies romaines (1790). Puis il se lie intimement avec Schiller, écrit les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister (1796) et reprend Faust, dont il a déjà écrit plusieurs scènes. En même temps, il fait de la cour de Weimar un important centre culturel classique, qui rayonne partout en Europe. À partir de 1805, il s’enferme dans la sérénité d’une vieillesse solitaire, indifférente aux jeunes générations. C’est là qu’il devient mythe. Comment Goethe, déifié de son vivant, a-t-il pu passer, aux yeux des Allemands et du monde, pour ce génie résumant à lui seul un grand siècle classique qui n’a pourtant jamais eu, en Allemagne, la même réalité, le même impact qu’en France ? Comment les musiciens romantiques purent-ils trouver en lui une des sources les plus riches de leur inspiration ? Car le XVIIIe siècle marque en Allemagne l’arrêt brutal, au nom du bon sens et de la raison, d’une fusion progressive des arts tirant sa force de l’intuition, du rêve et du retour aux origines de la culture et de l’expression germaniques. Au sein de l’Aufklärung, réplique de l’Encyclopédie française, Goethe, reniant jusqu’au Sturm und Drang de sa jeunesse, apparaît bien comme l’exemplaire contempteur de tout ce qui ne sert pas directement la connaissance. Peu touché par la musique (Mozart, Beethoven, Schubert, Weber, Berlioz, en firent les frais, directement ou non), il s’intéresse, par contre, à elle comme instrument de pédagogie. Son acceptation de Mendelssohn, qui insistait pour lui sur le caractère logique de son art, ses bons rapports avec Zelter, professeur pédant plus que créateur inspiré, en portent témoignage. Même dans son rapport à l’hellénisme, qui va envahir bientôt l’Allemagne, il n’ouvre la voie ni à un Wagner ni à un Nietzsche : il ne s’agit pas, pour lui, de bâtir aux bords du Rhin une nouvelle Grèce, mais plutôt d’humaniser la Germanie barbare au soleil des Anciens. Alors ? Goethe reste, avant tout, l’auteur de Werther et de Faust. Cette réduction de son oeuvre montre bien comment ses admirateurs ont pu habilement jouer de l’évolution de l’homme pour n’en retenir que certains aspects. Goethe, en effet, est triple. Sa première période, dite de Strasbourg et de Francfort, le montre en proie au Sturm und Drang, à la teutomanie, à la morbidité, à la fascination pour les génies titanesques. Cette période inspire tout autant Beethoven que les désemparés à venir. Puis Goethe part pour Weimar (1775) ; c’est là qu’il se convertit à la Raison, donnant pourtant le jour, par exception, à Egmont (dont s’empare aussitôt Beethoven) et au premier Faust, traité sur un mode médiéval, en qui toute l’Allemagne reconnaîtra son être éternel. Il entame aussi, comme une manière d’autobiographie, Wilhelm Meister, dont les premiers apprentissages, marqués au coin de la révolte, et la figure de Mignon, toute de rêve, connaîtront plus de succès que les dissertations du pédagogue despotique éclairé qui constituent pourtant, aux yeux de l’auteur, l’essentiel. Quant à la troidownloadModeText.vue.download 425 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 419 sième période (le Divan, Faust II, achèvement de Wilhelm Meister, Fiction et Vérité, et les très beaux Wahlverwandtschaften, les Affinités électives), elle n’a pratiquement inspiré personne, du moins quant au fond, à l’exception de Gustav Mahler (8e Symphonie). Ainsi la « descendance musicale » de Goethe est-elle paradoxalement fort importante. Outre Beethoven, déjà cité, elle prend sa source à Schubert (58 lieder, insistant plus sur la fragilité de l’homme que sur ses limites raisonnables) ; elle passe par Schumann (lieder, dont plusieurs tirés de Wilhelm Meister, Scènes de Faust), qui éprouve pourtant toujours quelque timidité devant l’oracle de Weimar, et lui préfère Heine ; par Liszt, trop essentiellement virtuose ; Loewe, simplement joli ; Mendelssohn, peu inspiré, Mahler (8e Symphonie), mystique ; elle trouve sans doute la perfection avec Wolff (51 lieder). Elle entraîne aussi, avec plus ou moins de bonheur, Berlioz (la Damnation de Faust), Gounod (Faust), mais, certes, ni Barbier ni Carré, ses librettistes, Massenet (Werther) et Ambroise Thomas (Mignon). On pourrait tout aussi bien ajouter Boito (Mefistofele), Busoni, très respectueux de la clarté tout italienne des poèmes, auteur lui-même d’un Doktor Faust, et d’autres encore. Mais, au fond, que reste-t-il de la démarche de Goethe, de sa volonté éducatrice ? GOEYVAERTS (Karel), compositeur belge (Anvers 1923 - id. 1993). Il a fait ses études dans sa ville natale (1942-1947), puis à Paris avec Milhaud, Messiaen et Leibowitz (1947-1950), et s’est affirmé comme le principal représentant flamand de l’avant-garde sérielle des alentours de 1950. Opus 3 aux sons frappés et frottés (1952) est un compromis original entre musique traditionnelle et musique concrète, la Sonate pour 2 pianos (1951) anticipe le « sérialisme intégral » des Structures I de Boulez, et Composition no 6 aux 180 objets sonores (1954) témoigne de sa découverte de l’univers électroacoustique. Son influence a été grande sur Stockhausen en ses débuts. Plus tard, il est revenu à des moyens d’expression plus traditionnels et a abordé les grandes formes avec Diaphonie pour grand orchestre (1957), la Passion selon saint Jean (1959), la Messe à la mémoire de Jean XXIII (1968), pour choeur et 10 instruments à vent Cinq Litanies (1979-1982), l’opéra Aquarius. Il a enseigné, de 1953 à 1959, au Studio de musique électronique de Cologne, et est professeur à l’Académie musicale d’Anvers, ainsi que producteur au studio de l’Institut de Psychoacoustique et de Musique Electronique de Gand. GOLABEK (Jakub), compositeur polonais (Silésie 1739 - Cracovie 1789). Il travailla à Cracovie au plus tard à partir de 1766, d’abord au collège de musique des jésuites, puis (v. 1774) à la cathédrale, ainsi qu’à l’école de musique de Waclav Sierakowski. On lui doit des oeuvres religieuses et quelques symphonies bien écrites et faisant un usage intéressant des instruments à vent. GOLDBERG (Johann Gottlieb), compositeur et claveciniste allemand (Dantzig 1727 - Dresde 1756). Emmené à Dresde vers l’âge de dix ans par le comte de Keyserlingk, ambassadeur de Russie en Saxe, il y bénéficia peut-être de l’enseignement de Wilhelm Friedemann Bach. Il n’est pas prouvé non plus qu’il ait été élève de Jean-Sébastien Bach à Leipzig. Les relations entre ce dernier et Keyserlingk, protecteur de Goldberg, ne font, en revanche, pas le moindre doute, mais on ne saura probablement jamais le dernier mot sur la genèse de l’oeuvre connue actuellement sous le nom de Variations Goldberg. Très apprécié en son temps comme virtuose du clavecin, Goldberg devint en 1751 musicien de chambre du comte Brühl. Sa renommée de compositeur fut moins grande. On lui doit, notamment, deux cantates et un motet, des sonates en trio, des préludes et fugues, et, pour le clavecin, vingt-quatre polonaises dans toutes les tonalités ainsi que deux concertos (mi bémol majeur et ré mineur) dans l’esprit de ceux de Carl Philipp Emanuel Bach. GOLDBERG (Szymon), violoniste et chef d’orchestre américain d’origine polonaise (Wloclawek 1909 - Toyama, Japon, 1993). Il fit ses études avec Michaelowicz à Varsovie et Carl Flesch à Berlin, forma avec Paul Hindemith (alto) et Emanuel Feuermann (violoncelle) un célèbre trio à cordes, et fut notamment premier violon de la Philharmonie de Berlin, dirigée par Wilhelm Furtwängler (1929-1934). Goldberg se consacra ensuite à des tournées internationales, jouant souvent en duo avec la pianiste Lili Kraus. Il fonda en 1955 l’Orchestre de chambre néerlandais. GOLDMARK (Karoly), compositeur hongrois (Keszthely 1830 - Vienne 1915). Fils du chantre de la communauté israélite de Keszthely, il eut une jeunesse difficile, changea fréquemment de résidence, apprit à lire seul, commença le violon à onze ans à Sopron, poursuivit ses études à Vienne, et fut ensuite violoniste du rang dans les orchestres des opéras de Sopron, Györ, Buda et Vienne. Installé à Vienne en 1859, il y apprit le piano en autodidacte, se lia avec la famille Bettelheim, qui devait le soutenir jusqu’à sa mort, et fit sensation en 1860 avec son Quatuor à cordes op. 8. La célébrité lui vint avec son ouverture Sakuntala op. 13 (1865) et surtout avec son premier opéra, la Reine de Saba (1875). Bien que vivant à Vienne, Karoly (Karl) Goldmark resta en contact étroit avec sa patrie, venant, par exemple, diriger la première de son poème symphonique Zrinyi (« Thèmes hongrois ») à Budapest, pour le cinquantenaire de la société philharmonique de cette ville en 1903. Mais les côtés « hongrois » de ses oeuvres relèvent essentiellement de la couleur locale. Professeur, il eut notamment comme élève Jean Sibelius. Critique, il se montra toujours un ardent défenseur de Wagner. Parmi ses ouvrages demeurés au répertoire : un concerto pour violon en la mineur, op. 28 (1877), et surtout le poème symphonique op. 26 Die la[«]ndliche Hochzeit (« Noces villageoises », 1876). GOLDONI (Carlo), auteur dramatique italien (Venise 1707 - Paris 1793). Initialement juriste, et bien qu’ayant passé ses trente dernières années à Paris ou à Versailles, cet écrivain laisse son nom essentiellement attaché à la comédie vénitienne, genre dans lequel il eut pour rival tardif, mais tenace, Carlo Gozzi (17201806), qui inspira aussi de nombreux musiciens. La verve inépuisable de Gol- doni, son langage très quotidien, son goût des situations apparemment comiques voilant mal un tragique insoupçonné, se retrouvent dans ses pièces de théâtre, mais également dans les poèmes qu’il écrivit à l’intention de compositeurs de son temps - et notamment à celle de Galuppi qui mirent directement ses textes en musique sans passer par l’intermédiaire habituel du livret d’opéra, cette pratique devançant de plus d’un siècle le « litteratüroper » des auteurs de la fin du XIXe et du XXe siècle. Fasciné dès son enfance par le théâtre de marionnettes, lassé par la tragédie, puis happé par les imprésarios de la commedia dell’arte, Goldoni dépassa vite ce dernier genre pour créer des personnages véritablement humains, taillés dans le vif, s’exprimant souvent en langage populaire, mais ayant une tout autre consistance. Sa collaboration avec les musiciens commença indirectement avec Gluck (Tigrane, 1743), se poursuivit avec Ciampi (1748), mais trouva son plein épanouissement grâce à Baldassare Galuppi pour lequel il écrivit L’Arcadia in Brenta (1749), Il Mondo della luna (1750), Il Filosofo di campagna, le chef-d’oeuvre du musicien (1754), puis Le Nozze, etc. Cependant qu’il écrivait encore pour Giuseppe Scarlatti, Bertoni, Fischietti, Scolari, Traetta (Buovo d’Antona, 1758), Gassmann, Lampugnani, Boroni, Sarti, etc., sa collaboration avec Piccinni fut également déterminante, puisque La Buona Figliuola, d’après Pamela (1761), downloadModeText.vue.download 426 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 420 confirmait la naissance du nouveau genre comico-sentimental de l’opera semi-seria. Ses poèmes furent, en outre, utilisés par Haydn (Lo Speziale, 1768, Le Pescatrici, 1769, Il Mondo della luna, 1777), cependant qu’ils étaient aussi réadaptés par divers poètes, dont Bertati, Coltellini (La Finta semplice, Mozart, 1768), ou Da Ponte pour Sarti, Martin Y Soler, Salieri, Paisiello, Cimarosa, etc. Avec environ cent soixante-dix opéras italiens inspirés de son oeuvre, Goldoni surclasse de très loin tous les autres poètes du genre léger, fournissant, de plus, des textes d’une qualité très supérieure à celle des habituels livrets d’opéra. Quelque peu négligé au XIXe siècle, sinon par Raimondi, Pedrotti et Usiglio (Le Donne curiose, Madrid, 1879), il revint à l’honneur au XXe siècle par le truchement de nouveaux librettistes qui fournirent des poèmes notamment à Wolf Ferrari (Le Donne curiose, I Quattro Rusteghi, Gli Amanti sposi, La Vedova scaltra, Il Campiello), à Malipiero (La Bottega del caffè, Sior Todero Brontolon, Le Baruffe chiozzotte, 1926) ainsi qu’à Maurice Thiriet (La Locandiera, Paris, 1960). GOLDSCHMIDT (Berthold), compositeur allemand naturalisé anglais (Hambourg 1903). En 1922, il étudie la composition avec Franz Schreker. Dès 1925, il reçoit le Prix Mendelssohn avec son Orchester-Passacaglia op. 4 créée par Erich Kleiber, dont il est l’assistant pour la première de Wozzeck. Il tient le célesta à la Philharmonie de Berlin, et Schönberg le recommande aux éditions Universal après l’audition de son premier quatuor. Son Ouverture pour la Comédie des erreurs remporte un vif succès, et en 1930, à la suite d’un chagrin d’amour, il écrit sa tragi-comédie musicale Der gewaltige Hahnrei (le Cocu magnifique), d’après Crommelynck. L’oeuvre est créée en 1932 à Mannheim, mais sa reprise au Städtliche Oper de Berlin est interdite par les nazis. Réduit à donner des concerts privés dans les milieux juifs de Berlin, il émigre à Londres en 1935, laissant derrière lui plusieurs manuscrits et les promesses d’une brillante carrière. En 1936, il compose un deuxième quatuor puis Ciaccona sinfonica, et collabore en 1938 avec le Ballet Kurt Jooss, composé d’artistes émigrés. Mais les occasions de travailler sont rares. De 1944 à 1947, il est au Service allemand de la BBC, et Carl Ebert l’invite à diriger Macbeth de Verdi au premier Festival d’Édimbourg. Il remporte en 1951 un concours de l’Arts Council avec son opéra Beatrice Cenci, d’après Shelley. Pourtant, en 1958, après avoir achevé ses Mediterranean Songs, il décide d’arrêter de composer, déclarant que ce n’est pas l’exil qui le réduit au silence, mais le règne sans partage de la musique atonale : jamais joué, torturé par l’idée que son univers musical n’intéresse plus personne mais refusant de prendre une voie qu’il ne ressent pas, il se tait jusqu’en 1983. Il aide cependant Deryck Cooke à reconstituer la Dixième Symphonie de Mahler, dont il dirige la première audition « complète » en 1964. À partir de 1983 et du quatuor avec clarinette qu’il écrit pour l’Amadeus Quartet s’opère une volte-face complète du destin : en 1987, à la faveur des Berliner Festwochen consacrées aux musiques interdites sous le régime nazi, on redécouvre toute son oeuvre : reprises de Beatrice Censi en 1988, du Cocu magnifique en 1992, Festival Goldsmith à Berlin en 1994. Naissent un trio avec piano (1985), deux quatuors (nos 3 et 4, 1989-1992), le choeur Belsatzar (1985). Son oeuvre de jeunesse se situe au confluent des avant-gardes berlinoises : vivacité rythmique extrême allant jusqu’au sarcasme, échos du music-hall, mais aussi orchestration raffinée et formes savantes. Il déclare avoir trouvé l’inspiration dans ses rapports humains, surtout avec des femmes : « Mes oeuvres ont toujours vu le jour dans l’échange avec l’élément féminin, dans toutes ses facettes. C’est l’aura dans laquelle je vis et compose. » GOLEA (Antoine), critique musical, musicologue, journaliste et conférencier français d’origine roumaine (Vienne 1906 - Paris 1980). Il a fait ses études musicales complètes à Bucarest et obtenu un premier prix de violon au conservatoire de cette ville, après avoir suivi l’enseignement de Cecilia Nitzulescu-Lupu (1920-1928) et de George Enesco. il s’inscrivit en Sorbonne en 1928, y obtint un diplôme de littérature allemande en 1931 et fut ensuite naturalisé français. À partir de 1944, il collabora à divers journaux (Carrefour, Témoignage chrétien, Musica, Disques, Harmonie) et participa, de 1946 à sa mort, à l’émission Tribune des critiques de disques. Célèbre pour l’indépendance de ses jugements, il a écrit de nombreux livres, parmi lesquels Pelléas et Mélisande, analyse poétique et musicale (Paris, 1952), Esthétique de la musique contemporaine (Paris, 1954), l’Avènenement de la musique classique, de Bach à Mozart (Paris, 1955), Rencontres avec Pierre Boulez (Paris, 1958), Georges Auric (Paris, 1959), la Musique dans la société européenne, du Moyen Âge à nos jours (Paris, 1960), Rencontres avec Olivier Messiaen (1960), l’Aventure de la musique du XXe siècle (Paris, 1961), Vingt Ans de musique contemporaine, 1940-1960, tome I : De Messiaen à Boulez, tome II : De Boulez à l’inconnu (Paris, 1962), Richard Strauss (Paris, 1965), Entretiens avec Wieland Wagner (Paris, 1967), Histoire du ballet (Lausanne, 1967), Claude Debussy (Paris, 1968), Marcel Landowski (Paris, 1969), Je suis un violoniste raté (Paris, 1973), la Musique de la nuit des temps aux aurores nouvelles (Paris, 1978). Il a participé également à plusieurs ouvrages collectifs. GOLESTAN (Stan), compositeur et critique roumain (Vaslui 1875 - Paris 1956). Élève de Dukas ainsi que de d’Indy et de Roussel à la Schola (1895-1903), il fut pendant vingt ans critique au Figaro, et enseigna la composition à l’École normale de musique. Dans un style fondé largement sur le folklore roumain, réel ou recréé, il a écrit notamment une Rhapsodie roumaine (1920), un Concerto roumain pour violon et orchestre (1933), Concertul carpatic pour piano et orchestre (1940), de la musique de chambre et le recueil vocal Doines et chansons (1922), dans la préface duquel il a exposé l’essentiel de ses idées. GOLSCHMANN (Vladimir), chef d’orchestre français d’origine russe (Paris 1893 - New York 1972). Il fonda en 1919, encouragé par Erik Satie, les Concerts Golschmann, et assura les premières auditions de beaucoup d’oeuvres du groupe des Six (Saudades do Brasil, de Darius Milhaud) et de compositeurs étrangers (Ballet mécanique, de George Antheil), ainsi que la première française d’Octandre d’Edgard Varèse. À partir de 1931, sa carrière se poursuivit aux États-Unis. GOMBERT (Nicolas), compositeur franco-flamand ( ? v. 1500 - ? v. 1556). Il fut chantre (1526) et surtout maître des enfants de choeur (1529) de la chapelle de Charles Quint, qu’il accompagna au cours de ses voyages (Espagne, Autriche, Italie, Allemagne). Nommé en 1534 chanoine de Tournai, Gombert semble y avoir passé la fin de sa vie. Même si la chanson tient une place non négligeable dans son oeuvre (oeuvres complètes publiées à partir de 1951 par l’American Institute of Musicology, sous la dir. de J. Schmidt-Görg, il est évident qu’il ne s’est pas laissé séduire par le style parisien, même lorsqu’il reprend les thèmes de Janequin (Chant des oiseaux ou la Chasse). Bien que contemporain de Sermisy ou de Janequin, il préfère utiliser dans ses pages profanes les principes de l’imitation parfois très poussée en usage dans les oeuvres religieuses (cf. En l’ombre d’un buissonnet et Qui ne l’aimerait, basés qui sur un triple canon, qui sur un quadruple). Élève, à en croire Heinrich Finck (Pratica Musica, 1556), de Josquin à qui il devrait son solide métier (il composa un motet Musae Jovis, « muses de Jupiter », à 6 voix sur sa mort), Gombert fait partie du cercle des musiciens liés à Charles Quint, qui, par suite des circonstances politiques, privilégient les pages d’inspiration religieuse (6 messes, 8 magnificat, 160 motets), bien éloignées du style et de la pensée de Josquin. Mais, à cette downloadModeText.vue.download 427 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 421 manière significative d’un milieu et d’une époque (cf. Salvator mundi à 6 voix et Regina coeli laetare à 12 voix), il oppose le plus souvent la recherche d’une forme et d’une interprétation juste du texte, renonçant aux répétitions injustifiées pour une simple déclamation (Surge, Petre à 5 voix ou Venite ad me omnes). Par là même, il a joué un rôle dans l’établissement du style nouveau. GOMES (Carlos Antonio), compositeur brésilien (Campinas 1836 - Belém 1896). Après quelques succès dans son pays, il connut la gloire à Milan avec son opéra Il Guarany (1870), que suivirent notamment Salvator Rosa (1874), Maria Tudor (1879), et, après son retour au Brésil, Lo Schiavo (1889), connu parfois sous son titre portugais O Escravo. Si l’élément national est intervenu dans l’inspiration littéraire ou musicale de ce compositeur, son rôle sur le plan européen a été déterminant dans l’évolution de l’opéra italien à la recherche d’une nouvelle expression entre la grande maturité de Verdi et l’éclosion du vérisme. Contemporain de Ponchielli, de Boito et de Catalani, animé d’une veine mélodique simple et immédiatement accessible, il fit preuve d’un approfondissement sérieux dans sa recherche d’une écriture plus raffinée, et Lo Schiavo annonce quelques aspects instrumentaux de l’oeuvre de Puccini. GOMOLKA (Mikolaj), compositeur polonais (Sandomierz v. 1535 - ? apr. 1591). Membre de la chapelle royale de Cracovie, puis membre de la cour de justice (1566) et avocat à Sandomierz, ensuite musicien du prince Zamoyski (v. 1590) et enfin musicien de couvent, il est l’auteur du monument musical le plus précieux du XVIe siècle polonais : un recueil intitulé Mélodies pour le psautier polonais, imprimé à Cracovie en 1580 et fait de 150 psaumes dans la traduction du plus grand poète polonais de la Renaissance, Jan Kochanowski. Écrits le plus souvent à 4 voix et note contre note, ces psaumes contiennent de nombreuses références à la musique populaire. De leur modernisme témoigne un chromatisme très poussé, subtil et dissonant. Les autres compositions de Gomolka sont considérées comme perdues. GONG. Instrument à percussion de la famille des « métaux ». Il consiste en une sorte d’assiette métallique suspendue par le bord. Un jeu complet de gongs en réunit 25, de différents diamètres et produisant autant de notes définies. Il en existe une grande variété, plats ou bosselés, et de différents profils, dont les ressources sont encore diversifiées par l’emploi de nombreux modèles de mailloches, baguettes, battes et balais. On peut aussi, comme pour le tam-tam qui n’est en somme qu’un gong contrebasse, obtenir des effets spéciaux par raclage de la tranche. GONZALEZ (Victor), facteur d’orgues français, d’origine espagnole (Hacinas 1877 - Châtillon-sousBagneux 1956). La manufacture qu’il a fondée en 19211925 à Châtillon-sous-Bagneux s’est illustrée dans un retour à des éléments du style classique, ce qui a contrasté sainement sur les excès de l’orgue postromantique. La maison Gonzalez en est venue ainsi à défendre un orgue « néoclassique », qui prétendait faire la synthèse des ressources des grandes écoles françaises antérieures. Dans cet esprit, elle a contruit et restauré de nombreux instruments français ; les plus caractéristiques de ce style sont ceux de la cathédrale de Reims, de SaintMerri à Paris, de la chapelle du château de Versailles ; ceux du palais de Chaillot ou de Saint-Eustache ayant fait l’objet de transformations ultérieures. Dirigée aujourd’hui par Georges Danion, petitfils de Victor Gonzalez, la firme, qui est la plus importante de France, a à son actif les orgues de la Maison de la radio à Paris (auditorium 104, 1967), ceux des cathédrales d’Auch et de Soissons, de l’oratoire du Louvre à Paris. GOODALL (Reginald), chef d’orchestre anglais (Lincoln 1901 - Canterbury 1990). Comme beaucoup de musiciens anglais, il reçoit une excellente formation de choriste d’église dans sa ville natale, où il apprend également l’orgue. Il étudie ensuite le piano, le violon et la direction d’orchestre au Royal College of Music de Londres. De 1936 à 1939, il travaille avec Malcolm Sargent à la Royal Choral Society, puis devient l’assistant d’Albert Coates à Covent Garden. Il assiste également Furtwängler à la Philharmonie de Berlin. En 1944, il est engagé au Sadler’s Wells Opera, et devient un important chef lyrique. En 1945, il crée Peter Grimes et, en 1946, dirige la première tournée anglaise du Viol de Lucrèce de Britten. L’année suivante, il entre à Covent Garden. À partir de 1961, Georg Solti le confine au rôle de répétiteur, mais il est redécouvert en 1971 dans une production fameuse de Parsifal. Wagnerien célèbre, il dirige le Ring au Sadler’s Wells Opera, puis l’enregistre avec la troupe de l’English National Opera. GOODMAN (Benjamin, dit Benny), clarinettiste et chef d’orchestre de jazz américain (Chicago 1909 - New York 1986). Il débuta dès l’âge de douze ans ; un peu plus tard, il fut engagé par Ben Pollack, qu’il quitta en 1929 pour se rendre à New York où, pendant quelques années, il fit carrière comme musicien de studio. En 1934, il forma un orchestre avec lequel, l’année suivante, à Los Angeles, puis dans tout le pays, il lança le style « swing », donnant ainsi au jazz la première place dans les goûts musicaux du public américain. Surnommé « King of Swing » - titre que plus d’un musicien noir eût pu lui contester si l’environnement social l’avait permis -, Benny Goodman connut jusqu’à la guerre un succès sans précédent. Il en profita pour imposer au public blanc, souvent réticent, des musiciens de couleur, dont il estimait le talent : non seulement l’arrangeur Fletcher Henderson, auquel l’orchestre devait la meilleure part de son répertoire, mais encore des solistes tels que Teddy Wilson, Lionel Hampton, Charlie Christian, appelés à former avec lui des trios, quartettes et sextettes, dont le disque a laissé maints témoignages. L’ossature de l’orchestre resta blanche, avec des musiciens tels que Bunny Berigan, Harry James, Gene Krupa, qui, devenus célèbres chez Goodman, fondèrent à leur tour des orchestres « swing ». Après la guerre, Goodman poursuivit sa carrière avec moins de bonheur, à la tête soit d’un orchestre, soit d’un petit ensemble. Remarquable instrumentiste, il a également participé à des concerts de musique classique. À sa demande, Béla Bartók écrivit pour lui ses Contrastes (1939). En 1955, Hollywood lui a consacré un assez médiocre film : The Benny Goodman Story. Type accompli du musicien professionnel, Benny Goodman a atteint un degré de maîtrise et de précision tel, qu’aucun musicien de pupitre, aucun soliste n’a pu, après lui, s’abandonner au laisser-aller des premiers temps du jazz. Chez lui, le goût de la perfection, le souci du travail bien fait marquent aussi bien le chef d’orchestre que le soliste : mais, si celui-ci dépasse par sa facture impeccable le niveau technique d’un Dodds, d’un Bechet, voire d’un Noone ou d’un Bigard, on ne trouve guère trace dans ses improvisations, sensibles, certes, mais assez académiques, de l’émotion musicale, du lyrisme qui animaient le jeu de ses grands prédécesseurs. De même, l’infleunce considérable de Goodman a été négative : après lui, la clarinette cesse d’être un instrument majeur dans l’histoire du jazz. GOODMAN (Roy), chef d’orchestre anglais (Guildford 1951). De 1959 à 1964, il est formé au sein de la maîtrise du King’s College de Cambridge, où il est remarqué comme soliste dans le Miserere d’Allegri. De 1968 à 1970, il étudie le violon au Royal College of Music de Londres, et, surtout, devient organiste. Passionné par la musique baroque, il fonde dès 1975 le Brandenburg Consort, et entreprend des recherches sur l’interdownloadModeText.vue.download 428 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 422 prétation de Bach. Il se spécialise également dans les symphonies de Haydn et de Carl Philip Emanuel Bach jouées sur instruments d’époque. Depuis 1986, il dirige le Hanover Band et l’Orchestre baroque de la Communauté européenne. Il est aussi directeur des études de musique ancienne à la Royal Academy of Music de Londres. GOOSENS, famille de musiciens anglais d’origine belge. Eugène, chef d’orchestre et chef de choeurs (Bruges 1845 - Liverpool 1906). Il s’est installé à Londres en 1873, et à Liverpool en 1893. Eugène, chef d’orchestre (Bordeaux 1867 - Londres 1958). Fils du précédent, il a fait ses études au conservatoire de Bruxelles et à Londres (Royal Academy of Music). Sa carrière de chef d’orchestre fut surtout associée à la direction de la Carl Rosa Opera Company. Eugène, compositeur et chef d’orchestre (Londres 1893 - Hillingdon 1962). Fils du précédent, il commença ses études au conservatoire de Bruges et les poursuivit au Royal College of Music, de 1907 à 1912, où il fut élève de Rivarde (violon) et de Stanford (composition). Violoniste, puis chef assistant du Queen’s Hall Orchestra, il dirigea en 1922 l’Orchestre de Covent Garden. De 1923 à 1931, il fut le chef du Rochester Philharmonic aux États-Unis, puis, de 1931 à 1946, du Cincinnati Symphony Orchestra. Il se rendit ensuite en Australie, où il fut à la tête du Sydney Symphony Orchestra (1947-1956). De 1947 à 1956, il fut directeur du New South Wales Conservatory. Il a laissé une oeuvre abondante et variée (musique de chambre, musique instrumentale, oeuvres pour orchestre), en particulier un oratorio, Apocalypse (1951-1953), et deux opéras, Judith (Londres, 1929) et Don Juan de Mañara (Londres, 1937). Leon, hautboïste (Londres 1897 - Tunbridge Wells 1988). Frère du précédent, il devint chef de pupitre dans le Queen’s Hall Orchestra avant de s’affirmer comme l’un des meilleurs solistes en Angleterre au cours de la première moitié de ce siècle. Ses deux soeurs, Sidonie et Marie, sont des harpistes professionnelles. GORCZYCKI (Grzegorz Gerwazy), compositeur polonais (Bytom v. 1667 - Cracovie 1734). Il étudie simultanément la musique et la théologie à l’université de Prague. En 1692, il retourne à Cracovie et entre dans les ordres. Il est nommé vicaire de la cathédrale de Wavel (1696). En 1698, il reçoit le titre de magister capellae ecclesiae de la cathédrale de Cracovie et dirige ainsi la musique lors du couronnement du roi Auguste II. Il a composé principalement de la musique religieuse (messes, proses, motets, hymnes), dont il subsiste une trentaine d’oeuvres. La plupart sont écrites a cappella, dans un style d’écriture affilié à l’école romaine. Quelques oeuvres (Completorium, Concerti da chiesa) sont conçues avec un accompagnement instrumental, dans un style baroque qui n’est pas sans rappeler l’art de Haendel. Son hymne Gaude mater Poloniae reste son oeuvre la plus populaire en Pologne et Gorczycki est considéré aujourd’hui comme un des musiciens les plus réputés de la musique baroque polonaise. GORECKI (Henrik Mikolaj), compositeur polonais (Czernica, Haute-Silésie, 1933). Élève, pour la composition, de Boleslav Szabelski à Katowice, il témoigna dans ses premières oeuvres, comme Chants sur la joie et le rythme pour deux pianos et orchestre (1956-1959) ou la Sonate pour deux violons (1957), de l’influence qu’avait exercée sur lui l’école de Vienne. Il évolua ensuite progressivement vers une épuration et une simplification du langage, s’attachant surtout à l’exploitation des timbres : ainsi dans Scontri pour grand orchestre (1960). Comme Penderecki, il se détacha du pointillisme, ceci en faveur de schémas clairs obtenus en particulier par des agrégats de blocs sonores aux effets contrastés, comme par exemple dans sa 2e Symphonie pour soprano, baryton, choeur mixte et grand orchestre pour le cinquième centenaire de Copernic (1972), ou dans la 3e, dite Symphonie de complaintes, pour soprano et orchestre, composée en 1976 et créée à Royan en 1977. Il a écrit depuis un Beatus Vir pour baryton, choeur et orchestre (1979), et un Concerto pour clavecin et cordes (1980). GORLI (Sandro), compositeur italien (Côme 1948). Après des études musicales dans sa ville natale, il obtint en 1968 un diplôme de piano au conservatoire Giuseppe-Verdi de Milan, et étudia, à partir de 1968, la com- position avec Bruno Bertinelli à Milan. La rencontre de Franco Donatoni aux cours d’été de Sienne en 1970 et le travail de composition effectué sous sa direction à Milan et à Sienne furent pour lui d’une importance capitale. Particulièrement intéressé par la direction d’orchestre, il a suivi les cours de Caracciolo et de Gusella ainsi que ceux de Swarowsky à Ossiach et à Vienne. Parallèlement à ses études musicales, Gorli a poursuivi des études d’architecture à l’École polytechnique de Milan. Depuis 1974, il enseigne la composition au conservatoire de Milan. Ses oeuvres, exclusivement instrumentales, élaborent un style personnel directement issu des recherches postsérielles. Citons Derivazioni pour quatuor à cordes (1970), Viveka pour trois groupes d’instruments (1971-72), Me-Ti pour orchestre (1973), Konzert « Gollum » pour treize instruments (1973-74), Serenata pour neuf instruments à cordes et clavecin ad libitum (1974), Chimera la luce pour grand orchestre à cordes, neuf vents, piano solo, choeur mixte et sextuor vocal (1975-76), Floraison blême pour piano et orchestre (1977), On a Delphic Reed pour hautbois et 17 instruments (1978), The Silent Stream pour violoncelle et orchestre (1980), Il bambino perduto pour orchestre (1982), Requiem (1989). GORR (Rita), mezzo-soprano belge (Zelzaete 1926). Elle fait ses débuts à Anvers en 1949, dans le rôle de Fricka de la Walkyrie, puis est engagée à l’Opéra de Paris en 1952 à la suite du premier prix qu’elle remporte au Concours international de Lausanne. Elle y débute dans Maddalena des Maîtres chanteurs. En 1953, elle s’affirme dans le rôle de Dalila auquel feront suite tous les grands emplois des répertoires allemand et italien : Brangaene de Tristan et Isolde, Vénus de Tannhäuser, Amneris d’Aïda, Eboli de Don Carlos. Dans le même temps, elle chante à Londres, à New York, à Naples et à Rome avec succès. Elle incarne Fricka à Bayreuth en 1958. Rita Gorr est considérée par certains comme la dernière véritable grande voix de mezzo-soprano. Son timbre chaud et homogène peut assumer un volume considérable. GOSPEL SONG. Chant religieux dérivé de l’Évangile (en angl. gospel), interprété dans la tradition négro-américaine. Le gospel song se distingue du negro spiritual par une référence exclusive au Nouveau Testament et un aspect spectaculaire emprunté au monde des variétés. Il n’est pas resté confiné à l’Église ; par le disque, puis par le concert, il s’est fait connaître à un public beaucoup plus vaste que celui des congrégations noires où il est né. Représenté par des artistes tels que Mahalia Jackson, Sister Rosetta Tharpe ou The Stars of Faith, le gospel song a des affinités avec les formes populaires du jazz et le rhythm’n’n blues. GOSSEC (François Joseph Gossé, dit), compositeur français (Vergnies, Hainaut, 1734 - Passy 1829). Fils de fermier, il commença à étudier la musique à la maîtrise de l’église de Walcourt, puis se perfectionna à celle de la cathédrale d’Anvers. En 1751, il se rendit à Paris où Rameau, auquel il avait été recommandé, le fit entrer comme chef d’orchestre chez le fermier général La Pouplinière. Son premier grand succès fut sa Messe des morts (1760), dont downloadModeText.vue.download 429 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 423 l’orchestration du Tuba mirum est étonnante pour l’époque et annonce Lesueur et même Berlioz. À la mort de La Pouplinière (1762), Gossec devint pour huit ans maître de chapelle chez le prince de Condé, pour qui il signa son premier opéra, le Périgourdin, représenté à Chantilly. En 1766, il fut également engagé par le prince de Conti, tandis que la ComédieItalienne donnait régulièrement ses opéras-comiques : le Faux Lord (1765), le Tonnelier (1765), Toinon et Toinette (1767). Ce fut également un des créateurs de la symphonie en France. Il en composa vingtquatre de 1756 à 1762 environ. En 1769, pour concurrencer le Concert spirituel, où étaient surtout données des oeuvres vocales, il fonda le Concert des amateurs, à la tête duquel il devait rester jusqu’en 1773. Il composa pour cet ensemble de nouvelles symphonies, dont celle intitulée la Chasse, et, en 1773, dans le cadre de cette institution, il fut le premier à diri- ger en France une symphonie de Haydn. La même année, il prit avec Gaviniès et Simon Leduc la direction du Concert spirituel, mais, en 1777, des intrigues de cour l’obligèrent à céder le poste à un chanteur de l’Opéra, Legros. En 1780, il fut nommé sous-directeur de l’Académie royale de musique, et, de 1782 à 1785, membre du Comité directorial de l’Opéra. En 1784, le baron de Breteuil lui confia la direction de l’École royale de chant et de déclamation, qu’il venait de fonder, et qui devait devenir, en 1795, le Conservatoire national. De cet établissement, Gossec fut un des fondateurs, et il en devint inspecteur avec Méhul, Cherubini et Lesueur. Républicain convaincu, il dirigea la musique de la garde nationale et composa pour diverses cérémonies officielles de la Révolution de nombreuses oeuvres de circonstance (Marche lugubre), des hymnes (À l’Être suprême, À la Liberté, À la Nature), des cantates, des pièces patriotiques (le Triomphe de la République). Napoléon ne lui en tint pas rigueur, et le nomma, en 1799, membre de la Commission d’examen de l’Opéra. Il le chargea aussi d’écrire de nouvelles cantates à la gloire de l’Empire. Gossec fut un des premiers promus dans l’ordre de la Légion d’honneur. Ses oeuvres lyriques, chorégraphiques, religieuses ou patriotiques connurent souvent le succès lors de leur apparition, mais aucune ne devait s’imposer par la suite. Toutefois l’esprit révolutionnaire et religieux de Gossec a certainement exercé une influence sur Beethoven. Son nom reste attaché à la fondation du Conservatoire, pour les élèves duquel il écrivit quelques leçons de solfège, des Principes de la musique en 2 volumes (1799 et 1802) et une Méthode de chant (1803). Il acheva encore, en 1809, une grande symphonie en fa « à dix-sept parties » - page étonnante où, à la forme mise au point par Haydn et Beethoven, se mêlent de nets échos des musiques de la Révolution -, puis cessa toute activité à partir de 1815 et se retira à Passy. GOTTSCHALK (Louis Moreau), pianiste et compositeur américain d’origine française (La Nouvelle-Orléans 1829 - Tijuca, Brésil, 1869). Fixé en France pendant dix ans (18421852), il y fut l’élève de Stamaty et commença sa carrière de pianiste vers 1845. De retour aux États-Unis, il continua ses concerts en interprétant ses propres com- positions, morceaux de genre, brillants et d’un sentimentalisme bien romantique, les premiers qui se soient inspirés de la musique indigène (rythmes noirs et créoles, mélodies folkloriques). Son succès fut très grand, même en France, au début de sa carrière. Il fut le maître de Teresa Carreño. Parmi ses nombreux titres : la Savane (ballade créole), le Mancenillier (id.), Bamboula (danse nègre), le Bananier (chanson nègre). GOUBAÏDOULINA (Sofia), femme compositeur russe (Christopol 1931). Née d’un père tatare et d’une mère russe, elle suit les cours de piano et de composition du Conservatoire de Kazan, puis de celui de Moscou (avec notamment Nikolaï Peïko et Vissarion Chebaline). De 1963 à 1992, elle vit à Moscou comme compositeur indépendant. Depuis, elle est installée en Allemagne. Les débuts de Goubaïdoulina sont marqués par l’influence de Chostakovitch, dont elle se libère assez vite pour édifier un style d’écriture facilement identifiable. La mystique et la pensée symbolique (In Croce pour violoncelle et orgue, 1979) sont les constituants principaux de l’univers de Goubaïdoulina. On peut y ajouter son affinité avec la poésie, celle de l’Égypte antique comme celle d’Anna Akhmatova (la Nuit à Memphis, 1969), de T. S. Eliot (Hommage pour soprano et octuor, 1987), d’Omar Khayyam ou de Marina Tsvetaieva (Percussio di Pekarski pour percussion, mezzo-soprano et orchestre, 1976). Pour elle « tous les hommes ont besoin de l’Eucharistie », et elle essaie de « composer afin de permettre à cet élément de naître dans la musique « ; on note dans presque toutes ses oeuvres une quête intense de la transcendance (Perceptio pour soprano, baryton et cordes, 1981-1983) et d’un lyrisme aigu, traduite par une riche technique de la narration musicale (discours haché, parsemé de silences, supposant le plus souvent une continuité intérieure) et par une maîtrise accomplie de la couleur. On lui doit notamment Concordanza pour orchestre, Vivente-non vivente pour synthétiseur et bande (les deux oeuvres sont de 1970), Instant de l’âme pour mezzo-soprano et orchestre, sur les vers de Marina Tsvetaieva (1974, rev. 1987), Introïtus-concerto pour piano et orchestre (1978), Réjouissezvous pour violon et violoncelle (1981), les Sept Paroles pour violoncelle, accordéon et cordes (1982), Offertorium-Hommage à J. S. Bach pour violon et orchestre (1984), Silenzio pour accordéon, violon et violoncelle (1991), Jezt immer Schnee pour ensemble et choeur de chambre (1993), Concerto pour flûte, cordes et percussion (1994), quatre quatuors à cordes. Elle a obtenu le premier prix au Concours international de composition de Rome (1975) et le prix de composition de la Fondation Prince Pierre de Monaco pour l’ensemble de son oeuvre (1987). GOUDIMEL (Claude), compositeur français (Besançon v. 1520 - Lyon 1572). On ne sait rien sur sa jeunesse ni sur sa formation. En 1549, il est étudiant à Paris où l’éditeur de ses premières chansons, N. Du Chemin, l’engage bientôt comme correcteur (1551), puis le prend comme associé (1552-1555). Goudimel exerce sur les choix de cette maison d’éditions une influence considérable qui reflète ses rapports personnels avec le cercle humaniste de Jean de Brinon, dans lequel il fréquente Ronsard. Plus tard, il se met en relation avec le poète humaniste allemand Paul Schedius, dit Melissus. Goudimel semble d’ailleurs avoir été la cheville ouvrière du supplément musical des Amours de Ronsard (1552), auquel participent également Janequin, Certon et Muret ; il y met en musique l’Ode à Michel de l’Hospital, l’Hymne sur la mort de Marguerite de Valois et le sonnet Quand j’aperçois ton beau chef jaunissant. À partir de 1557, il vit à Metz, protégé par le maréchal de Vielleville, et se consacre presque exclusivement à la mise en musique du Psautier huguenot. Ayant quitté Metz pour Lyon, il y meurt le 28 août 1572, victime des massacres de la Saint-Barthélemy. Avant de devenir ce musicien protestant intransigeant qu’on connaît, Goudimel a publié des chansons profanes (une soixantaine) ou spirituelles (19, sur des textes de Muret, perdues) et un recueil d’Odes d’Horace (disparu). Certaines gaucheries que l’on peut constater dans son écriture semblent naître du souci excessif d’expressivité à toutes les voix, et ce, à une époque où l’influence italienne ne s’est pas encore fait sentir. Goudimel est plus à son aise dans le genre élégiaque. Ses autres oeuvres sont d’inspiration religieuse (3 magnificat, 10 motets à 4 ou 5 voix, 5 messes). Toutefois, quatre de ces messes ont pour cantus firmus des thèmes de chansons (De mes ennuys, Le bien que j’ai par foy d’amour conquis, Tant plus je mets) et prolongent sur le plan stylistique Josquin Des Prés et sa messe Pange lingua. Mais l’essentiel de son oeuvre et de son renom est constitué par les quatre versions polyphoniques des Psaumes, mis downloadModeText.vue.download 430 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 424 en vers par Marot (pour 49 d’entre eux) et par Théodore de Bèze (pour 101). En 1549, Goudimel voit chez Du Chemin les Psaumes de Janequin, et c’est peut-être ce qui l’incite à écrire deux ans plus tard ses Huit Livres de psaumes en forme de motets (1551-1566), qui sont des compositions de grande envergure (à 4, 5 ou 6 parties). Goudimel y fait oeuvre originale en n’utilisant pas les mélodies traditionnelles, contrairement à ses Quatre-vingttrois Psaumes de David à 4 parties (1562), qui sont des harmonisations des mélodies de Genève de 1551. Les 150 psaumes de 1564, un ouvrage significatif de l’hymnologie pratique, sont traités à 3 parties, note contre note. Le traitement syllabique, une trame polyphonique très serrée et une tendance au verticalisme avec une prédilection pour les harmonies d’accords parfaits et d’accords de sixtes, confèrent à l’ensemble de cette première version un style dépouillé, grave et religieux. L’écriture de Goudimel s’assouplit cependant dans la seconde version complète des Psaumes, écrite à 4 voix en 1568 et qui fait appel au contrepoint fleuri. GOULD (Glenn), pianiste canadien (Toronto 1932 - id. 1982). De 1943 à 1952, il étudie le piano au Conservatoire de Toronto avec Alberto Guerrero, tout en apprenant l’orgue. Dès 1947, il fait ses débuts publics, et signe en 1955 un contrat avec la firme discographique CBS. Son premier enregistrement des Variations Goldberg de Bach lui vaut une célébrité immédiate. En 1957, il inaugure une brillante carrière internationale par une tournée en U.R.S.S. et en Europe. Mais, dès 1964, il annonce son retrait complet des scènes publiques : désormais, il ne travaillera plus que dans les studios d’enregistrement. Cet isolement n’a pourtant rien d’un effacement, bien au contraire. Passionné par les nouvelles technologies, il investit tous les médias existants - des journaux à la vidéo - pour proposer au public une relation fondée sur la communication. Multipliant les émissions, les textes et les créations audiovisuelles, il édifie une oeuvre personnelle dépassant largement le cadre d’une simple discographie. Selon lui, le prétendu « moment unique » du concert est un rituel périmé et tyrannique pour l’interprète. Celui-ci doit assumer le jeu des manipulations permises par le studio, base d’un travail ludique et créateur favorisant la perception individuelle. Cette philosophie accompagne une conception très singulière du jeu pianistique et du répertoire. Pour lui, le piano n’était qu’un moyen de traduire le plus complètement possible la structure d’un morceau, notamment sa dimension contrapuntique, dans laquelle lui-même voyait l’essence de la pensée musicale. Son toucher rejoignait donc le jeu de clavecin ou d’orgue, et il trouva dans l’oeuvre de Bach un champ d’exploration infini. Si Orlando Gibbons était son compositeur préféré et Bach son maître, s’il rejeta les musiques jugées par lui trop hédonistes, comme celles de Chopin, Debussy et Messiaen, on ne peut le réduire à son anti-romantisme patent : il aborda Brahms, et, à partir de Wagner, dont il réalise des transcriptions, explora Strauss, Sibelius et Scriabine. Il affectionna Schönberg, dont il enregistra aussi les lieder et la musique de chambre, Krenek et Hindemith. Son ambivalence envers Mozart, auquel il préférait Haydn, et certaines oeuvres de Beethoven se traduit par des tempi provocateurs et par une tentative de mettre en relief des aspects contrapuntiques supposés. N’obéissant jamais à un désir d’excentricité, ses choix n’en étaient pas moins le reflet d’une cohérence personnelle hautement défendue. On lui doit quelques oeuvres, dont un Quatuor à cordes, mais surtout des compositions radiophoniques et un riche corpus d’émissions où il joue quelquefois des personnages inventés. Il laissa comme testament sa seconde version des Variations Goldberg, filmée en 1981 par Bruno Monsaingeon. De nombreux livres d’écrits et d’entretiens sont parus en France, et la fascination durable qu’il exerce le place au centre de l’esthétique des années 1980. GOULD (Morton), compositeur, pianiste et chef d’orchestre américain (New York 1913 - Orlando, Floride, 1996). À quatre ans, il joue du piano, à six il commence à composer. À dix-sept ans, il est engagé par une chaîne de radio comme « arrangeur » et chef d’orchestre, tout en poursuivant une carrière de pianiste à travers les États-Unis. Il est consacré en tant que compositeur en 1942 lorsque Toscanini crée sa Lincoln Legend à la NBC. En 1944, Erich Leinsdorf lui commande un Concerto pour orchestre pour l’Orchestre de Cleveland. La même année, le New York Philharmonic crée sa Symphony on Marching Tunes, écrite pour célébrer le centenaire de la Y.M.C.A. (Young Men Christian Association). À partir de 1945, Morton Gould écrit pour le cinéma, puis pour la télévision. Le style qu’il développe est une sorte d’intermédiaire entre la musique de divertissement à l’américaine et la création symphonique la plus élaborée. En tant que compositeur « classique », Morton Gould s’est largement inspiré des éléments de la vie américaine (blues, negrospirituals, marches de majorettes, folklore du Far West). C’est sur ces bases que sont écrits ses Spirituals pour orchestre (1941) et sa Cowboy Rhapsody (1942). L’influence de Charles Ives, dont il s’est fait l’interprète en tant que chef d’orchestre, est également évidente, bien que ses audaces soient édulcorées. En 1948, Gould a remporté un grand succès avec son ballet Fall River Legend. Il a remporté en 1995 le prix Pulitzer avec Stringmusic, commande de Rostropovitch et de l’Orchestre symphonique de Washington. GOUNOD (Charles), compositeur français (Paris 1818 - Saint-Cloud 1893). Orphelin à cinq ans, il est élevé par sa mère, femme de caractère, intelligente et musicienne qui lui fait donner de solides humanités (entrée au lycée Saint-Louis en 1829 ; baccalauréat de philosophie en 1836), tout en développant ses dons artistiques (enfant, il écoute la Malibran dans Don Giovanni, Otello de Rossini ; la 6e et la 9e Symphonie de Beethoven). Entré au Conservatoire, il est successivement élève de Reicha, de Paer, puis de Halévy (fugue, contrepoint), de Lesueur (composition). Second prix de Rome en 1837, premier en 1839, il vit à Rome jusqu’en 1841. Au cours de cette époque d’intense maturation, il lit beaucoup (Goethe, Lamartine), fréquente l’Opéra (Donizetti, Bellini) et la Sixtine (Palestrina). Étudiant Lully, Gluck, Mozart et Rossini, il rencontre souvent également Ingres, qui l’invite à cultiver ses dons pour le dessin, et Lacordaire - il en naît une première crise de mysticisme qui lui dicte plusieurs oeuvres religieuses (Te Deum, deux Messes brèves, Hymne, Requiem). Après son départ de la villa Médicis, il passe par Vienne, où il dirige deux de ses oeuvres à la Karlkirche et par Leipzig où Mendelssohn lui révèle Bach, avant de retrouver Paris (printemps 1843), où il devient organiste et maître de chapelle aux Missions étrangères. Sa crise mystique s’accuse (il porte soutane et signe « Abbé Gounod »), mais sa famille l’en détourne, ainsi que ses amis - dont Pauline Viardot rencontrée à Rome et pour qui il compose son premier opéra, Sapho (16 avril 1851). En 1852, il épouse Anna Zimmermann, fille du grand pianiste, et devient directeur du chant dans les écoles communales, puis inspecteur des Orphéons (d’où, en 1853, la Messe dite aux orphéonistes). De cette époque datent ses premières grandes oeuvres : l’Ange et Tobie (Lyon, 1854) ; la Nonne sanglante (Opéra de Paris, 1854) ; deux Symphonies (1855-56), la première dirigée par Pasdeloup. Mais une troisième crise mentale (1857) l’oblige au repos (internement dans la clinique du docteur Blanche). En 1859, Faust est créé (2e version, 1869). Entre ces deux dates, Gounod donne notamment Philémon et Baucis (1860), la Reine de Saba (1862), Mireille (1864), dont les succès le conduisent à l’Académie des beaux-arts (1866). En 1867, dernier grand succès avec Roméo et Juliette. Retiré en Angleterre chez la baronne Luisa Brown durant la guerre de 1870, Gounod ramène sa famille à Paris après les hostilités, puis retourne à Londres « vivre la plus grande erreur downloadModeText.vue.download 431 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 425 de (sa) vie ». En fait, il s’immisce dans le ménage Weldon, où Georgina l’ensorcelle jalousement par son charme sensuel et sa belle voix de soprano (elle crée à ce titre l’élégie biblique Gallia). Prisonnier de lui-même et de ses hôtes, Gounod revient à Paris sur les instances de son fils et du docteur Blanche. Mrs. Weldon refuse alors de rendre le manuscrit de Polyeucte ce qui va dégénérer en procès. Condamné à une amende de 10 000 livres, Gounod ne pourra pas, ainsi, assister à Birmingham en présence de la reine Victoria à la création de sa trilogie sacrée Mors et vita (26 août 1885). Cet ultime triomphe efface les succès d’estime de Cinq-Mars (1877), Polyeucte (1878) et l’échec total du Tribut de Zamora (1881). Atteint d’hémiplégie, mais vite remis (1891), Charles Gounod est frappé, le 15 octobre 1893, d’une attaque d’apoplexie en rangeant la partition de son dernier Requiem écrit à la mémoire de son petitfils (orchestré par H. Busser). Mort doucement trois jours plus tard, il a droit à des funérailles nationales (le 27 octobre) à la Madeleine. D’un abord facile, de conversation enjouée, doué d’un esprit rapide, plus enclin à l’admiration qu’à la raillerie, ami sûr et dévoué, tel fut l’homme, à la fois sensuel et mystique. Le musicien apparaît plus complexe. On peut lui reprocher facilités et platitudes, une certaine pauvreté de la langue harmonique et du rythme (notamment dans ses oeuvres religieuses) ; des efforts trop visibles pour créer de classiques symétries. En fait, son écriture a peu évolué ; mais son style demeure néanmoins personnel, qui recherche la pureté de l’écriture, la beauté de la ligne, la sobriété du discours. Qualités importantes et peu partagées à son époque, où l’art français est écartelé entre l’italianisme (Rossini et ses successeurs) et les recettes sans gloire de l’opéra historique (Meyerbeer). Finalement, l’importance de Gounod se mesure autant à son oeuvre (Faust, Mireille, Roméo et Juliette renouvellent le genre) qu’à son action. Dans la mélodie de salon, son souci de la prosodie renforce un tendre et pénétrant lyrisme bien étranger à la romance contemporaine : Biondina évoque Schumann, Venise annonce Fauré. Si sa musique d’église s’accommode d’un mysticisme à la fois mondain et théâtral, à l’opéra, en revanche, il a su donner le meilleur de lui-même et apporter une poésie certaine face aux débordements du bel canto ou du romantisme germanique : à cet égard, Georges Bizet, Édouard Lalo, Massenet, Saint-Saëns lui seront redevables. Ainsi, Charles Gounod aura-t-il contribué à réorienter la musique française vers son propre génie : sa dilection pour la mesure et pour la clarté. GOURDE ou CABACCA. Instrument à percussion de la famille des « bois ». Sorte de calebasse desséchée que l’on fait tourner à l’intérieur d’un collier tenu de l’autre main. GOUVY (Louis Théodore), compositeur français (Goffontaine, près de Sarrebruck, 1819 - Leipzig 1898). il s’installa en 1836 à Paris pour y étudier le droit, mais son aisance matérielle lui permit de se tourner vers la musique. Il voyagea ensuite en Allemagne et en Italie, puis revint à Paris, où, tout autant qu’en Allemagne, il fit exécuter ses oeuvres fortement influencées par Mendelssohn avec un succès certain. Il fut, en 1871, un des fondateurs de la Société nationale de musique, et, vers 1880, se retira à Leipzig. Tenant de la musique « pure », il a composé dans un style assez impersonnel 6 symphonies, de la musique de chambre, des cantates comme Iphigénie en Tauride, OEdipe à Colone, la scène de concert le Dernier Hymne d’Ossian. GRADUEL. 1. Abréviation de l’expression « réponsgraduel » (responsum gradale), désignant un répons ou fragment de psaume chanté après l’épître, primitivement sur les degrés (gradus) de l’« ambon » (tribune surélevée servant aux lectures), et précédant l’alléluia (ou le trait). Jadis plus développé, le graduel est aujourd’hui habituellement réduit à deux versets de psaume, théoriquement alternés entre choeur et soliste, dont l’un constitue le « répons » du choeur et le second le « verset » de soliste (souvent chanté par un « petit choeur « ; comme pour l’alléluia, le grand choeur rejoint aux derniers mots). Le graduel est une pièce largement ornée, dont l’ambitus, surtout dans le verset, dépasse souvent les limites théoriques du mode. Il existe pour chacun des 8 modes une mélodie type de verset dont on retrouve le schéma, différemment orné, à travers de nombreux graduels du même mode, bien que tous ne s’y astreignent pas. Considéré comme le « morceau musical » de la messe par excellence, le graduel en a été l’une des parties les plus développées par les déchanteurs primitifs : la majorité des grands organa de l’Ars antiqua sont des graduels. 2. Par extension, on a donné le nom de graduel au livre de chant contenant l’ensemble du propre de la messe, par opposition au Kyriale qui n’en contient que le commun, au missel (dit parfois antiphonarium missae), qui contient les deux, et à l’« antiphonaire », qui ne contient que les offices des heures. La distinction toutefois n’est pas toujours observée, et notamment l’on emploie souvent le mot « graduel » pour désigner l’une ou l’autre de ces diverses catégories de livres. GRAENER (Paul), compositeur, chef d’orchestre et pédagogue allemand (Berlin 1872 - Salzbourg 1944). Directeur du Mozarteum de Salzbourg (1910-1913), successeur de Max Reger comme professeur de composition au conservatoire de Leipzig (1920-1924), directeur du conservatoire Stern à Berlin (1930), il devint en 1933 vice-président de la chambre de musique du Reich, dont il dirigea de 1935 à 1941 le département « compositeurs ». Dans un style postromantique, il a écrit de nombreuses oeuvres instrumentales et orchestrales, parmi lesquelles une Symphonie en ré mineur, les Variations pour orchestre sur un chant populaire russe, la suite d’orchestre Die Flöte von Sanssouci et 6 quatuors à cordes, ainsi que des opéras, dont les plus célèbres furent Don Juans letztes Abenteuer (1914) et Friedemann Bach (1931). GRAINGER (Percy Aldridge), compositeur et pianiste américain, d’origine australienne (Melbourne 1882 - White Plains, New York, 1961). Après des études à Melbourne, il poursuit son éducation à Francfort en Allemagne avec Kwast, puis à Berlin avec Busoni. Il fait ses débuts comme pianiste à Londres en 1901. Il réunit un très grand nombre de chants populaires anglais qu’il publie, plus tard, aux États-Unis. Ami de Grieg, dont il est le brillant interprète, il fait plusieurs tournées en Scandinavie et y recueille également des thèmes folkloriques. Fixé aux États-Unis en 1914, il y enseigne le piano au collège musical de Chicago (19191928), puis à l’université de New York. En Australie, il fonde le musée musical de Melbourne. Expérimentaliste parti d’un style folklorisant pour devenir l’un des pionniers de la musique électronique, il a suivi une démarche évolutive assez personnelle, participant d’une recherche de l’insolite et d’un goût de l’étrange (To a Nordic Princess). Ses oeuvres les plus appréciées s’inspirent du climat populaire, mais, de très bonne heure, il a cultivé la polytonalité, les micro-intervalles et les rythmes complexes. il s’est passionné pour les techniques nouvelles et, à la fin de sa vie, s’est intéressé activement aux possibilités de l’électroacoustique. Il a composé de la musique pour orchestre (Train Music Sketch ; In a Nutshell ; The Warriors pour orchestre et 3 pianos ; Handel in the Strand), de la musique de chambre (deux Hill Songs pour 24 instruments solistes ; Quintette à vent ; Quatuor à cordes ; My Robin is in the Greenwood Gone pour 8 instruments) et des oeuvres vocales, dont le cycle de choeurs d’après Kipling (le Livre de la jungle). downloadModeText.vue.download 432 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 426 GRANADOS Y CAMPIÑA (Don Enrique), pianiste et compositeur espagnol (Lérida, Catalogne, 1867 - péri en mer 1916). Il fit ses études à Barcelone avec Pujol (piano) et Pedrell (composition), puis à Paris. Un premier récital à Barcelone (1890) l’encouragea à entreprendre une carrière de pianiste qu’il poursuivit brillamment soit en soliste, soit avec des violonistes (Crickboum, Ysaye, Thibaud), des pianistes (Risler, Saint-Saëns) ou des ensembles de chambre (quatuor Crickboum). Après la présentation, à Madrid, de son opéra Maria del Carmen (1898), il mena de front la composition, la virtuosité pianistique et la pédagogie au conservatoire de Barcelone, dont il avait été le fondateur. Ses pièces pour piano, parmi lesquelles les 12 Danzas españolas (18921900), les Escenas romanticas (1904 ?), et surtout les Goyescas (d’après des peintures de Goya exposées au Prado, création en mars 1911) lui assurèrent la célébrité. Plus tard, il adapta la musique des Goyescas pour en tirer un opéra du même nom, dont la création, d’abord prévue à Paris, mais empêchée par la guerre, eut lieu à New York en janvier 1916. C’est au retour de cet ultime voyage aux ÉtatsUnis que Granados périt avec sa femme dans le naufrage du Sussex, torpillé dans la Manche par un sous-marin allemand. Imprégné de culture romantique, en particulier de Schumann, Chopin et Grieg, il fut un coloriste aussi délicat qu’Albéniz, mais l’Espagne qu’il évoque est plutôt celle, galante et ironique, du XVIIIe siècle que l’Espagne « mauresque » d’Iberia. Sans aucune prétention à la reconstitution folklorique, il apporta à ses premières pièces pour piano un raffinement poétique et une puissance d’émotion qui devaient s’épanouir encore plus par la suite. Dans les Tonadillas (1914) pour voix et piano et dans les Goyescas, il ne garda que l’esprit de la thématique et des rythmes populaires, et parvint à une expression aux résonances universelles. GRANDE ÉCURIE ET LA CHAMBRE DU ROY (la). ! MALGOIRE (JEAN-CLAUDE). GRAND jeu ou Grand choeur. Synthèse réunissant les fonds, cornets, fournitures et anches (de 4 et 8 pieds) de l’orgue. À ne pas confondre avec le « plein jeu » qui met en oeuvre d’autres jeux de l’instrument. GRAND ORGUE. Utilisé en facture d’orgues, ce terme recouvre plusieurs notions. C’est, d’une part, l’instrument lui-même, par opposition à un instrument plus petit, comme l’orgue de choeur. D’autre part, dans le cas d’un orgue à deux plans sonores séparés en deux buffets distincts, c’est le plan principal par rapport à celui du positif. Enfin, on désigne par grand orgue le clavier principal de l’orgue, où se trouvent rassemblés les jeux de base de la registration. GRANDI (Alessandro), compositeur italien (Ferrare ? v. 1575-1580 - Bergame 1630). Il fut probablement l’élève de Giovanni Gabrieli. Nommé maître de chapelle à Ferrare (1597), il demeura dans cette ville jusqu’en 1617. À cette date, il fut engagé dans les choeurs de Saint-Marc de Venise avant de devenir vice maestro di cappella et de seconder le grand Monteverdi (1620). De 1627 à la fin de sa vie, il fut maître de chapelle à Bergame de l’église Santa Maria Maggiore. Ayant déjà composé une quan- tité de musique d’église avant de quitter Ferrare, Alessandro Grandi vit son talent s’affirmer surtout à Venise. Ses dons mélodiques furent désormais alliés à une maîtrise technique de plus en plus assurée. Il composa exclusivement dans le nouveau style avec basse continue (motetti a voce sola), délaissant complètement la prima pratica des Anciens. Il se souciait également du sens des paroles qu’il mettait en musique. Son style et celui de ses collègues, dont les motets ressemblent à des arie profanes de l’époque, ont probablement exercé une certaine influence sur Monteverdi lui-même. Dans la musique profane de Grandi, les airs appelés cantate empruntent souvent la forme de la variation strophique, d’autres, appelés arie, sont plus simples, plus gais avec de fréquentes némioles et une coupe strophique dansante. oeuvres. - Musique religieuse. Des motets avec basse continue de 2 à 5 voix, publiés en 1610 (I), 1613 (II, III), 1614 (IV), 1619 (V) et 53 41 263 1630 (VI) ; 3 livres de motets avec instruments, à 1 et 2 voix, parus en 1621, 1625 et 1629, Motetti a voce sola (1628) ; des psaumes dont le recueil Messa e Salmi concertati à 3 voix (1630). Musique profane. 4 livres de cantates et d’airs (1 à 3 voix), publiés entre 1620 et 1629, dont le livre II est perdu. GRASSINI (Giuseppina), cantatrice italienne (Varèse 1773 - Milan 1850). Douée d’une voix de contralto exceptionnellement longue et agile, qui lui permettait le chant orné jusque dans le registre du soprano lyrique, elle débuta triomphalement à la Scala en 1794 dans l’Artaserse de Zingarelli. Trois ans plus tard, elle créait avec non moins de succès, à la Fenice de Venise, Gli Orazzi e Curiazzi de Cimarosa. Sa carrière se poursuivait au San Carlo de Naples, quand Bonaparte, probablement sensible à sa rare beauté plus encore qu’à sa voix, la fit venir à Paris au lendemain de Marengo. Couverte d’or par la faveur consulaire, puis impériale, elle fut la vedette des concerts de la cour jusqu’à la chute de Napoléon, puis regagna Milan et ne tarda pas à quitter la scène. GRAUN, famille de musiciens allemands. August Friedrich, compositeur (Wahrenbrück, Saxe, 1698 ou 1699 - Merseburg 1765). Cantor à Merseburg à partir de 1729, candidat malheureux à la succession de J.-S. Bach à Leipzig en 1750, il se spécialisa dans la musique vocale religieuse. Johann Gottlieb, violoniste et compositeur, frère du précédent (Wahrenbrück 1702 ou 1703 - Berlin 1771). Élève pour le violon de Pisendel à Dresde et de Tartini à Padoue, il entra en 1732 au service du prince héritier Frédéric de Prusse, et en devint le Konzertmeister. Il a surtout écrit des oeuvres instrumentales (symphonies, concertos, sonates) dans le style italianisant de l’époque. Carl Heinrich, chanteur et compositeur, frère des précédents (Wahrenbrück 1703 ou 1704 - Berlin 1759). Il étudia et chanta à la Kreuzschule de Dresde. Engagé en 1725 comme ténor à la cour ducale de Brunswick, il s’y révéla compositeur d’opéras italiens, et en devint vice-maître de chapelle en 1727. Appelé par le prince héritier Frédéric de Prusse à Rheinsberg en 1735, il y composa des cantates sur des textes de son nouveau maître. À son avènement en 1740, Frédéric II le nomma maître de chapelle, le chargea de réorganiser l’opéra de Berlin, et, dans ce but, l’envoya recruter des chanteurs en Italie (1740-41). Son Rodelinda (1741) fut le premier opéra italien représenté à Berlin, et, le 7 décembre 1742, le nouvel opéra de cette ville fut inauguré avec son Cesare e Cleopatra. Jusqu’à sa mort, il fournit son répertoire à cet établissement, avec comme seul rival sérieux J. A. Hasse, et régna à peu près sans partage sur la vie musicale berlinoise. Il avait des dons mélodiques certains et une grande connaissance des possibilités de la voix humaine. Outre ses nombreux opéras italiens, parmi lesquels Artaserse (1743), Il Rè pastore (1747), Ifigenia in Aulide (1748), Montezuma (1755), il écrivit de la musique instrumentale et des ouvrages religieux. De cette dernière catégorie relèvent un Te Deum (1757) et surtout son oeuvre, à la longue, la plus célèbre et la plus durable : la cantate pour la Passion Der Tod Jesu (« la Mort de Jésus »), sur un texte de C. W. Ramler (1755, édit. par Breitkopf, Leipzig, 1760). GRAUPNER (Johann Christoph), compositeur allemand (Hartmannsdorf, Saxe, 1683 - Darmstadt 1760). Il fait ses études avec J. Kuhnau à la Thomasschule ainsi qu’à l’université de Leip- zig. Il se fixe ensuite à Hambourg où il est nommé, en 1707, claveciniste à l’opéra. En downloadModeText.vue.download 433 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 427 1709, il obtient le poste de vice-maître de chapelle, et, en 1712, celui de maître de chapelle à la cour de Hesse-Darmstadt. Nous n’avons conservé qu’une partie des opéras écrits pour Darmstadt et Hambourg de l’homme qui fut l’ami de Telemann et de Grünewald et qui jouissait de l’admiration de J.-S. Bach. Son style a subi l’influence de Reinhard Keiser. Entre 1719 et 1745, Graupner a composé, en outre, plus de 1 300 oeuvres religieuses destinées à la chapelle de la cour de Darmstadt. GRAVE. 1. Dans l’échelonnement de hauteur des sons, ou dans la comparaison de hauteur entre plusieurs sons, mot désignant les sons les plus « bas », c’est-à-dire ceux dont la fréquence est la plus faible. Le terme est une translittération maladroite du latin gravis, qui traduisait exactement le grec barys (« lourd ») opposé à oxys (« aigu »), qui a été conservé. 2. Dans l’échelonnement des tempos, le grave correspond à peu près au largo, mais en y adjoignant souvent l’idée d’un caractère soit recueilli, soit solennel, non exempt d’une certaine lourdeur. On le trouve souvent à l’époque classique, dans le premier mouvement des ouvertures françaises, ou plus tard dans l’introduction lente des premiers mouvements de sonate ou de symphonie. 3. Par dérivation du sens précédent, les morceaux présentant le caractère ci-dessus sont parfois, eux-mêmes, désignés sous ce terme, qui, entre autres, s’applique de préférence aux introductions solennelles dites encore « entrées » (en ital. intrada). GRAZIANI (Bonifacio), compositeur italien (Marino ? v. 1605 - Rome 1664). Il fut maître de chapelle à l’église des Jésuites de Rome et au séminaire. Il semble avoir composé uniquement de la musique religieuse. Ses oratorios, messes et motets illustrent les traits caractéristiques de l’école romaine représentée aussi par Carissimi à la même époque. Les oeuvres de B. Graziani sont d’une belle envergure, tant par la solidité de leur structure que par la beauté de la ligne mélodique. De son vivant, elles ont connu un grand succès et ont bénéficié de plusieurs publications : 8 livres de motets de 2 à 6 voix (1650-1676) ; 6 livres de motets à voix seule (1652-1672) ; 3 livres de psaumes pour les vêpres (1652-1670) ; des répons pour la semaine sainte à 4 voix (1663) ; litanies, antiennes, concerts sacrés et plusieurs oratorios. GRAZIANI (Tomaso), compositeur italien (Bagnacavallo v. 1553 - id. 1634). Ce moine franciscain, élève de Costanzo Porta, fut maître de chapelle à San Francesco de Milan (1587), à Ravenne (1589-1595), à la cathédrale de Concordia de Modène (1598) et à Porto Gruaro (1601). Ensuite, il retourna à Bagnacavallo et entra au couvent des franciscains (1613). Il a composé surtout de la musique d’église d’une écriture souvent élaborée (Missa cum introitu, ac tribus motectis, 12 vocibus canenda, tribus choris distincta, Venise, 1587). On lui doit aussi un livre de Madrigaux à 5 voix (Gardano, Venise, 1588). GREENE (Maurice), organiste et compositeur anglais (Londres 1696 - id. 1755). Choriste de la cathédrale Saint Paul, il se consacra, à partir de 1710, à l’orgue et à la composition. En 1718, il fut organiste à Saint Paul et, en 1727, succéda à Croft comme organiste et compositeur de la chapelle royale. Il fut très lié à Haendel et ce fut l’amitié de ce dernier pour son rival Bononcini qui l’en sépara. En 1750, à la suite d’un héritage, Greene décida de consacrer sa fortune à rassembler et éditer les meilleures oeuvres d’église anglaises. Il ne put mener complètement son projet à terme, et ce fut son ami Boyce qui publia Cathedral Music. Greene fut également un des fondateurs de la Royal Society of Musicians. Son oeuvre comporte des oratorios, des cantates, des catches, des anthems. Citons, parmi les plus notoires, Fourty Select Anthems (Londres, 1743), Spenser’s Amoretti (1739) et A collection of Lessons for the harpsichord (1750). GRÉGOIRE (saint) , nom par lequel on désigne aussi le pape Grégoire Ier, dit Grégoire le Grand (Rome v. 540 - id. 604). Pape de 590 à 604 après avoir été à Constantinople légat de son prédécesseur Pélage II, et à Rome secrétaire du Saint-Siège et abbé du monastère fondé par lui dans sa propre maison du mont Coelius. Il était donc, lorsqu’il accéda au pontificat, familiarisé avec tous les aspects de la musique liturgique, y compris ses variantes orientales. On ne trouve pourtant trace de questions musicales dans aucun de ses actes pontificaux, qui sont presque tous conservés. La tradition n’en a pas moins fait de lui le créateur du « chant grégorien ». Les érudits n’ont cessé de discuter sur ce qu’a pu être, en réalité, le rôle en l’occurrence de saint Grégoire : on ne peut trancher le débat, mais il apparaît très vraisemblable que, si son influence a pu être déterminante dans la fixation du répertoire, il n’a jamais joué un rôle ni de technicien ni a fortiori de compositeur. Ce que l’on peut dire, c’est que l’unification des usages ecclésiastiques était l’une des préoccupations essentielles de son règne, et que l’unification du chant liturgique devait assez normalement y prendre place. Elle devait être incluse notamment dans la réforme disciplinaire générale qu’il chargea son délégué Augustin d’introduire en Grande-Bretagne, et c’est le chant « unifié » sur la base des usages romains qui, sous le couvert de son autorité, fut désigné plus tard comme « chant grégorien ». La tradition qui plaça le nom de saint Grégoire à l’origine du chant « grégorien » n’apparut que trois cents ans après sa mort chez le chroniqueur Jean Diacre (v. 873), puis au début du XIe siècle chez un sermonnaire aquitain sujet à caution, étant connu ailleurs comme mythomane, Adémar de Chabannes : l’expression « chant grégorien » appliquée à l’ensemble du répertoire est plus récente encore. Jean Diacre attribuait cependant à saint Grégoire la mise en ordre du graduel (centonibus compilavit) et la création à Rome d’une école de chant religieux, la Schola cantorum, prototype de toutes les maîtrises ultérieures ; Adémar plaça dans la bouche de Charlemagne la phrase restée célèbre : Revertimini vos ad fontem sancti Gregorii, quia manifeste corrupistis cantum (« retournez à la source de saint Grégoire, car il est évident que vous avez corrompu le chant »). Il mentionnait aussi un Livre de chant selon saint Grégoire qui aurait servi de base aux missions musicales des envoyés de l’Empereur, notamment à Metz et à Soissons. Il est probable cependant que le nom de saint Grégoire a été utilisé en l’affaire davantage comme caution de prestige que comme témoignage historique de paternité. GRÉGORIEN (chant). Expression aujourd’hui courante pour désigner l’ensemble du répertoire monodique de l’Église latine médiévale. On a vu à l’article Grégoire (saint) que cette appellation, qui ne date guère que du début du XXe siècle (Motu proprio de Pie X, 1903 ; on disait auparavant « plain-chant » ou « chant ecclésiastique »), est historiquement sujette à caution. Les « grégorianistes » ou spécialistes du « chant grégorien » se gardent bien, du reste, d’employer ce terme dans cette acception généralisée, et le restreignent à l’ordonnance de rite romain pouvant effectivement être datée avec vraisemblance de l’époque de ce pape, soit du VIIe siècle environ. Ils en excluent donc, d’une part, l’ensemble des répertoires de rite non romain (ambrosien à Milan, gallican en France, mozarabe en Espagne, etc.), d’autre part, celui des rites romains antérieurs ou parallèles, dont le principal est le chant dit « vieux-romain », qui se serait maintenu jusqu’au XIIIe siècle environ et aurait été ensuite éliminé sous l’influence des franciscains ; toutefois aucun des manuscrits considérés comme « vieux-romains » n’est antérieur au milieu du XIe siècle, ce qui étend considérablement la part de l’hypothèse. Il faut également distraire du domaine « grégorien » les différents remaniements du répertoire downloadModeText.vue.download 434 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 428 effectués au cours des siècles, par exemple le chant cistercien, abondant en amputations mélodiques, et le répertoire tardif des tropes, séquences ou offices mesurés qui, bien que partiellement officialisés, introduisent un style quelque peu différent. La composition des mélodies dites grégoriennes se ralentit notablement à partir du XIe siècle et cesse à peu près à la fin du XVe (le Kyrie et le Gloria de la Messe des Angles ou Anglais, dite par corruption Messe des Anges, sont parmi les pièces les plus tardives). Des essais de composition en plain-chant, influencés par les déformations de style survenues entre-temps, se rencontrent encore au XVIIe siècle, surtout en France (Henri Dumont, Lully le fils), puis s’éteignent pour renaître aux premiers jours de la résurrection solesmienne (Dom Pothier, Lambillotte). Elles demeurent marginales : lorsque apparaissent de nouveaux offices (Sacré-Coeur, Sainte-Jeanne-d’Arc, etc.), les liturgistes adaptent le plus souvent d’anciennes pièces sans en créer de nouvelles. C’est encore ce qu’ils font actuellement pour ménager tant bien que mal une possibilité de service du chant grégorien dans les nouveaux rituels postconciliaires, trop souvent conçus hâtivement sans que l’on ait prêté une attention suffisante à leurs incidences musicales. GRELOTS. Instrument à percussion de la famille des « métaux ». il s’agit de boules métalliques, en cuivre le plus souvent, contenant chacune une bille à l’intérieur et réunies entre elles par une lanière de cuir. Employées dans les musiques primitives, on les trouve aujourd’hui, par exemple, incorporées dans le harnais des chevaux lors des cérémonies officielles. GRENON (Nicolas), compositeur français ( ? v. 1380 - ? 1456). Dès 1385, il appartient à la cour de Philippe le Hardi à Dijon. Il succède à son frère comme chanoine du chapitre de SaintSépulcre à Paris (1399), où il séjourne jusqu’en 1401. Nommé maître des enfants à la cathédrale de Laon (1403-1408), puis maître de grammaire à Cambrai (1408) et maître de musique à la cathédrale de cette ville (1421-1424), il occupe tout naturellement le poste de maître des jeunes choristes du duc de Berry et entre au service de Jean sans Peur lorsque celuici remplace son oncle. Accompagnant un groupe de quatre chanteurs formés à la française, il devient chantre à la chapelle pontificale (1425-1427) avant de regagner Cambrai où il termine son existence après un séjour à Bruges. Ses oeuvres profanes (cinq chansons à 3 voix, trois chansons à 4 voix), comme sa musique religieuse (quatre motets et un fragment de messe Et in terra), montrent son attachement à l’Ars nova : la complexité d’écriture d’Ave virtus virtutum ou des chansons Se ne vous say ou Je say defait en témoignent, ainsi que le principe de l’isorythmie, une constante de ses motets. Les traits dominants du XVe siècle franco-bourguignon se dessinent toutefois : recherche d’une simplification générale mélodique et rythmique, adoption d’un chant syllabique, le tout dans un souci de clarté et d’expression. Mais vivant à un tournant stylistique, Nicolas Grenon ne saurait écrire d’une manière uniforme. GRETCHANINOV (Alexandre Tikhonovitch), compositeur russe (Moscou 1864 - New York 1956). Fils d’un modeste commerçant, il apprit la musique contre la volonté de ses parents et n’entra qu’à dix-sept ans au conservatoire de Moscou. Douze ans plus tard, il acheva ses études à Saint-Pétersbourg dans la classe de Rimski-Korsakov et végéta longtemps encore, vivant surtout de leçons de piano et de chant choral. Sa situation ne s’était guère améliorée quand, sexagénaire, il quitta l’Union soviétique pour la France, puis les États-Unis où il connut enfin le succès. Auteur de sept messes, de plusieurs cantates et motets, de trois opéras, de nombreuses mélodies et pièces de musique de chambre, Gretchaninov n’a jamais prétendu à l’originalité. Mais un don mélodique incontestable, une inspiration généreuse et sincère sauvent de la banalité sa musique vocale et, en particulier, religieuse. GRÉTRY (André-Ernest-Modeste), compositeur français d’origine belge (Liège 1741 - Ermitage de Montmorency 1813). Issu d’une famille de musiciens liégeois, il doit l’originalité de son développement musical aux études qu’il va poursuivre à Rome entre 1760 et 1766 ; il reconnaîtra ensuite cette dette dans ses Mémoires : « L’école italienne est la meilleure qui existe, tant pour la composition que pour le chant. » Il a été l’élève de G. B. Casali et du père Martini, et acquiert une maîtrise suffisante pour devenir membre de l’académie des Filarmonici de Bologne. Après être passé par Genève, il s’installe en 1768 à Paris, qui va rester son centre d’activité presque exclusif. Ses deux premières oeuvres parisiennes, le Huron (1768) et Lucile (1769), frappent le public dans sa fibre sentimentale, et Grétry devient vite le mu- sicien le plus à la mode de la France prérévolutionnaire. Grimm le décrit ainsi : « M. Grétry est de Liège ; il est jeune, il a l’air pâle, blême, souffrant, tourmenté, tous les symptômes d’un homme de génie. » Grétry continue à composer un ou deux opéras-comiques par an jusqu’à la Révolution, sans que son prestige soit atteint par des échecs passagers. Ceux de ses opéras qui ont le mieux gagné les faveurs du public reviennent fréquemment à l’affiche, et son oeuvre connaît une large diffusion à l’étranger dès les années 1770. Grétry ne tarde pas à recevoir les honneurs les plus divers, même sous la Révolution, où il a été élu membre de l’Institut et inspecteur des études au Conservatoire (1795). En 1798, il achète l’Ermitage de Jean-Jacques Rousseau, dans la vallée de Montmorency, et y vit retiré jusqu’à sa mort. Le langage musical de Grétry est à la fois moins complexe que celui de Rameau et que celui de Haydn et Mozart. Mais Grétry fait son entrée sur la scène parisienne lorsque le genre de l’opéra-comique a été déjà largement illustré par Duni, Monsigny et Philidor, et son mérite essentiel est sans doute d’en avoir considérablement approfondi les possibilités expressives. Il a été aidé en cela par ses trois principaux librettistes, Marmontel, Sedaine et d’Hèle, qui ont contribué, par le choix de sujets sentimentaux et par un langage parfois « larmoyant », à diversifier les ressorts émotifs de l’opéra-comique. Les innovations de Grétry se manifestent avant tout par le décloisonnement des formes musicales : la continuité dramatique est assurée par une proportion d’ensembles vocaux plus élevée que chez Philidor ou Monsigny, et se traduit même, dans certains opéras, par l’abolition du dialogue parlé (Colinette, l’Embarras des richesses, la Caravane du Caire). Des finales juxtaposant des ensembles de complexité grandissante révèlent l’influence de l’opéra bouffe italien, comme dans la Rosière de Salency ; mais Grétry dépasse ses modèles par l’emploi du choeur (Colinette, III. 8) et par la richesse de morceaux orchestraux utilisés à des fins évocatrices (Zémire et Azor). Enfin, la romance de Blondel, qui revient neuf fois au cours de Richard Coeur de Lion, constitue l’un des premiers exemples du « motif de réminiscence », qui jouera un rôle important dans la musique du XIXe siècle. Grétry avoue dans ses Mémoires avoir recherché le « moyen de contenter tout le monde ». Il a sans doute atteint son but, combinant une veine mélodique facile avec un goût de l’expérimentation qui en fait un précurseur de l’opéra romantique. GRIEG (Edvard Hagerup), compositeur norvégien (Bergen 1843 - id. 1907). Il commence à six ans l’étude du piano avec sa mère et est remarqué par le violoniste Ole Bull qui l’envoie se perfectionner au conservatoire de Leipzig en 1858. Il y restera quatre ans, travaillant notamment avec Moscheles, E. F. Richter et C. Reinecke, puis il retourne en Norvège doutant d’avoir beaucoup appris. En 1863, il part pour Copenhague où règne N. Gade, mais plus importante y est la rencontre avec son compatriote R. NordownloadModeText.vue.download 435 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 429 draak (1842-1866) et avec le compositeur danois C. Horneman qui aboutit à la création de l’éphémère groupe Euterpe, en réaction contre l’influence allemande de Schumann et de Mendelssohn. Rentré en Norvège en 1866, il s’installe à Christiania (Oslo) et épouse sa cousine, la cantatrice Nina Hagerup. Sa lutte pour un art national, soutenue par son compatriote H. Kjerulf (1815-1868), est reconnue et révélée à l’étranger par Liszt en 1870. Dès lors, Grieg mène parallèlement la composition, une carrière difficile d’organisateur de la vie musicale en Norvège et ses tournées de concerts. Chef d’orchestre apprécié, il n’est pas un pianiste virtuose, mais un interprète sensible. Avec l’aide de J. Svendsen il arrive peu à peu à imposer son idéal d’une musique nationale, et désormais sa vie est une succession de triomphes et de pénibles dépressions physiques. il s’éteint le 4 décembre 1907, épuisé par les ultimes tournées de concerts. La célébrité de Grieg repose sur un certain nombre de malentendus. Ses oeuvres les plus jouées aujourd’hui, Peer Gynt et le Concerto en « la », pour être populaires, n’en sont pas moins des partitions où les principales qualités du compositeur n’apparaissent pas avec le plus d’évidence ; la lourdeur de son orchestration et son manque de maîtrise de la forme sont des handicaps dont il était d’ailleurs conscient. C’est dans la petite forme que Grieg a toujours été le plus à l’aise, notamment dans ses mélodies et ses pièces pour piano. Une trop rapide assimilation à la musique de salon de la fin du XIXe siècle ne doit pas dissimuler les qualités de ces oeuvres. Audacieux harmoniste, cet initiateur à un art « impressionniste » a influencé des compositeurs tels que Debussy, Ravel et Delius. Son inspiration populaire est également beaucoup plus authentique dans ses pièces vocales et pianistiques que dans les oeuvres plus ambitieuses dont Debussy dénonçait le caractère « ficelle et truqué ». Son langage utilise de fréquentes oscillations entre les modes majeur et mineur, tout comme dans les mélodies populaires norvégiennes où la tierce est instable ; sa phrase musicale est large et très lyrique, mais c’est la perfection de l’écriture pianistique qui attire plus encore l’attention et lui permet d’exprimer l’exceptionnelle sensibilité que l’on retrouve tout au long de son oeuvre. GRIESINGER (Georg August), écrivain et diplomate allemand (Stuttgart 1769 Vienne 1845). Venant de Leipzig, il arriva à Vienne au printemps de 1799 comme précepteur du fils aîné du chef de la légation de Saxe, avant de devenir lui-même secrétaire de légation en 1804, conseiller de légation en 1808, conseiller secret en 1828, et, enfin, chef de mission en 1831. Avant son départ de Leipzig, il s’était vu demander par la maison d’édition Breitkopf de prendre contact avec Haydn et de servir d’intermédiaire dans les transactions que cette maison comptait mener avec le compositeur. Griesinger vit très souvent Haydn jusqu’à la mort de ce dernier, et ses nombreuses lettres à Breitkopf Härtel constituent une précieuse source de renseignements non seulement sur l’auteur de la Création, mais sur la vie musicale à Vienne en général. Griesinger amassa peu à peu les éléments d’une biographie que, après la mort de Haydn, il fit paraître dans sept numéros successifs (du 12 juill. au 23 août 1809) de l’Allgemeine Musikalische Zeitung, puis (après révision) en volume l’année suivante. Des trois biographies authentiques du compositeur, les autres étant celles de Carpani et de Dies, celle-ci - Biographische Notizen über Joseph Haydn, « Notices biographiques sur Joseph Haydn », Leipzig, 1810, rééd. Vienne, 1954, rééd. fac-similé Leipzig, 1979) - est à la fois la plus concise et la plus sûre. GRIFFES (Charles Tomlinson), compositeur américain (Elmira, New York, 1884 New York 1920). Il fit ses études dans sa ville natale, puis en Allemagne avec Humperdinck. La découverte des maîtres français (Debussy, Ravel) et russes (Scriabine) l’orienta ensuite vers un art de suggestion de plus en plus subtil et raffiné, indifférent à l’expression typiquement américaine. De retour aux États-Unis en 1907, il y exerça diverses activités d’enseignement. Il a surtout écrit des mélodies (Five Poems of Ancient China and Japan, 1917) et des pièces pour piano, dont deux sonates (1904 et 1917-18), The Pleasure Dome of Kubla Khan (1912, transcription orchestrale 1917) et Four Roman Sketches (1915, 1919 - dont The White Peacock transcrit pour orchestre, 1919). Il termina sa carrière sur deux oeuvres capitales de la musique américaine, la seconde sonate pour piano et le Poème pour flûte et orchestre (1918). GRIGNY (Nicolas de), organiste et compositeur français (Reims 1672 - id. 1703). Il est, avec François Couperin, le plus grand maître de toute l’école de l’orgue classique français ; mais sa destinée tragiquement brève a certainement privé la musique du XVIIIe siècle de l’un de ses artistes majeurs. Né dans une famille d’organistes rémois, il est monté de bonne heure à Paris pour y parfaire sa formation musicale. Il y a été le disciple de Lebègue, et y a très probablement connu son contemporain François Couperin, dont le Livre d’orgue était publié en 1690. De 1693 à 1695, il est organiste de l’église abbatiale de Saint-Denis. Il regagne ensuite Reims, où, à partir de 1697, il est titulaire de l’orgue de la cathédrale. Deux ans plus tard, il fait paraître son Livre d’orgue, mais il meurt peu après, à peine âgé de trente et un ans. Le Livre d’orgue se compose de deux parties à peu près égales en volume : une Messe d’orgue en vingt-deux morceaux d’un côté, et cinq Hymnes de l’autre. Cette oeuvre réalise une synthèse unique entre les tendances les plus nouvelles de l’orgue de concert et les exigences liturgiques traditionnelles de l’Église catholique. D’une sensibilité exacerbée, Grigny pratique un chromatisme séduisant dans un langage encore tout imprégné des vieux modes médiévaux. Harmoniste subtil, polyphoniste accompli (il écrit souvent à cinq voix), il est avant tout un merveilleux mélodiste, développant de souples volutes ou laissant s’échapper de sublimes envolées lyriques, gonflées d’une ornementation somptueuse. Ses hymnes sont à la musique sacrée française ce que les préludes de chorals de Bach sont à la musique religieuse allemande. Le rapprochement n’est d’ailleurs pas fortuit : JeanSébastien recopia intégralement le Livre de Grigny lors de son séjour à Lüneburg, en 1703. Une seconde édition, posthume, parut en 1711, et il faut attendre 1904 pour en voir publier la première réédition moderne. Ce chef-d’oeuvre, à la charnière de deux siècles, situe l’aboutissement d’une évolution commencée avec Titelouze et Frescobaldi, et marquée par l’influence des prédécesseurs immédiats de Grigny, Lebègue et François Couperin. Couperin n’écrivant plus pour l’orgue, et Grigny disparu, la musique d’orgue française tombera alors en de plus faibles mains, et ne va cesser de se dégrader, lors même que l’école allemande connaîtra son apogée. GRILLO (Fernando), compositeur et contrebassiste italien (Foggia 1945). Il a obtenu son diplôme de contrebassiste à Pérouse en 1970, et fréquenté les cours de Darmstadt en 1974. Il a créé pour son instrument de nouvelles techniques, proposant notamment une synthèse originale entre l’élément gestuel et le son, et de nombreux compositeurs ont écrit à son intention. Pour contrebasse seule, il a composé lui-même, entre autres, To Ark (1972), Paperoles (1973-1975), Gstüss (1975-76) et Ta kai ta (1976). GRIMM (Friedrich Melchior, baron von), écrivain allemand (Ratisbonne 1723 Gotha 1807). Il vécut à Paris à partir de 1749, où il se lia avec les milieux littéraires et mondains. Il connut Diderot, d’Alembert, Rousseau, Helvetius, Marmontel et collabora à l’Encyclopédie, pour laquelle il écrivit l’article sur la poésie lyrique, ainsi qu’au Mercure de France (1750-1751). Critique et chroniqueur réputé, il joua un rôle important dans le mouvement des idées en s’engageant dans les polémiques et les querelles de son époque. Ses jugements sur la vie musicale et ses théories downloadModeText.vue.download 436 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 430 visant à encourager la recherche d’un style nouveau en musique apparaissent dans sa Correspondance littéraire, philosophique et critique, qu’il rédigea entre 1753 et 1773, et dont la publication, entreprise après sa mort, en 1812-1814, fut achevée en 1882. La position qu’il adopta tout d’abord à l’égard de la musique française dans la Lettre sur Omphale (1752) reflète celle de beaucoup de ses contemporains. Impressionné par l’impulsion nouvelle que semblait pouvoir apporter la musique italienne, il loua celle-ci même lorsqu’il se proposait principalement de défendre la musique de Rameau contre celle de Destouches. Cette brochure figurait néanmoins en bonne place parmi les derniers avatars de la querelle du ramisme. Dans la « Querelle des bouffons » qui se déclara quelque six mois plus tard, il adopta sans équivoque le parti de la musique italienne, comme ses confrères philosophes et encyclopédistes, en publiant en 1753 le Petit Prophète de Boehmischbroda Cette polémique, dont la violence fit, selon Grimm, passer au second plan les problèmes politiques du moment, opposa à l’Opéra le « coin du Roi » - qui rassemblait les défenseurs de la musique française - au « coin de la Reine », réunissant les partisans de la musique italienne, et pouvait être mise en relation avec une contestation plus large de l’idéologie professée par l’Ancien Régime. Le Petit Prophète de Boehmischbroda (qui semblait bien être une allusion à Stamitz) se plaçait ainsi parmi les écrits progressistes de cette période et fut, en tout cas, l’un des plus célèbres de ceux que provoqua cette querelle. À partir de ce moment, la défense de la musique française, ou même seulement celle de Rameau, fut dépassée pour Grimm qui adopta définitivement le parti de la musique italienne. Personnalité prestigieuse, Grimm fut sollicité avec insistance par Leopold Mozart qui lui demanda d’appuyer les débuts parisiens de Wolfgang Amadeus. Il présenta, en effet, celui-ci à la cour de Louis XVI mais, un peu plus tard, il ne fut pas étranger à son départ de Paris en 1778. Anobli par l’empereur Joseph II en 1777, il quitta Paris en 1793 et se retira à Gotha où il finit ses jours. GRIPPE (Ragnar), compositeur suédois (Stockholm 1951). Après un stage au Groupe de recherches musicales de Paris et quelques années d’apprentissage et de création dans le studio A.L.M. de Luc Ferrari, il se fait connaître en Europe par ses musiques électroacoustiques pour le ballet, où son sens du son qui « porte » et du dynamisme musical fait merveille. Mais il y gaspille peut-être aussi son talent en « marathons » (titre d’une de ses oeuvres), dont le principe de répétition cyclique est devenu passe-partout. Certaines oeuvres, comme Were are they (1977) composée au studio d’Utrecht, ajoutent à cet abattage de bon faiseur les qualités d’un musicien sensible. GRISEY (Gérard), compositeur français (Belfort 1946). Il a fait ses études en Allemagne au conservatoire de Trossingen (composition avec Helmut Degen), puis au Conservatoire de Paris, où il a obtenu un premier prix d’harmonie (1967), et a été élève d’Olivier Messiaen (1968-1972). G. Grisey a aussi étudié avec Henri Dutilleux (1968), Jean-Étienne Marie (l’électroacoustique), et, à Darmstadt, avec Stockhausen, Ligeti et Xenakis (1972). Il a été lauréat de la Fondation de la vocation (1970), premier prix de la Biennale internationale de Paris (1971), prix Hervé-Dugardin de la S. A. C. E. M. (1973), boursier de la villa Médicis à Rome (1972-1974) et invité à Berlin par le DAAD (1980). Il a enseigné à Berkeley de 1982 à 1986, et est devenu en 1986 professeur de composition au Conservatoire de Paris. Travaillant sur des données acoustiques et sur une matière première non tempérée, il s’intéresse particulièrement aux « processus de transformation d’un son en un autre son, d’un ensemble de sons en un autre ensemble », et à la spatialisation de la musique. Il a écrit notamment Échanges pour piano préparé et contrebasse (1968 ; création à Paris, 1969), Mégalithes pour quinze cuivres (1969), Charme pour clarinette seule (1969), Perichoresis pour trois groupes instrumentaux (1969-70), Vagues, Chemins, le Souffle pour grand orchestre et clarinette solo, où l’orchestre entoure le public (1970-1972 ; création à Paris, 1975), D’eau et de pierre pour deux groupes instrumentaux (1972), Dérives pour deux groupes d’orchestre (1973-74), Périodes pour sept musiciens (1974), Partiels pour seize ou dix-huit musiciens (1975 ; création à Paris, 1976), Prologue pour alto seul avec ou sans dispositif de résonateurs électroniques (création à Paris, 1978), Manifestations pour orchestre de débutants (1976 ; création à Paris, 1978), Modulations pour 33 musiciens (1977), Sortie vers la lumière du jour pour orgue électrique et 14 musiciens (1978), Jour, contre-jour pour orgue électrique, 13 musiciens et bande magnétique (1978-79), Tempus ex machina I pour six percussionnistes (1979), et Transitoires pour grand orchestre (1980-81). À noter que Prologue, Périodes, Partiels, Modulations et Transitoires constituent un cycle de pièces intitulé les Espaces acoustiques et peuvent s’enchaîner sans interruption, chaque pièce élargissant le champ acoustique de la précédente (cycle créé à Venise en 1981). En 1987 a été créé Talea pour 5 musiciens. Ont suivi le Temps et l’écume pour 4 percussionnistes, 2 synthétiseurs et orchestre de chambre (1988-1989), le Noir de l’étoile pour 6 percussions, bande et signaux astronomiques retransmis (19891990), l’Icône paradoxale sur des textes de Piero della Francesca pour deux voix de femme et orchestre (1991). GRISI (Giulia), soprano italienne (Milan 1811 - Berlin 1869). Soeur cadette de Giuditta (Milan 1805 Robecco 1840), qui fit une plus brève carrière de mezzo-soprano, Giulia Grisi passa pour une des cantatrices les plus accomplies de l’époque romantique, avec une perfection vocale que les partisans du pur bel canto opposaient à l’intense expressivité de la Pasta et de la Malibran. Elle créa le rôle de Juliette aux côtés de sa soeur qui incarnait Roméo dans I Capuletti e i Montecchi de Bellini. Elle fut aussi la première Adalgise, avec la Pasta dans Norma. Par la suite, elle devait reprendre le rôle de Norma qu’elle chanta partout avec succès, bien que la personnalité tragique de la Pasta lui ait fait défaut. Elle se produisit régulièrement au Théâtre-Italien de Paris entre 1832 et 1849, et fit une carrière internationale aux côtés de son mari, le ténor Mario, formant avec lui un couple célèbre par la beauté physique autant que par le talent lyrique. La voix de Giulia Grisi était d’une qualité exceptionnelle, et sa technique, exemplaire. Elle fit une carrière très longue, paraissant encore à Londres dans Lucrèce Borgia de Donizetti en 1866. GROFE (Ferdé ou Ferdinand Rudolph Von Grofe), compositeur américain (New York 1892 - Santa Monica, Californie, 1972). Après des études avec sa mère (violoncelliste) et au conservatoire de Leipzig, il fut violoniste dans l’orchestre de Los Angeles, puis pianiste dans celui de Paul Whiteman, pour qui il orchestra en 1924 la Rhapsody in Blue de Gershwin. Sa Symphony in Steel donna le ton de sa production ultérieure, brillamment orchestrée et d’une vitalité tout américaine, mais ne dépassant pas les limites de la musique de genre. Son oeuvre la plus célèbre est la suite Grand Canyon (1931). GROSSE CAISSE. Instrument à percussion de la famille des membranophones. Ce tambour de grandes dimensions, mais néanmoins portatif pour les musiques militaires, garde généralement à l’orchestre la disposition horizontale de son axe et verticale de ses peaux. Son complément naturel est la mailloche à tête sphérique. Quand la grosse caisse est à position fixe, la mailloche peut être actionnée par une pédale, notamment dans le jazz traditionnel. L’instrument sert particulièrement à marquer les temps forts et downloadModeText.vue.download 437 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 431 parfois à créer des effets spéciaux comme le bruit du canon. GROUND, ou GROUND BASS. Ce terme correspond, dans la terminologie anglaise, à la basse obstinée. Il peut désigner soit une suite de notes ou d’harmonies obstinées, soit la composition tout entière construite sur ce schéma. Le ground peut être harmonique ou mélodique. Dans le premier cas, le plus ancien (XIIIe et début du XIVe s.), il diffère peu de la basse obstinée continentale. Le cas du ground mélodique est plus particulier. Il apparaît surtout aux XVIIe et XVIIIe siècles et peut parfois désigner une oeuvre de type passacaille ou chaconne. Son emploi, non réservé à la musique de clavier, s’étend aux pièces vocales et orchestrales. L’une de ses caractéristiques est le déplacement fréquent de la formule mélodique obstinée de la basse aux voix supérieures. On trouve de très nombreux exemples de ce type de grounds dans la musique de John Blow et de Henry Purcell, qui les emploie même dans ses opéras. Ces deux compositeurs ont d’ailleurs enrichi les ressources d’une forme a priori limitée par son caractère obstiné, en décalant, par exemple, les séquences mélodiques des voix supérieures par rapport à la basse, parvenant même parfois, par cet artifice, à dissimuler la basse obstinée. GROUPE DE MUSIQUE EXPÉRIMENTALE DE BOURGES. Fondé en 1970 par les compositeurs Christian Clozier et Françoise Barrière au sein de la maison de la culture de Bourges, dont il s’est détaché en 1974 pour devenir un groupe autonome, financé par les Affaires culturelles et les collectivités locales, le Groupe de musique expérimentale de Bourges (G.M.E.B.) est rapidement devenu, par l’action de ses animateurs, un des studios de musique électroacoustique les plus actifs du monde entier, accueillant des compositeurs de tous pays, créant un festival et un concours annuels pour la musique électroacoustique, développant une pédagogie originale auprès des enfants des écoles. Dans ce dernier domaine, son apport est lié à une « invention » de Christian Clozier, le « Gmebogosse », système basé sur l’emploi de lecteurs-enregistreurs de cassettes, que son succès promet à une large utilisation. Clozier a également conçu, avec d’autres membres du G.M.E.B., des systèmes originaux de diffusion en concert électroacoustique (Gmebaphone, Antonymes, etc.) et, plus récemment, un « système hybride de synthèse programmable » par ordinateur. Par ailleurs, le G.M.E.B. mène une politique intense de contacts et d’échanges divers (concerts, réseaux de diffusion, rencontres) avec des studios de musique électroacoustique du monde entier. Il édite une publication, Faire. Parmi ceux travaillant ou ayant travaillé au G.M.E.B., on peut citer principalement, outre ses deux fondateurs-animateurs, les compositeurs et chercheurs Alain Savouret, Pierre Boeswillwald, Roger Cochini, Gérard Fouquet, Pierre Rochefort et le technicien Jean-Claude Leduc. GROUPE DE MUSIQUE EXPÉRIMENTALE DE MARSEILLE Fondé en 1969 par Marcel Frémiot, à partir de la classe de musique expérimentale assurée par celui-ci au conservatoire de Marseille, le G.M.E.M. est devenu, sous la direction de Georges Boeuf, un groupe autonome et actif pour la production et la diffusion des musiques électroacoustiques et des recherches qui s’y rattachent. Sa première période, marquée par la personnalité de son fondateur Marcel Frémiot, met l’accent sur le travail de groupe, s’exprimant dans des réalisations collectives, et sur la disciple de composition. En 1974, la direction du G.M.E.M. est reprise par Georges Boeuf, et le groupe traverse certaines difficultés pour obtenir les moyens de travailler comme studio autonome. À présent dirigé par Raphaël de Vivo, il dispose d’un local et d’un studio, où il peut poursuivre les recherches déjà engagées : notamment sur la « lecture sonore de l’événement », sociologie active par les moyens audiovisuels animée par Lucien Bertolina, sur l’informatique musicale, secteur pris en charge plus spécialement par Michel Redolfi (instrument de synthèse « hybride » Synclavier, inspiré des réalisations de John H. Appleton) et, enfin, sur la diffusion en concert par « homo-parleur ». La production musicale, l’animation et l’organisation de concerts figurent également parmi les activités du G.M.E.M., où ont travaillé notamment Georges Boeuf, Michel Redolfi, Claude Colon, Jacques Diennet, Lucien Bertolina et Frank Royon-Lemée. GROUPE DE RECHERCHES MUSICALES (G. R. M. de l’I. N. A.). Installé à Paris, et actuellement intégré dans l’Institut national de l’audiovisuel (I. N. A.), ce groupe fondé par Pierre Schaeffer et animé par François Bayle est l’un des plus importants et, si l’on remonte à ses origines, le plus ancien et le principal centre de musique électroacoustique et de recherche musicale en activité aujourd’hui dans le monde. Son origine coïncide en effet avec les débuts mêmes de la « musique concrète « : depuis la cellule du « Studio d’essai » de la Radiodiffusion française où Pierre Schaeffer inventa cette musique en 1948 jusqu’au « Groupe de musique concrète » créé et officialisé en 1951, pour aboutir, en 1958, au Groupe de recherches musicales fondé au sein de la Radiotélévision française par le même Schaeffer. En 1960, le G. R. M. devient l’une des cellules du Service de la recherche créé autour de lui sous la direction de Schaeffer, aux côtés d’autres secteurs consacrés à la recherche sur l’image, à la production télévisuelle, etc. Il comprend alors, outre son fondateur-inspirateur, les compositeurs Luc Ferrari, François-Bernard Mâche et Ivo Malec. Jusqu’en 1966, l’activité du G. R. M. est principalement centrée autour des recherches dirigées par Schaeffer sur le « Solfège expérimental « : un monumental Traité des objets musicaux, paru en 1966, en dresse le bilan. La composition n’est pas abandonnée pour cela, et, en 1963, une expérience originale de création collective, le Concert collectif, réunit les membres fondateurs du groupe et de nouveaux venus, entre autres, Edgardo Canton, Bernard Parmegiani, François Bayle. Ce dernier reçoit en 1966 la responsabilité du groupe ; il la garde en 1975 quand le G. R. M. devient l’un des départements de l’Institut national de l’audiovisuel (président, Pierre Emmanuel), créé à l’issue du démantèlement officiel de l’O. R. T. F. C’est donc comme G. R. M. de l’I. N. A. que le groupe commence une nouvelle période. Depuis 1975, il a surtout fait porter son effort sur le développement de ses moyens technologiques (en particulier, informatiques) et des publications écrites et sonores de ses travaux. Les activités du G. R. M. sont nombreuses : production musicale, manifestations, recherche, pédagogie. La production du groupe comprend plusieurs centaines d’oeuvres électroacoustiques réalisées dans ses studios depuis les origines, par ses membres ou par des compositeurs invités. On ne peut parler d’une « esthétique G. R. M. » que de manière très large : à partir de l’héritage schaefferien et de la tradition des années 50, c’est une attitude « concrète » de création musicale, se fiant à l’oreille plutôt qu’à des schémas formels a priori. À partir de là, les tendances divergent et les styles contrastent. La recherche musicale a connu deux périodes très actives : une première de 1958 à 1966, autour des thèmes du Traité des objets musicaux, sous la direction de Schaeffer ; une seconde, dans le milieu des an- nées 70, fractionnée en ateliers distincts : analyse musicale, informatique, pédagogie, et dont les travaux ont fait l’objet de publications (Cahiers recherche/musique). L’activité de pédagogie est représentée avant tout par un enseignement officialisé en 1968 dans le cadre du Conservatoire de Paris (C. N. S. M.) avec Pierre Schaeffer et Guy Reibel comme professeurs. il s’agit d’un cours de musique électroacoustique étalé sur deux ans, auquel on peut accéder par un examen de passage. Par ailleurs le G. R. M. organise des stages, animations, etc., de courte durée. Il produit lui-même une partie de ses manifesdownloadModeText.vue.download 438 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 432 tations en concert. Il a pris récemment d’importantes initiatives de diffusion et de publication (une revue, déjà citée, et une collection de disques) et produit une quarantaine d’heures annuelle d’émissions de radio sur les chaînes culturelles nationales. Les membres du G. R. M. ne sont pas titulaires, mais contractuels. Leur équipe se renouvelle fréquemment, avec pourtant, de fait, quelques « piliers « : outre l’animateur très actif du groupe, François Bayle, citons parmi ceux-ci Ivo Malec, Bernard Parmegiani, Guy Reibel. Actuellement, l’équipe du G. R. M. comprend également, du côté des plus jeunes : les compositeurs Jacques Lejeune, Jean Schwarz, Denis Dufour ; les chercheurs - parfois également compositeurs - François Delalande, Benedict Mailliard, Pierre-Alain Jaffrenou, Jean-François Allouis, Philippe Mion, JeanChristophe Thomas, Denis Valette, et, dans diverses tâches de fonctionnement et de production, Suzanne Bordenave, Jack Vidal, Christian Zanessi (également compositeur), Évelyne Gayou, Jacques Darnis, etc. De nombreux compositeurs ont été membres du G. R. M. pendant un certain temps et ont contribué plus ou moins à ses activités : outre Mâche, Ferrari et Canton déjà cités, mentionnons encore Philippe Carson, Alain Savouret, Michel Chion, Robert Cahen, Bernard Durr. Enfin, de très nombreux musiciens ont fréquenté ses studios, pour y réaliser des oeuvres et s’initier à la musique électroacoustique. GROUPE DES CINQ. C’est Milij Balakirev (1837-1910), disciple de Glinka (1804-1857), qui fut l’initiateur et l’âme de cette « petite bande, mais combien puissante ! » célébrée par le critique Vladimir Stassov. César Cui (1835-1918) et Modeste Moussorgski (1839-1881) furent les premiers, en 1857, à partager son idéal d’une musique spécifiquement russe fondée sur le folklore national et échappant à la tutelle des écoles italienne ou allemande. Dans la Russie de cette époque, et surtout à Saint-Pétersbourg que son fondateur avait délibérément tournée vers l’Occident, un tel propos ne manquait pas d’ambition. En 1861, les trois novateurs furent rejoints par Nicolas Rimski-Korsakov, qui avait dix-sept ans, et l’année suivante par Alexandre Borodine, leur aîné à tous, qui en avait près de trente. Le « groupe des Cinq » était constitué. Le groupe des Cinq dura tant bien que mal jusque vers 1872, après quoi la réussite de Rimski-Korsakov, l’échec persistant de Cui, l’indolence de Borodine, l’épuisement de Moussorgski et le découragement de Balakirev eurent raison de l’unité d’action du petit cénacle. GROUPE DES SIX. C’est le critique Henri Collet qui, dans deux articles de Comoedia (16 et 23 janvier 1920), désigna, par analogie avec les « Cinq » russes, les « Six » français, groupement amical de jeunes compositeurs comprenant G. Auric, L. Durey, A. Honegger, D. Milhaud, F. Poulenc et G. Tailleferre. Grâce à Auric, qui le connaissait, Satie devint vite leur parrain. Désignés sous le titre de « Nouveaux Jeunes » pour leurs premiers concerts donnés sous l’impulsion de Blaise Cendrars, d’abord dans l’atelier du peintre Lejeune, puis au théâtre du Vieux-Colombier dirigé par Jeanne Bathori (1918), ils suscitèrent vite la curiosité et retinrent l’attention. C’est alors que Collet les baptisa du nom que l’histoire a retenu. Devenu leur ami, Cocteau se fit leur théoricien, leur porte-drapeau, leur « manager » comme l’a dit Poulenc. Dans Paris-Midi (1919), puis dans le Coq (1920), il donna des articles qu’il réunit dans le Coq et l’Arlequin, véritable manifeste de cette jeune école. L’époque peut éclairer les positions esthétiques du groupe. Dans sa dédicace à G. Auric du Coq et l’Arlequin, Cocteau loue ses amis de « s’évader d’Allemagne ». Son coq français « habite sa ferme ». Il exhorte les jeunes musiciens à se dépouiller des vieux oripeaux d’importation étrangère et à « chanter dans leur arbre généalogique ». Il n’est que d’écouter la musique simple, naïve, qui résonne dans nos bals populaires, nos cafés-concerts, qui est celle aussi de nos chansons. L’éclectique « Arlequin », avec son « costume de toutes les couleurs » tout englué d’influences étrangères, est le contraire du « coq ». Au nom de cette « morale » sont rejetés, non seulement les disciples de Wagner, mais Debussy, accusé d’être « tombé... de l’embûche allemande... dans le piège russe ». Le musicien exemplaire, c’est Satie. Après tant de drames noirs dont le XIXe siècle s’était repu, les nuages se dissipaient et s’éclaircissait le ciel musical : le temps des « concerts champêtres » et des musiques allègres était venu. Si les Mariés de la tour Eiffel (1921) furent leur unique oeuvre commune, du moins tous les « Six » collaborèrentils avec Cocteau. Chacun pourtant allait suivre sa voie. Comme l’écrivait le poète : « Auric, Milhaud, Poulenc, Taillefer, Honegger J’ai mis votre bouquet dans l’eau d’un même vase. Chacun, étoilant d’autres feux sa fusée, Qui laisse choir ailleurs son musical arceau Me sera quelque jour la gloire refusée D’être le gardien nocturne du faisceau. » (Plain-chant). En 1921 se dispersait le « groupe des Six », mais l’impulsion donnée devait porter ses fruits plus tard, et le groupe rester, par-delà les variations de la mode, le symbole de toute une époque. GROVE (sir George), musicologue anglais (Londres 1820 - Sydenham 1900). Ingénieur, archéologue, secrétaire de la Société des arts (1850), puis de la Société des concerts du Crystal Palace (1852), directeur du Royal College of Music lors de sa fondation (1883), il retrouva, lors d’un voyage à Vienne avec Arthur Sullivan (1867), le manuscrit perdu de Rosamunde de Schubert. Il fut le premier à introduire dans les programmes de concerts des commentaires analytiques, et les textes rédigés par lui à cette intention lui donnèrent l’idée de son Dictionnaire de la musique et des musiciens, dont la première édition, en 4 volumes et un supplément, parut entre 1879 et 1889 (il rédigea pour cette édition les articles sur Beethoven, Mendelssohn et Schubert). La deuxième édition parut en 1900 (5 vol.), la troisième en 1927 (5 vol.), la quatrième en 1940 (5 vol. et 1 suppl.), la cinquième en 1954 (9 vol., éd. Eric Blom). La sixième édition (The New Grove Dictionary of Music and Musicians, Londres, 1980, éd. Stanley Sadie), en 20 volumes, comprend par rapport à la précédente 97 p. 100 de textes nouveaux. Une septième édition est prévue pour 1999. On doit également à sir George Grove Beethoven et ses neuf symphonies (Londres, 1896). GRUENBERG (Louis), compositeur américain d’origine polonaise (Brest-Litovsk 1884 - Beverly Hills, Californie, 1964). Arrivé aux États-Unis à l’âge de un an, il fit ses études au conservatoire de New York (1895-1902) et à Berlin avec Busoni (1903), puis se fixa à Vienne. Au début de sa carrière de compositeur, il tenta de concilier l’esprit du jazz avec les formes classiques, et, avec The Emperor Jones (1931) d’après O’Neill (1931), il écrivit le premier opéra américain original. On lui doit encore plusieurs autres ouvrages scéniques, dont Volpone (1945) et Anthony and Cleopatra (1940-1960), quatre symphonies, de la musique de chambre et vocale intégrant parfois un ensemble de jazz. GRUMIAUX (Arthur), violoniste belge (Villers-Perwin, près de Charleroi, 1921 Bruxelles 1986). Élève du conservatoire de Charleroi, puis du conservatoire royal de Bruxelles (1932), il succéda comme professeur de violon dans cet établissement à son maître Alfred Dubois en 1949. Titulaire de nombreux prix et distinctions, il a mené une brillante carrière internationale, et a fait notamment équipe avec Clara Haskil (piano) et, en trio à cordes, avec Georges Janzer (alto) et Eva Czako (violoncelle). downloadModeText.vue.download 439 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 433 GRUMMER (Élisabeth), soprano allemande (Diedenhofen, Alsace-Lorraine, 1911 - Berlin 1986). Elle commence sa carrière à Aix-la-Chapelle comme actrice, avant d’y faire ses débuts de cantatrice en 1941 dans Parsifal (première Fille-Fleur). Après divers engagements en Allemagne, elle se lie à l’Opéra de Berlin en 1946. Elle y triomphera dans les principaux rôles lyriques du répertoire allemand : Agathe dans Der Freischütz de Weber, la Maréchale dans le Chevalier à la rose de Richard Strauss, Donna Anna dans Don Juan et la Comtesse dans les Noces de Figaro de Mozart, ainsi qu’Élisabeth dans Tannhäuser et Elsa dans Lohengrin de Wagner. À partir de 1955, elle partage son temps entre Berlin, Hambourg et Vienne. Elle chante également aux festivals de Salzbourg (Donna Anna) et de Bayreuth (Eva). La qualité de son timbre et l’émotion qu’elle savait exprimer à travers la musique contribuaient à des interprétations d’un rare mérite. Elle a été appelée par Bernard Lefort en 1978 pour diriger l’école d’art lyrique de l’Opéra de Paris, créée par lui-même. GRUNENWALD (Jean-Jacques), organiste et compositeur français (Cran-Gevrier, près d’Annecy, 1911 - Paris 1982). Il a reçu une formation très complète, puisqu’il est à la fois architecte, issu de l’École des beaux-arts, et ancien élève du Conservatoire de Paris, où il a obtenu un premier prix d’orgue et d’improvisation dans la classe de Marcel Dupré, et les premier et second grand prix de Rome de composition musicale (1939). Grunenwald a été titulaire de l’orgue de Saint-Pierre de Montrouge (1955) avant de succéder à son maître Dupré à l’orgue de Saint-Sulpice (1971), et professeur d’orgue et d’improvisation au conservatoire de Genève. Tout en restant attaché au langage de la tradition, il s’est dégagé de l’académisme très répandu chez les organistes-compositeurs du XXe siècle, pour s’ouvrir à la polymodalité et à la polytonalité, dans un style véhément qui lui est personnel. Son oeuvre fait une large part à l’orgue (Cinq Pièces pour l’office divin, 1954 ; Sonate, 1964) et à la musique religieuse, mais il a abordé tous les genres, en particulier le théâtre (Sardanapale, opéra d’après Byron, 1945-1951) et l’orchestre (Bethsabée, poème symphonique, 1943 ; deux concertos pour piano et orchestre). GRUPPETTO. Terme italien désignant, littéralement, un petit groupe de notes qui constituent un ornement mélodique autour de la note réelle. Autrefois, dans la musique vocale en France, on appelait le gruppetto le tour de gosier. Cet ornement peut être commencé soit par la note supérieure, ce qui est le plus usuel : soit par la note inférieure : Dans l’exécution du gruppetto, une certaine liberté rythmique le caractérise, déterminée par le tempo et la nature du morceau. Mozart le marquait généralement par le signe habituel (`), les romantiques, Wagner notamment (par exemple, prélude de Parsifal) auraient tendance à l’écrire en petites notes, précisant ainsi davantage le rythme. GUADAGNI (Gaetano), castrat contralto italien (Lodi ou Vicenze, v. 1725 - Padoue 1792). Il fit ses débuts à Parme en 1747. Haendel l’appela à Londres pour chanter Samson et le Messie. Sa voix très étendue lui permit également d’aborder des rôles de soprano, mais il bâtit l’essentiel de sa réputation sur le triomphe de la version italienne originale de l’Orfeo de Gluck qu’il créa à Vienne en 1762. En 1769, il retourna à Londres, cette fois pour chanter des rôles d’opéra. Il étonnait son public par son ampleur vocale exceptionnelle, mais on louait aussi sa présence dramatique ainsi que son talent d’acteur. Il termina sa carrière en Italie vers 1780. GUALDA (Sylvio), percussionniste français (Alger 1939). Premier Prix du Conservatoire national supérieur de musique, il exerce d’abord ses talents dans de grandes formations classiques (concerts Lamoureux, pre- mier timbalier à l’Opéra en 1968), puis découvre les immenses possibilités que la musique contemporaine offre aux instruments à percussion. Il collabore au Domaine musical, à Musique vivante, Ars nova (depuis 1969) et Puissance quatre, dont il est membre fondateur avec J.-P. Drouet et Katia et Marielle Labèque. Xenakis lui a dédié Psappha, et il a créé les Quatorze Stations de Marius Constant. GUAMI, famille de musiciens italiens. Gioseffo, organiste et compositeur (Lucques v. 1540 - id. 1611). Il fut organiste à la cour de Munich, maître de chapelle à la cour de Gênes, second organiste à Saint-Marc de Venise et organiste à San Martino de Lucques. Il a laissé de très intéressants motets, des oeuvres d’orgue de qualité et d’originales canzoni pour instruments. L’ensemble de son oeuvre n’est nullement négligeable et se détache avec plus d’autorité que celle de son frère. Citons ses Lamentations Hieremiae à 6 (1588), ainsi qu’un livre de canzonettes à la française (1601). Francesco, compositeur (Lucques v. 1544 - id. 1602). Instrumentiste également, il occupa des fonctions de maître de chapelle dans différentes villes et cours : Bavière, Baden-Baden, Venise, Udine, Lucques. Il a composé trois livres de madrigaux à 4, 5 et 6 voix, publiés à Venise (Gardano, 1588, 1593, 1598), des ricercari à 2 voix (1598) et de la musique d’église. GUARACHA. Danse cubaine d’origine probablement espagnole, qui fut très populaire au XIXe siècle et l’est encore dans les pays de l’Amérique latine. Elle est normalement construite en deux sections qui font alterner des mesures binaires et ternaires (6/8 - 3/4). GUARNERI, famille de luthiers italiens. Andrea, le père de la dynastie (Crémone v. 1626 - id. 1698). Ses violons sont construits sur le modèle de son maître Nicolo Amati. Pietro Giovanni dit Pietro aa Mantova, fils du précédent (Crémone 1655 - Mantoue 1720). Il a construit d’excellents violons aux voûtes assez élevées, aux ouïes larges et au beau vernis. Giuseppe, frère du précédent (Crémone 1666 - id. v. 1740). Celui-ci a laissé de remarquables violons de petit modèle, au bois bien choisi et au vernis souple. Il a également construit des altos, des violoncelles et des contrebasses. Pietro, dit Pietro da Venezia, fils de Giuseppe (Crémone 1695 - Venise 1762). Il a incorporé dans ses instruments quelques éléments caractéristiques de l’école vénitienne. Giuseppe Antonio, dit Giuseppe del Gesù, fils de Giuseppe (Crémone 1698 id. 1744). Il est le plus grand de la dynastie. Son oeuvre peut être divisée en trois périodes : jusqu’en 1730, il change souvent de modèle et son travail est parfois un peu fruste ; vers 1730, il construit des violons bien finis, au bois judicieusement choisi et à la sonorité magnifique ; enfin, aux alentours de 1740, des violons d’une coupe plus hardie quittent son atelier, violons aux tables d’harmonie plus épaisses et à la sonorité puissante. Comme les Stradivari et les Amati, les violons de Giuseppe Antonio sont aujourd’hui recherchés dans le monde entier et possèdent une valeur inestimable. GUDMUNDSEN-HOLMGREEN (Pelle), compositeur danois (Copenhague 1932). Il étudie au Conservatoire royal de musique de 1953 à 1958. De 1967 à 1974, il est professeur de composition au conserdownloadModeText.vue.download 440 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 434 vatoire du Jütland. Son oeuvre s’inscrit tout d’abord en réaction contre l’influence du style de Bartók (Quatuor à cordes no 1, 1958), puis s’affirme peu à peu avec sa Première Symphonie (1962-1965) et ses oeuvres orchestrales de 1964, Collegium Musicum Koncert et Mester Jacob, en s’orientant vers le langage sériel à la mode dans les années 60 ; ce langage va lui-même céder la place après 1965 à la « nouvelle simplicité » qui s’oppose à la complexité du modernisme international. Ses oeuvres les plus représentatives de cette époque sont Repriser pour orchestre de chambre (1965), la suite pour orchestre Tricolore (1966-1969), Stykke for Stykke pour orchestre de chambre (1968) et Tableaux d’une exposition pour piano (1968). Il obtient en 1980 le prix nordique de composition pour sa symphonie Antifonia. Son oeuvre exprime, non sans humour, une caricature du monde moderne et le pessimisme du créateur devant son absurdité. GUEDEN (Hilde), soprano autrichienne (Vienne 1914 - Klosterneuburg 1988). Ses parents, musiciens, la poussent très tôt à étudier le chant et elle débute dès l’âge de seize ans dans des opérettes de Robert Stolz. En 1939, elle part avec sa famille pour Zurich, où elle chante Chérubin dans les Noces de Figaro. Elle est engagée à l’opéra de Munich en 1942 et chante Sophie dans le Chevalier à la rose. De 1942 à 1945, elle se produit en Italie (Rome et Florence) sous la direction de Tullio Serafin. Elle obtient un des plus grands succès de sa carrière au festival de Salzbourg en 1946 dans le rôle de Zerline de Don Juan, et elle retournera dès lors régulièrement à ce festival. Membre de l’opéra de Vienne depuis 1947, elle travaille également avec la Scala de Milan, et, à partir de 1951, avec le Metropolitan Opera de New York. Elle s’est produite sur les plus grandes scènes du monde et au cours des plus grands festivals. Son répertoire très varié comprenait aussi bien les grands opéras de Mozart (Don Juan, les Noces de Figaro) que les classiques italiens (la Bohème, Rigoletto). Fidèle à ses débuts, elle a chanté également des opérettes (la Chauve-Souris, la Veuve joyeuse). Enfin, grâce à une voix à toute épreuve et à une technique accomplie, elle put aborder les rôles les plus difficiles, tels que celui de Zerbinetta dans Ariane à Naxos de R. Strauss. Elle reste considérée comme l’un des plus grands sopranos de ce siècle. GUÉDRON (Pierre), compositeur français (région de Châteaudun v. 1570 - probablement Paris v. 1620). Il étudia la musique à la chapelle du cardinal de Guise, Louis II de Lorraine, où il était enfant de choeur et où, selon un contemporain, « il chantoit la haute-contre fort bien ». En 1590, il entra dans la chapelle royale de Henri IV. Il devait succéder à Claude Le Jeune en 1601 comme compositeur de la Chambre du roi et devenir, deux ans plus tard, maître des enfants de la musique. Vers 1613, Louis XIII le nomma intendant des musiques de la Chambre du roi et de la reine mère (Marie de Médicis). Guédron était un très bon maître de chant qui, influencé sans doute par la visite de Giulio Caccini à la cour de France en 1604-1605, tenta de suivre les Italiens sur la voie de la monodie accompagnée, mais il resta fidèle au luth et n’utilisa pas encore la basse continue sauf exceptionnellement dans quelques airs où l’on trouve les premières traces de cette technique nouvelle. Au cours de sa carrière, il publia 6 livres d’airs de cour à 4 ou 5 voix, composés sur les strophes des poètes de son temps, tels F. de Malherbe et Boisrobert. Sa réputation dépasse les frontières et ses airs paraissent dans des recueils collectifs à l’étranger, en Angleterre par exemple, dans A Musicall Banquet de Robert Dowland. À partir de 1602, Guédron s’intéressa aux ballets de cour. Ce fut l’année de la création du Ballet sur la naissance de Monseigneur le duc de Vendosme. Sa contribution à ce genre de spectacle fut remarquable, surtout dans le développement du « ballet mélodramatique » pourvu d’une action suivie. Il en composait essentiellement les parties vocales, y introduisant des récits chantés inspirés des Italiens, mais parfaitement adaptés à la langue française, traduisant avec une justesse jusqu’alors sans précédent le sens dramatique du texte. Incontestablement doué pour le théâtre, Guédron collabora à un ballet qui fut dansé au Louvre le 29 janvier 1617. il s’agit du Ballet de la délivrance de Renaud pour lequel G. Bataille, A. Boesset et J. Mauduit composèrent également de la musique. Compositeur à la fois passionné et prudent, Guédron sut éviter les moyens parfois exagérés des Italiens, observant une déclamation naturelle sur des rythmes bien marqués. Cependant, ses récits employèrent la forme strophique de l’air de cour et la musique fut donc composée sur le texte de la première. La tâche du chanteur était de modifier ensuite la mélodie au moyen de la diminution afin de mieux exprimer les sentiments contenus dans les autres strophes. L’art de Pierre Guédron conduit, en fait, vers la tragédie lyrique que devait créer Lully en 1673. Cette évolution fut malheureusement interrompue par son gendre et successeur, dont le tempérament plus lyrique fut attiré par le ballet « à entrées » fort apprécié sous le règne de Louis XIII. Ainsi, Antoine Boesset, d’ailleurs compositeur de grand talent, contribua à retarder d’un demi-siècle la naissance de l’opéra en France. GUÉNIN (Marie Alexandre), violoniste et compositeur français (Maubeuge 1744 Étampes 1835). Élève de Capron et de Gaviniès pour le violon et de Gossec pour la composition, il fit en 1773 ses débuts au Concert spirituel, dont il devint, en 1777, directeur adjoint. Il fut nommé, la même année, directeur de la musique du prince de Condé, et occupa les fonctions de violon principal à l’Opéra de 1783 à 1801, et de professeur à l’École royale de chant et de déclamation (devenue Conservatoire national en 1795) de 1784 à 1802. À partir de 1808, il fut attaché au service de Charles IV d’Espagne, qu’il suivit en exil à Marseille, et, de 1814 à 1816, il joua encore du violon dans la musique de Louis XVIII. On lui doit notamment des trios et des symphonies. GUÉRANGER (Dom Prosper), bénédictin français (Sablé 1805 - Solesmes 1875). Il fut ordonné prêtre et promu chanoine du diocèse du Mans en 1827. En 1833, il réunit autour de lui une communauté de moines dans l’ancien prieuré de Solesmes, où il fonde la communauté des bénédictins de la Congrégation de France confirmée par le pape en 1837. Parallèlement à la restauration de l’ordre monastique, commence sous son abbatiat une réforme du chant liturgique, avec les premières rééditions des livres, selon le rite romain, à partir de 1869. Il constitue à Solesmes une importante bibliothèque qui fait encore actuellement le renom de l’abbaye. Il a publié de nombreux articles (dans l’Univers et dans le Monde, notamment) et des ouvrages, dont les Origines de l’Église romaine (1836), les Institutions liturgiques (184041) et surtout l’Année liturgique (18411866), dont 50 000 séries ont été vendues au XIXe siècle. Ses ouvrages concernent la liturgie, l’archéologie chrétienne, l’histoire de l’Église, la doctrine catholique et les dogmes de l’Immaculée Conception et de l’infaillibilité pontificale. GUERRERO (Francisco), compositeur espagnol (Séville 1528 - id. 1599). Élève de son frère Pedro, également compositeur, puis de F. de Castilleja et de Morales, il entre dans la maîtrise de la cathédrale de Séville et travaille en même temps le luth, la harpe et les instruments à vent. Il est maître de chapelle à la cathédrale de Jaén (1546), puis cantor à Séville (1548), où il devient directeur de la manécanterie avec le droit de succéder à la chapelle. En 1554, après la mort de Morales, il est nommé maître de chapelle à Málaga. En 1570, avec ses chantres, il accueille la princesse Anne, fiancée de Philippe II, à Santander. Il succède à Castilleja comme maître de chapelle à Séville (1574). Il fait deux voyages en Italie, notamment celui de 1581 à 1584 pendant lequel il contribue à la rédaction du second livre des Laude downloadModeText.vue.download 441 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 435 spirituali de Soto de Lanza à Rome, puis publie à Venise ses Motetta liber II et ses Canciones y villanescas espirituales (1589). De l’Italie, il continue son voyage jusqu’en Terre sainte (1588-89). Il en rapporte un compte rendu publié en 1590 qui connaît un succès tel qu’il sera réédité jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Francisco Guerrero, protégé de Charles Quint, mais surtout de Philippe II et du pape Jules III, cité par Rabelais, est l’un des compositeurs les plus célèbres de son temps. Avec Morales, il est, sans doute, le plus grand maître de la polyphonie sacrée de l’école andalouse. Ses oeuvres ont été éditées en Espagne, en Italie et en Flandre. Remarquable pour la pureté de son contrepoint, sa musique religieuse utilise le fonds traditionnel de la liturgie espagnole et, dans ses messes, des textes mozarabes. À leur beauté mélodique se joignent une ferveur et un sens dramatique très andalous. Réciproquement, une grande fraîcheur d’inspiration marque ses compositions profanes, conçues dans l’esprit du madrigal italien. GUERRERO (Francisco), compositeur espagnol (Linares 1951). Il a fait ses études à Palma de Mallorca, Grenade et Madrid, se consacrant surtout à l’orgue et à la composition, et obtenant, en cette dernière matière, le prix Manuelde-Falla en 1970 avec Facturas pour 3 flûtes, vibraphone, célesta, deux pianos et trio à cordes. Il a également travaillé l’électroacoustique, représenté l’Espagne à la Tribune internationale des compositeurs de l’U. N. E. S. C. O. en 1973 avec Noa pour 2 trompettes et 2 trombones (1972), puis au prix Italia en 1974 avec Jondo pour 3 trompettes, 3 trombones, 4 percussions et 10 voix d’hommes (1973). Parmi ses autres oeuvres, Ecce Opus pour orchestre (1973), Xenias pacatas I pour 6 violons, 6 altos et 6 violoncelles (1973) et II pour 2 guitares (1974), Anemos A (1975) et C (1976) pour ensemble instrumental et B (1978) pour 12 voix mixtes, Acte préalable pour 4 percussions (1978), Concierto de camera pour flûte, clarinette basse et quatuor à cordes (1978), Erotica pour contralto et guitare (1979), Antar-Atman pour orchestre (1980). GUERRERO (Jacinto), compositeur espagnol (Ajofrin, près de Tolède, 1895 Madrid 1951). Il fait ses études à Madrid (Corrado del Campo) et est l’un des zarzuelistes les plus populaires de sa génération. Il a écrit plus d’une centaine de zarzuelas, dont certaines ont connu une audience énorme (La Alsaciana, 1921 ; El Huésped del Sevillano, 1926 ; El Sobre verde, ParisMadrid, El Ama y...). GUEZEC (Jean-Pierre), compositeur français (Dijon 1934 - Paris 1971). Après des études au Conservatoire de Paris avec Darius Milhaud, Jean Rivier, Olivier Messiaen, il s’est engagé franchement dans la voie de l’avant-garde postwebernienne et postboulezienne, trouvant vite un langage personnel souvent influencé par les techniques de la peinture moderne : « Mes oeuvres sont avant tout des oeuvres de contrastes et de couleurs, de contrastes de matériaux sonores... Je m’oppose radicalement à une certaine esthétique du flou... (J’ai) essayé de transposer dans le domaine des sons certains aspects de la technique... de structuration de l’espace de Mondrian. » Il a écrit presque uniquement pour ensembles instrumentaux, et on lui doit, entre autres, Suite pour Mondrian pour orchestre (1962), Architectures colorées pour 15 solistes (1964), Ensemble multicolore 65 pour 18 instruments (1965), Formes pour orchestre (1966), Textures enchaînées pour 12 vents, harpe et 3 percussions (1967), Assemblables pour 18 instruments (1967), un Trio à cordes (1968), Successif simultané pour 12 cordes (1968), Reliefs polychromés pour 12 voix solistes (1968), et Forme-couleurs pour 2 harpes et ensemble de chambre (1969). Il a reçu, en 1968, le grand prix de la promotion symphonique de la S. A. C. E. M. et été titulaire, de 1969 à sa mort, d’une classe d’analyse au Conservatoire de Paris. GUGLIELMI, famille de musiciens italiens. Pietro, dit Pier Alessandro, compositeur (Massa Carrara 1728 - Rome 1804). Il fut l’un des représentants les plus marquants de l’opéra italien dans cette période comprise entre Scarlatti et Pergolèse, d’une part, Cimarosa et Paisiello de l’autre. Moins attiré par l’étranger - à part un bref séjour à Londres et en Allemagne de 1767 à 1772 - que ses rivaux Anfossi, Sacchini, Piccinni, Jommelli ou Traetta, il fut, sans doute pour cette raison, parfois mieux apprécié par ses compatriotes qui goûtaient sa spontanéité mélodique, fruit d’une facilité peut-être excessive à laquelle il se fiait souvent en raison d’une vie assez dissolue. Auteur d’une centaine d’opéras sérieux ou comiques, de musique instrumentale et de plus de vingt oeuvres sacrées, il se distingua pour son « brio napolitain » et l’élégance avec laquelle il savait allier le sentimental au comique, influençant en cela notablement Piccinni, Paisiello ou Rossini. De 1793 à sa mort, il fut maître de chapelle à Saint-Pierre de Rome. Pietro Carlo, fils du précédent (Naples ou Rome v. 1765 - Naples 1817). Auteur d’une cinquantaine d’opéras, comiques pour la plupart, il appartint au groupe des « précurseurs » de Rossini, et connut de grands succès en Espagne, au Portugal, à Londres et à Paris, où il donna I Due Gemelli en 1807. Il eut la sagesse de s’effacer devant Rossini, mais donna encore en 1817 Paul et Virginie, qui comportait des scènes parlées, et fut joué dans toute l’Europe. On lui doit encore notamment Due nozze e un sol marito, La Scelta dello sposo, etc. GUI (Vittorio), chef d’orchestre italien (Rome 1885 - Florence 1975). Il fit ses débuts en 1907 dans La Gioconda de Ponchielli, dirigea pour la première fois à la Scala en 1923 sur l’invitation de Toscanini, et fonda en 1928 à Florence l’orchestre Stabile, autour duquel se créa en 1933 le Mai musical florentin (il fut le directeur artistique de cette manifestation jusqu’en 1936). Il joua un rôle de premier plan, à partir de 1949, aux festivals de Glyndebourne et d’Édimbourg, attachant en particulier son nom à la renaissance de Rossini. Comme compositeur, il fut spécialement influencé par la musique française du début du XXe siècle. GUIDO D’AREZZO (ou GUY D’AREZZO), moine bénédictin et théoricien italien ( ? peu avant 1000 - ? v. 1050). Il fit ses études en devenant moine à l’abbaye de Pomposa (Ferrare). Il provoqua une véritable révolution dans la tradition musicale (jusqu’alors basée sur le principe de l’imitation du maître) en inventant une nouvelle méthode de notation par laquelle il précise les intervalles à chanter, se servant de six syllabes extraites d’un hymne à saint Jean-Baptiste : ut queant laxis resonare fibris mira gestorum famuli tuorum solve pollutis labii reactum, ces syllabes formant ainsi l’hexacorde. Les remous qu’il suscite l’obligent à quitter Pomposa. Il se rend probablement en France, à l’abbaye de Saint-Maur-des-Fossés où il serait entré en contact avec des théoriciens aussi avancés que lui. Ensuite, il retourne en Italie et s’installe à Arezzo (l’origine de son nom, Guido d’Arezzo), où il rencontre l’évêque de cette ville, Théobald, qui le nomme professeur à l’école de la cathédrale pour le chant et la théorie musicale. Sa réputation s’étend jusqu’à Rome, où il fut reçu par le pape Jean XIX. L’essentiel de ses idées et de son enseignement est contenu dans les ouvrages suivants : Prologus in antiphonarium-Micrologus de musica ; Regulae rhythmicae ; Epistola ad Michaelem. L’importance de ces ouvrages ne saurait être sous-estimée, car leur influence s’étendit sur tout le Moyen Âge. Néanmoins, il est difficile de déterminer exactement ce qui est purement des inventions de son esprit et ce qu’il a déduit ou développé à partir des travaux des autres, par exemple, la portée que Guido aurait plutôt perfectionnée, ou encore la célèbre « main guidonienne ». downloadModeText.vue.download 442 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 436 GUIDON. Signe de notation employé en plain-chant, consistant à esquisser, à la fin d’une ligne de portée, la première note de la ligne suivante, de manière à « guider » le lecteur pour lui rendre l’enchaînement plus facile. GUIGNON (Jean-Pierre ou GIOVANNI PIETRO GHIGNONE), violoniste et compositeur français, d’origine italienne (Turin 1702 Versailles 1774). Élève de Giovanni Battista Somis, il débuta au Concert spirituel en 1725. Naturalisé en 1741, il devint la même année « Roy et maître des ménétriers et joueurs d’instruments », charge tombée en désuétude depuis 1685 et qui lui conférait un droit d’inspection dans toutes les corporations de musique et de danse du royaume. Il devait l’occuper jusqu’en 1750, non sans avoir été professeur de Madame Adélaïde (1746) et du dauphin. Diffuseur de la musique italienne en France, brillant représentant de l’école française de violon, il publia divers recueils de sonates. Des concertos sont restés manuscrits. Une Grande Simphonie à cors de chasse aurait été exécutée au Concert spirituel en 1748. GUILELS (Emil), pianiste soviétique (Odessa 1916 - Moscou 1985). Il fit ses études avec Reingbald au conservatoire d’Odessa, puis avec H. Neuhaus au conservatoire de Moscou, où il fut lui-même nommé professeur en 1951. En 1936, il remporta le second prix au concours de Vienne, et en 1938 le premier prix au concours Ysaye de Bruxelles. En 1954, il reçut le titre d’artiste du peuple de l’U. R. S. S. Il se produit en Europe depuis 1945 et aux États-Unis depuis 1955. Son répertoire, très éclectique, va de Bach et Scarlatti jusqu’aux auteurs du XXe siècle, avec, cependant, certaines préférences : Mozart, Beethoven, Brahms, Prokofiev. Guilels fut le premier interprète de la Huitième Sonate de Prokofiev en 1944. GUILLAUME D’AMIENS, trouvère fran- çais (fin XIIIe s., né à Amiens). Il est surtout connu pour avoir écrit un poème contre l’Amour intitulé Vers d’Amour. Il est également l’auteur de trois chansons et d’une dizaine de rondeaux pourvus de musique, conçus dans le style de ceux d’Adam de la Halle. GUILLAUME D’AQUITAINE (ou Guillaume IX, comte de Poitiers), troubadour ( ? 1071 - ? 1127). Il semble avoir été le premier troubadour. Il a décrit et chanté les batailles contre les Sarrasins, les prisons qu’il a connues et les grands voyages à Antioche et à Jérusalem. On n’a retrouvé qu’une dizaine de pièces qui lui sont attribuées, ainsi qu’un fragment de mélodie dans le Jeu de sainte Agnès. Son langage était cru et violent, tout comme sa vie pendant laquelle il fut excommunié plusieurs fois. GUILLEMAIN (Louis Gabriel), violoniste et compositeur français (Paris 1705 Chaville 1770). Élève des frères Somis à Turin, il rentra en France en 1729, devint « musicien ordinaire de la chapelle et de la Chambre du roi » en 1737, et entra au service de la reine en 1759. Il fut, comme violoniste, un des solistes les plus applaudis de la capitale, mais sa situation matérielle de plus en plus précaire le poussa au suicide sur la route de Paris à Versailles. Ses Six Symphonies dans le goût italien en trio op. 6 (1740) et ses Six Concertinos à quatre op. 7 (1740) font de lui un précurseur dans la diffusion, en France, du style instrumental italien, et, avec ses Six Sonates en quatuors ou conversations galantes et amusantes entre une flûte traversière, un violon, une basse de viole et la basse continue op. 12 (1743), le terme « quatuor » - avec comme implications un seul instrument soliste par voix et la renonciation au clavecin pour la basse - apparut pour la première fois chez un compositeur français. Une influence sur cet opus 12 des Nouveaux Quatuors en six suites de Telemann (Paris, 1738) n’est pas à exclure, du moins sur le plan de la facture instrumentale. Guillemain fut en son temps, avec Jean-Marie Leclair, le plus grand représentant de l’école française de violon. GUILLOU (Jean), organiste et composi- teur français (Angers 1930). Organiste titulaire à Saint-Serge d’Angers dès son adolescence, il vint parfaire ses études musicales au Conservatoire de Paris, dans les classes d’orgue et improvisation, d’harmonie, de contrepoint, de fugue et de composition. Il y eut notamment pour maîtres Marcel Dupré, Maurice Duruflé et Olivier Messiaen. Il est alors nommé professeur d’orgue et de composition à l’Instituto de alta cultura de Lisbonne (1955), tout en poursuivant une carrière internationale de concertiste. Il se fixe ensuite à Berlin (1960), pour se consacrer à la composition, avant de revenir en 1963 s’établir à Paris où il est cotitulaire, avec André Fleury, de l’orgue de SaintEustache. Virtuose prodigieux, interprète original, il est passé maître dans l’art de l’improvisation, par la rapidité avec laquelle il conçoit les constructions ou les développements, et la technique qu’il apporte à les exécuter instantanément. Cette maîtrise et sa curiosité pour les musiques de son temps se reflètent dans ses compositions pour orgue : Sinfonietta (1962), Fantaisie (1963), Toccata (1970). Il a également écrit de la musique instrumentale et de chambre, et des oeuvres pour grande formation : le Jugement dernier, oratorio (1965), Judith symphonie, pour mezzosoprano et grand orchestre (1971). Ses connaissances en facture d’orgues l’ont amené à dresser les plans de la reconstruction de l’orgue de Saint-Eustache, et à rédiger un livre sur l’esthétique de la facture d’orgue, l’Orgue, souvenir et avenir (1978). GUILMANT (Alexandre), organiste et compositeur français (Boulogne-sur-Mer 1837 - Meudon 1911). D’une famille de facteurs d’orgues, il fut l’élève, d’abord, de son père, puis de Lemmens, à Bruxelles. il s’établit dans sa ville natale, comme organiste et professeur. En 1871, il est nommé titulaire à l’église de la Trinité, à Paris. De cette époque date le début de sa renommée internationale et de sa carrière de concertiste virtuose. Il se produit en Europe et en Amérique, et dans des cycles d’auditions au Trocadéro qui connaissent un succès retentissant. En 1894, il fonde la Schola cantorum, en compagnie de Charles Bordes et de Vincent d’Indy, et il succède à Widor à la classe d’orgue du Conservatoire en 1896. Érudit, il a été le premier à publier, avec André Pirro, une vaste anthologie des organistes classiques français, sous le titre d’Archives des maîtres de l’orgue (10 vol., 1898-1914), puis des maîtres étrangers, École classique de l’orgue (25 vol., 1898-1903). Malgré toutes ces activités, Guilmant consacra beaucoup de temps à la composition, essentiellement pour son instrument, laissant une oeuvre immense. Ses huit sonates (1874-1909), comme les Symphonies de Widor, introduisent à l’orgue un langage et un schéma formel nouveaux, empruntés à la musique instrumentale allemande. Auprès des sonates, 18 collections de Pièces dans différents styles (1860-1875) et divers morceaux forment le répertoire du concertiste, tandis que l’organiste liturgique écrit pour le culte des recueils de noëls, Soixante Interludes dans la tonalité grégorienne, l’Organiste pratique (12 cahiers, 1871-1880), l’Organiste liturgique (10 cahiers, apr. 1884). En outre, Guilmant a composé de la musique de chambre, de la musique vocale religieuse, une symphonie cantate, Ariane, et une scène lyrique, Bethsabée. GUIMBARDE. Instrument de musique populaire répandu dans le monde entier sous les formes les plus variées. Il consiste essentiellement en une lame métallique ou autre que l’on serre entre les dents et que l’on fait sonner de la main, la cavité buccale faisant office de caisse de résonance. La hauteur du son produit peut être modifiée sur une courte étendue. downloadModeText.vue.download 443 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 437 GUIRAUD, famille de compositeurs français. Jean-Baptiste (Bordeaux 1803 - La Nouvelle-Orléans v. 1864). Premier prix de Rome en 1827, il émigra dans les années 1830 à La Nouvelle-Orléans, où il mena avec succès une carrière d’enseignant. Ernest, fils du précédent (La Nouvelle-Orléans 1837 - Paris 1892). Élève de son père à La Nouvelle-Orléans (où son opéra le Roi David fut représenté dès 1852), puis du Conservatoire de Paris, il obtint le pre- mier prix de Rome en 1859. L’un de ses envois, Sylvie, fut représenté à l’OpéraComique en 1864. Nommé professeur d’harmonie (1876), puis de composition (1880) au Conservatoire de Paris, il y eut comme élèves Paul Dukas, Gabriel Pierné, Erik Satie et Claude Debussy, et se montra pédagogue compréhensif et maître perspicace. Il succéda à Léo Delibes à l’Institut en 1891, et rédigea un important Traité pratique d’instrumentation, édité juste avant sa mort et révisé par Henri Busser en 1935. Parmi ses oeuvres pour la scène, retenons l’opéra-comique Madame Turlupin (Paris, 1872), et le drame lyrique Frédégonde, terminé par Saint-Saëns (Paris, 1895). C’est lui qui acheva l’orchestration des Contes d’Hoffmann d’Offenbach, et qui écrivit, pour permettre à ces ouvrages d’être représentés à l’étranger, les récitatifs de Carmen de Bizet et de Lakmé de Léo Delibes. GUIRAUD RIQUIER, troubadour (Narbonne v. 1230 - ? v. 1292). D’origine modeste, il se trouve d’abord dans l’entourage d’Amauri IV de Narbonne avant de vivre une dizaine d’années à la cour d’Alphonse le Sage de Castille. Il compte parmi les tout derniers troubadours. En 1280, il revient en Languedoc, s’intéressant particulièrement à la poésie religieuse. Il a écrit une oeuvre considérable, à commencer par le « planh » sur la mort d’Amauri de Narbonne. Environ quatre-vingt-dix pièces nous sont parvenues, dont quarante-huit notées (chansons, pastourelles - genre où il excelle -, prières, sirventès, albas, etc.). C’est avec lui que la poésie provençale s’éteint. GUIRAUT DE BORNEILH (ou GIRAUT), troubadour (Excideuil, Dordogne, v. 1138 - ? v. 1215). Il est d’origine modeste, mais ses contemporains l’ont appelé le « maître des troubadours ». Il part pour la troisième croisade avec Philippe Auguste, Frédéric Barberousse et Richard Coeur de Lion et séjourne en Autriche. Sur un total de cent vingt-cinq pièces, quatre-vingts sont certainement de lui (chansons, pastourelles, romances, aubes). Quatre seulement sont notées, dont la plus célèbre est la chanson d’aube (ou « alba ») Reis glorios. Dante appréciait beaucoup la souplesse de son lyrisme. GUITARE. Instrument à cordes pincées et à manche dont les origines sont imprécises et fort anciennes. Selon certaines hypothèses, le véritable ancêtre de la guitare serait le luth chaldéo-assyrien qui, passant par l’Arabie et la Perse, se serait finalement fixé en Espagne, à la faveur de l’occupation maure. Selon d’autres, la guitare dériverait de la cithare romaine, d’origine assyrienne et grecque, et aurait fait son apparition en Espagne avant l’invasion arabe. Étymologiquement, le mot vient de kithara (égyptien) ou ketharah (assyrien) et se retrouve dans de nombreuses langues méditerranéennes (arabe : kuitra ; chaldéen : chetharah ; grec : cithara ou citharis ; romain : cithara, etc.) et désigne pendant longtemps divers instruments à cordes pincées, depuis les formes achaïques de harpes ou de lyres aux divers types de luths. Les miniatures du Moyen Âge désignent sous les appellations de rotte, cithern, zither, cithrinchen, guiterne, suivant les pays, divers types d’instruments, s’apparentant déjà au luth par leur caisse bombée et ovale, tandis que les formes de la guitare telle que nous la connaissons commencent à s’ébaucher. Le plus ancien document qui témoigne de l’existence de la guitare proprement dite est un manuscrit du XIIIe siècle, les Cantigas de santa Maria, attribué au roi de Castille Alphonse X le Sage, et dont une miniature représente deux types d’instruments, appelés depuis « guitare mauresque » et « guitare latine », la première à caisse ovale, la seconde à caisse plate, aux bords incurvés et munie de quatre cordes en boyau. Les deux instruments coexistent jusqu’au XVIe siècle qui voit disparaître la « guitare mauresque » au profit du luth, tandis que la guitare, débarrassée de son qualificatif « latine », continue son évolution. Elle est souvent appelée « vihuela » dans l’Espagne de ce temps (du latin fidicula, qui donnera fidula, puis vitula), terme qui désignait en fait toute une famille d’instruments à plectre (vihuela de peñola), à archet (vihuela de arco) ou à main (vihuela de mano). Celle-ci est ordinairement munie de six cordes doubles (choeurs) accordées ainsi : sol, do, fa, la, ré, sol. La guitare était, en fait, une petite vihuela pourvue seulement de quatre rangs de cordes : do, fa, la, ré, ou sol, do, mi, la, ou encore fa, do, mi, la. La vihuela eut évidemment la préférence des premiers grands polyphonistes espagnols (L. De Narvaez, L. Milan, Mudarra, Fuenllana, Valderrabaño, Pisador, etc.) qui, en lui donnant un répertoire d’une exceptionnelle qualité, en firent un instrument polyphonique complet. C’est l’adjonction d’une cinquième corde (simple) qui permettra à la guitare d’égaliser la vihuela ; l’accord le plus courant devient alors : la, ré, sol, si, mi. Le XVIIe siècle voit paraître le premier ouvrage important sur la guitare : Nuova inventione d’involatura per sonare li balleti sopra la chitarra espagnola de l’Italien G. Montesardo (Bologne, 1606). Il est bientôt suivi par les Espagnols Luis de Briceño (1626), Ruiz de Ribayaz, Francisco Guerau, et, surtout, Gaspar Sanz (1640-1710) avec son Instrucción de música sobre la guitarra española (Saragosse, 1674), puis en France Francisque Corbett (v. 1615-1681), d’origine italienne, musicien de la Chambre du roi, La Salle, premier maître de guitare de Louis XIV (qui semble avoir assidûment pratiqué l’instrument), De Visée (v. 1660-v. 1720) qui lui succédera, enfin François Campion (16861748), théorbiste et guitariste de l’Académie royale de musique, dernier représentant de l’époque baroque et dont la mort marquera le déclin de l’instrument. Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle et l’abandon des cordes doubles pour que celui-ci redevienne à la mode. Une sixième corde lui est alors ajoutée et l’accord devient celui que nous connaissons aujourd’hui : mi, la, ré, sol, si, mi. Au XIXe siècle, la guitare moderne est définitivement constituée : caisse en palissandre, mécanisme des chevilles, frettes en métal, etc. De nombreux virtuoses lui donnent un répertoire, tels Carulli (1770-1841), Carcassi (1792-1853), Giuliani (1781-1829), Napoléon Coste (1806-1883), Paganini, qui s’y délassait du violon, et surtout l’école espagnole, représentée principalement par D. Aguado (1784-1849), Fernando Sor (1778-1839) et son élève Julian Arcas (1833-1882). Dans le même temps, l’art flamenco connaît un essor considérable avec des guitaristes tels que Patiño, Murciano, Habichuela, Paco el Barbero, dont le souvenir se perpétue aujourd’hui par l’intermédiaire du légendaire Montoya et de ses disciples, Perico del Lunar, Niño Ricardo, etc. Les tocaores utilisent une guitare en cyprès et sapin, dont les cordes sont montées plus près du manche. Le véritable précurseur de la technique classique actuelle est Francisco Tar- rega (1854-1909), qui fera les premières transcriptions de Bach, Haendel, Albéniz, et perfectionnera son jeu en conséquence. Son enseignement se perpétue encore de nos jours par l’intermédiaire de ses élèves, M. Llobet (1875-1938) et surtout Emilio Pujol, infatigable musicologue, pédagogue et compositeur. Grâce à ce dernier et à Andrès Segovia (1893-1987), des compositeurs non guitaristes écriront pour l’instrument : de Falla, Turina, Roussel, Villa-Lobos, M. Ponce, parmi les plus célèbres. Leurs disciples, John Williams, O. Ghiglia, Julian Bream, A. Ponce, Alirio Diaz, etc., sont, avec A. Lagoya et Narciso Yepes, les principaux représentants de la guitare actuelle et parviennent à un downloadModeText.vue.download 444 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 438 degré de virtuosité sans précédent qui incite les compositeurs les plus avancés à leur confier une part importante de leur oeuvre, soit parmi d’autres instrumentistes (Henze, Boulez, Kagel, Bussotti), soit en soliste (Ohana, Ballif, Britten, Jolivet, Halffner, Migot, etc.). D’autre part, N. Yepes tente depuis plusieurs années d’augmenter les possibilités de la guitare en jouant sur un instrument à dix cordes (sol bémol, la bémol, si bémol, do, mi, la, ré, sol, si, mi). Parallèlement à cette évolution, les guitaristes de jazz, venus du blues, jouent à l’aide d’un plectre, sur des cordes de métal, et le premier grand virtuose du genre fut le gitan Django Reinhardt (19101954), dont le style, à mi-chemin de l’art flamenco et du jazz, devait démontrer d’étonnantes qualités mélodiques et rythmiques. Celles-ci se trouvèrent renforcées par l’amplification électrique, dont un des premiers adeptes fut le génial improvisateur américain Charlie Christian (v. 19161942). Vinrent ensuite de grands artistes comme Wes Montgomery, Barney Kessel, Charlie Byrd, et la vogue du rock n’roll, de la « pop music », dont Jimmy Hendrix devait révolutionner le jeu en utilisant, le premier, toutes les ressources dynamiques de l’amplification, puis du folk singing américain qui réintroduit le système des doubles cordes avec la guitare « folk ». Si la guitare classique semble, en gardant ses limites, être parvenue à une relative perfection de facture (grâce à de grands luthiers comme Torres [1817-1892] et Manuel Ra- mirez [1869-1920]), la guitare électrique fait chaque jour l’objet d’améliorations avec l’emploi de l’électronique, chambre d’échos, pédales « wa-wa », réverbération, synthétiseur, etc., qui devraient lui assurer d’importants développements. GUITERNE ou GUINTERNE. On désignait sous ce nom, au Moyen Âge et jusqu’à l’époque de la Renaissance, la plupart des instruments à cordes pincées du type de la guitare. Cependant, la guiterne proprement dite était un instrument plus petit, pouvant prendre soit la forme à fond plat de la guitare, soit celle, piriforme, du luth. Selon le théoricien J. Tinctoris au XVe siècle, la guiterne serait d’origine catalane. GULBENKIAN (fondation), organisation portugaise de bienfaisance, créée en 1956, et dont le siège est à Lisbonne. Elle porte le nom d’un puissant homme d’affaires arménien, Calouste Sarkis Gulbenkian (Istanbul 1869-Lisbonne 1955), qui, grand amateur d’art, a, à sa mort, dédié son immense fortune, entre autres, au soutien des arts. Les réalisations de la fondation, dans le domaine musical, sont impressionnantes. Elle a, tout d’abord, créé les infrastructures nécessaires à une meilleure connaissance de la musique : un orchestre de chambre (1962), un choeur, un groupe de ballet (1965) et un auditorium (1969). En finançant le dépouillement des fonds musicaux des principales bibliothèques du pays, elle a permis la mise au jour de chefs-d’oeuvre de la musique ancienne portugaise, et leur popularisation par l’édition et par le disque. Elle encourage également la musique contemporaine en passant de nombreuses commandes aux grands compositeurs de notre époque, et en y familiarisant le public. C’est dans ce but que fut inaugurée, en 1957, une série de 14 festivals. Enfin, en consacrant une partie de ses fonds à la création et à la gestion de conservatoires et à la formation de musiciens professionnels, elle assure l’avenir de la musique au Portugal. GULDA (Friedrich), pianiste et compositeur autrichien (Vienne 1930). Élève de Bruno Seidlhofer (piano) et de Josef Marx (composition), premier Prix au concours international de Genève en 1946, il a fait une brillante carrière non seulement comme interprète du répertoire classique (en particulier Beethoven), mais comme pianiste de jazz, fondant au début des années 60 l’orchestre Eurojazz. Comme compositeur, il a écrit notamment 7 Galgenlieder (1954, rév. 1965), Musique pour piano et bande nos 1 et 2 (1963, 1964) et The Excursion pour orchestre de jazz (1965), et a tenté, dans les Neue Wiener Walzer et les Neue Wiener Lieder, d’unir la valse viennoise et le blues. GÜRLITT (Manfred), compositeur et chef d’orchestre allemand (Berlin 1890 Tokyo 1972). Élève de Humperdinck pour la composition, il occupa divers postes à Berlin, Bayreuth, Essen et Augsbourg, dirigea l’Opéra de Brême (1914), et devint, en 1924, directeur de la musique et chef invité à l’Opéra d’État de Berlin, ainsi que professeur à l’École supérieure de musique de cette ville. En 1939, il s’installa au Japon. On lui doit plusieurs opéras dont Die Heilige d’après Gerhard Hauptmann (1920), Wozzeck d’après Büchner (1926), Soldaten d’après Lenz (1930), Nana d’après Zola (1933, création en 1958) et Nordische Ballade d’après S. Lagerlöf (1944), de la musique de chambre, la Goya-Symphonie (1938), et Trois Discours politiques de la Révolution française pour baryton, choeur d’hommes et orchestre (1944). GÜRLITT (Willibald), musicologue allemand (Dresde 1889 - Fribourg-en-Brisgau 1963). Après avoir suivi l’enseignement de Philipp Wolfrum à l’université de Heidelberg et celui de Hugo Riemann au conservatoire de Leipzig, il devint l’assistant de ce dernier. En 1914, il soutint sa thèse : Michel Praetorius, sein Leben und seine Werke (1915, rééd. 1968) ; ayant acquis le titre de docteur, il fit une carrière d’enseignant, notamment à l’université de Fribourg, où il créa l’Institut de musicologie. Suspendu de ses fonctions par le régime nazi en 1937, il retrouva son poste en 1945. Ses recherches sur la musique d’orgue de Praetorius lui firent entreprendre la reconstitution de l’orgue de ce dernier à Fribourg en se référant au Syntagma musicum de l’Organographia (t. II, 1619) qu’il édita en fac-similé en 1929. Achevé en 1921, ce travail fut effectué avec la collaboration du facteur Oscar Walcker ; détruit en 1944 l’« orgue de Praetorius » a été reconstruit en 1955. Gürlitt a publié de nombreuses études dans des revues périodiques et des ouvrages collectifs. Il dirigea la revue Archiv für Musik Wissenschaft, à partir de 1952, et participa à la réédition du dictionnaire de Riemann (les deux premiers volumes, 1959-1961). Il a édité des oeuvres de G. Binchois, D. Buxtehude, M. Praetorius, D. Pohle, J. Walter ; il a également écrit J.-S. Bach, der Meister und sein Werk (Berlin, 1936 ; 4e éd., Kassel, 1959). GURNEY (Ivor), compositeur et poète anglais (Gloucester 1890 - Dartford 1937). Choriste à la cathédrale de Gloucester, il commence ses études musicales dans cette ville (théorie, orgue), puis occupe divers postes d’organiste. Ayant obtenu une bourse pour le Royal College of Music, il se rend à Londres et travaille avec C. V. Stanford et Vaughan Williams. Grièvement blessé au cours de la Première Guerre mondiale, il ne retrouvera plus jamais une bonne santé. Il sombre dans la dépression, perd la raison, et meurt, près de Londres, à l’âge de 47 ans. À partir de 1917, Gurney commence à publier ses recueils de poésie et des oeuvres musicales. Il se fait surtout connaître comme compositeur de mélodies. Son oeuvre la plus célèbre est sans doute le cycle The Western Playland pour baryton, quatuor à cordes et piano (1919). Il a également composé des Préludes pour piano (1919-20), ainsi que quelques oeuvres instrumentales ou pour orchestre. L’évolution de la musique contemporaine ne le touche guère, mais ses mélodies, contemporaines de celles d’un Peter Warlock, se caractérisent par l’originalité du langage harmonique et le degré de perfection qu’il apporte à l’union de la poésie et de la musique. GUSCHLBAUER (Theodor), chef d’orchestre autrichien (Vienne 1939). Il suit des cours de piano et de violoncelle avant de faire son apprentissage de chef d’orchestre auprès de Hans Swaroowsky. Il étudie ensuite avec Karajan. Ses predownloadModeText.vue.download 445 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 439 miers engagements le placent à la Wiener Volksoper et au Landestheater de Salzbourg. En 1969, il devient directeur de la musique à l’Opéra de Lyon, et en 1975 directeur général de la musique à Linz. En 1983, il prend la direction musicale et artistique de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg. Il a été également chef invité des Opéras de Vienne et de Hambourg. En 1988, la Fondation Goethe de Bâle lui a décerné le prix Mozart. GUT (Serge), musicologue et compositeur français d’origine suisse (Bâle 1927). Élève de Simone Plé-Caussade et de Messiaen, il a obtenu un doctorat d’université sur la musique médiévale en 1967 et un doctorat d’État sur Liszt en 1972 ; de 1983 à 1990, il a dirigé l’UER de musicologie à Paris-IV. Président depuis 1976 de la commission scientifique du Centre européen Liszt d’Eisenstadt, il a publié notamment la Musique de chambre en France de 1870 à 1918 (1978, avec Danièle Pistone), le Groupe Jeune France (1977), Franz Liszt (1989) et Correspondance Liszt-d’Agoult (1993). GUTMAN (Natalia), violoncelliste russe (Moscou 1942). Issue d’une famille de musiciens, elle étudie le violoncelle à l’école de musique Gnessiny de Moscou dans la classe de R. Saposhnikov. Après avoir obtenu la médaille d’argent au Concours Tchaïkovski en 1962, elle entre au Conservatoire de Moscou et travaille avec Mstislav Rostropovitch. Elle remporte plusieurs premiers prix dans des concours internationaux (Concours du festival étudiant de Vienne, Concours de musique de chambre de Munich, Concours Dvorak de Prague). Dès lors, elle effectue de nombreuses tournées à travers l’Europe, les États-Unis et le Japon. Dans le répertoire de musique de chambre, elle se produit avec Elisso Virsaladzé, Youri Bashmet et, depuis 1982, Sviatoslav Richter. Elle porte un grand intérêt à la musique contemporaine et joue en concert des oeuvres de Goubaïdoulina, Vieru, Denisov et Schnittke, qui a écrit pour elle un concerto. GUYONNET (Jacques), compositeur, chef d’orchestre et pédagogue suisse (Genève 1933). Il a étudié la composition et la direction d’orchestre au conservatoire de Genève, travaillé avec Pierre Boulez (1959-1964) et suivi les cours de Darmstadt (1958-1960). Il a fondé à Genève un studio de musique électronique ainsi que l’association de concerts Studio de musique contemporaine (1959), et il a donné dans le monde entier de très nombreux concerts. Il enseigne, depuis 1967, la composition au conservatoire de Genève. Il a créé un séminaire de composition au sein du Studio de musique contemporaine (1974) et s’est vu confier une chaire de composition à l’École supérieure de musique de Zurich (1975). Il a compté parmi ses élèves Hugues Dufourt. Il a été président de la Société internationale de musique contemporaine (S. I. M. C.) de 1976 à 1978, puis de 1979 à 1981. Parti des courants postweberniens, il s’est ensuite particulièrement intéressé aux problèmes de forme. On lui doit notamment : Polyphonies I, II et III pour diverses combinaisons instrumentales (1959-1962) ; Monades I pour ensemble instrumental (1958), II (1960) et III (1961) pour orchestre ; En trois éclats ! ! pour piano et orchestre de chambre (1964) ; The Approach to the Hidden Man I pour ensemble instrumental et II pour mezzo-soprano, orchestre de chambre et sons électroniques ad libitum, d’après H. Michaux (1967) ; Chronicles, pièce de chaos pour piano (1969-1970) ; le Chant remémoré pour quatuor vocal et orchestre (1972) ; les Enfants du désert pour orchestre à cordes (1974) ; Lucifer Photophore I, bande vidéo couleurs (1974) ; Lucifer Photophore II, 5 pièces pour orchestre de chambre, commande de Paul Sacher (1975) ; Zornagore pour orchestre et récitant, textes de Michel Butor (1976) ; Immémoriales pour piano et sons électroniques (1976) ; les Profondeurs de la Terre pour orchestre (1977) ; les Dernières Demeures pour orchestre (1979) ; Schönberg et son double, imaginaire musical pour un acteur et l’opus 9 de Schönberg (1980-81) ; Electric Sorcerers, esquisses pour un rock opéra (1980-81). GYMEL. Genre ancien de polyphonie propre à la Grande-Bretagne (XIe-XIIe s.), analogue à l’organum parallèle pratiqué sur le continent, mais qui en diffère par l’usage fré- quent et parfois exclusif de la tierce, alors que l’organum était fondé sur l’octave, la quinte et la quarte. Si les rares gymels conservés utilisent effectivement les suites de tierces au milieu des phrases, la plupart prennent quand même leurs intonations et leurs repos cadenciels sur la consonance de quinte à vide de la même manière que l’organum continental. En s’adjoignant une troisième voix, le gymel a donné naissance au faux-bourdon. GYROWETZ (Adalbert ou VOJCECH JIROVEC), compositeur tchèque (Budweis [Budejovice], 1763 - Vienne, 1850). Il arriva vers 1785 à Vienne, où il fit la connaissance de Mozart et de Haydn, puis séjourna en Italie, à Paris (il y fut le témoin des événements d’octobre 1789 et y eut la surprise de voir une de ses symphonies imprimées sous le nom de Haydn) et à Londres (il y participa en 1791-92 aux mêmes concerts que Haydn). Il fut, de 1804 à 1831, compositeur et maître de chapelle du théâtre de la cour de Vienne, ville où, ayant survécu à son époque, il mourut dans la misère après avoir donné son dernier concert en 1844 et publié en 1848 une intéressante autobiographie (rééd. Leipzig, 1915). Ses premières oeuvres sont surtout instrumentales (symphonies, quatuors), les dernières en grande majorité pour la scène : ballets, choeurs, opéras : Agnès Sorel (1806), Der Augenarzt (« l’Oculiste », 1811), Robert oder die Prüfung (« Robert ou la Mise à l’épreuve », 1815). L’Abschiedslied (« Chant d’adieu »), qu’on crut longtemps avoir été composé par Haydn lors de son premier départ pour Londres en 1790, est en réalité de lui. downloadModeText.vue.download 446 sur 1085 H. Dans les pays de langue allemande, cette lettre désigne la note si naturel, le B étant réservé au si bémol. Si dièse se dit, dans ces pays, His, et si double dièse, Hisis. français anglais allemand si B H si dièse B sharp His si double dièse B double sharp Hisis si bémol B flat B si double bémol B double flat Heses HAAS (Joseph), compositeur et pédagogue allemand (Maihingen, Bavière, 1879 - Munich 1960). Élève de Max Reger à Munich (1904), puis à Leipzig (1907), il devint lui-même, à partir de 1911, un des pédagogues les plus recherchés de son temps. Il fut un des fondateurs du festival de Donaueschingen en 1921, et allia dans sa musique une profondeur de sentiments et une sensibilité postromantiques à un sens de l’humour certain. Outre de nombreuses oeuvres instrumentales et vocales, il a écrit les opéras Tobias Wunderlich (Kassel, 1937) et Die Hochzeit des Jobs (Dresde, 1944). HAAS (Karl), musicologue et instrumentiste allemand (Karlsruhe 1900 - Londres 1970). Il se constitua en Allemagne une très importante collection d’instruments anciens (lui-même jouait surtout de la viole d’amour) et de microfilms d’oeuvres anciennes que, en 1939, obligé de quitter l’Allemagne, il put emporter en Angle- terre. Là, il fonda en 1941, avec notamment le corniste Dennis Brain, le London Baroque Ensemble, qui donna des H concerts publics de 1943 à 1966, et avec lequel il réalisa de précieux enregistrements, en particulier d’oeuvres de Haydn et de Boccherini. À sa mort, il préparait un ouvrage sur les musiques militaires. HAAS (Monique), pianiste française (Paris 1909 - id. 1987). Elle est l’élève de Lazare-Lévy au Conservatoire de Paris et étudie ensuite avec Georges Enesco, Robert Casadesus et Rudolf Serkin. Sa carrière de concertiste, en soliste ou en duo avec Enesco et Fournier, la mène dans le monde entier. Interrompue par la guerre, son activité reprend en 1945, associant enseignement et récitals et donnant une large part à la création contemporaine. Épouse du compositeur Marcel Mihalovici, elle a créé sa Toccata pour piano et ses Ricercari ainsi que des oeuvres de Poulenc et de Schmitt. Son enregistrement de l’oeuvre intégral pour piano de Maurice Ravel a obtenu le Grand Prix de l’Académie Charles-Cros, celui de l’intégrale de Debussy le Grand Prix de l’Académie du disque français. HAAS (Robert), musicologue autrichien (Prague 1886 - Vienne 1960). Assistant de Guido Adler à Vienne (1908), puis chef d’orchestre d’opéra dans diverses villes (1910), il revint à Vienne en 1914, et y fut, de 1920 à 1945, responsable de la collection de musique de la Bibliothèque nationale. Spécialiste du singspiel viennois ainsi que de l’opéra et de l’oratorio baroques, il s’est également intéressé à Bruckner, dont, le premier, il a édité certaines oeuvres dans leur version originale. HABA (Alois), compositeur et pédagogue tchèque (Vizovice, Moravie, 1893 - Prague 1973). D’abord instituteur, il étudia avec V. Novak (1914-15), puis avec F. Schreker à Vienne et avec F. Busoni à Berlin (19201922), qui attira son attention sur l’école de Vienne. Se penchant sur les origines du fait musical, il étudia également les musiques extraeuropéennes, et, ayant mis en évidence la structure chromatique de la chanson primitive, il s’intéressa aux quarts de ton et aux micro-intervalles. Il écrivit les Bases harmoniques du système par quarts de ton (Prague, 1922 ; trad. all., 1925), ainsi qu’une théorie de composition ultrachromatique utilisant quarts, cinquièmes, sixièmes et douzièmes de ton (Neue Harmonielehre... Leipzig, 1927 ; manuscrit complém., 1942), et fit construire en quarts de ton trois types de pianos (1924-1931), un type d’harmonium (1928), de clarinette (1924), de trompette (1931) et de guitare (1943), ainsi qu’un harmonium en sixièmes de ton. Par ses préoccupations anthroposophiques, Haba a ouvert la voie aux musiciens d’aujourd’hui, qui essaient de percer les secrets des musiques non écrites et d’en retrouver l’athématisme naturel et la souplesse rythmique, basée sur une microharmonie. Il a enseigné de 1923 à 1953 au conservatoire de Prague, s’est trouvé de 1945 à 1948 à la tête du théâtre du 5-Mai (plus tard, théâtre Smetana) à Prague, et a dirigé de 1945 à 1961 le département « composition avec quarts et sixièmes de tons » à l’Académie de musique de Prague. Il a écrit un opéra, Marka (« la Mère », 1927-1929), mais sa production est surtout instrumentale, avec notamment seize quatuors à cordes - les cinq premiers de 1919-1923, les autres de 1950-1967 -, dont beaucoup en micro-intervalles. downloadModeText.vue.download 447 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 441 HABANERA. Danse à deux temps, dont le premier est très accentué et le rythme conforme à la notation suivante : croche pointée, double croche, deux croches. Son origine, discutée, est probablement afro-cubaine (ou havanaise, d’où son nom). La habanera apparaît en Europe au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, d’abord en Espagne (Albéniz, M. de Falla), puis, surtout, en France où elle a inspiré, par exemple, Saint-Saëns, Bizet (Carmen), Chabrier, Debussy (Estampes : « Soirée dans Grenade »), Ravel (Rhapsodie espagnole) et Raoul Laparra, qui en a fait le sujet d’un opéra (la Habanera, opéra-comique, 1908). HAEBLER (Ingrid), pianiste autrichienne (Vienne 1929). Elle fait ses études à l’Académie de musique de Vienne, au Mozarteum de Salzbourg, puis au conservatoire de Genève et à l’école Marguerite-Long à Paris. Elle remporte le premier prix au concours de Munich et au concours Schubert de Genève en 1954. Elle effectue ensuite des tournées en Europe et dans le monde entier. Spécialiste des oeuvres pour piano de Mozart, elle possède une technique particulièrement transparente. Depuis 1969, elle enseigne au Mozarteum de Salzbourg. HAEFLIGER (Ernst), ténor suisse (Davos 1919). Il se destinait à une carrière d’instituteur, mais les écoles normales suisses accordant une grande place à la musique, il y apprit le violon, puis le chant. Sa réussite dans ces deux disciplines fut telle qu’il poursuivit ses études au conservatoire de Zurich. Débutant au concert en 1943, il fut bientôt sollicité par les plus grandes scènes lyriques, notamment pour le répertoire mozartien qu’il avait travaillé tant à l’allemande qu’à l’italienne. Remarquable Évangéliste de la Passion selon saint Jean, E. Haefliger a également brillé dans les autres compositions religieuses de J.-S. Bach, dans les principaux opéras de Mozart, dans Fidelio de Beethoven, et le lied romantique. Aujourd’hui retiré de la scène, il se consacre à l’enseignement. HAENDEL (Georg Friedrich), compositeur allemand, naturalisé anglais en 1726 (Halle 1685 - Londres 1759). Fils de Georg Händel (1622-1697), chirurgien-barbier, et de Dorothéa Taust (16511730), épousée en secondes noces en 1683, Georg Friedrich Haendel montra très tôt, pour la musique, des dons exceptionnels que seules sa mère et sa tante devinèrent. Ayant décidé de faire de lui un juriste, son père, homme tenace et sévère, refusa que le duc de Saxe, vers 1694, puis le roi Frédéric Ier de Prusse, rencontré à Berlin en 1696, prissent soin de son éducation musicale. Il accepta toutefois de confier l’enfant à Zachow, remarquable musicien de Halle, qui lui enseigna fugue, contrepoint, composition, ainsi que la pratique de plusieurs instruments (clavecin, orgue, violon, hautbois, peut-être violoncelle). Zachow lui fit surtout découvrir les maîtres contemporains, allemands et italiens (Froberger, Kerll, Ebner, Alberti, Strungk, Krieger). AU CONTACT DES MILIEUX MUSICAUX DE L’ÉPOQUE. Fidèle à la promesse faite à son père et pour complaire à sa mère (deux traits de caractère majeurs du musicien), Haendel poursuivit ses études au lycée, devint organiste de la cathédrale de Halle en mars 1702 ; mais, avide de plus larges horizons, il résilia dès 1703 son contrat et se rendit à Hambourg. Mattheson l’introduisit alors dans les milieux musicaux et cultivés de la ville, notamment chez le consul d’Angleterre, à Sainte-Marie-Magdeleine, où il tint l’orgue, et surtout à l’orchestre de l’Opéra, où, après avoir joué comme violoniste et claveciniste, il produisit une Passion selon saint Jean (carême 1704), puis son premier opéra, Almira, créé avec succès le 8 janvier 1705, et bientôt suivi de Nero (25 février 1705). Devant l’échec de cette pièce et mécontent de la situation musicale à Hambourg (notamment faillite frauduleuse de Krieger, directeur de l’Opéra), il se rendit, sur l’invitation de Gian-Gastone de Medici, à Florence (octobre 1706), puis à Rome (début janvier 1707), où il se lia avec l’élite intellectuelle : à l’Accademia d’Arcadia que fréquentaient mécènes (cardinaux Pamfili, Ottoboni) et musiciens (Corelli, A. et D. Scarlatti, Pasquini, Marcello). De cette époque datent de nombreuses compositions religieuses (l’extraordinaire Dixit Dominus, 1707) ou profanes (une centaine d’admirables cantates italiennes), où Haendel déploie tout son talent de mélodiste et qui sont autant d’essais pour maîtriser mieux une forme qui le requiert. L’opéra Rodrigo fut précisément créé à Florence en 1708, avant que le compositeur ne se rendît à Naples, où il écrivit la cantate Aci, Galatea e Polifemo et surtout un nouvel opéra, Agrippina, créé à Venise (26 décembre 1709). Triomphe difficile à renouveler, qui rendit Haendel prudent et lui fit accepter de devenir Kapellmeister de l’Électeur de Hanovre (juin 1710-automne 1712), mais qui le vit faire aussi un voyage à Londres (décembre 1710-juillet 1711), où Rinaldo obtint un large triomphe. Déçu de ne pouvoir monter son oeuvre à Hanovre, et ayant continué d’entretenir des relations en Angleterre (avec le poète Hughes, par exemple), Haendel retourna à Londres, en novembre 1712. L’ANGLETERRE, UNE NOUVELLE PATRIE. D’abord logé chez le comte Burlington, où il fréquenta Pope, Gay, Swift, Arbuthnot ou Pepusch, Haendel écrivit là quelques oeuvres profanes (Il Pastor fido, Teseo, etc.), qui le feront devenir compositeur officiel de la couronne. Après l’Ode pour l’anniversaire de la reine Anne (février 1713), il allait écrire, en effet, l’Utrecht Te Deum and Jubilate (mars 1713), qui devint partition officielle, puis un autre Te Deum en ré, lorsque l’Électeur de Hanovre devint roi d’Angleterre en juin 1714, et enfin un nouvel opéra, Amadigi, d’après Houdar de la Motte. Suivant son souverain à Hanovre, Haendel retourna en Allemagne au cours de l’été 1716 et y composa une Passion sur un texte de Brockes (que devaient également utiliser Keiser, Telemann, Mattheson et J.-S. Bach), donnée à Hambourg lors des carêmes de 1717 et 1719. Il n’entendit pas son oeuvre : depuis fin décembre 1716, il était de nouveau à Londres où l’accueillit, cette fois, le duc de Chandos (été 1717). Après avoir écrit pour le roi la célèbre Water Music (créée en juillet 1717), il composa pour la chapelle du duc les admirables Chandos Anthems, psaumes sur paroles anglaises qui allaient être aux oratorios futurs ce qu’avaient été les cantates italiennes par rapport à ses opéras, à savoir des « galops d’essai ». Mais, pour l’heure, Haendel ne chercha pas à créer des oratorios, même après le succès d’Haman and Mordecai (Esther I, 1720). LA CRÉATION D’UNE ACADÉMIE : JOIES ET VICISSITUDES. Tourné vers la scène, attiré uniquement par l’opéra, il se jeta à fond dans une entreprise éprouvante : la création d’une académie, sorte de société par actions, placée sous patronage du roi (d’où le nom de Royal Academy) et chargée de monter des opéras. Dès lors, la vie de Haendel devint l’histoire de ses succès, de ses revers, de ses luttes pour imposer, moderniser, harmoniser l’opéra, en faire, parfois contre l’avis même du public, une oeuvre totale où la musique exprime, dans un langage d’une exceptionnelle force évocatrice, le drame vécu par des personnages d’exception, placés dans des situations d’exception. La première académie (1720-1727) se déroula comme une tragi-comédie en cinq actes. Acte premier (1720-1722) : après une entrée triomphale (Radamisto, avril 1720), Haendel se vit opposer Bononcini par ses protecteurs mêmes (Burlington et le conseil d’administration de la Royal Academy). Acte II (1722) : le parti de Bononcini l’emporta avec la Griselda de ce dernier. Acte III (1723) : Haendel donna un coup d’arrêt avec Ottone et la publication de ses Sonates pour flûte et violon op. 1 et 2, renouvelant ainsi le succès de ses huit Pièces de clavecin (Recueil I, 1720). Acte IV (1724-25) : reprise du terrain downloadModeText.vue.download 448 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 442 perdu avec un brelan de chefs-d’oeuvre (Giulio Cesare et Tamerlano, 1724 ; Rodelinda, 1725), défaite de Bononcini. Acte V (1726-1728) : consécration de Haendel avec Scipione, Alessandro, Admeto, mais débâcle de la Royal Academy, due à la cabale, aux difficultés financières, aux nombreuses jalousies et, en particulier, aux querelles entre les sopranos vedettes, la Bordoni et la Cuzzoni, qui, en juin 1727 et en présence du prince de Galles, en vinrent aux mains sur scène. Scandale que ne pouvaient effacer les créations - et succès - de Riccardo Io (novembre 1727) ou de Siroe (février 1728). Affranchie de l’ancien conseil d’administration où dominaient officiels et gens de cour, sous la seule conduite de Haendel et de son associé Heidegger, la Nouvelle Académie (1729-1733) connut les mêmes vicissitudes que la précédente, malgré le recrutement de nouveaux chanteurs, ce qui amena Haendel à se rendre en Italie (mars-mai 1728) et en Allemagne (juinjuillet), où il vit pour la dernière fois sa mère devenue aveugle, mais où il ne put se rendre à l’invitation de J.-S. Bach à Leipzig. De décembre 1729 à février 1732, il assura la création de Lotario, Partenope (un chefd’oeuvre), Poro (1731), Ezio et Sosarme (janvier et février 1732). Malgré l’appui et la subvention du roi (1 000 livres), malgré les reprises de pièces à succès (Giulio Cesare, notamment), Haendel lutta pour assurer la survie de son entreprise. En 1732, le succès d’Esther, l’invitation de Haron Hill à écrire sur des textes anglais eussent pu l’amener à délaisser l’opéra. C’eût été, à ses yeux, abdiquer. Le succès d’Orlando en janvier 1733 l’ancra d’ailleurs dans cette idée. Pourtant, le public accourut et fit fête à Deborah, oratorio sur texte vernaculaire, ainsi qu’à Athalie créé à Oxford. Par goût, orgueil ou volonté de vaincre, Haendel continua donc à écrire des opéras, ne fûtce que pour faire face au Nobility Opera, entreprise concurrente suscitée par le prince de Galles et soutenue par la gentry qui patronnait Hasse et Porpora. Combat incessant, semé d’embûches (rupture du contrat de Heidegger, ce qui obligea Haendel à transporter sa troupe chez John Rich à Covent Garden), semé d’échecs ou de victoires (Arianna, janvier 1734) ; Il Parnasso in festa, mars 1734 ; Ariodante, janvier 1735 ; Alcina, avril 1735). DES OPÉRAS AUX ORATORIOS. Épuisé par ces luttes incessantes, par son travail de « compositeur-chef d’orchestreimpresario », il se rendit aux eaux de Turnbridge Wells (été 1735), prépara la saison suivante (Alexander’s Feast, Wedding Anthem), écrivit au cours de l’été 1736 Giustino, Arminio, Berenice et Didone abbandonata. Il ne put, toutefois, en assurer la création, le 13 avril 1737, ayant eu quelques heures plus tôt une attaque (infarctus ? congestion cérébrale ?), qui le laissa à demi paralysé. Mais le 11 juin, quatre jours avant le sien, le Nobility Opera fermait. Si Haendel entraînait dans sa chute l’entreprise concurrente, il demeurait également sans force. Finalement, il consentit à se rendre aux eaux d’Aixla-Chapelle (septembre 1737). Remède miracle qui le rétablit incontinent. Le 28 octobre, le London Daily Post annonçait son retour. Immédiatement, Haendel composa deux nouveaux opéras : Faramondo (dont la création fut retardée par le décès de la reine Caroline, ce qui nous vaut l’admirable Funeral Anthem), puis Serse en avril 1738, tandis que paraissait chez Walsh ses opus 4 (Six Concertos pour orgue) et 5 (Sept Sonates en trio à 2 violons ou 2 flûtes), qui rencontraient un éclatant succès. Haendel eût-il été, dès lors, boudé pour ses seuls opéras ? S’avouant invaincu, il donna alors Imeneo (novembre 1740), suivi de Deidamia (janvier 1741). Devant la froide réaction du public, hostile à la forme, au livret italien, au style même de l’opéra, il abandonna alors définitivement la scène (10 février 1740), et, dans la fièvre, composa immédiatement deux oratorios : le Messie en août- septembre, Samson en octobre. Puis, à l’invitation de William Cavendish, il se rendit à Dublin, où allait triompher précisément son Messie (13 avril 1742). Revenu à Londres fin août, il se tourna alors résolument vers l’oratorio, souvent joué avec un succès qu’avivaient les Concertos pour orgue donnés aux entractes et où il improvisait d’éblouissantes cadences. Ainsi, virent le jour Samson (février 1743), Semele (février 1744), Joseph et ses frères (mars 1744), Hercules (janvier 1745), Belshazzar (mars 1745), qui connurent des fortunes diverses en dépit de leur extrême qualité. À partir de là, Haendel abandonna le système des souscriptions - favorisant trop la gentry sans pour autant l’assurer du succès - et joua désormais « à bureaux ouverts ». LES DERNIERS CHEFS-D’OEUVRE. Peu à peu, un retournement allait se faire en sa faveur, le public anglais ayant admiré son courage dans l’adversité (une nouvelle attaque l’avait frappé en 1743) et sa fidélité lors de la révolte jacobite. Haendel fit alors de plus en plus figure de héros national, même si son oeuvre resta discutée - ce qui l’obligeait à reprendre ses pièces les plus « rentables » et ses derniers oratorios (Judas Maccabeus, avril 1747 ; Alexander Balus, mars 1748 ; Joshua [id.] ; Solomon, mars 1749 ; Susanna, février 1749) connurent une faveur croissante que porta à son comble la Fireworks Music commandée par le roi pour célébrer la paix d’Aix-la-Chapelle. Malheureusement ni Theodora (mars 1750) ni Jephta (février 1752) ne rencontrèrent l’estime méritée. En fait, le public n’avait point compris ni partagé sa propre ascension spirituelle. Dès lors, ses dernières années, en dépit de nombreuses reprises et auditions de ses oeuvres, tant en Angleterre et en Irlande que sur le continent, furent fortement attristées, d’autant que ce grand « musicien visuel » perdit la vue en 1753, malgré l’intervention de deux célèbres praticiens - dont Taylor, qui avait déjà opéré J.-S. Bach. Le premier moment d’abattement passé, Haendel se remit pourtant au travail, suivant toujours de près la production musicale contemporaine, dictant son courrier, modifiant certaines oeuvres antérieures. Mais sa santé déclinait. Le 6 avril 1759, il parut en public pour la dernière fois, lors d’une exécution de son Messie que dirigeait J. C. Smith. Il désirait mourir le vendredi saint - comme le Christ. Son voeu de chrétien allait être (presque) exaucé : il s’éteignit en effet le samedi saint 14 avril 1759. Le 20 avril, trois mille personnes lui rendirent un dernier hommage à l’abbaye de Westminster, où désormais il repose. UN PUISSANT ORGANISATEUR. Grand, fort, plein de feu, impétueux, péremptoire, parfois brutal, sinon violent dans l’expression, mais d’une extrême bonté et d’une constante générosité, Haendel se montrait indomptable, prenant comme Beethoven « le destin à la gueule », et travailleur acharné. On le trouvait sans relâche à son clavecin, dont il usa les touches, et à son écritoire : un jour - Noël 1737 - sépare Faramondo de Serse ; trois jours séparent Saül d’Israël. Travaillant vite, mais raturant beaucoup, il composa Theodora en cinq semaines, le Messie en vingt-quatre jours, Tamerlano en vingt. Il laissa une oeuvre immense, capitale, tant sur le plan de la diversité (il a abordé tous les genres) que de la spiritualité. Dès lors, il est éminemment regrettable que, par la faute d’artistes ou de critiques médiocres et de chefs d’orchestre trop peu curieux, cette oeuvre demeure en grande partie cachée au public. Usant de la langue de son époque comme Bach -, Haendel se montra moins révolutionnaire qu’évolutionnaire. Mais, à avoir fréquenté sous différents cieux l’élite intellectuelle et sociale de son temps, il apparut comme un puissant organisateur, comme un merveilleux instrument de synthèse de l’art européen. L’Allemagne lui inculqua la solidité des plans, la carrure des rythmes, une certaine piété intérieure, jamais démentie. L’Italie développa ses dons de mélodiste, sa verdeur, son ingéniosité, son goût aristocratique, son sensualisme pour les couleurs et les sonorités. De la France, il écouta les leçons de clarté, d’élégance, d’équilibre. L’Angleterre, enfin, lui enseigna la poésie des virginadownloadModeText.vue.download 449 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 443 listes, la spontanéité de Purcell, ses ambi- guïtés modales et ses audaces rythmiques. Fruit de cultures diverses, il ne cessa cependant de rester lui-même, demandant à son métier irréprochable, à sa fécondité, à son imagination d’exprimer sa pensée. Or celle-ci est, à la fois, inventive et d’extrême noblesse. Inventive, car Haendel, le tout premier, introduisit des contrebassons à l’opéra (Tamerlano), libéra les basses de leur statisme (op. 5), pressentit la forme cyclique, la forme de quatuor (op. 5 également), de la symphonie (op. 6). Premier compositeur à vivre de sa plume, il vécut dangereusement et se battit contre tout et tous pour imposer sa vision d’un opéra infléchi vers une dramaturgie psychologique - ici, on perçoit l’admirateur de Corneille et de Racine -, dont la musique exprime alors les moindres inflexions. En cela, il préfigure Haydn et plus encore Mozart ; il eut même la prescience du leitmotiv. Enfin, il donna à l’oratorio une dimension et une signification jusque-là insoupçonnées. Pensée novatrice, donc, mais également d’une extrême noblesse. Son théâtre, ses oratorios mettent en scène les grands héros de l’Histoire (Giulio Cesare, Tamerlano), de la littérature (Alcina, Orlando), des livres saints - Saül, Solomon, Belshazzar. Attiré par ces immenses figures que sa fertilité d’invention, son aisance narrative surent élever à la hauteur du type et du mythe, il n’apparaît, en fait, jamais aussi génial que lorsqu’il lui fallait se mesurer avec ces êtres d’exception qu’il scrutait dans leur vérité profonde quand, victimes de forces supérieures, ils se retrouvaient face à eux-mêmes, à leur destin. Leur grandeur fut la sienne. UNE CONFONDANTE ASCENSION SPIRITUELLE. On assiste d’ailleurs, chez Haendel, à une ascension spirituelle qui, dans les derniers oratorios, mène aux profondes méditations sur l’orgueil (Sal), sur la jalousie (Heraklès), sur l’amour plus fort que la mort (Alexander Balus), sur la fin des civilisations (Belshazzar), sur la tolérance, politique et religieuse (Belshazzar, Theodora), enfin sur la religion (le Messie) et sur la place de l’homme dans l’univers (Jephta). Dans cet ultime ouvrage, testament de sa pensée musicale et spirituelle, Haendel inscrivit son propre credo dans les premiers (What ever is, is right) et derniers mots (Hallelujah ! Amen). Il laisse ainsi, image de sa propre existence, une leçon d’indépendance, de liberté de l’esprit, d’acceptation de la volonté divine et de soumission à la grande loi de l’univers. Mais aussi une leçon de courage, de défi que l’homme se lance à lui-même, opposant à une attitude démissionnaire la force de sa ferveur et de son espérance, de son courage, de sa lucidité, de son optimisme. Ainsi Haendel apparaît-il comme le dernier des grands humanistes de la Renaissance, mais aussi comme un éminent représentant du siècle des lumières. On comprend mieux, dès lors, les jugements de Haydn déclarant : « Haendel est notre grand maître à tous « ; de Beethoven confiant au soir de son existence : « C’est le plus grand compositeur qui ait jamais existé ; je voudrais m’agenouiller sur sa tombe « ; de Liszt, enfin, proclamant sans ambages : « Haendel est grand comme le monde. » HABENECK (François Antoine), chef d’orchestre, violoniste et compositeur français (Mézières 1781 - Paris 1849). Fils d’un musicien de Mannheim au service de l’armée française, il étudia le violon avec Baillot au Conservatoire de Paris (premier prix en 1804). Violoniste des orchestres de l’Opéra-Comique et de l’Opéra, il dirigea, de 1806 à 1815, les Concerts français patronnés par le Conservatoire, puis dès sa fondation en 1828 la Société des concerts du Conservatoire, qu’il inaugura le 9 mars avec l’Héroïque de Beethoven. Il donna ensuite, en quatre ans (1828-1831), la première audition intégrale parisienne des neuf symphonies de ce compositeur, avant de contribuer largement, par des exécutions fréquentes, à les imposer dans l’esprit du public. Il donna aussi, en 1844, la première audition intégrale à Paris depuis 1800 de la Création de Haydn. Directeur, puis chef d’orchestre de l’Opéra (1821-1846), il fut également inspecteur et professeur de violon (18251848) au Conservatoire. On lui doit, pour son instrument, une méthode et quelques compositions, dont deux concertos. HAERPFER ERMAN. Manufacture d’orgues établie en Lorraine depuis 1863, et dirigée par Walter Haerpfer (mort en 1975) et Pierre Erman (parti à la retraite en 1978). Actuellement dirigée par Theo Haerpfer, elle a construit près de 600 instruments, principalement dans l’est de la France. L’esthétique de ses réalisations, qui a beaucoup évolué en un siècle, la conduit aujourd’hui à opter pour le style classique, comme en témoignent les orgues de la basilique de Saint-Quentin ou de Saint-Germain-des-Prés à Paris, ou la restauration de l’orgue des cathédrales de Sarlat ou de Nancy. HAESSLER (Johann Wilhelm), compositeur, organiste et pianiste allemand (Erfurt 1747 - Moscou 1822). Il se mesura avec Mozart à Dresde le 15 avril 1789, à l’orgue puis au piano, séjourna de 1790 à 1792 à Londres, où il rencontra Haydn, et arriva en 1792 à SaintPétersbourg. À partir de 1794, il enseigna à Moscou. Il écrivit surtout pour piano. HAFFNER (Johann Ulrich), éditeur allemand ( ? 1711 - Nuremberg 1767). Il fonda sa maison d’édition à Nuremberg vers 1742, et se spécialisa dans la production de chambre et de clavier des compositeurs italiens (parmi lesquels Domenico Scarlatti) et des compositeurs d’Allemagne du Centre et du Sud, ce qui contribua à la diffusion de cette musique à Vienne. Il publia aussi des oeuvres de Carl Philipp Emanuel Bach (les six sonates wurtembergeoises, en 1744). HAHN (Reynaldo), compositeur français (Caracas, Venezuela, 1875 - Paris 1947). D’origine allemande et israélite par son père, basque et catholique par sa mère, il est né Vénézuélien et l’est resté jusqu’à sa naturalisation en 1912. Mais il n’a que trois ans quand don Carlos Hahn, à la suite d’une révolution, liquide toutes ses affaires à Caracas et s’installe à Paris avec femme et enfants (il en a eu douze en tout). Rois en exil plutôt qu’immigrants, les Hahn se trouvent aussitôt lancés dans la plus haute société parisienne. À six ans, l’enfant prodige qu’est le petit Reynaldo fait ses débuts dans le célèbre salon de la princesse Mathilde, cousine du défunt empereur Napoléon III. Il chante des airs d’Offenbach en s’accompagnant au piano. Plus tard, et cela jusqu’aux approches de la vieillesse, il interprète de même ses propres mélodies d’une jolie voix de soprano, puis de baryton Martin. Au Conservatoire, où il entre à dix ans dans la classe de solfège de Lucie Grandjany, il aura également pour maîtres Decombes (piano), Lavignac et Dubois (harmonie) et surtout Massenet (composition), dont l’amitié et la protection ne lui feront jamais défaut. C’est Massenet qui présente son jeune disciple à Alphonse Daudet, lui procurant ainsi, à quinze ans, sa première commande de musique de scène (l’Obstacle). Son influence est également pour beaucoup dans la création à l’Opéra-Comique d’un premier ouvrage lyrique - l’Île du rêve (1898) - d’après Pierre Loti. Reynaldo Hahn, à vingt-trois ans, n’en est déjà plus à se contenter de succès de salon, encore que ce dandy, polyglotte et brillant causeur, donne beaucoup de son temps à la vie mondaine et aux voyages. Il est très lié avec la ballerine Cléo de Mérode, Sarah Bernhardt, Marcel Proust, et fréquente la plupart des célébrités de la Belle Époque. Naturalisé français après la mort de sa mère, il fait son service militaire à trentehuit ans, et, la guerre venue, demande à partir pour le front où il passe plus de trois ans, pour en revenir avec la Légion d’honneur et la croix de guerre. Après la défaite de la France en 1940, sous l’occupation, il n’en est pas moins jugé indésirable à Paris en vertu des lois raciales, bien qu’il ait été baptisé à Caracas et ait fait sa première communion à Saint-Augustin. Réfugié en downloadModeText.vue.download 450 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 444 zone Sud, puis à Monte-Carlo, il regagne Paris en février 1945. Élu à l’Académie des beaux-arts, puis nommé directeur de l’Opéra, il succombe à une tumeur du cerveau le 28 janvier 1947. Reynaldo Hahn est avant tout un mélodiste, qui tient la voix humaine pour le plus parfait des instruments. Au plus haut point respectueux des textes qu’il habille discrètement de musique, pour les mettre en valeur sans en rien cacher, il place son idéal artistique dans l’union intime de la poésie et de l’art des sons. Aussi donnet-il le meilleur de lui-même dans quelque 125 mélodies (Chansons grises, Études latines, les Feuilles mortes, Chansons vénitiennes, etc.), dans des comédies musicales comme Mozart (1925) et Brummel (1931), des opérettes comme Ciboulette (1923), la plus populaire de ses oeuvres, et Malvina (1935), des opéras comme Nausicaa (1919) et le Marchand de Venise (1935). Mais on lui doit aussi de nombreuses mu- siques de scène (le Bal de Béatrice d’Este, 1909 ; le Dieu bleu, 1912), des concertos, des pièces instrumentales et de la musique de chambre. Très cultivé, raffiné jusqu’au purisme, admirateur déclaré de Gounod, de Saint-Saëns et de Massenet, il n’en appréciait pas moins Wagner. Fervent mozartien, il a consacré au maître de Salzbourg l’essentiel de son activité de chef d’orchestre. Et plusieurs journaux importants, dont la Presse, Foemina, le Journal, l’Excelsior et le Figaro, ont bénéficié de son talent de critique. HAITINK (Bernard), chef d’orchestre néerlandais (Amsterdam 1929). Après des études de violon et de direction d’orchestre au conservatoire de sa ville natale, il débute en 1955 à l’Orchestre philharmonique de la radio néerlandaise, dont il devient chef principal deux ans plus tard. Codirecteur avec Eugen Jochum du Concertgebouw en 1961, deux ans après la mort d’Eduard van Beinum, directeur unique de cette illustre formation à partir de 1964, directeur musical du London Philharmonic Orchestra de 1967 à 1979, Bernard Haitink participe, dès 1972, au festival de Glyndebourne, dont il a assumé la responsabilité après le départ de John Pritchard en 1977. En 1986, il a quitté la direction de l’orchestre du Concertgebouw, où lui a succédé en 1988 Riccardo Chailly, et est devenu en 1987 directeur musical de Covent Garden à Londres. HALBREICH (Harry), musicologue belge (Berlin 1931). Il a fait ses études à Genève avec Joseph Lauber et au conservatoire (1949-1952), puis à l’École normale de musique de Paris avec Arthur Honegger et Tony Aubin (1952-1955), et, enfin, au Conservatoire de Paris avec Norbert Dufourcq et Olivier Messiaen (1955-1958). Il est l’auteur de nombreux articles, en particulier dans la revue Harmonie (depuis son premier numéro en 1964), et a écrit, jusqu’à présent, cinq ouvrages principaux : Bohuslav Martinºu (Zurich, 1968), Edgard Varèse (Paris, 1970, étude de l’oeuvre en complément des entretiens du compositeur avec Georges Charbonnier), Olivier Messiaen (Paris, 1980), Claude Debussy (Paris, 1980, analyse de l’oeuvre en complément de la traduction française de la biographie d’Edward Lockspeiser) et Arthur Honegger (1992). Harry Halbreich a également dressé un catalogue de l’oeuvre de Bohuslav Martinºu. Professeur d’analyse au conservatoire royal de Mons de 1971 à 1996, il a été directeur artistique du festival de Royan de 1973 à 1977, et a joué, à ce titre, sur le plan français et international, un rôle important dans la découverte d’une nouvelle génération de compositeurs (nés pour la plupart à partir de 1943). HALÉVY (Elias Levy, dit JACQUES FROMENTAL), compositeur français (Paris 1799 Nice 1862). Élève de Berton et de Cherubini, grand prix de Rome, il compléta sa formation dans cette dernière ville, ainsi qu’à Vienne, tout en ayant débuté dès 1820 comme auteur d’opéras-comiques, de ballets, puis d’opéras. La Juive, qui fut créée à l’Opéra de Paris en 1835 par Cornélie Falcon, Levasseur et A. Nourrit - qui écrivit le texte de l’air fameux Rachel, quand du Seigneur -, consacra une célébrité que devait lui ravir l’année suivante Meyerbeer avec les Huguenots. Il ne devait jamais retrouver un succès comparable à celui de la Juive, opéra remarquablement équilibré, orchestré, d’une harmonie soignée, et finement écrit pour le chant ; ses meilleures réussites furent, néanmoins, par la suite, l’Éclair (opéra-comique, 1835), puis Guido et Ginevra (1838), la Reine de Chypre (1841), Charles VI (1843), les Mousquetaires de la reine (1846) et le Val d’Andorre (1848). On doit également à Halévy, outre des hymnes religieux hébreux ou latins, de nombreux essais historiques ou musicologiques sur le Miserere d’Allegri, sur Lully, Gluck, Mozart, Berton, Cherubini, etc. Remarquable pédagogue, il enseigna l’harmonie dès 1827 au Conservatoire de Paris, puis le contrepoint et la composition, formant, entre autres, Gounod, Lecocq, Massé et Bizet ; ce dernier épousa sa fille Geneviève (1850-1926), mariée en secondes noces à Émile Strauss. Son neveu Ludovic (Paris 1834-id. 1908) fut secrétaire particulier du duc de Morny, devint un librettiste célèbre, et, en collaboration avec H. Crémieux et surtout avec H. Meilhac, écrivit à l’intention de Delibes, Lecocq, Gastinel, Bizet (Carmen) et d’Offenbach, dont il fut le principal pourvoyeur. Johann Strauss écrivit la Chauve-Souris d’après sa pièce le Réveillon, et Honegger lui devait encore en 1926 l’inspiration des Petites Cardinal. HALFFTER, famille de musiciens espagnols. Rodolfo, compositeur (Madrid 1900 Mexico 1987). Largement autodidacte, il reçut cependant des conseils de De Falla, et fut membre du groupe des Huit, constitué à Madrid en 1930. Après un séjour à Paris, il émigra en 1939 au Mexique, dont il devint citoyen, et où il joua un rôle actif comme compositeur, professeur et éditeur. Il usa de techniques sérielles à partir de 1953, mais son oeuvre n’en reste pas moins dans la tradition de De Falla. Citons les ballets Don Lindo de Almería (1935) et La Madrugada del panadero (1940), un Concerto pour violon (1940), Tripartita (1959) et Differencias (1970) pour orchestre, Homenaje a Antonio Machado pour piano (1944). Ernesto, compositeur et chef d’orchestre, frère du précédent (Madrid 1905 - id. 1989). Il devint l’élève de De Falla, dont les dernières oeuvres influencèrent sa production de jeunesse, en particulier sa Sinfonietta (1925). Il fut influencé également par Stravinski, Ravel et le groupe des Six (Rapsodía portuguesa pour piano et orchestre, 1940). À la demande des héritiers de De Falla, il travailla de 1954 à 1960 à l’achèvement d’Atlantida (« l’Atlantide »), cantate scénique que ce dernier n’avait pu, et de loin, terminer, et dont la création eut lieu, après de nouvelles révisions, en 1976. Ce travail fut, en quelque sorte, le point de départ d’oeuvres telles que le Canticum in memoriam P. P. Johannem XXIII (1964) ou Gozos de nuestra Señora (1970). Cristobal, compositeur et chef d’orchestre, neveu des deux précédents (Madrid 1930). Il a étudié avec Conrado del Campo au conservatoire de Madrid (1947-1951), puis en privé avec Alexandre Tansman. Il a ensuite travaillé à la radio espagnole et suivi des cours de direction d’orchestre. Scherzo pour orchestre lui valut, en 1951, un prix de composition ; son Concerto pour piano, en 1953, le prix national de la musique. En 1959, la Sonate pour violon solo, oeuvre clé pour son évolution, marqua ses débuts de compositeur sériel. Il obtint en 1962 la chaire de composition et de formes musicales au conservatoire de Madrid, établissement qu’il devait diriger de 1964 à 1966. À partir du milieu des années 60, grâce notamment à des oeuvres comme Lineas y puntos pour 20 instruments à vent et dispositif électroacoustique (1966-67) ou Anillos pour orchestre (1967-68), il fut reconnu comme un des principaux représentants de l’avant-garde internationale, et, en 1968, il écrivit pour l’O. N. U. la cantate Yes, speak out, yes sur un texte de Norman Corwin. downloadModeText.vue.download 451 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 445 Lui-même se définit comme ayant un sens mystique très fort : Noche pasiva del sentido pour soprano, 2 percussionnistes et 4 magnétophones (1969-70) tire son inspiration de saint Jean de la Croix. Ancré dans la tradition polyphonique espagnole, préoccupé par les problèmes fondamentaux de l’existence, en particulier par celui de la mort, il n’a pas craint de les évoquer dans Planto por las víctimas de la violencia pour ensemble de chambre et dispositif électroacoustique (1970-71), dans Requiem por la Libertad imaginada pour grand orchestre (1971), dans Gaudium et spes pour choeur et bande magnétique (1973-74), dans Elegías a la Muerte de tres poetas españoles (1974-75), dans son Officium defunctorum pour choeur et orchestre (1977, créé aux Invalides à Paris, 1979). On lui doit encore trois quatuors à cordes, datés respectivement de 1955, 1970 (Cuarteto II, Memoria 1970) et 1977, Pinturas negras pour orchestre et orgue concertant (1972), Noche activa del espíritu pour 2 pianos et dispositif électroacoustique (1972-73), un concerto pour violoncelle (1974) et un pour violon (1980), Mizar I pour 2 flûtes et orchestre (1977) et II pour 2 flûtes et dispositif électroacoustique (1980), Tiento pour orchestre (1980), Fantasia pour cordes (1981), Ricercare para organo pour orgue (1981), Fantasia über einen Klang von Händel (1982), Fantasia ricercata pour orgue et orchestre (Vienne, 1983), Versus pour orchestre (1983), Parafrasis pour orchestre (1984), un 2e concerto pour violoncelle (1985), un double concerto pour violon et alto (créé en 1986), Corales Liturgicos pour choeur et orchestre (1990). HALLÉ (sir Charles, KARL HALLE), pianiste et chef d’orchestre anglais d’origine allemande (Hagen, Westphalie, 1819 - Manchester 1895). Après des études musicales avec son père, avec Rinck à Darmstadt et Cherubini à Paris, où il devient l’ami de Chopin, de Berlioz et de Liszt, il s’établit ensuite en Angleterre. En 1857, il crée à Manchester un orchestre qui devient célèbre et qui porte toujours son nom. En 1861, il donne l’intégrale des sonates pour piano de Beethoven. Puis il accompagne sa femme, la violoniste Wilma Norman Neruda, lors de tournées en Australie (1890-91). À partir de 1893, il dirige le Royal Manchester College of Music. Il a composé quelques oeuvres pour piano et édité des recueils pédagogiques. HALLING. Danse populaire norvégienne, réservée aux hommes. Elle est généralement notée à 2/4 avec un mouvement rapide, voire viril ; elle est accompagnée traditionnellement par la hardingfele, sorte de viole d’amour pourvue de cordes sympathiques. K. Maliser, chanteur de la première moitié du XIXe siècle, en a composé de célèbres. Des compositeurs comme E. Grieg, voulant s’inspirer du folklore national, l’ont également employée dans leurs oeuvres (par exemple, Pièces lyriques pour piano). HALVORSEN (Johan), compositeur norvégien (Drammen 1864 - Oslo 1935). De nombreuses caractéristiques communes lient sa carrière et son esthétique à celles de son aîné Johan Svendsen. Halvorsen a été une des plus importantes personnalités du monde musical norvégien du début du XXe siècle. Sa carrière internationale de chef d’orchestre a fait de lui un musicien éclectique ouvert à toutes les tendances musicales contemporaines ; comme compositeur, il est nationaliste, et son esthétique est le prolongement de l’oeuvre de E. Grieg (comme lui, il se passionne pour les instruments populaires et, notamment, pour le violon de Hardanger) et de J. Svendsen. En 1901, il note les airs (slåtter) que lui joue le célèbre violoniste populaire Knut Dale, et que Grieg utilise dans son opus 72 pour piano. Si Halvorsen nous lègue de nombreuses oeuvres instrumentales, notamment pour le violon, c’est peut-être dans le domaine orchestral qu’il est le plus personnel. Son orchestration est très remarquable par sa simplicité et son refus de l’effet brillant. Parmi ses partitions les plus intéressantes, il faut noter les suites Fossegrimen op. 21 (1905), Mascarade (1922), Comme il vous plaira (1912) et Kongen op. 19, 3 Symphonies, 3 Rhapsodies norvégiennes, 1 Suite ancienne op. 31 (1911) et sa très célèbre Marche des Boyars (1895). HAMAL (Jean-Noël), compositeur belge (Liège 1709 - id. 1778). Formé à Liège, puis à Rome, il subit profondément l’influence italienne dans le domaine instrumental (15 symphonies et 11 ouvertures) et dans la musique religieuse (56 messes, 179 motets, 3 Te Deum, 32 cantates et 5 oratorios). Mais il sut en profiter pour créer l’opéra-comique wallon en s’éloignant des sujets conventionnels et mettre en scène des types locaux s’exprimant en langage dialectal. Ses 5 opéras bouffes (le Liégeois engagé, 1757 ; le Voyage à Chaudfontaine, 1757, etc.) ont beaucoup de grâce et de vivacité, non sans une certaine truculence. HAMBRAEUS (Bengt), compositeur suédois (Stockholm 1928). Après des études de musicologie et d’orgue, il rallie l’avant-garde musicale de Darmstadt et, dans les années 50, travaille dans les studios de musique électronique de Cologne, Milan et Munich. Depuis 1972, il est professeur à l’université McGill à Montréal, au Canada. Défenseur énergique des modes d’expression contemporains, il mêle fréquemment dans ses propres compositions les moyens instrumentaux traditionnels et les moyens électroniques. Son style est un éclectique hommage au passé musical moyenâgeux et à des personnalités contemporaines telles E. Varèse, J. Cage ou O. Messiaen. Parmi ses oeuvres les plus représentatives, il faut citer Constellations I pour sons d’orgue (1958) et Interférences pour orgue (1962), les oeuvres orchestrales et électroniques : Transfiguration (1963), où transparaît un hommage à la jeune école polonaise et à Y. Xenakis, Rota I (1956-1962) pour 3 orchestres, et II (1963) avec bande magnétique, Tetragon (1965), peut-être son oeuvre la plus riche et fascinante, Fresque sonore (1967) pour orchestre en multiple réenregistrement, Rencontres (1968-1971), oeuvre collage réunissant Reger, Wagner, Scriabine et ses propres oeuvres, Invocation (1971), Pianissimo (1972), Continuo (1975), Ricordanza (1976). Notons également Transit II (1963) pour quatuor instrumental, exploration des timbres et des effets d’écho, des opéras expérimentaux, de la musique de ballet et des oeuvres chorales et vocales, Symphonia sacra (1986). HAMEL (Peter Michael), compositeur allemand (Munich 1947). Il fut à Munich l’élève de Günter Bialas (1968) et se forma aussi dans cette ville au contact du Studio für Neue Musik de Fritz Büchtger. À partir de 1969, il travailla avec Josef Anton Riedl tout en découvrant John Cage, Mauricio Kagel, Dieter Schnebel et Luc Ferrari et en se préoccupant de musique concrète et de livre électronique. En 1970, Hamel suivit à Berlin des cours de Carl Dalhaus. Il participa à Munich à la fondation du groupe Between, orienté à la fois vers le travail sur bande et vers l’improvisation, et s’intéressa de plus en plus au free jazz et aux traditions ethniques (Indes, Tibet), ce qui lui fit entreprendre cinq voyages en Asie, et qui se traduisit notamment dans Maitreya (1974) et Diaphainon (1974) pour orchestre, oeuvres poursuivant une certaine « ethnologisation « de la tradition occidentale. Il ne se réclama d’aucune tendance spéciale, ni de la « musique minimale « ni de la « nouvelle simplicité «, et, avec des ouvrages come Dharana pour solo, ou bande, ou orchestre (1972), Samma Samadhi pour orchestre (1972-73), Integrale Musik avec choeur (1975-76), le concerto pour hautbois Ananda (1973) ou Albatros pour orchestre (1977), il poursuivit une synthèse personnelle du déterminé et de l’improvisé. On lui doit aussi Mandala pour piano préparé (1972), Continuous Creation pour piano (1975-76), Klangspirale pour 13 instruments ou 3 groupes d’orchestre, downloadModeText.vue.download 452 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 446 partition entièrement déterminée (1977), des oeuvres électroniques comme Aura ou Nada ou improvisées avec le groupe Between, l’opéra Ein Menschentraum (Cassel, 1981), et le livre Durch Musik zum Selbst (1977). HAMILTON (Iain), compositeur écossais (Glasgow 1922). Il abandonna en 1947 le métier d’ingénieur pour se consacrer à la musique, étudiant le piano et la composition à la Royal Academy of Music et à l’université de Londres. Il enseigna à Morley College (1952-1959) et à l’université de Londres, et, en 1961, alla occuper un poste aux États-Unis à la Duke University de Durham (Caroline du Nord). Il y fut nommé professeur en 1966. Parti d’un style néo-romantique, il a adopté des techniques sérielles pour revenir ensuite vers une tonalité élargie tout en s’inspirant volontiers de phénomènes extramusicaux. Il a écrit notamment trois symphonies (1948, 1958, 1982), des concertos, des oeuvres de chambre, dont deux quatuors à cordes (1948, 1965), et les opéras Agamemnon (1967-1969), The Royal Hunt of the Sun (1967-1969), The Catiline Conspiracy (1972-73, créé à Glasgow, 1974), Tamburlaine (1976), Anna Karenina (créé en 1981), Raleigh’s Dream (1984), Lancelot (1985). HAMMERLING (Carlo), compositeur et organiste suisse (Vevey 1903 - Cully 1976). Élève de Paul Dukas, Carlo Hammerling s’est avant tout consacré à la musique chorale, tant comme fondateur du choeur universitaire de Lausanne et de différentes unions chorales helvétiques que comme compositeur (cantates, oratorios, pièces diverses). Il a cependant écrit, dans le même esprit néoclassique, plusieurs pages symphoniques, un concerto pour violon, deux quatuors et des partitions dramatiques telles que la Fille de Jephté, Il ne faut jurer de rien, Michel et Nérine, Polyphème, la Cité nouvelle. Il est devenu en 1957 directeur du conservatoire de Lausanne. HAMMERSCHMIDT (Andreas), compositeur allemand (Brüx, Bohême, 1611 ou 1612 - Zittau 1675). Organiste également, il fut après Schütz, dont il était l’ami, le premier compositeur de musique religieuse luthérienne en Allemagne au milieu du XVIIe siècle, et contribua grandement à introduire en pays germaniques les nouveautés (style concertant, style dramatique), alors originaires d’Italie. On lui doit plus de 400 oeuvres vocales sacrées, publiées de son vivant en quatorze collections et comprenant des motets, des concerts, des airs. Ses motets constituent la partie de sa production la plus ancrée dans la tradition, mais on trouve dans certains de nets madrigalismes. Ses concerts (Konzerte) relèvent au contraire du style moderne du temps, tandis que ses airs annoncent la future cantate. Remarquables sont notamment les cinq parties de ses Musicalische Andachten : Concerts spirituels avec basse continue (1639), Madrigaux spirituels avec basse continue (1641), Symphonies spirituelles avec basse continue (1642), Motets et concerts spirituels avec basse continue (1646), Chormusik (1652-53). HAMPSON (Thomas), baryton américain (Elkhart 1955). Il étudie le chant avec Marietta Coyle, ancienne élève de Lotte Lehman et de Panzera. Elle lui enseigne un répertoire de lieder qui marquera son art. Après une formation à l’Université de Californie et dans diverses master-classes, avec Elisabeth Schwarzkopf notamment, il s’installe en Europe en 1981. Engagé à l’Oper am Rhein de Düsseldorf, il s’y forge durant trois saisons un vaste répertoire lyrique. En 1984, Harnoncourt l’engage pour le cycle Mozart de l’Opéra de Zurich, où il chante Guglielmo, le Comte et, surtout, en 1987, le rôle-titre de Don Giovanni. Sa carrière internationale est fulgurante : il débute en 1985 à Aix-en-Provence, en 1986 au Metropolitan de New York, dont il accompagne la tournée au Japon en 1988, année de sa Bohème à Salzbourg. Il voue une reconnaissance particulière à certains chefs comme Leonard Bernstein, James Levine et Seiji Ozawa. Élu par la critique internationale « Chanteur de l’année 1994 », il s’impose en effet comme l’un des plus grands barytons du monde, tant par son aisance technique que par ses qualités dramatiques. S’il chante Monteverdi et Puccini aussi bien que Britten et Henze, il a conquis le public en 1995 et 1996 avec son interprétation des lieder de Mahler. HANDSCHIN (Jacques), musicologue suisse (Moscou 1886 - Bâle 1955). Il étudia l’histoire et les mathématiques à Bâle avant d’entreprendre des études musicales avec M. Reger, K. Straube et Ch. Widor. Organiste toute sa vie, il enseigna notamment au conservatoire de Saint-Pétersbourg (1909-1920), mais c’est à l’université de Bâle qu’il acheva ses études musicologiques et soutint en 1921 sa thèse, sous la direction de K. Nef : Choralbearbeitungen und Kompositionen mit rhytmischen Text in der mehrstimmigen Musik des XIII Jahrhunderts (Bâle, 1925). Il succéda, en 1935, à son maître à la chaire de musicologie de l’université de Bâle. Les ouvrages et les nombreuses publications de Handschin dans des revues spécialisées font place à l’exposé de principes esthétiques ; connaisseur réputé de la musique médiévale, il a également consacré ses recherches à la musique d’orgue et à l’acoustique. Outre des ouvrages sur Moussorgski (1924), Saint-Saëns (1930), Stravinski (1933), il a publié : Der Toncharakter, eine Einführung in der Tonpsychologie (Zurich, 1948) ; Musikgeschichte im Überblick (Lucerne, 1948). HANFF (Johann Nikolaus), organiste et compositeur allemand (Wechmar, Thuringe, 1665 - Schleswig 1711 ou 1712). Il exerça d’abord à Hambourg, où il enseignait la composition et le clavecin (il eut Mattheson parmi ses élèves), puis à Eutin, comme organiste de la cour, et, enfin, à Schleswig, où il mourut peu de temps après avoir été nommé organiste de la cathédrale. La plupart de ses oeuvres sont perdues. Il ne subsiste que deux cantates, deux petits concerts spirituels et six pièces pour orgue, qui sont des chorals ornés en style imitatif, annonçant directement les chorals de l’Orgelbüchlein de Bach. HANSEN. Maison d’édition danoise, fondée à Copenhague en 1853 par Jens Wilhelm Hansen. Celui-ci s’associa en 1874 avec ses fils Jonas Wilhelm (1850-1919) et Alfred Wilhelm (1854-1923), absorba en 1879 les maisons Lose et Horneman, et fonda en 1887 à Leipzig une filiale qui devait subsister jusqu’en 1945. La maison fut ensuite dirigée par les fils d’Alfred Wilhelm, Asger Wilhelm (1889) et Svend Wilhelm (18901960), puis par les filles de ce dernier, Hanne (1927) et Lone (1930). Une filiale existe à Francfort depuis 1951, et, en 1957, la firme a pris une participation majoritaire chez Chester (Londres). Le Wilhelm Hansen Musik-Forlag a publié beaucoup de musique scandinave, dont les trois dernières symphonies et la musique de scène pour la Tempête de Sibelius, mais aussi des oeuvres de Stravinski et de Schönberg (Quintette à vents op. 26). HANSLICK (Eduard), esthéticien et critique musical autrichien (Prague 1825 Baden, près de Vienne, 1904). Son premier ouvrage, définissant une esthétique musicale nouvelle, le rendit célèbre et le fit longtemps considérer comme un fondateur de l’esthétique moderne. Il étudia la musique avec Tomàček à Prague, mais aussi le droit à Prague et à Vienne. Docteur en droit en 1849, il fut un critique musical redouté dès 1846, à la Wiener Musikzeitung. Il a écrit pour d’autres journaux tandis qu’il enseigna l’esthétique et l’histoire de la musique à l’université de Vienne de 1856 à 1895. La théorie qu’il exposait dans Vom Musikalisch-Schönen (Leipzig, 1854 ; 16e éd. 1966 - trad. fr. sous le titre Du beau dans la musique, par Ch. Bannelier, Paris, 1877 ; 2e éd. 1893) suscita de nombreuses polémiques. Elle s’opposait en effet au downloadModeText.vue.download 453 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 447 sentimentalisme romantique pour lequel l’oeuvre musicale était avant tout la représentation des sentiments. Selon Hanslick, au contraire, le « beau musical » résidait dans l’oeuvre même, d’une façon immanente et spécifique. Contre la musique à programme, il déclarait que la musique ne pouvait exprimer autre chose qu’ellemême ; on ne pouvait donc l’expliquer qu’en analysant le seul phénomène musical. La singularité de la musique par rapport aux autres arts et aux autres disciplines imposait qu’on l’étudiât au moyen d’une esthétique spécifique et autonome : la musique définissait et limitait ellemême la science qui l’analysait. Le formalisme de Hanslick, qui se retrouvait dans une certaine mesure chez Schopenhauer, l’amena à mettre en avant la notion de thème, celui-ci étant envisagé comme la « substance » de l’oeuvre et l’élément générateur de la forme ; il condamnait ainsi la stérilité des oeuvres de son époque et notamment celle de la « mélodie infinie » de Wagner, dont il affirmait qu’elle était « l’absence de forme érigée en principe ». À partir de là, Hanslick, brocardé par Wagner sous les traits de Beckmesser dans les Maîtres chanteurs, se fit le défenseur de Brahms et de Verdi. HANSON (Howard), compositeur et pédagogue américain d’origine suédoise (Wahoo, Nebraska, 1896 - Rochester, New York, 1981). Il commença ses études musicales à Wahoo, puis se rendit à New York, où Percy Goetschius, professeur à l’Institute of Musical Art, le forma à la composition. Il fut ensuite élève de Arne Oloberg à la Northwestern University, obtint le prix de Rome américain en 1921 et passa trois ans à l’Académie américaine de Rome. En 1924, à l’âge de vingt-huit ans, il fut nommé directeur de l’Eastman School of Music de Rochester (New York), poste qu’il conserva jusqu’en 1964. Il inaugura en 1925, à Rochester, des festivals musicaux qui lui donnèrent l’occasion de diriger un grand nombre d’oeuvres nouvelles de tous styles. Pour cette raison et parce qu’il a été professeur de deux générations successives de compositeurs américains, Hanson a exercé une influence très importante sur la musique américaine. L’origine scandinave de Hanson est sensible dans son oeuvre, et il a souvent été comparé à Sibelius. Comme ce dernier, il s’est inspiré du folklore, sans pour autant le citer explicitement. Bien que se tenant au courant des techniques de composition contemporaines, il resta attaché à la tonalité. Il fut avant tout symphoniste, auteur de 7 symphonies, de poèmes symphoniques (Lux aeterna, Pan and the Priest), de concertos pour orgue et pour piano, mais aussi de nombreuses oeuvres vocales (choeurs, mélodies) et de l’opéra Merry Mount, représenté au Metropolitan Opera en 1933. On lui doit aussi des ouvrages écrits : Music in Contemporary American Civilisation (1951) ; Harmonic Materials of Modern Music : Resources of the tempered Scale (1960). HANSSENS, famille de compositeurs belges. Charles Louis, dit l’Ancien (Gand 1777 Bruxelles 1852). Il fit ses études à Gand et à Paris, occupa divers postes de chef d’orchestre à Gand, Amsterdam, Rotterdam et Utrecht, puis à Bruxelles. Les événements de 1830-1831 lui firent perdre ses postes de chef d’orchestre du théâtre de la Monnaie et de directeur du conservatoire de cette ville, mais il retrouva le premier en 1835-1838, puis en 1840. Comme compositeur, on lui doit des opéras et de la musique religieuse. Charles Louis, dit le Jeune (Gand 1802 Bruxelles 1871), fils du précédent. Autodidacte, il occupa des postes en Belgique, en Hollande et en France, et fut de 1848 à 1869 chef d’orchestre du théâtre de la Monnaie à Bruxelles, qu’il dirigea de 1851 à 1854. Il a écrit de la musique symphonique (dont 9 symphonies), des opéras, des oeuvres religieuses. HANUŠ (Jan), compositeur tchèque (Prague 1915). Il apprend le piano dans sa jeunesse et entre au conservatoire de Prague dans la classe de O. Jeremiáš (1932-1940). Il suit également les cours de direction d’orchestre de P. Dědeček. Il est, ensuite, rédacteur aux Éditions nationales, fait connaître l’oeuvre de piano de Fibich, Foerster et Ostrčil, et éditer l’oeuvre de Dvořák et Fibich (19551959). Sur le plan de la composition, il est l’héritier de la tradition de Smetana dans ses oeuvres pour la scène, de Dvořák dans ses symphonies et sa musique de chambre. Son réel tempérament dramatique, porté par un langage postromantique, fréquemment polytonal, s’impose avec la même force aussi bien dans ses 5 Symphonies (1942-1965) que dans ses six oeuvres pour la scène - des Flammes op. 14 (1942-1944) à l’Histoire d’une nuit, résurgence dramatique des Mille et Une Nuits (1968). HARANT (Krystof, baron de POLZICE et BEZDRUZICE), compositeur tchèque (Château de Klenov 1564 - Prague 1621). Après des études à la cour de l’archiduc Ferdinand à Innsbruck, il se battit contre les Turcs (1597) et fit un pèlerinage en Terre sainte. Conseiller de Rodolphe II (1600), il prit parti pour la Réforme, dont il commandait les armées à la bataille de la Montagne Blanche (1620), et fut exécuté avec vingt autres rebelles sur la place de la vieille ville de Prague. Humaniste de la Renaissance, à la fois voyageur, homme de lettres, ingénieur, chef d’armée, chanteur et chef de choeur, Krystof Harant fut, comme compositeur, influencé par l’école vénitienne et par le style madrigalesque de Luca Marenzio (Missa super dolorosi martyr, motet Maria Kron, motet Qui confidunt). Une grande partie de sa production s’est perdue. HARDINGFELE. Dit aussi hardangerfele ou hardangerfiol, c’est-à-dire violon de Hardanger (ville de la côte ouest de la Norvège), c’est le plus connu des instruments populaires de Norvège. Assez proche du violon traditionnel, il est accordé une tierce mineure plus bas et dispose de 4 ou 5 cordes supplémentaires de résonance. Il trouve son origine au XVIIe siècle, naissant probablement du violon européen, de la viole d’amour et d’instruments à cordes norvégiens plus anciens. De cette époque, le premier témoignage de hardingfele qui nous reste est le Jaastadfelan, signé par Ole Jonsen Jaastad en 1651. Le répertoire et la technique particulière du hardingfele ont inspiré de nombreux compositeurs norvégiens et, si E. Grieg lui a donné ses lettres de noblesse, certains compositeurs, tel J. Halvorsen dans Fossegrimen, n’ont pas craint de le joindre à l’orchestre traditionnel. HARMONÉON. Nom donné à l’accordéon de concert conçu par Pierre Monichon en 1948. L’instrument comporte deux claviers identiques. Il peut aborder toutes les difficultés d’écriture, et se marie bien, soit avec d’autres instruments solistes, soit avec un orchestre symphonique. L’harmonéon est enseigné au Conservatoire de Paris depuis 1959 (Alain Abbott). M. Landowski, J. M. Damase, H. Sauguet, T. Aubin, J. Casterède, ont écrit pour cet instrument. HARMONICA. Nom donné dans le passé à un grand nombre d’instruments très différents les uns des autres, y compris un Glasharmonika formé d’un jeu de verres à pied convenablement accordés, dont l’exécutant tirait des sons très flûtés, de caractère immatériel, en effleurant leurs bords de ses doigts mouillés. Il y eut même un harmonica de Franklin, où les verres, aplatis en forme d’assiettes, étaient montés sur un axe horizontal mis en mouvement par une pédale. Dans les premières années du XIXe siècle, apparurent un Physharmonika, dû au célèbre facteur viennois Aanton Haeckel (1818), puis un Aeol-Harmonika (1818), qui partageaient avec bien d’autres instruments voisins (orchestrion, melodion, uranion, aéoline, éoline, symphonium, etc.) deux caractéristiques essentielles : downloadModeText.vue.download 454 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 448 c’étaient des instruments à anches libres et à clavier. Le facteur allemand Christian Messner présentait en 1823 une mundeoline, c’est-à-dire une éoline à bouche, dans laquelle l’exécutant soufflait directement, se passant de soufflets et de clavier. Enfin, un autre facteur allemand, Christian Buschmann, inventait, en 1828, le Mundharmonika (« harmonica à bouche »), que Matthias Hohner devait perfectionner dans ses ateliers de Trossingen. C’est l’instrument qui est aujourd’hui désigné en France sous le seul nom d’harmonica. Comme les premiers accordéons, qui furent créés à la même époque, il est diatonique et donne des notes différentes selon qu’on souffle ou qu’on aspire. Mais, dans les modèles chromatiques, une glissière métallique munie d’un poussoir et d’un ressort de rappel peut fermer instantanément tous les trous correspondant aux anches diatoniques et en ouvrir d’autres qui fournissent les demi-tons. Il existe évidemment des harmonicas de différents formats, dont l’étendue peut atteindre plusieurs octaves. HARMONICA DE VERRE. Instrument ancien fondé sur l’expérience de physique amusante qui consiste à produire un son en promenant un doigt mouillé sur les bords d’un verre à boire. L’harmonica de verre était formé d’une série de verres de cristal convenablement calibrés pour reconstituer la gamme chromatique et qu’on pouvait accorder de façon précise en les remplissant plus ou moins d’eau. Gluck lui-même, séduit par la sonorité immatérielle de ce Glasharmonika, en a joué en public. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le physicien américain Benjamin Franklin (1706-1790), qui devait également inventer le paratonnerre et jouer un rôle politique de premier plan, imagina de remplacer les verres par des coupes sans pied, enfilées sur un axe horizontal qu’un mécanisme à pédale mettait en mouvement. Les corps sonores se présentaient ainsi comme autant de touches d’un clavier, et il suffisait de les effleurer pour les faire vibrer. C’est pour l’harmonica de Franklin, dont l’étendue atteignait trois octaves et une sixte, que Mozart a composé en 1791 un quintette pour harmonica, flûte, alto, hautbois et violoncelle (K. 617). Dans l’orchestre moderne, le célesta remplace l’harmonica de verre de façon beaucoup plus commode, mais sans égaler tout à fait sa pureté de son. HARMONIE. Terme employé en musique tantôt dans son sens général, tantôt dans un sens technique qui a varié au cours des siècles. 1. Au sens général, dérivé du grec harmottein (« assembler »), l’harmonie est, selon l’Arithmétique de Nicomaque, la qualité à la fois esthétique, morale et même physique résultant dans un ensemble d’un juste équilibre dans le choix, la proportion et la disposition de ses composants, et cette définition s’applique à la musique aussi bien qu’aux autres arts et aux sciences, où elle donne lieu à divers dérivés (harmonieux, harmonique, etc.). 2. Dans la musique grecque antique, le mot harmonia (« harmonie ») applique de manière précise la définition cidessus à la hauteur des sons musicaux et à la manière de les organiser. L’harmonie est donc, en ce qui concerne la hauteur, la science du rapport entre les sons, incluant l’étude des intervalles, de leurs groupements en éléments premiers (tétracordes, etc.), puis de l’agencement structuré de ceux-ci entre eux (gammes, systèmes, etc.). L’harmonie formait le premier stade des études musicales et se complétait par la rythmique, l’organique (science des instruments), la métrique, la poétique et l’hypocritique (c’est-à-dire la science de l’acteur et du déclamateur). On appelait harmoniciens (harmonikoï) les spécialistes des mesures d’intervalles au monocorde, généralement pythagoriciens. 3. En intitulant, en 1722, Traité de l’harmonie réduite à ses principes naturels l’ouvrage majeur d’où découle la théorie moderne, Rameau entend encore le terme « harmonie » au sens no 2 et multiplie les calculs de monocorde. Mais, plus que ses prédécesseurs, il étudie les intervalles en fonction des accords et de leurs enchaînements, dont il montre plus tard (Génération harmonique, 1735) la conformité avec la « résonance des corps sonores ». D’où sa formule novatrice : « La mélodie provient de l’harmonie et non pas l’inverse », à partir de laquelle le mot « harmonie » prendra désormais le sens qui est resté le sien. 4. Depuis le XVIIIe siècle, le mot « harmonie » désigne particulièrement la science des accords entendus verticalement, c’est-à-dire dans leur sonorité globale, ainsi que de leurs enchaînements, par opposition au contrepoint, qui envisage les rencontres de sons de manière « horizontale », à savoir par rapport aux lignes mélodiques superposées (punctum contra punctum), auxquelles appartient isolément chaque note de l’accord envisagé. Harmonie et contrepoint sont considérés comme les deux éléments complémentaires des études d’écriture musicale, et chacun d’eux donne lieu à une pédagogie plus ou moins figée, dotée de traités spéciaux et ouvrant sur des classes spécialisées dans les conservatoires. La distinction toutefois demeure quelque peu arbitraire, l’harmonie ne pouvant se concevoir sans intervention du contrepoint, ne serait-ce que pour l’étude des enchaînements d’accords. L’usage a donc établi une sorte de compromis, les traités d’harmonie faisant, en fait, une part importante à la marche des parties, et ceux de contrepoint se spécialisant dans un entraînement supplémentaire à diverses catégories cataloguées (renversable, mélanges, fleuri, etc.) artificielles, mais jugées formatrices. Sous son aspect traditionnel, qui remonte dans ses grandes lignes à la seconde moitié du XVIIIe siècle, l’étude de l’harmonie se limite quelque peu arbitrairement, en France du moins, à un exercice consistant à compléter, « à la muette », un ensemble à 4 voix (beaucoup de traités conservent encore les clefs d’ut archaïques), dont l’une des parties, chant ou basse (cette dernière chiffrée ou non), est donnée à l’avance. On la divise arbitrairement en harmonie dite consonante (accords de 3 sons) et dissonante (autres accords), et elle exige en moyenne de deux à quatre ans d’études. Une clause de style, introduite depuis peu, fait accoler à son nom l’épithète restrictive d’« harmonie tonale », mais il n’existe aucun traité d’harmonie « atonale » répondant à d’autres critères que ceux de conventions arbitraires établies par leurs auteurs. La rénovation des études d’harmonie demeure actuellement l’une des tâches urgentes de la pédagogie musicale. 5. Par dérivation généralisatrice, on donne quelquefois le nom d’« harmonie » à la conception d’ensemble qui, à une époque ou dans un style donnés, conditionne la manière de s’exprimer en musique, spécialement dans le choix des accords et la manière de les enchaîner (harmonie classique, romantique, moderne). 6. On emploie en orchestration le terme d’« harmonie » pour désigner l’ensemble des instruments à vent, divisés en petite harmonie (bois, incluant les flûtes bien qu’elles soient désormais en métal) et grande ou grosse harmonie (cuivres). On appelle orchestre d’harmonie, ou harmonie tout court, un orchestre formé des vents (et éventuellement percussions), à l’exclusion des cordes, dont cependant on conserve quelquefois les contrebasses et, exceptionnellement, les violoncelles. HARMONIQUES. Sons concomitants qui accompagnent l’émission d’un son, dit son fondamental. Ils forment une série d’harmoniques supérieurs naturels dont les fréquences sont des multiples entiers - 2n, 3n, etc. - de la fréquence n du son fondamental. Le 2e harmonique, ou son 2, sonne à l’octave supérieure du son fondamental ; downloadModeText.vue.download 455 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 449 le nombre de vibrations dans un temps donné en est deux fois plus grand. Le 3e harmonique, ou son 3, sonne à la douzième juste du son fondamental ; le nombre de variations en est trois fois plus grand ; etc. Les partiels d’une corde ne correspondent exactement aux harmoniques du son fondamental que si la corde est très tendue et d’une rigidité très faible, comme dans le cas des cordes en boyau. D’après la théorie de Helmholtz, le timbre des instruments et des voix résulte de la présence des harmoniques et de la diversité de leur intensité. Les harmoniques concomitants ont été découverts par le père Marin Mersenne. Série des harmoniques naturels du son ut1 (les notes entre parenthèses sont très approximatives). La fréquence d’un son étant inversement proportionnelle à sa longueur d’onde, on peut former une autre série inverse de la précédente - basée sur les longueurs d’onde : c’est la série des harmoniques inférieurs. Le son 2 est produit par une corde ou par un tuyau deux fois plus long que le son 1 ; le son 3 est produit par une corde ou par un tuyau trois fois plus long, etc. Série des harmoniques inférieurs : Dans les instruments à cordes, comme le violon, on peut produire des sons harmoniques en effleurant la corde en certains points. On distingue les sons harmoniques naturels et les sons harmoniques artificiels. Pour les premiers, c’est la corde à vide qui donne le son fondamental ; le doigt effleure alors la corde à la moitié, au tiers, au quart, etc., de sa longueur, afin de produire les harmoniques 2, 3, 4, etc. Pour les seconds, le son fondamental est produit par l’index, qui appuie sur la corde tandis qu’un autre doigt effleure la corde, à intervalle de quarte pour obtenir le son 4 (double octave du son fondamental) ou à intervalle de quinte pour obtenir le son 5. On peut écrire le son effleuré en note losangée : ou écrire directement l’harmonique à sa hauteur réelle, avec un o : HARMONIUM. Orgue à anches métalliques libres, sans tuyaux et pourvu d’un clavier. Héritier de la régale médiévale, un peu plus récent que l’harmonica et l’accordéon, mais précédé de nombreux instruments similaires, il obéit exactement aux mêmes principes, avec cette différence qu’il n’est pas portatif. Sa soufflerie, actionnée par une paire de pédales, fonctionne à l’intérieur d’un meuble semblable au piano droit. Le premier vrai harmonium fut construit à Paris en 1840 par Alexandre François Debain. Les modèles les plus perfectionnés couvraient cinq octaves et disposaient de plus de douze registres de 16, 8 ou 4 pieds. Ordinairement, le clavier était divisé en deux parties indépendantes, permettant une registration différente sur chacune d’elles. Parfois les harmoniums possédaient deux claviers, un pédalier et, pour la galerie, des tuyaux factices en « montre ». L’harmonium a rendu d’immenses services, pendant tout un siècle, pour accompagner les offices religieux dans les paroisses pauvres dépourvues d’orgues. Ce fut aussi, en province surtout, un instrument de salon. Quelques compositeurs ont essayé de le mettre en valeur (Camille Saint-Saëns) et une quantité d’oeuvres ont été transcrites pour l’harmonium. HARNONCOURT (Nicolaus), chef d’orchestre et violoncelliste autrichien (Berlin 1929). Il travaille le violoncelle avec P. Grümmer et, à partir de 1948, étudie à la Musikakademie de Vienne. De 1952 à 1969, il est membre de l’Orchestre symphonique de Vienne. Il entreprend des recherches sur l’interprétation de la musique de la Renaissance et de l’époque baroque, ainsi que sur le jeu des instruments anciens. Il publie des articles dans Musica antiqua, Österreichische Musikzeitschrift et Musica. Ses travaux ont porté notamment sur les oeuvres de Monteverdi et de J.-S. Bach. Il fonde en 1953 le Concentus musicus de Vienne, dont les membres jouent sur des instruments historiques ou, à défaut, sur des copies fidèles. Dans un souci d’authenticité destiné à restaurer toutes les couleurs naturelles aux oeuvres qu’il interprète, N. Harnoncourt a signé de nombreux disques de référence (Messe en si, les Passions de Bach ; les trois opéras conservés de Monteverdi ; Castor et Pollux de Rameau ; de nombreux opéras de Mo- zart ; la Création et les Saisons de Haydn, symphonies de Mozart, Haydn, Beethoven, Schubert, Mendelssohn, Schumann, Bruckner). Avec le claveciniste Gustav Leonhardt, il a réalisé le premier enregistrement intégral des cantates de Bach. HARPE. Instrument à cordes pincées, répandu dans le monde entier, sous diverses formes, depuis plusieurs millénaires. Ses origines se confondent avec celles de la lyre, dont elle ne se distingue tout d’abord que par ses cordes plus nombreuses et sa forme asymétrique, résultant d’une grande différence de longueur entre les cordes graves et les cordes aiguës. La harpe - du moins en Occident - affecte alors la forme d’un triangle dressé sur sa pointe. Les cordes sont tendues entre un « corps » oblique (la caisse de résonance) et une « console » approximativement horizontale qui supporte les chevilles d’accord, tandis qu’une « colonne » verticale forme le troisième côté. La multiplication des cordes entraînant des dimensions de plus en plus importantes, l’instrument cesse bientôt d’être portatif. On le pose sur une table, puis sur le sol. Mais, comme chaque corde ne produit qu’une note, ses possibilités se limitent, jusqu’à la fin du XVIe siècle, à la gamme diatonique ou à des « modes » déterminés. C’est encore le cas de deux instruments folkloriques fort appréciés de nos jours : la « harpe celtique » et la « harpe indienne », toutes deux de petite taille. Peu après, la harpe devient chromatique grâce à deux rangs de cordes, mais c’est à partir de 1660 que des perfectionnements successifs, d’ordre mécanique, aboutissent vers 1720 au « simple mouvement » (Georg Hochbrucker, 1670-1763), actionné par des pédales, qui permet de raccourcir chaque corde pour la porter au demi-ton supérieur. Avec le célèbre facteur Sébastien Érard (1752-1831), qui met au point, vers 1810, la première harpe à double mouvement, la harpe moderne est née : chaque corde donne désormais trois notes sous l’effet de sept pédales, dont chacune élève ou abaisse d’un demiton tous les do, tous les ré, tous les mi, etc. La harpe classique actuellement utilisée à l’orchestre possède l’étendue considérable de 6 octaves 1/2. Mais c’est toujours un instrument délicat et coûteux, qui ne comporte pas moins de 1 415 pièces. HARPE ÉOLIENNE. Instrument de physique plutôt qu’instrument de musique, la harpe éolienne consistait en une sorte de cithare érigée en plein air et convenablement orientée dans le sens du vent, lequel faisait vibrer ses six cordes de boyau tendues sur une caisse. downloadModeText.vue.download 456 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 450 Les harmoniques ainsi produits contribuaient au décor des jardins d’agrément, au même titre que les illuminations. HARRELL (Lynn), violoncelliste américain (New York 1944). Il étudie avec Leonard Rose à la Juilliard School de New York, puis avec Casals et Piatigorski au Curtis Institute de Philadelphie. De 1965 à 1971, il est le plus jeune soliste de l’Orchestre de Cleveland. En 1975, il fait ses débuts à Londres et commence une carrière de concertiste avec les plus grands orchestres européens, sous la direction de Claudio Abbado et Daniel Barenboïm notamment. Depuis 1984, il donne de nombreux récitals avec Vladimir Ashkenazy, qui est son partenaire en trio avec Ithzak Perlman. Professeur à la Juilliard School entre 1977 et 1985, il reprend en 1986 la chaire de Piatigorski à l’Université de Caroline du Sud. Travaillant beaucoup en Angleterre, il est depuis 1993 professeur à la Royal Academy of Music de Londres. HARRER (Johann Gottlob), compositeur allemand (Görlitz 1703 - Carlsbad 1755). Il étudia le droit à l’université de Leipzig, puis voyagea en Italie aux frais du comte Heinrich von Brühl, au service duquel il passa ensuite vingt années à Dresde (1731-1750). En 1750, peut-être grâce à l’influence de Brühl, qui jouait un rôle prépondérant dans les affaires de Saxe, il succéda à Bach comme cantor de SaintThomas de Leipzig. HARRIS (Roy), compositeur américain (Lincoln County, Oklahoma, 1898 - Santa Monica, Californie, 1979). Il étudie la philosophie grecque et la théologie hindoue avant la musique, à laquelle il vient assez tard. Il est l’élève d’Arthur Farwell et d’Altschuler à l’université de Los Angeles. Ses premiers essais précèdent son départ pour Paris, où il travaille avec Nadia Boulanger (1926-1928). À trente ans, un grave accident lui brise la colonne vertébrale et le contraint à une longue convalescence, pendant laquelle il poursuit ses études et, dit-il, apprend à écrire sans piano. C’est l’époque du 1er Quatuor, où l’attention qu’il apporte à la structure de la musique lui suggère déjà un langage très personnel. Trois ans plus tard, la 1re Symphonie, conduite par Koussevitski, est un triomphe en dépit de son programme ambitieux (« exprimer l’esprit d’aventure et l’exubérance physique, le pathétique qui semble à la base de toute existence humaine et la volonté de puissance et d’action »). Sa force expressive, sa volonté de style et son goût des formes classiques se retrouvent à toutes les étapes d’une carrière conçue dans l’esprit néoromantique et qui évoluera vers le monumental, avec des références de plus en plus fréquentes aux thèmes populaires. La 3e Symphonie, saluée comme un événement lors de sa création à Boston (1939), attestait déjà une puissance de tempérament assez exceptionnelle dans l’école américaine, et les suivantes (5e Symphonie dédiée au peuple soviétique alors en guerre, 6e et 10e inspirées par la personnalité d’Abraham Lincoln) en confirment l’audace et l’énergie. Harris devait en écrire 14 (la dernière en 1975). HARSANYI (Tibor), pianiste et compositeur français d’origine hongroise (Magyarkanisza 1898 - Paris 1954). Élève de Bartók et de Kodály, il émigra à Paris en 1924, où il fit partie du groupe de musiciens originaires d’Europe centrale, connu sous le nom d’École de Paris (les autres membres étant Marcel Mihalovici, Bohuslav Martinºu, Alexandre Tcherepnine, Alexandre Tansman). Dans un style poursuivant la synthèse d’éléments folkloriques hongrois et de tendances néoclassiques, Tibor Harsanyi a laissé des ballets, comme le Dernier Songe (1920), Pantins (1938) et Chota Roustaveli (1945), les opéras les Invités (1937) et Illusion (1948), des oeuvres symphoniques et de chambre, ainsi que de nombreuses musiques de scène et de film. HARTEMANN (Jean-Claude), chef d’orchestre français (Vezet 1929 - Paris 1993). Élève de Jean Fournet à l’École normale de musique, il est en 1956 lauréat du Concours international de Besançon. De 1957 à 1960, il est premier chef du Grand Théâtre lyrique de Dijon, où il rencontre Jésus Etcheverry, avec lequel il parfait sa formation. De 1960 à 1963, il est directeur musical du Théâtre de Metz, puis chef permanent de la Réunion des théâtres lyriques nationaux. Régulièrement invité à l’Opéra-Comique, il en est le directeur musical de 1968 à 1972. Il fonde plusieurs formations, notamment l’Ensemble instrumental de France en 1966 et les Solistes de France en 1971. Mozartien de talent, il enregistre plusieurs opérettes françaises, la Messe Sainte-Cécile de Gounod, et crée des oeuvres de Frank Martin. Il enseigne de 1972 à 1977 à la Schola cantorum de Paris, puis au Centre culturel d’Évry. Dans un contexte de crise de la direction d’orchestre en France, il est l’un des très rares chefs à avoir transmis son métier, dont le répertoire lyrique était pour lui la base essentielle. HARTMANN, famille de musiciens danois. Johann Ernst, compositeur et violoniste (Gross-Glogau, Allemagne, 1726 - Copenhague 1793). Très influencé par l’esthétique néoclassique de Winckelmann et de Gluck, il est l’initiateur du style nordique, qui atteint son apogée dans l’oeuvre de son petit-fils J. P. E. Hartmann. Les principaux ouvrages de J. E. Hartmann restent ses musiques de scène pour les pièces de J. Ewals : Balders tod, « la Mort de Balder », 1779, et Fiskerne, « les Pêcheurs », 1780. Johann Peter Emilius, compositeur, petit-fils du précédent (Copenhague 1805 - id. 1900). Il est, avec N. Gade, le plus important compositeur romantique danois. Inspiré par la vision nordique des drames de A. Oehlenschläger, il est avant tout un lyrique, qui puise son inspiration dans les vieilles légendes : musique pour le mélodrame Guldhornene, « les Cornes d’or », 1832 ; musique de tragédie, Olaf den Hellige, « Saint Olaf », 1838 ; ouvertures, Hakon jarl, « le Chef Hakon », 1844, et Axel og Valborg, 1856 ; musiques de ballet, Valkyrien, 1861, et Thrymskviden, « la Légende de Thrym », 1868 ; cantate, Volvens Spaadom, « la Prophétie de la sibylle », 1872 ; tragédie, Yrsa, 1883. Mais, malgré quelques oeuvres instrumentales et symphoniques fort bien venues, ses chefsd’oeuvre restent le ballet Et folkesagn, « Une légende populaire », 1854, écrit en collaboration avec N. Gade, et surtout l’opéra Liden Kirsten, « la Petite Christine », 1846, sur un livret de H. C. Andersen, une des oeuvres les plus populaires du répertoire lyrique danois. HARTMANN (Karl Amadeus), compositeur allemand (Munich 1905 - id. 1963). Il étudia avec Joseph Haas à Munich (1924-1927) et prit aussi des leçons auprès de Hermann Scherchen, qui l’influença profondément, et d’Anton Webern (194142), qui cependant marqua moins sa musique qu’Alban Berg. Diverses oeuvres, pour la plupart retirées par la suite, furent entendues avant la Seconde Guerre mondiale : le Concertino à Strasbourg en 1933, la symphonie Miserae à Prague en 1935, le premier quatuor à cordes à Genève en 1935, la cantate Friede - Anno 48 à Vienne en 1937, la symphonie l’oeuvre à Liège en 1939. Certaines devaient être réutilisées ultérieurement, comme le Concertino dans la symphonie no 5 ou l’oeuvre dans la symphonie no 6 ; d’autres sont perdues. La raison de ces auditions hors d’Allemagne est que, durant le régime nazi, Hartmann se retira complètement de la vie musicale dans son pays. Mais, dès 1945, il fonda à Munich, dans le but de faire connaître les oeuvres contemporaines, l’importante association Musica viva. Il obtint successivement le prix de la ville de Munich (1949) et celui de l’Académie bavaroise des beaux-arts (1950), dont il devint membre en 1952, et, en 1953, il fut nommé président de la section allemande de la Société internationale de musique downloadModeText.vue.download 457 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 451 contemporaine. Sa seule oeuvre scénique, à tendances pacifistes, est Simplicius Simplicissimus d’après Grimmelshausen, composée en 1934-35 à l’instigation de Scherchen sous le titre de Des Simplicius Simplicissimus Jugend, créée sous sa forme première en concert à Munich en 1948, puis à la scène à Cologne en 1949, révisée en 1955 et créée sous sa forme et son titre définitifs à Mannheim en 1956. On lui doit également, entre autres, un 2e quatuor à cordes (1945-46), un Concerto funèbre pour violon et cordes (1939, rév. 1959), un concerto pour piano, vents et percussion (1953) et un autre pour alto, piano, vents et percussion (1955), l’ouverture symphonique China kämpft (La Chine se bat, 1942). Mais ce sont ses huit symphonies qui constituent le noyau de sa production. Elles font de lui, en ce domaine, l’un des maîtres du milieu du XXe siècle et, sans épigonisme aucun, le principal héritier en pays germaniques de la tradition brucknérienne et mahlérienne (cela malgré de fortes influences de Reger). La Première (1936, créée en 1948) se tient à part : d’abord appelée Symphonische Fragmente, elle est en 5 mouvements, 2 mouvements vocaux sur des textes de Walt Whitman entourant 3 mouvements instrumentaux. La Deuxième (1946, créée en 1950) est en 1 seul mouvement, 1 adagio en forme d’arche montant vers un sommet, puis retombant vers ses sources. La Troisième (1948-49, créée en 1950), ancrée dans « le paysage intellectuel de l’école viennoise » (Hartmann), fait un premier usage de la fugue. La Quatrième (1947, créée en 1948) est pour cordes. La Cinquième (1950, créée en 1951) porte comme titre Symphonie concertante. La Sixième (1951-1953, créée en 1953) est en 2 mouvements, dont le second constitué de 3 fugues. La Septième (1957-58, créée en 1959), la plus grande sans doute, la plus représentative en tout cas des divers aspects du style du compositeur, fait se succéder un premier mouvement mêlant les principes de la fugue, du concerto et du tutti orchestral, un vaste adagio et un finale centré sur le rythme. La Huitième (1960-1962, créée en 1963) est à nouveau en 2 mouvements seulement. À noter que, parmi les symphonies en 3 mouvements, la Cinquième avait, avant la Septième, adopté la structure viflent-vif, la structure inverse lent-vif-lent étant au contraire celle des Troisième et Quatrième. À sa mort, l’admirable figure qu’était Hartmann laissa presque achevée une ultime page grandiose, Gesangsszene pour baryton et orchestre d’après Sodome et Gomorrhe de Jean Giraudoux (création, Francfort, 1964). HARVEY (Jonathan), compositeur anglais (Sutton Coldfield 1939). Choriste au Saint Michael’s College de Tenbury (1948-1952), il poursuit sa formation musicale au Saint John’s College de Cambridge et prend des cours privés avec Erwin Stein et Hans Keller, qui le familiarisent avec la technique dodécaphonique. Il obtient son doctorat à l’université de Glasgow (1964), fréquente les cours de Darmstadt (1966), où il est fasciné par la personnalité de Karlheinz Stockhausen (il publiera en 1975 The Music of Stockhausen, Londres), travaille avec Milton Babitt à l’université de Princeton (1970). Auditeur passionné, admirateur de la musique religieuse du XVIe siècle, du bouddhisme et du spiritualisme de Rudolf Steiner, Harvey écrit une musique où se mêlent l’intuition et la méditation, la sensualité, l’empirisme et le mysticisme. Il utilise les techniques les plus avancées (From Silence pour soprano, violon, alto, percussion, trois claviers électroniques, ordinateur et bande, 1988). Dans l’opéra Inquest of Love, l’électronique élargit le diapason orchestral et crée des images sonores rudes, inquiétantes, alors que dans The Valey of Aosta pour ensemble instrumental et deux synthétiseurs pilotés par ordinateur (1988), Harvey cultive son goût pour les sonorités évanescentes en s’inspirant plus ou moins des contours vagues du tableau homonyme de Turner. Dans son Quatuor à cordes no 1 (1977), il se sert d’une « note seule (qui) s’élargit en une mélodie et une harmonie » pour « passer de l’élément naturaliste à l’élément spiritualiste ». Un Deuxième Quatuor à cordes (1988) contient des unissons (réels ou faux) adoptant un ton presque prophétique, assez inattendu dans ce répertoire. On lui doit aussi Mortuos plango, vivos voco (1980), où il retrouve l’esprit de la polyphonie vocale religieuse, reconstitué à travers les composants spectraux d’une cloche de la cathédrale de Winchester et de la voix de son propre fils ; Bhakti pour orchestre de chambre et bande (1982) ; Lotuses pour flûte et trio à cordes (1992). Dans cette dernière oeuvre, Harvey s’inspire de la vision bouddhique du lotus, symbole de « la multiplicité du monde des formes à travers lequel brille la lumière de la vérité ». HASKIL (Clara), pianiste roumaine (Bucarest 1895 - Bruxelles 1960). Enfant prodige, elle est menée par un oncle à Vienne (où elle travaille avec le professeur R. Robert et donne son premier concert public à sept ans) puis à Paris, où Fauré la confie à J. Morpain. Elle obtient le premier prix au Conservatoire en 1910 dans la classe de Cortot. Elle fait un brillant début de carrière, arrêté par une scoliose soignée à Berck de 1914 à 1918. Jusqu’en 1940, elle vit surtout à Paris : reconnue comme l’un des premiers pianistes de son temps, mais ignorée du public, elle ne subsiste que grâce à l’aide constante de mécènes, dont la princesse de Polignac, chez qui elle se lie avec D. Lipatti. En 1942, après une grave opération au cerveau miraculeusement réussie à Marseille, où elle est réfugiée, elle échappe de justesse aux Allemands et fuit en Suisse. De ce pays, où elle se fixe et dont elle acquiert la nationalité en 1949, démarre enfin une triomphale carrière internationale, accidentellement interrompue en 1960. Partenaire des plus grands chefs et solistes (Enesco, Ysaye, Casals, Klemperer, etc.), elle a formé avec le violoniste belge A. Grumiaux un duo célèbre. La géniale simplicité de son jeu, au toucher inimitable, s’appuie sur une technique exceptionnelle ; mais la pureté même de son style, très en avance sur son temps, est peut-être l’une des raisons de son inexplicable méconnaissance par le public pendant trente ans. Sa discographie, malheureusement limitée par cette renommée tardive, en a fait l’interprète privilégiée de compositeurs comme Mozart et Schumann. HASQUENOPH (Pierre), compositeur français (Pantin 1922 - Paris 1982). Il étudia la médecine, puis la musique à l’école César-Franck, et de 1950 à 1955 au Conservatoire de Paris avec D. Milhaud et J. Rivier. Sa carrière à la radio l’a mené du poste de musicien-metteur en ondes (1956) à ceux de directeur du Service symphonique (1958), du Service lyrique (1960) et enfin du Service de la musique de chambre (1973). Comme compositeur, il écrit dans un style « ni tonal, ni sériel », se voulant indépendant de toute école. On lui doit notamment 4 symphonies, l’opéra bouffe Lucrèce de Padoue (1963, créé en 1967), l’opéra en 2 actes Comme il vous plaira, féerie lyrique d’après Shakespeare (1975, créé à l’Opéra du Rhin à Strasbourg en 1982), les ballets Le papillon qui tapait du pied (1951), le Blouson (1966) et Et tu auras nom Tristan (1967-1969, d’après Joseph Bédier) ainsi que de nombreuses oeuvres symphoniques et de chambre. Il a reçu le grand prix musical de la Ville de Paris en 1959. HASSE (Johann Adolf), compositeur allemand (Bergedorf, près de Hambourg, 1699 - Venise 1783). Fils d’organiste, il débuta comme ténor à Hambourg et à Brunswick, où son premier opéra (Antioco) fut représenté en 1721, puis travailla à Naples avec Porpora et Alessandro Scarlatti. Nommé en 1727 maître de chapelle à l’hospice des Incurables à Venise, Hasse épousa en 1730 dans cette ville la célèbre chanteuse Faustina Bordoni : tous deux devaient dorénavant mener leurs carrières de front. Le couple arriva en 1731 à Dresde, où Cleofide fut downloadModeText.vue.download 458 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 452 joué en présence notamment de J.-S. Bach, et Hasse fut nommé maître de chapelle royal de la cour de Pologne et de Saxe. Il revint à Dresde en 1734, ce qui marqua le début de trente années d’activités inlassables dans cette capitale, entrecoupées, il est vrai, par des voyages à Londres, à Munich (1746), à Paris (1750), à Varsovie, à Berlin. Au cours du siège de Dresde (1760), la bibliothèque de Hasse et le matériel qui devait servir à une édition complète de ses oeuvres furent détruits. Tombé en disgrâce à la mort de Frédéric Auguste II (1763), le compositeur partit pour Vienne (1764), puis Venise (1773). Son dernier opéra, Ruggiero, fut représenté en 1771 à Milan en concurrence avec Ascanio in Alba du jeune Mozart (les deux oeuvres avaient été écrites pour le mariage de l’archiduc d’Autriche Ferdinand avec une princesse d’Este) : « Cet enfant nous fera tous oublier », aurait-il dit alors. Le nom de Hasse symbolise, à lui seul, la conquête des pays germaniques par l’opéra et le style italiens au milieu du XVIIIe siècle. Il connut une carrière des plus heureuses, mais ses succès n’eurent d’égal que l’obscurité dans laquelle il tomba après sa mort, et qui - à tort sans doute - dure encore aujourd’hui. Représentant typique (avec son librettiste principal Métastase) de l’opera seria tel qu’il se répandit alors à travers toute l’Europe, mais en particulier en Allemagne, Hasse n’écrivit pas moins de 56 opéras et de 13 intermezzos bouffes, de 11 oratorios, de 10 messes et de 7 fragments de messes, ainsi qu’un très grand nombre de partitions religieuses et instrumentales diverses. Sa musique vaut notamment par le dramatisme de son style déclamatoire, parfaitement adapté au sens et à la sonorité de chaque mot, et par la façon dont il sut, dans ses airs, caractériser musicalement une situation, un sentiment. Parmi ses opéras, on note Didone abbandonata (1742), Arminio (1745), Demofoonte (1748), Adriano in Siria (1752), Il Re pastore (1755), tous créés à Dresde, ou encore Partenope (Vienne, 1767). Dans Piramo e Tisbe (Vienne, 1768), il tenta de reprendre à son compte les réformes de Gluck. La musique de Hasse ne survécut pas à la vogue de l’opera seria, mais cela n’empêcha pas des compositeurs aussi différents les uns des autres que Jean-Sébastien Bach, Johann Adam Hiller, Johann Friedrich Reichardt, Joseph Haydn (qui soumit à son approbation son Stabat Mater de 1767 et se déclara ravi des éloges reçus) et même, plus tard, Hector Berlioz de faire de lui les plus grands éloges. HASSLER (Hans Leo), compositeur allemand (Nuremberg 1564 - Francfort 1612). Il fut le premier grand musicien de son pays à aller se former en Italie. Après avoir grandi dans la tradition de Lassus, il fut, en 1584 à Venise, élève d’Andrea Gabrieli et se lia d’amitié avec son neveu Giovanni, futur maître de Heinrich Schütz. Organiste d’Octavian II Fugger à Augsbourg en 1586, anobli par son protecteur l’empereur Rodolphe II en 1595, H. L. Hassler dirigea la musique à Augsbourg, puis à Nuremberg (1601), résida ensuite à Ulm (1604-1608), entra au service de la cour de Dresde (1608) et mourut alors qu’il assistait dans la suite de l’Électeur de Saxe au couronnement de l’empereur Mathias. Il fut, avant Praetorius, le promoteur en Allemagne de l’écriture polychorale vénitienne, laissant à ce dernier le soin d’introduire en pays germaniques l’autre grande innovation transalpine, les « concerts vocaux » avec voix solistes, choeurs et instruments obligés. Ses madrigaux et canzonettes évoquent Andrea Gabrieli, ses ouvrages à deux choeurs Giovanni Gabrieli. Outre une nombreuse production religieuse, dont une centaine de motets, huit messes (parmi lesquelles la grandiose Missa octavi toni à huit voix), deux recueils de chorals et des pièces d’orgue, on lui doit notamment le Lustgarten Neuer Teutscher Gesäng (« Jardin d’agrément des nouveaux chants allemands », 1601), vaste recueil regroupant lieder polyphoniques, monodies accompagnées et pages instrumentales, et où Bach puisa la mélodie du célèbre choral O Haupt voll Blut de la Passion selon saint Matthieu. HAUBENSTOCK-RAMATI (Roman), compositeur autrichien d’origine polonaise (Cracovie 1919 - Vienne 1994). Il fit ses études à Cracovie (1934-1938) et à Lvov (1939-1941), fut directeur musical de la radio de Cracovie (1947-1950), puis émigra en Israël (1950), où il fonda la Bibliothèque nationale de musique et où il enseigna la composition à Tel-Aviv. De retour en Europe en 1957, il se familiarisa à Paris avec la musique concrète, puis devint conseiller pour la musique contemporaine aux éditions Universal à Vienne il le resta jusqu’en 1968. Depuis lors, il se consacre essentiellement à la composition, mais a poursuivi diverses activités d’enseignement à Stockholm, Buenos Aires, Tel-Aviv et surtout en Autriche : il a été nommé professeur de composition à l’École supérieure de musique de Vienne en 1973 et directeur de l’Institut de musique électroacoustique de cette même ville en 1976, et il a reçu le prix musical de la ville de Vienne en 1977. D’abord influencé par Stravinski et Szymanowski, Haubenstock-Ramati s’est familiarisé avec Webern dès 1938 et a rendu hommage aux principes sériels dans certaines de ses premières oeuvres, comme Blessings pour voix et neuf instruments (1954) ou Recitativo e aria pour clavecin et orchestre (1955). il s’est ensuite tourné vers les formes variables, ou « formes à dynamiques fermées «, par exemple dans la série des Mobiles, parmi lesquels Petite Musique de nuit pour orchestre (1960) et Mobile for Shakespeare pour voix et six exécutants (1969), dans la série des Multiples inaugurée en 1969 pour les Multiples I à VI - chacun fait appel à une formation différente et peut exister en de nombreuses versions -, ainsi que dans des pages orchestrales comme Vermutungen - über ein dunkles Haus (1963, tiré d’Amerika), Tableau I (1967), II (1969) et III (1971), ou encore Symphonien (1977, Baden-Baden, 1978). On lui doit encore, notamment, Hôtel Occidental pour choeur parlé, d’après Kafka (3 vers., 1967), deux quatuors à cordes (1973 et 1977), le ballet Ulysse (créé à Vienne, 1978), Nocturnes I et II pour orchestre (Graz, 1981 et 1982), Nocturne III pour orchestre (Vienne 1986). il s’est toujours intéressé de près au graphisme musical et a organisé la première exposition consacrée à ce sujet à Donaueschingen en 1959. HAUDEBOURG (Brigitte), pianiste française (Paris 1942). Elle étudie le piano avec Jean Doyen, avant d’entreprendre l’étude du clavecin. À dix-sept ans, elle entre au Conservatoire de Paris dans la classe de Marcelle de Lacour, obtient un premier prix de clavecin en 1963 et passe avec succès le concours de claveciniste soliste concertiste de l’O.R.T.F. En 1968, elle remporte la médaille d’or au Concours international Viotti. Elle interprète avec bonheur les compositeurs français des XVIIe et XVIIIe siècles et a fait beaucoup pour la redécouverte d’oeuvres de Daquin, Dandrieu, Devienne, Schobert ou encore du Chevalier de Saint-Georges. Elle a également assuré la création de plusieurs oeuvres contemporaines. HAUER (Joseph Matthias), compositeur autrichien (Wiener-Neustadt 1883 Vienne 1959). Après des études générales dans sa ville natale, il occupe un poste d’instituteur à Krumbach et se met à l’étude de la musique en autodidacte, pendant ses loisirs. Au bout de quelques années, il devient professeur de musique dans les collèges et écoles secondaires et, après la Première Guerre mondiale, s’installe à Vienne comme professeur de musique. Dès 1908, il a commencé à élaborer un système de musique atonale utilisant des séries de douze sons et il peut être ainsi considéré comme un précurseur de Schönberg. Hauer commence à composer à partir de 1918, selon les mêmes principes théoriques. Mais, contrairement à la méthode de Schönberg, qui fixera définitivement l’ordre de succession des douze sons dans chaque série, la démarche de Hauer laisse une plus grande liberté au compositeur dans l’utilisation du total chromatique. La downloadModeText.vue.download 459 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 453 logique du système, de même que l’arrièreplan esthético-philosophique inspiré de la Farbenlehre de Goethe, incitera pendant longtemps Hauer à écarter toute idée de polyphonie. S’intéressant plus volontiers aux musiques orientales - chinoise, en particulier - qu’à l’héritage classique européen, dont il regrette l’évolution harmonique, la plupart de ses oeuvres reflètent cet état d’esprit par leur caractère presque toujours homophone, privilégiant, par ailleurs, la voix humaine et les instruments réglés sur le « tempérament égal », tels que le piano ou l’harmonium, au détriment des instruments à cordes et à vent. Ce n’est que dans les dernières années de sa vie que Hauer introduit plus de souplesse dans ses conceptions, notamment dans la cantate Der Menschen Weg (« le Chemin des hommes » 1934 ; rév. 1952). Il met également au point un système d’écriture de la musique de douze sons (Zwölftonschrift). Tout en rendant hommage au chercheur, Schönberg lui-même, dans la préface à son traité d’harmonie, insiste sur l’aspect trop rigoureusement systématique de la démarche de Hauer, qui donne souvent à ses oeuvres un caractère expérimental. Sa production, d’ailleurs considérable et couvrant presque toutes les formes, est restée en grande partie inédite. Il a composé deux opéras, dont Salammbô op. 60 (création par O. Klemperer, Berlin, 1930), d’après Gustave Flaubert, des oeuvres pour piano seul, pour orchestre, de la musique de chambre, des oeuvres pour voix et orchestre, pour choeurs, et des mélodies sur des poèmes de Hölderlin. HAUG (Hans), compositeur et chef d’orchestre suisse (Bâle 1900 - Lausanne 1967). Il fait ses études à Bâle avec Egon Petri et Ernst Lévy, puis à Munich avec Courvoisier et Busoni. Il débute comme chef d’orchestre à Granges et à Soleure, avant de diriger à Bâle et à Interlaken. De 1935 à 1938, il est chef d’orchestre à la Radio suisse romande, puis il se fixe à Lausanne comme professeur de composition au conservatoire. En dépit de sa formation germanique, son oeuvre participe d’une esthétique influencée par l’esprit français et d’un style essentiellement souple et vivant, maintenu dans les éléments traditionnels. HAUPTMANN (Moritz), compositeur et théoricien allemand (Dresde 1792 - Leipzig 1868). Élève de Spohr pour le violon, il fut ensuite membre de la chapelle royale de Dresde (1812), précepteur du prince Repnine en Russie et, de 1822 à 1842, violoniste dans la chapelle de la cour de Cassel dirigée par Spohr. Recommandé par ce dernier et par Mendelssohn, Moritz Hauptmann devint en 1842 cantor de la Thomasschule de Leipzig et en 1843 professeur d’harmonie et de composition au conservatoire de cette ville. Rédacteur, la même année, à l’Allgemeine Musikalische Zeitung, il participa en 1850 à la fondation de la Bach-Gesellschaft, qu’il devait présider jusqu’à sa mort. On lui doit de la musique instrumentale et des opéras, dont Mathilde (1826), mais son oeuvre est essentiellement religieuse. Comme théoricien, son ouvrage le plus important est Die Natur der Harmonik und Metrik (Leipzig, 1853). Il a écrit aussi un commentaire de l’Art de la fugue de Bach (Erläuterungen zu J. S. Bachs Kunst der Fuge, Leipzig, 1841 ; 2e éd., 1861). HAUSSE. En lutherie, pièce de bois située au talon de l’archet, servant à maintenir et à tendre les crins. HAUTBOIS. Instrument à vent de la famille des bois. Caractérisé par sa perce conique et son anche double (2 étroites lamelles de roseau accolées, serrées entre les lèvres de l’exécutant et mises en vibration par son souffle), il était en usage dès l’Antiquité chez de nombreux peuples d’Orient et d’Occident. (L’aulos des Grecs était probablement un hautbois et non une flûte, comme on l’a trop souvent écrit.) Très apprécié au Moyen Âge, il existait au XVIe siècle en 6 tonalités, du « dessus de hautbois » à la contrebasse, sans parler de nombreuses variantes (musette, bombarde, hautbois du Poitou, etc.). À partir du XVIIIe siècle, il connut une évolution parallèle à celle de la flûte, dont il partageait les avantages et les inconvénients : les 8 trous que pouvaient boucher les doigts de l’exécutant limitant à la fois l’étendue de l’instrument (2 octaves environ), son agilité et sa justesse, on en perça d’autres, commandés par des clés - 6 vers 1770, plus du double par la suite. Le hautbois moderne, en ut, est à peu près celui que Frédéric Triébert mit au point vers 1860, en s’inspirant, notamment, du système Boehm. Mais le mécanisme complexe de Triébert fut encore amélioré par d’autres inventeurs parisiens et le « modèle conservatoire », qui date de 1881, possède entre autres avantages celui de descendre au si bémol. Quant aux bois employés à sa construction, l’ébène l’a depuis longtemps emporté sur la grenadille. Le « hautbois d’amour » sonne à la tierce mineure inférieure. Sa sonorité, plus ronde, plus douce et moins pénétrante, mais aussi expressive que celle du hautbois en ut, est irremplaçable pour la musique baroque (cf. J.-S. Bach, notamment). HAUTE-CONTRE. Abréviation pour l’emploi vocal ténor haute-contre, ou pour le chanteur qui possède cette voix. Par définition, haute-contre est un doublet de contralto (contre-alto), c’està-dire voix proche de la (voix) haute. Le terme est demeuré en usage dans la distribution des parties du choeur, les voix de ténor se répartissant en hautes-contre et en tailles. À titre d’exemple, dans certains de ses choeurs d’opéra, Gluck fit chanter la voix de haute-contre en unisson soit avec les tailles, soit avec les contraltos. L’usage a aujourd’hui retenu ce terme pour désigner un type de ténor, dont la voix s’étend dans le suraigu, grâce à l’emploi habile des résonances de fausset et de tête dans les registres aigus que ne peut atteindre la voix dite de poitrine ; mais, comme tous les ténors utilisent ce genre d’émission, le haute-contre se distingue par sa spécialisation dans un répertoire sollicitant particulièrement les notes élevées de la voix masculine. Au XIXe siècle, les Italiens nommaient le haute-contre ténor contraltino, terme que l’on trouve encore dans les traités français du milieu du XIXe siècle, appliqué au type de voix correspondant à des rôles tels que ceux d’Arnold dans Guillaume Tell de Rossini, Robert dans Robert le Diable de Meyerbeer, etc., rôles écrits pour le français Adolphe Nourrit (1802-1839). On ne naît pas haute-contre, comme on naît basse, soprano ou contralto, car tout ténor peut devenir haute-contre en renonçant à la richesse des notes centrales et graves de sa tessiture au profit d’une meilleure utilisation du registre aigu (jusqu’au ré ou mi bémol4). Le haute-contre utilise, en effet, ses résonances de poitrine qu’il lie aux résonances de tête en gravissant la gamme vers l’aigu, au contraire du falsettiste, qui n’utilise que ces dernières sur toute son étendue vocale. La musique française des XVIIe et XVIIIe siècles a souvent fait appel au haute-contre - notamment dans la musique religieuse -, le différenciant du ténor taille, ténor grave limité dans l’aigu à ses résonances de poitrine, à peu près l’équivalent du baryton Martin actuel. Cet emploi vocal fut illustré autrefois par Jacques Cochereau (v. 1680-1734), puis par D. F. Tribou (1695-1761), cependant que Pierre Jelyotte (1713-1797), célèbre interprète de Rameau, cumulait les emplois de taille et de haute-contre. Au XIXe siècle, on appelait encore ténor contraltino Gilbert Duprez (1806-1896), qui passe pour avoir, le premier, émis le « contre-ut de poitrine ». Par sa phonation, le ténor slave est très voisin du type français de haute-contre, et Rimski-Korsakov, en 1907, écrivit pour cette voix le rôle de l’Astrologue dans le Coq d’or. Plus près de nous, parmi les spécialistes de la musique ancienne chantant en haute-contre, on peut citer Hugues downloadModeText.vue.download 460 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 454 Cuénod, André Mallabrera, Éric Tappy, qui ont remis cette voix à l’honneur. HAUTEUR. Terme usuel pour désigner la fréquence des sons, un son étant dit plus ou moins haut selon que sa fréquence est plus ou moins élevée. L’assimilation de la fréquence à la hauteur est relativement récente : les Grecs parlent d’acuité (oxys) et de lourdeur (barys), ce que le Moyen Âge traduit par aigu (acutus) et grave (gravis), et non par haut ni par bas. L’assimilation de l’aigu au haut et du grave au bas - c’est-à-dire l’assimilation de l’espace sonore à un plan vertical - pourrait provenir, selon l’hypothèse de J. Chailley, de la séméiologie musicale des neumes primitifs du fait que, sur l’écritoire incliné ou le pupitre de choeur, l’accent aigu, ou virja, issu de l’accent aigu grammatical, se dirige vers le haut du papier, l’accent grave (punctum) vers le bas (ce qu’a conservé l’écriture sur portée). Il y a, en tout cas, coïncidence chronologique entre l’apparition de cette terminologie et celle de la diastématie des neumes qui pourrait l’avoir provoquée. HAWKINS (sir John), homme de loi et historien de la musique anglais (Londres 1719 - id. 1789). Procureur (cette fonction le fit anoblir en 1772), il n’avait pas reçu la formation d’un musicien, mais se consacra de bonne heure à l’étude de la musique, qu’il estimait, avec raison, négligée. Il fut membre de l’Academy of Ancient Music et de la Madrigal Society. Il eut également une activité littéraire importante. Après de longues recherches, il publia en 1776 l’une des deux premières histoires de la musique parues en Angleterre (l’autre est celle de Burney, qui commença à paraître la même année) : A General History of the Science and Practice of Music (5 vol., Londres, 1776 ; rééd. en 2 vol., 1853, puis 1875 ; New York, 1963, 1969). L’importance de cette entreprise tient non seulement à sa dimension monumentale, mais aussi à sa nouveauté : rassemblant un nombre considérable de textes et de compositions anciennes, inconnues jusqu’alors, elle est, en effet, l’une des premières études historiques consacrées spécifiquement à la musique. S’il trahit le jugement sévère porté par son auteur sur la musique de son temps, cet ouvrage garde néanmoins une grande valeur, tant parce qu’il reproduit des documents disparus que parce qu’il témoigne, dans une large mesure, du goût musical de l’Angleterre au XVIIIe siècle. oeuvres. Memories of the Late Sig. Agostino Steffani (Londres, 1758), The General History of A. Corelli (Londres, 1777). HAYDN (Franz Joseph), compositeur autrichien (Rohrau-sur-la-Leitha, BasseAutriche, 1732 - Vienne, faubourg de Gumpendorf, 1809). Fils du charron Mathias Haydn et de Anna Maria Koller - qui était avant son mariage cuisinière chez le comte Harrach, seigneur de Rohrau -, deuxième de douze enfants, dont six devaient survivre, Franz Joseph Haydn naquit aux confins de l’Autriche et de la Hongrie - ce qui devait largement influencer sa musique -, et passa dans cette région et à Vienne, exception faite de ses deux voyages à Londres, la totalité de sa vie. Aucun de ses ancêtres n’était musicien de profession. LA JEUNESSE À VIENNE. À six ans, il alla habiter chez un certain Mathias Franck, époux de la demi-soeur de son père, qui lui apprit les rudiments de son futur métier, et, de 1740 à 1749 environ, fut petit chanteur à la maîtrise de la cathédrale Saint-Étienne de Vienne, alors dirigée par Georg Reutter le Jeune et d’où il fut chassé après que sa voix eut mué. Des années qui suivirent, on sait fort peu de chose. Livré à lui-même sur le pavé de Vienne, Haydn subsista en donnant des leçons, en jouant du violon ou de l’orgue. Par l’intermédiaire du poète Métastase, il devint, vers 1753, élève-factotum du compositeur Porpora et étendit le cercle de ses relations. Il travailla aussi pour la cour en 1754-1756. Pour l’essentiel, il se forma en autodidacte, grâce notamment au Gradus ad Parnassum de Fux et en s’appuyant sur ses prédécesseurs (Wagenseil). Haydn composa vers 1757 chez le baron Karl Joseph von Fürnberg, qui l’avait invité dans sa résidence de Weinzierl, ses premiers quatuors à cordes. En 1758 ou 1759, il entra au service du comte Morzin, qui passait l’été dans son château de Lukavec, près de Pilsen en Bohême. Il composa pour lui, notamment, ses premières symphonies et une série de divertissements pour instruments à vent. Mais des revers de fortune obligèrent bientôt Morzin à licencier son orchestre. LES ESTERHÁZY. Le 1er mai 1761, peu après son mariage (26 novembre 1760, Vienne), Haydn signa avec le prince Paul II Anton Esterházy, le plus riche seigneur de Hongrie, un contrat (souvent cité comme typique des conditions imposées au musicien d’Ancien Régime) le nommant vice-maître de chapelle responsable de toute la musique du prince, à l’exception du domaine religieux, réservé en principe au maître de chapelle Gregor Joseph Werner (à la mort de Werner en mars 1766, Haydn lui succéda comme maître de chapelle). La résidence principale du prince hors de Vienne était Eisenstadt (en hongrois, Kismarton, à l’ouest de la Hongrie, aujourd’hui capi- tale de la province orientale autrichienne du Burgenland). Le prince Paul II Anton ayant disparu le 18 mars 1762, son frère Nicolas, qui devait bientôt mériter le nom de Nicolas le Magnifique, lui succéda. Haydn devait servir ce prince pendant vingt-huit ans, jusqu’à la mort de celui-ci en 1790. Le château d’Eisenstadt ne suffit bientôt plus à Nicolas. Avant son avènement, il avait habité un pavillon de chasse à Süttor (aujourd’hui Fertöd), dans la plaine hongroise, à l’extrémité sud du lac de Neusiedl. L’endroit était marécageux, mais cela n’empêcha pas le prince d’y faire édifier un magnifique château que les contemporains n’hésitèrent pas à comparer à Versailles. Dès 1766, ce château était officiellement appelé Eszterháza. Haydn et ses musiciens s’y installèrent définitivement en 1769. Pourtant, Eszterháza ne fut considéré comme vraiment terminé qu’en 1784, avec l’inauguration de la cascade face au bâtiment central. Le château comprenait alors 126 pièces, et sa construction avait coûté 13 millions de florins (en 1761, le salaire annuel de Haydn, augmenté par la suite il est vrai, avait été fixé à 400 florins par an). Pendant plus de vingt ans, concerts, représentations d’opéras, représentations théâtrales (Haydn put voir des pièces de Shakespeare), fêtes et illuminations s’y succédèrent sans relâche, l’été surtout, car en principe le prince et sa cour passaient l’hiver à Vienne. La saison de 1778, pour ne prendre qu’un exemple, dura cependant du 23 janvier au 22 décembre, avec un total de 242 manifestations. Parmi les grandes festivités organisées à Eszterháza, il faut citer celles de juillet 1772 en l’honneur du cardinal de Rohan, ambassadeur de France à Vienne et futur héros de l’affaire du Collier, celles de septembre 1773 en l’honneur de l’impératrice Marie-Thérèse et celles d’août 1775 en l’honneur de l’archiduc Ferdinand, troisième fils de l’impératrice. HAYDN, MAÎTRE DE CHAPELLE. Haydn, chez les Esterházy, se trouvait à la tête d’une troupe de chanteurs et d’instrumentistes de très grand talent certes, mais parfois turbulents. Il noua avec beaucoup d’entre eux, en particulier avec le violoniste Luigi Tomasini, des relations d’amitié assez étroites et fut plus d’une fois témoin à leur mariage ou parrain de leurs enfants. Mais la vie n’était pas seulement idyllique. Pétitions, requêtes, querelles et cas litigieux étaient monnaie courante, et Haydn servait en général d’intermédiaire entre l’intéressé et le prince. Fin 1765, le flûtiste Franz Nigst fut renvoyé : son fusil de chasse avait explosé alors qu’il visait des oiseaux sur le toit d’une maison princière, et cette maison avait brûlé complètement. Il y eut aussi la rixe qui, en novembre 1771, opposa dans une taverne d’Eisenstadt le violoncelliste Franz Xaver Marteau au flûtiste Zacharias Pohl, et au downloadModeText.vue.download 461 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 455 cours de laquelle ce dernier perdit un oeil ; ou encore la violente querelle qui, en 1769, opposa les deux violoncellistes Ignaz Küffel et Joseph Weigl. Dans cette perspective, le célèbre épisode de la symphonie des Adieux (novembre 1772) n’apparaît que comme un cas parmi d’autres. Haydn se plaignit souvent de devoir rester isolé à Eszterháza et de ne pouvoir se rendre comme il le voulait à Vienne. Il reconnut cependant que cette situation avait ses avantages : « À la tête d’un orchestre, je pouvais faire des expériences, j’étais libre de changer, d’améliorer, d’ajouter ou de supprimer, de me livrer à toutes les audaces. Coupé du monde, je n’avais personne pour m’importuner, et fus forcé de devenir original. » Il reste qu’au fil des ans cette situation lui pesa toujours plus et qu’il chercha toujours davantage des contacts avec l’extérieur, tant sur le plan professionnel que personnel. Jusque vers 1780, nous sommes assez mal renseignés. En 1766, Haydn acheta à Eisenstadt une maison qui brûla deux fois (1768 et 1776). En 1768, il envoya au monastère de Zwettl, en Basse-Autriche, sa cantate Applausus accompagnée d’une lettre de recommandations en dix points, précieuse aussi bien par les renseignements qu’elle contient sur les conditions d’exécution de la musique au XVIIIe siècle que sur la conception qu’avait Haydn de son rôle de chef d’orchestre. Le 22 mars 1770, il dirigea à Vienne son opéra Lo Speziale, « l’Apothicaire », créé deux ans auparavant à Eszterháza. Les 2 et 4 avril 1775, son oratorio Il Ritorno di Tobia était créé dans la capitale. En 1779 arriva à Eszterháza la chan- teuse Luigia Polzelli, ce qui consola tant soit peu Haydn d’un mariage malheureux. Le prince Esterházy développait alors pour l’opéra italien une passion qui remplaça vite celle qu’il avait eue pour le baryton, instrument de la famille des violes, dont il avait longtemps joué lui-même. Haydn dut donc déployer dans le domaine de l’opéra une activité fébrile, dirigeant non seulement ses propres ouvrages, mais ceux de ses contemporains (Anfossi, Gazzaniga, Traetta, Sarti, Piccinni, Grétry, Paisiello, Cimarosa). Il ne se borna pas à les choisir, à les faire répéter et à les diriger, mais il les révisa plus ou moins profondément sur le plan musical, allant même, selon une coutume de l’époque, jusqu’à remplacer tel ou tel air par un autre de sa composition. De 1780 à 1790, il s’occupa ainsi de 96 opéras différents, dont 17 pour la seule année 1786, ce qui, compte tenu des reprises, correspondait à un total de 1 026 représentations, dont 125 pour 1786 ! On s’étonne que, dans ces conditions, il ait encore trouvé le temps de composer. REGARDS VERS L’EXTÉRIEUR. Durant ses dernières années à Eszterháza, Haydn n’écrivit presque plus directement pour son prince. La quasi-totalité de sa production fut alors destinée au monde extérieur : Vienne, mais, surtout, Paris et Londres. D’abord à son insu, Haydn avait acquis une renommée considérable sur le plan européen, et de nombreux éditeurs s’étaient enrichis à ses dépens, tout en n’hésitant pas à faire paraître sous son nom, réputé valeur commerciale sûre, des oeuvres écrites en réalité par des compositeurs de moindre envergure. Dans les années 1780, Haydn entra enfin en contact direct avec des éditeurs comme Artaria (Vienne), Boyer ou Sieber (Paris), Forster ou Longman et Broderip (Londres), et, comme eux, appliqua sans scrupules le principe du « chacun pour soi », vendant par exemple la même oeuvre à deux éditeurs différents, chacun s’imaginant en avoir l’exclusivité. Haydn, à cette même époque, non seulement envoya ses ouvrages à l’extérieur, mais en reçut des commandes : ainsi celle faite par un chanoine de Cadix d’une musique orchestrale sur le thème des Sept Paroles du Christ (écrite pendant l’hiver 1786-87), ou encore celle faite par le concert de la Loge olympique à Paris des six Symphonies dites parisiennes (nos 82 à 87, composées en 1785-86). Juste retour des choses : sa gloire et sa célébrité, en valant à Haydn ces commandes et en le forçant à écrire, sans contact direct il est vrai, pour un public moins restreint que celui dont il avait l’habitude, le sauvèrent sans doute de l’étouffement et d’une crise créatrice grave. L’isolement d’Eszterháza lui devenait d’autant plus insupportable qu’à Vienne résidaient des personnes qui lui étaient chères. L’une d’elle était Mozart, qu’il rencontra au plus tard fin 1784 - peut-être dès décembre 1781 - et avec qui il noua des liens d’amitié et d’estime réciproques, dont on trouve peu d’équivalents dans l’histoire de la musique. Une autre était Marianne von Genzinger, femme d’un médecin de la capitale. Les lettres écrites d’Eszterháza par Haydn à Marianne von Genzinger en 1789-90 comptent parmi les documents les plus personnels émanant de lui : « Une fois de plus, je suis forcé de rester ici. Votre Grâce imagine facilement tout ce qui me manque. Il est triste de toujours devoir être esclave, mais sans doute la Providence l’a-t-elle voulu ainsi. Je suis un pauvre diable ! Toujours harassé de travail, peu de loisirs, et quant aux amis ? Cela n’existe plus - une amie ? Oui ! Peutêtre en existe-t-il une. Mais elle est loin » (27 juin 1790). LES SÉJOURS À LONDRES. La mort de Nicolas le Magnifique (28 septembre 1790), dont Haydn, tout compte fait, n’avait pas eu trop à se plaindre, débloqua enfin la situation. Son fils et successeur Anton, n’aimant pas la musique, conserva à Haydn son titre et sa pension, mais sans rien lui demander de précis. Devenu libre, Haydn put accepter les propositions du compositeur et violoniste londonien Johann Peter Salomon, à savoir 300 livres pour un opéra, 300 pour six nouvelles symphonies, 200 pour sa participation à vingt concerts, 200 de garantie pour un concert à son bénéfice. Cela à condition de faire le voyage de Londres. Le rôle déterminant fut sans doute joué dans cette affaire non par Salomon luimême, mais par l’impresario et directeur de théâtre londonien Giovanni Battista (« Sir John ») Gallini. Le 15 décembre 1790, accompagné de Salomon, Haydn âgé de 58 ans quitta son pays pour la première fois. Il resta à Londres de janvier 1791 à fin juin (ou début juillet) 1792 et y écrivit, entre autres, ses six premières Symphonies londoniennes (nos 93 à 98). En décembre 1791, au moment où une organisation rivale de celle de Salomon, le Professional Concert, tentait de lui opposer son ancien élève Ignaz Pleyel, il y reçut la nouvelle de la mort de Mozart, à laquelle tout d’abord il ne voulut pas croire. Ce séjour fut un triomphe artistique et personnel d’autant plus remarquable que la vie à Londres différait fort de celle qu’il avait connue à Eszterháza, et même à Vienne. Après trente ans de demi-solitude, Haydn alla de réception en réception ; au lieu d’un public restreint et connu d’avance, ou presque, il enthousiasma des salles anonymes et bruyantes. En juillet 1791, il se vit décerner par l’université d’Oxford le titre de docteur honoris causa. Il fut reçu par la famille royale. La presse rendit compte en détail de ses concerts. Tous ces événements, ainsi que diverses anecdotes, Haydn les consigna de façon pittoresque dans plusieurs lettres à Marianne von Genzinger et aussi sur des carnets heureusement presque intégralement conservés. Très intéressante est, par exemple, sa description des courses d’Ascot. Il nota en particulier de nombreux chiffres (quantité de charbon consommée à Londres en un an, âge de l’empereur de Chine, circonférence de l’île de Wight), et, d’une façon générale, on le découvre dans ses carnets à la fois frappé, amusé et importuné par le bruit infernal qui régnait à Londres, ainsi que par le goût des Anglais pour la boisson : « Milord Chatham, ministre de la Guerre et frère du ministre Pitt, a été si ivre pendant trois jours qu’il ne pouvait signer son nom, avec comme résultat que la flotte n’a pu quitter Londres. » Ou encore : « Lord Claremont a donné un grand souper, et comme on buvait à la santé du roi, il a fait jouer le God Save the King dehors, sous une tempête de neige. C’est ainsi, de façon insensée, qu’on boit en Angleterre. » downloadModeText.vue.download 462 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 456 Sur le chemin du retour, on lui présenta, à l’étape de Bad Godesberg, le jeune Beethoven, qui le suivit à Vienne et auquel il donna en 1793 des leçons bien plus fructueuses que ne le veut la légende. Certes, il négligea quelque peu ses exercices de contrepoint, mais il le mit au contact du génie créateur : il existe, de la main de Beethoven, une copie d’une partie du finale de la symphonie no 99, celle que, en 1793, Haydn composait en vue d’un nouveau voyage à Londres. Ce second séjour, au cours duquel Haydn fit entendre notamment ses six dernières Symphonies londoniennes (nos 99 à 104), qui sont aussi les dernières qu’il devait composer, eut lieu de janvier 1794 à août 1795. Il lui valut les mêmes triomphes et les mêmes avantages financiers que le premier. LES DERNIÈRES ANNÉES À VIENNE. À son retour définitif en Autriche, Haydn était considéré dans toute l’Europe comme le plus grand compositeur vivant. Il trouva un quatrième prince Esterházy, Nicolas II, qui, pour des raisons en partie de prestige, avait décidé de reconstituer la chapelle de son grand-père Nicolas le Magnifique, mais en abandonnant Eszterháza pour Eisenstadt. Haydn reprit la direction de cette chapelle, mais avec des obligations beaucoup plus légères que par le passé, séjournant à Eisenstadt deux ou trois mois pendant l’été - cela jusqu’en 1803, sa dernière année active - et le reste du temps à Vienne. Le prince ne lui demandant qu’une messe par an, pour la fête de son épouse, la princesse Marie Hermenegild (il y eut six grandes messes, datées de 1796 à 1802), Haydn put, pour le reste, composer ce qu’il voulait : ses derniers quatuors à cordes, la version vocale des Sept Paroles du Christ (1796), l’hymne autrichien Gott erhalte Franz den Kaiser (1797) et surtout deux magnifiques oratorios, la Création (1798), et les Saisons (1801). Jusqu’en 1803, année à la fin de laquelle ses ennuis de santé l’obligèrent à cesser toute activité, Haydn fut une figure importante de la société viennoise. Il dirigea très souvent ses oeuvres en public ou en privé, Beethoven participant fréquemment aux mêmes concerts que lui. C’est pour cette ultime période que les témoignages le concernant sont les plus nombreux. Son biographe Griesinger nous apprend que « de stature, Haydn était petit, mais robuste et solide d’apparence ; son front était large et bien bombé, sa peau brune, ses yeux vifs et fiers, ses traits accusés et nettement définis ; sa physionomie et son comportement reflétaient la prudence et une calme gravité ». Quant au diplomate suédois Fredrick Samuel Silverstolpe, en poste à Vienne de 1796 à 1803, il découvrit « chez Haydn pour ainsi dire deux physionomies. L’une, quand il parlait de choses élevées, était pénétrante et sérieuse, le mot sublime suffisait alors à mettre en branle ses sentiments de façon fort visible. L’instant d’après, cet état d’esprit était vite chassé par son humeur quotidienne, et il retombait dans le jovial avec une satisfaction qui se peignait littéralement sur ses traits et débouchait dans la facétie. Cette physionomie était la plus courante, l’autre devait être stimulée. » À partir de 1804, Haydn ne quitta pour ainsi dire plus la maison qu’il avait acquise en 1793 à Gumpendorf, un faubourg de Vienne. Devenu incapable de composer, malgré les idées qui se pressaient, mais qu’il n’arrivait plus à mettre en ordre, il ne fut plus, physiquement, que l’ombre de lui-même. Un troisième grand oratorio sur le Jugement dernier resta à l’état de projet. Mais sa maison se transforma en lieu de pèlerinage. Haydn y vit notamment ses biographes Dies et Griesinger, Constance Mozart et son fils cadet, Carl Maria von Weber, les compositeurs Reichard et Tomasek, et, en mai 1808, toute la chapelle Esterházy, venue sous la direction de Johann Nepomuk Hummel lui rendre visite à l’occasion d’un concert à Vienne. Il parut pour la dernière fois en public le 27 mars 1808, lors d’une audition de la Création, au cours de laquelle plusieurs musiciens, dont Beethoven, lui rendirent hommage, et mourut dans sa maison de Gumpendorf le 31 mai 1809, quelques jours après la seconde occupation de Vienne par Napoléon (événement qui semble avoir hâté sa fin). En 1820, ses restes furent transférés à Eisenstadt, où, depuis 1954, ils reposent dans un mausolée érigé en 1932 par le prince Paul V Esterházy (1901-1989). HAYDN EN SON TEMPS. Haydn forme avec ses cadets Mozart et Beethoven (mais il survécut dix-huit ans à Mozart) ce qu’on appelle la « trinité classique viennoise ». Il n’a rien de ce vieillard timide dont l’image nous fut léguée par le XIXe siècle. Contrairement à Mozart, il se soucia peu des conventions. De son vivant, on lui reprocha violemment d’avilir son art par son humour et par ses traits plébéiens. Il fut le type du créateur original. De 1760 à la fin du siècle, l’histoire de la musique devint de plus en plus la sienne, et il finit par l’orienter pour cent cinquante ans. Il ne créa pas le quatuor à cordes, encore moins la symphonie, mais il leur donna leurs lettres de noblesse, les porta au plus haut niveau. Le premier, il se servit génialement de la « forme sonate » et en exploita, avec des ressources inépuisables, toutes les virtualités dialectiques, tant sur le plan du travail thématique que des relations tonales. De ce point de vue, Beethoven fut non seulement son plus grand, mais son unique élève. Comme Mozart, mais à partir de prémisses autres, Haydn fit du discours musical l’expression d’une action (et non plus d’un simple sentiment) dramatique. À sa pensée rapide, concentrée, procédant par ellipses, synthèse extraordinaire de contraction et d’expansion, d’essence épique, il dut ses triomphes dans la symphonie, le quatuor et l’oratorio, alors que Mozart de son côté portait vers des sommets insoupçonnés l’opéra et le concerto pour piano. La longue carrière de Haydn alla de la fin de l’ère baroque aux débuts du romantisme. Même vers 1800, alors qu’elle tendait déjà la main à Schubert, la musique de Haydn conserva des traces concrètes de ses origines. Les cuivres perçants, la férocité rythmique, les bonds en avant et les irrégularités formelles de Haydn sont autant de traits rappelant que, en sa jeunesse, la musique la plus jouée à Vienne, dans les églises, en tout cas, était celle de Fux et de Caldara. Le problème de Haydn fut d’intégrer ces traits, sans les faire disparaître, dans un équilibre et une cohérence à grande échelle. Pour Mozart, plus jeune d’une génération, ce fut en quelque sorte le phénomène inverse. EXPÉRIENCES ET RECHERCHES. Jusque vers 1760, Haydn resta ancré dans une tradition autrichienne et viennoise issue pour l’essentiel de Fux et de Caldara, et se distingua parfois à peine de prédécesseurs comme Georg Christoph Wagenseil ou de contemporains comme Florian Gassmann ou Leopold Hoffmann. Parmi ses premières oeuvres, deux messes brèves, des sonates pour clavecin, des divertissements, les dix ouvrages connus actuellement comme quatuors à cordes nos 0, op. 1 et op. 2 (l’opus 3 n’est pas de lui, mais sans doute d’un certain Hoffstetter), et une quinzaine de symphonies, courtes et pour la plupart en trois mouvements sans menuet (la 37e de l’édition complète existait en 1758). Durant ses premières années chez les Esterházy (1761-1765), Haydn expérimenta avec fruit, surtout dans le domaine de la symphonie, et, non sans hésitations, fixa pour elle le cadre extérieur en quatre mouvements qui allait prédominer : premier mouvement rapide (avec ou sans introduction lente), deuxième mouvement lent, troisième mouvement dansant (menuet), quatrième mouvement rapide. Dès 1761, il réalisa un coup de maître avec les symphonies no 6 (le Matin), no 7 (le Midi) et no 8 (le Soir), brillantes synthèses de baroque et de classicisme, et alla avec les suivantes dans des directions fort diverses : finales fugués des 13e et 40e (1763), mélodie de choral de la 22e (le Philosophe, 1764), parfum balkanique des 28e et 29e (1765), instruments solistes des 13e, 24e (1764), 36e et surtout 31e (Appel de cor, 1765). Pour faire briller ses musiciens, Haydn écrivit aussi à cette époque la plupart de ses concertos (certains sont downloadModeText.vue.download 463 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 457 perdus). Il y eut aussi, outre les inévitables partitions de circonstance, l’opera seria Acide (1762, créé en 1763) et le premier Te Deum (v. 1763-64). APPROFONDISSEMENTS. En 1766 environ, avec le Sturm und Drang, la production de Haydn s’approfondit et se diversifia. En huit ans, jusque vers 1773-74, il écrivit quelque vingt-cinq symphonies, dont beaucoup comptent parmi ses plus grandes : 49e en fa mineur (la Passion, 1768), 44e en mi mineur (Funèbre, v. 1771), 45e en fa dièse mineur (les Adieux, 1772), 46e en si (1772), 47e en sol (1772), 48e en ut (Marie-Thérèse, v. 1769), 51e en si bémol (v. 1773), 54e en sol (1774), 56e en ut (1774), 64e en la (v. 1773). Il se préoccupa moins de la nature externe que de la structure interne de leurs mouvements et cultiva volontiers un ton fort subjectif : jamais il n’écrivit autant d’oeuvres en mineur. De la même période datent trois grandes séries de six quatuors à cordes chacune (op. 9, v. 1769 ; op. 17, 1771 ; et op. 20, 1772), de belles sonates pour piano, telles la 30e en ré (1767), la 31e en la bémol (v. 1768) et la 33e en ut mineur (1771), le Stabat Mater (1767), le Salve Regina en sol mineur (1771), quatre messes, de celle dite improprement Missa Sanctae Caeciliae (1766) à la Missa Sancti Nicolai (1772) en passant par la Missa sunt bona mixta malis (1768, sans doute inachevée) et la Missa in honorem Beatissimae Virginis Mariae (v. 1769), quatre opéras dont Lo Speziall (1768) et L’Infedeltà delusa (1773) et la plupart des compositions pour baryton. Beaucoup de ces ouvrages témoignent d’un goût marqué pour les sonorités feutrées, la méditation et la mélancolie (extraordinaires mouvements lents), les effets étranges et imprévus ; d’autres sont au contraire d’un éclat exceptionnel. Pour consolider ces nouvelles conquêtes expressives et formelles, Haydn eut souvent recours à des procédés contrapuntiques, dont, contrairement à ce qu’on crut longtemps, la tradition ne s’était en rien perdue en Autriche depuis la fin du baroque (trois des six quatuors à cordes de l’opus 20 se terminent par une fugue, le menuet de la symphonie no 44 est un canon). LE MONDE DE L’OPÉRA. En 1775 s’ouvrit une période de sept à huit ans, au cours de laquelle Haydn, sans abandonner la symphonie, se préoccupa beaucoup d’opéra. De L’Incontro improvviso (1775) à Armida (1783), il en écrivit alors sept, ses derniers pour Eszterháza. Ce genre est un des rares où Haydn ne se réalisa pas complètement. Mais tous ses opéras pour Eszterháza sont antérieurs au Figaro de Mozart (1786), le premier chefd’oeuvre absolu du classicisme viennois issu de l’opéra bouffe italien. Et rien, dans la production des autres compositeurs de l’époque, n’annonce autant les grands opéras de Mozart que ceux de Haydn ayant nom La Vera Costanza (1778, rév. 1785), La Fedeltà premiata (1780) ou Orlando Paladino (1782), en particulier à cause de leurs vastes finales d’acte. C’est moins vrai d’Il mondo della luna (1777) et de l’Isola disabitata (1779). Haydn, qui en 1787 devait refuser la commande d’un opéra pour Prague en s’étonnant qu’on n’ait pas fait appel à Mozart plutôt qu’à lui, n’avait pas tort en écrivant en mai 1781 à son éditeur Artaria, à propos de La Fedeltà premiata : « Je vous assure qu’aucune musique semblable n’a été entendue à Paris, ni même à Vienne sans doute. Mon malheur est de vivre à la campagne. » En cette même année 1781 furent écrits « d’une façon tout à fait nouvelle et spéciale » les six quatuors à cordes op. 33, les premiers depuis l’opus 20. À signaler encore des symphonies comme la 70e (1778-1779), au finale en forme de triple fugue, ou encore la 77e (1782) et la monumentale Messe de Mariazell (1782), une des rares partitions religieuses de l’époque avec l’oratorio Il Ritorno di Tobia (1775) et la Missa brevis sancti Joannis de Deo (v. 1775). LES GRANDES OEUVRES INSTRUMENTALES. À partir de 1785 et jusqu’en 1790, la musique instrumentale domina de nouveau chez Haydn, avec notamment les onze symphonies nos 82 à 92 destinées à Paris, les dix-neuf quatuors à cordes op. 42 (1785), op. 50 (1787), op. 54-55 (1788) et op. 64 (1790), la version originale pour orchestre des Sept Paroles du Christ (1787), les deux sonates pour piano no 58 (1789) et no 59 (1789-90), cette dernière dédiée à Marianne von Genzinger, et treize trios pour piano, violon et violoncelle. Durant ces six années, qui marquèrent un premier apogée du style classique viennois, Haydn et Mozart se connurent personnellement et profitèrent l’un de l’autre, mais leurs différences s’accentuèrent. Haydn intégra de plus en plus à son langage des thèmes et des tournures d’aspect populaire, mais, paradoxalement, ce langage en devint plus maniable et savant. Il imprégna ses idées d’une énergie latente, chargée de conflits, dont la résolution ne fut autre, chaque fois, que l’oeuvre elle-même, ainsi projetée de l’intérieur avec comme moteur principal son propre matériau. Par là, Haydn révolutionna la musique. Les quatuors de l’époque, des symphonies comme la 86e en ré (1786), la 88e en sol (1787), la 92e en sol, dite Oxford (1789), ou encore la 85e en si bémol (la Reine) sont, à cet égard, des modèles insurpassables. Sous le signe des deux voyages à Londres (1791 à 1795), Haydn intégra soudain à la sérénité grave des dernières années d’Eszterháza des excentricités et une veine expérimentale dignes de sa jeunesse. Sa production une fois de plus se diversifia. Outre les douze Symphonies londoniennes nos 93 à 104, ses dernières, furent alors composés les trois sonates pour piano nos 60 à 62, ses dernières également (17941795), les six quatuors à cordes op. 71 et 74 (1793), quatorze admirables et prophé- tiques trios pour piano, violon et violoncelle, et beaucoup de musique vocale, dont l’opéra Orfeo ed Euridice (1791, non représenté), le grand air de concert Berenice che fai ? (1795) et une série de canzonettes sur textes anglais frayant la voie aux lieder de Schubert. Faste, virtuosité et profondeur caractérisent l’ensemble. Toutes les londoniennes sont des chefs-d’oeuvre, mais les plus connues, comme la 94e (la Surprise), ou la 100e (Militaire), sont encore surpassées par la 98e, la 99e et surtout par les trois dernières, créées en 1795 : la 102e en si bémol, la 103e en mi bémol (Roulement de timbales) et la 104e en ré (Londres), qui montrent à quel point confondent structure interne et simples dimensions extérieures ceux qui répètent que, de Beethoven, la symphonie la plus haydnienne est la première (1800). La descendance des londoniennes, c’est dans l’Héroïque (1804) qu’il faut la chercher. LES GRANDES OEUVRES CHORALES. Sans compter quelques partitions isolées, comme le concerto pour trompette (1796), un ultime trio avec piano (1796) et une série de treize trios et quatuors vocaux (1796-1799), Haydn couronna sa carrière par neuf quatuors à cordes - op. 76 (1797), op. 77 (1799) et op. 103 (1803, inachevé) -, six messes (1796-1802), la version vocale des Sept Paroles du Christ (1796) et ses deux grands oratorios la Création (1798) et les Saisons (1801). Les neuf quatuors innovent encore par rapport aux dernières symphonies : finales en mineur dans des oeuvres en majeur (op. 76 nos 1 et 3), remplacement du menuet par de véritables scherzos (op. 76 no 1, op. 77 nos 1 et 2), hardiesses tonales, harmoniques, polyphoniques et rythmiques inouïes de l’opus 76 no 6 ou de l’opus 77 no 2, pages dont on a pu dire qu’elles défiaient les critères habituels d’analyse en traitant un matériau du XVIIIe siècle à la façon du XXe. Les six messes et les deux oratorios constituent le pendant haydnien des grands opéras de Mozart. Le symphoniste s’y manifeste par l’importance de l’orchestre et l’absence de stéréotypes formels. Ce ne sont pas de lâches successions d’épisodes, mais de solides architectures, dont la vitalité ne nuit en rien à la portée spirituelle. Si les Saisons, suite de quatre cantates hautes en couleur, évoquent surtout le premier romantisme, celui de Weber ou du Vaisseau fantôme de Wagner, c’est bien Tristan qu’annonce le prélude de la Création : performance d’au- tant plus vertigineuse qu’elle émane d’un maître confondu en ses débuts avec d’obscurs compositeurs autrichiens du milieu downloadModeText.vue.download 464 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 458 du XVIIIe siècle, et que, par-delà son côté visionnaire, cette représentation du chaos originel s’inscrit avec cohérence dans la pensée musicale de Haydn. L’auteur de la Création enseigna une nouvelle façon de penser en musique, et c’est dans la mesure où Beethoven fut son plus grand disciple et son plus grand continuateur que, sur le plan personnel, ils se heurtèrent parfois violemment. Peu de compositeurs illustrent autant que Haydn la remarque de Schönberg : « Le matériau est l’antichambre de l’esprit. » Pour l’approcher et le pénétrer, il n’y a que la seule musique ; on ne peut s’appuyer sur des sujets ou des personnages d’opéra comme avec Mozart, Wagner ou Verdi, ni sur une exégèse ou une symbolique bibliques comme avec Schütz ou Bach, cela sans parler des biographies romancées, dont ont souffert Beethoven et les romantiques. Non que sa vie n’ait eu aucune influence sur son oeuvre. Mais bien plus significative que les légendes en cours apparaît, pour cerner la personnalité complexe, souvent retranchée sur elle-même, de Haydn, la description de la première audition de la Création (30 avril 1798), et notamment du célèbre passage Et la lumière fut, que donna, une quarantaine d’années après y avoir assisté, le diplomate suédois Silverstolpe : « Je crois voir encore son visage au moment où ce trait sortit de l’orchestre. Haydn avait la mine de quelqu’un prêt à se mordre les lèvres, soit pour réprimer sa confusion, soit pour dissimuler un secret. Et à l’instant précis où pour la première fois cette lumière éclata, tout se passa comme si ses rayons avaient été lancés des yeux brillants de l’artiste. » HAYDN (Johann Michael), compositeur autrichien (Rohrau-sur-la-Leitha, BasseAutriche, 1737 - Salzbourg 1806). Frère cadet de Joseph Haydn, il fut comme lui (sans doute de 1745 à 1754) petit chanteur à la cathédrale Saint-Étienne de Vienne. En 1757 au plus tard, il fut nommé maître de chapelle de l’évêque de Grosswardein en Hongrie (actuellement Oradea Mare en Roumanie). Le 3 septembre de cette année-là, il copia de sa main à Vienne la célèbre Missa canonica de Fux, témoignant ainsi de son goût pour le style sévère. Il resta à Grosswardein jusqu’en 1762, y composant de nombreux ouvrages profanes (concertos, symphonies) et religieux, puis entra (au plus tard déb. 1763) au service du prince-archevêque de Salzbourg, ville qu’il ne devait plus quitter. Nommé dès le 14 août 1763 premier violon dans l’orchestre de la cour, il épousa le 17 avril 1768 la cantatrice Maria Magdalena Lipp, créatrice l’année suivante du rôle de Rosina dans La Finta semplice de Mozart. Michael Haydn succéda en 1777 à Adlgasser aux orgues de l’église de la Trinité, en 1781 à Wolfgang Amadeus Mozart au poste d’organiste de la cour et de la cathédrale, et en 1787 à Leopold Mozart à diverses fonctions d’enseignement. Il se rendit deux fois à Vienne, en septembreoctobre 1798, puis en septembre-octobre 1801 : il y rencontra les deux fois son frère Joseph, et, en 1801, reçut de l’impératrice plusieurs commandes. Le prince Esterházy lui offrit chez lui le poste de vicemaître de chapelle pour seconder Joseph vieillissant, mais Michael refusa définitivement au début de 1803, préférant ne pas quitter Salzbourg, où il mourut en laissant inachevé son troisième requiem. Grand musicien, Michael Haydn ne le céda en son temps, parmi ceux qui évoluèrent dans l’orbite de Vienne, qu’à son frère et à Mozart. Par son style, il apparut d’ailleurs plus proche du second que du premier. Il fut et reste surtout célèbre comme compositeur de musique religieuse, mais ses oeuvres instrumentales profanes, elles aussi, sont souvent de toute beauté et ne manquèrent pas d’influencer Mozart. Plusieurs furent faussement attribuées à Joseph, et sa symphonie en sol majeur de 1783 passa longtemps pour la 37e (K. 444) de Mozart, qui n’en écrivit que l’introduction lente. On lui doit notamment : quarante-trois symphonies, dont la dernière (en la majeur) du 26 juillet 1789, des sérénades et divertissements ; des musiques de scène, comme celle pour Zaïre de Voltaire (1777) ; l’opéra Andromeda e Perseo, sur un livret probablement dû à Giambattista Varesco (1787) ; l’oratorio Der bussende Sünden, deuxième partie d’une trilogie en collaboration avec Adlgasser et Krinner ; le singspiel Rebekka als Braut (1766) ; la pantomine Der Traum (1767 ; le singspiel Die Hochzeit auf der Alm (1768) ; deux admirables quintettes à cordres en ut et en sol majeur (1773) ; des choeurs d’hommes reconnus comme les premiers du genre ; une trentaine de messes, dont la Missa in honorem sanctissimae trinitatis (1754), la première de toutes, la Missa hispanica (1786) et la Missa sancti Leopoldi (1805), sa dernière oeuvre achevée ; et de très nombreux ouvrages religieux allemands ou latins, écrits soit en style concertant, soit en style a cappella. Son requiem en ut mineur (1771), écrit pour les funérailles du prince-archevêque Sigismund von Schrattenbach, devait laisser dans celui de Mozart des traces très nettes. Cet ouvrage a acquis récemment une célébrité justifiée, comme la belle symphonie en ré mineur de 1784. Un catalogue thématique des oeuvres de Michael Haydn, destiné à remplacer ceux de Perger (oeuvres instrumentales) et de Klafsky (oeuvres sacrées), a été réalisé par Charles H. Sherman et T. Donley Thomas (1993). Un troisième frère Haydn, Johann Evangelist (Rohrau-sur-la-Leitha 1743-Eisenstadt 1805), passa sa vie comme ténor chez les Esterházy, Joseph l’ayant fait venir auprès de lui après la mort de leur père (1763). HAYM (Nicolo Francesco), compositeur et écrivain italien (Rome 1678 - Londres 1729). On ignore le nom de ses maîtres. Les premières oeuvres connues de lui, la cantate Il Reciproco Amore di Tirsi e Clori ainsi que l’oratorio David sponsae restitutus, sont datées de 1699, à Rome. Peu après (1701), il se rendit en Angleterre, où il entra au service du deuxième duc de Bedford ; il y resta jusqu’à la mort du duc en 1711. Haym joua un rôle important pour l’introduction de l’opéra italien en Angleterre et écrivit souvent des livrets. Il devint le collaborateur de Haendel et lui fournit jusqu’en 1728 les livrets de plusieurs opéras (Teseo, 1713 ; Giulio Cesare 1724). Pour G. B. Bononcini, il écrivit, avec Salvi, le livret de Astianatte (1727). On lui doit une édition du Tasse et de Maffei, ainsi que les seuls portraits connus de Tallis et de Byrd. Il a laissé des sonates pour flûte (ou hautbois), des Sonate a tre (Amsterdam, 1703, 1704) et un Dixit Dominus. HAYNE VAN GHIZEGHEM, compositeur franco-flamand (seconde moitié du XVe s.). Il fut à la cour de Bourgogne élève du chanteur Constans d’Utrecht (1457), puis chanteur et valet de chambre (au plus tard en 1467), et participa au siège de Beauvais dans la suite de Charles le Téméraire (1472). Ensuite on perd sa trace. On possède de lui vingt chansons manuscrites (Alez regretz, De tous bien playne), dont certaines publiées plus tard par Petrucci. HEARTZ (Daniel), musicologue américain (Exeter, New Hampshire, 1928). Il a étudié à l’Université du New Hampshire à Durham ainsi qu’à Harvard, où il a présenté sa thèse Sources and Forms of the French Instrumental Dance in the Sixteenth Century (1957). il s’est ensuite largement consacré à la musique de la Renaissance, publiant notamment la monographie Pierre Attaignant, A Royal Printer of Music : A Historical Study and Bibliographical Catalogue (1969), avant de se tourner pour l’essentiel vers le XVIIIe siècle (en particulier dans le domaine de l’opéra), publiant sur ce sujet de très nombreux articles ainsi que les ouvrages Mozart’s Operas (1990) et Haydn, Mozart and the Viennese School 1740-1780 (1995). HEBENSTREIT (Pantaleon), inventeur, violoniste, pédagogue et compositeur allemand (Eisleben 1667 - Dresde 1750). Voulant perfectionner le tympanon sur lequel il accompagnait des danses de village, il développa un instrument couvrant cinq octaves avec lequel il partit en tourdownloadModeText.vue.download 465 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 459 née à Berlin, Dresde, Leipzig et Weissenfels (où en 1698 il fut nommé maître de danse du duc Johann Georg). Lorsqu’en 1705 il se produisit à la cour de France, Louis XIV donna à cet instrument sans nom celui de son inventeur : Pantaléon. De cet ancêtre du pianoforte, la popularité déclina fortement lors de l’essor de ce dernier à la fin des années 1720, d’autant que Hebenstreit s’était jalousement assuré l’exclusivité de son invention. De 1714 à sa mort, il occupa divers postes à la cour de Dresde, dont ceux de pantaléoniste et (à partir de 1734) de directeur de la musique de cour protestante. HÉBRAÏQUE (MUSIQUE). C’est par les écrits bibliques et leurs nombreuses références musicales que nous pouvons nous faire une idée sur la musique des anciens Hébreux. Néanmoins, si de nombreux passages citent des instruments de musique ou l’organisation musicale à l’intérieur du Temple, le fait d’avoir une idée précise quant au contenu même de cet art paraît impossible, car il ne reste aucun document écrit concernant la théorie ou l’éventuelle notation de cette musique. Par ailleurs, il faut souligner deux réalités vivantes : la transmission de la musique hébraïque, qui s’est faite essentiellement par voie orale à travers les siècles, et l’importance qu’occupe la musique religieuse au point que toutes les manifestations musicales juives jusqu’à la fin du XVIIIe siècle ont un caractère religieux. LES INSTRUMENTS DE MUSIQUE. La première mention d’instruments de musique apparaît dans la Genèse (IV, 21) et prouve que déjà deux catégories d’instruments - à cordes (représentés par le kinnor) et à vent (représentés par l’ougab) - étaient bien implantées dans la vie des Hébreux. Par ailleurs, la musique jouait un grand rôle à l’intérieur du Temple et, bien que le fait d’avoir admis des instruments dans le culte du premier Temple (détruit en 587 av. J.-C.) soit problématique, nous avons des témoignages sur l’orchestre cultuel institué par David, à savoir : parmi les lévites, trois cymbaliers (mesiltayim), huit joueurs de nebel (famille des harpes-psaltérions) et six joueurs de kinnor (famille des lyres) ; parmi les prêtres, sept trompettistes (Chroniques XV, 16-24). Une classification des instruments de la Bible nous donne les résultats suivants : 1)parmi les idiophones : les cymbales, le sistre, le triangle et les castagnettes ; 2)parmi les membranophones : le tambourin (tôf) ; 3)parmi les aérophones : l’ougab ou halil (représentant les types de flûte et d’instruments à anche simple ou double), la trompette (haçocera) et la corne (shofar) remplissant une fonction cultuelle pour l’annonce du nouvel an, des fêtes, etc. (le shofar est encore utilisé pendant les offices nationaux du jour de l’an et à l’issue du Grand Pardon) ; 4) parmi les cordophones : le kinnor et le nebel déjà cités ainsi que tous les autres instruments de la famille des harpes-psaltérions ou ceux de la famille des luths. Tous ces instruments cesseront d’être utilisés à partir du moment où le culte sacrificiel cède la place à la prière. Désormais (après la destruction du second Temple en 70 apr. J.-C.), seul le chant sera l’expression de la musique religieuse et liturgique. LA MUSIQUE RELIGIEUSE DE LA DIASPORA. La synagogue remplace le Temple et dans cet édifice, précisément, il y a obligation de faire la lecture publique de la Bible en chantant. Dès l’époque talmudique (qui s’achève à la fin du Ve s. apr. J.-C.), le hazzan est employé comme chantre professionnel de la synagogue et la psalmodie ainsi que la cantilation biblique sur des formules mélodiques modales sont une réalité. Après l’époque talmudique, ce sont les massorètes, docteurs juifs, qui ont élaboré les systèmes de notation des te ‘amîm (« accents bibliques »), achevés vers le Xe siècle. Tout comme la vocalisation du texte de la Bible, ces accents fixent la cantilation biblique, qui est jusqu’alors une tradition orale. Cependant, les te ‘amîm ne sont encore que des formules mnémotechniques sur des modes traditionnels (à l’instar des premiers signes ekphonétiques de la musique byzantine). Il faudra attendre le XIIe siècle pour découvrir le manuscrit de la plus ancienne véritable notation musicale juive. C’est l’oeuvre d’Abdias, un prosélyte normand qui a noté la musique de cinq versets bibliques (Jérémie XVII, 7 ; Prov. III, 5 ; III, 6 ; III, 13 ; Job V, 17), un piyyût (poésie religieuse), qui est un Éloge de Moïse, et un fragment final d’un autre piyyût non identifié et qui montre la vogue de ces poésies religieuses à l’époque ainsi que le rôle grandissant du hazzan comme chantre professionnel de la synagogue. Le second document de musique notée remonte au XVe siècle (v. 1430) et contient un fragment du Cantique de Salomon. À partir du XVIe siècle, on introduit la musique savante dans la synagogue et on instaure le chant choral à plusieurs voix. En 1622-23 apparaît à Mantoue un important recueil de psaumes, prières et cantiques religieux pour trois, quatre, cinq, six, sept et huit voix, composés par Salomon Rossi (v. 1570-1628). En même temps, le mouvement cabalistique de Safed (dont nous parlons plus loin dans le cadre de la musique populaire) donne un nouvel essor à la musique religieuse hébraïque, tout comme le chant ashkenaze, influencé par des éléments du chant slave ou oriental. À partir du XVIIIe siècle, l’influence de la musique savante pèse sur l’expression musicale des hazzanîm. Dès 1822 à Paris et 1826 à Vienne est instauré l’usage des choeurs à quatre voix dans la synagogue ; l’orgue y est introduit également. De nombreux compositeurs juifs écrivent de la musique synagogale. Néanmoins, certains d’entre eux, comme Salomon Sulzer (1804-1890), Samuel Naumbourg (1817-1880) et, à un moindre degré, Louis Lewandowski (1823-1894) s’efforcent de conserver le chant traditionnel ou de l’amalgamer au style de la musique de l’époque. Plus près de notre époque, Ernest Bloch (1880-1959) compose un Service sacré, oratorio pour solo, choeur et orchestre, créé à Paris en la Synagogue, rue de la Victoire, sous la direction de l’auteur. Enfin, Darius Milhaud (18921974) compose aussi un Service sacré en 1947 pour baryton, récitant, choeurs et orchestre ou orgue, créé à San Francisco en 1949, au temple Emanu-El. L’oeuvre est librement inspirée du chant traditionnel juif et adopte le texte hébreu des livres de prières. En même temps, des ethnomusicologues commencent, à partir du début du XXe siècle, à recueillir des mélodies traditionnelles sur des bases scientifiques et aident ainsi la recréation d’un style authentique du chant synagogal. De nos jours, des efforts dans ce sens sont poursuivis en Israël et aux États-Unis. LA MUSIQUE POPULAIRE. La musique populaire hébraïque trouve ses origines dans les temps les plus reculés de son histoire, car le chant populaire qui en est l’expression la plus tangible a été pratiqué et vénéré depuis toujours si l’on se rapporte aux témoignages de la Bible. Ainsi, parmi les plus anciennes cantilations populaires, on peut admettre celle de Déborah (Juges V, 2-31), celle de Lamech (Genèse IV, 23-24), celle du puits (Nombres XXI, 17-18), celle de la mer Rouge (Exode XV, 2-19) ou le chant funèbre de David (II Samuel I, 19-27). Pour ce qui est de la chanson populaire actuelle, l’élément le plus frappant reste le mélange d’une musique authentiquement populaire avec des éléments historiques de différentes musiques étrangères. Ce mélange rend l’identification des traditions musicales populaires actuelles, vis-à-vis de leurs prototypes anciens, très difficile. Quoi qu’il en soit, on peut dire que les plus anciennes chansons populaires connues encore aujourd’hui plongent leurs racines dans la poésie populaire mystique, semireligieuse ou messianique du Moyen Âge. Le XVIe siècle verra l’apparition d’une nouvelle phase du chant populaire grâce au mouvement cabalistique de Safed, en Galilée, dont le poète-chantre le plus connu fut Israël Nagara (v. 1555-1625). Ses cantiques adoptent des mélodies populaires connues, issues des traditions downloadModeText.vue.download 466 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 460 arabe, turque, grecque et espagnole et sont classés selon l’ordre des maqamât arabes. Toutes les traditions actuelles de chant populaire émanent bien entendu des communautés juives orientales, à savoir : géorgienne, kurde, samaritaine, karaïte, irakienne, iranienne, de Boukhara, d’autres communautés moins importantes et surtout du Yémen. Cette dernière communauté reste la source la plus importante du chant populaire juif, due sans doute à une vie communautaire ininterrompue de presque 2 500 ans au milieu de cultures arabes. Le centre d’intérêt des traditions populaires musicales yéménites est le mariage et les chansons qui s’y réfèrent. On peut discerner à travers ces manifestations un symbolisme latent, à savoir le constant dialogue entre Dieu (représenté par le fiancé) et Israël ou l’âme humaine (représentée par la fiancée). On peut diviser la musique séculaire et populaire juive en deux branches : celle des juifs séfardim et celle des juifs ashkenaze. La première branche compte la période ibérique (du premier millénaire av. J.-C. à 1492 et 1497, dates de l’expulsion des juifs d’Espagne et du Portugal), la période de la diaspora séfardique et celle du romancero judéo-espagnol, dont les chants peuvent être classés en deux catégories : les romances et les cantigas. Les romances sont des poésies assonancées sans forme strophique ; les cantigas sont toujours composées en strophes, généralement assonancées et suivies souvent par des refrains. La seconde branche comprend les juifs de l’Europe de l’Ouest (généralement allemands) et ceux de l’Europe de l’Est (polonais, russes, hongrois, etc.). C’est précisément dans ces contrées de l’Est que la chanson populaire juive trouva un nouvel essor à partir du milieu du XVIIIe siècle, grâce au mouvement néomystique du hassidisme. Le support stylistique des mélodies hassidiques, dont le centre d’intérêt est la mélodie vocale sans texte, est basé sur des formules anciennes de chants et de prières orientaux, russes, hongrois, allemands, roumains ou ukrainiens, sans pour autant négliger des adaptations de pièces instrumentales et même des marches ou vaudevilles. L’intérêt du chant populaire juif s’est accru pendant le XXe siècle, grâce aux efforts de quelques musicologues qui ont commencé à recueillir sur place et à publier des mélodies liturgiques ou non des différentes communautés. Abraham Zvi Idelsohn (18821938) a été un pionnier dans ce domaine. Son Hebraïsh-orientalisher Melodien-Shatz (10 vol., Leipzig, 1914-1932) contient des milliers de mélodies liturgiques ou religieuses qui donnent un aperçu non seulement du chant cultuel, mais aussi du chant populaire ou du chant juif tout simplement. LA MUSIQUE ISRAÉLIENNE. L’histoire de la musique israélienne ne commence qu’après 1880, date de la migration massive de juifs en Palestine. En 1910 est fondée la première école de musique à Tel-Aviv ; en 1924 est créé le premier opéra « israélien « : les Pionniers de Jacob Weinberg (1879-1957) ; en 1936 naît le Palestine Symphony Orchestra (actuellement Israel Philharmonic Orchestra), créé par le célèbre violoniste Bronislav Hubermann ; puis, petit à petit, apparaissent toutes les autres institutions musicales israéliennes (festivals, concours internationaux, instituts, associations, etc.), dont l’une des dernières a été la création du concours international de piano Arthur-Rubinstein (1974). La source d’inspiration des compositeurs israéliens est, dès le départ, multiple : la chanson populaire juive de l’Eu- rope de l’Est, des éléments mélodiques de la cantilation biblique, ainsi que les traditions musicales des pays d’origine des compositeurs. La vieille génération est représentée par des noms comme ceux de Salomon Rosowsky (1878-1962), Yizhak Edel (18961973), Joachim Stutschewsky (1891), Erich-Walter Sternberg (1891-1974), Joseph Kaminsky (1903-1972), Abraham Dazs (1902-1974), Karel Salomon (1897-1974), Mark Lavry (1903-1967), Alexandre Uria Boscovich (1907-1964) et, surtout, Paul Ben-Haim (1897), peutêtre le compositeur le plus représentatif de l’école dite est-méditerranéenne. La caractéristique de cette école réside dans l’utilisation d’éléments de la cantilation biblique et des héritages folkloriques et traditionnels des peuples du MoyenOrient, à savoir des mélodies mélismatiques, des rythmes compliqués et une saveur spéciale qui caractérise aussi bien la tradition israélienne que celle des pays avoisinants et même celle des pays comme la Grèce ou la Turquie. Tous les compositeurs cités de cette génération se partagent, en tout cas, deux types d’expression musicale : soit un style influencé par le folklore de l’Europe orientale, soit un langage imprégné par les traditions orientales citées plus haut. Toujours est-il qu’un certain style postimpressionniste et une tendance vers l’expressionnisme sont évidents. Une transition est faite par certains compositeurs, comme Odoen Partos (1907-1977), qui, après avoir adhéré à l’école est-méditerranéenne, se tourne (dans les années 1960) vers le dodécaphonisme et la musique sérielle, créant une synthèse entre un expressionnisme évident et un approfondissement de la structure des musiques du Moyen-Orient. La génération suivante est marquée par quelques compositeurs qui se sont efforcés de trouver une solution individuelle aux problèmes de l’expression musicale israélienne, créant une synthèse entre une musique d’avant-garde et des traditions du Moyen-Orient. Abel Ehrlich (1915) ou Zvi Avni (1927) sont, parmi d’autres, des représentants de cette tendance. Leur précurseur immédiat a été Joseph Tal (1910), qui fonde en 1961 le premier studio en Israël pour la reproduction de la musique électronique. Par ailleurs, les tendances actuelles sont représentées par des compositeurs comme Noam Sheriff (1935), Yehuda Yannay (1937), Michael Barolsky (1947) ou Ron Kolton (1951). HECKELPHONE. Du nom de son inventeur, le facteur allemand Wilhelm Heckel (1856-1909), qui le mit au point en 1904. C’est une forme améliorée, descendant au la1, du hautbois baryton. Le heckelphone, sonnant une octave plus bas que le hautbois ordinaire, n’a guère été employé que par Richard Strauss dans Salomé et par Paul Hindemith. HEGAR, famille de musiciens suisses. Friedrich, violoniste et compositeur (Bâle 1841 - Zurich 1927). Fils d’un marchand de musique, il fit ses études à Leipzig, occupa divers postes, puis se fixa à Zurich en 1862 et donna une grande impulsion à la vie musicale de la cité, dirigeant sa Société chorale pendant trente-sept ans et l’orchestre de la Tonhalle pendant quarante et un ans, fondant en 1875 une école de musique (futur conservatoire) qu’il devait diriger jusqu’en 1914. Ami de Brahms, il a composé de la musique chorale, des oeuvres symphoniques et de chambre ainsi que l’oratorio Manasse (1888). Johannes, violoncelliste, fils du précédent (Zurich 1874 - Munich 1929). Il enseigna à partir de 1904 à Francfort, puis à partir de 1912 à l’Académie de musique de Munich. HEGEL (Georg Wilhelm Friedrich), philosophe allemand (Stuttgart 1770 - Berlin 1831). Étudiant à partir de 1788 à Tübingen, Hegel s’enthousiasma pour le romantisme naissant avant d’adopter les idées de la Révolution française. Enseignant dès 1805, il écrivit son ouvrage décisif, la Science de la logique, de 1812 à 1816. À ses écrits, dont le plus systématique est sans doute le Précis de l’encyclopédie des sciences philosophiques (1817), il faut ajouter la publication, après sa mort, de ses cours à l’université de Berlin, qui complètent l’exposé de son système. Dans celui-ci, Hegel définissait la philosophie comme l’histoire de la conscience prenant conscience d’elle-même. Visant à retracer l’organisation complète du savoir, il faisait de l’art l’une des expressions de l’esprit dans sa recherche de la vérité et de l’absolu. Mais, downloadModeText.vue.download 467 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 461 si le but de l’art est la représentation sensible du beau, il n’a pour contenu qu’un certain degré spirituel de la vérité et est, d’une façon assez traditionnelle, inférieur à la science. Selon le degré d’adéquation de l’idée à la forme, Hegel distingue trois aspects de l’art, en correspondance avec son histoire. Le dernier et le plus élaboré est celui de l’art romantique, dans lequel il convient de ranger la peinture, la musique et la poésie. La musique se voit donc attribuer une place privilégiée dans l’esthétique de Hegel, juste avant l’élément parfait, la poésie, dans lequel l’esprit est libre en soi, et une vocation particulière, qui est de pouvoir exprimer le sentiment dans son devenir sans le secours des concepts. À partir de Hegel se profile l’idée que la musique au sein des arts procède selon des lois qui lui sont propres et qu’il existe une pensée spécifiquement musicale. Son Esthétique, publiée en 1832, prépare de cette façon la voie aux romantiques, à Schopenhauer, à Nietzsche, puis aux conceptions esthétiques modernes. HEGER (Robert), chef d’orchestre et compositeur allemand (Strasbourg 1886 - Munich 1978). Élève de F. Stockhausen à Strasbourg, de L. Kempter à Zurich et de M. Schillings à Munich, il mena à partir de 1907 une brillante carrière de chef de théâtre dans d’importantes villes allemandes. Comme compositeur, on lui doit notamment trois symphonies et le mélodrame Die Jüdin von Worms. HEIDSIECK (Éric), pianiste français (Reims 1936). Il étudie à l’École normale de musique de Paris puis au Conservatoire de Paris dans la classe de M. Ciampi, où il obtient un 1er Prix en 1954. Il se perfectionne ensuite auprès de Wilhelm Kempff et Alfred Cortot. En 1960, il fonde avec sa femme Tania un duo de piano, donnant de très nombreux concerts. Il se produit également avec Paul Tortelier. Son répertoire com- prend un très grand nombre de concertos. Salué par la presse comme « l’homme des intégrales », il donne des séries de concerts avec les trente-deux sonates de Beethoven, les seize suites de Haendel ou encore l’intégrale de l’oeuvre pour piano de Fauré. Il enseigne au Conservatoire national supérieur de Lyon et donne des master-classess aux États-Unis et au Japon. HEIFETZ (Jascha), violoniste américain d’origine russe (Wilno, Lituanie, 1901 Los Angeles 1987). Il étudie le violon dans sa ville natale avec E. D. Malkin et fait rapidement sensation comme enfant prodige. Il entre ensuite au conservatoire de Saint-Pétersbourg dans la classe de Nalbandyan, assistant de L. Auer, puis dans celle de Auer luimême. À l’âge de dix ans il donne des concerts à Saint-Pétersbourg, Odessa, Kiev, Pavlovsk. Il joue en 1913 le concerto de Tchaïkovski à Berlin, sous la direction d’Arthur Nikisch. Heifetz accompagne Auer en Scandinavie et s’y produit à plusieurs reprises. Aux États-Unis, il fait avec succès ses débuts au Carnegie Hall le 27 octobre 1917. Désormais, il conquiert les publics de tous les continents, faisant une exceptionnelle carrière internationale. Il possède une technique prodigieuse et un jeu à la fois dynamique et élégant. Il a également fait de la musique de chambre avec W. Primrose et G. Piatigorsky, ainsi qu’avec Brooks Smith. Plusieurs compositeurs contemporains ont écrit des concertos à son intention (William Walton, Louis Grueneberg, Joseph Achron). HEILLER (Anton), organiste, claveciniste et compositeur autrichien (Vienne 1923 - id. 1979). Il suit des cours de B. Seidhofer (clavecin et orgue) et de Reidinger (composition) à la Musikakademie de Vienne, où il enseigne lui-même l’orgue à partir de 1945. En 1952, il remporte le premier prix au concours d’improvisation de Haarlem. En tant que compositeur, il a assimilé les influences de Johann Nepomuk David, de Stravinski et de Hindemith, et il s’est forgé un style très personnel, qui montre une prédilection pour la musique religieuse (10 messes dont un Requiem ; PsalmenKantate pour solos, choeurs et orchestre ; Psaume XXXVII ; Stabat Mater). Comme claveciniste, on lui doit un enregistrement des huit Suites de Haendel qui demeure un modèle de goût et de maîtrise technique. HEINE (Heinrich), écrivain et poète allemand (Düsseldorf 1797 - Paris 1856). Dans l’histoire du mouvement romantique, Heinrich Heine peut apparaître comme le fossoyeur d’un certain idéal (qui le charme pourtant par sa naïveté) et le prophète des temps nouveaux (qui l’inquiètent pourtant) ; il est en fait celui que la structure de ses névroses rendait le plus sensible à la crise historique de son temps, qu’il analysa de la même façon que sa propre maladie. Cet intellectuel bourgeois (mais qui sera, sa vie durant, considéré par sa famille comme un parasite), déchiré entre un monde qu’il méprise, mais dont il vit, et des révolutions sociales dont il prophétise la violence, mais dont la médiocrité probable l’effraie, a entretenu avec le romantisme un rapport ambigu. Lui, qui célèbre la religion du malheur, les amants captifs de leur maîtresse jusqu’à la mort, moque dans l’École romantique (1833-1835) le culte de la souffrance, le mysticisme renaissant, le goût du passé. En fait, il s’en prend surtout au détournement que fait subir à ces sentiments l’Allemagne de son temps, qui a, selon lui, perdu tout contact avec ses origines. Son ironie cruelle, qu’il exerce aussi contre lui, éclate dans ses Reisebilder, « Impressions de voyage », qui serviront de modèle à de nombreux journalistes amateurs préoccupés d’adresser, de l’étranger, des mises en garde à leur patrie. Wagner fait partie de ceux-là, ce même Wagner qui reconnaîtra chez Heine un grand frère en errance et inquiétude, tout autant qu’en souffrance du corps, et lui empruntera le sujet du Hollandais volant. Mais là où Heine dépasse le romantisme, c’est en ce qu’il ne met jamais fin en lui-même au débat des êtres qui l’habitent. Là où ses contemporains succombent ou subliment leurs contradictions, mais n’en supportent jamais l’expression forcenée, il trouve son naturel, son unité. Dans la négation absolue de la médiocrité qu’il côtoie, il cherche les fondements d’un nouvel humanisme. En cela, il annonce le Nietzsche du Crépuscule des idoles, avec lequel, d’ailleurs, il partage l’aiguillon de la maladie : corps débile, sens avides, intelligence trop vaste ; ce comédien de lui-même, narcissique comme tous ceux qui souffrent, nourrit en lui le démon de l’analyse. Tout est passé au crible : tout est matière à doute, à l’enchevêtrement des enthousiasmes et de la dérision. Comment affirmer, quand on vit quotidiennement sa propre déchéance ? C’est Schumann, lui-même angoissé par le thème du double, qui a le mieux servi Heine (les Amours du poète, Cycle de lieder op. 24, les Deux Grenadiers, etc.). Mais Schubert, encore que plus à l’aise dans d’autres ambiances, a donné les chefsd’oeuvre que sont le Sosie (Der Doppelgänger) et les six poèmes figurant au Chant du cygne. Bien d’autres, comme Brahms (Soir d’été), y ont moins brillé : Wolf ne s’y retrouvait point, Mendelssohn en a, non sans talent, adouci le mordant, Liszt, musicien, s’y est montré bavard. Quant à Wagner, il fallait qu’il eût faim pour composer lui aussi les Deux Grenadiers. HEINICHEN (Johann David), compositeur et théoricien allemand (Krössuln, près de Weissenfels 1683 - Dresde 1729). Élève de Schelle et de Kuhnau à Leipzig, il séjourna en Italie de 1710 à 1716, et en 1717 devint maître de chapelle de l’Électeur de Saxe à Dresde. Il composa des opéras et de la musique religieuse et instrumentale, et est l’auteur d’un des plus importants traités de l’époque baroque (Der General-Bass in der Composition, 1728). HEININEN (Paavo), compositeur finlandais (Järvenpää 1938). Après de brillantes études à l’Académie Sibelius, à la Staatliche Hochschule de Cologne (avec Bernd Aloïs Zimmermann) et à la Juilliard Academy de New York, Heininen s’impose en Finlande comme downloadModeText.vue.download 468 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 462 une des plus intéressantes personnalités, à la fois reconnue et discutée, de sa génération. Compositeur précoce, il évolue à partir d’un langage relativement traditionnel, puis, attiré par le sérialisme, il développe un système d’écriture de plus en plus complexe, inséparable d’une pensée esthétique et philosophique qui guide l’acte compositionnel. À côté d’oeuvres ambitieuses pour l’orchestre, d’une écriture riche et parfois difficile (Preambolo op. 4, 1959 ; Tripartita op. 5, 1959 ; Sog- getto op. 10, 1963 ; Adagio op. 12, 19631966 ; Concerto pour piano no 2 op. 15, 1966 ; Symphonies no 3 op. 20, 1969 et no 4 op. 27, 1971), il développe parallèlement un style non moins complexe, mais où il libère une grande force expressive et parfois même incantatoire (Cantico delle creature op. 17, 1968 ; The Autumns pour choeurs op. 22, 1970 ; Poesia squillante ed incandescente op. 32a, 1974 ; Préludes, études, poème op. 32b, 1974 ; Quatuor op. 32c, 1974). Les plus incontestables réussites dans la petite forme sont ses quatre séries de Discantus (1965-1976) et ses Cantilènes (1970) pour instruments seuls, d’une grande pureté de langage et d’expression. En 1977, une évolution de son style lui fait abandonner les constructions sérielles et numérales pour essayer de représenter mieux encore un monde où les timbres, l’harmonie, le rythme et la forme pourraient être englobés dans un système polydimensionnel (Reality, 1978 ; Dia, 1979 ; Cor meum, 1979). Parmi ses oeuvres récentes, un concerto pour saxophone (1983) et un pour violoncelle (1985), le concerto pour chanteurs, instrumentistes, mots, images et mouvements le Tambour de soie (1981-1983) et l’opéra le Couteau (Helsinki, 1989). HEISE (Peter Arnold), compositeur danois (Copenhague 1830 - Tårbaek 1879). Comme la grande majorité des compositeurs danois, il va se perfectionner à Leipzig (1852-53). Considéré comme le successeur de C. E. F. Weyse, il est le maître incontesté de la mélodie romantique danoise et il utilise avec sensibilité les poèmes strophiques d’Oehlenschläger, de C. Winther, de C. Hauch, de B. S. Ingemann et de F. Paludan-Müller. Bien qu’il ait également écrit de la musique instrumentale (pièces pour piano, musique de chambre, une symphonie), son ouvrage le plus important reste l’opéra Drot og Marsk (« le Roi et le Maréchal », 1878), à la charnière entre le singspiel, alors traditionnel au Danemark, et le style moderne de l’opéra européen cosmopolite. Quelques influences de la tradition de Leipzig (Schumann et Mendelssohn) et accessoirement de Wagner (Lohengrin) ne diminuent pas les qualités d’une oeuvre qui, en tant que synthèse du classicisme et du romantisme, apparaît typique du style danois de l’époque. HEISS (Hermann) [pseud. Georg Frauen- felder], compositeur et pédagogue allemand (Darmstadt 1897 - id. 1966). Il étudia à Francfort, puis à Vienne, où il contribua à la rédaction de l’ouvrage de J. M. Hauer Zwölftontechnik (1926), avant d’en recevoir la dédicace. Il eut ensuite des contacts avec Schönberg à Berlin. Fixé à Darmstadt, professeur de théorie à l’École militaire de musique de Francfort en 1941, il enseigna dès 1946 aux cours d’été de Darmstadt et y reçut en 1955 la direction d’un studio de composition électronique, discipline à laquelle, à partir de 1962, il consacra la totalité de son enseignement. Ses oeuvres antérieures à 1944 furent à peu près toutes détruites dans les bombardements de Darmstadt (1944). Heiss a écrit ensuite le ballet électronique Die Tat, d’après Crime et Châtiment de Dostoïevski (1961), Variable Musik pour bande (1966), ainsi que de nombreuses oeuvres scéniques ou radiophoniques. On lui doit aussi plusieurs écrits théoriques. HEISSER (Jean-François), pianiste français (Saint-Étienne 1950). Au Conservatoire de Paris, il est l’élève de V. Perlemuter, M. Ciampi, P. Pasquier et H. Puig-Roger, et obtient notamment un 1er Prix de piano en 1973. En 1974, il remporte le 1er Prix du Concours Jaen (Espagne) et celui du Concours Vianna da Motta, se produisant dans les années qui suivent en soliste ou en duo avec Régis Pasquier. En 1976, il est engagé comme soliste du Nouvel Orchestre philharmonique de Radio France, où il demeure jusqu’en 1985. En 1986, il est nommé professeur d’accompagnement au Conservatoire de Paris, et en 1990, professeur de piano et de musique de chambre. Parallèlement au répertoire romantique et moderne, il s’intéresse fortement à la création contemporaine, créant des oeuvres de Bancquart, Dao, etc. HELDENBARITON (all. : « baryton héroïque »). Terme s’appliquant à des voix d’un caractère assez mal défini, dont la tessiture se situe dans la moyenne. HELDENTENOR (all. : « ténor héroïque »). Terme s’appliquant à des voix allant moins loin vers l’aigu que le simple ténor, mais d’autant plus puissantes (Florestan dans Fidelio, Don José dans Carmen, le tambour-major dans Wozzeck, Alwa dans Lulu et plus encore Tristan dans Tristan et Isolde, Siegmund et Siegfried dans l’Anneau, Otello dans l’ouvrage du même nom de Verdi). HELDY (Fanny), soprano belge, naturalisée française (Ath, près de Liège, 1888 Paris 1973). Elle fit ses débuts au théâtre de la Monnaie de Bruxelles en 1910. Engagée à Paris en 1917, elle fit une grande carrière dans l’opéra et l’opéra-comique jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Elle chanta avec succès Louise et Mélisande à la Scala de Milan sous la direction de Toscanini, et Manon à Covent Garden. Elle créa en outre de nombreux ouvrages : Antar de Gabriel Dupont, la Tour de feu de Sylvio Lazzari, le Marchand de Venise de Reynaldo Hahn, l’Aiglon de Jacques Ibert et Arthur Honegger. Sa voix était celle d’un soprano lyrique au registre aigu d’une extrême pureté, au médium un peu nasal. Mais c’est surtout par ses dons musicaux et sa présence scénique qu’elle forçait l’admiration. Fanny Heldy fut une Thaïs mémorable et une remarquable Violetta dans la Traviata. HELFERT (Vladimir), musicologue tchèque (Plánice, Bohême, 1886 - Prague 1945). Il fit ses études avec O. Hostinsky à Prague, avec J. Wolf, J. Strump et H. Kretzschmar à Berlin, où il soutint sa thèse en 1908 : G. Benda et J.-J. Rousseau. Professeur de musicologie à l’université de Brno jusqu’en 1939, il fut aussi directeur de la Société symphonique de cette ville et rédacteur en chef de la revue Hudebni Rozhledy à partir de 1924. Connu pour ses travaux sur Benda, Janáček et Smetana, il a consacré la plupart de ses ouvrages - monographies et articles de revues internationales - à l’histoire de la musique tchèque, notamment aux XVIIIe et XXe siècles, et à l’enseignement musical en Tchécoslovaquie. Il collabora également avec O. Pazdirek à un Dictionnaire de la musique (en tchèque ; 2 vol., 1929, 1933-1941) et avec E. Steinhardt pour une Histoire de la musique dans la République tchécoslovaque (Prague, 1936). HELFFER (Claude), pianiste français (Paris 1922). Il étudia le piano avec Robert Casadesus et donna son premier récital en 1948. Il effectua ensuite des tournées en Europe, en Amérique latine (1962), aux États-Unis et au Canada (1966) ainsi qu’en U. R. S. S. (1968). Interprète de Beethoven et également de musique contemporaine, il a créé des oeuvres d’Amy, de Boulez, de Berio, de Boucourechliev, de Stockhausen, de Xenakis. Il fait aussi autorité dans Bartók, Ravel, Debussy et Schönberg. Parmi ses disques, retenons des intégrales de ces trois derniers compositeurs ainsi que les trois sonates pour piano de Boulez. downloadModeText.vue.download 469 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 463 HELGASON (Hallgrimur), compositeur et musicologue islandais (1914). Après ses études à Reykjavík, à Copenhague, à Leipzig et à Zurich, notamment avec W. Burkhard, P. Hindemith et N. David, il présente en 1954 à l’université de Zurich sa thèse de doctorat sur les chants de héros en Islande depuis 1350. Conférencier, musicologue, chef de choeurs, pianiste et professeur, il est également un compositeur fécond et apprécié, qui s’exprime en un langage dont le contrepoint et le style modal sont les principales caractéristiques. La majorité de ses oeuvres est instrumentale : des sonates, de nombreuses partitions pour orchestre à cordes - notamment des Variations sur un thème islandais (1941), Fantasi et Suita arctica (1949) -, des oeuvres pour orchestre, ouverture de Snorri Sturluson (1940), Rapsodi (1963). Il faut signaler également les 200 arrangements qu’il a réalisés sur des chants islandais populaires. HELLENDAAL (Pieter), organiste et compositeur néerlandais (Rotterdam 1721 - Cambridge 1799). Dès l’âge de onze ans, il est organiste à Utrecht. Il voyage en Italie et étudie le violon à Padoue avec Tartini (1738-1743). Il reprend ses études à l’université de Leyde (1749-1751). En 1752, il se fixe en Angleterre, où il poursuit une double carrière d’organiste et de compositeur (à Londres, puis à King’s Lynn [Norfolkshire] et à Cambridge). Il est le seul compositeur néerlandais de sa génération qui ait fait carrière hors de son pays et connu une célébrité par ses oeuvres. Ses concertos grossos, conçus dans le sillage de ceux de Haendel, étaient considérés comme dignes d’eux. Éditeur de ses propres oeuvres, Hellendaal a laissé une collection de psaumes, de la musique instrumentale (sonates pour violon et violoncelle) et une cantate, Strephon et Myrtilla (v. 1785). HELLER, (Stephen ou Istvan), pianiste, pédagogue et compositeur hongrois (Pest 1813 - Paris 1888). Élève du pianiste August Halm à Vienne (1824), il donna son premier concert dans cette ville en 1827, entreprit en 1829 une tournée en Allemagne, puis vécut à Augsbourg (1830-1838) et enfin à Paris. Il fut l’ami de Schumann, qui lui dédia ses Davidbündlertänze, de Chopin, de Berlioz et de Liszt. Ses oeuvres, exclusivement pour piano, sont pour la plupart courtes et dotées de titres caractéristiques. HELLMESBERGER, famille de musiciens autrichiens. Georg, violoniste (Vienne 1800 - id. 1873). Il compta parmi ses élèves Joseph Joachim. Joseph, violoniste, compositeur et chef d’orchestre, fils du précédent (Vienne 1828 - id. 1893). Professeur de violon, directeur du conservatoire de Vienne de 1851 à sa mort, chef d’orchestre de la Gesellschaft der Musikfreunde (Société des amis de la musique) de 1851 à 1859, premier violon solo de l’orchestre de la cour et maître de chapelle de l’empereur, il fonda en 1849 un célèbre quatuor auquel il donna son nom et qui révéla aux Viennois les ultimes chefs-d’oeuvre de Beethoven et de Schubert. Georg, violoniste, frère du précédent (Vienne 1830 - Hanovre 1852). Joseph, violoniste et compositeur, fils du Joseph précédent (Vienne 1855 - id. 1907). Violon solo dans l’orchestre de la cour, professeur au conservatoire en 1878, il remplaça en 1887 son père comme premier violon dans le quatuor fondé par celui-ci et dirigea de 1900 à 1903 les concerts de la Philharmonie, succédant à ce poste à Gustav Mahler. Ferdinand, violoncelliste et composi- teur, frère du précédent (Vienne 1863 - id. 1940). HELM (Everett), compositeur et musicologue américain (Minneapolis 1913). Élève de W. Piston, R. Vaughan Williams, G.-F. Malipiero et D. Milhaud, il a enseigné au Western College dans l’Ohio (1943-44) ; à partir de 1950, il a vécu principalement en Allemagne, en Autriche et en Italie, en particulier comme correspondant de la revue Musical America (dont il a été rédacteur en chef de 1960 à 1962). Comme compositeur, on lui doit notamment deux quatuors à cordes, deux concertos pour piano (1951 et 1956) et l’opéra radiophonique The Siege of Tottenburg (1956). Comme musicologue, il s’est intéressé en particulier à la musique yougoslave (il a donné des cours à l’université de Ljubljana de 1966 à 1968) et à Béla Bartók, publiant notamment Bela Bartok in Selbstzeugnissen und Bilddokumenten (Béla Bartók par lui-même et par l’image, Reinbek, près de Hambourg, 1965). HELMHOLTZ (Hermann von), savant et acousticien allemand (Potsdam 1821 Berlin 1894). Après avoir étudié la médecine et enseigné l’anatomie à Berlin, il poursuivit ses recherches en physiologie et en physique. Il obtint la chaire de physiologie à Heidelberg en 1858, puis on créa pour lui une chaire de physique à l’université de Berlin, où il resta jusqu’à sa mort. Ses recherches ont embrassé la quasi-totalité des sciences de la nature. Il a notamment formulé le principe de la conservation de l’énergie et est considéré comme l’un des pères de l’énergétique. Parmi ses publications, une grande part est consacrée à la musique, et Helmholtz devint le plus célèbre théoricien de l’acoustique musicale au XIXe siècle après la parution de son ouvrage Die Lehre von den Tonempfindungen als physiologische Grundlage für die Theorie der Musik (Braunschweig, 1863 ; trad. française : Théorie physiologigue de la musique, Paris, 1868). Il fut l’un des premiers à réaliser la fusion de disciplines jusque-là isolées les unes des autres : mathématiques, physique pure et expérimentale, physiologie et musique ; il orienta ainsi l’acoustique sur une voie nouvelle. La théorie de la résonance qu’il a élaborée explique le phénomène auditif en localisant l’analyse du son dans l’oreille interne. Helmholtz a éclairé la composition des sons complexes par l’analyse spectrale, réalisée grâce aux résonateurs qui portent son nom. Enfin, sa théorie de la consonance s’appuie sur le plus ou moins grand nombre d’harmoniques communs entre des sons donnés. Elle l’amena à formuler une esthétique dans laquelle l’expression musicale était fonction de la fréquence des dissonances et des consonances. Si Helmholtz fut un précurseur de l’acoustique contemporaine et d’une esthétique étayée par l’expérimentation, ses théories présentent des contradictions et sont aujourd’hui largement dépassées. HEMAN (de), famille de facteurs d’orgues français, actifs, à Paris durant la première moitié du XVIIe siècle. Le fondateur de la dynastie est Valéran (probablement Hesdin 1584 - Paris 1640). Apparenté à la famille d’organiers Carlier, il se fit le propagateur du grand instrument classique du début du XVIIe siècle, tel qu’il a contribué à le définir avec Mersenne et Titelouze, en particulier à NotreDame de Paris (1609-1620). Il est l’auteur des orgues de Saint-Séverin (1610-1626), des Cordeliers et de Saint-Jean-en-Grève, à Paris, tout en travaillant à Meaux (1627), à Troyes (église Saint-Jean, 1610-1637), à Saint-Seurin de Bordeaux, etc. Ses trois neveux collaborèrent avec lui et prirent sa suite : Louis (mort en 1645), François (mort en 1652) et Jean (mort en 1660), qui construisirent les orgues de Mitry (1641-1643), des Petits-Augustins (1643), de Saint-Médard (1645-1646) et de SaintMerri (1647-1650), à Paris. HÉMIOLE. Mot adapté du grec, où l’expression hémiolios logos (hémi, « moitié », et holos, « entier ») désigne le rapport de 1 1/2 à 1, donc de 3 à 2, qui, dans les calculs d’intervalle, concerne le rapport 3/2 de la quinte. L’équivalent latinisé du terme est sesquialtère (sesquialter = alter semisque). Le rapport hémiole est l’un des principaux parmi les superparticuliers, c’est-à-dire ceux qui répondent à la formule N/N + downloadModeText.vue.download 470 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 464 1, chère aux calculs musicaux pythagoriciens. On emploie aussi le terme de hémiole pour désigner l’insertion d’un rythme ternaire dans un binaire, ou vice versa (par ex. 3 blanches de 2 temps chacune pour 2 blanches pointées de 3 temps chacune). Le procédé, relativement fréquent au XVe siècle, se raréfie ensuite, sans jamais disparaître tout à fait ; il sera au XVIIIe siècle l’un des éléments de la courante, et Beethoven en fera usage autant que Josquin Des Prés : la seule différence sera qu’à ce moment on l’écrira en syncopes, alors que la notation proportionnelle se servait seulement de signes différents dans la division des valeurs. On emploie enfin le terme de hémiole en métrique pour désigner un rythme où le rapport entre brèves et longues n’est pas de 1 à 2, mais de 2 à 3, rythme très fréquent dans la musique instinctive, mais que le solfège traditionnel ne traduit souvent qu’avec réticence, le réduisant trop facilement au ternaire simple : beaucoup de rythmes populaires notés à 6/8 sont en réalité à 10/8 : et non . HENDRICKS (Barbara), soprano américaine (Stephens, Arkansas, 1948). Diplômée de la Juilliard School de New York après avoir fait des études de chimie et de mathématiques à l’université du Nebraska, Barbara Hendricks a trouvé en Jennie Tourel un professeur qui a su tirer le meilleur parti d’une voix tout à la fois chaude et limpide, souvent caractéristique des cantatrices noires. C’est en 1976 que débute sa fulgurante carrière internationale avec le Couronnement de Poppée à l’Opéra de San Francisco, Orfeo au festival de Hollande et un premier récital à New York. Dans les cinq années suivantes, Barbara Hendricks se fait entendre en concert avec la Philharmonie de Berlin (Karajan), la Philharmonie de Vienne (Levine), le Boston Symphony et l’Orchestre national de France (Ozawa), l’Orchestre de Paris (Barenboïm), le Royal Philharmonic (Dorati) et autres formations de premier plan, et participe aux festivals de Salzbourg, d’Aix-en-Provence, de Bergen, de Dresde, d’Osaka et d’Orange, où elle interprète en 1980 Gilda de Rigoletto. Susanna des Nozze di Figaro est un autre de ses grands rôles, dont la liste s’allonge chaque année. Une discographie abondante reflète sa réussite. HENLE. Maison d’édition allemande, fondée en 1948 à Munich par Günter Henle (18991979) et installée également à Duisburg. Elle s’est spécialisée dans les éditions Urtext - basées seulement sur les sources, sans ajouts éditoriaux sur le plan des nuances ou de la dynamique - du répertoire classique et romantique, et publie, en liaison avec le Haydn Institut de Cologne et la Beethovenhaus de Bonn, les oeuvres complètes de Joseph Haydn et de Beethoven ainsi que les Haydn-Studien et les Veröffentlichungen des Beethovenhauses in Bonn. HENRY (Pierre), compositeur français (Paris 1927). Il est considéré aujourd’hui par beaucoup comme le plus grand compositeur de musique électroacoustique, genre auquel il s’est entièrement voué et dont il fut un pionnier dès les origines, mais, par-delà tout cloisonnement, il est l’un des plus grands créateurs d’aujourd’hui. Son « curriculum » de jeune compositeur était des plus classiques (études au Conservatoire de Paris, chez Nadia Boulanger pour le piano, chez Félix Passeronne pour la percussion, chez Olivier Messiaen pour l’harmonie), mais Henry avait déjà expérimenté sur le « son concret » quand il vint rejoindre, en 1949, Pierre Schaeffer, qui venait de commencer ses expériences de « musique concrète » à la Radio française. Ce tandem original produisit quelques oeuvres marquantes : Symphonie pour un homme seul (1949-50), l’« opéra concret » Orphée 51 (1951), remanié en un Orphée 53 (1953), pour lequel Pierre Henry réalisa seul l’extraordinaire séquence qui devait devenir le Voile d’Orphée. Cependant, le compositeur commençait à s’imposer par ses oeuvres individuelles : Microphone bien tempéré, Musique sans titre, etc. Chef des travaux de 1950 à 1958 au « Groupe de musique concrète », fondé par Schaeffer (futur Groupe de recherches musicales), il doit le quitter en 1958 pour repartir à zéro, en fondant le studio Apsome, « premier studio privé consacré aux musiques électroacoustiques », qu’il fait vivre de travaux alimentaires (films, disques, publicité, etc.). Sa collaboration depuis 1955 avec Maurice Béjart pour de nombreux ballets, un disque best-seller de Jerks électroniques en 1967, pour la Messe pour le temps présent de Béjart, et des manifestations marquantes, où il donne une forme rituelle au concert électroacoustique, le font connaître du grand public. Sans se reposer sur des formules assurant le succès, Henry remet souvent sa réputation en jeu par des expériences risquées (improvisations en direct sur les ondes du cerveau, Corticalart) ou des oeuvres difficiles (Deuxième Symphonie), avant de s’orienter, récemment, vers des spectacles dont il est le musicien et le maître d’oeuvre, sans renoncer à composer des oeuvres de concert. L’excès, la démesure sont en effet une des marques distinctives de son génie, évidente depuis les débuts : les premières oeuvres qu’il a composées dans les années 50 à la R. T. F. ne craignent ni l’expressionnisme, ni la démonstration de virtuosité (Musique sans titre, 1950 ; Concerto des ambiguïtés, 1950 ; Microphone bien tempéré, 1950-51). Henry expérimente toutes les techniques et tous les styles, son goût pour un contact direct avec le son, cultivé par sa formation de percussionniste, lui inspirant des toccatas effrénées. Mais son oeuvre marquante de cette période est le Voile d’Orphée (1953), où l’on trouve déjà cet étirement douloureux de la durée, qui est une des marques de son style, et la présence du thème de la Mort, qui ne cessera de l’inspirer. Son départ de la Radio, en le limitant au début dans ses moyens de création, lui donne l’occasion de renoncer pour un temps à ce baroquisme luxuriant (auquel revient une grande partie de son oeuvre récente) et de travailler dans le sens de la simplification, de l’épuration. Henry se forge un langage, après avoir affirmé une personnalité. Outre Coexistence (1959) et Investigations (1959), cette nouvelle direction lui inspire trois grands chefs-d’oeuvre : la Noire à 60 (1961), oeuvre totalement monodique sur des matériaux très dépouillés, prodigieux travail de montage ; le Voyage (1962), musique pour le ballet d’après le Livre des morts tibétain, miracle de transparence et de pureté dans le style, où l’auteur semble avoir, selon la formule zen, « laissé le tissu se tisser luimême « ; enfin les Variations pour une porte et un soupir (1963), qui, prenant au mot le cliché attaché à la musique concrète (musique de « porte qui grince »), tiennent la gageure de faire avec cette porte comme principal instrument une musique à la fois très organisée, très illustrative et très pure. La Reine verte (1963), pour un spectacle de Béjart, confirme sa maîtrise d’orchestrateur des sons électroacoustiques. Les trois oeuvres « à texte » qui suivent - Messe de Liverpool (1967-68), l’Apocalypse de Jean (1968) et Fragments pour Artaud (1965-1968, titre exact : Hommage à A. Artaud) - illustrent bien sa façon d’aborder un thème, toujours directement, sans biaiser : soit qu’elles gardent le texte intelligible, ne craignant nullement l’« illustration » et le « premier degré », soit qu’elles le fassent éclater en phonèmes, à la manière « lettriste », s’il s’agit d’un texte aussi connu que la messe latine. Cette façon de prendre en charge un texte culmine dans l’oeuvre Dieu (1977), spectacle où le comédien Jean-Paul Farré déclame nombre d’alexandrins hugoliens tout au long d’une suite de tableaux musicaux gigantissimes. La forme en « tableaux » successifs a d’ailleurs la faveur de Pierre Henry, qui l’utilise dans des oeuvres récentes, de plus en plus éclatées, proliférantes dans le temps et l’espace : Deuxième Symphonie (1972) ; Kyldex (1973), musique pour un spectacle « cybernétique » de Nicolas Schöffer et Alwin Nicolaïs ; Enivrez-vous (1974) ; l’admirable utopie musicale Futuristie (1975) ; le Parcours-Cosmogonie (1976), vaste récapitulation sur plusieurs heures de toute sa production de 1950 à 1975 ; la Dixième Symphonie, hommage à Beethoven downloadModeText.vue.download 471 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 465 (1979), immense collage d’extraits manipulés et recomposés des neuf symphonies du maître de Bonn (autre utopie musicale) ; ou le spectacle des Noces chymiques (1980), pour l’Opéra-Comique, dont il fut à la fois le compositeur et le metteur en scène. À côté de ces grandes fresques, Mouvement-Rythme-Étude (1970), inspiré par la danse, témoigne de la variété de ses registres. En 1985 ont été créés à Paris l’Eau et (à Radio France) Hugo Symphonie, et en 1990 (musée du Louvre) le Livre des morts égyptiens. Pour Pierre Henry, le concert n’est pas une formalité, mais une cérémonie, qu’il prépare toujours avec exigence, et il a su porter la formule difficile du « concert de haut-parleurs » à un degré de qualité et d’efficacité sans égal, en payant de sa personne avec une conviction contagieuse. On pourrait le situer comme un Victor Hugo de la musique électroacoustique : fécondité, puissance de travail et diversité de palette, technique impeccable et somptueuse, goût pour l’excès, pour le mélange osé du grotesque et du sublime, maints traits le rapprochent du poète. Mais il faut aussi le juger par rapport à ses contemporains. Sans école, sans disciples ou presque (sinon peut-être Bernard Bonnier, son collaborateur temporaire), Henry n’en a pas moins joué un rôle vital, fondateur et libérateur dans l’évolution de la musique électroacoustique, un genre que la plupart des compositeurs de formation classique abordaient de manière trop formaliste et précautionneuse pour ne pas être stérilisante. Enfin, il a créé un monde et un style : puissant, élémentaire, éloquent, un style de bûcheron, de pionnier. Mais ce monde qu’il a bâti porte sa marque, et ses obsessions y résonnent en échos multipliés : le temps, qu’il s’agit d’étirer, de dilater, comme dans l’espérance d’y conjurer la mort ; la mort, qu’on cherche à capter et à contempler dans l’étirement de l’« instant fatal « ; la vie, qui prolifère comme une herbe folle dans les fissures du temps. HENRY VIII, roi d’Angleterre (Greenwich 1491 - Londres 1547). Devenu roi en 1509 (il avait été destiné à la carrière ecclésiastique), il garda toujours sa passion pour la musique. Possédant de bonnes connaissances musicales, il jouait de la flûte, du virginal, de l’orgue ; il dansait et composait également. Il fit de la chapelle royale la meilleure institution musicale du royaume, occupant en permanence des compositeurs, dont Robert Fayrfax. Il nomma William Cornysh le maître des enfants de cet établissement (v. 1509), qui devait également se charger des divertissements de cour (masques). Au Camp du Drap d’or (1520), sa suite ne comportait pas moins de 79 musiciens. Tous les matins, six enfants et six hommes lui chantaient la messe. Henry VIII collectionna de nombreux instruments et livres de musique. De son oeuvre de compositeur sont parvenus quatre chansons à 4 voix, dont le célèbre Pastime with Good Company, quatorze chansons à 3 voix (Grene growith the holy), quatorze pièces instrumentales et un motet latin à 3 voix. HENZE (Hans Werner), compositeur allemand (Güsterloh, Westphalie, 1926). il s’intéressa jeune à la musique et reprit en 1946 à Heidelberg, avec Wolfgang Fortner, ses études interrompues par la guerre, ce qui se traduisit notamment par le Concerto de chambre pour piano, flûte et cordes (1946). Il travailla aussi avec René Leibowitz (1948), tandis que d’un séjour à Darmstadt témoignaient les Variations pour piano (1949). Suivirent notamment le drame lyrique Boulevard Solitude (1951), d’après l’histoire de Manon Lescaut, et l’opéra radiophonique Ein Landarzt, d’après Kafka (1951), qui lui valut en 1953 le prix Italia. En 1953, Henze quitta l’Allemagne pour l’Italie, s’installant tout d’abord à Forio d’Ischia, dans la baie de Naples, puis à Naples et enfin dans les environs de Rome. Après avoir été considéré, à cause de son usage des techniques sérielles, comme faisant partie de l’avant-garde internationale, il fut alors un des premiers à abandonner ces techniques pour un style de composition plus libre. Sa célébrité, déjà grande, s’accrut encore grâce en particulier à une succession d’opéras au style dramatique efficace : König Hirsch (1952-1955, rév. 1962 Il Re cervo) ; Der Prinz von Homburg, sur un livret d’Ingeborg Bachmann d’après Kleist (1958) ; Elegy for Young Lovers, livret d’Auden et Kallman (1959-1961) ; Der junge Lord, livret d’Ingeborg Bachmann d’après Wilhelm Hauff (1964) ; Die Bassariden, d’après Euripide (1965). Parallèlement étaient nés ses cinq premières symphonies (1947 [rév. 1963], 1949, 1949-50, 1955 et 1962), son premier concerto pour piano (1950), des ballets comme Ondine (1956-57), les Fünf neapolitanische Lieder (1956), les Drei Fragmente nach Hölderlin (1958), l’oratorio sur Giordano Bruno Novae de infinito laudes (1962) et la cantate Being Beauteous, d’après Rimbaud (1963). À partir de 1967 environ, année de son second concerto pour piano, ses oeuvres devinrent le net reflet de son engagement en faveur du mouvement étudiant ou de régimes comme celui de Cuba. En novembre 1969, Henze dirigea à La Havane la création de sa 6e symphonie, qui fait usage d’un chant de libération du Viêt-nam et d’un autre de Theodorakis. L’année précédente, son « oratorio volgare e militare » Das Floss der Medusa, « le Radeau de la Méduse », conçu comme un requiem à Che Guevara, avait créé le scan- dale à Hambourg. Cet incident fut à l’origine de Versuch über Schweine, « Essai sur les cochons », pour baryton et orchestre, créé à Londres en février 1969. Dans cette lignée d’oeuvres engagées s’inscrivent encore El Cimarrón (1969-70), d’après un ouvrage relatant la transformation en chef révolutionnaire d’un esclave cubain fuyant les Espagnols, ou le « show » Der langwierige Weg in die Wohnung der Natascha Ungeheuer (1971), où sont analysés les dilemmes d’une jeune extrémiste de gauche. Henze a écrit depuis, entre autres, Voices (22 chants pour diverses formations, 1973), We come to the River, actions en musique (1974-1976 ; création à Covent Garden en 1976), Orpheus, histoire en six scènes (création à Stuttgart en 1979), El Rey de Harlem (création à Witten en 1980), l’opéra pour enfants Pollicino (création à Montepulciano en 1980), Symphonie no 7 (1984), Symphonie no 8 (1993), Requiem (Vienne, 1993). On lui doit également la musique des films Muriel (1964) d’Alain Resnais, Der junge Törless (1966) et Katharina Blum (1975) de Volker Schlöndorff. En 1990 a été créé à Berlin l’opéra la Mer trahie. HEPTATONIQUE. (grec : « 7 tons », le mot « ton » étant pris au sens de « son »). Terme désignant, en principe, toute gamme comportant sept sons. Dans la musique grecque antique, il se référait à l’heptacorde, groupement primitif de deux tétracordes conjoints n’atteignant pas l’octave (mi-fa-sol-la/la-si-doré), par opposition à l’octocorde disjoint, comprenant l’octave (mi-fa-sol-la/si-doré-mi). On l’emploie surtout aujourd’hui pour désigner la gamme diatonique complète, avec ses sept noms de notes (do-rémi-fa-sol-la-si). Dans le cycle des quintes, qui produit successivement, en juxtaposant quintes ascendantes et quartes descendantes, la série di-, tri-, tétra-, penta-, hexa- et heptatonique, l’heptatonique représente la dernière phrase du cycle diatonique et aussi le point d’aboutissement ultime du phénomène de formation de l’échelle par le cycle des quintes ; l’ethnomusicologie, qui atteste la présence de tous ces stades dans la formation réelle des langages musicaux, n’offre aucun témoin d’octotonique ni de ses hypothétiques successeurs, échelle à douze sons incluse ; la continuation du cycle par les dièses et bémols, abordant successivement le chromatique, puis l’enharmonique, est toujours restée une spéculation théorique, et le véritable chromatisme s’est introduit dans la musique par des voies très différentes (le plus souvent par déplacement attractif et non addition de degrés supplémentaires). downloadModeText.vue.download 472 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 466 HERBAIN (chevalier d’), violoniste et compositeur français (Paris 1734 - id. 1769). Musicien autodidacte, il s’engage dans l’armée en 1749, mais abandonne son poste de capitaine deux ans plus tard pour aller se perfectionner dans la composition en Italie. Ce séjour de cinq ans va influencer le style de ses oeuvres et développer son sens dramatique et sa prédilection pour l’opéra. Herbain fait représenter un certain nombre d’oeuvres avec succès, d’abord en Italie (Il Geloso et Il Trionfo del Giglio, 1751 ; La Lavinia, 1751), puis à Paris, qu’il regagne en 1756 et où son opéra-ballet Iphis et Célime est donné la même année à l’Académie royale de musique. Musicien très en vogue à la cour, il obtient en 1760 l’autorisation royale de faire publier ses oeuvres. Il est, par ailleurs, l’auteur de Sonates en trio (1755) et de sonates pour clavecin ainsi que de pittoresques cantatilles, dans lesquelles on constate l’influence de Rameau, qu’il admirait. HERBECK (Johann), chef d’orchestre et compositeur autrichien (Vienne 1831 id. 1877). Il dirigea les concerts de la Société des amis de la musique de Vienne de 1859 à 1870 et (comme successeur de Brahms) de 1875 à 1877, ainsi que l’Opéra de 1870 à 1875. C’est lui qui, en 1868, fit nommer Bruckner professeur de contrepoint au conservatoire de cette même ville. C’est aussi lui qui, en 1865, dirigea la première audition de la Symphonie inachevée de Franz Schubert. HERDER (Johann Gottfried), écrivain et poète allemand (Mohrungen, PrusseOrientale, 1744 - Weimar 1803). Il étudia la musique, puis la théologie à Königsberg, où il put entendre Kant et se lier avec un précurseur du Sturm und Drang, J. G. Hamann. Pasteur et professeur à Riga, il se rendit ensuite en France, où il fit la rencontre de Goethe, dont il devint le maître. Entre 1771 et 1776, il fut prédicateur à la cour de Bückebourg ; il termina sa vie à Weimar. Il fut un théoricien du Sturm und Drang dès la naissance de ce courant. Dans son ouvrage Kalligone, paru en 1800, il développa l’idée nouvelle que le sentiment participe à l’appréciation esthétique. Avec son anthologie Stimmen der Völker in Liedern (Tübingen, 1807 ; rééd., Leipzig, 1954), il affirmait que le Volkslied, unissant la puissance expressive de la poésie à celle de la musique, réalisait la forme la plus achevée de l’oeuvre d’art authentique tandis que l’opéra contemporain, qui associait des textes pauvres à une musique descriptive trop rigide dans sa forme, trahissait la disparité des sentiments exprimés. Il conçut donc un drame musical dans lequel la poésie, la musique, l’action et les décors étaient étroitement unis, et il écrivit selon ce principe plusieurs livrets d’opéra, dont Brutus (1772), destiné à Gluck et mis en musique par Johann Christoph Friedrich Bach (perdu). Voulant, d’autre part, concilier l’esprit nouveau du XVIIIe siècle et la tradition chrétienne, il fut l’auteur de trois livrets d’oratorio mis en musique par J. C. F. Bach - Die Kindheit Jesu (1773), Die Auferweckung des Lazarus (1773), Der Fremdling auf Golgotha (1776, perdu) - et de plusieurs cantates. Considérant que la musique permet de communiquer avec l’invisible ou l’irrationnel, Herder lui accorde une place privilégiée. Il contribua à l’essor de l’esthétique et à la renaissance du lied en Allemagne, écrivit de nombreux ouvrages consacrés à la musique et eut une grande influence sur les romantiques. Parmi les musiciens, Brahms utilisera une des ballades de son recueil pour la Ballade op. 10 no 1 et Liszt composera des choeurs sur son Prométhée. HERMANSON (Åke), compositeur suédois (Mollösund 1923). Élève de H. Rosenberg, il a écrit en particulier deux symphonies, Invoco pour cordes (1958-1960), Suoni d’un flauto (1961), In nuce (1962-63), Alarme pour cor solo (1969) et Ultima 71 (1972) pour orchestre. D’un tempérament sévère et introverti, il est parfois monumental (Symphonie no 1), mais il est capable aussi d’agressivité (In nuce). HÉROLD (Ferdinand), compositeur français (Paris 1791 - id. 1833). Il commença à travailler la musique avec son père, qui avait été l’élève de Carl Philipp Emanuel Bach, et fit de sérieuses études secondaires avant d’entrer au Conservatoire de Paris dans la classe de piano de Louis Adam. Après son premier prix de piano, il travailla l’harmonie avec Catel, la composition avec Méhul et triompha au concours de l’Institut (prix de Rome en 1812). Il séjourna trois ans à Rome, puis un an à Naples, où il eut comme élèves les fils du roi Murat. Il se lia avec Paisiello, Mayr, Zingarelli et fit représenter en 1815 à Naples un opéra italien, la Jeunesse d’Henri V. Il revint à Paris, où il trouva l’appui de Boieldieu. Celui-ci l’associa à la composition d’un ouvrage de circonstance, Charles de France (1816), qui le fit avantageusement connaître dans la capitale. En 1819, Hérold écrivit d’après J. de La Fontaine une partition sur le livret des Troqueurs, déjà mis en musique par Dauvergne en 1753. il s’intéressa essentiellement à la musique de théâtre. Il a le sens de la scène, son harmonie est habile, et il eut dans ce domaine des effets assez hardis pour l’époque. Ses premiers opéras eurent cependant peu de succès. Constatant, par contre, le triomphe des opéras de Rossini, Hérold se mit à écrire des imitations d’opéras bouffes (le Muletier, 1823 ; le Lapin blanc, 1825). Cependant, il revint bientôt à son style propre, bien français, en composant Marie (1826) sur un livret de Planard, qui fut son premier grand succès. Respectant désormais l’esthétique de Boieldieu, il fut néanmoins touché par celle de Gluck et conquis par celle de Mozart. Dès lors, ses oeuvres prirent un tour plus solide et sérieux, avec Zampa (1831) et le Pré aux clercs (1832), ses deux titres de gloire, auxquels on pourrait ajouter un ballet qui a continué à jouir d’une certaine vogue au XXe siècle : la Fille mal gardée (1828). HERREWEGHE (Philippe), chef de choeur belge (Gand 1947). Dès l’âge de sept ans, il appartient à un choeur d’enfants dont il devient le répé- titeur à quatorze ans. Il étudie le piano au Conservatoire de Gand avec Marcelle Gazelle. Après des études de médecine et un début de spécialisation en psychiatrie, parallèlement à l’étude de l’orgue, il revient à son projet initial d’être musicien et approfondit sa connaissance de la musique ancienne. En 1969, il fonde un petit ensemble vocal qui devient le Collegium vocal de Gand. Sa rencontre dans la même période avec Ton Koopman est décisive et les mène à des réalisations communes, remarquées par Gustav Leonhardt. Il étudie alors le clavecin au Conservatoire de Gand dans la classe de Johann Huys et obtient son prix en 1975. De la rencontre avec le musicologue Philippe Beaussant naît l’ensemble vocal puis l’orchestre de la Chapelle royale, qui se consacrent aux répertoires baroque et classique. En 1977, P. Herreweghe commence à diriger aussi le Choeur de Liège. En 1988, il prend la direction du Nouvel Ensemble vocal européen et en 1991 celle de l’Orchestre des Champs-Élysées, créé à son intention. Il a fortement contribué au renouvellement de l’interprétation baroque, proposant une conception nouvelle de l’articulation, du phrasé et de l’expressivité, dans les oeuvres de Bach en particulier. Il est directeur artistique de l’Académie musicale de Saintes. HERRMANN (Bernard), compositeur et chef d’orchestre américain (New York 1911 - Los Angeles 1975). Après des études à l’université de New York et à la Juilliard School, il occupa des postes musicaux importants à la Columbia Broadcasting Company (C. B. S.). Il a écrit une symphonie (1940), un concerto pour violon, l’opéra Wuthering Heights (« les Hauts de Hurlevent », 1940-1952), mais il reste surtout célèbre par ses musiques de film, en particulier celles pour Citizen Kane (1940) d’O. Welles, Vertigo (1958), la Mort aux trousses (1959) et les downloadModeText.vue.download 473 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 467 Oiseaux (1963) d’A. Hitchcock, Fahrenheit 451 (1966) et La mariée était en noir (1967) de F. Truffaut. HERSANT (Philippe), compositeur fran- çais (Rome 1948). Il a été l’élève d’André Jolivet au Conservatoire de Paris, tout en poursuivant des études littéraires, et a obtenu le prix NadiaBoulanger en 1970. D’abord boursier à la Casa Velázquez à Madrid (1970-1972), il a été ensuite pensionnaire à la villa Médicis à Rome (1978-1980). Parmi ses oeuvres, surtout instrumentales, citons Meanderthale pour soprano, récitants, choeur et orchestre d’après James Joyce (1969), Kells, musique symphonique (1970), Étude pour orchestre (1972), Cris et Silences pour flûte seule (1973), Été indien pour orchestre (1973), Austral/Boréal pour 40 guitaristes, 40 chanteurs amateurs, baryton, flûte et 2 percussionnistes (1975), Dolce stile nuovo pour ensemble instrumental et choeur d’hommes (1978), Stances pour orchestre (1978), Sables pour 12 cordes (1979), Spirales pour violoncelle solo (1980) et Mouvement pour piano solo (1980), l’opéra le Château des Carpathes (1992). HERVÉ (Florimond Ronger, dit), compositeur français (Houdain, Pas-de-Calais, 1825 - Paris 1892). Contemporain et rival d’Offenbach, qu’il précède de quelques années en tant que créateur de l’opérette moderne, il est, comme lui, directeur de théâtre (les Folies-Nouvelles) mais, en outre, organiste, librettiste, décorateur et interprète de ses propres oeuvres. À vingt-deux ans, il tient les orgues de Saint-Eustache le matin et fait le pitre sur les planches de divers bouis-bouis le soir. Cette double vie lui inspirera le personnage de Célestin Floridor dans sa célèbre Mam’zelle Nitouche (1883), personnage qu’il jouera d’ailleurs lui-même. Jusqu’en 1867, il produit d’innombrables petites pièces loufoques, fertiles en parodies et en allusions à l’actualité. Puis c’est sa « trilogie », composée de l’oeil crevé (1867), de Chilpéric (1868) et du Petit Faust (1869), plaisante charge du Faust de Gounod, qui vient justement d’entrer à l’Opéra. Hervé a également le mérite, en tant qu’entrepreneur de spectacles, d’avoir révélé Offenbach en 1855 (Oyayaïe ou la Reine des îles) et Léo Delibes en 1856 (Deux Sous de charbon). HERZ (Henri), compositeur, pianiste et facteur de pianos français d’origine allemande (Vienne 1803 - Paris 1888). Élève de Hünter l’Aîné à Coblence, puis de Pradher et Reicha au Conservatoire de Paris (1816), encouragé par Moscheles, il mena jusque vers 1835 une très brillante carrière de pianiste et de compositeur de pièces pour piano, aujourd’hui tombées dans l’oubli. Fondateur de sa propre fabrique de pianos, il entreprit, pour la renflouer, une grande tournée de concerts en Amérique du Nord et en Amérique du Sud (1845-1851), et, à son retour, il fit de sa fabrique une des toutes premières de la capitale française, perfectionnant notamment la mécanique à répétition avec double échappement, créée par Érard. Professeur de piano au Conservatoire de Paris de 1842 à 1874, il a laissé une Méthode complète de piano (op. 100) et publié Mes voyages en Amérique (Paris, 1866). HERZOGENBERG (Heinrich von), compositeur autrichien (Graz 1843 - Wiesbaden 1900). Il étudia au conservatoire de Vienne et s’installa en 1872 à Leipzig, où il joua un rôle important dans la renaissance de Bach. À partir de 1885, il enseigna à Berlin. Il composa notamment de la musique religieuse (son domaine d’élection), deux symphonies, des oeuvres de chambre. Son épouse Elisabeth (1842-1892) fut une pianiste très appréciée de Brahms. HESELTINE (Philip). ! WARLOCK (PETER). HESPERION XX. ! SAVALL (JORDI). HESPOS (Hans Joachim), compositeur allemand (Emden 1938). Autodidacte, il obtint en 1967 le prix de composition de la fondation Gaudeamus et en 1968 celui de la fondation Royaumont, et il résida en 1972-73 à la villa Massimo à Rome, l’équivalent allemand de la villa Médicis. Dans un style heurté et gestuel issu de l’expressionnisme de Schönberg, mais très personnel et rebelle à tout esprit de système, il a écrit une cinquantaine d’oeuvres, dont Blackout pour orchestre de 21 musiciens (1972), Mouvements-2 pour orchestre de 65 musiciens (1974), Pleuk pour 30 instruments à vent et 1 contrebasse (1975), CHE pour grand orchestre de 96 musiciens (1975), Das triadische Ballet, musique pour orchestre pour l’ouvrage du même nom d’Oskar Schlemmer (1976-77), Itzo-hux, opéra satirique (1980-81), Ohrenatmer, happening scénique (1981), Seilthanz, aventure scénique (Barcelone, 1982), Za’Klani, pièce de théâtre musical (1985) et Esquisses-Itinéraires (créé à Paris en 1985). HESS (Dame Myra), pianiste anglaise (Londres 1890 - id. 1965). Elle étudie à la Guildhall School of Music de Londres (avec J. Pascal et O. Morgan), puis à la Royal Academy of Music (avec Tobias Matthay). À dix-sept ans, elle donne son premier concert au Queen’s Hall, interprétant le 4e concerto en sol majeur de Beethoven sous la direction de sir Thomas Beecham. Elle se produit ensuite en Europe et, à partir de 1922, aux ÉtatsUnis et au Canada. Ses interprétations des sonates de Scarlatti, du Clavier bien tempéré de Bach, des concertos de Mozart et de celui de Schumann ainsi que des oeuvres de compositeurs anglais contemporains ont été particulièrement appréciées. Sa transcription du choral Jésus que ma joie demeure (Bach) reste un morceau favori des pianistes. HESS (Willy), musicologue et compositeur suisse (Winterthur 1906). Il a fait ses études à Zurich et à Berlin, et il a été bassoniste dans l’orchestre de Winterthur de 1942 à 1971. Comme musicologue, il s’est surtout consacré à Beethoven, sur qui il a écrit plus de quatre cents articles, et en particulier à ses oeuvres les moins connues ou même tout à fait inconnues. Il a dressé un Verzeichnis der nicht in der Gesamtausgabe veröffentlichten Werke Ludwig van Beethovens (catalogue des oeuvres de Ludwig van Beethoven non publiées dans l’édition complète, Wiesbaden, 1957) et publié de 1959 à 1971 quatorze volumes de suppléments à l’édition complète. HÉTÉROPHONIE (grec : « voix différentes »). Dans la musique grecque antique, ce terme désignait toute espèce de polyphonie. Repris au début du XXe siècle par l’ethnomusicologie, il s’applique dans cette discipline à une manière spéciale, consciente ou non, de pratiquer la musique à plusieurs parties en exécutant ensemble la même mélodie, pourvue dans certaines voix de variantes ou d’ornementations que ne font pas les autres. HETU (Jacques), compositeur canadien (Trois-Rivières, Québec, 1938). Après des études à Ottawa, Montréal et au Berkshire Music Centre (avec Lukas Foss), il acheva sa formation à Paris avec Henri Dutilleux et Olivier Messiaen (1962-63). Il a mené depuis une double carrière d’enseignant (depuis 1979 à l’Université du Québec à Montréal) et de compositeur, avec notamment trois symphonies (de 1959 à 1971), des concertos, Images de la Révolution pour le bicentenaire de la Révolution française (1988), de la musique de chambre et vocale. HEUGEL. Maison d’édition française fondée en 1833 par Jacques Léopold Heugel (18151883), qui sera aussi administrateur de la S. A. C. E. M. dès sa création en 1850. Elle n’a jamais cessé d’être aux mains de ses descendants : son fils Henri Georges (1844-1916), son petit-fils Jacques Paul (1890-1979), ses arrière-petits-fils François et Philippe, nés respectivement en downloadModeText.vue.download 474 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 468 1922 et en 1924. Son histoire est étroitement liée à celle de la revue le Ménestrel, née la même année et qui cessa de paraître, plus que centenaire, en 1940. (Son siège de la rue Vivienne fut d’ailleurs baptisé « le Ménestrel » en 1847.) Tous les genres musicaux, sans parler de nombreux ouvrages pédagogiques, ont bénéficié de son activité. Mais ce sont surtout les partitions d’opéra qui ont fait sa fortune, avec la plupart des succès de Massenet, le Roi d’Ys de Lalo, Louise de Charpentier, etc. La maison a fusionné avec Leduc en 1980. HEURES. Dans l’office catholique, ensemble des offices autres que la messe, consistant essentiellement dans la récitation de psaumes, encadrés d’antiennes, chantés si l’office est solennel, parlés ou récités à voix basse dans le cas contraire. Les heures sont parfois appelées « canoniales » (de canon, règle) et comprennent un ensemble noc- turne (matines et laudes) et un ensemble diurne (« petites heures », correspondant à l’ancienne journée romaine - prime, tierce, sexte et none -, suivies de vêpres en fin d’après-midi et de complies avant le coucher). Les matines sont divisées en « nocturnes » et comportent également un certain nombre de leçons (lectiones), ou lectures chantées. Plusieurs heures sont complétées par le chant d’un cantique (par exemple, Magnificat à vêpres, Nunc dimittis à complies) et d’une hymne. Les matines s’achèvent par le chant du Te Deum, avant lequel on a parfois intercalé des drames liturgiques, ce qui fait que la coutume est restée de terminer miracles et mystères par ce chant, même lorsque ceux-ci se furent séparés de l’office. L’obligation, autrefois stricte dans les ordres religieux et un peu moins dans les ordres séculiers, de respecter les heures du jour et de la nuit, auxquelles devaient correspondre les heures canoniales, a été considérablement assouplie par la suite ; il n’en reste que peu de chose dans la réforme liturgique postconciliaire de Vatican II. HEWITT (Maurice), violoniste et chef d’orchestre français (Asnières 1884 Paris 1971). Il fut élève du Conservatoire de Paris, puis membre de la Société des instruments anciens (1908-1914) et violoniste du quatuor Capet (1908-1928). Il enseigna au Cleveland Institute of Music (1931-1934) et épisodiquement au conservatoire américain de Fontainebleau (1920-1937). Il fonda en 1939 un orchestre de chambre portant son nom et le reconstitua après la guerre, ainsi que le quatuor portant également son nom (1927-1952). Il réalisa à la fin du 78 tours et aux débuts du microsillon plusieurs enregistrements remarqués. HEXACORDE. Mot d’origine grecque, désignant dans la gamme un groupement de six sons successifs. L’hexacorde a été introduit dans la théorie médiévale au XIe siècle par Guy d’Arezzo comme élément fondamental de la solmisation, pour grouper les six syllabes (ut-ré-mi-fa-sol-la) dont les intervalles restaient fixes, alors que l’intervalle dont dépendait la septième note (futur si, alors non dénommé) était, au contraire, mobile et restait déterminé par les muta- tions opérées entre lesdits hexacordes. C’est par contresens que, beaucoup plus tard, la notion d’hexacorde a été mélangée avec la théorie des modes ; elle n’a jamais eu d’autre valeur que solfégique et n’est jamais intervenue ailleurs. HIDALGO CODORNIU (Juan), compositeur espagnol (Las Palmas 1927). Il fait ses études à Barcelone (Frank Marshall et Xavier Montsalvatge), à Paris (Nadia Boulanger), à Genève (Marescotti) et à Milan (Bruno Maderna et plus tard John Cage). Il est l’auteur de la première musique sérielle (Ukanga, créé sous la direction de Maderna à Darmstadt en 1957) et de la première oeuvre électronique (Étude de stage, Paris, 1961) espagnoles. Il est le fondateur de « Música abierta » (Barcelone, 1959), fut attaché au Groupe de recherches musicales de l’O.R.T.F. (1961) et est fondateur également du groupe « Zaj » (Madrid, 1964) pour la diffusion des oeuvres d’avant-garde. En dehors des pièces citées ci-dessus, il est l’auteur de pages orchestrales (Las Holas musica et cetera, 1966), d’oeuvres pour orchestre de chambre (Canurga, Kuntamo, Ja-U-la), d’un quatuor à cordes et de différentes partitions théâtrales. HILDEBRANDT, famille de facteurs d’orgues et d’instruments allemands, dominée par la personnalité de Zacharias (1688-1757). Élève de Gottfried Silbermann, celui-ci fut lié avec J.-S. Bach, qui fit évoluer son style vers celui des grands instruments baroques de l’Allemagne du Nord. Il travailla principalement en Saxe. L’instrument le plus important qui ait été conservé de lui est celui de Saint-Wenzel à Naumburg (1746). Johann Gottfried (1720-1775), fils de Zacharias, prit la succession de son père ; il est surtout connu comme l’auteur du grand orgue de Saint-Michel de Hambourg (1762-1767 et 1769). HILDEGARD VON BINGEN, poétesse, mystique et femme compositeur allemande (Bermersheim 1098 - Rupertsberg, près de Bingen, 1179). Destinée à l’Église par ses parents aristocrates, elle prit le voile à l’âge de quinze ans et succéda en 1136 à la mystique Jutta de Spanheim comme mère supérieure du monastère bénédictin de Disododenberg. Entre 1147 et 1150, elle fonda un monastère sur le Rupertsberg, puis vers 1165 un autre à Eibingen, près de Rüdesheim. Surnommée la « Sibylle du Rhin », elle se mêla activement de politique et de diplomatie. Sur le plan musical, son importance réside dans ses chants monodiques, expressément conçus pour une tessiture féminine, s’écartant du plain-chant et souvent sur ses propres textes (elle réunit ses poèmes peu après 1150 sous le titre de Symphonia armonie celestium revelationum). Elle a laissé aussi des ouvrages littéraires, des traités scientifiques et une vaste correspondance. HILL (Edward Burlingame), compositeur américain (Cambridge, Massachusetts, 1872 - Francestown, New Hampshire, 1960). Il fit ses études à Harvard (avec Paine) et à Paris (avec Widor), puis enseigna à Harvard de 1908 à 1940, avec comme élèves Virgil Thomson, Ross Lee Finney et Leonard Bernstein. De tendance conservatrice, il a écrit quatre symphonies, les poèmes symphoniques The Parting of Lancelot and Guinevere (1915) et The Fall of the House of Usher (1919-20), les deux suites Stevensoniana (1916-17) et Lilacs pour orchestre (1927), le ballet-pantomime Jack Frost in Midsummer (1908). Il a subi l’influence du jazz (Jazz Studies, 1922-1938) et publié un ouvrage intitulé Modern French Music (Boston, 1924 ; réimpr. New York, 1969). HILL AND SON. Manufacture d’orgues anglaise fondée par Snetzler en 1755 et qui doit son nom à William Hill, qui l’a reprise en 1825. Sous l’impulsion de celui-ci, elle a construit ou transformé de nombreux instruments de grandes dimensions (cathédrales d’Ely, de Worcester, de Manchester). HILLER (Ferdinand von), pianiste, chef d’orchestre, compositeur et critique musical allemand (Francfort-sur-le-Main 1811 - Cologne 1885). Après des études musicales dans sa ville natale et un concert public à l’âge de dix ans, où il joue un concerto de Mozart, il travaille à partir de 1825 à Weimar avec Hummel. En 1827, il accompagne ce dernier à Vienne, où il fait la connaissance de Beethoven, de Schubert et publie son opus 1, un quatuor avec piano. De 1828 à 1835, il vit à Paris, où il fréquente Chopin, Berlioz, Liszt, Cherubini, Rossini, Meyerbeer, le chanteur Adolphe Nourrit et le poète Heine. Il donne la première audition à Paris du 5e concerto de Beethoven. Il organise des soirées musicales avec le violoniste Baillot. Après un court séjour à downloadModeText.vue.download 475 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 469 Francfort, il se rend en Italie, où, grâce à Rossini, son opéra Romilda est représenté à Milan en 1839. Lors d’un second voyage dans ce pays (1840), il étudie à Rome la musique sacrée italienne avec l’abbé Baini. Il séjourne ensuite à Leipzig, où il remplace son ami intime Mendelssohn à la tête des concerts du Gewandhaus, et à Dresde (1844-1847), où il fréquente les Schumann et Wagner. De 1850 à sa mort, il contribue grandement à l’essor de la vie musicale de Cologne. Possédant une personnalité de virtuose typique de son époque, il laisse une oeuvre importante (symphonies, ouvertures, musique de chambre, oratorios, 6 opéras), mais il montre le meilleur de lui-même dans ses nombreuses pièces pour piano (sonates, études). HILLER (Johann Adam), compositeur, pédagogue et critique musical allemand (Wendisch-Ossig 1728 - Leipzig 1804). Il fit ses études à Görlitz, à la Kreuzschule de Dresde avec Homelius et à l’université de Leipzig. Après un séjour à Dresde au service du comte Brühl (1754-1758), il revint à Leipzig et, de 1762 à sa mort, joua dans la vie musicale de cette ville un rôle de premier plan. Il dirigea le Grosses Konzert (1763-1771), fonda une école de chant (1771) et surtout dirigea à partir de 1781 les concerts du Gewandhaus, leur donnant un éclat qu’ils devaient conserver près de deux siècles. Il fut un temps maître de chapelle du duc de Courlande à Mitau (1785-86) et directeur de la musique à Breslau (1787-1789), puis fut rappelé à Leipzig en 1789 comme cantor de la Thomasschule, poste qu’il devait occuper jusqu’à sa retraite en 1801. Il fonda et édita de 1766 à 1770 la première revue musi- cale au sens moderne, les Wöchentliche Nachrichten, qui devaient servir de modèle à l’Allgemeine Musikalische Zeitung, et il écrivit de très nombreux articles de critique et d’esthétique. Comme chef, il dirigea notamment à Berlin en 1786 le Messie de Haendel. Comme compositeur, il n’écrivit pratiquement que de la musique vocale, tant sacrée que profane : odes, lieder, cantates, choeurs. Il créa en outre presque de toutes pièces, avec le poète Christian Felix Weisse, le singspiel allemand, donnant, entre autres, Lottchen am Hofe (1767, d’après Ninette à la cour de Favart), Die Liebe auf dem Lande (1768), Die Jagd (1770, d’après la Partie de chasse de Henri IV de Collé) et Der Dorfbarbier (1771, d’après Blaise le savetier et en collaboration avec Christian Gottlob Neffe). HILLER (Lejaren), compositeur américain (New York 1924 - Buffalo 1994). Il fit ses études à l’université de Princeton (M. Babbitt) et fut professeur à l’université de l’Illinois. Il fut plus tard directeur du studio de musique expérimentale et directeur du centre « Creative and Performing Arts » de l’université d’État de New York à Buffalo. Son oeuvre relève alternativement de l’esthétique traditionnelle (2 symphonies, 1 concerto pour piano, des musiques de scène, 6 quatuors, 1 trio avec piano, 6 sonates pour piano, etc.) et de la synthèse entre musique instrumentale et musique électroacoustique (Computer Music pour percussion et bande, 1963 ; Computer Cantata pour voix et bande, 1963 ; Suite pour 2 pianos et bande ; Amplification pour bande et orchestre de théâtre, 1962 ; Algorithms I et II pour 9 instruments et bande, 1968 ; HSP CHD pour 1-7 clavecins et 1-51 bandes, 1968, en collaboration avec John Cage ; Ponteach, mélodrame pour récitant et piano, 1977). HILLIER (Paul), baryton-basse et chef de choeur anglais (Dorchester 1949). Il est formé à la Guildhall School de Londres, avant d’être nommé chantre de la cathédrale Saint Paul en 1973. En 1974, il fonde le Hilliard Ensemble. Avec ce groupe, il se consacre au répertoire médiéval anglais ainsi qu’à Pérotin et Guillaume de Machaut. Son style vocal austère, privilégiant les voix droites, non vibrées, et la pureté des lignes polyphoniques, va à la rencontre de certains courants de la musique contemporaine. C’est ainsi qu’il fait triompher, au disque comme au concert, Passio et le Miserere d’Arvo Pärt. En 1989, il fonde Theatre of Voices, qui est en résidence permanente à l’Université de Californie à Davis. Il mène des expériences musicales qui rejoignent un mysticisme dépouillé, parfois aux frontières des liturgies traditionnelles et du rock, qui participent d’une esthétique marquante au début des années 1990. HILTON, famille de musiciens anglais. John I, compositeur ( ? - Cambridge 1608). On le trouve en 1584 counter tenor à la cathédrale de Lincoln. Un de ses madrigaux, a 5, a été choisi par Th. Morley pour son recueil The Triumphs of Oriana (1601) : Fair Oriana, Beauty’s Queen. Des anthems et des pièces pour orgue sont conservés en manuscrit. John II, compositeur (Cambridge 1599 - Londres 1657). Fils du précédent, il est reçu bachelor of music par l’université de Cambridge en 1626. Il a publié deux recueils de petites pièces polyphoniques : Ayres or Fa La’s for 3 Voyces (1627) et Catch that Catch can (1652). Ce dernier a connu de nombreuses rééditions. En 1628, John II est nommé clerc de la paroisse et organiste de la chapelle Saint Margaret à Westminster. HIMMEL (Friedrich Heinrich), compositeur allemand (Treunenbrietzen, Brandebourg, 1765 - Berlin 1814). il s’orienta d’abord vers la théologie, puis, grâce au roi de Prusse Frédéric-Guillaume II, étudia la composition avec Naumann à Dresde, avant d’aller se perfectionner en Italie (1793-1795). À son retour, il succéda à Reichardt comme maître de chapelle de la cour de Berlin : c’est là qu’en 1796 Beethoven le rencontra pour la première fois. Himmel se rendit ensuite en Russie et en Scandinavie ainsi qu’à Paris, à Londres et à Vienne. Les événements de 1806 le forcèrent à quitter une nouvelle fois Berlin, où il revint en 1810. On lui doit des opéras italiens et allemands, dont Fanchon (1804), son oeuvre la plus célèbre, la cantate La Danza (1792), une Ode funèbre sur la mort de Frédéric-Guillaume II (1797), des lieder et divers ouvrages vocaux et instrumentaux, parmi lesquels un concerto pour piano et deux quatuors pour piano, flûte, violon et violoncelle. HINDEMITH (Paul), compositeur allemand (Hanau 1895 - Francfort-sur-leMain 1963). Issu d’une famille modeste, il reçoit en 1904 ses premiers cours de musique et entre en 1909 à l’école supérieure de musique de Francfort, où il suit l’enseignement de A. Mendelssohn et B. Sekles en composition, et de A. Rebner en violon. Virtuose dès l’âge de treize ans, jouant avec un plaisir instinctif, il se produit dans les opérettes, les fêtes foraines, les groupes de jazz, les cinémas. Il fonde en 1915 le quatuor Amar, dans lequel il joue comme altiste, et devient la même année directeur musical de l’opéra de Francfort (jusqu’en 1923). Il compose entre autres pendant cette période des sonates pour divers instruments, de la musique de chambre, un Singspiel sur texte de W. Busch et voit dès 1919 ses pièces imprimées et interprétées en public. Ses premières oeuvres d’importance, trois opéras en un acte, témoignent d’un fort attrait pour l’expressionnisme. Mais, si l’écriture de Mörder, Hoffnung der Frauen (« Assassin, espoir des femmes », 1919 ; création à Stuttgart, 1921), sur le texte sous-tendu d’un érotisme violent de Kokoschka, est encore relativement complexe et chromatique, celle de NuschNuschi (1920), pièce enlevée et très rythmique, sur un jeu de marionnettes de Franz Blei, et celle de Sancta Susanna (1922) sont nettement simplifiées et dégagées du pathos expressionniste. Cette insistance sur le langage, qui renoue avec la tradition allemande contrapuntique transmise par Brahms et par Reger, et qui réagit contre le drame wagnérien, se fait plus nette dans la Musique de chambre op. 24 de 1922, oeuvre purement dynamique dans son élan et dont le Finale 1921, sur downloadModeText.vue.download 476 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 470 un vieil air de fox-trot, a fait parler d’Asphaltmusik (« musique de rue »). Il en est de même pour la Suite 1922 pour piano, suite de danses inspirées du jazz et dont l’exergue, pour le ragtime, recommandant par exemple de considérer le piano comme une espèce de percussion, inté- ressa et choqua beaucoup. Hindemith tire les conséquences décisives de cette stylisation dans le cycle de lieder sur des poèmes de R. M. Rilke, Das Marienleben, écrit en 1922-23 (2e vers. 1936-1948). La mélodie s’y déroule de façon entièrement autonome, tant dans son phrasé que dans ses « champs d’influence » tonale, au-dessus d’un tissu linéaire soutenu par de fréquents ostinati. Cette oeuvre assez recueillie ouvre la voie à un flot de musiques au goût du jour qui feront du Hindemith des années 20 un « épouvantail à bourgeois ». Hindemith écrit des Zeitoper (« opéras d’actualité »), pièces miniatures qui allient les techniques musicales d’avant-garde à la musique « vulgaire », comme Neues vom Tage (« Nouvelles du jour », 1929), morceau critique resté célèbre pour l’aria chantée dans une baignoire à la gloire des chauffebains à gaz (1929), ou des musiques de scène, comme Hin und Zurück (« Aller-retour », 1927). Ces deux oeuvres sont écrites sur des textes de l’auteur de revues de cabaret M. Schiffer. Hindemith compose aussi pour instruments mécaniques (suite pour piano mécanique de 1926 ; musique pour orgue mécanique du Ballet triadique de O. Schlemmer) et marque un vif intérêt pour les nouveaux instruments électriques (Concertino pour trautonium, 1931). Ces musiques d’avant-garde sont jouées dans les deux grands festivals de musique contemporaine : Donaueschingen, où le compositeur est d’abord interprète (1921), puis organisateur (à partir de 1923), et Baden-Baden, dont il assure de 1927 à 1929 la direction musicale. En 1927, F. Schreker l’appelle à un poste de professeur de composition à la Hochschule für Musik de Berlin. Hindemith écrit alors des cycles de musique pédagogique (Sing- und Spielmusiken de 1928-29, parmi lesquels la cantate Frau Musica sur des textes de Luther, et 8 canons pour voix et instruments), apprenant lui-même à jouer de nombreux autres instruments et cherchant à combler les lacunes d’une éducation par trop rudimentaire en approfondissant ses études théoriques. Convaincu de la responsabilité du compositeur, il franchit le pas qui sépare musique « sérieuse « et musique populaire, compositeur et auditeur, et écrit de la Gebrauchsmusik (« musique utilitaire «), musique d’ensemble accessible aussi bien au musicien amateur qu’à l’élève, complétant ainsi son portrait de musicien « néo-objectif « des années 20 (choeurs a capella op. 33, 1923 ; musique concertante pour orchestre d’instrument à vent op. 41, 1926 ; Lehrstück, cantate scénique didactique - Brecht, 1929 ; Lindberghflkug, avec participation du public Brecht/Weill/ Hindemith, 1929). Il compose en même temps des musiques de chambre (op. 36) très représentatives de ces années-là : il emprunte au XVIIIe siècle et à Bach un style concertant, la conduite polyphonique des voix, la qualité structurelle des éléments motiviques, qu’il met encore en évidence par l’emploi insistant des vents ; l’instrumentation, par ailleurs, n’est pas l’objet de recherches particulières. En général unique, le thème donne par son reour continuel un mouvement dynamique, « motorique «, accentué par les ostinati fréquents et la technique de la variation ainsi que par le rythme de mélodies volontiers empruntées au Volkslied (4e mouvement de la musique de chambre pour violoncelle et 10 instruments solistes op. 36 no 2). L’opéra Cardillac (1926) porte ces principes à la scène et refuse définitivement toute étude psychologique pour transposer dans le domaine musical pur, en des formes indépendantes et achevées, le contenu de chacun des numéros du livret de F. Lion. Hindemith atteint un point d’équilibre dans les musiques concertantes des années 1930-1932 (Konzertmusik pour piano, cuivres et 2 harpes op. 49, Concerto philharmonique). Il se détourne au même moment de ses préoccupations modernistes et écrit l’oratorio critique das Unaufhörliche (« le Perpétuel «) sur un texte de G. Benn. Il se forge peu à peu une éthique personnelle, qui apparaît déjà dans Mathis der Maler (« Mathis le peintre «), opéra auquel il se consacre en 1934-35 et qui est une manière de profession de foi en l’autonomie absolue de l’art, face au nouveau régime politique, qui a fait interdire ses oeuvres. Il y renoue implicitement avec la tradition en mêlant chant grégorien, chant populaire allemand ancien et techniques baroques, pour arriver à la concision de langage de la symphonie de même nom qu’il compose en même temps à partir de ce matériau. En 1934-1936, il consigne son expérience de compositeur dans un traité de composition, Unterweisung im Tonsatz, véritable traité de la mélodie dans lequel il expose ses échelles hiérarchiques de sons, élaborées à partir des harmoniques d’un son fondamental, et le principe de la « tonalité élargie «, qui s’appuie en partie sur un ordre également hiérarchique des intervalles. Le Ludus tonalis, suite de fugues reliées entre elles par des interludes, en est l’application directe. Durant cette période des années 30, Hindemith compose aussi un certain nombre de concertos, parmi lesquels le Schwanendreher, qui accuse son goût pour le Volkslied, et une nouvelle série d’oeuvres didactiques : un cycle de sonates qui réactualisent la forme par le mariage du baroque et du contemporain, une cantate pour enfants, Wir bauen eine Stadt (« Nous construisons une ville «), une cantate pour amateurs, Plöner Musiktag (« Journée musicale à Plön «), etc. À partir de là, son style devient synthèse (Nobilissima Visione), et sa maîtrise de l’écriture lui permet d’intégrer, sans que cela n’altère en rien le caractère « distancié « de son langage, quelques traits légers d’expressivité romantique (thèmes de Weber dans les Métamorphoses symphoniques, aspects brucknériens dans la Symohonie en « mi « bémol et dans la Sinfonia serena). En 1940, après un séjour de deux ans en Suisse et des tournées de concerts sur le continent américain, Hindemith s’installe aux États-Unis et obtient un poste à la Yale University de New Haven (Connecticut). Il prend position, par des oeuvres comme le Requiem ou Apparebit repentina dies, contre la musique d’avant-garde : celle-ci va, en effet, à l’encontre de sa volonté de traduire par la musique une Weltanschauung (conception de l’univers). Hindemith s’intéresse aux philosophies antiques, lit les théories de Kepler sur les astres et termine en 1957 Die harmonie der Welt, opéra construit sur une symbolique très étudiée. De retour en Suisse, en 1953, il retrouve d’une certaine manière la fraîcheur ironique des années 20 (octuor) et reprend des oeuvres centrales, comme Das Marienleben, Neues vom Tage, Cardillac. Il compose aussi, entre autres, Das lange Weihnachtsmahl (« le Long Réveillon de Noël «), un concerto pour orgue, une messe pour choeurs a capella. Mais il cherche surtout à faire découvrir le répertoire musical par son métier de chef d’orchestre, toujours au service d’une interprétation « objective « et impersonnelle, parcourant l’histoire de la musique du Moyen Âge et de la Renaissance (adaptation d’oeuvres de Machaut ou de Gabrieli) aux jeunes compositeurs qu’il protège (K. A. Hartmann, A. Heiller), sans négliger l’école dodécaphoniste, qu’il rejetait pourtant sur le plan de la théorie. Cette vaste activité dans tous les domaines musicaux, cet intérêt pour les genres et les styles les plus divers font de Hindemith un de ces « artisans « de l’art selon sa propre expression - tels que les voyait naître le XVIIIe siècle et tels que les réclamaient les artistes-technologues de l’école du Bauhaus. Venu après la révolution du langage par Schönberg, Hindemith s’est plutôt attaché à renouveler les rapports sociologiques de musique à public et doit être considéré sous cet angle comme un révolutionnaire du monde musical du XXe siècle. HLOBIL (Emil), compositeur tchèque (Veseli 1901 - Prague 1987). Élève de J. Suk à Prague, il subit dans ses premières oeuvres son influence et celle de Janáček (1er Quatuor op. 5, Sérénade op. downloadModeText.vue.download 477 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 471 12a), puis évolua vers un néoclassicisme précis, concis et virtuose. Il réussit particulièrement dans la musique de chambre. On lui doit notamment six symphonies (1949, 1951, 1957, 1959, 1970, 1973), des concertos, le poème symphonique le Printemps dans les jardins de Prague (1953), les opéras Anna Karenine (1963) et le Bourgeois gentilhomme (1965). De 1941 à 1958, Hlobil a enseigné la composition au conservatoire de Prague. HOBOKEN (Anthony van), musicologue hollandais (Rotterdam 1887 - Zurich 1983). Il étudia la musicologie à Vienne sous la direction de H. Schenker. Après avoir commencé en 1936 un catalogue de sa propre collection d’éditions musicales, il entreprit un catalogue thématique et bibliographique de l’oeuvre de Joseph Haydn (Joseph Haydn, Thematisch-bibliographisches Werkverzeichnis), dont les trois volumes sont parus respectivement en 1957 (oeuvres instrumentales), en 1971 (oeuvres vocales) et en 1978 (index, addenda et corrigenda). Les oeuvres de Haydn sont aujourd’hui identifiées d’après ce catalogue, néanmoins déjà dépassé sur de nombreux points. Hoboken a fait don de sa collection à la Bibliothèque nationale de Vienne en 1974 et de ses archives Haydn à la Société des amis de la musique (Gesellschaft der Musikfreunde) de Vienne en 1980. HODDINOTT (Alun), compositeur gallois (Bargoed, Glamorgan, 1929). Il fit ses études à l’université de Cardiff, établissement où il fut nommé professeur en 1951. Attiré par la pédagogie, il a souvent composé à l’intention des ensembles de jeunes musiciens, telle l’oeuvre intitulée Dives and Lazarus, cantate pour solistes, choeurs et orchestre écrite pour le Farnham Schools Festival (1964). Son langage musical, tonal et généralement facile d’accès, a subi l’influence de Stravinski et de Hindemith, certes, mais aussi celle de Britten et d’autres compositeurs anglais du XXe siècle. Certaines de ses oeuvres sont d’inspiration galloise (Welsh Dances pour orchestre). Sa production, considérable, comprend, entre autres, cinq symphonies (1955, 1962, 1969, 1970, 1973), Landscape/ Tirlun pour orchestre (1975), des concertos, dont trois pour piano (1960-1966), de la musique de chambre, six sonates pour piano (1959-1972), de la musique vocale, dont la cantate Saint Paul on Malta (1971), et les opéras The Beach of Falesa (19701974), The Magician (1975), What the Old Man Does is always Right (1977) et The Rajah’s Diamond (1979). HOÉRÉE (Arthur), compositeur et musicologue belge (Saint-Gilles, Bruxelles, 1897 - Paris 1986). Il a suivi l’enseignement du conservatoire de Bruxelles de 1908 à 1912, puis celui du Conservatoire de Paris à partir de son installation définitive dans cette ville en 1919. Professeur à l’École normale de musique, à l’École de la radio à Montrouge, puis à la Sorbonne, il fut aussi chef d’orchestre, pianiste accompagnateur et conférencier. Critique musical, il écrivit dans de nombreuses revues françaises - dont la Revue musicale d’Henry Prunières - et étrangères. Ses activités de compositeur s’étendent à la musique de film et de scène. Spécialiste de la musique française, Hoérée a transcrit et réalisé plusieurs oeuvres de F. Couperin, et il a publié notamment deux monographies sur A. Roussel (Paris, 1938 et 1969). Il a collaboré en outre à l’ouvrage Science de la musique dirigé par Marc Honegger (2 vol., Paris, 1976). HOFFMANN (Ernst Theodor Amadeus), écrivain et compositeur allemand (Königsberg 1776 - Berlin 1822). Après des études de droit, il commença une carrière de magistrat. Mais, attiré par la musique, qu’il avait étudiée notamment avec l’organiste Podbielski, il obtint un poste de chef d’orchestre au théâtre de Bamberg (1808-1813), puis à celui de Dresde. En 1814, il fut contraint d’accepter un emploi à la cour d’appel de Berlin, ville dans laquelle il demeura jusqu’à sa mort. Célèbre pour ses Contes, Hoffmann fut également un compositeur habile, dont le talent s’exerça dans des genres aussi différents que l’opéra, le singspiel, la musique sacrée et la musique de chambre (notamment cinq sonates pour piano). Son style, empreint d’un certain conservatisme, évolua, et, dans son opéra Ondine (1813-14, livret de La Motte Fouqué), créé avec succès à Berlin en 1816, apparaissent le fantastique et la magie ; il faut y voir une préfiguration de l’opéra romantique, tel que l’illustrera, en particulier, le Freischütz de Weber. La vie d’Hoffmann montre la diversité de talents exaltée par les doctrines nouvelles et la fascination qu’exerce sur lui l’imbrication du réel et de l’imaginaire. Obsédé par le mythe de Don Juan, fasciné par Mozart (il changera son prénom Wilhelm en Amadeus), défenseur ardent de Beethoven, qu’il désigne comme le compositeur romantique par excellence, Hoffmann réserva une large place à la musique dans son oeuvre littéraire : d’une part dans ses articles sur Gluck, le Don Juan de Mozart, Beethoven, Sacchini, Spontini, etc., et dans ses notes critiques pour les oeuvres de Beethoven, Boieldieu, Gluck, Méhul, Mozart, Paer, Spohr, Spontini, entre autres ; d’autre part dans ses Contes, comme les Fantaisies à la manière de Callot (Bamberg, 1814-15 : le Chevalier Gluck, Don Juan...) ou les Opinions du Chat Murr (Berlin, 1819-1821), dans lesquels il met en scène le musicien Johannes Kreisler, double de lui-même, extravagant et génial. Il traduisit en allemand la Méthode de violon de Rode, Kreutzer et Baillot (Leipzig, 1814), et le livret d’Olimpia de Spontini. Il définit la musique comme un langage supérieur à celui des mots, comme le plus romantique de tous les arts et comme une émanation de la nature qui n’a pour limite que l’infini. C’est son oeuvre littéraire, plus que son oeuvre musicale, qui influença la génération des compositeurs romantiques : Schumann transposa au piano le personnage de Kreisler dans son propre Kreisleriana, et Offenbach utilisa son réalisme fantastique dans les Contes d’Hoffmann ; Berlioz lui-même, en particulier dans le « Carnaval romain » de Benvenuto Cellini, où il reprit l’intrigue de Signor Formica (extrait des Contes des frères Sérapion, Berlin, 1819-1821), ne manqua pas de s’y référer pour exalter le pouvoir de l’imagination. HOFFMEISTER (Franz Anton), compositeur et éditeur allemand (Rothenburg 1754 - Vienne 1812). Il commença ses activités d’éditeur à Vienne en 1784 et les poursuivit avec des hauts et des bas jusqu’en 1806, non sans avoir fondé en 1800 avec Ambrosius Kühnel le Bureau de musique à Leipzig, dont il se retira en 1805. Ce Bureau de musique devait devenir en 1813 la firme C. F. Peters. Chez Hoffmeister parurent notamment les premières éditions du quatuor K. 499 de Mozart et de la sonate op. 13 (Pathétique) de Beethoven. Comme compositeur, Hoffmeister laissa une production très abondante - symphonies, symphonies concertantes, concertos, dont 25 pour flûte, musique de chambre, opéras, dont Der Königssohn aus Ithaka (Vienne, 1795) -, mais sans grande originalité. HOFFNUNG (Gerard), dessinateur et humoriste anglais d’origine allemande (Berlin 1925 - Londres 1959). Peintre de formation, il illustre des publications de l’Enfant et les sortilèges, la Flûte enchantée et Lilliput. Vers 1940-1945, il devient humoriste, collabore à Punch et débute une série d’albums consacrés aux musiciens. Évitant le grotesque, ses croquis sont des chefs-d’oeuvre d’équilibre entre la cruauté du regard, la tendresse et surtout la pertinence musicale qui ne peut naître que d’un « oeil musicien « ! Ses silhouettes de maestros enfiévrés, de percussionnistes bricoleurs ou de harpistes divas sont mondialement célèbres. Tubiste amateur mais virtuose de l’ocarina, grand collectionneur de partitions introuvables, il downloadModeText.vue.download 478 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 472 organise en 1956 et 1958 deux « Hoffnung Concerts » gravés sur disque. Plusieurs compositeurs de ses amis s’y adonnent à des plagiats ou des plaisanteries musicales souvent talentueuses. Citons entre autres Francis Baines, Malcolm Arnold, The Barber of Darmstadt d’Humphrey Searle et Let’s fake an opera !, parodie d’un titre célèbre de Britten. HOFFSTETTER (Roman), compositeur allemand (Laudenbach, près de Bad Mergentheim, 1742 - Miltenberg-sur-leMain 1815). Entré comme novice à l’abbaye bénédictine d’Armorbach (actuellement en Bavière) en 1763, il y devint prêtre en 1766, puis prieur et y resta jusqu’à la dissolution de la communauté en 1803. Il fut très lié avec son quasi-compatriote Joseph Martin Kraus et se montra grand admirateur de Haydn. Il a écrit de la musique religieuse, dont plusieurs messes, trois concertos pour alto (v. 1785) et quatorze quatuors à cordes, dont les six de l’opus 1 (v. 1770) et les six de l’opus 2 (v. 1780). En 1964, H. C. Robbins Landon et Alan Tyson l’ont proposé non sans vraisemblance comme le véritable auteur (d’où le regain d’intérêt à son égard) des deux premiers au moins des six quatuors à cordes publiés vers 1777 à Paris par Bailleux sous le nom de Haydn comme « opus 26 » et passés à la postérité comme « opus 3 » de Haydn : la célèbre sérénade de l’opus 3 no 5 compte parmi ces pages qu’il faut retirer à Haydn. Le frère jumeau de Roman, Johann Urban Alois, mort en 1808 ou après, fonctionnaire et compositeur, a laissé notamment sept symphonies. HOFHAIMER (Paul), organiste et compositeur autrichien (Radstadt 1459 Salzbourg 1537). L’un des plus grands musiciens de son temps, il descendait d’une lignée de musiciens et apprit la musique avec son père et avec l’organiste Jakob von Graz. Il passa sa vie comme organiste auprès de divers seigneurs : Frédéric III à Graz, l’archiduc Sigismond à Innsbruck, puis l’empereur Maximilien Ier, de 1490 à la mort de ce dernier en 1519, tout en occupant d’autres postes au cours de ses voyages en Europe centrale. Personnage illustre (il figure sur les planches du Triomphe de Maximilien de Burgkmair), il était lié avec les princes et les érudits de son temps. Ses connaissances en matière de technique d’exécution et de facture d’orgues le firent appeler en de nombreux pays, comme professeur et comme expert. Mais son importance de compositeur ne fut pas moindre. On connaît de lui quelques pièces pour orgue, quatre motets et surtout de nombreux lieder polyphoniques, genre très prisé à la fin du XVe siècle et dont il fut l’un des plus grands maîtres. HOFMANN (Leopold), compositeur et organiste autrichien (Vienne 1738 - id. 1793). Il fut l’élève de Wagenseil, à qui il succéda en 1769 comme professeur de clavecin à la cour. Auteur de nombreuses oeuvres religieuses, il succéda en 1774 à Georg Reutter le Jeune comme maître de chapelle à la cathédrale Saint-Étienne. Célèbre également comme violoniste, il joua un rôle important dans la genèse de la musique instrumentale viennoise classique. Le concerto pour flûte en ré majeur longtemps attribué à Haydn est en réalité de lui. Il fut le premier à Vienne, vers 1760, à utiliser régulièrement dans ses symphonies la structure qui devait largement s’imposer : vif (avec introduction lente) lent - menuet - vif. HOFMANN (Michel Rotislav), journaliste et musicographe français d’origine russe (Petrograd 1915 - Paris 1975). Il émigra à Paris en 1923 et y suivit des études de lettres, de piano et de chant. Ses écrits concernent avant tout la musique russe, et plus particulièrement la musique vocale ; Hofmann s’est intéressé également à la danse. Parmi ses publications, on relève des biographies de Chostakovitch, de Moussorgski, de Rimski-Korsakov, de Prokofiev, de Schubert et de Wagner. Conseiller musical aux Jeunesses musicales de France, puis, à partir de 1968, rédacteur en chef de la revue Diapason, Hofmann réalisa plusieurs séries d’émissions radiophoniques. En U.R.S.S., il donna des conférences sur la musique française qui lui valurent d’être nommé membre d’honneur de l’Union des compositeurs soviétiques. HOFMANNSTHAL (Hugo von), poète, prosateur essayiste et auteur dramatique autrichien (Vienne 1874 - Rodaun 1929). Lorsqu’il rencontre Richard Strauss à Paris en 1900, Hofmannsthal est déjà un écrivain consacré ; mais cet enfant prodige, devenu adulte, traverse une crise profonde, dont la Lettre à lord Chandos porte témoignage. La Vienne qui l’a vu naître, décadente, emportée dans un tourbillon devenu trop mécanique, immoraliste, nourrie de D’Annunzio et de Stefan George, lui fait peur : elle abrite un médecin qui prétend réussir à débusquer l’âme, Sigmund Freud. Or Hofmannsthal, écrivain, se sent désormais impuissant à tenir sur quelque sujet que ce soit un discours rendant compte de son sentiment profond : plus les mots se font précis, imagés, nombreux, plus le sens se dérobe, devient flou, artificiel. Comment parler la langue de l’Inconnu ? Hofmannsthal, qui vient d’adapter l’Antigone et l’Électre de Sophocle, se tourne alors, sans pour autant abandonner sa production solitaire, vers la musique. Celle de Strauss, et pas une autre. Leur collaboration, jusqu’à la mort du librettiste, sera exemplaire, sans pourtant s’accompagner de relations très intimes. Chez le poète, Strauss trouve une langue extrêmement raffinée, apte à exciter sa propre création, une panoplie d’images tour à tour baroques, antiques, orientales et viennoises, toutes animées par une élégance noble, pétillante et mélancolique, auxquelles il insufflera sa simplicité, sa bonté, sa soif d’humain, son sens du théâtre. Comment perpétuer Mozart et le XVIIIe siècle ? En créant le festival de Salzbourg, sans doute (1917). Mais, surtout, poète et musicien, également touchés par la fuite du temps, la dispersion du moi, vont reprendre à leur compte la réflexion frivole-amère, masquée derrière les conventions sociales ou théâtrales, que leur aîné a menée sur le couple et la relation amoureuse. Ils bâtiront ensemble un théâtre du monde et de la femme où chacun vit dans la prescience de sa mort et en tire la nécessité de la vie, de l’abandon à ces instants précieux « qui déposent en l’homme un miel lourd et le relient, au-delà du temps et de l’espace, à l’humanité entière » (sic). Après Elektra (1909), le Chevalier à la rose (1911) et Ariane à Naxos (1912) seront des chefsd’oeuvre auprès desquels la Femme sans ombre (1919), trop nourrie de signes, mais surtout Hélène d’Égypte (1928) et Arabella (1933) apparaîtront comme l’utilisation encore brillante d’une formule essoufflée. Il faut dire que Hofmannsthal, dans les dernières années de sa vie, était plus inquiet de l’évolution d’un monde industriel et violent qu’il ne reconnaissait plus que de l’évolution de son langage. Portant le deuil de l’ancienne Autriche-Hongrie, il cherchait à maintenir vivantes les valeurs intellectuelles héritées d’une Europe des esprits rassemblant hellénisme et christianisme, Beethoven et Napoléon, puritanisme et orientalisme. Pareil combat put paraître anachronique à une époque hantée par le saut dans l’inconnu des crises qui se préparaient : il n’était pas vraiment celui de Strauss, dont l’attrait pour le baroque quittait peu à peu le domaine idéologique pour s’ancrer presque uniquement dans celui de la musique. HOGWOOD (Christopher), claveciniste et chef d’orchestre anglais (Nottingham 1941). Il fait ses études musicales à Cambridge auprès de Thurston Dart puis avec Raymond Leppard, Rafael Puyana et Gustav Leonhardt. Après une année d’études à l’Académie de musique de Prague, il rencontre David Munrow et se produit comme claveciniste au sein de l’Early Music Consort of London. En 1973, il crée et commence à diriger l’Academy of Ancient Music, qui se consacre aux réperdownloadModeText.vue.download 479 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 473 toires baroque et classique. Avec cet ensemble, il réalise de nombreux enregistrements : Purcell (notamment les musiques de scène), Locke, Byrd, l’intégrale des symphonies de Mozart et (en cours) de Haydn. De 1983 à 1985, il dirige le London Mostly Mozart Festival au Barbican Center de Londres. Il prend en 1986 la direction artistique de la Haendel and Haydn Society of Boston et dirige entre 1988 et 1992 l’orchestre de chambre de Saint Paul, dans le Minnesota. Il est l’auteur d’écrits musicologiques et a participé à l’édition de partitions telles que les Sonates pour clavier de J. C. Bach. Ses enregistrements à la tête de l’Academy of Ancient Music ont reçu plusieurs grands prix du disque (Académie Charles-Cros, Award du Gramophone Magazin et Mozart-Gemeinde de Vienne). HOLBORNE (Antony), luthiste et compositeur anglais ( ? v. 1550 - ? 1602). On ne connaît pratiquement rien de sa vie, si ce n’est qu’il vécut à la cour d’Élisabeth Ire et que John Dowland lui dédia un de ses plus beaux ayres : I saw my lady weep (Second Book of Songs, 1600). Le seul air de Holborne que l’on possède (My heavy sprite, oppress’d with sorrow’s might) figure dans le recueil collectif de Robert Dowland, A Musicall Banquet (1610). The Cittharn Schoole (1597) comprend trente-deux pièces pour cistre solo, des duos pour cistre et basse de viole, et deux quatuors. Un autre recueil, particulièrement intéressant, renferme soixante-cinq danses à 5 parties ; publié par W. Barley à Londres en 1599, il contient des Pavans, Galliards, Almains and other short Aeirs... for Viols, Violins, or other Musicall Winde Instruments avec des titres évocateurs tels que Last will and testament ou Coranto Heigh-ho. HÖLLER (York), compositeur allemand (Leverkusen 1944). D’abord autodidacte, il s’oriente ensuite vers la composition : ses premiers essais sont marqués par Bartók, Stravinski et Hindemith. De 1963 à 1968, il poursuit ses études à l’École supérieure de musique de Cologne (Kölner Musikchochschule) : composition chez B. A. Zimmermann, musique électronique chez H. Eimert, piano chez Alfons Kontarsky et E. Schmitz-Göhr, direction d’orchestre chez W. v. d. Nahmer. Parallèlement, il étudie la philosophie et la musicologie à l’université de Cologne. Ses oeuvres des années 60 et 70, exclusivement pour ensembles de chambre, sont directement inspirées par la deuxième école de Vienne ainsi que par les théories et les pratiques de Boulez, de Stockhausen et de Zimmermann. Particulièrement intéressé par les problèmes de communication, Höller a écrit une thèse : Étude critique de la technique sérielle de composition (1967). Après le succès de sa pièce orchestrale Topic (1967) à Darmstadt en 1970, il est invité par K. Stockhausen à travailler au studio électronique de la WDR (1971-72). En 1972, il réalise un projet audiovisuel à l’occasion du centenaire de Scriabine lors du festival de musique contemporaine à Donaueschingen. Dans ses oeuvres, il poursuit l’interaction des domaines acoustique et électronique, ainsi que l’intégration des technologies les plus avancées à la création musicale, et il attribue une importance considérable à la live-electronic. Invité à l’I. R. C. A. M., il y continue sa recherche dans le domaine de la technologie digitale en réalisant Arcus (1978), commande de l’I. R. C. A. M., pour orchestre de chambre et instruments avec transformation électronique sur bande, où un programme d’ordinateur définit la transformation électronique des sons instrumentaux enregistrés. Höller vit à Cologne et enseigne l’analyse et la théorie musicale à l’École supérieure de musique. Il dirige depuis 1990 le nouveau studio de musique électronique de la radio de Cologne. En 1989 est créé à Paris l’opéra le Maître et Marguerite. Ont suivi Requiem pour piano, orchestre et électronique (1990-1991), Aura pour orchestre (1991-1992). HOLLIGER (Heinz), compositeur et hautboïste suisse (Langenthal, canton de Berne, 1939). Connu d’abord comme instrumentiste virtuose, il compte actuellement parmi les compositeurs les plus importants de sa génération. Après des études musicales à Berne (composition, hautbois, piano), il s’est perfectionné à Paris avec Yvonne Lefébure (piano) et Pierre Pierlot (hautbois), et a suivi les cours de composition de Pierre Boulez à Bâle. Il a obtenu en 1959 le premier prix pour le hautbois du Concours international de Genève et en 1960 le prix de l’Union des compositeurs suisses. Depuis 1961, il exerce une intense activité de soliste et a enregistré de nombreux ouvrages classiques et contemporains. Installé à Bâle, il enseigne à l’École supérieure de musique de Fribourg-enBrisgau. Ses oeuvres sont explicitement marquées par son expérience d’instrumentiste, et il s’est spécialement attaché à l’élargissement des possibilités techniques et sonores des instruments. Dans Pneuma pour vents, percussion, orgue et radio (1970), les effectifs mis en jeu sont considérés comme « un poumon énorme qui respire », les instruments comme « la bouche qui articule les bruits de souffle » (Holliger). Les modalités inhabituelles du jeu instrumental, l’utilisation des multiphoniques et des bruits de souffle, la décomposition de la matière verbale et la composition des bruits-sons articulatoires dans les oeuvres à textes (de G. Trakl, N. Sachs, A. X. Gwerder, P. Celan, S. Beckett), puis l’intégration du geste et du fonctionnement corporel à l’oeuvre devenue pièce de théâtre instrumental (cf. Cardiophonie pour instrument à vent et 3 magnétophones, 1971) sont toujours élaborées selon des projets formels cohérents. L’extension de l’univers sonore acoustique (Atembogen pour orchestre, 1974-75) et électronique (Pas moi, 1980) inclut chez Holliger l’élaboration de textures sonores complexes et de structures formelles d’inspiration sérielle. On lui doit notamment : Drei Liebeslieder pour voix d’alto et orchestre (1960) ; Elis, trois morceaux nocturnes pour piano (1961 ; rév., 1966) ; Erde und Himmel, petite cantate sur des textes d’Alexandre Xaver Gwerder (1963) ; Mobile pour hautbois et harpe (1962) ; Quatre Miniatures pour soprano, hautbois d’amour, célesta et harpe (1962-63) ; Elis, version pour orchestre (1963 ; 2e vers., 1973) ; Der Magische Tänzer, deux scènes pour 2 chanteurs, 2 acteurs, 2 danseurs, choeur, orchestre et bande (1963-1965) ; Trio pour hautbois, alto et harpe (1966) ; Siebengesang pour hautbois, orchestre, 7 ou 21 voix de femmes et haut-parleurs (1966-67) ; Dona nobis pacem pour 12 voix a cappella (1970) ; Psalm pour choeur mixte a cappella sur un texte de P. Celan (1971) ; Lied pour flûte seule (1971) ; Streichquartett (quatuor à cordes, 1973) ; Die Jahreszeiten, quatre lieder pour choeur mixte a cappella d’après Hölderlin (1975) ; un spectacle musical réalisé pour l’I. R. C. A. M. en 1980, composé de Va et vient pour 9 voix et 9 instruments sur des textes de S. Beckett et de Pas moi pour soprano et bande sur un texte de S. Beckett ; Scuardanelli-Zyklus pour flûte, choeur mixte, orchestre et bande (Donaueschingen, 1985) ; Gesänge der Frühe pour choeur, orchestre et bande (1987) ; Jisei pour 4 voix et cloches (1988) ; What Where, opéra de chambre d’après S. Beckett (1989), le cycle de mélodies Beiseit (1990), un Concerto pour violon (1995). HOLMBOE (Vagn), compositeur danois (Horsens 1909). Sa forte stature domine la période de transition entre C. Nielsen et P. Nørgård, et son oeuvre illustre clairement les contradictions que devaient surmonter les créateurs danois de cette génération. Formé à Copenhague par F. Høffding et K. Jeppesen (1926-1929), et à Berlin par E. Toch (1930), Holmboe s’intéresse alors au folklore roumain, dont maints caractères transparaissent dans son style. Sa 2e symphonie lui vaut en 1939 son premier succès de compositeur. De 1947 à 1955, sa position de critique musical au quotidien Politiken de Copenhague et, de 1950 à 1965, ses activités de professeur de composition au conservatoire de Copenhague lui permettent de jouer un rôle très imdownloadModeText.vue.download 480 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 474 portant dans la formation de la génération des compositeurs de l’après-guerre. Une certaine sévérité de goût et un grand sens de la mesure lui font admirer et souvent suivre ceux qu’il considère comme ses modèles : F. J. Haydn, J. Sibelius, C. Nielsen et B. Bartók. L’oeuvre de Holmboe peut être divisée en trois périodes. De 1935 à 1949, la franchise d’expression et la clarté formelle sont les principales caractéristiques que l’on trouve dans les 12 Concerts de chambre, le Nocturne pour quintette à vent et les six premières symphonies. Alors que l’après-guerre lui apporte la difficile confrontation avec les oeuvres sérielles-dodécaphonistes, Holmboe, avec Suono da Bardo, suite pour piano, les 1er et 2e quatuors à cordes de 1949 et la 7e symphonie de 1950, aborde une deuxième période, qu’il appelle celle de la « métamorphose ». Peut-être la plus riche, elle nous offrira la 8e symphonie op. 56 Boréale (1951-52), Liber Canticorum 1, 2, 3 et 4, la symphonie de chambre no 1 et les quatuors à cordes 3 à 5. En 1961, sans toutefois remettre en cause le principe de la métamorphose, l’expression devient plus statique ; les principaux ouvrages de Holmboe sont les symphonies 9 à 11 et les quatuors 6 à 14. Les symphonies sont au nombre de treize (la dernière a été créée en 1996), et les quatuors au nombre de vingt et un. HOLMES (Augusta), pianiste et femme compositeur française d’ascendance irlandaise (Paris 1847 - id. 1903). Elle était la filleule d’Alfred de Vigny. Elle fut d’abord une jeune prodige du piano, puis elle travailla la composition avec César Franck. En 1873, elle composa sa première oeuvre, le psaume In exitu, puis de nombreuses mélodies, certaines sous le pseudonyme de Hermann Zenta. Enfin, elle aborda la musique théâtrale avec un ouvrage en un acte, Hero et Léandre (1875). Suivirent des symphonies dramatiques et des poèmes symphoniques, comme Irlande (1882) ou Pologne (1883). Augusta Holmes écrivit aussi des pages de circonstance, comme l’Ode triomphale, composée à la gloire de la République à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889, ou l’Hymne à la Paix, chanté à Florence en 1890 lors des fêtes organisées en l’honneur de Dante. Poète, elle écrivait elle-même les livrets de ses compositions, imitant Wagner, qui était son modèle. Son opéra la Montagne Noire, créé à l’Opéra en 1895, contient de belles pages suggérées par le folklore balkanique du XVIIe siècle, mais souffre parfois d’une orchestration excessivement chargée. HOLST (Gustav), compositeur anglais d’origine suédoise (Cheltenham 1874 Londres 1934). C’est son arrière-grand-père qui vint s’établir à Cheltenham. Son père eût souhaité qu’il devînt pianiste, mais Gustav préféra la composition dès son plus jeune âge. Il dirigea des choeurs - qu’il affectionnait particulièrement - et un petit orchestre avant d’entrer au Royal College of Music en 1893, où il étudia la composition avec C. V. Stanford. Il travailla également le piano, l’orgue et le trombone. Après ses études, et malgré une santé de plus en plus précaire, il entra comme premier trombone et répétiteur dans différents orchestres. En 1903, il commença une carrière de professeur et, à partir de 1919, il enseigna la composition au Royal College of Music. Le surmenage, puis un accident l’obligèrent à limiter ses activités. Holst se consacra désormais à la composition jusqu’à sa mort. Comme son cadet Arnold Bax, il appartient à la période des « nationalistes ». S’inspirant des maîtres anciens de l’âge d’or de la musique anglaise ainsi que de Purcell, il a su éviter l’influence essentiellement germanique qui marque souvent encore les oeuvres de ses compatriotes à cette époque. Il a su également tirer profit de la chanson populaire (Somerset Rhapsody pour orchestre, 1906-1907). Sa partition la plus célèbre demeure sans doute la suite symphonique les Planètes (1919), oeuvre puissante, qui témoigne d’une profonde science de l’orchestre et qui frappe par la modernité de son langage (évocation de Mars). Citons encore l’exemple d’un nouvel appel au folklore, la Saint Paul’s Suite (1912-13). En 1917, apparaît The Hymn of Jesus, oeuvre pour choeurs et grand orchestre fondée sur les mélodies du plain-chant. Holst a également composé plusieurs opéras : Savitri, opéra de chambre (1908 ; première représ., Londres, 1916), The Perfect Fool (1918-1922 ; première représ., 1923), dont la musique de ballet est souvent jouée, The Boar’s Head (1925) et surtout The Wandering Scholar (1934), opéra de chambre tiré d’un conte médiéval que Chaucer n’aurait pas renié. Après sa mort, sa fille Imogen Holst (1907-1984) a été un ardent défenseur de ses oeuvres, partageant aussi sa passion pour la direction chorale. HOLZBAUER (Ignaz), compositeur autrichien (Vienne 1711 - Mannheim 1783). Élève de Fux (dont il avait étudié tout seul le Gradus ad Parnassum) à Vienne, il voyagea à son instigation en Italie, fut maître de chapelle en Moravie, où, en 1737, il épousa une chanteuse, puis retourna à Vienne. Après un deuxième séjour en Italie (v. 1744-1751) et deux années à Stuttgart comme chef d’orchestre, il fut appelé en 1753 à Mannheim, où, exception faite de trois nouveaux voyages en Italie et non sans avoir refusé, en 1778, de suivre à Munich l’Électeur Karl-Theodor, il devait passer le reste de ses jours. Il composa beaucoup de partitions instrumentales, dont environ 70 symphonies (celle en mi bémol op. 4 no 3 est connue sous le titre de II Tempesta del mare), des symphonies concertantes et de la musique de chambre, mais son importance réside surtout dans sa musique religieuse, ce qu’on peut expliquer par sa formation à l’école de Fux. En 1777, à Mannheim, Mozart entendit et apprécia fort son opéra en langue allemande Günther von Schwarzburg, sur un livret mettant en scène des personnages de l’antiquité germanique, et, en 1778, à Paris, il ajouta à un Miserere de Holzbauer huit morceaux, malheureusement perdus. Les autres opéras de Holzbauer sont en italien, y compris le dernier, Tancredi (1783). Ces opéras italiens sont d’ailleurs tous perdus, sauf deux, Nitetti (Turin, 1758) et Alessandro nell’Indie (Milan, 1759), l’un et l’autre sur un livret de Métastase. HOMILIUS (Gottfried August), compositeur et organiste allemand (Rosenthal, Saxe, 1714 - Dresde 1785). Élève de Bach à Leipzig, il fut nommé en 1742 organiste de la Frauenkirche de Dresde et en 1755 directeur musical des trois principales églises de la ville. Compositeur de musique religieuse et d’orgue, il a notamment laissé une Passion (1775) et l’oratorio de Noël Die Freude der Hirten über die Geburt Jesu (Joie des bergers à la naissance de Jésus, 1777). HOMOPHONIE (grec : « voix semblables »). Sur le sens de ce mot règne un certain flottement. Certains l’emploient comme contraire d’hétérophonie pour désigner toute musique en strict unisson ; d’autres, par contre, au lieu de homorythmie pour désigner une polyphonie note contre note, dans laquelle toutes les paroles sont dites en même temps aux différentes voix, ou son équivalent instrumental (le terme manque alors de contraire). On dit également que des notes ou des accords sont homophones lorsqu’ils sonnent à la même hauteur malgré une orthographe différente (par exemple, si dièse et do en système tempéré égal). HOMORYTHMIE. Terme impliquant, dans une polyphonie, la concordance rythmique note contre note des parties ainsi que celle des paroles s’il s’agit d’une composition vocale. L’écriture homorythmique, qui découle du conduit du XIIIe siècle, est à la base de l’« harmonie » au sens classique du mot, tandis que son contraire, la polyrythmie, downloadModeText.vue.download 481 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 475 issue du motet, s’est surtout développée à travers le contrepoint. ( ! HOMOPHONIE.) HOMS (Joaquim), compositeur espagnol (Barcelone 1906). Il étudie le violoncelle et commence très tard sa carrière de compositeur, après des leçons avec Roberto Gerhard (19301936). L’originalité de son style réside dans l’adaptation des éléments mélodicorythmiques propres au folklore catalan à la matière thématique sur laquelle il travaille. Homs est l’auteur de huit quatuors à cordes, d’un concertino pour piano et cordes, d’un sextuor, d’un quintette à vent et d’un duo pour flûte et clarinette. HONEGGER (Arthur), compositeur suisse (Le Havre 1892-Paris 1955). Né de parents zurichois, il bâtira une oeuvre où s’équilibrent les apports de son origine alémanique et de sa formation française. De son origine alémanique, il reçoit l’empreinte d’une tradition protestante. La Bible lui deviendra familière et l’inspirera (le Roi David, Judith). Il est, en quelque sorte, préparé à accueillir J.-S. Bach, dont la révélation, dès sa quinzième année, sous la forme de deux cantates dirigées par Caplet, est à l’origine du culte qu’il ne cessera de vouer à celui qu’il nomme « son grand modèle ». Il compose aussitôt un oratorio-cantate, le Calvaire, où se découvrent déjà les perspectives de son oeuvre future. N’est-ce pas par une Passion - que seule la mort de l’auteur du texte fera avorter - qu’il souhaite couronner sa carrière ? Du moins en connaissons-nous la première partie, Une cantate de Noël (1953), sa dernière oeuvre, qui s’achève sur un choral. La forme même du choral adhère à son tempérament. Honegger en dédie un à l’orgue, Fugue, Choral (1917) ; il en confie un à la trompette dans le finale de sa 2e symphonie pour cordes (1941). Parmi les oeuvres où se conjuguent les influences alémaniques, protestantes et de J.-S. Bach relevons le Roi David, psaume dramatique écrit en collaboration avec René Morax, représenté au théâtre populaire du Jorat (Mézières, Suisse) et qui, réinstrumenté et ramassé en oratorio, fut à l’origine, dès sa création à Paris en 1924, de la popularité de son auteur. C’est à propos de cette oeuvre que Honeg- ger répond à Cocteau, qui lui reproche son adhésion à une tradition agonisante : « Il me paraît indispensable, pour aller de l’avant, d’être solidement rattaché à ce qui nous précède. Il ne faut pas rompre le lien de la tradition musicale. Une branche séparée du tronc meurt vite. » D’autres oratorios succéderont à celui-là : Judith (1926), drame biblique où se renouvelle sa collaboration avec Morax, les Cris du monde (1931), sur un texte de R. Bizet ; Jeanne d’Arc au bûcher (1935 ; 1re représ., 1938), oratorio dramatique écrit en accord étroit avec Claudel. Cette rencontre avec le poète va être pour le musicien « une des plus grandes joies de (son) existence ». Si, à la scène, le succès de Honegger est immédiat et toujours renouvelé, sans doute tient-il à ce que le compositeur, ainsi qu’il nous le dit, s’est « efforcé d’être accessible à l’homme de la rue, tout en intéressant le musicien ». Cette attitude n’a d’ailleurs rien de passager et, à quelques rares exceptions, Honegger y sera fidèle. La collaboration avec Claudel se poursuit avec un nouvel oratorio, la Danse des morts (1938). C’est encore à cette même tradition que se réfère l’oratorio dramatique Nicolas de Flue (1939-40) sur un poème de D. de Rougemont, créé en 1941. L’apport alémanique est encore sensible dans l’éducation musicale que reçoit Honegger. À peine celui-ci a-t-il fait un peu d’harmonie avec Ch. Martin, organiste du Havre, qu’il part pour Zurich à dix-sept ans, muni de son baccalauréat, et pour deux ans. Au conservatoire de cette ville, les études sont essentiellement axées sur les grands maîtres classiques et romantiques. Quand il arrive à Paris, à dix-neuf ans, Honegger est surtout féru de la musique de Wagner, de Richard Strauss et de Max Reger. Beethoven, qu’il a découvert dès l’enfance et dont il a déchiffré les sonates à peine initié au solfège, aura une grande influence dans sa formation. En regard de ces « alluvions » alémaniques, qui lui viennent tant de son hérédité que de sa culture, que reçoit-il de la France ? Il y a d’abord la mer. Tout jeune, il l’a contemplée. Elle évoque son art puissant, les larges mouvements qui le rythment, le profond brassage des influences variées qu’elle a assimilées, le goût profond de son auteur pour la liberté. « Homme libre toujours tu chériras la mer », aurait-il pu s’écrier avec Baudelaire. Ce qu’il doit à la France, c’est, selon son propre aveu, son « affinement musical et esthétique ». C’est à Paris, au Conservatoire, qu’à son retour de Suisse, il poursuit ses études. Il y reçoit l’enseignement de L. Capet (violon), de Gédalge (contrepoint et fugue), de Widor (composition) et d’Indy (direction d’orchestre). Il y approfondit les compositeurs français. « Debussy et Fauré, dira-t-il, ont fait très utilement contrepoids dans mon esthétique et ma sensibilité aux classiques et à Wagner. » Mais Paris, c’est peut-être avant tout sa rencontre avec Darius Milhaud, son condisciple à la classe de Gédalge. Le jeune Aixois l’éblouit. Il devient son ami et l’introduit dans le milieu exaltant de ses relations, aussi bien musicales que picturales et littéraires. Honegger y rencontre quelques-uns de ceux qui deviendront ses amis et ses collaborateurs, tels F. Ochsé, qui aura sur lui la « plus heureuse action », Fauconnet, qui lui fournira le livret d’Horace victorieux (1920), vaste fresque atonale, l’une de ses oeuvres préférées, et Cocteau, qui, dès 1916, patronne, sous la houlette de Satie, les « Nouveaux Jeunes » en attendant, quatre ans plus tard, le « groupe des Six ». S’il adhère à ces mouvements, ce n’est que superficiellement (Marche funèbre des Mariés de la tour Eiffel de Cocteau, 1921). De cette époque date néanmoins une oeuvre qui marque un jalon important dans sa carrière de compositeur, le Dit des jeux du monde, musique de scène pour la pièce de P. Méral montée au Vieux-Colombier en 1918 par Jane Bathori et qui fait scandale. La collaboration du compositeur avec Cocteau restera pourtant essentielle, moins à cause des 6 Poésies de J. Cocteau (1920-1923) que pour Antigone (1924-1927). Au vrai, Honegger se détachera rapidement de l’esthétique prônée par Cocteau. Il n’a pas, comme il le dit, « le culte de la foire et du music-hall ». Il écrit à Poulenc un an avant sa mort : « Je considère Satie comme un esprit excessivement juste mais dépourvu de tout pouvoir créateur. Faites ce que je dis, ne faites surtout pas ce que je fais. Ce qu’il souhaite, c’est retrouver la communion avec le public. « On peut, dira-t-il, on doit parler au grand public sans concession mais aussi sans obscurité. » Aussi bien tourne-t-il le dos à tout mandarinisme. il s’écartera de Schönberg et de son école, de « cet art d’abstraction », ainsi qu’il le nommera. « La musique, proclame-t-il, doit changer de caractère, devenir droite, simple, de grande allure : le peuple se fiche de la technique et du fignolage. » Voilà qui peut faire comprendre que ce musicien « populaire » soit avant tout un lyrique et que son « rêve eût été de ne composer que des opéras ». Sa passion pour le théâtre lyrique remonte à sa neuvième année, où il a la révélation du Faust de Gounod. Aussitôt il entreprend (texte et musique) deux opéras, Philippe et Sigismond, puis commence une Esmeralda d’après Hugo. S’il n’écrit qu’un opéra, Antigone, sans parler de l’Aiglon (1935 ; 1re représ., 1937), en collaboration avec son ami Ibert, de deux mélodrames avec Valéry, Amphion et Sémiramis (1931), de deux opérettes, les Aventures du roi Pausole et les Petites Cardinal (1938), où il retrouve Ibert comme partenaire, on peut affirmer que la plus grande partie de son oeuvre prend essor sur un tremplin dramatique, aussi bien ses cinq symphonies, ses musiques de scène, de film ou ses ballets que sa musique de chambre. HONEGGER (Marc), musicologue français (Paris 1926). Ayant travaillé le piano, l’écriture, la composition et la direction d’orchestre, il a également suivi des études de musicologie avec Paul-Marie Masson et Jacques Chailley. En 1958, il fut chargé d’enseignement à l’université de Strasbourg, où il dévedownloadModeText.vue.download 482 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 476 loppa les activités musicales parmi les étudiants en créant en 1961 les Journées de chant choral et introduisit la préparation à l’éducation musicale (licence et concours de recrutement : C. A. P. E. S. et agrégation). Docteur ès lettres et professeur titulaire depuis 1970, il est en outre président de la Société française de musicologie. Ses recherches ont porté essentiellement sur la musique française du XVIe siècle, mais il a aussi contribué à une meilleure connaissance des oeuvres de Georges Migot. On lui doit enfin un Dictionnaire de la musique en 4 volumes, publié sous sa direction (vol. I et II : les Hommes et les oeuvres, Paris, 1970 [2e éd., 1979] ; vol. III et IV : Science de la musique, Paris, 1976). HOPAK ou GOPAK. Danse populaire ukrainienne à deux temps, souvent employée par le ballet classique russe. Elle adopte un mouvement rapide et un rythme incisif. Elle peut être dansée par des solistes ou en groupes. HOPKINSON (Francis), homme d’État, inventeur, poète et compositeur américain (Philadelphie 1737 - id. 1791). Il perfectionna le clavecin, ajouta un clavier à l’harmonica de verre de Franklin, inventa un instrument à cloches, qu’il appela « bellarmonica », et publia en 1788 un recueil de chansons, qu’il adressa à George Washington en revendiquant l’honneur d’être le premier Américain de naissance à produire une composition musicale. HOQUET. Procédé rythmique qui consiste à répartir une à une entre plusieurs voix ou instruments en alternance les notes d’une ligne mélodique. Apparu vers la fin du XIIIe siècle, le hoquet connut une grande vogue dans l’Ars nova du XIVe siècle, où il fut surtout utilisé comme « coda » dans les parties terminales ; de moins en moins employé par la suite, il disparut à peu près de la polyphonie vers 1530. On en retrouve un équivalent moderne dans certaines formules d’accompagnement orchestral dites « contre-temps », introduites dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. La symphonie classique ou l’opéra verdien ne dédaignent pas d’en faire usage, mais c’est surtout dans les musiques militaires ou les orphéons que s’est implantée sa suprématie. On a parfois donné le nom de « hoquet » comme titre à certaines pièces du XIVe siècle qui en faisaient usage ; l’un des plus célèbres est le Hoquet David de Guillaume de Machaut, comportant 2 voix riches en hoquets sur une 3e voix en teneur. HORENSTEIN (Jascha), chef d’orchestre américain d’origine russe (Kiev 1899 Londres 1973). Il étudia à Vienne le violon avec A. Busch (1911), puis la philosophie à l’université (1918) et débuta comme chef d’orchestre en 1923. Il travailla à Düsseldorf jusqu’en 1933 et enseigna à la New School for Social Research de New York en 1940. Il dirigea pour la première fois Wozzeck d’Alban Berg à Paris (O.R.T.F., 1950) et, des chefs de sa génération, fut un des plus grands interprètes de Gustav Mahler. HORNBOSTEL (Erich Moritz von), musicologue autrichien (Vienne 1877 - Cambridge 1935). Il étudia la chimie, la physique et la philosophie à Vienne et à Heidelberg, puis il s’installa à Berlin, où il se consacra uniquement à la psychologie et (avec son maître C. Stumpf) à la musicologie. Professeur à l’université de Berlin en 1917, il dirigea de 1906 à 1933 le PhonogrammArchiv de cette ville. Obligé d’émigrer en 1933, il obtint à la New School of Social Research de New York un poste d’enseignant, qu’il dut abandonner au bout d’un an pour raison de santé. Il fut le fondateur de l’ethnomusicologie moderne (ou musicologie comparée) et compta parmi ses collaborateurs berlinois Walter Wiora. En 1906, il avait fait un voyage d’études chez les Indiens de l’Amérique du Nord. Il a écrit de très nombreux articles et édité avec C. Stumpf les Sammelbände für vergleichende Musikwissenschaft (1922). HORNE (Marilyn), mezzo américaine (Bradford 1929). Elle fait ses débuts à Los Angeles en 1954 dans la Fiancée vendue de Smetana (rôle de Hata). La même année, elle est choisie pour doubler Dorothy Dandridge dans le célèbre film Carmen Jones. En 1956, elle part se perfectionner en Europe. Stravinski lui fait créer sa Cantate de saint Marc au festival de Venise. En 1967, à Londres, Marilyn Horne chante pour la première fois Adalgise aux côtés de la Norma de Joan Sutherland et s’affirme comme une des grandes interprètes actuelles des rôles de bel canto orné. C’est pourtant les représentations du Siège de Corinthe dans le rôle de Néocles de Rossini, données à la Scala de Milan en 1969, pour le centenaire de la mort du compositeur, qui la consacrent définitivement parmi les virtuoses les plus accomplies de notre époque. Depuis lors, Marilyn Horne a abordé certains rôles plus lourds, tels que Fidès du Prophète de Meyerbeer et Azucena du Trouvère de Verdi. Mais il est évident que le chant d’agilité reste son domaine d’élection. À défaut d’un volume exceptionnel, sa voix possède un timbre sombre et corsé d’une séduction très personnelle. HORNEMAN (Christian Frederik Emil), compositeur danois (Copenhague 1840 id. 1906). Il fut une des plus fortes personnalités du mouvement romantique de son pays. Ses études poursuivies à Leipzig lui permirent de faire la connaissance de E. Grieg, qu’il retrouva à Copenhague en 1865. Ce fut l’occasion pour eux de créer l’éphémère groupe Euterpe (avec Rikard Nordraak et Gottfred Matthison-Hansen), qui avait pour but de contrebalancer l’influence de la très conservatrice Musikforeningen de N. Gade. À l’ombre de ce dernier, Horneman n’arriva jamais à imposer son style et se consacra surtout à l’enseignement (C. Nielsen fut, dans les années 80, un élève admiratif de l’art de son maître). Ses oeuvres les plus remarquables - l’ouverture féerique d’Aladdin, créée à Leipzig en 1864 et complétée par la suite en opéra (1888), l’ouvrage symphonique Ein Heldenleben (« Une vie de héros »), la musique de scène de Kalanus (1880), et de nombreux lieder immortalisent le nom d’un compositeur qui ne put, malheureusement, totalement extérioriser des dons évidents. HORNPIPE. Instrument primitif, d’origine britannique, fait à partir d’une corne d’animal et pourvu d’une anche simple. Cet instrument a donné son nom à une danse populaire anglaise, qui devient au XVIIe siècle une danse de cour que l’on trouve dans la suite instrumentale (notamment chez H. Purcell), mais qui se fait aussi une place parmi les danses de théâtre. Quelques pièces vocales de cette époque sont en réalité des hornpipes (H. Purcell : Nymphs and shepherds, come away). D’abord à 3 temps, puis à 4 temps, le hornpipe se danse en sautant avec peu de déplacements latéraux. HOROWITZ (Vladimir), pianiste américain d’origine russe (Kiev 1904 - New York 1989). De 1910 à 1921, il étudia au conservatoire de Kiev avec Félix Blumenfeld, qui lui transmit la tradition d’Anton Rubinstein, et avec S. Tarnovski. En 1915, il joua devant Scriabine, qui l’encouragea à se consacrer entièrement à la musique. Entre 1922 et 1925, il fit de triomphales tournées en Union Soviétique (Kharkov, Moscou, Leningrad). Il vint ensuite à Hambourg, à Berlin (1925) et à Paris. En 1928, aux États-Unis, il se révéla au public newyorkais dans le concerto de Tchaïkovski sous la direction de Thomas Beecham. La même année, il joua à la Scala de Milan le 2e concerto de Brahms et le 3e de Rachmaninov, qu’il rejoua à Londres en 1930 sous la baguette de Mengelberg. En 1933, il épousa la fille de Toscanini, Wanda. Il obtint la nationalité américaine en 1944. Après la Seconde Guerre mondiale, downloadModeText.vue.download 483 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 477 il donna quelques concerts en Europe, puis regagna les États-Unis, où il s’établit définitivement. Après une interruption de douze ans, il réapparut en public en 1965 lors d’un mémorable récital à Carnegie Hall, qui devait marquer pour lui le début d’une seconde carrière. Son jeu se caractérise par une virtuosité et une précision étonnantes ainsi que par une sonorité véritablement orchestrale, qualités qui trouvent leur meilleure application dans la sonate de Liszt, les Tableaux d’une exposition de Moussorgski, la 7e sonate et la Toccata de Prokofiev, les oeuvres de Scriabine, et Petrouchka de Stravinski. Mais Horowitz sait aussi faire un travail d’orfèvrerie délicat et puissant à la fois dans les sonates de Scarlatti ou de Clementi. En 1944-1948, il a contribué à la formation pianistique de Byron Janis, qui reste son unique élève. Il a réalisé des transcriptions et composé quelques oeuvres pour piano, notamment des Variations sur des thèmes de Carmen brillantes et pleines de verve. HORSZOWSKI (Mieczyslaw), pianiste polonais naturalisé américain (Lvov 1892 - Philadelphie 1993). Après des études au Conservatoire de Lvov, puis à Vienne avec Theodor Leschetizky, il se produit comme enfant prodige dès 1901 en jouant le Premier Concerto de Beethoven à Varsovie. En 1903, il part en Amérique du Sud, fait ses débuts à New York en 1906 et s’installe à Paris en 1911. Il y rencontre Debussy, Ravel et Martinu, mais son activité y est fort discrète puisqu’il n’y donne aucun récital après 1927. Sa carrière rebondit en 1940 lorsqu’il se fixe à New York, où il devient le partenaire de Casals et de Joseph Szigeti. Il crée aussi des oeuvres de Villa-Lobos et de Copland. En 1942, il est nommé professeur au Curtis Institute de Philadelphie, où il compte parmi ses élèves Muray Perahia et Peter Serkin. En 1947, il fonde le New York Piano Quartet, et devient un proche collaborateur de Rudolf Serkin au Festival de Marlboro. Dans les années 1970, il est redécouvert en Europe. Il revient en vétéran à Prades et à Paris, où il est accueilli comme une figure de légende. À plus de quatre-vingt-dix ans, presque aveugle, il joue ses programmes entièrement par coeur, y compris les oeuvres de musique de chambre. Il donne son ultime récital à Philadelphie en avril 1991. HOSANNA. Terme hébreu d’acclamation, conservé dans la liturgie latine en plusieurs endroits de l’office, notamment dans le Sanctus de la messe, où il forme un refrain (Hosanna in excelsis) à la suite de chacune des deux parties, Sanctus et Benedictus. Dans le répertoire grégorien, ce refrain était simplement soudé au texte, de même que dans les messes polyphoniques les plus anciennes, mais, à mesure que cellesci gagnaient en ampleur, il tendit à s’en détacher pour devenir un morceau indépendant, généralement de style brillant, volontiers fugué, avec, selon les cas, tantôt deux musiques différentes pour les deux hosanna, tantôt reprise pure et simple de la première pour la seconde. Aucune règle n’est ici imposée, le musicien réagissant selon les circonstances de composition ou d’exécution. HOTHBY (John ou Johannes Ottobi), théoricien et compositeur anglais ( ? v. 1410 - ? 1487). Ce moine carmélite enseigna à l’université d’Oxford, où il a fait ses propres études. Ses écrits laissent entendre qu’il parcourut la France, l’Espagne et l’Allemagne. Hothby séjourna sûrement à Florence, et, de 1467 à 1486, à Lucques. En 1486, il quitta l’Italie, rappelé par Henri VII en Angle- terre. Docteur en théologie, il enseigna, outre la musique, la grammaire et l’arithmétique, et exerça comme professeur une remarquable influence. Défendant les théories d’un Guido d’Arezzo, il s’éleva, en revanche, contre celles du théoricien espagnol Ramos de Pareja (Dialogus in arte musica). Son ouvrage le plus important, écrit en italien, reste La Calliopea legale (Paris, 1852). Hothby a, par ailleurs, laissé quelques oeuvres polyphoniques à 3 et à 4 voix. HOTTER (Hans), basse-baryton allemand (Offenbach-sur-le-Main 1909). Il a fait ses études à Munich et, à partir de 1937, a mené l’essentiel de sa carrière dans cette ville et à Vienne, participant notamment à Munich aux créations de Jour de paix (1938, rôle du Commandant) et de Capriccio (1942, rôle d’Olivier) de Richard Strauss. il s’imposa surtout comme un des plus grands chanteurs wagnériens de l’histoire, en particulier dans les rôles de Wotan (qu’il chanta à Bayreuth à partir de 1951), du Hollandais et de Gurnemanz. Sa voix, immense, aux couleurs sombres, pouvait aussi s’adapter au climat intimiste du lied, et le Voyage d’hiver de Schubert n’a sans doute jamais été restitué avec autant d’intensité que par lui. HOTTETERRE famille de musiciens et de facteurs d’instruments français. Originaire de La Couture-Boussey, près d’Évreux, elle descend de Loys Hotteterre (mort vers 1620), tourneur de bois à La Couture. Jean, joueur fils de Loys ment facteur 1650 dans la roi. de hautbois et de musette, ( ? v. 1605 - ? v. 1691). Égaled’instruments, il entra vers musique de la Chambre du Jean, neveu du précédent ( ? v. 1648 - Paris 1732). Il fut un des plus grands facteurs d’instruments (à vent) de la famille. Martin, fils de Jean (1) et cousin de Jean (2) [ ? v. 1640 - ? 1712]. Il se distingua dans la facture de la musette du Poitou. Nicolas, cousin des deux précédents ( ? v. 1637 - Versailles 1694). Il joua du basson à la chapelle royale et, comme Martin, fut membre du Grand Hautbois. Louis, frère du précédent ( ? v. 16451650 - Ivry 1716). Flûtiste du roi, il contribua beaucoup à la diffusion en France de la flûte traversière. Nicolas, frère des deux précédents (La Couture-Boussey 1653 - Paris 1727). Il entra dans le Grand Hautbois en 1667. Jacques, dit Hotteterre-le-Romain, fils de Martin et arrière-petit-fils de Loys (Paris 1674 - id. 1763). Il voyagea en Italie et fut le plus célèbre membre de la famille. Il revint à Paris en 1705 et entra comme flûtiste à la Chambre du roi ainsi que comme basson (et viole de gambe) dans la musique de la Grande Écurie. Ce fut un virtuose distingué, qui a beaucoup contribué au progrès de son instrument principal. Ses oeuvres sont en majorité pour flûte traversière, à laquelle il a consacré aussi des ouvrages théoriques et des méthodes (Principes de la flûte traversière, ou flûte d’Allemagne. De la flûte à bec, ou flûte douce, et du haut-bois, diviséz par traitéz, Paris, 1707 ; l’Art de préluder sur la flûte traversière..., Paris, 1719 ; Méthode pour la musette..., Paris, 1737 ; rééd., 1977). Jean, frère du précédent (mort en 1720). Il entra au Grand Hautbois en 1710 et a laissé une suite pour musette, publiée par son frère en 1722. HOUDAR DE LA MOTTE (Antoine), librettiste français (Paris 1672 - id. 1731). Il étudia le droit, traversa une crise religieuse avant de trouver finalement sa vocation dans la littérature. Ami de Fontenelle et de Voltaire, il prit parti, dans la querelle des Anciens et des Modernes, pour ces derniers. Dans ses Discours sur la tragédie (publiés avec ses oeuvres de théâtre, Paris, 1730), il critiqua les règles de la tragédie au nom de la vraisemblance et conseilla notamment de substituer l’« unité d’intérêt » à l’« unité d’action ». Auteur de plusieurs pièces de théâtre, il fournit également de nombreux livrets à la plupart des compositeurs français de son époque : Campra, Colasse, Dauvergne, Destouches, La Barre, La Borde, Marais, Mondonville, Mouret. C’est celui de l’Europe galante, mis en musique par Campra et représenté le 24 octobre 1697, qui le rendit célèbre et le fit reconnaître comme le créateur d’un genre neuf : l’opéra-ballet. Spectacle somptueux qui illustrait des sujets appartenant à la vie moderne, cette downloadModeText.vue.download 484 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 478 forme dramatique purement française connut un succès croissant pendant tout le XVIIIe siècle, et, jusque vers 1750, ce fut l’Europe galante qui servit de référence. HOVHANESS (Alan), compositeur américain d’origine écossaise et arménienne (Somerville, Massachusetts, 1911). Sa fascination pour l’lnde et les musiques orientales, et plus particulièrement pour la musique arménienne, lui fait traverser une période d’exotisme impressionniste plus ou moins influencé par Sibelius, à laquelle il met fin en 1940 en détruisant la quasi-totalité de sa production (un millier d’oeuvres). Docteur de l’université de Rochester, professeur à Boston et organiste de la cathédrale arménienne, Hovhaness entre alors dans sa « période arménienne », qui culmine avec la Saint Vartan Symphony, et se fixe enfin à New York en 1951. Compositeur prolifique (il a écrit 24 symphonies, de nombreux concertos, des opéras, de la musique de chambre), il reste réfractaire aux courants contemporains et est influencé par les systèmes musicaux orientaux, qu’il a assimilés au cours de divers voyages en Inde et au Japon. HOVLAND (Egil), compositeur et organiste norvégien (Mysen 1924). Il a été élève de B. Brustad à Oslo et de V. Holmboe à Copenhague, puis de A. Copland et de L. Dallapiccola ; avouant une grande admiration pour le style de ce dernier et une admiration égale pour l’esthétique de C. Nielsen et de B. Bartók, il a su développer un art qui, à défaut d’une grande originalité, s’établit sur la virtuosité de l’écriture. Parti du néoclassicisme (Concertino pour 3 trompettes et cordes, 1954-55 ; Symphonies 1 et 2, 1952-53 et 1954-55 ; Musique pour 10 instruments, 1957), il se tourne tout d’abord vers un néosérialisme dodécaphonique qui utilise parfois même des procédés aléatoires. En 1962, son style s’élargit avec The Song of the Songs pour soprano et instruments ; plus riche, plus dramatique et plus coloré est le langage musical de Lamenti pour orchestre (1963). L’oeuvre religieuse et les pièces d’orgue sont également im- portantes, et, dans Missa vigilate pour choeur, solistes, danseurs, orgue et bande magnétique (1967) ou Rorate pour orgue, orchestre, 5 sopranos et bande magnétique, Hovland place côte à côte le chant grégorien, la tonalité, le sérialisme dodécaphonique et les procédés électroniques. Sans être un avant-gardiste, il représente parfaitement une tendance nordique qui trouve des correspondances d’attitude en Finlande avec E. Bergman et en Suède avec I. Lidholm. HOWELLS (Herbert), compositeur anglais (Lidney, Gloucestershire, 1892 Oxford 1983). Il reçut sa formation au Royal College of Music de Londres sous la direction de C. V. Stanford et de C. H. Parry. De 1912 à 1917, il fut organiste à l’église de Saint Mary in Lidney, puis à Saint John’s College, à Cambridge, avant de devenir lui-même professeur de composition au Royal College of Music (1920). Directeur de la musique au Morley College, puis à Saint Paul’s Girls’ School (1936-1962), il enseigna à l’université de Londres de 1954 à 1964. Il a composé pour orchestre (King’s Herald, pour le couronnement de 1937), des concertos (un pour cordes et deux pour piano), de la musique de chambre, dont deux quatuors à cordes, des mélodies et surtout de la musique religieuse (Missa Sabrinensis, 1954 ; Stabat Mater, 1963). Son langage, assez traditionnel, est teinté de chromatisme personnel. HRISTIC (Stevan), compositeur yougoslave (Belgrade 1885 - id. 1958). Il fit ses études musicales à Leipzig (avec Nikisch), à Rome, à Moscou et à Paris, et il fonda en 1923 la Philharmonie de Belgrade. Il dirigea également l’Opéra (1924-1935) et enseigna (1937) à l’Académie de musique de cette ville. Dans un style inspiré à la fois du folklore et de la musique française du début du XXe siècle, et évoquant parfois Falla, il a écrit notamment l’opéra Suton (« Crépuscule », 1925 ; rév. 1954) et le ballet la Légende d’Okhrid (1933 ; rév. 1958). On lui doit aussi l’oratorio la Résurrection (1912) et un Requiem orthodoxe (1918). HUBAY (Jenö), violoniste et compositeur hongrois (Budapest 1858 - id. 1937). Élève de son père, puis, à Berlin, de Jozsef Joachim (1873-1876), il se rendit à Paris sur la recommandation de Liszt et y fit la connaissance de Vieuxtemps. Il fut ensuite professeur à Bruxelles (1882) avant de retourner définitivement en Hongrie, où il mena une brillante carrière de virtuose et d’enseignant, et où il fonda avec le violoncelliste David Popper un célèbre quatuor. Comme compositeur, on lui doit notamment huit opéras, dont le Luthier de Crémone (1894) et Anna Karenine (1915), quatre symphonies, les célèbres Scènes de Csárdás pour violon avec orchestre ou piano et des pièces diverses pour son instrument. Parmi les élèves de Hubay, citons Joseph Szigeti et Stefi Geyer. HUBEAU (Jean), pianiste, compositeur et pédagogue français (Paris 1917 - id. 1992). Élève au Conservatoire de Jean et Noël Gallon, Lazare Lévy et Paul Dukas, il obtient cinq premiers prix, dont ceux de piano, d’harmonie et de composition, ainsi que le second grand prix de Rome en 1934. Il poursuit ses études à l’Académie de musique de Vienne, dont il sera lauréat en 1937, et travaille la direction d’orchestre avec Félix Weingartner. Sa carrière de soliste et de chef est jalonnée de très nombreux concerts et enregistrements, dont les intégrales de la musique de chambre de Schumann et de Gabriel Fauré. Son activité de compositeur, qu’il inaugure dès l’âge de seize ans par la publication de Variations pour piano, s’exerce dans le domaine de la musique instrumentale et symphonique, de la mélodie et du ballet. On lui doit notamment un concerto pour violon, un concerto pour violoncelle et un Concerto héroïque pour piano et orchestre. Par ailleurs, Jean Hubeau a formé un grand nombre d’élèves en tant que directeur du conservatoire de musique de Versailles de 1942 à 1957, puis comme titulaire d’une classe de musique de chambre au Conservatoire de Paris à partir de 1958. HUBER (Hans), compositeur suisse (Eppenberg 1852 - Locarno 1921). Élève du conservatoire de Leipzig, il enseigna à Wesserling, à Thann (Alsace) et, à partir de 1877, à Bâle, ville dont il dirigea l’école de musique de 1896 à 1918. Comme pédagogue et comme compositeur, il joua dans la vie musicale de son pays un rôle de premier plan, édifiant dans l’esthétique de Brahms une oeuvre importante et d’une solide facture, souvent à la recherche d’une expression nationale. On lui doit huit symphonies (1881-1920), dont certaines sur des arguments nationaux (no 1 Tell, no 2 Böcklin) ou idéologiques (no 3 Héroïque, no 4 Académique, no 7 Suisse), des opéras, dont Weltfrühling (1894), Kudrun (1896), Der Simplicius (1912) et Die schöne Bellinda (1916), des oratorios, de la musique de chambre et de piano, etc. HUBER (Klaus), compositeur suisse (Berne 1924). Instituteur, il étudia avec Willy Burkhard (composition) et Stefi Geyer (violon) au conservatoire de Zurich (1947-1949), puis avec Boris Blacher à Berlin. Jusqu’en 1955, il prit des leçons privées avec Burkhard. Il enseigna le violon au conservatoire de Zurich (1950-1960), l’histoire de la musique à celui de Lucerne (1960-1963) et la théorie (1961), puis la composition et l’instrumentation (1964) à l’Académie de musique de Bâle. En 1973, il devint, grâce à une bourse du D. A. A. D., compositeur en résidence à Berlin et fut nommé professeur de composition à l’École supérieure de musique de Fribourg-en-Brisgau : il devait y avoir comme assistant son ancien élève Brian Ferneyhough. Ses premières oeuvres datent de 1952 (Abendkantate pour voix de basse, 2 flûtes, alto, violondownloadModeText.vue.download 485 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 479 celle et clavecin sur un texte d’Andreas Gryphius), mais Huber attira surtout l’attention avec Sechs kleine Vokalisen pour contralto, violon et violoncelle (1955), symphonie de chambre Oratio Mechtildis pour contralto et orchestre de chambre sur un texte de Mechtild von Magdeburg (1956-57) ou encore Auf die ruhige NachtZeit pour soprano, flûte, alto et violoncelle (1958). Ses oeuvres s’inscrivent sous le signe d’un sentiment global de la nature et de constantes préoccupations religieuses et spirituelles. Dans Tenebrae pour grand orchestre, célesta, orgue électrique, timbales et percussion (1966-67), oeuvre qui lui valut en 1970 le prix Beethoven de la ville de Bonn, les forces menaçant ces valeurs sont symbolisées par le phénomène de l’éclipse solaire, elle-même associée à la Crucifixion. Dans ... inwendig voller figur... pour choeur, haut-parleurs, bande magnétique et grand orchestre (1970-71), commande de la ville de Nuremberg pour le cinquième centenaire d’Albrecht Dürer, les textes sont tirés à la fois de Dürer et de l’Apocalypse, et on retrouve certaines proportions numériques des oeuvres de Dürer. Citons encore Soliloquia, oratorio pour solos, 2 choeurs et grand orchestre sur un texte de saint Augustin (19591964), Alveare Vernat pour flûte et 12 cordes (1965), Tempora, concerto pour violon et orchestre (1969-70), Hiob 19 pour choeur et 9 instruments (1971), Jot, oder Wann kommt der Herr zurück, opéra dialectique sur un texte de Philip Oxmam (1972-73 ; création fragmentaire, Berlin, 1973), Im Paradies oder Der Alte vom Berge, opéra sur un texte d’Alfred Jarry (1973-1975, création, Bâle, 1975), Erinnere dich an G... pour contrebasse et 17 musiciens (1976-77), ... ohne Grenze und Rand... pour alto et petit orchestre (197677) et Erniedrigt-Geknechtet-Verlassen-Verachtet... (« Humilié-Asservi-AbandonnéMéprisé... »), oratorio en sept parties sur un texte d’Ernesto Cardenal (1979-1981 ; création, festival de Hollande, 1981), un 2e quatuor à cordes (1983), Spes contra spem pour chanteurs, acteurs et orchestre (Bochum, 1989), Qui clamavi ad te : Miserere pour 6 voix a cappella (1993), Concerto pour piano et orchestre de chambre (19931994), Lamentationes de fine vicesimi saeculi pour grand orchestre (1995). HUBERMAN (Bronislaw), violoniste polonais (Czanstochowa 1882 - Nant-surCorsier, Vevey, 1947). Il étudie successivement au conservatoire de Varsovie avec M. Michalowicz et I. Lotto, ancien élève du Conservatoire de Paris, et à Berlin avec Joachim, H. Heermann, M. Marsick et K. Gregorowicz. Mais toutes ces leçons sont irrégulières et cessent alors qu’il n’a que dix ans, ce qui fait de lui en grande partie un autodidacte. Lors du concert d’adieu de la célèbre soprano Adelina Patti à Vienne en 1895, son interprétation du concerto de Brahms fait sensation et enthousiasme le compositeur lui-même. Huberman fait ensuite de nombreuses tournées. Intuitif, parfois extravagant, il demeure une des plus fortes personnalités de l’histoire du violon. HUCBALD DE SAINT-AMAND théori- cien français ? (environs de Tournai v. 840 - Saint-Amand 930). Il étudie à Saint-Amand dans un monastère dirigé par son oncle, puis à Nevers et à Auxerre, où il travaille avec Heiric. En 886, fuyant l’invasion des Normands, il s’installe à Saint-Omer. Après un séjour à Reims pour organiser les écoles, il revient définitivement à Saint-Amand et consacre le reste de sa vie à ses écrits. Si l’on accepte aujourd’hui qu’il est l’auteur du traité De harmonica institutione, on l’a longtemps considéré comme l’auteur de l’ouvrage théorique le plus important de toute cette époque, qui a exercé une influence considérable sur les débuts de la musique polyphonique aux IXe et Xe siècles, Musica Enchiriadis. Afin d’améliorer le système d’écriture des neumes, Hucbald inventa une notation musicale fondée sur l’emploi de lignes horizontales parallèles, des emprunts (centons) et d’une notation alphabétique. HUE (Georges), compositeur français (Versailles 1858 - Paris 1948). Fils d’un architecte, il fit de brillantes études classiques avant de manifester des dispositions pour la musique. Au Conservatoire de Paris, il fut l’élève de Reber et de Paladilhe, et obtint le premier grand prix de Rome en 1879. Il n’aborda aucune carrière d’instrumentaliste ni de professeur, se consacrant entièrement à la composition. Il obtint en 1881 le prix Crescent avec son opéra-comique les Pantins et en 1886 le prix de la Ville de Paris avec sa légende symphonique Rubezahl. Musicien éclectique, il révéla un grand sens du pittoresque dans le ballet Siang-Sin (1924) et beaucoup de fantaisie dans l’opéracomique Riquet à la houppe (1928). L’influence de Wagner, qu’il admirait, se ressent dans son oeuvre, surtout au niveau de la richesse sonore de l’orchestration. Hue fut président de l’Académie des beaux-arts, citoyen d’honneur de la ville de Bayreuth et membre de l’Institut en 1922, en succession de Camille SaintSaëns. HUGHES (Dom Amselm), musicologue anglais (Londres 1889 - Nashdom Abbey, Burnham, Buckinghamshire, 1974). Ayant fait ses études à Oxford, il se spécialisa dans l’étude de la musique d’église du Moyen Âge, sur laquelle il publia plu- sieurs études. Directeur de la musique dans différentes abbayes anglaises, il a été prieur de l’abbaye de Nashdom de 1936 à 1945. Il participa également à la Plainsong and Medieval Music Society, à la Gregorian Association et fut président du Faith Press Ltd de Londres. Il contribua d’autre part à l’édition du Grove’s Dictionary of Music and Musicians et à celle du Old Hall Manuscript (1933-1938). Il a composé une Missa sancti benedicti (Londres, 1918) et plusieurs pièces de musique d’église. HUGO DE LANTINS, musicien originaire de Liège (XVe s.). Peut-être apparenté à Arnold de Lantins, dont il était l’aîné, il a séjourné à Venise vers 1415-1430 (cf. le motet Christus vincit louant les succès de F. Foscari, doge à partir de 1423), et l’une de ses chansons, Tra quante regione, célèbre le mariage de Cleofe Malatesta avec Théodore Paléologue, fils de l’empereur byzantin. Hugo de Lantins employa toujours volontiers un style imitatif, les procédés de la « musica ficta », les modes transposés et les changements de prolation, mais le fait que son Et in terra pax ait pu être transcrit sous le nom de Dufay montre qu’il tendit parfois vers des contours mélodiques empreints de simplicité. HUGON (Georges), compositeur français (Paris 1904 - Blauvac, Vaucluse, 1980). Il fut au Conservatoire de Paris l’élève de Jean Gallon, de Georges Caussade et de Paul Dukas. C’est à ce dernier qu’il doit un métier très sûr, qu’il a mis au service d’un tempérament rêveur et sensible. Il obtint ses premiers prix de piano et d’harmonie en 1921, de composition en 1930, année où il reçut le prix de la Fondation Blumenthal pour la pensée et l’art français. En 1934, il fut nommé directeur du conservatoire de Boulogne-sur-Mer, poste qu’il occupa jusqu’à l’occupation allemande (1941). Après la guerre, en 1948, on lui confia une chaire d’harmonie au Conservatoire de Paris. Le conseil général de la Seine lui décerna son grand prix musical en 1967. Hugon est l’auteur de deux symphonies (1941 et 1949), d’un quatuor à cordes (1931) et d’oeuvres instrumentales et vocales. D’une troisième symphonie, consacrée à Prométhée, n’ont été achevés que les deux premiers mouvements. HUGUES DE BERZÉ, trouvère français ( ? v. 1150-1155 - ? v. 1220). Seigneur de Berzé-le-Châtel, près de Mâcon, il participa à la 4e croisade (12021204), séjourna à Constantinople et écrivit sa Bible au seigneur de Berzé, qui dénonçait les abus du clergé de son temps. On possède huit chansons de lui, dont un chant de croisade très personnel. downloadModeText.vue.download 486 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 480 HUITIÈME DE SOUPIR. Silence d’une durée égale au huitième d’une noire et correspondant par conséquent à la triple croche. HUIT-PIEDS. On désigne ainsi, à l’orgue, tout jeu dont le tuyau donnant la note la plus grave (ut 1) mesure approximativement huit pieds de hauteur. Les jeux de huit pieds (on écrit aussi 8′) sonnent à l’unisson de la voix humaine et correspondent à la hauteur réelle des notes sur les instruments à clavier. Ils constituent donc la base de la composition des jeux d’un orgue, les jeux de hauteur différente venant se surajouter pour modifier à volonté la couleur sonore. Les jeux sonnant une ou deux octaves plus bas correspondent à des tuyaux respectivement de seize et de trente-deux pieds (soit ut-1) ; ceux qui se font entendre une, deux ou trois octaves plus haut correspondent à des tuyaux de quatre, de deux et d’un pieds (ut 4). C’est ainsi que, malgré un clavier court, qui n’excède jamais cinq octaves, l’orgue peut être le plus étendu des instruments, couvrant jusqu’à onze octaves. L’expression huit-pieds s’emploie, par extension, pour d’autres instruments, comme le clavecin, pour désigner les jeux sonnant à l’octave réelle, c’est-à-dire à l’unisson du clavier. HULLMANDEL (Nicolas-Joseph), pianiste et compositeur français (Strasbourg 1756 - Londres 1823). Il étudia à la cathédrale de Strasbourg avec F. X. Rixhter, puis peut-être à Hambourg avec Carl Philip Emanuel Bach, et il s’installa vers 1776 à Paris, où il se fit une brillante réputation comme interprète et comme professeur de piano et de clavecin ainsi que comme virtuose de l’harmonica de verre. En 1789, il s’établit à Londres avec sa famille. Toute sa production est pour clavecin ou piano, parfois avec accompagnement de violon facultatif ou obligé. Les opus 1 à 11 parurent à Paris de 1773 à 1788 ; l’opus 12, à portée didactique, parut à Londres en 1796. Hullmandel écrivit l’article clavecin dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. HUME (Tobias), violiste et compositeur anglais ( ? v. 1569 - Londres 1645). Ce célèbre joueur de viole fut également officier dans l’armée royale. Essentiellement compositeur de musique instrumentale (116 pièces pour 1, 2 ou 3 violes, ou lyra-viols), il publia en 1605 un recueil intitulé The First Part of Ayres, French, Pollish and others... et en 1607 Captain Humes Poeticall Musicke, principally made for two Bass Viols..., qui contient, outre des pièces instrumentales, cinq airs à chanter. HUMFREY (Pelham), compositeur anglais ( ? 1647 - Windsor 1674). Il commence sa vie musicale comme chantre et élève de Henry Cooke à la Royal Chapel de 1660 à 1664 environ, date à laquelle il a déjà écrit quelques anthems, dont Haste thee O God. Cette manifestation de son talent lui vaut une bourse pour la France, où, à en juger d’après certains traits stylistiques de son oeuvre, il rencontre sans doute Lully. Humfrey séjourne également en Italie et s’informe des dernières techniques de l’écriture vocale. À son retour en Angleterre, il se trouve nommé luthiste à la cour (1666) et « Gentleman of the Royal Chapel » (1667). S. Pepys, dans son Journal, offre plusieurs appréciations de la valeur de son compatriote. À cette époque, Humfrey compose de la musique d’église, des airs ainsi que ses trois odes, dont celle de 1672, When from his throne, pour célébrer l’anniversaire du roi. La même année, il devient maître des enfants de la chapelle. Le jeune Henry Purcell est l’un de ses élèves. Pour The Tempest, dans une adaptation de Th. Shadwell représentée en 1674, Humfrey compose deux masques. Il tombe malade peu après et meurt à l’âge de vingt-sept ans. Particulièrement sensible aux textes poignants, il sait « attiser les passions », que son harmonie chromatique et ses intervalles mélodiques disjoints mettent si bien en relief. Il réussit tout particulièrement dans ses verse anthems, dont les proportions (solos, choeurs, instruments) peuvent atteindre celles du grand motet, qu’il aurait entendu en France. Outre les odes, déjà citées, il laisse un total de vingt-sept airs, dont cinq sont des airs de dévotion. HUMMEL (Johann Julius), éditeur allemand (Waltershausen 1728 - Berlin 1798). D’abord corniste, il fonda sa maison d’édition à Amsterdam au plus tard en 1753, et en 1770 établit une branche à Berlin, où il s’installa lui-même en 1774. Il fut en Allemagne du Nord le principal éditeur des oeuvres de Haydn, ce qui fit de lui un concurrent d’Artaria à Vienne. Il eut comme collaborateurs son frère Burchard (1731-1797), sa fille Elisabeth Christina (1751-1818) et son fils Johann Bernhard (1760-v. 1805). Sa maison cessa ses activités en 1828. HUMMEL (Johann Nepomuk), pianiste et compositeur autrichien (Presbourg 1778 - Weimar 1837). Enfant prodige, il reçut ses premières leçons de musique de son père, Johannes, puis étudia à Vienne avec Mozart, qui l’hébergea dans sa propre maison (17861788) et grâce à qui il donna son premier concert en 1787. Il partit ensuite avec son père pour une tournée qui le mena en Allemagne du Nord, à Copenhague, en Écosse, à Londres (où, en 1792, il joua aux mêmes concerts que Haydn) et de nouveau en Allemagne. Revenu à Vienne en 1793, il prit de nouvelles leçons avec Albrechtsberger et Salieri, se lia d’amitié avec Beethoven et s’imposa comme un des premiers pianistes de son temps. Sa nomination en 1804 comme concertmeister (en l’occurrence, chef d’orchestre) du prince Esterházy fit de lui un des trois musiciens (les deux autres étant le vice-maître de chapelle Johann Nepomuk Fuchs et l’autre concertmeister Luigi Tomasini), qui eurent à assumer la succession de Haydn malade, celui-ci conservant son titre de maître de chapelle. Hummel occupa ce poste jusqu’en 1811. Il reprit sa carrière de pianiste vers 1814, puis fut maître de chapelle à Stuttgart (1816-1818) et enfin à Weimar (de 1819 à sa mort). Dans les années 20 et 30, il refit comme pianiste des tournées à travers l’Europe et, en 1827, il se rendit à Vienne pour revoir Beethoven mourant. Comme pédagogue du piano, il eut notamment comme élève C. Czerny, F. Hiller, F. Mendelssohn et S. Thalberg. Comme compositeur, il ne se limita pas au piano, mais aborda à peu près tous les genres instrumentaux et vocaux, sauf la symphonie. Ses premières oeuvres sont ancrées dans le classicisme viennois (Mozart, Haydn), ses dernières tendent la main aux romantiques de 1830 (Chopin) : il contourna Beethoven plutôt qu’il ne se mesura avec lui. Il a laissé de très nombreuses pièces pour piano (dont les six sonates op. 3 en ut majeur (1792), op. 13 en mi bémol [v. 1804, dédiée à Haydn], op. 20 en fa majeur (v. 1807), op. 38 en ut majeur (v. 1808), op. 81 en fa dièse mineur [1819, particulièrement admirée de Schumann] et op. 106 en ré [1824]), et de la musique religieuse (dont cinq messes) datant pour l’essentiel de ses années chez les Esterházy. La méthode de piano de Johann Nepomuk Hummel (1828) eut une importance considérable dans la première moitié du XXe siècle. HUMORESQUE. Type de pièce instrumentale apparu au XIXe siècle. Le terme est sans doute moins à prendre dans le sens de « humour » (comique) que dans le sens de « humeur » (état d’âme). L’humoresque exprimerait donc un sentiment poétique, qui peut être lyrisme, intimité ou verve, ainsi que l’atteste l’Humoresque op. 20 pour piano de Schumann, première oeuvre de ce titre. On trouve des humoresques chez Stephen Heller, Grieg, Dvořák, Humperdinck, Sibelius, Reger. Tel était également le titre original de certaines mélodies du Cor merveilleux de l’enfant de Mahler. downloadModeText.vue.download 487 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 481 HUMPERDINCK (Engelbert), compositeur allemand (Siegburg, Rhénanie, 1854 - Neustrelitz 1921). Il étudia à Cologne et à Munich, et participa, à l’invitation de Wagner, à la prépa- ration des premières représentations de Parsifal à Bayreuth en 1882. Il enseigna successivement à Barcelone, à Francfort et, de 1900 à 1920, à Berlin. D’une production abondante, seul a survécu l’opéra Hänsel und Gretel, sur un livret d’Adelheid Wette (Weimar, 1893, sous la direction de Richard Strauss), soeur du compositeur : cette oeuvre utilise adroitement, dans une atmosphère de conte de fées, des chansons populaires de Westphalie. HURÉ (Jean), organiste, pianiste et compositeur français (Gien 1877 - Paris 1930). Formé en marge de l’enseignement officiel, il fit ses études musicales à Angers et à Paris, devant surtout à son travail et à sa réflexion personnels son vaste savoir et son érudition d’humaniste et de musicologue. Monté à Paris en 1895, il y exerça une activité multiple et féconde. Exécutant, il fut principalement connu comme pianiste (non seulement en France, mais aussi en Autriche et en Roumanie). Compositeur, il écrivit beaucoup : trois symphonies, deux messes, un concerto pour violon, de la musique de chambre, une demi-douzaine d’ouvrages lyriques (restés à l’état de manuscrit), de la musique vocale. Comme journaliste musical, il créa en 1924 la revue l’Orgue et les Organistes et publia de nombreux articles. Pédagogue, il fonda en 1912 une École normale de musique et mit au point des ouvrages de technique instrumentale sur le piano et sur l’orgue. Il a aussi publié des livres et des études sur des sujets très variés : Chansons et danses bretonnes précédées d’une étude sur la monodie populaire (1902), Défense et illustration de la musique française (1915), l’Esthétique de l’orgue (1923), Saint Augustin musicien (1925). HUREL (Philippe), compositeur français (Domfront 1955). Ancien élève du Conservatoire puis de l’université de Toulouse (musicologie), Hurel entre en 1981 au Conservatoire de Paris, où il travaille avec Ivo Malec et Betsy Jolas. Il suit aussi les cours de Tristan Murail sur les rapports entre informatique, acoustique et composition. Il a été membre du département de la recherche musicale à l’I.R.C.A.M. Sa musique est typique de la deuxième génération de compositeurs de musique spectrale. Il y instaure des relations dynamiques entre les instruments acoustiques et les synthétiseurs pilotés par l’ordinateur, se préoccupe de la « modulation des timbres » et de la forme, assimilée à un processus d’analyse de plus en plus fine (Fragment de lune pour 15 instruments et dispositif électroacoustique, 1986-87). Dans des oeuvres comme Diamants imaginaires, diamant lunaire pour 22 instruments (1984-1986), Leçon de choses (1993), Six Miniatures en trompe-l’oeil (1991-1993) ou Pour Luigi pour cinq instruments (1995), les principes de l’analyse des formants sonores sont enrichis par une pensée générative qui autorise transitions de timbres, reprises et répétitions transformationnelles. il s’intéresse aussi à la manière dont la perception saisit l’objet musical et joue sur la définition des structures globales (timbre, harmonie) ou « différenciées » (mélodie, polyphonie, par exemple dans Pour l’image pour 14 instruments, 198687). HURLEBUSCH (Conrad Friedrich), organiste et compositeur allemand (Brunswick 1695 ou 1696 - Amsterdam 1765). Il voyagea beaucoup dans sa jeunesse, séjournant à Hambourg (1715), à Vienne (1716), en Italie (1718), à Munich (1721) et devenant en 1722 maître de chapelle à la cour de Suède, où il composa l’opéra Armenio (1724), perdu. On le vit ensuite dans sa ville natale (1725), puis de nouveau à Hambourg (1727-1736) ; en 1743, Hurlebusch devint organiste de l’Oude Kerk d’Amsterdam. Il cultiva de nombreux genres instrumentaux et vocaux, mais son intérêt réside principalement dans ses suites pour clavier, qui relèvent du type illustré avant lui par Couperin ou Muffat. HURNIK (Ilja), compositeur tchèque (Poruba 1922). Il se destina d’abord à la seule carrière de pianiste, puis étudia la composition avec V. Novak. Aussi habile comme musicien de chambre (notamment avec le Quatuor Smetana) que comme soliste (Janáček, Debussy, Poulenc, Stravinski), il a, comme compositeur, cultivé un style néoclassique inventif, clair et dynamique, proche de Stravinski dans les Moments musicaux pour instruments à vent (1963), de Prokofiev dans le ballet Ondras (1950), de Pou- lenc dans la cantate folklorique Maryka (1948 ; rév., 1955). HUSA (Karel), compositeur américain d’origine tchèque (Prague 1921). Après des études au conservatoire de Prague, il vécut à Paris de 1946 à 1954, travailla la composition avec Nadia Boulanger et Arthur Honegger, et la direction d’orchestre avec Eugène Bigot et André Cluytens. En 1954, il partit pour Utica, dans l’État de New York, pour y enseigner la composition et la direction d’orchestre à la Cornell University. Il devint citoyen américain en 1959. Sa première période de compositeur fut influencée par Honegger et Bartók : en témoignent le Concertino pour piano et orchestre (1949), le trio pour clarinette, alto et violoncelle Évocations de Slovaquie (1951), et la symphonie no 1 (1953). La tentation webernienne apparut avec Mosaïques pour orchestre (1961). On lui doit trois quatuors à cordes (1948, 1953 et 1968), dont le dernier lui valut le prix Pulitzer en 1969. Citons encore Music for Prague 1968 (1968), dont il existe une version pour ensemble d’instruments à vent et une pour orchestre - admirable rencontre du vieux choral hussite « Vous qui êtes soldats de Dieu et de sa Loi », des cloches de la ville aux cent clochers (Prague), de l’angoisse et de la liberté -, le ballet Monodrama (1976), American Te Deum pour baryton, choeurs et ensemble d’instruments à vent (1976), Concerto pour orchestre (1986). Karel Husa a édité des oeuvres de Delalande et de Lully. HÜTTENBRENNER (Anselm), compositeur autrichien (Graz 1794 - Ober-Andritz, près de Graz, 1868). Élève de Salieri, il ferma les yeux de Beethoven et fut l’ami de Schubert, dont il conserva jusqu’en 1860, sans le communiquer à quiconque, le manuscrit de la Symphonie inachevée. Il écrivit des opéras, de la musique religieuse et de chambre, et des lieder dont un Erlkönig. HUTTENLOCHER (Philippe), barytonbasse suisse (Neuchâtel 1942). Il achève d’abord des études de violon avant de commencer le chant en 1963. Il travaille avec Juliette Bisse, et, en 1967, remporte un premier prix de chant au Conservatoire de Genève. Michel Corboz l’engage alors comme soliste de l’Ensemble vocal de Lausanne. Il y chante notamment le Requiem de Fauré, des madrigaux et les Vêpres de la Vierge de Monteverdi, des cantates et les Passions de Bach. Spécialisé dans les oratorios, il fait ses débuts à l’opéra avec l’Orfeo de Monteverdi à Zurich. Son répertoire s’étend des Indes galantes de Rameau au rôle de Guglielmo dans Cosi fan tutte, en passant par celui de Golaud dans Pelléas, qu’il enregistre sous la direction d’Armin Jordan. HUYGENS (Constantin), diplomate, poète et compositeur néerlandais (La Haye 1596 - id. 1687). Père du célèbre physicien Christiaan Huygens, Constantin fut un musicien amateur passionné et un homme de grande culture ; il ne parlait et n’écrivait pas moins de sept langues. Il jouait de la viole, du luth, du théorbe, de la guitare, du clavecin et de l’orgue. La plupart de ses oeuvres (environ 800) sont aujourd’hui perdues. Cependant, on possède de ce downloadModeText.vue.download 488 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 482 compositeur un recueil d’une grande importance pour l’histoire de la pratique de la basse chiffrée en France. il s’agit de la Pathodia sacra et profana (1647) ; l’éditeur Robert Ballard (Paris) demanda à Huygens de remplacer la tablature de luth par une basse comportant des chiffres indiquant l’harmonie à réaliser. Le volume contient des psaumes en latin (20) ainsi que des airs italiens (12) et des airs français (7). Ces pièces révèlent une inspiration riche et une audace harmonique assez personnelle. Huygens est également l’auteur d’un traité, Gebruyck of ongebruyck van’t orgel in de Kerken der Vereenighde Nederlanden (1641), qui prône le retour au style liturgique aux dépens du style concertant. HYDRAULE. Nom de l’orgue hydraulique, dont on attribue l’invention au Grec Ctésibios d’Alexandrie (IIIe s. av. J.-C.). Un système de soufflerie (pompe et réservoirs) hydraulique fournissait l’air comprimé nécessaire à faire parler les quelques tuyaux à bouche ou à anche qui équipaient l’hydraule. Il semble que celle-ci ait eu un son puissant et un jeu rudimentaire. C’est ainsi qu’elle servait, avec les cors et les trompettes, d’instrument d’alarme, de sonnerie pour les jeux du cirque, les festivités et les mouvements militaires. Elle fut largement répandue dans tout le bassin de la Méditerranée : on la retrouve (dans les textes et l’iconographie seulement, aucune hydraule ne nous étant parvenue) à Alexandrie et à Byzance, à Jérusalem et à Rome. C’est un instrument de ce type que l’empereur romain d’Orient Constantin V offrit à Pépin le Bref en 757, ce qui eut pour effet d’introduire l’orgue dans la musique occidentale. HYMNAIRE. Dans la liturgie chrétienne, recueil d’hymnes. Les hymnaires ont cessé, depuis l’imprimerie, de former des ensembles isolés, et les hymnes sont aujourd’hui presque toujours insérés dans les offices correspondants. HYMNE. Dans l’Antiquité, poème chanté en l’honneur d’une divinité. Plusieurs hymnes figurent parmi les « monuments » conservés de la musique grecque antique (hymnes delphiques à Apollon, hymne au soleil de Mésomède, etc.). Le culte chrétien a adopté le mot (devenu féminin en français dans ce seul emploi) et a fait de l’hymne un genre liturgique à part, généralement chanté à la fin des principales heures. Dans l’Église latine, l’hymne est un poème strophique et syllabique, souvent écrit en vers selon la métrique ancienne, mais sans que la musique tienne compte de cette particularité. Elle s’achève régulièrement par une strophe de doxologie en l’honneur de la Sainte Trinité ; c’est avec la séquence l’un des rares genres liturgiques dont les paroles (jamais la musique) soient parfois signées. La pratique des hymnes est très ancienne, mais leur forme n’a acquis une certaine fixité qu’à partir de saint Ambroise, qui passe pour en avoir composé un grand nombre et a contribué à en généraliser l’usage. Parmi les autres auteurs d’hymnes célèbres, on cite Prudence, Venance Fortunat, l’évêque d’Orléans Théodulfe, Walafrid Strabon, Hart- mann de Saint-Gall, Abélard, Fulbert de Chartres, etc. Les hymnes figurent parmi les genres liturgiques dont la musique a été le plus souvent déformée au cours des temps, en raison notamment de son aspect parfois populaire ; leur rythme, en particulier, a été souvent ternarisé à partir du XIVe siècle. Elles ont été souvent traduites en polyphonie du XIIe au XVIe siècle, mais assez peu au-delà dans le répertoire avec orchestre. downloadModeText.vue.download 489 sur 1085 IAMBE. En métrique grecque, pied formé d’une brève et d’une longue, le levé correspondant à la brève et le frappé à la longue. En musique, ce rythme exprime aisément la gaieté, comme dans certains menuets (symphonies no 36, dite Linz, de Mozart ou no 91 de Haydn) ou scherzos (symphonie no 1 de Beethoven) plus ou moins dominés par la formule rythmique suivante : ou encore l’agressivité (motif conducteur de Job de Vaughan Williams). IBARRONDO (Félix), compositeur espagnol (Onate, Guipúzcoa, 1943). Il a fait ses premières études musicales avec son père (solfège et harmonie), puis travaillé la philosophie et la théologie ainsi que la composition avec Juan Cordero Castanos, obtenant ses diplômes de piano et de composition aux conservatoires de Bilbao et de San Sebastián. À Paris, où il réside depuis 1969, il a été l’élève de Max Deutsch, d’Henri Dutilleux et de Maurice Ohana. Il a obtenu le prix LiliBoulanger en 1972. Il a écrit notamment Aitaren Extea pour ténor, 2 pianos, violon et percussion (1971), Vague de fond pour grand orchestre, commande du ministère des Affaires culturelles (1972), Et la vie était là... pour quatuor à cordes (1973), Sous l’emprise d’une ombre pour ensemble instrumental (1976), Musique pour la messe (Avignon, 1977), Izengabekoa pour ensemble instrumental (Saintes, 1978), Amairuk pour 12 cordes et guitare (1979), Brisas pour 9 instruments (1980), Cibillak pour soprano, ténor, baryton, 2 clarinettes et 3 violoncelles (Avignon, 1981), Abyssal pour 2 guitares et orchestre (1982), Phalène pour trio à cordes (1983), Erys pour orchestre (Radio France 1986), Irrintz pour orchestre (Radio France 1988), Nerezko Aiak, concerto pour violoncelle (Radio France 1991). IBERT (Jacques), compositeur français (Paris 1890 - id. 1962). Bien qu’ayant été très tôt attiré par la musique et ayant bénéficié des conseils d’une mère excellente pianiste, Ibert, pour complaire à son père, fit un court séjour dans l’entreprise familiale avant d’entrer, à vingt ans, au Conservatoire, où il suivit les cours de Pessard (harmonie), de Gédalge (contrepoint) qui fut pour lui « un conseiller, un confident et un ami admirable », et de P. Vidal (composition). Au retour de la Grande Guerre, où il s’était engagé, il remporta le premier grand prix de Rome (1919). Dès lors, il ne cessa de composer, et dans tous les domaines, oscillant moins du côté du dramatisme - encore qu’une de ses premières oeuvres, la Ballade de la geôle de Reading, d’après O. Wilde (1920), en soit empreinte - que du divertissement. Ses admirations témoignent de ses tendances ; elles vont, chez les anciens, à Mozart, à Scarlatti, à Couperin, à Rameau et, chez les modernes, à Chabrier, à Bizet, à Debussy, à Ravel, à Stravinski, à Roussel. Chez ces maîtres aimés comme dans sa propre musique, qui se situe dans leur perspective, s’épanouit une certaine tradition de l’art français, à laquelle son initiation, dès sa jeunesse, à la peinture impressionniste et à la poésie d’un Verlaine, d’un Mallarmé, d’un Ch. Cros n’a sans doute pas été non plus étrangère, un art où la fantaisie est sensible, où l’esprit est tendre, où l’humour se rit de l’éloquence. La distinction, l’élégance d’Ibert cachent un métier d’une impeccable sûreté. L’artisan, chez lui, est exemplaire, et sa plaisante et modeste remarque sur l’inspiration, qui n’est rien sans 99 p. 100 de transpiration, en témoigne. Le théâtre, qui, dès sa jeunesse, l’avait attiré - n’avait-il pas envisagé une carrière de comédien ? -, lui inspira un opéra, Persée et Andromède (1921, création 1929), une farce, Angélique (1926, création 1927), dont le spirituel livret de son ami Nino, qui avait déjà collaboré à celui de Persée et Andromède, favorisa le succès. Si l’on excepte l’Aiglon (1937) - écrit en collaboration avec Honegger, avec qui il était lié depuis le Conservatoire -, c’est vers le genre « léger » que, plus volontiers, s’est tourné Ibert avec l’opéra-comique le Roi d’Yvetot (1928, création 1930), l’opéra bouffe Gonzague (1930) et l’opérette les Petites Cardinal (1938, création 1939), pour laquelle il collaborait de nouveau avec Honegger. Ressortissent encore du genre théâtral ses nombreuses musiques de scène, dont plusieurs sont devenues des pièces d’orchestre, comme le Jardinier de Samos (1924), le Divertissement pour orchestre de chambre d’après Un chapeau de paille d’Italie (1929), la Suite symphonique Paris 32 d’après Donogoo (1930) et la Suite élisabéthaine d’après le Songe d’une nuit d’été (1942). Attiré par le cinéma depuis ses improvisations pianistiques au temps du « muet », Ibert a signé plus de 60 partitions cinématographiques. Le ballet l’a également beaucoup requis. Entre sa collaboration à l’Éventail de Jeanne (1927) et le Cercle fantastique (1958), resté inédit, Ibert a composé Diane de Poitiers (1933-34), le Chevalier errant (1935), les Amours de Jupiter (1945) et le Triomphe de la Pureté (1950). L’attrait qu’il a éprouvé pour le « spectacle » est évident, puisque, dans son oeuvre symphonique, tout naturellement, certaines partitions ont inspiré des ballets, tels la Ballade de la geôle de Reading, Escales (1922) et Louisville-Concert (1953). downloadModeText.vue.download 490 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 484 Dans sa musique de chambre, ses concertos, on remarque une tendance à privilégier les vents et la harpe, son quatuor à cordes (1937-1942) étant une éloquente exception. Relevons, parmi les pièces confiées aux vents, ses Deux Mouvements pour deux flûtes, clarinette et basson (1922), ses Trois Pièces brèves pour quintette à vent (1930), ses Cinq Pièces en trio pour hautbois, clarinette, basson (1935), son Concerto pour flûte et orchestre (1934), son Concertino da camera pour saxophone alto et onze instruments (1935), son Capriccio pour dix instruments (1937) voire son Concerto pour violoncelle (1925), qui dialogue avec les seuls vents, et surtout sa Symphonie concertante pour hautbois et orchestre à cordes (1948-49), l’oeuvre qu’avec son quatuor il a « le plus longuement méditée ». On lui doit également des pièces pour piano dont les populaires Histoires - et des mélodies composées essentiellement entre 1919 et 1931. IDELSOHN (Abraham Zevi), musicologue letton (Filzburg, Lettonie, 1882 - Johannesburg 1938). Il étudia à Königsberg, Berlin et Leipzig, et séjourna de 1906 à 1921 à Jérusalem, où il fonda en 1910 un institut et en 1919 une école de musique juive. De 1924, il donna des conférences à l’Hebrew Union College de Cincinnati. Éminente autorité en matière de musique juive, il a énormément contribué à en établir les bases scientifiques. ( ! HÉBRAÏQUE [MUSIQUE]). IDIOPHONE. Terme par lequel on désigne tous les instruments de musique dont le son est produit par la vibration du corps de l’instrument : par entrechoquement (claquettes), par percussion (xylophone), par pincement (guimbarde), par frottement (harmonica de verres). IKENOUCHI (Tomojiro), compositeur et pédagogue japonais (Tky 1906 - id. 1991). Fils d’un poète et poète lui-même, il a étudié au Conservatoire de Paris de 1927 à 1933 avec Fauchet (harmonie), Caussade (fugue) et H. Büsser (composition), puis de nouveau de 1934 à 1936 (premier prix d’harmonie avec Büsser). Il a enseigné ensuite à Tky et est devenu président de la Société musicale nippo-française. Ses oeuvres, peu nombreuses mais denses (trois quatuors à cordes [1937, 1945 et 1946], plusieurs sonatines), témoignent de son admiration pour Mozart, Saint-Saëns et surtout Ravel. IL SEMINARIO MUSICALE. ! LESNES (GÉRARD). IMBAULT (Jean-Jérôme), violoniste et éditeur de musique français (Paris 1753 id. 1832). Élève de Pierre Gaviniès, il abandonna relativement tôt sa carrière de violoniste soliste, se consacrant surtout à l’enseignement et aux activités de musicien d’orchestre. Comme éditeur, il fut d’abord associé à Jean-Georges Sieber (1783), puis fonda sa propre maison (1784). Il publia diverses oeuvres de Boccherini, de Clementi, de Gyrowetz, de Mozart, de Pleyel, de Viotti ou encore de Haydn, en particulier la première édition des six symphonies parisiennes (nos 82-87) de ce dernier. Un Catalogue thématique des ouvrages de musique mis au jour par Imbault (Paris, 1791 ou 1792) a été réédité en fac-similé en 1972. IMITATION. Procédé polyphonique qui consiste à faire reprendre par une partie un passage plus ou moins long qui vient d’être exposé par une autre. L’imitation peut être occasionnelle ou systématique : dans ce dernier cas, elle donne naissance à des formes particulières, telles que le canon, le ricercar ou la fugue. Une terminologie récente, mais de plus en plus répandue, donne à la première présentation le nom d’antécédent, celui-ci étant suivi d’un ou de plusieurs conséquents. Le terme d’imitation est surtout employé quand le conséquent entre en contrepoint avant que soit achevée l’exposition de l’antécédent, encore qu’il y ait parfois flottement dans l’usage (par exemple, les échos, fréquents au XVIIe siècle). L’imitation est dite stricte quand le conséquent reproduit en son entier l’antécédent sans modification, libre lorsqu’elle n’est pas constante ou qu’on lui apporte des aménagements intervalliques ou rythmiques pour la plier au contrepoint. L’imitation la plus courante est celle à l’unisson ou à l’octave, mais elle peut se faire aussi à toute autre distance (quinte, quarte, tierce, etc.) ; on a alors le choix entre la solution réelle, qui respecte les intervalles du modèle, et la solution tonale, qui adapte les intervalles à la tonalité choisie. Pour la détermination de l’intervalle de base, certains auteurs précisent l’étendue exacte alors que d’autres la réduisent à l’intervalle simple (la même imitation pouvant être dite, par exemple, à la 10e ou à la tierce) ; parfois aussi (à tort) on néglige de signaler quand l’intervalle annoncé est descendant (non spécifié, il est normalement ascendant), ce qui introduit des ambiguïtés regrettables. On peut introduire dans les imitations toutes sortes de variétés, non seulement dans l’intervalle, mais aussi dans la direction mélodique (imitation par récurrence ou rétrogradation, par renversement, etc.), le rythme (par diminution ou augmentation), etc. IMPERFECTION (lat. imperfectus). Dans la notation musicale du Moyen Âge, dite « proportionnelle », la division binaire d’une longue (mode) ou d’une brève (temps) est considérée comme imparfaite (modus imperfectus, tempus imperfectus). La division ternaire (conforme à l’image de la Sainte Trinité) est appelée parfaite, alors que la prolation est dite, plus humblement, majeure ou mineure. IMPRESSIONNISME. Nom donné à une certaine tendance musicale qui s’est cristallisée en France au début du XXe siècle (surtout dans l’oeuvre de Claude Debussy), par référence à l’impressionnisme pictural, reconnu et désigné comme tel dans les années 1860-1870. En vérité, de même que le concept d’impressionnisme en peinture fut suggéré, développé et entretenu par des critiques et des historiens plutôt que par les peintres, de même aucun musicien, semble-t-il, ne se revendiqua systématiquement comme « impressionniste », et ce furent ceux qui écrivaient sur la musique qui lancèrent le terme. Les deux seuls musiciens qu’on peut dire franchement et fondamentalement impressionnistes à l’époque furent Debussy et Déodat de Séverac. Les autres compositeurs souvent classés dans le même lot (comme Ravel, Florent Schmitt, Albert Roussel, Paul Dukas, Charles Koechlin, Roland-Manuel, André Caplet, etc.), ne le sont que pour tel aspect particulier de leur style ou de leur oeuvre. On a fait remonter les origines de l’impressionnisme musical à Chopin, à Liszt (celui des dernières pièces pour piano, comme Nuages gris), à Moussorgski, à Grieg, à Wagner et, plus loin dans le passé, à François Couperin, à Carlo Gesualdo, etc. Le concept d’impressionnisme musical amalgame différents traits d’écriture, de style, de sensibilité, qui peuvent se considérer indépendamment les uns des autres. Citons parmi ces « composantes « : - la référence à la nature et à la réalité comme source de « modèles » et de sensations, que l’on va s’efforcer de retranscrire et d’exprimer musicalement (cette référence est souvent affichée dans les titres, voire induite par ces titres chez l’auditeur : Jardins sous la pluie, Reflets dans l’eau, Nuages, ou Printemps, de Claude Debussy : Oiseaux tristes ou Une barque sur l’océan de Ravel ; Baigneuses au soleil ou En Languedoc de Déodat de Séverac ; etc.) ; - la recherche de correspondances sensorielles entre l’ouïe et la vue, voire l’odorat (comme dans les Parfums de la nuit, d’Iberia, de Debussy) ou le toucher ; - l’écriture musicale nuancée et diffuse, aux contours estompés, fondée souvent downloadModeText.vue.download 491 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 485 sur un certain poudroiement, une certaine division de la substance musicale, qu’on a rapprochés des techniques de peinture par petites touches propres aux impressionnistes tels Monet, Seurat, etc. Dans cette écriture qui tend au « pointillisme », le rythme est souple et fluide, la mélodie également ; l’harmonie, non fonctionnelle, est posée par touches d’accords indépendants, mis côte à côte comme des couleurs ; l’orchestration est assez mélangée et frémissante (emploi fréquent, par exemple, des cordes divisées avec trémolos, refus de la dureté et des couleurs crues, effets de « lumière variable » par l’utilisation de changements subtils d’orchestration, etc.). La musique « impressionniste » serait donc plutôt harmonique et verticale (reposant sur des successions de fines touches) qu’horizontale et contrapuntique. En fait, elle échappe souvent à l’antinomie du vertical et de l’horizontal. En 1918, le célèbre libelle de Jean Cocteau le Coq et l’Arlequin, qui définissait une manière de « doctrine » pour le futur groupe des Six, s’en prit à l’impressionnisme debussyste et à son « léger brouillard neigeux taché de soleil », qu’il rapprochait, pour les renvoyer dos à dos, de la « grosse brume trouée d’éclairs de Bayreuth ». Il est vrai qu’on peut trouver des traits préimpressionnistes dans certains tableaux symphoniques des opéras de Wagner ainsi que dans diverses musiques descriptives ou narratives de toutes les époques. En effet, la musique descriptive a été souvent amenée à briser la ligne traditionnelle du discours musical pour suivre les sensations naturelles fluctuantes et les retranscrire comme mosaïques d’« impressions « : le début, par exemple, de la Scène aux champs, de la Symphonie fantastique de Berlioz, peut être dit également prémonitoire de l’impressionnisme. Pour s’opposer à ce courant, et surtout à l’exemple de la musique de Debussy, Cocteau préconisait une écriture très franche, découpée, aux lignes nettes et dures, se passant plutôt de la « caresse des cordes », pour favoriser les cuivres et les bois à nu. Mais les oeuvres de certains compositeurs du groupe des Six, comme Poulenc, Auric, Tailleferre, ne se sont pas privées d’intégrer dans leurs oeuvres certains traits de l’écriture dite « impressionniste ». Il ne faudrait pas croire que l’impressionnisme musical est resté une exclusivité française : on l’a vu influencer largement des compositeurs étrangers, comme Stravinski (l’Oiseau de feu), Manuel de Falla (Nuit dans les jardins d’Espagne), un certain nombre de compositeurs américains de musique de film et quelques compositeurs japonais, comme Yoritsune Matsudaira dans ses débuts. Les procédés impressionnistes ont pu être repris dans certaines démarches plus récentes, aussi bien dans le pointillisme postwebernien de l’école sérielle que dans le « tachisme » de l’école polonaise (Penderecki, Serocki) ou dans les techniques de Ligeti, etc. On peut même parler d’un impressionnisme « électroacoustique » avec certaines oeuvres de François Bayle (Espaces inhabitables), de Bernard Parmegiani (Capture éphémère), d’Edgardo Canton ou de Pierre Boeswillwald. IMPROMPTU. Composition assez brève, le plus souvent pour piano, ayant parfois l’aspect d’une improvisation. Le terme - qui pourrait aussi suggérer la façon rapide, inattendue, dont, pour une telle pièce, l’inspiration serait venue au compositeur - fut, semble-t-il, utilisé pour la première fois en 1822 par Vorisek (Six Impromptus op. 7). Des huit impromptus de Schubert composés en 1827, les quatre premiers (D. 899) furent ainsi appelés par leur éditeur et les quatre derniers (D. 935) sans doute par le compositeur lui-même. Aux trois impromptus de Chopin op. 29, 36 et 51 est venue s’ajouter par le fait de l’éditeur Fontana la fantaisie-impromptu op. 66, en réalité la première composée de ces quatre oeuvres. Citons aussi les six im- promptus pour piano (dont le dernier est une transcription d’un impromptu pour harpe) de Gabriel Fauré ainsi que l’op. 5 de Schumann (série d’impromptus, en fait des variations, sur un thème de Clara Wieck). Né avec le romantisme, le terme n’est plus guère usité actuellement. IMPROPÈRES. Translittération du latin improperia, qui signifie « reproches ». Les impropères sont, dans la liturgie de la semaine sainte, un ensemble de versets, coupés de refrains, qui rappellent les bienfaits de Dieu à son peuple. Ils furent introduits le vendredi saint dans les rites d’adoration de la Croix qui suivent la lecture de la Passion. On distingue les grands impropères, dont le refrain grec est une imploration (Agios o Theos), et les petits impropères, dont le refrain latin (Popule meus) est un reproche de Dieu pour l’ingratitude des siens. Les impropères ont parfois été mis en motet par les maîtres de chapelle du XVIe siècle, notamment Palestrina et Victoria. IMPROVISATION (de l’ital. improvviso, « imprévu »). Fait d’exécuter une musique au fur et à mesure qu’on l’invente. À notre époque, la notion d’improvisation ne semble guère s’appliquer qu’au jazz ou à certains exercices des organistes, tant notre civilisation musicale est assujettie au respect absolu de la partition écrite. Mais c’est oublier que la notation musicale perfectionnée que nous connaissons est relativement récente et limitée à la musique européenne. L’improvisation apparaît comme l’une des principales manifestations de la création musicale. L’improvisation totale d’une pièce est certainement plus rare que celle qui intervient sur des schémas préconçus. C’est le cas, par exemple, de certaines mélodies religieuses des premiers siècles du christianisme, des alleluia notamment. C’est aussi le cas des pièces de clavier construites à partir d’un thème (variations) ou d’un sujet donné (fugue, sonate, fantaisie, toccata, etc.). Bach et Mozart furent des improvisateurs célèbres, ainsi que, plus tard, Beethoven et Liszt. Le genre reste pratiqué de nos jours par les organistes qui étudient l’improvisation, et, donc, l’harmonie, la fugue et le contre- point, puisque, même libre, l’improvisation doit répondre à un schéma formel qui se développe mentalement immédiatement avant l’exécution. Aussi cette matière a-t-elle fait l’objet de nombreux traités et s’enseigne-t-elle encore dans les conservatoires. L’improvisation se développe plus généralement sur des schémas préexistants. Ainsi, dans la polyphonie médiévale et dès le XIIIe siècle, certaines voix devaient être improvisées en contrepoint par rapport à une mélodie donnée ou à d’autres voix normalement écrites, selon des règles très strictes. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, dans la musique instrumentale, surtout celle du violon, et dans les mouvements lents, il fut de règle que l’interprète enrichisse la trame mélodique de base, seule à figurer sur la partition : agréments, variantes, ornements (Corelli, Vivaldi, Marcello, etc). Cette pratique demeura jusqu’à la fin du XVIIIe siècle dans les cadences des concertos. Ce n’est qu’à partir de Beethoven que la cadence fut désormais écrite par le compositeur. Il en alla de même dans la musique vocale à l’époque du bel canto, particulièrement dans les reprises des airs à da capo. À la même période, toujours, un domaine privilégié de l’improvisation fut la réalisation de la basse continue, chiffrée ou non. Seule la basse était donnée, les autres parties étant laissées à la libre imagination de l’exécutant (clavecin, orgue, théorbe). Ces bases générales de l’improvisation ne varient pas fondamentalement dans les expressions musicales d’autres sociétés. Ainsi, dans le jazz, l’improvisation est-elle commandée par la structure du thème traité, par la mélodie et par sa trame harmonique. Le soliste peut paraphraser le thème ; il peut aussi improviser sans contrainte mélodique sur des harmonies du thème. Certains thèmes, d’ailleurs, ne comportent qu’une séquence harmonique : par exemple, « jouer le blues » (improviser dans les limites de sa forme de douze mesures, sans autre donnée préexistante). Dans le free jazz, les musidownloadModeText.vue.download 492 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 486 ciens sont, à tout moment, responsables individuellement et collectivement de la moindre note jouée. L’improvisation est bien l’une des principales activités de la pratique musicale. Les exemples cités ici ont montré combien l’improvisation dépendait de règles strictes, donc d’un code et d’une pensée musicale préexistants. On ne saurait pour autant négliger l’aspect aléatoire et expérimental que présente toute improvisation, les essais qu’elle permet d’accomplir. En ce sens, l’improvisation est probablement l’un des moteurs essentiels de l’évolution de la musique vers des horizons nouveaux. INBAL (Eliahu), chef d’orchestre israélien (Jérusalem 1936). Il étudie le violon et la composition au Conservatoire de Jérusalem et obtient sur la recommandation de Léonard Bernstein une bourse qui lui permet de suivre les cours de Louis Fourestier au Conservatoire de Paris (1960-1963). Pendant cette même période, il étudie aussi à Sienne auprès de Sergiu Celibidache (1961-62). Premier Prix Guido Cantelli à l’âge de vingt-six ans, il est rapidement invité à diriger de grands orchestres (Scala de Milan, Philharmonia de Londres, etc.) En 1969, il fait ses débuts au Festival de Salzbourg et dirige son premier opéra, Don Carlos, à Vérone. En 1974, il est nommé chef permanent de l’Orchestre radio-symphonique de Francfort. À la tête de cette formation jusqu’en 1990, il enregistre entre autres l’intégrale de l’oeuvre symphonique de Scriabine, Berlioz, Mahler et Bruckner. De 1985 à 1988, il est directeur musical du théâtre de La Fenice de Venise. Considéré comme l’un des grands interprètes de Mahler et de Bruckner, il a également enregistré l’intégrale des symphonies de Chostakovitch avec l’Orchestre symphonique de Vienne. INCIPIT. Troisième personne du singulier du verbe latin signifiant « commencer », jadis employée pour annoncer le titre d’une lecture ou d’une copie. On l’a conservée en français comme substantif pour désigner les premières paroles d’un texte littéraire ou les premières notes d’un texte musical. INDIENNE (MUSIQUE). Élément essentiel d’une civilisation très ancienne, la musique était cultivée en Inde dès les temps préhistoriques, mais les ouvrages relatifs à la théorie musicale qui nous sont parvenus en sanskrit et qui se réfèrent fréquemment à des textes antérieurs, aujourd’hui perdus, ne nous renseignent qu’imparfaitement sur une expression complexe et étrangère aux spéculations mathématiques (tel le Gitälamkara, probablement antérieur au IIIe siècle av. J.-C.). HYMNES ET CHANTS DES VEDA. Entre le XVe et le Xe siècle av. J.-C., les Veda, destinés à accompagner les rites sacrificiels, comportent des hymnes et des chants liés à une somme de connaissances capable d’étonner tous les peuples de l’Antiquité, ainsi que des psalmodies, notées en accents, en chiffres et en neumes. Ils survécurent à la période bouddhique et même à la conquête musulmane sans que leur origine ait pu être précisée en dehors des références mythologiques. « Intimement associée aux relations essentielles de l’être » (Confucius), la musique indienne ne se présenta jamais comme un divertissement profane, mais comme un moyen de servir les dieux et de s’en rapprocher, en épuisant toutes les possibilités d’une émotion donnée. Dès l’époque de l’Inde védique, les chantres et maîtres des cérémonies sacrées étaient, du reste, formés au temple dans l’étude des épopées, où les hymnes et les danses rituelles se trouvaient associés à la musique. Ces traditions vocales et instrumentales ont été ensuite conservées dans les monastères et, jusqu’à une époque très récente, n’ont rien oublié des rapports qui leur étaient assignés avec les manifestations de la divinité suprême. Il ne manque pas, aujourd’hui même, de chants exprimant l’hommage du fidèle à cette divinité, parmi les thèmes relatifs aux sentiments de l’homme, aux cérémonies capitales de sa vie et à son respect des héros légendaires. Le kirtana, chant de gloire sur une légende de Krishna, qui s’est développé à l’époque de Chaitanya (1486-1533), en est l’exemple le plus typique avec le Bhajana, chant de louanges dont les pionniers paraissent être Jayadeva (XIIe s.), puis Purandara Dasa (XVIe s.), Vyasa Raja (XVIe s.), Kanaka Dasa (XVIe s.) et la princesse Mirabai (XVIe s.). Ce sont les derniers vestiges d’un temps où la musique vocale l’empor- tait sur la musique instrumentale et d’un art, populaire ou savant, marqué par une tradition vieille de 6 000 ans. AU FIL DES TEMPS. Les premiers centres musicaux ont été, en effet, les temples et les résidences princières, mais, du Ve siècle av. J.-C. au XVe siècle de notre ère, l’histoire n’a retenu que les théoriciens, un Bhoza (1010-1055), un Mammata (1050-1150) ou un Sharngadesa (1210-1247), même si chaque temple ou chaque cour princière entretenait d’éminents artistes ou des maîtres renommés. Il semble qu’à l’origine la fonction de la musique à la cour ait été essentiellement traditionnelle : endormir ou éveiller le prince, « rythmer la cadence des heures par la succession des modes mélodiques », etc. Aussi le purohita (maître de musique) devait-il posséder une connaissance approfondie des modes et des formes qui convenaient dans les circonstances les plus variées et jusque sur le char de combat pour exciter le courage des guerriers et implorer l’aide des dieux. En dehors de la musique de soliste, voix ou instrument accompagné par un tambour, déjà célèbre par son ornementation et ses subtilités rythmiques, la principale forme d’activité fut ensuite le théâtre musical, faisant appel à des voix capables de s’adapter à toutes les exigences. Le nâtya, où le chant était inséparable de la danse, de la mimique et du décor, était présenté dans des salles prévues à cet effet et qui constituaient l’un des luxes des palais princiers pendant la période bouddhique et jusqu’aux invasions musulmanes. Si la tradition put alors se maintenir au contact d’une civilisation qui rejetait toute forme de musique, ce fut dans des régions éloignées des grands centres ou grâce à quelques souverains plus éclairés, comme Ala ud din, Shäh Jahän ou Akbar, lui-même compositeur de mélodies et qui avait à sa cour le célèbre Tänsen, dont le dernier descendant fut Wazir Khan, maître d’Allaudin Khan. Après la conquête britannique, les musiciens perdirent rapidement le patronage que les derniers Mogols leur avaient apporté, et la musique indienne, méprisée et ridiculisée, dut attendre les travaux de Raja S. M. Tagore pour sortir de l’ombre. Les théoriciens du début du siècle, Vishnu Digambar Paluskar et Vishnu Narayana Bhatkhande, en créant des systèmes d’écriture et en fixant la forme des ragas, ont été, plus ou moins, à l’origine des collèges de musique indienne, où la grande tradition est représentée par des maîtres du dhrupad, le plus dépouillé et le plus sévère des styles de chant. Citons Nasiruddin Dagar et ses deux fils Moinuddin et Aminuddin, Faiyaz Khan, Abdul Karim Khan, Allaudin Khan (1870-1972) et son fils Ali Akbar Khan (1922), dont certains disciples, formés à Calcutta, à Berkeley ou à Los Angeles, ont déjà une carrière internationale (Sharan Rani ou Nikil Banerjee). LES CARACTÉRISTIQUES DE LA MUSIQUE INDIENNE. Le rythme est l’élément le plus important de la musique indienne, et les recherches dans ce sens sont d’un très grand raffinement au-delà des talas, structures comportant un nombre fixe de schémas métriques, ou unités de temps (matras), qui vont de 3 à 108. Sur une période rythmique parfois très longue (12, 16, 17, 19, 21 et exceptionnellement 37 temps) et dans laquelle alternent temps faibles, temps forts et temps silencieux, les exécutants peuvent se livrer à des variations d’une extrême complexité, qui attestent une virtuosité difficile à concevoir pour des oreilles occidentales. On compte endownloadModeText.vue.download 493 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 487 viron 360 talas, dont 30 seulement sont actuellement utilisés, sur 6, 7, 10, 12, 14 et 16 matras. Ajoutons que la notation rythmique, très ancienne et très précise, distingue les façons de frapper l’instrument de percussion avec un, deux ou trois doigts, le plat de la main sur le rebord ou le centre, les doigts pliés ou à plat, la main gauche ou la main droite, etc. À ce schéma rythmique correspond un canevas mélodique fondé sur les 72 possibilités de diviser l’octave, qui comporte 7 notes (svaras) et 22 intervalles inégaux (shrutis). C’est le raga, ou mode musical, possédant une échelle ascendante (arohana) et une échelle descendante (avarohana, qui ne coïncide pas avec la première) qui lui sont propres et dont les combinai- sons sont théoriquement considérables : 16 000, affirmaient certains textes sanskrits ; près de 65 000, dit-on aujourd’hui, sans que le nombre qu’on peut entendre dépasse, en fait, 300. Chaque raga, par son caractère et son ornementation, représente un état d’âme associé, en particulier au moment d’une saison ou d’une lunaison, à une heure précise du jour ou de la nuit ou à un endroit déterminé. Il comporte une tonique fixe et, dans sa gamme, aux intervalles précis, un ou deux degrés dominants, notes-pivots habituellement différentes de la tonique et toujours accentuées, sur lesquelles les dessins mélodiques s’achèvent. Ces caractéristiques sont exposées dès le début de l’exécution dans une sorte de prélude lent (alep), que présentent l’instrument soliste (sitar, sarod ou sarangi) et le tampura, qui ne s’évade jamais de la tonique. Quand le canevas mélodique est ainsi fixé dans la mémoire du musicien et du public, l’improvisation (jor) s’en empare dans un mouvement modéré, où l’imagination et l’instinct musical de l’instrumentiste se donnent libre cours au fil des variations et des ornementations les plus audacieuses (les traités anciens distinguent 15 catégories d’ornements simples des notes, 15 autres d’ornements du groupe et des centaines d’ornements de la mélodie, les tanas, ou « figures mélodiques »). Ce mouvement s’exalte alors dans une accélération progressive, favorable à la virtuosité technique (jhala), et s’enchaîne sur la seconde partie (gat), où les percussions interviennent en fonction du schéma métrique choisi. La mélodie principale est alors rythmée lentement, puis selon un mouvement de plus en plus vif, avec de nouvelles broderies et de nouveaux accents qui procèdent toujours des premiers battements du tala (sum). Une joute imprévisible s’engage entre le tabla et le soliste sur la cellule rythmique de base et les différentes figures complémentaires qui s’y sont ajoutées au fur et à mesure de l’improvisation, qui peuvent devenir de plus en plus complexes. Tout se conclut sur le premier battement du tala, et c’est un nouveau jhala qui termine l’ensemble dans un climat de frénésie entretenu par la virtuosité brillante du percussionniste. Les improvisations, qui peuvent se prolonger des heures durant, tiennent l’auditoire sous leur charme et prétendent libérer l’esprit par la puissance envoûtante de l’atmosphère d’hypnose qu’elles créent à partir de quelques notes et d’un rythme subtil. Elles sont toujours, à cet égard, tributaires de la règle qui lie le raga à l’état d’âme qu’il est censé exprimer, règle qu’il ne faut transgresser en aucun cas. Précisons, à ce sujet, que le mot raga a été introduit au Xe siècle par un théoricien, Matanga, pour désigner les modifications de nature émotionnelle apportées au système classique de Bharata, qui datait du commencement de notre ère et qui reposait sur 2 gammes (primaire et complémentaire) et 18 modes (jâtis). Le raga ne devait pourtant trouver sa consécration qu’à l’époque des dernières cours mogoles, deux siècles avant l’abolition des systèmes ayant cours jusqu’alors. Il n’en subsiste que deux aujourd’hui : celui du Nord (Hindoustan), qui mêle l’ancienne tradition autochtone, attribuée à Shiva, à la tradition implantée à l’âge védique et lors des invasions aryennes ; celui du Sud, de tradition dravidienne (Tamul, Kanada, Telugu, Malayalam), plus rebelle à la culture islamique et qui prit sa forme définitive au XVIIe siècle grâce à Venkatamakhi. C’est le système karnatique, où les 18 jâtis de Bharata font place à 72 melakartas, utilisés notamment par la suite dans les kirtanam de Tyâgaraja (1767-1847) et les hymnes de Kotishvara Iyar (mort en 1938). LA MUSIQUE VOCALE. C’est la base de tout le système musical de l’Inde. La voix en est l’instrument fondamental, et ses possibilités sont fonction d’une émission très contrôlée, capable de réaliser les innombrables nuances émotionnelles dont elle dispose. Parfois indifférente au texte qu’elle exprime, elle utilise des syllabes conventionnelles dépourvues de sens, mais qui lui permettent de s’épanouir et de gagner l’auditoire par le seul privilège du timbre et des vocalises. Il existe différents styles de chant : dans l’Inde du Nord, le dhrupad, strict et sévère, toujours précédé d’un alep, le dhamar, au rythme plus franc, le tarana, vif et léger, le javalis et le thumri, également aimables et légers, le tappa, qui joue de délicats ornements, le khyal, remarquable par ses vocalises très larges, qu’affectionnait la cour des empereurs de Delhi (XIIIeXVIIe s.), et le talent de certains compositeurs, comme Padharana ; dans le Sud, le kriti, chant religieux classique consacré par de grands musiciens des XVIIIe et XIXe siècles, dont les principaux sont Tyagaraja (1767-1847), Muthuswami Dikshitar (1775-1835) et Syama Sastri (17621827), le swarajatis, le tillana et le javalis, plus délicats et plus légers. La musique karnatique a également compté, au cours du siècle dernier, un certain nombre de compositeurs renommés : Subbaraya Sastri (1803-1862), fils de Syama, Pattanam Subrahmanya Ayyar (1845-1902), Manambuchavadi Venkatasubbayyar (1844-1893), Vaidyanatha Ayyar, célèbre par son « ragamalika » construit sur les 72 ragas Malakarta, Gopalakrishna Bharati (mort en 1881), auteur de Nandanar (opéra tamil), Harikesanallur Nuthayya Bhagavatar (1877-1948), Mangudi Chidambara Bhagavatar (18801938) et Papanasam Sivan, récemment promu « Sangita Kalanidhi » de l’Académie musicale de Madras. LA MUSIQUE INSTRUMENTALE. La musique savante et la musique populaire utilisent les mêmes instruments. Les classifications traditionnelles se retrouvent entre les cordes, les vents et les percussions. Dans le premier groupe, on distingue : la vina, à 7 cordes, peut-être le plus populaire et le plus ancien instrument à cordes, fait d’un bambou auquel sont attachés deux résonateurs sphériques (courges séchées) et dont la sonorité est confidentielle - la vina du Sud n’a qu’un résonateur en bois et un autre, plus petit, fait d’une courge ; le sitar, sorte de luth à long manche pourvu d’une boîte de résonance de forme hémisphérique et qui comporte 7 cordes qu’on pince avec un plectre et 13 cordes sympathiques ; le sarod, autre sorte de luth en bois de teck à 25 cordes, dont 4 mélodiques et 2 pour le rythme, qui se joue également avec un plectre et qui est le plus sonore des instruments à cordes ; le sarangi, principal instrument à archet, fait d’une caisse rectangulaire à manche court comportant de nombreuses cordes de résonance en boyau et communément employé pour l’accompagnement du chant classique ; l’esraj, également à archet, qui comporte un très petit résonateur, comme l’amrita, long bâton traversant une noix de coco ; le sura-sringara, à 8 cordes, joué avec un plectre et comportant une caisse allongée formée d’un double résonateur hémisphérique ; l’eka-tantri, cylindre creux fixé à un bambou, à corde unique ; l’ekatara, petit luth à 2 cordes pour accompagner le chant, de même que le do-tara, au long manche, réservé à l’accompagnement des bauls. On citera également : la gottuvâdyam, large vina avec touches qui se joue en faisant glisser un morceau de bois poli sur les cordes ; la harpe arrondie, principal instrument à cordes jusqu’au VIe siècle, où il fit place au luth ; la svara mandala, harpe horizontale qui comporte une caisse de résonance pourvue de nombreuses cordes métalliques, qui se joue avec les doigts et downloadModeText.vue.download 494 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 488 que l’on peut considérer comme l’ancêtre du clavecin et du cymbalum tzigane ; enfin le tampura, luth à 4 cordes pincées à vide pour scander le chant ou la mélodie jouée par un autre instrument, en donnant toujours la tonique. C’est de ce retour régulier à la tonique qu’on escompte la naissance de l’état hypnotique. Les instruments à vent sont représentés par : le sahnaï, sorte de hautbois à anche longue, identique aux instruments trouvés dans les fouilles et datant de deux siècles av. J.-C. ; le nagasvaram, plus gros que le sahnaï et au son plus puissant ; le murali, flûte traversière en bambou à 6 trous ; le bansuri, également en bambou, à 8 trous avec embouchure ; la vamsha, flûte droite sans embouchure, dans laquelle on souffle sur le bord du bambou ; le pungi, flûte double, réservée aujourd’hui aux charmeurs de serpents ; la shankha, conque marine utilisée dans le rituel des temples, comme la shringa, faite d’une corne de vache, et la turya, trompette également utilisée en temps de guerre. Parmi les innombrables percussions, le tabla est le plus indispensable à toute manifestation musicale en Inde ; il se compose de deux tambours couverts de peau, sur lesquels sont tendues des lanières de cuir maintenant des éléments de bois cylindriques : le banya, joué de la main gauche, et le dayan, joué de la main droite. Le khurdak, à 2 timbales arrondies, sert uniquement à accompagner le sahnaï. Les différents tambours - mridanga, maddalam, pakhavaj, dhol ou dholak (à 2 faces), khol (double cône), douggi (petite timbale) ou khanjari (timbale avec cymbales métalliques) - sont plus fréquemment réservés à la musique populaire, de même que le damaru (en forme de sablier), le tali et le jhalra (petites cymbales). Ajoutons le nagara et le bheri, utilisés dans les temples ou en temps de guerre, le tala (gong), le chanta (cloche) et le ghatam (cruche de terre frappée avec les doigts). Différents instruments occidentaux se sont peu à peu ajoutés à ces timbres traditionnels, notamment le violon, introduit au siècle dernier par Varahapaya, ministre à Tanjavoor, mais qui n’est ni accordé ni joué de la même façon qu’en Occident - le musicien, accroupi, le tient entre le talon et la poitrine. TRADITION ET PROGRÈS. Bien que la conception occidentale de la musique soit fort étrangère à la sensibilité indienne, il existe, un peu partout en Inde, des organismes ou des écoles où l’on peut apprendre l’harmonie, le contrepoint et les différents instruments pratiqués en Europe et en Amérique. L’école de musique de Calcutta, fondée par Philippe Sandré, est l’une des plus anciennes, et l’enseignement qu’elle dispense est celui des académies anglaises, en particulier Trinity College de Londres. Orchestres symphoniques (celui de New Delhi est l’un des premiers à avoir présenté les grands classiques de la musique européenne) et petites formations se sont plus récemment constitués parallèlement aux départements musicaux des universités, où se maintiennent les traditions de la musique indienne. Les interférences, de plus en plus nombreuses, entre les deux expressions, sont surtout limitées à la musique de film (Vanraj Bhatia, de Bombay, est l’un des grands spécialistes) et à la musique de genre, où vinas et tampuras se trouvent unis à certains instruments occidentaux. Dans un domaine plus ambitieux, le compositeur anglo-indien John Mayer (1929) a tenté d’intégrer le raga et le sitar à l’orchestre ou aux ensembles de chambre (Raga Jaijavanti, Shanta Quintet), tandis qu’en Europe Olivier Messiaen (dans la plupart de ses oeuvres et spécialement la Turangalila Symphonie) et Jacques Charpentier (Études karnatiques) s’inspirent de la richesse rythmique caractéristique de la musique indienne. INDIA (Sigismondo d’), compositeur italien (Palerme 1582 - Modène ? 1629). Il est né de famille noble sicilienne. On sait peu de chose sur les premières années de sa vie, sinon qu’en 1608, il se trouvait à Florence et y fréquentait le milieu de la Camerata, où il rencontra Giulio Caccini et la chanteuse Vittoria Achilei, qui interprétèrent ses oeuvres. Chanteur lui-même, India publia en 1609, à Milan, le premier des cinq livres de Musiche à voix seule ou à deux voix avec basse continue. Nommé « maestro della musica di camera » à la cour de Charles-Emmanuel Ier à Turin (1611), il devait occuper ce poste jusqu’en 1623. La bibliothèque de cette ville conserve une musique incomplète pour la pastorale Zalizura. L’année suivante, India partit pour Rome, partageant son temps entre la Ville éternelle et Modène. Bien qu’auteur de musique religieuse parmi laquelle un livre de motets à 4 voix (Venise, 1627) -, Sigismondo d’India est surtout un compositeur d’arias mesurées et de monodies particulièrement expressives et accompagnées (nel Chitarrone, Clavicembalo, Arpa doppia...). Toutes oeuvres qui, selon d’aucuns, égaleraient l’art de Monteverdi dans ce domaine ; Cruda Amarilli (texte de Guarini) compte parmi les plus connues. India a également composé des madrigaux à 5 voix - parus en huit livres entre 1606 et 1624 -, des ballets et des musiques de scène. INDY (comte Paul-Marie-Théodore VINCENT d’), compositeur français (Paris 1851 - id. 1931). Issu d’une famille originaire du Vivarais et fort attachée aux traditions, le jeune Vincent est d’abord formé par sa grandmère, musicienne exigeante et distinguée, avant d’être confié, à onze ans, à Diemer et à Marmontel. Le piano et le solfège ne l’empêchent pas de se tourner vers la littérature, dont il découvre peu à peu tous les classiques. En 1863, Lavignac lui enseigne l’harmonie. En 1864, c’est son premier contact avec les Cévennes, qui lui feront une telle impression qu’il ira, sa vie durant, chercher au moins une fois l’an le souvenir de cette émotion. En 1867, d’Indy aborde l’orchestration. Après le baccalauréat, il voyage en Italie, puis en Allemagne (1870). Dès 1871, il participe avec Franck, Duparc et Bussine à la fon- dation de la Société nationale de musique, la fameuse S. N. M., tout en s’adonnant activement à la composition (ainsi voient le jour des Romances, la Symphonie italienne) et tout en commençant à diriger en province, à suivre la classe d’orgue du Conservatoire et les cours de fugue professés par Franck. À partir de 1873 - il a tout juste vingtdeux ans -, il produit beaucoup et dans tous les domaines, chantant tout à tour l’Allemagne (Wallenstein, 1873), la Hongrie (Jean Hunyade, 1874-75), l’Antiquité (Antoine et Cléopâtre, 1876). De cette époque féconde datent la Chevauchée du Cid (1876-1879), l’opéra-comique Attendez-moi sous l’orme (création, Paris, 1882) ainsi que la Forêt enchantée (1878), inspirée de Uhland. Dès 1884, d’Indy accorde une grande attention à l’art populaire et se met à constituer un « herbier » de chansons vivaraises, qu’il utilisera notamment dans sa célèbre Symphonie cévenole (1886), dans Jour d’été à la montagne et dans de nombreuses mélodies, transcrites ultérieurement pour chant et piano ou choeurs a capella. En 1890, il devient président de la S. N. M., puis membre d’une commission pour la réforme du Conservatoire. Quatre ans plus tard, les bases de la Schola cantorum sont jetées, et, à partir de 1896, d’Indy y professe généreusement, sans que cela crée une entrave à ses activités parallèles d’inspecteur de l’Enseignement musical de la Ville de Paris ou de compositeur. Travailleur infatigable, il se dépense en effet sans compter, guidant de nombreux disciples, multipliant dans tous les genres des oeuvres de haute valeur : l’opéra Fervaal (1889-1893, créé à Bruxelles en 1897), le Second Quatuor à cordes (1897) et la Deuxième Symphonie (1902), l’Étranger (18981901, créé à Bruxelles en 1903), la Sonate pour violon et piano (1903-1904), Jour d’été à la montagne (1905), etc. Par ailleurs, ces activités multiples ne l’empêchent ni d’écrire des ouvrages didactiques (Cours de composition musicale, 1903-1909, 1933, 1950), ni de faire entendre certaines grandes oeuvres du passé, qu’il ressuscite (l’Orfeo de Monteverdi, par exemple), ni de porter un regard downloadModeText.vue.download 495 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 489 pénétrant sur certains compositeurs qu’il aime : en témoignent ses livres sur Franck (1906), Beethoven (1911) ou Wagner (1930). Après 1914, sa carrière de musicien s’oriente surtout vers la musique de chambre, à laquelle il apporte la concision et la poésie de l’âge mûr (Quintette, 1924, et Sonate pour violoncelle et piano, 1924-25 ; Suite pour flûte, trio à cordes et harpe, 1927 ; Sextuor, 1927 ; Quatuor no 3 et Trio, 1928-29 ; Fantaisie sur un vieil air de ronde française pour piano, 1930). On a souvent médit de l’art de d’Indy, s’en prenant à son admiration pour Franck et Wagner, à son catholicisme intransigeant, parfois même à ses idées politiques ou à sa particule. En fait, même si l’écriture est stricte et la langue parfois complexe (héritage du leitmotiv), l’orchestration est souvent rutilante (Istar) et la pensée toujours très noble (l’Étranger, Fervaal, Wallenstein). Certes, l’inspiration est essentiellement germanique, et les maîtres de d’Indy s’appellent Bach, Beethoven, Schumann et plus encore Wagner et Franck. Mais d’Indy regarde aussi vers les vieux maîtres français (Rameau, Destouches, qu’il réédite) ou italiens (recréant l’Orfeo). Il occupe ainsi une place à part, et assez paradoxale, dans l’histoire de la musique française - à la fois par sa production, qui se situe en dehors du grand renouveau apporté par Fauré, Debussy, Ravel, à qui il voue amitié ou admiration, par son action de chef d’orchestre, qui lui fait ressusciter maints chefs-d’oeuvre du passé, et par son enseignement, puisque, au Conservatoire ou à la Schola cantorum, il formera des élèves de tempéraments aussi divers que Séverac, Roussel, Satie, Le Flem, Honegger, Auric, etc. INGEGNERI (Marco Antonio), compositeur italien (Vérone v. 1547 - Crémone 1592). Il fut sans doute l’élève de Vincenzo Ruffo à Vérone avant de se rendre à Parme, où il reçut les conseils de Cipriano de Rore il divino, l’un des maîtres de l’écriture chromatique. Vers 1568, il s’installa à Crémone, où il devint maître de chapelle à la cathédrale (1581). Dans cette ville, Monteverdi fut l’un de ses élèves, ainsi que Nicolao Sfondrato, le futur pape Grégoire XIV. Ingegneri dirigea également la chapelle de Saint-Ambroise à Gênes (1584-85). Musicien raffiné, il a laissé de la musique religieuse, notamment un recueil de 27 répons de la semaine sainte (4 voix a cappella), attribués à tort à Palestrina, quatre volumes de Sacrae cantiones, publiés chez Gardano à Venise (1576, 1586, 1589, 1591), ainsi que deux livres de Messes chez Amadino (1573, 1587). Deux livres de madrigaux à 4 voix, cinq à 5 voix (le premier est perdu) et un seul à 6 voix témoignent de la qualité de sa contribution à la musique vocale profane de son temps. Ingegneri sut parfaitement exploiter le chromatisme, très prisé à l’époque, mais il le fit en général avec discrétion et bon goût. INGHELBRECHT (Désiré-Émile), chef d’orchestre et compositeur français (Paris 1880 - id. 1965). Fils d’un altiste de l’Opéra, il fit ses études au Conservatoire de Paris. À l’âge de seize ans, il entra dans l’orchestre des concerts de l’Opéra comme second violon, ayant étudié cet instrument auprès de son père. Entre 1903 et 1908, il composa ses premières mélodies et oeuvres instrumentales, et prit la baguette au Concert national pour y diriger ses propres partitions (Marine, la Serre aux nénuphars, Automne). En 1908, Robert d’Humières l’engagea comme directeur musical du Théâtre des Arts, où il devait créer la Tragédie de Salomé de Florent Schmitt. En 1911, il participa comme chef de choeur à la création du Martyre de saint Sébastien de Debussy au Châtelet et, en 1913, il assura la direction de la première saison musicale du Théâtre des Champs-Élysées, où il dirigea Benvenuto Cellini, le Freischütz et Boris Godounov. Entre-temps, il avait fondé en 1912 l’Association chorale de Paris, dont il dirigea les premiers concerts (1914). Il fut mobilisé durant la Première Guerre mondiale, puis on le retrouve en 1919 à la tête des Concerts Ignace-Pleyel, qui s’imposaient de ressusciter des oeuvres instrumentales des XVIIe et XVIIIe siècles. Entre 1920 et 1923, Inghelbrecht dirigea en tournée l’orchestre des Ballets suédois. C’est à partir de cette époque qu’il commença à composer des ballets (El Greco, 1920 ; le Diable dans le beffroi, d’après E. Poe, 1921 ; Jeu de couleurs, 1933), qui furent généralement créés par son épouse, la danseuse Carina Ari. Inghelbrecht fut successivement directeur de la musique à l’Opéra-Comique (1924-25), chef de l’orchestre Pasdeloup (1928-1932) et directeur de l’Opéra d’Alger (1929-30). En 1934, il fonda l’Orchestre national de la Radiodiffusion française, à la tête duquel il devait rester pendant quinze ans, faisant connaître, par le truchement des ondes, les grandes oeuvres symphoniques et lyriques. On lui doit la première exécution en France de la version originale de Boris Godounov (1935). Inghelbrecht a laissé plusieurs ouvrages de souvenirs et de commentaires sur son art : Comment on ne doit pas interpréter Faust, Carmen, Pelléas (1933), Mouvement contraire (1947), le Chef d’orchestre et son équipe (1950), Le chef d’orchestre parle au public (1957). IN NOMINE. Catégorie spéciale de ricercar anglais (fantasy, fancy, etc.), qui fut en faveur en Grande-Bretagne dans la seconde moitié du XVIe siècle et jusqu’à Purcell inclus, caractérisée par une plus grande unité que dans le ricercar à sections et par la présence d’une cellule mélodique stéréotypée, correspondant aux mots in nomine Domini dans le Benedictus de la messe Gloria tibi Domine de John Taverner († 1545). INSTITUT DE RECHERCHE ET DE COORDINATION ACOUSTIQUE/MUSIQUE (I. R. C. A. M.). Organisme de recherche, de création et de diffusion musicales dirigé par Pierre Boulez et créé en 1975 dans le cadre du Centre Georges-Pompidou à Paris. Il est certainement le premier dans le monde pour l’importance des moyens matériels et financiers dont il dispose. Pardelà une activité intense de concerts et de diffusion du répertoire contemporain, par l’intermédiaire d’un orchestre associé à l’I. R. C. A. M., l’Ensemble intercontemporain (E. I. C.), sa vocation reste celle d’un laboratoire de recherches, où collaborent techniciens, chercheurs, musiciens (et, en principe, hommes de science) « pour résoudre par un travail d’équipe les problèmes de la création musicale qui ne se prêtent plus à des solutions individuelles ». Ce vaste programme comprend, entre autres, des recherches sur la création de nouveaux sons, avec les instruments et les voix, mais aussi et surtout avec l’ordinateur, sur l’acoustique musicale, sur des nouvelles formules de composition, en associant des disciplines telles que la psychoacoustique, « l’informatique, la neurophysiologie, la linguistique et la sociologie ». En cela, l’I. R. C. A. M. s’est donné les mêmes objectifs que de nombreux centres existant en France et à l’étranger, ce qui le distingue toutefois étant l’étendue de ses moyens et son autonomie de principe par rapport à des impératifs de production ou de rentabilité. Il s’est affirmé aussi comme international, aussi bien dans son équipe que dans les contacts qu’il a noués avec des centres éloignés, aux États-Unis notamment (Stanford, M. I. T., U. C. L. A.). Depuis sa création, l’I. R. C. A. M. a connu des remaniements profonds, sous l’autorité de Pierre Boulez. En 1975, il comportait, autour d’une équipe de liaison, de contacts et de programmes (Snowman, Marger), cinq départements complémentaires, confiés à des musiciens ou à des chercheurs réputés : Instruments et voix (Vinko Globokar), Électroacoustique (Luciano Berio), Ordinateur (Jean-Claude Risset), Pédagogie (Michel Decoust) et Diagonal de coordination, héritant également des difficiles problèmes de la perception musicale (Gerald Bennett). Puis, des dissentiments entraînèrent les départs successifs et indépendants de tous les responsables de département. En 1980, Pierre Boulez donna à l’I. R. C. A. M. une nouvelle structure, inspirée par un downloadModeText.vue.download 496 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 490 souci de décloisonnement (suppression des départements), de rajeunissement des équipes et d’ouverture des programmes. Il n’y a donc plus de compositeurs attachés en permanence à l’I. R. C. A. M., mais une équipe technique et une structure souple d’accueil, avec des « tuteurs » pour guider les musiciens dans leurs projets de création (autour du responsable David Wessel, les spécialistes Stanley Haynes, Yves Potard, Andrew Gerszo). Tod Machover anime la recherche musicale, et Jean Kott les recherches informatiques. En 1980, l’I. R. C. A. M. fut la cible de critiques et d’interrogations, dont l’importance tenait, notamment, à sa place dans le paysage musical français (son budget représente environ vingt fois le montant de toutes les subventions consenties en France aux autres centres de recherche). On lui reprocha de masquer, derrière une politique de diffusion du patrimoine contemporain « classique » (école de Vienne, Stravinski, etc.), dans des concerts reconnus d’ailleurs d’excellente qualité, un « vide total de projet » (Jean-Claude Eloy), l’ignorance par rapport aux recherches parallèles ou antérieures, l’absence de véritable découverte, aboutissant à une « impasse pesante pour tout le monde musical » (Iannis Xenakis). Les résultats jusqu’ici les plus visibles des recherches entreprises à l’I. R. C. A. M. semblent se situer dans le domaine très circonscrit de la création de nouveaux sons par ordinateur, où cet organisme a su utiliser la compétence de pionniers tels que Mathews, Risset, Chowning et d’un inventeur comme Giuseppe Di Giugno, qui a conçu un synthétiseur numérique en temps réel aux nombreuses possibilités, la machine « 4 X ». L’I. R. C. A. M. a suscité la réalisation d’un certain nombre d’oeuvres nouvelles, explorant notamment le domaine de la synthèse informatique (ou « numérique »), et présenté, outre ses concerts de type classique, des cycles de conférences et de débats, nommés ateliers. Il a publié plusieurs rapports de recherche, des cassettes pédagogiques et un recueil d’articles, la Musique en projet (1974). En 1992, Boulez a eu comme successeur à la direction de l’I. R. C. A. M. Laurent Bayle. Le directeur artistique est depuis cette date Risto Nieminen. Depuis 1992, l’I. R. C. A. M. publie des livres-brochures sur des compositeurs (Jarrell, Lindberg...) ainsi que, deux fois par an, la revue Résonance, plus « grand public » que la revue In Harmoniques, lancée en décembre 1986 et qui continue sous une nouvelle formule depuis mai 1990. L’I. R. C. A. M. se veut plus que jamais un institut de recherche, de création et de pégagogie renforçant les liens entre chercheurs et compositeurs. INSTRUMENTATION. Opération qui consiste à attribuer à un instrument déterminé l’exécution d’une phrase musicale. La notion même d’instrumentation (qu’il ne faut pas confondre avec orchestration) peut paraître périmée en ce sens que, depuis deux siècles, les compositeurs conçoivent et écrivent directement en fonction de l’instrument. Il en allait tout autrement jusqu’au temps de J.-S. Bach. François Couperin, dans ses Concerts royaux, par exemple, considère comme interchangeables les instruments de tessitures voisines et abandonne leur choix aux interprètes. La flûte traversière peut fort bien se charger d’une partie de hautbois, voire de violon, pourvu que celle-ci ne comporte pas de doubles cordes et ne descende pas au-dessous du ré. Au besoin, les traits incompatibles peuvent être adaptés et l’oeuvre entière transposée dans un autre ton. Cela fait partie de l’art d’instrumenter, brillamment pratiqué par Serge Prokofiev quand il transforma en sonate pour violon et piano son opus 94, initialement composé pour la flûte. INTERLIGNE. Espace compris entre deux lignes consécutives de la portée. Chaque portée comporte donc quatre interlignes. INTERLUDE (étymol. « entre-jeu »). Dans un ouvrage lyrique ou un ballet, pièce symphonique destinée à enchaîner deux tableaux de manière à laisser aux machinistes le temps de changer le décor et assurant une transition musicale entre une scène et la scène suivante. L’exemple le plus caractéristique est fourni par les interludes de Pelléas et Mélisande, que Claude Debussy composa au cours des répétitions, à la demande du metteur en scène Albert Carré. INTERMÈDE. Forme théâtrale qui remonte à l’époque médiévale (mystères, drames liturgiques). À la Renaissance, l’intermède, exécuté entre les actes d’une tragédie, d’une comédie, d’une pastorale, etc., comporte des danses et des pièces vocales. En Italie, l’arrivée de la monodie accompagnée, mêlée à des choeurs et à des danses instrumentales, contribua à donner aux intermèdes une place de plus en plus importante dans les spectacles de la Renaissance, créés à l’occasion des cérémonies de cour. Le genre pénétra en France, sous l’influence italienne, au cours de la seconde moi- tié du XVIe siècle. Il continua sa carrière au siècle suivant, placé entre les actes d’une tragédie, d’une pastorale ou pour agrémenter une pièce à machines. Parfois, la forme s’inspirait directement de la commedia dell’arte, comme les comédies-ballets de Molière que Lully mit en musique. Au XVIIIe siècle, Rameau appela « intermèdes » les parties musicales de la comédie de Voltaire la Princesse de Navarre, représentée à l’occasion des fêtes de la cour (1745). Quelques années plus tard, Rousseau ajouta ce terme comme soustitre à son Devin du village (1753). Depuis lors, l’intermède, ou intermezzo, désigne tout épisode qui sert de lien entre les actes d’une pièce ou d’un opéra. À titre d’exemple, on peut citer l’Intermezzo de Manon Lescaut (Puccini) ou celui de Fennimore and Gerda (F. Delius). INTERMEZZO. Dans l’évolution des genres lyriques, l’intermezzo a assumé des fonctions diverses : spectacle complet au XVIe siècle, mêlé de chant, de danse, de divertissement instrumental, il désigna au XVIIe siècle plus particulièrement l’intermède lyrique (pastorale, favola in musica, etc.) inséré dans les fêtes données dans les palais italiens. Puis, dès l’ouverture de théâtres publics et payants (1637), il fut de mise de distraire le public durant les entractes (que les changements de décors rendaient assez longs) par des intermezzos, d’abord chorégraphiques, puis lyriques. Lorsque, au XVIIIe siècle, l’opéra eut nettement séparé les éléments tragiques des éléments comiques, les deux entractes de l’opera seria furent généralement remplis par deux intermezzos bouffes, constituant ainsi les deux actes d’une oeuvre comique, joués devant le rideau et nécessairement réduits à la plus grande simplicité, limités à deux ou trois personnages. Le compositeur de l’operia seria représenté écrivant lui-même la musique de cet intermezzo, le genre bénéficia de l’apport de musiciens tels que Scarlatti, Leo, Feo ou Pergolèse, dont La Serva padrona (1733) passa pour le modèle du genre, et rivalisa ainsi victorieusement avec le véritable opera buffa, plus populaire et d’un galbe musical souvent très sommaire. C’est la fusion de deux genres, vers 1760, qui donna naissance au grand opera buffa et à ses dérivés plus ambitieux, tels que le dramma gio- coso, l’opera semiseria, etc. Aux XIXe et XXe siècles, le même terme d’intermezzo désigna un interlude orchestral séparant les actes ou les tableaux d’un opéra et aussi certaines pages instrumentales isolées (opus 4 de Schumann, diverses pièces des opus 116-119 de Brahms) ou faisant partie d’oeuvres plus vastes (intermezzos du quatuor avec piano op. 25 et de la sonate op. 5 de Brahms ou de la sonate op. 11 de Schumann). INTERPRÉTATION. Dans un sens large, l’interprétation d’une oeuvre écrite désigne non seulement l’exécution de la partition, c’est-à-dire la réalidownloadModeText.vue.download 497 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 491 sation sonore fidèle des signes notés, mais aussi l’expression, le sentiment, la vie, les significations dont le ou les interprètes revêtent cette exécution, par une série d’actes et de décisions, qui, en principe, n’ont pas été déterminés par le compositeur. À partir de cette définition commune, les conceptions s’opposent, parfois, entre ceux qui considèrent l’interprétation comme une création individuelle qui se surajoute à l’oeuvre et ceux qui veulent qu’elle soit l’actualisation, le déploiement des intentions « cachées » ou implicites du compositeur. Dans la musique occidentale du XVIIe siècle à nos jours, où les hauteurs et les structures de durées sont généralement notées de manière précise et exhaustive, la marge de jeu et de décision laissée à l’interprète, à partir du texte écrit du compositeur, reste considérable et concerne notamment le choix des tempos, du phrasé, de l’articulation (même si l’auteur les précise sommairement), la sonorité, la réalisation des nuances, la conduite des voix parallèles, la « construction » du discours, composantes auxquelles il faut ajouter des impondérables multiples et dont la somme « fait » l’interprétation. L’oreille humaine est d’une extrême sensibilité à de minimes différences de toucher, de nuances, d’émission du son, d’expression, etc., qui peuvent faire toute la différence entre une exécution « honnête » et une interprétation géniale. Dans la musique ancienne (y compris la musique dite « baroque »), la partition était généralement moins précise et impérative, et l’interprète possédait des « libertés » apparemment supplémentaires, concernant l’ornementation, le détail des lignes mélodiques, l’instrumentation et souvent même la liberté d’improviser (cadences, basses continues) à partir du canevas donné par le compositeur. Cette tradition essentiellement orale s’étant perdue et n’ayant été retrouvée que récemment à partir de textes, on peut dire que les problèmes de l’interprétation de la musique ancienne intègrent de nombreux problèmes d’exécution, sur lesquels l’unanimité n’est pas faite. INTERPRÉTATION, EXÉCUTION ET NOTATION. Notre musique est fondée, depuis plusieurs siècles, sur le principe de l’oeuvre écrite fixée sur une partition, laquelle constitue un texte que l’interprète doit « lire », mais aussi faire parler. C’est au traité d’interprétation de Johann Joachim Quantz (1752) que l’on doit une des meilleures définitions de cette notion, alors que le mot ne possédait pas encore son sens actuel : « L’expression musicale peut être comparée à celle d’un orateur. » Il faut non seulement transmettre un contenu écrit, mais « s’emparer des coeurs ». Pour cela, il faut que l’orateur ait « la voix forte, claire et nette, la prononciation distincte, qu’il sache varier son discours », soutenir l’intérêt et la curiosité. Le même auteur pose aussi très clairement la différence entre le niveau purement technique de l’exécution et l’interprétation proprement dite : « Je ne veux pas instruire le joueur de flûte seulement par rapport à ce qu’il y a de mécanique dans cet instrument, mais [... ] j’ai travaillé aussi pour le rendre un musicien entendu et habile. » Ainsi l’interprétation consiste-t-elle dans l’art de la parole musicale, complémentaire de l’art de la langue musicale pratiqué par le compositeur. La distinction langue/parole, introduite par Ferdinand de Saussure dans les recherches linguistiques, peut, en effet, être transposée dans la musique : la langue est le système du discours, « social dans son essence et indépendant de l’individu « ; la parole (comparée précisément par Saussure à une exécution musicale) est l’incarnation de ce discours, comme « partie individuelle » du langage. Cette répartition des tâches et des capacités entre les compositeurs, d’une part, et les exécutants-interprètes, d’autre part, n’a pas de sens dans des musiques dites « orales », comme le jazz ou les musiques indiennes ou africaines traditionnelles, dans lesquelles le musicien ne s’appuie pas sur une partition préécrite, mais invente son discours en même temps qu’il le parle. Dans l’impression que reçoit alors l’auditeur, dans le jugement qu’il peut porter, on ne peut dissocier la part de l’interprétation de celle de l’exécution ou de celle de l’invention. Au contraire, dans notre système occidental actuel, l’interprétation est un mystérieux « en plus » apporté par l’interprète, auquel parfois on trouve à reprocher de n’être qu’un exécutant. Encore pose-t-on comme préalable, nécessaire mais non suffisant, que l’exécution de la partition soit correcte et fidèle. Bien que le respect de la partition n’ait jamais été aussi grand qu’aujourd’hui chez les interprètes, on trouve encore à leur reprocher parfois des fautes d’exécution : notes « à côté », fautes de mesure, nuances non observées, etc. La tolérance à ces écarts semble diminuer avec la surenchère de technicité créée par la culture discographique et radiophonique. On considère donc généralement que la fonction de l’interprétation est d’émouvoir, de toucher, ce qu’on ne pense pas que puisse faire l’exécution objective de la partition. Plus récemment, on a voulu définir l’interprétation idéale comme l’art de réaliser la « parole » voulue intimement par le compositeur, que les symboles écrits ne pouvaient qu’incomplètement représenter. Dans cette optique, la partition apparaît comme le pathétique balbutiement écrit d’une intention musicale, que le vocabulaire réduit et grossier de la notation ne permet pas de dire totalement et dont l’interprète doit « déployer la parole ». Cela n’est pas complètement faux, mais les énormes différences observables entre deux versions également convaincantes et correctes du point de vue de l’exécution doivent conduire à relativiser cette conception de l’interprétation comme réalisation fidèle des intentions prêtées au compositeur. Le rôle considérable donné à l’interprète et le vedettariat dont il bénéficie ne sont pas une invention de notre époque. Les « vedettes » du chant, du violon, du clavier existent depuis plusieurs siècles. L’interprétation représente depuis long- temps la part de parole, la part orale de notre musique savante, fondée sur l’écrit certes, mais jamais totalement, sauf dans des cas limites. Malgré l’existence de traités, comme ceux de Quantz, de Tosi, etc., la transmission des styles d’interprétation se faisait surtout de manière orale, directe, de maître à élève, d’interprète à auditeur. Nous ne les connaissons plus que par des témoignages écrits. L’avènement de l’enregistrement sonore a bouleversé cet état de fait. On peut désormais fixer et reproduire à volonté des images extrêmement précises de l’interprétation, de la parole musicale jusqu’alors vouée à l’éphémère. Arrachée au temps, l’interprétation devient un objet : de culte, de contemplation, d’étude, en dehors de la circonstance du concert comme lieu et moment privilégié et unique. Remarquons que le compositeur occidental, si pointilleux fût-il sur la notation de ses intentions, a toujours négligé, et pour cause, de noter dans sa partition beaucoup de conventions d’exécution qui allaient de soi à son époque, telles que les « notes inégales » dans la musique baroque. Si l’exécution actuelle s’appuie sur l’écrit du compositeur, cet écrit repose luimême sur des traditions orales qu’on ne jugeait pas nécessaires de noter, puisque connues de tous. Seulement, l’usage de ces traditions et de ces habitudes se perdit, et celles-ci restèrent consignées dans un nombre limité de traités ; aussi, quand on a ressorti des bibliothèques les partitions de Bach, de Monteverdi ou de Telemann en se fiant à l’écriture, a-t-on produit des exécutions musicales qui, pour être apparemment fidèles au texte écrit, n’en étaient pas moins infidèles à la lettre de la partition. Pourquoi, en effet, si l’on se dit fidèle au texte, omettre de respecter les traditions sur lesquelles ce texte s’appuie implicitement ? Tel est le grief formulé par certains contre ceux qui persistent à jouer Bach ou Telemann « à la moderne ». Le problème, que l’on retrouvera plus loin, est complexe en raison de la nature multiple de la musique. Si incomplet qu’il soit, le texte de la partition transmet apparemment les structures musicales essentielles (hauteurs, rythmes, formes, etc.), qui peuvent survivre à d’incroyables variadownloadModeText.vue.download 498 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 492 tions, tempos, accentuations, instrumentations, etc. Le modèle de cette musique, qui semble à la limite n’être qu’un pur texte, non destiné à la parole, est l’Art de la fugue de Bach, écrit sans indications d’instrumentation. À l’opposé, la plus grande partie de la musique classique et de la musique romantique est écrite pour l’exécution, pour l’interprète. Si l’interprétation musicale occidentale consiste à donner la parole au texte, c’est naturellement par référence à la voix humaine, proposée comme modèle à tout interprète. La plupart des traités destinés aux interprètes (flûtistes, violonistes, clavecinistes), depuis le XVIIIe siècle, leur prescrivent de chanter comme le ferait une voix, de l’imiter dans son phrasé, ses respirations, son articulation, sa sonorité même. Donner voix humaine au jeu instrumental, au-delà du mécanisme, de l’exécution, tel était l’idéal proposé. On s’est, curieusement, assez peu interrogé sur les imprécisions de la notation occidentale. C’est pourtant l’un des moyens de comprendre sur quoi fonctionne l’interprétation en tant que « surplus » par rapport à l’exécution des signes notés. L’interprétation occidentale de la musique écrite apparaît comme un art de jouer des imprécisions de l’écrit. La musique classique occidentale note fort précisément et exhaustivement les relations des hauteurs, et même les valeurs absolues des hauteurs grosso modo, puisque le diapason est assez variable, et aussi, depuis l’avènement du tempérament, les intervalles. C’est sur le jeu des hauteurs (tonalité, mélodie, harmonie, contrepoint, modulations, etc.) que le compositeur fait porter l’essentiel de son travail de conception et d’écriture. Sur les hauteurs, l’interprète n’a donc plus l’initiative qu’il avait dans la musique ancienne. En revanche, il en conserve une, très importante, sur les tempos, c’est-à-dire sur les valeurs absolues des durées. En effet, si la musique occidentale note assez strictement les structures de durée, les formes rythmiques (en même temps qu’elle en limite les figures), elle néglige souvent d’imposer les valeurs absolues de ces durées, c’est-à-dire le tempo, cela malgré l’invention du métronome par Maelzel, au début du XIXe siècle, qui donnait la possibilité de fixer une fois pour toutes les durées métronomiques et de les faire respecter impérativement. Or, notre musique s’est plu à conserver la liberté du tempo, d’une part parce que l’oreille est sensible aux rapports de durée et d’espacement temporel entre les sons, mais moins aux valeurs absolues de ces durées, et d’autre part comme pour préserver la part du jeu et du risque dans l’exécution. Le « bon tempo » n’est pas défini métronomiquement ; c’est une allure organique, vécue, un sentiment de vitesse. On notera, avec Robert Donington, que les indications de tempo conservées par notre musique (bien qu’extrêmement imprécises) sont à la fois des indications de vitesse et d’expression : allegro signifie gai et vite ; largo, large en même temps que lent ; scherzo, en badinant, etc. Il y a une visible résistance de la musique occidentale, pourtant avide de précision, à s’enfermer dans le carcan des contraintes métronomiques - comme pour éviter d’accuser la part « mécanique » forcément inhérente à toute exécution. L’interprétation idéale est définie comme un subtil mélange de rigueur rythmique (la main gauche dont parle Chopin, qui est le « maître de chapelle » battant la mesure) et d’irrégularité contrôlée (la droite se permettant des écarts, du « rubato »). À l’opposé, certaines musiques traditionnelles, comme celle de Bali, ou modernes, comme la musique répétitive américaine, ne craignent pas de viser une régularité rythmique absolue, robotique. En effet, le propre du métronome, qui est une mécanique, est non seulement de définir une certaine vitesse d’exécution (une noire à la seconde, par exemple), mais aussi d’inviter à la respecter avec une précision d’automate. Cette tolérance de notre musique sur la définition du tempo laisse des possibilités d’écarts, de fluctuations et de variations considérables (un quart d’heure de différence entre deux versions d’une symphonie de Mahler). Observons, par ailleurs, que notre système de notation à base binaire, ingénieux et rationnel, est inapte à noter beaucoup de rythmes irrationnels et souples de la musique orale, contrairement au système, pourtant plus « grossier », des neumes primitifs. Valeurs de hauteurs et de durées sont donc notées sur la portée et semblent donc constituer le texte de base, intouchable, de la partition. Les autres indications (phrasé, accents, articulation, nuances), par leur disposition graphique même - elles sont autour des notes et au-dessus ou au-dessous de la portée -, semblent annexes et secondaires, alors qu’elles sont parfois primordiales pour le sens du discours. Par exemple, pour noter des variations de nuances (que ne comportait pas, disent certains, la musique ancienne), notre système a recours soit au rudimentaire « soufflet » (crescendo ou diminuendo), soit à des lettres aussi vagues et vite dévaluées que les p, pp, ppp, pppp, etc., et les f, ff, fff, ffff, etc. De même pour les indications d’articulation et de phrasé (renvoyant à la parole), qui ne sont souvent qu’esquissées. Enfin, certaines indications capitales d’intonation ou d’expression sont traduites par des expressions verbales telles que sotto voce (à voix étouffée) ou con moto (avec du mouvement). C’est dans cette marge d’imprécision que joue le rôle de l’interprète, ainsi que dans la création de la sonorité. Les notations même les plus « maniaques » de la musique récente n’arrivent pas à tout indiquer. La notation la plus exacte ne peut être qu’un enregistrement, ce qu’avait compris Stravinski, adversaire des « interprétations », qui souhaitait transmettre par le disque des modèles d’exécution « objectifs » de ses oeuvres. Il a été peu suivi dans ce désir d’objectiver totalement l’interprétation, en d’autres termes de la ramener à une simple exécution. L’auteur des Noces était en effet de ceux pour qui l’expression est un aspect secondaire, périssable, quasi parasitaire de la musique. Alors que le compositeur, au niveau de son « texte » de partition, assemble souvent des formes, des structures sans souci direct de l’effet sur l’auditeur, l’interprétation de type expressif vise non seulement à mettre en évidence ces formes, ces structures, mais aussi à produire un effet sur l’auditeur. Cette idée n’est pas un héritage du romantisme, puisque déjà les traités musicaux du XVIIe et du XVIIIe siècle ne parlent que d’« effet » et d’« expression ». Dans un sens opposé, une certaine école d’interprétation récente (née probablement à la faveur des moyens d’enregistrement, qui permettent de décomposer et d’analyser l’interprétation musicale comme jamais) vise à donner un éclairage objectif, analytique et précis des structures et des sonorités de l’oeuvre. L’INTERPRÉTATION À TRAVERS LA MUSIQUE OCCIDENTALE. Au commencement était la musique orale ; au commencement était donc l’interprète, en même temps improvisateur ou compositeur - en un mot, le musicien. La musique du Moyen Âge, essentiellement orale et anonyme, avait recours à des notations aide-mémoire assez sommaires. Et la notion d’interprétation, distincte d’une exécution ou d’une improvisation, n’existait probablement pas au sens actuel. Ce que certains formulent d’une autre manière, en disant que ces musiques n’avaient pas d’interprétation (Jacques Viret). On pourrait dire plutôt que la coloration, l’expression individuelle du chanteur ou de l’instrumentiste jouait sans doute un grand rôle (chez les trouvères, par exemple), mais qu’elle était tellement constitutive du discours musical que souvent on ne l’en séparait pas. Ce serait donc pendant la Renaissance, avec l’avènement de la monodie accompagnée (v. 1600), qui mit en valeur le soliste, que l’interprétation prit de l’importance. Si la partition devint plus claire et plus précise, elle resta encore souvent un canevas, à partir duquel l’interprète devait « broder », ajoutant des ornements, des cadences, des basses chiffrées. On pourrait croire que l’interprète était plus libre qu’aujourd’hui. En fait, cette liberté était downloadModeText.vue.download 499 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 493 surveillée et liée par nombre de conventions orales d’exécution. Et la liberté laissée par les partitions de jouer ou non telle ou telle pièce du recueil, d’user de tel ou tel instrument était plutôt une tolérance qu’une liberté active et créatrice. Il est vrai que l’interprète avait souvent à improviser, à des moments donnés de la partition, des « cadences », comme dans les Concertos pour orgue de Haendel ou le Troisième Concerto brandebourgeois de Bach. Jusqu’au XIXe siècle, les grands interprètes furent souvent en même temps improvisateurs, et les compositeurs eux-mêmes, tels Haendel, Bach, Mozart, Beethoven, Liszt, quand ils se produisaient en public, avaient à montrer leur talent d’improviser sur le clavecin ou le piano. Cette tradition du compositeur-interprète-improvisateur ne subsiste plus guère aujourd’hui que chez les organistes (Marcel Dupré, Olivier Messiaen). Avec les légendaires Paganini, Liszt, Tulou, Kreisler, etc., annoncés au siècle précédent par les Quantz, le romantisme vit l’apogée de la notion d’instrumentistevirtuose. Déjà, la complexité et la difficulté de la tâche d’exécution tendaient à devenir telles que le compositeur et l’interprète étaient de plus en plus deux individus distincts. Ainsi assista-t-on à une spécialisation des rôles, et tel compositeur écrivait pour tel virtuose une pièce de musique que lui-même aurait été incapable de jouer, tandis que l’interprète témoignait de moins en moins de compétences pour la composition musicale. Cependant, depuis longtemps, un type particulier d’interprète n’a cessé de recueillir les plus grandes faveurs : il s’agit du chanteur - castrat légendaire, comme Farinelli ou Caffarelli, « prima donna », comme la Pasta, Malibran, Patti ou Schröder-Devrient, ténor, comme Rubini, Nourrit, Duprez ou Caruso, etc. Toutes ces vedettes du chant conservèrent longtemps une espèce de « droit d’interprétation » exceptionnel sur la partition, qu’ils ornaient, agrémentaient de broderies de leur cru, au coeur même du romantisme, alors que la partition était déjà devenue un texte fixé une fois pour toutes. Contre ces libertés des virtuoses, les compositeurs défendaient de plus en plus la lettre de leur partition, de même que Chopin notait de plus en plus précisément les traits et les ornements, peut-être pour éviter ceux qu’ajoutaient les virtuoses. Ainsi, parallèlement à la mise en vedette de l’interprète, le compositeur défendit-il et précisa-t-il de plus en plus jalousement sa partition. Apparemment, la marge d’interprétation en était réduite d’autant, mais, en fait, les perfectionnements de lutherie, en multipliant les possibilités de sonorités, de registres, de couleurs, de nuances, mettaient en valeur plus que jamais le rôle capital de l’interprète. Mais, dans le courant du XIXe siècle, un nouveau type d’interprète capta l’intérêt du public et joua un rôle prépondérant, en relation avec le développement du genre symphonique : il s’agit du chef d’orchestre, qui, auparavant, était surtout un batteur de mesure, un « premier musicien » veillant à la régularité et à la coordination. Les Habeneck, les Hans Richter, Gustav Mahler, Arthur Nikisch, etc., commencèrent à attirer le public pour eux-mêmes, et non seulement pour le répertoire qu’ils jouaient. Tout ce que nous avons dit du rôle de l’interprète peut s’appliquer aux chefs d’orchestre, même s’ils délèguent aux individus d’un groupe le rôle d’exécuter leur interprétation, c’est-à-dire leurs décisions fondamentales sur les tempos, les phrasés, les accents, les coups d’archet, les respirations, les « voix en dehors », les nuances, etc. En même temps, leur rôle est d’insuffler un esprit, de faire circuler une vie, un élan commun et unanime dans cette masse de plus en plus complexe qu’est l’orchestre. La « personnalisation » du rôle du chef d’orchestre semble d’ailleurs croître proportionnellement avec celle du compositeur (quand ils ne sont pas une seule et même personne). Le chef d’orchestre semble être le délégué, le représentant du compositeur sur l’estrade, pour l’orchestre comme pour le public. C’est lui qui organise et construit l’interprétation. Car l’expansion des oeuvres en durée et en complexité ajoute de nouvelles dimensions à l’interprétation : il ne s’agit plus seulement de faire chanter de brefs morceaux de forme stéréotypée qui se succèdent, mais de travailler en profondeur des oeuvres dont chacune se veut singulière, de construire de véritables édifices d’intentions. Naturellement l’avènement de la radio et du disque a changé radicalement le problème de l’interprétation, puisque, d’une part, elle pouvait être désormais répandue à des milliers d’exemplaires, communiquée à des millions d’individus simultanément, et que, d’autre part, comme nous l’avons déjà dit, elle devenait un objet « mis en boîte ». L’art de l’interprétation ne se transmet plus comme un secret d’artisan, d’individu à individu, oralement. Il est conservé, exposé, diffusé à tous ; il n’est plus périssable. En même temps, le disque a eu une conséquence singulière : en multipliant le nombre des interprétations rivales d’une même oeuvre classique, il a ouvert une sorte de concours permanent d’interprétation, à l’échelle de la planète (dans l’espace) et du siècle (dans le temps) ; concours que, dans le monde entier, des revues spécialisées, qui lui sont entièrement consacrées, tiennent méticuleusement à jour, confrontant la plus récente « version » d’un jeune talent à l’étalon de référence constitué par une prestigieuse version ancienne - laquelle peut, à tout moment, être détrônée par une nouvelle. Pendant un temps, la course à la haute-fidélité a tendu à éliminer, au fur et à mesure, les versions discographiques anciennes (78 tours, microsillon monophonique), pour cause de caducité technique, mais, depuis que cette progression technique a atteint un certain plafond, on revient en arrière pour rééditer certaines versions d’avant-guerre, que le goût récent tend à trouver parfois plus vivantes et plus sensibles que certaines interprétations modernes très analytiques. Le disque et la haute-fidélité ont eu une influence certaine sur l’évolution du style d’interprétation. La plus évidente à relever est ce que Pierre Bourdieu appelle « la banalisation de la perfection instrumentale ». Une fausse note dans une interprétation en direct est un accident négligeable et unique. Enregistrée sur un disque, elle devient une imperfection qui se répète et semble abîmer à jamais l’objet précieux qu’elle endommage. On constate, en écoutant les vieilles versions discographiques dues à des pianistes formés par la tradition du concert, que ceux-ci ne craignaient pas plus que leur public les petites irrégularités et imperfections. Le disque a bientôt conduit à proscrire sévèrement ces menus défauts. En même temps, par leur pouvoir de grossissement des sonorités, captées en gros plan, par leur tendance à donner un éclairage cru et analytique de la partition, décomposée en ses différentes parties saisies par des micros indépendants (quand il s’agit d’un orchestre) et recomposée en une image artificielle et détaillée, plutôt que globale et synthétique, le disque et la prise de son modernes ont favorisé une écoute très critique de la musique dans sa verticalité, sa texture sonore, son détail, plutôt que dans son flux, son « déroulement horizontal » (Alfred Brendel), et ils ont suscité un style d’interprétation détaillé, articulé, net, impeccable, adapté à cette écoute. On sait, par ailleurs, que les interprétations sur disque sont presque toujours des « montages » effectués à partir d’exécutions de l’oeuvre par fragments. Cependant, le disque a rarement, sinon jamais, suscité des interprètes classiques incapables d’affronter la scène et le cadre du concert. Ce fait témoigne de la force conservatrice de la musique classique. Rares sont les interprètes classiques qui, comme le pianiste Glenn Gould, assument à fond le médium du disque, dédaignent le concert et se servent de l’enregistrement pour perfectionner leur manière spécifique, intervenant eux-mêmes sur le montage, le mixage, la prise de son. De tels musiciens, en revanche, sont légion dans le domaine de la pop music et des variétés. Au reste, une réaction antianalytique semble s’affirmer à la fin des années 70 pour des interprétations sinon plus romantiques, du moins plus globales et larges. downloadModeText.vue.download 500 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 494 L’INTERPRÉTATION DES MUSIQUES ANCIENNES. La musique occidentale préclassique a commencé à être redécouverte à partir du XIXe siècle (grâce aux efforts d’un Mendelssohn), mais surtout au début du XXe, avec des pionniers comme Eugène Borrel, Arno Dolmetsch, Wanda Landowska, et plus récemment, Antoine Geoffroy-Dechaume (auteur des Secrets de la musique ancienne) et Robert Donington. Depuis peu, des interprètes-musicologues, tels Alfred Deller, Nikolaus Harnoncourt, Gustav Leonhardt, Franz Brüggen et ceux de l’école hollandaise, ont non seulement « exhumé » des partitions, mais aussi et surtout imposé un nouveau style d’interprétation, dont les principes ont été puisés aux sources, dans les documents de l’époque. Le disque a fait reconnaître, par un large public, cette nouvelle école, jusqu’alors un peu rapidement considérée comme une curiosité musicologique. On a compris que non seulement il s’agissait de ressortir des instruments de la poussière pour le pittoresque, mais que l’expression de la musique pouvait s’en trouver rajeunie, vivifiée et n’avait plus ce caractère de ronronnement répétitif qui se dégageait de certaines exécutions « à la moderne » d’oeuvres baroques. « Nous ne connaissions que deux genres d’interprétation de la musique ancienne : ou on la coule dans un moule moderne [... ] en outrant l’expression. Ou on l’exécute [... ] avec cette indifférence blafarde et guindée, lourde, sourde et monotone, qui nous produit l’impression d’assister à quelque enterrement d’une personne inconnue » (W. Landowska). Cette rénovation des styles d’interprétation de la musique ancienne a suscité des polémiques. Une fois mis à part les mauvais procès de « froideur musicologique », la question se pose de savoir si l’authenticité est un mirage, un leurre ou si elle n’est pas le moyen de retrouver une certaine vie du discours musical. Imaginons que soient retrouvées dans trois cents ans les partitions de Chopin, mais perdus les enregistrements et les traditions d’exécution. Le pianiste qui prendrait à la lettre les signes de durée - blanches, noires, croches -, ignorant la tradition des fluctuations rythmiques, s’efforçant de les jouer avec une implacable précision de métronome, risquerait de niveler la musique. C’est ce qui a pu se passer avec la musique ancienne, dont avaient été perdues les techniques d’agrément, de « notes inégales », etc., qui donnaient un relief et une fluidité au discours musical. Non que les interprétations « à la moderne » soient, par principe, condamnables. En l’affaire, le goût et le plaisir décident. Les travaux de rajeunissement de l’interprétation des musiques anciennes ont donc porté non seulement sur la remise en honneur des instruments d’époque, mais aussi sur les techniques d’émission du son, les libertés ornementales, le phrasé, l’articulation, etc., qui donnent à ces musiques une vigueur, une alacrité qu’on ne leur soupçonnait pas. On comprend mieux désormais comment la musique ancienne pouvait être belle et harmonieuse, et même, comme disait Quantz, « exciter les passions », tout autant qu’une oeuvre romantique. Les sources utilisées par ces travaux sont multiples : études des manuscrits, recoupements, essais à partir des instruments d’époque, étude des traités instrumentaux de l’époque, où sont parfois écrits en toutes lettres des principes d’exécution qui commencent à peine à être respectés. Parmi ces ouvrages, citons l’Essai sur la vraie manière de jouer des instruments à clavier (1753-1762) de Carl Philip Emanuel Bach, l’Art de toucher le clavecin (1716-17) de François Couperin, le Traité de flûte (1707) de Jacques Hotteterre le Romain, l’Essai (1752) de Quantz (concernant surtout la flûte, mais en même temps les autres instruments de l’époque), l’Art de jouer sur le violon (1751) de Francesco Geminiani, le Traité des agréments de la musique (1756, édité à Paris en 1771) de Giuseppe Tartini, le Traité de chant du cas- trat Pier Francesco Tosi, la méthode de piano-forte (1828) de Johann Nepomuk Hummel, le Traité complet de l’art du chant (1847) de Manuel Garcia. LES INSTRUMENTS. La renaissance de la facture du clavecin est surprenante. Complètement disparu ou presque, le clavecin est redevenu populaire. À sa réapparition, il a d’ailleurs reçu les mêmes critiques (sec, aigre, petit de son) que celles qu’on porte contre les violes de gambe, les violons baroques, les flûtes, les hautbois baroques, etc., qui reviennent en usage, sans compter les instruments plus anciens, comme les cromornes, les cornets à bouquin, les sacqueboutes, les cervelas, les flûtes douces, qui, peu à peu, avec les perfectionnements de la facture et des techniques de jeu, prouvent qu’ils peuvent sonner bien et juste. Dans ce domaine, il s’agit non seulement d’authenticité en soi, mais de convenance entre un style de musique et des possibilités instrumentales. Pour prendre un exemple plus récent, tel fa suraigu dans le premier mouvement de la Sonate pathétique de Beethoven tirait sa force d’être la plus haute note possible sur le clavier de l’époque ; joué sur un piano moderne, qui a deux ou trois octaves de plus, il n’est qu’une note aiguë sans plus. L’axiome « qui peut le plus peut le moins », par lequel on peut justifier de jouer Mozart ou Beethoven sur des pianos actuels, doit être corrigé dans la mesure où les musiciens d’autrefois se battaient contre les limites de leurs instruments et que c’est dans ce combat que la musique tirait une partie de son pathétique. Ce combat est désarçonné avec le perfectionnement des instruments, l’augmentation de leur registre et de leur portée, le grossissement de leur son, les progrès de la virtuosité. Il faut souvent alors, sur l’instrument moderne, réinvestir la musique d’un pathétique plus « joué », plus concerté et infusé par l’interprète, et ne se dégageant plus naturellement d’un combat avec l’instrument et la technique. Il est non moins vrai que les « Anciens » n’attachaient guère d’importance aux instruments destinés à exécuter leur musique. Certaines « sonates » pouvaient être jouées sur tous les instruments possibles. Mais, à partir de Monteverdi, peu à peu le sens de l’instrumentation spécifique se développa, et une lente transition amena à l’époque moderne, où l’instrumentation est spécifiée et respectée le plus scrupuleusement. Cependant, même si un certain « fétichisme » instrumental n’est pas étranger à la vogue de la facture ancienne, on peut se réjouir d’entendre différemment, plus vertes, plus nerveuses, plus directes, des musiques qu’empâtait souvent l’exécution sur des instruments modernes, de sonorités un peu « grasses » pour elles. Au reste, les organistes ont toujours été conscients de la différence qu’il y a à jouer Couperin sur un Cliquot ou sur un Cavaillé-Col romantique. LE STYLE D’EXÉCUTION. La partition des oeuvres « baroques », de Monteverdi à Bach, était souvent un canevas : l’art de broder autour de ce canevas, de nourrir l’émission du son et la ligne mélodique, de l’agrémenter n’était pas laissé complètement à la fantaisie de l’exécutant, mais était régi par un ensemble d’usages. En règle générale, on jouait de manière plus flexible que la partition ne l’indiquait ; les enfilades de croches n’étaient pas jouées avec la régularité mécanique et l’absence de phrasé qu’on trouve dans certaines interprétations modernes. Une règle fondamentale est celle de l’inégalité : dans certains tempos, deux croches consécutives ne sont pas à jouer égales ; le premier demi-temps est fait un peu plus long. Et cela, dit Quantz, « bien qu’à la vue les notes paraissent être de même valeur ». Les notes pointées étaient faites également plus accentuées et plus prolongées qu’on ne le fait pour les partitions modernes. On conçoit quelle vivacité rythmique peut être redonnée à ces musiques par l’observation intelligente et musicale de ces règles. Quant aux ornements, aux agréments, ils étaient multiples, mais répertoriés. Leur rôle était de donner de la grâce, de l’expression, de la couleur à des lignes mélodiques qui, sans eux, restaient sèches et rigides. Dans certains mouvements lents de sonates, en particulier, la ligne mélodique écrite se réduit à un squelette de downloadModeText.vue.download 501 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 495 notes principales, que l’exécution doit relier par des notes de passage, agrémenter, fleurir par des appoggiatures, des tremble- ments, des ports de voix, des broderies et autres ornements, dont on recommande cependant de ne pas abuser. La note tenue elle-même est animée non pas forcément par le vibrato de type moderne, mais par des « trémolos », des « flattements », qui utilisent d’autres techniques. Le choix du diapason est un problème. Il est avéré que le diapason de l’époque variait selon les pays, les lieux, les musiques. À titre d’exemple, un ensemble comme le Concentus Musicus de Nikolaus Harnoncourt utilise aujourd’hui pour le répertoire baroque le diapason le plus fréquent en Allemagne au temps de Bach, d’un demi-ton plus bas que le diapason officiel actuel, à 440. De même, l’adoption des intervalles de l’époque pour les oeuvres d’avant le « tempérament » égal soulève des discussions. La musique d’autrefois ménageait des plages d’improvisation, des cadences. Dans son 5e Concerto brandebourgeois, J.-S. Bach a exceptionnellement noté la cadence du clavecin dans le premier mouvement, nous donnant un modèle du genre. La réalisation de la basse continue, ou basse chiffrée, dont les principes ont été retrouvés et remis en usage, était, contrairement aux cadences, qui étaient prétextes à virtuosité, soumise à des règles d’efficacité et de discrétion. En conclusion, il est certain que l’adoption de ces nouvelles règles d’exécution entraîne de nouveaux styles d’interprétation, assez divers cependant selon les goûts et les tempéraments : les uns en font une application mécanique et scolaire ; les autres les chargent de feu et de sensibilité. INTERVALLE. Distance qui sépare deux sons entre eux. Cette distance se définit scientifiquement par un rapport entre les nombres qui expriment la fréquence des sons en cause, rapport qui peut être pris à volonté à partir de l’un ou l’autre de ces sons. Plusieurs physiciens ont proposé des mesures destinées à remplacer ce rapport par une unité de mesure ; la plus usuelle est le savart, traduction logarithmique du rapport (log. décimal multiplié par 1 000) ; les ethnomusicologues ont adopté le cent, 100e partie du demi-ton tempéré. On appelle souvent commas les valeurs inférieures au demi-ton pouvant servir d’unité de me- sure, mais le mot « comma » recouvre un terme générique à valeur variable selon le système acoustique adopté et n’a donc aucune valeur si on ne précise pas quel est ce système (on distingue 12 catégories au moins de commas différents). Les musiciens se soucient peu de ce genre de mesures, dont la précision les gêne plus qu’elle ne les aide, en raison des marges de tolérance parfois fortes que comporte la pratique musicale. Ils définissent presque toujours les intervalles par rapport à une graduation variable selon le tempérament adopté, divisant l’octave (rapport 2/1) en sept demi-tons ; l’unité est le ton comprenant deux de ces divisions (9/8 en pythagoricien, 1/6 d’octave en tempéré égal). Le plus petit intervalle est en principe le demi-ton, exceptionnellement le quart de ton ; les multiples du ton forment le diton (2 tons), le triton (3 tons), etc. Sur l’échelle ainsi formée, les musiciens comptent non pas le nombre de divisions égales, mais le nombre de degrés dans la gamme employée et définissent l’intervalle par le nombre de ces degrés, départ et arrivée inclus, selon l’ancienne terminologie des nombres ordinaux : prime (ou unisson), seconde, tierce, quarte, quinte, sixte, octave (les autres nombres gardent leur nom usuel : septième, neuvième, etc.). On précise ensuite, s’il en est besoin, la qualification de l’intervalle. Celle-ci peut être normale ou déformée. La qualification normale comporte, pour les trois premières consonances (octave, quinte, quarte), la notion d’intervalle juste, c’est-à-dire conforme au modèle résonantiel ; pour les autres, une distinction est faite entre intervalles majeurs et intervalles mineurs selon la grandeur de la distance. La qualification déformée comporte une extension artificielle de cette distance, qui rend l’intervalle, dans un sens, augmenté et exceptionnellement suraugmenté, et, dans l’autre, diminué et exceptionnellement sous-diminué. Si le contraire n’est pas spécifié, les intervalles se comptent toujours en montant. Ils sont dits diatoniques s’il n’est fait appel à aucune altération autre que constitutive et chromatiques dans le cas contraire ; ils sont simples s’ils n’excèdent pas l’octave et redoublés dans le cas contraire. Les intervalles redoublés sont parfois désignés par le nom simple correspondant (intervalle réel moins 7, qui représente l’octave ; par exemple, 10e = tierce redoublée). On devrait toujours spécifier en ce cas que l’intervalle est redoublé, mais cette précaution est souvent négligée, ce qui donne lieu parfois à des ambiguïtés (un canon à la tierce, par exemple, peut, en réalité, être à la 10e). En outre, deux intervalles sont le renversement l’un de l’autre lorsqu’ils sont formés des mêmes noms de notes pris en sens inverse (par exemple, do-mi = tierce, mi-do = sixte). INTONATION. 1. Émission d’un son à une hauteur bien déterminée. Si le son émis est celui qui est souhaité, l’intonation est dite « juste « ; si, en revanche, il tombe en dessous ou se situe au-dessus de la hauteur voulue, elle est dite fausse. Le terme s’applique au chant grégorien, car l’intonation constitue la première partie de la psalmodie. Il s’agit d’une formule mélodique destinée à conduire la voix vers la corde récitante (teneur). 2. Dans l’ordinaire de la messe, l’intonation, chantée par le célébrant au début du Gloria et du Credo, est suivie de l’entrée du choeur sur Patrem omnipotentem et Et in terra pax respectivement. 3. Depuis le XVIe siècle, l’intonation peut être le titre d’un bref prélude, le plus souvent à l’orgue, qui introduit une pièce vocale à l’église. INTRADA (ital. : « entrée »). Nom donné à certains morceaux introductifs, souvent de caractère grave et solennel, analogue à celui du premier mouvement des ouvertures fançaises, que ces morceaux en possèdent ou non le rythme. INTRODUCTION. Terme général employé en composition musicale sans signification très précise, le plus souvent pour désigner le début d’un morceau lorsque celui-ci ne commence pas directement par son élément principal (thème, tempo). Dans la musique classique et la musique romantique, certains types de mouvements rapides (premiers mouvements de symphonies ou de sonates, ouvertures isolées) sont souvent précédés d’une in- troduction lente, mais non l’inverse. La dernière bagatelle op. 126 de Beethoven commence bien par quelques mesures rapides pour se poursuivre ensuite lentement, mais il est difficile de parler d’introduction ; il s’agit plutôt d’une interruption. Les deux termes ne sont pas synonymes et se distinguent l’un comme l’autre de la simple succession. Par définition, une introduction ne saurait durer qu’un temps limité, et sa fonction principale est de faire attendre (voire désirer) quelque chose d’autre : c’est beaucoup plus le cas des quelques mesures lentes, au geste théâtral, qui ouvrent la plupart des dernières symphonies de Haydn que des premières sections (lentes) des ouvertures à la française, par exemple. INTROÏT (lat. introitum ; « entrée »). Morceau initial du propre de la messe avant la réforme de Vatican II. Jadis chant d’un psaume encadré de son antienne, parfois répétée après chaque verset de psaume, il accompagnait l’entrée des ministres, d’où son nom. Puis le psaume se réduisit à un verset ou deux, suivi du Gloria Patri, tandis que l’antienne prenait de plus grandes proportions et devenait l’essentiel du chant. Lu par le prêtre après les prières du bas de l’autel, mais chanté pendant celles-ci lors des messes solennelles, l’introït prend place downloadModeText.vue.download 502 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 496 immédiatement avant le Kyrie eleison, et « ouvre » donc la messe comme l’indique son nom. Si l’on en excepte la messe des défunts (requiem), l’introït a été rarement mis en musique en dehors du plain-chant, et c’est le plus souvent en plain-chant que, même dans les messes en musique, il reste chanté, lorsqu’il l’est encore. INVENTION. Terme sans signification précise désignant un morceau répondant à une intention particulière de recherche de la part du compositeur, sans que celle-ci soit obligatoirement définie. Les inventions les plus célèbres sont celles de J.-S. Bach pour clavecin - quinze inventions à deux voix BWV 772 à 786 et quinze inventions à trois voix BWV 787 à 801, où le propos du compositeur est de montrer comment construire tout un morceau sans la moindre digression à partir d’un seul thème - et les cinq scènes et l’interlude orchestral de l’acte III de Wozzeck d’Alban Berg, sous-titrés respectivement par le compositeur inventions sur un thème (scène I), sur une note (scène II), sur un rythme (scène III), sur un accord de six sons (scène IV), sur une tonalité (interlude) et sur un mouvement perpétuel (scène V). IONIEN. Adjectif se rapportant à une peuplade de la côte orientale de la mer Égée, en Asie Mineure, dont le territoire est aujourd’hui en pays turc. L’entrée du terme ionien, ou iastien, dans l’histoire musicale se situe chez Platon, qui mentionne dans la République l’harmonie ionienne comme l’une des six échelles sur lesquelles il légifère. Il la décrit comme « sans vigueur et propre aux buveurs », et la proscrit comme amollissante. Aristide Quintilien (IIe s.) nous en donne la composition, qui est celle d’une échelle formée au grave d’un tétracorde enharmonique (mila) et à l’aigu d’un tétracorde conjoint défectif (la-do-ré). On n’en parle plus ensuite ni comme harmonie, ni parmi les tons de hauteur primitifs, jusqu’au moment où, la nomenclature de ceux-ci ayant été dédoublée (probablement fin IVe s.), le nom de ionien fut attribué, sans doute arbitrairement, au phrygien grave des treize tons d’Arsitoxène ; on le dota alors comme les autres d’un hypo-, et plus tard d’un hyperqui permit d’atteindre le chiffre maximum de quinze tons. Non retenu par la nomenclature pseudo-grecque des modes grégoriens, il réapparaît à nouveau chez les théoriciens humanistes du XVIe siècle, sur la foi desquels il est réintroduit parmi les « tons de plain-chant » des organistes aux XVIIe-XVIIIe siècles, tantôt avec le sens de mode de do (Glarean, 1547), tantôt avec celui de mode de la (Zarlino, 1573). IPAVEC (Benjamin), compositeur slovène (Saint Jurij, près de Celje, 1829 - Graz 1909). Considéré comme une des figures les plus représentatives du mouvement roman- tique slovène, il a exercé ses activités de musicien parallèlement à sa carrière de médecin. Parmi ses oeuvres, l’opéra les Nobles de Teharje (Ljubljana, 1892), le cycle de mélodies Menih - « le Moine » - (1906) et une Sérénade pour cordes (1898). IPPOLITOV-IVANOV (Mikhail), compositeur russe (Gatchina 1859 - Moscou 1935). Élève de Rimski-Korsakov (composition), il fut directeur de l’école de musique de Tiflis (1883-1893), puis professeur au conservatoire de Moscou (1893), dont il assuma la direction de 1905 à 1922. Il joua un rôle important dans la vie musicale moscovite à la tête de la Société chorale russe (1895-1901), de l’Opéra Zimine (1899-1906), puis du Bolchoï (1925). Tchaïkovski appréciait la richesse de couleur de ses oeuvres. L’étude approfondie à laquelle il se livra sur les musiques traditionnelles caucasiennes et géorgiennes n’y est sans doute pas étrangère (cf. Esquisses caucasiennes, 1894, Dans les Steppes du Turkménistan, 1935, ou Images d’Uzbékistan). Ces musiques lui ont assuré une solide réputation de folkloriste talentueux. IRADIER (Sebastián), compositeur espagnol (Sauciego, Álava, 1809 - Vitoria 1895). Il est l’auteur de nombreuses chansons et de zarzuelas en collaboration avec Oudrid. C’est le thème de sa habanera El Arreglito que Bizet reprit, légèrement modifié, au premier acte de Carmen. Il eut également l’honneur d’être interprété par les plus illustres cantatrices de son temps, telles la Malibran, la Patti, l’Alboni et Pauline Viardot. I.R.C.A.M. ! INSTITUT DE RECHERCHE ET DE COORDINATION ACOUSTIQUE/MUSIQUE. IRELAND (John), compositeur anglais (Bowdon, Cheshire, 1879 - Washington, Angleterre, 1962). Fils d’un homme de lettres bien connu, il étudia, entre 1893 et 1901, au Royal College of Music, d’abord le piano, puis la composition, avec C. V. Stanford. Devenu plus tard pédagogue dans ce même établissement, il compta parmi ses élèves Benjamin Britten, E. J. Moeran, et Humphrey Searle. Il composa beaucoup de musique pour piano, dont un concerto en mi bémol (1930), souvent joué au concert, et des mélodies, dont Sea Fever, une ballade de la mer. Down by the Sally Gardens est une mélodie avec partie de piano particulièrement éloquente. Le langage harmonique de John Ireland est riche, et malgré l’influence évidente du romantisme allemand, il a su cultiver un style raffiné et personnel, faisant souvent appel à la gamme pentatonique des chants populaires. Sa dernière grande oeuvre, la musique du film The Overlanders, date de 1946-47. ISAAC (Henricus), compositeur francoflamand ( ? v. 1450 - Florence 1517). Il compte parmi ces musiciens des Flandres qui firent le voyage en Italie et il vécut à partir de 1484-85, jusqu’à leur chute en 1492, dans le cercle des Médicis à Florence, sans négliger pour autant des voyages à Ferrare et à Rome. Organiste à la cour (1475), il devint, vers 1478, maître des enfants de Laurent de Médicis et, en 1480, organiste à San Giovanni, puis à la cathédrale. Il entra ensuite au service de Maximilien Ier (1496) qui lui attribua, l’année suivante, le titre de compositeur de la cour, mais il entretint également des liens avec la cour du prince électeur Frédéric le Sage à Torgau (1497-1500). Maximilien semblait d’ailleurs lui avoir accordé une grande liberté de mouvements (voyages à Florence, Ferrare et Constance où il rencontra Machiavel) et, après le retour au pouvoir des Médicis en 1512, il lui confia des fonctions diplomatiques à Florence. Ses fonctions successives, ses voyages mêmes permirent à Isaac d’opérer une remarquable synthèse des styles francoflamand, italien et allemand. Il maniait les trois langues avec une égale aisance, ainsi qu’en témoignent ses chansons, et se souciait fort de l’intelligibilité du texte. Il assimila la chanson bourguignonne à trois voix, équilibrée et souple jusque dans son contreténor. Ses chansons italiennes attestent l’intérêt du cercle des Médicis pour la langue vulgaire - Isaac mit en musique les Canti carnascialeschi de Laurent le Magnifique lui-même - et un art puisé aux sources populaires. En effet, le compositeur emploie dans ses chansons italiennes une écriture plus simple que celle de ses collègues ultramontains. Les pièces à ténor (Tenorlied) tiennent dans ses chansons allemandes une place importante, à mi-chemin entre un art populaire et un art de cour. Le genre devait devenir l’une des sources du choral polyphonique. Si les messes d’Isaac, imprimées par Petrucci en 1506, souvent sur une mélodie populaire, sont du meilleur style polyphonique franco-bourguignon, les cinq messes du troisième livre du Choralis Constantinus adoptent une forme spécifiquement allemande (alternance unisson/polyphonie à 4-6 v.). Or cette oeuvre, achevée par Senfl, présente un ensemble de 72 propres des dimanches et fêtes et ne peut plus être considérée comme destinée au chapitre de la cathédrale de Constance que pour la seconde partie (office des grandes fêtes). Ainsi, par le Livre III, et donc ces cinq downloadModeText.vue.download 503 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 497 messes, et sans doute par le Livre II du Choralis Constantinus, a-t-on une idée précise du répertoire de la chapelle de Maximilien. Isaac, qui compta parmi ses élèves Ludwig Senfl, fut avec Josquin Des Prés le plus productif et le plus constamment inspiré des compositeurs de sa génération. ISLAMIQUE (MUSIQUE). Les relations entre l’islamisme (religion) et l’isl¯am (culture), d’une part, le chant et la musique, d’autre part, sont complexes et ont fait l’objet de nombreuses affirmations contradictoires. Le prophète Muhammad aurait été hostile aux gens touchés par l’inspiration poétique ou musicale et aurait considéré que les antagonistes de son oeuvre étaient le vin, les chanteuses et les instruments. Mais il aurait recommandé le chant du Coran, se serait attendri à la vue de musiciens primitifs, et aurait fait accompagner ses secondes noces de réjouissances musicales. Le Coran ne fait pas d’allusion à la musique, mais les traditions (hadîth) et les prêtres de l’isl¯am (par exemple Khomeiny en Iran) s’inquiètent périodiquement des effets captivants de la musique sur les foules, encore que le chant soit mieux toléré que la musique instrumentale. Tout au long de l’histoire de l’isl¯am, on peut observer des luttes d’influences entre le rigorisme « mélophobe » des puritains, proscrivant même le chant du Coran et le laxisme « mélophile » des musiciens et autres artistes. Un moyen terme est représenté par les derviches et divers soufis qui estiment que des paroles religieuses ou mystiques rendent la musique licite. Néanmoins, la musique instrumentale (la musique des instruments à cordes plus que celle des instruments à vent) est généralement considérée comme un art antireligieux par excellence, et, de ce fait, elle a souvent été confiée à des représentants de minorités non musulmanes. L’islamisme n’a pas de musique spécifique, mais la pratique religieuse quotidienne fait appel au chant sous deux formes dominantes. D’une part le rituel appel à la prière (adhân, azân, ezan) est repris cinq fois par vingt-quatre heures sur une formule littéraire, dont le début et la fin sont invariables (« Dieu est le plus grand. J’affirme qu’il n’y a d’autre Dieu que Dieu. J’affirme que Muhammad est le prophète de Dieu... ... J’affirme qu’il n’y a d’autre Dieu que Dieu »), tandis que le milieu de la formule varie en fonction du pays, du rite ou de l’heure. Traditionnellement, l’appel à la prière était fait par le muezzin ou azângû, du haut du minaret de chaque mosquée aux heures rituelles. Dans les mosquées prestigieuses comme les Omeyyades à Damas, un groupe de muezzin-s lançait un appel initial, qui allait être repris par tous les muezzin-s de la ville. Mais, désormais, la majorité des appels sont confiés à des disques, bandes magnétiques et haut-parleurs, ce qui en améliore la qualité artistique au prix d’une inévitable banalisation et d’une servitude par rapport à l’équipement sonore. En outre, on ne fait plus d’appels nocturnes dans les lieux nantis ou cosmopolites des grandes villes des pays les plus tolérants. La mélodie de l’appel à la prière varie selon les pays et les heures, allant de la psalmodie primitive au chant orné et mélismatique sur les grands modes musicaux (maqâm-s) de l’isl¯am, le mode musical pouvant varier avec l’heure de l’appel. D’autre part, le Coran peut être récité, psalmodié ou même chanté sur les modes musicaux, la concordance entre le mode et le texte étant fonction des usages. Il existe désormais des disques ou des cassettes sur les sourates du Coran, dont la diffusion a conféré à certains interprètes un nom illustre. Traditionnellement, l’appel à la prière et le chant du Coran doivent être interprétés en monodie, en voix de tête et avec une excellente diction. Ils se font en langue arabe, encore qu’il y ait eu certains mouvements en faveur des traductions en langues locales, plus particulièrement en Turquie. Les chants propres à l’islamisme dépassent évidemment le cadre de l’appel à la prière et du Coran sans atteindre le volumineux répertoire des autres religions monothéistes. Il existe néanmoins des chants de pèlerinage, des récits sur la vie du prophète, d’innombrables chants à tendance religieuse, et des répertoires propres aux mois du jeûne (ramadhân) ou du deuil chez les chiites (muharrâm), avec, dans ce dernier cas, des cérémonies spécifiques (tachabî en Iraq, âzâdârî en Iran) ou des représentations scéniques (taz¯iyè). Le soufisme a développé des pratiques mystico-musicales particulières, perpétuées par les diverses confréries de derviches, reposant souvent sur un chant collectif accompagné par diverses percussions comparables à de grands tambours sur cadres (mazhâr-s, bandîr-s), par des clochettes et par des flûtes orientales obliques (nay-s ou ney-s) ou même, en Turquie, par des instruments à cordes plus classico-profanes, comme le tanbûr ou même le ûd. Variables selon les pays ou les sectes, les cérémonies « soufies » des derviches reposent sur les mêmes structures modales ou rythmiques que les musiques classiques, mais elles revêtent des formes spécifiques dont les principales sont le dhikr ou zikr consistant en la scansion lancinante du nom d’All¯ah, et l’ayîn ou le sema’, danses des astres perpétuées par les derviches tourneurs dont les plus connus sont les « mevlevis » de Turquie. Enfin, des confréries ont assuré jusqu’au XXe siècle une certaine forme d’enseignement musical et ont parfois sauvegardé les traditions durant les périodes de décadence artistique. Si l’on considère non plus l’islamisme en tant que religion, mais l’isl¯am en tant que culture, le rôle joué par l’isl¯am médiéval multinational arabo-irano-touranien dans l’essor de la musique est considérable. Si les califes n’ont pas toujours protégé les arts, du moins doit-on souligner le mécénat de nombreux califes de l’Iraq abbasside, qui, du VIIIe au XIIIe siècle, ont hébergé ou encouragé la plupart des grands auteurs des traités musicaux de l’isl¯am médiéval définissant une théorie musicale sur la touche du luth-ûd. De même, la cour musulmane des Grands Mogols de l’Inde et la cour des empereurs ottomans ont favorisé l’éclat de la musique. Au XXe siècle, l’Isl¯am est un vaste monde, dont les liens avec la musique sont variables. D’un point de vue technique, le noyau médiéval arabo-irano-touranien de l’Iraq abbasside a induit les actuelles musiques arabes, de l’Iran et de la Turquie, tandis que la musique de l’Inde peut leur être apparentée par l’existence de modes heptatoniques. Mais avec l’isl¯am du Sud-Est asiatique, de l’Indonésie, de l’Afrique noire ou de l’Amérique, on perd tout lien avec les traités musicaux de l’isl¯am médiéval. On peut donc distinguer la musique de l’isl¯am de la musique des musulmans. ISNARD. Patronyme de trois facteurs d’orgues français de la seconde moitié du XVIIIe siècle. FRÈRE JEAN-ESPRIT ISNARD (1707-1781) , dominicain à Tarascon, travailla dans la région (Marseille, Aix-en-Provence) ; il est surtout célèbre par l’orgue qu’il édifia à Saint-Maximin-du-Var (1773), grand instrument de 4 claviers et 43 jeux conservé dans son état d’origine, chef-d’oeuvre de la facture française classique. Les deux neveux de Jean-Esprit, Jean-Baptiste et Joseph, formés par lui, ont poursuivi son oeuvre. Le premier a notamment construit les orgues de Saint-Laumer à Blois, de Pithiviers et de la cathédrale du Puy. Quant à Joseph, qui travailla avec François-Henri Clicquot, il s’installa dans la région de Bordeaux, où, après la Révolution, il restaura les instruments endommagés par les iconoclastes. ISOIR (André), organiste francais (SaintDizier 1935). Élève d’Édouard Souberbielle à l’école César-Franck, il a remporté le premier prix d’orgue et d’improvisation au Conservatoire de Paris en 1960, puis a été lauréat des concours internationaux d’improvisation de Saint-Albans (1965) et de Haarlem (1966, 1967 et 1968), où il est le seul Français à avoir remporté le prix « challenge ». Il est titulaire de l’orgue de SaintdownloadModeText.vue.download 504 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 498 Germain-des-Prés à Paris, et professeur d’orgue et d’écriture musicale au Conservatoire national d’Angers. Expert en facture d’orgues, il a étudié l’esthétique, la musicologie et l’exécution des différentes écoles des siècles passés. Il est l’un des meilleurs connaisseurs et interprètes de la musique d’orgue classique française, ce dont témoignent les nombreux enregistrements discographiques qu’il lui a consacrés. I SOLISTI VENETI. ! SCIMIONE (CLAUDIO). ISORYTHMIE (du grec isos ; « semblable »). Construction symétrique procédant par juxtaposition de phrases toutes dotées d’un même schéma rythmique : Au clair de la lune contient une isorythmie. Le terme est employé aujourd’hui principalement pour désigner un procédé de composition élaboré au XIIIe siècle pour les teneurs de motets, et considérablement développé au XIVe siècle (Ars nova), consistant à découper une mélodie (color) en fragments rythmés selon un schéma préétabli, même s’il ne tient pas compte du phrasé initial (talea). Appliquée principalement à l’écriture du ténor, l’isorythmie s’est ensuite projetée sur la contre-teneur, et parfois même, à des degrés divers, sur la totalité des voix de la polyphonie. En tant que procédé systématique, elle cesse d’avoir cours au XVe siècle, mais on la retrouve à des degrés divers dans la carrure qui n’a jamais cessé de régir les mélodies devenues les plus populaires, sans en exempter l’oeuvre des grands maîtres. Par exemple, 1er kyrie de la Messe de G. de Machaut : Color (mélodie liturgique) : Talea (formule rythmique) : Teneur isorythmique : ISOUARD (Nicolas). ! NICOLO. ISTESSO TEMPO. Locution italienne utilisée pour indiquer qu’un changement de mesure n’implique aucun changement de tempo : « le même mouvement ». La valeur absolue des notes ne change pas. On trouve aussi le signe . lorsque l’on passe, par exemple, d’une mesure à 3/4 à une mesure à 6/8. ISTOMIN (Eugène), pianiste américain (New York 1925). Né de parents émigrés aux États-Unis en 1919, il manifeste dès l’enfance des dispositions musicales exceptionnelles. En 1939, il entre au Curtis Institute de Philadelphie dans la classe de Rudolf Serkin et remporte en 1943 le Concours de Philadelphie et le Concours Leventritt, ce qui lui permet de se produire avec l’orchestre de Philadelphie et le Philharmonique de New York, concerts radiodiffusés dans les États-Unis entiers. Malgré la guerre, sa carrière prend son essor. En 1959, il rencontre Pablo Casals, qui joue un rôle décisif dans sa carrière. Pendant six ans, il se produit dans le cadre du Festival de Prades aux côtés de Stern, Serkin, Horszowski et Schneider. Parallèlement à son activité de soliste international, il constitue avec Isaac Stern et Léonard Rose un célèbre trio. ISTVAN (Miroslav), compositeur tchèque (Olomouc 1928 - Brno 1990). Élève de l’académie Janáček de Brno de 1948 à 1952, il y a enseigné à partir de 1953. D’abord adepte du néoclassicisme, en particulier dans sa Suite tchécoslovaque (1951) et dans sa Symphonie (1952), Istvan s’est ensuite intéressé à la musique de chambre - Trio avec piano (1958), Quatuor à cordes 62 (1963), Refrains pour trio à cordes (1965) - et aux techniques sérielles, ainsi qu’au principe de non-répétition et à la mélodie de timbres (Six Études pour orchestre de chambre, 1964). On lui doit aussi : Moi, Jacob pour voix, récitant, ensemble de chambre et bande magnétique sur des textes de la Bible (1968). ITE MISSA EST. Formule latine signifiant en bas latin « Allez, vous pouvez disposer », par laquelle, dans la messe primitive, on congédiait les catéchumènes à la fin de la seule partie de l’office à laquelle ils étaient admis. Après l’abandon de la ségrégation, la formule fut transportée à la fin de l’office, qui prit par extension le nom de missa (« messe »), et la formule fut traduite par « Allez, la messe est dite ». Musicalement, l’Ite missa est, chanté par l’officiant, ne comporte pas de mélodie spécifique : on l’adopte sur une autre mélodie de la messe, généralement celle du premier kyrie ; le choeur répond Deo gratias sur la même mélodie. Au temps pascal, toutefois, le dialogue est amplifié de deux alléluias pour chaque réplique et reçoit une mélodie particulière. Aux temps de pénitence et à certaines féries, il est remplacé par Benedicamus Domine. Alors que cette dernière formule a été, jusqu’au XIIIe siècle, l’une des plus volontiers mises en polyphonie, on trouve très peu de traitements polyphoniques de l’Ite missa est : la messe de Machaut et celle dite « de Tournai » sont des exceptions ; la première prend comme teneur de mélodie non pas celle d’un kyrie, mais celle d’un sanctus. On ne trouve jamais d’Ite missa est dans les messes en musique au-delà du Moyen Âge. ITINÉRAIRE (l’). Ensemble de musique contemporaine fondé en janvier 1973 par Hugues Dufourt, Gérard Grisey, Michael Levinas, Tristan Murail et Roger Tessier. Lié par une convention au ministère de la Culture, il regroupe en une association, selon la loi de 1901, de jeunes solistes et une grande partie de la génération des compositeurs français d’après-guerre, et se propose à la fois de créer et de diffuser la musique d’aujourd’hui et d’offrir aux compositeurs et aux interprètes des moyens de recherche et d’innovation. Pour ce faire, il dispose d’une formation traditionnelle de 20 instrumentistes, d’un « Ensemble d’instruments électroniques », composé de 5 musiciens à la tête de plus de 20 instruments, et d’un « Groupe de musique de chambre expérimentale », à effectifs variables, alliant l’instrument traditionnel à un important matériel de transformation électronique du son. Ces deux derniers ensembles, en particulier, offrent aux compositeurs un travail d’atelier où ils peuvent expérimenter et trouver matière à de nouvelles réflexions musicales (cf. Voix dans un vaisseau d’airain de Michael Levinas, Clair-Obscur de Roger Tessier, ou Forces vives de François Bousch). Des combinaisons sonores et instrumentales nouvelles ont pu aussi voir le jour grâce aux moyens rassemblés et à l’expérience acquise dans le domaine des musiques « mixtes » (Saturne de Hugues Dufourt, l’opéra l’Amant déserté d’Alain Bancquart). Sur les plans esthétique et théorique se sont développées une réflexion et une recherche sur le son musical et son rapport à l’écriture : travail sur « l’harmonie de fréquences », les simulations électroniques, la « synthèse instrumentale » (Gérard Grisey, Tristan Murail). Il en est résulté un style de jeu très différent de celui, marqué par la musique sérielle, de la génération précédente, par exemple dans le contrôle très fin des modes de jeu, des sons nouveaux des instruments (multiphoniques), ceux-ci cessant d’être un effet plus ou moins aléatoire pour devenir une matière analysable et reproductible, capable éventuellement de mener à une autre dimension de l’écriture musicale (cf. Traité sur la flûte de Pierre-Yves Artaud). L’activité de concert de l’Itinéraire consiste en une saison régulière à Paris chaque année (y sont données surtout des créations ou des premières françaises), en tournées dans d’autres villes de France (avec des programmes variés), et en une activité d’exportation de la jeune musique française à l’étranger, en fort développement depuis quelques années. downloadModeText.vue.download 505 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 499 ITURBI (José), pianiste, chef d’orchestre et compositeur espagnol (Valence 1895 Los Angeles 1980). Il acheva ses études musicales au Conservatoire de Paris dans la classe de Victor Staub et, de 1918 à 1923, occupa au conservatoire de Genève le poste qu’avait illustré Liszt. Débutant aux États-Unis en 1929 comme pianiste et chef d’orchestre, nommé en 1936 chef permanent de l’orchestre de Rochester, il se révéla excellent comédien à l’occasion d’un récital à Hollywood et ne résista pas à l’appel du septième art, tournant notamment, dans les années 40, une Féerie à Mexico qui fit le tour du monde. De retour en Espagne, il dirigea l’Orchestre symphonique de Valence (1956), tout en poursuivant son activité de concertiste, parfois à deux pianos avec sa soeur Amparo (née à Valence en 1898). Il a composé différentes pièces pour son instrument, une Fantaisie pour piano et orchestre et un poème symphonique. IVALDI (Christian), pianiste français (Paris 1938). Il fait des études très complètes au Conservatoire de Paris, où il obtient cinq premiers prix. Engagé en 1961 comme pianiste soliste à Radio France, professeur de déchiffrage au Conservatoire de Paris à partir de 1969 et de musique de chambre à partir de 1986, il consacre aussi une part très importante de son activité à l’accompagnement des chanteurs - C. Berberian, R. Crespin, R. Streich, G. Souzay, etc. Il se produit également à quatre mains avec Noël Lee et enregistre avec lui une intégrale de Schubert. Il collabore aussi avec le Liederquartett, enregistrant la musique de chambre vocale de Mozart, Brahms, Rossini, etc. Attaché à promouvoir la musique de son temps, il crée des oeuvres de Boucourechliev, Aperghis, Capdenat, de Pablo. Il fonde en 1982 le Quatuor Ivaldi et prend en 1994 la direction des Musicades de Lyon. IVES (Charles Edward), compositeur américain (Danbury, Connecticut, 1874 New York 1954). Toute sa musique fut marquée par son enfance dans la campagne américaine de la Nouvelle-Angleterre et par son père, ancien musicien de l’armée, homme original qui aimait à se livrer, avec les fanfares et les chorales de sa petite ville, à des expériences de « musiques simultanées », de superpositions de phalanges musicales en mouvement, créant des rythmes et des harmonies multiples et emmêlées. C’est dans ces tentatives que Ives dut puiser son goût pour les totalités mouvantes, les superpositions de rythmes, d’harmonies et de tonalités, dont la discordance se résout dans une harmonie globale, un profond sentiment d’unité. On attribue pêle-mêle à Charles Ives beaucoup d’inno- vations d’écriture qui préfigurent celles de la musique contemporaine : polytonalité, atonalité, écriture sérielle, micro-intervalles, polyrythmie, musique « spatiale » distribuée dans l’espace, formes variables à réalisations multiples, accords en « clusters » (agglomérats denses de notes simultanées), collages et emprunts de musiques existantes, etc. Cependant, tous ces procédés revêtent chez lui un sens personnel et ne découlent pas d’une volonté d’épuiser les possibilités formelles et stylistiques. Ives sut se donner les moyens de son indépendance, et sa « carrière » de compositeur fut singulière : organiste dans sa ville natale dès l’âge de quatorze ans, il poursuivit ses activités de musicien de paroisse une grande partie de sa vie, composant plusieurs pièces pour l’orgue. Entre 1894 et 1898, il étudia à l’université de Yale avec Horatio Parker. Cependant, il semble qu’il ait reçu peu de formation classique, et qu’il ait appris la composition en autodidacte. Au sortir de ses études, il décida de s’orienter vers les affaires. Et, en 1899, il fonda avec Julius Myrick une compagnie d’assurances qui réussit fort bien - lui-même rédigea un manuel pour la conduite des assurances qui fit autorité. Mais, parallèlement, il continua à composer. Du grand nombre d’oeuvres qu’il écrivit, peu furent jouées de son vivant. Et il ne commença à être reconnu et apprécié que vers la fin de sa vie. Il épousa, en 1908, Harmony Twichell et vécut à New York, passant ses week-ends et vacances dans le Connecticut. Sa période la plus créative dura moins de vingt ans (1900-1918). Ce fut en 1918 qu’il subit les premières attaques cardiaques qui allaient entraîner, en 1930, son état de semi-invalidité, l’obligeant à se retirer des affaires. Sa production musicale s’en trouva également interrompue. Les vingt-cinq dernières années de sa vie, inactives, furent heureusement éclairées par un début de gloire. À partir de 1929, le poète Henry Bellamain favorisa la diffusion de sa musique par des articles élogieux ; le compositeur Henry Cowell, le pianiste John Kirkpatrick contribuèrent à la faire connaître. Élu au National Institute of Art and Letters (1946), Ives reçut en 1947 le prix Pulitzer pour sa Troisième Symphonie, composée entre 1901 et 1904. Dans les années 50, le compositeur fut joué assez fréquemment, et il put entendre nombre de ses musiques jusque-là injouées. Et, quand il mourut en 1954, il était désormais un musicien res- pecté. L’oeuvre de Charles Ives comprend 186 numéros d’opus, dont plus d’une centaine de mélodies. Ses compositions, ambitieuses, conçues dans les intervalles d’un travail intensif, demandèrent de longues années pour éclore. Parmi ses premiers essais, le Psaume 67 (1894) pour choeur est déjà un exemple de « musiques simultanées », utilisant des procédés de superposition rythmique, harmonique. Le genre symphonique lui inspira quelques fresques évocatrices et descriptives : Première Symphonie (1895-1898) ; Deuxième Symphonie (1897-1902) ; Troisième Symphonie (1904), pour orchestre de chambre, qui intègre, comme beaucoup d’oeuvres ultérieures, les cantiques entendus dans son enfance dans la Nouvelle-Angleterre ; Quatrième Symphonie (1910-1916), pour 3 orchestres ; et la Hollidays-Symphony (1904-1913), évoquant les fêtes religieuses et civiques de son pays. Une Cinquième Symphonie, dite Universe Symphony (19111916, 1927-28) resta inachevée, de même qu’une partition intitulée Chromatimelôdtune, que termina, en 1967, le compositeur Gunther Schuller. À côté de ces grandes oeuvres gorgées de couleurs - Ives affectionnait les sonorités de cuivres évoquant les fêtes de plein air -, certaines pièces pour orchestre, plus courtes et discrètes, sont devenues classiques : ainsi les 2 « contemplations » Central Park in the Dark (1906) et The Unanswered Question (1906). Autres pièces descriptives, les Three Places in New England ou First Orchestral Set (1903-1914) évoquent, comme beaucoup d’autres, l’enracinement historique et géographique de l’auteur. Le Second Orchestral Set (19091915), et la Robert-Browning-Overture (1908-1912), complètent l’oeuvre symphonique de Ives. Les oeuvres pour petites formations sont souvent plus « expérimentales » que les oeuvres pour orchestre, ou du moins paraissent l’être, en l’absence de ce confort ample des sonorités orchestrales, qui fait admettre à l’auditeur le moins habitué les superpositions les plus cruelles. On citera les Tone-Roads (19111915), qui annonceraient l’écriture raréfiée de Webern ; Hallowe’en (1906), oeuvre variable pour quatuor à cordes et piano ; le scherzo Over the Pavements (1906-1913), The Pond (1906), Rainbow (1914), les 4 sonates pour piano et violon (1902-1916), les 2 quatuors à corde (1896 ; 1907-1913), le trio avec piano (1904-1911), les 3 QuarterTones Piano-Pieces (1923-24), pour 2 pianos en quarts de ton, etc. Dans ses nombreuses oeuvres pour piano, se détache, à côté d’une Première Sonate (1901-1909), l’immense Deuxième Sonate, sous-titrée Concord-Mass et souvent appelée ConcordSonata (1911-1915), hommage aux philosophes et écrivains « transcendentalistes » qui vécurent et se rencontrèrent dans la ville de Concord : Emerson, Hawthorne, les Alcotts, Thoreau. À cette dernière oeuvre, l’auteur consacra un livre entier d’explications et de commentaires, Essay before a Sonata, qui est un témoignage capital sur sa pensée et son inspiration. downloadModeText.vue.download 506 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 500 Ives n’avait pas peur d’évoquer ou d’imiter. Pour lui, la création musicale renvoie naturellement au monde, à la société, aux racines. Malgré ou à cause de son choix initial de dissocier le travail professionnel et la création, on n’y trouve pas de coupure, de dilemme entre le quotidien et l’inspiration artistique, et c’est cette acceptation apaisée de la dissonance, cet optimisme réconciliateur qui rendent fascinant le « cas Ives » dans une musique contemporaine déchirée et parcellisée. Chez Ives, toutes les « innovations » ne procèdent pas d’un désir de reconcentrer le discours musical en l’arrimant à de nouveaux principes ; elles sont l’acceptation du désordre naturel, comme fontaine de vitalité, et non comme anarchie destructrice. Cette musique est centrifuge et non centripète, elle ne se referme pas sur ses procédés. Il est d’ailleurs peut-être inexact de parler de polytonalité, ou de polyrythmie, car ce ne sont pas des valeurs musicales que Ives superpose, mais des êtres musicaux, des processus autonomes et formés. On devrait alors plutôt parler de « poly-musique ». La superposition laisse circuler l’air et le hasard au milieu d’elle, sans en « faire une histoire » (d’où, peut-être, l’attachement d’un John Cage à l’exemple de Charles Ives). De même, l’esthétique du collage, qui lui est chère (il cite dans de très nombreuses oeuvres des hymnes religieux, des fragments de chants populaires, des « blocs » de musique militaire), n’a aucun caractère de tension, ou d’ironie culturelle. Toute son oeuvre étant fondée sur la continuité avec la terre natale et l’enfance, elle en intègre naturellement les réminiscences musicales. Il y a une certaine ironie à ce que ce musicien « innovateur » ait été en même temps l’un des hommes les plus attachés à ses racines et à la figure de son père, ainsi qu’à des « modèles » qui en étaient le prolongement : les figures respectables d’un Ralph Waldo Emerson (1803-1882) ou d’un Henry-David Thoreau (1817-1862), esprits pacifistes, épris de continuité et d’accord avec la terre et la nature. L’oeuvre musicale de Charles Ives, typiquement américaine, s’assume comme « mixage » d’impressions et d’influences hétérogènes, qu’elle refuse de digérer et d’assimiler par un travail d’intégration stylistique et d’homogénéisation. Si cette oeuvre a été récemment découverte en Europe, dans les années 70, c’est peutêtre moins pour avoir été prophétique par rapport à des audaces d’écriture qui n’impressionnent plus que pour son étonnante liberté d’être, sa sympathie avec le monde et la société, et surtout son aisance à vivre et à assumer la pluralité, à intégrer l’hétérogène et le disparate. IVOGUN (Maria), soprano hongroise (Budapest 1891 - Beatenberg, Suisse, 1987). Elle étudia à Vienne, où Bruno Walter la découvrit en 1913. À la suite de l’impression considérable produite par elle dans le rôle de Zerbinetta d’Ariane à Naxos de Strauss, elle fut engagée partout en Europe, et, à partir de 1925, elle chanta aux États-Unis. Sa santé fragile la força cependant à abandonner prématurément sa carrière. Elle se consacra alors au professorat (Elisabeth Schwarzkopf fut parmi ses élèves). Maria Ivogun peut être considérée comme une des meilleures sopranos coloratures de l’entre-deux-guerres. Sa voix, remarquablement facile, était capable d’expression intense. Elle a beaucoup contribué, dans les années 20, à la renaissance des opéras de Mozart sous la direction de Bruno Walter et de Richard Strauss. Elle vocalisait à ravir et son « trille » était célèbre. downloadModeText.vue.download 507 sur 1085 J JACHET DE MANTOUE ou JAQUET, EN LAT. : JACOBUS COLLEBAUDI), compositeur français (Vitré, près de Rennes, 1483 - Mantoue 1559). On ne trouve sa trace qu’en 1525 à Ferrare, puis en 1526 à Mantoue, où il fut chantre à la chapelle du cardinal Ercole Gonzaga avant de diriger la maîtrise de cet établissement (1534). Toujours à Mantoue, il devint maître de chapelle à la cathédrale Saint-Pierre (1539). Estimé de ses contemporains, il semble n’avoir composé que des oeuvres de musique religieuse. Ses recueils, imprimés, pour la plupart, à Venise, renferment des messes à 4 et à 5 voix, des motets, hymnes, magnificat. Une de ses messes intitulée Surge Petre, à 6 voix, fut publiée à Paris en 1557 par Le Roy et Ballard. Palestrina lui-même construisit quatre messes polyphoniques à partir de motets de Jachet, dont trois sont du type « parodie ». JACOB (Gordon), compositeur et musicologue anglais (Londres 1895 - Saffron Walden 1984). Il étudia la composition avec C. V. Stanford au Royal College of Music après la Première Guerre mondiale, et fut professeur dans cet établissement de 1926 à 1966. Il a composé une oeuvre abondante, qui se distingue par l’élégance de sa facture, par son caractère facile et mélodique, mais qui manque peut-être de profondeur : deux symphoniques (1928-29, 1943-44), quatre Sinfoniettas, quatre suites pour orchestre, des concertos pour divers instruments, de la musique de chambre et des oeuvres vocales, des ballets et la suite de ballet Mam’zelle Angot. Il a publié un ouvrage sur l’instrumentation, Orchestral Technique (1931), How to Read a Score (1944) et The Composer and his Art (1960), et a dirigé à partir de 1948 les Penguin Scores. JACOB (Maxime), compositeur français (Bordeaux 1906 - En-Calcat, Tarn, 1977). Extrêmement précoce, il était encore sur les bancs du lycée lorsqu’il commença à composer. En 1921, il rencontra D. Milhaud qui l’encouragea, le présenta à E. Satie, et lui conseilla d’étudier l’harmonie avec C. Koechlin et le contrepoint avec A. Gedalge. En 1923, l’école d’Arcueil, dont il fit partie, donna le premier concert de Jacob. À l’orée d’une carrière qui s’annonçait brillante, il se convertit au catholicisme et, bientôt, se retira au monastère bénédictin d’En-Calcat (1930). Ordonné prêtre en 1936, il fut désormais Dom Clément Jacob, mais poursuivit parallèlement son activité de compositeur. Son oeuvre comprend de la musique pour orchestre, dont un Concerto pour piano (1961), de la musique de chambre (sonates pour piano, pour violon, pour violoncelle, huit quatuors à cordes). Sa musique est spontanée, empreinte de fraîcheur. C’est dans l’alliance avec la poésie qu’elle trouve néanmoins ses voix privilégiées : les mélodies (en nombre considérable) constituent le meilleur de son oeuvre. Enfin, citons un opéra-comique sur le livret de Sedaine : Blaise le Savetier (1926). JACOB DE SENLECHES ou JACOPINUS SELESSES, compositeur probablement originaire d’Aragon ( ? v. 1345 - ? v. 1410). En Aragon, il fut surnommé lo Bègue, mais il est également connu sous les noms de Jacquemin de Sanleches et de Jacomi de Sentluch. Sa carrière commença à la cathédrale de Saragosse et il fut rattaché à la cour du roi Jean Ier d’Aragon. En 1378, il accompagna le duc de Gérone en Flandre et revint en Espagne en 1379, à la cour de Castille, où il demeura jusqu’en 1383 avant de se fixer à la cour du roi de Navarre. Cependant, en 1391, il regagna Saragosse où il fut nommé harpiste du roi. Appartenant au groupe de compositeurs de l’Ars subtilior, il possédait une grande science de l’écriture musicale. On conserve de lui notamment quatre ballades et deux virelais (manuscrits de Chantilly et de Modène). JACOBS (René), haute-contre belge (Gand 1946). D’abord choriste à la cathédrale de Gand, il étudie le chant à Bruxelles avec Louis Devos et à La Haye avec Lucie Frateur. Il rencontre aussi Alfred Deller dont il se considère comme un héritier. Depuis 1975, il commence une carrière internationale qui l’amène à chanter sous la direction de Leonhardt, Harnoncourt, Kuijken et Gardiner. Rapidement célèbre, il publie en 1985 le livre Controverse sur le timbre de contre-ténor. Depuis 1988, il dirige le Studio Lyrique du Centre de musique baroque de Versailles. Il dirige également le Concerto vocale de Cologne et plusieurs orchestres baroques. Sa principale préoccupation est de ressusciter l’opéra vénitien en redécouvrant Giasone, Xerse, Erismena et la Calisto de Cavalli. Il reconstitue également l’Orontea de Cesti, et aborde ensuite le répertoire allemand : il interprète Graun, Gassman et Gluck, et, en 1994, dirige l’Orfeo de Monteverdi à Salzbourg. Il déploie une grande activité pédagogique à Bâle et à Berlin, où il dirige l’Akademie für alte Musik. Il a signé plus de quatre-vingts enregistrements. downloadModeText.vue.download 508 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 502 JACOPO DA BOLOGNA, compositeur et théoricien italien (XIVe s). L’époque de sa pleine activité se situe entre 1340 et 1360 en Italie du Nord. Ses contemporains le tinrent pour un virtuose de la harpe et il fut le maître de Francesco Landini. À Milan, il fut musicien à la cour de Luchino Visconti jusqu’à la mort de ce dernier en 1349. Plusieurs de ses motets et madrigaux en font foi. On le trouve ensuite au service de Mastino II della Scala, à Vérone, de 1349 à 1351. Enfin, en 1360, il écrivit un motet pour le mariage de Gian Galeazzo avec Isabelle de Valois. Avec Giovanni da Cascia, Jacopo da Bologna contribua au développement de l’Ars nova en Italie, à l’éclosion de cette nouvelle école polyphonique qui trouva, avec Landini, ses plus beaux accents. Il est également l’auteur d’un traité, L’Arte del biscanto misurato secondo el maestro Jacopo da Bologna, conservé à la bibliothèque Medicea Laurenziana à Florence. Sa musique se caractérise par une vitalité rythmique débordante et parsemée d’audaces harmoniques. De ses compositions, trente-quatre nous sont parvenues : trente madrigaux à 2 et à 3 voix (ceux à trois voix sont les premiers du genre), un motet à 3 voix, deux caccie à 3 voix (autre type de composition très prisé de cette école) et une laude à 3 ou 2 voix. Une édition moderne des oeuvres complètes a paru en 1954, The Music of Jacopo da Bologna, avec une traduction anglaise du traité. JACOTIN, compositeur français (1re moitié XVIe s.). François Lesure propose d’identifier ce personnage avec Jacques ou « Jacotin » Le Bel, chantre et chanoine ordinaire de la chapelle du roi de 1532 à 1555. La plus grande partie de son oeuvre a paru chez Attaignant à Paris entre 1519 et 1556. Ses chansons à 4 voix appartiennent au courant général du style parisien ; certaines d’entre elles rappellent la simplicité et la clarté d’écriture d’un Sermisy (Voyant souffrir celle qui me tourmente). En revanche, dans les six motets conservés (Attaignant, 1534-35), il se montre conservateur et respectueux de l’ancienne école de Josquin Des Prés. JACQUES DE LIÈGE, théoricien (Liège v. 1260 - id. v. 1340). Il passa toute sa vie à Liège, sauf durant une assez courte période à Paris, où il semble avoir travaillé avec Petrus de Cruce. D’un esprit plutôt conservateur, il prônait néanmoins les rythmes binaires afin de libérer la musique religieuse de son étau ternaire. En revanche, il s’opposa aux théories de l’Ars nova qui se dessinaient autour de lui. Il rédigea un sévère traité encyclopédique de la musique en sept volumes, le Speculum musicae, dont une réédition a été entreprise, en 1955, par l’American Institute of Musicology. JACQUET DE LA GUERRE (Élisabeth), compositeur et claveciniste française (Paris 1665 - id. 1729). Fille de l’organiste Claude Jacquet, elle joua du clavecin devant Louis XIV dès l’âge de cinq ans. En 1684, elle épousa Marin de La Guerre. Installée à Paris, elle devint un célèbre professeur de clavecin. En 1687, elle publia son Premier livre de Pièces de clavecin et en 1707 des Pièces de clavecin qui peuvent se jouer sur le viollon. Elle fut également l’auteur de deux livres de Cantates françoises pour une et deux voix et basse continue, avec ou sans instruments mélodiques, sur des sujets empruntés, pour la plupart, à l’Ancien Testament (Esther, le Passage de la mer Rouge, Judith). Sa tragédie lyrique Céphale et Procris (1694) est la première oeuvre d’une femme compositeur représentée à l’Académie royale de musique. JADIN, famille de musiciens français d’origine flamande. Jean-Baptiste, violoniste et compositeur ( ? - Versailles v. 1789). Longtemps membre de la chapelle des Habsbourg à Bruxelles, il se fixa à Versailles, peut-être à l’instigation de son frère Georges, bassoniste à la chapelle de Louis XV. Louis Emmanuel, pianiste, pédagogue et compositeur, fils du précédent (Versailles 1768 - Monfort-l’Amaury 1853). Il fut « page de la musique de Louis XVI » et membre de la musique de la garde nationale (1792), et obtint le succès en 1793 avec le Siège de Thionville, écrit pour l’opéra. Il occupa divers postes sous l’Empire et la Restauration. Outre de nombreuses oeuvres pour la scène, il écrivit de la musique sacrée, des mélodies, dont la Mort de Werther (1796), et de la musique instrumentale, en particulier des sonates pour piano et violon publiées à Versailles vers 1787 et des quintettes à cordes, dont un seul a survécu (v. 1828). Très prisé comme accompagnateur au piano, il fut également grand violoniste. Hyacinthe, pianiste et compositeur (Versailles 1776 - Paris 1800). Frère du précédent, élève de son père et de Hüllmandel, il fut professeur de piano au Conservatoire de Paris de 1795 à sa mort et écrivit des sonates pour piano-forte et douze quatuors à cordes répartis en quatre opus de trois (l’opus 1 est dédié à Haydn). JAHN (Otto), archéologue, philologue et musicologue allemand (Kiel 1813 - Göttingen 1869). Docteur en philologie à l’université de Kiel (1839), il fut nommé professeur d’archéologie à Greifswald en 1842 et directeur du musée d’Archéologie de Leipzig en 1847. Suspendu de ses fonctions à cause de ses idées politiques (1851), il enseigna l’archéologie à l’université de Bonn à partir de 1855, puis s’installa à Göttingen peu avant sa mort. Sa biographie de Mozart (4 vol., Leipzig, 1856-1859 ; 2 vol., rév. 1867), qui connut de nombreuses rééditions, lui vaut de figurer parmi les pionniers de la musicologie allemande au XIXe siècle. Cet ouvrage fut, en effet, le premier à mettre en oeuvre la méthode critique comparative élaborée par la philologie classique et servit longtemps de modèle aux biographies musicales. Jahn publia d’autres travaux, dont la réduction pour piano et chant de la deuxième version du Fidelio de Beethoven (Leipzig, 1851), composa des mélodies et entreprit les biographies de Beethoven et de Haydn, qu’il ne put ou ne voulut pas achever. Mais ces dernières recherches furent utilisées par d’autres musicologues : A. W. Thayer et H. Deiters pour Beethoven, et C. F. Pohl pour Haydn. La place éminente de Jahn dans l’histoire de la musicologie ne fut pas contestée : Hanslick citait ses ouvrages pour appuyer ses propres thèses dans son opuscule Du beau dans la musique, tandis que Köchel lui dédia son catalogue thématique des oeuvres de Mozart. JAMBE DE FER (Philibert), compositeur français (Champlitte v. 1515 - Lyon v. 1566). Peut-être débuta-t-il comme chantre à Poitiers, où il aurait mis en musique les psaumes de Jean Poitevin. Mais, très tôt, ce protestant convaincu vécut à Lyon et, en 1564, il fut chargé de la musique pour l’entrée de Charles IX. La dédicace au roi de ses 150 Psaumes (1563) n’est sans doute pas étrangère à ce choix et à l’autorisation de pratiquer sa religion publiquement. On lui doit une importante contribution polyphonique au psautier huguenot et l’un des premiers traités instrumentaux : l’Épitomé musical des tons, sons et accords es voix humaines, flustes d’alleman, fleustes à neuf trous, violes et violons (Lyon, 1556). JAMET (Pierre), harpiste français (Orléans 1893 - Gargilèse 1991). Après avoir entrepris des études de piano, il découvrit la harpe et entra au Conservatoire de Paris dans la classe de Hasselmans, où il obtint un premier prix en 1912. Il créa la Sonate pour flûte, alto et harpe de Debussy, avec Manouvrier (flûte) et Jarecki (alto). En 1945, il se joignit au Quintette instrumental de Paris, qui prit alors son nom. Il enseigna au Conservatoire de Paris (1948-1963) et fonda, en 1962, l’Association internationale des harpiste et amis de la harpe. Sa fille, MariedownloadModeText.vue.download 509 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 503 Claire (Reims 1933), est également harpiste. JANÁČEK (Leoš), compositeur tchèque (Hukvaldy 1854 - Ostrava 1928). Né dans le pays des Lachs au nord-est de la Moravie, au pied des montagnes de Beskydes, fils et petit-fils d’instituteurs, il perdit son père en 1866 et passa alors quatre ans au couvent des augustins de Brnó, dont le directeur musical, Pavel Křížkovsk’y, lui révéla la grandeur de la musique chorale fondée sur le patrimoine de la chanson tchèque. Janáček entra en 1869 à l’école normale d’instituteurs de Brnó, à laquelle il devait rester attaché de 1872 à 1904. Il put néanmoins suivre trois cycles de formation musicale : le premier à l’école d’organistes de Prague (1874-75) avec F. Z. Skuhersky ; le deuxième au conservatoire de Leipzig avec O. Paul et L. Grill, qu’il critiqua violemment ; le troisième à Vienne auprès de Franz Krenn, dont il réprouva fortement les tendances néoromantiques. De retour à Brnó, le musicien écrivit ses premières compositions chorales sous l’influence de Křížkovsk’y, à l’intention de la chorale Svatoplúk, puis de la chorale Beseda, dont il assura la direction. Il fonda un orchestre d’amateurs et écrivit pour lui la Suite pour cordes et Idylle, fortement inspirées par les sérénades de Dvořák. En 1881, il put enfin réaliser un vieux projet : fonder une école d’orgue à Brnó sur le modèle de Prague, école qui, en 1919, devait être transformée en conservatoire. Cette période d’intense activité pédagogique fut en même temps une période de lutte, de mésentente, puis de désespoir. Sur le plan professionnel, cet instituteur obstiné ne fut guère apprécié de la bourgeoisie de culture allemande. En 1881, il avait épousé Zdenká Schulz, alors âgée de seize ans. Mariage difficile, illuminé par la naissance d’une fille, Olga, puis d’un fils, Vladimir. Mais les deux enfants devaient disparaître prématurément. Il suffit d’écouter l’Élégie sur la mort d’Olga, pour choeur, ténor et piano (1903), pour connaître le retentissement qu’eut sur Janáček l’échec d’une vie de famille qu’il avait voulue exaltante et frénétique. Il écrivit en 1887 son premier opéra, Šárka, sur un texte de Julius Zeyer. Mais ce dernier lui refusa le droit de mettre son livret en musique, malgré l’appui de Dvořák. Pour mieux pénétrer les origines de la chanson populaire morave, Janáček se rendit fréquemment au pays des Lachs et des Valaques, en compagnie du principal de son collège de Brnó, František Bartoš. Il étudia, nota, collectionna avec Martin Zeman, non seulement les figures mélodiques et rythmiques, mais également le jeu des interprètes de ces chansons moraves, et écrivit les Danses du pays des Lachs (1893), pour piano, puis orchestrées. Ces six pièces devaient attendre 1926 pour être créées. Mais, plus que dans ces pièces encore apparentées aux célèbres Danses slaves de Dvořák, l’originalité de l’écriture de Janáček éclate dans des choeurs d’hommes, comme Zárlivec (« le Jaloux »), Kantor Halfar (1906), Maryčka Magdónova (19061907), Peřina (v. 1914), Potuln’y šílenec (« le Fou errant », 1922). Le compositeur arrive, ici, à respecter non seulement la prosodie naturelle du langage parlé, mais aussi à en rendre la « vibration affective ». D’où cette spontanéité, cette communion immédiate pour qui parle le tchèque dialectal, où l’accent tonique est porté sur l’avant-dernière syllabe. « Il n’y a pas d’art plus grand que la musique du langage humain, car il n’existe pas d’instrument qui puisse permettre à un artiste d’exprimer ses sentiments avec une véracité égale à celle de la musique du langage parlé. » Peu à peu, Janáček étendit cette restitution du sentiment des personnages mis en scène, du choeur à la cantate, ainsi dans les Carnets d’un disparu (1917-1919), puis surtout au drame lyrique. Il importe finalement peu que le compositeur se soit également passionné pour la littérature russe et polonaise. On comprend qu’il se soit senti aussi proche de Moussorgski que de Pouchkine. Mais son mode d’expression est fondamentalement différent. Même lorsqu’il se passionne pour les événements sociaux (Sonate I. X. 1905) ou patriotiques (choeurs la Légion tchèque ou Naše vlajka, « Notre drapeau »), qui l’entourent, Janáček ne fait qu’exalter les sentiments de ses concitoyens. Il écrivit en 1903 son troisième opéra Jenufá, monté sans succès à Brnó, en 1904. Ce drame, sur un livret de la poétesse Gabriela Preissová, exploite pourtant le sens inné de son auteur pour recréer la vie. « L’essentiel dans une oeuvre dramatique est de créer une mélodie du parler derrière laquelle apparaisse, comme par miracle, un être humain dans un instant concret de sa vie. » Jenufá attendit le 26 mai 1916 pour être créée à Prague par le meilleur chef tchèque de l’époque, Karel Kovařovic. Ce succès, si longtemps espéré, fit d’un compositeur sexagénaire un homme nouveau, le chantre d’un pays qui allait atteindre sa pleine renaissance, au lendemain de la guerre de 1914-1918, avec la création de l’État tchéchoslovaque. Les dix dernières années de sa vie virent naître une série de chefs-d’oeuvre dont l’originalité étonne encore les musicologues. Janáček transposa alors à la scène, à l’orchestre et en musique de chambre son sens de la rhapsodie épique, d’origine russe. Ainsi naquirent le Conte pour violoncelle et piano (1910), d’après la légende du tsar Berendej, écrite par V. A. Joukovsky, la Sonate pour violon (1914-1921), véritable ballade épique, ou encore le triptyque symphonique Tarass Boulba (1915-1918), d’après Gogol. Ici, contrairement à R. Strauss, Janáček ne cherche pas à raconter la « vie d’un héros », mais présente un véritable opéra sans paroles, une suite de scènes violentes réduites à l’essentiel. Les Voyages de Monsieur Brouček (1908-1917) forment un opéra faussement comique dont le héros visite d’abord la lune, puis, comme le petit bourgeois praguois germanisé, soucieux de retrouver un idéal révolutionnaire, le XVe siècle hussite. En 1918, le doute n’était plus permis, Janáček dédia à la patrie libérée la Ballade de Blaník (1920), qui s’inspire d’une vieille légende selon laquelle des chevaliers cachés au flanc du mont Blaník seraient toujours prêts à intervenir si la nation tchèque était en danger. Encore plus originale est la cantate le Journal d’un disparu (1917-1919), confession d’un jeune garçon disparaissant du monde pour mieux poursuivre une belle Tzigane, dont il s’est épris. La tendance est nette, car toute cette période de création fut dominée par l’amour que Janáček portait à la jeune Kamila Stösslova. L’oeuvre est constituée de brèves cellules mélodiques et rythmiques permettant d’identifier à la fois le personnage, ses sentiments et son caractère profond. Le lien dramatique, la mise en scène sont réalisés par le piano, véritable révélateur du climat, personnage provocateur qui règle, avec autant de finesse que d’efficacité, le jeu inouï de tensions de ce journal intime. Puis vinrent quatre grands opéras : Katia Kabanová (1919-1921) ; la Petite Renarde rusée (créée à Brnó en 1924), suite de tableaux paysans, mettant en scène le garde-champêtre, le curé et l’instituteur, et d’où jaillissent aussi bien des chants d’oiseaux qu’un impressionnisme dynamique ; l’Affaire Macropoulos (1923-1925, créée en 1926), qui conte l’aventure utopique d’Emilia Marty, en vie depuis 300 ans « sans rien vouloir et n’attendant plus rien « ; et De la maison des morts d’après Dostoïevski (1927-28, créé en 1930). Parallèlement, Janáček, septuagénaire, écrivit son premier quatuor à cordes, d’après la Sonate à Kreutzer de Tolstoï (1923-1925), un sextuor pour instruments, dont le titre, Jeunesse, est significatif (1924-25), et qui servit d’épure aux deux pièces concertantes pour piano, le Concertino pour piano, deux violons, alto, clarinette, cor et basson (1925) et le Capriccio pour piano main gauche, flûte piccolo, 2 trompettes, downloadModeText.vue.download 510 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 504 3 trombones et 1 tuba (1926), puis aux Dictons pour ensemble vocal et instrumental (1927-28), où les instruments à vent atteignent à une puissance motorique, à des jeux de timbres et de sonorités, qui font de Janáček un novateur, comparé aux oeuvres stravinskienne ou bartokiennes contemporaines. L’apothéose de l’écriture et de la vitalité de Janáček est atteinte dans les trois derniers chefs-d’oeuvre. La Sinfonietta (1926) sonne de façon étrange avec sa section d’instruments à vent comprenant neuf trompettes, deux tubas ténors et deux trompette-basses. Ici, Janáček « chante l’homme tchèque dans sa beauté spirituelle, sa joie et sa force », et la Sinfonietta est un véritable autoportrait de cet homme que Vaclav Talich, son créateur, présentait ainsi : « C’était un esprit fort ! Une tête dure, belle, fière, obstinée : un véritable cabochard. Mais il savait attendre. C’est pourquoi, il avait un goût instinctif pour les points d’orgue et les silences. » La Messe glagolithique (1926) est une oeuvre de la même veine, aussi concise qu’optimiste, aussi puissante qu’obstinée. Par son langage rude et spontané et son utilisation de la vieille langue slavone, cette messe est un véritable acte de foi en la bonté de Dieu et en la puissance créatrice des hommes de sa race. Puis vint l’oeuvre ultime, le Second Quatuor « Lettres intimes », lettre brûlante d’amour d’un vieillard de soixante-quatorze ans (1928). Bâti pour être centenaire, Janáček disparut le 12 août 1928, après avoir pris froid dans la forêt d’Hukvaldy, sa petite ville natale. L’oeuvre de Janáček n’est pas un cas isolé dans le contexte de la musique tchèque. Formé à la dure école des instituteurs-compositeurs, il eut le mérite d’atteindre à l’expression la plus vraie, celle où la musique devient un langage direct, une image de la vie, la vision spontanée de sentiments vécus. Un tel réalisme a ses exigences. Ses interprètes doivent connaître le tchèque parlé. Même son oeuvre instrumentale et symphonique requiert un respect des rythmes, un sens des contrastes, une couleur de timbre, difficiles à recréer par des interprètes non tchèques. La vitalité même de cette musique peut être considérée comme une agression par l’auditeur non averti, d’autant qu’elle offre des particularités qui se retrouvent dans d’autres oeuvres du XXe siècle : harmonies de quarte, enchaînements mélodiques d’accords non résolus, gammes par tons entiers, importance du contrepoint rythmique, orchestration jouant sur les temps de réponse différents entre cuivres et bois, restitution des chants et cris d’oiseaux, dynamique chorale pouvant donner l’impression du rire comme des larmes, de l’effet de foule, du déplacement dans l’espace. Mais Janáček ne cherchait pas la nouveauté en soi. Il eut l’intuition et l’instinct d’une nouvelle plastique musicale et, dans le domaine de l’opéra en particulier, reste un des compositeurs les plus grands et les plus originaux. Que ce musicien, né avant Mahler et Claude Debussy, ait réussi à écrire la plupart de ses chefs-d’oeuvre dans les années 1920 n’est pas un de ses moindres mérites. JANEQUIN (Clément), compositeur français (Châtellerault v. 1485 - Paris 1558). On ignore tout de la jeunesse et de la formation de cet ecclésiastique rarement inspiré par le culte divin. Peut-être futil attaché à la maîtrise de Notre-Dame de Châtellerault. Il passa une longue période de sa vie dans le Bordelais, fréquentant les cercles humanistes de Lancelot du Fau, vicaire général de l’archevêché (1505-1523), de Jean de Foix, archevêque de Bordeaux, et de l’avocat Bernard de Lahet. De modestes prébendes - il fut chanoine de Saint-Émilion (1525), curé de Saint-Michel de Rieufret (1526), curé de Saint-Jean de Mezos (1530), doyen de Garosse (1530) - ne pouvant compenser la perte des avantages dont l’avait privé la mort de son protecteur Jean de Foix (1529), il gagna l’Anjou (1533), où son frère résidait. Curé de Brossary à partir de 1526, il devint chapelain de la cathédrale d’Angers (1527) et fut nommé maître de la psalette (1534). Alors s’ouvrit pour lui la période la plus fructueuse sur le plan de la composition. Il publia cent vingt-cinq chansons, dont certaines sont des arrangements, et un recueil de motets (perdu). À Angers, où le protégeait François de Gondi, seigneur des Raffoux, il décida d’entreprendre, en 1548, à plus de soixante ans, des études universitaires qu’il poursuivit à Paris où il s’installa en 1549. Il gagna la protection du cardinal Jean de Lorraine, celle du duc François de Guise, dont il célébra les succès militaires (la Guerre de Renty, le Siège de Metz) et qui lui accorda le titre de chapelain. En 1555, son talent sembla enfin reconnu : il fut nommé chantre de la Chapelle du roi, puis, en 1558, compositeur ordinaire du roi. Reconnaissance bien tardive, puisqu’il mourut pendant l’hiver 1558 sans jamais avoir joui de l’aisance matérielle. Pourtant, en 1541, Janequin était déjà une valeur si sûre que l’imprimeur Gardane à Venise se servait de son nom comme appel de vente. Et la Guerre (v. 1528), plus tard baptisée Bataille de Marignan, connut une ample diffusion qui se prolongea jusqu’au début du XIXe siècle. L’oeuvre religieuse de Janequin, certes, de dimension restreinte, est aujourd’hui fort amputée : tous ses motets, à une exception près, sont perdus ; les deux messes sont d’attribution douteuse ; trois parties manquent aux 82 Psaumes de David (1559), dédiés à la reine et bâtis sur des mélodies calvinistes. Ce fut d’ailleurs à la fin de sa vie qu’il privilégia une orientation spirituelle, négligeant, alors, quelque peu le genre dans lequel il était passé maître : la chanson profane, dont nous conservons environ 250 exemplaires publiés à partir de 1520. Dans ce cadre étroit, Janequin se sentit particulièrement à l’aise, collant étroitement au texte de forme libre pour le commenter. Spontanément, avec une joie débordante, il dit l’amour de la nature sous toutes ses formes : celle du Bel Aubépin verdissant (Ronsard), les plaisirs de la table (Quand je bois du vin clairet) ou les réalités charnelles (Au joli jeu du pousse avant, Un jour Robin, Petite Nymphe folastre), sans négliger la veine lyrique (Ô doux regard, l’Amour, la Mort et la Vie) et même courtoise, où se mêle parfois la pointe de préciosité chère à Mellin de Saint-Gelais. Si Janequin excelle dans les fresques descriptives, nullement les plus nombreuses (la Guerre, les Cris de Paris, le Caquet des femmes, le Chant des oiseaux), c’est qu’il sait admirablement faire de la chanson un théâtre en miniature. Il lui imprime une vie débordante en mettant l’accent, d’abord sur le rythme, et ensuite, seulement, sur l’invention mélodique. La déclamation y est syllabique, les phrases musicales y sont courtes, comme les imitations serrées qui passent d’une voix à l’autre, les mélismes généralement absents. Ce sont d’ailleurs les caractéristiques de la chanson parisienne dans son ensemble, au cours de la première moitié du XVIe siècle. L’emploi des onomatopées témoigne d’une écoute attentive du quotidien et d’un sens ineffable du jeu rythmique (ainsi, dans l’Alouette à laquelle C. Le Jeune a ajouté une cinquième voix pour l’incorporer dans son Printemps). Pour la Guerre, Janequin a recherché les phonèmes propres à traduire le choc des armes. Quant à Ô doux regard, cette pièce montre la mobilité harmonique du discours de Janequin, son souci de la couleur dans un climat tout de raffinement et de sensibilité. JANIEWICZ (Felix), compositeur, violoniste et chef d’orchestre polonais (Vilno 1762 - Édimbourg 1848). Il fut d’abord violoniste dans l’orchestre royal de Stanislas August Poniatowski à Varsovie. Il alla à Vienne en 1785, où il rencontra Mozart et il y fut l’élève de Haydn. Il fit des voyages à Paris et en Italie avant de s’installer en Angleterre en 1792. Il joua un rôle très actif dans la vie musicale britannique, participant aux mêmes concerts que Haydn en 1794, constituant une bibliothèque musicale à Liverpool en 1803 et contribuant à l’orgadownloadModeText.vue.download 511 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 505 nisation de nombreux festivals musicaux (dont celui d’Édimbourg). Janiewicz fut aussi l’un des cofondateurs de la Société philharmonique de Londres. Son style classique fait cependant référence aux danses populaires polonaises (mazurka, krakowiak). Son oeuvre est essentiellement instrumentale : six divertimentos pour cordes, trios, cinq concertos pour violon. JANIGRO (Antonio), violoncelliste et chef d’orchestre yougoslave (Milan 1918 - id. 1989). Élève de G. Crepax au conservatoire de Milan, puis de D. Alexanian à l’École normale de musique de Paris, il entra dans la carrière dès l’âge de seize ans et avait déjà fait plusieurs tournées dans le monde quand il se fixa à Zagreb en 1939. Professeur au conservatoire de cette ville jusqu’en 1953, il fonda en 1954 les Solistes de Zagreb, ensemble de douze musiciens, dont la réputation fut bientôt internationale, et dirigea aussi, à partir de 1953, l’orchestre de chambre de Radio-Zagreb. Nommé professeur de violoncelle au conservatoire de Düsseldorf en 1965, il fut aussi le successeur de Karl Ristenpart, trois ans plus tard, à la tête de l’Orchestre de chambre de la Sarre. JANIS (Byron), pianiste américain (McKeesport, Pennsylvanie, 1928). Né dans une famille d’origine russe, il montre très tôt des dons exceptionnels qui attirent l’attention d’un maître réputé : Josef Lhevine. Il travaille aussi avec Rosina Lhevine et Adele Marcus, puis, à New York, bénéficie des leçons de Vladimir Horowitz. Mais bien que s’étant produit en public dès l’âge de quinze ans dans le 2e Concerto de Rachmaninov, il ne débute réellement qu’à vingt ans. Déjà consacré aux États-Unis, il entreprend en 1952 sa première tournée européenne, qui sera suivie de bien d’autres. Particulièrement apprécié en Union soviétique, où il est considéré comme le meilleur interprète étranger de Rachmaninov et de Prokofiev, Byron Janis excelle dans le répertoire romantique, auquel il apporte une technique et une fougue peu communes. JANKÉLÉVITCH (Vladimir), philosophe français (Bourges 1903 - Paris 1985). Professeur aux universités de Lille et de Toulouse, puis, en 1952, à la Sorbonne, il a consacré une part très importante de ses travaux à la musique. Cernant les aspects les plus fugitifs, les plus impondérables de l’art de Fauré, de Debussy et de Ravel, il a introduit dans l’analyse musicale un élément neuf et des principes féconds. Son écriture, suggestive et souple, nourrie de références, sa pensée libre, ondoyante, d’une rare finesse, ses intuitions de poète, sont chez lui les composantes de son art de la critique. JANOVITZ (Gundula), soprano allemande (Berlin 1939). Elle fut découverte par Herbert von Karajan, qui fit beaucoup pour sa fulgurante carrière. Elle fit ses débuts à l’Opéra de Vienne en 1961 (Pamina de la Flûte enchantée). Dès l’année suivante, elle se produisit aux festivals de Bayreuth, de Salzbourg, d’Aix-en-Provence, de Glyndebourne et d’Édimbourg. À Vienne, en 1964, elle incarna l’impératrice dans la Femme sans ombre de Richard Strauss et, en 1967, à Salzbourg, se risqua dans Sieglinde de la Walkyrie. Possédant un timbre lyrico-dramatique d’un rare éclat, Gundula Janovitz excelle également dans les rôles des répertoires allemand et italien. La perfection, un peu froide, de ses premières incarnations a peu à peu fait place à une intensité aussi convaincante du point de vue dramatique musical. Elle a pris en 1990 la direction de l’Opéra de Graz. JANOWSKI (Marek), chef d’orchestre allemand (Varsovie 1939). Il étudie à la Hochschule de Cologne, ville où il fait, ainsi qu’à Aix-la-Chapelle, ses débuts de chef d’orchestre assistant. À vingt-quatre ans, il est nommé deuxième chef de l’Opéra allemand du Rhin et en 1966 chef principal de l’Opéra de Cologne. Engagé par R. Liebermann à l’Opéra de Hambourg en 1969, il y reste cinq ans. Pendant cette période, il dirige également à l’Opéra de Munich, ainsi qu’à ceux de Stuttgart, Cologne et Wiesbaden. De 1973 à 1975, il est directeur musical à Fribourg et de 1975 à 1980 à Dortmund. De 1980 à 1983, il est principal chef invité du Royal Liverpool Philharmonic Orchestra, puis directeur musical de cette formation de 1983 à 1987. En 1984, Radio France l’engage comme premier chef du Nouvel Orchestre philharmonique, et à partir de 1988 comme directeur musical de cet orchestre. De 1986 à 1990, il a aussi été directeur musical du Gürzenich de Cologne. Profondément familier de l’opéra allemand de Weber à Strauss, il est plus généralement un excellent interprète de la musique germanique. Son enregistrement (avec l’Orchestre philharmonique de Radio France) des quatre symphonies de Roussel a obtenu en 1996 un Grand Prix de l’Académie Charles-Cros. JANSEN (Jacques), baryton français (Paris 1913). Élève de Charles Panzera, il débuta en 1941 à l’Opéra-Comique dans le rôle qui devait dominer toute sa carrière : celui de Pelléas qui convenait admirablement non seulement à son type de voix, mais à un physique de jeune premier romantique qu’il a d’ailleurs conservé au-delà de la cinquantaine. Outre le drame lyrique de Debussy, qu’il a également interprété à Londres, Milan, Vienne et New York, Jacques Jansen s’est distingué à l’Opéra-Comique dans Fragonard, Malvina, Monsieur Beaucaire, Masques et Bergamasques, et, sur d’autres scènes, dans Mârouf et la Veuve joyeuse. À l’Opéra, il n’a paru que dans les Indes galantes. Malgré sa musicalité et sa diction parfaite, il ne possédait pas l’ampleur vocale d’un baryton d’opéra et devait se borner aux emplois légers du répertoire. JANSONS (Mariss), chef d’orchestre letton (Riga 1943). Il étudie le violon, l’alto, le piano et la direction d’orchestre au Conservatoire de Leningrad. Se perfectionnant auprès de Hans Swarowski à Vienne et de Karajan à Salzbourg, il devient en 1971 assistant de Mravinski à la Philharmonie de Leningrad. En 1979, il est nommé à la tête de l’Orchestre symphonique d’Oslo, avec lequel il a enregistré Grieg, l’intégrale des symphonies de Tchaïkovski et plusieurs oeuvres de Sibelius et de Stravinski. Invité en Grande-Bretagne et aux États-Unis, il fait ses débuts à la Philharmonie de Berlin en 1988. Premier chef invité de la Philharmonie de SaintPétersbourg, il succède en 1996 à Lorin Maazel à la tête de l’Orchestre symphonique de Pittsburgh. JAPONAISE (MUSIQUE). Par « musique japonaise », on désigne à la fois les formes musicales nées au Japon et celles qui ont été importées, du continent asiatique, puis de l’Occident au XIXe siècle. Les premières se sont si bien « japonisées », après plusieurs siècles d’évolution, qu’elles n’ont pratiquement plus de points communs avec les formes dont elles sont issues. Quant aux secondes, elles se sont développées au Japon de telle manière qu’elles présentent des caractères spécifiques qui les différencient de leurs modèles occidentaux. DES ORIGINES À NOS JOURS. L’histoire de la musique japonaise comprend cinq grandes périodes. La période préhistorique (du IIe s. av. J.-C. à 645, début de l’époque de Nara) correspond au développement interne de la musique japonaise, hors de tout contact étranger. La période antique (époques de Nara, 645-794, et de Heian, 794-1185) voit l’introduction et l’assimilation des formes musicales venues du continent asiatique. C’est au cours de la période médiévale que naît véritablement la mudownloadModeText.vue.download 512 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 506 sique traditionnelle japonaise (époques de Kamakura, 1185-1333, et de Muromachi, 1333-1573). Pendant la période moderne (époque de Momoyama, 15731603, et jusqu’à la restauration de Meiji, 1868), on assiste à l’essor de la musique théâtrale et pour instrument solo. Enfin, la période contemporaine (de l’ère Meiji, 1868-1912, à nos jours) est caractérisée par la pénétration de la musique classique occidentale. Ce découpage historique est fondé sur des changements d’orientation, qui, dans le domaine musical, reflètent les réformes politiques et sociales les plus importantes de l’histoire japonaise. Mais ce ne sont là que des « bornes indicatrices » jalonnant l’évolution de la musique. Au fil de ces quelque vingt siècles d’histoire, un phénomène tout à fait remarquable attire l’attention : l’alternance de formes musicales déterminées et indéterminées. L’ALTERNANCE DES MUSIQUES DÉTERMINÉE ET INDÉTERMINÉE. La musique déterminée - telle la musique classique occidentale - est caractérisée par ses éléments constitutifs fixes : hauteur des notes déterminée par le diapason, valeur temporelle et rythmique mesurée à l’aide d’une unité temporelle arithmétique. La musique instrumentale de cour (Gagaku) appartient à ce type. Les composantes de la musique indéterminée sont moins rigoureusement définies. La hauteur des notes est déterminée par rapport à une note-repère, librement émise et susceptible de varier. Et c’est une périodicité fluctuante qui commande le rythme. On peut citer la musique du théâtre nô comme exemple de forme indéterminée. Si les matériaux sonores utilisés n’ont pas de fixité, nous sommes loin toutefois de l’improvisation avec cette seconde catégorie de composition musicale. Et il serait faux de croire, comme on a trop souvent tendance à le faire, que la musique indéterminée est moins élaborée et inférieure à la musique déterminée, dont elle représenterait une sorte de phase primaire. D’après les découvertes archéologiques (Ken, flûte en terre ou en pierre, IIe s. av. J.-C. ; Haniwa, figurines mortuaires en terre cuite, Ve s. apr. J.-C., dont certaines représentent des personnages jouant d’instruments tels que le Koto à cinq ou six cordes, la flûte, le tambour, ou encore en train de chanter et de danser), et d’après divers documents, il est vraisemblable que la musique autochtone primitive ait été de forme indéterminée, vocale avec accompagnement d’un ou deux instruments et parfois de danse. C’était sans doute une musique qui servait soit au culte, soit pour les fêtes ou le divertissement. La musique déterminée a dû s’introduire au Japon au contact de la musique asiatique (VeVIIe s. apr. J.-C.). Car deux formes de cette époque, conservées jusqu’à nos jours, Shômyô (chant liturgique bouddhique) et Gagaku (musique instrumentale de cour, appelée Saibara et Rôei quand elle est chantée, et Bugaku, quand elle est dansée), présentent des éléments constitutifs fixes. De ce fait, la période antique a été marquée par l’assimilation de la musique continentale. Au XIIIe siècle, le changement de régime politique entraîna la résurgence de la musique indéterminée. Les militaires, en s’emparant du pouvoir, voulurent discréditer tout ce que la classe aristocratique, jusqu’alors dominante, avait valorisé et, entre autres, la musique acclimatée à la Cour. C’est ainsi que, pendant les sept siècles du gouvernement des généraux (début de Kamakura, 1185, à la fin d’Edo, 1868), on assista à une véritable floraison de genres musicaux, issus du vieux fonds autochtone de type indéterminé, et caractéristiques de ce qu’il y a de plus fondamentalement original dans la musique traditionnelle du Japon. Le Kôshiki, chant sacré à la gloire des divinités et des ancêtres, apparut tout d’abord ; suivi du Heikyoku, récit épique débité avec accompagnement d’un luth à quatre ou cinq cordes, le Biwa ; puis ce fut le nô, espèce de théâtre poétique, chanté, récité, dialogué, mimé et dansé par les principaux acteurs, dont le jeu est soutenu par les interventions du choeur et de trois ou quatre instrumentistes. Originellement simple divertissement populaire, le nô s’est petit à petit affiné, devenant un spectacle élaboré, réservé à la classe dirigeante. Le peuple des villes, ainsi dépouillé de ses attractions, en arriva à créer de nouveaux genres musicaux et théâtraux en adoptant le Shamisen, luth à trois cordes, qui se joue avec un plectre et qui fut importé de Chine, en passant par les Ryukyu, vers le milieu du XVIe siècle. L’association des marionnettes et du chant récitatif Jôruri accompagné au Shamisen donna alors naissance au Bunraku, théâtre de marionnettes. Le théâtre de Kabuki, chanté et dansé, incorpora des chants avec accompagnement de Shamisen tels que Kiyomoto, Tokiwazu et même créa un nouveau chant, plus long : Nagauta. La classe populaire s’engoua, à cette époque, des solos instrumentaux, pour Shakuhachi (flûte verticale à cinq trous, en bambou), ou pour Koto (cithare à treize cordes), ainsi que des solos vocaux comme Jiuta, Kouta, accompagnés au Shamisen, ou Satsuma-biwa et Chikuzen-biwa, chants et récits accompagnés au Biwa. La restauration de Meiji (1868), en rendant le pouvoir à la famille impériale, entraîna le déclin de la musique indéterminée, protégée par les gouverneurs militaires, et marqua le renouveau de la musique déterminée, venue cette fois de l’Occident. Cette alternance des musiques déterminée et indéterminée fut lourde de conséquences au niveau de la structure musicale, du système tonal et de la notation. Et on ne saurait étudier la musique japonaise, si l’on ne tient pas compte des caractéristiques imposées par chacune de ces deux catégories musicales. Bien des erreurs ont été commises par les musicologues occidentaux qui ont méconnu cette distinction capitale. LA MUSIQUE TRADITIONNELLE. Malgré les différences qui séparent les musiques indéterminée et déterminée, les formes musicales japonaises présentent, dans leur ensemble, quelques constantes caractéristiques. Le cloisonnement social est si poussé que chaque classe possède ses instruments et sa technique d’exécution propres. Par exemple, si l’on compare le Biwa de Gagaku au Biwa de Heikyoku ou de Satsuma-biwa, on voit que chacun possède une facture spécifique, ainsi qu’une notation et une technique de doigté et de plectre particulières. Ces dif- férences tiennent au fait que ces instruments ont été introduits dans des milieux distincts et pas aux mêmes époques. Un tel cloisonnement musical résulte de la hiérarchie attachée à la société féodale. Un autre aspect remarquable de la musique traditionnelle est son caractère rituel, sa stylisation extrême. Un spectacle de nô ou une pièce pour Shakuhachi, par exemple, donne l’impression d’une cérémonie : rien, en effet, n’est spontané. L’exécutant n’a aucune liberté d’interprétation, chaque geste, chaque émission vocale étant fixés. La philosophie chinoise a dû jouer, à l’origine, un certain rôle dans cette ritualisation musicale. Car, pour les Chinois des temps anciens, la musique contribuait à régler l’ordre social en harmonie avec l’ordre cosmique, comme l’atteste l’appellation de Reigaku (Rei : « politesse », « étiquette », et Gaku : « musique »). Plus que tous les autres pays d’Extrême-Orient, le Japon a développé ce ritualisme musical, conforme à l’idée que l’art n’est pas un simple divertissement, mais une « voie » (dô) [cf. Ken-dô, Jû-dô, etc.], une sorte d’exercice spirituel. L’exécutant, qui respecte une pratique musicale, comparable, par son formalisme figé, à une pratique religieuse invariante, cherche à se dépouiller de son identité individuelle, à se « vider » de sa personnalité, pour s’harmoniser au cosmos. Le ritualisme va de pair avec un certain statisme : ralenti des mouvements, répétition stéréotypée, qui apparaissent downloadModeText.vue.download 513 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 507 comme les moyens les plus sûrs pour accéder au recueillement et à l’équilibre de soi et de l’univers. Toutefois, le statisme musical est très éloigné de l’immobilité. Sans doute, la lenteur des gestes de danse contribue-t-elle à créer une impression de tenue, mais le statisme est dû essentiellement à la progression sans heurt qu’assure le Jo-ha-kyû (« introduction », « développement », « rapide »). Ce principe fondamental de l’esthétique japonaise atténue les contrastes, en contrôlant l’enchaînement des phases successives, à la fois au niveau de la vitesse de déroulement, de l’intensité et de la densité sonores. Une pièce de nô, par exemple, évolue à plusieurs reprises de la stagnation à la plus haute animation d’une manière insensible. Certaines danses (hataraki) mimant une scène de vengeance peuvent atteindre un tempo métronomique supérieur à 200 à la noire, sans que l’accélération ait été brutale. Le Jo-ha-kyû règle ainsi la structure des formes musicales traditionnelles en évitant une trop grande excitation émotive chez l’exécutant comme chez le spectateur. Malgré les différences qu’on relève selon les genres et les interprètes, la technique vocale est caractérisée par un ensemble de traits communs tels que les vibratos irréguliers et très amples, la fluctuation des sons, les timbres graves, l’attaque glissante en dessous, etc. La technique instrumentale présente également ses particularités : glissandos, répétition accélérée d’une même note, ondulation des sons, cris, bruits de souffle, de frappe avec le plectre sur la table d’harmonie ou les trous latéraux, frottement des cordes, etc. À vrai dire, ces techniques, vocale et instrumentale, appartiennent plutôt à la musique indéterminée. Dans la musique déterminée, par exemple dans le Gagaku, seul le portamento entre deux notes fixes est utilisé. C’est que le Gagaku, avec son système harmonique fondé sur la superposition de quintes et de quartes, contrôle rigoureusement les hauteurs et le rythme, en recourant à des valeurs fixes, et proscrit en conséquence tous les éléments d’instabilité et les ressources d’ordre psychophysiologique sons glissés, vibratos larges et irréguliers - auxquels les auditeurs réagissent directement, et qui ont été découverts de manière expérimentale, au contact même des sons, dans des échanges sonores immédiats, n’émanant d’aucune théorisation. LES SYSTÈMES TONALS. Si l’on excepte la période préhistorique, trop peu connue, on relève trois systèmes tonals distincts au cours des quinze siècles d’histoire de la musique japonaise. Cette variation est manifes- tement liée à l’alternance des matériaux sonores fixes ou indéterminés, propres aux deux catégories de formes musicales traditionnelles. On voit, en effet, apparaître un système tonal heptatonique (cinq notes principales, deux notes auxiliaires) fixé au VIIIe siècle, quand on a introduit au Japon la musique chinoise. Quant à la musique autochtone, qui a subsisté à côté de la musique chinoise, elle possède un système tétracordal mobile, conservé dans le Kôshiki (« chant sacré »), le Heikyoku (« chant épique ») et le théâtre nô. Une partition de nô laissée par Zenchiku et datant de 1452 montre que, dès cette époque, on tente de mêler les systèmes tétracordal et heptatonique. Mais la fusion de ces deux systèmes, si dissemblables, ne devait aboutir que vers le XVIIe siècle, où allait naître une échelle hémitonique, Miyako-bushi, caractéristique de la musique d’Edo. LE SYSTÈME HEPTATONIQUE DE L’ÉPOQUE ANTIQUE (VIIIe-XIIIe s.). Introduit à l’époque T’ang, ce système tonal permettait d’établir une échelle de douze notes non tempérées, calculée par la méthode San bun son eki, c’est-à-dire la soustraction d’un tiers de la longueur de base. Les six premiers calculs donnaient l’échelle heptatonique Ryo (mode de fa), qui, transposée douze fois sur chacune des notes de l’échelle de 12 notes, engendrait 84 modes théoriques. Au Japon, ce système s’est modifié et a donné naissance à deux échelles Ryo et Ritsu. Ces dernières servent à constituer les deux principaux modes ou modes de base (Ryo, mode de sol et Ritsu, mode de ré), dont sont issus par transposition les six autres modes employés dans le Gagaku : trois modes transposés de Ryo, sur ré, sol et mi et trois autres modes transposés de Ritsu, sur mi, la et si. Échelle de Ryo : Échelle de Ritsu : Il semble que le chant liturgique bouddhique Shômyô ait été primitivement réglé par les deux échelles Ryo et Ritsu, qui déterminaient la hauteur des notes de façon rigoureuse. Mais ces notes fixes étaient exécutées selon un certain nombre de techniques vocales codifiées. Ainsi le signe Yuri indique une ondulation sur la note fondamen- tale Kyû ou Chi. En se développant peu à peu indépendamment des notes constitutives, ces différents types d’exécution ont engendré des formes autonomes, qui sont devenues des unités minimales de construction appelées cellules mélodiques. De là est né le système actuel du Shômyô, dans lequel les cellules mélodiques sont employées en même temps que les deux échelles Ryo et Ritsu. C’est ainsi que les cinq notes principales (Kyû, Shô, Kaku, Chi, U) sont fixées par ces échelles, alors que les notes Enbai (« assaisonnement »), qui servent de broderie inférieure, supérieure ou de note de passage glissée sont très fluctuantes. LE SYSTÈME TÉTRACORDAL DE LA PÉRIODE MÉDIÉVALE (XIIIe-XVIIe s.). À partir du XIIIe siècle, de nouveaux genres musicaux se sont donc développés en renouant avec la tradition japonaise. On voit ainsi réapparaître le système tétracordal autochtone, mais qui va subir une double modification. D’une part, on l’élargit, en lui ajoutant un ou deux tétracordes conjoints aux deux extrémités de la quarte de base ou Kernintervall. Selon les genres, les ensembles de tétracordes conjoints ainsi formés ont une plus ou moins grande fixité. Le Biwa qui accompagne le chant de Heikyoku assure la stabilité des quartes. Dans le nô, en revanche, on tire parti d’une fluctuation assez importante pour suggérer des sentiments de joie, colère, etc. On peut donner une idée approximative de ce système tétracordal complexe en notation occidentale, pourvu qu’on détermine arbitrairement le tétracorde central : (intervalle choisi mi-la) D’autre part, la note médiane du tétracorde tend, au cours des siècles, à s’abaisser. Si l’on considère les intervalles de bas en haut, la division interne du tétracorde passe d’une tierce mineure plus une seconde majeure, à une seconde mineure plus une tierce majeure. Et cette évolution a marqué les genres musicaux, suivant l’époque à laquelle ils se sont constitués. Ainsi, vers les XIIe-XIIIe siècles, la division intérieure d’un tétracorde correspondait, de bas en haut, à une tierce mineure et une seconde majeure, comme l’atteste le système tétracordal du Kôshiki, du Shômyô et du Heikyoku qui se sont fixés vers les XIIe-XIIIe siècles. Le nô, fixé vers le XIVe siècle, présente une étape intermédiaire : le tétracorde s’y divise en une seconde majeure et une tierce mineure de bas en haut. Enfin, une seconde mineure et une tierce majeure, toujours de bas en haut, composent le tétracorde des genres musicaux qui se sont développés à partir du downloadModeText.vue.download 514 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 508 XVIIe siècle, tels que la musique pour Koto, pour Shamisen, pour Shakuhachi, etc. -vers les viie-viiie siècles : -vers le XIVe siècle : -vers le XVIIe siècle : Au moment où, vers le XIVe siècle, la note médiane était fa dièse, toujours avec le tétracorde mi-la, la tierce mineure ainsi obtenue était très instable (fa dièsela). Pour rétablir la quarte supérieure conjointe (fa dièse-si), on utilise si3. Cet ajustement spontané s’est reproduit avec le deuxième tétracorde conjoint supérieur entraînant l’apparition du mi4 pour former la quarte si3-mi4 : On voit comment on a évolué tout naturellement d’un système de quartes conjointes (mi-la-ré) à un système de quartes disjointes (mi-la, si-mi) et comment on en est arrivé à constituer les octaves si2-si3 et mi3-mi4 dans la musique japonaise autochtone. Cependant, les notes extrêmes des tétracordes conservent leur valeur attractive de tonique et continuent à régler la structure mélodique. Le système tétracordal révèle ainsi son caractère véritablement organique : il produit au fur et à mesure de nouvelles quartes sans jamais perdre son activité fonctionnelle originelle à l’intérieur et aux extrémités. Le tétracorde constitue donc une sorte d’unité cellulaire vivante. LE SYSTÈME TONAL DE LA PÉRIODE MODERNE (XVIIe-XIXe s.). À partir du moment où la musique autochtone a connu l’octave, son système tonal a rencontré celui de la musique savante d’origine chinoise. L’échelle de Ritsu coïncide en effet avec deux tétracordes disjoints, composés chacun d’une seconde majeure (mi-fa dièse) et d’une tierce mineure (fa dièse-la), de bas en haut. C’est cet ensemble tétracordal qu’on a appelé vers le XVIIe siècle l’échelle Yô. Échelle de Ritsu : Échelle de Yô : Mais d’importantes différences séparent en fait ces deux échelles. Dans le Ritsu, les notes constitutives sont déterminées par le diapason et les notes Kyû et Chi sont les plus importantes. Dans l’échelle Yô ce sont les notes extrêmes des tétracordes qui exercent une action polarisante, les notes médianes conservant une nette tendance à s’abaisser, comme nous l’avons vu précédemment. De cet abaissement progressif résulte la formation d’une nouvelle échelle hémitonique, In ou Miyako-bushi, issue du système tétracordal de la même manière que l’échelle Yô. Échelle d’In : Le système tonal autochtone a donc engendré successivement l’échelle transitoire Yô, puis In, au cours de son évolution. Aussi n’est-il pas rare que les genres musicaux de la période médiévale, tels le nô ou le Heikyoku, aient été influencés par l’échelle In. L’analyse des pièces écrites pendant la période moderne révèle, par ailleurs, que leur structure mélodique est régie non par les échelles Yô et In, mais par les systèmes tétracordaux propres à chacune d’elles, soit pour l’échelle Yô les trois tétracordes : mi-fa-la ; si-do-mi ; la-si-ré ; et pour l’échelle In : mi-fa-la ; si-do-mi ; la-si-ré. Le troisième tétracorde de chaque ensemble sert de lien entre les deux premiers. LE RYTHME ET LE TEMPS MUSICAL. Pour éviter toute équivoque, nous appelons rythme, toute forme de structuration des durées sonores, qu’il s’agisse d’une ligne mélodique, d’un thème ou d’une cellule rythmique. Et par tempo, nous dési- gnons la vitesse de déroulement de ces formes rythmiques. La musique japonaise traditionnelle est caractérisée par deux types rythmiques : le rythme régulier et le rythme libre. Période antique. Le Gagaku, qui présente une périodicité régulière et un fractionnement égal de la durée, introduit au Japon le rythme régulier. Mais cette musique instrumentale utilise également le rythme libre dans l’introduction (Jo), où les instrumentistes jouent indépendamment les uns des autres et sans contrôle vertical des sonorités. Pour sa part, la musique vocale de Shômyô recourt de préférence au rythme libre (Jo-kyoku), mais emploie aussi parfois le rythme régulier (Tei-kyoku). Dans les pièces de Shômyô nommées Gu-kyoku, les deux types de rythme sont combinés pour assurer le passage du rythme libre au rythme régulier. Le tempo de la musique de cette période est extrêmement lent, en raison du statisme qui caractérise alors les pièces. Période médiévale. Au Moyen Âge, la musique étant étroitement associée à un texte (didactique pour le Kôshiki, épique pour le Heikyoku, dramatique pour le nô), on utilise de préférence le rythme libre et un tempo élastique, pour faciliter la compréhension des paroles. Dans le nô, on recourt à une périodicité constituée par huit frappes de tambour, qu’on appelle Kusari (« chaîne »), et qui sert à régler la superposition des parties vocale et instrumentale. Mais ces huit frappes ne déterminent pas des intervalles rythmiques réguliers et le tempo fluctue sans cesse. Par exemple, le tempo du chant final Kiri de la pièce Hagoromo, oscille entre 95 et 160 à la noire métronomique. Une telle fluctuation est due aux sentiments éprouvés par le héros et au climat dramatique des différentes séquences d’une pièce. On voit, par là, que la notion de temps dans la musique médiévale est avant tout de nature psychophysiologique. Période moderne. Selon les genres musicaux, le rythme à huit périodicités irrégulières, hérité de la période précédente, va évoluer différemment. Dans le Kabuki, les dimensions mêmes du théâtre ont entraîné l’emploi de plusieurs Shamisen, pour renforcer les sons. Ce jeu d’ensemble instrumental a accentué le caractère binaire du rythme (cf. Kiyomoto, Tokiwazu, Nagauta). Mais on conserve le rythme libre pour l’introduction et le prélude d’une pièce de Kabuki. Dans la musique de Koto, qui reste dans le sillage de la tradition savante du Gagaku, c’est le rythme régulier caractéristique du type musical déterminé qui domine. Un rythme ternaire (assez rare au Japon), apparaît au début du XVIIIe siècle, dans le chant populaire, Dodoitsu, qu’accompagne le Shamisen. Les autres genres (Satsuma-biwa, Shakuhachi, Gidaiyû) marquent une prédilection pour un rythme libre, peu marqué, qui suit avec souplesse la narration du soliste et reflète le cours sentimental du récit. Tous les genres de cette période ont adopté le tempo élastique développé à l’époque précédente. Ainsi dans Rokudan, pièce pour Koto, le tempo varie de 60 à 168 d’après la noire métronomique. Cela montre que l’élasticité temporelle contribue à la structuration d’une pièce, même uniquement instrumentale. LA STRUCTURE MUSICALE. La musique de type déterminé et celle de type indéterminé possèdent chacune un système de composition et une structure spécifiques ; la structure déterminée de la première s’oppose à la structure fluctuante de la seconde, comme nous l’avons déjà observé à propos du rythme et du tempo. Période antique. La musique aristocratique de cette période (Gagaku, Rôei, Saibara, etc.) est de structure déterminée. On compose les thèmes à partir de notes, dont downloadModeText.vue.download 515 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 509 la hauteur est fixe, et la macrostructure d’une oeuvre est obtenue par la transposition et la réexposition des thèmes qui constituent sa microstructure. Période médiévale. La musique de nô, qui est la plus représentative de cette pé- riode, présente une structure fluctuante mais non improvisée - dont l’unité minimale est la cellule. Cris, frappes de tambour, sons de flûte et émissions vocales s’inscrivent dans une cellule déterminée et on juxtapose et superpose un certain nombre de cellules instrumentales, vocales et rythmiques pour structurer l’ensemble d’une pièce. Grâce au caractère fluctuant des éléments qui composent chaque cellule (hauteurs de fréquence variable, rythme non mesuré) et à la mémorisation du prototype, dont une cellule ne doit pas s’écarter au-delà d’une certaine marge de liberté, ce système de composition permet d’élaborer une forme déterminée avec des matériaux fluctuants. Dans les autres genres de cette période (Shômyô, Kôshiki, Heikyoku), apparaît une structure intermédiaire, alliant les éléments déterminés aux indéterminés. Ainsi les notes principales ont une hauteur déterminée au diapason, tandis que le rythme et le tempo ont une organisation fluctuante de type cellulaire. Période moderne. C’est le système de composition par cellules qui caractérise la plupart des formes musicales de cette période. La musique vocale accompagnée par le Shamisen (Gidayû, Tokiwazu, Kiyomoto, etc.), ou par le Biwa (Satsuma-biwa) et la musique instrumentale pour Shakuhachi ont incorporé à leur technique la fluctuation propre au système cellulaire et exploitée à des fins expressives. Seule la musique de Koto, pratiquée depuis le XIIIe siècle uniquement par les prêtres et les confucianistes, a hérité de la structure déterminée propre à la musique aristocratique. Les pièces de Koto ont, en général, une structure thématique, obtenue en juxtaposant des sections (dan), qui représentent chacune une variation du thème initial. À chaque époque un type structural a donc tendu à s’imposer pour des raisons historiques ou esthétiques. Ainsi, la structure indéterminée a-t-elle toujours été préférée dans la musique théâtrale, parce qu’elle répond particulièrement bien aux exigences du dynamisme dramatique. LES SYSTÈMES DE NOTATION. La notation dépend étroitement du type musical, déterminé ou indéterminé. Le premier système de notation fixe a dû être introduit au Japon vers le VIIe siècle, avec la musique venue de Chine et de Corée. Le plus ancien document qui nous soit parvenu est une partition pour Biwa de Gagaku, qui date du milieu du VIIIe siècle. Et la mobilité du système tétracordal, sur lequel est fondée la musique de la période préhistorique, incite à penser que la musique autochtone ignorait primitivement toute notation fixe. Période antique. Dans le Gagaku, on note avec des idéogrammes la position des doigtés instrumentaux. Par convention, chaque idéogramme correspond à la valeur d’une ronde, qui est l’unité temporelle minimale du Gagaku. Le Shômyô possède un système de notation neumatique, appelé Hakase, qui a surtout un rôle mnémotechnique, car il ne sert qu’à visualiser les mouvements des lignes mélodiques. Aussi, le débutant ne peut-il se passer de l’enseignement direct d’un maître. Période médiévale. C’est la notation neumatique qui a été adoptée durant cette période, où les principales formes musicales ont une structure fluctuante et une technique vocale particulière. Le Kôshiki hérite du système neumatique propre au Shômyô, système qui va exercer une influence sensible sur la notation de la musique de nô. Cette dernière se compose d’une part de neumes placés à droite du texte de nô, et qui se lisent, comme celuici, de haut en bas à partir de la droite et en allant vers la gauche. Ces neumes indiquent les notes extrêmes des tétracordes, les mouvements mélodiques et la technique vocale. D’autre part, la notation comporte des dessins, placés en haut de page, au-dessus du texte, et qui schématisent les gestes et les positions de l’acteur principal. La notation du Nô-Kan (« flûte de nô ») est distincte, car ces flûtes n’étant pas accordées au diapason, chaque instrument émet des sons de hauteur différente. Aussi n’écrit-on pas les notes, mais des ronds blancs et noirs indiquent la tablature des doigtés, tandis que les signes du syllabaire servent à marquer la solmisation, ce qui aide à mémoriser les cellules mélodiques et à en déterminer le rythme. Ce système de solmisation était d’ailleurs déjà utilisé dans le Gagaku. Quant au Heikyoku, comme il était chanté par des musiciens aveugles, il a seulement été noté au XVIIIe siècle. Et même aujourd’hui, où des exécutants non aveugles commencent à l’interpréter, cette forme musicale reste liée à une tradition orale. Période moderne. Les notations de cette période manquent d’uniformité. Pour un même instrument, il n’est pas rare de trouver des systèmes de notation qui varient suivant l’école ou le moment. Chaque chef d’école (Iemoto) instituait sa propre notation, pour assurer à la fois la qualité musicale de sa technique et en préserver le secret. On retrouve là l’esprit de clan qu’a développé le système féodal de cette époque. Cependant les notations utilisées reposent soit sur un système neumatique, soit sur l’emploi simultané de la tablature et de la solmisation. Ainsi dans le Gidayû ou le Tokiwazu, la partie vocale est notée au moyen de neumes et la partie instrumentale d’accompagnement au Shamisen, ou de solo de Shakuhachi, est transcrite à l’aide de la solmisation et de la tablature de doigtés. La musique de Koto a utilisé la notation déterminée dont on se servait pour le Koto de Gagaku (Gaku-sô). Aussi a-t-on pu noter avec précision des partitions de Koto dès la fin du XVIe siècle. Après la restauration de Meiji, la musique occidentale s’est répandue au Japon, encouragée par le nouveau gouvernement. Les musiciens de Gagaku furent les premiers à jouer cette musique, parce qu’ils appartenaient à la classe aristocratique qui venait de reprendre le pouvoir, et surtout parce que le Gagaku, forme déterminée, représente une conception musicale assez proche de celle dont est issue la musique classique de l’Occident, dont l’assimilation a été de la sorte facilitée. PASSÉ ET PRÉSENT. À travers ce survol historique se détachent trois aspects essentiels de la musique japonaise traditionnelle. Le patrimoine musical japonais est à la fois fidèlement conservé et toujours renouvelé. On est saisi devant cette étonnante capacité d’intégration continue de genres musicaux étrangers, sans préjudice pour la musique autochtone primitive, dont les formes archaïques et médiévales se sont maintenues sans interruption, ni changement impor- tant jusqu’à nos jours, à côté de la musique classique ou moderne importée de l’Occident. Sans doute le cloisonnement très poussé qu’impose le système social japonais est-il en bonne partie responsable de la conservation des genres musicaux propres à chaque classe. D’autre part, l’alternance de deux systèmes musicaux antagonistes est tout à fait remarquable : aux matériaux sonores indéterminés du système d’origine japonaise s’opposent les matériaux déterminés des systèmes importés de l’étranger. Aujourd’hui encore, une nouvelle alternance se dessine : après avoir adopté la musique occidentale de type déterminé, les compositeurs japonais contemporains reviennent vers les formes traditionnelles indéterminées et tentent de découvrir une nouvelle écriture. Les perspectives qu’ils ouvrent se signalent par leur originalité, à côté des apports de la musique électroacoustique et aléatoire, qui témoignent de l’intérêt croissant des musiciens occidentaux pour les structures musicales de type indéterminé. Enfin, les facteurs psychophysiologiques l’emportent, dans la musique japonaise, sur l’intellectualité et l’abstraction downloadModeText.vue.download 516 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 510 mathématique. L’impression sonore, la qualité intrinsèque de chaque son priment, chez la plupart des compositeurs japonais, les recherches ou les postulats théoriques. JAQUES-DALCROZE (Émile), compositeur, esthéticien et pédagogue suisse (Vienne 1865 - Genève 1950). Il fait ses études musicales à Genève, puis à Paris et à Vienne, des études coupées de brèves expériences professionnelles comme pianiste au Chat-Noir et chef d’orchestre à Alger. Professeur d’harmonie au conservatoire de Genève de 1892 à 1910, il composa de nombreuses chansons, des symphonies folkloriques (le Festival vaudois, 1903 ; la Fête de juin, 1914) et 4 opéras, dont Sancho Pança et le Bonhomme Jadis. Mais son nom reste surtout attaché à ses travaux sur la rythmique et l’expres- sion corporelle, qui ont donné une base scientifique à la danse moderne. Il ouvre en 1910 à Dresde un institut, qui, transféré l’année suivante à Hellerau, va former de nombreux disciples. Dès 1920, la méthode dalcrozienne est enseignée dans toute l’Europe et jusqu’aux États-Unis. Elle fait toujours autorité. JARABE. Danse mexicaine sur un rythme ternaire, issue du zapateado andalou. Lors des troubles qui devaient aboutir à l’indépendance du pays, au début du XIXe siècle, les patriotes mexicains en firent des chansons satiriques dirigées contre l’occupant espagnol. JARDANYI (Pal), ethnomusicologue hongrois (Budapest 1920 - id. 1966). Il étudia le violon à l’académie Franz-Liszt de Budapest et la composition à titre privé avec L. Bardos. De 1938 à 1942, il suivit les cours de Z. Kodály à l’Académie, tout en préparant une thèse de doctorat sur l’ethnomusicologie. Il dirigea, de 1960 à sa mort, le département d’ethnomusicologie de l’Académie des sciences, et laissa une oeuvre non négligeable. Par ailleurs, il écrivit des ouvrages sur la musique hongroise, sur Kodály et Bartók. JARELL (Michael), compositeur suisse (Genève 1958). Il commence l’étude de l’écriture au conservatoire populaire de sa ville natale, avec Éric Gaudibert, et poursuit sa formation lors de stages aux États-Unis (Tanglewood, 1979). Il devient ensuite l’élève de Klaus Huber à la Hochschule für Musik de Fribourg en Brisgau avant de s’initier à l’informatique musicale à Paris. Son séjour à l’I.R.C.A.M. (1986-1988) se solde avec une commande - Congruences pour flûte-midi, hautbois, ensemble et live electronics (1988-89) - qui constitue, pour lui, après la révélation de l’opéra de chambre Dérives (1985), le début d’une remarquable carrière, souvent récompensée par l’institution musicale (prix Beethoven de la ville de Bonn pour Trei II pour soprano et cinq instruments, 1986 ; prix Gaudeamus pour Instantanées pour grand orchestre, 1988 ; prix de la Fondation Siemens pour l’ensemble de son oeuvre, 1990). Il s’est souvent intéressé à la musique vocale et à la scène : Eco pour voix et piano, 1986 ; le ballet Der Schatten, das Band, das uns an die Erde bindet (1989) ; D’ombres lointaines... pour voix et orchestre ; Formes-fragments pour six voix et ensemble instrumental (1990) ; ballet Harold et Maud (1991). Le monodrame Cassandre, d’après le roman de Christa Wolf, créé à Paris en 1994 au Théâtre du Châtelet, est une parabole de l’incommunication, de la solitude et de l’incompréhension. Le catalogue de Jarell comprend en outre From the Leaves of the Shadows Concerto pour alto et orchestre (1991), Des nuages et des brouillards pour harpe, piano, percussion et orchestre (1992), Passages pour orchestre (1993), Rhizomes pour deux pianos, deux percussions et électronique (1993), le cycle Assonances (dont ... chaque jour n’est qu’une trêve entre deux nuits... chaque nuit n’est qu’une trêve entre deux jours, ou Assonance V pour violoncelle et ensemble, 1990). JARNACH (Philipp), compositeur allemand d’origine espagnole (Noisy-leSec 1892 - Bornsen, près de Bergedorf, 1982). Élève de Risler (piano) et de Lavignac (composition), il fit, à Zurich (1915), la connaissance de Busoni, dont, après la mort (1924), il termina le Doktor Faust. Il prit la nationalité allemande en 1931, enseigna la composition à Cologne jusqu’en 1949, puis dirigea l’École supérieure de musique de Hambourg jusqu’en 1959, continuant ensuite à y enseigner la composition jusqu’en 1970. Il compta parmi ses élèves Kurt Weill. Sa production, surtout instrumentale, révèle un esprit indépendant, tributaire néanmoins de l’école française et de la musique allemande de l’entre-deux-guerres (Musik mit Mozart, 1935 ; Musik zum Gedächtnis der Einsamen pour quatuor à cordes et orchestre à cordes, 1952). JÄRNEFELT (Armas), chef d’orchestre et compositeur suédois d’origine finlandaise (Viipuri 1869 - Stockholm 1958). Après ses études à Helsinki (1887-1890), Berlin (1890) et Paris (1893-94), il occupa successivement les postes de chef d’orchestre à Magdebourg, Breslau, Düsseldorf, Viipuri, Helsinki, Stockholm et enfin Helsinki. De ses oeuvres ne survit que sa célèbre Berceuse (Kehtolaulu), à la mélancolie typiquement finnoise. Mais il est regrettable que ne soient pas exhumées sa Rhapsodie finnoise ou sa Fantaisie symphonique de 1895. À un non moindre degré que ses compatriotes R. Kajanus ou G. Schneevoigt, Järnefelt a été un ardent défenseur de la musique de son beau-frère Jean Sibelius, dont il a laissé de trop rares témoignages discographiques. JARRE (Maurice), compositeur français (Lyon 1924). Il fut élève de Félix Passerone (percussion) et d’Arthur Honegger (composition). Maurice Jarre signa en 1950 la musique de scène pour le Prince de Hombourg au festival d’Avignon et fut alors nommé par Jean Vilar directeur de la musique du Théâtre national populaire, pour lequel il composa plusieurs musiques de scène jusqu’en 1964. Prix Italia en 1955 pour son opéra Armida, il reçut en 1964 de l’Opéra de Paris la commande du ballet Notre-Dame de Paris, créé en 1966. Il s’est de plus en plus tourné vers la musique de film, obtenant de grands succès avec les Dimanches de Ville-d’Avray (1961), Mourir à Madrid (1962), Lawrence d’Arabie (1963), le Docteur Jivago (1965), Jésus de Nazareth (1976), la Route des Indes (1984), Liaison fatale (1987), le Cercle des poètes disparus (1990). JÂRVI (Neeme), chef d’orchestre estonien (Tallinn, 1962). Il étudie le piano, la percussion et la direction à l’école de musique de sa ville natale. Émigré aux États-Unis en 1980, il poursuit ses études à la Juilliard School, puis travaille avec Léonard Bernstein et Michaël Tilson Thomas. Au Curtis Institute de Philadelphie il étudie la direction avec Max Rudolf et Otto Werner Müller. En Scandinavie, il a été invité à diriger les orchestres symphoniques de Malmö et Göteborg en Suède, l’orchestre de la radio norvégienne, l’orchestre philharmonique de Bergen ainsi que plusieurs orchestres finlandais. Il s’est produit aussi à la tête de l’Orchestre national de Lyon, ceux du Capitole de Toulouse et de Radio-Luxembourg. Directeur musical de l’ensemble de musique contemporaine Lyra Borealis à Toronto, il devient celui des Musiciens de chambre de cette ville, interprétant avec eux un répertoire allant du baroque aux oeuvres d’aujourd’hui. Il a donné la pre- mière audition soviétique du Chevalier à la Rose et il est le dédicataire de la Symphonie no 3 d’Arvo Pärt. Il a réalisé de très nombreux enregistrements (intégrales symphoniques en particulier). JAUBERT (Maurice), compositeur français (Nice 1900 - Azerailles 1940). De brillantes études de droit lui ouvrirent une carrière d’avocat, mais la vocation musicale l’emporta. En 1923, il entreprit downloadModeText.vue.download 517 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 511 de solides études d’harmonie et de contrepoint sous la direction d’Albert Groz. Il composa des mélodies et de la musique de chambre, mais l’avènement du cinéma parlant, en 1930, marqua le tournant décisif de sa carrière. Nommé directeur de la musique chez Pathé-Cinéma, il écrivit, à partir de 1931, une quarantaine de musiques de film, collaborant avec René Clair (Quatorze Juillet), Jean Vigo (l’Atalante), Marcel Carné (Drôle de drame, Quai des brumes), Julien Duvivier (Carnet de bal). Jaubert a également composé un ballet, le Jour (1931) et une Jeanne d’Arc (1937) sur des textes de Péguy. Parmi ses mélodies, la Chanson de Tessa (1934) pour la pièce de Giraudoux est un chef-d’oeuvre de simplicité et d’émotion, et le recueil l’Eau vive (1938), sur des textes de Giono, est pénétré de l’esprit de la Haute-Provence. Mobilisé en 1939, Jaubert a été tué à la tête de sa compagnie à Azerailles, près de Baccarat, le 19 juin 1940. JAUFRÉ RUDEL, troubadour français, vraisemblablement né à Blaye au début du XIIe siècle, mort en Palestine en 1147. Si l’on en croit la légende qui a inspiré à Edmond Rostand sa Princesse lointaine. Seigneur de Blaye, il aurait pris part à la deuxième croisade pour rejoindre la dame de ses rêves, une certaine comtesse de Tripoli, qui aurait recueilli son dernier soupir, dès son arrivée à destination. Ce qui est certain, c’est qu’il chanta cette croisade, également célébrée par son confrère Marcabru, et composa des chansons d’un caractère très lyrique, dont quatre seulement nous sont parvenues avec leur mélodie notée. Parmi celles-ci, Lan quan li jorn son lonc en Mai (« Lorsque les jours sont longs en mai ») connut au Moyen Âge une grande popularité. JAZZ. Musique afro-américaine créée au début du siècle par les communautés noire et créole du sud des États-Unis, et basée pour une large part sur l’improvisation, un traitement original de la matière sonore et une mise en valeur spécifique du rythme (swing). Le jazz est né de la rencontre sur le sol américain de deux traditions musicales européenne et africaine. Dès son origine, il apparaît comme une vaste entreprise de détournement de la culture musicale occidentale par une autre, la contreculture des descendants des esclaves et, à leur suite, de tout ce que l’Amérique comptait de citoyens de « seconde zone «, notamment les créoles de couleur. Longtemps considéré comme une simple musique de danse et de bar, le jazz est aujourd’hui universellement reconnu comme un art majeur. L’étymologie du mot « jazz « reste encore aujourd’hui controversée. Le mot apparaît pour la première fois dans la presse de New York en 1917 à l’occasion de la venue d’un orchestre blanc, l’Original Dixieland Jass (ou Jasz, ou Jaz, puis Jazz) Band. LA PRÉHISTOIRE DU JAZZ. On s’accorde à reconnaître que le « berceau « du jazz fut la Nouvelle-Orléans. C’est là que se produisit, entre 1890 et 1910, une fusion entre trois courants musicaux jusqu’alors parallèles : la musique populaire des Noirs (la musique religieuse, les chants de travail et surtout le blues), le ragtime et la version « blanche « européanisée, de la musique populaire afro-américaine (les chants des minstrel shows et la musique de vaudeville). La synthèse de ces trois courants n’aurait sans doute pas pu s’opérer sans la rencontre des musiciens noirs avec les musiciens « créoles de couleur «, c’est-à-dire des mulâtres d’expression française que le code législatif de Louisiane considérait comme des « nègres «. Plus instruits musicalement que les Noirs, les créoles de couleur assimilèrent vite ce qui faisait l’originalité de la musique populaire négro-américaine (le travail vocalisé des timbres et des sons, l’importance de la percussion et l’adaptation des variations pentatoniques à la gamme occidentale traditionnelle). Cela explique que la plupart des « pionniers du jazz « furent des créoles de couleur, dont les plus connus sont Jelly Roll Morton et Sidney Bechet. LE JAZZ NOUVELLE-ORLÉANS. Si le jazz vit le jour à la Nouvelle-Orléans et y fut popularisé par des musiciens plus ou moins légendaires (Buddy Bolden, Manuel Perez, George Baquet, Alphonse Picou), c’est à Chicago qu’il s’épanouit vraiment. La fermeture, en 1917, du quartier réservé de « Storyville « provoqua un exode massif de musiciens vers Chicago, qui leur offrait de rentables possibilités de travail. King Oliver s’y installe dès 1918 avec sa formation l’Original Creole Jazz Band (Johnny Dodds ou Jimmie Noone à la clarinette, Honoré Dutrey au trombone, Lil Hardin au piano, Baby Dodds à la batterie et Louis Armstrong au cornet). C’est avec cet ensemble, que King Oliver enregistre en 1923 les morceaux les plus caractéristiques du style Nouvelle-Orléans, fondé principalement sur l’improvisation collective et la recherche d’une polyphonie spontanée. De son côté, en 1922, Jelly Roll Morton fonde les Red Hot Peppers, ensemble avec lequel il va créer de nombreux chefs-d’oeuvre. En 1925, Louis Armstrong quitte l’orchestre de King Oliver pour diriger les premières sessions de son Hot-Five. Parallèlement à l’activité des musiciens noirs, de jeunes musiciens blancs tentent avec succès une adaptation originale du style NouvelleOrléans. Les plus célèbres représentants du « style Chicago « sont les trompettistes Bix Beiderbecke, Muggsy Spanier, les saxophonistes et clarinettistes Frank Teschemacher, Frankie Trumbauer, Pee Wee Russell, Bud Freeman, Benny Goodman et Mezz Mezzrow, ainsi que le batteur Gene Krupa. Peu à peu, New York prend le relais de Chicago. Des pianistes de ragtime, puis de stride (James P. Johnson) ont commencé à y développer des formes plus sophistiquées. Dès 1920, Fletcher Henderson y fonde son premier grand orchestre. C’est à New York également que Louis Armstrong s’impose comme la première « vedette du jazz «. Mais, dès 1929, le style et la conception orchestrale de la Nouvelle-Orléans ont vécu. King Oliver et Jelly Roll Morton cessent peu à peu leur activité. Louis Armstrong joue exclusivement avec des grands orchestres, parfois très commerciaux. Il faudra attendre 1940, et la vogue du New-Orleans Revival, pour que ce style retrouve les faveurs d’un public. LE MIDDLE-JAZZ (ou mainstream, ou jazz classique). C’est la période où le jazz conquiert sa liberté et, en même temps, une large audience. Les cadres étroits de l’improvisation collective Nouvelle-Orléans vont être délaissés au profit, d’une part, de l’improvisation du soliste, d’autre part de l’écriture orchestrale. Fletcher Henderson est le premier à tenter de renouveler le langage du jazz. Son orchestre, où s’illustrent de brillants solistes (en particulier Benny Carter et « l’inventeur du saxophone «, Coleman Hawkins), ouvre la voie à Duke Ellington, dont la pemière formation prend son essor en 1927. En 1928, Ellington joue au Cotton Club de Harlem, où il reste quatre ans. Ce même club, qui tiendra un grand rôle dans l’histoire du jazz, voit lui succéder le grand orchestre de Cab Calloway et, en 1934, de Jimmie Lunceford. Au même moment, Kansas City devient une nouvelle ville élue du jazz. Les orchestres d’Andy Kirk et de Bennie Moten font les beaux soirs du Reno Club, où, en 1935, pour la première fois, se produit la formation de Count Basie. Cette période heureuse qui voit le triomphe des « big bands « va recevoir le nom d’» ère du swing «. Le « swing « a été aux États-Unis, dans le milieu des années 30, autant un style qu’un phénomène social. Le jazz devient une musique de divertissement et de danse « respectable «. Au cours de la décennie précédente, les grandes formations de plus de dix musiciens étaient rares. Entre 1936 et 1944, elles vont se multiplier. À partir de l’été 1938, elles vont même conquérir les boîtes minuscules de la 52e rue de New York, « la rue qui ne dormait jamais «. Tandis que, avec Coleman Hawkins, Johnny Hodges, Teddy Wilson, Benny Carter, Lionel Hampton, Fats Wallet et quelques autres, le jazz s’invente un clasdownloadModeText.vue.download 518 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 512 sicisme, le public, lui, invente une frénésie (« swing craze «) et proclame le clarinettiste blanc Benny Goodman « roi du swing «. Goodman impose pour la première fois dans un orchestre blanc des musiciens de couleur et ouvre toutes grandes au jazz les portes du temple de la musique « sérieuse «, le Carnegie hall, lors d’un concert historique, le 16 janvier 1938. Mais, si Benny Goodman règne sur le swing, chez surtout chez Count Basie que le swing règne. C’est au sein de son orchestre que se révèle le saxophoniste Lester Young. LE JAZZ MODERNE. LA RÉVOLUTION BE-BOP. À la fin des années 30, la technique et l’invention des grands improvisateurs de jazz atteint la perfection. Refusant le conformisme croissant, toute une génération de jeunes musiciens décide de faire éclater les canevas traditionnels de l’improvisation. C’est à partir de 1943, au cabaret « Minton’s Playhouse «, que va s’élaborer un nouveau style : le be-bop. Cette révolution musicale, dont les principaux artisans se nomment Kenny Clarke, Thelonious Monk, Dizzy Gillespie, Bud Powell, Fats Navarro et Charlie Parker, témoigne d’un triple enrichissement. Rythmique d’abord : alors que le style middle-jazz prodiguait un soutien rythmique souple, mais souvent uniforme, débouchant sur l’égalité des quatres temps, le be-bop innove en laissant une plus grande autonomie au batteur et au bassiste. Harmonique ensuite : les thèmes sont renouvelés par une utilisation constante des accords de passage et le recours à des accords inhabituels. Mélodique enfin : la phrase se plie à un chromatisme systématique ou utilise des intervalles plus étendus. LE JAZZ COOL. À la fin des années 40, par contraste avec les flamboiements expressionnistes du be-bop, un nouveau style se dessine : le jazz cool (littéralement : « frais «). Il est né de trois séries d’expériences autonomes : l’une d’elles a lieu dans l’orchestre de Claude Thornhill, où se rélèvent deux arrangeurs de talent, Gil Evans et le saxophoniste baryton Gerry Mulligan. Ils se retrouvent en 1949 et 1950 dans le nonette de Miles Davis, pour qui ils écrivent des arrangements sur des compositions bebop. Une deuxième expérience est menée par le pianiste Lennie Tristano, qui, avec ses élèves (Lee Konitz, Warne Marsh et Billy Bauer), élabore un jazz d’une grande beauté formelle. La troisième tendance du cool est représentée par les Four Brothers (Herbie Steward, Stan Getz, Zoot Sims, Serge Chaloff, puis Jimmy Giuffre et Al Cohn), saxophonistes dans l’orchestre de Woody Herman. Ils réalisent une synthèse des jeux de Lester Young et de Charlie Parker. Le jazz cool devait par la suite surtout s’acclimater chez les musiciens blancs de la West Coast et se couler dans les diverses tentatives de « Third Stream « (troisième courant), qui durant les années 50, prétendirent enrichir le jazz par le sérieux des techniques de composition empruntées à la musique classique (Gunther Schuller). LE HARD-BOP. Au milieu des années 50, en réaction contre le cool, se lève une nouvelle génération de musiciens noirs décidés à laver le jazz de toute intellectualité et à prêcher un retour aux racines nègres du jazz : le blues, le gospel song et les chants de travail. On appela cette variante musclée du bop « hard bop « (ou bop « dur «), mais aussi « jazz funky « (littéralement « sale «). Cette musique fervente et passionnée fait très vite la conquête d’un vaste public. Surtout illustré en quintette, le hard bop est mis en valeur par les formations de Max Roach, Sonny Rollins, Art Blakey, Horace Silver et Cannonball Adderley. LA RÉVOLUTION COLTRANIENNE. Au début des années 60, le jazz retrouve une forte effervescence créatrice : le contrebassiste Charles Mingus prolonge l’oeuvre de Duke Ellington en créant une musique véhémente et colorée avec des solistes qui annoncent le free jazz (Éric Dolphy). Tout en se situant dans le prolongement direct des innovations parkeriennes, le saxophoniste alto Ornette Coleman bouscule ouvertement les principes établis de l’harmonie et de l’improvisation. Mais c’est incontestablement le saxophoniste John Coltrane qui allait révolutionner le jazz. Il se lance en 1960 dans une expérience modale qui le conduit en 1964 à participer à l’aventure du free jazz. LE FREE JAZZ (jazz libre) ou new thing (nouvelle chose). Au milieu des années 60 surgit un mouvement, autant politique que musical, de libération à l’égard des conventions et de l’» ordre établi «. Brisant les critères traditonnels qui définissaient jusqu’alors la musique de jazz (le swing, le respect de la trame harmonique, etc.), les nouveaux défricheurs inventent une musique violente, chaotique, convulsive, qui n’accepte comme seul principe que celui de l’improvisation collective. Les principaux responsables de cette tourmente sonore sont le pianiste Cecil Taylor, le trompettiste Don Cherry, les saxophonistes Albert Ayler, « Pharoah « Sanders, Archie Shepp et un groupe issu de l’Association for the Advancement of Creative Musicians, l’Art Ensemble of Chicago (Roscoe Mitchell, Joseph Jarman, Lester Bowie et Malachi Favors). LE POST-FREE. Au début des années 70, tandis que la vague free reflue, Miles Davis, en électrifiant sa trompette, tente de jeter un pont entre le jazz et le rock. Pour réaliser cette fusion, il s’entoure de jeunes musiciens qui, après l’avoir quitté, voleront tous de leurs propres ailes : Herbie Hancock, John Mc Laughlin, Tony Williams, Jack Dejohnette, Chick Corea et Keith Jarrett. Dans le même temps, un nouveau courant se fait jour. Conduit par le saxophoniste Anthony Braxton, il se veut la recherche d’un « au-delà du jazz «, en direction d’horizons qui le rapprochent de la musqiue contemporaine européenne. À la fin des années 70 s’est amorcé un important mouvement de retour au bebop (« be-bop revival «). De nombreux musiciens balayés par la tempête du free jazz, retrouvent les faveurs du public (Dexter Gordon, Sonny Rollins). D’autres, comme Archie Shepp, renouent avec la tradition. JEAN DE GARLANDE, théoricien de la musique ( ? v. 1190 - Paris v. 1255). Descendant d’une ancienne famille de la Brie, il se fixa à Paris, où il enseigna à l’université. Il fut l’auteur de deux traités, De plana musica (v. 1240) et De mensurabili musica ; ce dernier traité fut soumis à révision après sa mort et s’intitula De musica mensurabili positio, pour être inclus dans le Tractatus de musica de Jérôme de Moravie. Ces traités sont essentiellement consacrés à l’art polyphonique et à sa notation, tant du point de vue intervallique que rythmique. S’y trouvent pour la première fois exposées les notions d’intervalles consonants et dissonants. JEHANNOT DE L’ESCUREL, compositeur français ( ? - Paris 1304). Pendu pour cause de débauche, il est l’auteur de chansons, dont seules 34 nous sont parvenues grâce à une copie réalisée à la fin du manuscrit du Roman de Fauvel. De ces chansons, classées par ordre alphabétique jusqu’à la lettre G, toutes sont monodiques sauf une, le rondeau à trois voix À vous, douce débonaire. Leur style rappelle celui de la voix supérieure des motets de Pierre de la Croix. JELIC ou JELICH, ORIGINALEMENT JELICIC (Vinko), compositeur croate (Rijeka 1596 - Saverne, Alsace, 1636). Il étudia avec M. Ferrabosco à la cour de Graz, où il fut enfant de choeur, puis instrumentiste (1606-1617), avant de prendre un poste à la cour de Saverne. Son premier recueil, Parnassia Militia concertuum, publié à Strasbourg en 1622, contient 24 motets pour 4 voix et orgue et 4 ricercari pour cor et trompette. Deux autres recueils de motets, Arion Primus et Arion Secundus, ont paru, à Strasbourg également, en 1628. downloadModeText.vue.download 519 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 513 JELINEK (Hanns), compositeur autrichien (Vienne, 1901 - id. 1969). Après avoir étudié la musique en autodidacte, il travailla avec Schönberg et Alban Berg (1918-19), puis avec Franz Schmidt. Comme Schönberg, il est parti d’un langage postromantique pour adopter ensuite le système sériel. Il a composé des oeuvres pour orchestre (6 symphonies) et pour divers effectifs de chambre, des cantates (Ganymed, Prometheus, An Schwager Kronos, Die Heimkehr), des mélodies, ainsi que de nombreuses musiques de film sous le pseudonyme de Hanns Elin. En 1958, il a été nommé professeur à l’Akademie für Musik und darstellende Kunst de Vienne. En 1966, il a obtenu le prix de l’État autri- chien. Il a écrit Anleitung zur Zwölftonkomposition (1952 ; 2e éd., 1967). JÉLYOTTE (Pierre de), ténor français (Lasseube 1713 - Oloron 1797). Chantre dans la maîtrise de la cathédrale Saint-Étienne de Toulouse, il y fut remarqué, en 1732, par le prince de Carignan, inspecteur général de l’Opéra de Paris, qui l’engagea comme premier ténor. Il y débuta en 1733 dans une reprise des Fêtes grecques et romaines de Colin de Blamont, et chanta par la suite plusieurs grands rôles de Rameau avec la soprano Marie Fel. Il eut la sagesse de quitter la scène en pleine gloire, à quarante-deux ans, mais continua de paraître dans des concerts de société, notamment ceux de la cour. Auteur de nombreuses chansons qu’il interprétait en s’accompagnant lui-même, il composa aussi un opéra-ballet, Zelisca, qui ne fut jamais représenté. JENEY (Zoltán), compositeur hongrois (Szolnok 1943). Il étudia à Debrecen, Budapest et Rome. Très marqué par Schönberg, il lui rendit hommage dans Alef-Hommage à Schönberg (1971-72), dont « le contenu musical exploite l’idée maîtresse de la pièce centrale, Couleurs », des Cinq Pièces op. 16 du maître autrichien. Il est aujourd’hui avec Kurtág, Bozay et Balassa l’un des créateurs les plus en vue de la jeune école hongroise. JENKINS (John), compositeur anglais (Maidstone 1592 - Kimberley, Norfolk, 1678). Également joueur de luth et de viole, il fut protégé par diverses familles nobles, participa à Londres en 1634 à la représentation du masque The Triumph of Peace, et termina sa vie chez sir Philip Wodehouse à Kimberley, non sans avoir été nommé, à la restauration des Stuarts, joueur de théorbe à la cour de Charles II. Sa production, importante (plus de 800 oeuvres instrumentales ont survécu) et de très haute qualité, comprend essentiellement de la musique d’ensemble, tant pour violes ou pour violons que pour ces deux instruments à la fois. Il excella autant dans la fantaisie polyphonique héritée de Byrd, souvent traitée par lui à un seul thème, que dans les danses entraînantes. On admire chez lui un lyrisme intense et un sens remarquable des sonorités. Parmi cette Consort Music, 12 fantaisies (Fancies) et 2 In Nomine à six voix. Sa musique vocale sacrée et profane, parmi laquelle une Élégie sur la mort de William Lawes, est moins importante en quantité. Aucune de ses oeuvres ne fut publiée de son vivant. JENKO (Davorin), compositeur yougoslave (Dvorje 1835 - Ljubljana 1914). Il étudia simultanément la musique et le droit à Vienne, puis alla se perfectionner à Prague (1869-70). Il dirigea plusieurs ensembles vocaux avant de devenir chef d’orchestre de l’Opéra de Belgrade (18711902). Auteur de l’hymne national slovène, il est surtout réputé pour ses nombreuses productions lyriques, qui le font considérer comme le créateur de l’opéracomique national serbe, et aussi pour ses oeuvres chorales profanes et religieuses. Il a également écrit de nombreuses oeuvres pour orchestre. Son style cherche à concilier la forme classique occidentale avec la tradition du chant populaire serbe. JENNY (Albert), compositeur suisse (Soleure 1912 Epikon 1992). Il fait ses études à Berne (Lehr et Chardon), puis aux conservatoires de Francfort (Sekles et Schmeidel) et de Cologne. Il est directeur musical du collège San Fidelis à Stans (Nidwalden) de 1936 à 1944, puis professeur au conservatoire de Lucerne et directeur du choeur des Semaines musicales internationales (1946-1962). Son oeuvre, d’abord influencée par Honegger et Frank Martin, s’est ensuite inspirée de Bartók, Hindemith et Schönberg, sans rompre avec le système tonal ni avec les modes d’église. Elle comprend surtout de la musique religieuse (choeurs, psaumes, oratorios, cantates, 40 motets, des messes, un Te Deum), des pages orchestrales (sérénade, rhapsodie pour saxophone et orchestre, suite pour orchestre à cordes), des pièces pour orgue et de la musique de chambre. JÉRÔME DE MORAVIE ou HIERONYMUS DE MORAVIA, théoricien de la musique originaire de Moravie (fin XIIIe s.). Il fut dominicain au couvent de la rue Saint-Jacques à Paris, où il semble avoir enseigné la musique pendant plusieurs années. Il a été rendu célèbre par son Tractatus de musica (éd. critique par S. Cserba, Ratisbonne, 1935), rédigé probablement dans la seconde moitié du XIIIe siècle. Ce traité peut être considéré comme une véritable encyclopédie de la musique de l’époque. Compilation des traités existants, selon un procédé alors habituel, son originalité tient à ce que Jérôme de Moravie ne manque pas de citer ses sources, voire de les résumer. Les auteurs dont il évoque les théories sont les plus réputés de ce temps, tels Francon de Cologne, Jean de Garlande, Pierre Picard ; il reproduit textuellement leurs ouvrages, ou encore Boèce, Gui d’Arezzo, Jean Cotton et Isidore de Séville, qui sont à la base de son enseignement. Faisant état de préoccupations pédagogiques, l’auteur donne aussi des règles de composition et d’esthétique ; il semble en particulier avoir été le premier à rendre compte de façon détaillée des règles concernant le rythme et l’ornementation du chant ecclésiastique au Moyen Âge. Un autre chapitre important fournit des renseignements précieux sur l’accord et le doigté de deux instruments à archet : le rebec à deux cordes et la vièle à cinq cordes. Témoin d’une culture musicale qui réunissait l’art et la science, ce traité est l’un des plus importants que l’on possède pour l’histoire de la musique du Moyen Âge. JEU DE TIMBRES. Instrument à percussion de la famille des « claviers ». Son nom suffit à définir ce groupe de calottes métalliques, en nombre variable, disposées horizontalement du grave à l’aigu, que l’exécutant frappe à l’aide d’un petit maillet. JEU (D’ORGUE). Ensemble de tuyauterie d’un orgue correspondant à un timbre et à une hauteur donnés. Chaque jeu, constitué d’un ou de plusieurs tuyaux par note, sur la totalité ou seulement sur une partie du clavier, représente une unité sonore de l’orgue. Tout orgue se singularise par le nombre et le choix de ses jeux, le caractère que le facteur leur a donné et la façon dont il les a harmonisés entre eux. La liste des jeux afférant à chaque clavier et au pédalier est dite « composition » de l’orgue. Les différents jeux de l’orgue se regroupent par grandes familles, selon leur mode d’émission du son : les jeux de fond, de mutation, de mixture et d’anche. Les diverses ressources de sonorités différentes d’autres instruments que l’orgue sont également appelées jeux, en particulier au clavecin, à l’harmonium et au synthétiseur. La hauteur d’un jeu est mesurée par la longueur, exprimée en pieds, de son tuyau le plus grave. Ainsi, un jeu de 8 pieds (qu’on écrit aussi 8′) est un jeu dont le tuyau faisant entendre le do grave mesure huit pieds, soit environ 2,40 m ; il correspond à la hauteur normale des voix, l’octave de référence (celle du la[3-]) se trouvant alors au centre du clavier. Le jeu de 16 pieds, deux fois plus long, sonne à downloadModeText.vue.download 520 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 514 l’octave inférieure, celui de 32 pieds à la double octave ; de même, le jeu de 4 pieds sonne à l’octave supérieure, celui de 2 pieds à la double octave. JEUNESSES MUSICALES DE FRANCE (J.M.F.). Mouvement fondé en 1941 par René Nicoly pour « éveiller la sensibilité musicale des jeunes de toute condition... et établir un lien entre le phénomène musical et la culture générale ». Chef de service aux éditions Durand et passionné de musique, R. Nicoly avait organisé dès le début de la Seconde Guerre mondiale des séances d’initiation musicale à l’intention des mobilisés. En 1941, il prit contact avec Marcel Cuvelier, qui dès 1940 avait réalisé en Belgique une expérience semblable, et fonda les J. M. F. malgré les contraintes de l’Occupation. D’abord parisien, le mouvement gagna bientôt la province, et prit son plein essor après la Libération. Une Fédération internationale des jeunesses musicales fut créée en 1945, qui, en 1976, devait regrouper 35 pays. En 1948, les J. M. F. ont leur journal. En 1957, elles comptent environ 200 000 adhérents dans 290 villes, qui bénéficient régulièrement de concerts commentés. La « conférence-concert » est en effet à la base de l’action des J. M. F. Des conférenciers aussi réputés qu’Émile Vuillermoz, Norbert Dufourcq, Roland-Manuel, Jacques Feschotte, accompagnent dans toute la France des interprètes non moins prestigieux : Ginette Neveu, Pierre Bernac, Hélène Bouvier, les Pasquier, Charles Panzera, Henri Mercckel, etc. Des oeuvres sont commandées, des « opéras de poche » montés spécialement pour les tournées J. M. F. En 1969, René Nicoly est nommé administrateur de la Réunion des théâtres lyriques nationaux en pleine crise, et c’est dans les coulisses de l’Opéra en grève qu’il meurt subitement deux ans plus tard. Le professeur Louis Leprince-Ringuet lui succède à la présidence des J. M. F., qui connaissent alors de graves difficultés financières et ne retrouveront jamais l’activité et l’efficacité de leurs vingt premières années. Mais ne suffit-il pas à leur gloire d’avoir révélé la musique à une génération entière de Français ? JEU-PARTI. (litt. « jeu partagé », provençal joc partit ou partimen). Genre littéraire et musical en vogue aux XIIe et XIIIe siècles, consistant en un débat chanté soutenu par deux adversaires, qui disposent tour à tour d’une strophe (généralement 3 chacun) pour défendre un point de vue opposé, sur une même mélodie, selon des règles poétiques précises. La dispute peut être arbitrée par un juge qui dispose lui-même d’une strophe ou d’une demi-strophe analogue à celle des adversaires. Le genre est resté vivant dans plusieurs traditions folkloriques : chiamirespondi corse, desafio (« défi ») portugais, etc. Parfois le premier partenaire indique le sujet et l’alternative des réponses ; le second choisit l’une d’elles et le premier se voit alors tenu de soutenir la thèse opposée. Pour certains érudits, ce serait là l’une des conditions de définition du jeu-parti, l’autre condition étant la présence d’un sujet amoureux ; ceux qui y échappent se rangeraient sous le terme plus général de tenson (en prov. tenso). Une variante du jeu-parti est le débat, marqué par le caractère fictif du cadre et des interlocuteurs, présentés en préambule dans une pre- mière strophe impersonnelle. JOACHIM (Irène), cantatrice française (Paris 1913). Arrière-petite-fille du célèbre violoniste Joszef Joachim, elle débuta en 1939 à l’Opéra-Comique, où se déroula la plus grande partie de sa carrière. Irène Joachim a chanté notamment Micaela de Carmen, Rosenn du Roi d’Ys, Sophie de Werther, la Comtesse des Noces et surtout Mélisande, personnage auquel elle s’identifia de façon idéale. Spécialisée dans la musique française contemporaine (elle créa, Salle Favart, Amphitryon 38, Ginevra, Guignol, Marion et le Rossignol de Saint-Malo), elle n’en fut pas moins une remarquable interprète du lied romantique allemand. Sa beauté, sa présence physique, sa voix au timbre frais et pur ont fait d’elle une artiste lyrique particulièrement attachante. Une classe de chant lui a été confiée au Conservatoire de Paris. JOACHIM (Joszef), violoniste et chef d’orchestre allemand d’origine hongroise (Kittsee, près de Presbourg, 1831 - Berlin 1907). Il travailla avec G. Hellmesberger senior à Vienne et F. David à Leipzig, et, grâce à Mendelssohn, devint premier violon dans l’orchestre du Gewandhaus (1843). Il parut ensuite à Londres (1844), Dresde, Vienne et Prague (1846). Il fut premier violon à Weimar (1849), où il vécut dans le cercle de Liszt, directeur des concerts à Hanovre (1856), puis directeur de l’École supérieure de musique de Berlin (1868), à laquelle il donna un essor considérable. Il devint, dans cette même ville, sénateur puis vice-président de l’Académie des arts. Il forma plus de 400 élèves, et reste toujours cité comme modèle pour ses interprétations du concerto de Beethoven, qu’il imposa définitivement au répertoire, et des oeuvres pour violon seul de Bach, que, grâce à la puissance de son jeu, il fut le premier à donner sans accompagnement. Ami fidèle de Brahms malgré de nombreuses brouilles, il fut le dédicataire et le premier interprète de son concerto (furent aussi écrits à son intention ceux de Schumann, Max Bruch et Dvořák). En 1869, il fonda un quatuor qui porta son nom, qu’il conduisit jusqu’à sa mort et dont les interprétations sont demeurées légendaires. Son oeuvre la plus célèbre comme compo- siteur est le Concerto à la hongroise op. 11 pour violon et orchestre (1861). JOBIN (Raoul), ténor canadien (Québec 1906 - id. 1974). Il est entièrement formé à Paris, au Conservatoire puis à l’Opéra, où il est pensionnaire dès 1930. De 1935 à 1940, il chante au Palais-Garnier et à l’Opéra-Comique les plus grands rôles du répertoire : Faust, Roméo, Lohengrin, Werther ou don José. En 1940, il part aux États-Unis, où il est engagé au Metropolitan de New York. Il y assume quatorze rôles d’opéras français en dix saisons, et dès 1946 fait son retour à l’Opéra de Paris. Retiré à Montréal en 1957, il y fonde une école de chant. JOCHUM (Eugen), chef d’orchestre allemand (Babenhausen 1902 - Munich 1987). Il a fait ses études au conservatoire d’Augsbourg, puis à l’Akademie der Tonkunst de Munich avec H. von Waltershausen, E. Gatscher, L. Maier, H. Röhr, W. Ruoff et S. von Hausegger. Il fut chef de choeur à Munich, Mönchengladbach, Kiel, Mannheim. De 1930 à 1932, il fut directeur général de la musique à Duisbourg. Il dirigea ensuite l’Opéra et l’Orchestre philharmonique de Hambourg (19341949), l’Orchestre de la radio bavaroise (à partir de 1949) et le Concertgebouw d’Amsterdam (1961-1964). Il fit avec ces ensembles de nombreux enregistrements, ainsi qu’avec les orchestres symphoniques de Berlin, de Bamberg, et le London Symphony Orchestra. Il a également dirigé à Bayreuth. Spécialiste de la musique allemande, il contribua grandement à imposer l’oeuvre symphonique de Bruckner. Il est aussi réputé pour la gravité et la puissance qu’il sait conférer aux grandes oeuvres religieuses (Passions de Bach, Missa solemnis de Beethoven). JODLER. (prononcer yodleur). Chant populaire sans paroles, typique des régions montagneuses et particulièrement pratiqué en Suisse, au Tyrol et dans les Alpes bavaroises, d’où son nom germanique généralement traduit en français par « tyrolienne ». Le chanteur (plus rarement la chanteuse) qui « ioudle » ou « ioule » exécute sur des syllabes choisies pour leur sonorité des sauts dépassant parfois l’octave, en faisant alterner voix de poitrine et voix de tête. Plutôt qu’un mode d’expression artistique, c’est donc à l’origine une sorte downloadModeText.vue.download 521 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 515 de cri modulé, qui permet aux bergers de signaler leur présence à des distances considérables. Mais son caractère acrobatique et pittoresque, dépassant son rôle fonctionnel primitif, lui a donné droit de cité au concert et au théâtre. Offenbach, notamment, a introduit plus d’une « tyrolienne » dans ses opérettes. JOHANSEN (David Monrad) [ou MONRAD-JOHANSEN, David]. Compositeur norvégien (Vefsn 1888 - Sandvika 1974). Représentant de la tendance nationalromantique de l’après-Grieg, D. Monrad Johansen est avant tout un lyrique dont les premières oeuvres utilisent aussi bien les thèmes folkloriques que la poésie épique des anciennes sagas et du Moyen Âge norvégien. La ballade Draumkvaedet (1921), l’oratorio Voluspå (1923-1926) et le cycle de mélodies Nordlands Trompet développent un style lapidaire et vigoureux que l’on retrouve dans la Fantaisie symphonique (1936) où le compositeur affirme le langage de sa maturité avec une grande maîtrise. Mais le plus intéressant est la remarquable assimilation de ce style avec les harmonies et les idiomatismes de l’impressionnisme français. Né de cette synthèse, le poème symphonique Pan, écrit en 1939 pour la célébration du quatre-vingtième anniversaire de l’écrivain K. Hamsun, est l’oeuvre qui a valu au compositeur le plus grand succès ; l’orchestration très riche, l’écriture élaborée de l’ouvrage, contribuent à en faire un magnifique hommage au poète et à la nature norvégienne. Dans son ultime production, les Variations symphoniques (1944-1946), le Concerto pour piano (1952-1954) et le Quatuor à cordes (1969) sont les ouvrages les plus importants qui indiquent la volonté d’un retour vers les formes classiques. JOHNSON (Robert), luthiste et compositeur anglais ( ? 1583 environ - Londres 1633). Luthiste chez les King’s Musicians à partir de 1604, il est au service de Jacques Ier et de Charles Ier en 1625. Il est l’auteur de pièces instrumentales, mais c’est surtout sa musique de théâtre qui est demeurée célèbre. De 1607 à 1617, il collabore aux productions de la King’s Men Compagny of Players au Blackfriars, en composant musique de scène et chansons pour des pièces de Shakespeare (Macbeth, The Tempest, etc.), Middleton, Beaumont et Fletcher, entre autres, et des masques de Ben Jonson. Certaines de ses chansons sont très suggestives et il devient peu à peu très habile à traiter le rythme verbal. Il eut de nombreux imitateurs, dont Henry Lawes et T. A. Arne, et son oeuvre est très importante pour notre compréhension des représentations de l’époque, en particulier dans le cas de Shakespeare. JOLAS (Betsy), femme compositeur française (Paris, 1926). Fille de Marie Jolas, traductrice, et d’Eugène Jolas, poète et journaliste, éditeur de la revue littéraire Transition, elle s’établit aux États-Unis en 1940, où elle achève ses études classiques au lycée français de New York, puis au Bennington College, où elle obtient en 1946 le diplôme de Bachelor of Arts in Music. Elle commence ses études musicales en 1940 avec P. Boepple (harmonie et contrepoint), C. Weinrich (orgue) et Hélène Schnabel (piano). Simultanément, elle participe comme choriste, pianiste et organiste aux concerts des Dessoff Choirs de New York, dont l’expérience vocale lui fait découvrir Pérotin, Josquin, Lassus, Schutz et la musique de la Renaissance italienne ; ses oeuvres futures en porteront la marque. Revenue en France en 1946, elle entre au Conservatoire national, où elle est élève de D. Milhaud et O. Messiaen et où elle obtient le 2e prix de fugue (1953), la 1re mention d’analyse musicale (1954) et le 2e accessit de composition (1955). Elle reçoit aussi la 1re mention au concours international de direction d’orchestre de Besançon (1953), le prix de la fondation Copley de Chicago (1954) et, plus tard, le prix des auteurs et compositeurs de langue française attribué par l’O. R. T. F. (1961), le prix de l’American Academy of Arts and Letters (1973), le grand prix national de la musique (1974), le prix de la fondation Koussevitski (1974), etc. Dès ses débuts, sa personnalité s’impose aux spécialistes, surtout à partir du Quatuor II pour soprano coloratura et trio à cordes (1964), qui compte parmi ses plus grands succès de compositeur. En 1971, elle devient l’assistante de Messiaen à sa classe d’analyse. L’année suivante elle est nommée professeur d’analyse supérieure au Conservatoire national, puis en 1978, professeur de composition. Parmi ses oeuvres principales, on peut citer D’un opéra de voyage (1967) pour 22 instruments, Sonate à 12 (créée en 1971) pour 12 voix solistes a cappella, le Pavillon au bord de la rivière (1975), opéra chinois, Tales of a Summer Sea (1977) pour orchestre, Stances (1978) pour piano et orchestre, Liring Ballade (1980) pour baryton et orchestre sur un texte allemand d’Eugène Jolas, le Cyclope, opéra pour enfants d’après Euripide (créé à Avignon en 1986), Quatuor V (1995), l’opéra Schliemann (Lyon, 1995). Les oeuvres de Betsy Jolas témoignent d’une prédilection marquée pour la voix et pour le vocal à l’intérieur d’une texture proprement instrumentale, ainsi que d’une tendance explicite à une forme globale fermée, fondée sur une structure gestuelle préméditée. Ainsi, Quatuor II avec voix, mais sans texte (un peu comme les quatuors avec flûte ou hautbois au XVIIIe siècle), joue avec « un réseau de comparaisons, portant aussi bien sur le matériau que sur le mode d’évolution et variant insensiblement de l’opposition caractérisée vocale-instrumentale à l’identification absolue ». Dans D’un opéra de voyage (1967) pour 22 instruments, en revanche, la fonction vocale est assumée exclusivement par des instruments mélodiques (cor anglais et flûtes). Tous les instruments (l’ensemble instrumental est celui des Oiseaux exotiques de Messiaen) « se comportent comme des voix, chantent, rient, parlent ou déclament, crient, murmurent ou soupirent ». Particulièrement fascinée par la Sonate pour flûte, alto et harpe de Debussy, ainsi que par le premier Schönberg (par exemple, Erwartung), elle attache une très grande importance à l’expérimentation formelle, aux déroulements continus et aux techniques associatives d’agencement des matériaux à l’intérieur de l’oeuvre. Après avoir suivi de très près l’expérience de la technique sérielle, Betsy Jolas se détache immédiatement de tout système compositionnel universel particulièrement rigide au profit des solutions individuelles conformes à chaque projet concret d’oeuvre. Révélée par le Domaine musical (Quatuor II est écrit pour le Domaine musical), elle poursuit toujours sa recherche en dehors des groupes et des centres de recherche. Son travail de composition, mené dans plusieurs directions, évite pour l’instant la musique électronique considérée comme « un piège » de matériaux sonores séduisants qui « peuvent vous faire perdre votre lucidité ». En revanche, l’ordinateur peut devenir, selon elle, « assistant » utile, facilitant considérablement le travail du compositeur. JOLIVET (André), compositeur français (Paris 1905 - id. 1974). Fils et petit-fils de Parisiens, André Jolivet naît sur les pentes de la butte Montmartre. Son père est fonctionnaire à la Compagnie des autobus ; il aime la peinture et la pratique en amateur. Sa mère, excellente musicienne, chante et joue du piano. Avant de s’orienter définitivement vers la musique, l’enfant est d’abord attiré par tous les arts. En 1918, sa vocation se dessine : il écrit le texte et la musique d’une Romance barbare, son premier essai de composition. Mais il ne choisit pas encore. Bientôt il s’essaie à la peinture sous la direction du peintre cubiste Georges Valmier. Il étudie le violoncelle, mais se passionne aussi pour le théâtre. Tout cela, en marge des études universitaires qu’il poursuit afin d’entrer dans l’enseignement (où il exercera de 1928 à 1942). Loin de se disperser, le jeune homme acquiert ainsi les éléments d’une culture solide et originale, qui le prépare à son travail créateur. Il reste à apprendre le métier downloadModeText.vue.download 522 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 516 de compositeur. De 1921 à 1924, André Jolivet étudie l’harmonie sous la direction de l’abbé Théodas, maître de chapelle de Notre-Dame de Clignancourt. Entre 1927 et 1933, il complète sa formation auprès de Paul Le Flem et d’Edgar Varèse, qui lui enseignent, avec la plus grande rigueur, la pratique de l’écriture et de l’orchestration, le mettent en garde contre les facilités de l’improvisation, encouragent son audace, et favorisent son goût pour la décou- verte. André Jolivet ne suit pas la filière de l’enseignement traditionnel, mais il n’est pas, pour autant, un autodidacte ; il a des maîtres exigeants et travaille avec acharnement. Sa première oeuvre importante, achevée en 1934, est un Quatuor à cordes. Il y applique pour la première fois ses principes de composition atonale : page trop dense peut-être, d’une réelle audace pour l’époque. Suivent, en 1935 et 1936, une suite pour piano, Mana, et les 5 Incantations pour flûte seule. André Jolivet réalise, dans une écriture fondée sur les résonances naturelles et les rythmes irrationnels, son dessein de restituer à la musique « son sens originel antique, lorsqu’elle était l’expression magique et incantatoire de la religiosité des groupements humains ». Participant à la fondation du mouvement Jeune-France, aux côtés d’Yves Baudrier, de Daniel Lesur et d’Olivier Messiaen, André Jolivet inscrit au programme du premier concert donné par ce groupe, le 3 juin 1936, sa Danse incantatoire pour orchestre, 2 ondes Martenot et 6 percussions. En 1939, il compose Cinq Danses rituelles pour piano et orchestre. Mobilisé en 1940, il se retrouve, au moment de l’Armistice, dans un petit hameau de la Haute-Vienne, où il écrit les Trois Complaintes du soldat, qui seront créées par Pierre Bernac et Charles Munch, le 28 février 1943 à la Société des concerts du Conservatoire, où elles obtiendront un succès foudroyant et imposeront d’une manière définitive le nom de leur auteur. Serge Lifar lui commande un ballet, Guignol et Pandore, créé à l’Opéra de Paris le 29 avril 1944. Nommé, en 1945, directeur de la musique à la Comédie-Française, poste qu’il occupe jusqu’en 1959, André Jolivet écrit, en 1947, le Concerto pour ondes Martenot, qui est le premier d’une série d’oeuvres concertantes comprenant, entre autres, le Concerto pour piano, dont la création, à Strasbourg, par Lucette Descaves, le 19 juin 1951, a été particulièrement mouvementée, deux Concertos pour trompette (1948 et 1954), un Concerto pour percussion (1958), deux Concertos pour violoncelle (1962 et 1966), un Concerto pour violon (1972) et Songe à nouveau rêvé, concerto pour voix de soprano et orchestre, créé à Paris, le 30 avril 1971, par Colette Herzog. Dès 1948, la renommée du musicien dépasse nos frontières. Il effectue de nombreux voyages en Europe, en U. R. S. S., aux États-Unis, au Japon. Sa 2e Symphonie est créée, en 1959, à Berlin, sa 3e Symphonie, en 1964, à Mexico, son 2e Concerto pour violoncelle, en 1967, à Moscou, par Mstislav Rostropovitch. Nommé, en 1966, professeur de composition au Conservatoire de Paris, André Jolivet démissionne en 1970. Le théâtre national de l’Opéra lui commande un ouvrage lyrique. Le livret qu’il choisit est de Marcel Schneider, le titre : le Lieutenant perdu. André Jolivet n’aura pas le temps d’achever cet ouvrage. Il meurt d’une manière aussi inattendue que brutale, emporté par une violente attaque de grippe, le 20 décembre 1974. Pour André Jolivet, le problème de la communication était primordial. La raison d’être de la musique était, selon lui, d’établir des rapports, d’une part, entre le corps et l’âme, c’est-à-dire entre la matière sonore et l’esprit qui la soulève et qui l’anime ; d’autre part, entre le créateur et son public. Respectant l’instinct, répudiant la froide intelligence, il ne s’est pas fié pour autant au sentiment pur, mais a pensé logiquement son oeuvre et l’a méthodiquement conduite vers des champs de plus en plus larges. Il s’est d’abord affranchi du système tonal, non en adoptant les règles du dodécaphonisme, mais en utilisant les phénomènes naturels de la résonance, avec leurs harmoniques les plus éloignés. En même temps, il s’est attaché à retrouver le sens de la continuité mélodique, étayant la mélodie de points d’appui bien caractérisés. Son langage postule la liberté, mais revendique la clarté, et avant tout une matière sonore dynamique, un rôle essentiel étant confié à l’élément rythmique. Pour André Jolivet, le rythme ne repose pas seulement sur la répétition de formules métriques, il règle le débit du lyrisme, il est déterminé par les phases et les intensités du flux sonore. Un regard d’ensemble sur l’oeuvre d’André Jolivet permet d’y distinguer trois périodes. Entre 1935 et 1939, l’accent est mis sur les phénomènes incantatoires et sur un certain primitivisme, voulus comme une libération du langage et comme un retour aux sources. C’est la période de Mana (1935), des Incantations pour flûte (1936), des Cinq Danses rituelles (1939). La Seconde Guerre mondiale provoque chez le musicien une réflexion sur la nécessité d’être entendu de tous. Dans un langage assagi, plus clair, plus tendre, plus serein, des harmonies modales, des rythmes moins violents, une instrumentation plus traditionnelle créent un climat plus tempéré où l’auditeur peut aisément se retrouver. C’est la période de la Messe pour le jour de la paix et des Trois Complaintes du soldat (1940), de la Suite liturgique (1942), des Poèmes intimes (1944). Après la guerre, la synthèse de l’incantation et du lyrisme, de l’audace et de la clarté, de la liberté et de la tradition humaniste s’accomplit dans des oeuvres de grande envergure, sonates, symphonies, concertos. Le concerto, domaine privilégié pour André Jolivet, attise le feu de son inspiration parce que cette forme musicale est en soi un défi, un appel au dépassement des pouvoirs du créateur et de ses interprètes. S’il fallait citer trois oeuvres qui caractérisent le mieux l’art du musicien, on pourrait, sans se tromper, choisir le Concerto pour ondes Martenot, le Concerto pour piano et le concerto pour soprano intitulé Songe à nouveau rêvé. Au sens le plus noble du terme, la création d’André Jolivet est un combat, un corps à corps avec la matière sonore. Le jeu n’est jamais gratuit, le dernier mot n’est pas à la virtuosité, il est à l’émotion, au lyrisme, à un lyrisme d’essence cosmique qui aspire à faire de la musique « la vibration même du monde ». JOMMELLI (Niccolò), compositeur italien (Aversa 1714 - Naples 1774). Élève de Francesco Feo à Naples, il y débuta comme auteur d’opéra bouffe en 1737, et, trois ans plus tard, à Rome, donna son premier opera seria (Ricinero, re de’Gotti, d’après Zeno), qui révéla sa véritable voie. En 1741, il prenait contact à Bologne avec le grand pédagogue G. Martini, y fut élu « académicien », puis, grâce à l’appui de Adolf Hasse, se fixa à Venise, où il dirigea le conservatoire des Incurables. Dès 1747, il était en poste à Rome et l’écho de ses triomphes le fit appeler à la cour de Vienne, où il connut Métastase. Nommé maître de chapelle du duc de Wurtemberg, il se fixa à Stuttgart (1753-1769) : c’est là qu’il composa ses oeuvres maîtresses et eut de fréquents échanges avec l’opéra français ainsi qu’avec l’orchestre de Mannheim. De retour à Naples, il y retrouva, en 1770, le jeune Mozart qu’il avait déjà apprécié en 1763, mais il se heurta à l’incompréhension de ses compatriotes, peu disposés à accueillir son style nouveau. Il se tourna alors plus fréquemment vers la musique sacrée et fit exécuter son Miserere en 1774, peu avant sa disparition. Jommelli fut le premier compositeur italien qui sentit la nécessité de donner à l’opera seria une meilleure authenticité dramatique ; dès 1741, avec Semiramide, il osa confier la partie mélodique à l’orchestre, aux dépens du chant, audace qu’il développa dans Demofoonte (1743) et dans Achille a Siros (Vienne, 1749), faisant dialoguer la voix avec l’instrument soliste, selon la fonction psychologique des timbres instrumentaux. Ses contacts avec l’Allemagne et avec la France, l’influence de Hasse d’une part, celle de Rameau de l’autre développèrent encore chez lui, outre un intérêt grandissant pour le choeur et le ballet, son désir de donner à l’orchestre une part de plus en plus active, downloadModeText.vue.download 523 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 517 dans le récitatif, dans l’accompagnement ou la conclusion des airs, et même jusque dans l’inclusion d’intermèdes symphonique ; enfin, les structures vocales perdirent leur rigidité formelle, l’aria da capo faisant souvent place à la cavatine expressive, cependant que son écriture harmonique s’enrichissait, procédés dont Mozart sut faire son profit, et que l’on note dans l’Olympiade (1761), Vologeso (1766) et surtout dans Fetonte (version de 1768). Ayant cherché à appronfondir et non à réformer l’opéra seria, toujours selon l’éthique de Métastase (qui lui recommanda pourtant de ne pas négliger la voix au profit de l’accompagnement). Jommelli fut néanmoins le père de la réforme de l’opera seria, avant Algarotti, et longtemps avant Calzabigi et Gluck. Sa musique religieuse apparaît d’un style très nouveau, comme en témoigne son Requiem, écrit durant son séjour vénitien, annonciateur du style galant, et que Mozart connut sans doute. Outre les opéras déjà cités, mentionnons encore Ezio (1741), Didone abbandonata (1747, rév. 1749 et 1763), l’Ifigenia (1751) et Armide abbandonata (1770). Ses ouvertures d’opéra influencèrent les oeuvres instrumentales des musiciens de Mannheim. Le « crescendo orchestral » de Stamitz, écrivit Burney, fut « stimulé par les productions de Jommelli ». JONGEN, famille de compositeurs belges. Joseph (Liège 1873 - Sart-lez-Spa, près de Liège, 1953). Il étudia au conservatoire de Liège, y fut professeur auxiliaire d’harmonie et de contrepoint dès l’âge de dix-neuf ans (1892-1898), remporta le second prix de Rome en 1895 et le premier en 1897. Professeur de fugue au conservatoire de Bruxelles en 1920, il dirigea cet établissement de 1925 à 1939. Proche des idéaux de la Schola cantorum, dans la lignée directe de l’esthétique franckiste, il fut le plus important compositeur wallon de sa génération. On lui doit notamment une symphonie (1898-99), une symphonie concertante avec orgue principal (1926), des pages symphoniques comme Impressions d’Ardennes (1913), le poème symphonique Lalla-Roukh (1904), de la musique de chambre, la Messe pour choeurs, cuivres et orgue (1946). Léon, frère du précédent (Liège 1884 Bruxelles 1969). Également pianiste, il succéda à son frère Joseph comme directeur du conservatoire de Bruxelles (19391949). Ses voyages à travers le monde lui inspirèrent des pages d’un exotisme très coloré (Malaisie pour orchestre, 1935). Citons aussi l’opéra Thomas l’Agnelet (192223) et le ballet le Masque de la Mort rouge (1956). JONGLEUR. Dans la monodie profane du XIIe siècle, ce terme désignait celui qui n’était pas créateur (poète, compositeur ou poètecompositeur) comme le troubadour, mais simplement exécutant, et qui se déplaçait de lieu en lieu, de château en château, en s’efforçant de mettre ses talents au service de qui voulait bien le payer. On appelait ménestrel un jongleur ayant obtenu un emploi fixe, par exemple auprès d’un noble. Le plus célèbre de ces ménestrels fut Blondel, au service de Richard Coeurde-Lion. JORDAN (Armin), chef d’orchestre suisse (Lucerne 1932). Après des études universitaires à Fribourg (lettres, droit et théologie), il décide de se consacrer entièrement à la musique. Il étudie aux Conservatoires de Genève et de Lausanne, fonde à l’âge de dix-sept ans un petit orchestre à Fribourg et commence à diriger l’orchestre du Théâtre de Bienne-Soleure. Nommé à l’Opéra de Zurich, il est à partir de 1969 chef permanent de l’Opéra de Bâle, puis de 1973 à 1989 directeur musical de cette maison. En 1973, il prend la direction de l’Orchestre de chambre de Lausanne, formation avec laquelle il effectue plusieurs tournées dans le monde et enregistre de nombreux disques. Attaché aussi bien au répertoire lyrique, wagnérien en particulier, qu’au répertoire symphonique, il donne à l’Orchestre de chambre de Lausanne un niveau international et réalise la bande originale du film de Syberberg Parsifal. Nommé en 1985 directeur musical de l’orchestre de Suisse romande, il a été de 1986 à 1993 chef invité privilégié de l’Ensemble orchestral de Paris. JOSQUIN DES PRÉS, compositeur français (Picardie v. 1440 - Condé-sur-l’Escaut 1521). Trois grandes périodes (que reprend H. Osthoff à la suite d’Ambros pour tenter un classement de ses oeuvres) s’imposent : la jeunesse, soit la période milanaise (jusqu’en 1486) ; les séjours de Rome et Ferrare (1486-1505) ; le retour en France et dans les Pays-Bas (1505-1521). Ainsi se dégage l’importance des influences italiennes, qui, en se greffant sur une connaissance approfondie de l’art du contrepoint tel qu’il était pratiqué dans les pays du Nord, permit à Josquin Des Prés (ou plutôt Desprez) de dépasser les formes traditionnelles de son temps par un regard neuf sur les rapports du texte et de la musique. D’après le tableau de Claude Héméré (1633), il aurait été chantre à la collégiale de Saint-Quentin, mais les premières traces vérifiables de ses activités ne se situent qu’après son installation en Italie. Il fut « Giscantor » à la chapelle du Dôme de Milan (1459-1472), entra au service du duc Sforza (1474), puis du cardinal Ascanio Sforza, qui l’introduisit dans les milieux romains, appartint à la chapelle papale (1486-1494), avec toutefois quelques interruptions. On le signala alors à Milan, Paris, Plaisance, Modène (148788), Nancy (1493). En 1499, il quitta définitivement Rome pour Ferrare et entra dans la chapelle du duc Hercule Ier, qui le chargea de recruter des chanteurs à l’automne 1501 en Flandres. Glaréan nota son voyage à la cour de Louis XII avant son retour en 1503 à Ferrare, où il demeura jusqu’à la mort du duc (1505). Eut-il en- suite des démêlés avec la cour de France ? Toujours est-il qu’on le retrouva à SaintQuentin (1509), puis en 1515 à Condésur-l’Escaut, où il termina son existence comme doyen-prévôt. Les contemporains le regardaient déjà comme le plus grand maître de son temps, et, jusque vers 1600, ses oeuvres furent citées dans les écrits théoriques (cf. Glaréan, Spataro, Lampadius, Gaffurio, Castiglione, Luther, etc.) ; beaucoup servirent de modèles et furent transcrites, notamment pour luth. Elles se répandirent encore par la tradition manuscrite, mais l’imprimerie musicale leur assura bientôt une plus vaste diffusion ; Petrucci imprima 3 volumes de Messes (1502, 1505, 1514) ainsi que des fragments de messes (Fragmenta missarum) en 1505, tandis que ses chansons paraissaient à Anvers (Susato, 1545), Paris (Attaingnant, 1549 ; Le Roy et Ballard, 1555). Près de 20 messes, 5 credo, 2 sanctus, plus de 100 motets, plus de 70 chansons nous sont parvenus ; près de 150 oeuvres sont d’attribution discutable. Il n’y a pas à proprement parler un type de messe josquinienne, chacune ayant ses particularités. Dans la ligne de Dufay, Josquin construisit certaines messes sur un cantus firmus profane (les deux messes l’Homme armé), ou utilisa parfois le principe de la missa parodia (Malheur me bat, Fortuna desperata, Mater Patris). Les constructions en canon correspondaient à son goût pour les problèmes d’architecture et d’écriture (cf. notamment celle des ténors). Le principe d’imitation continue à toutes les voix s’affirmait comme une marque essentielle (messe Hercules Dux Ferrarie et messe Pange lingua, son chef-d’oeuvre) ; il est lié à la division du groupe vocal (soprano-ténor/alto-basse) et à un souci constant de mettre en valeur le sens figuratif émotionnel du texte par des figures types à valeurs symboliques. Utilisant aussi parfois le cantus firmus ou même l’isorythmie, appliquant le principe de l’imitation continue ou libre (pour les textes des psaumes), les motets peuvent être jugés supérieurs aux messes. En tout cas, ils deviennent chez lui la forme religieuse libre par excellence : Josquin s’y affranchit des contraintes de la messe, downloadModeText.vue.download 524 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 518 donne libre cours à son imagination créatrice et à sa virtuosité. Il ne craignit pas d’en écrire une quarantaine à cinq ou six voix, le reste étant, comme les messes, à quatre voix. Il y apparaît comme un maître incontesté du contrepoint, l’héritier d’Ockeghem, d’Obrecht et Busnois, mais tendu vers la recherche d’un équilibre (parole/musique, harmonie/polyphonie, mélodie/rythme), d’une alliance subtile entre l’émotion et le métier artisanal (cf. Ave Maria, Miserere, Stabat Mater). Son oeuvre profane comporte, outre des frottole, des chansons (sur des textes français, italiens, latins) à 3 voix (typiques du XVe siècle), mais aussi à 4 (Mille Regretz), et 25, dont 17 en forme de canon, à 5 et 6 voix (Baisiez-moi à 6 voix et triple canon ; Nymphes des bois, Déploration sur la mort d’Ockeghem à 5 voix). Toutefois, la puissance sonore n’étant pas recherchée pour elle-même, il est rare que le cadre de l’écriture dépasse quatre parties. Abandonnant pour ainsi dire le poème à forme libre et le respect du découpage par vers, la chanson, malgré son cadre étroit, profite comme le motet des procédés d’écriture de la messe, même si le genre ne semble pas avoir été le but privilégié des efforts du compositeur. Une page comme Mille Regretz peut être considérée comme l’exemple parfait de l’alliance du texte et de la musique, du dosage des voix, du sens du verticalisme. Dans ce domaine encore, Josquin fait figure de précurseur et de génie. Héritier de tout le XVe siècle, il pénétra de plainpied dans celui de la Renaissance. De sa gloire et de sa grandeur témoignent ces fameuses paroles de Luther : « Josquin est le maître des notes, elles se plient à ses ordres, tandis que les autres restent sous leur dictée. » JOTA. Danse populaire espagnole, d’origine aragonaise, à 3/4. Son nom a été longtemps attribué au poète Ben Jot, réfugié au XIIe siècle à Calatayud, mais elle ne remonterait pas au-delà du XVIIIe siècle et pourrait provenir de l’ancienne « canario «. D’un rythme sans ambiguïté, elle favorise des mélodies énergiques et joyeuses, parfois grotesques ou ironiques, sur lesquelles les couples dansent face à face et sur place, en changeant fréquemment de position. Son caractère varie suivant les régions (Valence, Murcie, Baléares, Canaries), mais elle est toujours un symbole de fermeté et de gloire. On la dansait naguère au moment des fêtes du Pilar et jusque dans les cérémonies funèbres (notamment pour les enfants qui vont con los ángeles). Presque tous les compositeurs espagnols (Granados, Albéniz, Falla et les zarzuelistes) ont écrit des jotas, ainsi que Glinka, Liszt, Chabrier et Laparra. JOURNET (Marcel), basse française (Grasse 1867 - Vittel 1933). Il chanta à la Monnaie à Bruxelles (18941900), au Metropolitan Opera de New York (1900-1908) et à l’Opéra de Paris (1908-1932). Sa voix puissante, enregistrée plusieurs fois dans de bonnes conditions, lui permit de chanter Scarpia dans la Tosca, Tonio dans Pagliacci, et divers rôles de Wagner, tels Hans Sachs, Wotan, Titurel et Gurnemanz. JOUVE (Pierre-Jean), écrivain français (Arras 1887 - Paris 1976). Influencé par les derniers symbolistes, rallié ensuite à l’unanimisme, il fit une place de plus en plus importante à l’inconscient dans son oeuvre et renia son attitude spirituelle précédente. La poésie devint pour lui acte de connaissance, le moyen par excellence, tout comme la musique et l’art, d’accéder à l’expérience profonde ou à l’indicible. Fasciné par la musique, dont il dit qu’elle fut « la passion » de sa vie, mais surtout par Mozart et par l’opéra, Jouve fut un spectateur assidu du festival de Salzbourg, dès 1921, avant d’être l’un des créateurs du festival d’Aix-en-Provence et d’y participer à la première représentation du Don Juan de Mozart (1949). Tandis que son oeuvre littéraire reflétait cette admiration, il se lança dans l’analyse musicale avec le Don Juan de Mozart (1942), puis, en collaboration avec Michel Fano, avec Wozzeck ou le Nouvel Opéra (1953). Dans ces deux ouvrages, la méthode d’interprétation fait intervenir à la fois l’analyse technique et des considérations sur la philosophie de l’oeuvre, tandis que la poésie se voit confier la tâche d’éclairer différemment la critique musicale. L’oeuvre de Pierre-Jean Jouve lui valut le grand prix national des lettres en 1962, puis, en 1966, le grand prix de poésie de l’Académie française. JOY (Geneviève), pianiste française (Bernaville 1919). Entrée en 1931 au Conservatoire de Paris, elle y fait des études très complètes et travaille le piano avec quatre professeurs, dont Yves Nat, son principal maître. En 1941, elle obtient son 1er Prix de piano et s’intéresse d’emblée à la musique de son temps (elle appartient dès l’âge de vingt-trois ans au comité de lecture de la Radiodiffusion). De 1944 à 1947, elle est chef de chant à l’Orchestre national. En 1945, elle commence à se produire en duo de piano avec J. Robin et épouse l’année suivante le compositeur Henri Dutilleux (dont elle crée peu après la Sonate pour piano). En 1952, elle fonde avec Jeanne Gautier et André Levy le Trio de France. Au long d’une carrière très active, elle consacre un part importante de son temps à l’enseignement, d’abord comme professeur de déchiffrage au Conservatoire de Paris (où elle est nommée en 1950) puis comme professeur de musique de chambre à l’École normale de musique de Paris (1962-1966) et au Conservatoire de Paris (1966-1986). Grande interprète du répertoire de piano du XXe siècle, elle a créé des oeuvres de Ohana, Dutilleux, Milhaud, Jolivet, Auric, Rivier, Constant, etc. JOYEUSE (Jean de), facteur d’orgues français ( ? 1638 - ? 1698). Il fut aussi organiste. Il travailla à Paris et dans la région parisienne, puis dans le sud-ouest de la France, où il implanta le style des maîtres classiques parisiens. Il est l’auteur de l’orgue de la cathédrale d’Auch (1688-1694), reconstruit depuis. JUBILUS. Mot latin désignant les vocalises développées ornant la syllabe terminale du mot alleluia dans les pièces de même nom de la messe chantée. Le nom de jubilus, qui en évoque le caractère « jubilatoire », a été commenté par saint Augustin dans un texte célèbre, Enarrationes super psalmos ( ! NEUME et ! PNEUMA). JUDENKÜNIG (Hans), luthiste allemand (Schwäbisch-Gmünd, v. 1445-1450 Vienne 1526). Installé à Vienne à partir de 1518 au moins, il est l’auteur de deux livres de luth (Utilis et compendiaria introductio... Vienne entre 1515 et 1519 ; Ain schone kunstliche Underweisung..., ibid. 1523). Ses transcriptions des Odes d’Horace mises en musique par P. Tritonius permettent de penser qu’il était en relation avec le milieu des humanistes. L’important traité qui accompagne le livre de 1523 évoque la technique de jeu et l’art de la mise en tablature des compositions vocales. JUILLIARD SCHOOL OF MUSIC. Établissement américain d’enseignement musical fondé à New York en 1905 par James Loeb et Frank Damrosch, sous le nom de Institute of Musical Art. D’abord installé sur la 5e Avenue, il fut transféré Claremont Avenue pour aboutir en 1969 au Lincoln Center. L’année précédente, il avait été rebaptisé Juilliard School en hommage au mécène Augustus Juilliard, qui finançait l’entreprise dès 1920. La Juilliard School of Music comprend actuellement plus de 200 classes, où sont enseignées toutes les disciplines non seulement musicales, mais théâtrales et chorégraphiques. Les installations permanentes du Lincoln Center ont considérablement facilité, à partir de 1962, l’extension des activités de la Juilliard School vers l’expression scénique, avec la possibilité de monter trois opéras par an, d’ouvrir des classes d’art dramatique et de colladownloadModeText.vue.download 525 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 519 borer avec la School of American Ballet de George Balanchine. Enfin, cette école américaine est devenue véritablement internationale après la Seconde Guerre mondiale, avec un pourcentage croissant de professeurs et d’élèves étrangers. La qualité de son enseignement, dispensé par des artistes illustres, en fait une pépinière de jeunes talents. JULLIEN (Gilles), organiste et compositeur français (Paris v. 1653 - Chartres 1703). Sa vie est très peu connue : on suppose qu’il a été à Paris l’élève de Lebègue, ou, plus sûrement, de Gigault ; après quoi, dès 1667, il fut nommé titulaire de l’orgue de la cathédrale de Chartres, fonction qu’il occupa jusqu’à sa mort. En 1690, parut son Livre d’orgue contenant les huit tons de l’église pour les fêtes solennelles. Celui-ci se compose de quatre-vingts pièces, dix par ton : préludes, fugues, duos, récits, basses, dialogues, pages manifestement influencées par celles de ses maîtres. Certaines sont écrites à cinq voix, genre dont Jullien croyait être l’inventeur, alors que Gigault et Raison avaient déjà écrit de la sorte. Héritier du style classique, Jullien annonce en bien des pages l’aspect décoratif de l’orgue du XVIIIe siècle. JUMIÈGES. Abbaye bénédictine de Normandie, entre Rouen et Honfleur, aujourd’hui en ruine. Elle fut célèbre au IXe siècle pour avoir été le berceau de l’invention des tropes, qui devaient proliférer à travers le Moyen Âge et donner naissance, par dérivation, aux plus importantes innovations tant de la littérature que de l’histoire musicale, y compris les trouveurs et le théâtre à travers le drame liturgique. Recueilli à SaintGall, en Suisse, après la fuite des moines devant l’invasion normande vers 850, et développé dans ce monastère par Notker dit le Bègue, le trope de Jumièges, qui était essentiellement un « trope d’adaptation » (adaptation de paroles nouvelles sur l’ancienne vocalise), s’y transforma en « trope de développement » et devint la séquence, dont plusieurs témoins, tous de « nouveau style », c’est-à-dire du XIe siècle au plus tôt, comme Victimae paschali laudes, Veni sancte Spiritus ou Dies irae, sont encore en usage. JUNKER (Carl Ludwig), théoricien et pédagogue allemand (Kirchberg an der Jagst 1748 - Ruppertshofen 1797). Partisan de l’Empfindsamkeit, il publia notamment, à Berne, en 1776, une brochure intitulée Zwanzig Componisten, eine Skizze (Esquisse sur vingt compositeurs) et critiquant violemment la musique « moderne » représentée par Haydn. JURINAC (Sena), soprano autrichienne d’origine yougoslave (Travink 1921). Elle débuta en 1942 à Zagreb dans le rôle de Mimi de la Bohème. Engagée à l’Opéra de Vienne dès 1945, elle y fit l’essentiel de sa carrière, tout en paraissant régulièrement dans les grands festivals internationaux, ainsi qu’à Paris, à Londres et à San Francisco. C’est une des plus remarquables cantatrices de l’après-guerre, tant par ses qualités purement vocales que par l’éclectisme de son tempérament. Pendant plus de trente ans, elle a triomphé dans Mozart (Elvire, puis Anna de Don Juan, la Comtesse des Noces de Figaro, Ilia d’Idoménée), Verdi (Élisabeth de Don Carlos, Desdémone d’Othello), Strauss (Octave du Chevalier à la rose et le compositeur d’Ariane à Naxos), Moussorgski (Marina de Boris Godounov), Puccini (Cio Cio San de Madame Butterfly) et Berg (Marie de Wozzeck). Avec les années, la voix de Sena Jurinac a pris ampleur et dramatisme sans rien perdre de ses qualités de timbre. JUSTESSE. Terme désignant la conformité du son émis par un instrument ou une voix avec l’échelle musicale qui sert de référence. Mais, du fait de l’imperfection de tout système physique, une justesse absolue, mathématiquement rigoureuse, n’est pas concevable ; par ailleurs, l’usage du tempérament égal dans la musique occidentale entraîne, dans l’accord même des instruments à sons fixes, des approximations par rapport à une échelle théorique exacte. La notion de justesse apparaît ainsi comme indissolublement liée à celle d’une marge de tolérance qui rend la note exécutée acceptable ou non par rapport à l’échelle de référence. Dans les instruments à sons fixes (piano, orgue), cette marge est aussi réduite que possible. Mais, dans tous les instruments dont l’exécutant peut faire varier tant soit peu la hauteur, que ce soit un instrument à vent (par modification de la pression d’air et du jeu des lèvres), un instrument à cordes (par déplacement du doigt et pression de l’archet), un instrument à percussion (selon l’intensité et la position du choc), ou, à plus forte raison, la voix humaine, cette marge de tolérance est plus ou moins grande. Cette variabilité est due à l’habileté de l’exécution et aux intentions de l’interprète : un mauvais violoniste jouera une note fausse parce qu’il n’aura pas été capable de la jouer juste, mais un bon vio- loniste peut s’écarter volontairement de la justesse optimale pour provoquer un effet expressif - par exemple, pour renforcer l’effet d’une altération, ou l’attraction de la note sensible vers la tonique. Ce sont les chanteurs qui peuvent le plus jouer sur cette marge de tolérance de la justesse, et les meilleurs d’entre eux ne s’en font pas faute. Une analyse au fréquencemètre révélerait aisément des écarts pouvant atteindre un quart de ton par rapport à la note théorique dans l’interprétation des artistes les plus justement renommés : c’est là une forme d’accentuation expressive, qui, dans ce cas, est perçue comme telle par l’auditeur, et non pas comme fausse note. En effet, notre système musical ayant le demi-ton comme plus petit intervalle, un quart de ton n’y peut être une note nouvelle, mais seulement un écart par rapport à la note exacte qui aurait dû être entendue. Dans ces conditions, la note exécutée n’est pas physiquement juste ; elle n’est pas pour autant perçue comme une autre note, n’existant pas dans notre échelle. De même, chez les très nombreux peuples qui usent d’une gamme par tons entiers (échelles pentatoniques anhémitoniques de l’Afrique noire, par exemple), gamme qui ignore le demi-ton, un écart d’intonation d’un demi-ton par rapport à la note théorique est mentalement ramené à la note qui aurait dû être exécutée dans l’échelle employée, et non comme une note nouvelle. Mais quelles que soient les libertés que peuvent prendre avec la justesse idéale les plus accomplis des exécutants - libertés dont ils savent d’ailleurs user avec goût et modération -, la recherche de la plus grande justesse d’exécution, d’intonation et d’audition demeure l’une des bases de tout apprentissage de la pratique musicale. downloadModeText.vue.download 526 sur 1085 K KABALEVSKI (Dimitri), compositeur soviétique (Saint-Pétersbourg 1904 - Moscou 1987). De famille très modeste, il fut attiré très tôt par la musique, mais n’entra qu’en 1925 au conservatoire de Moscou, où il reçut l’enseignement de Goldenweiser (piano), de Catoire et de Miaskovski (composition). Il fut lui-même professeur dans ce même conservatoire à partir de 1932. En 1931, déçu à la fois par l’Association russe des musiciens prolétariens, trop dogmatique, et par l’Association pour la musique contemporaine, trop moderne, il lança un appel pour un nouveau regroupement et proposa de cultiver, outre les chansons et la musique légère, les grandes formes de l’opéra et de la symphonie. Ses cinq opéras (Colas Breugnon, d’après R. Rolland, 1938, remanié en 1967 ; Au feu, 1942 ; la Famille de Tarass, 1947, remanié en 1950 ; Nikita Verchinine, 1955 ; les Soeurs, 1967) révèlent parfois l’influence de Moussorgski. Dans Nikita Verchinine, qui contient de nombreuses chansons paysannes et révolutionnaires, Kabalevski fait du peuple le principal protagoniste, comme l’ont fait Glinka et Moussorgski. Mais il n’a pas leur souffle, et semble plus à l’aise dans des oeuvres de moindre dimension. Son humour et sa verve éclatent, en revanche, dans la musique de scène pour les Comédiens d’Ostrovski (1933), devenue en 1940 suite pour orchestre. Dans ses quatre symphonies et sa Symphonie Requiem en mémoire de Lénine, Kabalevski prend Tchaïkovski pour modèle. Toutefois son lyrisme, sa spontanéité mélodique et la simplicité de son langage trouvent un terrain de prédilection dans les oeuvres destinées à la jeunesse : 30 Pièces pour les enfants (1938), les trois Concertos de jeunesse (c’est-à-dire sur et pour la jeunesse) pour violon (1948), violoncelle (1949) et piano (1952), ainsi que ses nombreuses chansons. En 1934, Kabalevski avait mis l’accent sur la dichotomie entre les titres soviétiques des compositions musicales et leur contenu non soviétique, et soulignait la nécessité de maintenir une base d’idéal à la créativité musicale. Pourtant les critiques antiformalistes de Jdanov en 1948 ne l’épargnèrent pas plus que Chostakovitch, Prokofiev ou Khatchaturian. Devenu plus conservateur avec l’âge, Kabalevski condamna le dodécaphonisme et dénonça, en accord avec Khrennikov, Khatchaturian et Chostakovitch, l’avantgarde du festival d’automne de Varsovie (1959). En 1963, il composa une oeuvre monumentale, le Requiem à la mémoire des victimes de la guerre, dans lequel, fidèle à ses principes, il introduisit un choeur d’enfants chantant les paroles Hommes de toute la terre, maudissez la guerre. La même année, il reçut le titre d’artiste du peuple de l’U. R. S. S. KABELAČ (Miloslav), compositeur tchèque (Prague 1908-id. 1979). Il entra au conservatoire de Prague dans les classes de K. Jirak (composition) et de P. Dedecek (direction d’orchestre), puis se perfectionna au piano dans la classe de virtuosité de V. Kurz (1931-1934). Il travailla comme régisseur à la radio de Prague à partir de 1932, et y fut remarqué comme chef d’orchestre de 1945 à 1954. De 1958 à 1962, il enseigna la composition au conservatoire de Prague. Sa production connue (une soixantaine d’ouvrages) s’impose en premier lieu par ses huit symphonies (1942-1970), qui utilisent des effectifs différents et résolvent avec force et simplicité les problèmes de forme et d’équilibre posés. Rythmicien digne de l’école de Boris Blacher, doté d’un souffle épique naturel et austère, Kabelač est certainement, sur le plan international, l’un des plus grands symphonistes de sa génération. Son nom n’a malheureusement éveillé l’intérêt de l’Occident que lors de la création par les Percussions de Strasbourg, à qui elles sont dédiées, de ses Huit Inventions (1965). Il a su assimiler les apports positifs des diverses écoles du XXe siècle, en particulier, de celle de Schönberg (dont les Variations pour orchestre op. 31 furent pour lui un exemple), et a utilisé tous les moyens à sa disposition dans un but profondément expressif, avec économie et efficacité. La tension dramatique de ses oeuvres, en particulier de ses huit symphonies, font d’elles de véritables opéras sans parole, évoluant d’un seul bloc. On trouve souvent dans les dernières des structures symétriques, directes et rétrogrades, d’essence dodécaphonique, mais s’articulant sur des choix aléatoires : ainsi, dans Reflets op. 49, suite de neuf miniatures pour orchestre de chambre, de dialogues entre Kabelač et son temps (1963-64). L’influence de Alois Hába est nette dans la 6e pièce, tandis que la tension modale de la 7e est un hommage à Bartók. À partir de 1963, il s’est intéressé à la musique électronique. Homme discret et strict, Kabelač disparut de la scène publique (et ses oeuvres avec lui) de 1968 à sa mort. Il reste l’une des personnalités les plus fortes et l’un des meilleurs exemples de l’art tchèque issu de Janáček et de A. Hába. KABUKI. Genre théâtral japonais dont la définition tient à peu près dans la signification de ses trois syllabes : chant-danse-personnage. Si ses origines se perdent dans la nuit des temps, on sait, par les oeuvres dramatiques écrites à son intention, qu’il a triomphé à downloadModeText.vue.download 527 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 521 partir du début du XVIIIe siècle, après avoir longtemps souffert de la concurrence du bunraku (« théâtre de marionnettes »). Son répertoire est aussi vaste qu’éclectique, allant de l’épopée légendaire à la farce grivoise, en passant par le drame historique, bourgeois ou naturaliste. Mais le kabuki est toujours caractérisé par l’alternance des dialogues parlés et du chant, avec de nombreux intermèdes chorégraphiques, par la présence d’un orchestre et d’un récitant invisible faisant office de choeur, par l’ampleur de la mise en scène et le luxe des costumes. La tradition veut que les femmes en soient exclues, de sorte que les rôles féminins sont tenus par des hommes travestis. À la différence du nô, dont le raffinement confine au dépouillement, le kabuki est une formule théâtrale à grand spectacle qui s’adresse essentiellement aux foules. KADOSA (Pál), pianiste, pédagogue et compositeur hongrois (Levice 1903 - Budapest 1983). De 1921 à 1927, il a été l’élève, à l’Académie Franz-Liszt de Budapest, de Kodály (composition) et d’Arnold Székely (piano). Depuis 1927, il est l’un des professeurs de piano les plus éminents de Hongrie, ayant enseigné successivement à l’école Fodor (1927-1943), Goldmark (1943-44), puis à l’Académie de musique de Budapest jusqu’à sa retraite. Il a eu comme élèves aussi bien des pianistes de la génération d’András Mihály que de celle de Zoltán Kocsis, Deszö Ranki ou Csilla Szabó. Personnage officiel de l’école hongroise depuis 1930, prix Kossuth 1950, il a composé une oeuvre vaste, qui touche autant au répertoire de son instrument qu’au domaine symphonique (10 symphonies) ou à la musique de chambre. Jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, son style est directement influencé par Kodály et le néoclassicisme d’Hindemith et de Stravinski. En 1948, le compositeur s’oriente vers la cantate, l’oeuvre chorale, simplifiant au maximum sa grammaire afin de livrer des oeuvres accessibles au plus grand nombre. Depuis 1953, il est revenu à des formes plus classiques, cultivant la symphonie comme le quatuor, le concerto comme la sonate. KAEGI (Werner), compositeur suisse (Usnach 1926). Élève de Paul Hindemith, il a écrit de nombreuses compositions instrumentales et électroacoustiques, où se retrouve son goût pour la spéculation formelle. Il est membre depuis 1971 du comité directeur de l’Institut de sonologie de l’université d’Utrecht, où il mène une recherche sur la synthèse sonore informatique, et a écrit plusieurs livres et articles sur la musique électronique et numérique. Dans sa production, on peut citer Éclipses (1964) pour bande magnétique, Entretiens solitaires (1968) pour récitant, 9 instrumentistes, bande et dispositif électroacoustique, Hydrophonie I (1969) pour bande, Kyoto (1970) pour ensemble instrumental et bande, Ritournelles pour soprano et ordinateur (1984-1986), etc. Il a également réalisé, avec André Zumbach, la musique électronique sonorisant le pavillon suisse de l’Exposition universelle d’Osaka (1970). Lauréat du 15e Concours international de Bourges (1987), il vit en Hollande et dans le sud de la France. KAGAN (Oleg), violoniste russe (Ioujna Sakhalinsk 1946 - Munich 1990). Il étudie dès 1953 au Conservatoire de Riga, et entre en 1959 à l’École centrale de Moscou, où il rencontre David Oïstrakh, dont il devient l’un des disciples. En 1965, il entre au Conservatoire de Moscou, et remporte en 1966 le second prix du Concours Tchaïkovski. Il est déjà reconnu comme soliste, et depuis 1969 joue souvent en duo avec Sviatoslav Richter. Il aime collaborer avec les grands compositeurs russes de son temps : il crée en 1984 le Concerto pour violon no 3 et la Sonate pour violon et orchestre d’Alfred Schnittke, et, avec sa femme, Natalia Gutman, le Concerto pour violon et violoncelle de Sofia Goubaïdoulina. KAGEL (Mauricio), compositeur argentin (Buenos Aires 1931). Il étudie en privé le piano, le violoncelle, l’orgue, le chant, la direction et la théorie (il sera l’élève d’Alberto Ginastera). Renonçant à entrer au conservatoire, il suit à l’université de Buenos Aires les cours de littérature et de philosophie. Sa première oeuvre, Palimpsestos (1950) pour choeur mixte a cappella, est suivie de Dos piezas para orquesta (1950-1952). Avec un quarteto mixto, il s’essaie à la technique dodécaphonique dont l’esprit, sinon la lettre, se manifeste dans toutes ses compositions ultérieures, tandis que sa Musica para la torre (1952) pour sons concrets et instrumentaux, avec « partition d’éclairage », manifeste l’intérêt qu’il commence à porter aux nouvelles sources sonores et à l’aspect visuel de l’exécution. Cependant, c’est le Sexteto de cuerdas (1953 ; rév., Cologne, 1957) que Kagel considère comme son véritable opus 1, et c’est avec lui qu’il fait ses débuts européens, le 7 septembre 1958, lors des cours d’été de Darmstadt. Lorsqu’il vient s’installer en Europe non pas en France, comme il l’aurait voulu, mais en Allemagne -, Kagel n’emporte avec lui que quelques partitions et la plupart de ses livres sur la conquête de l’Amérique. Non seulement dans Mare nostrum (1975), qui imagine la conquête du bassin méditerranéen par une tribu d’Amazonie, mais dans la plupart de ses oeuvres « européennes », il se fait, directement comme dans Exotica (1972), ou indirectement, le porte-parole d’une culture, d’une conception de la musique et de la vie étrangères à celles qui sont en honneur dans l’Occident chrétien bien-pensant et particulièrement en Allemagne, à Cologne, où il réside depuis 1957. Comme, à l’examiner sans parti pris, et surtout sans se laisser désorienter par l’inaltérable fantaisie qu’il introduit dans presque toutes ses oeuvres, l’art de Kagel procède en droite ligne de la première école de Vienne (Mozart, Haydn, Beethoven) et de la seconde (Schönberg, Berg et Webern), on peut dire qu’il se plaît à occuper dans la vie musicale contemporaine la place du Turc, étrange et exemplaire, dans le théâtre et les contes philosophiques du XVIIIe siècle. Préférant l’humour au pédantisme, la pro- vocation kagélienne n’est jamais gratuite et, si l’on sait traverser l’épreuve du rire ou de la curiosité anecdotique, elle débouche sur un véritable enseignement. Aussi la seconde écoute se révèle-t-elle presque toujours nécessaire pour passer outre les distractions visuelles que le compositeur se plaît à mettre en contrepoint de ses recherches d’écriture les plus austères. Mauricio Kagel a enseigné à Darmstadt (à partir de 1960), à Buffalo (1964-65), et, depuis 1969, il dirige l’Institut pour la nouvelle musique à Cologne et le Kölner Kurse für Neue Musik, qui a lieu chaque année sur un sujet précis : musique et image, instruments pour enfants, musique politique, etc. Outre des oeuvres radiophoniques, le catalogue de Kagel compte près de quatrevingts titres, dont la plupart comporte une dimension visuelle. Staatstheater (1970), Die Eschöpfung der Welt (1978) et Aus Deutschland (1981) occupent une soirée entière. Exception faite de Hétérophonie (1959-1961) et de Variationen ohne Fugue (1971-72) pour orchestre, il s’agit presque toujours d’oeuvres de musique de chambre utilisant soit les instruments traditionnels : Sonnant (1960), Quatuor à cordes (1965-1967), en mettant l’accent, comme Atem (1970), sur les rapports du musicien et de son instrument ; soit une lutherie expérimentale : Acustica (19681970), Zwei Mann Orchester (1971-1973), ou mêlant l’un et l’autre. Lorsqu’il écrit pour un ensemble vocal : Hallelujah (1967-68), Ensemble (1970), Debut (1970), Kagel traite chaque chanteur comme un soliste, d’où il résulte, ici, comme ailleurs, une très grande difficulté d’exécution dont l’auditeur n’a cependant aucune idée s’il n’a pas vu la précision inouïe et parfois perverse avec laquelle le compositeur stipule ses exigences. Parmi ses oeuvres importantes, il faut encore citer Bestiarium (1974-75), Exposition (1978), Kantrimiusik (1973-1975), 1898 (1972-73), Ludwig Van (1969), Quatre Degrés (1977), Mitternachtstük, sur des textes du journal de R. downloadModeText.vue.download 528 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 522 Schumann (1981), Prince Igor, Stravinsky (Venise, 1982), Rrrrrr... (Donaueschingen, 1982), Après une lecture d’Orwell (1983), Passion selon saint Bach (1985), Ein Brief, scène de concert pour mezzo-soprano et orchestre (1986), Liturgien pour soli, choeurs et orchestre (1990), les Pièces de la rose des vents pour orchestre de salon (1988-1995). KAIPAINEN (Jouni), compositeur finlandais (Helsinki 1956). Élève de Sallinen (1973-1976) et de Heininen (1976-1982) à l’Académie Sibelius, il a fait partie dans les années 1970 du groupe de réflexion « Oreilles ouvertes », et s’est rapidement orienté vers un postsérialisme « libre ». De 1980 datent les Cinq Poèmes de René Char opus 12a pour soprano et orchestre. Dans les années 1980, il se concentra largement sur la musique de chambre, avec notamment le Quatuor à cordes no 3 opus 25 (1984) et le Trio III opus 29 pour piano, violon et violoncelle (1987), ouvrages marqués par de violents contrastes expressifs. Plus récemment, il s’est orienté également vers les grandes architectures « symphoniques », avec notamment la Symphonie no 1 opus 20 (1980-1985), en un seul mouvement, le remarquable Concerto pour clarinette « Carpe diem ! » opus 38 (1990), la Symphonie no 2 opus 44 (1994), moins âpre que la précédente, le Concerto pour hautbois opus 46 (1994) et le Rêve de Sisyphe opus 47 (1994). Le Quatuor à cordes no 4 (1994) résulte d’une commande du Festival de Kuhmo et Accende lumen sensibus opus 52 (1995) d’une commande du Tapiola Sinfonietta pour la Biennale de Tampere. KAJANUS (Robert), chef d’orchestre et compositeur finlandais (Helsinki 1856 id. 1933). Élève de R. Faltin et de A. Leander à Helsinki, de Richter et de K. Reinecke à Leipzig (1877-78), puis de J. Svendsen à Paris (1879-80), il créa dès son retour à Helsinki la Société orchestrale (1882), appelée à devenir plus tard l’Orchestre d’Helsinki. Une brillante carrière internationale de chef d’orchestre éclipsa l’oeuvre du compositeur, à l’ombre de son ami Jean Sibelius. Sa Mort de Kullervo, écrite en 1881, anticipe d’ailleurs sur la mise en musique des légendes du Kalevala de son illustre cadet. En 1882 et 1889, il écrivit ses deux Rhapsodies finnoises, en 1885 Aino, poème symphonique, et en 1916 sa dernière oeuvre remarquable, une Sinfonietta. Son principal mérite reste d’avoir été le plus ardent défenseur de l’oeuvre de Sibelius, qui le désigna quand, dans les années 30, la Columbia lui demanda de choisir un chef d’orchestre susceptible d’enregistrer son oeuvre symphonique. Kajanus, réputé pour la force de son caractère et son sens de l’organisation, ouvrit la voie à une brillante école de direction d’orchestre finnoise. KÁJONI (János), humaniste et musicien hongrois (Jegenýe, Transylvanie, 1627 Estenic 1698). Entré dans l’ordre des Franciscains (1648), il fut ordonné prêtre en 1655. Il fut successivement prieur de plusieurs couvents du Comitat Csik en Transylvanie, vicaire général (1676), puis pater custodiae de son ordre (1686). À la fois organiste, organier, professeur, historien, botaniste, il créa, en 1676, une imprimerie musicale à Csiksomlyó. Il réunit des cantiques religieux (Cantionale catholicum), des recueils en tablature d’orgue (Organo missale, 1667 ; Sacri contentus, 1669), et le codex qui porte son nom (Codex Kájoni, 1634-1671), dû à trois auteurs différents. Ce dernier présente, à côté de danses et d’adaptations de chants à caractère populaire, des pièces religieuses venant d’Italie et d’Allemagne, ainsi que des suites françaises. Kájoni a laissé de nombreuses litanies qui ne doivent plus rien à Schütz ni à Viadana. Il a ainsi permis le passage des históriás énekek (« chants historiques ») aux premiers essais de musique religieuse savante, d’essence spécifiquement hongroise. KALABIS (Viktor), compositeur tchèque (Červený Kostelec 1923). Il étudie la composition dans la classe de E. Hlobil (1945-1948), au conservatoire, puis de J. Řídký à l’Académie de musique et d’art dramatique de Prague (1949-1952). Il travaille comme metteur en ondes et réalisateur à la radio tchécoslovaque depuis 1953. Profondément influencé par Stravinski, Prokofiev, Honegger, Hindemith à ses débuts, Kalabis a su s’imprégner du message bartokien sans en devenir un épigone. Connu à l’étranger dès les années 1955-1960, tout comme Feld, il offre une démarche proche de celle du Polonais Lutoslawski par ses premières oeuvres de piano et d’orchestre : Sonates pour piano (1947-48), Ouverture op. 5 (1950). En revanche, il s’en sépare dans la progression symphonique de son oeuvre, qui va de la 1re Symphonie op. 14 (1957), proche de Prokofiev (6e Symphonie op. 111), à la 4e Symphonie op. 34 (1973), où le compositeur rejoint Kabelač et le meilleur Honegger. Pour arriver à cette puissance expressive, dépouillée, dense, au lyrisme inné, Kalabis s’est rapproché des recherches modales de Bartók dans ses Variations symphoniques op. 24 (1964) et son Concerto pour orchestre op. 25 (1966), tandis que la tentation dodécaphonique se fait évidente dans Accents op. 26, études pour piano, et Musique pour cordes op. 21 (1963). Cet itinéraire artistique fait de lui l’un des grands musiciens tchèques de sa génération. KALEVALA (litt. : « pays des Héros »). Épopée nationale finlandaise, publiée par le médecin de campagne Elias Lönnrot (1802-1884) - à partir de matériaux qu’il avait commencé à rassembler en 1828 -, d’abord en 1835 (« Ancien Kalevala »), puis en 1849 (« version définitive » en 50 poèmes, totalisant 22 795 vers). Combinaison d’épopées anciennes et de poésie lyrique populaire, avec en outre des incantations et des tournures proverbiales ainsi que (pour environ 3 % du total) des ajouts et variations rédigés par Lönnrot lui-même dans un souci de clarté, le Kalevala comporte comme héros principaux le vieux et sage Väinämoinen, chanteur de runes et chef de tribu ; son frère le forgeron Ilmarinen, aux pouvoirs surnaturels ; le jeune Joukahainen, défait par Väinämoinen dans un concours de chant magique ; l’inconstant Lemminkainen, sorte de don Juan nordique, séducteur de la belle Kyllikki ; Kullervo, dont le destin tragique rappelle celui d’OEdipe ; la belle Aino, qui pour échapper au désir de Vänämoinen se jette dans un lac profond ; la magicienne Louhi, qui règne sur Pohjola (le « pays du Nord ») et y détient le Sampo, objet mal défini mais très bénéfique ; la mère de Lemminkainen, qui parvient à redonner vie à son fils tué sur les rives du fleuve entourant Tuonela (l’Enfer) ; et Luonnotar (ou Ilmatar), fille de l’air, créatrice de la terre, du ciel et des étoiles et qui donne également naissance à Väinämoinen. À la fin du XIXe siècle, le Kalevala prit pour les artistes finlandais avec à leur tête Sibelius et son contemporain exact le peintre Akseli Gallen-Kallela (1865-1931) - une importance primordiale. Ils s’en inspirèrent largement dans leurs oeuvres, démarche suivie jusqu’à aujourd’hui par nombre de leurs successeurs, en particulier en musique. KALIVODA (Jan Křtitel), violoniste et compositeur tchèque (Prague 1801 Karlsruhe 1866). Il apprit le violon avec Bedrich Vilem Pixis, puis fit partie de l’orchestre du Théâtre de Prague dirigé par C. M. von Weber. En 1821, il partit en tournée de concerts en Allemagne, Suisse, Hollande. À son retour, il fut nommé maître de chapelle du prince Charles Egon II de Fürstenberg à Donaueschingen. Il fit jouer les opéras de Mozart, Cherubini, Rossini et invita des solistes tels que Liszt, Clara Wieck, Schumann, Thallberg. Il a laissé près de 300 oeuvres, caractérisées par leur fraîcheur mélodique et leur rythme naturel ; on doit éliminer ses opéras qui correspondent à la mode d’époque, choisir parmi ses 6 Symphonies et ses oeuvres orchestrales et instrumentales, dont la downloadModeText.vue.download 529 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 523 Fantasie über böhmische Lieder op. 193, et considérer comme essentiels ses 3 Duos pour violon op. 181, parus chez Senart à Paris et toujours réédités depuis. Son fils Wilhelm, pianiste, chef d’orchestre et compositeur allemand (Donaueschingen 1827 - Karlsruhe 1893), fit carrière à la tête de l’orchestre de Karlsruhe (1853-1875). Il a laissé des lieder et des pièces pour piano. KALKBRENNER (Frédéric ou Friedrich Wilhelm), pianiste, pédagogue et compositeur français d’origine allemande (entre Kassel et Berlin 1785 Enghien-lesBains 1849). Élève de L. Adam et de S. Catel au Conservatoire de Paris (1799-1801), puis de Haydn à Vienne (1803-1804), où il rencontra Clementi, il retourna ensuite à Paris, puis vécut en Angleterre de 1814 à 1823. C’est là qu’en 1823 commença sa véritable carrière de pianiste. À son retour à Paris, il entra dans la fabrique de pianos de Pleyel et poursuivit une brillante carrière d’interprète jusqu’en 1835, donnant notamment des conseils à Chopin. Comme pédagogue, il eut une influence durable. On lui doit notamment 4 concertos et 13 sonates pour son instrument. KALLSTENIUS (Edvin), compositeur suédois (Filipstadt 1881 - Danderyd 1967). Après ses études qu’il poursuivit à Leipzig (1904-1907), il devint critique musical, travailla à la radio et écrivit une oeuvre remarquable par son radicalisme de langage dès les années 20. Il a laissé 5 symphonies (no 4 Sinfonia a fresco, 1953-54 ; no 5 Sinfonia ordinaria ma su temi 12-tonici, 1960), 4 sinfoniettas, de la musique de chambre (8 quatuors à cordes, 4 sonates) et de la musique vocale. KÁLMÁN (Imre), compositeur hongrois (Siofok 1882 - Paris 1953). Il fit des études de droit, apprit le piano et la composition, en même temps que Bartók et Kodály. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il se fixa à Vienne, puis à Paris. Il fut, aux côtés de Franz Lehár, le plus grand compositeur d’opérettes viennoises. OEUVRES PRINCIPALES. Ein Herbstmanöver (1909) ; Der Zigeunerprimas (1912) ; Czardasfürstin (1915) ; Die Faschingsfee (1917) ; Das Hollandweibchen (1920) ; Die Bajadere (1921) ; Gräfin Mariza ( 1924) ; Die Zirkusprincessin (1926) ; Die Herzogin von Chicago (1928) ; Das Veilchen von Montmartre (1930) ; Arizona Lady (1954). KAMANTCHEH. Instrument à archet, spécifiquement iranien, à caisse cylindrique fermée d’une membrane du côté du manche. Le kamantcheh est monté de quatre cordes de boyau. KAMIENSKI (Maciej), compositeur et chef d’orchestre polonais d’origine slovaque ( ?, Slovaquie, 1734 - Varsovie 1821). Il fit ses études musicales à Vienne (1760), puis se fixa à Varsovie (1770) pour y exercer des activités d’enseignant et de chef d’orchestre. Il est considéré comme l’auteur des premières oeuvres lyriques originales polonaises, où apparaissent des thèmes rustiques, des scènes paysannes et où sont évoqués les problèmes sociaux des paysans. Ses opéras et vaudevilles furent très favorablement accueillis par le public : Nezda uszczesliwiona (« la Misère soulagée », 1778), sur un livret de Boguslawki adapté d’une comédie de Bohomolec, Zoska czyli wiejskie zaloty (« Sophie ou les Coquetteries paysannes », 1779), oeuvre perdue. Kamienski écrivit également une cantate dramatique pour solistes, choeur et orchestre, à l’occasion de l’inauguration de la statue du roi Jean III Sobieski (1788). KAMU (Okko), chef d’orchestre et violoniste finlandais (Helsinki 1946). De 1952 à 1967, il étudie le violon avec Onni Sukonen à l’Académie Sibelius d’Helsinki. Dès 1964, il est premier violon du Quatuor Sukonen, et en 1965 chef d’attaque des seconds violons à la Philharmonie d’Helsinki. Entre 1966 et 1968, il est premier violon de l’Opéra national finlandais, et se tourne progressivement vers la direction d’orchestre. Troisième chef dans le même théâtre de 1967 à 1969, il remporte, en 1969, le Concours Karajan et est, de 1971 à 1977, à la tête de l’Orchestre symphonique de la radio finlandaise. De 1976 à 1979, il dirige la Philharmonie d’Oslo, et de 1981 à 1988 celle d’Helsinki. Depuis 1989, il est chef permanent de l’Orchestre symphonique de Sjaelland à Copenhague. KANCHELI (Giya), compositeur géorgien (Tbilissi 1935). Il a fait ses études à l’université, puis au Conservatoire de Tbilissi, où il a enseigné la composition et l’orchestration à partir de 1970. Il vit depuis 1991 à Berlin. Même s’il déclare ne plus vouloir écrire de symphonies, Kancheli est avant tout l’auteur de sept symphonies dans lesquelles il développe un style à la fois simple et d’une ample respiration. Il s’intéresse à la structure de la musique populaire géorgienne, dont il reprend les principes les plus généraux : répétition plutôt que développement, juxtaposition additionnelle de surfaces. Il parvient ainsi à créer une sorte de stasis sonore (Deuxième Symphonie « Chants », 1970) retrouvant les origines byzantines de la tradition mélodique slave (Quatrième Symphonie « In Memoriam Michel Ange », 1975). Il a développé par la suite un style proche de la « nouvelle simplicité » (Exil pour soprano, ensemble instrumental et synthétiseur), d’aspect liturgique (le cycle des Prayers), où il juxtapose des structures quasi répétitives dans une atmosphère irréelle, à la fois statique et intense (Abii ne viderem pour alto et orchestre). Il a composé en outre beaucoup de musique de scène et un opéra intitulé Musique pour les vivants (1984). KANT (pl. kanty ; du lat. cantus). Forme de musique vocale apparue en Ukraine et en Russie dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Ayant pris source en Pologne, les kanty étaient à l’origine des chants religieux paraliturgiques, mêlant les influences du chant populaire polonais et du choral allemand. Vers la fin du XVIIe siècle et surtout à partir du début du XVIIIe, leur rôle s’élargit considérablement. Sous le règne de Pierre le Grand, tout en gardant un fond religieux, les kanty devinrent des chants panégyriques et patriotiques, célébrant notamment les victoires militaires. Vassili Titov, Nikolaï Bavykine en écrivirent un grand nombre. Les mélodies des kanty patriotiques imitaient souvent les sonneries de trompettes. L’effectif vocal était généralement de trois : deux voix mélodiques et une voix de basse harmonique. Leur exécution, lors des festivités, était fréquemment accompagnée de sons de cloches et de salves de canons. Vers le milieu et la fin du XVIIIe siècle, les kanty devinrent un genre profane et furent à l’origine d’un répertoire de folklore urbain alimenté par la poésie sentimentaliste. KANTELE. Instrument de musique à cordes pincées de la famille des psaltérions, cithares et cymbalums, composé d’une caisse de résonance triangulaire en bois sur laquelle étaient tendues à l’origine cinq cordes de crin de cheval ou de cheveu, accordées en pentacorde à tierce mouvante (majeure- mineure). Perfectionné, il devint de plus en plus gros, comporta un nombre croissant de cordes et disparut pratiquement au cours du XIXe siècle pour reparaître au XXe siècle sous une double forme : originale, à 5 ou 8 cordes, et moderne, avec l’adaptation du système d’accord de la harpe celtique et de 12 à 46 cordes. Instrument national finlandais, il existe surtout en Carélie, mais aussi en Estonie (kannel), dans le nord-ouest de la Russie (gusli), en Lituanie (kankles) et en Lettonie (kuokles ou kokle). Son répertoire le destinait surtout à l’accompagnement des récits chantés tirés des vieux textes lyriques du Kanteletar et épiques du Kalevala (par les chamanesdownloadModeText.vue.download 530 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 524 poètes, les runonlaulajat) et, plus tard, à l’accompagnement de la danse. KANTOREI (all. : « chantrerie »). Mot désignant aux XVIe et XVIIe siècles une maîtrise ou le choeur appartenant à une église ou à une cour royale ou princière. KANTOROW (Jean-Jacques), violoniste et chef d’orchestre français (Cannes 1945). Il commence ses études de violon au Conservatoire de Nice et les poursuit au Conservatoire de Paris où il obtient un 1er Prix en 1960. Entre 1962 et 1968, il remporte une dizaine de prix internationaux dont le 1er Prix Carl Flesh à Londres, le 1er Prix Paganini à Gênes et le 1er Prix du Concours international de Genève. En 1970, il obtient une bourse de la Fondation Sacha Schneider. La même année, il fonde un trio avec Jacques Rouvier et Philippe Müller. Il est rapidement invité à se produire sur les grandes scènes du monde. Après une trentaine d’années consacrées au violon solo et à la musique de chambre, il se tourne vers la direction d’orchestre. De 1985 à 1994, il est à la tête de l’Orchestre régional d’Auvergne, et, à partir de 1993, de celui d’Espoo, en Finlande. En 1994, il est nommé directeur musical de l’Ensemble orchestral de Paris. KAPELL (William), pianiste américain (New York 1922 - San Francisco 1953). D’ascendance russo-polonaise, il étudie le piano au Conservatoire de Philadelphie et à la Juilliard School de New York avec Olga Samaroff-Stokowski. En 1941, il fait ses débuts à New York, suivis d’une tournée mondiale en 1942. Il s’intéresse particulièrement à la musique du XXe siècle : ses interprétations de Prokofiev et de Stravinski, du Premier Concerto de Chostakovitch et du Concerto de Khatchaturian sont demeurées célèbres. Mais il excelle aussi dans Bach, Schubert et Chopin, et enregistre la 3e Sonate pour violon et piano de Brahms avec Heifetz. Lorsqu’il disparaît dans un accident d’avion, l’Amérique pleure en lui le premier enfant du pays à être devenu un très grand virtuose. KAPR (Jan), compositeur tchèque (Prague 1914 - id. 1988). Il a fait ses études dans la classe de J. Rídký, puis de Křička au conservatoire de Prague (1933-1938). Il a été successivement metteur en ondes à la radio de Prague (1939-1946), rédacteur aux éditions Orbis (1950-1952), avant de devenir professeur de composition à l’académie Janáček de Brno (1961). Jusqu’en 1966, il a composé 6 Symphonies, 6 Quatuors à cordes, 2 Concertos pour piano (1938, 1953), 1 Fantaisie pour alto (1937, 1942), de nombreuses chansons, choeurs, cantates. C’est avec le Concertino pour alto et harmonie (1965), les Dialogues pour flûte et harpe (1965), puis Exercice pour Gydli pour soprano, flûte et harpe (1968) qu’il a abandonné les grandes formes traditionnelles, au profit d’études de timbre, de la voix, largement sous l’influence de Kopelent et Vostřák, ses cadets. KAPRAL, famille de musiciens tchèques. Václav, pianiste et compositeur (Určice 1889 - Brno 1947). Élève de Janáček et d’Alfred Cortot (1923-24), il donna des concerts en Espagne, France, Angleterre et U.R.S.S., puis fut nommé, en 1936, professeur de composition au conservatoire de Brno. Il a essentiellement composé de la musique de chambre, tout d’abord influencée par Brahms et Schumann, puis par Debussy et Martinºu. Vítězslava Kaprálová, femme com- positeur, fille du précédent (Brno 1915 Montpellier 1940). Elle composa dès l’âge de neuf ans et étudia la composition avec V. Novák et la direction d’orchestre avec V. Talich. Elle vint à Paris en 1937 auprès de B. Martinºu et de C. Munch. Malgré sa courte carrière, elle a laissé une oeuvre significative, d’abord influencée par les derniers romantiques, puis par Roussel et Martinºu (Partita pour piano et cordes op. 20, 1939). KAPSBERGER (Johannes Hieronymus, dit Giovanni Geronimo Tedesco Della Tiorba), compositeur et instrumentiste allemand (Venise v. 1580 - Rome 1651). Il vécut à Venise jusque vers 1605, puis se rendit à Rome, où il acquit la célébrité, comme virtuose des instruments de la famille du luth. On l’appelait « nobile alemanno », et Kircher fit son éloge dans sa Misurgia. L’essentiel de son oeuvre est constitué de deux livres de tablatures de luth (1611, 1623), de deux livres d’arie passegiate avec continuo et tablature de chitarrone (1612, 1623) et de deux livres de Poemata et Carmina dédiés au pape Urbain VIII, devant lequel il se produisit. Il joua un rôle important dans l’évolution du répertoire et de la technique du théorbe. Il est également l’auteur de six livres de villanelles (entre 1610 et 1632) et d’un livre de madrigaux à 5 voix avec basse continue. KARAJAN (Herbert von), chef d’orchestre autrichien (Salzbourg 1908 - id. 1989). Des débuts précoces de pianiste précèdent ses premières études au Mozarteum de Salzbourg, puis à Vienne, à la fois à l’université (philosophie) et au conservatoire, avec F. Schalk. À Ulm, où il fait d’éclatants débuts en dirigeant les Noces de Figaro (1927), il est engagé comme directeur de la musique (1927-1934). Il donne des cours à l’Académie d’été du Mozarteum. En 1934, il devient directeur général de la musique à Aix-la-Chapelle. De 1937 à la fin de la guerre, l’essentiel de son activité se fait à Berlin : premiers contacts avec la Philharmonie, premiers ouvrages au Staatsoper (la Flûte enchantée, les Maîtres chanteurs, Fidelio, Tristan et Iseut) où il succède à Furtwängler en 1941. Il dirige la Messe en si et Tristan dans Paris occupé. En 1946, de retour à Vienne, il fait ses premières armes avec l’Orchestre philharmonique et dirige les concerts de la Gesellschaft der Musikfreunde. Dès lors, de 1948 à 1950, la carrière d’Herbert von Karajan prend une nouvelle dimension : débuts aux festivals de Salzbourg et de Lucerne, à la Scala de Milan, tournées et enregistrements avec la Philharmonie de Vienne et le Philharmonia Orchestra de Londres. C’est lui qui dirige, avec H. Knappertsbusch, la Tétralogie pour la réouverture du festival de Bayreuth en 1951. Il succède à Furtwängler à la tête de la Philharmonie de Berlin, dont il devient chef à vie en 1955. Il est également directeur artistique de l’Opéra d’État de Vienne (1956-1964) et du festival de Salzbourg (1956-1960). Brouillé depuis 1952 avec le festival de Bayreuth animé par Wieland Wagner, il crée, en 1967, le festival de Pâques de Salzbourg, entièrement consacré à Wagner. Enfin, avec la réalisation de la Fondation Karajan en 1968 à Berlin (qui comprend un concours de chefs d’orchestre, une académie de musiciens d’orchestre et un institut de recherches sur la psychologie musicale), il parachève un prodigieux empire entièrement voué à une conception globale et perfectionniste de la musique. Profondément ancré dans la tradition, Karajan s’est forgé les armes de son art : l’Orchestre philharmonique de Berlin, dont il a magnifié la sonorité, une nouvelle génération de chanteurs musiciens avant tout (les découvertes abondent de Schwarzkopf à Behrens) et Salzbourg agrandi aux dimensions de ses conceptions scéniques. Cet organisateur-né, champion incontesté du disque (près de 500 enregistrements en quarante-cinq ans), a compris le premier l’importance des nouvelles techniques audiovisuelles qu’il a utilisées abondamment comme prolongement de ses réalisations. Cette précision dans le détail se retrouve dans un art de plus en plus maîtrisé, où la sensualité du son et l’ardeur dramatique se sont peu à peu décantées pour mieux épouser la ligne idéale et fervente de chaque oeuvre. Son successeur à Berlin est Claudio Abbado. KAREL (Rudolf), compositeur et chef d’orchestre tchèque (Plzeň [Pilsen] downloadModeText.vue.download 531 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 525 1880 - camp de concentration de Theresienstadt 1945). Il fit ses études universitaires à Prague, puis entra au conservatoire, où il travailla dans les classes de K. Knittl, Stecker, Hoffmeister, puis étudia la composition et l’orchestration avec Dvořák. Il fut surpris par la guerre de 1914-1918 alors qu’il était en Russie. Il y demeura jusqu’en 1923, en tant que chef d’orchestre et enseigna dans diverses villes (Omsk, Vladivostok, Irkoutsk, etc.). De retour à Prague, il enseigna la composition au conservatoire et fit de fréquentes tournées comme chef. Il a laissé une oeuvre importante, dont la rigueur de forme rappelle Reger, mais dont l’originalité est digne du dernier Dvořák. KARETNIKOV (Nicolas), compositeur soviétique (Moscou 1930 - id. 1994). Élève de Chebaline à l’École centrale de musique (1942-1948), puis au conservatoire de Moscou (1948-1953), il a beaucoup composé pour le théâtre et le cinéma. D’abord influencé par Chostakovitch et Mahler, il s’est ensuite intéressé à l’école viennoise, et a utilisé des séries de douze sons tout en orientant son style orchestral dans le sens d’un plus grand dépouillement. On lui doit notamment quatre Symphonies (1951, 1956, 1959, 1963), le ballet Vanina Vanini, d’après Stendhal (1961) et les opéras Till Eulenspiegel (1982) et le Mystère de l’apôtre Paul (1986). KARÐOWICZ (Mieczysðaw), compositeur polonais (Wiszniews 1876 - monts Tatras 1909). Il fit ses études au conservatoire de Varsovie avec Naskowski, et fut un des membres les plus représentatifs et les plus prometteurs du groupe Jeune Pologne. Il ne put révéler son talent que dans quelques oeuvres très expressives, en particulier des poèmes symphoniques (Chants éternels, 1908 ; Récit empreint de tristesse, 1908 ; Rhapsodie lituanienne, 1906 ; l’Épisode au bal masqué, 1909 ; Stanisðaw et Anna O’swiecim, 1907), où se ressentent l’influence de l’orchestration germanique, particulièrement celle de R. Strauss, et la marque de Wagner quant à l’exploitation des leitmotive et de certains modèles harmoniques. Parmi ses oeuvres de jeunesse, il faut citer le Concerto pour violon en la majeur (1902), écrit pour son professeur de violon S. Barcewicz, et la Sérénade pour orchestre (1898), oeuvres où apparaissent certains caractères d’orchestration propres à Tchaïkovski. Traits que l’on retrouve, d’ailleurs, dans des oeuvres ultérieures - bien qu’exprimés à travers un langage plus personnel -, notamment dans le poème symphonique Powracajace fale (« les Vagues qui reviennent »). M. Karðowicz, qui est également l’auteur de cycles de mélodies, a su exceptionnellement tirer parti des arguments littéraires qu’il a traités musicalement et, dans ses oeuvres les plus réussies, parvenir à se dégager d’un romantisme germanique sur le déclin pour affirmer des qualités créatrices personnelles et un tempérament spécifiquement polonais. KASEMETS (Udo), compositeur canadien d’origine estonienne (Tallinn 1919). Il a fait ses études dans son pays natal, puis à Stuttgart, et a fréquenté les cours d’été de Darmstadt. Établi au Canada depuis 1951, il y a exercé, principalement à Toronto, de nombreuses activités de critique, d’enseignant, de chef d’orchestre et de choeur, et d’éditeur de musique, tout en restant en contact permanent avec l’avant-garde américaine. Sa première période créatrice qui comprend 21 numéros d’opus, recouvre « les oeuvres écrites avant que le compositeur ait pris contact avec les tendances actuelles de la composition », ainsi que celles manifestant « un style tonal traditionnel » (1941-1950). Toutes ces oeuvres ont été retirées par le compositeur. Suivirent de 1950 à 1960 une vingtaine d’oeuvres adoptant « le mouvement général de cette période pour ce qui est du style et de la structure ». En fait, Kasemets ne retient vraiment que sa production postérieure à 1960. Il se tourna alors vers les formes ouvertes et indéterminées, vers la notation graphique, vers la combinaison de la musique avec les autres arts (littérature, arts plastiques et visuels), cela sous l’influence d’artistes tels que E. Brown ou M. Feldman, puis de J. Cage. Fifth Root of Five (1962-63) confronte deux pianistes à une succession de fragments de cinq secondes chacun à interpréter de diverses façons. Trigon (1963), l’ouvrage de Kasemets le plus souvent exécuté, relève plutôt du happening : il est fait appel ici à un, trois, neuf ou vingt-sept participants, et à divers media (musicaux ou non musicaux) pouvant atteindre le nombre de quatre-vingts. Contactics (1966) et Tt (Tribute to Buckminster Fuller, Marshall McLuhan, John Cage) [1968] exigent une participation active de l’auditoire. Quartet of Quartets (1971-72) implique la retransmission sur bande de l’enregistrement de la lecture de divers articles choisis en fonction d’un thème précis, puis la superposition de cet enregistrement à des lectures d’autres textes dans des langues différentes, choisis en cours d’exécution (la durée de cette pièce est libre, le téléphone ou le télégraphe pouvant venir s’ajouter à l’accumulation des matériaux sonores). Principal représentant de l’extrême avant-garde au Canada, auteur de nombreux articles, Udo Kasemets a édité trois ouvrages : The Modern Composer and his World (Toronto, 1961), Canavangard (1968) et Focus on Musicecology (Toronto, 1970). KASTALSKI (Alexandre), compositeur, musicologue et chef de choeur russe (Moscou 1856 - id. 1926). Fils de théologien, il entra en 1875 au conservatoire de Moscou dans les classes de Hubert, Tchaïkovski et Taneiev (piano, harmonie et composition). Nommé professeur de piano à l’Institut synodal de Moscou (1887), il devint ensuite chef du choeur synodal, avec lequel il effectua des tournées de concerts, avant de prendre, en 1910, la direction de l’institut. Ses travaux portèrent simultanément sur la restitution du chant religieux traditionnel (surtout le chant « znamenny ») et sur l’étude du chant choral populaire. Remontant à leur source commune, Kastalski a contribué au renouveau du chant liturgique en élaborant un style d’harmonisation fondé sur la polyphonie populaire, par opposition à l’influence italo-germanique qui avait dominé au XIXe siècle. L’essentiel de son oeuvre est donc vocal et Kastalski s’y montre un maître de « l’orchestration chorale ». Ses oeuvres religieuses (harmonisations et compositions libres) sont fréquemment exécutées durant les offices. Son opéra Klara Militch (1907), d’après Tourgueniev, ne connut pas de succès. Dans le domaine de la musique populaire, il composa la fresque des Festivités populaires en Russie, qui reprend de nombreux chants rituels. Après la Révolution, il passa du côté du régime soviétique et consacra ses efforts à la chanson de masse. On lui doit deux ouvrages d’ethnomusicologie russe qui continuent à faire autorité : Osobennosti narodnorousskoï mouzykalnoï systemy (« Particularités du système musical populaire russe », 1923) et Osnovy narodnovo mnogo-golossia (« Fondements de la polyphonie populaire », 1948). KASTNER (Jean Georges), compositeur et théoricien alsacien (Strasbourg 1810 Paris 1867). Il fit ses études à l’université de Strasbourg, où il suivit, notamment, les cours de théologie protestante. En même temps, il travailla la musique en autodidacte, et ses premiers petits opéras-comiques (dont la Reine des Sarmates, 1835) lui valurent une bourse de la ville, qui lui permit d’aller travailler à Paris avec Reicha et Henri Montan-Berton. Après avoir fait représenter, sans grand succès, la Maschera à l’Opéra-Comique (1841), il regagna Strasbourg. Kastner est l’auteur d’une dizaine d’oeuvres lyriques, dont le Dernier Roi de Juda (1844), les Nonnes de Robert le Diable (1845, non représenté), et de cinq « livres-partitions », poèmes symphoniques écrits sur des sujets philosophiques ou historiques et accompagnés d’un texte détaillé rédigé par le compositeur (la Danse macabre, 1852 ; Stephen ou la Harpe d’Éole, 1856 ; les Cris de Paris, 1857). Il downloadModeText.vue.download 532 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 526 publia, d’autre part, plusieurs ouvrages didactiques, qui firent très vite autorité (Traité général d’instrumentation, 1837, 2e éd. augm., 1844 ; Grammaire musicale, 1840 ; Théorie abrégée de contrepoint et de fugue, 1842). Kastner fut élu à l’Institut en 1859, fut l’un des fondateurs de l’Association des artistes musiciens qu’il présida et l’instigateur du concours européen de musiques militaires, lors de l’Exposition universelle de 1867. KATCHEN (Julius), pianiste américain (Long Branch 1926 - Paris 1969). Issu d’une famille de musiciens russes, il commence ses études musicales auprès de ses grands-parents. Il étudie ensuite à New York avec David Saperton et fait ses débuts à l’âge de onze ans à Philadelphie. Sa carrière d’enfant prodige est interrompue pour lui permettre de faire ses études au collège d’Averford, où il se spécialise en philosophie. Doté d’une bourse du gouvernement français, il s’installe en 1946 à Paris : ses débuts en Europe sont marqués par sept concerts en onze jours avec l’Orchestre national et la Société des concerts du Conservatoire. Au long des vingt années de sa courte carrière, il se produit dans le monde entier, comme soliste et en formation de musique de chambre (à Prades en particulier, où il joue avec Pablo Casals et David Oïstrakh). En 1967, il reçoit le Grand Prix de l’Académie CharlesCros pour son enregistrement de l’intégrale pour piano de Brahms, qu’il est le premier à réaliser. KAUFMANN (Dieter), compositeur autrichien (Vienne 1941). Élève notamment de Gottfried von Einem, Olivier Messiaen et René Leibowitz, il s’est fait connaître par quelques oeuvres sérielles avant de suivre en France le stage de musique électroacoustique du Groupe de recherches musicales de Paris, au cours duquel il a composé des oeuvres qui l’ont révélé comme un héritier doué et personnel de la « musique concrète » et de la « musique anocdotique » française (Chutes et Ah, la nature [1970], deux pièces réunies en une seule dans Singular). De retour à Vienne, il est devenu responsable de l’enseignement de musique électroacoustique à la Hochschule de Vienne, qu’il a ouverte à des recherches d’improvisation et à des travaux faisant collaborer des artistes de diverses disciplines. Avec l’actrice Gunda König et le technicien Walter Stangl, il a fondé le groupe K et K, pour produire en tournée un répertoire d’oeuvres électroacoustiques et multimédias, qu’il alimente en partie de sa propre production. Parmi celle-ci : une Sonate pour piano (1965), l’oratorio Évocation (1968, revu en 1974), sur des textes d’lngeborg Bachmann, Singular (1970), Pax (1970), pour dix-huit voix et bande, Concerto-mobil (1971), pour violon, bande et orchestre, Pupofon (1971), spectacle de marionnettes avec bande et acteur, Automne pathétique (1972), et Portrait d’une femme en miroir (1973), deux beaux poèmes de musique électroacoustique, Deklaration (1975) et Music Minus One (1977), oeuvres multimédias. Quant à Volksoper (1973-1978), il s’agit d’une vaste pièce de théâtre musical pour solos, choeurs, orchestre et bandes magnétiques, d’après G. F. Jönke, qui s’annonce comme une somme où peut se satisfaire son appétit pour la plus large communication musicale (il est collaborateur des Jeunesses musicales autrichiennes et a fréquemment composé pour de grands ensembles) et où peuvent se conjuguer heureusement son expérience du théâtre musical et son souci de faire une musique en prise sur ce qu’on appelle, en allemand, l’Umwelt (le « monde autour »). KAVAKOS (Léonidas), violoniste grec (Athènes 1956). Il est formé au Conservatoire d’Athènes, dont il sort diplômé en 1984. Une bourse de la Fondation Onassis lui permet alors d’aller travailler avec Josef Gingold à l’Université d’Indiana. En 1982, il est nommé soliste de l’Orchestre des jeunes de la Communauté européenne, et en 1985 il remporte à la fois le Concours Sibelius d’Helsinki et le prix Paganini à Rome. Depuis, il débute une carrière internationale. Il est le seul à avoir enregistré - en 1991, avec l’Orchestre symphonique de Lahti - la version d’origine du Concerto pour violon de Sibelius. KAYN (Roland), compositeur allemand (Reutlingen 1933). Également violoncelliste et organiste, élève de B. Blacher (composition) et de J. Rufer (analyse) à Berlin, il s’est initié à la musique électronique avec H. Eimert à Cologne en 1953, puis a travaillé aux studios de Bruxelles, Cologne, Milan, Munich, Utrecht et Varsovie. En 1964, il a compté parmi les fondateurs - avec A. Clementi et F. Evangelisti - du groupe Nuova Consonanza. Depuis 1970, il s’occupe du programme culturel du Goethe Institut d’Amsterdam. D’abord influencé par Schönberg, Varèse et Messiaen, il a ensuite appliqué à ses oeuvres les principes de la cybernétique et les théories de l’information. Il a écrit, notamment, Sequenzen pour orchestre (1957-58), Schwingungen pour 5 groupes sonores (1961-62), Cybernetics I-III pour bande (1966-1969), Entropie pour orchestre (1973), Infra (1980), Tektra (1981). KAYSER (Philipp Christoph), compositeur allemand (Francfort-sur-le-Main 1755 - Oberstrass, près de Zurich, 1823). Fils d’un organiste, il se fixa à Zurich en 1775 comme professeur de musique. Il se lia d’amitié avec Goethe, qu’il vit à Zurich en 1775 et en 1779, à Weimar en 1781 et à Rome en 1787-88, et dont il mit en musique plusieurs textes. Il écrivit aussi une musique de scène (perdue) pour Egmont. À partir de 1789, il ne composa plus rien. Sa production est dominée par ses lieder. Il en écrivit plus de 100. Des 19 Gesänge mit Begleitung des Claviers (Leipzig et Winterthur, 1777), 5 sont sur des poèmes de Goethe. On lui doit également de la musique pour Scherz List und Rache de Goethe (1785-86). KEILBERTH (Joseph), chef d’orchestre allemand (Karlsruhe 1908 - Munich 1968). Il prit ses premières leçons de musique avec son père, violoncelliste, fut chef d’orchestre, puis directeur artistique de l’Opéra de Karlsruhe (1935), directeur artistique de l’Opéra de Dresde (1945-1951), de la Philharmonie de Hambourg (à partir de 1950), chef d’orchestre des Bamberger Symphoniker et directeur général de la musique à l’Opéra de Munich (1959). KEISER (Reinhard), compositeur allemand (Teuchern 1674 - Hambourg 1739). Élève à l’école Saint-Thomas de Leipzig, puis à l’université de cette ville, il fut chef d’orchestre à Brunswick (1692), puis à Hambourg (1695). Il y composa quatre ou cinq opéras par an. À partir de 1703 et jusqu’en 1707, il fut directeur de l’Opéra de Hambourg, où il connut de nombreuses vicissitudes. Il fut même emprisonné après un krach financier spectaculaire. Il voyagea ensuite au Danemark, où il fut anobli par le roi. Puis il séjourna à Weissenfels, à Ludwigsburg et à Stuttgart, où il fut maître de chapelle à la cour (1719). En 1724, il se fixa de nouveau à Hambourg, et devint cantor à la cathédrale (1728). Peu de temps avant sa mort, il assista au déclin et à la fermeture de l’Opéra de Hambourg qu’il avait contribué à développer. Beaucoup de ses livrets, au lieu de se référer à la mythologie ou à l’histoire ancienne, comme il était de mode dans l’opera seria, s’inspirent de thèmes populaires. Et on peut dire qu’il contribua grandement à faire évoluer l’opéra allemand vers le singspiel ou l’opéra-comique. Du point de vue de l’écriture vocale et de l’instrumentation, Keiser influença certainement Haendel qu’il eut, d’ailleurs, comme violoniste, puis comme claveciniste à Hambourg. Il fut le principal représentant de l’opéra baroque allemand au début du XVIIIe siècle, juste avant l’invadownloadModeText.vue.download 533 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 527 sion des scènes allemandes par l’opéra italien. KELEMEN (Milko), compositeur yougoslave (Podravska Slatina, Croatie, 1924). Il a fait ses études au conservatoire de Zagreb à partir de 1945, puis à Paris avec D. Milhaud et O. Messiaen, et enfin à Fribourg avec W. Fortner. C’est lui qui a créé et organisé, à partir de 1961, la Biennale de Zagreb, devenue l’un des plus importants festivals de musique contemporaine en Europe. Il a enseigné la composition au conservatoire de Düsseldorf, de 1970 à 1972, et pris un poste analogue à l’École supérieure de musique de Stuttgart en 1973. D’abord influencé par Bartók, il a adopté ensuite les techniques les plus modernes, de la série à la forme ouverte. On lui doit, pour orchestre, Improvisations concertantes (1955), suite de courtes pièces pour cordes inspirées d’airs populaires yougoslaves, Skolion (1959), Transfiguration pour piano et orchestre (1962), Sub rosa (1965), Floreal (1970), Sonabile pour piano, modulateur à anneaux et orchestre (1972), Abecedarium pour cordes (1973), Mirabilia II pour piano, modulateur à anneaux et 2 orchestres (1977) ; des oeuvres de musique de chambre, dont Étude pour flûte seule (1962) ; de la musique vocale, dont Monogatori pour 12 chanteurs solistes (1978) ; les ballets le Héros et son miroir (1960) et Ubu Roi, d’après Jarry (1965) ; les Mots pour mezzo-soprano et 2 orchestres, d’après Sartre (1965) ; l’État de siège, opéra d’après Camus (1970) ; OpéraBestial, opéra pour plusieurs media d’après Arrabal (1973-74) ; Grand Jeu pour violon et orchestre (Metz, 1982) ; Drammatico pour violoncelle et orchestre (1983) ; Sonnets pour quatuor à cordes (1987). KELLNER, famille de musiciens allemands. Johann Peter, organiste et compositeur (Gräfenroda 1705 - id. 1772). Il fut cantor à Frankenhayn, puis en sa ville natale (1728). Il connut Haendel et J.-S. Bach, avec qui il travailla peut-être. Les nombreuses copies qu’il effectua des oeuvres de ce dernier ont permis à bien d’entre elles de parvenir jusqu’à nous. Il composa des oeuvres d’orgue et de clavecin, où l’influence de Bach est très sensible, des chorals, des cantates et des suites. Son autobiographie et ses textes théoriques sont de très précieux documents sur l’environnement musical de Bach. Johann Christoph, fils du précédent (Gräfenroda 1736 - Kassel 1803). Il fut l’élève de Benda et de son père. Après de nombreux voyages, il se fixa à Kassel, où il fut organiste, cantor et professeur. Il a écrit des oeuvres pour orgue, pour clavecin, pour piano-forte, des concertos, des cantates et un singspiel, Die Schadenfreude (1782), ainsi qu’un traité de basse continue. KELLY (Michael O’), chanteur et compositeur irlandais (Dublin 1762 - Londres 1826). Il étudia à Londres avec Morland, Arne, Cogan et Passerini, puis à Naples avec Aprile, avant de s’y faire entendre sous le nom d’Occhelli, avec un très grand succès. Fixé, pendant quatre ans, à Vienne comme ténor au théâtre de la Cour, il y devint l’ami de Mozart et créa les rôles de Don Basilio et de Don Curzio des Noces de Figaro. De retour en Angleterre, il y connut des triomphes comme chanteur de théâtre et de concert et fut, un temps, impresario du théâtre royal. Sa carrière de compositeur commença alors, lui donnant l’occasion d’écrire plus de 60 partitions destinées à la scène, des ballets, des cantates et des mélodies. Il fonda, en 1802, une librairie musicale, fit faillite et devint marchand de vins. Son livre de souvenirs, Reminiscences of the King’s Theatre (Londres, 1826 ; rééd., 1975), contient des renseignements précieux sur les compositeurs qu’il connut, tels Mozart et Haydn, ainsi que sur la vie musicale à Vienne, à Paris et surtout en Angleterre avant et après 1800. KELTERBORN (Rudolf), compositeur suisse (Bâle 1931). Il a fait ses études à Bâle, à Salzbourg, à Detmold et à Zurich, et a enseigné la théorie musicale à Bâle jusqu’en 1960. Il a été ensuite professeur de composition et d’analyse à l’Académie de musique de Detmold (1960-1968), puis à l’École supérieure de musique et au conservatoire de Zurich (1968-1975). De 1975 à 1980, il a dirigé le département de la musique de la radio suisse alémanique et rhéto-romane à Bâle. Depuis 1980, il enseigne de nouveau à Zurich ainsi qu’à l’École supérieure de musique de Karlsruhe (théorie et composition). Dans un style ne dédaignant pas les techniques sérielles, il a écrit notamment 3 symphonies (1967, 1969, 1976), dont la dernière, dite Espansioni, avec baryton et bande magnétique, 4 quatuors à cordes (1954, 1956, 1962, 1970), le ballet Relations (1975), Phantasmen (1965-66), Changements (1973) et Erinnerungen an Orpheus (1979) pour orchestre, Visions sonores pour 6 groupes de percussions et 6 instruments obligés (1980), l’oratorio Die Flut (1965), d’après la traduction de la Bible de Martin Buber, et les opéras Die Erretung Thebens (Zurich, 1963), Kaiser Jovian (Karlsruhe, 1967) et Ein Engel kommt nach Babylon (Zurich, 1977), d’après Dürrenmatt. KEMPE (Rudolf), chef d’orchestre allemand (Niederpoyritz, Saxe, 1910 - Zurich 1976). Il étudia le piano, le violon et le hautbois à Dresde et fit ses débuts de chef d’orchestre en 1935 à l’Opéra de Leipzig avec un succès tel qu’il accéda aussitôt au poste de répétiteur dans cet établissement. Il poursuivit sa carrière aux Opéras de Chemnitz (1942), Weimar (1948), Dresde (19491952), et enfin Munich, où il succéda à Georg Solti (1952-1954). Sa renommée devint internationale lorsqu’il eut programmé la saison 1951-52 de l’Opéra de Vienne, et dirigé, dans cette ville, le Ring de Wagner. Il débuta à Covent Garden en 1953, au Metropolitan Opera de New York en 1954, à Bayreuth en 1960. Cette même année, à la demande de sir Thomas Beecham, il devint chef associé du Royal Philharmonic Orchestra, et, l’année suivante (1961), à la mort de sir Thomas, fut nommé principal chef de cette formation. Il démissionna en 1963, mais en redevint chef à vie en 1970 (il démissionna de nouveau, pour raisons personnelles, en 1975). Il fut aussi, jusqu’à sa mort, président de la Sir Thomas Beecham Society. On le vit également à la tête de l’orchestre de la Tonhalle de Zurich (1965-1972), de la Philharmonie de Munich (1976), et comme successeur de P. Boulez à celle de l’Orchestre symphonique de la BBC. Chef sobre, puissant et efficace, il a laissé de remarquables enregistrements parmi lesquels les Maîtres chanteurs de Wagner, Ariane à Naxos et l’oeuvre orchestrale de Richard Strauss et plusieurs symphonies de Bruckner. KEMPFF (Wilhelm), pianiste allemand (Jüterborg 1895 - Positano, Italie, 1991). Issu d’une famille d’organistes luthériens, il manifeste dès l’âge de cinq ans des dons musicaux exceptionnels. Son père l’initie au chant choral et à l’orgue et I. SchmidtSchlesicke lui donne ses premières leçons de piano. En 1905, il suit, à la Hochschule für Musik de Berlin, l’enseignement du compositeur R. Kahn et du pianiste H. Barth, dépositaire de la grande tradition lisztienne. Malgré des succès précoces en 1907, un premier récital ; en 1910, une audition réussie devant Busoni et Dohnanyi -, Wilhelm Kempff termine ses études de philosophie et de musique, celles-ci couronnées en 1916 par le prix Mendelssohn (piano et composition), avant de se lancer dans la carrière. En 1917-18, il effectue deux tournées en Allemagne et en Scandinavie, comme pianiste et organiste accompagnant le choeur de la cathédrale de Berlin. Puis il donne un récital à la Singakademie de Berlin (avec, notamment, la sonate Hammerklavier de Beethoven et les Variations sur un thème de Paganini de Brahms), et fait des débuts de concertiste avec la Philharmonie de Berlin dirigée par downloadModeText.vue.download 534 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 528 A. Nikisch. En 1920, après une tournée triomphale en Scandinavie, il enregistre son premier disque : des Écossaises et des Bagatelles de Beethoven. Il dirige, de 1924 à 1929, la Staatliche Hochschule für Musik de Stuttgart. Il donne des cours d’été, à partir de 1931, à Potsdam, en compagnie de E. Fischer et de W. Gieseking. Mais le pédagogue et le compositeur (auteur d’un Mystère sur la vie du Christ, 1925, et d’un opéra, le Roi Midas, 1930) s’effacent bientôt devant l’inter- prète : le chef d’orchestre occasionnel (il dirige, en 1928, l’Art de la fugue de Bach), l’organiste féru d’improvisations, le chambriste partenaire de G. Kulenkampff et de Lotte Lehmann, et surtout le pianiste. Il joue notamment en Grèce, en Amérique du Sud, au Japon et à Paris en 1938. Contraint à une semi-retraite dans l’immédiat après-guerre, Wilhelm Kempff retourne à la composition et rédige ses Mémoires (Cette note grave, Paris, 1955). En 1951, il réalise sa première intégrale des sonates de Beethoven. À partir de 1954, après une tournée-pèlerinage au Japon (il joue Bach à l’orgue de l’Église de la paix universelle d’Hiroshima), sa carrière se partage équitablement entre récitals, musique de chambre (ses partenaires ont pour noms P. Fournier, Y. Menuhin, P. Casals à Prades, etc.), cours d’été à Positano depuis 1957 (consacrés à Beethoven) et enregistrements. Au cours des dernières années, assombries par la maladie, Kempff revient à Bach, après avoir servi scrupuleusement Beethoven et fait redécouvrir les sonates de Schubert. Le compositeur voit son oeuvre servie par les plus grands, G. Kulenkampff, Van Kempen, W. Furtwängler, etc. Quatre opéras, deux symphonies, deux quatuors à cordes, un concerto pour violon, un autre pour piano, une Passion allemande et un Mystère sur la naissance du Seigneur en sont les pages les plus marquantes. Même dans le répertoire romantique, le pianiste n’a jamais oublié les leçons de clarté et de rigueur apprises par l’organiste. Improvisateur-né, il a su plier une technique brillante aux exigences de chaque oeuvre. Son art, vigoureux et passionné, s’est fait, avec le temps, plus sincère, plus subtil, prenant le ton de la confidence familière. Sa science du phrasé et le toucher nuancé à l’extrême sont au service d’un chant et d’une émotion décantés jusqu’à l’innocence. KENNEDY (Nigel), violoniste anglais (Brighton 1956). Dès 1963, il entre à l’École de violon Yehudi Menuhin, puis, en 1972, à la Juilliard School de New York. Il étudie aussi le jazz avec Stéphane Grappelli : jamais il n’abandonnera ce goût des univers croisés. En 1977, il fait ses débuts à Londres avec Riccardo Muti et le Philharmonia Orchestra. Il affectionne le rôle d’enfant terrible de la Couronne, jouant dans les mêmes programmes Bartók et Duke Ellington, travaillant avec Paul McCartney et Kate Bush tout en enregistrant le Concerto d’Elgar. En 1989 et 1990, sa version très virtuose des Quatre Saisons de Vivaldi est un succès mondial. En 1991, il fait ses débuts à Paris, et il est invité régulièrement au Festival de Lockenhaus par Gidon Kremer. KERLE (Jacobus de), compositeur flamand (Ypres 1531 ou 1532 - Prague 1591). Il fit ses études musicales à la maîtrise de la cathédrale d’Ypres et devint, avec Palestrina, le défenseur de la polyphonie sacrée. Il se rendit bientôt en Italie. De 1555 à 1562, on le trouve à Orvieto comme organiste et carillonneur de la cathédrale. Sur la demande du cardinal Otto Truchsess von Walburg d’Augsbourg, qui le prit sous sa protection, il composa en 1561-62 les Prières spéciales destinées au concile de Trente, afin de démontrer que la polyphonie n’était pas incompatible avec l’intelligibilité du texte. L’équilibre des voix atteint une telle perfection qu’elles peuvent se passer du concours des instruments. Ensuite, Jacobus de Kerle, qui fut ordonné prêtre, devint maître de la chapelle privée du cardinal von Walburg, qu’il suivit dans ses déplacements en Italie et en Espagne, puis à Dilligen, où le cardinal avait fondé une université à laquelle Kerle s’inscrivit. De retour en Flandre (1565), le musicien fut nommé maître de chapelle de la cathédrale d’Ypres. Il y rencontra des difficultés avec le chapitre, perdit sa place et se fit excommunier en 1567. Son voyage à Rome, l’année suivante, eut pour but de faire annuler cette décision. De 1568 à 1575, il fut vicaire général et organiste de la cathédrale d’Augsbourg, puis séjourna successivement à Cambrai, Mons et Cologne, avant d’entrer en 1582 au service de l’empereur à la cour de Vienne, puis à celle de Prague, où il mourut. Il fut un grand musicien d’église, qui sut habilement unir les principes de la polyphonie franco-flamande et de la clarté mélodique italienne. Outre les Prières spéciales, on lui doit, notamment, Selectae quaedem cantiones à 6 voix (1571), Quatre Livres de motets à 4, 5 et 6 voix (1572-1575), et Selectiorum aliquot modulorum à 8 voix (1585). KERLL (Johann Kaspar), organiste et compositeur allemand (Adorf, Vogtland, 1627 - Munich 1693). Son protecteur l’archiduc Leopold-Wilhelm, frère de l’empereur Ferdinand III, l’envoya étudier à Vienne avec G. Valentini, puis à Rome avec Carissimi et, peut-être aussi, Frescobaldi. En Italie, il renonça à la religion protestante pour se convertir au catholicisme. Il vécut ensuite à Bruxelles, où il fut organiste de la chapelle de Leopold-Wilhelm. À partir de 1656, il dirigea la chapelle de l’Électeur de Bavière à Munich. En 1673, il se fixa à Vienne où il fut, avec A. Poglietti, organiste de la Cour. Il devait conserver ce poste jusqu’en 1692. Tous ses opéras furent représentés à la cour de l’Électeur de Bavière. Il composa également de la musique instrumentale et de la musique vocale religieuse. KERMAN (Joseph), musicologue et critique américain (Londres 1924). Il a fait ses études à Londres, New York et Princeton (1950, avec Oliver Strunk), et enseigne à Berkeley depuis 1951, compte non tenu de trois années passées à Oxford (1971-1974). Ses deux principaux ouvrages sont Opera as Drama (New York, 1956) et The Beethoven Quartets (New York, Londres, 1967, trad. fr. les Quatuors de Beethoven, Paris, 1974). Il a publié aussi The Masses and Motets of William Byrd (1981) et Contemplating Music (1985, en Angleterre Musicology). KERN (Alfred), facteur d’orgues français (Vendenheim, Bas-Rhin, 1910). Il s’est établi à Strasbourg. Ses instruments, de pur style classique, optent pour la traction mécanique. Il a ainsi restauré ou construit, entre autres, les orgues de Saint-Séverin, Notre-Dame-des-BlancsManteaux, Saint-Jacques-du-Haut-Pas et Notre-Dame-des-Victoires, à Paris. KERTESZ (Istvan), chef d’orchestre hongrois naturalisé allemand (Budapest 1929 - Haïfa 1973). Il est formé à l’Académie de Budapest, où il étudie le piano et la composition avec Leo Weiner et Kodály. De 1949 à 1953, il apprend la direction d’orchestre avec Somogyi et recueille les conseils de Klemperer. Il dirige de 1955 à 1957 à l’Opéra de Budapest, mais décide d’émigrer en Allemagne. De 1958 à 1963, il est à Augsbourg ; de 1964 à 1973, il est directeur général de la musique à Cologne. À partir de 1965, il est invité à diriger les plus grands orchestres, à Londres, Vienne et Tel-Aviv. Il excelle dans les symphonies de Tchaïkovski, enregistre celles de Schubert et de Dvořák, et dirige beaucoup Bartók et Kodály. Il disparaît tragiquement, se noyant au large de Haïfa. KESSLER (Thomas), compositeur suisse (Zurich 1937). De 1959 à 1962, il a étudié dans sa ville natale, puis à Paris, enfin de 1962 à 1968 à Berlin, où il a fondé un studio de musique électroacoustique. Plus tard, il est devenu directeur de l’Electronic Workshop de Berlin, et a donné des cours à l’université. Depuis 1972, il est professeur de composition au conservatoire de Bâle. La downloadModeText.vue.download 535 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 529 grande partie de sa production est orientée vers l’électroacoustique. Toutefois, il a écrit Quatre Pièces pour quatuor à cordes (1965), et Constellation II pour flûte, clarinette, violon et violoncelle (1967). Citons surtout Musique pour contrebasse, clavier et bande magnétique (1966) ; Loop pour bande et divers instruments (1973) ; Piano Control pour piano et synthétiseur (actionné par le pianiste) [1974] ; et Lost Paradise pour le même dispositif (1975). KETELBEY (Albert), chef d’orchestre et compositeur anglais (Birmingham 1875 Cowes, île de Wight, 1959). D’ascendance danoise lointaine, il doit sa relative popularité à une série de pièces instrumentales exotiques dont se détache Sur un marché persan (1920). KETTING, famille de musiciens néerlandais. Piet, compositeur, pianiste et chef d’orchestre (Haarlem 1904 - Rotterdam 1984). Élève de W. Pijper, il fit beaucoup pour la diffusion de la musique contemporaine, en particulier comme professeur de direction chorale, de théorie et de composition au conservatoire de Rotterdam (1930- 1956), comme directeur du Lycée musical d’Amsterdam (1946-1949) et comme chef de l’orchestre et du choeur de chambre de Rotterdam. Influencé d’abord par Debussy, puis par Schönberg, il s’est de plus en plus intéressé à la musique vocale. Il a écrit notamment deux symphonies, dont la seconde avec violoncelle principal (1929, 1963), Tema con variazioni pour flûte et orchestre (1976), 3 Sonnets de Shakespeare pour voix et piano (1938), le choeur Quando conveniunt (1969). Otto, compositeur et trompettiste (Amsterdam 1935). Élève de son père Piet, il a également étudié avec Karl Amadeus Hartmann. Trompettiste dans l’Orchestre de La Haye de 1955 à 1960, il a ensuite enseigné aux conservatoires de Rotterdam (1967-1971) et de La Haye (1971-1974). Il a écrit beaucoup de musique de théâtre et de film. Prix Gaudeamus en 1958 pour Due canzoni pour orchestre, il a écrit dans un style personnel, parfois influencé par le jazz, des oeuvres pour orchestre, parmi lesquelles Symphonie no 1 (1959), Collage no 6 pour groupe de free-jazz et orchestre (1966), Time Machine (1972) et Symphonie pour saxophones et orchestre (1978), de la musique de chambre, dont Collage no 8 pour clarinette basse et piano (1966), les ballets Het laatste bericht (1962), Intérieur (1963) et Collage no 7 (1967), et les opéras Dummies (1974) et O, gij, rhinoceros (1977). En 1986 a été créé à Amsterdam l’opéra Ithaka. KHATCHATURIAN (Aram Illitch), compositeur soviétique arménien (Tbilissi 1904 - Moscou 1978). Il entra en 1922 à l’école de musique Gniessine à Moscou, puis se perfectionna, de 1929 à 1934, au conservatoire de Moscou dans les classes de Glière (instrumentation), Miaskovski (composition) et Mikhail Gniessine. Il bénéficia également des conseils de Prokofiev, au retour de celui-ci en U. R. S. S. De cette époque datent la célèbre Toccata (1932), le Trio pour piano, violon et clarinette (1932) et une Suite de danses (1933). Dès ses premières oeuvres, Khatchaturian puise son inspiration dans la tradition musicale arménienne (emprunts aux danses et aux « achougs », bardes arméniens). Sa Première Symphonie, écrite en 1934 pour le quinzième anniversaire de la République soviétique d’Arménie, est un nouvel essai de cette intégration d’une culture minori- taire dans la tradition russe. Mais le vrai Khatchaturian ne s’est réellement révélé au public qu’en 1936 avec son Concerto pour piano dédié à Lev Oborine, oeuvre frappante par son originalité : audaces harmoniques, rythmes à la fois complexes et expressifs, brillante couleur orchestrale. Si la facture pianistique s’apparente parfois à celle de Rachmaninov, la technique du développement marque sensiblement l’héritage de Tchaïkovski. Les qualités de verve, de virtuosité et de lyrisme se retrouvent dans le Concerto pour violon (1940) dédié à David Oïstrakh. Khatchaturian a rapidement trouvé son langage, et sa démarche et son style ne se sont guère modifiés par la suite. Même dans le Poème à Staline (1938), il a réussi à concilier des traits du folklore arménien, géorgien et azerbaïdjanais avec un développement symphonique élaboré. C’est avec son ballet Gayaneh (1943) qu’il devait obtenir une réputation internationale, en mettant en scène le drame de la patriote Gayaneh, dont le mari est passé du côté de l’ennemi. L’oeuvre reprend des fragments du premier ballet de Khatchaturian, le Bonheur, et contient un grand nombre de danses de caractères divers, dont la célèbre Danse du sabre, qui a donné lieu par la suite à de multiples arrangements. La Troisième Symphonie, ou SymphoniePoème (1947), écrite pour le trentième anniversaire de la Révolution, fait appel à un orchestre renforcé par l’orgue et par quinze trompettes, et peut se comparer à la Bataille de Vittoria de Beethoven ou à l’Ouverture 1812 de Tchaïkovski. Elle n’échappa pas aux critiques de Jdanov en 1948 : de même que Chostakovitch, Prokofiev, Chébaline, Popov, Kabalevski, etc., Khatchaturian fut accusé de distorsions formalistes et de tendances antidémocratiques. À la suite de ces événements, il se consacra intensivement à la musique de film (Vladimir Ilitch Lénine, 1948 ; la Bataille de Stalingrad, 1949). À partir de 1950, le compositeur étendit ses activités à deux nouveaux domaines : l’enseignement (à l’institut Gniessine et au conservatoire de Moscou) et la direction d’orchestre. En 1968, lors d’une tournée aux États-Unis, il dirigea les plus grands orchestres symphoniques dans des programmes consacrés à ses oeuvres. En 1950, il séjourna en Italie, comme membre d’une délégation soviétique, et, peu après, se mit à la partition du ballet Spartacus (1952-1954), sur le sujet à la fois historique et révolutionnaire de la révolte des esclaves à Rome en 73 (av. J.-C.). L’oeuvre lui valut en 1959 le prix Lénine ; en 1968, elle fut représentée dans une nouvelle version chorégraphique de Grigorovitch. Après la mort de Staline, Khatchaturian fut l’un des musiciens éminents à réclamer publiquement une plus grande liberté de création ; il publia, dans la revue Sovietskaïa Mouzyka de novembre 1953, un article intitulé Audace et imagination créatrice. Néanmoins, après la création du festival d’automne à Varsovie (1956), il devait condamner toutes les tendances en direction du dodécaphonisme ou de toute autre avant-garde occidentale. KHRENNIKOV (Tikhon), pianiste et compositeur soviétique (Eletz 1913). Il a étudié, à l’institut Gniessine, la composition avec M.-F. Gnessina et G.-I. Litinski et le piano avec E.-G. Guelman (1929-1932), avant de suivre les cours de composition de V. Chebaline au conservatoire de Moscou (1933-1936). Il est aujourd’hui le musicien officiel le plus important de son pays : artiste du peuple de l’U. R. S. S. (1963), député au Soviet suprême, premier secrétaire de l’Union des compositeurs d’U. R. S. S., chargé des liaisons avec l’étranger, ordre de Lénine, prix Lénine (1967 et 1974). Il enseigne au conservatoire de Moscou depuis 1966. KIENZL (Wilhelm), compositeur autrichien (Waizenkirchen 1857 - Vienne 1941). Sa thèse Die musikalische Deklamation (1880) lui valut le titre de docteur. En 1879, il assista Wagner à Bayreuth. Après des tournées de concerts en tant que pianiste, accompagnateur, il devint directeur de l’Opéra allemand d’Amsterdam, puis occupa successivement les mêmes fonctions à Hambourg, à Munich et à Graz. Son opéra Urvasi (1886) attira l’attention du public sur son activité de compositeur, mais Der Evangelimann (1895) demeura son plus grand succès. Wagnérien convaincu, il s’efforça de démontrer que les principes du compositeur de Parsifal pouvaient être appliqués avec bonheur à des sujets moins ambitieux. L’intention de Kienzl était de créer un opéra populaire downloadModeText.vue.download 536 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 530 dans le genre du mélodrame sentimental fin de siècle, qu’il transporta à la scène lyrique. Musicien possédant un métier solide, il était doué d’une veine mélodique assez facile, et convaincante dans le cadre des sujets qu’il traitait. À partir de 1917, Kienzl vécut à Vienne, d’où il entretint par correspondance des relations avec toutes les personnalités musicales de son temps. Plusieurs dizaines de milliers de lettres ont pu être retrouvées. Outre les opéras, il composa dans tous les genres et publia également divers ouvrages littéraires dont une étude sur Wagner. KIEPURA (Jan), ténor polonais (Sosnowiec 1902 - New York 1966). Il débuta en 1924 à Lvóv dans le rôle de Faust. Il fit une carrière internationale, se produisant régulièrement, de 1926 à 1939, à Vienne, Berlin, Milan, Paris. Émigré aux États-Unis, il chanta pendant la guerre au Metropolitan Opera de New York, à Chicago et à San Francisco. Ses rôles les plus fameux furent Mario (la Tosca), Calif (Turandot) et Rodolphe (la Bohème). Ayant épousé la soprano hongroise Martha Eggerth, il aborda l’opérette et chanta avec elle la Veuve joyeuse un peu partout. Jan Kiepura fit également de nombreux films. Sa voix de ténor lyricospinto était riche et bien timbrée. Il avait un physique avantageux et une très belle prestance. KIERKEGAARD (Søren Aabye), théologien, écrivain et philosophe danois (Copenhague 1813 - id. 1855). Il a consacré à la musique de Mozart, Don Giovanni en particulier, un court écrit, les Étapes érotiques spontanées (ou, selon les traductions, les Stades immédiats de l’Éros), intégré dans un ensemble publié en 1843 sous un pseudonyme (EntenEller), Ou bien... ou bien. Mais toute son oeuvre fait référence, implicitement ou explicitement, à l’univers acoustique et à la musique. L’opuscule des Étapes érotiques spontanées (sous-titré l’Érotisme musical) célèbre le Don Giovanni considéré comme l’opéra des opéras, l’expression la plus géniale de la sensualité comme principe. Les trois étapes qu’évoque le titre apparaissent dans trois opéras de Mozart : la première, c’est le Chérubin des Noces de Figaro, troublé par l’éveil d’un désir sans objet et qui ne se reconnaît pas encore comme tel ; la deuxième, c’est le Papageno de la Flûte enchantée, être immédiat et gaiement gazouillant (à l’opposé de Tamino, décrit avec justesse comme un personnage « amusical... au-delà de la musique ») et dont le désir cherche son objet au milieu d’une multitude ; enfin la troisième étape, c’est Don Juan, c’est-à-dire le désir « absolument déterminé comme tel », victorieux, irrésistible, un personnage qui ne pouvait, selon Kierkegaard, apparaître que dans le cadre chrétien, seul propice à l’affirmation de ce concept de sensualité. Mais Don Juan, l’anti-Tamino, est un être complètement musical, « la parole, la réplique ne lui appartiennent pas (...), il se hâte dans un perpétuel évanouissement, justement comme la musique ». Par opposition, l’auteur critique les Don Juan littéraires de Byron et de Molière. Celui de Mozart est, au sein de l’opéra qui porte son nom, désigné comme la « note fondamentale », la force fondamentale, le révélateur par excellence, qui donne de l’intérêt à tous les autres personnages qu’il touche. « Écoutez, écoutez, écoutez le Don Giovanni de Mozart », conclut le philosophe danois. Ce Mozart vénéré, ce musicien suprême, pour n’être abordé longuement que dans cet article, reste présent à travers l’oeuvre de Kierkegaard, par l’esprit de vivacité rythmique qui anime son style et sa pensée même, pensée « musicale » au plein sens du mot. Comme l’a souligné Nelly Viallaneix, Kierkegaard, amoureux de la sonorité de la langue, en joue d’une manière orale, rythmique, avec, notamment, un grand souci de la ponctuation, qui donne sa respiration à la phrase, et une recherche de cadence très sensible, même à travers les traductions. Extrêmement sensible aux impressions acoustiques (son Journal en note un grand nombre, qui sont souvent des perceptions musicales d’impressions rythmiques et visuelles), avouant, entre les cinq sens, préférer celui de l’ouïe, Kierkegaard a visiblement cherché non pas seulement à habiller de musicalité une pensée abstraite, mais, encore mieux, à donner à l’essor de sa pensée une logique, un mouvement directement musical - un certain sving de l’esprit, comme on dit en danois - jusque dans les frémissements, les contradictions, les dissonances assumées. Au reste, il conçoit la musique comme un domaine mystérieux « confinant partout à la langue », et qui commence « partout où la langue cesse ». Son goût pour les onomatopées, pour les allitérations, pour les genres poétiques obéissant à des règles « acoustiques » (telle la rime) manifeste sa conscience aiguë du langage dans la matérialité de sa substance signifiante, sa « matière sensible », et son intuition d’une dimension du langage audelà de la signification littérale. KIESEWETTER (Raphael Georg), historien de la musique autrichien (Holesov, Bohême, 1773 - Baden, près de Vienne, 1850). Élève d’Albrechtsberger, fonctionnaire dans l’administration impériale, il organisa chez lui, à partir de 1818, des concerts de musique vocale du XVIe au XVIIIe siècle, et apparaît comme le véritable fondateur de la musicologie autrichienne (Die Verdienste der Niederländer um die Tonkunst, 1829 ; Geschichte der europäisch - abendländischen oder unserer heutigen Musik, 1834 ; Die Musik der Araber, 1842). Il eut comme neveu August Wilhelm Ambros, et, à sa mort, sa bibliothèque échut à Aloys Fuchs. KILAR (Wojchech), compositeur polonais (Lvov 1932). Il a fait ses études à l’École de musique de Katowice (1950-1955) et au conservatoire de Cracovie (1955-1958), ainsi qu’avec Nadia Boulanger à Paris, et obtenu le prix Lili-Boulanger en 1960. Surtout connu dans son pays comme auteur de musiques de film, il s’est également imposé par plusieurs pièces pour orchestre dont la Petite Ouverture (1955), deux symphonies, dont la première pour cordes (1955) et la seconde, dite Sinfonia concertante, pour piano et orchestre (1956), un concerto pour deux pianos (1958), Riff 62 (1962), le poème symphonique Krzesany (1974), Koscielec 1909 (1976), Exodus pour orchestre et choeur (1980). KILPINEN (Yrjö), compositeur finlandais (Helsinki 1892 - id. 1959). Grâce à ses quelque 700 lieder, il est probablement le compositeur finlandais le plus connu après J. Sibelius. Son style amalgame avec bonheur la tradition du lied classico-romantique d’Europe centrale avec celle de la romance nordique. Celle-ci brille alors dans les salons bourgeois et doit ses lettres de noblesse à E. Grieg, C. Sinding et J. Sibelius. Parti des poèmes de ses compatriotes E. Leino, H. Jalkanen et V. A. Koskenniemi, Kilpinen s’intéresse progressivement au Kalevala et, à partir des années 30, aux textes allemands de C. Morgenstern, von Zwehl, A. Sergel. Il est à noter le succès que Kilpinen rencontra pendant le IIIe Reich allemand auprès des autorités musicales de ce pays. Son évolution, commencée dans le radicalisme des années 20, se poursuit après la guerre. C’est en quelque sorte un retour aux sources ; Kilpinen utilise alors de plus en plus des formules modales proches du folklore, et son style postromantique s’adapte avec bonheur au texte du Kalevala et aux poèmes de K. Vala. Excellent dans la miniature, Kilpinen tend à une expression souvent dépouillée ; tout son effort se porte sur la mise en musique du texte, et l’accompagnement ne joue que rarement un rôle essentiel. KIMMERLING (Robert), compositeur autrichien (Vienne 1737 - Oberweiden 1799). Éduqué à l’abbaye de Melk, où son oncle était abbé, à partir de 1748, il y prononça ses voeux en 1754. Durant l’hiver 17601761, lors d’un séjour à Vienne, il travailla avec Haydn. Il fut directeur de la musique à Melk de 1761 à 1777, puis curé à ObedownloadModeText.vue.download 537 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 531 rweiden, près de la frontière hongroise. Il composa surtout de la musique religieuse. KINDERMANN (Johann Erasmus), compositeur, organiste et pédagogue allemand (Nuremberg 1616 - id. 1655). Élève de Johann Staden, il étudia à Venise et à Rome (1635) et occupa plusieurs postes d’organiste dans sa ville natale. Il composa surtout de la musique vocale, aussi bien dans la prima que dans la seconda pratica. Son recueil de Canzoni, sonatae (1653) contient 41 oeuvres pour un, deux ou trois violons, violoncelle et continuo (avec un des premiers exemples de scordatura). Son Harmonia organica (1645) est le dernier recueil d’orgue allemand noté en tablature et le premier à avoir été gravé. KINSKY (Georg), musicologue allemand (Marienwerder 1882 - Berlin 1951). Professeur de musicologie à Cologne de 1921 à 1932, spécialiste des instruments historiques, il travailla à partir de 1945 à un catalogue thématique fondamental des oeuvres de Beethoven, qui, après sa mort, fut achevé et publié par Hans Halm (Munich 1898 - id. 1965) [Kinsky-Halm : Das Werk Beethovens. Thematisch-bibliographisches Verzeichnis seiner sämtlichen vollendeten Kompositionen, Munich, Duisburg, 1955, ou l’oeuvre de Beethoven. Catalogue thématique et bibliographique de toutes ses compositions achevées]. KIPNIS, famille de musiciens américains d’origine russe. Alexander, basse (Zitonnir 1891 - Westport, Connecticut, 1978). Il étudia la musique à Varsovie, où il obtint un diplôme de chef d’orchestre, puis le chant à Berlin, et fit ses débuts à Hambourg en 1915. Engagé à Wiesbaden, il y chanta jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale. Il se produisit à l’Opéra de Berlin (1918-1925), à celui de Chicago (1925-1932), puis, de retour en Europe, dans la plupart des grands théâtres ainsi qu’aux festivals de Bayreuth et de Salzbourg. En 1935, il regagna les États-Unis et chanta au Metropolitan Opera de New York jusqu’en 1946. Sa grande voix alliait l’ampleur à la souplesse et il interprétait avec un même bonheur les personnages tragiques ou comiques des répertoires allemand, italien et russe. Il était particulièrement admiré dans les rôles de Gurnemanz (Parsifal), d’Osmin (l’Enlèvement au sérail) et de Boris Godounov. Sa musicalité expressive en faisait aussi un chanteur de lieder très exceptionnel. Igor, fils du précédent, fut claveciniste (Berlin 1930). KIRCHNER (Leon), compositeur américain (Brooklyn 1919). Il fut l’élève de Sessions, Ernest Bloch et Schönberg, et conseillé, en outre, par Stravinski et Klemperer. Pianiste et chef d’orchestre, professeur à l’université de Californie, au Mills College, puis à Harvard, il a renié toutes ses oeuvres de jeunesse et ne reconnaît comme valables que celles écrites après 1949, moment où il a réussi à concilier une inspiration romantique et souvent de style rhapsodique avec une expression très moderne allant jusqu’à la technique dodécaphonique. Les influences diverses (Mahler, Schönberg, Bartók) se rencontrent avec les éléments populaires dans son langage qui passe des audaces les plus virulentes aux formules les plus traditionnelles avec une très grande virtuosité. Intéressé par la musique électronique, il a réalisé avec son troisième quatuor une oeuvre originale qui lui a valu le prix Pulitzer en 1967. KIRKBY (Emma), soprano anglaise (Camberley 1949). Elle étudie la littérature à Oxford, le chant à Londres, auprès de Jessica Cash, et se spécialise rapidement dans le répertoire du XVIe au XVIIIe siècle, anglais en particulier. Elle se produit en compagnie d’ensembles tels que le Taverner Consort, Musica Reservata, Consort of Musicke et épouse le claveciniste et chef d’orchestre Andrew Parrott. Elle interprète aussi le répertoire baroque sous la direction de C. Hogwood et W. Christie. KIRKPATRICK (Ralph), claveciniste et musicologue américain (Leominster, Massachusetts, 1911 - Guilford, Connecticut, 1984). Il étudia à l’université Harvard, à Paris avec Wanda Landowska (clavecin) et Nadia Boulanger (1931-32), puis en Allemagne avec A. Dolmetsch, G. Ramin et H. Tiessen. Il fit ses débuts de claveciniste en 1930 et enseigna au Mozarteum de Salzbourg (1933-34), puis à l’université Yale, où il entra en 1940 et où il fut professeur de 1965 à 1976. Il s’est également produit comme interprète au clavicorde et au piano-forte. Il possède à son répertoire, outre des pièces de l’école française et de celle des virginalistes anglais, toutes les oeuvres pour clavier de Bach et de nombreuses sonates de D. Scarlatti. Comme musicologue, il a consacré à ce compositeur une étude fondamentale (Domenico Scarlatti, Princeton, Londres, 1953), et attaché son nom à une nouvelle classification (chronologique) de ses 555 sonates remplaçant désormais celle de Luigi Longo. KIRNBERGER (Johann Philipp), théoricien et pédagogue allemand (Saalfeld, Thuringe, 1721 - Berlin 1783). Élève de Bach à Leipzig (1739-1741), il devint en 1751 violoniste de Frédéric II à Berlin et en 1758 maître de chapelle de sa soeur, la princesse Amalie, à qui il enseigna la théorie et la composition. Ami de Carl Philip Emanuel Bach, il protégea pendant un temps Wilhelm Friedmann après son installation à Berlin en 1774. Il ne publia ses principaux ouvrages théoriques qu’après 1770 : le plus célèbre est Die Kunst des reinen Satzes (1771-1779). Il entretint à Berlin le culte de Bach, mais d’un point de vue rationaliste, en insistant davantage sur la dimension didactique, le côté « guide pour le contrepoint », de ses oeuvres, en particulier des chorals (qu’il édita en collaboration avec Carl Philipp Emanuel), que sur leur fonction spirituelle et leur contexte biblique. KISSIN (Evgeni), pianiste russe (Moscou 1971). Enfant prodige, il commence à étudier le piano à l’âge de deux ans et entre quatre ans plus tard à l’école Gnessine. En 1980, il joue pour la première fois avec orchestre et se produit en 1984 dans les deux concertos de Chopin avec l’Orchestre philharmonique de Moscou. Invité au Japon puis à Berlin, il commence un brillante carrière, donnant des récitals et se produisant en concerto avec les plus grands orchestres. KJERULF (Halfdan), compositeur norvégien (Oslo 1815 - id. 1868). Élève de N. Gade à Copenhague et de Richter à Leipzig, il a écrit près de 100 romances, 30 choeurs pour voix d’hommes, des pièces pour piano et 1 musique de scène. Kjerulf appartient à la catégorie des compositeurs lyriques qui, en Norvège, sut renouveler l’attitude créatrice vis-à-vis du folklore. En ce sens, il complète l’oeuvre d’Ole Bull et de Lindeman et rejoint celle de Grieg. Habile dans la petite forme, véritable compositeur-poète, il a également été un pionnier dans le domaine choral et le premier organisateur de concerts symphoniques en Norvège (1857-1859). KLAMI (Uuno), compositeur finlandais (Virolahti 1900 - id. 1961). Il représente la tendance moderniste, qui, après J. Sibelius, essaie de rapprocher le mouvement musical finlandais de celui de l’Europe. Sans renier ses attaches culturelles nationales, Klami les exprima dans un style cosmopolite, tendance accentuée par un grand sens de l’observation, qui lui permit de tirer parti de ses études à Paris avec M. Ravel (1924-25) et à Vienne (1928-29). Ainsi plongea-t-il dans des cultures aussi éloignées de la sienne que celles de la valse viennoise (ouverdownloadModeText.vue.download 538 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 532 ture Opernredoute, 1929), des Sérénades espagnoles (1924-1944) ou du Montmartre des années 20 (Yö Montmartrella, 1925). Mais c’est dans le domaine finnois qu’il fut le plus convaincant (Rhapsodie carélienne, 1927 ; Kalevalasarja, 1933-1943 ; Lemminkäinen, 1934 ; Tcheremissian Fantasy, 1931). Dans toutes ces oeuvres, inspirées plus par une atmosphère que par un argument, Klami se montre un brillant orchestrateur qui sait aussi bien prolonger le style de Stravinski que celui de Ravel. Dans les autres domaines, il faut retenir un Psaume (1935-36), deux symphonies (1937 et 1945), des musiques de scène (ouverture de Nummisuutarit, 1936) et diverses oeuvres orchestrales (Merikuvia, « Images de mer », 1928-1930) et de musique de chambre. KLEBE (Giselher), compositeur allemand (Mannheim 1925). Il a étudié à Berlin avec Kurt von Wolfurt (1941-1943), Josef Rufer (1946) et Boris Blacher (1946-1951), et, depuis 1957, il enseigne la composition à Nordwestdeutsche Musikakademie de Detmold. Il s’est fait connaître en 1950 à Donaueschingen avec Die Zwitschermascine pour orchestre, d’après Klee, mais a surtout acquis la célébrité grâce à ses opéras, en général d’expression sombre et abrupte : Die Raüber, d’après Schiller (Düsseldorf, 1957) ; Die tödlichen Wünsche, d’après Balzac (Düsseldorf, 1959) ; Die Ermordung Cäsars, d’après Shakespeare (Essen, 1959) ; Alkmene, d’après Kleist (Berlin, 1961) ; Figaro lässt sich scheiden, d’après Horvath (Hambourg, 1963) ; Jacobowsky und der Oberst, d’après Werfel (Hambourg, 1965) ; Das Märchen von der schönen Lilie, d’après Goethe (Schwetzingen, 1969) ; Ein wahrer Held, d’après Synge (Zurich, 1975) ; Das Mädchen aus Domrémy, d’après Schiller (Stuttgart, 1976) ; Das Rendez-vous (Hanovre, 1977) ; Der jüngste Tag (1980) ; Die Fastnachtsbeichte (1983) ; Gervaise Macquart (1995). KLEIBER, famille de musiciens d’origine autrichienne. Erich, chef d’orchestre autrichien naturalisé argentin en 1939 (Vienne 1890 - Zurich 1956). Après des études à Vienne, puis à Prague, il débuta avec l’Ouverture d’Euryanthe de Weber et fut aussitôt nommé à Darmstadt (1912-1919). L’année 1916, avec le Chevalier à la rose, inaugura une longue collaboration avec Richard Strauss. Nommé à Eberfeld (1919), puis à Düsseldorf (1921), où il mena une politique musicale hardie (Schönberg, Hindemith), et enfin à Mannheim (1922), il remplaça Leo Blech dans Fidelio à l’Opéra de Berlin (1923) et remporta un succès tel que trois jours après il fut nommé directeur général de la musique de l’Opéra de Berlin. Il y resta onze ans (1923-1934). Cette période fut extrêmement féconde : il créa Jenufǎ de Janáček (1924), Wozzeck (après 137 répétitions assidues) de Berg (1925), concert mémorable et le plus grand succès de sa carrière, Christophe Colomb de Milhaud (1930) et plusieurs autres ouvrages contemporains. Peu enclin aux accommodements envers la politique culturelle du régime nazi, il dirigea en première audition, et avec succès, les pièces symphoniques de Lulu de Berg. Mais, après l’interdit jeté sur cette oeuvre, il donna, à la suite de Furtwängler, sa démission de l’Opéra de Berlin (1934), ville où il ne retourna qu’en 1951. Une vie de vagabondage commença. Déçu de ne recevoir aucune offre de sa ville natale, il devint citoyen argentin, et prit à Buenos Aires la direction du Teatro Colón (1937-1949), commençant en même temps une seconde carrière de chef d’orchestre pionnier au Chili, en Uruguay, au Mexique et à Cuba. Après la guerre, il reprit ses activités européennes. Il donna en 1951 au Mai musical florentin, avec Maria Callas dans le rôle-titre, la création mondiale d’Orfeo ed Euridice de Haydn. Nommé à l’Opéra de Berlin (1955), il dé- missionna immédiatement pour protester contre l’intrusion politique stalinienne. Après quelques villes d’Europe, ce fut enfin Vienne : deux mois avant sa mort, Kleiber y dirigea le Requiem de Verdi. Refusant toute complaisance, d’une rigueur extrême doublée d’une ardeur presque fanatique, Erich Kleiber ne laissait aucune place à l’improvisation et tendait à la précision la plus extrême. Parmi ses enregistrements, des versions mémorables du Chevalier à la rose et des Noces de Figaro. Carlos, chef d’orchestre argentin (Berlin 1930). Fils du précédent, naturalisé autrichien en 1980, il entreprit des études musicales au Teatro Colón de Buenos Aires (1950) et donna son premier concert à La Plata (1952). De retour en Europe (1953), sur le conseil de son père, il se détourna d’une carrière musicale pour étudier la chimie à Zurich. Mais l’appel de la musique fut le plus fort : acceptant le poste de répétiteur au théâtre de la Gärtnerplatz de Munich, il cumula alors les fonctions de chef d’orchestre à Potsdam et à l’Opéra allemand du Rhin (dès 1954), à Düsseldorf et à Duisburg (1956-1964). Chef attitré de l’Opéra de Stuttgart (1966), il y dirigea Wozzeck, puis le Chevalier à la rose, Elektra, Tristan und Isolde, Otello, Carmen et le Freischütz, qu’il enregistra intégralement (1973). Depuis 1968, on le voit fréquemment à la tête du Staatsoper de Munich. En 1974, il fit ses débuts à Bayreuth avec Tristan und Isolde et participe depuis au festival de Vienne et au Printemps de Prague. KLEMPERER (Otto), chef d’orchestre allemand (Breslau 1885 - Zurich 1973). Après avoir étudié au conservatoire de Francfort-sur-le-Main, il suivit à Berlin l’enseignement de J. Kwast (piano) et de P. Scharwenka et H. Pfitzner (composition). Ayant débuté comme répétiteur de choeurs, il dut son premier engagement (1906) à M. Reinhardt, qui monta Orphée aux Enfers. Autre rencontre capitale, celle de Mahler, qui le recommanda successivement comme chef d’orchestre du Théâtre allemand de Prague (1907-1910) et du Théâtre de Hambourg (1910-1913). Klemperer, qui avait dirigé en coulisses le second orchestre à la création berlinoise de la Deuxième Symphonie de Mahler, allait devenir un ardent défenseur de l’oeuvre de ce maître, comme en témoignent nombre d’enregistrements et un livre de souvenirs (Erinnerungen an G. Mahler, 1960). Sa carrière se poursuivit à Barmen (1913-14), Strasbourg (1914-1917), Cologne (19171924) et Wiesbaden (1924-1927). Nommé directeur musical de l’Opéra Kroll de Berlin (1927-1931), il en fit très rapidement une des premières scènes lyriques d’Allemagne, accueillant les nouvelles oeuvres de Krenek, Weill, Schönberg, Hindemith et Stravinski dans des mises en scène expressionnistes - politique novatrice fortement encouragée par la République de Weimar, mais qui valut à son auteur l’opprobre des nationauxsocialistes bientôt au pouvoir. Il dirigea également le Choeur philharmonique et, de 1931 à 1933, travailla au Staatsoper de Berlin. En 1933, Klemperer fut contraint d’émigrer aux États-Unis, où il prit la direction de l’Orchestre philharmonique de Los Angeles (jusqu’en 1940). Mais plusieurs graves accidents de santé, dont une hémiplégie, allaient interrompre une carrière et on le vit dorénavant diriger assis, jusqu’en 1970. Il fut encore chef de l’Opéra de Budapest (1947-1950) et président du New Philharmonia Orchestra (1959). Compositeur, il a laissé un opéra (Das Ziel), une symphonie, des oeuvres sacrées et des lieder. Interprète, il est entré vivant dans la légende. On a voulu ne voir en lui que le gardien sévère de la grande tradition germanique. C’est méconnaître le novateur fougueux qu’il sut être dans sa jeunesse et le lutteur inspiré qu’il devint dans l’adversité, élevant son art à la spiritualité la plus profonde. KLETZKI (Paul), chef d’orchestre polonais naturalisé suisse (Ðód’z 1900 - Liverpool 1973). D’abord violoniste, il joue dans l’Orchestre philharmonique de Ðód’z de 1914 à 1919. De 1923 à 1933, il travaille à Berlin, et connaît le succès en tant que compositeur : Furtwängler dirige plusieurs de ses symphonies et concertos. Il quitte l’AlledownloadModeText.vue.download 539 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 533 magne pour l’Italie, où il enseigne la composition à Venise, puis au Conservatoire de Milan entre 1935 et 1938. En 1940, il se fixe en Suisse, où il dirige le Festival de Lucerne. De 1967 à 1970, il succède à Ansermet à la tête de l’Orchestre de la Suisse romande. KLOSE (Margaret), mezzo-soprano allemande (Berlin 1902 - id. 1968). Elle débuta dans l’opérette à Ulm en 1927. Engagée à Mannheim de 1928 à 1931, elle entra à l’Opéra de Berlin en 1932, et devait s’y illustrer toute sa vie. En 1935, elle chanta Ortrude à Bayreuth, puis Fricka. Dans le même temps, elle triompha à Londres, Buenos Aires et Paris. Sa grande voix sombre, d’une étendue exceptionnelle, lui permettait d’aborder avec un égal bonheur des rôles de contralto, comme Erda ou Orphée, et des rôles de mezzo-soprano comme Amneris. Son répertoire était extrêmement étendu. Sa musicalité, la noblesse de son style, son talent d’actrice, sa présence scénique se pliaient à l’opéra italien (Verdi), allemand (Wagner et Strauss), et même français (elle fut une Carmen réputée). Son timbre était un des plus beaux qui se puisse entendre. KLUSÁK (Jan), compositeur tchèque (Prague 1934). Il est l’élève de J. Rídký et P. Bořkovec à l’Académie de musique et d’art dramatique de Prague (1953-1957). Influencé par Vostřák, il se fait connaître par ses Variations sur un thème de G. Mahler (1960-1962) et son opéra le Procès, d’après Kafka (1966). Entre 1961 et 1969, il écrit Six Inventions, les deux premières pour orchestre de chambre, la troisième, véritable hommage à Webern, la quatrième sur une nouvelle de Kafka, la cinquième pour quintette à vent, la sixième sous forme de nonette. Ces diverses réponses apportées aux problèmes esthétiques que se pose Klusák montrent qu’il est, avec Kopelent, l’un des rares compositeurs tchèques de sa génération à être passé d’un néoclassicisme stravinskien à un style postsériel vivant et inventif. Ainsi ses Images (4) [1960], Rondo pour piano (1967), Reydowak pour clarinette-basse, clavecin et piano (1972). KNAPPERTSBUSCH (Hans), chef d’orchestre allemand (Elberfeld 1888 - Munich 1965). L’étude de la philosophie à Bonn précède celle de la musique, entreprise en 1908, au conservatoire de Cologne, avec comme professeurs F. Steinbach, O. Lohse et L. Uzielli. Il est nommé chef d’orchestre du théâtre de Mühlheim, dans la Ruhr (19101912), avant de diriger l’Opéra de sa ville natale (1913-1918). Les Opéras de Leipzig (1918) et Dessau (1919-1921) accueillent le jeune chef qui succède en 1922 à B. Walter à la tête de l’Opéra de Munich. Chassé par les événements, il se réfugie en 1936 à Vienne et travaille au Staatsoper. Après la guerre, Munich accueille de nouveau celui qui va devenir son chef préféré, alors que Bayreuth (où il fut pourtant l’assistant de H. Richter et S. Wagner de 1910 à 1912) attendra la réouverture de 1951 pour l’inviter à diriger un Parsifal mémorable et à partager la direction de la Tétralogie avec Karajan (il devait la diriger ensuite deux fois à Paris, en 1955 et en 1957). Wagner, mais aussi R. Strauss et Beethoven, furent admirablement servis par les lectures de Knappertsbusch, à la fois scrupuleuses et soulevées par une ample respiration. KNITTEL (Krzystof), compositeur polonais (Varsovie 1947). Il fait ses études de composition avec Tadeusz Baird, Andrzej Dobrowolski et Wlodzimierz Kotonski, et obtient un diplôme d’ingénieur du son à l’École supérieure de musique de Varsovie. Il collabore depuis 1973 au Studio expérimental de la radio polonaise. Il constitue, avec Elzbieta Sikora et Wojciech Michniewski, le groupe KEW et réalise avec eux des oeuvres collectives (In the Tatra Mountains, 1974 ; Adjoinings Zones, 1976). La double formation de compositeur et d’ingénieur du son a permis à Knittel de développer une conception de la musique particulièrement originale. Pour lui, en effet, le phénomène sonore est d’une complexité telle que ses composantes ne peuvent être réduites à un commun dénominateur, mais doivent au contraire préserver leur autonomie, assumer leurs contradictions. Ainsi, par exemple, dans Dorikos I (1976-77) pour quatuor à cordes et bande magnétique, le musicien tente d’associer des sons instrumentaux et des sons naturels enregistrés ; la partie instrumentale et celle enregistrée jouent le rôle de partenaires devant assurer chacun leurs fonctions respectives. Il n’y a donc pas, dans une telle conception, hétérogénéité totale des sources sonores, mais bien toujours permanence des autonomies respectives qui témoigne du caractère utopique de leur rencontre. Cette préoccupation, déjà présente dans les premières oeuvres - 440 pour violon, piano et bande magnétique (1973) ; Points/lignes pour clarinette, bande magnétique et diapositives (1973) ; Form A, Form E pour quintette à vent et dispositif lumineux (1973) -, se retrouve dans des pièces plus récentes telle Odds and Ends pour matériel électroacoustique (1978), enregistrement des chutes du Niagara transformé par synthétiseur, du piano, diverses sources électroniques, voix, sirènes, etc. KNUSSEN (Olivier), compositeur anglais (Glasgow 1952). Fils d’un contrebassiste, il commença à composer dès l’âge de six ans et fit entendre sa première symphonie (1966-67) à quinze ans. La deuxième, pour soprano et orchestre de chambre, date de 197071, la troisième de 1973-1979 (création, Londres, 1979). Aux sonorités massives de cette dernière oeuvre s’oppose le côté linéaire et souple de certaines partitions de musique de chambre comme Masks pour flûte (1969), ou Océan de terre pour petit ensemble, d’après Apollinaire (197273 ; rév., 1976). À l’Opéra de Bruxelles ont été créés en novembre 1980 Where the Wild Things Are, fantaisie en 2 actes sur un livret de M. Sendak (1979-80), et à Glyndebourne en 1985 Higglety Pigglety Pop !. KOCH (Erland von), compositeur et organiste suédois (Stockholm 1910). Ses études le mènent en Allemagne et en France. Il est influencé par la vague néoclassique des années 30 et par la musique folklorique suédoise. En 1943, son style évolue (Capriccio nordique) et devient plus contrapuntique. Il a écrit 4 symphonies, 6 quatuors à cordes, 3 concertos pour piano et, entre 1964 et 1966, sa trilogie pour orchestre : Impulsi, Echi et Ritmi. KOCH (Heinrich Christoph), théoricien et violoniste allemand (Rudolstadt 1749 - id. 1816). Il étudia le violon et la composition à Rudolstadt, Berlin, Dresde et Hambourg, puis occupa un poste de premier violon à Rudolstad. À partir de 1772, il se consacra essentiellement à ses écrits théoriques. Parmi ceux-ci, deux ouvrages apparaissent, en leurs genres respectifs, comme les plus importants de l’ère classique viennoise à son apogée : Versuch einer Anleitung zur Composition (Essai de méthode de composition, Rudolstadt et Leipzig, 1782-83 ; rééd., 1969), et Musikalisches Lexikon (Lexique musical, Francfort, 1802 ; version abrégée, Leipzig, 1807). Le Versuch, en trois volumes, traite aussi bien des principes harmoniques de base que de la périodicité mélodique et de la composition d’un mouvement entier de symphonie. Le Lexikon est un dictionnaire de termes musicaux. On trouve également dans les deux ouvrages des considérations esthétiques. KOCHAN (Günter), compositeur allemand (Luckau 1930). Élève de Boris Blacher et de Hans Eisler, il occupe une place très officielle dans la vie musicale de la République démocratique allemande et enseigne depuis 1950 la théorie à l’École supérieure de musique de Berlin-Est. Il a écrit de nombreux ouvrages pour la jeunesse et pour le grand downloadModeText.vue.download 540 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 534 public, comme la cantate Die Welt ist jung (1951), et s’est forgé un langage classique dans la lignée de Eisler, Chostakovitch et Bartók avec, par exemple, son Concerto pour violon (1952), son Concerto pour alto (1974) et ses quatre symphonies, dont la première et la troisième avec soprano et choeurs (1964, 1968, 1972, 1983-1984). KÖCHEL (Ludwig Aloïs Friedrich, Ritter von), savant et musicographe autrichien (Stein an der Donau, Basse-Autriche, 1800 - Vienne 1877). Docteur en droit, il s’était acquis également une réputation européenne en botanique et en minéralogie. Il fut le précepteur des quatre fils de l’archiduc Karl de 1827 à 1842, année où il fut anobli. Après avoir été Schulrat à Salzbourg (18501852), il se consacra à la musicologie et en particulier à Mozart, dont il établit le catalogue chronologique et thématique de toutes les oeuvres (Chronologisch thematisches Verzeichnis Sämtlicher Tonwerke, Leipzig, 1862). Il rassembla une quantité importante de matériel d’origines diverses (dont une partie lui fut fournie par son ami Otto Jahn, à qui il dédia son travail), mais sa tâche la plus ardue consista à établir rigoureusement l’ordre chronologique des oeuvres, puisque beaucoup étaient encore autographes. Il rédigea ensuite un bref commentaire stylistique pour chaque pièce et fournit un appendice donnant la liste des oeuvres et des fragments perdus ou d’attribution douteuse. À partir de ces recherches, il publia en 1862 un article important : Uber den Umfang der musikalischen Produktivität W. A. Mozarts, qui servit de préambule au catalogue. Les révisions de celui-ci, par Paul Waldersee en 1905, puis par Alfred Einstein, en 1937 et en 1947, le complétèrent et le corrigèrent de façon substantielle. L’éditeur Breitkopf und Härtel fit paraître encore en 1951 Der Kleine Köchel, abrégé de l’édition de 1937. Une nouvelle révision intervint en 1964 (Franz Giegling, Alexander Weinmann, Gerd Sievers). On doit également à Köchel un important ouvrage sur Johann Joseph Fux (Vienne, 1872). KOCSIS (Zoltán), pianiste hongrois (Budapest 1952). Il commence ses études de piano à l’âge de six ans et entre en 1963 au Conservatoire Béla Bartók, où il étudie la composition et le piano. De 1968 à 1970, il se perfectionne à l’Académie de musique Franz Liszt auprès de P. Kadosa et F. Rados. Premier prix en 1970 du concours Beethoven de la radio hongroise, prix Franz Liszt en 1973, il commence à donner des concerts dans toute l’Europe. En 1977, il donne avec S. Richter un récital de piano à quatre mains, participe aux Semaines internationales de musique de Lucerne, remplace M. Pollini à la Grange de Meslay. En 1976, il est nommé professeur à l’Académie Franz Liszt de Budapest. Il fonde en 1983 l’orchestre du Festival de Budapest, dirigé par Ivan Fischer. Parallèlement au répertoire romantique (Liszt en particulier), il s’intéresse à la musique contemporaine et a assuré la création d’oeuvres de G. Kurtag. KODÁLY (Zoltán), compositeur hongrois (Kecskemét 1882 - Budapest 1967). Issu d’une famille musicienne (son père était violoniste amateur, sa mère, pianiste), ouverte aux influences tziganes, pratiquant la musique de chambre, il fit ses études secondaires à Galanta, puis à Nagyszombat (aujourd’hui Trnava, en Slovaquie), où il chantait dans les choeurs de la cathédrale et rendait fréquemment visite à la bibliothèque musicale. Il apprit le violoncelle en autodidacte, et s’installa à Budapest pour y poursuivre des études supérieures de lettres. Il s’inscrivit alors dans la classe d’H. Koessler (composition) à l’académie Franz-Liszt, où il rencontra Béla Bartók, qui, jusqu’à sa mort (1945), devait rester son plus fidèle ami. Kodály devint professeur diplômé en 1905, et décida d’enquêter dans les campagnes hongroises, comme suite à sa thèse de doctorat sur la structure « strophique » des chansons populaires. Docteur ès lettres en 1906, il se rendit à Paris, y suivit les cours de Ch. M. Widor au Conservatoire et découvrit l’univers debussyste. Il écrivit alors sa Méditation sur un motif de Claude Debussy pour piano (1907). Professeur de théorie musicale à l’académie Franz-Liszt en 1907, il y enseigna jusqu’en 1940 et y fut chargé d’une classe de composition dès 1908. Dès 1906, il réalisa avec Bartók, puis avec Emma Sandor, qu’il épousa le 3 août 1910 et qui allait être sa compagne et collaboratrice un demi-siècle durant, des études systématiques pour recueillir et noter les mélodies paysannes hongroises. Son activité simultanée de compositeur, de pédagogue, de folkloriste, de musicologue, et de journaliste fit de lui le maître à penser de la musique hongroise contemporaine. En 1921, les éditions Universal de Vienne achetèrent le droit exclusif d’édition de ses compositions. En 1925, un concert de ses oeuvres pour choeur d’enfants le révéla comme un maître incontesté du contrepoint vocal. Farouche figure du nationalisme culturel de la Hongrie, inventeur de méthodes d’enseignement de la musique permettant une initiation au chant choral dès le plus jeune âge, patriarche vénéré et entré dans l’histoire de son vivant, Kodály sut se faire respecter des contre-révolutionnaires du comte Horty, comme des autorités nazies pendant la dernière guerre. Trois fois prix Kossuth, membre correspondant de toutes les grandes universités mondiales, président de l’International Folk Music Council, il fut le plus éminent représen- tant de l’humanisme culturel de son pays pendant plus d’un demi-siècle. Son oeuvre, du point de vue de l’auditeur occidental, peut approximativement se diviser en deux ensembles. L’un regroupe les partitions de forme classique où Kodály fait la synthèse de la tradition allant de Bach à Debussy, en passant par Beethoven, Brahms et Wagner. L’autre, les quelque 1 500 pièces chorales consignées par lui-même dans un souci d’abord didactique : l’art d’un Palestrina s’y revivifie au contact des composantes mélodiques et rythmiques de la chanson populaire hongroise. L’activité créatrice de Kodály intéresse d’abord la musique de chambre, avec deux Quatuors à cordes (1908-1909, 19161918), un Duo pour violon et violoncelle (1914), une Sérénade (1918-1920) pour deux violons et alto et surtout deux étonnantes Sonates pour violoncelle, l’une avec piano (1909-10), l’autre pour violoncelle seul (1915). Dans cette dernière partition, l’instrument devient harpe, cithare, orchestre tzigane, tout en conservant son lyrisme grandiose dans la tradition de Bach. Kodály parvint à la notoriété internationale en faisant jouer ses oeuvres par les membres du Quatuor Waldbauer-Kerpely à Salzbourg, Vienne, Amsterdam... En 1923, la création du Psalmus hungaricus l’imposa au public hongrois comme chantre de la tradition héroïque de son peuple. Dans cette même veine, suivirent un Te Deum (de Budavar, 1936), créé pour le 250e anniversaire de la libération de Buda de la domination turque, une Missa brevis (1944) et le Psaume de Genève no 114 (1952). Sa musique symphonique doit à Toscanini son succès international. Soir d’été (1906) fut remanié en 1929-30. Des Danses de Marosszek (1930), l’original pour piano demeure l’un des sommets de la musique pour clavier. En 1927, naquirent deux oeuvres brillantes : la suite d’orchestre tirée de Hary Janos et l’Ouverture de théâtre. Toscanini fit ensuite connaître les Danses de Galanta, créées à Budapest en 1933. Wilhelm Mengelberg créa en 1939 les Variations sur une mélodie populaire hongroise (Le paon s’est envolé), dédiées au Concertgebouw d’Amsterdam, tandis que F. Stock donnait à Chicago la première du Concerto pour orchestre (1941). Enfin, F. Fricsay dirigea au festival de Lucerne (1961) la première de la Symphonie en ut, dédiée à la mémoire de Toscanini. Le style orchestral de Kodály, apparemment conservateur, est d’une grande unité : rythmique hongroise, harmonie modale naturelle, structure classique, procédés impressionnistes. Sa musique exprime souvent gaieté, santé, exubérance, des idées proches de celles d’un Janáček qui tranchent avec le romantisme downloadModeText.vue.download 541 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 535 allemand, dont il ne reprend que la grammaire et non l’humeur sombre et les volontés autobiographiques. Il est encore bien difficile de cerner l’oeuvre chorale immense de Kodály : cinq Tantum ergo (1928), dix mélodies (Lengyel Làszlo, Pünküsdölö, 1929), les quatre cahiers des Bicinia hungarica, bible du chant pour chorale d’enfants (1937-1942), la fresque grandiose des Tableaux de Matra, pour choeur mixte a cappella (1931) les Chants de Karad, Le paon s’est posé, l’Appel de Zrinyi, etc. Quelques exemples d’une oeuvre extrêmement variée, utilisant chansons, ballades, contes, mélodies populaires, reprenant, avec l’accent magyar, des scènes de la vie paysanne, des thèmes bibliques ou héroïques. Ses oeuvres scéniques, parmi lesquelles Hary Janos (1925-26) et Soirée des fileuses sicules (Fileuses de Transylvanie, 1924 ; rév. 1932, 1948), montrent le souffle épique, picaresque ou dramatique, dont il était capable. Aujourd’hui, l’héritage culturel de Kodály est d’une telle richesse qu’il faudra attendre la pénétration de la méthode Kodály dans notre enseignement musical pour que les futures générations aient pleinement conscience de l’apport privilégié fait par ce compositeur à la musique savante en faisant la synthèse de la tradition de Bach et Palestrina et des tournures naturelles de la mélodie populaire. Kodály restera sans doute comme le créateur de l’art choral du XXe siècle. KOECHLIN (Charles), compositeur français (Paris 1867 - Le Canadel, Var, 1950). Par sa naissance, il appartenait à la grande bourgeoisie industrielle d’Alsace. Dans son autobiographie, il a dit tout ce qu’il devait à ses aïeux : « C’est dans son hérédité alsacienne qu’il faut chercher ses caractéristiques : celles de son énergie, de sa naïveté - de son horreur par contre du bourrage de crâne -, de sa sincérité absolue et très simple. » Tout jeune, il découvrit J.-S. Bach par sa Cantate de la Pentecôte. De là, naquit une admiration pour le cantor de Leipzig à l’oeuvre duquel il ne cessa de se référer et dont témoignent maintes de ses compositions, tout particulièrement, l’Offrande musicale sur le nom de Bach op. 187. En 1887, il entra à l’École polytechnique, qu’il quitta deux ans plus tard - à la suite d’une grave maladie -, ce qui, dès lors, lui laissa le champ libre pour se consacrer à la musique. Il avait vingtdeux ans quand il entra au Conservatoire de Paris. À ses maîtres, Taudou (harmonie), Gédalge (contrepoint et fugue), Massenet, puis Fauré (composition), il devait garder une grande reconnaissance. Durant soixante ans, Koechlin édifia une des oeuvres les plus imposantes de son temps (225 numéros d’opus). « Le trait essentiel qui domine ma vie, c’est la passion de la liberté. » Cette passion domine également son oeuvre. Il a dit « son culte pour la mer, la montagne, les animaux, la nature tout entière ». L’amour de la créature l’a moins inspiré que celui de la création. Des mélodies, des choeurs nombreux témoignent de cet amour de la nature, des pièces orchestrales aussi comme la Forêt (1907), le Printemps, l’Hiver, l’Été (19081916), la Symphonie d’hymnes, le Livre de la jungle, Paysages et Marines pour piano. Cet amour de la nature englobe le ciel et, plus particulièrement, le ciel nocturne. Il est caractéristique que sa première oeuvre orchestrale, inspirée par H. Heine, soit En mer, la nuit (1904), et que l’une des plus anciennes parmi ses nombreuses mélodies soit un Clair de lune (1890). Suivront, participant de la même vision, le poème symphonique Vers la voûte étoilée (1933), les choeurs la Lampe du ciel (1896), la Chute des étoiles (1905-1909), le Nocturne pour harpe (1907), des mélodies comme le Sommeil de Canope (1906), Nox (1897-1900). Ainsi qu’il l’a noté, son évolution s’est poursuivie « dans le sens du grand mouvement vers la liberté d’écriture de Franck et de Chabrier, de Fauré, puis de Debussy, puis enfin des musiques polytonales et atonales ». L’inspiration de Koechlin est étayée par son inlassable et passionnée curiosité. Cette rare faculté d’accueil ennoblit l’homme, qui sut rester indépendant comme son oeuvre toute gonflée d’un généreux lyrisme. La discipline et la liberté s’y équilibrent et si la polytonalité et l’atonalisme appartiennent à son langage, Koechlin pratique également une écriture traditionnelle qui use librement des notes de passage et s’assimile les modes anciens. Témoignent de cette conception, notamment, de nombreux Chorals, l’Abbaye (1899-1903), Vingt Chansons bretonnes pour violoncelle et piano (1931-32 ; vers. orch., 1934), Fugue symphonique pour orchestre (1932), Deux Fugues pour quatuor à cordes (1932), Hymne pour ondes Martenot et orchestre (1929-1932), Choeurs a cappella (1935), Sonatine modale pour flûte et clarinette (1935), Choeurs monodiques de style modal pour l’Alceste d’Euripide (1938), Motets de style archaïque (1949), sans compter son Traité de polyphonie modale et son Solfège modal. Parallèlement à ces oeuvres tout imprégnées d’un modalisme lumineux, Koechlin s’évade vers des domaines plus légers. C’est ainsi que le cinéma, qu’il voit naître, et spécialement les « stars », qui l’illustrent, lui inspirent toute une série d’oeuvres : The Seven Stars’ Symphony (1933), grande fresque en 7 parties évoquant Douglas Fairbanks, Lilian Harvey, Greta Garbo, Clara Bow, Marlène Dietrich, Emil Jannings, Charlie Chaplin. En hommage à « l’insultante beauté de certaines stars », qui, selon lui, « viennent apporter un talent, une beauté, parfois un génie qui nous consolent de bien des choses », il compose l’Album de Lilian (1934), le Portrait de Daisy Hamilton (1934-1938), Sept Chansons pour Gladys (1935), l’Épitaphe de Jean Harlow (1937). L’évolution de son langage se retrouve dans les formes musicales qu’il adopte. À ses débuts, choeurs et mélodies le sollicitent, puis, s’enhardissant, il aborde le poème symphonique avec les Vendanges (1896-1906), la Nuit de Walpurgis classique (1901-1907), Chant funèbre à la mémoire des jeunes femmes défuntes (1902-1907), Jacob chez Laban, pastorale biblique (1896-1908), la Divine Vesprée, ballet (1918). Délaissant pour un temps l’orchestre, il se tourne vers la musique de chambre. De ce vaste ensemble de son oeuvre, détachons la Sonate pour flûte et piano (1913), qui inaugure toute une série de sonates pour tous les instruments, la dernière étant la Sonate à sept (1949). Entre-temps naissent Cinq Sonatines pour piano (1916), les charmantes Quatre Sonatines françaises pour piano à 4 mains (1919), 3 Quatuors à cordes, un Quintette avec piano (1921), que Koechlin considérait comme « la plus marquante, peut-être, de ses oeuvres », un second quintette pour flûte, violon, alto, violoncelle et harpe (1949), un Trio pour flûte, clarinette et basson (1924), un Septuor d’instruments à vent (1937), un Trio d’anches (1945), chacune de ces oeuvres étant « une pièce unique, dont le plan se trouve déterminé par l’évolution vivante des thèmes et des sentiments, par leur vie même, et qui ne fut jamais décidé à l’avance » (Koechlin). Cependant, il poursuit l’élaboration d’une oeuvre symphonique importante, où l’on relève la Symphonie d’hymnes (1936), et dont une partie est animée par l’esprit de la fugue, comme le Buisson ardent (1938-1945), la Seconde Symphonie (1943), le Docteur Fabricius (1944). La personnalité de Koechlin serait restituée de façon incomplète si l’on oubliait le professeur. Non seulement ses traités font autorité, de ses Études sur les notes de passage (1922) à son important Traité de l’orchestration (1954-1959), en passant par le Traité d’harmonie, les Études sur le choral d’école, sur l’écriture de la fugue d’école, mais il instruisit et conseilla nombre de musiciens, parmi lesquels F. Poulenc, G. Taillefer, R. Desormière, F. Barlow, M. Thiriet, H. Sauguet. Son goût impérieux de savoir et de comprendre, inséparable de sa générosité à faire partager ses découvertes et de son ardent besoin de justice, firent de lui un des plus qualifiés exégètes de la musique de son temps. Ses ouvrages sur Fauré, qui lui demanda d’orchestrer sa suite de Pelléas et Mélisande, sur Debussy, qui lui confia l’orchestration de Khamma, ainsi que des études comme celles sur l’Harmonie moderne, les Tendances de la musique française contemporaine, sans parler des nombreux articles qu’il disdownloadModeText.vue.download 542 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 536 pensa dans les grandes revues de musique et divers journaux, sont autant de sources de connaissances auxquels on n’a pas fini de retourner. On n’est pas étonné de voir cet indépendant participer, en 1909, à la fondation de la Société musicale indépendante. KOENIG (Gottfried Michael), compositeur allemand (Magdeburg 1926). Dans les studios de la W. D. R. de Cologne, il a été, parallèlement à Eimert et Stockhausen, un des pionniers de la musique électronique sérielle « pure et dure » des années 50, et il poursuit à présent, dans le studio de sonologie de l’université d’Utrecht, où il est professeur depuis 1964, ses recherches dans le même sens, sinon avec la même technique. Depuis quelques années, il explore des processus de composition par ordinateur, selon des procédures de recherche fort abstraites, qui ne semblent qu’accessoirement et fortuitement se traduire en sons audibles. Que cela donne des « oeuvres » ou non, il s’agit du moins de recherches qui existent et dont il faut prendre acte, quitte à en critiquer les postulats. Citons, parmi les résultats de ces recherches : Klangfiguren (1955-56), un des « classiques » des premières années du studio de Cologne, la série de Projekte, oeuvres instrumentales composées avec l’aide de l’ordinateur, et les 8 Fonctions, pièces électroniques que seuls leurs différents sous-titres (Fonctions verte, jaune, orange, rouge, bleue, indigo, violette, grise) colorent, Beitrag pour orchestre (1986). KOERING (René), compositeur français (Andlau, Alsace, 1940). Il étudia le piano et le hautbois à Strasbourg, puis, ayant rencontré Pierre Boulez en 1960, se rendit sur ses conseils à Darmstadt. De 1962 à 1964, il se consacra exclusivement à des essais de composition et à l’animation d’une série de concerts à Strasbourg, dirigeant notamment, en collaboration avec Pierre Stoll et Ernest Bour, des oeuvres pour petites formations. De cette époque datent notamment Suite intemporelle pour récitant et 8 instruments (1961) et Combat T 3 N pour piano et orchestre (1962). En 1965 fut créé au festival de Strasbourg Triple et Trajectoire pour piano et 2 orchestres. Suivit en 1966 la création dans la même ville de Trauma pour 19 vents et 2 percussions. Les années 1967-1970 furent marquées par des expé- riences souvent sans lendemain dans le sens de la musique pop, sous l’influence notamment de peintres et de sculpteurs américains et français, et par l’installation du compositeur à Paris (1969). De cette période datent Finn Catapulta pour piano et percussion solistes, vents et percussions (1967), ou encore Quatre Extrêmes pour orchestre (1968, création, Strasbourg, 1969). La rencontre de Michel Butor en 1972 fut pour René Koering un événement important. De cette même année datent Dilaby pour grand orchestre et Centre d’écoute pour bande magnétique, d’où devaient être tirés Manhattan Invention pour violoncelle et bande (1973) et La nuit écoute pour bande et sextuor à cordes (création, festival de Royan, 1973). Au festival de Royan 1974 furent créés le Quatuor à cordes no 1 (1974) et la Symphonie no 1 pour clarinette basse amplifiée et 7 instruments (1966-1974), et au festival de Royan 1975 fut créé Mahler sur des textes de Michel Butor, pour diverses formations, dont le grand orchestre (1971). À citer encore : Vocero pour grand orchestre (1972), Jeux et Enchantements pour piano, violoncelle et orchestre (1974, versions possibles avec un seul soliste ou orchestre seul), Jusqu’au feu, exclusivement... pour violoncelle et orchestre, clarinette et orchestre, ou violon, clarinette et 2 orchestres (1974-75), 34 Mesures pour un portrait de T... pour 21 instruments (1976), Concerto pour piano (1976-77), Sonate pour piano (1976), Métal hurlant pour 22 instruments (1976), Konzert I, II et IV pour orchestre (1977), Mit Innigster Empfindung pour orchestre (1977), l’opéra Elseneur sur un livret de Michel Butor (création, Radio-France, 1980), un Quatuor à cordes no 2 (création, biennale de Venise, 1981), l’opéra la Lune vague (au concert Metz, 1982 ; à la scène, Rennes, 1983), l’opéra la Marche de Radetzky (Strasbourg, 1988) et Marie de Montpellier (Montpellier, 1994). KOGAN (Leonid), violoniste soviétique (Dniepropetrovsk 1924 - en gare de Myitichtcha 1982). Ses premiers essais musicaux à sept ans lui ouvrent les portes d’une école réservée aux talents les plus prometteurs. C’est au conservatoire de Moscou qu’il suit, de 1943 à 1948, l’enseignement d’un disciple d’E. Auer, A. Yampolski. Encore étudiant, il fait ses débuts à dix-sept ans et se produit en différentes villes d’Union soviétique. En 1944, il est promu violon solo de l’Orchestre philharmonique de Moscou. Deux premiers prix, celui du Festival mondial de la jeunesse à Prague (1947) et surtout celui du concours Reine-Élisabeth de Belgique (1951), le font connaître hors frontières. Il fait ses débuts à Paris en 1955 et aux États-Unis l’année suivante. Enseignant dès 1952 au conservatoire de Moscou, il mène une carrière vouée principalement à la défense de la musique contemporaine (il est le premier Soviétique à jouer le Concerto de Berg) et à la musique de chambre. Il partage cette passion avec sa femme, Elizaveta Guilels, et avec son fils Pavel, tous deux violonistes. Il a aussi été le partenaire d’Emil Guilels et de M. Rostropovitch au sein d’un trio célèbre. Nombre de compositeurs soviétiques lui ont dédié leurs oeuvres : Khrennikov, Karajev, Bunin, Khatchaturian, etc. Il possédait un Guarnerius del’ Jesu de 1726. KOKKONEN (Joonas), compositeur finlandais (Iisalmi 1921). Ses premières oeuvres, après la guerre, partent du néoclassicisme « post-Hindemith » pour évoluer vers un style postromantique non sans qu’il ait subi, en cours de route, la tentation sérielle. Excellent orchestrateur, Joonas Kokkonen révèle sa maîtrise des techniques d’écriture en particulier dans ses nombreux scherzos et son lyrisme romantique se teinte souvent de religiosité. Si sa 3e Symphonie (1967) représente un sommet de son oeuvre, il faut également retenir : la Sinfonia da camera pour 12 cordes (1961-62), les 5 Bagatelles pour piano (1968-69), la Symphonie no 4 (1971), les Trois Quatuors à cordes et son opéra Viimeiset kiusaukset (« les Dernières tentations », 1973-1975), qui connaît un grand retentissement en Finlande et marque le début d’une floraison d’opéras dans ce pays. En 1977, avec Durch einen Spiegel pour 12 cordes et clavecin, Kokkonen semble entrer dans une nouvelle période créatrice, confirmée avec le Requiem de 1981. La remarquable linéarité de sa pensée, jointe à l’importance des postes qu’il occupe (Académie de Finlande, professeur de composition à l’académie Sibelius de 1959 à 1963 et prix Sibelius en 1973), a longtemps fait de Kokkonen le compositeur quasi officiel de la Finlande d’aujourd’hui et la personnalité musicale la plus influente du pays depuis J. Sibelius. KOLASSI (Irma), mezzo grecque (Athènes 1918). Elle étudie le chant et le piano au Conservatoire d’Athènes, puis à l’Académie Sainte-Cécile de Rome. Longtemps hésitante sur le choix du piano ou du chant, elle commence sa carrière comme chef de chant à l’Opéra d’Athènes et professeur de piano au Conservatoire de la ville pendant la Seconde Guerre mondiale, puis elle abandonne Athènes en 1949 et le piano pour venir s’installer à Paris. C’est alors le début d’une carrière éclatante dans le répertoire vocal du XXe siècle, particulièrement celui de la mélodie française. Elle se produit dans Erwartung de Schönberg sous la direction de H. Rosbaud, ou encore dans l’OEdipus rex de Stravinski, et participe à la création de l’Ange de feu de Prokofiev, puis à la création française de Wozzeck. Elle est une grande interprète des mélodies de Duparc, Fauré et Ravel, et s’est produite en récital, accompagnée par Nadia Boulanger et Francis Poulenc, entre autres. En 1970, elle décide d’interrompre sa carrière et se consacre à l’enseidownloadModeText.vue.download 543 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 537 gnement. Sa version discographique du Poème de l’amour et de la mer d’Ernest Chausson reste inégalée. KOLISCH (Rudolf), violoniste américain d’origine autrichienne (Klamm am Semmering 1896 - Watertown, Massachusetts, 1978). Il étudia à l’Académie de musique et à l’université de Vienne jusqu’en 1913, puis continua à travailler le violon avec Sevcik, la théorie et la composition avec Schönberg, qui, en 1924, épousa en secondes noces sa soeur Gertrud. Il fonda en 1922 un quatuor, qui devait rapidement acquérir une grande réputation internationale, en particulier parce que ses membres jouaient de mémoire. Ce quatuor se consacra largement au répertoire contemporain et donna notamment les premières des 3e et 4e quatuors de Schönberg, du 5e de Bartók, du trio à cordes et du quatuor à cordes de Webern, et de la Suite lyrique de Berg. Il dut se dissoudre en 1939. Plus tard, Rudolf Kolisch fut premier violon du quatuor Pro Arte. Il enseigna à l’université du Wisconsin de 1944 à 1967. Une blessure à la main gauche, durant son enfance, l’obligea toute sa vie à tenir son violon de la main droite et l’archet de la gauche. KOLO. Chant dansé, originaire des Balkans, qui s’est répandu par la suite dans toute l’Europe centrale. D’un mouvement assez rapide, il est exécuté par un groupe constituant une ronde ou un demi-cercle. Rimski-Korsakov en a introduit un dans l’acte II de son opéra-ballet Mlada (1890). KOMENSKY (Jan Amos), pédagogue, théologien et musicien tchèque (Uhersky Brod 1592 - Naarden, Pays-Bas, 1670). Connu également sous le nom de Comenius, évêque dans la communauté des Frères moraves (1632), il quitta la Moravie par suite des persécutions catholiques (1628) et vécut en Pologne jusqu’en 1642. Il voyagea ensuite en Suède, en Angleterre, en Hongrie, et s’établit en Hollande vers 1656. Comme éducateur, il publia son ouvrage le plus célèbre, Janua linguarum reserata, en 1633. Il devait être traduit en une quinzaine de langues. Comme musicien, il fit notamment éditer à Amsterdam, en 1659, un immense recueil d’hymnes protestants tchèques ou traduits en tchèque (Kancional... kniha... pisni duchovnich), en tout 150 psaumes et 430 hymnes. Suivit un second recueil, les Kirchen-, Haus- und Hertzens-Musica (Amsterdam, 1661 ; rééd. Prague, 1952). KOMIVES (János), compositeur et chef d’orchestre français d’origine hongroise (Budapest 1932). Il a fui son pays en 1956 lors de l’intrusion des chars russes et s’est, depuis, fait naturalisé français. Il doit une solide formation à l’académie Ferenc-Liszt de sa ville natale, où il a travaillé sous la tutelle de Zoltán Kodály, de Ferenc Farkas et de László Somogyi ; en France, il s’est perfectionné auprès de Darius Milhaud. Chef d’orchestre lauréat en 1957 du concours international de Besançon, il s’est ensuite produit à la tête des principaux orchestres français, notamment des orchestres de l’O. R. T. F. sans négliger l’étranger et se rendant dans maints pays d’Europe et d’Afrique. Durant plusieurs années, il a dirigé l’orchestre de l’opéra de Koblenz en Allemagne fédérale. Compositeur, il a décroché par deux fois le prix Italia : en 1968, pour son oratorio La Vera Istoria della Cantoria di Luca della Robbia et, dix ans plus tard, pour son essai radiophonique À coeur ouvert. À noter que son conte pour enfants l’Histoire de Nikita, chien chanteur d’opéra a été distingué en 1973 par l’Académie du disque français, que son Recitativo pour orchestre de 1967 a été sélectionné par la Tribune internationale de compositeurs de l’Unesco, et enfin, que l’Antichambre, opéra pour un homme seul avec mannequin, a été couronné en 1975 par le prix international Opéra-Ballet de Genève. Parmi ses autres compositions, retenons Épilogues, onze séquences pour cuivres avec percussion (1964), Concerto pour quatuor à cordes et orchestre (1970), Catéchisme de nuit pour soprano et orchestre (1971), Zodiaques, douze constellations pour ensemble et percussion (1972), Pop-Symphonie (1973), Flammes pour clarinette seule (1975), l’opéra pour enfants la Révolution en culottes courtes (1989), où la rigueur le dispute à l’imagination, enfin Interview, huit sketches pour coloratura, acteur et cinq musiciens (1978), sans compter de multiples musiques pour théâtre, cinéma, radio et télévision. KONDRACHINE (Kirill Pietroyvitch), chef d’orchestre soviétique (Moscou 1914 - Amsterdam 1981). Né de parents musiciens, il apprit le piano et la théorie musicale avec Nikolay Zhilyayev, qui eut une forte influence sur lui. Il débuta à la direction d’orchestre au Théâtre des Enfants de Moscou (1931) et se perfectionna dans cet art au conservatoire de cette ville (1932-1936) avec Boris Khaïkin. Chef assistant du théâtre musical Nemirovich-Danchemko, il dirigea, lors de son premier concert, les Cloches de Corneville de Planquette (1934), puis fut nommé chef attitré du théâtre Maly à Leningrad (1936-1943), qu’il quitta pour le théâtre du Bolchoï (1943-1956), où il s’affirma en tant que chef de renommée internationale. Directeur artistique de la Philharmonie de Moscou (1960-1975), il compta cette période parmi l’une des plus riches de sa carrière. Dès 1960, il abandonna la baguette pour ne plus diriger que par gestes selon les nouvelles techniques contemporaines. Sous sa direction, l’orchestre du Bolchoï acheva de conquérir une haute réputation internationale. Chef attitré du Concertgebouw d’Amsterdam depuis 1979, il a publié un ensemble d’articles musicaux (l’Art de diriger, Leningrad, Moscou, 1972). Ses interprétations sont caractérisées par une exceptionnelle retenue fondée sur un travail très fouillé. Grand interprète de Chostakovitch, il a créé ses 13e et 14e symphonies. KONTARSKY, famille de pianistes allemands, Aloys (Iserlohn 1931) et Alfons, frère du précédent (Iserlohn 1932). Élèves de Else Schmitz-Gohr et d’Eduard Erdmann à Cologne (1952-1955), Aloys et Alfons Kontarsky remportèrent en 1955 le premier prix de duo de pianos au festival international de la Radio de Munich. Depuis, ils se sont consacrés ensemble non seulement au répertoire classique et romantique (Mozart, Schubert, Brahms, Reger), mais aussi et surtout à la musique contemporaine. Des compositeurs tels que Berio, Brown, Bussotti, Kagel, Pousseur, Stockhausen et Zimmermann ont écrit pour eux. Ils donnèrent par exemple, au festival de Donaueschingen 1970, la première audition de Mantra de Stockhausen. Parmi leurs nombreux enregistrements figurent cette oeuvre ainsi que les deux livres de Structures de Pierre Boulez. En 1966, à Darmstadt, Aloys donna la première audition complète des Klavierstücke I à XI de Stockhausen, qu’il devait enregistrer peu après. Aloys et Alfons Kontarsky ont l’un et l’autre enseigné à Darmstadt, et, depuis 1969, enseignent à l’École supérieure de musique de Cologne. KONWITSCHNY (Franz), chef d’orchestre allemand (Fulnek, Moravie, 1901 - Belgrade 1962). Il a occupé des postes à Fribourg (1933), Francfort (1938) et, après la guerre, à Hanovre, et a été ensuite, de 1949 à sa mort, chef de l’orchestre du Gewandhaus de Leipzig. Il a occupé également, de 1953 à 1955, le poste de chef d’orchestre à l’Opéra de Dresde. Souvent comparé à Furtwaengler, il a excellé dans le répertoire romantique (Beethoven, Bruckner, Richard Strauss), et créé Colombus, de Werner Egk, en 1942, et Orchestermusik, de Paul Dessau, en 1955. downloadModeText.vue.download 544 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 538 KONZERTSTÜCK ou CONCERTSTUCK (all. : « pièce de concert »). Terme désignant en général une oeuvre concertante (pour soliste[s] et ensemble instrumental), en un seul mouvement (souvent de forme sonate), ou en plusieurs épisodes contrastés enchaînés sans interruption, pouvant être prétexte à faire briller un instrument dans des démonstrations de virtuosité : c’est le cas du Konzertstück pour 4 cors et orchestre, en fa majeur, op. 86, de Robert Schumann, conçu pour exploiter les nouvelles possibilités du cor à piston de Leopold Uhlmann. On connaît aussi : du même auteur, le Konzertstück, Introduction et allegro appassionnato op. 92, pour piano et orchestre ; le Konzertstück en fa op. 79, pour piano et orchestre, de Carl Maria von Weber, un des premiers du genre (1821) ; celui d’Anton Rubinstein pour piano et orchestre ; ceux de Max Bruch et Cowen, pour la même formation ; et, dans l’école française, le Konzertstück de Gabriel Pierné pour harpe et petit orchestre. Le genre du Konzertstück, né avec le romantisme, ne lui a guère survécu, du moins sous ce nom, puisqu’on connaît, par ailleurs, une multitude de pièces en un mouvement pour orchestre et soliste, qui ne revendiquent pas ce titre, attaché à une notion de « brillant » instrumental. KOOPMAN (Ton), organiste, claveciniste et chef d’orchestre néerlandais (Zwolle 1944). À l’université d’Amsterdam, il étudie la musicologie tout en travaillant le clavecin et l’orgue au Conservatoire d’Amsterdam auprès de Gustav Leonhardt et de Simon C. Jansen. En 1966, il fonde l’ensemble Musica da Camera. Il obtient en 1968 le premier prix de basse continue au Concours international de clavecin de Bruges et fonde en 1970 l’orchestre baroque Musica Antiqua d’Amsterdam. En 1986, il est nommé en France officier de l’Ordre des arts et des lettres. 1992 voit la naissance du Choeur baroque d’Amsterdam. Il dirige aussi, à partir de 1994, l’Orchestre de chambre de la radio néerlandaise à Hilversum. Claveciniste et organiste, professeur de clavecin aux Conservatoires d’Amsterdam et de Rotterdam, musicologue auteur de plusieurs écrits sur l’instrumentation de la musique baroque, chef de choeur et d’orchestre, il a largement contribué depuis le début des années 1970 à la redécouverte des répertoires baroque et classique. Il a entrepris une intégrale discographique des cantates de Bach. KOOY (Peter), basse néerlandaise (Soest 1954). Dès l’âge de six ans, il chante dans la chorale que dirige son père. En 1969, il commence des études de violon au Conservatoire d’Utrecht avec Carlo Van Neste. En 1974, il y reprend ses études de chant avec Dora Linderman et, en 1980, obtient le diplôme de soliste au Conservatoire Sweelinck d’Amsterdam, après ses études auprès de Max Van Egmond. À partir de 1974, il appartient au Choeur de chambre de la radio néerlandaise. Il participe également à de nombreux concerts aux PaysBas et dans toute l’Europe, se produisant en soliste avec le Collegium Vocal de Gand et l’ensemble de la Chapelle royale, sous la direction de Philippe Herreweghe. KOPELENT (Marek), compositeur tchèque (Prague 1932). Élève de J. Rídký à l’Académie musicale et d’art dramatique de Prague (1951-1955), il est, depuis 1956, rédacteur dans des maisons d’édition musicale nationales. Il s’est rapidement dégagé de l’influence de l’école officielle, basée sur la chanson populaire et l’esthétisme socialiste, pour évoluer vers des techniques nouvelles, étudiant l’école de Vienne, Boulez, Berio, Nono et l’école allemande moderne. Depuis 1960, l’ensemble de son oeuvre tend à assimiler des acquis techniques sans se départir d’une invention mélodique profonde. Sensible aux anciennes civilisations, il s’est penché sur des manuscrits extra-européens (sanskrits, sumériens, mongols, japonais anciens, arabes, etc.) afin d’en retrouver les réflexes musicaux et philosophiques. Travaillant avec Vostřák, il fut l’animateur des Musica viva pragensis, ensemble de musique contemporaine qui a fait rayonner la musique tchèque à Donaueschingen et à Darmstadt. Depuis quelques années, il semble avoir quitté le devant de la scène musicale. Par ses seules oeuvres connues en Occident, il s’est affirmé comme l’une des personnalités les plus intéressantes et dynamiques de l’école tchèque actuelle. KORNGOLD (Erich Wolfgang), compositeur autrichien (Brno 1897 - Hollywood 1957). Fils du critique Julius Korngold, enfant prodige, il fut recommandé à Mahler et à Zemlinski. Le triomphe remporté en 1920 à Hambourg, où il était devenu chef d’orchestre, par son opéra Die tote Stadt (d’après Bruges la morte de Rodenbach), marqua le sommet de sa carrière. Contraint d’émigrer aux États-Unis en 1934, il s’y spécialisa dans la musique de film, mais il devait constater, après son retour en Europe, que ses ouvrages, si fêtés un quart de siècle plus tôt, avaient quitté le répertoire. Sa musique de théâtre - citons aussi Violanta (1916) - s’inspire à la fois de Puccini et de Richard Strauss, mais en annexant leurs qualités les plus extérieures. KÓSA (György), pianiste et compositeur hongrois (Budapest 1897 - id. 1984). Il a été l’un des premiers élèves de Bartók, non seulement en piano, mais également pour la composition. De 1908 à 1912, il a suivi les classes de Zoltán Kodály et de Viktor Herzfeld à l’académie Franz-Liszt de Budapest. Engagé comme corépétiteur à l’opéra (1916-17), il s’est perfectionné au clavier auprès de Dohnanyi. Il a fait une carrière de pianiste et accompagné tous les grands solistes de l’époque. Chef d’orchestre au théâtre Tripolis, il est ensuite revenu à Budapest comme professeur de piano à l’académie Franz-Liszt, où il remplace Bartók lors des déplacements de ce dernier. Compositeur prolixe, comparable sous cet angle à Darius Milhaud, il touche à tous les genres, jouant d’une écriture naturellement expressionniste et marquée de spiritualité. Ouvert à toutes les influences esthétiques, il a su s’enrichir auprès de Bartók et de Kodály, mais également auprès d’A. Habá et de Webern. Cet éclectisme rarissime ne lui enlève rien de son originalité, Kósa sachant passer, avec aisance, de la cantate dramatique, tel son Orpheus, Eurydike, Hermès (1967), à l’opéra-comique Kocsonya Mihály házassága (« le Mariage de M. Kocsonya », 1971). Le meilleur de son oeuvre réside néanmoins plus dans sa musique de chambre (8 quatuors) que dans ses 10 symphonies. KOSMA (Joseph), compositeur français d’origine hongroise (Budapest 1905 - La Rochelle-Guyon 1969). Il fit ses études à l’académie Franz-Liszt à Budapest et débuta à l’opéra de cette ville comme chef d’orchestre adjoint, puis, obtenant une bourse, alla travailler comme stagiaire à l’opéra de Berlin (1929). La même année, il se lia avec Bertolt Brecht et suivit son théâtre ambulant, ce qui l’amena à travailler avec Hans Eisler et Kurt Weill. Il se fixa à Paris en 1933 et remporta un succès avec ses premières musiques de film, notamment la Grande Illusion (1937) et la Bête humaine (1938) de Jean Renoir. Pendant l’Occupation, il entra dans la Résistance. Il rencontra Jacques Prévert, et tous deux écrivirent des chansons qui circulèrent rapidement dans les milieux de la Résistance. Ce n’est qu’après la guerre qu’elles furent popularisées et touchèrent un large auditoire grâce à des interprètes comme les Frères Jacques, Yves Montand, Juliette Gréco. Au demeurant, Kosma est un musicien authentique, auteur de pièces pour piano, de mélodies, de musique de scène (pour les Mouches de Sartre), de ballets (le Rendez-Vous, Hôtel de l’espérance, le Pierrot de Montmartre). Mais il fut surtout, avant et après la guerre, l’un des plus grands musiciens de cinéma, avec Maurice Jaubert. Parmi ses musiques de film, citons les Enfants du paradis (1944, écrit en clandownloadModeText.vue.download 545 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 539 destinité), les Amants de Vérone (1949), la Bergère et le Ramoneur (1952), Voici le temps des assassins (1955), Un drôle de paroissien (1963), et de nombreux courts métrages, dont le Sang des bêtes (1949) et En passant par la Lorraine (1951). KOTO. Sorte de cithare japonaise, d’origine chinoise, caractérisée par des chevalets mobiles, qui permettent de modifier la hauteur du son fourni par les cordes. De forme oblongue, le koto se pose sur le sol. KOTONSKI (Wlodzimierz), compositeur polonais (Varsovie 1925). Il enseigne la musique électroacoustique à l’École supérieure de musique de Varsovie, après avoir été un des pionniers de cette technique dans son pays. Il a réalisé plusieurs oeuvres électroniques dans le studio de musique expérimentale de la radio polonaise à Varsovie : Étude sur un seul son de cymbale (1959) et Microstructures (1963), toutes deux appliquant à un matériau « concret » des procédures de composition très abstraites ; Aela (1970), oeuvre électronique conçue selon des techniques aléatoires. À la W. D. R. de Cologne, il a conçu Klangspiele (1967), pièce « mobile » pour 2 bandes magnétiques autonomes, au groupe de recherches musicales de Paris, Eurydice (1971) et, au groupe de musique expérimentale de Bourges, les Ailes (1973). Dans le domaine instrumental, il a été l’un des premiers compositeurs polonais à s’évader du « folklorisme » officiel pour entreprendre des oeuvres sérielles comme la Musique de chambre (1958), pour ensemble instrumental, puis des pièces plus tachistes comme Selection I (1962), pour guitare électrique, piano et 2 saxophones. Ont suivi notamment Action pour sons électroniques (1969), Terre incognita pour orchestre (1984), Oiseaux pour clarinette, violoncelle et piano (1988). KOUNADIS (Arghyris), compositeur, chef d’orchestre et pianiste grec (Constantinople 1924). Il entreprit des études musicales au conservatoire d’Athènes dans la classe de piano de S. Farandatos, jusqu’en 1952. Puis il étudia la composition avec Yannis Papaïoannou au Conservatoire hellénique jusqu’en 1956. Enfin, il put poursuivre ses études en Allemagne dans la Freiburg Hochschule für Musik, où il travailla la direction d’orchestre avec K. Ueter et la composition avec W. Fortner. En 1963, il devint l’assistant de ce dernier et prit la direction de l’ensemble Musica viva de la Freiburg Hochschule für Musik. Son oeuvre, assez importante, compte, entre autres, des opéras (The Return [1961, 1974], Der Gummisarg [1962], Der Aus- bruck [1974]), des compositions pour orchestre (Sinfonietta [1951], Cinq Compositions [1957-58], Heterophonika idiomela [1967]), de la musique de chambre (Quatuor à cordes [1960], Quatre Pièces pour flûte, violoncelle et piano [1965]), et de la musique vocale, soit pour une voix et divers instruments, soit pour choeur. À signaler également ses Trois Poèmes de Cavafy pour soprano, flûte, célesta, guitare et violoncelle (1963) et ses Epigramma II et III pour choeur (1968). À ses débuts, Arghyris Kounadis subit les influences de Stravinski et de Bartók, ainsi que celle de la chanson populaire urbaine grecque (le Rebetiko). Après 1957, son style s’est affirmé avec l’utilisation de la technique sérielle et des formes aléatoires, tout en gardant un caractère fortement lyrique, à l’instar de son compatriote Nikos Skalkotas. L’oeuvre de Kounadis reflète les préoccupations et l’esthétique des tendances musicales actuelles en Grèce, à savoir une osmose de postexpressionnisme et de lyrisme exacerbé. KOUSSEVITSKI (Serge), chef d’orchestre et compositeur américain d’origine russe (Vychni Volotchek 1874 - Boston 1951). Il fit ses études à l’Institut philharmonique de Moscou. Contrebassiste à l’orchestre du Bolchoï (1894), puis professeur de contrebasse à l’Institut philharmonique, il débuta dans l’Orchestre philharmonique de Berlin (1908), avant de fonder, à Moscou, en 1909, un orchestre avec lequel il fit de brillantes tournées, ainsi que les Éditions Russes de Musique, qui firent bientôt connaître les jeunes compositeurs de l’époque (Stravinski, Prokofiev). Après une brillante carrière européenne (les concerts Koussevitski eurent lieu en France de 1921 à 1928), il se fixa aux États-Unis (1924), et succéda à Pierre Monteux comme chef de l’Orchestre symphonique de Boston (1926), poste qu’il devait conserver jusqu’à sa mort. En 1930, pour le cinquantième anniversaire de l’orchestre, il commanda plusieurs partitions (3e Symphonie de Roussel, Konzertmusik op. 50 d’Hindemith, Symphonie de psaumes de Stravinski), qui prirent aussitôt place parmi les classiques de la musique contemporaine. Il fonda le Berkshire Music Center (1938), puis, après la mort de sa femme Nathalie, la Koussevitsky Music Foundation (1942), pour aider les jeunes compositeurs. Le premier opéra commandé par cette fondation fut Peter Grimes de Benjamin Britten (1945). Spécialiste de la musique romantique, comme le prouvent les quelques partitions dont il est l’auteur (notamment un Concerto pour contrebasse largement inspiré de Tchaïkovski), il a été un généreux mécène de l’art contemporain. KOVACEVITCH (Stephen), pianiste et chef d’orchestre américain (Los Angeles 1940). Il commence ses études auprès de Lev Schon et se produit en public à l’âge de dix ans. Il se fixe un peu plus tard à Londres, où il étudie avec Myra Hess. Sa carrière débute en 1961, avec un récital consacré aux Variations Diabelli de Beethoven au Wigmore Hall de Londres. Il se consacre ensuite à une carrière de pianiste soliste, interprétant les grands concertos, se produisant en récital dans de nombreuses villes, créant des oeuvres contemporaines écrites à son intention. En 1985, il commence une carrière de chef d’orchestre. KOX (Hans), compositeur néerlandais (Arnhem 1930). Il a fait ses études musicales avec Spaandermann et surtout Hans Badings (à Utrecht). Titulaire du prix Italia (1970) et du prix Rostrum des compositeurs (1974), il a été directeur de l’école de musique de Doetinchen (1956-1971). Il est aujourd’hui l’une des personnalités saillantes de l’école néerlandaise, et son catalogue est l’un des plus importants de sa génération. Il révèle, dans l’esprit qui est le sien, une grande puissance expressive et une rare maîtrise instrumentale. Dès ses premières oeuvres (sonate pour piano et quatuor à cordes), il a affirmé l’importance accordée au développement du matériel thématique et sa Musique concertante (pour trio de cuivres et orchestre), composée en 1956 pour le jubilé de Van Beinum au pupitre du Concertgebouw, a marqué le point de départ d’une carrière riche de promesses et dont les principes traditionalistes ont toujours su le garder de l’académisme. KOZELUCH, famille de musiciens tchèques. Jan Antonin, compositeur et pédagogue (Velvary 1738 - Prague 1814). Il étudia la musique dans sa ville natale et à Prague, vécut à Vienne d’environ 1763 à 1766 et termina sa vie à Prague (à partir de 1784, comme maître de chapelle à la cathédrale Saint-Guy). On lui doit de la musique religieuse, les opéras Alessandro nell’Indie (1769) et Il Demofoonte (1771), des symphonies et concertos. Jan Antonin, dit Leopold, compositeur, pianiste et éditeur (Velvary 1747 - Vienne 1818). Cousin du précédent, il se fit appeler « Leopold » pour éviter toute confusion. Élève de F.-X. Dusek à Prague, il produisit, en 1771, dans cette ville un ballet avec un succès tel que 24 autres suivirent en sept ans. En 1778, il s’installa à Vienne, devint professeur de piano à la Cour, et, en 1781, refusa la succession de Mozart comme organiste à Salzbourg. À partir de 1784, il publia ses propres oeuvres. En 1792, il devint compositeur impédownloadModeText.vue.download 546 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 540 rial et maître de chapelle de la chambre impériale (poste différent de celui de compositeur de chambre qu’avait occupé Mozart), et mena une carrière publique assez brillante jusque vers 1805. Comme homme, il jouit d’une assez mauvaise réputation à cause de ses remarques désobligeantes sur Haydn, Mozart et Beethoven. Il écrivit des opéras, de la musique sacrée, des symphonies, mais s’intéressa particulièrement au piano-forte. Reconnu de son vivant comme un pionnier en ce domaine, il écrivit pour cet instrument de nombreuses sonates, de nombreux trios et de nombreux concertos lui assurant une place de choix dans la musique viennoise de la fin du XVIIIe siècle. Un catalogue de ses oeuvres a été dressé en 1964 par Milan Postolka. KOZLOWSKI (Ossip, Josip, Joseph), compositeur russe d’origine polonaise (Varsovie 1757 - Saint-Pétersbourg 1831). Il donna des leçons de musique au fils du prince Oginski, avant de partir pour la Russie, où il participa à la guerre contre les Turcs. Il fut ensuite, pendant plusieurs années, le musicien attitré du prince Potemkine. À la mort de ce dernier, il fut nommé directeur des Théâtres impériaux. Son oeuvre est partagée entre la musique de scène de style sérieux, où il se montra le continuateur de Fomine, et la musique d’apparat, profane ou religieuse, pleine d’éclat et de solennité. Il a composé la musique pour les pièces OEdipe et Fingal de Oserov (1804, 1805), l’opéra Esther sur un livret de Kapnist, un Requiem pour la mort du roi de Pologne Stanislas August (1798), un Te Deum pour le couronnement du tsar Nicolas Ier et de nombreuses polonaises avec choeur et orchestre. L’une d’entre elles, Retentis, tonnerre de la victoire, sur un texte de Derjavine, écrite en 1791 pour la victoire des Russes sur les Turcs, fut exécutée au palais de Potemkine en présence de Catherine II et conserva jusqu’en 1833 la valeur d’hymne national ; Tchaïkovski l’a introduite dans son opéra la Dame de pique. Kozlowski a également joué un rôle important dans la formation de la romance russe, sentimentale et teintée d’intonations populaires. KRAFT, famille de musiciens autrichiens. Anton, violoncelliste et compositeur (Rokycany, Bohême, 1749 - Vienne 1820). Engagé comme premier violoncelliste par le prince Nicolas Esterházy en 1778, il reste à Esterháza jusqu’à la mort du prince en 1790, recevant de Haydn quelques leçons de composition. Il fut ensuite violoncelliste dans l’orchestre du prince Grassalkovics à Presbourg, puis dans celui du prince Joseph Lobkowitz à Vienne (1796). En 1802, il faillit être réengagé par les Esterházy avec son fils Nikolaus, mais ce projet n’aboutit pas, Kraft ayant formulé sur le plan financier de trop fortes exigences. Il fit, seul ou avec son fils, de nombreuses tournées, et, l’année de sa mort, il fut nommé premier professeur de violoncelle au conservatoire de la Société des amis de la musique à Vienne. Le concerto pour violoncelle en ré majeur Hob. VIIb.2 de Haydn (1783), composé pour lui, a parfois été considéré comme de sa propre plume. Il créa la partie de violoncelle du triple concerto opus 56 de Beethoven. Très grand interprète, il composa pour son instrument des sonates, des pièces diverses et un concerto. On lui doit aussi des trios pour deux barytons et violoncelle, destinés au prince Esterházy. Nikolaus, violoncelliste et compositeur (Esterháza 1778 - Cheb, Bohême, 1853). Formé par son père, il entra avec lui dans l’orchestre du prince Lobkowitz, et fut plus tard membre du Quatuor Schuppanzigh. Il s’imposa comme un des plus grands violoncellistes du début du XIXe siècle. Ce fut lui qui, le premier, fit courir la légende selon laquelle son père Anton était le véritable auteur du concerto en ré de Haydn. KRAUS (Alfredo), ténor espagnol (îles Canaries 1927). Élève de Mercedès Llopart, il débute au Teatro Carignano de Turin dans le rôle d’Alfredo (la Traviata, Verdi, 1956). Sa voix chaude, brillante, son style rigoureux, son registre étendu (il atteint aisément le ré aigu), le font considérer comme l’un des meilleurs ténors légers, lyriques, de sa génération. Son élégance raffinée, alliée à une vibrante expression et une belle prestance, en fait l’interprète idéal des rôles aristocratiques tels Don Ottavio, le comte Almaviva, le duc de Mantoue, des Grieux, Werther, etc. KRAUS (Joseph Martin), compositeur allemand (Miltenberg am Main, Allemagne, 1756 - Stockholm 1792). Il étudia à Mayence, Erfurt et Göttingen, notamment avec l’abbé Vogler, puis s’installa en Suède en 1778. Second chef de l’opéra (1781), il fut nommé maître de chapelle de la cour de Gustaf III en 1788, puis directeur de l’Opéra royal, postes qu’il devait conserver jusqu’à sa mort, ce qui ne l’empêcha pas de voyager en France, Italie, Angleterre et Allemagne. À Vienne, en 1783, il rencontra Haydn et Gluck. La musique de Kraus est d’une très grande intensité expressive et, même si l’on y retrouve maints traits qui l’apparentent au style de Mozart, Haydn ou surtout Gluck, elle annonce souvent le XIXe siècle et plus précisément Schubert, voire Beethoven. Son oeuvre est d’une haute tenue. De ses symphonies (au moins 12), il faut surtout retenir celle en ut mineur, écrite à Vienne en 1783 et dédiée à Haydn. Kraus a également composé de nombreuses oeuvres instrumentales, trios, quatuors, quintettes, 2 sonates pour piano (mi bémol majeur et mi majeur), 4 sonates pour violon et piano ; pour le théâtre, des partitions de ballet (Fiskarena, 1789), des musiques de scène (intermèdes et divertissements pour l’Amphitryon de Molière, 1784), des opéras (Proserpina, 1781 ; Sollman den andre, 1789 ; Aeneas i Carthago, posthume, 1799) et des airs. Enfin, compositeur de musique religieuse, il a laissé 1 Requiem (1776), 2 Te Deum (1776, 1783), des motets et 3 cantates, dont l’étonnante Cantate funèbre pour la mort de Gustaf III, qui, en 1792, devait être son ultime ouvrage. KRAUS (Lili), pianiste américaine d’origine hongroise (Budapest 1905 - Asheville, Caroline du Nord, 1986). Après avoir étudié à l’Académie royale de musique de sa ville natale, sous la direction de Bartók et de Kodály, et suivi les leçons d’Arthur Schnabel, elle obtient, en 1926, le diplôme supérieur du conservatoire de Vienne, où elle enseigne à son tour, deux ans plus tard. Elle entreprend une brillante carrière, principalement consacrée à l’oeuvre de Mozart et de Schubert. Après l’interruption de la guerre - elle est internée dans un camp de concentration japonais -, elle grave les premières intégrales des sonates pour piano et de celles pour piano et violon (avec W. Boskowski). En 1966, elle donne à New York l’intégrale des concertos pour piano de Mozart, et crée la Fantaisie Graz de Schubert, nouvellement découverte. On lui doit également l’édition des cadences originales de Mozart pour ses concertos. Avec le temps, son jeu, qui recèle à la perfection le charme mozartien, s’est dépouillé des afféteries pour privilégier le classicisme d’une conception qui n’a rien perdu de son enthousiasme. KRAUSS (Clemens), pianiste et chef d’orchestre autrichien (Vienne 1893 - Mexico 1954). Il fit ses études au conservatoire de Vienne avec H. Gradener et R. Heuberger (théorie) et H. Reinhold (piano). Il fut successivement chef d’orchestre à Brno, Riga (1913-14), Nuremberg (1915-16), Szczecin (1916-1921) et Graz (1921-22). De 1922 à 1924, il dirigea au Staatsoper de Vienne et enseigna la direction d’orchestre à la Staatsakademie. En 1923, il succéda à Furtwängler à la tête des Tonkünstlerkonzerte et, l’année suivante, assuma la direction des Museumskonzerte de Francfort-sur-le-Main. Il fut ensuite chef d’orchestre à l’opéra de Vienne (1929-1934), à l’opéra de Berlin (à partir de 1935), puis intendant de l’opéra de Munich (1937-1944), et directeur des concerts de l’Orchestre philharmonique downloadModeText.vue.download 547 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 541 de Vienne. Il réorganisa le Mozarteum de Salzbourg et dirigea les premières représentations d’Arabella (Dresde, 1933), Friedenstag (Munich, 1938), Capriccio (Munich, 1942), dont il écrivit aussi le livret, et Die Liebe der Danae (Salzbourg, 1952) de Richard Strauss. Il était marié à la soprano roumaine Viorica Ursuleac. Son répertoire était très large. Il excellait aussi bien dans les opérettes de Johann Strauss que dans la Tétralogie de Wagner, dont il dirigea en 1953, à Bayreuth, de mémorables représentations. Et c’est à lui qu’on doit les premiers enregistrements de la Création et des Saisons de Haydn. KRAUZ (Johann Friedrich), compositeur allemand (Weimar 1752 - Stuttgart 1810). Entré dans l’orchestre de Weimar en 1766, il étudia avec Joseph Haydn vers 1785, puis voyagea en Italie, où il rencontra Goethe, avant de devenir, en 1791, directeur musical des théâtres de la cour de Weimar. Il quitta ce poste en 1803, à la suite notamment d’une brouille avec Goethe, et devint alors maître de chapelle à la cour de Stuttgart. KRAUZE (Zygmunt), compositeur polonais (Varsovie 1938). Il fait ses études de composition avec Kazimierz Sikorski et de piano avec M. Wiðkomirska à l’École supérieure de musique de Varsovie. Il les complète chez Nadia Boulanger à Paris. Spécialisé, en tant que pianiste, dans les exécutions de musiques d’avant-garde, il reçoit le premier prix au Concours international des interprètes de musique contemporaine d’Utrecht. Z. Krauze est un des représentants les plus actifs de la musique contemporaine polonaise ; outre son propre travail de composition, qui se situe dans un axe expérimental, il mène une action particulièrement dynamique de diffusion de la nouvelle musique ; il dirige ainsi depuis 1967 l’Atelier de musique constitué de 4 musiciens. Sur le plan de sa propre conception compositionnelle, Z. Krauze se situerait dans la lignée des musiques non évolutives américaines, notamment celle de Morton Feldman. Musique qui n’a ni début ni fin, sans contrastes, la musique de Krauze se présente moins comme oeuvres déjà accomplies que comme processus dans lesquels pourraient s’inscrire les auditeurs sans pour autant en perturber le schéma. C’est ainsi qu’il déclarait dans son commentaire à Pièce pour orchestre no 1 (1969) : « Deux tendances juxtaposées s’affrontent en musique : l’aspiration à la forme homogène et l’aspiration à une forme au déroulement contrasté ; elles sont pour moi un phénomène d’une importance de premier ordre. J’exige de ma musique qu’elle soit calme et organisée. Sa sonorité doit avoir une forme suffisamment individuelle pour pouvoir se distinguer du chaos d’une autre musique et du chaos d’autres sons. » Z. Krauze est l’auteur de nombreuses compositions instrumentales (Triptyque pour piano, 1964 ; Quatuor à cordes, 1965 ; Diptyque pour 14 instruments à cordes, 1967 ; Polychromies pour ensemble instrumental libre de 4 à 15 exécutants, 1968 ; Fallingwater pour piano solo, 1971 ; The Last Recital pour piano, 1974-75 ; Concerto pour piano, 1974-1976), mais également de pièces faisant intervenir des moyens électroacoustiques (Idyll, 1974), ou encore des éléments mécaniques (Song pour 6 instruments et 6 boîtes à musique, 1974 ; Automaphone pour 14 instruments à cordes pincées et 7 instruments mécaniques, 1974). Citons encore l’opéra de chambre Die Kleider (1980), un Double concerto pour violon, piano et orchestre (1985), Symphonie parisienne (1986), la Rivière souterraine (1987). KREBS, famille de musiciens allemands. Trois membres de cette famille furent élèves de J.-S. Bach, deux d’entre eux ayant fait une carrière d’organiste et compositeur. Johann Tobias senior (Heichelheim 1690 - Buttstädt 1762). Il étudia le clavecin, l’orgue et la composition, et se perfectionna à Weimar auprès de J.-S. Bach et de J. G. Walther. Il fut cantor à Buttelstedt (1710), puis organiste de la Michaeliskirche de Buttstädt (1721). On connaît de lui quelques pièces pour orgue. Johann Ludwig (Buttelstedt 1713 - Altenburg 1780). Fils aîné de Johann Tobias senior, il travailla sous la direction de Bach à l’école Saint-Thomas de Leipzig (1726-1735). Bach le considérait comme l’un de ses meilleurs élèves et lui écrivit une recommandation attestant son talent sur les instruments à clavier, le violon, le luth, et en composition. Il fut organiste de la Marienkirche de Zwickau (1737), puis à la cour de Zeitz (1744) et à la cour d’Altenburg (1756), après avoir postulé en vain la succession de Bach à Leipzig. Il a composé une importante oeuvre d’orgue, des suites pour clavecin, de la musique de chambre et de la musique vocale (demeurée inédite). Johann Tobias junior (Buttelstedt 1716 Grimma 1782). Frère de Johann Ludwig, il fut aussi élève de J.-S. Bach à Leipzig (1729-1739). À la mort de Johann Ludwig, ses deux fils, Ehrenfried Christian Traugott, puis Johann Gottfried, lui succédèrent dans sa charge d’organiste de la cour et directeur de la musique à Altenburg. KREISLER (Fritz), violoniste et compositeur américain d’origine autrichienne (Vienne 1875 - New York 1962). Il étudia à Vienne avec J. Hellmesberger junior (violon) et A. Bruckner (harmonie), puis au Conservatoire de Paris (1885-1887) avec Massart (violon) et Delibes (harmonie). En 1889-90, il fit une première tournée aux États-Unis avec Moritz Rosenthal. Après deux années consacrées à l’étude de la médecine (18891891), il reprit ses activités musicales et donna en 1899 un mémorable concert à la Philharmonie de Berlin. En 1902, il fit ses débuts londoniens. Ses tournées le menèrent ensuite sur tous les continents. En 1923, il se rendit en Scandinavie, au Japon, en Corée et en Chine, en 1924 en Australie et en Nouvelle-Zélande, et en 1928 en Roumanie. Sa dernière apparition en public eut lieu le 1er novembre 1947 à New York : il joua la partita pour violon seul en si mineur de Bach, le Poème de Chausson et la Fantaisie de Schumann. Kreisler est l’un des plus grands violonistes du XXe siècle. La poésie de son jeu, son intensité d’expression rehaussée par un vibrato inégalable - même dans les « traits » de virtuosité -, sa sonorité rayonnante et chaleureuse, la sûreté de son goût, qui le fait réussir aussi bien dans les grandes oeuvres du répertoire classique et romantique que dans les petits morceaux de genre qu’il interprète avec un charme typiquement viennois, et son magnétisme personnel ont fait de lui un artiste unique. Hormis deux opérettes, ses compositions sont destinées au violon. Dans la série des Manuscrits classiques, attribués à des compositeurs célèbres, il pastiche avec humour et élégance des compositeurs des XVIIe et XVIIIe siècles. KREMER (Gidon), violoniste russe et allemand (Riga 1947). Il reçoit ses premières leçons de violon de son père à l’âge de quatre ans puis étudie à l’École de musique de Riga et au Conservatoire de Moscou auprès de David Oïstrakh. De 1967 à 1973, il est lauréat de plusieurs concours internationaux (Reine Élisabeth de Belgique en 1967, Tchaïkovski en 1970, Montréal, Gênes, etc.) Grâce à l’intervention de David Oïstrakh, il peut donner en 1974 son premier récital à Vienne. En 1978, il est autorisé à séjourner librement en Europe et aux ÉtatsUnis et s’installe en Allemagne. Son goût des répertoires originaux et sa technique brillante en font l’une des personnalités les plus intéressantes parmi les violonistes de son temps. Très attiré par la musique de chambre, il fonde en 1981 le Festival de Lockenhaus, carrefour européen d’artistes souhaitant partager de grands moments de musique hors de toute contingence commerciale. En 1992, ce festival prend le nom de KREMERata Musica. G. Kremer a downloadModeText.vue.download 548 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 542 créé un grand nombre d’oeuvres contemporaines, de compositeurs soviétiques en particulier (Goubaïdoulina, Denisov, Schnittke, etc.). KREMSKY-PETITGIRARD (Alain), compositeur et chef d’orchestre français (Paris 1940). Il fit de brillantes études au Conservatoire national de Paris, où il obtint trois premiers prix. Il fut premier grand prix de Rome de composition avec la cantate le Grand Yacht Despair (1962), lauréat du prix Halphen de composition, de la William and Norma Copley Foundation et du prix Stéphane-Chapelier en 1967. Il séjourna à Rome, à la villa Médicis (19631967). Il reçut le grand prix musical de la Ville de Paris, le prix Prince-de-Monaco (1968) et le prix du Jeune Travailleur intellectuel (1975). Ses oeuvres témoignent d’une imagination fort originale, révélant une réelle préoccupation métaphysique ; citons Harmonies des mondes (1967), Labyrinthe pour orchestre (1968), Paysages métaphysiques (1971), Petite Liturgie (1974), Un paysage serein (1975), Musique pour un temple inconnu (1978). KRENEK (Ernst), compositeur américain d’origine autrichienne (Vienne 1900 Palm Springs, Californie, 1991). Il aborde la musique dès l’âge de six ans et devient l’élève de Schrecker en 1916. Il écrit dans un style contrapuntique assez strict, inspiré de Bach et de Reger, qui témoigne d’une indépendance déjà grande à l’égard de son maître. En 1920, il le suit à Berlin ; il compose à une cadence rapide des oeuvres au rythme et à la structure énergiques, qui le font passer pour révolutionnaire, bien qu’elles soient toujours contrebalancées par un côté conventionnel certain (quatuor op. 6, 1921 ; 2e Symphonie, 1922 ; cantate scénique Der Zwingburg, « la Forteresse », 1922, sur un texte de l’expressionniste Franz Werfel ; Der Sprung über den Schatten, « le Saut pardessus l’ombre », 1923 ; un Zeitoper, qui parodie Offenbach). C’est à cette époque qu’il se fait connaître à la Société internationale de musique contemporaine ; ses oeuvres sont jouées dans les grands festivals. De 1925 à 1927, il exerce la fonction de conseiller artistique de Paul Bekker au théâtre de Kassel, puis, en 1927, de directeur de l’opéra de Wiesbaden. Durant cette période, il compose beaucoup de musique de scène, son style évolue dans le sens de la mode, opérant une sorte de synthèse des styles postromantique, néoclassique et de la musique de jazz. La meilleure réalisation en est certainement Johnny spielt auf (« Johnny mène le jeu »), Zeitoper, créé en 1927, qui fait scandale par la mise en scène des amours d’un Noir et d’une Blanche et assure sa renommée à travers l’Europe. En 1928, il retourne à Vienne, où il rencontre Berg, Webern et Karl Kraus. Après le Reisebuch aus den Österreichischen Alpen (« Journal de voyage des Alpes autrichiennes », 1929), qui fait parler d’un « retour à Schubert », il se tourne vers une écriture plus stricte, proche de celle des Viennois, quoique toujours très souple en regard de la pure technique dodécaphonique. Son opéra Karl V, composé entre 1930 et 1933 et dans lequel il utilise simultanément les ressources de l’opéra classique, du film et du théâtre, est, en fait, une des seules oeuvres qui respecte réellement cette technique. En 1933, ses positions de musicien d’avant-garde lui font perdre ses appuis : il se met à voyager en tant que conférencier et se produit comme pianiste et chef d’orchestre. En 1938, il s’exile aux États-Unis ; son style change à nouveau. Il s’intéresse au chant grégorien, à la musique du Moyen Âge et du XVe siècle - à Ockeghem en particulier -, et écrit en 1941-42 sa remarquable Lamentatio Jeremiae prophetae pour choeur a cappella sur un cantus firmus confié à une série. Il consacre une part importante de son temps à des activités pédagogiques - Vassar College, près de New York, puis université de Saint-Paul dans le Minnesota (1942) -, avant de s’installer à Los Angeles. Les années 50 lui ouvrent le chemin des musiques expérimentales : en 195556, il travaille au studio de la radio de Cologne et compose un Pfingstoratorium (« Oratorio de Pâques ») pour voix et sons électroniques. Dans Sestina (1957), il explore jusqu’à l’automatisme la technique sérielle. L’aléatoire et l’ordinateur ne lui restent pas étrangers, et il va jusqu’à employer un jeu de roulette dans l’opéra Ausgerechnet und verspielt (« Calculé et manqué », 1962). Mais il refusera toujours les élucubrations pseudo-scientifiques, fréquentes chez ses contemporains. Il faut ajouter encore, pour mieux cerner le personnage, que Krenek ne s’est pas contenté d’écrire pour tous les genres musicaux et de s’adapter aux courants stylistiques les plus divers, de l’expressionnisme à l’art technologique moderne en passant par la Nouvelle Objectivité et le surréalisme (Der goldene Bock, 1964), il a aussi rédigé lui-même la plupart de ses livrets, ainsi qu’un nombre assez important d’oeuvres théoriques, esthétiques ou simplement littéraires (Documents de voyage). Tempérament fougueux plus que superficiel, allant toujours au fond des choses et restant critique vis-à-vis de ses propres oeuvres et de son époque, Krenek peut être considéré comme une image de cet homme « multidimensionnel », que réclamaient futuristes et tenants de l’école à orientation à la fois artistique et technologique du Bauhaus. KRESTIANIN (Féodor), chantre et compositeur russe ( ? v. 1530 - ? fin du XVIe s.). L’un des premiers compositeurs russes répertoriés, il fut le musicien attitré du tsar Ivan IV le Terrible, dans la seconde moitié du XVIe siècle. Son oeuvre, exclusivement religieuse, vocale et monodique, consiste en un développement très élaboré des chants znamenny (« neumatiques »). Il rassembla autour de lui tout un cénacle de chanteurs et de compositeurs. Le manuscrit de ses Stichères évangéliques fut déchiffré au XXe siècle par le musicologue soviétique Brajnikov. KRETZSCHMAR (Hermann), musicologue allemand (Olbernhau, Saxe, 1848 Berlin 1924). Après avoir été élève de la Kreuzschule de Dresde, puis du conservatoire de Leipzig, il soutint une thèse sur la notation musicale ancienne, De signis musicis quae scriptores per priman medis aevi partem usque ad Guidonis Aretini (Leipzig, 1871), et enseigna successivement au conservatoire de Leipzig (1871), à l’université de la même ville (1887), puis à l’université de Berlin (1904), avant de diriger la Hochschule für Musik de Berlin (1909-1920). Musicien cultivé, organiste et chef de choeur, il a écrit des oeuvres pour orgue et compose de la musique vocale profane aussi bien que sacrée, mais c’est à son oeuvre de théoricien qu’il doit sa notoriété. Il introduisit, en effet, l’herméneutique dans l’esthétique musicale, c’est-à-dire une analyse qui considérait les oeuvres comme les signes d’émotions ou d’états d’âme vécus par les compositeurs. S’intéressant également à la pratique musicale, Kretzschmar publia notamment Führer durch den Konzertsaal (3 vol., Leipzig, 1888-1890), que d’autres spécialistes complétèrent après sa mort, et plusieurs manuels d’histoire de la musique. Il édita, d’autre part, les volumes 8, 9 et 42 de la Denkmäler deutscher Tonkunst, dont il fut l’éditeur général de 1911 à 1919. KREUTZER (Conradin), compositeur et chef d’orchestre allemand (Messkirch, Bade, 1780 - Riga 1849). Après des études de droit à Fribourgen-Brisgau, il se consacra entièrement à la musique (1800), étudia à Vienne avec Johann Georg Albrechtsberger (1804), rencontra dans cette ville Franz Joseph Haydn, fut maître de chapelle à Stuttgart, puis à Donaueschingen (1818-1822), dirigea divers théâtres à Vienne (1822-1827, 1829-1832, 1833-1834 et 1834-1840) et, enfin, la musique à Cologne (1840-1842). De ses 30 opéras, le plus célèbre fut, en son temps, Das Nachtlager in Granada (Vienne, 1834). On lui doit aussi de la musique de chambre, dont un célèbre Septuor op. 62, et surtout des lieder, dont beaucoup sur des textes de Ludwig Uhland. downloadModeText.vue.download 549 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 543 KREUTZER (Rodolphe), violoniste, pédagogue et compositeur français (Versailles 1766 - Genève 1831). Il reçut ses premières leçons de son père, originaire de Breslau, étudia le violon avec Anton Stamitz et joua son premier concerto pour violon au Concert spirituel en 1784. Jeanne d’Arc (1790), Paul et Virginie (1791), le Franc Breton (1791) et Lodoiska (1791) furent les premiers de ses quelque 40 opéras-comiques et ouvrages pour la scène. Il enseigna le violon au Conservatoire de Paris, de sa fondation en 1795 à 1826. En 1798, il séjourna à Vienne dans la suite de l’ambassadeur Bernadotte et fit la connaissance de Beethoven, qui, par la suite, devait lui dédier sa Sonate pour piano et violon op. 47, dite Sonate à Kreutzer. Il ne sut rien de cette dédicace et ne joua jamais l’ouvrage. Il occupa plusieurs postes sous l’Empire et la Restauration. Influencé par Viotti, il fonda avec Baillot et Rode l’école française moderne de violon. Il écrivit pour son instrument 19 concertos - parmi lesquels le 16e (18041805) sur des thèmes de Haydn, dont on avait à tort annoncé la mort -, de la musique de chambre et surtout ses 42 Études ou caprices (à l’origine 40, 1796), qui, aujourd’hui encore, font partie du matériel de base pour l’enseignement du violon. KRIEGER (Adam), compositeur allemand (Driesen 1634 - Dresde 1666). Il travailla la composition et l’orgue avec Samuel Scheidt à Halle et succéda à Rosenmüller comme maître de tribune à Saint-Nicolas de Leipzig, de 1655 à 1657. Nommé à la cour de Dresde (qu’il connaissait déjà, pour y avoir rencontré Heinrich Schütz, dont il peut être aussi considéré comme le disciple), il y exerça, jusqu’à sa mort, les fonctions d’organiste, contribuant au renom d’une chapelle qui avait compté dans ses rangs quelques chefs de file de l’école germanique. C’est, d’ailleurs, au fait que la chapelle électorale de Saxe était alors la première d’Allemagne que Krieger doit d’avoir eu la possibilité d’écrire pour la voix, plutôt que pour l’orgue. La maîtrise était célèbre pour la qualité de ses chantres et nul doute que c’est à eux que le musicien songeait en composant ses Arien (à 1, 2 et 3 voix) en 1657. Le succès que rencontrèrent ces 50 pièces (avec accompagnement de 2 violons, 1 basse de viole et du continuo) incita Krieger à écrire d’autres arien (de 1 à 5 voix, et avec accompagnement de 5 instruments à cordes et basse continue). Mais ce n’est qu’après sa mort que parurent ces 50 Neue Arien, qui marquent, avec le livre de 1657, le sommet du lied monodique au XVIIe siècle. KRIEGER (Edino), compositeur et critique musical brésilien (Brusque, Santa Catarina, 1928). Initié à la musique par son père, il donna des récitals de violon dès l’âge de quatorze ans. Il fit ses études musicales à Rio de Janeiro, aux États-Unis (Berkshire Music Center) avec Aaron Copland et Peter Mennin, et à Londres, puis devint réalisateur d’émissions radiophoniques dans un but de diffusion musicale, organisateur de festivals et de concours pour l’État de Guanabara. Il est président de la Société brésilienne de musique contemporaine. Marqué d’abord par l’impressionnisme, le compositeur s’est ensuite tourné vers la technique sérielle, sans oublier les autres ressources contemporaines ni le folklore brésilien. La musique dramatique d’Edino Krieger comprend principalement : Antigone (1953), Natividade do Rio (1965) ; la musique orchestrale des Contrastes (1949), une Ouverture (1955), Ludus symphonicus (1966) ; la musique pour formation de chambre, un Chôro pour flûte et cordes (1952), une Suite pour cordes (1954), des Variations élémentaires (1964). Le musicien a également composé des quatuors à cordes, des trios, des duos instrumentaux, des mélodies, des choeurs et des pièces pour piano. KRIPS (Josef), chef d’orchestre autrichien (Vienne 1902 - Genève 1974). Il étudia la musique à l’Académie de Vienne avec Mandyszewsky et Weingartner, et fit ses débuts de chef au Volksoper de Vienne (1921). De 1924 à 1925, il dirigea l’opéra du Stadttheater de Dortmund et celui d’Aussig am Elbe. Il fut chef permanent de l’Opéra d’État de Vienne (1933-1938) et enseigna à l’Académie de Vienne (1935-1938). Après l’Anschluss, Krips dirigea pendant une saison (193839) l’opéra de Belgrade, puis se vit interdire toute activité musicale publique. Dès la fin de la guerre, il se consacra à la réorganisation de la vie musicale à Vienne. Il contribua également à la réouverture du festival de Salzbourg (1946), et fut le chef permanent de l’Opéra d’État de Vienne (1945-1950). En 1950, ce chef à l’âme si profondément viennoise décida de s’expatrier. Il fut chef principal du London Symphony Orchestra (1950-1954), de l’Orchestre philharmonique de Buffalo (1954-1963), et enfin de l’Orchestre philharmonique de San Francisco (19631970). Il ne renonça pourtant jamais à son titre de chef invité permanent de l’Opéra d’État de Vienne, qui lui avait été conféré en 1931. Il fut aussi directeur de la musique au festival de Cincinnati (1954-1960), chef invité de l’Opéra royal de Covent Garden (1963), au Metropolitan Opera de New York (depuis 1966) et au Deutsche Oper de Berlin, de 1970 à sa mort. L’Opéra de Paris eut le privilège d’une de ses dernières apparitions en public, dans Cosi fan tutte, peu de mois avant sa mort. L’oeuvre de Mozart, et notamment Don Giovanni, fut la pierre angulaire de la carrière et de la vie même de Krips. Il fut aussi un grand interprète de Schubert, en particulier de sa Neuvième Symphonie, et de Schumann. Avec Karl Boehm, il fut l’héritier de toute une tradition musicale autrichienne, faite de légèreté, de joie et de rigueur. KRIVINE (Emmanuel), chef d’orchestre et violoniste français (Grenoble 1947). Très jeune il se passionne pour l’orgue et la musique symphonique, mais s’oriente cependant vers le violon, qu’il étudie à Grenoble, puis au Conservatoire de Paris dans la classe de R. Benedetti. Titulaire d’un 1er Prix en 1963, il se perfectionne auprès de Henryk Szeryng et de Yehudi Menuhin et s’impose dans plusieurs grands concours (Reine Élisabeth de Belgique en 1968, puis Naples, Gênes, Londres). En 1965, la rencontre avec Karl Böhm donne une seconde orientation à sa carrière et, dans les années 70, il délaisse peu à peu le violon pour commencer à diriger. De 1976 à 1983, il est premier chef invité du Nouvel Orchestre philharmonique de Radio France ; de 1981 à 1983, il dirige l’orchestre philharmonique de Lorraine. Victime d’un accident en 1981, il doit abandonner le violon. La même année, il est nommé premier chef invité puis en 1987 directeur musical de l’Orchestre national de Lyon. KŘÍŽKOVSKÝ (Pavel), compositeur et maître de choeur tchèque (Holasovice 1820 - Brno 1885). Il entra au noviciat des frères augustins de Brno en 1845, où il se perfectionna en orgue, puis travailla la composition avec Gottfried Rieger. En 1848, il devint le maître du choeur du monastère de Brno, pour lequel il écrivit une suite de choeurs pour voix d’hommes essentiellement centrés sur des textes populaires, qui servent encore aujourd’hui de répertoire de base entre celui de Smetana et Janáček. La première de son choeur Utonula (« la Noyée »), en 1848, reçut un accueil enthousiaste. Il fut nommé maître de chapelle de la cathédrale d’Olomouc (1873), avant de se retirer dans son monastère en 1883. Outre une importante production de caractère religieux, Křížkovský a laissé de nombreuses mélodies éditées par cahiers ou isolées et des choeurs et cantates avec solistes, mais accompagnées au piano (ou harmonium). Il ne s’est pas contenté de citer quelques airs populaires afin de pimenter la rigueur de l’écriture liturgique pour choeur, mais a repris les matériaux originels en respectant fondamentalement downloadModeText.vue.download 550 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 544 leur prosodie. Il est considéré comme le père de la musique chorale tchèque. KROLL OPER. Théâtre d’opéra berlinois, en activité de 1924 à 1931, avec comme directeur musical, à partir de 1927, Otto Klemperer, qui en fit un haut lieu du théâtre lyrique en Allemagne. KROMMER (Franz Vincenz) ou KRAMAR (Frantisek Vincenc) compositeur tchèque (Kamenice 1759 - Vienne 1831). Connu aussi sous le nom de « KrommerKramar », il s’établit à Vienne en 1785, où il revint en 1795, après plusieurs années passées en Hongrie. Il fut nommé huissier à la Cour en 1815 et, en 1818, succéda à Leopold Kozeluch au poste (qu’il devait être le dernier à occuper) de maître de chapelle de la Chambre impériale. Il composa plus de 300 ouvrages, dans tous les genres, sauf le piano seul, le lied et l’opéra. Ses quatuors à cordes, au nombre de plus de 100, furent favorablement comparés à ceux de Haydn. On lui doit aussi 9 symphonies, dont 2 sont perdues, des danses, des marches, des ouvrages pour vents seuls. D’une particulière importance sont ses concertos pour instruments à vent, notamment ceux pour clarinette, et ses 40 duos pour 2 violons parus chez Peters à Leipzig dans la Collection des duos concertants (1855-1857). KRUMPHOLTZ, famille de musiciens tchèques. Johann Baptist (Jan Krtitel), compositeur, harpiste et facteur d’instruments (Budenice 1742 - Paris 1790). Protégé par le comte Kinsky, il étudia le cor avant de se tourner vers la harpe. Après plusieurs tournées en Europe, il fut membre de la chapelle du prince Esterházy à Esterháza (1773-1776), et y reçut des leçons de composition de Haydn. De là, il se rendit à Metz, où il travailla six mois dans l’atelier du facteur d’instruments Christian Steckler (dont il devait plus tard épouser la fille), puis à Paris (févr. 1777), où il fit paraître ses cinq concertos pour harpe op. 4, 6 et 7, partiellement composés sous la tutelle de Haydn. Il fut le plus grand harpiste de son temps, songea, le premier, à employer les harmoniques et les homophones, et aida de ses conseils et de ses idées les facteurs d’instruments Nadermann et Érard. Les infidélités de sa femme, également virtuose de la harpe, le poussèrent au suicide : il se jeta dans la Seine du haut du Pont-Neuf. Wenzel (Vaclav), violoniste (Budenice v. 1750 - Vienne 1817). Frère du précédent, il devint violoniste à l’opéra de Vienne (1796) et se lia d’amitié avec Beethoven, à qui il donna quelques leçons de violon et qui composa pour lui la sonate pour mandoline et piano WoO 43. Anne-Marie, née Steckler, harpiste (Metz v. 1755 - Londres apr. 1824). Femme et élève de Johann Baptist, elle s’enfuit à Londres, où elle débuta en 1788, et où, entre 1791 et 1795, elle participa régulièrement aux mêmes concerts que Haydn. Son jeu était au moins l’égal de celui de son mari. KUBELIK, famille de musiciens d’origine tchèque. Jan, violoniste tchèque (Michle, près de Prague, 1880 - Prague 1940). Cet enfant prodige - il se produit en concert à huit ans - est l’élève d’un grand pédagogue, O. Sevcik, au conservatoire de Prague, de 1892 à 1898. Dès ses débuts fulgurants à Vienne, sa virtuosité lui vaut le titre de « Second Paganini ». Comme son illustre devancier, Kubelik est adulé sans mesure. À bord de son wagon-salon particulier, il parcourt l’Europe avant de conquérir les États-Unis en 1902. En 1901, il sauve l’Orchestre philharmonique tchèque d’une grave crise financière en organisant, en particulier, une tournée en GrandeBretagne. Exemple de longévité, sa carrière ne prend fin qu’en 1940, après dix concerts d’adieu à Prague. Interprète sans pareil de Paganini, qui fit sa gloire, Kubelik composa des pièces de virtuosité, dont pas moins de six concertos, et se vit dédier nombre de pages de haute technicité, telle la Kubelik-Serenade de F. Drdla. Ses quelques incursions dans des domaines plus convaincants ont prouvé qu’il savait allier à la perfection technique une profonde intuition musicale. Il possédait deux stradivarius, de 1678 et 1715 (l’Empereur), et un guarnerius del’ Gesù. Rafael, chef d’orchestre suisse (Bychory 1914). Fils du précédent, il est initié par son père au violon et suit au conservatoire de Prague les cours de J. Feld (violon), O. Sin (composition) et P. Dedecek (direction d’orchestre). Il fait ses débuts avec l’Orchestre philharmonique tchèque qu’il dirige, de 1942 à 1948, après avoir été le directeur musical de l’Opéra de Brno. L’Europe occidentale le découvre en 1948, quand il dirige Don Juan à Édimbourg. Ayant quitté la Tchécoslovaquie, il devient le directeur musical de l’Orchestre symphonique de Chicago (1950-1953), puis du Royal Opera House de Londres (19551958). Il est, de 1961 à 1979, le directeur de l’Orchestre de la radio bavaroise qu’il retrouve en 1972 après une tentative peu concluante au Metropolitan Opera de New York. En 1985, il cesse de diriger pour raison de santé, mais retourne en 1990 en Tchécoslovaquie pour y diriger Ma patrie de Smetana. Son oeuvre abondante couvre tous les domaines, du lied à l’opéra, de la symphonie au concerto. Ses musiciens de prédilection sont Mahler (il a signé une intégrale de ses symphonies) et Berlioz (avec un attachement particulier pour les Troyens qu’il a dirigés successivement à Brno, Londres et New York). Citons également Dvořák, Janáček, Bruckner, Bartók et Britten, autant de musiciens authentiquement romantiques, qui correspondent idéalement à la nature droite et spontanée de Kubelik. Privilégiant le travail en profondeur des oeuvres plutôt que la gestique de direction, il s’attache à recréer et à mettre en évidence la respiration primordiale de chacune d’entre elles. KUFFERATH (Maurice), critique musical belge (Saint-Josse-ten-Noode 1852 Bruxelles 1919). Il était issu d’une famille de musiciens allemands. Ses oncles, Johann Herrmann (1797-1864) et Louis (1811-1882), étaient, le premier, violoniste, le second, pianiste, et tous deux compositeurs. Élève de Mendelssohn, son père, Hubert-Ferdinand (1818-1896), s’était installé à Bruxelles en 1844 pour enseigner le piano et la composition et fut, en 1872, nommé professeur de contrepoint et de fugue au conservatoire. Maurice Kufferath étudia le violoncelle, le droit et l’histoire de l’art. Critique à l’Indépendance belge et au Guide musical (qu’il dirigea de 1890 à 1914), il fut un wagnérien passionné. Nommé en 1900 directeur du théâtre de la Monnaie, il conserva ce poste jusqu’à sa mort, mais résida en Suisse de 1914 à 1918. PRINCIPAUX ÉCRITS : H. Vieuxtemps, sa vie et son oeuvre (Bruxelles, 1882) ; le Théâtre de Richard Wagner de Tannhaüser à Parsifal (6 vol., Paris, Bruxelles, 1891-1898) ; Musiciens et philosophes : Tolstoï ; Schopenhauer, Nietzsche, R. Wagner, Paris, 1899). KUHLAU (Daniel Frederik), compositeur et pianiste danois (Ülzen, Allemagne, 1786 - Lyngbie, près de Copenhague, 1832). Réfugié au Danemark en 1810 pour éviter la conscription dans les armées napoléoniennes, il s’imposa vite comme compositeur et pianiste. Attaché à la maison royale en 1813, il écrivit, outre de nombreuses sonatines pour piano et des pièces pour flûte et de musique de chambre, 1 concerto pour piano et 8 comédies lyriques, qui connurent un grand succès. Parmi celles-ci, notons Røverborgen (« le Repaire des brigands », 1814), Trylleharpen (1817), Elisa (1820), Lulu (1824), William Shakespeare (1826) et surtout Elverhøj (« le Mont des elfes », 1828), qui reste aujourd’hui encore une des oeuvres les plus jouées au Théâtre royal (plus de 900 représentations). Kuhlau représente l’apogée de l’école classique allemande, avec, toutefois, quelques influences romantiques et une remarquable assimiladownloadModeText.vue.download 551 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 545 tion du style national danois de l’époque qui unit le style de l’école de Leipzig avec le matériau mélodique populaire. Pour la petite histoire, sa rencontre avec Beethoven en 1825 a laissé un canon de ce dernier, intitulé Kühl, nicht lau. KUHNAU (Johann), compositeur et organiste allemand (Geising 1660 - Leipzig 1722). Il fut élève de la Kreuzschule à Dresde, où, distingué pour sa belle voix, il servit comme Ratsdiskantist. Formé par Jakob Beutel, cantor de la Kreuzkirche, il obtint à titre provisoire le poste de maître de chapelle à Zittau (1680), avant d’aller étudier le droit à Leipzig. Dans cette ville, il fut organiste à la Thomaskirche tout en exerçant la charge d’avocat. En 1701, il succéda à Johann Schelle comme cantor de SaintThomas et, en même temps, fut nommé directeur de la musique de l’université de Leipzig. À sa mort, Jean-Sébastien Bach lui succéda à Saint-Thomas. Fondateur du fameux Collegium musicum de Leipzig (1688), Kühnau était un homme d’une grande culture. Comme claveciniste, il subit l’influence de Johann Krieger, et sa place est assez comparable à celle de Pachelbel pour l’orgue (dans l’Allemagne centrale et méridionale). Bien que d’un tempérament conservateur à bien des égards, il innova, au plan formel, en faisant précéder ses suites pour clavier d’une sorte de prélude-toccata. Il transcrivit également pour clavecin la sonate d’église à l’italienne et, dans ses sonates à programme - les fameuses Histoires bibliques -, il parvint non sans difficulté à concilier la structure du genre avec les exigences descriptives de la musique. Au plan religieux, Kühnau écrivit des motets latins et de nombreuses cantates (dont une vingtaine ont été conservées), qui, bien que de qualité inégale, jettent un pont intéressant entre le passé et le nouveau style qui allait prévaloir à l’époque de Bach. Auteur d’une Passion selon saint Marc, Kühnau fut un compositeur souvent émouvant et personnel KUIJKEN, famille de musiciens belges. Wieland, violoncelliste et gambiste (Dilbeek, près de Bruxelles, 1938). Il étudia aux conservatoires de Bruges (à partir de 1952) et de Bruxelles (1957-1962), se tournant, à partir de 1956, vers la viole de gambe aussi bien que vers le violoncelle. Il joua à la fois dans le groupe d’avant-garde Musiques nouvelles et dans l’ensemble Alarius (1959-1972), spécialisé dans le répertoire baroque français. Depuis 1970, il enseigne aux conservatoires de Bruxelles et de La Haye. Il est actuellement, en ce qui concerne la viole de gambe, l’interprète le plus recherché (soliste et continuo). Sigiswald, violoniste et joueur de viole, frère du précédent (Dilbeek 1944). Il a fait ses études aux conservatoires de Bruges et de Bruxelles (1960-1964) et joué dans le groupe Musiques nouvelles et dans l’ensemble Alarius. Depuis 1971, il enseigne le violon baroque (qu’il a lui-même appris en autodidacte) au conservatoire de La Haye. En 1972, il a fondé l’orchestre d’ins- truments baroques la Petite Bande, dans lequel jouent également ses deux frères, et avec lequel il a réalisé de remarquables enregistrements (Parthénope de Haendel, pages orchestrales et danses d’Hippolyte et Aricie de Rameau, symphonies de Haydn). Barthold, flûtiste et joueur de flûte à bec, frère des précédents (Dilbeek 1949). Il a étudié aux conservatoires de Bruges, de Bruxelles et de La Haye, en particulier avec Frans Brüggen, et enseigne à ceux de Bruxelles et de La Haye. Il a enregistré beaucoup d’oeuvres de l’époque baroque, mais aussi de Mozart et Haydn, en particulier (avec ses deux frères) les six trios pour flûte, violon et violoncelle Hob. IV611 de ce dernier. KULENKAMPFF (Georg), violoniste allemand (Brême 1898 - Schaffhouse 1948). Après avoir suivi l’enseignement de E. Wadel dans sa ville natale, il poursuit ses études (1912-1915) à la Berliner Hochschule für Musik avec W. Hess, qui fut l’élève de Joachim. Nommé premier violon solo de la Philharmonie de Brême, il entame une carrière de soliste, qui le conduit à Berlin en 1919. Sans négliger l’enseignement, qu’il donne de 1923 à 1926, puis en 1931, à la Hochschule de Berlin, ni la musique de chambre, il forme en particulier un trio exemplaire avec E. Fischer et E. Mainardi. Fixé en Suisse à partir de 1943, il succède à C. Flesch au conservatoire de Lucerne. À la fois grand pédagogue et musicien exigeant, Georg Kulenkampff a laissé le souvenir d’un art fait d’intériorité et de pureté sonore. Seules la guerre et une fin brutale l’ont empêché de devenir, à l’égal d’un Adolf Busch, le plus grand violoniste allemand de ce siècle. Il fut le créateur de nombreuses partitions, dont le Concerto pour violon de Schumann (retrouvé au bout de quatre-vingt-cinq ans) et du Concerto de W. Kempff. Il a laissé des Mémoires, Geigerische Betrachtungen (1952). KUNSTLIED (all. : « chanson savante »). Terme désignant dans les pays de culture germanique des chansons profanes ou spirituelles d’époques et de structures très différentes, qui se caractérisent par la singularité de leur élaboration musicale et s’opposent ainsi plus généralement au Volkslied. Les monodies du Minnesang, qui appa- raît vers 1150, en sont la première manifestation. À partir du XIVe siècle, le Meistersang prend le relais de cette tradition. La chanson polyphonique, apparue vers la fin de ce même siècle, culmine à l’époque de l’Humanisme et de la Renaissance, sous la forme du Tenorlied. L’abandon du cantus firmus ténoral et les influences romanes donnent naissance vers la fin du XVIe siècle à des types proches du madrigal ou de la villanelle. La chanson soliste se développe à partir de 1630 sous l’influence de la monodie italienne et subit progressivement l’ascendant de l’air d’opéra. L’école de Berlin (1750-1770) marque un retour à une certaine simplicité et prône l’égalité de la poésie et de la musique. Pardelà la mélodie classique (Mozart, Beethoven), le lied romantique illustré par Schubert, Brahms et Wolf est l’une des figures les plus originales du Kunstlied. KUNZ (Erich), baryton autrichien (Vienne 1909 - id. 1995). Il débuta comme basse dans le rôle d’Osmin de l’Enlèvement au sérail à Opava en 1933, puis chanta des petits rôles au festival de Glyndebourne à partir de 1935. Engagé en 1940 à l’opéra de Vienne, il s’y affirma dans les rôles de baryton mozartien (Leporello, Figaro, Papageno, Guglielmo). Il développa, grâce à sa personnalité, une énorme popularité dans toute l’Europe. Sa voix n’avait rien d’exceptionnel, mais ses interprétations ne furent guère surpassées tant du point de vue musical que scénique. En 1951, il chanta, à Bayreuth, Beckmesser dans les Maîtres chanteurs sous la direction de Karajan. KURPINSKI (Karol), compositeur polonais (Wloszakowice 1785 - Varsovie 1857). Autodidacte dans le domaine de la composition, il acquit, néanmoins, une solide formation qui lui permit de créer son propre style, très inspiré de la musique populaire de son pays. Il écrivit beaucoup, mais remporta surtout le succès avec ses opéras, parmi lesquels le Palais de Lucifer (Varsovie, 1811), le Charlatan (Varsovie, 1814) et le Château de Czorsztyn, ou Bojomir et Wandal (Varsovie, 1819). En 182021, il fonda et publia lui-même la première revue musicale polonaise, Tygodnik muzyczny (Hebdomadaire musical). KURTAG (György), compositeur hongrois d’origine roumaine (Lugoj, Roumanie, 1926). Il doit à sa mère sa première formation musicale. En 1946, il s’installa à Budapest et suivit à l’Académie de musique les cours de P. Kadosa (piano), Leo Weiner (musique de chambre), S. Veres et F. Farkas (composition). Il travailla, en 1957, à Paris avec Marianne Stein, Darius Milhaud et Olivier Messiaen, et, en 1971, downloadModeText.vue.download 552 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 546 obtint une bourse d’études pour Berlin. Depuis 1967, il enseigne à l’Académie de musique de Budapest (piano, puis musique de chambre). Il considère que son oeuvre commence avec le Quatuor à cordes op. 1 (1959), écrit sous le coup de sa découverte de l’école viennoise. Son langage sériel, libre et personnel, utilise des phrases courtes et incisives, d’une rigueur toute wébernienne. En témoignent, notamment, le Quintette à vent op. 2 (1959), les Huit Pièces pour piano op. 3 (1960), les Huit Duos pour violon et cymbalum op. 4 (1961). Il s’est définitivement imposé sur le plan international avec Bornemisza Peter mondasai (les Dires de Peter Bornemisza) op. 7, « concerto pour soprano et piano » créé à Darmstadt en 1968 et fait de 24 brefs mouvements d’une durée totale d’un peu moins de 40 minutes. Il s’agissait de sa première oeuvre vocale, au texte tiré d’un sermon du XVIe siècle. Suivirent notamment En souvenir d’un crépuscule d’hiver op. 8 pour soprano, violon et cymbalum, au style mélodique plus ample (1969), 4 Caprices op. 9 pour soprano et ensemble instrumental (1971), Quatre Mélodies op. 11 (1973-1975), Hommage à Andras Mihaly : 12 microludes pour quatuor à cordes op. 13 (1977-78), Sept Bagatelles pour flûte, piano et contrebasse op. 14b (1981), Omaggio a Luigi Nono pour choeur a cappella op. 16 (1979), Messages de feu Mademoiselle R. V. Troussova pour soprano et ensemble de chambre sur un texte de Rimma Dalos op. 17 (1979-80), Quinze Chants pour soprano et 3 instruments op. 19 (1981-82), Fragments pour soprano solo sur un texte de J. Attila op. 20 (1981), Sept Chants pour soprano et cymbalum op. 22 (1981), Kafka Fragmente pour soprano et piano (1986), ... Quasi una fantasia... pour piano et ensemble (Berlin, 1988), Hölderlin : An... pour ténor et piano (1989), Double Concerto pour piano, violoncelle et orchestre (1991). KUSSER (Johann Sigismund), compositeur et chef d’orchestre hongrois (Presbourg 1660 - Dublin 1727). À quatorze ans, il partit pour huit ans à Paris auprès de Lully. Il fut successivement maître de chapelle à Ansbach (1682-83), Wolfenbüttel (1690-1694), Hambourg (1694-95), Nuremberg, Augsbourg (1697) et Stuttgart (1698-1704). À partir de 1690, il devint essentiellement un compositeur et chef lyrique. Après un voyage en Italie, au cours duquel il séjourna à Bologne et à Venise en 1701, il partit pour Londres en 1705, puis Dublin en 1710, où il finit sa vie comme maître de chapelle du vice-roi d’Irlande. Sa vie mouvementée et errante servit essentiellement à faire connaître l’opéra allemand à travers l’Europe. Il contribua, par les 13 opéras qu’il créa, à la naissance d’un théâtre musical en Allemagne, mais fit également rayonner la musique française dans les pays germaniques et saxons. KUULA (Toivo), compositeur et chef d’orchestre finlandais (Vaasa 1883 - Viipuri 1918). Sa mort dans des conditions mystérieuses priva la Finlande d’un compositeur de grand talent. Élève, à Paris, de Marcel Labey et ayant fréquenté la Schola cantorum, Kuula possédait une maîtrise parfaite du contrepoint, jointe à un sens harmonique profond qui le situe dans la tendance de l’école franckiste (Trio pour piano, violon et violoncelle, 1908). Mais son originalité s’exprima surtout dans des oeuvres inspirées des légendes nationales ou tirées du Kalevala (les cantates et ballades Orjan poika, « le Fils de l’esclave », 1910 ; Merenkylpijäneidot, « les Baigneuses », 1910 ; Impi ja Pajarin poika, « la Vierge et le Fils de Pajari », 1912), dans la 2e Suite ostrobothnienne op. 20, et les poèmes symphoniques (no 2 Metsässä sataa, « Il pleut dans la forêt », 1913 ; no 5 Hiidet virvoja viritti, « Les démons allumaient des feux », 1912), qui laissent place à une nette influence impressionniste. Outre ces oeuvres, Kuula nous a laissé des pièces instrumentales, des suites pour orchestre, un Stabat mater, une vingtaine de très belles mélodies et près de 50 pièces chorales. KVANDAL (Johan), compositeur norvégien (Oslo 1919). Fils de David Monrad Johansen, il a étudié à Oslo avec Per Steenberg, à Vienne avec Joseph Marx et à Paris avec Nadia Boulanger. Si ses premières oeuvres appartiennent au style norvégien des années 30, il adopte, après ses études parisiennes, une attitude plus libre vis-à-vis de la tonalité (Symphonie Epos op. 21, 1962 ; Concerto pour flûte op. 22, 1963 ; Quatuor à cordes no 2 op. 27, 1966), mais sans jamais trop s’en éloigner. Kvandal s’exprime avec clarté et précision et si ses oeuvres symphoniques les plus importantes sont le Thème avec variations et fugue op. 14 (1954), la Symphonie no 1 op. 18 (1958) et la Sinfonia concertante op. 29 (1968), il ne faut pas négliger ses pièces instrumentales et notamment la Sonate en « mi » mineur pour violon et piano op. 15 (1942), le Duo pour violon et violoncelle op. 19 (1959) et Aria, cadenza et finale pour violon et piano op. 24 (1964). KYRIALE. Mot latin désignant les recueils de mélodies afférentes au commun de la messe, dont le Kyrie eleison est la pièce inaugurale. Les éléments du Kyriale peuvent être soit réunis pièce par pièce (recueil de Kyrie, puis de Gloria, etc.), soit groupés par ensembles constituant chacun une messe complète. Ce dernier classement, aujourd’hui normalisé, est relativement récent. Il groupe les pièces en 18 ensembles relativement homogènes ayant chacun une attribution liturgique définie et un titre souvent emprunté aux anciens tropes des Kyrie correspondants. Le Credo en est exclu et est numéroté à part, de même qu’un certain nombre de pièces isolées proposées en remplacement et étiquetées ad libitum. Le Kyriale est souvent réuni au graduel, dont il forme alors une section. KYRIE ELEISON. Premiers mots d’une invocation en grec (« Seigneur, prends pitié ») qui inaugure le commun ou ordinaire de la messe la- tine. C’est donc le Kyrie qui figure en tête des messes polyphoniques ou chorales lorsque, comme cela est habituel en dehors des messes de requiem, celles-ci ne traitent que l’ordinaire. Dans le déroulement de l’office, il fait suite à l’introït, qui appartient au propre. Sous sa forme préconciliaire traditionnelle, le Kyrie comprend trois invocations symétriques, répétées chacune trois fois et adressées respectivement aux trois personnes de la Sainte Trinité (Kyrie... Christe... Kyrie) : le même mot Kyrie désigne le Père dans le premier groupe et le Saint-Esprit dans le dernier. Cette amplification est propre à l’Église latine. Les Grecs disent seulement Kyrie eleison (ou eleison ymas), et comptent quatre syllabes sur eleison, tandis que les Latins avaient d’abord fait de ei une diphtongue ; les quatre syllabes ont été rétablies après le concile de Trente. Avant d’avoir été incorporé à la messe, sans doute vers le VIe siècle, le Kyrie figurait fréquemment comme refrain litanique, et, à ce titre, se chantait souvent aux processions, soit en grec soit en latin (Domine, miserere). Ce rôle de refrain a longtemps survécu dans la chanson populaire, parfois sous des aspects déformés tels que Kyrioleis en Allemagne ou Criaulé en France ; Kyrieleis forme le refrain d’une célèbre chanson de marche des croisés germaniques, In Gottes Name fahren wir, rappelant ainsi son origine de chant de procession. La procession précédait souvent la messe, et lorsqu’on y chantait le refrain Kyrie eleison, cela pouvait dispenser de le répéter après l’introït. Musicalement, le Kyrie est un morceau largement mélismatique (à l’exception de quelques variétés chantées principalement aux temps de pénitence), et la voyelle E y joue un rôle analogue à celui du A dans l’Alleluia. Ses neuf parties sont souvent alternées, soit entre deux demi-choeurs, soit entre un petit et un grand choeur. Il présente souvent une forme à répétitions dans laquelle le dernier Kyrie amplifie parfois le précédent. Dans la messe polyphodownloadModeText.vue.download 553 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 547 nique, par exemple chez G. de Machaut, la version polyphonique prenait la place du petit choeur (c’est donc elle qui commençait) ; elle ne contenait par conséquent qu’une invocation sur deux : l’autre était chantée en plain-chant. Même principe, mais inversé, dans les messes d’orgue des XVIIe et XVIIIe siècles, où le Kyrie consiste en une suite de « versets « s’intercalant entre les plains-chants ; une ordonnance épiscopale parisienne du XVIIe siècle précisait même que ces versets d’orgue devaient obligatoirement faire entendre de façon suffisamment reconnaissable, tout au moins dans les premiers versets, la mélodie du Kyrie d’alternance. L’une des plus employées à cet égard était celle du Cunctipotens : on l’entend, par exemple, dans la Messe à l’usage des paroisses de Fr. Couperin. À partir de la Renaissance, on abandonne l’alternance et on confie la totalité à la polyphonie, qui regroupe les trois invocations de chaque type, et ne présente donc plus que trois parties : un premier Kyrie, un Christe et un second Kyrie. La messe avec orchestre agira de même. Un nombre considérable de mélodies (plus de 200) ont été composées pour le Kyrie, avec une diffusion extrêmement variable : beaucoup n’ont pas dépassé l’usage local. Un certain nombre, à partir du IXe siècle, ont donné lieu à des versions tropées, intercalant un développement chanté syllabiquement entre les deux mots Kyrie (ou Christe) et eleison, ou même remplaçant totalement le premier. On considérait autrefois ces versions tropées comme des artifices mnémotechniques ajoutés après coup ; on en est moins sûr aujourd’hui, et il se pourrait que certains Kyrie eussent été directement composés avec leurs tropes ; les paroles de celui-ci auraient ensuite disparu pour faire place à la mélodie vocalisée ; celle-ci en a du reste souvent conservé l’incipit comme titre (v. Kyriale). Le Kyrie a été l’une des parties de la messe le plus tôt et le plus souvent mises en polyphonie : on en trouve à deux voix dès la fin du XIe siècle. Mais l’ensemble de la littérature musicale semble s’être très vite désintéressée de la signification suppliante du texte, et n’avoir retenu que l’aspect décoratif des vocalises (par ex. Palestrina) ou la majesté solennelle d’un morceau inaugural : le Kyrie de la Messe en « si » mineur de J.-S. Bach donne un exemple typique de cette dernière conception. downloadModeText.vue.download 554 sur 1085 L LA. La sixième des sept syllabes qui, dans les pays latins, désignent les notes de la gamme diatonique. Cette syllabe représente la note la, placée un ton au-dessus du sol et correspond à la lettre A du système alphabétique anglo-saxon. Le choix de cette correspondance apparaît aujourd’hui sans fondement logique. Il tient au fait que la nomenclature alphabétique en cause a été établie à partir des diagrammes du système grec antique, fondé sur une double octave, dont le point de départ ou proslambanomène correspondait, en intervalles, à la note la. D’autres systèmes, où A correspondait à do et non plus à la, ont également eu cours au Moyen Âge ; seul le premier a survécu. Dans l’ancienne solmisation à six syllabes, dont la était la dernière, cette syllabe pouvait correspondre non seulement à A (la-mi-ré), mais aussi, selon l’hexacorde, à D (sol-ré-la) ou à E (mi-la). Elle y revêtait une importance particulière, car elle marquait le terme au-delà duquel on devait choisir entre mi et fa. Ce choix n’appelait pas seulement un intervalle différent (1 ton pour mi, 1/2 ton pour fa), mais déterminait également les intervalles à venir : dire fa après la ne signifiait pas seulement que, dans notre langage actuel, on bémolisait le si, mais encore que les intervalles ultérieurs restaient commandés par ce fa jusqu’à la prochaine mutation. ( ! FA.) Dans le solfège moderne, le la n’est plus qu’une note parmi les autres, mais il a acquis une valeur spéciale par le choix qu’on en fait le plus souvent pour accorder les instruments : d’où le nom de la du diapason donné au la de l’octave moyenne centrale (ou la3). ( ! DIAPASON). LA BARRE (Michel de), flûtiste et compositeur français (Paris v. 1675 - id. 1743 ou 1744). Fils d’un marchand de bois du marché Saint-Paul, il entra à vingt ans dans l’orchestre de l’Opéra, puis fut flûtiste de la Chambre du roi. À ce titre, sa renommée ne fut égalée par personne. Il écrivit le ballet le Triomphe des arts (1700), la comédie-ballet la Vénitienne (1705), un Recueil d’airs à boire à 2 parties (1724), des airs français et italiens, et, pour son instrument, 12 livres de Pièces pour flûte traversière avec la basse continue (1709-1725) et 3 livres de Pièces en trio pour violon, flûte et hautbois (1694-1707). LA BARRE (Chabanceau de), famille de musiciens parisiens. Pierre Ier ( ?- 1600 ou 1608). On ne sait rien de sa naissance ni de ses débuts, sinon qu’en 1567 il fut nommé organiste aux Saints-Innocents. Il le fut ensuite à NotreDame, puis, en 1580, à Saint-Eustache. Il fut marié deux fois, et plusieurs de ses enfants devinrent musiciens. Pierre II, fils du précédent (1572-1626). Il étudia la musique avec son père et lui succéda à Saint-Eustache. Il fut également réputé comme joueur de luth. Germain, frère du précédent (1579-1647). Il seconda parfois son père à l’orgue et fut nommé, en 1612, à Saint-Jacques-de-laBoucherie. Pierre III, fils de Pierre II (1592-1656). Il fut l’un des plus importants de la famille. Il étudia avec son père et devint organiste de la chapelle du roi Louis XIII. Il était aussi joueur d’épinette, et, en tant que tel, il fut attaché à la maison d’Anne d’Autriche. Il fut le rival de Chambonnières, qu’il finit par évincer. Le père Mersenne, auteur de l’Harmonie universelle, parle de lui avec la plus haute estime ; il cite plusieurs de ses tablatures et évoque, à propos du jeu d’orgue, « la belle grâce et le beau maintien qui rendent le sieur de La Barre et ceux qu’il prend la peine d’enseigner, et ceux qui sont formés de sa main, incomparables ». La Barre fut également en correspondance avec Constantin Huygens au sujet des théories de la musique. Avec ses quatre enfants, il organisait chez lui des séances de musique appelées « concerts spirituels », qui étaient fort suivies. Il a laissé des pièces pour clavecin ou orgue, des courantes et des sarabandes pour luth. Anne, fille du précédent (1628-1688). Elle débuta en chantant aux concerts de son père et devint rapidement une cantatrice réputée. Elle fit une carrière qu’on pourrait, pour l’époque, qualifier d’inter- nationale. Son voyage dans les pays du Nord (1652-1661) la mena à la cour de Suède, où elle avait été appelée par la reine Marie-Christine, à La Haye, au Danemark et à la cour de Kassel. De retour en France (1661), elle devint cantatrice de la Chambre du roi, avant d’être pensionnée. Joseph, frère de la précédente (16331678). Pendant deux ans (1652-1654), il accompagna sa soeur dans ses déplacements, en qualité de luthiste. À la mort de son père (1656), il lui succéda à l’orgue de la chapelle. Bien que n’étant pas entré dans les ordres, il fut appelé abbé de La Barre lorsqu’il obtint, en 1674, les bénéfices de l’abbaye bénédictine de Saint-Hilaire, du diocèse de Carcassonne. Il composa des airs avec des « doubles », qui furent publiés chez Ballard. Quelques autres oeuvres sont d’attribution douteuse. Pierre IV, troisième fils de Pierre III (1634-1710). Il fut à la fois chanteur et joueur de luth et d’épinette. Après avoir joué à la Chambre du roi, il fut attaché à downloadModeText.vue.download 555 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 549 la troupe musicale de la reine Marie-Thérèse, puis à celle de la duchesse de Bourgogne. Son talent lui valut d’être anobli par le roi en 1697. Pourtant, depuis 1620, tous les La Barre se présentaient sous le nom de Chabanceau de La Barre. L’ABBÉ (famille Saint-Sevin, dite),famille de musiciens français. Pierre-Philippe, violoncelliste (Agen v. 1698 - Paris 1768). C’est comme enfant de choeur à la maîtrise de la chapelle SaintCaprais à Agen qu’il travailla la musique et étudia la viole de gambe. Venu à Paris après la naissance de son fils, il entra dans l’orchestre de l’Opéra comme violoncelliste. Il fut nommé soliste en 1749. C’était un excellent professeur. Pierre, frère du précédent, violoncelliste (Agen v. 1710 - Paris 1777). Comme son frère, il étudia la musique et le violoncelle à la maîtrise de Saint-Caprais à Agen. Il arriva à Paris vers la fin de 1727 et fut admis à l’Opéra comme violoncelliste. C’est grâce à son talent et à sa pas- sion pour le violoncelle que l’Opéra devait abandonner définitivelement la viole de gambe dans son orchestre. En 1764, il devint violoncelliste à la Sainte-Chapelle. Joseph-Barnabé, dit l’Abbé le fils, fils de Pierre-Philippe, violoniste et compositeur (Agen 1727 - Paris 1803). Son père lui donna ses premières notions musicales, mais c’est avec Leclair qu’il étudia le violon. Engagé dans l’orchestre de l’Opéra-Comique (1739), puis dans celui de l’Opéra (1742), il se fit régulièrement applaudir au Concert spirituel. Avec Forqueray, Blavet et Marella, il contribua à la découverte par les Parisiens des quatuors de Telemann. C’était un remarquable instrumentiste qui forma de nombreux élèves et dont l’ouvrage pédagogique, Principes du violon (1761), fit longtemps autorité dans les écoles de musique. Il quitta l’Opéra en 1762 pour se consacrer essentiellement à l’enseignement et à la composition. Pour beaucoup, ses Sonates sont supérieures à celles de son maître Leclair. Parmi ses oeuvres, retenons : Sonates à violon seul (1748) ; 6 Symphonies à trois violons et une basse (1754) ; 3 Recueils d’airs français et italiens avec des variations pour deux violons, deux pardessus de viole, une flûte et un violon (1754-1760) ; Jolis Airs ajustés et variés pour un violon seul (1763) ; Menuet de MM. Exaudet et Granier mis en grande symphonie (1764) ; Recueil de duos d’opéra-comique pour 2 violons (1772). LABÈQUE (Katia et Marielle), pianistes françaises (Bayonne 1950 et 1952). D’abord élèves de leur mère, elles entrent en 1965 dans la classe de Lucette Descaves au Conservatoire de Paris, où elles obtiennent toutes deux un 1er Prix en 1968, avant de travailler le répertoire à deux pianos auprès de Jean Hubeau. Elles ont dixhuit et vingt ans lorsqu’elles enregistrent les Visions de l’amen de Messiaen. Au début des années 70, elles se produisent dans le répertoire contemporain, au festival de Royan et dans plusieurs villes d’Europe. En duo de piano et dans des pièces pour piano à quatre mains, elles possèdent un répertoire très vaste, du XVIIIe à aujourd’hui. Elles ont assuré la création du Concerto de Berio (1972), ainsi que du Concerto pour deux pianos de Philippe Boesmans, et se produisent régulièrement aux côtés d’Augustin Dumay, Frédéric Lodéon ou encore Lynn Harrell. LABLACHE (Luigi), basse italienne d’origine française (Naples 1794 - id. 1858). Il débuta à Naples, dès l’âge de dix-huit ans, puis, après une nouvelle période d’études, fut engagé à Palerme et à la Scala de Milan (1821). Il y débuta dans La Cenerentola de Rossini. Il était à Vienne en 1824, et, de 1830 à 1856, il se produisit régulièrement à Londres et à Paris, où il créa les Puritains de Bellini (Giorgio) et Don Pasquale de Donizetti (Pasquale). Il s’illustra dans le rôle de Leporello du Don Giovanni de Mozart et excella aussi bien dans les emplois nobles que bouffes. Sa voix était ample et étendue, et il vocalisait avec une agilité surprenante. Pendant quelque temps, il s’efforça d’enseigner le chant à la reine Victoria. Il est l’auteur d’une Méthode de chant, mais sa réputation de professeur n’égala jamais sa gloire de chanteur. LABORDE ou LA BORDE (Jean Benjamin de), musicien et musicographe français (Paris 1734 - id. 1794). Fils d’un fermier général, il devint premier valet de chambre de Louis XV (1762), gouverneur du Louvre (1773), puis fermier général (1774) après la mort du roi, dont il fut l’un des plus fidèles serviteurs. Il était à la fois un homme de cour et un musicien cultivé. Laborde étudia le violon avec Dauvergne et la composition avec Rameau. Il acquit une certaine renommée avec plusieurs ouvrages lyriques (tragédies, comédies et opéras-comiques), qui furent représentés à la cour et à l’Opéra de Paris et lui valurent les sarcasmes féroces de Grimm. Fétis allait reprendre à son compte les avis de ce dernier et condamner de surcroît l’ouvrage essentiel de Laborde : Essai sur la musique ancienne et moderne (4 vol., Paris, 1780 ; rééd. 1972). Cet écrit, critiquant le Dictionnaire de musique et la Lettre sur la musique française de Rousseau, suscita du vivant de son auteur des discussions violentes, mais sa valeur fut reconnue, notamment par Burney et Forkel. Cette oeuvre se place en effet au début de la musicologie et elle a introduit des recherches concernant la période des trouvères et des troubadours, alors complètement tombée dans l’oubli. Malgré une absence de méthode évidente, dénoncée par Laborde lui-même, elle fournit des données importantes pour l’histoire de la musique et reste une source organogra- phique essentielle. LACERDA (Costa de Osvaldo), compositeur brésilien (São Paulo 1927). Il a fait ses études à São Paulo avec Camargo Guarnieri. Théoricien et spécialiste des questions folkloriques, il mène de front une carrière de compositeur et de pédagogue (conservatoires de São Paulo et de Santos, Mozarteum Académia de drama e música et école municipale de musique de São Paulo). Son oeuvre, d’expression traditionnelle, est, elle-même, fréquemment inspirée par les éléments folkloriques brésiliens (Brasilianas suites pour piano, Variations sur un thème folklorique, Santa Cruz missa, Piratininga). Il est également l’auteur de différents traités pédagogiques. LACHENMANN (Helmut), compositeur allemand (Stuttgart 1935). Il a étudié à l’École supérieure de musique de sa ville natale (1955-1958), à Darmstadt (1957), à Venise avec Nono (1958-1960) et à Cologne avec Stockhausen (1963-64). Il a enseigné à Stuttgart (1966-1970) et à Ludwigsburg (1970-1976) et est, depuis 1976, professeur de composition à l’École supérieure de musique de Hanovre. Parti du postsérialisme, il s’est ensuite de plus en plus intéressé au phénomène sonore en soi et aux modes de production du son. Pour lui, la beauté est le « refus de l’habitude », et il se veut « radical et précis ». On lui doit notamment Cinq Strophes pour 9 instruments (1961), Szenario pour bande (1965), Consolation I pour voix et percussion (texte de E. Toller, 1967), Consolation II pour 16 voix solistes (1968), Consolation III et IV pour voix et instruments (1973), Schwankungen am Rand pour cuivres, percussion et cordes (1974-75), Tanzsuite mit Deutschlandlied pour orchestre avec quatuor à cordes (1979-80), Ausklang pour piano et orchestre (1984-85), Tableau pour orchestre (1988), Quatuor à cordes no 2 « Reigen seliger Geister » (1989). LACHNER, famille de musiciens allemands. Theodor, compositeur et organiste (Rain am Lech 1788 - Munich 1877). Organiste de la cour à Munich, il dut sa célébrité à ses choeurs d’hommes. Franz Paul, compositeur et chef d’or- chestre (Rain am Lech 1803 - Munich 1890). Frère de Theodor, il se fixa à Vienne en 1823 comme organiste de l’église luthérienne, prit des leçons avec Simon Sechter et se lia d’amitié avec Beethoven et Schubert. Il retourna à Munich en 1836, downloadModeText.vue.download 556 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 550 y devint Generalmusikdirecktor en 1852, et, après avoir joué un rôle de premier plan dans la vie musicale de la cité, prit sa retraite en 1868. Dès 1864, l’arrivée de Wagner avait, en fait, mis un terme à ses activités. On lui doit notamment 8 symphonies et des opéras, dont Die Bürgschaft (Budapest, 1828) et Catarina Cornaro (Munich, 1841). Ignaz, compositeur et chef d’orchestre (Rain am Lech 1807 - Hanovre 1895). Il succéda à son frère Franz Paul à l’église luthérienne de Vienne et occupa des postes à Stuttgart (1831), Munich (1836), Hambourg (1853), Stockholm (1858) et Francfort (1861-1875). Vinzenz, chef d’orchestre (Rain am Lech 1811 - Karlsruhe 1893). Frère des précédents, il travailla à Vienne, Mannheim, Londres et Karlsruhe. LADEGAST, famille de facteurs d’orgues allemands, actifs en Saxe au XIXe et au début du XXe siècle. Le plus célèbre est Friedrich (Hermsdorf 1818 - Weissenfels 1905). Il a été formé par plusieurs organiers, parmi lesquels son propre père et Aristide CavailléColl, à Paris. Établie à Weissenfels en 1844, sa manufacture, à laquelle s’associa plus tard son fils Oscar, fut l’une des plus florissantes d’Allemagne : on y construisit plus de deux cents orgues, dont certains de grandes dimensions (Nikolaïskirche de Leipzig, 1862, 86 jeux ; cathédrale de Schwerin, 1871, 84 jeux). Le chef-d’oeuvre de Friedrich Ladegast passe pour être la restauration de l’orgue de la cathédrale de Merseburg, en 1855. LADMIRAULT (Paul), compositeur français (Nantes 1877 - Kerbili-en-Kamoël, Morbihan, 1944). Dès l’âge de sept ans, il commença à étudier le piano, le violon et l’orgue. Il avait seize ans lorsqu’on représenta à Nantes son premier ouvrage lyrique, Gilles de Retz dont le personnage principal était interprété par Arthur Bernède, le futur romancier. En 1895, il entra au Conservatoire de Paris dans les classes de Taudou (harmonie), Gédalge (contrepoint) et Fauré (composition). Après son échec au prix de Rome, il se retira en Bretagne. Il fut à Nantes correspondant du Courrier musical, critique à l’Ouest artiste et directeur du conservatoire. Dans son langage musical clair et dépouillé, il se montre un adepte du style modal. Nombre de ses oeuvres chantent la Bretagne et les traditions celtiques : Brocéliande au matin (1908), Vieux Cantiques bretons pour choeur (1906), Rhapsodie gaëlique pour piano à 4 mains (1909), l’opéra Myrdhin (1899-1902), non représenté, mais dont il tira une Suite bretonne (1902-1903), le ballet la Prêtresse de Korydwen, créé à l’Opéra de Paris en 1925. L’AFFILARD (Michel), chanteur, compositeur et théoricien français ( ? v. 1656 Versailles 1708). Ses origines demeurent obscures. On le trouve à Paris, en 1679, au moment où il fut nommé chantre de la Sainte-Chapelle du palais. Puis, en 1696, il entra à la chapelle royale de Versailles et devint « ordinaire de la musique du Roy ». Il conserva ce poste jusqu’à sa mort. L’Affilard possédait une voix de haute-contre. Comme son aîné Michel Lambert, il était renommé pour son enseignement de l’art du chant. Son traité, Principes très-faciles pour bien apprendre la musique, parut à Paris en 1694. Souvent réédité, l’ouvrage est d’un intérêt tout particulier pour les « agréments » du chant, pour la qualité des pièces vocales qui y figurent, ainsi que pour les indications précises de tempo qui y sont données. LAFONT (Jean-Philippe), baryton français (Toulouse 1951). Il est élève de Denise Dupleix, et, de 1973 à 1977, se forme à l’Opéra-Studio. En 1977, il débute à Toulouse dans Cosi fan tutte et, en 1978, tient le rôle principal de la Chute de la Maison Usher de Debussy à Berlin. Sa carrière internationale le mène sur toutes les scènes d’Europe et des États-Unis. En 1987, il chante Falstaff à Lyon et Leporello à Aix-en-Provence. En 1992, il interprète Puccini à la Scala de Milan, Aïda et Tosca au Staatsoper de Vienne. Son répertoire s’étend de Mozart à Richard Strauss, en passant par Verdi, Puccini et la musique française. Il crée plusieurs opéras de Marcel Landowski : Montségur, la Vieille Maison et Galina. En 1996, il chante Nabucco à l’Opéra Bastille et aborde son premier rôle wagnérien dans Lohengrin. LAFORÊT (Marc), pianiste français (Neuilly-sur-Seine 1965). Enfant prodige, il donne son premier récital à l’âge de huit ans au Théâtre des Champs-Élysées. Élève de Jacqueline Potier-Landowski au conservatoire de Boulogne-Billancourt, puis de Pierre Sancan au Conservatoire de Paris (où il obtient son premier prix en 1983), il est lauréat de plusieurs concours internationaux dans les années qui suivent - dont en 1985 le concours Chopin de Varsovie. Il y remporte le second grand prix, le prix des Mazurkas et le prix du Public et de la Radiotélévision polonaise. Excellent interprète des oeuvres de Chopin, l’un de ses compositeurs de prédilection, il se produit sur les scènes d’Europe, du Japon et des États-Unis, en soliste ou en formation de musique de chambre. LAGOYA (Alexandre), guitariste français d’origine égyptienne (Alexandrie 1929). Né de père grec et de mère italienne, il commença l’étude de la guitare à l’âge de huit ans avec N. Barbaresco, directeur du Conservatoire national d’Alexandrie. À l’époque, la guitare ne figurait pas parmi les instruments enseignés dans les conservatoires et les écoles de musique. Alexandre Lagoya dut en découvrir luimême la technique, en se fondant sur les ouvrages et méthodes des maîtres des XVIIIe et XIXe siècles. Ainsi devint-il son propre professeur. À treize ans, il donnait son premier récital. Mais, afin de pouvoir terminer ses études, il enseigna la guitare et le solfège. Après plus de 500 concerts, il se rendit à Paris, puis aux États-Unis, où il se perfectionna avec Villa-Lobos et Castelnuovo-Tedesco. Il épousa en 1952 la guitariste française Ida Presti (morte en 1967) et forma avec elle un célèbre duo pour lequel écrivirent nombre de compositeurs contemporains. Professeur au Conservatoire de Paris depuis la création de la classe de guitare (1969), Alexandre Lagoya enseigne aussi à l’Académie internationale d’été de Nice depuis 1960, ainsi qu’aux États-Unis et au Canada. LA GRANGE (Henri-Louis de), critique musical et musicographe français (Paris 1924). Licencié ès lettres, il suivit des études musicales, notamment avec Yvonne Lefébure et Nadia Boulanger, de 1947 à 1953. Il écrivit de nombreux articles de critique pour des revues musicales ou des périodiques non spécialisés français et étrangers. Collaborateur régulier de la revue Diapason, il a aussi rédigé une grande quantité de commentaires de disques ainsi que des analyses d’oeuvres à l’occasion des concerts de grands orchestres. À partir de 1960, il s’est consacré à la rédaction d’une vaste biographie de Gustav Mahler, dont le premier volume a paru en 1973 à New York, puis à Londres, avant d’être publié en France en 1979. Le deuxième et le troisième ont paru en France en 1983 et 1984 respectivement. Il a également donné des conférences sur ce compositeur en Europe et aux États-Unis, au Canada. Depuis 1974, il organise chaque été, en Corse, le festival des nuits d’Alziprato. Il a fondé à Paris en 1986 une bibliothèque GustavMahler et publié en 1991 Vienne, une histoire musicale (rééd. 1996). LA GROTTE (Nicolas de), organiste et compositeur français (Paris v. 1530 - id. v. 1600). D’abord joueur d’épinette et organiste du roi de Navarre, Antoine de Bourbon, il entra en 1562 au service du duc d’Anjou, qui, devenu le roi Henri III, le nomma valet de chambre et organiste ordinaire. downloadModeText.vue.download 557 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 551 Membre de l’académie de Baïf, il publia des Chansons de P. de Ronsard, P. Desportes et autres (1569) et collabora, en 1582, avec son ami C. Le Jeune à l’organisation des fêtes pour le mariage du duc de Joyeuse. Ce fut un des derniers polyphonistes, mais il s’orienta peu à peu vers la monodie et la basse continue. Il s’intéressa également à la chanson mesurée et fut un des premiers à écrire des chansons en forme d’air. Il fut un des initiateurs de l’air de cour et inaugura la lignée des organistes du Grand Siècle (de sa production pour orgue ne subsiste malheureusement qu’une seule pièce). LAI. Genre littéraire chanté ou non, pratiqué jusqu’au XVe siècle, mais surtout en honneur aux XIIe et XIIIe siècles dans la France du Nord et les deux Bretagnes, la grande (Angleterre, Irlande) et la continentale (Bretagne française). D’origine vraisemblablement celtique (on lui trouve des origines dès le VIe siècle), le lai est, à l’origine, un poème narratif de caractère légendaire, apparenté à la chanson de geste et chanté comme elle sur un groupe de timbres à caractère répétitif, formant des laisses de longueur inégale, avec prélude et postlude instrumental (harpe ou vièle). Ces lais anciens sont décrits dans les romans, notamment dans ceux du cycle de Tristan, mais n’ont pas été conservés, les quelques pièces que l’on possède sous ce nom semblant en avoir pris la dénomination par analogie sans en avoir les caractères. On possède, en revanche, des adaptations diverses, qui, elles aussi, ont gardé le nom de lai. Les unes sont des récits en vers non chantés (Marie de France, XIIe s.), qui en racontent la matière sans en conserver la forme ; les autres sont des vers lyriques non narratifs, transmis avec leur musique et sans doute dans une forme analogue ; certains ont même conservé le titre du modèle sans que leur rapport avec lui apparaisse avec évidence (Lai du chèvrefeuille). Paradoxalement, on connaît ainsi, d’un côté, le contenu de l’histoire et, de l’autre, sa forme, musique incluse, sans pouvoir opérer la jonction ni reconstituer le modèle. Du XIIIe au XVe siècle, le lai devient de plus en plus un genre littéraire (Eustache Deschamps, Christine de Pisan), même s’il reste parfois chanté (G. de Machaut). Il se prolonge en Allemagne par le leich, qui en dérive. LAISSE. Équivalent de la strophe dans le lai ou la chanson de geste. Le nombre de vers y est variable et on les chante sur un timbre ou un groupe de timbres de caractère répétitif s’adaptant au récit (timbres d’intonation, de développement, de conclusion). La laisse est souvent monorime, exception faite parfois d’un dernier vers plus court, dit biocat, ou orphelin. Elle peut remplacer la rime par une simple assonance. Le mètre le plus fréquent est le décasyllabe, soit mineur (4 + 6), soit majeur (6 + 4), mais on trouve aussi beaucoup d’autres types de vers. Par analogie, on donne aussi parfois le nom de laisse, dans certains récits, à des groupes de vers formant un ensemble d’un seul tenant, quelle qu’en soit la structure. LAJHTA (László), compositeur hongrois (Budapest 1892 - id. 1963). Moins connu à l’étranger Kodály, il fut pourtant, moitié du XXe siècle, le nom de la musique de son que Bartók et dans la première troisième grand pays. Après des études à Budapest, il vint compléter sa formation à la Schola cantorum, auprès de Vincent d’Indy (19111913), et devait toujours rester influencé par la musique française. En 1910, il fut le compagnon de Bartók et de Kodály dans leurs recherches folkloriques. Il entra en 1913 au département d’ethnographie du Musée national hongrois de Budapest et joua dans le domaine de l’ethnomusicologie un rôle de premier plan au niveau international. Sous certains aspects, sa carrière de compositeur ressemble à celle de son contemporain tchèque Bohuslav Martinºu. Il sut admirablement équilibrer, dans son oeuvre, les apports hongrois et ceux de la culture latine. Malgré ses nombreuses partitions de chambre (dont dix quatuors à cordes échelonnés de 1922 à 1953) et pour la voix, il fut avant tout un symphoniste. De ses neuf symphonies, composées de 1936 à 1961, sept sont postérieures à 1945. Il reçut en 1951 le prix Kossuth pour son action menée en faveur du folklore hongrois. LA LAURENCIE (Lionel, comte de), musicologue français (Nantes 1861 - Paris 1933). Sorti premier de l’École nationale des eaux et forêts en 1883, il entra dans l’Administration. Mais, en 1898, il décida de se consacrer entièrement à la musique. Excellent violoniste, familier du répertoire du quatuor classique, il avait étudié la théorie avec Alphonse Weingartner, avant de suivre les cours de Bourgault-Ducoudray au Conservatoire de Paris. Spécialisé dans l’histoire de la musique instrumentale du XVIe au XVIIIe siècle, ainsi que dans celle de la musique française, il donna, à l’École des hautes études sociales notamment, des cours qui sont restés célèbres. Parallèlement, il assura - de 1919 à 1931 la continuation de l’Encyclopédie de la musique et dictionnaire du Conservatoire entreprise par Lavignac et il publia son ouvrage essentiel : l’École française de violon de Lully à Viotti (3 vol., Paris, 19221924 ; rééd. 1971). Membre de la section parisienne de la Société internationale de musicologie de 1905 à 1914, il participa, en 1917, à la fondation de la Société française de musicologie, dont il fut le premier président. LALO (Édouard), compositeur français (Lille 1823 - Paris 1892). Issu d’une famille d’origine espagnole, dont les ancêtres maternels et paternels étaient venus s’établir dans les Flandres au XVIe siècle, il commença ses études musicales au conservatoire de Lille, et y obtint un premier prix de violon en 1838. Le violoncelliste Baumann, qui, à Vienne, avait participé aux exécutions des symphonies de Beethoven sous la direction de leur auteur, lui donna des leçons de composition et lui communiqua le goût de la musique symphonique et de la musique de chambre. Aussi, à seize ans, Édouard Lalo décida-t-il de devenir un musicien professionnel. Il se heurta alors à la violente opposition de son père, ancien officier de la Grande Armée, qui ne voyait d’autre carrière pour son fils que celle des armes. Lalo ne céda pas ; il quitta la maison paternelle, partit pour Paris et entra au Conservatoire, où il étudia le violon avec Habeneck et la composition avec Schulhof. Ses premières années parisiennes furent extrêmement difficiles : il lui fallut à la fois étudier et gagner sa vie. Il écrivit d’abord des mélodies et des romances dans le goût de l’époque, puis des oeuvres de musique de chambre qu’il ne réussit pas à faire éditer. Vers 1855, découragé, il renonça à composer, donna des leçons et tint la partie d’alto dans le quatuor Armingaud. Toutefois, son mariage, en 1865, avec une de ses élèves, Julie Besnier de Maligny, d’origine bretonne et vendéenne, lui redonna le goût de la composition. Et c’est à son intention qu’il écrivit - car elle chantait avec talent - ses Six Mélodies pour voix de contralto. Il prit part à un concours de musique dramatique organisé par l’État et composa un opéra en 3 actes, d’après Schiller, Fiesque, qui obtint en 1869 le troisième prix, mais ne devait jamais être représenté. En 1871, Édouard Lalo participa à la fondation de la Société nationale de musique. Le renouveau musical que connaissait alors la France l’incita à composer des ouvrages symphoniques. Il écrivit en 1872 un Divertissement pour orchestre que Pasdeloup dirigea l’année suivante ; en 1873, un Concerto pour violon que Sarasate créa en 1874. Enfin, en 1875, Sarasate fit acclamer la Symphonie espagnole, qui, à juste titre, est demeurée l’ouvrage le plus populaire d’Édouard Lalo. La Symphonie espagnole allie aux prestiges d’un brillant concerto pour violon le charme coloré d’une poétique incursion à travers downloadModeText.vue.download 558 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 552 une Espagne inventée par le compositeur. Des séjours qu’il fit en Bretagne après son mariage, il rapporta l’idée d’un opéra sur la légende de la ville d’Ys. Il se mit rapidement au travail, et, dès 1876, l’ouverture du Roi d’Ys fut donnée au concert. La partition du Roi d’Ys fut achevée vers 1880. Le directeur de l’Opéra ne voulut pas prendre le risque de monter l’ouvrage de Lalo, dont il fit pourtant un grand éloge, mais, en compensation, il commanda à l’auteur du Roi d’Ys un ballet, Namouna, ne lui laissant toutefois que quatre mois pour l’écrire. Dès qu’il eut le scénario en main, à la fin de juillet 1881, Lalo s’attela à la tâche, au rythme de quatorze heures par jour. Mais, avant d’avoir achevé sa partition, Lalo fut frappé d’une attaque d’hémiplégie. Gounod l’aida alors à terminer son orchestration. Et le 6 mars 1882, Namouna fut créé à l’Opéra. Le public fut dérouté par la richesse de cette musique ; la critique lui fut hostile. Cependant, la salle, heureusement, compta des enthousiastes, Gabriel Fauré, Emmanuel Chabrier, Ernest Chausson, Claude Debussy, tous compositeurs qui allaient devenir l’honneur de la musique française. Le Roi d’Ys fut enfin représenté à l’Opéra-Comique le 7 mai 1888. Le succès fut très grand : plus de cent représentations en un an. Sur un thème dramatique, Lalo avait écrit une partition colorée, concise, délicate et puissante. Auteur d’au moins deux chefs-d’oeuvre, la Symphonie espagnole et Namouna, Lalo est un des pionniers du renouveau de la musique de chambre et de la musique symphonique en France dans la seconde moitié du XIXe siècle, et il a trouvé, avec les deux ouvrages cités plus haut, un style éminemment « français », caractérisé par sa clarté, sa netteté, son charme et sa couleur. LALO (Pierre), critique musical français (Puteaux 1866 - Paris 1943). Fils d’Édouard Lalo, il écrivit pour le Journal des débats, la Revue de Paris, puis dans le Temps, où il succéda à J. Weber (1898). Il apporta également sa collaboration au Courrier musical et à Comoedia. Une sélection de ses articles fut rassemblée dans la Musique (Paris, 1898-99), Richard Wagner ou le Nibelung (Paris, 1933) et De Rameau à Ravel, portraits et souvenirs (Paris, 1947). Il collabora enfin à la publication collective de conférences sur la musique données à la radiodiffusion : le Théâtre lyrique en France depuis les origines jusqu’à nos jours, où il signa en particulier le chapitre introductif Défense et illustration de la musique française. Pierre Lalo était membre du conseil supérieur du Conservatoire et de celui de la radiodiffusion. LALOY (Louis), musicologue français (Gray 1874 - Dole 1944). Docteur ès lettres en 1904 avec une thèse sur Aristoxène de Tarente et la musique de l’Antiquité, il fonda en 1905, avec Jean Marnold, le Mercure musical et enseigna l’histoire de la musique à la Sorbonne (1906-1907) et au Conservatoire (19361941). Il fut l’ami de Claude Debussy et l’un de ses premiers partisans. Nommé secrétaire général de l’Opéra en 1914, il écrivit, la même année, pour Albert Roussel, le livret de Padmavâti. Fin lettré, écri- vain élégant, critique subtil, Louis Laloy publia, en 1928, un livre de souvenirs, la Musique retrouvée, où il retrace son évolution esthétique. PRINCIPAUX ÉCRITS : Jean-Philippe Rameau (1908) ; Claude Debussy (1909) ; la Musique chinoise (1912), la Musique retrouvée (1928). LAMBERT (Constant), compositeur, chef d’orchestre et musicologue anglais (Londres 1905 - id. 1951). Sa première partition majeure, le ballet Roméo et Juliette (1926), résulta d’une commande de Diaghilev. De son intérêt pour le jazz témoignent Elegiac Blues pour orchestre (1927) et surtout The Rio Grande (sur un poème de Sacheverell Sitwell) pour piano, choeur et orchestre (1927), ainsi que le Concerto pour piano et neuf instrumentistes (1930-1931). Citons également Summer’s Last Will and Testament pour baryton, choeur et orchestre, d’après T. Nashe (1932-1935), et le ballet Horoscope (1937). Son livre Music Ho ! A Study of Music in Decline (1934) est une étude pénétrante et provocante à la fois de l’état de la musique en Europe de 1910 à 1930 environ, les trois figures clés de l’époque étant pour lui Debussy, Sibelius et Schönberg, suivis de près par Stravinski. LAMBERT (Michel), chanteur et compositeur français (probablement Champigny, Vienne, v. 1610 - Paris 1696). Grâce à sa jolie voix d’enfant, il entra à Paris au service de Gaston d’Orléans. Devenu adolescent, il dut enseigner la musique à la fille du prince, la duchesse de Montpensier, dite la Grande Mademoiselle. Afin de perfectionner son chant selon la méthode italienne, il reçut les conseils de Pierre de Nyert avant de devenir, lui-même, le meilleur maître d’un art du chant spécifiquement français et le chanteur-compositeur préféré des salons de la société précieuse. En 1661, à la mort de Jean de Cambefort, Lambert fut nommé maître de musique de la Chambre du roi. Deux mois après, sa fille Madeleine épousait J.-B. Lully. Ainsi, et au moment de la création de l’Académie royale de musique, c’est Lambert qui forma les « actrices » et les instruisit dans l’art de la déclamation chantée. Sa réputation dépassa bientôt très largement les frontières. Les airs et dialogues de Michel Lambert (plus de 200) appartiennent à un nouveau type, l’air sérieux, qui, proche encore de l’air de cour mais accompagné de la basse continue, annonce Lully. Ces airs ne comportent en général que deux strophes poétiques, le « simple » et le « double », ce dernier étant destiné à recevoir une ornementation vocale virtuose en laquelle Lambert excella. Il mit en musique la plupart des poètes précieux (Bouchardeau, G. Gilbert, F. Sarasin, J. Pascal, Pelisson, Benserade, P. Perrin). Il semble qu’il prit l’habitude de chanter ses airs en compagnie de sa belle-soeur, Mlle Hylaire (lui, la basse, et elle, le dessus), et de les accompagner lui-même au théorbe. C’est sous cette forme que parut, en 1669, à Paris, la réédition de vingt Airs de Monsieur Lambert..., dédiés à son maître Pierre de Nyert (1re éd., 1660). En 1689, il fit graver un livre d’Airs à une, deux, trois, quatre parties avec la basse continue (Ch. Ballard). Les pièces de ce recueil, souvent précédées de ritournelles instrumentales, qui témoignent d’une belle inspiration et d’une grande maîtrise technique, proviennent en majeure partie des ballets de cour auxquels il participa en tant que compositeur et interprète de petits rôles. Lambert serait également l’auteur des premières leçons de ténèbres pour voix seule et basse continue parues en France. LAMENTATION. 1. Chant lyrique déplorant une mort, qu’il s’agisse d’un parent, d’un ami ou d’un haut personnage. Le genre est très ancien (thrénodie grecque antique, naenia romaine, etc.) et s’est conservé dans de nombreuses traditions populaires (mirologue grec moderne, vocero corse, etc.). On le retrouve sous forme écrite dans la lyrique carolingienne sous le nom de planctus, puis dans le drame liturgique et les chansons de trouveurs (planh provençal), qui y adjoignent aussi des lamentations amoureuses (plaintes d’amants délaissés) ou d’autres sur des événements douloureux (lamentation sur la perte de Constantinople). Aux XIVe et XVe siècles, la mort de grands compositeurs (par exemple, Machaut, Dufay, Ockeghem) a été saluée par des lamentations écrites par leurs disciples. Le genre, relayé au XVIIe siècle par le tombeau, ne semble pas s’être prolongé au-delà. 2. Dans la liturgie catholique, terme réservé à la lecture chantée des plaintes (threni) du prophète Jérémie sur la décadence de Jérusalem, insérées comme leçons de matines en neuf lectures échelonnées du jeudi au samedi saint. On les appelle aussi leçons de ténèbres. downloadModeText.vue.download 559 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 553 Les lamentations se chantent sur un timbre de lecture particulier (6e ton), avec des formules spéciales d’intonation et de conclusion. Sauf pour le dernier chapitre, les versets sont numérotés par une lettre de l’alphabet hébreu, qui formait acrostiche dans l’original et qui est également chantée. Du XVe au XVIIIe siècle, les lamentations ont été fréquemment mises en musique par les compositeurs, d’abord a cappella, puis avec orchestre ou orgue. Parmi les plus célèbres, on cite celles de Tallis, Lassus, Victoria, Palestrina, M. A. Charpentier, F. Couperin, Zelenka, Stravinski (Threni), etc. 3. ( ! LAMENTO.). LAMENTO. Dans l’opéra du XVIIe et du XVIIIe siècle, morceau lyrique dans lequel un héros ou une héroïne exprime son désespoir. On le traduit parfois par lamentation. Le lamento, généralement placé peu avant le dénouement, est souvent écrit sur une basse contrainte, volontiers chromatique, et doit revêtir une grande intensité dramatique. Parmi les lamentos les plus célèbres figurent celui d’Arianna, seul morceau subsistant de l’opéra de Monteverdi portant ce titre, celui de Didon dans Dido and Aeneas de Purcell, etc. Après le XVIIIe siècle, quand le lamento eut cessé d’être un morceau d’opéra traditionnel, le terme a été repris sans caractère technique particulier, dans le sens de « chant triste », soit vocal (Lamento de Duparc), soit même instrumental (Lamento d’orchestre servant d’ouverture aux Troyens à Carthage de Berlioz). LAMOUREUX (Charles), chef d’orchestre français (Bordeaux 1834 - Paris 1899). Il fut violoniste au Théâtre de la Renaissance tout en travaillant au Conservatoire dans la classe de Girard. Quand il obtint son premier prix (1854), il entra dans l’orchestre de l’Opéra, s’intéressa à l’enseignement et fonda en 1860 avec Édouard Colonne les Séances populaires de musique de chambre. Ayant fait un riche mariage, il disposa d’une fortune personnelle qui favorisa ses nombreuses entreprises musicales. En 1872, il fonda l’Harmonie sacrée, qui révéla aux Parisiens des oratorios de Bach et de Haendel, ainsi que des oeuvres contemporaines de Gounod et de Massenet. Nommé chef d’orchestre à l’Opéra-Comique en 1876, il démissionna l’année suivante et passa presque aussitôt au pupitre de l’Opéra, mais ne s’entendit pas avec son directeur, Vaucorbeil, et n’y resta que deux ans. En 1881, il créa au théâtre du Château-d’Eau les Nouveaux Concerts, qui se transportèrent plus tard salle Gaveau et devinrent les Concerts Lamoureux. C’est là qu’il donna toute sa mesure. N’ayant de compte à rendre à personne, libre du choix de ses programmes et de ses musiciens, il n’eut plus à réfréner son tempérament autoritaire et perfectionniste. Ses compatriotes et contemporains Lalo, d’Indy, Chabrier, Chausson bénéficièrent de son action énergique, mais aussi Wagner qu’il admira par-dessus tout (il fit chaque année le pèlerinage de Bayreuth). Il loua le théâtre Eden pour conduire, malgré une campagne de la presse nationaliste, la première parisienne de Lohengrin. L’année de sa mort, il loua aussi le Nouveau Théâtre de la rue Blanche, où eurent lieu, sous sa baguette, les dix premières représentations de Tristan et Isolde. Son gendre Camille Chevillard fut son premier successeur à la tête des Concerts Lamoureux. LAMPUGNANI (Giovanni Battista), compositeur italien (Milan 1706 - id. 1786). Il écrivit pour Milan, Venise et Londres des opéras dans le style sérieux, remarquables notamment par leurs récitatifs. À Londres, il succéda à Galuppi à la tête du théâtre royal de Haymarket et eut luimême comme successeur Gluck. On lui doit aussi de la musique instrumentale, dont les sonates en trio op. 1 et 2 (Londres, v. 1745). LANDI (Stefano), compositeur italien (Rome 1586 ou 1587 - id. 1639). Élève de Nanino, il fut maître de chapelle à Padoue, puis à Santa Maria dei Monti à Rome (1624), et devint chantre à la chapelle pontificale (comme castrat) en 1629. Il écrivit des madrigaux et de la musique sacrée, mais se tourna aussi vers le style monodique, devenant un pionnier non seulement de la cantate, mais de la musique scénique avec l’opéra pastoral La Morte d’Orfeo (1619) et le drame musical Sant’Alessio (1632). LANDINI (Francesco), musicien et poète italien (Fiesole ? v. 1330 - Florence 1397). Il était le fils du peintre Jacopo del Casentino (mort en 1349). Sa vie est mal connue. Atteint de cécité dans son enfance, il abandonna la peinture pour la musique. Surnommé Franciscus caecus ou Francesco Cieco (« François l’Aveugle »), il fut facteur d’orgues, chantre, poète et compositeur, et connut sa plus grande renommée comme organiste. Il eut peut-être comme maître Jacopo di Bologna, et sa carrière se déroula principalement à Florence, où il fut organiste à San Lorenzo de 1365 à sa mort : cela à une époque où cette ville devenait le centre de la vie musicale italienne. Il s’y mêla aux cercles intellectuels gravitant autour de l’Université. Il séjourna aussi à Venise. Il participa à la construction de l’orgue de l’Annunziata à Florence en 1379, et à la rénovation de celui de la cathédrale en 1387. Il fut la principale figure de l’Ars nova italienne, ou plutôt florentine, et joua un rôle comparable à celui de Machaut en France un peu plus tôt. Le quart environ du répertoire de l’Ars nova italienne ayant survécu peut lui être attribué, et de sa renommée témoigne aussi le fait que sa musique fut copiée non seulement à Florence, mais en d’autres endroits d’Italie. On a de lui 154 compositions musicales, dont beaucoup sur ses propres textes, parmi lesquelles 141 ballate, dont 91 à deux voix, 42 à trois voix et 8 en deux versions (deux ou trois voix). De ce genre de la ballata, équivalent italien du virelai français, il fut le véritable créateur. On lui doit pour le reste 9 madrigaux à deux voix et 2 à trois voix, et 2 spécimens de caccia. À la différence de celles de Machaut, ses oeuvres sont orientées vers la voix : 82 des 91 ballate à deux voix sont des duos vocaux sans accompagnement. Contrairement aux oeuvres françaises, travaillées à partir du ténor, les siennes le sont surtout à partir de la voix supérieure. Landini clôt avec éclat le XIVe siècle italien, mais, après lui, la péninsule allait mettre près de cent ans à retrouver une musique vraiment originale. LÄNDLER. Danse populaire à trois temps au parfum paysan (Land, « campagne »), particulièrement répandue en Autriche et en Allemagne du Sud, ancêtre de la valse. Les « danses allemandes » de Haydn ou Mozart ont en général tout du ländler, sauf le nom, qui fut utilisé pour la première fois dans son appellation moderne vers 1800. Contrairement à Johann Strauss, Joseph Lanner appela ses premières valses « allemandes » (Deutsche) ou Ländler. Le rythme du ländler fut utilisé, notamment, par Bruckner et Mahler dans leurs symphonies, et par Alban Berg dans Wozzeck (4e scène de l’acte II) et dans son concerto pour violon À la mémoire d’un ange. LANDON (Howard Chandler Robbins), musicologue américain (Boston 1926). Élève de Karl Geiringer à l’université de sa ville natale (1945-1947), il fonda, en 1949, à Boston et à Vienne, la Haydn Society, dont il devint immédiatement secrétaire général et qui, jusqu’à sa dissolution en 1951, poursuivit l’édition des oeuvres complètes de ce compositeur et en fit paraître un grand nombre (dont la plupart pour la première fois) sur disque. Landon publia ensuite un ouvrage fondamental, The Symphonies of Joseph Haydn (Londres, 1955 ; suppl., 1961). On lui doit également la première édition complète, réalisée dans les années 60, des symphonies de Haydn. Il a aussi publié sur Haydn, outre de nombreux articles, un ouvrage monumental downloadModeText.vue.download 560 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 554 en cinq volumes, Haydn : Chronicle and Works (Londres, 1976-1980), auquel est venu s’ajouter en 1981 un sixième volume, surtout iconographique (édit. franç., Paris, 1981). Outre ses symphonies, Landon a édité un grand nombre d’oeuvres de Haydn, ainsi que sa correspondance (The Collected Correspondence and London Notebooks of Joseph Haydn, Londres, 1959). Et depuis 1962 il édite le Haydn Yearbook (Haydn Jahrbuch). Nul n’a fait plus que lui pour la renaissance de Haydn auprès du public, depuis la Seconde Guerre mondiale. Il a édité avec Donald Mitchell A Mozart Companion (Londres, 1956) et publié Beethoven : A Documentary Study (Londres, 1970, vers. all. Beethoven : Sein Leben und seine Welt in zeitgenössischen Bildern und Texten, Vienne, 1970). Il a enseigné au Queens College, à New York (1969), à l’université de Californie, à Davis (1970) et à l’université de Cardiff (1978). Il a publié également Mozart and the Masons (1983), 1791 : Mozart’s last year (1988), Mozart : The Golden years (1989), Mozart and Vienna (1993), et édité The Mozart Compendium (1991). LANDORMY (Paul), critique musical français (Issy-les-Moulineaux 1869 Paris 1943). Agrégé de philosophie, il fut critique musical à la Victoire, au Figaro et au Temps. Il publia des monographies sur Brahms, Schubert, Gounod, Bizet, des études sur la musique française, et dirigea, chez Mellotée, la collection les Chefs-d’oeuvre de la musique expliqués. Ses ouvrages sont moins d’un historien que d’un critique, dont les jugements apparaissent souvent tributaires du goût de son époque. LANDOWSKA (Wanda), pianiste et claveciniste polonaise (Varsovie 1879 Lakeville, États-Unis, 1959). À l’âge de quatre ans, elle commença l’étude du piano avec J. Kleczinski, spécialiste renommé de Chopin. Après avoir suivi l’enseignement de A. Michalowski au conservatoire de Varsovie, elle quitta, en 1896, la Pologne pour Berlin, où professait H. Urban (également professeur de Paderewski et de Hofmann). Passionnée de musique vocale et de clavecin, Wanda Landowska trouva à Paris (1900-1913) un milieu favorable à l’épanouissement de ses idées, dans l’entourage de la Schola cantorum et de musicologues de renom (J. Ecorcheville, A. Pirro, L. de la Laurencie, Ch. Bordes, H. Expert, etc.). Wanda Landowska allait devenir le porte-drapeau inspiré du renouveau de la musique ancienne. En 1903, elle donna un premier récital de clavecin, point de départ d’un combat acharné qu’elle mena sur tous les fronts, en jouant, en écrivant de nombreux articles (Bach et ses interprètes, 1905), un livre en forme de profession de foi (Musique ancienne, 1909) et en faisant évoluer la facture du clavecin. Sur le nouveau pleyel modifié par Gustave Lyon d’après ses conseils - dans le sens d’une plus grande coloration, grâce à l’adjonction d’un double clavier et d’un jeu grave de seize pieds -, elle joua Bach à Breslau en 1912. L’Académie royale de Berlin créa pour elle une classe de clavecin qu’elle dirigea de 1913 à 1919. Retenue contre son gré en Allemagne pendant la guerre, elle enseigna ensuite à Bâle et à Paris (à l’École normale et à la Sorbonne), avant de partir à la conquête des ÉtatsUnis en 1923 avec quatre clavecins et l’aide bienveillante de L. Stokowski. Elle y enregistra son premier disque. Mais c’est dans sa propre école de musique ancienne, à Saint-Leu-la-Forêt, à partir de 1925, que Wanda Landowska allait initier la génération montante de jeunes clavecinistes (R. Kirkpatrick, R. Puyana, C. Curzon, R. Gerlin, A. van de Wiele, I. Nef, etc.). Une salle de concerts y fut installée (1927) ; elle l’inaugura avec A. Cortot. Obligée de fuir en 1940 en abandonnant sa bibliothèque de 10 000 volumes et sa collection d’instruments anciens, elle gagna les ÉtatsUnis, où elle séjourna et travailla jusqu’à sa mort, enregistrant l’intégrale du Clavier bien tempéré de Bach et les oeuvres que lui dédièrent M. de Falla (Concerto pour clavecin, 1925) et F. Poulenc (Concert champêtre, 1928), poursuivant sa tâche par l’exemple et par l’écrit. Wanda Landowska a débarrassé le clavecin du carcan des fausses traditions, en prônant le droit à l’invention et à la liberté, dans le respect de l’esprit de chaque oeuvre. Cette volonté de rendre sa vitalité à un instrument, jusque-là guindé et quelque peu blafard, explique les outrances d’expression et de coloration qu’elle obtenait dans un grandiose ferraillement. Il serait injuste de s’y arrêter en ignorant la véritable grandeur de l’artiste, telle par exemple qu’on peut la découvrir dans ses enregistrements de Mozart au piano, d’une pureté inégalée. LANDOWSKI (Marcel), compositeur français (Pont-l’Abbé, Finistère, 1915). Fils du sculpteur d’origine polonaise Paul Landowski, il est aussi par sa mère un descendant du compositeur Vieuxtemps. Très jeune, il montre d’évidentes dispositions pour la musique et prend des leçons de piano avec Marguerite Long. Après avoir terminé ses études secondaires, il est l’élève, au Conservatoire de Paris, de Noël Gallon (écriture) et d’Henri Busser (composition). En 1937, alors qu’il est encore élève du Conservatoire, ses premières oeuvres sont exécutées par Pierre Monteux : les Sorcières et les Sept Loups, pour choeur de femmes et orchestre. Son intérêt pour le groupe des Six, qui le fait mal voir au Conservatoire, se manifeste déjà, surtout pour Milhaud et Honegger. Il écrit, par la suite, un ouvrage sur ce dernier (1957). En 1939, alors que la guerre s’annonce, il compose l’oratorio Rythmes du monde, sur un texte de lui-même. Mais ses oeuvres les plus importantes datent de l’après-guerre : le Rire de Nils Halerius, légende lyrique et chorégraphique, avec laquelle il aborde la musique de scène (1944-1948), et sa première symphonie Jean de la Peur (1949). En 1950, il obtient le grand prix de composition de la Ville de Paris. Les années 1950-1960 voient naître le Concerto pour ondes Martenot, qui témoigne de son intérêt pour l’instrument auquel Messiaen et Jolivet ont déjà rendu hommage, l’opéra le Fou (1956, créé la même année à Nancy) et la comédie lyrique le Ventriloque (créée au Mans en 1956). De 1962 à 1965, Landowski a été directeur de la musique à la ComédieFrançaise ; en 1965, il a été nommé inspecteur général de l’enseignement musical au ministère des Affaires culturelles, avant d’y devenir chef du service de la musique (1966-1970). De 1970 à 1975, il est directeur de la musique, de l’art lyrique et de la danse à ce même ministère et, en 1975, inspecteur général de la musique au ministère de l’Éducation. La même année, il est élu membre de l’Institut, où il succède à son maître Busser. Toutes ces charges officielles, si elles ralentissent sa productivité, ne diminuent pas la qualité de ses oeuvres : l’Opéra de poussière, drame lyrique (1962) ; 2e et 3e symphonies (1963, 1964) ; Concerto pour flûte et cordes (1968) ; Messe de l’aurore pour solistes, choeur et orchestre (1977). En 1979, il écrit pour M. Rostropovitch et G. Vichnevskaïa les trois poèmes Un enfant appelle pour soprano, violoncelle solo et orchestre. L’oeuvre est créée par les dédicataires à Paris l’année suivante. En août 1980, est créé à Vaison-la-Romaine le Pont de l’espérance pour orchestre, soliste et 3 choeurs, d’après la Marseillaise de la paix de Lamartine, en février de la même année, au Palais Garnier, le Fantôme de l’Opéra, ballet en 12 tableaux, en 1985 à Toulouse l’opéra Montségur, en 1988 à Radio France la Symphonie no 4 et à Nantes l’opéra la Vieille Maison. Ont suivi Leçons de ténèbres pour orgue, violoncelle, voix et orchestre (1991), Sonate en duo pour clarinette et piano (1992), un Concerto pour violon (1995), l’opéra Galina (Lyon, 1996). Dès ses débuts, Landowski s’est affirmé comme un indépendant, ouvert au langage du XXe siècle, tout en refusant le sectarisme de l’avant-garde. Sa recherche constante de spiritualité s’est exprimée dans cette phrase : « Le mysticisme et l’amour sont les deux thèmes de la musique. » downloadModeText.vue.download 561 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 555 LANG (Johann Georg), compositeur allemand (Svojsin, Bohême, 1722 - Ehrenbreitstein 1798). Entré en 1746 au service du prince-évêque d’Augsbourg, il devint premier violon dans son orchestre en 1758, après avoir séjourné en Italie. Il écrivit des symphonies et surtout des concertos pour piano, dont un fut attribué à Haydn (en fa majeur Hob. XVII I. F3). LANGAUS. Façon de danser l’allemande vers 1800, qui consiste, pour un couple, à parcourir la salle à grands pas et avec un minimum de révolutions. C’est un ancêtre direct de la valse. LANGLAIS (Jean), organiste et compositeur français (La Fontenelle 1907 - Paris 1991). Ancien élève d’André Marchal à l’Institution nationale des jeunes aveugles, de Marcel Dupré (orgue) et de Paul Dukas (composition) au Conservatoire de Paris, il est titulaire de l’orgue de Sainte-Clotilde à Paris depuis 1945, tribune où il a succédé à Franck et à Tournemire. Jean Langlais a donné de très nombreux récitals dans le monde entier. Ses oeuvres, qui s’inscrivent dans l’héritage de Dupré et de Tournemire, sont essentiellement des pages d’inspiration religieuse (messes, cantates, psaumes, motets) et des partitions dédiées à son instrument : Neuf Pièces (1943), Suite française (1948), Hommage à Frescobaldi (1951), deux concertos pour orgue et orchestre, etc. Il est professeur d’orgue et d’improvisation à la Schola cantorum. LANGUETTE. Nom donné à l’anche vibrante des tuyaux d’orgue à anche. Une tige métallique appelée rasette, qui s’appuie sur elle, permet de régler sa tension et, par conséquent, d’accorder le tuyau correspondant. LANIER ou LANIÈRES (Nicolas), compositeur, chanteur, luthiste anglais d’origine française (Londres 1588 - id. 1666). Également peintre et doué d’un talent non négligeable, il fut nommé Master of King’s Music à la cour de Charles Ier. Il composa la musique de plusieurs masques représentés pour l’embellissement de diverses festivités (tel The Masque of Augurs de Ben Jonson, 1622). Le roi l’envoya en Italie pour se perfectionner et pour acheter des tableaux. Pendant la guerre civile, il perdit toutes ses possessions, et la majeure partie de ses manuscrits fut détruite. Après la Restauration en 1660, il retrouva sa place à la cour de Charles II, ainsi que son aisance matérielle. En 1669, J. Playford publia un recueil de Select Ayres and Dialogues to Sing to the Theorbo-Lute or Basse-Viol, qui contient quelques pièces de Nicolas Lanier. Musicien italianisant, il a aussi introduit le style du récitatif en Angleterre. On peut néanmoins remarquer dans quelques airs (Love’s Constancy) une influence française dans le domaine des ornements vocaux. LANNER (Josef), compositeur et violoniste autrichien (Vienne 1801 - Oberdöbling, Vienne, 1843). À douze ans, il entra dans l’orchestre de danse de Michael Pamer, qu’il quitta en 1819 pour former son propre ensemble. Tout d’abord simple trio composé de deux violons et d’une guitare auxquels vint s’ajouter un alto joué par J. Strauss père, le groupe s’étoffa bientôt jusqu’à former un orchestre d’une vingtaine de musiciens. En 1829, Lanner fut nommé directeur de la musique de bal de la cour impériale. Comme compositeur, il donna une ampleur particulière à la valse viennoise, qui devint, avec lui, une suite de quatre ou cinq valses, d’une élégance raffinée, avec introduction et coda. Ce fut lui qui, avec Johann Strauss père, en jeta les véritables fondations. Mais, contrairement à celui-ci, il appela ses premières valses « ländler ». LANZA (Alfredo Arnold COCOZZA, dit Mario), ténor américain d’origine italienne (Philadelphie 1921 - Rome 1959). Ayant étudié le chant avec Enrico Rosati, il débuta à La Nouvelle-Orléans dans Madame Butterfly et forma le Bel Canto Trio (1947) avec George London et Francis Yeend, effectuant, avec cette formation, de nombreuses tournées aux États-Unis. Après avoir acquis une incontestable notoriété, Mario Lanza se dirigea essentiellement vers des rôles pour la télévision et le cinéma, où il incarna, notamment, le rôle de l’illustre Caruso dans un film à grand succès : The Great Caruso (1951). LAPARRA (Raoul), compositeur et critique musical français (Bordeaux 1876 Suresnes 1943). Élève de Diémer, Massenet, Fauré et Gédalge au Conservatoire de Paris, il remporta en 1903 le prix de Rome, tandis que son frère William obtenait la même distinction en tant que peintre. Essentiellement musicien de théâtre, il a composé sur ses propres livrets Peau d’Âne (Bordeaux, 1899), la Habanera (Paris, 1908), la Jota (Paris, 1911), le Joueur de viole (Paris, 1926), les Toreras (Lille, 1929) et l’Illustre Fregona (Paris, 1931). Critique, il a collaboré, notamment, au Matin et au Ménestrel et laissé une étude sur la Musique et la Danse populaire en Espagne (1920), sa grande passion. Il fut un maître du naturalisme. LAPICIDA (Erasmus), compositeur et théoricien allemand ( ? v. 1445-1450 Vienne 1547). Prêtre, il fut maître de chapelle du princeÉlecteur à Heidelberg, de 1510 à environ 1521 puis s’établit à Vienne (cloître des Écossais), grâce à l’archiduc Ferdinand d’Autriche. En 1545 encore, la cour de Vienne lui versait une pension. Il a composé des motets à quatre voix, des lieder à trois et quatre voix, des lamentations et une frottola édités dans divers recueils de l’époque. LA POUPLINIÈRE (Jean Joseph Le Riche de), mécène français (Chinon 1693 Paris 1762). Fils d’un fermier général, il devint fermier général lui-même et un des hommes les plus riches du royaume. Il mit une partie de sa fortune au service de la musique et fonda un orchestre, célèbre pour la qualité de ses instruments à vent. Parmi les artistes qui fréquentèrent sa somptueuse maison - où eurent lieu régulièrement répétitions et concerts -, on trouve le nom de Jean-Philippe Rameau à qui le mécène confia la direction de son orchestre. La Pouplinière joua un rôle non négligeable pour familiariser la société parisienne avec la nouvelle forme de la symphonie. LARDÉ (Christian), flûtiste français (Paris 1930). Il étudie au Conservatoire de Paris où il obtient les premiers prix de flûte et de musique de chambre (1948 et 1951). Il fait ses débuts à l’âge de dix-neuf ans comme flûte solo de l’orchestre de la radio irlandaise à Dublin. Deux ans plus tard, il est lauréat du Concours international de Genève. En 1956, il donne ses premiers concerts aux États-Unis et au Canada, où il se produira très fréquemment tout au long de sa carrière. En 1969, il est nommé professeur de flûte au Conservatoire de Montréal et en 1970 professeur de musique de chambre au Conservatoire de Paris. Très intéressé par la musique de son temps, il a assuré la création de pièces pour flûte de Taïra, Françaix, Casterède, Bancquart, etc. LARGHETTO. Mot italien, diminutif de largo, désignant des morceaux de caractère analogue à celui-ci, mais de mouvement un peu moins lent. Théoriquement, le larghetto (69 à 100 battements/minute) est un peu plus lent que l’adagio (100 à 126), mais cette distinction est peu respectée. LARGO. Mot italien désignant un mouvement lent de caractère grave et solennel. Dans l’échelle théorique des mouvements, le largo (métronome 40 à 69 battedownloadModeText.vue.download 562 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 556 ments/minute) et son diminutif larghetto (69 à 100) sont censés être plus lents que l’adagio ! LENTO). Le mot largo est parfois employé comme titre pour des morceaux dont il indique le mouvement. L’un des plus célèbres largos, dit « largo de Haendel », est, en réalité, un air de l’opéra Serse (« Xerxès »), qui a été souvent transcrit sous ce nom pour les instruments les plus variés. LARIGOT. Jeu de mutation de l’orgue, de la famille des flûtes, faisant entendre l’harmonique 6 du son fondamental, c’est-à-dire sonnant à la 19e, soit 2 octaves et 1 quinte au-dessus de ce son fondamental. La hauteur du larigot est de 1 1/3 de pied pour une fondamentale de 8 pieds. LA ROCHELLE (Rencontres internationales d’art contemporain de). Festival fondé en 1973 à l’initiative de Claude Samuel, alors que celui-ci venait de quitter la direction artistique du festival de Royan. Il eut d’abord lieu à Pâques, puis en juillet. Il n’est pas ouvert seulement à la musique, mais il concerne également la danse, le théâtre, le cinéma, les arts plastiques, et s’est toujours tenu en liaison étroite avec la maison de la culture de la ville, s’efforçant à la fois de s’ouvrir sur un public autre que celui des spécialistes de musique contemporaine et de s’intégrer dans une action menée tout au long de l’année. Cet aspect « ouvert » du festival s’est fortement accentué à partir de 1980, année où Alain Durel a succédé à Claude Samuel comme responsable artistique. Les deux dernières années de son existence (1983-1984), le festival a été dirigé par Patrick Szersnovicz. LARRIEU (Maxence), flûtiste français (Marseille 1934). Il suit les cours du Conservatoire de Paris, où il obtient le premier prix de flûte (1951) et celui de musique de chambre (1954). Il est également lauréat du concours international de Genève (1954). Il est ensuite soliste dans l’orchestre de l’Opéra de Paris jusqu’en 1978, puis, à partir de cette date, professeur au conservatoire de Genève. Il a donné des concerts dans le monde entier. LARROCHA (Alicia de), pianiste espagnole (Barcelone 1923). Elle apparaît en public dès l’âge de cinq ans, avant de commencer ses études avec F. Marshall à l’Académie de piano fondée en 1901 par Granados, à Barcelone. Elle donne un premier concert à douze ans avec l’Orchestre symphonique de Madrid dirigé par E. Fernandez Arbos, l’orchestrateur des Iberia d’Albéniz. En 1955, elle fait ses débuts aux États-Unis avec l’Orchestre philharmonique de Los Angeles. Mais peu d’événements viennent troubler une carrière entièrement vouée à la musique espagnole. Alicia de Larrocha la défend dans le monde entier, et elle enseigne à son tour à l’académie F.-Marshall, dont elle est nommée directrice en 1959. Élégante mozartienne, elle est insurpassable dans le répertoire ibérique, spécialement dans Granados, où ses qualités de vitalité et d’invention font merveille. LARSEN (Jens Peter), musicologue danois (Copenhague 1902 - id. 1988). Il a étudié les mathématiques (1920-21), puis la musique et la musicologie à l’université de Copenhague, obtenant sa maîtrise en 1928. S’étant intéressé à Haydn, il a obtenu son doctorat avec Die Haydn Uberlieferung (Copenhague, 1939), ouvrage fondamental étudiant de façon systématique le problème des sources et de l’authenticité des oeuvres de Haydn, et qui a inauguré les recherches modernes sur ce compositeur. A suivi Drei Haydn-Kataloge in Faksimile (Copenhague, 1941 ; rééd. rév., New York, 1979), publication en fac-similé et avec commentaires des deux catalogues (Entwurf Katalog et Haydn Verzeichnis) que Haydn dressa lui-même ou fit dresser de ses oeuvres, ainsi que d’un troisième catalogue d’époque consacré à ses symphonies. Larsen a présidé, de 1949 à 1951, la Haydn Society et dirigé, de 1955 à 1960, le Joseph Haydn Institut de Cologne. Auteur de nombreux articles, en particulier sur le XVIIIe siècle, également spécialiste de Haendel, il est devenu professeur à l’institut de musicologie de l’université de Copenhague en 1945, et l’a dirigé de 1949 à 1965, prenant sa retraite en 1970. Il a enseigné également à Berkeley (1961) et à l’université du Wisconsin (1971-72), a présidé en 1975 le Congrès Haydn de Washington et ouvert celui de 1982 à Vienne. LARSSON (Lars-Erik), compositeur suédois (Åkarp 1908 - Hälsinborg 1986). Il a été l’élève d’Alban Berg à Vienne en 1929-30. S’il a évolué dans tous les styles d’écriture de notre temps, du néoclassicisme au sérialisme en passant par le néoromantisme ou le lyrisme nordique, c’est à ses oeuvres néoclassiques qu’il doit d’être l’un des compositeurs les plus populaires de son pays ; l’une de celles-ci, la Suite pastorale (1938), est probablement l’oeuvre suédoise la plus souvent interprétée. Entre 1955 et 1957, il a écrit 12 Concertini pour instrument solo et cordes, qui sont une réussite dans son oeuvre au même titre que les Kammermusik dans celle de P. Hindemith. Depuis 1960, il adopte un langage dérivé du sérialisme (Trois Pièces pour orchestre, 1960). Son style, son art de la forme moyenne, son habileté dans l’écriture instrumentale rendent quelque peu incompréhensible l’ignorance dans laquelle on tient son oeuvre hors des frontières de son pays. LA RUE (Pierre de) ou Pierchon, Petrus de Vico, Pieter Van der Straeten, compositeur franco-flamand (Tournai ? v. 1460 - Courtrai 1518). Ténor à la confrérie Notre-Dame de Boisle-Duc (1490-1492), il entra à la chapelle de Bourgogne (1492-1495). C’est dans ce milieu, et autour de cet héritage, qu’il travailla sans être tenté par le voyage en Italie. Cela lui valut, sans doute, sa réputation exceptionnelle au moment même où Josquin Des Prés brillait. Passé au ser- vice de Philippe le Beau (fils de Marie de Bourgogne et de Maximilien Ier), il devint membre de sa chapelle de Lille (14961500) et l’accompagna en Espagne (15011502), puis de nouveau en 1505-1506, voyage au cours duquel mourut Philippe le Beau. Il entra alors au service de Marguerite d’Autriche, régente des Pays-Bas, à Malines (1506-1514), qui se conduisit à son égard en véritable mécène et lui obtint des prébendes (Gand, Namur, Termonde). En 1516, il se retira comme chanoine à Courtrai, où il mourut. La Rue apparut avant tout comme un compositeur religieux et un des meilleurs représentants de la solide école franco-flamande de contrepoint. Dans cette tradition, la plupart de ses messes, au nombre de 31, sont du type de la messe à teneur, souvent liturgique, parfois profane, employée avec une grande variété. Il excella à tirer des développements des figures les plus simples (Missa ut-fa), à utiliser comme Obrecht l’ostinato, et l’usage du canon est chez lui d’une virtuosité étourdissante (par exemple, Missa Ave sanctissima Maria, entièrement un triple canon, et Missa O Salutaris hostia, « Ô hostie salvatrice », où toutes les voix procèdent constamment par imitations canoniques). Dans ces messes, au-delà du dessin des parties, La Rue montre un sens harmonique certain, bien que l’augmentation du nombre des voix ne soit, en fait, qu’une amplification sonore (dans Ave sanctissima Maria, 3 des 6 voix doivent être déduites à la quarte supérieure). Le style de La Rue est généralement austère, parfois heurté avec de brusques arrêts, mais il peut faire preuve d’une écriture très claire, d’un sens mélodique très expressif. L’homophonie est un procédé qui ne l’attire guère. Ses chansons (une quarantaine, dont la célèbre Autant en emporte le vent), souvent mélancoliques conformément au climat de la cour de Marguerite, témoignent d’une grande habileté de composition : souplesse mélodique, richesses harmoniques (Pourquoi non ne veuil-je morir, à 4 voix). S’il semble downloadModeText.vue.download 563 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 557 s’être rapproché de Josquin Des Prés à la fin de sa vie, on peut cependant affirmer qu’à l’écart de toute influence italienne il reste, en ce début du XVIe siècle, un représentant significatif du style des années 1480. LASCEUX (Guillaume), organiste et compositeur français (Poissy 1740 - Paris 1831). Il fut organiste à Chevreuse (1758) et à Saint-Étienne-du-Mont, à Paris (17691819). Outre une comédie lyrique (les Époux réconciliés), quelques sonates pour piano, un quatuor et des romances, son oeuvre consiste surtout en un Journal de pièces d’orgue, contenant des messes, magnificat et noëls à l’usage des paroisses et communautés religieuses, qu’il publia à partir de 1771. Ce journal fut suivi de nombreux autres recueils : Nouveau Journal, Nouvelle Suite de pièces d’orgue (1810), etc. Il est aussi l’auteur d’un Essai théorique et pratique sur l’art de l’orgue, très significatif sur la musique descriptive et naturaliste pratiquée par les organistes français autour de la Révolution. LASKINE (Lily), harpiste française (Paris 1893 - id. 1988). Élève d’Hasselmans au Conservatoire de Paris, elle remporte son premier prix à treize ans et entre aussitôt dans la carrière. À quatorze ans, elle se produit à Londres, et, à seize, elle est engagée à l’Opéra, où elle restera jusqu’en 1926. Soliste des concerts Koussevitski en 1921, des concerts Lamoureux de 1921 à 1940 et de 1943 à 1945, des concerts Straram à partir de 1926, des concerts Toscanini de Paris, de l’Orchestre philharmonique de Paris, de l’Orchestre national (1934-1938) et de diverses formations de chambre, elle a réintégré le Conservatoire de 1948 à 1958, cette fois en qualité de professeur, et formé une nouvelle génération de harpistes. LASSUS (Roland de, ORLANDO DI LASSO), compositeur franco-flamand (Mons 1532 - Munich 1594). Après une enfance dans le Hainaut, il fut, sans doute, membre du choeur de SaintNicolas de Mons. Attaché à Ferdinand Gonzague, vice-roi de Sicile (1545-1549), en raison de ses qualités vocales, il parcourut, à sa suite, la France, la Sicile, l’Italie. En 1546, il se trouvait à Milan. Puis, en 1549-50, il servit à Naples et à Rome un chevalier de l’ordre de Malte, Constantino Castrioto. Et bientôt il fut appelé à assumer les responsabilités de maître de chapelle de Saint-Jean de Latran à Rome (1553). Ces déplacements lui permirent de multiplier les échanges musicaux, d’accélérer et de diversifier sa formation. Formation redevable, par ailleurs, à l’art italien pour lequel il se passionnait. Mais la maladie et la mort de ses parents (1554) l’obligèrent à regagner son pays. Après un passage en Angleterre, Lassus séjourna à Anvers (1555-56), où, chez Susato, parurent ses premières oeuvres, publiées dans le même temps à Venise. Il fut engagé comme ténor à la cour du duc Albert V de Bavière et fut nommé, en 1563, à Munich, maître de chapelle de la cour, poste qu’il devait occuper jusqu’à sa mort. Cette stabilité professionnelle ne restreignit en rien le nombre de ses voyages diplomatiques et artistiques - en Italie, en France (1571) et même à Vienne. Anobli en 1570, Lassus entretint d’étroites relations avec maintes cours européennes, qui, souvent, se conduisirent à son égard en véritables mécènes. Ainsi, en France, le roi Henri III lui accorda-t-il, en 1575, un privilège pour la publication de ses oeuvres. Et le musicien put se retirer quelque peu de la vie de cour à partir de 1580, pour se consacrer à la composition religieuse. Très vaste, l’oeuvre de Roland de Lassus exploite toutes les formes de l’époque. Par goût et pour satisfaire une « clientèle » aussi diverse qu’exigeante, le compositeur a écrit 700 motets, 53 messes, 101 magnificat, 180 madrigaux, 146 chansons françaises, 93 lieder, des hymnes, psaumes, offices, 4 passions, etc. Mais il n’a pas créé de genre : il a donné aux genres existants une dimension nouvelle, les élargissant et les approfondissant pour leur imprimer sa marque personnelle. Cette oeuvre, reflet de son expérience et de ses voyages, se présente comme une synthèse des tendances françaises, allemandes et italiennes qu’il sut parfaitement assimiler ; et Lassus y apparaît tel un trait d’union entre Ockeghem, Josquin Des Prés et Monteverdi. Ses contemporains ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, et lui ont décerné les qualificatifs de « Orpheus belgicus », « mirabile Orlando », « divin Orlande », « Prince des musiciens de notre temps », etc. La diffusion de sa musique à travers l’Europe fut immense, à en juger par les transcriptions instrumentales auxquelles elle donna lieu et par le nombre de maisons d’édition qui souhaitèrent publier ses oeuvres. Les madrigaux à 5 voix tiennent, en nombre et en importance, le premier rang des oeuvres profanes, témoignage des dix années que Lassus passa en Italie à une époque déterminante de sa formation musicale. Le compositeur y adopte une attitude nouvelle, en laissant le texte, et non la prosodie, déterminer la forme musicale autant que le traitement fortement individualisé des motifs. De cette volonté de donner une traduction directe du texte découle un dessin très ferme, éloigné à la fois d’un maniérisme expressif et d’une fausse simplicité. Le madrigal sérieux prédomine, sous l’influence de Cyprien de Rore, par exemple dans Crudel, acerba, inesorabili morte, sur un texte de Pétrarque qu’il affectionne particulièrement et où il allie grandeur et profondeur. Mais, à la fin de sa vie, Lassus se tourna vers le madrigal spirituel, négligeant, en revanche, le madrigal pastoral à la mode vers 1580 et si prisé de Philippe de Monte. Le ton change peu à peu, en effet, de la gaieté des premières oeuvres à l’austérité et à la tension intérieure des derniers madrigaux, tel le cycle des Larmes de saint Pierre à 7 voix sur des textes de Luigi Tansillo. Selon un processus parallèle, Lassus se détourna de ses premières expériences chromatiques. Chez lui, la chanson française peut être pittoresque (Dessus le marché d’Arras), burlesque ou caustique avec un strict syllabisme (Un jour vis un foulon), grivoise (Il estoit une religieuse), courtoise (Ardant amour, Bonjour mon coeur) ou élégiaque (Je l’aime bien), mais les pages mélancoliques se firent plus nombreuses au fil des années. Avec Lassus, la chanson apparaît comme une synthèse des différents caractères du genre, tel qu’il était pratiqué à Paris au début de la seconde moitié du XVIe siècle (après Janequin) - sans toutefois atteindre la perfection, voire l’originalité d’un Claude Le Jeune -, et des éléments du madrigal. À côté des compositions à 4 voix, on trouve des édifices à 5, parfois 6 ou 8 voix. Le souci constant du rapport texte/musique (Lassus s’adresse volontiers à A. Chartier, F. Villon, et aux poètes de la Pléiade) se traduit par l’insertion d’éléments figuralistes, ainsi que par la recherche de l’expression à la fois sur le plan mélodique et harmonique (la Nuict froide et sombre). De plus, Lassus juxtapose volontiers cellules homorythmiques et courts passages en imitations (Ô vin en vigne). François Lesure a souligné combien sont capitales dans l’histoire de la chanson française la publication en 1557 à Paris de deux chansons tirées du recueil de Susato et l’influence de Lassus en France dans la seconde partie du siècle. Adrian Le Roy, luthiste et éditeur, en fut l’artisan : il l’introduisit auprès de Charles IX, qui échoua dans ses tentatives pour le retenir à la cour de France (il retourna à Munich). Lassus était profondément croyant, et son oeuvre ne put s’abstraire du courant de la Contre-Réforme qu’il avait embrassé avec passion. Certes, malgré ses 53 messes, il ne saurait, en ce domaine, égaler un Palestrina ni parvenir à une émotion comparable. Dans ses 37 magnificat, il sacrifie à l’usage de la messe-parodie. Dans les messes brèves ou celles à 4 voix (Octavi toni, 8e ton), il se sent moins à l’aise que dans des formes plus amples, à 5 et 6 voix, où il peut accorder une place plus importante au développement et au lyrisme (Ecce nunc benedicite Dominum, à 6 v.). Les motets, qu’il écrivit tout au long de sa vie, restent son titre de gloire et son downloadModeText.vue.download 564 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 558 oeuvre la plus significative. Du genre, il a, en effet, considérablement élargi la forme et approfondi l’esprit : ses motets sont à la fois l’aboutissement de la polyphonie flamande et son éclatement sous l’influence italienne. Lassus préfère l’imitation libre et recherche notamment, dans les motets de 6 à 12 voix, les effets de sonorités, les modulations audacieuses, le chromatisme (une voie dans laquelle il n’a pas persévéré), les oppositions de style polyphonie-homophonie, les ruptures brusques et, en général, tout ce qui ne manque pas de surprendre, telle la déclamation quasi parlando (Super flumina Babylonis). Enfin, Lassus s’essaya, à la suite de Willaert à Venise, au double choeur, guidé dans cette voie par le souci de libérer toute l’émotion du texte. À cette méditation spirituelle se rattachent les cycles des Prophéties des sibylles, des Lamentations du prophète Jérémie, fondées sur le contrepoint et le symbolisme madrigalesque, ainsi que les Psaumes de la pénitence à 5 voix, destinés à l’usage privé du duc de Bavière, et dont l’absence de chromatisme et la grandeur un peu massive ne nuisent en rien à l’intensité de l’expression. LAUDA (ital. : « chant de louange »). Forme particulière de chanson pieuse en langue italienne, avec strophes et refrain, mise en honneur vers 1225 par saint François d’Assise et ses disciples, mais dont l’existence est antérieure. Elle dérive sans doute des chants de louange à la Vierge ( ! LAUDE), dont certaines confréries spécialisées (laudesi) s’étaient fait un abondant répertoire, et tenait une grande place dans les processions des Flagellants qui se répandirent surtout en Italie à partir de 1260. D’abord monodique, la lauda prit parfois une forme polyphonique à partir du XIVe siècle (Jacopo de Bologne) ; elle dégénéra au XVe siècle pour sombrer souvent dans la simple adaptation de mélodies connues, alimenta le répertoire de l’Oratoire de saint Philippe Neri, où, vers 1600, naquit l’oratorio, et vécut jusqu’au XVIIIe siècle, au cours duquel elle s’éteignit progressivement. LAUDE. 1. En italien, pluriel ou variante du mot lauda. 2. En français, nom générique féminin donné jadis aux chants de louange (du lat. laus, laudis). L’une des plus célèbres est le Christus vincit chanté aux couronnements, dit « laudes carolingiennes ». 3. Laudes : nom donné à l’office qui fait suite à matines pour former avec elles l’office du début de la journée ( ! HEURES). Elles en ont d’abord été distinctes : les matines devaient se chanter de nuit, d’où leur surnom d’« office des ténèbres » et leur division en « nocturnes « ; les laudes se chantaient au lever du soleil. Les deux offices se sont peu à peu soudés l’un à l’autre. LAURENTIUS DE FLORENTIA (SER Lorenzo, LORENZO MASII ou MASINI), compositeur et pédagogue italien († Florence fin 1372 ou début 1373). Il enseigna dans différentes églises florentines et mit en musique des textes de Boccace, Niccoló Soldanieri, Franco Saccetti et Gregorio Calonista. C’était un esprit spéculateur, et ses oeuvres, qui comprennent, entre autres, des madrigaux, des ballate et des cacce, présentent surtout un caractère didactique (L’Antefana), ou expérimental, avec des raffinements de rythme et de notation. Il lui arrive ainsi, comme dans les madrigaux Sovra la riva et Vidi nell’ombra, de noter différemment un rythme identique. Il innova aussi au niveau de la mélodie, en introduisant de longs mélismes à la partie supérieure et en se préoccupant déjà de problèmes de tonalité. Son écriture harmonique, en revanche très conservatrice, privilégie les consonances parfaites et le mouvement parallèle des voix. LAURI-VOLPI (Giacomo), ténor italien (Lanuvio 1892 - Burjasot, Espagne, 1979). Il fit des études d’avocat, puis de chant à l’académie Sainte-Cécile de Rome. ll débuta dans le rôle d’Arturo des Puritains de Bellini à Viterbe en 1919. À partir de 1920, il fit une carrière internationale importante et devint l’une des vedettes du Metropolilan Opera de New York, où il se produisit dans 26 opéras différents, dont Luisa Miller de Verdi et Turandot de Puccini (qu’il créa aux États-Unis). Son timbre vocal était d’une grande beauté, avec un aigu claironnant et facile. Il avait beaucoup de succès dans les rôles à tessiture tendue, que l’on considérait dans les années 30 comme « héroïques », tel Arnold de Guillaume Tell. Il se produisait encore au théâtre à soixante ans passés. LǍUTAR (lǎuta ou alǎuta, « luth »). Musicien populaire roumain d’origine paysanne, citadine ou tzigane, faisant partie d’un petit orchestre (taraf) et jouant à l’occasion de noces, baptêmes, enterrements. Les lautari, organisés en corporations (bresle), se transmettent généralement la profession de père en fils. Leur répertoire, qui varie selon les époques et les régions, comprend des ballades, des doïnas, des chants de haïdouks, des chants d’amour, des danses populaires ou de salon, des chants rituels. LAVALLÉE (Calixa), compositeur canadien (Verchères, Québec, 1842 - Boston 1891). Pianiste et violoniste d’une rare précocité (il obtint à huit ans un prix aux ÉtatsUnis), il commença sa carrière comme virtuose et voyagea à ce titre du Brésil aux Indes occidentales et aux États-Unis. Après avoir été chef d’orchestre à New York, où il présenta ses premières oeuvres, il reprit, à trente ans, ses études en France avec Bazin, Boieldieu fils et Marmontel. De retour au Canada, il s’y affirma comme le meilleur animateur de la vie musicale, notamment dans l’enseignement. Mais, déçu de n’être pas suivi, il s’exila aux États-Unis, où il devint organiste et maître de chapelle de la cathédrale de Boston. LAVIGNAC (Albert), pédagogue et musicologue français (Paris 1846 - id. 1916). Il fut élève de Marmontel, Bazin et Ambroise Thomas au Conservatoire de Paris, avant d’y être professeur de solfège (1871), puis d’harmonie (1891). Il eut notamment pour élèves Pierné et Debussy. Ses premiers ouvrages sont didactiques : Cours complet théorique et pratique de dictée musicale, Solfèges manuscrits, Cinquante Leçons d’harmonie, l’École de la pédale. Il est, également, l’auteur de la Musique et les musiciens (1895), le Voyage artistique à Bayreuth (1897), les Gaietés du Conservatoire (1899), l’Éducation musicale (1902), Notions scolaires de musique (1905-1906). Il fut le fondateur de l’Encyclopédie de la musique et dictionnaire du Conservatoire (histoire de la musique, technique, pédagogie et esthétique, dictionnaire de musique), dont les premiers volumes parurent à partir de 1912. LAWES, famille de musiciens anglais. Henry, compositeur et chanteur (Dinton, Wiltshire, 1596 - Londres 1662). Élève de John Coprario, il fut nommé Gentleman of the Royal Chapel de Charles Ier en 1626. Peut-être fut-il l’auteur de la musique du « masque » de Thomas Carew, Coelum britannicum (1634). Toujours estil qu’il collabora avec Milton pour la musique de l’un des premiers vrais masques dramatiques, Comus (1634). Cinq airs de ce spectacle, proche de l’opéra et où l’in- fluence de la pastorale italienne demeure forte, sont conservés, conçus pour voix seule dans un style récitatif et accompagnés de la basse continue. Thomas Arne devait composer, en 1738, un opéra sur le même sujet. Des Select Musical Ayres de Henry Lawes furent publiés en 1652 dans le recueil de Playford. En 1653 parut un volume entièrement de lui, Ayres and Dialogues for One, Two and Three Voyces, qui connut un vif succès, ainsi que l’attestent les rééditions de 1655 et 1658. Pour le downloadModeText.vue.download 565 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 559 Siege of Rhodes de Henry Davenant, souvent considéré comme le premier opéra anglais, Lawes composa la musique des actes I et V. Également auteur de psaumes et d’anthems, Lawes fut très apprécié de ses contemporains ; Milton, par exemple, parle de « Harry, dont le Chant mélodieux et bien mesuré... » dans un sonnet élogieux intitulé To Mr. H. Lawes on the Publishing of his Ayres. Mais, contrairement aux prédictions du poète, Lawes tomba vite en disgrâce et la génération suivante lui porta plus de critiques acerbes que de louanges. Néanmoins, il demeure l’un des premiers à avoir clarifié les rapports entre le rythme de la langue anglaise et la musique, ouvrant par-là la voie à Purcell. William, compositeur (Salisbury 1602 Chester 1645). Comme son frère Henry, il fut l’élève de John Coprario et fut nommé Gentleman of the Royal Chapel. Lors de la guerre civile, il se battit pour la cause royaliste et trouva la mort pendant le siège de Chester. Sa carrière fut tournée vers la musique instrumentale. S’il resta fidèle au style traditionnel fondé sur l’emploi d’un cantus firmus (In nomine à 5 et 6 voix), il sut également innover et écrivit des oeuvres très personnelles axées sur l’avenir. William Lawes a laissé des fantaisies pour violes et un recueil de six suites de danses, The Royal Consort, qui fait appel à deux violons, deux basses de viole et deux théorbes. Plus « modernes » sont ses danses, conçues pour deux violons et basse continue dans le style de la sonate en trio, et publiées après sa mort dans les Courtly Masquing Ayres de J. Playford (1662). Dans le domaine de la musique vocale, William Lawes a écrit des airs, de la musique d’église (par ex., son anthem, The Lord is my light), la musique pour le masque de Shirley The Triumph of Peace en collaboration avec Simon Ives (1634), et la musique pour un masque de William Davenant The Triumph of the Prince d’Amour (1636). LAZZARI (Sylvio), compositeur français (Bozen, Autriche, 1854 - Suresnes 1947). Autrichien de naissance, il fit ses premières études dans son pays natal, y subissant une profonde influence wagnérienne. Arrivé en France en 1882, il entra au Conservatoire de Paris dans les classes de Guiraud et de Gounod. Il se lia aussi avec Franck et Chausson, qui le conseillèrent. Il subit alors l’influence des impressionnistes et tenta de réaliser la problématique synthèse entre le style de Wagner et celui de ses contemporains français. Homme de tempérament indépendant, il occupa néanmoins plusieurs postes importants : il fut chef des choeurs à l’Opéra de MonteCarlo et présida la société Wagner à Paris. Il fut attiré par la Bretagne, dont s’inspire sa première oeuvre lyrique, Armor (créée à Prague, 1898). Si son orchestre possède la puissance, la sonorité, la couleur de celui de Wagner, ses mélodies respirent le plus pur accent du terroir breton. On peut regretter que ses oeuvres dramatiques comme la Lépreuse (1902) ou la Tour du feu (1928) soient aujourd’hui délaissées. LEBÈGUE (Nicolas), organiste, claveciniste et compositeur français (Laon 1631 - Paris 1702). Venu de bonne heure à Paris, il y fut marqué par Champion de Chambonnières. En 1664, il fut nommé titulaire de l’orgue de Saint-Merri, poste qu’il conserva jusqu’à sa mort. Hautement estimé par Louis XIV, il fut nommé organiste de la Chapelle royale en 1678. Son autorité en matière de facture d’orgues le fit appeler en expertise dans la France entière. Il a également été un professeur recherché, comptant parmi ses élèves d’Agincourt, Geoffroy et surtout Grigny. Compositeur, Lebègue fut l’un des plus féconds de son temps. Ses deux livres de clavecin et ses trois livres d’orgue nous sont tous parvenus. Le Premier Livre d’orgue (1676), destiné aux virtuoses, est son chef-d’oeuvre, les deux autres étant écrits pour « ceux qui n’ont qu’une science médiocre ». Ces livres réunissent des suites, des noëls, des offertoires, des élévations, des versets de magnificat et des pièces de concert. Créateur d’un talent modeste, Lebègue n’en est pas moins le premier à avoir écrit dans les formes qui allaient être cultivées par tous les organistes des générations suivantes : récits, duos, trios, basses et dessus de trompette, de cornet ou de cromorne. Il a également donné de très nombreuses et précises indications d’exécution et de registration, dans des mélanges souvent nouveaux, indications qui, grâce à la diffusion de ses oeuvres imprimées, ont contribué à informer les organistes de province. LEBRUN (Ludwig), hautboïste et compositeur allemand (Mannheim 1752 - Berlin 1790). Titularisé dans l’orchestre de Mannheim à l’âge de quinze ans, il s’installa avec ce dernier à Munich en 1778 et lui resta attaché jusqu’à sa mort. Auteur de sept concertos et d’oeuvres diverses pour son instrument, il effectua après leur mariage (1778) plusieurs tournées en Europe avec sa femme, la soprano Franziska Dorothea Lebrun, née Danzi (1756-1791). LE CAINE (Hugh), compositeur et physicien canadien (Port Arthur, Ontario, 1914 - Ottawa 1977). Il a étudié à Kingston et à Birmingham (Angleterre), où il a obtenu un doctorat ès sciences en 1952. Il s’est orienté vers la mise au point d’instruments de musique électroacoustique et a contribué à la création de programmes d’études de musique électroacoustique à l’université de Toronto (1959), à l’université hébraïque de Jérusalem (1961) et à l’université McGill (1964), où il enseigne depuis 1966. Ses oeuvres, dont beaucoup sont très brèves, relèvent presque exclusivement du domaine électroacoustique ; citons Dripsody (1955), Ninety-Nine Generators (1956), The Burning Deck, mélodrame sur un texte de D. F. Hemans (1958), Sounds to forget (1963), Paulution (1970). LE CAMUS (Sébastien), violoniste, théorbiste et compositeur français ( ? v. 1610 - Paris 1677). Intendant de la musique de S.A.R. Gaston d’Orléans (1648), il fut nommé en 1660 surintendant de la musique de la reine Marie-Thérèse. Il fut également membre de la Petite Bande, orchestre formé par Lully avec les meilleurs instrumentistes des Vingt-Quatre Violons du roi. Dans son Traité de la viole (1687), Jean Rousseau dit de lui : « Le seul souvenir de la beauté et de la tendresse de son exécution efface tout ce que l’on a entendu jusqu’à présent sur cet instrument. » Ses « beaux airs », dont il semble avoir écrit un grand nombre, furent fort appréciés de son vivant et continuèrent, après sa mort, à paraître dans les recueils collectifs de l’éditeur Ballard. Avec son contemporain Michel Lambert, Le Camus compte parmi les maîtres de l’air sérieux. C’est son fils Charles qui prépara le livre d’Airs à deux et trois parties de feu Monsieur Le Camus (1678). Sauf une exception (à 2 voix), ces airs sont pour 1 voix et basse continue ; ils témoignent d’une écriture soignée, d’une sensibilité envers le texte poétique et d’un langage harmonique souvent italianisant (cf. chromatisme du rondeau Amour, cruel amour). LE CERF DE LA VIEVILLE DE FRENEUSE (Jean-Laurent), écrivain français (Rouen, 1674 - id. 1707). Sa réputation de poète et de théoricien repose aujourd’hui sur sa célèbre Comparaison de la musique italienne et de la musique française (Bruxelles, 1704-1706 ; rééd. 1972), rééditée dans l’Histoire de la musique et de ses effets de P. Bourdelot (Amsterdam, 1721-1726). Ses critiques, pertinentes, sont souvent injustement sévères envers la musique italienne. Le Cerf est un ardent défenseur de la musique française et, en particulier, de l’opéra lullyste. Son étude constitue une mine de renseignedownloadModeText.vue.download 566 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 560 ments pour une interprétation plus « authentique » de la musique du XVIIe siècle et souligne l’importance souveraine du texte poétique dans la musique vocale. LECHNER (Leonhard), compositeur allemand (Vallée de l’Etsch, Tyrol du Sud, v. 1553 - Stuttgart 1606). Chantre à la chapelle du duc de Bavière jusqu’en 1570, où il fut l’élève de Roland de Lassus, il mena probablement, à partir de cette date, une vie errante, qui le conduisit peut-être en Italie. En 1575, il obtint un modeste emploi à l’école paroissiale SaintLaurent à Nuremberg. Appointé comme musicien en 1577, il occupa, en 1582, la fonction de premier musicien de la ville. Au cours des années passées à Nuremberg, il fut également mêlé à la vie musicale de plusieurs cénacles patriciens auxquels il dédia certaines de ses oeuvres profanes. En 1584, il entra au service du comte Eitel Friedrich de Hohenzollern à Hechingen. Mais il quitta ce dernier presque aussitôt pour des raisons confessionnelles et se réfugia à Tübingen. N’ayant pu obtenir l’emploi qu’il espérait auprès du prince électeur de Saxe à Dresde, il fut chantre (1585-1589), compositeur (1589-1594), puis maître de chapelle à la cour du duché de Wurtemberg. Les sept recueils de chansons publiés entre 1576 et 1589 constituent la partie la plus importante de son oeuvre et son aspect le plus personnel. Dans ses chansons, il mêle au type de la villanelle italienne des passages écrits dans un style contrapuntique plus traditionnel. Sa Passion selon saint Jean (1593) tient une place prépondérante dans son oeuvre religieuse (motets et messes) par la rigueur avec laquelle il observe la mélodie liturgique et par la grande liberté qui régit la construction polyphonique de l’oeuvre. LECLAIR, famille de musiciens et compositeurs français des XVIIe et XVIIIe siècles. Antoine, passementier, violoncelliste et danseur (fin XVIIe - début XVIIIe s.). Sur ses huit enfants, six furent violonistes. Jean-Marie, dit L’aîné, compositeur et violoniste (Lyon 1697 - Paris 1764). Fils d’Antoine, c’est comme danseur et maître de ballet qu’il apparut tout d’abord, fidèle, en cela, à une tradition française qui alliait la pratique du violon et la danse : il fut alors à la cour de Turin (1722), où il travailla peut-être avec le célèbre violoniste J. B. Somis. Son 1er Livre de sonates fut publié à Paris (1723), mais Jean-Marie Leclair ne s’installa dans la capitale qu’en 1728, se taillant un succès triomphal au Concert spirituel. Il entra en 1733 à la musique du roi, en même temps que Guignon. Son caractère difficile et son insociabilité lui firent rapidement quitter l’orchestre royal : il voyagea à l’étranger, se fixa quelque temps à Amsterdam, où il travailla avec Locatelli. Après un séjour à la cour de l’infant d’Espagne à Chambéry, il se fixa définitivement à Paris (1743), où il fit exécuter son opéra Sylla et Glaucus (1746). Il y mena une vie assez solitaire, séparé de sa seconde femme, et mourut mystérieusement assassiné. Caractère difficile et ombrageux, d’humeur instable, insociable et misanthrope, il ne fut ni aimable ni, sans doute, heureux : mais son oeuvre est de premier plan. À l’exception de son opéra, dans lequel le chorégraphe laisse des pages remarquables et où le symphoniste fait preuve d’une très grande richesse d’écriture et d’orchestration, c’est la musique instrumentale qui constitue la totalité de son oeuvre, considérable en nombre et en qualité. Celle-ci consiste en une série de recueils de sonates, publiées de 1723 à 1753 : Sonates pour violon et basse continue (4 recueils, 1723, 1728, 1734, 1738, plus un recueil posthume publié en 1767) ; Sonates pour deux violons sans basse (1730 et 1747) ; Sonates en trio pour deux violons et basse continue (1730, 1737, 1753, et un recueil posthume en 1766) ; auxquelles s’ajoutent deux séries de 6 Concertos (1737, 1743 ou 1744), tous écrits pour violon avec accompagnement de cordes, à l’exception d’un seul, pour la flûte ou le hautbois. Leclair était, en son temps, réputé pour la précision, la netteté, la justesse de son jeu, autant que pour sa virtuosité. Ses sonates manifestent à la fois la hardiesse et l’aisance technique de leur auteur. Mais, à la différence d’un Locatelli, Leclair ne tombe jamais dans l’excès de la virtuosité : la rigueur de la composition, la hauteur de la pensée, mais aussi le charme égalent l’éclat et le brillant de la technique. C’est cet équilibre qui le caractérise, et qui se retrouve dans l’alliance qu’il sait faire de l’écriture musicale et de la technique violonistique italiennes avec la tradition française : la stylisation des rythmes de danse caractéristique de la suite à la française s’insère dans le cadre de la sonate à l’italienne, avec un développement des idées musicales visiblement issu d’outre-mont. Ses concertos ont adopté le plan vivaldien en trois mouvements (vif-lent-vif), alors que ses sonates conservent celui de la sonate da chiesa en quatre mouvements (grave, allegro, andante, vivace). Ce sont tous des concertos de soliste (pas de concerto grosso). Quatre tutti encadrent trois solos dans les mouvements vifs (trois et deux dans les mouvements lents). Les passages confiés au soliste sont variés : brillants et mélodiques, ou récitatifs tendres et frémissants ; tandis que le lyrisme et parfois la gravité se manifestent dans les mouvements lents. La richesse de l’invention mélodique et celle de l’écriture harmonique, autant que la sûreté de la technique font de Jean-Marie Leclair le plus éminent violoniste français de son temps, le premier à avoir su, sur leur propre terrain, égaler les grands Italiens. Jeanne, fille d’Antoine, violoniste ? (1699 - ?). Jean-Marie, dit Le Cadet, fils d’Antoine (1703-1777). Il fut un excellent violoniste à Lyon, mais aussi chef d’orchestre à Besançon, auteur de 12 sonates à 1 et 2 violons sans basse, remarquables, et de quelques oeuvres vocales. François, fils d’Antoine, violoniste ? (1705 - ?). Pierre, fils d’Antoine, violoniste (17091784). Il fut l’auteur de 2 recueils de sonates. Jean-Benoît, fils d’Antoine, violoniste (1714 - ?). Il épousa une violoniste. LECOCQ (Charles), compositeur français (Paris 1832 - id. 1918). Ses débuts furent d’autant plus difficiles que, souffrant de coxalgie congénitale, il ne pouvait marcher sans béquilles. Vainqueur, ex aequo avec Bizet, du concours institué par Offenbach en 1857 (il s’agissait de mettre en musique un livret d’opéra bouffe intitulé le Docteur Miracle), il n’en tira pas grand profit et continua de végéter jusqu’au succès de Fleur-de-Thé en 1868, qui le lança définitivement. Quantité d’opérettes et d’opéras-comiques al- laient suivre, unissant la grâce à la gaieté. Giroflé-Girofla, les Cent Vierges, la Petite Mariée ou le Petit Duc sont assurément démodés, mais la Fille de Mme Angot (1872) peut suffire à la gloire de Charles Lecocq. LEÇON. Traduction abusive du mot latin lectio (« lecture »). On appelle leçon, dans les heures canoniales, des lectures latines placées en des endroits définis de l’office, et qui peuvent porter sur des textes de toute nature, principalement scripturaires (Ancien Testament), patristiques ou hagiographiques, cela à l’exclusion des livres du Nouveau Testament, réservés à la messe. Dans l’office chanté, la leçon est psalmodiée sur un timbre propre de récitation, mais certaines leçons ont parfois été traitées en musique figurée pour des offices particulièrement solennels. C’est le cas des leçons de ténèbres, forme créée en France vers 1660 par Michel Lambert, puis illustrée notamment par M. A. Charpentier, F. Couperin et M. R. Delalande, et qui porte sur les leçons nocturnes de la semaine sainte. Cette forme comportait trois leçons pour chacun des trois jours saints, chantées chaque fois la veille (mercredi, jeudi, vendredi) dans une église où les lumières étaient progressivement éteintes. downloadModeText.vue.download 567 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 561 Par analogie, on a aussi donné le nom de « leçons » à des textes non liturgiques psalmodiés à la manière des lectures de l’office ; cette dénomination s’est même appliquée à des poèmes chantés en langue vernaculaire, telle la Vie de sainte Foy d’Agen (XIe s.), qualifiée par l’auteur luimême de « leçon lue sur le 1er ton « ; ce qui porte un témoignage particulièrement flagrant sur la dérivation liturgique des cantilènes romanes. LEDROIT (Henri), haute-contre français (Villacourt 1946-Nancy 1988). À Nancy et Strasbourg, il étudie le piano, l’harmonie et le chant. En 1972, il rencontre Alfred Deller, puis travaille avec René Jacobs et Nigel Rogers. Après ses débuts à Nancy dans Ariodante de Haendel et Giasone de Cavalli, il fonde en 1977 l’ensemble Nuove Musiche, redécouvrant des duos italiens du XVIIe siècle. En 1981, il chante le Couronnement de Poppée de Monteverdi, à Bruxelles, puis David et Jonathas de Charpentier, à Lyon. JeanClaude Malgoire, Michel Corboz, Philippe Herreweghe et la Camerata de Boston l’invitent régulièrement. Malgré la brièveté de sa carrière, il aborde aussi le XXe siècle avec le Songe d’une nuit d’été de Britten. Il laisse plusieurs enregistrements de Monteverdi, Rameau et Haendel. LEDUC. Maison française d’édition, fondée vers 1841 à Paris par Alphonse Leduc (Nantes 1804 - Paris 1868), sans lien de parenté avec la famille de Simon Le Duc. Lui succédèrent son fils Alphonse (Paris 1844 - id. 1892), le fils de ce dernier, ÉmileAlphonse (Paris 1878 - id. 1951), et les deux fils de celui-ci, Claude-Alphonse (né en 1910) et Gilbert-Alphonse (né en 1911). La maison, qui, en 1980, a absorbé les éditions Heugel, possède à son catalogue, outre de nombreux compositeurs français contemporains, un fonds très important d’ouvrages didactiques. LE DUC, famille de musiciens français. Simon, violoniste et compositeur (Paris 1742 - id. 1777). Élève de Pierre Gaviniès, il fut engagé en 1759 au Concert spirituel, d’abord comme second violon, puis, en 1763, comme premier violon et soliste. Il quitta ce poste en 1764, peu après avoir fait entendre sa première oeuvre, une sonate pour violon publiée en 1767 dans son opus 1. Il se produisit, à nouveau, au Concert spirituel en 1773, et, la même année, devint avec Gossec et Gaviniès codirecteur de l’institution. Il ne fut pas lui-même éditeur, mais publia à compte d’auteur, à partir de 1767, ses quatre premiers numéros d’opus. Comme violoniste, il fut admiré par Leopold Mozart. Comme compositeur, il écrivit 45 ouvrages, dont 6 sonates et 3 concertos pour violon, 3 trios pour orchestre, 1 symphonie concertante et 3 remarquables symphonies (17741776) publiées chez son frère Pierre, la première en 1776 et les deux autres en 1777, après sa mort. Pierre, violoniste et éditeur (Paris 1755 Pays-Bas 1816). Frère et élève du précédent, il en publia et en diffusa les oeuvres, ayant fondé sa propre maison d’édition en 1775. Cette maison absorba notamment celle de La Chevardière en 1784 ou 1785 et publia, entre autres, des ouvrages de Haydn. Auguste, éditeur (Paris 1779 - id. 1823). Fils du précédent, il lui succéda à la tête de sa maison d’édition en 1803 ou 1804. LEE (Noël), pianiste et compositeur américain (Nankin, Chine, 1924). Il fait ses études à l’université Harvard (avec Walter Piston et Irving Fine), puis au conservatoire de la Nouvelle-Angleterre, à Boston, et à Paris (avec Nadia Boulanger). Il obtient les prix Lili-Boulanger (1953), prix de l’orchestre de Louisville (1954), prix de l’Académie américaine des arts et lettres (1959), et il mène de front une carrière de pianiste (Debussy, Ravel, Stravinski, Copland et Schubert sont, notamment, ses spécialités) et de compositeur, occasionnellement interrompue par son activité de pédagogue (université Brandeis, Dartmouth College, université Cornell). Dans un esprit néoromantique, mais curieux de tout ce qui peut apporter à son écriture une nuance originale (et parfois complexe), Lee a réalisé un catalogue copieux, particulièrement orienté vers l’expression vocale et la musique de chambre. Il a, par ailleurs, enregistré près de 100 microsillons et révélé en Europe quelques-unes des oeuvres posthumes de Webern. LEEUW (Ton de), compositeur néerlandais (Rotterdam 1926). Il fait ses études d’abord dans son pays avec Henk Badings, puis à Paris avec Olivier Messiaen, et travaille ensuite l’ethnomusicologie avec Jaap Kunst : cette matière va lui permettre de se dégager de l’académisme sériel. En 1961, il peut, grâce à une bourse du gouvernement des PaysBas, effectuer un voyage d’études en Inde. Ingénieur du son à la radio jusqu’en 1959, il enseigne la composition au conservatoire d’Utrecht et occupe actuellement un poste analogue à celui d’Amsterdam, qu’il a dirigé de 1971 à 1973. Il donne également des cours d’ethnomusicologie et des cours sur la musique moderne à l’institut de musicologie de l’université d’Amster- dam. De son intérêt pour les musiques de l’Orient témoignent, notamment, son opéra De droom (le Rêve, 1963) et Gending pour orchestre de gamelan (1975). On lui doit aussi des oeuvres orchestrales comme Mouvements rétrogrades (1957), Ombres (1961), Symphonies pour vents (1963), Spatial Music I pour 32 à 48 musiciens (1966), III pour 4 groupes d’orchestre (1967) et IV (Hommage à Stravinski) pour 12 instrumentistes (1968), 2 quatuors à cordes (1958 et 1963), Spatial Music II pour 4 à 9 percussionnistes (1971), Haiku pour soprano et piano (1963), Haiku II pour soprano et orchestre (1968), Litanie de notre temps, opéra pour la télévision (1970), Lamento pacis I, II, III d’après Érasme pour choeur mixte et instruments (1969), et, dans le domaine électronique, l’oratorio radiophonique Job (1956), qui a obtenu le prix Italia, Syntaxis (1965) et la Naissance de la musique (1978). Citons aussi Résonances pour orchestre (1985) et un Concerto pour deux guitares et cordes (1988). Son livre Musique du XXe siècle est paru en 1964. LEFÉBURE (Yvonne), pianiste française (Ermont 1898 - Paris 1986). Ses dons précoces lui valent de remporter, à neuf ans, le prix des Petits-Prodiges du Conservatoire de Paris. Elle y conquiert six autres prix et débute en concert à l’âge de douze ans. Ses maîtres ont pour noms Maurice Emmanuel (histoire de la musique), Charles Marie Widor (fugue), Georges Caussade (contrepoint) et Paul Dukas (composition). Mais c’est l’enseignement d’Alfred Cortot à l’École normale de musique qui détermine véritablement sa carrière, partagée entre l’interprétation et la pédagogie. Concertiste, Yvonne Lefébure se produit dans le monde entier, aux côtés des plus grands chefs : Furtwängler, Mengelberg, Mitropoulos, Munch, Paray. Professeur, elle enseigne à l’École normale de musique jusqu’en 1939, au Conservatoire de Paris de 1952 à 1967, et fonde en 1965 une académie d’été, le Printemps musical de Saint-Germain-en-Laye. Âme forte de la musique, elle a rallié plusieurs générations de pianistes à sa quête perfectionniste et passionnée de la structure et du chant intérieur des oeuvres, et prê- ché l’exemple en défendant la musique française de la première moitié du siècle, en particulier Ravel, Dukas et Maurice Emmanuel. LEFÉBURE-WÉLY (LEFEBVRE, dit), famille d’organistes et compositeurs français. Isaac-François, organiste ( ? 1746 - Paris 1831). Il fut organiste à Saint-Jacquesdu-Haut-Pas, à Paris, puis à Saint-Roch. Il publia quelques compositions (sonates pour violon et clavecin, quatuor pour deux violons, clavecin et basse continue, 3 recueils d’airs), et fut surtout connu pour son oratorio sur les Sept Paroles du Christ. downloadModeText.vue.download 568 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 562 Louis James Alfred, fils du précédent (Paris 1817 - id. 1869). Il fut, lui aussi, organiste et compositeur. Enfant prodige, il débuta très tôt : il suppléait son père à Saint-Roch dès l’âge de dix ans, et devint titulaire de l’instrument à quinze ans, avant même d’entrer au Conservatoire. Il a été ensuite organiste à l’église de la Madeleine (1847-1858), puis à Saint-Sulpice (1863-1869). Il fut le plus célèbre organiste du second Empire, admiré pour ses improvisations descriptives. Ardent propagandiste de l’harmonium, alors appelé « orgue expressif », il marque l’apogée de la décadence du goût et de la technique de l’orgue français, au moment même où s’en amorce la renaissance. Ses oeuvres témoignent de sa prolixité : l’Office catholique, l’Organiste moderne, Vademecum de l’organiste, les Grandes Orgues, nombreuses pièces pour harmonium, etc. Il est également l’auteur d’une abondante oeuvre pour piano, de musique de chambre et d’un opéra, les Recruteurs. LEFEBVRE ou LEFÈVRE, patronyme de très nombreux facteurs d’orgues français, se regroupant en plusieurs dynasties, dont les liens de parenté sont mal établis. Tous les Lefebvre ont été actifs au XVIIe et XVIIIe siècles en diverses provinces françaises : Normandie, Champagne, Bourgogne, Languedoc, Lyonnais. La plus importante des familles de ce nom est de souche rouennaise et culmine en JeanBaptiste-Nicolas Lefebvre (1705-1784), qui fut le rival de François-Henri Clicquot et de Riepp. Il travailla aux instruments de Caudebec-en-Caux, Saint-Étienne et Saint-Pierre de Caen, Saint-Maclou de Rouen ; son chef-d’oeuvre est l’orgue de Saint-Martin de Tours (1761), le plus important instrument qu’ait réalisé la facture française classique, avec 4 claviers et 63 jeux. LEFEBVRE (Claude), compositeur français (Ardres, Pas-de-Calais, 1931). Il a étudié au Conservatoire de Paris avec Darius Milhaud, puis avec Pierre Boulez à Bâle. Nommé professeur d’analyse et de composition au conservatoire régional de Metz (1966), il a fondé dans cette ville en 1972 les Rencontres internationales de musique contemporaine, qui, après la disparition du festival de Royan, sont devenues, jusqu’à leur propre disparition en 1993, le principal festival de musique contemporaine en France. Il dirige depuis 1976 le studio de musique électroacoustique, alors créé en Lorraine, est responsable, depuis 1977, de l’animation musicale au centre Saint-Jacques de Metz, et dispense, depuis 1978, un cours sur les nouvelles musiques à l’université de Metz. Il fut aussi, dans cette ville, l’initiateurfondateur du Centre européen pour la recherche musicale. Il a obtenu le prix de musique de chambre de la S. A. C. E. M. en 1980. Claude Lefebvre a écrit notamment Montages pour 24 instruments (1967), D’un arbre de nuit pour flûte, violoncelle et piano (Royan, 1971), Musique en liberté pour trombone, 2 contrebasses et percussions (Metz, 1971), Naissances pour quatre joueurs pour hautbois et trio à cordes (Metz, 1971), Etwas weiter pour 24 exécutants (Domaine musical, 1972), Sous le regard du silence pour 2 groupes instrumentaux (Metz, 1973), D’une nuit transpercée pour orchestre (Metz, 1975), Ivresse-absence pour 19 cuivres (Paris, 1977), Dérives nocturnes pour choeur, 4 cors et orgue (Metz, 1978), Ramifications pour orgue (Orléans, 1978), Tourbillonnements pour un orchestre de jeunes de 21 instruments et 2 percussions (Metz, 1979), Mémoires souterraines pour flûte, clarinette et violoncelle amplifiés (Paris, 1980), Océan de terre pour soprano, solistes et bande, sur un poème de G. Apollinaire (Metz, 1981), Lorraine pour cor et bande (1983), Vertige pour soprano et sextuor à cordes (1993). LEFEBVRE (Philippe), organiste français (Roubaix 1949). Il étudie au Conservatoire de Lille, ainsi qu’à Nice avec Pierre Cochereau. Dès 1968, il est nommé organiste de la cathédrale d’Arras, tout en poursuivant sa formation au Conservatoire de Paris. Entre 1968 et 1973, il obtient ses premiers prix d’improvisation et d’orgue dans la classe de Rolande Falcinelli, puis d’écriture. En 1976, il devient titulaire à la cathédrale de Chartres, puis en 1985 aux grandes orgues de Notre-Dame de Paris. Brillant virtuose et improvisateur, il dirige depuis 1980 le Conservatoire de Lille tout en contribuant aux restaurations d’orgues historiques de la région Nord-Pas-de-Calais. LE FLEM (Paul), compositeur et critique musical français (Lézardrieux, Côtesd’Armor, 1881 - Tréguier 1984). Ayant perdu ses parents de bonne heure, il songea à une carrière dans la Marine, mais s’orienta vers la composition, dès ses années d’études au lycée de Brest. Dans cette ville, Joseph Farigoul lui donna des leçons d’harmonie ; il se rendit à Paris à l’âge de dix-huit ans, eut Lavignac comme professeur au Conservatoire et écouta la parole de Bergson à la Sorbonne. Après un séjour en Russie (1902-1904) - où il fut précepteur dans une famille moscovite, apprit le russe et demeura attaché au monde slave -, il revint à Paris. À la Schola cantorum, Vincent d’Indy le mit dans la classe d’Albert Roussel. Le Flem devint ensuite professeur dans cette classe, après le départ de Roussel ; il y eut comme élèves Erik Satie, puis Roland-Manuel et André Jolivet. Il fut directeur des chanteurs de Saint-Gervais, chef des choeurs à l’OpéraComique, et assista à tous les grands événements de la vie musicale parisienne depuis la première de Pelléas ; un poste de critique à la revue Comoedia lui permit, de 1922 à 1938, de prendre la défense de nombreux compositeurs, dont Varèse, Villa-Lobos et Milhaud. La musique de Le Flem est tout imprégnée de sa Bretagne natale. L’influence du chant breton y est aussi nette que celles de d’Indy, de Debussy, de la polyphonie des XVe et XVIe siècles et de Monteverdi. Sa personnalité est orientée vers la poésie, la couleur harmonique, le lyrisme, mais aussi vers cette vigueur non dénuée de rudesse, qui appartient à ceux dont le cadre quotidien a été marqué par la mer. Son oeuvre comprend des recueils pour piano, Par grèves (1908), Par landes (1908), Vieux Calvaire (1910), Avril (1911) ; une Sonate pour violon et piano (1904), un Quintette pour piano et cordes (1908-1909) ; une Fantaisie pour piano et orchestre (1911) ; des oeuvres orchestrales comme les 4 Symphonies (1908-1975) ; de la musique vocale, Chant de croisades (1923), Invocation (1918), In paradisium (1942), Hommage à Rameau (1964), Morven le Gaélique (1963) et la Maudite (1967-1971) pour solos, choeurs et orchestre. En musique théâtrale, il a donné Aucassin et Nicolette (1908-1909) sur un sujet d’origine arabe, tandis que le monde breton devait l’inspirer dans le Rossignol de Saint-Malo (1938), tiré d’une ancienne ballade, la Clairière des fées (1948), marquée par les bois et les forêts, et la Magicienne de la mer (1947), qui reprend la légende de la ville d’Ys. Trop souvent tenue à l’écart de la vie musicale, la musique de Paul Le Flem a connu un regain de curiosité lors de la célébration du centenaire du compositeur, qui étonna alors le monde musical par l’évocation de sa vie, dans des entretiens radiophoniques ou de presse. Il y fit montre d’une grande clarté d’esprit, d’une sûreté de jugement sur la musique d’un siècle, qu’il porte en haute estime pour sa diversité, et de confiance dans l’avenir de la musique. Son extraordinaire présence sur le plan verbal n’a eu d’égale que sa longévité en matière de création, cas unique dans l’histoire de la musique. Le musicien a expliqué que ses oeuvres anciennes, comme celles pour piano ou la Première Symphonie, avaient beaucoup de fraîcheur et de naturel, et qu’il était devenu violent à l’âge de quatre-vingt-quatre ans, à partir de son Conzertstück pour violon et orchestre (1965). « L’inconscient agit sur nous insidieusement, la musique a le pouvoir de traduire ou même de trahir, si nous ne voulons pas le reconnaître, les réactions les plus intimes de notre être. Il s’agit d’une violence longtemps refoulée, provenant d’une jeunesse vécue sans parents, du retour d’éléments affectifs de la downloadModeText.vue.download 569 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 563 première adolescence. » C’est ainsi que les deux dernières symphonies, la Troisième (1971) et la Quatrième (1975), ont une facture plus moderne que les précédentes, très éloignée de la forme sonate. Une ultime composition, les Trois Préludes pour orchestre, comporte des sous-titres significatifs : Calme, Obsession, Emporté. Ce n’est que la cécité qui a empêché Paul Le Flem de continuer à travailler au cours de ses dernières années. Artiste intègre, homme d’une grande bonté, Paul Le Flem s’est peut-être rendu artisan de la méconnaissance de son oeuvre : sa dévotion à la musique des autres lui a fait négliger la diffusion de la sienne propre. LEGATO. Mot italien désignant une manière de jouer ou de chanter en « liant » les sons entre eux sans aucune interruption. Le legato s’indique souvent par une courbe de liaison englobant l’ensemble des sons liés, et qui constitue l’une des principales indications du phrasé. Dans l’ancienne technique du clavecin et même de l’orgue, le legato impliquait que le doigt ne devait quitter la note qu’après que la suivante eut été attaquée ; on ne pratique plus guère aujourd’hui cette façon de procéder. LEGGE (Walter), imprésario anglais (Londres 1906 - Saint-Jean-Cap-Ferrat 1979). Ce mélomane passionné de lyrique a profondément marqué de son empreinte la vie musicale européenne de l’aprèsguerre. Déjà en 1927, engagé par la filiale anglaise de la firme la Voix de son Maître pour rédiger des pochettes de disques, il fit adopter le principe de la souscription pour éditer des oeuvres importantes jusque-là négligées par le disque : quatuors de Haydn, lieder de Wolf, intégrale des sonates de Beethoven (par Schnabel). Critique musical suppléant du Manchester Guardian (jusqu’en 1937), il fonda en 1932 le London Lieder Club et devint en 193839 l’assistant de sir Thomas Beecham à la tête de l’Opéra royal de Covent Garden. Mais c’est pendant la guerre que se ré- véla son don d’organisateur et de « talent scout ». Il mit sur pied des concerts pour les soldats et les ouvriers. La paix revenue, il sillonna l’Europe pendant près de vingt ans, à la recherche de nouveaux talents pour le compte de la firme Gramophone Company. Des disques remarquables témoignent de son discernement : enregistrements du festival de Bayreuth 1951, Tosca dirigée par de Sabata, Falstaff et le Chevalier à la rose par Karajan, toutes les interprétations de Ginette Neveu, Callas, Lipatti, un grand nombre d’opérettes viennoises avec Élisabeth Schwarzkopf (sa seconde femme), etc. Parti d’un quatuor qu’il fonda en 1945, le Philharmonia Orchestra, mis sur pied grâce au soutien financier du mah¯ar¯adjah de Mysore, révolutionna la vie musicale britannique, sous la direction de Karajan, Cantelli, Toscanini, Klemperer, Giulini, etc. Cet orchestre fut complété en 1957 par un choeur confié à Wilhelm Pitz. Directeur associé de la Gesellschaft der Musikfreunde de Vienne en 1946, directeur artistique du Covent Garden de 1958 à 1963, Walter Legge se vit contraint en 1964 de dissoudre le Philharmonia Orchestra et abandonna sa compagnie au groupe EMI, sans renoncer pour autant à promouvoir des concerts et à produire des disques pour différentes compagnies. LEGLEY (Victor), compositeur belge (Hazebrouck 1915). Il a fait ses études à Ypres, puis à Bruxelles, et travaillé ensuite avec Jean Absil. Altiste à l’orchestre de la radio belge (1936-1948), second prix de Rome en 1943, il a enseigné l’harmonie (1949-1959), puis la composition (1959-1980) au conservatoire de Bruxelles, et les mêmes disciplines, ainsi que l’analyse, à la chapelle Reine-Élisabeth (1950-1980). Il a beaucoup fait pour la diffusion dans son pays de la musique contemporaine, en particulier comme chef de production au troisième programme de la radiotélévision belge (1962-1976). Dans un style robuste mais raffiné, il a écrit, notamment, 6 symphonies (1942, 1947, 1953, 1964, 1965, 1976), le poème symphonique la Cathédrale d’acier (1958), 2 concertos pour violon (1947, 1966), 4 quatuors à cordes (1941, 1947, 1956, 1963), et, plus récemment, plusieurs pièces pour orchestre d’harmonie, dont Hommage à Jean Absil (1979). LEGRANT (Guillaume, dit Guillaume Lemacherier), compositeur français (déb. du XVe s.). Chantre à la chapelle pontificale en 1419, il était à Rouen en 1446. Il a laissé des fragments de messe et des chansons à 3 voix, qui ont eu l’honneur, à plusieurs reprises, d’une transcription instrumentale dans des recueils comme le Buxheimer Orgelbuch et le Fundamentum organizandi de Conrad Paumann. LEGRANT (Johannes), compositeur français (déb. du XVe s.). Il ne semble pas devoir être confondu avec Guillaume Legrant, compositeur à la même époque. On pense qu’il a été actif de 1420 à 1440. Il fut l’auteur de fragments de messe et de chansons à 3 voix, mais on ne possède sur lui aucune donnée biographique. LEGRENZI (Giovanni), compositeur italien (Clusone, près de Bergame, 1626 Venise 1690). Issu d’une famille de musiciens (son père était compositeur), il semble avoir reçu ses premières leçons à Bergame avant de travailler avec Giovanni Rovetta à Venise. On le trouve en 1645 organiste de l’église Santa Maria Maggiore à Bergame, puis, en 1657, maestro di capella de l’Accademia dello Spirito Sancto à Ferrare. Directeur du Conservatorio dei Mendicanti de Venise à partir de 1672, il fut ensuite nommé sous-maître de la basilique San Marco (1681), puis devint le titulaire de ce poste (1685) et, dès lors, se consacra, jusqu’à sa mort, à la musique religieuse. Il fut, à Venise, un professeur renommé et compta parmi ses élèves Antonio Caldara et Antonio Lotti. Auteur d’une vingtaine d’opéras, représentés pour la plupart à Venise, Giovanni Legrenzi contribua, avec une grande originalité, au développement du genre. Quatre partitions seulement nous sont parvenues : Eteocle e Polinice (1675), Germanico sul Reno (1676), Totila (1677), et Il Giustino (1683), qui semble sa plus grande réussite pour avoir été joué dans les principales villes d’Italie. Haendel devait mettre ce livret en musique pour Londres (1737). Entre 1676 et 1678, Legrenzi fit publier 3 recueils de musique vocale, des cantates et des canzonettes, qui emploient une grande variété de formes. Tel est le livre de Cantate, e Canzonette a voce sola (Bologne, 1676), où les airs sont en général assez courts, solidement construits, alternant avec des récitatifs qui se transforment aisément en un arioso expressif. Les textes sont spécifiques de la poesia per musica de l’époque ; ils ont, le plus souvent, pour thème l’amour non partagé et contiennent tous les « effets » que le compositeur souhaitait y trouver. Legrenzi composa 6 oratorios, dont l’Oratorio del Giudizio (Vienne, 1665), La Vendita del cuor humano pour 4 voix et basse continue (Ferrare, 1676) et La Morte del cuor penitente (Vienne, 1705). Il a également laissé des messes, des motets et des psaumes. Il a fait imprimer plusieurs livres de musique instrumentale, des sonates da chiesa et da camera (1655, 1656, 1663 et 1673), où, là encore, son rôle fut déterminant pour l’histoire des formes. LEGROS (Joseph), chanteur et compositeur français (Monampteuil, près de Laon, 1730-La Rochelle 1793). Célèbre ténor, il chanta à l’Opéra de Paris de 1764 à 1783, participant de 1774 à 1779 à la création des opéras de Gluck Iphigénie en Aulide (rôle d’Achille), Orphée (rôletitre), Alceste (Admète) et Iphigénie en Tauride (Pylade). En 1777, il prit la direction du Concert spirituel, qu’il conserva jusqu’à sa dissolution en 1790, et en 1778 downloadModeText.vue.download 570 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 564 commanda à ce titre à Mozart sa Symphonie en ré majeur no 31 K.297 (Paris). LEGUAY (Jean-Pierre), organiste français (Paris 1939). Il étudie auprès d’André Maréchal, de Gaston Litaize et, au Conservatoire de Paris, de Rolande Falcinelli et d’Olivier Messiaen. Après y avoir obtenu un premier prix d’orgue en 1966, il remporte en 1967 le premier prix au Concours international d’improvisation de Lyon. Titulaire des orgues de Notre-Dame-des-Champs (Paris) jusqu’en 1984, il est nommé l’année suivante cotitulaire des grandes orgues de Notre-Dame de Paris. Il est aussi compositeur et enseignant. LEHAR (Franz), compositeur autrichien (Komarom 1870 - Bad Ischl 1948). Après des débuts comme violoniste et comme chef de divers orchestres militaires, il se tourna vers l’opérette, dont il fut le rénovateur et le principal représentant au XXe siècle, et trouva là sa véritable voie. Ses oeuvres « sérieuses » de jeunesse, parmi lesquelles 2 concertos pour violon, sont, en revanche, totalement oubliées. Il commença à s’imposer avec Kukuschka (Leipzig, 1896), et parvint à la gloire avec la Veuve joyeuse (Vienne, 1905), ouvrage qui, du jour au lendemain, fit de lui l’héritier de Johann Strauss. Suivirent, entre autres, le Comte de Luxembourg (Vienne, 1909) et Zigeunerliebe (1910). Après la Première Guerre mondiale, il retrouva le succès avec une série d’opérettes écrites pour le ténor Richard Tauber : Paganini (1925), le Tsarévitch (1927), Friederike (1928) et surtout le Pays du sourire (1929). Sa dernière oeuvre, Giuditta, fut donnée à Vienne en 1934. Il eut recours aussi bien à la valse viennoise qu’à des danses plus modernes, et on décèle dans ses ouvrages non seulement de fortes influences slaves, mais aussi celles du folklore des divers pays où se situent leurs actions respectives. LEHMANN (Fritz), chef d’orchestre allemand (Mannheim 1904 - Munich 1956). Il mena de front des études musicales à la Hochschule für Musik de Mannheim (1918-1921) et une éducation générale aux universités de Heidelberg et de Göttingen. Il fut chef d’orchestre au théâtre de Gottingen (1923-1927), avant de se tourner vers l’enseignement, à la Folkswangschule d’Essen (1927-1929). À la fois chef de choeur et d’orchestre à Hildesheim (192728), puis à Hanovre (1929-1938), il prit, en 1934, à la suite de O. Hagen, la direction musicale du festival Haendel de Göttingen. Après avoir été successivement directeur général de la musique à Bad Pyrmont (1935-1938), à Wuppertal (1938-1947) et de nouveau à Göttingen (1947-1950), il revint à l’enseignement de la direction d’orchestre à partir de 1953, à la Hochschule für Musik de Munich. Les enregistrements qu’il réalisa à la tête de la Philharmonie de Berlin ou des phalanges de Bamberg et de Vienne sont des modèles d’équilibre et de pudeur, particulièrement appropriés à l’univers d’un Haendel ou d’un Mozart, ses auteurs de prédilection. LEHMANN (Hans Ulrich), compositeur suisse (Biel 1937). Après des études musicales (violoncelle, théorie, composition) aux conservatoires de Biel, Zurich et Bâle, il a suivi les cours de composition de P. Boulez et de K. Stockhausen à l’Académie de musique de Bâle (1960-1963) et ceux du professeur K. von Fischer à l’université de Zurich. Il a été nommé professeur de théorie à l’Académie de musique de Bâle en 1964, puis professeur de musicologie à l’université (1969) et de composition et de théorie au conservatoire de Zurich (1972), établissement qu’il dirige depuis 1976. Lehmann porte une attention particulière au timbre instrumental. Sans utiliser l’électronique, il a considérablement élargi l’univers des timbres traditionnels. Il fut parmi les premiers à introduire les accords-flageolets (sons dits Bartolozzi), par exemple dans Mosaik pour clarinette solo (1964), et à utiliser pour les instruments à vent des accords, des sons doubles, des sons-bruits, des quarts de ton glissants, et la simultanéité du jeu et du chant, par exemple dans Konzert pour 2 instruments à vent (flûte et clarinette) et cordes (1969) ou dans Gegen-(bei-) spiele pour 5 instruments à vent (1973). Dans Tractus pour flûte, hautbois et clarinette, il a eu recours aux procédés d’indétermination. La matière sonore de ses oeuvres est toujours soumise à des gestes formels simples, facilement saisissables à l’écoute, et repose sur le principe de la transformation timbrale continue (le compositeur parle à ce propos de « musique végétative »). Des ouvrages comme Quod libet pour violon et piano (1974) ou comme ... zu streichen pour 2 violoncelles, 2 violons et 2 altos (1975) cherchent à mettre en évidence le côté proprement gestuel de la pratique musicale. On lui doit notamment Quanti I pour flûte solo et orchestre de chambre (1962), Régions pour flûte seule (1963), Discantus I pour hautbois et cordes (1971) et II pour soprano, orgue et orchestre de chambre (1971), Positionen pour orchestre (1971), À la recherche pour 2 orgues et voix (1973), Streuungen pour choeur et orchestre (1975-76), Tantris pour soprano, flûte et violoncelle sur un texte de J. Joyce (1976-77), Kammermusik « Hommage à Mozart » pour orchestre de chambre (1978-79), Kammermusik II pour petit orchestre (1979), Duette pour 3 participants (1980) et Theolalie pour soprano, flûte et violoncelle (1981). LEHMANN (Lili), soprano allemande (Warzbourg 1848 - Berlin 1929). Elle étudia le chant avec ses parents, qui étaient tous deux chanteurs. Elle débuta à Prague en 1865 dans le rôle du premier génie de la Flûte enchantée de Mozart. Engagée à l’opéra de Berlin, elle y chanta pendant quinze ans une grande variété de rôles lyriques et coloratur. En 1880, elle fut Philiné dans Mignon d’Ambroise Thomas et Violetta dans la Traviata de Verdi à Londres. Puis elle évolua vers les rôles de soprano dramatique, aborda Wagner et incarna pour la première fois Isolde en 1884 sous la direction de Hans Richter. Elle participa à l’inauguration de Bayreuth en 1876, et, en 1896, y chanta Brunehilde. Ce qui ne l’empêcha pas d’incarner Donna Anna de Don Giovanni et Constance de Die Entführung aus dem Serail de Mozart au festival de Salzbourg, dont elle assuma la direction artistique en 1905. Elle quitta la scène en 1909, mais donna des récitals jusque dans les années 20. Elle interpréta 170 rôles différents en allemand, en italien et en français. Elle fut l’une des plus grandes techniciennes du chant et publia un traité en la matière. LEHMANN (Lotte), soprano allemande naturalisée américaine (Perleberg 1888 Santa Barbara, Californie, 1976). Elle fit ses débuts en 1903 à Hambourg dans la Flûte enchantée (rôle du troisième génie). Elle fut engagée en 1916 à l’opéra de Vienne, qui demeura son principal port d’attache jusqu’à l’Anschluss. Elle y créa les rôles du compositeur dans Ariane à Naxos (1916) et la teinturière dans la Femme sans ombre (1919) de Richard Strauss. Elle fut une des interprètes favorites de ce dernier, qui la fit venir à Dresde pour la création d’Intermezzo (rôle de Christine). À Vienne, elle chanta encore Arabella de Richard Strauss et surtout la Maréchale dans le Chevalier à la rose, où elle s’illustra particulièrement. Élisabeth dans Tannhäuser, Elsa dans Lohengrin, Eva dans les Maîtres chanteurs furent ses rôles wagnériens. On admirait aussi beaucoup sa Leonore dans Fidelio de Beethoven. De nombreux ouvrages italiens figuraient à son répertoire, dont la Tosca, Soeur Angélique et Turandot de Puccini. Immigrée aux États-Unis, elle fut, jusqu’en 1945, une des étoiles du Metropolitan Opera de New York. Après cette date, elle donna des récitals encore pendant six ans. Son timbre vocal était d’une rare beauté. Elle possédait une présence à la fois musicale et humaine, qui l’a rendue inoubliable. downloadModeText.vue.download 571 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 565 LEIBNIZ (Gottfried Wilhelm), philosophe allemand (Leipzig 1646 - Hanovre 1716). Appartenant au siècle des Lumières, Leibniz contribua de fait à la naissance de l’esthétique théorique. Il n’a pas laissé d’écrit sur la musique, mais sa correspondance, avec Conrad Hefling notamment, montre qu’il s’est intéressé au calcul des intervalles et qu’il connaissait les bases théoriques de la musique. Dans son système de l’harmonie préétablie, la musique ne pouvait que rendre compte de l’ordre mathématique et harmonieux du monde et c’est là ce qui expliquait son effet sur les sens. Leibniz indiquait, d’autre part, quelle place il convenait d’attribuer à la musique au sein de sa théorie de la connaissance en écrivant dans une lettre à Christoph Goldbach (1712) : « Musica est exercitium arithmeticae occultum nescientis se numerare animi », et dans les Principes de la nature et de la grâce fondés en raison (1714) : « Les plaisirs mêmes des sens se réduisent à des plaisirs intellectuels confusément connus. La musique nous charme quoique sa beauté ne consiste que dans les convenances des nombres et dans le compte dont nous ne nous apercevons pas, et que l’âme ne laisse pas de faire, des battements ou vibrations des corps sonnants qui se rencontrent par certains intervalles. » LEIBOWITZ (René), compositeur, musicologue et pédagogue français d’origine polonaise (Varsovie 1913 - Paris 1972). Il étudia le violon à l’âge de cinq ans, vint à Paris en 1926 et fut marqué de façon décisive par les leçons de Schönberg et de Webern à Berlin et à Vienne (1930-1933). Il étudia aussi l’orchestration avec Ravel à Paris (1933). Sa grande notoriété lui vint de ses activités de professeur et de pédagogue. C’est Leibowitz qui, de 1945 à 1947, à Paris, dans le cadre de cours privés, fit découvrir l’école viennoise de Schönberg, Berg et Webern, alors ignorée et/ou méprisée, à de nombreux jeunes compositeurs, parmi lesquels Pierre Boulez. Parallèlement, il publia, pour la première fois en France sur ce sujet, deux ouvrages fondamentaux, Schoenberg et son école (1946) et Introduction à la musique de douze sons (1949). Il exerça en même temps des activités de chef d’orchestre. Mais, dans son enseignement comme dans ses oeuvres, et fidèle en cela au dodécaphonisme le plus orthodoxe, il s’attacha exclusivement à l’organisation sérielle des hauteurs, ce qui le fit considérer comme démodé même par ceux qui avaient le plus profité de son enseignement. Il publia encore l’Artiste et sa conscience (1950), réfutation des thèses de Jdanov, l’Évolution de la musique de Bach à Schönberg (1952), Histoire de l’opéra (1957), Schönberg (1969), le Compositeur et son double (1971) et les Fantômes de l’opéra (posthume, 1973). Comme compositeur, René Leibowitz a laissé une centaine d’oeuvres, pour la plupart jamais jouées. Parmi celles-ci, 5 opéras, dont les Espagnols à Venise (1963, créé à Grenoble, 1970). Il joua un rôle essentiel à un moment décisif de l’histoire musicale du XXe siècle. LEICHTENTRITT (Hugo), musicologue allemand (Pleschen, Posen, 1874 - Cambridge, Mass., 1951). Également critique et compositeur, il étudia à Harvard, Paris et Berlin, rédigea une thèse sur les opéras de Keiser, et enseigna à Berlin, puis de 1933 à 1940 à Harvard (Geschichte der Motette, 1908 ; Music, History and Ideas, 1938). LEIDER (Frida), soprano allemande (Berlin 1888 - id. 1975). Elle connut une double formation vocale à Berlin et à Milan, ce qui lui permit d’aborder le répertoire italien, aussi bien que le répertoire allemand. Elle débuta à Halle en 1915 (Vénus de Tannhäuser). Bien que, sur le plan international, sa carrière se soit surtout spécialisée dans les rôles wagnériens (Isolde, Brunehilde), elle contribua, en Allemagne, à la renaissance des opéras de Verdi, qui eut lieu dans les années 20. Elle excellait particulièrement dans Leonora d’Il Trovatore et dans Aïda. Elle était aussi une remarquable Donna Anna dans Don Giovanni de Mozart. Elle fut soprano principale à l’Opéra de Berlin de 1923 à 1940, ce qui ne l’empêcha pas de se produire à Londres, à Paris, à Chicago et à New York. Sa voix au timbre riche et corsé, sa musicalité accomplie, une très belle technique de chant, la firent triompher dans tous les grands rôles dramatiques qu’elle interpréta. LEIFS (Jón), compositeur, pianiste, chef d’orchestre et musicographe islandais (Ferme de Solheimer, Islande du Nord 1899 - Reykjavík 1968). Son rôle est important en Islande, car il a été à la fois un compositeur original et celui qui a effectué le plus de recherches pour justifier la naissance d’une école nationale. Il fit de nombreux voyages sur le continent européen, notamment en Allemagne, jusqu’à ce que, sous le IIIe Reich, il fût inscrit sur la liste noire des musiciens. Son oeuvre créée là-bas a disparu dans les bombardements. Nationaliste, Leifs n’est cependant pas un postromantique. Il s’intéresse aux rémur (danses) et aux tvísöngur (organa) et les amalgame à ses oeuvres (Islande, ouverture, op. 9). Il se plaît également à adjoindre à l’orchestre traditionnel romantique de nombreux instruments ou accessoires originaux : lurs, boucliers vikings, massues en bois, pierres, chaînes (Sögu-sinfonia op. 26, 1950 ; poème symphonique Hekla op. 52, 1964). Son oeuvre comprend encore 3 quatuors à cordes, des musiques de scène, des cantates et choeurs, 1 quintette, 1 concerto pour orgue et des pièces pour piano et orgue. LEINSDORF (Erich), chef d’orchestre américain d’origine autrichienne (Vienne 1912). Après avoir terminé ses études (piano, violoncelle et composition) à l’académie de musique de sa ville natale, il est engagé comme répétiteur au Singverein der Sozialdemokratischen Kunstelle, que dirige Webern. De 1934 à 1937, il est l’assistant de Bruno Walter, puis de Toscanini au festival de Salzbourg. À la suite d’une tournée remarquée en Italie, il est nommé, en 1937, sur la recommandation de Lotte Lehmann, chef assistant au Metropolitan Opera de New York, où il débute en dirigeant la Walkyrie. Malgré l’opposition de certains chanteurs, dont Lauritz Melchior et Kirsten Flagstad, il se voit confier en 1939 la responsabilité du répertoire allemand. Il succède en 1943 à Arthur Rodzinski, à la tête de l’orchestre de Cleveland, qui rompt son contrat en 1946. Après avoir été directeur musical de l’orchestre philharmonique de Rochester (1947-1955), Leinsdorf renoue avec les théâtres lyriques, dirigeant tour à tour le New York City Opera (1956), puis le Metropolitan Opera (1957-1962), en tant que conseiller musical. Deux demi-échecs pour cet ennemi de la routine, qui accepte un dernier poste, celui de directeur musical de l’orchestre symphonique de Boston (1962-1969). Il y poursuit l’action de Charles Munch en élargissant le répertoire. À partir de 1969, renonçant à tout poste fixe, il mène une carrière de chef invité, aussi bien au Metropolitan (qu’il dirige à Paris, dans le cadre du Théâtre des nations) que dans différents festivals (en 1972, il dirige Tannhäuser à Bayreuth). Il se consacre de plus en plus à la pédagogie, aussi bien par des cours de perfectionnement, à Tanglewood, en particulier, que par des concerts pour enfants. Méconnu en Europe, où sa carrière lui a valu une réputation d’instabilité, Leinsdorf a toujours défendu une conception ludique de la musique, privilégiant la spontanéité et l’intuition. Sa direction est à l’image de l’homme : élégante et probe. LEITMOTIV (all. : « motif conducteur »). Terme inventé par le directeur des Bayreuther Blätter, Hans von Wolzogen, à l’usage du drame wagnérien, et qui a supplanté le terme employé par Wagner lui-même, le Grundthema (« thème fondamental »). Le leitmotiv est un thème qui, associé par convention à une idée ou à un personnage, permet à la musique, par la manière dont il est employé et éventuellement downloadModeText.vue.download 572 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 566 varié, non seulement d’évoquer la pré- sence de cette idée ou de ce personnage, mais encore d’en suggérer les transformations ou de révéler les pensées secrètes des acteurs, voire de servir de base, à la manière d’un thème de symphonie, à l’architecture d’une scène musicale. Contrairement à ce que l’on croit souvent, le système du leitmotiv, qui devait transformer de fond en comble la conception du théâtre lyrique à la fin du XIXe siècle, n’a pas été inventé par Wagner. On en trouve chez Grétry. L’idée semble en avoir été aussi suggérée par Grillparzer à Beethoven, pour un projet d’opéra, Mélusine, jamais réalisé. C’est Berlioz (Idée fixe de la Symphonie fantastique), suivi par Liszt (dans ses poèmes symphoniques), qui en fut le véritable créateur, mais Wagner, après lui, l’a non seulement codifié, mais développé et poussé dans ses dernières oeuvres à un tel degré de perfection et de richesse que l’on peut légitimement lui en laisser le patronage. LEJET (Édith), femme compositeur française (Paris 1941). Élève de Marcel Beaufils (esthétique générale), Jean Rivier et André Jolivet (composition) au Conservatoire de Paris, elle a obtenu le prix de la Vocation en 1967, un premier second grand prix de Rome en 1968, et le prix de musique de chambre de la S. A. C. E. M. en 1979. De 1968 à 1970, elle a été pensionnaire de la Casa Velázquez à Madrid. On lui doit, notamment, Quatre Mélodies pour chant et piano sur un poème de F. García Lorca (1966), Monodrame pour violon et orchestre (1969), Journal d’Anne Frank pour choeur de jeunes filles et 8 musiciens (1968-1970), Musique pour René Char pour ensemble de chambre (1974), Hommage au maître des Hauteurs et des Lointains pour 24 cordes (1974-75), Harmonie du soir pour orchestre de chambre (1977), Deux Antiennes pour quintette de cuivres (1978), Concerto pour flûte (1980), oratorio les Rois mages (1987-1989), Sept Chants sacrés pour choeur et orgue (1990). LE JEUNE (Claude, Claudin), compositeur français (Valenciennes v. 1530 Paris 1600). On ignore tout de sa jeunesse et de sa formation (peut-être participa-t-il à une maîtrise du Nord et séjourna-t-il quelque temps en Italie) jusqu’à sa première men- tion dans un recueil de chansons publié à Louvain (1552) et à son installation à Paris (v. 1564), où il devint le protégé de deux seigneurs protestants, François de la Noue et Charles de Téligny : il leur dédia ses Dix Pseaumes de David en forme de motets. Membre actif, dès sa fondation, de l’Académie de poésie et de musique (1570) fondée par J.-A. de Baïf et Courville, et qui avait pour but de restaurer l’union des deux arts ainsi que de faire revivre, dans la langue française, la musique mesurée à l’antique, Claude Le Jeune s’y imposa comme le musicien le plus novateur. Il sut en tirer toutes les possibilités rythmiques. Échappant aux massacres de la Saint-Barthélemy (1572), il entra comme maître de musique au service de François, duc d’Anjou et frère du roi Henri III (av. 1582), et l’accompagna vraisemblablement dans l’expédition d’Anvers contre les Espagnols. Dans cette ville fut publié, chez Plantin, son Livre de meslanges (1585). Le Jeune servit ensuite divers nobles protestants en un temps où sa réputation était aussi grande que celle du « divin » Orlande. Hostile à la Ligue, il s’enfuit à La Rochelle, tandis que Jacques Mauduit parvenait à mettre en lieu sûr ses manuscrits. En 1596, Henri IV nomma Claude Le Jeune compositeur ordinaire de la Chambre du roi. Rapin l’appelait le « Phénix des musiciens « ; Mersenne aimait louer la « beauté et diversité des ses mouvements ». Mais peut-être faut-il d’abord souligner la variété des genres qu’il pratiqua avec une égale liberté : psaumes, motets, chansons, chansons spirituelles, airs, etc. Par exemple, dans le Printemps (édité par sa soeur, Cécile Le Jeune, en 1603), il varie les dispositifs vocaux, fait alterner sur le plan structural couplets (chants) et refrains (rechants), sachant placer à bon escient un trait expressif. Son admiration pour Janequin s’y révèle par l’emprunt de l’Alouette et du Rossignol, deux pièces polyphoniques auxquelles Le Jeune ajoute une cinquième voix. Sans doute veut-il ainsi relier à la tradition le style nouveau, plus homorythmique et particulièrement personnel sur le plan harmonique, qu’il développe dans trente-trois des trenteneuf pièces du Printemps. Si faire naître des passions en retrouvant l’ethos primitif de la musique est l’une de ses aspirations, Le Jeune semble avoir réussi auprès de ses contemporains, puisque l’exécution en 1605 de deux de ses Pseaumes par plus de cent chanteurs produisit un tel effet sur Eustache Du Caurroy qu’il « se convertit » à la musique mesurée. En la matière, mode et rythme ne sont que des moyens qui lui permettent, comme dans les Octonaires de la Vanité et inconstance du monde, sur un texte d’Antoine de La Roche Chandieu, de mieux cerner l’essence du poème, une oeuvre engagée, où la polyphonie très ornée concourt à l’expressivité. L’oeuvre se divise en douze sections, chacune écrite dans l’un des douze modes utilisables à la fin du XVIe siècle. Mais Claude Le Jeune ne saurait être enfermé dans une seule esthétique sur le plan de la musique spirituelle et religieuse : il a mis en musique Dix Pseaumes de David en forme de motets (1564), en faisant oeuvre originale du point de vue mélodique. La mélodie traditionnelle se rencontre, d’ailleurs, chez lui, dans une harmonisation note contre note, à 4 voix, à moins que, assurant le lien entre les diverses strophes, elle ne circule librement entre les parties. C’est le cas du Dodécacorde (1598), douze psaumes polyphoniques établis de nouveau sur les douze modes de Glaréan. Notons aussi qu’il a pu préférer aux vers de Marot, rebelles à l’esthétique nouvelle, ceux de Baïf et d’Agrippa d’Aubigné (126 Pseaumes en vers mesurés, Te Deum, 1606). Dans le recueil d’Airs paru chez Ballard en 1608, on retrouve des pièces remaniées écrites à l’origine pour le mariage du duc de Joyeuse (1581). Tel est le cas de Comment pensés vous que je vive : sur un bercement ternaire, les cinq voix entrent une à une avec chaque nouvelle strophe poétique, suggérant ainsi la mise en scène de cette pièce. Le modernisme du langage harmonique de Le Jeune n’est peut-être nulle part plus frappant, plus étonnant que dans la chansonnette pour 3 voix aiguës Qu’est devenu ce bel oeil, extraite du recueil de 1594. Enfin, il a signé un certain nombre de villanelle (par exemple, O Villanella bella à 4 voix) et de madrigaux italiens. Ces derniers, écrits dans le style de maturité du genre à 5 voix, exploitent les possibilités contenues dans le texte, que ce soit l’élan rythmique de Io ti ringrati’ amor ou la chute chromatique de Viv’ in dolor. En somme, l’oeuvre de Claude Le Jeune se présente, en cette fin du XVIe siècle, comme une oeuvre de synthèse ouvrant la voie aux nouvelles formes du siècle suivant. Dans le domaine de la musique mesurée à l’antique en particulier, son influence a été grande chez les premiers maîtres de l’air de cour. LEJEUNE (Jacques), compositeur français (Talence 1940). Membre, depuis 1968, du Groupe de recherches musicales de l’I.N.A., à Paris, il y poursuit la réalisation d’oeuvres de musique électroacoustique marquées par une recherche de synthèse et de cohabitation entre des sons empruntés à la vie quotidienne et aux phénomènes naturels, et des matériaux sonores plus abstraits. Il excelle surtout à construire dans l’espace, à « orchestrer » des paysages sonores aux perspectives nettes et bien dessinées. Dans sa première période (D’une multitude en fête, 1969 ; Cri, 1972 ; OEdipe Underground, 1972), la balance penche encore vers l’humour, et les rencontres surréalistes de son hétérogènes. À partir de Parages (1973-74), oeuvre en 3 parties comprenant un « cycle d’Icare », thème cher au compositeur, et un vaste mouvement intitulé Traces et Réminiscences, et dans Entre terre et ciel (1979), il stylise l’évocation anecdotique, la dépouille de son pittoresque pour n’en garder que la valeur symbolique, « archétypale ». Les Paysaginaires 1 et 2 downloadModeText.vue.download 573 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 567 (1976) et Symphonie au bord d’un paysage (1981), où la bande magnétique dialogue respectivement avec une flûte, des percussions, des synthétiseurs joués en « live », élargissent le domaine d’expression du compositeur vers le jeu en direct. LEKEU (Guillaume), compositeur belge (Heusy, près de Verviers, 1870 - Angers 1894). Au cours de ses humanités classiques, à Poitiers, où ses parents s’étaient retirés, il se sent attiré par les sciences, la littérature, le violon. Subitement, en 1885, il prend conscience de sa vraie vocation : elle est musicale. Ayant lu attentivement les qua- tuors de Beethoven, il se met à écrire : Trio en ré mineur et Tempo di Mazurka pour piano que suivent, en 1886, Commentaires sur les paroles du Christ et Méditation et Menuet pour quatuor à cordes, Lamento et Lento Doloroso pour piano, la Fenêtre de la maison paternelle (mélodie, inédite). En 1888, il vient à Paris, entreprend des études de philosophie. Puis, sur les conseils de Wyzewa et Sailles, il se tourne résolument vers la musique. D’abord élève de Vallin au Conservatoire (harmonie), il travaille ensuite avec Franck et surtout Vincent d’Indy (composition), recevant en 1891 la seconde récompense au concours belge pour le prix de Rome avec la cantate Andromène (jouée à Verviers avec succès, 1892). Remarqué par Ysaye, qui lui commande alors une Sonate pour piano et violon, Lekeu compose d’arrache-pied. Il meurt à vingt-quatre ans, du typhus, sans avoir pu donner sa vraie dimension. C’est un tempérament généreux, noble, soucieux de la dignité de son art. Tard venu à la musique, tôt disparu, Lekeu apparaît comme un artiste probe, sincère, plein de promesses auxquelles la maturité eût, sans aucun doute, apporté une richesse exemplaire. Davantage tourné vers la musique pure que vers la musique dramatique, il a laissé un oeuvre brûlant d’un feu intérieur très vif, générateur de lyrisme, qu’organise et discipline une solide structure cérébrale : en témoigne sa grande Sonate (1892). Familier de la poésie romantique et symboliste (il fréquente Mallarmé), Lekeu laisse une dizaine de mélodies, la plupart écrites sur ses propres textes. La qualité de ses compositions abouties ou inachevées (Sonate pour violoncelle et piano, 1888, et Quatuor à cordes, 1892, terminés par d’Indy) démontre son attachement au franckisme (forme et expression esthétique), mais aussi une volonté parallèle de le dépasser afin de s’exprimer pleinement. LEMMENS (Jacques Nicolas), organiste, pédagogue et compositeur belge (Zoerle-Parwijs, Anvers, 1823 - Zemst, près de Malines, 1881). Formé en ses débuts par son père, luimême organiste, puis par Adolf Friedrich Hesse à Breslau et par Fétis, il fut nommé professeur d’orgue au Conservatoire de Bruxelles en 1849 et enseigna à partir de 1878 à l’École de musique religieuse de Malines. Maître de Guilmant, de Widor et de Clément Loret, il composa pour son instrument trois sonates (parues en 1874) et des pièces diverses. Il publia en 1862 École d’orgue basée sur le plain-chant romain. Son Du chant grégorien, sa mélodie, son rythme, son harmonisation parut à titre posthume (1884). Il connut comme interprète un succès international, se produisant à Paris à la Madeleine, à Saint-Vincent-de-Paul et à Saint-Eustache, et fut un des principaux artisans de la renaissance des oeuvres pour orgue de Bach. LEMNITZ (Tiana), soprano allemande (Metz 1897 - Berlin 1994). Elle commence ses études de chant à Metz et les poursuit à Francfort auprès d’Antoni Kohmann. Après ses débuts en 1920, elle appartient à la troupe de l’Opéra d’Aix-laChapelle jusqu’en 1924, à celle de Hanovre de 1928 à 1933. De 1934 à 1957, elle chante à la Staatsoper de Berlin, où elle connaît un très grand succès, ainsi qu’au Covent Garden de Londres (Eva des Maîtres chanteurs, Jenufa en création anglaise en 1950). Parmi ses grands rôles, il faut citer Mimi, Micaëla, Aïda, Sieglinde, et surtout Octavian et Pamina (dans le premier enregistrement intégral de la Flûte enchantée sous la direction de Beecham en 1937-38), ainsi que le répertoire slave et tchèque. Elle fut aussi une grande interprète de lieder. LEMOINE. Maison parisienne d’édition fondée en 1772 par le virtuose de la guitare Antoine Marcel Lemoine (1753-1817), et dirigée jusqu’à nos jours par ses descendants, actuellement André Lemoine (né en 1907) et son fils Max (né en 1922). Spécialisée dans les ouvrages d’enseignement, la firme a publié notamment les célèbres traités d’instrumentation et d’orchestration de Berlioz, Gevaert et Widor, ainsi que le Panthéon des pianistes et le Répertoire classique du chant français. LENAERTS (René Bernard Maria), musicologue belge (Bornem, près d’Anvers, 1902 - Louvain 1992). Ecclésiastique, il étudia en même temps au séminaire de Mechelen et à l’institut Lemmens. En 1929, il obtint un doctorat de philologie germanique à Louvain avec une thèse sur la musique polyphonique néerlandaise au XVe siècle, Het Nederlands polifonies Lied in de 16de Eeuw, qui fut publiée en 1933. Il poursuit ses études de musicologie sous la direction d’André Pirro à Paris (1931-32). De 1944 à 1973, il enseigna à l’université catholique de Louvain, où il développa le département de musicologie, tandis qu’il succéda à Smijers à l’université d’Utrecht en 1958 et y resta jusqu’en 1971. Membre de l’IMS (International Musicological Society) et de l’Académie royale de Belgique, il a collaboré à la rédaction de la Revue belge de musicologie et à l’édition des Monumenta musicae belgicae. On lui doit de nombreux comptes rendus de ses travaux de recherches sur la musique polyphonique des XVe et XVIe siècles. LENAERTS (Constant), compositeur et chef d’orchestre belge (Anvers 1852 - id. 1931). Élève de Peter Benoit, il débuta, à dix-huit ans, comme chef d’orchestre du théâtre flamand d’Anvers. Il fut ensuite professeur au conservatoire de cette ville, chef des concerts populaires et du « Toonkunstenaarbond », et fondateur de la Société royale de l’harmonie. Parmi ses oeuvres, citons une cantate De triomf van’t licht (1890), de la musique instrumentale et des mélodies. LENDVAI (Erwin), compositeur hongrois (Budapest 1882 - Londres 1949). Élève de Koessler à Budapest et de Puccini à Milan, il enseigna successivement la théorie à l’institut J.-Dalcroze à Hellerau (Dresde) en 1913, au conservatoire Klindworth-Scharwenka de Berlin (1914-1920), puis à la Hochschule de Hambourg en 1923. Kappelmeister de différentes sociétés chorales allemandes entre 1923 et 1933, il dut fuir le nazisme et s’établit à Londres. Au lendemain de la guerre, il renoua des liens étroits avec la Hongrie et s’intéressa particulièrement à l’oeuvre de Béla Bartók, tout en dirigeant l’Académie de Györ. LENDVAY (Kamilló), compositeur hongrois (Budapest 1928). Il étudia la composition à l’académie Franz-Liszt auprès de János Viski, et dirigea le théâtre d’État de marionnettes, puis le théâtre d’opérettes du Capitol, écrivant pour ces divers théâtres A harom testör (« les Trois Mousquetaires »), Musica leggiera (« ballet sur une musique de jazz », 1965), Knock out (1968), et, pour la télévision, A búvös szék (« la Chaise magique », 1972). Sa veine épique se manifesta dans Orogenesis (1969-70), oratorio pour choeur, cinq solistes, récitant et grand orchestre. Son cycle pour voix d’alto et ensemble de chambre Kocsiùt az éjszakában (« Chemin dans la nuit », 1970, sur des poèmes d’E. Ady) confirma ses dons de dramaturge. downloadModeText.vue.download 574 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 568 LENOT (Jacques), compositeur français (Saint-Jean-d’Angély 1945). Il a fait ses études à l’École normale d’instituteurs et au conservatoire de La Rochelle, et assisté aux cours d’été de Darmstadt en 1966. Devenu instituteur en 1965, il démissionna en 1970. Importantes pour lui furent ses rencontres avec Olivier Messiaen, Sylvano Bussotti et Franco Donatoni. Se considérant lui-même comme un autodidacte, il a écrit une oeuvre abondante, séduisante d’aspect, mais d’une grande maîtrise d’écriture. Citons Diaphaneis pour 51 cordes et percussions métalliques (1967, créé cette même année au festival de Royan), Barbelés intérieurs pour 2 pianos, ensemble à vent et percussion (1968), Cinq Sonnets de Louise Labé pour haute-contre, soprano et ensemble instrumental (1971), Immer, trio pour 7 claviers (1972), Beau Calme nu pour flûte seule (1973, créé en 1974, Royan), Symphonie pour grand orchestre (1975-76, créée en 1977, Royan), Océan captif pour 4 groupes de solistes (1976), 2 sonates pour piano, créées respectivement en 1972 (vers. rév., 1974) et en 1978, et Allégorie d’Exil IV, créé en 1980 par l’EIC sous la direction de Pierre Boulez, Un soleil obscur à la cime des vagues (créé en 1982). Ont suivi notamment le Tombeau de Henri Ledroit (1988), Concerto pour piano (1991, rév. 1993), Deuxième Livre d’orgue (Paris, 1995). LENTO (ital. : « lent »). Terme désignant un mouvement analogue à celui du largo sans en avoir obligatoire- ment le caractère grave. LENYA (Lotte), actrice et chanteuse américaine d’origine autrichienne (Vienne 1898 - New York 1981). Sa première vocation de danseuse la conduisit à Zurich, où elle suivit la méthode Dalcroze et des cours de danse classique. Elle fut engagée au Stadttheater de Zurich jusqu’à son départ en 1920 pour Berlin. La rencontre de deux dramaturges, Franz Wedekind et Georg Kaiser, infléchit sa carrière vers le théâtre parlé et chanté. Découverte par Kurt Weill, qui l’épousa en 1926, elle devint son interprète privilégiée, créant successivement Mahagonny (1927) et l’Opéra de quat’sous (1928) au Theater am Schiffbauerdamm de Berlin. Le rôle de Jenny, popularisé par le disque et, surtout, par le film de G. W. Pabst (1931), la fit connaître mondialement. Chassée par le régime nazi, elle créa à Paris le rôle d’Anna dans les Sept Péchés capitaux (1933), puis, à New York, ceux de Miiriam dans The Eternal Road (1937) et de la Duchesse dans The Firebrand of Florence (1945). Après la mort de Weill (1950), elle continua à défendre son oeuvre, notamment par de nombreux disques qui fixèrent pour la postérité les interprétations d’une des rares « diseuses » de notre temps. L’univers de Kurt Weill semblerait incomplet sans cette voix savamment éraillée, d’un humour mordant et malicieux. À quatrevingts ans passés, Lotte Lenya continuait de se produire aux États-Unis, notamment à Broadway, où elle interpréta, en 1968, Cabaret. LEO (Leonardo), compositeur et pédagogue italien (San Vito degli Schiavi, auj. San Vito dei Normanni, 1694 - Naples 1744). Il entra en 1709 au conservatoire Santa Maria della Pietà dei Turchini de Naples, où il étudia avec Andrea Basso et Nicola Fago. En 1712, il composa un oratorio, S. Chiara o L’Infedelta abbattuta, exécuté la même année au conservatoire et à la cour. Dès sa sortie de l’école, l’année suivante, il commença une carrière prospère d’organiste et de maître de chapelle, qu’il mena presque simultanément à la chapelle de la cour (organiste adjoint en 1713, premier organiste en 1725, vicemaître assistant en 1730, vice-maître en 1737 et maître en janvier 1744, peu avant sa mort), à l’église Santa Maria della Solitaria en 1717, au conservatoire Santa Maria della Pietà dei Turchini (vice-maître de chapelle de 1734 à 1737 et maître en 1741, à la mort de Fago) et au conservatoire San Onofrio, où il remplaça Feo en 1739. Malgré ces nombreuses charges, il composa beaucoup : sa production, qui comprend 6 concertos pour violoncelle et orchestre, 1 concerto pour 4 violons et orchestre, des toccatas pour clavier et des fugues pour orgue, relève surtout de la musique vocale. Il écrivit autant pour la scène (plus de 70 ouvrages) que pour les autres domaines vocaux, aussi bien sacrés (oratorios, messes, miserere, magnificat, motets, antiennes, psaumes, hymnes, etc.) que profanes (très nombreux airs). Il donna le meilleur de luimême dans ses opéras comiques et dans sa musique sacrée. Héritier d’A. Scarlatti, il fut l’un des compositeurs les plus importants de l’école napolitaine, et un des premiers à Naples à avoir ajouté des choeurs à ses opéras (dans Olimpiade, par exemple). Dans ses oeuvres sacrées, il fit preuve d’une maîtrise impressionnante du contrepoint. À la fin de sa vie, il se tourna plutôt vers un type d’écriture a cappella (son Miserere à 8 voix de 1739 en est un exemple remarquable). Grand pédagogue, il compta parmi ses élèves N. Jommelli et N. Piccinni. LEONCAVALLO (Ruggero), compositeur et librettiste italien (Naples 1857 - Montecatini, Toscane, 1919). La vie de ce musicien, dont le nom reste attaché à son opéra Paillasse, véritable manifeste du vérisme, demeure assez obscure, en raison des légendes qu’il a lui-même accréditées, notamment sur son âge véritable et ses diplômes universitaires. Fils d’un magistrat, formé au conservatoire de Naples, il suivit l’enseignement du poète Carducci à Bologne, voyagea (notamment en Égypte, où résidait un de ses oncles, diplomate) et vint gagner sa vie à Paris, jouant du piano dans les cafés-concerts, s’y liant avec Massenet et avec le baryton Victor Maurel, qui l’appuya alors de sa renommée. Sensible aux théories wagnériennes, excellent versificateur, il rédigea lui-même ses livrets, s’inspirant souvent de modèles littéraires élevés ; il avait déjà écrit Chatterton (créé seulement en 1896) lorsque le succès de Paillasse (1892), dont le prologue lui avait été suggéré par Maurel, devenu son inter- prète, lui apporta la gloire et des profits immédiats. Une trilogie sur la renaissance florentine (Crepusculum), qui eût dû comprendre encore Savonarole et Cesare Borgia, se limita aux Medici (1893), dont l’insuccès le découragea. Sa Bohème (1897) souffrit du triomphe de l’opéra de Puccini, mais il rencontra un meilleur accueil avec Zaza (1900) et avec Der Roland von Berlin (1904), commande de Guillaume II. Il s’adonna quelque temps à la composition d’opérettes et renoua avec ses ambitions initiales avec un OEdipe Roi (1920), dont sa mort soudaine l’empêcha de voir la création. Le succès universel de Paillasse, réplique de la Cavalleria rusticana de Mascagni, détourna Leoncavallo de son idéal, mais il n’en demeure pas moins que cette oeuvre, libérée des interprétations médiocres, dont elle fut trop souvent victime, révèle non seulement ses qualités de poète et de dramaturge, mais un solide métier musical et une veine mélodique intense et sincère qui en font une étape de l’évolution de l’art lyrique. On doit encore à Leoncavallo quelques mélodies, dont la célèbre Mattinata, dédiée à Caruso (1904), ainsi que des livrets d’opéra écrits pour d’autres compositeurs. LEONHARDT (Gustav), organiste, claveciniste et chef d’orchestre néerlandais (‘s Graveland 1928). Il étudia l’orgue et le clavecin avec Eduard Müller à Bâle (1947-1950) et débuta à Vienne (1950), au clavecin, dans l’Art de la fugue de Bach. Professeur de clavecin à l’Académie de musique de Vienne (1952-1955), ainsi qu’au conservatoire d’Amsterdam (depuis 1954), il est aussi organiste à la Waalse Kerk (orgue du facteur Christian Müller, 1733). Il fonda en 1955 le Leonhardt Consort, ensemble spécialisé dans l’interprétation de la musique baroque. Son répertoire couvre les XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, et il a largement contribué à gagner à cette musique une plus large audience et à fixer pour elle des références stylistiques. Méditation et recueillement caractérisent son jeu, y compris comme chef de choeurs. Il a réalisé downloadModeText.vue.download 575 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 569 en alternance avec Nikolaus Harnoncourt un enregistrement intégral des cantates de J.-S. Bach, et c’est lui qui incarne le rôle de ce compositeur dans le film de JeanMarie Staub Die Chronik der Anna Magdalena Bach (« la Petite Chronique d’A. M. Bach », 1967). LÉONIN, diminutif du prénom Léon (Leo), porté par le plus ancien maître de l’école de Notre-Dame de Paris au XIIe siècle, auteur d’organa, dont le corpus a été transmis par les manuscrits polyphoniques de cette école, mais mélangés à d’autres et sans signature. Le nom de Léonin, comme celui de Pérotin, nous est connu par un théoricien anglais du XIIIe siècle, dit « Anonyme IV de Coussemaker » (du nom de son premier éditeur), qui précise que plusieurs de ses oeuvres ont été « abrégées » par son successeur Pérotin ; on possède plusieurs oeuvres en double version qui corroborent la description et que l’on peut donc lui attribuer avec vraisemblance, sinon avec certitude. Aucune précision d’archives n’a malheureusement pu être apportée concernant ce magister Leo vel Leoninus, qualifié d’optimus organista (entendez « chanteur ou compositeur d’organa »), dont l’activité à Notre-Dame, ou dans l’église qui l’a précédée, semble se situer entre 1160 et 1180, et que l’on peut considérer, après un certain maître Albert parisiensis à l’activité plus modeste, comme le premier compositeur polyphonique connu de l’histoire musicale. LEONSKAÏA (Élisabeth), pianiste soviétique (Tbilissi 1945). Elle donne son premier concert à l’âge de onze ans et trois ans plus tard son premier récital. Lauréate du concours Enesco à Bucarest en 1964, elle entre la même année au Conservatoire de Moscou. Lauréate du concours Long-Thibaud en 1965 et du concours Reine Élisabeth de Belgique en 1968, elle donne de nombreux concerts en Union soviétique et en Allemagne de l’Est. Une série de récitals donnés au festival de Salzbourg en 1979 et 1980 lui assure le succès en Europe occidentale. Instal- lée à Vienne depuis 1978, elle donne de nombreux concerts aux États-Unis et en Europe, dont en 1992 plusieurs récitals remarqués en compagnie de S. Richter. Elle excelle en particulier dans les romantiques allemands. LEOPOLITA (Martin), compositeur polonais (Marcin ? - Lvov 1589). Il occupe des fonctions à la cour royale de Cracovie, et est considéré comme un des musiciens les plus représentatifs du XVIe siècle polonais avec W. de Szamotuðy. Il est l’auteur de messes, notamment la Missa paschalis à 5 voix (cycle complet de messes a cappella, le document le plus ancien qui ait pu être conservé intégralement dans la musique polonaise, et dont le matériel mélodique est emprunté à un credo pseudo-grégorien), de motets pour l’année ecclésiastique ; outre ses aspects mélismatiques et effets d’imitation, l’écriture vocale de M. Leopolita se caractérise par un style de contrepoint fleuri tout en contrastes dans lequel chaque voix se fait entendre clairement et avec une relative liberté malgré une texture polyphonique généralement complexe. L’EPINE (Margherita de), soprano italienne ( ? 1683-Londres 1746). Elle arrive à Londres en 1702 et chante des cantates de Bononcini, Alessandro Scarlatti et Purcell. Sa liaison avec le comte de Nottingham défraie la chronique, mais son ascension est rapide. De 1704 à 1708, elle s’impose face à sa rivale Christina Gorce, incarnant volontiers les rôles masculins. Elle est la première chanteuse italienne à conquérir la gloire en Angleterre. En 1715, elle est engagée à Drury Lane par le compositeur Johann-Christoph Pepusch, qu’elle épouse en 1718. Elle fait triompher les masques Vénus et Adonis et la Mort de Didon, et crée des cantates italiennes. Elle se retire en 1720. L’ÉPINE, OU LESPINE, OU LÉPINE, famille de facteurs d’orgues français, originaires du sud-ouest de la France et actifs durant tout le XVIIIe siècle. Le plus ancien organier connu de la famille est Adrian (1er tiers XVIIIe s.), qui travailla à la restauration des orgues de la cathédrale de Bordeaux (1711), de SaintJean-de-Luz (1724) et de Saint-Michel de Bordeaux (1731). Jean-François Ier, son frère (Abbeville v. 1682 - Toulouse 1762), s’est fixé à Toulouse vers 1725. Il est le véritable fondateur de la dynastie et en a établi la réputation. En relation avec les organiers Isnard et Cavaillé, il travailla à Albi et à Rodez. Ses principaux instruments sont les orgues des Cordeliers à Toulouse (1727) et de la cathédrale de Lodève (1752). Son fils, Jean-François II, dit L’AÎNÉ (Toulouse 1732 - Pézenas 1817), a travaillé avec Isnard et le fameux théoricien Dom Bédos de Celles. Établi à Pézenas, il a réalisé les instruments de Béziers, Pézenas (1755), Narbonne (Saint-Just, 1770-71) et Montpellier (cathédrale, 17761780). Adrien, frère de Jean-François II (Toulouse 1735 - Paris ?). Il s’est installé à Paris, où il a épousé la soeur de l’organier François-Henri Clicquot. Ses principaux instruments sont ceux de Nantes (cathédrale, 1767), Nogent-sur-Seine, Brie-Comte-Robert, la chapelle de l’École militaire de Paris (1772), Saint-Médard de Paris (1778) et Montargis (1778). Il a également construit des clavecins. En 1772, il a présenté à l’Académie des sciences un système de piano-forte organisé de son invention, à deux claviers, le second clavier actionnant quatre jeux d’orgue. LEPPARD (Raymond), chef d’orchestre, claveciniste et musicologue anglais (Londres 1927). Après des études au Trinity College de Cambridge, il est chargé de cours à l’université de Cambridge (1957-1967), conseiller musical du Royal Shakespeare Theatre de Stratford-on-Avon (19561968), chef de l’English Chamber Orchestra (à partir de 1963) et premier chef du B.B.C. Northen Orchestra (à partir de 1973). Il a également dirigé des opéras au festival de Glyndebourne, au Covent Garden de Londres et au festival d’Aixen-Provence. Ses « réalisations » d’opéras italiens du XVIIe siècle (Cavalli, Monteverdi), souvent discutées sur le plan de l’authenticité, ont néanmoins permis de faire revivre quelques chefs-d’oeuvre de manière convaincante. LEROUX (François), baryton français (Rennes 1955). Il étudie d’abord à l’Opéra-Studio de Paris avec Vera Rosza et Élisabeth Grümmer. De 1980 à 1985, il appartient à la troupe de l’Opéra de Lyon et interprète Mozart (Papageno, Guglielmo, Don Giovanni). À partir de 1985, il obtient un grand succès dans le rôle de Pelléas, qu’il interprète sur plusieurs scènes et qu’il enregistre sous la direction de Claudio Abbado. Il fait ses débuts au Covent Garden de Londres en 1989. Parallèlement à ses interprétations de grands rôles lyriques (y compris contemporains, comme La Noche triste de J. Prodromidès en 1989), il s’illustre dans le répertoire de la mélodie française, enregistrant par exemple en compagnie de Jeff Cohen plusieurs disques de mélodies de Fauré, Gounod, Duparc et Hahn. LE ROUX (Maurice), compositeur et chef d’orchestre français (Paris 1923 - Avignon 1992). Élève du Conservatoire de Paris, il a fait ses études notamment avec Olivier Messiaen, puis avec René Leibowitz. Ayant obtenu un premier prix de direction avec Louis Fourestier en 1952, il dirigea l’Orchestre national de 1960 à 1968, se faisant une réputation de défenseur de la musique contemporaine. Il est ensuite devenu producteur d’une série d’émissions, Arcana, à la télévision, et aussi conseiller artistique à l’Opéra de Paris (1968-1973), puis inspecteur général de la musique (depuis 1973). Comme chef, il a notamment réalisé le premier enregistrement de la Turangalila Symphonie d’O. Messiaen. downloadModeText.vue.download 576 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 570 Comme compositeur, on lui doit, entre autres, une sonate pour piano (1946), Deux Mimes pour orchestre (1948), Trois Psaumes de Patrice de la Tour du Pin (1948), Au pays de la magie, mélodies sur des poèmes de Henri Michaux (1951), le Cercle des métamorphoses pour orchestre (1953), Un Koan (1974), les ballets le Petit Prince, d’après Saint-Exupéry (1949), et Sable (1956), des musiques de scène pour le Château de Kafka (1957) et Jules César de Shakespeare (1960), et de nombreuses musiques de film, dont celles de Crin blanc (1952), les Mauvaises Rencontres (1955), Ballon rouge (1955), Amère Victoire (1957), les Mistons (1958), le Petit Soldat (1960), Vu du pont (1961), la Chamade (1968), Contes immoraux (1975), les Jardins secrets (1978). Il a aussi écrit, en 1944, la marche officielle de la 2e division blindée. Comme musicologue, il a signé quatre ouvrages : Introduction à la musique contemporaine (1947), Monteverdi (1951), la Musique (ouvrage collectif, 1979) et Boris Godounov (1980). LEROUX (Xavier), compositeur français (Velletri 1863 - Paris 1919). Élève au Conservatoire de Massenet et de Théodore Dubois, Prix de Rome en 1885, professeur d’harmonie au Conservatoire à partir de 1896, il aborda sa spécialité - le théâtre - par la musique de scène (Cléopâtre et la Sorcière de Victorien Sardou, les Perses d’Eschyle, etc.). Son premier opéra, Évangéline, créé à la Monnaie de Bruxelles en 1895, fut suivi d’Astarté (1901), la Reine Fiammette (1903), Vénus et Adonis (1905), le Chemineau (1907), le Carillonneur (1913) et deux oeuvres posthumes : Nausithoé (1920) et La Plus Forte (1924). Son chef-d’oeuvre est le Chemineau, dont l’Opéra-Comique a donné 106 représentations jusqu’en 1945. Xavier Leroux fut le directeur de la revue Musica. LE ROY (Adrian), éditeur, luthiste, guitariste, chanteur et compositeur français (Montreuil-sur-Mer v. 1520 - Paris 1598). Il fonda, avec son cousin Robert Ballard, la célèbre maison d’édition Le Roy et Ballard (1551), qui devait garder ses privilèges jusqu’à la Révolution de 1789. Le premier livre publié est un recueil de motets, de danses et de chansons, mis en tablature de luth. D’autres livres renferment des transcriptions de chansons de Certon, d’Arcadelt, de Sandrin. La maison Le Roy et Ballard édita également les oeuvres de Roland de Lassus et de Claude Le Jeune. Au XVIIe siècle, les tragédies lyriques de Lully furent publiées par cette maison, devenue aussi l’imprimerie de l’Académie royale de musique. Adrian Le Roy est également l’auteur de plusieurs ouvrages, notamment une méthode de guitare, et d’un grand nombre d’airs de cour et de chansons d’une excellente qualité. LESNE (Gérard), haute-contre français (Montmorency 1956). D’abord attiré par le rock, il suit des cours d’Irène Jarski au Conservatoire de Pantin, mais il est largement autodidacte. En 1979, il s’initie au répertoire médiéval en entrant dans le Clemencic Consort. Il chante ensuite dans divers ensembles de musique ancienne tels qu’Organum et Hespérion XX, puis fonde en 1985 Il Seminario Musicale. Il s’y consacre surtout aux interprétations de Monteverdi, Caldara et Vivaldi, puis à la musique française du XVIIe siècle. Depuis 1990, son ensemble est en résidence à Royaumont, et il affectionne le festival d’Utrecht. Il reconstitue en 1994 la version intégrale des Leçons de ténèbres de Charpentier. Représentant d’une « troisième génération » d’alti masculins après celles de Deller et Jacobs, il n’hésite pas, depuis 1995, à enrichir son expérience en retrouvant l’univers du rock. LESSEL, famille de musiciens polonais d’origine tchèque. Wincenty Ferdinand, compositeur (Jilove, près de Prague, v. 1750 - Pulawy, près de Varsovie, 1827). Il s’établit avec sa famille en Allemagne en 1762, et, de 1781 à sa mort, fut au service du prince Adam Kazimierz Czartoryski. Franciszek, pianiste et compositeur (Varsovie v. 1780 - Piotrkow 1838). Fils du précédent, il s’installa à Vienne en 1797 pour y étudier la médecine, mais se tourna vers la musique et devint en 1799 élève de Haydn, qui en 1805 lui fit cadeau du manuscrit autographe de sa symphonie no 56. Il retourna en Pologne en 1809, et abandonna la musique en 1822 pour occuper divers postes dans l’enseignement rural et secondaire. Il a écrit des symphonies et des concertos, mais son importance réside surtout dans ses oeuvres pour piano seul ou de musique de chambre avec piano, qui font de lui un des initiateurs de l’école polonaise du XIXe siècle. LESSON. Terme anglais, qui, à partir de la fin du XVIe siècle, fut utilisé d’une part dans le sens d’étude, exercice, et, d’autre part, pour désigner des pièces pour clavier ou par extension des pages de musique de chambre à usage domestique. Cette seconde utilisation fut particulièrement fréquente à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe, alors qu’en musique pour clavier florissait le genre de la suite. Dans un tel contexte, lesson veut dire « suite » (A Choice Collection of Lessons, publication posthume de suites de Purcell, 1696). Les 30 premières sonates de Domenico Scarlatti, parues à Londres en 1738 ou 1739 comme Essercizi per gravicembalo, devaient y être rééditées sous le titre de Lessons. Le terme fut utilisé également pour des oeuvres de Haendel. L’ESTOCART (Paschal de), compositeur français (Noyon av. 1540 - ? apr. 1584). Il semble avoir séjourné très jeune en Italie, mais il se fixa bientôt à Bâle et à Genève, où il fréquenta une Académie des lettrés huguenote. Il obtint un privilège pour la publication de ses oeuvres en 1581 à Genève. L’année suivante parurent les deux livres des Octonaires de la vanité du monde sur des poèmes d’Antoine de La Roche-Chandieu, quelques années avant le chef-d’oeuvre de Cl. Le Jeune écrit sur ces mêmes poèmes de huit vers (octonaires). Nommé professeur à l’université de Bâle, il se mit ensuite au service du duc de Lorraine à Nancy. En 1583, il dédicaça au futur Henir IV ses 50 Psaumes de David mis en langue française par Cl. Marot et Th. de Bèze. Puis il remporta le prix de la harpe d’argent au puy d’Évreux pour son motet Ecce quam bonum et quam jucundum. Ses oeuvres reflètent une vive influence italienne, notamment par la présence fréquente de l’accord de sixte augmentée. D’autre part, son écriture reste dans la tradition d’un contrepoint sévère. LE SUEUR ou LESUEUR (Jean-François), compositeur français (Drucat-Plessiel, Somme, 1760 - Paris 1837). Il étudia la musique comme enfant de choeur à la collégiale d’Abbeville, puis à la cathédrale d’Amiens. Nommé maître de chapelle à la cathédrale de Sées (1778), il partit bientôt pour Paris afin de travailler l’harmonie avec l’abbé Roze, maître de chapelle de l’église des Saints-Innocents. Il obtint successivement les maîtrises des cathédrales de Dijon (1779), du Mans (1782), et Saint-Martin de Tours (1783), mais, à la mort de l’abbé Roze, il fut appelé pour lui succéder aux Saints-Innocents. En 1786, il devint maître de chapelle à Notre-Dame de Paris. Il y obtint l’autorisation d’ajouter de la musique symphonique à la musique d’orgue, lors des grandes fêtes religieuses de l’année : Assomption, Noël, Pâques et Pentecôte. Cette innovation inquiéta le clergé, mais obtint un grand succès auprès des fidèles et de la reine Marie-Antoinette. Pendant la Révolution, Lesueur mit son art au service de la nation, de même que Méhul, Gossec ou Cherubini, et composa nombre d’hymnes et de pièces de circonstance pour les fêtes officielles. En 1793, il fit ses débuts au théâtre et obtint d’emblée un succès estimable avec la Caverne, représentée au théâtre Feydeau. Cet ouvrage manifeste déjà son goût pour la musique descriptive et pour ses recherches harmoniques. À la fondation du Conservatoire (1795), il fut élu membre de la commission des études musicales, et fut chargé, avec Méhul, Gossec et Catel, de la rédaction des Principes élémentaires de la musique et des downloadModeText.vue.download 577 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 571 Solfèges du Conservatoire. Napoléon l’estimait beaucoup et lui avait confié le soin de composer une Marche triomphale pour le jour de son sacre. Cependant, Lesueur ne parvenait pas à se faire représenter à l’Opéra, où l’importance de ses ouvrages et des effets scéniques qu’ils demandaient rebutait la direction. Il fallut que Paisiello abandonnât en 1804 son poste de maître de chapelle des Tuileries et que l’Empereur désignât Lesueur comme son successeur pour que l’Opéra lui ouvrît enfin ses portes. Aussitôt, son ouvrage Ossian ou les Bardes fut représenté avec un immense succès. Il fut cependant retiré de l’affiche dès la chute de l’Empire. En revanche, le Triomphe de Trajan, créé en 1807, se maintint jusqu’en 1827. Plusieurs de ses autres opéras restèrent non représentés, dont Alexandre à Babylone, composé en 1815. Sous la Restauration, Lesueur devint compositeur de la chapelle de la cour, et, en 1818, fut nommé professeur de composition au Conservatoire. Il eut parmi ses élèves Ambroise Thomas, Berlioz, Marmontel, Reber et Gounod ; son influence fut grande sur eux, en particulier sur Berlioz auquel il inculqua le goût des figurations considérables et de l’instrumentation somptueuse. C’est surtout à travers sa musique religieuse (messes, oratorios) que cette influence s’est exercée. Lesueur avait fait des efforts pour revenir aux modes et aux rythmes grecs, et consacra ses dernières années à étudier l’histoire de la musique ancienne. Un catalogue de ses oeuvres a été réalisé par Jean Mongrédien (1980). LESURE (François), musicologue français (Paris 1923). Il a fait ses études à la Sorbonne, à l’École des chartes, à l’École pratique des hautes études et au Conservatoire de Paris : sa formation est celle d’un historien autant que d’un archiviste et d’un musicologue. Il devint, en 1950, conservateur au département de la musique de la Bibliothèque nationale, puis conservateur en chef de celui-ci de 1970 à 1988. En 1965, il fut nommé professeur de musicologie à l’université libre de Bruxelles et, en 1973, il succéda à Solange Corbin comme directeur d’études à l’École pratique des hautes études. De 1953 à 1967, il fut, en outre, chargé du secrétariat central du R. I. S. M. (Répertoire international des sources musicales) et il dirigea la publication des volumes consacrés aux recueils imprimés des XVIe et XVIIe siècles (Munich, 1960), puis du XVIIIe siècle (Munich, 1964), ainsi qu’aux écrits imprimés concernant la musique (Munich, 1971). Il a dirigé également à partir de 1967 la collection le Pupitre, éditée par Heugel et consacrée à la musique avant 1800. François Lesure est réputé comme spécialiste du XVIe siècle et de la sociologie musicale. Il fut président de la Société française de musicologie de 1971 à 1974. On lui doit aussi d’importantes publications sur Debussy : un Catalogue des oeuvres (1977), une Iconographie et les Lettres (1980), Claude Debussy avant « Pelléas » ou les Années symbolistes (1993), Claude Debussy (1994). LETTRES. 1. L’usage de désigner les notes par des lettres remonte à la notation grecque antique (IIIe s. av. J.-C.). Dans une première notation, dite instrumentale, on se servait de signes conventionnels obtenus par déformation de certaines lettres de l’alphabet. Une seconde notation, dite vocale, utilisait les lettres telles quelles, avec valeur de numérotation descendante des sons dans les trois genres. La notation grecque a cessé d’être en usage à partir du IVe siècle apr. J.-C., mais s’est néanmoins transmise dans les écoles par les traités et par l’autorité de Boèce, de sorte que le Moyen Âge connut le procédé. Il l’adapta à l’alphabet latin vers le Xe siècle, mais cette fois en montant et pour le seul genre diatonique, les deux autres étant tombés en désuétude. Deux procédés principaux furent employés. L’un, attribué à tort à Odon de Cluny et dû sans doute à Guillaume de Vulpiano, partait de l’ut et couvrait deux octaves, de A à P. L’autre, de A à G, qui prévalut, s’inspirait de l’échelle grecque en commençant sur la et en reprenant au bout d’une octave les mêmes lettres écrites différemment (d’abord majuscules, ensuite minuscules, enfin avec doublement ou addition d’apostrophe). Au grave, quand on en ressentit le besoin, on employa le G grec ou gamma, d’où notre mot « gamme ». Ce qui donna lieu à la correspondance ci-après, qui, toutefois, n’est valable que pour le solfège moderne ( ! SOLMISATION) : ABCDEFG la si do ré mi fa sol Le B était mobile et pouvait s’écrire soit carré (B quadratum, d’où bécarre) s’il y avait un ton entre A et B, soit rond (B rotundum) s’il n’y avait qu’un demiton. On disait aussi B durum (B dur) ou B molle (B mou, qui a donné bémol). On notera l’illogisme, qui a fait choisir l’un des termes dans une nomenclature décrivant l’écriture, et l’autre dans une autre nomenclature décrivant cette fois l’intervalle musical. C’est beaucoup plus tard que ces signes, qui étaient d’abord des lettres désignant des notes, ont pris le sens d’altération affectant des notes au lieu de les représenter. Les lettres s’appelaient clefs (claves), et ce nom est resté aux signes qui en sont dérivés et que l’on place au début de la portée pour indiquer à quelle note correspond la ligne ( ! CLEF). Les syllabes ut, ré, mi, fa, sol, la, attribuées aux notes au XIe siècle par Guy d’Arezzo, n’avaient pas d’abord le sens qu’on leur donne aujourd’hui. Elles ne remplaçaient pas les lettres, mais s’ajoutaient à elles de manière variable. Ce n’est qu’au XVIIe-XVIIIe siècle qu’on les considéra comme équivalentes, en ajoutant la syllabe si pour compléter la nomenclature. En outre, les Allemands, et eux seuls, ajoutèrent la lettre H pour le si bécarre, conservant B pour le si bémol, de sorte que la lettre B n’a pas la même valeur partout, désignant le si bémol pour les Allemands et le si naturel pour les Anglais, qui, comme eux, ont gardé l’usage des lettres alors que les Latins préféraient les syllabes. 2.Lettres romaniennes. Lettres minuscules placées au-dessus de certains neumes dans plusieurs manuscrits de chant grégorien de l’école de Saint-Gall aux IXe et Xe siècles, et qui indiquaient des particularités d’exécution exprimées par le mot dont elles étaient l’abréviation : c = celeriter (« accélérer »), t = tenete (« ralentir »), etc. 3. Lettres significatives (litterae significativae). Lettres insérées dans le texte des Évangiles de la Passion, et qui, après avoir indiqué un changement de timbre mélodique selon le personnage qui s’exprime, ont désigné ensuite le ministre chargé de ce personnage en lecture chantée et dialoguée. 4. Lettres musicales. On appelait ainsi, autrefois, les lettres susceptibles de recevoir une traduction en notes dans la nomenclature alphabétique exposée plus haut. Il y avait, comme on l’a vu, 8 lettres musicales dans le système allemand (A à H) et 7 dans le système anglais (A à G), et pas davantage. Schumann tenta d’en augmenter le nombre en utilisant phonétiquement la lettre S du suffixe es, qui, en allemand, désigne la note bémolisée (Es, contraction de Ees = mi bémol, As, contraction de Aes = la bémol). La tentative, employée dans le Carnaval (183435), est restée éphémère. C’est en 1910 que Jules Écorcheville, directeur de la revue française S. I. M., imagina de compléter systématiquement l’alphabet en continuant diatoniquement la série commencée pour lui permettre de traduire en notes n’importe quel nom propre comme Bach l’avait fait pour le sien (qui avait la chance de n’avoir que des lettres musicales). D’assez nombreux « hommages » purent ainsi être composés sur le nom de leur dédicataire. Malheureusement, le système employé ne fut pas codifié avec une clarté suffisante, de sorte que plusieurs « clefs » contradictoires ont été employées à cet effet. downloadModeText.vue.download 578 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 572 LES PRINCIPALES FURENT LES SUIVANTES : « Clef allemande » (1910, pièces sur le nom de Haydn publiées dans la S. I. M.) : do ré mi fa sol la si si bémol bécarre AB C D E F G (I?) H (I?)-J K L M N O P Q RSTUV W XYZ « Clef anglaise » (1922, pièces sur le nom de Gabriel Fauré publiées par la Revue musicale) : do ré mi fa sol la si AB CDEFGHI JKLMNOP QRSTUVW XYZ noms reçus jusqu’à H « Clef allemande à base alphabétique » (1943, M. Duruflé, pièce sur le nom d’Alain) : ABCDEFGH la si b do ré mi fa sol si I JKLMNOP QRSTUVWX YZ noms reçus « Clef chromatique sur deux octaves » (1950, J. Chailley, fantaisie sur le C. A. E. M.) : a)Touches blanches la si do ré mi fa sol (la) A (H) C D E F G 1re octave, noms reçus I JKLMNOP 2e octave b)Touches noires la dièse do dièse ré dièse fa dièse sol dièse (la) dièse si bémol ré bémol mi bémol sol bémol la bémol (si bémol) (B) Q R S T 1re octave (reçus) UVWXYZ 2e octave 5. Langage communicable. Sous le nom de langage communicable, O. Messiaen a présenté en 1969 (Méditations sur le mystère de la Sainte Trinité) une clef personnelle d’une grande complication, dotée en outre de valeurs fixes de durée ; elle est trop complexe pour pouvoir être exposée ici. LEUTGEB (Joseph), corniste autrichien (Vienne 1732 - id. 1811). De novembre 1761 à janvier 1783, il joua des concertos pour orgue à quatorze concerts au Burgtheater : parmi ces concertos, un de Michael Haydn (perdu) et sans doute celui en ré majeur Hob. VIId.3 de Joseph Haydn, daté de 1762. Il entra ensuite dans l’orchestre de Salzbourg, et en 1770 se produisit à Francfort et à Paris. Il se réinstalla à Vienne en 1777, s’occupant de la fromagerie de son beaupère. Mozart écrivit pour lui au moins le quintette K.407 (1782), le rondo K.371 (1781) et les concertos K.417 (1783), K.495 (1786), K.447 (1787-188) et K.412 (laissé inachevé en 1791). LEVASSEUR (Marie-Claude Josèphe, dite Rosalie), soprano française (Valenciennes 1749 - Neuwied-sur-le-Rhin 1826). Elle débuta en 1766. Considérée comme une rivale par Sophie Arnould, elle chanta dans les cinq opéras en français de Gluck représentés à Paris de 1774 à 1779 : les trois derniers (Alceste, Armide et Iphigénie en Tauride) lui valurent ses plus grands triomphes. Tragédienne lyrique, elle parut également dans des ouvrages de Sacchini, de Piccinni, de Philidor et d’autres, et se retira en 1788. LEVI (Hermann), chef d’orchestre et compositeur allemand (Giessen 1839 Munich 1900). Il étudia la musique avec V. Lachner à Mannheim (1852-1855), puis avec Hauptmann et Rietz au conservatoire de Leipzig (1855-1858). Il fut directeur de la musique à Sarrebruck (1859-1861), chef d’orchestre à l’Opéra de Rotterdam (1861-1864), chef d’orchestre de la cour à Karlsruhe (18641872), puis à Munich (1872-1890), où il fut nommé en 1894 directeur général de la musique. Il dirigea la première de Parsifal à Bayreuth en 1882 et fut aussi l’ami de Brahms. LÉVINAS (Michaël), compositeur français (Paris 1949). Élève de Lazare Lévy (piano) dès l’âge de cinq ans, il entra au Conservatoire de Paris en 1959, y obtint notamment les premiers prix de piano (classe d’Y. Lefébure) et d’harmonie (classe de R. Challan), suivit le cycle de perfectionnement de piano avec Y. Loriod, et étudia aussi avec O. Messiaen. Il a également suivi un stage au G. R. M. et participé comme élève de Stockhausen aux cours internationaux de Darmstadt. En 1970, il a obtenu le premier prix du Concours international d’improvisation de la ville de Lyon. De 1975 à 1977, il a été pensionnaire à la villa Médicis à Rome. Il a de nombreuses activités de pianiste, en particulier dans le cadre de l’Itinéraire, et a obtenu le prix Enesco de la S. A. C. E. M., en 1980. Il enseigne depuis 1987 l’analyse et l’orchestration au Conservatoire de Paris. Intéressé par la lutherie électronique, par l’amplification des instruments en direct et par le synthétiseur comme révélateur des aspects vibratoires des instruments, il a écrit, dans un style souvent violent, plus d’une vingtaine d’oeuvres, parmi lesquelles Mélodie sur un thème de René Char pour piano, baryton et flûte (1969), Arsis et Thésis ou la Chanson du souffle pour flûte basse sonorisée (1971), Orchestre pour grand orchestre et 3 trombones sonorisés (1972-73), Clov et Hamm pour trombone et tuba sonorisés, 1 percussionniste et 2 bandes magnétiques (1973), Musique d’une musique pour grand orchestre, oeuvre de recherche sur la vibration par sympathie (1973), Appels pour 10 musiciens (1974), Musique et musique pour grand orchestre, avec 19 caisses claires mises en vibration par sympathie (1974-75), Sons en circulation pour cuivres et percussion (1976), Concerto pour un piano-espace pour piano, synthétiseur, instruments et 2 bandes magnétiques (1976-77), Étude sur un piano-espace pour piano et synthétiseur (1977), Dans un espace souterrain pour ondes Martenot, piano et synthétiseur (1977), Voix dans un vaisseau d’airain, « Chant en escalier » pour voix, flûte, cor et piano (1977), Strettes tournantes-Migrations pour ensemble instrumental (1978), Ouverture pour une fête étrange pour 2 orchestres et bande magnétique (1979), Concerto pour un piano-espace no 2 pour piano, ensemble instrumental et bande magnétique (1980), Contrepoints irréels -Rencontres 2 pour 6 flûtes, orgue électrique, ondes Martenot, bande magnétique et 1 percussionniste (1980-81), les Rires du Gilles pour petit ensemble instrumental et bande (1981), Arcades pour alto et piano (1982), Flux et Reflux (1984), l’opéra la Conférence des oiseaux (1985), la Cloche fêlée pour orchestre (1988), Préfixes pour 17 instrumentistes (1991). LEVINE (James), chef d’orchestre et pianiste américain (Cincinnati 1943). Il s’oriente d’abord vers le piano avec Rudolf Serkin et Rosine Lhevinne à la Juilliard School. À dix-huit ans, il se tourne vers la direction d’orchestre, qu’il travaille à la Juilliard School avec Jean Morel, et devient trois ans plus tard l’assistant de G. Szell à Cleveland. En 1971, au Festival de Ravinia, il se produit pour la première fois à la tête de l’orchestre symphonique de Chicago, avec lequel il collaborera abondamment par la suite. Il est nommé en 1973 directeur musical de ce festival et chef principal du Metropolitan Opera de New York (où il a débuté en 1971), puis en 1975 directeur musical de cette maison. Cette même année, il fait ses débuts à Salzbourg. De 1975 à 1995, il dirige de nombreuses productions lyriques à Salzbourg et à Bayreuth et se pro- downloadModeText.vue.download 579 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 573 duit régulièrement à la tête de l’orchestre philharmonique de Berlin. Il devient en 1986 directeur artistique du Metropolitan Opera de New York LÉVY (Lazare, dit LAZARE-LÉVY), pianiste et compositeur français (Bruxelles 1882 Paris 1964). Élève du Conservatoire de Paris (18941898), il y étudie le piano avec L. Diémer, l’harmonie avec A. Lavignac et la composition avec A. Gédalge. Après avoir obtenu une mention au prix Diémer en 1904 et s’être fait remarquer par des récitals essentiellement consacrés à Beethoven, Schubert et Chopin, il s’oriente vers la pédagogie, éditant une méthode de piano en 1907, en collaboration avec Diémer, avant d’assurer une classe de piano au Conservatoire de Paris (1921-1953). Citons, parmi ses élèves, Monique Haas, Yvonne Loriod, Jean Hubeau. Le compositeur a écrit de nombreuses pièces pour son instrument (Études, Valses, Sonatines, Enfantines, Préludes), pour l’orgue, la flûte, le violoncelle, ainsi que deux quatuors à cordes. L’interprète et le pédagogue ont laissé le souvenir d’un être simple et noble, plus enclin à la méditation qu’à la gloire. LHEVINNE (Josef), pianiste russe (Orel, près de Moscou, 1874 - New York 1944). Fils d’un violoniste, il manifeste très tôt des dons éclatants. Un musicien suédois, Krysander, lui donne ses premières leçons de six à onze ans, avant qu’il n’entre, en 1885, au conservatoire de Moscou, dans la classe du grand pédagogue Safonov, en même temps que Rachmaninov et Scriabine. Il en sort avec une médaille d’or en 1891. À quatorze ans, il éblouit Anton Rubinstein, qui lui demande de jouer sous sa direction le 5e Concerto de Beethoven. Malgré les premiers succès à l’étranger, il rentre en Russie, où il épouse une pianiste, Rosa Bessie, et enseigne, à Tiflis (1900-1902), puis au conservatoire de Moscou (1902-1906). Installé à Berlin en 1907 et retenu par la guerre jusqu’en 1919, il part pour les États-Unis travailler à la Juilliard School of Music de New York, où sa femme devient un professeur de renom. Parmi ses élèves, John Browning, Arthur Gold, James Levine, Van Cliburn. Doué d’une prodigieuse technique, Josef Lhévinne n’a jamais sacrifié le message musical à la virtuosité gratuite, la rigueur du phrasé et de la mesure aux excès romantiques. Ses disciples à la Juilliard School, Sacha Gorodnitzki et Josef Raïeff, continuent sa tâche selon les préceptes qu’il a consignés dans un traité : Basic Principles in pianoforte playing (Philadelphie, 19241972). LIADOV (Anatoly Konstantinovitch), compositeur et pédagogue russe (SaintPétersbourg 1855 - domaine de Polynovka, prov. de Novgorod, 1914). Il reçut les bases de sa formation musicale auprès de son père, chef d’orchestre du théâtre Marie de Saint-Pétersbourg, et apprit le piano avec sa tante V. Antipova. En 1870, il entra au conservatoire de Saint-Pétersbourg dans les classes de Beggrov et de Cross (piano), puis dans celles de Johannsen (théorie et écriture) et de Rimski-Korsakov (composition). Ses étonnantes capacités techniques étaient malheureusement entachées par une paresse inguérissable. En 1876, il fut exclu du conservatoire pour absentéisme, mais, réintégré deux ans plus tard, il obtint aisément son diplôme de composition avec la cantate la Fiancée de Messine d’après Schiller. À cette date, il était déjà l’auteur de nombreuses pièces pour piano, dont le recueil des Birulki. En 1878, il fut nommé professeur de théorie et d’harmonie au conservatoire. Par Rimski-Korsakov, il fit la connaissance des membres de l’ancien groupe des Cinq, puis fit partie du groupe Belaiev, réuni à partir de 1883 autour du riche mécène, et constitué d’élèves de Rimski, dont Glazounov. En 1885, il fut nommé professeur d’harmonie à la Chapelle impériale de Saint-Pétersbourg, dirigée par Balakirev et Rimski. Dans les dernières années du siècle, il s’occupa activement à rassembler et à adapter les chants populaires, dans le cadre d’études effectuées par la Société de géographie. Il publia plusieurs recueils avec accompagnement de piano : 10 Choeurs pour voix de femmes (1899), 35 Chants du peuple russe (1902), 50 Chants du peuple russe (1903). En 1906, il orchestra 8 chants, dont il fit une suite. Dans son oeuvre, dont la majeure partie est écrite pour piano ou pour orchestre, Liadov est un miniaturiste, qui a le sens de l’effet instantané, du coloris, du contraste, mais manque de souffle et d’envergure. Ses pièces pour piano (intermezzos, préludes, arabesques, barcarolle) révèlent une influence de Schumann et, surtout, de Chopin, qui va parfois jusqu’au pastiche. Sa Tabatière à musique, en revanche, est une pièce fort originale et toujours appréciée des pianistes. Ses poèmes symphoniques Baba-Yaga (1891-1904), Kikimora (1909) et le Lac enchanté (1909) se sont également bien maintenus au répertoire. Liadov s’y montre l’héritier de Rimski par son art d’évoquer l’insolite et le fantastique. Vers la fin de sa vie, il fut attiré par le mouvement symboliste. Il s’inspira de Maeterlinck (Nénie pour orchestre d’après Aglavaine et Sélysette, choeurs pour Soeur Béatrice), et écrivit une oeuvre d’une grande puissance, Extrait de l’Apocalypse (1910-1912). Il se rapproche ainsi de Scriabine, mais sans en avoir le radicalisme. Entre 1881 et 1903, il orchestra des fragments de la Foire de Sorotchintsi de Moussorgski. Nombre de ses projets d’oeuvres n’aboutirent pas. Ainsi, en 1909, il fut pressenti par Diaghilev pour composer l’Oiseau de feu, mais, devant son indécision, la commande échut à Stravinski. LIAISON. Signe d’exécution, représenté par une ligne tracée au-dessus, ou au-dessous, de plusieurs notes pour indiquer qu’elles doivent s’enchaîner d’un mouvement continu. La liaison signifie exactement : 1. pour les instruments à archet, que toutes les notes doivent être jouées dans le même coup d’archet ; 2.pour les instruments à vent, dans le même souffle ; 3.pour les instruments à clavier ou à cordes frappées ou pincées, que chaque note doit commencer au moment exact où la précédente est abandonnée sans aucune solution de continuité. La liaison, dans ce dernier cas, est dite « expressive ». LIAPOUNOV (Serge), pianiste et compositeur russe (Iaroslavl 1859 - Paris 1924). Il commença ses études musicales à Nijni- Novgorod, puis entra au conservatoire de Moscou, où il fut élève de Klindworth et de Pabst (piano), ainsi que de Tanéiev (théorie de la composition). En 1885, à Saint-Pétersbourg, il fit la connaissance de Balakirev, dont il devint le disciple et auquel il resta attaché, subissant son influence. Après la mort de ce dernier, il s’appliqua à terminer ses oeuvres inachevées (dont le 2e Concerto pour piano) et à publier la correspondance de Balakirev avec Tchaïkovski et avec Rimski-Korsakov. De 1910 à 1923, il fut professeur de piano et de composition au conservatoire de Saint-Pétersbourg. Il émigra en 1923 et mourut à Paris l’année suivante. Liapounov appartient, comme Glazounov et Liadov, à la génération des épigones du groupe des Cinq. Son attachement au folklore et à l’orientalisme le rapproche de Moussorgski et de Borodine, tandis que son style orchestral et pianistique porte la double marque de Liszt et de Balakirev. Plus que ses oeuvres symphoniques (2 symphonies, poèmes symphoniques, ouverture solennelle sur des thèmes russes), c’est dans son oeuvre pour piano qu’il a mis le meilleur de lui-même : 2 concertos (1890 et 1909), Rhapsodie sur des thèmes ukrainiens (1907), et surtout le cycle d’Études d’exécution transcendantes (18971905), qui a le mieux survécu. La conception et l’effort d’une recherche technique au service de l’expression narrative sont évidemment une référence à Liszt. Certains titres évoquent ceux des Études lisztiennes (Ronde des sylphes, Rondo des esprits), et la pièce finale du cycle est une Élégie en hommage au compositeur. Mais dans d’autres (Byline, Sons de cloches), c’est downloadModeText.vue.download 580 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 574 la tradition nationale de l’inspiration qui reprend le dessus. Quant à la Lezghinka (danse caucasienne), restée la plus populaire, elle est une réponse au Islamey de Balakirev, dont elle imite, dans un style moins impétueux, mais plus lyrique, l’esprit oriental et les formules pianistiques. LIBERATI (Antimo), musicien italien (Foligno 1617 - Rome 1692). Notaire à Foligno (1636-37), il partit pour Vienne au service de Ferdinand III et de l’archiduc Léopold. De retour à Foligno (1644), il vint à Rome sans doute en 1650, et y étudia avec G. Allegri et O. Benevoli. Il fut chanteur à la chapelle papale en 1661, puis en devint le maître de chapelle (167475), tout en exerçant la même fonction dans différentes églises romaines. Peu de ses oeuvres ont été conservées (1 Laudate Dominum à 4 voix, 1 Messe à 16 voix et 4 airs), mais il semble avoir aussi composé, entre autres, des oratorios, des psaumes et des madrigaux. Il est surtout demeuré célébre pour ses écrits et ses prises de position (Epitome della Musica, 1666 ; Lettera scritta... In riposta ad una del Sig. Ovidio Persapegi, 1684), qui, bien que souvent arbitraires, contiennent de précieux renseignements sur ses contemporains. Il condamne, en particulier, Monteverdi et l’opéra vénitien, et témoigne de la survivance du style de Palestrina dans l’école romaine du XVIIe siècle. LICENCE. 1. Dérogation consciente et volontaire aux règles d’écriture imposées par l’école. La licence, qui doit être reconnue comme justifiée, se distingue ainsi de la « faute », qui est une dérogation à ces mêmes règles, mais sans justification et généralement inconsciente ou involontaire. 2. Traduction peu usuelle de l’italien licenza. LICENZA. 1. Équivalent italien du français licence 1. C’est en ce sens que Beethoven décrit le finale de sa sonate op. 106 comme une fugue con alcune licenze. 2. Terme italien, généralement non traduit, et qui possède plusieurs significations : a)liberté d’interprétation dans le domaine de la mesure et des nuances. Con licenza, « sans s’astreindre à une mesure rigide « ; b) au XVIIIe siècle, brève composition (généralement récitatif et air) insérée dans une cantate ou un opéra pour rendre hommage à un personnage important (par exemple, Mozart, KV. 36 et 70) ; c) ornementation non écrite, le plus souvent dans une cadence, laissée à la libre improvisation de l’interprète. On emploie aussi le mot cadenza (par exemple, Bach, canon no 10 dans l’Art de la fugue). LICEO (Gran teatro del). Opéra de Barcelone, le plus célèbre d’Espagne. Inauguré le 4 avril 1847 (3 600 places), il brûla en 1861. Le nouveau bâtiment (3 000 places), ouvert le 20 avril 1962 et obligé par ses statuts de donner au moins un opéra espagnol par an, brûla à son tour en 1994. On y entendit, avant la création scénique à Milan, Atlantida de Manuel de Falla en version de concert (1961). LIDHOLM (Ingvar), compositeur suédois (Jönköping 1921). Les événements les plus importants de sa formation ont été ses cours avec H. Rosenberg, sa participation au groupe du Lundi (Måndagsgruppen), ses séjours à Darmstadt - les premiers effectués par un compositeur suédois -, et son stage avec l’important moderniste Mátyas Seiber, en Angleterre. Altiste, chef d’orchestre, personnalité en vue en Suède, Lidholm est, avant tout, un symphoniste, qui, parti d’un style proche de celui de C. Nielsen, a abouti à une forme très personnelle d’écriture, souvent agressive, voire explosive. Dans ses oeuvres les plus marquantes, Ritornell (1955), Riter, ballet (1960), Poesis et Nausikaa ensam (1963), on peut remarquer son intérêt pour les problèmes d’organisation des timbres, de la dynamique, de l’équilibre entre les matériaux polyphoniques et mélodiques et son sens de leur utilisation dans une expression dramatique. LIEBERMANN (Rolf), compositeur et directeur de théâtre suisse (Zurich 1910). Il étudia le droit, la direction d’orchestre avec Hermann Scherchen, dont il fut l’assistant à Vienne jusqu’en 1938, et la composition avec Vladimir Vogel, qui l’initia au dodécaphonisme. Il se fit connaître en 1947 par le dynamisme spectaculaire de son Furioso pour orchestre. Suivirent notamment un célèbre Concerto pour jazzband et orchestre (1954) et le Concert des Échanges, machines (1964). On lui doit aussi des ouvrages lyriques, parmi lesquels Léonore 40/45, sur un texte bilingue franco-allemand transposant le sujet de l’opéra de Beethoven dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale (Bâle, 1952), Pénélope (Salzbourg, 1954), et l’École des femmes, d’après Molière (Louisville, 1955 ; puis Salzbourg, 1957). Il prit, en 1950, la direction musicale de Radio-Zurich, et, en 1957, celle de la radio de Hambourg. Devenu directeur de l’opéra de Hambourg en 1959, il en fit, en particulier sur le plan de la création et du répertoire contemporains, la première scène lyrique du monde, et réalisa 15 productions d’opéras pour le cinéma et la télévision. Il fut également l’instigateur du tournage du Don Giovanni de Losey (1978-79). En 1971, il fut nommé à la tête de la Réunion des théâtres lyriques nationaux à Paris, et occupa ces fonctions du 1er janvier 1973 au 31 juillet 1980. Durant cette période faste furent montés au palais Garnier et à la salle Favart, des Noces de Figaro (mars 1973) à Boris Godounov (juin 1980), 54 spectacles différents, parmi lesquels, sous la direction de Pierre Boulez, la création mondiale de la version « intégrale » en 3 actes de Lulu d’Alban Berg (24 février 1979). En 1982, il a mis en scène Parsifal à Genève, et il est retourné à Hambourg comme intendant de l’Opéra de 1985 à 1988. En avril 1987 a été créé à Genève son opéra la Forêt. Il a composé depuis Enigma pour orchestre (1994-1995) et l’opéra Acquittement pour Médée (1992, créé à Hambourg en 1995). LIED (all., pl. lieder ; « chanson »). Terme généralement appliqué au genre très particulier de mélodie accompagnée au piano, qui se développa en Allemagne à l’époque romantique, genre dont les maîtres majeurs ont été Schubert, Schumann, Brahms et Wolf. Propre à la musique chantée allemande, le lied s’est prolongé jusqu’à nos jours, tandis qu’il s’élargissait en des formes plus vastes, avec accompagnement d’orchestre symphonique (Strauss, Mahler, Schönberg). Mais le mot et la notion mêmes de lied ont une origine bien plus ancienne, qui remonte au Moyen Âge. LE LIED AVANT LE LIED. Le terme de lied - ou plus précisément, sous ses formes anciennes, de liet ou de leich - peut être rapproché étymologiquement de celui de lai. Il désigne, tout d’abord, une forme de chanson pratiquée par les trouvères germaniques, les Min- nesänger. Chanson monodique savante, sans doute accompagnée ou soutenue par un instrument, c’est originellement une musique à danser, avant de devenir une sorte de madrigal mettant en musique un poème d’amour courtois, de forme raffinée, le liet proprement dit. Le premier maître du genre est le Minnesänger Walther von der Vogelweide, à la fin du XIIe siècle. Ce lied savant, ou Kunstlied, est, en Allemagne, le pendant de la chanson des troubadours en pays d’oc ou des trouvères en pays d’oïl : il est la forme de musique vocale par excellence des Minnesänger, jusqu’au XVe siècle. Du haut Moyen Âge proviennent également de très nombreux chants populaires relevant du folklore - ou, pour employer l’expression allemande, du Volkslied. Ce sont ces lieder, dont les textes ont été, à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, collectés et rassemblés par des poètes allemands - Herder, Arnim, Brentano, Goethe lui-même - et publiés en des recueils, qui ont conquis une vaste popularité ; le plus downloadModeText.vue.download 581 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 575 célèbre d’entre eux est le Cor magique de l’enfant (Des Knaben Wunderhorn), qui ne contient pas moins de 700 Volkslieder (Gustav Mahler en a mis plusieurs en musique). On a voulu voir dans le Volkslied une des sources, sinon la source principale, du lied romantique. Mais si le mot de lied, commun aux deux genres, peut, en effet, abuser et induire une confusion entre les deux, ceux-ci s’opposent radicalement. Autant le lied romantique est une oeuvre savante, même lorsqu’il revêt un caractère poétiquement populaire, autant le Volkslied du Moyen Âge ou de la Renaissance, anonyme et transmis par tradition orale, est d’essence et de forme populaires : chantant les travaux des jours, les métiers, l’amour, la guerre, la vie quotidienne, etc., il s’apparente aux autres formes de la chanson populaire. Dans le domaine savant, la chanson polyphonique française de la Renaissance a son pendant en Allemagne avec le lied polyphonique, profane ou spirituel : chan- sons d’inspiration séculière, motets religieux, en latin ou en allemand, prennent le terme générique de lieder sous la plume des musiciens du XVIe siècle, pour la plupart disciples de Roland de Lassus (Leonhard Lechner, Johannes Eccard, Hans Leo Hassler), dont ils adaptent le langage contrapuntique pour l’introduire dans le monde germanique luthérien. Deux grands événements historiques vont marquer profondément la musique allemande et comptent parmi les sources auxquelles s’est alimenté le lied romantique : la Réforme de Luther et la guerre de Trente Ans. L’influence de Luther est capitale dans l’évolution de la musique vocale allemande : directement, par les recommandations pratiques qu’impose le réformateur à sa communauté spirituelle ; indirectement et à plus long terme, par tout le courant de pensée qui sera celui du monde allemand dans les siècles suivants, intimement imprégné des grandes composantes du luthéranisme. D’une nature profondément musicienne, Luther centre la pratique cultuelle sur le chant communautaire, au temple ou dans la famille, faisant de cette pratique un acte liturgique. Le lien ainsi établi entre la musique (et plus particulièrement le chant) et le sacré orientera de façon décisive toute la pensée allemande et une certaine façon d’envisager la musique, propre à la culture réformée germanique. Pour les besoins du culte nouveau, Luther compose des chorals, en fait composer, collecter, adapter par les musiciens de son entourage, à partir, parfois, de chansons populaires. Sur plusieurs générations va ainsi se constituer un corpus de chorals, mélodies volontairement très simples dans la mesure où elles sont vouées à être chantées par tous. Même dans leur version harmonisée à plusieurs voix, les chorals demeurent d’une exécution très aisée, avec leur respiration régulière bien marquée - encore un trait dont se souviendra le lied romantique. De la sorte, Luther donne un formidable élan à la création d’une musique vocale - savante, puisque due à des compositeurs professionnels, mais de coupe simple et destinée à de multiples occasions de la vie quotidienne. Le sacré ne s’y distingue pas plus aisément du profane que le lied ne se différencie alors du choral. Quant à la guerre de Trente Ans, au siècle suivant (1618-1648), elle provoque des ravages considérables dans la culture et la société allemandes ; mais elle suscite aussi une exacerbation de la spiritualité, qui s’incarne sur plusieurs générations en courants de pensée et en poèmes religieux (généralement sur fond de terreur et de mort, souvenir immédiat des atroces malheurs de la guerre). C’est, notamment, le courant piétiste, qui touche en profondeur les milieux bourgeois, et dont les principaux poètes sont Jakob Böhme et Angelus Silesius. LES PRÉDÉCESSEURS DE SCHUBERT. De ces mouvements naîtra le climat propice à la fondation d’un art musical typiquement allemand, que ce soit dans le drame lyrique (qui aboutira à partir de l’Enlèvement au sérail de Mozart) ou dans l’ode de salon. La veine populaire, marquée du caractère sérieux, « engagé », quasi sacré, qui sous-tend toute l’expression littéraire depuis le XVIe siècle, donnera naissance au Singspiel, dont Hiller est le premier grand représentant, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Mais c’est aussi le moment où l’Aufklärung, époque de pensée rationaliste du « Siècle des lumières », le temps du philosophe Leibniz ou du poète Klopstock, favorise l’éclosion d’innombrables musiques domestiques pour chant avec accompagnement instrumental : les cahiers d’odes rationalistes et moralisantes fleurissent au milieu du XVIIIe siècle dans toute l’Allemagne, composées par les Mizler, Mattheson, Schubart, Marpurg, Scheibe..., un courant qui se poursuivra jusqu’à certains des lieder de Mozart et de Beethoven, lesquels n’apporteront d’ailleurs pas au lied quelque forme nouvelle, décisive, à la mesure de leur génie. En Allemagne du Nord, un musicien comme Johann Abraham Peter Schulz (1747-1800) peut être considéré comme l’un des précurseurs du lied - chant simple, naturel, de caractère strophique, écrit pour tous, et dont certaines mélodies vont devenir populaires. Son recueil de Lieder im Volkston bey dem Klavier zu spielen, « Chansons de caractère populaire à exécuter avec piano » (1782), fait de lui l’initiateur du genre des Lieder im Volkston, chansons de caractère popu- laire où s’essaient maints compositeurs du XVIIIe siècle finissant. Dans les années 1770-1780, en effet, très nombreuses sont les pièces lyriques de style populaire transcendé, dont le caractère vocal se fait d’ailleurs plus volontiers lyrique dans les régions méridionales de l’Allemagne, au contact de l’art italien, qui fleurit alors dans les cours princières. On ne saurait non plus mésestimer la vogue, à cette même époque, des mélodrames (la Médée de Benda devait fortement impressionner Mozart) : toute la charge émotive du récit y est assumée par la musique, sur laquelle le texte simplement parlé explicite l’action ou les sentiments en présence, texte acquérant du même coup un poids insoupçonné. Trois compositeurs peuvent alors être considérés comme les annonciateurs les plus directs du lied schubertien : Reichardt, Hiller et Zumsteeg. Johann Friedrich Reichardt (1752-1814) publie de très nombreux volumes de mélodies accompagnées, appelées elles aussi lieder, sur des poèmes de Goethe, Schiller, Claudius, Hölty, Klopstock - les poètes mêmes qui inspireront Schubert : Goethes Lieder ; Lieder der Liebe und der Einsamkeit, « Chansons d’amour et de solitude » (1798) ; Wiegenlieder für gute deutsche Mütter, « Berceuses pour les bonnes mères de famille allemandes » (1798) ; Oden, Balladen und Romanzen (1809-1811), etc. Il est également l’auteur d’opéras et de Singspiele, où fleurissent aussi ces ariettes quelque peu simplistes. On notera qu’il est le premier à avoir mis en musique le Roi des aulnes (Erlkönig) de Goethe, qui sera l’un des plus fameux lieder de Schubert. Johann Adam Hiller (1728-1804), dont on a rappelé qu’il était l’initiateur du Singspiel, a publié, à côté de multiples arrangements et d’harmonisations de chorals, des mélodies - « lieder » - avec accompagnement, depuis 1759 (Lieder mit Melodien an meinen Canarienvogel, « Textes de chansons avec leurs mélodies, pour mon canari ») jusqu’à 1790 (Letztes Opfer, in einigen Lieder-Melodien, « Dernière offrande, en quelques mélodies de chansons), dont un cahier de Lieder für Kinder, « Chansons pour les enfants », en 1769. Quant à Johann Rudolf Zumsteeg (1760-1802), il est le créateur de la bal- lade pour chant et piano, grande mélodie « durchkomponiert » (composée de bout en bout, sans retour à des refrains ou à des couplets), dont il organise la forme en divers plans d’intensité dramatique et musicale. Ses poètes sont, comme pour Reichardt, ceux de l’Aufklärung des années 1740-1770, et ceux du courant littéraire nouveau, celui du premier romantisme allemand ou Sturm und Drang, influencé par les romans sentimentaux européens downloadModeText.vue.download 582 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 576 du XVIIIe siècle (Pamela de Richardson, la Nouvelle Héloïse de Rousseau) et les poèmes d’Ossian, et illustré principalement par le jeune Goethe : le surnaturel y perd de son caractère strictement religieux pour acquérir une dimension dramatique, profane, mais conservant toujours une vision mystique du monde, mêlée au sentiment de la mort. On a publié de Zumsteeg 7 livres de Balladen und Lieder. De ces musiciens, on peut rapprocher Carl Friedrich Zelter (1758-1832), ami et conseiller musical de Goethe, auteur, lui aussi, de nombreux lieder ; certains précèdent ceux de Schubert, d’autres en sont contemporains et même de peu postérieurs, mais sans toutefois être influencés par son apport résolument neuf à l’art du lied. Car le lied de Schubert est le premier à faire converger, génialement, en un seul foyer le climat sérieux et le caractère « engagé » issu du vieux fonds luthérien, l’intimité bourgeoise de la mélodie plus ou moins populaire et l’esprit de la musique de chambre. Cela beaucoup plus qu’il n’opère de synthèse de tous ces courants, dont il procède cependant et sans la connaissance desquels il est impossible de remonter aux sources de son art : les mouvements littéraires du piétisme, de l’Aufklärung et du Sturm und Drang, la recherche d’une expression musico-dramatique spécifiquement allemande, le monde du choral, le fonds populaire de la chanson, l’air d’opéra et de Singspiel, l’ode rationaliste et le lied im Volkston. UNE PRODUCTION UNIQUE, EN QUANTITÉ COMME EN QUALITÉ : LES LIEDER DE SCHUBERT. En une quinzaine d’années seulement, Franz Schubert (1797-1828) a écrit quelque 625 lieder pour voix et piano. Cette production s’étend sur toute sa vie créatrice, de ses années de collège aux derniers jours de sa vie. Le premier de tous qui nous ait été conservé est la Plainte d’Agar dans le désert (1811), qui avait été précédé d’essais antérieurs, disparus ; le dernier est le Pâtre sur le rocher, avec un accompagnement de clarinette et de piano (1828). Doué d’une extraordinaire rapidité dans un genre qui était l’expression si intime de sa pensée, Schubert a écrit ses lieder très rapidement - jusqu’à cinq en une seule journée. Mais ce fait ne doit pas masquer que la rédaction d’un lied pouvait être précédée d’une lente rumination plus ou moins inconsciente, ni que certains lieder aient été repris, retravaillés, jusqu’à parvenir à leur forme achevée définitive. C’est ainsi, par exemple, que, parmi les premiers lieder de Schubert, certains, comme Gretchen am Spinnrade (« Marguerite au rouet », 1814) ou Erlkönig (« le Roi des aulnes », 1815), chefs-d’oeuvre si accomplis, malgré la jeunesse du compositeur, qu’on les donne généralement pour date de naissance du lied romantique, ont fait l’objet de plusieurs rédactions successives. Le Roi des aulnes a connu 4 versions, apportant chacune des différences minimes d’apparence, mais fort importantes quant à l’expressivité musicale. Chanté pour la première fois en 1820, le Roi des aulnes fut la première oeuvre publiée de Schubert, en 1821. Les lieder sont d’ailleurs la partie de l’oeuvre de Schubert qui se répandit le plus tôt, sinon dans le grand public, du moins dans les cercles musicaux et littéraires. Ce sont eux qui lui assurèrent, de son vivant même, une notoriété certaine - encore que Goethe ne répondît à aucun de ses envois -, notoriété que ne connut le reste de l’oeuvre que plusieurs dizaines d’années après la mort du musicien. La première édition complète des lieder ne fut cependant établie que de 1884 à 1897, par Mandyczewski, et publiée par Breitkopf und Härtel ; elle a été rééditée par Dover, aux États-Unis, en 19 volumes, de 1965 à 1969. Contrairement à ce que l’on avance généralement, Schubert ne fut pas un illettré qui aurait choisi ses poèmes au hasard. Tout au contraire, il a participé à d’innombrables réunions littéraires avec ses amis ; et il montre dans ses choix de poètes une véritable intuition (bien plus grande que celle d’un Fauré, par exemple). C’est ainsi que plus de 60 de ses lieder, soit 1/10 de sa production, sont écrits sur des textes de Goethe, le plus grand poète allemand ; plus de 30 le sont sur des poèmes de Schiller. À la fin de sa vie, en 1828, il découvre, à peine publié, un jeune poète encore inconnu, Heinrich Heine, qui deviendra le poète de prédilection de Schumann. Schubert lui consacre 6 de ses derniers lieder, 6 chefs-d’oeuvre, du Chant du cygne. Quant aux poètes de moindre renom sur lesquels se fonde tout le reste de son oeuvre, ils ne sont pas pour autant de valeur négligeable ; leur univers est celui dans lequel se situe Schubert, dans lequel il se sent totalement impliqué. Le fait est essentiel, car écrire un lied n’est pas pour Schubert imaginer une jolie mélodie, soutenue au piano, par-dessus un texte ; c’est là le domaine de la romance, de la simple « mise en musique », et Victor Hugo avait bien raison d’interdire : « Défense de déposer de la musique le long de mes vers. » La musique, ici, que ce soit celle du piano ou celle du chant, deux éléments traités en étroite communion (comme dans la musique de chambre), cherche à approfondir la vision poétique du texte, à en prolonger les harmoniques, les vibrations, en symbiose intime avec le texte. L’opération est d’ordre musical : la charge poétique, affective du texte passe dans la musique, et le texte chanté ne fait que la traduire « en clair », comme c’était le cas dans le mélodrame. Non pas mise en musique, donc, mais transfiguration poético-musicale. Avec Schubert, le lied trouve d’un coup sa forme la plus achevée. Dresser la typologie du lied schubertien, c’est inventorier tout ce qui fait l’originalité de Schubert sur ses devanciers et souligner les grands traits du lied romantique allemand. Il faut donc envisager succinctement ces caractéristiques, d’ordre littéraire et d’ordre musical, et en commençant par le domaine poétique. D’abord parce que c’est du poème, mûrement choisi et provocateur du choc initial de la création musicale, que part le musicien, entrant en relation de tension avec le texte pour en fouiller, par les sons, toutes les virtualités ; mais aussi parce que, dans la pensée allemande, ce domaine littéraire pèse traditionnelle- ment d’un bien plus grand poids que ce qui ne ressortit qu’à la seule musique. Le trait caractéristique le plus frappant à la lecture des poèmes utilisés par Schubert est la présence, dans une forte proportion, de la nature. Celle-ci apparaît comme simple paysage de claire détente (Au printemps, Chant du matin). Mais le décor est très souvent beaucoup plus riche de signification intime : au paysage naturel correspond le paysage intérieur du poète, l’âme et l’univers se reflètent l’un dans l’autre, comme le microcosme et le macrocosme. La description de la nature nous concerne en ce que la suite du poème et du lied nous y situe, le destin de l’homme se trouvant intimement lié à celui du monde naturel. C’est là le domaine d’un Wilhelm Müller (le poète de la Belle Meunière et du Voyage d’hiver), mais aussi des auteurs qui s’apparentent au Sturm und Drang et cultivent le fantastique cosmique (Herder, Percy, Ossian). À cette peinture de la nature participent évidemment les éléments. L’eau, principalement, élément de prédilection de Schubert : ruisseaux et rivières, fleuves et mers (Berceuse du ruisseau, Ruisseau d’été, À une source, la Truite, le Fleuve, Bord de mer, Au bord du fleuve) ; mais aussi l’eau courante en ce qu’elle incarne une image de la destinée humaine, dans son voyage inexorable de la source vers l’embouchure, de la naissance à la mort (c’est, notamment, le thème du choeur pour voix d’hommes sur le Chant des esprits au-dessus des eaux, de Goethe). Eau du destin, élément dans lequel se reflètent les hommes : c’est la substance même de la Belle Meunière, où le thème de l’eau joue le rôle de leitmotiv. Avec l’eau, l’orage et la tempête, les vents déchaînés (Matinée orageuse, la Jeune Religieuse, le Roi des aulnes), la neige et le gel (Voyage d’hiver), la nuit et la lune (sérénades, nocturnes, À la lune). Le thème de la destinée humaine prend souvent chez Schubert et ses poètes l’image du voyageur (der Wanderer). L’insatisfaction de l’homme, son inquiétude downloadModeText.vue.download 583 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 577 le poussent à quitter sa maison, son pays, et à parcourir le monde ; il se met ainsi à l’unisson d’un univers qui n’est que mouvement, en marche comme la destinée et la vie ; mais la nostalgie (die Sehnsucht, thème corollaire, fondamental lui aussi) le ramène vers son pays, sa vraie patrie, qui sera en réalité la mort. C’est le thème du Tilleul, de Bienvenue et départ, comme des nombreux lieder de voyage : le Voyageur, Nocturne du voyageur, En voyage, etc., et surtout du cycle du Voyage d’hiver. Dans sa pérégrination, l’homme reste solitaire et ne rencontre pas l’amour, la bien-aimée est absente. Solitude schubertienne, dans la Belle Meunière et le Voyage d’hiver, dans Marguerite au rouet, la Plainte d’Agar dans le désert, Solitude, À l’absente, À la lointaine, le Sosie, la Ville, les divers Chants du harpiste et chants de Mignon, la Litanie pour le jour des morts. Solitude suprême, enfin, la mort, où aboutit toute destinée, mais généralement envisagée comme un apaisement. Le thème de la mort prend chez Schubert une importance croissante, en trois vagues successives. Dans les premières années, elle est composante d’un paysage funèbre (Couronne funèbre pour un enfant, Au postillon Kronos), pour s’intérioriser ensuite peu à peu, vers 1816-17 (À la mort, la Mort et la Jeune Fille, le Jeune Homme et la Mort). Enfin, dans les années 1823-1828, la mort est devenue intérieure et a rejoint la solitude, la maladie, le voyage, la nostalgie, dans une vision globale du monde intime, tragique et privée d’espoir (Voyage d’hiver, lieder sur des poèmes de Heine dans le Chant du cygne). Les motifs littéraires de tous ces poèmes sont empruntés à diverses sources : fonds légendaire de l’Allemagne et de l’Europe du Nord, motifs populaires et folkloriques (Petite Rose des bruyères), grands thèmes littéraires (Faust, le Divan occidental ou Wilhelm Meister, pour Goethe). Une petite touche chrétienne (Ave Maria, Pax vobiscum, Litanie) apporte rarement son éclairage à un monde essentiellement panthéiste, assez fortement teinté du paganisme véhiculé par les grands motifs de la mythologie grecque revisitée par Schiller et Goethe : Prométhée, Ganymède, les Dieux de la Grèce, le Groupe au Tartare, le Fils des muses, Chant d’un nautonnier aux Dioscures. De ces grands courants musicaux convergents, de ces divers types de poèmes, subtilement sélectionnés, dépendent les types formels que Schubert met au point. Car, on l’a compris, il ne s’agit jamais de musique populaire, recueillie dans le terroir ou véhiculée par la tradition, à laquelle le musicien aurait octroyé un soutien instrumental pour en faire de la romance de salon. Populaire, le lied de Schubert l’est dans son apparente simplicité, dans une expression lyrique d’abord facile et aisément mémorisable, bien « dans la voix », dans toutes les connotations avec la vie des hommes simples et les paysages naturels. Il y a ainsi chez Schubert la permanence d’une « fiction populaire », qui couronne en le masquant un travail formel extrêmement savant et élaboré. Il est frappant d’observer que Schubert trouve d’emblée, dès ses premiers lieder, sa personnalité, l’originalité du lied romantique qu’il porte aussitôt à son point de perfection, et comme la forme évolue relativement peu tout au long de sa production, en dépit d’une maîtrise croissante des éléments de son langage musical. Ce sont d’abord, formes primitives, des sortes de petites cantates traitées avec un accompagnement qui évoque la réduction au piano d’une partie orchestrale. Très tôt abandonnée, cette forme débouche dans la grande ballade mélodramatique à la Zumsteeg, mais menée à un exceptionnel accomplissement expressif et formel. La voix et l’instrument s’y trouvent intimement mêlés, comme en une oeuvre de musique de chambre. La symphonie pianistique fait vivre les éléments de l’espace naturel et les frémissements de la vie intérieure, emportant la voix dans un grand mouvement épique. Composées de bout en bout, sans retours, les ballades s’entrecoupent de récitatifs articulant les temps forts de l’épopée poétique, opposent les plans d’intensité, les tonalités, les assises rythmiques. C’est tout un opéra en quelques minutes, tel que le brossent les poètes du Sturm und Drang (le Plongeur, le Gant, le Nain, le Groupe au Tartare, Au postillon Kronos, le Roi des aulnes). À ces formes de type excentrique s’opposent les formes concentriques de la méditation musicale, de l’introspection : une vision sonore est saisie comme en « instantané », et les mouvements obsessionnels de redites et d’incantation, de la voix comme du piano, en explorent tous les harmoniques intérieurs. C’est le monde de Du bist die Ruh’ (« Tu es ma paix »), des lieder sur les poèmes de Heine ou des cycles. Un troisième registre est constitué des lieder de paysage pur, au caractère extraverti : évocations de la nature, échos, simplicité et lumière (Au printemps). Quelques groupes de lieder sont associés en « cycles ». C’est le cas de la dizaine de lieder de Mignon, d’après le Wilhelm Meister de Goethe ; mais il s’agit là d’un ensemble de lieder fondés sur une même oeuvre littéraire, sans que l’on puisse dégager une dramaturgie musicale unissant entre eux ces lieder. C’est aussi le cas du recueil du Chant du cygne, regroupant 14 lieder (7 de Rellstab, dont la populaire Sérénade, 6 de Heine et 1 de Seidl) ; mais, en fait, la composition de cet album et son titre larmoyant sont pure fantaisie de l’éditeur posthume, aucun lien n’ayant été voulu par Schubert entre ces diverses pièces. Restent 2 cycles, expressément composés comme tels : les 20 lieder de la Belle Meunière (1823), et les 24 du Voyage d’hiver (1827). Tous deux, sur des poèmes de Wilhelm Müller (de bien plus grande valeur qu’on ne le dit généralement), enchaînent des lieder en grande partie de type méditatif, selon une dramaturgie qui en fait de véritables récits, unis par l’emploi de leitmotive : les mouvements de doubles croches de la Belle Meunière, thème de l’eau quasi omniprésent et qui finit par recouvrir dans ses flots le petit meunier Schubert et son espoir déçu ; motif du pas du voyageur (noires ou croches insistantes) dans le Voyage d’hiver, avec ses interruptions de silences et ses cris désespérés, dans un monde gelé et raréfié. À ces grandes familles de lieder, il faudrait ajouter les ensembles vocaux et les choeurs pour voix d’hommes accompagnés de piano, qui ne procèdent pas directement du lied, mais s’y rattachent par leurs motifs poétiques. Les structures musicales utilisées par Schubert ne relèvent jamais, on l’a dit, de la mélodie accompagnée ; formes de musique de chambre, elles sont nombreuses et adaptées précisément à chaque type de poème, visant chaque fois à projeter l’espace visuel et poétique dans un espace sonore qui en délivre les images. On trouve ainsi divers systèmes strophiques : rarement purs, si ce n’est pour quelques lieder de caractère franchement populaire et souvent devenus chants populaires de l’Allemagne romantique (Petite Rose des bruyères), mais faisant appel à des variations (rythmiques, mélodiques) ou à des contrastes (majeur opposé au mineur, ou inversement). La variation est, en effet, l’un des ressorts de la structure schubertienne, variations instrumentale (Au printemps) ou rythmique (Ganymède). Sur le plan mélodique, la variation peut se faire par amplification du galbe de la ligne vocale, le lied procédant alors par « cris » successifs. Lorsqu’il n’est pas rigoureusement durchkomponiert, le lied, surtout de type excentrique, la ballade, s’organise en marqueterie de motifs pianistiques et vocaux, structurés en paliers d’intensité expressive. Enfin, sur le plan du langage musical, le lied schubertien présente de grandes constantes, qui seront celles de tout le lied romantique allemand. Et d’abord, une extraordinaire concentration sonore. Dans une extrême économie de moyens, aucune note ne se présente comme un quelconque remplissage, comme le moindre bavardage. Rien qui ne soit essentiel, ce qui confère à la partie pianistique comme au chant une relative facilité d’exécudownloadModeText.vue.download 584 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 578 tion. Brèves introductions au piano, qui en quelques mesures, en quelques notes cernent l’espace sonore et psychologique du lied ; modulations instantanées, par enharmonie ou par simple translation de tonalités, altérations très brèves qui modifient tout à coup un éclairage. Les mouvements obsessionnels font appel à une figure rythmique ou mélodique, à la répétition d’une seule note, et à un élément dont Schubert est le premier, bien avant les musiciens sériels, à avoir évalué toute l’importance expressive : le silence. La substance musicale se raréfie parfois jusqu’à l’absence de toute musique exprimée, laissant les sons se prolonger à l’intérieur des auditeurs. Au silence s’opposent les cris, exacerbation de la ligne mélodique qui finit par envahir tout l’espace sonore. Mais cette dilatation de la mélodie est ellemême utilisée avec beaucoup de parcimonie, en conclusion, pour faire éclater la vision dramatique du lied ; en règle générale, au contraire, la ligne de chant est très diatonique et contenue dans un ambitus relativement restreint. Toute la musique de Schubert chante - le piano, le quatuor à cordes, les instruments de l’orchestre comme la voix. Cette vocalité de Schubert explique comment des thèmes de lieder, son monde essentiel, font résurgence dans la musique de piano ou la musique de chambre (quintette la Truite, Wanderer Fantasie pour piano, quatuor la Jeune Fille et la Mort). Ce chant « naturel », où ne perce jamais la science de l’écriture, est sans aucun doute ce qui a pu accréditer la légende d’un Schubert populaire ; c’est, en tout cas, ce qui contribue à donner à ses lieder leur incontestable popularité. LES LIEDER DE SCHUMANN. Schubert a véritablement créé le lied romantique allemand, et lui a donné, d’un coup, ses plus hauts chefs-d’oeuvre. Tous les musiciens qui vont le suivre vont se définir par rapport à lui, à commencer par Robert Schumann (1810-1856), qui, en quelque sorte, le complète et achève d’explorer toutes les potentialités du lied. Et pourtant, on ne peut imaginer plus dissemblables que Schubert et Schumann. Autant le premier, autrichien, se masque de fiction populaire, autant le second, allemand, laisse à découvert sa complexité, son trouble univers. Schubert est homme de l’instinct - un instinct très sûr -, Schumann, lui, est issu d’une culture littéraire. Il avait songé aux lettres, s’y est essayé : son lied va perdre de l’immédiateté de celui de Schubert pour se charger de signes, de symboles et d’allusions. À quoi il faut ajouter, deuxième constante de son art du lied, une personnalité complexe, problématique, hantée de peurs et de vertiges, de nostalgie, et d’un drame d’emmuré vivant qui le conduira à l’asile. D’où un choix très différent de poètes et l’élaboration d’une langue musicale nouvelle. Les poètes, ce sont d’abord Heine, que Schubert lui désigne post mortem dans le Chant du cygne ; et puis Eichendorff, et Lenau, dans ce que leur oeuvre compte de plus désespéré ; et Chamisso, qui n’échappe pas à une certaine sensiblerie, avant de retrouver quelques textes de Goethe, de Rückert, de Mörike, ou de découvrir une nouvelle génération, avec Byron, Burns ou Moore. C’est le monde des crépuscules et des lumières « entre chien et loup », où la raison bascule dans la folie, celui des noces tragiques, des amours comblées et malheureuses, des carnavals de l’âme, des rêves et des paysages méphitiques. Musicalement, la langue schumannienne porte témoignage de ces complexes et de ces contradictions. D’abord, dans une part différente dévolue au piano : à lui les introductions qui plongent au coeur d’un univers tourmenté, et les longues conclusions où tente de se résoudre et de se libérer le drame chanté que la voix seule n’est pas parvenue à exorciser - là où il fallait à Schubert un cri à peine répété et quelques accords. La ligne de chant, elle aussi, rompt avec la simplicité schubertienne : plus distendue, plus apparemment raffinée, elle souligne, avec le piano, les moindres intentions du texte en des altérations plus ou moins marquées. Schubert campait son lied dans une progression musicale et épique ; Schumann, au contraire, en lyrique, analyse et explore toutes les facettes de ses poèmes dans une opération beaucoup plus statique, presque contemplative. Et pour cerner le climat émotif des poèmes il en appelle au chromatisme, aux accords altérés (septième diminuée, neuvième), aux incertitudes rythmiques, aux mouvements syncopés. La production de lieder de Schumann compte quelque 250 morceaux, pour la plupart regroupés en recueils et même en cycles. Mais alors que les lieder accompagnent toute la vie créatrice de Schubert, ils n’apparaissent chez Schumann qu’en deux formidables vagues : 130 environ pour la seule année 1840, plus de 100 pour les années 1849 à 1852. En 1840, Schumann a trente ans. Dans les dix années qui précèdent, il n’a écrit que pour le piano : la quasi-totalité de ses chefs-d’oeuvre. Obtenant enfin l’autorisation d’épouser Clara, en cette même année 1840, il va consacrer toute l’année exclusivement aux lieder ; et, à part quelques pièces, il n’y reviendra qu’en 1849, après une longue série de crises. Pris alors par une frénésie de création, il s’adonne à tous les genres, dans les quatre années qui suivent, avant la chute de 1853. À côté de la production des lieder pour voix et piano, il faut mentionner un nombre important de duos, trios et quatuors vocaux avec piano, 3 morceaux pour voix parlée avec piano, et de nombreux choeurs pour voix de femmes, voix d’hommes ou voix mixtes, pour la plupart sans accompagnement. À de rares exceptions près, toutes ces pièces ont vu le jour dans les deux grandes vagues de création des lieder - elles datent principalement de 1849. Et elles font appel aux mêmes poètes que les lieder pour voix et piano. Il est troublant de voir Schumann, au moment même d’épouser la pianiste Clara Wieck, qu’il attend depuis dix ans et pour qui il a écrit nombre de ses grandes pages pour le piano, abandonner ce piano et chercher dans le lied, et exclusivement, l’expression lyrique, explicite, d’amours malheureuses. Dans la production de cette année, 5 groupes de lieder sont baptisés « cycles » - Liederkreise : les opus 24 et 25 (Myrthes), 39, 42 (l’Amour et la vie d’une femme) et 48 (les Amours du poète), représentant en tout 71 lieder. Mais 2 seulement, les opus 42 et 48, constituent des ensembles cohérents, construits en tant que tels et animés d’une dramaturgie musicale interne (leitmotive, relations tonales entre les lieder, etc.). Le Liederkreis op. 24 est le premier bouquet de fleurs vénéneuses que Schumann cueille chez Heine - 31 lieder d’après Heine en 1840, presque plus ensuite. Le Liederkreis op. 25, Myrthes, rassemble 26 lieder de poètes divers en une couronne de fiançailles offerte à Clara, plus suaves, moins fervents que les autres. C’est Eichendorff qui donne les poèmes de l’opus 39, 12 chefs-d’oeuvre qui chantent la fiancée morte, la détresse du poète, les menaces de la nuit, dans un décor de châteaux en ruines et de forêts enchantées. Lui aussi offert à Clara, le cycle l’Amour et la vie d’une femme doit son texte sentimental et quelque peu larmoyant à Chamisso. Malgré le caractère petit-bourgeois de la Restauration (Biedermeier, en Allemagne), qui peut paraître d’une ingénuité un peu puérile, mais qui convient si exactement à toute une part de la sensibilité schumannienne, ce cycle de 8 tableaux évoque la vie sentimentale d’une jeune femme, depuis les premiers aveux jusqu’à la mort du bien-aimé, en passant par les noces et la naissance de l’enfant. Huit portraits réunis en une seule suite, d’aspect étrangement prémonitoire. Les Amours du poète, enfin, sur des poèmes de Heine, sont une sorte de tragédie en réduction la tragédie du poète, dont la bien-aimée en épouse un autre, et qui en meurt : 16 miniatures organisées en contrastes, avec temps forts et moments de détente. 1840, toujours, pour le minicycle du Pauvre Pierre (de Heine, encore), ou quelques ballades, sortes d’ébauches d’opéras - l’opéra qui est la nostalgie de tout le romantisme allemand, et que seul Wagner, après Weber, réussira. Et puis downloadModeText.vue.download 585 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 579 plusieurs cahiers d’après des poèmes de moindre envergure de Rückert, de Reinick ou de Kerner. Dans les années de maturité, Schumann emprunte à un grand nombre de poètes, de Goethe et Schiller à des anonymes. À nouveau, des rêves, des scènes fantastiques, des chants de soldats ou des scènes médiévales : tout un monde très différencié, qui ne cesse de pétrir et de ressasser ces motifs de l’inquiétude qui ne tarderont pas à mener Schumann à la folie, mais qui constitue un corpus passionnant encore beaucoup trop ignoré des interprètes. AUTOUR DES MAÎTRES DU LIED. Le foisonnement de musique vocale avec piano - tout ce que l’on regroupe sous le terme générique de lied - ne s’est pas arrêté du jour où Schubert, puis Schumann ont porté le lied à sa perfection. Tout au contraire, ce foisonnement se poursuit, et il n’est guère de musicien allemand qui, au XIXe siècle, ne compose des lieder - musiciens mineurs -, ni créateur de génie chez qui le lied n’atteindra pas les sommets des maîtres du genre. On a indiqué que, avant Schubert, ni Mozart, ni Beethoven, ni d’ailleurs Haydn n’ont innové réellement en ce domaine. Certains de leurs lieder, cependant, pressentent ce que sera le lied romantique. Chez Mozart, Abendempfindung (« Sentiment du soir »), Unglückliche Liebe (« Amours malheureuses ») ou Das Lied der Trennung (« le Chant de la séparation ») possèdent déjà un ton, un registre de sensibilité et un rapport entre chant et piano, qui seront ceux de Schubert. Dans ses délicates canzonettes anglaises, ou dans le lied de Wilhelm Meister, Haydn s’approche lui aussi du lied schubertien. Quant à Beethoven, il se situe en marge de cette évolution et ignore tout de Schubert ; ses quelque 70 lieder sont proches des mouvements lents de ses Sonates pour piano, et traités plus instrumentalement que vocalement. Mais ses Six Lieder sur des poèmes de Gellert op. 48 (1802), Adélaïde (1794-95), ses différents lieder sur des poèmes de Goethe - et notamment Nur wer die Sehnsucht kennt (« Seul, qui connaît la nostalgie », de Wilhelm Meister), son cycle À la bien-aimée lointaine (1815-16) possèdent une unité dramatique, une ambiance sonore, une subtilité dans le traitement du piano qui préfigurent par moments, plus que Schubert, Schumann et Wolf. Chez les contemporains de Schubert, peu de musiciens se détachent réellement. Ce ne sont ni Ludwig Spohr (1784-1859), ni même Carl Maria von Weber (17861826), qui, malgré quelques réussites (Prière à la bien-aimée, Poèmes de lyre et d’épée), reste le plus souvent enfermé dans la cantate ou surtout l’ariette populaire de Singspiel. Anselm Hüttenbrenner (1794-1868) est plus attachant, mais reste un peu dans l’ombre de son grand ami Schubert. C’est de Carl Loewe (1796-1869) qu’il faut le plus attendre. Non que tout soit chez lui du meilleur goût ni de la plus subtile facture : Loewe rassemble tous les grands thèmes littéraires, historiques et poétiques de son temps, il connaît bien la musique de ses contemporains, et se montre fort habile à composer des sortes de pots-pourris propres à séduire le public moyen. Mais il a aussi des intuitions et un souffle épique, qui vont le faire exceller dans le genre de la grande ballade. L’allure d’opéra que celle-ci prend chez lui n’est pas empruntée à autrui, mais au contraire préfigure les drames musicaux à venir : son Roi des aulnes annonce les tempêtes du Vaisseau fantôme de Wagner. Et des ballades comme Sire Oluf, la Fille de l’hôtelière, Edward, le Woyvode, Thomas le rimeur sont parmi ce qu’il a laissé de meilleur. L’épopée s’y fait volontiers descriptive, mais sa carrure, son galbe ont pu séduire Robert Schumann. Si Conradin Kreutzer (1780-1849) se montre attachant en de nombreux lieder, pour la plupart composés sur des poèmes de Uhland, un Giacomo Meyerbeer (17911864) ou un Otto Nicolaï (1810-1849) n’apportent guère d’éléments décisifs à l’art du lied. Quant à Felix Mendelssohn (1809-1847), le lied (malgré les grands poèmes de Goethe ou de Heine auxquels il a recours) est la part la plus mièvre de son oeuvre et apparaît comme du Schumann affadi ; en revanche, son génie mélodique trouve une merveilleuse expression dans ses Lieder ohne Worte, Mélodies sans paroles, pièces écrites pour piano seul, où le pouvoir évocateur de sa musique peut s’épanouir pleinement, libéré des sollicitations charmeuses des poèmes. À la génération de Schumann appartiennent encore un Franz, un Hiller, un Cornelius. Robert Franz (1815-1892), protégé par Schumann, manque singulièrement de force musicale. Ses 350 lieder (sur des poèmes de Heine, Eichendorff, Lenau, Mörike) sont plus des complaintes, où s’exhalent tendresse, douceur et tristesse, sur un ton de confidence qui ne manque pas de charme. Mais Franz semble avoir délibérément laissé de côté l’apport des grands maîtres du lied pour offrir des pages plus largement destinées au grand public, à caractère populaire ; c’est ainsi qu’il ne manifeste aucun intérêt particulier pour la valeur intrinsèque des mots de ses poèmes, et enferme les vers dans des phrases de coupe très simple. Ferdinand Hiller (1811-1885) n’apporte guère plus, mais manifeste plus de tempérament que Franz. Quant à Peter Cornelius (18241874), quoique très attiré par Wagner, il demeure toujours extrêmement personnel, dans une écriture savante et rigide qui masque mal une très vive sensibilité de solitaire. Si son piano connaît des partitions amples, vastes, qui risquent de submerger le chant, ce dernier, en revanche, se trouve aéré par une prosodie très originale. Ses 77 lieder culminent en 3 cycles, Souffrance et consolation, Chants à la fiancée et Chants de Noël, sur des poèmes du musicien luimême, et annoncent parfois Hugo Wolf. Franz Liszt (1811-1886), créateur abondant et protéiforme, aborde tous les genres, y compris, naturellement le lied. Européen, il fait appel à des poètes de diverses nationalités, qu’il sert dans leur langue originale (allemand, italien, français, anglais) : quelque 80 morceaux, dont certains ont reçu une nouvelle version plus tardive ou une orchestration. Contrairement à ce que l’on pourrait attendre, les parties de piano ne sacrifient pas à la virtuosité ; mais en se bornant à illustrer les poèmes elles brodent des variations à effets, des harmonies suggestives quelque peu en marge du sens profond des textes. Le chant, lui, déclame les poèmes, avec une emphase calquée sur le débit du texte, mais sans pour autant glorifier la poésie, ni en fouiller les résonances intimes. Chez Richard Wagner (1813-1883), les lieder appartiennent au début de la vie créatrice - il faut citer notamment les Sept Compositions sur le Faust de Goethe (1832). Il trouve sa voie dans le drame musical, auprès duquel le lied n’a plus de raison d’être. Mais, dans sa maturité, il écrit les Cinq Wesendonck Lieder, 5 lieder sur des poèmes de Mathilde Wesendonck, esquisses pour Tristan et Isolde : dans le format du lied, il enserre les grandes phrases lyriques de son opéra en gestation, et son piano semble, à lui seul, résumer l’orchestre qu’il pressent. Les Wesendonck Lieder seront d’ailleurs orchestrés ultérieurement, par Felix Mottl. Enfin, on ne peut que citer des compositeurs minimes, eux aussi tentés par le lied : Friedrich Nietzsche (1844-1900), le philosophe qui se piquait de composition musicale, Theodor Kirchner, Julius Schäffer, Louis Ehlert, Emanuel Klitzsch, Joachim Raff, Alexander Ritter. AVEC BRAHMS, UNE NOUVELLE GÉNÉRATION DU LIED ROMANTIQUE. Le lied accompagne toute la vie de Johannes Brahms (1833-1897) : 200 lieder, de ses vingt ans à l’avant-dernière année de sa vie. À quoi il faut ajouter 25 duos, une trentaine de quatuors vocaux, près de 100 chants populaires pour voix et piano et 26 pour choeur à 4 voix, soit une oeuvre vocale importante, où le lied se taille la part du lion. Mais, avec lui, c’est une nouvelle génération du lied romantique qui commence. Chez Schubert et Schumann s’est cristallisé un genre musical dont ils ont créé les archétypes. C’est à présent dans des formes établies que se coule l’inspiration des compositeurs. Ce qui va les individua- downloadModeText.vue.download 586 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 580 liser, c’est d’abord le choix des poèmes auquel leur tempérament les mène. Or, il est curieux de voir Brahms s’adresser à un grand nombre d’auteurs différents, pour la plupart mineurs, voire inconnus. Deux noms surnagent, ses deux poètes de prédilection : Groth et Daumer, au talent bien éloigné des Goethe et des Heine de Schubert et de Schumann. Le choix des thèmes poétiques est très révélateur : à peu près pas de paysages, sinon de grisaille ; des textes volontiers abstraits et sentencieux, assez flous, sans grande force - textes très intériorisés, générateurs d’une ambiance vague, grise elle aussi, celle d’un solitaire qui semble vouloir délibérément se mettre à l’écart de son lied, alors que Schubert et Schumann s’y impliquaient totalement. La structure musicale de ses lieder, Brahms l’emprunte généralement à Schubert, allant des formes strophiques variées à la composition « de bout en bout », en passant par la forme « concentrique », développement libre balisé de formules qui construisent l’oeuvre en lui donnant un semblant d’unité. Mais, par rapport à Schubert, il lui manque la clarté, la netteté de plan, qui donnaient si précisément l’intelligibilité de l’ensemble. Mais la structure n’en est pas seule cause : le langage même du musicien s’y applique. La richesse, la somptuosité, même, de ses thèmes, l’épaisseur de ses parties de piano, le mouvement généralement très modéré engendrent un climat diffus, une lumière voilée. Brahms ne se confie pas, il invite son auditeur à le suivre dans un cheminement vers l’intérieur de lui-même, de sa solitude, tandis que sa pudeur ne cesse de dresser des barrages à cette introspection. C’est tout un domaine de la sensibilité allemande qu’il faut découvrir ici, non sans patience, dans la mesure où ces lieder demeurent très peu fréquentés des chanteurs - sans doute en raison de cette espèce d’impuissance à éclater dans l’espace sonore. Mais, à ce prix, on rencontrera de purs chefsd’oeuvre : C’était beau, Solitude de la cam- pagne, D’amour éternel, Nous nous promenions, Toujours plus doucement. Ces lieder sont presque tous regroupés en recueils. Mais deux d’entre eux composent des cycles, ou plus exactement des albums de lieder réunis par une unité de ton et d’esprit : les Romances de Maguelonne et les Quatre Chants sérieux (il faudrait traduire plus précisément Quatre Chants graves). La composition des quinze Romances de Maguelonne s’étend de 1861 à 1868. Le poète Tieck en a pris l’argument dans un roman de chevalerie français du XIIe siècle. Les amours contrariées du chevalier Pierre et de la belle Maguelonne sont saisies, en 15 temps, dans des romances, comme les chansons, les « lyriques » d’une légende dramatique. Quant aux Quatre Chants sérieux, sur des textes bibliques, ils datent de 1896. Ce sont 4 méditations religieuses centrées sur le problème de la mort, dans un ton d’oratorio qui évoque quelque prolongement au Requiem allemand. LE LIED, PART ESSENTIELLE DE L’OEUVRE DE HUGO WOLF (1860-1903). Ses 340 lieder ont été composés sur une vingtaine d’années seulement. Les 245 qui ont été publiés de son vivant se regroupent en cahiers, dont les 5 plus importants présentent une très grande unité, due à la fois à l’unité poétique et au très court laps de temps de la composition : Lieder sur des poèmes de Mörike (53 lieder, 1888), Lieder sur des poèmes d’Eichendorff (20 lieder, pour la plupart de 1888), Lieder sur des poèmes de Goethe (51 lieder, 1888-89), Livre de lieder espagnol (44 lieder sur des poèmes de Heyse et de Geibel, 1889-90) et Livre de lieder italien (46 lieder sur des poèmes de Heyse, en 2 tomes, respectivement de 1890-91 et de 1896). Ces lieder ont été composés par courtes vagues successives, très brusques, coup sur coup, à raison de plusieurs parfois la même journée. Dans ses lieder comme dans sa vie, Wolf procède à la fois de Schubert et de Schumann. Du premier, il a la rapidité de la création, la solitude ; du second, l’exaltation, les angoisses et la folie ; et des deux, le plus sûr instinct poétique. Car c’est, avant tout, les poètes que cet homme très cultivé et connaisseur veut mettre en valeur, glorifier, et derrière lesquels il cherche à s’effacer. C’est pourquoi on ne peut avec lui cerner un univers poétique dans lequel se définirait la personnalité du musicien, à la lumière des textes choisis par lui : ce qui l’intéresse en Goethe, par exemple, ce n’est pas le lieu de quelque projection de son moi profond, c’est le moi de Goethe lui-même. Ainsi de chacun de ses poètes - et quels poètes ! À côté des grands recueils, de Goethe, Mörike et Eichendorff, ce ne sont pas moins que Shakespeare, Ibsen, Byron, Heine, Lenau ou Michel-Ange. À l’opposé de Brahms qui se masque derrière ses poètes et se réfugie dans la musique du piano, Wolf met en lumière les poèmes qu’il révèle par la musique, dans une fusion absolue du verbe et du son. Avant d’entreprendre la composition d’un lied, Wolf commençait par en déclamer le texte à plusieurs reprises. D’où l’extrême raffinement dans les intonations du chant, le rythme de la déclamation lyrique, le débit de la voix, cette miraculeuse alchimie sonore qui sertit le poème en chacune de ses syllabes. Sous le chant, le piano n’a pas d’harmonies, d’altérations, de modulations, de fantaisie rythmique assez riches pour façonner le somptueux écrin révélant le poème : un langage wagnérien ramassé dans l’espace concentré du piano entendu dans un salon. Il procède par multiplication de petites facettes - un accent, une altération, une secousse rythmique -, dont la juxtaposition en kaléidoscope cherche à épuiser toutes les virtualités de chaque poème. De la même façon qu’au travers de tous ces poèmes, il semble vouloir épuiser une vision totale de l’univers, des évocations de la nature aux chansons de soldats, de l’amour à la mort, de la tendresse à l’humour et de la piété à la dérision. D’où l’immense diversité de ce monde musical, qu’il faudrait analyser pièce après pièce et, en tout cas, tirer de la méconnaissance quasi totale où le tiennent les mélomanes. Le monde poético-musical de Wolf n’est pas d’un accès très aisé ; et l’étroite sujétion des pouvoirs musicaux à la glorification d’un texte impose une totale compréhension de celui-ci, dans sa langue originale. Mais l’oeuvre de Wolf contient par gerbes entières des chefs-d’oeuvre de musique qu’on ne peut se priver d’ignorer. LES LIEDER DE MAHLER. Gustav Mahler (1860-1911) est l’exact contemporain de Hugo Wolf, et appartient à la même génération que Richard Strauss. Parmi ses premières oeuvres, on compte 14 lieder pour voix et piano, composés de 1880 à 1892, et publiés sous le titre de Lieder und Gesänge aus der Jugendzeit (Lieder et chants de jeunesse), en 3 volumes, en 1885 et 1892. Mais, déjà, Mahler songe à la fusion de la voix et de l’orchestre, en composant la cantate en 3 parties Das klagende Lied, le Chant de la plainte (Légende de la forêt, le Ménestrel, Chant nuptial, 1880, révisée en 1892-93 et 1898-99). Alto, ténor et choeurs y chantent des poèmes du compositeur lui-même, inspirés par le vieux fonds légendaire. Dès ses débuts, donc, Mahler subit la double tentation du lied et de la symphonie. Or, c’est à ce moment que se joue une articulation décisive dans l’histoire du lied. Car Mahler vient de rencontrer le recueil poétique qui va orienter toute son oeuvre. Des Lieder und Gesänge aus der Jugendzeit, en effet, 9 des 14 lieder (ceux des volumes II et III) sont écrits sur des poèmes extraits du recueil Des Knaben Wunderhorn. Par la puissance d’évocation personnelle que ces textes éveillent chez lui se révèle un monde sonore que va pouvoir envahir la symphonie. Le piano des lieder de Wolf se substituait, avec ses moyens propres, à un orchestre sous-entendu. Wagner, dans les Wesendonck Lieder, « pensait orchestre » au piano. Et quand Mahler poursuit l’exploration du recueil du Wunderhorn, c’est déjà à l’orchestre qu’il songe. Dans les années suivantes (1891-1899), il tire du recueil merveilleux une nouvelle gerbe de lieder - 15 en tout. Mais, cette fois, c’est à l’orchestre symphonique qu’est destiné leur accompagnement. Dix downloadModeText.vue.download 587 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 581 de ces lieder seront publiés en 1905 sous forme d’un cycle, les Wunderhorn Lieder proprement dits ; 5 autres composent les 2 premiers numéros du recueil Sieben Lieder aus letzter Zeit (Sept Lieder de la dernière période), les 5 autres de ce recueil étant de Rückert ; un est le premier des Lieder eines fahrenden Gesellen (Chants d’un compagnon errant, de déc. 1883 à janv. 1885), les 3 autres poèmes étant de Mahler ; les 2 derniers, enfin, sont parties constituantes de symphonies : Es sungen drei Engel einen süssen Gesang (Trois anges chantaient une douce chanson) figure dans le 5e mouvement de la 3e Symphonie (Ce que me racontent les anges), et Urlicht (Lumière originelle) dans le quatrième mouvement de la 2e Symphonie. Mais ce n’est pas tout, car 2 autres poèmes du Wunderhorn se retrouvent dans les symphonies, sans avoir toutefois connu de rédaction séparée. Ce sont Ablösung im Sommer (Relève de l’été), 3e mouvement de la 3e Symphonie (Ce que me racontent les bêtes de la forêt), et Das himmlische Leben (la Vie céleste), finale de la 4e Symphonie. Pour être complet, il faut ajouter que la 2e et la 3e Symphonie font appel, pour leur partie chantée, à d’autres poèmes : l’ode Résurrection de Klopstock, révisée par Mahler, dans le finale de la 2e Symphonie, et un poème de Nietzsche, O Mensch, gib acht ! (Ô homme, prends garde !), extrait de Ainsi parlait Zarathoustra, dans le quatrième mouvement de la 3e (Ce que me raconte l’homme). Selon Bruno Walter, Mahler trouva dans Des Knaben Wunderhorn « tout ce qui remuait son âme ». « Nature, piété, nostalgie, amour, séparation, mort, fantômes, lansquenets, gaieté de la jeunesse, plaisanterie enfantine, humour étrange tout cela vivait en lui comme dans les poèmes, et c’est ainsi que ses lieder surgissaient, torrentueux. » Encore faudrait-il ajouter que Mahler a, non seulement, sélectionné dans le vaste recueil les quelques poèmes (26 sur quelque 700) avec lesquels il entrait le mieux en résonance, mais qu’il les a de surcroît adaptés quand il le fallait, modifiant ici un titre, là coupant des strophes. Mais c’est bien tout son monde intime qui s’incarne en ces poèmes, en ces lieder, à tel point que la fusion se fait inévitablement entre cet univers poétique et le domaine de la symphonie qui est le sien : c’est non seulement l’accompagnement qui devient symphonique, mais les lieder qui entrent dans la symphonie (nos 2, 3 et 4) ; plus encore, les mouvements purement orchestraux des symphonies, des premières, en tout cas, vont bruire de fanfares militaires et de sonneries de casernes, de marches de condamnés, de rires stridents et dérisoires, comme de chants d’oiseaux et de cris d’enfants. L’univers du lied semble s’être définitivement accompli chez Hugo Wolf, pour devenir générateur de symphonie avec Mahler, au point que certains motifs orchestraux peuvent être entendus comme des lieder sans paroles. 1900 voit la fin de la longue période marquée par Des Knaben Wunderhorn : 4e Symphonie et Sieben Lieder aus letzter Zeit. C’est une seconde manière du lied mahlérien qui s’ouvre alors : tandis que les 3 nouvelles symphonies se font exclusivement instrumentales, 2 groupes de 5 lieder avec orchestre voient le jour, tous deux sur des poèmes de Rückert : les lieder 3 à 7 des Sieben Lieder aus letzter Zeit et les 5 Kindertotenlieder (Chants pour des enfants morts, 1901-1904). Le langage de Mahler se fait, ici, plus intérieur, plus dépouillé ; il manifeste une sorte de retrait par rapport au tumulte du monde, abandonnant les caractéristiques nettement populaires du langage de l’époque Wunderhorn, comme les danses paysannes ou les marches militaires. Quant à l’orchestre de ces lieder, il est relativement réduit par rapport à l’imposant effectif instrumental des symphonies contemporaines. Avec la 8e Symphonie (1906), Mahler revient à l’alliance de l’orchestre avec la voix - ici, 8 solistes, 1 double choeur mixte et un choeur d’enfants. Le Veni Creator et la scène finale du second Faust de Goethe y sont traités sur le mode oratorial. C’est la symphonie suivante qui va revenir au lied, celle que Mahler n’appelle pas « neuvième », mais Das Lied von der Erde (le Chant de la terre, 1908-1909), symphonie pour ténor et alto solos et orchestre - on notera, cette fois, l’absence de choeur. Les textes sont des traductions de poèmes chinois anciens, qui amènent avec eux leur dépaysement, leur résignation et leur sagesse. Les 5 premiers sont autant de cris désespérés, tandis que le 6e et dernier, de loin le plus développé, Abschied (Adieu), est, sur le thème poétique de l’adieu à l’ami, un adieu au monde, sans le moindre espoir, mais dans un climat de totale résignation. La voix y est traitée comme un instrument de l’orchestre, mais un orchestre dont le langage se fait ici étonnamment prophétique des futures conquêtes de Schönberg. RICHARD STRAUSS ET LES DERNIERS LIEDER. Avec Mahler, le lied s’élargit au domaine de la symphonie dans laquelle il se dissout. Richard Strauss (1864-1949), au contraire, va maintenir autant que possible la tradition du lied romantique avec piano, comme il le fera aussi de l’opéra, durant toute la première moitié du XXe siècle. Ses oeuvres publiées comptent quelque 140 lieder avec piano (certains ont été orchestrés par le compositeur), et une quinzaine de lieder écrits directement avec accompagnement orchestral. La plupart d’entre eux datent de l’époque symphonique du compositeur, jusqu’à Salomé (1905) ; quelques groupes de lieder suivent, dans les années 1913 à 1921, puis un dernier petit recueil en 1929, avant le chef-d’oeuvre de la vieillesse, les Quatre Derniers Lieder de 1948. Admirable virtuose de l’écriture, doué d’une imagination que rien n’entrave, ouvrant sa palette sonore à tous les domaines de la poésie, il compose sous forme de lieder des fresques généreuses, rutilantes, d’un vif chatoiement harmonique et instrumental. Sa mémoire musicale le fait se souvenir de Schubert et de Schumann, surtout quand il lui arrive d’opter pour une forme courte. Mais la concision n’est pas son domaine, et il affectionne la véhémence et la sensualité - mais son goût et son savoir-faire l’empêchent de verser dans l’emphase. Avec les Quatre Derniers Lieder, le climat sonore n’a rien perdu de sa somptuosité capiteuse ; mais ce serein adieu au monde prend, en 1948, l’allure d’un testament qui scelle la mort du lied romantique. Hans Pfitzner (1869-1949) se montre un peu plus tourné vers l’avenir que son rival Richard Strauss ; plus de 100 lieder jalonnent son oeuvre, parmi lesquels il faut au moins mentionner les Cinq Lieder sur des poèmes d’Eichendorff (1888-89). Compositeur prolifique, Max Reger (1873-1916) n’a pas laissé moins de 270 lieder, mais qui ne représentent pas le plus passionnant de son oeuvre. Ces lieder oscillent du pastiche folklorique à l’archaïsme, et la réelle sensibilité du musicien tend trop souvent à disparaître dans un jeu de formules. Le lied ne représente pas l’essentiel de l’oeuvre d’Arnold Schönberg (18741951) ; en une cinquantaine de pièces, il fait briller de ses derniers feux la tradition de Schumann et de Wolf, dans un esprit violemment expressionniste. Mais une part doit être faite à la grande sympho- nie vocale et orchestrale des Gurre Lieder. Orchestre énorme, partition énorme pour ces chants d’amour et de mort empruntés à la saga scandinave. Le langage musical doit beaucoup au Wagner de Tristan et à l’influence du Mahler des premières symphonies, dans son harmonie foisonnante, son lyrisme débridé, torrent musical d’une très puissante force poétique. Écrite en 1900-1901, l’oeuvre ne fut achevée qu’en 1910-11, avec le mélodrame final qui oppose à l’orchestre une voix parlée en une sorte de Sprechgesang qui anticipe sur Pierrot lunaire. Mais, malgré son soustitre (Trois Fois sept lieder), peut-on encore parler de lied à propos de Pierrot lunaire ? Sans doute pas : le chant a disparu, et avec lui tout ce qui reliait le lied le plus savant à ses sources les plus anciennes. Anton Webern (1883-1945) et Alban Berg (1885-1935) écrivent eux aussi des lieder ; mais après les premiers recueils, appartenant encore à l’héritage post-romantique, le langage radicalement atonal et plus encore la technique sérielle downloadModeText.vue.download 588 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 582 coupent le lied de ses racines populaires pour en faire des pages extrêmement raffinées, où les rapports traditionnels du chant avec le texte poétique se trouvent complètement réévalués. D’autres compositeurs, plus jeunes, tentent cependant de ne pas rompre le fil qui les unit à cette tradition. Ce sont le Suisse Othmar Schoeck (1886-1957), avec 170 lieder, Paul Hindemith (1895-1963), particulièrement dans le cycle Das Marienleben (la Vie de Marie, d’après Rilke, 1922-23, 2e version en 1936-1948), Ernst Křenek (1900-1991), Wolfgang Fortner (1907-1987) ou, plus près de nous, Aribert Reimann (1936). LE LIED HORS D’ALLEMAGNE. Le lied, on l’a vu, est une forme d’expression propre au monde germanique, dont le genre est si particulier, malgré ses diverses formes, qu’on ne peut en traduire même le nom : chanson, mélodie ? Mais cet univers est si puissant, si cohérent, si typé, qu’il a tenté d’autres musiciens, non allemands, dont les mélodies s’apparentent au lied dans leurs caractéristiques poétiques et musicales comme par les noces qu’ils célèbrent entre un univers poétique, une déclamation chantée et une symphonie pianistique. Si l’on continue à parler de mélodies à propos des oeuvres pour chant et piano du Français Henri Duparc, du Norvégien Edvard Grieg ou du Russe Modeste Moussorgski, il n’en est pas moins vrai que leur cousinage est évident avec un art dont la plus certaine caractéristique reste d’être romantique et allemand. LIETO FINE (« fin heureuse »). Expression utilisée jusqu’au début du XIXe siècle pour désigner le dénouement heureux d’une intrigue dramatique (cf. l’expression anglaise « happy end »), ce dénouement pouvant être dû à l’intervention d’un « Deus ex machina » (l’Amour dans Orfeo ed Euridice de Gluck), à la générosité soudaine d’un souverain (la Clemenza di Tito de Mozart), au repentir d’un tyran (Lucio Silla de Mozart), à la fin d’un état de démence, etc. Reflets du siècle des Lumières, les livrets de Métastase se terminent à peu près tous de la sorte, donnant au lieto fine une dimension morale. En 1835 encore, Bellini se vit imposer un lieto fine pour les Puritains. Se terminant sur la mort du héros, la version viennoise de Don Giovanni (1788) omet le « lieto fine » de la version originale de Prague (1787). C’est néanmoins la version de Prague que, à de très rares exceptions près, on entend de nos jours. LIGATURE. 1. Procédé graphique consistant à grouper des notes de valeur inférieure à la noire, en remplaçant chaque crochet par une barre horizontale commune à toutes les notes du groupe. La ligature était, autrefois, exclue de la musique vocale en syllabes isolées ; cette distinction tend aujourd’hui à disparaître, l’emploi d’une courbe de liaison suffisant à distinguer des autres notes les groupes de notes affectées à une même syllabe. 2. En notation médiévale proportionnelle, dont des vestiges ont subsisté jusque vers 1620, groupement de notes accolées les unes aux autres d’une manière dont se déduisait leur valeur rythmique selon des règles compliquées et, du reste, changeantes d’une époque à l’autre ; y intervenaient non seulement la forme des notes, mais encore la direction des queues ou du mouvement mélodique, la position des notes au début, au milieu ou à la fin, parfois même la valeur des notes environnantes. Les ligatures dérivaient des neumes* de la notation carrée grégorienne (parfois eux aussi désignés sous le nom de « ligatures ») auxquels elles donnaient une signification rythmique, qui ne leur appartenait pas ; elles ont ensuite évolué de manière autonome, distincte de celle des notes isolées. Elles étaient réservées soit à la musique instrumentale, soit aux groupes neumatiques ou vocalisés du chant, et n’ont pas laissé de traces dans la notation de l’époque classique. LIGETI (György), compositeur autrichien d’origine hongroise (Dicsöszentmarton, auj. Tirnaveni, Transylvanie, 1923). Bien que de peu l’aîné de Boulez et de Stockhausen, György Ligeti ne s’affirma au premier rang des compositeurs actuels qu’une décennie environ après eux, vers 1960, après avoir quitté la Hongrie. Élève de l’académie Franz-Liszt de Budapest de 1945 à 1949 (ses maîtres y furent Ferenc Farkas, puis Sandor Veress), il y enseigna l’harmonie, le contrepoint et l’analyse musicale de 1950 à 1956, après avoir effectué en Roumanie (1949-50) une tournée de recherches folkloriques, qui devait le conduire à privilégier la couleur sonore, le timbre, dans ses premières compositions. Durant ces années, il composa beaucoup, en général dans un style néobartokien, mais, aussi, sous l’influence de Berg : Six Bagatelles pour quintette à vent (1951-1953), Premier Quatuor à cordes, dit Métamorphoses nocturnes (1953-54). Il traversa ensuite une crise stylistique, dont témoignent plusieurs partitions inachevées, dont 2 fragments de requiem. Grâce à la radio, il put aussi entendre, à cette époque, plusieurs ouvrages de l’avantgarde occidentale. Ayant quitté son pays à la suite des événements de 1956, Ligeti travailla avec Karlheinz Stockhausen, Herbert Eimert et Gottfried Michael König au Studio de musique électronique de Cologne, et, en 1957-58, y élabora 3 morceaux : Glissandi, qu’on ne devait jamais connaître, Articulation (création le 25 mars 1958), et Atmosphères, inachevé et à ne pas confondre avec la partition orchestrale ultérieure du même nom. Il s’imposa ensuite avec 2 partitions orchestrales tournant le dos, à la fois, à l’électroacoustique et au sérialisme : Apparitions (1958-59, création à Cologne le 19 juin 1960), dont la première partie avait été esquissée dès 1956, et, surtout, Atmosphères (1961), dont l’idée lui était venue dès 1950. Cette dernière oeuvre, qui renonce d’une part aux percussions, d’autre part à la notion d’intervalles et de profils rythmiques perceptibles, est conçue sous le signe d’une micropolyphonie déterminée par des « surfaces de timbres » statiques d’étendues, de poids, de couleurs et d’épaisseurs très divers, le tout étant noté avec la plus extrême précision. Le compositeur poursuivit cette direction avec Volumina pour orgue (1962, vers. rév. 1966). Dans le même temps, les Trois Bagatelles pour piano (1961), Fragment pour orchestre de chambre (1961, rév. 1964) et le Poème symphonique pour 100 métronomes (1962) affirmèrent une position stylistique opposée, qui trouva sa première grande manifestation dans Aventures (1962-63), devenu plus tard Aventures et Nouvelles Aventures (1966), action scénique imaginaire, composition phonétique sur des textes imaginaires, non sémantiques, pour 3 solistes vocaux et 7 instrumentistes. Par opposition au statisme continu d’Atmosphères, Ligeti parla à propos d’Aventures de « style haché ». À noter que ce style avait déjà été annoncé dans Articulation. Une première synthèse des deux tendances fut atteinte dans le Requiem pour soprano, mezzo-soprano, 2 choeurs mixtes à 5 voix et orchestre (1963-1965) : l’Introitus et le Kyrie reprennent la technique d’Atmosphères et de Volumina, mais en y réintroduisant les notions de contrepoint et d’intervalle, et le Dies irae celle d’Aventures, tandis que le Lacrimosa retrouve celle du début de l’ouvrage. Le choeur Lux aeterna (1966) se rattache à l’Introitus et au Lacrimosa du Requiem tout en donnant plus d’importance à l’élément harmonique. Du Concerto pour violoncelle (1966), le premier mouvement s’inscrit dans la descendance d’Atmosphères, de Volumina et de Lux aeterna, le second dans celle d’Aventures, car, là, « le violoncelle parle » (Ligeti). Une synthèse plus profonde encore fut réalisée en 1967 avec Lontano pour orchestre de cordes et de vents (sans percussion), où l’impression de continu résulte surtout de jeux harmoniques, de la « métamorphose graduelle de constellations d’intervalles » (Ligeti). downloadModeText.vue.download 589 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 583 En une dizaine d’années, jusqu’à l’opéra le Grand Macabre (créé en 1978), se succédèrent des oeuvres qui comptent parmi les plus jouées de Ligeti. Étude no 1 « Harmonies » pour orgue date de 1967, Continuum pour clavecin de 1968. Dans le Deuxième Quatuor à cordes (1968), en 5 mouvements, apparaît - comme, déjà, dans le Poème symphonique pour 100 métronomes et dans Continuum, et comme, plus tard, dans le Concerto de chambre une technique de superposition de plusieurs couches de « grillages de temps ». Les Dix Pièces pour quintette à vent (1968) forment une alternance de mouvements d’ensemble et de concertos de solistes en miniature. Ramifications pour orchestre à cordes à 12 voix ou 12 cordes solistes répartit cet effectif en 2 groupes accordés de façon nettement différente (un peu plus d’un quart de ton), et mène plus loin les déviations d’intonation voulues de certaines parties du Requiem et du Deuxième Quatuor à cordes. De 1969, également, date Étude no 2 « Coulée » pour orgue. Dans le Concerto de chambre pour 13 instrumentistes (hommage indirect à Alban Berg), composé en 1969-70, se confirme la tendance à faire surgir, d’une trame continue plus ou moins statique, des contours mélodiques, des profils rythmiques et des harmonies perceptibles. Dans Melodien pour orchestre de chambre (1971), la même tendance aboutit presque à la linéarité. Le Double Concerto pour flûte, hautbois et orchestre (1972) oppose à un premier mouvement lent et statique un second mouvement virtuose et emporté, et explore plus avant les micro-intervalles, conçus, ici, comme intonations incertaines mises en relation avec des hauteurs fixes tempérées. Clocks and Clouds pour 12 voix de femmes et orchestre (1972-73), ouvrage se référant au philosophe Karl Raimund Popper, oppose des proces- sus exactement mesurables (horloges) à des processus indéterminés descriptibles uniquement par les statistiques (nuages). San Francisco Polyphony pour orchestre (1973-74) fut écrit pour l’Orchestre symphonique de San Francisco à l’occasion de son quatre-vingtième anniversaire. Avec l’opéra le Grand Macabre, composé de 1974 à 1977 d’après la farce de Michel de Ghelderode intitulée la Balade du Grand Macabre (1934), Ligeti réussit l’articulation de vocabulaires parfois hétérogènes, ayant recours à l’occasion à des tournures néodadaïques (comme déjà dans Aventures) et d’une façon plus générale à des procédés de montages et de citations s’intégrant néanmoins dans un continuum acoustique finement travaillé dans sa mobilité. Cette oeuvre ambitieuse a marqué dans sa carrière une étape importante. Depuis ou dans le même temps que le Grand Macabre, il a écrit Six Miniatures pour ensemble d’instruments à vent (1975), Monument, Selbstportrait, Bewegung, 3 pièces pour 2 pianos (1976), Passaglia ungherese et Hungarian Rock pour clavecin (1978), prises de position contre les courants néoromantiques et néotonaux actuellement en honneur en Allemagne, un Trio pour violon, cor et piano en hommage à Brahms (1982), Trois Fantaisies pour choeur a cappella d’après Hölderlin (1983), Études hongroises pour choeur mixte a cappella (1983), un Concerto pour piano (Graz 1986, version complète Vienne 1988), deux Études pour piano (1985 et 1988-93 ; une troisième est en cours de composition), un Concerto pour violon (1990), Mystères du Macabre pour soprano colorature (ou trompette) et ensemble ou trompette et piano (1990), Macabre Collage pour orchestre (1991). On lui doit également de nombreux écrits, parmi lesquels Décision et automatisme dans la Structure Ia de Pierre Boulez (1958), la Dimension harmonique dans la première cantate d’A. Webern (1960), la Composition sérielle et ses conséquences chez A. Webern (1961) et Effets de la musique électronique sur mon oeuvre de compositeur (1970). Il a obtenu notamment le prix Beethoven de la ville de Bonn en 1967, la médaille d’honneur de l’université d’Helsinki en 1967 et le prix Bach de la ville de Hambourg en 1975. Il a enseigné à Darmstadt à partir de 1959 et à l’École supérieure de musique de Stockholm de 1961 à 1971, et occupe depuis 1972 une chaire de composition à l’École supérieure de musique de Hambourg. LINCOLN CENTER FOR THE PERFORMING ARTS. Complexe artistique édifié à New York dans le West Side, près de Broadway, et abritant notamment le Metropolitan Opera, le New York City Opera et la Juilliard School of Music. LIND (Jenny), soprano suédoise (Stockholm 1820 - Wynds Point, Hertfordshire, Grande-Bretagne, 1867). Elle débuta à Stockholm en 1838 dans le rôle d’Agathe du Freischütz de Weber. À Paris, trois ans plus tard, elle ne put achever une représentation de Norma et perdit la voix. Elle travailla alors avec García et fut en mesure de reprendre sa carrière. Elle triompha ensuite dans le monde entier, rivalisant avec Giulia Grisi dans le rôle de Norma. À Londres, en 1847, elle créa I Masnadieri que Verdi avait spécialement écrit pour elle. À partir de 1849, elle se retira de la scène, au nom des principes moraux en faveur dans la société victorienne, mais continua de se produire en récital ou dans des oratorios. Elle consacrait une grande partie de son temps à des causes charitables, à toutes sortes de bonnes oeuvres, non sans quelque ostentation. Sa voix était remarquable pour sa pureté et son agilité. Son étendue (presque trois octaves) lui permettait d’exceller aussi bien dans les rôles dramatiques que dans les parties de soprano aigu, qu’elle ornementait à l’extrême. Elle fut surnommée « le Rossignol suédois », et n’inspira pas moins d’une vingtaine de livres en anglais, allemand et suédois. LINDBERG Magnus), compositeur finlandais (Helsinki 1958). Après des études de piano et de composition à l’Académie Sibelius (avec Paavo Heininen, notamment), il étudie la musique électroacoustique et complète sa formation avec Gérard Grisey et Vinko Globokar à Paris et avec Franco Donatoni à Sienne. Ses premières apparitions sur la scène musicale internationale (... de Tartufe, je crois pour quatuor à cordes et piano, 1981 ; Action, situation, signification, pour orchestre, 1982) montrent déjà une personnalité dynamique, cherchant à asso- cier « l’hypercomplexe et le primitif » dans l’esprit d’un « bruitiste rationaliste ». Ses images sonores, en perpétuel mouvement, mélangent souvent les instruments et les voix, comme dans Kraft (1983-1985), qui fit sensation. Dans Zona pour violoncelle et ensemble (1983), les actions musicales se dégagent des masses sonores à la tension fluctuante et aux contours accidentés. Dans Ur (1986), qui allie un petit ensemble instrumental et un dispositif live electronic piloté par un ordinateur, l’harmonie et le rythme résultent d’un programme informatique que le compositeur utilise avec souplesse, sans refuser une certaine technique de la suggestion et de la réminiscence. Lindberg s’est confirmé comme un des tout premiers compositeurs de sa génération avec la trilogie constitutée de Kinetics pour orchestre (1989), Marea pour orchestre (1990), aux couleurs raffinées, et Joy pour grand ensemble (1990). Il a mis en interaction le rythme et l’harmonie dans Duo concertante pour clarinette, violoncelle et ensemble (1990-1992), Aura pour orchestre « In memoriam Witold Lutoslawski » (1993-1994), le Quintette pour clarinette et quatuor à cordes (1992). Arena pour orchestre (1994-1995) a servi de morceau imposé lors du premier concours international de direction d’orchestre Jean-Sibelius (Helsinki, mai 1995). LINLEY, famille de musiciens anglais. Thomas, compositeur, claveciniste, impresario et maître de chant (Badminton, Gloucestershire, 1733 - Londres 1795). Élève de William Boyce à Londres, il dirigea des concerts à Bath, de 1755 à 1775 environ, et s’établit définitivement à Londres, en 1776, où il administra le théâtre de Drury Lane avec son gendre, l’écrivain Sheridan. Il dirigea l’établissement d’abord avec John Stanley, puis downloadModeText.vue.download 590 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 584 avec Samuel Arnold (1786). De 1775 (The Duenna, de Sheridan) à 1794 (Macbeth, de Shakespeare), il écrivit ou arrangea de la musique pour une vingtaine de pièces. Avec Samuel Arnold, il dirigea la Drury Lane Oratorio Society, et, selon certaines sources, c’est lui qui aurait transmis à Haydn, à Londres en 1795, le livret anglais qui, arrangé en allemand par Van Swieten, allait devenir celui de la Création. Elisabeth Ann, soprano (Bath 1754 - Bristol 1792). Élève de Thomas, son père, elle débuta à Covent Garden en 1767. Considérée par beaucoup comme la plus grande cantatrice anglaise de son temps, elle cessa de paraître en public après sa fuite (1772) et son mariage (1773) avec Sheridan. Thomas, violoniste et compositeur (Bath 1756 - Grimsthorpe, Lincolnshire, 1778). Frère de Elisabeth Ann, il fut très précoce à la fois comme interprète et comme compositeur, et sa mort par noyade fut ressentie tragiquement. En 1770, il rencontra en Italie Mozart (avril) et Burney (septembre), et fut premier violon à Drury Lane de 1773 à sa mort. Ses oeuvres étaient de haute qualité, mais beaucoup ont disparu. Parmi celles ayant survécu, une sonate en la et un concerto en fa pour violon, The Duenna (1775, en collaboration avec son père), Ode on the Spirits of Shakespeare (1776), une musique de scène pour la Tempête de Shakespeare dans l’adaptation de Sheridan (1777), l’anthem Let God Arise (1773), l’oratorio The Song of Moses (1777), l’opéra-comique The Cady of Bagdad (1778). Thomas Linley senior eut douze enfants. Parmi ceux-ci furent également musiciens Mary (1758-1787), Maria (1763-1784), Ozias Thurston (1765-1831) et William (1771-1835). LIONCOURT (Guy de), compositeur français (Caen 1885 - Paris 1961). Il entra à la Schola cantorum comme élève de Roussel (1904), puis de Vincent d’Indy (1905), et en fut secrétaire général de 1914 à 1931. Il édita la revue mensuelle de cette école, Tablettes, et y enseigna le contrepoint et, comme successeur de Vincent d’Indy, la composition. Il dirigea à partir de 1942 l’école César-Franck, fondée par lui. On lui doit 137 ouvrages, dont le drame lyrique Jean de la lune (1921) et le drame liturgique le Mystère de l’Emmanuel (1924). Il a, en outre, publié le 3e tome du Cours de composition de Vincent d’Indy (Paris, 1950) et rédigé des Témoignages sur la musique et la vie au XXe siècle (Paris, 1956). LIPATTI (Dinu), pianiste et compositeur roumain (Bucarest 1917 - Chêne-bourg, Genève, 1950). Son père est un excellent violoniste amateur, sa mère une pianiste de talent, son parrain est G. Enesco. Le jeune Lipatti se tourne tout naturellement vers la musique. De santé fragile, il reçoit à domicile les leçons de F. Musicescu (piano) et de M. Jora (composition) avant d’être admis par dérogation au conservatoire de Bucarest. Il en sort à quatorze ans couvert de récompenses. Pour son premier concert (1930), il interprète le Concerto de Grieg sur la scène de l’opéra de Bucarest. Et ses premières oeuvres (dont une Suite symphonique, les Tsiganes) lui valent le prix Enesco en 1932 et 1933. En 1934, un second prix obtenu au Concours international de Vienne provoque la colère d’Alfred Cortot, qui invite Lipatti à poursuivre ses études à Paris, à l’École normale de musique. Ce qu’il fait à l’automne, auprès du maître et de son assistante, Y. Lefébure. Il prend également des cours de direction d’orchestre avec C. Münch et de musique de chambre avec Alexanian. Il étudie la composition avec P. Dukas, puis avec Nadia Boulanger. Celle-ci va exercer sur lui une influence déterminante. Ensemble, ils enregistrent en 1937 les Liebesliederwalzer de Brahms, premier disque de Lipatti. L’année précédente, il a donné ses premiers concerts importants, en Italie et à Berlin. Devant les menaces de guerre, il rentre dans son pays natal, où il se produit aux côtés de G. Enesco. En 1943, il quitte la Roumanie pour Genève. Le conservatoire de cette ville lui offre la classe de virtuosité pianistique. Déjà affecté par les premiers assauts de la leucémie qui va l’emporter, il est obligé de réduire son activité, renonçant ainsi à une grande tournée aux ÉtatsUnis et au Japon, pour mieux se concentrer sur la réalisation de quelques disques, où son souci de perfection trouve un refuge idéal. Grâce à un traitement à base de cortisone (médicament très coûteux à l’époque, fourni par la générosité de nombreux musiciens, Münch, Menuhin, Stravinski, etc.), il connaît encore quelques mois de rémission, qu’il met à profit pour donner des concerts (l’ultime, le 16 septembre 1950, à Besançon, sera enregistré). La maladie seule a fixé les limites d’un répertoire que Lipatti mûrissait lente- ment, pendant plusieurs années parfois, avant de juger une nouvelle interprétation prête à être livrée au public. Dans un premier temps, il se la jouait en imagination, par coeur, en envisageant tous les styles possibles ; ensuite il la disséquait mesure par mesure, sans aucun souci expressif. Enfin, il faisait la synthèse du travail technique et de son alchimie personnelle. Des mains très longues et solides (avec un petit doigt aussi développé que les autres et, comme eux, parfaitement indépendant) et des épaules de lutteur, contrastant avec la fragilité de l’homme, lui permettaient de doser les attaques et les touchers, de nuancer le son jusqu’à l’impalpable, et d’habiller son émotion de l’apparence la plus pure. Bach, Mozart et Chopin sont ses musiciens de prédilection, qu’il aborde avec une rigueur et une humilité inhabituelles en son temps. Il n’a que le temps d’effleurer les territoires de Schubert ou de Ravel et aborde trop tard Beethoven (dont il aurait enregistré la sonate Waldstein). Le musicien se passionne pour son époque, particulièrement pour Busoni, Enesco et Bartók (de ce dernier, il donne en première européenne le Troisième Concerto pour piano). Mais il reste sévère pour sa propre création, ne la jugeant pas mûre, malgré le succès du Concertino dans le style classique (1937) que joue Gieseking, ou de la Sonatine pour la main gauche (1941). Une symphonie concertante pour deux pianos et orchestre à cordes (1938), Trois Danses roumaines pour deux pianos (1943), des mélodies sur des textes de Verlaine, Rimbaud, Eluard et Valéry, et des cadences pour des concertos de Mozart et de Haydn forment le meilleur de son oeuvre. LIPINSKI (Karol Josef), compositeur et violoniste polonais (Radzyn 1790 Urlow, près de Lwów, 1861). Élève de Paganini, dédicataire du Carnaval de Schumann, premier violon de l’orchestre de la cour de Dresde en 1839, il édita avec le poète Zalewski un recueil de chants populaires polonais et ruthènes. Il composa l’opéra-comique la Sirène du Dniepr (1814), une Polonaise guerrière pour orchestre, quatre concertos pour violon (dont un Concerto militaire qu’il interpréta à Londres en 1836), des pièces diverses et des études. LIPP (Wilma), soprano autrichienne (Vienne 1925). Elle fit ses débuts à Vienne en 1943, et s’imposa comme Reine de la nuit de la Flûte enchantée (1948), rôle auquel son nom reste étroitement attaché. Plus tard, elle a chanté d’autres rôles mozartiens, tels ceux d’Ilia (Idoménée) ou de Pamina (la Flûte enchantée), ainsi que des rôles de Verdi et Wagner. LIST (Eugène), pianiste américain (Philadelphie 1918 - New York 1985). Fils d’instituteur, enfant prodige, il joue dès 1930 le 3e Concerto de Beethoven avec la Philharmonie de Los Angeles. Mais il étudie ensuite au Curtis Institute avec Olga Samaroff-Stokowski. Sous les drapeaux entre 1940 et 1944, il donne un récital mémorable devant Churchill, Truman et Staline. En 1946, il fonde un duo de pianos avec sa femme Carrol Glenn. De 1964 à 1975, il enseigne à l’université de New York. Il a promu la musique des Amériques en jouant Gottschalk, MacdownloadModeText.vue.download 591 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 585 Dowell, Barber, et en créant des oeuvres de Villa-Lobos. LISZT (Franz [Ferenc]), pianiste et compositeur hongrois (Raiding, près de Sopron, 1811 - Bayreuth 1886). Il naquit d’un père hongrois, Adam Liszt, fonctionnaire du prince Esterházy et violoncelliste dans son orchestre, et d’une mère autrichienne, Anna Laager. L’origine hongroise des Liszt (à l’origine List) est d’autant plus douteuse que la famille venait probablement du canton de Neusiedl, et que sa langue usuelle était l’allemand. ÉTUDES ET PREMIERS SUCCÈS. Tout jeune, Liszt fit, grâce à son père, la connaissance des oeuvres de Haydn, Mozart et Beethoven. À dix ans, il partit pour Vienne (1821-1823), où il reçut l’enseignement de Salieri et de Carl Czerny, grand virtuose et dernier représentant de l’école viennoise de piano issue de Mozart, et où il se produisit en public en décembre 1822. De 1823 à 1835, Liszt vécut principalement à Paris, où il avait été emmené par son père, et où Cherubini lui refusa l’entrée de l’École royale de musique (conservatoire). Il fit ses débuts à Paris en mars 1824, et y devint l’élève de Paer et de Reicha pour la fugue et le contrepoint. Il composa alors à quatorze ans, en collaboration avec Paer, son opéra Don Sanche ou le Château d’amour (1824-25), et fit plusieurs tournées en Angleterre. Au retour de l’une d’elles, son père mourut brusquement à Boulogne (1827). C’est à cette époque que, pour la première fois, Liszt manifesta le désir d’entrer dans les ordres, vocation sincère qui devait surgir à nouveau plus tard. Liszt rencontra vite le plus grand succès dans les salons parisiens. Il y fit la connaissance de Berlioz (1830), de Chopin et de Paganini (1831), qui, tous trois, devaient jouer un très grand rôle dans son évolution musicale. C’est ainsi qu’après avoir entendu Paganini il résolut de réaliser au piano les effets obtenus par celui-ci au violon. Il se lia également avec George Sand et Alfred de Musset. En 1834, sa rencontre avec la comtesse Marie d’Agoult (en littérature Daniel Stern) décida de sa carrière. De sa liaison avec elle naquirent trois enfants : Blandine (1835-1862), qui devait épouser Émile Ollivier ; Cosima (1837-1930), qui devait épouser Hans de Bülow, puis Richard Wagner, et Daniel, né en 1839 et mort de phtisie en 1859. UNE CARRIÈRE ITINÉRANTE. Mais la bonne société parisienne ne pardonna pas à Liszt cette union illégitime, et, après un court séjour à Genève, il entreprit une carrière itinérante de pianistevirtuose - de loin le plus grand de son temps -, qui devait le mener dans toutes les capitales et dans toutes les grandes villes européennes, jusqu’au coeur de la Russie. Durant cette période, il composa pour ses propres besoins une grande partie des Rhapsodies hongroises et des Études d’après Paganini. Il est d’ailleurs curieux de constater que ses programmes de récital ne comprenaient, outre ses oeuvres et celles de Chopin (ainsi qu’une sonate de Scarlatti), que des pages de musique allemande. En 1842, le grand-duc de Weimar le nomma Kapellmeister extraordinaire. Ainsi débuta une nouvelle période de sa vie et de sa production musicale. Après avoir failli devenir musicien français, il s’engagea résolument dans une synthèse culturelle franco-allemande très féconde sur le plan de la création. On peut dire que, à partir de ce moment, il fut « culturellement français, musicalement plutôt allemand, et, pourrait-on ajouter, sentimentalement plutôt hongrois » (Serge Gut). Ces années virent naître le chefd’oeuvre qu’est la Sonate en « si » mineur (1853), la Faust symphonie (1854-1857), la Dante symphonie (1855-56), la Messe de Gran (1855 ; rév. 1857-58) et bien d’autres grands ouvrages. Ce début de « germanisation » de Liszt fut essentiellement le fait de Marie d’Agoult, allemande par sa mère et élevée en partie à Francfort. L’ENTRÉE EN RELIGION. Liszt finit par quitter la comtesse d’Agoult pour la princesse de Sayn-Wittgenstein, rencontrée lors d’un concert à Kiev en 1847, et qui devait devenir la grande égérie de la deuxième partie de sa vie, avant qu’il ne se décidât à entrer en religion. C’est elle qui le persuada de renoncer à sa carrière de pianiste-virtuose pour se consacrer uniquement à la composition. Durant ses années à Weimar, Liszt non seulement écrivit la majorité de ses oeuvres les plus célèbres, mais monta et dirigea comme maître de chapelle d’innombrables ouvrages de ses contemporains, créant notamment Lohengrin de Wagner en 1850. À la tête d’un orchestre, il put écrire, réviser et expérimenter dans un domaine qu’auparavant il avait peu pratiqué (d’où notamment la série de ses poèmes symphoniques). En outre, il attira autour de lui un grand nombre d’élèves, parmi lesquels Hans de Bülow et Peter Cornelius. Weimar devint en quelque sorte le lieu de ralliement de l’avant-garde de l’époque. À la suite d’une cabale menée contre lui et qui se transforma en incident, lors de la création du Barbier de Bagdad de Peter Cornelius, le 15 décembre 1858, Liszt démissionna de son poste à Weimar. Il ne quitta la ville qu’en août 1861, et, après un séjour à Paris, arriva à Rome en octobre. Ses espoirs d’épouser la princesse de SaynWittgenstein s’étant évanouis, car le pape avait refusé de prononcer le divorce de cette dernière, il prit les ordres mineurs en 1865. Les convictions religieuses de l’abbé Liszt ont souvent été un sujet de plaisanterie, mais il reste que le compositeur, profondément croyant, devint homme d’église après que cette vocation l’eut accompagné toute sa vie. Il demeura installé à Rome jusqu’en 1869, et ce séjour marqua dans son évolution un jalon important, celui de sa découverte du répertoire vocal de la Renaissance, ce qui devait lui donner le goût des grandes oeuvres religieuses. De ces années datent les splendides variations sur le thème de Bach, Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen (1862), écrites sous le coup de la mort de sa fille Blandine, Christus (1862-1867), son plus bel oratorio, et la Messe du couronnement (1867). UNE « VIE TRIFURQUÉE ». À partir de 1869, et jusqu’à sa mort, le grand voyageur reprit la route, partageant son temps entre Rome, Weimar et Budapest : lui-même devait parler de sa « vie trifurquée ». À chacun de ces pôles correspondit alors une partie de ses activités. À Weimar, il redevint compositeur et chef d’orchestre au service des autres, il y fit créer en 1877 Samson et Dalila de Saint-Saëns. Rome fut pour lui un lieu de réflexion et de méditation mystique (il n’en perdit jamais le goût). Budapest, où il plaçait de vains espoirs et où sombrèrent définitivement ses prétentions de compositeur nationaliste, fut pour lui lieu d’ambiguïté. Lui, qui se définissait comme « moitié franciscain, moitié tsigane », et qui évoquait « cet étrange pays dont je me constitue le rhapsode », ne parlait pas le magyar ! À sa mort, le président du conseil hongrois devait même s’opposer au retour des cendres de ce grand compositeur hongrois. Ces années, celles de sa vieillesse, Liszt sut les remplir de nouveaux chefsd’oeuvre : les très beaux Jeux d’eau à la villa d’Este (1877), que devait entendre par le compositeur lui-même, à Rome, le jeune Debussy médusé, Via crucis (1878-79), qui sont les 14 stations de la croix, la 3e Année de pèlerinage, les pièces prophétiques pour piano que sont Gondole lugubre (1882), Csardas macabre (1881-82) ou la Bagatelle sans tonalité. Ces oeuvres tardives ne devaient rencontrer pendant près d’un siècle qu’ironie et incompréhension, même de la part de Richard Wagner, gendre de Liszt, qui mettait leurs côtés visionnaires sur le compte de la sénilité et de l’abus d’alcool. Franz Liszt mourut de congestion pulmonaire, dans les bras de sa fille Cosima, à Bayreuth, le 31 juillet 1886, après avoir vu Parsifal le 23 et Tristan le 25, et en laissant une oeuvre prophétique, dont le souffle n’est pas près de s’éteindre. downloadModeText.vue.download 592 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 586 UNE ÉVOLUTION REMARQUABLE DANS L’HISTOIRE DE LA MUSIQUE ROMANTIQUE. Une fois mises à part les oeuvres de première jeunesse, influencées par Czerny, rien chez lui ne peut être comparé à la musique de son temps. Vers 1830 déjà (Liszt a dix-neuf ans), les premières mesures de Malédiction témoignent d’une audace qu’il devait conserver toute sa vie. De même, en 1834, il écrivit une des Harmonies religieuses et poétiques sans indication de tonalité et avec des changements de mesure de la plus moderne facture. Et cette évolution devait se poursuivre jusqu’aux dernières oeuvres, qui rejoignent Schönberg ou Debussy. Liszt parcourt le XIXe siècle en ouvrant toutes grandes les portes aux bouleversements du XXe, et se révèle, de plus en plus, n’être pas uniquement le compositeur du Rêve d’amour ou de quelques galopantes et populaires Rhapsodies hongroises. Des mille aspects de la légende de Franz Liszt, son amitié pour Richard Wagner est un épisode important. Pourtant, quelle différence de comportement entre les deux hommes, comme entre les deux compositeurs ! Il serait vain et inutile de revenir sur les problèmes de plagiat qui ont tant alimenté les discussions, mais, l’oeuvre de F. Liszt sortant aujourd’hui du purgatoire, il est amusant de découvrir que Richard Wagner, le révolutionnaire, n’était pas aussi audacieux qu’il se plaisait à le proclamer. À partir de l’Or du Rhin (1854), on remarque bien chez Wagner certaines libertés avec la tonalité, mais la conduite tonale reste toujours apparente. Ce n’est qu’avec Tristan (1859) qu’une certaine atonalité prend de l’importance, sans toutefois jamais rompre vraiment le fil tonal sécurisant. Dès 1854, Franz Liszt, en novateur acharné, prend au contraire le chemin de la polyharmonie - qui mènera à la suppression de la tonalité (1873) - tout en prévoyant un système impliquant les quarts de ton. Il apparaît maintenant évident que, à sa mort, Liszt ouvrait la porte du XXe siècle, alors que Wagner fermait celle du XIXe. L’affirmation « Wagner, continuateur de Liszt » (Koechlin) est une erreur fondamentale, due en partie à la négligence et à la méconnaissance de l’oeuvre de Franz Liszt. LISZT PIANISTE. Il fut considéré, de son temps, comme le plus grand virtuose sur son instrument, même si, un moment, on a voulu lui donner un rival en la personne de Thalberg. Sans doute avait-il au départ de très grandes facilités, une conformation des mains idéale ; mais, infatigable travailleur, il a su remettre en cause plusieurs fois sa technique et reprendre point par point les problèmes digitaux tels que les sauts d’octaves, les thèmes en accords, les trilles parallèles, qu’il maîtrisa alors comme nul autre, dépassant de loin ceux que l’on considérait alors comme modèles, Moschelès ou Cramer. Il ne faut pas oublier que le facteur Sebastien Érard, à Paris, en avait fait son protégé pour qu’il l’aidât à promouvoir le piano à double échappement. Ainsi, contrairement à Chopin qui travaille « à l’intérieur » du piano choisi comme lieu stable d’expression, Liszt aborde cet instrument dans une perspective expansionniste, comme pour conquérir de nouveaux espaces. Il parle d’ailleurs, quelque part, de la « puissance assimilatrice » du piano, qui, selon lui, est en même temps un « microthée », un « petit dieu » individu (ce qui pourrait définir la position de Chopin) et un « microcosme » (un petit monde), et cette idée cosmique du piano lui est plus propre. Tout le monde de la musique est appelé à s’y refléter : ainsi les fameuses « transcriptions » (symphonies de Beethoven, de Berlioz, lieder de Schubert, paraphrases d’opéras italiens, etc.) ne sont-elles pas seulement des morceaux brillants ; il n’a pas cherché à y traduire seulement la ligne musicale, mais la masse, la couleur, parfois aussi le texte et la voix absents, au besoin en rajoutant, sur la pure et simple « réduction pour piano », des détails de son cru. De telles réductions étaient alors d’un usage courant, pour prendre connaissance chez soi du répertoire symphonique. Liszt prend cette forme « domestique » et privée, et la transporte dans la salle de concert en la portant à un haut degré d’ambition - une ambition qu’on dirait presque d’appropriation passionnée -, car lui, qui vécut tant d’écouter et de soutenir la musique des autres et qui fut tant pillé lui-même, pouvait aimer brasser sous ses doigts le génie musical de ceux qu’il admirait, comme pour le faire sien. Dévorateur et dévoré, Liszt compositeur ne connaît pas la stabilité, le recueillement pur où le projet musical et technique se referme sur lui-même dans une délicate perfection. Il y a toujours chez lui une dynamique d’amplification qui brise la symétrie. Son jeu de pianiste était, selon les témoignages, emporté, convulsif, passionné, « déchirant la mélodie » (Clara Wieck), « hardi, avec une petite part de clinquant » (Schumann). Certes, l’aigu du clavier, avec ces fameux trilles étincelants comme dans les Jeux d’eaux à la villa d’Este des Années de pèlerinage, brille chez lui d’un éclat particulier, insistant, qu’on peut trouver ornemental : il lui oppose souvent des basses profondes, et une mélodie large dans le médium jouée par un pouce ou les deux (technique d’écriture pianistique à trois étages relevée par Claude Rostand). Ce médium passionné, martelé, souvent oratoire, entre les abîmes d’une basse toujours inquiète et d’un aigu vertigineux et grisant, est souvent, chez lui, le lieu du « je », de l’expression individuelle - là où il se situe comme sujet, comme sensibilité tiraillée. Par ailleurs, on sait quelle importance d’émulation eut pour lui Paganini (qui lui inspira des études d’après ses Caprices), bien plus que ses pseudo-rivaux pianistiques. Mais, là où Paganini brille en étoile inaccessible, Liszt se préoccupe de transmission, de communication, de pédagogie. On a pu dire que, si éblouissante qu’elle fût, sa technique pianistique était assez « naturelle » pour devenir peu à peu abordable par ses contemporains. Liszt peut également être considéré, dans le domaine du piano, comme le créateur du « récital de soliste », puisque Schumann lui-même note avec une sorte d’étonnement, en 1840, qu’il donne ses récitals « presque toujours seul ». Mais c’est sans doute son expérience de l’improvisation pianistique au long cours qui lui a inspiré ses grandes audaces de forme, d’écriture, de sonorité, sa façon de renouveler le développement, jusque dans ses oeuvres symphoniques. Ainsi beaucoup de ses oeuvres semblent-elles chercher leur point d’appui dans le cours même de leur développement. L’OEUVRE MUSICALE. Pendant une grande période de sa vie, Liszt souffrit de n’être considéré que comme un virtuose égaré dans la composition - puisque telle était la réflexion que ses oeuvres pouvaient inspirer, dès qu’elles avaient en elles quelque chose de bizarre ou de nouveau. S’il a vécu très tôt le succès, il a vécu aussi de bonne heure le malentendu qui l’accompagne - car ce malentendu, mot qu’il emploie lui-même, n’a lieu que s’il y a au moins apparence de succès, autrement, il n’y a qu’ignorance ou mépris. Très jeune - c’est lui qui le raconte -, il avait « testé » ce que vaut la sincérité du goût musical, en s’amusant à donner pour une composition de Beethoven quelques-unes de ses esquisses personnelles et en voyant alors une admiration automatique se manifester. Cruel apprentissage de la fragilité des critères qui valent à une musique d’être tenue pour chef-d’oeuvre - et qui explique peut-être sa passion de rechercher chez ses pairs compositeurs le modèle d’une confiance en soi, qui, apparemment, lui faisait défaut. Dans la mesure où, en tant que compositeur (un compositeur qui s’affirma plus fortement comme tel, indépendamment du virtuose, après 1850), Liszt avait à surmonter l’image du pianiste doué aspirant aux prestiges de la création, sans en avoir la vocation - il dut en faire plus que tous les autres, se montrer plus audacieux, imposer plus radicalement l’idée de sa volonté créatrice. Il fut un progressiste déclaré, lecteur passionné des Lamennais, Hugo, Byron, se nourrissant autant de littérature que de musique, et cherchant downloadModeText.vue.download 593 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 587 un « renouvellement de la musique par une alliance plus intime avec la poésie [...] un développement plus libre et pour ainsi dire plus adéquat à l’esprit de ce temps ». Quand il parle d’allier la musique avec la poésie, il a renoncé depuis longtemps à mettre un drame lyrique, voire des vers, en musique, sauf dans le domaine religieux. Son opéra de jeunesse, essai sans lendemain, semble avoir extirpé de lui toute ambition de s’exprimer sur la scène (son admiration pour Wagner en est d’autant plus forte). Il composera peu de lieder, et, dans le domaine religieux, préfère à la voix soliste le chant collectif. C’est à la musique sans texte, pour piano ou orchestre, que ce lecteur passionné demande de traduire la résonance en lui de ses lectures enivrées. On a pu dire que son esthétique était ornementale, mais, en ce cas, elle fait de l’ornementation un principe dynamique de développement et d’amplification, et non un principe statique, comme avec Chopin, chez lequel l’ornementation est centripète, refermant la phrase musicale dans son mystère, alors que chez Liszt elle est centrifuge, poussant la mélodie, l’oeuvre, l’inspiration en avant. L’aigu en particulier, zone traditionnellement ornementale, n’est pas chez Liszt une zone fragile et effleurée, c’est là qu’il met souvent son dynamisme, dans des frémissements et des ruissellements mystiques. Chez lui, le poème symphonique, forme où il expérimenta beaucoup, est un projet moins descriptif que psychologique et impressionniste - il s’agit de faire résonner des impressions chez le destinataire, le confident à convaincre qu’est pour lui l’auditeur. Par ailleurs, Liszt recourut rarement aux formes toutes faites, à la symphonie, au quatuor, et, quand il fait une sonate pour piano, c’est une oeuvre insolite, coulée dans le moule unique d’une forme cyclique d’un seul tenant. Cette sonate est d’ailleurs une des rares oeuvres où il semble se rassembler, se cristalliser, alors qu’il ne cesse ailleurs de se donner et se dépenser. Son identité, il croit la trouver un instant dans ses racines hongroises, mais il ne s’y arrête pas ; mais surtout dans le domaine de la musique religieuse, où il se considère comme sans rival à son époque : il y fait souvent vocation de simplicité, d’archaïsme, de rudesse antiornementale, en s’appuyant sur son étude de Palestrina, de Lassus, du grégorien, etc. Pourtant, là, toujours une inquiétude perceptible, même dans ces monuments granitiques que se veulent des oratorios comme Christus. Finalement, cette énergie mystique, c’est d’abord sur l’estrade du virtuose adulé, où l’ont placé le sort et la prophétie de Beethoven à son endroit, qu’il la dépense avec le plus de force de conviction. Dans maintes pages des Années de pèlerinage, ou, même, dans telle Étude transcendante ou telle page d’album, on trouve une conjonction unique de sens religieux et de délire de virtuosité, comme si l’élan de la difficulté physique portait les mouvements de l’âme. C’est à son piano qu’il se sait prophète d’idéal, qu’il prêche le mieux peut-être, alors que c’est là qu’on le considère en bateleur. Ses deux Légendes (1865) sont éloquentes, puisque consacrées aux deux saints qui portent son prénom. Saint François d’Assise parlant aux oiseaux, n’est-ce pas Franz Liszt prêchant en notes perlées et mettant dans la virtuosité - là où beaucoup d’autres n’ont voulu mettre que leur part mondaine, méprisée - tout son amour et son altruisme. Pillée, dit-on, abondamment par Wagner, la musique de Liszt est, par excellence, celle de l’homme « mal assis », de celui qui ne sut jamais poser sa musique, l’installer, et la fit voyager, dans l’Europe, parmi les hommes, pour communiquer avec ses semblables par-delà le malentendu des succès mondains. LITAIZE (Gaston), organiste et compositeur français (Menil-sur-Belvitte 1909 Fays, Vosges, 1991). Malgré sa cécité, il a été l’élève au Conservatoire de Paris de Dupré (orgue et improvisation), de Caussade (contrepoint et fugue) et de Büsser (composition), et a remporté le second grand prix de Rome de composition en 1938. Il est organiste à l’église Saint-François-Xavier à Paris et à Radio-France, où il est également responsable de la musique des émissions religieuses. Professeur d’orgue et d’improvisation à l’Institution nationale des jeunes aveugles, il fait une carrière internationale de concertiste. Ses compositions, pour la plus grande part destinées à la liturgie, se fondent sur les thèmes du plain-chant qu’elles paraphrasent. Ainsi, pour l’orgue, 5 Pièces liturgiques pour orgue sans pédalier (1950), 24 Préludes liturgiques (1954), Grand-Messe pour tous les temps (1956), Messe basse pour tous les temps (1959). Il a également écrit plusieurs messes pour choeur et orgue. LITANIE (grec médiéval litaneia, dérivé de litaneuo, « invoquer par des prières »). Prière dialoguée, soit chantée soit parlée, consistant en une série, parfois longue, de courtes invocations, auxquelles il est répondu par une même formule de demande ou de louange. Le mot a désigné d’abord toute supplication répétée (Kyrie eleison), puis les processions où se chantaient de telles supplications (litanies des rogations), enfin la forme même des prières à répétition, d’où son acception actuelle généralisée. LITERES (Carrion Antonio), compositeur espagnol (Arta, Majorque, 1673 - Madrid 1747). Violoniste et violoncelliste à la cour d’Espagne, il fut très estimé comme compositeur de cantates profanes et de musique de théâtre (zarzuela Accis y Galatea, 1709 ; opéra « dans le style italien » Los elementos). Après l’incendie qui en 1734 détruisit les collections royales, il dut composer de nouvelles oeuvres liturgiques (messes a cappella et psaumes pour les Vêpres). Ses deux fils occupèrent également des postes à la cour, José Literes Sanchez (mort en 1746) comme violoncelliste et Antonio Literes Montalbo (mort en 1768) comme organiste. LITOLFF, maison d’édition allemande fondée en 1828 à Brunswick par Gottfried Martin Meyer. Elle prit le nom de Henry Litolff après que celui-ci eut épousé (1851) la veuve de Meyer et adopté son fils Theodor (18391912). Ce dernier succéda à son beau-père après son divorce (1858), et eut comme successeur son propre fils Richard (18761937). Theodor assura le développement mondial de la firme en lançant en 1864 la célèbre collection Litolff d’oeuvres classiques, et aussi par des ouvrages pédagogiques comme la méthode de piano de Louis Köhler, qui, en 1914, avait été vendue à plus d’un million d’exemplaires. Rachetée en 1940 par les éditions Peters de Leipzig, la firme a ressuscité à Francfort en 1950. LITOLFF (Henry), pianiste et composi- teur français (Londres 1818 - Bois-Colombes 1891). Fils d’un violoniste alsacien fait prisonnier par les Anglais pendant la guerre d’Espagne, il étudia avec son père et avec Moschelès, vécut en France, en Belgique et en Allemagne, et, en 1851, épousa la veuve de l’éditeur Gottfried Martin Meyer, deuxième de ses quatre femmes : la firme fondée par Meyer en 1828 prit alors le nom de Henry Litolff. En 1855, il devint maître de chapelle de la cour de Saxe-Cobourget-Gotha, et, en 1858, s’installa définitivement à Paris. Il continua à composer à partir de cette date, mais échangea sa carrière de pianiste pour celle de chef d’orchestre. On lui doit des oeuvres scéniques comme Die Braut von Kynast (Brunswick, 1847) ou Héloïse et Abélard (Paris, 1872) et des oeuvres instrumentales diverses, mais ses plus grandes réussites demeurent ses 5 Concertos symphoniques pour piano et orchestre. Le premier est perdu, les autres datent respectivement de 1844 et d’environ 1846, 1852 et 1867. Le Scherzo du quatrième bénéficie toujours d’une célébrité certaine. Henry Litolff reçut en dédicace le 1er Concerto pour piano de Liszt. downloadModeText.vue.download 594 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 588 LITERATUR-OPER. Nom donné, a posteriori, par les musicologues allemands aux opéras écrits non pas sur un livret, mais sur le texte même (tout ou partie, légèrement modifié ou traduit) d’une oeuvre dramatique déjà connue. Cette stricte acception écarterait donc de cette classification les textes que de grands auteurs (Goldoni, Sedaine, Goethe, etc.) destinèrent dès l’abord à être mis en musique. Utilisé dès le milieu du XIXe siècle par Dargomyjski et Moussorgski, à partir de textes de Pouchkine et Gogol, ce procédé devint plus fréquent dès la fin du siècle, avec Bruneau, Debussy, R. Strauss, Berg, Chostakovitch, Poulenc, etc., et se généralisa au-delà de 1940 ( ! OPÉRA). On peut, également, y associer l’exemple d’auteurs ayant euxmêmes remanié pour le compositeur des textes antérieurs, notamment J. Richepin, Maeterlinck, D’Annunzio, Hofmannsthal, Claudel, Brecht, etc. LITURGIE (en gr. leitourgia, « service public, fonction publique », et, entre autres, « service du culte »). Terme désignant l’ensemble des services officiels et publics d’un culte, par opposition aux dévotions privées ; autrement dit, l’ensemble de ses prières publiques, rites, cérémonies et sacrements, où la musique, étroitement codifiée, joue un grand rôle. Les différentes Églises chrétiennes ont chacune leur liturgie propre, c’est-à-dire leur système de rites, de cérémonies et de chants, peu à peu mis au point par des conciles, des encycliques, des ordonnances, etc., avec pour préoccupation d’illustrer les articles de foi essentiels, mais surtout de réactualiser, par « anamnèse », les moments symboliques privilégiés de leur croyance. Ainsi, la liturgie catholique tourne autour de la messe, dans la mesure où celle-ci fait revivre chaque fois le sacrifice du Christ et la Cène. Dans cette fonction d’« anamnèse », il semble que la musique joue le rôle principal en réveillant le passé dans ses dimensions symboliques originelles, par le jeu du rythme et de l’harmonie, par l’effet des timbres, et surtout de la voix avec toutes les résonances corporelles et spirituelles des sons. Parmi les cultes chrétiens, on distingue les différentes liturgies occidentales (romaine, anglicane, ambrosienne, mozarabe), orientales (de saint Jean Chrysostome, saint Basile, saint Jacques, arménienne, copte, maronite), etc. LITVINNE (Félia), soprano d’origine russe (Saint-Pétersbourg 1861 - Paris 1936). Elle étudia à Paris avec Pauline Viardot et fit ses débuts en 1883 dans Ernani de Verdi (rôle d’Elvira). Elle chanta dans la plupart des grands théâtres du monde : au Metropolitan Opera de New York, à partir de 1896, au Covent Garden de Londres, à partir de 1899. Elle fut la créatrice des rôles d’Isolde à Paris (1899) et de Brunehilde à Bruxelles (1887). Elle quitta la scène en 1916, mais continua de chanter au concert jusqu’en 1924. Elle s’établit à Paris comme professeur et eut Germaine Lubin comme élève. Outre ses rôles wagnériens, elle était renommée pour ses interprétations de Gluck (Alceste) et aussi de Meyerbeer (l’Africaine). Sa voix était puissante et son timbre, à la fois brillant et souple. Son style fougueux et convaincant parvenait à faire oublier sa corpulence. LIVE ELECTRONIC MUSIC (angl. : « musique électronique en direct »). Locution employée, même en France, pour désigner, à l’opposé des musiques préenregistrées sur bande magnétique, la musique électroacoustique qui s’exécute en direct, devant le public, par des « interprètes » jouant de synthétiseurs, de dispositifs électroacoustiques, d’instruments et de corps sonores électrifiés (c’est-à-dire reliés par l’intermédiaire de micros à des systèmes d’amplification et de traitement électronique du son). Cette musique peut être improvisée, ou jouée d’après une partition très précise. L’avantage de la « live electronic music » vient de la malléabilité et de la vie que, en apparence, elle apporte à la présentation en concert de l’oeuvre (par rapport à la musique électroacoustique sur bande, lue par un ou des magnétophones et seulement « orchestrée » dans sa diffusion) ; mais les inconvénients, ou plutôt la contrepartie, tiennent aux limitations dues au principe du « temps réel » en ce qui concerne la gamme des résultats sonores et musicaux possibles et la précision de leur contrôle. Certaines des techniques d’expression spécifiques de la musique électroacoustique (telles que le montage, par exemple) réclament encore impérativement le travail sur bande en studio et le différé. C’est la même différence qui existe entre le film de cinéma longuement tourné et monté et une retransmission télévisée en direct, si élaborée soit-elle. C’est d’abord aux États-Unis que cette technique s’est développée, avec des groupes pionniers comme le Sonic Art Union composé de Gordon Mumma, Alwin Lucier, Robert Ashley et David Behrman, qui ont poursuivi ensuite chacun sa ligne personnelle, dans des directions différentes. Un autre groupe pionnier, Musica elettronica viva, composé d’Italiens et d’Américains et qui pratiquait un « participationnisme musical » proche du Living Theater (impliquant le spectateur dans l’exécution), fut vivant et actif au point d’éclater en plusieurs groupes homonymes. On peut citer encore en Italie le groupe Nuove proposte sonore, et, parmi les autres « collectifs » d’exécution et d’improvisation « live electronic », le Gimel, au Québec (fondé par Nil Parent) ; le Feedback-Studio à Cologne (Eötvös, Gelhaar, Maiguaschca, Fritsch, Johnson, MacGuire), qui s’est transformé pour devenir le Groupe Oeldorf, le groupe K und K en Autriche (Kaufmann) ; Gentle Fire en Angleterre ; en France, Opus N, entre 1970 et 1974 environ (Savouret, Clozier), et le Trio GRM-Plus (Dufour, Geslin, Cuniot), qui, depuis 1978, porte cette technique à un haut degré de précision. Mais il y a aussi des compositeurs-interprètes isolés qui pratiquent et écrivent en soliste la musique « live », comme René Bastian, Léo Küpper, Lorenzo Ferrero, Horaccio Vaggione, Giuseppe Englert, Donald Buchla (un des pères du synthétiseur), David Tudor, Morton Subotnick, etc. Nombre de ces groupes et de ces auteurs intègrent cette technique dans des formules dites multimédias de spectacles associant et multipliant les moyens d’expression de diverses disciplines (danse, cinéma, lasers, voire émission de parfums en direct, comme dans les spectacles de Joseph Anton Riedl). Le genre apparu à la fin des années 70 sous le nom anglo-saxon de performance (« représentation ») et qui se situe au carrefour des expressions plastiques, théâtrales et musicales utilise souvent des techniques de « live electronic ». Parmi les compositeurs qui ont beaucoup écrit de « live electronic music » sans être euxmêmes, ou en n’étant qu’occasionnellement, des interprètes, on citera aussi Karlheinz Stockhausen (le pionnier du genre en Europe, avec Mixtur et Mikrophonie 1 et 2), John Cage, Jean-Étienne Marie, Fernand Vandenbogaerde, etc. D’autres conçoivent, plutôt que des oeuvres, des dispositifs pour réagir en sons à l’environnement naturel ou à la présence du public (Max Neuhaus, Lucier). L’ordinateur est aussi employé en temps réel, pour engendrer des processus sonores, selon des programmes et des instructions plus ou moins préparés à l’avance, et c’est vers son utilisation dans ce sens que travaillent de nombreux studios de musique électroacoustique (tels, en France, G. R. M., G. M. E. M., G. M. E. B., I. R. C. A. M.). D’autres encore utilisent des systèmes de « biofeedback », faisant piloter, par exemple, des dispositifs électroniques, par des ondes cérébrales ou des battements cardiaques (Lucier, Rosenboom, Henry et Lafosse). Innombrables sont donc les techniques, et imprévisibles leurs développements futurs, mais on peut prévoir sans risque que les applications les plus diverses de l’informatique y tiendront une place croissante à tous les niveaux. downloadModeText.vue.download 595 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 589 LIVRES LITURGIQUES. Recueil des textes et rubriques servant aux ministres du culte pour la célébration des offices. Les livres liturgiques de l’Église catholique sont composés de textes réunis soit selon la fonction, soit selon l’usage ; la première conception est privilégiée par les livres orientaux, la seconde par les occidentaux. Outre le calendrier liturgique (martyrologe), on distingue trois catégories principales : le missel pour la messe, le bréviaire pour les heures, le rituel pour l’administration des sacrements. S’y ajoutent, pour les évêques, le pontifical (office) et le cérémonial. Ne pas confondre, en dépit de certaines similitudes de noms (missel), avec les livres de choeur, qui concernent, cette fois, les chantres et les fidèles (antiphonaire, vespéral, etc.). LIVRET. Ouvrage littéraire, en vers ou en prose, destiné à être mis en musique en vue de la composition d’un opéra, d’un opéra bouffe, d’un opéra-comique, d’une opérette ou d’un ballet. Issu du madrigal et du ballet de cour, qui se contentaient d’illustrer des poèmes plus ou moins disparates en des scènes plus ou moins décousues, l’opéra dut faire appel à de véritables livrets quand il entreprit, dans l’Italie des alentours de l’an 1600, de traiter de façon cohérente des sujets mythologiques ou historiques précis. En France, les premiers livrets de cette sorte sont ceux que Philippe Quinault (1635-1688) fournit à Lully. D’une qualité littéraire certaine, que favorisait d’ailleurs le style noble du compositeur, ils seront pendant plus d’un siècle non seulement imités, mais souvent réutilisés par d’autres musiciens. Le même phénomène se reproduisit au XVIIIe siècle avec Zeno et surtout Métastase, dont certains livrets d’opera seria furent mis en musique plusieurs dizaines de fois. Vers 1760, en France, un genre nouveau prend naissance et prospère : l’opéra-comique, où s’illustrent des librettistes tels que Favart, Marmontel, Sedaine, qui ne manqueront pas de successeurs au XIXe siècle. Le « grand opéra », pour sa part, va être sauvé par la révolution romantique, dont les aspirations n’ont pas grand-chose de commun avec l’idéal classique. Les musiciens, comme les autres artistes, en ont assez des Grecs et des Romains. Ils réclament de l’action, voire de la violence, des héros tout d’une pièce et des situations bien tranchées. Si les librettistes manquent d’imaginaton, ils n’ont qu’à puiser dans la littérature. S’ouvre alors l’ère des « adaptations » lyriques de pièces ou de romans célèbres, dont le seul titre attire les foules. Scribe, Barbier, Saint-Georges en France, Cammarano, Piave, Somma, Boito, Giacosa et Illica en Italie pillent sans vergogne Shakespeare, Walter Scott, Schiller, Goethe, Victor Hugo, Dumas fils et Victorien Sardou au profit de Donizetti, Verdi, Gounod, Puccini et autres grands fournisseurs du théâtre lyrique. Certains contemporains, Hugo par exemple, ont le mauvais goût de s’en plaindre alors qu’il s’agit d’une consécration. Qui parlerait encore du Roi s’amuse s’il n’y avait pas Rigoletto ? Et puis, l’exemple venait de loin, et de haut. Mozart n’avait-il pas emprunté Don Giovanni en partie à Molière et Le Nozze di Figaro à Beaumarchais par l’intermédiaire du subtil Lozenzo Da Ponte ? L’usage s’est longtemps conservé, en matière de théâtre lyrique, de citer le ou les librettistes avant le compositeur. On disait par exemple : « Faust, opéra en 5 actes de Jules Barbier et Michel Carré, musique de Charles Gounod ». Cela paraît ridicule, mais ce n’est pas tout à fait injuste. Aucun opéra, à plus forte raison un opéra bouffe ou une opérette, ne peut réussir sans un bon livret. Et ce n’est pas à la lecture qu’on peut juger s’il est bon ou mauvais. Les conventions du genre étant ce qu’elles sont, il vaut mieux chanter des niaiseries qui sonnent bien qu’un beau texte inchantable... qu’on ne comprendrait pas davantage. Le librettiste doit écrire, d’accord avec le compositeur, en fonction du succès de la représentation. Ce n’est pas seulement un métier, mais un art véritable, qui exige quelques sacrifices. On sait ce que doivent Offenbach à Meilhac et Halévy, Verdi à Boito, Puccini à Giacosa et Illica, Richard Strauss à Hugo von Hofmannsthal, dont le Rosenkavalier est sans doute le seul livret d’opéra qui puisse se passer de musique, en d’autres termes être donné comme pièce de théâtre. Une autre exception qui confirme la règle est celle de Pelléas et Mélisande, que Debussy a réussi contre Maeterlinck... Quelques compositeurs, à la suite de Wagner, ont écrit leurs propres livrets. LLOBET (Miguel), guitariste espagnol (Barcelone 1878 - id. 1938). Il fut l’élève et le plus célèbre disciple de Tarrega, et vécut à Paris de 1904 à 1914, faisant, grâce à son compatriote Ricardo Vinès, la connaissance de Debussy, Ravel, Fauré, Albéniz. Doté d’une extraordinaire technique, il eut de la guitare une conception presque orchestrale, grâce à un extraordinaire maniement des timbres et de la polyphonie. En 1920, Falla écrivit pour lui son Homenaje destiné au « Tombeau de Claude Debussy ». LOBKOWITZ, famille princière originaire de Bohême, et dont plusieurs membres protégèrent des compositeurs. Au XVIIIe siècle, la « jeune lignée », dite de Melnick, fut représentée notamment par Georg Christian (1686-1755), grand admirateur de Gluck et qui reçut de lui les dédicaces d’Arsace (1743), La Sofonisba (1744) et Ippolito (1745), et par son fils Joseph Maria Carl (1725-1802), maréchal et diplomate, qui souscrivit aux concerts organisés par Mozart au Trattnerhof en 1784 et dans les salons duquel Beethoven fit ses débuts de pianiste à Vienne le 2 mars 1795. La « lignée ancienne », dite de Raudnitz, commença par Philipp Hyacinth (1680-1734), qui engagea le père de Gluck comme maître forestier ; par son fils Ferdinand Philipp (1724-1784), qui emmena Gluck à Londres et se lia à Berlin avec Carl Philipp Emanuel Bach (on dit qu’ils mirent sur pied une symphonie en composant tour à tour chacun une mesure) ; et par le fils de Ferdinand Philipp, le prince Joseph Franz Maximilian (1772-1816). Ce dernier fonda officiellement sa chapelle musicale privée le 1er janvier 1797, plaçant à sa tête Antonin Vranicky. Doté d’une belle voix de basse, il passa dans l’histoire comme protecteur de Haydn et surtout de Beethoven. Il chanta plusieurs fois la Création de Haydn, et reçut au même moment la dédicace des Quatuors op. 77 de Haydn (composés en 1799 et publiés en 1802) et des Quatuors op. 18 de Beethoven (composés en 1799-1800 et publiés en 1801), et plus tard celles des symphonies nos 3, 5 et 6 ainsi que du triple concerto, du quatuor op. 74 et du cycle de lieder À la bien-aimée lointaine de Beethoven. C’est dans son palais de Vienne que fut donnée pour la première fois, en privé, vers le 9 juin 1804, la Symphonie héroïque, dont il avait reçu l’exclusivité pour six mois, et qu’il paya à Beethoven plus de 700 florins. LOCATELLI (Pietro Antonio), violoniste et compositeur italien (Bergame 1695 Amsterdam 1764). On suppose qu’il fut à Rome l’élève de Corelli. Son activité de virtuose le fit voyager en Europe occidentale (en Italie et en Allemagne notamment) jusqu’en 1729, date où il se fixa à Amsterdam. C’est là que devaient être éditées la plupart de ses oeuvres. Naturellement influencé au début par le style de Corelli au niveau des formes pratiquées (Concertos grossos op. I, 1721), il les fit sensiblement évoluer, par la suite (Sonates pour violon et basse, Sonates en trio), tandis que son langage harmonique se personnalisait rapidement. Sa technique du violon, dépassant les formules traditionnelles, en fait un prédécesseur de Paganini (recueil L’Arte del violino, avec les 24 Caprices, 1733). Son utilisation des accords brisés, du démancher et des positions élevées apparaît particulièrement audacieuse pour son époque. Locatelli appartient à cette pléiade de compositeurs-violonistes italiens qui constituèrent une véritable ère du violon et de la musique pour cordes (Vivaldi, Tartini, Geminiani, Nardini). Toutefois, Locatelli ne se limita pas à son instrument ; on lui doit aussi downloadModeText.vue.download 596 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 590 12 sonates pour flûte traversière et basse (1732). Il entretint une correspondance avec le padre Martini et fut un pédagogue recherché, auprès duquel se perfectionna, entre autres, Jean-Marie Leclair. LOCKE (Mathew), compositeur et organiste anglais (Devon ? v. 1621-22 Londres 1677). Il fit probablement ses études musicales à Exeter sous la direction de Edward Gibbons. Choriste à la cathédrale jusqu’en 1641, il servit par la suite dans l’armée royale, tout en poursuivant sa carrière de musicien. De retour à Londres peu après 1650, il y fut, sous le Commonwealth, un compositeur très en vue, s’adonnant à tous les genres pratiqués : anthems, hymnes, ayres, pièces instrumentales. À la Restauration, Charles II le nomma Composer in Ordinary. Après la composition de sa Collection of Songes made when I was in the Lowe Countries (conservée en manuscrit) et la publication du Little Consort of Three Parts (1656) pour violes ou violons, Mathew Locke devint le compositeur le plus important pour l’histoire du théâtre musical en Angleterre avant H. Purcell. Son nom reste associé à un certain nombre d’oeuvres théâtrales : Davenant lui confia le premier acte du Siege of Rhodes (1656), puis Locke composa la musique pour des versions de Macbeth (adaptation de Davenant, 1663), The Tempest de Thomas Shadwell (1667), The Empress of Morrocco de Elkanah Settle et pour une Psyché de Shadwell. Mais Locke est resté surtout célèbre pour le « masque » dramatique de James Shirley Cupid and Death, qu’il mit en musique, et qui fut représenté en 1653 et 1659. Le manuscrit conservé date de 1659 et contient également des compositions de Christopher Gibbons pour ce même spectacle. Après le Comus de H. Lawes, Cupid and Death constitue, avec Venus and Adonis de John Blow et Didon et Énée de H. Purcell, un pas important dans la création de l’opéra proprement dit en Angleterre. LOCKSPEISER (Edward), musicologue et compositeur anglais (Londres 1905 Alfriston, Sussex, 1973). Il fit ses études au Conservatoire de Paris, notamment dans la classe de Nadia Boulanger, ainsi qu’au Royal College of Music de Londres avec Charles Herbert Kitson et Malcolm Sargent. D’abord compositeur (la plupart de ses oeuvres datent des années 20, mais il a écrit aussi par la suite de la musique de film) et chef d’orchestre (il a fondé le Toynbee Hall Orchestra), il devint critique musical dans de nombreuses revues, telles que Music and Letters, The Listener, The Musical Times, et travailla à la B.B.C. de 1940 à 1951. E. Lockspeiser fut encore maître de conférence à l’université de Londres de 1966 à 1971, puis il enseigna au Collège de France à partir de 1971. Spécialiste de la musique française, il a écrit sur Berlioz, sur Bizet, et aussi plusieurs ouvrages importants sur Debussy. Sa biographie a été traduite en français (Paris, 1980), conjointement à une étude de l’oeuvre due à Harry Halbreich. LOCO (ital. : « à sa place »). Terme indiquant, après un passage marqué « in 8va » (« à l’octave », qu’il faut revenir à la tessiture normale ; ou encore, pour un violoniste, après un passage sur des cordes ou dans des positions plus graves ou plus élevées, un retour à la position ou au doigté normaux. Dans la mesure où elle supprime une « altération », l’indication « loco » peut se comparer à la présence d’un bécarre. LODÉON (Frédéric), violoncelliste et chef d’orchestre français (Paris 1952). En 1967, il entre dans la classe d’André Navarra au Conservatoire de Paris, où il obtient en 1969 et 1970 ses prix de violoncelle et de musique de chambre. Lauréat de plusieurs concours internationaux de 1972 à 1977, il fait des débuts remarqués à Prague en 1973, puis est invité au Festival de Gstaad, que dirige Y. Menuhin. Dans la décennie qui suit, il se produit dans le monde entier en soliste et en formation de musique de chambre. Victime d’un accident en 1984, il doit modifier sa carrière. À partir de 1987, il dirige et produit des émissions musicales à la télévision et à la radio. LOEFFLER (Charles Martin Tornow), violoniste et compositeur américain né en France (Mulhouse 1861 - Medfield, Massachusetts, 1935). Enfant, il suit ses parents, de nationalité allemande, en Russie, Hongrie et Suisse. Il effectue ses études musicales à Berlin (violon avec E. Rappoldi et J. Joachim, composition avec F. Kiel) et à Paris (violon avec J. Massart et composition avec Guiraud), puis devient membre de l’orchestre Pasdeloup et de l’orchestre du baron russe Paul von Derwies. À la mort de celui-ci (1881), il émigre aux ÉtatsUnis et, en 1882, est engagé par le Boston Symphony Orchestra, qu’il quitte en 1903 pour se consacrer à la composition et à l’enseignement dans sa propriété de Medfield. La fin de sa vie, sédentaire, contraste étrangement avec sa jeunesse cosmopolite, qui aura une très grande influence sur ses compositions. Son oeuvre est, en effet, un amalgame de tendances variées : folkloriques tout d’abord (Night in the Ukraine, 1981 ; Conte espagnol, 1912 ; Memories of my Childhood, 1925 ; 5 Irish Fantasies, 1935), mystiques ensuite (Hora mystica, 1916 ; thème grégorien de sa Music for Four Stringed Instruments, 1917, sans doute son oeuvre la plus réussie). Vinrent enfin s’ajouter les influences plus contemporaines de Gershwin et du jazz (Clowns, 1928). Malgré cela, et à cause de sa naissance, de son éducation musicale et de son amour passionné pour les poètes et peintres français impressionnistes et symbolistes, il se considérera toujours comme un musicien de souche française. Ce lien culturel se traduit dans son choix de textes (la Mort de Tintagiles, d’après Maeterlinck, 1900 ; Poème, d’après Verlaine, 1918) et dans son écriture musicale, fortement influencée par Debussy et Fauré. Il reste pourtant un musicien assez conventionnel, et sa plus grande originalité réside dans une instrumentation souvent inhabituelle, comme dans le Psaume 137, pour choeur de femmes, violoncelle, 2 flûtes, harpe et orgue (1907), la Mort de Tintagiles, pour viole d’amour et orchestre, et les Memories of my Childhood, où figurent des cloches et un harmonica. LOEHRER (Edwin), chef d’orchestre suisse (Andwil, Saint-Gall, 1906 - Orselina, Locarno, 1991). Il étudie la direction d’orchestre et la composition à la Tonkunstakademie de Munich (1927-1932), l’orgue au conservatoire de Zurich et la musicologie à l’université de cette même ville. Il fonde en 1936 l’ensemble vocal de la radio de la Suisse italienne (Studio Lugano) et en 1961 la Società cameristica de Lugano, formation spécialisée dans l’interprétation de la musique italienne ancienne. LOEILLET, famille de musiciens belges originaire de Gand. Jean Baptiste, dit Jean de Londres (Gand 1680 - Londres 1730). Il fit ses études musicales à la maîtrise de la cathédrale de Gand, étudia l’orgue, le clavecin, la flûte, et enseigna ces diverses disciplines. En 1705, il fut engagé comme flûtiste à l’orchestre du Haymarket Theater de Londres. Il donna de nombreux concerts de flûte traversière, faisant connaître et apprécier cet instrument en Angleterre. Également compositeur, il écrivit plusieurs sonates en trio et des recueils d’exercices pour la flûte traversière et le clavecin (Lessons, v. 1712). Ces oeuvres, dans lesquelles la maîtrise du contrepoint va de pair avec un sens mélodique très séduisant, se rattachent à l’esthétique française autant qu’au style concertant italien. Il avait constitué une importante collection d’instruments de musique, qu’il légua, en 1729, à ses cousins. L’anglicisation de son nom en « Lullie » créa des confusions avec celui de Lully. downloadModeText.vue.download 597 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 591 Jacques (Gand 1685 - id. 1748). Comme Jean-Baptiste, son frère, il fit ses études à la maîtrise de la cathédrale de Gand. Après avoir été musicien du prince électeur de Bavière, Max Emmanuel, il fit carrière en France. En 1715, il faisait partie de la Chambre du roi Louis XV à Versailles en qualité d’hautboïste. Pendant ses loisirs il pratiqua, dit-on, la magie et donna à la cour des séances d’illusionnisme. Jean-Baptiste, dit L’oeillet de Gand, cousin des précédents (Gand 1688 - Lyon v. 1720). Mort de bonne heure, il composa néanmoins 48 sonates pour flûte et basse, qui furent toutes éditées chez Roger à Amsterdam entre 1710 et 1717. Elles présentent un compromis entre la sonata da chiesa et la sonata da camera. LOEWE (Carl), compositeur allemand (Löbejün, près de Halle, 1796 - Kiel 1869). Il étudia avec son père puis avec D. G. Türk à Halle. Nommé en 1820 organiste et cantor de la Jacobikirche de Stettin, il devait rester dans cette ville quarante-six ans, y remplissant également les fonctions de directeur général de la musique et de professeur au Gymnasium. Il écrivit dans la Berliner Allgemeine Musikalische Zeitung d’Adolph Bernhard Marx (fondée en 1824), donna des concerts de ses oeuvres vocales à Vienne (1844), à Londres (1847), en Scandinavie (1851), en France (1857). Il fut, avant tout, un auteur de ballades pour voix avec accompagnement de piano ; Erlkönig (1818), sur le poème de Goethe (composé trois ans après le chefd’oeuvre du même nom de Schubert), fit sensation. Citons encore Herr Oluf (1821), Trois Ballades d’après Goethe, dont l’Apprenti sorcier (1832), Heinrich der Vogler (1836). Loewe fut un peu à la musique ce que Ludwig Uhland fut à la littérature allemande. On lui doit aussi 5 opéras, dont Die drei Wünsche (1834), des oratorios, dont Die Siebenschläfer (1833), des cantates et motets, 3 sonates pour piano, 2 symphonies. Dans les ballades, de couleur souvent populaire, à l’accompagnement descriptif, la musique varie en général d’une strophe à l’autre pour répondre aux exigences du texte. LOGOTHETIS (Anestis), compositeur autrichien d’origine grecque (Burgas, Bulgarie, 1921 - Lainz, Autriche, 1994). Élève d’Erwin Ratz (théorie) et d’Alfred Uhl (composition) à Vienne, il a travaillé en 1957 au Studio de musique électronique de Cologne avec Gottfried Michael König, et développé, à partir de 1958, un système original de notation graphique (cf. ses écrits Notation mit graphischen Elementen, Salzbourg, 1967 ; Zeichen als Agregatzustand der Musik, Vienne, 1974). De 1950 à 1960, il a écrit, surtout, des oeuvres de chambre et d’orchestre en notation traditionnelle et d’obédience sérielle. Parmi ses ouvrages en notation graphique, les ballets Himmelsmechanik (1960), 5 Porträte der Liebe (1960) et Odyssee (1963), les oeuvres de théâtre musical Party (1961) et Karmadharmadrama (1961-1968), et Entomology-party, écrit pour la radio (1972). Citons encore Klangfelder und Arabeske pour piano et bande magnétique ou orchestre de chambre (1976), et Daidalia oder Das Leben einer Theorie (Daidalia ou la Vie d’une théorie, 1977), qui relève du théâtre musical. LOLLI (Antonio), violoniste italien (Bergame v. 1725 - Palerme 1802). Il fut violoniste à la cour de Stuttgart de 1758 à 1774, puis à celle de Saint-Pétersbourg jusqu’en 1778, et, en fin de carrière, voyagea beaucoup (Paris, Espagne, Londres, Palerme, Copenhague, Paris, Vienne, Naples). Doté d’une très grande technique, il a écrit - sans doute non sans être aidé - 8 concertos pour violon, 3 cahiers de sonates pour violon avec basse continue, 6 duos pour 2 violons, ainsi qu’une École du violon en quatuor (v. 1784). LOMBARD (Alain), chef d’orchestre français (Paris 1940). À sept ans, il prend ses premières leçons de violon avec Line Talluel. L’année suivante, il rencontre Suzanne Demarquez, qui lui enseigne le piano et le solfège. Admis à neuf ans au Conservatoire national supérieur de Paris, dans la classe de direction d’orchestre de Gaston Poulet, il dirige pour la première fois, deux ans plus tard, l’Orchestre Pasdeloup. Après son baccalauréat, il se consacre totalement à la musique, étudiant, notamment, avec le chef hongrois Ferenc Fricsay. Il commence sa carrière à l’Opéra de Lyon, comme chef assistant, puis principal. En 1962, à Paris, il dirige, en alternance avec Georges Prêtre, les premières représentations de l’Opéra d’Aran de Bécaud. Il débute à New York en 1963, à l’American Opera Society, avec Hérodiade de Massenet. En 1966, il remporte, devant trente-quatre concurrents, le prix Mitropoulos, et devient l’assistant de Bernstein à l’Orchestre philharmonique de New York et de Karajan au festival de Salzbourg. L’année suivante, il dirige Faust au Metropolitain Opera de New York, dont il devient chef assistant. Il est également nommé directeur musical de l’Orchestre de Miami (1967). Il a dirigé à partir de 1972 l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, où, de 1974 à 1979, il a été le responsable artistique du nouvel Opéra du Rhin. Il a été nommé pour la période 1981-1983 à la direction musicale de l’Opéra de Paris. Il a eu comme successeur à Strasbourg Theodor Guschlbauer, et a succédé à Roberto Benzi à la tête de l’Orchestre de Bordeaux-Aquitaine (1987- 1995). LOMBARDI (Luca), compositeur italien (Rome 1945). Après un baccalauréat au lycée allemand et une licence ès lettres à l’université de Rome, avec une thèse sur Hanns Eisler, il étudie la composition avec Roberto Lupi et Boris Porena au conservatoire Gioacchino-Rossini de Pesaro, et obtient son diplôme en 1970 ; de 1968 à 1973, à Cologne, il étudie avec Bernd Alois Zimmermann et Vinko Globokar et suit les cours de nouvelle musique de K. Stockhausen, H. Pousseur, M. Kagel et D. Schnebel, et découvre la musique électronique avec Herbert Eimert et G. M. König. Invité de l’Académie des arts de la R. D. A., il travaille avec Paul Dessau en 1973. De 1973 à 1978, il est professeur de composition au conservatoire Gioacchino-Rossini de Pesaro, puis à partir de 1980 au conservatoire Giuseppe-Verdi de Milan. On lui doit plusieurs livres et essais sur la musique (Hanns Eisler ; Musica della rivoluzione, Milan, 1978 ; Musik im Übergang, avec H. K. Jungheinrich, Munich, 1977 ; Conversazioni con Goffredo Petrassi, Milan, 1980). Ses oeuvres, d’inspiration marxiste, recherchent la communication d’un message politique, et, malgré certains traits caractéristiques de la musique postsérielle, relèvent du concept de « nouvelle intelligibilité » (Neue Deutlichkeit). Citons Albumblätter pour piano (1967-68), Wiederkehr pour piano (1971), Non Requiescat. Musica in memoria di H. Eisler pour orchestre de chambre (1973), Canzone pour orchestre de chambre (1974-75), Prima Sinfonia pour orchestre (1974-75), Variazioni su Avanti popola alla riscossa pour piano (1977), Essay pour contrebasse (1975), Essay 2 pour clarinette basse (1979), Hasta que caigan las puertas del odio pour 16 voix, texte de P. Neruda (1976-77), Tui-Gesänge pour soprano et 5 instruments, texte de A. Betz (1977), Variazioni pour orchestre (1977), E subito riprende il viaggio. Frammenti di Ungaretti pour 5 voix (1979-80), Majakowski, cantate pour basse, choeur et 7 instruments (1979-80), Klavierduo pour 2 pianos (1978-79), Celan-Lieder pour soprano et 6 instruments (1985), Faust, un travestimento, opéra en 3 parties (Bâle, 1991). LONCHAMPT (Jacques), critique musi- cal français (Lyon 1925). Licencié en philosophie, il a été tout d’abord délégué régional des Jeunesses musicales à Lyon (1946-47), puis en 1947 rédacteur en chef de la revue des Jeunesses musicales de France, devenue plus tard Journal musical français (1948-1960). Il assuma en même temps diverses activités de critique, notamment à Radio-cinémadownloadModeText.vue.download 598 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 592 télévision, plus tard Télérama (1950-1961). Entré au journal le Monde en 1961 comme critique musical adjoint, il en devint premier critique et chef de rubrique musicale comme successeur de René Dumesnil (1965-1990). Il a écrit notamment les Quatuors de Beethoven (1956), Dictionnaire pratique des compositeurs et des oeuvres musicales (2 vol., 1955, 1959), et l’Opéra aujourd’hui (1970). LONDON (George, de son vrain nom G. BURNSTEIN), baryton-basse américain (Montréal 1920 - Armonk, New York, 1985). Élève de Hugo Strelizer et de Nathan Stewart à Los Angeles, il débuta dans la Traviata au Hollywood Bowl, sous le nom de George Burnson (1941). Il poursuivit ses études à New York et forma le Bel Canto Trio (1947), avec Francis Yeend et Mario Lanza, effectuant avec cette formation de vastes tournées à travers les ÉtatsUnis. Sa carrière internationale débuta au Staatsoper de Vienne (1949-1954). En 1951, il chanta Amfortas à Bayreuth, partageant dorénavant ses activités entre l’opéra de Vienne et le Metropolitan Opera. Il fut le premier étranger à chanter Boris Godounov (en russe) au théâtre du Bolchoï (1960), et incarna Wotan à Cologne (1962-1964). Il dut interrompre sa carrière pour raisons de santé et se consacra à l’administration artistique, montant intégralement le Ring de Wagner à Seattle (1975), cela pour la première fois en langue anglaise aux États-Unis. LONG (Marguerite), pianiste et pédagogue française (Nîmes 1874 - Paris 1966). Initiée au piano par sa soeur, professeur au conservatoire de leur ville natale, elle entre à douze ans au Conservatoire de Paris, dans la classe de Tissot. Sortie premier prix à quinze ans, elle se dirige vers l’enseignement, encouragée par Marmontel, dont elle devient le disciple fervent. Commencée en 1893, sa carrière de concertiste s’infléchit vers la musique contemporaine au fil de rencontres décisives : en 1903, Fauré, dont elle recrée la Ballade, Albéniz (qui compose pour elle sa Navarra), Debussy (qui lui fait travailler ses oeuvres et dont elle crée en 1919 - le même jour que Cortot - la Fantaisie), Ravel (le Tombeau de Couperin en 1919 et le Concerto en « sol » en 1932), Milhaud (son premier concerto en 1934), F. Schmitt, R. Ducasse, etc. Parallèlement se déroule sa carrière de pédagogue : nommée professeur au Conservatoire de Paris en 1906, elle succède à L. Diémer à la tête d’une classe supérieure de piano. En marge de son enseignement, elle donne des cours-conférences à l’École normale de musique, sur l’oeuvre de Fauré, de Debussy, de Chopin, qu’elle illustre par ses concerts. Obligée de démissionner en 1940, elle fonde sa propre école avec l’aide de J. Thibaud. Ensemble, les deux artistes créent, en 1943, le concours qui porte leurs noms et qui prend une dimension internationale trois ans plus tard. J. Doyen, J. Février, N. Henriot, Y. Lefébure, L. Descaves, S. François, B. L. Gelber comptent parmi leurs élèves les plus prestigieux. Ils ont fait leur son goût de la clarté (obtenue par l’arrondi des doigts sur le clavier) et pour une mouvance naturelle des sons et des couleurs. LONGO (Alessandro), pianiste et compositeur italien (Amantea 1864 - Naples 1945). Il fut l’élève de son père, le pianiste et compositeur Achille Longo, avant d’entrer au conservatoire de Naples, où il étudia le piano avec B. Cesi, ainsi que l’orgue et la composition de 1878 à 1885. À partir de 1887, il y enseigna lui-même le piano et fut un professeur très recherché. En 1892, il fonda une société Domenico-Scarlatti et publia les oeuvres complètes pour clavier de ce compositeur (1906-1910). Bien que la classification qu’il adopta fût arbitraire, ce travail fit beaucoup pour relancer l’intérêt porté à Scarlatti. Depuis, cette classification des sonates de Scarlatti a été communément remplacée par celle, chronologique, de Ralph Kirkpatrick. LONGTIN (Michel), compositeur canadien (Montréal 1946). Après avoir reçu une formation scientifique, il s’est tourné vers la musique en 1968, étudiant à Montréal et à Toronto, en particulier avec Serge Garant, et enseigne actuellement la composition et l’analyse à l’université de Montréal. Après s’être consacré pendant dix ans à la musique électroacoustique (Au nord du lac Supérieur, 1972 ; Trilogie de la montagne amorcée au studio de Bourges en 1977 et terminée au studio McGill en 1980), il s’est tourné également vers les grandes formations de chambre avec Pohjatuuli Hommage à Sibelius pour 12 instruments (1983, prix Jules-Léger 1986) ou encore Citortia (1990), et vers l’orchestre avec Autour d’Ainola (1986) ou encore Hommage à Euler (1990, pour le 700e anniversaire de la Confédération helvétique). Il se définit lui-même comme un « expressionniste pourtant très personnel ». LONGUE. 1. En métrique, valeur d’une syllabe par rapport à la brève considérée comme unité de temps. En principe, la longue vaut 2 brèves, mais dans certaines positions elle peut en valoir 3, ce qu’on retrouvera dans les principes de la notation proportionnelle. La longue s’indique par un petit trait horizontal surmontant la syllabe ; la brève ne fut d’abord pas notée, puis elle s’indiqua par un signe analogue à un demicercle ouvert vers le haut. 2. En notation médiévale proportionnelle, valeur de note analogue à celle de la longue en métrique, valant selon les cas 2 ou 3 brèves. La longue de 3 brèves était dite « parfaite », celle de 2 brèves « imparfaite », soit par allusion à la Trinité, soit parce que perfectus signifie à l’origine « complet, achevé ». La longue finale, de valeur indéterminée, équivalait à une note dotée d’un point d’orgue. La notation fut différente selon que l’écriture était ligaturée ( ! LIGATURE) ou syllabique ; dans ce dernier cas, seul en compte pour l’évolution ultérieure, la longue emprunta à l’origine la forme de la virga carrée (note carrée avec queue descendante à droite), tandis que la brève prenait celle du punc- tum (carré sans queue). L’alternance initiale longue/brève, qui motivait le système, fit place peu à peu à des rythmes plus compliqués, où le principe de la proportionnelle perdit sa raison d’être, mais il resta en vigueur jusque vers le milieu du XVIIe siècle. 3. En notation classique, la valeur des notes écrites n’ayant entre-temps cessé de croître, la « brève » finit par devenir la « note carrée » valant 2 rondes, c’est-àdire, contrairement à son nom, une valeur déjà exceptionnellement longue. La longue resta dans la théorie, mais ne fut plus guère employée sinon en note finale avec sa valeur de point d’orgue. Elle s’écrivait, comme jadis, par un rectangle allongé avec queue descendante à droite. Elle est aujourd’hui tout à fait hors d’usage. LORENGAR (Pilar), soprano espagnole (Saragosse 1921 - Berlin 1996). En 1949, elle sort du Conservatoire de Barcelone, et se fait remarquer en 1952 en chantant des zarzuelas. Sa carrière internationale débute en 1954 à Londres et Paris, et en 1957 elle chante Pamina à Glyndebourne. En 1958, elle y incarne la Comtesse, puis, en 1961, est Ilia d’Idoménée à Salzbourg. Elle chante au Metropolitan entre 1966 et 1978. Mozartienne, elle maîtrise aussi les principaux rôles de Verdi et Puccini. En 1990, elle fait ses adieux sur scène dans Tosca à Berlin, et en récital à Oviedo en 1991. LORENZ (Max), ténor allemand (Düsseldorf 1901 - Salzbourg 1975). Il fit ses débuts en 1927 à Dresde dans Tannhäuser (rôle de Walther), chanta à l’Opéra de Berlin à partir de 1933 et commença une carrière internationale qui le conduisit de Vienne à Londres et de Paris à New York. Entre 1932 et 1939, il se produisit aussi au festival de Bayreuth, et revint régulièrement à Paris entre 1947 et 1952. Il fut l’un des grands ténors wagnériens du XXe siècle. Sa voix dramatique downloadModeText.vue.download 599 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 593 à l’aigu facile, sa présence physique, ses dons d’acteur en firent un Siegfried in- comparable. Mais son Tannhäuser et son Tristan comptèrent également parmi des incarnations majeures. Parmi les rôles non wagnériens où il excella, il faut citer Don José dans Carmen de Bizet et Otello de Verdi. LORIOD, famille de musiciens français. Jeanne, ondiste (Houilles 1928). Remarquable ondiste de renommée internationale, elle commença très jeune une brillante carrière de soliste après avoir étudié le piano, puis les ondes Martenot au Conservatoire de Paris. Ayant, dès sa création, décelé les étonnantes ressources de l’instrument, elle l’étudia avec son créateur, Maurice Martenot, et en devint l’efficace et brillante propagandiste. Particulièrement appréciée de compositeurs contemporains, comme Messiaen, Jolivet, Honegger, Milhaud, Landowski, elle fonde en 1950 le quatuor, puis le sextuor d’ondes Martenot et, en 1974, le sextuor d’ondes Jeanne-Loriod. Elle enseigne depuis 1970 au Conservatoire national supérieur de Paris. Elle est la soeur d’Yvonne Loriod. Yvonne, pianiste et compositrice, soeur de la précédente (Houilles 1924). À quatorze ans, elle avait déjà à son répertoire le Clavier bien tempéré de Bach, les 27 concertos de Mozart, les 32 sonates de Beethoven et toute l’oeuvre pianistique de Chopin. Élève au Conservatoire de Paris de Lazare-Lévy et d’Olivier Messiaen (elle épousera ce dernier par la suite), titulaire de 7 premiers prix, elle s’est brillamment affirmée dans le monde musical contemporain, donnant en première audition mondiale ou française des oeuvres de Schönberg, Bartók, Jolivet, et en première mondiale toutes celles avec piano d’Olivier Messiaen, à partir des Visions de l’Amen (1943). Elle a aussi créé, avec le compositeur, le second livre de Structures de Pierre Boulez (Donaueschingen, 1961). Elle maîtrise également un répertoire traditionnel considérable (Mozart, Schumann, Debussy). Professeur au Conservatoire national de Paris depuis 1968, elle dirige, en outre, depuis 1958, une classe de piano à la Musikhochschule de Karlsruhe. Elle a réalisé de nombreux enregistrements, en particulier d’oeuvres d’O. Messiaen, et le premier en date de la Sonate de Jean Barraqué. Son oeuvre de compositeur comporte : Pièce sur la souffrance pour orchestre, Grains de cendre pour soprano et orchestre de chambre (1946), Mélopées africaines pour ondes Martenot, piano, flûte (1945). LORTIE (Louis), pianiste canadien (Québec 1959). Il fait ses débuts avec l’Orchestre symphonique de Montréal à l’âge de treize ans. Il remporte plusieurs prix prestigieux au Canada et en Europe et, en 1978, accompagne la tournée en Chine et au Japon de l’Orchestre symphonique de Toronto. Il a joué avec les plus grands orchestres. Depuis 1992, il donne chaque année, avec Charles Dutoit et l’Orchestre de Montréal, une intégrale de l’oeuvre concertante d’un compositeur : Beethoven, Tchaïkovski, Liszt et Chopin sont suivis en 1996 d’un cycle Mendelssohn-Schumann. Au disque, il a signé notamment une intégrale de Ravel et commencé celle des sonates de Beethoven. En 1995, il fonde le trio LortieBerickLysy. LORTZING (Albert), compositeur allemand (Berlin 1801 - id. 1851). Il apprit les rudiments de la théorie musicale à la Singakademie de Berlin, mais se forma essentiellement en autodidacte. Ses parents, acteurs de théâtre, l’initièrent à la scène dès l’âge de onze ans. Ayant développé une voix agréable, il fut vite employé comme chanteur et comme acteur. Ayant épousé en 1823 l’actrice Rosina Ahles, il fut engagé avec elle au Théâtre de Cologne, où l’année suivante on représenta son premier singspiel Ali pascha von Janina. De 1826 à 1833, le couple appartint à la troupe du théâtre de cour de Detmold. Lortzing continua à composer des oeuvres qu’il interprétait lui-même, chantant et même jouant du violoncelle dans l’orchestre. En 1823, il fut engagé, avec sa femme, au Théâtre municipal de Leipzig. Il devait y rester douze ans, ses ouvrages lui gagnant peu à peu une grande réputation, sans lui ouvrir pour autant les portes du milieu musical dans lequel évoluent Mendelssohn et Schumann. De cette époque datent ses succès les plus populaires : Zar und Zimmermann (1839) et Der Wildschütz (1842). En 1844, il fut nommé maître de chapelle, mais perdit son poste l’année suivante. Il tenta alors une oeuvre plus ambitieuse : l’opéra romantique Undine (1845), représenté à Hambourg et à Magdebourg avec un succès limité. À dé- faut d’invention musicale originale, on y trouve un lyrisme assez convaincant avec une utilisation précoce des leitmotive. En 1846, les Lortzing s’installèrent à Vienne, où la chance sembla revenir avec Der Waffenschmied. Devenu maître de chapelle au Teater an der Wien, le musicien perdit encore cette situation au bout de deux ans. La même mésaventure lui arriva à Leipzig, où il retourna en 1846. Après de nouvelles difficultés, il obtint une position médiocre de directeur musical dans un petit théâtre de Berlin. C’est là qu’il mourut dans une misère relative. Sans avoir jamais conquis une gloire au-delà des frontières de son pays, Lortzing a, cependant, conservé jusqu’à nos jours la faveur du public populaire allemand. Ses oeuvres mêlent en effet heureusement la tradition du singspiel à celle de l’opéra-comique français. LOSANGE. Forme de note sans signification précise (on dit aussi « note losange » ou « note losangée »), produite par l’inclinaison de la plume d’oie lorsqu’elle trace en descendant des groupes de notes, qui seraient carrées si le mouvement de main était horizontal, comme cela se produit dans les climacus et leurs dérivés. Dans la notation proportionnelle du Moyen Âge (XIIIe s. et au-delà), contrairement à d’autres neumes ( ! LIGATURES), ces groupes de notes, dits conjuncturae, conservèrent leur indétermination rythmique, tandis que la note losangée isolée fut empruntée pour la « semi-brève », dont l’évolution ultérieure aboutit vers le XVIIe siècle à notre « ronde » actuelle. LOS ANGELES (Victoria de), soprano espagnole (Barcelone 1923). Elle fit ses débuts au théâtre Liceo de Barcelone en 1945, dans le rôle de la Comtesse des Noces de Figaro. Son premier prix au concours international de Genève (1947) la lança dans une carrière internationale. Invitée par la radio anglaise en 1949, pour chanter le rôle principal dans la Vie brève de M. de Falla, elle revint l’année suivante incarner Mimi de la Bohème à Covent Garden. Puis elle interpréta Marguerite de Faust à l’Opéra de Paris. Elle chanta régulièrement au Metropolitan Opera de New York à partir de 1951 le répertoire de soprano lyrique français et italien, aborda Élisabeth de Tannhäuser à Bayreuth, Rosine du Barbier de Séville à la Scala de Milan. Simultanément, elle a mené de front une carrière de récitaliste, où la mélodie française, le lied allemand et les « tonadillas » espagnoles occupent une part égale. Victoria de Los Angeles possédait un timbre exceptionnel à la fois chaud et pur. Sa personnalité musicale était particulièrement séduisante. LOTT (Felicity), soprano anglaise (Cheltenham 1947). Elle étudie à la Royal Academy de Londres, avant de débuter en 1975 à l’English National Opera dans le rôle de Pamina. Elle participe souvent au Festival de Glyndebourne, privilégiant les opéras de Mozart et Strauss. Elle aime aussi l’univers de la mélodie (Poulenc) et du lied. En 1976, elle crée Welcome to the River de Henze. En 1983, elle chante Louise de Charpentier à Bruxelles, et fait ses débuts au Metropolitan dans Capriccio en 1986. En 1993, elle incarne la Maréchale du Chevalier à la Rose à Glyndebourne et au Châtelet. downloadModeText.vue.download 600 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 594 LOTTI (Antonio), compositeur italien (Venise ou Hanovre 1666-67 - Venise 1740). Son lieu de naissance est incertain, par suite de la position de son père, maître de chapelle à Hanovre. En 1683, il est élève de Legrenzi à Venise et fait partie du choeur de la basilique Saint-Marc, dès sa formation en 1687. À part un voyage à Dresde, de 1717 à 1719, consacré à l’opéra, il restera toute sa vie à la basilique, d’abord comme chanteur et organiste (assistant du second organiste en 1690, second organiste en 1692 et premier organiste en 1704), puis comme maître de chapelle de 1736 jusqu’à sa mort. Il enseigne également à l’Ospedale degli Incurabili. Néanmoins, Lotti consacre la première partie de sa carrière créatrice à l’opéra. Dès 1692, il fait représenter à Venise Il Trionfo dell’ innocenza et sa production dans ce domaine est particulièrement riche dans les dix années précédant son voyage à Dresde. Il obtient un grand succès en Alle- magne, avec, tout d’abord, Giove in Argo (1717), puis Li Quatro Elementi (1719). Son style, fondamentalement vénitien, trahit cependant une forte influence de l’opéra napolitain en plein essor, en particulier dans la forme. Malgré sa réussite à Dresde, Lotti abandonne définitivement le domaine de l’opéra à son retour à Venise, pour se consacrer à la musique sacrée. Sa production comprend des oratorios et de très nombreux motets, messes, psaumes, magnificat, miserere, etc. Son style, sévère et dépouillé, montre une grande maîtrise de la polyphonie. Très attentif au texte, il préfère une écriture a cappella et n’hésite pas à recourir au chromatisme dans un but expressif. Ses oeuvres, célèbres, resteront longtemps au répertoire de la basilique, en particulier l’extraordinaire Miserere en ré de 1733. Il est également l’auteur d’un certain nombre de pièces vocales profanes (cantates et madrigaux), dont un recueil de Duetti, terzetti e madrigali, publié en 1705. Enfin, son rôle pédagogique est loin d’être négligeable, et on compte parmi ses élèves de grands musiciens, tels Benedetto Marcello, Domenico Alberti et Baldassare Galuppi. LOUCHEUR (Raymond), compositeur français (Tourcoing 1899 - Nogent-surMarne 1979). Élève de Vincent d’Indy et de Nadia Boulanger, il fut nommé en 1925 professeur de musique dans des écoles parisiennes, et obtint en 1928 le premier grand prix de Rome pour sa cantate Herakles à Delphes. Il fut inspecteur de l’enseignement musical dans les écoles de Paris et du département de la Seine (1940), puis inspecteur général de l’éducation musicale dans les lycées et collèges de France (1946). De 1956 à 1962, il dirigea le Conservatoire national de Paris, où il a laissé le souvenir d’une administration particulièrement rigide. Toutes ces activités ne l’ont pas détourné de sa carrière de compositeur. Musicien au style audacieux et incisif, il a signé de nombreuses oeuvres vocales (Cinq Poèmes de Rainer-Maria Rilke, 1957) ; des partitions de musique de chambre ; des oeuvres concertantes (Concerto pour violon, 1963 ; Concerto pour violoncelle, 1967 ; Concertino pour percussion, 1963), et des oeuvres orchestrales, dont 3 symphonies (1932, 1944, 1970) aux élans rythmiques vigou- reux, et la célèbre Rhapsodie malgache (1945). Il n’aborda le théâtre qu’une fois, avec un ballet inspiré d’un récit d’Edgar Poe, Hop-Frog, créé avec succès à l’Opéra en 1953. LOUIS XIII, roi de France (1601-1643). Grand amateur de musique dès son enfance, il succéda en 1610 à son père Henri IV, mais, malgré sa position, n’eut pas d’influence sur la vie musicale en France à cette époque. Son attitude fut plutôt celle d’un dilettante passionné, entouré de musiciens, et n’hésitant pas à prendre part, lui-même, aux ensemble vocaux, voire à diriger le choeur royal lors de l’absence de son chef. Il reste fort peu de ses oeuvres, bien que la tradition veuille faire de lui un compositeur de musique sacrée (motets, harmonisations de psaumes, De profundis). En fait, seul un psaume, Seigneur à qui seul je veux plaire, peut lui être attribué de source sûre. Il est, en revanche, l’auteur d’une chanson à 4 parties, Tu crois, ô beau soleil (publiée par Mersenne) et surtout de la partition intégrale (paroles et musique) du Ballet de la Merlaison, exécuté le 15 mars 1635 à Chantilly par le roi et des membres de la cour. LOUIS-FERDINAND DE PRUSSE, pianiste et compositeur allemand (Friedrichsfelde, près de Berlin, 1772 - Saalfeld 1806). Neveu du roi Frédéric II, ce prince développa très tôt des talents de pianiste, qui ne furent pas découragés par sa famille, et qui firent l’admiration de Beethoven à Berlin en 1796. Sa carrière militaire fut également brillante, surtout pendant les campagnes de 1792 à 1795, mais, après cette date, il souffrit à la fois de son inactivité sur ce plan, due à la neutralité prussienne, et de voir l’Allemagne succomber à l’influence napoléonienne. Il fut mortellement blessé à la bataille de Saalfeld. En 1804 s’était joint à son entourage, comme professeur de composition et comme amiconfident, Jan Ladislav Dussek ( ! ÉLÉGIE HARMONIQUE). Comme compositeur, Louis-Ferdinand fut un représentant typique du romantisme allemand en ses débuts. Ses oeuvres, presque toutes du genre piano seul ou musique de chambre avec piano, furent accueillies en leur temps au même titre, et avec la même faveur, que celles de Weber ou Hummel, et réguliè- rement jouées jusque vers le milieu du XIXe siècle. Citons le quintette avec piano en ut mineur op. 1 (1803), ou encore les trios avec piano en la bémol op. 2 (1806) et en mi bémol op. 3 (1806). Treize numéros d’opus, dont la plupart posthumes, furent publiés jusqu’en 1823. Il reçut en dédicace le Concerto pour piano no 3 op. 37 de Beethoven. LOURE. Danse française d’origine rustique, qui prend place, au XVIIe siècle, avec tout un choix d’autres danses, dans la suite instrumentale. Elle figure également dans les ballets des ouvrages lyriques. Dans son Dictionnaire (1703), S. de Brossard apprend que le loure, tout en étant une sorte de musette, est « aussi souvent le nom d’un Air &amp; d’une Danse qu’on écrit ordinairement sous la mesure de 6 pour 4. &amp; qu’on Bat lentement ou gravement, &amp; en marquant plus sensiblement le premier temps de chaque Mesure, que le second etc. ». Cette danse peut commencer par une anacrouse (par exemple, croche-noire), ce qui donne immédiatement à cette danse son caractère sautillant. On en trouve des exemples dans des Sonates de Fr. Couperin, dans la 5e Suite française de J.-S. Bach, et dans des oeuvres lyriques chez Collasse (Thétis et Pélée, 1689), Charpentier (Médée, 1693), Rameau (Castor et Pollux, 1737, les Fêtes d’Hébé, 1739). Parfois, le terme est associé à une autre danse, par exemple, à la Gigue (chez Couperin : les Nations, l’Espagnole). LOURIÉ (Arthur), compositeur américain d’origine russe (Saint-Pétersbourg 1892 - Princeton 1966). Il fit ses études au conservatoire de SaintPétersbourg, puis en autodidacte. Il fut directeur de la section musicale du Commissariat du peuple lors de la Révolution. Il se fixa à Paris de 1924 à 1940, puis aux États-Unis en 1941. Il se libéra de l’influence de Debussy, Stravinski et Schönberg au bénéfice d’une expression personnelle qui se réfère à la musique liturgique orthodoxe, avec le souci de la primauté mélodique. D’inspiration généralement religieuse ou philosophique, son oeuvre doit sa séduction à la sincère adaptation des modes et du plain-chant grégorien à la sensibilité contemporaine. « Musique grave jusqu’à une sorte d’austérité, mais belle comme la nuit et la solitude », en a dit Julien Green. Son journal musical Profanation et sanctification du temps (Paris, 1966) contient d’intéressants documents sur la vie artistique entre 1910 et 1960. downloadModeText.vue.download 601 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 595 LOUVIER (Alain), compositeur français (Paris 1945). Élève au Conservatoire de Paris, il y a obtenu neuf premiers prix, dont un de composition, un d’analyse musicale (chez Olivier Messiaen) et un de clavecin. Il fut premier second grand prix de Rome en 1967, et premier grand prix de Rome en 1968. Devenu directeur du conservatoire de Boulogne-Billancourt, il a commandé à divers compositeurs des oeuvres destinées à de jeunes instrumentistes. Il a obtenu le prix Honegger en 1975. Comme compositeur, il s’est beaucoup préoccupé de renouveler la technique pianistique (ainsi que celle du clavecin), notamment en attribuant aux instrumentistes un rôle de mime-acteur, et s’est intéressé aux micro-intervalles. Dans ses diverses Études pour agresseurs, pour formations variées, il a exploré, en particulier, de nouveaux modes d’attaque. Il en va de même dans le Clavecin non tempéré (1979). Il a écrit Duel pour 2 à 5 percussionnistes (1971), Houles pour ondes Martenot, percussion et piano (1971), 7 Caractères d’après La Bruyère pour piano et ensemble (1972), Canto di Natale pour voix et instruments (1976), Messe des Apôtres (1978), Casta Diva pour le spectacle Béjart à l’I. R. C. A. M. (1980), Concerto pour orchestre avec bande de sons d’ordinateur (1982), Tutti pour orchestre de jeunes (1988), Livre pour virginal (1987-1993), Missa de Angelis pour choeur mixte, 2 cors et percussion (1995). Il a dirigé de 1986 à 1991 le Conservatoire national supérieur de musique de Paris et depuis 1992 y enseigne l’orchestration. LÜBECK (Vincent), organiste et compositeur allemand (Paddingbüttel, près de Brême, 1654 - Hambourg 1740). Fils d’organiste, il reçut son éducation musicale à Flensburg, avant d’être nommé maître de tribune à Stade en 1675. En 1702, il devint organiste de l’église Saint-Nicolas de Hambourg (où il disposait d’un orgue nouvellement construit par le célèbre facteur Arp Schnitger) et il devait garder cette charge importante jusqu’à sa mort. Durant sa longue existence, il a beaucoup écrit pour son instrument, cultivant, outre la fantaisie sur le choral, la toccata fuguée dans le style de Buxtehude. Dans l’unique oeuvre imprimée de son vivant, la ClavierÜbung de 1728, comme dans ses 7 grandes Toccatas, il apparaît, avant tout, comme un compositeur du XVIIe siècle, même si les toccatas en ut mineur et fa majeur sont traitées en diptyque, dans un esprit plus moderne. Tempérament soucieux d’équilibre et de rigueur formelle, Lübeck a également écrit pour la voix, et 3 cantates sont parvenues jusqu’à nous, ainsi que 1 cantique pour la fête de Noël (Willkommen süsser Braütigam) et 1 Motet concertant (Gott, wie herrlich ist dein Name). Remarquable pédagogue, Lübeck a formé de nombreux élèves, dont deux de ses fils : Peter Paul, qui lui succéda à Stade, et Vincent, qui oeuvra à Hambourg jusqu’à sa mort, survenue en 1755. LUBIMOV (Alexei), pianiste et claveciniste russe (Moscou 1944). Il entre en 1963 au Conservatoire de Moscou où il étudie avec Heinrich Neuhaus. Lauréat du concours de Rio de Janeiro en 1965 et de celui de Montréal en 1968, il se produit principalement dans son pays. D’abord cantonné dans le répertoire classique de piano, il élargit peu à peu le champ, s’intéressant à la musique ancienne et à la création contemporaine(premières auditions en U.R.S.S. d’oeuvres de Boulez, Stockhausen, Cage). Il a fondé et dirige un festival de musique contemporaine (l’Alternative). LUBIN (Germaine), soprano française (Paris 1890 - id. 1979). Plus que le Conservatoire, abordé à dixhuit ans, importent ses rencontres décisives avec F. Litvinne et Lilli Lehmann. Elle débute en 1912 à l’Opéra-Comique en chantant Antonia des Contes d’Hoffmann. Et, en 1916, à l’Opéra, dans le Chant de la cloche de V. d’Indy. Wagnérienne passionnée, elle est successivement Sieglinde dans la Walkyrie, en 1921 ; Elsa dans Lohengrin ; Eva dans les Maîtres chanteurs. Elle chante Ariane à Naxos sous la direction de R. Strauss à Vienne même, rôle qu’elle crée en France, ainsi que celui de la Maréchale du Chevalier à la rose (1927) et qu’Elektra (1932). Elle aborde en 1930, à l’Opéra de Paris, son rôle préféré, Isolde, qu’elle a l’honneur de chanter à Bayreuth même, en 1939, après y avoir été, l’année précédente, Kundry dans Parsifal. Elle chante encore Tristan en 1941 à l’Opéra de Paris, aux côtés de M. Lorenz et sous la direction du jeune Karajan, mais voit sa carrière brisée en 1944, à la Libération. Elle tente un retour en 1952, dans un répertoire de lieder qu’elle affectionne, avant de se retirer définitivement en 1956 pour se consacrer à l’enseignement. Grande cantatrice wagnérienne, elle fut aussi inégalable dans le répertoire français : l’Alceste de Gluck et l’Ariane (et Barbe Bleue) de Dukas comptent parmi ses plus grands rôles. Elle participe à la création de la Légende de saint Christophe de V. d’Indy, de la Chartreuse de Parme de Sauguet et du Maximilien de Milhaud. Tragédienne accomplie, elle animait chaque ouvrage autant par la vertu de sa beauté sculpturale que par une voix exceptionnellement ample et héroïque. LUCA (Giuseppe de), baryton italien (Rome 1876 - New York 1950). Il fait ses débuts à Piacenza en 1897 dans le rôle de Valentin du Faust de Gounod. Engagé, à partir de 1903, à la Scala de Milan, où il crée Sharpless dans Madame Butterfly de Puccini, il entreprend alors une carrière internationale qui le conduit à New York en 1915. Il s’y établit et chante pendant quarante ans au Metropolitan Opera tous les grands emplois du théâtre lyrique italien. En 1918, il est le créateur de Gianni Schicchi de Puccini, mais c’est dans Verdi qu’il excelle particulièrement aux côtés de Rosa Poriselle et de Giovanni Martinelli, contribuant à faire du Metropolitan le théâtre de Verdi par excellence, entre les deux guerres. En 1947, il célèbre en concert le cinquantenaire de ses débuts et enseigne à la Juilliard School jusqu’à sa mort. Son timbre chaud, son style classique et détendu, sa belle technique vocale, ont contribué à faire de lui un des meilleurs barytons de son époque. LUCCIONI (José), ténor français (Bastia 1903 - Marseille 1978). Il fait ses débuts en 1931 dans le rôle de Mario Cavaradoni dans Tosca à Rouen, puis chante celui de Paillasse à l’Opéra de Paris l’année suivante. Dès lors, il partage sa carrière entre l’Opéra-Comique et l’Opéra, avec un certain nombre d’engagements internationaux (Monte-Carlo, Vérone, Chicago, New York). Ses rôles les plus importants, ceux où ses qualités de vaillance et de lyrisme ont le plus brillé, ont été, sans doute, Don José, Samson, Roméo et Othello. Son timbre, d’un éclat et d’une richesse exceptionnels, son phrasé ample, sa belle diction ont fait de lui un des chanteurs français les plus prestigieux de son époque. LUCERNE. Cette ville suisse, au bord du lac des Quatre-Cantons, a hébergé entre 1866 et 1872 Richard Wagner, qui habitait la villa Triebschen, devenue un lieu de visite et un musée Wagner. C’est là qu’il composa l’essentiel des Maîtres chanteurs et le Crépuscule des dieux, et qu’il fit jouer la Siegfried-Idyll pour la naissance de son fils Siegfried (1869). En 1938, fut fondé à Lucerne un Festival musical d’été, consacré en particulier à la musique symphonique et aux récitals. Interrompu seulement au cours de la Seconde Guerre mondiale, pour l’année 1940, ce Festival annuel n’a cessé de prendre une importance croissante avec des formations, des interprètes et des chefs de tout premier plan (Toscanini, Ansermet, Karajan, Giulini, Dorati, etc.) et naturellement avec la participation de l’orchestre de chambre du Festival Strings de Lucerne, fondé en 1956 et dirigé par Rudolf Baumgartner. Cet ensemble, spécialisé dans le répertoire baroque et downloadModeText.vue.download 602 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 596 classique (avec quelques incursions dans la musique contemporaine) fut créé dans le cadre du Conservatoire de musique de Lucerne, où Baumgartner enseignait le violon. Ce dernier, cofondateur de l’or- chestre avec Wolfgang Schneiderhan, a assumé de 1968 à 1980 la direction artistique du Festival. LUDWIG (Christa), mezzo-soprano allemande (Berlin 1924). Fille d’Anton Ludwig et d’Eugenie Besalla, tous deux membres du Volksoper de Vienne, elle travailla d’abord avec sa mère une voix qui manquait à la fois de volume et d’aigu, et n’aborda la scène qu’en 1946, à Francfort, dans le rôle du prince Orlovsky de la Chauve-Souris. Sa carrière se poursuivit sans grand éclat dans d’autres théâtres d’Allemagne jusqu’à la révélation que fut son interprétation de Chérubin au festival de Salzbourg en 1954. L’année suivante, elle triomphait dans un troisième rôle travesti, celui d’Octavian du Chevalier à la rose, à l’Opéra de Vienne, puis dans un quatrième, celui du Compositeur d’Ariane à Naxos. Elle chante aussi Dorabella de Cosi fan tutte, puis Eboli de Don Carlos sous la direction de Karajan, avant de débuter au Metropolitan Opera de New York en 1959 dans les Noces de Figaro et le Chevalier à la rose. Cependant, sa voix s’est développée vers l’aigu et, encouragée par Karajan, elle trouve son premier rôle de soprano dramatique en 1962 dans Leonore de Fidelio. D’autres allaient suivre, notamment la Maréchale du Chevalier à la rose, Marie de Wozzeck, la Teinturière de la Femme sans ombre, Kundry de Parsifal. Dans le répertoire wagnérien, elle a été aussi Vénus, Ortrude, Brangaene et Fricka, faisant apprécier dans les emplois les plus divers une voix chaude et très homogène, une parfaite musicalité et un remarquable talent d’actrice. En 1971, elle a créé le rôle de Claire Zachanossian dans l’opéra de Gottfried von Einem, la Visite de la vieille dame, à l’Opéra de Vienne. Toutefois, Christa Ludwig s’est, peu à peu, détachée du théâtre pour se consacrer au concert, cultivant le lied et, en particulier, Schubert. Elle a quitté la scène en 1993. LUENING (Otto), compositeur, chef d’orchestre, flûtiste et professeur américain (Milwaukee 1900). Enfant prodige initié à la musique par ses parents, eux-mêmes musiciens, il étudie à la Staatliche Hochschule de Munich, ainsi qu’au conservatoire de Zurich, tout en commençant une carrière de flûtiste et de chef d’orchestre. Entre 1920 et 1925, il travaille à Chicago comme arrangeur musical pour des films muets, puis comme directeur du département « opéra » à l’Eastman School, et directeur de la Rochester American Opera Company et de l’American Opera Company, entre 1925 et 1929. En 1930, il achève un opéra composé grâce à des bourses de la fondation Guggenheim, Évangéline. Puis il se consacre à l’enseignement, tout en continuant à composer (université d’Arizona, Bennington College, université Columbia de New York, et Juilliard School). C’est au sein de l’université Columbia qu’il fonde, au début des années 50, avec Wladimir Ussachevsky, le premier studio permanent aux États-Unis à créer de la « music for tape » (musique sur bande), équivalent de la musique électroacoustique, genre où il compose de nombreuses pièces, seul ou en collaboration avec Ussachevsky. Son oeuvre assez abondante comprend une forte proportion de pièces de musique de chambre, ainsi que des « musiques d’application » pour la scène, la télévision, le film. Avec ses références stylistiques très diverses (folklore, dodécaphonisme, électroacoustique), elle incarne un certain visage de l’éclectisme américain. LUISADA (Jean-Marc), pianiste français (Bizerte, Tunisie, 1958). Il entre au Conservatoire de Paris à l’âge de seize ans, dans la classe de Dominique Merlet, et obtient deux premiers prix (piano et musique de chambre) en 1977. Il étudie ensuite auprès de Paul BaduraSkoda et Nikita Magaloff. Lauréat de plusieurs concours internationaux (DinoCiani en 1983, prix Alex de Vries), il effectue plusieurs tournées en Italie. En 1983, il est lauréat du concours Chopin de Varsovie et donne dans les années qui suivent de nombreux récitals en Europe et au Japon. Il se produit également en formation de chambre (avec les quatuors Talich et Fine Arts ainsi qu’aux côtés de A. Dumay, J.-P. Rampal, F. Pollet, P. Gallois. LULLY ou LULLI (Jean-Baptiste), compositeur français (Florence 1632 - Paris 1687). Fils d’un meunier, il vient à Paris conduit par Roger de Lorraine, cousin de mademoiselle de Montpensier, qui désirait apprendre l’italien, et entre au service de celle-ci (1645). À la fin de la Fronde, il passe au service du jeune roi (1652), comme violoniste et danseur, et prend part à la composition des ballets de cour. Dès 1653, il a le titre de compositeur de la musique instrumentale. La première partie de sa carrière est entièrement consacrée à la musique de ballets, et il ne compose de musique vocale qu’italienne (ballet de l’Amour malade, en collaboration avec Benserade pour l’opéra de Marazzoli, 1657, d’Alcidiane, 1658, de la Raillerie, 1659). Lors des représentations d’opéras italiens commandés par Mazarin (Xerxès, 1660, et Ercole amante, 1662, de F. Cavalli), il insère dans l’oeuvre italienne des ballets qui remportent un grand succès. Naturalisé, marié à la fille du compositeur Lambert, il prend le titre de surintendant et compositeur de la Chambre le 16 mai 1661. À partir de 1664, parallèlement aux grands ballets de cour auxquels il donne une ampleur et une homogénéité de conception plus grandes (ballets des Amours déguisés, 1664, de la Naissance de Vénus, 1665, des Muses, 1666, de Flore, 1669), il collabore avec Molière et crée avec lui le genre de la comédie-ballet (le Mariage forcé, 1664 ; la Princesse d’Élide, 1664 ; l’Amour médecin, 1665 ; le Sicilien, 1667 ; George Dandin, 1668 ; Monsieur de Pourceaugnac, 1669 ; le Bourgeois gentilhomme, 1670). Le style de Lully, bien que toujours marqué par l’Italie et avec une dominante comique, se francise peu à peu et atteint, dans certaines pages, au lyrisme. En 1671, il crée, avec Molière, Corneille et Quinault, la tragédie lyrique de Psyché, qui constitue un pas important vers l’opéra. Lully rachète alors le privilège, récemment accordé à Perrin et Lambert, par la création d’une Académie d’opéra (1672), rompt avec Molière et s’attache Quinault comme librettiste. Détenteur d’un privilège qui lui donne un pouvoir illimité sur toute musique de théâtre, il va créer chaque année un opéra nouveau, sous le titre de tragédie lyrique : Cadmus et Hermione, 1673 ; Alceste, 1674 ; Thésée, 1675 ; Atys, 1676 ; Isis, 1677. Psyché et Bellérophon (1678 et 1679) auront exceptionnellement Thomas Corneille pour librettiste. De nouveau avec Quinault, il compose Proserpine (1680), Persée (1682), Phaéton (1683). Avec Amadis (1684), il quitte les sujets mythologiques pour ceux de l’épopée, qu’il poursuit avec Roland (1685) et son chef-d’oeuvre, Armide (1686). Il meurt d’une blessure accidentelle (1687), faite en dirigeant le Te Deum pour la guérison de Louis XIV. Homme d’une grande vivacité d’esprit, danseur et chorégraphe, compositeur, imprésario, homme d’affaires, homme de cour, doué d’une ambition sans limites, Lully a régné d’un pouvoir absolu sur la musique de son temps, et l’a marquée de son génie impulsif, et de son sens de l’organisation. L’art de Lully est essentiellement fait de synthèses successives : son génie est celui d’un ordonnateur, d’un coordinateur. D’abord compositeur italien, il assimile l’art instrumental et vocal français, et conçoit son propre style à partir de la fusion des deux traditions. Au goût français pour les formes chorégraphiques, il apporte une précision et une clarté de structure et d’écriture plus grandes. Il simplifie l’art vocal, l’opposant ainsi à la tradition de l’air de cour et à l’ornementation instrumentale. De la tradition italienne, il retient le recitativo et tente, dès ses ballets de cour, son adaptation dans le cadre de l’air à la française. Avec la comédie-ballet, il essaie une fusion d’un autre ordre : celle du downloadModeText.vue.download 603 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 597 ballet traditionnel, avec une action dramatique suivie. Enfin, la création de l’opéra permettra une synthèse plus vaste encore des genres appréciés du public français (le ballet, la comédie, la grande tragédie surtout). La grande innovation due à Lully est la création du récitatif français, calqué sur les impulsions de la déclamation oratoire et singulièrement adapté à la langue. Il est remarquable que les scènes dramatiques les plus importantes de ses tragédies lyriques soient traitées en forme de récitatif, et non en forme d’air. Chaque opéra est ainsi organisé autour d’une action dramatique traitée en récitatif, enserrant de vastes divertissements chantés et dansés issus de l’ancien ballet de cour, dont ils gardent l’esprit et la structure. C’est là surtout que se rencontrent les airs, généralement de forme binaire, issus de l’air de cour. L’évolution de l’opéra lullyste, de Cadmus à Armide, se fait néanmoins dans le sens d’une accentuation du caractère mélodique de ce récitatif. Du ballet, l’opéra conserve aussi une prédilection pour l’emploi des choeurs, beaucoup plus nombreux que dans l’opéra italien. Le style et l’écriture de Lully sont aussi d’un architecte : grandes lignes simples, harmonie peu recherchée, procédant par vastes plans contrastés, dramatiquement efficaces. Même clarté et même puissance dans son écriture instrumentale, qui s’épanouit dans les symphonies descriptives, dans les ouvertures et interludes, dans les nombreuses pièces chorégraphiques qui prennent parfois des dimensions architecturales. Les amples chaconnes et passacailles de Phaéton, d’Amadis, d’Armide sont parmi les premières grandes pages symphoniques de l’histoire de la musique. La musique sacrée de Lully (grands motets pour la chapelle royale : Miserere, Dies irae, Te Deum) témoigne des mêmes qualités dramatiques, et représente de vastes fresques décoratives et oratoires. L’influence de Lully en France, et hors de France, a été considérable. L’opéra à la française ne modifiera rien à l’essentiel de ce que le surintendant avait conçu et conservera la même structure d’ensemble, la même conception du récitatif, jusqu’à Rameau inclus. Si cette musique vocale est trop liée à la langue pour avoir eu un impact important à l’étranger, en revanche, les formes instrumentales, la danse et le type d’ouverture qu’il a créé se retrouveront dans toute l’Europe, jusque chez Haendel, Telemann et J.-S. Bach. LUNA (Pablo), compositeur espagnol (Alhamade, Aragon, 1880 - Madrid 1942). Il fut l’un des derniers grands compositeurs de zarzuelas, et, comme directeur du Teatro de la Zarzuela, il se fit une spécialité de parodier les grands opéras classiques jusqu’à Wagner et Verdi. Son oeuvre la plus connue, éclatante réussite, est Molinos de viento (« Moulins à vent », 1910). LUPU (Radu), pianiste roumain (Galati 1945). Il étudie avec Florica Muzicescu et Cella Delavrancea, puis, de 1961 à 1968, au Conservatoire de Moscou auprès de Heinrich Neuhaus. Lauréat des concours Van Cliburn (1966), Enesco (1967), et de Leeds (1969), il s’installe à Londres puis se produit avec l’orchestre de Cleveland, l’or- chestre philharmonique de Los Angeles, ainsi qu’à Salzbourg sous la direction de Karajan. Il privilégie notamment, dans des interprétations empreintes de finesse et de poésie, Schubert et Mozart. LUR. Mot qui vient de l’islandais luor (ou luthr), instrument à vent en bronze de la mythologie viking. Les lurs (ou lurerna) ont été créés vers 1500-500 avant Jésus-Christ (âge du bronze) et près de quarante exemplaires ont été trouvés au Danemark, en Suède, Norvège et Allemagne du Nord. La forme, recourbée en demi-cercle, des premiers lurs devint plus tard celle d’un S et leur échelle sonore est celle des 12 premiers harmoniques, ce qui ne signifie pas que l’usage primitif les utilisait tous. Dans les tourbières qui les ont conservés, les lurs étaient généralement deux par deux et symétriques de forme l’un par rapport à l’autre. On ignore tout de la musique des Vikings ; il est probable que les lurs ont servi aussi bien à la célébration des cultes païens que comme véhicules de signaux sonores, peut-être en mer. Le XIXe siècle scandinave s’est maintes fois référé à la mythologie viking (J.P.E. Hartmann : Ouverture d’Yrsa) et certains contemporains ont inclus des lurs dans l’orchestre moderne, tel le compositeur islandais J. Leifs dans sa Saga-symphonie (1950). LUTH. Instrument ancien à cordes pincées dont la vogue, considérable en Europe, du XVIe au XVIIIe siècle, est attestée par une littérature aussi remarquable que nombreuse. Descendant de l’« al laud » ou « al-ud » arabe qui lui donne son nom, il n’apparaît dans sa forme caractéristique, caisse bombée ovale et manche au chevillier recourbé, qu’à partir du XIVe siècle, muni alors de 4 cordes doubles en boyau, appelées « choeurs », dont l’accord varie fréquemment. On ne l’emploie jusqu’à la fin du XVe siècle que pour l’accompagnement du chant et des danses, mais il est déjà fort répandu puisque de nombreux princes d’Europe comptent au moins un luthiste à leur cour, tels les ducs de Lorraine, d’Autriche, de Bourgogne, la reine Anne de Bretagne, etc. L’instrument fait, pour la première fois, son apparition parmi les musiciens de la Chambre du roi sous Charles VIII. Il commence à être utilisé comme instrument soliste au début du XVIe siècle, et des oeuvres de plus en plus nombreuses vont lui être consacrées, soit des pièces originales, soit sous forme de transcriptions de musique vocale. L’utilisation de « tablatures », système d’écriture emprunté aux organistes facilitant la lecture, se généralise et contribue à un essor rapide de l’instrument, qui jouit bientôt d’une faveur considérable et donne naissance à de très importantes écoles nationales en Italie, en France, en Allemagne, en Pologne, en Angleterre et aux Pays-Bas. Parmi d’innombrables noms se distinguent ceux de Francesco da Milano (1497-1543), Albert de Rippe (v. 1500-1551), Hans Newsidler (v. 15081563), Adrian Le Roy (v. 1520-1598), etc. L’instrument compte bientôt un minimum de 9 cordes, groupées en 5 « choeurs », nombre qui est souvent porté à 13 ou 14. L’accord le plus usité est alors appelé le « vieil ton », il utilise 11 cordes formant deux groupes de quartes séparées par une tierce majeure : sol, do, fa, la, ré, sol. Mais cet accord fera souvent l’objet de modifications, soit par l’adjonction de cordes supplémentaires, soit selon le ton du morceau à interpréter. On assiste aussi à l’apparition de luths de diverses dimensions, le « dessus de luth » ou « luth soprano », le « luth alto », le « luth ténor », et le « luth basse ». Des instruments dérivés directement du luth sont également utilisés, comme l’« archiluth », le « luth théorbé », le « théorbe », la « chitarrone », etc. Tous ont finalement pour objet d’élargir la tessiture pour mieux répondre aux besoins de plus en plus variés. Au XVIIe siècle, le luth subit peu de modifications hormis l’augmentation du nombre de cordes, et son usage continue de se répandre en Angleterre, avec Thomas Morley (1557-1602), John Dowland (1562-1626), Thomas Mace (1612 ou 16131706), en Allemagne, avec Reussner (16361679) et le Comte Logi (1638-1721), et en France, grâce à Besard, Francisque, Gaultier, etc. Mais son déclin va bientôt arriver en Italie, en Pologne, aux Pays-Bas, vers la fin du XVIIe siècle, ainsi qu’en France, où le luth disparaît totalement dans les premières années du XVIIIe. Seule l’Allemagne jouit encore du privilège d’héberger des luthistes à l’époque baroque, et non des moindres puisque l’on compte parmi eux le célèbre Sylvius Leopold Weiss (1686-1750), qui nous laisse de magnifiques suites, écrites pour un luth à 13 « choeurs ». J.-S. Bach, lui-même, ne dédaigne pas de s’y intéresser et nous lui devons 4 suites, 2 préludes et 2 fugues pour luth, de même que Joseph Haydn, dont on connaît les Cassations pour luth obligé et trio à cordes. downloadModeText.vue.download 604 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 598 Mais, ne répondant plus aux besoins des compositeurs, l’instrument tombe en désuétude en Allemagne à la fin du XVIIIe siècle, malgré l’importance considérable qu’il a eue sur trois cents ans de musique. On assiste, depuis 1960, à plusieurs tentatives pour faire revivre le luth, de la part de guitaristes comme Julian Bream, Konrad Ragossnig, Aaron Skittri, Guy Robert, qui, tentés par l’importance du répertoire, et désireux d’authenticité, se sont mis à l’étude de sa technique sur des instruments restaurés ou copiés de l’ancien, et les recherches actives sur les anciennes tablatures permettent chaque jour la redécouverte de chefs-d’oeuvre oubliés. LUTHÉAL. Instrument, ou plutôt accessoire instrumental du piano à queue, dont le brevet est dû au Belge Georges Cloetens et utilisé par Ravel pour la création de Tzigane le 15 octobre 1924. Le dispositif du luthéal adapté à l’intérieur d’un piano de concert permet, au moyen de 4 boutons de commande, d’obtenir des sonorités nouvelles, des hauteurs variables et d’imiter d’autres instruments à l’instar des jeux d’orgues. Pour Tzigane, Ravel voulait obtenir, grâce à lui, des sonorités semblables à celles du cymbalum. Dans l’Enfant et les sortilèges (1925), le luthéal permet au piano de sonner comme un clavecin. LUTHER (Martin), réformateur, poète et musicien allemand (Eisleben 1483 - id. 1546). L’oeuvre de Luther intéresse la musique à plusieurs titres. D’abord, en ce qu’il a organisé un culte largement fondé sur la parole et la musique communautaire, instituant notamment une messe allemande, qui fournira un schéma à de très nombreux compositeurs du monde protestant. Ensuite, en ce qu’il a, lui-même, écrit et composé des cantiques spirituels, et suscité une importante floraison de compositeurs, établissant ainsi un répertoire de thèmes de chorals, qui allaient servir de matériau thématique aux musiciens. Enfin, en ce que son mouvement de pensée sera déterminant sur la musique allemande, même non religieuse, et sur le rôle et l’importance de la musique dans la culture et la civilisation germaniques jusqu’à nos jours. Ses études, notamment à Eisenach, la future patrie de Jean-Sébastien Bach, font une large part à la musique, à laquelle il s’adonne durant sa jeunesse et qu’il ne cessera de pratiquer toute sa vie avec délectation. Entré dans les ordres, érudit professeur, « docteur en la sainte Écriture », par sa contestation de l’état présent de la foi et de l’église, Luther attire de nombreux sympathisants. Cette contestation se concrétise par les 95 Thèses de Wittenberg, véritable point de départ de la Réforme. Celles-ci lui valent, en 1520, l’excommunication, et la mise au ban de l’Empire en 1521. L’une de ses principales tâches sera désormais d’organiser la nouvelle communauté religieuse et civile qui se rallie massivement à ses idées et à sa pratique de la foi. Dès 1523, il publie De l’ordre du service divin dans la communauté et Formula missae et communionis, écrits qui affirment, entre autres, deux préceptes essentiels pour la musique religieuse : le service divin est centré sur le sermon, exégèse des textes sacrés, et le culte requiert la participation de la collectivité des fidèles par le chant. De ce type d’organisation cultuelle, on trouve la trace précise dans les cantates de Bach, qui en observent très rigoureusement l’ordonnance. En 1524, l’Épître aux Rathsherren propose un schéma décisif d’organisation de la vie cultuelle. Au temple, la communauté doit manifester sa participation active par le chant, soutenu à l’orgue. Puissant exercice respiratoire, le chant mène le fidèle à un état d’équilibre intérieur propice à la réception de la parole divine et de l’enseignement religieux. D’autre part, à la maison, la cellule familiale, microcosme de la communauté paroissiale, traduira sa piété par le chant quotidien des cantiques. Pour Luther, profondément musicien, la musique agit comme un exorcisme. Elle est la médiatrice entre l’homme et Dieu ; elle met l’individu en communication directe avec le surnaturel : une idée qui va rencontrer la sensibilité germanique et s’y ancrer profondément, jusque dans son inconscient collectif, au point de lui devenir consubstantielle pendant des siècles. Pour doter les fidèles de la religion réformée d’un corpus de cantiques, Luther se met lui-même à l’oeuvre, écrivant les textes et les mélodies de chorals - il en composera en tout 36, dont le fameux Eine feste Burg ist unser Gott (« Une citadelle est notre Dieu »). Ne pouvant, seul, faire face à cette tâche considérable, il s’entoure de poètes et de musiciens, qui constituent peu à peu, sous ses directives, un vaste ensemble, dont l’élaboration se poursuit au long de la vie de Luther et après sa mort, empruntant notamment certaines mélodies au psautier huguenot français. Tous les motifs mélodiques des chorals ne sont, en effet, pas originaux. Nombre d’entre eux proviennent d’hymnes antérieures ou de chants médiévaux, sacrés ou profanes, auxquels de nouvelles paroles, en langue populaire et non en latin, sont adaptées. Mais, chaque fois, Luther et ses collaborateurs (ou leurs successeurs) modifient ces mélodies, quand ils n’en créent pas eux-mêmes, en leur donnant une carrure franche et bien découpée, résolument strophique, aux respirations régulières. Le premier des recueils de cantiques luthériens est le Geistliches Gesangbüchlein (« Petit Livre de chant spirituel »), publié en 1524 par Johann Walter (1496-1570), avec une préface de Luther, et contenant, entre autres, des poèmes et des chorals de Luther lui-même. Luther préfacera encore de la même façon des recueils de chorals postérieurs, en 1528, 1538, 1542 et 1545. En 1525, Johann Walter et Konrad Rupsch (ou Rupff) travaillent avec Luther à mettre au point des genres et des textes musicaux devant composer la messe allemande. Le fruit de ces travaux est consigné dans un ouvrage du réformateur daté de 1526, Messe allemande et ordre du service divin présentés à Wittenberg. Luther reviendra sur les questions musicales à bien d’autres reprises, à travers de nombreux écrits, notamment la Lettre à Ludwig Senfl (1530). Senfl est, en effet, l’un des principaux compositeurs luthériens de la première génération, avant Hans Leo Hassler, Melchior Franck et Praetorius. Luther meurt en 1546, un an après la convocation du concile de Trente, qui aura, lui aussi, et sans doute sous son influence, à s’occuper de musique (cf. le pape Marcel II, en 1555). Mais recueils de chant et psautiers continuent à se constituer : Psautier Lobwasser (1565), Psautier Wolkenstein (1580), Psautier Osiander (1586). Ainsi se trouve rigoureusement réalisée une liturgie musicale fondée sur des thèmes bien connus de tous et très régulièrement pratiqués. Les compositeurs - Schütz, Buxtehude ou Bach, pour les plus célèbres -, qui les utiliseront dans leurs pièces polyphoniques, pour les voix ou pour l’orgue, ne le feront qu’en pensant précisément aux textes implicites qu’ils sous-tendent, et auxquels chaque croyant de la religion réformée peut mentalement associer les paroles qu’il a l’habitude de chanter, avec tout leur jeu de connotations spirituelles. Il n’y aura jamais, dans le monde luthérien, de citation musicale gratuite d’un thème de choral, mais toujours allusion précise à un texte de commentaire ou de réflexion religieux. Luther a mis au point une forme exemplaire de participation de la communauté au culte divin dont pourraient très utilement s’inspirer aujourd’hui ceux qui cherchent à réformer le chant religieux catholique. LUTHERIE, LUTHIER. À l’origine, le luthier est le faiseur de luths. Après le déclin de cet instrument, la signification du mot s’élargit pour désigner le fabricant d’instruments de la famille du violon. Par extension, le terme désigne parfois le fabricant d’instruments à cordes frottées ou pincées comportant un manche. La plus célèbre école italienne de lutherie est celle de Crémone (avec les Amati, les Stradivari, les Guarneri, C. Bergonzi et L. Guadagnini), à côté de laquelle il faut citer celles de Brescia downloadModeText.vue.download 605 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 599 (Gasparo da Salò, G. P. et P. S. Maggini), de Venise (Fr. Gobetti, D. Montagnana et Serafino Santo), de Naples (N. et G. Gagliano), de Milan (P. et G. Mantegatia, C. A. Testore), de Bologne (L. Mahler), de Turin (G. Fr. Pressenda) et de Rome (D. Tecchler). L’école française est représentée, notamment, par J. Boquay, N. Lupot, J. Fr. Aldric et A. S. Ph. Bernardel à Paris, J. B. Vuillaume à Mirecourt, puis à Paris ; l’école anglaise par B. Banks à Salisbury ; l’école allemande par les Klotz à Mittenwald ; l’école autrichienne par J. Stainer à Absam, les Stadlmann, les Thir et Fr. Geissenhof à Vienne. Aux XIXe et XXe siècles furent créées des écoles de luthiers : celles de Markneukirchen, Mittenwald, Crémone et Mirecourt sont parmi les plus connues. Le luthier doit savoir réparer un instrument ancien, le recoller, le rebarrer, en rectifier les proportions ; il doit aussi savoir fabriquer un instrument neuf, sélectionner les bois et construire toutes les pièces à partir de modèles. Il se sert pour cela d’outils comme les rabots en fer, les ciseaux, les gouges et les scies (pour creuser les voûtes du fond et de la table et sculpter la volute du manche), le compas d’épaisseur (pour mesurer les épaisseurs du fond et de la table), le fer à plier (pour donner au bois la courbure voulue) et le traçoir (pour tracer, sur le fond et la table, la rainure devant recevoir les filets). Pour terminer, il procède au vernissage de l’instrument. LUTOSLAWSKI (Witold), compositeur polonais (Varsovie 1913 - id. 1994). Il apprit le piano à Varsovie dès l’âge de six ans, le violon à treize ans, et fit ses études musicales au conservatoire de cette ville (1932-1936), auprès de Witold Maliszewski pour la composition et Jerzy Lefeld pour le piano. L’audition de la 3e Symphonie de Karol Szymanowski lui causa une impression des plus profondes. La révélation du Stravinski de la première période et du Roussel de la 3e Symphonie détermina son orientation vers la musique contemporaine. Les plus représentatives de ses partitions d’avant la Seconde Guerre mondiale restent la Sonate pour piano (1934), la Double Fugue pour orchestre (1936) et surtout les Variations symphoniques (1936-1938), où se révèle un sens inné de la forme concise et équilibrée, du raffinement harmonique et instrumental. Fait prisonnier au cours de la campagne de Pologne de 1939, il s’évada et regagna Varsovie, ville où il passa les années d’occupation à jouer du piano dans des cafés pour gagner sa vie. C’est l’époque des Variations sur un thème de Paganini pour deux pianos et de l’ébauche de la 1re Symphonie, où ressort l’influence d’Albert Roussel. Les années 1945-1955, au cours desquelles l’activité créatrice en Pologne fut étouffée, virent le compositeur se consacrer à des oeuvres pour les écoles, les théâtres, à des pièces radiophoniques, et à des études sur le folklore polonais. De cette période datent les Mélodies populaires pour piano (1945), la Petite Suite pour orchestre (1950), le Triptyque silésien pour soprano et orchestre (1951), les Bucoliques pour piano (1952), les Danses préludes pour clarinette et petit ensemble (1955). La 1re Symphonie, terminée en 1947, fut créée en 1948. Le Concerto pour orchestre (1950-1954) montra ensuite pour la première fois de quelle ampleur de conception le compositeur était capable. Indépendant par rapport aux modes éphémères, Lutoslawski se forgea peu à peu un langage personnel, à l’opposé de tout système. Une étape importante de cette évolution fut franchie avec la Musique funèbre pour orchestre à cordes (1958), au retentissement mondial. De la même époque date le cycle, d’une exceptionnelle délicatesse de touche, des Cinq Mélodies pour voix de femmes et piano, sur des poèmes de Kazimiera Illakowicz (1956-57) : il en existe une version pour mezzo-soprano et 30 instruments. Cofondateur du festival d’automne de Varsovie, Lutoslawski est devenu viceprésident de la Société internationale de musique contemporaine, il a donné des cours de composition et a entrepris une carrière de chef d’orchestre, dirigeant principalement ses propres oeuvres et initiant les instrumentistes à son « aléatoire contrôlé ». La meilleure manière de les découvrir est d’en suivre l’évolution chonologique à la suite de la Musique funèbre, qui avait marqué l’abandon de la tonalité et l’adoption du total chromatique. Après les Trois Postludes pour orchestre (19581960), le musicien a abordé, avec les Jeux vénitiens (1961), l’écriture « aléatoire contrôlée », où la liberté de chaque instrumentiste est réduite au tempo, ce qui n’affecte en rien la forme ou la couleur de la composition. Le compositeur a déclaré avoir opté pour la technique aléatoire dans le but de restaurer le plaisir de faire de la musique, d’obtenir une musique fluide, constamment changeante, un enrichissement rythmique, l’introduction de nuances capricieuses et la richesse d’un jeu soliste dans le cadre d’un ensemble orchestral ou vocal. De 1962-63 date le premier grand chef-d’oeuvre du maître, les Trois Poèmes d’Henri Michaux pour choeur à 20 parties réelles et ensemble instrumental. Très sensible au problème de la réceptivité de la musique par le public, ce compositeur d’une grande concision de pensée a défini comment il avait intégré son langage en des formes différentes de celles des classiques, évitant de saturer l’auditeur dès le début d’une oeuvre : « J’ai trouvé une formule, où le début d’une oeuvre est une préparation à une expérience fondamentale placée à la fin de l’oeuvre. C’est une forme consistant en une série d’épisodes, placés au commencement, enchaînés ou non, et en un seul mouvement fondamental placé à la fin de l’oeuvre. » C’est la forme des Jeux vénitiens, du Quatuor à cordes (1964) ou de la 2e Symphonie (1966-67). Celle-ci comporte une courte introduction, Hésitant, suivie d’un second mouvement très développé, Direct. La pleine maturité de son art a été atteinte avec le Livre pour orchestre (1968) et le Concerto pour violoncelle (1970), dédié à Mstislav Rostropovitch, et qui emprunte ses situations au théâtre. Des éléments sont énoncés par un instrument et un groupe d’instruments intervient, dérangeant cet instrumentiste. On peut parler d’action en musique, mais cette oeuvre dramatique ne comporte pas de programme défini. À la suite des Poèmes d’Henri Michaux, le musicien a conçu de nouvelles oeuvres vocales sur des textes français, les Paroles tissées pour ténor et orchestre d’après JeanFrançois Chabrun (1965) et les Espaces du sommeil (1975) pour baryton et orchestre, sur des poèmes de Robert Desnos, dédiés à Dietrich Fischer-Dieskau. Le choix du français lui a été dicté par son amour du chant dans cette langue et le besoin qu’il ressentait de faire appel à une langue très internationale. Lutoslawski a, en outre, composé Préludes et fugue - 7 préludes et 1 seule et vaste fugue pour 13 instruments à cordes - (1972) ; Mi-Parti (1976) et Novelette (1978-79) pour orchestre ; une Épitaphe pour hautbois et piano (1979), un Double Concerto pour hautbois, harpe et orchestre de chambre (1980), une 3e Symphonie (1983), Chain I pour orchestre de chambre (1983), Partita pour violon et piano (1984), Chain II, dialogue pour violon et orchestre (1985), Dix-Sept Noëls polonais pour choeur de femmes, soprano et orchestre de chambre (1985), Chain III pour orchestre (1986), un Concerto pour piano (1988), Chantefleurs et Chantefables pour soprano et orchestre sur des poèmes de Robert Desnos (1991), une 4e Symphonie (1993). Membre honoraire de plusieurs académies mondiales et titulaire de nombreux prix, Lutoslawski a laissé le souvenir d’un homme délicat, affable et généreux. Comme sa musique, sa personnalité respirait la vivacité et la mobilité d’esprit. LUTYENS (Elizabeth), femme compositeur anglaise (Londres 1906 - id. 1983). Fille de l’architecte sir Edwin Lutyens, elle étudia à l’École normale à Paris (1922) et au Royal College of Music, puis revint à Paris se perfectionner dans la classe de G. Caussade au Conservatoire. À son Concerto de chambre no 1, marqué par le sérialisme (1939), succédèrent des ouvrages de tendances très diverses, dont downloadModeText.vue.download 606 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 600 les Trois Préludes symphoniques (1942), d’obédience plutôt néoromantique. Elle parvint à maturité et développa un sérialisme personnel à partir de Ô saisons, ô châteaux ! pour soprano, mandoline, guitare, harpe et cordes, d’après Rimbaud (1946), mais n’obtint vraiment la consécration que dans les années 60, en particulier avec la cantate Catena (1961), Musique pour orchestre II (1962) et III (1963), et The Valley of Hatsu-se, sur des poèmes japonais (1965). Son langage prit une nouvelle ampleur avec Essence of our Happinesses, pour choeur et orchestre (1968). Depuis, elle s’est particulièrement attachée à la musique vocale. On lui doit encore les opéras de chambre The Pit (1947) et Infidelio (1954, joué en 1973), et les opéras The Numbered (1965-1967), Time Off ? Not a Ghost of a Chance ! (1967-68) et Isis and Osiris (1969-70). Son catalogue comprend plus de 150 numéros d’opus. Parmi ses dernières oeuvres, l’air de concert Dialogo op. 142 et Diurnal pour quatuor à cordes op. 146, créés en 1981. LUZZASCHI (Luzzasco), organiste et compositeur italien (Ferrare v. 1545 - id. 1607). Élève de Cyprien de Rore, il fit toute sa carrière dans sa ville natale, au service du duc Alphonse II d’Este dès 1571. Il y apparaît comme organiste, maître de chapelle et organiste de l’Académie de la Mort. Frescobaldi fut le plus illustre de ses élèves. Luzzaschi publia de nombreux recueils : 7 livres de Madrigali a 5 voci (1571-1604), Madrigali per cantar e sonare a uno, e doi, e tre soprani (1601), des Sacrae cantiones a cinque voci (1598), des Ricercari instrumentaux dont certains perdus. Ses madrigaux pour 1 à 3 voix s’affranchissent de la polyphonie rigoureuse pour tendre vers l’air accompagné. Quant aux madrigaux à 5 voix, ils montrent un usage croissant du chromatisme pour souligner l’expression des poèmes chantés. C’est autour de Luzzaschi que se développa l’école des « chromatistes », qui devait profondément impressionner Gesualdo lorsqu’il se rendit à Ferrare pour y épouser Éléonore d’Este. LYDIEN. Terme relatif à une peuplade barbare vivant à l’est du monde grec, en Asie Mineure, et ayant donné son nom dans la musique grecque à une harmonie ou échelle, puis à un ton. À partir du IXe siècle, ce nom fut attribué au 5e mode de la musique grégorienne, et, à partir du XVIe siècle, selon les écoles, au mode de fa, de mi ou de do de la musique modale harmonique. Pour Platon, l’harmonie lydienne (dite aussi lydisti) emprunte l’échelle d’une octave enharmonique à partir du 2e degré en montant (1/4 de ton au-dessus du mi) ; elle est rejetée de la République pour son ethos relâché et propre aux buveurs. Dans le système des « tons de transposition » de cette même musique grecque ( ! DORIEN), le ton lydien est situé 2 tons plus haut que le dorien, ce qui conduit à accorder l’octave moyenne de la lyre deux tons plus bas. Le dorien prenant pour accord de cette octave les intervalles de l’octave de mi, le lydien accordera son octave moyenne selon les intervalles de l’octave de do, ce qui a amené l’école de Westphal-Gevaert à considérer à tort le lydien comme un « mode de do ». Au IXe siècle, la confusion opérée par l’Alia musica, entre tons grecs et modes grégoriens, fit considérer le lydien, 3e de la nomenclature topique de Boèce, comme l’authente du 3e ton couplé ou tritus, soit 5e ton de la nomenclature simple ; ce 5e ton ayant fa pour finale (avec ou sans triton selon les cas), on donna plus tard au mode de fa sans altération (donc avec triton obligé) le nom de lydien. C’est encore dans ce sens que l’emploie Beethoven dans son 15e Quatuor. Enfin Zarlino, dans sa « réforme » de 1573, assigna au lydien le rôle de mode de mi ; il fut suivi par Mersenne, Jean-Jacques Rousseau et quelques autres, mais son système ne fut guère généralisé. LYMPANI (Moura), pianiste anglaise (Saltash 1916). Enfant prodige, elle est l’élève de Paul Weingarten à Vienne. En 1938, elle remporte le second prix du concours Ysaÿe de Bruxelles. Elle inscrit soixante concertos à son répertoire, et devient progressivement la championne des musiciens anglais contemporains. Elle joue beaucoup les oeuvres de Britten et de Delius, ainsi que celles de Khatchaturian. En 1948, elle fait ses débuts à New York. À partir de 1950, sa carrière se déroule surtout dans le monde anglophone, y compris en Australie. LYRA-VIOL (de l’angl.). Petite basse de viole qui diffère peu de la basse de viole usuelle. L’instrument fut populaire en Angleterre au XVIIe siècle. John Payford (A Brief Introduction to Music, 1667) précise qu’elle était la plus petite des trois basses de viole (Consort bass, division viol, lyra-viol), donc plus facile à manier. C’est la manière de jouer (lyra way) qui semble avoir été caractéristique, puisque sa musique fait souvent appel au jeu en accords. En même temps se développent plusieurs façons d’accorder les 6 cordes de l’instrument. Son répertoire considérable (J. Coprario, J. Jenkins, W. Lawes, C. Simpson, etc.) se destinait tout aussi bien à la basse de viole classique. LYRE. Instrument archaïque à cordes pincées, dont notre civilisation gréco-latine, qui l’associe au dieu Apollon, a fait le symbole même de la musique. Sa forme, trop classique pour qu’il soit besoin de la décrire, découle vraisembla- blement des matériaux primitivement employés à sa construction : carapace de tortue en guise de caisse de résonance et paire de cornes servant de montants. L’étendue de la lyre était évidemment limitée par le fait qu’elle ne pouvait recevoir que quelques cordes d’égale longueur, dont la hauteur de son n’était déterminée que par leur tension. Aussi a-t-elle été supplantée par la harpe, dont la disposition asymétrique permettait l’emploi de cordes plus nombreuses, longues dans le grave et courtes dans l’aigu. L’instrument ancien appelé en Italie lira da braccio n’avait en fait rien de commun avec une lyre, puisqu’il comportait une touche et se jouait de la même façon qu’une guitare. De même, la « guitare-lyre » du XIXe siècle n’est qu’une guitare avec une caisse développée en forme de lyre. LYSY (Alberto), violoniste et chef d’orchestre argentin (Buenos Aires 1935). En 1955, il rencontre Yehudi Menuhin, qui devient son professeur et dont il restera l’un des plus proches collaborateurs. En 1961, il fait ses débuts de soliste à New York, et en 1966 fonde l’Academia Interamericana à Buenos Aires. Dans son pays natal, il s’efforce de diffuser le répertoire classique en enseignant, et en fondant l’orchestre de chambre Camerata Bariloche. En 1962, il crée le Concerto pour deux violons de Malcolm Arnold avec Yehudi Menuhin. Ce dernier l’invite régulièrement au Festival de Bath, le nomme professeur dans son école de violon et directeur de l’Académie internationale Menuhin. En 1977, il crée à Gstaad, en Suisse, la Camerata Lysy. downloadModeText.vue.download 607 sur 1085 MAAZEL (Lorin), chef d’orchestre et violoniste américain (Neuilly 1930). Il commence l’étude du piano et du violon à l’âge de cinq ans. Ses parents, musiciens originaires de Los Angeles, s’installent à Pittsburgh en 1938, et, dès 1939, il dirige en public à New York et à l’Hollywood Bowl. En 1941, Toscanini l’invite à diriger l’orchestre de la N. B. C. Après avoir terminé des études de mathématiques et de philosophie à l’université de Pittsburgh et s’être produit quelque temps comme violoniste, il est nommé chef de l’orchestre symphonique de Pittsburgh (1949), et, en 1951, obtient une bourse pour aller étudier en Italie la musique baroque. À la même époque, il commence à diriger les grands orchestres européens : il est le plus jeune chef et le premier Américain à diriger, en 1960, au festival de Bayreuth (Lohengrin). Invité à Salzbourg (1963), il donne en 1968, à Berlin, la première mondiale de l’Ulisse de Dallapiccola. De 1965 à 1975, il est directeur musical de l’orchestre de Radio Berlin. Codirecteur, avec Otto Klemperer, du New Philharmonia Orchestra de Londres de 1970 à 1972, il succède, dès 1972, à George Szell comme chef et directeur artistique de l’orchestre de Cleveland. En 1977, il est nommé chef principal de l’Orchestre national de France, auquel il reste attaché jusqu’en 1990. De 1988 à 1996, il a été directeur musical de l’Orchestre de Pittsburgh. Il a pris en 1993 la direction de l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise à Munich. C’est lui qui enregistre, en juillet 1978, Don Giovanni de Mozart pour le film de Joseph Losey. M MACDOWELL (Edward), compositeur et pianiste américain d’origine écossaise (New York 1861 - id. 1908). Il fit ses études à Paris (Savard et Marmontel) et à Francfort (Joachim Raff). Il débuta comme professeur à Darmstadt en 1881. Sur le conseil de Liszt, il se consacra à la composition dès son retour aux ÉtatsUnis. Les deux concertos pour piano et orchestre écrits pendant ses années d’études l’avaient déjà rendu célèbre et c’est également au piano qu’il confia alors ses quatre sonates (sous-titrées The Tragica [1893], The Eroica [1895], the Norse [1900] et The Keltic [1901]), ses douze études de virtuosité, son étude de concert et les Woodland Sketches (1896), pièces très romantiques d’inspiration et d’écriture où sa sympathie pour Grieg se révèle fréquemment, à côté d’autres influences telles que celles de Wagner, Liszt ou Mendelssohn. Nommé professeur à l’université de Columbia, il concilia pendant huit ans les obligations de sa charge avec la composition de son oeuvre, manifestant un grand intérêt pour la musique populaire et spécialement les thèmes indiens que lui avait révélés Théodore Baker. Sa deuxième suite d’orchestre, dite Suite indienne (1895), en utilise plusieurs. MacDowell ne cessa de protester contre les idées de Dvořák en affirmant qu’il ne suffit pas d’arranger un thème populaire pour le baptiser musique américaine. Et, dans une déclaration souvent reproduite, il ajoutait : « Ce que nous devons chercher à exprimer, c’est la vitalité, la jeunesse, l’optimisme et la ténacité d’esprit qui caractérisent l’homme américain. » Son nom est fréquemment cité comme celui du premier compositeur américain digne de participer au concert universel. MACE (Thomas), luthiste anglais (Cambridge v. 1613 - ? v. 1706). Il est l’auteur d’un important ouvrage, le Musick’s Monument (1676), qui traite à la fois de l’enseignement du luth, de la composition et de la musique en général, et constitue un précieux document sur les problèmes musicaux de l’époque. Chantre au Trinity College de Cambridge, il inventa plusieurs instruments de musique incongrus, dont un luth à 50 cordes, le « dyphone ». MÁCHA (Otmar), compositeur tchèque (Ostrava 1922). Il est l’élève de F.-M. Hradil au conservatoire (1943-1945), puis de J. Řídký à l’Académie de musique et d’art dramatique de Prague (1945-1948). Il est nommé au service des émissions musicales de la Radio tchécoslovaque (1945-1955). Artiste austère et réfléchi, il écrit peu, si ce n’est des chansons, contes, ballades et choeurs d’enfants, qui montrent sa nature profondément lyrique. Après une première série d’oeuvres lumineuses et concises telles que ses Sonates pour violoncelle (1949), pour violon (1948), ou les Danses de Moravie septentrionale (Kopaničářské tance, 1950), son style atteint dès 1960 une extrême concentration, un dépouillement grandiose, proche de Berg. Mácha n’utilise le legs de l’école de Vienne qu’avec économie, bâtissant fréquemment ses oeuvres sur un seul motif dont le traitement harmonique et mélodique est fort riche. Ainsi, dans son poème symphonique Nuit et Espoir (Noc a naděje, 1959), ses Quatre Monologues de 1966, les Variations de 1968. De ses oeuvres se dégage une impression de puissance, de profonde humanité. Il est l’un des représentants les plus intéressants de l’école tchèque actuelle. downloadModeText.vue.download 608 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 602 MACHABEY (Armand), musicologue français (Pont-de-Roide 1886 - Paris 1966). Élève de Vincent d’Indy et d’André Pirro, il soutint en Sorbonne, en 1928, une thèse de doctorat sur l’histoire et l’évolution des formules musicales au Moyen Âge. Ses travaux sur Guillaume de Machault (2 vol., 1955) font autorité. Il s’est attaché à définir le champ et les méthodes de la musicologie. Ses ouvrages sont un exemple de la rigueur scientifique qu’il exige des adeptes de cette discipline. MACHAUT ou MACHAULT (Guillaume de), compositeur, poète et chroniqueur français (Reims ? v. 1300 - Reims ? v. 1377). Il est considéré comme le plus grand représentant en France du courant de l’Ars nova (théorisé par Philippe de Vitry). On le rapproche souvent à ce titre de son contemporain, l’Italien Francesco Landini (1325-1397), vivant à Florence. On pense qu’il étudia la théologie, à Paris probablement, après quoi il reçut le titre de « magister ». Il entra vers 1323 au service de Jean Ier de Luxembourg, dit l’Aveugle, roi de Bohême (1310-1346), qu’il accompagna comme « secretarius » durant ses nombreuses campagnes militaires en Europe (Silésie, Flandre, Lituanie - siège de Znaïm -, Russie, Italie, etc.). À partir de 1330, il reçut, comme son frère Jean, diverses charges de chanoine : à Verdun (1330), à Arras (1332), à Reims (1333), et de nouveau définitivement à Reims (1337), ville où on suppose qu’il se fixa dans ses dernières années, menant une vie plus paisible. Il resta cependant secrétaire de Jean de Luxembourg, devenu aveugle, jusqu’à la mort de ce dernier à la bataille de Crécy (1346), après quoi il entra au service de sa fille Bonne de Luxembourg, épouse de Jean II le Bon et mère de Charles V le Sage. Il fut également employé auprès de Charles, roi de Navarre, dit le Mauvais, du roi Charles V et du duc de Berry. Il acquit une grande réputation comme poète et musicien, publiant diverses chroniques et des recueils poétiques (le Dit du Vergier, oeuvre de jeunesse, Confort d’ami, 1357, dédié à Charles de Navarre, Fontaine amoureuse, 1360-1362, dédiée à Jean, duc de Berry, et le Remède de Fortune, long poème narratif et allégorique contenant diverses petites pièces lyriques avec leur musique, lais, ballades, rondeau, complainte). Vers la fin de sa vie, à l’âge de soixante ans, il vécut une passion amoureuse avec une jeune fille d’une vingtaine d’années, Péronne d’Armentières, attirée (dit-il) par sa réputation et sa valeur d’artiste. Il allait faire de cette histoire un livre, le Veoir dict (« dit de vérité ») écrit entre 1362 et 1365, et contenant des lettres de leur correspondance intime et un long poème. « Toutes mes choses ont été faites de votre sentement, et pour vous especialement », écrivit-il à Péronne. L’oeuvre, considérée comme complète, de Machaut musicien nous est parvenue à travers une trentaine de manuscrits : elle est surtout composée de chansons profanes sur des thèmes amoureux (virelais, rondeaux) et, cependant, c’est son unique messe, la Messe de Notre-Dame (1349 ?-1364 ?), qui assure aujourd’hui sa célébrité au-delà du cercle des mélomanes connaisseurs et des professionnels. On a longtemps cru que cette messe à quatre voix (avec accompagnement instrumental par doublure des parties, pour certains mouvements) avait été écrite pour le sacre de Charles V, en 1364. Il est à peu près établi, aujourd’hui, que ce ne fut pas le cas, et certains pensent qu’il a pu l’écrire pour qu’elle soit jouée plus tard à sa propre mémoire et à celle de son frère. Cette messe comprend les 6 mouvements de l’ordinaire : Ite missa est, Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Agnus. Le Gloria et le Credo adoptent la forme du conduit avec une « teneur » librement inventée, tandis que les autres mouvements sont conçus comme des motets isorythmiques. À tort ou à raison, elle est considérée comme la première messe polyphonique de l’histoire de la musique occidentale, conçue comme un tout par son auteur, avec une unité organique créée par le retour de certains motifs rythmiques - mais pour en décider, il faudrait avoir conservé tout le répertoire de l’époque, ce qui n’est pas le cas. On la rapproche parfois, à ce titre, de la Messe de Tournai, 1323, oeuvre anonyme qui est une compilation d’éléments divers par un copiste. En tout cas, la vie rythmique et la générosité ornementale de cette oeuvre lui valent encore un certain succès. Parmi ses 23 Motets, en majorité profanes, 17 ont un texte français et 6 un texte latin, qui chante souvent les bienfaits de la paix. Mais pour la plupart ils abordent des thèmes d’amour courtois et ils comprennent généralement, selon le modèle du motet isorythmique fixé par Philippe de Vitry, une voix principale chantée et ornementée, soutenue par deux ou trois voix d’accompagnement instrumental. Certains sont bilingues et comportent, aux deux voix supérieures, deux textes différents. Les 42 Ballades, la plupart avec une partie chantée et une ou deux parties instrumentales (jouables par l’orgue, la cornemuse, ou d’autres instruments ad libitum), traitent également de thèmes courtois. Parmi ses 22 Rondeaux, à deux, trois ou quatre voix (également du type « mélodie accompagnée », sur un sujet amoureux, mais plus léger), le rondeau Ma fin est mon commencement est devenu spécialement célèbre comme exercice d’écriture rhétorique : il s’agit d’un « canon à l’écrevisse » qui, comme son titre l’indique, fait se répondre deux voix dont l’une reproduit l’autre, lue de la dernière à la première note, comme dans un miroir, et qui de surcroît est chanté sur un texte livrant la clef du rébus - comme si la musique « parlait », pour se définir elle-même dans son autosuffisance : « Ma fin est mon commencement, et mon commencement ma fin / Et teneure vraiment se rétrograde ainsi. » Cette pièce a fasciné notamment les compositeurs de l’école française postwebernienne, qui y trouvaient une sorte de modèle dans le passé, légitimant leurs propres recherches abstraites. Du reste, si Machaut fut souvent joué et cité dans des associations de musique contemporaine comme le Domaine musical de Pierre Boulez, à titre de grand ancêtre, c’est en vertu de cette assimilation qui faisait des compositeurs modernes se « reconnaître » dans la démarche de l’Ars nova. Les 33 Virelais et les 19 Lais, pièces monodiques syllabiques dont le texte, comme pour les autres pièces, est de Machaut, dérivent de chansons à danser, toujours sur des thèmes amoureux. Les lais sont des pièces assez développées, en douze strophes ou paires de strophes. On a également de Machaut une complainte monodique, « Tel rit au matin qui soir », et une Chanson royale, « Joie plaisance et douce norriture », toutes deux insérées, avec leur musique, dans le recueil poétique du Re- mède de Fortune ; ainsi qu’une pièce isolée, vraisemblablement instrumentale, à trois voix, le Hoquet David, ainsi nommée parce qu’elle utilise le mélisme « David », et qui témoigne de la survivance de la forme déjà en désuétude du « hoquet ». Selon certains musicologues, Guillaume de Machaut aurait cherché dans certaines de ses pièces lyriques et poétiques, de sujet profane, à introduire la polyphonie et l’écriture savante, et ce compositeur demeure, aux origines de l’histoire de la musique occidentale, comme une figure de chercheur, une sorte de Christophe Colomb de la polyphonie classique. Son oeuvre est considérée comme un pivot dans la naissance (mystérieuse) d’une conscience verticale de la musique, non seulement comme superposition de lignes, mais aussi comme succession de blocs harmoniques. L’Ars nova, certes, apportait l’usage des intervalles de tierce et de sixte pour enrichir les combinaisons harmoniques, mais les intervalles de quinte et d’octave dominent encore dans son oeuvre. Selon Jacques Chailley, « c’est peut-être la première fois dans l’histoire de la musique que l’on se trouve devant de véritables suites d’accords se présentant aussi nettement comme un bloc harmonique, et non plus comme résultante occasionnelle de lignes de contrepoint ». Peut-être la recherche d’ornementation favorise-t-elle ici la variété des rencontres harmoniques. Le souci de réaffirmer de temps en temps (pour éviter la dispersion downloadModeText.vue.download 609 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 603 du sentiment tonal) un accord à la stabilité prononcée est peut-être à l’origine de cette phrase musicale ponctuée, phrasée, découpée par ce que Pierre Boulez appelle des « clausules harmoniques ». L’usage abondant des syncopes et d’une certaine variété rythmique, dans une oeuvre polyphonique comme la Messe de Notre-Dame, produit une espèce de fourmillement de petites durées, vivant et sans martèlement, sans pesanteur, qui là encore a séduit les musiciens français sériels, dans l’après-guerre, redonnant à cette ancienne musique une jeunesse nouvelle - quoique fondée sur l’inévitable malentendu qui fait entendre le passé avec les références du présent. MÂCHE (François-Bernard), compositeur français (Clermont-Ferrand 1935). Après avoir obtenu des prix de piano (1951) et d’harmonie (1952) au conservatoire de sa ville natale, il entra à l’École normale supérieure (1955) et obtint son agrégation ès lettres (1958). La même année, il entra au Groupe de recherches musicales de Pierre Schaeffer, où il devait rester jusqu’en 1963, et au Conservatoire de Paris, où il travailla avec Olivier Messiaen. À partir de 1959, il participa à la réalisation des premiers films expérimentaux du Service de la recherche, et, en 1960, obtint le prix de philosophie de la musique dans la classe d’O. Messiaen. Il fut successivement professeur de lettres à Chartres (1962), à Neuilly-sur-Seine (1963) et en classes terminales et préparatoires au lycée Louis-le-Grand à Paris (depuis 1968). Chroniqueur musical à la Nouvelle Revue française (à partir de 1969), il effectua un voyage dans le sud-est asiatique, en particulier à Java et à Bali, en 1972, et a obtenu un doctorat d’État (en esthétique) en 1980. Opposé par tempérament aux courants postsériels, présentés comme des « combinaisons très complexes, sans rapports au réel », il s’attache à des données purement sensorielles, utilisant d’une part des langues inconnues de lui, considérées comme des matériaux purement sonores, et d’autre part des sons/bruits enregistrés à l’état brut, sans aucune manipulation. Il n’en reconnaît pas moins l’apport considérable de la musique concrète, « intrusion de sons mal élevés... qui n’avaient pas droit de cité ». On lui doit notamment Duo pour violon et piano, première oeuvre de lui jouée au concert (1957) ; Prélude pour 3 pistes magnétiques (1959) et Lanterne magique pour 2 pistes magnétiques (1959) ; Safous Mélé, cantate pour 9 instruments, choeur de voix de femmes et voix d’alto (1959) ; la Peau du silence pour orchestre, commande du Service de la recherche (première version 1961-62 pour 30 exécutants, deuxième version 1964-1966 pour 110 exécutants, troisième version 1970 pour 83 exécutants) ; le Son d’une voix pour 16 instruments (1964) ; Nuit blanche pour 2 pistes magnétiques et récitant sur un texte d’Antonin Artaud (1966) ; Répliques, expérience orchestrale avec participation du public muni d’appeaux (1969, création la même année au festival de Royan) ; Rituel d’oubli pour 20 instruments et 2 pistes magnétiques (1969) ; Danaé pour 12 voix mixtes et 1 percussionniste (1970) ; Kemit pour darbouka ou zarb solo (1970, création au festival de Royan de 1973) ; Agiba pour 2 pistes magnétiques (1971) ; Rambaramb pour orchestre, piano solo et bande magnétique (1972) ; Temes Nevinbür pour 2 pianos, 2 percussions et 2 pistes magnétiques (1973, création la même année au festival de Royan) ; Naluan pour 8 instruments et 2 pistes magnétiques (1974) ; le Jonc à trois glumes pour orchestre (1974) ; Marae pour 6 percussions et 2 pistes magnétiques (1974) ; Solstice pour clavecin et orgue positif (1975) ; Da Capo, oeuvre de théâtre musical créée au festival d’Avignon de 1976 ; Kassandra pour orchestre et bande magnétique (1977) ; les Mangeurs d’ombre, oeuvre de théâtre musical (1979) ; Aera pour 6 percussions (1979) ; Amorgos pour 12 instruments et bande magnétique (1979) ; Andromède pour double choeur, 3 pianos et orchestre (1979, créé en 1980) ; Temboctou, oeuvre-spectacle créée en 1982 ; Eridan pour quatuor à cordes (créé à Radio France en 1987), Cassiopée pour choeur mixte et 2 percussions (1988), Khnoum pour percussion (1990), Athanor pour dix instruments (1991). MACKERRAS (Charles), chef d’orchestre anglais d’origine australienne (Schenectady, New York, 1925). Il fit ses études musicales au New South Wales Conservatorium de Sydney, puis, avec Václav Talich, à l’Académie de musique de Prague, où régnait la musique slave, Janáček en particulier. Hautbois solo de l’orchestre symphonique de Sydney (1945-46), chef d’orchestre au Sadler’s Wells Opera de Londres (1948-1954), il dirigea la première britannique de Katia Kabanová de Janáček (1951). Premier chef d’orchestre du B.B.C. Concert Orchestra (1954-1956) et premier chef d’orchestre de l’Opéra de Hambourg (1966-1970), il devint directeur musical du Sadler’s Wells Opera (actuellement l’English National Opera) de 1970 à 1977. Depuis, il est chef invité du B.B.C. Symphony Orchestra et dirige régulièrement les grands orchestres américains. C’est un spécialiste reconnu de Janáček, dont il a dirigé et enregistré plusieurs opéras dans leur version originale. MACONCHY (Elisabeth), femme compositeur anglaise (Broxbourne 1907 - Norwich 1994). Elle fit ses études à Dublin, puis à Londres (Vaughan Williams), Prague (Blumenthal), Vienne et Paris. Sous l’influence des différents courants d’Europe centrale, elle s’est créé un style personnel, à intonations expressionnistes, et d’une grande densité, principalement dans sa musique instrumentale. Elle est surtout connue par ses opéras en 1 acte (The Sofa [1956-57], The Departure [1960-61], The Birds [1967-68], The Three Strangers [1958-1967]), mais elle a écrit une oeuvre importante dans laquelle on trouve des pages symphoniques (deux symphonies, des concertos pour alto, clarinette, piano, basson, des suites, variations), des ballets (Great Agripa, The Little Red Shoes, Puck Fair), des quatuors à cordes et d’autres pages de musique de chambre, des choeurs en grand nombre (A Christmas Morning, Samson and the Gates of Gaza, motets) et des mélodies. MAÇONNIQUE (musique). Fondée en Angleterre, au début du XVIIIe siècle, sur des bases philosophiques de fraternité humanitaire qui n’ont évolué que tardivement, et dans certains pays seulement (en France notamment), vers l’activité politique et l’anticléricalisme, la franc-maçonnerie a connu sans tarder un tel développement dans toute l’Europe qu’il est devenu impossible de continuer, comme on en avait pris l’habitude, à la passer sous silence dans les histoires de la musique. Presque tous les grands compositeurs du XVIIIe siècle (Rameau, Haydn, Mozart, Gluck) et du XIXe (Beethoven, Schubert, Liszt, Wagner) ont été soit francs-maçons, soit influencés par les idées maçonniques. On en trouve de nombreux échos dans leur oeuvre, soit en gros plan (la Flûte enchantée, Parsifal), soit plus discrètement (la Création de Haydn, certains quatuors de Beethoven, le Voyage d’hiver de Schubert). En outre, plusieurs d’entre eux, et notamment Mozart, ont écrit pour les cérémonies de loge des musiques de circonstance (cantates, marches, musiques funèbres, etc.) reconnaissables à leur style et à leur composition instrumentale, riche en instruments à vent et surtout à anches (clarinettes, cors de basset, bassons), ces ensembles étant particulièrement employés dans les réunions de loge sous le nom de colonnes d’harmonie. Le secret qui jadis couvrait ces activités avait longtemps fait obstacle à la connaissance de l’apport maçonnique à la musique ; sans avoir été entièrement abrogé, il est devenu aujourd’hui moins rigoureux, et permet d’en aborder une étude qui n’est encore qu’à ses débuts. downloadModeText.vue.download 610 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 604 MADEIRA (Jean), alto américaine (Centralia 1918 - Rhode Island 1972). Elle étudie d’abord le piano avec sa mère, puis le chant à la Juilliard School de New York. En 1943, elle fait ses débuts dans Martha de von Flotöw, et entre dans la troupe du San Carlo Company Touring Opera. En 1948, elle débute au Metropolitan, se distinguant particulièrement dans les rôles de Carmen et d’Amnéris. Après ses débuts européens en 1954, elle s’impose comme wagnérienne à Bayreuth de 1955 à 1967, et à Salzbourg en 1956 et 1957. Elle y incarne Waltraute, Erda et Rossweise. En 1968, elle crée Ulisse de Dallapiccola à Berlin. Elle fait ses adieux au Metropolitan en 1971. MADERNA (Bruno), compositeur et chef d’orchestre italien (Venise 1920 - Darmstadt 1973). Enfant prodige, il fut protégé par la princesse de Polignac, et, sous le nom de « Brunetto », fit sa première apparition publique à sept ans dans le concerto de Bruch. À huit ans, il dirigea à la Scala et aux arènes de Vérone. Il poursuivit ses études aux conservatoires de Milan (1935) et de Venise (1939), obtenant finalement ses diplômes de composition et de musicologie à celui de Rome (1940). Ses maîtres principaux furent Alessandro Bustini (composition) et Antonio Guarnieri (direction d’orchestre). Il étudia aussi à Venise avec Gian Francesco Malipiero, et après la guerre avec Hermann Scherchen, qui l’orienta vers la technique dodécaphonique. De 1947 à 1950, il enseigna la composition au conservatoire de Venise, comptant parmi ses élèves Luigi Nono, et, en 1950, il fut appelé par Karl Amadeus Hartmann à diriger un concert de la série Musica viva à Munich. En 1951, il se rendit pour la première fois à Darmstadt, où il enseigna régulièrement à partir de 1954. En 1955, il fonda avec Luciano Berio le Studio de phonologie de la R. A. I. à Milan, et, de 1956 à 1960, dirigea avec lui dans cette ville les Incontri musicali, concerts consacrés à la musique contemporaine. En 1957-58, il enseigna aux cours d’été de Darlington, en Angleterre, et organisa au conservatoire de Milan un cours public sur la technique dodécaphonique. Il enseigna aussi la direction d’orchestre au Mozarteum de Salzbourg de 1967 à 1970, et dirigea en 1971-72 le Berkshire Music Center de Tanglewood. Comme chef d’orchestre, il dirigea de 1958 à 1967 l’Ensemble international de musique de chambre de Darmstadt, ville dont il fut fait citoyen d’honneur en 1970, enseigna au conservatoire de Rotterdam à partir de 1967, et, en 1971, fut nommé à la tête de l’orchestre de la R. A. I. à Milan. Outre le répertoire contemporain, il dirigea de nombreux ouvrages classiques et romantiques, dont Didon et Énée de Purcell à la Piccola Scala (1963). En 1967, sa réalisation de l’Orfeo de Monteverdi fut donnée au festival de Hollande. En avril 1973 se déclara un mal foudroyant qui devait l’emporter en quelques mois. En 1974, le prix Beethoven de la ville de Bonn lui fut attribué à titre posthume pour Aura, et, la même année, Pierre Boulez composa à sa mémoire Rituel. Depuis 1969-1970, sa production de compositeur s’était encore intensifiée, avec notamment une remarquable série d’ouvrages symphoniques. De quelques années l’aîné de Nono, de Berio, et aussi de Boulez, Maderna joua un rôle essentiel dans la naissance de l’avantgarde italienne d’après la Seconde Guerre mondiale, cela aussi bien par le rayonnement de sa personnalité que par son enseignement proprement dit. Esprit généreux et ouvert, ne reniant pas l’héritage du passé, il se mit largement, comme chef d’orchestre, au service d’autrui, et, comme compositeur, il sut, dans les années 1950, particulièrement bien montrer l’étendue et la diversité des possibilités expressives de la technique sérielle. Il fut en outre le premier à analyser John Cage à Darmstadt (1957). Contrairement à ce qu’on a affirmé parfois, il ne prit jamais (même après avoir fait de Darmstadt sa résidence principale) la nationalité allemande, mais c’est à juste titre qu’on a pu voir en lui un véritable musicien européen. Sa première phase créatrice fut celle des expériences instrumentales et élec- troacoustiques. Il fit ses débuts officiels de compositeur en 1946 avec une Serenata pour 11 instruments restée inédite, peut-être révisée en 1954. Suivirent notamment un Concerto pour deux pianos et instruments (1948), Composizione no 1 (1949) et no 2 (1950) pour orchestre, Studi per il « Processo » di Kafka pour récitant, soprano et orchestre (1950), Improvisazione no 1 (1951) et no 2 (1953) pour orchestre. S’imposèrent encore davantage, toujours dans le domaine instrumental, un Concerto pour flûte destiné à Severino Gazzelloni (1954), le Quartetto in due tempi (quatuor à cordes, 1955), et la Serenata no 2 pour 13 instruments (1957). Ces deux dernières oeuvres surtout donnèrent à Maderna sa place spécifique dans l’avant-garde européenne de l’époque (la Serenata no 2 allie admirablement séduction et rigueur). Dans le même temps naquirent divers ouvrages électroniques comme Notturno (1955), Syntaxis (1957) et Continuo (1958), que devait suivre en 1962 la Serenata no 3, tandis que Musica su 2 dimensioni pour flûte et bande magnétique (1957) non seulement unissait aux nouvelles sources sonores un instrument traditionnel, mais faisait appel aux techniques aléatoires. Au Concerto pour piano (1959) correspond peut-être la poussée la plus extrême de Maderna vers le « modernisme ». De la même veine relève cependant Honeyrêves pour flûte et piano (1961). Les années 60 virent naître, sous le signe à la fois d’une extraordinaire veine lyrique et de la violence expressionniste, de grands ouvrages relevant soit du théâtre soit de la musique instrumentale, les deux catégories pouvant d’ailleurs se trouver en rapports étroits. Il y eut par exemple les deux premiers Concertos pour hautbois (1962 et 1967), et sur le plan théâtral l’opéra radiophonique Don Perlimplin, d’après Federico García Lorca (1961, créé à la R. A. I. le 12 août 1962), puis l’oeuvre lyrique en forme de spectacle Hyperion d’après Hölderlin (1964, créé le 6 septembre de cette même année à la biennale de Venise). Dans la mouvance d’Hyperion se situent Dimensioni III pour flûte et orchestre (1963), Aria da Hyperion pour soprano, flûte et orchestre (1964), et Stele per Diotima pour orchestre avec cadence pour solistes (1965), ces trois pièces pouvant se combiner de diverses façons entre elles et avec la cadence de flûte de Dimensioni III pour donner Hyperion II, Hyperion III, ou Dimensioni IV. Suivirent entre autres Amanda pour orchestre de chambre (1966) et le drame radiophonique Ritratto di Erasmo (Portrait d’Érasme, 1969-70), qui valut au compositeur le prix Italia en 1970. Avec Quadrivium pour orchestre (1969) s’ouvrit la série des ultimes pages symphoniques. Outre celles-ci, Maderna composa dans ses dernières années un Concerto pour violon (1969), Serenata per un satellite, musique aléatoire (1969), Juilliard Serenade (1971), Tempo libero I, musique électronique (1971, la combinaison de cette pièce avec la précédente donnant Tempo libero II), Pièce pour Ivry pour violon seul, musique aléatoire (1971), Venetian Journal (de Boswell, 1972), Giardino religioso pour petit orchestre (1972), l’invention radiographique Ages, d’après Shakespeare (1972), Satyricon, opéra en un acte d’après Pétrone (créé au festival de Hollande en 1973), et un Troisième Concerto pour hautbois, sa dernière oeuvre (1973). Les pages symphoniques ont nom Grandes Aulodia pour flûte, hautbois et orchestre (1970), Ausstrahlung (avec voix de femme, 1971), Aura (1972), Biogramma (1972). À sa mort, Maderna avait en projet un concerto pour orchestre, violoncelle et deux pianos. MADETOJA (Leevi), compositeur et chef d’orchestre finlandais (Oulu 1887 - Helsinki 1947). Élève de J. Sibelius à Helsinki, de V. d’Indy à Paris et de R. Fuchs à Berlin, puis directeur de l’académie Sibelius, il est l’un des plus importants symphonistes finlandais de la première partie du XXe siècle, et parmi ceux-ci il représente la tendance lyrique. Son oeuvre se situe à la charnière de downloadModeText.vue.download 611 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 605 deux influences : l’appartenance au peuple ostrobothnien et son amour de la musique française. En 1913, il se fait connaître par son poème symphonique Kullervo op. 15 et, en 1915-16 et 1917-18, il acquiert le succès avec ses première et deuxième symphonies. Ses oeuvres de maturité sont ses opéras Pohjalaisia (« les Ostrobothniens », 1923) et Juha (1934), ce dernier peut-être moins réussi que l’ouvrage composé sur le même sujet en 1922 par A. Merikanto, la troisième symphonie (1926) et le ballet pantomime Okon Fuoko (1930). À côté de son oeuvre symphonique, Madetoja a écrit de nombreuses pages de musique religieuse et parmi celles-ci Marian murhe (stabat mater, 1915) et un De Profundis (1925) ; 50 mélodies, dont le cycle Syksy, 1930-1940 (« Automne »), et autant de pièces chorales contribuent toujours aujourd’hui au rayonnement de son oeuvre. Considéré par beaucoup comme le compositeur finlandais le plus important de la génération immédiatement postérieure à celle de J. Sibelius, L. Madetoja, artiste introverti mais lyrique et imaginatif, voire puissant, souffre aujourd’hui de son appartenance au mouvement postromantique et d’avoir préféré son intégrité de pensée à une recherche du radicalisme à tout prix. MADRIGAL. Forme qui joua un rôle très important dans la musique italienne, d’abord au XIVe siècle, à l’apogée de l’Ars nova, ensuite, et sous un aspect très différent, au XVIe siècle. C’est à cette époque que le genre fut acclimaté en Angleterre où il devait devenir également très populaire auprès des musiciens élisabéthains et jacobéens. En fait, il semble que seul le nom soit commun au madrigal du XIVe siècle et à son homologue de la Renaissance. À l’origine, le mot dérive sans doute du terme cantus materialis ou matrialis, caractérisant ainsi un certain type de composition profane, par opposition au chant religieux (cantus spiritualis). LE MADRIGAL PRIMITIF. Apparu en Italie du Nord, dans la première moitié du XIVe siècle, le madrigal primitif est une sorte de court poème mis en musique, avec un ou deux vers isolés qui reviennent en guise de ritournelle sur un rythme différent. Fait de deux ou trois strophes de trois vers (endécasyllabes ou heptasyllabes), il recourt à des textes amoureux, parodiques ou allégoriques et à une polyphonie primitive où le cantus (voix supérieure) s’épanouit sur de longs mélismes au mouvement rapide et à la fonction nettement expressive, tandis que le ténor, au mouvement plus modéré, l’accompagne et le soutient, canalisant le cours de la mélodie et l’orientant aussi vers les cadences. Essentiellement destiné à une exécution vocale, le madrigal de l’Ars nova peut également s’accommoder d’une transposition instrumentale et sa rapide diffusion dans la péninsule explique que les plus grands compositeurs du temps s’y soient intéressés : d’abord Giovanni da Cascia et Piero, puis Jacopo da Bologna et Francesco Landini, dit « l’aveugle des orgues » (cieco degli organi), sans doute le musicien le plus important de l’Italie du XIVe siècle, un créateur de la carrure de Machaut et continuateur de la manière des précédents, bien qu’il ait préféré au madrigal proprement dit les formes qui en dérivaient : caccio à trois voix et surtout ballate. LE MADRIGAL RENAISSANT. À partir du XVIe siècle, le genre connaît une nouvelle carrière avec, comme point de départ, la forme populaire de la frottola, née des chants de carnaval (canti carnascialeschi) et qui, harmonisée à trois ou quatre voix, connaît une incroyable faveur en Italie, de la fin du XVe siècle aux années 1530 (le premier recueil de frottole paraît à Venise, chez Petrucci, en 1504). En fait, le madrigal renaissant ne s’oppose pas à la frottola ni à son dérivé le strambotto (forme mélancolique de la frottola « qui se chante », comme disait une expression du temps, « chez les amoureux »), mais apparaît plutôt comme une idéalisation de ces musiques qui doivent elles-mêmes être considérées comme une saine réaction du sentiment national face aux spéculations de la musique savante, dominée en Italie par les compositeurs étrangers : Josquin Des Prés, Arcadelt, Heinrich Isaak. Au reste, les Franco-Flamands résidant en Italie - les « Allemani » comme on les appelait alors - vont vite se trouver associés à la riche floraison de l’école madrigalesque, car, dans l’enthousiasme de la nouveauté, le genre séduit tous les musiciens et le savoir-faire des Néerlandais leur permet, au début, d’y briller plus que d’autres. C’est à une revalorisation de l’élément poétique que l’on assiste d’abord, sous l’influence d’humanistes comme Pietro Bambo (ce qui implique une collaboration toujours plus étroite entre musiciens et auteurs). Le niveau des textes s’élève rapidement et le prosaïsme - voire la vulgarité - des premières frottole est abandonné pour la meilleure des littératures, celle de Dante, Boccace, Pétrarque. À cette idéalisation de la matière poétique correspond la préoccupation des compositeurs, soucieux de transposer les jeux d’écriture de la tradition religieuse des Franco-Flamands à des fins profanes. Le premier recueil de madrigaux paraît en 1530, à Rome, chez Antico. Il s’agit des Madrigali da diversi musici, Libro Primo de la Serena, offrant des pages de Costanzo Festa et Philippe Verdelot. La musique y est encore démarquée, dans une large mesure, de la frottola, mais, en même temps, l’expression tend à être calquée sur les élans du verbe. À la suite de Verdelot, d’autres Néerlandais illustrent, nous l’avons dit, cette première école du madrigal. Ainsi Jacob Arcadelt et Adrian Willaert, tous deux passés maîtres dans le maniement de la polyphonie la plus complexe. Avec eux, le style imitatif coexiste encore avec l’homophonie chère à la frottola, mais l’écriture se fait aussi plus attentive au pouvoir du mot, à sa charge de poésie et d’émotion réunies, et laisse pressentir ce que seront les raffinements psychologiques de la dernière génération madrigalesque. Jacques de Werth, Cyprien de Rore, Roland de Lassus, Philippe de Monte, Palestrina et Ingegneri sont les chefs de file de cet âge classique et, bien que les étrangers y soient encore nombreux, le style se fait entièrement italien, investi par l’esprit de la race, usant de toutes les ressources du style hérité du motet néerlandais et cependant étroitement associé au génie de la langue, à son contenu poétique, au point que des « Allemani » comme de Rore y apparaissent aussi latins que les musiciens nationaux. À cet égard, Cyprien de Rore peut être considéré comme le véritable créateur du madrigal expressif par son souci d’unir la poésie à la liberté de la forme, au fil d’une écriture d’une étonnante mobilité, sans voix prépondérante, et où les hardiesses chromatiques vont dans le sens d’une évidente volonté de modernisme, à ceci près que ce modernisme ne nuit jamais à la spontanéité des sentiments. Si de Rore « a mené le madrigal, vingt ans à peine après les débuts de ce genre, à une telle hauteur que bien peu de ses contemporains ont été capables de le suivre » (Nanie Bridgman), Lassus et Philippe de Monte ont atteint également dans ce répertoire des sommets, le premier surtout qui, très tôt, a ressenti l’appel irrésistible de l’Italie, accordant les expériences harmoniques les plus rares à la pleine interprétation du texte. Ses derniers madrigaux ne valent pas toutefois sa production de jeunesse, car il avait alors perdu tout contact vivant avec la culture italienne, mais dans ses meilleures pages il se montre un coloriste génial et ses trouvailles sonores témoignent d’une intuition poétique égale à son sens musical. Servi par tous ces maîtres, le madrigal devient vraiment le genre roi dans la seconde moitié du XVIe siècle. La trame de la polyphonie s’enrichit, passant de quatre voix à cinq et même six voix égales, et se resserre, quant à l’expression, d’une manière significative, multipliant les effets imitatifs et les jeux canoniques, réservés auparavant à la seule musique d’église. Ainsi, le madrigal s’éloigne de ses racines populaires downloadModeText.vue.download 612 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 606 pour devenir un genre d’une extrême subtilité, réservé aux virtuosi et vivant d’un bonheur (mélodique et harmonique) fondamentalement méditerranéen. L’ÂGE D’OR DU MADRIGAL. Apparaît alors la troisième génération, celle de la trilogie Marenzio, Gesualdo, Monteverdi, qui, à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe, coïncide avec le plein épanouissement du madrigal. L’extraordinaire fortune que connaît le genre se vérifie dans les innombrables recueils livrés à l’impression dans le même temps. Et cette apothéose consacre le triomphe des Italiens qui prennent définitivement le relais des compositeurs venus des Flandres pour écrire l’un des plus glorieux chapitres de leur histoire musicale. En toute logique, d’ailleurs, car seuls des transalpins pouvaient donner au madrigal cette couleur authentique, cette touche sensible ou émue, raffinée ou intense, qui « en font l’une des plus heureuses contributions de la nature italienne à l’art occidental » (Nanie Bridgman). Point de rencontre des techniques du passé et du présent, comme des anticipations de l’avenir, il atteint à une rare acuité dans l’idée dramatique, mariée à une continuelle mobilité d’expression, et se montre désormais tout à fait capable de « dare spirito vivo alle parole » (« donner l’esprit même de la vie aux paroles ») et de réussir, comme le voulaient ses créateurs, la peinture des mots par le biais du symbole ou de l’image parlante. De Marenzio on peut dire qu’il est le classique du genre, préoccupé d’harmonie, d’équilibre entre forme et fond, le parfait dépositaire d’un art d’où sont exclues toute démesure, toute hardiesse gratuite. Soucieux du souffle de la vie, il se laisse aller aux procédés les plus virtuoses, mais seulement quand la « pittura delle orecchie » le commande. Avec lui, le symbolisme amoureux, caractéristique de la manière madrigalesque, se fixe en des évocations devenues très vite familières à ses continuateurs. Un mouvement ascendant de la mélodie décrit une montée, une quête et, par extension, le désir d’un objet inaccessible. L’aveu amoureux est traduit par un cheminement entrecoupé de pauses, de « soupirs », tandis que l’idée de douleur, de deuil et de mort est rendue par une récitation émaillée d’accidents chromatiques. En revanche, les sentiments pastoraux sont exprimés par une musique de bonheur, riche en accents consonants, de même que les unissons du chant à l’octave restent associés à la notion de paix, de repos. Gesualdo reste, pour sa part, le champion d’une musique hyperexpressive, où les hardiesses harmoniques et les stravaganze sont reines. Maître du chromatisme intensif et d’un chant qui épouse l’expression du mot pour en traduire tous les accents, le cri, le délire ou l’amour, il rejoint par des voies différentes le programme des mélodramatistes florentins qui créent dans les mêmes années le drame lyrique, en rendant le chant au pouvoir du verbe. C’est là une oeuvre expérimentale dont les excès - en particulier dans la recherche des dissonances - virent parfois au vertige, une musique irrémédiablement marquée par les crises dépressives de l’auteur et où un maniérisme d’esthète se mêle à la sincérité de l’expression torturée. Mais le génie y est au rendez-vous avec la violence amoureuse et cette flamme sombre dans la confession des passions qui fit du cruel prince de Venosa un double assassin par honneur (sa femme et l’amant de celle-ci). Enfin, Claudio Monteverdi, célèbre à d’autres titres (et surtout comme pionnier de l’opéra avec son Orfeo de 1607), mais qui, dans les limites du genre, impose, une fois de plus, une sensibilité et une lucidité exceptionnelles, jointes à un instinct de l’humaine nature qui n’a pas été dépassé depuis. Artiste complet, comme Marenzio, Monteverdi use de tous les styles du madrigal à la fois : contrepoint imitatif, déclamation syllabique, homophonie verticale, etc. D’une grande souplesse d’écriture et d’une totale liberté d’expression, le madrigal monteverdien « colle » littéralement à la signification du texte, sans la moindre contrainte formelle. En outre, sa récitation virtuose, ouverte à toutes les trouvailles du stile nuovo, à toutes les audaces du temps, mais sans le systématisme qui pèse parfois sur les pièces de Gesualdo, est un modèle de vie, avec ce frémissement dans le chant qui est bien d’un génie moderne, celui-là même qui déclarait à son détracteur Artusi « fonder sa musique sur la vérité ». À ce stade de développement, le madrigal est devenu un véritable poème musical où tout - hardiesses harmoniques, chromatismes inouïs, science de l’écriture, liberté formelle - concourt à une impression de vie, de réalisme intense. Aller plus loin dans le même style va bientôt sembler impossible. De ce point de vue, Monteverdi est le révélateur qui, après avoir épuisé toutes les possibilités expressives du madrigal polyphonique (le discours à cinq voix égales dans les Livres IV et V, remarquables aussi par les contrastes accusés dans l’activité desdites voix, où registres aigus et graves ont même importance), va lui apporter une mort glorieuse, ou plutôt l’engager, la basse continue aidant, sur la voie de la monodie accompagnée, de la déclamation lyrique et du recitar cantando, jusqu’à l’apothéose du Livre VIII, où théâtre, drame et chant s’interpénètrent pour transfigurer un genre devenu autre, et devant tout au plus au terme une dénomination commode. Le madrigal monodique triomphe, et, avec lui, l’esprit de la nouvelle musique qui va déboucher aussi bien sur la cantate que sur l’opéra. LE MADRIGAL DRAMATIQUE. Enfin, en marge du madrigal traditionnel, se développe avec Orazio Vecchi le madrigal dramatique, sorte de comédie théâtrale mise en musique dans un esprit proche de la commedia dell’arte et en style madrigalesque. « La vie est un modèle, dit Vecchi, où grave (sérieux) et piacevole (aimable) s’entremêlent continuellement. » Bien que chaque personnage s’exprime par le biais d’un petit madrigal polyphonique - ce qui favorise évidemment l’élément musical aux dépens du dramatique - cette forme a inspiré à Vecchi un chef-d’oeuvre : l’Amfiparnaso (1594), scène idéale où, sous la farce et la parodie, se cachent les ambitions du moraliste, et l’une des dernières grandes victoires, avec la Pazzia Senile (1598) d’Adriano Banchieri, dans le même esprit, de la polyphonie profane a cappella avant son renoncement. LE MADRIGAL EN EUROPE. Le madrigal italien s’est répandu dans toute l’Europe, mais avec un bonheur différent selon les pays. En Allemagne, il n’a été assimilé que comme madrigal spirituel, transposition au plan religieux du madrigal profane (l’Israëlsbrünnlein de Johann Hermann Schein). De grands compositeurs allemands ont écrit de très beaux madrigaux dans le style polyphonique traditionnel, comme Hans Leo Hassler, mais toujours sur des paroles italiennes. En Espagne, en revanche, la manière italienne a inspiré une riche école locale avec Brudieu (qui édite des Madrigales en 1585), Francisco et Pedro Guerrero, les deux Mateo Flecha, Juan Vasquez qui transforme le villancico et quelques autres, toujours attentifs aux tendances nouvelles venues de l’autre côté de la Méditerranée. C’est, toutefois, en Angleterre que la floraison madrigalesque a été la plus riche, tout à fait digne d’être comparée à son homologue transalpine. Une longue tradition de la chanson à plusieurs voix y était d’ailleurs implantée avant le XVIe siècle. Néanmoins, c’est l’influence du madrigal italien, renforcée par celle de la chanson française, qui est à l’origine de l’école du madrigal élisabéthain dont la grande période de création et d’édition dure une trentaine d’années (1590-1620). Les plus grands musiciens du temps s’illustrent durant ce bref âge d’or, à la suite de Byrd dont le premier recueil madrigalesque est une adaptation pour voix seules de chansons écrites pour solo vocal et accompagnement de violes. Thomas Morley, l’un des maîtres du genre, publie deux livres (1597 et 1598) qui sont comme la synthèse des styles à la mode de l’époque (madrigaux et balletti principalement). Le même Morley réunit, en hommage à la reine ÉlidownloadModeText.vue.download 613 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 607 sabeth, les Triomphes d’Oriane auxquels participent tous les madrigalistes célèbres du temps. Chantant les joies de l’amour, comme ses tourments, dans le style des pastorales italiennes à grand renfort de mythologie, ou plus simplement attaché aux évocations réalistes, mettant en scène la société, surtout rurale ou villageoise, le madrigal anglais joue à peu près des mêmes thèmes que son aîné italien. Aussi bien, John Wilbye et Thomas Weelkes apparaissent qui sont les deux grands virtuoses du genre, le premier dans un registre intimiste qui n’exclut pas le lyrisme et où il impose une perfection presque classique à la Marenzio, l’autre à l’humeur moins sereine et plus inattendu, mais s’appuyant sur une science d’écriture et des madrigalismes subtils qui en font l’égal des plus grands italiens. Les deux jouent d’un riche éventail de sentiments et d’émotions, de la joie pastorale à la sombre mélancolie. Reprenant à leur compte les essais expressifs de Marenzio, voire de Gesualdo, ils usent en maîtres des contrastes, des suspensions, des accidents de parcours dissonants et du chromatisme, des effets de sonorités et de timbres, des oppositions entre langage harmonique et contrapuntique enfin. Avec eux se distinguent Kirbye, Farnaby, Bennet, Bateson, Orlando Gibbons (à l’aise surtout dans un registre à la gravité presque religieuse), Tomkins et dix autres qui apportent au genre le meilleur du génie anglais. En fait, nos voisins ont pris ici pour modèle l’Italie, mais bien plus comme genre que comme forme et avec une autonomie de manoeuvre et d’accents qu’autorisait la culture élisabéthaine, avec son abondante poésie lyrique, ses traditions de chansons populaires (canons, catches et chansons de taverne) et une école de polyphonie sacrée qui, dans le cas qui nous occupe, recoupe, si on ose dire, ce riche patrimoine profane. Avec, comme dernier trait distinctif, le parallèle qu’il convient de faire entre madrigal vocal et le répertoire du chant ou air pour voix solo et luth. Les deux genres étant inséparables et complémentaires, pour la plus grande gloire de la musique britannique. MADRIGALISME. Terme employé par les théoriciens et historiens de la musique pour désigner, de façon générale, les différents moyens expressifs, harmoniques et mélodiques, dont disposaient les compositeurs de madrigaux au XVIe siècle et au-delà (en particulier en Italie, Angleterre), pour accentuer les sentiments, voire les passions, exprimés dans le texte poétique. Les madrigalismes trouvent ensuite leur place dans les premières monodies italiennes à voix seule, appelées souvent aussi des madrigaux. Sorti du genre spécifique du madrigal, c’est le mot figuralisme, d’introduction plus récente, qu’il convient d’employer. MAEGAARD (Jan), compositeur et musicologue danois (Copenhague 1926). Il fit ses études au conservatoire de sa ville natale et avec Jens Peter Larsen (musicologie), puis travailla aux archives Schönberg à Los Angeles (1958-59 et 1965). Il obtint un poste à l’université de Copenhague en 1971, et, l’année suivante, acheva une thèse consacrée à l’évolution de la technique sérielle chez Schönberg. Il fit beaucoup pour introduire dans son pays les oeuvres de l’école de Vienne, qui, après ses débuts dans la tradition néoromantique, devint sa principale référence comme compositeur aussi bien que comme musicologue. La sérénade O alter Duft aus Märchenzeit (1960) cite Pierrot lunaire non seulement dans son titre, mais dans ses dernières mesures. Parmi ses autres oeuvres, notons : Antigone pour choeur d’hommes et orchestre (1966), écrite à l’occasion d’une production à la télévision de la pièce de Sophocle, un quatuor à cordes (1970), et Musica reservata no 2 pour hautbois, clarinette, saxophone et basson (1976). MAELZEL (Johann Nepomuk), inventeur allemand (Ratisbonne, 1772 - en mer, au large des côtes des États-Unis, 1838). Il s’installa à Vienne en 1792, et s’y consacra à l’enseignement et à la mise au point d’instruments mécaniques. L’un d’eux, le panharmonicon, fut pour lui l’occasion d’une collaboration avec Beethoven. Il inventa le métronome, qu’il fit breveter en 1816, mais sans avoir été le seul à l’origine de la découverte. C’est inspiré non pas par le métronome, mais par une autre invention de Maelzel que Beethoven aurait écrit le canon à l’origine du deuxième mouvement de sa huitième symphonie. MAESTOSO. Mot italien désignant un mouvement de caractère solennel (cf. le français majestueux). L’indication maestoso peut s’employer soit seule soit associée à une indication de mouvement, le plus souvent lent, mais non pas obligatoirement (par ex. allegro maestoso). MAESTRO (ital. : « maître »). Terme désignant le maestro di cappella, c’est-à-dire le chef d’orchestre. Plus particulièrement encore, le chef de théâtre était qualifié à l’époque classique de maestro al cembalo, car il accompagnait lui-même les récitatifs au clavecin tout en assurant simultanément la direction de l’orchestre et des chanteurs. MAETERLINCK (Maurice), écrivain flamand (Gand 1862 - Nice 1949). Que resterait-il de Maeterlinck si Debussy n’avait composé son unique opéra, Pelléas et Mélisande, sur une de ses pièces de théâtre ? Sans doute ni les divers poèmes que le même Debussy mit en musique, ni le cycle des Serres chaudes dû à Ernest Chausson (1896) n’eussent été suffisants pour établir la renommée d’un auteur lui-même peu amateur de musique et que l’histoire littéraire a, par ailleurs, bien oublié. Il demeure que cette disgrâce se désintéresse injustement du succès connu par Maeterlinck de son vivant et de la place qu’il occupe au sein du mouvement symboliste. Certes, son panthéisme mystique, largement influencé par Novalis et Ruysbroeck, peut paraître aujourd’hui désuet, tout comme son langage imagé d’une naïve redondance. Pourtant, les tortures de l’âme étaient réelles chez un auteur fasciné par le côté absurde et tragique des rencontres entre le destin et l’innocence. Enfermé dans le monde clos de son esprit, miné par la torpeur et la stérilité toujours possible, le poète souhaitait constamment l’évasion, l’ouverture vers l’extérieur, mais ne voyait d’autre issue que celle du Verbe. Il fallait donc créer un langage « symboliste », fait de piétinements, d’un réseau d’images, de correspondances, à peine entrecoupées d’exclamations douloureuses. Cette multiplication des images devait rendre imperceptible le mouvement de l’âme tout en traduisant de son infinie complexité l’identique en mutation. Une telle prudence dans les sentiments s’explique, au théâtre surtout où elle est inhabituelle, par l’angoisse de la mort imminente, pressentie par l’âme bien avant que l’intelligence n’intervienne : en ce domaine, l’influence de Shakespeare (que Maeterlinck traduisit) céda vite pour laisser place à Edgar Poe. Cette intuition spontanée de l’inéluctable plonge les héros dans une attente inquiète, les conduit à scruter l’instant où la mort surgira avec une telle acuité qu’ils finissent par voir l’invisible ou entendre le silence. Plus d’une fois, ici, Maeterlinck rejoindra Villiers de l’Isle-Adam et Mallarmé. Ainsi, dans l’Intruse et les Aveugles (1890), qui préparent Pelléas (1892), assiste-t-on à l’attente d’un personnage qui ne vient pas, vécue par une famille groupée autour d’une femme jetée entre la vie qu’elle donne (elle accouche) et celle qu’elle rend : car la femme, selon Maeterlinck, est un pont tendu entre les mondes surnaturels. L’aventure se déroule dans un paysage intérieur, où l’on croit voir venir Dieu quand c’est la mort, seule, qui se présente. Ces frémissements inquiets, ce langage à l’opposé de toute exacerbation de l’expression, ont trouvé avec Claude Debussy un traducteur idéal. Parmi les oeuvres musicales (autres que Pelléas et downloadModeText.vue.download 614 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 608 Mélisande) d’après Maeterlinck, citons Monna Vanna de Rachmaninov (1907), Ariane et Barbe-Bleue de Paul Dukas (1907), l’Oiseau bleu, musique de scène de Humperdinck (1910), et Herzgewächse de Arnold Schönberg (1911). MAGALOFF (Nikita), pianiste russe naturalisé suisse (Saint-Pétersbourg 1912 Vevey 1992). Au Conservatoire de Paris, il étudie dans la classe d’Isidore Philipp et obtient un premier prix de piano en 1929. Il se perfectionne ensuite auprès de Prokofiev, alors installé à Paris. D’importantes tournées le font connaître dans l’Europe entière. En 1949, il reprend la classe de Dinu Lipatti au Conservatoire de Genève. En 1956, il prend la nationalité suisse. Au long d’une carrière très brillante, il a été un interprète particulièrement remarqué de Chopin, et a eu l’occasion de se produire en compagnie de Joseph Szigeti et de Clara Haskil. MAGNARD (Albéric), compositeur français (Paris 1865 - Baron-sur-Oise 1914). Licencié en droit, il fut simple amateur de musique jusqu’à vingt ans. En 1886, il entra au Conservatoire de Paris dans les classes de Dubois (harmonie) et de Massenet (composition). Entre 1888 et 1892, il travailla avec Vincent d’Indy. En 1890, il écrivit sa première symphonie, en 1892 son drame lyrique Yolande, qui n’eut pas de succès. À partir de 1896, une surdité partielle accentua en lui une tendance à la misanthropie. Nommé professeur de contrepoint à la Schola cantorum, il y eut pour élève Déodat de Séverac. En 1899, il organisa lui-même un festival de ses oeuvres, qui attira l’attention sur lui. En 1901, il termina son opéra Guercoeur (créé à l’Opéra de Paris dans une nouvelle version réalisée par Ropartz en 1931), puis composa sa troisième symphonie (1902) et son quatuor (1904) dont la création à la Société nationale fit sensation. Il quitta bientôt Paris pour s’installer dans l’Oise, où il écrivit ses dernières oeuvres : Bérénice d’après la tragédie de Racine (1909, créée à l’Opéra-Comique en 1911) et sa quatrième symphonie (1911-1913). Il fut tué dans sa maison par des soldats allemands au début de la guerre. Indépendant et solitaire, se réclamant de Beethoven et de Rameau, Magnard s’est manifesté dans une recherche de l’expressivité. Sa musique noble et forte atteste une vitalité puissante. Ses quatre symphonies et sa musique de chambre sonate pour violon et piano (1901), qua- tuor à cordes (1902-1903), trio avec piano (1904-1905), sonate pour violoncelle et piano (1909-1910) - s’inscrivent dans le renouveau français de la fin du XIXe siècle et du début du XXe aux côtés de celles de Franck, Saint-Saëns, Lalo, d’Indy, Dukas. MAGNIFICAT. Premier mot du cantique d’actions de grâces mis par l’Évangile dans la bouche de Marie lorsqu’elle rendit une visite à Élisabeyth après avoir appris par l’ange qu’elle enfanterait le Sauveur : Magnificat anima mea Dominum (« Mon âme magnifie le Seigneur »). Ce cantique a été transporté dans la liturgie des vêpres dont il constitue l’un des éléments essentiels. Il se chante sur une psalmodie analogue à celle des psaumes, mais plus ornée et en répétant à chaque verset l’intonation ornementale supprimée à partir du deuxième verset dans la psalmodie ordinaire. Une psalmodie spéciale, remontant probablement au XVIIe siècle, lui est parfois attribuée dans les paroisses où elle est restée populaire malgré la quasi-disparition des vêpres depuis Vatican II. De plus, son aspect solennel lui a valu d’être fréquemment chanté en faux-bourdon un verset sur deux ; aux XVIIe et XVIIIe siècles, ce faux-bourdon fut parfois remplacé par un verset d’orgue, et dans certaines circonstances, le texte entier fut traité en grand motet avec orgue et instruments. Le magnificat a été conservé dans la liturgie réformée, soit en latin, soit en langue vulgaire, parfois sous forme de choral (Meine Seele erhebt den Herrn). L’exemple le plus célèbre est le Magnificat latin de J.-S. Bach, dont la version usuelle en ré majeur est un remaniement de concert ; la version primitive, en mi bémol, conçue pour l’office, comprenait, intercalés entre les versets, les chants du Wegenlied ou « bercement de l’enfant », cérémonie traditionnelle du temps de Noël. À l’époque contemporaine, citons le Magnificat de K. Penderecki (1973-74). MAHLER (Gustav), compositeur et chef d’orchestre autrichien (Kaliste, près de Jihlava, Bohême, 1860 - Vienne 1911). Second des quatorze enfants d’un cabaretier-distillateur juif de langue allemande, Bernhard Mahler, et de Marie Hermann, il apprend dès l’enfance à jouer du piano et à composer. De quinze à dix-huit ans, il reçoit une formation complète au conservatoire de Vienne avec Julius Epstein (piano), Robert Fuchs (harmonie) et Franz Krenn (composition). Plus tard, il fait ses études universitaires (1877-1879, philosophie, histoire de l’art, etc.), notamment avec Anton Bruckner dont il devient le familier et, dans une certaine mesure, le disciple. De dix-huit à vingt ans, il vit du maigre revenu que lui procure l’enseignement privé. Il compose en 1880 sa première grande oeuvre, la cantate Das klagende Lied. L’échec de cette partition au prix Beethoven et l’attitude négative des musiciens de la vieille garde comme Brahms l’incitent à aborder une carrière de chef d’orchestre. Il débute à Bad Hall, près de Linz, où il dirige des opérettes dans un petit théâtre saisonnier (été 1880). Engagé ensuite à Ljubljana (Slovénie, 1881-82), Olomouc (Moravie, 1883), Kassel (Prusse, 1883-1885), il est nommé à l’âge de vingtcinq ans kapellmeister à l’opéra de Prague par l’illustre impresario wagnérien Angelo Neumann. Ses interprétations de Wagner, de Mozart et de la Neuvième Symphonie de Beethoven établissent solidement sa réputation. Pourtant Mahler quitte Prague en juillet 1886 à la suite d’un violent conflit avec Neumann. À Leipzig, où il est engagé ensuite, il doit rivaliser pendant deux ans avec un collègue très brillant et de peu son aîné, Artur Nikisch. Ces années-là, sa vie sentimentale est particulièrement orageuse : les premières oeuvres importantes de Mahler, Das klagende Lied (1880), les Lieder eines fahrenden Gesellen (1884) et la Première Symphonie (1884-1888), ont été inspirées par trois amours malheureuses. À Kassel et à Prague, son goût pour les belles cantatrices a déjà fait du bruit et il en sera de même plus tard à Hambourg et même à Vienne. Le succès triomphal de l’opéra inachevé de Weber, Die drei Pintos (Leipzig, janvier 1888), terminé et orchestré par Mahler, fait de lui un homme célèbre. Il quitte Leipzig trois mois plus tard à la suite d’un nouveau conflit. Aussitôt après, il est nommé directeur de l’opéra de Budapest, où il assure la création hongroise des deux premiers drames du Ring, ainsi que celle d’un des premiers opéras véristes, Cavalleria rusticana. Par la qualité exceptionnelle de ses mises en scène et de ses exécutions musicales (de Mozart notamment), Mahler rallie de nombreux admirateurs, dont Brahms lui-même. La création de la Première Symphonie (Philharmonique de Budapest, 20 novembre 1889) est un échec et Mahler renonce à renouveler pour l’instant l’expérience. En 1891, la nomination d’un nouvel intendant connu pour son chauvinisme et son autoritarisme, le comte Béla Zichy, le force à quitter Budapest. Il accepte le poste de premier chef à l’opéra de Hambourg (1891). Il trouve là un public vaste et averti et une troupe de chanteurs de rang international, mais un orchestre médiocre, des mises en scène ridicules, et surtout un directeur (Bernhard Pollini) qui ne s’intéresse qu’aux voix. Son travail lui vaut de nouveaux adeptes : les compositeurs qu’il interprète au théâtre (Massenet, Tchaïkovski, Mascagni, Alfred Bruneau, etc.) et l’illustre Hans von Bülow qui lui lègue plus ou moins la direction des Nouveaux Concerts d’abonnement. Pendant les six années hambourgeoises, Mahler compose durant l’été au bord de l’Attersee, près de Salzbourg, les Deuxième et Troisième Symphonies (1888-1894 et 1893-1896) ainsi que la plupart des Wunderhorn Lieder. En 1897, après sa conversion au catholicisme, il parvient, avec downloadModeText.vue.download 615 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 609 l’aide de Brahms et de son ami le critique Hanslick, à se faire nommer directeur de l’opéra de Vienne. L’oeuvre de musiciendramaturge qu’il va y accomplir (il règle lui-même l’essentiel des mises en scène) appartient à l’histoire. Pendant les cinq dernières années de son activité et grâce à sa rencontre avec un peintre-décorateur de génie, Alfred Roller, il travaille sans relâche à l’accomplissement de son idéal : une fusion unitaire des divers éléments visuel, dramatique et musical - de la représentation lyrique. Les étapes principales de cette collaboration glorieuse, qui fut un véritable âge d’or pour l’opéra de Vienne, sont Tristan (1903), Fidelio (1904), Don Giovanni (1905), Figaro (1906) et Iphigénie en Aulide (1907). Pendant trois ans, Mahler dirige aussi la Philharmonique. Les « retouches » qu’il apporte aux partitions des grands classiques déchaînent contre lui les fureurs de la critique. On le vénère ou on le déteste, mais on ne l’aime pas, car son fanatisme artistique fait peur. En 1901, il épouse la jeune et ravissante Alma Schindler, fille d’un paysagiste célèbre, musicienne et même compositeur. La nature possessive et passionnée de la jeune femme, le goût qu’elle a d’ensorceler tous les hommes qu’elle rencontre mettront plusieurs fois en péril l’harmonie du couple. Le charme et la vivacité d’esprit d’Alma vont néanmoins métamorphoser l’existence de Mahler. Elle lui donne deux filles et il fait, grâce à elle, la connaissance de quelques artistes éminents, les peintres Gustav Klimt, Kolo Moser et Karl Moll (le beau-père d’Alma), le poète dramatique Gerhard Hauptmann et les deux chefs de l’avant-garde musicale viennoise, Arnold Schönberg et Alexander von Zemlinsky. Pendant ses vacances, qu’il passe au bord du Wörthersee, à Maiernigg, Mahler compose les symphonies nos IV à VIII et ses derniers lieder. À partir de 1902, il commence enfin à s’imposer comme compositeur et dirige ses oeuvres un peu partout en Allemagne, en Autriche et même en Hollande, où Willem Mengelberg prend fait et cause pour elles. En 1907, lorsque sa fille aînée, Putzi, meurt de la scarlatine, Mahler a déjà décidé de quitter l’opéra de Vienne pour celui de New York. Il ne rentrera plus en Europe que pour passer l’été dans le Tyrol du Sud, à Toblach (ou Dobiacco), où il composera le Chant de la terre, la Neuvième et les fragments de la Dixième. Malgré les intrigues et les attaques dont il a été la victime pendant dix ans, malgré l’antisémitisme - latent ou déclaré - des Viennois, il quitte à regret son pays natal. À New York, les soirées wagnériennes et mozartiennes qu’il dirige au Met (outre Fidelio, la Fiancée vendue et la Dame de pique) suscitent un réel enthousiasme. Il quittera pourtant le Met au bout de deux ans, le directeur allemand, Conried, ayant été remplacé par un Italien, Gatti-Casazza, qui amène avec lui un jeune chef plein de tempérament et d’ambition, Arturo Toscanini. L’Orchestre philharmonique ayant été entièrement réorganisé en son honneur, Mahler va diriger, pendant sa première saison, 45 concerts. La seconde doit en comprendre 65, mais il tombe malade le 21 février, après le 48e. Sa vie professionnelle vient d’être assombrie par l’hostilité systématique d’un critique et par un conflit aigu avec le comité des directeurs. Tout d’abord alité pour un simple mal de gorge, il lutte deux mois durant contre une infection généralisée. On a perdu tout espoir de le sauver lorsqu’il quitte New York pour être traité pendant une semaine à Paris. Il meurt quelques jours après son retour à Vienne, le 18 mai 1911, peu avant d’avoir atteint sa cinquante et unième année. Quelques mois auparavant, le 12 septembre 1910, il a vécu à Munich, avec la création de sa Huitième Symphonie, le plus grand triomphe de sa carrière de compositeur. Mahler a laissé quelque 40 lieder - dont la moitié avec accompagnement orchestral -, la cantate Das klagende Lied et 11 symphonies (y compris le Chant de la terre et la Dixième inachevée). Comme compositeur, il a été longtemps sous-estimé, méprisé et attaqué, en partie à cause de sa double activité d’interprète et de créateur. On a longtemps reproché à sa musique de n’être qu’un tissu de réminiscences et de « citations » déguisées, de « banalités » scandaleuses et de complaisances sentimentales. À vrai dire, tout, dans son art, semblait fait pour choquer et pour provoquer, non seulement la simplicité plébéienne des rythmes (marche ou ländler) et la « facilité » apparente de l’invention mélodique, mais aussi les sautes d’humeur, les ruptures de ton, les contrastes abrupts, la rudesse des sonorités, la violence des couleurs et surtout la fameuse « hétérogénéité » du style. Aujourd’hui encore, quelques antinomies fondamentales sautent aux yeux dans son art : tragique/grotesque ; pathos/ironie ; noblesse/ vulgarité ; sérieux/humour ; simplicité folklorique/écriture sophistiquée ; mysticisme visionnaire et romantique/nihilisme lucide et critique. Mais ce sont justement ces paradoxes et ces antinomies qui donnent à l’art de Mahler son originalité et sa richesse. Sa musique est foncièrement nourrie de ses conflits intimes, de ses aspirations et de ses visions métaphysiques. Car Mahler n’avait rien d’un hédoniste, comme ses contemporains Richard Strauss et Debussy. Il a toujours cherché à « spiritualiser » la musique : Theodor Adorno n’hésite pas à voir en lui « le compositeur le plus métaphysique depuis Beethoven » et le seul autre musicien qui ait eu un « dernier style ». Certes, Mahler n’a jamais cherché à révolutionner la musique, ni à créer un nouveau langage. Pourtant la simplicité des rythmes et le diatonisme de l’harmonie ne doivent pas faire illusion : l’indéfectible vénération que lui ont vouée Schönberg et ses disciples ne s’adressait pas seulement à l’homme, mais aussi au musicien et au précurseur. On trouve déjà chez Mahler toutes les semences de l’avenir : nouvelle liberté polyphonique, orchestration qui fait du timbre un paramètre de la composition, manipulation accumulative de matériaux hérités du passé, élimination des réexpositions littérales, abolition presque complète de la forme sonate, qui caractérise particulièrement ses dernières oeuvres, au profit d’un processus évolutif de « variante perpétuelle » (Adorno). Le même Adorno a comparé la symphonie mahlérienne à un roman en ce qu’elle enchaîne des épisodes différents et des péripéties souvent inattendues au lieu de développer des matériaux connus et de respecter un schéma préétabli. Même le gigantisme des effectifs et la longueur démesurée ont été imités par nombre de compositeurs d’aujourd’hui comme son désir d’exprimer la totalité de l’homme dans chacune de ses symphonies. Les crises, les déchirements, les conflits qu’il a mis en musique sont déjà ceux de notre temps, comme la suppression des barrières entre les genres et les styles, l’éclatement des formes, l’écroulement des valeurs traditionnelles et la grande question qui en résulte. À cet égard, Mahler est bien le contemporain et le frère de Freud ou de Kafka, tous deux juifs et bohémiens comme lui, et l’un des principaux acteurs d’une révolution des esprits dont la Vienne du début du siècle a été le théâtre permanent. MAI MUSICAL FLORENTIN (« Maggio musicale fiorentino »). Festival d’opéra fondé à Florence en 1933, essentiellement à l’initiative du chef d’orchestre Vittorio Gui. D’abord biennal, il devint annuel en 1938. Interrompu de 1943 à 1947, il s’est attaché à monter des ouvrages rarement joués, en particulier de Rossini, et assura même, en 1951, la création mondiale de l’Orfeo ed Euridice de Haydn, avec Maria Callas dans le rôle d’Euridice. En 1953, Leonard Bernstein y dirigea une mémorable Medea de Cherubini avec Maria Callas dans le rôle-titre. MAILLARD (Jean), compositeur français du XVIe siècle. On ignore ses dates de naissance et de mort. Il semble avoir mené une vie de voyageur, s’arrêtant tantôt à la cour d’un seigneur, tantôt dans une maîtrise. Quoi qu’il en soit, il a beaucoup composé. Entre 1538 et 1570, plusieurs de ses oeuvres sont éditées à Paris par Le Roy et Ballard (Jean Maillard musici excellentissimi moteta, 1555 ; Missa ad imitationem downloadModeText.vue.download 616 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 610 missae Virginis Mariae, 1557 ; Missa ad imitationem moduli « M’amie un jour », 1558 ; Modulorum Jean Maillardi en 2 vol., 1565). D’autres pièces sont conservées en manuscrit ; d’autres encore sont perdues. Pour la plupart dans des recueils collectifs, on trouve une centaine de motets, un psaume de Cl. Marot, six messes, trois chansons spirituelles et une cinquantaine de chansons françaises, dont certaines ont été transcrites pour un instrument à cordes pincées. MAILLART (Louis Aimé), compositeur français (Montpellier 1817 - Moulins 1871). Il était le frère d’un acteur de la ComédieFrançaise, Adolphe Maillart. Il entra au Conservatoire de Paris dans la classe de violon de Guérin avant de devenir l’élève de Halévy et de Le Borne (écriture et composition). En 1841, il obtint le premier grand prix de Rome pour sa cantate Lionel Foscari. C’est Adolphe Adam qui le révéla en créant son opéra Gastibelza ou le Fou de Tolède, à l’occasion de l’inauguration, le 15 novembre 1847, de l’Opéra national, plus tard Théâtre-Lyrique. En dépit de sa paresse, Maillart fut un auteur à succès, doué d’un talent mélodique original et d’une grande facilité d’écriture. Son vrai triomphe fut les Dragons de Villars (1856). Mais c’est dans Lara (1864), traité avec une grande noblesse, qu’il écrivit ses pages les plus remarquables. Il quitta Paris en 1870 à l’arrivée des troupes allemandes, et se réfugia à Moulins où il mourut. MAIN GUIDONIENNE. Procédé pédagogique attribué sans preuves à Guy d’Arezzo (XIe s.), consistant à compter les sons de l’hexacorde sur les phalanges de la main ouverte pour en retenir plus facilement la succession et les procédés de mutation, c’est-à-dire de passage dans la nomenclature d’un hexacorde à un autre. La main guidonienne pouvait aussi servir à apprendre les mélodies, le maître montrant sur sa main gauche ouverte l’emplacement des notes à chanter. Ce dernier procédé, qui a été en usage jusqu’à la fin du XVIe siècle, a été repris avec diverses variantes par plusieurs méthodes d’enseignement musical (Wilhem, Chevais, Kodály, etc.) sous le nom générique de phonomimie. MAINARDI (Enrico), violoncelliste et compositeur italien (Milan 1897 - Munich 1976). Il étudia le violoncelle et la composition au conservatoire de Milan, et perfectionna sa technique instrumentale avec Hugo Becker, à Berlin. Il fit ses débuts de concertiste à treize ans, forma des duos avec Dohnányi, Wilhelm Backaus, Carlo Zecchi et Edwin Fischer. Avec ce dernier, il fonda un trio, d’abord avec Kulenkampff, au violon, puis avec Scheiderhan. Parallèlement à ses activités d’interprète, il enseigna le violon et la musique de chambre à l’académie Sainte-Cécile de Rome, à Berlin, Salzbourg et Lucerne. Alors que Pizzeti écrivait pour lui son concerto pour violoncelle (1933-34), Richard Strauss l’invita à enregistrer sous sa direction son Don Quixote. Quatre ans plus tard, Malipiero composait aussi pour lui son concerto pour violoncelle, puis son triple concerto (1938). Le jeu de Mainardi, aux sonorités claires et chaudes, se distinguait par un tempo très lent, particulièrement dans les suites de Bach, dont il a laissé de surprenants enregistrements ainsi qu’une édition critique. MAISKY (Mischa), violoncelliste russe naturalisé israélien (Riga 1948). Lauréat du Concours Tchaïkovski à l’âge de 18 ans, il entre ensuite dans la classe de Mstislav Rostropovitch au Conservatoire de Moscou. Victime de la répression du gouvernement soviétique de 1969 à 1972 (du fait de l’émigration de sa soeur en Israël), il est emprisonné et interné en hôpital psychiatrique avant de réussir à rejoindre lui aussi Israël. Les années qui suivent marquent le véritable début de sa carrière. Lauréat du Concours Cas- sado de Florence en 1973, il se produit aux États-Unis, puis en 1976 à Paris, où il donne plusieurs concerts de musique de chambre. Depuis lors, sa vie se partage entre la France et Israël. MAÎTRES CHANTEURS. À la fin du XIIIe siècle, certains poètes gnomiques, particulièrement fiers de la complexité à laquelle était parvenu leur art, se firent désigner du nom de maîtres. La légende veut que l’un d’entre eux, dit Frauenlob (celui qui s’entend à louer la femme), se fixa à Mayence et y fonda la première confrérie de maîtres chanteurs. Progressivement, le mouvement s’amplifia en même temps que l’invention poétique disparaissait au profit d’un dogme rigide : seule fut bientôt autorisée l’utilisation des strophes et mélodies créées par l’un des douze grands maîtres, règle que des marqueurs surveillaient étroitement en s’appuyant sur la tabulature, sorte de manuel, de code poétique. Composées pour l’essentiel de bourgeois et d’artisans (la petite noblesse disparaissait peu à peu), et donc expression d’un art urbain et non plus de cour, les confréries se dotèrent d’un cursus honorum aux multiples étapes, qui permettait de s’élever à la fois artistiquement, socialement et religieusement. Les sujets abordés, en effet, traités uniquement grâce à des combinaisons pédantes des innombrables modes officiels, aux noms plutôt fleuris, tournaient presque exclusivement autour de questions morales et théologiques. Animant les offices de leurs chants, les maîtres escomptaient mieux s’attirer les bonnes grâces de Dieu ; ils organisaient également des concours, sur le modèle des « disputes » alors en honneur dans les universités. À partir du XVIe siècle, leur art se fixa essentiellement à Nuremberg, Augsbourg et Breslau. Sous l’impulsion du réformateur Hans Foltz, barbier de son état, on essaya de rompre avec le rigorisme des confréries rhénanes, en autorisant à nouveau la création de chants et de bars neufs. Mais cette réaction, sans doute trop tardive, ne permit pas de ranimer un art dont la complexité et la lourdeur étaient bien loin des exercices brillants auxquels se livraient, à la cour de Bourgogne, les grands rhétoriqueurs. Le plus connu des maîtres, le cordonnier Hans Sachs (1494-1576), emphatiquement célébré par Goethe et Wagner et auteur d’environ 4 000 chants, est d’ailleurs passé à la postérité moins en raison de son talent, ou de sa foi, que de la verve de ses farces populaires, souvent assez vertes, véritables mines pour les amateurs de traditions et de folklore. L’art des maîtres chanteurs disparut progressivement au cours du XVIIe siècle, sans jamais avoir été très connu des masses ni très apprécié des humanistes. MAÎTRISE. Choeur d’enfants attaché à une grande église ou à une collégiale, qui se sépare de l’école épiscopale entre le XIe et le XIVe siècle et se répand en France et en Belgique. Les enfants, recrutés sur concours, étaient totalement pris en charge par l’église et soumis à un enseignement et à une discipline rigoureux. Ils apprenaient, outre la musique (vocale et instrumentale), la grammaire, la littérature et le latin. Les effectifs, assez réduits, étaient variables (de 4 à 13 enfants, selon les époques et les églises). En plus d’un apprentissage très dur, les enfants étaient tenus d’assurer tous les services religieux. À leur sortie de l’école, ils entraient souvent dans les ordres ou devenaient musiciens professionnels. L’importance des maîtrises dans la vie musicale de cette époque était capitale, car c’était le seul endroit où l’on enseignait la musique aux enfants. Citons, parmi les plus importantes, celles d’Aixen-Provence, Bourges, Cambrai, Chartres, Clermont, Dijon, Paris (Notre-Dame) et Rouen. Des instrumentistes vinrent peu à peu se greffer sur le choeur proprement dit. Supprimées en 1791 lors de la Révolution, elles furent remplacées dans l’esprit, sinon dans la lettre, par le Conservatoire, créé en 1795. Elles réapparurent par la suite, mais sans la structure de l’Ancien Régime et certaines existent toujours (Dijon, par exemple). On leur donne aussi le nom de psallette, manécanterie, chapelle, etc. downloadModeText.vue.download 617 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 611 MAJEUR. 1. Se dit d’un intervalle qui, par référence à sa note inférieure considérée comme tonique, appartiendrait à une tonalité ma- jeure (par ex., do-la = sixte majeure mais do-la bémol = sixte mineure). 2. Se dit d’un accord parfait quand sa tierce est majeure (par ex., do-mi-sol). Se dit aussi des accords de septième et de neuvième quand ces derniers intervalles sont majeurs (par ex., do-mi-sol-si = accord de septième majeure ; do-mi-sol-si bémol-ré = accord de neuvième majeure). 3. Se dit d’une tonalité quand elle est dans le mode majeur (par ex., do majeur). 4. Se disait, au Moyen Âge, d’un mode rythmique, ou d’une division rythmique ternaire. En ce sens, majeur était parfois synonyme de parfait (perfectus). [ ! INTERVALLE, ACCORD, MODE, TONALITÉ.] MALAGUEÑA. 1. Danse espagnole, originaire de Málaga, de rythme ternaire et plus ou moins apparentée au fandango. Le deuxième volet de la Rhapsodie espagnole de Ravel est intitulé Malagueña. 2. Musique qui accompagne ou non cette danse, d’une nuance angoissée et caractérisée par un soubresaut se heurtant à une formule harmonique stéréotypée allant de la dominante à la dominante. Au centre, un récitatif lyrique, généralement improvisé par le chanteur ou dans le style d’une improvisation, s’élève dans la même note inquiète, sur de discrètes figurations de guitare. MALEC (Ivo), compositeur yougoslave (Zagreb 1925). Il fait des études traditionnelles au conservatoire et à l’université de sa ville natale. Après quelques voyages en France, il s’y fixe en 1959 et, s’associant aux travaux du Groupe de musique concrète (qui deviendra le G. R. M.) de Pierre Schaeffer, il s’oriente délibérément vers la musique électroacoustique. Cette option, dit-il, « a fait basculer sa façon d’écrire, et changé totalement son approche du phénomène sonore ». Il a aussi appliqué à la musique instrumentale certaines méthodes acquises en « manipulant » du son en studio. Ayant d’autre part constaté les blocages des instrumentistes face à la complexité grandissante de l’écriture, il inaugure avec eux un nouveau mode de travail, les faisant participer à l’élaboration de l’oeuvre sans qu’il s’agisse pour autant d’improvisation : il divise par exemple un grand ensemble en petites cellules agissant de manière autonome (avec toutefois un responsable), le compositeur coordonnant le tout. Cette démarche peut, selon lui, apporter des changements fondamentaux dans le comportement des musiciens, et surtout dans la manière d’aborder la composition. En dehors de son activité principale, Malec pratique la direction d’orchestre et a enseigné la composition au Conservatoire national de Paris de 1972 à 1990. On lui doit : des musiques électroacoustiques dont Luminétudes (1968), Bizarra (1972), Triola (1978), Recitativo (1980, oeuvre composée à l’aide de l’ordinateur) ; des oeuvres instrumentales comme Miniatures pour Lewis Caroll pour flûte, harpe et percussions (1964), Arco 11 pour onze cordes (1975), Arco 22 pour 22 cordes (1976), et Ottava alta pour violon et grand orchestre (1981) ; des musiques mixtes comme Lumina pour douze cordes et bande magnétique (1968), Cantate pour elle pour voix de soprano, harpe et bande (1966). Citons aussi : Dodécaméron pour douze voix solistes (1970) ; Vox, vocis f. pour 3 voix de femme et 9 instruments (1979) ; une tentative de théâtre musical d’après Victor Hugo, Un contre tous (Avignon, 1971) ; Actuor (1973) donné à Lyon en ballet avec les Percussions de Strasbourg, Exemples pour orchestre (1988) ; Artemisia pour bande (1991), Doppio coro pour ensemble (1993). Malec a su réaliser avec un bonheur toujours renouvelé une synthèse entre les nouvelles techniques et l’emploi de la lutherie traditionnelle. MALGOIRE (Jean-Claude), hautboïste et chef d’orchestre français (Avignon 1940). Après avoir étudié dans sa ville natale, il entre au Conservatoire de Paris où il obtient les premiers prix de hautbois et de musique de chambre (1960). Il est hautboïste et cor anglais à la Société des concerts du Conservatoire et en 1967 à l’Orchestre de Paris. En 1966, il crée l’ensemble la Grande Écurie et la Chambre du roi, dont les musiciens se spécialisent dans le jeu des instruments baroques. En 1970, il fonde le Florilegium musicum de Paris, groupe de chanteurs et d’instrumentistes qui se consacrent à la musique du Moyen Âge et de la Renaissance (Machaut, Dufay, Zaccharias). À partir de 1974, il dirige et enregistre des opéras baroques : Alceste de Lully, Hippolyte et Aricie et les Indes galantes de Rameau, Xerxès et Rinaldo de Haendel, ainsi que de la musique religieuse, notamment Charpentier. Comme soliste, il a enregistré des concertos de Vivaldi, Albinoni, Marcello, et créé de nombreuses oeuvres contemporaines. En 1981, il a été nommé directeur de l’Atelier lyrique de Tourcoing. MALHERBE (Charles Théodore), musicologue français (Paris 1853 - Cormeilles, Eure, 1911). Il étudia le droit et la littérature, se tourna ensuite vers la musique et devint archiviste adjoint (1896) puis archiviste (1899) de l’Opéra de Paris. Il légua sa vaste collection d’autographes musicaux au Conservatoire de Paris. MALIBRAN (Marie), mezzo espagnole (Paris 1808 - Manchester 1836). En dépit de la brièveté de sa carrière (elle mourut accidentellement des suites d’une chute de cheval à vingt-huit ans), la Malibran a laissé un nom qui est peut-être le plus célèbre de l’histoire du chant. Fille du fameux ténor Manuel García, soeur d’une autre mezzo, Pauline Viardot, et du plus grand professeur de chant du XIXe siècle, Manuel García II, Marie Malibran semble avoir possédé une personnalité musicodramatique qui surpassait encore ses moyens vocaux et sa technique. Elle débuta à Londres à l’âge de dix-sept ans dans le rôle de Rosine aux côtés de son père qui avait créé dix ans plus tôt celui d’Almaviva dans le Barbier de Séville de Rossini. Entre 1825 et 1830, elle connut une succession de triomphes sans précédent à New York, à Paris, à Milan, à Rome et à Naples. Elle épousa successivement François Eugène Malibran dont elle se sépara en conservant le nom qu’elle immortalisa, puis le violoniste De Bériot. Elle chantait des rôles très différents comme Desdémone de Rossini, Norma de Bellini, Léonore de Beethoven. Sa voix semble avoir été primitivement celle d’un contralto que le travail était parvenu à étendre dans l’aigu jusqu’à la tessiture de soprano avec quelques notes creuses dans le milieu. Musset consacra son talent dans une ode célèbre. MALIPIERO (Gian Francesco), compositeur et musicologue italien (Venise 1882 - Trévise 1973). Contemporain de Stravinski, il forma avec Pizzetti et Casella la triade du néoclassicisme italien ; il apporta à cette tendance une personnalité ascétique et attachante, aussi éloignée de la force irrésistible manifestée par le premier que de la large ouverture européenne du second. Sa vie fut une suite de remises en question de son art et de son message : issu d’une famille de musiciens et de poètes, formé par les premiers pionniers de la renaissance instrumentale italienne de la fin du XIXe siècle, il voulut se démarquer tant du postvérisme que de la richesse foisonnante du monde sonore de Wolf-Ferrari et de Respighi. Il détruisit en 1913 ses oeuvres de jeunesse, qu’il jugeait trop liées au passé et que la découverte soudaine de Stravinski, de D’Annunzio et de Ravel lui faisait renier. Après avoir donné une première preuve de son talent avec Pause del silenzio (1917) et Pantea (1919), drame chanté et dansé à la manière de la récente Légende de saint Joseph de Richard Strauss, il se consacra quelque temps à l’enseignement, puis s’isola dans une retraite dorée, à Asolo, de 1924 à 1936, période durant laquelle il downloadModeText.vue.download 618 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 612 écrivit quelques-uns de ses chefs-d’oeuvre lyriques (Torneo notturno, I Cantari alla madrigalesca, La Favola del figlio cambiato) et où il entreprit la résurrection des oeuvres de Monteverdi et de Vivaldi. Il retourna à l’enseignement (Padoue, 1936), assura la direction du conservatoire de Venise (1939-1952), y formant certains des compositeurs les plus en vue de la jeune école italienne, parmi lesquels Luigi Nono, puis reprit une activité créatrice plus intense qu’auparavant. Fortement marqué par le passé glorieux de l’Italie médiévale et renaissante, Malipiero, « de la même manière que les Russes avaient assimilé leur folklore », intégra les modes grégoriens à son langage, d’une grande richesse instrumentale, et qui, récusant avec ostentation les effusions romantiques et le chromatisme germanique, ferait parfois penser à un Pfitzner ou à un Honegger, mais avec un lyrisme que son sang italien ne pouvait renier. En effet, malgré une importante production instrumentale qui ne comporte pas moins de onze symphonies, neuf concertos, huit quatuors à cordes, des sonates à la manière préclassique, des choeurs et diverses pages de musique de chambre dont le dépouillement touche parfois à la nudité, Malipiero fut essentiellement un compositeur lyrique, jusque dans ses oeuvres chorales ou sacrées telles que Saint François d’Assise, la Cène, la Passion (1935), etc. Ses opéras - plus de trente - peuvent se répartir en trois périodes : celle des oeuvres « à panneaux » où se juxtaposent des épisodes indépendants, période comprenant notamment les Sette Canzoni (Paris, 1920), qui, avec La Morte delle Maschere et Orfeo, devaient constituer sa trilogie L’Orfeide (Düsseldorf, 1925) ; ce style connut son point culminant avec Torneo notturno (1929), une suite de sept nocturnes, cependant que Malipiero avait déjà amorcé une deuxième manière qui, l’orientant vers de grands auteurs (Goldoni, Pirandello, Calderón, Euripide, Shakespeare), l’obligeait à adopter une progression dramatique, très nette dans La Favola del figlio cambiato (1934) d’après Pirandello, moins évidente dans Jules César ou Antoine et Cléopâtre, le compositeur demeurant inexorablement fidèle à son principe de la mélodie en perpétuel renouvellement exempt de tout développement. Il revint ensuite à sa conception originale des « panneaux » avec une importante succession d’opéras, depuis les Caprices de Callot (1942) jusqu’à Uno dei dieci, écrit à la veille de sa mort, oeuvres où l’auteur donna enfin libre cours à une création musicale de pure improvisation, déchargée de toute implication dramatique. MALIPIERO (Riccardo), compositeur et critique italien (Milan 1914). Neveu de Gian Francesco Malipiero, il a étudié le piano et la composition à Milan et à Turin (1930-1937), puis la composition à Venise avec son oncle. Depuis 1969, il dirige le Liceo Musicale de Varèse. Il a utilisé la technique sérielle dès 1946, avant de s’orienter davantage vers les recherches de timbre. On lui doit notamment l’opéra bouffe La donna è mobile (1954, créé à Milan en 1957), trois symphonies dont la deuxième (Sinfonia cantata) avec voix (1949, 1956, 1959), Serenata per Alice Tully pour orchestre de chambre (1969), Requiem 1975 pour orchestre (1975-76), Notturno pour violoncelle et orchestre de chambre (1986). MALLARMÉ (Stéphane), poète français (Paris 1842 - Valvins 1898). Il a exercé une influence fondamentale sur la littérature, mais aussi sur la musique moderne. Il mène une activité très monotone de bureaucrate et de professeur d’anglais à Tournon, Besançon et Avignon, avant de s’installer définitivement à Paris et d’y vivre très retiré jusqu’en 1884. Il consacre sa vie à la création du Livre, « instrument spirituel » se proposant « l’explication orphique de la Terre ». Très attiré par la poésie des parnassiens, bouleversé par les Fleurs du mal de Baudelaire et par les poèmes d’E. Poe (qu’il traduit en 1888-89), il proclame dès 1862 la nécessité d’une oeuvre complexe et difficile d’accès parce qu’ambitieuse. Après ses premiers poèmes qui reprennent des thèmes baudelairiens, il écrit Hérodiade (1864-1869), poème tragique de la difficulté d’être, de l’absence, du monde abstrait, de l’idée pure. Parallèlement, il compose l’AprèsMidi d’un faune (1865-1876), que Debussy transpose en musique (1894). Après une période de doute (1866), Mallarmé redéfinit sa conception de la poésie, expérience métaphysique transposant les objets sur le plan de l’esprit : il s’agit de « peindre non la chose, mais l’effet qu’elle produit », en cherchant à bannir à jamais le hasard de la création artistique. Le conte particulièrement dense d’Igitur ou la Folie d’Elbeknon (1867-1880), les Tombeaux, hommage à Poe et Baudelaire (1877), enfin la Prose pour des Esseintes (1885) sont considérés par le poète comme des fragments énigmatiques du « grand oeuvre auquel ne suffit pas une vie », comme des bribes victorieusement arrachées au « vieux monstre de l’impuissance ». Consacré par Verlaine (cf. les Poètes maudits, 1883) et Huysmans (À rebours, 1884), Mallarmé devient brusquement en 1884 « chef de file », maître de la génération symboliste qui commence à se réunir chez lui, rue de Rome : là ont lieu les lectures du Livre. Il meurt une année après avoir écrit le poème Un coup de dés jamais n’abolira le hasard (1897), chefd’oeuvre de sa pensée poétique. La subtilité musicale des poèmes mallarméens a été particulièrement attrayante pour les compositeurs sensibles à son univers imaginaire et à la substance proprement phonique de son langage poétique. Après sa première mise en musique d’un poème de Mallarmé - Apparition pour voix et piano (1882-1884) -, Debussy écrit le Prélude à l’après-midi d’un jaune pour orchestre (1892-1894), mais aussi Trois Ballades de Mallarmé (Soupir, Placet futile et Éventail, 1913) pour voix et piano. Sainte pour voix et piano (1896) et Trois Poèmes de Mallarmé pour voix, piano, quatuor à cordes, deux flûtes et deux clarinettes (1930) forment l’hommage de Ravel à l’art poétique de Mallarmé. La musique des trente dernières années témoigne d’un grand intérêt pour l’art poétique et les visées théoriques de Mallarmé. Ainsi, deux oeuvres capitales de P. Boulez, Pli selon pli/Portrait de Mallarmé (qui met en musique les sonnets le Vierge, le Vivace et le bel Aujourd’hui, Une dentelle s’abolit et À la nue accablante tue) et la Troisième Sonate pour piano (qui cherche la transposition musicale du projet mallarméen du Livre) s’inspirent directement de la recherche mallarméenne, car « dans le domaine de l’organisation de la structure mentale de l’oeuvre, certains écrivains sont allés beaucoup plus loin que les musiciens » (P. Boulez). Fasciné par l’art poétique mallarméen, par la technique de la « croissance continue » dans l’oeuvre conçue comme un « univers en expansion » (P. Boulez), par « l’espacement de la lecture », par la permutabilité des fragments, par « les symétries créatrices » et par « les particularités formelles, visuelles, physiques et décoratives » du Livre mallarméen, Boulez cherche à réaliser avec les moyens du musicien contemporain les projets partiellement menés à bien par Mallarmé. L’orientation structuraliste de l’époque postsérielle, ainsi que la recherche de « l’oeuvre ouverte » dans laquelle « il y a et il n’y a pas de hasard » rejoignent curieusement les aspirations mallarméennes. Le parallélisme entre les principes formels des oeuvres de Boulez inspirées directement par Mallarmé, d’une part, et ceux des oeuvres « ouvertes », réalisées au cours des années 60-70 indépendamment de l’influence du poète, d’autre part, prouve la contemporanéité incontestable des recherches mallarméennes.. MALVEZZI (Cristofano), organiste et compositeur italien (Lucques 1547 - Florence 1599). Venu très jeune à Florence, il est dès 1562 chanoine à S. Lorenzo, dont son père était l’organiste, en devient maître de chapelle en 1571 à la mort de Corteccia (il fut sans doute son élève) et obtient le même poste à la cathédrale en 1596. Malgré cette carrière, aucune de ses pièces sacrées n’a été downloadModeText.vue.download 619 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 613 conservée. Il est l’auteur de livres de madrigaux (2 à 5 voix, 1 à 6 voix), de ricercari à 4 voix et surtout d’une grande partie des intermèdes donnés à l’occasion du mariage de François de Médicis et Bianca Cappello en 1579, de Cesare d’Este et Virginia de Médicis en 1585 (L’Amico Fido, de Bardi) et de Ferdinand de Médicis et Christine de Lorraine en 1589 (La Pellegrina, de Girolamo Bargagli). La maladie l’empêcha de composer à partir de 1589. Ses madrigaux, d’un style traditionnel hérité de Corteccia, annoncent néanmoins, par leur texture homophonique et le soin apporté à l’expression claire du texte, le nouveau style florentin. Son lien avec la Camerata a dû être assez profond, car il collabore, lors des intermèdes, avec Bardi surtout, Cavalieri et Peri, qui était son élève. Il est, pour cela, une figure importante de la musique à Florence au XVIe siècle. MANCHE. Élément constitutif de la plupart des instruments à archet et à cordes pincées (exceptions : psaltérions, harpes, cithares, etc.), prolongeant la caisse de résonance et le long duquel est posée la touche et sont tendues les cordes. Par la simple pression des doigts de la main gauche, l’exécutant peut ainsi raccourcir celles-ci de manière à en hausser le son à volonté. Tandis que sur les instruments à archet la touche est lisse, sur ceux de la famille des luths et des guitares, celle-ci est divisée par demi-ton à l’aide de frettes qui servent de point de repère à l’instrumentiste. MANCHICOURT (Pierre de), compositeur franco-flamand (Béthune v. 1510 Madrid 1564). Bien que les documents manquent sur son enfance, on sait qu’il fut choriste à la cathédrale d’Amiens vers 1525. Après un passage à Tours (1539), on le trouve ensuite à la cathédrale de Tournai (1545- 1556). En 1556, il est nommé chanoine d’Arras. Mais il reçoit bientôt la nomination de « maître de la chapelle flamande » du roi Philippe II d’Espagne et part pour Madrid en 1559. Il y restera jusqu’à sa mort. La musique religieuse occupe une part prépondérante dans son oeuvre : une vingtaine de messes, dont beaucoup sont écrites sur des thèmes empruntés à d’autres compositeurs (Sermisy, Mouton), plus de soixante-dix motets. Mais il est également l’auteur d’une cinquantaine de chansons. Nombre de ses oeuvres ont été publiées de son vivant chez les plus grands éditeurs de l’époque : Attaingnant, Susato, Du Chemin. Ses oeuvres religieuses, après les premiers motets influencés par Ockeghem, se rapprochent du style des successeurs de Josquin Des Prés, comme Nicolas Gombert. La technique en est savamment élaborée (écriture en imitation, surtout). Ses chansons, sauf rares exceptions, sont plus proches du style recherché et élégiaque des Franco-Flamands que de celui, populaire, de Janequin. MANCINI (Giovanni Battista), castrat et maître de chant italien (Ascoli 1714 Vienne 1800). Élève à Bologne de Bernacchi et du padre Martini, il fut appelé à la cour de Vienne par l’impératrice Marie-Thérése en 1757. On lui doit un écrit théorique notable, Pensieri e riflessioni pratiche sopra il canto figurato (Vienne 1774, trad. fr., 1776 et 1796), où il se montre analyste original et théoricien intelligent. MANDOLINE. Instrument à cordes pincées d’origine italienne. Sa caisse en forme de poire très renflée, plus rarement aplatie, résonne sous l’effet de quatre doubles cordes tendues sur un manche garni de frettes. Le son de la mandoline, beaucoup plus court que celui de la guitare, peut être entretenu par le grattement répété d’un plectre ou « médiator ». Sa tessiture, son accord et son doigté sont exactement ceux du violon. Nombre de compositeurs classiques, dont Vivaldi et Mozart, ont écrit pour la mandoline, qui était encore très populaire au début de ce siècle grâce à un choix à peu près illimité de transcriptions à l’usage des musiciens amateurs. Depuis, la guitare l’a presque complètement supplantée. MANDYCZEWSKI (Eusebius) [Eusebie Mandicevschi], musicologue roumain (Cernauti [Tchernovtsy] 1857 - Vienne 1929). Fils d’un prêtre grec orthodoxe, il commença en 1875 des études à l’université de Vienne, ville où il devait demeurer toute sa vie. Élève de Hanslick (histoire de la musique) et de Nottebohm (théorie), il se lia d’une profonde amitié avec Brahms, et, en 1887, succéda à C. F. Pohl à la direction des archives de la Société des amis de la musique. Il participa activement à l’édition complète des oeuvres de Schubert (en particulier des lieder), Haydn (celle entreprise par Breitkopf et Härtel à l’occasion du centenaire de la mort de ce compositeur en 1909) et Brahms. Pour l’édition de Haydn, il s’occupa notamment des symphonies, et c’est lui qui, en 1907, en fixa la numérotation chronologique (de 1 à 104) telle qu’elle devait s’imposer par la suite. Des découvertes plus récentes ont montré que, sur certains points, cette « chronologie » demandait à être corrigée. Mais la liste des symphonies de Haydn dressée par Mandyczewski a l’immense mérite de ne comprendre que des oeuvres authentiques, et de n’en avoir omis que deux (Hob.I.107 et 108, toutes deux de jeunesse). Mandyczewski a édité également des oeuvres de Bach et de Caldara. Comme compositeur, on lui doit notamment douze messes orthodoxes. Il mourut peu après la tenue du congrès international Schubert de 1928, qu’il avait organisé. MANFREDINI, famille de musiciens italiens. Francesco, compositeur et violoniste (Pistoia 1684 - id. 1762). Élève de Torelli et de Perti à Bologne, il entra à l’Accademia dello Spiritu Santo à Ferrare. En 1704, il fut à la chapelle San Petronio de Bologne, puis, en 1711, il prit la fonction de maître de chapelle à la cour de Monaco. À partir de 1727, on le retrouve à la cathédrale de sa ville natale de Pistoia. Il a laissé de la musique instrumentale (concertini, sonates en trio qui s’inscrivent à la suite de celles de Torelli), et des oratorios : San Filippo Neri trionfante (1719), Tomaso Moro (1720), L’Assedio di Sammaria (1725). Vincenzo, compositeur (Pistoia 1737 - Saint-Pétersbourg 1799). Il fut formé par son père Francesco, puis par Perti à Bologne, et par Fioroni à Milan. En 1758, il se rendit à Saint-Pétersbourg où il devint maître de chapelle du grand-duc et de Catherine II. En 1762, pour les fêtes du couronnement de Catherine, il fit représenter à Moscou le ballet Amour et Psyché (perdu), et l’opéra L’Olimpiade. Mais l’impératrice semble avoir peu goûté sa musique, et à l’arrivée de Galuppi (1765), Manfredini fut relégué au rôle de professeur de clavecin du grand-duc Paul. Il revint à Bologne en 1769. En 1770, il fit la connaissance de Mozart. Il collabora au Giornale Enciclopedico d’Italie, publié à Naples. En 1798, rappelé par le tsar Paul Ier, il retourna à Saint-Pétersbourg, où il mourut peu après. Son traité d’harmonie, Regole armoniche (Venise, 1775), qui fit autorité, fut par la suite traduit en russe par le compositeur Degtiariov. MANFROCE (Nicola Antonio), compositeur italien (Palmi Calabro 1791 - Naples 1813). Ce musicien qui, comme Pergolèse et Arriaga, disparut à la fleur de l’âge, fut l’un des auteurs les plus originaux de la période prérossinienne. D’abord élève de Zingarelli, il se démarqua vite des modèles traditionnels de l’opera seria, prêtant une oreille attentive non seulement à la représentation de la Vestale de Spontini donnée à Naples en 1811, mais, d’une façon générale, à tous les courants nouveaux venus de France et d’Allemagne, surclassant Mayr sur son propre terrain. Plus que dans sa musique de chambre, ses oeuvres sacrées et son opéra Alzira (Rome 1810), c’est dans Hecube, crée à Naples en 1812, que l’on trouve l’aboutissement d’une évolution dont Rossini allait aussitôt redownloadModeText.vue.download 620 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 614 cueillir les fruits ; signalons notamment une ouverture d’une puissance exceptionnelle, une tendance aux structures ouvertes, l’usage exclusif du récitatif obligé où prédominent les vents, un orchestre enrichi de quatre cors et trois trombones, une maîtrise quasi mozartienne des effets vocaux, et, fait insolite, une longue conclusion orchestrale après la mort de l’héroïne. MANN (Thomas), écrivain allemand (Lübeck 1875 - Zurich 1955). Contemporain de Wagner et Nietzsche, et, par eux, de Schopenhauer († 1860), qui éclairent tous trois sa propre création artistique et résument à eux seuls la seconde moitié du XIXe siècle outre-Rhin (sinon plus encore), Thomas Mann a connu les deux guerres mondiales et les effondrements successifs de l’empire, de la république et du Reich nazi. Autant dire que cet héritier de la grande bourgeoisie protestante porte en lui les stigmates d’une course à l’abîme maladive, vécue pourtant avec un sens croissant de la responsabilité collective de la Germanie tout entière dans l’irruption du mal sur terre. Né dans l’impasse d’une civilisation gorgée de wagnérisme, Thomas Mann, qui se veut à son tour artiste moderne, constate que Wagner résume déjà toute la modernité, non seulement dans sa production mais aussi, surtout, dans son attitude. Toute création, dès lors que l’originalité est impossible, ne pourra plus être que conscience érudite de tout ce qui précède, juxtaposition ironique de citations. Les thèmes wagnériens abondent donc dans l’oeuvre de Mann, qui en est la parodie (au sens étymologique du mot) : une parodie acidulée d’ironie nietzschéenne, mais victime elle aussi de cet épuisement de l’âme et de l’art que dénonçait Zarathoustra (le Petit Monsieur Friedmann, Tristan, Tonio Kröger, Sang des Wälsungs et, dans une moindre mesure, Mort à Venise). Mann considère en effet que le problème essentiel de l’artiste moderne est celui d’une dualité entre l’esprit et la vie. L’esprit triomphant entraîne un appauvrissement de l’élan vital, un goût pour l’immoralisme, pour les interdits. En même temps, l’artiste porte au coeur la nostalgie d’un quotidien banal, aspirant à une bonne conscience qui lui permettrait de (re)devenir bourgeois. Grâce à l’ironie et à la psychanalyse, Mann espère sortir de la névrose wagnérienne. Ses héros, à la fois figures mythiques et psychologues, sont conscients de leur être, ne se leurrent pas sur eux-mêmes. Leur attitude n’implique aucun retour psychique au mythe qu’ils véhiculent ; ils le comprennent sans y participer vraiment. Toutefois, un tel recul est par essence conservateur. L’anamnésis à laquelle se livre Mann lui permet sans doute de déceler dans son temps les symptômes de la décadence, et même de les découvrir en lui : il se refuse pourtant à y porter remède par un retour sincère au mythe de l’origine, car ce retour, dès lors que l’ironie (la conscience lucide) ne le guide pas, débouche inévitablement sur le totalitarisme, le réveil des vieux démons ; Mann ne vise pas ici les idées politiques de Wagner, mais surtout la structure même de son oeuvre, le rapport entretenu par la musique et le mythe, le climat des représentations de Bayreuth. En fait, c’est bien la musique, art de l’informulé, de l’irresponsable, de l’inconscient, qui apparaît politiquement dangereuse lorsqu’elle se hisse à pareil niveau de pouvoir, de volonté. Et Mann, qui ambitionne d’écrire une oeuvre littéraire comparable, dans la forme, le jeu du rythme, des constructions, aux grands livres de Bach ou à la Tétralogie wagnérienne (Joseph et ses frères, la Montagne magique, les Buddenbrook), adopte de plus en plus, en les transposant, les attitudes d’un Goethe par rapport à la musique, d’un Heine devant son époque. Face à l’animal dionysiaque (l’esprit), l’élu, le plus souvent un musicien, est un malade : Castorp, Félix Krull, Aschenbach, Jacob, Adrian Leverkühn, mettent leurs pas dans les empreintes laissées par Wagner jusqu’à ce que leur propre aventure se confonde avec celle de l’Allemagne et débouche sur l’hitlérisme (Doktor Faustus). Adrian Leverkühn, le héros du Docteur Faustus (roman qui devait provoquer une polémique avec Schönberg), apparaît finalement comme une sorte de prototype du compositeur contemporain. Les Confessions du chevalier d’industrie Félix Krull, que la mort empêcha Mann d’achever, devaient dénoncer ce mécanisme en montrant la parenté qui unit l’intellectuel et l’escroc aimé de ses victimes. MANNHEIM (école de). Elle tire son nom de la ville de Mannheim, sur le Rhin, et brilla d’un vif éclat de 1743 à 1777. Fondée au début du XVIIe siècle (1606), plusieurs fois détruite par la guerre dans les décennies qui suivirent, la ville de Mannheim ne devint un centre musical qu’en 1720, année où l’Électeur palatin Carl Philipp, délaissant Heidelberg, s’y installa. Contrairement à celles de la plupart des autres cours allemandes, la chapelle de Mannheim ne comprit dès ses débuts qu’une minorité d’Italiens. Seuls certains chanteurs venaient d’audelà des Alpes, les instrumentistes étant originaires soit de Bohême et de Silésie, soit d’Innsbruck (où Carl Philipp avait tenu sa cour avant de devenir prince-électeur), soit de Düsseldorf et des Pays-Bas. Carl Philipp mourut le 31 décembre 1742, et eut comme successeur son fils Carl Theodor, mécène et prince éclairé dont le nom devait rester attaché à celui de l’école de Mannheim. Passionné de musique, instrumentiste lui-même, Carl Theodor disposa dès 1745 d’un ensemble de 48 chanteurs et instrumentistes : ce chiffre devait passer à 61 deux ans plus tard, et atteindre 90 en 1777 (dernière année passée par Carl Theodor à Mannheim). De 1745 à sa mort en 1757, l’orchestre de Mannheim fut dirigé par Johann Stamitz (Jan Stamic), natif de Bohême. Il eut comme successeur Christian Cannabich. Excellent violoniste, Stamitz fit de son orchestre un des meilleurs d’Europe. De cet orchestre, le célèbre crescendo (témoignage parmi d’autres de son extraordinaire discipline) fit sensation à travers l’Europe, et, en 1772, Burney en parla comme d’une « armée de généraux ». En firent partie de remarquables instrumentistes, dont beaucoup (à l’instar de Stamitz) originaires de Bohême : les violonistes Ignaz Fränzl, Carl et Anton Stamitz, fils de Johann, Karl Joseph et Johann Baptist Toeschi, Jakob et Wilhelm Cramer et Georg Zardt ; le violoncelliste Anton Filtz ; le flûtiste Wending ; le hautboïste Ramm. La plupart de ces instrumentistes étaient également compositeurs (parmi ces derniers, citons encore Franz Xaver Richter et Ignaz Holzbauer). D’où, dans beaucoup de musique écrite et entendue à Mannheim, un net souci de nuancer et de diversifier l’utilisation des instruments, ce qui se traduisit notamment par la composition d’innombrables symphonies, d’innombrables concertos et surtout d’innombrables symphonies concertantes (genre dont Mannheim se fit presque une spécialité). Mais cet accent mis sur la musique instrumentale n’empêcha à Mannheim l’essor ni de l’opéra ni de la musique religieuse (Georg Joseph Vogler, Ignaz Holzbauer). Le 31 décembre 1777, Carl Theodor reçut en héritage l’électorat de Bavière, et dut abandonner Mannheim ainsi que, non loin de là, le château de Schwetzingen, construit sur le modèle de Versailles. La plupart de ses musiciens le suivirent à Munich, et cet événement marqua la fin de la grande période de Mannheim. Juste avant ce « déménagement » de l’orchestre, Mozart, venant de Salzbourg et en route vers Paris, s’était arrêté à Mannheim, et, de ce séjour, il devait profiter beaucoup. Pour cette raison et d’autres, plusieurs musicologues, à la tête desquels Hugo Riemann, ont voulu faire du style de Mannheim, dramatique mais sans surprises, aristocratique et populaire à la fois, l’ancêtre direct et la principale source d’influence du classicisme viennois (Haydn, Mozart). Une telle opinion n’est plus de mise aujourd’hui. D’une part, en effet, les traits de style les plus « tournés vers l’avenir » de l’école de Mannheim (crescendo, conception dramatique de la musique instrumentale) s’étaient déjà rencontrés auparavant en Italie (loin d’avoir inventé leur fameux crescendo, les musiciens de Mannheim s’en firent plutôt une downloadModeText.vue.download 621 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 615 spécialité) ; d’autre part, dans la mesure où ces traits constituaient une réaction contre l’ère baroque, on les trouvait également ailleurs, à Vienne en particulier. Enfin, tous les genres de musique n’étaient pas pratiqués à Mannheim de façon aussi « progressiste » que la symphonie ou la symphonie concertante : la musique religieuse, la musique de chambre et même le concerto témoignaient de tendances en général plus conservatrices, et quant aux symphonies, elles n’étaient pas toutes, et de loin, conçues selon les mêmes normes « avancées ». En même temps qu’à Mannheim, une école de symphonistes se développa à Vienne. Le catalogue Breitkopf montre que, dès les années 1760, les symphonistes viennois étaient plus diffusés en Europe que ceux de Mannheim, et c’est de l’école viennoise surtout que se nourrit en ses débuts l’art d’un Haydn, d’autant que, sur le plan musical, les relations entre Mannheim et Vienne étaient relativement peu développées. Elles n’eurent rien de comparable aux rapports étroits entretenus entre Mannheim et Paris, ville où se produisirent Johann Stamitz puis beaucoup d’autres musiciens de Carl Theodor, et qui se fit à son tour une spécialité de la symphonie concertante. Un Gossec ou un chevalier Saint-Georges subirent bien davantage l’influence de Mannheim qu’un Haydn. Après le départ de Carl Theodor, la principale institution musico-culturelle demeurant à Mannheim fut le Théâtre national, fondé depuis peu. Avec Napoléon, la ville passa au grand-duché de Bade. À partir des années 1780, Vienne était devenue sans conteste le principal centre de création musicale dans les pays de langue allemande, ce que même Berlin, après avoir longtemps montré une opposition farouche (et accepté un peu mieux Mannheim), avait dû reconnaître. Le classicisme viennois reprit des éléments du style de Mannheim, mais en les intégrant dans une dynamique formelle toute nouvelle et d’une vigueur intellectuelle auparavant insoupçonnée. Dans le même temps, après avoir jeté mille feux et rempli une mission historique essentielle, mais éphémère, le style de Mannheim se survivait ici ou là, par exemple dans les productions agréables mais relativement pâles d’un Franz Danzi. MANOURY (Philippe), compositeur français (Tulle 1952). Philippe Manoury a travaillé la composition avec Gérard Condé, Max Deutsch, Ivo Malec et Michel P. Philippot. Il est, avec Pascal Dusapin, un des représentants les plus sérieux et les plus exigeants de la très jeune école française. Son écriture, d’une extrême richesse d’imagination et souvent d’un constructivisme assez sévère (Numéro cinq pour piano et 12 instruments, 1975), démontre un tempérament d’une évidente personnalité, tout en faisant preuve d’une grande certitude stylistique, librement issue du postsérialisme, et d’une réelle ascèse intellectuelle. Le sens de la polyphonie y est flagrant, ainsi qu’un goût pour la complexité, l’exploration des sonorités, la tension dialectique, l’expression discursive et parfois une éloquence lucide et délibérément romantique (Quatuor à cordes, 1977). Depuis son retour d’un long séjour au Brésil, Philippe Manoury travaille à l’I. R. C.A. M. du centre Beaubourg à Paris, où il a réalisé plusieurs ouvrages. Il est l’auteur d’un texte de recherche sur les corrélations entre le timbre et l’espace sonore. Ses principales oeuvres sont : une Sonate pour deux pianos (1972), Focus pour petit orchestre (1973, Royan 1974), Cryptopho- nos pour piano (1974, Metz 1974) - une de ses pages les plus réussies -, Puzzle pour voix, violoncelle et orchestre (1974, Royan 1975), Numéro cinq pour piano et 12 instruments (1975) - peut-être son oeuvre la plus épurée et la plus rigoureuse -, un grand et expressif Quatuor à cordes (1977), le Tempérament variable pour clarinette, petit ensemble et bandes magnétiques (1978), Numéro huit pour deux orchestres (1980), Zeitlauf pour voix, instruments, dispositif électronique et bande (1982), Instantanés pour 18 instruments (1983), Aleph pour 4 chanteurs et 4 groupes d’orchestre (1985, version définitive 1987), Jupiter pour flûte et machine 4× (créé à l’IRCAM en 1987), Pluton pour piano et ordinateur 4× (IRCAM, 1989), version définitive de Numéro huit (Radio France, 1990), la Partition du ciel et de l’enfer pour orchestre et système temps réel (1989), Neptune pour clarinette et système temps réel (1991), Prélude pour grand orchestre (1992), Gestes pour trio à cordes (1992), Pentaphone, cinq pièces pour orchestre (1992), Matériaux en écho pour soprano et système temps réel (1992). MANUEL. Adjectif pris comme substantif et appliqué à l’orgue ou au clavecin pour désigner le clavier, par opposition au pédalier. Sur les partitions, le terme de « manuel » est souvent désigné par la lettre M. MANZONI (Giacomo), compositeur et musicologue italien (Milan 1932). Après des études musicales (composition) à Messine et au conservatoire de Milan et des études littéraires à l’université Bocconi à Milan, il travailla comme instrumentiste d’orchestre, chef de choeur, critique musical (critique à L’Unità de 1958 à 1966, rédacteur des revues Il Diapason, Prisma, Musica/Realtà). Il enseigna l’harmonie, le contrepoint et la composition au conservatoire Verdi de Milan et au conservatoire Martini de Bologne. Ses travaux en musicologie se traduisent par sa participation au Dictionnaire et à l’Encyclopédie de la musique (Milan, 1964) et par son ouvrage A. Schönberg - L’uomo, l’opera, i testi musicali (1975). (Manzoni a également traduit en italien Th. W. Adorno - Philosophie der neuen Musik, 1959, et Dissonanzen, 1959 et A. Schönberg - Harmonielehre, Milan, 1963 -, et d’autres textes didactiques intitulés Analisi e pratica musicale, 1974.) Il est auteur d’oeuvres pour le théâtre (Per Massimiliano Robespierre, 1974, créée à Bologne en 1975, scènes musicales en 2 temps sur des textes de Robespierre et d’autres ; Doktor Faustus d’après Thomas Mann, Milan 1989), d’oeuvres vocales-instrumentales (Hölderlin/Frammento [1972] pour choeur et orchestre, Masse : Omaggio a E. Varèse [1977] pour piano et orchestre, Modulor [1979] pour 4 orchestres, Parole da Beckett [1971] pour 2 choeurs, 3 groupes instrumentaux et bande magnétique, Variabili [1973] pour orchestre), et d’oeuvres pour ensembles de chambre (Quartetto à cordes [1971], Percorso a otto [1975] pour double quatuor à cordes, Sigla [1976] pour 2 trompettes et 2 trombones, Epodo [1976] pour quintette à vent, Percorso GG [1979] pour clarinette et bande magnétique, Hölderlin : Epilogo [1980] pour 10 instruments). MARA (Gertrud, de - son nom véritable Schmeling), soprano allemande (Cassel 1749 - Reval 1833). Elle étudia à Londres et à Leipzig et débuta à Dresde. Elle fut engagée à vie à l’Opéra de Berlin par Frédéric II en 1771, mais rompit son accord en 1780 pour faire une carrière internationale. Elle débuta à Londres en 1786 et remporta un énorme succès dans le rôle de Cléopâtre du Giulio Cesare de Haendel. Elle passe pour avoir été une actrice médiocre, mais sa voix très étendue était une des plus belles de son époque. Mara fut en fait la première cantatrice non italienne à triompher dans le bel canto sur toutes les scènes d’Europe. MARACAS. Instruments à percussion de la famille des « bois ». Elles sont faites de petites calebasses à manche, à l’intérieur desquelles roulent des billes de plomb, et se jouent par paires, secouées ou tournées. MARAIS (Marin), violiste et compositeur français (Paris, 1656 - id. 1728). Après avoir débuté comme enfant de choeur à la maîtrise de Saint-Germain- l’Auxerrois, Marais devient, à seize ans, l’élève du célèbre violiste Sainte Colombe. Titon du Tillet (le Parnasse françois) raconte que l’élève « prenoit le tems en été que Sainte Colombe étoit dans son downloadModeText.vue.download 622 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 616 jardin enfermé dans un petit cabinet de planches... afin d’y jouer plus tranquillement et plus délicieusement de la Viole. Marais se glissoit sous ce cabinet ; il y entendoit son Maître ». En 1676, il est nommé « musicqueur du Roy » puis, en 1679, « ordinaire de la Chambre du Roy « ; il conserve ce poste jusqu’en 1725. C’est à Lully, duquel Marais a également reçu l’instruction, qu’il dédie son premier livre de pièces de viole (1686). Après la mort de l’intendant - qui lui demandait souvent d’assumer la direction de l’orchestre de l’Opéra - Marais compose quatre opéras pour l’Académie royale de musique. Le plus célèbre d’entre eux demeure Alcyone (1706) sur un livret de Houdar de la Motte. La fameuse Tempête de cet ouvrage est considérée à l’époque comme « une chose admirable ». C’est d’ailleurs probablement à cette occasion que Marais aurait introduit la contrebasse pour la première fois dans l’orchestre de l’Opéra. Sans doute le meilleur violiste de France, Marin Marais doit-il sa réputation à sa musique de chambre ? Comme ses opéras, fidèles au style lullyste, ses suites de pièces de viole (danses, pièces à titres descriptifs : les Fêtes champêtres, l’Arabesque, la Voix humaine) le montrent ardent défenseur de la musique française, c’est-à-dire sévère contre les Italiens. À en juger par leur difficulté technique (elles font un grand usage des accords arpégés), la virtuosité du maître, qui ne néglige pas pour autant la sensibilité ni les trouvailles harmoniques, a été exceptionnelle. Citons, à titre d’exemple, les trente-deux variations du Second Livre sur le thème des Folies d’Espagne. Enfin, dans le domaine de la musique religieuse, Marais a composé un Te Deum, chanté pour la convalescence du Dauphin (1701, perdu). MARCABRU, troubadour gascon ( ? v. 1100 - ? v. 1147). Comme Guillaume IX et Jaufré Rudel, il appartient à la première génération de troubadours. Il était réputé pour son tempérament violent et pour sa misogynie. Ses origines modestes demeurent obscures. Un autre troubadour, le seigneur Aldric d’Auvillars, aurait trouvé l’enfant abandonné pour le prendre sous sa protection. Marcabru devient jongleur avant de voyager, dans le Midi, dans l’Île-de-France et probablement jusqu’en Angleterre. Il se rend également à la cour du roi Alphonse VII de Castille, et à celle du comte de Barcelone. Des cinquante chansons environ qui nous sont parvenues, quatre sont notées. L’une d’entre elles, une pastourelle particulièrement belle et pleine de mélancolie, Pax in nomine Domini, traite de la deuxième croisade (1147-1149). MARCATO. Mot italien désignant une manière de jouer en martelant quelque peu les notes. Le sens est légèrement différent du français « marqué », fréquemment employé surtout au XVIIIe siècle, et qui s’applique plutôt à la manière d’accentuer les temps de la mesure pour bien faire sentir celle-ci. MARCELLO, famille de musiciens italiens. Allessandro, compositeur (Venise 1684 id. 1750). Esprit éclairé, il s’adonnait également aux mathématiques et à la philosophie. Membre de l’académie des Arcadiens à Rome, il avait choisi le surnom de Eterico Stinfalico. Il donnait ses propres compositions lors de réunions hebdomadaires dans sa demeure. Son oeuvre comporte des cantates pour soprano et basse continue (1708), des sonates pour violon et basse continue (1708) ainsi que des recueils de concertos dont les Concerti à 5, publiés à Amsterdam (1716). Son oeuvre la plus connue demeure le Concerto pour hautbois et cordes en ré mineur, transcrit par Bach pour clavecin. Benedetto, compositeur (Venise 1686 Brescia 1739). Frère du précédent, il fut l’élève d’Antonio Lotti pour la composition, mais se consacra d’abord au violon et au chant. Il fut d’ailleurs le professeur de Faustina Bordoni, une des plus illustres cantatrices de l’époque. De famille noble, et très cultivé, ce « nobile Veneto » mena de front la musique et une carrière d’avo- cat qui le conduisit à être juge au tribunal de la Seingurie de Venise, puis membre du Conseil des Quarante (1716) avant de devenir Provediteur de la République de Pola (1730-1738). Marcello fut aussi homme de lettres et publia des ouvrages parmi lesquels il convient de citer surtout une satire des milieux théâtraux de l’époque, Il Teatro all moda (1720), qui eut un grand succès. Ses oeuvres musicales, savantes et de haute qualité, tant instrumentales que vocales, sont caractéristiques du baroque italien à son apogée. Les douze Concerti a cinque (1708) témoignent d’une grande sensibilité et comptent parmi les meilleurs exemples du genre. Mais son oeuvre maîtresse reste les cinquante paraphrases des Psaumes de David sur des textes italiens de G. A. Giustiniani, conçus pour une à quatre voix avec l’accompagnement de la basse continue, et intitulés Estro poetico armonico (Venise, 1724-1726). Les préfaces de ces six volumes sont également intéressantes. Marcello fut actif aussi dans le domaine de l’oratorio (Giuditta, 1709, sans doute perdu ; Gioàz, 1726 ; Il Trionfo della poesia e della musica, 1733). En outre, il laissa des messes et des oeuvres spirituelles. Pour le théâtre, il composa l’opéra La Fede riconosciuta (1707), perdu et d’authenticité douteuse, et la pastorale Calisto in Orsa (id., 1725). Sa musique de chambre comporte des sonates pour clavecin, pour flûte et basse continue, des cantates, ainsi que des Canzoni madrigalesche e arie per camera (1717). MARCHAL (André), organiste français (Paris 1894 - Saint-Jean-de-Luz 1980). Aveugle, il fut, au Conservatoire de Paris, l’élève de Gigout (orgue et improvisation, 1913) et de Caussade (contrepoint et fugue, 1917). Il fut successivement suppléant de Gigout à Saint-Augustin, titulaire à Saint-Germain-des-Prés (19151945) et à Saint-Eustache (1945-1963), tout en enseignant l’orgue et l’improvisation à l’Institution nationale des jeunes aveugles. Exécutant de grand talent, il a contribué au regain d’intérêt pour la musique d’orgue française, en renouant avec l’art d’une registration colorée et variée, comme l’aimaient et l’exigeaient les maîtres anciens, et qui avait été négligé à l’époque romantique. En cela, il a beaucoup influencé les organistes et les fac- teurs d’orgues vers un retour à l’esthétique classique. Son domaine d’élection fut l’improvisation, où se donnait libre cours une intense poésie intérieure. Son contemporain Marcel Dupré et lui ont représenté les deux pôles opposés et complémentaires de l’école d’orgue française, rigueur et sensibilité, austérité et liberté ; leur enseignement et leur exemple ont fécondé toute la jeune génération d’organistes français. MARCHAND (Louis), organiste, claveciniste et compositeur français (Lyon 1669 - Paris 1732). Élève de son père et très précocement doué, il fut organiste de la cathédrale de Nevers dès l’âge de quinze ans, puis à la cathédrale d’Auxerre. Venu à Paris en 1689, il y occupa les fonctions d’organiste chez les jésuites de la rue Saint-Jacques, aux églises Saint-Benoît, Saint-Honoré et à celle des Cordeliers, assurant à partir de 1706 l’une des charges d’organiste à la chapelle royale. Homme dissipé, de tempérament irascible, il fut contraint de se démettre de ses fonctions et de quitter la France. En Allemagne, on voulut l’opposer à J.-S. Bach, mais il ne se présenta pas au tournoi que Bach, à son corps défendant, remporta par forfait (on raconte que Marchand avait espionné Bach répétant, et avait préféré ne pas se mesurer à lui). De retour en France, il fut organiste à la cathédrale de Strasbourg et revint aux Cordeliers de Paris. Virtuose éblouissant et pédagogue écouté, il fut le professeur de D’Aquin et de du Mage. Dans le domaine de l’orgue, il marque l’apogée du style classique avec ses contemporains Couperin et Grigny. Dans ses compositions pour cet instrument, il reste fidèle au grand style de ses prédécesseurs, mais son downloadModeText.vue.download 623 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 617 humeur fantasque se manifeste par une imagination harmonique sans cesse en éveil et une rythmique souvent irrégulière. Il a laissé deux livres de pièces de clavecin, cinq Livres de pièces choisies pour orgue, trois Cantiques spirituels (sur les poèmes de Racine), une cantate, Alcyone, des airs français et italiens et un traité théorique, Règles de la composition. MARCHE. Composition instrumentale de mesure binaire, au rythme accentué, servant à l’origine à marquer le pas d’une armée ou d’une procession. Dans le domaine militaire, la marche a connu un immense développement et s’est répandue dans la plupart des pays à tous les corps d’armée. Mais elle est également entrée dans la musique classique à partir du XVIIe siècle. C’est Lully qui l’introduit le premier dans l’opéra et le ballet. La marche a pris rapidement la forme du menuet : première partie à deux sections avec reprises, partie centrale (trio) plus mélodieuse, et retour de la première partie sans reprise, avec parfois quelques variantes. Son instrumentation, à l’origine, était composée essentiellement d’instruments à vent et de percussion. La marche trouva place, aux XVIIIe et XIXe siècles, dans l’oeuvre de Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, Méhul. Mais à partir de la même époque, différents genres se distinguèrent : marche turque, marche funèbre, marche hongroise (marche de Rákóczi), marche nuptiale, sans compter les nombreuses marches écrites pour des occasions diverses (inaugurations, festivités, commémorations, etc.). La marche peut également être vocale (chants patriotiques et révolutionnaires notamment). MARCHE HARMONIQUE. Procédé d’harmonie consistant à enchaîner au moyen d’une formule de transition, susceptible d’être indéfiniment répétée, deux ou plusieurs fragments dont chacun reproduit le précédent, avec ou sans modulation, à une distance intervallique donnée. La pratique de la marche harmonique, dite aussi marche d’harmonie, considérée comme entraînement à la modulation, constituait autrefois un exercice pédagogique privilégié ; son abus l’a quelque peu discréditée en lui valant à la fin du XIXe siècle, surtout lorsqu’elle était modulante, le surnom péjoratif de rosalie, du nom d’une romance italienne qui en faisait usage. Elle est aujourd’hui, par réaction, considérée par les harmonistes avec quelque méfiance. La marche d’harmonie est dite tonale lorsque, sans moduler, les intervalles s’adaptent aux degrés de l’échelle, modulante lorsqu’ils se reproduisent tels quels en entraînant modulation. MARCHETTUS DE PADOUE, théoricien italien de la première moitié du XIVe siècle. Sa biographie est mal connue ; il fut probablement au service des rois de Naples. Nous possédons de lui deux traités : Lucidarium in arte musicae planae et le Pomerium artis musicae mensurabilis. Un résumé du Pomerium, Brevis compilatio in arte musicae mensuratae, fut rédigé vers 1326. Le Lucidarium traite de la classification de la musique (consonances, dissonances, modes) ; le Pomerium s’attache aux notations italiennes et françaises et aux subdivisions de la brève (ternaire, binaire). MARCLAND (Patrick), compositeur français (Neuilly-sur-Seine 1944). Il a travaillé à l’École normale de musique de Paris la guitare classique avec Alberto Ponce ainsi que l’écriture et la composition avec Max Deutsch, puis l’analyse avec Yves Marie Pasquet au conservatoire de Bobigny et avec Claude Ballif au Conservatoire de Paris. On lui doit notamment un Trio pour clarinette, violon et violoncelle (1971), un Septuor pour flûte, hautbois, clarinette, basson, cor, harpe et percussion (1972), Tresses pour 12 cordes solistes (1974), Mètres pour flûte, alto et harpe (1974), Variants pour 16 instruments (1975), Passages pour flûte, alto, harpe et orchestre (1975-76), Fragments pour 2 ondes Martenot, guitare électrique et percussion (1977), Stretto pour harpe seule (1978), Failles pour flûte, alto, harpe et orchestre (1978), et Versets pour 19 instruments. Il a aussi écrit des musiques de film. Son opéra P.A., sur un livret de Jean Baillon d’après les contes de Perrault, a été donné à l’I. R. C. A. M. en novembre 1981. Suivirent notamment les ballets Elle venait du côté de la mer (1988) et La porte est refermée, la voilà sans lumière (1991). MARCO (Tomas), compositeur espagnol (Madrid 1942). Il bénéficie d’une double formation : il a suivi des cours à l’université (droit, psy- chologie, sociologie), et a appris le violon et la composition, sans compter les cours de Darmstadt où il a participé, en 1967, à l’oeuvre collective de Stockhausen Ensemble ; il a également reçu l’enseignement de musiciens tels que Boulez et Ligeti. En 1969, il a obtenu pour Vitral (pour orgue et ensemble à cordes) le prix national de la musique en Espagne. Ce compositeur mène de front de multiples activités : il travaille à la radio espagnole, donne des cours au conservatoire de Madrid sur les nouvelles tendances ; et dirige le groupe Koan, consacré à la musique contemporaine, ainsi que des concerts poursuivant le même but, Estuvio Nueva Generación. Il a publié plusieurs ouvrages : des monographies sur Ives, Satie, Debussy et Ravel ; un livre d’intérêt général, Música Española de Vanguardia (1970). Il a même fondé une revue destinée à la musique de notre temps, Sonda, et a effectué des travaux sur la perception musicale, car « il se préoccupe non de la production du son, mais aussi de sa réception ». Marco ne refuse aucune des possibilités offertes par les techniques actuelles, mais l’électroacoustique l’intéresse comme moyen, non comme but, comme un élément intégré à la musique contemporaine. Il a présenté à Royan Rosa-Rosae, quatuor pour flûte, clarinette, violon et violoncelle (1969) et le concerto pour violon les Mécanismes de la mémoire (19711972). Il a composé des symphonies, dont Sinfonia no 4 « Espacio Quebrado » (1987) et Sinfonia no 5 « Modelos de Universo » (1988-1989). MARCUSSEN, facteurs d’orgues danois, établis depuis 1806. Dirigée aujourd’hui par Jürgen Zachariassen, la firme développe une activité importante de construction et de restauration en Scandinavie, aux Pays-Bas et en Allemagne. MARÉCHAL (Maurice), violoncelliste français (Dijon 1892 - Paris 1964). Après avoir commencé ses études au conservatoire de Dijon, il travaille au Conservatoire de Paris, où il obtient le premier prix de violoncelle en 1911. Il a été soliste des concerts Lamoureux (1919) et de l’Orchestre de New York (1926), et a fait une carrière internationale. De 1942 à 1963, il a enseigné au Conservatoire de Paris. Il a été le créateur de la sonate pour violon et violoncelle de Ravel (avec Hélène Jourdan-Morhange), de l’Épiphanie de Caplet, et des concertos de Honegger et de Milhaud. Pendant la Première Guerre mondiale, à laquelle il participa, il se fit fabriquer un violoncelle dans le bois d’une caisse à munitions, instrument aujourd’hui conservé au Musée instrumental du Conservatoire de Paris. MARENZIO (Luca), compositeur italien (Coccaglio 1553 - Rome 1599). Après avoir appartenu à la maîtrise de la cathédrale de Brescia (où il aurait eu pour professeur Giovanni Continuo), il servit le cardinal Madruzzo à Rome, avant de travailler pour le compte du cardinal Luigi d’Este. En 1588, il est à Florence, déjà connu (il a publié ses premiers livres de madrigaux), et il y oeuvre pour les Médicis (il collabore à la comédie-intermède La Pellegrina, qui marque une étape importante, dans l’histoire de la réforme mélodownloadModeText.vue.download 624 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 618 dramatique, sur la voie qui aboutira au jeune drame lyrique). Puis on le retrouve à Rome au service de plusieurs princes et prélats, dont le cardinal Cinzio Aldobrandini. Après un séjour à Venise en 1598, il meurt à Rome où il est enterré. Le succès que Marenzio a rencontré de son vivant comme madrigaliste fait qu’il a été pris comme modèle par plusieurs générations de musiciens, parmi lesquels on compte pratiquement tous les chefs de file du temps, à commencer par Monteverdi. Moins audacieux et moins singulier, dans ses stravaganze, que le cruel harmoniste Gesualdo, prince de Venosa, il peut être considéré comme le grand classique du mouvement madrigalesque car, chez lui, le souci du fond se marie toujours harmonieusement aux préoccupations de la forme. Charmeuse, ordonnée, amoureuse de lumière et de clarté, son écriture témoigne d’une admirable virtuosité, mais contrôlée par une sobriété expressive qui commande à l’émotion. Ce qui ne l’empêche pas de choisir avec un remarquable discernement ses textes (Pé- trarque, Torquato Tasso, Guarini dont le célèbre Pastor Fido est, dans cette seconde moitié du XVIe siècle, la « bible » des compositeurs profanes) et de faire écho, par les effets descriptifs de la musique (le genre madrigalesque est ainsi parfois qualifié de « peinture par l’oreille »), à la vocation poétique des paroles (O Voi che sospirate). Sans doute son lyrisme raffiné est-il plus sensible au bonheur pastoral ou bucolique qu’au trait dramatique. Reste que ce maître parmi les maîtres sait aussi user de l’effet chromatique pour privilégier l’émotion avec le sentiment intense et que, chez lui, le polyphoniste s’ouvre souvent au nouveau style du temps, attentif à la souplesse et à la symétrie des rythmes, à la prosodie naturelle des mots et à une déclamation volontiers homorythmique (rejoignant en cela le programme esthétique des mélodramatistes florentins). MARI (Pierrette), femme compositeur et musicographe française (Nice 1929). Élève du conservatoire de Nice (19431946), où elle obtient quatre prix (piano, solfège, histoire de la musique, harmonie), elle reçoit également le prix de la Ville de Nice (1946). En 1950, elle entre au Conservatoire national de musique de Paris dans les classes de Noël Gallon, Tony Aubin et Olivier Messiaen, remporte un premier prix de contrepoint (1953) et un premier prix de fugue (1954). Le gouvernement autrichien lui alloue alors une bourse pour participer au colloque Musique et Théâtre à Salzbourg (1956). Premier prix de la mélodie française (1961), décerné par l’Union nationale des arts, elle a exercé des activités de critique dans plusieurs journaux, et écrit divers ouvrages : Olivier Messiaen, Belá Bartók et Henri Dutilleux. Elle est depuis 1977 chargée de cours à Paris IV-Sorbonne. Parmi ses oeuvres : Psaumes, pour récitant et orchestre (1954) ; Divertissement pour flûte et orchestre (1954) ; le Sous-Préfet aux champs (1956) ; Trois Mouvements pour cordes ; Concerto pour guitare (1971) ; les Travaux d’Hercule (1973), et Dialogue avec Louise Labé pour voix et cordes (1979). MARIE (Jean-Étienne), compositeur français (Pont-l’Évêque, Calvados, 1917 Nice 1989). Après des études de musique, de théologie et de mise en ondes, il commence à travailler comme musicien metteur en ondes à l’O. R. T. F., à partir de 1949. Quelques années plus tard, il réalise des musiques électroacoustiques dans le cadre du Club d’essai, mais indépendamment du Groupe de recherches de musique concrète de la R. T. F. ; il produit une expérience de confrontation entre l’image composée et le son avec Polygraphie polyphonique no 1 (1957), pour violon et « film sonore », et il participe brièvement à l’expérience du Concert collectif du G. R. M., avec l’Expérience ambiguë (1962). Il affirme également son intérêt pour l’utilisation des micro-intervalles, dans un esprit proche du compositeur mexicain Julian Carillo, son inspirateur. C’est en hommage à ce dernier qu’il compose le Tombeau de Julian Carillo (1966), pour piano en tiers de ton, piano en demi-ton, et bande magnétique. Il écrit aussi, pendant les années 60, Images thanaïques (1960) pour orchestre et bande, Oboediens usque ad Mortem (1966) pour orchestre, Appel au tiers monde (1967) pour bande magnétique, sur un texte d’Aimé Césaire, Tlaloc (1967) pour orchestre et trois bandes magnétiques stéréo, et Concerto milieu Divin (1969), pour grand orchestre et dispositif électroacoustique de « tape delay » (enregistrement et relecture avec retard de l’exécution en direct, à laquelle elle est superposée). En 1966, il crée au sein de la Schola cantorum, où il est professeur, un studio et un centre d’enseignement de musique électroacoustique, le Centre international de recherches musicales (C. I. R. M.), installé à Nice depuis 1975, où viennent travailler divers compositeurs (dont son collaborateur Fernand Vandenbogaerde), qui y produisent de nombreuses oeuvres pour bande magnétique et « dispositif électroacoustique ». Il est aussi, pendant quelques années à partir de 1968, l’animateur des Semaines de musique contemporaine d’Orléans. Dans le cadre du C. I. R. M., il a réalisé des pièces comme S 68 (1969), « symphonie électroacoustique » pour bande magnétique en trois mouvements (Vent d’Est, Action, Demain), BSN 240 (1969) pour trois bandes stéréo à déroulement infini (ne retrouvant leur synchronisme de départ qu’au bout de deux cent quarante heures), Savonarole (1970) pour choeur, orchestre à cordes, deux récitants, six pistes magnétiques, Vos leurres de messe (1972), pour trompette, cor, et dispositif électroacoustique, Symphonies (1972), pour orgue et bande magnétique, etc. Mais il abandonne au bout d’un certain temps ses lourdes tâches de direction pour se consacrer à ses recherches personnelles. Son intérêt pour une « formalisation mathématique » de toute la problématique musicale se développe, et il en élabore la théorie « globalisante », à la manière de Xenakis (mais peut-être sans les frappantes et immédiates intuitions de Xenakis), dans un gros ouvrage, l’Homme musical, qui brosse un programme pédagogique passant par la sociologie, la technique, les mathématiques, l’esthétique, etc. Les micro-intervalles, envisagés comme le moyen de « faire se rejoindre l’harmonie et le timbre », l’emploi de modèles mathématiques, une inspiration souvent religieuse, humaniste et tiers-mondiste, demeurent les axes de son oeuvre musicale, quand il entreprend de repartir à l’aventure en mettant au point une sorte de synthétiseur portable accordé en micro-intervalles non tempérés, qu’il baptise le C. E. R. M. (Complexe expérimental de recherche musicale). C’est sur cet appareil qu’il exécute en concert ses musiques nouvelles, telles que Irrationnelle homothétie (1979), et une série d’oeuvres pour C. E. R. M., avec piano, ou bande magnétique : Fractal-Figural I à IV (1978-1981). Il attache également une certaine importance à ses recherches sur les rapports du son et de l’image, ayant tenté notamment de donner une version sonorisée nouvelle du Cuirassé Potemkine d’Eisenstein. Jusqu’en 1986, il a dirigé le festival MANCA de Nice, son successeur étant en 1987 Michel Redolfi. MARIÉTAN (Pierre), compositeur suisse (Monthey 1935). Après des études au conservatoire de Genève sur les techniques d’écriture et le cor, puis après une maîtrise sur le chant grégorien, il aborde la composition avec Zimmermann à Cologne (1960), puis avec Stockhausen et Boulez à Bâle (1961-1963). Au lieu de se fixer sur une technique, il recherche une sorte de dialectique entre plusieurs systèmes. Installé à Paris, il fonde en 1966 le G. E. R. M. (Groupe d’études et de réalisations musicales). Son effort des années précédentes porte essentiellement sur l’acoustique musicale urbaine, ce qui l’a conduit à une « musicalisation de l’espace habitable » et à des expériences sur l’écoute dans la ville de Monthey, ainsi qu’à Cologne, Bonn (1977), et enfin Paris. Il a enseigné à l’université de Paris I, traitant de « l’urbanisme, architecture, paysage, morphologie de l’environnement downloadModeText.vue.download 625 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 619 et de l’habitat ». Parmi sa quarantaine d’oeuvres, citons D’instant en instant pour 24 solistes (1980). MARIMBA. Instrument à percussion de la famille des « claviers ». C’est un xylophone basse, d’une étendue de trois et demie à cinq octaves, sonnant deux octaves plus bas que le xylophone classique. Il se distingue également de celui-ci par les tubes résonateurs fixés sous les lames pour prolonger leur vibration. MARINI (Biagio), compositeur et violoniste italien (Brescia v. 1587 - Venise 1663). Né dans une famille aisée, il fut violoniste à Saint-Marc de Venise en 1615, puis travailla successivement à Brescia (1620) et à Parme (1621). De 1623 à 1649, il vécut principalement en Allemagne comme maître de chapelle à la cour de Neuburg, sur le Danube, tout en effectuant de fréquents voyages. Il fut ensuite maître de chapelle à Milan (1649) et directeur de l’Accademia della Morte à Ferrare (165253). On le vit à Vicenza en 1655-56. Son oeuvre fut imprimée de son vivant en 22 numéros d’opus, dont certains perdus et d’autres incomplets. Il écrivit de la musique vocale, essentiellement des pièces à une ou plusieurs voix avec instruments (Madrigali e symfonie op. 2, Venise 1618), mais son importance réside surtout dans sa production instrumentale (Affetti musicali op. 1, Venise 1617 ; Sonate, symphonie... e retornelli op. 8, Venise 1629). MARKEVITCH (Igor), compositeur et chef d’orchestre italien d’origine russe (Kiev 1912 - Antibes 1983). En 1914, sa famille quitta la Russie pour Paris, puis pour la région de Vevey en Suisse, où il commença ses études avec son père Boris (auteur d’un traité de piano) et avec Paul Loyonnet. Sa première composition, Noces (1925) retint l’attention de Cortot qui l’invita à rejoindre sa classe de piano à Paris. Il reçut également l’enseignement de Nadia Boulanger (harmonie, contrepoint, composition). En 1929, Serge de Diaghilev entendit sa Sinfonietta et lui commanda un concerto de piano. À la mort du mécène, il incorpora le matériel de son ballet l’Habit du roi dans une cantate sur un texte de Jean Cocteau. Son exécution par Roger Désormière (1930), puis celle d’un concerto grosso firent beaucoup pour asseoir sa renommée. Rébus (1932), qu’il dirigea lui-même à Paris, lui valut un triomphe, de même que l’Envol d’Icare (1933). Si le Psaume (1934), qui avait choqué le public, est resté une page de haute tenue, le Paradis perdu (1935) d’après Milton constitue sa création la plus importante. On a discerné, dans ses meilleures oeuvres, une rythmique à la Stravinski, une écriture polyphonique à la Hindemith. « Le langage de Markevitch n’est pas essentiellement personnel, a écrit Paul Collaer, il est éclectique. La profonde originalité de son art est due à l’esprit qui s’y manifeste. » En 1936, Igor Markevitch épousa Kyra, fille de Vaclav Nijinski ; l’année suivante, il fit sensation au Mai musical de Florence, en déclarant que les compositeurs étaient partiellement responsables de l’isolement dont ils se plaignaient. En 1938, le succès du Nouvel Âge apporta la confirmation de cette déclaration : Markevitch était en possession d’un langage capable, lui, d’atteindre un vaste public. Certaines de ses productions n’en suscitèrent pas moins de violentes critiques. La Taille de l’homme (1938-39), sur un texte de C. F. Ramuz, Laurent le Magnifique (1940) et Variations, fugue et envoi sur un thème de Haendel (1941) restent les trois dernières compositions originales du musicien, qui, durant la guerre, rejoignit en Italie les mouvements de résistance avant d’entamer une seconde carrière, celle de chef d’orchestre, domaine où il est universellement connu. Organisateur du Mai musical florentin en 1944, après la libération de Florence, il a acquis la nationalité italienne ; c’est également l’époque de la dissolution de son premier mariage, et d’un second mariage. Au cours des trente ans qui suivirent, Markevitch tint plusieurs postes de chef d’orchestre permanent dans de nombreuses villes : Stockholm, Paris (orchestre Lamoureux), Montréal, Madrid, Monte-Carlo, Rome. Ses concerts firent date, et l’éminent critique suisse R. Aloys Mooser n’hésita pas à écrire : « Au cours d’une longue vie, j’ai rencontré seulement deux compositeurs à propos desquels on pouvait dire avec raison qu’ils possédaient des aptitudes égales dans l’art de la composition et dans celui de la conduite : Gustav Mahler et Richard Strauss. À ces deux noms exceptionnels, on peut ajouter celui d’Igor Markevitch. » Fixé à Saint-Cézaire, près de Nice, depuis 1954, Markevitch a travaillé pendant des années à la préparation de cours à l’attention de ses élèves et à une édition encyclopédique des symphonies de Beethoven qui a commencé à paraître en 1982. En 1980 est paru le premier tome de ses mémoires (Être et avoir été). En 1982, il a reçu le prix Arthur-Nikisch de la ville de Leipzig et obtenu la nationalité française. MARKOWSKI (Andrzej), chef d’orchestre et compositeur polonais (Lublin 1924 Varsovie 1986). Il a fait ses études de théorie et de composition à Lublin (1939-1941) et à Londres (1946-47), et, pour la direction d’orchestre, a été l’élève de Witold Rowicki (1947-1955). Sa carrière le mena tout d’abord dans diverses villes de Pologne, en particulier à Cracovie, où il organisa un festival pour jeunes musiciens, et, en 1971, il fut nommé à la tête de la Philharmonie nationale à Varsovie. Comme compositeur, il s’est consacré en particulier à la musique de film, mais sans négliger pour autant ni les genres traditionnels ni le domaine électroacoustique. MARLBORO. Il est convenu d’appeler « festival de Marlboro » une série annuelle de 16 concerts de musique de chambre donnés du début du mois de juillet à la mi-août, en fin de semaine, à Marlboro College (Vermont). Ces manifestations prestigieuses ne sont en fait que la partie publique des activités de la Marlboro Music School and Festi- val, vaste atelier de musique de chambre fondé en 1950 par Louis et Marcel Moyse, Blanche Honegger-Moyse, Adolf et Hermann Busch, et le pianiste Rudolf Serkin, qui en est devenu le directeur artistique. Chaque été, environ 85 musiciens (concertistes, membres d’ensembles de musique de chambre, premiers pupitres d’associations symphoniques) sont invités à Marlboro pour étudier et exécuter le répertoire de la musique de chambre classique et contemporaine, échanger des idées et partager leurs connaissances. Toutes les formations imaginables, du duo à l’orchestre de chambre, peuvent être constituées « sur le tas », et une centaine d’oeuvres sont travaillées chaque semaine. Certaines font l’objet d’exécutions publiques. Bien que les programmes du « festival de Marlboro » ne soient jamais annoncés avant le jour même du concert, les bureaux de location affichent complet longtemps à l’avance. De nombreux interprètes célèbres, parmi lesquels on peut citer Pablo Casals et Rudolf Serkin, ont associé leur nom à celui de Marlboro. Depuis 1965, des ensembles baptisés « Music from Marlboro » effectuent régulièrement des tournées dans les villes des États-Unis et du Canada. MARMONTEL (Antoine), pianiste et pédagogue français (Clermont-Ferrand 1816 - Paris 1898). Il fut au Conservatoire de Paris l’élève de Zimmermann (piano) et de Lesueur (composition). Il obtint le premier prix de piano en 1832. En 1848, il succéda à Zimmermann. Pédagogue réputé, il forma un grand nombre de pianistes et compta parmi ses élèves Guiraud, Bizet, Diémer, Albéniz, Debussy, Planté, M. Long. Ses nombreuses compositions pour son instrument comprennent des sonates, des études et des morceaux de genre. Il est downloadModeText.vue.download 626 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 620 également l’auteur de traités, d’essais, et de plusieurs ouvrages musicographiques sur les interprètes : les Pianistes célèbres (1878), Symphonistes et Virtuoses (1881), Virtuoses contemporains (1882). MAROS (Rudolf), compositeur hongrois (Stachy, Slovaquie, 1917 - Budapest 1982). Il étudie l’alto avec Temesváry et la composition avec Zoltán Kodály à l’académie Franz-Liszt de Budapest. Il vient ensuite à Prague suivre la classe d’Aloïs Hába et suit les cours d’été de Darmstadt (19581960). Il enseigne lui-même dès 1942 au conservatoire de Pécs, puis devient titulaire d’une chaire de musique de chambre, de théorie de l’orchestration et de composition à l’académie Franz-Liszt de Budapest (1949-1972). Son oeuvre fait de lui le seul successeur spirituel de Bartók qui ait eu une personnalité suffisante pour assumer un tel héritage. Il fut certainement le représentant le plus éminent de sa génération. À partir de 1956, il s’adonna essentiellement à la musique instrumentale, jouant sur des blocs sonores aux timbres raffinés tout en conservant un expressionnisme direct et saisissant, dans la tradition bartokienne. MAROT (Clément), poète français (Cahors 1496 - Turin 1544). Plusieurs fois emprisonné et fugitif comme adepte de la religion réformée, il traduisit en vers les psaumes : 13 parurent de façon anonyme à Strasbourg en 1539, avec la musique utilisée depuis dans la liturgie calviniste, et 30 autres à Anvers en 1541, sans musique. Leur total devait atteindre 53, et les rééditions furent nombreuses. La diffusion de ce « psautier huguenot », plus tard complété par Théodore de Bèze, fut considérable. Dès le XVIe siècle, la poésie de Marot fut une très grande source d’inspiration pour les musiciens : seul Ronsard fut alors mis en musique plus souvent que lui. Janequin, Lassus, Sermisy et bien d’autres s’inspirèrent de ses chansons et épigrammes. De même, les Psaumes furent traités de façon polyphonique par de nombreux compositeurs de l’époque, avec à leur tête Claude Goudimel. À la période contemporaine mirent en musique la poésie de Marot des compositeurs comme Jean Rivier, Peter Warlock, Jean Langlais et surtout Maurice Ravel (Deux Épigrammes, 1896-1899). MARPURG (Friedrich Wilhelm), musicologue, théoricien et compositeur allemand (Seehof, Wendemark, 1718 - Berlin 1795). Sa vie est assez mal connue. Issu d’une famille aisée, il reçoit une éducation très complète, puis dépense toute sa fortune en voyages. En 1746, il est secrétaire d’un général « Bodenburg » (il s’agit sans doute du général Friedrich Rudolph von Rothenburg) à Paris, où il rencontre Voltaire, d’Alembert et Rameau. À partir de 1749, il est à Berlin et participe alors très activement à la vie musicale, avec en particulier la publication de trois périodiques : Der kritische Musicus an der Spree (1749-50), Historisch-kirtische Beyträge zur Aufnahme der Musik (1754-1762, 1778) et Kritische Briefe über die Tonkunst (17601764). Il ne se limite pas à la critique musicale, mais se consacre également à la composition, à l’édition musicale et à la rédaction d’ouvrages didactiques. Il semble avoir été moins actif à partir de 1763, date à laquelle il obtient un poste à la loterie royale de Prusse, qu’il dirige trois ans plus tard. Il a composé et édité surtout des pièces pour clavier (sonates, fugues, préludes, chorals) et des chants strophiques (lieder et odes), d’un intérêt plus historique qu’artistique. Il accompagne ces publications d’ouvrages théoriques : Die Kunst das Clavier zu spielen (1750), Anleitung zum Clavierspielen (1755), Handbuch bey dem Generalbasse und der Composition (1755-1758), Anleitung zur Singcomposition (1758). De tendance plutôt conservatrice, il est un fervent admirateur de l’art contrapuntique de J.-S. Bach (dont il préface une nouvelle édition de l’Art de la fugue en 1752) et écrit un Abhandlung von der Fuge (1753-54) qui, bien que considéré comme démodé à l’époque, est en fait la première tentative historique d’analyse globale de cette forme. Il a, d’autre part, le mérite d’introduire en Allemagne les théories françaises sur la musique (en particulier l’esthétique de Batteux), avec lesquelles il s’est familiarisé lors de son séjour en France. Sa traduction des Élémens de musique de d’Alembert (1757) permet aux idées de Rameau de se répandre. Ces différentes prises de position lui valent de nombreux adversaires (Kirnberger, G. A. Sorge). Dans ses périodiques au ton tantôt satirique, tantôt didactique, il aborde, outre les questions déjà signalées, les problèmes du tempérament, du récitatif d’opéra, et présente diverses biographies de musiciens. Son oeuvre constitue ainsi un panorama très complet de l’Allemagne musicale à cette époque, qu’il approfondit par un certain nombre d’ouvrages : Anfangsgründe der theoretischen Musik (1757), Kritische Einleitung in die Geschichte und Lehrsätze der alten und neuen Musik (1758), Versuch über die musikalische Temperatur (1776), Legende einiger Musikheiligen (1786). MARQUER. Verbe transitif signifiant qu’un passage ou un accord doit être souligné ou accentué. Deux indications peuvent être utilisées, soit le terme italien marcato, soit des signes en forme de cône, droit (^) ou renversé (<). MARRINER (Neville), violoniste et chef d’orchestre anglais (Lincoln 1924). Il reçoit ses premières leçons de violon de son père, et obtient en 1940 une bourse pour étudier au Royal College of Music de Londres. Après la guerre, il termine ses classes au R. C. M., puis au Conservatoire national de musique de Paris, où il perfectionne sa technique instrumentale sous la direction de René Benedetti. Il participe avec Thurston Dart à la fondation du Jacobean Ensemble, et enseigne au Royal College of Music de 1949 à 1959. Encouragé par Pierre Monteux, il travaille la direction d’orchestre avec celui-ci aux ÉtatsUnis et fonde, en 1959, l’Academy of Saint Martin in the Fields de Londres, dont il fait l’un des plus prestigieux orchestres de chambre. À l’instar de Charles Münch, N. Marriner délaisse insensiblement le violon pour la baguette et partage son temps entre ses divers orchestres et son métier de chef invité (orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, orchestres symphoniques de Boston et San Francisco, Orchestre de Paris, Orchestre national de France). Chef et directeur artistique de l’Orchestre de Chambre de Los Angeles (1969-1978), il a été directeur musical de l’orchestre du Minnesota à Minneapolis de 1979 à 1986, et chef invité permanent de l’Orchestre de la radio de Stuttgart de 1983 à 1989. MARSCHNER (Heinrich), compositeur allemand (Zittau 1795 - Hanovre 1861). Se destinant d’abord au droit, c’est à l’âge de vingt ans qu’il décida de se consacrer à la musique, après avoir rencontré Beethoven à Vienne. Il fut maître de chapelle chez le prince Krasatkowitz à Presbourg, puis fut appelé à Dresde par Weber, grâce à qui fut créé son opéra Heinrich IV und d’Aubigné (1820). Il fut directeur de la musique de cette ville de 1824 à 1826, mais démissionna à la mort de Weber, pour occuper le même poste à Leipzig l’année suivante. C’est là que fut créé Der Vampyr (1828), un de ses ouvrages les plus intéressants. Dans le même temps, il voyagea à Berlin, où il se lia avec Mendelssohn, et se rendit aussi à Dantzig, Aix-la-Chapelle et Breslau. À partir de 1837, il s’établit à Hanovre où il donna Hans Heiling, qui passe pour son chef-d’oeuvre (1833). Pendant les vingt-cinq dernières années de sa vie, assez curieusement, son activité de compositeur se ralentit, en dépit de succès qui avaient fait de lui le successeur de Weber à la tête de l’opéra romantique allemand. Il faut néanmoins signaler la création, en 1845 à Dresde, de Kaiser Adolph von Nassau, sous la direction d’un chef d’orchestre qui avait nom Richard Wagner. downloadModeText.vue.download 627 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 621 Avec moins d’imagination musicale que Weber, Marschner occupe cependant une place importante dans le courant du romantisme allemand. MARTEAU (Henri), violoniste et compositeur français naturalisé suédois (Reims 1874 - Lichtenberg 1934). Sa mère est une élève de Clara Schumann. Formé au Conservatoire de Paris, il débute une carrière de soliste dès 1893. Entre 1900 et 1907, il enseigne au Conservatoire de Genève, et surtout succède à Joachim en 1908 à la Hochschule für Musik de Berlin. En 1915, il émigre en Suède où il est second chef de l’Orchestre de Göteborg jusqu’en 1921. Auteur de nombreux trios et quatuors, d’un opéra et de la cantate la Voix de Jeanne d’Arc, il se passionne pour la musique de son temps. Il crée une fondation pour promouvoir la musique suédoise, joue Berwald et est dédicataire du Concerto de Max Reger. De 1921 à sa mort, il enseigne à l’Académie allemande de Prague, au Conservatoire de Leipzig puis à celui de Dresde. Il a traduit en français le Traité de violon de Joachim. MARTELÉ. Dans les instruments à cordes frottées, coup d’archet détaché, bref et très accentué, pouvant se faire de la pointe ou du talon, sans quitter la corde. MARTELLI (Henri), compositeur français (Bastia 1895 - Paris 1980). Élève de Henri Widor (fugue et composition) au Conservatoire de Paris (19121924), il a dirigé les programmes de musique de chambre et d’orchestre à la radio (1940-1944), et présidé la section française de la S.I.M.C. (1953). Dans un style néoclassique ne dédaignant pas la polytonalité, il a écrit notamment des symphonies, de la musique de chambre, des ouvrages pour la radio et le théâtre, ainsi que, pour la scène, le ballet la Bouteille de Panurge (1938) et l’opéra bouffe le Major Cravachon (1959), d’après Labiche. MARTENOT (Maurice), ingénieur et musicien français (Paris 1898 - Clichy 1980). Inventeur de l’instrument électronique à clavier qui porte son nom, et auquel il a apporté de nombreux perfectionnements entre 1928 et 1954, il a créé en 1947 une classe d’ondes Martenot au Conservatoire national supérieur de musique. Auteur d’une Méthode pour l’enseignement des ondes musicales (1952), il s’est également préoccupé de l’enseignement musical sur le plan général et a fondé une école à Neuilly-sur-Seine. MARTIN (père Émile), philosophe, historien et chef de choeur français (Cendras, Gard, 1914 - Lisieux 1989). Élevé par son oncle, maître de chapelle à la cathédrale de Nîmes, il transposait dans tous les tons, à onze ans, la première fugue du Clavier bien tempéré de J.-S. Bach. Ordonné prêtre en 1939, oratorien, docteur ès lettres, président-directeur de la société des chanteurs de Saint-Eustache à partir de 1946, il obtint une certaine notoriété grâce à la Messe du Sacré-Coeur des rois de France (1949), qu’il reconnut pour sienne après en avoir attribué la paternité à Étienne Moulinié (mêmes initiales). On lui doit aussi un Libera me pour voix, tam-tam, cuivres et orgue, et les oratorios Psaume pour l’agonie du monde (1953), le Voilier sous la croix (1957), Rex pacificus (1959), et le Miroir de Jeanne, commande d’État (1977). Le père E. Martin a réalisé de nombreux enregistrements et contribué à la résurrection de compositeurs oubliés comme E. du Caurroy ou P. de Manchicourt. Il est également l’auteur d’ouvrages musicologiques tels que Essai sur l’évolution des rythmes de la chanson grecque antique (Paris, 1953) et Une muse en péril : essai sur la musique et le sacré (Paris, 1968). MARTIN (Frank), compositeur suisse (Genève 1890 - Naarden, Pays-Bas, 1974). Fils de pasteur, il eut comme professeur Joseph Lauber (piano, harmonie, composition), et ne fréquenta aucun conservatoire. Il entreprit aussi des études de physique et de mathématiques. Après la Première Guerre mondiale, il vécut à Zurich, Rome et Paris, et enseigna la théorie rythmique à l’institut Jaques-Dalcroze. Porté par goût vers la musique et l’esthétique françaises, il avait grandi dans un milieu imprégné de culture et de musique allemandes, et ses premières oeuvres révèlent les traces de ce conflit. C’est le cas, par exemple, des Trois Poèmes païens pour baryton et orchestre (1910), d’après Leconte de l’Isle, et de l’oratorio les Dithyrambes (1918), dont la création fut assurée par Ernest Ansermet. Dans les Sonnets à Cassandre, d’après Ronsard (1921) se manifeste l’influence de Ravel, et, avec le triptyque orchestral Rythmes (1926), le compositeur affirma une nette personnalité. Suivit une période sérielle illustrée notamment par un premier concerto pour piano (1933-34) et 1 trio à cordes (1936). De la même époque datent le ballet Die blaue Blume (1936) et une symphonie (1937). Frank Martin ne parvint à la maturité et à la certitude stylistique que vers l’âge de cinquante ans, avec l’oratorio profane le Vin herbé, d’après le Tristan de Joseph Bédier. L’oeuvre est écrite pour 12 voix solistes accompagnées par 7 cordes et 1 piano, et date de 1938-1941. Dès lors, la production vocale du musicien devait se partager entre textes allemands et français, et son art se définit comme une parfaite synthèse d’éléments latins et germaniques. Des quelque 80 ouvrages constituant son catalogue, plus des deux tiers sont postérieurs au Vin herbé. Dans le sillage de ce premier chef-d’oeuvre se situe Der Cornet, cycle de mélodies pour voix d’alto (ou de mezzo) et orchestre d’après Rilke (1942-43). Suivirent notamment les Six Monologues de Jedermann pour alto ou baryton et piano (1943, orch. 1949), les oratorios In terra pax (1944-45) et Golgotha (1946-1948), une célèbre Petite Symphonie concertante pour harpe, clavecin, piano et 2 orchestres à cordes (1945), les opéras Der Sturm d’après Shakespeare (1952-1955, créé à Vienne en 1956) et Monsieur de Pourceaugnac d’après Molière (1961-62, créé à Genève en 1963), le Mystère de la Nativité, oratorio/spectacle d’après Arnoul Gréban (1959), les Quatre Éléments (1964), une des rares partitions symphoniques du compositeur, 1 quatuor à cordes (1967), 1 Requiem (1971), 1 concerto pour violoncelle (1965-66) et un deuxième concerto pour piano (1968-69). Tempérament grave et méditatif, Frank Martin vécut aux Pays-Bas (d’abord à Amsterdam, puis à Naarden), patrie de sa troisième épouse, à partir de 1946, et, de 1950 à 1957, enseigna la composition à l’École supérieure de musique de Cologne, où il eut comme élève Karlheinz Stockhausen. MARTINELLI (Giovanni), ténor italien (Montagnana 1885 - New York 1969). Il fit ses débuts à Milan en 1910 dans le rôle d’Ernani de l’opéra de Verdi. Puccini le fit engager à Rome pour la première américaine de La Fanciulla del West. En 1913, il chanta pour la première fois au Metropolitan Opera de New York. Établi dans cette ville, il contribua, aux côtés de Rosa Ponselle, à faire du Metropolitan le premier théâtre Verdi du monde entre les deux guerres. Après avoir chanté plus de 50 rôles italiens différents, il aborda celui d’Othello, qui fut un de ses grands triomphes. Au moment où Lauritz Melchior chanta ce même rôle au Met, Martinelli y interprétait Tristan aux côtés de Kirsten Flagstad. On a dit de son timbre qu’il était d’argent plutôt que d’or. Il ne possédait pas une ampleur vocale exceptionnelle, mais communiquait à ses interprétations un caractère grandiose qui les recréait au plus haut niveau. MARTINES (Marianne de), femme compositeur autrichienne d’origine espagnole (Vienne 1744 - id. 1812). Première élève de Haydn dont le nom nous soit parvenu (1751-1752), protégée par Métastase, elle fit entendre dès 1761 une messe de sa composition. Elle comdownloadModeText.vue.download 628 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 622 posa aussi des concertos, des symphonies et des oeuvres religieuses, dont l’oratorio Isacco (1782, livret de Métastase). Elle fut aussi chanteuse, et son salon, vers 1795, était un des plus célèbres de Vienne. Dans une autobiographie adressée au padre Martini et datée « Vienne, 16 décembre 1773 », elle déclara avoir eu comme maître son père, Haydn et Giuseppe Bonno. MARTINET (Jean-Louis), compositeur français (Sainte-Bazeille, Lot-et-Garonne, 1912). Il fit ses études aux conservatoires de Bordeaux (1930-1934), puis de Paris, où il travailla avec Roger-Ducasse (composition), ainsi qu’avec Münch et Désormière (direction d’orchestre), et où il obtint un premier prix de composition en 1943. Il fut aussi l’élève de Ch. Koechlin (contrepoint), et, en 1945, fut de ceux que René Leibowitz initia à la technique sérielle. Comme Boulez, il s’inspira de la poésie de Char, mais, contrairement à lui, il rechercha à la synthèse des diverses techniques d’écriture mises à sa disposition, se montrant notamment influencé par Bartók. On lui doit, entre autres, 7 Poèmes de René Char pour 4 voix solistes et orchestre (1951-52), le poème symphonique Orphée (1944-45), les fragments symphoniques Prométhée (1947), la symphonie dramatique le Triomphe de la mort (1967-1973), la cantate Sur le fleuve Tchou (1981-82), Passacaille pour orgue (1984). Il a enseigné de 1971 à 1976 la composition au conservatoire de Montréal. MARTINI (padre Giovanni Battista), théoricien, musicologue et compositeur italien (Bologne 1706 - id. 1784). Après avoir commencé à étudier avec son père, Antonio Maria, violoniste et violoncelliste, il poursuivit sa formation musicale avec A. Predieri et G. A. Ricieri, puis parfit ses connaissances avec F. A. Pistocchi (chant) et avec G. A. Perti (composition). Il entra chez les Franciscains en 1721, prononça ses voeux l’année suivante et devint officieusement en 1725, et officiellement deux ans plus tard, maître de chapelle de Saint-François de Bologne. Il fut enfin ordonné prêtre en 1729. Il devait rester en ce couvent de Bologne jusqu’à la fin de sa vie (refusant même le poste de maître de chapelle à Saint-Pierre de Rome) et s’y consacra à la musique et à la recherche musicologique. Homme remarquablement cultivé et ouvert, il jouit très tôt d’une renommée internationale et attira, par ses qualités intellectuelles et humaines, les plus grandes figures artistiques de son époque, comme en témoigne son abondante correspondance (Frédéric le Grand, Burney, Gluck, Marpurg, Métastase, Quantz, Rameau, Tartini). Pédagogue recherché, il compta parmi ses élèves F. Bertoni, S. Mattei, G. Sarti, ainsi que de nombreux autres musiciens (J. Chr. Bach, N. Jommelli, W. A. Mozart). Son enseignement et ses compositions reposaient sur une connaissance profonde de la polyphonie et du contrepoint, qu’il développa dans de nombreux canons (canons-énigmes surtout). Il écrivit beaucoup de musique sacrée (messes, litanies, oratorios), mais également de la musique profane vocale (intermezzos, arias) et instrumentale (sonates et pièces pour clavecin ou orgue, concertos divers, sinfonias). Malgré quelques concessions faites à l’art de son temps (en particulier au style concertant et au style galant), il reste plutôt attaché au passé, faisant parfois usage du stile antico et de l’écriture a cappella. Son oeuvre musicologique est particulièrement remarquable par la richesse et la diversité des imprimés et manuscrits qu’il collecta. Burney estima l’importance de sa bibliothèque à 17 000 volumes, dont une partie (ainsi que sa correspondance) a été conservée au Museo bibliografico musicale de Bologne. Il envisageait d’écrire une Storia della musica, mais n’en publia que 3 volumes (1761, 1770, 1781), qui ne dépassent pas la musique antique. Il faut également citer son Esemplare ossia saggio fondamentale pratico di contrappunto sopra il canto fermo (1774), où il réunit, dans un but pédagogique, de nombreuses pièces des plus grands maîtres de la Renaissance et de l’époque baroque. Il est incontestablement l’un des grands musiciens du XVIIIe siècle, comme l’atteste la vénération dont l’entouraient ses contemporains, et a été à l’origine par sa conception plus systématique de la recherche musicale, d’un tournant décisif dans l’histoire de la musicologie. MARTINI (Jean Paul Égide) ou JOHANN PAUL AEGIDIUS MARTIN, dit SCHWARZENDORF, dit MARTINI IL TEDESCO, compositeur français d’origine allemande (Freystadt, Bavière, 1741 - Paris 1816). Il voyagea dans sa jeunesse sous le pseudonyme de « Schwarzendorf », et, après un séjour à Nancy au service de Stanislas Leczinski, arriva à Paris en 1764. Il y fut directeur de la musique du comte d’Artois et du théâtre de Monsieur (devenu théâtre Feydeau), et, en 1794, connut un triomphe avec son opéra Sappho. Il fut aussi inspecteur (1798) et professeur de composition (1800-1802) au Conservatoire, et, en 1814, Louis XVIII le nomma directeur de l’orchestre de sa Cour. Il écrivit dans sa jeunesse beaucoup de musique militaire, mais sa renommée lui vint surtout de ses opéras-comiques, parmi lesquels l’Amoureux de quinze ans (1771), Henri IV, ou la Bataille d’Ivry (1774), et Annette et Lubin (1789). La célèbre romance Plaisir d’amour lui a valu l’immortalité. MARTINON (Jean), chef d’orchestre et compositeur français (Lyon 1910 - Paris 1976). Après avoir commencé ses études musicales au conservatoire de sa ville natale, il entra à seize ans au Conservatoire de Paris, où il étudia avec Albert Roussel (composition), Roger Désormière et Charles Münch (direction d’orchestre). Il reçut un premier prix de violon en 1928 et travailla, en outre, la composition auprès de Vincent d’Indy. Au moment où il aurait pu entreprendre une carrière de violoniste (1934-1936), il fut amené à remplacer Charles Münch à la dernière minute à Londres, et révéla des dons exceptionnels pour la direction d’orchestre. À la fin de la guerre, à son retour de captivité, il commença à diriger les associations symphoniques parisiennes, dont la Société des concerts du Conservatoire, comme suppléant de Charles Münch, tout en effectuant des tournées à travers le monde. Chef d’orchestre associé au London Philharmonic Orchestra en 1949, il assuma, à Paris, de 1951 à 1957, les fonctions de président-chef d’orchestre des concerts Lamoureux. Directeur artistique de l’Orchestre de Tel-Aviv (1958), il fut nommé directeur général de la musique à Düsseldorf (1960), poste naguère occupé par Mendelssohn et Schumann. Se trouvant le premier musicien français à occuper de hautes fonctions en Allemagne, il continua sa carrière internationale ; son succès fut tel aux États-Unis, que, après quelques concerts à Boston et à Chicago, le poste de directeur musical de l’Orchestre symphonique de Chicago lui fut offert en 1965 ; il y succéda à Fritz Reiner, et y dirigea environ 150 programmes jusqu’en 1968, date à laquelle il prit la tête de l’Orchestre national de la radiodiffusion française. La dernière direction qu’il assuma (à partir de 1974) fut celle de l’Orchestre de la résidence de La Haye. Souffrant de n’avoir jamais été tout à fait consacré dans sa patrie, Jean Martinon fut l’un des rares chefs français à faire une brillante carrière internationale, à la suite notamment de Pierre Monteux et de Charles Münch. Il attachait beaucoup d’importance au disque, et on lui doit de nombreux enregistrements de Berlioz, Debussy, Ravel, Roussel, Honegger, Dukas, Saint-Saëns, mais aussi de Bartók, Prokofiev, Chostakovitch, Nielsen. Il fut le seul Français à recevoir la médaille Gustav-Mahler. Jean Martinon a laissé le souvenir d’un artiste idéaliste, épris d’action, d’un humaniste à la pensée élevée. Malgré un calendrier toujours chargé, il s’est livré à la composition et a laissé une oeuvre importante : 1 opéra (Hécube, 1949-1954), 2 oratorios (Psaume 136, 1945 ; le Lis de Saron, 1961), 4 symphonies, 2 concertos pour violon, 1 concerto pour violondownloadModeText.vue.download 629 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 623 celle, 1 concerto pour flûte, des choeurs et de nombreuses oeuvres de musique de chambre. Un sens de la couleur, de l’équilibre et de la dynamique orchestrale caractérisent des symphonies comme la deuxième (Hymne à la Vie, 1944), ou la quatrième (Altitudes, 1965). C’est au moment où il était directeur à Chicago qu’il reçut la commande de cette dernière, pour fêter les soixante-quinze ans de l’orchestre. Ce geste était un bel hommage à son talent de chef et de compositeur. Le titre de l’oeuvre rappelle que Jean Martinon fut un grand alpiniste. « Dans la vie turbulente des villes, a-t-il déclaré, nous sommes obstrués par nous-mêmes comme par les autres. En montagne, on recherche une purification, vers Dieu. » MARTINŮ (Bohuslav), compositeur tchèque (Polička 1890 - Liestal, Suisse, 1959). Né dans une famille modeste, à Polička sur le plateau tchéco-morave, Martinu développa sa sensibilité en observant la nature, tout en apprenant la musique. Le jeune garçon était rêveur, ce qui lui valut des déboires, plus tard, au Conservatoire de Prague, où il eut comme professeur Josef Suk. Il composa de bonne heure, mais c’est la cantate Rapsodie tchèque de mai-juin 1918, destinée à célébrer l’indépendance nationale retrouvée, qui lui apporta une reconnaissance officielle. Il entra comme second violon à la Philharmonie tchèque, alors dirigée par Vaclav Talich. Admirateur de Debussy, se sentant gêné par l’atmosphère de postromantisme qui régnait à Prague, il ne trouvait pas encore sa voie comme compositeur. Le tournant décisif devait cependant se préciser en 1923, lorsque l’orchestre dans lequel il jouait interpréta le Poème de la forêt d’Albert Roussel. Muni d’une modeste bourse, Martinºu s’embarqua pour Paris, désireux de suivre l’enseignement de Roussel qui, au vu de ses premiers essais, l’accepta d’emblée comme élève. Des nombreux disciples de Roussel, c’est Martinů qui devait faire le plus honneur à son maître, à travers ses compositions. « Ce que je suis venu chercher chez lui, devait-il déclarer, c’était l’ordre, la clarté, la mesure, le goût et l’expression directe, exacte et sensible, les qualités de l’art français que j’ai toujours admirées. » Les quelques semaines qu’il voulait passer à Paris devinrent dix-sept ans ; se maria avec Charlotte Quennehen et fréquenta le groupe de musiciens d’Europe centrale de l’école de Paris. Après le démembrement de la Tchécoslovaquie et le début de la guerre, il fut mis sur la liste noire des nazis pour ses activités patriotiques. En 1940, il connut avec son épouse l’exode à travers la France, avant de s’embarquer pour les États-Unis. Il eut la chance d’y voir s’ouvrir de nouvelles perspectives, grâce à l’appui généreux de Serge Koussevitski, qui lui obtint une chaire à l’université de Princeton et lui commanda une oeuvre, la Première Symphonie (1942). Quatre autres symphonies devaient bientôt lui succéder. En 1945, à la libération de la Tchécoslovaquie, Prague offrit une chaire de composition au musicien, retenu aux États-Unis à la suite d’un grave accident. Il ne devait jamais revoir sa patrie : après avoir quitté les États-Unis en 1953, il partagea ses dernières années entre Rome, Nice et Bâle, où il fut souvent l’hôte de Paul Sacher. Après Villa-Lobos et Milhaud, Martinů reste l’un des musiciens les plus féconds du XXe siècle. Dressant le catalogue de son oeuvre, Harry Halbreich a dénombré 384 numéros. Trois périodes peuvent être approximativement définies, pour suivre son cheminement, au cours de trente-cinq années de création incessante. De 1924 à 1938, le compositeur prend possession de son langage, le rythme domine - influence de la danse tchèque, de la polka, voire du jazz. De nombreuses oeuvres instrumentales néoclassiques naissent, surtout en musique de chambre ou pour petit orchestre, ainsi que plusieurs opéras, dont Julietta (1936-37, créé à Prague en 1938), d’après Juliette ou la Clé des songes de Georges Neveux, point culminant de son oeuvre jusque-là. Une deuxième période, recouvrant les années 1938-1950, voit l’apogée de son génie. Elle débute par le Concerto pour deux orchestres à cordes, piano et timbales (1938). L’ère symphonique s’ouvre, les cinq premières symphonies sont écrites coup sur coup (1942-1946). Autour d’elles, apparaît une floraison de concertos, pièces concertantes pour orchestre de chambre, sonates, quatuors, quintettes. L’harmonie gagne en plénitude et en originalité, tout en perdant une partie de sa rudesse agressive. Dans sa troisième période enfin, l’art de Martinů s’oriente vers une sorte de néo- impressionnisme romantique, illustré par des oeuvres à programme, souvent rhapsodiques, et par un retour à l’opéra, où la diversité des sujets est à la mesure de la curiosité du musicien en matière littéraire et poétique : De quoi vivent les hommes, d’après Léon Tolstoï (1952, opéra télévisé) ; le Mariage, d’après Nicolas Gogol (1952, opéra télévisé ; New York, 1953) ; l’Épopée de Gilgamesh (1955) ; Mirandolina, d’après La Locandiera de Carlo Goldoni (créé à Prague, 1959) ; Ariane, d’après Georges Neveux (1958, créé en 1961) ; la Passion grecque, d’après le Christ recrucifié de Nikos Kazantzakis (1956-1959 ; créé à Zurich, 1961). Au milieu d’un flot de musique de chambre, de nouvelles partitions orchestrales s’ajoutent, à la suite des cinq symphonies, la sixième symphonie, dite Fantaisies symphoniques (1951-1953), les Fresques de Piero della Francesca (1953), les Paraboles (1957-58). Le langage de Bohuslav Martinů tire une partie de sa substance du folklore tchèque, sans jamais le citer réellement. Né aux confins de la Bohême et de la Moravie, il est ethniquement morave, ce qui explique certaines affinités avec Leos Janáček dans ses inflexions mélodiques et rythmiques. Deux autres sources à prendre en considération sont Debussy et la musique française, d’une part, le madrigal anglais d’époque élisabéthaine, d’autre part. Contrairement à plusieurs grands musiciens ayant vu leurs sources d’inspiration contrariées, sinon taries, à la suite de l’exil, Martinů a toujours chanté son terroir natal, quel que soit le sujet d’inspiration du moment. Julietta et la Passion grecque sont aussi tchèques dans leur musique qu’Othello de Verdi avait été italien. Sa musique communique un sentiment de joie pure, claire, franche et tourbillonnante. « Ce qui frappe chez Martinů, c’est la force motrice », devait écrire Ernest Ansermet. Sa conception orchestrale est basée sur le principe du concerto grosso, comprenant une utilisation originale du piano, à mi-chemin entre le rôle du soliste et celui de la percussion. Martinů peut être considéré comme un des symphonistes les plus importants depuis Sibelius. Comme chez ce dernier, le thème ne détermine plus le mouvement : les thèmes, naissant au contraire du courant symphonique lui-même, sont portés par lui. Des cellules mélodiques souvent très petites peuvent s’épanouir en mélodies infinies (cf. le Tristan de Wagner). La notion de développement classique - opposition de deux thèmes - est secondaire, l’unité est assurée par la poussée d’ensemble. En outre, à la suite de Carl Nielsen et de Gustav Mahler, Martinů a adopté le concept de tonalité évolutive : ses symphonies ne se terminent pas dans la tonalité dans laquelle elles ont commencé. À l’encontre des postromantiques souvent attachés aux idées philosophiques, aux développements grandioses, ce musicien recherchait la poésie profonde des choses simples ; il en tirait un plaisir de créer, une spontanéité, dans la musique de chambre comme dans la symphonie ou l’opéra. Installée à Prague, la Fondation Bohuslav Martinů a pris une nouvelle extension en 1995 en créant un centre d’études destiné aux chercheurs (bibliothèque de partitions, documents, discothèque). MARTIN Y SOLER (Vicente), compositeur espagnol (Valence 1754 - Saint-Pétersbourg 1806). Il fit sans doute ses débuts de compositeur d’opéras à Madrid en 1776, étudia peutêtre avec le padre Martini à Bologne, et, de 1779 à 1785, écrivit de nombreux opéras pour divers théâtres italiens. De 1785 downloadModeText.vue.download 630 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 624 à 1788, il vécut à Vienne, où il obtint la faveur de Joseph II et écrivit sur des livrets de Da Ponte 3 opéras : Il Burbero di buon cuore, adaptation de Goldoni (1786), Una cosa rara (1786) et L’Arbore di Diana (1787). Ces 3 oeuvres, en particulier la deuxième (dont Mozart devait citer un thème dans le second finale de Don Giovanni), obtinrent un énorme succès, dont souffrit plus ou moins les Noces de Figaro de Mozart, créé entre Il Burbero di buon cuore et Una cosa rara. Auteur auparavant de zarzuelas et d’opere serie, Martin y Soler avait ainsi trouvé sa voie avec l’opéra bouffe. De 1788 à 1794, il fut au service de Catherine II à Saint-Pétersbourg, où il donna notamment Gore bogatyr Kosometovitch « (le Pauvre Héros Kosometovitch »), sur un livret de l’impératrice elle-même (1789). En 1794, il retrouva Da Ponte à Londres, et y donna avec lui, en 1795, La Scuola dei maritati et L’Isola del piacere, d’ailleurs non sans recourir à ses fonds de tiroir : les Carnets de Haydn, qui assista à une représentation de L’Isola del piacere, nous apprennent que l’ouverture était celle de L’Arbore di Diana, et qu’on retrouvait dans l’ouvrage « un tas de vieilles choses de Cosa rara ». En 1796, Martin y Soler retourna à Saint-Pétersbourg, où il fut nommé conseiller d’État (1798) et inspecteur du Théâtre-Italien (1800). La fin de sa carrière y fut cependant assombrie par la rivalité, en Russie, de l’opéra français et de l’opéra italien. MARTUCCI (Giuseppe), pianiste, chef d’orchestre et compositeur italien (Capoue 1856 - Naples 1909). Élève du conservatoire de Naples, il fut à la tête du Liceo musicale de Bologne de 1886 à 1902, puis du conservatoire de Naples. Il dirigea la première italienne du Tristan de Wagner (Bologne, 1888). Outre de nombreuses pages pianistiques, il écrivit notamment 2 symphonies (1895, 1904), 1 concerto pour piano (1885), le poème pour voix et orchestre, La Canzone dei ricordi (1886-87), et l’oratorio Samuel (1881 ; rév., 1905). MARX (Adolf Bernhard), musicologue et compositeur allemand (Halle 1795 - Berlin 1866). Il étudia la musique avec D. G. Türk à Halle et commença une carrière judiciaire à Naumburg, puis à Berlin. Là, il prit des cours de composition avec K. F. Zelter, mais les cessa assez rapidement pour fonder en 1824 le Berliner Allgemeine Musikalische Zeitung, dont il fut rédacteur jusqu’en 1830. Reçu docteur en philosophie à l’université de Marburg (1828), il devint, grâce à la recommandation de Mendelssohn, professeur à l’université de Berlin (1830) et directeur de la musique (1832). Enfin, en 1850, il fonda avec Th. Kullak et J. Stern la Berliner Musikschule (devenu le Conservatoire Stern, puis le Städtisches Konservatorium), qu’il quitta en 1856 pour se consacrer à ses fonctions à l’université et à l’enseignement de la composition. Ses oeuvres, qui comprennent surtout de la musique vocale (chansons et pièces chorales, oratorios, cantates, un singspiel, un mélodrame) et quelques pièces pour piano, ont eu peu de succès. Seul son oratorio Moses (créé à Leipzig, 1844) jouit d’une certaine popularité, malgré les critiques sévères de Schumann et de Mendelssohn. Il est surtout resté célèbre pour ses écrits musicologiques et pédagogiques. Die Lehre von der musikalischen Komposition (4 vol., 1837-1847) et Allgemeine Musiklehre (1839), écrits pour les étudiants de l’université et où l’on perçoit l’influence de Logier, représentent, par leur systématisation des phénomènes musicaux, un tournant dans l’histoire de l’analyse musicale, et auront une influence durable et considérable sur les traités ultérieurs et l’éducation musicale. Ses biographies de musiciens (Ludwig van Beethovens Leben und Schaffen, 1859 ; Gluck und die Oper, 1863, 2e éd. 1866), bien que très romancées, sont précieuses pour leur témoignage sur l’esthétique de l’époque, de même que ses mémoires (Erinnerungen aus meinem Leben, 1865) et Die Musik des 19. Jh. und ihre Pflege (1855, 2e éd. 1873). Il est, enfin, avec son maître Zelter et Mendelssohn, un des pionniers du renouveau baroque, avec, en particulier, ses éditions des parties vocales de la Passion selon saint Matthieu et de la Messe en si mineur de Bach. MARX (Joseph), compositeur autrichien (Graz 1882 - id. 1964). Professeur à l’Académie de musique de Vienne en 1914, il en devint le directeur en 1922, comme successeur de Ferdinand Löwe. Il s’illustra surtout dans le domaine du lied. MARX (Karl), compositeur allemand (Munich 1897 - Stuttgart 1985). Après la Première Guerre mondiale, pendant laquelle il fut mobilisé et fait prisonnier, il étudia la composition et la direction d’orchestre avec Carl Orff (1920), puis suivit les cours d’A. Beer-Walbrunn (composition), de S. von Hausegger (direction d’orchestre) et de E. Schwickerath (direction chorale) à la Musikhochschule de Munich (1920-1924). Il y enseigna de 1924 à 1939, avant d’être nommé à Graz (1939-1945), puis à Stuttgart (19461966). Il a également dirigé le choeur du Bachverein de Munich (1928-1939). Ses compositions vocales, religieuses et profanes occupent la place essentielle dans son oeuvre : cantates, motets, madrigaux (a cappella ou avec orchestre) - dans les- quels il se révèle un maître du contrepoint - et lieder (sur des textes de Rilke, notamment). On lui doit également de la musique de chambre et plusieurs concertos (piano, violon, alto). MASCAGNI (Pietro), compositeur italien (Livourne 1863 - Rome 1945). Élève de Ponchielli à Milan, il dut interrompre ses études pour subvenir à ses besoins, dirigea des troupes d’opérette, et s’établit comme directeur de théâtre à Cerignola, près de Foggia, où il rédigea à la hâte son drame en 1 acte Cavalleria rusticana (d’après une pièce de Verga), qui, créé à Rome en 1890 par Gemma Bellincioni et Roberto Stagno, interprètes d’exception, lui valut brusquement une renommée universelle et le détourna un instant de la composition de son romantique Guglielmo Ratcliff, d’après Heine. Avec l’Ami Fritz (1891), il tournait le dos à la violence élémentaire de sa réussite précédente, raison pour laquelle l’oeuvre eut moins d’effet sur le public. En 1895, Mascagni devint directeur du lycée musical de Pesaro, se tourna vers l’impressionnisme musical et littéraire avec Iris (1898), vers les légendes médiévales (Isabeau, 1911, oeuvre inspirée de l’histoire de lady Godiva), vers d’Annunzio (Parisina, 1913), puis retrouva sa veine initiale avec Lodoletta et surtout avec Il Piccolo Marat (1921), souvent tenu pour son chef-d’oeuvre. Excellent chef d’orchestre, il bâtit encore en 1935 un Néron à la gloire de Mussolini, s’aliénant ainsi de nombreuses sympathies. Après avoir, pour leur cinquantenaire, dirigé l’enregistrement de ses deux premières oeuvres importantes, il connut une éclipse, étant quelque peu mis à l’écart au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Musicien d’un indéniable talent, ouvert aux influences les plus diverses, coloriste habile, mais assez maladroit dans son traitement de la voix chantée, Mascagni, qui écrivit aussi des mélodies, de la musique religieuse, des choeurs, 3 Symphonies, des pièces instrumentales, de la musique de film, etc., demeure aux yeux de la postérité l’auteur d’une seule oeuvre, partition de jeunesse plus représentative d’un moment de l’histoire de l’opéra italien que de l’ensemble de sa production. MASCARADE. Les « momeries » du Moyen Âge ont pré- cédé cette forme de divertissement carnavalesque, qui connut une grande vogue au temps de la Renaissance. Dans le cadre des festivités qui accompagnaient alors tout événement heureux, c’était un défilé sur la voie publique de chars portant des « tableaux vivants » allégoriques, mais volontiers caricaturaux, qu’escortaient, au son des instruments, des chanteurs et danseurs masqués ou travestis. Sur le plan musical, la simplicité était de règle dans la mesure où les participants n’étaient que downloadModeText.vue.download 631 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 625 des amateurs. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, rois et seigneurs se mirent à organiser des mascarades pour leur propre compte dans l’enceinte de leurs châteaux. Le genre y perdit son caractère populaire et spontané, rejoignant ainsi le bal de cour qui donna naissance à l’opéra-ballet. MASCIONI, famille de facteurs d’orgues italiens, dont la manufacture, fondée en 1829, est établie à Cuvio, près de Varese. Les Mascioni se sont spécialisés, depuis les années 30, dans les grands instruments à traction électrique qu’ils ont construits principalement en Italie. Leur plus grande réalisation est celle de l’orgue de la cathédrale de Milan, construit avec Tamburini (5 claviers, 182 jeux ; 1938). Parmi leurs principaux instruments, il faut citer ceux de l’Institut pontifical de musique sacrée à Rome (5 claviers, 110 jeux ; 1931) et de l’abbaye de Montecassino (3 claviers, 80 jeux ; 1956). MASON (Daniel-Gregory), compositeur américain (Brookline 1873 - Greenwich, Connecticut, 1953). Petit-fils de Lowell Mason, il fit ses études à Harvard, puis à Boston (Chadwick) et New York (Goetschius), enfin à Paris (Vincent d’Indy). Professeur à l’université Columbia (New York) de 1910 à 1940, il est l’une des personnalités les plus saillantes de sa génération. Très attiré par le folklore (il a écrit un quatuor sur des thèmes populaires noirs), il affirmait que la musique américaine doit être éclectique et cosmopolite et que le compositeur doit suivre uniquement son instinct, sans se soucier de nationalisme. Il a écrit quelques oeuvres orchestrales, dont 3 Symphonies, mais surtout de la musique de chambre (quatuors, « sketches sentimentaux » pour trio avec piano, sonates diverses pour violon, clarinette) et instrumentale (pièces pour piano). MASON (Lowell), pédagogue et compositeur américain (Medfield, Massachusetts, 1792 - Orange, New Jersey, 1872). S’inspirant des méthodes de Pestalozzi, il parvint à rendre l’enseignement de la musique obligatoire dans les écoles de Boston et fut chargé de diriger les cours. Il exerça, à ce titre, une influence considérable sur le développement de la musique vocale. Président de la Haendel and Haydn Society de Boston, il y fonda l’Académie de musique (1833) et organisa des réunions régulières de compositeurs et interprètes. Nommé docteur en musique - et le premier à se voir décerner ce grade - en 1835, il entreprit un voyage d’études en Europe (1837), dont il publia les conclusions dans Musical Letters from abroad (1853 ; rééd. 1967). Il a publié pendant près de quarante ans des recueils dans lesquels ses propres compositions voisinent avec des adaptations, en cantiques, de thèmes de Mozart, Beethoven, Schubert ou Cherubini (Select melodies de Gardiner). Son oeuvre, modeste, comporte principalement des thèmes religieux (hymnes ou cantiques). MASQUE. Genre théâtral, populaire en Angleterre aux XVIe et XVIIe siècles, qui a subi au cours de son évolution les influences italienne (intermedio) et française (ballet de cour). À partir des spectacles anglais du Moyen Âge (disguisings, mummings), le masque va devenir un divertissement de cour très complet, composé de poésie, de musique vocale et instrumentale et de décors souvent fort coûteux, agrémentés de machines scéniques. Les sujets traités sont allégoriques ou mythologiques. Comme dans le ballet de cour en France, les membres de la famille royale et de la haute noblesse participent régulièrement aux masques. Mais ils sont également représentés en dehors de la Cour comme, par exemple, le Comus de Milton créé au château de Ludlow en 1634 et pour lequel Henry Lawes a composé 5 airs. Au début du XVIIe siècle, deux noms sont associés particulièrement à l’évolution du masque : le poète Ben Jonson et le décorateur Inigo Jones. Puis vient le tour de sir W. Davenant et de James Shirley, l’auteur de deux masques célèbres : The Triumph of Peace (1634), musique de William Lawes, et Cupid and Death (1653), dont la partition de Mathew Locke et Christopher Gibbons est la seule qui soit conservée en entier. Après la Restauration, le masque se trouve de nouveau incorporé dans des pièces de théâtre (Dryden, Congreve), selon la tradition élisabéthaine. Ainsi Purcell compose quelques-unes de ses meilleures musiques pour ce type de spectacle, dont The Fairy Queen (1692), avec un masque à la fin de chaque acte, et The Tempest (1695), qui peuvent servir d’exemples. Enfin, au XVIIIe siècle, le titre de « masque » est parfois conservé pour lutter contre l’invasion de l’opéra italien en Angleterre. C’est le terme employé par W. Randall pour son édition de la pastorale de Haendel, Acis and Galathea/A Mask. MASSARD (Robert), baryton français (Pau 1925). Il a fait ses débuts à l’Opéra de Paris en 1952 (rôle du grand prêtre dans Samson et Dalila), et s’est imposé, notamment, en France et à l’étranger dans Gluck (rôles de Thoas, puis d’Oreste dans Iphigénie en Tauride) et dans Berlioz (rôle de Fieramosca dans Benvenuto Cellini). Grand interprète, également, de Verdi et de Rossini, il est professeur de chant au conservatoire de Région de Bordeaux. MASSÉ (Victor), compositeur français (Lorient 1822 - Paris 1884). Prix de Rome en 1844, il présenta à son retour de la villa Médicis son premier opéracomique, la Chambre gothique (1849). Il connut son premier grand succès avec Galatée (1852), et, en 1853, produisit son chef-d’oeuvre, les Noces de Jeannette, un acte rustique et charmant qui devait se maintenir au répertoire jusqu’à nos jours. Il entra à l’Opéra avec la Mule de Pedro (1863), et connut son dernier triomphe à la Gaîté-Lyrique en 1876 avec Paul et Vir- ginie. Une nuit de Cléopâtre ne fut représenté qu’après sa mort, en 1885. Il enseigna la composition au Conservatoire de 1866 à 1876. Son style gracieux et son écriture solide lui permirent de prolonger dignement la tradition de l’opéra-comique français, tout en annonçant discrètement une évolution rassurante du genre. On lui doit aussi de nombreuses mélodies, dont 3 recueils pleins de saveur : Chants bretons, Chants du soir, et Chants d’autrefois. MASSENET (Jules), compositeur français (Montaud 1842 - Paris 1912). Dernier-né d’une famille de douze enfants, Massenet, qui haïssait son prénom au point de n’en tolérer que l’initiale, reçut d’abord une éducation de pianiste couronnée par un premier prix en 1859. Admis au Conservatoire en 1853, il dut interrompre ses études pendant l’année scolaire 185455 lorsque ses parents quittèrent Paris pour s’installer à Chambéry. Il se produisit plusieurs fois en concert comme pianiste, en 1858, notamment à Angers et à Tournai. Cependant, pour subvenir à ses besoins, il dut accompagner des chanteurs et tenir le triangle à l’orchestre du Gymnase, puis les timbales au Café Charles et au Théâtre-Lyrique. Élève de Reber (harmonie), de Savard (contrepoint), puis d’Ambroise Thomas (composition), il obtint en 1863 un premier prix de fugue en même temps que le premier grand prix de Rome pour sa cantate David Rizzio ; l’opinion de Berlioz aurait, semble-t-il, favorablement pesé dans le résultat du concours. Dès 1861, Massenet composa et fit éditer une Grande Fantaisie de concert sur le « Pardon de Ploërmel » de Meyerbeer, morceau qui fut détruit sur sa demande en 1900. Massenet séjourna à la villa Médicis pendant deux années et rédigea alors sans entrain les envois qu’il était tenu de faire : une Grande Ouverture de concert, un Requiem et des fragments lyriques, qui devinrent l’oratorio Marie-Magdeleine. Il entreprit également un opéra d’après Victor Hugo, Esmeralda. C’est à Rome qu’il fit la connaissance d’une élève de Liszt, downloadModeText.vue.download 632 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 626 Mlle de Sainte-Marie, qu’il épousa à son retour en France. Il profita de sa pension de lauréat pour visiter l’Italie ; il en rapporta l’inspiration des Scènes napolitaines (1864). Dès 1866, plusieurs de ses oeuvres furent exécutées à Paris : outre l’Ouverture, il faut citer Pompeia, dont des fragments réapparurent dans la musique de scène des Érinnyes, et deux Fantaisies pour orchestre. Bénéficiant d’une nouvelle disposition qui attribuait aux lauréats de l’Institut le droit de se voir représenter un ouvrage en 1 acte sur la scène de l’Opéra-Comique, Massenet composa en quelques semaines la Grand-Tante, qui connut un petit succès en avril 1867. La partition d’orchestre en a été détruite, comme celle de Don César de Bazan, dans l’incendie de l’Opéra-Comique en 1887, mais n’a pas été reconstituée. La partition piano-chant permet néanmoins de se faire une idée de la maîtrise étonnante dont témoigne cette première tentative. Écrit pour un concours où il obtint la troisième place, l’opéra la Coupe du roi de Thulé ne nous est pas parvenu, mais la musique en a été réutilisée en partie dans d’autres ouvrages. Plusieurs projets d’opéra allaient voir le jour à cette époque : Manfred en 1869, resté à l’état d’ébauche, et Méduse, achevé, semble-t-il, en 1870. Malgré sa rencontre avec l’éditeur Hartmann qui allait l’encourager désormais, la situation matérielle de Massenet restait précaire : la fin de sa pension, en 1868, l’obligea à donner des leçons et à reprendre une place de timbalier au Théâtre de la porte Saint-Martin. Ralentie par le siège de Paris (il s’enrôla dans l’infanterie), puis par l’époque troublée de la Commune, son activité toujours intense reprit dès le printemps de 1871, et, s’il n’était pas satisfait de sa symphonie écrite pendant le siège, il poursuivit avec les Scènes pittoresques (1871) et les Scènes dramatiques (1873) la série de ses suites pour orchestre. Quelques semaines lui suffirent pour composer un opéracomique en 4 actes, Don César de Bazan, représenté sans succès en novembre 1872. Cette oeuvre d’un intérêt médiocre fut révisée et réorchestrée par Massenet en 1888. De cette période datent également l’Ouverture pour Phèdre et la musique de scène pour les Érinnyes, dont la valeur fut reconnue immédiatement ; mais ce fut l’exécution à l’Odéon en avril 1873 de l’oratorio Marie-Magdeleine qui assit la véritable notoriété du compositeur. Cet ouvrage de jeunesse n’est pas seulement remarquable par l’inspiration personnelle dont il témoigne, mais parce qu’il fallut peut-être attendre Manon pour que Massenet retrouvât ce langage qui lui appartient en propre. Composé en 1874, Ève, mystère en 3 parties, connut un succès aussi vif, mais, à part quelques pages, cette partition ne présentait pas de progrès notables. Parallèlement, le musicien avait concentré ses efforts sur un grand opéra en 5 actes, le Roi de Lahore, qui l’occupa de 1872 à 1877, et dont la création triomphale au palais Garnier en avril 1877 lui vaudra d’être nommé l’année suivante, à trente-six ans, professeur de composition au Conservatoire puis d’entrer à l’Institut devant Camille Saint-Saëns. Admiré par Tchaïkovski pour la clarté de son écriture, cet opéra est à l’origine la réputation dont a joui son auteur tant en France qu’à l’étranger. oeuvrettes de circonstance destinées à des cercles, l’Adorable Bel-Boul (1874), puis Bérangère et Anatole (1876) ont été détruites par le compositeur qui tenait à conserver sa réputation de « musicien sérieux ». Si la Vierge (1878), légende sacrée en 4 scènes, méritait mieux que le froid accueil qui lui fut réservé en 1880, Hérodiade, représenté en 1881 au théâtre de la Monnaie de Bruxelles, renouvela le triomphe du Roi de Lahore, mais cet ouvrage plus personnel marquait une étape autrement importante dans l’évolution du musicien de théâtre. Hérodiade fut repris à Paris en 1884, mais en italien, au ThéâtreItalien. Après les Scènes de féerie, Massenet composa, sous le titre de Scènes alsaciennes, sa septième et dernière suite d’orchestre, la plus connue. Désormais, il allait s’occuper presque exclusivement d’opéra, mais il continua à produire régulièrement des mélodies qui, en se répandant dans les salons, faisaient beaucoup pour asseoir sa notoriété et constituaient une source appréciable de revenus. Toutes ne sont pas d’un égal intérêt, parce que Massenet avait besoin, dans sa musique, des contrastes offerts par les situations dramatiques. Certaines, pourtant, sont d’incontestables réussites. Sur les 285 qu’il a laissées, un certain nombre sont ras- semblées en cycles : Poème d’avril (1866), Poème du souvenir (1868), Poème pastoral (1874), Poème d’octobre (1876), Poème d’amour (1879), Poème d’hiver (1882), Poème d’un soir (1895) ; 25 ont été dotées par le compositeur d’un accompagnement orchestral. Après avoir délaissé au moins trois projets d’opéras : Robert de France (1880), les Girondins (1881), Montalte (1883), Massenet eut lui-même l’idée de demander une Manon à Meilhac, et, pour éviter toute modification, il apporta la partition gravée à la première répétition. Les coupures que l’on fait subir ordinairement à cet ouvrage, et qui en brisent l’équilibre en en déformant l’esprit, prouvent rétrospectivement que l’auteur était conscient d’avoir construit une oeuvre exemplaire, d’une rare cohérence dans la diversité des procédés utilisés. Vers cette époque, il avait demandé à Zola l’exclusivité de la Faute de l’Abbé Mouret, mais ce projet n’eut pas de suite. Avec le Cid (1884-85), Massenet démontra une nouvelle fois son aptitude à changer de ton et à conserver les formes du grand opéra en les vidant de leurs poncifs. Werther (1885-1887), dont le projet remontait à 1878, lui offrit cependant un cadre plus intime dans lequel il retrouva la meilleure part de son invention. Créé à Vienne en 1892, en allemand, Werther fut donné à Paris en 1893 avec un succès très relatif. Le chromatisme de ce nouvel ouvrage pouvait faire penser que Massenet, qui s’était rendu à Bayreuth en 1886, avait subi l’influence du maître des lieux ; il faut cependant préciser qu’il y avait alors près de trente ans que Massenet était un admirateur averti de Wagner. Le modèle wagnérien était beaucoup plus net - trop peut-être - dans Esclarmonde (1887-88), dont les représentations dans le cadre de l’Exposition universelle connurent un succès considérable qui rejaillit sur Sibyl Sanderson, pour laquelle Massenet avait écrit le rôle principal ; par rapport aux ouvrages précédents, on remarque un élargissement du souffle et de la ligne mélodique, mais l’action dramatique ne conserve pas la même intensité jusqu’au bout. Avec le Mage (1889 ; créé 1891), Massenet revint au grand opéra sur un livret de Jean Richepin ; l’accueil fut bon, mais l’oeuvre ne fit pas carrière. La même année vit la composition d’Amadis, opéra légen- daire, qui, pour diverses raisons, ne fut représenté qu’après sa mort. Retouché en 1910, Amadis allait être créé en 1922 à Monte-Carlo. Si l’oeuvre est inégale, elle a le privilège de comporter dans son prologue des audaces d’écriture telles que Massenet n’en osa jamais, associant archaïsme et modernité. En écrivant le Portrait de Manon (189293), Massenet revenait aux demi-teintes de l’opéra-comique, mêlant habilement le sourire à la nostalgie. Mais, simultanément, il était occupé par un projet plus ambitieux : Thaïs d’après Anatole France. Destinée à l’Opéra-Comique, Thaïs fut créée à l’Opéra en 1894 ; cette circonstance faussa d’abord l’appréciation d’une oeuvre d’un caractère plutôt intime qui allie le sacré et la sensualité, la gravité et le comique, d’une manière surprenante, sans doute, mais parfaitement originale. La Navarraise, écrite en quelques semaines de l’été 1893, est si résolument tragique de ton qu’on a voulu y voir une concession, ou une conversion au vérisme qui triomphait alors en Italie ; en réalité, l’influence a joué de part et d’autre. De 1893 à 1901, Massenet revint à plusieurs reprises sur Grisélidis, dont il rédigea plusieurs versions. Comme dans Thaïs, il tenta une fusion des styles, cette oeuvre délicate, intimiste, mériterait d’être mieux connue. Comme s’il voulait faire l’inventaire des ressources de son inspiration, Massenet downloadModeText.vue.download 633 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 627 aborda avec Cendrillon (1894-95, 1re repr., 1899) le domaine du conte de fée et y montra un véritable génie du métier qui fait d’autant plus regretter l’insuffisance de son librettiste. À la mort d’Ambroise Thomas, Massenet, à qui l’on offrait la direction du Conservatoire, refusa cette fonction, et, de plus en plus accaparé par sa carrière et les déplacements qu’elle imposait, donna sa démission de professeur de composition. Aussi divers que furent ses élèves, tous s’accordaient à reconnaître le sens pédagogique de ce professeur-né, mais surtout, au-delà des différences individuelles qu’il n’a pas étouffées, ils ont témoigné par leurs oeuvres de la solidité de l’enseigne- ment qu’ils ont reçu. Parmi eux, il faut citer Alfred Bruneau, Gabriel Pierné, Xavier Leroux, Gustave Charpentier, Henri Rabaud, Charles Koechlin, Florent Schmitt, tous lauréats du prix de Rome, et, également, Ernest Chausson, Guy Ropartz ou Reynaldo Hahn qui n’ont pas tenté ce concours. Le premier fruit de la disponibilité complète dont allait jouir désormais Massenet fut Sapho, oeuvre à laquelle il consacra l’été 1896. Créée à l’Opéra-Comique dès novembre 1897 en prévision de la fin prochaine d’Alphonse Daudet, Sapho, augmentée du tableau des Lettres, fit l’objet d’une nouvelle création en 1909. L’année 1897 vit également la composition d’un recueil de 12 pièces pour piano à 4 mains : Année passée, et d’une Fantaisie pour violoncelle et orchestre. On ne sait quelle circonstance incita Massenet, dont l’esprit n’était pas précisément religieux, à adapter lui-même des textes de la Vulgate pour un oratorio, Terre promise, auquel il travailla entre 1897 et 1899. La fable du Jongleur de Notre-Dame, en revanche, correspondait mieux à ses convictions intimes ; à travers cet ouvrage et au-delà de la poétique propre de l’auteur, on perçoit le regain d’intérêt qui se manifestait alors pour le chant grégorien et la musique médiévale. Contemporain du Jongleur, le Concerto pour piano, créé en 1902, réutilise vraisemblablement des esquisses anciennes dans son finale, mais l’adagio est très représentatif de cette couleur harmonique automnale si caractéristique des oeuvres de la dernière manière de Massenet. À la même époque, il entreprit lui-même Roma, inaugurant une période « antique » qui vit se succéder Ariane (1905 ; créé, 1906), Bacchus (1908 ; créé, 1909), Roma (1902-1910, créé, 1912) et Cléopâtre (1911-12 ; créé, 1914). Ces ouvrages, dont la facture reste irréprochable et où l’inspiration fait moins défaut qu’on ne le croit généralement, n’ont connu qu’un succès très limité. Avec Chérubin (1903, créé en 1905), Massenet aborda la comédie pure dans un registre qui se souvient des Noces de Figaro et préfigure le Chevalier à la rose. Thérèse (1905-1906 ; créé, 1907), épisode de la Révolution, aussi intense que Chérubin était léger, offre une preuve supplémentaire de sa capacité à se renouveler. Panurge (1911 ; créé, 1913), « haulte farce musicale » n’a, en revanche, laissé aucune trace, tandis que Don Quichotte (1909), créé en 1910 par Chaliapine, compte parmi les quatre ou cinq oeuvres les plus régulièrement jouées de Massenet, peutêtre parce que le livret, qui ne doit rien à Cervantes, en est mieux structuré, tant il est vrai que ce sont les faiblesses de certains arguments dramatiques qui sont responsables de l’indigence qu’on a souvent reprochée au musicien. Fort de sa capacité à découvrir une solution musico-dramatique à n’importe quelle situation, Massenet ne s’est pas assez soucié de leur qualité intrinsèque. Ainsi ce compositeur, qui a su trouver dès l’abord un langage lyrique original et que son inquiétude presque maladive a poussé vers la recherche d’une simplicité qui seule garantissait une large compréhension et une exécution aussi fidèle que possible, a-t-il été souvent victime de ce métier qu’il possédait à fond et dans lequel, plus encore peut-être que dans sa sensibilité, il a puisé ce qu’il faut bien appeler son génie. MASSIAS (Gérard), altiste et compositeur français (Paris 1933). Il fit ses études au Conservatoire de Paris, où il obtint un premier prix d’alto (1955). Alto solo au Mozarteum de Salzbourg (1955), puis à l’orchestre de chambre de l’O.R.T.F. (1956-1967), il entre comme second soliste à l’Orchestre de Paris lors de sa fondation (1967). Professeur d’alto au conservatoire de Champigny, où il dirige également l’atelier d’orchestre, il est membre de la Grande Écurie que dirige J.-C. Malgoire (1969-1975), ainsi que du Collectif 2e2m. Après une période modale et atonale (Concert 52 ; Concert bref ; Variations ; Faciès ; Stigmate), il s’intéresse à partir de 1966 aux formes variables et surtout au théâtre musical : Tjurunga IV, sur des textes d’Antonin Artaud (1968) ; Tjurunga (1969) ; les Nouveaux Racontars d’Agassin et Virelette, action musicale d’après la chantefable du XIIIe siècle, Aucassin et Nicolette, pour comédien, soprano et ensemble instrumental (1971) ; Caliban-Cannibale, opéra radiophonique pour le prix Italia (1974). MASSIN (Jean et Brigitte), critiques et musicographes français (Paris 1917 - id. 1986 et Roubaix 1927). Ils ont commencé par publier ensemble deux ouvrages qui ont beaucoup fait pour le renouveau de l’historiographie musicale en France, et consacrés respectivement à Beethoven (Paris, 1955 ; rééd., 1967) et à Mozart (Paris, 1959 ; rééd., 1970). Suivirent Recherche de Beethoven (Paris, 1969) et, sous leur direction, Histoire de la musique occidentale (1977, rééd. 1983). On doit également à Jean Massin des ouvrages sur Robespierre (Paris, 1956) et Marat (Paris, 1960), une Édition chronologique des oeuvres de Victor Hugo (Paris, 1964-1970), Don Juan, mythe littéraire et musical (Paris, 1979), et un essai autobiographique, le Gué du Jaboq (Paris, 1980). Brigitte Massin, sa femme, a écrit de son côté un ouvrage sur Schubert (Paris, 1977) et Olivier Messiaen - Une poétique du merveilleux (1989). Elle a dirigé Guide des opéras de Mozart (1991). MASSIP (Catherine), musicologue française (Paris 1946). Élève de Norbert Dufourcq, elle a obtenu un diplôme d’archiviste paléographe (1973) et un doctorat ès lettres (1985). Nommée en 1973 conservateur à la Bibliothèque nationale de Paris, elle dirige depuis 1988 le département de la musique de l’établissement. Elle a publié notamment Musique et musiciens à Saint-Germain-en-Laye 1653-1681 (1976), Rameau et l’édition de ses oeuvres : bref aperçu historique et méthodologique (1983), Facteurs d’instruments et maîtres à danser parisiens au XVIIe siècle (1988). MASSON (Diego), chef d’orchestre français (Tossa, Espagne, 1935). Il étudie la percussion au Conservatoire de Paris puis la composition avec Bruno Maderna et René Leibowitz, enfin la direction avec Pierre Boulez. Il se produit d’abord au Domaine musical comme percussionniste, avant de créer, en 1966, l’ensemble Musique vivante, dévolu à la création contemporaine. De 1973 à 1976, il est directeur du Théâtre musical d’Angers, puis de celui de Marseille, de 1975 à 1981, où il interprète les opéras du répertoire. Il collabore également avec plusieurs compagnies de danse (Ballet-Théâtre d’Amiens, Compagnie du Sadler’s Wells). Avec l’ensemble Musique vivante, il a créé des oeuvres de très nombreux compositeurs contemporains (Bussotti, Dufourt, Jolivet, Lenot, etc.). MASSON (Gérard), compositeur français (Paris 1936). Il aborda la musique en autodidacte. En 1965 seulement, il suivit à Cologne les cours de composition de Karlheinz Stockhausen. En 1965-66, il travailla également avec Henri Pousseur et Earle Brown. Mais il resta compositeur indépendant, n’intégrant de cet enseignement « que des secousses, des retombées » (Gilbert Amy), recevant de Stockhausen une influence mentale plus que proprement musicale. Masson n’en relève pas moins de la lignée des compositeurs français allant de Debussy à Boulez. En 1965 naquit à Cologne downloadModeText.vue.download 634 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 628 et y fut exécutée sa première oeuvre, Pièce pour 14 instruments. Suivirent Dans le deuil des vagues pour orchestre (1966, création au festival de Royan, 1967), Ouest I pour 10 instruments (1967, créé au Domaine musical, 1968), Dans le deuil des vagues II (Aux confins de plusieurs climats) pour orchestre (1968) et Ouest II pour mezzosoprano et 13 instruments (1969), sur 4 poèmes de Une vie d’homme de Dominique Fourcade. Bleu loin pour 12 cordes (1 quintette, 1 quatuor et 1 trio), composé en 1970, fut créé au festival de Royan en 1973. En 1974, on entendit à Paris Hymnopsie pour orchestre et choeur (1972), et à Royan Quatuor pour quatuor à cordes (1973). De 1975 date un Sextuor pour flûte, hautbois, clarinette, clarinette basse, basson et cor (créé en 1976), de 1977 un Concerto pour piano et orchestre (créé au festival de Besançon, 1978), et de 1978 un Quintette pour piano, clarinette, violon, alto et soprano (créé à Radio-France, 1979). En octobre 1981, a été entendu à Radio France Pas seulement des moments des moyens d’amour pour orchestre. Citons encore W3 A6 M4 pour violon, alto et 9 instruments (1985). MASSON (Paul Marie), musicologue français (Sète 1882 - Paris 1954). Élève de Romain Rolland, professeur à l’université de Grenoble en 1910 et à l’Institut français de Florence, fondateur de l’Institut français de Naples (1920), docteur ès lettres avec une thèse sur l’Opéra de Rameau (1930), il enseigna de 1931 à 1952 à la Sorbonne, où il créa, en 1951, l’Institut de musicologie. De 1945 à 1948, il présida la Société française de musicologie. Spécialiste de la musique des XVIe et XVIIIe siècles, il a également écrit un excellent ouvrage sur Berlioz. PRINCIPAUX ÉCRITS : Berlioz (1923), l’Opéra de Rameau (1930), les Odes d’Horace en musique au XVIe siècle (dans Revue musicale, 1906), le Ballet Héroïque (dans Revue musicale, 1928). ÉDITIONS : Chants de carnaval florentin (Paris, 1913). MASSONNEAU (Louis), compositeur, violoniste et chef d’orchestre allemand d’ascendance française (Kassel 1766 Ludwigslust 1848). Fils d’un cuisinier français à la cour de kassel, il occupa des postes dans plusieurs villes d’Allemagne avant de s’établir définitivement en 1803 à Ludwigslust, où il fut premier chef d’orchestre et maître de chapelle de 1812 à sa retraite en 1837. Sa musique imprimée (12 numéros d’opus datant d’avant 1800) est presque entièrement instrumentale, et sa musique restée manuscrite (conservée à la bibliothèque d’État de Schwerin) pour l’essentiel vocale et postérieure à 1800. Dans le domaine instrumental, on lui doit notamment 3 symphonies (2 op. 3 et 1 op. 5), dont la dernière, en ut mineur, la Tempête et le Calme (Paris, 1794), annonce assez concrètement la Pastorale de Beethoven. MASUR (Kurt), chef d’orchestre allemand (Brieg, auj. Brzeg, Silésie, 1927). Il étudia à Leipzig, et, après avoir occupé divers postes à Erfurt, Leipzig, Dresde et Schwerin, il fut de 1960 à 1964 directeur musical de l’Opéra-Comique de Berlin-Est et de 1967 à 1972 premier chef de la Philharmonie de Dresde. Depuis 1970, il est directeur musical du Gewandhaus de Leipzig. Il est devenu en 1990 directeur musical de la Philharmonie de New York. MATA (Eduardo), compositeur et chef d’orchestre mexicain (Mexico 1942). Il fit ses études au conservatoire de Mexico (1954-1961) avec Carlos Chavez, Rodolfo Halffter, Erich Leinsdorff et Gunther Schuller. Chef d’orchestre à Guadalajara (1965), il est professeur de direction d’orchestre au conservatoire de Mexico (1971). Son langage musical va de la polytonalité à la technique sérielle et à l’aléatoire, avec de constantes recherches dans le domaine du timbre. Il utilise également les ressources de l’électronique (Los huesos secos pour bande magnétique). Son oeuvre comprend principalement 3 symphonies, des sonates pour piano, violon et violoncelle, 1 trio (To Vaughan Williams, 1957), des mélodies et 1 groupe d’Improvisations pour ensembles instrumentaux divers (1961-1965). MATASSIN. Danse grotesque, probablement issue de la « pyrrhique » guerrière des Anciens. Elle doit son nom hispano-arabe aux « matachins », bouffons casqués, revêtus d’armures de fantaisie, qui se livraient des combats bruyants, mais soigneusement rythmés, à grands coups de sabres de bois. Ce divertissement originaire d’Espagne gagna au XVIe siècle l’Italie, puis la France, qui le portèrent au théâtre. Pour sa Capriol suite, Peter Warlock a orchestré quelquesunes des danses provenant de l’Orchésographie de Thoinot Arbeau, dont une, intitulée Mattachins, qui clôt la suite. MATHER (Bruce), compositeur canadien (Toronto 1939). Il a fait ses études musicales à Toronto et à Paris avec Darius Milhaud, Olivier Messiaen et Lazare Lévy, et suivi les cours de direction d’orchestre de Pierre Boulez à Bâle en 1969. Depuis 1966, il enseigne à la faculté de musique de l’université McGill de Montréal. Dans un style résolument néoclassique influencé par Berg et Debussy mais aussi par Scriabine, Delius et Szymanowski, il a écrit notamment Élégie pour saxophone et orchestre à cordes (1959), Orphée pour soprano, piano et percussion, d’après Valéry (1963), Ombres pour orchestre (1967), Musique pour Rouen pour orchestre à cordes (1971), In memoriam Alexandre Uninsky pour piano (1974), Musigny pour grand orchestre (1979-80), Barbaresco pour alto, violoncelle et contrebasse (Metz, 1984), Scherzo pour orchestre (1987). C’est aussi un excellent pianiste. MATHIS (Édith), soprano suisse (Lucerne 1936). Formée aux Conservatoires de Lucerne et de Zurich, elle rencontre Élisabeth Bosshart, qui accompagne sa carrière. En 1956, elle débute au Théâtre de Lucerne en chantant Chérubin dans les Noces de Figaro. Dès 1962, elle est à Salzbourg, Munich et Glyndebourne. Elle s’impose comme une mozartienne, abordant des opéras peu connus comme Bastien et Bastienne, La Finta Giardiniera, La Finta Semplice ou Il Re Pastore. Mais elle est aussi Pamina, Suzanne, Marcelline dans Fidelio, ou Mélisande. De 1961 à 1972, elle intègre la troupe de l’Opéra de Hambourg. En 1980, elle reçoit le titre de Kammersängerin à Munich et se fixe à Londres. Son style sobre et limpide fait merveille dans les cantates baroques et les mélodies romantiques. En 1986, elle chante des lieder de Mozart et, en 1990, grave Kleider machen Leute de Zemlinski. En 1994, elle aborde les lieder de Schubert et Brahms, tout en continuant à interpréter la musique religieuse de Mozart. MATINES. Première partie de l’office de nuit, suivie par les laudes, et se divisant elle-même en 3 nocturnes. Chacun de ceux-ci comportait principalement une lecture chantée collective de psaumes avec antiennes et la lecture psalmodiée par un lecteur soliste de « leçons », translittération du mot latin lectio (« lecture »), coupée de répons, en nombre variable selon les cas. L’office se terminait par le chant d’un hymne et par le Te Deum (que l’on retrouve dans les drames liturgiques chantés à ce moment de l’office). Dans le bréviaire séculier, l’office de matines, très abrégé, se lisait sans obligation horaire. La récente réforme liturgique ne laisse plus grand-chose de l’office traditionnel. MATSUDAIRA (Yoritsune), compositeur et pianiste japonais (Tokyo 1907). Après avoir étudié la littérature française, ainsi que la composition avec Kosuke Komatsu (et, plus tard, avec Alexandre Tcherepnine), il passe par une période néoclas- sique et debussyste, qu’illustre une oeuvre downloadModeText.vue.download 635 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 629 comme Pastorale (1935). Ses Chants populaires de Nanbu (1928-1936), pour voix et piano, obtiennent en 1936 un prix de composition. Il commence à s’intéresser à l’ancienne musique de cour japonaise, le gagaku. En 1937, il entre dans l’équipe de direction de la Société japonaise de musique contemporaine. Ses oeuvres d’après la Seconde Guerre mondiale proposent une synthèse de la technique d’écriture sérielle avec le style du gagaku, par exemple dans Thème et Variations (1951) pour piano et orchestre, ou dans Métamorphoses sur le thème Sabaira (1953) pour soprano et orchestre de chambre. La Société internationale de musique contemporaine (I.S.C.M.) diffuse ses oeuvres en Occident, faisant de lui le premier compositeur japonais connu dans les cercles d’avant-garde occidentaux, et son oeuvre Dialogue chorégraphique, pour quintette à vent, harpe, 2 pianos et percussions, est créée au festival de Royan en 1967. Ses oeuvres tardives intègrent les techniques aléatoires, mais le gagaku demeure pour son écriture une référence esthétique et stylistique, par exemple dans Junkansuru gakusho (1971) pour 2 orchestres de chambre. MATTHESON (Johann), compositeur et théoricien allemand (Hambourg 1681 id. 1764). Organiste dès l’âge de neuf ans, il bénéficia d’une très solide éducation, et se produisit comme chanteur (1696), puis comme chef d’orchestre et compositeur (1699) à l’Opéra de sa ville natale, où en 1703 il fit la connaissance de Haendel, qu’il faillit tuer en duel. Secrétaire de l’ambassadeur britannique à Hambourg (1706), directeur de la musique à la cathédrale (1718-1725), maître de chapelle du duc de Holstein (1719), il composa à cette époque beaucoup d’oeuvres pour la plupart restées manuscrites : 6 opéras, plusieurs oratorios, des cantates, 12 sonates à 2 et 3 flûtes sans basse (Amsterdam, 1708), suites pour clavecin (Londres, 1714). Dans son Manuel du parfait organiste (1719), il employa les 24 tonalités majeures et mineures, annonçant par là le Clavier bien tempéré de Bach. En 1728, une complète surdité, dont les premiers signes s’étaient manifestés dès 1705, l’obligea à se retirer de la vie publique. Il se consacra alors à des écrits théoriques qui le font apparaître comme une sorte de pape dans les affaires musicales de son temps tout en constituant en quelque sorte le point de départ de la musicologie allemande. Son esprit vif et belliqueux et sa plume acérée, mais aussi ses attaches avec les goûts plutôt conservateurs de l’Allemagne du Nord se manifestent notamment dans ses deux principaux écrits : le Parfait Maître de chapelle (Der Vollmommene Kapellmeister, Das ist Gründliche Anzeige aller derjenigen Sachen, die einer wissen... muss, der einer Capelle... vorstehen will, 1739 ; rééd., 1954), et Fondement d’un arc de triomphe (Grundlage einer Ehren-Pforte, 1740 ; rééd., 1769), source inépuisable de renseignements biographiques sur les musiciens. Il signa près de 120 ouvrages littéraires, parmi lesquels, en 1761, une traduction commentée de la biographie (parue sans nom d’auteur) de Haendel par Mainwaring (rééd., 1976). MATTHUS (Siegfried), compositeur allemand (Mallenuppen 1934). Il est l’une des plus éminentes personnalités du monde musical de la République démocratique allemande. Élève de R. Wagner-Regeny et de H. Eisler, il travaille à l’Opéra-Comique de Berlin, où il connaît le succès avec ses premiers opéras : Lazarillo von Tormes (1963-64 ; création, 1964), Der Letzte Schuss (1967) et Noch Ein Löffel Gift, Liebling ? (1971 ; création, 1972), charmante comédie policière. Adepte des techniques d’écriture sérielles, comme dans Inventionen pour orchestre (1964), il s’intéresse également aux possibilités offertes par les procédés électroacoustiques, par exemple dans Galilei, pour 1 voix, 5 instruments et bande (1966). Il a écrit pour la scène et pour la télévision. Parmi ses oeuvres récentes, les opéras Weise von Liebe und Tod des Cornets Christoph Rilke (Dresde, 1985) et Graf Mirabeau (1989), Windspiele pour trio à cordes (1995), Blow Out, concerto pour orgue et orchestre (1995). MATTILA (Karita), soprano finlandaise (Somero 1960). Elle est l’élève de Kim Borg à l’Académie Sibelius d’Helsinki. En 1982, elle débute à l’Opéra de la même ville, incarnant la Comtesse des Noces de Figaro. En 1984, elle étudie à Londres avec la grande pédagogue Vera Rosza, qui suit désormais son travail. Sa carrière est essentiellement consacrée au répertoire mozartien. De 1985 à 1990, elle chante sur toutes les grandes scènes européennes les rôles de Donna Elvira, Pamina ou Fiordiligi, qu’elle incarne dans le cycle Mozart de Baremboïm et Ponnelle en 1986. En 1990, elle fait ses débuts au Metropolitan dans Don Giovanni. Depuis 1991, elle rencontre aussi le succès en abordant plusieurs rôles wagnériens. MAUDUIT (Jacques), compositeur français (Paris 1557 - id. 1627). Mersenne, qu’il aida dans la préparation de la partie musicale de ses ouvrages, nous a laissé sa biographie. Mauduit ne se consacra à la musique qu’après des études de lettres et de philosophie. Il fit de nombreux voyages, notamment en Italie. Sa formation initiale, son amitié pour Ronsard - il écrivit le Requiem chanté à ses obsèques en 1585 - le conduisirent à s’intéresser à la tentative d’union de la poésie et de la musique et à l’expérience d’une musique mesurée à l’antique proposée par l’Académie de poésie et de musique de Jean-Antoine de Baïf, dont, avec Claude Le Jeune, il devint le principal collaborateur à la mort de Thibaut de Courville en 1581. Lors de cette continuation de l’Académie, il mit l’accent sur la recherche des différents moyens d’exécution et écrivit ses Chansonnettes mesurées sur les poésies de De Baïf, une des réussites du genre. Mais ce compositeur se double d’un animateur, dont les qualités d’organisation furent très vite appréciées dans les cérémonies de la semaine sainte du Petit-Saint-Antoine ou dans les fêtes musicales de Notre-Dame pour la Sainte-Cécile. Il joua, d’autre part, un rôle actif dans les ballets de cour sous Henri IV et Louis XIII, y dirigeant notamment des ensembles vocaux et instrumentaux importants. Il composa également des pièces instrumentales pour ces spectacles, par exemple, pour le Ballet de la délivrance de Renaud, auquel collabora aussi Pierre Guédron. On prête à Mauduit d’avoir introduit en France les premières compositions pour un ensemble de violes, et, peut-être, aussi le théorbe, sorte d’archiluth. Si l’on croit Mersenne, Jacques Mauduit fut un compositeur fertile. Mais on ne conserve aujourd’hui que 1 fragment de messe de Requiem à 5 voix, 5 psaumes de De Baïf, 4 motets latins, 2 pièces religieuses sur des paroles françaises, les Chansonnettes mesurées (Le Roy et Ballard, 1586), 2 airs publiés dans le 5e Livre de G. Bataille (1614). MAUERSBERGER (Rudolf), compositeur et chef de choeur allemand (Mauersberg, Erzgebirge, 1889 - Dresde 1971). Il étudia le piano et l’orgue au conservatoire de Leipzig (1912-1914 et 1918-19), occupa divers postes à Aix-la-Chapelle (1919-1925) et en Thuringe, où il donna à l’interprétation de Bach un nouvel essor, et, de 1930 à sa mort, fut maître de choeur à la Kreuzkirche de Dresde. À la tête du célèbre Kreuzchor de cette ville, il effectua en Europe et aux États-Unis de nombreuses tournées, donnant de mémorables interprétations de pages contemporaines de Distler ou de Pepping, mais surtout de l’oeuvre de Heinrich Schütz, dont il a laissé des enregistrements, en particulier de la Geistliche Chormusik de 1648. Comme compositeur, Mauersberger a écrit notamment une Passion selon saint Luc (1947) et un Dresdner Requiem pour 3 choeurs a cappella, voix de garçons solistes, instruments à vent et orgue (1948), donné tous les ans par le Kreuzchor le 13 février, jour anniversaire du bombardement de Dresde en 1945. downloadModeText.vue.download 636 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 630 MAUGARS (André), violiste français (Paris v. 1580 - id. v. 1645). En 1620, il se rendit en Angleterre et entra à la musique du futur roi Charles Ier. Revenu en France en 1625, il fut engagé par Richelieu et devint bientôt l’un des violistes virtuoses les plus célèbres de France. Il voyagea en Espagne, puis en Italie, où il écrivit sa Réponse faite à un curieux sur le sentiment de la musique d’Italie, datée à Rome le 1er octobre 1639. Ce violiste, dont Mersenne et Jean Rousseau vantèrent la virtuosité, ne composa aucune oeuvre pour son instrument. MAURANE (Camille), baryton français (Rouen 1911). Il fut l’élève de Claire Croiza au Conservatoire de Paris. Doué d’une voix de baryton claire et légère, il a surtout fait carrière au concert, où sa musicalité, son intelligence, sa diction parfaite l’ont affirmé comme un des meilleurs interprètes de la mélodie française, tout de suite après la guerre. Au théâtre, il fut un interprète remarqué du rôle de Pelléas, auquel son registre vocal et son expressivité convenaient particulièrement. MAUREL (Victor), baryton français (Marseille 1848 - New York 1923). Il étudia au Conservatoire de Paris, et fit ses débuts à l’Opéra dans les Huguenots en 1868 (rôle de Nevers). Il s’éleva peu à peu aux rôles importants et commença une carrière internationale : Saint-Pétersbourg, Le Caire, Venise, puis Milan. Il débuta à la Scala en 1870, dans Il Guarany de Gomez. En 1887, Verdi le choisit pour créer Iago dans Othello et Falstaff en 1893. Entre-temps, il aborda Wagner, créant Telramund de Lohengrin et le Hollandais du Vaisseau fantôme à Londres en 1875 et 1878. Sa voix n’était pas exceptionnelle, mais il s’en servait avec un art extrême et son talent d’acteur était considérable. Il termina d’ailleurs sa carrière dans le théâtre parlé. À partir de 1909, il enseigna le chant à New York. Il a écrit plusieurs ouvrages sur le chant, la mise en scène, ainsi qu’une autobiographie, À propos de la mise en scène du drame (Rome, 1888), Dix Ans de carrière (Paris, 1897 ; rééd., 1977). MAW (Nicholas), compositeur anglais (Grantham 1935). Il a étudié avec Lennox Berkeley à la Royal Academy of Music (1955-1958) et en France avec Nadia Boulanger et Max Deutsch (1958-59), ayant obtenu le prix Lili-Boulanger pour Nocturne, pour mezzo-soprano et orchestre de chambre (1958 ; rév., 1973). Soumis à la fois aux influences sérielles et à celles de Britten et Bartók, il en tenta une synthèse dans Essay pour orgue (1961, rév., 1963), puis, surtout, dans Scenes and Arias, pour 3 voix de femmes et grand orchestre (1961-62, rév., 1966). Suivirent, notamment, 1 Sinfonia, pour petit orchestre (1966), 1 Sonate, pour cordes et 2 cors (1967), l’opéra bouffe en 2 actes One Man Show (1964 ; rév., 1966) et l’opéra en 3 actes The Rising of the Moon (1967-1970). Puis s’ouvrit une période plus expérimentale, avec, notamment, Life Studies I-VIII, pour 15 cordes solistes (1973-1976), Personae I-III, pour piano (1973), et Odyssey, pour grand orchestre (1973-1987, création intégrale en 1989). Citons encore : une Sérénade, pour petit orchestre (1973 ; rév., 1977), La Vita Nuova, pour soprano et ensemble de chambre (1979) et The Ruin, pour double choeur et cor soliste (1980). MAXIME. Dans la notation proportionnelle des XIVe et XVe siècles, la plus longue des figures de note, d’emploi exceptionnel, valant 2 ou 3 longues, employée surtout en finale avec valeur de point d’orgue ; on dit aussi double longue. MAXIXE. Danse brésilienne, et plus particulièrement de Rio de Janeiro, non sans rapport avec le tango, et ayant assimilé par la suite les éléments mélodicorythmiques de la polka et de la habanera, sur les syncopes caractéristiques de la musique populaire brésilienne. Elle gagna les autres pays d’Amérique latine, puis l’Europe, au cours de la Première Guerre mondiale. Gershwin (dans Un Américain à Paris) fait une spirituelle allusion à la maxixe, qui avait alors conquis la France. MAY (Angelica Petry-May, dite Angelica), violoncelliste allemande naturalisée autrichienne (Stuttgart 1933). Elle étudie d’abord le piano et le violon à la Musikhochschule de Stuttgart. En 1954, elle travaille avec Pablo Casals. Depuis 1960, elle mène une carrière de soliste avec les plus grands orchestres européens, et se passionne pour le répertoire germanique du XXe siècle. Elle exhume, en 1977, un Concerto pour violoncelle de Hindemith, et joue les oeuvres de Werner Egk et Gottfried von Einem. Elle fonde l’OdeonTrio avec le pianiste Leonard Hokanson et le violoniste Kurt Guntner, avec lesquels elle enregistre les trios de Brahms. Depuis 1984, elle enseigne à la Hochschule für Musik de Vienne. MAYR (Johann Simon), compositeur allemand naturalisé italien (Mendorf, Bavière, 1763 - Bergame 1845). Fils d’un organiste d’Ingolstadt, il bénéficia de son enseignement, pratiqua divers instruments et étudia la théologie. Il fut ensuite l’élève de Lenzi à Bergame en 1789, puis se perfectionna à Venise avec Giuseppe Bertoni, élève du père Martini et successeur de Galuppi à Saint-Marc. C’est là que Mayr fit exécuter ses premières oeuvres de musique sacrée, puis son opéra Saffo (1794) et une farsa, Che originali (1798), dont le succès détermina sa vocation théâtrale. Il succéda en 1802 à Lenzi comme maître de chapelle à Bergame, où il se fixa, refusant diverses offres flatteuses, dont celle de remplacer Lesueur à la tête du Conservatoire de Paris. Il fonda en 1805 un institut musical, où il eut notamment pour élève Donizetti, de 1806 à 1815. Il créa encore en 1822 une société philarmonique dédiée à la divulgation du répertoire classique allemand, et, frappé de cécité en 1826, dut cesser ses activités de façon prématurée. Grâce à ses opere serie, Mayr occupe une place de premier plan dans l’évolution du genre, entre la disparition ou le retrait de Mozart, Cimarosa et Paisiello et l’apparition de Rossini. Au contraire de Cherubini, Spontini et Paër, qui avaient quitté leur pays, il assimila le style vocal et les structures lyriques de l’Italie et leur joignit une science de l’orchestration acquise à l’ombre de l’école de Mannheim, et grâce à sa connaissance de Haydn, de Mozart et de Gluck, puis de Cherubini. Continuateur de Hasse, il parvint néanmoins à ébranler l’édifice de l’opéra métastasien par l’emploi plus fréquent du récitatif accompagné, par le choix de structures ouvertes, qui incorporaient parfois le choeur à l’action elle-même, par une harmonie dérivée de celle de Mozart et par l’élargissement de l’effectif orchestral, où, avant Spontini et Rossini, et bien avant Berlioz, il incorpora le cor anglais, la harpe, certaines percussions, etc., accordant une attention particulière aux bois, et leur confiant de nombreux traits de virtuosité. Si nous y ajoutons l’usage du crescendo orchestral, nous constatons que Mayr fut le plus important des prédécesseurs de Rossini, et un auteur ouvert aux courants les plus variés ; il s’inspira de Goldoni, de Voltaire, des auteurs français de style larmoyant. Sa science fit oublier ce que son inspiration mélodique avait de trop traditionnel. Outre de nombreuses oeuvres de musique sacrée et une production instrumentale originale et variée dans le choix des instruments, on doit à Mayr environ 70 opéras, parmi lesquels Lodoïska (1796), Ginevra di Scozia (1801), qui fut tenu pour son chef-d’oeuvre, I Misteri Eleusini (1802), L’Amor conjugale (1805), d’après le livret de Bouilly à l’origine du Fidelio de Beethoven, Adelasia e Aleramo (1806), Raoul de Créquis (1809), La Rosa rossa e la Rosa bianca (1813), Medea in Corinto (1813), qui éclipsa longtemps l’oeuvre homonyme de Cherubini, Fedra (1820) et Demetrio (1824). downloadModeText.vue.download 637 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 631 Mayr écrivit aussi une monographie sur Joseph Haydn (Bergame, 1809). MAYR (Richard), basse autrichienne (Salzbourg 1877 - Vienne 1935). D’abord orienté vers la médecine, il se tourna vers une carrière de chanteur sous l’influence de Mahler, chanta le rôle de Hagen, dans le Crépuscule des dieux, à Bayreuth en 1902, et fit ensuite ses débuts à l’Opéra de Vienne, où il se produisit plusieurs années sous la direction de Mahler. Grand interprète de Strauss, en particulier du rôle du baron Ochs du Chevalier à la rose, il chanta Barak lors de la création de la Femme sans ombre (1919), et participa à tous les festivals de Salzbourg de 1921 à 1934. Son timbre était riche et sonore, et il possédait un grand sens de la déclamation. MAYSEDER (Joseph), violoniste, pédagogue et compositeur autrichien (Vienne 1789 - id. 1863). Enfant prodige (un de ses concertos fut joué en décembre 1803 et Haydn signa un certificat en sa faveur en novembre 1805), il devint second violon du Quatuor Schuppanzigh et occupa de nombreux postes officiels, dont celui de directeur musical de la chapelle impériale (1836- 1837). Virtuose accompli, très recherché comme pédagogue, admiré de Paganini, il n’effectua cependant aucune tournée et ne donna que très peu de concerts. MAYUZUMI (Toshiro), compositeur japonais (Yokohama 1929). Il a fait ses études à Tky, puis avec Tony Aubin à Paris (1951-52), où il se familiarisa aussi avec l’univers de Messiaen et de Boulez. De retour au Japon, il introduisit et utilisa dans ce pays les techniques de l’avant-garde occidentale : sérialisme, aléatoire, musique concrète (X, Y, Z, 1955), musique électronique (Shusaku I, 1955), instruments préparés (Pièces pour piano préparé et quatuor à cordes, 1957). Parallèlement, il s’intéressa de près aux musiques de son pays (à leurs sonorités, à leurs rythmes). Dans la Nirvana Symphony pour choeur d’hommes à 12 voix et orchestre (1958), il s’inspira de la sonorité des cloches de temples bouddhistes. La Mandala Symphony pour orchestre (1960) trouve ses racines dans la philosophie bouddhiste. Bugaku pour orchestre (1962) reprend les sonorités et les rythmes des anciennes danses de cour portant ce nom. Citons encore le poème symphonique Samsara (1962), Showa Tenp yoraku pour ensemble de gagaku (1970), et le poème symphonique Tateyama (1974). MAZURA (Franz), baryton autrichien (Salzbourg 1924). Formé à Detmold, il étudie le théâtre en plus du chant, ce qui explique ses qualités scéniques. En 1949, il débute à Cassel et devient membre des troupes d’opéras de Mayence, Brunswick et Mannheim. En 1961, il rentre à la Deutsche Oper et, en 1970, chante Fidelio à Salzbourg sous la direction de Karl Böhm. Dès 1971, il incarne Gunther dans le Crépuscule des dieux à Bayreuth, et c’est comme wagnérien qu’il s’impose sur le plan international. En 1972, il apparaît à l’Opéra de Paris où il chante régulièrement : de 1976 à 1978, il y aborde Albérich avec Solti, et en 1979 il est le Doktor Schön de la version intégrale de Lulu de Berg, mise en scène par Chéreau. Célèbre Wotan, il chante aussi Moïse et Aaron, Parsifal avec James Levine, et, en 1993, participe à la redécouverte du Kaiser Atlantis de Viktor Ullmann, une oeuvre composée dans le camp de concentration nazi de Theresienstadt. MAZURKA. Danse populaire à 3 temps, originaire de la province de Mazurie (Pologne). Très complexe sur le plan chorégraphique, car elle comporte un grand nombre de figures, cette danse de caractère galant, du moins à l’origine, n’a jamais connu la popularité de la valse ou de la polka. Mais elle a conquis toute l’Europe en tant que genre musical, à l’époque romantique, grâce à Frédéric Chopin et quelques autres grands compositeurs. MAZZOCCHI, famille de compositeurs italiens. Domenico (Civita Castellana 1592 - Rome 1665). Après des études dans sa ville natale, il entra dans les ordres et s’installa à Rome, où en 1621, probablement, il entra au service du cardinal Ippolito Aldobrandini, ce qui marqua le début d’une longue association avec divers membres de la famille de cet homme d’Église. Protégé par les papes Urbain VIII et Innocent X, il fut essentiellement un compositeur de musique vocale. Un seul de ses opéras a survécu, La catena d’Adone (1626), dédié au prince Giovanni Giorgio Aldobrandini, frère du cardinal. On lui doit notamment 7 oratorios latins, publiés dans ses Sacrae concertationes (Rome, 1664), mais datant vraisemblablement des années 1630 ; l’oratorio italien Coro di profeti (av. 1638) ; et divers recueils comme ceux des Poemata (Rome, 1638), sur des textes latins d’Urbain VIII, des Dialogui e sonetti (Rome, 1638), dont 2 sur des textes latins tirés de l’Énéide de Virgile, des Madrigali (Rome, 1638), sur des poèmes des XVIe et XVIIe siècles et des Musiche sacre, e morali (Rome, 1640), également d’après des poètes contemporains ou presque, dont le Tasse. Virgilio, compositeur, frère du précédent (Civita-Castellana 1597 - id. 1646). Après avoir renoncé à continuer sa carrière ecclésiastique, il part à Rome étudier avec son frère. Il est ensuite maître de chapelle successivement à la Chiesa del Gesù du Collegio romano en 1628, à Saint-Jean-deLatran en 1628-29 et, enfin, à la Cappella Giulia de Saint-Pierre jusqu’à sa mort. Comme tout bon musicien, il maîtrise parfaitement les différents styles de son temps, mais fait partie de l’avant-garde dans plusieurs domaines. De par ses fonctions, il compose beaucoup de musique sacrée et sa célébrité provient surtout de ses grandes oeuvres polychorales. Il est un des pionniers de ce style polyphonique grandiose, qui devait faire la renommée de l’école romaine par la suite. Il ne néglige pas pour autant des genres plus intimes et écrit un certain nombre de cantates et d’oratorios pour des formations à effectifs réduits. Enfin, il compose plusieurs opéras pour les Barberini, dont Chi soffre speri (1637 ; rév., 1639), écrit en collaboration avec Marco Marazzoli, et qui est considéré comme la première comédie musicale. MÉCANIQUE (musique). Technique de reproduction mécanique du son d’un instrument. L’un des principes de base de la musique mécanique est le rouleau, ou cylindre, percé de trous dans lesquels viennent s’emboîter des chevilles, ou taquets. Il apparaît dès le XIVe siècle dans les carillons mécaniques du nord de la France et des Flandres. Le XVIe siècle voit le développement des orgues mécaniques hydrauliques à jeux de flûte, domaine dans lequel règnent pendant deux siècles les maîtres allemands, en particulier ceux d’Augsburg. Au XVIIIe siècle, se multiplient les instruments mécaniques sous forme d’automates (ceux de Vaucanson sont restés célèbres, comme le Flûteur et le Provençal), de montres, de tabatières, et apparaissent des pendules à musique, avec carillon et automates. Ces instruments, créés en Suisse par les Jaquet-Droz, peu après 1750, se répandent dans tout le pays, puis en France et en Allemagne (plus particulièrement dans la Forêt-Noire), où on préfère, peu à peu, au système du carillon celui du jeu de flûte des orgues. Leur succès est tel que des musiciens comme Mozart et Haydn composent des pièces pour ces horloges. On voit fleurir, à la même époque, nombre d’ouvrages théoriques sur la musique mécanique, en particulier celui intitulé la tonotechnie ou l’art de noter les cylindres et tout ce qui est susceptible de notage dans les instruments de concert mécaniques du père Engramelle (Paris, 1775). On commence alors à voir des mécanismes imitant non plus un instrument, mais tout un groupe et parfois même un petit orchestre. L’instrument le plus important à cet égard est le panharmonikon (ou panmelodikon) du Viennois J. N. Maelzel, downloadModeText.vue.download 638 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 632 destiné à remplacer une harmonie entière (42 instruments à vent et à percussion), et pour lequel Beethoven composera la Bataille de Vittoria. Le XIXe siècle voit se développer deux types de mécanismes. Les premiers orgues de Barbarie (du nom de leur inventeur Barberi) apparaissent en Italie et se répandent, en particulier, à Paris après l’arrivée en 1845 de la famille Gavioli. Cette maison révolutionne la technique en remplaçant, en 1892, le cylindre par un système de cartons perforés pliés sur eux-mêmes et passant par les becs d’un clavier, ce qui permet de graver des pièces très longues. Parmi les facteurs les plus importants, citons les Limonaire, les Mareughi et les Gasparini. À la même époque, l’industrie des pendules à musique à jeux de flûte de la Forêt-Noire, en voie de disparition, laisse la place à celle des orchestrions. Leur inventeur, Michael Welte, produit en 1848 un orchestrion géant de 524 tuyaux d’orgue, reproduisant tous les timbres et toutes les nuances possibles. On commence alors à se préoccuper de plus en plus de problèmes d’enregistrement et de reproduction du son. Le piano pneumatique, ou pianola, permet, au moyen d’un rouleau de carton se déroulant sous le clavier, d’enregistrer une oeuvre en perforant le carton lors de l’exécution, et de reproduire l’interprétation en repassant le rouleau et en actionnant la soufflerie. L’instrument de ce type le plus élaboré est le piano Welte-Mignon. L’invention du phonographe par Edison en 1877 va révolutionner l’industrie de la musique mécanique. Elle bénéficie encore d’une certaine vogue, au début du siècle, avec les grands orgues de foire et les violons mécaniques (violina), mais sera vite détrônée par l’évolution très rapide des moyens modernes de reproduction du son. MÈCHE. Ensemble des crins de l’archet (provenant souvent d’étalons blancs), que l’on passe sur les cordes. On tend la mèche au moyen d’une vis placée dans la hausse. MÉDIANTE. Dans le système tonal ou modal, c’est la troisième note de la gamme. C’est la tierce de l’accord parfait construit sur la tonique (par exemple, en do majeur, la médiante est le mi, tierce de do-mi-sol). Son nom vient de ce qu’elle est à « mi-chemin » entre la tonique et la dominante. MÉDIUM. Registre moyen - une octave environ - de la voix d’un chanteur. Ce devrait être aussi le meilleur, puisqu’il correspond à la tessiture naturelle, mais il est parfois gâté par des efforts inconsidérés vers le grave ou, surtout, l’aigu. MEDTNER (Nicolas), pianiste et compositeur russe (Moscou 1880 - Londres 1951). Il fit ses études au conservatoire de Moscou avec Pabst, Sapelnikov, puis Safonov (piano), Taneiev (contrepoint et fugue), Arensky (composition). Il entreprit une carrière de virtuose, enseigna au conservatoire de Moscou (1909-10, puis 1914-1921), avant d’émigrer en 1921. Il continua ses tournées en Occident et en Amérique du Nord. À partir de 1936, il vécut en Angleterre, en partie à cause de l’accueil médiocre fait à sa musique en France. La majeure partie de son oeuvre est écrite pour piano : nombreuses sonates, contes (oeuvres recelant un programme non formulé), pièces diverses (improvisations, arabesques, thèmes et variations), 3 concertos. Il a aussi composé de nombreuses mélodies. Influencé par les romantiques allemands (Schumann et Brahms surtout), opposé aux recherches modernistes, Medtner possède un langage qui lui est particulier et qui privilégie les enchaînements harmoniques inattendus à l’intérieur du système tonal. Sans avoir une personnalité aussi caractérisée que celle de Rachmaninov (auquel son style pianistique s’apparente parfois), ni a for- tiori celle de Scriabine, Medtner peut être nommé à leur suite pour son apport à la musique de clavier russe. Medtner a laissé plusieurs enregistrements de ses oeuvres. Son ouvrage d’esthétique musicale Mouza i moda (« la Muse et la mode », Paris, 1935 ; rééd., 1978) est un pamphlet contre la musique contemporaine. Il est également l’auteur d’un ouvrage didactique, Travail quotidien du pianiste et du compositeur (Moscou, 1963). MEESTER (Louis de), compositeur belge (Roeselare 1904 - Gand 1987). Autodidacte, il travaille avec Absil. Directeur du conservatoire de Meknès, puis collaborateur de la radio belge, il est directeur du studio de musique électronique de l’université de Gand. Parti d’un néoromantisme haut en couleur où l’ironie, la farce et le sérieux ont souvent frôlé l’expressionnisme, il a évolué vers les techniques plus modernes (dodécaphonisme et musique concrète). Ses oeuvres comprennent des pièces d’orchestre (dont 2 concertos pour piano), 3 quatuors, des mélodies et cantates et 1 opéra radiophonique, la Grande Tentation de saint Antoine, d’après De Ghelderode (prix Italia 1957). MÉFANO (Paul), compositeur français (Bassora, Iraq, 1937). Il a fait ses études d’abord à l’École normale de musique de Paris dans la classe d’Andrée Vaurabourg-Honegger, puis au Conservatoire de Paris, notamment avec Darius Milhaud (composition) et Olivier Messiaen (analyse), de 1960 à 1964. Il a aussi suivi l’enseignement de Pierre Boulez à l’Académie de musique de Bâle (composition, analyse et direction d’orchestre), de Karlheinz Stockhausen et de Henri Pousseur. Ses premières oeuvres témoignent d’une assimilation en profondeur de l’esthétique de Pierre Boulez. Ce sont Incidences pour orchestre et piano (1960 ; rév., 1966, création à Paris, 1967) ; Quadrature pour choeurs et orchestre (196061) ; Madrigal pour 3 voix de femmes et petit ensemble, d’après Paul Eluard (1962, création à Royan, 1972) ; Mélodies pour soprano et divers ensembles de chambre (1962-63, création à Royan, 1974) ; et Paraboles pour soprano dramatique et ensemble de chambre, d’après Yves Bonnefoy (1964, création à Paris, 1965). Suivirent Interférences pour cor principal, piano et ensemble de chambre, ouvrage dédié à Olivier Messiaen (1966, création à Royan la même année) ; Aurelia pour 70 amateurs (1970), et Lignes pour voix de basse noble, cuivres, percussions, basson et contrebasse amplifiée, sur un texte du compositeur (1968, création la même année à Royan). De 1966 à 1968, Méfano fut artiste en résidence aux États-Unis, ce qui lui permit d’étudier la musique javanaise et balinaise à l’université de Californie (Los Angeles), et, en 1968-69, il séjourna à Berlin. Revenu en France, il composa la Cérémonie pour haute-contre, baryton, soprano, 3 groupes d’orchestre et choeurs parlés (1970, création à Royan la même année). Suivirent Old OEdip, oeuvre théâtrale pour 2 récitants et bande magnétique (1970), Intersection, musique électronique à 6 pistes (1970, création aux Semaines de musique contemporaine d’Orléans, 1971), BiFunction pour 2 musiciens, appareillage électroacoustique, bande magnétique et modulateur à anneaux (1971), la Messe des voleurs... les voleurs de messe pour 4 voix solistes, 3 cuivres, 3 bois, 3 cordes, 3 percussions, orgue Hammond, magnétophone à 6 pistes, appareillage électroacoustique et modulateur à anneaux (1972, création à Royan la même année), Would you like it pour 12 instrumentistes (1972), et Signes/Oubli pour 20 musiciens (1972, création à Metz la même année). En 1971, Méfano créa le Collectif musical international 2e2m, ce qui lui a permis de mener depuis, en tant qu’animateur, professeur et chef d’orchestre, de multiples actions en faveur de la musique contemporaine, notamment à Champigny. À la tête de cet ensemble, il a joué un rôle esdownloadModeText.vue.download 639 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 633 sentiel pour imposer à Paris et à l’étranger de jeunes compositeurs qui avaient été révélés au festival de Royan à partir de 1973, comme Brian Ferneyhough, Giuseppe Sinopoli, Hugues Dufourt ou Philippe Manoury. Parallèlement, il a poursuivi ses activités de créateur avec, entre autres, N pour flûte seule, appareillage électroacoustique et modulateurs à anneaux (1973, création la même année à Champi- gny), They pour un chanteur (enregistrement d’une voix seule superposée en 12 pistes magnétiques, 1974), Ondes/Espaces mouvants pour 10 instrumentistes (1975, création à Metz la même année ; rév., 1976), Éventails pour flûte basse amplifiée (1976), Mouvement calme pour quatuor à cordes (1976), Placebo Domino in regione vivorum, motet à 6 voix (1976), À Bruno Maderna pour cordes et bandes magnétiques (1974 ; création 1977), Périples, pour saxophone(s), pour les soixante-dix ans d’Olivier Messiaen (1978), Gradiva, pour flûte octobasse et bande magnétique (1978), Micromégas, opéra de chambre d’après Voltaire (1979, créé à Avignon en 1988), et Traits suspendus, pour flûte contrebasse amplifiée (1980), Voyager pour orchestre (1989), Dragonbass pour voix de basse, deux saxophones et dispositif électroacoustique (1993). MEHTA (Zubin), chef d’orchestre indien (Bombay 1936). Renonçant à une première vocation de médecin, il se tourne vers la musique, initié par son père, Mehli Mehta, violoniste et fondateur de l’Orchestre symphonique de Bombay. En 1954, il étudie à l’Académie de musique de Vienne le piano, la contrebasse, la percussion et la direction d’orchestre (avec Hans Swarowsky). Il fait ses premiers pas de chef, en 1958, à la tête de l’orchestre de l’Académie. Lauréat, la même année, du concours de Liverpool, il est, pour un an, chef assistant du Royal Philharmonic Orchestra. Il parfait sa formation à l’Academia musicale Chigiana de Sienne, avec C. Zecchi et A. Galliera, et au Berkshire Music Center de Tanglewood, avec E. de Carvalho. En 1959, il dirige l’Orchestre philharmonique de Vienne. Amené à remplacer au pied levé I. Markevitch à la tête de l’Orchestre symphonique de Montréal, il en devient le directeur musical de 1960 à 1967, et succède en 1962 à Fritz Reiner à la tête de l’Orchestre philharmonique de Los Angeles. Il participe à de nombreux festivals (Hollande, Prague, Vienne, Spolète, Salzbourg, Orange) et se produit sur les scènes du Metropolitan Opera de New York (1965), de la Scala de Milan (1966) et du Mai musical florentin (1969). Conseiller musical de l’Orchestre philarmonique d’Israël en 1968, il en devient directeur musical à vie en 1981 (il est le premier à avoir osé en 1981 diriger du Wagner en Israël), et succède en 1978 à Pierre Boulez à la tête de l’Orchestre philharmonique de New York. Déroutant par sa fringale musicale et l’éclectisme de ses choix, Mehta se montre plus convaincant en concert, où son goût d’une certaine volupté sonore trouve un juste emploi, surtout dans le répertoire postromantique, que dans les disques qu’il accumule. MÉHUL (Étienne-Nicolas), compositeur français (Givet 1763 - Paris 1817). Dès l’âge de dix ans, il fut organiste suppléant aux orgues de l’église des franciscains de Givet, puis, en 1776, à celles du couvent de Laval-Dieu, où il fut élève de Wilhelm Hanser. En 1778, il se rendit à Paris, où, soigneusement recommandé, il put trouver des places de maître de musique. Son Ode sacrée, exécutée au Concert spirituel en 1782, attira l’attention sur lui. Il fut présenté à Gluck, qui décela ses talents dramatiques, le fit travailler et l’orienta vers le théâtre. En 1790, l’OpéraComique représenta son Euphrosine, dont la vigueur dramatique lui valut un franc succès, qui se renouvela l’année suivante à l’Opéra avec Alonzo et Cora, composé depuis 1785. Dès lors, Méhul se consacra essentiellement à l’opéra, à l’opéra-comique et au ballet. Lors de la Révolution française, bien que moins engagé que Gossec, il apporta sa contribution aux fêtes patriotiques avec quelques oeuvres pleines de feu comme le célèbre Chant du départ, entendu le 4 juillet 1794, ou le Chant du 25 Messidor, exécuté le 14 juillet 1800 aux Invalides et utilisant 3 choeurs, 2 orchestres et 1 choeur de femmes accompagné de harpes. Il fut l’un des quatre inspecteurs du Conservatoire, lors de sa fondation en 1795. En 1795, il fut le premier musicien à entrer à l’Institut. Malgré toutes ces activités, il ne cessait de composer, avec des succès inégaux. Le Jeune Henri, représenté en 1797, vit son ouverture bissée dans l’enthousiasme, et le premier acte sifflé dans la colère, car le héros de l’ouvrage est un roi. Ariodant et Adrien, en 1799, furent deux grands succès. En revanche, Joseph, en 1807, fut accueilli assez froidement, et ne connut la faveur qu’après s’être imposé en Allemagne. Primé par Napoléon comme le meilleur ouvrage lyrique de l’année, Joseph resta l’oeuvre maîtresse de Méhul, avec l’Irato (1801), cette étourdissante bouffonnerie présentée comme un pastiche de Paisiello. Tous les ouvrages de Méhul, dont aussi Uthal (1806), font preuve de sa science de l’instrumentation, de son sens d’un romantisme naissant et de son invention mélodique. Cependant, son étoile pâlit rapidement face aux succès de Spontini. Atteint de phtisie, il se rendit à Hyères, espérant y guérir, mais mourut peu après son retour à Paris, laissant à son neveu Daussoigne le soin de terminer son dernier ouvrage, Valentine de Milan, que l’Opéra-Comique représenta en 1822. Ses 2 symphonies en sol mineur (1809) et en ré majeur (1809), la seconde surtout, sont de remarquables spécimens du genre. Deux autres existent (mi majeur, ut majeur). MEIER (Waltraud), mezzo-soprano allemande (Würzburg 1956). Elle commence ses études à Cologne avec le professeur Jacob, qui suit toujours son travail. Elle débute en 1976 à Würzburg et est, de 1978 à 1980, à Mannheim. Elle s’impose rapidement comme une grande wagnérienne. Depuis 1983, elle est une invitée permanente du Festival de Bayreuth, où elle chante Kundry, Brangaene, Waltraute et Fricka. Présente sur toutes les grandes scènes du monde, elle fait ses débuts au Metropolitan en 1987. En 1990, elle participe à un cycle Mahler à Tokyo, avec Giuseppe Sinopoli. En 1992, elle est Marie dans Wozzeck au Châtelet, mis en scène par Patrice Chéreau. Elle étend son répertoire à Richard Strauss, Berlioz, Elvira dans Don Giovanni et à l’opéra italien. En 1996, elle aborde Aïda, Don Carlos et Carmen. MEISTERSANG ou MEISTERGESANG. Ce terme désigne la production poéticomusicale des Meistersinger. Ceux-ci, réunis en corporation, ont exercé leur art du XIVe au XVIIIe siècle, principalement dans les villes impériales d’Allemagne du Sud. Les plus anciennes écoles furent celles de Mayence (1315), d’Augsbourg (1449), de Nuremberg (1550) et de Strasbourg (1492). Les Meistersinger formaient ainsi dans ces divers centres des associations comparables à celles des confréries pieuses du Moyen Âge tardif. Chaque école conservait une « tablature », qui consignait l’ensemble des règles de versification et d’interprétation auxquelles les chants étaient soumis lors de concours. Le Meistersang se présente comme un chant monodique non accompagné, dont la déclamation est le plus souvent sylla- bique. La strophe (Bar) comprend généralement trois parties : les deux Stollen de facture mélodique identique, l’Abgesang dont le caractère métrique diffère en principe du Stollen et, enfin, la reprise mélodique du Stollen ou la fin de celui-ci. La majeure partie des poèmes s’inspire de motifs théologiques, tandis que les thèmes profanes à contenu moralisant traduisent une conception du monde teintée d’un profond pessimisme. Parmi les représentants les plus illustres du Meistersang figurent Michel Behaim (1416-1474) et H. Sachs (1494-1576). MÉLANGES. Volume édité en hommage à une personnalité (en général un musicologue) et comprenant une série d’articles rédigés par ses « collègues et amis », soit autour downloadModeText.vue.download 640 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 634 d’un thème ou de divers thèmes précis (en principe de la spécialité de la personnalité honorée), soit sur de thèmes choisis librement. En allemand « Festschrift ». MELARTIN (Erkki), compositeur finlandais (Käkisälmi 1875 - Pukinmäki 1937). Élève de Wegelius à l’Institut musical (future Académie Sibelius) d’Helsinki, il lui succéda en 1911 à la direction de l’établissement, conservant ce poste jusqu’en 1936. Il fut le premier à diriger Mahler en Finlande, et est l’auteur notamment de l’opéra Aino (1907, créé en 1909), de quatre quatuors à cordes et de huit symphonies, dont deux inachevées (de 1902 à 1925). MELBA (Nelly), soprano australienne d’origine écossaise (Melbourne 1861 Sydney 1931). Elle étudia à Paris avec la célèbre Mathilde Marchesi, dont elle devait devenir la plus brillante élève. Elle fit ses débuts à la Monnaie de Bruxelles en 1887, dans le rôle de Gilda de Rigoletto de Verdi. L’année suivante, elle parut à Londres, dans celui de Lucia di Lammermoor de Donizetti. Ses triomphes furent tels que, pendant près de quarante ans, elle fut « prima donna assoluta » à Covent Garden, décidant de l’engagement des artistes et de la distribution des rôles. Cela ne l’empêcha pas de mener une carrière internationale qui la conduisit aux États-Unis, en France, en Italie et même en Russie. Le répertoire de Melba était essentiellement italien (Lucia di Lammermoor, la Traviata, Rigoletto, la Bohème, Otello), et français (Faust, Roméo et Juliette, Hamlet). Elle aborda pourtant Lohengrin et même Siegfried de Wagner (ce dernier ouvrage une fois seulement). Sa voix était d’une beauté exceptionnelle et sa technique prodigieuse tant du point de vue de l’émission que de l’agilité qui lui permettait d’admirables fioritures. Son goût musical, la pureté de son style, une diction parfaite compensaient la froideur de son jeu d’actrice. MELCHIOR (Lauritz), ténor danois (Copenhague 1890 - New York 1973). Il débute comme baryton à Copenhague en 1913 (Silvio dans Paillasse) et continue de chanter ces emplois pendant quatre ans. Après encore un an de travail, il fait ses seconds débuts comme ténor dans Tannhäuser en 1918. De 1921 à 1929, il poursuit ses études de chant avec Anna Bahr-Mildenburg ; et, en 1924, il incarne Siegmund et Parsifal à Bayreuth. Il y reviendra chaque année jusqu’en 1931. Entre-temps, Lauritz Melchior devient le plus célèbre ténor wagnérien de l’époque. Il abandonne peu à peu ses autres rôles, Radamès, Paillasse, Jean dans le Prophète, Florestan dans Fidelio, où il a pourtant triomphé, afin de se consacrer plus exclusivement à Tristan et à Siegfried, qui seront les personnages de prédilection. À partir des années 30, le Metropolitan Opera de New York est son principal port d’attache. Il y fait ses adieux en 1950 dans Lohengrin. Avec le recul, Melchior apparaît comme le plus grand ténor wagnérien que le monde ait connu. Sa voix était prodigieuse d’ampleur et de facilité, parfaitement égale sur toute l’étendue de son registre, avec un timbre d’une richesse sans égale. Ses demi-teintes forçaient l’admiration aussi bien que ses éclats de vaillance, et ses interprétations étaient toujours passionnantes, malgré un physique toutefois peu crédible. MÉLISMATIQUE. Caractère d’un morceau dont l’usage systématique de mélismes d’une certaine ampleur est l’une des caractéristiques essentielles. Le chant mélismatique s’oppose au chant syllabique, dans lequel à chaque syllabe correspond en principe une note et une seule, sauf à y glisser de temps à autre un court mélisme de faible amplitude. Ces deux styles de chant sont particulièrement tranchés dans le grégorien, où le style mélismatique culmine dans les graduels, répons, alléluias, et le style syllabique dans les antiennes ordinaires et les cantillations psalmodiques. MÉLISME (gr. melisma, dérivé de melos à travers melizo, « chanter sans paroles », le plus souvent avec un instrument). Terme désignant, dans une pièce chantée, un groupe de notes réunies sur une même syllabe et rappelant ainsi la mélodie instrumentale. Le mélisme se distingue de la vocalise par son caractère occasionnel et sa dimension plus restreinte ; en outre, il n’inclut pas, comme souvent la vocalise, de notion de virtuosité, bien qu’il présente parfois lui aussi un caractère vraiment ornemental. Par analogie, on appelle aussi mélisme, dans la musique instrumentale, un groupe de notes ornementales venant agrémenter la mélodie sans en altérer la structure. MELKUS (Eduard), violoniste autrichien (Baden, près de Vienne, 1928). De 1943 à 1953, il étudie le violon à l’Akademie für Musik und darstellende Kunst, et la musicologie à l’université de Vienne. Il travaille ensuite le violon à Paris avec F. Touche, à Zurich avec Schaichet et à Winterthur avec Peter Rybar. Il est alto solo dans l’orchestre de Tonhalle de Zurich (1955-56), dans l’orchestre de Winterthur (1957), et premier violon dans le nouveau Quatuor à cordes de Zurich. En 1958, il est nommé professeur de violon à l’Akademie (actuellement Hochschule) für Musik und darstellende Kunst de Vienne. En 1965, il fonde la Capella academica de Vienne, dont les musiciens utilisent uniquement des instruments d’époque. Il a publié des articles sur le violon et le livre le Violon (Lausanne, 1972). MELLERS (Wilfrid), compositeur et musicologue anglais (Leamington 1914). Élève à l’université de Cambridge (19331938), il étudia en même temps la composition à Oxford avec E. Wellesz et E. Rubbra. Il fit ensuite une carrière d’enseignant, débutant à Dartington Hall avant d’être nommé à Downing College (Cambridge), puis à l’université de Birmingham et à celle de Pittsburg (États-Unis). En 1964, il fut nommé professeur de musique à l’université de York, et il y resta jusqu’en 1981, année où il devint directeur de la Britten-Pears School à Aldenburgh (Suffolk). Réputé pour ses écrits, W. Mellers s’est particulièrement intéressé aux musiques anglaise et française du XXe siècle (Studies in Contemporary Music, 1948), mais aussi au phénomène social que la musique peut refléter, qu’il s’agisse de musique classique, de musique folklorique, de jazz ou de pop music. Son oeuvre de compositeur s’est orientée dans une direction analogue : attiré initialement par le style baroque, Mellers semble avoir été marqué par son expérience des États-Unis, et il mêle volontiers au diatonisme de ses débuts les techniques d’écriture les plus variées. MELLNÄS (Arne), compositeur suédois (Stockholm 1933). Élève de E. von Koch, L.-E. Larsson et K.-B. Blomdahl à Stockholm, B. Blacher à Berlin et M. Deutsch à Paris, puis stagiaire à San Francisco et à Utrecht, où il approfondit ses recherches de musique électronique, Mellnäs est un moderniste raisonnable qui possède une remarquable maîtrise de son langage. Parmi ses oeuvres, il faut retenir Dagsfjärd och natthärbärge (1960), Färgernas hjärtä (1961), Collage (1962), Aura et Gestes sonores (1964), Quasiniente (1968), l’étonnant Aglepta pour choeurs d’enfants (1969), Capricorn flakes (1970) et les oeuvres électroniques CEM 63 (1963), Intensity 6.5. (1966) et Far out (1970). MELLON (Agnès), soprano française (Épinay-sur-Seine 1958). Elle apprend le violoncelle au CNR d’Orléans, puis le chant avec notamment Nicole Fallien et Jacqueline Bonnardot. Elle se perfectionne ensuite à San Francisco avec Lilian Loran. Elle est d’abord choriste de la Chapelle royale dirigée par downloadModeText.vue.download 641 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 635 Herreweghe, qui, dès 1981, lui confie de petits rôles. Depuis 1984, elle mène une carrière de soliste, consacrée surtout à la musique baroque. En 1987, elle devient membre permanent des Arts florissants, et incarne Sangaride dans Atys de Lully dirigé par William Christie. Elle aborde Sylla et Glaucus de Leclair et, en 1991, débute à Aix-en-Provence dans Castor et Pollux de Rameau. Elle se produit en récital avec le claveciniste Christophe Rousset, et aborde les cantates de Bach. Elle collabore avec l’Ensemble Clément Janequin et grave de nombreux disques, parmi lesquels Zoroastre de Rameau, avec Kuijken, et Pygmalion avec Gustav Leonhardt. MÉLOCHORD. Instrument électronique réalisé par Bode, comme variante du trautonium. Tout comme un autre perfectionnement du trautonium, dû à Oscar Sala (le mixtur-trautonium), le mélochord est un instrument polyphonique grâce au couplage de générateurs. Les diverses lutheries électroniques ont pour précurseur, dès 1920, L. Theremine. MÉLODIE. 1. Notion très générale, dont le concept est plus particulièrement propre à la musique occidentale traditionnelle, en ce sens qu’elle repose sur une certaine distinction du point de vue des hauteurs entre l’aspect horizontal de la musique, la succession dans le temps de différents degrés de hauteur formant une courbe, la mélodie, et son aspect vertical, simultané, représenté par les accords, l’harmonie. Dans ce contexte, la mélodie se définit comme une « ligne de sons successifs en hauteur et durée » (Edmond Costère). Mais cette mélodie « sous-entend » très souvent son harmonie, c’est-à-dire la succession des accords qui la soutiennent. On a essayé d’étendre la notion de mélodie, c’est-àdire de courbe de variation dans le temps, à d’autres aspects que la hauteur, c’est-àdire à la durée, aux intensités, au timbre (la Klangfarbenmelodie de Schönberg, « mélodie de timbre »), mais il reste que cette notion ne fonctionne pleinement que pour la valeur de hauteur. On est rarement parvenu à créer des « mélodies de timbres » ou des « mélodies d’intensité » qui soient à la fois perceptibles en tant que telles et pas trop simplistes. La hauteur est, en effet, dans la musique occidentale le caractère dominant, celui qui fait l’objet, dans son système, de l’élaboration la plus efficace et la plus raffinée. Si la notion occidentale de mélodie peut être appliquée à d’autres musiques, il faut se garder de l’« européanocentrisme », consistant à croire que les successions de hauteur, dans ces musiques, sont entendues comme dans la nôtre, puisqu’elles ne sont pas perçues selon les mêmes relations avec le timbre, le rythme, etc. D’où l’impression fréquente, à nos oreilles d’Occidentaux, de « mélopée », c’est-à-dire de mélodie interminable et sans point d’appui. Dans le cadre de la musique occidentale, la mélodie répond à certaines caractéristiques : d’abord, elle est une forme, une « Gestalt », au sens de la « psychologie de la forme », qui prend d’ailleurs souvent comme exemple de « Gestalt » la mélodie musicale. En d’autres termes, c’est une structure caractéristique, globalisée dans la conscience, et non réductible à l’addition des éléments qui la composent, pris séparément. Ainsi une mélodie transposée, c’est-à-dire transportée sur des degrés de hauteur tout à fait différents, est-elle perçue comme identique puisqu’on y perçoit la même relation d’intervalles ; de même, si on la dilate ou la contracte modérément dans le temps. On peut aller jusqu’à modifier sensiblement les rapports de durée à l’intérieur de la mélodie (en passant, par exemple, d’un rythme à 4/4 à un rythme à 3/4) sans pour autant la défigurer ; pourvu que l’on conserve les mêmes rapports longues/brèves. Cette « Gestalt » qu’est la mélodie comporte des notes faibles et des notes « fortes », c’està-dire des points d’appui de l’harmonie, qui sont souvent les degrés caractéristiques du ton : tonique, dominante, etc. La dialectique mélodie/harmonie consiste justement en ce que les notes de passage, ornements, broderies, variations, retards, anticipations, appogiatures, bref toutes les notes « faibles » en plus des notes de base solidaires du squelette harmonique, sont souvent celles qui donnent à la mélodie sa personnalité. D’autre part, la mélodie occidentale est perçue comme une forme fermée, qui doit se clore au bout d’un temps assez court, en parvenant au repos sur la tonique. Comme l’a formulé Sartre, une mélodie porte en elle fièrement sa propre mort. Le trajet qu’elle parcourt, souvent du type tonique-dominante-tonique (sous l’angle harmonique) est tel qu’il la ramène au point de départ ; tout l’art est de rendre neuf et intéressant ce parcours fermé. Si l’on parle de « mélodie infinie » chez Richard Wagner, qui souvent recule très loin sa résolution par des cascades de cadences évitées, c’est bien parce que la mélodie est dans notre musique classique censée se clore dans un délai assez court ; par rapport à la musique indienne, par exemple, où le flux mélodique semble avoir l’éternité devant lui pour s’écouler. La mélodie occidentale est aussi supposée être « logique », et « prégnante », c’est-à-dire identifiable et mémorisable. Quand les détracteurs de Bizet, Wagner ou Debussy leur reprochaient de manquer de mélodie, ils voulaient dire par là qu’ils n’y trouvaient pas leurs repères habituels pour percevoir la logique des relations d’intervalles, pour en discerner et en mémoriser les contours ; toute « prévisibilité » du destin de la mélodie leur était refusée, alors que la possibilité de prévoir et de reconnaître un tant soit peu est à la base de la mélodie classique. Celle-ci a d’ailleurs ses règles implicites, son « canon « ; dans la mélodie idéale, les notes sont souvent liées ou légèrement détachées, mais pas trop ; des notes de passage, des appogiatures, des notes « à côté » de l’harmonie en adoucissent les contours (à tel point que l’on considère comme peu mélodique une phrase formée de notes appuyées trop fermement et trop directement sur l’harmonie sousentendue) ; la courbe générale ne doit être ni trop plate, ni trop accidentée, ni trop anguleuse, ni trop discontinue. « Ce n’est pas mélodique », dit-on souvent quand les intervalles sont très grands ou très petits. La dialectique de la mélodie réside aussi dans sa liberté surveillée par rapport à son schéma harmonique. Par ailleurs, dans la forme sonate à 2 thèmes, le premier thème, dit « masculin », est souvent plutôt dynamique et rythmique, et le second, dit « féminin », plutôt chantant et mélodique. Le « mélodique » et le « rythmique » s’opposent ainsi souvent comme deux principes complémentaires. Enfin, la notion de « mélodie », même dans la musique instrumentale, renvoie toujours plus ou moins au chant, à la voix humaine et à sa modulation. 2. Le terme de mélodie désigne également un genre musical : il s’agit d’un chant, accompagné ou non, sur des paroles généralement empruntées à des textes poétiques. Plus spécifiquement, la mélodie française est généralement considérée comme le genre correspondant en France au lied allemand, avec toutes les différences dues au contexte musical, linguistique, esthétique. Alors que le lied n’est souvent pas très éloigné, dans sa structure, de la simplicité de la chanson populaire, la mélodie française, genre raffiné, tend à couper ses racines avec la chanson populaire, et même avec la romance, dont elle est issue. Les Nuits d’été de Berlioz, publiées en 1841, seraient le premier grand cycle de mélodies françaises rompant avec la fadeur de la « romance « ; très raffinées et complexes dans leur ligne mélodique, elles ont cependant une ampleur lyrique que retrouvera rarement ce genre dans la musique française. Charles Gounod composa environ 200 mélodies, à couplets, dans l’esprit sentimental de la romance, souvent sur des textes de grands romantiques lyriques (Hugo, Lamartine), de même que SaintSaëns, alors que les Fauré ou les Debussy préférèrent une poésie plus « impaire » et moins tonitruante. Si Bizet, Massenet, Franck, Lalo et, plus tard, Roussel ont donné des mélodies de valeur, c’est ChadownloadModeText.vue.download 642 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 636 brier qui a introduit dans ses romances de salon et ses airs parodiques (Ballade des gros dindons) une dimension autocritique et même autoparodique, qui se retrouve chez Ravel et Poulenc : pas de grands épanchements vocaux où l’on s’oublie et où le texte n’est que prétexte phonétique. Dans ce monde de pudeur et de « quant à soi », les rares mélodies d’Henri Duparc sont une exception, avec leur lyrisme profond et direct. Fauré, quant à lui, dans sa centaine de mélodies, cultive un art de nuances, évitant les rythmes trop marqués, assujettissant étroitement la ligne mélodique à une harmonie à la fois fluide et imprévisible, qui dilue les relations fortes tonique-dominante-sous-dominante. En contrepartie de ce gain en finesse et en clair-obscur : une moins grande facilité à s’inscrire dans la mémoire ; cette mélodie ne se chantonne pas, ne se transcrit pas, reste solidaire de son harmonie et de son texte, cherchant comme une impossible fusion verbe/musique pour laquelle, respectant l’esprit des poèmes qu’elle illustre, elle devrait renoncer à « prendre ses grands airs ». D’où, peut-être, la relative discrétion d’expression des mélodies, même les plus lyriques de Debussy (sur des poèmes de Baudelaire, de Verlaine, et de lui-même), par rapport aux accents plus forts et directs de son opéra Pelléas. L’extrême raffinement y va de pair avec le refus des abandons sentimentaux. Cette ligne vocale à la fois fluide et émiettée, souple et complexe, se retrouve aussi dans les mélodies de Ravel (Schéhérazade, Histoires naturelles), mais dans un esprit différent, plus sec, nerveux, graphique. Après Debussy et Ravel, le genre se perpétue sans trouver son second souffle, sauf peut-être chez Poulenc, qui écrivit de très nombreuses mélodies à partir de 1912 jusqu’à sa mort, s’affrontant aux poètes modernes (Apollinaire, Eluard, Louise de Vilmorin). Malgré les tentatives de cycles mélodiques pour chant et piano comme l’Harawi de Messiaen, la mélodie française tend à quitter ce cadre intimiste pour transporter ses ambitions dans des cadres plus vastes de cantates, avec effectif instrumental (cycles de Boulez, Barraqué, sur Mallarmé). Par ailleurs, on peut ranger dans le genre des « mélodies » les cycles espagnols de De Falla, norvégiens de Grieg, russes de Glinka, Borodine, Rimski-Korsakov et surtout Moussorgski (Sans soleil, la Chambre d’enfants, Chants et danses de la mort), qui sut être aussi grand et direct que possible dans ce cadre concis et intime de la mélodie accompagnée. MÉLODRAME (étymol. : « drame chanté »). Si l’on s’en tient à l’étymologie, l’expression melodramma per musica, qui qualifia les premiers opéras italiens jusqu’à Mon- teverdi, relève du pléonasme. Il est d’autant plus paradoxal que le mot « mélodrame » ait désigné par la suite une forme de spectacle d’où le chant est exclu : plus précisément un ouvrage unissant un texte déclamé à un accompagnement musical. Si le premier mélodrame, proprement dit, fut le Pygmalion de Jean-Jacques Rousseau, joué en 1770, l’idée d’associer la symphonie à la déclamation parlée n’était pas nouvelle. La tragédie antique était accompagnée de musique, de même que les « mistères » du Moyen Âge, la commedia dell’arte, les comédies-ballets de Molière et certaines tragédies classiques comme Esther et Athalie de Racine, sans compter les scènes parlées introduites dans des genres lyriques tels que la pastorale, la mascarade et le ballet de cour. Cette dernière tradition a été longtemps perpétuée en France par l’opéra-comique et en Allemagne par le Singspiel, dont l’Enlèvement au sérail et la Flûte enchantée de Mozart, ainsi que le Freischütz de Weber sont les exemples les plus connus. Quant au mélodrame - l’« opéra sans chanteurs » ou presque -, son grand maître au XVIIIe siècle fut J. A. Benda, avec Médée (1775) et Ariadne auf Naxos (1775). Citons à ses côtés le melologo de l’Espagnol Iriarte intitulé Guzman el Bueno (1791). Relèvent plus ou moins du mélodrame le Pierrot lunaire de Giraud et Schönberg (1912), l’Histoire du soldat de Ramuz et Stravinski (1918) et Jeanne au bûcher de Claudel et Honegger (1935). Contiennent aussi des passages en mélodrame Zaïde de Mozart (1779), Egmont de Beethoven (1811) et Manfred de Schumann (1847). La Nymphe des bois de Sibelius (1894-1895) existe à la fois sous forme de poème symphonique (opus 15) et de mélodrame. On peut également rattacher au genre « mélodrame » des drames ou comédies enrichis de ce qu’on appelle, improprement, une « musique de scène ». C’est le cas notamment du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare et Mendelssohn (1843), de l’Arlésienne de Daudet et Bizet (1872), de Peer Gynt d’Ibsen et Grieg (1875), des Érinnyes de Leconte de Lisle et Massenet (1873), ou encore du Pelléas et Mélisande de Maeterlinck et Gabriel Fauré (1898). On appelle enfin mélodrame, dans certaines partitions d’opéra ou d’opéra-co- mique, une sorte d’intermède orchestral pendant lequel les chanteurs se taisent. Il en existe plusieurs exemples dans l’oeuvre de Massenet. Et nous ne citerons que pour mémoire, car elle est sans rapport avec la musique, l’acception la plus répandue du mot « mélodrame « : drame populaire, dont les personnages conventionnels et les péripéties rocambolesques s’adressent à la sensibilité la plus élémentaire du public. Malgré l’hommage célèbre d’Alfred de Musset - « Vive le mélodrame où Margot a pleuré ! » - ce genre, qui fit fureur à l’époque romantique, n’est plus guère pris au sérieux, ainsi qu’en témoigne le diminutif « mélo », nettement péjoratif. MELOLOGO (gr. melos, « musique » et logos, « parole »). Mot espagnol désignant un genre dramatique très en faveur en Espagne à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe. Il s’agissait d’une forme de mélodrame à un seul personnage (monodrame) monologuant en vers de 11 syllabes, avec des séquences orchestrales qui venaient couper et prolonger sa déclamation parlée. Le « mélodrame » à un seul personnage de Jean-Jacques Rousseau, Pygmalion, créé en 1770 à Lyon et représenté à Madrid en 1790, serait l’inspirateur de ce genre, dont Yvan Ignacio Gonzales del Castillo fut l’un des pionniers en Espagne. L’année suivante, Tomas del Iriarte créait son melologo Guzman el Bueno (créé à Cadix, 1790), un classique du genre, et plusieurs centaines de melologos furent composés, entre autres, par Blas de Laserna, Pablo del Moral, Manuel García, ainsi que par l’Allemand Georg Benda (Ariane à Naxos, Médée). C’est, sans doute, à partir de ce mot espagnol que Berlioz a forgé le terme de « mélologue » pour désigner son mélodrame à un seul personnage, Lélio (183132), dans lequel le compositeur lui-même se met en scène et suscite les interventions orchestrales ( ! MÉLODRAME). MÉLOPÉE (gr. melopoieia, de melopoios, « qui fait de la mélodie »). 1. Dans la musique de la Grèce antique, la mélopée était soit la théorie musicale de la mélodie, soit la pratique de cette théorie (par opposition à la rythmopée, « action d’ordonner le rythme »), soit enfin la mélodie elle-même. Voltaire rapproche ainsi le récitatif italien de la mélopée des Anciens. 2. On appelle couramment mélopée une mélodie qui sonne à nos oreilles comme longue, monotone et ondulante (telles les lignes mélodiques des musiques arabes ou indiennes, dont l’oreille occidentale souvent ne sait percevoir la logique). MELOS (gr. : « membre ».) Transcription en caractères romains du mot grec qui signifie aussi par analogie « membre de phrase musicale », chant, rythme, mélodie chantée, ou encore, chez Platon, l’ensemble formé par les notes, le rythme et les paroles, conçus comme indissociables. Au pluriel, ta mélé signifiait la « poésie lyrique », par opposition à la poésie épique ou dramatique ; elle est à dominante rythmique ou agogique. Dans les écrits anciens sur la musique, le melos est souvent opposé, en tant que concept, au « rythme », pour désigner l’essence mélodique de la musique, sa part « féminine ». downloadModeText.vue.download 643 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 637 MEMBRANOPHONE. Tout instrument de musique utilisant une membrane comme résonateur de la voix modulée de l’exécutant. C’est notamment le cas du mirliton et du bigophone. MENDELSSOHN (Félix, Jakob, Ludwig, ou MENDELSSOHN-BARTHOLDY), compositeur, chef d’orchestre et pianiste allemand (Hambourg 1809 - Leipzig 1847). Il était le deuxième enfant d’une famille bourgeoise, riche et de grande culture, d’origine juive. Son père Abraham, fils du célèbre philosophe Moses Mendelssohn (« le Platon moderne ») et banquier fort avisé, se plaisait à dire : « Avant j’étais le fils de mon père, maintenant je suis le père de mon fils. » Il décida de faire baptiser à leur naissance ses 4 enfants (Fanny, Félix, Rebecca, Paul) dans la religion luthérienne et d’ajouter à son patronyme le nom de Bartholdy, d’après une terre appartenant au frère de sa femme Léa, née Salomon. Après s’être installés à Berlin (1813), lui-même et Léa se convertirent en 1822. Ils donnèrent à leurs enfants, outre un foyer uni et chaleureux, une éducation stricte, mais propre à épanouir leurs dons précoces. UNE ÉDUCATION INTELLIGENTE. Quoiqu’il fût sensible aux arts, Abraham n’était pas musicien, et c’est sans doute à Léa et à son ascendance (sa tante Sara Lévy avait été l’élève favorite de Wilhelm Friedmann Bach) que les enfants Mendelssohn durent leur fibre musicale : Fanny fut une excellente pianiste (avec des dons de composition certains, écrasés par ceux de Félix), Rebecca chantait et Paul jouait remarquablement du violoncelle. Leur mère fut le premier professeur de Fanny et de Félix, qu’une profonde tendresse unit toute leur vie. Emmenés par leur père à Paris en 1816, Fanny (onze ans) et Félix (sept ans) y prirent des leçons de piano avec Marie Bigot, interprète préférée de Beethoven. Après leur retour à Berlin, leur éducation fut confiée à des hommes de premier plan, tant pour la culture générale (Heyse) et le grec que pour la musique (Henning, puis Rietz, violon ; L. Berger, piano ; Zelter, harmonie et composition) et que pour le dessin (Rösel), où Félix excellait (il a laissé de nombreux paysages et dessins charmants réalisés au cours de ses multiples voyages). Le 28 octobre 1818, Félix Mendelssohn participa, au piano, à un premier concert public, et entra en 1819 à la Singakademie. LES PREMIÈRES COMPOSITIONS. Elles datent de 1820. En 1821, après une rencontre marquante avec Weber, il fut emmené à Weimar par Zelter qui le présenta à Goethe. Il rendit une deuxième visite au poète l’année suivante, au cours d’un voyage en Suisse avec toute sa famille. Le rythme des compositions s’accéléra (symphonies, motets, études pour piano, lieder, etc.) que Félix eut la chance de pouvoir entendre et diriger lors des concerts du dimanche donnés chez ses parents, où chacun participait, et qui attiraient tous les artistes résidents ou de passage. LES DÉBUTS D’UNE BRILLANTE PRODUCTION. De 1824 date sa 13e Symphonie (connue comme sa 1re Symphonie). Zelter le considéra comme arrivé à maturité et fit copier pour lui la Passion selon saint Matthieu de Bach. Mendelssohn rencontra le jeune et déjà célèbre pianiste Moscheles (avec qui il travailla et qui devint un de ses plus fidèles amis) et Spohr, avant un nouveau séjour à Paris en 1825 (excellent contact avec le peu indulgent Cherubini) et une troisième visite à Goethe sur le chemin du retour à Berlin - où ses parents venaient d’acquérir une vaste demeure avec une grande salle de musique. Avec son Octuor en mi bémol majeur pour cordes op. 20, dédié à Rietz en octobre 1825, commença sa véritable production, ce que confirme l’éblouissante musique pour le Songe d’une nuit d’été d’après Shakespeare, composée en quelques semaines l’été suivant (première exécution publique de l’ouverture à Stettin, 20 février 1827). De 1826 à 1828, Mendelssohn était à l’université (parmi ses maîtres, Hegel et C. Ritter), où il brilla dans toutes les disciplines (littérature ; poésie ; langues : italien, français, anglais ; etc.), sauf les mathématiques et la physique. Très sportif (gymnastique, équitation, natation), danseur excellent, il menait une vie brillante, à la fois studieuse et mondaine ; ce fut la naissance de nombreuses amitiés essentielles (E. Magnus, peintre, K. Klingemann, poète et diplomate, A. B. Marx, musicologue, E. Devrient, chanteur, etc.). À sa sortie de l’université, son père accepta qu’il consacrât sa vie à la musique ; après des mois de répétitions, et malgré l’hostilité des musiciens de Berlin (Zelter compris), Mendelssohn monta et dirigea, avec un succès imprévisible, le 11 mars 1829, la Passion selon saint Matthieu, qui n’avait plus été jouée depuis la mort de Bach en 1750. Puis trois ans de voyages à travers l’Europe encouragés (et financés) par son père pour élargir sa culture : premier séjour en Angleterre en avril 1829. Il dirigea et joua à Londres avec un immense succès (il fut élu membre de la Société philharmonique le 29 novembre 1829), visita l’Écosse et l’Irlande avant de rentrer à Berlin - où il refusa et fit attribuer à Marx la classe de musique qui venait d’être créée à son intention - et de repartir en mai 1830, via Weimar (quatrième et dernier séjour près de Goethe), pour Munich, Vienne et l’Italie. Venise, Bologne, Florence, Rome (1er novembre 1830 - 10 avril 1831), Naples, Milan, Genève, Lucerne, Interlaken et retour à Munich (septembre 1831) : approfondissement enthousiaste de la peinture et de la musique italiennes, travail personnel intense (« un producteur infatigable », selon Berlioz qu’il rencontra, ainsi que de nombreux autres artistes). Fin 1831, nouveau séjour à Paris, où il se lia avec Chopin, Meyerbeer, Liszt ; mais le refus par la Société des concerts de sa symphonie Réformation et une épidémie de choléra lui firent quitter Paris sans regrets pour Londres (23 avril 1832). Son séjour a été en outre attristé par les nouvelles successives de la mort de Rietz (23 janvier 1832), de Goethe (22 mars 1832) et de Zelter (15 mai 1832), qui l’affectèrent profondément. Rentré à Berlin en juillet, il fut évincé (15 janvier 1833) de la succession de Zelter à la Singakademie, ce qui acheva de le détacher de cette ville. Après un premier contact prometteur avec l’orchestre du Gewandhaus à Leipzig (février-mars 1833), il accepta la direction du festival des pays du Bas-Rhin, puis, après un troisième séjour à Londres (première de la Symphonie italienne le 13 mai 1833), signa un contrat de trois ans pour diriger la musique à Düsseldorf (où son oratorio Paulus fut créé le 22 mai 1836). Mais, à l’automne 1835, il prit la direction du Gewandhaus de Leipzig ; il y reçut Chopin, rencontra Clara Wieck et se lia d’amitié, à vie, avec Schumann. Au hasard de concerts à Francfort (où la direction du Cäcilien-Verein lui a été confiée), il rencontra la jeune Cécile Jeanrenaud (d’ascendance huguenote française) qu’il épousa le 28 mars 1837, qui lui donna 5 enfants, et qu’il aima profondément jusqu’à ses derniers jours. Puis ce fut la création anglaise de Paulus à Birmingham au cours de son cinquième séjour en Angleterre (août 1837). UNE VIE ACTIVE, UN TRAVAIL FÉCOND. Composition, concerts, comme chef ou comme soliste (piano et orgue), voyages, réceptions, correspondance, etc., la vie de Mendelssohn était alors débordante d’activité et heureuse (naissance de son premier fils Carl Wolfgang Paul, 7 février 1838 ; puis de Marie, 2 octobre 1839). En septembre 1840, sixième séjour en Angleterre, avant de devoir déférer au voeu du nouveau roi de Prusse, FrédéricGuillaume IV, qui entendait s’attacher le compositeur à Berlin : réticent mais respectueux, Mendelssohn devint en 1841 maître de chapelle du roi de Prusse, puis, l’année suivante, directeur général de la musique à Berlin. Après un septième séjour en Angleterre avec sa femme (ils furent reçus à deux reprises par la reine Victoria), retour à Leipzig où le conservatoire, dont il était le maître d’oeuvre, fut inauguré au début de 1843 : il y enseigna la composition (Schumann également) et le piano, d’où d’incessants va-et-vient avec Berlin. Le 18 octobre 1843, première de downloadModeText.vue.download 644 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 638 la musique intégrale du Songe d’une nuit d’été, à Potsdam. En 1844, il obtint enfin du roi de Prusse la réduction de sa charge et surtout le libre choix de sa résidence : à Francfort (où il décida de se reposer pendant un an), il acheva le Concerto pour violon op. 64 - mais sa santé l’empêcha d’assister à la première audition le 13 mars 1845 (par F. David, à qui il était dédié) à Leipzig, où Mendelssohn se fit seconder par le compositeur danois Niels Gade. Période cependant féconde : 6 sonates pour orgue, trio en ut mineur, quintette en si majeur, 6e livre de Lieder ohne Worte, et, en 1846, l’oratorio Elias (première à Birmingham, 26 août 1846). En avril 1847, dixième et dernier séjour en Angleterre : il y dirigea plusieurs fois Elias et joua superbement le 4e Concerto de Beethoven (« Mon vieux cheval de bataille », disait-il en français). Après avoir assisté aux débuts, à Londres, de la jeune cantatrice suédoise Jenny Lind (avec qui il s’était lié à Berlin en 1844), il rentra à Francfort pour apprendre la mort brutale de sa soeur Fanny : sous l’empire de la douleur et de la révolte, il composa le Quatuor à cordes en fa mineur op. 80, puis, un peu plus tard, le superbe Nachtlied et encore quelques fragments d’un nouvel oratorio, Christus. Il voyagea, dessina, peignit, toucha encore de temps à autre le clavier, mais sa santé déclinait, il eut de longues périodes d’apathie. Rentré à Leipzig, il entendit son concerto pour violon splendidement joué le 3 octobre 1847 par le jeune Joachim (l’un des premiers élèves, à douze ans, de son conservatoire) et y mourut le 4 novembre 1847. À TOUS ÉGARDS, UN MUSICIEN À PART. L’homme, exceptionnellement doué, d’une mémoire remarquable, hypersensible, brillant, charmeur, aimant la vie, d’une vaste culture et travailleur acharné, a toujours su allier son goût de la fantaisie et de la liberté avec des règles de vie bourgeoise qui ne semblaient pas lui peser. On le découvre grâce au volumineux courrier échangé avec ses amis (Magnus, Klingemann, Moscheles, etc.) et bien que sa femme Cécile, avant de mourir en 1853, détruisît leur correspondance intime. S’il a fui autant qu’il a pu l’atmosphère empoisonnée du Berlin musical de l’époque et si Paris l’a déçu, il fut partout adulé de son temps, comme compositeur, comme chef d’orchestre, comme pianiste. Ses interprétations des concertos de Beethoven et surtout de Bach et de Mozart ont suscité des commentaires qui sont venus jusqu’à nous. Au pupitre, il électrisait les musiciens d’orchestre auxquels il communiquait l’amour d’oeuvres de ses contemporains, mais aussi du passé, oubliées ou méconnues : ce fut à lui essentiellement que l’Allemagne devait de redécouvrir J.-S. Bach, dont il fit revivre l’oeuvre. Mais il créa aussi des oeuvres nouvelles de ses amis, notamment de Schumann - grâce à qui il put donner, après la mort du compositeur, la première audition de la 9e Symphonie de Schubert (22 mars 1839). Cette curiosité, cette ouverture d’esprit alliées à l’amour du passé, au goût du classicisme et du travail bien fait, se retrouvent dans sa propre musique, que son insatisfaction lui faisait éternellement remettre sur le métier ; dans ses vingt années de production on trouve à tout moment la marque du génie à côté d’oeuvres médiocres, au demeurant souvent de circonstance. Sa réputation en a injustement souffert : il est encore courant de considérer Mendelssohn comme un musicien mineur, à qui on ne pardonne peut-être pas la facilité matérielle de son existence à toutes les époques. La discutable appellation française des Lieder ohne Worte (« romances sans paroles ») traduit bien la mièvrerie prêtée du même coup à toute sa musique. Pourtant, à côté d’oeuvres aussi connues que le Songe d’une nuit d’été, le Concerto pour violon en mi mineur ou ses Symphonies italienne et écossaise, bien d’autres pages sont du plus haut niveau, et certaines annoncent Brahms. Nul doute que le temps viendra où des oeuvres comme l’Octuor op. 20, les Quatuors op. 12, 13, 40, 80, le Quintette op. 87, les Variations concertantes pour violoncelle et piano op. 17, une vingtaine de lieder, etc., retrouveront la place qu’elles méritent dans la faveur du public. L’inspiration profondément originale, l’aisance de la technique, le raffinement de l’écriture (et de l’orchestration), la variété de la production font incontestablement de Mendelssohn l’un des grands compositeurs romantiques, dont la culture germanique a su puiser en Italie et surtout en Angleterre (sa seconde patrie) des adjuvants précieux. MENDÈS (Catulle), écrivain et critique français (Bordeaux 1841 - Saint-Germain-en-Laye 1909). Poète et romancier, animateur du premier Parnasse, critique dramatique et musical au Journal, cet écrivain exerça une influence due davantage à son dynamisme et à sa verve qu’à un talent original. Époux de Judith Gautier, il fut, lui aussi, un défenseur ardent de l’oeuvre de Wagner. Il a écrit des livrets pour Chabrier (Gwendoline), Massenet (Ariane, Bacchus), Messager (Isoline), Debussy (Rodrigue et Chimène), Reynaldo Hahn (la Carmélite). MÉNÉSTRANDISE. À Paris, aux XVIIe et XVIIIe siècles, corporation de ménétriers bénéficiant grâce à un privilège officiel de l’exclusivité des « musiques à faire danser ». Selon d’autres sources, puissante corporation qui voulait faire verser par les organistes également la redevance exigée des bateleurs. Dans le Deuxième Livre de pièces de clavecin de Couperin (1716-1717), le onzième ordre comprend cinq morceaux satiriques intitulés globalement les Fastes de la grande et ancienne Ménéstrandise (Couperin écrivit Mxnxstrxndxsx). MENGELBERG (Willem), chef d’orchestre hollandais (Utrecht 1871 - Sent, Engadine, 1951). Il étudia à Utrecht avec R. Hol et M. W. Petri, puis au conservatoire de Cologne avec Wüllner, I. Seiss et G. Jensen.Il débuta en 1890 comme pianiste à Utrecht. Directeur de la musique à Lucerne de 1891 à 1895, il fut, de 1895 à 1945, chef de l’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, qui acquit avec lui une renommée mondiale. À partir de 1897, il conduisit le choeur du Toonkunst Vereniging d’Amsterdam, notamment lors des exécutions annuelles de la Passion selon saint Matthieu. Avec l’orchestre du Concertgebouw et le choeur du Toonkunst, il fit des tournées en Italie, en Russie, en Norvège, en Angleterre et en France. De 1907 à 1920, il fut directeur de la Museumgesellschaft et, à partir de 1908, du Cäcilienverein de Francfort. Il fit de nombreuses tournées, notamment en Amérique, où il dirigea régulièrement la philharmonie de New York de 1921 à 1929. Entre 1911 et 1914, il se rendit à plusieurs reprises à Londres, où il conduisit le London Symphony Orchestra et la Royal Philharmonic Society. En 1934, il fut nommé professeur à l’université d’Utrecht. En 1945, à cause de sa conduite pendant la guerre, il dut se retirer en Suisse, où il resta jusqu’à sa mort. Chef d’orchestre doté d’une forte personnalité, il possédait une compréhension profonde de chaque instrument, maîtrisait l’orchestre de manière superbe et obtenait de lui la perfection technique, la plénitude de la sonorité, la vigueur, l’impulsion vitale et la couleur, en même temps que la souplesse. Ses interprétations se caractérisaient par leur ardeur, leur éloquence, leur intensité expressive. Sa conception des oeuvres était parfois discutable, il prenait quelquefois certaines libertés, mais l’originalité de son tempérament fascinait. C’était un interprète privilégié de Mahler, dont il était l’ami, de Richard Strauss, qui lui dédia son Heldenleben (Une vie de héros), de Tchaïkovski et même de certains musiciens français comme Debussy. Il a dirigé à Amsterdam un festival consacré à Mahler en 1920, un festival de musique française en 1922, un festival RichardStrauss en 1924 et des festivals de musique néerlandaise en 1902, 1912 et 1935. MENNIN (Peter), compositeur américain (Erie, Pennsylvanie, 1923 - New York 1983). Il fit ses études à l’Eastman School of Music de Rochester avec B. Rodgers et H. Hanson. Il fut, dès 1947, professeur à la downloadModeText.vue.download 645 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 639 Juilliard School, puis devint son président et directeur du conservatoire de Peabody. L’un des plus sérieux représentants de la tendance néoclassique dans la jeune école américaine, Peter Mennin est avant tout symphoniste, dans un style séduisant et décoratif, qui consent volontiers aux effets spectaculaires, mais atteste un généreux tempérament contrapuntique. Vigueur, sensibilité et émotion caractérisent son oeuvre, déjà abondante et d’une belle variété. On lui doit notamment 8 symphonies, d’autres pages orchestrales (Fantaisie, Folk-Ouverture, Allegro symphonique, Concerto pour orchestre, Concertino pour flûte), de la musique de chambre (3 quatuors et différentes sonates) et la Cantate de Noël, dont il a lui-même écrit le texte et qui est son oeuvre la plus populaire. MENOTTI (Gian Carlo), compositeur, librettiste, metteur en scène italien (Cadegliano 1911). Il commence ses études au conservatoire Verdi de Milan, et, à dix-sept ans, sur les conseils de Toscanini, il quitte l’Italie pour s’inscrire au Curtis Institute of Music de Philadelphie, dont il sort diplômé en 1933. Il reviendra dans cet établissement au cours des années 40-50 pour y enseigner la composition. En 1937, Menotti donne à Philadelphie un opéra bouffe en 1 acte, Amelia al Ballo (« Amélie va au bal »), repris dès l’année suivante au Metropolitan Opera de New York. Cette réussite lui vaut la commande, par la chaîne NBC, du premier ouvrage lyrique spécialement destiné à la radio : The Old Maid and the Thief (« la vieille fille et le voleur », 1939). C’est encore un succès, mais, trois ans plus tard, le compositeur connaît l’échec avec The Island God (« le dieu de l’île »), qui disparaît de l’affiche du Metropolitan après deux représentations. Menotti se détourne alors, pour un temps, du théâtre lyrique. Il y revient avec The Medium, drame musical en 2 actes, qui marque dans sa carrière une date capitale. S’il avait, jusqu’alors, écrit lui-même ses livrets, à partir de The Medium, il se fait aussi metteur en scène et sera désormais le maître d’oeuvre absolu, à la fois concepteur et réalisateur, de tous ses opéras. De plus, The Medium, créé le 8 mai 1946 à l’université Columbia, va être exploité d’une façon inhabituelle : à partir de l’année suivante, on le joue tous les soirs dans un théâtre de Broadway, comme une pièce de boulevard. Il va ainsi toucher directement le grand public et (accompagné par The Telephone, 1947, un lever de rideau que Menotti a composé pour la circonstance) il connaîtra 211 représentations consécutives. En 1950, The Consul, drame musical en 3 actes, exploité selon la même formule, tient l’affiche neuf mois à New York, puis, traduit en une quinzaine de langues, est joué dans le monde entier. Menotti devient alors une vedette internationale et connaît pendant une dizaine d’années une destinée assez semblable à celle des compositeurs lyriques à succès de la première moitié du XIXe siècle. Au cours de cette riche période, il donne successivement (pour nous borner ici à l’oeuvre lyrique) : le 24 décembre 1951, Amahl and the Night Visitors (« Amahl et les visiteurs de la nuit », premier opéra commandé pour la télévision, et qui demeure longtemps un classique des programmes de Noël des chaînes américaines) ; en 1954, The Saint of Bleecker Street (« la Sainte de Bleecker Street », trois mois de représentations à Broadway, première européenne à la Scala de Milan) ; en 1956, The Unicorn, the Gorgon and the Manticore (« la licorne, la gorgone et la manticore », une fable-madrigal pour choeur, 10 danseurs et 9 instruments) ; enfin, dans le cadre de l’Exposition universelle de Bruxelles, en 1958, Maria Golovin, opéra en 3 actes. Cette même année, Menotti fonde à Spoleto le festival des Deux-Mondes, et son existence prend un tour nouveau. De cette petite ville d’Ombrie, il a décidé de faire un carrefour où se rencontreront, célèbres ou débutants, des musiciens, des peintres, des metteurs en scène et des chorégraphes de tous les pays. Il déploie dans cette tâche une activité considérable et tout à fait fructueuse, au détriment sans doute de son oeuvre de création proprement dite. Sa production demeure abondante, mais, à l’exception de Help ! Help ! the Globolinks ! (« Au secours, les Globolinks ! », Hambourg, 1968), ses nouveaux opéras - The Labyrinth, ouvrage destiné à la télévision (1963), le Dernier Sauvage, opéra bouffe en 3 actes commandé par l’Opéra de Paris (Opéra-Comique, 21 octobre 1963), Martin’s Lie (« le mensonge de Martin », 1964), The Most Important Man (« l’homme le plus important », 1971), Tamu-Tamu (1973), The Hero (1976), The Egg (« l’oeuf », 1976) et Goya (1986) - reçoivent un accueil mitigé, ou sont déchirés par la critique. Celle-ci, à vrai dire, a toujours été partagée à l’égard de Menotti, compositeur dont on ne peut dire qu’il soit féru de modernité. S’il est surtout connu comme compositeur d’opéras, Menotti a également produit une oeuvre orchestrale et instrumentale, qui comprend notamment 2 ballets, 1 concerto pour piano, 1 concerto pour violon, 1 Triplo concerto a tre, 1 suite d’orchestre (Apocalypse), la 1re Symphonie, 2 Cantates, 1 cycle de mélodies, etc. Il est aussi l’auteur du livret de l’opéra de Samuel Barber Vanessa, ainsi que de 2 pièces de théâtre, et poursuit aujourd’hui une carrière internationale de metteur en scène lyrique. En 1974, il a abandonné les États-Unis, où il résidait depuis les années 30, pour s’installer dans le domaine de Yester House, à Gilford (Écosse). MENTONNIÈRE. Dans les instruments à cordes frottées violon et alto -, petit appareil en bois ou en matière synthétique fixé sur le côté gauche du cordier et dont la forme est adaptée à celle de la mâchoire inférieure. La mentonnière permet un meilleur appui du menton sur l’instrument, protège le vernis et la table et améliore la sonorité en libérant la table du contact avec le menton. MENUET. Danse d’origine française de rythme ternaire et de tempo plutôt lent. Ses origines restent discutées. La théorie la plus courante, selon laquelle il descendrait du branel de Poitou et son nom du vocable menu ou mener (« branel à mener »), est actuellement remise en question, sans pour autant qu’on puisse la rejeter entièrement. Le menuet apparut officiellement à la cour de Louis XIV, avec Lully, qui l’introduisit dans Cadmus et Hermione (1673), puis à partir d’Atys (1676) dans tous ses opéras. Il s’intégra aussi dans le genre de la suite, et, de France, se répandit dans toute l’Europe, prenant en Italie une allure plus rapide. On a trop coutume d’associer l’Ancien Régime au menuet, alors que celui-ci n’en fut que la dernière danse caractéristique, celle qui se maintint le plus longtemps. Comme danse de société, le menuet conserva un rôle de premier plan durant tout le XVIIIe siècle. Ce fut également la seule danse du genre suite qui fut reprise par les genres nouveaux (quatuor, sonate, symphonie) illustrés dans la seconde moitié du même siècle par Haydn et Mozart. Le pas du menuet, danse aristocratique, comprenait en 2 mesures à 3 temps 4 mouvements de pied : souvent sur la première, la troisième, la quatrième et la cinquième des 6 pulsations ainsi définies : parfois sur la première, la troisième, la quatrième et la sixième : ou encore sur la première, la deuxième, la quatrième et la sixième (menuet du Bourgeois gentilhomme de Lully) : D’où, sur le plan rythmique, une sorte de « 3 contre 2 », n’ayant rien à voir avec la banalité de tant de sous-produits des XIXe et XXe siècles (une exception de taille est le remarquable menuet d’Orphée aux enfers d’Offenbach). À noter qu’au congrès de Vienne (1814-15), il ne se trouvait, paraîtil, aucun maître à danser capable de se downloadModeText.vue.download 646 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 640 rappeler et d’enseigner le menuet, danse bien vivante un quart de siècle auparavant. Rien n’illustre mieux les bouleversements qui allèrent de pair avec la Révolution française. Le menuet était, en principe, en 2 parties, dont chacune répétée (A-A-B-B). En principe aussi, il était suivi d’un double (plus tard appelé trio) adoptant la même coupe (C-C-D-D), puis d’une reprise du menuet proprement dit, chaque partie n’étant alors jouée qu’une fois (A-B), ce qui donnait globalement A-A-B-B-C-CD-D-A-B. Cette structure globale est à peu près « de règle » dans les symphonies, quatuors ou sonates de Haydn et Mozart. Dans les suites baroques (Bach), le menuet se trouvait en général vers la fin, parmi les « galanteries ». Dans les oeuvres de Mozart et de ses contemporains relevant de l’esprit du divertissement, on en trouve d’ordinaire plusieurs (2 ou même 3). Dans les symphonies ou quatuors de la seconde moitié du XVIIIe siècle, où il ne s’imposa pas sans résistance, et jamais complètement (la symphonie Prague de Mozart n’a, par exemple, pas de menuet), il tient lieu en général de troisième mouvement (viflent-menuet-vif), parfois, comme dans la symphonie Funèbre de Haydn ou dans la plupart de ses quatuors op. 9, 17 et 20, de deuxième mouvement (vif-menuet-lentvif). Le type menuet de cour assez lent subsista jusque dans les dernières oeuvres de Haydn et de Mozart, et même chez Beethoven, mais on assista parallèlement chez eux à un allongement et à une accélération du menuet, ainsi qu’à sa pénétration d’une part par l’esprit symphonique, ce qui par-delà la préservation du schéma de base A-A-B-B-C-C-D-D-A-B défini plus haut rendit sa structure interne beaucoup plus complexe, d’autre part par l’esprit populaire (phénomène en réalité plus ancien). Outre ceux de leurs symphonies ou de leurs quatuors, Haydn et Mozart écrivirent des menuets expressément destinés à être dansés : les 2 catégories ne sont pas toujours interchangeables. Au moment où Mozart, dans le finale du premier acte de Don Giovanni (1787), faisait briller le menuet en tant que danse aristocratique d’une ultime splendeur, lui-même et surtout Haydn écrivaient des pages intitulées menuet, mais qui n’en avaient que le nom, la structure et la mesure à 3 temps, et pratiquement rien d’autre. Le « menuet » du quatuor op. 71 no 1 (1793) de Haydn est une robuste danse paysanne, celui en ré mineur tiré de ses 24 menuets à danser Hob. IX.16 a des accents de carmagnole, celui de son quatuor op. 76 no 1 (1797) est un scherzo beethovénien avant la lettre. Le scherzo tel qu’il devait être développé par Beethoven fut l’aboutissement naturel de l’accélération et de la « popularisation » du menuet. À cet aboutissement correspondit une rupture illustrée par un fait significatif : la disparition du menuet rapide. Chez Beethoven et ses successeurs, les pages intitulées menuet (troisième mouvement du Septuor op. 20 de Beethoven) relèvent toutes du type lent, au point que, parfois (Sonate op. 31 no 3 de Beethoven), elles vont jusqu’à tenir lieu de mouvement lent. MENUHIN (Yehudi), violoniste et chef d’orchestre américain, suisse et anglais (New York 1916). Ses parents, d’origine russe, s’étaient d’abord rencontrés en Palestine, où ils avaient émigré à quelques années d’inter- valle ; puis ils s’étaient retrouvés à New York, où fut célébré leur mariage. L’aîné de leurs enfants, Yehudi, manifesta très tôt d’étonnantes dispositions pour la musique et le violon en particulier. La famille s’étant transportée de New York à San Francisco, où Moshe Menuhin a été appelé à enseigner l’hébreu, le bambin écoute avec passion le violoniste Louis Persinger et, à cinq ans, devient son élève. À sept ans, il débute en soliste avec l’orchestre de San Francisco dans la Symphonie espagnole de Lalo, mais son père n’ignore pas les périls qui guettent un enfant prodige. Sacrifiant sa propre carrière, il s’embarque avec les siens pour l’Europe où Yehudi aura les plus éminents professeurs : George Enesco à Paris, Adolf Busch à Bâle. Au cours de cette période d’apprentissage, le jeune garçon ne fait que de rares apparitions en public, mais elles sont retentissantes ; citons notamment son premier concert à Carnegie Hall en novembre 1927, où il joue le Concerto de Beethoven sous la direction de Fritz Busch, et celui du 12 avril 1929 consacré à Bach, Beethoven et Brahms, avec l’Orchestre philharmonique de Berlin, sous la direction de Bruno Walter. À douze ans, il commence à entreprendre des tournées. De 1930 à 1935, la famille trouve son port d’attache à Ville-d’Avray, et Yehudi travaille volontiers avec sa soeur Hephzibah, de quatre ans sa cadette, qui restera sa partenaire au piano jusqu’à sa mort, en 1980. Entré dans la légende à peine adolescent, Yehudi Menuhin restera, grâce à d’innombrables concerts et enregistrements, le plus illustre violoniste du monde contemporain. Si sa virtuosité a été égalée, sinon dépassée, il n’a guère de rivaux quant à l’interprétation en profondeur d’un immense répertoire, tant classique que moderne. Un film lui a été consacré par François Reichenbach en 1971. La musique est pour Menuhin une sorte de religion universelle, un message de paix entre les hommes et les peuples. Lui-même se veut missionnaire de cette religion et citoyen du monde. Aussi a-til prodigué son talent, pendant et après la guerre, devant tous les publics et dans les pires conditions, au risque d’un surmenage qui a failli compromettre sa maîtrise de l’instrument. Bravant au besoin l’opinion de ses coreligionnaires et de ses compatriotes, il a courageusement tendu la main à Wilhelm Furtwängler, accusé de sympathies pronazies, joué en Allemagne avant d’affronter le public israélien, et donné des concerts à Moscou en pleine guerre froide. En revanche, il s’est accordé une « année sabbatique » à l’occasion de son soixantième anniversaire et l’a mise à profit pour rédiger un important ouvrage autobiographique - le Voyage inachevé qui révèle l’étendue de son ouverture d’esprit et explique, par exemple, son attirance pour la musique et la philosophie de l’Inde. Un certain nombre d’oeuvres contemporaines, telles que la Sonate pour violon seul de Bartók, un Duo pour deux violons de Darius Milhaud, un Trio pour violon, violoncelle et piano d’Alexander Goehr, ont été écrites pour lui. Également virtuose de l’alto, il a abordé la direction d’orchestre dans les années 50 au festival de Bath, dont il venait d’être nommé directeur artistique, et a poursuivi cette activité au festival de Gstaad qu’il a lui-même fondé en 1956. Enfin, il a créé en 1962, dans une petite ville du Surrey, Stoke d’Abernon, une école où sont enseignés le piano et les instruments du quatuor parallèlement aux disciplines classiques. La pédagogie tient en effet une grande place dans ses préoccupations : il dirige à Londres une collection de Musical Guides, où il s’est réservé le violon et l’alto, attachant une importance primordiale à la décontraction, obtenue en ce qui le concerne par la pratique du yoga. Devenu citoyen anglais en 1985, il a été fait baron de Stoke d’Abernon en 1993. MERCADANTE (Saverio), compositeur italien (Altamura, prov. de Bari, 1795 Naples 1870). Élève de Zingarelli, pour la composition, à Naples, où il fut le condisciple de Bellini, il apprit en outre le violon et la flûte et acquit un solide métier qui lui permit de percevoir les courants nouveaux du romantisme naissant, tout en restant fidèle aux principes essentiels et aux schémas de la vieille école. C’est ainsi qu’il sut mêler une écriture vocale encore belcantiste aux nécessités d’une instrumentation où le choix des timbres acquérait une fonction dramatique. C’est à Naples qu’il donna son premier opéra, l’Apoteosi d’Ercole (1819), avant de se faire connaître à Rome dès 1820, puis à Bologne et enfin à Milan, où, en 1821, triompha Elisa e Claudio, une de ses oeuvres maîtresses. Turin, Vienne, Madrid, Lisbonne accueillirent ensuite ses opéras nouveaux avec des fortunes diverses, et, en 1833, Mercadante succéda à Generali comme maître de chapelle à Novarre. Après avoir dirigé ses Briganti à Paris en 1836, il retrouva Naples, au somdownloadModeText.vue.download 647 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 641 met de sa maturité, et y donna successivement Il Giuramento (1837), qui, en moins de vingt ans, fut joué de Russie en Amérique, puis Le Due Illustri Rivali (1838), et Il Bravo en 1839, cependant qu’il succédait à Zingarelli à la tête du conservatoire, triomphant ainsi de son rival Donizetti. Il n’en poursuivit pas moins une féconde activité créatrice que marquèrent notamment La Vestale (1840), Il Reggente (1843), Pelagio (1857) et, malgré une cécité devenue totale dès 1862, Virginia (1866). Sa longue carrière fit de Mercadante le contemporain de Rossini et de Bellini, dont il subit l’influence, puis de Donizetti et de Verdi, qui, à son tour, s’inspira de certains de ses procédés. Ecrasé par ce redoutable voisinage, Mercadante n’en demeure pas moins plus qu’un compositeur « élégant « ; il fut l’un des rares auteurs italiens qui sut assumer une difficile transition entre l’héritage rossinien (et prérossinien) et l’esprit nouveau qui imprima à son oeuvre une force dramatique inconnue ; d’autre part, resté à l’écart des aspirations du Risorgimento et fidèle au public napolitain, il persévéra à traiter la voix en héritier du bel canto, fidélité qui lui vaut actuellement un regain de faveur. MERCIER (Jacques), chef d’orchestre français (Metz 1945). Après avoir poursuivi des études de littérature et de musique, il entre au Conservatoire de Paris où il obtient en 1972 un premier prix de direction d’orchestre. La même année, il remporte également un premier prix au Concours international de Besançon. Lauréat de la Fondation de la vocation, détenteur des prix Albert Roussel et Albert Wolff, il est nommé en 1982 directeur musical de l’Orchestre d’Île-deFrance, devenu plus tard Orchestre national d’Île-de-France. En 1994, il a donné avec cet orchestre la première française de Kullervo de Sibelius. Il a été, de 1989 à 1995, chef permanent de l’orchestre Philharmonic de Turku (Finlande). MERCURE (Pierre), compositeur canadien (Montréal 1927 - Avallon 1966). Il fit ses études musicales au conservatoire du Québec et à Paris (avec Nadia Boulanger), puis fut bassoniste dans les orchestres de Montréal. Son oeuvre, commencée sous le signe d’un éclectisme néoclassique, s’est orientée peu à peu vers les techniques nouvelles et une prospection intelligente de l’électronique. Prématurément disparu à la suite d’un accident d’automobile en France (il est mort dans une ambulance entre Avallon et Auxerre), il laissait alors différentes pièces symphoniques (Kaléidoscope, 1947-48, fantaisie symphonique, Triptyque, 1959, Divertimento, pour quatuor à cordes solo et orchestre à cordes), des compositions pour ensemble de chambre (Pantomime, 1948, pour 14 instruments à vent et percussion, Lucretia Borgia, pour trompette, clavecin et percussions, Emprise, pour clarinette, basson, violoncelle et piano) et des compositions pour bande ou sons électroniques (Incandescence, ballet, Structures métalliques, 1961, Répercussions). Une grande cantate radiophonique, Psaume pour abri, unit l’orchestre et les choeurs à des éléments de musique électronique. MERIKANTO, famille de compositeurs finlandais. Oskar (Helsinki 1868 - Oitti 1924). Auteur de 3 opéras (Pohjan neiti, 1899 ; Elinan surma, 1910 ; Regina von Emmeritz, 1920), de 150 mélodies, 55 choeurs, 60 pièces pour piano, 100 chorals pour orgue. Dans l’ombre de Sibelius, O. Merikanto, mélodiste imaginatif, sut construire un oeuvre, qui, pour appartenir, à l’origine, surtout, à la musique de salon, n’en devint pas moins une part importante du patrimoine vivant de son pays. Ses mélodies sont aujourd’hui populaires, connues, appréciées et chantées dans tous les milieux. Aarre (Helsinki 1893 - id. 1958). Fils du précédent, il étudie à Helsinki, Leipzig et Moscou. Pionnier de la musique contemporaine finlandaise, il s’oppose radicalement à son père ; moderniste, ouvert aux mouvements musicaux européens de son temps, il se heurte à l’établissement musical qui refuse de diffuser ses oeuvres les plus originales (il n’entendit jamais son opéra Juha, 1922, créé à la scène en 1963 et aujourd’hui considéré comme l’opéra national finlandais). Après avoir subi les influences de Reger, dont il possède la solidité formelle, de R. Strauss et de Scriabine pour l’orchestration et parfois l’harmonie, il côtoie l’impressionnisme et admire l’exemple viennois. Ses oeuvres les plus radicales sont Fantaisie pour orchestre (1923), Pan (1924), Concert pour neuf instruments (1925), Étude symphonique (1928), Dix Pièces pour orchestre (1930). La suite en quatre mouvements le Rapt de Kyllikki (1935) inaugura chez lui une période plus traditionnelle. Malgré sa remarquable technique, il est probable que les contraintes sociales n’ont pas permis à ses dons évidents de s’épanouir pleinement, et qu’elles furent l’une des causes de l’échec de l’évolution de son esthétique. MERILÄINEN (Usko), compositeur, pianiste et chef d’orchestre finlandais (Tampere 1930). Élève de A. Merikanto et L. Funtek à Helsinki et V. Vogel en Suisse, il se fait connaître par un concert de ses oeuvres à Helsinki en 1957. Symphoniste, il adopte tout d’abord le langage dodécaphonique tout en restant, de tempérament, un néoclassique (Epyllion, pour orchestre, 1963). On peut considérer qu’il atteint la pleine possession de son langage en 1964 avec sa 2e Symphonie et qu’il l’affirme encore avec sa 2e Sonate pour piano (1966). Depuis cette oeuvre, le style de Meriläinen n’a pas cessé d’évoluer, avec notamment le 2e Concerto pour piano (1969), la 3e Symphonie (1971), la 4e Symphonie « l’Enclume », qui fait usage de l’électronique (1974), la 5e Symphonie (1976). Il a écrit ensuite Dialogues pour piano et orchestre (1977), Visions et murmures pour flûte et orchestre (1985), Ligne du temps (« Concerto pour orchestre no 2 », 1989). MERKLIN. Société de facture d’orgues française. Fondée par l’Allemand Joseph Merklin (Oberhausen 1819 - Nancy 1905), qui s’établit à Bruxelles en 1843 et à Paris en 1855, elle devint en 1894 la Manufacture lyonnaise Michel Merklin et Kuhn, et subit de nombreuses transformations jusqu’à nos jours. La maison Merklin a construit de très nombreux instruments, principalement dans le centre de la France, de style romantique et symphonique. MERLET (Dominique), pianiste et organiste français (Bordeaux 1938). Il étudie le piano et l’orgue dès l’âge de neuf ans et fait ses débuts en public trois ans plus tard. Au Conservatoire de Paris, il étudie ensuite le piano avec Jean Doyen, l’accompagnement avec Nadia Boulanger et la musique de chambre avec René Le Roy, et obtient trois premiers prix en 1956 et 1957. Titulaire d’un premier prix au Concours international de Genève en 1957, il s’oriente d’abord vers une double carrière de pianiste et d’organiste. En 1974, il est nommé professeur de piano au Conservatoire de Paris, après avoir enseigné à ceux de Strasbourg et de Rouen. En 1992, il est nommé professeur de virtuosité au Conservatoire de Genève. Ouvert à toutes les musiques, il a, parallèlement aux oeuvres du répertoire, créé des oeuvres pour orgue et pour piano de musiciens d’aujourd’hui (B. Gillet, J.-P. Leguay, etc.). MERRILL (Morris Miller, dit Robert), baryton américain (Brooklyn, New York, 1919). Il étudia le chant, d’abord avec sa mère Lillian Miller Merrill, elle-même chanteuse, puis avec Samuel Margolis à New York. Il débuta à Trenton dans le rôle d’Amonasro de Aïda (1944) et, l’année suivante, remporta le concours radiophonique organisé par le Metropolitan Opera, où il fit sa première apparition dans Germont de la Traviata. Il tourna à Hollywood plusieurs films (dont des comédies musicales) et chanta dans le monde entier avec les meilleures formations, mais poursuivit l’essentiel de sa carrière au MetrodownloadModeText.vue.download 648 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 642 politan Opera de New York, dont il fut sociétaire. Une voix ample, sonore et très assurée lui fit assumer tous les rôles de baryton du répertoire italien (et la plupart de ceux du répertoire français). Il fut choisi par Toscanini pour interpréter les rôles de Germont et de Renato lorsque celui-ci enregistra la Traviata et Un Ballo in maschera. MERSENNE (père Marin), philosophe et théoricien français (La Soultière, Maine, 1588 - Paris 1648). Il commence ses études à partir de 1604 au collège des jésuites à La Flèche et les poursuit à Paris, où il s’installe en 1609. En 1611, il devient membre de l’ordre des Minimes et entre au monastère de la place Royale à Paris. Mis à part ses voyages à travers la France, puis aux Pays-Bas et en Italie, Mersenne passe la majeure partie de sa vie dans la capitale. En dehors de son oeuvre de philosophe, de sa correspondance avec Descartes et bien d’autres penseurs, sa contribution la plus importante à la musique reste le vaste ouvrage Harmonie universelle, publié à Paris en 1636-37 (rééd. en fac-similé par le C.N.R.S., 1963, nouv. rééd., 1972). Organisée en 19 Livres de musique, l’Harmonie universelle, traite de la nature des sons, de l’acoustique, de la voix, des ornements du chant, des consonances et dissonances, des modes et de la composition. Enfin, une grande partie de l’ouvrage est consacrée aux instruments. Les exemples musicaux sont nombreux et sagement tirés de l’oeuvre d’éminents auteurs : ceux du passé (Le Jeune, Mauduit), ceux du présent (Moulinié, A. Boesset). Cela reflète le respect de Mersenne pour les anciens et pour la tradition zarlinienne, en même temps que son acceptation des idées nouvelles. Comme il a servi de lien entre les différents philosophes, Mersenne se situe en musique au carrefour de la Renaissance et de l’époque baroque. MERULA (Tarquinio), organiste et compositeur italien (Crémone v. 1590 - id. 1665). En 1624, il fut organiste à la cour de Varsovie. En 1626, de retour à Crémone, il fut organiste à l’église Sancta Agatha, puis fut, en 1631, maître de chapelle à Sancta Maria Maggiore de Bergame. En 1643, il collabora, à Venise, au mélodrame La Finta Savia de Strozzi. Il revint définitivement à Crémone en 1652. Il fut l’un des premiers à pratiquer la sonate à trois, avec basse continue. Dans ses madrigaux, il se montre un précurseur de la cantate par l’alternance des arias et des récitatifs. Outre des sonates et madrigaux, il a laissé une messe concertante, des motets et des oeuvres pour orgue. MERULO (Claudio), organiste et compositeur italien (Correggio 1533 - Parme 1604). Ses activités dans le domaine musical furent très diverses. Organiste, il exerça à la cathédrale de Brescia (1556), à SaintMarc de Venise (1557), puis à Mantoue (1584) et à Parme (1586), où il fut organiste de la cathédrale et de la chapelle ducale. Expert en facture d’orgues, on lui doit un positif construit par lui-même. Il fut également éditeur de musique à Venise, en collaboration avec Betanio (1566-1571). En tant que compositeur, on lui doit 4 Livres de madrigaux (à 5 voix en 1566 et 1604, à 4 voix en 1579, à 3 voix en 1580), 7 volumes de Motets et de Sacrae cantiones, de 4 à 12 voix, plusieurs Messes, des Litanies de la Vierge avec orgue (1609). Pour l’orgue, il a écrit des Ricercari (1567), 1 Messe (1568), 3 livres de Canzoni fatte alla francese et 2 livres de Toccate (1598 et 1604), où s’opposent des passages de style improvisé, propres à la toccata, et des segments fugués à la manière du ricercare. Il a également écrit 3 livres de Ricercari da cantare a 4 voci, pour groupes instrumentaux. Il composa encore des intermèdes et des musiques de scène, mais ses partitions sont pour la plupart perdues. Merulo édita lui-même une partie de ses oeuvres. D’autres pièces figurent dans des recueils collectifs ou ont été éditées par son arrière-petit-neveu Giacinto (Parme 1595 - id. v. 1650), lui-même organiste et compositeur. MESPLÉ (Mady), soprano colorature française (Toulouse 1931). Elle étudia le piano et le chant au conservatoire de Toulouse, et travailla aussi à Paris, notamment avec Janine Micheau. Elle débuta à l’Opéra de Liège dans le rôle de Lakmé (1952), dont elle est restée l’une des plus célèbres interprètes, puis se produisit à la Monnaie de Bruxelles dans Lucia di Lammermoor, rôle dans lequel (après des débuts à l’Opéra-Comique en 1956) elle devait triompher à l’Opéra de Paris en 1960. Elle parut ensuite à l’étranger et dans les principaux festivals (dans Zémir et Azor à Aix-en-Provence en 1966). Elle a créé la version française d’Élégie pour de jeunes amants de Henze, et des oeuvres contemporaines ont été écrites pour elle (Quatuor II de Betsy Jolas, Poèmes de Sappho de Charles Chaynes). Elle a chanté à Londres l’Échelle de Jacob de Schönberg sous la direction de P. Boulez, mais reconnaît volontiers que sa carrière tourne autour de 6 ou 7 opéras : Rigoletto, le Barbier de Séville, Lakmé, les Contes d’Hoffmann, la Flûte enchantée, Lucia di Lammermoor. MESSA DI VOCE (ital. : « émission de la voix »). Une voix bien posée, bien émise, peut soutenir un son qui commence pianissimo et dont l’intensité augmente petit à petit jusqu’au forte avant de diminuer à nouveau. Cette note tenue se trouve ainsi exécutée avec un contrôle parfait du souffle et sans le moindre fléchissement. Caccini, dans la préface des Nuove Musiche (1602), appelle la messa di voce il crescere e scemare della voce. C’était, à l’origine, un ornement sur des valeurs longues, notamment en fin de phrases, qui devint, à l’époque du bel canto au XVIIIe siècle, une des qualités les plus recherchées dans l’art de bien chanter. Tous les grands maîtres italiens du chant en parlent, tels Tosi et Mancini, ce dernier allant jusqu’à écrire que toute valeur longue devait faire l’objet de cet embellissement. MESSAGER (André), compositeur et chef d’orchestre français (Montluçon 1853 - Paris 1929). Il fit ses études classiques tout en travaillant le piano depuis l’âge de sept ans. À seize ans, il vint à Paris étudier la musique à l’école Niedermeyer dans les classes de Loret (orgue) et de Gigout (harmonie). Il s’y lia avec Saint-Saëns et Fauré. Il succéda à ce dernier à l’orgue de choeur de Saint-Sulpice, dès sa sortie de l’école en 1874. L’année suivante, sa Symphonie en « la » reçut le prix de la Société des compositeurs. En 1876, il obtint le prix de la Ville de Paris pour sa scène dramatique Prométhée enchaîné. Il fut successivement chef d’orchestre aux Folies-Bergère (1878), à l’Éden-Théâtre de Bruxelles (1880), mais il revint bientôt à Paris pour occuper les postes d’organiste à l’église Saint-Paul Saint-Louis (1881) et de maître de chapelle à l’église Sainte-Marie des Batignolles (1882). En 1883, à la demande de l’éditeur Énoch, il termina une opérette inachevée de Firmin Bernicat, François les Bas-bleus. Son succès amena Messager à s’intéresser au répertoire lyrique. En 1885, il fit représenter à Paris la Fauvette du temple, et, en 1886, le ballet les Deux Pigeons, premiers ouvrages d’une longue série qui devait connaître certains succès comme la Basoche (1890), les P’tites Michu (1897), Véronique (1898), restée la plus populaire de nos jours, ou Fortunio (1907), partitions claires, élégantes, et possédant un charme réel. Parallèlement à son activité créatrice, il poursuivit sa carrière d’interprète. Il fut directeur de la musique à l’Opéra-Comique (1898-1904), puis à Covent Garden de Londres, avant de prendre, à Paris, la direction de la Société des concerts du Conservatoire (1908), puis celle de l’Opéra, en association avec Broussan. Il y dirigea les représentations du Crépuscule des dieux, de Salomé et de Parsifal. En 1919, il revint, pour deux saisons, salle Favart pour y créer la Rôtisserie de la reine Pédauque de Lévadé. Comme chef d’orchestre, il possédait les qualités précieuses pour le théâtre : la netteté, la downloadModeText.vue.download 649 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 643 sûreté et le souci de l’accompagnement nuancé. Il collabora avec Sacha Guitry pour l’opéra l’Amour masqué (1923) et écrivit la musique de scène pour sa pièce Debureau (1926). MESSE. Principale cérémonie du culte catholique, articulée autour des deux moments essentiels, qui sont la « consécration » et la « communion » ( ! ITE MISSA EST). Jusqu’au concile Vatican II, qui a conservé la structure en assouplissant la mise en oeuvre, devenue aujourd’hui assez indécise, la messe, du point de vue musical, pouvait être basse (sans musique), chantée (avec seulement plain-chant et orgue) ou solennelle (avec polyphonie et éventuellement instruments, voire depuis le XVIIe siècle avec orchestre dans certaines grandes églises). Les parties chantées de la messe se divisent en deux grandes catégories imbriquées l’une dans l’autre : le commun ou ordinaire, immuable sauf aménagements (no 2 kyrie, no 3 gloria, no 7 credo, no 9 sanctus, parfois scindé en 2 parties, sanctus et benedictus, no 10 agnus Dei, no 12 ite missa est ou benedicamus Domino) ; et le propre variable d’une fête à l’autre (no 1 introït, no 4 graduel, no 5 alleluia ou trait, no 6 séquence, éventuellement, no 8 offertoire, no 11 communion). Alors que le propre est relativement stable dans le répertoire grégorien, le commun n’a cessé de donner lieu à nombreuses mélodies interchangeables, dont plusieurs ont été regroupées tardivement pour former des ensembles affectés chacun à un usage liturgique déterminé : on a ainsi obtenu 18 messes, désignées soit par un numéro, soit par un nom conventionnel (par ex. messe XV : de angelis ou « messe des Anges », déformation probable de Angles ou Anglais), soit par l’incipit du trope ornant jadis leur kyrie (par ex. XVIII : messe Cunctipotens). Les pièces non regroupées sont dites ad libitum. Le credo (4 mélodies seulement) n’est pas compris dans le regroupement, et le choix de sa mélodie en reste indépendant. La réforme du plain-chant consécutive au concile de Trente, ayant créé un style différent dans l’exécution du chant liturgique, entraîna au XVIIe siècle la composition de messes en plain-chant dans ce nouveau style (H. Dumont, Lully fils), mais ce mouvement fut de courte durée. La messe de Dumont du premier ton, dite Messe royale, est restée très populaire dans les paroisses jusqu’au concile Vatican II. C’est par l’organum à vocalises que, vers la fin du XIe siècle, la polyphonie s’introduit dans la messe avec pour objectif d’en rendre certaines pièces plus solennelles, la polyphonie se greffant sur la mélodie liturgique conservée comme teneur ou cantus firmus avec plus ou moins d’aménagements symphoniques. On « organisa » d’abord de préférence les graduels et les benedicamus Domino, puis, à partir du XIIIe siècle, les pièces du commun, dont peu à peu on délaissa le cantus firmus liturgique pour la composition libre. À la fin du XIIIe et au début du XIVe siècle, on commença à grouper des pièces d’origine différente pour former des communs polyphoniques complets, généralement à 3 voix (messes dites de Tournai, de Barcelone, de Toulouse, de Besançon). G. de Machaut fut le premier, avec sa Messe Notre-Dame à 4 voix, probablement écrite comme messe votive pour la confrérie Notre-Dame de Reims (et non, comme on l’a dit au XIXe s., pour le sacre de Charles V), à composer intégralement une messe comprenant tout le commun (y compris Ite missa est abandonné par la suite), et à insérer d’une pièce à l’autre des éléments communs assurant à l’ensemble une certaine cohérence. Au siècle suivant, Guillaume Dufay imagina, pour renforcer cette cohérence, de donner à tous les morceaux d’une même messe un thème commun, emprunté soit à la liturgie (messe Ave maris Stella), soit même au répertoire profane (messes Se la face ay pale, l’Homme armé). L’exemple se généralisa et motiva durant deux cents ans une énorme efflorescence de messes à titre, où s’illustrèrent les plus grands compositeurs (105 messes pour le seul Palestrina). Elles peuvent se classer en 3 grandes catégories : les messes à teneur (audition intégrale du thème donné, souvent au ténor), les messes paraphrases (développement libre du thème donné), les messes parodies (adaptation de modèles existants). Vers la fin du XVIe siècle, l’influence du concile de Trente, hostile à l’emploi de thèmes profanes, et l’abandon du style a cappella entraînèrent la disparition des messes à titre au bénéfice des messes avec orgue ou avec orchestre. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’habitude nouvelle de faire dialoguer choeur et orgue, ce dernier remplaçant un verset sur deux de certaines pièces, motiva une importante littérature de messes pour orgue, consistant en une série de courtes pièces correspondant à ces interventions dialoguées (elles ne sont donc pas faites pour être jouées à la suite). On y ajoute souvent des morceaux non dialogués correspondant aux moments dont disposait l’organiste pour jouer librement (entrée, offertoire, élévation, communion, sortie). Au XIXe siècle disparut à peu près l’usage de l’alternance, et les messes pour orgue se limitèrent aux morceaux ci-dessus, moins l’élévation pour laquelle fut prescrit un silence de recueillement. Au milieu du XXe siècle, la messe conciliaire, dite de Paul VI, a tout aplani avec des paroles ininterrompues, qui ont à peu près mis fin à toute possibilité d’expression organistique valable. En revanche, la messe avec orchestre, comportant également choeurs et solos, prit de plus en plus d’ampleur dans les grandes chapelles ou cathédrales et finit au XVIIIe siècle, sous l’influence de l’opéra, par devenir un véritable oratorio, avec ensemble, solos, duos, etc. Elle gagna l’église luthérienne, qui avait conservé en certains cas l’usage du latin (ou du grec pour le kyrie), mais sous forme abrégée, le plus souvent limité au kyrie et au gloria sous le nom de missa brevis (Bach en a écrit plusieurs). La Messe en « si » de Bach fut d’abord une Missa brevis, puis fut complétée après coup selon l’usage catholique, à destination de la cour catholique de Dresde (Bach n’y esquive pas, dans le Credo, les mots Et unam catholicam ecclesiam, mais les traite avec discrétion). Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle (par ex. pour Haydn, Mozart), la messe avec orchestre recule au maximum, sans les déborder, toutefois, les limites de temps et de style d’une liturgie assez tolérante. Des traditions s’établissent, comme, par exemple, de traiter en choeur fugué la dernière partie du gloria et du credo. À partir de la Messe en « ré » de Beethoven, les limites sont élargies à tel point que la tolérance n’est plus possible et que la messe avec orchestre devient pratiquement un oratorio de concert, inutilisable à l’office. Liszt la réintègre de justesse avec sa Messe de Gran, mais retrouve à peu près les normes liturgiques dans d’autres messes qui redonnent une place au plain-chant de l’office. La scission ne s’établit pas moins, vers la fin du XIXe siècle, entre la messe de concert et la messe fonctionnelle, dite « de maître de chapelle ». Cette dernière, malgré l’apport de quelques grands compositeurs (C. Franck, Bruckner, Fauré) semble avoir eu quelque peine à surmonter la médiocrité générale de l’ensemble des productions. Elle semblait, à l’approche du concile, connaître en France un certain renouveau (Caplet, Poulenc, Langlais, Chailley), mais celui-ci est aujourd’hui remis en question par les incertitudes de la nouvelle liturgie. Quant à la messe de concert, elle n’apparaît plus guère au XXe siècle que de façon exceptionnelle (Janáček, messe « glagolitique » en dialecte slavon, 1926, messe de Stravinski, 1948). Il faut mettre à part la messe de Requiem, qui groupe le propre et le commun et constitue un genre distinct. MESSIAEN (Olivier), compositeur français (Avignon 1908 - Paris 1992). Il naît dans un milieu cultivé, fils d’un professeur d’anglais, traducteur éminent de Shakespeare, et de la poétesse Cécile Sauvage. Sa mère, enceinte de lui, avait écrit, sous le titre l’Âme en bourgeon, d’étonnants poèmes d’amour maternel prémonitoires de la destinée de son fils, et qui devaient marquer ce dernier. downloadModeText.vue.download 650 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 644 Les parents d’Olivier Messiaen s’installent en 1914 à Grenoble, dans le Dauphiné, qui restera son domaine d’élection, où il se retire pour écrire presque toutes ses oeuvres. Élevé par sa mère et sa grandmère pendant la guerre de 1914-1918 (le père étant mobilisé), il commence à étudier le piano avec Mlle Chardon, et se montre très précocement intéressé par la lecture des grandes partitions classiques (il compose déjà, en 1914, une petite pièce pour piano). Pour son dixième anniversaire, son premier professeur d’harmonie, Jehan de Gibon, lui offre en cadeau la partition d’orchestre de Pelléas et Mélisande, qui est pour lui une révélation. Puis la famille s’installe à Paris, et Olivier Messiaen est inscrit au Conservatoire de Paris, où il étudiera pendant onze ans, avec Noël et Jean Gallon (harmonie), Maurice Emmanuel (qui lui révèle la richesse de modalité et la métrique grecque), Paul Dukas, A. Estyle, Marcel Dupré (orgue) et Falkenberg (piano). Sa première page pour orgue, publiée en 1928, le Banquet céleste, adaptation d’une pièce pour orchestre, contient déjà certains de ses procédés d’écriture favoris, entre autres l’emploi d’un mode qui devait devenir son deuxième « mode à transpositions limitées ». Il s’agit de modes où la succession des intervalles est telle, par sa régularité, qu’en les transposant sur d’autres degrés, on retrouve rapidement les mêmes notes que dans la forme originale. C’est ce que Messiaen appelle le « charme des impossibilités ». Le sensualisme exacerbé de l’harmonie, l’étirement de la courbe mélodique et le sujet directement religieux (car Messiaen est un catholique fervent) sont des traits « messiaenesques » que l’on trouve aussi, d’emblée, dans ce premier opus publié. Les Préludes pour piano (1929) valent à Messiaen un second prix de composition, et, malgré leurs titres « postdebussystes » (Cloches d’angoisse, les Sons impalpables du rêve), ils annoncent son écriture par « pans » très découpés, où les motifs sont juxtaposés verticalement ou dans le temps, au lieu de s’enchevêtrer (au contraire d’un Richard Strauss), ainsi que son utilisation de l’accord comme « touche de couleur ». L’audition colorée des sons, en couleurs rutilantes de vitrail, ne procède pas chez lui d’une image poétique, ou d’une correspondance diffuse : c’est « à la lettre », qu’il déclare voir les sons en couleurs, c’est un phénomène que l’on appelle « synopsie » et dont la médecine reconnaît l’existence. Ses compositions suivantes, 3 Mélodies pour soprano et piano, la Mort du nombre pour soprano, ténor, violon et piano, Diptyque, 1930, pour orgue, emportent un premier prix. Après un échec au prix de Rome, il est nommé titulaire des grandes orgues de l’église de la Trinité, à Paris, en 1930, à vingt-deux ans. C’est là - à cette tribune qu’il va tenir pendant plus de trente ans - qu’il a certainement développé, dans l’improvisation à l’orgue, une grande partie de ses trouvailles. Avec ses couleurs qui se juxtaposent, ses oppositions de masse, ses changements abrupts de registre et l’ampleur de sa ligne sonore, le grand orgue est un modèle sous-jacent dans son écriture orchestrale ; de même, cet instrument offre un « banc d’essai » pour ses recherches d’expression, de modalité, d’harmonie, de rythme, étant le dernier instrument de la musique occidentale « sérieuse » à perpétuer la tradition des compositeurs-improvisateurs. En 1931, le triptyque symphonique des Offrandes oubliées lui vaut un certain succès. Passionné d’étude, il continue, sorti du Conservatoire, à apprendre à toutes les sources. Il étudie ainsi l’accentuation chez Mozart, le rythme chez les modernes, Debussy, Stravinski (dont il analyse le Sacre du printemps sous un angle rythmique qui est une révélation pour beaucoup de ses élèves) ; il recherche, avec le peintre suisse Blanc-Gatti, des rapports précis entre la couleur et le son ; enfin, et surtout, il étudie la métrique grecque, les neumes grégoriens et le système rythmique hindou (les deci-tâlas, qu’il est le premier à adapter dans la musique occidentale ; il s’agit de périodes rythmiques complexes). Dans ces études, il approfondit sa plus originale préoccupation : celle d’une nouvelle « durée ». Si, en effet, son harmonie et son système modal sont déjà personnels et tout de suite identifiables, ils n’en procèdent pas moins directement d’une tradition française (Fauré, Franck, Debussy) ; mais son sens particulier du rythme, comme le contraire d’une pulsation régulière, lui appartient complètement, et c’est bien dans un grand Traité du rythme, commencé depuis longtemps et pas encore achevé en 1981, qu’il compte tracer le bilan de sa recherche. Ainsi son style se cristallise-t-il assez rapidement, dans des oeuvres comme Apparition de l’Église éternelle (1932) pour orgue et la suite symphonique de l’Ascension (1932) en quatre méditations, adaptée pour l’orgue en 1933. Olivier Messiaen, à une ou deux exceptions près, a toujours refusé de couler son inspiration religieuse dans le moule des genres liturgiques traditionnels : messes chantées, requiems, cantates, motets, etc. De même, s’il emprunte à tous les genres (concerto, symphonie, sonate), il n’en adopte jamais le cadre tout préparé. Chaque oeuvre est unique, et il évite instinctivement tout cycle, renouvelant le même effectif instrumental (quatuor, trio, etc.). Il compose son premier cycle d’orgue important, en 1935, la Nativité du Seigneur, qui systématise l’emploi des modes à transpositions limitées (qu’il a très vite répertoriés et classés), des rythmes inspirés des tâlas hindous et des « valeurs rythmiques ajoutées », qui, comme le dit Alain Périer, « prolongent dans le temps ce que la note ajoutée à un accord prolonge dans l’espace (des hauteurs) ». Ces innovations n’empêchent pas ces pièces d’offrir un « plaisir d’écoute », et ce sera une des originalités de Messiaen que d’avoir su « séduire » des auditeurs de tous bords, en faisant cohabiter la recherche formelle et l’hédonisme musical, en dépassant l’antinomie qui, à ce moment-là, divisait en France les compositeurs en « sensualistes » et en « spéculateurs ». Aussi, avec son exigence musicale, il est bien placé, en cette année 1936, pour former, avec André Jolivet, Daniel-Lesur et Yves Baudrier (l’instigateur de cette réunion), le groupe Jeune France, dont le programme est de contribuer à « régénérer » spirituellement et esthétiquement la musique française, qui oscille souvent entre la facilité paresseuse, le néoclassicisme exsangue et la cérébralité. La guerre séparera ce groupe, après qu’il eut délivré son message par des concerts en commun accueillis avec faveur. La même année, 1936, Messiaen est nommé professeur à l’École normale de musique et se marie avec la violoniste Claire Delbos, dont il aura un fils, Pascal, né en 1937. Sous le surnom de « Mi », son épouse lui inspirera plusieurs pièces, dont les Poèmes pour Mi (1936) pour soprano et piano, où le sentiment religieux cherche à épouser l’amour humain - de même que plus tard, dans son cycle « tristanesque » (Harawi, Turangalîla-Symphonie, 5 Rechants), il cherchera à sauver cet amour humain de la malédiction. La Fête des belles eaux, pour ondes Martenot, commandée pour l’Exposition universelle de 1937, lui donne l’occasion d’expérimenter pour la première fois un instrument dont il a su s’approprier la beauté presque vulgaire de timbre, en l’utilisant dans une fonction délibérément « décorative ». La naissance de son fils Pascal lui inspire un autre cycle mélodique pour soprano et piano, les Chants de terre et de ciel (1938), dont il écrit le texte, comme pour répondre à ces poèmes que sa mère lui dédiait quand il était encore dans son ventre. Ce cycle peu connu révèle une face rarement soulignée de Messiaen : le doute. C’est qu’il n’est pas si facile, si l’on est exigeant envers ses croyances, de « dédramatiser » l’état d’enfance et de rédimer l’amour humain. Ici, comme dans les Poèmes pour Mi, comme plus tard dans les 5 Rechants, les Petites Liturgies, Harawi, Messiaen ne laisse à personne d’autre le soin d’écrire le texte ; un texte où l’on retrouve les mêmes procédés que dans sa musique, de juxtaposition d’éléments hétérogènes : onomatopées (en référence au babil enfantin), interrogations religieuses, images « surréalistes » (ces « oiseaux buvant du bleu », qui, curieusement, indisposaient si fort, au début, des gens avisés downloadModeText.vue.download 651 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 645 comme le critique Claude Rostand). Mais le texte, ici, n’a d’autre prétention que de donner matière au chant ; un chant destiné à la voix de femme, comme toujours chez lui, ou presque. Quand la Seconde Guerre mondiale éclate, Messiaen achève un de ses plus beaux cycles d’orgue, les Corps glorieux (créés après la guerre), qui utilisent souvent une écriture monodique. Mobilisé, il est capturé par les Allemands, déporté au camp de Görlitz en Silésie. C’est là que, dans des conditions de vie extrêmes, dans la faim et le froid qui lui donnent des hallucinations « synoptiques » d’auditions colorées, il écrit, pour le jouer avec trois compagnons de captivité, l’étonnant Quatuor pour la fin du temps (1941) pour piano, violon, violoncelle et clarinette. La « fin du temps » telle que l’annonce l’Apocalypse, texte inspirateur de cette oeuvre magique, est représentée ici par l’emploi de rythmes non rétrogradables, assimilant le temps à un espace, puisqu’ils forment la même figure qu’on les lise dans un sens ou dans l’autre, en remontant le temps. Le premier mouvement notamment, Liturgie de cristal, avec ses superpositions de parties instrumentales tournant chacune indépendamment dans son aire, illustre génialement cette véritable « suspension du temps », cette giration complexe qui pourrait se prolonger dans l’éternité étant conçue comme une combinaison d’ostinatos portant indépendamment sur l’harmonie, la mélodie et le rythme -, de telle façon que l’on perçoive une périodicité, mais insaisissable. On y rencontre aussi, pour une des premières fois, clairement désignés comme tels, mais non encore transcrits d’après nature, les chants d’oiseaux qui domineront une partie de son oeuvre future. L’oeuvre est créée au stalag dans ces extraordinaires circonstances, le 15 janvier 1941. Mais l’auteur est rapatrié en 1942 à Paris. Là, Claude Delvincourt le fait nommer professeur d’harmonie au Conservatoire de Paris. Ses Visions de l’amen pour deux pianos, créées par Yvonne Loriod et luimême en 1943, marquent sa rentrée dans la vie musicale « normale ». Et, en 1944, il se sent assez sûr de son langage pour publier un des plus étranges recueils que compositeur ait jamais publié : sa Technique de mon langage musical, qui est un inventaire, avec des exemples musicaux à l’appui, de tous les procédés qu’il utilise librement, modes à transposition limitée, accords avec notes ajoutées, emploi de rythmes avec valeurs ajoutées, ou « non rétrogradables », structures rythmiques empruntées à la Grèce ancienne, ou à la musique indienne, ainsi qu’aux neumes du plain-chant - une des sources les plus importantes dans son inspiration. Chez Guy-Bernard Delapierre, il donne un cours de composition non officiel, dont les premiers élèves - qui adoptent comme nom de tribu « les Flèches » - se nomment Pierre Boulez, Serge Nigg, Yvonne Loriod, Jean-Louis Martinet, Maurice Le Roux. En 1943-44, il écrit coup sur coup deux de ses oeuvres les plus importantes, qui deviendront parmi les plus populaires et les plus souvent jouées ; leur style est devenu plus rapidement classique, plus immédiatement saisissable que celui de ses oeuvres ultérieures : il s’agit de ses Trois Petites Liturgies de la présence divine (1944) pour choeur féminin, piano, ondes Martenot et orchestre, et des Vingt Regards sur l’Enfant Jésus (1944), vaste cycle pour piano solo. Cette dernière oeuvre, dynamique et massive, colorée, orchestrale, s’appuie sur des leitmotive brefs et caractérisés. Une fois de plus, on y trouve la référence à l’« enfant merveilleux » qu’il fut lui-même pour sa mère, qui écrivait avant sa naissance : « Je souffre d’un lointain musical que j’ignore. » Quant aux Trois Petites Liturgies, dont il écrit lui-même le texte jubilatoire, si elles apparaissent aujourd’hui comme du pur Messiaen « tel qu’en lui-même », quelles discussions, quelles colères n’ont-elles pas déclenchées après leur création le 21 avril 1945 à Paris, lors de leur création aux concerts de la Pléiade, devant un public prestigieux ! Comme dans beaucoup d’autres « scandales » musicaux, ici la contestation n’attaque pas de front la musique, mais un élément secondaire : le texte et sa sensualité religieuse, son prétendu « charabia ». Devant l’incompréhensible violence de certaines attaques, on peut penser pourtant que la musique aussi, et surtout, était en cause, parce qu’elle gênait par son insolite fusion de la sensualité et du mysticisme, de l’hédonisme et de l’abstraction, comme un défi aux catégories communes, et, enfin, par son affirmation totale d’un tempérament unique et « violent » (la violence est, en effet, un des aspects les moins soulignés et pourtant les plus sensibles de l’art de Messiaen). C’est après cette consécration doublée d’une contestation agressive, après cette reconnaissance de son oeuvre dans toutes ses dimensions que Messiaen aborde directement le thème de l’amour humain asocial, non conjugal, à travers le mythe de Tristan et d’Isolde. Il s’agit de « sauver » Tristan et de conjurer, de toute la force d’une foi, la présence de l’instinct de mort inscrit au coeur de la plus grande histoire d’amour - de proclamer que cette mort qui est, apparemment, l’issue fatale du désir est, en fait, la porte d’une renaissance vers un amour plus élevé. Pour illustrer ce thème, il y met les grands moyens : un grand cycle de mélodies pour soprano et piano, Harawi, chant d’amour et de mort (1945), une gigantesque symphonie en 10 mouvements pour grand orchestre avec piano solo et ondes Martenot, la Turangalîla-Symphonie (1946-1948), commande de Serge Koussevitski, et les 5 Rechants (1948), pour ensemble vocal mixte à 12 voix réelles - cette dernière oeuvre se référant à la polyphonie française (Claude Le Jeune en particulier), dont elle retrouve avec succès la fraîcheur et la vie. Trois oeuvres on ne peut plus différentes de proportions malgré quelques traits communs (référence à la langue « quechua » dans Harawi et les Rechants ; mélange singulier de luxuriance et de simplicité absolue). Il est indiscutable que, après cet énorme triptyque, Messiaen meurt et renaît, qu’il laisse derrière lui, tel le serpent, une de ses peaux successives, et qu’il fera son deuil d’une certaine immédiateté hyperexpressive, dont la Turangalîla jette les derniers feux. Il entre, dès lors, à quarante ans passés, dans une période de recherches techniques, où certains voient la partie la plus aride de sa production. Quand il dira, plus tard, que la nature et les oiseaux, ces « petits serviteurs de l’immatérielle joie », l’ont ressourcé, l’ont sauvé de la stérilité artistique, on doit le prendre au sérieux et cesser de croire qu’il a pu créer ce qu’il a créé avec une tranquille assurance protégée du doute. 1947 : UNE DATE IMPORTANTE. N’ayant pu être nommé professeur de composition au Conservatoire de Paris, par refus du ministère, Messiaen obtient de Claude Delvincourt une classe « spéciale » créée à son intention, baptisée « classe d’analyse » ou d’« esthétique », et où passeront certains des plus grands noms de la jeune musique internationale : Pierre Boulez, Yannis Xenakis, Jean-Pierre Guézec, Jacques Charpentier, Pierre Henry, Karlheinz Stockhausen, et, aussi, plus tard, Tristan Murail, N’guyen Tien Dao, Paul Méfano, Michèle Reverdy, etc. Le plus grand hommage que lui aient jamais rendu ses élèves, ce fut de dire qu’il avait su, tout en analysant avec passion et acuité Mozart, Stravinski, Berlioz, Webern, etc., révéler chaque personna- lité à elle-même et faire éclore en chacun ce qu’il avait à dire - si bien que si l’on a fait du simili-Messiaen, ce fut temporairement et par admiration. C’est la même année qu’il commence son Traité du rythme et qu’il commence à être accueilli à l’étranger pour donner des cours qui marqueront cette période de recherche et de rénovation intense de la musique d’après-guerre : à Darmstadt, Sarrebrück, Tanglewood, etc. Peut-être ces rencontres avec les compositions nouvelles, fort préoccupées d’abstraction, ont-elles contribué à la naissance de pages comme les Quatre Études de rythme (1949-50) pour piano (dont le très célèbre Modes de valeur et d’intensité, par ses recherches d’une détermination intégrale des paramètres du son, a tant fait fantasmer ses jeunes élèves downloadModeText.vue.download 652 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 646 sur une « maîtrise totale » de la composition). Sa Messe de la Pentecôte (1950) pour orgue et son Livre d’orgue (1951) marquent un retour à l’instrument de ses premières oeuvres. Mais une étape est franchie, depuis les cycles très « sensuels » de l’avant-guerre : le travail rythmique est tendu, serré, la ligne plus abstraite. Peu après, en 1952, Messiaen tente un unique essai dans le domaine de la musique concrète, Timbres-Durées, « modeste étude de rythme » qu’il estime être un échec. C’est alors que, en pleine efflorescence de recherches abstraites et techniques, il trouve le modèle, la source qui va lui inspirer une nouvelle série d’oeuvres : le chant des oiseaux. Il les étudie systématiquement, se postant dans la nature, avec son papier à musique et son crayon, et, armé de connaissances en ornithologie, il s’immerge dans ce monde immense que la musique avant lui n’ignorait pas, mais qu’elle abordait d’une manière stylisée et simplifiée. Au contraire, il cherche à transcrire ces chants d’oiseaux le plus exactement, le plus « objectivement » possible, pour en faire la matière d’oeuvres descriptives dotées seulement d’évocations imitatives des bruits de la nature. Rarement, on aura poussé aussi loin une esthétique de « mimesis », et il y a quelque chose d’émouvant à cet acharnement d’un compositeur, maître de son expression, à s’effacer derrière le « rendu » d’une réalité du monde sonore. Et ce sont des partitions naturalistes comme le Merle noir (1951) pour flûte et piano, le Réveil des oiseaux (1953) pour piano et orchestre (sous-titré Poème symphonique), les Oiseaux exotiques (1955-56) pour piano, 2 clarinettes, percussions et orchestre à vent, et la vaste suite pour piano solo du Catalogue d’oiseaux (1956-1958). C’est naturellement Yvonne Loriod qui tient le piano dans ces oeuvres très difficiles d’exécution, à la sonorité piquante et précise - aussi éloignées que possible du « flou artistique » où se tiennent souvent les évocations naturelles. Cet homme qui avait su, avec une apparente facilité, faire de la musique à la « première personne », et qu’on pourrait croire si sûr de sa manière, ne dissimule pas que les oiseaux lui ont rendu un « chemin perdu », lui « ont redonné le droit d’être musicien » - aveu grave et courageux d’une période de désarroi et de passage à vide. Même une oeuvre comme Chronochromie (1960) pour orchestre (« couleur du temps »), si elle pousse à l’extrême le travail abstrait sur les durées, intègre dans son tissu musical un grand nombre de chants d’oiseaux. Certains y voient une tentative inquiète de concurrencer le travail de la jeune génération sérielle montante. Cette même année 1960, sa première femme, Claire Delbos, meurt après une longue maladie. Invité au Japon en 1962, avec Yvonne Loriod qu’il vient d’épouser, il y trouve l’inspiration de ses Sept Haï-Kaï, esquisses japonaises pour ensemble instrumental et piano solo. Mais c’est en 1963 qu’il renoue avec la série abandonnée des oeuvres théologiques, à l’occasion d’une commande d’Heinrich Strobel : ce sont les Couleurs de la cité céleste. Dès lors, l’inspiration naturelle et l’inspiration religieuse semblent se réconcilier ; son style devient plus massif, plus épuré, plus simple - comme dans Et exspecto resurrectionem mortuorum créé au Domaine musical (1965), nouvelle commande, pour une cérémonie à la mémoire des victimes de la guerre. Une oeuvre qui évoque Berlioz, quand celui-ci se fait direct, évident, dépouillé. En même temps, des honneurs divers ne cessent de couronner Messiaen : festivals, prix, fondation d’un concours de piano qui porte son nom au festival de Royan, poste enfin concédé de professeur de composition au Conservatoire de Paris, nomination à l’Institut en 1967, etc. La fondation Gulbenkian lui commande un colossal ensemble orchestral et choral sur la Transfiguration de Notre-Seigneur JésusChrist (1965-1969), sorte de grande tapisserie qui est l’apothéose de sa dernière manière. Ses Méditations sur le mystère de la Sainte-Trinité (1969, créées à Washington, 1972) pour orgue renouent dans certaines parties avec le vieux rêve d’une « langue musicale », par un système de transcription en notes et en durées des lettres de l’alphabet et des catégories grammaticales. Il s’agit d’une des oeuvres les plus directement théologiques de Messiaen, autour d’un sujet qui est un des mystères les plus secrets du dogme catholique. Enfin, après un appendice au Catalogue d’oiseaux, la Fauvette des jardins (1970), il s’acquitte d’une nouvelle commande, pendant monumental aux Sept Haï-Kaï précieux et ouvragés inspirés par le Japon. Ici, ce sont les paysages des États-Unis qui dilatent son inspiration aux dimensions d’une vaste symphonie cosmique, plus berliozienne que jamais, et cependant pénétrée de sentiment religieux : Des canyons aux étoiles (1970-1974), oeuvre apaisée aux admirables paysages. En 1983 est créé à l’Opéra de Paris Saint François d’Assise, opéra en 3 actes et 8 tableaux, en 1986, à Detroit, un nouveau cycle pour orgue, le Livre du Saint Sacrement, en 1987 à Paris Six Petites Esquisses d’oiseaux pour piano, et en 1989 à Paris la Ville d’en haut et en 1992 à New York Éclairs sur l’au-delà. Il a écrit également Un sourire, hommage à Mozart (1991). L’orchestration de Concert à quatre pour flûte, hautbois, violoncelle, piano et orchestre a été terminée par Yvonne Loriod (1992-1994). En 1995 ont paru les deux premiers des sept tomes de son Traité de rythme, de couleur et d’ornithologie. Si, pour parler de la musique de Messiaen, on reprend souvent les termes de son auteur (« un arc-en-ciel théologique », une musique du « son-couleur »), on a tendance à la considérer comme un bloc, sans la moindre faille. C’est tout à fait le contraire, et les différentes couleurs de cet arc-en-ciel ont été réunies à travers une certaine somme de doutes, de choix, de renoncements. Dans cette recherche, c’est le problème de la « durée » qui tient une place centrale. Dès le début de son oeuvre, ses recherches ont assez vite « saturé » les domaines de l’harmonie et de la modalité - évidemment parce que, avant lui, la musique occidentale avait déjà beaucoup exploré ces dimensions. Du côté des durées, en revanche (par opposition au rythme pulsé, régulier, mesuré, qui est pour lui le contraire du rythme), il n’a cessé d’explorer, d’essayer. Quant à la « couleur », si importante dans son oeuvre, elle n’est pas, comme chez d’autres, créée par des alliages raffinés et insaisissables, c’est une véritable couleur franche, qui peut être créée par des « accords » aussi bien que par des timbres bruts d’instruments. La « durée » et la « couleur » sont bien parmi les dimensions les plus secrètes de la musique occidentale. Pour caractériser son esthétique, on peut reprendre une notion qu’il utilise souvent quand il parle de sa technique : celle de « valeur ajoutée ». Ce musicien, qui prend partout son bien, n’a garde de fondre tous ses procédés dans un creuset d’où ils ressortiraient complètement agglomérés, fusionnés, indistincts. Là où d’autres confondent et mélangent, il « ajoute », ostensiblement : chez lui, le « décoratif », en tant que procédé qui consiste à « ajouter », devient un principe esthétique, qui cesse d’être antinomique avec le « structurel ». Messiaen assume pleinement les guirlandes saint-sulpiciennes des ondes Martenot, le brillant pailleté de l’aigu du piano, la virtuosité instrumentale dans ce qu’elle a de plus ostensible, l’effet de « richesse » accumulative des notes ajoutées dans l’harmonie - d’où le rapprochement malintentionné fait par certains entre son esthétique et celle d’un Gershwin. Combien il a raison pourtant de suivre ici son goût - car il a toujours su s’exprimer en vrai et grand musicien avec les moyens qui lui convenaient, et que d’autres pouvaient mépriser. Ce n’est d’ailleurs pas sans avoir essuyé l’ironie, le mépris ou le refus, qu’il est devenu le musicien universellement estimé qu’il est aujourd’hui. MESURE. Unité rythmique, elle-même divisée en temps. Cette unité rythmique est placée entre deux barres. La mesure s’indique en début d’oeuvre ou de fragments d’oeuvre par une fraction dont le dénominateur représente downloadModeText.vue.download 653 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 647 une division de la ronde, prise arbitrairement comme valeur de référence, et le numérateur le nombre de ces divisions par mesure (par ex. : 3/4 = mesure formée par 3 quarts de ronde, soit 3 noires). À l’origine, des années 500 à 1200 approximativement, il n’y avait pas de mesure (par ex. dans le chant grégorien), de 1200 à 1450 environ, il y eut des modes rythmiques ( ! MAJEUR, MINEUR), de 1450 à 1600, une mesure, dite libre, sans accentuation des premiers temps, et, vers 1600, apparut véritablement la mesure telle qu’elle est décrite ici. MESURÉE À L’ANTIQUE (musique). Nom donné à un style particulier de composition, en honneur à la fin du XVIe siècle, dans lequel la valeur rythmique des notes n’était pas déterminée par une mesure régulière, mais par la longueur des syllabes chantées, selon des schémas prosodiques par longues et brèves calqués sur la métrique gréco-latine. La musique mesurée à l’antique avait résulté de la fusion de deux courants distincts, tous deux reliés aux recherches humanistes de la Renaissance. L’un, purement littéraire, était né en Italie au milieu du XVe siècle ; il gagna la France (1497), puis l’Espagne (1540), les Pays-Bas (1548), la Suisse alémanique (1555), enfin l’Angleterre (1570) et l’Allemagne (1578). Son objet était de rénover la poésie en appliquant à la langue vernaculaire la prosodie et la métrique des poètes gréco-latins (cf. vers mesurés). Le second courant, né dans les écoles allemandes, était d’essence pédagogique. Il consistait à initier les élèves aux vers latins en les leur faisant chanter sur des mélodies composées à cet effet dans le rythme du vers ; le prototype en était une ode d’Horace mise en musique vers 1507 par P. Tritonius. Ce fut en France, vers 1570, que les deux courants se réunirent et que la musique prit valeur d’oeuvre d’art grâce au poète J. A. de Baïf, qui proclama la valeur musicale des vers mesurés vernaculaires et provoqua la collaboration de musiciens tels que Thibaut de Courville, du Faut et surtout Jacques Mauduit et Claude Le Jeune, faisant à la musique mesurée une place de choix dans son Académie de poésie et de musique (1570). La musique mesurée trouva en Claude Le Jeune un compositeur de génie et avait également parfois tenté Eustache du Caurroy, puis avait été abandonnée audelà des premières années du XVIIe siècle. Son existence fut donc éphémère, mais son influence considérable. Elle contribua à assouplir la rythmique, à développer la prosodie musicale, à rapprocher la musique de la parole, et, à ce titre, elle ne fut pas étrangère au mouvement qui aboutit en 1600 à la révolution musicale qu’avait été la création de l’opéra. MÉTALLOPHONE. Tout instrument à percussion dont les corps sonores sont métalliques : carillon, célesta, etc. C’est, plus particulièrement, un instrument à percussion extrêmeoriental en tout point semblable au xylophone, mais dont les lames de bois sont remplacées par des lames métalliques. METASTASIO (Pietro Trapassi, dit) [en fr. MÉTASTASE], poète italien (Rome 1698 Vienne 1782). Métastase est sans doute le poète dont le style et les conceptions dramatiques ont le plus profondément marqué l’histoire de l’opéra. Issu d’un milieu modeste, il fut élevé dans la maison de son parrain, le cardinal Ottoboni, puis fut recueilli par le grand érudit Gian Vicenzo Gravina, qui transforma son nom, en l’hellénisant, de Trapassi en Metastasio. Il fut membre de l’Académie d’Arcadie, à Rome, puis alla s’établir à Naples, où il fréquenta le cercle du compositeur et pédagogue Porpora. C’est là qu’il écrivit son premier livret d’opéra Didone abbandonata (1724). Il se trouvait à nouveau à Rome lorsque la cour d’Autriche lui proposa l’une des fonctions les plus enviées de son temps : celle de poète impérial, comme successeur d’Apostolo Zeno. Il s’installa à Vienne en 1730 et ne quitta plus l’Autriche jusqu’à sa mort, en 1782. Mais cet enracinement dans un pays étranger ne doit pas faire illusion : Métastase n’écrivit jamais que dans sa langue maternelle, et sa volumineuse correspondance montre que c’est vers ses compatriotes (en particulier le castrat Farinelli) que restaient tournées ses sympathies. La postérité de ses oeuvres dramatiques, elle, s’étendit à tout le monde occidental : à peine un de ses livrets d’opéra ou d’ora- torio avait-il été mis en musique (pour la plupart à Rome, puis à Vienne) qu’il se propageait dans tous les grands théâtres d’Europe, de Palerme à Stockholm, de Lisbonne à Londres et à Saint-Pétersbourg - à l’exception de la France. Cette vogue se poursuivit en plein XIXe siècle, avec, par exemple, la Semiramide de Meyerbeer (Turin, 1819), ou l’Ipermestra de Mercadante (Naples, 1825). L’esthétique de l’opéra métastasien procède de l’Académie d’Arcadie, qui fleurit à Rome à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle. En réaction contre le mélange des genres, qui caractérisait en particulier l’opéra vénitien, les arcadiens préconisèrent une intrigue plus dépouillée, à l’exemple de la tragédie classique française. Les 27 livrets d’opéra de Métastase sont presque tous tirés de l’Antiquité grécoromaine et représentent les traditionnels conflits entre l’amour et le devoir, l’ambition politique et le respect d’autrui, entre la haine et la vertu du pardon. L’éventail formel de l’opéra s’y réduit à sa plus simple expression : l’alternance entre l’air et le récitatif, avec un ensemble à la fin de chaque acte. Mais la richesse des images poétiques et une répartition harmonieuse des mots clefs font des textes de Métastase le support idéal d’un style musical lui aussi chargé de rhétorique. Parmi la première génération de compositeurs qui illustrèrent ses livrets, citons Vinci (Didone abbandonata, 1726), Hasse (Artaserse, 1730), Pergolèse (Olimpiade, 1735). L’adéquation des livrets aux exigences des compositeurs diminue avec une nouvelle génération de musiciens, au premier rang desquels Traetta, Galuppi, Jommelli et Piccinni. Il devient alors de plus en plus fréquent de retoucher les textes de Métastase, par exemple en les réduisant de 3 à 2 actes et en y ajoutant des ensembles (Il Re pastore de Mozart, 1775) et des choeurs (La Clemenza di Tito de Mozart, 1791). MÈTRE (du gr. metros, « mesure »). Terme de versification parfois employé par analogie en théorie musicale. En versification, on appelle poésie métrique celle fondée non sur le nombre des syllabes, mais sur leur groupement en pieds, déterminée par une alternance définie de longues et de brèves. Elle s’oppose à la poésie syllabique, fondée sur le seul nombre des syllabes. Le mètre est, dans la première catégorie, la combinaison type prise pour base du schéma de versification. On dira, par exemple, qu’une poésie est en mètre dactylique quand elle emploie une série de vers dont le dactyle (1 longue, 2 brèves) est l’élément de base sans en être forcément l’unique composant. Les multiples du mot « mètre » (dimètre, trimètre, etc.) se réfèrent, selon les cas, soit au nombre de pieds inclus dans un tel vers, soit à la moitié de ce nombre, certains pieds étant parfois, pour le décompte, groupés arbitrairement deux par deux (ainsi un trimètre iambique comportera non pas 3 mais 6 iambes - c’est-à-dire brève plus longue - tandis qu’un hexamètre dactylique compte effectivement 6 dactyles, ou leurs équivalents). Le mot « mètre » n’a pas de signification définie en musique, mais on l’emploie parfois par analogie en se référant aux formules rythmiques correspondant à celles de la versification ci-dessus. Ainsi l’allegretto de la 7e Symphonie de Beethoven peut être dit de « mètre dactylique ». MÉTRONOME. C’est à Paris, en 1816, que l’Allemand J. N. Maelzel fit breveter ce petit appareil à battre la mesure qu’il conçut d’après un modèle vu à Amsterdam, fabriqué par Winkel. Le métronome est formé essentiellement d’une réglette verticale, dont le mouvement de balancier est entretenu par un mécanisme d’horlogerie. Un curseur downloadModeText.vue.download 654 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 648 coulissant permet de régler sa vitesse de 40 à 208 battements à la minute, et l’ensemble tient dans un coffret de bois d’une forme pyramidale caractéristique. Grâce au métronome, les exécutants peuvent travailler un morceau rigoureusement en mesure, et les compositeurs sont à même d’indiquer avec précision le tempo qu’ils souhaitent. Beethoven, ami de l’inventeur, fut le premier à s’en servir. METROPOLITAN OPERA HOUSE DE NEW YORK. Construit à l’initiative d’hommes d’affaires, l’opéra ouvrit le 22 octobre 1883 sur Broadway avec Faust de Gounod chanté en italien. Un des premiers directeurs fut Walter Dam rosch (jusqu’en 1891) : furent alors données les premières américaines de plusieurs oeuvres de Wagner. On assista ensuite à un retour en force du répertoire français et italien. Heinrich Conried (1903-1908) engagea Caruso et Gustav Mahler, alors que son successeur GattiCasazza (1908-1935) imposa durant ses sept premières saisons Arturo Toscanini. Plus tard, le répertoire français se rétrécit, et la France marqua sa présence au « Met » plus encore par ses chefs d’orchestre (Pierre Monteux en 1917-1919, Albert Wolff en 1919-1921, Louis Hasselmans en 1921-1936) que par ses chanteurs (Léon Rothier de 1910 à 1939, Georges Thill en 1931-1932 et surtout Lily Pons de 1931 à 1959) : Beecham (1941-1944) y dirigea par exemple Faust avec des distributions tout à fait internationales. Administrateur général de 1935 à 1950, Edward Johnson encouragea les artistes américains. Son successeur Rudolf Bing (1950-1972) modernisa l’équipement technique et renouvela les conceptions théâtrales. Le premier titulaire du nouveau poste de directeur musical fut Rafael Kubelik (1973-1974). James Levine lui succéda en 1975 et devint directeur artistique en 1986. La nouvelle salle (3 600 places), au Lincoln Center, fut inaugurée le 16 septembre 1966 avec la création mondiale de Anthony and Cleopatra de Samuel Barber. Parmi les créations mondiales antérieures, il faut citer au moins celles de La Fanciulla del West de Puccini (1910) et de Goyescas de Granados (1916). METZ (Rencontres internationales de musique contemporaine de). Festival de musique contemporaine qui s’est déroulé tous les ans à Metz durant trois ou quatre jours à la fin de novembre, de 1972 à 1992. Il fut le plus important du genre en France après la disparition du festival de Royan en 1977. L’édition de 1992, la dernière, se déroula sous la dénomination « Rendez-vous musique nouvelle ». Lorsque Claude Lefebvre crée en 1972 ses premières rencontres de musique contemporaine, il a à l’esprit un projet ambitieux, et, dès le départ, pose un principe d’action : « Échapper aux consommations hâtives de trop nombreuses créations mondiales. » Ni saturation, ni dispersion, donc. Pour « ouvrir » ce nouveau festival, il établit une programmation dans laquelle des noms célèbres (Boulez, Stockhausen) voisinent avec des compositeurs plus jeunes (Méfano, Dao). En 1973, les concerts sont axés sur deux valeurs sûres : Messiaen (avec les Vingt Regards de l’Enfant Jésus, les Visions de l’amen, les Oiseaux exotiques, et les Méditations sur le mystère de la Sainte-Trinité) et Stockhausen, à qui un cycle est consacré avec, notamment, une de ses grandes oeuvres, Hymnen, et aussi une conférence. La troisième Rencontre, en 1974, inaugure des séances « jeune public », où des adolescents peuvent avoir un premier contact avec un compositeur, et, éventuellement, dialoguer avec lui. Cette fois, les feux sont braqués sur Berio, à qui est réservée une journée. Deux autres personnalités se dégagent : Stockhausen, avec son oeuvre pour 2 pianos Mantra, et Kagel qui bénéficie de deux soirées précédées d’une conférence. 1975 représente peut-être un tournant dans la programmation du festival : on s’oriente vers des musiciens moins connus, qui ont déjà été joués à Royan, et dans les concerts spécialisés, mais qui vont connaître une plus large audience grâce à Metz et dont la plupart des concerts sont retransmis par la radio. Parmi ceux-ci : Decoust, Boucourechliev et, également, Globokar. On n’a pas négligé les auteurs de « référence », Ives et Stravinski, sans oublier Messiaen avec sa grande fresque Des canyons aux étoiles. Les Rencontres de 1976 se caractérisent par la présence de la musique électroacoustique, avec la participation, d’une part, du G. R. M., d’autre part, du Studio de musique électronique de Cologne, et, enfin, chose inhabituelle, d’un ensemble instrumental de synthétiseurs. Le festival étant placé sous le signe des sons « artificiels », rien de surprenant à ce que Stockhausen y figure en bonne place avec Sirius ; mais on y entend également des musiques de Xenakis et de Mâche, et on y aborde la question de « la musique et l’ordinateur » (Risset, Barbaud, Xenakis). En 1977, Lefebvre adopte une formule plus ramassée, en centrant l’intérêt, d’une part, sur des soirées réservées à tel ou tel compositeur (Kagel, Xenakis, Alsina, Amy, Globokar), d’autre part, sur la musique d’un pays, le Québec. Par ailleurs, le principe des séances « jeune public » est maintenu : il y en a une consacrée à Berg, où l’on donne en répétition générale le programme du soir. Dans les Rencontres de 1978, on met l’accent sur les conférences, cela avec deux compositeurs qui ne sont pas des familiers de Metz, Pousseur et Malec. Notons également la présentation d’un opéra-théâtre de Bancquart : l’Amant déserté, ainsi que plusieurs séances « jeune public ». Le festival de 1979 se signale par la présence de l’I. R. C. A. M. et, comme en 1976 mais de façon plus marquée, de Boulez, qui se manifeste par une conférence, un film, un concert. On revient au problème des relations entre musique et machines, au cours de plusieurs exposés faits par les membres de l’I. R. C. A. M. D’autre part, le pays à l’honneur est la Suisse, avec l’orchestre de Radio-Bâle, qui présente cinq de ses compositeurs. On remarque la présence de Michaël Lévinas et Pascal Dusapin, sans oublier celle des Percussions de Strasbourg. En 1980, les Rencontres sont plus éclatées, et on approfondit notamment le domaine de l’électroacoustique avec le G.R. M. et les exposés très clairs de F. Bayle. En 1981, retour de Stockhausen et de Kagel (Mitternachtstück), et création française de Tiento de Cristobal Halffter. En 1984, création en France de la version élargie de Repons de Boulez. METZLER. Manufacture d’orgues suisse, fondée en 1890 et fixée à Zurich. Exerçant surtout en Suisse, Metzler a réalisé, en style classique, les instruments des cathédrales de Zurich, de Schaffhouse et de Genève, et restauré l’orgue Silbermann d’Arlesheim. MEULEMANS (Arthur), compositeur belge (Aerschot 1884 - Bruxelles 1966). Il fait ses études à l’institut Lemmens de Malines (avec Edgar Tinel), où il est ensuite nommé professeur. Directeur de l’école d’orgue et de chant du Limbourg, à Hasselt (1916-1930), chef de l’orchestre de l’I.N.R., président de l’Académie royale flamande des sciences, lettres et beauxarts, il fut le père spirituel de la génération née entre 1880 et 1890. Son oeuvre, très abondante, est restée fidèle à l’esthétique néoromantique, mais en opérant la synthèse de la subtilité harmonique des impressionnistes français et de la solide base franckiste. Son art coloré, reflet d’une inspiration chaleureuse, et servi par une très grande virtuosité de l’écriture orchestrale, émane d’un théoricien qui a, par ailleurs, exposé l’essentiel de ses idées dans 3 traités d’une extrême importance. MEUNIER (Alain), violoncelliste français (Paris 1942). Il étudie au Conservatoire de Paris, où il obtient quatre premiers prix (violoncelle en 1953 dans la classe de M. Maréchal). En 1964, il participe aux cours d’été de l’Accademia Chigiana de Sienne, où il retourne de nombreuses fois, d’abord comme étudiant, puis comme assistant, enfin downloadModeText.vue.download 655 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 649 comme enseignant. En 1979, il enseigne au Conservatoire national de Lyon, tout juste créé. En 1982, il participe à la formation du Quatuor Ivaldi, avec C. Ivaldi, S. Gazeau et G. Caussé. Violoncelliste du groupe Contrastes, il se produit également au sein de l’ensemble 2e2m. Dédicataire de nombreuses oeuvres contemporaines, il a créé des oeuvres de Donatoni, Dao, Mâche, Ohana, etc. Nommé en 1989 professeur de musique de chambre au C. N. S. M. de Paris, il dirige depuis 1988 le Concours international de quatuor à cordes d’Évian. MEYER (Krzysztof), compositeur polonais (Cracovie 1943). Il a étudié le piano, la théorie et la composition (avec Penderecki) à l’École supérieure de musique de Cracovie, où il enseigne depuis 1966, et travaillé également à Paris avec Nadia Boulanger. En 1960, il écrivit 24 préludes et fugues qu’il envoya à Chostakovitch, auquel il devait consacrer une monographie en 1973. Il s’orienta d’abord vers les recherches de timbre, en particulier avec son quatuor à cordes no 1 (1963), sa symphonie no 1 (1964) et ses sonates pour piano no 2 (1963) et no 3 (1966), puis vers le sérialisme et l’aléatoire, avec, notamment, ses symphonies no 2 (1967) et no 3 (1968), sa sonate pour piano no 4 (1968), ses quatuors à cordes no 2 (1969) et no 3 (1971), son opéra Cyberiada (1970) et son concerto de chambre pour hautbois, percussion et cordes (1972). D’une période que l’on pourrait qualifier d’expressionniste relèvent sa symphonie no 4 (1973), son quatuor à cordes no 4 (1974), un concerto pour trompette et grand orchestre (1975) et Fireballs pour orchestre (1976). Suivirent le quatuor à cordes no 5 (1955), 24 préludes pour piano (1978), la symphonie no 5 pour cordes (1978-79), 1 concerto pour piano et orchestre (1979), 1 trio avec piano (1980), 1 sonate pour flûte seule (1980), la symphonie no 6 dite Polonaise (1982), l’opéra pour enfant les Frères d’érable (1988-1989), la Messe pour choeur mixte et orgue (1987-1992). MEYER (Marcelle), pianiste française (Lille 1897 - Paris 1958). Elle est à la fois l’élève de Cortot et de Ricardo Viñes. Fréquentant Ravel et le groupe des Six, elle s’impose comme une interprète irremplaçable de la musique nouvelle. En 1920, elle crée Printemps de Milhaud et participe à la création de Noces de Stravinski en 1923. Elle joue les Trois Valses romantiques pour deux pianos de Chabrier avec Poulenc, et, en 1937, Milhaud lui dédie Scaramouche. Mais son talent s’illustre bien au-delà des cercles parisiens : de 1946 à 1950, elle grave pour les Discophiles français plus de soixante enregistrements qui témoignent d’une curiosité et d’une ambition prodigieuses. Elle réhabilite au piano l’oeuvre de Couperin, de Rameau et de Scarlatti. Elle joue Bach et Mozart, mais aussi les pièces de Rossini, le Piano-Rag et Petrouchka de Stravinski, et même la Burlesque de Richard Strauss sous la direction d’André Cluytens. Dans Chabrier, elle sait équilibrer humour et méditation. Son intégrale de Ravel demeure une référence. Elle est, avec Yves Nat, l’une des rares interprètes de sa génération dont on puisse considérer les enregistrements comme une oeuvre à part entière. MEYER (Paul), clarinettiste français (Mulhouse 1965). Au Conservatoire de Mulhouse, il apprend la clarinette avec M. Cianferani avant d’entrer au Conservatoire de Paris et à la Musik Akademie de Bâle. Dès 1984, il remporte le prix du Young Concerts Artists à New York, et rencontre à cette occasion Benny Goodman, qui lui prodigue ses conseils. Pendant quelques mois, il est soliste à l’Opéra de Lyon, puis à l’Opéra de Paris. Mais il se consacre finalement à une brillante carrière de soliste, accompagné en récital par le pianiste Éric Le Sage, qu’il connaît depuis 1982. Il a aussi comme partenaires François-René Duchâble, l’altiste Gérard Caussé et le Quatuor Mélos, ainsi que Gidon Kremer ou Yo-Yo Ma. Il aborde parfois des concertos peu connus, comme ceux de Bruch, Copland, Busoni ou Pleyel. En 1991, il crée le Concerto de Gerd Kühr au Festival de Salzbourg et, en 1995, les concertos de Penderecki et Berio. La même année, il joue l’Hommage à Schumann de Kurtag. Il anime également un festival d’été à Salon-de-Provence. MEYER (Sabine), clarinettiste allemande (Crailsheim 1959). Fille du clarinettiste Karl Meyer, elle étudie à Stuttgart, puis à Hanovre avec Deinzer. Lauréate du Concours de Munich, elle devient soliste de l’Orchestre de la radio bavaroise. En 1983, elle fonde un ensemble de clarinettes, le Trio di clarone. La même année, elle est engagée comme soliste à la Philharmonie de Berlin. Aussi scandaleux que cela paraisse, la présence d’une femme dans l’orchestre suscite un tollé de la part des musiciens : malgré le soutien d’Herbert von Karajan, elle doit quitter son poste dès 1985. Elle poursuit alors une carrière de soliste, abordant un vaste répertoire de musique de chambre. En 1988, elle fonde le Bläserensemble Sabine Meyer, qui enregistre la Gran Partita de Mozart. En 1993, elle effectue une tournée avec le clarinettiste de jazz Eddie Daniel. Son répertoire s’étend ainsi des concertos préclassiques aux courants contemporains. MEYERBEER (JAKOB LIEBMANN BEER, dit Giacomo), compositeur allemand (Vogelsdorf, près de Berlin, 1791 - Paris 1864). Issu d’un milieu cultivé, il étudia le piano avec Franz Lauska, qui fut l’élève de Clementi, et révéla des dons précoces de pianiste virtuose : il donna son premier récital à l’âge de neuf ans. Zelter, puis B. A. Weber lui enseignèrent la composition, puis il se rendit à Darmstadt pour travailler avec l’abbé Vogler. Il y resta de 1810 à 1812 et eut pour compagnon d’études Carl Maria von Weber, dont les conceptions théâtrales allaient s’opposer aux siennes par la suite. Pendant ces deux années, Meyerbeer écrivit la première de ses oeuvres qui fut représentée, Der Fischer und das Milchmädchen, divertissement sur un sujet de Lauchery, le maître de ballet de l’Opéra royal, donné à Berlin en 1810, ainsi que 2 opéras, Der Admiral et Jephtas Gelübde ; seul le second fut joué, sans aucun succès, à Munich en 1812. Grâce à l’appui de son ancien maître, le jeune compositeur fut nommé à la cour du grandduc de Hesse au début de 1813. Toutefois, malgré ses échecs à l’Opéra et tandis que sa renommée de pianiste continue à croître, il fut toujours attiré par une carrière de compositeur dramatique, dont il savait qu’elle ne pouvait être couronnée qu’à Paris. C’était dans l’espoir de réaliser ce projet qu’il suivit les conseils de Salieri, rencontré à Vienne, et décida de poursuivre ses études en Italie. Il s’y rendit en 1816 et obtint, dès 1817, avec Romilda e Costanza, ses premiers succès au théâtre. Le public italien l’acclama à chaque nouvelle oeuvre et le triomphe remporté par Il Crociato in Egitto, l’opéra qui avait clos son séjour en Italie en 1824, le décida à tenter sa chance à Paris. Il s’y installa en 1825 et commença à discuter du livret de Robert le Diable avec Scribe, en 1827. Mais il persistait à penser que le remaniement de ses partitions italiennes allait assurer son succès parisien. Puis il décida de changer la forme de Robert le Diable et d’en faire un grand opéra plutôt qu’un opéra-comique. La première représentation eut lieu le 21 novembre 1831 et sa réussite fut telle que Meyerbeer apparut dès ce moment comme une personnalité capitale. On attribue à la célébrité naissante de Meyerbeer l’abandon définitif de l’opéra par Rossini ; célébrité, en tout cas, confirmée par le nombre imposant d’arrangements, de variations ou de fantaisies sur Robert le Diable qu’écrivirent alors les Chopin, Thalberg, Liszt, etc., et aussi par les louanges de la presse et les multiples représentations de l’oeuvre, en France comme à l’étranger. Robert le Diable scella aussi le commencement de la collaboration de Meyerbeer avec Scribe. downloadModeText.vue.download 656 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 650 Le style des opéras français de Meyerbeer est désormais fixé, mélange habile d’innovations et de conventions (structure en 5 actes avec un ballet, types d’airs convenus, répartition des voix selon le caractère auquel se rattache chaque rôle), que l’on retrouvera encore plus accentué dans les Huguenots. Avec cette dernière oeuvre, dont la représentation eut lieu le 29 février 1836, l’Opéra de Paris a vécu l’un des plus brillants succès de son histoire. Le public apprécia manifestement sans réserve la recherche du détail réaliste ou historique autant que le « monumentalisme expressif », selon l’expression de Baker, obtenu tant par les trouvailles d’orchestration que par les mouvements imposants des masses chorales ou le traitement des voix ; celui-ci est typique en ce qu’il met en avant soit les caractères vocaux les plus immédiatement et brutalement expressifs, soit les immenses prouesses techniques dont sont capables les chanteurs. Le décor, nettement réaliste lui aussi, et les machineries participent de plein droit à ce parti pris de grandiose d’où le sentimentalisme n’est cependant pas exclu. Ce sont, en effet, les bons sentiments que Scribe et Meyerbeer exaltent dans les livrets qu’ils élaborent, et, notamment, le sentiment religieux très souvent présent, s’adressant par là, manifestement, à la haute société habituée des spectacles de l’Opéra. Parmi les traits dominants du grand opéra conçu par Meyerbeer, le plus remarquable est sans doute la place faite aux interprètes. Dans toute son oeuvre, le choix de ces derniers est capital et même déterminant pour l’élaboration du livret. Le compositeur consacrait la plupart de ses voyages à l’audition de nouveaux chanteurs et si l’un de ceux qu’il avait engagés rompait son contrat, il n’hésitait pas à remanier le rôle concerné pour l’adapter au nouvel interprète, voire à interrompre son travail sur un opéra si aucun acteur ne lui paraissait convenir. Ainsi en futil, par exemple, pour le Prophète et pour l’Africaine. C’est peut-être cette extrême dépendance de la dramaturgie et du chant qui rend si problématique aujourd’hui toute représentation des opéras de Meyerbeer ; nombreux furent, en tout cas, les grands chanteurs dont le talent fut associé à la carrière du compositeur, tels Adolphe Nourrit, Cornélie Falcon, la basse Levasseur, Gilbert Duprez, Jenny Lind, Pauline Viardot, Tichatchek, Julie Dorus Gras. Ayant acquis une stature internationale, Meyerbeer fut nommé directeur général de la musique à Berlin après le départ de Spontini, en 1842, à la mort de Friedrich Wilhelm III. Il ne garda ce poste que jusqu’en 1848, mais demeura compositeur de la cour royale jusqu’à sa mort. À ce titre, il composa des oeuvres de commande pour la famille royale, parmi lesquelles un singspiel, Ein Feldlager in Schlesien, en 1844 (repr. Vienne, 1847, dans une forme remaniée, sous le titre de Vielka), qui était destiné à marquer la réouverture de l’Opéra de Berlin. Meyerbeer n’oubliait pas pour autant que ses plus fervents admirateurs étaient à Paris bien plus qu’en Allemagne, et, après avoir écrit la musique de scène d’une pièce de théâtre, Struensee, dont l’auteur était son propre frère, Michael Beer, il se remit à travailler sérieusement sur le Prophète (projet qu’il avait envisagé avec Scribe depuis 1836), encouragé par la découverte de la cantatrice Pauline Viardot-García. La première représentation eut lieu le 16 avril 1849 et valut une nouvelle fois au compositeur les louanges de la presse, notamment celles de Berlioz et de Théophile Gautier, ainsi que la décoration de commandeur de la Légion d’honneur. Jusqu’à la fin de sa vie, Meyerbeer connut le succès et la célébrité ; sollicité par de nombreux projets et attaché à maintenir sa réputation, il fit alterner les contrats rompus et les oeuvres accomplies. En 1854, l’Opéra-Comique présente l’Étoile du Nord, sur un livret de Scribe, qui reprenait en partie la partition d’Ein Feldlager in Schlesien, puis le Pardon de Ploërmel, en 1859, sur un livret de Barbier et Carré. Enfin, en 1860, il décida d’achever l’Africaine, qu’il avait entreprise avec la collaboration de Scribe en 1837 ; mais la mort de celui-ci en 1861, ainsi qu’une surcharge de travail et sa propre maladie l’empêchèrent de terminer ce dernier opéra avant avril 1864, c’est-à-dire peu de jours avant sa mort. Fétis fut finalement chargé des révisions finales de l’oeuvre pour sa création à l’Opéra le 28 avril 1865. L’importance du succès de Meyerbeer et l’influence qu’il eut pendant plusieurs années à l’opéra n’étaient pas dues au hasard ou au seul effet d’une mode passagère. Dans son oeuvre apparaît une conception soigneusement élaborée d’un type d’opéra particulièrement grandiose dans lequel tous les rapports d’équilibre sont savamment pesés. MEZZA VOCE (ital. : « à mi-voix »). Expression qui s’applique à la musique instrumentale aussi bien qu’à la musique vocale. MEZZO (fém. mezza, plur. mezzi, ital. ; « à moitié »). Mot employé dans diverses locutions telles que mezzo-soprano, mezzo forte, mezza voce, etc. MEZZO FORTE. Terme marquant la nuance intermédiaire entre le forte et le piano. Il est, du fait de son caractère neutre, assez fréquemment employé. MEZZO-SOPRANO (ital. : « à demi soprano »). Catégorie vocale féminine située entre le soprano et le contralto. Si l’on considère que la voix chantée féminine se répartit essentiellement en deux types extrêmes, l’alto et le soprano, le mezzo-soprano apparaît comme une catégorie intermédiaire, assez tardive à s’imposer ( ! CONTRALTO), et rendue plus nécessaire lorsque la raréfaction des castrats entraîna une reconsidération totale des tessitures vocales. À la fin du XVIIIe siècle, le mezzo-soprano était essentiellement un soprano grave, employé principalement dans l’opéra semi-seria (notamment pour incarner des adolescents masculins, comme le Chérubin des Noces de Figaro) et dans les comédies sentimentales (cf. Nina, dans l’opéra de Paisiello, Fidalma dans le Mariage secret de Cimarosa). Avec Rossini et ses successeurs immédiats, au début du XIXe siècle, la suprématie du contralto laissa le mezzo-soprano en retrait, mais le romantisme, dont l’écriture vocale avait entraîné un déplacement de toutes les tessitures vers l’aigu, favorisa à nouveau cette voix (étendue si bémol2 - si bémol4, voire la2 - si4), qui incarna les amantes malheu- reuses, jalouses, les mères, les sorcières, notamment dans les opéras de Verdi (Azucena, Amneris), de Wagner (Ortrud, Vénus), de Massenet (Hérodiade), etc. Les cantatrices authentiquement douées de ce type vocal embrassent à la fois soit les répertoires de mezzo-soprano et de contralto, soit ceux de mezzo-soprano et de soprano, de nombreux rôles étant euxmêmes intermédiaires entre ces deux dernières catégories : chez Berlioz les rôles de Marguerite et de Didon ; ceux de Kundry, Charlotte, Marina, de nombreux emplois dans les opéras de Richard Strauss, et, en général, dans l’opéra allemand, l’école germanique ( ! CHANT) ne faisant pas appel à un clivage aussi strict que celui des écoles latines. Pour nous limiter au XXe siècle, citons d’authentiques mezzo-sopranos tels que E. Stignani, G. Simionato, M. Klose, R. Gorr, cependant que, dans une époque plus récente, s’affirme de plus en plus souvent leur osmose avec les emplois de soprano (C. Ludwig, T. Berganza, F. Cossotto, G. Bumbry, S. Verrett, etc.). Il est à noter que, au contraire du contralto dont le registre grave opulent est volontiers sollicité par les compositeurs, c’est l’aigu très brillant du mezzo-soprano qui est requis par les compositeurs et apprécié du public. La voix de mezzo-soprano se prête aussi au théâtre aux rôles travestis, au concert à l’interprétation du lied, et, notamment au disque, à l’interprétation des rôles écrits naguère pour les castrats. MI. La troisième des 7 syllabes qui, dans les pays latins, désignent actuellement les downloadModeText.vue.download 657 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 651 notes de la gamme diatonique. Elle est placée un ton au-dessus de la note ré et correspond à la lettre E du système alphabétique anglo-saxon. Dans l’ancienne solmisation à 6 syllabes, la syllabe mi pouvait correspondre, selon l’hexacorde, aux lettres clefs A (lami-ré), B (fa-mi) ou E (la-mi). Le mécanisme de la transformation est abordé dans l’article ut, et la valeur ésotérique de la syllabe, dans l’article Ut queant laxis. L’importance de la note mi dans ce système était considérable, car c’était par rapport au demi-ton mi-fa que se déterminait l’emplacement des autres syllabes, mi désignant essentiellement la note inférieure du demi-ton, et fa sa note supérieure : l’expression mi-fa ou fa-mi, souvent associée à la lettre B, désignait donc le demiton lorsqu’on l’entendait à l’intérieur d’un même hexacorde. Mais, si on prenait mi dans un hexacorde et fa dans un autre, on aboutissait à des intervalles différents, d’où l’expression mi contra fa (intervalle de triton). C’est pour cette raison, par exemple, qu’une messe d’Ockeghem fondée sur l’intervalle de quarte porte le nom de Messe mi-mi : le premier mi est pris en effet dans l’hexacorde, dit « naturel », que nous avons seul conservé, et correspond bien par conséquent à E et à notre mi actuel, mais le second est pris dans l’hexacorde « par bémol » aujourd’hui disparu ; il correspond donc à A et à notre la actuel. MIASKOVSKI (Nikolaï), compositeur et pédagogue soviétique (Novoguéorguievsk 1881 - Moscou 1950). Fils d’un ingénieur du génie, destiné primitivement à la carrière militaire, il étudia la musique avec Glière et Kryzanovski (1902-1904) avant de devenir l’élève de Liadov, de Rimski-Korsakov et de Vitol au conservatoire de Saint-Pétersbourg (19061911). Il fut nommé en 1921 professeur de composition au conservatoire de Moscou. Il devait y jouer un rôle pédagogique important jusqu’à la fin de sa vie, malgré une interruption en 1948. Kabalevski, Khatchaturian, Chébaline, Mouradeli, entre autres, comptèrent parmi ses élèves. Essentiellement ancré dans le classicisme russe, influencé par Tchaïkovski, Miaskovski s’est très tôt déterminé comme symphoniste. Les Soirées de musique contemporaine (créées à Leningrad en 1901 et à Moscou en 1909) lui avaient donné l’occasion, avant même qu’il ait terminé ses études, de faire entendre ses oeuvres qui étaient alors controversées. Il fut l’un des fondateurs de l’Association pour la musique contemporaine. Avant sa mobilisation en 1914, il avait déjà écrit 3 symphonies et d’autres oeuvres pour orchestre, comme les poèmes Silence (190910) d’après E. Poe et Alastor (1912-13) d’après Shelley, pages dont il attribuait le pessimisme à sa fréquentation des cé- nacles symbolistes. Il ne fut néanmoins reconnu comme un compositeur majeur que dans les années 20, après la création de sa 5e Symphonie. Un nouvel état d’esprit s’y manifeste, fait de sérénité sinon d’optimisme, où le style populaire joue un certain rôle, ainsi que les images inspirées par la terre natale et la révolution. La 6e Symphonie, quant à elle, est directement tournée vers le thème de la révolution et traite de l’itinéraire spirituel des intellectuels qui y sont indirectement liés. Dans le finale, Miaskovski emploie, avec le thème du Dies irae et un vieux chant russe sur la séparation de l’âme et du corps, deux chants révolutionnaires, la Carmagnole et Ça ira, qui introduisent l’image du peuple. Surnommé « la conscience musicale de Moscou », Miaskovski allait être pendant trente ans l’une des personnalités les plus importantes de la vie musicale moscovite. Nombre de ses oeuvres sont étroitement liées à l’histoire et à la littérature russes : la 8e Symphonie est inspirée de Stenka Razine, la 10e par le trouble intérieur d’Eugène, le héros du Cavalier de bronze de Pouchkine. D’autres fois, il écrivit de la musique sur des thèmes de l’actualité : par exemple, sa 12e Symphonie, Kolkhoze, ou sa 16e Symphonie, Aviation, lors de la perte de l’avion géant Gorki (1931). La 13e Symphonie, en un seul mouvement, représente un essai d’atonalisme. Néanmoins, Miaskovski a toujours recherché un langage accessible, ce qui explique le succès de sa 18e Symphonie, composée pour le vingtième anniversaire de la Révolution, et popularisée par une transcription pour orchestre militaire. La 21e Symphonie, l’une des plus mûres, fut commandée par l’Orchestre symphonique de Chicago, dont le chef, F. Stock, fut un défenseur infatigable de Miaskovski. La 22e Symphonie (Symphonie-ballade) est inspirée par la guerre (1942). La 23e Symphonie est écrite sur des danses caucasiennes, la 26e sur d’anciens thèmes populaires russes (1948). Néanmoins, la purge antiformaliste de 1948 n’a pas épargné Miaskovski. Sa réhabilitation n’intervint qu’après la création posthume de sa 27e Symphonie, consacrée au thème de la vie et de la mort et s’achevant sur une note débordante d’optimisme par un cortège du peuple et le chant Gloire. Miaskovski a, d’autre part, participé dès les années 30 à la renaissance de la musique de chambre russe sur la base d’un langage mélodique alliant clarté, émotion et emprunts folkloriques, dans ses 13 quatuors et ses sonates. Une de ses oeuvres les plus populaires reste son Concerto pour violoncelle (1944). MÍČA, famille de musiciens tchèques. František Václav, chanteur et compositeur (Třebíč 1694 - Jaroměřice 1744). Cinquième fils de l’organiste Mikuláš Míča, František Václav fut à partir de 1722 le maître de chapelle du comte Jean Adam Questenberk au château de Jaroměřice en Moravie (1717-1744). Les récents travaux du professeur Helfert ont redonné à Míča la paternité de deux manuscrits d’opéras, L’Origine di Jaromeritz in Moravia (1730) et Operosa terni Colossi Moles (1735). Mais la magnifique symphonie en ré majeur publiée à Prague sous son nom en 1946, et devenue célèbre à cause de ses traits considérés à tort ou à raison comme d’avant-garde, est en toute probabilité de son neveu, et donc plus tardive qu’on ne l’avait cru. František Adam Jan, compositeur tchèque (Jaroměřice 1746 - Lwów 1811). Neveu du précédent, il fit des études de droit à Vienne, s’ouvrant ainsi une carrière dans l’administration impériale autrichienne, il écrivit de nombreuses oeuvres de chambre. Secrétaire de province à Graz, il devint un des compositeurs favoris de l’empereur Joseph II, pour lequel il composa de nombreux quatuors à cordes (14 manuscrits actuellement retrouvés). Il fit la connaissance de Mozart à Vienne, lequel appréciait fort ses compositions. La fraîcheur mélodique, presque mozartienne, de son oeuvre le fit comparer avec F.-X. Richter. Sa modestie semble avoir été la cause de l’absence de toute édition, de son vivant, d’un catalogue non négligeable. Il termina sa vie en Pologne dans un relatif isolement. MICHEAU (Janine), soprano française (Toulouse 1914 - Paris 1976). Elle fut découverte par Pierre Monteux, qui la dirigea dans le rôle de Mélisande à Amsterdam en 1935. Engagée à l’OpéraComique, elle y chanta les rôles lyriques légers du répertoire : Lakmé, Mireille, Philine (dans Mignon), Leïla (dans les Pêcheurs de perles). Elle créa en 1940 Médée de Darius Milhaud (rôle de Créüse) à l’Opéra, puis, en 1950, Bolivar (rôle de Manuela) que ce même compositeur écrivit spécialement pour elle. Depuis la guerre et jusqu’en 1965, Janine Micheau s’est partagée entre l’Opéra et l’OpéraComique dans un triple répertoire français, italien et allemand. Parmi ses rôles italiens, citons Gilda de Rigoletto, dont elle fut une des meilleures interprètes mondiales. Parmi ses rôles allemands, Zerbinetta dans Ariane à Naxos de Richard Strauss, qu’elle créa à Paris, et Pamina de la Flûte enchantée. Janine Micheau fit également une carrière internationale et enseigna au Conservatoire de Paris jusqu’à sa mort. MICHNA D’OSTRADOVICE (Adam Václav), connu également sous le nom d’Adamus Wenceslaus MICHNA DE OTTRADOWICZ, poète et compositeur downloadModeText.vue.download 658 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 652 tchèque (Jindřichuv Hradec, Neuhaus en allemand, v. 1600 - id. 1676). Il est le fils de l’organiste d’une petite ville de Bohême du Sud, Jindřichuv Hradec ; il y passa toute sa vie, d’abord misérable, puis progressivement aisée, en tant qu’aubergiste et organiste. Il fut le plus brillant représentant de l’école baroque tchèque resté au pays. Il fit imprimer un recueil de chants religieux, la Musique mariale tchèque (1647), un répertoire, le Luth tchèque (1653), puis Musique de l’année sainte (1661). Il avait le don de pédagogie et créa de nombreuses chorales dans sa région. Son oeuvre tient compte de cette activité et se répartit en deux groupes distincts : chansons populaires, faciles à chanter, en langue tchèque (berceuses, danses, chansons à boire...), qui font partie du répertoire bohémien depuis trois siècles ; musique sacrée sur des textes latins. MICRO. Le microphone est, dans l’enregistrement de la musique, ce que l’objectif est à la photographie ou au cinéma : un objet peu encombrant, mais crucial, dont on ne saurait sous-estimer l’importance. Comme pour l’objectif photographique, il n’existe aucun modèle universel et, d’autre part, on ne saurait parler d’un progrès technique linéaire et continu dans l’histoire de l’enregistrement : chaque micro, tant par son type technique (dynamique, électrostatique, etc.) que par son champ d’ouverture (du plus « directionnel » au plus ouvert, omnidirectionnel), par son rendu propre (chaud, rond, sec, précis, velouté, etc.), et enfin par sa fonction (pour amplifier un chanteur, enregistrer en studio, capter tel type d’instrument, de voix ou de formation), est un cas particulier, et certains micros anciens ou classiques gardent toutes leurs qualités. Dans les musiques populaires, d’une part, et les musiques savantes contemporaines, d’autre part, le micro est devenu aussi un véritable instrument de création, permettant aussi bien de concevoir de nouveaux instruments (comme la guitare électrique) que de modifier électroniquement en direct un son en le captant à la source pour être ensuite « traité », distordu, etc. Dans ce dernier cas, Stockhausen fut un pionnier, avec une oeuvre comme Mikrophonie I (1964) pour « gong » amplifié. Dans la musique électroacoustique, en particulier, le microphone - étymologiquement utilisé comme « amplificateur » d’événements sonores acoustiquement ténus - a permis de découvrir tout un monde de vibrations nouvelles, et de le faire accéder à la musique. L’enregistrement de la musique classique, quant à lui, érige souvent en principe l’idée de la « transparence » des moyens techniques, et tout y est fait pour faire oublier que le son a été capté techniquement. C’est bien sûr un pur mythe : beaucoup d’enregistrements sont le produit d’un savant mélange de microphones multiples, et même la solution consistant à utiliser un seul couple stéréophonique simulant le couple des oreilles pour enregistrer tout un orchestre n’a rien de « naturel », le micro n’ayant rien à voir, justement, avec les organes auditifs (malgré des tentatives raffinées de « tête artificielle »). Seul un grand pianiste comme Glenn Gould a eu l’audace de revendiquer et d’afficher clairement des partis pris d’enregistrement dans lesquels le micro ne se fait pas oublier. De plus en plus, cependant, se donnent des concerts où les chanteurs et les instrumentistes sont plus ou moins discrètement amplifiés, ce qui permet notamment de donner certaines oeuvres dans des lieux trop vastes ou trop réverbérants, mais ne pourra que changer, à la longue, les règles du concert. MICRO-INTERVALLE. On désigne en général ainsi un intervalle plus petit que le demi-ton. Les micro-intervalles sont obtenus soit par la poursuite de la division égale, tempérée (quart de ton, huitième de ton), soit à partir des différents systèmes de division proportionnelle (Pythagore, Zarlino) qui retrouvent toujours, d’une manière ou d’une autre, les intervalles de la série des harmoniques naturels. MIDEM (Marché international du disque et de l’édition musicale). Marché international réservé aux professionnels du disque et de l’édition musicale, créé en 1967. Il se déroule chaque année en janvier à Cannes et comporte, depuis 1983, une section dédiée spécialement à la musique classique (MIDEM Classique). Un MIDEM Radio existe depuis 1984. Pendant les éditions du MIDEM, des concerts et des conférences sont organisées. MIEG (Peter), compositeur suisse (Lenzburg, Aargau 1906 - id. 1990). Outre la musique, il a étudié l’histoire de l’art, l’histoire de la littérature et l’archéologie à Zurich, Bâle et Paris, et s’est largement consacré à la peinture. Après avoir travaillé la composition avec Frank Martin (1942-1945), il s’est tourné, pour l’essentiel, vers ce type d’activité à partir des années 50. Dans un style traditionnel, il a écrit de la musique de chambre et d’orchestre, ainsi que des oeuvres vocales, parmi lesquelles la cantate Der Frühling (1956). MIEREANU (Costin), compositeur français d’origine roumaine (Bucarest 1943). Il a fait des études de piano (1954-1960) et de composition (1960-1966) à Bucarest, suivi les cours de Darmstadt avec Stockhausen, Ligeti et Karkoschka (19671969), participant notamment sous la direction de Stockhausen à l’oeuvre collective Musik für ein Haus, et arrive à Paris en 1968. Il a travaillé à la Schola cantorum et avec Jean-Étienne Marie (1969-70), et, depuis 1973, enseigne au département de musique de l’université de Paris-VIII (transformations de la notation musicale actuelle, rapports entre image et son, organologie des timbres, analyse, composition). Professeur à l’École nationale supérieure des arts décoratifs (1977-78), il a obtenu successivement un doctorat de 3e cycle sur la sémiologie musicale et un doctorat ès lettres et sciences humaines (1979). Il recherche des formes polyartistiques unissant son, geste et image, et fait souvent appel dans ses oeuvres à l’électroacoustique. On lui doit notamment Couleur du temps (1966-1968), première version orchestre à cordes, deuxième version quatuor à cordes et bande magnétique, troisième version double quatuor à cordes et contrebasse ; Espaces II pour orchestre à cordes, piano et bande magnétique (1967-1969) ; Night Music pour une ou plusieurs bandes magnétiques (19681970) ; Rosario pour grand orchestre et 2 chefs (1973-1976) ; Luna Cinese pour un ou plusieurs électrophones, un exécutant et un récitant (1975) ; Planetarium pour piano, 2 flûtes, un trombone, un vibraphone (1975) ; Musique tétanique pour un ou plusieurs claviers acoustiques ou électroniques (1977) ; Musique climatique pour 2 actants, un commentateur polyartistique, claviers acoustiques et/ou électroniques, bande magnétique et film 16 mm ad libitum (1979) ; Musique climatique no 2 (1980) ; L’avenir est dans les oeufs, opéra pour 9 chanteurs, 15 instruments et bande magnétique d’après E. Ionesco (1980) ; Rosenzeit pour orchestre (Metz, 1982) ; le Mur d’airain pour 9 instrumentistes (1987) ; la Porte du paradis, fantaisie lyrique (1989-1991) ; Un temps sans mémoire pour orchestre (1989-1992). Il est également l’auteur de plusieurs écrits, dont De la Textkomposition au Poly-Art. Sémiotique de la partition, thèse de doctorat ès lettres (Paris, 1979). Il a été jusqu’en 1992 directeur artistique des éditions Salabert. MIGENES (Julia), soprano américaine (Manhattan 1945). Dès son plus jeune âge, elle est formée à l’Académie Moser pour les enfants artistes. Adolescente, elle effectue trois années de tournée avec une comédie musicale de Rodgers et Hammerstein. Bernstein la choisit comme soliste de ses Young People’s Concerts, et elle incarne Maria dans West Side Story au City Center de Broadway. Elle suit cependant une formation classique à la Juilliard School downloadModeText.vue.download 659 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 653 et, en 1965, débute à l’opéra avec la Sainte de Bleecker Street de Menotti. En 1981, elle remplace Teresa Stratas au Metropolitan, dans Lulu. Elle part ensuite en Allemagne, où elle chante au Volksoper de Vienne et devient très populaire à la télévision, remportant deux Bambis d’or. En 1984, son incarnation de Carmen dans le film de Rosi lui vaut une gloire mondiale. Chantant Porgy and Bess, l’Opéra de quat’sous, mais aussi la Voix humaine de Poulenc, elle poursuit une carrière peu orthodoxe, où ses talents d’actrice et de danseuse ont une grande part. MIGOT (Georges), compositeur français (Paris 1891 - Levallois 1976). D’ascendances franc-comtoises, ouvert à toutes les formes de la culture, il s’éveilla très tôt à la musique, composant un Noël à quinze ans. Admis au Conservatoire en 1909 dans la classe de composition de C. M. Widor, il assista en auditeur à toutes les classes instrumentales et suivit les cours d’histoire de la musique de M. Emmanuel. Mobilisé en 1914, il fut grièvement blessé dès le mois d’août et, après une longue convalescence, reprit ses études que vinrent couronner les prix Lily-Boulanger (1918), Lepaulle (1919) et Halphen (1920). Enfin, en 1921, le prix de la fondation Blumenthal pour la Pensée et l’Art français lui fut décerné pour l’ensemble de son oeuvre, qui comprenait déjà quelques-unes de ses partitions les plus importantes de musique de chambre (Trio, Quintette) et de musique symphonique (les Agrestides). Son ballet Hagoromo fut créé à l’Opéra de Monte-Carlo (1922). Ses Deux Stèles, sur des poèmes de Segalen (1925), confirmèrent l’intérêt qu’il portait alors aux arts de l’Extrême-Orient. Mais la tradition française demeura pour lui essentielle, et il l’affirma non seulement en écrivant un livre sur Jean-Philippe Rameau (1930), mais en composant son Livre des danceries pour orchestre (1929). L’oeuvre de Georges Migot atteignit sa pleine maturité avec le Zodiaque, 12 études de concert pour piano (1931-32), les 17 Poèmes de Brugnon, du poète Klingsor, pour chant et piano (1933) et le Trio pour violon, violoncelle et piano (1935). La musique religieuse prit ensuite chez lui une place prépondérante : en témoignent le Sermon sur la montagne (1936), la Passion (1941-42) et Saint-Germain d’Auxerre, oratorio a cappella pour solos et 3 choeurs mixtes (1947). Suivirent le Petit Évangéliaire (1952), le Psaume 118 (1952) et le Requiem (1953). Son langage ne cessa de tendre vers une écriture plus souple, plus transparente, plus dépouillée et plus libre à la fois. Spiritualiste, il fut aussi un indépendant. Son seul poste officiel fut celui de conservateur du Musée instrumental, qui lui fut confié en 1949 et qu’il occupa jusqu’en 1961. Ses dernières années furent éclairées par la ferveur de quelques disciples, mais on le joue assez peu. En 1973, la ville de Besançon lui rendit hommage en exposant ses tableaux et ses oeuvres graphiques (car il fut aussi peintre, et peintre de talent) au Musée des beaux-arts. L’art de Georges Migot est celui d’un humaniste qui n’a jamais dissocié la pensée de la technique. Le langage personnel qu’il s’est forgé en usant de modes mélodiques libres et d’harmonies qui recherchent l’apaisement plus que la tension, la couleur instrumentale qu’il emploie avec le souci de l’unité de ton (au sens pictural du terme), le recours à des formes musicales qui excluent les contrastes trop affirmés, tout cela s’inscrit dans une vision religieuse, sereine et sensible de l’univers. Il y a aussi, chez lui, le poète : sa musique possède une délicatesse de touche, une grâce souriante qui la situent dans la meilleure tradition française. MIHALOVICI (Marcel), compositeur français d’origine roumaine (Bucarest 1898 - Paris 1985). Il a fait ses études à Bucarest, de 1908 à 1919, avec Fr. Fischer et B. Bernfeld (violon), D. Cuclin (harmonie) et R. Cremer (contrepoint), puis à la Schola cantorum de Paris, de 1919 à 1925, avec V. d’Indy (composition, direction d’orchestre), Saint-Réquier (harmonie), A. Gastoué (chant grégorien) et N. Lejeune (violon). En 1928, Mihalovici, Martinºu, C. Beck et T. Harsanyi, rejoints par N. Tcherepnine, décidèrent de donner ensemble un concert de leurs oeuvres : les critiques regroupèrent sous le nom d’école de Paris ces compositeurs d’origine étrangère, résidant en France, mais aux esthétiques très différentes. De 1959 à 1962, Mihalovici enseigna à la Schola cantorum. Il a le goût des structures solides, allié à une influence des modes et de la rythmique du folklore roumain. On lui doit notamment l’opéra Phèdre, d’après Racine (1949), le ballet Thésée au labyrinthe (1956) et de nombreuses pages instrumentales et vocales. MIHALY (Andras), compositeur hongrois (Budapest 1917). Il a étudié le violoncelle avec Adolf Schiffer, la musique de chambre avec Leo Weiner et Imre Waldbauer, et la composition en leçons privées avec Pal Kadosa et Istvan Strasser. Violoncelle solo à l’Opéra de Budapest (1946-1950), puis professeur de musique de chambre à l’Académie de musique de Budapest (1950), il devint conseiller musical à la radio hongroise (1962) et fonda l’Ensemble de chambre de Budapest (1968) destiné à faire connaître la musique contemporaine. Son Concerto pour violoncelle (1953) reflète l’influence de Kodály, mais celle de Bartók devint prépondérante avec le Concerto pour piano (1954) ou encore la Fantaisie pour quintette à vents et orchestre (1955). La 3e Symphonie (1962), l’opéra Ensemble et seul (1964-65), fondé sur des expériences vécues lors de la Seconde Guerre mondiale, ou encore Monodia pour orchestre (1970) relèvent, au contraire, de l’avantgarde internationale. MILA (Massimo), critique musical italien (Turin 1910 - id. 1988). Il termina ses études à l’université de Turin par une thèse sur Verdi qu’il soutint en 1931 : Il Melodramma di Verdi (Bari, 1933). Membre de l’académie Sainte-Cécile en 1956, il a été également professeur d’histoire de la musique au conservatoire de Turin, de 1953 à 1973, et à l’université de la même ville à partir de 1960. De 1955 à 1968 il fut critique musical à L’Espresso et, de 1968 à 1974, à La Stampa. L’influence des théories esthétiques de B. Croce apparaît dans ses écrits, et, notamment, dans L’Esperienza musicale e l’Estetica (Turin, 1950), tandis que ses derniers ouvrages sont consacrés à Maderna (1976), à Mozart (1979, 1980) et à Verdi (1980). MILÁN (Don Luis), compositeur espagnol (Valencia v. 1500 - ? apr. 1561). Il fut l’un des plus remarquables vihuelistes du Siècle d’or espagnol. D’origine noble, il était au service de Don Hernando de Aragón, vice-roi de Valence, quand il publia en 1535 le premier recueil connu de musique pour vihuela, ou chant et vihuela, intitulé El Maestro, qui contient 72 pièces, Villancicos, Fantasias, d’un style à la fois léger et grave et d’une rare perfection d’écriture. On lui doit, par ailleurs, un recueil de chroniques romancées sur la vie à la cour de Valence, El Cortesano, publié en 1561. MILDER (Anna), soprano autrichienne (Constantinople 1785 - Berlin 1838). Protégée par Schikaneder et par Haydn, elle étudia avec Salieri et Sigismund Neukomm à Vienne, où elle fit ses débuts en 1803. En 1805, Beethoven écrivit pour elle le rôle de Leonore de Fidelio, qu’elle créa dans les trois versions de l’ouvrage (1805, 1806 et 1814). Épouse Hauptmann, elle participa en 1829 à Berlin à la célèbre exécution de la Passion selon saint Matthieu de Bach dirigée par Mendelssohn. MILHAUD (Darius), compositeur français (Aix-en-Provence 1892 - Genève 1974). Né le 4 septembre 1892 à Aix-en-Provence, où son père dirigeait une maison de commerce et était administrateur de la synagogue, le musicien s’est défini dans ses Mémoires, Notes sans musique, comme un « Français de Provence, de religion downloadModeText.vue.download 660 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 654 israélite ». Ses ancêtres paternels étaient, en effet, originaires du comtat Venaissin, où ils s’étaient fixés depuis des siècles. Du côté maternel, ses parents descendaient de juifs séfardim établis de longue date en Italie. Sa mère était née à Marseille. Les dons de Darius Milhaud se manifestent dès sa troisième année : il reproduit au piano un air entendu dans la rue. Passionné de musique, amateur de talent, son père en est ravi. Bientôt il fait donner des leçons de violon à son fils. À dix ans, Darius Milhaud entre au lycée, mais il poursuit l’étude du violon, et, sous la direction de son professeur, Léo Bruguier, s’initie à la musique de chambre. Il découvre en 1905 le Quatuor de Claude Debussy, qui est pour lui une révélation. Il étudie l’harmonie avec un chef de musique militaire dont l’enseignement le rebute et, par réaction, compose des oeuvres assez peu orthodoxes. Pressé d’obtenir son baccalauréat, clé de sa liberté, il travaille avec acharnement et termine en 1909 ses études secondaires. Au lycée d’Aix-en-Provence, il s’est lié avec Armand Lunel, qui deviendra un de ses librettistes, et avec Léo Latil, poète sensible, délicat, qui admire Maurice de Guérin et Francis Jammes. Il est admis au Conservatoire de Paris, où il a pour professeurs Berthelier (violon), Xavier Leroux (harmonie), Gédalge (contrepoint), Dukas (orchestre). Il se lie avec Jacques Ibert, Henri Cliquet, Arthur Honegger, Jean Wiener. Entre 1910 et 1912, il compose des mélodies sur des poèmes de Jammes, une Sonate pour piano et violon, qu’il reniera, et son premier quatuor à cordes. Il obtient de Francis Jammes l’autorisation de mettre en musique la Brebis égarée, et, au cours de l’été 1912, se rend à Orthez, avec Léo Latil, pour rencontrer le poète. Il montre à Jammes des mélodies qu’il vient d’écrire sur des poèmes de Claudel. Et c’est Claudel lui-même qui, à l’automne, vient voir le musicien : l’entente entre eux est immédiate et totale. En 1913, Claudel fait venir Milhaud à Hellerau, où l’on joue l’Annonce faite à Marie, lui demande d’écrire la musique d’Agamemnon et lui fait lire Protée, dont la bouffonnerie poétique excite la verve du compositeur. Cette même année, Milhaud écrit une oeuvre pour piano et chant, Alissa, sur un texte extrait de la Porte étroite d’André Gide. Le langage violent d’Agamemnon et la subtilité, la tendresse d’Alissa définissent déjà les deux pôles du lyrisme de Darius Milhaud. Dès 1913 - il a vingt et un ans -, sa personnalité s’est entièrement forgée. En 1914, sa mauvaise santé l’ayant dispensé d’être appelé sous les drapeaux, le musicien s’emploie à secourir les réfugiés dont s’occupe le foyer Franco-Belge. Il continue à suivre les cours du Conservatoire, dans les classes de Gédalge et de Widor. Il étudie systématiquement le problème de la polytonalité, et applique ses re- cherches à la composition des Choéphores (1915). Il écrit en 1916 un de ses plus beaux recueils de mélodies, les Poèmes juifs, et un Quatuor à cordes avec chant, le troisième, à la mémoire de son ami Léo Latil, tué sur le front l’année précédente. Et voici que s’annonce un tournant décisif dans sa vie et dans son oeuvre : en novembre 1916, Claudel, qui vient d’être nommé ambassadeur de France à Rio de Janeiro, demande à Milhaud de l’accompagner en qualité de secrétaire. Claudel et Milhaud arrivent au Brésil le 1er février 1917. Ils y resteront jusqu’à la fin de la guerre, et, après un détour par la Martinique et New York, le musicien ne reviendra en France qu’au début de 1919. Milhaud reconnaîtra que les tropiques l’ont marqué profondément : « Les deux ans passés à Rio de Janeiro ont exalté en moi toute ma latinité naturelle, et cela jusqu’au paroxysme. » C’est au Brésil qu’il a trouvé définitivement son langage, son style, et qu’il a poussé jusqu’à leurs conséquences extrêmes les principes de la polytonalité, composant la cantate le Retour de l’enfant prodigue, le ballet l’Homme et son désir, la Sonate pour piano, flûte, clarinette et hautbois et son Quatrième Quatuor à cordes. Il y a entrepris la série des Petites Symphonies pour orchestre de chambre et mis sur le chantier les Euménides, un immense opéra d’après Eschyle dans la traduction de Claudel. Revenu à Paris, Milhaud participe aux activités du groupe des Six. Les titres de ses oeuvres, le Boeuf sur le toit (1919), Machines agricoles (1919), Catalogue de fleurs (1920), égarent les esprits superficiels. On n’y voit que provocation, modernisme, humour : alors que ces oeuvres, simplement, répondent à sa nature profonde, gaieté, lyrisme, amour de la nature. Le Milhaud du groupe des Six n’est pas un autre Milhaud. Avec ses Cinq Études pour piano et orchestre (1920), il poursuit ses recherches dans le domaine de la polytonalité et achève, en 1922, les Euménides. Les Choéphores sont jouées aux concerts Delgrange en 1919. La première audition de la suite symphonique de Protée provoque un scandale aux concerts Colonne en 1920. L’Homme et son désir est créé par les Ballets suédois en 1921. Contesté par certains, honni par Saint-Saëns, Milhaud est devenu célèbre. En 1922, il se rend à Vienne avec Francis Poulenc et la cantatrice Marya Freund. Il rencontre Alban Berg, Anton Webern et Arnold Schönberg, dont il vient de diriger aux concerts Wiener le Pierrot lunaire (première exécution à Paris). La même année, il donne des concerts aux ÉtatsUnis, et, pendant son séjour à New York, découvre le jazz dans sa pure tradition de La Nouvelle-Orléans. Des bruits de la forêt vierge était né l’Homme et son désir, des rythmes brésiliens le Boeuf sur le toit ; et dans la Création du monde, ballet sur un argument de Blaise Cendrars créé en 1923 par les Ballets suédois, dans les décors de Fernand Léger, le jazz est source d’inspiration, le jazz, ou plutôt l’esprit du jazz. En 1924, Milhaud écrit deux ballets, Salade, le Train bleu, et un ouvrage lyrique qui renoue avec la tradition de l’opéra de chambre, les Malheurs d’Orphée. L’année 1925 est celle de son mariage avec sa cousine Madeleine Milhaud et d’un grand voyage autour de la Méditerranée. Voyages et compositions se poursuivent. Le musicien se rend en Russie et, de nouveau, aux États-Unis. Il écrit en 1926, sur un livret de Jean Cocteau, le Pauvre Matelot. Quelques mois après la naissance de son fils Daniel, Christophe Colomb, un grand opéra dont le livret a été établi par Claudel, est créé à l’Opéra de Berlin (5 mai 1930). Le succès est très vif. Milhaud est un musicien comblé. Malheureusement, sa santé s’est altérée. Les crises de rhumatismes qui l’affectent sont douloureuses. Désormais, elles ne lui laisseront guère de répit. Surmontant ce handicap, le musicien ne renoncera ni aux voyages ni à aucune de ses activités. L’hostilité que rencontre Maximilien, créé en 1932 à l’Opéra de Paris, ne le décourage pas ; entre 1933 et 1938, Milhaud compose de nombreuses musiques de scène. Deux de ses oeuvres les plus populaires, la Suite provençale (1936) et Scaramouche (1937) en sont issues. Les Quatrains valaisans (1939), le Voyage d’été (1940), la Cheminée du roi René (1939) sont des musiques de paix et de bonheur. Mais la guerre vient interrompre les représentations de Médée à l’Opéra, où l’ouvrage, joué d’abord à Anvers, venait d’être créé le 8 mai 1940. Après l’armistice, Milhaud s’embarque pour les États-Unis, où on lui offre une chaire de composition à Mill’s College, en Californie. Il ne revient en France qu’à la fin de 1947, ayant, pendant ces sept années, composé un nombre impressionnant d’oeuvres, parmi lesquelles figurent Bolivar, la Suite française, le Service sacré. Nommé professeur de composition au Conservatoire de Paris, mais conservant sa chaire de Mill’s College, de 1947 à 1971, le musicien partage sa vie entre la France et les États-Unis, où il donne également des cours d’été, à Aspen, dans le Colorado. Entre 1952 et 1962, il écrit 68 oeuvres, dont quelques-unes, et ce ne sont pas les moins significatives, sont des musiques de circonstance, le Château de feu, à la mémoire des déportés, la Cantate de la croix de charité, pour célébrer le centenaire de la fondation de la CroixRouge. Munich, Berlin, Bruxelles et Paris fêtent son soixante-dixième anniversaire. L’Opéra de Berlin met pour la première fois en scène la trilogie de l’Orestie. En 1967, une plaque est posée sur sa maison natale à Aix-en-Provence. En 1971, le ministère des Affaires culturelles lui décerne downloadModeText.vue.download 661 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 655 le grand prix national de la musique. L’année suivante, il est reçu à l’Académie des beaux-arts. Milhaud peut désormais jeter un regard en arrière sur sa vie, une vie extraordinairement remplie par son activité créatrice et par les contacts humains qu’il a multipliés à travers les continents. Ma vie heureuse : tel est le titre qu’il choisit pour la nouvelle édition de ses Notes sans musique. Il s’éteint paisiblement à Genève, à l’âge de quatre-vingt-un ans, durant l’été de 1974, et il est inhumé à Aix-enProvence sa ville natale, celle dont il a dit qu’elle représentait pour lui « l’essentiel de sa source et de son coeur ». Les oeuvres les plus fréquemment jouées de Darius Milhaud, le Boeuf sur le toit, la Création du monde, les Saudades do Brazil, la Suite provençale, Scaramouche, proposent l’image d’une musique mordante, trépidante, ensoleillée, empreinte d’un charme très particulier qui est fait de naturel, d’abandon, de gaieté et de tendresse. Mais c’est loin d’être là tout Milhaud. Il y a le Milhaud âpre et tragique de l’Orestie. Il y a le musicien de Christophe Colomb, dont le langage traduit l’immensité de l’océan, l’amertume des querelles humaines et la lumière surnaturelle du paradis. Il y a aussi le novateur, qui, dans l’Homme et son désir, ajoute à la polytonalité la polyrythmie et l’indépendance des groupes instrumentaux. Mais le novateur est motivé par son lyrisme. La polytonalité est, en effet, pour lui le langage qui correspond à son désir de traduire la pluralité des impressions qu’il reçoit du monde extérieur. L’ouverture sur tous les êtres, sur toutes les choses, devient chez lui, selon l’expression de Claudel dans son Art poétique, « co-naissance » du monde. La polytonalité est l’instrument privilégié de cette « co-naissance ». Mais elle permet aussi à sa musique de nouer les gerbes de mélodies qui fusent en elle. Lyrique, le génie de Milhaud est essentiellement mélodique. Des cantates aux opéras, des quatuors aux symphonies, c’est là une constante qu’aucun exemple ne vient démentir. Milhaud a abordé tous les genres. Son oeuvre est immense, très riche, très variée, elle parcourt une gamme infinie d’émotions, et s’il fallait la définir d’un seul mot, ce serait par celui d’universalité. MILITAIRE (musique). La présence de la musique dans les armées remonte à la plus haute Antiquité. Vocalement, d’abord sous forme de choeurs martiaux martelant les marches et les assauts, puis avec l’appui d’instruments du genre tambour et trompette. Il s’agissait - il s’agit toujours - d’apporter un stimulant au courage du guerrier, de coordonner ses mouvements, d’enrichir ses parades, de meubler ses moments de détente. Le roi David s’accompagnait au combat d’une harpe, et ce furent les sonneries de trompes qui permirent aux Hébreux de vaincre Jéricho. Dans l’Antiquité, les soldats se battaient au son des tubas et des buccins. Les Grecs adoptèrent la syrinx, les Germains préférèrent les tambours importés de Chine. La musique militaire s’appuie essentiellement sur le rythme, et elle exige, pour être entendue, de larges sonorités. Aussi abandonna-t-elle très vite les harpes, les cithares et les divers instruments à cordes tellement en honneur au début de l’ère chrétienne. À la fin du Moyen Âge, elle utilisait les cors, les cornets, les trompes, les tambours, les trompettes, les timbales. C’est sous François Ier que le fifre apparut dans les armées françaises. Peu à peu, la musique militaire s’enrichit d’instruments nouveaux au fur et à mesure de l’évolution de la facture. Les hautbois apparurent sous Louis XIII, et Louis XIV ajouta les violons pour les grandes solennités, celles qui étaient assurées en plein air par la Grande Écurie. Au demeurant, les musiques militaires se développaient, et chaque régiment eut à coeur d’en posséder une, aussi bien en France qu’à l’étranger où l’on découvrit la cornemuse chez les Écossais, le basson chez les Russes et le flageolet chez les Turcs. La première institution régulière d’orchestres militaires eut lieu en France en 1762 dans les régiments de gardes françaises et de gardes suisses. Mais ce n’est qu’au lendemain de la Révolution qu’elles prirent peu à peu leur physionomie actuelle. La musique de la garde nationale étant devenue en 1795 l’amorce de notre Conservatoire, il fut possible de former les instrumentistes nécessaires aux phalanges régimentaires. En 1875, la musique militaire française fut réorganisée par une loi : dans l’infanterie et le génie, une musique par régiment ; dans la cavalerie, une par brigade ; et, couronnant le tout, la musique de la garde républicaine, qui recrutait ses membres par concours, aussi bien parmi les soldats que parmi les artistes civils. Les musiques d’infanterie, elles, comprenaient 1 chef, 1 sous-chef et 38 musiciens : 1 petite flûte, 1 grande flûte en ut, 1 hautbois en ut, 2 petites clarinettes en mi bémol et 6 grandes en si bémol, 1 saxophone soprano en si bémol, 2 saxophones altos en mi bémol, 2 saxophones ténors en si bémol, 2 saxophones barytons en mi bémol, 1 trompette à pistons en ut, 2 cornets à pistons, 1 trombone alto en mi bémol, 2 trombones en ut, 1 saxhorn soprano en mi bémol, 2 saxhorns contralto en si bémol, 3 saxhorns alto en mi bémol, 1 saxhorn baryton en si bémol, 4 saxhorns basse en si bémol, 1 contrebasse en mi bémol, 1 contrebasse en si bémol, 1 caisse claire plus 1 grosse caisse et une paire de cymbales. Dans les bataillons de chasseurs à pied et les régiments de cavalerie, il n’existait que des fanfares. Considérées souvent comme un art mineur, les oeuvres musicales militaires doivent cependant répondre à certaines obligations. Devant être interprétées parfois par des profanes, leurs qualités principales seront la clarté, la simplicité. Elles seront des cris de guerre, des chants patriotiques, des hymnes. Elles devront rythmer le pas des combattants, transmettre les ordres, les signaux de manoeuvre, entretenir enfin psychologiquement les énergies. Leurs airs, d’abord spontanément issus des chansons populaires, durent être véritablement composés lorsqu’il s’est agi de réaliser des marches, des pas redoublés, des charges et, comme en Allemagne, des lieder patriotiques. Ce furent d’abord des maîtres de chapelle attachés à des princes qui s’en chargèrent. Ainsi Lully composat-il de nombreuses marches militaires qui furent réunies en un recueil en 1705. Mais le répertoire des musiques militaires devait bientôt s’enrichir de polkas, de mazurkas, de galops, de quadrilles, voire de grandes oeuvres symphoniques réservées aux concerts de galas. Ce furent évidemment les chefs de musique qui les composèrent le plus souvent, mais dès la Révolution de grands musiciens les secondèrent : Catel, Gossec, Berton, Spontini, Cherubini écrivirent après Rouget de l’Isle maintes pages d’esprit guerrier. Le Chant du départ est de Méhul, le Régiment de Sambre-etMeuse de Planquette, la Marche lorraine de Louis Ganne. Aujourd’hui, cependant, les musiques militaires ont pratiquement disparu en France, où ont été néanmoins conservées les solides phalanges que sont la musique de la garde républicaine, celle de la flotte nationale, celle de l’armée de l’air et celle de la Légion étrangère. MILLÖCKER (Karl), chef d’orchestre et compositeur autrichien (Vienne 1842 Baden, près de Vienne, 1899). Après avoir fait ses études au conservatoire de Vienne, il débute comme flûtiste au théâtre in der Josephstadt. Il est ensuite chef d’orchestre au Landestheater de Graz (1864), au théâtre allemand de Budapest (1867), au théâtre an der Wien de Vienne (1869-1883). Il est l’un des principaux représentants de l’opérette viennoise, après J. Strauss Jr et Fr. von Suppé. MILNER (Anthony), compositeur britannique (Bristol 1925). Il a étudié au Royal College of Music de Londres ainsi qu’en privé avec Matyas Seiber, et enseigné d’abord à Morley College (1947), puis à l’université de Londres (1954) et au Royal College of Music. Son oeuvre est le reflet aussi bien de sa foi catholique que de sa connaissance approfondie de la musique médiévale. Parmi ses oeuvres instrumentales, des Variations pour orchestre (1958), 1 Divertimento pour cordes (1961), 1 Quintette à vents (1964), 1 downloadModeText.vue.download 662 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 656 Quatuor à cordes (1975) et 2 symphonies (no 1 commencée en 1964 et créée en 1973, no 2 écrite en 1977-78). Dans le domaine vocal, il a écrit notamment 1 messe (1951), The City of Desolation pour soprano, orchestre et choeur (1955), Motet for Peace pour 2 ténors, 2 basses et 9 cuivres (1973) et Cantata for Christmas « Emanuel » pour voix et orchestre de chambre (1974-75). MILONGA. Annonciatrice du tango, cette forme musicale se rencontre en Uruguay, au Paraguay, en Argentine et au Chili. On la trouve comme moyen expressif dans des duos vocaux, où les textes, de caractère léger, sont en forme de questions et de réponses. La mélodie procède par gammes descendantes, en mesures binaires contrastant avec l’accompagnement de guitare à 6/8. Lorsque des refrains sont ajoutés, ils sont harmonisés en tierces parallèles. MILSTEIN (Nathan), violoniste américain d’origine russe (Odessa 1904 Londres 1992). Il commence l’étude du violon à quatre ans et suit, de 1911 à 1914, l’enseignement de P. Stoliarski (également le maître de D. Oistrakh). Il joue à dix ans le Concerto de Glazounov, sous la direction du compositeur, mais ses véritables débuts prennent place à Odessa en 1920, après avoir terminé ses études auprès de L. Auer, à Saint-Pétersbourg. Seul ou en duo avec V. Horowitz, il fait à partir de 1925 des tournées en U. R. S. S. et en Europe. Il s’installe à Berlin (1925), joue à Paris (1926) et à Bruxelles, où Ysaye, devant sa maîtrise, renonce à le prendre comme élève. La même année, il fonde un trio avec Horowitz et G. Piatigorski, avec qui il part pour les États-Unis (1929). Il y fait ses débuts avec l’Orchestre de Philadelphie (dirigé par L. Stokowski). Naturalisé américain (1942), il réapparaît en Europe après-guerre, notamment aux festivals de Lucerne (1949), de Salzbourg (1954) et de Berlin (1966). Il donne des cours de perfectionnement au Muraltengut de Zurich et à la Juilliard School de New York. La carrière de Milstein offre un exemple unique de longévité violonistique ; sa sonorité s’est même épanouie avec le temps. Doué d’une main gauche exceptionnelle, d’un tempérament impé- tueux et entier, il ne conçoit la virtuosité que comme porteuse de vérité musicale et la pureté du son que comme révélateur de la charge poétique des oeuvres. Cellesci, peu nombreuses et souvent revisitées, vont des sonates de Bach aux concertos de Prokofiev en passant par les grands concertos romantiques, pour lesquels il écrit ses propres cadences. Il a composé également des Paganiniana (jouées à New York en 1954), en hommage au père des violonistes. Il jouait sur un stradivarius de 1716. MIMODRAME. Action mimée accompagnée de musique descriptive, proche de la pantomime, mais sans les ambitions chorégraphiques de celle-ci. Généralement incorporée à un opéra, comme l’entrée de Beckmesser au troisième acte des Maîtres chanteurs, elle constitue parfois une oeuvre autonome, comme l’Orphée de Roger-Ducasse (1913, 1re repr., Paris 1926). MINEUR. 1. Se dit d’un intervalle qui, par référence à sa note inférieure considérée comme tonique, appartiendrait à une tonalité « mineure » (par ex. : ré-fa = tierce mineure, car fa appartiendrait à ré mineur). 2. Se dit d’un accord parfait quand sa tierce est « mineure » (par ex. : do-mi bémol-sol). Se dit aussi des accords de septième et de neuvième quand ces derniers intervalles sont « mineurs » sans que la tierce le soit forcément (par ex. : réfa-la-do = accord de septième mineure ; do-mi-sol-si bémol-ré bémol = accord de neuvième mineure). L’accord de septième mineure avec tierce majeure, dont la fondamentale est la dominante, est dit accord de septième de dominante. 3. Se dit d’une tonalité quand elle est dans le mode mineur (par ex. : do mineur). 4. Se disait, au Moyen Âge, d’un mode rythmique, ou d’une division rythmique binaire. En ce sens, mineur était parfois synonyme d’« imparfait », imperfectus ( ! INTERVALLE, ACCORD, MODE, TONALITÉ, BINAIRE, TERNAIRE). MINIME. Dans la notation proportionnelle du XIVe au XVIe siècle, c’est la valeur de note inférieure à la semi-brève (1/2 ou 1/3 selon les cas), obtenue en ajoutant une queue au losange de la semi-brève. Variablement, la minime pouvait être blanche (évidée) ou noire (losange plein), avec des valeurs différentes. En se transformant et en arrondissant le losange, la minime noire est devenue la noire, la minime blanche est devenue la blanche. En notation blanche, la forme de la minime noire a parfois été employée comme semi-minime, ce qui n’a pas été sans entraîner diverses confusions. MINKOWSKI (Marc), chef d’orchestre français (Paris 1962). Il étudie d’abord le basson auprès de A. Sennedat et A. Wallez. Parallèlement, il aborde la direction d’orchestre puis se perfectionne aux États-Unis auprès de C. Bruck. Après ce séjour, il commence à s’intéresser également à la musique ancienne, se produit comme bassoniste dans les ensembles la Chapelle royale, les Arts florissants, Clemencic Consort. Premier prix en 1984 du Concours international de Bruges, il fonde l’ensemble les Musiciens du Louvre et donne d’abord avec eux plusieurs opéras de Purcell. Très intéressé par le répertoire instrumental et lyrique des XVIIe et XVIIIe siècles, il dirige des oeuvres de Haendel, Lully, Rameau et aborde aussi les opéras de Mozart (Idoménée à l’Opéra Bastille en 1996) et de Gluck. MINNESANG. Nom donné à la poésie allemande de cour des XIIe et XIIIe siècles. La lyrique des Minnesänger s’est développée sous le règne des Staufen, en Bavière, en Autriche, dans la vallée du Rhin, en Thuringe et en Suisse, parallèlement à celle des grands troubadours. Elle a subi fortement, dans sa thématique et dans ses formes, l’influence de la poésie d’oc, mais s’en est rapidement différenciée au contact de l’épopée (Nibelungenlied), du roman celtique et de la tradition cléricale des vagants. Aussi les Minnesänger ont-ils dépassé en variété et en éloquence leurs homologues provençaux. Ils demeurent faibles sur un plan : celui de la musique. Les mélodies conservées (fragments de Müns- ter, manuscrits d’Iéna et de Colmar) sont douteuses ou tardives, quand elles ne sont pas empruntées ou réduites à de courtes formules de récitation, inlassablement répétées, selon un procédé traditionnel dans le lai. L’originalité du Minnesang est le Spruch, qui a permis à Walther et, après lui, Alexander et Frauenlob, d’élever la chanson morale, religieuse et politique bien au-dessus du sirventès des Provençaux. Le Minnesang proprement dit peut être rattaché à la tradition de la fin’amor, mais préfère souvent à la mystique du « service d’amour » tel que Reinmar l’a codifié (hohe minne) le naturel et la sincérité (niedere minne). La thématique courtoise reste donc l’apanage des poètes du « printemps » et de l’« été » du Minnesang : Heinrich von Veldeke, Friedrich von Hausen, Rudolf von Fenis, Heinrich von Morungen et, surtout, Reinmar et Walther von der Vogelweide. Neidhart et Tannhäuser tenteront ensuite d’innover dans le sens d’un plus grand réalisme, mais les Meistersinger, aux XIVe et XVe siècles, ne recueilleront, après Hugo von Montfort et Oswald von Wolkenstein, que la technique et les artifices du Minnesang. MINTER (Drew), contre-ténor américain. À neuf ans, il est soprano à la cathédrale de Washington. Il est formé à l’université d’Indiana et à la Musikschule de Vienne avant de remporter plusieurs prix internationaux à Bruges et Boston. En 1983, il est révélé dans le rôle-titre d’Orlando de downloadModeText.vue.download 663 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 657 Haendel dirigé par Nicholas McGegan, avec lequel il réalise de nombreux disques. Il mène de front une carrière de chanteur et de metteur en scène d’opéra baroque. Il est membre fondateur du Newberry Consort et du groupe vocal Five-One. Il chante avec l’Academy of Ancient Music, le Theatre of Voices de Paul Hillier et les Arts florissants. En 1995, il est l’invité de l’Orchestre baroque de Fribourg et chante à Édimbourg les mélodies de Purcell avec la Mark Morris Dance Company. En 1996, il met en scène Radamisto de Haendel à Marseille et Agrippina à New York. MIOLAN CARVALHO (Marie), soprano française (Marseille 1827 - ChâteauPuys, Dieppe, 1895). Elle étudia au Conservatoire de Paris avec Duprez et fit ses débuts à l’OpéraComique en 1849 dans Lucia di Lammermoor de Donizetti. Elle fut la créatrice de Marguerite de Faust et de Mireille dans les ouvrages de Gounod. Elle parut avec succès à Berlin et à Saint-Pétersbourg. Sa voix était celle d’un grand soprano lyrique coloratura. L’imprésario Léon Carvalho fut son mari. MIRACLE. Genre théâtral médiéval, à participation musicale très variable, en honneur surtout aux XIIe et XIIIe siècles, mettant en scène un événement extraordinaire attribué par l’histoire ou la légende à un saint, ou à la Vierge. Rattaché par ses origines au drame liturgique (le Jeu de Daniel peut être considéré comme un miracle), le miracle peut être soit latin et entièrement chanté (ms. 218 d’Orléans), soit vernaculaire et parlé (Jeu de saint Nicolas de Jean Bodel, Miracle de Théophile de Rutebeuf) et s’achève habituellement par le chant du Te Deum qui clôt l’office des matines. Le terme s’applique également à des récits en vers, ou en prose, sur des sujets analogues : les plus célèbres sont, au XIIIe siècle, les Miracles de Notre-Dame de Gautier de Coincy, où sont insérées des chansons pieuses parodiées sur des conduits ou des chansons de trouveurs profanes. MIRLITON. Instrument populaire, à vent, formé d’un roseau ou d’un tube de carton garni d’une ou deux membranes (pelure d’oignon, baudruche ou papier de soie) qui résonnent à l’unisson de la voix de l’exécutant. C’était autrefois un article typique de bazar, vendu surtout aux enfants. Souvent, des poèmes rudimentaires étaient imprimés sur des bandes de papier, enroulées en spirale autour du tube : des « vers de mirliton. » MIROGLIO, famille de musiciens italiens. Pierre, violoniste et compositeur (dans le Piémont v. 1715 - Paris v. 1763). Il étudie le violon avec son oncle G. B. Somis, chez lequel il se lie avec le célèbre Jean-Pierre Guignon. Comme beaucoup d’autres Piémontais de renom à cette époque, les deux musiciens gagnent Paris en 1738 pour entrer dans l’orchestre du prince de Carignan. Il y reste jusqu’à la mort du prince en 1741, puis travaille pour le fermier général de La Pouplinière jusqu’à la mort de ce dernier en 1762. Il meurt peu de temps après, car son frère Jean-Baptiste abandonne en 1764 son épithète « Le cadet » ou « Le jeune ». Instrumentiste de grande renommée, il n’est l’auteur que d’un recueil de 6 Sonates pour violon et basse op. 1, dédiées à Geminiani et publiées en 1741. Jean-Baptiste, violoniste, compositeur et éditeur de musique, frère du précédent (dans le Piémont v. 1725 - Paris v. 1785). Venu très jeune à Paris, il étudie sans doute le violon avec son frère et J.-P. Guignon, mais préfère se consacrer à l’enseignement et à la composition. Sa production, dans ce domaine, est inégale. Ses pièces pour violon n’ont pas les qualités de celles de son frère et ses oeuvres symphoniques, bien que plus intéressantes, sont loin d’être remarquables. Elles ne sont, le plus souvent, qu’une mixture d’éléments stylistiques de l’époque (les 6 Symphonies à grand orchestre op. 10, par exemple, 1764). Il serait certainement oublié à l’heure actuelle s’il n’avait, en 1765, pratiquement abandonné la composition pour se consacrer à une activité paramusicale tout à fait originale à l’époque. Il s’associe alors avec le peintre flamand Antoine de Peters pour fonder un Bureau d’abonnement musical qui prête à ses abonnés, en échange d’une cotisation mensuelle, une grande variété d’ouvrages musicaux de toute sorte. C’est la première entreprise de ce genre à Paris et elle permet de mieux faire connaître aux Parisiens un grand nombre d’oeuvres. Son succès énorme ne manque pas d’inquiéter les éditeurs de musique qui, menés par La Chevardière, entament une cabale. Le Bureau d’abonnement obtient gain de cause en 1767 et poursuit ses activités jusqu’à la Révolution. MIROGLIO (Francis), compositeur français (Marseille 1924). Il a fait ses études au conservatoire de Marseille, puis à celui de Paris avec Darius Milhaud (composition), et participé aux cours de Darmstadt. Il a passé une année à Berlin comme boursier de la fondation Ford (1967), et fondé le festival de musique et d’art contemporain « Nuits de la fondation Maeght » (1965), dont il a été directeur artistique jusqu’en 1971. Depuis 1976, il est directeur artistique des Semaines musicales internationales d’Orléans. De tendance postsérielle, il s’est orienté vers la forme ouverte et vers l’aléatoire, et, en collaboration avec des plasticiens comme Calder ou Miró, a élaboré des oeuvres intégrant des composantes sonores et visuelles. On lui doit notamment Pierres noires pour ondes Martenot et 2 percussions (1958), Espaces I à V pour diverses formations (1961-62), Projections pour quatuor à cordes avec diapositives de peintures de Joan Miró ad libitum (196667), Tremplins pour orchestre et voix (formations variables de 15 à 32 musiciens) sur un texte de Jacques Dupin (1968-69), Insertions pour clavecin (1969), Extensions pour 6 percussions et grand orchestre (1970-1972), Extensions 2 pour 6 percussions (1970), Extensions 3 pour grand orchestre (1972), Il faut rêver dit Lénine, spectacle musical sur un texte de Roger Pillaudin (1972), Éclipses pour 12 cordes et clavecin ad libitum (1972), Strates éclatées pour orchestre (1973), Reflex, oeuvre de théâtre musical (1973-74), Fusions pour grand orchestre (1974), Gravités pour orgue (1975), Brisures pour flûte solo (1977), Horizons courbes pour ensemble instrumental variable (1977-78), Rumeurs pour harpe celtique ou harpe diatonique (1978), Magnétiques pour violon solo, violon et piano, violon et ensemble instrumental, ou violon et grand orchestre (1978-79), Triade, musique pédagogique pour 1, 2 ou 3 violons (1980), Trip through Trinity pour percussion solo (1981), Inferno di gelo, oeuvre de théâtre musical d’après Dante (1981-82), Delta pour orchestre (Metz, 1987), Textures croisées pour 9 instrumentistes (1991). Pour lui, la démarche aléatoire doit rester sous le strict contrôle du compositeur et constituer un enrichissement, non une démission. MIROIR. Genre d’écriture sophistiqué, employé par certains contrapuntistes à titre de démonstration de virtuosité, consistant à écrire un morceau qui puisse être lu à volonté soit normalement soit en renversement. Ce dernier correspond alors au morceau lu dans un « miroir » horizontal sur lequel le papier serait tenu verticalement, les seuls changements autorisés concernant l’ordre des voix, les clefs et les altérations. L’Art de la fugue de J.-S. Bach contient 2 fugues miroir de grande dimension, dont l’une a été transcrite librement par lui pour une exécution à 2 claviers. SCÉNOGRAPHIE LYRIQUE. La fonction de metteur en scène n’existe officiellement, dans les théâtres lyriques, que depuis le début du XIXe siècle et le rôle de celui-ci a varié avec les époques. Aussi downloadModeText.vue.download 664 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 658 une partie de cet article (notamment celle qui concerne les XVIIe et XVIIIe siècles) traite-t-elle de ce que l’on appelle la scénographie (art du décor et des éclairages, machines, etc.). Dans une perspective historique, les termes de mise en scène et de scénographie se recoupent souvent, et il a paru plus logique de les réunir sous une seule rubrique. DE LA NAISSANCE DE L’OPÉRA À LA FIN DU XVIIE SIÈCLE. Quand, dans les toutes dernières années du XVIe siècle, les membres de la Camerata fiorentina « inventèrent » l’opéra, la « mise en scène » s’inspira, par la force des choses, des pratiques et des genres théâtraux du temps (notamment du ballet de cour et du théâtre des jésuites). Représenté à l’origine dans les palais des princes et des grandes familles ecclésiastiques (les Gonzague à Mantoue, les Barberini à Rome), souvent commandé au compositeur pour célébrer un événement, l’opéra ne pouvait être qu’un spectacle de grand luxe. Lorsqu’il devint accessible au public bourgeois (la première salle, le théâtre San Cassiano, s’ouvrit à Venise en 1637), il conserva sa scénographie fastueuse, avec de multiples changements de décors et des machines compliquées. En fait, le public du XVIIe siècle venait à l’opéra autant pour l’émerveillement de l’oeil que pour le plaisir de l’oreille. Les décors. Qu’ils représentassent un palais, un jardin ou un lieu sauvage, leur dessin suivit les règles de la perspective à point de fuite central et de la symétrie. Pour accentuer l’effet d’éloignement, on disposait parfois au dernier plan de petites figurines découpées. Ce parti pris présentait au moins un inconvénient : il interdisait aux chanteurs de « remonter », de quitter le devant de la scène, sous peine de détruire l’illusion optique. Latéralement, la scène était bordée par des telaris, prismes triangulaires dont chaque face supportait un élément de décor différent, et que l’on faisait pivoter tous ensemble pour obtenir un changement rapide, ou, plus souvent, par des coulisses plates, châssis mobiles garnis de toile peinte que l’on glissait et que l’on enlevait facilement (placées de biais par rapport à la rampe, ces coulisses permettaient d’obtenir un effet de mur fermé). Grâce aux coulisses et aux toiles de fond interchangeables, on pouvait réaliser, au cours du même spectacle, de multiples changements de décors (parfois à vue, ce dont le public était très friand). La décoration des premiers opéras intéressa des peintres comme le Bernin (décors du Sant’Alessio de Landi) et, en France, un décorateur comme Bérain. Un des maîtres de la scénographie au XVIIe siècle fut l’architecte italien Giacomo Torelli (1604-1678), renommé dans toute l’Europe, et que Mazarin fit venir à Paris en 1645. Torelli perfectionna le système des coulisses et sut jouer en virtuose de la verticalité de l’espace en faisant grand usage des trappes et des « gloires ». Les machines. À la magnificence des décors, vint s’ajouter l’emploi d’une machinerie ingénieuse, qui, par poids, contrepoids, poulies, trappes et balançoires interposés, fit mouvoir les nuages, courir le char de Phaéton et s’écrouler le palais d’Armide. Une machine à peu près obligée fut la « gloire », véhicule préféré des dieux de l’Olympe pour descendre parmi les mortels. Les machines n’étaient pas apparues avec l’opéra : déjà, dans les mystères du Moyen Âge, on voyait voler des anges et une gueule de monstre cracher les flammes de l’Enfer. Pendant la Renaissance, Léonard de Vinci et Bruneleschi s’étaient intéressés à ces appareils, qui étaient abondamment utilisés dans le théâtre des jésuites et les ballets de cour. Cependant, ils devinrent un élément tellement primordial du spectacle d’opéra qu’on les construisait parfois avant même que l’ouvrage auquel ils étaient destinés fût composé. En France, où pourtant, sous l’influence de Lully, on en faisait un usage relativement modéré, les machines suscitèrent un débat d’intellectuels. Certains écrivains, tel SaintÉvremond, critiquaient la gratuité de leur emploi, tandis que La Bruyère estimait qu’« elles augmentent et embellissent la fiction ». En 1637, l’architecte italien Niccolo Sabbatini fit paraître une théorie des machines, Pratica di fabbrica, scene e machine de teatri, où sont dévoilés des procédés dont beaucoup sont encore en usage. Les costumes et l’éclairage. Les costumes, comme ceux de tout le théâtre de l’époque, ignoraient superbement la vérité historique : les héros et les rois portaient des casques empanachés et des cuirasses à la romaine. On reconnaissait les dieux à certains attributs stéréotypés : la foudre pour Jupiter, un arc et un carquois pour Diane, par ailleurs vêtue en costume de cour. Tous les vêtements étaient luxueux, que le personnage fût riche ou misérable. Les étoffes brillantes, les couleurs vives, les bijoux contribuaient à l’éclat du spectacle et permettaient d’accrocher la lumière. L’éclairage, en effet, était pauvre ; il était fourni par des lampes à mèche (biscuit) qui brûlaient de l’huile de pied de boeuf et dont la fumée irritait la gorge des chanteurs. Ces lampes, ainsi que des bougies, étaient disposées le long de la rampe, dans les coulisses et dans les cintres. Cependant, depuis déjà un siècle, on savait colorer les éclairages en plaçant devant les sources lumineuses des bocaux remplis d’un liquide rouge ou bleu, et en varier l’intensité en utilisant des caches. Le jeu et la place des chanteurs. Les chanteurs, gênés par le poids et l’ampleur de leurs costumes, avaient un comportement statique. Ils faisaient toujours face au public et se tenaient à l’avant-scène, à la fois pour des raisons pratiques (la faiblesse de l’éclairage aussi bien que la perspective frontale des décors leur interdisaient de « remonter ») et pour des raisons d’étiquette : lorsque le roi, ou le prince, était présent, il était assis au milieu du premier rang ou dans sa loge, face à la scène, et c’était à lui que l’on était censé s’adresser. Les choeurs étaient placés en général des deux côtés de la scène, alignés obliquement par rapport à la toile de fond, de façon à en souligner la perspective. Plus rarement, ils étaient disposés en croissant. Les compositeurs, qui furent leurs propres « metteurs en scène » pour ce qui concerne l’interprétation (et parfois leurs propres interprètes, tels Peri et Caccini), essayaient pourtant d’obtenir des chanteurs une certaine expressivité tant musicale que gestuelle. Dans la préface de Dafne, Marco da Cagliano donnait des indications sur la façon dont ses interprètes devaient entrer en scène, marcher, et il leur demandait d’accorder leurs gestes et leurs pas au mouvement de l’orchestre et du chant. Il semble que les compositeurs soient rarement parvenus à faire passer leurs intentions dans les faits, à la notable exception de Lully, dont les « tragédies en musique » sacrifiaient moins à la virtuosité vocale que les opéras italiens et qui, grâce à la force exceptionnelle de sa personnalité et à l’expérience acquise auprès de Molière, avait pu former une troupe de chanteurs-comédiens. LE XVIIIE SIÈCLE. Au début du XVIIIe siècle, le spectacle d’opéra s’était déjà installé dans la routine : par la faute des librettistes et des compositeurs, qui choisissaient toujours les mêmes sujets héroïques ou mythologiques ; par la faute aussi du public, qui se soumettait avec délices à la dictature des castrats et des sopranos. En continuant de puiser leur inspiration auprès des dieux de l’Olympe et des héros des romans de chevalerie, les librettistes contraignirent les décorateurs à représenter indéfiniment les mêmes lieux : une grotte, un palais, un enfer, etc. À l’époque de Rameau, la liste de ces lieux était suffisamment restreinte pour que les théâtres puissent disposer d’un fonds de décors servant à la représentation de tous les opéras. La décoration, cependant, suivit l’évolution de la peinture et de l’architecture. À la place de la perspective frontale, on vit apparaître la « scène d’angle » à nombreuses perspectives obliques, dont on attribue l’invention à Ferdinando Galli-Bibiena (1656-1743). En France, François Boucher fut nommé décorateur de l’Opéra en 1737 ; avec lui, le décor était surtout une peinture de chevalet agrandie downloadModeText.vue.download 665 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 659 aux dimensions de la scène. À la même époque, le Florentin Servandoni étonna le public parisien par la monumentalité de ses décors. Ce fut au XVIIIe siècle que s’instaura l’habitude, qui se prolongea jusqu’aux débuts du XXe, de confier la décoration de chaque acte à un peintre différent. Le goût des machines, s’il s’était quelque peu atténué, ne disparut pas. D’ailleurs, plus que jamais, l’opéra était un spectacle qui cherchait à plaire, à étonner, à éblouir le spectateur. Les costumes étaient toujours aussi somptueux et toujours aussi éloignés de la vérité archéologique : les héroïnes portaient d’immenses perruques poudrées et des robes à crinoline. Les héros masculins, coiffés d’un casque à panache, portaient désormais des costumes à tonnelet. Les personnages de l’opéra bouffe et ceux de l’opéra-comique n’étaient guère habillés de façon plus réaliste : les bergères étaient enrubannées et les paysannes chaussées d’escarpins. Les conditions qui empêchaient les déplacements des chanteurs (règles de l’étiquette, lourdeur des costumes, faiblesse de l’éclairage) demeuraient les mêmes, et ce n’était pas l’avènement des castrats et des sopranos belcantistes qui allait apporter plus de vérité à la gestuelle et à la mimique. Non seulement les chanteurs continuaient à se tenir invariablement sur le devant de la scène, mais ils établirent une hiérarchie des places qui faisait en quelque sorte pendant à l’étiquette régnant dans la salle : le côté « jardin » (côté gauche de la scène vue de la salle), considéré comme noble, était réservé aux prime donne et aux ténors, tandis que les basses occupaient le côté « cour », quelles que fussent les exigences du livret. Les spectateurs, d’ailleurs, n’avaient cure de la vraisemblance. En Italie, les loges commençaient à devenir ce qu’elles furent au temps de Stendhal : des salons où l’on se rendait visite. En France, dans la seconde moitié du siècle, des tendances naturalistes se firent jour. Les chanteurs voulaient prendre modèle sur les acteurs du théâtre dramatique et montrèrent un plus grand souci de l’inter- prétation, non sans tomber souvent dans l’outrance et le cabotinage. Mais comment leur reprocher de « tirer de leur côté », lorsqu’ils étaient livrés à eux-mêmes, dans un spectacle où le maître d’oeuvre - le metteur en scène - n’existait pas encore ? Des personnalités du spectacle s’efforçaient pourtant de faire évoluer l’esthétique de la représentation scénique. En 1760, le maître de ballet Jean-Georges Noverre exposait dans ses Lettres sur la danse et sur les ballets une théorie de la scénographie à certains égards prophétique. Pour lui, tous les éléments d’un spectacle lyrique ou chorégraphique devaient être liés. Il s’insurgeait contre l’inconfort des costumes, contre l’éclairage par la rampe et voulait que le décorateur utilisât des tons dégradés pour permettre aux costumes de se détacher sur la toile de fond. Ces idées demeurèrent pure théorie et il fallut attendre le séjour parisien de Gluck (qui, à Vienne, avait eu Noverre pour collaborateur) pour assister à une réforme effective du spectacle lyrique. Cette réforme portait, mis à part le côté purement musical, sur l’interprétation des chanteurs et sur la cohésion générale du spectacle ; en ce sens, on peut dire que Gluck fut, comme Lully, un compositeur-metteur en scène. Ses partitions étaient émaillées d’indications très précises (« avec surprise », « hésitant », « soucieux ») concernant la nature et l’intensité des sentiments qu’il s’agissait d’exprimer. Ce réalisme et cette vérité psychologiques, Gluck sut les obtenir de ses interprètes parisiens : Sophie Arnould, Mme SaintHuberty, Mlle Laguerre. Au ténor Legros, créateur de la version française d’Orphée, il demanda, pour déplorer la mort d’Eurydice, de « crier » son désespoir « comme si on lui arrachait une jambe ». Gluck attachait aussi beaucoup d’importance à l’animation des choeurs, qu’il voulait voir participer à l’action comme ceux de la tragédie antique, et à l’intégration des ballets dans le drame (dans Orphée, à l’entrée des Enfers, c’étaient les danseuses et les danseurs qui lançaient au héros le célèbre « Non ! »). En revanche, il s’intéressait peu à la décoration et son influence sur la scénographie proprement dite fut minime. On nota pourtant, à son époque, un pas timide vers l’exactitude historique dans les costumes : dans Iphigénie en Aulide, par exemple, l’héroïne portait une robe dont la ligne se rapprochait de celle du vêtement grec. Mais cette transformation était dans l’air du temps, Gluck n’en était pas responsable. LE XIXE SIÈCLE ET LA PREMIÈRE MOITIÉ DU XXE. Au début du XIXe siècle, le mouvement romantique toucha l’opéra comme les autres arts : les librettistes abandonnèrent peu à peu l’Antiquité et la mythologie pour les sujets « gothiques » ou historiques, et ce changement de lieux et de temps impliqua un nouveau style décoratif. Les toiles de fond évoquaient une nature luxuriante, ou des ruines au clair de lune, et ressemblaient de plus en plus à de la peinture de chevalet. Le monumentalisme s’imposait définitivement, et sa vogue était encore renforcée par l’intérêt que suscitèrent les nouvelles découvertes archéologiques faites pendant la campagne d’Égypte (sphynx et obélisques encombraient les productions de la Flûte enchantée réalisées en Allemagne dans les années 1810). Les décorateurs les plus en vogue furent Pietro Gonzaga, un disciple de Galli-Bibiena, et Alessandro Sanquiriquo (qui signa notamment les décors de la Vestale de Spontini). À cette époque, on avait déjà abandonné les coulisses « à la Serlio » pour les remplacer, lorsqu’il s’agissait de représenter un intérieur, par des murs pleins. De même, on voyait apparaître de « véritables » plafonds pour fermer le haut des décors. Le souci d’exactitude archéologique, dont désormais faisaient montre les décorateurs, n’avait pas atteint les costumiers. Non seulement ceux-ci faisaient fi de la vraisemblance historique, mais ils ne cherchaient pas à habiller les personnages d’un même opéra dans un style uniforme. Une telle désinvolture ne choquait guère les spectateurs. Le bel canto exerçait une royauté absolue et, au moins pendant le premier tiers du siècle, surtout en Italie, le public percevait l’opéra moins comme un spectacle que comme un concert en costumes. L’ère des reconstitutions historiques. Ce furent les Français qui, avec le « grand opéra » et ses somptueuses reconstitutions historiques, allaient redonner au côté visuel de la représentation lyrique la place qu’il avait perdue. À partir des dernières années 1820 et des années 1830, l’Opéra de Paris se fit une spécialité des « grandes machines », dont l’intrigue, située dans un contexte historique précis et jugé pittoresque (la révolte des anabaptistes pour le Prophète, le concile de Constance pour la Juive), donnait prétexte à de multiples cortèges et défilés, à des déploiements de foule, voire à la représentation d’événements sanglants mais spectaculaires (le massacre de la Saint-Barthélemy dans les Huguenots). Il s’agissait d’éblouir le spectateur à la fois par l’ampleur des moyens mis en oeuvre et la fidélité de la reconstitution. Les décors, surchargés de détails architecturaux, d’éléments de paysage, visaient à l’authenticité archéologique et géographique. Ils jouaient sur les effets de perspective et sur le trompe-l’oeil, mais, quelle que fût l’habileté de décorateurs comme Cicéri, Despléchin, Séchan ou Cambon, l’illusion disparaissait lorsque les figurants se rapprochaient de la toile de fond (et comment éviter qu’ils ne s’en rapprochassent lorsqu’ils étaient plus de cent, dont certains à cheval ?). La même volonté de reconstitution réaliste se retrouvait dans les costumes, dont on multipliait à plaisir le nombre et la diversité (dans une foule, tous les corps de métier, toutes les classes sociales, tous les âges étaient représentés ; dans une procession, tous les ordres religieux, toutes les dignités ecclésiastiques). Bien entendu, le « grand opéra » exploita les progrès technologiques au fur et à mesure de leur apparition. Dès 1822, l’Opéra de Paris avait remplacé les lampes à huile par l’éclairage au gaz, qui permetdownloadModeText.vue.download 666 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 660 tait d’obtenir des effets réalistes de jour et de nuit et même de reproduire des phénomènes atmosphériques (au dernier tableau de Guillaume Tell, les nuages qui recouvraient le lac des Quatre-Cantons se dissipaient et l’on apercevait les montagnes couronnées de glaciers, que venaient frapper les rayons du soleil). À partir de 1849 et de la première représentation du Prophète, l’électricité allait permettre de « faire encore plus vrai ». La mise en place d’un « grand opéra » était si complexe, elle mobilisait des énergies si nombreuses qu’il fallait un personnage pour coordonner tous les efforts. C’est ainsi qu’apparut officiellement, au début du XIXe siècle, la fonction de « metteur en scène ». Celui-ci veillait à la plantation des décors, décidait du groupement des chanteurs dans les duos et les ensembles, disposait les choeurs et mettait au point les éclairages. Mais il ne s’occupait absolument pas de la direction d’acteurs. Dans ce domaine, les interprètes étaient livrés à eux-mêmes. Ceux qui avaient des dons de comédien tiraient leur épingle du jeu, par exemple le ténor Nourrit ou Cornélie Falcon ; les autres se contentaient de quelques gestes stéréotypés, ou bien s’égaraient dans un réalisme brouillon. Les metteurs en scène de cette époque écrivaient des sortes de scénarios détaillés à l’usage de leurs futurs imitateurs : ainsi se sont créées des traditions et se sont perpétués, parfois jusqu’à nos jours, nombre de clichés. Le style « à grand spectacle » des représentations de l’Opéra de Paris s’étendit peu à peu au reste de l’Europe, à la Scala de Milan comme aux théâtres allemands. Il demeura en usage même après la révolution wagnérienne. Richard Wagner metteur en scène. On aurait pu s’attendre qu’un réformateur radical comme Richard Wagner, après avoir bouleversé l’architecture théâtrale dans son Festspielhaus, révolutionnât la mise en scène, au moins celle de ses propres drames lyriques. Il n’en fut rien : Wagner, à Bayreuth, demeura fidèle à l’illusionnisme naturaliste qui caractérisait la scénographie de son époque. Sans doute utilisa-t-il les procédés les plus modernes en matière d’éclairage, notamment les « poursuites », inventées en 1875, qui lui permettaient d’isoler Wotan ou Erda dans un faisceau de lumière colorée. Pour la décoration et la machinerie, il s’en tint aux procédés traditionnels : toiles peintes, coulisses découpées, « balançoires » pour les filles du Rhin, etc. En revanche, Wagner fut un metteur en scène novateur en ce qui concerne l’interprétation et le jeu des acteurs. Pour obtenir l’expression juste, il demandait à ses chanteurs de « réciter « d’abord le texte de leur rôle. Il voulait que leurs gestes et leur mimique soient synchronisés avec la musique, qu’ils chantent en faisant face à leurs partenaires et que, dans les monologues, ils lèvent ou baissent les yeux plutôt que de regarder devant eux. Vérisme et naturalisme. Hors du sillage wagnérien et des célébrations de Bayreuth, on vit se dessiner, au tournant du siècle, une tendance à plus de réalisme dans la mise en scène lyrique, sans doute sous l’influence des travaux d’Antoine et de Stanilavski pour le théâtre dramatique. À la recherche de la vérité « comme dans l’histoire « du grand opéra, allait succéder la recherche de la vérité « comme dans la vie «. Mais le naturalisme ne pouvait vraiment trouver son application que dans les drames lyriques de Puccini et ceux des véristes italiens, ou encore dans un « roman musical « comme la Louise de Charpentier. Pour le reste, c’est-à-dire le « répertoire « et les ouvrages nouveaux qui ne relevaient pas de l’esthétique vériste, on se contenta d’aménager - donc de perpétuer - les traditions scénographiques du XIXe siècle (ainsi fit Albert Carré pour la création de Pelléas et Mélisande). Et les conditions d’exploitation des théâtres lyriques étaient telles, entre les deux guerres, que, dans la plupart des cas, la perpétuation l’emportait sur l’aménagement. Conséquence de la plus grande rapidité des moyens de transport, rançon de la crise économique, les troupes attachées en permanence aux théâtres disparurent presque partout : on engageait des vedettes itinérantes qui devaient pouvoir s’intégrer, après quelques « raccords », dans une production conforme aux traditions dont le « metteur en scène » (en général, un chanteur à la retraite) était le dépositaire. Dans les théâtres de province, un fonds commun de décors, dont on combinait différemment les éléments selon les besoins, servait pour tous les opéras du répertoire, et les chanteurs invités fournissaient leurs costumes (ils possédaient un « vestiaire »). L’opéra, encore une fois, cessa d’être un spectacle. La masse du public se détourna d’un genre qui se mourait doucement devant une poignée d’amateurs qui venaient comparer les mérites des différentes distributions d’un même ouvrage. APPIA, CRAIG ET LES AUTRES. Ce fut de Bayreuth que revint la lumière, lorsque, en 1951, Wieland Wagner prit en main les destinées du festival ressuscité et renouvela totalement l’esthétique qui, jusque-là, avait marqué la représentation des opéras de son grand-père. La révolution scénographique de Wieland Wagner a été rendue possible par la réflexion théorique et les réalisations isolées de quelques précurseurs. En premier lieu, celles du Genevois Adolphe Appia (1862-1928). À l’âge de vingt ans, Appia avait assisté à Bayreuth à une représentation de Parsifal. La déception qu’il avait éprouvée devant la réalisation scénique fut le point de départ d’une réflexion exprimée six ans plus tard dans son livre la Musique et la mise en scène (1888). Pour Appia, la mise en scène est un « moyen d’expression « : son but n’est pas l’illusion, aussi doit-on refuser l’archéologisme et le trompe-l’oeil. « La mise en scène, dit Appia, doit se construire à partir de la seule réalité du théâtre : le corps humain. » La musique, qui commande à tous les éléments du spectacle, impose à l’acteur ses évolutions, et ces évolutions, à leur tour, conditionnent l’espace scénique. La lumière, considérée comme un élément expressif et « actif », viendra vivifier à la fois le corps de l’acteur et l’espace scénique - ce que ne peut faire la peinture, qui, par sa surcharge décorative, détourne à son profit l’attention du spectateur. C’est ainsi qu’Appia établit sa fameuse hiérarchie : « acteur, espace (disposition de la scène), lumière, peinture ». Pour décupler le pouvoir expressif du corps de l’acteur, il préconise une « architecturation » de l’espace grâce à une série de praticables (escaliers, plans inclinés, pans de mur) qui seront autant de points d’appui et d’obstacles à contourner. Appia n’a guère eu l’occasion de mettre ses théories en pratique. Éconduit par Cosima Wagner, il a cependant monté, en 1923, un Tristan mal accueilli à la Scala de Milan. Pour l’institut Jaques-Dalcroze, à Hellereau, il a créé des « espaces rythmiques » « destinés à la mise en valeur du corps humain sous les ordres de la musique » et mis en scène l’Orphée de Gluck. Vers la même époque, l’Anglais Edward Gordon Craig (1872-1966) émettait des théories assez voisines. Ennemi du naturalisme aussi bien dans le jeu des acteurs que dans les décors et les costumes, il recommandait la recherche d’un symbolisme suggestif et d’une « convention noble ». Il a lui-même mis en scène des opéras de Haendel et de Purcell. Des tentatives éparses eurent lieu, avant la Seconde Guerre mondiale, pour tirer les représentations wagnériennes de l’ornière naturaliste. La plus importante fut celle de Gustav Mahler qui, directeur de l’Opéra de Vienne, monta avec le décorateur Alfred Roller Tristan, puis l’Or du Rhin et la Walkyrie, dans un style dépouillé, où la lumière, conformément aux principes d’Appia, avait une fonction dramatique. On peut signaler aussi le Ring mis en scène par Wallerstein à Francfort en 1925. Ces efforts furent arrêtés net par l’avènement du nazisme. WIELAND WAGNER ET LE NOUVEAU BAYREUTH. Lorsqu’il rouvrit ses portes en 1951, le festival de Bayreuth se devait de marquer une rupture totale avec le passé. Le changement s’imposait pour des raisons politiques évidentes et aussi pour des motifs downloadModeText.vue.download 667 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 661 économiques (le « miracle allemand » n’avait pas encore eu lieu). Wieland Wagner en fut l’agent et, paradoxalement, en brisant la tradition scénographique imposée par son grand-père, il a parachevé l’oeuvre de celui-ci. Il a su établir, en effet, entre l’esthétique musicale et poétique des opéras de Richard Wagner et le nouveau style de leur représentation scénique, une harmonie qui, jusqu’alors, n’existait pas. Se plaçant dans une perspective symboliste et optant, au moins dans ses premières réalisations, pour un dépouillement extrême, Wieland Wagner a respecté la hiérarchie indiquée par Appia : acteur, espace, lumière. Tout est voulu, dans ses scénographies, pour que le spectateur concentre son attention sur l’acteur : la nudité de la scène fermée par le cyclorama (c’est-à-dire ouverte sur l’infini) ; l’organisation de l’espace à partir d’une forme simple et monumentale (dans la Tétralogie, une sorte de galette inclinée qui occupe tout le plateau et donne l’impression de flotter dans l’espace ; dans le Tristan de 1962, un immense monolithe, une pierre plate dressée) ; et surtout les éclairages, qui complètent les gestes du chanteur, sculptent plus profondément ses attitudes, soulignent un moment de tension et dont l’enchaînement constitue une véritable partition lumineuse. Wieland Wagner donnait à la couleur (pas seulement à celle de ses éclairages) un rôle signifiant particulier : c’est pourquoi, dans Tristan, chaque acte avait « sa » teinte (vert glauque pour le 1er, bleu nuit pour le 2e, bleu azur pour le 3e). À ses acteurs, il imposait un jeu hiératique, inspiré de la tragédie grecque, et une gestuelle réduite, de façon à pouvoir souligner les temps forts par des mouvements plus appuyés effectués au bon moment. Entre 1951 et 1966 (année de sa mort), Wieland Wagner a sans cesse repris, remis en chantier, renouvelé ses interprétations scénographiques en fonction de son évolution personnelle et des distributions dont il disposait. Il a mis en scène non seulement tous les opéras importants de son grand-père, y compris Rienzi, mais aussi une dizaine d’ouvrages du répertoire : Carmen, Aïda, Salomé, Fidelio, Wozzeck, etc. L’ÈRE DU METTEUR EN SCÈNE ROI. Dans les années 50, le retentissement du travail accompli à Bayreuth par Wieland Wagner et le rayonnement d’une Maria Callas, sur qui étaient alors braqués les projecteurs de l’actualité, incitèrent des hommes de théâtre, des cinéastes, des chorégraphes à se tourner vers la scène lyrique. Ainsi commença une « re-théâtralisation » de l’opéra et s’instaura l’ère du metteur en scène roi. Ce furent d’abord, en Italie, Luchino Visconti et Franco Zeffirelli, qui réalisèrent notamment plusieurs mises en scène pour Maria Callas (la Traviata et la Somnambule par Visconti, la Tosca et la Norma par Zeffirelli). Sans adopter une approche symboliste, ils abandonnèrent le réalisme archéologique en faveur d’un esthétisme raffiné, s’essayant parfois à des évocations picturales « au second degré » (dans le Duc d’Albe, opéra posthume de Donizetti créé en 1882 et repris au festival de Spolète en 1959, Visconti a cherché à reconstituer le XVIe siècle flamand vu par les décorateurs et les costumiers de la fin du XIXe). Les premières années 60 virent s’es- sayer dans la mise en scène lyrique Jean Vilar (Macbeth à la Scala de Milan), JeanLouis Barrault (Wozzeck à l’Opéra de Paris) et Maurice Béjart, qui, notamment dans sa Veuve joyeuse de la Monnaie de Bruxelles, introduisait une distanciation brechtienne. Entre 1965 et 1975 vont s’imposer en Allemagne Walter Felsenstein, fondateur du Komische Oper de Berlin-Est et Goetz Friedrich, et en Italie Giorgio Strehler et Luca Ronconi. En France, les personnalités dominantes de cette décennie sont Jorge Lavelli (Idoménée à Angers, Faust, Pelléas et Mélisande à Paris, etc.), qui déclare vouloir « mettre en scène la musique », et Patrice Chéreau, à qui est revenu l’honneur de mettre en scène à Bayreuth le Ring du centenaire (1976). À ces noms, il convient d’ajouter celui du scénographe tchèque Josef Svoboda, qui, par la rigueur avec laquelle il architecture l’espace scénique, par son art magique des éclairages, se montre le disciple d’Appia et de Wieland Wagner. Ce foisonnement de personnalités se traduit par autant d’approches et de styles. Chacun apporte une esthétique (symboliste, néonaturaliste, etc.) ou sa vision (marxiste, freudienne, etc.) du théâtre lyrique. Certaines attitudes communes se dégagent pourtant : - les metteurs en scène d’aujourd’hui aiment « re-situer » l’opéra dans le temps. À l’époque indiquée par le librettiste pour le déroulement de l’action, ils préfèrent souvent celle où l’oeuvre a été composée ; - dans la direction d’acteurs, ils tendent à attacher plus d’importance à l’expression corporelle qu’à l’interprétation psychologique ; - ils font souvent équipe avec le décorateur (Chéreau avec Peduzzi, avec Bignens), et c’est parfois à propositions de ce dernier qu’ils ginent leur mise en scène ; même Lavelli partir des ima- - ils se livrent, sur les oeuvres du répertoire, à un dépoussiérage d’autant plus radical que l’oeuvre est censée être plus connue. Soucieux d’offrir une interprétation personnelle, ils effectuent une « relecture » du livret et de la partition une analyse de ses lignes de force, une réinterprétation des situations - et se font parfois aider dans cette tâche par un « dramaturge ». Certains voudraient aller plus loin et faire acte de création, ou de re-création, en pratiquant des coupures et des interpolations, en intervertissant les actes, etc. Cela pose le problème de la marge de liberté dont dispose le metteur en scène. La discussion est ancienne. Au début du siècle, Albert Carré affirmait à l’occasion de la création de la Pénélope de Gabriel Fauré : « Le metteur en scène ne peut être que le très humble serviteur de l’auteur. » Tandis que, quelques années plus tard, le directeur du palais Garnier, Jacques Rouché, déclarait : « J’ai toujours réclamé la plus grande liberté pour le metteur en scène. » Que le débat passionne aujourd’hui l’ancien et le nouveau public des salles d’opéra est un signe encourageant pour l’avenir de l’art lyrique. MISERERE. Incipit du Psaume L, Miserere mei, Deus (« Dieu, ayez pitié de moi »), considéré comme le prototype des chants de pénitence et souvent mis en musique. Parmi les principaux Miserere figurent celui de Josquin Des Prés au début du XVIe siècle et un grand motet de Lalande au XVIIe, etc. Un faux-bourdon d’Allegri réservé à ce Psaume a connu la célébrité par l’anecdote selon laquelle la chapelle Sixtine, pour s’en réserver l’exclusivité, en avait interdit la copie ; Mozart adolescent l’avait alors pris en dictée au fond de son chapeau pour transgresser l’interdiction. MISSA (Edmond), organiste et compositeur français (Reims 1861 - Paris 1910). Élève de Massenet, organiste à Saint-Thomas-d’Aquin puis à Saint-Honoré-d’Eylau, il écrivit de nombreux opéras, dont le plus apprécié fut Muguette (1903). MITROPOULOS (Dimitri), chef d’orchestre, pianiste et compositeur américain d’origine grecque (Athènes 1896 Milan 1960). Il a étudié au conservatoire d’Athènes avec Wassenhoven (piano) et Marsick (harmonie), et, en 1920, son opéra Soeur Béatrice, d’après Maeterlinck, fut donné dans cet établissement. Il fut ensuite l’élève de Paul Gilson au conservatoire de Bruxelles (1920-21) et de Busoni à Berlin (1921-1924). En même temps, il fut répétiteur à l’Opéra de cette ville. Il fut ensuite chef d’orchestre et professeur de composition à Athènes, obtint en 1930 un engagement à la tête de la Philharmonie de Berlin, et, peu après, remplaça au pied levé Egon Petri comme pianiste dans le 3e Concerto de Prokofiev, qu’il interpréta ce jour-là à la fois comme pianiste et comme chef. Invité par Koussevitski, il fit ses débuts aux États-Unis en 1936, downloadModeText.vue.download 668 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 662 succéda l’année suivante à E. Ormandy à la tête de l’Orchestre symphonique de Minneapolis en 1937-1949, et, de 1949 à 1958, succédant à Leopold Stokowski, fut chef de la Philharmonie de New York. À sa démission, il eut comme successeur Leonard Bernstein. On le vit également, à partir de 1954, à la tête de l’orchestre du Metropolitan Opera. D’un tempérament à la fois ascétique et ardent, il excella dans les classiques mais aussi dans Scriabine ou Vaughan Williams, et fit énormément pour l’introduction et la diffusion aux États-Unis de la musique de Mahler, Berg, Webern et Schönberg. Beaucoup de ses interprétations ne devaient être révélées par le disque qu’une vingtaine d’années après sa mort. C’est à lui qu’on doit le premier enregistrement de Wozzeck. MIXOLYDIEN (étym. « mélangé de lydien »). Terme propre à la musique grecque antique, repris artificiellement au Moyen Âge et jusqu’à nos jours avec des significations souvent divergentes. 1. En musique grecque, le mixolydien est essentiellement l’un des tropes de hauteur qui servaient à l’échelonnement des tons déterminant l’accent des instruments. Alors que les trois tropes primitifs (dorien, phrygien, lydien) se suivaient à un ton de distance, le mixolydien se plaçait à 1/2 ton seulement du lydien, d’où son nom (cette explication donnée par Ptolémée est la seule des nombreuses théories émises à ce sujet qui repose sur une base solide). Par voie de conséquence, comme pour tous les autres tropes, on a donné le nom d’« octave mixolydienne » à la répartition d’intervalles obtenus en diatonique selon ce trope sur l’octave de tessiture moyenne (fa à fa selon le barème fixe de la notation). Cette répartition (fa-sol bémolla bémol-si bémol-do bémol-ré bémol-mi bémol-fa) donne les mêmes intervalles qu’une octave sans altération de si à si, ce qui a fait, à tort, considérer par certains (notamment Westphal et l’école de Gevaert) le mixolydien comme un mode de si. Selon Platon et son exégèse par Aristide Quintilien († IIe s.), on a aussi donné le nom de mixolydien à un mode archaïque irrégulier du genre enharmonique (mi-mi demi-dièse-fa-sol-la-la demi-dièse-si bémol-mi) sans doute parce que ce mode fut, au dire de Plutarque, transformé plus tard par l’Athénien Lamproclès pour rejoindre l’octave mixolydienne définie ci-dessus (en transposition si-si demi-dièse-dorémi-mi demi-dièse-fa-si, que Lamproclès transforma en transportant le ton ré-mi au-dessous du si aigu, d’où si-si demidièse-do-mi-mi demi-dièse-fa-la-si, forme enharmonique conjointe de l’octave de si). 2. Au IXe siècle, le contresens généralisé qui, à partir du traité anonyme dit Alia musica, fit prendre les noms des tons grecs pour ceux des modes grégoriens, attribua arbitrairement au mixolydien, no 4 de la nomenclature, l’« équivalence du no 4 grégorien, tetrardus authente » ou 7e ton (finale sol, dominante ré), de sorte que l’on a souvent attribué depuis lors au mixolydien le sens de mode de sol (majeur sans sensible). Ce sens est encore enseigné actuellement dans d’assez nombreux traités. 3. Enfin, certains auteurs médiévaux, abusés par la description des tons grecs plaçant le mixolydien en haut d’un demiton, décrivent le mixolydien comme un mode de fa : cette interprétation abusive se retrouve en 1573 dans la nomenclature de Zarlino, qui la transmet à Mersenne, Jumilhac et quelques autres. Le terme mixolydien n’est plus guère employé aujourd’hui que par pédantisme, mais on le trouve encore de temps à autre dans l’une ou l’autre des acceptions cidessus prises au petit bonheur, pour désigner tantôt le 7e mode grégorien, tantôt l’un des modes de fa, de sol ou de si. 4. Le mode mixolydien existe aussi en musique byzantine et s’applique comme en grégorien au tétrardus authente, numéroté cette fois 4e mode et non 7e ; le contenu musical en est encore différent. MIXTURE. Ensemble de jeux de l’orgue, dans lesquels à chaque note correspondent plusieurs tuyaux à bouche très aigus, faisant généralement entendre des octaves et des quintes du son fondamental, parfois aussi des tierces. Le rôle des jeux de mixture est de donner de la lumière et de la légèreté à la registration, donc d’empêcher la compacité sonore d’une polyphonie. L’époque baroque et classique en fit un large usage, alors que les facteurs de l’ère romantique, préoccupés d’imiter l’orchestre, tendirent à les abandonner. Les principaux jeux de mixture sont la fourniture, la cymbale et le plein-jeu. L’association des fonds et des mixtures constitue le plenum de l’orgue. On désigne parfois par « mixture » l’ensemble des jeux de mutations, simples et composées, et les mixtures proprement dites. MOCQUEREAU (dom André), moine bénédictin français, restaurateur du chant grégorien (La Tessoualle, Maineet-Loire, 1849 - Solesmes 1930). Il entre à l’abbaye bénédictine de Solesmes en 1875, prononce ses voeux en 1877 et est ordonné prêtre en 1879. Il devient très vite l’élève, puis l’assistant, de dom Pothier, chargé de préparer une nouvelle édition des chants liturgiques. Pour défendre les théories de son maître, en particulier son Liber Gradualis (1883), violemment critiqué par les partisans de l’édition néomédicéenne (publiée chez Pustet, Ratisbonne, 1868), il entreprend de réunir une collection abondante de manuscrits qu’il reproduit en fac-similé dans la Paléographie musicale, publiée en plusieurs volumes à partir de 1889 (13 vol. publiés de son vivant). Cet ouvrage comprend, outre les reproductions de manuscrits, des commentaires et études de dom Mocquereau sur les textes présentés. Cette publication achève de gagner le Vatican à la cause de dom Pothier, qui se voit confier par Pie X, en 1904, la rédaction d’une édition vaticane de chant grégorien, avec l’aide de dom Mocquereau. Les deux hommes sont rapidement en désaccord, et, dès 1905, dom Pothier continue seul ce travail. En 1911, dom Mocquereau fonde la Revue grégorienne, et ce n’est qu’en 1913 qu’il reprend, avec son équipe de Solesmes, la rédaction de l’édition de dom Pothier. La grande innovation de dom Mocquereau - et la cause de son différend avec dom Pothier - était sa conception du rythme grégorien. Par opposition au rythme oratoire de son maître, il préconisait l’emploi d’un rythme libre, déterminé par la mélodie (consistant en une alternance d’arsis, ou élans, et de thesis, ou repos) et non plus par le texte (longues et brèves). Il développa ses théories dans ses recueils de Paléographie musicale et surtout dans le Nombre musical grégorien ou Rythmique grégorienne (1908). MODALITÉ. Terme employé, par opposition à « tonalité », pour désigner une syntaxe musicale utilisant d’autres gammes que le majeurmineur classique, et, plus particulièrement, le mineur sans sensible (mode de la). Jusqu’au XIXe siècle, on considère également comme modales les tournures harmoniques fondées sur des cadences autres que la succession classique tonique dominante (degrés II, III, VI, ainsi que IV en cadence plagale, c’est-à-dire lorsqu’il est hors de proximité du degré V). MODE. Dans les gammes (à l’exception de la gamme chromatique qui est faite de douze demi-tons égaux), les notes sont séparées par des intervalles inégaux. La répartition de ces intervalles, le plus souvent le ton et le demi-ton, caractérise le « mode ». Dans la musique tonale traditionnelle, nous connaissons le « mode majeur », dont l’alternance des intervalles est (en demi-tons) : 2, 2, 1, 2, 2, 2, 1 ; et le « mode mineur » dont l’une des formes est : 2, 1, 2, 2, 1, 2, 2. Dans les musiques archaïques, anciennes, européennes et extraeuropéennes, il existait et il existe de nombreux modes. Les plus fréquemment cités sont les modes grecs, les modes grégoriens, les modes hindous. En dehors downloadModeText.vue.download 669 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 663 des modes traditionnels, le compositeur a la faculté d’inventer lui-même des modes avec lesquels il pourra écrire sa musique (par exemple, Messiaen). MODERATO. Mot italien correspondant au français « modéré » souvent employé lui aussi. Accolé à un terme de mouvement (allegro, andante, etc.), il en tempère les caractéristiques, comme son équivalent « non troppo », et s’oppose à « assai », qui, au contraire, exagère ces particularités. Employé seul, « moderato » désigne un mouvement moyen, ni trop lent ni trop rapide, et généralement de caractère calme. MODES (histoire des). La définition du mot « mode » est rendue difficile par la confusion qui règne dans son emploi. Le terme en soi est vague : il traduit le latin modus, traduction luimême du grec tropos, qui signifie simplement « manière d’être ». Appliqué aux échelles musicales, il a donné lieu aux usages les plus divers. Dans l’ancienne théorie de la musique grecque, tropos servait de synonyme au mot plus technique tonos, abréviation de tonos systematicos, c’est-à-dire « tension des cordes à appliquer pour mettre en place le système ». Ce qui peut se traduire par « hauteur réelle à donner aux structures intervalliques », ces dernières s’exprimant en hauteur relative et constituant l’« harmonie » proprement dite. Contrairement à l’usage ultérieur, le mot s’appliquait donc sinon à la hauteur absolue (qu’on ne pouvait encore déterminer), du moins aux procédés de transposition d’une hauteur à une autre. En traduisant la théorie de grec en latin, Boèce (Ve s. apr. J.-C.) conserva les termes tropos et tonos en les latinisant (tropus, tonus), et leur adjoignit la traduction latine du premier, modus, qui en devint un troisième synonyme. La nomenclature topique des « modes » (dorien, phrygien, etc.) s’applique donc principalement, jusqu’à ce stade, à la notion de hauteur absolue et non à la structure des intervalles, qu’elle ne concerne qu’indirectement. Elle en devient au contraire l’élément déterminant à partir du Moyen Âge. La confusion provint du fait que, de leur côté, et sans se préoccuper en rien de théorie grecque, les chantres grégoriens classèrent leur propre répertoire selon huit tons sur des critères différents, fondés essentiellement sur la récitation psalmique sans aucune référence à la hauteur absolue. L’analogie des termes devait amener au IXe siècle l’auteur anonyme d’un traité latin, dit Alia musica, à mélanger les deux notions, introduisant un véritable imbroglio dont toute la théorie ultérieure devait se ressentir. Sous l’autorité d’un Boèce mal compris, « mode » devint synonyme de « ton » au sens grégorien en s’annexant tant bien que mal la nomenclature des « tons » grecs : on parla donc désormais de « ton » (ou « mode ») dorien (= ton de ré ou protus, 1er ton), phrygien (= ton de mi ou deuterus, 3e ton), etc. Vers la fin du XIXe siècle, « trope » étant depuis longtemps tombé en désuétude, le mot « mode » supplanta « ton ». Il s’applique aujourd’hui, de manière quelque peu anarchique, à un nombre considérable de notions contradictoires, dont le seul lien est qu’elles concernent toute la structure générale du système mélodique ou harmonique, considéré principalement sous le rapport des intervalles et de leur organisation. Peu employé dans cette acception avant le XIXe siècle, le mot « mode » connut à la fin du siècle une vogue rapide et devint préférentiel dans le système de Solesmes, qui le différencia du « ton » en limitant ce mot à la détermination des timbres psalmiques. En musique classique, en revanche, « ton » et « mode » étaient encore synonymes dans la théorie de Rameau. Ils s’individualisèrent au XIXe siècle, où « ton » (d’où tonalité) tendit à désigner la référence à la tonique (qui devint la « hauteur absolue » après l’adoption d’un diapason normalisé en 1859-1885), tandis que « mode » se référait à la répartition des intervalles autour de cette tonique. Dans ce nouveau sens, on n’envisagea d’abord que deux modes, le « majeur », héritier des quatre tons grégoriens à tierce majeure (5 -6 -7 -8), et le « mineur », héritier des quatre tons grégoriens à tierce mineure (1 -2 -3 -4), les différences entre les membres de chaque groupe s’étant progressivement estompées du XIIIe au XVIIIe siècle. Ce système à deux modes, dont les éléments les plus déterminants sont le rôle cadenciel de la dominante de quinte et l’attraction mélodique de la sensible vers la tonique, constitue la base de la « tonalité classique ». Tout-puissant au XIXe siècle, il perdit son exclusivité à la fin du siècle lorsque commencèrent à se développer d’autres « modes » au sens de « structure intervallique », sous la triple influence d’un regain d’intérêt pour la musique populaire, de la restauration du plain-chant, sans oublier les incidences de son harmonisation et des recherches relatives aux échelles de l’Antiquité et des musiques non européennes. Cette extension est souvent désignée par le mot impropre de « modalité » (musique « modale » opposée à musique « tonale »), bien que ce mot s’applique surtout aux échelles diatoniques non classiques (appelées à tort « modes grégoriens »), c’est-à-dire à des gammes sans altération (do excepté), prises sur le clavier de tonique à tonique et recevant un traitement harmonique plus ou moins calqué par analogie sur celui des deux modes classiques (obligation de la sensible exceptée). Entre-temps, les humanistes des XVIe et XVIIe siècles s’étaient penchés sur la théorie des « modes grecs ». Ne la comprenant pas, nombre d’entre eux avaient cru y déceler des anomalies qu’ils avaient tenté de rectifier, chacun à sa manière. La confusion était déjà très avancée lorsque, à la fin du XIXe siècle, le philologue R. Westphal proposa une nouvelle interprétation des noms topiques de la théorie grecque, fondée sur l’assimilation des « modes » aux « aspects d’octave » produits par les « tons systématiques » des théoriciens grecs. Largement diffusée chez les musiciens par l’enseignement de Gevaert, que suivit Maurice Emmanuel, et aujourd’hui fortement contestée, cette théorie introduisit une nouvelle confusion en proposant des définitions différentes pour des termes déjà très en usage (dorien = mode de mi et non plus mode de ré, etc.). Enfin le mot « mode » a pris, depuis quelques années, de nouveaux sens contradictoires du fait, d’une part, de l’extension des recherches d’ethnomusicologie, d’autre part, des confusions fréquentes avec la notion d’« échelle », confusions auxquelles n’est pas étranger l’emploi par Olivier Messiaen du terme « mode » dans le sens d’« échelle », notamment à propos de ses « modes à transpositions limitées ». MODES ECCLÉSIASTIQUES. Modes en usage dans le plain-chant depuis ses origines, codifiés vers le IXe siècle et dotés au XIe d’une théorie due en partie à Guy d’Arezzo. Cette théorie connaît 4 modes couplés numérotés en grec latinisé d’après leur finale (1 = « protus » ré, 2 = « deuterus » mi, 3 = « tritus » fa, 4 = tetrardus sol), divisés chacun en un « authente » et en un « plagal », d’où une nouvelle nomenclature de 8 modes où alternent les authentes impairs et les plagaux pairs (protus = 1 et 2, deuterus = 3 et 4, tritus = 5 et 6, tetrardus = 7 et 8). Les authentes sont construits autour d’un noyau mélodique situé au grave de la tessiture et atteignant au moins une quinte ; les plagaux ont un noyau mélodique plus court, situé cette fois au centre de la tessiture. Ces noyaux sont déterminés au grave par la finale du mode et, à l’aigu, par une « corde de récitation » ou « teneur », qu’on appellera « dominante » à partir du XVIIe siècle. Dans les modes authentes, la dominante est en principe à la quinte de la finale, mais comme elle ne peut se placer sur la note si qui est « mobile », elle a été déplacée et montée au do pour le 3e ton à finale mi. Dans les modes plagaux, la dominante est en principe une tierce sous celle du plagal correspondant, avec même exception pour le si, de sorte que les dominantes plagales sont à la tierce pour les modes 2 et 6 downloadModeText.vue.download 670 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 664 (finales ré et fa), à la quarte pour les modes 4 et 8 (finales mi et sol). On donne aussi parfois aux modes ecclésiastiques le nom des tropes grecs, qui leur a été attribué par erreur au IXe siècle : 1, « dorien « ; 3, « phrygien « ; 5, « lydien « ; 7, « mixolydien », les plagaux correspondants devenant les hypos : 2, « hypodorien « ; 4, « hypophrygien « ; 6, « hypolydien « ; le 8, d’abord appelé « hypermixolydien » comme le trope correspondant, fut corrigé au XIe siècle en « hypomixolydien » par analogie avec les précédents. La musique byzantine connaît également 8 modes, qui portent les mêmes noms que les modes ecclésiastiques, mais se répartissent différemment et ne se confondent pas avec eux. MODINHA. Chant typique, sentimental, dérivé de la moda qui désignait, au Portugal, des arias ou des romances de salon. Grâce à la renommée du poète brésilien Domingo Caldas Barbosa (1738-1800), les modinhas les plus en vogue à la fin du XVIIIe siècle, dans les salons de Lisbonne et de Rio de Janeiro, étaient celles du Brésil. Elles étaient publiées avec accompagnement de clavecin, de piano, ou d’une basse chiffrée généralement jouée à la guitare. Marcel Beaufils a rappelé que, au Brésil, la modinha représentait « la voix la plus sincère du coeur national ». Dolente, volontiers gémissante, elle a pris, sur cette terre, une couleur qu’elle n’aurait jamais pu acquérir ni au Portugal ni en Italie. MÖDL (Martha), mezzo-soprano allemande (Nuremberg 1912). Elle fit ses débuts en 1942 à Remscheid dans le rôle de Hansel. De 1945 à 1949, elle chanta les grands emplois de mezzosoprano à l’opéra de Düsseldorf : Orphée, Carmen, Eboli. À partir de 1949, elle fut engagée à l’Opéra de Hambourg, mais parut fréquemment à Vienne. Elle remporta cette même année un succès considérable dans le rôle de Carmen à Londres. Elle incarna en 1951 Kundry à Bayreuth dans la célèbre mise en scène de Parsifal par Wieland Wagner, et, pendant les dix années suivantes, aborda Brunehilde et Isolde, rôles auxquels son timbre vocal particulier communiqua un caractère convaincant bien qu’inusuel. Elle incarna d’une façon inoubliable Leonore de Fidelio, sous la direction de Karl Böhm, lors de la réouverture du Staatsoper de Vienne reconstruit en 1955. Dans les années 60, elle reprit les emplois de mezzo, s’illustrant particulièrement dans Klytemnestra de l’Elektra de Richard Strauss. Martha Mödl possédait une voix fascinante et une des plus fortes personnalités lyriques de l’après-guerre. MODULATION. 1. Changement de tonalité au cours d’un morceau. L’impropriété apparente du terme (la modulation s’applique au « ton » plus qu’au « mode ») s’explique par la confusion ancienne entre les deux notions, qui n’ont été nettement distinguées que vers la fin du XVIIIe siècle. Certains théoriciens récents ont proposé de réserver « modulation » au changement de mode et d’employer « tonulation » pour le changement de ton. 2. Terme employé en électromagnétisme pour déterminer le tracé des ondes sonores : la radiodiffusion emploie deux sortes de modulation, dites modulation d’amplitude et modulation de fréquence, d’où découle le mode de transmission du son. MOENE (Alain), compositeur français (Lyon 1942). Élève de Jean Rivier et d’André Jolivet, il a occupé à partir de 1968 diverses fonctions à l’ORTF puis à Radio France, dont celles de chef du programme de France Musique (1987-1990). On lui doit notamment Kemma pour 24 cordes (1975), Babylone pour 5 voix et ensemble instrumental (1984) et Quatuor pour clarinette, cor, violon et violoncelle (1991). MOERAN (Ernest), compositeur anglais (Heston 1894 - près de Kenmare, Irlande, 1950). Élève de John Ireland, d’abord assez fortement influencé par Delius, il débuta par des mélodies et des oeuvres de musique de chambre : trio avec piano (1920), quatuor à cordes (1921), sonate pour violon et piano (1923). Son trio à cordes (1931) amorça une évolution qui se traduisit par des oeuvres plus vastes et plus ambitieuses telles que la symphonie en sol mineur (1934-1937), dans la descendance de Sibelius, le concerto pour violon (1942), la rhapsodie pour piano et orchestre (1943), la Sinfonietta (1944) et le concerto pour violoncelle (1945). Une sonate pour violoncelle et piano date de 1947, une sérénade pour orchestre de 1948. Au cours de sa seconde période créatrice, il continua à écrire des mélodies, ce genre étant un de ses domaines d’élection, mais leur nombre diminua fortement. MOESCHINGER (Albert), compositeur suisse (Bâle 1897 - Thun 1985). Il a fait ses études à Berne, Leipzig et Munich, et a enseigné la théorie et le piano de 1937 à 1943 (au conservatoire de Berne). À partir de 1954, il s’est largement tourné vers le dodécaphonisme sériel. On lui doit de la musique de chambre, des concertos, des oeuvres symphoniques, dont 5 symphonies, le ballet Amor und Psyche (1955), de la musique vocale religieuse et profane, et la cantate dramatique Die kleine Seejungfrau (la Petite Sirène), d’après Andersen (1947). MOISEVITCH ou MOISEIWITSCH (Benno), pianiste russe naturalisé anglais (Odessa 1890 - Londres 1963). Il est l’élève de Dmitry Klimov et, de 1904 à 1908, travaille avec Theodor Leschetizky à Vienne. En 1909, il se fixe à Londres, mais c’est en 1919 qu’il débute plusieurs tournées et accède à la gloire. Il est un des proches de Rachmaninov, et son grand interprète. Il excelle aussi dans les oeuvres romantiques slaves de Tchaïkovski et Metner. Comme chez les autres élèves de Leschetizky, son répertoire n’inclut pas les oeuvres antérieures aux sonates de Beethoven : Mozart est alors joué dans des arrangements romantiques. Il s’illustre aussi dans des pièces de Poulenc et, en musique de chambre, dans le Quintette de Brahms et le Trio élégiaque de Rachmaninov. MOLIÈRE (Jean-Baptiste Poquelin, dit), auteur dramatique et acteur français (Paris 1622 - id. 1673). Homme de théâtre s’il en fut, il comprit très vite l’importance de la musique dans les spectacles en général, et dans les comédies en particulier. Louis XIV lui ayant présenté Lully en 1664, celui-ci lui confia les partitions qu’il désirait voir enrichir ses ouvrages. Avec lui, il créa la « comédie-ballet » qui devait enchanter les fêtes de Chambord et, plus tard, nombre de celles de Versailles. Tous deux tendent peu à peu vers le spectacle total qui, précédant l’opéra, réunit déjà la parole, le chant, la danse, la symphonie et les machines. Les Amants magnifiques (1670) et Psyché (1671) en sont de parfaits exemples. Cependant, les deux collaborateurs se brouillent en 1672 et Molière fait alors appel à Marc-Antoine Charpentier, qui signe en particulier les intermèdes du Malade imaginaire. Par la suite, le théâtre de Molière intéresse de nombreux com- positeurs qui soit réalisent de nouveaux divertissements, soit créent de véritables opéras-comiques dont plusieurs se maintiennent au répertoire. OEUVRES DE MOLIÈRE QUI BÉNÉFICIÈRENT DE MUSIQUE. Les Amants magnifiques : Lully (SaintGermain, 1670) ; l’Amour médecin : Lully (1665), F. Poise (Opéra-Comique, 1880), Wolf-Ferrari (New York, 1914), Herbergis (Gand, 1920) ; Amphitryon : Grétry (Opéra, 1786), M. Bertrand (« Amphitryon 38 », Opéra-Comique, 1944), Oboussier (1950) ; l’Avare : Burghauser (1950) ; le Bourgeois gentilhomme : Lully (1670), Hasse (« Larinda et Vanesio », Naples, 1726), Esposito (Moscou, 1905), R. Strauss (Ariane à Naxos, Berlin, 1913) Gargiulo (1947) ; la Comtesse d’EscardownloadModeText.vue.download 671 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 665 bagnas : Lully (1671), M.-A. Charpentier (1672) ; le Dépit amoureux : Gérard (Marseille, 1947) ; l’École des femmes : R. Liebermann (Louisville, États-Unis, 1955) ; l’École des maris : E. Bondeville (Opéra-Comique, 1935) ; les Fâcheux : Beauchamps (1661) ; Georges Dandin : Lully (1668), Mathieu (1877), d’Ollone (Opéra-Comique, 1930) ; l’Impromptu de Versailles : Lully (1664) ; la Jalousie du Barbouillé : F. Fourdrain (Paris, 1914) ; le Mariage forcé : Lully (Chambord, 1664), M.-A. Charpentier (1672), F. Hart (1928), P. Gabaye (1955), J. Aubin (1957), L. Guérinel (Marseille, 1972) ; le Malade imaginaire : M.-A. Charpentier (1673), Napoli (1939), H. Haug (le Malade immortel, Lausanne, 1946) ; le Médecin malgré lui : Desaugiers (th. Feydeau, 1793), Ch. Gounod (Théâtre-Lyrique, 1858), Kaufmann (1958) ; Monsieur de Pourceaugnac : Lully (1669), Hasse (1727), Jadin (th. Montansier, 1792), Mengozzi (th. Feydeau, 1793), Castil Blaze, utilisant des musiques de Rossini et Weber (Odéon, 1827), J. Alary (les Trois Noces, 1851), Franchetti (Milan, 1897), P. Bastide (Vichy, 1921), F. Martin (Metz, 1973) ; les Plaisirs de l’île enchantée, Lully (Versailles, 1664) ; les Précieuses ridicules : Devienne (th. Montansier, 1791), P. Meriel (Toulouse, 1875), Zich (1926), Lattuada (Milan, 1929) ; la Princesse d’Élide : Lully (1664), Galuppi (Alcimena, Vienne, 1749) ; Psyché : Lully (1671) ; le Silicien ou l’Amour peintre : Lully (1667), Joncières (1859), Weckerlin (1887), K. H. David (1924), O. Letorey (Opéra-Comique, 1930) ; Tartuffe : H. Haug (Bâle, 1937), Kosa (1952), A. Benjamin (1960), Malipiero (Venise, 1970). Des poésies de Molière ont été mises en musique par Beauchamps, La Barre, M. Lambert, Lully. MOLTER (Johann Melchior), compositeur allemand (Tiefenort, près d’Eisenach, 1696 - Karlsruhe 1765). Entré vers 1717 au service du margrave de Baden-Dürlach à Karlsruhe, il resta dans cette ville jusqu’en 1733 (non sans avoir voyagé en Italie de 1719 à 1721). Il fut ensuite en poste à Eisenach, retourna en Italie, puis revint à Karlsruhe en 1742. On lui doit des cantates, des oratorios et, en musique instrumentale surtout, des concertos. MOLTO (ital. : « très », « beaucoup »). Adverbe qui renforce le sens de certaines indications relatives à l’exécution d’une pièce musicale, par exemple allegro molto. MOMENT MUSICAL. Genre musical illustré, apparemment, par un seul exemple, les Moments musicaux op. 94 D.780 de Franz Schubert, cycle de 6 brèves pièces pour piano de forme ternaire (ABA) ou rondo, publiées en 1828 par l’éditeur Leidesdorf sous le titre français de Momens musicals (sic), lequel semble dû entièrement à l’imagination commerciale de cet éditeur. Par extension, on pourrait ranger toute pièce de caractère de style simple, feuillet d’album, esquisse, ou autre pièce inclassable, dans le genre du Moment musical, qui est, comme son titre le suggère, à la fois esquisse et microcosme. MOMIGNY (de) famille de musiciens français. Joseph, théoricien et compositeur (Philippeville, Pays-Bas, 1762 - Charenton 1842). Précocement doué, il s’installa en 1785 comme organiste à Lyon. Lors de la Révolution, il dut changer de métier. Royaliste convaincu, il participa à la résistance lyonnaise contre la Convention, et fut bientôt obligé de se réfugier en Suisse. Il revint à Lyon en 1795. En 1800, il s’installa à Paris, et y fonda une maison d’éditions musicales, publiant notamment ses propres compositions (romances, sonates, oeuvres lyriques). Mais il se consacra surtout à des études et écrits théoriques : Cours complet d’harmonie et de composition (3 vol., 1803-1806), Nouveau Solfège (1808), la Seule Vraie théorie de la musique (1821). Il écrivit également les articles du 2e volume de la partie « musique » de la Grande Encyclopédie méthodique. Il songeait à une réforme de la gamme, et développa une conception originale de la formation des tonalités, s’opposant aux théories de Rameau. Malheureusement, ses principes de base se révélèrent faux. Mais ses définitions de la consonance et de la dissonance sont intéressantes, et ses positions sur l’enharmonie devaient trouver des applications inattendues chez les compositeurs du XXe siècle. Ami de Gréty, il se brouilla avec lui sur des questions théoriques. En 1814, il composa la cantate le Retour des Bourbons et de la paix, et plus tard des Couplets à Sa Majesté Charles X. Il composa trois opéras : le Baron de Felsheim (avant 1800), la Nouvelle Laitière (1809), Arlequin Cendrillon (1800). En 1810, il céda sa maison d’éditions à son associé Charles Rifaut, et en 1828 il se retrouva complètement ruiné. Grâce à l’appui de Cherubini et d’Auber, il put obtenir une pension, mais mourut à l’asile de Charenton. Georges Joseph, organiste et compositeur, fils du précédent (Vire 1812 - id. 1875). Il fit ses études musicales au Conservatoire de Paris dans les classes de Zimmermann et de Reicha. Nommé organiste à la chapelle Saint-Denis, il conserva ce poste toute sa vie. Il composa des motets, des cantiques, qui furent adoptés par certaines maîtrises parisiennes, mais surtout des romances et des pièces pour piano ou orgue. MOMPOU (Federico), compositeur espagnol (Barcelone 1893 - id. 1987). Encouragé dans sa vocation dès son enfance, il suivit les leçons du fameux Liceo de sa ville natale avant de se rendre à Paris (1911) où il paracheva sa formation de pianiste et de compositeur (notamment auprès de Marcel SamuelRousseau). Rentré à Barcelone durant la Première Guerre mondiale, il revint à Paris en 1921 ayant surtout composé pour le piano selon une devise annonçant bien quelle sera la rareté de l’oeuvre : « Recommencer. » De ces années passées en Espagne datent donc les Impressions intimes (1911-1914), les Scènes d’enfants (1915-1918), les Crèches (1914-1917), Suburbis (1916-17), les Cantos mágicos (1917-1919), les Fêtes lointaines (1920), Charmes (d’après Valéry, 1920-21), enfin les Trois Variations (1921), ainsi que les trois premiers éléments du cycle Canço i dansa (I-IV, 1921-1928). Le critique Émile Vuillermoz, découvrant cet ensemble exceptionnel, proclama le génie de Mompou et imposa son nom aux curieux des « années folles ». Mompou ne rentra en Espagne (mais définitivement) qu’en 1941. Une bonne part de sa musique naquit donc à Paris, dans l’orbite d’Erik Satie puis du groupe des Six. Après son retour à Barcelone, Mompou confia encore au piano huit Canço i dansa, trois Paisajes (1942-1960), Cançon de cuna (berceuse, 1951), Dix Préludes (1927-1951), auxquels devait s’ajouter un onzième (1960), enfin quatre cahiers de quelque vingt pièces chacun de Música callada (« Musiques du silence », 1959-1974). Il écrivit, en outre, Cinq Chansons sur des textes de Paul Valéry (1973) ainsi que plusieurs oeuvres chorales (dont un oratorio, Improperios), tendant à renouer avec la tradition grégorienne. Cette attitude est caractéristique de l’esthétique de Mompou, soucieux de s’exprimer dans un langage hors du temps et des modes, selon la « simplicité » qui apparut comme un idéal à nombre d’artistes au lendemain du symbolisme. Mompou put se dire « primitivista », mais au sens où Gauguin aussi se voulut « primitif « : avec tout l’acquis de la culture occidentale, seule susceptible de nous faire complices de tous les vertiges et de toutes les magies. Une bonne part de l’art de Mompou a été confiée au piano dans ce but : l’instrument familier devait sonner chez lui comme nulle part ailleurs, et faire preuve de délicatesses, de nuances inouïes. Mompou supprima la barre de mesure pour donner à son mélodisme une ductilité absolue et har- downloadModeText.vue.download 672 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 666 monisa la ligne très pure de ses mélodies (pratiquement aucun « ibérisme » en sa musique) avec une générosité toujours naturelle mais cependant surprenante, son souci primordial restant la sonorité, enrichie notamment par des phénomènes de résonance, à la fois sollicités et dominés. MONDONDIVERS (Jean-Joseph Cassanéa de), violoniste et compositeur français (Narbonne 1711 - Belleville, près de Paris, 1772). On suppose qu’il fut formé par son père, organiste de la cathédrale de Narbonne. Venu à Paris, il y publia en 1733-34 ses premières oeuvres instrumentales (sonates pour violon et basse continue op. 1, sonates en trio op. 2, pièces de clavecin en sonates op. 3). Il fit un bref séjour à Lille, où il composa ses premiers motets, puis revint à Paris. À partir de 1734, il apparut au Concert spirituel, où il joua un rôle de plus en plus important, d’abord comme violoniste, puis comme compositeur. Ses motets, exécutés à partir de 1739, assurèrent sa réputation : Dominus regnavit, Jubilate Deo, Lauda Jerusalem, Venite exultemus, etc. Mais il continua à se produire comme violoniste, souvent en duo avec le flûtiste Blavet, le violoniste Guignon, la soprano Marie Fel. Le Mercure de France publia sur lui des comptes rendus élogieux. En 1752, lors de la Querelle des bouffons, il prit vigoureusement parti pour la musique française et représenta le « coin du roi ». De 1755 à 1762, il fut le directeur du Concert spirituel. En même temps que compositeur religieux, il se révéla comme compositeur d’opéras et de ballets, et obtint deux succès importants avec le ballet héroïque le Carnaval de Parnasse (1749) et surtout avec l’opéra Titon et l’Aurore (1753), par lequel il affirma, aux côtés de Rameau, les traditions de la tragédie lyrique française. Toutefois son Thésée (1765) fut un échec : on lui reprocha d’avoir utilisé le livret de Quinault déjà mis en musique par Lully. Il composa également trois oratorios : les Israélites au mont Horeb (1758), les Fureurs de Saül et les Titans. Dans le domaine instrumental, Mondonville réalisa d’intéressantes expériences tendant à élaborer un traitement instrumental de la voix (Concert de violon avec voix sur des textes de Psaumes, 1747). Si ses oeuvres instrumentales continuent à être jouées de nos jours, c’est surtout grâce à ses motets, qui poursuivent la tradition versaillaise de Delalande, que Mondonville est passé à la postérité. MONFERRINE. Danse populaire du Piémont (« de l’État de Monferrato ») née dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et introduite en Angleterre au début du XIXe à la fois comme morceau à danser et comme pièce pour piano. Écrite à 6/8, elle s’apparente à la tarentelle. Muzio Clementi en composa dixhuit : douze parues en 1821 comme opus 49 et six restées inédites (T. WO 15-20), toutes construites par périodes de quatre mesures et toutes sauf deux de structure tripartite A-B-A ou A-B-A’. MONGRÉDIEN (Jean), musicologue français (Paris 1932). Après avoir suivi parallèlement des études de lettres et de musique, il a été lecteur à l’université de Cologne puis professeur à l’Institut français de Londres. Nommé à la Sorbonne (Paris IV) en 1973, il y occupe la chaire d’histoire de la musique française aux XVIIIe et XIXe siècles. Il a publié notamment Jean-François Le Sueur, contribution à l’étude d’un demi-siècle de musique française (1780-1830) [Berne, 2 vol. 1980], Catalogue thématique de l’oeuvre complète du compositeur Jean-François Le Sueur (1760-1837) [New York 1980] et la Musique en France des Lumières au Romantisme (1789-1830) [Paris 1986]. MONIUSZKO (Stanisðaw), compositeur polonais (Ubiel, Biélorussie, 1819 - Varsovie 1872). Il fait ses études d’harmonie et de composition au conservatoire de Varsovie et à Berlin, puis s’installe à Vilno et y enseigne la composition. En 1858, au moment du succès de son opéra Halka, il se rend à Varsovie où il séjournera jusqu’à la fin de sa vie. Il est nommé directeur de l’opéra de cette ville. Il est incontestablement considéré comme le plus grand compositeur polonais d’opéras et de mélodies. Halka, le premier opéra national polonais, le rendit célèbre, et synthétise en quelque sorte les intentions esthétiques et les moyens techniques que des compositeurs comme Elsner, Stefani ou Kamienski avaient commencé à explorer, en particulier dans leurs oeuvres basées sur des livrets en langue polonaise. Si l’influence de l’opéra italien est indéniable, notamment dans les oeuvres de jeunesse que sont les opérettes comme Une nuit dans les Apennins et le Nouveau Don Quichotte, Moniuszko ne recherche pas moins un style spécifiquement polonais susceptible de toucher l’âme populaire à travers une réactualisation de ses traditions. C’est donc bien l’essence de la mythologie polonaise qui se trouve impliquée dans les opéras la Comtesse (185859), The Raftsman (1858), Paria (18591869), ou les cantates Milda (d’après un roman de J. I. Kraszewski) et Nijola. Plus globalement, Moniuszko n’a cessé de s’adresser, à travers son oeuvre, au tempérament musical polonais, notamment dans ses mélodies (12 fascicules d’environ 400 chants qui connurent un vif succès auprès des couches moyennes de la société polonaise). Tandis que Chopin dépasse toute spécificité nationale, Moniuszko peut prétendre représenter, au coeur même de son pays, la Pologne du XIXe siècle. Sa popularité fut telle que soixante-dix mille personnes assistèrent à ses funérailles. MONN (à l’origine MANN), famille de musiciens autrichiens. Matthias Georg, organiste et compositeur (Vienne 1717 - id. 1750). Il s’appelait Johann Georg Matthias, mais changea son prénom pour éviter toute confusion avec son frère. Organiste à la Karlskirche à partir de 1738, il fut avec Wagenseil le principal représentant de l’école préclassique viennoise. Il est l’auteur de la plus ancienne symphonie connue en quatre mouvements avec menuet en troisième position (1740), mais cette oeuvre constitue dans sa production un cas isolé : toutes ses autres symphonies sont en trois mouvements. On lui doit aussi de la musique de chambre dont six quatuors à cordes faits chacun d’un mouvement lent et d’une fugue, des pages religieuses, et des concertos dont sept pour clavecin (l’un d’eux fut « recomposé » par Schönberg en 1932 pour violoncelle et orchestre) et un pour violoncelle (édité par Schönberg en 1911-12). Johann Christoph, pianiste et compositeur (Vienne 1726 - id. 1782). Frère du précédent, il fut surtout connu en son temps pour ses oeuvres pour clavier. Des symphonies publiées en 1912 sous le nom de Monn dans la série Denkmäler der Tonkunst in Oesterreich avec une attribution globale à Matthias Georg, certaines sont en réalité de lui. MONNAIE (théâtre de la). Opéra de Bruxelles, inauguré (peut-être avec Atys de Lully) en 1700 en remplacement du Théâtre du Quai-du-Foin et ainsi nommé en raison de la proximité d’un ancien atelier monétaire (1 200 places). En 1830, une représentation de la Muette de Portici d’Auber déclencha la révolution belge. Détruit par le feu en 1855, il céda la place à un nouveau bâtiment inauguré le 24 mars 1856 avec Jaguarita l’Indienne de Halévy. Bruxelles y vit bien avant Paris plusieurs opéras de Wagner, et y furent créés notamment Hérodiade de Massenet (1881), Gwendoline de Chabrier (1886), le Roi Arthus de Chausson (1903), Fervaal (1897) et l’Étranger (1903) de Vincent d’Indy. De 1918 à sa mort en 1953, le pianiste et chef d’orchestre Corneil de Thoran marqua l’établissement de son empreinte. Il a été dirigé de 1981 à 1991 par Gérard Mortier, auquel a succédé en 1992 Bernard Foccroule, et a vu récemment les créations mondiales de la PasdownloadModeText.vue.download 673 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 667 sion de Gilles (1983) et de Reigen (1993) de Philippe Boesmans, de The Death of Klinghoffer de John Adams (1991) et de Medeamaterial de Pascal Dusapin (1992). MONNET (Marc), compositeur français (Paris 1947). Après des études au Conservatoire de Paris, il a travaillé à l’École supérieure de musique de Cologne avec Mauricio Kagel et a suivi les cours d’été de Darmstadt (avec Stockhausen, Ligeti, Xenakis, Kagel) ; il a été pensionnaire de la Villa Médicis à Rome (1976-1978). Son écriture se caractérise par l’emploi, pour chaque partition, de systèmes originaux poussés à l’extrême et se traduisant parfois par une rugosité de la matière sonore. Par leur rejet de l’idée de développement, certaines partitions (Musiques en boîte) créent une forte obsession auditive, alors que d’autres (Fantasia Semplice) sont d’une écriture plus subtile et éphémère. Globalement, il fait montre d’un tempérament inventif et ne craignant pas la contradiction. Il a fondé en 1986 la compagnie Caput Mortuum. On lui doit notamment : Pour six pianistes (1974) ; Dialectique, pour guitare (1976) ; Pour bouche et quelques objets, pour un acteur et quelques objets (1976) ; Eros Machina, pour 2 guitares électriques et bande (1978) ; Musiques en boîte, ensemble de trois partitions formé de Boîtes en boîte à musique à système, pour 2 pianos (1977), de Musique(s) en boîte(s) à retour à (1977) et de Succédané spéculatif de boîte, pour clavecin (1978) ; Du bas et du haut ou du haut et du bas, pour 13 instruments (1978-79) ; Fantasia semplice, pour violoncelle solo (1980) ; Membra disjecta (1978-1980), ensemble de six partitions comprenant Solos de trios, pour 3 percussionnistes, les Accrocs devant les accords, pour luth, Du soleil et de la lune, pour soprano, lecteur, piano et petit ensemble, la Joie du gaz devant les croisées, pour piano, Roue lubrique, pour monocorde de Poussot, et Livre fragile, pour 16 voix solistes (les quatre premières ont été créées à Metz en 1980) ; la Scène, pour 16 musiciens (1981-82) ; Magari ! pour trio à cordes (1983). Patatras ! pour 8 instruments (1984) ; Chant pour violoncelle seul (1984) ; les Ténèbres de Marc Monnet pour quatuor à cordes (1985) ; Rigodon pour 4 cors (1985) ; les oeuvres scéniques À corps et à cris (1988), Probe (1989), Ab caetera (1990), Fragments (1990-1993) ; Exercice de la bataille pour 8 instruments (1991), Open pour quatre trombones (1994). MONOCORDE. Instrument à archet, constitué par une caisse de résonance prolongée d’un long manche et monté d’une seule corde. D’origine très ancienne, et cela dans presque toutes les civilisations, il n’a plus droit de cité qu’au cirque après avoir été la « trompette marine » chère au Bourgeois gentilhomme de Molière. MONODIE (gr. : monos, « seul », et ôdê, « chant »). Au sens propre, chant sans accompagnement. Monodie s’oppose parfois à polyphonie, et dans cette acception peut englober des chants collectifs à l’unisson, ainsi que des chants accompagnés s’ils ne sont pas à voix différentes. MONOPHONIE. Mode de propagation de l’information, selon lequel le message musical est capté, enregistré et reproduit par un unique canal de transmission de l’information. En matière de disque, la monophonie a été la seule technique utilisée depuis les débuts de l’enregistrement jusque vers 1960, date à laquelle sont apparus les disques gravés en stéréophonie. La chaîne d’enregistrement se compose, en monophonie, d’un microphone permettant de graver, soit directement, soit par l’intermédiaire d’une inscription magnétique à une seule piste, le sillon d’un disque dont les deux flancs reçoivent une déformation identique. À la reproduction, on utilise une seule chaîne électronique et un seul transducteur électroacoustique (hautparleur ou enceinte acoustique). Lors de la transmission d’une information stéréophonique à deux canaux (ou davantage), il suffit qu’un seul des maillons de toute la chaîne soit monophonique pour que la restitution soit également monophonique. D’un phénomène sonore situé dans l’espace (donc à trois dimensions), la monophonie donne une image uniquement ponctuelle, et par conséquent dépourvue de relief, qu’il est impossible de localiser en largeur, en profondeur ou en hauteur dans l’espace acoustique. Cette image ponctuelle est située au centre du haut-parleur. Par ailleurs, la monophonie ne rend pas compte exactement de la perception du son par les deux oreilles de l’auditeur, avec les déphasages que cela implique entre les deux informations parvenant aux tympans ; cette limitation entraîne une altération dans la qualité de la reproduction des timbres musicaux. MONSIGNY (Pierre Alexandre), compositeur français (Fauquembergues 1729 Paris 1817). Des circonstances matérielles difficiles ne permirent pas à Monsigny d’exercer le seul métier de musicien. Après des études au collège jésuite de Saint-Omer, il prit en 1749 un emploi chez M. de Saint-Julien, receveur général du clergé en France. On ne sait rien de sa formation musicale, sinon qu’il fut quelques mois l’élève de Gianotti, contrebassiste à l’Opéra et au Concert spirituel. Plus déterminante pour son développement artistique fut la bienveillance du duc d’Orléans, chez qui Monsigny put s’ouvrir aux courants musicaux et dramatiques les plus récents. Son premier opéra, les Aveux indiscrets (1759), le plaça d’emblée au même niveau que Duni et Philidor - ce dernier représenta la même année son Blaise le savetier. Monsigny fut cependant moins prolifique que ses pairs, et ne fit jouer que douze opéras-comiques et un ballet héroïque, Aline reine de Golconde (Académie royale de musique, 1766). Il est encore plus remarquable de le voir abandonner la composition à quarante-huit ans, après Félix ou l’Enfant trouvé (1777), sans doute en raison d’une cécité croissante. Après avoir exercé la charge de maître d’hôtel du duc d’Orléans, Monsigny devint en 1785 inspecteur des canaux d’Orléans. La Révolution lui fit perdre ses revenus fixes et Monsigny connut la pauvreté en dépit des fréquentes reprises de ses oeuvres et de leur grande diffusion à l’étranger. Le rythme de production relativement lent de Monsigny est probablement imputable à ses activités non musicales, car son style mélodique laisse supposer au contraire une inspiration facile et une imagination aux registres très variés. Dans la veine de l’opéra-comique traditionnel, son principal succès fut Rose et Colas (1764), sur un livret de Sedaine ; le naturel des lignes vocales y est relevé par un recours occasionnel à une écriture plus complexe (trio fugué « Mais ils sont en courroux », quintette « Ceci me paraît fort »). Mais l’originalité de Monsigny apparaît surtout dans ses oeuvres à caractère sentimental, qui contribuèrent de manière décisive à l’évolution de l’opéra-comique français : le Roi et le Fermier (1762), le Déserteur (1769), la Belle Arsène (1773), Félix (1777), tous sur des textes de Sedaine. Une collaboration étroite avec son poète permit à Monsigny de réaliser des expériences d’une grande nouveauté, en particulier dans le domaine de la continuité musicale. Le duo entre Jenny et Richard (le Roi et le Fermier, acte I, sc. 10) est interrompu par des bruits d’orage, se prolonge par un entracte descriptif, lequel introduit à son tour le duo de Rustaut et de Charlot, au début de l’acte II. Le procédé est poussé beaucoup plus loin à la fin du Déserteur (acte III, sc. 11 à 15), où la musique nous fait passer de la prison d’Alexis à une place publique, et emporte dans un même mouvement la catastrophe et le dénouement de la pièce. MONTAGE. Technique utilisée dans l’enregistrement sonore sur magnétophone. Elle consiste, comme au cinéma avec la pellicule photographique, à choisir et à raccorder entre elles les meilleures « prises » d’une exécution musicale pour établir une bande downloadModeText.vue.download 674 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 668 définitive correspondant à l’interprétation idéale de l’artiste ou de la formation enregistrée. Sur une bande magnétique défilant à 38 cm/s, une noire d’un morceau marqué andante (60 à la noire) occupe 38 cm de bande, et une double croche dans le même mouvement occupe donc 9,5 cm. C’est dire à quel point est grande la latitude d’intervention du technicien pour couper ou retoucher dans la matière sonore inscrite sur la bande. Ainsi, l’art du montage s’étant développé, on en est venu à pouvoir isoler une seule note inexacte pour la remplacer par la même, bien exécutée, empruntée à une autre prise ; ou à « nettoyer » la bande d’imperfections, de bruits parasites, etc. Une question se pose, cependant : la bande ainsi montée est-elle représentative de la réalité musicale d’une exécution, et ne risque-t-on pas, de la sorte, d’aboutir à une sorte de perfection abstraite et glacée, sans rapport avec la communication « à chaud » qui est le propre de l’exécution en concert ? Poussé trop loin, en effet, le montage d’épisodes et de fragments enre- gistrés en des moments différents mène à la création d’une sorte d’« art fictif » qui perd tout rapport avec la réalité, avec pour conséquence le désappointement de certains mélomanes discophiles lorsqu’ils se retrouvent en contact avec la musique vivante au concert ; il risque aussi de contribuer à créer de fausses valeurs artistiques d’interprètes qui donnent ainsi mieux qu’ils ne sont capables de le faire dans la continuité d’une exécution. C’est pourquoi certains musiciens préfèrent enregistrer par longues séquences, et n’en appeler au montage que pour quelques « raccords » indispensables. De même, bien des amateurs de disques, suivis en cela par les éditeurs, préfèrent aujourd’hui revenir aux prises « sur le vif », au cours de concerts publics, lesquelles, malgré leurs imperfections techniques éventuelles, sont bien davantage un témoignage de l’art des interprètes ainsi photographiés en « instantané ». À l’actif du montage, cependant, il faut retenir la possibilité qu’ont un directeur artistique et un ingénieur du son dotés de sensibilité musicale et de respect de l’artiste qu’ils enregistrent d’en donner un portrait sinon idéal, du moins correspondant au mieux à son art d’interprète. MONTAGNANA (Domenico), luthier vénitien (Lendinara v. 1690 - Venise 1750). Sa vie est assez mal connue, en particulier ses années de formation. Il semblerait qu’il ait été, en fait, l’élève puis l’assistant de Matteo Goffriller, avant de travailler indépendamment à Crémone vers 171112, puis de s’établir définitivement à Venise en 1721. Peu de ses instruments sont signés et leur ressemblance avec certains stradivarius rend leur identification encore plus difficile. Ses altos sont encore des instruments de référence à l’heure actuelle et ses violoncelles lui valurent une renommée qui n’a pas faibli aujourd’hui. Il est considéré, avec Stradivarius et Amati, comme l’un des plus grands luthiers de cette époque. MONTE (Philippe de), compositeur flamand (Malines 1521 - Prague 1603). Nous ignorons tout de sa vie avant 1542, date à laquelle il est au service de Cosme Pinelli à Naples. Après ses années de formation et de jeunesse en Italie, il entre (1554-55) dans la Chapelle anglaise de Philippe II d’Espagne (qui avait épousé Marie Tudor) à Londres, s’y liant d’amitié avec William Byrd. Puis il passe trente-cinq ans (1568-1603) à Vienne ou à Prague comme maître de chapelle de la cour impériale sous Maximilien II et Rodolphe II. Il maintient néanmoins des rapports suivis avec son pays où il recrute des musiciens, est nommé trésorier (1572) puis chanoine de la cathédrale de Cambrai (1577). On a souvent comparé Monte et Lassus : tous deux ont la même formation nordique et italienne, la même destinée (Lassus restera trente-huit ans à la cour de Munich) ; tous deux maîtrisent à merveille cette technique contrapuntique de la tradition franco-flamande et ont subi l’influence du madrigal. Mais Monte est peu attiré par l’expression symbolique, la peinture du détail et le chromatisme. Plus de 1 000 madrigaux témoignent de son goût de la clarté et d’une émotion retenue. Notons, d’autre part, la publication en 1575 d’un livre des Sonnets de Ronsard, bien éloigné des chansons du style nouveau et des tentatives humanistes. L’importance de ses oeuvres et de ses apports personnels, mais aussi l’habileté avec laquelle il sait tirer parti des modèles traditionnels, notamment dans le genre du motet et de la messe-parodie, à laquelle il donne une nouvelle dimension, lui confèrent une place de choix aux côtés de Palestrina et de Lassus. MONTÉCLAIR (Michel Pignolet de), compositeur français (Andelot, HauteMarne, 1667 - Paris 1737). Il reçoit sa première formation auprès de Jean-Baptiste Moreau à la cathédrale de Langres, où il est chantre dans la maîtrise. En 1687, il s’installe à Paris et entre au service du prince de Vaudémont. Il séjourne ensuite en Italie en compagnie de son maître pendant plusieurs années. Il en profite pour étudier la contrebasse, encore absente de l’orchestre de l’Opéra en France. De retour à Paris vers 1700, il devient maître de musique et trouve un emploi comme « basse du petit choeur de l’Orchestre de l’Opéra ». Il y joue de la contrebasse dans la célèbre « Tempête » de l’acte IV d’Alcyone de Marin Marais, et y fait représenter deux ouvrages de sa composition : le ballet les Fêtes de l’été (1716) et la tragédie biblique Jephté (1732). Cet opéra, outre ses grandes qualités musicales, marque une date importante dans l’histoire. Écrit sur un livret de l’abbé Pellegrin, il est à l’origine de la décision de Rameau de s’engager à son tour dans la voie de compositeur lyrique, d’abord en 1733 avec Hippolyte et Aricie et avec le même librettiste. Après le David et Jonathas (1688) de Marc Antoine Charpentier, composé pour le collège des jésuites, Jephté est en outre le second opéra sur un sujet tiré de l’Écriture sainte à nous être parvenu. Les autres oeuvres de Montéclair sont de dimensions plus réduites : concerts pour divers instruments (flûte, hautbois, violon) et, surtout, de remarquables cantates françaises. MONTEMEZZI (Italo), compositeur italien (Vigasio, province de Vérone, 1875 Vérone 1952). Élève de Saladino et de Ferroni à Milan, il obtint son diplôme avec Bianca, opéra en un acte qui le situa aussitôt dans un courant postérieur au vérisme, dont il retint néanmoins la force, subissant par ailleurs l’influence de l’harmonie wagnérienne assortie d’une orchestration et d’une conscience dramatique dignes de celles de Puccini. Turin accueillit favorablement Giovanni Gallurese (1905), mais son chefd’oeuvre, L’Amore dei tre re, déconcerta le public de la Scala de Milan (1913). Cette oeuvre puissante, où passent trop d’échos de Tristan de Wagner, mais qui contient de merveilleux caractères (notamment celui, fascinant, du vieux roi aveugle Archibaldo), connut une meilleure fortune aux États-Unis où l’auteur se fixa en 1939. MONTEUX (Pierre), chef d’orchestre français naturalisé américain en 1942 (Paris 1875 - Hancock, Maine, 1964). Il prend ses premières leçons de violon à six ans et dirige à douze ans un concert de charité auquel participe également le jeune Alfred Cortot. De 1885 à 1894, il fait ses études au Conservatoire national supérieur de Paris, dans les classes de Garcin et Berthelier (violon), Lavignac (harmonie) et Lenepveu (contrepoint et fugue). Avant même de remporter son premier prix de violon, il travaille comme second violon aux Folies-Bergère (1889-1892), puis, en 1893, comme premier altiste à l’OpéraComique, et bientôt également comme chef assistant aux concerts Colonne (jusqu’en 1912), participant aux créations de Pelléas et Mélisande et de la Mer de Debussy. Encouragé par B. Godard à faire de la musique de chambre, il devient en 1894 l’altiste du quatuor Geloso, puis du quatuor Tracol. De 1908 à 1914, il dirige downloadModeText.vue.download 675 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 669 l’été l’Orchestre du casino de Dieppe et fonde les concerts Berlioz, puis en 1914 la Société des concerts populaires (dits concerts Monteux). Choisi par Diaghilev pour remplacer G. Pierné, il dirige de 1911 à 1914 l’Orchestre des Ballets russes, créant nombre de partitions majeures : Petrouchka (1911), Daphnis et Chloé (1912), Jeux (1913), le Sacre du printemps (1913), le Rossignol (1914). Une tournée entreprise en 1916 aux États-Unis avec les Ballets russes est suivie par son engagement au Metropolitan Opera de New York (1917-1919), où il dirige tout le répertoire français et crée aux États-Unis le Coq d’or de Rimski-Korsakov. Appelé à la tête de l’Orchestre symphonique de Boston (1920-1924), il y poursuit son action en faveur de la musique française. De retour en Europe, il partage son temps entre le Concertgebouw d’Amsterdam, où il devient l’assistant de W. Mengelberg (1924-1934), et l’Orchestre symphonique de Paris, qu’il fonde en 1929 et qu’il dirige jusqu’en 1938. Il crée notamment à Amsterdam la Troisième Symphonie de Pijper et à Paris la Troisième de Prokofiev (1929) et le Concerto pour violoncelle de Honegger (1930). Il fonde également en 1932 une première école de direction d’orchestre. Invité en 1934 par Klemperer à diriger l’Orchestre symphonique de Los Angeles, il prend en main, de 1936 à 1952, l’Orchestre de San Francisco. Il se consacre de plus en plus à l’enseignement dans l’école de direction d’orchestre qu’il fonde en 1941 à Hancock, dans le Maine. Il dirige encore la saison 1953-54 du Met et signe en 1961 un contrat de vingt-cinq ans avec l’Orchestre symphonique de Londres. En 1963, il dirige dans cette ville le Sacre du printemps, qu’il avait créé cinquante ans plus tôt à Paris : l’événement est à l’image d’une carrière trop éloignée de son pays natal. Artisan rigoureux et passionné, Pierre Monteux a joué la sobriété plutôt que l’effet, la clarté plutôt que la séduction. Ses interprétations de Berlioz, de Stravinski et de Brahms chantent avec une tendresse inégalée. MONTEVERDI (Claudio), compositeur italien (Crémone 1567 - Venise 1643). Fils d’un médecin crémonais, Monteverdi est initié à la musique, ainsi d’ailleurs que son frère cadet Giulio Cesare, dès son plus jeune âge, puis reçoit l’enseignement d’un maître réputé, Marcantonio Ingegneri, l’un des premiers polyphonistes de son temps. Remarquable pédagogue, Ingegneri sait donner une formation complète à l’adolescent, au point que, en 1582, Monteverdi publie son premier opus, un recueil de vingt motets à trois voix, les Sacrae Cantiunculae, suivi des Madrigali spirituali à quatre voix (1583) et des Canzonette d’amore a tre voci (1584). En 1587, le Premier Livre de madrigaux à cinq voix marque le véritable début de la carrière publique du musicien, s’agissant de la première oeuvre qui ne se ressent plus de l’influence d’Ingegneri, mais laisse parler un style entièrement personnel. Trois ans plus tard, le Deuxième Livre de madrigaux apporte au musicien un début de notoriété. Grâce à la protection d’un noble milanais, le seigneur Ricciardi, Monteverdi peut obtenir un poste de joueur de viole à la cour du duc de Mantoue, Vincenzo Gonzague. Il trouve là un maître exigeant et imprévisible, mais aussi un milieu très favorable à la musique. Malgré un maigre salaire, il participe activement au travail de la chapelle ducale et s’y fait un noyau d’amis sincères comme le conseiller Striggio (qui sera le librettiste de son Orfeo). En 1592, nouveau succès avec le Troisième Livre de madrigaux. Troublée par un intermède militaire durant lequel il accompagne son maître parti servir l’empereur Rodolphe II contre l’envahisseur turc puis par un voyage en Flandre, son existence à Mantoue le met en contact avec les premiers musiciens de l’époque et, en particulier, avec le mouvement des Cameratas florentines, d’où naîtra l’opéra. À la mort du Flamand Jacques de Werth, c’est le médiocre Pallavicino qui est nommé maître de la chapelle ducale : en fait, la direction en est assumée par Monteverdi. Marié à Claudia Cattaneo, fille d’un musicien du duc, le compositeur mène une vie rendue difficile par les soucis matériels et les besoins d’argent. En 1600, il assiste à la création de l’Euridice de Peri, premier mélodrame connu, et doit soutenir une polémique avec le chanoine Artusi qui critiquait âprement les modernismes de son style de madrigaliste. À la mort de Pallavicino, il est enfin nommé maître de la chapelle ducale et publie en 1603 son Quatrième Livre de madrigaux à cinq voix où, pour la première fois, il propose aux interprètes l’accompagnement d’une basse continue. Le succès rencontré par ce recueil est grand, mais sa situation matérielle demeure mauvaise et sa femme ne se remet pas de la naissance d’un second enfant. En 1605, la publication du Cinquième Livre de madrigaux est accompagnée d’une préface qui répond d’une manière définitive aux attaques d’Artusi et précise l’esthétique de la « seconde pratique », fondement de ce que doit être la musique nouvelle. Puis, à la demande du duc Vincenzo, il écrit son premier drame lyrique, Orfeo, représenté en février 1607 à Mantoue. L’ouvrage remporte un succès retentissant et du même coup impose Monteverdi comme le premier musicien dramatique de son temps. Malgré la mort de Claudia, survenue en septembre 1607, Monteverdi entreprend, toujours à la demande de son maître, la composition d’un nouvel opéra (ou plutôt d’un dramma per musica, comme on disait alors) : Arianna, qui est représentée, en mai 1608, au mariage du fils aîné du duc, Francesco Gonzague. Complétée par deux autres ouvrages lyriques, (Il Ballo delle ingrate et L’Idropica), Arianna confirme le succès d’Orfeo et la maîtrise de Monteverdi dans l’utilisation du stile nuovo, c’est-à-dire du récitatif et de la déclamation accompagnée. Pourtant, l’avarice du duc n’apporte toujours pas l’aisance matérielle au musicien. Soucieux d’assurer son avenir, Monteverdi écrit une Messe et des Vêpres de la Sainte Vierge, qu’il offre lui-même, dans l’espoir d’une charge, au pape Paul V, en 1610. Déçu, là aussi, dans ses espoirs, il retourne résigné à Mantoue, jusqu’à la mort du duc Vincenzo, survenue en février 1612, mais ne peut s’entendre avec son successeur, le duc Francesco, brutal et emporté, qui licencie sa chapelle quelques mois plus tard. Revenu dans sa ville natale avec, pour tout bagage, « vingt écus après vingt et un ans de service », Monteverdi ne tarde pas à briguer la charge, glorieuse entre toutes et laissée vacante à la mort de Martinengo, de maître de chapelle à Saint-Marc de Venise. Désigné par les Seigneurs Procurateurs en août 1613, il entre en fonctions presque immédiatement, heureux de connaître enfin, à quarante-six ans, l’aisance matérielle avec la célébrité. À Saint-Marc, il commande à une maîtrise très importante (l’une des premières d’Europe), mais est également sollicité par de nombreux services et commandes privés. Témoins de ces années fécondes : le Sixième Livre de madrigaux, publié en 1614, mais, en fait, écrit tout à la fin du séjour à Mantoue, et le Septième Livre de 1619, un recueil essentiel où le musicien abandonne la stricte écriture madrigalesque pour se faire le champion de la monodie expressive (La Lettera amorosa) et du style concertant. Puis, toute une série d’ouvrages malheureusement perdus, comme le Requiem de 1621 qui semble avoir beaucoup impressionné les contemporains. En 1624, nouveau chef-d’oeuvre : le Combat de Tancrède et Clorinde, que Monteverdi écrit pour le chevalier Mocenigo, noble vénitien, « comme passe-temps en veillée de Carnaval ». Le musicien est à présent célèbre jusqu’en Allemagne, et en 1628 c’est à lui que s’adresse Heinrich Schütz, soucieux de se familiariser avec le nouveau style vocal et dramatique de l’école italienne. Les soucis et les deuils l’éprouvent pourtant à nouveau dans sa vie familiale. Il doit ainsi tirer son fils Massimiliano, compromis dans une affaire de sciences occultes, des prisons du Saint-Office. Puis, en 1631, lors de la grande épidémie de downloadModeText.vue.download 676 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 670 peste qui ravage Venise, il a la douleur de perdre son fils Francesco, qui appartenait à la chapelle de Saint-Marc. Et sans doute, ces chagrins ne sont pas étrangers à sa décision d’entrer dans les ordres en 1632. De grandes oeuvres témoignent cependant dans le même temps de la constance de son inspiration. Outre une Proserpina rapita écrite à nouveau pour le seigneur Mocenigo en 1630, il compose à la fin de l’épidémie de 1631 une Messe d’action de grâces dont l’admirable Gloria à sept voix nous a été conservé. Puis, en 1632, il publie un recueil de Scherzi musicali dans le style récitatif et, six ans plus tard, le Huitième Livre de madrigaux guerriers et amoureux, parfaite synthèse de musique profane où polyphonie, déclamation lyrique et langage concertant se fondent en une suite de pages superbes qui sont autant de scènes d’opéra. Précisément, c’est le théâtre lyrique qui reste la grande préoccupation du vieux maître, jusqu’à sa mort survenue à soixante-seize ans. Et le Retour d’Ulysse dans sa patrie (1640) comme le Couronnement de Poppée (1642), même au cas où ils ne seraient pas entièrement de lui, témoignent génialement de cet intérêt persistant, le Couronnement de Poppée surtout, modèle d’opéra historique et réaliste où drame et humour interfèrent dans une ambiance quasi shakespearienne. Monteverdi y atteint à une perfection expressive et formelle qui n’a jamais été surpassée depuis. Tout comme dans ses dernières oeuvres religieuses (le monumental recueil de la Selva morale e spirituale de 1641, puis l’édition posthume de la Messa a quattro voci e Salmi, en 1650) qui « ne cessent de parler à l’homme, tout en s’adressant à Dieu ». « Ariane m’émouvait parce que c’était une femme, et Orphée m’incitait à pleurer parce que c’était un homme et non pas le vent. » Cet aveu de Monteverdi, clé de sa poétique musicale, indique que, chez lui, l’émotion commande toujours à l’imagination (à ceci près qu’elle ne cesse d’être contrôlée par une esthétique exigeante). L’autre composante du musicien est sa modernité, trait que lui reconnaissaient déjà ses contemporains et dont témoigne la théâtralité d’une oeuvre qui invite toujours l’auditeur à suivre le cours de quelque représentation scénique, ne serait-ce que par la pensée, et qui fait passer le souffle de la vie avec la vérité des sentiments (« car », précise-t-il dans sa fameuse réponse à Artusi, « le compositeur moderne bâtit ses oeuvres en les fondant sur le vrai »). Compositeur moderne, expressif et réaliste, Monteverdi l’est donc à chaque étape de sa production et dans tous les genres qu’il a abordés, du madrigal au drame lyrique. Le madrigaliste d’abord, qui se libère progressivement des strictes règles d’écriture pour annexer, à partir du Cinquième Livre, toutes les conquêtes de la « seconde pratique » (sans verser cependant dans les stravaganze harmoniques chères à Gesualdo). Et qui oeuvre ainsi au mariage de toutes les techniques de chant connues, de la polyphonie à l’opéra, dans le jaillissement exemplaire du Huitième Livre, triomphe du genre « représentatif » et miroir profond des passions humaines, où théâtre et musique s’interpénètrent continuellement. Le musicien religieux ensuite, qui suit pratiquement le même parcours, partant des modes ecclésiastiques et du style osservato pour devenir le champion de la nouvelle manière dans la fastueuse liturgie du Vespro, qui fait voler en éclats la tradition et où passe le souvenir d’Orfeo avec son riche orchestre. Le musicien lyrique enfin, qui n’a pas créé l’opéra à partir de rien (comme on a pu l’écrire trop souvent, dans le passé), mais qui, au contraire, a su profiter au maximum des essais des mélodramatistes - qui pensaient retrouver les secrets de la tragédie grecque par la monodie pour atteindre d’emblée, avec Orfeo, à un équilibre miraculeux entre la magie du chant et les nécessités du verbe. Dans les trois cas, Monteverdi apparaît comme l’un des génies les plus inventifs de l’histoire musicale, comme l’un des plus actuels et présents à notre époque, et aussi comme un grand humaniste, épris de dignité et de liberté, le premier sans doute à avoir compris que pour être investie d’un pouvoir dramatique exemplaire, la musique devait être totalement rendue au monde des sentiments et se faire la servante inconditionnelle de la parole. MONTRE. Jeu d’orgue de la famille des principaux, dont tout ou partie de la tuyauterie se trouve placé en façade, ou « en montre ». Cette disposition en privilégie la puissance sonore sur tous les autres jeux de fond. Les grands instruments disposent, outre une montre de 8 pieds, sonnant à l’unisson de la voix, d’une montre de 16 pieds, sinon même de 32 pieds ; quant au buffet de positif, plus petit, il est doté d’une montre de 4 pieds. L’ensemble des tuyaux ainsi montrés à l’auditoire prend le nom générique de montre. Mais les dispositions prévues par les architectes ou constructeurs de certains buffets d’orgue imposent parfois de placer en façade des tuyaux factices ; on leur donne alors, par dérision, le sobriquet de « chanoines ». MONUMENT, ÉDITION MONUMENTALE. En musicologie, publication d’oeuvres musicales dotée d’un apparat critique, se référant aux sources (manuscrit, première édition). Le terme « monument » est apparu dans cette acception au XIXe siècle lors de la redécouverte des « monuments de la culture », et qualifie donc la valeur des oeuvres et non le volume de l’édition. Il existe deux types d’éditions monumentales, selon qu’elles se présentent sous forme de collection consacrée à une époque ou à un genre donné (par exemple, Corpus mensurabilis musicae, Denkmäler deutscher Tonkunst, Musica Britannica, etc.), ou sous forme d’édition intégrale des oeuvres d’un auteur (par exemple, Neue Bach Ausgabe, Joseph Haydn Werke, New Berlioz Edition, etc.). MOORE (Gerald), pianiste anglais (Watford 1899 - Penn, Buckinghamshire, 1987). Il fut l’élève du pianiste M. Hambourg à l’université de Toronto. Il regagna l’Angleterre en 1919. Une première tournée au Canada préluda à une carrière entièrement consacrée à l’accompagnement des plus grands instrumentistes et chanteurs de son temps : Y. Menuhin, E. Feuermann, E. Schumann, E. Schwarzkopf, H. Hotter, D. Fischer-Dieskau. Il a donné ses lettres de noblesse à une discipline jusque-là méprisée. Par sa compréhension intuitive des textes et la beauté de son legato, il est devenu le partenaire idéal convoité par les plus grands. Son activité de concertiste (interrompue en 1967) s’est doublée et prolongée de cours et de conférences sur l’art de l’accompagnement donnés dans le monde entier. Il en a recueilli l’essentiel en deux ouvrages : The Unashamed Accompanist (Londres, 1943) et Singer and Accompanist : the Performance of 50 Songs (Londres, 1953). Il a également écrit ses mémoires, Am I too loud ? Memoirs of an Accompanist (New York, 1962), et The Schubert Song Cycles (Londres, 1975). MOOSER (R. Aloys), musicologue et critique musical suisse (Genève 1876 - id. 1969). Descendant d’une grande famille de facteurs d’orgues suisses par son père, et de mère russe, il étudie l’orgue avec Otto Barblan à Genève, puis part à Saint-Pétersbourg en 1896. Organiste titulaire de l’Église réformée française durant tout son séjour (1896-1909), il étudie la composition avec Balakirev et l’orchestration avec Rimski-Korsakov, tout en étant critique musical au Journal de Saint-Pétersbourg, périodique français. De retour à Genève en 1909, il est critique musical au quotidien la Suisse (jusqu’en 1962) et crée en 1915 les Auditions du jeudi, consacrées à la musique contemporaine, qu’il anime jusqu’en 1921. Il continue à exprimer son intérêt pour la musique moderne dans la revue musicale indépendante Dissonances, qu’il fonde en 1923 et édite jusqu’en 1946. Dans ce périodique et dans une série downloadModeText.vue.download 677 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 671 de publications (Regards sur la musique contemporaine, 1921-1946 ; Panorama de la musique contemporaine, 1947-1953 ; Aspects de la musique contemporaine, 1953-1957 ; Visage de la musique contemporaine, 1957-1961), il affirme ses opinions sur la musique de son temps, et son témoignage est encore, à l’heure actuelle, très précieux. Opposé, en général, aux expériences dodécaphoniques et sérielles auxquelles il préfère un genre plus traditionnel (A. Honegger, F. Martin), il admet néanmoins l’importance de compositeurs comme Berg et Webern, et reste ouvert à tous les courants. Il a, en outre, grandement contribué à notre connaissance de la diffusion de la musique européenne en Russie au XVIIIe siècle. MORAGUÈS (Pascal), clarinettiste français (Paris 1963). Titulaire en 1979 d’un premier prix de basson au Conservatoire de Paris, il entre en 1981 à l’Orchestre de Paris, où il est, à dix-huit ans, supersoliste. Parallèlement, il donne des récitals, joue en formation de musique de chambre, fonde un quintette à vents avec ses frères et se produit également avec les Quatuors Ysaÿe, Talich, Fine Arts ainsi qu’avec les pianistes S. Richter, J.-F. Heisser, C. Zacharias, etc. MORALES (Cristobal de), compositeur espagnol (Séville v. 1500 - Málaga ou Marchena 1553). Il fit ses études à Séville (Escobar, Fernandez de Castilleja, Peñalosa, Guerrero) et fut enfant de choeur à la cathédrale. Il fut maître de chapelle à Ávila (1526-1528), puis à Plasencia et Salamanque. Admis comme chanteur à la chapelle pontificale à Rome (1535) et protégé du pape Paul III, il composa des messes et des motets qui lui assurèrent rapidement la célébrité et que les éditeurs se partagèrent entre Venise, Milan, Rome, Anvers, Nuremberg, Augsbourg, Wittenberg et Lyon. Sa cantate Jubilate Deo omnis terra, commande de Paul III pour la trêve conclue entre Charles Quint et François Ier, fut chantée à Nice en 1538, et il écrivit un motet pour le cardinalat d’Hippolyte d’Este, à Rome en 1539. De retour en Espagne (1545), il fut nommé maître de chapelle de la cathédrale de Tolède (1545), puis du duc d’Arcos (1548) et de la cathédrale de Málaga (1551). Cette brillante carrière qui lui avait valu une renommée internationale devait s’achever dans la tristesse des humiliations et de la misère, alors que sa gloire ne cessait de s’étendre jusqu’au Nouveau Monde (une messe de Morales y fut la première polyphonie imprimée). Chef de l’école andalouse, humaniste distingué et le plus grand maître de la musique sacrée précédant la génération de Victoria, Morales unit la richesse d’une écriture polyphonique digne de Palestrina à la justesse de l’expression, dans un esprit profondément religieux, même si les thèmes de ses messes sont empruntés à des mélodies profanes (l’Homme armé) et si les textes de ses motets sont d’un ton dramatique dont il peut accuser le relief par des effets harmoniques particulièrement audacieux. MORDANT. Gruppetto extrêmement rapide et réduit à deux notes précédant la note principale. Le mordant peut être supérieur (do-rédo) ou inférieur (do-si-do). MOREAU (Jean-Baptiste), compositeur français (Angers 1656 - Paris 1733). Il fit ses études musicales à la maîtrise d’Angers. En 1682-83 il fut maître de chapelle à la cathédrale de Langres (où il eut comme élève Michel Pignolet de Montéclair), puis à Dijon (1683-1686). En 1686, il fut introduit à la cour par la dauphine Victoire de Bavière, et attaché à la musique personnelle de Louis XIV. À cette date, il avait déjà composé des motets, des psaumes, un requiem et une Idylle sur la naissance de Notre-Seigneur. En 1687, à la commande du roi, il écrivit un divertissement de cour, les Bergers de Marly. Le succès lui valut d’être nommé professeur de musique à l’école de Saint-Cyr, que dirigeait Mme de Maintenon. Il y fit la connaissance de Racine, à qui son nom reste associé comme ceux de Lully et de Charpentier à Molière. Il mit en musique trois Cantiques de Racine, avant d’écrire les choeurs de la tragédie Esther, qui fut créée à Saint-Cyr en 1689 en présence du roi. Racine écrivit que « ces chants ont fait l’un des plus grands agréments de la pièce ». Il commanda ensuite à Moreau les choeurs d’Athalie (1691), qui n’atteignent toutefois pas à la qualité de ceux d’Esther. Moreau écrivit encore les choeurs de deux tragédies de l’abbé Boyer, Jephté (1692) et Judith (perdu, 1695), avant de partir comme intendant de la musique des États du Languedoc. Revenu à Saint-Cyr, il écrivit les musiques de scène de trois tragédies de Duché de Vancy : Jonathas (1700, perdu), Absalon (1702) et Debora (1706). Il fut à partir de 1700 un professeur de composition et de chant fort réputé, et eut parmi ses élèves Jean-François Dandrieu et Clérambault. MORESCA. Danse espagnole d’origine mauresque, c’est-à-dire arabe. Sans rythme déterminé, elle fut très en faveur à l’époque de la Renaissance, jusqu’en Italie où l’opéra l’annexa pour servir de conclusion aux intermèdes chantés. La dernière pièce d’Orfeo de Cl. Monteverdi (1607) est une brillante « moresca ». MORESCHI (Alessandro), castrat italien (Montecompatri, près de Rome, 1858 Rome 1922). Dernier grand castrat connu, surnommé « l’ange de Rome », il chanta à la chapelle Sixtine de 1883 à 1913. On a de lui des enregistrements datant de 1902. MORIN (Jean-Baptiste), compositeur français (Orléans 1677 - Paris 1745). Il fit ses études musicales à Orléans, à la maîtrise de l’église Saint-Aignan où il fut un temps organiste. Puis il entra dans la musique de Philippe d’Orléans et, en 1715, fut nommé maître de chapelle de l’abbesse de Chelles, fille du régent de France. Il écrivit des Motets à une et deux voix et basse continue, publiés en deux livres (1704, 1709). Il fut le premier en France à écrire un grand nombre de cantates, les premiers exemples du premier livre (1706) étant très inspirés de l’art italien. Il jeta ensuite les bases de la cantate typiquement française, élégante et dépourvue de sentiments violents, une forme mineure certes, mais qui offrait aux compositeurs un terrain d’essai où ils pouvaient s’exprimer plus librement tout en s’efforçant de réunir les deux goûts. Deux autres livres de cantates françaises, à une ou deux voix et avec ou sans symphonie, parurent en 1707 et 1712. Son oeuvre la plus célèbre est restée la Chasse du cerf, divertissement pour solos, choeur à 3 voix et basse continue, créé à Fontainebleau en 1709. MORLEY (Thomas), compositeur anglais (Norwich 1557 ou 1558 - Londres 1602). Également théoricien et éditeur, il fut le plus influent, et le plus marqué par l’Italie, de tous les madrigalistes anglais de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe. Choriste à Norwich, élève de William Byrd, diplômé d’Oxford (1588), il devint (sans doute en 1591) organiste à Saint-Paul de Londres, et en 1592 fut fait gentilhomme de la chapelle royale. En 1598, il obtint le monopole de l’édition musicale. Ses oeuvres les plus anciennes (1576) sont deux motets, Domine, Dominus noster et Domine, non exaltatum cor meum. Il écrivit aussi de la musique religieuse anglicane et de la musique pour clavier influencée par Byrd, mais c’est comme madrigaliste qu’il atteignit le tout premier rang. Musicien brillant, il ne parvint jamais à la profondeur d’un Byrd, ni à la mélancolie d’un Weelkes, mais resta sans rival dans le madrigal léger. Il introduisit le style italien en Angleterre non seulement comme compositeur, mais comme traducteur, comme arrangeur, et même comme propagandiste. Il édita par exemple deux anthologies de musique italienne (1597 et 1598), ainsi que des arrangements de Canzonette de Felice Anerio et de Balletti de Giovanni Gastoldi. De même, A Plaine and Easie Introduction to Practicall downloadModeText.vue.download 678 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 672 Musicke (1597) apparaît à la fois comme l’un des plus importants ouvrages de théorie musicale en langue anglaise et comme une oeuvre de propagande en faveur de la musique italienne. Sans doute Morley connut-il Shakespeare, car deux de ses Ayres font appel à des textes du dramaturge : O Mistress mine (Twelfth Night) et It was a Lover and his Lass (As you like it). De 1593 à 1601 parurent de lui onze publications parmi lesquelles Canzonets to 3 Voices (1593), Canzonets to 2 Voices (1595), Madrigals to 4 Voices (1595), première publication anglaise à porter explicitement le titre de « madrigaux », Canzonets to 5 and 6 Voices (1597), et Ballets to 5 Voices (1600). Citons également The First Book of Ayres (1600), avec luth et basse de viole et dont les 21 pièces sont suivies d’une pavane et d’une gaillarde, et The First Book of Consort Lessons (1599), magnifique recueil de 23 pièces (toutes ne sont pas de lui) pour luth, guitare basse, cistre, flûte à bec basse et dessus et basse de viole. Morley fut également à l’origine de The Triumphes of Oriana (1601), recueil de madrigaux (dont deux de lui) de 23 compositeurs différents destiné à honorer aussi bien la reine Élisabeth que le genre musical dont il s’était fait le champion. MORONEY (Davitt), claveciniste anglais (Leicester 1950). Il fait ses études au King’s College de Londres auprès de Thurston Dart et se perfectionne ensuite auprès de Gustav Leonhardt et Kenneth Gilbert. Doté d’une bourse du gouvernement américain, il part en 1975 pour l’université de Berkeley (Californie). À partir du début des années 80, il commence une véritable carrière de soliste, se produisant fréquemment en France, en particulier. Très intéressé par l’oeuvre de clavier de J. S. Bach, il propose une nouvelle édition de l’Art de la fugue et de l’Offrande musicale. Ses enregistrements des pièces pour clavecin de Louis Couperin et de celles de William Byrd rencontrent un vif succès. Son enregistrement de l’intégrale des pièces d’orgue retrouvées de Louis Couperin a été couronné en 1996 par l’Académie CharlesCros. MORRIS DANCE. Danse folklorique anglaise qui faisait partie autrefois des processions et autres fêtes célébrant le mois de mai. Les « morris dancers », incarnant des personnages légendaires tels que Robin des Bois, se distinguaient par des costumes où abondaient rubans et grelots. Il semble que le terme « morris » soit une simple déformation de l’espagnol « moresca », désignant une danse d’origine mauresque. MORTELMANS (Lodewijk), compositeur belge (Anvers 1868 - id. 1952). Il fit ses études à Anvers (Blockx et Benoît), et obtint le prix de Rome belge (1893, cantate Lady Macbeth). Professeur de fugue et contrepoint au conservatoire d’Anvers (1902), il fut directeur du même conservatoire (1924 à 1933), puis directeur et chef d’orchestre des Nouveaux Concerts d’Anvers. L’un des meilleurs disciples de Peter Benoît comme représentant de la musique flamande, il a particulièrement réussi le lied dans une nuance de recueillement fervent. On lui doit également des pages orchestrales d’une solide facture néoromantique. Son fils Ivo-Oscar (Anvers 1901), professeur de théorie musicale au conservatoire d’Anvers, chef d’orchestre et critique musical, est l’auteur de 2 opéras dont De Krekel en de mier, d’un oratorio (Lutgart), de pages orchestrales et de musique de chambre. MORTENSEN (Finn), compositeur norvégien (Oslo 1922 - id. 1983). Cet élève de Klaus Egge et Niels Viggo Bentzon est l’un des représentants de la tendance moderniste de la musique norvégienne. Son langage allie certains idiomatismes néoclassiques et les techniques sérielles. Parmi ses oeuvres, il faut retenir la Fantaisie pour piano et orchestre op. 27 (1965-66), le Quintette pour vents op. 4 (1951), la Sonate pour 2 pianos (1964) et la Symphonie op. 5 (1953). MORTHENSON (Jan W.), compositeur suédois (Örnsköldsvik 1940). Élève de I. Lidholm, M. Koenig et M. Deutsch, il est un intéressant expérimentateur dans le domaine de la matière sonore, et s’intéresse particulièrement au « temps musical » (Pour Madame Bovary, 1962 ; Coloratura II, 1962, III, 1962-63, et IV, 1964). Depuis 1963, il se consacre à la musique électroacoustique (Epsilon Eridami, 1967 ; Ionosphère et Zéro, 1969) avec de fréquents mélanges vocaux (Chairs Mirror, 1961) ou instrumentaux (Unisono, 1974). MORTON (Robert), compositeur anglais ( ? v. 1430 - ? 1476 ou plus tard). Seul un document de la cour de Bourgogne le désigne comme anglais et aucune des rares informations que nous possédons sur sa vie ne permet d’affirmer sa présence en Angleterre à une époque donnée. Il fut chantre à la chapelle du duc de Bourgogne où il servit d’abord Philippe le Bon de 1457 à 1467, puis Charles le Téméraire de 1467 à 1475, qui le nomma chapelain vers 1471-72. On ne conserve de lui que de la musique profane et huit rondeaux seulement lui appartiennent de source sûre. Un certain nombre de pièces sont d’attribution douteuse, parmi lesquelles deux ballades et un « Motectus ». Toutes ces pièces sont à trois voix. MOSCHELES (Ignaz), pianiste, compositeur et chef d’orchestre allemand (Prague 1794 - Leipzig 1870). Élève à Prague de Dionys Weber, puis à Vienne d’Albrechts berger et de Salieri, il résida surtout dans cette ville de 1808 à 1820, réussissant finalement à approcher Beethoven, qui en 1814 le chargea de réduire pour piano la version définitive de Fidelio. Après avoir fait à Berlin, lors d’une de ses tournées comme pianiste, la connaissance de Mendelssohn (1824), il vécut à Londres pendant vingt ans (18261846), y jouant un grand rôle comme professeur et comme organisateur de concerts. C’est à lui que le 18 mars 1827, une semaine avant sa mort et en remerciement d’une aide financière venue de la Société philharmonique de Londres, Beethoven adressa sa dernière lettre. Il termina sa vie à Leipzig, où Mendelssohn l’appela en 1846 pour diriger l’enseignement du piano au conservatoire. Son vaste catalogue (environ 150 numéros d’opus) est dominé par le piano mais non limité à lui. L’époque anglaise est surtout celle des concertos pour piano (huit de 1819 à 1838), des études pour piano et de diverses pages d’orchestre dont une symphonie en ut (1829). De la période de Leipzig datent presque tous les lieder. Certaines Études rejoignent curieusement Schumann (opus 95 nos 4 et 6) et même Brahms (opus 70 no 5). Il fut considéré par le critique Hanslick à la fois comme « un des derniers représentants de l’ancienne virtuosité » et comme « le début d’une nouvelle époque », et par Schumann comme se situant « au premier rang des compositeurs contemporains pour piano ». MOSER, famille de musiciens allemands. Andreas, violoniste, pédagogue et théoricien (Semlin, près de Belgrade, 1859 Berlin 1925). En 1878, il abandonne ses études d’ingénieur et d’architecte pour étudier le violon à Berlin avec Joseph Joachim. Par suite d’une blessure au bras, il est obligé d’interrompre en 1883 la carrière de chef d’orchestre qu’il venait d’entamer à Mannheim, et se consacre alors à l’enseignement. À partir de 1888, il exerce à la Musikhochschule de Berlin où il est nommé professeur en 1900, et y reste jusqu’à sa mort. Professeur de violon réputé, il fut profondément influencé par son maître, non seulement dans sa pédagogie, mais aussi dans ses écrits théoriques : Methodik des Violinspiels (1920), Geschichte des Violinspiels (1923), Technik des Violinspiels (1925) et surtout Violinschule, publié en 1905 en collaboration avec son ancien professeur. Il édita par ailleurs downloadModeText.vue.download 679 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 673 la correspondance de Joachim (1911), en particulier celle du maître avec Brahms (1908), et écrivit sa biographie (Joseph Joachim, 1898). Hans Joachim, musicologue, fils du précédent (Berlin 1889 - id. 1967). Il reçoit une éducation très complète, étudiant notamment la musique aux universités de Marburg, Leipzig et Berlin, où il travaille successivement avec Schiedermair, Riemann, Schering, Kretzschmar et Wolf, tout en suivant des cours de composition et de chant. Il obtient son doctorat à l’université de Rostock en 1910 et commence à enseigner après la guerre, d’abord à l’université de Halle à partir de 1919, puis à l’université de Heidelberg (1925) et enfin à l’université de Berlin (1927-1934). Il dirige en outre la Staatliche Akademie für Kirchen und Schulmusik. Mis à la retraite en 1934 par le nouveau gouvernement, il s’occupe pendant la guerre de la Reichsstelle für Musikbearbeitung. Il reprend ses cours en 1947 à Iéna et Weimar, puis revient se fixer à Berlin en 1950 où il dirige le conservatoire jusqu’en 1960. Ses recherches et publications sont essentiellement consacrées à la musique allemande. Il a écrit notamment des ouvrages de caractère général (Geschichte der deutschen Musik, 1920-1924, éd. augm. 1968 ; Musiklexikon, 1932-1935 ; 4e éd. 1955, suppl. 1963 ; Kleine deutsche Musikgeschichte, 1938 ; 3e éd. 1949 ; Die Musikleistung der deutschen Stämme, 1954), de nombreuses biographies de musiciens allemands (P. Hofhaimer, Bach, Schütz, Gluck, Weber, Haendel, Buxtehude...), et s’est spécialisé dans la musique sacrée (Die mehrstimmige Vertonung des Evangeliums, 1931, rééd. 1968 ; Die evangelische Kirchenmusik in Deutschland, 1953) et la musique vocale, en particulier le lied (Technik der deutschen Gesangkunst, 1911, avec O. Noë ; Die Ballade, 1930 ; Die Melodien der Luther-Lieder, 1935 ; Das deutsche Lied seit Mozart, 1937, 2e éd. révisée 1968 ; Das deutsche Volkslied in der Kunstmusik, in Hausmusik, 1954). Son oeuvre se caractérise par une grande originalité de conception et de style, et un sens de l’humour très prononcé (Der Humor in der Musik, in Neues Musikblatt, 1941). Il a en outre composé de nombreux lieder et a édité plusieurs recueils de musique allemande (lieder d’Adam von Fulda, J. P. Krieger, Luther, anthologies de lieder et ballades) ainsi que les oeuvres complètes de Weber. MOSER (Roland), compositeur suisse (Berne 1943). Il fit ses études au conservatoire de Berne (1962-1966), puis à Fribourg (avec W. Fortner) et au studio de musique électronique de Cologne. Il fut auditeur à Darmstadt (1967-68), puis professeur aux conservatoires de Winterthur et de Lausanne, et membre de l’ensemble de musique contemporaine Neue Horizonte. Son oeuvre reflète l’influence de ce groupe et de son leader, Urs Peter Schneider, autant que celle de Webern, Feldman et Donatoni. Elle comprend des pages instrumentales comme Pezzo pour flûte et piano (1967), Ritornelle und Dialoge pour 8 instrumentistes (1968), Arbeit pour violoncelle et bande magnétique (1969-70), Neigung pour quatuor à cordes (19691972), les Heinelieder (1970), des compositions pour bande magnétique comme Stilleben mit glas (1970), et Ding pour orchestre (1973). MOSONYI (Mihály) [Michael Brand, dit], compositeur hongrois (Boldogasszonyfálva, aujourd’hui Frauenkirchen, Autriche, 1815 - Pest 1870). Descendant d’une famille d’immigrés allemands fixés dans le comtat de Wieselburg ou Moson, d’où le nom hongrois qu’il se choisit en 1859, il se fixe à Pest en 1842 et compose dans le style viennois classique. En 1856, il compose pour Liszt le Graduel et l’Offertoire de la Messe d’Esztergom, dite Messe de Gran. Il se lie alors avec Liszt et évolue vers une synthèse du langage « hungarisant » d’époque et de l’art wagnérien. Esprit analytique et formel, il est le premier à tenter d’organiser et de bien définir « la manière hongroise » en la défendant contre le cosmopolitisme d’époque. Tête pensante de ses amis Erkel et Liszt, il disparaît malheureusement trop tôt pour jouer un véritable rôle doctrinaire. MOSSOLOV (Alexandre Vassilievitch), compositeur soviétique (Kiev 1900 - Moscou 1973). Étudiant au conservatoire de Moscou (1921-1925), il fut l’élève de Glière et Miaskovski pour la composition. Ses premières oeuvres sont marquées par un certain avant-gardisme occidental (essentiellement celui d’Hindemith et de Prokofiev) qui lui assure la célébrité en 1927 avec la Fonderie d’acier (ou Zavod), épisode symphonique tiré d’un projet de ballet. Il écrit là (cf. Honegger en 1923 avec Pacific 231) sur le plan sonore et rythmique, un véritable hymne à la machine et en fait le symbole de l’industrialisation soviétique du premier plan quinquennal. Mossolov est alors reconnu comme l’un des meilleurs représentants de la nouvelle Russie, et deux de ses oeuvres sont programmées aux festivals de la S. I. M. C. : un Quatuor à cordes (Francfort, 1927), la Fonderie d’acier (Liège, 1930). En 1936, il est accusé de formalisme et exclu de l’Union des compositeurs, qu’il réintègre par la suite sans jamais retrouver une place significative. MOTET (lat. : motulus, motettus, diminutif de motus, « texte »). Genre de musique dont la définition a beaucoup évolué. Au Moyen Âge, le motet est d’abord une voix de la polyphonie, puis l’ensemble de la composition où figure cette voix. Le motet médiéval est exclusivement polyphonique, et le terme se réfère principalement à la forme, de sorte qu’il s’applique indifféremment à la musique religieuse ou profane. À partir du XVIe siècle au contraire, il se réfère principalement à sa destination religieuse, et comme tel peut faire appel aux formes les plus diverses, y compris monodiques. 1. Au sens premier, le terme motet désigne un texte mis sur les parties vocalisées de l’organum, et par extension la voix munie de ce texte, avant de s’étendre à l’ensemble de la composition. Ce sens a été longtemps conservé, et jusqu’à la fin du XIVe siècle au moins, on a continué à appeler motet, dans une polyphonie, la partie située immédiatement au-dessus du ténor, de même que triple et quadruple les voix situées au-dessus du motet, même quand cette numérotation ne correspondait plus à la réalité. 2. En tant que genre, le motet médiéval se caractérise par l’indépendance rythmique de chacune des voix, contrepointée à une teneur (lat. tenor) d’abord préexistante et d’origine liturgique, plus tard indifféremment profane ou religieuse et enfin librement composée selon des règles assez strictes. À l’exception de la teneur, chaque voix est munie d’un texte indépendant qui se chante en même temps que les autres, de sorte que chaque voix chante un texte différent. À partir du XIVe siècle, on adjoint fréquemment à la teneur une contre teneur (lat. contratenor, ou en abrégé contra) de même style qu’elle, qui deviendra plus tard le bassus ou partie de basse, repoussant le ténor dans la position qui est restée la sienne. Au XIIIe siècle se développe un motet profane analogue au motet religieux, et l’indépendance des voix s’accentue au point que l’on trouve souvent, surtout à la fin du XIIIe siècle, une teneur d’origine liturgique, une voix de motet latine de caractère moralisateur et un triple vernaculaire profane et galant. À partir du XVe siècle, le mélange des textes n’est plus pratiqué qu’ exceptionnellement, le motet profane tombe en désuétude, la différence d’écriture entre teneur, contre-teneur et les autres voix s’amenuise, et le motet prend peu à peu l’acception qui restera la sienne ensuite (voir 3.) 3. En perdant ses caractéristiques musicales formelles et une fois disparu le motet profane, le motet finit par n’être plus considéré que comme un morceau polyphonique religieux sans autre spécificité que la liberté de ses paroles, généralement downloadModeText.vue.download 680 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 674 latines dans l’usage catholique, indifféremment latines ou vernaculaires dans l’usage protestant (motets de J.S. Bach), en excluant celles textuellement empruntées à l’Écriture sainte. Le terme s’est étendu même aux chants monodiques répondant à cet unique critère (par exemple O salutaris). 4. Au XVIIe siècle, une nouvelle extension de sens s’est manifestée à partir d’un nouvel office, dit salut (ou bénédiction) du Saint-Sacrement, consistant essen- tiellement dans l’ostension de l’Hostie et le chant de motets (au sens no 3), suivis du Tantum ergo, d’une bénédiction silencieuse et d’un chant de sortie. Le mot motet a alors désigné les morceaux de musique exécutés à cette occasion, quelle que soit l’origine des textes pourvu qu’ils soient latins. Le motet pris dans ce nouveau sens a connu une grande efflorescence à la cour de Versailles, où il s’est divisé en deux grandes catégories, selon le degré de solennité de l’office : le petit motet, pour 1 à 3 solistes accompagnés par l’orgue (plus, éventuellement, quelques instruments en petit nombre), qui faisait entendre le texte d’un bout à l’autre, avec peu de répétitions de paroles, et le grand motet ou motet à grand choeur, généralement consacré à un psaume ou à un cantique de grande longueur, dont chaque verset était traité individuellement en faisant alterner solos, ensemble (duos, trios, etc.) et choeurs, avec l’orgue et un orchestre parfois important, incluant de larges développements et de fréquentes répétitions de paroles. Le maître du grand motet versaillais a été M.-R. Delalande, et le Magnificat de Bach est exactement traité dans la forme du grand motet français. MOTIF. Terme de décoration transporté au XIXe siècle dans le vocabulaire musical comme synonyme de thème, mais quelquefois avec une acception plus analytique (on considère alors le motif comme un groupement d’éléments plus courts ou « cellules »). Le mot a été surtout vulgarisé par son composé allemand Leitmotiv (motif conducteur) substitué par von Wolzogen, l’un des premiers commentateurs de Wagner, au terme Grundthema (thème fondamental) qu’employait celui-ci. MOTTL (Felix), chef d’orchestre et compositeur autrichien (Unter-St. Veit, près de Vienne, 1856 - Munich 1911). Il entra à la chapelle de la cour, puis au conservatoire de Vienne, où il fut l’élève d’A. Bruckner (théorie), O. Dessoff (composition) et J. Hellmesberger (direction d’orchestre). Il fut en poste à Karlsruhe de 1881 à 1903, dirigea Tristan à Bayreuth en 1886, et en 1903 fut appelé comme directeur de la musique à Munich, où il devint aussi directeur de l’Académie royale de musique (1904) et de l’Opéra royal (1907). C’est sous sa direction que furent donnés pour la première fois intégralement à la scène, en allemand, les Troyens de Berlioz (1890, Karlsruhe). Il dirigea également la première représentation, au Metropolitan Opera de New York, de Parsifal de Wagner (1903). MOULINIÉ ou MOULINIER OU MOLINIÉ, famille de musiciens français. Antoine, chanteur (Languedoc, fin du XVIe s. - Paris 1655). Il devint, en qualité de basse-contre, « chanteur ordinaire de la chambre du Roy » en 1619, et « officier de musique de la Reyne » en 1634. Il jouit, jusqu’à sa mort, d’une très grande renommée à la cour, ce qui lui permit d’aider son frère au début de sa carrière. Étienne, chanteur et compositeur, (Languedoc v. 1600 - id. apr. 1669). Frère cadet du précédent, il est d’abord enfant de choeur à la cathédrale de Narbonne, puis, en 1624, rejoint son frère aîné à Paris. En 1628, il obtient le poste de « maître de la musique » de Gaston d’Orléans, frère du roi Louis XIII, qu’il conserve jusqu’à la mort de son maître (1660). Il est en outre, de 1634 à 1649, maître de musique de sa fille, Mlle de Montpensier. Enfin, il est nommé en 1661 « maître de musique des Estats du Languedoc », position qu’il occupera jusqu’à sa mort. Ces différents postes ne l’empêchent pas de mener une vie très active, enseignant, voyageant, dirigeant et composant beaucoup. Il est l’auteur d’un grand nombre d’airs de cour (cinq livres avec tablature de luth et cinq livres à 4 et 5 parties), parmi lesquels se trouve sa musique de ballet (Ballet du monde renversé, Ballet de Mademoiselle : les Quatre Monarchies chrétiennes...) d’une Missa pro defunctis à 5 voix et de pièces sacrées contenues dans les Meslanges de sujets chrétiens, cantiques, litanies et motets, de 2 à 5 voix avec basse continue. Ses airs sont traditionnels, le plus souvent assez simples et syllabiques, mais parfois d’une grande richesse mélodique et rythmique, en particulier ses airs espagnols et italiens. Ils eurent un immense succès à l’époque et subirent différentes adaptations, y compris à l’étranger. Ils servirent même de matériel thématique à quelques chants sacrés (dans la Despouille d’Égypte, 1629, et la Philomèle séraphique, 1632). Son style est assez différent dans sa musique sacrée. Alors que sa Missa pro defunctis est plutôt sobre et d’une facture archaïque typique des messes du XVIIe siècle, ses motets, par contre, représentent un changement dans son écriture puisqu’il y utilise le style concertant et la basse continue. MOULU (Pierre), compositeur francoflamand ( ? v. 1480-1490 - ? v. 1550). On ne sait rien de précis sur sa vie, mais on peut déduire certaines de ses activités de ses compositions. Il était actif au début du siècle puisqu’il écrivit une déploration sur la mort d’Anne de Bretagne (Fiere attropos mauldicte et inhumaine), décédée en 1514. En outre, le texte de quelques pièces semble prouver l’appartenance de Pierre Moulu à la chapelle royale, à Paris, dans le premier quart du XVIe siècle. C’est en particulier le cas du motet Mater floreat florescat, écrit en l’honneur des grands musiciens de France (Agricola, Busnois, Compère, Dufay, de La Rue, Obrecht), et dont une bonne partie est consacrée à des musiciens du début du siècle (Brumel, les frères Févin, Isaac, Mouton, Ninot le Petit). La place privilégiée accordée à Josquin Des Prés peut donner raison à Ronsard, qui prétend que Pierre Moulu fut élève du grand musicien dans sa dédicace au Livre des meslanges (1560). Cette thèse semble être corroborée par les emprunts que Moulu a faits à Josquin (messe Missus est Gabriel, par exemple) et par les similitudes de style entre les deux musiciens (similitudes sensibles en particulier dans la déploration déjà citée). Moulu a écrit dans les trois genres de l’époque : messes, motets et chansons. Son écriture est assez conservatrice et se caractérise par un style note contre note fréquent et par de nombreux emprunts, non seulement dans ses messes (messes parodies), mais aussi dans ses chansons qui puisent souvent dans le répertoire populaire. Son oeuvre la plus célèbre est la messe Alma redemptoris mater, écrite de façon à pouvoir être exécutée telle quelle, ou en omettant à toutes les voix les silences supérieurs à la minime. La renommée de Moulu à l’époque est certaine, car ses oeuvres furent publiées par Attaingnant, qui transcrivit pour orgue le motet Sicut malus, dont s’inspira Palestrina dans sa messe In illo tempore. MOURADELI (Vano), compositeur soviétique (Gori, Géorgie, 1908 - Tomsk 1970). Il fit ses études de composition et de direction d’orchestre au conservatoire de Tbilissi, puis se perfectionna à Moscou auprès de Miaskovski (1934-l938). Il composa en 1947 l’opéra la Grande Amitié, qui déplut à Staline. Les critiques qui s’ensuivirent furent à l’origine de la célèbre campagne « anti-formaliste » de 1948, qui atteignit de nombreux compositeurs soviétiques (tels Chostakovitch, Prokofiev, Khatchatourian). Son opéra Octobre (1962 ; créé à Moscou, 1964) met en scène le personnage de Lénine. Une de ses mélodies est restée particulièrement populaire : le Glas de Buchenwald. Les oeuvres de Mouradeli montrent son attachement à l’enseignement académique et au folklore géorgien. downloadModeText.vue.download 681 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 675 MOURET (Jean-Joseph), compositeur français (Avignon 1682 - Charenton 1738). Son père était violoniste amateur. Mouret fit ses études musicales à la maîtrise de Notre-Dame-des-Doms à Avignon, où Rameau fut organiste pendant quelques mois en 1702. Arrivé à Paris en 1707, Mouret devint maître de la musique chez le maréchal de Noailles, et bientôt surintendant de la musique à la cour de Sceaux, chez Mme du Maine. Il participa aux divertissements musicaux des Nuits de Sceaux avec Marchand, Bernier et Clin de Blamont (1714-15). En 1714, son opéra les Festes ou le Triomphe de Thalie fut représenté à l’Opéra avec succès. La même année, Mouret y fut nommé chef d’orchestre, poste qu’il occupa jusqu’en 1718. Il devint en 1716 directeur de la musique au Théâtre-Italien, qui venait de rouvrir ses portes. En 1720, il entra comme chantre à la Chambre du roi. En 1722, il fut chargé d’organiser les fêtes musicales pour le couronnement de Louis XV. De 1728 à 1731, il fut directeur du Concert spirituel des Tuileries. Malgré cette carrière bien remplie, Mouret mourut dans la misère et la folie chez les pères de la Charité à Charenton. Ses oeuvres, de tradition française, ont connu des fortunes diverses : échec pour la tragédie Ariane et le ballet les Grâces ; succès pour les Festes et pour les ballets les Amours des dieux et le Triomphe des sens. Surnommé le « musicien des grâces », Mouret représente, entre Lully et Rameau, une musique plus divertissante, marquée par une recherche de la synthèse entre les goûts français et italien, qui s’exprime en particulier dans ses nombreux Divertissements pour le Théâtre-Italien. Il excella dans les Airs sérieux et à boire, ainsi que dans les cantates et les cantatilles, à l’instar de son contemporain Campra. MOUSSORGSKI (Modeste), compositeur russe (Karevo 1839 - Saint-Pétersbourg 1881). Il naît dans une « bonne famille » de petits propriétaires terriens (sa grand-mère était serve). Sa mère, musicienne, lui donne ses premières leçons de piano (qu’il continuera d’apprendre à Saint-Pétersbourg avec Anton Herke), et sa nourrice le berce de contes populaires. Ainsi boit-il d’emblée à deux sources : celle de la culture musicale occidentale, et celle du génie populaire russe. À neuf ans, il est assez bon pianiste pour jouer en public un concerto de Field. Élevé « à l’européenne » dans une école de Saint-Pétersbourg dirigée par des Allemands, il entre ensuite à l’École militaire, dont il sort lieutenant en 1856 pour être incorporé à la garde de Preobrajenski. La mort de son père en 1853 l’a rapproché de sa mère. Malgré de grandes ambitions musicales et l’étude des grands compositeurs classiques, il compose encore peu (quelques pièces de « musique pure », transcriptions de Berlioz, mélodies). Mais il fait la connaissance de César Cui, de Balakirev et de Vladimir Stassov, journalisteanimateur, qui donnera au futur groupe des Cinq son impulsion et son inspiration progressiste. Moussorgski est alors un « petit lieutenant », beau, mondain, élégant et affecté, recherché dans les salons pour jouer du piano. L’année 1857 est celle de sa première mélodie marquante, la Petite Étoile, qui contribue à l’orienter vers la musique vocale et dramatique. Mais, l’été de cette même année, il subit une première « crise » décisive, dont on ne sait si elle fut de dépression, d’alcoolisme ou d’épilepsie. UNE VIE CONSACRÉE À LA MUSIQUE. En 1859, il quitte l’armée et décide de consacrer sa vie à la musique, projetant un opéra d’après la Nuit de la Saint-Jean de Gogol, étudiant les classiques allemands et passant par des phases de dépression et de mysticisme. Ces « crises », mal connues, ont certainement contribué à dégager de la chrysalide mondaine du « petit lieutenant » européanisé le Moussorgski tourmenté que nous connaissons. Amours de jeunesse dont la rupture l’a laissé brisé ? Mort d’une femme aimée ? Épilepsie ? Tendances homosexuelles ? Sublimation d’une impuissance sexuelle en vocation de chasteté créatrice ? Toujours est-il qu’il se détermine alors comme un homme qui a tiré un trait sur la vie « normale ». Il étudie beaucoup, en autodidacte méticuleux, la musique occidentale (Schumann, notamment), les penseurs, les philosophes. L’abolition du servage en 1861 par Alexandre II le plonge dans des affaires de famille qui l’occupent deux ans et l’amènent à chercher un emploi pour vivre. C’est l’époque où se forme le groupe des Cinq, avec Balakirev, César Cui, Borodine, Rimski-Korsakov et lui-même, avec le concours de Stassov. Le groupe publie, sous la plume de César Cui, un manifeste dramatique, ouvre une école musicale contre le conservatoire officiel et répand ses conceptions généreuses. Moussorgski s’installe avec des amis et entre à l’Office des ingénieurs des ponts et chaussées (dont il sera congédié en 1867, pour entrer l’année suivante comme fonctionnaire dans l’administration des Eaux et Forêts). Il commence à travailler à un opéra, Salammbô, d’après Flaubert, qui ne sera pas achevé, mais dont les matériaux seront reversés dans des oeuvres futures telles que Boris Godounov. Sa doctrine esthétique traduire« la vérité fût-elle amère » dans une langue musicale « hardie et sincère » se forme alors. Il produit des mélodies pour chant et piano, dont, souvent, il écrit lui-même le texte et dans lesquelles il emploie un style de chant inspiré des inflexions du parlé, mais qui n’a rien à voir avec le Sprechgesang allemand et qui est plutôt une musicalisation très franche des intonations de la parole. Ce « récitatif », qui est beaucoup plus mélodique que ce que l’on entend d’habitude par ce terme, c’est-à-dire avec des intervalles plus grands et une courbe plus ample, peut lui avoir été inspiré par les tentatives dans ce sens de Dargomyjski, dont il a fréquenté le salon. Mais c’est Moussorgski qui l’impose, et qui réussit à « incorporer le récitatif dans la mélodie », effaçant en même temps les barrières qui les séparent. UNE OEUVRE DE GRANDE ENVERGURE. À la mort de sa mère, en 1865, Moussorgski est dépossédé de ses biens familiaux, et il entre plus avant dans une vie presque solitaire. En 1868, Vladimir Nikolski lui suggère de tirer un opéra du Boris Godounov de Pouchkine : pour la première fois, tout en continuant de produire des mélodies et après une nouvelle tentative inachevée d’opéra sur le Mariage de Gogol, il va mener à bien une oeuvre de grande envergure. Dans cette féconde période, de 1868 à 1870, il utilise aussi son élan créateur pour ébaucher en même temps un autre opéra, Bobyl, et écrire le cycle mélodique des Enfantines, qui est sa première oeuvre dont la réputation franchit les frontières, suscitant notamment l’admiration de Liszt. Moussorgski, qui a une grande admiration pour ce dernier, se voit offrir en 1873 par Stassov l’occasion de faire un voyage pour rencontrer Liszt en Europe, mais il décline l’offre, peutêtre par timidité. En 1870, le théâtre Marie de Saint-Pétersbourg refuse de monter Boris Godounov, dont une première version lui a été soumise, en alléguant l’absence d’un rôle féminin important et le style trop « moderne » de la musique. Le groupe des Cinq commence à se défaire : les uns se marient, les autres changent de vie, Rimski-Korsakov (avec lequel Moussorgski partage une chambre meublée en 1871) s’« académise » et Moussorgski s’enfonce dans l’alcoolisme et la solitude, retravaillant Boris dans le temps que lui laisse son travail de bureau : il ajoute le personnage de Marina et l’« acte polonais ». Plusieurs fois remanié, bousculé, Boris est joué par extraits, puis dans sa totalité, dans des auditions privées. Après un deuxième refus, il sera finalement accepté par le théâtre Marie, par l’entremise d’un mécène haut placé. Boris Godounov est finalement créé le 8 février 1874, avec un certain succès public, notamment, comme le remarque Rimski-Korsakov, auprès des gens simples, mais la critique s’en prend parfois aux « défauts » de l’ouvrage, à sa trahison envers Pouchkine. Moussorgski, sujet à des crises d’éthylisme, passe de plus en plus pour un downloadModeText.vue.download 682 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 676 illuminé, dont les dons musicaux, incontestés, s’égarent dans des constructions incohérentes. Entre-temps, il s’est attelé à un autre gigantesque projet d’opéra à sujet politique, la Khovanchtchina, sur un canevas donné par Stassov : l’histoire complexe d’une conspiration, d’une lutte de clans. Cette oeuvre, dont il semble que Moussorgski lui-même n’ait jamais voulu avoir une vision nette et globale, sera interminablement remaniée, réorchestrée, pour être « terminée » en 1879, à l’aide de coupures et de renoncements. Moussorgski s’est lié, en 1873, avec le poète Arsène Golenischev-Koutouzov, partageant avec lui sa vie et s’enthousiasmant pour sa sincérité et son authenticité. C’est sur des textes de ce poète qu’il compose deux cycles pessimistes de mélodies, ses deux Voyages d’hiver : Sans soleil (1874), accueilli par l’incompréhension de ses confrères pour sa « discontinuité », et Chants et Danses de la mort (1875-1877). Le départ précipité de Golenischev-Koutouzov le laisse seul. Résolu de plus en plus à abandonner la corvée du travail de bureau et à gagner sa vie comme pianiste de concert et accompagnateur, il finit par démissionner en 1879, sans réussir à se créer une carrière musicale glorieuse et lucrative. En fait, il devra surtout donner des cours dans l’école de chant de la cantatrice Daria Leonova, qui devient sa « protectrice ». En 1874, il a commencé un opéra populaire d’après Gogol, la Foire de Sorotchinski, une nouvelle fois destiné à l’inachèvement (il veut y intégrer, moyennant certains remaniements, une pièce d’interlude qui deviendra, dans l’adaptation de Rimski-Korsakov, Une nuit sur le mont Chauve). Au début de 1881, des attaques cardiaques l’obligent à se faire admettre dans un hôpital militaire, où ses amis viennent le visiter. Il commence à se rétablir, mais, ayant bu de l’alcool en cachette dans l’hôpital en croyant fêter son anniversaire - qui, en réalité, a eu lieu une semaine plus tôt, - il meurt d’un arrêt du coeur le 16 mars 1881. Sa mort laisse inachevée, pour une grande part, une série d’oeuvres que Rimski-Korsakov va orchestrer, adapter, avec beaucoup de conscience ; sans lui, Moussorgski aurait pu rester très longtemps dans la pénombre et le succès d’estime. UNE CARRIÈRE SINGULIÈRE. Il est peu de musiciens qui ont été autant imités ponctuellement. Chacun a trouvé son compte et de quoi alimenter sa propre esthétique dans les oeuvres de ce compositeur, de Debussy à Janáček, de Berg à Poulenc. Et un grand nombre de musiciens se sont également dévoués pour arranger ces oeuvres, pour les rendre « présentables » à l’orchestre : à commencer par RimskiKorsakov qui a consacré beaucoup de temps à en faire briller la musique sombre et sourde, à la parer, à lui donner l’orthodoxie d’écriture et les séductions orchestrales qui la rendraient plus assimilable. En même temps, les oeuvres ainsi « dénaturées », repeintes, restent cohérentes, émouvantes, plausibles. Comme si ce côté brillant qu’ont donné un Ravel et un Rimski-Korsakov à la musique de Moussorgski était enfermé en elle comme une potentialité. Mais cette sonorité sombre, pauvre, sans harmoniques a été incontestablement voulue et choisie, et l’on ne peut plus parler d’incapacité à faire sonner la musique. L’accompagnement souvent décharné, dur, des mélodies pour piano est là pour le prouver. Il n’eût pas fallu beaucoup de savoir-faire au pianiste expérimenté qu’était Moussorgski pour rendre tout cela « joli » et brillant. S’il écrit les Tableaux d’une exposition apparemment « contre » le piano, c’est par fidélité avec ce qu’il « entend ». Son esthétique, il l’a souvent rappelé, n’est pas le « beau » en soi, encore moins l’« habile », mais le « vrai ». Il renoue avec la vieille ambition platonicienne et montéverdienne de la mimesis, de l’imitation, mais d’après nature, sans recourir au répertoire codé des formules musicales « expressives ». Comme Flaubert fuyait la phrase toute faite, il ne se permet pas un cliché musical. Obsédé par le projet de traduire musicalement la vérité du parlé, il dit ne plus pouvoir entendre un discours sans le transcrire dans sa tête en notes : non pas en quelque parlando languide, mais en des mélodies fermes, diatoniques, dont se dégage, épurée, stylisée, la vérité d’un mouvement de l’âme. Son harmonie, critiquée pour l’« illogisme » de ses enchaînements, est une harmonie d’intonation : elle donne une certaine intonation à la note chantée qu’elle soutient. Car la voix est le centre de sa musique, et le piano, ou l’orchestre, accompagnateur en est entièrement solidaire ; ils ne tissent pas une symphonie parallèle, ils ne courent pas la poste indépendamment de la voix, comme dans les lieder de Schubert, ils n’assurent même pas un mouvement perpétuel servant d’assise, mais ils soulignent et ponctuent. Épileptique, alcoolique et sujet à des crises nerveuses, Moussorgski avait de bonnes dispositions à l’hallucination l’hallucination la plus forte étant celle qui naît du réel vu autrement, l’inquiétante étrangeté du familier. Ainsi, Moussorgski est le musicien du réalisme halluciné ; chacun de ses personnages - même, dans les Enfantines, l’enfant qui minaude et dont les intonations sont transcrites avec vérité - semble vu à travers le prisme d’une espèce de transe hallucinée. Comme certains peintres tendus vers le réel, il fait passer son regard avec sa vision. Comme Flaubert, toujours, il s’est réfugié dans le réalisme par réaction contre une propension naturelle à se perdre corps et âme dans des visions mystiques, mais ce regard fou reporté sur le réel donne au réalisme plus de force encore et de vérité. MOUSSORGSKI, MUSICIEN SAUVAGE ? On parle un peu trop de son génie comme d’un phénomène de génération spontanée à partir de la seule influence de la musique populaire russe, comme s’il avait été un analphabète inspiré. Or, s’il n’avait pas de formation académique très poussée - il avait reçu quelques leçons de Balakirev -, il avait fréquenté et assimilé profondément le répertoire européen, dont celui de Schumann, et l’avait dans le sang. C’est un homme très cultivé, occidentalisé, plus intellectuel que bien des musiciens académiques. Cette culture, il a su l’utiliser, non pas comme système repris globalement, mais par des références ponctuelles, comme amenées par un besoin d’expression. En ce sens, il semble manier le langage musical, qu’il utilise hardiment, comme il manierait une arme : c’est-à-dire, en définitive, comme un instrument. Il ne pense pas dans son système : il empoigne la musique telle qu’il la connaît, il en fait quelque chose de fort et de nouveau. On reconnaît aussi la musique de Moussorgski, dans ses pages les plus per- sonnelles, à son débit : ce n’est pas le flux régulier de la poésie ; c’est celui, brisé, discontinu (on le lui a beaucoup reproché) d’une « prose ». De la « musique en prose », c’était rare et ce n’est toujours pas très courant. Mais, comme par compensation, il est très courant dans sa musique qu’une phrase musicale soit redoublée immédiatement après avoir été énoncée. La répétition, qui n’affecte pas la forme d’ensemble, apparaît dans le fil du discours, dans son présent, à travers ces « redoublements », dont Debussy, après lui, systématisa l’emploi (mais César Cui reprochait déjà ce procédé à la musique de Rimski-Korsakov - ce qui laisse penser qu’un tel procédé était dans l’air, autour de Moussorgski). Ainsi, cette musique semble avancer vers l’inconnu en s’assurant à chaque fois du pas qu’elle vient de faire, un pas ferme, large, mais en même temps risqué, nouveau. Si on ne doit à Moussorgski aucune de ces « innovations » précises, dénommables que l’histoire de la musique, comptable ordonnée, aime enregistrer au crédit de chaque « grand musicien », on lui doit peut-être bien plus : une aventure, une échappée, dont il a payé le prix lourdement, et dont des musiciens rangés et sérieux ont, après lui, largement profité. Il est un de ces courageux qui, à certaines époques, assument cette tâche nécessaire : renouveler l’alliance de la musique avec le vrai. downloadModeText.vue.download 683 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 677 MOUTON (Charles), luthiste et compositeur français ( ? 1626 - ? apr. 1699). Sans doute élève de Denis Gaultier, il est d’abord luthiste à la cour de Turin, de 1670 à 1678, puis se fixe à Paris où sa virtuosité et son enseignement assurent très rapidement sa renommée. Parmi ses élèves les plus célèbres, citons Le Sage de Richée et surtout le fameux Milleran, interprète du roi. Deux de ses livres de pièces pour luth, publiés en 1699, ont été conservés. Ils contiennent 9 suites, de 4 à 11 morceaux, débutant le plus souvent par un prélude suivi d’une allemande et finissant par une sarabande, l’ensemble de la suite évoluant, en général, dans une même tonalité. Ses pièces ont souvent des titres descriptifs, en particulier les préludes (la Prome- nade, le Rêveur). La plus remarquable, en la matière, est une pavane, les Amants brouillés, dont le style brusqué et désordonné est très évocateur. D’autres pièces sont conservées dans divers manuscrits, en particulier des transcriptions pour luth d’extraits d’opéras de Lully (menuets de Bellérophon, Proserpine, le Triomphe de l’amour, gavottes de Psyché et d’Isis). Par ses dons d’interprète exceptionnels, il est considéré comme l’un des derniers grands luthistes français du XVIIe siècle. MOUTON (Jean de Hollingue), compositeur franco-flamand (Haut-Wignes, Hollingue, près de Samer, 1459 ou plus tôt - Saint-Quentin 1522). D’après Ronsard, il aurait été élève de Josquin Des Prés. Il fut enfant de choeur à Notre-Dame de Nesle (1477-1483), maître de chapelle à Nesle (1483), maître des enfants à la cathédrale d’Amiens (1500) et à Saint-André de Grenoble (1501-1502), avant d’entrer à la chapelle d’Anne de Bretagne (1509) ; il composa un motet pour la mort de cette dernière en 1514. Il servit ensuite Louis XII et François Ier, pour le sacre duquel il composa un Domine selvum fac regem et un Exalta regina Galliae pour la victoire de Marignan. À la fin de sa vie, il fut chanoine du Thérouanne et de Saint-Quentin. Il fut le maître de Willaert à Paris et l’ami de Févin, dont il écrivit la déploration Qui ne regretterait le gentil Févin. Glaréan, qui l’a rencontré à la cour entre 1517 et 1522, a vanté le caractère coulant de son chant. L’essentiel des compositions de Mouton est constitué d’oeuvres religieuses : 120 motets environ, qui ont été au cours du XVIe siècle fréquemment transcrits pour luth ou orgue ; 10 Magnificat ; 15 messes à 4 ou 5 voix basées la plupart sur un cantus firmus, traité en parodia. Si quelques motets gardent encore la vieille tradition isorythmique héritée du XIVe siècle (Missus est Gabriel), Mouton adopte plus volontiers un traitement canonique de toutes les voix. Il sait faire un emploi judicieux des silences (motet Nesciens mater). Parfois il laisse éclater une joie sans réserve (Gaude, virgo Katherina). Dans ses motets sur des psaumes, il serre de près le texte dans son articulation comme dans son contenu, tout en conservant une ligne mélodique nette et concise. MOUVEMENT. 1. Degré de rapidité donné à une exécution musicale. On emploie fréquemment l’équivalent italien tempo. L’expression « dans le mouvement » équivaut à l’italien a tempo, c’est-à-dire sans modifier le mouvement, ou en revenant au mouvement précédent s’il a été modifié précédemment. 2. Aspect linéaire d’un intervalle ou d’une suite d’intervalles (mouvement montant, descendant). Un mouvement est dit « parallèle », ou « direct », lorsque deux voix ou davantage sont simultanément montantes ou descendantes ; « oblique » lorsqu’une des voix reste en place ; « contraire » si l’une monte quand l’autre descend et vice versa. En harmonie scolaire, certains mouvements parallèles (surtout octaves et quintes) sont sévèrement prohibés ou réglementés ( ! PARALLÈLES). 3. Chacun des morceaux indépendants et contrastés, dont l’ensemble constitue une sonate, une symphonie ou tout autre pièce instrumentale analogue. MOYEN ÂGE. Période de l’histoire du monde occidental que l’on situe communément entre la fin du Ve siècle (chute de l’Empire romain) et celle du XVe siècle (début de la Renaissance). Par commodité, on distingue donc une période « médiévale » de l’histoire de la musique occidentale, bien que ces dix siècles ne forment pas spécialement une homogénéité par rapport à cette fausse cohérence que constituerait la Renaissance musicale. En effet, le renouveau de la Renaissance a été préparé et mûri de longue date, pendant ce « Moyen Âge » qui ne fut en aucune façon une ère de stagnation. Ce qui nous reste de plus ancien de la musique médiévale provient de la tradition du « chant grégorien », du nom de saint Grégoire Ier, pape de 590 à 604, qui aurait réglementé le chant liturgique en posant les bases de cette expression musicale. Même s’il existait des musiques profanes et instrumentales, c’est la musique vocale religieuse qui nous est la plus connue, par les manuscrits et par la tradition liturgique qui s’est transmise. En outre, les monastères (monastère de Saint-Gall, abbaye Saint-Martial de Limoges) étaient alors les plus grands foyers de culture et de développement musical. Le Moyen Âge voit se développer des formes nouvelles, outre celles propres au chant grégorien (séquences, tropes, proses, etc.), lesquelles sont basées sur la monodie. L’écriture polyphonique naît à travers des formes religieuses comme le conduit, le déchant, la copula, le gymel, l’organum, et, plus tard, le motet isorythmique, codifié par Philippe de Vitry. Au domaine du religieux se rattachent d’abord des formes comme le « jeu », représentation dramatique sacrée (Jeu de Daniel, Jeu d’Adam), qui se tourne ensuite vers des histoires profanes (Jeu de Robin et Marion d’Adam de la Halle). Les formes profanes lyriques sont représentées par la chanson (monodique) des trouvères, troubadours, ménestrels, Minnesänger et aussi par la ballade, le rondeau, le lai, le virelai et, plus tard, par la villannelle, la frottole, le madrigal florentin. La musique instrumentale existe déjà, appliquée surtout à la danse et au divertissement. Si l’orgue a été admis à l’église, c’est d’abord pour soutenir le chant, avant d’avoir son répertoire spécifique. La polyphonie naissante constitue ses règles et sa tradition à travers des écoles : l’école de Notre-Dame, à Paris, avec Léonin et Pérotin, représentant la « vieille manière », l’Ars antiqua ; ensuite l’Ars nova avec Philippe de Vitry, Guillaume de Machaut, Francesco Landini, etc. ; puis l’école franco-flamande avec Dufay, Binchois ; et, à la faveur de la personnalisation de l’activité de composition, une riche floraison de créateurs portant la polyphonie vers toujours plus de complexité, de foisonnement (les réformes liturgiques de la Renaissance essaieront parfois de ramener cette luxuriance à plus de simplicité) : Josquin Des Prés, Ockeghem, Obrecht, Juan del Encina, etc. Le développement des systèmes de « notation musicale écrite », avec les travaux de Hucbald, Otger, Guy d’Arezzo, est au coeur de l’évolution de la musique, depuis les neumes fixés vers le VIIIe siècle. C’est, d’abord, une notation mnémotechnique qui se perfectionne dans le sens de la précision par l’emploi de lettres, puis de lignes, en allant vers la « notation carrée » au XIVe siècle, et la « notation pro- portionnelle » des durées au XVe siècle. La notation contribue à fixer les traditions musicales, à les propager par l’écrit, ainsi qu’à développer les notions d’« oeuvre » et d’« auteur » et à favoriser une polyphonie plus complexe qu’on ne peut maîtriser qu’en passant par un stade d’écriture. Par contrecoup, la polyphonie aurait elle-même favorisé le passage de la pensée « modale » à la pensée « tonale » (afin d’éviter certains intervalles proscrits dans les superpositions, comme le triton). La notation de la musique instrumentale, avec les systèmes de « tablature », favorise plus tard l’émancipation de cette musique. Ainsi, tout un vaste territoire musical se détermine, évolue, fixe ses downloadModeText.vue.download 684 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 678 règles, se communique en fonction de la notation écrite, ce qui n’empêche pas par ailleurs les musiques orales de continuer d’exister. Par définition, la tradition de ces dernières s’est perdue, ou a tellement évolué qu’il ne reste aujourd’hui rien de ce qu’elles étaient alors. Entre autres conséquences, la notation et la propagation écrite favorisent aussi la notion de « compositeur » en fixant son oeuvre (cette notion existait depuis longtemps dans des arts tels que la littérature ou la peinture, qui produisaient déjà, eux, des oeuvres durables et tangibles). Enfin, malgré le cliché persistant qui veut que le Moyen Âge ait été une période de total obscurantisme, on n’attend pas la Renaissance pour réfléchir sur la musique et pour publier des traités de théorie et de spéculation musicale (cf. Boèce, Aurélien de Réomé, plus tard Philippe de Vitry, et le platonicien Marsile Ficin), qui ouvrent la voie aux spéculations des musiciens de la Renaissance sur une musique « à l’antique ». Ces ouvrages se réfèrent souvent, en effet, aux Grecs et aux Romains, non à leur musique, complètement disparue, mais à leurs écrits théoriques. Un certain arbitraire dans la division de l’Histoire en « périodes » ramasse sous l’appellation de « Moyen Âge musical » dix siècles de nombreuses et complexes évolutions. Dans l’imaginaire de la mu- sique occidentale, le Moyen Âge fait office de période des « origines « : les notions d’oeuvre, d’auteur, de notes, de tonalité, de polyphonie, de musique instrumentale, etc., sont toutes nées dans ce temps-là. Mais seul l’éloignement dans le temps, qui en écrase les perspectives, nous fait percevoir cet espace de mille ans comme continu et linéaire. MOYSE (Marcel), flûtiste français (SaintAmour 1889 - Brattleboro, Vermont, 1984). Ses études effectuées au Conservatoire national supérieur de Paris avec Paul Taffanel, Adolphe Hennebains et Philippe Gaubert sont sanctionnées en 1906 par un premier prix de flûte. Il suit également la classe de musique de chambre de Lucien Capet. Il est nommé, en 1918, flûte solo des Concerts Pasdeloup et des concerts du Conservatoire, puis des concerts Straram (1922-1938). De 1913 à 1938, il fait partie de l’Orchestre de l’Opéra-Comique. Il succède à Philippe Gaubert comme professeur au Conservatoire de Paris (19321949). Il fonde en 1933 le trio Moyse, en compagnie de son fils Louis (deuxième flûte) et de sa bru Blanche HoneggerMoyse (violon et alto). Il crée la même année le Concerto pour flûte que Jacques Ibert lui dédie. Comme soliste, Marcel Moyse joue sous la direction des plus grands musiciens : Bruno Walter, Toscanini, Mengelberg, Klemperer, Richard Strauss et Adolf Busch ; avec ce dernier, il réalise de mémorables enregistrements de Bach. Venu s’installer aux États-Unis, il participe avec Busch à la fondation du collège musical de Marlboro, où il enseigne. Il ne quittera pratiquement plus le Vermont, sauf pour donner des cours, spécialement au Japon et tous les étés à Boswil (près de Lucerne). Marcel Moyse laisse de nombreux traités pédagogiques. Il a ouvert à la flûte, jusque-là condamnée à une joliesse purement instrumentale, de nouvelles voies expressives, privilégiant le chant et la plénitude musicale plus que la volubilité. MOZARABE. (arabe mostéarab). Mot désignant dans la péninsule Ibérique les chrétiens soumis à la domination arabe. Il est donné abusivement, depuis le XVe siècle environ, à l’ensemble des rites de la liturgie catholique propres à la péninsule, et particulièrement à l’ensemble de ses chants. Le chant mozarabe ancien, très antérieur à l’arrivée des premiers Arabes en Espagne (711), puisqu’il s’est organisé à partir du IVe siècle, fait partie du groupe dit « gallican » et avait été fixé pour l’essentiel vers le milieu du VIIe siècle. Mais ce chant mozarabe reste, dans l’ensemble, mal connu, car les livres anciens, lorsqu’ils ont survécu, sont, pour la plupart, écrits dans une notation spéciale, dite « wisigothique », dont on ne possède pas la clef. On a pu en reconstituer partiellement des morceaux par des copies postérieures en d’autres notations, du XIe au XIIIe siècle ; ou par des livres récents au XIXe ou même au début du XXe siècle, supposés en refléter les traditions. Cette quasi-disparition est surtout imputable à l’action du pape Grégoire VII, continuée par les clunisiens, visant à l’abolition des particularismes locaux et à l’alignement sur la liturgie romaine, en reprenant à son compte les efforts unificateurs des Carolingiens, auxquels l’Ibérie, extérieure à l’Empire, avait pu jadis se soustraire ( ! GRÉGORIEN), mais auxquels elle ne put alors échapper. Au début du XVIe siècle, le célèbre cardinal de Tolède, Jiménez, décida une « restauration » du chant tolédan traditionnel et fit procéder, sans craindre d’inventer lorsqu’on manquait de documents, à l’élaboration d’un nouveau livre de chants, encore en usage à la cathédrale de cette ville, dont la maîtrise fut appelée Capilla mozarabe. C’est cette « restauration » qui est à la base de ce que l’on continue à appeler aujourd’hui le « chant mozarabe », mais dont le caractère d’authenticité est souvent discutable. MOZART (Leopold), compositeur, théoricien et pédagogue allemand (Augsbourg 1719 - Salzbourg 1787). Passé à la postérité essentiellement comme père de Wolfgang Amadeus, il reçut au collège des jésuites de sa ville natale une solide formation humaniste et, sur le plan musical, de violoniste, d’organiste et de théoricien. Entré au service du comte de Thurn et Taxis (1740), il devint grâce à lui, à Salzbourg, quatrième violon de la chapelle du prince-archevêque (1743), compositeur de la cour et de la Chambre (1757), et, enfin, vice-maître de chapelle (1763). Ayant reconnu vers 1760 le talent, voire le génie, de son jeune fils, il consacra à sa formation, jusque vers 1773, le meilleur de son temps. Sa femme, qu’il avait épousée en 1747, étant morte à Paris en 1778, et son fils s’étant installé à Vienne en 1781, il passa ses dernières années à Salzbourg dans un relatif isolement. Il se consacra entièrement à ses charges dans cette ville, sans jamais accéder aux toutes premières, et mourut quelque peu aigri. Il écrivit une grande quantité de musique instrumentale et vocale, dont certaines pièces, de caractère pittoresque, ont acquis de nos jours une nouvelle célébrité : Musikalische Schlittenfahrt (« Promenade en traîneau », 1755), Die Bauernhochzeit (« Noces paysannes », 1755), Divertimento militare (v. 1765). La Symphonie des jouets longtemps attribuée à J. Haydn est de lui (3 mouvements tirés d’une oeuvre plus vaste). Beaucoup de ses oeuvres orchestrales sont perdues, et quelques-unes furent attribuées à son fils. Il cessa pratiquement de composer dans les années 1760. Il est surtout l’auteur d’une méthode de violon (Versuch einer gründlichen Violinschule, 1756, rééd. 1976), comptant parmi les écrits théoriques de base de l’époque. Fortement influencée par les traités rédigés respectivement par Quantz (1752) et par Carl Philipp Emanuel Bach (1753) pour la flûte et le clavier, cette méthode transmit aux Allemands les principes artistiques de virtuoses italiens comme Tartini ou Locatelli tout en témoignant, de la part de son auteur, d’une connaissance surprenante de théoriciens des alentours de l’an 1500. MOZART (Wolfgang Amadeus), compositeur allemand (Salzbourg 1756 Vienne 1791). Fils de Leopold Mozart (1719-1787) et de Anna Maria Pertl (1720-1778), il fut baptisé Johannes Chrysostomus Wolfgang Theophilus, mais ce dernier prénom fut rapidement transformé en Gottlieb, son équivalent allemand, puis en Amadeus, traduction italienne de Gottlieb. Par son père, violoniste dans l’orchestre du prince-archevêque de Salzbourg, Mozart descendait d’un relieur d’Augsbourg, Johann Georg Mozart (1679-1736). Du côté maternel, il était petit-fils d’un fonctiondownloadModeText.vue.download 685 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 679 naire, Wolfgang Nicolaus Pertl († 1724), ancien étudiant en droit de l’université de Salzbourg, qui appréciait la musique et avait même été professeur de chant et choriste. Des sept enfants de Leopold Mozart et Anna Maria Pertl nés entre 1749 et 1756, cinq moururent en bas âge. Seuls survécurent une fille, prénommée Maria Anna Walburga Ignatia (1751-1829), et Wolfgang Amadeus, qui était le dernier. Dès l’âge de trois ans, celui-ci manifesta une attirance et des dons exceptionnels pour la musique. Il en avait quatre lorsque son père lui donna ses premières leçons de clavecin. LES VOYAGES DE L’ENFANT PRODIGE. En 1762, Leopold inaugura par un premier voyage à Munich l’invraisemblable série de tournées européennes qu’il allait effectuer, pendant plusieurs années, avec ses enfants. Au cours de ce séjour à Munich - pendant le carnaval -, le frère et la soeur se produisirent devant Maximilien III, Électeur de Bavière. À cette époque, Wolfgang composait déjà de petits morceaux (Menuets K.2, 4 et 5 ; Allegro K.3) que son père transcrivait sur le papier. Le 18 septembre 1762, la famille au complet se mit en route pour Vienne, où elle arriva le 6 octobre - lendemain de la « première » de l’Orfeo de Gluck - et elle y demeura jusqu’au 10 décembre. Wolfgang et sa soeur Nannerl (ainsi appelait-on la petite fille) furent reçus par la comtesse de Thun, par l’ambassadeur de France et, à Schönbrunn, par l’impératrice Marie-Thérèse. Au début de 1763, Sigismond von Schrattenbach, prince-archevêque de Salzbourg, s’occupa de la réorganisation de sa chapelle. Il nomma Giuseppe Francesco Lolli Kapellmeister en remplacement de Johann Ernst Eberlin, décédé le 21 juin 1762, et confia le poste de vice-Kapellmeister à Leopold Mozart. Celui-ci, qui avait espéré mieux, sollicita un congé que son employeur accorda ; ce qui lui permit d’entreprendre, avec sa femme et ses enfants, une longue tournée de trois ans dans plusieurs pays européens. Partie de Salzbourg le 9 juin 1763, la famille passa par Munich, où elle fit la connaissance de Luigi Tomasini, ami de Joseph Haydn, et Konzertmeister, à Eisenstadt, de Nicolas Esterházy ; par Augsbourg, où les enfants donnèrent 3 concerts et que la famille quitta le 6 juillet ; par Schweitzingen, non loin de Mannheim, où Wolfgang eut un premier contact avec le célèbre orchestre de l’Électeur palatin Karl Theodor ; par Francfort, où eut lieu l’unique rencontre entre Goethe et Mozart ; par Bruxelles enfin, ville atteinte le 4 octobre et qui était alors, sous le gouvernement de Charles de Lorraine, frère de l’empereur François Ier, capitale des Pays-Bas autrichiens. Le 18 novembre 1763, les Mozart arrivèrent à Paris, où ils restèrent pendant cinq mois, et où, grâce aux talents de claveciniste de Nannerl et - surtout - au côté « enfant prodige » de Wolfgang, ils suscitèrent la curiosité, puis l’engouement. Il est vrai qu’à leur propos, Friedrich Melchior Grimm, qui résidait dans la capitale française depuis 1748 et qui assurait les fonctions de secrétaire du duc d’Orléans, allait, par un article publié dans sa Correspondance littéraire (1er décembre 1763), se livrer à ce qu’on appellerait maintenant une efficace opération publicitaire. À Paris, les Mozart furent reçus, fêtés par les notabilités : entre autres, par le comte Van Eyck, ambassadeur de Bavière, chez qui ils demeurèrent, et par Mme de Pompadour. Ils eurent même l’honneur d’être invités à Versailles, où l’on exhiba le très jeune Wolfgang, comme on l’aurait fait d’un aimable singe savant. Tout cela eût été de peu de poids pour la formation artistique du futur auteur de Don Giovanni s’il n’y avait eu, durant ce séjour parisien, la rencontre avec des musiciens tels que Eckard, Le Grand, Hochbrucker et, surtout, Schobert, claveciniste et compositeur du prince de Conti. De cette époque datent les 2 Sonates pour clavecin avec accompagnement de violon K.6 et 7 dédiées à Mme Victoire de France, fille de Louis XV, ainsi que les 2 Sonates K.8 et 9 - pour la même formation - dédiées à Mme de Thésé. Le 10 avril 1764, la famille Mozart partit, via Calais, pour Londres, où elle arriva le 23 avril, et où elle fut reçue, dès le 27, par le roi et la reine à Saint James Park. Elle y resta pendant seize mois et Wolfgang s’y fit un ami et un conseiller en la personne de Johann Christian Bach, dernier fils du cantor de Leipzig et fondateur, avec Karl Friedrich Abel, des célèbres concerts Bach-Abel. Il s’y exerça dans le genre, nouveau pour lui, de la symphonie, avec une oeuvre en mi bémol majeur (K.18), dont Abel était le véritable auteur et qu’il se contenta de recopier, puis avec la partition en mi bémol majeur K.16, portant le numéro 1 dans la liste officielle de ses propres symphonies. Celle en si bémol majeur K.17 est en toute probabilité de son père Leopold. Il participa aux concerts par souscription de Johann Christian Bach et rédigea, en novembre 1764, les six Sonates K.10 à 15 pour clavecin et violon ou flûte traversière, dédiées à la reine Charlotte. Le 24 juillet 1765, les Mozart quittèrent Londres pour la Hollande. Ils passèrent par Douvres, Calais, Lille, Gand, Rotterdam, et arrivèrent le 11 septembre à La Haye, où, après Nannerl, Wolfgang tomba très sérieusement malade. L’espèce de fièvre cérébrale dont il fut atteint, et dont il ne se remit que fin 1765-début 1766, résultait vraisemblablement, pour une large part, du surmenage insensé imposé, pour des raisons nettement mercantiles, à un enfant de moins de dix ans. Leopold, dont les dons de pédagogue ne sauraient être mis en doute, n’était sans doute pas l’être obtus et étriqué que fustigent les biographes. Mais il eut certainement une importante part de responsabilité dans la disparition prématurée de son fils. Mozart composa en Hollande au moins deux symphonies, celles en si bémol majeur K.22 et en sol majeur K.45a, peut-être aussi celles en ré K.19 et en fa K.19a, et, à peine rétabli, dut se remettre en route. Toujours accompagné de sa famille, il revint à Paris, où il arriva le 10 mai 1766, il y assista aux réceptions organisées par le prince de Conti, et chez qui il fit la connaissance de Philidor et de musiciens allemands comme Raupach, Honnauer, Becke et Cannabich. De ce deuxième séjour parisien, qui dura jusqu’au 9 juillet, date le Kyrie en fa majeur K.33 (12 juin 1766). Ce fut ensuite le retour à Salzbourg par Dijon, où l’on rencontra le président de Brosses, par Lyon, Genève, Lausanne, Berne, Zurich, Winthertur, Ulm, Dillingen et Augsbourg. Dans la ville du prince-archevêque, les Mozart ne demeurèrent que neuf mois. Wolfgang en profita pour étudier Fux, Eberlin, pour composer l’« opérette spirituelle » Die Schuldilgkeit des ersten Gebotes K.35 (le Devoir du premier Commandement), la comédie latine Apollo et Hyacinthus seu Hyacinthi Metamorphosis K.38 (la Métamorphose de Hyacinthe), ainsi que les quatre Concertos pour clavecin K.37, 39, 40 et 41 tirés d’oeuvres de Carl Philip Emanuel Bach, Raupach, Schobert, Honnauer, Eckard. L’année 1768 fut, à compter du 10 janvier, celle du second séjour à Vienne. Ce fut également celle de La Finta Semplice K.51, opera buffa en 3 actes sur un livret de Marco Coltellini (auteur italien dont Joseph Haydn allait, cinq ans plus tard, mettre L’Infedeltà delusa en musique) et de Bastien und Bastienne K.50, singspiel en 1 acte commandé par le docteur Anton Messmer et monté, chez ce dernier, le 1er octobre. Par suite d’intrigues diverses et malgré les démarches de Leopold Mozart, La Finta Semplice ne fut pas représentée à Vienne, mais à Salzbourg le 1er mai de l’année suivante. Le 5 janvier 1769, les Mozart rejoignirent une fois de plus la ville archi-épiscopale. Wolfgang y écrivit plusieurs oeuvres instrumentales relevant du genre divertimento (Cassations nos 1 et 2 K.63 et 99 ; Sérénade en ré majeur K.100), la Messe en ut majeur K.66. le Te Deum K.141. LES PÉRIPLES EN ITALIE. Ayant obtenu un nouveau congé du bienveillant Schrattenbach, Leopold décida de partir avec son fils pour l’Italie. Ce premier périple, qui débuta le 11 décembre 1769, dura une quinzaine de mois et fournit à Wolfgang l’occasion de fréquenter downloadModeText.vue.download 686 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 680 des représentants essentiels du monde musical. Parmi ceux-ci : Giambattista Sammartini, que les deux Mozart rencontrèrent à Milan chez le comte Firmian, et, surtout, le Padre Martini, dont ils firent la connaissance à Bologne, fin mars 1770. Le voyage se poursuivit par Florence, Rome, Naples, Rome de nouveau, où, le 8 juillet, Leopold et Wolfgang furent reçus par le pape Clément XIV ; par Bologne encore, où le jeune compositeur se vit proposer le livret, dû à Vittorio Cigna-Santi, de Mitridate, re di Ponto K.87. Après Bologne, où ils eurent aussi la possibilité de connaître l’excellent compositeur Joseph Myslivecek, Mozart père et fils se rendirent à Milan pour la création de Mitridate. L’événement se produisit le 26 décembre 1770 et suscita, selon Leopold (lettre du 2 janvier 1771 au Padre Martini), un « accueil des plus favorables ». En février 1771, les voyageurs atteignirent Milan. En mars ils étaient à Padoue, où Wolfgang se vit confier la commande de La Betulia liberata, oratorio en 2 parties, qui allait représenter son unique contribution dans un genre si magnifiquement exploité par Haendel et Haydn. Par Vicence et Vérone, Leopold et Wolfgang regagnèrent Salzbourg, où ils arrivèrent le 28 mars 1771 et d’où ils repartirent le 13 août pour un deuxième voyage en Italie qui n’allait durer que quatre mois. À Milan, où ils séjournèrent, fut donnée, pour le mariage de l’archiduc Ferdinand (fils de Marie-Thérèse) et de la princesse Marie-Béatrice de Modène, la « première » de la sérénade théâtrale Ascanio in Alba K.111. Les Mozart se retrouvèrent à Salzbourg le 16 décembre, jour de la mort de Sigismond von Schrattenbach. Élu le 14 mars 1772, solennellement intronisé le 14 avril, Hieronymus Colloredo (1732-1812), le nouveau prince-archevêque, allait se montrer, vis-à-vis de ses employés, beaucoup moins compréhensif et beaucoup moins facile à vivre que son prédécesseur. Il nomma Domenico Fischietti au poste de Kapellmeister que Leopold briguait en vain depuis longtemps. Le 15 août, Wolfgang devint Konzertmeister titulaire, avec des honoraires de 150 florins. Cette année-là, qui vit naître la Symphonie no 15 K.124, la no 16 K.128, la no 17 K.129, la no 18 K.130, la no19 K.132, la no 20 K.133 et la no21 K.134, fut celle du troisième et dernier voyage en Italie, lequel eut lieu du 24 octobre 1772 au 13 mars 1773. Ce fut aussi celle de l’opera seria Lucio Silla K.135, créé à Milan le 28 décembre 1772. MOZART À SALZBOURG. Se limiter aux faits strictement matériels de la biographie de Mozart, c’est un peu, comme dans le cas de Brahms, énumérer une interminable suite de voyages. Il y eut pourtant, de 1773 à 1777, une relative accalmie. Avec, néanmoins, deux nouvelles « excursions « : l’une à Vienne, de juillet à fin septembre 1773 ; l’autre à Munich, de décembre 1774 à mars 1775. Lors du séjour dans la capitale autrichienne, Mozart composa l’importante Sérénade K.185 pour les noces du fils d’Ernst Andretter, lequel était, à Salzbourg, conseiller aulique pour la guerre, et, surtout, les six Quatuors à cordes K.168 à 173 (nos 8 à 13 de la classification habituelle), dits Quatuors viennois et manifestement influencés par le nouveau style instrumental de Joseph Haydn. À cette époque, le Kapellmeister d’Eszterháza - qui avait écrit les deux magnifiques séries de quatuors op. 17 (1771) et op. 20 (1772) - situait la majorité de ses créations dans la perspective passionnée, mélancolique et formellement insolite du Sturm und Drang. Chez Mozart, les caractéristiques essentielles de cette esthétique préromantique allaient se retrouver dans la Symphonie no 25 K.183 en sol mineur de décembre 1773. De la production de l’année 1774, il convient d’isoler, en priorité, la très importante Symphonie no 29 en la majeur K.201, le Concerto pour basson en si bémol majeur K.291, la Sérénade en ré majeur K.203 et les cinq premières Sonates pour piano K.279 à 283. Toujours accompagné de son père, Wolfgang se rendit à Munich, où, le 13 janvier 1775, eut lieu la « première » de La Finta Giardiniera. Le 6 mars, il reprit la route de Salzbourg, où il demeura jusqu’en septembre 1777. Pour la visite de l’archiduc Maximilien-Franz, dernier fils de Marie-Thérèse et futur patron de Beethoven, Colloredo lui commanda la festa teatrale Il Re pastore (livret de Métastase), qui ne fut représentée qu’une fois, le 23 avril 1775. Au catalogue mozartien de cette année 1775, il convient d’inscrire, outre Il Re pastore, plusieurs chefs-d’oeuvre : la Sonate pour piano no 6 K. 284, dite Sonate Durnitz ; la Sérénade en ré majeur K.204 ; et les quatre derniers Concertos pour violon et orchestre K.211, 216, 218 et 219 composés de juin à décembre (le premier, K.207, est sans doute de 1773). L’année 1776, que Wolfgang vécut tout entière à Salzbourg, fut celle de plusieurs divertissements et sérénades (dont la délicieuse Serenata notturna K.239 et l’imposante Sérénade Haffner K.250), des Concertos pour piano no 6 K.238, no 7 K.242 (3 pianos) et no 8 K.246, de la Missa longa K.262, de la vigoureuse Messe du Credo K.257 et de la Messe de Spaur K.258. Jusqu’alors, le genre concerto pour piano, que Mozart allait mener à son plus haut point de perfection, n’avait pas inspiré au compositeur de pages véritablement « définitives «. Tout changea avec l’extraordinaire Concerto no 9 en mi bémol majeur K.271 terminé en janvier 1777, pour l’auteur lui-même, ou, plus probablement, pour Mlle Jeunehomme, pianiste française de passage à Salzbourg. Dans l’histoire de la musique instrumentale, cet ouvrage prémonitoire occupe une position charnière aussi « fondamentale « que les Quatuors op. 20 de Haydn et la Symphonie héroïque de Beethoven. Avec lui s’ouvrait, quant au contenu affectif et aux relations entre le soliste et l’orchestre, l’ère du grand concerto « moderne «, tel que nous le concevons encore de nos jours. MANNHEIM ET PARIS. En mars 1777, Leopold sollicita, pour son fils et lui-même, un congé que Colloredo refusa. Le 1er août, Wolfgang envoyait une lettre de démission. Exaspéré, le princearchevêque fit répondre par son secrétaire que le père et le fils pouvaient aller chercher fortune ailleurs. Leopold se soumit et resta. Mais Wolfgang profita de la liberté qui lui était brutalement accordée pour quitter Salzbourg le 23 septembre et pour entreprendre, en compagnie de sa mère, un voyage qui allait le mener à Munich, Augsbourg, Mannheim et Paris. Chez l’Électeur de Bavière, où il aurait aimé se fixer, il n’y avait pas de poste vacant. Du moins se dispensa-t-on de lui en proposer un. À Augsbourg, où, le 22 octobre, il donna un unique concert (avec, notamment, le Concerto pour trois pianos et la Sonate Durnitz), il rencontra le facteur d’orgues et de pianos Johann Andreas Stein, qu’il avait déjà vu en 1763. Le 30 octobre, il arriva à Mannheim et y resta jusqu’au 14 mars 1778, avec, cependant, un bref séjour à Kircheim-Boland (janvier 1778) chez la princesse d’Orange. Ce fut à cette époque qu’il fit la connaissance de la jeune cantatrice Aloysia Weber, dont il tomba amoureux et dont, renouvelant l’erreur commise par Joseph Haydn, il épousa la soeur quelques années plus tard. Le 23 mars 1778, après douze ans d’absence, Mozart foulait de nouveau le pavé parisien. Mis en rapport, par Grimm en particulier, avec Jean Le Gros, directeur du Concert spirituel et avec Jean-Georges Noverre, maître des ballets de l’Opéra, il écrivit, pour le premier, la Symphonie no 31 K.297 et la Symphonie concertante K.297b; pour le deuxième, le ballet des Petits Riens K.299b. Parmi les principales com- positions mozartiennes rédigées à Paris, figurent également le Concerto pour flûte et harpe K.299 commandé par le duc de Guisnes, la pathétique Sonate pour piano en la mineur K.310 (une des plus denses et des plus poignantes). Les quatre Sonates K.330-333 ne sont pas de 1778, comme on le crut longtemps, mais de 1783. Anna Maria Mozart mourut le 3 juillet 1778. Seul, désormais, pour poursuivre son voyage, Mozart quitta, le 26 septembre, un Paris qu’il n’aimait décidément pas. Le retour à Salzbourg s’effectua par Nancy et par Strasbourg, où le jeune compositeur s’arrêta près d’un mois où il put rencontrer Franz-Xaver Richter, l’un downloadModeText.vue.download 687 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 681 des principaux représentants de l’école de Mannheim. Dans la chronologie de la vie de Mozart, il faut maintenant évoquer sa nomination (17 janvier 1779) au poste d’organiste de la cour. Wolfgang reprenait donc du service auprès d’un maître copieusement détesté - non sans raisons - et avec lequel, de toute façon, la rupture définitive ne pouvait qu’intervenir un jour ou l’autre. Adepte des Lumières, Colloredo n’avait sans doute pas tous les défauts que lui prêtent les biographes. Mais il était sûrement moins intelligent, cultivé et diplomate qu’un Nicolas Eszterházy, chez lequel Joseph Haydn allait, sans trop de problèmes, vivre quelque trente ans. LA RUPTURE AVEC COLLOREDO. À la fin de l’été 1780, Mozart reçut du prince-électeur Karl Theodor la commande d’un opera seria pour le carnaval de Munich. Telle fut l’origine de Idomeneo, re di Creta K.366, représenté pour la première fois le 29 janvier 1781. À cette occasion, le compositeur dut naturellement entreprendre de nouveau un voyage à Munich. Il s’y rendit dès novembre 1780 et en repartit en mars 1781 pour rejoindre, sur ordre, Colloredo à Vienne. En mai et juin, divers incidents se produisirent, qui envenimèrent les rapports déjà fort tendus entre l’employeur et l’employé. Mozart quitta alors définiti- vement le service de Colloredo et choisit de rester à Vienne comme musicien indépendant. Chez la veuve Weber, où il s’installa, il y avait la soeur cadette de cette Aloysia - qui avait mis un terme à ses projets matrimoniaux en épousant l’acteur Joseph Lange - Constance ; il ne tarda pas à s’enflammer pour elle et l’épousa le 4 août 1782. Constance devait être une bonne fille... Mais pas très futée, dépensière, et qui aurait eu besoin d’être gentiment, mais fermement, dirigé par un mari doté, pour les questions financières et administratives, d’un solide sens pratique. Ces qualités, Mozart ne les possédait pas, contrairement à Georg Nikolaus Nissen, lequel, dix-huit ans après la mort du compositeur, allait officialiser ses relations avec Constance et faire de celle-ci une épouse modèle. De 1781 datent le Rondo pour violon et orchestre K.373 (probablement composé pour le violoniste Brunetti) ; 4 Sonates pour piano et violon K.376 à 379 ; l’ample Sonate en ré majeur K.448 pour deux pianos. Au second semestre de cette année se rattachent les premiers travaux sur Die Entführung aus dem Serail K.384 (l’Enlèvement au sérail), opéra allemand commandé par l’empereur Joseph II et dont le livret était dû à Gottlieb Stephanie, dit Stephanie le Jeune. La première de l’Enlèvement eut lieu le 16 juillet 1782 au Burgtheater et suscita des réactions assez contradictoires. Joseph II reprocha-t-il vraiment à Mozart d’avoir mis trop de notes dans sa partition ? Pour le Magazine de la musique de Cramer, en tout cas, l’oeuvre regorgeait de beautés (ce qui est strictement vrai), tandis que pour le comte Karl Zinzendorf, c’était tout simplement « un ramassis de choses volées « ! LES SUCCÈS À VIENNE. En 1782, Mozart commença de fréquenter, à Vienne, la maison du baron Van Swieten, futur librettiste des deux derniers oratorios de Haydn (la Création et les Saisons), et qui, contrairement à la quasi-totalité de ses contemporains, se passionnait pour Bach et pour Haendel. Chez lui, Wolfgang découvrit les fugues des Bach, « aussi bien de Sébastien que d’Emanuel et de Friedemann «. C’est précisément au début de cette année 1782 que se rattache chronologiquement, le Prélude et fugue pour piano en ut mineur K.394. C’est le 31 décembre que fut achevé, avec son merveilleux finale en fugato, le premier des six Quatuors à cordes en sol majeur K.387, dédiés à Joseph Haydn. Avec, entre ces deux oeuvres capitales, des pages aussi importantes que la Sérénade en ut mineur K.388, la Symphonie no 35 « Haffner «, les Concertos pour piano nos 11, 12 et 13 K.413, 414 et 415. Il y a lieu d’évoquer ici, les relations privilégiées, qui, dans les années 1780, s’établirent entre Joseph Haydn et Mozart. On ne connaît pas la date précise à laquelle ces deux génies, foncièrement différents, mais d’égales statures, se virent pour la première fois. Ce qu’on sait, en revanche, c’est que l’amitié sans arrière-pensées et l’admiration qu’ils éprouvèrent l’un pour l’autre - sans rien abdiquer de leur propre personnalité - constituent l’un des chapitres les plus sympathiques et les plus « exemplaires « de l’histoire de la musique. Mozart avait été vivement impressionné par la « densité expressive « des Quatuors op. 20 du Kapellmeister d’Esterháza. Il le fut tout autant, sinon davantage, pour la modernité des Quatuors op. 33 de 1781. Et l’hommage somptueux qu’il offrit à son aîné par la dédicace des 6 Quatuors K.387, 421, 428, 458, 464 et 465 représente tout à la fois un témoignage d’estime respectueuse et une réponse au « défi artistique « qui lui avait été lancé. Ces quatuors furent longuement, soigneusement élaborés. Avant leur achèvement, plus de deux années s’écoulèrent, qui, dans la vie de Mozart, correspondent à la naissance de nombreux chefs-d’oeuvre : Messe en ut mineur K.427, Symphonie no 36 « Linz «, Fugue pour deux pianos K.426 (1783) ; Concertos pour piano no 14 K.449, no 15 K.450, no 16 K.451, no 17 K.450, no 18 K.456, no 19 K.459, Sonate pour piano et violon K.454, Sonate pour piano no 14 K.475 (1784). Pour assurer sa vie matérielle et celle de sa famille, Mozart n’avait d’autres possibilités que de donner des leçons et des concerts (qu’on appelait alors des « académies «). D’élèves et, par conséquent, de leçons, il n’y eut jamais pléthore. Trois noms pour janvier 1782 : la comtesse Rumbeck, Mme von Trattner, la comtesse Zichy. Inaugurées le 23 mars 1783 pour un concert dont on a conservé le copieux programme (10 numéros, dont la nouvelle Symphonie pour Haffner, 2 concertos pour piano, des extraits de la Posthorn-Serenade !), les académies furent, au début, plus rentables. Pour s’y produire comme virtuose du clavier (aspect de son talent que les Viennois appréciaient le plus), le compositeur rédigea, de février 1784 à décembre 1786, l’admirable série des 12 Concertos pour piano numérotée 14 à 25 dans la classification couramment adoptée. Le Concerto no 14 K.449 est d’ailleurs la première partition inscrite - à la date du 9 février 1784 - dans le catalogue que Mozart allait tenir de ses oeuvres, jusqu’au 15 novembre 1791. Il y avait aussi, avec les amis, des scéances privées de musique de chambre. Au cours de l’une d’elles on exécuta - avec Dittersdorf au premier violon, Joseph Haydn au second, Mozart à l’alto et Vanhal au violoncelle - trois des nouveaux quatuors dédiés à Haydn. Leopold Mozart, qui, en février 1785, rendit visite à son fils et eut la chance d’assister à l’événement, fut tout fier de rapporter à Nannerl (lettre du 14 févr.) les paroles élogieuses de Haydn sur Wolfgang : « Le samedi soir Joseph Haydn et les deux barons Tindi sont venus chez nous ; on a joué les nouveaux quatuors, mais seulement les trois nouveaux que Wolfgang a ajoutés aux trois autres que nous avons déjà. Ils sont un peu plus faciles mais remarquablement composés. M. Haydn m’a dit : je vous le dis devant Dieu, en honnête homme, votre fils est le plus grand compositeur que je connaisse, en personne ou de nom. Il a du goût et, en outre, la plus grande science de la composition. « Comme le Kapellmeister d’Eszterháza et comme beaucoup d’esprits cultivés en Europe -, Mozart adhéra à la franc-maçonnerie. Il le fit en 1785, année où il écrivit la Maurische Trauermusik K.477 (Musique maçonnique funèbre), laquelle fait partie des nombreuses compositions de premier plan nées d’un choix philosophique beaucoup plus important pour lui que pour Haydn. Mozart travaillait aux Noces de Figaro (sur un livret de Lorenzo da Ponte tiré du Mariage de Figaro de Joseph Beaumarchais), lorsque, début 1786, il reçut de Joseph II la commande d’un sinsgpiel en 1 acte destiné à être donné dans le cadre des festivités en l’honneur d’Albert de Saxe, gouverneur des Pays-Bas. Ce SchauspieldownloadModeText.vue.download 688 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 682 direktor K.486 (le Directeur de théâtre), dont Stephanie le Jeune avait rédigé le livret, fut représenté à l’Orangerie du palais de Schönbrunn, le 7 février 1786. Moins de trois mois plus tard, le 1er mai, eut lieu, au Burgtheater, la « première « des Noces de Figaro. Relativement bien accueilli, représenté neuf fois à Vienne en 1786, ce chef d’oeuvre fut repris l’année suivante, à Prague, avec un succès beaucoup plus affirmé. Ce fut justement pour Prague que Mozart écrivit ce qu’on peut, à bon droit, considérer (sans rien ôter à Tristan, à Pelléas, à la Flûte enchantée) comme l’opéra des opéras : l’immortel Don Giovanni. À Prague, où il avait été invité dès la fin de 1786 et où il arriva le 11 janvier 1787, Mozart assista, le 17 janvier, à la reprise des Noces. De retour à Vienne, le 10 février, il se consacra à la composition de Don Giovanni, travail qui l’occupa presque entièrement durant les mois de juillet et août. Entre-temps, le 28 mai, Leopold Mozart était mort presque subitement à Salzbourg à l’âge de soixante-huit ans. Contemporaine de Don Giovanni - lequel fut créé à Prague le 29 octobre 1787, et pour cette circonstance, Mozart avait de nouveau effectué le voyage -, la célèbre Kleine Nachtmusik K.525 (Petite Musique de nuit) est, dans le catalogue du compositeur, répertoriée à la date du 10 août. Neuf mois plus tôt (déc. 1786), Mozart avait offert aux mélomanes de Prague la primeur de sa monumentale Symphonie no 38 K.504. Avec la Symphonie no 86 de Haydn (écrite la même année), cet ouvrage marquait l’un des sommets de l’art symphonique de tous les temps. À 1787 encore se rattachent le Quintette à cordes en ut majeur K.515, le Quintette en sol mineur K.516, la Sonate pour piano à quatre mains K.521 (dernière du genre chez Mozart), la Sonate pour piano et violon no 42 K.526. DES ANNÉES DIFFICILES. Mozart revint à Vienne à la mi-novembre 1787. Le 7 décembre, Joseph II lui conféra, assorti d’un traitement de 800 florins, le titre de « compositeur de la chambre impériale et royale «. Pour le même emploi Gluck en avait eu 2 000. De plus en plus incompris des Viennois, de plus en plus assailli par des problèmes d’argent, Mozart vécut dans la capitale autrichienne la totalité de l’année 1788. Pour survivre, il dut se livrer à des travaux alimentaires : réorchestration, pour le baron Van Swieten, d’Acis et Galatée et du Messie de Haendel (tâche achevée en mars 1789 pour ce qui concernait ce dernier oratorio). En juin, juillet et août, il composa ses trois ultimes symphonies : no 39 K.543, no 40 K.550, no 41 Jupiter K.551. C’est un des épisodes les plus tristes, mais aussi les plus significatifs de l’histoire de la musique que cette mise à l’écart, par une société frivole, d’un génie de première grandeur, qui, sur le plan de l’esprit, est pourtant l’une des gloires de son siècle. Joseph Haydn s’indignait à juste titre lorsque, répondant à Franz Roth qui lui demandait un opéra (lettre de décembre 1787), il formula l’avis très net selon lequel c’était à Mozart et non à lui-même qu’il fallait s’adresser. « Si seulement, écrivit-il, je pouvais graver dans l’esprit de tout ami de la musique, mais surtout dans l’esprit des princes de cette terre, les inimitables travaux de Mozart, les leur faire entendre avec la compréhension musicale et l’émotion que j’y apporte moi-même, par Dieu, les nations rivaliseraient pour avoir ce joyau chez elles... Je m’étonne que Mozart, cet être unique, ne soit pas encore appointé dans une cour royale ou impériale. Pardonnezmoi si je m’échauffe : c’est que j’aime tant cet homme ! « Le 8 avril 1789, Mozart entreprit, dans la voiture de son élève le prince Karl von Lichnowski, un nouveau voyage qui le mena à Prague, Dresde, Leipzig, Postdam. À Leipzig, où Jean-Sébastien Bach avait vécu pendant de nombreuses années, il « se fit entendre gratuitement sur l’orgue de la Thomaskirche « et joua « une heure entière devant un nombreux auditoire d’une manière pleine de bonté et d’art « (déclaration d’un contemporain citée par Reichardt). À Postdam, il fut reçu par Frédéric-Guillaume II, bon violoncelliste amateur pour lequel il écrivit, en juin 1789, mai et juin 1790, les trois Quatuors à cordes K.575, 589 et 590 (pour le roi de Prusse, Haydn avait composé ses Quatuors op. 50). Après son retour à Vienne, le 4 juin 1789, Mozart reçut, de la cour impériale, la commande d’un nouvel opéra pour le prochain carnaval. À l’époque, il affrontait les pires difficultés matérielles, ainsi qu’en témoigne la poignante lettre du 12 juillet adressée à Michaël Puchberg : « Me voici dans une situation telle que je ne peux la souhaiter même à mon pire ennemi ! Et si vous, mon excellent ami et frère, vous m’abandonnez, je suis « aussi malheureusement qu’innocemment « perdu, moi, ma pauvre femme malade et mon enfant. « On imagine ce que, d’un tel désarroi moral, un compositeur romantique eût tiré d’exhibitionnisme complaisant... Chez Mozart, comme chez tout « honnête homme « de la fin du XVIIIe siècle, il n’était pas question d’exposer ses problèmes personnels sur la place publique. C’est pourquoi il composa un Cosí fan tutte plein de fraîcheur, de tendresse et dont tous les aspects tragiques (car, dans l’argument bâti par Da Ponte, il y en a !) ne nous sont jamais crûment violemment présentés. La première répétition avec orchestre de Cosí fan tutte eut lieu le 21 janvier 1790 en présence de Puchberg et de Joseph Haydn. Donnée, cinq jours plus tard, en « première mondiale «, l’oeuvre obtint un succès correct, sans plus... Cette fois-ci, le comte Zinzendorf, qui, sept ans et demi auparavant, n’avait pas apprécié l’Enlèvement au sérail, alla jusqu’à noter dans son journal que « la musique (était) charmante et le sujet fort amusant «. LA FIN. Nous en arrivons à cette année 1791 au cours de laquelle Mozart écrivit tant de chefs-d’oeuvre - comme si des forces nouvelles et inépuisables lui avaient été accordées - et dont, pourtant, il ne vécut pas les derniers jours. Le Concerto pour piano et orchestre K.595, le Quintette à cordes en mi bémol majeur K.614, l’Ave verum K.619, la Clémence de Titus, la Flûte enchantée, le Concerto pour cor inachevé K.412, terminé par Süssmayr, le Concerto pour clarinette K.622, le Requiem inachevé K.626 : tel est, réduit à ses composantes essentielles, le bilan de cette étape ultime sur le chemin de la beauté et de la vérité. Au printemps, Mozart commença à travailler à la Flûte enchantée (Die Zauberflöte), dont le livret avait été rédigé par Emmanuel Schikaneder, directeur du théâtre Auf der Wieden, im Freihaus. Début août, le théâtre national de Prague lui commanda, sur le sujet imposé de La Clemenza di Tito (livret de Métastase), un opera seria pour les fêtes du couronnement de Léopold II comme roi de Bohême. La « première « devant avoir lieu le 6 septembre et, par conséquent, disposant d’un très court délai, il se fit aider, dans la rédaction des récitatifs, par son élève Franz Xaver Süssmayer. C’est avec ce dernier, qui, quelques mois plus tard, allait terminer le Requiem, qu’il se rendit à Prague, où il resta peu de temps. L’histoire anecdotique veut que, au moment du départ pour Prague, certain inconnu l’ait abordé pour lui demander où en était la messe de requiem qu’il lui avait récemment demandée. On sait maintenant - depuis pas mal de temps, d’ailleurs - que les histoires mystérieuses sur l’origine du Requiem relèvent de la légende et que la commande de l’oeuvre en question (laquelle émanait du comte Walsegg) fit l’objet d’un contrat en bonne et due forme passée par devant le notaire. Le 30 septembre 1791, la Flûte enchantée était représentée pour la première fois à Vienne avec, notamment, Schikaneder dans le rôle de Papageno. Le premier acte déconcerta les auditeurs, mais la suite déchaîna les applaudissements. Et pourtant, selon la Berliner Musikalische Zeitung (1793) : « L’admirable musique de Mozart fut massacrée à tel point qu’elle vous aurait fait fuir de dégoût. On ne pouvait y entendre ni un seul chanteur ni une seule chanteuse qui sorte seulement de la médiocrité. « Ces déplorables conditions d’exécution - à supposer qu’elles fussent aussi mauvaises ! - n’influèrent pas négatidownloadModeText.vue.download 689 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 683 vement, semble-t-il, sur un succès qui, au contraire, se confirma les jours suivants. Mais de ce succès, qui aurait pu relancer sa carrière, Mozart n’en profita pas beaucoup. Car, le 5 décembre 1791, à minuit cinquante-cinq, il avait cessé de vivre. L’événement fit peu de bruit, l’enterrement fut des plus modestes. Le temps n’était pas mauvais, mais seuls quelques amis suivirent le corbillard, et l’on égara, dans l’anonymat de la fosse commune, le corps de cet homme exceptionnel. Haydn était à Londres lorsqu’il apprit la nouvelle. Il mesura aussitôt, lui, la perte irréparable que l’humanité venait de subir. « Pendant quelque temps, écrivit-il en janvier 1792 à Michaël Puchberg, je fus hors de moi à cause de sa mort. Je ne pouvais croire que la Providence eût si tôt repris la vie d’un homme indispensable. Par-dessus tout, je regrette qu’avant sa mort il n’ait pu convaincre les Anglais, qui marchent dans les ténèbres à ce propos, de ce que je leur prêche jour après jour... Soyez assez aimable, mon cher ami, pour m’envoyer une liste de ses oeuvres inconnues ici : je consacrerai tous mes efforts à les promouvoir au bénéfice de sa veuve. J’ai écrit, il y a trois semaines, à la pauvre femme et lui ai dit que lorsque son fils préféré atteindrait l’âge nécessaire, je consacrerai toutes mes forces à lui donner des leçons de composition, gratuitement, de telle sorte qu’il puisse, d’une certaine manière, remplacer son père. « De Constance Weber, Mozart avait eu six enfants, quatre garçons et deux filles. Quatre d’entre eux, Raymond-Leopold, Thomas Johann-Thomas-Leopold, Thérèse, Anna-Maria, étaient morts en bas âge, ce qui n’avait rien d’étonnant compte tenu de l’effroyable mortalité infantile de l’époque. Après la disparition de Wolfgang, Constance se retrouva avec un fils de sept ans, Karl Thomas, et un tout petit Franz Xaver né le 26 juillet 1791. Par la suite, le premier devint fonctionnaire à Milan, où il mourut en 1858. Quant au second (c’est probablement à lui que Joseph Haydn fait allusion dans sa lettre à Puchberg), il eut des maîtres tels que Neukomm, Hummel (ancien élève de son père), Albrechtsberger, Vogler, Salieri, vécut comme musicien professionnel pianiste et compositeur - et termina sa vie à Karlsbad, le 29 juillet 1844. Ce fut, semble-t-il, un créateur estimable, que la postérité eût peut-être mieux traité si le génie paternel ne l’avait doté d’un terrible handicap. Dans sa musique, Mozart n’a rien d’un révolutionnaire comme Schönberg ou d’un expérimentateur comme Haydn. À l’instar de Schubert, quelques années plus tard, il se satisfait des formes et des structures établies par ses devanciers ou par ses contemporains. Mais, par la perfection de son écriture, la richesse, l’originalité, le renouvellement quasi permanent de son ins- piration, l’acuité d’une sensibilité toujours en éveil, il « transcende « tous les schémas, toutes les organisations à l’intérieur desquels il se meut. Contrairement à Joseph Haydn, grand magicien de la musique instrumentale, il trouve dans le théâtre chanté l’expression la plus directe, la plus pure de son génie dramatique. Mais il partage aussi, avec Jean-Sébastien Bach, le privilège de réussir souverainement dans tous les genres qu’il aborde. La symphonie, par exemple, n’est pas vraiment au centre de ses préoccupations principales. Mais il écrit des symphonies sublimes qui, pour l’époque, sont les seules qu’on puisse mettre en parallèle avec celles du Kapellmeister d’Eszterháza. De Haydn, dont la pensée discursive et poétique tout à la fois le remplit d’admiration, il apprend l’art du développement thématique, des enchaînements logiques et irréfutables. Mais, plus que Haydn qui, pour échafauder une construction grandiose, se contente souvent d’un thème, voire d’un motif banal, Mozart compte aussi sur le pouvoir expressif, sur la puissance de séduction du beau chant, du cantabile souple, généreux, tel qu’il l’a découvert en Italie. C’est pourquoi, sans doute, il a tant d’estime pour Johann Christian Bach (le Bach de Londres) et pour sa délicieuse musique « galante «. L’inconvénient avec lui - si l’on peut dire ! - c’est qu’il n’a pas de véritable descendance. Sans Joseph Haydn et sa prodigieuse évolution esthétique, Beethoven et - quoi qu’on en ait dit - une bonne part du romantisme sont inexplicables, impensables. Mozart, auquel d’aucuns se sont longtemps référés pour évoquer les notions restrictives de grâce, de raffinement, de « joliesse «, demeure unique, inclassable. Est-ce cela qui nous le rend si précieux ? MRAVINSKI (Evgueni Alexandrovitch), chef d’orchestre soviétique (Saint-Pétersbourg 1903 - Leningrad 1988). Après des études au conservatoire de Leningrad, il devint répétiteur à l’école de ballet de cette ville de 1921 à 1930, puis chef d’orchestre principal au théâtre Kirov de 1932 à 1938. Lauréat du concours des chefs d’orchestre de Moscou en 1938, il accéda au poste de premier chef de l’Orchestre philharmonique de Leningrad et fut professeur au Conservatoire de cette ville en 1936-37 puis à partir de 1961. Il obtint le prix d’État d’U. R. S. S. en 1946 et le prix Lénine en 1961. Grâce aux tournées effectuées en dehors d’U. R. S. S., le monde musical a pu mesurer le niveau d’homogénéité et d’efficacité atteint par la formation qui a bénéficié des soins attentifs de son chef au cours de nombreuses années de travail en commun. Des interprétations de Mravinski se dégage une émotion spontanée, nullement contrecarrée par la minutie de leur préparation. Connu pour son autorité, il savait inculquer une discipline complète à son orchestre. Aux côtés d’un vaste répertoire allant de Beethoven à Tchaïkovski, de Mahler à Honegger, il reste un interprète de premier ordre dans le répertoire soviétique. Il conduisit les premières auditions de la Cinquième, Sixième, Huitième, Neuvième et de la Dixième Symphonie de Chostakovitch. Sa conception de la Huitième Symphonie, que le musicien lui a dédiée, fera date dans l’histoire de l’interprétation de la musique du XXe siècle. On luit doit également la création de la 6e Symphonie de Prokofiev et la direction musicale des ballets du Théâtre Kirov. MUCK (Karl), chef d’orchestre allemand (Darmstadt 1859 - Stuttgart 1940). Il étudie la composition et la direction d’orchestre avec C. Kissner à Würzburg et la philologie aux universités de Heidelberg et Leipzig. Après avoir débuté comme pianiste, il occupe différents postes de chef d’orchestre à Zurich, Salzbourg, Brno, Graz, au Théâtre allemand de Prague (à partir de 1886) et à l’Opéra de Berlin (à partir de 1892). En 1912, il est nommé chef d’orchestre permanent de l’Orchestre symphonique de Boston. De 1922 à 1933, il dirige la Philharmonie de Hambourg. Il fut particulièrement apprécié comme interprète des oeuvres de Richard Wagner. MUE. Transformation de la voix humaine à l’âge de la puberté. Ce phénomène physiologique n’a que peu d’incidences en ce qui concerne les filles, dont la voix ne fait que gagner en puissance et en volume moyennant un léger déplacement vers le grave. Il est, en revanche, lourd de conséquences pour les garçons, qui, de sopranos ou altos, deviennent normalement ténors ou basses. Autrement dit, leur registre baisse en quelques mois d’une octave ou davantage, et la couleur vocale change en conséquence. De sévères précautions s’imposent alors pour ne pas compromettre irrémédiablement cette voix d’homme en pleine formation, la plus simple et la plus sûre consistant à ne pas chanter du tout tant que dure la période de la mue. MUFFAT, famille de musiciens autrichiens. Georg, organiste et compositeur (Megève 1653 - Passau 1704). D’origine française, il travailla à Paris avant de se rendre en Autriche, à Ingolstadt et à Vienne, puis en Bohême, à Prague. Nommé organiste de l’archevêque-électeur de Salzbourg en 1678, il devint maître de chapelle du prince-évêque de Passau en 1690 et le resta jusqu’à la fin de sa vie. En 1682, il downloadModeText.vue.download 690 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 684 était allé à Rome, travailler auprès de Corelli et de Pasquini. Ainsi fut-il marqué par les grands styles européens de son temps, français, italien et autrichien, ce que reflète une importante musique instrumentale qui devait à son tour influencer J. S. Bach. Son oeuvre majeure est l’Apparatus musico-organisticus (1690), recueil d’oeuvres pour orgue consistant principalement en 12 toccatas. Pour ensemble orchestral, il a laissé notamment Armonico tributo cioè sonate di camera (1682) et deux livres intitulés Suavioris instrumentalis hyporchematicae (1695, 1698), dans lesquels Haendel a puisé plusieurs thèmes de ses Concertos grossos. Gottlieb, organiste et compositeur, fils du précédent (Passau 1690 - Vienne 1770). Élève de Fux, organiste de la chapelle impériale, il fut le professeur de musique de Marie-Thérèse et de François Ier d’Autriche. Il a laissé une abondante production d’oeuvres pour l’orgue et pour le clavecin, et principalement 72 Versetlsammt 12 Toccaten (1726) et Componimenti musicali per il cembalo (v. 1739). MÜLLER (August Eberhard), compositeur et chef d’orchestre allemand (Northeim 1767 - Weimar 1817). Organiste à Leipzig en 1794, il fut de 1804 à 1810 cantor de Saint-Thomas, collaborant à cette époque étroitement avec la maison d’édition Breitkopf &amp; Härtel, notamment pour la publication des oeuvres de Mozart et Haydn. En 1810, il devint directeur de la musique à Weimar, conduisant la première de Fidelio dans cette ville le 4 septembre 1816. MÜLLER (Wenzel), compositeur autrichien (Trnava, Moravie, 1767 - Baden, près de Vienne, 1835). Élève de Dittersdorf, il devint chef au théâtre de Brno en 1783, puis en 1786 maître de chapelle au théâtre de la Leopoldstadt à Vienne, poste qu’il devait occuper jusqu’en 1830 à l’exception des années 1807-1813, passées à Prague. Il cultiva dans ce théâtre un répertoire populaire prolongeant dans le XIXe siècle la tradition de la comédie en allemand avec musique, et composa lui-même plus de 250 opérettes ou singspiels (Kaspar der Fagottist, 1791). MULLOVA (Viktoria), violoniste russe naturalisée autrichienne (Moscou 1959). Elle étudie le violon avec Boris Levin, puis avec Volodar Bronin et entre au Conservatoire Tchaïkovski, où elle travaille avec Leonid Kogan. Premier prix en 1975 du Concours Wieniawski de Pozna’n, en 1981 du Concours Sibelius d’Helsinki, et en 1983 du Concours Tchaïkovski de Moscou, elle effectue ensuite en Finlande une tournée qui lui permet d’émigrer aux États-Unis. Rapidement sollicitée pour se produire sous la direction de chefs tels que Muti, Maazel ou Ozawa, elle commence une brillante carrière. MUMMA (Gordon), compositeur américain (Framingham, Massachusetts, 1935). Il fit ses études à Detroit (1949-1952), puis à l’université de Michigan (195253). Il travaille au studio de musique électronique de Ann Arbor (Michigan), et fut codirecteur du festival et assistant du département acoustique de l’Institut. Attaché comme compositeur à la compagnie de danse Merce-Cunningham et au Sonic Arts Group de New York, il s’est fait rapidement une réputation d’expérimentaliste, tant dans le domaine de l’électronique que dans une répartition personnelle des éléments sonores. Dans Meanwhile (1961), pour piano, percussion, sons électroniques préenregistrés et « un autre instrument sur lequel un des exécutants est expert », la notation ne concerne que les gestes accompagnant le rôle qu’ils jouent quand ils passent d’un instrument à l’autre, afin, dit-il, de rendre tout son sens à l’aspect visuel de l’exécution que l’usage de la musique enregistrée a compromis. Il est également l’inventeur d’un système « cybersonic » en fonction duquel un contrôle semi-automatique permet d’intégrer à l’ensemble d’une composition tout ou partie des éléments du son musical. Il reconnaît ici l’influence des compositeurs, danseurs et artistes de la compagnie Merce-Cunningham. En dehors de Gestures II pour 2 pianos (1962), toute la production de Gordon Mumma est une synthèse entre musique instrumentale et musique électronique : Megaton for William Burroughs, Music for the Venezia Span Theatre, The Dresden Interleaf 13 February 1945, Le Corbusier, Hornpipe, Digital Process, Swarm, Runway, Beam, Conspiracy 8. MÜNCH (Charles), chef d’orchestre et violoniste français (Strasbourg 1891 Richmond, Virginie, 1968). Fils de l’organiste et chef de choeur alsacien Ernst Münch, il étudia le violon au conservatoire de Strasbourg et vint se perfectionner à Paris avec Lucien Capet (1912) ; plus tard il prendra des leçons avec le célèbre violoniste Carl Flesh, à Berlin. En tant qu’Alsacien, il ne devint citoyen français qu’en 1918. Professeur de violon au conservatoire de Strasbourg (1919), il fut chef assistant de l’orchestre municipal de cette ville (1919-1926), puis du Gewandhaus de Leipzig, secondant ainsi Wilhelm Furtwängler (1926-1933). Il débuta à Paris avec l’orchestre Straram (1932), et dirigea ensuite les orchestres Lamoureux et Straram ainsi que les concerts Siohan, puis créa son propre orchestre à Paris, l’Orchestre de la société philharmonique (1935-1938). Nommé directeur de la Société philharmonique de Paris (1935), puis de la Société des concerts du Conservatoire (1937), il poursuivit durant les quinze années où il résida à Paris une politique d’innovation, introduisant dans les programmes de plus en plus d’oeuvres françaises contemporaines. Après de nombreuses tournées en Europe, il débuta aux États-Unis avec le Boston Symphony Orchestra (1946), dont il devint le chef permanent à partir de 1948, succédant à Koussevitski. Il poursuivit la politique de Pierre Monteux dans les années vingt, qui consistait à faire du Boston Symphony Orchestra l’agent principal de propagande en faveur de la nouvelle musique française auprès du public américain. Il démissionna en 1962 pour revenir à Paris, et fut le premier directeur de l’Orchestre de Paris (1967), avec lequel il était en tournée aux États-Unis lorsqu’il mourut. Né Allemand, mort Français, Charles Munch était déchiré entre ses deux patries. Il fut un personnage à la fois bouillant, brillant et tourmenté, doté d’un sens de l’ampleur et de l’architecture sonores peu commun, mais aussi d’une subtilité d’oreille, d’une connaissance des timbres et de leurs chatoiements qui firent de lui l’un des plus grands chefs de notre temps. MÜNCHINGER (Karl), chef d’orchestre allemand (Stuttgart 1915 - id. 1990). Il fit ses études musicales à l’École supérieure de musique de Stuttgart et au conservatoire de Leipzig. Après avoir été organiste et maître de choeur à Stuttgart, il fut nommé chef de l’Orchestre symphonique de Hanovre (1941-1943). Aussitôt après la Seconde Guerre mondiale, il fonda l’Orchestre de chambre de Stuttgart, l’un des plus célèbres de notre temps, et avec lequel il acquit rapidement une réputation internationale. Ceci grâce aussi bien à de nombreuses tournées qu’à des enregistrements d’oeuvres alors peu connues de Bach, Vivaldi, Haydn, Mozart. Pour renforcer son orchestre de chambre dans les grandes oeuvres du répertoire, il créa en 1966 la Stuttgarter Klassische Philharmonie. L’élégance et la sobriété de sa direction sont célèbres dans le monde entier. MUNCLINGER (Milan), chef d’orchestre et flûtiste tchèque (Kosice 1923 - Prague 1986). Il suit les cours de V. Talich au conservatoire de Prague et étudie également à l’université. Il a fondé en 1951 l’ensemble de chambre Ars rediviva de Prague, spécialisé dans l’interprétation de la musique baroque. downloadModeText.vue.download 691 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 685 MURAIL (Tristan), compositeur français (Le Havre 1947). Il a fait à Paris des études universitaires (licence ès sciences économiques, Institut d’études politiques, École nationale des langues orientales) et musicales, travaillant les ondes Martenot avec Jeanne Loriod et Maurice Martenot, et entrant en 1967 dans la classe de composition d’Olivier Messiaen (premier prix en 1971). Pensionnaire à l’Académie de France à la villa Médicis, à Rome, de 1971 à 1973, il participa en 1973 à la fondation de l’Itinéraire, dont il est toujours l’un des responsables, et en 1977 à celle du Collectif de recherche instrumentale et de synthèse sonore. Dès ses premières oeuvres, il s’opposa radicalement au sérialisme postwebernien, ce qui se traduisit par un style parfois proche de celui de Ligeti et qui devait s’accuser par la suite. Récusant toute analyse « hors temps » de la musique ainsi que la découpe en « paramètres » de ses éléments, il affirme une conception unitaire et continue du phénomène sonore, et s’efforce de travailler le « son-durée » de l’intérieur, dans le contexte d’un temps uniforme et linéaire excluant toute discontinuité du discours. D’où des ouvrages dans lesquels les événements apparaissent et se transforment progressivement, sans césures ni silences, et dont les processus formels s’inspirent souvent des manipulations électroacoustiques (échos, bandes de réinjections, distorsions). On lui doit notamment : Couleur de mer pour 15 instruments (1969), Antigravité pour 10 instruments (1969), Altitude 8 000 pour petit orchestre (1970), Mach 2,5 pour 2 ondes Martenot (1971), Lovecraft pour bande magnétique (1972), Au-delà du mur du son pour grand orchestre (1972 ; créé à Rome la même année), l’Attente pour 7 instruments (1972), les Nuages de Magellan pour 2 ondes Martenot, guitare électrique et ercussion (1973), Cosmos privé pour grand orchestre (1973 ; créé à Rome la même année), la Dérive des continents pour alto solo et 12 cordes (1973 ; créé à Royan, 1974), Sables pour grand orchestre (1974-75 ; créé à Royan, 1975), Emeth pour viole d’amour et dispositif électroacoustique (1975), Mémoire/Érosion pour cor solo et 9 instruments (1975), Échos/ Mémoire pour alto et piano, plus violon et violoncelle ad libitum (1976), Territoires de l’oubli pour piano solo (1976-77), Tellur pour guitare solo (1977), Éthers pour 6 instruments plus continuo de maracas (1978), Treize Couleurs du soleil couchant pour 5 instruments et dispositif électroacoustique ad libitum (1979), les Courants de l’espace pour ondes Martenot, synthétiseur et petit orchestre (1979), les 7 Paroles du Christ en croix pour choeur et orchestre (1980), Gondwana pour orchestre (1980), Désintégrations pour 17 instruments et bande synthétisée (1982), Time and again pour orchestre (Metz 1986), Vues aériennes pour cor, violon, violoncelle et piano (Londres 1988), les Sept Paroles du Christ en croix pour choeur et orchestre (Londres 1989), Allégories pour ensemble de chambre (Paris 1990), Dynamique des fluides (1991). MUSETTE. 1. Instrument à anche proche de la cornemuse, comportant habituellement 2 chalumeaux et 4 bourdons. L’alimentation en air est assurée par un soufflet que le joueur presse avec son bras. La musette est, le plus souvent, dans le ton de sol. Elle s’est répandue en France au XVIIe-XVIIIe siècle, appréciée pour son caractère pastoral. Plusieurs traités de musette apparurent à cette époque. La « musette du Poitou », d’une facture totalement différente, est un instrument populaire semblable à un hautbois court. Possédant un son strident, elle était indiquée pour les musiques de plein air. Elle fut utilisée dans l’orchestre de la Grande Écurie du roi. 2. On appelle également musette une danse des XVIIe-XVIIIe siècles, d’un rythme binaire, proche de la gavotte, dont elle formait souvent la partie centrale. Sa mélodie « naïve et douce » (J.-J. Rousseau), de caractère champêtre, se déroulait sur un fond de note de basse tenue, à l’instar du bourdon de l’instrument. On en trouve de nombreux exemples dans la musique instrumentale de l’époque, le plus typique étant certainement celui de la troisième Suite anglaise (BWV 808 en sol mineur) de Bach. 3. Le terme « musette » sert enfin à désigner un registre de l’orgue, faisant partie du groupe des anches. Son timbre rappelle celui du cromorne, mais toutefois un peu atténué. C’est un jeu de 8 pieds (octave réelle). MUSGRAVE (Thea), femme compositeur écossaise (Barnton, Midlothian, 1928). Elle a fait ses études à l’université d’Édimbourg et à Paris, avec Nadia Boulanger (1950-1954), et a enseigné à l’université de Londres (1958-1965), ainsi qu’à Santa Barbara en Californie (1970). Elle a d’abord écrit dans un style diatonique, dont témoignent notamment le ballet A Tale for Thieves (1951) et l’opéra de chambre The Abbot of Drimrock (1955), puis évolua vers le sérialisme. L’opéra The Decision (196465 ; créé en 1967) marqua dans son évolution une étape essentielle. Elle en tira la matière musicale de Nocturnes and Arias pour orchestre (1966). De la même année datent les Concertos de chambre no 2 et no 3, oeuvres « asynchroniques », où toutes les parties sont écrites mais non coordonnées avec précision. On lui doit encore une Sinfonia pour orchestre, un concerto pour clarinette (1967), un pour cor (1971) et un pour alto (1973), le ballet Beauty and the Beast (1968-69) et les opéras The Voice of Ariadne (1972-73 ; créé en 1974), Mary, Queen of Scots (1977), A Christmas Carol (1978-79 ; créé en 1979), An Occurence at Owl Creek Bridge (1981 ; créé en 1982), Harriet, the Woman called Moses (1985). MUSICA. Festival consacré à la musique contemporaine qui a lieu chaque année, depuis 1983, en début d’automne, à Strasbourg. Son répertoire, orienté d’abord vers les classiques du XXe siècle, s’est voulu ensuite de plus en plus, grâce à une programmation réfléchie et par une politique conséquente de commandes, un reflet de la musique d’aujourd’hui (Zimmermann, Tippett, Scelsi, Xenakis, Kagel, Huber, Nono, Nancarrow, Ligeti, mais aussi Lindberg, Radulescu, Dusapin, Tanguy, Saariaho). Par son ouverture sur l’espace européen, par son souci d’illustrer aussi la musique des continents américain ou asiatique, par la délocalisation de ses sites de concert (du Théâtre national de Strasbourg aux Ateliers du TGV et à l’Opéra de Darmstadt), Musica est l’un des rendezvous les plus importants pour la diffusion de la musique actuelle. MUSICOLOGIE. Discipline, à multiples compartiments, dont l’objet est l’étude scientifique de la musique dans son histoire, sa théorie, ses formes. Cette discipline, et le nom qui la désigne, s’est constituée comme telle à la fin du XIXe siècle, notamment en Allemagne, où l’on parlait de Musikwissenschaft (« science de la musique »). Bien que le domaine de la musicologie couvre en principe tous les aspects du phénomène musical pouvant faire l’objet d’une investigation systématique (jusqu’à l’acoustique et la psychophysiologie de l’oreille), elle se consacre le plus souvent à une sorte d’inventaire et de reconstitution historique du « passé » musical, surtout pour les périodes les plus reculées, comme le Moyen Âge et la Renaissance occidentale, dont les traditions d’exécution s’étaient perdues et dont les monuments écrits étaient rares ou peu accessibles. Il n’est pas étonnant que le développement de la science musicologique, en Occident, coïncide avec un culte grandissant et une perpétuation exhaustive d’un passé que, avant le romantisme, on laissait beaucoup plus facilement sombrer dans l’oubli. La musicologie fait à présent, dans le monde entier, l’objet d’un enseignement officiel (cf. Institut de musicologie, à Paris). Il va de soi que, devant l’énormité des connaissances que son champ de travail suppose, tout musicologue se spécialise rapidement dans un domaine : downloadModeText.vue.download 692 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 686 la musique pour luth, le « Moyen Âge » ou les musiques africaines. Les musicologues se distinguent des simples musicographes par le fait que, contrairement à ces derniers qui s’adonnent à l’« écriture sur la musique » (compilation biographique, journalisme, vulgarisation, critique, etc.), ils font, eux, un travail « de première main », pour reprendre l’expression d’Armand Machabey. Ils recherchent les manuscrits, les documents, étudient les partitions, les redécouvrent, les restituent, etc., dans une investigation systématique. Parfois, ils font aussi de la musicologie de terrain, en allant étudier sur place des civilisations musicales, enregistrer leurs manifestations pour les étudier ensuite, etc. C’est l’objet, en particulier, d’une des sousdisciplines musicologiques, l’« ethnomusicologie », qui se propose, de manière très ambitieuse, de collecter tout ce qui concerne les musiques orales (et, plus rarement, écrites) de toutes les civilisations, en dehors de la musique occidentale savante, naturellement privilégiée par la musicologie traditionnelle. Parmi les autres domaines de recherche musicologique, on peut encore citer l’« organologie », étude systématique des instruments dans leurs principes et leurs innombrables variétés ; l’« acoustique musicale », qui s’attache aux rapports entre les vibrations sonores et la perception musicale « brute « ; la « psychologie de la perception musicale », plus récemment apparue, et concernant, elle, la perception des « structures » musicales (et pas seulement la perception des éléments : hauteurs, durées, etc.). On a vu également naître ces dernières années, plus ou moins comme branches spécialisées des « sciences humaines », selon l’expression en vigueur, des courants comme la « sociologie musicale », et surtout, à la faveur du développement des disciplines linguistiques, dont elle s’inspire, selon l’axiome que la musique est une « sorte de langage », la « sémiologie musicale », c’est-à-dire l’étude de la musique comme système de signification. On peut citer encore les travaux, menés parfois dans des buts thérapeutiques, sur les « effets » de la musique, et constater enfin que toute nouvelle science humaine tend à développer une branche plus spécialement consacrée au fait musical : psychologie, sociologie, ethnologie, sémiologie, épistémologie, etc., de la musique. Cependant, et même si en Allemagne avec des fondateurs comme Hugo Riemann on a vu se développer une tradition musicologique axée sur des problèmes d’esthétique, d’analyse des styles et des formes, l’objet principal de la musicologie, c’est encore l’inventaire de l’« ailleurs « : l’ailleurs dans le temps (le passé), et dans l’espace (les autres civilisations). Par goût, par habitude, on « oublie » toujours plus ou moins de faire la musicologie du présent musical, de l’ici et maintenant. Alors que, dans le domaine contemporain, les travaux musicologiques sont rares, et souvent, paradoxalement, mal informés (malgré l’accessibilité des sources), la musicologie du passé est souvent sérieuse, exhaustive, scrupuleuse. Le retentissement de ces recherches sur la vie musicale n’est pas mince, il est même de plus en plus important. Ces recherches contribuent beaucoup à ressusciter des répertoires oubliés, et à en rénover le style d’interprétation, par l’étude des partitions, le recoupement des textes et des traités de l’époque. Ce travail est d’ailleurs souvent le fait d’interprètes qui se forment ou s’improvisent musicologues pour fouiller les documents d’époque. On connaît aujourd’hui, mieux que la plupart de leurs contemporains, ces musiques du passé, avec leur génie propre, leur style d’interprétation, et le « champ de fouilles » ouvert depuis plus de cent ans paraît encore inépuisable. Dans le domaine des musiques non européennes, particulièrement menacées de disparition par le choc de l’industrialisation, par la pénétration des modèles occidentaux (avec le transistor), et aussi par l’absence, le plus souvent, d’une transmission autre qu’orale, la musicologie a eu pour effet d’aider à leur survie le plus souvent, bien sûr, sous la forme de « pièces de musée » et d’enregistrements. Mais aussi, elle a donné l’occasion à certains musiciens de ces pays non européens de faire connaître et apprécier leur tradition musicale et leur identité culturelle. Il va de soi que la musicologie n’est pas une discipline officiellement confinée dans une définition, et que ses diverses branches suivent étroitement l’évolution des méthodes de recherche et des multiples courants de la connaissance, dans la mesure où elle se rapporte à tout ce qui est « discours » et « savoir » sur la musique. MUSICORA. Salon annuel organisé à Paris depuis 1985 et consacré aux différentes activités liées à la musique, plus particulièrement à la musique classique. Il concerne l’édition musicale, l’interprétation, la diffusion (enregistrements, festivals, radios, associations), la lutherie (traditionnelle ou informatique), la presse musicale, les musiciens amateurs. Pendant le déroulement du salon, des animations (concerts, conférences, émissions de radio, séances de démonstration) sont organisées. MUSICOTHÉRAPIE. Art de guérir les maladies par la musique. Déjà pour Platon la musique était capable de rétablir l’harmonie de l’âme perturbée par le corps. Mais, plus près de nous, Florimond Hervé, lorsqu’il était en 1841 organiste de Bicêtre, jouait de l’harmonium pendant les récréations des aliénés de l’établissement dès que certains malades amorçaient une invective. Les motifs calmes, ou gais, exerçaient une action indéniable sur leur humeur. Entre les deux guerres mondiales, des chercheurs isolés se penchèrent sur les possibilités thérapeutiques de la musique. Et constatèrent d’heureux effets sur les alcooliques, les toxicomanes, et dans la préparation de soins chirurgicaux. En 1960, ils arrivèrent à conclure que des musiques enregistrées, judicieusement choisies en fonction de chaque cas particulier, pouvaient permettre d’explorer l’univers affectif et émotionnel d’un individu. Il s’agit de créer chez le malade un climat de sécurité, de réveiller son imagination et ses énergies constructives afin de réorganiser sa vie intérieure ou sociale. Aujourd’hui, il existe à Paris l’Association de recherches et d’applications des techniques psychomusicales dont l’activité, en s’imposant, obtient des résultats de plus en plus positifs. MUTATION. Famille de jeux de l’orgue faisant entendre des harmoniques du son fondamental, et, particulièrement, outre les octaves, les sons de quinte (nasard et larigot) et de tierce. On trouve parfois la septième, ou harmonique 7. Intervenant isolément, ces jeux sont alors dits « mutations simples » et se combinent avec la fondamentale pour donner des sonorités richement timbrées, propres aux récits et aux dialogues. Réunis entre eux, en « mutations composées », ils constituent principalement les jeux de cornet et de sesquialtera. MUTHEL (Johann Gottfried), organiste et compositeur allemand (Mölln 1728 Bienenhof, près de Riga, 1788). Dernier élève de Bach à Leipzig (1750), il rendit ensuite visite à Berlin à Carl Philipp Emanuel, qui devait l’influencer fortement en matière de musique pour clavier. De 1755 à sa mort, il fut organiste à l’église luthérienne de Riga. Il a laissé des concertos et des sonates pour clavecin ainsi que de la musique d’orgue. MUTI (Riccardo), chef d’orchestre italien (Molfetta, près de Naples, 1941). Après un essai infructueux au violon, il étudie le piano au conservatoire San Pietro a Majella de Naples, avec V. Vitale, puis la direction d’orchestre et la composition au conservatoire Verdi de Milan, respectivement avec A. Votto et B. Bettinelli, tout en poursuivant à l’université de cette ville des études de littérature et de philosophie. Avant même de remporter son diplôme de fin d’études, il dirige, en 1966, son premier opéra. L’année suivante, il remporte downloadModeText.vue.download 693 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 687 le prix Guido-Cantelli, qui lui apporte ses premiers engagements : Orchestre de la RAI (1968), Mai musical florentin, dont il devient chef permanent (1969), débuts lyriques à Naples et à Rome (1970). Il fait une entrée remarquée au Festival de Salzbourg, en dirigeant en 1971 Don Pasquale de Donizetti, et aux États-Unis (en 1972) avec l’Orchestre de Philadelphie. La même année à Florence, il est le premier à diriger le Guillaume Tell de Rossini dans une version véritablement intégrale. Riccardo Muti se fait connaître par sa curiosité pour les ouvrages méconnus de Paisiello, Cherubini, Spontini et du jeune Verdi, son auteur de prédilection. Il remporte avec Aïda un grand succès aussi bien à l’Opéra de Vienne (1973) qu’à Covent Garden (1977), où il est invité régulièrement. On le voit diriger également les orchestres philharmoniques de Berlin et de Vienne (par exemple au cours d’une tournée au Japon avec Karl Böhm), le New Philharmonia (de 1973 à 1982 comme successeur d’Otto Klemperer) et l’Orchestre de Philadelphie, dont il devient successivement principal chef invité en 1975 et directeur musical de 1980 à 1992. En 1986, il succède à Claudio Abbado comme directeur musical de la Scala de Milan. Il défend un vaste répertoire et possède les qualités qui font les grands chefs. MUTTER (Anne-Sophie), violoniste allemande (Rheinfelden 1963). Elle étudie d’abord le piano, puis le violon auprès d’Erna Honigsberger et remporte un premier prix avec félicitations du jury lors du concours fédéral Jugend musiziert. Au Conservatoire de Winterthur, en Suisse, elle travaille ensuite avec Aïda Stucki, élève de Carl Flesh comme son professeur précédent. Après un récital triomphal donné à Lucerne en 1976, elle est invitée par Karajan pour une audition. Âgée de treize ans, elle est alors engagée par lui pour interpréter avec la Philharmonie de Berlin le Concerto K 216 de Mozart, concert où elle reçoit les ovations du public. À partir de cette date, elle se produit sous la direction de Zubin Mehta, Mstislav Rostropovitch, Christophe von Dohnanyi. En 1989, elle constitue un trio à cordes avec B. Giuranna et M. Rostropovitch et, l’année suivante, commence à enseigner le violon à la Royal Academy of Music de Londres. MYSLIVECEK (Josef), compositeur tchèque (Horni Sarka, près de Prague, 1737 - Rome 1781). Fils d’un meunier, il étudia l’orgue et le contrepoint avec Frantisek Habermann et Josef Seeger. Il fit paraître 6 symphonies sans nom d’auteur (1760), et décida de se consacrer entièrement à la musique (1762). Il se rendit à Venise (1763) et son premier opéra, Medea, fut donné à Parme (1764). Dès lors, il vécut principalement en Italie, séjournant cependant à Vienne et à Munich (1772), puis de nouveau à Munich (1777). Sa vie dissolue hâta sans doute sa fin. Mozart, qui le rencontra à Bologne en 1770 et à Munich en 1777, l’appréciait fort. On lui doit de la musique de chambre (dont une série de quintettes à cordes) souvent teintée de folklore tchèque, des pièces pour instruments à vent, des oratorios, dont l’un, Isacco figura del Redentore (Florence, 1776 ; donné à Munich, 1777, avec comme titre Abramo ed Isacco), fut attribué à Mozart, et surtout des opéras, parmi lesquels Il Bellerofonte (Naples, 1767), Il Demofoonte (Venise, 1769), Erifile (Munich, 1773), Armida (Milan, 1779), et Antigono (Rome, 1780). MYSTÈRE ou MISTÈRE [étymologie contestée, certains la rattachant au sens actuel dérivé de mysterium, d’autres à celui de ministerium, « office « ; les deux orthographes ont eu cours]. Nom donné aux XVe et XVIe siècles à des représentations théâtrales de plein air (places publiques ou parvis d’églises), avec un déploiement de moyens important et un texte en vers pouvant en certains cas nécessiter plusieurs journées. Le sujet en est généralement religieux et emprunté soit à l’Ancien Testament (Mystère de Job) soit au Nouveau (Mystères de la Passion, débordant parfois largement leur titre), mais il pouvait aussi y avoir des sujets profanes (Mystère de la délivrance d’Orléans). Au XIXe siècle, le terme fut indûment généralisé et parfois confondu avec le drame liturgique, dont le mystère constitue une dérivation, mais dont il reste fortement distinct. Contrairement au drame liturgique, le mystère, toujours en langue vulgaire, n’a pas de caractère musical propre, mais il peut faire appel à des illustrations musicales, vocales ou instrumentales, à titre d’intermède ou de musique de scène. Son seul lien avec l’office réside dans le Te Deum, qui le clôt souvent par tradition, en souvenir de celui qui concluait le drame liturgique de matines, en se confondant avec le chant final de cet office. downloadModeText.vue.download 694 sur 1085 NABOKOV (Nicolas), compositeur américain d’origine russe (Lubcza, région de Minsk, 1903 - New York 1978). Il était le cousin de l’écrivain Vladimir Nabokov. Il a fait ses études musicales à Saint-Pétersbourg avec Rebikov (191112), à Yalta, à Berlin avec Busoni (192223), à Strasbourg et à Paris (1926-1933). Son premier ouvrage important, le balletoratorio Ode, fut créé aux Ballets russes de Diaghilev à Paris en 1928. Il émigra en 1933 aux États-Unis, où il fut succes- sivement professeur au Wells College, au Saint John’s College, au Peabody Conservatory de Baltimore, à la City University de New York et à la State University de Buffalo. Son ballet la Vie de Polichinelle lui fut commandé par l’Opéra de Paris en 1934 ; un autre ballet, Union Pacific, créé à Philadelphie en 1934, fut représenté dans le monde entier. Son attachement à la culture russe se manifeste à travers ses références à Pouchkine (The Return of Pushkin pour solistes et orchestre, 1948), à Pasternak (4 Poèmes pour voix et piano, 1961), à Anna Akhmatova (6 Lyric Songs, 1966), ainsi que dans son opéra la Mort de Raspoutine (195859). Son livre Old Friends and New Music (Boston, 1951) contient des souvenirs sur Diaghilev. Nijinski, Stravinski, Prokofiev, Chostakovitch. NADERMAN (Jean-Henri), facteur d’instruments et éditeur français d’origine allemande (Fribourg 1735 Paris 1799). Conseillé à partir de 1777 par Krumpholtz, il construisit surtout des harpes, la plus célèbre étant celle de Marie Antoinette (1780), et publia un très grand nombre d’oeuvres pour cet instrument. Il reprit en 1796 la firme et les plaques de l’éditeur Boyer. Il eut deux fils : Henri (Paris v. 1780 - id. après 1835), facteur N d’instruments et homme d’affaires, actif dans la firme de son père, et FrançoisJoseph (Paris 1781 - id. 1835), harpiste et compositeur. Membre le plus célèbre de la famille, ce dernier ne fut supplanté comme interprète que par Bochsa. En 1821 parut chez Naderman, comme prétendue nouveauté et sous le titre de Dernière Sonate pour le piano avec accompagnement de violon composée expressément pour Madame la Maréchale Moreau, le trio avec piano en mi bémol mineur no 41 (Hob. XV.31) de Haydn, écrit à Londres en 1795 et publié dès 1803 chez Traeg à Vienne. Après 1835, la maison d’édition cessa ses activités ou fut reprise par G.-J. Sieber. NAGANO (Kent), chef d’orchestre américain (Morro Bay, Californie, 1951). Issu d’une famille japonaise émigrée aux États-Unis, il commence l’étude du piano à l’âge de quatre ans, puis celle du koto, de l’alto et de la clarinette. Bachelor of Arts en musicologie à l’université de Santa Cruz, il poursuit ses études musicales tout en faisant ses débuts comme répétiteur à l’Opéra de Boston et commence à diriger à l’Opéra de chambre de San Francisco. En 1983, il est l’assistant de Seiji Ozawa pour la création du Saint-François d’Assise de Messiaen, partition qu’il dirige ensuite dans plusieurs villes européennes. En 1986, il est nommé principal chef invité de l’Ensemble InterContemporain, poste qu’il occupe jusqu’en 1989, date à laquelle il devient directeur musical de l’Opéra de Lyon. Parallèlement au grand répertoire lyrique, il assure la création de plusieurs opéras contemporains. NAGELI (Hans Georg), éditeur, pédagogue, critique et compositeur suisse (Wetzikon, près de Zurich, 1773 - id. 1836). Il étudia à Zurich et à Berne, fonda sa maison d’édition en 1792 et fut un des premiers à publier des oeuvres de Bach (le Clavier bien tempéré en 1801). Dans sa série Répertoire des clavecinistes (à partir de 1803) parurent en 1803-1804 la première édition des trois sonates opus 31 de Beethoven, en 1804 une édition de l’opus 13 (Pathétique) et en 1805 une de l’opus 53 (Waldstein). Il fonda diverses sociétés chorales et propagea dans son enseignement les idées de Pestalozzi. NANCARROW (Conlon), compositeur mexicain d’origine américaine (Texarkana, Arkansas, 1912). Il joue du jazz (trompette) et complète ses études au Conservatoire de Cincinnati. Il prend aussi des cours privés, avec Slonimsky, Piston et Session à Boston. Pour avoir participé à la guerre d’Espagne du côté des républicains, il se voit retirer le passeport américain et s’installe au Mexique, dont il acquiert la nationalité en 1956. Nancarrow y mène une existence marginale avant d’être redécouvert par l’avant-garde américaine (Cage, Mumma), ainsi que par Ligeti, dans les années 1970. Il se consacre presque exclusivement à la composition pour piano mécanique (plus de 40 Études), et se fait spécialement fabriquer un appareil à l’aide duquel il perce directement les rouleaux destinés à cet instrument. Ces rouleaux deviennent ainsi une partition, mais aussi un proto- cole d’actions à remplir et une « interface » graphique. Il obtient, ainsi, dans ses oeuvres, une précision et une liberté rythmiques inconcevables auparavant. D’où une remarquable complexité et des superpositions proprement inouïes (ostinatos, canons divers, accentuations paradownloadModeText.vue.download 695 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 689 doxales, changements de couleur dus à la vitesse d’exécution obtenue, irréalisable par les moyens traditionnels). Se référant à l’indépendance de cellules rythmiques donnant chacune l’impression de vivre sa propre vie musicale, Nancarrow parle de « dissonance temporelle ». Il conçoit une véritable polyphonie rythmique, plutôt qu’une polyrythmie, éventuellement réductible à un schéma unique. Certaines de ses pièces pour piano mécanique ont été orchestrées. En 1988, le Quatuor Arditti crée son Quatuor à cordes no 3. NARDINI (Pietro), violoniste et compositeur italien (Livourne 1722 - Florence 1793). Élève de Tartini, avec lequel il travailla six ans à Padoue, il visita Vienne et diverses villes d’Allemagne (1760-1766), puis retourna dans sa ville natale. Après avoir assisté Tartini durant sa dernière maladie (1769-70), il devint directeur musical de la cour de Florence, poste qu’il devait occuper jusqu’à sa mort. Comme violoniste, il excella surtout dans les mouvements lents, moins dans la virtuosité : d’où la relative facilité technique de ses concertos, qui comme ceux de Tartini adoptent souvent la coupe lent-vif-lent. Ses 6 concertos op. 1 parurent à Amsterdam vers 1765. On lui doit aussi des sonates pour violon (op. 2, op. 5), des sonates pour violon et flûte, des quatuors à cordes. NARVAEZ (Luis de), vihueliste espagnol (né à la fin du XVe s. à Grenade). Il fut successivement musicien du commandeur de Léon, puis du futur Philippe II. On lui doit un remarquable recueil de tablatures, El Delfín de música, comprenant un grand nombre de fantaisies, variations, villancicos, et des transcriptions pour vihuela de pièces vocales, publié à Valladolid en 1538, qui témoigne d’une extraordinaire maîtrise dans l’art de la variation (Differencias). Il fit paraître également deux livres de motets en 1539 et 1543 à Lyon. NASARD. Jeu de mutation de l’orgue, de la famille des flûtes, faisant entendre l’harmonique 3 du son fondamental, c’est-à-dire sonnant à la douzième, soit une octave et une quinte au-dessus de lui. La hauteur du nasard est de 2 2/3 pieds pour une fondamentale de 8 pieds (ou de 5 1/3 pieds pour une basse de 16 pieds). Le nasard est utilisé seul avec la fondamentale, dans des récits, ou en composition dans le cornet. NAT (Yves), pianiste et compositeur français (Béziers 1890 - Paris 1956). Il fait ses études de piano, de solfège et d’harmonie dans sa ville natale (avec C. Bourgeois) et donne son premier concert à l’âge de sept ans. Une fantaisie pour orchestre de sa composition qu’il dirige trois ans plus tard lui vaut d’être remarqué par Fauré et Saint-Saëns. En 1907, il obtient un premier prix de piano au Conservatoire national de Paris (classe de L. Diémer). Encouragé par Debussy et Ysaýe, il entre dans la carrière de concertiste, qu’il mènera jusqu’en 1934, date de sa nomination comme professeur de piano au Conservatoire de Paris. Dès lors, il ralentit une activité de concertiste menée malgré sa hantise de la foule et du « tapage », selon ses propres termes, pour se consacrer à l’enseignement et à la composition. Doté d’une main à large paume et aux doigts courts, Yves Nat se bâtit, à partir de doigtés non conformistes, une technique novatrice qu’il met au service de ses élèves. Le respect de la vérité expressive et une ferveur nourrie par la familiarité des oeuvres restent les maîtres mots d’un art aux dimensions quasi métaphysiques. Extrêmement scrupuleux, ce n’est qu’à l’avènement du microsillon que Yves Nat s’est résigné à enregistrer quelques témoignages de son génie interprétatif : une intégrale des sonates de Beethoven et des pages de Schumann, Chopin, Brahms et Schubert. La sincérité est également la marque dominante d’une oeuvre principalement dédiée au piano - des préludes, une sonatine, un concerto (qu’il a enregistrés lui-même) - et à la voix - des mélodies et son chef-d’oeuvre, l’Enfer (1942), vaste fresque pour choeur et orchestre. NATUREL. Outre son sens général (« conforme à l’instinct »), qui s’applique ici, le mot « naturel » a en musique plusieurs acceptions particulières. L’une d’elles fait référence aux intervalles fournis par la « nature » dans le phénomène dit « de résonance », d’où découle le tableau des harmoniques. En terme de physique, on considère comme naturel un intervalle défini par un rapport figurant sur le tableau des harmoniques soit entre une fondamentale et l’un de ses harmoniques, soit entre deux harmoniques de la même fondamentale. Théoriquement, si on pousse à l’infini le tableau des harmoniques, tous les intervalles peuvent être naturels ; en fait, ce tableau n’est utilisable qu’à condition de ne pas dépasser un seuil d’assimilation variable, que l’on peut évaluer à l’heure actuelle aux 16 premiers harmoniques au maximum, dont 10 seulement de façon usuelle. On peut ainsi considérer comme naturel tout intervalle exprimé par une fraction dont aucun des deux termes n’excède 10, ou 16 à la rigueur (par ex., octave 2/1, ton 9/8, 7e mineure 7/4, etc.). En terme d’harmonie, on considère comme naturels les intervalles ou les accords correspondant à la définition physique ci-dessus. Toutefois, comme aucun des intervalles du tempérament égal, aujourd’hui généralisé, n’est rigoureusement conforme (octave exceptée) au modèle naturel, on en étend l’application, grâce au phénomène de tolérance, aux intervalles usuels reproduisant par approximation les véritables intervalles naturels. On dira ainsi qu’une tierce majeure tempérée (100, 343 savarts) est un intervalle naturel bien que ne coïncidant qu’à peu près avec la vraie tierce majeure naturelle des harmoniques 4 et 5 (intervalle 4/5, soit 97 savarts), parce qu’il la représente par approximation dans la pratique des musiciens. En ce qui concerne les accords (3 sons ou plus), on considère comme naturels, avec la même approximation de tolérance, les accords dont on retrouve tous les in- tervalles, sur le même tableau et dans la même limite, à partir d’une même fondamentale ou de l’une de ses octaves (coeff. 1, 2, 4 ou 8). La tierce mineure (harmoniques 5 et 6, d’où rapport 6/5) n’est donc un intervalle naturel que si on la considère dans l’ensemble 1 à 6 dont font partie ces deux nombres, c’est-à-dire en prenant mi-sol comme fragment de l’accord de do majeur (do-mi-sol) et non de celui de mi mineur (mi-sol-si). C’est pourquoi, même si les intervalles de l’accord parfait mineur se retrouvent sur le tableau (ex., sol-si bémol-ré, nos 6, 7, 9), ils ne peuvent en rien concerner le véritable accord mineur, celui de sol, puisqu’ils n’y existent que comme fragment de l’accord de 9e naturelle du son no 1 ou de l’une des octaves (do-mi-sol-si bémol-ré). C’est pourquoi l’accord parfait mineur est artificiel, tandis que l’accord majeur, appuyé sur la fondamentale ou l’une de ses octaves (par ex., do-mi-sol, harmoniques 4, 5, 6 de do no 1), est un accord naturel. Il en est de même de l’accord de 7e, do-mi-sol-si bémol, formé, en ramenant les sons à leur hauteur tempérée, des harmoniques 4, 5, 6, 7, d’où son nom d’accord de 7e naturelle. Il en est de même de l’accord de 9e naturelle, formé des mêmes harmoniques augmentés de l’harmonique suivant no 9 (ré, d’où do-misol-si bémol-ré). Les accords de 7e et de 9e naturelle prennent les noms de 7e et 9e de dominante lorsqu’on les emploie tonalement sur le 5e degré, dit « dominante », mais seulement dans ce cas, à moins de contresens caractérisé. Le XXe siècle connaît également un accord de 11e naturelle formé de l’accord de 9e naturelle auquel s’ajoute dans les mêmes conditions la 11e augmentée naturelle (fa dièse), et même un accord de 12e naturelle formé du précédent plus la 12e augmentée naturelle (sol dièse de l’harmonique 13). Contrairement aux précédents accords naturels, ces deux derniers n’ont, par eux-mêmes, aucune valeur tonale privilégiée. Ce n’est peut-être pas un hasard si leur apparition downloadModeText.vue.download 696 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 690 coïncide précisément avec la période d’affaiblissement de la tonalité que constitue notre XXe siècle. Pour les instruments à vent, on appelle sons naturels ceux obtenus par le seul jeu des sons harmoniques, c’est-à-dire par la pression des lèvres, sans intervention de doigtés (trous, clefs ou pistons), et instruments naturels ceux qui ne comportent pas une telle intervention (par ex., le cor de chasse). On appelle aussi sons naturels ceux obtenus sur ces instruments sans intervention d’artifices spéciaux comme le sont sourdines, sons d’écho, etc. Pour les instruments à cordes, au contraire, on oppose les sons naturels, obtenus par vibration normale de la corde non divisée (entre le chevalet d’une part et le sillet où le doigt appuie à fond d’autre part), aux sons obtenus en divisant la corde en plusieurs fuseaux par effleurement en un endroit déterminé, et que l’on appelle sons harmoniques (ou harmoniques tout court). Ces sons harmoniques sont eux-mêmes divisés en harmoniques naturels, qui sont ceux de la corde à vide, et en harmoniques artificiels, qui sont ceux de la corde doigtée : la distinction est arbitraire et ne touche en rien à la nature du phénomène. Une autre utilisation du mot « naturel » fait référence non plus au mode de production des sons, mais à l’ancien solfège médiéval qui donnait ce nom aux syllabes de l’hexacorde ut-la ne comportant pas la « note mobile » qu’était le futur si. D’où, par extension, depuis la disparition de ce système, l’emploi du mot naturel pour désigner toute note non altérée (touches blanches du clavier ; exemple do naturel, si naturel) [ ! ÉTAT]. NAUDOT (Jacques Christophe, dit JeanJacques), flûtiste et compositeur français (v. 1690 - Paris 1762). Maître de flûte à Paris en 1726, il fut l’un des premiers compositeurs à introduire la flûte traversière en France, et écrivit pour cet instrument vingt livres de sonates (à une ou plusieurs flûtes) ainsi que plusieurs concertos, etc. NAUMANN (Johann Gottlieb), compositeur allemand (Blasewitz, près de Dresde, 1741 - Dresde 1801). Après des études à la Kreuzschule de Dresde, il se rendit en Italie (1757) et y reçut les conseils de Tartini, du Padre Martini et de Hasse. Recommandé par ce dernier, il devint compositeur d’église, puis maître de chapelle (1776) à la cour de Dresde. À partir de 1777, il contribua à réorganiser la chapelle musicale de Stockholm, donnant notamment les opéras Cora och Alonzo (1782) et, surtout, Gustaf Wasa (1786), longtemps considéré comme l’opéra national suédois. Il se rendit aussi à Copenhague, où fut représenté en 1786 Orpheus og Eurydyke, et, la même année, se fixa de nouveau à Dresde, effectuant ultérieurement d’importants séjours à Berlin. Outre des oeuvres instrumentales, on lui doit, entre autres, 12 oratorios (dont 1 français et 11 italiens) et 25 ouvrages pour la scène. Les premiers, parmi lesquels La Clemenza di Tito (1769), s’inscrivent dans la descendance de Hasse. Les suivants, dont La Dama soldato (1791), témoignent aussi de l’influence de Gluck et de l’opéra français, en particulier par leur usage du récitatif accompagné et du choeur. NAVARRA (André), violoncelliste français (Biarritz 1911 - Sienne 1988). Un premier prix remporté à treize ans au conservatoire de Toulouse lui ouvre en 1926 les portes de celui de Paris, où il étudie le violoncelle avec J. Loëb et la musique de chambre avec Ch. Tournemire. Nanti, l’année suivante, d’un nouveau premier prix, il fait partie du quatuor Krettly, de 1929 à 1935, et fait ses débuts de soliste en 1931, avec l’orchestre des concerts Colonne dirigé par Gabriel Pierné. Sa carrière est jalonnée de tournées importantes aux États-Unis, au Japon et, surtout, à Londres, où il triomphe avec le Concerto d’Elgar, qu’il inscrit à son répertoire. En France, Navarra provoque et crée de nouvelles oeuvres pour son instrument, en particulier des concertos que lui dédient A. Jolivet (1962) et H. Tomasi (1970). Il joue et enregistre avec les plus grands chefs, Ch. Münch, K. Ancerl, A. Cluytens, C. Silvestri, mais consacre le plus clair de son temps à l’enseignement depuis sa nomination en 1949 au Conservatoire de Paris. Il donne également des cours d’été à l’Accademia Chigiana de Sienne (à partir de 1954), au conservatoire de Vienne et à l’Académie musicale de Detmold (à partir de 1958). L’art et la pédagogie de Navarra ont en commun une conception chaleureuse de l’instrument, visant à tisser des sonorités idéales et émouvantes. NĀY ou NEY. Flûte oblique orientale (arabo-iranoturque). La flûte oblique orientale, nāy ou ney, est un instrument très ancien, dont le nom provient du mot persan ney (roseau). Son essor est lié à celui de la civilisation islamique au sein de laquelle le nāy est un instrument traditionnel à la fois populaire, savant et sacré. Il exprime alors aussi bien la rêverie du berger, le raffinement esthétique classique ou le souffle mystique des derviches, soufis et initiés de diverses congrégations de l’Islām, dont les « mevlevis-tourneurs » de Turquie. Le nāy arabe est constitué d’un simple roseau ouvert aux deux extrémités, dépourvu d’embouchure ou d’encoche, dont les caractéristiques sont constantes et indépendantes de la dimension, du timbre ou du registre. Le roseau doit être, de préférence, constitué de neuf segments séparés par huit noeuds. Un trou postérieur est percé à mi-longueur, soit dans le cinquième segment, et six trous antérieurs répartis en deux groupes similaires de trois sont percés dans les sixième, septième et huitième segments. Le ney turc comporte une embouchure en ivoire, en os, ou en écaille et quelques bagues de décoration. Le ney iranien comporte souvent une « embouchure » de métal qui en facilite le jeu. Les flûtistes orientaux, pour éviter les transpositions par les doigtés, disposent en général d’une bonne dizaine de nāy, dont chacun donne un fondamental et un registre différents. Ils peuvent ainsi transposer en conservant leurs doigtés et jouer de concert avec différents instruments et chanteurs. Pour jouer du nāy, on dispose l’extrémité supérieure contre sa lèvre inférieure (parfois ses dents en Iran), et on incline la tête et le roseau selon deux obliquités différentes. Le souffle se brise sur l’extrémité supérieure et donne le son. Le fondamental et les divers degrés (trois octaves moins une note) sont obtenus par la disposition des doigts et la force du souffle qui donne la quinte et les deux octaves des notes graves. Les mini-intervalles dépendent de l’inclinaison relative tête-roseau et de l’obturation partielle des trous. La maîtrise du nāy est donc le fruit d’une longue expérience. Le timbre du nāy, voilé et blessé, doit être respecté. Il est symbolique du souffle vital. Les inflexions sont riches en harmoniques et provoquent des effets dépassant la mélomanie conventionnelle, d’où les succès actuels des nāy et ney. NECTOUX (Jean-Michel), musicologue français (Le Raincy 1946). Il a travaillé avec Yves Gérard et avec Vladimir Jankélévitch pour sa thèse d’État Gabriel Fauré et le théâtre (1980). Diplômé de l’École nationale supérieure des bibliothèques (1970), il a été conservateur à Versailles puis au département de la musique de la Bibliothèque nationale à Paris (1972), et a été nommé en 1985 responsable des activités musicales au musée d’Orsay à Paris, avant d’en devenir conservateur en chef. Éditeur de Chopin, il a publié notamment Fauré (1972), Correspondance Saint-Saëns-Fauré (1973, 2e éd. 1993), G. Fauré : Correspondance (1980) et Gabriel Fauré : les voix du clairobscur (1990). NEEFE (Christian Gottlob), compositeur allemand (Chemnitz 1748 - Dessau 1798). Il étudia à Leipzig le droit à l’université et la musique avec J. A. Hiller, et, vers 1780, s’établit à Bonn, où il devint organiste de la cour (1782) et eut comme élève BeethodownloadModeText.vue.download 697 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 691 ven (piano, orgue, basse continue, composition). Il perdit ses postes lors de l’occupation française (1794), mais, en 1796, fut nommé directeur musical du théâtre de Dessau. Bon pédagogue, il s’illustra, surtout, comme compositeur, dans le domaine du lied et dans celui du singspiel. Il collabora avec Hiller pour Der Dorfbarbier (1771) et écrivit lui-même, entre autres, Die Apotheke (1771, d’après Goldoni), Die Zigeuner (1777) et, surtout, Adelheit von Veltheim (1780), au sujet proche de celui de l’Enlèvement au sérail de Mozart. Ses lieder et ses odes d’après Klopstock ont souvent un ton de ballade. On lui doit aussi le monodrame Sopho- nisbe (1778). NEGRO SPIRITUAL. Chant religieux négro-américain d’inspiration chrétienne, en langue anglaise. Le spiritual, probablement apparu au XVIIIe siècle, est né de la fusion de certains éléments de la tradition musicale africaine et d’éléments empruntés aux cantiques occidentaux. Créés collectivement, dans l’excitation des « camp meetings » - ces vastes assemblées où sermons et chants alternaient -, ou individuellement, par des « bardes » qui les transmettaient ensuite de plantation en plantation, les premiers spirituals résultèrent sans doute d’une simple déformation du matériau musical qui leur était fourni par les évangélisateurs. Par la suite (fin du XIXe s.), une tradition de spiritual « savant » se substitua peu à peu à la tradition populaire. L’université Fisk, à Nashville, l’Institut Hampton, en Virginie, entreprirent de discipliner le spiritual, de créer les bases d’un répertoire ; on se mit à chanter le spiritual à plusieurs voix, au prix, parfois, d’un renoncement à l’essentiel : les inflexions, les clameurs, les syncopes, la variabilité des blue notes, éléments qui sont à la base du style négroaméricain et qui se retrouvent dans le blues (équivalent du spiritual sur le plan profane) et, plus tard, dans le jazz. NELSON (John), chef d’orchestre américain (San José, Costa Rica, 1941). À la Juilliard School, il remporte le prix Irving Berlin de direction d’orchestre. En 1972, il débute à Carnegie Hall en dirigeant les Troyens de Berlioz. En 1973, il remplace au Metropolitan Rafaël Kubelik souffrant, et commence une carrière internationale. De 1981 à 1991, il est directeur musical de l’Opéra de Saint Louis et, à partir de 1981, s’impose au Festival Berlioz : jusqu’en 1989, il y dirige Béatrice et Bénédict, le Requiem et Benvenuto Cellini. Berlioz, Gounod et Massenet, ainsi que Haendel et Britten, sont ses compositeurs favoris. Il dirige souvent à l’Opéra de Lyon : en 1994, il y donne la Traviata, et y crée en 1996 Galina de Marcel Landowski. NELSON (Judith), soprano américaine (Chicago 1939). Elle étudie au Studio der frühen Musik à Francfort avec Andrea von Ramm, puis avec Martial Singher en Californie. Elle se tourne très tôt vers le répertoire baroque, et interprète notamment plusieurs cantates de Haendel avec l’Academy of Ancient Music et Christopher Hogwood. Elle aborde aussi le répertoire italien, avec le Couronnement de Poppée de Monteverdi, et les duos da camera de Rossi et Cesti. Elle chante en duo avec René Jacobs et le Concerto Vocale, et participe à un enregistrement intégral des musiques de scène de Purcell. NEMESCU (Octavian), compositeur roumain (Pascani 1940). Il fait des études au Conservatoire de Bucarest (1956-1963), où il enseigne la composition depuis 1990. Il participe aux Cours d’été de Darmstadt, travaille dans différents studios électroniques occidentaux, à Bourges (GMEB), à Lyon (GRAME) ou à Gand. Lauréat de plusieurs concours de musique pour bande, Nemescu, après une courte période où sa musique se distingue par sa rigueur et sa puissance algorithmique (Triangle pour orchestre, 1964), s’oriente vers une conception novatrice des archétypes musicaux et de leur valeur symbolique (le cycle orchestral Quatre Dimensions en temps I-VIII, 1964-1968 ; Natural pour piano et bande, 1973-1983, Gradeatia pour bande magnétique et ensemble ad libitum, 1982). Nemescu élabore très tôt un système de composition fondé sur la superposition de plusieurs « couches » musicales caractérisées par un statut culturel et sémantique indépendant et bien défini (Concentrique pour bande et ensemble ad libitum, 1968-69 ; le Chadouf de la porte pour ensemble et bande, 1975-76 ; Metabizantinirikon pour bande et instruments, 1984). Par certains aspects, sa musique peut être rapprochée de l’expérience conceptuelle (Semantica jeux métamusicaux pour n mélomanes, 1971-1974 ; Chromosome, 1975 ; le Jeu des sens, 1976-1980) ou de la musique spectrale (Spectacle pour un instant, 1974). Il a exposé ses principes esthétiques dans de nombreuses études publiées à Bucarest, ainsi que dans sa thèse de doctorat, Capacitatile semantice ale semnului muzical (les Capacités sémantiques du signe musical, Bucarest, 1983). NÉOCLASSICISME. Expression apparue vers la fin du XIXe siècle pour désigner en musique, ainsi que dans les autres formes d’arts (poésie, peinture), certaines esthétiques traduisant la volonté affichée d’un « retour à « : retour à une musique équilibrée, stylisée, pure, « apollinienne », inspirée des maîtres classiques (Bach, notamment), par réaction contre l’expressivité débridée du romantisme, ses formes parfois hypertrophiées ou rhapsodiques et sa tendance à soumettre la musique au drame ; mais parfois aussi, retour par réaction contre l’atonalisme et l’« avant-gardisme », etc. Déjà, le romantisme portait en lui le néoclassicisme comme son double et son envers. Naturellement, tout néoclassicisme se réclame d’un passé, et c’est Jean-Sébastien Bach qui en fut, le plus souvent, élu père, comme « classique des classiques ». Une première vague néoclassique apparut au XIXe siècle, parallèle au romantisme et à ses développements, notamment dans les oeuvres de Johannes Brahms et Max Reger et dans les conceptions antiwagnéristes du critique Hanslick. Ces musiciens se réclamaient de la tradition germanique de contrepoint compact, de choral varié, etc., et c’est Felix Mendelssohn qui avait amorcé ce courant, en ressuscitant la musique de Bach et en concevant des oeuvres bâties sur les vieux moules de la tradition allemande (notamment dans sa production de musique religieuse, un domaine d’élection du néoclassicisme). Une seconde vague de néoclassicisme s’affirma dans les débuts du XXe siècle, en réaction contre l’expressionnisme, l’atonalité, l’impressionnisme, etc. : en Allemagne avec Paul Hindemith, par exemple. En France, il y eut le néoclassicisme « aimable » des compositeurs du groupe des Six, qui voulait restaurer l’idée de la musique comme art d’agrément, en faisant référence aux musiques de spectacle, mais aussi à Mozart (chez Poulenc, notamment). Le néoclassicisme plus grinçant et « cubiste » de Stravinski, dans les années 20, travestissait en « complet-veston » des thèmes ou des styles musicaux empruntés à Pergolèse (Pulcinella, 1919-20), à l’opéracomique du XIXe siècle (Mavra, 1922), à Bach (Octuor, 1923 ; Concerto pour piano et orchestre d’harmonie, 1923-24 ; Dumbarton Oaks Concerto, 1937, « distorsion » moderne du troisième Concerto brandebourgeois), à l’opéra italien (OEdipus rex, 1927) et même à Tchaïkovski (le Baiser de la fée, 1928). Dans la troisième de ses Satires, pour choeur mixte (1925), Schönberg se plut à railler le petit « Modernsky » qui se met la perruque du « papa Bach ». Mais lui-même sera à son tour taxé de « néoclassique », pour ses oeuvres tardives, par Pierre Boulez, qui y relèvera une inspiration « brahmsienne » et une volonté réactionnaire de réintégrer la tonalité dans le système sériel. Il y eut aussi le néoclassicisme « méditerranéen » de Malipiero (qui remontait aux maîtres italiens du passé), Casella et Respighi ; le néoclassicisme « français » de Ravel (Tombeau de Couperin, 1914-1917) et d’Albert Roussel - qui se réclame souvent des vieux maîtres français comme Rameau ; le néoclassicisme, d’occasion, de downloadModeText.vue.download 698 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 692 Prokofiev (Symphonie classique, 1917, en référence à Haydn), etc. D’une manière générale, le néoclassicisme a été souvent combattu en termes violents par les jeunes « ultras » de diverses tendances, comme une fuite devant la nécessité de réinventer la musique. Quelle que soit sa référence classique Bach, période préclassique ou opéra italien du XVIIIe siècle -, le néoclassicisme se réclame souvent d’une esthétique « objective « : la musique doit tirer son sens du seul jeu des valeurs musicales et des proportions. Naturellement, il s’applique souvent à « moderniser » les styles qu’il reprend, d’où une impression grinçante, parfois délibérément cultivée (chez Prokofiev et Stravinski, par exemple ; on pense au travail de Picasso sur les toiles de Velázquez). Tentation esthétique des époques baroques et troublées, le néoclassicisme a souvent une dimension ironique de « second degré « ; c’est la musique de gens qui ne veulent pas être dupes de leurs procédés de style et qui maintiennent avec leur expression une certaine distance. Vers la fin des années 60, on a vu, au contraire, par réaction contre l’abstraction de l’après-guerre, un courant néoromantique très prononcé, dans les oeuvres mêmes de ceux qui avaient commencé par se réclamer de Webern. NERI (saint Philippe), religieux italien (Florence 1515 - Rome 1595). Fils de notaire, il fut ordonné prêtre en 1551. Il organisa des réunions dans son logement de l’église San Girolamo della Carità à Rome pour prier et pour discuter des problèmes religieux. Bientôt, ces assemblées devinrent trop importantes et furent contraintes à trouver d’autres locaux : audessus de la nef. Le groupe fut reconnu par le pape Grégoire XIII en 1575, et la Congregazione dell’ Oratorio transféra ses activités à la Chiesa Nuova. Philippe Neri introduisit le chant des laude (laudes) à ses offices afin d’animer un plus grand nombre de fidèles. Son premier maître de chapelle fut Giovanni Animuccia et il semble que Victoria et Palestrina se mêlèrent aussi au mouvement. Sur une musique généralement simple, les textes que chantait la congrégation possédaient parfois un caractère dramatique. Pour cette raison, l’opéra sacré de E. de’ Cavalieri, Rappresentazione di Anima e di Corpo, donné à l’oratoire de la Chiesa Nuova en 1600, fut souvent considéré comme étant à l’origine de la forme de l’oratorio. Cette théorie se discute aujourd’hui. Philippe Neri fut canonisé en 1622. NEUBAUER (Franz Christoph), violoniste et compositeur tchèque (Melnik 1760 - Bückeburg 1795). Après avoir mené une vie errante, il arriva vers 1793 à Bückeburg, où il fut ressenti comme un rival par Johann Christoph Friedrich Bach, en poste dans cette cour depuis 1750. Selon un contemporain, « sa grande force était la symphonie », ce qui poussa sans doute Johann Christoph Friedrich à en composer lui-même dix de 1792 à 1794, alors qu’il avait abandonné le genre depuis vingt ans. À sa mort (janvier 1795), Neubauer lui succéda comme maître de chapelle, mais cet artiste « prolétarien et vagabond » disparut à son tour en octobre de la même année, tué par ses excès de boisson. NEUHAUS (Heinrich), pianiste russe (Elisabetgrad 1888 - Moscou 1964). Apparenté au compositeur Karol Szymanowski (qui lui dédiera deux oeuvres), il donne son premier concert en 1897 et commence une véritable carrière à l’âge de seize ans. Pendant deux ans, il étudie avec Leopold Godowski à Vienne. Après la Première Guerre mondiale, il enseigne quatre ans au Conservatoire de Kiev, puis jusqu’à sa mort au Conservatoire de Moscou (qu’il dirige de 1935 à 1937). Immense pédagogue, il forme plusieurs générations de pianistes, parmi lesquels des interprètes aussi différents que Richter, Lupu ou Frémy. De sa propre carrière de pianiste, il subsiste peu d’enregistrements, mais ils sont exceptionnels tant par la poésie sonore que par la finesse de leur toucher. NEUKOMM (Sigismund), compositeur et pianiste autrichien (Salzbourg 1778 Paris 1858). Sa mère était parente de la femme de Michael Haydn, et il étudia avec ce dernier avant de partir en mars 1797 pour Vienne, où il devait rester jusqu’en mai 1804, à la fois comme élève et disciple de Joseph Haydn, comme compositeur et pianiste, et comme professeur (notamment de la soprano Anna Milder, créatrice du rôle de Léonore dans Fidelio de Beethoven, et du second fils de Mozart). Certains arrangements de chants écossais et gallois officiellement réalisés par Haydn le furent en fait par lui. Jusqu’en juin 1808, il fut maître de chapelle au Théâtre allemand de SaintPétersbourg. En route vers la France, il s’arrêta à Vienne de novembre 1808 à février 1809, et, durant ces trois mois, visita presque quotidiennement Haydn, qu’il vénérait. À son départ, il reçut en cadeau du maître, qui devait mourir trois mois et demi plus tard, le manuscrit autographe de la Harmoniemesse. En novembre 1809, Neukomm arriva à Paris, qui, pendant un demi-siècle, devait être sa résidence principale. Mais il voyagea toujours beaucoup, séjournant de nouveau à Vienne dans la suite de Talleyrand lors du congrès de 1814-15, puis au Brésil de 1816 à 1821 (il y fit connaître des oeuvres de Haydn et de Mozart). On le vit plusieurs fois en Angleterre, et en Algérie en 1834-35. En 1842, il participa à Salzbourg aux cérémonies en l’honneur de Mozart. En 1804, Neukomm commença un catalogue de ses oeuvres qu’il tint à jour jusqu’à sa mort : y sont inscrits 1 265 ouvrages qui ne constituent d’ailleurs pas la totalité de sa production. Celle-ci recouvre à peu près tous les genres : oeuvres pour la scène, dont Der Nachtwächter (1804) et une musique de scène pour Athalie (1822), oeuvres sacrées, dont plusieurs oratorios et cantates, symphonies, ouvertures, concertos, musique de chambre et de piano. Son Esquisse biographique, rédigée par lui-même (en français), parut à Paris en 1859 (rééd., Munich, 1977). NEUMANN (Vaclav), chef d’orchestre tchèque (Prague 1920 - Vienne 1995). Il étudie le violon avec Josef Micka et la direction d’orchestre avec Pavel Dedecek et Metod Dolezil, au conservatoire de Prague, de 1940 à 1945. Cofondateur, en 1945, du quatuor Smetana, il y tient la partie de premier violon, puis d’alto, instrument dont il joue également dans les rangs de l’Orchestre philharmonique tchèque. En remplaçant inopinément Rafael Kubelik pour un concert de la Philharmonie, il est engagé comme chef assistant en 1948. Premier chef de l’Orchestre symphonique de Karlovy Vary (1951-1954), chef de l’Orchestre régional de Brno (1954-1956), il connaît soudainement en 1956 la consécration internationale grâce au succès démesuré (215 représentations à Berlin, Wiesbaden et Paris, au Théâtre des Nations) de la Petite Renarde rusée, opéra de Janáček, qu’il dirige à la demande de Walter Felsenstein, metteur en scène et directeur de l’Opéra-Comique de Berlin. Il en est nommé chef assistant de 1956 à 1962, puis principal de 1962 à 1964. Il dirige en même temps l’Orchestre symphonique de Prague, puis, de 1964 à 1968, la Philharmonie tchèque en qualité de second chef, l’orchestre du Gewandhaus de Leipzig et l’Opéra, dont il obtient la direction musicale. En 1968, il est nommé premier chef de la Philharmonie tchèque et se voit chargé, de 1970 à 1973, de la direction musicale du Staatsoper de Stuttgart. En digne successeur des grands aînés, Vaclav Talich et Karel Ancerl, Vaclav Neumann défend avec enthousiasme les oeuvres-phares de la musique tchèque, jouant et enregistrant les principaux opéras de Janáček et toutes les symphonies de Dvořák et de Martinºu (cette dernière intégrale en première mondiale). Il est également un chef mahlérien de haut lignage et ses enregistrements des symphonies de Mahler comptent certainement parmi les meilleurs réalisés à ce jour. downloadModeText.vue.download 699 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 693 NEUME (du lat. médiév. neuma, déformation du gr. pneuma). Formule mélodique caractéristique d’un mode ecclésiastique donné. NEUME (n. masc., du gr. pneuma, « souffle », d’où, par extension, « passage mélodique exécuté d’un seul souffle »). Le terme appartient exclusivement à la terminologie grégorienne. 1. Conformément à l’étymologie, groupe mélodique vocalisé d’un seul souffle sur une même syllabe. Dans cette acception, neume est à peu près équivalent de mélisme. 2. Par extension, formule mélodique vocalisée, plus ou moins longue, susceptible d’être ajoutée par centonisation sur la dernière ou l’avant-dernière syllabe d’une pièce préexistante. 3. Signe de notation composé groupant en un graphisme unique, dans les diverses notations grégoriennes, un ensemble de plusieurs notes chantées à la suite sur une même syllabe : le podatus, le torculus, etc., sont des neumes. 4. Par extension du sens précédent, qui a fait appeler notation neumatique la notation grégorienne utilisant des neumes au sens no 3, on appelle parfois neumes tous les signes de cette notation, même non composés. NEUPERT. Manufacture allemande d’instruments à clavier fondée à Münchberg en 1868 par Johann Christoph Neupert (1842-1921) et transférée à Bamberg. Plusieurs filiales furent ensuite fondées à Nuremberg, Munich et Berlin. La firme fut successivement dirigée par Fritz (1872-1952), Reinhold (1874-1955), Julius (1877-1970), Alfred (1900-1970), puis, à partir de 1928, par Hanns Neupert (19021980), auteur de nombreux ouvrages sur le clavecin, dont Das Cembalo (1933), et aujourd’hui par Wolf Dieter (né en 1937). Fabricants de pianos à l’origine, les Neupert furent parmi les premiers artisans allemands à se consacrer également, dans les premières années du XXe siècle, à la fabrication de clavecins, de pianoforte, et de pianos pédaliers. NEUSIDLER, famille de luthistes et de compositeurs allemands. Hans (Presbourg v. 1508-1509 - Nuremberg 1563). Arrivé à Nuremberg en 1530, il en devint citoyen l’année suivante, et, entre 1536 et 1549, y publia 8 livres de luth, qui rassemblent l’essentiel du répertoire des luthistes allemands de cette époque. Les plus difficiles des pièces témoignent d’un art exceptionnel de l’ornementation, proche de celui des organistes. L’introduction du premier livre est une sorte de méthode, qui, par ses indications de doigté, éclaire l’agencement polyphonique des pièces. Avec Hans Judenkönig et Hans Gerle, Hans Neusidler fut le principal représentant en Allemagne de la musique pour luth en ses débuts. Melchior, fils du précédent (Nuremberg 1531 - Augsbourg 1590). Il s’installa en 1551 à Augsbourg, où il fut en relation avec la famille Fugger. Ses trois livres, publiés pour les deux premiers à Venise (1566), pour le troisième à Strasbourg (1574), traduisent l’influence des luthistes italiens et contribuèrent à la diffusion de la fantaisie pour luth. Conrad, frère du précédent (Nuremberg 1541 - Augsbourg 1604 ou après). Il s’installa à Augsbourg en 1562 et n’a laissé comme musique que quelques danses contenues dans un même manuscrit. NEUVIÈME. 1. Intervalle produit entre les extrêmes d’un groupe de 9 notes consécutives, prises sur une gamme diatonique, départ et arrivée compris. La neuvième est le redoublement de la seconde, et peut être majeure (octave + 1 ton), mineure (octave + 1/2 ton) ou augmentée (octave + seconde augm.). 2. L’accord de neuvième est celui formé de 5 notes pouvant s’énoncer par tierces juxtaposées, exemple do-mi-sol-si-ré (mais non forcément disposées dans cet ordre). L’accord est naturel quand ses intervalles correspondent à ceux formés par les sons 1 à 9 de la résonance (do-mi-sol-si bémol-ré), et prend en ce cas le nom de neuvième de dominante s’il est placé sur le 5e degré, ce qui se produit normalement en majeur et en mineur ascendant. Il est majeur si tous ses intervalles (à partir de la fondamentale) sont justes ou majeurs (ex. do-mi-sol-si-ré), mineur si la septième est mineure au-dessus d’un accord de septième naturelle (c’est le cas de la neuvième de dominante en mineur harmonique, dite neuvième de dominante mineure). Les autres accords de neuvième portent des noms variables d’un auteur à l’autre (on en dénombre 11), la nomenclature la plus rationnelle étant sans doute celle du Traité historique d’analyse harmonique de J. Chailley. 3. Jeu de mutation de l’orgue, d’introduction récente et non généralisée, faisant entendre la neuvième ou la seizième du son fondamental. NEVEU (Ginette), violoniste française (Paris 1919 - San Miguel, Açores, 1949). Enfant précoce - à onze mois elle fredonnait les airs qu’elle entendait -, Ginette Neveu reçoit de sa mère, professeur de violon, ses premières leçons, avant d’être acceptée, à cinq ans, dans le cours de Line Talluel. À sept ans, elle fait ses débuts Salle Gaveau en jouant le Concerto en « sol » mineur de Max Bruch, avec l’orchestre Colonne, dirigé par Pierné. En 1928, elle reçoit coup sur coup une médaille au concours Léopold-Bellan, le premier prix de l’École supérieure de musique et le prix d’honneur de la Ville de Paris, et joue le Concerto de Mendelssohn, sous la direction de Gaston Poulet. Elle entre en novembre 1930 au Conservatoire de Paris, dans la classe de Jules Boucherit, et en sort - fait sans précédent - huit mois plus tard avec le premier prix. Enesco, stupéfait de tels dons, lui prodigue ses leçons. En 1931, elle participe au concours international de Vienne ; elle ne reçoit qu’une mention d’honneur, mais Carl Flesch la remarque et la fait étudier pendant quatre années. Elle remporte, en 1935, à Varsovie le concours Wieniawski, devant David Oïstrakh. Célèbre en quelques heures, Ginette Neveu entreprend la même année une tournée en Pologne et en Allemagne, suivie en 1936 d’une tournée en Union soviétique et, en 1937, au Canada et aux États-Unis (où elle joue en duo avec Rudolf Serkin). Elle réduit volontairement son activité pendant la guerre, se refusant à toute compromission. Elle interprète à Paris le Concerto de Beethoven, sous la direction de Paul Paray (1941), crée la Sonate pour violon et piano que Poulenc lui a dédiée (1943), et, à Bordeaux, le Concerto pour violon d’Elizade (1944). Devant l’enthousiasme soulevé par ses premiers concerts londoniens en 1945 (en particulier par son interprétation du Tzigane de Ravel), elle passe toute l’année 1946 en Angleterre, et y enregistre le Concerto de Sibelius. De 1947 à 1949, elle rencontre le même succès en Amérique du Sud et aux États-Unis. Après un dernier concert donné Salle Pleyel le 20 octobre 1949, elle trouve la mort dans l’accident d’avion qui la ramène une nouvelle fois en Amérique. Parmi les victimes : son frère Jean, son accompagnateur de toujours, et le champion de boxe Marcel Cerdan. De son stradivarius (qui ne fut jamais retrouvé), Ginette Neveu jouait avec une précision confondante, soumettant son vibrato à l’expression recherchée, modelant le son de la main droite, créant la mélodie à coups d’archet et de sensibilité, en une tension constante entre le respect du style de chaque oeuvre et le besoin violent de donner une interprétation digne de la flamme qui l’habitait. NEW ORLEANS (angl. : de La NouvelleOrléans) L’école new orleans est la plus ancienne de l’histoire du jazz. Son style est caractérisé par la prépondérance de l’improvisation collective, le jeu « sur le temps » de l’instrument meneur (trompette ou cornet) et le soubassement rythmique à deux temps downloadModeText.vue.download 700 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 694 (two beats) comportant une mise en valeur de l’afterbeat. New Orleans Revival : mouvement qui, vers 1940, réunit autour de vétérans louisianais, pour la plupart redécouverts à cette occasion (Bunk Johnson, Jelly Roll Morton, etc.), de jeunes musiciens blancs américains (Bob Wilber) ou européens (Claude Luter) soucieux de conserver l’esprit des premiers temps du jazz. NEY (Elly), pianiste allemande (Düsseldorf 1882 - Tutzing 1968). Elle fit ses études musicales à Cologne et à Vienne (notamment avec Leschetiski et Sauer). De retour à Cologne, elle y enseigna le piano durant trois ans au Conservatoire national de musique, avant d’entreprendre une carrière de concertiste, où elle acquit bientôt une renommée internationale grâce à ses interprétations de Chopin, Brahms, Beethoven. Et ce fut par sa virtuosité et sa profondeur dans l’interprétation de l’oeuvre de ce dernier qu’elle parvint, dans les années 30, au sommet de sa notoriété. Elle donna à son jeu une dimension spirituelle tout à fait exceptionnelle. Son style, disait-on, égalait en puissance et en ampleur celui des plus grands interprètes masculins. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle se consacra exclusivement à des activités musicales en Allemagne. Mais, dès la fin du conflit, elle eut à coeur d’aider à la reconstruction de la maison de Beethoven à Bonn (détruite par des bombardements) en se produisant à titre gracieux dans de nombreuses salles européennes. Ney enregistra un grand nombre de disques, dont les plus remarquables furent sans doute ceux de ses deux interprétations (1936, 1958) de l’opus 111 de Beethoven. Elle publia ses Mémoires, Erinnerungen und Betrachtungen (1957). NICOLAI (Otto), compositeur et chef d’orchestre allemand (Königsberg 1810 Berlin 1849). Fuyant l’éducation tyrannique de son père, il travailla à Berlin avec Zelter, puis devint en 1833 organiste à l’ambassade de Prusse à Rome, ce qui lui permit de se familiariser avec la musique italienne ancienne. Après un court séjour à Vienne, il fit représenter en Italie plusieurs opéras. De retour à Vienne en 1841, il y devint premier chef d’orchestre de l’Opéra impérial (poste qu’il devait occuper jusqu’en 1847) et y fonda les Concerts philharmoniques. N’ayant pu faire représenter son opéra d’après Shakespeare, les Joyeuses Commères de Windsor, il démissionna de son poste à l’Opéra impérial. La créa- tion de cette oeuvre humoristique et très gaie, qui, seule, devait sauver son nom de l’oubli, eut lieu à Berlin (où il venait d’être nommé maître de chapelle à l’Opéra) le 9 mars 1849, deux mois avant sa mort. En dépit de l’écrasante concurrence du Falstaff de Shakespeare, cette oeuvre s’est maintenue jusqu’à nos jours au répertoire des théâtres allemands. Il s’agit d’un des meilleurs ouvrages bouffes qu’ait produit l’Allemagne au XIXe siècle. On doit aussi à Nicolai de la musique d’église, des choeurs, des lieder et quelques pages instrumentales, dont 2 symphonies. NICOLET (Aurèle), flûtiste suisse (Neuchâtel 1926). Surnommé « Pinson » par ses condisciples, il étudie de 1940 à 1945 au Conservatoire de Zurich avec André Jaunet et Willy Burckhardt. De 1945 à 1947, il est l’élève de Marcel Moyse à Paris, tout en étant soliste dans plusieurs orchestres suisses. En 1950, Furtwängler l’appelle à la Philharmonie de Berlin, où il est flûte solo jusqu’en 1959. Dès 1953, il accorde une grande place à la pédagogie. Il enseigne successivement à Munich, à la Musik Akademie de Bâle et à Fribourg. Bien qu’il aborde avec succès le répertoire classique, sa carrière est intimement liée à la musique contemporaine. Toute une littérature récente lui est dédiée : il crée, entre autres, plusieurs pièces de Takemitsu, dont Eucalypts I et II en 1970 et 1971, le Double Concerto pour flûte et hautbois de Ligeti en 1972, et celui de Denisov en 1979. En 1983, il crée le Concerto de Halffter et son ami Heinz Holliger, célèbre hautboïste suisse, lui dédie Scardanelli-Zyklus, et Turm-Musik en 1985. En 1989, Denisov lui destine Quatre Poèmes de Gérard de Nerval. NICOLO (Nicolas ISOUARD, dit NICOLO DE MALTE), compositeur français (Malte 1775 - Paris 1818). Fils d’un homme de finance, il voyagea très tôt pour s’initier à cette spécialité, mais en profita surtout pour étudier la musique avec Azzopardi, Amendola, Guglielmi et Sala. Il avait dix-neuf ans quand son premier opéra, Avviso ai maritati, fut joué à Florence, à la suite d’un concert qu’il avait brillamment dirigé au pied levé. De retour à Malte, il fut nommé organiste de Saint-Jean-de-Jérusalem, puis maître de chapelle de l’ordre de Saint-Jean-deMalte, mais la dissolution de cet ordre, à la suite de l’occupation française, le priva de son emploi et il se tourna vers le théâtre, faisant représenter à l’opéra de La Valette de petits ouvrages de son cru. En 1799, il suit à Paris le général Vaubois et, patronné par Rodolphe Kreutzer, débute dès l’année suivante au théâtre Feydeau avec le Petit Page. Curieusement, il a attendu d’être fixé en France pour italianiser son prénom et c’est sous le pseudonyme de Nicolo, ou Nicolo de Malte, qu’il sera jusqu’à sa mort prématurée l’un des principaux fournisseurs de l’Opéra-Comique, qui faisait alors une énorme consommation de nouveautés. Doué d’une prodigieuse fécondité, il a signé quantité d’opéras-comiques, dont plusieurs, il est vrai, en collaboration avec Kreutzer, Boieldieu ou Cherubini. Signalons au moins Michel-Ange (1802), les Rendez-Vous bourgeois (1807), Cendrillon (1810), Lully et Quinault (1812), Jeannot et Colin (1814). NICULESCU (Stefan), compositeur et musicologue roumain (Moreni 1927). Il suit les cours de l’Institut polytechnique, puis ceux du Conservatoire de Bucarest (piano et composition, 1951-1957), notamment avec Mihaïl Andricu. Il a été chercheur à l’Institut d’histoire de l’art de Bucarest (1960-1963) et, depuis 1963, il enseigne l’analyse et l’écriture au Conservatoire de Bucarest. Fin théoricien, Niculescu allie dans sa création un souci permanent de clarté avec un intérêt constant aussi bien pour le vocabulaire de notre temps (Eteromorfie pour grand orchestre, 1967 ; Formants pour 17 cordes solistes, 1968 ; Aphorismes d’Héraclite pour choeur, 1968-69) et pour la pensée processuelle et transformationnelle (Synchronie II, pour orchestre de chambre, 1981, rev. 1986) que pour la récupération, dans un esprit contemporain, des vieilles échelles modales roumaines (Ison II, pour orchestre, 1974 ; Symphonie no 3 « Cantos », 1985 ; Deisis-symphonie pour 21 solistes, 199495). On lui doit également Unisonos pour orchestre (1970-71), Ison I pour 14 instruments (1971). Il a publié des analyses de l’oeuvre de Georges Enesco ainsi que des études concernant les principes de l’écriture musicale contemporaine. Il a reçu le prix Herder de l’université de Vienne (1994). NIEDERMEYER (Louis), compositeur et pédagogue français d’origine suisse (Nyon 1802 - Paris 1861). Élève à Vienne de Moscheles (piano) et de E. A. Förster, puis en Italie de Fiovaranti et de Zingarelli, il donna dans ce pays son premier opéra, Il Reo per amore (Naples, 1820). À Paris, où il se fixa en 1823, ses ouvrages dramatiques n’obtinrent qu’un succès limité. Il se tourna alors vers la musique d’église, fit revivre l’institut de musique religieuse fondé en 1818 par Choron, et lui donna le nom d’école Niedermeyer. Elle se développa rapidement. Devaient en sortir, entre autres, Eugène Gigout, Gabriel Fauré et André Messager. Parmi les professeurs, Camille Saint-Saëns. En collaboration avec Joseph d’Ortigues, Niedermeyer rédigea un Traité théorique et pratique de l’accompagnement du plain-chant (Paris, 1857), qui fit époque malgré ses lacunes, et fonda la Maîtrise, journal de musique religieuse avec suppléments musicaux qui parut de downloadModeText.vue.download 701 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 695 1857 à 1861. Comme compositeur, Niedermeyer s’illustra particulièrement dans le domaine de la mélodie. NIELSEN (Carl), compositeur danois (Nørre Lyndelse, île de Fionie, 1865 - Copenhague 1931). Il étudie le violon à Copenhague entre 1884 et 1887, puis effectue plusieurs voyages en Allemagne, Autriche, France et Italie. Violoniste au Théâtre royal de 1889 à 1905, puis chef d’orchestre au même théâtre de 1908 à 1914 et au Musikforeningen de 1915 à 1927, il est nommé professeur au Conservatoire royal en 1915 et en devient le directeur en 1931. Sa carrière et sa vie ressemblent à son oeuvre, dominé par le sens du réel, par une grande logique de pensée, par une intuition remarquable de l’équilibre des formes, de l’organisation des plans sonores et de la dynamique. Nielsen commence à composer en 1888 (Petite Suite pour cordes op. 1), à une époque où la vie musicale danoise est étouffée par le conservatisme de Niels Gade. Ce point de départ et le refus de la décadence postromantique, qui triomphe alors en Allemagne, vont lui permettre de construire un oeuvre parfaitement original qui, toutefois, en fait un solitaire dont l’apport ne sera compris que lorsque se sera retirée la vague postsérielle née après la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, il est possible d’évaluer plus justement les apports respectifs de compositeurs qui, tels Sibelius ou Nielsen, ont ouvert des voies, longtemps méconnues, notamment par leurs principes de composition. L’évolution de Nielsen peut se suivre dans les 6 symphonies, créées parallèlement aux 7 de J. Sibelius. Les deux premières (1892 et 1902) comportent déjà les caractéristiques rythmiques élémentaires qui domineront l’ensemble de ses créations ; influencées par J. Svendsen et N. Gade, elles sont d’un formalisme qui disparaît pratiquement avec la 3e Symphonie, Espansiva (1911). Le dynamisme des rythmes caractérise la 4e, l’Inextinguible (1916) ; tandis que la 5e Symphonie (1922), peut-être la plus riche, est l’aboutissement des recherches que le compositeur avait commencées avec la 2e Symphonie, y établissant ses principes de composition organique, avec tonalité-pivot et développement cellulaire. La 6e Symphonie (1925), enfin, se caractérise par son expression contemplative et son refus de l’effet. Mais, à côté des symphonies, il est absolument nécessaire de connaître les pièces instrumentales et concertantes, qui, surtout dans les ouvrages pour le piano et pour le violon, comptent quelques-uns des chefs-d’oeuvre de la littérature musicale du XXe siècle : d’une part, la Chaconne, le Thème et variations et la Suite pour piano ; et, d’autre part, la Sonate op. 35 et le Prélude et thème avec variations pour violon et piano. Citons également, parmi ses oeuvres les plus marquantes, outre les trois concertos pour violon (1911), pour flûte (1926) et pour clarinette (1928), les deux opéras Saul et David (1902) et Maskarade (1906) et le très exceptionnel Quintette pour vents, de nombreuses pièces pour petits ensembles qui ne sont pas sans évoquer la démarche de Leoš Janáček, les recueils vocaux En Snes danske Viser destinés au chant scolaire et les pièces pour orgue comme l’étonnant Commotio (1931). Jusqu’à sa mort, Nielsen domine la vie musicale danoise, mais à l’inverse de Gade il ne l’étouffe pas et facilite au contraire la remarquable éclosion de compositeurs à laquelle on assiste aujourd’hui dans ce pays. Sans imposer une esthétique ni un formalisme desséchant, les principes techniques de Nielsen permettent, en effet, un renouvellement du langage, qui autorise l’épanouissement de la personnalité hors de tout système d’école. NIEMETSCHEK (Franz Xaver), critique et pédagogue tchèque (Sadska, Bohême, 1766 - Vienne 1849). Professeur de philosophie à l’université de Prague (1802), il compta parmi ses élèves le compositeur Jan Hugo Vorisek. Niemetschek s’intéressa spécialement à Mozart, et, après la mort de ce dernier, se chargea de l’éducation de son second fils, Carl Thomas. Grâce, notamment, à des documents fournis par Constance Mozart, il rédigea et fit paraître, avec une dédicace à Haydn, la première monographie indépendante consacrée à Mozart : Leben des k.k. Kapellmeisters Wolfgang Gottlieb Mozart nach Originalquellen beschrieben (Vie du maître de chapelle impérial et royal Wolfgang Amadeus Mozart décrite d’après des sources originales, Prague, 1798 ; trad. franç., Saint-Étienne, 1976). NIETZSCHE (Friedrich), philosophe allemand (Rökken, près de Lützen, 1844 Weimar 1900). Dans l’histoire de la musique, le nom de Nietzsche reste indissolublement lié à celui de Wagner, en raison de l’amitié puis de la rupture entre les deux hommes, mais aussi à celui de Bizet, ce refuge pour ses blessures que Nietzsche (quel défi !) s’acharna à présenter comme une alternative, et à celui de Richard Strauss, qui crut mettre en musique Ainsi parlait Zarathoustra. On ignore cependant généralement que, avant de rencontrer Wagner, Nietzsche composa 7 lieder pour baryton et piano (sur des textes de Petöfi, Fallersleben, Pouchkine, Byron et Chamisso), plusieurs pièces pour piano, une fantaisie pour violon et piano, et diverses oeuvres chorales, dont un oratorio de Noël et les fragments d’une messe. Profondément influencées par Schumann, ces partitions révèlent pourtant un sens inné de l’improvisation et de l’audace harmonique : sans posséder la maîtrise de notation d’un vrai professionnel, elles sont mieux que d’un dilettante doué. Mais, en dehors de ses ouvrages philosophiques, c’est, bien entendu, par son travail d’exégèse critique que Nietzsche retient aujourd’hui l’attention : encore, lorsqu’on sait la place occupée par la musique dans sa réflexion et celle tenue dans son coeur et dans ses écrits par Wagner (et ce, bien au-delà de la mort du compositeur), philosophie et critique sontelles fortement associées. L’histoire des relations entre Nietzsche et Wagner passe par trois périodes. Entre 1869 et 1872, à Tribschen, règnent l’amitié et l’harmonie intellectuelle. Les deux hommes (Wagner achève Siegfried ; Nietzsche, la Naissance de la tragédie) partagent un même intérêt pour Schopenhauer, un même amour de la Grèce antique, une même analyse de la décadence allemande, une même foi dans le rôle de rassembleur dévolu au poète tragique, une même volonté d’ennoblir l’homme. Bientôt, pourtant, Wagner va devenir... wagnérien, et cette récupération par la masse de l’oeuvre de son ami va confirmer les soupçons qui se sont fait jour dans l’esprit de Nietzsche pendant les années d’intimité. Le premier festival de Bayreuth (1876) consomme la rupture. Nietzsche, sans cesser d’être fasciné par son aîné, va, dès lors, le dénoncer, non pour des motifs personnels (encore que le caractère morbide de Wagner ait été difficile à vivre), mais au nom de valeurs dont le philosophe considère que Wagner les a trahies : « Wagner, dit-il, s’est trompé sur lui-même - et a trompé les autres. » De ce mensonge organisé, Nietzsche ne se veut pas le porte-parole. Il comprend que le drame wagnérien n’affirme la vie avec force que pour donner plus de poids à son renoncement, incapable qu’il est de présenter positivement ce dernier (le choix de Parsifal, de préférence aux Vainqueurs, qui, sur un sujet voisin, prônaient sans ambiguïté la réconciliation fraternelle entre l’homme et la femme, est significatif à cet égard). Wagner est le témoin d’une décadence, non d’un renouveau ; son épuisement de l’âme, la cyclothymie de ses héros, ses condamnations morales, trahissent une névrose. Nietzsche dénonce le « à ne pas dire » sur lequel s’appuie le dire wagnérien. Lui, qui insiste sur un ennoblissement individuel, presque ascétique, visant à transvaluer l’homme par-delà les notions actuelles du bien et du mal, combat l’obsession angoissée de Wagner cherchant à mettre l’individu à l’abri de tout mal, quel que soit le prix à payer pour cette sécurité. Il se dresse aussi contre le pangermanisme théiste de Wagner, qui gouverne par mensonges et illusions. Principale preuve : le théâtre de downloadModeText.vue.download 702 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 696 Bayreuth, devenu temple de l’art allemand officiel, accaparé par les Allemands décadents dont Wagner accepte l’hommage parce qu’il se dissimule derrière l’opinion qu’ils ont de son oeuvre. Il faut donc comprendre que c’est toute la culture de l’Allemagne impériale que Nietzsche vomit, dans ses ouvrages Nietzsche contre Wagner et le Cas Wagner (écrits en 1888, soit cinq ans après la mort du musicien), culture dont l’hypocrisie séductrice du théâtre wagnérien lui paraît exemplaire. Anticipant sur les révoltes expressionnistes contre la morale bourgeoise, Nietzsche a su, avant Thomas Mann et Adorno, mettre le doigt sur l’essence du wagnérisme. NIGG (Serge), compositeur français (Paris 1924). Il étudie au Conservatoire de Paris, de 1941 à 1946, la composition et le piano dans les classes d’Olivier Messiaen et de Simone Plé-Caussade, et acquiert assez tôt une réputation prometteuse, avec des oeuvres comme Timour pour orchestre (1944), et Concerto pour cordes, piano et percussions (1947). Après sa rencontre avec René Leibowitz en 1946, il étudie auprès de celui-ci (comme le firent Pierre Boulez et d’autres compositeurs) le système sériel schönbergien, qu’il cherche à appliquer avec rigueur dans des oeuvres comme Variations pour piano et 10 instruments (1947), et deux Pièces pour piano (1947), qui sont parmi les premières oeuvres sérielles françaises. Mais, en 1949, Nigg se détourne de l’abstraction en créant avec Louis Durey et Charles Koechlin l’Association des musiciens progressistes, qui s’inspire des idées du Manifeste de Prague pour remettre en cause le formalisme et l’abstraction de l’« art bourgeois ». Ses premières oeuvres dans cette tentative courageuse pour réaliser une musique de témoignage pro- gressiste, qui « parle au peuple », sont la cantate le Fusillé inconnu, avec récitant, choeurs et orchestre (1949), et l’oeuvre Pour un poète captif pour orchestre (1950), d’après des textes du poète turc communiste Nazim Hikmet, persécuté pour ses opinions. Mais ce mouvement « progressiste » est un feu de paille, et, après des oeuvres de transition comme Billard, ballet (1951), et la Petite Cantate des couleurs pour choeur de femmes a cappella (1952), Nigg finit par se trouver dans un style qu’on a appelé « néoromantique », luxuriant, dense, expressionniste, mais d’une écriture finalement assez tendue et concise, comparable au Webern des Pièces pour orchestre op. 6. On citera dans la période dite de la « maturité « : Concerto pour violon et orchestre (1957), la Musique funèbre pour orchestre à cordes (1959), la Jérôme Bosch symphonie pour orchestre (1960), le Concerto pour flûte et orchestre à cordes (1961), le Chant du dépossédé pour orchestre, récitant et baryton (1964), sur des textes intimes de Mallarmé relatifs à la mort de son fils Anatole (également utilisés par André Boucourechliev dans son oeuvre électroacoustique Thrène, 1974), puis les Visages d’Axel pour orchestre (1967), sorte de poème symphonique inspiré par la pièce Axel de Villiers de l’Isle-Adam, Fulgur pour orchestre (196869), Deuxième Concerto pour piano et orchestre (1970-71), Fastes de l’imaginaire (1974), pour orchestre, Scènes concertantes pour piano et orchestre (1975), Millions d’oiseaux d’or (1981), Concerto pour alto (1988), Poème pour orchestre (1990). NIKISCH (Arthur), chef d’orchestre austro-hongrois (Lebenyi Szent Miklos 1855 - Leipzig 1922). Il montre, dès son plus jeune âge, des dons musicaux exceptionnels. Il entre en 1866 au conservatoire de Vienne, dans la classe de Hellmesberger (violon) et de Dessoff (composition). Il en sort en 1874 avec un prix de violon et un autre de composition (pour un sextuor à cordes). Il participe à la Neuvième Symphonie de Beethoven dirigée par Wagner en personne, pour célébrer la pose de la première pierre du Festspielhaus de Bayreuth. Il entre en 1874 comme violoniste à l’Orchestre de la cour de Vienne, où il joue sous la direction de Brahms, Verdi, Liszt et Bruckner, créant, en 1884, la Seconde Symphonie de ce dernier. Il est engagé en 1878 comme second chef d’orchestre du théâtre de Liepzig, puis comme chef principal en 1882. Il y aura comme second Gustav Mahler. Nikisch succède en 1889 à Gericke à la tête de l’Orchestre symphonique de Boston. Il rentre en Europe en 1893 pour prendre la direction musicale de l’Opéra de Budapest. Deux ans plus tard, il accepte de diriger en même temps deux des plus prestigieux orchestres du vieux continent, le Gewandhaus de Leipzig et l’Orchestre philharmonique de Berlin, fonctions qu’il occupera jusqu’à sa mort. Quand il n’emmène pas l’orchestre berlinois en tournées, Nikisch dirige les Concerts symphoniques de Hambourg, dont il a la charge depuis 1897, ou bien l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, la Philharmonie de Vienne ou bien, encore, donne des concerts à Buenos Aires en 1921. Régulièrement invité, de 1902 à 1914, par le London Symphony Orchestra nouvellement créé, il l’emmène en tournée aux États-Unis en 1912. Insatiable, il dirige le Ring de Wagner au Covent Garden de Londres en 1913 et veille sur les destinées de l’Opéra de Leipzig (19051906) et du conservatoire de cette ville, où il s’occupe personnellement de la classe de direction d’orchestre. Si l’oeuvre du compositeur est rapidement tombée dans l’oubli, la leçon du chef a fortement marqué l’art de la direction d’orchestre au long du siècle. Faisant preuve d’une rare économie de gestes et d’une sérénité à toute épreuve, Nikisch possédait littéralement ses musiciens, obtenait d’eux, par exemple de sa propre concentration, un son et une respiration d’une beauté inégalée. Cette conception ample et mouvante convenait particulièrement aux grandes fresques postromantiques de Bruckner, de Tchaïkovski, de Richard Strauss ou de Mahler. Un écho lointain de son art nous a été transmis par son interprétation de la Cinquième Symphonie de Beethoven, qui a été la première oeuvre importante à se voir fixée en 78 tours. NIKOLAEVA (Tatiana), pianiste russe (Bezhitza 1924 - Santa Monica, Californie, 1993). Dès 1942, elle entre à l’École centrale de Moscou où elle étudie avec Alexandre Goldenweiser, lui-même élève d’un dis- ciple de Liszt, Siloti. Elle lui doit son amour du contrepoint, et son extrême attention à chaque détail de la polyphonie. Elle étudie aussi la composition avec Goloublev et, en 1947, entre au Conservatoire Tchaïkovski. En 1948, elle remporte le second prix du Concours de Prague, mais c’est en 1950 qu’elle subjugue les membres du jury au Concours Bach de Leipzig. Parmi eux, Chostakovitch avec qui elle se lie désormais. Il écrit pour elle ses 24 Préludes et Fugues, qu’elle crée en 1952. À partir de 1959, elle enseigne au Conservatoire Tchaïkovski de Moscou, et fait une importante carrière de soliste dans les pays socialistes. L’Occident ne la découvre que dans les années 1980. En 1983, elle donne un récital à Paris, et ses tournées triomphales de 1987, 1990 et 1991 s’accompagnent de master-classes, au Mozarteum de Salzbourg notamment. Sa concentration phénoménale lui permet de parcourir en concert les grands cycles, comme 32 Sonates de Beethoven, le Clavier bien tempéré, l’Art de la fugue et les Variations Goldberg. Elle aime donner les 24 Préludes et Fugues de Chostakovitch en deux soirées, respectant l’intention du compositeur. En U.R.S.S., elle à réalisé plus de cent enregistrements. Une autre face de son talent se révèle dans les pièces brèves de Chopin, Rachmaninov ou Scriabine. Elle compose durant toute sa vie, et aime jouer Messiaen, Dutilleux, Jolivet ou Arthur Bliss. NILSSON (Birgit), soprano suédoise (Karup 1918). Elle étudie, de 1941 à 1946, avec le ténor écossais Joseph Hislop, à l’Académie royale de musique de Stockholm. À la faveur d’un remplacement, elle débute en 1946 à l’Opéra royal dans le rôle d’Agathe du Freischütz. L’année suivante, elle remdownloadModeText.vue.download 703 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 697 porte son premier succès personnel en incarnant lady Macbeth (sous la direction de Fritz Busch). Engagée dans la troupe de l’Opéra royal, en 1948, elle y chante les rôles de la Maréchale, Donna Anna, Senta, Aïda, Tosca, Brünnhilde et Salomé. Elle retrouve Fritz Busch pour sa première apparition à l’étranger, au festival de Glyndebourne 1951, où elle chante Électre dans Idoménée de Mozart. Mais c’est à Munich en 1954, au cours d’un Ring où elle est Brünnhilde, et à Bayreuth, dans le rôle d’Elsa, que se révèlent ses étonnantes qualités de soprano dramatique. Invitée régulièrement au festival de Bayreuth de 1957 à 1970, elle y incarne Isolde, Sieglinde et Brünnhilde. Elle se produit également à San Francisco et à Chicago en 1956, au Metropolitan Opera de New York en 1959 (y chantant Isolde), au Covent Garden de Londres en 1957 (dans une production du Ring) et à l’Opéra de Paris dans Tristan et Isolde (1966), Turandot (1968), Elektra (1974). Elle est la première cantatrice à enregistrer sans coupures cette dernière oeuvre, réputée pour sa difficulté. En 1975, elle inscrit à son répertoire le rôle de la femme du Teinturier dans la Femme sans ombre de Richard Strauss. Plus que dans le répertoire verdien, c’est dans l’univers de Strauss et de Wagner que peut le mieux s’épanouir une voix d’une opulence et d’une homogénéité rares, à l’aigu éclatant, que le temps ne semble pas atteindre. La puissance dramatique de la comédienne est à la dimension hiératique du personnage. Elle a cessé de chanter en 1986 pour se consacrer à l’enseignement. NILSSON (Bo), compositeur suédois (Skellefteå 1937). Il s’est révélé très tôt à Darmstadt et à Cologne ; ses oeuvres, généralement très brèves, possèdent une couleur très particulière due à l’emploi fréquent d’instruments à clavier. Parmi ses oeuvres les plus marquantes, il faut retenir Frequenzen (1957), qui le fit connaître, Quantitäten (1958), Brief an Gösta Oswald (1959), Szene 1-3 (1960-61), Revue (1967), Déjàvu (1967), Stenogram (1959), Déjà-connu (1973) et Déjà-vu, déjà-connu, déjà-entendu (1976). NILSSON (Torsten), compositeur, organiste et chef de choeur suédois (Höör 1920). Élève de A. Heiler à Vienne, remarquable improvisateur qui s’orienta vers les techniques sérielles (Introduction et Passacaille pour orgue, 1963). Compositeur de musique religieuse, il a écrit depuis 1968 des oeuvres qui ont été très remarquées, notamment l’opéra religieux Ur jordens natt, « Hors de la nuit de la terre » (1968), et l’oratorio de chambre Non est Deus ? (1972). NIN (Y CASTILLANO, Joaquin), pianiste, compositeur et musicologue cubain, d’origine espagnole (La Havane 1879 id. 1949). Élève de Carlos Vidiella à Barcelone, puis, à Paris, de Moskowski et de Vincent d’Indy, il fut professeur à la Schola cantorum de 1905 à 1908 et vécut ensuite à Bruxelles, puis à Paris, en marge de tournées qui le conduisirent en Europe et en Amérique latine. Son oeuvre personnelle a beaucoup moins d’importance que les travaux de recherches et de publication de manuscrits oubliés, auxquels il a consacré la plus grande partie de sa carrière, interprétant en même temps les vieux maîtres espagnols, faisant des conférences et exposant ses principes artistiques dans des écrits et des articles de critique. Ses harmonisations de chants populaires anciens font également autorité, et sa polémique avec Wanda Landowska au sujet de l’interprétation de la musique ancienne au clavecin est restée célèbre. Pour la voix, il a écrit notamment 20 cantos populares españoles (1923), Chant élégiaque (1929), le Chant du veilleur (1937) ; Dansa ibérica, pour piano (1926), Mensaje a Claudio Debussy (1929), « 1830 » variaciones (1930). NIN-CULMELL (Joaquin Maria), compositeur, pianiste et chef d’orchestre américain, d’origine cubaine (Berlin 1908). Fils de Joaquin Nin, il a étudié à Paris à la Schola cantorum et au Conservatoire avec Paul Dukas -, ainsi qu’avec Manuel de Falla, Alfred Cortot et Ricardo Viñes. Il a enseigné au Williams College dans le Massachusetts (1940-1950) et à l’université de Californie à Berkeley (1950-1956). De tendances néoclassiques, il a écrit notamment un concerto pour piano (1946), le ballet El Burlador de Sevilla (1957-1965), l’opéra La Celestina (1965). NIQUET (Hervé), claveciniste et chef de choeur français (Flexecourt 1957). Il étudie le clavecin, la direction d’ensemble, la composition et le chant lyrique. Dès l’âge de dix-sept ans, il s’oriente vers la direction de choeur. En 1980, il est nommé chef de chant à l’Opéra de Paris et compose plusieurs pièces pour le Ballet national de Paris, ainsi que pour le Ballet de Monte-Carlo. Très intéressé par le grand motet français des XVIIe et XVIIIe siècles, il fonde en 1988 le Concert spirituel pour faire revivre ce répertoire. À la tête de cet ensemble, il se produit dans plusieurs festivals de musique ancienne (Utrecht, Londres, Séville...) et réalise de nombreux enregistrements, consacrés notamment à M. A. Chapentier, Lully et Rameau. Le Concert spirituel se consacre aussi au répertoire lyrique des XVIIe et XVIIIe siècles. NISSEN (Georg Nikolaus), diplomate et écrivain danois (Haderslev 1761 - Salzbourg 1826). Il épousa en 1809 la veuve de Mozart, avec laquelle il vivait depuis plusieurs années, et en 1820, à sa retraite, s’installa avec elle à Salzbourg, où à partir de 1823 il rassembla des documents sur l’auteur de Don Giovanni (publication posthume sous forme de livre rédigé par un jeune médecin nommé Johann Heinrich Feuerstein avec l’aide de Constance, 1828). NIVERS (Guillaume Gabriel), organiste et compositeur français (Paris 1632 - id. 1714). Ancien élève de l’université de Paris et, pour la musique, de Chambonnières et de Du Mont, il fut organiste à Saint-Sulpice de 1654 à 1714, tout en occupant plusieurs charges officielles : organiste de la chapelle royale (1678), maître de musique de la reine (1682), organiste et maître de chant de la Maison royale de Saint-Louis à Saint-Cyr (1686). Sa musique d’orgue fut précédée par celle de Louis Couperin, mais la publication de son 1er Livre d’orgue (1665) n’en marque pas moins le début de la période majeure de l’histoire de l’orgue français, durant laquelle l’instrument se dégage de la stricte polyphonie sacrée pour devenir concertant, faisant la part belle à la monodie accompagnée. Deux autres Livres d’orgue suivront, en 1667 et en 1675. Pour l’église, il publiera également de nombreuses pièces vocales et instrumentales, motets, chants d’église, Lamentations de Jérémie, pièces de circonstance, etc. Il édita aussi des livres liturgiques (graduel, antiphonaire), consacrant l’unification du chant grégorien en France, livres qui devaient rester en usage jusqu’à la Révolution. Il mit au point plusieurs ouvrages théoriques : Traité de la composition de musique (1667), Méthode certaine pour apprendre le plain-chant de l’Église (1699), Dissertation sur le chant grégorien (1683). NŌ. Forme de drame lyrique japonais, qui a été créée et codifiée aux XIVe et XVe siècles par Kwan’ami Kiyotsugu et son fils Zeami Motokiyo, poète, musicien, danseur, metteur en scène. Le nō présente généralement des actions à deux personnages : le personnage principal, qui est fréquemment un esprit ou un fantôme (d’un guerrier mort, par ex.), et que joue le shite, exécutant central ; et un personnage secondaire, le waki, dont la présence permet au shite de se manifester. L’intervention de l’acteur consiste en récitatifs et en chants, avec une « danse » située rituellement au coeur de l’action, et des actions mimées de manière très codée et stylisée (un simple éventail servant à figurer divers accessoires, coupe, hache, downloadModeText.vue.download 704 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 698 filet de pêcheur). Tous les rôles sont tenus par des hommes, même les rôles féminins, et presque toujours sous un « masque » conventionnel, correspondant à un certain type de personnage. On voit déjà, par là, que le nō se définit comme un genre très abstrait et épuré, loin du réalisme ; d’origine religieuse, il agit par la suggestion de certains « états d’existence », et cherche à créer un certain sentiment du réel comme illusion (les personnages sont souvent « déjà morts », comme les fantômes, ou insubstantiels, comme les génies et les fées) qui le rattache à la pensée du bouddhisme zen. L’exécution d’un nō fait également appel à un choeur de 8 à 10 hommes, chantant à l’unisson (leur rôle est différent de celui du choeur des anciennes tragédies grecques : commentaires de l’action et relais du chant de l’acteur principal, mais sans intervention dans l’action), et à un groupe de 4 instruments : la flûte tra- versière de nō à sept trous, le nōkwan ; et 3 tambours : le ko-tsuzumi, en forme de sablier, qui se tient sur l’épaule et se tend de différentes façons ; l’ō-tsuzumi, également en sablier, qui se frappe avec des dés au bout des doigts ; et le taiko, tambour à caisse plate frappé avec deux baguettes. Donc, un seul instrument mélodique, la flûte, jouant une partie indépendante du chant. Celui-ci, qui intervient entre des récitatifs, est construit sur un nombre limité de structures mélodiques de base, dérivées d’une échelle comportant des notes principales à distance de quarte et de quinte. Les nōs traditionnels (il en existe environ 600) ont été notés selon un système analogue à celui des neumes, sans hauteurs absolues. Le rythme, très souple, est compté par périodes de huit temps. Un spectacle comprend souvent 5 drames, chacun relativement court, qui peuvent être coupés d’intermèdes comiques joués par un acteur spécialisé (kyōgen). La construction et la disposition du théâtre de nō sont également très codifiées : scène principale carrée couverte d’un toit incurvé ; arrière-scène et scène latérale pour les instruments et le choeur ; et, à gauche de la scène, un « pont » d’une douzaine de mètres conduisant à la loge, où l’artiste se recueille. Ce pont symbolise souvent le passage entre les mondes terrestre et divin, quand l’action s’y transporte. L’essence du nō tient dans cette rigidité conventionnelle, cette stylisation extrême, au moyen de laquelle il crée, en combinant un nombre limité de figures préexistantes, un certain sentiment de fragilité et d’illumination. NOCTURNE. 1. Terme désignant, dans le rite catholique romain, l’ensemble des textes que l’on chante à l’office de la nuit (cf. Psaume XCIV, dit « Invitatoire », hymnes, psaumes, antiennes, répons et leçons). 2. Au XVIIe siècle, le nocturne, ou notturno, est une suite de pièces de divertissement, conçue pour l’exécution en plein air par un petit ensemble comprenant souvent des instruments à vent (Notturni K.239 et 286 de Mozart, et aussi sa Kleine Nachtmusik K.525, « Petite Musique de nuit », pour cordes seules, Notturni de Joseph Haydn), mais pouvant aussi faire intervenir les voix (5 Notturni K.346, et K.436-439 de Mozart). Le notturno est alors un genre comparable à la sérénade, à la cassation ou au divertimento. 3. Au XIXe siècle, le « nocturne » désigne plus spécialement une courte pièce isolée (et non une suite), écrite le plus souvent pour piano solo, et souvent regroupée en séries. John Field (1782-1837) est considéré comme le créateur du genre avec ses 18 nocturnes, de caractère intimiste, écrits à partir de 1814, et influencés par le bel canto italien. Mais c’est Frédéric Chopin qui, avec ses 19 Nocturnes pour piano, écrits entre 1827 et 1847, impose et magnifie le genre, créant une référence, un modèle dont d’autres auteurs de nocturnes pianistiques comme Gabriel Fauré (13 Nocturnes écrits entre 1883 et 1921), Borodine, Scriabine, Satie, Sauguet, Poulenc, Georges Migot, pourront difficilement faire abstraction. Les 19 Nocturnes de Chopin ont été écrits et publiés par ensembles de 2 ou 3, sur une période de vingt ans. Si les premiers d’entre eux, ceux de l’opus 9, sont encore assez simples et proches de Field dans leur style de mélodie accompagnée, et si progressivement Chopin va en raffiner la formule, celle-ci ne varie pas sensiblement pour l’essentiel : il s’agit toujours de pièces de forme ABA’ (plus rarement ABA’CA’’), donc de forme lied. La partie principale A, reprise à la fin, est presque toujours d’essence mélodique, dans un esprit de bel canto très orné, transposé au clavier (traits perlés, vrilles, agréments divers), cette mélodie souple et palpitante étant accompagnée par une main gauche « maître de chapelle » assez régulière, qui évite les basses trop lourdes ou trop martelées, et qui, souvent, au lieu de plaquer ses accords, ondule en arpèges ascendants et descendants de grande amplitude. Le rythme de base est toujours modéré. Même dans les moments les plus chargés en notes d’ornements, l’allure n’est jamais hâtive, et les indications de mouvement vont du lento à l’allegretto, en passant par l’andante et l’andantino. Quant à l’épisode central B, il n’amène pas un thème concurrent, mais un autre état de la musique : le tissu en est plus compact, plus serré, soit par précipitation et agitation rythmique qui évite de se condenser en une mélodie formée (par ex. dans les Nocturnes nos 3, 4, 5, 7, 10, 15, 18) ; soit par condensation harmonique et intervention d’une sorte de choral en accords très ramassés, homorythmiques (Nocturnes nos 6, 11, 13) contrastant avec l’étalement mélodique et harmonique des épisodes qui l’encadrent. Le Nocturne 12 introduit dans l’épisode médian B une espèce de fanfare qui est mise en opposition avec le thème fluide de A et se trouve traitée presque comme un « second thème » de forme sonate. Mais c’est là une exception, dans ce genre d’essence monothématique. Le retour à la mélodie initiale, de B à A’, correspond donc, généralement, dans les Nocturnes à une sorte de résorption, d’apaisement, de relâchement d’une tension, comme si un « événement » avait traversé l’indifférence de la nuit pour finalement s’y fondre. Le temps, malgré la brièveté des proportions, semble dilaté, infiniment disponible pour le déploiement du chant. La nuit est en effet le moment où le temps est délié de l’activité humaine, et ouvert pour la contemplation, comme en suspension, laissant flotter une promesse d’éternité. Les mélodies des Nocturnes, étalées sur de longues périodes, semblent avoir devant elles un champ d’expansion infini (immenses intervalles, cascades d’ornements effleurés, rythme très fluide). D’un certain point de vue, le Nocturne de Chopin est l’antithèse du mouvement de forme sonate à la Beethoven : contrairement à ce qui se passe chez ce dernier, le thème mélodique féminin est ici premier et prédominant, le thème affirmatif viril d’essence rythmique étant confiné dans l’épisode central, et voué à disparaître devant le chant sans limite du thème féminin. Les 19 Nocturnes de Chopin se répartissent ainsi : op. 9 (1830-31), no 1 en si bémol mineur larghetto ; 2 mi bémol majeur andante et 3 si majeur allegretto ; op. 15 (1830-31), no 1 en fa majeur andante cantabile, 2 fa dièse majeur larghetto et 3 sol mineur lento ; op. 27 (1834-35), no 1 ut dièse mineur larghetto et 2 ré bémol majeur lento sostenuto ; op. 32 (1836-37), no 1 si majeur andante sostenuto et 2 la bémol majeur lento ; op. 37 (1838-39), no 1 sol mineur andante sostenuto et 2 sol majeur andantino ; op. 48 (1841), no 1 ut mineur lento et 2 fa dièse mineur andantino ; op. 55 (1843), no 1 fa mineur andante et 2 mi bémol majeur lento sostenuto ; op. 62 (1845-46), no 1 si majeur andante et 2 mi majeur lento ; op. 72 (1827), no 1 mi mineur andante, nocturne de jeunesse. 4. Au XIXe siècle et pendant le XXe siècle, le mot nocturne sert de titre à toutes sortes de pièces vocales et orchestrales très diverses : le Nocturne du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn, les Nocturnes pour orchestre (et choeur féminin) de Debussy, étudiés par ailleurs, le Nocturne pour ténor et petit orchestre de Benjamin Britten, le Notturno électronique, pour bande madownloadModeText.vue.download 705 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 699 gnétique, de Bruno Maderna. Et combien de pièces instrumentales, sans revendiquer textuellement ce titre, sont aussi des « nocturnes « : la Nuit transfigurée pour cordes de Schönberg, l’introduction de la seconde partie du Sacre du printemps de Stravinski, les Parfums de la nuit de l’Iberia pour orchestre de Debussy, les Nuits dans les jardins d’Espagne, pour piano et orchestre, de Manuel de Falla, mais aussi certains mouvements de symphonies, certains préludes d’opéra (celui du deuxième acte du Siegfried de Wagner) ; et encore la scène d’amour du Roméo et Juliette de Berlioz, la scène du jardin de l’Enfant et les Sortilèges de Ravel, la séquence nocturne de la Suite scythe de Prokofiev, la pièce Musiques de nuit de la suite pour piano En plein air de Bartók, et de ce dernier des mouvements lents de ses quatuors, l’adagio de son Divertimento ; plus récemment encore le Nocturnal de Varèse, les Nuits de Xenakis pour ensemble vocal, la pièce pour bande magnétique Presque rien no 2 de Luc Ferrari, etc. Le nocturne n’est-il pas un des rares genres musicaux occidentaux liés au sentiment d’un moment de la journée, comme dans la musique indienne, avec ses « ragas du soir « ? Quelques constantes tendent à revenir dans les nocturnes orchestraux : emploi fréquent des cordes divisées avec sourdines, effets de trémolo, sonorités légères, scintillantes dans l’aigu, ou immatérielles, mais jamais dures (peu de basses lourdes, de cuivres très en dehors). La nuit n’est pas seulement une suggestion psychologique : c’est le moment où les bruits de l’activité humaine se taisent et où ceux de la nature reprennent leurs droits, nous ramenant à un stade archaïque ; celui où l’obscurité semble amplifier ces bruits en les rendant « acousmatiques » (invisibles) et faire le vide autour du son ; celui enfin, où la vue cède à l’ouïe sa prééminence. Comme l’ont noté certains, la musique et la nuit ont un rapport profond et secret. Le nocturne peut être aussi déchaînement des forces irrationnelles, et ce sont les sabbats de Moussorgski (Nuit sur le mont Chauve), Berlioz (Nuit de sabbat de la Symphonie fantastique), Mendelssohn (Première Nuit de Walpurgis). Suspendant les règles du temps diurne, mesuré et rationalisé, le nocturne réveille la part féminine, peut-être, de la musique. NOËL (du lat. natalis, « jour de naissance »). Nom populaire donné à la fête célébrant la naissance du Christ, et, par extension, aux chants non liturgiques de caractère populaire relatifs à ce même événement, ainsi qu’à leurs dérivés ; le mot « noël » devient même une interjection de caractère joyeux. C’est à partir du IXe siècle que commencèrent à se développer des noëls presque toujours latins, mais qui, vers la fin du Moyen Âge, utilisèrent souvent le bilinguisme, latin vernaculaire (surtout français, allemand ou flamand). Les coutumes liées à la fête de Noël, notamment les quêtes d’enfants de choeur, ont, elles aussi, donné naissance à des chants spéciaux, dont le plus ancien connu (XIIIe s.) est sans doute un rondeau virelai d’Adam de la Halle, Dieu soit en cette maison. Les noëls proprement dits sont des chansons en langue vulgaire ou même en patois local, souvent parodiés sur des timbres préexistants, célébrant de façon imagée la naissance de l’Enfant divin en y mêlant volontiers des personnages familiers ou des allusions au temps présent. Ils se développèrent rapidement à partir du XVe siècle, d’autant plus que l’Église tolérait exceptionnellement la présence de ces chants joyeux au cours de la messe de minuit ou de la veillée qui la précédait souvent dans l’église. Pour la même circonstance, les organistes étaient autorisés, même à l’office, à sortir du style sévère qui leur était habituellement imposé et à jouer ou improviser des variations sur les noëls, quel qu’en soit le timbre original. Cela a donné lieu, surtout en France, aux XVIIe et XVIIIe siècles, à une ample littérature, où ils aimaient mettre en valeur, à cette occasion, les jeux de leur instrument. De nombreuses provinces eurent leurs noëlistes dont plusieurs sont restés célèbres : Lucas Le Moigne à Paris, Nicolas Martin à Besançon, Nicolas Saboly à Avignon, etc. Le noël devint volontiers satirique au XVIIIe siècle, avec le Dijonnais Bernard de la Monnoye, faussement littéraire au XIXe avec Placide Cappeau (Minuit chrétien, mis en musique par Adolphe Adam), symbolique au XXe (Marie Noël). Les polyphonistes de la Renaissance ont également écrit des noëls, souvent à partir des modèles monodiques. NOËLS POUR ORGUE. À la fin du XVIIe et durant tout le XVIIIe siècle, les organistes français eurent coutume d’improviser et d’écrire des variations sur des thèmes populaires de chansons de Noël. Le thème lui-même était d’abord exposé une première fois, accompagné de façon très simple ; puis des variations successives le reprenaient, en mettant en valeur les ressources sonores de l’orgue et la virtuosité de son exécutant. Les thèmes de noëls véhiculaient avec eux toute la saveur, essentiellement rustique, de la fête et du temps de Noël, la principale fête de l’année, et les organistes ne manquaient pas de glisser dans leurs variations des effets d’échos agrestes ou des imitations d’instruments pastoraux. Cette évocation, jointe au plaisir admiratif suscité par les prouesses des virtuoses, explique la vogue considérable dont ont joui ces oeuvres, à l’éloquence parfois un peu creuse. Certains musiciens se sont fait une spécialité du noël pour orgue, et ont reçu de ce fait le nom de « noélistes ». Lebègue est le premier à avoir composé des noëls pour orgue (publiés dans son 3e Livre d’Orgue, 1685 ?). Peu après, Gigault est le premier à consacrer un recueil exclusivement à des noëls (Livre de noëls variés, 1682). Après Raison, Dornel, Pierre et Jean-François d’Andrieu, c’est LouisClaude d’Aquin qui apparaît comme le maître du genre, avec son Nouveau Livre de noëls pour l’orgue et le clavecin, dont la plupart peuvent s’exécuter sur les Violons, Flûtes, Hautbois, etc. (v. 1740), dont les douze pièces demeurent les plus populaires. Le genre se poursuivra avec des musiciens de moindre talent, Michel Corrette, Balbastre et, à la fin du siècle, Beauvarlet- Charpentier, Lasceux et Séjan. NOIRE. 1. Valeur de note immédiatement inférieure à la blanche, dont elle représente la moitié. Elle est la transformation de l’ancienne minime noire et se marque dans le chiffrage des mesures par le dénominateur 4 (= 1/4 de ronde), ou l’un de ses équivalents ( ! C). 2. On appelle notation noire, jusqu’au XVIIIe siècle environ, la première notation mensurale dans laquelle toutes les valeurs sont noircies, alors qu’elles sont évidées dans la notation blanche ultérieure (XVe s.). En notation noire, la semi-brève (losange noirci) se divise en minimes noires (losange noirci avec queue), tandis que dans la notation blanche, conservée pour les mouvements lents jusqu’au XVIIIe siècle, la même semi-brève (losange évidé, future « ronde ») se divise en minimes blanches (losange évidé à queue, future « blanche ») et celles-ci en semiminimes crochues (aspect d’une croche évidée ayant la valeur de notre noire). Dans la notation mixte, la plus fréquente, on adopte la notation blanche pour les valeurs longues jusqu’à la minime blanche (future blanche), et la notation noire en dessous, de sorte que la minime noire (future noire) divise la minime blanche (future blanche) en faisant fonction de semi-minime. Nous avons conservé le même principe en faisant de la noire la moitié de la blanche. 3. Dans la notation proportionnelle du XVIe siècle, dont il est resté des traces jusqu’au XVIe siècle, on employait parfois simultanément notes noires ou notes évidées quelle que soit la valeur. En ce cas, on convenait que la note noire vaudrait les 2/3 de la note blanche correspondante (dénigration). De là, le mot « dénigrer » est passé dans le langage courant pour y signifier « présenter une personne ou un fait en lui ôtant une partie de sa valeur réelle ». downloadModeText.vue.download 706 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 700 NOME. Terme de musique grecque antique (si- gnifiant « règle »), désignant des morceaux instrumentaux ou vocaux dont le caractère et les circonstances d’exécution étaient fixés par la tradition et ne devaient donc pas être modifiés. Chaque nome portait un nom (nome pythique, nome orthien, etc.). NONET ou NONETTO. Pièce musicale écrite pour 9 instruments. Les « nonets » sont assez rares. On connaît le Nonetto de Ludwig Spohr, pour violon, alto, violoncelle, contrebasse, flûte, hautbois, clarinette, cor et basson, et celui de Naumann, pour la même formation combinant un quatuor de cordes et un quintette de vent ; plus récemment, des nonets de Bohuslav Martinºu, Aloïs Haba et Carlos Marina. Ils adoptent généralement la forme d’une sonate. Le mot « nonet » peut aussi désigner la formation instrumentale réunie pour l’exécution de ces pièces. NONO (Luigi), compositeur italien (Venise 1924 - id. 1990). Il commença le piano dès l’âge de douze ans pour l’abandonner deux ans plus tard. Ce n’est qu’à dix-sept ans, grâce à sa rencontre avec Malipiero, que s’ouvrirent à lui « tous les horizons de la musique ». Ses véritables études musicales débutèrent en 1941. Nono n’a guère gardé de souvenirs de son passage en « auditeur libre » au conservatoire Benedetto-Marcello de Venise. Cinq années passèrent avant sa rencontre décisive avec Bruno Maderna, avec qui il reprit ses études « depuis leurs débuts ». En 1946, il obtint, en outre, ses diplômes de droit à l’université de Padoue. Devenu élève de Scherchen à Zurich en 1948, Nono découvrit Schönberg et Webern, deux compositeurs qui exercèrent alors sur lui une grande influence. En témoigne sa première oeuvre, les Variations canoniques sur la série de l’opus 41 (Ode à Napoléon). L’oeuvre, créée en 1950 par Hermann Scherchen, fit scandale. Nono venait pourtant de signer là une page transparente et lumineuse, d’une expressivité toute méditerranéenne. Suivirent plusieurs oeuvres se réclamant de ce style, tôt qualifié par la critique de pointillisme postdodécaphonique : Polifonica-monodica-ritmica (1951), Composizione per orchestra I (1951), España en el corazón, pour soprano, baryton, petit choeur mixte et orchestre (1952), Y su sangre ya viene cantando, pour flûte, cordes et percussions (1952), Romance de la guardia civil española, pour récitant, choeur parlé et orchestre (1953), Due espressioni per orchestra (1953), la Victoire de Guernica, pour choeur mixte et orchestre (1954), Canti, pour 13 instruments (1955), Incontri, pour 24 instruments (1954). Autant d’oeuvres usant d’une technique sérielle souple qui ne renonce jamais ni à l’expressivité ni au lyrisme lumineux et ensoleillé qui sont les marques stylistiques du langage de Nono. Déjà, on peut remarquer son intérêt pour l’instrument le plus humain, le plus direct, le plus brut : la voix. Cette passion ne devait jamais le quitter. Toujours dans l’esprit de Webern, Il Canto Sospeso (1955) marqua cependant un tournant à la fois esthétique et idéologique dans la démarche de Nono, qui, désormais, allait plier son art aux exigences de son engagement social et politique comme membre du P. C. I. En 1955, Nono épousa Nuria, fille d’Arnold Schönberg. Pendant deux années consécutives (1958 et 1959), il donna des cours à Darmstadt, puis, après 1959, à Darlington (Angleterre). En 1960 eut lieu la création d’Intolleranza, action scénique (opéra) en 2 actes et 11 tableaux ayant pour sujet l’histoire d’un émigrant, qui, aux prises avec l’oppression fasciste, découvre à la fois l’horreur et l’amour dans les camps de concentration. L’oeuvre fut diversement accueillie. Or, si Nono n’est ni « un compositeur à manifestes, ni un musicien politique » (Martine Cadieu), il se veut témoin, et témoin à charge, d’une société corrompue, injuste, violente et destructrice. Aussi s’insurgea-t-il aussi bien contre l’antisémitisme et les camps de la mort que contre les guerres d’Algérie, du Viêt-nam et contre les dictatures d’Amérique latine. Il fut actif aussi sur le terrain, apportant le concert dans les usines, la musique contemporaine dans les halls ou les grands magasins, et il lui arriva de refuser les circuits de diffusion officialisés (par ex. les festivals), ce qui, par exemple, le conduisit en 1968 à décliner l’invitation qui lui était faite de participer à la Biennale de Venise. Cette prise de position caractérisa surtout les années 60. C’est pourquoi Nono consacra alors une grande partie de son activité créatrice à la musique électroacoustique, celle-ci, une fois réalisée sur bande, étant facilement transportable dans la rue ou dans les usines. Nono n’en continua pas moins à pratiquer un art sans concessions. D’où un hiatus, absurde mais logique, entre utopie et pratique concrète. Dans ce contexte idéologique se situent notamment Un volto del mare, pour 2 voix, chant et bande magnétique (1968), et Non Consumio Marx, montage de non-musique avec slogans et sons électroniques (1969), diptyque écrit contre la Biennale de Venise de 1968 à laquelle il avait refusé de participer. En rapport avec ses conceptions politiques apparaît son traitement des masses chorales. Pour lui, un choeur n’est pas fait de musiciens réunis pour chanter « de concert », mais représente plutôt des individualités soudées en une équipe de travail et dont les différences font la richesse de l’expérience vécue par le collectif ainsi formé. Ainsi faut-il percevoir déjà Cori di Didone, pour choeur et percussion (1958). En 1964, Nono dédia sa Fabricca Illuminata aux ouvriers en grève de l’Italsider de Gênes, affirmant par ce geste son désir de demeurer de plain-pied dans la vie sociale de son propre pays. Refusant l’élitisme, il tenta d’insérer sa musique dans le tissu social, dans les lieux non sacralisés par la notion de concert-spectacle. Dans Ricordi cosa ti hanno fatto in Auschwitz, pour bande magnétique, il fit un usage poétique et lyrique d’un matériau ingrat préenregistré en studio. En 1966, A Floresta e Jovem e cheja de Vida, pour bande magnétique, voix, clarinette et percussion, fut dédié au Front national de libération du Viêtnam, et, en 1971, Ein Gespenst geht um die Welt (Un fantôme rôde de par le monde), pour soprano, choeur et orchestre, le fut à Angela Davis. Depuis la fin des années 60, Nono a donné une série de partitions de grande envergure, qui le font apparaître, envers et contre tous, comme un créateur puissant, profondément humain et chaleureux. Citons : Como Una Ola de Fuerza y Luz, pour soprano, piano, orchestre et bande magnétique (1972) ; Canto per il Viet-Nam, pour choeur mixte (1972) ; Al Gran Sole Carico d’Amore, action scénique (1975) ; Sofferte Onde Serene, pour piano « live » et enregistré (1976) ; Con Luigi Dallapic- cola, pour percussion (1979) ; Fragmente Stille an Diotima, pour quatuor à cordes (1980) ; Das atmende Klarsein, pour flûte basse, petit choeur et live électronique (1981) ; Io, Frammento dal Prometeo, pour 3 sopranos, petit choeur, flûte basse, clarinette, contre-basse et live électronique (1981) ; Diarao Polacco no 2, pour voix, instruments et amplification électronique (Venise, 1982), l’opéra Verso Prometeo (créé à Venise en 1984), Découvrir la subversion, hommage à Edmond Jabès (1987). NORAS (Arto), violoncelliste finlandais (Turku 1942). Il entre à l’âge de sept ans à l’Académie Sibelius d’Helsinki et poursuit ses études au Conservatoire de Paris dans la classe de Paul Tortelier, où il obtient un premier prix en 1964. Deux ans plus tard, il remporte le second prix au Concours Tchaïkovski de Moscou. En 1967, il reçoit le prix Sonning de Copenhague et fait sa première tournée aux États-Unis en 1968. En 1969, il donne une série de concerts en Amérique du Sud, où il se produira fréquemment par la suite. Membre du Quatuor de l’Académie Sibelius et du Trio d’Helsinki, il joue en sonate avec Bruno Rigutto, participe aux master classes et aux concerts du Festival de Prades et dirige le Festival de Maantali, qu’il a fondé en Finlande. downloadModeText.vue.download 707 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 701 NORDGREN (Pehr Henrik), compositeur finlandais (Helsinki 1944). Élève de J. Kokkonen, il poursuit des études à l’université d’Helsinki (musicologie), puis à l’université de Tky (musique traditionnelle) et vit maintenant dans le village de Kaustinen, en Finlande, au milieu des pelimannit (« ménétriers ») comme läänintaiteilija, « artiste régional ». Dans son oeuvre, il a réussi à opérer une synthèse de styles entre les musiques folkloriques finnoise et japonaise et un langage contemporain, lui-même extrêmement composite. Cette réussite apparaît notamment dans le Concerto pour clarinette, instruments populaires et petit orchestre op. 14, oeuvre originale et ambitieuse (1970) ; le Concerto d’automne, pour instruments traditionnels japonais et orchestre op. 18 (1974) ; les Pelimannimuotokuvia op. 26, pour cordes (« Portraits de ménétriers », 1976). Ce dernier ouvrage précède et annonce le Quatuor no 1, pour instruments traditionnels japonais op. 19 (1974) et Seita op. 42 (1978), pour 2 kotos et jushichige. Parallèlement, Nordgren a commencé, en 1972, ses Ballades d’après les histoires japonaises de fantômes de Lafcadio Hearn (10 pièces pour piano). À côté de ces oeuvres, il faut également retenir ses nombreuses oeuvres pour orchestre : les 3 Euphonies (1967 et 1975) ; 2 Concertos pour alto, 1 Pour piano, 1 Agnus dei op. 15 (1970) ; The Turning Point op. 16 (1972) ; la Symphonie op. 20 (1974) ; Summer Music op. 34 (1977) ; la Symphonie pour cordes op. 43 (1978) ; 5 Quatuors à cordes (de 1967 à 1986), un Quintette avec piano (1978), une Symphonie no 2 (1989). NORDHEIM (Arne), compositeur norvégien (Larvik 1931). Il a étudié à Oslo, puis à Copenhague avant d’effectuer un stage de musique électronique à Paris. Ses premières oeuvres importantes sont Aftonland (1957), puis Canzona, pour orchestre (1960), qui annonce une période créatrice extrêmement prolifique et riche. « Tout doit chanter » est la règle de conduite de ce compositeur, qui rejoint vite l’avant-garde musicale et se tourne de plus en plus vers les moyens électroniques : Katharsis, 1962 ; Epitaffio, 1963 ; Favola, 1965 ; Response I-III, 1966, musique électroacoustique ; Eco, 1967-68 ; Colorazione, Solitaire et Warszawa, 1968 ; musique pour le pavillon norvégien de l’exposition d’Osaka, 1970 ; Pace et Lux tenebrae, 1970. Depuis cette date, il combine une technique d’écriture orchestrale en larges clusters et des procédés contrapuntiques : Floating, 1970 ; Greening, 1973 ; puis les oeuvres plus complexes : Forbindelser (Connexions, 1975), Doria et Spur (1975), Ariadne (1977), Tenebrae, concerto pour violoncelle et orchestre (1982), Rendez-vous pour orchestre à cordes (1987). NORDMANN (Marielle), harpiste française (Montpellier 1941). À l’âge de six ans elle commence l’étude du piano, pour se tourner vers la harpe quatre ans plus tard, après sa rencontre capitale avec Lily Laskine. Au Conservatoire de Paris, elle devient son élève, obtient un premier prix et forme avec André Guilbert et Renaud Fontanarosa le Trio Nordmann. Invitée pour des récitals dans le monde entier dès le début des années 60, elle se produit également avec Lily Laskine. En formation de musique de chambre, elle se fait entendre aux côtés de J.-P. Rampal, P. Tortelier, son mari P. Fontanarosa, A. Nicolet, P. Amoyal, etc. Elle contribue à enrichir le répertoire de la harpe en réalisant de nombreuses transcriptions. NORDRAAK (Richard), compositeur norvégien (Oslo 1842 - Berlin 1866). Il reste peu d’oeuvres de ce compositeur, mort de la tuberculose à vingt-trois ans. On connaît une musique de scène pour la pièce Marie Stuart (1864-65) de son cousin B. Bjørnson, une autre pour Olav Trygvason (1865), des romances et quelques pièces pour piano. Mais son rôle aura été essentiel lors de sa brève rencontre en 1865 à Copenhague avec E. Grieg, car, à cette occasion, alors que Grieg était encore sous l’influence de l’enseignement de N. Gade, il lui communiqua sa foi en la possibilité de créer une musique nationale norvégienne (cf. le groupe Euterpe avec C. Horneman et G. Matthison-Hansen). Il est l’auteur de l’hymne national norvégien, Ja, vi elsker dette landet... (« Oui, nous aimons ce pays-ci... »). NØRGÅRD (Per), compositeur danois (Copenhague 1932). Après des études dirigées par V. Holmboe et F. Høffding à Copenhague puis par N. Boulanger à Paris, il fit, très tôt, preuve d’une incontestable personnalité et ses premières oeuvres (Sonate pour piano no 1, 1952, rév. 1956 ; Sinfonia austera, 1954 ; Triptychon, 1957, et surtout la 2e Sonate pour piano, 1957, et Constellations pour 12 cordes, 1958) se caractérisent par la densité de l’écriture et du rythme. Dans les années 60, son style s’épure et la canalisation de ses recherches et de ses idées produit des oeuvres d’une grande intensité comme Fragment VI (1959-1961), l’oratorio Dommen (« Le jugement », 1962), l’opéra Labyrinten (1963) et le ballet Den unge mand skal giftes (1964). On peut considérer que Nørgård atteint une maîtrise totale de son système d’écriture à la fin des années 60 et presque toutes les oeuvres qu’il écrit alors témoignent non seulement de la possession de son langage mais de la force de l’expression. En 1967 et 1968 il compose une trilogie orchestrale : Iris, Luna et Voyage à travers l’écran d’or qui établit la base de son langage, sans qu’il y ait d’ailleurs rupture avec ses oeuvres précédentes. Viennent ensuite la 2e symphonie (1970), l’opéra-épopée Gilgamesh, en 6 jours et 7 nuits (1971), la 3e Symphonie (1973-1976), Nova Genitura (1975), Seadrift (1978), la 4e Symphonie (1981), la 5e Symphonie (1990). Per Nørgård s’est lui-même considéré, dans les années 50, comme un compositeur « nordique « ; il réunit, en fait, une double tendance non contradictoire : la première est d’essence spirituelle et fait appel aux sources de l’existence, à l’appartenance de l’homme à un monde cosmique, à la spiritualité ; la seconde se réfère aux réalités mathématiques, au nombre d’or, aux séries numérales, à l’expérimentation sonore, à l’analyse des phénomènes naturels, physiques ou chimiques. Il est la plus forte personnalité que le Danemark ait connue depuis C. Nielsen. NORMAN (Jessye), soprano américaine (Augusta, Géorgie, 1945). Elle étudie l’opéra et le lied à l’université Howard de Washington auprès de Carolyn Grant (1967), au conservatoire Peabody de Baltimore et à l’université du Michigan (1968), auprès d’Élisabeth Mannion et de Pierre Bernac. Premier prix du Concours international de Munich (1968), elle entreprend une tournée en Europe qui la mène à l’Opéra allemand de Berlin : elle y chante son premier rôle, Élisabeth de Tannhäuser (1969). Engagée dans la troupe, elle incarne la Comtesse des Noces de Figaro. De 1971 à 1972, elle se produit sur les scènes italiennes, chantant Idoménée à Rome, Selika de l’Africaine de Meyerbeer au Mai musical florentin, Aïda à la Scala de Milan. Pour ses débuts au Covent Garden, elle chante Cassandre dans les Troyens de Berlioz (1972). C’est en Allemagne qu’elle retrouve la scène, incarnant Ariane à Naxos à Hambourg (1980) et à Francfort (1981). Mais elle se produit principalement en concert ou en récital. Dotée d’une palette vocale riche en coloris et en nuances, elle en joue avec raffinement, utilisant au mieux un médium et un grave d’une étendue inhabituelle chez une soprano. Cela confère à ses interprétations de lieder et de mélodies françaises une force d’émotion peu commune. NORRINGTON (Roger), chef d’orchestre anglais (Oxford 1934). Il est formé à l’université de Cambridge et au Royal College of Music de Londres. En 1962, il fait ses débuts de chanteur. De 1966 à 1984, il dirige l’Orchestre de l’Opéra du Kent, et se spécialise dans le répertoire du XVIIIe siècle joué sur instruments d’époque. À partir de 1975, il dirige downloadModeText.vue.download 708 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 702 le London Baroque Ensemble, et, en 1978, fonde les London Classical Players, associés au Heinrich Schütz Choir. En 1990, il prend la tête de l’Orchestre de Saint Luke à New York. Il s’attache à restituer les timbres instrumentaux d’origine des symphonies de Haydn et Beethoven. Décrivant ses London Classical Players comme un laboratoire plus qu’un orchestre, il applique la même démarche à la Symphonie fantastique de Berlioz, puis à Wagner et Bruckner. En 1994, il réalise un cycle Brahms au Concertgebouw d’Amsterdam et, en 1995, dirige Zelmira et Sémiramide de Rossini au Festival de Pesaro. NOSKE (Frits Rudolf), musicologue néerlandais (La Haye 1920). De 1939 à 1945, il étudie le violoncelle et la théorie aux conservatoires d’Amsterdam et de La Haye, puis, de 1945 à 1949, la musicologie à l’université d’Amsterdam avec Bernet Kempers et Smits Van Waesberghe. Il travaille l’année suivante avec Paul Masson à la Sorbonne et enseigne à partir de 1950 l’histoire de la musique à la Musikschule zur Gesang de Bussum (jusqu’en 1953) et au conservatoire d’Amsterdam (jusqu’en 1965). En 1954, il soutient sa thèse de doctorat à l’université d’Amsterdam (la Mélodie française de Berlioz à Duparc), où il succède à Bernet Kempers en 1968. Il est, parallèlement à ces fonctions pédagogiques, particulièrement actif dans les bibliothèques musicales. Conser- vateur à la Bibliothèque musicale d’Amsterdam dès 1951, il en devient directeur en 1954. Il est en outre secrétaire général de l’A. I. B. M. (Association internationale des bibliothèques musicales) de 1955 à 1959 et vice-président de 1959 à 1965. À côté d’un certain nombre d’études sur la mélodie française et le lied en général (Das ausserdeutsche Sololied, 15001900, Das Musikwerk XVI, 1958), il a particulièrement orienté ses recherches vers la musique néerlandaise baroque et vers un genre particulier d’analyse musicale (le Principe structural génétique dans l’oeuvre instrumentale de Joseph Haydn, RBM XII, 1958 ; Forma, formans : een structuuranalytische methode, toegepast op de instrumentale myziek van Jan Pieterszom Sweelinck, 1969). Enfin, il s’est surtout penché, ces dernières années, sur les opéras de Mozart et de Verdi. NOTATION MUSICALE. La plus ancienne notation musicale déchiffrable avec certitude, celle de la Grèce antique, probablement plus récente qu’on ne le croyait jadis, remonte sans doute au milieu du IIIe siècle av. J.-C., mais il est vraisemblable qu’elle a eu de nombreux prédécesseurs. À mesure qu’on les déchiffre, les écritures des anciennes civilisations du Moyen-Orient font apparaître, spécialement dans les textes qui se prêtent au chant (hymnes, prières, etc.), l’existence de signes irréductibles aux normes connues, et qu’on présume représenter une notation musicale. Plusieurs procédés de déchiffrement ont été proposés (le plus récent, 1977, est celui de Mme DuchesneGuillemain pour l’écriture cunéiforme) mais ne sont encore que des hypothèses. En Grèce même, la notation classique a sans doute eu des prédécesseurs. Sous réserve d’éventuelles découvertes, et en se limitant à la hauteur des sons, on peut classer en 5 catégories principales les principes utilisés : 1. la méthode globale, la plus rudimentaire, et s’appliquant exclusivement aux musiques, généralement de caractère liturgique, procédant par centons ou par variations sur des formules mémorisées. Elle consiste à cataloguer ces formules et à attribuer à chacune un signe conventionnel. Elle a été pratiquée notamment dans les manuscrits hébraïques ponctués de signes musicaux additifs (taamim) ; leur déchiffrement reste évidemment tributaire d’une connaissance préalable des formules qu’ils représentaient. Cette connaissance est actuellement minime, et de récentes « restitutions » de musique biblique lancées à grand renfort publicitaire ne présentent malheureusement aucune garantie scientifique ; 2. la méthode intervallique, consistant, le système modal et le point de départ mélodique étant fixés, à représenter par un signe conventionnel non les sons euxmêmes, mais l’intervalle séparant chacun du précédent ; c’est le principe de certaines notations byzantines ; 3. la tablature, indiquant non les sons euxmêmes, mais la manière de les produire sur un instrument donné (position des doigts). C’est probablement à ce principe que répondait la « notation instrumentale » de la Grèce antique ; réinventé à la fin du Moyen Âge et devenu usuel du XVIe au XVIIIe siècle pour certains instrumentistes (organistes, luthistes, guitaristes), il est encore parfois pratiqué actuellement en tout ou en partie à côté des notations usuelles (accordéon) ; 4. la traduction abstraite de chaque son et sa figuration graphique. Telle était la « notation vocale » grecque, à l’origine simple numérotation des sons de la tablature, ultérieurement développée sur des bases analytiques indépendamment des contingences instrumentales. Bien que transmise comme la précédente par les écoles médiévales, elle n’a pas davantage survécu dans la pratique à la disparition de la musique grecque antique vers le IVe siècle de notre ère ; 5. le graphisme visuel, assimilant le mouvement mélodique à un mouvement dans l’espace et évoquant celui-ci par un tracé approprié. Un tel principe ne pouvait être conçu sans la métaphore qu’il matérialise, à savoir que les aigus sont « hauts » et les graves « bas « : cette métaphore n’a pris naissance que vers le IXe siècle de notre ère, et a engendré dès cette époque des graphismes correspondants ou neumes, d’où, par transformations successives, a pris naissance notre notation occidentale usuelle. Les premiers témoins de ce nouveau procédé apparaissent sporadiquement sous forme de petits traits aide-mémoire tracés de temps à autre au-dessus du texte pour indiquer la direction montante, descendante ou étale du mouvement mélodique ; bientôt on matérialisera le son en dessinant un point à l’extrémité de ce trait qui deviendra une simple queue ou haste, et on placera lesdits points plus ou moins haut en dessinant à peu près le mouvement mélodique (diastématie, Xe s. env.). Certains neumes composés de traits à valeur mélodique resteront toutefois en usage jusqu’au XVIe siècle (ligatures). Au XIe siècle, certains scribes facilitèrent leur travail en préparant sur le parchemin, à la pointe sèche, une ligne-repère de signification variable : ce fut l’amorce de la portée. Progressivement, on renforça le rôle de cette ligne en la traçant à l’encre et en précisant au moyen d’une lettre (clavis) le nom de la note qui lui est affectée : ces lettres deviendront nos clefs ; on ajouta une seconde ligne, à distance de quinte, puis une troisième divisant ces deux par le milieu : on s’aperçut alors que chaque note disposait désormais d’un emplacement précis, par ligne et interligne successifs, et on ajouta d’autres lignes selon le même principe. Leur nombre était variable, mais l’usage les normalisa à peu près à 4 au cours du XIIe siècle, puis au XIIIe siècle à 5 pour la musique non liturgique. L’usage de la « clef » fixait une fois pour toutes l’intervalle séparant les notes ; mais un degré, le si, dénommé B, était mobile, formant demi-ton tantôt avec do et tantôt avec la. On donna deux formes différentes à ce B : carré dans le premier cas (bécarre), rond dans le second (bémol) et on précisa, s’il y avait lieu, lequel des deux B convenait en écrivant ce B soit après la clef (origine de nos armatures), soit en cours de texte peu avant son emploi (origine de nos altérations accidentelles). Plus tard, pour mieux distinguer ces deux formes, on ajouta un trait au bécarre, qui prit tantôt sa forme actuelle, tantôt, si les traits débordaient, celle qu’a gardée notre dièse ; les deux formes dièse et bécarre ne furent différenciées que tardivement et l’usage actuel, lié à la transformation parallèle du solfège, n’est guère fixé que depuis le XVIIIe siècle. Mais, dès le XIIIe siècle, on commença à utiliser les deux signes bémol et bécarre- dièse pour d’autres notes que le si : fa et downloadModeText.vue.download 709 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 703 do dièses au XIIIe siècle, sol et, exceptionnellement, ré dièses au XIVe, mi bémol au début du XVIe. À la fin du XVIe siècle, avec l’invention du chromatisme, il n’y eut plus de limitation. Au XVIIe siècle, un arrondissement général du graphisme lié au mode d’écriture donna à peu près aux notes leur aspect actuel. La notation classique fut alors fixée et ne subit plus guère de changements par la suite. L’écriture du rythme se développa parallèlement à celle de la mélodie. La musique grecque la connaît, sous forme de signes spéciaux ad libitum ajoutés à la notation mélodique. Ces signes sont employés encore aujourd’hui par les métriciens, mais furent abandonnés des musiciens : les notations neumatiques les ignorent, même si certaines d’entre elles notaient parfois par des traits incorporés (épisèmes) ou des lettres suscrites des détails d’allongement, d’accélération, etc. C’est seulement à la fin du XIIe siècle, à l’école de Notre-Dame de Paris, que les polyphonistes eurent l’idée, par une manière différente de grouper les neumes (ligatures), de préciser la valeur des notes dans les mélismes en rythme ternaire ; cette valeur n’était pas fixe, mais déterminée par le contexte : 1 ou 2 temps selon le cas pour la brève, 2 ou 3 temps pour la longue (notation proportionnelle). Cette façon de faire fut élargie et codifiée de manière de plus en plus complexe à partir du XIIIe siècle ; on donna une valeur rythmique à la direction des hastes et aux détails de tracé des points (à gauche, à droite, etc.), en même temps qu’à la forme des points pour les notes isolées (notation dite franconienne). De la combinaison de ces éléments naquit une classification en longues, brèves et semi-brèves qui n’allait cesser de s’étendre en évoluant et en créant sans cesse de nouvelles valeurs (minime, semi-minime, fusa, etc.) et de nouvelles formes de notes (rondes ou carrées, pleines ou évidées) ou de queues (adjonction de crochets, etc.). Notre nomenclature en rondes, blanches, etc., en est directement issue par transformations successives. À partir du XIVe siècle, la création de rythmes de plus en plus complexes entraîna de profondes modifications et une débauche de signes dont la valeur parfois contradictoire (temps, modes, prolations) était codée par des figures conventionnelles (encres de couleur, figures évidées, signaux combinés de ronds, points, etc.) dont certaines ont été conservées (C, C barré), ou encore par des combinaisons de chiffres qui sont devenues nos fractions de mesure. À la fin du XIVe siècle, la notation atteignit le maximum de complication (notation maniérée), puis se simplifia progressivement. La barre de mesure s’imposa au XVIIe siècle modifiant la façon de compter en solfiant (on comptait auparavant non pas 1 -2 -3 -4, mais 1 -1 -1 -1...) et par là le sens du chiffrage : la valeur rythmique des signes cessa de dépendre du contexte et chaque valeur de note acquit une durée fixe en fonction du chiffrage de mesure. Il subsista néanmoins certaines ambiguïtés qui existent encore de nos jours ; de nombreux essais d’amélioration ont été proposés depuis le XVIIe siècle, mais se sont toujours heurtés à la force de l’habitude acquise, et l’ensemble de la notation est restée pratiquement sans changement jusqu’aux musiques non harmoniques du XXe siècle dont les expériences, reprenant la question sur des bases nouvelles, sont encore en cours. NOTE. Signe essentiel de l’écriture musicale, représentant à la fois la hauteur et la durée d’un son. Par extension, ce son lui-même. NOTE CONTRE NOTE. Mode d’écriture polyphonique dans lequel en même temps que chaque note d’une voix est exécutée une note d’une autre voix. NOTE DE PASSAGE. Se dit d’une ou deux notes qui, formant dissonance ou n’appartenant pas à l’harmonie (accord), réunissent, par mouvement conjoint, les notes formant consonance ou appartenant à l’harmonie. Par exemple, la ligne mélodique do-si-la audessus de la basse do a le si comme note de passage. Lorsqu’il y a simultanément plusieurs notes de passage, elles peuvent former une harmonie dite également de passage. NOTE ÉTRANGÈRE. On désigne ainsi en analyse harmonique les notes entendues en même temps qu’un accord sans en faire partie, soit qu’elles servent de liaison ou d’ornementation, soit qu’elles préparent l’arrivée sur l’une des notes de l’accord. Les notes étrangères peuvent être simultanées (entendues en même temps qu’est frappé l’accord) ou de transition (entendues entre la frappe d’un accord et le suivant) et, en harmonie classique, appellent une résolution, c’està-dire l’aboutissement de leur mouvement mélodique sur une note réelle faisant cette fois partie intégrante d’un accord. Les traités recensent un grand nombre de notes étrangères : notes de passage, broderies, appoggiatures, pédales, etc. (voir chacun de ces mots). NOTE RÉELLE. Se dit, en analyse harmonique, par opposition aux notes étrangères ou altérées, des notes d’un accord qui appartiennent effectivement à la définition de cet accord. NOTES INÉGALES. Règle en usage jusque vers 1770 environ, selon laquelle les valeurs de division du temps (par ex. les croches pour une battue en noires) ne devaient pas, hormis certains cas définis, être interprétées de manière égale, bien qu’écrites avec les mêmes valeurs de notes. La manière d’interpréter l’inégalité échappait aux règles du solfège et dépendait du « goût » de l’interprète, pouvant en certains cas aller jusqu’à faire interpréter deux croches comme s’il y avait croche pointée/double croche. Il est aussi abusif d’ignorer l’existence de cette règle dans une interprétation de musique ancienne que d’appliquer mécaniquement un barème d’équivalence solfégique qui serait contraire à l’esprit de cette tradition aujourd’hui perdue. NOTES MODALES, NOTES TONALES. Dans la théorie de la musique classique occidentale, on qualifie de notes modales les degrés caractéristiques qui, dans le mode majeur et le mode mineur d’un même ton, ne sont pas les mêmes, en d’autres termes ne forment pas le même intervalle avec la tonique, et caractérisent donc chacun des deux modes par rapport à l’autre. Il s’agit de la médiante (3e degré), de la susdominante (6e degré) et de la sensible (7e degré), lesquelles forment avec la tonique, en majeur, des intervalles respectifs de tierce majeure, sixte majeure et septième majeure, et, en mineur, de tierce mineure, sixte mineure, septième mineure. On appelle par ailleurs notes tonales d’un ton les trois degrés principaux qui interviennent le plus fréquemment dans l’affirmation de cette tonalité, et sur lesquels on peut bâtir les trois accords parfaits générateurs des sept degrés de la gamme. Elles sont les mêmes quel que soit le mode. Il s’agit de la tonique (1er degré), de la sous-dominante (4e degré) et de la dominante (5e degré). Par exemple, en do majeur, les trois accords parfaits générateurs construits sur les notes tonales sont do-mi-sol, fa-la-do, sol-si-ré ; et en do mineur, do-mi bémol-sol, fa-la bémol-do, sol-si bémol-ré. On constate par la même occasion que les trois notes modales d’un ton se situent toutes à la tierce supérieure de ses notes tonales : tierce majeure dans le ton majeur, tierce mineure dans le ton mineur. Pour résumer, on dira que ces deux séries de notes se complètent pour affirmer, l’une le mode, et l’autre le ton, c’està-dire les deux critères réunis dans une indication telle que fa majeur, ou do dièse mineur. À noter que certains traités ne mentionnent que deux notes tonales (4e et 5e degrés) et de même deux notes modales (3e et 6e degrés). downloadModeText.vue.download 710 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 704 NOTRE-DAME (école de). Nom donné à l’ensemble des compositeurs qui, entre 1160 et 1270 environ, ont illustré la prédominance parisienne dans le domaine de la polyphonie et de la lyrique latine chantée, en s’appuyant sur l’exemple des déchanteurs de Notre-Dame de Paris, dont les plus célèbres furent les maîtres Albert vers 1140, Léonin vers 1160 et surtout, avant 1199, Pérotin, dit le Grand, peut-être surnom d’un préchantre Pierre qui mourut en 1236. Les oeuvres de l’école de Notre-Dame comportent un riche répertoire d’organa, de conduits à une ou plusieurs voix, et plus tardivement de motets, conservés dans une dizaine de manuscrits, dont les principaux sont à Florence, Madrid, Wolfenbüttel, Saint Andrews (Écosse) et Burgos (Las Huelgas, copie tardive du XIVe s.). Des débris d’un manuscrit qui devait avoir plus de 700 pages ont été retrouvés à Châlons-surMarne. NOTTEBOHM (Martin Gustav), musicologue allemand (Lüdenscheid, Westphalie, 1817 - Graz 1882). Après avoir étudié à Berlin (1838-39) et à Leipzig (1840-1845), il s’établit à Vienne en 1846, où il commence par enseigner, puis se consacre de plus en plus à la recherche musicologique. Par ses méthodes d’investigation systématique, il a développé une nouvelle approche des problèmes musicaux, en particulier en ce qui concerne les biographies de musiciens et l’édition musicale (publication des oeuvres de Beethoven et de Mozart, en particulier, et préparation de celles de Bach et de Schubert). Il publia le catalogue thématique des oeuvres de Beethoven (1868) et de Schubert (1874). Il se spécialisa avant tout sur Beethoven dont il étudia attentivement les manuscrits et esquisses : Beethoveniana (1872), Beethovens Studien I (1873), Zweite Beethoveniana (1887). Il est incontestablement l’une des grandes autorités de la musicologie allemande au XIXe siècle. NOURRIT (Adolphe), ténor français (Paris 1802 - Naples 1839). Il débute en 1821 dans Iphigénie en Tauride de Gluck à l’Opéra de Paris où il succéda à son père, ténor lui aussi, mais qu’il devait surpasser. Adolphe Nourrit fut sans doute un des plus grands chanteurs français de tous les temps. Élève de García, il utilisa sa formation italienne pour créer un style de chant spécifiquement français qui atteignit son apogée au milieu du XIXe siècle : déclamation lyrique très nuancée visant à une expression profonde des sentiments. Il créa Robert le Diable et les Huguenots de Meyerbeer, Guillaume Tell de Rossini, la Juive de Halévy, la Muette de Portici d’Auber. Sa technique utilisait au maximum la « voix mixte » qui lui permettait une souplesse exemplaire et un contrôle parfait des demi-teintes. En 1837, il quitta l’Opéra de Paris, à la suite de l’engagement de Gilbert Duprez et du succès que celui-ci obtenait avec sa technique de la « voix sombrée » où le registre de poitrine était utilisé pour des effets nouveaux de vaillance dans l’aigu. Pendant les deux années qui suivirent, Nourrit obtint de grands succès en Italie. Il se suicida à Naples, dans un accès de neurasthénie, en se jetant de la fenêtre de son hôtel. NOVAES (Guiomar), pianiste brésilienne (São João de Boa Vista 1896-São Paulo 1979). Une bourse lui permet de se présenter au Conservatoire de Paris : elle est première nommée sur quatre cents candidats, devant un jury composé de Debussy, Fauré et Moszkowski. Élève d’Isidore Philipp, elle remporte son premier prix en 1911 et, dès 1912, fait son entrée sur la scène internationale à Londres. En 1916, elle fait ses débuts en Amérique et, en 1922, épouse le compositeur brésilien Octavio Pinto (1890-1950). Son jeu délicat, parfois qualifié d’« aristocratique », fait merveille dans Chopin et Schumann. Elle a aussi enregistré des sonates de Beethoven, mais l’on a pu dire que ses disques n’étaient pas toujours le reflet fidèle de son art. Elle a voulu promouvoir la musique brésilienne et la culture interaméricaine. Dans cet esprit, elle grave la Negro Folk Symphony de Dawson, avec Leopold Stokowski. NOVÁK (Vítězslav [Viktor]), compositeur tchèque (Kamenice 1870 - Skuteč 1949). Fils d’un médecin de campagne, il décide sa mère, veuve depuis 1881, à venir s’installer à Prague pour qu’il puisse suivre simultanément les cours de l’université de droit et du conservatoire. Il y reçoit l’enseignement de K. Knittl, puis de Strecker, qui réussit à faire entrer Novák dans la classe de Dvořák. Ce dernier lui fait reprendre sept fois sa Sonate pour violon et piano, que Novák donne pour son concert de sortie du conservatoire le 8 juillet 1892 avec K. Hoffmann au violon. De 1892 date également son ouverture le Corsaire. Jusqu’en 1896, Novák travaille le piano avec Josef Jiránek et la composition avec le successeur de Dvořák, K. Bendl. Parallèlement paraissent le Trio en « sol » mineur op. 1 et la Sérénade en « fa » majeur pour petit orchestre. Puis Novák découvre pendant l’été 1896 la Valaquie morave, et discute folklore morave avec Janáček. La rencontre de ces deux tempéraments va conduire à l’essor de la musique tchèque et slovaque des vingt années à venir (1900-1920). Novák vit désormais à Brno et compose successivement divers tableaux de ces contrées dominées par le massif des Tatras : Quintette avec piano en la mineur op. 12 (1897), le 1er Quatuor à cordes op. 22, le poème symphonique Dans les Tatras (V Tatrách op. 26), la Sonate héroïque op. 24, la Sonatine des brigands op. 54/55 pour piano, enfin la Suite de Slovaquie morave op. 32. Mais cette intense activité créatrice ne l’empêche pas de sombrer dans des crises de dépression. Il nous conte ces moments de crise sentimentale et d’isolement baudelairien dans le Trio quasi una ballata op. 27 et dans le 2e Quatuor à cordes en ré majeur op. 27, esquisse autobiographique très personnelle. Il s’affirme ensuite à l’orchestre avec le diptyque Désir et Passion, juxtaposant la poésie impressionniste d’Andersen (l’Éternel Désir) à l’expression d’une passion dévorante (Toman et la Fée), se confirmant comme un contemporain de Reger et de Schönberg. Pour le 50e anniversaire de la fondation de la Société philharmonique de Brno, il écrit la Tempête, « fantaisie maritime » (première, Brno, 17 avr. 1910 par Rudolf Reissig), cantate étrange dont le flot mêle une suite de petits poèmes symphoniques à des scènes grandioses pour choeur et solistes. Puis vient Pan, poème musical pour piano, où il laisse éclater ses quatre passions : la montagne, la mer, la forêt et la femme. Novák revient fréquemment à Prague où il a succédé à Dvořák comme professeur de composition. Il écrit Chemises de noce, mais réussit mieux le conte lyrique la Lanterne (1923). Mais la scène musicale est occupée par Janáček, et Novák doit attendre la fin de la mode debussyste pour retrouver une certaine audience. Il écrit successivement sa Symphonie d’automne op. 62, comparable à l’Épilogue de Suk, la Jihočeska suita op. 64, enfin des oeuvres patriotiques célébrant la mémoire des héros morts pendant la dernière guerre. Cette période d’occupation, de résistance, semble lui donner de nouvelles forces. Il écrit des chansons (op. 74/75), légendes (op. 76), mélodies (op. 77), berceuses (op. 78), des choeurs (Domov, Pét smíšen’ych sborºu, Máj [« Mai »], Hvězdy [« les Étoiles »])... Kubelik crée à Prague la Symphonie de mai. Désormais, Novák peut prendre une retraite remplie d’honneurs. NOVELLO, famille anglaise d’origine italienne qui a donné à l’histoire de la musique plusieurs figures importantes. Vincent (Londres 1781 - Nice 1861), compositeur, organiste et pianiste virtuose. Il fonda en 1811 la maison d’édition musicale Novello and Co , qui commença par éditer des oeuvres de musique sacrée (Purcell, Mozart, Haydn, Beethoven). Des onze enfants qu’il eut de son épouse Mary Sabilla Hehl, un certain nombre se firent un nom dans la musique. Parmi eux, on citera : downloadModeText.vue.download 711 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 705 Clara Anastasia (Londres 1818 - Rome 1908). Elle fut une soprano réputée au concert comme à la scène, créant notamment des rôles de Rossini, Bellini, Donizetti. En 1829, ayant appris que la soeur de Mozart était dans le besoin, Vincent Novello organisa une collecte, et, pour en remettre le produit à « Nannerl », entreprit avec sa femme Mary un voyage qui les mena à Salzbourg et à Vienne. Leurs notes et leur journal ayant trait à ce voyage, très intéressants, ne devaient être découverts et publiés que plus d’un siècle plus tard (A Mozart Pilgrimage, Londres 1955, rééd. 1975). NUANCE. 1. Au sens actuel usuel, degré de force ou de ténuité du son, correspondant pour le musicien à ce qu’est pour le physicien l’amplitude de la vibration (par ex., la nuance piano). S’emploie surtout au pluriel dans une acception globale impliquant la variabilité de ces « nuances » (faire des nuances). Jusqu’au XVIIIe siècle, sous l’influence d’instruments tels que l’orgue ou le clavecin, dont le degré de sonorité était indépendant de la force d’attaque des touches, on pratiquait surtout les nuances par plans successifs ou superposés, sans véritable oscillation au cours d’une phrase ou d’un morceau. Avec l’avènement du piano-forte, la conception a changé, et la pratique des fluctuations de nuances en fonction du phrasé est devenue l’un des éléments essentiels de l’interprétation. L’école de Mannheim, vers 1770, a joué un grand rôle dans cette transformation du goût, qui n’a toutefois gagné le domaine du chant que vers le deuxième tiers du XXe siècle. 2. En musique grecque antique, on traduit habituellement par « nuance » le mot chrôa qui désigne les infimes variations de hauteur imposées aux notes mobiles selon le gré de l’exécutant à partir des hauteurs théoriques fixées par les harmoniciens en fonction du genre. NUNES (Emmanuel), compositeur portugais (Lisbonne 1941). Il a fait ses études d’harmonie et de contrepoint à l’Académie de musique de sa ville natale, puis est venu s’établir à Paris en 1964, recevant au Conservatoire national l’enseignement de Marcel Beaufils (esthétique), et obtenant dans cette classe un premier prix. Entre 1963 et 1965, il a participé en outre aux cours d’été de Darmstadt, et, de 1965 à 1967, fréquenté les cours de la Rheinische Musikschule de Cologne, travaillant ainsi avec Stockhausen et Pousseur (composition), Jaap Spek (musique électronique) et Georg Heike (phonétique). Il s’impose une discipline stricte au niveau de la forme. Il a écrit notamment Degrés, pour trio à cordes (1965), Seuils, pour grand orchestre (1966-67, rév. 1977), le Voile tangent, pour quatuor à cordes (1967), Litanies du feu et de la mer no 1 (1969), et no 2 (1971), pour piano, Omens, pour 9 instruments (1972, rév. 1975), Fermata, pour orchestre et bande magnétique (1973), Nachtmusik, pour alto, violoncelle, clarinette basse, cor anglais, trombone et 3 synthétiseurs (1973-1977), Voyage du corps (1re partie), pour 28 voix mixtes en 7 quatuors, 3 × 2 modulations d’amplitude et bande magnétique (1973-74, création à Royan en 1975), Ruf, pour orchestre et bande magnétique (1974-1976, création à Royan en 1977), Es webt, pour 21 cordes et 13 vents avec 2 chefs (1973-1975), Minnesang, pour 12 voix mixtes (1976), 73 Oeldorf 75, pour 3 bandes magnétiques et 2 orgues électriques (1975), 73 Oeldorf 75 II, pour 6 groupes à 3 voix mixtes et 3 bandes magnétiques (1976), Einspielung I, pour violon seul (1979), II, pour violoncelle seul (1980) et III, pour alto seul (1981), Nachtmusik II pour orchestre (1982) ; Stretti pour 2 orchestres (1983), Tif’Ereth pour 6 groupes instrumentaux et 6 solistes (créé par Radio France en 1985), Lichtung pour ensemble instrumental et électronique sur le vif (1988-1992), Quodlibet pour 3 ensembles instrumentaux (1991), Chessed III pour quatuor à cordes (1991), Chessed IV, pour orchestre et quatuor à cordes (1992). NYERT (Pierre de), chanteur et compositeur français (Bayonne v. 1597 - Paris 1682). Après avoir étudié le chant et le luth en France, il accompagne le maréchal de Créquy en Italie (1633). C’est là qu’il s’informe des techniques les plus avancées dans le domaine du chant. De retour dans son pays, ce gentilhomme qui, selon le violiste André Maugars, « a si bien ajusté la méthode italienne avec la françoise... » procède à une réforme du chant français. Sa méthode qui « fait tout, même pour ceux qui n’ont pas de belles voix » (Tallemant des Réaux) ouvre la voie du développement de l’air et du ballet de cour vers un style beaucoup plus orné, virtuose, tout en conservant à la musique française sa douceur caractéristique. On peut étudier cette évolution dans les « doubles » de Lambert (le livre d’Airs de 1666 est d’ailleurs dédié à « Monsieur de Nyert, Premier Valet de Chambre du Roy »). De Nyert lui-même, nous ne conservons qu’un air à voix seule dan un recueil collectif manuscrit (Paris, Bibliothèque nationale de France.). NYSTROEM (Gösta), compositeur suédois (Silverberg 1890 - Säro 1966). Il est le créateur de quelques-unes des oeuvres orchestrales les plus remarquables de la musique suédoise du XXe siècle. Ses études le mènent en Espagne, puis à Paris où il travaille la peinture avec F. Léger, subit l’influence de Braque et poursuit parallèlement ses études musicales avec V. d’Indy et Sabanaijev de 1919 à 1931. En contact avec le groupe des Six et I. Stravinski, il combine habilement les caractéristiques de l’impressionnisme et de l’expressionnisme français avec son tempérament de postromantique nordique. Son oeuvre comprend 6 monumentales symphonies (Breve, 1929-1931 ; Espressiva, 1932-1935 ; Del mare, 1947-48 ; Shakespeariana, 1952 ; Seria, 1963 ; Tramontana, 1965), une symphonie concertante avec violoncelle (1945), 1 concerto de violon (1956), 1 Concerto ricercante pour piano (1960), 2 quatuors à cordes, un opéra radiophonique, Herr Arnes penningar (1958), et de la musique vocale, domaine dans lequel il retrouve la même réussite que dans ses symphonies ; en particulier les mélodies Angest (« Angoisse », 19231928), Sånger vid havet (« Mélodies au bord de la mer », 1942), På reveln (« Sur le rocher », 1949) et Själ och landskap (« Âme et Paysage », 1952) font partie des chefsd’oeuvre de la mélodie nordique. downloadModeText.vue.download 712 sur 1085 O OBBLIGATO (it. : « obligé »). Associé à un nom propre sur une partition (violon, violoncelle, etc.), ce terme indique que la présence de cet instrument est requise par le compositeur. Il n’est pas question de le remplacer ou de le supprimer. L’emploi d’un instrument obligé à l’époque baroque pour accompagner un air de soliste est fréquent. Une partie de clavecin obligé est une partie écrite en toutes notes par opposition à une basse chiffrée à « réaliser ». Un exemple des deux types de composition figure dans la cantate profane attribuée à J.-S. Bach, Amore traditore (BWV 203). La mention obbligato est le contraire de ad libitum. OBJET SONORE. Notion due principalement à Pierre Schaeffer, et qui désigne un phénomène sonore perçu dans le temps comme un tout, une unité, quels que soient ses causes, son sens, et le domaine auquel il appartient (musical ou non). En un sens, la notion d’objet sonore généralise la notion de note (en tant qu’unité combinatoire) à tout l’univers sonore, en incluant les sons qui n’ont pas de hauteur définie, où dont le profil, les caractères, ne rentrent pas dans les critères habituels de la musique traditionnelle. La note de musique devient alors un cas particulier d’objet sonore. Cette notion a été élaborée par Pierre Schaeffer à partir de ses premières expériences de musique concrète entre 1948 et 1952, et fit l’objet d’une première définition avec le concours d’Abraham Moles. Reprise et approfondie dans les années 60, elle vit sa théorie considérablement développée et étayée par un travail de recherche collectif du G. R. M. autour de Schaeffer, qui trouva son aboutissement dans l’important Traité des objets musicaux, paru en 1966. Cet ouvrage propose un « solfège des objets sonores », qui est un essai de classification de tout l’univers sonore sur la base de critères de l’écoute complètement redéfinis pour être applicables à n’importe quel phénomène audible. Par une confusion fréquente, on a tendance à appliquer cette expression d’« objet sonore » à tout objet matériel susceptible de produire des sons - ce que, dans le vocabulaire proposé par Schaeffer, on appelle plutôt « corps sonore ». Or, l’objet sonore, en tant que phénomène perceptif, doit être absolument distingué de l’idée d’une cause matérielle, anecdotique ; défini sous un angle phénoménologique, il est une perception dont le siège exclusif est la tête - l’oreille et le cerveau de l’auditeur ; il n’y a pas d’objet sonore en dehors d’un sujet percevant. Musicalement, l’intérêt de la notion d’objet sonore est de suppléer à la défaillance de la notion traditionnelle de note au sens occidental pour discriminer des unités dans les musiques nouvelles, et même dans les musiques d’autres civilisations ; elle aide à en définir en termes nouveaux les matériaux et les unités structurelles. Il est clair que les agrégats, masses, clusters, processus globaux utilisés par la musique contemporaine ne peuvent plus être réduits à de simples « paquets » de notes traditionnelles dont ils ne seraient que des extensions ; ils demandent un vocabulaire nouveau, de nouveaux critères d’analyse. L’intérêt de cette notion est donc comparable à celui de la notion de plan au cinéma, en permettant de segmenter la continuité en éléments qu’on peut analyser, combiner, etc. Un objet sonore peut être écouté selon trois intentions différentes : ou bien, on cherche à y reconnaître la cause dont il est l’indice (« c’est un coup de frein de voiture »), ou bien, à comprendre le sens qu’il véhicule (notamment dans le cas de l’expression verbale, ou des codes sonores) ; ou enfin, faisant abstraction de ces deux niveaux, on peut s’arrêter à sa matière, sa texture auditive, sa forme : c’est l’attitude dite d’écoute réduite dont Schaeffer a également fait la théorie dans son Traité des objets musicaux, véritable bouleversement de l’écoute. Selon Schaeffer, l’objet sonore n’accède au stade d’objet musical que s’il répond à certains critères qui le rendent « convenable » à l’utilisation musicale, et s’il est employé dans un contexte, une structure susceptibles d’en faire émerger des valeurs musicales abstraites (de hauteur, de durée, mais aussi de « grain », d’« allure », c’est-à-dire de vibrato). La notion d’objet sonore est donc, pourrait-on dire, « prémusicale », mais indispensable, selon l’auteur du Traité, pour définir lucidement la possibilité d’un nouveau langage musical. Par ailleurs, elle s’est répandue peu à peu dans les disciplines liées à l’acoustique, la psychoacoustique, la musicologie, dont elle peut renouveler la démarche. Elle représente un des rares acquis théoriques authentiques de la recherche musicale au XXe siècle. OBRECHT (Jakob), compositeur néerlandais (Bergen op Zoom [ ?] v. 1450 Ferrare 1505). Il fut maître de choeur vers 1476 à Utrecht, où il eut sans doute Érasme pour élève, puis à Sainte-Gertrude et à la confrérie de Notre-Dame de Bergen op Zoom (14791484), où il fut ordonné prêtre (1480). Après avoir été maître de chapelle à Cambrai (1484-85) - poste qu’il quitta pour mauvaise gestion et négligence -, il devint succentor à Saint-Donatien de Bruges downloadModeText.vue.download 713 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 707 (1487-1492). Une autorisation d’absence de six mois (1488) lui permit de séjourner chez le duc de Ferrare, Hercule Ier. De 1492 à 1496, il occupa les fonctions de maître de chant à Notre-Dame d’Anvers où il composa vraisemblablement les messes Maria Zart, Sub tuum praesidium et le Salve Regina III. Bruges l’accueillit à nouveau de 1498 à 1500, mais des raisons de santé l’amenèrent à se retirer à Berg op Zoom puis à Anvers avant d’entreprendre un second voyage à Ferrare (1504), où il mourut de la peste. On possède actuellement de lui 88 oeuvres, plus 11 douteuses. Exception faite de 28 courtes pièces profanes, pour la plupart des chansons (dont certaines publiées par O. Petrucci) sur des textes français et surtout néerlandais, et de 3 tablatures de luth, l’essentiel de son oeuvre relève du domaine religieux : une trentaine de messes et autant de motets. L’Italie n’ayant eu sur lui que des influences superficielles (Missa Adieu mes amours), Obrecht peut être considéré comme un solide représentant de la grande tradition polyphonique néerlandaise, basée sur la maîtrise de la technique du contrepoint avec un sens aigu de la conduite des lignes mélodiques des voix, toutes de valeur égale (cf. le Pleni sunt caeli de la messe Salve Diva Parens). Ses grandes compositions religieuses sont fondées sur un cantus firmus, tantôt profane (ex. Je ne demande de Busnois, Malheur me bat d’Ockeghem), tantôt religieux (grégoriens pour Beata viscera, Salve diva parens, Sicut spina, O quam suavis est, Subtuum praesidium), utilisant les différentes voix en imitation. Il est vrai que Jakob Obrecht ne réserve plus le cantus firmus pour le seul « ténor », allant parfois jusqu’à la technique de la messe-parodie. Ainsi le cantus n’est plus un guide, mais un vrai réseau d’irrigation qui donne à l’oeuvre une richesse et une souplesse toutes nouvelles. La séquence est le procédé de développement favori du compositeur, donnant à ses oeuvres un caractère vivant. Mais il faut y ajouter l’ostinato (répétition très rapprochée d’un court motif), le plus souvent à la voix de basse, ce qui donne à l’ensemble une couleur très marquée ainsi qu’un emploi plus grand de la cadence reprise à Dufay. On trouve aussi chez Obrecht un sens aigu de l’architecture qui repose sur des préoccupations mathématiques (cf. Marcus Van Crevel). Il va plus loin, en la matière, que Dunstable ou Ockeghem, et se montre vrai disciple des néopythagoriciens, dont les spéculations mathématiques l’ont influencé et conduit aux frontières de l’ésotérisme gnostique. La messe Super Maria Zart, oeuvre tardive, ne peut se comprendre sans cela. De la dernière période relève aussi la messe Sub tuum presidium. Pourtant, Obrecht évite toute froideur et rigidité : il a en effet un sentiment fort de la tonalité et le goût de la clarté harmonique qui le font apparaître comme le protagoniste de la fusion de la polyphonie simultanée des Pays-Bas et de l’harmonie simultanée de l’Italie. L’évidente facilité d’Obrecht a permis à Glaréan d’affirmer que celui-ci pouvait composer une messe en une seule nuit mais, ajoute-t-il, « personne n’a dans ses chants si parfaitement exprimé les sentiments de l’âme humaine ». OCARINA. Instrument populaire, à vent, né à Florence vers 1867. Construit en terre cuite, plus rarement en métal, il a approximativement la forme et les dimensions d’une tête d’oie, d’où son nom en italien. Il est percé de huit trous, plus celui de l’embouchure, et produit des sons comparables à ceux de la flûte dans l’aigu. OCKEGHEM (Johannes), compositeur franco-flamand (Hainant v. 1410 - Tours 1497). Mentionné parmi les chantres de la cathédrale Notre-Dame d’Anvers (juin 1443 juin 1444), ce Flamand fit de la France sa terre d’élection. Juste retour des choses. D’abord au service du duc de Bourbon Charles Ier, qui avait établi sa cour à Moulins, de 1446 à 1448, il parvint au sommet de la réussite professionnelle dès son entrée (1452) à la chapelle royale de France, alors installée sur les bords de la Loire. Jusqu’à sa mort (1497), il devait y servir successivement Charles VII, Louis XI et Charles VIII, comme chantre (« maître de la chapelle du chant du roy »). L’estime en laquelle on le tint lui valut maintes prébendes, et notamment sa nomination comme trésorier de l’abbaye SaintMartin de Tours (entre 1456 et 1459). À l’encontre de Dufay ou de Josquin, il ne fut pas un grand voyageur (même s’il se rendit en 1470 en Espagne et en 1484 en Flandre) ; surtout, il n’a jamais tenté l’aventure italienne, bien que ses oeuvres aient souvent été reproduites dans des manuscrits italiens (cf. aussi son Prendrez sur moi reproduit dans la marqueterie du cabinet d’Isabelle d’Este). C’est que sa réputation dépassa vite les limites du royaume, ce dont témoignent les compositions auxquelles ont donné lieu sa mort. « Acoutrez vous d’habitz de deuil : Josquin, Brumel, Pinchon, Compère... », c’est en ces termes que Guillaume Cretin invite dans sa Déploration ses confrères à manifester leur douleur de la mort de leur « maître et bon père ». Jean Molinet, écrivant deux épitaphes dont l’une devait être mise en musique par Josquin, l’appela Sol lucens super omnes, et Érasme lui dédia sa complainte Ergo ne conti cuit que Johannes Lupi devait mettre en musique. Mais de son vivant déjà, Binchois lui avait dédié son motet In hydraulis, Compère l’avait nommé dans son motet Omnium bonorum plena, et Tinctoris lui avait dédié son livre De natura et proprietate tonorum (1476), le qualifiant avec Busnois de « prestantissimi ac celebrissimi artis musicae professores ». Ockeghem est sans doute l’un des premiers compositeurs à avoir traité dans un esprit différent musique profane et musique religieuse. Peut-être le cadre de la chanson fut-il trop étroit pour lui. Toujours est-il qu’il respecte dans ce domaine la tradition à 3 voix, évitant généralement les imitations, maintenant volontiers (Petite Camusette) le contraténor dans un rôle subalterne (à la différence de Busnois), ne réalisant l’équilibre des voix que dans Prendrez sur moi votre exemple amoureux, canon figuraliste. Mais c’est à la musique religieuse qu’il a réservé la première place, et là, ses oeuvres dégagent une réelle impression de grandeur et de puissance. Son habileté contrapuntique y éclate : un Deo gratias à 36 voix (mais est-ce bien celui qui nous est parvenu, et qui se présente plutôt comme un quadruple canon à 9 voix ?) lui valut une extraordinaire réputation de sorcier du contrepoint, tout comme d’ailleurs la Missa cujusvistoni, qui, par changements de clefs appropriés, peut être transposée dans n’importe quel ton (d’où son nom) sans modification du texte musical. Un autre tour de force est constitué par la Missa Prolationum, où les 4 voix sont groupées 2 par 2 en 2 canons différents, la basse suivant le ténor en augmentations, l’alto le supérius. Mais ces virtuosités techniques, cette mathématique transcendante ne sauraient gêner sa spontanéité et son goût de l’expression. L’intérêt intellectuel va de pair chez lui avec l’émotion immédiate. D’ailleurs, Ockeghem est un compositeur qui « n’a jamais de système » (Ch. Van den Borren), c’est ce qu’il veut exprimer qui conditionne le choix de ses moyens. Ainsi passe-t-il dans ses messes de l’usage du cantus firmus (Missa Caput, l’Homme armé) à la messe-parodie (Fors seulement) et à la composition libre (Prolationum, Cujusuis toni, Missa Mi-mi). Ainsi utilise-t-il la dissonance avec une hardiesse qui contraste avec sa condamnation par Tinctoris. Un des premiers, il chercha à établir un rapport étroit entre le texte et la musique. Krenek a relevé chez lui des exemples frappants de ce figuralisme dont Monteverdi ou Bach seront plus tard tributaires. Son oeuvre religieuse progresse nettement dans le sens de l’équilibre des voix et de la souplesse des lignes ; il y a chez lui un idéal de clarté : s’il conserve la linéarité de la polyphonie, il sait tisser un réseau qui donne un sentiment de verticalité. C’est là une notion moderne. downloadModeText.vue.download 714 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 708 On possède de lui 13 messes, un requiem (le plus ancien ayant survécu), un credo isolé, une dizaine de motets et une vingtaine de chansons, auxquels il faut ajouter quelques oeuvres douteuses quant à leur signature. OCTAVE. L’octave est, dans nos gammes, l’intervalle qui sépare deux notes qui portent le même nom, quoiqu’elles soient de hauteurs différentes. Cet intervalle est perçu par l’auditeur non exercé comme une similitude totale entre les deux notes. Acoustiquement, il correspond à une fréquence double, ou à une division par deux de la longueur de la corde vibrante (le violoniste place son doigt au milieu de la corde pour faire entendre l’octave de cette corde à vide). Toutes nos gammes et nos modes ont été conçus, jusqu’à ce jour, pour que les notes se répartissent à l’intérieur d’une octave. OCTAVE BRISÉE, OCTAVE COURTE. On désigne indifféremment par l’un de ces termes une particularité de certains claviers anciens d’orgue ou de clavecin. L’octave la plus grave, réduite de mi 1 à ut 2, y avait l’apparence habituelle, mais était accordée différemment de son aspect visuel : ce qui raccourcissait l’écart de la main et permettait de jouer rapidement une gamme de do majeur par simple glissement des doigts sans déplacement de main ni passage de pouce. Ce passage était rendu difficile par l’exiguïté des touches, de sorte qu’il est resté peu pratiqué jusqu’à l’allongement de celles-ci, généralisé au début du XIXe siècle. OCTUOR 1. Formation instrumentale de musique de chambre comprenant huit instruments, à vent ou à cordes, et souvent une combinaison des deux (ex. : clarinette, cor, basson, deux violons, alto, violoncelle et contrebasse, pour l’oeuvre Anaktoria de Yannis Xenakis, composée en 1969 à l’intention de l’Octuor de Paris). On dit aussi parfois, par anglicisme, « octette ». 2. Pièce musicale écrite pour huit instruments. On peut citer comme octuors les sérénades KV 375, 1781 et KV 388, 1782 de Mozart, l’Octuor op. 103 de Beethoven, pour instruments à vent, 1792 (deux hautbois, deux clarinettes, deux cors, deux bassons), l’Octuor en fa majeur D. 803 pour cordes et vents de Schubert, 1824 (quintette à cordes, cor, basson, clarinette), et celui pour cordes seules, mi bémol op. 20, 1825, de Mendelssohn. Et aussi, parmi les octuors modernes, ceux de George Enesco, 1900, Igor Stravinski, 1923 (pour vents seuls), Darius Milhaud (1948-49, formé de la superposition de deux quatuors à cordes jouables simultanément !), Paul Hindemith, 1958, Dimitri Chostakovitch, Claude Ballif, Yannis Xenakis, etc. L’octuor peut adopter la forme du divertissement en plusieurs mouvements, ou de la sonate. 3. Dans un opéra ou une cantate, air ou passage écrit pour huit voix distinctes : le troisième acte de la Walkyrie de Wagner, par exemple, contient des octuors de Walkyries. ODE (grec ôdé, « chant «, puis, plus particulièrement, « poésie lyrique «). Ce terme désigne en général un poème destiné à être chanté, ou une oeuvre musicale lyrique (par opposition à dramatique), dont le style est large et noble, et dont l’objet est souvent la célébration ou la commémoration d’un héros, d’une circonstance, etc. Chez les Grecs anciens, l’ode était un genre chanté, en choeur ou en solo, où poésie et musique étaient conçus ensemble, par des poètes-musiciens comme Alcée, Sapho et Pindare (v. 518 - v. 438 av. J.-C.), avec ses quatre livres d’odes triomphales qui célébraient par exemple les vainqueurs des jeux Olympiques. Le genre de l’ode fut repris par des poètes latins, comme Horace, qui publie entre 30 et 13 av. J.-C. quatre livres de Carmina (odes) inspirés plus souvent par l’ode légère et méditative d’Alcée et Sapho que par l’ode grandiose de Pindare, comme il le confesse lui-même. L’ode pindarique a une forme très nette, en trois parties, introduite par Stésichore : strophe et antistrophe, sur une mélodie commune, puis épode, sur une musique différente. Celles d’Horace ont des formes assez variées par strophes de quatre vers, mais ont en commun la recherche d’une certaine complexité métrique. Le genre de l’ode survit au Moyen Âge, avec le souvenir de l’ode antique, mais c’est au XVIe siècle qu’il fait l’objet d’une véritable entreprise de résurrection : à travers lui, on veut notamment retrouver cette fameuse union primitive du verbe et de la musique, qui était à la base de la musique des Anciens. Ces odes mesurées à l’antique sont harmonisées à trois ou quatre voix homorythmiques, sur des textes allemands ou latins, et fleurissent avec les oeuvres de Sethus Calvisius, Ludwig Senfl, Claude Goudimel. Avec ses thèmes religieux, humanistes ou solennels, l’ode est par excellence le genre savant et noble. Plus tard se développe l’ode de forme libre, qui se libère des jeux métriques complexes et devient un genre de célébration et d’hommage, pour les mariages, les fêtes, les anniversaires ou les funérailles (Ode à sainte Cécile, 1692, de Purcell, Ode à sainte Cécile, 1739, de Haendel, Ode funèbre, BWV 198, 1727, de Jean-Sébastien Bach). On ne trouve plus ensuite, aux XVIIIe et XIXe siècles, que des odes isolées, souvent en référence à l’antiquité et de forme très variable (Ode anglaise, 1789, perdue, de Philidor, Ode à la musique, 1890, de Chabrier, quelques essais de mise en musique des odes d’Horace, et l’Ode à Napoléon, 1942, de Schönberg, d’après Byron). ODINGTON (Walter), savant et théoricien anglais (actif de 1298 à 1316 env.). Moine à Evesham, abbaye bénédictine près de Worcester, il écrivit un traité, Summa de speculatione musicoe, comparable au Tractatus de musica de Jérôme de Moravie, et qu’on peut considérer comme le plus important et le plus complet alors rédigé en Angleterre. ODON DE CLUNY, abbé de Cluny (Maine v. 879 - Tours 942). Il reste de lui trois hymnes et douze antiennes pour l’office de Saint-Martin du 11 novembre, ainsi que des écrits. On lui a également attribué un certain nombre de « tonaires », en fait sensiblement postérieurs. OFFENBACH (Jacques, Jacob EBERST, dit), compositeur français d’origine allemande (Cologne 1819 - Paris 1880). Connu comme le plus grand compositeur d’opérettes, le roi des divertissements du second Empire, le « Mozart des ChampsÉlysées » (Wagner), il a été pour cela aussi fêté d’un côté que mésestimé de l’autre. Parce qu’on s’amuse à la Belle Hélène, ou à Orphée aux Enfers, on tend à considérer la musique de ces oeuvres comme indigne d’être mesurée à celle des grands - alors que, comme l’a relevé René Leibowitz, c’est une véritable musique d’opéra ample et inventive. Jacob Eberst était le fils d’un cantor de la synagogue de Cologne, qui était originaire de la localité d’Offenbach-sur-leMain. De là vient le pseudonyme qu’il prit par la suite. Il apprend le violon avec sa mère, ainsi que le violoncelle, instrument où il deviendra un virtuose. C’est par des récitals de violoncelle dans les salons qu’il commencera à entrer dans la carrière en 1834, avec un répertoire de pièces qu’il écrivit pour cet instrument (duos, romances, danses) et qui restent les seules pièces de « musique pure » dans sa production. En 1833, il est amené à Paris, et accepté, par Cherubini comme élève au Conservatoire de Paris, malgré son origine étrangère (qui, selon les règles en usage, devait lui en interdire l’accès). Particulièrement indiscipliné, il n’y reste qu’un an, dans la classe de violoncelle de Veslin, et finit par être engagé downloadModeText.vue.download 715 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 709 comme violoncelliste de fosse dans des orchestres d’opéra-comique, d’abord à l’Ambigu-Comique, puis à l’Opéra-Comique, salle Favart. Il travaille la composition avec Jacques Fromental Halévy, oncle de Ludovic Halévy, qui devait collaborer avec lui comme librettiste. Sa première oeuvre, Pascal et Chambord, est créée en 1839 sans succès. Pendant huit ans, il n’en compose pas d’autre, et gagne sa vie comme violoncelliste en tournée, en Allemagne, en Autriche, en Angleterre. En 1844, il épouse Herminie d’Alcain, après s’être converti au catholicisme ; il aura d’elle cinq enfants. Après d’autres tentatives dans l’opérette, il finit par accepter, sur la proposition d’Arsène Houssaye, le poste de chef d’orchestre à la Comédie-Française. Il a sous sa baguette un petit ensemble qui joue pendant les entractes et accompagne d’éventuelles romances et chansons introduites dans l’action. Celle qu’il compose pour le Chandelier de Musset (la « Chanson de Fortunio ») ne peut être chantée par l’acteur Delaunay, trop inhabile au chant. Devant la difficulté de faire jouer et réussir les opérettes qu’il se remet à écrire (comme Pepito, 1853 ; Oyayaie ou la Reine des Îles, 1855), il prend en 1855, l’année de l’Exposition, la gestion d’un minuscule théâtre situé aux Champs-Élysées et qu’il baptise Bouffes-Parisiens. C’est là que ses opérettes, encore de petite dimension (comme le règlement lui en faisait obligation pour son théâtre), commencent à obtenir un succès qui se répand à l’étranger. Il cumule les rôles de compositeur, directeur de troupe, répétiteur de l’orchestre, intervient dans la mise en scène, etc., manifestant son tempérament d’infatigable travailleur. Les Bouffes-Parisiens déménagent dans un théâtre plus grand, passage Choiseul. Ses librettistes sont de Forges et Riche, Jules Moineaux (les Deux Aveugles, 1855), Hector Crémieux (Élodie, 1856), Ludovic Halévy (à partir de Ba-TaClan, 1855), Michel Carré (à partir de la Rose de Saint-Flour, 1856), Meilhac, Tréfeu, Scribe, etc. Après une série de succès obtenus par des opéras bouffes en un acte, il fait donner ses pièces dans des théâtres plus importants, pour s’attaquer à des entreprises de plus grande dimension. Orphée aux Enfers (1858, livret de Crémieux et Halévy), avec ses deux actes, inaugure la série des grandes opérettes parodiques et frondeuses, et lui fait passer ce cap décisif. Suivent une multitude de créations, dont on retiendra Monsieur Choufleuri restera chez lui le... (1861, livret de Crémieux, Halévy, Lépine et du duc de Morny), Barkouf (1860, opéra-comique écrit par Scribe et Boisseau), la Belle Hélène (1864, livret de Meilhac et Halévy), Barbe-Bleue (1866), la Vie parisienne (1866), et la Grande-Duchesse de Gerolstein (1867), avec la même équipe, Robinson Crusoë (1867), opéra-comique où il prouve son art dans le style « sérieux », la Périchole (1868, livret de Meilhac et Halévy), etc. Il devient la vedette du second Empire et de sa cour. Son interprète favorite, celle pour qui fut écrite la Belle Hélène, est Hortense Schneider. Il aime, tout en travaillant, vivre en société, s’occuper des autres, et sa réputation est immense. La guerre de 1870, avec la fin du second Empire, interrompt cette période heureuse, et l’expose à des attaques xénophobes, bien qu’il se soit fait naturaliser français en 1860. Il doit quitter Paris quelque temps, puis après les événements de 1870 et 1871, il tente de repartir avec le Roi Carotte (1872, livret de Sardou), le Corsaire noir (créé à Vienne, 1872, sur un livret de luimême) et Fantasio, d’après Musset (1872). Il prend en 1872 la direction de la Gaîté-Lyrique, où il monte ses oeuvres avec plus de fastes et de machineries (nouvelle version d’Orphée en 1874, le Voyage dans la lune, 1875, que suivirent le Docteur Ox, 1877, Madame Favart, 1878, la Fille du tambour-major, 1879). Mais cette entreprise le ruine, et, en 1876, il doit abandonner le théâtre, vendre une partie de ses biens et entreprendre une tournée (triomphale) aux États-Unis pour rétablir sa situation. Tourmenté par la « goutte » (diathèse), il revient encore plus souffrant, mais toujours en activité, écrivant sur un livret des frères Barbier les Contes d’Hoffmann, vieux projet d’opéra-comique dans lequel il voulait mettre le meilleur de son inspiration fantasmagorique. Mais il meurt le 3 octobre 1880 avant de les avoir achevés. La première des Contes d’Hoffmann, orchestrés par Ernest Guiraud, a lieu le 10 février 1881, dans une atmosphère de consécration posthume. Comme on l’a dit, Offenbach est un musicien dont la réputation a eu à souffrir de l’absurde hiérarchie des genres : souvent seul l’humour des paroles et des situations place ses opérettes sous le signe du divertissement sans prétention. La musique d’Orphée aux Enfers, ou de la Belle Hélène égale ou surpasse en invention, en qualité mélodique, en sens dramatique bien des opéras sérieux. S’il pastiche l’opéra, ce n’est pas pour singer un genre dont il ne posséderait pas l’étoffe ; c’est en grand musicien doué d’une certaine vertu d’intelligence, d’ironie et de goût pour l’humour, qui lui fait facilement voir toute chose sous l’angle drôle. De surcroît, il travailla souvent avec des librettistes de grand talent, extrêmement efficaces dans un humour de parodie et de « nonsense ». On a relevé cependant dans maint passage de son oeuvre une mélancolie à peine cachée - non pas mélancolie romantique, « spleen » cultivé avec amour, mais mélancolie très humaine et sans pose. On peut le rapprocher de ces burlesques géniaux du cinéma muet (Chaplin, Langdon, Keaton), ou d’un Boris Vian dont on ne connaîtrait que le visage de l’amuseur. OFFERTOIRE. Pièce chantée ou jouée à la messe entre le credo et la préface. Elle est ainsi nommée en raison des offrandes qu’autrefois les fidèles apportaient solennellement à ce moment, et qui comportaient souvent le pain et le vin destinés à être consacrés. Liturgiquement, l’offer- toire est un fragment scripturaire s’appliquant à la fête du jour, lu par le prêtre au début du canon ; il comportait autrefois une antienne assez longue encadrant un ou plusieurs versets de psaume ; le verset a disparu, sauf en certaines circonstances (messe de requiem), laissant subsister la seule antienne. Dans les messes en plainchant, cette antienne était chantée pendant que le prêtre, après l’avoir lue à voix basse, continuait la messe par la lecture silencieuse du canon. Si le chant était trop court, l’orgue continuait à jouer, et le morceau gardait le nom d’offertoire. Souvent aussi on supprimait le chant, et l’orgue (exceptionnellement l’orchestre dans certaines messes très solennelles) jouait pendant tout le temps disponible. L’offertoire devenait ainsi le temps le plus long laissé à la disposition du musicien pendant la messe proprement dite, et en outre le seul moment où il n’était tenu par aucune obligation particulière de style, de sorte que, dans les messes d’orgue des XVIIIe et XIXe siècles, il est, avec la sortie, le morceau le plus développé et souvent le plus brillant. Dans la messe postconciliaire de Paul VI, l’offertoire musical se voit très réduit et parfois supprimé par la récitation du canon à voix haute. OFFICE. Nom générique donné à l’ensemble des célébrations du culte ou à chacune d’elles. L’office catholique comprend, outre la messe, le chant ou la récitation des heures et diverses cérémonies ou réunions pieuses plus ou moins codifiées par l’usage, telles que salut du saint sacrement, récitations de chapelet, etc., ainsi que des cérémonies particulières propres à certaines fêtes (ex. le lavement des pieds le jeudi saint). À l’exception des vêpres et complies, auxquelles les fidèles étaient souvent conviés sans obligation les dimanches et fêtes, l’office des heures concerne surtout la liturgie monacale, les prêtres séculiers se contentant de le lire à voix basse dans le bréviaire. downloadModeText.vue.download 716 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 710 OFFICE DE TÉNÈBRES. Office de matines des trois jours de la semaine sainte (jeudi, vendredi, samedi) correspondant à la Passion et à la mort du Christ, dans la liturgie catholique romaine. Chacun des trois offices comprenait trois antiennes, trois leçons (ou lectures) et trois répons. Les leçons étaient extraites des Lamentations de Jérémie, et une très ancienne tradition voulait que la première lettre de chaque verset en soit chantée : le poème hébraïque était acrostiche, la première lettre de chaque verset correspondant à une lettre de l’alphabet. On a ainsi continué, dans la version grégorienne, à vocaliser aleph, beth, ghimel... L’office de ténèbres commençait à minuit et se déroulait primitivement jusqu’à l’aube. Un symbolisme de la lumière accompagnait son déroulement, les luminaires étant éteints progressivement (d’où le nom de ténèbres donné à la cérémonie). On prit ultérieurement, par commodité, l’habitude de célébrer l’office dans l’aprèsmidi du jour précédent, l’office du jeudi devenant « ténèbres du mercredi » et ainsi de suite. Cet office, en raison de la beauté dramatique de son texte poétique et du caractère un peu spectaculaire de la liturgie, fut toujours très suivi, mais à partir de la Renaissance, il donna lieu à une floraison d’oeuvres, d’abord polyphoniques (Dufay, Arcadelt, Sermisy, Cr. de Morales, Victoria, Lassus, Palestrina. W. Byrd, Tallis, Gesualdo...) puis monodiques (Galilei, Carissimi, Cesti, Frescobaldi, Allegri, Stradella...). En France, le compositeur d’airs de cour Michel Lambert donna aux Leçons de ténèbres un caractère particulier, mêlant déclamation musicale et profusion ornementale : ce caractère reste attaché aux oeuvres de M. A. Charpentier, Couperin, Brossard, Delalande, Nivers. OHANA (Maurice), compositeur français (Casablanca 1914 - Paris 1992). Sa famille était originaire d’Espagne Ohana est le nom d’un village andalou. Initié par sa mère au cante jondo, il a, aussi, tout enfant, au Maroc, écouté les improvisations des musiciens berbères. De 1927 à 1931, il reçoit à Bayonne sa première formation musicale en même temps qu’il poursuit ses études secondaires. En 1932, il étudie l’architecture à Paris, travaille le piano sous la direction de Lazare Lévy, et, dès 1936, donne son premier récital. De 1937 à 1940, il est, à la Schola cantorum, l’élève de Daniel-Lesur, qui lui enseigne à la fois l’harmonie et le contrepoint, deux disciplines qui, selon son maître, ne doivent pas être séparées. L’art de Maurice Ohana devra beaucoup à cette méthode. En 1940, la guerre interrompt ses travaux. Maurice Ohana retrouve en 1944, à Rome, un milieu musical, celui de la jeune école italienne, groupée autour d’Alfredo Casella. Cette année-là, il compose ses premières oeuvres pour piano, la Sonatine monodique (1945) et le premier des 3 Caprices (1944-1948), Enterrar y callar, dont le titre est emprunté à Goya. Revenu à Paris en 1947, il fonde avec quelques amis, Stanislas Skrovatcheski, Sergio de Castro, Pierre de la Forest Divonne, Alain Bermat, le groupe du Zodiaque, qui se donne pour objectif de défendre la liberté du langage. À une époque où la musique sérielle a encore force de dogme, Maurice Ohana affirme son indépendance dans le Llanto por Ignacio Sanchez Mejias, qui est créé en 1950 sous la direction de Georges Delerue. On y reconnaît deux points d’ancrage : Manuel de Falla pour l’économie orchestrale, le cante jondo pour l’expressivité de la partie vocale ; mais Maurice Ohana, en communion étroite avec le poème de Federico García Lorca, découvre les éléments d’un langage personnel qu’il ne fera, dès lors, qu’approfondir, enrichir, diversifier. Il écrit en 1952, pour Maurice Béjart, son premier ballet, les Représentations de Tanit (créé en 1956), et sa première musique de scène pour Monsieur Bob’le, de Georges Schéade (Suite pour un mimodrame). Les Cantigas (1953-54) et les Études chorégraphiques, pour percussion (1955) confirment son attachement à la tradition espagnole la plus ancienne et aux rythmes africains, en même temps que son aversion pour un intellectualisme où la sensualité sonore et l’engagement corporel n’auraient pas de part. Dans une musique radiophonique pour les Hommes et les autres d’Elio Vittorini (1955), Maurice Ohana utilise pour la première fois les tiers et les quarts de ton, et, en illustrant le Guignol au gourdin (1956), une farce pour marionnettes de Federico García Lorca, il est un des premiers à découvrir la poétique de ce qu’on nommera bientôt le « théâtre musical ». Une autre étape est franchie avec le Tombeau de Claude Debussy, écrit en 1962, une oeuvre où les micro-intervalles et les sonorités qui donnent à l’orchestre de Maurice Ohana sa couleur originale s’agencent et se fondent, définissant une écriture, un style. Dans les Cinq Séquences pour quatuor à cordes, le compositeur poursuit, en 1963, son exploration de l’univers sonore compris entre les notes de la gamme tempérée, puis, utilisant une guitare à 10 cordes plus riche en sons harmoniques que la guitare classique, il écrit en 1964, à l’intention de Narciso Yepes, 1 suite de 5 pièces, dont le titre, Si le jour paraît, est, une nouvelle fois, emprunté à Goya. Signes, pour une petite formation instrumentale (1965), Synaxis, pour 2 pianos, percussion et orchestre (1966), le Syllabaire pour Phèdre, opéra de chambre (1967), s’inscrivent dans le même domaine de recherches. Cris, pour choeur a capella, inaugure, en 1968, une nouvelle étape créatrice à laquelle l’expérience de la musique électroacoustique n’est pas étrangère, étape marquée également par la marge de liberté laissée aux interprètes. Autodafé, créé en 1971 aux choralies de Vaison-la-Romaine et représenté l’année suivante à l’Opéra de Lyon, est une fresque historique, qui bouscule l’ordre chronologique et qui apparaît, en définitive, comme un jeu où l’on brûlerait « tout ce qui contraint, menace et emprisonne, pour entrevoir un moment la vie telle qu’elle pourrait être ». Tout bascule, tout sombre dans cet univers que surplombe une lumière très intense, mais cette vision tragique de la vie, à laquelle s’oppose un humour salubre, est tout le contraire d’un pessimisme morose. Hommage à Frédéric Chopin, les Vingt-Quatre Préludes pour piano apparurent, lors de leur création le 20 novembre 1973, par Jean-Claude Pennetier, comme une des oeuvres majeures de Maurice Ohana, de même que, en 1976, l’Anneau de Tamarit, pour violoncelle et orchestre, inspiré par le dernier recueil de poèmes de Federico García Lorca, et le Lys de madrigaux, pour voix de femmes et ensemble instrumental. Créée à Avignon en 1977, la Messe, pour choeur, solistes et ensemble instrumental restitue, dans un langage de notre temps, l’esprit de la liturgie des premiers âges de la chrétienté. L’année suivante, les Trois Contes de l’Honorable Fleur témoignent de la liberté poétique du compositeur, plus que jamais à l’aise dans l’imaginaire ainsi que le confirme, en 1979, mais aux dimensions de grand orchestre, le Livre des prodiges. Et, c’est encore une oeuvre d’une vitalité poétique intense, un Concerto pour piano et orchestre, qui illustre l’année 1981. Le Quatuor à cordes no 2 est de 1980, le Quatuor à cordes no 3 de 1990. En 1988 a été créé à Paris l’opéra la Célestine, en 1991 à Évian le Concerto pour violoncelle no 2 « In Dark and Blue » et en 1992 à Aix-les-Bains Avoaha pour choeur à 36 ou 48 voix, percussion et 2 pianos. OISTRAKH, famille de violonistes soviétiques. David (Odessa 1908 - Amsterdam 1974). Il étudie le violon dans sa ville natale auprès de Pyotr Stoliarski, et quitte le conservatoire en 1926, où il s’est également initié à la pratique de l’alto. Il y donne, à seize ans, son premier concert, jouant et dirigeant en même temps, accompagné par l’Orchestre symphonique d’Odessa. En 1927, il joue à Kiev le Concerto de Glazounov sous la direction du compositeur. Il fait ses débuts à Leningrad en 1928 et, l’année suivante, à Moscou, où il vit désormais. Il remporte successivement les premiers prix du concours de l’Ukraine (1930) et du concours des Républiques soviétiques downloadModeText.vue.download 717 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 711 (1935), le second prix du concours Wieniawski de Varsovie (1935), derrière Ginette Neveu, et, enfin, le concours Ysaýe de Bruxelles (1937). Il participe à l’effort de guerre de son pays en jouant pour les soldats, les malades et les ouvriers, et célèbre la paix revenue aux accents du Double Concerto pour violons de Bach, en compagnie de Menuhin, premier musicien étranger à revenir en Union soviétique (Moscou, 1945). Il met ses deux stradivarius au service de la nouvelle musique, créant les Concertos de Miaskovski (1938), de Khatchaturian (1940), le premier de Chostakovitch (1955), qu’il joue pour sa première visite à New York et maintes autres pages de Kabalevski, Rakov, Vainberg, etc. Il crée également la Deuxième Sonate, pour violon et piano, de Prokofiev (1944), qu’il a transcrite de l’original pour flûte avec l’assentiment du compositeur, et la Sonate pour piano et violon de Chostakovitch (1969), avec S. Richter. Nommé professeur au conservatoire de Moscou en 1934, il forme plusieurs générations de violonistes, dont son fils Igor, Valery Klimov, O. Krysa, Victor Pikaisen, Liana Issakadze, Oleg Kagan, Gidon Kremer, etc. La passion du dialogue et celle de la musique de chambre l’ont conduit à jouer avec des partenaires prestigieux, Julius Katchen, Paul Badura-Skoda, Mstislav Rostropovitch, Pierre Fournier, Pablo Casals, ainsi qu’avec ses compagnons habituels, le pianiste Lev Oborine et le violoncelliste Sviatoslav Knouchevitski. Il était également doué pour la direction d’orchestre qu’il pratiqua souvent. Violoniste à la sonorité rayonnante, il a évolué graduellement vers une plus grande intériorité, vers une sérénité oublieuse de toute virtuosité. Igor (Odessa 1931). Fils du précédent, il apprend très jeune le violon avec son père et suit les cours du conservatoire de Moscou jusqu’en 1955. Auréolé des premiers prix du festival des jeunesses démocratiques à Budapest en 1949 et du concours Wieniawski de Poznan en 1952, il suit son père dans la carrière, jouant fréquemment en duo avec lui et l’assistant dans son enseignement au conservatoire, à partir de 1958, avant d’enseigner lui-même dès 1965. C’est un artiste probe, au jeu peutêtre plus objectif que celui de son père. OLAH (Tiberiu), compositeur roumain (Arpasel 1928). Il fait des études de piano et d’écriture au Conservatoire de Cluj (1946-1949), puis suit les cours du Conservatoire de Moscou (1949-1954). Olah participe aux Cours d’été de Darmstadt (1968, 1969) et enseigne la composition au Conservatoire de Bucarest (depuis 1954). Analyste passionnant, professeur exceptionnel, Olah est avant tout, dans sa musique, un dialecticien, préoccupé par les rapports mutuels qu’entretiennent la tension et la détente, ainsi que par la capacité du discours musical de générer un temps spécifique, immanent (cycle inspiré par l’art de Constantin Brancusi dont font partie la Colonne infinie pour orchestre, 1962 ; la Sonate pour clarinette seule, 1963 ; Espace et rythme pour trois groupes de percussion, 1964 ; la Porte du baiser pour orchestre, 1965 ; la Table du silence pour orchestre, 1967-68). Dans ses oeuvres plus récentes, Olah cherche à obtenir un matériau et des structures façonnées de manière à pouvoir se soumettre à différentes superpositions ou à des procédés variationnels ingénieux (Perspectives pour 13 instruments, 1969 ; The Time of Memory pour 9 solistes, 1973, prix de la Fondation Koussevitzky ; Incontri Spaziali pour percussion et bande, 1989). Il tente aussi une exploitation, dans l’esprit actuel, de certaines caractéristiques du langage musical classique dont il réinterprète les postulats fondamentaux (Symphonie no 3, 1989 ; Obélisque pour Wolfgang Amadeus pour saxophone et orchestre, 1991). Il a composé beaucoup de musique de scène ou de film et publié des études concernant le système de composition d’Anton Webern ou la technique hétérophonique. OLEG (Raphaël), violoniste français (Paris 1959). Né dans une famille de musiciens, il prend ses premières leçons avec Hélène Arnitz. Il entre au Conservatoire de Paris à l’âge de douze ans dans la classe de Gérard Jarry et en sort en 1976 avec les premiers prix de violon et de musique de chambre. Lauréat l’année suivante du Concours Long-Thibaud, il commence à se produire sur les scènes d’Europe, en compagnie de grands orchestres. En 1986, il remporte le premier prix au Concours Tchaïkovski de Moscou. Depuis ses débuts, il se produit fréquemment aux côtés de Barry Douglas, Christian Ivaldi, Sonia Wieder-Atherton. En 1994, il fonde le Trio W.O.G. avec G. Wyss et F. Gaye, et s’associe à Eric Lesage, Miguel Da Silva et Marc Coppey en quatuor avec piano. OLIFANT. Instrument ancien à embouchure, formé parfois d’une défense creuse d’éléphant (d’où son nom), mais plus fréquemment d’une corne de bovidé, ou construit en métal. Trop court pour émettre plusieurs harmoniques, ce cor primitif était surtout un instrument d’appel et de reconnaissance, utilisé à des fins militaires ou cynégétiques. OLIVEROS (Pauline), femme composi- teur américaine (Houston, Texas, 1932). Entre 1960 et 1966, elle compose plusieurs oeuvres de musique électroacoustique, sur bande et en direct, au San Francisco Tape Music Center, ainsi qu’au studio du Mills College d’Oakland, en Californie : Time Pespectives, 1960 ; Pieces for Eight, 1965 ; la série des Mnemonics ; etc. En 1972, elle fonde le Sonic Meditation Research Group, pour lequel elle réalise des compositions orales de musiques méditatives, traduisant son intérêt, fixé dans les dernières années, pour l’investigation des « modes de conscience mis en jeu dans la composition et l’exécution d’une oeuvre ». Certaines de ses oeuvres récentes, telles que Crow et Crow To, sont des « cérémonials » conçus pour de grands ensembles de musiciens soumis à une mise en condition par la méditation en commun. Pauline Oliveros travaille comme professeur de composition et comme programmatrice à l’université de Californie, à San Diego. OLLONE (Max d’), chef d’orchestre, compositeur et musicographe français (Besançon 1875 - Paris 1959). Élève de Massenet, grand prix de Rome avec la cantate Frédégonde (1897), il fut inspecteur de l’enseignement musical et dirigea l’Opéra-Comique de 1941 à 1944. Il a laissé de la musique pour orchestre et de chambre, des oeuvres vocales et plusieurs opéras, parmi lesquels le drame lyrique l’Étrangère (1911), la comédie lyrique Olympe de Clèves (19271929) et la comédie musicale Sous le saule (1949-50). OLSEN (Carl Gustaf Sparre), compositeur norvégien (Stavanger 1903 - Lillehammer 1984). Il appartient à la tradition de Grieg. Harmoniste avant tout, il continue de puiser, non sans réussite, dans le riche fonds musical populaire de son pays. Parmi ses ouvrages les plus marquants, il faut retenir Draumkvaedet op. 22 (1937) et Fra Telemark no 1 et no 2 (1940-41). OLSEN (Poul ROVSING ou ROVSING OLSEN, Pou), compositeur et ethnomusicologue danois (Copenhague 1922). Il a travaillé avec Nadia Boulanger et Olivier Messiaen et écrit une oeuvre qui doit beaucoup à la culture française. Il s’inspire des musiques hindoues et arabes (A Song of Mira Bai op. 69, Shangri La op. 64) et, plus récemment, utilise le langage sériel et dodécaphonique (Symfoniske variationer op. 27, Prolana op. 33, Inventions dodécaphoniques pour piano op. 38 et Passacaglia op. 45). downloadModeText.vue.download 718 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 712 ONDES MARTENOT. Instrument de musique de conception électrique (plutôt qu’électronique), conçu par Maurice Martenot dès 1918 et présenté dans sa forme définitive dix ans plus tard, à l’Opéra de Paris. À la différence des instruments dits électroniques, qui affectionnent les mixtures, l’instrument de Martenot respecte la tradition musicale du registre harmonique dans ses deux variantes : l’une à clavier accordé sur le tempérament, l’autre à ruban, permettant, comme un instrument à cordes ou comme la voix, toutes les intonations. L’instrument dispose d’une pédale d’intensité, au registre étendu, et d’un jeu de combinaisons harmoniques permettant de réaliser de nombreux timbres originaux, dont certains s’apparentent à ceux des instruments traditionnels. De nombreux compositeurs ont écrit pour ces ondes Martenot, notamment Honegger et Milhaud, Jolivet et Messiaen. Maurice Martenot n’a cessé de perfectionner son instrument avant et après la Seconde Guerre mondiale. ONDŘÍČEK (František), violoniste et compositeur tchèque (Prague 1857 Milan 1922). Après avoir étudié avec A. Bennewitz au conservatoire de Prague (1873-1876), il se perfectionne pendant deux ans à Paris avec Massart. Il est soliste des concerts Pasdeloup (1879), et donne la première audition du concerto de Dvořák (1883). En 1907, il s’établit à Vienne, où il forme un quatuor. Il devient directeur du conservatoire de Vienne (1910-1919), puis professeur au conservatoire de Prague. Ondříček a composé des pièces pour violon et piano, des études pour violon seul, et de la musique de chambre, éditées à Prague. ONSLOW (Georges), compositeur français d’origine anglaise (ClermontFerrand 1784 - id. 1853). C’est à Londres qu’il commence très jeune à étudier le piano, instrument pour lequel Hüllmandel, Dussek et Cramer seront ses maîtres, avant de retourner dans sa ville natale, où il se consacre comme violoncelliste à la musique de chambre. Il voyage en Allemagne et en Autriche, puis vient parfaire son éducation musicale avec Reicha, à Paris, en 1808. En 1842, il entre à l’Institut, dans la section « musique », où il succède à Cherubini, qui venait de mourir. Quelques pièces de musique de chambre sont encore jouées aujourd’hui parmi ses 10 trios avec piano, ses 34 quintettes à cordes, ses 36 quatuors, et on le considère comme un artisan de l’école française de musique de chambre. Il composa aussi des drames lyriques. ONZIÈME. 1. Intervalle produit entre les extrêmes d’un groupe de 11 notes consécutives prises sur une gamme diatonique, départ et arrivée compris. La onzième est le redoublement de la quarte et peut, comme elle, être juste ou augmentée. 2. L’accord de onzième est celui formé de 6 notes pouvant être énoncées par tierces juxtaposées (par exemple, do, mi, sol, si, ré, fa), mais non forcément disposées dans cet ordre. L’accord de onzième est exceptionnel avant le XXe siècle ; il fait son apparition avec C. Debussy sous forme de l’accord de onzième naturelle ( ! NATUREL), formé de celui de neuvième naturelle (do, mi, sol, si bémol, ré) auquel s’ajoute une onzième augmentée fa dièse transcrivant par approximation de tolérance l’harmonique 11, intermédiaire entre fa et fa dièse. Les autres accords de onzième, analogiques, n’ont pas jusqu’à présent pris place dans l’harmonie. L’accord de onzième naturelle n’a pas de fonction tonale définie ; Stravinski a essayé dans Petrouchka un accord de onzième de dominante (sol, si, ré, fa, la, do), mais l’exemple n’est pas probant, car la onzième do peut s’y comprendre soit comme une pédale supérieure, soit comme une appoggiature non résolue du si de l’accord de neuvième. OPÉRA. De façon générique, ce terme recouvre les divers types d’expression unissant le théâtre à la musique, comportant un texte en partie ou totalement chanté. On lui donne diverses dénominations (dont les définitions sont rappelées ici aux termes concernés) selon le caractère de l’action, le genre des structures et du livret, selon les époques, les pays, etc. Mais, ce mot, pris comme abréviation de opera in musica, peut s’appliquer au singspiel, à la tragédie lyrique, à l’opéra-comique, buffa, seria, etc., genres qui ont en commun de rassembler à une même fin des chanteurs, des instrumentistes, parfois des danseurs, des acteurs (avec de possibles interférences entre leurs disciplines réciproques), dans un espace défini dont l’ordonnance se réclame aussi des arts plastiques et du jeu théâtral. Pour retracer l’évolution d’une forme qui comporte plus de 25 000 titres (dont près de la moitié de langue italienne), il convient de distinguer cette évolution propre de celle de l’écriture musicale. Leurs influences réciproques furent parfois déterminantes, parfois nulles. D’autre part, des compositeurs mineurs jouèrent souvent un rôle décisif dans l’histoire de l’opéra, alors que de très grands musiciens n’abordèrent pas ce genre, se satisfirent de structures traditionnelles, ou bien ne signèrent que des chefs-d’oeuvre isolés, sans portée historique. Enfin, cette évolution repose sur de nombreuses querelles tendant à accorder la priorité au verbe ou au son, au rationnel ou à l’irrationnel (parfois à l’oeil ou à l’oreille), ainsi que Nietzsche l’a rappelé en 1872, inscrivant ces choix dans l’antique schéma de l’antagonisme entre Apollon et Dionysos. DES ORIGINES À LA NAISSANCE DE L’OPÉRA. En dehors du drame grec, modèle souvent invoqué, on relève, du XIIe au XVIe siècle, diverses ébauches de ce genre, mais n’ayant pas nécessairement contribué à son éclosion ; ainsi le Jeu de Robin et Marion, au XIIIe siècle, où la musique n’occupait qu’une place insignifiante, les drames liturgiques, joc partits, masks, etc. De même, dans les canti carnascialeschi florentins, les mascarades romaines et les diverses fêtes princières (cf. le Paradis d’amour en 1572 et le Ballet comique de la Reyne en 1581 en France, et en Italie la Pellegrina, en 1589), l’intérêt dramatique importait moins que le chant, le spectacle ou la machinerie. En revanche, l’Orfeo de Poliziano, donné à Mantoue en 1471 avec une musique collective, repris et mis en scène par Léonard de Vinci, puis Feba e Pitone (1486) seraient déjà plus proches du genre défini ci-dessus, mais ils ne semblent pas avoir influencé sa naissance. Celle-ci apparaît plus directement liée aux représentations sacrées, organisées par la Contre-Réforme, aux mises en scène des madrigaux dramatiques, à leurs transcriptions pour une voix soliste accompagnée et aux pastorales inspirées du Tasse. On note, dès 1573, des représentations chantées de l’Aminta, puis de divers poèmes épiques de la Jérusalem délivrée. En 1590, le poète Guarini (1538-1612) transformait cette Aminta en tragicommedia pastorale que mettait en musique Emilio De’Cavalieri. Constituée d’une succession d’arias, elle nous semble aujourd’hui plus proche d’un opéra que la première oeuvre habituellement reconnue comme telle, Dafne, composée entre 1594 et 1598 par le Florentin Jacopo Peri (1561-1633) sur un poème d’Ottavio Rinuccini (15621621). Rinuccini, comme les Romains De’Cavalieri et Giulio Caccini, appartenait à ces cénacles, qui, dans le bouillonnement intellectuel de la fin de la Renaissance, réunirent des humanistes, poètes, musiciens, chanteurs et scientifiques dans le but de ressusciter l’art grec ; rappelons les fameuses camerate du comte Bardi (Florence, 1576) et de Jacopo Corsi - chez qui fut créée Dafne - qui jouèrent un rôle décisif dans la création du genre. C’est dans cet esprit qu’on doit situer la reprise d’OEdipe roi de Sophocle au théâtre du Palladio de Vincence en 1585 avec une « musique de scène » d’Andrea Gabrieli. De même, Vincenzo Galilei (v. 15201591), père de l’astronome et membre de la camerata Bardi, dans son Dialogo della downloadModeText.vue.download 719 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 713 musica antica e della moderna (1581), traita d’acoustique et s’en prit violemment au madrigal à 5 voix, lui opposant l’art « pur » de la poésie grecque, art monodique seul capable de rendre justice à la théorie platonicienne de l’ethos. Or, une action scénique à fins morales, tendant à l’union de tous les arts (en particulier ceux de la poésie et de la musique), était désormais réalisable, le chant soliste accompagné, mieux apte à se marier au vers que la polyphonie, ayant alors atteint une perfection absolue. C’est dans ce contexte que naquirent Dafne et, enfin, Euridice, écrite en 1600 pour les noces de Marie de Medicis et de Henri IV par Rinuccini et Peri, secondé par Caccini, qui, plus soucieux du chant que du drame, reprit entièrement à son compte le même poème en 1602. Ces oeuvres, entrecoupées de danses, éliminaient presque tout aria et se fondaient essentiellement sur le recitar cantando ; leur monotonie était peut-être moins imputable au principe du « style représentatif » florentin qu’au très modeste talent de leurs premiers auteurs : Marco da Gagliano (1582-1643), qui reprit en 1608 le poème de Dafne, et composa jusqu’en 1637 des « fables en musique », alors influencées par Monteverdi et par les auteurs romains (v. infra) ; puis Giacobbi, Belli et Boschetti qui ne pouvaient prétendre rivaliser avec les derniers grands polyphonistes, de Palestrina à Gesualdo. En outre, ces spectacles de divertissement offerts au public princier des palais florentins ne répondaient plus guère à l’idéal vanté de la tragédie grecque. Avec son Orfeo (Mantoue, 1607), Monteverdi sauva le genre de l’impasse, bien que l’oeuvre fût destinée au même cadre élitaire et hédonistique. On y trouve pourtant réunis tous les éléments dont se réclamera l’opéra deux siècles plus tard : le rôle expressif dévolu à l’orchestre, l’ouverture liée à l’action, une notion de timbre répondant à celle de l’éthos, une ébauche du leitmotiv, un juste équilibre entre voix et instruments, entre récitatif et aria, entre l’oeil et l’oreille, et, surtout entre le verbe et le chant, celui-ci tour à tour sobre ou virtuose en fonction de l’action même. Mais le librettiste avait substitué au mythe une mythologie décorative, sans catharsis, avec un dénouement heureux. Et, excepté une timide tentative de caractérisation vocale, ce premier chef-d’oeuvre de l’opéra instituait déjà cette dramaturgie abstraite, qui allait, deux siècles durant, reposer sur la voix asexuée du castrat, incarnant ici Orphée. L’OPÉRA EN ITALIE AU XVIIE SIÈCLE. On divise habituellement son évolution en trois étapes (opéra romain, opéra vénitien, puis opéra napolitain), classification commode, due au rôle prédominant joué successivement par ces trois centres, mais tenant mal compte des interférences entre leurs styles, leurs époques, et de la diffusion du genre dans diverses autres villes. Rome fut un important foyer de création de 1619 à 1643 et de 1660 à 1685, Venise de 1637 à la fin du siècle, Naples dès 1650, tandis que des salles accueillaient l’opéra à Bologne (1605), à Turin (1608), Parme (1628), Venise et Pesaro (1637), Ferrare (1638), etc. Privés ou publics, selon l’exemple fourni par Venise, ce sont plus de 40 théâtres qui s’ouvrent bientôt dans les grandes villes, une centaine dans toute l’Italie. L’opéra romain. Rome, après avoir fourni plusieurs de ses artisans à l’école florentine, allait reprendre le flambeau, grâce à ses mécènes, et, notamment, les princes Barberini, alliés au pape Urbain VII. Or, déjà en 1600, De’Cavalieri avait mis en scène à l’oratoire della Vallicella de Rome sa Rappresentazione di Anima e Corpo, qui n’empruntait pas à la mythologie, mais comportait des personnages allégoriques (le Temps, la Fortune, le Vice, la Vertu, etc.). Avec son instrumentation étoffée, son récitatif assez richement orné, cette oeuvre (dont on peut tenir l’oratorio et la cantate pour des branches rapportées), contenait en germe les principales caractéristiques du genre romain. Dès 1606, ce nouveau type de style représentatif s’épanouit dans les oeuvres profanes de Paolo Quagliati (Il Carro di fedeltà d’amore), et d’Agostino Agazzari (Eumelio), et il allait inspirer Stefano Landi (v. 1590-1639), Filippo Vitali (env. 1590-1653) et Domenico Mazzocchi (1592-1665). Véritable creuset des futurs opéras italien et français, cet opéra romain fourmilla d’inventions qu’on ne peut juger pleinement d’après les rares documents conservés, car ce furent plus de 100 oeuvres qui furent exécutées dans les palais princiers, pour un public guère plus soucieux de mythe grec que de sémantique. Après quelques tentatives en dialecte, on prisa fort un genre où des personnages allégoriques côtoyaient des héros mythologiques ou historiques et ceux de la commedia dell’arte, tous confrontés à l’actualité, dans ce même esprit parodique qu’allait retrouver un Offenbach deux siècles et demi plus tard. Le comique, le sérieux et le sacré s’y mêlaient intimement, dans un luxe de costumes et de décors propre à satisfaire les goûts d’une aristocratie particulièrement dépravée. La musique ne jouait souvent qu’un rôle accessoire dans ces sortes d’opérettes à grand spectacle, dont le récitatif demeurait la base essentielle : la Morte d’Orfeo (1619), de Landi, une oeuvre parodique, ne contient que 3 arias, et l’Aretusa (1620) de Vitali, un seul. En revanche, ce récit allait peu à peu tendre vers un arioso plus mélodique et inclure des passages de haute virtuosité par exemple, la Galatea (1639), oeuvre du castrat L. Vittori -, à moins que n’apparaisse une césure entre récitatif secco et aria, celui-ci comportant des couplets ou reprises, comme dans le Palazzo d’Atlante (1642) de Luigi Rossi (1598-1653). Le schéma de ces oeuvres demeurait celui adopté par Monteverdi dans son Orfeo, en 5 actes avec choeurs et ballets, qu’il s’agisse de fable pastorale (la Catena d’Adone, 1626, de Mazzocchi), de tragicommedia (Diana schernita, 1629, de Giacinto Cornacchioli) ou du Sant’Alessio de Landi, qui, en 1632, osait porter à la scène la vie d’un personnage historique, faisant précéder l’oeuvre d’un prologue allégorique où la ville de Rome s’adressait aux spectateurs. Notons encore que dans Erminia sul Giordano (1633), sorte de revue à grands tableaux, son auteur, M. A. Rossi, exécutait des solos de violon sur la scène ; dans le somptueux Palazzo d’Atlante, L. Rossi instituait cette ouverture bipartite, que copiera aussi Lully ; enfin, dans Del Male, il Bene (1653), de Marazzoli et d’Abbatini, tous les acteurs se trouvaient réunis dans les finales concertants. Destinées aux palais princiers des Conti, des Corsini, plus tard des Colonna, etc., ces oeuvres eurent bientôt pour cadre le splendide théâtre de 3 000 places bâti par les Barberini, inauguré par Sant’Alessio, avec des décors du Bernin. Mais la personnalité dominante de cette période demeure Giulio Rospigliosi, le futur Clément IX, qui, formé en Espagne, y avait puisé son goût pour ce théâtre réaliste et comique qu’il transposa sur les scènes romaines par le truchement de ses livrets, perpétuant ainsi la tradition des madrigaux de Banchieri. On trouve en effet des scènes comiques même dans les sujets religieux (cf. Sant’Alessio), où, tou- tefois, la part comique ne concerne que certains personnages, notamment les valets. Dès 1637, Rospigliosi écrivit une oeuvre entièrement comique, il Falcone (ou Fiammetta), remaniée en 1639 sous le titre Chi soffre, speri, avec une musique de Virgilio Mazzocchi (1597-1646) et de Marco Marazzoli (1602 ou 1608-1662). Or, à Florence, cet élément burlesque dominait déjà largement dans La Flora (1626) de Gagliano, et c’est là que Jacopo Melani (1623-1676) fit jouer en 1656 une Tancia (1612), d’après Buonarotti, puis d’autres oeuvres du même type sur des livrets de G. A. Moniglia. Les Barberini ayant été chassés de Rome par Innocent X, en 1644, leurs musiciens émigrèrent quelque temps à Venise ou à Paris (Mazarin avait été l’intendant de ces princes), où Luigi Rossi donna avec succès un Orfeo (1647). La réhabilitation des Barberini, en 1653, signait la naissance d’une seconde période de l’opéra romain, désormais en étroit contact avec Venise, et dominé par le mécénat des Colonna et de Christine de Suède, fixée à Rome après sa conversion. downloadModeText.vue.download 720 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 714 Déjà, en 1653, Rospigliosi avait adapté de Calderón Del Male, il Bene (musique de Abbatini et de Marazzoli), une « comédie musicale », où l’alternance du récitatif secco et de l’aria s’imposait. Ce schéma n’évoluera plus sensiblement, alors qu’après la mort de Clément IX, en 1671, la papauté se montrera souvent hostile à l’existence de théâtres publics ( ! ROME), une expérience tentée dès 1667. Les ouvrages comiques abondent désormais, notamment avec Alessandro Stradella (1644-1682), fixé à Rome jusqu’en 1677, et Bernardo Pasquini (1637-1710). Ce dernier, tout en restant attaché au vieux style d’écriture, insère de remarquables finales collectifs dans Tirinto (1672) et l’Alcaste (1673), et enrichit l’orchestre dans Lisimaco, dramma eroico où la virtuosité vocale se donne libre cours dans une longue suite de morceaux isolés ou pezzo chiuso (« structures fermées ») : 13 duos et 58 arias ; en effet, au type d’aria dit « romain », de forme ABB, se substitue l’aria da capo (ABA’), dont le chanteur ornemente les reprises à son gré, un usage mis en vogue par le castrat B. Ferri, protégé de la reine Christine. Stradella, novateur d’une autre trempe, s’efforça d’éviter cette césure trop brutale entre récit et aria, utilisant la forme intermédiaire de l’arioso. En outre, dans La Forza dell’amore paterno (1678) le récit et l’aria participent également à l’action (au XVIIIe siècle, l’aria interrompra le récit pour exprimer un état d’âme), et 17 seulement des 49 arias adoptent la forme du da capo, une proportion qui s’inverse ensuite dans Moro per amore. Enfin, Trespolo Tutore, véritable opera buffa avant la lettre comporte une ouverture reliée à l’action, une suite de 63 arias, et confirme la typologie vocale du XVIIe siècle : basse, ténor, soprano, castrat y incarnant respectivement le barbon, la vieille femme, la soubrette et l’amoureux. En 1688, les théâtres de Rome excluent définitivement cantatrices et danseuses (cet interdit ne sera levé qu’en 1798), laissant ainsi se développer un opéra de pure virtuosité vocale, abandonné aux castrats, contribuant par là à éloigner de cette ville des musiciens tels que A. Scarlatti ou G. Bononcini (qui sera le rival de Haendel à Londres). Et c’est à Rome que s’ouvre en 1690 l’Académie des Arcadiens au sein de laquelle devaient se former tous les librettistes de l’opéra « moralisant » du siècle suivant. L’opéra à Venise. C’est à Venise qu’apparut en 1571 le terme de libretto, c’est-àdire petit livre, le spectateur pouvant ainsi suivre le texte complet de l’action chantée, intercalée dans les divertissements allégoriques donnés dans les théâtres privés. Or, lorsque le Teatro Nuovo, propriété de la famille Tron, disparut en 1629, la Sérénissime décida de le remplacer par un théâtre public et payant, innovation absolue dans l’histoire des arts. Ce Teatro San Cassiano fut inauguré en 1637 avec Andromede de Fr. Manelli (1595-1667), dont on apprécia surtout les splendeurs orchestrales et scéniques. Une dizaine de salles furent en effet ouvertes durant le siècle à un public populaire, peu soucieux de mythologie, marquant aussitôt sa préférence pour la comédie d’intrigues aux ressorts complexes, avec ses nombreux personnages, ses travestissements et sa tendance à l’exotisme facile. Comme dans l’opéra romain, les personnages du « quotidien » y côtoyaient ceux de la mythologie ou de l’histoire, en une totale imbrication de comique et de sérieux. Le vieux Monteverdi y scella néanmoins la marque de son génie, et c’est par la musique qu’il traduisit le burlesque de certains personnages du Retour d’Ulysse (1641) et du Couronnement de Poppée (1642), partition vraisemblablement collective, écrite sur l’excellent texte de Busenello, qui, à la fin morale de rigueur, substitua le triomphe du vice sur la vertu, mais maintint une constante dignité littéraire aux poèmes qu’il fournit également au successeur de Monteverdi, Fr. Cavalli (1602-1676), notamment La Didone (1641), où il osa porter à la scène un dénouement tragique. La typologie vocale semblait, à Venise, plus abstraite qu’à Rome, le castrat incarnant indifféremment héros ou déesses. La somptuosité de décors signés Bibiena, Torelli ou Tacca, compensait la maigreur d’un orchestre utilisé essentiellement pour l’ouverture, les ballets et scènes descriptives (chasses, orages, tempêtes, etc.), mais quasi absent dans l’accompagnement de l’aria et du récitatif. Comme Monteverdi, Cavalli adopta dans ses tragédies le schéma romain avec son prologue allégorique, et maintint une certaine osmose entre un récitatif issu du style représentatif mais largement ornementé, un arioso expressif, et des arias variées et riches, excellant en particulier dans le genre du lamento. Mais, peu à peu, l’opéra vénitien tendait aussi à séparer plus nettement le récit et l’aria, une conséquence de la baisse de qualité des livrets. G. Faustini (v. 16191651), qui écrivit pour Cavalli les comédies L’Ormindo et La Calisto, estimait que la valeur du livret n’importait guère, et son successeur A. Aureli versa dans une certaine trivialité, de même que G. A. Cicognini, qui cultiva le grotesque dans Giasone (1649), un chef-d’oeuvre que Cavalli sauva par la musique, et notamment par la scène de folie de Médée, un modèle imité durant tout le siècle. Enfin, si avec Ercole amante (Paris, 1662), Cavalli suggéra à Lully le schéma du futur opéra français, il n’eut guère à Venise de successeur à sa mesure. Seule personnalité authentique de l’époque, Giovanni Legrenzi (1626-1690) souscrivit néanmoins à l’esthétique du spectacle en présentant sur scène des éléphants et 150 trompettes dans Totila (1677), opéra dont il sut toutefois varier à l’infini les 80 arias, faisant preuve de sa maîtrise et d’une grande sensibilité (notamment dans Il Giustino, 1683), et demeurant l’idéal de toute la génération suivante. Plus cosmopolite, Pietro (dit Marc’Antonio) Cesti (1623-1669) démontra sa facilité dans les aimables ariettes qui entrecoupent un morne récit (Orontea, 1656 et 1666, dont la musique sauve un livret ridicule), et il mit en musique pour Vienne en 1667 un fastueux Pomo d’oro, longue parodie du jugement de Pâris, dont on acclama surtout les 24 superbes décors. On peut, en résumé, estimer qu’à Rome, comme à Venise, la variété des structures, le mélange souvent heureux des genres, la beauté d’un chant assez longtemps vierge de tout excès de virtuosité avaient su créer un opéra séduisant, qui avait sans doute manqué d’avocat très éloquent, et que sa fantaisie et sa déraison même rapprochaient de l’esthétique du baroque. L’opéra lullyste, d’une part, l’extrême rationalisation du XVIIIe siècle italien, de l’autre, allaient saper ce bel équilibre, qui, beaucoup plus tard, devait redevenir l’objet de bien des voeux. L’opéra à Naples. L’analyse moderne a renoncé à définir un type « napolitain » relatif à cette époque. En fait, les compositeurs de la péninsule se retrouvèrent à Naples parce que trop d’interdits frappaient l’opéra à Rome, et qu’à Venise le genre sombrait dans la médiocrité. En outre, Naples, plus peuplée que Rome, Venise et Milan réunies, affirmait une tradition culturelle due à sa langue, ses fêtes théâtrales, et un rayonnement acquis grâce à la domination ibérique et à ses conservatoires uniques en Europe et propres à attirer compositeurs, musiciens et interprètes. Francesco Provenzale (v. 1627-1704), longtemps considéré comme le père de l’école napolitaine, sut avant tout « associer sa parfaite connaissance du style vénitien à l’art de la villanelle », et, auteur d’une douzaine d’opéras, mit le meilleur de son talent dans ses comédies Lo Schiavo di sua moglie (1672) et Stellidaura vendicata (1678), utilisant parfois d’excellents livrets napolitains de A. Perucci. Mais la démocratisation des théâtres ne créa pas pour autant un style vraiment propre à cette ville où se côtoyaient les oeuvres en dialecte, l’héritage du théâtre espagnol (jusqu’aux opéras de langue ibérique de Coppola), les spectacles de la commedia dell’arte et les drames sacrés. Plus tard, le Sicilien A. Scarlatti, formé à Rome, imposera à Naples certains archétypes de l’opéra italien. downloadModeText.vue.download 721 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 715 NAISSANCE DE L’OPÉRA FRANÇAIS. Dans un pays où l’esprit s’opposait « au genre le plus irrationnel qui soit », l’opéra n’apparut pas, ainsi qu’en Italie, comme un fait culturel inéluctable. Né, lui aussi, dans le cadre aristocratique de la cour, il eut, certes, pour objectif d’exalter la grandeur du règne de Louis XIV, mais il devait, en fait, consacrer les retrouvailles du vers et de la musique, qui, quelques siècles plus tôt, s’étaient séparés sur le parvis des églises, et avaient, par des voies autonomes, atteint à un même stade de perfection qui exigeait de nouvelles épousailles. On trouve donc à la base du genre naissant un certain nombre d’éléments complémentaires, juxtaposés plutôt que fondus entre eux : la tragédie de Corneille et le vers de Racine, une capacité orchestrale plus riche qu’en Italie, un goût du spectacle en soi, un vieil engouement pour le ballet, autant d’éléments susceptibles de compenser le niveau très modeste de l’école de chant française. La France avait connu sous Louis XIII des ballets chantés solidement structurés, puis des pastorales, plus prisées par la noblesse que l’opéra italien, importé par Mazarin. Malgré un réel succès public, cette dernière tentative échoua, brisée aussi par les cabales politiques (en partie justifiées par les intrigues du castrat A. Melani, espion des Médicis). Lorsque fut créée une Académie royale de musique et de danse (plus tard Académie impériale, puis Opéra de Paris, nom que nous lui conserverons ici, quelle qu’en soit l’époque), le privilège en échut à l’abbé Perrin et à son musicien, Robert Cambert (env. 1628-1677), dont la Pastorale d’Issy (1659) avait connu un réel succès. Leur Pomone, spectacle d’inauguration de l’Opéra en 1671, malgré un galbe musical et littéraire assez faible, imposait néanmoins toutes les structures d’un genre qu’allait cultiver Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Florentin naturalisé français. C’est lui qui fixa le cadre immuable de ce que les historiens nommeront plus tard la tragédie lyrique, avec son ouverture, son prologue allégorique et ses 5 actes, faisant une large part à la danse et à l’élément visuel, et dans laquelle, malgré le support mythologique, le roi était le véritable protagoniste, soit directement présent, soit par héros interposé. Saisissant avec habileté ce qu’il convenait d’adopter ou de rejeter du modèle italien, Lully tira la leçon des représentations parisiennes d’Ercole amante de Cavalli, où ses propres intermèdes dansés avaient eu plus de succès que le style de chant, qu’il convenait donc d’adapter au goût français. Or, si l’on critique justement le principe du récitatif arioso de Lully, il faut se souvenir qu’il n’était pas l’élément majeur de l’édifice, et qu’il devait au moins autant à l’assimilation des formules de l’opéra romain qu’à la déclamation des comédiens de l’Hôtel de Bourgogne. Les véritables modèles du genre furent, en fait, plus que les ballets et pastorales de cour, plus que les comédies-ballets de Molière auxquelles il avait collaboré, une Andromède de Corneille et de D’Assoucy (1650) - elle-même démarquée des spectacles italiens -, et les opéras de Rossi, Cavalli et quelques autres qu’il avait connus. Témoins l’ouverture créée par L. Rossi - rebaptisée ouverture à la française -, la présence des ballets à chaque acte comme dans Sant’Alessio de Landi, le prologue allégorique et les choeurs déjà présents chez Mazzocchi, jusqu’aux effets d’écho, pris de La Vita humana de Marazzoli, et aux interventions du violon sur la scène, procédé employé par M. A. Rossi. Enfin, le merveilleux de la machinerie était l’oeuvre de Torelli, et les danseurs de formation italienne. Mais alors que les opéras italiens du XVIIe siècle tombèrent dans l’oubli, éclipsés par l’attrait de la nouveauté, ceux de Lully subsistèrent et passèrent longtemps pour des créations originales. En outre, la pauvreté même de l’harmonie lullyste concourut à donner à son orchestre cette pompe insolite et caractéristique, partie intégrante d’un ensemble qui, moins « lyrique » que l’opéra italien, n’en était guère plus « tragique » pour autant, et cela explique que des musiciens tels que Couperin et Charpentier se soient désintéressés d’un genre qui leur parut mineur. Car si les vers de Quinault (1635-1688) sont beaux, ses tragédies, comme celles des auteurs vénitiens, empruntent à une mythologie décorative, surchargée, où, dès Alceste (1674), la trame puisée chez Euripide s’efface devant les intrigues de maints personnages secondaires. Malgré ces paradoxes, il faut s’incliner devant la rare unité de cet opéra français, sa logique et son infaillible perception d’une esthétique idoine aux buts de « l’opéra versaillais ». La mort prématurée de Lully, qui avait régné par monopole de fait sur la scène française, causa un vide que ne comblèrent ni Lalande et Couperin, engagés sur d’autres voies, ni Marc Antoine Charpentier (v. 1636-1704), élève de Carissimi à Rome, auteur de 8 opéras, dont seule Médée fut donnée à l’Opéra (1693) et dérouta le public par ses subtilités harmoniques, mais aussi par un manque certain de ce sens architectural qu’avait possédé Lully. Deux de ses fils - Jean Louis (16671688) et Louis (1664-1734) Lully - ne purent s’affirmer, alors que les chanteurs et instrumentistes italiens, appréciés du public, étaient de retour ; et les véritables successeurs du Florentin furent d’abord son ancien collaborateur Pascal Collasse (1649-1709), auteur de 12 oeuvres lyriques, son élève Henry Desmarets (1661-1741), harmoniste raffiné et auteur d’une Vénus et Adonis (1697), André Cardinal Destouches (1672-1749), l’auteur d’Omphale (1701) et de Callirhoé (1712), dont le récitatif et le choeur témoignent d’une belle ampleur, enfin François Rebel (17011775), qui, notamment dans Pyrame et Thisbé (1726), collabora avec François Francoeur (1698-1787), un directeur de l’Opéra. En marge de cette école, la claveciniste Élisabeth Jacquet de La Guerre et le violiste Marin Marais (1656-1728) s’intéressèrent au genre : Alcyone (1706), de ce dernier, contient une « tempête » restée célèbre. Il faut réserver une place à part à André Campra (1660-1744) et à Jean-Joseph Mouret (1682-1738), tous les deux d’origine provençale, qui furent les instigateurs d’un esprit nouveau et insérèrent même des ariettes italiennes dans leurs oeuvres. Le premier a été auteur de belles tragédies (Tancrède en 1702, Idoménée d’après Danchet en 1712). Le second fut plus à l’aise dans le style léger exigé par la Régence ; tous deux furent aussi les artisans essentiels du nouvel opéra-ballet, né à la disparition de Lully, et ne différant vraiment de l’opéra français que par le renoncement à l’unité d’action (et de lieu). On doit à cet opéra-ballet de nombreux chefs-d’oeuvre, de l’Europe galante (1697) et des Fêtes vénitiennes (1710) de Campra aux Fêtes de Thalie (1714) de Mouret, jusqu’aux Éléments créés aux Tuileries (1721) de Lalande et Destouches. Enfin, il faut créditer Mouret de la création de l’opéra-pastorale, et Michel Pignolet de Montéclair (1667-1737) de l’introduction du thème biblique, avec une Jephté (1732) d’une puissance inattendue par la richesse de ses choeurs et de sa déclamation. L’année suivante, l’accès de Rameau à la scène lyrique allait éclipser tous ces musiciens. L’OPÉRA EN EUROPE AU XVIIE SIÈCLE. L’opéra italien ayant débordé ses frontières, précédant en cela son rival français, rares furent, ailleurs, les tentatives originales. En Angleterre. Si la musique avait joué un large rôle dans les masks et dans les drames et comédies de Ben Jonson et de Shakespeare, le terme opéra ne fut employé que lors de la création d’un Siège de Rhodes (1656), d’après D’Avenant, dont Mathew Locke (1631-1677) assura l’essentiel de la musique. La réouverture du Duke’s Theater, en 1671, après les troubles, puis les représentations françaises stimulèrent la création, en 1674, d’une sorte d’opéra tiré de la Tempête, dont Locke et G. B. Draghi écrivirent la partition sur le canevas fourni par D’Avenant et Dryden. Avec sa Vénus et Adonis (v. 1684), John Blow (1649-1708) se rapprocha davantage de l’opéra véritable, bénéficiant en outre du haut niveau de l’école de chant anglaise. Quant à Purcell (1659-1695), dont les nombreuses musiques de scène firent largement appel au chant, son Didon et Aenée (1689) répondit downloadModeText.vue.download 722 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 716 seul aux critères d’un opéra proprement dit. La mort de Purcell, l’implantation à Londres des premières troupes italiennes, bientôt soutenues par l’autorité d’un Haendel, allaient freiner longtemps la création d’un véritable opéra de langue anglaise. L’opéra baroque allemand. Malgré leurs luttes religieuses, les pays de langue allemande avaient parfois perpétué un type de « spectacle éducatif », parent lointain des sacre rappresentazione ; mais, pour créer un opéra allemand digne de ce nom, il fallut que Heinrich Schütz allât étudier à Venise. Dafne (1627), composé sur une traduction du poème de Rinuccini, et Orphée et Eurydice (1638), deux partitions perdues, se référaient, l’une au modèle italien, l’autre au ballet de cours français. Jusqu’en 1680, diverses autres tentatives furent encore effectuées par Heinrich Abert, J. J. Löwe, Ph. Stolle, et surtout par Johann Philipp Krieger (16491725), formé en Italie comme Schütz. Mais ces auteurs se contentaient souvent de rabouter des airs de type français ou italien, sans conscience dramatique véritable. Krieger participa, néanmoins, à la première entreprise nationale, celle de « l’opéra baroque allemand », une épithète adoptée par les historiens avant que ce terme n’ait acquis les sens multiples qui lui sont donnés de nos jours. Alors que toutes les cours - notamment celle de Vienne - avaient adopté l’opéra italien, porté à son apogée par Steffani à Munich et Hanovre, on inaugurait à Hambourg en 1678 un Théâtre du marché aux oies avec Adam und Eve de Johann Theile (16461724), qui y donnait aussitôt également Orontès. Outre ceux de Theile, Strung ou Krieger, on peut retenir les noms de J. W. Franck (v. 1644-1710 ?), auteur d’Aeneas (1680), Vespasian (1681), Diokletian (1682), etc., de Sigismond Küsser (Erindo, 1694), mais surtout celui de Keiser, qui laissa 60 opéras, dont Croesus (1711, 1730), dont s’inspira largement Haendel, et Ulysse, créé à Copenhague en 1722. Attentif aux inflexions du langage, s’inspirant de la pompe lullyste, il sut écrire de beaux finales concertants, et influença également J.-S. Bach, dont il ne faut pas oublier que certaines cantates profanes, telles que Éole pacifié (1725), Hercule à la croisée des chemins (1733), etc., sous-titrées dramma per musica, sont de véritables opéras de concert (dont il réutilisa souvent des fragments dans ses oeuvres sacrées). Haendel, dès 1705, avait écrit pour le Théâtre du marché aux oies Almira et Nero, assez pâles imitations des modèles de Keiser, cependant que l’expérience s’étendait aux villes de la Hanse, où l’on donna les oeuvres créées à Hambourg, puis des créations autochtones, et jusqu’à Darmstadt (cf. Dido, de Ch. Graupner, 1707), Nuremberg et Leipzig. Enfin, en dehors même de cet opéra baroque, dont la véritable histoire prit fin avec la fermeture du théâtre hambourgeois (1738), l’attrait d’un opéra national avait séduit des musiciens d’horizons divers, comme Mattheson, qui écrivit Cleopatra en 1704, et Boris Godunov en 1710, puis Telemann, qui embrassa tous les genres, depuis le drame médiéval (Adelheid, 1724), la traduction de livrets français (Omphale, 1724), jusqu’à l’intermezzo italien (Pimpinone, 1725), et qui, suivant le modèle de certains des opéras baroques, mêla le français, l’italien et l’allemand dans Orphée (1729) ; il persévéra, même lorsque l’opéra italien eut à nouveau assuré sa suprématie dans toute l’Allemagne, jetant ainsi un pont entre ce premier effort national et la création du singspiel. LE XVIIIE SIÈCLE : DU BAROQUE AU ROCOCO. L’héritage de son passé une fois surmonté, le théâtre lyrique devait refléter les préoccupations nouvelles du siècle de la raison et des lumières. Siècle libre penseur, dont l’illuminisme prescrira un théâtre moral, siècle de rationalisme, qui, en clarifiant une situation confuse, se donnera des chaînes. Siècle d’une esthétique hédonistique, dont, en son extrême fin, seul Mozart saura pressentir une recharge sacrale. Siècle, enfin, où, peu à peu, le réalisme d’un théâtre comique populaire triomphera des formules sclérosées d’une tragédie vidée de contenu humain. Et siècle où la riche surcharge du baroque le cédera à la décoration d’un rococo souvent gratuit. Des débats passionnés sur l’opéra y fleurirent, animés par des philosophes traitant du genre du livret, mais toujours résolus par des musiciens : au-delà des principes d’éthique et de structures, c’est par leur génie musical que Vivaldi, Haendel et Gluck triomphèrent de formules discutables, et que Rameau comme Mozart devaient donner leurs solutions à tous les problèmes en les asservissant à une conscience musicale et dramatique rigoureuse. L’opéra italien avant 1750. Il triomphe désormais sans partage à Naples comme à Londres, mais plus encore autour d’un axe, qui, parti de Bologne, passe par Venise, Vienne et Saint-Pétersbourg. C’est à Vienne que résident les poètes d’opéra dits « césariens », et que les meilleurs auteurs et interprètes viennent chercher la consécration. Dans cette internationale d’un genre, il faut renoncer à classer quelques musiciens qui, comme Steffani, Scarlatti, Haendel, Fux ou Caldara, assumèrent des positions clefs à la charnière de deux mondes. Fixé à Munich en 1677, Agostino Steffani (1654-1728) y diffusa un style appris chez Legrenzi (cf. Niobe, reine de Thèbes, 1688) avant de jouer un rôle capital à Hanovre, de Henrico il Leone (1689) à Tassilone (1709) et exerça influence déterminante sur Haendel. autre musicien cosmopolite, Antonio dara (1670-1736), propagea à Vienne style vénitien. une Un Calle Enfin, c’est à tort qu’on voit parfois en Alessandro Scarlatti (1660-1725) un fondateur de cette insaisissable école napolitaine. Ses premières oeuvres créées à Rome (cf. L’Honesta negli amori, 1680), tributaires du vieux style contrapuntique, ne peuvent rivaliser avec les chefs-d’oeuvre de Stradella, mais son talent lui permit ensuite d’épouser aussi bien le faste vénitien (Mitridate Eupatore, 1707) que la comédie (Il Trionfo dell’Onore, Naples 1718) ou cet opéra devenu un simple récital de chant, dont il donne de beaux exemples avec Il Tigrane (Naples, 1715) et La Griselda (Rome, 1721). À VENISE. Dans cette ville, où 4 conservatoires le disputent en valeur à ceux de Naples, le castrat n’est pas maître absolu, et l’instrument se joint largement à la voix dans un faste sonore et visuel où l’irrationnel domine encore. L’opéra demeure indifférent à la séparation des genres, à la schématisation des structures, et apparaît encore tributaire du vieux style, ce qu’explique la position géographique de la ville, favorisant en outre les échanges avec le Nord. C’est donc encore l’orchestre, plus que le clavecin, qui soutient le récitatif chez Fr. Gasparini (1668-1727), formé par Corelli à Bologne, puis maître de Benedetto Marcello. La tradition de Legrenzi revit encore chez le très remarquable Antonio Lotti (v. 1666-1740), dont la colorature se fait déjà plus expressive. Et c’est une même « veine mélodique douce », qui fait merveille dans les opéras d’Albinoni, qui ne se soucia guère plus de formes que Vivaldi, lequel, de 1713 à 1739, déploya une intense activité lyrique à Venise et à Vérone. Chez ce dernier prime la qualité de la musique, et il est significatif que Tito Manlio, où l’on peut discerner une tentative de caractérisation vocale, ne soit qu’un pasticcio d’oeuvres antérieures. Et, si l’on mesure le triomphe sans précédent obtenu par Haendel à Venise avec Agrippina (1709), c’est bien de cette même source que naît le langage de ce musicien allemand, langage forgé à Hambourg auprès de Keiser, puis, avec Steffani, à Rome, à Naples et à Hanovre. Haendel, opérant à Londres pour le compte d’une aristocratie traditionaliste (Rinaldo, 1711), se contenta d’appliquer son formidable génie à un genre déjà agonisant, que seuls les plus fabuleux virtuoses du chant qu’il sut attirer à prix d’or soutinrent de tout leur talent. Malgré son anachronisme, l’opéra haendélien s’impose encore aujourd’hui - après une très longue éclipse - par sa richesse musicale reposant sur un important effecdownloadModeText.vue.download 723 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 717 tif instrumental et sur l’inépuisable variété des arias da capo. Son écriture devait ensuite s’accorder davantage à l’oratorio, surtout face au succès réel remporté par son rival napolitain Porpora, tenant du style moderne. L’OPÉRA NAPOLITAIN. Le terme « panitalien » convient davantage au genre qui se développe dans toute la péninsule, et dont on peut tenter de relever les principes éthiques et esthétiques communs. L’ouverture de l’immense Teatro di San Carlo, à Naples en 1737, ne modifia pas les lois d’un type d’opéra reposant d’abord sur le charme mélodique. Le castrat et l’aria da capo deviennent les clefs de voûte de l’édifice. Aux longs récitatifs supportant toute l’action s’opposent les différents types d’arias exprimant les affetti, sortes d’abstractions métaphysiques répondant à l’abstraction de la typologie vocale - aisément interchangeables d’un opéra à l’autre, et dont la place au sein de l’action pouvait varier, dans la mesure où l’on ménageait au chanteur le mieux payé les arias les mieux situées au cours de ces longues soirées. Le nouveau type de livret devait se plier à ces exigences. L’Académie des Arcadiens, à Rome, en fixa les normes, récusant les « trivialités » de ses prédécesseurs, exaltant les passions « nobles », dans un style aimablement pastoral. Les premiers disciples de cette « réforme » furent Silvio Stampiglia (1664-1725) et surtout Apostolo Zeno (1668-1750), mais aussi Antonio Salvi (mort en 1742), qui, dès 1702, n’hésite pas à puiser dans l’histoire récente, tirant un livret du Comte d’Essex de Thomas Corneille. Cette éthique sera portée à son plus haut point d’expression par Antonio Trapassi, dit Pietro Metastasio, ou Métastase (1698-1782) ; successeur de Zeno à la cour de Vienne en 1730, il laissa 27 drames en 3 actes (sans compter les poèmes sacrés, les sérénades en 1 acte, les comédies, ariettes, etc.), qui engendrèrent plus de 800 opéras, sans cesse adaptés et remis en musique, parfois par un même compositeur. On dit même avoir dénombré jusqu’à 107 versions de son Artaserse. Formé à Rome par le poète arcadien Gravina, Métastase avait connu ses premiers succès à Naples, où les leçons de Porpora - et sa liaison avec la cantatrice Marianna Benti Bulgarelli - achevèrent de l’initier à la pratique du chant et de la composition. Son premier drame, Didone abbandonata, fut mis en musique par Domenico Sarro en 1724 à Naples, d’où l’assimilation possible des notions d’opéra napolitain ou métastasien. Mais cet idéal s’incarne mieux encore chez le Saxon Adolfe Hasse (1699-1783). Il est significatif que l’opéra métastasien (avant sa réforme inéluctable) n’ait lié son nom qu’à des auteurs étrangers, aux grands castrats - dont Farinelli, avec qui le poète échangea une intéressante correspondance -, et qu’aucun nom de grand musicien italien - hormis celui de Pergolèse, dont la disparition prématurée a bien auréolé la légende - ne reste attaché à cette époque. Le principal défaut de l’opéra métastasien nous semble de n’être qu’une suite d’arias sans duos, ni ensembles, ni choeurs, éléments qui précisément sont les atouts majeurs de l’opéra face au théâtre parlé. À Naples, Francesco Mancini (1672- 1737) avait, presque seul, assuré la transition entre les deux époques, et il fut, avec Bononcini, le premier auteur italien joué à Londres, en 1710. À sa suite, tous les auteurs « napolitains « s’illustrèrent avec un égal bonheur dans le genre seria, l’intermezzo et l’opera buffa, mais il faut retenir le rôle joué par Sarro (1679-1744), dont le style dénota, dès l’abord, le refus du baroque pour adhérer à une veine lyrico-sentimentale, dont hérita Pergolèse. Sarro fut choisi pour l’inauguration du San Carlo, avec son oeuvre Achille in Siro, 1737. Nicola Porpora (1686-1768), qui fut le plus célèbre maître de chant de tous les temps, soigna pourtant la partie instrumentale à l’égal de ce chant. Comme Sarro et Porpora, Leonardo Leo (16941744) - qui fut le maître de Piccinni et de Jommelli - témoigna de cette anticipation de « l’ère de l’Empfindsamkeit », et Leonardo Vinci (1690 ou 1696-1730) avait su imposer dans toute l’Europe, malgré sa trop brève existence, la perfection de ce nouveau style, avant même Hasse. On doit encore citer Fr. Feo (1691-1761), P. Auletta (1698-1771), N. Logroscino (1698 apr. 1765), et naturellement Pergolèse (1710-1736), dont le charme mélodique, très personnel, convenait peut-être mieux au genre léger qu’à son Olimpiade métastasienne ou à son très intéressant Adriano in Siria (1734). Avec Davide Perez, Domenico Terradellas et Rinaldo da Capua (v. 1705 - v. 1780), qui dénotaient un sens mélodique décidément moderne, semble se clore une première manière de l’opera seria italien, auquel les courants réformistes et la vogue de l’opera buffa allaient imprimer une direction nouvelle. INTERMEZZO ET OPERA BUFFA. Bien que de naissances sensiblement différentes, ces deux formes eurent la mission commune de rendre au public l’élément comique que récusait désormais l’opera seria. Le même but apparaît dans l’opera buffa, dont le catalyseur fut, à Naples, le besoin d’exalter le dialecte par des comédies dont la musique ne fut d’abord qu’un faible complément. Grâce à des auteurs tels que Leo, Vinci, Hasse, Porpora, ces genres, qui permettaient d’écrire des duos, des trios et surtout les fameux finales concertants, connurent une gloire rapide, et, si l’intermezzo de Pergolèse, La Serva padrona (1733), fut appelé à un grand retentissement, son auteur avait manifesté un talent plus évident dans l’opera buffa en 3 actes Lo Frate’nnamorato, donné en 1732 et comportant un orchestre plus riche et de beaux finales collectifs. Nicola Logroscino devait porter ce finale concertant à une dimension dont se souviendra Mozart, mais c’est à Venise que l’opera buffa évolua rapidement vers la comédie, notamment grâce à Goldoni, qui, après avoir servi, comme simple librettiste, Vivaldi et Gluck (par exemple, Tigrane, 1743), adapta ses oeuvres antérieures en livrets et surtout écrivit directement des comédies destinées à être mises en musique. Il avait trouvé en Baldassare Galuppi (1706-1785), claveciniste réputé, le collaborateur idéal pour ses « drames comiques », moins remarquables pour leur langue que pour le choix des thèmes qui s’évadaient de la farce paysanne pour atteindre à la satire dans L’Arcadia in Brenta (1749) et Il Filosofo di campagna (1754), au fantastique aimable dans Il Mondo della luna (1750) que reprendra Haydn, et surtout au sentimental avec La Buona figliuola (1756) de Duni, cependant que ses héros n’étaient plus des valets ni des soubrettes, mais les bourgeois ou les aristocrates du théâtre de Marivaux. On peut estimer que, lorsque en 1760 Piccinni reprit cette Buona figliuola (tirée de la Pamela de Richardson), le genre s’orientait définitivement vers la comédie sentimentale ou « larmoyante » que le musicien servait désormais avec tous les artifices de l’opera seria, ses coloratures et ses castrats, ouvrant ainsi à l’opéra italien une nouvelle ère, tributaire également de l’influence française. L’opéra en France après 1730. En abordant le genre à cinquante ans, avec sa grande maîtrise de musicien et de théoricien, Rameau (1683-1764) bouleversa immédiatement les traditions. Avec Hippolyte et Aricie (1733), « tragédie en musique » dans laquelle Campra vit « la matière de dix opéras », puis avec l’opéra-ballet les Indes galantes (1735), il avait, malgré l’approfondissement qui le conduira aux étonnantes Boréades (1764, inachevées), déjà dit l’essentiel : leurs difficultés d’exécution empêchèrent d’ailleurs la représentation intégrale de ces deux oeuvres après lesquelles Rameau dut se montrer plus prudent, et, par conséquent, moins audacieux. Plus tard, le culte toujours porté à Lully et l’oubli conscient dans lequel Gluck et ses disciples firent tomber l’oeuvre de Rameau ont laissé dans l’ombre le rôle joué par cet immense musicien, timidement redécouvert à l’aube du XXe siècle. Pratiquement inchangé depuis Lully, l’opéra avait néanmoins, sous la Régence, inspiré à Mouret un langage plus « gracieux » et cherché de nouveaux thèmes d’inspiration : en témoignent un downloadModeText.vue.download 724 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 718 divertissement allégorique de Clérambault, le Soleil vainqueur des nuages (1721), la Reine des Péris (1725), comédie persane de Jacques Aubert sur un livret de Fuzelier, ainsi qu’une représentation d’intermèdes italiens en 1729, et, la même année, un pastiche de divers auteurs français (le Parnasse). Enfin, le remarquable Jephté (1732) de Montéclair étant demeuré sans lendemain, on n’eut à opposer à Rameau que les dernières oeuvres de Colin de Blamont (les Caractères de l’amour, 1738), de Mouret, Rebel et Francoeur, ou celles de musiciens de second ordre comme Niel, Duplessis, Royer, Brassac, Mion, etc. Et les incursions au théâtre de Mondonville, de Boismortiers ou même de Jean-Marie Leclair (Scylla et Glaucus, 1746) ne constituèrent aucune prise de position déterminante. Ce qui, dans l’oeuvre de Rameau, dérouta d’instinct le public, dérangé dans sa quiétude, fut le « vacarme sans précédent » de son orchestre, et la subtilité d’harmoniste, qui le fit taxer d’italianisme. On ne put, à leur création, exécuter ni le trio des Parques d’Hippolyte et Aricie, ni le tremblement de terre des Indes galantes. Mais, au-delà de ces apparences immédiates, la réforme ramiste était d’une autre ampleur, en dehors même de la richesse rutilante de son langage, richesse qu’il dispensait avec la même prodigalité dans les scènes tragiques et les plus insignifiantes ariettes de pastourelles, sachant s’accommoder sans démériter de la frivolité ambiante. On peut en dire autant de ses librettistes, Pellegrin, Fuzelier, Marmontel ou Cahuzac, dont les vers avaient peu à envier à ceux de Quinault, justement jugé par Boileau. En outre, démontrant péremptoirement que « la tragédie conte et l’opéra montre », Pellegrin bâtit son drame comme un négatif de Phèdre de Racine, tirant de trois vers l’acte superbe de la descente aux Enfers, et « visualisant » de la même façon le récit de Théramène. Démentant le titre même de l’opéra, Rameau sut faire de Thésée et de Phèdre deux très grandes figures tragiques de l’histoire de l’opéra, créant pour elles un langage sans commune mesure avec celui de Lully. Ajoutons enfin que Rameau sut démontrer sa disponibilité à un comique musical (Platée, 1745), créer une ouverture thématiquement liée à l’action (Zoroastre, 1749), pour souligner encore que son oeuvre contenait déjà tout ce que le XIXe siècle croira, de bonne foi, avoir découvert. LA QUERELLE DES BOUFFONS ET LA NAISSANCE DE L’OPÉRA-COMIQUE. Lorsque, en 1752, la troupe des « fons » de Bambini donna à l’Opéra Paris des intermezzi de da Capua, Latilla, de Jommelli, et La Serva de Pergolèse, dans une production boufde de padrona très soignée, cette dernière oeuvre, passée inaperçue six ans plus tôt à la ComédieItalienne de Paris, fut à l’origine d’une querelle littéraire restée fameuse, mais reposant sur un profond malentendu. Croyant opposer le « naturel » du genre buffa italien à la « science » de l’opéra de Rameau, les pamphlétaires exaltèrent la musique italienne contre la musique française en général, sans prendre garde que le débat n’opposait que le choix des thèmes, et que leurs conclusions auraient été différentes si le hasard avait mis en présence un opera seria italien et un vaudeville chanté français. En fait, Rousseau, humilié dans ses ambitions musicales et jaloux des succès de Rameau (succès artistiques et succès mondains), usa d’arguments qui n’honoraient pas l’expert musical de l’Encyclopédie. Il ne comprit guère qu’un public de bon sens avait d’abord ressenti la perfection du spectacle présenté par les Italiens dans cette même salle de l’Opéra, où régnait habituellement une affligeante médiocrité au niveau de l’exécution musicale. Mais, pour absurde que fût cette querelle, qui permit aux encyclopédistes d’acquérir un regain de faveur dont ils avaient grand besoin, elle n’en permit pas moins de mettre en lumière la nécessité de créer un véritable opéra-comique français de qualité. Deux hommes devaient coordonner au mieux, en ce domaine, diverses tentatives éparses, le directeur Monnet et Charles Simon Favart (1710-1792). Librettiste, acteur, homme de théâtre complet et époux d’une excellente cantatrice et actrice, ce dernier dut se limiter, jusque vers 1750, au genre très en vogue de la parodie (Rameau se réjouissant du renfort de publicité que lui valait un Hippolyte comique), avant de trouver en Duni un musicien apte à mettre en partitions d’authentiques livrets. Or, entre-temps, le véritable opéra-comique était né des suites de la Querelle des bouffons. En effet, après avoir écrit « qu’il ne saurait y avoir de musique française, sinon de très mauvaise », Rousseau composa en français un Devin du village (1752), véritable opéra-comique, à cette différence près que, au lieu d’y être parlés, les dialogues de l’action étaient chantés à la façon du récitatif italien. Et l’oeuvre fut donnée à Fontainebleau, chantée par les meilleurs interprètes de Rameau. Dès lors, l’Opéra afficha avec succès des pastiches d’operas buffas italiens, et Monnet eut l’idée de présenter à l’Opéra-Comique en 1753 les Troqueurs, faisant passer cette oeuvre d’Antoine Dauvergne (1713-1797) - futur directeur de l’Opéra - pour la traduction d’un opera buffa italien. L’oeuvre fut acclamée, et l’on rit de bon coeur une fois la supercherie révélée, donnant ainsi sa place à une véritable musique française, chantée en français ! Mais, d’abord, l’Opéra-Comique afficha une version française de la Servante maîtresse de Pergolèse, que Mme Favart chanta plus de 100 fois en 1754, Favart, lui-même, put y donner Ninette à la cour, puis, en 1757, le Peintre amoureux de son modèle, mis en musique par Egidio Romualdo Duni (1709-1775), auteur de drames joués à Rome et à Florence, puis passé au service de la cour francophone de Parme. Et, seulement alors, des musiciens français se piquèrent au jeu. Philidor (1726-1795) et Monsigny (1729-1817) s’affirmèrent en 1759, le premier avec Blaise le savetier, que suivirent Sancho Pança dans son île (1762), puis le Sorcier (1764), Tom Jones (1765), etc. ; l’autre avec les Aveux indiscrets, puis Rose et Colas (1764). Et, grâce à la fusion intervenue en 1762 entre l’Opéra-Comique et la ComédieItalienne (sous cette dernière dénomination), les compositeurs bénéficiaient des meilleurs acteurs et cantatrices des deux troupes, pouvant ainsi écrire pour leurs héroïnes de difficiles arias à coloratures, mais ils purent également s’assurer de la collaboration de Sedaine, qui rédigea pour eux non plus de simples livrets bouffons, mais de véritables pièces de théâtre, tout comme le faisait outre-monts un Goldoni. Lorsqu’en 1769 parut le Déserteur de Sedaine et de Monsigny (l’oeuvre fut jouée jusqu’en Amérique), c’en était fait des idylles villageoises prônées par Rousseau, l’opéra-comique n’avait plus rien de comique et tournait au drame larmoyant (ou « pièce à sauvetage ») auquel l’Europe entière allait souscrire. La même année, soit cinq ans après la mort de Rameau, Grétry s’affirmait à Paris, y précédant de peu l’arrivée de Gluck. Un nouveau chapitre de l’opéra français allait alors s’ouvrir. L’ÈRE DES RÉFORMES. LA RÉFORME DE L’OPERA SERIA. La révélation de l’opéra français à Parme fut sans doute le catalyseur d’une remise en question de l’esthétique métastasienne, déjà amorcée depuis 1740 par divers compositeurs et critiques italiens. L’intendant du Tillot avait engagé Duni à la cour française de Parme pour lui confier les livrets de Favart, puis convié Goldoni à adapter Pamela pour ce même musicien. Dès 1757, il fit jouer des opéras de Rebel et Francoeur, puis de Rameau, qui suscitèrent des traductions italiennes, puis des adaptations originales conçues dans le même esprit, mais pour lesquelles les livrets dus à Frugoni laissèrent trop à désirer. Or, comme Jommelli quelques années plus tôt, Traetta avait déjà pressenti ce besoin de renouveau, et les oeuvres qu’il donna à Parme (Ippolito ed Aricia en 1759, puis en 1760 I Tindaridi, d’après Castor et Pollux de Rameau) correspondaient à une conception mûrement réfléchie ; ces downloadModeText.vue.download 725 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 719 oeuvres eurent un retentissement jusqu’à Vienne où Gluck les écouta avec attention. Outre Traetta (1727-1779) et Jommelli (1714-1774), d’autres musiciens italiens devaient s’engager sur la voie de ce renouveau. On peut citer, avant P. A. Guglielmi, Anfossi, Sacchini et Piccinni, Davide Perez (1710 ou 1711-1778), et, plus encore, Domenico Terradellas (1713-1751), l’un des meilleurs disciples de Pergolèse et qui fut particulièrement attentif au rôle de l’orchestre. On note déjà chez Terradellas le procédé du crescendo dans Bellerofonte (1747). Enfin, Gian Francesco Di Majo (1732-1770), un Napolitain, auteur de musique religieuse et d’opere serie, fut joué jusqu’à Vienne, et son style semble établir un pont entre Gluck et Mozart. D’autres innovations devaient compléter cette réforme de l’opera seria, dont on trouve l’écho chez un Mattia Verazzi, qui fournit des livrets à Jommelli, Traetta, Salieri, et chez Coltellini et quelques autres encore : celles de réintroduire la catastrophe finale toujours récusée par le public, d’instaurer la coupe en 2 actes du dramma seria (v. infra), et surtout de substituer au traditionnel défilé des arias de solistes des duos, trios, ensembles et interventions du choeur, comme on les trouve parfaitement intégrés dans Antigona de Traetta (SaintPétersbourg, 1772), qui y traite avec une grande maîtrise le récit dialogué et les arias bipartites ou tripartites. La « réforme » de Gluck. Allemand formé à Milan, Gluck fut, dès 1741, remarqué par Métastase pour son « feu insolite », mais bientôt condamné pour ses « bruyantes originalités ». Rompu au style italien, mais témoignant aussitôt de son intérêt pour l’orchestre et pour la colorature aiguë, typique du goût allemand, il fut commissionné à Vienne pour y adapter les textes de Favart auxquels il conféra un galbe musical d’une tout autre ampleur que les musiciens d’opéra-comique français. Il y rencontra en 1761 Raniero de’Calzabigi (1714-1795), poète arcadien, qui, à Paris, avait vécu la Querelle des bouffons et publié la Lulliade, satire raillant ce type de joutes littéraires. Auteur, en 1755, de l’essai à la gloire de Métastase (dont, vingt ans plus tard, il ne critiqua que la coupe des vers), chassé de Paris, où il avait fondé avec Casanova une loterie dans des conditions assez douteuses, Calzabigi découvrit à Vienne les courants réformistes grâce aux opéras de Traetta. S’attribuant leur paternité, il reprit mot pour mot dans la fameuse Préface d’Alceste (1768), qu’il fit prudemment signer par Gluck, les préceptes déjà résumés par Algarotti. Calzabigi avait trouvé en Gluck le collaborateur idéal, fortement hostile, comme lui, aux « abus » des chanteurs, et également intéressé par le ballet, le décor et l’importance à réserver au choeur. Leur commun Orfeo ed Euridice (1762) eut pour principal mérite d’exclure de la fable tous les personnages secondaires, et de parvenir, dans la scène des Enfers, à une osmose parfaite entre le chant soliste, le choeur et l’effet visuel. Dans Alceste (1767), qui ne répondait en rien aux objectifs énoncés a posteriori dans la Préface, Gluck conservait les ritournelles d’introduction et « le disparate entre le récit et l’aria », dont le da capo, sans son ornementation, perdait toute raison d’être. Or, la puissance expressive de la musique masque les erreurs du livret de Calzabigi, sa mythologie anecdotique et désengagée, son dénouement heureux, ses choeurs demeurés témoins et non acteurs, et son absence d’ensembles concertants. Et, si ce livret resserrait l’action, la musique « auxiliaire du poème » lui opposait sa lenteur hiératique. Après un retour aux formules traditionnelles, Gluck se fixa en France, en 1774, y donna des versions assez heureusement remaniées d’Orphée et d’Alceste, réalisa sur le vieux livret de l’Armide de Quinault un pastiche des meilleures pages de ses opéras antérieurs, et fut opposé à Piccinni dans une nouvelle « querelle » qui ne lui fit guère honneur. Il signa enfin avec Iphigénie en Tauride (1779) son chef-d’oeuvre, dont la qualité musicale faisait derechef oublier les schémas traditionnels, cependant que l’ouverture était reprise d’un opéra-comique de 1758, et l’air tragique Ô malheureuse Iphigénie d’un opera seria de 1753. En résumé, Gluck s’était, lui aussi, imposé par son génie musical, éclipsant par là ses rivaux italiens, plus engagés que lui dans les courants réformateurs, alors qu’il était revenu aux stéréotypes de l’opéra lullyste, effaçant ainsi l’immense apport dramatique de Rameau. Dramma giocoso et opera semiseria. On a longtemps attribué le triomphe du genre buffa sur le seria, au XVIIIe siècle, au « naturel » de ses personnages. Sans doute le nouveau style galant et pathétique convenait-il mieux aux villageois et aux marquis de la comédie qu’aux héros empanachés de la tragédie. Mais c’est plus encore la souplesse et la variété de ses structures qui triomphèrent des formules sclérosées du vieil opera seria. Dès que les arias à coloratures et les castrats eurent acquis droit de cité dans la comédie lyrique, les publics aristocratiques goûtèrent, eux aussi, cette forme, que ses ensembles et ses finales pleins de vie rendaient autrement attrayante. En outre, l’opera buffa défini comme tel avait vécu lorsque, en 1760, Piccinni donna - et à Rome ! - sa Cecchina (autre titre de La Buona figliuola), une oeuvre qui devait autant à la consistance musicale et vocale de l’opera seria qu’à la véracité de l’opera buffa ou du dramma giocoso. Pour sa part, Goldoni attira à Venise le méridional Gaetano Latilla (1711-1788), qui utilisa le dialecte vénitien dans L’Amore artigiano (1761), et établit les lois de cette comédie d’intrigues, sentimentale et lyrique, dont les sept personnages venaient tirer la moralité devant le rideau - comme plus tard dans les opéras de Mozart. C’étaient, dans les deux cas, les prémices de ce drame larmoyant qui devait conduire jusqu’au Fidelio de Beethoven, en 1805 ; dès lors, au terme d’opera buffa se substituent le plus souvent ceux de commedia, dramma giocoso, ou, bientôt, semiseria. C’est à tort que l’on souligne l’antithèse des épithètes « drame » et « joyeux », ce premier terme n’ayant, en italien, aucune implication tragique ; c’est d’abord le livret qui est ainsi défini, soulignant son ambition littéraire ou la classe sociale de ses personnages, et visant à une plus grande dignité que l’opera buffa, encore suspect pour l’aristocratie. C’est toutefois sa structure que l’opéra buffa légua à ses héritiers, avec son récitatif secco et ses ensembles, si bien que, de façon générique, le terme s’appliqua encore longtemps à la comédie, au dramma giocoso et à l’opera semiseria, bien que ce dernier genre - parfaitement défini par la Nina de Paisiello, en 1789 - impliquât un contexte social particulier. Nicola Piccinni (1728-1800) s’illustra dans ces genres, comme Guglielmi, Anfossi, Sarti, et plus tard Salieri (v. infra). Mais les meilleurs représentants de ce nouveau style « napolitain » furent Giovanni Paisiello (1740-1816) et Domenico Cimarosa (1749-1801), tous les deux d’origine méridionale, formés à la difficile discipline de l’opera seria et de la musique instrumentale, et tous les deux réclamés à Vienne et à Saint-Pétersbourg. Pai- siello, demeuré célèbre pour son Barbier de Séville (Saint-Pétersbourg, 1782) et sa Molinara (1788), offrit, avec Nina pazza per amore, un premier type de scène de folie, souscrivit au découpage en 2 actes de l’opera seria Fedra (1788), donna, avec Elfrida (Naples, 1792), sur un livret de Calzabigi, le premier exemple de drame médiéval à fin tragique, et obtint son meilleur succès dans le genre eroicomico avec son Re Teodoro in Venezia (Vienne, 1784) sur un livret de Casti. Cimarosa, mieux connu aujourd’hui, laissa, comme lui, son nom attaché à ses comédies, dont le Mariage secret (Vienne, 1792), intitulé en fait melodramma (c’est-à-dire opera), et bien proche de ses structures, et Giannina e Bernardone (1781), mais il mania aussi bien le satirique (L’Impresario in angustie, 1786) et le tragique : son opera seria Gli Orazi ed i Curiazi (1796) est tenu pour l’achèvement le plus parfait du genre entre la Clémence de Titus de Mozart et les premiers drames de Rossini. Mais c’est à Vienne, où vit précisément Mozart, que règne la plus intense activité lyrique et où se retrouvent, s’affrontent et downloadModeText.vue.download 726 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 720 se pillent effrontément les meilleurs poètes et musiciens. On s’y passionne pour le jeu esthétique, pirandellien avant la lettre, du « théâtre dans le théâtre », qui inspire à Mozart, Cimarosa et d’autres maint Impresario, et aboutira en 1814 au sarcastique Turc en Italie de Romani et de Rossini ; Calzabigi avait, en 1769, écrit pour Florian L. Gassmann (1729-1774) L’Opera seria, où le directeur se nomme Faillite, le poète Délire, le castrat Ritournelle, et la prima donna « Qui détonne ». Ce jeu fut cultivé par Coltellini, et par Casti (17241803), qui écrit Prima la musica, poi le parole (1786), mis en musique par Antonio Salieri (1750-1825). Salieri, rival heureux de Mozart, auteur d’une oeuvre instrumentale de qualité, avait écrit, en 1778, Europa riconosciuta pour l’inauguration de la Scala de Milan, puis succédé à Gluck à Paris, mettant en musique Beaumarchais dans Tarare (1787), puis Shakespeare dans Falstaff (Vienne, 1799) ; il fut aussi l’un des collaborateurs de Da Ponte. Ce dernier, librettiste de Mozart, de Martin y Soler (1754-1806), de Storace, etc., entra en conflit avec Giovanni Bertati (17351815), l’un des poètes d’opéra les plus originaux de l’heure, s’appropria la paternité de son Mariage secret et emprunta plus d’une de ses pages, de son Don Giovanni au Convitato di pietra ; ce dernier livret rédigé par Bertati en 1787 pour Giuseppe Gazzaniga (1743-1818). L’Allemagne et l’Autriche. Naissance du singspiel. D’ethnies et de religions différentes, les pays germaniques partageaient une même méfiance de leurs princes envers toute tentative nationale d’un art de langue allemande, ces princes soutenant l’opéra italien. Comme Hasse à Dresde et Graun à Berlin, Ignaz Holzbauer (1711-1783) fut à Stuttgart un excellent auteur italianisant, comme le furent à Vienne Gassmann, Gluck et Wagenseil (1715-1777), auteurs qui influencèrent Sarti et Naumann, dont l’activité se déploya au Danemark, en Suède ou en Russie. Et si l’oeuvre lyrique de Haydn nous paraît dominer l’opera seria et semiseria de son époque, de même que les premières tentatives de langue allemande, le cadre des représentations privées auquel il les destina lui refusa le rôle historique qu’il eût pu alors assumer. Avant que le singspiel (pièce chantée) ne se définisse comme l’équivalent de l’opéra-comique, mais d’une singulière épaisseur orchestrale, ce terme avait recouvert les diverses tentatives d’opéra national héritées de l’opéra baroque et du ballad opera du Nord, où Gottsched, dédaignant la fiction inhérente au genre, vantait l’absolue priorité du texte, et où Johann Adolf Scheibe (1708-1776) baptisa singspiel dès 1749 des oeuvres dont il écrivit livret et musique. À Vienne, vers 1750, le terme s’applique aux spectacles du fameux Bernardon, sortes d’équivalents de la commedia dell’arte, Haydn écrit Der Krumme Teufel (v. 1751-1753, perdu), et on joue des comédies lyriques de Josef Starzer, Franz Aspelmeyer, etc. D’autres types d’opéra allemand apparaissent aussi. A. Schweitzer (1735-1787) met en musique l’Alceste de Wieland (1773), adoptant les schémas ramistes, mais en négligeant totalement le chant, selon l’opinion de Mozart, qui vante au contraire Gunther von Schwarzburg (1776) de Holzbauer, influencé par Jommelli. On prise encore la forme du mélodrame (ou mimodram, tanzdrama, etc.), où la musique soutient un texte entièrement parlé, genre qu’illustra parfaitement Benda (v. infra), pour lequel Goethe écrivit Proserpine (1777), et auquel collabora aussi Haydn (Philemon und Baucis, Dido, etc.), puis Neefe, Reichardt, Zumsteeg, ceux-là mêmes que l’on retrouve à la naissance du véritable singspiel et du lied. Retardé à Vienne par la divulgation des oeuvres de Favart, ce singspiel naîtra au Nord, dès la fin de la guerre de Sept Ans : dans Der Teufel ist los (1766), Johann Adam Hiller (1728-1804) emprunte encore à divers musiciens, puis compose Die Jagd (1770), où apparaît l’influence de Hasse. D’autre part, lorsque Reichardt écrit la partition de la Claudine von Villabella de Goethe (1773), créée en 1789, c’est le texte qui prévaut, et la musique devait donner ses lois au genre, grâce à Georg (Jiři) Benda (1722-1795), qui usa de sa très riche orchestration dans der Dorfjahrmarkt (1775), où l’aria da capo se mêle aux couplets sentimentaux, aux airs de bravoure et aux choeurs populaires (dont Weber s’inspirera dans son Freischütz en 1821). Benda fit appel aux sources les plus variées (Julie und Romeo en 1776, der Holzhauer en 1778), et écrivit Medea (1775) et Ariadne auf Naxos (1775) dans la forme du mélodrame. Enfin, Belmont und Constanze de Johann André, donné à Berlin en 1781 sur un texte de Bretzner, servit de modèle à Mozart (l’Enlèvement au sérail, 1782), lorsque Josef II eut ouvert à Vienne un Singspiel Nazional Theater, inauguré en 1778 avec die Bergknappen de Ignaz Umlauf (1746-1796), sur l’oeuvre de qui Mozart modèlera ses personnages de singspiel Osmin et Papageno. Comme Mozart, Franz Teyber (1758-1810) et Josef Weigl (1766-1846) écrivirent aussi de difficiles arias à coloratures, afin d’attirer les cantatrices du Théâtre de cour, voué à l’opéra italien et à l’opéra français. Une fois le Théâtre du singspiel fermé pour « subversion », le Kärtnerthortheater, à Vienne, accueillit les singspiels très italianisants de Dittersdorf (1739-1799), alors que, au contraire, pour un public plus populaire, Schikaneder, imprésario de petites salles, mêlait le couplet populaire à la féerie, comme dans Oberon (1789) de Wieland et de Wranitzky (1756-1808) et dans la Flûte enchantée de Mozart (1791). Mais les compositeurs de singspiel durent à nouveau collaborer avec le Théâtre de cour, lorsque, après la mort de Josef II et de Leopold II, les modèles étrangers s’imposèrent à nouveau. Or, c’est sous le règne de Josef II que Mozart avait réussi une synthèse des genres, à laquelle avait également contribué l’influence française. La France après Rameau. La mort de Rameau, en 1764, avait ramené à l’Opéra Mondonville (dont il faut aussi signaler Daphnis et Alcimaduro, en langue d’oc, en 1754) et les compositeurs d’opéra-comique. Mais Gluck y ayant imposé un style différent, c’est aux compositeurs italiens que l’on demanda de venir perpétuer son action. Piccinni donna avec succès Roland (1778), puis Atys (1780), Iphigénie en Tauride (1781) et une superbe Didon (1783), Jean-Chrétien Bach vint de Londres écrire un Amadis de Gaule (1779) sur le livret de Quinault, Anfossi « renonça à écrire pour les chanteurs français », et Antonio Sacchini (1730-1786) donna Renaud, Chimène et Dardanus (1784), mais mourut sans connaître le succès réservé à OEdipe à Colone (1786), parfaite fusion du génie italien et français. Or, après les Danaïdes (1784), et Tarare (1787) de Salieri, l’arrivée de son rival Cherubini en 1788 allait apporter un sang nouveau à l’opéra français. L’opéra-comique était, dès 1769, un genre parfaitement adulte, non seulement digne de l’opéra, mais autrement représentatif de la culture française. Grétry (1741-1813), dédaignant justement l’opéra, lui consacra un authentique talent acquis à Rome, et écrivit de véritables arias virtuoses pour les cantatrices de la Comédie-Italienne dans Zemire et Azor (1771) et la Fausse Magie (1775), puis, toujours avec la collaboration de Sedaine, s’orienta vers d’autres sujets (Raoul Barbe-Bleue, 1789) et aborda le thème historique avec Richard Coeur de Lion (1784), Guillaume Tell (1791), ou Pierre le Grand (1790) sur un livret de Bouilly, l’auteur de Léonore. À ces ambitions, Nicolas Dalayrac (17531809) opposa la sentimentalité de sa Nina, folle par amour (1786), pièce à sauvetage de Marsollier, que reprendra Paisiello et qui suscitera d’autres adaptations, comme il en fut de son Renaud d’Ast (1787), dont Mozart se souvint dans la Flûte enchantée. Comme Grétry et Dalayrac, Gossec, Méhul, Lesueur et d’autres sacrifièrent aux sansculottides de la Révolution, puis renouèrent avec la tradition, comme Che- rubini, Paër, Henri Berton (1767-1844), auteur de Montano et Stéphanie (1799) et Aline, reine de Golconde (1803), comme Jadin, Catel, Gaveaux et le Maltais Niccolo, dit Isouard (1775-1818), auteur des Rendez-vous bourgeois (1807) et du Billet de loterie (1811). En outre, le genre de downloadModeText.vue.download 727 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 721 l’opéra-comique, contraint à l’alternance du parlé et du chanté par le fait du monopole de l’Opéra, n’en disposait pas moins de plusieurs salles parisiennes et étendait son domaine : la pièce à sauvetage (par exemple, la Léonore de Bouilly, mise en musique par Gaveaux, Paër, Beethoven et Mayr) recourut à l’exotisme (par ex. toutes les Lodoiska), ou céda au mythe avec Médée de Cherubini (1797) sur un livret de Fr. B. Hoffmann, qui s’inspira aussi de l’Arioste (Ariodant, de Méhul, 1798). Mais avec le Normand Boieldieu (1775-1834), qui promena ses héros dans de nombreux pays, on assiste à un retour vers un opéra-comique plus traditionnel, dans une langue soignée. Après trente années de succès, il introduisait le romantisme dans le genre, avec la Dame blanche, inspirée de Walter Scott, qui triompha en 1825, l’année où le Devin du village quittait l’affiche. Son livret, signé Eugène Scribe, appartenait à une nouvelle époque de l’opéra-comique, déjà marqué par les premiers succès d’Auber et d’Hérold. La synthèse mozartienne. L’opéra de Mozart, s’il domine à nos yeux toute la production de son époque, n’eut pas alors l’impact qu’on suppose, dans la mesure où il ne semblait pas apporter d’innovations formelles. La trop grande complexité de ses livrets ne plaidait guère en sa faveur, tous ses arguments avaient déjà été traités par d’autres musiciens (sauf celui des Noces de Figaro, trop récent) et ses emprunts aux auteurs de singspiels, à Traetta, Salieri, Paisiello, Dalayrac, etc., suivaient la coutume établie. Fidèle à la tradition du lieto fine, à l’emploi du castrat d’opera seria, Mozart semblait même en retrait sur ses prédécesseurs par les structures traditionnelles de ses opere buffe : le récit, rarement accompagné (sauf en des occasions significatives), demeure bien séparé de l’aria, aria avec da capo orne- menté, cavatine ou aria tripartite sans participation du choeur. Peut-être aurait-on pu déjà s’inquiéter de la longueur inhabituelle de ses finales, de la présence du fantastique dans la scène du banquet de Don Juan, de la souplesse du discours dans Idoménée (opéra qui connut justement le succès), du surprenant premier finale de la Clémence de Titus, ou du ton grave d’un singspiel comme la Flûte enchantée. Mais c’est de l’intérieur que Mozart, plus subtilement, avait miné l’édifice. Dès l’âge de quatorze ans, il avait osé suggérer le choix d’un livret (il sera, dans sa maturité, le véritable coauteur de ceux-ci), et c’est par la musique qu’il devait résoudre les véritables problèmes, jusque-là objets de vaines querelles d’ordre littéraire, et affirmer une unité de pensée que ses contemporains ne pouvaient déceler. À la proposition de Gluck de « réduire la musique à sa seule fonction de seconder la poésie », Mozart répondit que « la poésie devait être la fille obéissante de la musique », et réalisa l’osmose entre le verbe et le son, parce que sa musique épousait le tempo intérieur du livret, ce que n’avaient compris ni Gluck ni les Italiens, dont les tentatives de renouveau étaient ainsi vouées à l’échec. Pour réussir, Mozart tâta d’abord de tous les genres, du singspiel à la sérénade, de l’opéra-comique à l’opera seria, du buffa au dramma giocoso et à la comédie, puis réalisa enfin avec Idoménée une première synthèse des structures du seria, par son fréquent usage des ensembles, par la participation des choeurs à l’action, donnant ainsi raison à Traetta contre Gluck. Et, malgré le succès obtenu par Idoménée, son intuition lui dicta de récuser cette mythologie vidée de son contenu pour s’engager sur la voie autrement exigeante d’un « mythe de l’homme contemporain » (cf. M. Beaufils), choisissant précisément pour cela le langage plus accessible du singspiel (« Je me sens pris de fièvre à l’idée de créer l’opéra allemand », avait-il écrit), ou de l’opera buffa, dont il asservit les composantes à l’idée. C’est pour lui un jeu d’insuffler à ces formes « faciles » la densité du genre tragique, d’établir des rapports affectifs entre la tonalité des scènes et des arias, de mettre en situation les coloratures apparemment les plus traditionnelles, ou d’introduire dans un opera buffa des caractères d’opera seria (Donna Anna et Donna Elvira) et quelques rares récitatifs accompagnés d’une étonnante intensité. Et c’est même en termes musicaux, presque anodins, que Mozart souligne l’univers manichéen de la Flûte enchantée, opposant le parlé au chanté, et situant le Bien et le Mal aux deux pôles inconciliables de la voix humaine, alors que, dans ses drames italiens, l’ambiguïté des diverses facettes du chant souligne les terrifiantes imbrications entre ce Bien et ce Mal, considérés comme les deux faces complémentaires d’un même univers, où « le langage du buffa se présente comme le masque du tragique » (cf. M. Beaufils), où la perfection esthétique voulue de Cosi fan tutte se distancie encore mieux d’une réalité plus tragique que celle de Don Juan. Enfin, héros du Sturm und Drang, engagé dans le combat pour l’émancipation de l’être, Mozart se place au centre d’une oeuvre dont il fait une unique et constante confession, en posant, dès l’Enlèvement au sérail, le problème de la revendication des droits de l’individu, qu’après les orages des trois opéras italiens il résout, et, à nouveau, avec la langue allemande dans la sagesse ambiguë de sa Flûte enchantée, en 1791. Notons que, cette même année, avant de disparaître à trente-cinq ans, Mozart parvient aussi avec la Clémence de Titus à faire éclater les vieilles structures de l’opera seria. Et cette étonnante synthèse nous rappelle qu’il appartient en priorité à la musique de triompher des problèmes d’éthique et d’esthétique, fûtce à l’aide des structures les plus traditionnelles. L’OPÉRA DANS LES AUTRES CENTRES EUROPÉENS. Les modèles italiens, français, puis allemands dominent dans toutes les cours, où s’amorce le même processus de traductions, puis de véritables créations autochtones. La Russie. Pierre le Grand ayant imposé une culture de type franco-allemand, les comédiens français paraissent à Saint-Pétersbourg dès 1729, et c’est d’Allemagne que provient, en 1731, un Italien de la troupe de Hasse, Ristori, qui y présente un de ses opere buffe, La Calandro, cependant que des intermezzos italiens sont bientôt traduits en allemand et en russe. Mais, dès 1735, le Napolitain Francesco Araja (v. 1709 -1770) y élit domicile, fait applaudir d’abord sa Forza dell’amore e dell’odio, puis écrit en 1737 Il Finto Nino, et se consacre à l’opéra métastasien et au ballet français. Bientôt traduites en russe, ses oeuvres alternent en 1742 avec de nouveaux spectacles français. En 1755, c’est enfin sur une traduction préalable du livret qu’il écrit directement en russe Céphale et Procris, cependant que G. B. Locatelli produit une nouvelle troupe italienne en 1757, que Raupach donne en 1758 un Alceste en russe, et que les Français, revenus en 1762, conservent toujours les préférences de la cour. Pourtant, les meilleurs musiciens italiens y occuperont désormais sans interruption des charges officielles : Vincenzo Manfredini de 1758 à 1769, Galuppi de 1765 à 1768, Traetta jusqu’en 1775, Paisiello jusqu’en 1783, Cimarosa de 1787 à 1791, Martin y Soler de 1788 à 1794, tandis que Giuseppe Sarti (1729-1802) se fixe à Saint-Pétersbourg en 1784. Formé à Bologne, ayant triomphé à Venise et à Rome, Sarti avait séjourné vingt années à Copenhague, et il sut poser les bases d’un riche enseignement classique, préparant ainsi le terrain au Vénitien Cavos, qui, dès 1797, allait devenir le premier grand compositeur « russe ». Parallèlement à cette culture aristocratique, on traduit des singspiels, et des opéras-comiques de Philidor, Duni, Grétry, Dalayrac, Dezède, etc. Des chanteurs russes se mêlèrent aussi à la troupe du Français Clairval, l’interprète fameux de Grétry, et, à Moscou, l’Anglais Michael Maddox organise des spectacles dès 1776, fonde en 1780 le théâtre Petrowsky, largement ouvert aux productions russes, cependant que, comme le fait Herder en Allemagne, on recense le vieux fonds païen national. Et, si l’opera buffa s’installe victorieusement à Saint-Pétersbourg, c’est surtout à Moscou et dans l’ancienne Russie que s’amorce un mouvement irrédownloadModeText.vue.download 728 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 722 versible : durant une trentaine d’années, des musiciens russes allaient créer des vaudevilles faits de refrains populaires célèbres, parfois mâtinés d’influences étrangères, oeuvres souvent composites et sans cesse modifiées et réadaptées. Un mystère plane toujours sur une éventuelle Taniou- cha (1756 ?), un vaudeville de Volkov, et on ne peut affirmer non plus quel musicien (Dimitriewski, Pashkevitch ?) composa la partition de Aniouta (Tsarskoïe Selo, 1772), un acte de M. Popov, qui passe pour le premier « opéra » de fonds et d’auteurs russes. Enfin, alors que le Devin du village de Rousseau fait fureur et suscite les pastiches et imitations de Kerzelli ou Zorine, le premier succès authentique du genre fut un Meunier magicien, écrit par Ablesimov, et les couplets arrangés par Sokolowski, joué à Moscou en 1779, puis aussitôt à Saint-Pétersbourg, et encore repris en 1784 par le très sérieux Fomine. De nombreux autres vaudevilles apparurent, dans les deux capitales, notamment le Bazar de Saint-Pétersbourg (créé en 1782), oeuvre en 3 actes de Mikhaïl Matinski (un serf émancipé qui avait étudié en Italie), et, plus tard, Catherine II écrivit des livrets, où alternaient le fonds historique et le thème quotidien, livrets où se mêlaient parfois les musiques de Sarti, Cannobio, Martin y Soler, celles de Matinski et surtout celles de Pashkevitch (v. 1742-1797), qui illustra son premier livret, Fevey, en 1786. Mais, à Saint-Pétersbourg surtout, le goût français reste dominant, et c’est dans cette langue que seront d’abord écrits certains opéras-comiques, dont peut-être l’Avare (Skoupoï, 1782) de Pashkevitch. C’est toutefois grâce à leur formation acquise à Bologne ou Venise que trois musiciens russes devaient imposer une plus forte personnalité : Maxime Berezowski (1745-1777), qui, après avoir écrit des opéras métastasiens, revint organiser la chapelle impériale ; son successeur Dimitri Bortnianski (1751-1825), qui écrivit 7 opéras, encore bien cosmopolites (le Faucon, en 1786, comme le Fils rival [1787] sont composés sur textes français) ; et enfin Evgueny Fomine (1761-1800), qui, après son retour d’Italie, en 1786, mit aussi en musique les livrets de l’impératrice, adhéra à la formule du mélodrame avec choeur (Orphée et Eurydice, créé 1792), dans une langue qui évoquait Mozart, Salieri et Gluck, puis, avec les Américains (1800) et la Pomme d’or (posth.), un véritable opéra, affirma un réel sentiment national. Et lorsqu’en 1798 Paul Ier interdit l’opéra italien, la relève semblait assurée. L’Angleterre. Il fallut d’abord y effacer l’héritage national pour imposer d’abord des traductions d’intermezzos, dès 1705, et, peu à peu, le véritable opéra italien, chanté par des troupes italiennes. On applaudit d’abord des ouvrages anciens de Bononcini, de Mancini (Idaspe fedele, 1710), avant les créations originales de Haendel (Rinaldo, 1711) et de Porpora. C’est à cet opéra italien, autant qu’à l’aristocratie londonienne corrompue, que s’en prend en 1728 The Beggar’s Opera, une satire assez féroce, arrangée selon la forme du ballad opera, par J. C. Pepusch (16671752). Son succès confirma la virtualité d’un opéra anglais, ce dont Haendel tira la leçon, avec ses oratorios, puis Thomas Arne (1710-1778), qui reprit la tradition du mask (Alfred, 1740, contient le fameux Rule Brittania), traduisit Métastase, adoptant toutefois les schémas haendéliens (Artaxerxès, 1762), et appliqua à son Love in a Village (1762) la formule du pasticcio. On peut citer encore les opéras-comiques de Charles Dibdin (1745-1814), de Samuel Arnold (1740-1802), de Michael Arne et de William Shield (1748-1829), l’arrivée à Londres en 1787 de Stephen Storace, ami de Mozart, qui y fit rejouer ses oeuvres italiennes, leur adaptant un texte anglais, puis, au XIXe siècle, les opéras de H. Bishop, de culture cosmopolite, et de M. Balfe, un épigone de Rossini. Mais la fin du XVIIIe siècle fut essentiellement dominée à Londres par l’activité menée par Jean-Chrétien Bach (1735-1782), formé à Milan, mentor, puis ami de Mozart, qui écrivit peu en anglais, mais fit régner un opéra italien de grande qualité. La péninsule Ibérique. - Espagne. Dans ce pays, marqué par la présence de Domenico Scarlatti, puis du castrat Farinelli, devenu conseiller politique et fondateur de l’opéra italien, on en vint néanmoins à traduire préalablement les poèmes de Métastase (José Durán, formé à Naples, écrivit Antigono en 1760), et Ramón de la Cruz réécrivit Goldoni pour Pablo Esteve, Manuel Pla, ou Antonio Rodriguez de Hita (1704-1787) : La Buona figliuola devint La Buena hija (Esteve) et Gli Uccellatori devinrent Los Casadores, zarzuelas ou tonadillas escénicas. Hita donna, en 1763, Briseida, zarzuela heroica, et la collaboration de Cruz et Hita produisit encore Las Segadores de Vallecas (1768), tiré de la légende de Ruth, une zarzuela burlesca, comme en 1769 Las Labradoras de Murcia, avec jotas et seguedilles, tambourins et castagnettes, consacrant aussi, comme en Italie, en un genre autonome les intermezzos espagnols, qui, dès 1758 (cf. Los Ciegos, de Luis Míson), furent intercalés dans les opéras italiens, lesquels continuaient sans peine à triompher de ces oeuvrettes, modèles des futures espagnolades de l’opéra français. Portugal. Deux noms y marquèrent principalement l’implantation de l’opéra italien, ceux de l’Italien Davide Perez (1710 ou 1711-1778 ?) et du Portugais Francisco de Almeida. Ce dernier, formé à Rome, revint donner à Lisbonne en 1733 un dramma comico, La Pazienza di Socrate, que suivirent en 1735 La Finta pazza, et, surtout, en 1739 La Spinalba, étonnante anticipation du dramma giocoso. Perez, fort de son expérience acquise à Naples et à Palerme, écrivit dès 1752 des « opérettes » portugaises, et fonda en 1755 l’Opéra de Lisbonne, aussitôt détruit par le tremblement de terre. Parmi de bons musiciens autochtones, citons João de Sousa de Carvalho (1745-1798), qui, formé à Naples, composa en italien (L’Amore industrio, 1769) et prit la succession de Perez, alors que, à l’inverse, Marcos António da Fonseca Portugal écrivit d’abord en 1784 des oeuvres d’un comique de qualité en portugais, puis s’en alla faire carrière en Italie sous le nom de Portogallo. Les pays scandinaves. - Danemark. Ce pays avait, de longue date, accueilli les opéras français et joué les opéras baroques de Keiser. Sarti y implanta l’opéra italien de 1753 à 1775, puis le Viennois J. G. Naumann (1741-1801), élève de Martini à Bologne, écrivit en danois des opéras métastasiens. Les thèmes nationaux furent ensuite exploités par T. C. Walter (17491788), E. J. G. Hartmann (1726-1793), et F. L. A. Kunzen (1761-1817), auteur de Holger Danske (1789). Suède. L’opéra italien connut une intense activité sous Gustave III ; le Théâtre de Drottingholm ouvrit en 1754 sous la direction de F. Uttini (1723-1795), qui écrivit d’abord en italien, puis composa en suédois Thetis och Pelee (1773), sur un texte du roi (l’oncle de Frédéric II, lui aussi féru de livrets). Naumann, quittant le Danemark pour la Suède, y écrivit Cora och Alonso en 1782 pour l’inauguration de l’Opéra royal, puis Gustaf Wasa (1786), alors que des auteurs suédois commençaient à s’imposer : Stenborg (1752-1813), avec Konung Adolfs jagt (1777), puis J. M. Kraus (1756-1792), d’origine allemande, qui réalisa la synthèse des divers styles européens avec Proserpine (1781) et Aeneas i Carthago (1790, créé en 1799). L’assassinat du roi, en 1792, interrompit pour quelque temps le développement de l’opéra suédois. LE XIXE SIÈCLE. Fait culturel et social, l’opéra fut le reflet du grand mouvement d’idées, dont était issue la Révolution française. Ouvert à un public nouveau, il avait, parfois, déjà modifié ses thèmes, contribuant à l’éveil des consciences nationales. En abolissant les frontières, l’aventure napoléonienne allait faire de l’opéra italien un opéra européen, fécondant et fécondé par ces échanges. En effet, ses formules trop anciennes se sclérosaient alors que les structures instrumentales, nées du siècle de la raison, étaient en plein essor. La disparition du castrat, entraînant la mort du bel canto, art de plaisir fût-ce au sens fort du mot, downloadModeText.vue.download 729 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 723 conduira au drame romantique à forte implantation instrumentale, et le thème antique cédera définitivement au thème historique, conçu non plus comme prétexte anecdotique, mais comme fait politique, exaltant des héros d’un type nouveau. La comédie sentimentale, le drame « héroïque », ou buffa, et l’opéra-comique, tributaires de l’ère de la sensibilité, s’effaceront devant la tragédie, ou bien, perdant leur dignité musicale, céderont à une opérette nationale de qualité. Enfin, la notion d’école, qui avait jusque-là prévalu, fera place à un autre héros romantique, le compositeur, génie solitaire plus que meneur d’hommes. La France entre deux révolutions. Un certain opéra-comique d’ancien régime s’y maintiendra jusqu’à la veille de 1830. Mais les frontières se faisant moins précises entre les genres, c’est sous toutes les formes et dans tous les pays que la pièce à sauvetage, devenue libertaire et romantique, va envahir l’Europe, où on ne compte plus les Lodoïska, Léonore, Caverne, Porteur d’eau ou Raoul de Créqui. Toutefois, avant que le thème médiéval ne s’impose seul, le Consulat et l’Empire avaient suscité quelques oeuvres inspirées par la Gaule ou la Rome impériale. En France, où les Italiens s’étaient implantés avant même la Révolution, Cherubini (1760-1842) avait déjà su épouser la manière française, s’illustrant d’abord dans le genre « héroïque », puis dans le mythe : plus encore qu’Elisa (1794), Médée (1797) est romantique, par ses structures plus ouvertes, par son écriture vocale et chorale, par la justification même du geste meurtrier de l’héroïne ; avec les Abencérages (1813), Cherubini consacrait plutôt le fait historique, dans une tradition gluckiste enrichie, puis il abandonnait la scène lyrique. Auprès de lui, les meilleurs artisans de cet opéra français avaient été Étienne Méhul (1763-1817) et Jean-François Lesueur (1760-1837), grands inspirateurs de Berlioz ; le premier avec Stratonice (1792), le Jeune Henry (1797) [d’une écriture modale très prophétique], l’Irato et surtout Uthal (1806), Joseph (1807), puissants drames avec choeur et orchestre ; le second avec Ossian ou les Bardes (1804), largement déclamé, fourmillant de trouvailles instrumentales. Mais Gasparo Spontini (1774-1851) avait porté plus haut ces ambitions, offrant avec la Vestale (1807) le prototype de la tragédie lyrique : au chant, très italien, se mêlent une harmonie audacieuse et une orchestration très présente, riche et diversifiée ; ses structures totalement ouvertes, héritées de l’OEdipe à Colone de Sacchini, abolissent toute fragmentation au cours d’un acte, et sont encore autant d’éléments dont se nourriront Berlioz et Wagner. On peut tenir pour négligeable l’apport de Rodolphe Kreutzer (1766-1831) - dont la Mort d’Abel (1810) enflamma pourtant un instant Berlioz - et celui de Jadin, Gardel, Miller, Candeille, Lefebvre, Porta, Kalkbrenner et même de Steibelt, Winter et Gyrowetz. Paris sut encore attirer Paisiello (Proserpine, 1803) et Ferdinando Paër (1771-1839), qui souscrivit au style Empire (Numa Pompilio, Cleopatra, 1810) et qui prit la direction du Théâtre-Italien. Désormais consacré aux oeuvres étrangères, ce théâtre devint le pôle le plus actif de la capitale - l’Opéra semblant somnoler - au début de la Restauration jusqu’à l’arrivée de Rossini et d’Auber. L’interrègne italien. Stendhal a juste- ment baptisé ainsi cet apparent no man’s land situé entre la mort de Mozart et le retrait de Cimarosa et Paisiello, d’une part, et l’avènement de Rossini en 1810, de l’autre. Quinze années qui voient ses meilleurs musiciens quitter l’Italie. Les quelques compositeurs restés fidèles à la péninsule, réduits aux yeux des historiens au rôle de « précurseurs de Rossini », furent en outre éclipsés par une sorte de quarteron cosmopolite, Cherubini, Spontini, Paër et Mayr, qui se partagèrent, excepté Mayr, entre l’Italie, la France et l’Allemagne. Paër donna le meilleur de son talent à Vienne (Camilla, 1799), à Dresde, où sa Leonora (1804) apparaît comme un trait d’union entre Mozart et Beethoven, et revint créer Agnese di FitzHenry en 1809 à Parme ; son Maître de chapelle (Paris, 1821) n’ajouta plus rien à son talent. En revanche, c’est l’Italie qui retint le Bavarois Mayr (1763-1845), qui y surclassa tous ses rivaux. Pédagogue, musicologue, découvreur de talents (il révéla le poète Romani en 1813), il reprit à son compte les apports de Traetta et de Salieri dans une langue qui évoquait Mozart et Beethoven, et il esquissa certaines formules auxquelles Rossini appliquera son génie : l’ouverture de forme sonate, le récitatif accompagné vocalisé, l’imbrication du récit et de l’aria, etc. Moins fait pour le semiseria que pour le drame, Mayr révéla son talent avec des sujets de type médiéval (Ginevra di Scozia, 1801 ; Adelasia ed Aleramo, 1806 ; La Rosa rossa e la Rosa bianca, 1813), et son nom reste attaché à sa Medea in Corinto (Naples, 1813), qui éclipsa longtemps l’opéra de Cherubini. C’est seulement dans l’ombre de Mayr que survivent aujourd’hui les noms des très prolixes Tritto (1733-1824), pédagogue renommé à Naples, Trento (17611833), Portogallo (1762-1830), Nicolini (1762-1842), Nasolini (1768-1806 ou 1816), Farinelli (1769-1836), Orlandi (17771848), des Autrichiens Winter (17541825) et Weigl (1766-1846), que dominent toutefois quelques personnalités plus accusées : Guglielmi junior (1763 ?-1817), Giuseppe Mosca (1772-1839) et son frère Luigi (1775-1824), Valentino Fioravanti (1764-1837). C’est un rôle important, mais plutôt négatif que joua Nicola Zingarelli (1752-1837), qui eut la haute main sur l’enseignement à Naples, entendant faire respecter les principes d’avant 1760 : estimant que « Mozart aurait pu bien faire s’il avait persévéré dans l’étude », il se dressa plus tard contre les innovations de Rossini. On décèle déjà certaines de ces innovations chez Stefano Pavesi (1779-1850), dont l’écriture vocale est plus humaine, plus moderne ; chez Carlo Coccia (17821873) et Pietro Generali (1783-1832), qui revendiquèrent puérilement « l’invention » du crescendo, ce qui ne doit pas masquer leur talent réel ; et chez Francesco Morlacchi (1784-1841), qui eut la sagesse d’abandonner la place et s’en alla mettre sa veine assez riche au service de l’Opéra italien de Dresde. Enfin, Nicola Manfroce (1791-1813), disparu prématurément, avait démontré dans Ecuba (1812) un génie comparable à celui de Rossini sur le plan de l’écriture vocale et orchestrale. La place de Rossini. Jamais aucun créateur n’aura pesé autant sur l’évolution de l’opéra. Il en reçoit l’héritage des mains de Cimarosa, et, en moins de vingt années, l’amène aux portes du drame historique romantique. Or, la critique romantique tardive n’a trop longtemps vu en lui qu’un excellent auteur d’opere buffe, sans prendre garde qu’il se détourna à moins de vingtcinq ans d’un genre qui ne représente que moins du quart de son oeuvre. Pur Italien, formé à la dure discipline instrumentale, il écouta, à la différence de ses compatriotes, la leçon venue du Nord et se nourrit de Haydn et de Beethoven, mais surtout de Mozart, alors réputé injouable en Italie. Il fit siennes les meilleures trouvailles de ses « prédécesseurs », les incorporant en un tout cohérent, mais il fut accusé, en son temps, d’écrire une musique trop audacieuse, trop bruyante, et de sacrifier le chant à l’instrument. Fidèle à la pensée de Winckelmann sur la virginité de l’art, il affirma que « la musique ne peut rien exprimer d’autre qu’elle-même », et fut, pour cela, rejeté par les romantiques qu’il avait pourtant annoncés, et seulement réhabilité à l’époque de Stravinski (cf. dans la Poétique musicale). Comme Mozart, Rossini donna des solutions musicales aux problèmes soulevés par le livret, refusa une union du verbe et du son fondée sur le mot à mot, et, réaffirmant la vieille théorie des affetti (l’aria exprimant un sentiment, dont seul le texte suggère la signification), il put, l’un des derniers après Bach, Haendel, Gluck ou Mozart, transposer une même phrase musicale d’une situation à une autre, qu’elle fût comique ou sérieuse. Témoin de son époque, Rossini avalise dès 1810 la mort du vieil opera buffa. Dans cette forme, il donne désormais la thématique à l’orchestre qu’il traite avec humour et tendresse, reléguant le chant des persondownloadModeText.vue.download 730 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 724 nages buffo à une sorte de parlando rythmique, et il donne au couple amoureux une effusion purement lyrique, détachée de tout contexte comique. En 1813, l’Italienne à Alger conclut en feu d’artifice l’histoire de l’opera buffa et la vis comica de l’auteur s’abritera désormais derrière la satire (le Turc en Italie), ou la comédie sentimentale (le Barbier de Séville, Cendrillon), où les caractères comiques et pathétiques sont nettement définis. Dès 1813, aussi, avec Tancrède, d’après Voltaire, il avait confirmé son désir d’émanciper le dramma seria : il en enrichira progressivement l’harmonie (Otello, 1816), élargira considérablement son orchestre (Ermione), ses choeurs (Mosè), et assouplira l’ancien schéma mozartien (récit-aria-cabaletta) par de fréquentes imbrications entre les divers types de récit (récit simple ou largement vocalisé, secco ou dialogué avec l’orchestre), le choeur, et l’aria dont il rajeunit aussi la formule du da capo, dans une rigoureuse unité musicale, tonale et souvent thématique. De même, Rossini juxtapose des structures fermées, mais très variées, et de vastes architectures « ouvertes » dans lesquelles il insère parfois de brefs arias ou duos (ainsi que de fréquents ensembles a capella) exprimant l’affetto. Alors que Mozart avait insufflé une grandeur tragique à la formule du buffa, c’est au seria que Rossini donne toute la richesse et la liberté des structures de l’opera buffa, avec ses ensembles et finales concertants, audace qui eût été impensable dix ans plus tôt. Agissant également sur le matériau, il utilise une instrumentation souvent insolite et redistribue les emplois, dans un chant où l’expression ne néglige pas une très riche ornementation qu’il fixe en grande partie lui-même ou qu’il modifie pour mieux l’assortir aux qualités de ses interprètes successifs. Embrassant tous les types de sujet - antique, médiéval, religieux, historique, fantastique, shakespea- rien et même romantique (La Donna del Lago, d’après W. Scott), Rossini demeure indifférent au vers, mais s’attache à la construction du livret : l’opéra devient un drame en 2 actes, dont l’action atteint son maximum de complexité dans le finale du premier acte, qui rassemble tous les participants, puis se dénoue en laissant la conclusion (où, plus d’une fois, il essaya d’imposer à un public réticent la fin tragique nécessaire), soit à l’héroïne, soit même à l’orchestre seul. Fixé en France en 1825, Rossini s’adapta au genre glucko-spontinien, puis instaura, avec Guillaume Tell (1829), d’après Schiller, un nouveau type d’opéra français, drame politique, romantique, orchestral et choral plus que virtuose, peu adapté à sa nature profonde, mais dont la formule allait, avec plus ou moins de bonheur, être reprise par plusieurs générations. Enfin, ayant agi sur le chant avec la même détermination que Beethoven sur la technique du piano, il avait, au contraire de Gluck, Wagner et Debussy, dont les a priori ne convinrent qu’à eux-mêmes, posé les bases d’un langage et de structures parfaitement viables, mais dont la leçon allait être balayée par le vent de la grande tourmente romantique. Naissance de l’opéra allemand. Le vieux rêve de Mozart s’était réalisé après sa mort, avec le succès de sa Flûte enchantée, succès qui découragea toute imitation, à l’heure précisément où les souverains, effrayés par la Révolution française, soutenaient plus que jamais un opéra hédonistique, et alors que les plus grands compositeurs allemands accordaient tous leurs soins aux formes instrumentales et au lied. Wranitzky, Weigl et Winter plièrent donc le singspiel à la colorature belcantiste, ainsi que Beethoven dans sa malheureuse version initiale de Fidelio (1805), opéra dont il fit en 1814 un autre chefd’oeuvre, l’ayant profondément remanié, mais où, tirant l’anecdote vers le mythe, il n’imposa pas pour autant de formule nouvelle. C’est également au singspiel que souscrivirent Weber (1786-1826) dans ses premières années, ainsi que Schubert : ses 12 opéras écrits de 1813 à 1823 demeurent étrangers à l’esprit du Sturm und Drang, dont ses lieder furent à la fois la plus haute expression et l’idée dont devait surgir le drame wagnérien. Meyerbeer (1791-1864), élève comme eux de Salieri, abandonna vite la langue allemande (la Fille de Jephté, et Abimelech, 1813) pour l’opéra italien ; on ne trouve ni romantisme ni nationalisme chez E. T. A. Hoffmann, qui mit en musique, non ses propres Contes, mais Goethe (Scherz, List und Rache, 18011802, perdu) et surtout La Motte Fouqué (Undine, 1816), non plus que chez le violoniste Ludwig Spohr (1784-1859), qui demeura un classique dans der Zweikampf mit der Geliebten (1811), Faust (1816), et même dans Jessonda (1823), un drame de plus larges proportions. En revanche, avec son Freischütz (1821), Weber avait mieux saisi l’essence d’un véritable « folklore » spirituel national, grâce aux choeurs et danses populaires, aux couplets de singspiel qui s’y mêlent à l’aria tripartite à coloratures et au « diabolisme » facile de quelques scènes, tandis qu’il peut justifier son sous-titre d’opéra romantique par l’utilisation parfaitement inouïe de l’orchestre, dans la scène magique de la Gorge aux loups. Son Euryanthe (1823) apprivoisa à la langue allemande un type de grand opéra de forte implantation francoitalienne, et Oberon (écrit primitivement en anglais) offrit, en 1826, un excellent retour à un singspiel mêlé de féerie, où la colorature voisinait au mieux avec un orchestre aux fins descriptives étonnantes. C’est d’un singspiel beaucoup plus simple que se réclament les opéras d’extrême jeunesse de Mendelssohn (1809-1847), avant l’apparition de cet « opéra-biedermeyer », sorte de singspiel colossal et bourgeois qu’illustrèrent K. Kreutzer, Lortzing et Flotow (v. infra). Une étape décisive vers le véritable opéra romantique fut franchie par Spontini, qui, fixé à Berlin, puisa dans le fonds nationaliste avec Agnes von Hohenstaufen (1829 et 1837), et atteignit, par l’épaisseur et la durée de l’oeuvre, à la dimension du « grand opéra », puis par Heinrich Marschner (1795-1861), qui allia le populaire à l’historique dans Henri IV et d’Aubigné, d’après Kleist (1820), dans le Templier et la Juive (1829), dans Hans Heiling (1833), et qui approcha le fantastique dans son chef-d’oeuvre, le Vampire (1828), autre trait d’union entre Weber et Wagner. LES GÉNÉRATIONS DE 1830. De 1825 à 1829, Boieldieu avait posé la plume, Weber, Beethoven et Schubert disparaissaient, et Rossini se retirait l’année même où, à Londres, un castrat parut encore sur scène. En 1830 Paris assiste soudain à la bataille d’Hernani, à la révolution de Juillet, et à la création de la Symphonie fantastique d’Hector Berlioz. La littérature russe naît, réaliste avant l’heure, les nationalismes s’embrasent, et le piano moderne transpose les fureurs orchestrales de Berlioz, tandis que Duprez lance son « ut de poitrine », que le violon de Paganini acquiert une dimension de fantastique, et que la danse sur pointes suggère, au théâtre, un nouvel irréel. On conteste dès lors aux chanteurs une virtuosité « gratuite » qu’on acclame sans réserve chez pianistes et violonistes. Une génération s’éveille dans un monde nouveau, et Chopin, Schumann et Liszt, qui s’apprêtent à bouleverser les lois de l’écriture, ont juste vingt ans, comme, à peu d’années près, Berlioz, Bellini, puis Verdi, Wagner et Dargomyjski, nés en 1813, ainsi que Kierkegaard, Büchner et Claude Bernard. L’esthétique du spectaculaire s’impose à nouveau en France, et, à Paris en 1831, c’est sa mise en scène qui assure le triomphe de Robert le Diable de Meyerbeer - plus diabolique que fantastique alors que l’ancien rapport entre le chant et l’orchestre tend à s’inverser, les émules de Duprez devant, en outre, compter avec un nombre croissant d’instruments. Avec son éthique, l’esthétique de l’opéra se modifie, dans la conception de ses structures (où l’acte continu se substitue peu à peu à la formule du pezzo chiuso) ; dans son langage où la théorie des affetti s’effacera peu à peu devant une illustration musicale de l’action épousant le mot à mot du texte ; enfin, dans son genre même qui impose de nouvelles lois au livret. Alors que l’Europe entière achève de découvrir Shakespeare, les romantismes downloadModeText.vue.download 731 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 725 les plus divers s’entrechoquent : Scott et Byron, Schiller et Goethe - pour qui la Grèce n’est plus celle de Winckelmann, mais celle de la révolte de l’Homme contre les dieux et la nature -, Lamartine et Leopardi, Hugo enfin, plus accessible à la masse, qui crée l’image du héros romantique, damné de la terre, banni et proscrit par une société injuste ; au lieto fine métastasien succédera la mort violente ou cathartique du héros pur ou de l’héroïne virginale. Le thème historique sera définitivement engagé dans une historicité de type hégélien, et la déraison - ou, à un niveau plus élevé, la négation schopenhauerienne du vouloir-vivre - imposera à ces thèmes nouveaux une langue nouvelle, où le mot sera sonorité autant que véhicule d’idée. Au néoclassicisme sublimé du poète Romani succédera la langue échevelée du livret de cape et d’épée de Cammarano, et aux grâces de Pixérécourt l’octosyllabe héroïque et ampoulé de Scribe, cependant que Wagner rédigera lui-même des poèmes d’opéra d’une langue hermétique, où le verbe est incantation plus que facteur d’action. Enfin naîtra la notion de répertoire : Mozart, Gluck et Rossini ne quitteront plus l’affiche, et, en 1832, Fétis fait jouer l’Orfeo de Monteverdi, première en date de toutes les « exhumations » à venir ; et cet aspect d’un conservatisme louable tendra à éloigner peu à peu certains publics du créateur, lui aussi héros et titan : en 1835, on compte encore plus de 100 créations lyriques, mais, en 1860, ce chiffre tombera à moins de 30. Dans cette époque aux nationalismes exacerbés, chaque pays devait apporter sa ou ses solutions propres. L’Italie aux temps romantiques. Malgré tout leur talent, on peut tenir pour nul le rôle joué par les épigones de Rossini : Carafa (1787-1872), qui vécut dans son ombre, Michele Costa (1808-1884), fixé en Angleterre, l’excellent Carlo Coccia (1782-1873), déjà nommé, qui chercha à se renouveler, et même Nicola Vaccai (1790-1848), dont la Giulietta e Romeo (1825) rivalisa longtemps avec les Capuleti e Montecchi de Bellini. Plus original, un autre intime de Rossini, Giovanni Pacini (1796-1867), usa d’un langage assez neuf, mais s’en tint à des thèmes passés de mode (la Vestale, 1823 ; Saffo, 1840 ; Médée, 1843), tandis que Saverio Mercadante (1795-1870) marquait d’une personnalité plus forte ses sujets, mieux adaptés aux temps nouveaux : Il Giuramento (1837), d’après Hugo, Il Bravo (1839), qui exploite le thème du proscrit, Il Reggente (1843) annoncent plus nettement Verdi que les oeuvres d’un romantisme plus aristocratique de Bellini (1801-1835) et de Donizetti (1797-1848). Ces deux musiciens avaient, avant même 1830, compris quel langage il fallait désormais prêter à ces héros poursuivis par une inexorable fatalité : Bellini, disparu en 1835 sans avoir donné sa pleine mesure, sut réaliser un équilibre idéal entre le monde de la poésie désespérée de Leopardi et l’univers sonore de Chopin. Romantique de vocation, original dès la première note, il opta naturellement pour l’architecture continue de l’acte et chercha un type de chant incantatoire (Norma et Sonnambula, en 1831), incantation renforcée par l’usage du leitmotiv et dont l’entière liberté rythmique rappelait l’antique sprezzatura de Caccini et de Monteverdi, et qui influença Chopin. Décantant avec grand soin son harmonie, Bellini confia à ce chant, plus tendu vers l’aigu que celui de Rossini, l’essentiel du message affectif. Et cette osmose entre le vocal et le contenu dramatique lui permit de tracer des portraits terriblement humanisés de ses héroïnes languides ou vengeresses, de ses héros, consumés, comme lui, par le mal du siècle, témoins ceux des Puritains (1835), un chef-d’oeuvre « lunaire » avec scène de déraison, malheureusement compromis par un banal dénouement heureux. Excepté ce dernier cas, Bellini avait marié son chant au vers noble du poète Felice Romani (1788-1865), lié à l’esthétique néoclassique italienne. Mais, cette même année 1835, Donizetti, qui avait, jusque-là, collaboré avec lui, se détourna de cette théorie du sublime, et, en écrivant Lucia di Lammermoor, d’après Walter Scott, souscrivait à l’esthétique du nouveau livret, dont Cammarano (1801-1852) donnait là l’archétype absolu, avec le « rêve clef », avec amours impossibles, scènes de folie et morts violentes. Il avait longtemps subi l’influence de Rossini, jusque dans l’Élixir d’amour (1832), dernier chef-d’oeuvre du semiseria, et souvent démarqué Bellini, comme dans Anna Bolena (1830) ; ayant dégagé une personnalité plus marquée avec Lucrèce Borgia, d’après Hugo (1833), il réussit à assurer ce difficile équilibre entre l’ancien bel canto et un type de chant plus immédiat, délimitant mieux les caractères, instituant une sorte de manichéisme élémentaire des schémas vocaux dans cet antagonisme entre un ténor, incarnation du bien, et un baryton « vilain « ; antagonisme auquel souscrira l’opéra européen du XIXe siècle. Mais, à l’heure ou Donizetti tentait avec Don Pasquale (1843) l’impossible résurrection du vieil opera buffa, il appartenait déjà à la puissante personnalité de Verdi d’opposer, en plein Risorgimento, une violence toute plébéienne à l’art aristocratique de ses prédécesseurs. Éclipsant sans peine les Rastrelli, Marliani, Gordigiani, Lauro Rossi, Persiani, Coppola, Saldari, Nini, Speranza, Buzzi, Cagnoni, Foroni, Raimondi, etc., pourvoyeurs habituels des scènes italiennes, Verdi s’attache plus aux « situations fortes » qu’à la qualité du vers, traite la voix sans ménagement, truffe ses drames historiques d’allusions à peine voilées à la lutte contre l’Autriche (Nabucco, 1842 ; Attila, 1846), se réclame de Hugo (Ernani, Rigoletto), de Schiller (I Masnadieri, Luisa Miller, plus tard Don Carlos en 1867), et, dès 1847, de Shakespeare (Macbeth). Moins soucieux de structures que d’efficacité, il se contente d’enchaîner habilement les scènes et les airs, mais asservit la forme à chaque situation particulière. À partir de 1850, il délaisse le politique pour le social, ou l’humain (Rigoletto en 1851, Traviata en 1853), et s’attache à de nouveaux thèmes, ceux de l’amitié ou de la solitude du pouvoir, notamment avec Simon Boccanegra, Un bal masqué (1859), puis Don Carlos, 3 opéras qui témoignent aussi de recherches nouvelles sur le plan de l’écriture, et contiennent de grands ensembles vocaux d’une profonde efficacité psychologique, dans un théâtre où le chant n’est plus la raison d’être du drame. Sentant la situation lui échapper, il triomphe aisément de ses jeunes rivaux avec Aida (1871), où la trame fait la place belle au spectaculaire et au chant, puis, presque octogénaire, il renouera avec Shakespeare, à l’aide des livrets plus élaborés mais moins fonctionnels de Boito, ce transfuge de la jeune scapigliatura : Otello (1887), un drame lyrique, et Falstaff (1893), une comédie ironique, ne seront plus que des chefs-d’oeuvre hautainement solitaires, inscrits hors des aspirations des classes nouvelles. Cette glorieuse suprématie exercée pendant un demi-siècle avait, de ce fait, rejeté dans l’ombre le comique de qualité de Crispino e la comare (1850) de Federico et Luigi Ricci, et quelques talents plus souples qu’originaux : ceux d’Errico Petrella (1813-1877), auteur de Jone (1858) et des Promessi sposi (1869), d’après Manzoni, et de Filippo Marchetti (1831-1902), dont le triomphe de Ruy Blas (1869) demeura sans lendemain. Plus tard seulement, le véritable « après-Verdi » sera amorcé par Boito, Ponchielli et Catalani, avant l’éclosion du vérisme musical. L’Allemagne. Un divorce s’accentue bientôt entre un art moribond entretenu dans les cours, et celui, trop difficile, de Wagner. La parenté avec l’opéra-comique français est indéniable chez Konradin Kreutzer (1780-1849), auteur du Veilleur de nuit de Grenade (1834), une solide « opérette » bourgeoise, et chez Friedrich von Flotow (1812-1883), qui, formé à Paris, s’essaie à l’opéra romantique (Alessandro Stradella, 1844) et assure son succès dans le monde entier avec l’aimable et habile Martha (1847) ; l’influence de Mendelssohn est notable, d’autre part, chez Albert Lortzing (1801-1851), auteur fécond et inspiré de Tzar et Charpentier (1837), l’Armurier, et de Undine (1845), où il aborde le fantastique, et plus encore chez Otto Nicolaï (1810-1849), auteur des downloadModeText.vue.download 732 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 726 brillantes Joyeuses Commères de Windsor (1849). Après 1850, c’est l’influence de Liszt et de Wagner qui se fera aussi sentir chez Peter Cornelius (1824-1874), dont le Barbier de Bagdad (1858) fit scandale à sa création, puis celle de Brahms chez Max Bruch. Pourtant, auprès de ces professionnels de l’opéra-biedermeyer, on ne peut que mentionner l’effort isolé de Schumann. Sa Genoveva (1850) manque d’une rigueur dramatique qui fût à la hauteur de son inspiration musicale ; elle se situe plutôt dans la lignée de ses opéras de concert tels que Faust, ou le Paradis et la Peri, chefsd’oeuvre appartenant plus à la musique « pure ». Wagner (1813-1883), lui, possédait à fond ce professionnalisme : aussitôt joué, adulé ou haï, il rédige ses propres livrets, dès ses opéras de jeunesse inspirés par Auber, Weber, Spontini, puis Meyerbeer. Malgré le triomphe de Rienzi (1842) écrit dans le style de ce dernier, il renonce, comme Mozart après Idoménée, au succès facile, fondé sur des structures périmées, et préfère suivre une voie différente en donnant, par son oeuvre, une réponse aux problèmes métaphysiques de l’heure. Dès 1843, le Vaisseau fantôme refuse toute concession à l’anecdote et fait du surna- turel la substance même d’un langage où l’orchestre est le protagoniste absolu, ne concédant aux chanteurs - symboles plus que personnages d’opéra - que des airs et ariosos parfaitement intégrés à la continuité du discours musical, dont le leitmotiv est à la fois la clef et un signal incantatoire. En outre, comme Mozart, Wagner se présente sous les traits du héros - ici, le Hollandais en quête de rédemption - portant à la dimension du mythe l’héritage de la vieille pièce à sauvetage. Mesurant l’échec de conceptions aussi hardies, Wagner plaquera ce surnaturel sur un fonds historique (et nationaliste) dans Tannhäuser (1845) et Lohengrin (créé en 1850), retournant au découpage en airs, scènes et cortèges, et laissant ainsi l’auditeur mieux satisfait et libre de s’intéresser ou non au message rédempteur. Et c’est parce qu’il n’en escompte même pas la représentation scénique qu’il peut se livrer à la pure spéculation philosophique de Tristan et Isolde (créé en 1865), dont le thème même (l’essence profonde de l’amour, plus que la contingence sociale, le rend irréalisable) engendre un langage particulier aux modulations infinies, au discours sans solution de continuité, où le leitmotiv est plus explicite que le mot, simple prétexte à une effusion lyrique incantatoire, une solution quasi idéale au problème de l’androgynie originelle du verbe et du son. Wagner, qui n’avait pas cherché à créer un système, mais avait usé du seul langage qui convînt ici, retrouve néanmoins quelquesuns de ces postulats en composant les 4 longs drames qui constituent l’Anneau du Nibelung (1849-1874, créé en 1876), épopée et critique sociale, où la mythologie, redevenue mythe, ne sert que de toile de fond à une remise en question de l’humanité, sauvée de la volonté de puissance par le geste rédempteur de « l’héroïne ». En outre, Wotan, le dieu des dieux, c’est encore Wagner lui-même, qui, en se peignant sous les traits d’un « voyageur », souligne par là cette affinité profonde avec Schubert, dont le lied, par ses thèmes mais aussi par sa technique, avait été la source véritable de son inspiration. Le piano, qui, avec Schubert, était acteur et témoin du drame, est ici porté à la dimension d’un orchestre multiforme, reflet du cosmos, pour cela écartelé de l’extrême grave à l’extrême aigu, et fonction incantatoire permanente. Reprenant instinctivement les options de Rameau, Wagner insère dans ce discours apparemment continu de véritables monologues d’action ou de réflexion, mêle récit et aria dans la formule presque unique de l’arioso, mais, par ailleurs, se prive des ensembles vocaux, raison d’être de l’opéra, à moins de n’en faire que des éléments du « décor » orchestral (cf. les Filles du Rhin). Sa colossale comédie pangermaniste les Maîtres chanteurs, puis l’ultime message de Parsifal (1882) n’apportaient désormais plus de renouvellement au langage de l’opéra, qui avait déjà pris d’autres directions. Mais, au-delà d’un possible « système », maintes fois dénoncé et maladroitement imité par des cohortes de médiocres, l’oeuvre demeure davantage par sa remise en question de l’éthique même de l’opéra, et plus encore par l’originalité du langage musical, qui, sur le plan de l’écriture, avait définitivement rendu caduc tout retour au passé. La France. Réservé à l’aristocratie et à la grande bourgeoisie, l’opéra ne peut alors s’y prêter à la revendication politique, viser au sacral, ni appeler au même consensus populaire que Verdi et Wagner. En outre, le Français, méfiant envers la fiction opéristique, fermé au surnaturel et peu soucieux d’exploiter son propre fonds merveilleux, ne désire ni surhomme, ni héros, mais un théâtre accessible, où Faust soit un homme de 1859. Le Paris de 1830, s’il attire les artistes du monde entier, n’est plus un foyer de création, mais un gigantesque lieu de consommation, où l’on célèbre le grand opéra, l’opéracomique, l’opéra bouffe, l’opéra italien, l’opérette, la musique symphonique et la musique de chambre, chacun en un lieu bien précis, et pour des publics réservés, quasi incompatibles - une situation presque inchangée de nos jours. Et c’est pourquoi les meilleurs musiciens du règne de Louis-Philippe ne tentèrent pas l’aventure lyrique - Boëly et Alkan -, s’y frottèrent à peine, ou en vain, comme Onslow et Berlioz. Le clivage de principe se poursuivra jusqu’à l’absurde entre opéra et opéra-comique, lorsque cette dernière forme aura renoncé aux dialogues parlés et repris à son compte la véritable tragédie humaine. Plus tard, comme Carmen (1875), c’est à son public et non à celui, hautainement traditionnel, de l’Opéra que seront offerts Werther puis Pelléas et Mélisande. Car, avec sa formule, l’opéra-comique avait servi les audaces des encyclopédistes, celles de Méhul et de Cherubini ; plus tard, de véritables novateurs comme Gounod et Bizet s’en accommoderont, et, plus encore, Offenbach dont l’oeuvre parodique, mais d’une exceptionnelle qualité théâtrale et musicale, triomphera sans peine des productions rétrogrades de l’opéra officiel. Le vieil individualisme français condamnera aussi bientôt la spécialisation du compositeur, telle qu’elle avait été pratiquée de tout temps. Sans lien d’école, l’opéra français sera alors défendu soit par quelques fidèles au talent trop modeste, soit par les plus grands compositeurs, mais qui ne lui accorderont qu’une parcelle de leur talent, sans se pencher sur ses problèmes spécifiques. Aussi bien le panorama qui suit ne peut-il que tenter d’ordonner quelques tendances, sans s’attarder sur la personnalité de chaque auteur. L’OPÉRA-COMIQUE. Le meilleur des successeurs de Boieldieu, Louis Ferdinand Hérold (1791-1833), admiré par Schubert, disparaît jeune à l’aube du règne de Louis-Philippe ; la place sera dominée pendant un demi-siècle par D. F. E. Auber (1782-1871), qui, après le succès du Maçon (1825), tenta de se démarquer de l’influence italienne, notamment avec Fra Diavolo (1830) ; collaborateur attitré de Scribe, il sut soigner son écriture vocale, approfondit les structures de ses opéras-comiques (que rien ne distingue de ses opéras), mais demeura indifférent à toute évolution de l’harmonie. Adolphe Adam (1803-1856) fut plus sensible à un discret romantisme, de même que le très traditionnel Ambroise Thomas (18111896), successeur d’Auber à la direction du Conservatoire en 1871, et, qui, malgré sa prolixité, attendit longtemps le succès que lui apportèrent le Caïd (1849) et surtout l’anachronique Mignon (1866). Et, s’il faut mentionner le talent original d’Hippolyte Monpou (1804-1841), les oeuvres françaises de l’Anglais Balfe, de l’Allemand Flotow et de l’Italien Donizetti (la Fille du régiment, 1840), on peut dire que la pauvreté musicale de leurs rivaux et successeurs explique qu’une opérette de qualité, l’opéra bouffe d’Offenbach, et les oeuvres plus audacieuses qu’accueillera Carvalho sur la scène du Théâtre-Lyrique aient pris le relais d’un genre moribond qu’entretinrent A. L. Clapisson (18081866), Albert Grisar (1808-1869), François Bazin (1816-1878), Louis Aimé Maillart downloadModeText.vue.download 733 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 727 (1817-1871), Victor Massé (1822-1884), Ferdinand Poise (1828-1892), Fr. A. Gevaert (1828-1908) jusqu’à Benjamin Godard (1849-1895), qui, à la veille de l’éclosion naturaliste, pouvait encore écrire un Jocelyn (1888), dont la musique semble se référer à l’époque du poème de Lamartine. L’OPÉRA. En raison de leur trop faible audience, les chefs-d’oeuvre de Berlioz (1803-1869) demeurèrent en marge de toute évolution : c’est essentiellement sa difficulté d’exécution qui fit échouer Benvenuto Cellini (1838), qui sublimait sans peine le genre, et c’est au public de concert que le musicien préféra offrir sa Damnation de Faust (1846), seule authentique expression du romantisme musical français, dont les maladresses de l’écriture vocale comptent moins que la richesse de l’orchestration et du poème, dû également à Berlioz. Les Troyens (composés en 1856-1858) - qui ne furent même pas joués alors intégralement, malgré un lyrisme bouleversant ne constituaient plus qu’un hommage superbe au néoclassicisme de type gluckospontinien, en dehors des courants nouveaux. Quant au « grand opéra », il apparaît surtout comme un domaine réservé au spectaculaire, à la danse, et aux livrets d’Eugène Scribe (1791-1861), dramaturge habile à brosser de grands tableaux et des situations fortes à l’aide d’alexandrins et d’octosyllabes sonnant admirablement, malgré leur syntaxe souvent défectueuse : on a surnommé « opéra Franconi » (du nom du fameux directeur de cirque) ce genre pompeux, pour lequel les Auber et Adam n’avaient guère les épaules assez larges, mais auquel satisfirent les productions de Meyerbeer, savamment écrites pour la voix, bien orchestrées : élagués d’inutiles effets extérieurs, les Huguenots (1836) et le Prophète (1849) sont beaucoup mieux que des témoignages d’époque, cependant que l’Africaine (1865, posth.) démontrait une grande capacité de renouvellement. Meilleur musicien, J. F. Halévy (1799- 1862), le maître de Bizet, laissa, avec la Juive (1835), le chef-d’oeuvre de ce genre auquel souscrivirent encore Donizetti (la Favorite, 1840 ; Dom Sebastien de Portugal, 1843, etc.) et Verdi (les Vêpres siciliennes, 1855), mais aussi Louis Niedermeyer (1802-1861) et Félicien David (1810-1876), égarés dans un monde peu accordé à leur nature sensible, et plus tard Gounod, Saint-Saëns et Massenet, qui ne livreront pas là non plus le meilleur d’euxmêmes. La formule survécut davantage avec A. Thomas, dont Hamlet (1868) offre un effort de renouvellement, puis avec les obscurs Auguste Mermet (1810-1889), auteur de Roland à Roncevaux (1864) et Labarre, Duprato, Joncières, Eugène Diaz, Paladilhe (Patrie, 1887), mais surtout avec Ernest Reyer (1823-1909), qui, dans Sigurd et Salammbô, sut encore, au-delà de 1870, combiner avec talent l’héritage de Berlioz et de Meyerbeer. LE RENOUVEAU ET L’OPÉRA LYRIQUE. Léon Carvalho, après avoir ouvert la salle du Théâtre-Lyrique aux chefs-d’oeuvre étrangers du passé, sut y accueillir David et Berlioz, puis Saint-Saëns, Delibes, Bizet (v. infra), mais surtout Charles Gounod (1818-1893). Ayant su écouter la leçon venue d’Allemagne, cet authentique musicien avait dérouté les spectateurs de l’Opéra (Sapho, 1851), mais révéla sur cette scène une veine intime plus heureuse avec le Médecin malgré lui, Faust (1859, écrit avec dialogues parlés, et sans ballet), Mireille (1864) et Roméo et Juliette (1867), ouvrages dont le chant tout en demi-teintes, allié au type de livret « petitbourgeois », délimitait parfaitement un opéra lyrique de demi-caractère, authentiquement français, justement exalté par Debussy, et dont, après 1870, Massenet offrira une image rassurante. L’ÉVEIL DES NATIONALISMES. En Italie, en Allemagne et même en France, l’opéra fut, à sa manière, « national ». Mais les nationalismes qui s’éveillèrent ailleurs, liés à l’émancipation de nouvelles ethnies, devaient naturellement être édifiés sur un folklore épique ou musical, limitant ainsi une expérience à laquelle seule la Russie saura donner une portée universelle. L’Espagne. La tonadilla avait survécu avec Laserna, Moral et Manuel García (l’interprète de Rossini), plus tard avec F. Sors, et Gomis, cependant que J. C. de Arriaga, mort à vingt ans, donnait à Bilbao en 1820 des Esclavos felices, qui évoquaient plutôt Schubert. Dès 1830, le vieux processus du XVIIIe siècle se reproduisit : on traduisit les opéras italiens, puis des Italiens vinrent écrire en espagnol, alors que, au contraire, Tomas Genovès (18061861) donnait el Rapto (1832), puis se fixait en Italie. Les poèmes de Métastase, traduits, furent mis en « zarzuelas » par Baltasar Saldoni (1807-1889), Ramón Carnicer (1789-1855) et Don Hilarion Eslava y Elizondo (1807-1878), auteur de las Treguas de Ptolemeida (1842). Ce genre composite se perpétuera avec Francisco Gomès, Ignacio Ovejero, puis Cuyas, Rovira, Gironella, Grassi, Sariols, et Joaquin Espin Guillén (Padilla o el asedio de Medina, 1845), lorsqu’en 1856 s’ouvrit à Madrid le Teatro de la zarzuela, réservé au théâtre espagnol authentique, comique ou sérieux. À l’origine, la zarzuela grande était en fait un opéra en 3 actes, plus proche de celui d’Auber ou de Donizetti que de l’ancienne tonadilla, comme en témoigne Jugar con fuego (1851) de Francisco Asenjo, dit Barbieri (1823-1894). De même, Emilio Arrieta (1823-1894) obtint plus de succès en transformant sa Marina en grand opéra (1871) - ce que Gounod venait de réaliser avec Faust -, dont le style évoquait plus Verdi que celui des véritables auteurs nationaux. C’est dans la zarzuela authentique qu’excella un Joaquin Gaztambide (1822-1870), auquel succédèrent les auteurs de zarzuelas pequeñas Ruperto, Chapi, Giménez, et Tomas Breton (1850-1923). Ce dernier écrira même un opéra de trempe vériste (la Dolorès, 1895), au moment où Albéniz, Granados et De Falla s’essayent au contraire à la zarzuela populaire avant d’élargir leurs horizons. Face à la toute-puissance de l’opéra italien, il faudra longtemps pour imposer un véritable opéra national. Felipe Pedrell (1841-1922), qui fut avec Asenjo-Barbieri le père de la musicologie espagnole, écrivit en catalan le Dernier Abencérage (1874) et les Pyrénées (1902), qu’on créa à Barcelone... en italien. La Pologne. Des vaudevilles y avaient paru dès le XVIIIe siècle, mais la Misère rendue heureuse (1778) de Kamiensky (1734-1821), le Miracle supposé (1794) de Jan Stefani, les oeuvres de Jan Holland, puis de Josef Elsner (1769-1854), le maître de Chopin, se référaient plus au style galant de Mannheim qu’au fonds national. Celui-ci se dégagera grâce à Stanislas Moniuszko (1819-1872), qui fit de Halka (1847) la première oeuvre autochtone véritable, puis utilisa largement le choeur dans Hrabina (1860) et dans Straszny Dwor (1865), sans toutefois faire école. La Hongrie. Il est aisé de comprendre qu’un opéra magyar ne pouvait naître avant longtemps, et, encore au XIXe siècle, c’est à l’étranger que Liszt, Goldmark, Heller, Remenyi, Kalmán, Lehar, etc., recherchèrent le succès. Parmi les plus anciennes tentatives nationales on retient, en 1793, Pikko Herceg et Jutka Perzsi de Josef Chudy, puis Béla Futása (la Fuite de Béla) de Ignác Ruzitska en 1822, avant l’affirmation d’une véritable école, née avec Ferenc Erkel (1810-1893), qui donna Báthory Mária en 1840, et surtout Hunyadi Laszlo (1844) et Bánk Bán (1861). Grâce à son action, Mihaly Mosonyi (1815-1870) put renoncer à écrire en allemand, et tira de l’épopée nationale Szép Ilon (1861) et Almos (1862, créé en 1934), où il eut recours au folklore verbunkos et aux choeurs populaires. La Tchécoslovaquie. Avant que des frontières ne puissent aussi y définir une école, les musiciens originaires de Bohême avaient déployé une vaste activité autour de l’école de Mannheim : Benda, Kohut, Vorišek, Vranicky (devenu Wranitzky à Vienne), Tomašek écrivirent en allemand, ou en italien comme Myslivecek (17371781), que sut apprécier Mozart. Si les premiers essais en langue nationale remondownloadModeText.vue.download 734 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 728 taient à 1737, le chemin fut long avant la traduction en tchèque d’un opéra de cour viennois (la Famille suisse, de Weigl, en 1823) et l’ouverture de l’Opéra national, en 1826, avec Dráténík de František Škroup (1801-1862). La langue allemande y alterna longtemps avec le tchèque, et si Smetana choisit d’emblée l’épopée nationale (les Brandebourgeois en Bohême, 1866) et s’illustra dans la tragédie comme dans la comédie (la Fiancée vendue, 1866), il n’aborda guère plus les problèmes de la langue que Dvořák, dont Alfred (1870) fut écrit en allemand, et qui ne changea en rien son style dans Rousalka (1900) et Armide (1902), alors que Fibich, Foerster et déjà Janáček (v. infra) avaient virtuellement résolu la question. L’opéra russe. À la mort de Fomine, on se souciait encore peu que l’opéra fût ou non l’expression profonde de la langue, mais Boieldieu devait pourtant être, de 1803 à 1811, le dernier hôte étranger qui l’ignorât. Parmi de nombreux Italiens venus encore tenter l’aventure, Catterino Cavos (1776-1840), après avoir abordé d’une même plume l’opéra-comique français et l’opérette russe, s’inspira dès 1803 du véritable fonds merveilleux slave, avec le Prince invisible, Ilya le bogatyr, l’Oiseau de feu et même Ivan Soussanine (1815), faisant preuve d’une science que ne pouvaient posséder les Alabiev, Titov, Varlamov et autres auteurs de romances à la mode. Si l’excellent Degtiariov (17661813) réserve au genre oratorio de véritables épopées populaires, et qu’Alexis Lwov (1799-1870), auteur de l’hymne russe, continue jusqu’à sa mort à écrire en italien et en allemand, Alexis Vierstowsky (1799-1862), dans un romantisme un peu naïf, dépasse largement les données du vieux vaudeville, et pose avec son Tombeau d’Askold (1835), demeuré longtemps à l’affiche, les bases mêmes des structures de l’opéra national. C’est grâce à sa naissance aristocratique que Glinka (1804-1857) put acquérir une vaste culture cosmopolite, puis se faire ouvrir toutes les portes : sa Vie pour le Tsar (1836), qui reprend le sujet de Soussanine traité par Cavos et exalte un thème patriotique par excellence (la fondation de la dynastie des Romanov), ne s’en coule pas moins - malgré ses nombreux choeurs assez originaux - dans les moules francoitaliens, assortis d’un discret emprunt aux échelles modales slaves. Ces audaces, plus évidentes dans Rousslan et Lioudmila, d’après Pouchkine (1842), firent condamner l’oeuvre par l’aristocratie pétersbourgeoise, qui la jugea trop slave ; pourtant, Glinka qui s’était contenté d’adapter a posteriori des paroles à sa musique n’avait pas même songé aux problèmes de la phonétique. Dargomyjski (1813-1869) les résoudra magistralement avec sa Rousalka (1855) et surtout son Convive de pierre (inachevé), mis en musique sur le texte même de Pouchkine, sans l’intermédiaire d’un livret ( ! LITTERATÜR-OPER). Mais si elles épousent toutes les inflexions du langage, ces deux oeuvres se dégagent encore mal des structures fermées traditionnelles ; c’est pourtant avec un réalisme sans précédent (le réalisme étant, depuis deux siècles, l’apanage du genre comique) qu’il traduit dans sa Rousalka la folie d’un meunier, par une déclamation haletante et non plus au moyen des coloratures italiennes. Cette même « quête de vérité », Moussorgski (1839-1881) lui donna d’emblée toute sa force dans son acte unique le Mariage (1868), d’après le texte de Gogol, réalisant ainsi l’union absolue du vers et de la musique - tant chantée qu’instrumentale dans un langage absolument « inouï », où la conversation musicale n’est brisée par aucune césure et ne contient aucune aria. Le génie de l’auteur, l’un des plus étonnants précurseurs qui fût jamais, n’explique pas tout : la Russie, nation neuve, n’avait eu à surmonter ni héritage classique, ni romantisme, ce courant s’avérant lettre morte pour la nature réaliste de Moussorgski, qui fonde sa sémantique sur la rythmique de la langue, sur les modes et les accords de la vieille liturgie, procédés « barbares » qui deviendront la base des langages de Ravel, Bartók et Stravinski. Moussorgski magnifia aussitôt ses découvertes dans Boris Godounov (1869 et 1872), opéra fait de courts tableaux en structures ouvertes, riche en choeurs d’une puissante originalité, où les rares citations du folklore s’incorporent sans hiatus à la langue générale, langue sans équivalent dans toute l’Europe, et où la peinture des caractères et l’emploi du leitmotiv sont poussés beaucoup plus loin que chez Verdi et Wagner qu’il se targuait d’ignorer. Et c’est pour marquer davantage son désengagement vis-à-vis de la tradition qu’il baptise ensuite sa Khovanchtchina « drame musical populaire ». Son message demeura pourtant lettre morte (sauf pour Debussy qui en eut connaissance), ses oeuvres ayant été divulguées longtemps plus tard dans les arrangements très occidentalisés de Rimski-Korsakov (1844-1908). Ce dernier, compagnon d’armes des premières années de Moussorgski, avait d’abord conçu une puissante Pskovitaine (1873) dans un esprit assez proche de Boris, avant de retourner aux schémas traditionnels dans un merveilleux assez naïf, réussissant enfin une meilleure synthèse du langage et de la forme dans Mlada (1892), Sadko (1898), et plus encore dans Katschei l’immortel (1899) et le Coq d’or (1907), deux oeuvres qui annoncent respectivement Debussy et Stravinski et qui représentent certainement ce que l’opéra européen pouvait offrir de plus avancé sur le plan de l’écriture musicale. S’il faut aussi saluer dans le Prince Igor de Borodine une intéressante opposition entre folklores russe et oriental, mais dans un cadre dépassé, on peut oublier les opéras de César Cui, moins russe que français (cf. Angelo, d’après Hugo, 1876), cependant que l’influence allemande laissait des traces dans Doubrowsky (1895) de Napravnik (1839-1916), et même chez Anton Rubinstein (1829-1894), dont le Démon (1875) et le Marchand Kalashnikov (1880) contiennent néanmoins quelques beaux exemples de réalisme. Et, malgré sa prédilection pour Wagner, dont il traduisit et divulgua l’oeuvre, A. Serov (1820-1871) s’était parfois rapproché de l’idéal réaliste, dans Judith et Holopherne (1863) et Rogneda (1865), oeuvres demeurées en deçà de leurs ambitions. Tchaïkovski (1840-1893), enfin, sans chercher à briser les moules traditionnels, s’inspira de Gounod et de Schumann, mais n’en donna pas moins de très émouvants portraits de la bourgeoisie russe dans le slavisme authentique d’Eugene Oneguine, d’après Pouchkine (1879), où l’introspection psychologique débouche sur un lyrisme pathétique que l’on retrouve dans la Dame de pique (1890) et jusque dans l’épopée (Mazeppa, 1884). LE TOURNANT DU SIÈCLE. L’abolition du servage en Russie (1861), la fin des luttes intestines en Italie et en Allemagne, le désastre de Sedan et les conséquences de l’industrialisation avaient bouleversé l’échiquier social européen. De nouvelles classes aspiraient à un théâtre qui ne fût plus celui de l’aristocratie, avec ses opéras-fleuves, son cortège de dieux, héros casqués et empereurs moyenâgeux. Récusant le romantisme, la littérature éclatait vers les deux pôles opposés du symbolisme élitaire, d’une part, du naturalisme et du vérisme, de l’autre. Ces derniers thèmes, plus aisément accessibles à la scène lyrique que les courants symbolistes, devaient trouver un écho immédiat auprès d’un public largement populaire, mais il est intéressant de noter que, au même instant, la peinture impressionniste devait jouer un rôle d’intermédiaire en nappant d’irréel les thèmes les plus « quotidiens ». Daudet, Zola, Verga, Rodin, Monet, Cézanne ont quarante ans en 1880, comme Moussorgski et Chabrier. L’Italie. La suprématie de Verdi avait voué à l’échec tout effort de renouvellement. Comme Petrella et Marchetti (v. supra), Carlo Pedrotti (1817-1893) et Giovanni Bottesini (1821-1889) tentèrent sans illusion l’aventure, et c’est en vain que Bologne, foyer progressiste et « wagnérien », fit aux Goti (1873) de Stefano Gobatti (1852-1913) un triomphe qui resta sans lendemain. C’est avec un talent plus docile que se faufilèrent dans l’ombre du géant le Brésilien A. C. Gomèz (1836-1896), qui downloadModeText.vue.download 735 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 729 fut acclamé à Milan dès 1870, et surtout Amilcare Ponchielli (1834-1886), qui, avec un sens dramatique certain, sut dénouer les ficelles hugoliennes de Gioconda (1876) et de Marion Delorme (1885). Mais le mérite en revenait peut-être à Arrigo Boito (1842-1918), un scapigliato, librettiste et compositeur d’un Mefistofele inégal, mais fascinant (1868 et 1875), mais plus encore agitateur culturel, émule de Victor Hugo, tour à tour disciple et ennemi de Wagner, contempteur, puis collaborateur de Verdi, librettiste aussi de Ponchielli, de Faccio, et de Catalani. Alfredo Catalani (1854-1893), un trop éphémère génie écartelé entre le romantisme germanique et le renouveau naturaliste, qu’il rassembla dans le climat de violence vocale et orchestrale de la Wally (1892), s’étant montré par ailleurs capable des plus tendres inflexions belcantistes dans Loreley (1890). À sa suite, le wagnérien Antonio Smareglia (18541929) put, en pleine carrière, s’inspirer des courants nouveaux pour y inscrire ses intuitives Nozze istriane (1895) : le vérisme musical avait, en effet, éclaté en 1890 avec le triomphe réservé à Rome à Cavalleria rusticana de Pietro Mascagni (18631945), que suivit à Milan en 1892 celui de Paillasse de Leoncavallo (1857-1919). C’est qu’au lendemain du succès éli- taire de Verdi, qui, avec Otello, avait en 1887 pris congé de son ancien public, il fallait d’autres thèmes à une génération nouvelle, coupée de toute racine, amère et déçue par le virage à droite de la jeune Italie, si durement bâtie. Dépassant les objectifs de la scapigliatura milanaise, encore teintée d’un relent de romantisme (et dont devaient toutefois sortir tous les librettistes de la jeune école), Giovanni Verga, un romancier sicilien mâtiné de Daudet et de Zola, avait triomphé avec Cavalleria rusticana (un épisode de son recueil la Vie des champs, 1880) porté à la scène pour la Duse, qui, jouant sans maquillage, avait encore renforcé l’immédiateté de cette « tranche de vie » paysanne, témoin des aspirations de tout un public. Or, le transfert de ce sujet sur une scène lyrique apparaît comme un triple calcul si l’on comprend qu’il fallait à la nouvelle capitale un succès digne de ceux de la Scala de Milan, à l’éditeur Sanzogno des noms à opposer à celui de Verdi, exploité par son rival Ricordi, et une bannière au parti socialiste italien qui se structura précisément en 1890 et 1892. Ce qui explique mieux le peu d’intérêt porté à la branche napolitaine du vérisme, où l’on utilisa les beaux drames de Di Giacomo, et l’oubli réservé ensuite aux véristes mineurs tels que Fara-Musio, Cusinati, Tasca, Coronaro, Spinelli, Florida, Samara, Bucceri, Collini, Brunetti et Bimboni. Avec Mascagni et Leoncavallo, c’est donc Giordano (1867-1948) qui compléta la triade initiale du vérisme, grâce à sa Mala vita donnée aussi en 1892. Ces trois musiciens avaient su oublier leur wagnérisme et leurs ambitions de jeunesse pour souscrire à une mode payante. Dès qu’ils eurent à nouveau affiné leur art, produisant des chefs-d’oeuvre plus accomplis, ils ne retrouvèrent plus la même faveur populaire et « déçurent leur gauche, sans pour autant conquérir leur droite », sauf Giordano dont André Chénier, en 1896, connut le succès sans emprunter exactement son thème à l’esthétique du « coup de couteau » et du fait divers d’actualité, esthétique qu’il retrouvera avec un certain génie dans Fedora (1898). En réalité, les composantes initiales du vérisme - la fameuse tranche de vie paysanne, sa violence orchestrale et sa vocalité sommaire refusant toute complaisance belcantiste - disparurent peu à peu lorsque les sujets furent puisés soit dans un monde paysan sans violence (l’Ami Fritz de Mascagni, 1891), soit dans le XVIIIe siècle, la Renaissance, le Moyen Âge ou la mythologie, dans l’exotisme, le mythe rédempteur, le symbolisme (Iris, de Mascagni, 1898) et jusqu’au d’annunzianisme décadent ! En outre, il serait difficile de réduire à un même dénominateur l’art délicat, voire naïf de Francesco Cilea (1866-1950) et la violence savante d’un Franchetti. Et pourtant, ce courant cahotique produisit ses chefs-d’oeuvre dans un même souci de sincérité et d’exaltation du « mot », porteur de vérité. Et c’est cette erreur fondamentale (la priorité trop absolue accordée au texte) qui conduisit les véristes à ces maladresses d’écriture vocale, qui autorisèrent les chanteurs des générations suivantes à déformer singulièrement leur message ( ! CHANT). Il appartint à Puccini (1858-1924) de coiffer vite l’éphémère expérience vériste : musicien d’église, puis attiré par le renouveau symphonique, romantique dès ses premières oeuvres, il n’emprunta au vérisme que quelques formules, quelques personnages, imposant partout un génie dramatique et musical plus universel, se préoccupant de maintenir un chant pur dans le savoureux mélange d’un lyrisme classique (cf. la Bohème, 1896) et d’une écriture harmonique et orchestrale très largement en pointe sur son époque (par ex., Tosca en 1900, La Fanciulla del West, créée à New York en 1910), tout en demeurant attaché à l’esthétique de l’opéra sentimental de la bourgeoisie de culture française. Par l’impressionnisme du Tabarro, l’humour de Gianni Schichi et les audaces de son ultime Turandot, inachevé, Puccini avait déjà largement dépassé ses « successeurs » les plus doués, Alfano et Zandonai, qui ne cachèrent plus le wagnérisme inavoué de leurs pairs, l’assortissant de l’influence ravélienne, et Montemezzi (1875-1952), qui dans l’Amour des trois rois (1913) démarqua Tristan sans détours. Mais à cette époque, le mouvement néoclassique était déjà apparu, et, dès le début du siècle, un Wolf Ferrari l’avait compris en retournant avec esprit à Goldoni. En France. Les courants les plus divergents s’y affrontent, et Massenet (18421912) s’y impose, parlant un langage accessible aux publics bourgeois et populaire, qui applaudissent une même veine lyrique et sentimentale mise au service du grand opéra, du drame historique, du fantastique, de l’opéra-comique, du vérisme ou du mystère médiéval. Alors qu’il aurait pu asseoir son succès sur les chefsd’oeuvre bien français que sont Manon (1884) et Werther (1887, créé à Vienne en 1892), où l’admiration pour Wagner se fait aussi sentir, il sut perpétuellement se renouveler, et recourut même, dans son ultime Don Quichotte (1910), à la déclamation debussyste. Pourtant, ces genres mixtes, tenant de l’opéra et de l’opéracomique et joués indifféremment dans l’une ou l’autre salle, n’en appartenaient pas moins au passé. Moins, d’ailleurs, que le « grand opéra », sorte de vaste épopée, où, comme pour venger Sedan, on fit enfin appel à l’épopée nationale, d’ailleurs teintée de la notion wagnérienne de rédemption. Au-delà de l’impossible Jeanne d’Arc de Mermet (1876) et des efforts plus méritoires de Paladilhe et surtout de Reyer, et alors que Carmen et Boris étaient déjà parus, ce « drame lyrique » d’essence symphonique, sans caractérisation vocale ni dramatique, conjugua étrangement la densité de l’opéra allemand et le chant vériste. Voulant trop tard introduire en France le romantisme absent jusque-là des scènes lyriques, il se condamna à l’échec, même s’il se donna des allures d’avantgarde auprès d’un public encore inaverti de Beethoven. Certes, les meilleurs musiciens d’alors évitèrent ces pièges : Saint-Saëns (18351921), qui, dans Samson et Dalila (1877), le mieux venu d’une douzaine d’opéras, sut tempérer son admiration pour Tannhäuser par sa redécouverte de Rameau, le symphoniste Édouard Lalo (1823-1892), dont le Roi d’Ys fut accueilli par l’OpéraComique (1888), Chabrier (1841-1894), dont Gwendoline (1886) semble une oasis d’originalité dans une formule trop souvent mal défendue, et essentiellement annexée par les élèves de César Franck, lui-même auteur peu habile de deux drames meyerbeeriens, Hulda et Ghisèle (écrits de 1882 à 1890). Mais aucun de ces auteurs ne possédant le sens dramatique d’un Reyer, on devrait plutôt qualifier d’opéras de concert ces drames sans action, reflets isolés du génie de chaque compositeur : Chausson (1855-1899), qui, dans le Roi Arthus (1899), avoue son admiration pour Tristan et Isolde ; d’Indy, qui démarque Parsifal dans Fervaal (créé en downloadModeText.vue.download 736 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 730 1897), puis écrit l’Étranger (1903) ; Rabaud (1873-1949) [la Fille de Roland, 1904], Ropartz (1864-1955) [le Pays, 1912], etc. On doit réserver une place à part à Albéric Magnard (1865-1914), qui, ayant déjà sublimé le genre avec Guercoeur (1900, créé en 1931), s’inspira avec dignité de Racine (Bérénice, 1909), et à Max d’Ollone (1875-1959), qui déclara « vouloir enlever au drame lyrique ses abstractions et lui rendre ses airs et duos », et y réussit notamment dans le Retour (1909), une heureuse synthèse du drame, du symbolisme et du naturalisme, éléments contradictoires qui se retrouvent mêlés autour de livrets parfois grandiloquents dans le Miracle de Georges Hue (1910), dans les oeuvres de Bachelet, Mariotte, Le Flem, Busser, etc., jusqu’au Vercingétorix de Canteloube (1933). C’est dans un esprit totalement différent, au-delà d’une sage tradition qui avait encore valu l’opéra fantastique d’Offenbach les Contes d’Hoffmann (1881, posth.) et la fine mais désuète Lakmé de Léo Delibes (1883), qu’avait commencé le véritable renouveau. Les premiers opéras de Georges Bizet (1838-1875) ne pouvaient laisser pressentir l’originalité de Carmen (1875), qui, rejeté par la critique officielle, fut apprécié des musiciens, du public, et triomphalement accueilli hors de France. Il fut souvent méjugé par la suite, en raison même de sa large popularité, de ses dialogues parlés qui le confinaient à un genre « moins noble », et de ce meurtre sur scène, véritable révolution dans le monde de l’opéra-comique, geste qui le fit passer pour l’ancêtre du vérisme, alors que ce drame véritable retrouvait précisément l’antique fusion de tous les éléments. Moderne par son écriture, son orchestre impressionniste, sa finalité tragique et la très remarquable introspection de ses caractères, non moins lyrique pour cela, Carmen, « seule antidote au philtre wagnérien » (cf. Nietzsche), influença Chabrier et Debussy. Chabrier (1841-1894), un véritable Moussorgski français, cachant ses audaces sous la sensibilité, l’humour et la finesse de son orchestre, donna ses lettres de noblesse au genre bouffe avec l’Étoile (1877), Une éducation manquée (1879) et avec le Roi malgré lui (1887), que Ravel tenait pour le chef-d’oeuvre du XIXe siècle, cependant que Debussy se déclarait inapte à terminer le très impressionniste Briséis. Or, Moussorgski et Chabrier se retrouvent au berceau de Pelléas et Mélisande de Debussy (1902), un « drame lyrique », dont on ne sait encore s’il lui appartint de renouveler la forme de l’opéra ou s’il projeta seulement sur scène le rêve intérieur de son auteur, qui avait trouvé dans la pièce de Maeterlinck (dont il utilise le texte original) cet irréel et ces personnages « sans lieu ni époque », transparents comme l’harmonie de son orchestre, par ailleurs très présent. Mais Debussy n’en rejoint pas moins encore Wagner, en confiant à cet orchestre un jeu de leitmotive plus explicite que le langage des acteurs du drame, auxquels il prête un récit dont la déclamation rythmique se veut calquée sur la parole « naturelle », entendant par là renouer avec Rameau, qu’il opposait à Gluck, justement responsable à ses yeux de la convention du drame meyerbeerien. LE NATURALISME. Les créateurs de Pelléas, et jusqu’à son décorateur Jusseaume, se mirent au service des auteurs naturalistes, dont les ambitions recoupaient souvent celles de Debussy, et qui, pourtant, surent rarement donner à leurs personnages ce langage aussi « naturel ». Or, ce courant naturaliste n’eut pas en France un Puccini qui sût en dépasser les données initiales. Comme en Italie, il fit d’abord souche chez un musicien de forte implantation romantique, Alfred Bruneau (1857-1934), dont Kerim (1887) ne pouvait laisser prévoir sa rencontre avec Zola, dont il met en musique le Rêve (1891) et l’Attaque du moulin, en 1893, une des nouvelles des Soirées de Médan (et donc la contemporaine de Cavalleria rusticana de Verga). Il commit néanmoins l’erreur de passer par le truchement d’un livret aux alexandrins prétentieux, avant de collaborer directement avec Zola pour Messidor, l’Ouragan, etc., ouvrages dont les attaches naturalistes se résument à une écriture vocale maladroite, mais qui comportent encore des scènes allégoriques ou symbolistes comme Iris de Mascagni. Massenet (18421912), malgré des livrets trop élégants, avait peut-être mieux compris l’essence de ce naturalisme dans la Navarraise (1894) et dans Sapho (1897), mais Gustave Charpentier (1860-1956), refusant précisément ce type de livret, réalisa, avec un autre talent, une fusion totale des composantes du réalisme dans son roman musical Louise (1900, l’année de Tosca), modèle absolu d’une école qui témoigna dès lors d’une écriture plus recherchée que celle des véristes italiens, mais à laquelle fit défaut cette présence instinctive des tenants de « l’esthétique du coup de couteau ». Un grand nombre d’oeuvres témoignent du talent d’auteurs qui surent allier la tragédie à une sentimentalité populiste : le Juif polonais (1900), de Camille Erlanger (1863-1919), le Chemineau (1907), de Xavier Leroux (1863-1919), dont l’écriture évoque aussi Fauré et fait appel au folklore, comme celle de Bruneau, cependant que les alexandrins sentencieux et faussement argotiques de Jean Richepin conviennent mal à l’humanité des personnages. Citons encore la très remarquable Habanera (1908) et la Jota (1911) de Raoul Laparra (1876-1943) ; Monna Vanna, d’après Maeterlinck (1909), et Gismonda (1919) d’Henry Février (1875-1957) ; la Lépreuse (écrit en 1902) de Silvio Lazzari (1857-1944), un élève de Franck ; enfin, le Coeur du moulin (1909), oeuvre plus tendre du Languedocien Déodat de Séverac (1873-1921), semble réconcilier d’Indy et Debussy, loin du chromatisme wagnérien qui influença toute l’école naturaliste. C’est en dehors de toute école qu’il faut laisser Ariane et Barbe-Bleue (1907) de Paul Dukas (1865-1935), une des plus belles pages de la musique française de tous les temps, mais l’oeuvre d’un musicien hostile aux exigences du théâtre lyrique auquel elle n’apporte pas plus de solution que Pelléas, dont elle découle, et que Pénélope (1913), chef-d’oeuvre solitaire où Fauré (1845-1924) adopte la formule du grand opéra dans un langage délicat qui en est l’antithèse, rompant totalement avec Wagner. Cette même langue, André Messager (1853-1929) la manie avec un métier consommé dans un opéra-comique de qualité (la Basoche en 1890, Fortunio en 1907), voire légèrement grivois (Véronique, 1898), avant de s’adonner à la comédie musicale (l’Amour masqué, de Sacha Guitry, 1923). Enfin, tenant aussi de l’opéra-comique et de l’opérette, la très fine Ciboulette de Reynaldo Hahn en 1923 et Moineau de Louis Beydts (1895-1953), en 1931, appartenaient encore, par leur esthétique, au XIXe siècle aristocratique. L’Allemagne et l’Autriche. Plus qu’ailleurs, il convenait d’assumer ou de refuser l’héritage wagnérien. Le problème ne se posa pas encore à Max Bruch (1838-1920), auteur de 3 opéras romantiques, dont Loreley (1863), ni au Hongrois Carl Goldmark (1830-1915), auteur d’une Reine de Saba (1875) très réussie, qui renoua avec le singspiel dans le Grillon du foyer (1896). Fr. von Suppé et Johann Strauss reçurent l’héritage de Lortzing, puis créèrent, après 1870, la grande opérette, cependant que Kienzl (1857-1941) optait pour la comédie lyrique avec l’Évangéliste (1895). Engelbert Humperdinck (1854-1921), comme eux, donna de très vastes proportions au singspiel Hansel und Gretel (1893), où se joint le fantastique, puis esquisse le sprechgesang dans la version de 1910 de ses Enfants de roi. Ce mélange de féerie et de comédie se retrouve chez Cyrill Kistler, Julius Bittner, Albert Ritter, Ludwig Thuile, Hans Sommer, Anton Urspruch, et, enfin, chez E. N. Reznicek (1860-1945), dont l’agréable Dona Diana (1894) est restée au répertoire plus facilement que le Corregidor (1896), comédie de convenant assez mal au romantisme tourmenté de Hugo Wolf. Presque tous ces musiciens avaient également sacrifié au « système » wagnérien, dont chacun crut déceler un aspect essentiel. Son thème mythologique ou rédempteur, sa densité orchestrale, sa démesure vocale, son abus du leitmotiv, du chromadownloadModeText.vue.download 737 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 731 tisme, etc. Rien ne pouvait naître de ces imitations maladroites : Siegfried Wagner (1869-1930) semble s’inspirer de Mendelssohn plus que de son père dans Bärenhäuter (1899), Der Kobold (1904), etc., et de trop grandes ambitions sont évidentes dans Gudrune (1884) et Herrat (1892) de Felix Draeseke (1835-1913), dans une tétralogie sur l’Odyssée d’Ulysse (1896-1903) d’August Bungert (1845-1915), dans une Genèse (1892) et la trilogie Oreste (1902) du chef d’orchestre Felix von Weingartner (1863-1942), etc. On décèle, en revanche, un sens dramatique plus sûr chez Eugène d’Albert (1864-1932), ce brillant pianiste, élève de Liszt, et auteur d’une vingtaine d’opéras, dont 3 survécurent, et notamment Tiefland (1903), drame vériste de la rédemption tiré d’une pièce catalane (Terra baixos), qui s’est imposé au répertoire international. Se voulant étranger à toute influence, Hans Pfitzner (1869-1949) ignora superbement Wagner et aborda tous les genres, du singspiel au drame (Das Herz, 1931), s’imposant dans son excellent Palestrina (1917), symbole de sa résistance aux courants nouveaux, mais oeuvre séduisante par son romantisme contenu, ses austères monologues d’une durée inusitée et le contrapuntisme audacieux des scènes d’ensemble. Au carrefour de ces tendances, rappelons encore Max von Schillings (18681933), auteur de Mona Lisa (1915) et du curieux mimodrame Das Exenlied ; Franz Schmidt (1874-1939), qui se rattache au romantisme tardif dans sa Notre-Dame, d’après Hugo (1914) ; et surtout Erich Korngold (1897-1957) pour le Voile d’Heliane (1927) et l’étonnante Ville morte (1920), où il sut mêler symbolisme et fantastique dans l’heureuse influence de Puccini et de Richard Strauss. En fait, Richard Strauss (1864-1949) fut le seul des véritables successeurs de Wagner (avec Mahler, Reger et Wolf), qui révélât une vocation théâtrale, encore que tardive. Après deux tentatives hésitantes, il poussa, jusqu’à la limite du possible, dans Salomé (1905) et Elektra (1909) un chromatisme sensuel et exacerbé, ramassant l’action en un acte unique, où la démesure vocale et orchestrale, la tension du langage avaient atteint, à ses yeux, leur point extrême. C’est pourquoi le regard qu’il porte ensuite vers le passé, avec le poète « décadent » Hofmannsthal (1874-1929), débouche dès lors sur un prodigieux néobaroquisme, embrassant tous les horizons, depuis la colossale comédie viennoise du Chevalier à la rose (1910) au fantastique de la Femme sans ombre (1919), jusqu’à la réflexion esthétique de Capriccio (1942) où Clemens Krauss reprend, dans son livret, les thèmes du Prima la musica, poi le parole de Casti. Malgré les intéressantes innovations de ces chefs-d’oeuvre tardifs, Strauss avait, au-delà de 1910, laissé le flambeau de la recherche aux représentants de l’expressionnisme. Le renouveau tchèque. Influencé par Wagner, Zdenek Fibich (1850-1900) avait déjà abordé ces problèmes du langage, que devait résoudre, dès sa Jenufa (1901), Leos Janáček (1854-1928), contemporain de Fauré et de Puccini. À l’instar de Moussorgski, la phonétique pure l’intéresse moins que la sémantique d’une langue qui lui fournit un vocabulaire harmonique et rythmique fait de brèves cellules non répétitives. Dans Jenufa, c’est encore la musique qui, par sa richesse, sublime un thème vériste à fin rédemptrice. Affrontant ensuite tous les thèmes, du satirique au fantastique (l’Affaire Makropoulos, 1926) et au tragique (Katia Kabanova en 1921, De la maison des morts, en 1928), Janáček, par son écriture moderne et son lyrisme indéfectible, sut jeter un pont entre deux générations, et influença à son tour son cadet Vitezslav Novak (1870-1949). En Espagne. L’opéra demeura assez marginal dans la production de la jeune école nationale. Manuel de Falla (18761946) s’essaie à la zarzuela populaire, qu’il élargit ensuite au tragique dans la Vie brève (1905), une réplique andalouse de Cavalleria rusticana mâtinée d’impressionnisme. L’oeuvre fut créée en France, où le musicien espagnol subit l’influence de Stravinski dans les Tréteaux de maître Pierre (1923), une âpre tentative de néoclassicisme, avant le renoncement sublime de son grand drame épique inachevé, Atlantida. Albéniz (1860-1909) glissa insensiblement de la zarzuela grande Pepita Giménez (1896) au véritable opéracomique (Merlín, 1906), cependant que Granados (1867-1916) évolua sagement de sa Maria del Carmen (1898) jusqu’à ses Goyescas, créées à New York en 1916, où les éléments de la tonadilla se mêlent à sa sève romantique franco-germanique. Enfin, Joaquín Turina (1882-1949), élève de D’Indy, écrivit Margot (1914) et Jardín de Oriente (1923), également tributaires de la tradition du XIXe siècle. LES PERSPECTIVES DU XXE SIÈCLE. Il est encore difficile de dresser le bilan de ce siècle, né seulement avec la Première Guerre mondiale. Le divorce s’avère irrémédiable entre le public d’opéra et l’artiste créateur, dont il est malaisé de mesurer l’impact, faute d’une audience suffisante. Les auteurs y sont rares à savoir conserver, tels Poulenc ou Britten, un langage lyrique perceptible sans pour autant renier leur époque, plus rares encore à se consacrer exclusivement à l’art lyrique, comme Me- notti. Chaque compositeur écrit pour le théâtre dans la langue qui lui est propre, sans infléchir les lois du genre, et les chefsd’oeuvre les plus significatifs, de Wozzeck aux Diables de Loudun, doivent surtout à leur valeur musicale. Ce n’est pas un des moindres paradoxes de ce siècle de constater qu’un théâtre qui aspire à la réflexion plus qu’au plaisir fasse appel à de grands auteurs passés ou présents (Bélazs, D’Annunzio, Cocteau, Claudel, Gertrud Stein, mais aussi Poe, Pouchkine, Gogol, Shakespeare et Euripide) pour en rendre finalement le texte imperceptible soit par maladresse d’écriture, soit par indifférence envers l’interprétation, trop fréquemment confiée - en France notamment - à de médiocres chanteurs, ou à des réalisateurs (chefs d’orchestre, metteurs en scène) peu familiarisés avec le théâtre lyrique. On peut, néanmoins, tenter de dégager quelques tendances communes à ce demisiècle : un souci de qualité du texte, par le biais du litteratür-oper (souvent peu fonctionnel) et de la tendance des compositeurs à rédiger eux-mêmes leurs textes ; une attention privilégiée accordée à l’orchestre plus qu’à la voix, à moins qu’un travail en profondeur ne soit entrepris en ce domaine (témoins les songs de Weill, ou la décantation du mot, opération néobaroque fréquente après 1950) ; un « retour » au sacral, un retour aux structures fermées - opérations liées au néoclassicisme autant qu’au rejet des opéras-fleuves du romantisme ; un retour enfin aux valeurs musicales pures et objectives, par réaction contre le subjectivisme romantique. Et on ne peut omettre ici les conséquences d’un affairisme hostile à la création, managers, interprètes et publics se satisfaisant plus aisément d’un répertoire parfois bicentenaire que d’un langage neuf, fût-il aussi aisément accessible que ceux de Janáček, Berg, Weill, Milhaud, Dallapiccola ou Prokofiev. En France. Ce théâtre très accessible sera longtemps entretenu par Rabaud (Marouf, 1914, jusqu’à Martine, posthume), Louis Aubert, A. Wolff, Fl. Schmitt, Roussel (Padmâvati allie le drame lyrique et la chorégraphie), Hahn (le Marchand de Venise, 1935), Ibert et Honegger (l’Aiglon, 1937), Sauguet (la Chartreuse de Parme, 1939), Jean Rivier, Henri Tomasi (l’Atlantide, 1953 ; Miguel de Manara, 1952 ; Sampiero Corso, 1956), Bondeville, Barraud, etc., et Poulenc qui réussit en 1956, créé en 1957 à la Scala de Milan, un chef-d’oeuvre de lisibilité en reprenant le texte de Bernanos pour ses Dialogues des carmélites. D’autre part, l’héritage de Chabrier se retrouve dans l’« opérette des musiciens » (comme l’a surnommée José Bruyr) de Ravel, Roussel, Rosenthal, Ibert, Thiriet, RolandManuel, Delvincourt, Claude Arrieu, plus tard Damase et Semenoff, rares joyaux parmi lesquels brillent les Mamelles de Tirésias d’Apollinaire auxquelles Poulenc, en 1945 (création en 1947), sut donner un humour particulier. C’est d’une esthétique plus exigeante que se réclamèrent, d’autre part, dès 1910, Milhaud, puis Honegger, downloadModeText.vue.download 738 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 732 qui, par leur phonétique et leur appareil instrumental, refusèrent la tradition, collaborant, entre autres, avec Claudel et Cocteau. Auteur essentiellement lyrique, Milhaud (1892-1974) fit d’abord appel à Francis Jammes, demanda à Claudel une nouvelle mise en forme de l’Orestie (19131922), défendit un naturalisme redimensionné au mythe (les Malheurs d’Orphée en 1924, créé en 1926 ; le Pauvre Matelot, 1926), aborda l’épopée avec Christophe Colomb (1928), Maximilien (1930), le bouleversant et multiforme Bolivar (1943, créé en 1950), et plus tard David, pour rejoindre, au terme d’un périple d’un demi-siècle, Beaumarchais dans la Mère coupable (1966). Attiré par le sacral, Honegger tendit également à l’incantation lyrique dès sa difficile Antigone, d’après Cocteau (1927), de même que dans ses oratorios scéniques Judith, puis Jeanne d’Arc au bûcher, avec Claudel (1935, créé en 1938), tandis que son disciple Marcel Landowski (né en 1915) atteint au mythe moderne et utilise toutes les techniques nouvelles dans le Fou (1940-1956), et qu’à l’inverse Gilbert Bécaud tente avec l’Opéra d’Aran (1963) une expérience de naturalisme, à la façon de Britten et Menotti, sans toutefois maîtriser suffisamment son écriture orchestrale. Allemagne et Autriche. C’est en marge de l’expressionnisme viennois et berlinois, dont l’écrivain Franz Wedekind (18641918), héritier de Büchner, fut le catalyseur, qu’il faut situer l’expérience isolée de Ferruccio Busoni (1866-1924), sarcastique et philosophique dans Arlecchino (Zurich, 1917) et Doktor Faust (posthume, Dresde 1925). Cependant, le romantisme exacerbé de Franz Schrecker (1878-1934) son Ferne Klang (1912) influença le Wozzeck de Berg - et celui d’A. von Zemlinsky (1872-1942) avaient déjà conduit Arnold Schönberg (1874-1951) sur la voie de l’expressionnisme et de l’atonalisme dès son bref monodrame Erwartung (1909, créé en 1924 à Prague), dont le sujet vériste est traduit dans un éparpillement sonore, et un climat de violence inconcevable même chez un Strauss. Ses travaux sur les diverses expressions de la voix, chantée ou parlée, se retrouveront dans Moïse et Aaron (1931, inachevé, représenté sur scène à Zurich en 1957), sans proposer pourtant de solution d’avenir. Plus foncièrement lyrique, Alban Berg réunit dans Wozzeck (1921, créé à Berlin en 1925), écrit sur le texte prophétique du poète maudit Büchner (1813-1837), toutes les composantes du chant, celles du théâtre lyrique et des structures instrumentales du passé et du présent. Sublimant, lui aussi, un sordide fait divers en un puissant mythe d’une immédiate séduction lyrique, il signa là une partition considérée comme le chef-d’oeuvre le plus caractéristique du demi-siècle. L’oeuvre fut jouée avec succès à Berlin, où Hindemith avait fait un instant scandale (Assassin, espoir des femmes en 1921 ; Das Nusch-Nuschi, 1921), avant de se tourner vers le néoclassicisme austère de Cardillac (1926) et de Mathis le peintre (1938). Dans cette ville, toujours, la police doit intervenir lorsque la critique politique éclate, sans équivoque cette fois, dans l’oeuvre de Kurt Weill (1900-1950), qui, pour mieux servir les textes explosifs de Brecht, renie le sérialisme élitaire de ses débuts, et bâtit son Opéra de quat’sous (1928) à l’aide de songs écrits dans le style du cinéma expressionniste berlinois, insérés dans une partition de haute valeur musicale. Il porte ces procédés à la dimension du grand opéra dans son féroce Mahagonny (1929), un authentique chef-d’oeuvre, mais retourne à son style austère dans la Caution (1932). Brecht inspira encore Hanns Eisler (1898-1962) et Paul Dessau (1894-1980), qui donna en 1951 le Procès de Lucullus. À tous ces auteurs, écartés par le nazisme, Carl Orff (1895-1982) avait opposé un comique rassurant, avec Der Mond (1939) et Die Kluge (1943) ; il évoqua avec sensibilité le Moyen Âge dans ses Trionfi (1937-1943) - qui contiennent les fameux Carmina Burana - où il a recours à l’incantation et à la percussion, qui deviennent la base du langage de Antigone et OEdipe roi (1949-1959), un essai de reconstitution de la technique du drame grec. On peut situer au carrefour de ces diverses tendances les oeuvres d’Ernst Krenek (né en 1900), un élève de Schrecker, au langage plus dur, marqué par l’expressionnisme dans Orpheus und Eurydike (1926), par le jazz dans son original Jonny spielt auf (1927), et qui rechercha la réunion des langages de Berg et de Hindemith - en même temps que des procédés inhabituels de présentation scénique dans son colossal Charles Quint (1933), où un postromantisme latent le dispute à un strict sérialisme ; à cette dernière technique souscriront aussi Boris Blacher (1903-1975), Karl A. Hartmann (19051963), et, plus tard, H. W. Henze (né en 1926), qui embourgeoisera le système sériel, avant que Bernd Alois Zimmermann (1918-1970) ne réalise une synthèse plus audacieuse de toutes ces tendances dans les Soldats (1960), un opéra qui marque aussi l’un des retours les plus significatifs de notre époque à la colorature féminine suraiguë. À citer aussi Staatstheater (1967-1971) de Mauricio Kagel. Enfin, quelques compositeurs avaient su mettre une science indéniable au service d’un langage plus largement ouvert au public : ainsi Werner Egk (né en 1901) dans Peer Gynt (1938) et le Revizor (1957), Wolfgang Fortner (né en 1907) dans Noces de sang (1957) et surtout Gottfried von Einem (né en 1918), dont la Mort de Danton (1947), d’après Büchner, et le Procès (1953), d’après Kafka, s’imposèrent sans peine. En Italie. Dépasser l’expérience vériste sans combattre non plus Puccini sur son terrain fut la préoccupation des nouvelles générations, qui devancèrent les ultimes interrogations de Turandot (1926), de l’austère Néron de Boito (1924, posthume), et ne se virent opposer que cet autre dérisoire Néron (1935) de Mascagni, qui voulut son oeuvre « résolument antimoderne ». Wolf Ferrari (1876-1948) avait, dès 1903, trouvé une ingénieuse solution en mettant son talent subtil au service des comédies de Goldoni, première manifestation du siècle à un retour vers un comique de qualité (Le Donne curiose, 1903 ; I Quattro rusteghi, 1906 ; Il Segreto di Susanna, 1909, etc., jusqu’au Campiello, 1936) ; Respighi (1879-1936) en proposa d’autres, faisant rutiler une palette orchestrale héritée de Rimski-Korsakov dans le climat vériste et fantastique de Belfagor (1923) et de La Fiamma (1934), souscrivant au dépouillement néoclassique dans Marie l’Égyptienne (1932). Mais c’est plus à une sorte de néogrégorien qu’allait aspirer la « génération de quatre-vingt « : Pizzetti (1880-1968) rechercha un nouveau recitar cantando dans ses puissants drames, de Phèdre (1915, d’après D’Annunzio) à Meurtre dans la cathédrale (1958) ; G. F. Malipiero (1882-1973) joua de langages divers à l’ombre du plain-chant, dans ses « opéras à panneaux », étrangement lyrique dans La Favola del figlio cambiato (1933), presque extroverti dans Giulio Cesare (1936). Enfin, Alfredo Casella (1883-1947), marqué par ses contacts avec la France et avec Stravinski, rejeta tout romantisme dans La Donna serpente comme dans La Favola d’Orfeo (1932). Citons encore Arrigo Pedrollo (1878-1964), Mario Castelnuovo Tedesco (1895-1968) et surtout G. F. Ghedini (1892-1965), qui signa son dernier chef-d’oeuvre en 1956 (Lord Inferno), ayant su faire éclater la matière sonore sans jamais négliger les prérogatives du théâtre, alors qu’une plus jeune génération démarquait encore tranquillement Puccini : Menotti, émigré aux ÉtatsUnis, et Renzo Rossellini (1908-1982), qui appuyait un sens théâtral aigu sur les excellents sujets du Vortice (le Tourbillon, 1958), de Vu du pont (1961) et de l’Annonce faite à Marie (1970). Autrement exigeant, Gioffredo Petrassi (né en 1904) demeurait, lui aussi, profondément lyrique dans Il Cordovano (1949), tout en adoptant le sérialisme ; cette technique inspira encore à Dallapiccola (1904-1975) des chefs-d’oeuvre tels que Vol de nuit (1940), le très intense Prisonnier (1950), Ulysse, etc. Cette même opposition se retrouve entre Nino Rota (1911-1979), qui mit son talent multiforme au service de downloadModeText.vue.download 739 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 733 savoureux pastiches appréciés de tous les publics, et le langage difficile mais aussi immédiat de Berio (né en 1925), de Luigi Nono (né en 1924), auteur notamment de Intollerenza (1961) et de Al gran sole carica d’amore (1975), de Vlad (né en 1919), de Bussotti (né en 1931), de Maderna (19201973) et de Luciano Chailly (né en 1920), auteur très lyrique du Manteau, de l’Idiot, Procédure pénale, etc. En Russie. Située à l’avant-garde à la fin du XIXe siècle, l’école russe marqua un temps de réflexion. Le folklore épique ou merveilleux fut encore exploité, mais d’autres thèmes apparurent avec Raphaël (1894) d’Arensky (1861-1906), avec la très belle Orestie (1895) du docte Serge Taneev (1856-1915), ou se modifièrent, comme dans Dobrynia Nikititch (1903) de l’aimable Gretchaninov (1864-1956). L’influence française se fit sentir chez Rebikov (Dans la tempête, 1894) et Nicolas Tcherepnine, tandis que les particularismes locaux se reflétaient chez Ippolitov Ivanov (1859-1935), auteur de Ruth (1887) et Atya (1900), chez Vassilenko, Korostchenko, Lissenko, Soloviev, et chez le Géorgien Paliashvily (Absalon et Eteri, 1919). Tchaïkovski influença davantage Kalinnikov (Tsar Boris, 1897) et Serge Rachmaninov (1873-1943), dont Aleko (1892) fut suivi de drames plus audacieux, le Chevalier avare (1899-1904) et Francesca da Rimini (1906). Mais c’est en marge de tous ces courants que se développe le génie multiforme et plus cosmopolite de Stravinski et de Prokofiev. Le premier se réfère partiellement à Rimski-Korsakov dans le Rossignol (Paris, 1914), allie Glinka à Dargomyjski dans sa farce Mavra (1922), son oeuvre favorite, puis fait créer en anglais à Venise, en 1951, son Rake’s Progress, savoureux pastiche de tous les langages du passé. Prokofiev (1891-1953), quittant la Russie révolutionnaire après avoir écrit le Joueur, donne en français à Chicago son satirique et cocasse Amour des trois oranges (1921) d’après Gozzi, et termine en 1927 le dramatique Ange de feu, donné bien plus tard en Italie et en France. Rentré en Union soviétique, il y glorifie l’homme du peuple dans Simeon Kotko (1939), retourne à l’humour des Fiançailles au couvent (1940), et révèle son talent épique dans Guerre et Paix (19411952), fidèle durant quarante ans à une même veine mélodique naturelle, doublée d’une très riche palette orchestrale qui fit de lui l’un des grands classiques du XXe siècle, auprès de Puccini, Janáček et Strauss. Mais la Russie soviétique, privée dès sa naissance de ses plus authentiques musiciens, ne pouvait compter sur le docile mais trop anachronique R. Glière (18751956). Elle dut donc se forger une génération nouvelle, aussitôt dominée par le génie sans concession de Chostakovitch (1906-1975), auquel, en 1928, le Nez, de Gogol, inspire une partition satirique, d’une audace inouïe à l’échelon européen. Staline ayant plus tard condamné Lady Macbeth (1934), chef-d’oeuvre d’une grande intensité lyrique, Chostakovitch dut remanier sa partition (Katerina Ismailova, 1959), se retourna vers l’opérette humoristique, puis renonça à achever son Joueur. En fait, les directives officielles ne donnèrent ni n’enlevèrent de talent à quiconque, et la meilleure oeuvre inspirée par le nouveau régime demeura Pauline Goebel (1925) de Youri Shaporine (18891966), antérieure aux consignes draconiennes de démocratisation, et rebaptisée les Décembristes en 1938, comme on le fit pour maintes oeuvres du passé, des Huguenots à Tosca ! Cependant que Pachtchenko, Triodine, Gladkowski et Prussak souscrivaient à cette esthétique du « naïf », aussitôt caduque, une tentative de dépayser les thèmes d’inspiration réussit mieux, avec les opéras de Shishov, Potoski, Krein, Vassilenko, et surtout avec le Vent du Nord (1930) de Lev Knipper (1898-1974), mais un académisme de rigueur édulcorait le très officiel Don paisible (1935) de Dzerjinski, le Potemkine (1937) de Shishko, la Mère (1939) de Jelobinski, et même Dans l’orage (1939) du solide Tikhon Khrennikov (né en 1913). Après que Colas Breugnon de Dimitri Kabalevski (1938) eut encore mieux affirmé ce folklore sentimental, le retour à la musique instrumentale devait, pendant la guerre, permettre aux meilleurs musiciens d’esquiver les normes imposées aux livrets, avant qu’une très relative libéralisation du langage ne permît à la nouvelle génération une timide émancipation. L’Europe centrale. - Hongrie. Béla Bartók, dans son Château de Barbe-Bleue (1911), écrit sur le texte même de Bélazs, recourt, comme Debussy dans son Pelléas (dont il fut la réplique nationale), à de brefs commentaires symphoniques reliant les scènes isolées de cet acte unique, mais exalte une phonétique plus riche, témoignant d’une intensité lyrique plus efficace. On peut ne voir qu’un aimable singspiel national dans Harry Janos (1926) de Zoltán Kodály (1882-1967), son succès éclipsant tous ses autres opéras. Quant à Ernö Dohnanyi (1877-1960), son Voile de Pierrette (1910) n’était guère qu’une pantomime de style berlinois. C’est seulement après 1960 que naîtra une école moderne véritable, sur laquelle pèse la double influence de Bartók et de Laszlo Lajtha (1892-1963), moins pour l’unique opéra bouffe de ce dernier (le Chapeau bleu, 1948) que pour ses liens étroits avec la France. À cette école se rattachent notamment Emil Petrovics, Sandor Szokolaï et Sandor Balassa. Tchécoslovaquie et Roumanie. De peu le cadet de Novák, Otakar Ostrčil (18791935) était resté fidèle à une esthétique romantique (la Mort de Vlasta, 1904) ; après les Balatka, Chubna, Polascek, Suda et Zelinka, Alois Habá (1893-1973) apporta sa personnalité de chercheur infatigable, utilisant le quart de ton dans la Mère (1931), oeuvre dont l’intensité tragique approche celle de Wozzeck, et le sixième de ton dans Que ton règne arrive (1940-1942). À la même époque, l’école de Paris regroupa, au côté du Hongrois Tibor Harsanyi et du Polonais Al. Tansmann, le Tchèque Bohuslav Martinºu (1890-1959), qui écrivit en français Juliette ou la Clef des songes (1938), intéressante tentative de surréalisme, puis la Passion grecque (1958). L’oeuvre lyrique du Roumain Marcel Mihalovici (né en 1898) appartient également au répertoire français, mais l’opéra roumain reste dominé par la personnalité de George Enesco (1881-1955), dont l’audacieux OEdipe, opéra atonal utilisant aussi le quart de ton, commencé en 1914, fut créé à Paris en 1936. Pologne. Elle sortit de l’ombre grâce à Karol Szymanowsky (1882-1937), qui, dans le Roi Roger (1926), sut allier un langage chanté très accessible à une écriture influencée par Berg, Bartók et Janáček. C’est de lui, et non de Lutoslawski, que se réclamera la jeune école dont sortirent le sérialiste Taddeusz Baird (1928-1981), auteur d’un drame lyrique Demain (1966), à la vocalité très décantée, et le pointilliste Penderecki (né en 1933), qui, avec ses Diables de Loudun (1969), donna au théâtre lyrique une oeuvre fascinante, aux nombreux tableaux habilement enchaînés, dont l’avant-gardisme sembla représenter le meilleur effort de renouvellement depuis Wozzeck et qui connut aussitôt une audience internationale. En Angleterre. Malgré le triomphe de l’opéra italien aux XVIIIe et XIXe siècles, l’adulation portée ensuite à Grieg et à Tchaïkovski, la création lyrique tenait bon, entretenue par Henry Bishop (17861855), J. Barnett, Ed. Loder et par Michael Balfe (1808-1870), qui écrivit - enfin - en anglais sa célèbre Bohemian Girl (1843), cependant que l’ambitieux Julius Benedict (1804-1885) et Arthur Sullivan (18421900) n’aspiraient pas toujours aux genres les plus nobles. La fin de l’ère victorienne vit renaître une école véritable, mais n’inspira à Elgar aucun opéra. On note, en revanche, ceux d’Ethel Smith (18581944), de Frederick Delius (1862-1934), qui vécut en France où il écrivit en 1907 A Village Romeo and Juliet, et ceux de Ralph Vaughan Williams (1872-1958), dont Sir John in love (1929) renouait avec le vieil opera ballad folklorique ; Gustav Holst (1874-1934) souscrivit aussi à cette forme, puis s’en démarqua dans son spirituel PerdownloadModeText.vue.download 740 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 734 fect Fool (1923) ; et c’est d’une très digne tradition que se réclama Arthur Benjamin (1893-1960) dans Prima Donna, et A Tale of Two Cities (1950), tandis que l’opéra n’intéressait que tardivement Arthur Bliss et William Walton (Troilus and Cressida, 1954), deux romantiques invétérés. La création de l’opéra anglais moderne revient à Benjamin Britten (1913-1976), qui, dès 1945, réalise une grande épopée de la mer dans son puissant Peter Grimes, puis rassemble en 1947 l’English Opera Group, dont les effectifs réduits s’adaptaient autant à l’éthique qu’aux possibilités pratiques du théâtre contemporain. Cachant une écriture savante sous les dehors d’un chant lyrique dont il connaît tous les secrets, apprécié de tous les publics, Britten aborde alors la comédie, le drame et même le grand opéra (Gloriana, 1953), apporte sa fine introspection au monde de l’enfance (le Tour d’écrou, Curlew River), utilise la voix de falsettiste dans le Songe d’une nuit d’été (1960), écrit pour Alfred Deller, et révèle enfin, dans Mort à Venise (1973), son souci d’un langage plus moderne ; souci dont témoignent encore Lennox Berkeley et Michael Tippett (né en 1905) avec son parodique Midsummer Marriage (1955) et son solennel King Priam (1962), puis avec The Knot Garden (1970), The Ice Break (1977) et New Year (1989). Aux États-Unis. Les premières tentatives lyriques y remontent à 1735, où fleurissent à Charleston et à Philadelphie des opera ballads, véritables ancêtres de la comédie musicale (témoin The Disappointment, de Andrew Barton, 1767). Le fonds indien fut exploité dès 1794 avec Tammany de l’Anglais J. Hewitt (1770-1827), non sans arrière-pensée politique, dans The Archers (1796) de Benjamin Carr (1769-1831), un très authentique musicien également de naissance anglaise, puis, en 1808, dans The Indian Princess de John Bray. La divulgation de l’opéra italien et français en 1825, puis celle de l’opéra wagnérien cinquante ans plus tard devaient se refléter d’une part dans Leonora (1845-1858) de W. H. Fry, un intime de Berlioz, de l’autre dans Azara, de Paine (1901). Des influences de Wagner et d’Elgar sont encore perceptibles chez quelques élèves de Chadwick : Converse, qui réussit à se faire jouer au Metropolitan Opera (The Pipe of Desire, 1909) et même Horatio Parker (Mona en 1912, Fairyland en 1915). Mais on s’étonne surtout que l’opéra soit pratiquement absent des préoccupations de la jeune école américaine, et que les grandes influences qui pesèrent sur celleci (Dvořák, l’enseignement de Nadia Boulanger, le néoclassicisme) n’aient pas eu grand écho à la scène. C’est en fait presque par hasard que naissent Madeleine, de Victor Herbert (1914), des opéras de Cadman, et surtout, en 1933, Emperor Jones de Louis Gruenberg (1884-1964), demeuré au répertoire. Virgil Thomson fit montre d’audace en destinant à des noirs Quatre Saints en trois actes (1934), puis en écrivant un opéra féministe Notre Mère à tous, d’après Gertrud Stein (1947). Mais, déjà, le dramatique Porgy and Bess (1935) de Gershwin (1898-1937) avait ouvert des voies autrement authentiques qui, après le Diable et Daniel Webster (1938) de Douglas Moore, conduisirent au savant opérajazz de Marc Blitzstein Regina (1949) et au West Side Story (1957) de Leonard Bernstein. On ne peut naturellement relier à aucun courant national l’oeuvre de Giancarlo Menotti (né en 1911), l’auteur lyrique le plus célèbre de son époque, en qui le librettiste et le metteur en scène éclipsent parfois le compositeur, disciple avoué mais tardif de Puccini, habile dans le comique, dans le drame (la Sainte de Bleecker Street, 1958), mais surtout dans un vérisme affirmé, dont le Medium (1946) et le Consul (1950) sont encore de remarquables fruits. Mais les vrais classiques de l’opéra américain du siècle demeurent plutôt le très lyrique Vanessa (1958) et le solennel Antoine et Cléopâtre (1966, revu en 1980) de Samuel Barber (1910-1980), mieux que The Second Hurricane (1947) et The Tender Land (1954) du populaire Aaron Copland (né en 1900). Il est d’ailleurs significatif que Roger Sessions (né en 1896), après avoir donné le Procès de Lucullus en 1947, ait dû aller présenter son opéra sériel Montezuma (entrepris en 1955) à Berlin, en 1964. OPÉRA-BALLADE ou BALLAD OPERA. Forme de théâtre musical ainsi nommé en Angleterre au début du XVIIIe siècle, consistant à inclure dans une comédie des couplets populaires assortis ou non de paroles nouvelles. L’exemple le plus fameux en est demeuré The Beggar’s Opera, arrangé par Pepusch en 1728. Ce genre, qui a également fleuri en Allemagne du Nord, aux États-Unis, en Russie, etc., était l’équivalent du « vaudeville entremêlé d’ariettes » qui a donné naissance à l’opéra-comique français. Le procédé a été parfois repris au XXe siècle, notamment par Ralph Vaughan Williams et Benjamin Britten. OPÉRA-BALLET. Nom donné à une forme particulière de l’opéra français du XVIIIe siècle. L’opéraballet mêle au chant une importante participation chorégraphique, mais diffère essentiellement de l’opéra en ce qu’il n’implique pas d’unité d’action : un prologue y présente un thème général, auquel succèdent des « entrées » exposant chacune une action différente (les âges, les saisons, les éléments, etc.). On fait généralement remonter la création du genre à l’Europe galante de Campra (1697), bien que l’oeuvre fût seulement nommée ballet. J.-B. Lully avait, en 1681, sous-titré « ballet en vingt entrées » son Triomphe de l’amour, et le terme « opéra-ballet » apparut en 1688 avec Zéphyr et Flore, sur une musique des deux fils de Lully, puis fut repris par Michel de La Barre (le Triomphe des arts, 1700). Quelle qu’en soit la dénomination exacte - ballet héroïque, balletopéra, comédie-ballet, etc. -, on range dans ce genre les oeuvres correspondantes de Campra, Mouret, Colin de Blamont, Destouches, Rebel, etc., et surtout Rameau (les Indes galantes, 1735 ; les Fêtes d’Hébé, 1739, etc.). On a, par la suite, appliqué ce terme à diverses oeuvres (cf. Armide de Rossini, Padmâvati d’Albert Roussel, etc.), sans définir par là un type précis de genre ou de structures. OPÉRA BOUFFE. Nom donné en France (par opposition à opérette) aux oeuvres parodiques d’Offenbach, qui, pour cette raison, appela Bouffes-Parisiens le théâtre qu’il fonda en 1855. Cette appellation a été reprise par Chabrier (l’Étoile, 1877) et parfois employée par certains compositeurs du XXe siècle pour désigner des oeuvres de caractère bouffon, mais comportant une musique de qualité, avec ou sans dialogues parlés (cf. les Mamelles de Tirésias de Francis Poulenc, 1945). OPERA BUFFA. Opéra italien de sujet comique, mais défini principalement par ses structures. Généralement en 2 actes, il est bâti sur l’alternance du récitatif secco et de l’aria, mais comporte aussi des duos, ensembles, et au moins un finale concertant, ce qui, à l’origine, le différenciait de l’opera seria. Le terme n’apparut que lorsqu’une séparation nette fut établie entre les genres comique et tragique, intimement mêlés dans l’opéra au XVIIe siècle, durant lequel des oeuvres entièrement comiques virent le jour à Rome ou Florence. Né à Naples au début du XVIIIe siècle (v. OPÉRA), l’opera buffa utilisa d’abord le dialecte, sollicita les plus grands compositeurs et emprunta de nombreux caractères à l’intermezzo, offrant néanmoins plus de variétés de structures grâce au nombre important de ses personnages. Plus réaliste que l’opera seria par le choix de sujets « quotidiens », il présenta en outre une typologie vocale moins abstraite, bien qu’il ait eu recours au travesti (plus tard au castrat), et il remporta un très grand succès. Dès 1750, il fit appel à des livrets d’une plus haute ambition, et donna naissance aux genres de la comédie, du dramma giocoso (Don Giovanni de Mozart) et du semiseria, conservant en commun avec ceux-ci le principe essentiel d’un grand finale concertant nouant l’intrigue au milieu de l’action. Réduit à un acte seul, il prenait le nom de downloadModeText.vue.download 741 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 735 burletta ou de farsa (giocosa, par opposition à la farsa sentimentale, issue du semiseria). Rossini mit un terme à la carrière du véritable opera buffa, lui substituant le dramma buffo ou comédie (cf. le Barbier de Séville, 1816) ou le genre semiseria, mais il survécut au travers de quelques tentatives de résurrection, notamment avec Don Pasquale (1843) de Donizetti, qui réutilisait le livret du Ser Marcantonio (1810) de Anelli et Pavesi. OPÉRA-COMIQUE. En France, type d’opéra où alternent le parlé et le chanté. Né en 1714 des spectacles de tréteaux des foires (v. OPÉRA), il consista d’abord à tourner en dérision les opéras en vogue, d’où son nom. Mais, en raison du monopole exclusif exercé par l’Opéra de Paris sur les oeuvres entièrement chantées, ce terme s’appliqua bientôt aux oeuvres jouées dans toute autre salle, qu’elles fussent de caractère gai, sentimental ou même tragique (cf. Médée de Cherubini, 1797), obligation leur étant faite de comporter des dialogues parlés. D’abord conçu comme un « vaudeville mêlé d’ariettes », le genre se structura vers 1750, grâce notamment aux efforts de Charles S. Favart (qui laissa son nom au théâtre de l’Opéra-Comique), et connut une heureuse fortune durant un siècle avec les oeuvres de Monsigny, Philidor, Grétry, Boieldieu, Hérold, Adam, Auber, Thomas, etc. L’opérette ayant repris l’héritage du véritable opéra-comique, celuici se tourna vers des sujets plus nobles, voire tragiques : en 1875, Carmen de Bizet n’avait plus de commun avec sa formule que ses dialogues parlés. Cet usage devint dès lors assez rare, et seule l’habitude fit que l’on nommât encore opéra-comique les oeuvres jouées à Paris dans ce théâtre, fussent-elles entièrement chantées, ou de caractère tragique (cf. Werther, Louise, Pelléas et Mélisande). Si on peut lui assimiler le singspiel, l’opera buffa et leurs équivalents européens, il est erroné de nommer opéra-comique des oeuvres telles que Paillasse, la Vie brève, Tosca, etc., simplement parce qu’elles furent d’abord jouées au théâtre de l’Opéra-Comique. OPÉRA SEMISERIA ou DRAMMA SEMISERIA. Type d’opéra italien tenant de l’opera buffa et de l’opera seria. Il a la structure du premier, mais emprunte au second certains caractères dramatiques et vocaux, mêlant des personnages typiques de l’opera buffa (notamment la basse bouffe) à ceux de l’opera seria. Son action, sentimentale, parfois tragique, comporte un dénouement heureux : on y voit généralement un personnage innocent, souvent d’humble condition (servante, jeune fille) injustement accusé ou contraint, et sauvé in extremis par un coup de théâtre (La Vera Costanza de Haydn, 1778-79). Il reprend donc le cadre du drame larmoyant français, et la Pie voleuse de Rossini (1817) en est considérée comme l’archétype. Il peut se confondre avec le dramma giocoso dont il a de nombreux caractères, mais sa naissance, liée au mouvement néoclassique italien, fut plus tardive, et on le nomma également héroïque, héroï-comique, tragicommedia, etc. En 1774, Paisiello sous-titre Dardane « commedia semiseria », puis utilise le terme exact pour sa Nina, pazza per amore (1789), inspirée d’une pièce française de Marsollier, déjà mise en musique par Dalayrac, et contenant une scène de folie. Utilisé durant un demi-siècle, le terme parut encore au-delà de 1850, notamment dans Elena di Tolosa, de Petrella (1852) et Belfagor, de Giovanni Pacini (1861). OPÉRA SERIA. En Italie, type d’opéra ne comportant ni personnages, ni scènes comiques, et dont le sujet est puisé dans la mythologie, l’Antiquité ou l’histoire. Né de la sépara- tion des genres, au début du XVIIIe siècle ( ! OPÉRA), l’opera seria correspondait alors à un type bien précis de livret et de structures, dont le modèle se trouve dans les drames de Zeno et de Métastase, drames à fin morale et dénouement heureux : l’action y reposait sur le récitatif (secco ou obbligato) tandis que l’aria exprimait des affetti (sentiments ou états d’âme), ou présentait des réflexions abstraites. Ces arias, très diversifiées, faisaient appel à toutes les ressources du bel canto. Après 1750, l’opera seria « réformé » inclut également des duos et ensembles, et en 1792 l’Elfrida de Calzabigi et Paisiello, qui fut le premier opéra de sujet médiéval comportant une fin « tragique » (c’est-àdire la mort du héros, ou de l’héroïne vertueuse), fut sous-titrée « tragedia seria ». Au XIXe siècle, Rossini appliqua à l’opera seria, souvent réduit à deux actes, la structure de l’opera buffa, avec finale concertant, et multiplia les dénouements tragiques. Au-delà de 1830, le terme, bien que survivant jusqu’au XXe siècle, se confondra avec ceux de drame ou tragédie. OPÉRETTE. Au sens où nous l’entendons aujourd’hui, l’opérette est une variété d’opéra-comique plus légère dans son sujet et dans sa musique, où tout finit bien, et qui a hérité de ses origines disparates et multiples un charme, une grâce à la fois élégante et populaire. Les frontières exactes entre opérette, opéra-comique, opéra bouffe ou opérette bouffe, puis, plus tard, entre opérette et comédie musicale sont bien difficiles à déterminer. C’est ainsi qu’Offenbach nommait souvent ces oeuvres opéras bouffes, malgré leur alternance de parties chantées et de scènes de comédie, et que, chez Messager, Véronique porte le titre d’opéra-comique, et les P’tites Michu, celui d’opérette. Souvent, la désignation des oeuvres était faite en fonction du genre auquel était voué le théâtre dans lequel elles allaient être créées. Une des meilleures définitions de l’opérette semble être celle du compositeur Claude Terrasse : « L’opéra-comique est une comédie en musique, tandis que l’opérette est une pièce musicale comique. » Au début du XIXe siècle, l’opéra-comique eut tendance à s’enfler, et la musique, à y prendre une place de plus en plus importante par rapport aux scènes parlées. C’est alors que, par réaction, le vieux genre gai du vaudeville, davantage axé sur la grosse farce que sur la musique, se renforça puis s’émancipa. Les véritables débuts de l’opérette eurent lieu en France avec Florimond Rongé, dit Hervé (18251892), auteur notamment de l’Ours et le Pacha (1842), de Don Quichotte et Sancho Pança (1848), puis de la grande « trilogie cocasse » l’oeil crevé (1867), Chilpéric (1868) et le Petit Faust (1869), et avec Jacques Offenbach (1819-1880). Charles Lecocq (1832-1918), dans la Fille de Madame Angot (1872) ou le Petit Duc (1878), ne chercha plus à parodier les grands musiciens, mais à faire de l’opérette la digne héritière de l’opéra-comique. En 1856, Bizet avait donné le Docteur Miracle. Emmanuel Chabrier suivit son exemple avec l’Étoile (1877) puis Une éducation manquée (1879). À la même époque, Edmond Audran (1842-1901) avec la Mascotte (1880), Robert Planquette (1848-1903) avec les Cloches de Corneville (1877), Louis Varney (1844-1908) avec les Mousquetaires au couvent (1880), reviennent à un genre plus populaire. Puis vinrent Victor Roger (1853-1903) avec les Vingt-Huit Jours de Clairette (1892), Louis Ganne (1862-1923) avec les Saltimbanques (1899), Gaston Serpette (1846-1904), ou encore Léon Vasseur (1844-1917). Après André Messager (1853-1929), qui éleva l’opérette à un haut niveau musical tout en restant gai et séduisant, deux voies étaient possibles en France : trouver des musiciens et des librettistes joyeux, capables de sortir l’opérette de sa torpeur ; s’inspirer de nouveautés étrangères. Les deux solutions devaient se révéler fructueuses, avec, entre autres, Claude Terrasse (1867-1923), qui revint à la cocasserie et au rire franc dans les Travaux d’Hercule (1901) ou le Sire de Vergy (1903) ; Henri Christiné (1867-1941), qui connut avec Phi-Phi, créé le 12 novembre 1918, un des plus grands triomphes de l’histoire du genre, et Maurice Yvain (1891-1965). Élève de Massenet, Reynaldo Hahn (1874-1947) s’attacha à réagir contre l’opérette américanisée et à restituer au genre sa dignité musicale. Il en alla de même de Louis Beydts (1895-1953). downloadModeText.vue.download 742 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 736 À leur suite, il faut citer Joseph Szulc (1875-1956), Moïse Simons (1888-1945), Raoul Moretti (1893-1954), Vincent Scotto (1874-1952), Jacques-Henri Rys (19091960), Paul Misraki, Francis Lopez, dont la Belle de Cadix (1945) remporte dans le genre le plus grand triomphe depuis Phi-Phi, Guy Lafarge. À noter également qu’ont honoré le genre de l’opérette des compositeurs tels que Léo Delibes (l’Omelette à la Follembûche, 1859), Henri Sauguet (le Plumet du colonel, 1924), Arthur Honegger (les Aventures du roi Pausole, 1930), Albert Roussel (le Testament de tante Caroline, 1936). Tout comme à Paris Hervé avait précédé Offenbach, à Vienne Franz von Suppé (1819-1895) précéda Johann Strauss fils (1825-1899). Dans le sillage de ce dernier, Karl Millöcker (1842-1899) et Carl Zeller (1842-1898). Au XXe siècle, l’opérette viennoise fut illustrée par Franz Lehár (18701948), Oscar Straus (1870-1954), Leo Fall (1873-1925), Emmerich Kalman (18821953), Ralph Benatzky (1887-1957), auteur de l’Auberge du Cheval blanc (1930), Robert Stolz (1880-1975). En Angleterre, il faut citer, outre Arthur Sullivan (18421900), Edward German et Noel Coward ; en Allemagne, Eduard Künneke, et Jean Gilbert, auteur de la Chaste Suzanne (1910) ; en Italie, Giuseppe Pietri et Carlo Lombardo ; en Russie, Boris Alexandrov (les Noces à Malinovka, 1937). En Espagne, l’opérette se confond dans la pratique avec la zarzuela ; parmi les oeuvres se rapprochant néanmoins des canons de l’opérette véritable, on peut retenir Romance au Portugal de José Padilla (1948), créé sous le titre de Symphonie portugaise en 1949. Quant à l’opérette américaine, elle eut d’abord pour principaux compositeurs Reginald Dekoven, Victor Herbert, John Philip Sousa. Rudolf Friml exporta le premier grand succès du genre, Rose-Marie (1924). Suivirent Sigmund Romberg, Jérome Kern (Show Boat, 1927), Irving Berlin (Annie du Far-West, 1946), George Gershwin (Tip-Toes, 1925), Richard Rodgers (Oklahoma, 1943 ; South Pacific, 1949), Frederick Loewe (My Fair Lady, 1956). ( ! COMÉDIE MUSICALE.) OPHICLÉIDE. Étymologiquement, « serpent à clés ». Cet instrument à vent, élaboré vers 1800, est, en effet, directement issu du serpent, bien qu’il soit en métal et non en bois, que sa forme soit complètement différente et qu’il soit pourvu, pour fermer les trous, d’un mécanisme de plateaux commandés par des clés. La disposition adoptée est à peu près celle du basson, le gros tube étant replié en U et le pavillon dirigé vers le haut. Très en faveur à l’époque romantique malgré sa sonorité rauque, l’ophicléide a été peu à peu délaissé au profit du sarrusophone, du contrebasson ( ! BASSON), du saxophone baryton et du saxhorn contrebasse. OPPITZ Gerhard), pianiste allemand (Frauenau 1953). Il étudie à la Musikhochschule de Stuttgart et à celle de Munich, puis suit les cours de Wilhelm Kempf à Positano. Premier prix en 1977 du Concours Arthur Rubinstein de Tel-Aviv, il se produit sur les grandes scènes du monde, consacrant une part importante de son activité à la musique de chambre, et dans une moindre mesure à l’enseignement. À partir de 1982, il propose des séries de concerts permettant d’entendre plusieurs intégrales (32 Sonates de Beethoven, le Clavier bien tempéré, etc.). Familier des romantiques allemands, il élargit son répertoire jusqu’aux oeuvres des compositeurs d’aujourd’hui, donnant en première audition des oeuvres de Lachenmann, entre autres. Il a réalisé une intégrale discographique de l’oeuvre pour piano de Brahms. OPUS. Mot latin signifiant « oeuvre », souvent abrégé en « op. ». Suivi d’un numéro, il désigne un ouvrage (ou un ensemble d’ouvrages du même auteur) dans son ordre de publication, qui ne correspond pas nécessairement à l’ordre chronologique de sa composition. Et il n’est pas rare que le numéro d’opus, consacré par l’usage, s’impose comme un véritable titre (exemple : l’opus 111 de Beethoven). C’est à la fin du XVIIIe siècle, alors que les éditeurs commençaient à jouer un rôle prépondérant dans la diffusion de la musique, que ce procédé de classement a pris naissance. ORATORIO. Genre de musique vocale dramatique à sujet religieux, ne faisant pas, en général, l’objet de représentations scéniques. L’ORATORIO ITALIEN. Si profondes que soient les racines musicales de l’oratorio, c’est un phénomène d’ordre essentiellement politique - la Contre-Réforme - qui amena la cristallisation du genre au cours de la première moitié du XVIIe siècle. Parmi les répercussions musicales du renouveau de l’Église catholique, on connaît bien les recommandations du concile de Trente (1545) concernant l’intelligibilité des paroles et condamnant les éléments profanes dans les oeuvres sacrées. Mais la Contre-Réforme eut aussi pour conséquence la fondation d’ordres religieux nouveaux et combatifs, dont l’un au moins, l’ordre des Oratoriens, fit de la musique un véhicule privilégié dans la diffusion de la foi. Vers le milieu du XVIe siècle, Filippo Neri, fondateur des Oratoriens, organisa de vastes rassemblements à caractère non liturgique, où l’on entendait des sermons agrémentés de morceaux de musique vocale. Un rapport de Neri adressé au pape indique on ne peut plus clairement la fonction de ces morceaux : « La pratique démontre que l’alternance des exercices spirituels sérieux, accomplis par des personnes sérieuses, et des plaisirs de la musique spirituelle [...] permet d’attirer une assistance plus vaste et plus variée. » Le succès de ces intermèdes musicaux fut tel que les réunions de fidèles organisées par les oratoriens prirent progressivement l’allure de concerts, et que le mot « oratoire » en vint, dans le deuxième quart du XVIIe siècle, à désigner non seulement le lieu de ces assemblées, mais aussi le genre de musique que l’on y jouait. Un voyageur français de l’époque, Maugars, nous en relate le déroulement : « Les voix chantoient une histoire du Vieil Testament, en forme d’une comédie spirituelle, comme celle de Suzanne, de Judith et d’Holoferne, de David et de Goliat. Chaque chantre représentoit un personnage de l’histoire et exprimoit parfaitement bien l’énergie des paroles. Ensuite, un des plus célèbres prédicateurs faisoit l’exhortation, laquelle finie, la Musique récitoit l’Évangile du jour, comme l’histoire de la Samaritaine, de la Cananée, du Lazare, de la Magde- laine et de la Passion de Nostre Seigneur : les Chantres imitant parfaitement bien les divers personnages que rapporte l’Évangéliste. » À la pratique décrite par Maugars se substitua l’habitude d’exécuter un seul oratorio en deux parties (une avant le sermon, l’autre après), afin de retenir jusqu’au bout l’attention des fidèles. Mais les sujets cités dans sa description se maintinrent pendant toute l’histoire de l’oratorio : l’Ancien et le Nouveau Testament étaient des mines inépuisables de livrets, à quoi s’ajoutaient encore l’hagiographie et la tradition allégorique. Le premier oratorio qui mérite considération pose, cependant, d’emblée le problème de la définition du genre : la Rappresentazione di Anima e di Corpo de Cavalieri, donnée en 1600 à la Chiesa Nuova, fut présentée sous une forme scénique, contrairement à ce qui devait devenir l’usage de l’oratorio italien baroque. Mais cette oeuvre avait un caractère expérimental et ne peut encore être placée dans aucune catégorie précise. Cavalieri avait longuement séjourné à Florence, où il avait participé aux recherches qui aboutirent à la création de l’opéra : sa Rappresentazione constitue donc, à Rome, l’équivalent de l’Euridice de Peri, dont elle est exactement contemporaine. Les deux oeuvres partagent les mêmes procédés musicaux, en particulier, la « déclamation chantée », et démontrent d’entrée de jeu que l’opéra et l’oratorio étaient voués à employer un langage identique tout au long de leur histoire. downloadModeText.vue.download 743 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 737 Le genre se mit véritablement à fleurir dans les années 1660 avec, comme principaux compositeurs, Mazzocchi et, surtout, Carissimi. Leurs oeuvres se caractérisent essentiellement, comme les opéras vénitiens ou romains de la même époque, par une grande souplesse formelle, qui permet la juxtaposition ou l’enchaînement de courts morceaux de styles différents : récitatifs, ariosi, airs et choeurs souvent monumentaux. Mais l’oratorio ne tarda pas à sortir du contexte paraliturgique des églises ou des oratoires : les grands aristocrates et les cardinaux romains virent le prestige que pouvait leur apporter ce genre musical nouveau, et organisèrent chez eux de somptueux concerts. Citons le prince Ruspoli, patron de Caldara, et le cardinal Ottoboni, employeur d’Alessandro Scarlatti, chez qui l’oratorio perd toute attache avec la prière et la prédication, et devient une manifestation purement musicale. C’est dans leurs palais que Haendel fit exécuter La Resurrezione et Il Trionfo del Tempo e del Disinganno (1708) avec une magnificence bien éloignée de la simplicité des premiers oratoires. Le faste de ces occasions ne s’étendait cependant qu’aux décors, à l’exclusion de tout costume analogue à celui des chanteurs d’opéra : les oratorios italiens, comme parallèlement les oratorios allemands, ne furent joués sur scène qu’à de très rares exceptions. Cet élargissement du cadre social de l’oratorio s’accompagna de profonds bouleversements dans sa structure dramatique et musicale : la fluidité du discours, typique de l’époque de Carissimi, fit place, au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle, à une polarisation progressive entre l’air et le récitatif, pour aboutir à une alternance régulière des deux formes. La participation orchestrale augmenta, la ritournelle initiale s’allongea, le style vocal se fit de plus en plus virtuose ; parallèlement disparurent les parties narratives, tandis que les morceaux choraux se bornaient à réunir les différents personnages dans un ensemble final. Cette transformation de l’oratorio s’effectua certainement en relation avec son entrée dans des lieux profanes, de même que l’importance accordée au brillant de l’exécution correspondait, à la même époque, à une forte ascension des chanteurs dans le monde musical. Il ne faut cependant pas en conclure à une sécularisation de l’oratorio : l’opéra et la cantate participaient eux aussi à la même évolution formelle, hors de tout contexte religieux, et les musiciens ne firent qu’étendre des techniques de composition semblables à tous leurs domaines d’activité, l’écriture chorale mise à part. Les principaux compositeurs de cette période sont Legrenzi, à Venise, Colonna, à Bologne, et, à Rome, Stradella, Caldara et surtout A. Scarlatti, qui composa plus de trente oratorios. La Juditha triumphans de Vivaldi (1716) constitue un cas exceptionnel, tant par les caractéristiques propres au style de Vivaldi que par les circonstances particulières de sa création : le contexte de l’Ospedaletto, à Venise, entraînait l’emploi de la langue latine, l’exclusion de voix masculines et la présence de choeurs plus nombreux que chez les contemporains de Vivaldi. Tout aussi difficiles à classer sont les oratorios viennois de Fux, qui perpétuent, dans les années 1730, un style d’écriture contrapuntique que la plupart de ses contemporains avaient abandonné. Plutôt que les termes de « galant », de « préclassique » ou de « napolitain », nous utiliserons l’expression « de type métastasien » pour qualifier l’oratorio de l’énorme production qui va des années 1720 à la fin du XVIIIe siècle, en passant par la Betulia liberata de Mozart (1771), Il Ritorno di Tobia de Haydn (1775) ou encore Abramo e Isacco de Myslivecek (1777). Comme dans l’opéra, en effet, l’oratorio a été dominé par Métastase, librettiste de génie, abbé de surcroît, dont chacun des sept livrets à thème sacré a été mis en musique plus d’une vingtaine de fois. Ce répertoire reste encore en grande partie inconnu, et l’on ne peut ici qu’en rapporter les caractéristiques principales : la prééminence de l’air da capo, l’abondance des passages de virtuosité vocale, et le nombre de choeurs plus élevé que dans l’opéra de la même époque. Un des rares représentants de l’oratorio de type métastasien que l’on joue encore, la Betulia liberata, composée par Mozart à l’âge de quinze ans, contient des morceaux d’une beauté un peu archaïque ; mais c’est là une oeuvre correspondant à un stade tardif du genre, qui porte déjà trop nettement l’empreinte personnelle de Mozart pour que l’on puisse en tirer des conclusions sur le style général de la période. Le livret d’Il Ritorno di Tobia de Haydn n’est pas de Métastase, mais il est de type métastasien. HAENDEL ET L’ORATORIO ANGLAIS BAROQUE. Quelques oeuvres à sujet biblique mises à part, l’oratorio anglais naquit avec Esther de Haendel (1718), oratorio composé pour le « grand salon » du duc de Chandos. Le sort du genre en Angleterre se joua quatorze ans plus tard, lorsque Haendel décida de reprendre son oratorio au King’s Theatre de Haymarket. L’évêque de Londres s’opposa à la représentation d’une oeuvre à sujet religieux sur une scène profane, et Haendel fit exécuter Esther, comme tous ses oratorios ultérieurs, en version de concert (en « nature morte », comme l’avait remarqué un de ses contemporains). Une tradition mora- lisante a fait accréditer la légende que c’est par piété que Haendel avait délaissé le domaine de l’opéra italien pour l’oratorio anglais. Il est maintenant bien établi que Haendel a longtemps composé dans les deux genres à la fois, et que seules des contraintes d’ordre financier l’ont obligé, en 1741, à abandonner l’opéra. De 1742 (le Messie) à 1752 (Jephté), Haendel donna un nouvel oratorio par an en moyenne, en général au Théâtre royal de Covent Garden ou au Haymarket. Bien qu’il eût écrit deux oratorios en italien lors de son séjour à Rome, ses oratorios anglais se situent sur un tout autre plan que ceux que l’on représentait en Italie à la même époque. À l’alternance d’airs et de récitatifs s’ajoute une participation chorale massive, rendue possible par l’absence d’action scénique : il n’y avait plus, dès lors, le moindre inconvénient à reléguer les solistes au second plan, derrière des choeurs souvent très développés, combinant ou alternant l’écriture contrapuntique ou le style homophonique. Le choeur intervient souvent dans le Messie, en raison de sa nature non dramatique, et, plus encore, dans Israël en Égypte, où l’élément soliste est presque inexistant. Les airs eux-mêmes se ressentent d’un contexte différent de la scène d’un théâtre : les schémas da capo sont en minorité dans tous les oratorios de Haendel, sauf Esther (son premier essai dans le genre), et dans des oeuvres aux implications particulièrement profanes, Susanna et Theodora. Cette caractéristique s’explique en partie par l’absence d’« airs de sortie » pour les personnages, en partie par l’abandon progressif des chanteurs italiens : pour des raisons à la fois financières et linguistiques, les vedettes de l’opéra ont progressivement cédé la place à des chanteurs anglais, moins épris de virtuosité vocale mais capables d’une communication plus directe avec le public. Haendel eut des émules en Angleterre, comme Greene, Boyce et Arne. L’oratorio anglais resta cependant un genre peu représenté au XVIIIe siècle : les divertissements royaux et aristocratiques étaient plus rares et moins somptueux que ceux des cours continentales et séparaient nettement les cérémonies solennelles (avec anthems) des réjouissances profanes. En l’absence de grandes fêtes religieuses comme en Italie, l’oratorio se trouva, en général, relégué au contexte exclusivement laïc des concerts et des théâtres. Le premier oratorio à avoir été joué dans un lieu consacré est le Messie, que Haendel reprit en 1750 dans la chapelle du Foundling Hospital à des fins charitables. Un tournant capital fut la grande « Haendel Commemoration » de 1784 à l’abbaye de Westminster : ce festival a assuré aux oratorios de Haendel une continuité d’exécution qui ne s’est jamais arrêtée jusqu’à ce jour. downloadModeText.vue.download 744 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 738 L’ORATORIO EN FRANCE JUSQU’À LA RÉVOLUTION. Le genre semblait avoir pris, au XVIIe siècle, un départ prometteur : Marc Antoine Charpentier, maître de chapelle de plusieurs églises parisiennes, séjourna à Rome dans les années 1660 et donna, à son retour, une série d’oratorios latins aux dénominations diverses (canticum, historia, dialogus, méditation) qui montrent une forte influence de Carissimi. À la mort de Charpentier, l’oratorio français ne réussit pas cependant à s’implanter, pour des raisons à la fois musicales et sociologiques. Contrairement à l’Italie, l’opéra n’était pas un pôle de créativité capable d’entraîner dans son sillage la composition de drames musicaux à thème religieux. La France ne comptait pas non plus, à la différence des pays luthériens, une multiplicité de grandes villes au public bourgeois pieux et épris de musique. Ce n’est qu’à l’arrivée de Mondonville à la direction du Concert spirituel, en 1755, que l’oratorio en français fit son entrée dans la vie musicale parisienne ; il ne subsiste malheureusement presque aucune partition de cette période. L’oratorio ne devint une composante régulière du Concert spirituel qu’à partir de 1774, date à laquelle Gaviniès, Leduc et Gossec assumèrent la direction de l’institution. La seule oeuvre de cette période qui ait fait l’objet d’une reprise moderne est le Carmen seculare de Philidor (177980), dont la composition a cependant été suscitée par les milieux littéraires et musicaux de Londres. Les quatre « messesoratorios » de Lesueur, exécutées à NotreDame en 1786 et 1787, constituent des expériences formelles intéressantes, mais elles sont restées sans descendance. L’ORATORIO ALLEMAND JUSQU’À HAYDN. Si l’on met à part un certain nombre de « dialogues », tels le « Vater Abraham » de Schütz (v. 1625) ou les oeuvres dramatiques de Buxtehude exécutées à Lübeck (seconde moitié du XVIIe siècle), les débuts de l’oratorio allemand se confondent avec les développements de la Passion. Sans doute faut-il voir là un effet de la religion luthérienne, car l’épisode de la Passion met l’accent à la fois sur la solitude du Christ et sur la responsabilité personnelle du pécheur devant la souffrance de Jésus. L’implication du fidèle dans les événements de la Passion est matérialisée par les nombreux chorals qui viennent en rythmer la narration : plus que dans les pays catholiques se trouvaient ainsi mêlées la représentation d’un drame et l’entreprise d’édification (le service divin) qui lui servait de cadre. La première Passion de ce type est la Passion selon saint Jean de Thomas Selle (1643), qui comporte trois « intermèdes » employant un choeur, des instruments et des solistes vocaux. Le plus grand représentant du genre fut tout d’abord Heinrich Schütz. Mais c’est dans la première moitié du XVIIIe siècle que la Passion connut son développement le plus important, sans doute sous l’impulsion de l’opéra en vogue à Hambourg dans les dernières années du XVIIe siècle. La postérité a retenu les deux Passions existantes de Jean-Sébastien Bach, mais de nombreuses oeuvres importantes ont été perdues, de la plume de Mattheson ou de Telemann, qui composa une Passion par an entre 1722 et 1767. Comme en Italie, l’oratorio allemand passa rapidement des églises aux salles de concerts ou à tous lieux permettant de grands rassemblements, comme le Drillhaus (caserne) de Hambourg. Un texte de Carl Philipp Emanuel Bach, en préface aux Israélistes dans le désert (1769), exprime clairement ce processus de désacralisation : « Cet oratorio a été composé de telle façon que l’on puisse l’exécuter dans toutes les communautés chrétiennes, non seulement à l’occasion de quelque festivité, mais à tous les moments que l’on voudra, dans l’église ou hors de l’église, pour la seule louange de Dieu, mais aussi sans incitation particulière. » Le courant religieux du XVIIIe siècle avait ainsi débordé le cadre de la prédication pour se teindre de préromantisme et devenir une des composantes de la nou- velle identité allemande dans le domaine littéraire et artistique. C’est ainsi que le Messie de Klopstock trouve un écho chez Telemann (Sing, unsterbliche Seele, 1759), l’Enfance du Christ et la Résurrection de Lazare de Herder sont mis en musique par Johann Christoph Friedrich Bach. Mais c’est le poète Ramler dont les oeuvres religieuses eurent le plus de succès auprès des musiciens (Graun, J. Chr. Fr. Bach, Reichardt, Zelter), et, comme pour Métastase, furent même mises en musique plusieurs fois par des compositeurs différents. Quelques phrases de sa Mort de Jésus (musique de Graun, 1755) montreront le ton lyrique et exalté de cette période : « Je vois les meurtriers : ah ! c’en est fait de Lui ! Mais Lui, impavide, s’approche de ses ennemis. Magnanimement, Il parle : me cherchez-vous ? alors laissez mes amis en paix. » On est loin du récit évangélique original, qui se départit rarement, même pour relater l’arrestation de Jésus, d’une certaine objectivité. Les traits dominants des oratorios allemands restent donc la prééminence du commentaire sur l’action, l’intériorisation du drame vécu par la conscience du chrétien. Les oratorios à intrigue sont rares, à la différence de l’oratorio italien, et semblent avoir surtout été cultivés par Rolle, un compositeur de Magdebourg (une forte participation chorale rattache cependant sans équivoque ses oeuvres à la tradition allemande). Le type le plus courant, en revanche, est l’oratorio contemplatif et narratif, représenté par exemple par le Jour du Jugement de Telemann (1762). Les personnages sont des allégories (Raison, Religion, Recueillement, Croyance, Incroyance), dont les diverses méditations sont reliées à un fil conducteur narratif : l’arrivée du Christ et de l’Ange de la Vengeance, la résurrection des morts, la damnation des incroyants, la jubilation des élus. Telemann évite cependant le risque de la moralisation par un langage musical vigoureux, tirant le meilleur parti d’un texte contrasté et riche en images. Les deux grands oratorios de Haydn, la Création (1798) et les Saisons (1801), pour être en langue allemande, plongent leurs racines dans des traditions bien plus variées que celle de la musique d’inspiration luthérienne. Ils suivirent de près la version vocale des Sept Paroles du Christ (1796). L’influence de Haendel est particulièrement sensible dans la Création, composée sur un texte adapté de l’anglais par le baron Van Swieten. Mais ce sont surtout les caractéristiques du langage musical classique qui font la grandeur de cette oeuvre, à la fois monumentale dans ses proportions et d’un extrême raffinement dans les détails. La trame de la Création est constituée par des récitatifs, tantôt simples, tantôt accompagnés (avec d’abondants effets descriptifs). Le récit des six jours de la Création est commenté par des solistes représentant trois archanges (Gabriel [s], Uriel [t], Raphaël [b]), et par un choeur, dont les interventions forment la charpente de l’édifice musical. Les airs sont d’une diversité formelle étonnante, comparable à celle des airs d’opéra de Mozart ; l’héritage de ce dernier se manifeste également par un style vocal proche de la Flûte enchantée, en particulier dans les parties de soprano (Gabriel-Pamina) et de ténor (Uriel-Tamino). La troisième partie est consacrée à Adam et Ève (bars), et constitue un hymne à l’amour dont les diverses péripéties sont déterminées par des raisons d’ordre purement musical. Les Saisons ajoutent aux caractéristiques relevées dans la Création une atmosphère qui rappelle parfois tout autant l’opéracomique allemand (le Singspiel) que l’oratorio proprement dit. Le sujet n’en est pas spécifiquement religieux : le poème de Van Swieten, inspiré de Thomson, est mi-descriptif mi-moralisant, et brode sur le cycle de la nature et les beautés de la vie à la campagne. Les solistes ne représentent plus des archanges, mais des paysans : Lucas (t), Simon (b) et sa fille Hanne (s). Mais ces personnages ne prennent à aucun moment une vie autonome : même le duo d’amour de Lucas et de Hanne, par exemple, n’est rattaché à aucune intrigue, à aucun arrière-plan dramatique cohérent. Les choeurs ont ici une double fonction, caractéristique de tant d’oratorios : tantôt ils représentent l’ensemble des fidèles, comme dans la Création, tantôt ils downloadModeText.vue.download 745 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 739 assument un rôle purement profane et mettent en scène un groupe de chasseurs, de vendangeurs ou de fileuses. Les choeurs d’inspiration religieuse sont relativement peu nombreux (nos 6, 9, 12 et 44), mais marquent très fortement l’atmosphère de l’oeuvre tout entière, tant par leur longueur que par la masse d’exécutants qu’ils mobilisent. Le choeur final propose une grandiose méditation sur la vie éternelle et laisse l’auditeur sur une note solennelle qui, comme les choeurs conclusifs des trois autres parties, vient nuancer a posteriori ce que d’autres morceaux avaient de subtilement populaire. L’ORATORIO AUX XIXE ET XXE SIÈCLES. Il est malaisé d’expliquer pour quelles raisons l’oratorio est entré en décadence au début du XIXe siècle, à partir du Christ au mont des Oliviers de Beethoven (1803). Non que les compositeurs s’en soient entièrement détournés : la production d’oratorios continua à un rythme assez élevé dans toute l’Europe ; mais les musiciens de théâtre, qui s’illustraient souvent jusquelà dans les deux genres, semblent avoir désormais manifesté une préférence presque exclusive pour l’opéra. C’est en Allemagne que l’oratorio s’est le mieux maintenu, grâce à une profonde tradition chorale et symphonique ; mais, si l’on excepte quelques oeuvres au langage résolument novateur, comme Christus (1856-1866) et la Légende de sainte Élisabeth de Liszt (1862), l’ensemble de la production reste marqué par un certain académisme, voire par un archaïsme délibéré. Les oeuvres les plus célèbres du romantisme allemand sont Saint Paul (1836) et Élie (1846) de Mendelssohn, qui connurent leur plus grande vogue en Angleterre. Le culte de Haendel dans ce pays, combiné à l’organisation de gigantesques festivals de musique chorale (Three Choirs, Leeds, Birmingham), a assuré à l’oratorio une place centrale dans la vie musicale anglaise, même si la créativité n’y était guère stimulée. Des oeuvres originales apparurent avec le renouveau de l’école nationale anglaise, illustré essentiellement par Edward Elgar (The Dream of Gerontius, 1900 ; The Apostles, 1903). Les générations suivantes prirent le relais, avec Belshazzar’s Feast de Walton (1931) et A Child of our Time de Tippett (1941). Bien qu’un assez grand nombre de compositeurs français se soit essayé au genre dans le courant du XIXe siècle, seules sont restées au répertoire l’Enfance du Christ de Berlioz (1854) et les Béatitudes de César Franck (1879), auteur également de Ruth (1846). Citons encore Rédemption de Gounod (1882). Les deux principaux oratorios français du XXe siècle, le Martyre de saint Sébastien de Debussy (1911) et Jeanne d’Arc au bûcher d’Honegger (1934) sont des commandes d’Ida Rubinstein et ont d’abord été conçus pour la scène ; cependant, on ne les joue plus guère qu’en version de concert, en « oratorio ». Le terme en est, en effet, arrivé à désigner l’exécution d’une oeuvre musicale dramatique sans représentation scénique. C’est ainsi que l’on qualifie, faute d’un meilleur terme, certaines compositions profanes de Haendel (Ode à sainte Cécile, par exemple), l’OEdipus Rex de Stravinski (1927) ou de nombreuses oeuvres officielles de Chostakovitch, Prokofiev, Sviridov (Oratorio pathétique, 1960) ou Kabalevski, dénuées de toute référence sacrée. Le sentiment religieux continue cependant à inspirer des oratorios jusqu’à nos jours, avec, par exemple, le Roi David d’Honegger (1921), le Mystère des Innocents de Barraud (1946), la Transfiguration de Messiaen (1969) ou Dies irae (1967) et Utrenja (1969-1971) de Penderecki. ORCHESTRATION. Littéralement, art d’écrire pour l’orchestre en tenant compte des possibilités de chaque instrument, des effets de leurs sonorités opposées ou combinées, et d’une certaine logique musicale dans la façon d’associer les couleurs instrumentales, d’amener et de varier leurs interventions, etc. Plus spécifiquement, on appelle orchestration l’étape de la composition musicale consistant à déterminer et à spécifier la répartition du discours musical entre les différents instruments selon une optique où ce discours musical peut s’écrire et se concevoir d’abord dans une version « réduite », sur deux ou trois portées, comme une partition de piano, avant d’être déployé dans l’orchestre. En fait, la plupart du temps, même dans la musique classique, où le compositeur écrit sa partition à grands traits avant de l’orchestrer, les choix d’orchestration sont déterminés explicitement ou implicitement au stade même de la conception de l’oeuvre ; et on aurait tort de croire que le compositeur ne se pose la question de l’orchestration qu’au moment où il passe à l’étape qui porte ce nom. Ce terme s’applique aussi à la réalisation de la version orchestrale d’une oeuvre primitivement écrite pour un ou des solistes : orchestration par Ravel des Tableaux d’une exposition de Mous- sorgski (l’oeuvre est originellement pour piano), du Ricercare de l’Offrande musicale de Bach par Webern, de l’Invitation à la valse de Weber par Berlioz, etc. En ce sens, l’inverse de l’orchestration, c’est la réduction, qui adapte l’oeuvre d’orchestre pour la rendre jouable par un ou deux solistes (réductions-transcriptions pour piano de Liszt). Par ailleurs, on appelle aussi orchestration le résultat de ce travail, c’est-à-dire la qualité et l’originalité orchestrale d’une oeuvre quelconque. Dans la musique occidentale, certains compositeurs sont considérés comme de grands « orchestrateurs », c’est-à-dire comme de grands inventeurs de solutions et de trouvailles dans ce domaine : Berlioz, Richard Strauss, Ravel, Tchaïkovski, Rimski-Korsakov, Stravinski, Bartók - par opposition à ceux que l’on considère, à tort ou à raison, comme des orchestrateurs médiocres (Schumann) ou banals et fonctionnels, soucieux seulement de bien « faire entendre » les parties musicales (Brahms, Franck). C’est dire que l’orchestration est une étape particulière de la composition, qui n’a cessé de gagner en importance avec l’évolution de la musique occidentale. Les compositeurs contemporains considèrent généralement que l’acte d’orchestrer ne doit pas être le dernier stade de la composition et que le choix des timbres revêt une telle importance qu’il doit être décidé d’emblée. On distingue couramment, à l’intérieur du travail d’orchestration, deux niveaux : l’instrumentation, étape « technique », qui correspond à l’art d’écrire pour chaque instrument d’une façon qui respecte ses possibilités propres et qui tienne compte de ses impossibilités (trilles impraticables, traits ou tenues périlleux, émission difficile ou laide), pour le faire sonner au mieux, en fonction de l’équilibre général ; et d’autre part, l’orchestration proprement dite, qui serait l’art de « composer » le choix des timbres en vue d’un résultat global, en faisant appel à l’imagination pour trouver des combinaisons efficaces et originales. Même si les définitions respectives de ces deux domaines varient selon les auteurs et les pratiques, il reste qu’on distingue toujours un niveau technique, celui de l’instrumentation, qui peut s’apprendre comme une sorte de « code de la route », et un niveau créatif, celui de l’orchestration, qui est complète- ment empirique et laissé à l’imagination. Mais les traités d’orchestration - dont les plus célèbres sont ceux de Berlioz (revu par Richard Strauss), Rimski-Korsakov, Charles Koechlin - sont, en grande partie, des traités d’instrumentation (c’est d’ailleurs le titre original de l’ouvrage de Berlioz), avec une sorte de répertoire pratique des possibilités de chaque instrument. Pour ce qui est de l’art d’orchestrer, ils ne peuvent livrer que des exemples ponctuels, anecdotiques, empruntés aux classiques. L’orchestration est en effet, dans la musique occidentale et par opposition à l’harmonie ou à la fugue, une discipline tout à fait empirique et apprise au coup par coup, à partir de l’exemple des classiques. Bien des histoires de l’orchestration ne sont que des compilations de trouvailles ponctuelles, comme si on n’avait pas su ou voulu en dégager explicitement les lois. Ces lois existent pourtant ; ce sont en partie des lois psycho-acoustiques, que l’expérience enseigne plus que la théorie, et qui font que telle combinaison d’instrudownloadModeText.vue.download 746 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 740 ments sonne bien et telle autre mal ; que tel instrument, dans tel registre, masque tel autre dans tel autre registre ; que telle formation instrumentale apparaît déséquilibrée. Mais ces lois varient selon les critères d’écoute propres à chaque culture. Dans les appréciations sur l’orchestration, on peut néanmoins lire en filigrane une certaine norme, qui est loin d’être arbitraire. On postule d’abord souvent qu’une bonne orchestration doit être transparente ; autrement dit, qu’elle doit, dans le contexte polyphonique qui est celui de la musique orchestrale, laisser percevoir distinctement le texte écrit, la ligne de chaque partie. On recommande donc d’éviter les combinaisons instrumentales amenant l’écrasement d’un pupitre par un autre ; on met en garde l’élève contre les sonorités trop concentrées, serrées, et compactes, qui « bloquent » tout le tissu musical dans une région étroite de la tessiture (certains reprochent, par exemple, à l’orchestration de Brahms sa lourdeur, sa façon d’appuyer le trait par des doublures, et de concentrer la substance sonore dans le médium). Il ne faut pas oublier qu’une grande partie de l’art d’orchestrer consiste à savoir étager les parties dans les différents registres, répartir les instruments selon leurs sonorités claires ou sombres, etc., pour éviter la confusion ou l’engorgement, et pour donner un certain effet d’aération ou de concentration, toujours lisible. Mais les exemples les plus contradictoires peuvent être proposés à l’admiration, tant qu’ils apparaissent comme la réalisation d’une volonté, d’un propos, et non comme la conséquence d’une incapacité. Chez Stravinski, par exemple (Symphonie de Psaumes), on souligne telle façon inhabituelle de disposer les notes d’un accord parfait final, avec la tierce majeure perchée tout en haut au piccolo, et un grand vide dans le médium de l’accord, créé par le choix des instruments et des registres. La sonorité qui en résulte, creuse, rude et vrillante, renverse les notions habituelles d’équilibre. Ce critère d’équilibre est en effet souvent évoqué. L’orchestre est considéré, à juste titre, comme un ensemble de forces, d’énergies acoustiques qu’il s’agit de faire concourir ou d’opposer en les maîtrisant, car elles sont toujours à la limite soit de se brouiller mutuellement, de se contrarier, soit de faire chavirer toute la sonorité de l’orchestre dans un extrême ; ou, enfin, de se disperser de façon anarchique. Une orchestration équilibrée tient compte de ce jeu de forces, pour occuper l’espace sonore d’une manière qui satisfasse à cette exigence implicite de compensation et d’équilibre des énergies et des couleurs, sauf déséquilibre voulu, qui est toujours temporaire. En règle générale, l’orchestration classique, harmonieuse, évite de privilégier trop longtemps tel pupitre, telle sonorité, telle zone de la tessiture. Cette exigence n’est pas absurde : l’orchestre traditionnel ne fonctionne comme orchestre - c’est-à-dire non pas comme une addition linéaire de sonorités, mais comme un tout structuré et logique que si l’on respecte au minimum ces lois implicites de compensation, qui donnent le dernier mot à l’ensemble, par rapport aux velléités d’expression individuelle de chaque partie. Défense est faite à tel instrument de jouer trop longtemps en « cavalier seul », ce qui assure aux éventuels « effets spéciaux » une efficacité accrue. Un art de l’effet, c’est précisément l’orchestration classique. Même si, aujourd’hui, on a tendance à mépriser tout ce que représente ce mot d’« effet », on le retrouve sans cesse dans les traités et les jugements d’autrefois : « telle combinaison est du meilleur effet ». Dans la mesure où l’orchestration est l’art de mettre en oeuvre les timbres, donc la substance incarnée des sons (alors que le contrepoint, voire l’harmonie, sont d’abord des jeux de valeurs abstraites), elle est un moyen d’investir directement la sensibilité, le corps de l’auditeur. Quand Beethoven réduit tout l’orchestre à une seule pulsation de timbales, ou fait rentrer en force, par surprise, les trombones dans le finale d’une symphonie, quelque chose se joue au niveau de la résonance corporelle des sons, et pas seulement d’un effet dramatique codé. Il s’agit donc que tel effet, comme on dit, porte, agisse. Le critère de la musique « bien sonnante » correspond non seulement à une exigence de clarté et de transparence (idéal classique de lisibilité du discours), mais aussi à un désir de déploiement de la sonorité, d’impact sur le corps. Les effets d’orchestration sont souvent décrits à l’aide d’analogies sensorielles. Mozart savait ainsi, lui qui, dit-on, n’aimait pas la flûte, amener quatre notes arpégées de flûte d’une manière bouleversante à la fin d’un mouvement lent de concerto. LES PROCÉDÉS D’ORCHESTRATION. On évoquera ici quelques-uns des procédés de l’orchestration classique : - les doublures : c’est le procédé le plus simple, qui consiste à associer deux instruments de timbres différents pour composer une sonorité « mixte « : ainsi la sonorité créée par l’unisson des violons et de la flûte dans la Scène aux champs de la Symphonie fantastique de Berlioz. Doublure on ne peut plus banale dans la musique baroque et classique, mais qui tire ici son efficacité expressive du contexte (elle est précédée des soli du hautbois et du cor anglais, instruments à nu, dont le timbre cru et nasal met en valeur, par contraste, sa rondeur veloutée). Les traités citent à l’envi des trouvailles de doublures à l’unisson, souvent comparées à des expériences de « chimie ». Mais tandis que certains compositeurs savent mettre en valeur des doublures d’instruments soli, d’autres aiment systématiquement doubler l’en- semble des cordes par un ensemble de vents, créant une sonorité compacte. On a reproché à Schumann ou à Brahms leurs doublures systématiques. Mozart, dit-on, n’aimait pas doubler à l’unisson et préférait garder chaque sonorité pure et sans mélange ; par contre, il aimait les doublures à l’octave, plus légères et aérées (début de la Quarantième Symphonie en « sol » mineur). Encore faudrait-il distinguer les fonctions de la doublure dans l’orchestre classique (colorer, souligner la ligne mélodique des cordes par une ligne de hautbois ou de flûte) et dans l’orchestre impressionniste, où il s’agit de créer une nouvelle sonorité plutôt que d’en marquer une par une autre. - les divisions : ce sont surtout les cordes, avec leur effectif nombreux, qui font l’objet de ces recherches (les vents, eux, par deux, trois ou quatre, sont d’emblée naturellement divisés). La division d’un pupitre peut-être comparée à une ramification d’un tronc commun en une multitude de branches. Elle crée un effet de foisonnement et de multiplicité, surtout quand le compositeur sait habilement « ouvrir » comme un éventail les cordes en en divisant les parties, pour refermer ensuite cet éventail sur un unisson. Mais la pratique systématique de la division des pupitres a pour effet, à la longue, de briser l’idée même de pupitre. - les ponctuations : cette fonction est naturellement dévolue, dans la musique classique, à des instruments comme les timbales, qui marquent les temps importants. Les pizzicati des cordes, les attaques sforzando, aussitôt adoucies, de cors ou de trompettes, les tintements de harpe et d’autres effets constituent tout un vocabulaire de ponctuations dont le rôle, par rapport à la composition, est souvent très important. - la répartition des nuances : Berlioz fut un des premiers à donner des nuances individuelles à chaque pupitre, sachant qu’un « forte » de cor n’est pas la même chose qu’un « forte » des violoncelles. - l’accompagnement : innombrables sont les formules par lesquelles les pupitres s’accompagnent mutuellement : arpèges, vagues montantes et descendantes des cordes, pizzicati en contretemps, arpèges des bois, tout un vaste vocabulaire de décoration, de soutien, d’enrobage, est créé dès la fin du XVIIIe siècle, en tout empirisme et sans que personne n’en fasse le relevé systématique. Naturellement, les compositeurs de la fin du XIXe siècle et du XXe siècle multiplient les recherches d’utilisations des downloadModeText.vue.download 747 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 741 instruments en dehors de leurs sonorités « standards « : cordes jouées « col legno » (avec le bois de l’archet), débauches de sourdines de glissandi, « flatterzunge » des flûtes, jusqu’aux recherches plus récentes qui, en faisant éclater la notion même d’unité du timbre instrumental, font éclater le concept d’orchestration. Les expériences de Klangfarbenmelodie manifestent la préoccupation de certains compositeurs d’arracher l’orchestration à l’empirisme pour « composer » avec les timbres d’une manière systématique. Cependant, ces tentatives furent assez localisées et peu suivies, malgré le prestige des exemples qu’on cite toujours en ce cas (Offrande musicale de Bach-Webern, Farben de Schönberg, etc.). L’orchestration est redevenue plus que jamais une pratique empirique. Cependant, l’idée de l’orchestration comme revêtement d’une pensée musicale abstraite est assez généralement repoussée par les compositeurs d’aujourd’hui, qui tendent à incorporer de plus en plus le travail sur les timbres, sur le son, dans le travail même de composition. On ne peut plus alors parler d’orchestration, puisque c’est tout le processus même de composition qui est engagé totalement dans ce choix des instruments et des sonorités. Il reste qu’il subsiste toujours des tendances, des manières instrumentales, et l’art de l’orchestration classique se perpétue dans des oeuvres qui se défendent parfois d’en être le fruit (chez Pierre Boulez, par exemple - un remarquable orchestrateur). ORCHESTRE. Au sens le plus général, et particulièrement dans la musique occidentale, réunion d’instruments fonctionnant comme « masse », comme ensemble, et non comme addition de solistes, ce qui est le cas dans les formations « de chambre ». À partir de cette définition, le problème du nombre minimum d’instruments nécessaire pour qu’on parle d’un orchestre, et non d’une formation de solistes, devient secondaire : des oeuvres pour huit instruments, comme l’Octuor de Schubert, sont de la musique de chambre, tandis que des oeuvres pour un nombre égal d’instruments, mais pensées « orchestralement », c’est-à-dire en jouant systématiquement sur le total instrumental (comme le Concerto pour clavecin de Falla) sont déjà des oeuvres d’orchestre. Le mot orchestre vient du grec « orchestra » qui désigne d’abord un lieu : celui situé, dans le théâtre, entre scène et spectateurs, où évoluait le choeur dans la tragédie antique. On a donc appelé de ce même nom la formation musicale installée sur cet endroit, puis toute espèce de formation comportant un effectif important. Le terme a conservé, dans la langue d’aujourd’hui, le double sens de lieu et de groupe instrumental, « collection de tous les symphonistes », comme écrivait JeanJacques Rousseau. On parlait encore, au XVIIIe siècle, pour désigner cet ensemble, de symphonie. LES DIFFÉRENTS TYPES D’ORCHESTRE. On distingue dans la musique occidentale : a) le grand orchestre symphonique, composé en majorité de cordes et de vents, et dont la composition, entre le XVIIIe siècle et le début du XXe a varié de vingt instrumentistes à cent, cent cinquante, deux cents, voire, exceptionnellement, plusieurs centaines chez Berlioz ou Mahler ; b) l’orchestre de chambre, plus réduit (aujourd’hui il peut aller jusqu’à trente instrumentistes). Là encore, la définition en est très relative ; c’est plus une question d’écriture, de proportions et de contexte, qu’une question mathématique d’effectif ; c)les orchestres utilisant une famille délimitée d’instruments : l’orchestre à cordes, composé du quintette traditionnel ; l’orchestre d’« harmonie », utilisant les vents et les percussions et issu des orchestres militaires et de plein air. On a également constitué des orchestres d’accordéons, des orchestres de guitares, de flûtes à bec, etc. Par analogie, on donne le nom d’orchestre à ces formations assez fournies qu’on trouve dans les musiques extra-européennes : gamelan balinais (la musique balinaise étant la plus proche de notre conception orchestrale), ou ensemble de gagaku japonais. La musique de jazz a su constituer un orchestre original, à base de cuivres ; on parle encore d’orchestres de variétés, de danse. Mais on s’attardera ici plutôt sur l’orchestre symphonique traditionnel de la musique occidentale. Cet orchestre, au sens moderne, s’est constitué à partir de son noyau central, l’orchestre à cordes, à quatre pupitres (violons 1, violons 2, altos, violoncelles) ou à cinq (les mêmes, plus un pupitre de contrebasses qui au départ se contentent de doubler les violoncelles à l’octave inférieure dans une fonction de renforcement). Les 24 Violons du Roy de Lully sont souvent considérés comme un des premiers orchestres au sens d’aujourd’hui. À partir de là s’est constitué l’orchestre symphonique, centré sur les cordes et peu à peu enrichi des interventions des bois, utilisés généralement « par deux » (deux hautbois, deux bassons, deux cors, la flûte restant souvent solitaire dans la musique de l’époque classique). C’est au XVIIIe siècle, en effet, que se stabilise le concept d’orchestre, lequel repose (c’est une évidence, mais que l’on souligne rarement) sur une certaine dialectique, une certaine répartition des fonctions entre deux sous-ensembles qui ne sont pas interchangeables : les cordes (qu’on appelle aussi souvent le quatuor, ou le quintette), où chaque pupitre doit être très fourni (cinq, dix, vingt instrumentistes pour chaque poste), et, de l’autre côté, les vents, que l’on appelle souvent l’harmonie, où les pupitres sont moins garnis (par un, deux, ou trois, plus rarement par quatre). Quant aux timbales et aux harpes (introduites, elles, au XIXe siècle), elles n’ont le plus souvent qu’un rôle de ponctuation et de décoration très délimité. Par essence, l’orchestre fonctionne donc sur une certaine dissymétrie hiérarchisée : la masse des cordes, qui est le « noyau dur » de l’orchestre, et le groupe des vents, bois et cuivres, qui en est le satellite. Pourquoi un tel partage des rôles ? Il faut d’abord rappeler que, dans les débuts de l’orchestre, et en mettant à part les instruments à clavier et à cordes pincées, les instruments qui offrent le plus de possibilités de virtuosité, de traits, de souplesse, de lié, de phrasé, de variétés de modes d’attaque (avec l’archet, en pizzicato, etc.), et de capacités de jouer dans tous les tons, ce sont, de loin, les cordes. Les vents, eux, ont dû attendre, pour la plupart, les efforts des luthiers des XVIIIe et XIXe siècles, qui les équipèrent de clefs, de soupapes et de pistons, pour conquérir à peu près la même virtuosité, la même capacité modulante, la même souplesse de jeu, la même justesse et homogénéité d’émission. D’autre part, il est significatif que les cordes seules, ou presque, aient conservé jusqu’à nos jours le principe, cher à la musique de la Renaissance, d’une famille de timbres homogène du grave à l’aigu (contrebasse, basse, ténor, alto, soprano). Pendant la Renaissance, un grand nombre d’instruments, des flûtes à bec aux violes, en passant par les cromornes, étaient construits par familles de plusieurs tailles, couvrant tous les registres et formant des ensembles complets. Au XVIIIe siècle, il n’y avait plus de telle famille pour les instruments à anches ou les flûtes. On reconstruisit ensuite des flûtes basses, des clarinettes basses, des contrebassons, qui restèrent d’un emploi assez rare. Si les vents de l’orchestre symphonique classique forment, du basson au piccolo, une petite famille, c’est dans une hétérogénéité voulue de timbres. C’est à partir de cette autosuffisance du quatuor que l’intervention des vents, d’abord très circonscrite et limitée, prend tout son sens. À l’époque classique, la flûte, le hautbois, le basson, le cor ou la trompette sont bien loin, surtout pour les cuivres, d’atteindre à la même facilité de jeu, dans tous les tons, que les cordes. Par contre, ils sonnent plus nettement, avec une couleur plus franche. Alors que les cordes doivent être assez nourries pour former une certaine masse efficace, l’instrument à vent, même en solo, porte et marque plus facilement. La répartition downloadModeText.vue.download 748 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 742 des rôles est donc la suivante : les cordes donnent le dessin, le trait, la trame, la structure ; tandis que l’harmonie (les vents) pose sur ce dessin ses touches de couleurs, souligne, ajoute du liant par ses tenues, fait miroiter ses oppositions de couleurs sur la base dessinée par le quintette à cordes. Parfois, les vents ont l’initiative temporaire du chant, de la mélodie ; ils peuvent même reformer un petit orchestre à l’intérieur du grand (comme dans certains mouvements lents des concertos de Mozart), mais c’est toujours dans le moment, entre parenthèses ou en introduction comme par autorisation spéciale - ce qui n’empêche pas, bien au contraire, ces interventions d’être d’un charme particulier, celui de l’éphémère, de l’allusif, du passager. Cependant, la plupart du temps, l’harmonie a une tâche plus humble et discrète : elle colore la masse des cordes par des doublures, ponctue et renforce par des notes isolées, relie par des tenues (qui en même temps affirment les « notes tonales »). Ce rôle peut paraître accessoire, mais supprimons d’une symphonie de Haydn ou de Mozart ces interventions de l’harmonie : souvent, le discours musical, le dessin mélodique et harmonique ne changent pas beaucoup, mais ce n’est plus un orchestre. Quelque chose de très important a été perdu, comme dans un vitrail qui cesse d’être éclairé par la lumière. À partir de là, sur cette base hiérarchisée, où les cordes conservent le dernier mot et ont à charge la conduite du discours musical, une expansion très large devient possible, qui ne compromet pas l’unité du corps orchestral tant qu’est respectée une certaine répartition des rôles. De Haydn à Mahler et même à Richard Strauss, l’orchestre peut décupler son effectif, s’incorporer de nouveaux instruments (du côté des vents), c’est toujours le même orchestre, qui ne fait que progresser par addition, enrichissement, ornementation, sur une base immuable qui reste bien visible. On « émancipera » les vents en leur donnant un rôle plus important et des interventions plus en vue ; on augmentera le nombre d’instruments et de parties, portant les flûtes à trois, les cors à cinq ou à sept ; on introduira de nouveaux pupitres (tubas, clarinettes), et même des invités d’occasion, harmonium ou célesta, sarrusophone ou saxophone ; on divisera même à l’excès les pupitres de cordes (deux, trois, quatre, cinq, dix parties indépendantes d’altos ou de violoncelles) - mais, en général, on compensera ces moments de pulvérisation du corps orchestral par d’autres moments où ce corps se rassemble, réaffirme la masse des cordes, fait jouer sa force et son ensemble organisé : ce balancement entre des moments éclatés et des moments rassemblés est sensible chez tous les grands « orchestrateurs », de Beethoven à Berlioz, de Wagner à Debussy. L’orchestre, ainsi, peut évoluer sur deux siècles d’une manière purement additive, linéaire : de plus en plus d’instruments, qui peuvent jouer de plus en plus de notes ; de plus en plus de couleurs, de combinaisons orchestrales, de parties séparées. Mais le noyau primitif du quintette à cordes reste intact. Tant que l’on conserve ce quintette comme centre de gravité (ce qui est le cas chez Debussy, et même chez Stravinski jusqu’à Petrouchka), l’édifice tient bon, il semble qu’on puisse ajouter indéfiniment sur ses fondations de nouveaux étages ; mais dès que l’on s’attaque à ce centre de gravité, dès qu’on pulvérise de manière trop constante, trop systématique les interventions du quintette, alors, la hiérarchie classique disparaît ; et, notamment, les vents reprennent leurs avantages naturels. Par rapport aux cordes, ils se mettent à sonner mieux, plus clairs, plus vifs. Devant cette loi de la jungle, qu’il a instaurée en cassant la hiérarchie garantissant aux cordes la conduite du discours, le compositeur n’a plus qu’un moyen de continuer luimême à régner : il lui faut diviser toujours plus, créer un poudroiement de cellules musicales, de sonorités. Ce poudroiement mène aux recherches de Klangfarbenmelodie (mélodie de timbres), lesquelles supposent une égalité de principe entre ces timbres ; ou bien à un impressionnisme total. On peut reprendre le terme pictural de divisionnisme, au sens propre, pour parler de cette façon de pulvériser l’orchestre et de casser la ligne instrumentale, au profit d’un travail sur la matière lumineuse. Ainsi, ce ne sont pas les « orgies de cuivre » de l’orchestre wagnérien et postwagnérien qui ont cassé l’orchestre ; pas même l’impressionnisme debussyste des Nocturnes ou de la Mer : c’est plutôt une certaine écriture divisionniste, dans tous les sens du mot : dans le temps (la ligne mélodique est cassée et distribuée entre les parties), et dans l’espace (il n’y a plus de masse, de noyau central, mais des éclats). Une oeuvre transparente et discrète, comme la Symphonie op. 21 de Webern, n’a besoin, pour briser d’un coup la hiérarchie du corps orchestral, que de répartir la ligne musicale à part égale entre tous les instruments, rendant tous les timbres à leur singularité, à leur solitude : chez Webern, un son de violoncelle est aussi éloigné d’un son d’alto qu’il l’est d’un son de hautbois ; l’esprit de caste, de solidarité des cordes est complètement nié. Significativement, c’est aux cordes que s’en est prise la révolution orchestrale du XXe siècle : soit qu’on s’en passe agressivement (groupe des Six, Stravinski), pour se limiter aux vents et pour refaire un orchestre plus tranché, plus individualisé, « sans la caresse des cordes » (Cocteau) ; soit qu’on leur ôte le pouvoir, qu’on leur retire le chant pour leur donner des traits et des matières - à moins qu’on ne mélange toutes les couleurs de la masse orchestrale pour assembler les timbres par mosaïques, sans souci de la répartition des pupitres en familles (Farben, de Schönberg, dans les Cinq Pièces), ou qu’on ne fasse « donner » contre les cordes l’escadron des percussions et des cuivres, qui les fait paraître soudain grêles, menues et miaulantes. La musique orchestrale contemporaine témoigne très concrètement de cette dissolution de la structure traditionnelle de l’orchestre : pour chaque oeuvre donnée dans un même concert, on voit s’affairer tout un branle-bas de déménagement, qui tente à chaque fois une nouvelle disposition, une nouvelle répartition des rôles ; chaque oeuvre prétend devenir un cas particulier. Les modèles sont cependant assez limités, même si leurs réalisations varient à l’infini : modèle égalitaire et dispersé ; modèle décomposé en groupes, constituant eux-mêmes des petits ensembles complets ; modèle massif et tachiste, etc. Cependant, dans les mains de créateurs comme Dutilleux, l’orchestre traditionnel prouve qu’il peut fonctionner encore admirablement (Métaboles). Un compositeur comme Olivier Messiaen a su se recréer un nouveau complexe orchestral, personnel et cohérent, dont le centre de gravité s’est déplacé franchement des cordes vers les vents, bois et cuivres, qui deviennent, dans beaucoup de ses oeuvres, le « noyau dur » de son orchestre. LA COMPOSITION DE L’ORCHESTRE. Un orchestre traditionnel fonctionne par pupitres, c’est-à-dire par « postes instrumentaux ». Chaque pupitre correspond en principe à une partie d’orchestre autonome, mais il peut lui-même se diviser temporairement en deux, trois parties ou plus, qui jouent de manière indépendante. Ce que l’on appelle communément la nomenclature d’un orchestre, c’est la composition de ses pupitres, qui ne préjuge pas du nombre d’instrumentistes (jouant du même instrument) qui vont occuper chacun d’eux (surtout pour les cordes), mais simplement du nombre et de la nature des « rôles » à tenir. Cette nomenclature, c’est-à-dire cette composition de l’orchestre, varie légèrement selon les oeuvres à l’époque classique, avec un invariant qui est la présence obligatoire du quintette : violons 1, violons 2, altos (on dit aussi alti), violoncelles et contrebasses. Du côté des vents, on a tantôt deux hautbois et deux cors, tantôt une flûte, deux hautbois, deux clarinettes, tantôt les mêmes instruments plus deux trompettes et deux timbales, etc., ainsi que les timbales, généralement par deux (accordées sur la tonique et la dominante), et, s’ajoudownloadModeText.vue.download 749 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 743 tant à l’orchestre à l’époque romantique, les trombones, les tubas, le cor anglais, les harpes, etc. Cette nomenclature est souvent figurée par des abréviations conventionnelles, issues des noms que ces instruments portent en italien, en allemand ou en anglais. Violon 1 et violon 2 s’écrivent V1 ou Vl 1, et V2 ou Vl 2 ; alto : A ou Vla (de l’italien viola) ; violoncelle : Vc ou Vlc ; contrebasse : Cb ou Kb ; flûte : Fl. ; piccolo : Picc. ; hautbois : Hb ou Ob. ; clarinette : Cl. ou Kl. ; cor : cor ou Hr ; trompette : Trp. ou Tr. ; trombone : Trb. ou Pos. (de Posaunen, mot allemand) ; tubas : Tb ; timbales : Timp. ou P. (de l’allemand Pauken) ; harpe : Arpa ou Hf. ; cor anglais : Engl. H. ou Cor. ingl. LA DISPOSITION DE L’ORCHESTRE. La disposition des instruments dans l’orchestre traditionnel est motivée par des raisons d’acoustique, ainsi que par des nécessités de commodité de vision. Elle met au premier plan, dans une sorte de demi-cercle autour du chef, la masse des cordes, handicapée par la faible portée naturelle de son timbre - cette disposition favorisant en outre une certaine intimité du chef avec les cordes comme noyau du discours musical. Dans un deuxième plan, les bois (de gauche à droite : flûte, hautbois, clarinette, basson, éventuellement contrebasson) ; au troisième plan, les cuivres (de gauche à droite : cors, trompettes, trombones et tubas). En principe, pour les cordes comme pour les bois, les pupitres se déploient de gauche à droite comme en éventail, dans un sens qui va de l’aigu vers le grave. LES SOCIÉTÉS ORCHESTRALES. On appelle aussi couramment orchestre une société orchestrale permanente, attachée à un lieu, un théâtre, une institution, comme l’Orchestre philharmonique de Berlin. Pour avoir une idée des principaux orchestres qui sont actuellement ou qui ont été en activité dans le monde, on se référera aux notices concernant les villes importantes et leur activité musicale. ORDINATEUR. L’utilisation de l’ordinateur en musique date à peu près de la fin des années 1950. Elle a fait un bond fulgurant dans les années 70, surtout dans le domaine de la synthèse sonore, en liaison avec l’apparition de mini-ordinateurs, dits microprocesseurs, qu’on utilise par ailleurs de plus en plus pour les fonctions les plus diverses dans la vie quotidienne. Comment la musique pourrait-elle être épargnée par une nouvelle technologie qui pénètre absolument tous les domaines de la vie humaine ? Plus ou moins artificiellement, on peut répartir les utilisations de l’ordinateur en musique sous trois rubriques : la musicologie, la composition, et la synthèse de sons nouveaux - ces deux derniers domaines communiquant étroitement. ORDINATEUR ET MUSICOLOGIE. De même qu’il est utilisé dans toutes sortes de recherches linguistiques, archéologiques, historiques, pour archiver et traiter du savoir, opérer des regroupements, des constantes, faire des statistiques, des analyses, l’ordinateur a été rapidement mis au service de la musicologie. On a essayé de s’en servir, par exemple, pour analyser les composantes statistiques du « style » d’un compositeur ou d’une tradition musicale (recherches de Fucks, Lincoln, Bowles, et, dans les pays de l’Est, de Zaripov, Havass), et, parfois, pour recomposer des « simulations » de styles musicaux (fausses musiques traditionnelles générées par l’ordinateur). Il faut préciser que l’utilisation de l’ordinateur ne garantit en rien l’« objectivité » ou la pertinence de telles analyses. L’ordinateur ne fait que traiter ce qu’on lui donne, et les critères d’analyse choisis peuvent être hautement contestables. En d’autres termes, l’intervention de l’ordinateur n’est en aucune manière une garantie scientifique ipso facto. ORDINATEUR ET COMPOSITION. Cette direction d’utilisation est celle qui a fait couler le plus d’encre, comme si on avait pu trouver effectivement le secret pour remplacer Beethoven ou Schubert par une machine. En fait, là encore, les machines ne font que traiter des informations qu’on leur donne, délivrer des masses de chiffres au hasard, ou appliquer des lois. Une des premières, peutêtre même la première recherche dans ce sens, fut celle de Lejaren Hiller et Leonard Isaacson, qui s’amusèrent, au studio de l’université de l’Illinois, aux États-Unis, à établir des programmes de composition reproduisant sous forme de contraintes les règles harmoniques et contrapuntiques traditionnelles. Ces programmes fonctionnaient plus ou moins comme des « filtres » servant à sélectionner des solutions entre les milliers de sons (codés en chiffres) générés au hasard par l’ordinateur. La Suite Illiac (1957), pour quatuor à cordes (car la « composition » ainsi créée fut transcrite en notation traditionnelle), est considérée comme la première oeuvre « calculée » par ordinateur, mais c’est d’abord une oeuvre de « simulation » de musique traditionnelle. D’autres démarches, qui ont voulu non seulement, comme celle-ci, analyser et reproduire le mécanisme de la composition classique, mais aussi s’essayer à exploiter l’ordinateur pour s’essayer à penser différemment l’acte de composition, furent celles de Pierre Barbaud, Frank Brown, Geneviève Klein (réunis à Paris dans le groupe BBK) et Janine Charbonnier (musique « algorithmique »), de Michel Philippot (tech- nique de « machine imaginaire »), de Yannis Xenakis, inaugurée par celui-ci dans la série de ses « ST « : ST-4 (1959-1962), pour quatuor à cordes, ST-10, ST-48, etc. ; de Gottfried-Michael Koenig à l’institut de sonologie d’Utrecht (Projekt 1 et 2) démarches tellement divergentes qu’elles pourraient rassurer ceux qui s’inquiètent d’une « uniformisation » de la musique par les machines. ORDINATEUR ET SYNTHÈSE SONORE. C’est en 1958 que Max Mathews a réalisé ses premiers essais de synthèse de sons par ordinateur, dans les laboratoires de la Bell Telephone, à Murray Hill, dans le New Jersey. Ce principe de synthèse directe de l’onde sonore consiste à faire calculer par la machine, selon un programme mis au point par les chercheurs, un nombre considérable d’informations (cinquante mille par seconde, dans certains cas) définissant les coordonnées de l’onde sonore en question - ces coordonnées étant transmises aux bornes d’un haut-parleur en passant obligatoirement par un appareil nommé convertisseur (« converter »), qui, dans ce sens, « convertit » les informations discontinues en un signal continu. Le convertisseur peut aussi fonctionner dans l’autre sens, celui de l’enregistrement « digital » d’un son concret, par exemple, en convertissant une onde sonore continue en informations discontinues susceptibles d’être mises en mémoire par l’ordinateur. Les techniques conçues par Mathews entouré de chercheurs comme Guttman, Pierce et le Français Jean-Claude Risset (qui poursuivra ses recherches en France à l’I. R. C. A. M., puis à son laboratoire de Marseille-Luminy) aboutissent à la création de plusieurs programmes, parmi lesquels Music V, qui a été le plus repris et utilisé dans le monde. Au début, on a cherché à reconstituer des sons naturels (sons de trompette, Risset), à partir d’une analyse préalable, afin de comprendre ce qui créait le timbre et la vie propre d’un son. Ces essais ont confirmé les intuitions anciennes de Pierre Schaeffer sur le rôle important joué par certains microdétails de matière, contrairement à l’opinion de ceux qui avaient voulu reconstruire tous les sons comme sommes d’harmoniques. Après quoi, on a cherché à synthétiser des sons réellement « nouveaux », ce qui pose le problème de l’inouï (illusions acoustiques, sons « impossibles », trans- formations « à vue », etc.). Cette direction d’utilisation de l’ordinateur est celle qui a connu le plus large développement dans les années 60 et 70, et les techniques de synthèse par modulation de fréquence inventées par John Chowning au laboratoire de Stanford, en Californie, leur ont donné un élan nouveau. Différents procédés ont ainsi vu le jour, souvent en intégrant downloadModeText.vue.download 750 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 744 l’acquis des recherches de Mathews et de ses collaborateurs. À côté de la synthèse « directe », dépendant des calculs lourds, on s’est préoccupé de créer des systèmes de synthèse dite « hybride », où l’ordinateur, au lieu de tout déterminer à partir de zéro, commande un synthétiseur classique analogique (programme EMS de Wiggen à Stockholm, recherches de Don Buchla et de Peter Zinovieff, programme Groove de Mathews et Moore, etc.). Cette technique hybride a l’avantage de permettre le « temps réel », c’est-à-dire une réaction immédiate, par des sons, de la machine aux ordres de l’expérimentateur, au lieu des quelques minutes, quelques heures, voire quelque jours ou quelques mois demandés parfois par l’ordinateur (surtout dans les années 60), pour effectuer son calcul et rendre son résultat ! Ce n’est pas seulement pour gagner un temps considérable, permettant un aller et retour plus rapide entre l’homme et les machines qu’on a mis au point ces techniques, c’est aussi pour retrouver un certain type d’accès aux appareils, qui reconstitue plus ou moins les conditions naturelles de production du son par des gestes, au lieu d’ordres tapés sur un clavier (système de « touches » sensibles à la variation de pression, de manches à balais, de claviers devant transmettre à la machine, sous forme d’ordres, les irrégularités vivantes du geste humain). D’autre part, on a mis au point des systèmes dits « mixtes » utilisant, pour gagner du temps et de l’espace, des sous-programmes prédéterminés, également commandés en temps réel (système VOCOM, Synclavier de Alonso, Al, et John Appleton). Il est impossible de citer tous les centres s’adonnant à ces recherches dans le monde, aux États-Unis, mais aussi au Canada (E. Regener à Montréal, Barry Truax à Vancouver), en Ita- lie (Rampazzi), en Belgique (Küpper) et en France, où l’on peut énumérer divers centres explorant des techniques diverses, avec des équipements naturellement très disproportionnés : l’I. R. C. A. M. (David Wessel, et la machine de synthèse 4X mise au point par di Giugno), le G. R. M. (lequel développe, à côté de systèmes de synthèse en temps réel étudiés par Allouis, des techniques de manipulation, par ordinateur, de sons concrets enregistrés, mises au point par Mailliard, Geslin, etc.), le C. E. M. A. M. U., fondé par Xenakis (système U. P. I. C., où les ordres sont donnés sous forme de graphismes, ce qui met la machine à la portée immédiate de tous), le Groupe de la faculté de Vincennes et ceux qui en sont proches (Arveiller, Audoire, Englert, Battier, Dalmasso), le G. M. E. B., le G. M. E. M. (Redolfi), le Laboratoire d’informatique et d’acoustique musicale de Marseille-Luminy, attaché au C. N. R. S. et à la faculté des sciences (Risset, Arfib), l’A. C. R. O. E. de Grenoble (Cadoz), et d’autres encore, parmi lesquels des « indépendants » en nombre croissant, puisque les appareils qui permettent ces recherches sont de plus en plus accessibles. ORDOÑEZ (Carlo d’), compositeur autrichien (Vienne 1734 - id. 1786). Né sans doute d’une mère espagnole, il fut fonctionnaire du gouvernement de Basse-Autriche à Vienne. Ses premières oeuvres furent diffusées dans les années 1750. Ce fut surtout un auteur de symphonies, genre dans lequel il précéda Haydn. Sous son nom en ont circulé au moins 78, dont 5 perdues et 6 au moins douteuses ou apocryphes, ce qui laisse un total de 67. L’une de ces 67, en la majeur (no A8 du catalogue thématique publié en 1978 par A. Peter Brown), est la seule oeuvre qu’au début des années 1950, avant la découverte de son véritable auteur, on fut sur le point d’ajouter à la liste des 104 symphonies de Haydn. Parmi les autres ouvrages d’Ordoñez, une sérénade pour 31 instruments à vent (1779, perdue), 12 menuets pour orchestre, un concerto pour violon, 27 quatuors à cordes, 21 trios à cordes, un ballet, la cantate d’après G. Werner Der alte wienerische Tandelmarkt (1779, perdue), et deux opéras parodiques : Alceste (Eszterháza, 1775, sous la direction de Haydn d’après le sujet traité par Gluck) et Diesmal hat der Mann den Willen (Vienne 1778, d’après le Maître en droit de Monsigny). ORDRE. Le mot est connu surtout pour avoir été employé par F. Couperin pour les pièces de clavecin qu’il destinait à être réunies en un même volume. C’est donc une collection de pièces dans la même tonalité. Commençant généralement par quelques pièces de style (allemande, courante ou sarabande), l’ordre contenait aussi des pièces descriptives ou divertissantes. ORFF (Carl), compositeur allemand (Munich 1895 - id. 1982). D’abord chef d’orchestre à Munich, Mannheim et Darmstadt, il met un certain temps à trouver sa voie de compositeur. Entre 1920 et 1935, il compose des opéras, des poèmes symphoniques, des lieder, des cantates sur des textes de Franz Werfel et Bertolt Brecht. Dès les années 20, il met au point un système d’éducation musicale fondé sur le rythme, et, en 1925, fonde avec Dorothée Gunther la Guntherschule, école de gymnastique rythmique et de danse classique. Il conçoit pour les élèves un orchestre où dominent les petites percussions (xylophones, métallophones en réduction, accordés sur la gamme pentatonique), orchestre encore utilisé aujourd’hui dans l’éducation musicale, en liaison avec la méthode qu’il proposait dès 1933 dans son ouvrage Schulwerk. Si cette méthode est très critiquée aujourd’hui par certains, elle eut le mérite, avec la méthode Dalcroze, d’être une des rares méthodes actives créées pour les enfants et offrant une alternative au solfège traditionnel. En même temps, dans les années 20 et 30, il se penche sur des musiques alors presque oubliées, Byrd, Lassus, Schütz, Monteverdi (dont il adapte l’Orfeo) et dégage sa conception personnelle d’une musique revenant à ses sources « primitives », liées au corps, à l’apprentissage de la maîtrise et de la coordination corporelle, mais aussi à une certaine idée de la musique comme rite. C’est en 1937 qu’il connaît, dans l’Allemagne du IIIe Reich, son premier grand succès, dont le retentissement sera mondial : ce sont les Carmina Burana, cantate scénique d’esprit « païen » où il cherche à retrouver la force des genres dramatiques primitifs, avec leur écriture martelée et simplifiée. Dès lors, reniant et détruisant ses compositions antérieures, il ne va cesser de suivre cette voie où une « nouvelle simplicité » (répétition mécanique d’accords parfaits, déclamation souvent recto tono, réduction des éléments mélodiques et rythmiques à leur niveau minimal de complexité), se met au service d’une volonté d’envoûtement dramatique. Les Catulli Carmina (1943) et le Trionfo di Afrodite (1953) complètent ce triptyque païen des Trionfi, exaltation d’un Éros jeune, viril, fort et collectif. Dans les « mystères » Der Mond (1939), sur une légende bavaroise, Die Kluge (1943), Die Bernauerin (1947), en dialecte bavarois, il cherche une forme de théâtre musical populaire allemand. Mais à la fin du Reich, dont il a été un des musiciens officiels, il se tourne plutôt vers des thèmes grecs (Antigonae, 1949, et OEdipus der Tyrann, 1959, d’après Sophocle, dans la version allemande d’Hölderlin, et un Prometheus, 1966, en grec ancien) et chrétiens (Comoedia de Christe resurrectione, 1957 ; Ludus de Nato Infante mirificus, 1960 ; De temporum fine comoedia, 1973). Dans ces oeuvres scéniques, les instruments à cordes sont réduits au minimum, au profit d’instruments plus utilisables dans un esprit « archaïsant » comme les vents, et, surtout, les percussions. Car cet archaïsme, chez lui, passe par un renoncement implacable à toute forme de nuance, d’écart, de fantaisie, hors des normes fixées au départ. Son succès s’explique facilement par cette recherche d’efficacité, mais aussi par le talent du compositeur à la mettre en oeuvre. ORGANOLOGIE. Branche de la musicologie traitant particulièrement de l’histoire et de la technique des instruments. Si le terme est récent, la chose est fort ancienne : dès l’Antiquité, des traités ont downloadModeText.vue.download 751 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 745 été consacrés à divers instruments ou familles d’instruments. Mais c’est Marin Mersenne (1588-1648) qui peut être considéré comme le père de l’organologie moderne avec son Harmonie universelle, parue en 1636, qui contient la description détaillée de tous les instruments connus à cette époque, et l’explication de leur fonctionnement selons les lois de l’acoustique. ORGANUM. Mot latin (pl. organa) signifiant « instrument » au sens général, musical ou non, et, parmi les instruments de musique, affecté principalement à l’orgue. Non traduit, il s’applique particulièrement à un genre de polyphonie médiévale qui se divise lui-même en deux branches principales : 1. L’organum primitif ou parallèle, attesté du IXe au XIIe siècle, consistant à superposer deux ou plusieurs voix chantant simultanément la même mélodie sur des intonations différentes, à la quinte, quarte ou octave l’une de l’autre, soit intégralement, soit avec des aménagements au début et à la fin des phrases pour rejoindre la voix principale ( ! GYMEL). L’organum parallèle s’oppose ainsi au déchant, où règne le mouvement contraire. 2. L’organum à vocalises, en honneur surtout du milieu du XIIe au milieu du XIIIe siècle, consistant à superposer au chant liturgique très ralenti ou teneur (peut-être joué à l’orgue, d’où son nom), une ou plusieurs voix solistes vocalisant librement et parfois très longuement. De l’organum doté de paroles dérivera le motet ( ! NOTRE-DAME [ÉCOLE DE]). ORGUE. Instrument à vent dans lequel les sons sont émis par des tuyaux commandés à partir d’un ou de plusieurs claviers, le vent les mettant en vibration étant fourni par une soufflerie. L’orgue est le plus ancien des instruments à clavier. Au fil des siècles, il est devenu l’un des plus riches et des plus complexes de tous les instruments de musique savante, celui susceptible de la plus grande étendue du grave à l’aigu et de la plus grande puissance. Ces caractéristiques, jointes à la diversité de ses timbres et à son emploi fréquent dans les lieux de culte, l’ont fait surnommer « le pape des instruments » (Berlioz). LES VARIÉTÉS. Il n’existe pas deux orgues semblables, à l’exception des petits instruments d’étude fabriqués aujourd’hui en séries de quelques unités. Chaque instrument est bâti selon des principes généraux communs à tous les orgues et souvent fort anciens, mais possède une individualité propre. Il est conçu et « composé » en fonction des desiderata, des goûts et des possibilités financières de son acquéreur, toujours sur mesures. De plus, l’organier donne aux différents jeux choisis pour l’instrument qu’il construit un caractère sonore (attaque, timbre, puissance), qui dépend de son propre style, mais aussi des mélanges de jeux possibles sur cet instrument (afin de réaliser des ensembles et un plénum cohérents) et de l’acoustique du lieu où ce dernier aura à se faire entendre. C’est ce que l’on appelle l’« harmonie » de l’instrument. Depuis l’instrument primitif et rudimentaire de l’Antiquité, l’hydraule, l’orgue a considérablement évolué. L’instrument traditionnel à tuyaux et à claviers s’est luimême diversifié en plusieurs formes : le grand orgue, celui que l’on rencontre dans les églises, le petit orgue ou positif, de dimensions et de possibilités plus modestes, et le tout petit instrument portable ou portatif. Au XIXe siècle ont été conçus et réalisés de nouveaux instruments : un orgue mécanique, mû par un cylindre tournant remplacé plus tard par des feuilles de carton perforé, l’orgue de Barbarie (souvent appelé du nom de son principal constructeur français, limonaire) ; et un instrument à anches libres, appelé alors « orgue expressif » et connu aujourd’hui sous le nom d’harmonium. Le XXe siècle a vu naître à son tour l’orgue électronique, dans lequel les tuyaux sont remplacés par des oscillateurs électriques, des amplificateurs et des haut-parleurs, et la forme la plus évoluée de l’orgue électronique, le synthétiseur, qui, lui, se démarque radicalement de l’orgue à tuyaux traditionnel. LES FONCTIONS DE L’ORGUE. L’orgue de l’Antiquité apparaît dans les jeux du cirque, où il assure une fonction d’appel et de signalisation. Chez les Romains, on le trouve aussi associé aux banquets dont il rehausse l’éclat par ses sons très puissants. Dans l’Occident chrétien, il est d’abord toléré dans les monastères et les églises, comme guide-chant, mais avec réticence, en raison de ses origines païennes. Il parvient cependant à s’imposer, au point d’exclure toute autre forme de musique instrumentale pendant plusieurs siècles et de devenir l’instrument par excellence de la liturgie chrétienne. En effet, généralisé dans l’Église catholique, il est également adopté par les luthériens, les anglicans et même les calvinistes, en dépit de la méfiance de ces derniers à l’égard de la musique. Chez eux, il sera relégué au rang d’accompagnateur des cantiques, tandis que, pour les catholiques et les luthériens, il fait partie intégrante de la liturgie : accompagnement des mouvements des fidèles (entrée, communion, sortie, processions), paraphrase des textes chantés (chorals, versets de psaumes, de magnificat, d’hymnes), prière et méditation en musique (offertoire, élévation). Dans les régions comme l’Autriche ou la Bavière, qui pratiquent encore la grandmesse baroque avec orchestre et choeurs, ou pour les cantates exécutées dans les églises luthériennes, l’orgue se joint à l’ensemble orchestral ; il est, entre autres, chargé d’accompagner le récitatif et d’exécuter la basse chiffrée. Le retour massif de la participation chantée de l’assemblée dans l’Église catholique depuis le concile Vatican II, la disparition de la tradition chorale en France et l’introduction dans les lieux saints de musiques nouvelles, d’inspiration profane et exécutées sur la guitare électrique, le synthétiseur ou les percussions, ont considérablement réduit la fonction liturgique de l’orgue, en France particulièrement ; et les orgues d’église de quelque intérêt se font davantage entendre dans des concerts qu’à la messe ou à l’office. Mais on trouve aussi l’orgue hors de l’église ou du temple. Dans les salles de concert ou de spectacle, où il se fait entendre soit comme soliste en récital, soit dans les oeuvres orchestrales requérant sa participation. Au cinéma, où, à l’époque du film muet (et principalement entre 1920 et 1930), l’organiste exécutait des illustrations sonores des images, ou bien agrémentait le temps de l’entracte sur des instruments au caractère adapté à cette fonction (jeux ondulants, jeux de percussion, forte pression d’air, etc.). L’orgue a même pris place dans des grands magasins : le plus volumineux instrument du monde se trouve aux magasins Wanamacker, à Salt Lake City (États-Unis), où il a quotidiennement à distraire les chalands ou à les inciter à l’achat (le talent de l’organiste doit s’y révéler d’une importance décisive). Les orgues mécaniques accompagnent les fêtes populaires, les bals publics ou les manèges de chevaux de bois, ou font entendre dans les rues et les guinguettes des refrains connus. Quant à l’orgue électronique, s’il sert de succédané à l’orgue à tuyaux auprès des paroisses peu fortunées, il s’est surtout répandu dans les orchestres de variétés et les ensembles de musique pop. LA STRUCTURE DE L’ORGUE. L’ensemble des commandes accessibles à l’exécutant est réuni en un meuble (console), indépendant ou encastré dans le bâti de l’orgue. Ces commandes sont dirigées vers les organes de production sonore par des éléments de transmission mécanique, pneumatique ou électrique. Le vent destiné à faire sonner les tuyaux est produit par une soufflerie (à moteur électrique de nos jours, mais mécanique jadis, animée par un ou plusieurs souffleurs), puis mis en réserve et sous pression convenable dans des soufflets. Quant downloadModeText.vue.download 752 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 746 aux divers tuyaux, dont le nombre peut aller de quelques unités à plusieurs milliers, ils se trouvent placés sur différents sommiers dans lesquels arrivent l’air sous pression et les différentes commandes. Tuyaux et sommiers sont enfermés dans le buffet, qui joue un rôle à la fois décoratif, protecteur et acoustique. La console met à la disposition de l’exécutant le ou les claviers (appelés grand orgue, positif, récit, écho et parfois encore solo, grand-choeur ou bombarde), ainsi que le pédalier. On y trouve aussi un certain nombre de registres, boutons ou tirettes étagés en gradins ou disposés verticalement de chaque côté des claviers, registres qui appellent en fonctionnement les divers jeux de l’instrument. D’autres commandes, mises en oeuvre à la main ou au pied, régissent les accouplements et les tirasses, et les éventuelles combinaisons fixes ou ajustables. Ces combinaisons per- mettent, par l’intermédiaire de dispositifs mécaniques, pneumatiques, électriques et aujourd’hui électroniques, de programmer à volonté diverses registrations (ou mélanges de jeux) ; qu’elles soient préparées par le facteur d’orgues ou ajustables à volonté par l’organiste, elles seront introduites d’un seul coup, au cours de l’exécution, par simple pression sur un bouton ou une pédale. Ce dispositif évite à l’exécutant d’avoir à s’entourer, comme jadis, de tireurs de jeux installés à ses côtés, dont le rôle était de modifier au moment opportun les sonorités requises par le morceau interprété. Les pieds de l’exécutant peuvent encore commander, depuis la console, l’ouverture ou la fermeture des jalousies de la boîte expressive (pédale d’« expression »), et éventuellement un crescendo progressif, faisant intervenir tous les jeux du plénum dans un ordre croissant d’intensité. L’emplacement longtemps considéré comme le plus logique pour la console a été celui dit « en fenêtre », les organes de commande étant encastrés dans le soubassement du buffet, ce qui réduisait de ce fait la longueur des organes de transmission, génératrice de retards, de dureté de manoeuvre et d’incidents. Mais à partir du XIXe siècle, on a généralement préféré construire des consoles séparées, placées en avant du buffet et permettant à l’organiste de diriger ses regards vers le lieu du culte dans lequel il a à intervenir. Grâce à la transmission électrique, on peut réaliser aujourd’hui des consoles mobiles, reliées au buffet par un gros câble contenant tous les fils de commande électrique (plusieurs centaines). Cette disposition se révèle particulièrement appréciable dans les salles de spectacle, puisqu’elle permet à l’organiste d’intervenir aussi bien sur la scène, depuis la coulisse ou dans la fosse d’orchestre. La transmission des commandes des touches des claviers et du pédalier peut se faire par système mécanique, pneumatique ou électrique, avec possibilité de mêler ces procédés entre eux (par exemple, transmission mécanique des touches et électrique des registres). Mécanique, elle fait appel à des vergettes qui prolongent l’action de l’enfoncement de la touche au sommier ; ce mouvement est relayé par des équerres et un dispositif démultiplicateur appelé abrégé. Dans la transmission pneumatique (dite aussi « tubulaire »), les pièces mécaniques sont remplacées par de petites conduites d’air comprimé ; mais ce type de commande met un certain temps à entrer en action (celui du déplacement de l’air dans les tubes), et les retards parfois très gênants occasionnés ainsi à l’exécution ont conduit à abandonner ce procédé qui, par ailleurs, était beaucoup plus sujet à incidents et pannes que la transmission mécanique. Quant à la transmission électrique, parfaitement au point de nos jours, elle permet de réaliser des consoles mobiles ou éloignées du buffet, et simplifie les commandes dans les très grands instruments. Elle consiste à placer des contacts électriques à toutes les commandes de la console (notes, registres, appels d’accouplements, de tirasses et de combinaisons) ; des câbles véhiculent instantanément le courant jusqu’aux sommiers, où il actionne des électroaimants. On a, un temps, imaginé une combinaison de la transmission pneumatique avec des sommiers à électroaimants ; mais cette transmission « électropneumatique » a cédé le pas devant les possibilités du système électrique. Il faut cependant souligner que, malgré ses incontestables avantages, la transmission électrique présente le lourd inconvénient de dépersonnaliser le toucher du clavier, l’attaque et la pression des doigts de l’organiste sur les touches demeurant sans effet correspondant sur le mode d’ouverture de la soupape. Pour alléger la transmission mécanique dans les grands instruments (et en particulier dans ceux dont la mécanique avait été mal réglée ou peu entretenue, voire mal conçue), l’organier Barker a imaginé, en 1839, une machinerie de leviers pneumatiques qui prennent le relais de la commande manuelle et constituent en quelque sorte des amplificateurs de puissance à la traction mécanique. Ainsi, l’organiste éprouve moins de difficultés à enfoncer les touches, surtout lorsque les claviers sont accouplés entre eux et qu’il y a une mécanique importante à faire mouvoir. Mais la machine Barker entraîne les mêmes inconvénients sur le toucher que la transmission électrique. La soufflerie est assurée par un ventilateur électrique, qui envoie de l’air dans de grands réservoirs à soufflets recouverts de poids. Leur but est de régulariser le débit d’air et de mettre cet air à pression convenable. Il peut alors être dirigé sans à-coups vers les sommiers par l’intermédiaire de tubes porte-vent. Les tuyaux de l’orgue peuvent être de deux types, à bouche ou à anche, selon le mode d’émission du son. À bouche, ils composent les jeux de fond ou les jeux de mutation et de mixtures. Ces tuyaux sont rangés par séries, correspondant aux jeux, sur les sommiers. Certains d’entre eux, trop volumineux, sont placés à l’écart, et des tubes porte-vent les alimentent individuellement depuis leur emplacement théorique sur le sommier : ont dit qu’ils sont « postés ». Il en va de même pour les tuyaux placés en façade du buffet, ou en montre, qui ne reposent pas directement sur le sommier, mais sont également postés. Quoique le matériau dans lequel sont fabriqués les tuyaux n’ait pas d’influence sur le timbre du son produit, il peut favoriser la réalisation du sifflet proprement dit qui engendre le son (bouche et biseau), et donc jouer sur l’attaque du son. Les organiers ont de tout temps choisi l’étain, mêlé à un taux variable de plomb, pour réaliser les tuyaux : cet alliage présente en effet la double propriété d’être très malléable pour être travaillé avec précision, et suffisamment solide pour que les plus grands de ces tuyaux ne se tassent pas sous leur propre poids. On construit également des tuyaux en bois, de section carrée, surtout pour les jeux de bourdon. La hauteur du son émis par les tuyaux est fonction de leur partie active, de la bouche à l’extrémité supérieure ; et c’est la forme et la section des tuyaux qui sont responsables du timbre du son. Les sommiers assurent la répartition du vent dans les tuyaux que l’organiste veut faire sonner : la soupape correspondant à la note introduit l’air à la base de tous les tuyaux que cette note est susceptible de faire jouer sur le clavier considéré ; mais seuls seront entendus les tuyaux dont l’admission d’air n’est pas obturée par le registre, c’est-à-dire ceux pour lesquels l’organiste aura tiré le registre du ou des jeux qu’il souhaite faire entendre. L’HISTOIRE DE L’ORGUE. Le plus ancien orgue connu est dû à Ctesibios d’Alexandrie, au IIe siècle av. J.-C. C’est l’hydraule, qui ne comporte que quelques tuyaux mis en oeuvre par l’intermédiaire de touches grossières. En Occident, l’orgue apparaît à l’époque carolin- gienne ; il y est importé de Byzance. Il se développe assez lentement d’abord : du IXe au XIIe siècle, son étendue passe de une à deux octaves, l’unique rangée de tuyaux se double d’une seconde. Du XIIe au XVe siècle, l’orgue se développe considérablement : les tuyaux se multiplient, le clavier s’étend et devient chromatique, la soufflerie se fait plus puisdownloadModeText.vue.download 753 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 747 sante. Dès la fin du XIVe siècle, l’instrument, placé en tribune dans les églises, est suffisamment important pour nécessiter qu’on lui adjoigne un autre orgue, plus petit, pour accompagner les chanteurs. C’est le positif, installé sur le devant de la tribune. Au XVe siècle, les sommiers se perfectionnent, et la possibilité apparaît d’isoler et de mélanger les jeux par tirage de registres, jeux qui, jusqu’à présent, ne pouvaient fonctionner que tous en même temps. Le grand orgue classique est alors constitué. Il va désormais connaître diverses évolutions, selon les pays et les écoles de facture qui se multiplient, mais tout en restant fidèle aux grands principes de base qui sont maintenant établis. En Italie, c’est un instrument souvent à un seul clavier, dont le plénum se décompose en de nombreux jeux de principaux qui permettent d’en faire varier la couleur et le caractère. Le plus grand représentant de cette facture est l’organier Antegnati. Mais c’est surtout en France, en Allemagne et en Flandres que l’orgue va se développer en coloris, en plénitude et en contrastes. En France, il présente deux claviers accouplables au début du XVIIe siècle ; à la fin du même siècle, il en compte trois, parfois quatre et même jusqu’à cinq, conçus pour s’opposer et se répondre. Il s’enrichit de jeux de détail, destinés à chanter en solistes jeux d’anches, notamment - et son plénum s’étoffe de nombreuses mixtures qui donnent de la légèreté et de la transparence à ses tutti. Son apogée se situe au début du XVIIIe siècle. Les principaux représentants de la facture française des XVIIe et XVIIIe siècles sont les Thierry et les Clicquot. Les théoriciens en sont le père Mersenne et surtout Dom Bédos, dont le monumental traité, l’Art du facteur d’orgues (1766-1778), unique en son genre, consacre tout le savoir-faire acquis au cours des siècles précédents. En Flandre et en Allemagne du Nord, l’orgue se singularise par ses jeux de flûte et ses batteries d’anches et ses amples proportions, tandis qu’en Allemagne du Centre et du Sud, l’instrument, moins développé, subit l’influence française et réalise un harmonieux équilibre des diverses tendances. Il est représenté par Fritzsche et Compenius pour le nord, les Schnitger et les Silbermann pour l’ensemble du monde allemand. Les orgues d’Allemagne ont la particularité de posséder un pédalier à touches qui favorise la virtuosité, alors que la France reste encore fidèle à son ancien pédalier à chevilles : l’adoption par la facture française du pédalier à l’allemande ne se fera que vers 1860 seulement. D’autres pays possèdent une école et un style originaux, comme la péninsule Ibérique, avec ses grands choeurs d’anches et ses tuyaux en chamade, et ses claviers coupés permettant des registrations différentes (Brebos). Les Anglais ont également développé un style spécifique, influencé par les écoles française et flamande (Dallam, Harris). Au XIXe siècle, après une période de stagnation et même de régression (en France surtout, du fait de la Révolution et du profond changement des goûts et des ), l’orgue va se trouver doublement marqué par la recherche d’améliorations techniques d’une part, et par l’influence du style symphonique d’autre part. Il va sacrifier son caractère propre (jeux de détail fortement typés, mixtures) à une imitation approximative des instruments de l’orchestre et des procédés de l’écriture symphonique ; à la poésie de timbres subtils, il préférera la puissance massive et une virtuosité évidemment calquée sur celle du piano qui triomphe alors. Sur le plan technique, l’orgue symphonique améliore la distribution du vent dans les sommiers, introduit la machine Barker, perfectionne la mécanique. Musicalement, il est plus puissant, mais aussi plus rond, plus grave, plus épais et dense, moins diversement coloré que l’orgue classique ou baroque. Procédant par grandes masses, il use d’effets de cres- cendo par renforcement de la sonorité en camaïeu et non par enrichissement du coloris ; souffrant d’une sorte de complexe du piano et de son impossibilité à faire varier l’intensité du son en fonction de la frappe de la touche, il cherche un nouveau type d’expressivité par l’usage de la boîte expressive. À côté d’un Cavaillé-Coll, qui réalise les chefs-d’oeuvre de l’orgue symphonique, et de facteurs comme Callinet, Abbey ou Harrison, bien des organiers moins doués ont bâti des instruments de moindre intérêt sonore, souvent même en modifiant des instruments anciens à jamais défigurés. Un mouvement de contestation de l’orgue symphonique s’est développé vers 1920, sous l’impulsion de Victor Gonzalez avec, bientôt, la caution du musicologue Norbert Dufourcq et des instances officielles (commission des orgues du secrétariat des Beaux-Arts). Ce mouvement a abouti en France à un instrument baptisé « néoclassique », qui pratiquait un sain retour à une esthétique ancienne plus spécifiquement propre à l’orgue, mais enrichie d’éléments techniques et sonores ultérieurs. Ainsi s’est concrétisé un instrument de style hybride assez mal défini, présentant un échantillonnage varié de jeux basé sur les compositions d’orgues classiques, tout en maintenant des jeux de l’orgue symphonique et en adoptant des techniques nouvelles, comme la transmission électrique pour les instruments importants. Cet idéal d’orgue à tout jouer a été appliqué non seulement à des instruments neufs, mais aussi à bien des instruments anciens - y compris les meilleurs représentants de la facture symphonique, qui se sont trouvés de ce fait dénaturés. Ce mouvement de retour aux sources devait se poursuivre après 1950 par des recherches plus approfondies sur les divers types d’instruments, classiques et baroques, dont il n’existe pas un seul prototype, mais un certain nombre de types très différenciés par le style, la composition et la réalisation technique. Il a abouti à la construction (ou à la restauration) d’instruments d’esthétique beaucoup plus pure et univoque, véritables copies d’orgues baroques allemands ou classiques français - orgues « à la Dom Bédos », « à la Silbermann », « à la Clicquot », etc., par exemple. Ce mouvement salutaire a permis d’accroître les exigences en matière de mécanique et de sonorité. On ne peut cependant nier qu’il ne s’agit là que d’un travail d’archéologie, si réussi soit-il (Kern). Depuis 1970 environ, et sous la pression de quelques organistes compositeurs, se font jour, en Allemagne principalement, des recherches de sonorités nouvelles et de dispositifs de jeu inédits : harmoniques supplémentaires dans les jeux de mutation, tuyaux ou émetteurs de sons inexplorés encore, programmation ajustable de sonorités et de mélanges sur des notes isolées, accords transposables automatiquement d’une note à l’autre pour permettre l’exécution de clusters, etc. Reste à savoir si des instruments réalisés sur de telles données permettront ou non l’exécution d’oeuvres anciennes, ou s’ils devront se spécialiser dans les oeuvres écrites à leur intention. Peut-être, en tout cas, ces recherches mèneront-elles un jour à la création d’un type d’orgue véritablement nouveau, comme le XXe siècle n’en a pas encore réalisé. LA MUSIQUE POUR ORGUE. Jusqu’au XVIe siècle, l’orgue, comme d’ailleurs les autres instruments à clavier, ne possède pas de répertoire propre. On y exécute des pièces polyphoniques, sacrées (motets, versets) ou profanes (multiples danses, canzone, variations), soit pour accompagner des chanteurs, soit pour dialoguer avec eux en répons, soit encore pour faire danser ou participer aux fêtes. Il est vraisemblable que, dès cette époque, une part importante était faite à l’improvisation (préludes, fantaisies). Quant à la musique écrite, elle l’était sous forme de tablatures. Au XVIe siècle, apparaissent l’édition musicale et les premières pièces spécifiquement instrumentales. Les oeuvres destinées à l’orgue ne se différencient d’ailleurs pas toujours de celles que l’on joue à l’épinette, au virginal, voire au luth. Mais des organistes écrivent des oeuvres qu’ils destinent expressément à leur instrument, principalement en Italie, en Flandres et en Espagne, la France se montrant plus en downloadModeText.vue.download 754 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 748 retard en ce domaine. Le siècle est dominé par les figures de l’Espagnol Cabezón, spécialiste des variations, du Flamand Sweelinck, auteur de fantaisies, toccatas et variations, et d’une riche école italienne, où l’on peut relever les noms de Cavazzoni, Merulo, A. et G. Gabrieli, Banchieri, Luzzaschi, Palestrina. Les Italiens multiplient toccatas « per l’elevazione » ou « sopra i pedali », ricercari, canzone, pastorales, etc., sans que ces pièces aient toujours une forme, une attribution instrumentale et une fonction bien précises. Le XVIIe et le XVIIIe siècle voient à la fois l’apogée de l’instrument classique et baroque et de la fonction liturgique de l’orgue, et la consécration de l’autonomie de la musique instrumentale. C’est aussi un temps traversé de courants mystiques profonds (mystiques français du XVIIe siècle, piétistes allemands du XVIIIe, etc.), courants qu’illustreront des compositeurs de génie. En Espagne fleurissent tientos et variations sous la plume de Correa de Arauxo, puis de Cabanilles, ainsi que des « battaglie » qui font sonner les batteries d’anches en chamade des instruments ibériques. L’Italie, après avoir jeté ses feux au XVIe siècle, ne produit plus d’oeuvres marquantes, et l’Angleterre développe ses voluntaries avec Blow, Purcell, Boyce ou Stanley. Mais les deux pays dominants sont alors la France et l’Allemagne. En France, une première génération, au début du XVIIe siècle, celle de Titelouze et de Racquet, pratique les versets contrapuntiques et les fantaisies polyphoniques. Avec Roberday et Louis Couperin (1650), le style se fait moins sévère, sous l’influence de l’art italien. Mais c’est ensuite que l’orgue français connaît ses plus grandes heures. C’est alors le triomphe des grandes pièces faisant sonner le riche plénum de l’instrument classique (grand jeu, plein jeu, préludes, fantaisies), encadrant des pages de caractère poétique, mettant en valeur un ou plusieurs des jeux de détail dont l’orgue français abonde : récits, basses et dessus, duos, trios, dialogues, etc. Telle est l’ordonnance type de ces Livres d’orgue qui vont éclore à profusion en une centaine d’années, de Nivers (1665) à M. Corette (1734), en passant par Lebègue, Jullien, Gigault, Raison, Boyvin, Guilain, Du Mage, Clérambault, Marchand, les sommets du genre étant les deux messes de François Couperin (1690) et le Livre d’orgue de Grigny (1699). Dès 1730, cependant, l’orgue est envahi par les frivolités de style et les coquetteries de virtuoses, empruntées au genre mondain du clavecin, étalant à profusion les variations brillantes (Daquin), paraphrasant les chansons populaires (noëls), et, à la fin du siècle, introduisant des effets descriptifs (orage, tonnerre, oiseaux) dans des pièces imitatives d’un goût douteux et d’une substance musicale extrêmement indigente. En Allemagne, les musiciens du sud sont influencés par l’Italie, dans leurs chorals, leurs fantaisies ou leurs préludes, d’un caractère volontiers serein et méditatif : Froberger, Muffat, Fischer, Pachelbel. Au nord, au contraire, se développe un art puissant, à la fois dans le développement polyphonique (fugues, chorals variés) et dans la virtuosité proprement organistique (toccatas), en des architectures sonores solidement charpentées. C’est la manière des disciples de Sweelinck, Scheidt, Scheidemann, puis de Boehm, Bruhns, Hanff, Lübeck et surtout Buxtehude. Tous les éléments sont réunis pour que le prodigieux génie synthétique de J. S. Bach les rassemble, les fonde et les développe en une oeuvre unique en son genre, qui résume les deux siècles précédents et semble en épuiser toute la sève : ni les frères Haydn ni Mozart n’apporteront à la musique d’orgue d’éléments majeurs (les deux admirables Fantaisies de Mozart, que l’on joue à l’orgue, étaient destinées à un instrument mécanique). Le XIXe siècle et la première moitié du XXe, tout entiers tournés vers la symphonie et l’opéra, négligent d’abord l’orgue, et pour plusieurs décennies. En Allemagne, les oeuvres de Schumann, de Mendelssohn, de Brahms et de Reger coulent un langage et une pensée romantiques dans des formes héritées de Bach (préludes et fugues, préludes de chorals) ; seules les quelques pages de Liszt font entrevoir un monde expressif résolument neuf. En France, après un siècle d’effroyable décadence que couronne un Lefébure-Wély, la double influence des organistes demeurés fidèles à la grande tradition germanique (Lemmens, Hesse) et de l’effort de curieux et de chercheurs pour retrouver la musique ancienne et renouer avec le plain- chant, va aboutir à un renouveau d’abord marqué par Boély, puis par Saint-Saëns et Franck, dont les premières pièces datent de 1862. Le rayonnement personnel de Franck amène à l’orgue de nombreux disciples. Mais c’est Widor qui va former au Conservatoire de Paris la plus réputée des écoles d’organistes, plaçant la France au premier rang mondial. Widor crée la symphonie pour orgue, grande fresque qui fait valoir les instruments de Cavaillé-Coll, et prône une improvisation en style rigoureux (sonate, choral, fugue, etc.). Parmi ses disciples, Vierne, Tournemire, Dupré sont les meilleurs représentants du style symphonique, qui se tourne aussi vers la paraphrase des motifs grégoriens. Mais la musique d’orgue reste le fait d’organistes-compositeurs. Ni Debussy ni Stravinski n’écrivent pour l’orgue, et les oeuvres que lui consacrent un Ives ou un Schönberg sont trop peu nombreuses pour être significatives. Deux compositeurs renouvellent le langage de l’orgue et l’extirpent de son épaisse gangue symphonique : Jehan Alain, trop tôt disparu, et Olivier Messiaen, dont l’oeuvre profondément originale ouvre à l’orgue des chemins nouveaux. Auprès d’eux, ni Heiller ou David en Autriche, ni Hindemith en Allemagne, ne font figure de novateurs. Depuis les années 60, les compositeurs portent un intérêt nouveau à l’orgue. Ce ne sont plus exclusivement des organistes confinés dans le langage de leur chapelle, mais des musiciens qui entrevoient des possibilités expressives nouvelles sur l’instrument à tuyaux : Kagel, Ligeti, Yun, Darasse, Pablo, Zacher, Boucourechliev ouvrent des voies qui pourraient mener, avec un instrument mieux adapté à leur imagination, à une renaissance de l’orgue. ORGUE DE BARBARIE. Orgue mécanique, portatif, dont l’élément moteur est un cylindre à picots mû par une manivelle. Chaque picot déclenche au passage une soupape correspondant à un ou plusieurs tuyaux, alimentés en air par un jeu de soufflets. Cet instrument forain ne doit évidemment rien à quelque pays réputé barbare. Son nom populaire n’est qu’une déformation de celui de son inventeur, un facteur de Modène qui s’appelait Barbari ou Barberi. ORGUE ÉLECTRONIQUE. Instrument moderne, à un ou plusieurs claviers, dont la source sonore consiste en une batterie de haut-parleurs alimentée par un jeu plus ou moins complexe de transistors. Les semi-conducteurs peuvent en effet fournir des fréquences d’une précision mathématique, et par conséquent des sons d’une hauteur donnée, dont diverses combinaisons permettent de modifier le timbre. Les orgues électroniques les plus perfectionnés parviennent ainsi à reproduire la plupart des jeux de l’orgue classique à tuyaux, plus quelques effets douteux de vibrato ou autres, sans parler des modèles qui fournissent un accompagnement préfabriqué sur des rythmes de valse, de tango, etc. La réputation de l’orgue électronique souffre évidemment des excès de certains fabricants, qui basent leur publicité sur la paresse ou l’ignorance de l’acheteur éventuel. Mais elle mérite mieux, qu’il s’agisse de l’instrument économique à quatre octaves sur un seul clavier, destiné aux enfants et aux amateurs débutants, ou du grand modèle à deux claviers et pédalier qui permet de jouer tout le répertoire classique. La qualité du son n’est certainement pas celle d’un orgue à tuyaux, mais l’encombrement et le prix de revient sont tellement moindres que downloadModeText.vue.download 755 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 749 de nombreuses paroisses l’ont sagement adopté de préférence au vieil harmonium, dont les ressources sont beaucoup plus limitées. ORMANDY (Eugene), chef d’orchestre américain d’origine hongroise (Budapest 1899 - Philadelphie 1985). Il entre à cinq ans à l’Académie royale de Budapest, pour y apprendre le violon, et donne, deux ans plus tard, ses premiers concerts. Ayant achevé ses études auprès de Jenö Hubay à quatorze ans, il enseigne lui-même trois ans plus tard. Il quitte l’Europe avec une place de premier violon dans l’orchestre Blüthner (obtenue en 1917) pour une tournée aux États-Unis qui tourne court. Devenu premier violon au Théâtre du Capitole de New York, établissement voué au cinéma muet, il remplace en 1924 le chef d’orchestre. D’orchestres de musique légère en concerts radiodiffusés, il en vient à diriger en 1930 les concerts d’été de l’Orchestre de Philadelphie et, l’année suivante, remplace trois fois Toscanini dans des programmes classiques. Minneapolis lui offre, de 1931 à 1936, la direction de son orchestre, avec lequel il se fait connaître par ses premiers enregistrements. Rappelé par l’Orchestre de Philadelphie pour diriger en alternance avec Leopold Stokowski, il en devient directeur musical unique de 1938 à 1980. Proche par goût personnel du répertoire postromantique du tournant du siècle, Ormandy a créé de nombreuses partitions relevant de cette esthétique : danses symphoniques de Rachmaninov, troisième concerto pour piano de Bartók (avec G. Sandor, en 1946), Diversions pour la main gauche de Britten, des pages de Roger Sessions, Samuel Barber, etc. Il a également réalisé d’importants enregistrements, dont le premier de la symphonie no 10 de Mahler reconstituée par Deryck Cooke. Son style, mélange de virtuosité et de perfectionnisme, a transformé le Philadelphia Orchestra en une des plus remarquables phalanges des États-Unis. ORNEMENTS, ORNEMENTATION (en all. Verzierungen, en angl. ornaments, en it. abbellimenti). Dans la musique vocale et instrumentale, les ornements constituent toute une gamme d’embellissements destinés à agrémenter les lignes mélodiques d’une composition. Ils doivent toujours conserver le caractère d’une improvisation spontanée même lorsque ces ornements ont été notés avec précision par le compositeur. C’est à l’époque baroque, au moment où le bel canto atteint son apogée sous le règne des castrats, que l’art des ornements connaît une période de virtuosité éblouissante en même temps que des abus inévitables. L’interprète, de nos jours, doit redécouvrir d’abord la technique instrumentale ou vocale qui lui permet d’improviser librement, voire aisément, mais il doit surtout y prendre plaisir et être conscient qu’un trop grand respect de la note écrite revient à trahir les intentions du compositeur. Celui-ci, aux XVIIe et XVIIIe siècles, soutenu par les théoriciens qui étaient souvent eux-mêmes des instrumentistes, considérait les ornements (écrits ou improvisés) comme un élément indispensable à sa musique et ne s’indignait que contre les excès. Avant l’invention de la notation musicale, les ornements improvisés autour d’un chant ont certainement existé, tant ils sont naturels. On peut d’ailleurs en relever des exemples dans les musiques traditionnelles d’un grand nombre de pays extraeuropéens encore aujourd’hui. Lorsque la notation neumatique ( ! NEUMES) est employée au IXe siècle pour codifier le répertoire de l’Église, les fioritures sont indiquées au moyen de neumes d’ornement tels que le « quilisma », l’« ancus » et le « torculus ». Avec l’avènement de la notation mesurée au XIIIe siècle, la plique (barre verticale ajoutée à une note) appelle un ornement qui est une sorte d’appoggiature. Pendant tout le Moyen Âge et la Renaissance, la pratique des ornements est très répandue. Suivant l’exemple des improvisations des chanteurs, les instrumentistes à leur tour introduisent des ornements. C’est ainsi que, chez G. Gabrieli par exemple, un simple thème de chanson française est transformé, grâce aux ornements écrits et ajoutés, en une canzona instrumentale aux traits souvent virtuoses dans chacune des parties de la polyphonie. Vers la fin du XVIe siècle apparaissent des traités exposant les diverses techniques de l’ornementation, sans doute pratiquées depuis longtemps déjà (les instrumentistes Ganassi, Ortiz et Dalla Casa ; les chanteurs Maffei, Conforto et Bovicelli). Le talent pour exécuter toutes sortes de passages (« passaggi ») dans chacune des voix d’un madrigal italien s’est cultivé au fil des années et offre un témoignage de la maîtrise technique atteinte par les chanteurs qui nous semble redoutable à l’époque actuelle. Le traité de Dalla Casa (Il vero modo di diminuir, 1584, rééd. 1970) contient un madrigal de C. de Rore (Tanto mi piaque) où les quatre voix sont ornées de diminutions. La même méthode transforme une pièce vocale en pièce de clavier ; de là découle la variation, où les valeurs des notes sont progressivement ré- duites au cours de la série. C’est une forme souvent employée par les virginalistes anglais (J. Bull, W. Byrd, G. Farnaby, etc.). À la « fancy « des Anglais répond la « fantasia « et le « ricercare « des maîtres italiens. En France, l’instrument polyphonique préféré demeure le luth ; pour lui sont adaptés des chansons, des motets et airs de cour. G. Zarlino, reprenant Platon, précise que l’harmonie et le rythme doivent être les serviteurs de la parole (Istitutioni armoniche, 1558) : idée humaniste fondamentale et point de départ d’une rédaction contre les complexités de la musique polyphonique qui rendaient le texte inintelligible. Ses partisans estimaient que la parole serait mieux servie par une voix seule déclamant en musique, avec une certaine liberté rythmique, les passions exprimées dans le texte. Ces passions (« affetti «, mouvements de l’âme) se rehaussaient de tout un choix d’ornements que G. Caccini expose dans la préface de ses Nuove Musiche (1601) : « trillo « (répétition de plus en plus rapide d’une seule note), « gruppo « (notre trille habituel), « cascata « (trait rapide descendant), « ribattuta di gola « (inégalisation des croches ou doubles croches pour rendre le chant plus gracieux). Il suffit d’analyser les oeuvres de l’époque pour les retrouver. Si en Italie, au cours du XVIIe siècle, l’ornementation devient de plus en plus le domaine de l’interprète (voix et violon surtout), la France préfère un système mieux défini. Afin d’agrémenter la mélodie, on se sert de signes, introduits d’abord par les luthistes, ou alors on prend soin d’écrire la version ornée d’un air de cour par exemple. Celle-ci, la seconde strophe, prend le nom de « double » et les ornements contribuent à effacer les difficultés créées par la prosodie. Le chanteur Michel Lambert a laissé de fort beaux exemples notés de cet art. Chez les clavecinistes français, le terme « double » est synonyme de variation. Un genre particulièrement original caractérise leur musique : le prélude non mesuré que F. Couperin qualifie de « composition libre où l’imagination se livre à tout ce qui se présente à elle ». Sur un vague schéma en valeurs longues accompagnées de quelques dessins mélodiques, l’interprète orne à son gré afin de se chauffer les doigts. Quant au chant français de cette époque, B. de Bacilly, dans son ouvrage Remarques curieuses sur l’art de bien chanter (1688, rééd. 1971), décrit les ornements les plus usuels (port de voix, accent ou plainte, tremblement, cadence et double cadence, soutien de la voix, expression ou souci des passions exprimées dans le texte, doublement d’une note, diminution) mais ne donne pas d’exemples notés. Le choix de tel ou tel ornement par le chanteur est déterminé par le texte poétique et par le bon goût. En revanche, les luthistes, clavecinistes et organistes français ont rédigé des tables d’agréments pour embellir la mélodie, sans doute à l’imitation des chanteurs, mais aussi afin de prolonger les sons des instruments à cordes pincées. Les downloadModeText.vue.download 756 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 750 auteurs ne sont pas toujours d’accord au sujet de la nomenclature ni de la manière d’exécuter certains ornements. Située à mi-chemin entre les styles français et italien, l’école allemande adopte une attitude modérée à l’égard des ornements improvisés. J.-S. Bach va jusqu’à noter lui-même ses fioritures, notamment les mouvements lents, ce qui a entraîné une certaine réticence de la part des interprètes modernes, par exemple devant la possibilité d’exécuter un trille sous-entendu à une cadence. Au XVIIIe siècle, et surtout en Italie, on assiste à la véritable soumission des compositeurs aux caprices des chanteurs toutpuissants. C’est l’époque de l’aria à da capo, avec ses maîtres A. Scarlatti, Bach, Haendel et Hasse. Cette forme ternaire offre aux chanteurs, au moment de la reprise, l’occasion de se distinguer, d’éblouir et, parfois, d’épuiser le public par les exploits du gosier. Les mouvements lents des sonates et concertos sont souvent des improvisations libres très ornées à partir d’une simple esquisse de quelques notes (Haendel, concertos pour orgue ; Corelli, Sonates, op. 5). Depuis le siècle précédent, les com- positeurs français indiquent la place d’un ornement à l’aide d’une petite croix (+ : « faites un ornement ici, selon vos moyens techniques et [dans le cas de la musique vocale] selon le sens du texte »). Mais ils les écrivent aussi, par exemple autour d’un mot imagé tel que « voler ». Les nombreuses critiques qui affirmaient qu’une ornementation excessive rendait totalement méconnaissable la composition originale ont amené plusieurs réformes. Dans l’opéra, d’abord celles de Gluck, qui s’applique à épurer la mélodie de ses fioritures abusives ; ensuite celles de Rossini, qui n’interdit pas les ornements - ce serait contre la nature de sa musique - mais prend la précaution de les écrire lui-même à l’exclusion de tout autre. L’époque romantique, héritière en cela du style instrumental classique, demeure en faveur d’une ornementation écrite et strictement au service de l’expression. Cependant, le XIXe siècle abandonne la plupart des ornements du bel canto pour ne garder que le trille, les appoggiatures, les traits et arpèges décoratifs (par exemple, dans la musique de piano de J. Field et Chopin), le mordant, et le « gruppetto » cher à Schumann et à Wagner pour ne citer que l’usage émouvant qui en est fait dans le prélude de Parsifal. Chez Verdi puis chez R. Strauss, les ornements écrits sont riches et travaillés à travers l’oeuvre. Il n’en faut pas moins constater que l’ornementation, afin d’embellir véritablement, doit éclore librement. ORTIGUE (Joseph Louis d’), musicologue et critique français (Cavaillon 1802 - Paris 1866). On retient de son activité de musicologue ses travaux sur la musique d’église. En 1857, Joseph d’Ortigue fonda avec Niedermeyer la Maîtrise qui devint en 1862, sous sa direction, le Journal des maîtrises, revue du chant liturgique et de la musique religieuse. Son ouvrage le plus remarquable est son Dictionnaire liturgique, historique et théorique de plain-chant, écrit en collaboration avec Nisard. Appartenant à un milieu royaliste et conservateur, Joseph d’Ortigue a été l’ami de Berlioz et de Liszt, dont il fut le compagnon à La Chênaie, chez Lamennais. Disciple de Ballanche, adepte de l’esthétique spiritualiste de ce dernier, croyant à la « religion de coeur », à la musique comme « langage universel », ainsi qu’à la mission rédemptrice de l’art, il s’est trouvé en communion d’idées avec Liszt. Il fut le fidèle défenseur et souvent le porte-parole de Berlioz, à qui il succéda en 1863 comme critique musical au Journal des débats. Malheureusement, vers la fin de sa vie, il revint à des opinions conservatrices et ne put comprendre la Messe de Gran de Liszt lorsqu’il l’entendit à l’église Saint-Eustache en 1866. ORTIZ (Diego), musicien, organiste et théoricien espagnol (Tolède v. 1510 Naples ? v. 1570). Il était à Naples dès 1553, et, en 1558, il était vice-maître de chapelle du duc d’Albe, vice-roi d’Espagne. La plupart de ses compositions sont demeurées en manuscrits, à l’exception d’un Musices Liber I, édité en 1565. Mais il est surtout connu comme théoricien, pour avoir publié un traité d’exécution sur les instruments à cordes et le clavecin, indiquant notamment la réduction de la polyphonie et la composition des ricercari et des glosas (variations). Intitulé Trattado de glosas sobre Cláusulas y otros generos de puntos en la Música de Violones nuevamente puertos en luz, ce traité a été édité en 1553 à Rome. OSSIA (ital. pour « ou bien »). Terme indiquant une alternative pour un passage donné (pouvant par exemple être remplacé par un autre moins difficile, celui proposé en alternative étant en général écrit en petites notes au-dessus ou audessous de la portée) ou un titre d’oeuvre (L’anima del filosofo ossia Orfeo ed Euridice de Haydn, Cosi fan tutte ossia La scuola degli amanti de Mozart). OSTENDORF (Jens-Peter), compositeur allemand (Hambourg 1944). Il étudie la théorie et la composition à l’École supérieure de musique de Hambourg de 1964 à 1969. Comme boursier de la ville de Hambourg, il collabora en 1968 au Studio de K. Stockhausen et participa à la composition collective Musik für ein Haus à Darmstadt. Particulièrement intéressé par le théâtre musical contemporain, il dirigea à partir de 1969 le département Musique de scène au Thalia Theater à Hambourg, fonda en 1970 le groupe Hinz und Kunzt, et entreprit en 1972 des études en phonétique expérimentale à l’université de Hambourg. Ayant obtenu le prix de Rome, il séjourna en 1973-74 à la villa Massimo. Après avoir étudié en 1979 la musique des Touaregs du Sahara et des juifs de l’île de Djerba, il effectua un stage à l’I.R.C.A.M. en 1980. Ses recherches les plus récentes sont orientées vers la live electronic et vers l’opéra. OSTINATO (ital. : « obstiné »). Ce terme désigne un élément mélodique ou rythmique plus ou moins court se répétant périodiquement et « obstinément », cependant que d’autres éléments (voix superposées, rythmes simultanés, etc.) se modifient simultanément. La basse répétée, ou basse contrainte (basso ostinato), qui est un dessin mélodique de basse de quatre à huit mesures se répétant indéfiniment, est un cas particulier d’ostinato ; elle est le principe de genres comme le « ground » des virginalistes anglais, la chaconne, la passacaille, les danses variées sur des basses obstinées comme la « folia », et elle apparaît également dans les airs d’opéras (air de Didon mourante dans Didon et Énée de Purcell). La forme « variation » en est l’extension. On applique aussi le terme d’ostinato à la répétition insistante d’une brève cellule rythmique ou rythmico-mélodique, dans la musique africaine par exemple. Les musiques répétitives de Steve Reich ou Philipp Glass sont faites souvent entièrement d’ostinatos superposés. La « boucle », en musique électroacoustique, est une forme moderne d’ostinato, chez Pierre Henry notamment. L’ostinato, dans le Boléro de Ravel, est double : un bref ostinato rythmique d’accompagnement, et le thème lui-même, très développé, mais que sa répétition textuelle, dix-sept fois de suite, transforme en un ostinato de grande envergure. OSTMAN (Arnold), chef d’orchestre, pianiste et organiste suédois (Malmö 1939). Il étudie à l’université de Lund, ainsi qu’à Paris. Il débute comme organiste à l’église Klara de Stockholm et, en 1969, devient directeur artistique de l’Académie Vadstena. Tout en accompagnant au piano Birgit Nilsson et Nicolaï Gedda, il se passionne pour la musique baroque. En 1974, il fonde le Norreland Opera à Umeä, où il met en pratique ses recherches musicologiques. De 1979 à 1992, il dirige le Festival de Drottningholm. Dès 1979, il y exécute la version dite « de Prague » de Don Giovanni, et enregistre ensuite les downloadModeText.vue.download 757 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 751 grands opéras mozartiens. Chef lyrique régulièrement invité à Covent Garden ou à la Fenice, il réalise deux films musicaux : Christina, Winter Queen of Sweden en 1979, et Gustav III en 1983. OTTAVINO. Terme italien tiré d’ottava (« octave ») et désignant la petite flûte, appelée dans les autres pays piccolo (de flauto piccolo) et jouant à l’octave supérieure. OTTE (Hans), compositeur allemand (Plauen, Saxe, 1926). Élève de Johann Nepomuk David et de Paul Hindemith (composition) ainsi que de Walter Gieseking (piano), il séjourna à la villa Massimo comme prix de Rome (1959), puis fut nommé à la tête du département de la musique de la radio de Brême, ville où en 1961 il fonda les festivals Pro Musica Nova et Pro Musica Antiqua. De 1969 à 1972, il présida le Deutscher Musikrat (Conseil allemand de la musique). On lui doit notamment Momente pour orchestre (1958), Interplay pour 2 pianos (1962), Nolimetangere pour actrice, piano, film et bande sonore (196667), Terrain pour orchestre (1974), Singular : plural pour 16 haut-parleurs et piano (1975), Das Buch der Klänge pour piano (Metz, 1982). OTTER (Anne-Sophie von), mezzo-soprano suédoise (Stockholm 1955). Elle étudie à la Guildhall School of Music de Londres, puis se perfectionne auprès d’Erik Werba à Vienne et Geoffrey Parsons à Londres, avant de devenir l’élève de Vera Rosza avec laquelle elle travaille encore aujourd’hui. Elle débute à Bâle en 1982, et s’impose dans les opéras de Mozart et Strauss. En 1984, elle chante à Aix-en-Provence et remporte un grand succès dans l’Enfance du Christ au Festival Berlioz. En 1985, elle incarne Chérubin à Covent Garden, et depuis est engagée au Metropolitan, à la Scala ou au Berlin Staatsoper. Dans le domaine du lied, elle s’il- lustre dans Brahms, Mahler, Strauss, Sibelius, Zemlinski et Kurt Weill. Elle a aussi enregistré des lieder d’Hugo Wolf et des mélodies de compositeurs suédois. OUBRADOUS (Fernand), bassoniste et chef d’orchestre français (Paris 1903 Saint-Mandé 1986). Au Conservatoire de Paris, il obtient en 1923 un premier prix de basson et étudie la direction auprès de Philippe Gaubert. Directeur de la musique de scène au Théâtre de l’Atelier de 1925 à 1930, il crée le Trio d’Anches de Paris en 1927. De 1934 à 1935, il est soliste de l’Orchestre national puis de celui de l’Opéra de Paris (19351953). En 1940, il crée l’Association des concerts de chambre de Paris. De 1947 à 1948, il est chef d’orchestre et directeur artistique du Grand Théâtre de Lille et, de 1954 à 1958, professeur au Mozarteum de Salzbourg. Il fonde en 1958 l’Académie internationale d’été de Nice. De 1964 à 1973, il appartient au comité des programmes de l’ORTF. En 1981, il est nommé commandeur des Arts et des Lettres OUVERT ET CLOS. Termes employés par un théoricien du XIIIe siècle, Jean de Grouchy, pour caractériser, dans l’estampie, un refrain formé de deux phrases semblables, mais modifiant leur terminaison pour la rendre suspensive la première fois, conclusive la seconde. Le terme a été souvent généralisé depuis lors : on peut dire, par exemple, que le thème initial de l’« Hymne à la joie » de la 9e Symphonie est un thème par ouvert et clos. OUVERTURE. Dans son sens le plus général et le plus commun, ce terme désigne le morceau d’orchestre joué à rideau fermé avant une représentation d’opéra, voire avant tout spectacle (ouverture de Coriolan de Beethoven, écrite pour précéder une pièce de théâtre). Le premier exemple connu en est sans doute la courte fanfare intitulée toccata précédant l’Orfeo de Monteverdi, et, pendant plus d’un demi-siècle, on devait trouver au début des opéras de brèves pages appelées toccata, sinfonia, sonate ou canzone n’ayant d’autre fonction que d’annoncer le spectacle. Lully composa pour ses opéras de véritables ouvertures orchestrales dont la forme particulière, sous le nom d’ouverture à la française, allait envahir toute l’Europe : première partie lente et majestueuse, seconde partie rapide et de style fugué, reprise abrégée de la première partie. Les quatre suites d’orchestre de J.-S. Bach débutent par de telles ouvertures, et se poursuivent par des danses. Le vocable « ouverture » en arriva ainsi à désigner la suite dans son ensemble, en d’autres termes une partition instrumentale indépendante en plusieurs morceaux de caractères différents. Une évolution analogue eut lieu au XVIIIe siècle du côté de l’Italie. L’ouverture typique de l’opéra bouffe italien était alors très différente de celle dite « à la française « : en trois parties également, mais selon le schéma vif-lent-vif, et dans un style mélodique aux rythmes simples, fuyant toute polyphonie. Or il arriva que de telles ouvertures furent jouées indépendamment, ou que furent composés des ouvrages isolés en adoptant l’esprit et la structure, ce qui explique par exemple que certaines symphonies de jeunesse de Mozart ne se distinguent en rien des ouvertures qu’à la même époque il destinait à ses premiers opéras italiens, ou que la « symphonie » op. 18 no 2 de Jean-Chrétien Bach ne soit autre que l’ouverture de son opéra Lucio Silla. Au milieu du XVIIIe siècle commença à se poser sérieusement le problème des rapports musicaux et dramatiques entre l’ouverture et l’ouvrage lyrique qu’elle précède. Rameau n’y fut pas indifférent (Zoroastre). Gluck s’y attaqua très consciemment (Alceste, Iphigénie en Aulide), Mozart également. Beethoven alla si loin en ce sens qu’avec Leonore III il écrivit en fait, sans l’avoir voulu, moins une ouverture qu’un véritable morceau de concert indépendant, se suffisant à luimême. De ce nouveau type d’ouverture, proche du poème symphonique, la descendance devait être nombreuse (Ouverture sur des thèmes académiques et Ouverture tragique de Brahms). D’autres ouvertures de Beethoven ont avec le drame qui suit des liens très étroits, en particulier celle d’Egmont (premier volet d’une musique de scène pour le drame de Goethe). Poursuivant en ce sens, le XIXe siècle aboutit soit à une manière de pot-pourri sur les thèmes de l’opéra (Rossini), soit à une sorte de résumé thématique (Weber), ce qui de toute façon produisit des musiques dont le succès comme pièces de concert isolées se trouva assuré (Mendelssohn, Berlioz, Manfred de Schumann) ; ce siècle développa aussi la notion de prélude, l’orchestre participant alors dès ses premières notes à l’action elle-même, et ce non seulement au premier acte, mais à tous les actes d’une oeuvre (Lohengrin, les Maîtres chanteurs ou Parsifal de Wagner) : le prélude de Tristan en est l’exemple le plus célèbre, mais le premier en date est sans doute le prélude de la Création de Haydn. De cette évolution, le terme logique devait paradoxalement être la suppression de toute ouverture, la projection immédiate du spectateur-auditeur dans le feu non seulement de l’action, mais du dialogue (Salomé et Elektra de Richard Strauss, Wozzeck d’Alban Berg). Les modèles anciens n’en subsistent pas moins aujourd’hui, soit comme références au passé (Ariane à Naxos de Richard Strauss), soit dans un contexte plus ou moins dénué de prétentions (opérettes), soit par suite de l’éclatement de la musique. La notion d’ouverture est à la fois une des plus précises et des plus diverses qui soient. L’ouverture de concert, en toute logique, ne devrait s’inscrire qu’en tête de programme (c’est le plus souvent le cas) ; or c’est parfois à l’extrême fin qu’elle se révèle le plus efficace, le mieux mise en valeur, le mieux à sa place. OZAWA (Seiji), chef d’orchestre japonais (Hoten, Mandchourie, 1935). Il commence l’étude du piano à sept ans, qu’il parfait à l’école de musique Toho de Tokyo (1951). S’étant cassé les deux downloadModeText.vue.download 758 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 752 index en jouant au rugby, il abandonne le piano pour la composition et la direction d’orchestre, qu’il étudie avec Hideo Saito. Encouragé par ses premiers concerts avec l’Orchestre de la radio NHK et la Philharmonie du Japon, il se présente au Concours international de jeunes chefs d’orchestre de Besançon qu’il remporte (1959). Charles Münch lui facilite l’accès au Berkshire Music Center de Tanglewood, où il remporte la bourse commémorative Serge-Koussevitski, ce qui lui vaut de diriger l’Orchestre symphonique de Boston (1960). Nanti d’une bourse, il va travailler avec Karajan à Berlin, puis accompagne la Philharmonie de New York dans une tournée au Japon, dont il revient assistant de Bernstein (1961-62). Invité à diriger régulièrement l’Orchestre de la radio NHK, il devient directeur musical du festival de Ravinia organisé par l’Orchestre symphonique de Chicago (1964-1968) et prend possession de son premier orchestre, le symphonique de Toronto (1968-1970). La même année, il fait ses débuts à Londres et à Paris (avec l’orchestre Lamoureux). Il succède à Josef Krips à la tête de l’Orchestre symphonique de San Francisco (1970-1975) et partage avec Gunther Schuller la responsabilité du festival de Tanglewood, y dirigeant lui-même l’Orchestre de Boston, qui l’engage comme directeur musical en 1973. Il est l’invité des festivals d’Édimbourg, de Prague, de Vienne et de Salzbourg (où il fait ses débuts lyriques en 1969 avec Cosi fan tutte) et du New Philharmonia Orchestra à Londres. Ozawa défend un vaste répertoire, allant des maîtres classiques à Xenakis et Messiaen, dont, en 1983, il a créé à Paris l’opéra Saint François d’Assise. downloadModeText.vue.download 759 sur 1085 P P. Abréviation usuelle de l’indication de nuance « piano ». PABLO (Luis de), compositeur espagnol (Bilbao 1930). Installé à Madrid en 1939, il y mena de front des études musicales et de droit, mais, pour la composition, il se forma essentiellement en autodidacte, grâce notamment aux livres de René Leibowitz et d’Olivier Messiaen (Technique de mon langage musical) et au Doktor Faustus de Thomas Mann. Il fit jouer ses premières pièces en 1955, et, en 1957, participa à la fondation du Grupo Nueva Música. En 1958, il fut à l’origine de la série de concerts Tiempo y música, destinés à promouvoir la musique contemporaine, et la même année participa aux cours de Darmstadt. Président des Jeunesses musicales d’Espagne de 1960 à 1962, il séjourna au Mexique en 1963, devint directeur artistique de la Biennale de musique contemporaine de Madrid en 1964, et en 1965, remplaça les concerts Tiempo y música par ceux du groupe Alea, qu’il devait dissoudre en 1973, à peu près au moment de la disparition de ceux du Domaine musical à Paris. En 1965 également, il fonda à Madrid un petit studio électronique. Il a séjourné à Berlin en 1967, en Argentine en 1969, et a donné des cours d’analyse aux universités d’Ottawa et de Montréal en 1974. Il a fait partie sur le plan européen de l’avant-garde sérielle et postsérielle. Préoccupé par les problèmes de la forme, il n’a jamais renoncé à l’écriture : sa musique n’est jamais aléatoire, mais « mobile » parfois : elle laisse alors aux interprètes, par exemple dans la série des Modulos, une certaine liberté de parcours. On lui doit notamment Elegía pour orchestre à cordes (1956), Tombeau pour orchestre (1963), Modulos I pour 11 instruments (1964), IV pour quatuor à cordes (1965), II pour 2 orchestres avec 2 chefs (1966), III pour 17 instruments (1967) et V pour orgue (1967), Iniciativas pour orchestre (1966), Imaginarios I pour clavecin et 3 batteurs (1967) et II pour grand orchestre (196768), Por diversos motivos, action pour soprano, petit choeur, 3 pianos et acteurs (1969-70), Je mange, tu manges pour orchestre et bande avec synthétiseur (1972), Éléphants ivres I-IV, 4 sections pour diverses formations instrumentales jusqu’au grand orchestre (1972-73), Affettuoso pour piano (1973), Masque, ouvrage audiovisuel avec flûte, clarinette, percussion et piano (1973), Very Gentle pour soprano, contre-ténor, clavecin, célesta, orgue, violoncelle et tanpura (1973-74), Berceuse, ouvrage audiovisuel pour 3 flûtes, 2 percussionnistes, soprano et un chef-acteur (1973-74), Vielleicht pour 6 percussionnistes (1973), A modo de concierto pour percussion et instruments (1976), Bajo el sol pour 49 voix mixtes (1977), Tiniebla del agua (« Ténèbre de l’eau ») pour orchestre (1977-78), Trio pour violon, alto et violoncelle (1978), Concerto pour piano et orchestre (1978-79), Concerto da camera pour piano et 18 instruments (1979), Retratos de la Conquista pour 4 groupes choraux (1980), l’opéra Kiu (Madrid, 1983), un Concerto pour clavecin, cordes, célesta et vibraphone (créé à Radio France en 1986), Senderos del aire pour orchestre (Tokyo 1988), l’opéra El viajero indiscreto (1990), Suenos pour piano et orchestre (1992). PACHELBEL, famille d’organistes et compositeurs d’Allemagne centrale, des XVIIe et XVIIIe siècles. Le plus illustre représentant de la famille est Johann (Nuremberg 1653 - id. 1706). Il fit ses études musicales dans sa ville natale auprès du compositeur Heinrich Schwemmer et sans doute aussi de l’organiste Georg Caspar Wecker, ainsi qu’à l’université d’Altdorf. Il étudia ensuite à Ratisbonne, au Gymnasium Poeticum. Il exerça toute sa vie comme organiste, d’abord à Altdorf (1669-70), puis à Vienne (cathédrale Saint-Étienne, 1673-1677), à la cour d’Eisenach (1677-78), à Erfurt (1678-1690), à Stuttgart (1690-1692), à Gotha (1692-1695), avant de revenir à Nuremberg en 1695, comme organiste de l’église Saint-Sebald. À côté de quelques pages de musique de chambre, ses oeuvres sont principalement destinées au culte, avec 26 motets, 7 cantates, 13 magnificat, et surtout des pièces pour orgue consistant en chorals, variations, préludes et fugues, chaconnes, sonates en trio. En partie publiées, on les trouve dans ses principaux recueils, Acht Choräle zum Prämbulieren (« 8 Chorals pour préluder », Nuremberg, 1693) et l’Hexachordum Apollinis (Nuremberg, 1699). Une de ses oeuvres instrumentales, le Canon a 3 con suo Basso und Gigue, connaît de nos jours une fortune posthume considérable, sous de multiples arrangements. Mais c’est principalement comme précurseur de J.-S. Bach qu’il est connu des musiciens. Lui-même lié d’amité avec Johann Ambrosius Bach, le père de Jean-Sébastien, lorsqu’il séjournait à Eisenach, il contribua à tempérer ce que l’art de Bach, marqué dans sa jeunesse par les maîtres du Nord, pouvait avoir de trop fougueux et d’insuffisamment structuré. C’est que, en effet, mettant à profit les déplacements downloadModeText.vue.download 760 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 754 que lui imposait la nécessité, il sut faire la synthèse des éléments stylistiques du centre avec ceux du sud de l’Allemagne, apportant dans une polyphonie assez claire des harmonies simples, « tombant » bien et soutenant efficacement le chant liturgique. C’est par ses chorals qu’il marqua Jean-Sébastien Bach, lui montrant comment orner le prélude de choral en restant fidèle à sa ligne mélodique. Son fils aîné, Wilhelm Hieronymus (Erfurt 1686 - Nuremberg 1764) fut lui aussi organiste. Élève de son père, il fut titulaire des orgues de Wöhrd, puis de Saint-Jacob de Nuremberg (1706) et de Saint-Sebald de Nuremberg, où il succéda à son père. Il a aussi écrit quelques pages pour l’orgue et le clavecin. Karl Theodor, fils cadet de Johann (Stuttgart 1690 - Charleston, États-Unis, 1750), également organiste, se rendit en Amérique vers 1730. Organiste de l’église Saint-Philippe de Charleston, il contribua à implanter la musique allemande aux États-Unis. PACHMANN (Vladimir de), pianiste russe d’origine autrichienne (Odessa 1848 - Rome 1933). Il reçoit ses premières leçons de piano de son père, professeur à l’université d’Odessa et violoniste amateur, et complète sa formation auprès de J. Dachs au conservatoire de Vienne (1866-1868), où il remporte une médaille d’or. Sa carrière fulgurante le mène de sa ville natale - il y fait ses débuts en 1869 - dans toute l’Europe et en Amérique, où il fait sensation autant par les apartés dont il accompagne de plus en plus fréquemment avec l’âge son jeu (embrassant par exemple sa main droite après un trait réussi en s’exclamant « Bravo, Pachmann ! ») que par la virtuosité et le toucher infiniment nuancé qu’il prodigue dans ses interprétations de Chopin. En début de carrière, il provoqua l’admiration de Liszt en personne. PACINI (Giovanni), compositeur et théoricien italien (Catana 1796 - Pescia 1867). Il étudia le chant, puis la composition avec le père Mattei, connut son premier succès à dix-sept ans (Annetta e Lucindo, Milan, 1813) et composa dès lors plusieurs opéras chaque année, y démontrant une rare faci- lité ; ayant parfois collaboré avec Rossini (notamment pour Cenerentola e Matilde), il ne s’affirma véritablement qu’après le retrait de celui-ci et le départ de l’Italie de Bellini et Donizetti, ses cadets, avec notamment Furio Camillo (1839) et surtout Saffo (1840) qui n’a jamais quitté l’affiche. PACIUS (Friedrich, dit Fredrik), compositeur finlandais d’origine allemande (Hambourg 1809 - Helsinki 1891). Arrivé à Helsinki en 1835, il enseigna à l’université de cette ville, y fonda une société chorale et des concerts symphoniques réguliers, et composa sur un livret en suédois le premier opéra finlandais, la Chasse du roi Charles (Helsinki 1852). Considéré comme le fondateur de la musique finlandaise, il est l’auteur de l’hymne national du pays (1843), sur des paroles du poète suédois Runeberg plus tard traduites en finnois. PADEREWSKI (Ignacy Jan), pianiste et compositeur polonais (Kuryðowka, Podolie, 1860 - New York 1941). Il manifeste des dons précoces qui le font admettre en 1872 au conservatoire de Varsovie. Il y étudie le piano avec Juliusz Janotha, Rudolf Strobl, Jan Sliwinski et Pavel Schlözer, la théorie musicale avec Karol Studzinski, l’harmonie et le contrepoint avec Gustaw Roguski. À peine diplômé, il enseigne lui-même à Vienne de 1878 à 1883, et à Strasbourg en 1885. Il poursuit ses études à Berlin, puis à Vienne avec Friedrich Kiel (1881), Heinrich Urban (1883) et surtout Leschetizky (1884), qui se montrent déjà effrayés par son style peu orthodoxe. Son premier récital important, donné à Paris salle Érard, le 3 mars 1883, marque le début d’une renommée, qui va se répandre dans toute l’Europe et bientôt en Amérique. Il crée aux États-Unis une fondation Paderewski (1896) pour venir en aide aux jeunes compositeurs, et, à Varsovie, deux concours de composition musicale et de théâtre (1898). De 1889 à 1909, il compose durant les mois d’été la majeure partie de son oeuvre, fortement inspirée par le folklore polonais, Danses polonaises, Tatra Album, Fantaisie polonaise pour piano et orchestre, l’opéra Manru, pages d’obédience postromantique. Le virtuose défend un répertoire limité aux grands romantiques comme Chopin, dont il réalise une nou- velle édition, Liszt et Beethoven, préférant le récital au concert avec orchestre, pour lequel il ne joue que neuf concertos différents. La prestance et l’allure aristocratique de Paderewski entraient pour beaucoup dans la fascination qu’il exerça sur les foules, au même titre que sa technique transcendante et que sa manière très personnelle de résoudre les problèmes de rubato et de pédale, avec comme but premier la fidélité à l’expression, sinon au texte luimême. Homme d’engagement, il le fut également envers son pays, la Pologne, qu’il servit jusque dans son effondrement de la Seconde Guerre mondiale, jouant pour appeler à sa libération. Ambassadeur à Washington (1918), puis Premier ministre et ministre des Affaires étrangères (1919-20), il représenta son pays ressuscité à la signature du traité de Versailles. Il fut aussi, au début de la Seconde Guerre mondiale, président du gouvernement polonais en exil. PAER (Ferdinando), compositeur italien (Parme 1771 - Paris 1839). Formé à Parme où il donna à vingt ans un Orphée et Eurydice, il devint maître de chapelle à Venise, puis en 1797 chef d’orchestre du théâtre de la Porte de Carinthie à Vienne ; il occupa diverses responsabilités à Prague et à Dresde avant d’être appelé à Paris par Napoléon en 1807, succédant en 1811 à Spontini à la direction du Théâtre-Italien, poste qu’il dut, en 1826, céder à Rossini dont il avait, dit-on, mal défendu la cause. Décoré de la Légion d’honneur, il fut ensuite nommé directeur de la musique de la Chambre de Louis-Philippe. Alors que les premières oeuvres de Paer se rapprochent de celles de Cimarosa, sa découverte des opéras de Mozart, à Vienne, modifia profondément son style (Camilla, ossia Il Sotterraneo, 1799). Sa Leonora (1804) précéda de peu le Fidelio de Beethoven. Parmi les prédécesseurs de Rossini, Paer se distingue par son cosmopolitisme, son adroite fidélité au bel canto, assortie d’un goût mélodique rare et enrichie d’une harmonie originale et d’une instrumentation assez soignée, fait rare à l’époque parmi ses compatriotes, et dont il est certain qu’il trouva l’inspiration à Paris autant qu’à Vienne : c’est à Paris qu’il donna sa remarquable Agnese en 1809. Plus heureux dans le genre léger que dans le genre sérieux, Paer a néanmoins laissé une oeuvre importante pour l’église, de la musique de chambre et des concertos pour piano, orgue, etc. Parmi ses cinquante opéras, on peut noter encore Achille (Vienne, 1801, joué dans toute l’Europe), et son aimable Maître de chapelle (Paris, 1821) dont un acte est demeuré au répertoire. PAGANINI (Niccolo), violoniste, altiste, guitariste et compositeur italien (Gênes 1782 - Nice 1840). Il prit ses premières leçons de musique avec son père, mandoliniste amateur, puis étudia avec Servetto, violoniste dans l’orchestre du théâtre de Gênes et avec Costa, maître de chapelle de la cathédrale San Lorenzo. À neuf ans, il fit ses débuts à Gênes en jouant ses variations sur la Carmagnole. Il travailla quelques mois avec Rolla, puis avec Ghiretti, maître de Paer. En 1797, accompagné de son père, il fit une tournée de concerts en Lombardie. De 1801 à 1804, il se consacra à la guitare puis étudia les compositions de Locatelli. Sur quoi il devint à Lucques directeur de la musique de la princesse Bacciochi, soeur de Napoléon (1805-1813). Il rencontra Rossini à Bologne en 1813. De 1828 downloadModeText.vue.download 761 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 755 à 1834, il parcourut l’Europe, suscitant partout l’enthousiasme ; il se rendit successivement à Vienne, où l’empereur le nomma « virtuose de la cour », en Allemagne, Autriche, Bohême, Saxe, Pologne, Bavière, Prusse, et dans les provinces rhénanes. En 1831, il arriva à Paris, où il donna son premier concert à l’Opéra le 9 mars, et où il resta jusqu’en mai. Ayant fait ses débuts à Londres le 3 juin 1831, il resta en Angleterre jusqu’en juin 1832. En janvier 1834 il rencontra Berlioz à qui il demanda d’écrire un solo pour alto ; ainsi naquit Harold en Italie que Paganini cependant ne devait jamais jouer. Le 27 mai 1840, il mourut à Nice où il s’était rendu dans l’espoir de rétablir sa santé. Bien que n’appartenant pas à leur génération, Paganini a fasciné les artistes romantiques, violonistes, pianistes, com- positeurs, peintres ou écrivains : Chopin, Schumann, Liszt, Th. Gautier, Goethe, Heine. Sa silhouette méphistophélique, le halo de mystère qui entoure sa vie, la légende d’un pacte noué avec le diable et sa virtuosité spectaculaire rejoignent un des aspects de l’art romantique, qui veut surprendre. Les mots « prodigieux », « fantastique », « surnaturel » reviennent toujours à son propos sous la plume de ses contemporains. Fétis écrivit par exemple dans la Revue musicale du 12 mars 1831 : « Le violon entre les mains de Paganini n’est plus l’instrument de Tartini ou de Viotti ; c’est quelque chose à part qui a un autre but. » Personnage hoffmannesque, Paganini souleva par son jeu un enthousiasme proche de l’envoûtement. Après l’avoir entendu à Paris en 1832, Liszt se retira pour parfaire une technique pianistique pourtant déjà considérable. Plus d’un siècle après sa mort, il reste le symbole du violoniste virtuose, se jouant des difficultés les plus ardues qu’il crée à son propre usage. En fait, il n’a pas inventé la technique du violon mais, personnalité dotée d’un extraordinaire pouvoir de synthèse, il réunit en un tout artistique, convenant à la manière de penser et de sentir de la première moitié du XIXe siècle, ce qui avant lui existait déjà dans cette technique. Il donna à celle-ci un nouvel élan, et lui apporta l’épanouissement grâce à son talent créateur formé en dehors de l’académisme des écoles. Il explora les virtualités acrobatiques du violon, exaltant l’instrument, mettant en valeur ses possibilités expressives et ses positions les plus élevées, et usant du démanché avec hardiesse, passant sans transition du registre grave au registre aigu et vice versa ; il fut le premier à utiliser au maximum les ressources de la 4e corde, à laquelle il destina de nombreuses compositions (sonates MariaLuisa, Napoléon, Militaire, Majestueuse Sonate sentimentale, 3 thèmes variés) ; il pratiqua la scordatura, écrivit de longs passages en chromatisme. Grâce à une extensibilité exceptionnelle de la main, il se joua des extensions les plus périlleuses et donna les premiers exemples de trilles à l’octave et à l’unisson. Il utilisa avec audace le staccato jeté, les doubles, triples, quadruples cordes et les accords, dans des combinaisons réclamant souvent des doigtés délicats, des croisements de doigts ou extensions rendus plus difficiles encore par la rapidité du tempo. Il étendit l’emploi des sons harmoniques, inventa de nouvelles combinaisons, utilisa aux deux mains le pizzicato en traits rapides, en le mêlant aux sons coll’arco, comme accompagnement du chant joué avec l’archet. Les difficultés techniques de ses oeuvres, « point solsticial de la virtuosité » (selon Schumann), et notamment celles des 24 Caprices, ont inspiré de nombreux compositeurs parmi lesquels Schumann, Liszt, Brahms, Rachmaninov, Casella, Castelnuovo-Tedesco, Lutoslawski et Dallapiccola. Paganini a composé uniquement de la musique instrumentale, destinée à ses instruments de prédilection : la guitare, l’alto et surtout le violon, auquel il destina notamment six concertos. PAILLARD (Jean-François), chef d’orchestre et musicologue français (Vitryle-François 1928). Licencié en mathématiques, il étudia au Conservatoire de Paris l’histoire de la musique avec Norbert Dufourcq et la direction d’orchestre avec Igor Markevitch au Mozarteum de Salzbourg. En 1953, il fonda l’ensemble instrumental Jean-Marie-Leclair, qui devint en 1959 l’orchestre de chambre J.-F.-Paillard (12 cordes et 1 clavecin), et avec lequel il fit de nombreuses tournées (Europe, Amérique, Japon, Corée, etc.). Il joua avec son orchestre, au concert et au disque, un rôle déterminant pour la résurrection de la musique baroque, exhumant des grandes bibliothèques musicales d’Europe de nombreux « chefs-d’oeuvre oubliés ». La musique baroque constitue le fond de son répertoire, mais il interprète également des oeuvres des XIXe et XXe siècles. PAINE (John), compositeur américain (Portland, Maine, 1839 - Cambridge, Massachusetts, 1906). Il fit ses études à Berlin, et, de retour aux États-Unis (1861), devint directeur musical de l’université de Harvard et titulaire de la première chaire de musique en Amérique. Il y forma de nombreux disciples et la plupart des maîtres de la génération suivante (F. Converse, D.G. Mason et J.A. Carpenter). Son rôle a été également décisif dans la constitution de l’école de Boston, qui devait revaloriser la condition de musicien aux États-Unis et permettre, en grande partie, l’essor du début du XXe siècle. Malgré sa couleur germanique, son oeuvre n’est pas sans originalité, et apparaît comme l’expression la plus achevée de la période avant-première de la musique américaine. PAISIELLO (Giovanni), compositeur italien (Roccaforrata, près de Tarente, 1740 - Naples 1816). Il fut l’élève de Durante, et se fit connaître comme auteur d’opéras-comiques ou sérieux, inspirés tant par Goldoni que par Métastase, avant de triompher véritablement à Naples, sa ville d’adoption, avec L’Idolo cinese (1767) et Don Quichotte (1769), oeuvres révélatrices d’un frémissement encore inconnu chez Piccinni ou chez Anfossi. Après un très original Socrate imaginaire (1775), il fut appelé à succéder à Traetta comme maître de chapelle de Catherine II à Saint-Pétersbourg, où il donna notamment I Nitetti, d’après Métastase (1777) et le Barbier de Séville (1782). À son retour, il donna à Vienne Il Re Teodoro in Venezia (1784), drame héroïcomique, sur un poème de l’abbé Casti, oeuvre dont les ensembles concertants firent une forte impression et qui demeura à l’affiche plus de cinquante ans, puis il rejoignit Naples, où il composa ses deux chefs-d’oeuvre, La Molinara (1789) et Nina ossia La Pazza per amore (1789), écrits pour la célèbre Coltellini. Il adopta par la suite des attitudes politiques souvent maladroites, prenant tour à tour parti pour les Bourbons ou pour Napoléon, qui l’appela à Paris, et pour lequel il écrivit un Te Deum et une Messe du sacre. Il fut ensuite honoré par le roi Joseph Bonaparte, à Naples, mais retomba en disgrâce lors du retour des Bourbons. En 1816, le succès du Barbier de Séville de Rossini et un grave affront que lui infligea Ferdinand IV hâtèrent sa fin. Avec Cimarosa, Paisiello se situe à un carrefour important dans l’évolution de l’opéra entre Piccinni et Rossini. Sa veine mélodique, son harmonie raffinée, le firent hautement apprécier par ses contemporains puis par Beethoven, et la sentimentalité dont il sut doter les héros de ses oeuvres comiques, leur sincérité d’accents marquèrent toute une époque. Comme Cimarosa, il se distingua également dans la musique sacrée (Requiem, une Passion de Jésus-Christ en 1783), dans la musique de chambre - on lui doit de remarquables quatuors - et surtout dans ses huit concertos pour clavecin et orchestre. Certaines scènes, comme celle de la folie de Nina, respirent une atmosphère préromantique. Paisiello témoigne aussi d’une belle originalité dans ses scènes d’ensemble, par l’importance qu’il attribua à l’orchestre, par son goût pour les onomatopées vocales (Socrate imaginaire), ce qui annonce Rossini, et par le réalisme d’un langage dont on lui attribua à tort la downloadModeText.vue.download 762 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 756 paternité, mais dont il donna de magnifiques exemples. PALESTER (Roman), compositeur polonais (Sniatyn 1907 - Paris 1989). Il a fait des études de piano au conservatoire de Lvov, et des études de composition au conservatoire de Varsovie avec K. Sikorski. À partir de 1931, il a fait des séjours en France, où il a été en contact avec le groupe des Six. Après la guerre, il a enseigné au conservatoire de Cracovie, puis partagé sa vie entre la France et l’Allemagne. Son importante production témoigne d’une grande variété de références, et cherche à faire la part entre l’évolution du langage musical et l’attachement aux racines nationales. Il a été influencé successivement par Szymanowski, par Stravinski et par la musique sérielle. Parmi ses oeuvres de la première période se distinguent la Danse d’Osmoloda (1933) et le ballet Piesno ziemy (« le Chant de la terre », 1937), et parmi les oeuvres de sa maturité, les cinq symphonies (1935, 1942, 1948, 1951 et 1970-1972), le Requiem (1945), certaines oeuvres de musique de chambre dont le 2e trio à cordes (1958), l’opéra la Mort de Don Juan (1959-60) et un Concerto pour alto (1977-78). PALESTRINA (Giovanni PIERLUIGI, dit DA PALESTRINA), compositeur italien (Palestrina, ex-Préneste, v. 1525 - Rome 1594). Il est connu par le nom de sa ville natale, près de Rome. Quand meurt sa mère, en 1536, on le fait admettre comme enfant de choeur dans la maîtrise de Sainte-Marie-Majeure, à Rome. Sous la direction de plusieurs maîtres de chapelle, dont Firmin Lebel, il étudie les maîtres des écoles franco-flamande et italienne, Josquin Des Prés, Pierre de la Rue, Jean Mouton, etc. En 1544, il est reçu comme organiste et maître de chant de sa ville natale. Il épouse en 1547 Lucrezia Gori, dont il aura trois fils. Il a la chance de voir son cardinalévêque, à Palestrina, être élu pape en 1551, sous le nom de Jules III, et celui-ci le fait venir à Rome comme « maître des enfants » de la basilique Saint-Pierre, puis comme chanteur de sa chapelle particulière. En 1555, le pape Paul IV (succédant à Marcel II, le pape de la fameuse Missa papae Marcelli, qui mourut vingt-deux jours après son élection), décide de rayer de sa chapelle tous les hommes qui sont mariés, ou qui ont écrit des oeuvres profanes. Concerné à double titre par cette mesure, Palestrina doit se retirer, mais parvient à se faire nommer maître de chapelle à Saint-Jean-de-Latran, une des églises les plus importantes de Rome. Il y reste jusqu’en 1560, avant de devenir, en 1561, maître de chapelle à Sainte-MarieMajeure, où il avait été enfant de choeur. Parallèlement, il s’occupe de régler les divertissements musicaux du cardinal Hippolite d’Este à Tivoli (entre 1567 et 1571). Il dirige également l’enseignement musical au Séminaire romain fondé par Pie IV en 1563, après la clôture du concile de Trente, qui cherche à redéfinir le culte et le dogme, dans le mouvement de la Contre-Réforme. Palestrina aurait été chargé de la tâche d’épurer et de régénérer la musique liturgique (critiquée pour ses tendances à la complexité polyphonique et à la complaisance décorative), en rétablissant l’authenticité du chant grégorien d’origine. Il ne semble pas que cette tâche ait été menée à bien. En tout cas, il contribua à rendre à nouveau intelligibles les paroles latines dans la musique religieuse. En 1571, il est réintégré comme maître de musique à Saint-Pierre de Rome, où il exercera sa fonction jusqu’à sa mort. Mais une épidémie de peste, à Rome, emporte sa femme, ses frères, et deux de ses trois fils entre 1572 et 1580. Après avoir envisagé de rentrer dans les ordres et en avoir obtenu l’autorisation, il se remarie finalement en 1581 avec Virginia Dormuli, la riche veuve d’un fourreur, dont il va gérer les affaires fructueuses. Dans les dernières années de sa vie, il obtient une grande réputation à l’échelle de l’Europe. Il est l’ami de Philippe Neri, le fondateur de la congrégation de l’Oratoire, qui sera plus tard canonisé. En 1590, il fonde une association corporatiste de musiciens, la Vertuosa Compagnia dei musici, dont sortira la congrégation de Sainte-Cécile, noyau primitif de l’académie Sainte-Cécile (actuel conservatoire de Rome). Quand il meurt en 1594, il est enterré solennellement dans la Cappella Nuova de la basilique SaintPierre - chapelle démolie plus tard, si bien que ses restes n’ont pas été retrouvés. Après sa mort, Palestrina s’imposa dans la mémoire de la musique occidentale comme une sorte de « Père de la musique », garant de la tradition, synthétisant dans son oeuvre, essentiellement vocale et religieuse, tout l’art contrapuntique du XVIe siècle, pour l’offrir en modèle et en repère aux générations futures. Son esthétique impavide et apollinienne (que l’on oppose souvent au dramatisme d’un Victoria) privilégie l’équilibre, la logique, la beauté des lignes. Il applique les consignes pontificales d’intelligibilité du texte, et de soumission de la musique au message liturgique. Une légende a longtemps couru sur sa Messe du pape Marcel, qui aurait « sauvé » la musique liturgique et l’art polyphonique de la proscription ecclésiastique qui les menaçait, en prouvant aux cardinaux et au Concile qu’elle pouvait être à la fois simple, respectueuse du texte, intelligemment figurative, et savamment composée. Cette image d’un Palestrina « sauveur de la musique », et maître d’un style « antique » devenant la référence de toute musique liturgique « à l’ancienne », a parcouru les siècles jusqu’à l’époque romantique, alimentée par la biographie de Giuseppe Baini. En 1917, Hans Pfitzner créait son opéra Palestrina, écrit autour de ce thème (la musique sauvée devant l’Église par un homme de bien). Aujourd’hui, une connaissance plus large de la musique de son époque nous permet de resituer Palestrina dans son contexte, où il ne fut pas le seul, mais s’imposa comme un grand compositeur classique et solide - homme de synthèse plutôt que d’aventure. Malgré une centaine de madrigaux profanes (1555-1594), dont certains ont été écrits pour les Anglais, la musique religieuse domine de loin dans l’abondante production de Palestrina. On citera d’abord quelque cent messes, de 4 à 8 voix, publiées entre 1554 et 1601 (Messe du pape Marcel, Aeterna Christi, Lauda Sion, Assumpta est Maria, Iste Confessor, Ecce Sacerdos Magnus, Sine Nomine, etc.). Un grand nombre de ces messes (quarantetrois) adoptent comme « cantus firmus », c’est-à-dire comme thème cyclique traité en imitations variées, un bref thème tiré du plain-chant. Une trentaine d’autres tirent leur cantus firmus d’un fragment de motet, et quatre seulement d’une chanson populaire, selon l’usage que justement le concile de Trente réprouvait et voulait extirper. C’est le cas de la Messe du pape Marcel, imprimée en 1567 et bâtie sur le fameux thème de l’Homme armé (que Palestrina reprit plus tard, dans une autre messe, publiée en 1570 au sein d’un recueil dédié à Philippe II d’Espagne, explicitement titrée cette fois Messe de l’Homme armé). La chanson Je suis déshéritée devait également lui inspirer une messe. Ces messes adoptent un moule très stable (un Gloria souvent homorythmique, un Credo de style sévère et syllabique, un Benedictus plus transparent allégé des voix graves, etc.). Ses motets (plusieurs centaines, de 4 à 12 voix) traitent le texte membre de phrase par membre de phrase, chacun étant l’occasion d’une phrase musicale, que les voix énoncent en entrées successives, pour la traiter en imitations (Sicut cervus desiderat, Super flumina Babylonis, un Stabat Mater à huit voix réparties en deux choeurs se répondant, un cycle du Cantique des Cantiques, etc.). On lui doit aussi 66 Offertoires à cinq voix, publiés en 1593, 8 litanies (trois à huit voix), 15 Lamentations de Jérémie à quatre voix (1588), 14 Psaumes et Cantiques (quatre à huit voix), 52 Hymnes à quatre voix (1589), 56 Madrigaux spirituels (1581-1594) et 9 Ricercari pour orgue. Le « Palestrina-stil », comme disent les Allemands, dégagé à travers cette oeuvre très homogène, et considéré comme le style de référence de la musique religieuse downloadModeText.vue.download 763 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 757 a cappella, fut consigné et codifié par Berardi (Arcani Musicali, 1690) et Johann Joseph Fux, dans son Gradus ad Parnassum (1725). Durant le XIXe siècle, on vit même un courant musical néo-palestrinien en Allemagne, sous l’impulsion d’un certain juriste de Heidelberg, nommé Thibaut, auteur d’un ouvrage Über Reinheit des Tonkunst (« sur la pureté de l’art des sons »), publié en 1825. Ainsi élue par la postérité comme parangon de l’art religieux polyphonique, l’oeuvre de Palestrina reste une source de plénitude harmonieuse et de transparence dans l’abstraction des lignes. PALLAVICINO (Benedetto), compositeur italien (Crémone 1551 - Mantoue 1601). Chanteur à la cour de Mantoue à partir de 1582, auteur essentiellement de madrigaux, il fut en 1596 préféré à Monteverdi pour succéder à Jacques de Werth au poste de maître de chapelle. À sa mort, il eut comme successeur Monteverdi. PALLAVICINO (Carlo), compositeur italien (Salo, près de Brescia ? - Dresde 1688). Il partagea sa carrière entre Padoue (166566 et 1673), Venise (1674-1685), où furent représentés plusieurs de ses opéras, et la cour de Dresde. Il arriva dans cette dernière ville en 1667 comme vice-maître de chapelle, y fut nommé maître de chapelle en 1672 à la mort de Schütz et y retourna en 1686 pour y prendre en charge l’opéra italien. Son fils Stefano Benedetto, poète et librettiste (Padoue 1672 - Dresde 1742), le suivit en 1686 à Dresde, où deux ans plus tard il fut nommé poète de cour et où, à l’exception des années 1695-1716, passées à Düsseldorf comme poète de cour et secrétaire privé de l’Électeur palatin, il mena toute sa carrière. PALM (Siegfried), violoncelliste allemand (Wuppertal 1927). Son père, violoncelle solo de l’orchestre de Wuppertal, est son premier professeur (1933-1945). À dix-huit ans, Siegfried devient violoncelle solo de l’orchestre de Lübeck (1945-1947), poste qu’il occupe également dans l’orchestre symphonique de la radio de Hambourg (1947-1960), puis dans celui de la radio de Cologne (1962-1967). Il a entre-temps suivi l’ensei- gnement de Enrico Mainardi à Salzbourg (1950-1953) et a fait partie du quatuor Hamann, spécialiste de la musique de notre temps (1951-1962), avant de se consacrer lui-même à l’enseignement, d’abord comme titulaire d’une classe supérieure de violoncelle à la Staatliche Hochschule für Musik de Cologne (1962), puis comme directeur de ce même établissement (1972). Il a également enseigné à Darmstadt, au Dartmouth College (États-Unis) et au Conservatoire royal de Stockholm, et a été l’invité d’honneur du festival de Royan en 1976. De 1976 à 1981, il a dirigé la Deutsche Oper de Berlin-Ouest. Il a beaucoup contribué à l’élargissement du répertoire et de la technique du violoncelle. Il est le premier à avoir interprété, dans les années 60, des oeuvres jusque-là réputées injouables, telles la sonate de Zillig (1958), celle de Penderecki (1964), Nomos Alpha de Xenakis (1966), et il a suscité de nouvelles pages de Zimmermann (Canto de speranza, 1952-1957 ; Concerto « en forme de pas de trois », 1966), Kagel (Match, 1964 ; Unguis incarnatus est, 1972), Blacher (concerto, 1965), Ligeti (concerto, 1966), Kelemen (Changeant, 1968), Penderecki (Capriccio per Siegfried Palm, 1968 ; Concerto, 1972), Engelmann (Mini-Music to Siegfried Palm, 1970). Il a également créé des oeuvres de Feldman, Delas, Beckers, Benguerel, Fortner, Brown, Isang Yun. PALMGREN (Selim), compositeur, pianiste et chef d’orchestre finlandais (Pori 1878 - Helsinki 1951). Il connut au début de ce siècle une grande célébrité internationale, qui lui valut le surnom de « Chopin du Nord ». Élève de F. Busoni, pianiste virtuose, il a surtout laissé plus de 100 oeuvres pour son instrument, dont 5 concertos pour piano et orchestre écrits entre 1904 et 1940. Son style élégant et plein de charme est directement issu du postromantisme et du style de salon. À partir de 1923, il a été professeur de composition à l’Eastman School of Music de Rochester puis, à partir de 1936, à l’académie Sibelius de Helsinki. PANDORE. Instrument ancien à cordes pincées, souvent confondu avec d’autres instruments de la famille du luth portant des noms voisins : pandora, pandûra, pandûr, bandurria, bandoura, mandore, etc. Au XVIIe siècle, la pandore se distinguait du luth par sa caisse plate, ses cordes et ses frettes métalliques, et surtout son chevalet oblique. Ce dernier dispositif permettait d’allonger les cordes graves, devenues ainsi plus sonores, mais nuisait à la justesse de l’ensemble. PANERAI (Rolando), baryton italien (Campi Bisenzio, près de Florence, 1924). Il fit ses études à Florence avec Raoul Frazzi, et débuta dans le rôle d’Enrico de Lucia di Lammermoor à Campi Bisenzio en 1946. L’année suivante, après avoir remporté le concours de Spoleto, il chanta dans Mosè de Rossini au théâtre San Carlo de Naples. Interprète de tous les grands rôles du répertoire français et italien du XIXe siècle, mais également de Mozart, Richard Strauss et Busoni, Panerai s’intéressa aussi à l’opéra contemporain. Il créa notamment Ruprecht dans l’Ange de feu de Prokofiev à la Fenice de Venise en 1955, et Schweik du Brave Soldat Schweik du Turchi à la Scala de Milan en 1962. Ses dons d’acteur et sa virtuosité vocale (il chanta tour à tour Don Alfonso et Guglielmo dans Cosi fan tutte) lui ont permis d’aborder des styles et des musiques très différents. PANIGEL (Armand), critique musical français (Brousse, Turquie, 1920 - SaintRémy-de-Provence 1995). Ses études de mathématiques à la faculté de Montpellier le destinaient à l’enseignement. Son goût pour la musique et sa connaissance du cinéma devaient bientôt l’orienter dans une autre direction. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, il devient producteur d’émissions radiophoniques et de films pour les Forces françaises libres au Proche-Orient et en Afrique ; il se familiarise ainsi avec les techniques de l’audiovisuel. En octobre 1946, il crée à la Radiodiffusion française une émission de critique comparative des enregistrements de musique classique qui deviendra la Tribune des critiques de disques et qui conservera jusqu’à sa disparition, en 1983, une audience très importante. En 1947, il fonde la revue Disques qu’il éditera et dirigera jusqu’à sa disparition en 1964. Ses activités ne se bornèrent pas à la musique. Il dirigea les Éditions de la cinématographie française (1962-1965) et réalisa, pour la télévision, des séries d’émissions sur le cinéma : Thème et variations du cinéma (1964-1970), Au cinéma ce soir (1969-1975), Histoire du cinéma français (1973-1975), Portraits de cinéastes et de comédiens (1975-1982). Ses ouvrages : l’oeuvre de Frédéric Chopin (1949) et les Écrits d’Eisenstein (1976) témoignent, eux aussi, de cette double vocation critique, unifiée sous le signe de l’audiovisuel. Il créa à Saint-Rémy-de-Provence une fondation portant son nom. PANNI (Marcello), compositeur et chef d’orchestre italien (Rome 1940). Après des études musicales classiques (piano, composition et direction d’orchestre) à l’académie Sainte-Cécile à Rome, il étudia la direction d’orchestre chez M. Rosenthal au Conservatoire de Paris, et, en 1967, obtint le prix Gabriel-Fauré au Concours de direction d’orchestre à Besançon. Depuis 1980, il enseigne la composition comme successeur de Milhaud et de Berio au Mills College (Oakland, Californie). Il est auteur d’oeuvres exclusivement instrumentales et vocales-instrumentales. Son style est marqué par l’influence des postsériels, des néoclassiques italiens, de Cage et des postcagiens. downloadModeText.vue.download 764 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 758 OEUVRES PRINCIPALES : Quattro Melodie (1963-64) pour soprano, hautbois, mandoline et violoncelle sur des textes de W. C. Williams et W. GOEthe. Pretexte (in memoriam P. Hindemith) (1964) pour orchestre. Empedokles Lied (1965) pour baryton et orchestre sur un texte de F. Hölderlin. Après tout, Sinfonia concertante in 5 figure (1967) pour trio à cordes et 32 instruments. Che cosa apparirà ? (1968) pour orchestre de chambre indéterminé. Inventario de concerto (1972) pour orchestre de chambre indéterminé. A Pair o’Dice (1972) pour orchestre. Klangfarbenspiel (1973), projet scénique. Divertimento (1973) pour orchestre de chambre. Allegro brillante (1975), étude de concert pour piano et petit orchestre. La Partenza dell’Argonauta, opéra sur un livret de Savinio (1976). Transcriptions : Giasone, opéra en 3 actes de Fr. Cavalli (1970) ; Three Songs and Four Dances (with an echo) de The Fairy Queen de H. Purcell, pour mezzo-soprano et orchestre de chambre (1969). PANTALÉON. ! HEBENSTREIT. PANTOMIME. Spectacle généralement accompagné de musique, basé sur les moyens d’expression de l’art du mime : l’attitude, le geste et les jeux de physionomie. Contrairement au ballet qui peut être abstrait et ne faire appel qu’aux figures de la danse pure, la pantomime est obligatoirement narrative. Ayant sur les autres disciplines théâtrales l’avantage de se passer de la parole, la pantomime a connu une grande popularité dès l’Antiquité grécoromaine. Elle s’est ensuite confondue ou mêlée avec les genres voisins pour renaître à l’état pur au XVIIe siècle en Angleterre (où elle n’a pas cessé d’être pratiquée) et au XVIIIe en France. À Paris, elle se trouva favorisée par la réglementation des théâtres, qui réservait à quelques troupes officielles le monopole du chant et de la déclamation : les petites compagnies foraines, pour se mettre à l’abri des procès, eurent volontiers recours au jeu muet, c’est-à-dire à la pantomime. Tandis que Noverre, dans la seconde moitié du siècle, établissait les règles du balletpantomime, futur « ballet d’action », les baladins de la Foire accommodaient à leur manière, en les actualisant, les données de la commedia dell’arte. À l’époque romantique, la pantomime continua de faire fureur sur le « Boulevard du crime », notamment aux Funambules, avec le célèbre Pierrot créé par Gaspard Deburau. Puis la mode passa de ce théâtre muet. De nos jours, les efforts et le talent de Georges Wague, Étienne Decroux, les Sakharoff, Jean-Louis Barrault, et surtout Marcel Marceau n’ont pu le ressusciter que de façon épisodique. Sur le plan musical, la pantomime traditionnelle se contentait le plus souvent de pots-pourris d’airs célèbres. Elle n’a pas inspiré de chefs-d’oeuvre, à moins qu’on ne rattache au genre un ballet tel que le Mandarin merveilleux de Béla Bartók. PANUFNIK (Andrzej), compositeur anglais d’origine polonaise (Varsovie 1914 - Twickenham 1991). Il a étudié la composition avec Sikorski au conservatoire de Varsovie (1932-1936) et la direction d’orchestre avec Félix Weingartner à Vienne (1937-38), puis travaillé à Paris et à Londres. Il rentra en Pologne à la veille de la guerre. Toutes ses oeuvres furent détruites durant l’insurrection de Varsovie en 1944, mais il en reconstitua trois, dont l’Ouverture tragique, l’année suivante. Après avoir dirigé la Philharmonie de Cracovie (1945-46) puis celle de Varsovie (1946-47), il s’installa en Angleterre en 1954, et en devint citoyen en 1961. Il dirigea l’Orchestre symphonique de Birmingham (1957-1959). Sa musique ne fut redonnée en Pologne qu’à partir de 1977. Ses deux principales périodes créatrices se situent avant 1948 et après 1960. Il a écrit notamment dix symphonies dont no 1 Sinfonia rustica (1948), no 2 Symphonie de la paix (1951, rév. Sinfonia elegiaca 1957, rév. 1966), no 3 Sinfonia sacra (1963, pour le millénaire de la Pologne), no 5 Sinfonia di sfere (1975), no 6 Sinfonia mistica (1977, basée sur les propriétés du nombre 6), no 8 Sinfonia votiva (1981-82, pour le centenaire de l’Orchestre symphonique de Boston), no 9 Sinfonia di Speranza (1987) et no 10 (Londres, 1990) ; un concerto pour piano (1962, rév. 1972), un pour violon (1971) et un pour basson (1985) ; deux quatuors à cordes (no 1 de 1976, no 2 Messages de 1980) ; Universal Prayer pour choeur et orchestre, d’après Pope (1968-69) ; Concerto festivo pour orchestre (1979) ; Concertino pour percussion et piano à quatre mains (1980). PANZERA (Charles), baryton suisse (Genève 1896 - Paris 1976). Il fit ses débuts à l’Opéra-Comique en 1918 dans le rôle de Pelléas, mais renonça vite au théâtre pour se consacrer au concert et au récital. Gabriel Fauré lui dédia son cycle de mélodies l’Horizon chimérique, et, entre 1920 et 1940, il créa de nombreuses oeuvres contemporaines, parmi lesquelles les Euménides de Darius Milhaud ainsi que le Roi David et la Danse des morts d’Arthur Honegger. Considéré comme un des meilleurs chanteurs fran- çais de son époque, il s’illustra particulièrement comme Méphisto dans la Damnation de Faust, interprétant ce rôle plus de cent cinquante fois au concert. À défaut de moyens vocaux spectaculaires, Panzera possédait le raffinement de l’expression, une superbe musicalité et une articulation exemplaire. PAPAÏOANNOU (Yannis A.), compositeur grec (Cavalla 1911 - Athènes 1989). Il étudia le piano et la composition au Conservatoire hellénique d’Athènes (1922-1934), mais se considère comme un autodidacte. En 1949-50, il obtint une bourse de l’Unesco qui lui permit de travailler à Paris avec Arthur Honegger. En 1953, il fut nommé professeur de contrepoint et de composition au Conservatoire hellénique ; par ailleurs, il créa sa 3e symphonie, qui lui valut un prix au concours international de composition Reine-Élisabeth-de-Belgique. De 1964 à 1975, il présida la section grecque de la Société internationale pour la musique contemporaine (S.M.I.C.). Il fut aussi président de l’Association hellénique de musique contemporaine (1965-1975). Au nombre de ses oeuvres, on compte celles créées pour orchestre : O Vassilis o Arvanitis, légende symphonique (1945), cinq symphonies (1946, 1947, 1953, 1963, 1964), un concerto pour orchestre (1954), un concerto pour violon et orchestre de chambre (1971), et un concerto pour violon, piano et orchestre (1972-73) ; celles pour musique de chambre et musique instrumentale : 24 préludes pour piano (1938), une sonate pour violon et piano (1947), 12 inventions (1958) et une sonate pour piano (1958), un trio à cordes (1963), Syneirmoc (« Associations ») pour hautbois, clarinette, cor, violon, alto, violoncelle, contrebasse, piano et percussions (1972), et un trio avec piano (1977) ; enfin, celles de musique vocale : Daphnis et Chloé pour choeur et orchestre (1934), des mélodies, des oeuvres pour choeur a cappella, de la musique de scène pour des tragédies, etc. Papaïoannou fut probablement le seul en Grèce à enseigner les nouvelles techniques de composition ; ainsi, il a formé un grand nombre de compositeurs de la nouvelle génération. Les tendances postimpressionnistes et néoclassiques de sa jeunesse cédèrent la place à partir de 1950 à l’atonalité, au dodécaphonisme, à la technique sérielle et, récemment, aux techniques postsérielles et avant-gardistes. Ces tendances apportent à son oeuvre une certaine austérité, et le contrepoint serré de ses premières oeuvres se transforme souvent en jeu dialogué de notes isolées créant ainsi une polyphonie éparse. PAPINEAU-COUTURE (Jean), compositeur canadien (Montréal 1916). Petit-fils de Guillaume Couture, qui, formé à l’école française, avait été l’un des pionniers de la musique au Québec, il travailla le piano et étudia plusieurs années downloadModeText.vue.download 765 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 759 (1940-1945) aux États-Unis, en particulier avec Nadia Boulanger, qui l’initia à Stravinski. De retour à Montréal, il se consacra à l’enseignement et à la composition, jouant un rôle actif dans la vie musicale de son pays comme président de l’Académie de musique de Québec (19611963), président du Conseil canadien de la musique (1967-68), président de la Ligue canadienne des compositeurs (1957-1959 et 1963-1966), membre fondateur et premier président de la Société de musique contemporaine du Québec (1966-1973), doyen de la faculté de musique de Montréal (1968-1973), ou encore comme viceprésident du Conseil canadien sur les humanités (1976). Dans un esprit néoclassique orienté à partir des années 60 vers les recherches de timbres, il a écrit notamment une Symphonie en do (1948, rév. 1956), un Concerto pour violon et orchestre de chambre (1951-52), Psaume CL (1954), Contraste pour voix et orchestre (1970), Chanson de Rahit pour voix, clarinette et piano (1972), Slano pour violon, alto et violoncelle (1976), Nuit polaire pour contralto et 10 instruments (1986), Clair-obscur pour contrebasson, contrebasse et orchestre (1986). C’est une des personnalités les plus importantes de la musique canadienne actuelle. PAQUE (Désiré), compositeur belge (Liège 1867 - Bessancourt, Val-d’Oise, 1939). Il fit ses études au conservatoire de Liège et, immédiatement après, fut nommé professeur dans cet établissement. Il fut professeur de composition au conservatoire d’Athènes (1900) et professeur d’orgue à celui de Lisbonne (1904), et, après plusieurs années de voyage, se fixa à Paris (1914). Il fut naturalisé français en 1927. Parti du chromatisme franckiste, il s’orienta (avant Schönberg) vers l’atonalité, ce qui pourtant ne l’éloigna pas d’une esthétique postromantique et des formes les plus traditionnelles. Ses oeuvres, en grande partie inédites, comprenant notamment l’opéra en un acte Vaima (1903, créé en 1904), 8 symphonies (1895-1936), 2 concertos pour piano (1888 et 1935), 10 quatuors à cordes (1892-1939) et 20 leçons de lecture musicale atonale. PARADIES (PARADISI, [Pietro] Domenico), compositeur et professeur italien (Naples 1707 - Venise 1791). On sait peu de chose de ses années de formation et on le prétend élève de Porpora. Après avoir fait quelques tentatives malchanceuses dans le domaine lyrique en Italie (opéra Alessandro in Persia à Lucques en 1738 et serenata Il Decreto del fato à Venise en 1740), il part s’établir à Londres vers 1746-47. Sa première production dans cette ville est aussi un échec (Fetonte, 1747). De 1753 à 1756, il compose des airs pour les productions pastiches du King’s Theatre au Haymarket, puis consacre la majeure partie de son séjour à Londres à l’enseignement du chant et du clavecin, ce qui assure sa célébrité. Il compte en particulier parmi ses élèves Gertrude Schmeling, la future Mme Mara. Il rentrera en Italie à la fin de sa vie. Il a composé, outre son oeuvre pour la scène, des symphonies-ouvertures, un concerto pour orgue ou clavecin, assez typique du concerto pour orgue anglais, et 12 sonates pour clavecin, qui ont été unanimement louées à l’époque et souvent rééditées. PARAPHRASE. Littéralement, désigne une oeuvre musicale dérivée, par transformation, d’une oeuvre existante. 1. On a eu tendance à appeler ainsi toute oeuvre polyphonique des XVe et XVIe siècles (messes et motets), écrite sur un thème emprunté servant de cantus firmus. C’est le cas, en particulier, des nombreuses messes l’Homme armé, qui sont en fait des messes à teneur. La paraphrase nécessite un travail du thème à toutes les voix, se présentant le plus souvent sous forme d’un développement par sections : la mélodie utilisée est divisée en sections qui sont tour à tour développées et ornées, la pièce se terminant après le développement de la dernière section. Cette technique fut plus particulièrement mise au point par Josquin (messes Pange lingua, Ave maris stella, ...) et devint par la suite une composante du style de Palestrina, qui a écrit environ 36 messes-paraphrases (la Messe du pape Marcel, par exemple). Il faut également se garder de confondre ce type d’écriture avec la parodie, qui n’est qu’une adaptation assez libre d’un modèle polyphonique existant (la moitié des messes de Palestrina sont des messesparodies). 2. Désigne au XIXe siècle des pièces instrumentales basées sur des mélodies célèbres de l’époque, souvent tirées (mais pas toujours) d’un opéra, et développées très librement de façon à permettre à l’interprète d’exhiber sa virtuosité. Elles portent également le nom de transcriptions, fantaisies, etc., et ont surtout été écrites pour le piano (une grande partie de l’oeuvre de F. Busoni est constituée de paraphrases, comme celle sur la Chaconne de J.-S. Bach). Les plus réussies sont sans aucun doute celles de Fr. Liszt, qui paraphrase des opéras (Rigoletto, Tannhäuser, Lucia di Lammermoor, etc.), des lieder de Schubert (la Truite, le Roi des aulnes, etc.) et diverses pièces instrumentales célèbres. PARASKIVESCO (Théodore), pianiste roumain naturalisé français (Bucarest 1940). Il obtient cinq premiers prix au Conservatoire de Bucarest et, en 1961, il est lauréat du Concours Enesco. En 1966, il arrive à Paris et étudie avec Nadia Boulanger et Yvonne Lefébure. Il s’impose dans le répertoire français, enregistrant une intégrale remarquée des oeuvres pour piano de Debussy. Ne cédant pas à l’impressionnisme, son jeu restitue toute la clarté maîtrisée de ces pages. Il joue aussi les oeuvres pour deux pia- nos de Ravel avec Jacques Rouvier, interprète Beethoven, Brahms, Enesco, et se révèle comme accompagnateur. Il fonde un trio avec Jean Estournet et Michel Strauss. Depuis 1987, il enseigne au Conservatoire de Paris. PARAY (Paul), chef d’orchestre et compositeur français (Le Tréport 1886 Monte-Carlo 1979). Il étudia l’orgue à Rouen avec son père, puis entra au Conservatoire de Paris en 1910. L’année suivante il obtint le grand prix de Rome pour sa cantate Yanitza. Mobilisé à la Première Guerre mondiale et prisonnier jusqu’en 1918, il débuta en 1920, à la faveur d’un remplacement, à la tête des concerts Lamoureux, dont il devint le chef en 1923, au départ de Camille Chevillard. En 1928 il s’installa à MonteCarlo où il fut chef titulaire. Il dirigea également les orchestres de la radio de Marseille, de Strasbourg et de Vichy. Gabriel Pierné lui proposa ensuite la direction de l’orchestre Colonne, dont il devint président en 1932. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, Paul Paray partagea son temps principalement entre Monte-Carlo et Paris. À la demande de Jean Rouché, alors directeur de l’Opéra de Paris, il eut l’occasion d’y diriger quelques représentations de Siegfried de Wagner. En 1945, il partit pour les États-Unis où, comme chef invité, il conduisit les orchestres de Boston, Philadelphie, Chicago, Pittsburgh. En 1950, J. B. Ford lui offrit un poste de chef permanent de l’Orchestre de Detroit, qui devait avoir sous sa direction une renommée mondiale. Le répertoire de Paul Paray fut principalemet symphonique (il n’a dirigé que quelques opéras : Tristan et Isolde, Siegfried, Ariane et Barbe-Bleue). Tous les grands compositeurs de la fin du XIXe siècle y figurent : Saint-Saëns, Wagner, Franck. Il sut, pendant son séjour à Detroit, faire connaître la musique française la plus récente : Debussy, Ravel, Fauré, Dukas, Roussel. On retiendra de lui, comme compositeur, une messe pour le 500e anniversaire de la mort de Jeanne d’Arc (1931), le ballet Artémis troublée (Paris, 1922), 2 symphonies et des mélodies. downloadModeText.vue.download 766 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 760 PARKER (Horatio), compositeur américain (Auburndale, Massachussetts, 1863 - Cedarhurst, Long Island, 1919). Élève de Chadwick, puis de Rheinberger à Munich où il séjourna pendant trois ans, il fut ensuite organiste, professeur au conservatoire de New York et directeur musical de la Saint Paul School et, enfin, jusqu’à sa mort, professeur à l’université de Yale, où il eut comme élève Charles Ives. On le rattache généralement à l’école de Boston, bien qu’il n’ait pas été un élève de Paine et que son activité se soit principalement localisée à New York. Sa musique chorale demeure l’une des plus remarquables de toute la production américaine, et sa cantate Hora novissima lui valut le grade de « docteur honoris causa » de l’université de Cambridge. Outre ses cantates (Wanderer’s Psalm, Star Song, The Legend of St Christopher), il a écrit des pièces symphoniques et instrumentales ainsi que deux opéras (Mona et Fairyland). PARMEGIANI (Bernard), compositeur français (Paris 1927). D’abord ingénieur du son à la télévision française, il s’intègre en 1959 au Groupe de recherches musicales récemment fondé par Pierre Schaeffer au sein de la R. T. F. Il deviendra l’un des compositeurs les plus importants de ce groupe, consacrant l’essentiel de sa production à la musique électroacoustique, mais a d’abord travaillé comme assistant technique d’autres compositeurs (dont notamment Xenakis), avant de réaliser lui-même des musiques, pour la radio, la télévision, le cinéma, etc., puis, tout en continuant de consacrer à la « musique appliquée » une grande partie de sa production (il a collaboré à des films de Pierre Kast, Peter Foldès, Valerian Borowcyk, Jacques Baratier, Robert Lapoujade, etc.), il commence à composer des oeuvres de musique pure. Sa première réalisation marquante dans ce domaine est Violostries (1964), pour violon et bande magnétique, une oeuvre dont la partie instrumentale est due au soliste Devyh Erlih, qui l’a créée, et dont la bande fut réalisée à partir de quelques sons de violon que des manipulations successives et complexes agrandissent aux dimensions d’une véritable masse « orchestrale ». Dans cette technique de composition (que reprendra Outremer, 1969, pour ondes Martenot et bande) et qui consiste à générer par les manipulations du studio des masses évoluantes et des lignes entrecroisées issues de quelques rares sons de base produits par une source définie, Parmegiani révèle son habileté et sa verve, de même que dans l’Instant mobile (1966), une des premières oeuvres faites au G. R. M. à employer des sons électroniques, et surtout dans Capture éphémère (1967-68), peut-être son chefd’oeuvre, grande réussite de musique électroacoustique « en rond » (sur quatre pistes indépendantes), faisant vivre et vibrer l’espace sonore avec un dynamisme irrésistible. Les oeuvres suivantes sont marquées par l’utilisation des nouveaux appareils de synthèse électronique dont vient de se doter le G. R. M., et, avec leurs cycles répétitifs, leurs pédales ronflantes et leur caractère volontiers consonant, elles l’amènent aux confins de la musique pop, avec laquelle il tient pourtant à garder ses distances : l’oeil écoute (1970), la Roue Ferris (1971), et enfin Pour en finir avec le pouvoir d’Orphée (1971-72), une somme qui, comme l’indique son titre, veut faire culminer et exorciser en même temps cette tendance à l’« envoûtement » de la répétition et de la continuité. Parmegiani amorce ensuite un difficile virage, cherchant un style plus concentré, voire plus sévère. Son Enfer (1972-73), dont il existe plusieurs versions, avec ou sans texte, traduit plusieurs épisodes du poème de Dante avec une éloquence puissante et lourde. Il a été conçu pour former, avec un Purgatoire composé par François Bayle et un Paradis dû à la collaboration des deux compositeurs, une Divine Comédie suscitée par le danseur-chorégraphe Vittorio Biagi, qui en fit un spectacle. De natura sonorum (1974-75), suite en deux parties, et son « complément » Dedans-Dehors (1976), oeuvre à base de sons « naturalistes » qu’elle cherche à transcender, manifestent une recherche acharnée d’« écriture sonore », où le ciseau intervient à tout moment pour casser la continuité, tordre son cou à l’éloquence du « pouvoir d’Orphée », et articuler le discours musical par un montage serré. Après ces oeuvres-bilan, la production récente de Parmegiani explore un certain nombre de directions depuis longtemps sous-jacentes chez lui : « théâtre musical » créant une dramatisation de la diffusion par haut-parleur (Trio, 1973 ; Mess Media Sons, 1978-79) ; rapports entre les sons et les images, avec des oeuvres « vidéoacoustiques », dont il signe l’image aussi bien que la musique (l’Écran transparent, 1973 ; Jeux d’artifice, 1979, pièces qui utilisent des images manipulées électroniquement par les moyens vidéo) ; enfin, imbrication du texte et des sons, avec deux pièces dont le texte est conçu comme une « spirale » revenant sur elle-même et se retournant, à la manière paradoxale des figures du graveur Max Escher, une de ses sources d’inspiration favorites : Des mots et des sons (1977), et l’Écho du miroir (1981) cette dernière oeuvre renouant avec un certain lyrisme moins contraint. Parmi ses oeuvres récentes, Entre-temps (1992), Lac noir (1992), Plain-temps (1993). PARMERUD (Ake), compositeur suédois (Lidköping 1953). Représentant parmi les plus brillants de la musique électroacoustique en Europe, il a récolté de nombreux prix internationaux pour ses oeuvres très denses et ciselées, comme les objets obscurs (1991) ou Renaissance (1955). Il a composé également des musiques pour instruments et bande magnétique (mixtes), et enseigne la composition par ordinateur au Conservatoire de Göteborg. PARODIE. (du gr. para et odos, « chemin parallèle »). Ce terme a été employé depuis le XVIe siècle, sans aucune idée péjorative ou ironique, pour désigner toute adaptation d’une oeuvre musicale qui en change la destination, et s’il y a lieu les paroles, en la laissant reconnaissable, avec ou sans aménagements de détail en vue de la nouvelle utilisation. De nombreuses messes de la Renaissance sont des parodies de motets ou de chansons polyphoniques profanes, et le répertoire de l’opéra-comique s’est d’abord constitué avec des parodies d’opéra. On emploie aussi le terme latin contrafactum, plus rarement sa francisation contrafacture. Ce n’est que récemment que, décalquant l’évolution générale du terme, on emploie également le terme pour désigner des déformations volontaires d’un modèle donné dans un esprit d’amusement ou de dérision ; on peut dire ainsi que les opérettes d’Offenbach sont des parodies de l’opéra de son temps, sans qu’il y ait forcément correspondance textuelle d’une opérette donnée à un opéra donné. PARRY (sir Charles Hubert Hastings), compositeur et musicologue britannique (Bournemouth 1848 - Rustington, Oxfordshire, 1918). Il fut un de ceux avec qui apparut une renaissance de la musique anglaise. En 1861, à Eton, il s’acquit une renommée dans le collège comme baryton, compositeur de chansons, et pianiste. En 1867, à Oxford, la musique fut quelque peu reléguée pour les études générales et les sports, mais il reçut des leçons de composition de Sterndale Bennett et de Macfarren, avant de partir retrouver Pierson à Stuttgart. De retour à Londres, Parry eut la chance de trouver un ami et un conseiller en Edward Dannreuther, chez qui, lors de concerts privés, la musique de chambre du musicien était jouée sitôt composée. Malheureusement, beaucoup de ces ouvrages ont été perdus ou égarés. L’année 1880 marque le début d’une plus large renommée. Dannreuther joua un concerto pour piano à Crystal Palace, et la première oeuvre chorale importante de Parry, Scenes from Prometheus Unbound, fut donnée au festival de Gloucester. D’autres suivirent downloadModeText.vue.download 767 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 761 désormais régulièrement. La première symphonie date de 1882, la deuxième de 1883, les troisième et quatrième de 1889 et la cinquième de 1912. Ce n’est pas la meilleure part de son oeuvre. Ses choeurs marquent, eux, un nouveau type de composition, avec le maniement de grandes masses vocales avec une très grande simplicité dans les effets et dans l’utilisation des voix. Ils unissent une grandeur souvent appelée « haendelienne » à une grande délicatesse et à un grand raffinement dans l’expression. Chef des choeurs, en 1883, à l’université d’Oxford, il y succéda à Stainer comme professeur de musique, de 1900 à 1908. En 1894, il devint, après Grove, directeur du Royal College of Music, auquel il se consacra essentiellement durant les dernières années de sa vie. PÄRT (Arvo), compositeur estonien (Paide, Estonie, U. R. S. S., 1935). Travaillant d’abord comme ingénieur du son à la radio, entre 1957 et 1967, tout en étudiant au conservatoire de Tallin (notamment avec Heino Eller), il gagne un prix de composition en 1962 avec la cantate pour choeur d’enfants Meie Aed et l’oratorio Maailma Samm, de style encore traditionnel ; puis il passe par une période mathématique et sérielle (Perpetuum Mobile, 1963, pour orchestre ; Diagrammid, 1964, pour piano ; Première Symphonie, 1964), avant de commencer à réintégrer dans son écriture la tradition, d’abord par des techniques de « collage » (Collage teemal Bach, 1964, pour orchestre ; Pro et Contra, 1966, pour violoncelle et orchestre ; Credo, 1968, pour piano solo, choeur et orchestre) pour finalement créer un style syncrétique, où l’ancienne polyphonie et les références grégoriennes s’associent à l’emploi de sonorités nouvelles (cantate Laul armastatule, « Chant pour les bien-aimés », 1973, texte de S. Rustaveli ; Troisième Symphonie, 1971). Son évolution est caractéristique de ce besoin de renouer avec la tradition, dont témoigne la musique d’« avant-garde » dans la fin des années 60 et dans les années 70 (voir les évolutions parallèles de Penderecki, Ligeti, Berio, Stockhausen, etc.). Depuis 1980, Arvo Pärt a vécu à Vienne, puis, à Berlin (1982). Parmi ses dernières oeuvres, un Concerto de Noël, pour violon, violoncelle et orchestre de chambre (1980), une Passion selon saint Jean, pour 4 voix d’hommes, choeur et orgue (1982), Te Deum pour 3 choeurs et orchestre (1986), Miserere pour 5 voix solistes, choeur et orchestre (1989). PARTCH (Harry), compositeur-interprète américain (Oakland, Californie, 1901 - San Diego, Californie, 1976). À tous égards, il est hors des sentiers battus : fils de missionnaires, élevé dans l’Arizona, il décide très jeune, après quelques essais classiques, de s’écarter de tous les modes conventionnels de production et d’écriture de la musique. Ainsi, entre 1923 et 1928, il conçoit une démarche entièrement personnelle, aussi bien dans son système de hauteurs et de rythmes - adoption d’une échelle non tempérée basée sur une division de l’octave en 43 parties égales ; polyrythmie basée sur des divisions rationnelles des durées - que dans la lutherie utilisée (il construit de nouveaux instruments accordés sur cette échelle et n’utilise qu’épisodiquement les instruments existants, européens ou « exotiques »). Sa conception des oeuvres et de leur présentation est aussi originale (musiques autour de textes parlés, pour ensembles d’instruments Partch, dont l’aspect même, ainsi que les actions des exécutants, forment à eux seuls un spectacle). Comme beaucoup d’autres « rénovateurs » occidentaux, Partch base sa théorie et sa pratique sur l’idée d’un « retour aux sources » de la musique (résonance et consonance naturelles, fonction rituelle et magique de la musique) et puise ses influences un peu partout (musiques de sorcières, berceuses, musiques des Indiens, des Orientaux, des Africains... et le Boris Goudounov de Moussorgski), mais il a l’audace et l’opiniâtreté de l’extrémiste dans sa recherche d’une « autre musique ». Créant un ensemble instrumental, le Gate 5 Ensemble, destiné à jouer sa production, il parvient à vivre de ses concerts, de « bourses » données par des fondations, et de postes de chercheurs dans des universités. Les « instruments Partch », formant un orchestre où domine la sonorité des percussions et des cordes pincées, se divisent en 3 grandes familles : les chordophones, instruments à cordes pincées ou frappées avec des mailloches (par ex., « guitare adaptée », « blue rainbow », « Castor et Pollux », « crychord ») ; les idiophones, percussions accordées (« gourd tree », marimbas de verre, bois, métal, « cone gongs », « cloud chamber bowls » en verre) ; et les aérophones (dont un orgue accordé à la Partch, le « chromelodéon »). Parmi les oeuvres du compositeur, on citera : By the Rivers of Babylon (1931) ; Dark Brother (1943) ; US Highball, oeuvre dramatique avec choeur (1943) ; 2 Settings from Finnegans Wake d’après Joyce (1944) ; OEdipus, oeuvre dramatique d’après Sophocle (1951) ; The Mock Turtle Song and Jabberwocky d’après Lewis Carroll (1952) ; The Bewitched, oeuvre dramatique (1955) ; et l’oeuvre qui lui acquit une certaine réputation, The Delusion of the Fury, avec chanteurs solos et choeurs (1969). Injouable, par définition, sur d’autres instruments que les siens, l’oeuvre de Partch ne s’est répandue que par quelques enregistrements. Il en a exposé la théorie impliquant une conception globalisante de la pratique musicale, qu’il appelle luimême « corporéalisme » - dans son livre Genesis of a Music by Harry Partch (1949, rééd. 1974). PARTIE. Dans une composition destinée à une formation vocale ou instrumentale, élément concertant exécuté par un même chanteur ou groupe de chanteurs, un même instrument ou groupe d’instruments (par ex., la partie de ténor, la partie de second violon). L’ensemble des parties constitue la partition. PARTIEL. Terme d’acoustique employé dans deux acceptions voisines, mais sensiblement différentes. Au sens ancien, le plus large et, aujourd’hui encore, le plus généralement utilisé, partiel tend à se confondre avec harmonique. En soufflant plus fort dans un instrument à vent ou dans un tuyau d’orgue, on lui fait donner des sons plus élevés que le son fondamental : l’octave, puis la douzième, la double octave, etc. Ces sons apparaissent dans l’ordre naturel des harmoniques, ce qui explique qu’en les appelant partiels, les musiciens les confondent avec ceux-ci - sans d’ailleurs commettre de grave erreur. Mais, en fait, les harmoniques sont des fréquences contribuant à former tout son musical complexe, et dont la hauteur se définit par rapport à ce son par une relation simple : 2/1, 3/1, 4/1, etc. Or la fréquence des sons que l’on obtient en forçant un tuyau sonore, ou en immobilisant une corde à la moitié ou au tiers de sa longueur, n’est pas dans un rapport simple avec la fondamentale, et ne correspond pas rigoureusement à un harmonique : c’est un partiel, dans son second sens, le sens strict des physiciens, c’est-à-dire un son constitutif d’un son musical complexe, mais dont la fréquence n’est pas un multiple entier de ce son. Tel est le cas, notamment, des sons qui composent les sons musicaux des percussions ou des cloches, qui sont typiquement des partiels. Il n’empêche que, dans les instruments à vent en particulier, les facteurs d’instruments s’efforcent d’obtenir des partiels qu’ils se rapprochent le plus possible des harmoniques, de façon à donner la plus grande justesse lorsque l’on change d’octave en soufflant plus fort. PARTIMENTO. Nom donné en Italie, à la fin du XVIIe et au XVIIIe siècle, à des basses chiffrées présentées sans leur réalisation, le plus souvent à titre d’exercice pédagogique, ou simplement comme base d’improvisation ou de composition. downloadModeText.vue.download 768 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 762 PARTITA (ou partie, parthie, partia, parthia). Terme dérivé de l’italien partire (« partager ») et employé avec des sens divers (« variation », « série de variations », « pièce isolée », « suite de pièces ou de danses », « oeuvre en plusieurs mouvements ») en Italie et en Allemagne aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les plus anciens exemples se rapportent à la danse (partite et passaggi di gagliarda parus chez Prospero Luzi en 1589) ou plus généralement à des oeuvres instrumentales (Partite strumentali, perdus, de Gesualdo). Plus tard, partite sopra voulut dire « variations sur », et partite di « suite de pièces consistant en » (par ex., chez Froberger). Kuhnau utilisa le terme dans le sens « suite faisant partie d’un ensemble » (Neuer Clavier Übung Erster Theil, Bestehend in Sieben Partien..., 1689), Johann Krieger fit de même en 1697 (Sechs musicalische Partien, Sei partite musicali). L’ensemble des six oeuvres pour violon seul de Bach comprend, d’une part, trois sonates (BWV 1001, 1003 et 1005) selon le modèle de la sonata da chiesa (« sonate d’église »), d’autre part, trois partitas comprenant diverses danses (BWV 1002, 1004 et 1006), et donc proches par l’esprit de la sonata da camera (« sonate de chambre »). Bach appela également partitas les six suites (ou suites allemandes) formant la première partie de la Clavierübung (BWV 825-830), et partite diverse sopra... certains des cycles de variations sur des chorals pour orgue BWV 766-771. Haydn appela lui-même partitas certaines de ses sonates de jeunesse, en particulier la 13e, qui justement évoque plus ou moins l’ancienne suite par ses quatre mouvements dans la même tonalité majeure ou mineure, et ses divertissements pour instruments à vent seuls reçurent pour la plupart le nom de Feldparthien. À Vienne, dans les années 1750, le terme parthia s’appliquait très souvent à une oeuvre relevant plus ou moins du genre symphonie de chambre. PARTITION. 1. Terme général s’appliquant à toute mise par écrit d’un morceau de musique, mais impliquant généralement le fait que toutes les parties y soient représentées de manière synoptique : par exemple, un morceau à 4 mains sera dit « en partition » si les 4 portées sont figurées les unes sous les autres, mais non si elles sont réparties sur deux pages en vis-à-vis. On distingue principalement les partitions d’orchestre ou assimilées (musique de chambre) dans lesquelles sont reproduites en détail les parties de chaque exécutant, et les partitions « réduites » qui en donnent un résumé, généralement pour piano (piano et chant pour les opéras). On oppose également, se référant au format, la grande partition, utilisée par les chefs d’orchestre, et la partition de poche, qui en est une réduction, souvent photographique, destinée à l’étude. Le mot « partition », qui signifie simplement « division, quadrillage », provient du début du XVIIe siècle, où l’usage alors nouveau de la barre de mesure fut considéré comme un auxiliaire de lecture précieux pour mettre ensemble plusieurs exécutants, d’où l’extension ultérieure du terme. 2. Manière dont procèdent les accordeurs pour régler la justesse des intervalles. Appareils parfois employés par eux pour faciliter ce réglage (il existe notamment des « partitions » formées de lames vibrantes, ou plus récemment des partitions électroniques). L’usage n’en est pas généralisé, la plupart des accordeurs préférant se fier à leur oreille. PASDELOUP (Jules), violoniste et chef d’orchestre français (Paris 1819 - Fontainebleau 1887). Fils de François Pasdeloup, chef d’orchestre à l’Opéra-Comique, il entra en 1829 au Conservatoire. Ayant obtenu un premier prix de violon en 1832, il fut violoniste dans divers orchestres, donna des leçons privées, et écrivit des valses et des polkas avant d’être nommé professeur de violon au Conservatoire. N’ayant pas réussi à se faire reconnaître comme compositeur, il fonda, en 1851, avec des élèves du Conservatoire la Société des jeunes artistes, remplacée en 1861 par les Concerts populaires, dont le but fut de mettre la musique classique à la portée des masses pour des prix modiques. Cette initiative obtint un énorme succès. Les Concerts populaires, donnés au Cirque d’Hiver, consacrèrent des programmes à Haydn, Mozart, Beethoven, Weber, Mendelssohn, révélèrent Schumann, Wagner, Tchaïkovski, créèrent des oeuvres de Massenet, Lalo, Saint-Saëns. Pasdeloup fut également directeur musical du théâtre de l’Athénée, et directeur des études au Conservatoire. En 1869, il prit la succession de Léon Carvalho à la tête du Théâtre-Lyrique. Il y dirigea les premières françaises de Rienzi, du Bal masqué et assura la reprise d’Iphigénie en Tauride. Après la guerre de 1870, il se trouva ruiné. Il organisa alors des tournées avec son orchestre, dont il assura la direction jusqu’en 1884. À sa mort, les Concerts populaires ne lui survécurent pas, faute de moyens. Ils ressuscitèrent en 1917 grâce à l’initiative de Sandberg, qui les réinstalla au Cirque d’Hiver sous le nom de « concerts Pasdeloup », et sous la direction de Rhené-Baton. PASQUIER, famille de musiciens français, fondateurs en 1927 du trio à cordes qui porte leur nom. Pierre, altiste (Tours 1902 - Neuilly-surSeine 1986). Il étudia de 1919 à 1922 au Conservatoire de Paris, où il fut nommé professeur en 1943. Il enseigna également au Conservatoire américain de Fontainebleau. Jean, violoniste (Tours 1903 - Villed’Avray 1992). Il fut l’élève d’E. Nadaud au Conservatoire de Paris, où il remporta son premier prix en 1922. Professeur au Conservatoire américain depuis 1952, il a publié en 1955 des Exercices en forme d’études. Étienne, violoncelliste (Tours 1905). Il a suivi la même filière et obtenu son premier prix dès 1921. Il a appartenu comme soliste à l’orchestre de l’Opéra de 1930 à sa retraite. À ce trio célèbre a récemment succédé le « Nouveau Trio Pasquier » formé de Régis Pasquier (violon), né à Fontainebleau en 1945, de Bruno Pasquier (alto), né à Neuilly-sur-Seine en 1943, tous deux fils de Pierre, et de Roland Pidoux (violoncelle), né à Paris en 1946. PASQUINI (Bernardo), claveciniste, organiste et compositeur italien (Massa di Valdinievole 1637 - Rome 1710). Après des études dans sa région natale, il s’installa définitivement à Rome avant 1650. Il y travailla sans doute avec Antonio Cesti et Loreto Vittori, et devint, vers 1663, organiste de Santa Maria Maggiore, puis, en 1664, de Santa Maria in Aracoeli, poste qu’il devait occuper jusqu’à la fin de sa vie. Son immense talent au clavecin et à l’orgue lui valut les faveurs de nombreuses personnalités romaines (la reine Christine de Suède, le prince Colonna, les cardinaux Ottoboni et Pamphili) et plus particulièrement du prince Giambattista Borghese, qui l’hébergea à partir de 1670 environ. La production de Pasquini, assez considérable, comprend de la musique vocale sacrée et profane et de la musique pour clavier. Il a composé une quinzaine d’opéras, à peu près autant d’oratorios, et de nombreux motets, arias et cantates qui trahissent l’héritage de Cesti. Il est, dans ce domaine, un représentant non négligeable de l’école romaine, faisant figure d’intermédiaire entre Cesti et son cadet et contemporain A. Scarlatti. La partie la plus importante de l’oeuvre de Pasquini est néanmoins celle consacrée au clavier (en particulier au clavecin), et a été conservée en quatre volumes manuscrits. Elle comprend des toccatas (appelées parfois tastatas), de nombreuses danses et suites de danses, des partitas, passacailles et variations, et des sonates (4 pour orgue, 14 pour clavecin, 14 pour deux clavecins). Ses toccatas, bien que souvent conventiondownloadModeText.vue.download 769 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 763 nelles et dans la tradition de Frescobaldi, ont parfois tendance à contraster mouvements de toccata et mouvements fugués, annonçant ainsi les futures toccatas et fugues. Ses sonates, écrites seulement en basse figurée, sont exceptionnelles en Italie à cette époque. Il semble être l’un des premiers Italiens à avoir écrit pour deux clavecins. Mais il est surtout remarquable dans ses suites de danses et ses variations. Là encore, il s’inspire de Frescobaldi et de ses danses groupées, mais il les organise en suites de même tonalité, comprenant de deux à cinq danses de forme binaire et dont la succession la plus courante est allemande-courante-gigue. Il est le premier Italien à avoir donné cette structure à la suite de clavier. L’influence de la danse est également sensible dans ses variations et partitas (Partite di bergamasca, Partite del saltarello, Partite diversi sopra alemanda), et il fut particulièrement sensible, comme nombre de ses contemporains, au thème de la folia (Partite diversi di folia, Variationi sopra la folia). On lui doit aussi deux ouvrages théoriques : Saggi di contrappunto (1695) et Regole per ben suonare il cembalo o organo (1715, perdu). PASSACAILLE. Forme musicale ancienne, apparue au XVIIe siècle dans la musique italienne (passacaglia), mais dont le nom est d’origine espagnole (pasar, « marcher » et calle, « rue « ; « marcher dans la rue »), sans doute par allusion aux musiques instrumentales des processions qui répétaient sans cesse le même motif en le variant. Elle est caractérisée par une basse obstinée à 3 temps de 4 ou 8 mesures, habituellement construite selon un type caractéristique : mouvement régulier conjoint (diatonique ou chromatique) de tonique à dominante, généralement descendant, que suit parfois une cadence dominantetonique extrêmement marquée. Cette basse se répète constamment sous les variations, dans un mouvement modéré, mais allant. Généralisée dans toute l’Europe dans la seconde moitié du XVIIe et au XVIIIe siècle, elle s’y est souvent confondue avec la chaconne, mais elle semble s’être moins que cette dernière pliée à la véritable danse et aussi avoir conservé plus de rigueur qu’elle dans le maintien de l’ostinato : comparer à cet égard les deux pièces maîtresses que sont, de J.-S. Bach, la Passacaille pour orgue en ut mineur et la Chaconne en ré mineur pour violon seul. Tombée quelque peu en désuétude au XIXe siècle, la passacaille a trouvé un regain de faveur au XXe (Webern, Dutilleux, etc.) ; mais le terme est parfois employé abusivement pour s’appliquer à n’importe quelle basse obstinée, alors que la forme mélodique de cette basse fait, elle aussi, partie de la définition de la passacaille. PASSAMEZZO. Danse d’origine italienne, proche de la pavane, de rythme binaire et de mouvement modéré, qui se développa en Europe, soit individuellement, soit dans le cadre d’une suite, au XVIe et au début du XVIIe siècle. L’origine du terme demeure vague et les musicologues le font en général dériver soit de sa mesure alla breve ( ), soit d’une figure de danse (« pas et demi »). PASSE-PIED. Danse populaire française d’origine bretonne, de caractère vif et enjoué. Exécuté à pas glissés sur un rythme tout d’abord binaire, puis ternaire à partir du XVIIe siècle qui l’avait adopté comme danse de cour, le passepied a eu les honneurs du théâtre et du concert au même titre que les autres danses devenues classiques, qui entrent dans la composition de nombreuses « suites » instrumentales, de Couperin à Debussy. PASSEREAU, compositeur français, actif de 1509 à 1547 environ. On le prétend prêtre et présent à SaintJacques de la Boucherie au début du siècle, mais aucun document ne permet de justifier cette affirmation. Il est chantre à la chapelle du duc d’Angoulême (futur François Ier) en 1509 et sans doute à la cathédrale de Cambrai de 1525 à 1530. Il a surtout composé des chansons (les dernières datent de 1547) et a été publié dans divers recueils anthologiques d’Attaingnant, dont un lui est exclusivement consacré ainsi qu’à Janequin. Passereau fait partie de cette génération de compositeurs qui ont développé la chanson polyphonique parisienne, et son style est assez proche de celui de Janequin. Ses pièces sont en général descriptives ou grivoises, d’inspiration populaire et de style syllabique, et multiplient les rythmes animés et les imitations figuratives. La plus célèbre, Il est bel et bon, a subi de nombreuses adaptations et a été transcrite pour divers instruments un peu partout en Europe. PASSION. Chant, au cours de l’office, de l’Évangile relatant la Passion du Christ durant la semaine sainte. Dès le Xe siècle, ce chant revêtit une solennité particulière en utilisant des timbres de récitation différents de ceux des Évangiles ordinaires ; au XVe siècle s’introduisit la coutume de récitations dramatiques, où le rôle du Christ était chanté par le prêtre, l’évangéliste narrateur par le diacre, les autres personnages (turba, dite familièrement « canaille »), par le sous-diacre. À partir du XVe siècle, ce dernier rôle fut parfois confié à la maîtrise, et donna lieu à des compositions polyphoniques d’abord simples (faux-bourdons), puis de plus en plus développés (passion-répons). Au début du XVIe siècle, on écrivit en polyphonie non plus seulement la partie de turba, mais le récit entier, dont le texte fut souvent reconstruit par centonisation (passion-motet). La réforme luthérienne transporta ces différents genres en langue allemande, et, peu à peu, s’y adjoignirent des cantiques en intermède (chorals), des choeurs d’introduction et de conclusion, plus tard enfin des ariosos ou des arias traduisant la méditation du chrétien devant les faits évoqués (passion-oratorio). L’orchestre s’y étant joint, la passion devint ainsi chez les réformés du XVIIIe siècle tantôt une sorte de cantate agrandie encadrant comme celle-ci le sermon des vêpres (Passions de Bach), tantôt un oratorio sur modèle théâtral (Passions de Haendel), tandis que les catholiques (cf. A. Scarlatti) s’en tenaient à la seule récitation évangélique. Parmi les nombreuses passions écrites du XVIe au XVIIIe siècle, les plus connues sont sans doute celles de Victoria (passion-répons à récitatif liturgique), de H. Schütz (passion-répons à récitatif composé) et surtout de J.-S. Bach. Ce dernier, outre ses deux célèbres Passion selon saint Jean (1724) et Passion selon saint Matthieu (1729), a écrit au moins deux autres passions, dont l’une, selon saint Marc, est un arrangement de cantates sans grand intérêt, et l’autre, sur un texte libre de Picander conservé, est malheureusement perdue. Une cinquième passion, selon saint Luc, est parvenue jusqu’à nous ; elle est médiocre et très probablement apocryphe. Au XIXe siècle, la passion a cessé de former un genre musical particulier, et les rares passions écrites depuis lors (Jean Langlais, Frank Martin, Krzysztof Penderecki), ne se distinguent en rien, sinon par leur sujet, des oratorios de concert habituels. PASTA (Giuditta NEGRI, dite), soprano italienne (Saronno, près de Milan, 1798 Blevio 1865). Cette figure légendaire de l’opéra romantique italien attacha son nom à la création du rôle de Norma dans l’opéra de Bellini. Elle étudia à Milan, débuta à Brescia en 1815, puis à Londres en 1817, sans grand succès. Elle obtint son premier triomphe à Paris en 1821 dans le rôle de Desdémone de Otello, de Rossini. Son grand talent d’actrice et l’intensité de ses interprétations firent sensation, au même titre que l’ampleur et la couleur de sa voix. Mais, même à l’apogée de ses moyens, on lui reprochait le manque d’homogénéité de son timbre. Elle résolut avec une facilité plus ou moins grande les problèmes downloadModeText.vue.download 770 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 764 vocaux posés par les rôles de Rossini, de Donizetti et de Bellini, dans lesquels elle était pourtant acclamée. Outre Norma de Bellini, elle créa Anna Bolena de Donizetti, et excella dans Otello de Rossini, où elle faisait, paraît-il, oublier Colbran, sinon sa rivale Malibran. Elle chanta régulièrement à Londres, Paris et Saint-Pétersbourg jusqu’en 1837, puis dut espacer ses prestations. PASTICHE (ital. pasticcio, « pâté »). 1. Au sens ancien, employé surtout aux XVIIe et XVIIIe siècles, le pastiche est une oeuvre formée de morceaux soit composés par des auteurs différents, soit empruntés, avec ou sans remaniements, à des ouvrages différents dans un ordre autre que l’ordre primitif. C’est ainsi que le Jaloux corrigé de Blavet se compose d’une ouverture de Blavet et d’airs adaptés en français et empruntés à divers intermèdes de Pergolèse, reliés par des récitatifs de Blavet. Pulcinella de Stravinski, formé de divers morceaux empruntés à ce même Pergolèse et transformés par Stravinski, peut être considéré à cet égard comme une forme moderne du pasticcio. 2. Au sens actuel, on appelle pastiche un morceau original écrit par un auteur dans le style d’un autre. Le pastiche peut être volontaire et devient alors une sorte de jeu : c’est ainsi que Ravel et Casella ont composé une série de « À la manière de ... » formant un pendant musical au célèbre recueil littéraire de Reboux et Muller. Il peut être aussi involontaire, et constitue alors souvent un aveu d’impuissance. Pour éviter la confusion entre les deux acceptions, on conserve habituellement la forme italienne pasticcio dans le premier sens, réservant le mot français pastiche au second. PASTORALE. Genre dramatique qui relate les exploits amoureux de bergers et de bergères, situés dans un cadre naturel, un havre idyllique de bonheur et de paix, comme celui d’Arcadie, où habitent Pan, le dieu des bergers, et Alphée, celui des fleuves. La poésie de la pastorale est la première à s’agrémenter entièrement de musique, pour être chantée, dansée et non pas parlée. Dans son Dictionnaire de la musique (1703), S. de Brossard définit la pastorale comme un « Chant qui imite celuy des Bergers, qui en a la douceur, la tendresse, le naturel, etc. C’est aussi souvent une pièce de musique faite sur des paroles qui parlent des , ou qui dépeignent les amours des Bergers, etc. ». Cette définition sera reprise et quelque peu amplifiée par J.-J. Rousseau (1777), après avoir été illustrée par son opéra champêtre le Devin du village (1752). En souvenir de l’Antiquité, des Idylles de Théocrite et des Églogues de Virgile, la pastorale a survécu tout au long du Moyen Âge, notamment en France (troubadours, trouvères) sous forme de pastourelle, chanson aristocratique, allégorique, courtoise, la bergère étant l’objet désiré et le cadre, un pré bordé d’une haie dorée. Mais le Jeu de Robin et Marion d’Adam de la Halle constitue déjà une véritable pastorale mise en musique. L’époque à laquelle la pastorale dramatique va devenir la favola in musica, nom usuel des premiers opéras, remonte à la fin de la Renaissance en Italie. Dès la fin du XVe siècle, la poésie pastorale se transforme en pièce dramatique pour être ensuite mêlée de musique. Selon Gian Battista Guarini, la nouvelle forme est née à Ferrare en 1554, avec la représentation de la pièce d’Agostino Beccari Il Sacrificio, dotée de musique par Alfonso Della Viola. La popularité de la pastorale sera bientôt assurée grâce à deux oeuvres théâtrales majeures, traduites dans toutes les principales langues d’Europe : Aminta de Torquato Tasso (1573), encore assez proche de l’églogue et, surtout, Il Pastor fido (1581-1590) de Guarini, source des textes d’un très grand nombre de madrigaux polyphoniques et monodiques. Au cours du XVIIe siècle, ces deux modèles seront adaptés et imités jusqu’à épuisement de la matière littéraire. Pour les premiers opéras créés à Florence et si proches encore de la déclamation, O. Rinuccini, disciple du Tasse, écrit les livrets de Dafne (1597) et d’Euridice (1600) sur des contes mythologiques tirés d’Ovide, et notamment mis en musique par Jacopo Peri. A. Striggio reprend le thème du second pour l’Orfeo de Monteverdi en 1607. À ses débuts, l’opéra est exclusivement un spectacle de cour, donné à l’occasion d’un mariage princier ou d’une visite mémorable. Le prologue sert à honorer les principales personnalités présentes et les lie à l’action qui doit se terminer par le triomphe du bien sur le mal. Le rôle allégorique des personnages ici et dans la pastorale est, comme toujours, important. Ainsi la pastorale proprement dite restera un spectacle essentiellement aristocratique. En revanche, les éléments de la pastorale peuvent se mélanger librement à d’autres genres (Oratorio de Noël), chez Haendel (le Messie) et chez Corelli (Concerto de Noël). En France, après une tentative intitulée le Triomphe de l’amour (1654) de Michel de La Guerre, sur une série de chansons de Charles de Beys, Pierre Perrin appelle sa Pastorale d’Issy (1659) « Première comédie française en musique représentée en France ». La pastorale française (sans musique) atteint un premier sommet au début du XVIIe siècle avec le roman pastoral de H. d’Urfé, Astrée (1607-1628). Le genre est ensuite développé par les poètes précieux, par Racan (les Bergeries, 1619), puis par Gombauld (Amaranthe), Segrais (Églogues de M. de Segrais) et Gilbert, qui écrivait des pastorales pour la reine Christine de Suède, dont il était le secrétaire. La poésie pastorale des « précieuses » appelait la musique, mais jusqu’alors n’a réussi qu’à inspirer d’innombrables airs et ballets de cour. Quant aux spectacles d’opéra, ils sont italiens, imposés par Mazarin à la cour de France. À partir des éléments du ballet de cour, le ton pastoral de la poésie précieuse, le goût pour les choeurs, pour la danse, et quelques éléments italiens (déclamation en musique adaptée à la langue française), Lully peut créer un opéra français. Au sujet de la pastorale, R. Rolland déclare : « Il n’y a presque pas d’opéra de Lully où cette poésie de la nature, de la nuit, du silence ne s’exhale. » C’est aussi en raison des lois de la pastorale que la nouvelle tragédie lyrique possède un prologue allégorique et une fin heureuse, source caractéristique de tant de livrets maladroits. La liste des opéras de Lully commence et prend fin avec deux vraies pastorales : les Fêtes de l’Amour et de Bacchus (1672) et Acis et Galathée (1686). Éloigné de la cour, Marc-Antoine Charpentier compose un nombre non négligeable de petites pastorales religieuses ou profanes, destinées en grande partie à être représentées chez la princesse de Guise, dans son hôtel du Marais. Encore une fois, on y retrouve le thème des premières pastorales avec la Descente d’Orphée aux Enfers (v. 1685). À cette époque, un seul opéra italien est donné en France : il s’agit d’une pastorale, Nicandro e Fileno de P. Lorenzani (Fontainebleau, 1681). Quant à l’Académie royale de musique, l’opéra pastoral ou la pastorale héroïque y figurent assez souvent à l’affiche (Issé, de Destouches, 1697 ; Aréthuse, de Campra, 1701 ; Zaïs, de Rameau, 1748 ; Acanthe et Céphise, de Ra- meau, 1751 ; Daphnis et Églé, de Rameau, 1753, sans oublier une pastorale en langue d’oc de Mondonville, Daphnis et Alcimadure, 1754). En fait, la pastorale ne cessera d’exercer son influence sur l’opéra qu’à la Révolution. Pendant environ deux siècles, elle a régné sur la musique vocale profane et marqué la musique religieuse et instrumentale. Presque tous les compositeurs, à un moment ou un autre de leur carrière, ont contribué à son développement. De l’époque romantique à nos jours, le terme pastorale a été employé dans une oeuvre lorsque y apparaît une atmosphère champêtre. Avec l’ouverture des premiers théâtres publics à Venise (1637), la pastorale subit un déclin en faveur de l’opéra héroïque ou historique (Cavalli/Busenello : La Didone, 1641 ; Monteverdi/Busenello : L’Incoronazione di Poppea, 1643). Le rôle des choeurs, essentiel dans les premiers opéras-pastorales, se modifie ; s’ils demeurent toujours présents, leur participation devient downloadModeText.vue.download 771 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 765 progressivement muette et, fréquemment, seul le livret indique qu’ils participent à une scène (cori de soldati, di cacciatori, di ninfe, etc.). Vers la fin du XVIIe siècle, A. Scarlatti, grâce à l’Accademia degli Arcadi (fondée en 1689), qui relance la forme, peut composer un nouveau type de pastorale intime caractérisée par un effectif vocal et instrumental réduit, sans choeurs, et donné chez des particuliers. Ainsi, en 1690, La Rosaura est représentée pour fêter un double mariage dans la famille Ottoboni. Ce genre d’ouvrage sera exploité par Haendel dans ses pastorales Il Pastor fido (1712) et Acis et Galatea (1720). Tout au long de cette période, la cantate profane porte le flambeau de la pastorale, même lorsque cette dernière est délaissée par le théâtre. Enfin, il faut constater l’existence en Italie de la pastorale dans la musique religieuse, traitant en particulier l’histoire de la Nativité du Seigneur, notre sauveur et « bon pasteur », et dont les premiers exemples sont les oeuvres vocales du Sicilien F. Fiammengo (Pastorali concenti al presepe, 1637). Cette tradition se poursui- vit en Autriche (Werner, Haydn), et les oeuvres de ce type citent volontiers des mélodies populaires. La pastorale s’adapta par la suite à la musique instrumentale (« Symphonies pastorales » de Bach ou du Messie de Haendel). Quelquefois les compositeurs ont été tentés par la pastorale proprement dite (R. Strauss : Daphne, 1938 ; B. Britten, le Songe d’une nuit d’été, 1960). L’élément pastoral dans la musique est un vaste sujet ; dans ses rapports avec cet art, il reste encore en France aujourd’hui en grande partie inexploré. PASTOURELLE. 1. Genre en honneur au XIIIe siècle dans les chansons de trouveurs, dont le sujet est la rencontre d’une bergère avec un chevalier qui lui fait la cour, et parfois cherche à l’enlever ; tantôt la bergère consent, tantôt elle résiste, appelant à l’aide son ami et d’autres paysans. La première partie du Jeu de Robin et Marion d’Adam de la Halle (v. 1282) est une adaptation théâtrale parlée du thème de la pastourelle, avec insertion de « refrains » chantés empruntés au répertoire de l’époque. On attribue au roi Saint Louis une « pastourelle pieuse » adaptant ce même thème par parodie à la rencontre mystique du chrétien avec la Vierge. 2. Genre populaire de représentation théâtrale, parfois chantée en tout ou en partie, mettant en scène des bergers recevant des anges l’annonce de la naissance du Christ. La tradition, très répandue, surtout dans les pays méridionaux, en est certainement très ancienne, mais difficile à dater, et les textes conservés peuvent remonter à des époques très variables. On dit aussi pastorale. PATTI (Adelina), soprano italienne (Madrid 1843 - château de Croig-y-Nos, pays de Galles, 1919). C’est la plus ancienne cantatrice dont on possède des disques, réalisés il est vrai alors qu’elle avait soixante ans, et aussi, peut-être, celle qui fit la carrière la plus longue, puisqu’elle débuta à New York dans le rôle de Lucia di Lamermoor en 1859 et paraissait encore dans un concert de charité en 1910. Adelina Patti connut une célébrité inouïe dans le monde entier. Sa voix allait du do grave au contre fa aigu, et elle vocalisait avec une extrême agilité, ce qui lui permit d’aborder avec un même bonheur des rôles coloratur, comme Lucia ou Amina dans la Somnambule de Bellini, et dramatiques, comme Aïda ou Leonora d’Il Trovatore de Verdi. Elle excellait aussi dans Juliette et Marguerite de Gounod. Son timbre était admiré, pour sa richesse autant que pour sa clarté. C’est pour la jeune Adelina Patti que Rossini adapta la partie de Rosine du Barbier de Séville, primitivement écrit pour un mezzo-soprano. Son émission était d’une égalité parfaite, mais ses détracteurs lui reprochaient de manquer de tempérament artistique. PATZAK (Julius), ténor autrichien (Vienne 1898 - Rottach-Egern, Bavière, 1974). Il étudia à Vienne avec Guido Adler et E. Mandyczewski, mais fut autodidacte en ce qui concerne le chant. Après ses débuts en 1926, il chanta à l’Opéra de Munich de 1928 à 1945, puis à l’Opéra de Vienne de 1946 à 1959, et fut également invité au festival de Salzbourg (1943 et 1945). Son répertoire, très étendu, incluait aussi bien l’opéra que l’oratorio et le lied. Considéré comme un spécialiste de Mozart, il interpréta également Bach, Haydn, Beethoven, Moussorgski, Verdi, Mahler et Puccini. Il enseigna à l’Académie de musique de Vienne et au Mozarteum de Salzbourg. PAUMANN (Conrad), organiste, luthiste, compositeur et pédagogue allemand (Nuremberg v. 1415 - Munich 1473) Aveugle de naissance, il fit toute sa carrière comme organiste, à Nuremberg d’abord (1446-1450), puis à Munich, au service des ducs de Bavière. Considéré comme le plus fameux musicien allemand de son siècle, il connut une grande gloire ; ayant joué avec succès devant les grands de ce monde, plusieurs souverains cherchèrent à l’attirer à leur cour, mais il demeura en Bavière, qu’il ne quitta que pour un voyage en Italie qui le fit séjourner à Mantoue en 1470. Il a peu composé, et l’on ne connait guère de lui que quelques pièces figurant dans le Buxheimer Orgelbuch (« Livre d’orgue de Buxheim »). Mais c’est surtout par son enseignement et par sa théorie de la musique qu’il a exercé une influence profonde sur ses successeurs. On doit à la rédaction de l’un de ses élèves le Fondamentum organisandi Magistri C. P. Ceci de Nuremberga (« Bases de l’art de l’orgue », de Conrad Paumann l’aveugle de Nuremberg ; 1452). Paumann y montre les façons d’improviser à deux et à trois voix à partir d’un chant donné, et de l’orner de manières très variées. On lui doit aussi vraisemblablement l’invention de la tablature de luth allemande. PAUMGARTNER (Bernhard), chef d’orchestre, musicologue et compositeur autrichien (Vienne 1887 - Salzbourg 1971). Il fait ses études à Vienne avec B. Walter (théorie et direction d’orchestre), R. Dienzl (piano) et K. Stiegler (cor). Il obtient un doctorat de droit en 1911 et est alors répétiteur à l’opéra pendant un an. Il dirige le Wiener Tonkunstlerorchester de 1914 à 1917 (tout en travaillant au ministère de la Guerre), puis part à Salzbourg, où il devient l’une des grandes personnalités musicales. Directeur du Mozarteum de 1917 à 1938, puis de 1945 à 1953, il fonde en 1952 la Camerata academica et dirige de 1960 jusqu’à sa mort le festival de Salzbourg dont il est l’un des cofondateurs. La plupart de ses publications concernent Mozart. Il écrit en 1927 une biographie du compositeur et édite plusieurs de ses oeuvres ainsi que la correspondance de Leopold Mozart avec sa fille (1936). Il est, en outre, l’auteur de biographies de Schubert (1943) et Bach (1956), et a également fait des recherches sur la musique baroque italienne. Enfin, il a composé de la musique pour la scène et des opéras, et joué un rôle pédagogique certain à Salzbourg, où H. von Karajan a été de ses élèves. PAUSE. Signe indiquant un silence d’une mesure entière, quelle que soit la longueur de celle-ci. Sa représentation graphique est un tiret épais et court, appuyé sur la troisième ligne de la portée. PAVANE. Danse de cour de rythme binaire (à 4 temps) et d’allure marchée, très répandue au XVIe et au début du XVIIe siècle, et qui aurait remplacé la basse-danse (en déclin au milieu du XVIe s.). Son nom vient de l’italien paduana ou padovana, adjectif signifiant « qui vient de Padoue ». Un recueil de 1508 (contenant les plus anciennes pavanes attestées) comprend des pavanes alla venetiana et alla ferrarese. downloadModeText.vue.download 772 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 766 Connue aujourd’hui comme une danse lente, grave et compassée (d’où l’étymologie douteuse qui la fait dériver de l’espagnol pavon, « paon »), la pavane était sans doute au départ une danse assez rapide. Toinot Arbeau, dans son Orchésographie, la décrit comme « facile à danser », avec deux pas simples et un double en avant (commençant par le pied gauche) et les mêmes pas en arrière, en commençant par le pied droit. C’est la célèbre pavane Belle qui tient ma vie qu’il donne en exemple, avec un rythme d’accompagnement d’une blanche et de deux noires. Souvent prise pour une danse d’origine espagnole, la pavane était dansée en procession marchée, pour l’ouverture des bals. Dans les recueils du temps, elle introduit chaque suite, et se trouve fréquemment suivie d’un saltarello, ou d’une gaillarde à 3 temps basée sur le même matériel thématique, par changement de rythme et de tempo (dite pour cela « gaillarde de la pavane »). Ainsi dans les recueils de Pierre Attaignant (à partir de 1530), d’Adrian Le Roy, de Thomas Morley, d’Alonso Mudana (1546, où elle est caractérisée comme danse assez rapide) et de William Byrd (My Ladye Nevell’s Booke, 1591, qui contient des pavanes à titres expressifs comme la Melancholy Pavan). Les fameuses Lachrymae de John Dowland, à 4 parties, variations sur le thème Flow my tears, sont elles aussi des pavanes. La pavane réapparaît au début du XVIIe siècle, comme danse d’introduction des suites de Scheidt et Schein (Banchetto musicale, 1617), puis disparaît peu à peu. Quelques pièces musicales du début du XXe siècle ont repris le titre de pavane, dans une intention archaïsante, et en l’interprétant comme une danse espagnole lente et mélancolique (Pavane, 1887, de Fauré, Pavane pour une infante défunte de Ravel, 1899 ; Pavane de Vaughan Williams dans Job, 1930, etc.). PAVAROTTI (Luciano), ténor italien (Modène 1935). En 1961, il gagna le concours de chant de Parme, et y fit ses débuts la même année dans Rodolphe de la Bohême. Son succès détermina des engagements dans toute l’Italie, puis à l’étranger : Edgardo dans Lucie de Lammermoor à Amsterdam en 1963, Idamante dans Idoménée de Mozart à Glyndebourne en 1964. Sa voix de ténor lyrique est d’une grande richesse, avec un aigu d’une facilité extrême. Dans les années 75, il a abordé des rôles un peu plus corsés, tels Manrico dans Il Trovatore et Calaf dans Turandot. Mais sa parfaite technique semble capable de les surmonter sans dommage. Son art réalise de façon accomplie l’équilibre entre des qualités vocales superlatives et une excellente musicalité faisant de Pavarotti un des meilleurs chanteurs de l’époque actuelle. PAZ (Juan Carlos), compositeur argentin (Buenos Aires 1901 - id. 1972). Il fit ses études en autodidacte, puis travailla à Buenos Aires avec Roberto Nery, Jules Beyer et Constantino Gaito. Il fut membre fondateur du groupe Renovación musical (1929) et fondateur des Conciertos de la nueva musica (1937), organismes destinés à assurer une plus grande diffusion à la musique contemporaine et dodécaphonique en Argentine. Professeur, musicologue et critique, il a été l’un des animateurs les plus efficaces de l’activité musicale dans son pays. Son évolution de compositeur l’a conduit du néoclassicisme (style harmonique tonal, chromatique) à la polytonalité, puis au dodécaphonisme et, après 1955, à une investigation personnelle de nouveaux moyens d’expression (formes ouvertes). Il a écrit des oeuvres pour orchestre (concertos et poèmes symphoniques), pour piano (Inventions), et des compositions dodécaphoniques pour différentes combinaisons instrumentales. Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages - Schönberg et la Fin de l’ère tonale, la Musique aux États-Unis, Introduction à la musique de notre temps - et de plus de 200 essais sur la musique contemporaine. PEARS (Peter), ténor anglais (Farnham 1910 - Aldeburgh 1986). Après avoir chanté dans les choeurs de la BBC, il débuta à Londres en 1942, dans le rôle d’Hoffmann. Après avoir chanté Mozart et le répertoire italien, il fut plus particulièrement associé, à partir de 1945, à la musique de Benjamin Britten, dont il créa la plupart des oeuvres lyriques, tant au théâtre (Peter Grimes) qu’au concert. Si les moyens vocaux de Peter Pears n’étaient pas exceptionnels, il était un musicien remarquable, un styliste parfait (d’où son triomphe comme évangéliste dans les Passions de Bach) et un acteur doué d’une personnalité certaine. PÉDALE. 1. Levier existant sur certains instruments et qui s’actionne avec le pied, permettant d’accomplir certaines opérations sans interrompre le jeu avec les mains. Sur l’orgue, la pédale peut servir à faire sonner des tuyaux graves (c’est le pédalier, qui est un clavier de pédales plus ou moins fourni) et aussi à opérer certains changements de registration (accouplement, par exemple). Sur le piano, elle sert à agir sur le timbre et la résonance (pédale « forte » qui éloigne les étouffoirs des cordes, et ainsi prolonge la résonance et augmente l’intensité ; pédale « douce », ou « sourdine », qui déplace le marteau par rapport à la corde - ou inversement - pour ne lui faire frapper qu’une ou deux cordes, d’où atténuation du timbre et de la résonance ; une troisième pédale, dite « tonale » ou « de prolongation », équipe certains grands pianos, servant à prolonger certains sons et non les autres). Sur la harpe moderne, plusieurs pédales permettent de faire les altérations chromatiques en modifiant la tension des cordes. Sur de grands clavecins de fabrication moderne, la pédale sert à enclencher des registres. Les instruments électrifiés ou électroniques comportent souvent des pédales permettant de modifier le timbre d’une manière continue (pédale « wah-wah » sur les guitares électriques). Les timbales modernes en ont pour établir ou faire varier l’accord, etc. 2. Dans le vocabulaire de l’harmonie, la pédale est une note tenue longuement à l’une des parties, cependant que les autres parties continuent d’évoluer, produisant des accords qui peuvent créer avec elle des dissonances assez dures, ou bien au contraire l’intégrer à leur harmonie globale. Ce procédé est issu des instruments tels que la cornemuse ou la vielle à roue, qui émettent un « bourdon » sur les notes de tonique et de dominante. Mais son nom lui vient de l’orgue, car c’est une touche de pédalier qui servait sur cet instrument à tenir des notes à la basse. La pédale est en effet couramment une note de basse, sur la tonique ou la dominante du ton, servant à l’affirmer ou à le réintroduire. Ainsi, la musique classique utilise couramment des pédales de dominante aux moments « stratégiques » de certaines formes, pour préparer notamment la rentrée du ton principal (fin d’une fugue, fin du développement, dans une forme sonate, avant la réexposition)... Dans les genres lyriques et scéniques, la pédale est souvent utilisée pour son effet dramatique de « suspension du temps » (pédales de basse dans le début du récit de Wotan à Brünnhilde, au deuxième acte de la Walkyrie). Par extension, Olivier Messiaen a appliqué le terme à la répétition textuelle et systématique d’une brève formule mélodique, rythmique, ou harmonique (ce que l’on nomme aussi parfois « ostinato »), procédé qu’il a employé assez souvent dans ses oeuvres (Quatuor pour la fin du temps). PÉDALIER. Clavier d’orgue dont les touches sont actionnées par les pieds de l’exécutant. La forme, l’étendue et les ressources du pédalier ont beaucoup évolué. D’abord constitué de quelques « marches » venant au secours des claviers manuels pour les notes les plus graves, il connut, aux XVIIe et XVIIIe siècles, deux types de réalisation : le pédalier « à la française » (celui de Couperin et de Grigny), plancher d’où font saillie les chevilles correspondant aux notes, et le pédalier « à l’allemande » (celui de Buxtehude et de Bach), série de lames de bois rangées comme les touches du cladownloadModeText.vue.download 773 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 767 vier. Permettant une virtuosité bien plus grande que celui à la française, le pédalier à l’allemande survécut seul au XIXe siècle. Perfectionné par le relèvement de ses touches extrêmes et parfois une disposition en éventail, il compte aujourd’ hui 32 notes (ut-sol) correspondant à la partie grave des claviers manuels. Initialement accouplé aux claviers par une tirasse, le pédalier a acquis progressivement sa personnalité de plan sonore indépendant auquel sont confiées les parties de basse et certaines voix de ténor. C’est donc au pédalier que sont placés les jeux les plus graves de l’orgue, qui servent de soutènement à la polyphonie instrumentale. Le jeu du pédalier fait appel à la pointe et au talon de chacun des deux pieds, ce qui permet d’exécuter des traits rapides et de lier ou de détacher les notes dans un phrasé comparable à celui des doigts aux claviers manuels. Depuis Bach, qui en jouait en virtuose, le pédalier se voit confier des parties musicales autonomes et indépendantes - voix de fugue ou de sonate en trio, mélodie de choral - au même titre qu’une main sur un clavier. Des pédaliers en tirasse ont été adaptés sur d’autres instruments que l’orgue, tels le clavecin, l’harmonium ou le piano, principalement en vue de l’étude de l’orgue. On utilise un pédalier dans les carillons. PEDRELL (Felipe), compositeur, folkloriste et musicologue espagnol (Tortosa, Catalogne, 1841 - Barcelone 1922). Presque autodidacte, il suivit les classes d’histoire et d’esthétique musicale au conservatoire de Madrid, et écrivit d’abord des opéras (le Dernier des Abencérages, Quasimodo) et des poèmes chantés (le Chant de la montagne, Invocation à la nuit). Dès 1891, son essai Pour notre musique attira l’attention des musiciens sur la haute tradition polyphonique de l’Espagne et l’immense richesse de ses chants populaires. La même année, il termina sa trilogie les Pyrénées. Plus qu’à la composition, c’est à son oeuvre de folkloriste qu’il se consacra désormais, avec compétence et prosélytisme : en témoigne sa contribution à la résurrection de Tomas Luis de Vittoria, dont il édita les oeuvres complètes (8 vol., Leipzig, 1902-1913). Professeur d’esthétique musicale au conservatoire de Madrid, Pedrell enseigna également l’harmonie et la composition à Albéniz, Granados, Vivès et De Falla. Le Cancionero popular español, qu’il devait laisser inachevé, est la synthèse de toutes ses recherches. Cet important travail d’érudition et de réalisation de musique ancienne a mis au second plan l’oeuvre de Pedrell comme compositeur. Il en conçut une grande amertume que l’enthousiasme de quelques admirateurs (dont De Falla) ne put dissiper. Promoteur et chef de l’école moderne espagnole, Pedrell a réussi à l’intégrer dans le mouvement musical européen. PEETERS (Flor), organiste, compositeur et pédagogue belge (Tielen 1903 - Anvers 1986). Élève de l’Institut Lemmens de Malines, puis, au Conservatoire national supérieur de Paris, de Marcel Dupré et de Charles Tournemire, il est depuis 1923 titulaire des orgues de la cathédrale de Malines. Professeur à l’Institut Lemmens (19231952), au conservatoire de Gand (19311948) et à celui de Tilburg (1935-1948), il a été nommé professeur au Conservatoire flamand d’Anvers en 1948, avant d’en devenir le directeur de 1952 à 1968. Il a écrit de nombreuses pièces pour orgue, de la musique religieuse, de la musique de chambre et symphonique, et publié des recueils de musique ancienne et des méthodes d’orgue. PEIRE VIDAL, troubadour provençal ( ? v. 1170 - ? v. 1210). Sa vie, dont certains points restent imprécis, donna lieu à de nombreuses légendes. Il mena un mode d’existence itinérant, qui le conduisit successivement à la cour de Raimon II de Toulouse, à celle de Barral de Marseille, du roi Alphonse II d’Aragon, et de Boniface de Montferrat. Il séjourna également à Pise et à Gênes, fit un voyage en Hongrie, et participa peut-être à la 3e croisade. Il vécut quelque temps à Malte, et mourut vraisemblablement à Salonique. On a retrouvé une cinquantaine de ses chansons, dont 12 avec la musique notée, parmi lesquelles Anc no mori per amour, Bem pac d’ivern e d’estieu, Quant hom es en autrui poder ; elles montrent un esprit à la fois sensible, imaginatif et ironique, et révèlent une invention mélodique originale. PEIXINHO (Jorge), compositeur portugais (Montijo 1940 - Lisbonne 1995). Il étudie la composition et le piano au Conservatoire de Lisbonne et poursuit ses études à Rome, notamment sous la direction de Petrassi. Il passe son diplôme à l’Académie Sainte-Cécile en 1961 mais travaille ensuite à Venise avec Luigi Nono, ainsi qu’à Bâle avec Pierre Boulez et Karl- heinz Stockhausen en tant que boursier de la Fondation Gulbenkian. Ses premières oeuvres sont d’inspiration postwebernienne, mais il a peu à peu évolué vers un style plus libre, intégrant l’improvisation collective et la musique électronique. Il a enseigné la composition au Conservatoire de Lisbonne, a fondé le Grupo de música contemporânea de Lisboa (1970), a travaillé dans bon nombre de studios (notamment à Bourges, au G.M.E.B., où l’on crée en 1992 la Forêt sacrée). On lui doit notamment Políptico pour orchestre (1960), Cromomorfose pour 12 instruments (1963-1968), Diafonia 2 pour ensemble (1963-1965), Ma fin est mon commencement pour 7 instruments (1972), Succecões simétricas 3 pour orchestre de chambre (1974), Madrigal pour choeur (1975). Dans sa dernière période créatrice (Canto germinal, musique électronique, 1989 ; Alis pour orchestre à cordes, 1990 ; et, surtout, Floreal pour flûte, clarinette basse, harpe, célesta, violon et alto, 1992), Peixinho développe des structures musicales de type processuel dont l’évolution est basée sur un petit nombre de principes exploités d’une manière cohérente et rigoureuse. PELLEGRIN (Simon-Joseph, dit l’Abbé), librettiste, poète et écrivain français (Marseille 1663 - Paris 1745). Après être entré dans les ordres, il devient aumônier de la marine et effectue alors deux voyages en Orient. À son retour en 1703, il se met à écrire et remporte divers prix littéraires, dont celui de l’Académie française en 1704, ce qui lui attire la protection de Mme de Maintenon. Elle le fait entrer à Cluny et, à partir de cette époque, il mène de front ses fonctions religieuses et ses activités littéraires, fournissant livrets d’opéras et pièces à tous les théâtres parisiens, et composant pour l’école de Saint-Cyr psaumes, cantiques et noëls sur des airs d’opéras célèbres, sa prolixité étant souvent au détriment de la qualité de ses vers. Il finit par être excommunié par le cardinal de Noailles, jugeant ces deux activités incompatibles. Son premier livret d’opéra, Renaud, suite d’Armide, est mis en musique par Desmarets en 1705. Il collabore ensuite avec Destouches, Campra, Colin de Blamont, Montéclair et Rameau, entre autres, essayant de rénover la tradition fixée par Lully. Enfin, en 1732, il crée le premier opéra biblique avec Jephté, mis en musique par Montéclair. La même année, sa collaboration avec Rameau (pour lequel il écrira plus tard les Fêtes d’Hébé) aboutit à Hippolyte et Aricie (1733), qui provoque la fameuse querelle des ramistes et des lullystes. Son talent, bien qu’un peu dispersé, était certain et particulièrement bien adapté à la création musicale. Il jouit d’une très grande célébrité dans la première moitié du XVIIIe siècle. PENDERECKI (Krzysztof), compositeur polonais (Debica 1933). Il étudia la composition à l’École supérieure de musique de Cracovie avec Franticzek Skolyszewski, Artur Malawski et Stanislaw Wiechowicz, et, dès 1959, reçut de l’Union des compositeurs polonais un prix couronnant ses trois premières oeuvres importantes : Psaumes de David, pour choeur mixte, cordes et percussions (1958) ; Émanations, pour 2 orchestres à cordes (1959) ; et Strophes pour soprano, downloadModeText.vue.download 774 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 768 récitant et 10 instruments (1959). Ces pièces contenaient déjà les futures caractéristiques du compositeur. Suivirent Miniatures, pour violon et piano (1959) ; Anaklasis, pour 42 instruments à cordes et groupes de percussion (1959-60), qui révéla Penderecki sur le plan international à Donaueschingen en 1960 ; Dimensions du temps et du silence, pour choeur mixte, cordes et percussions (1959-60 ; rév. 1961) ; Threnos, pour 52 cordes (1960) ; Quatuor à cordes no 1 (1960) ; Fonogrammi, pour flûte et orchestre de chambre (1961) ; Psaume, musique électronique (1961) ; Polymorphie, pour 48 cordes (1961) ; Canon pour orchestre à cordes et bande magnétique (1962) ; et Fluorescences, pour grand orchestre (1962). Toutes ces oeuvres témoignent de l’intérêt de Penderecki pour le timbre instrumental, et de son prolongement dans le traitement des voix. Cet intérêt se manifesta tout d’abord dans l’écriture des cordes : clusters, nuages de micro-intervalles, multiplication des parties solistes, importance donnée à la notion de densité, d’épaisseur, recherche de nouvelles sonorités grâce à des techniques inhabituelles de la corde et de l’archet. Ces éléments conduisirent le compositeur à concevoir une écriture schématique qui devint rapidement purement graphique. Cela sans oublier une exploration systématique de toutes les ressources instrumentales, du son au bruit (coups frappés sur la caisse de résonance des instruments à cordes). Cette démarche devait aboutir dans Fluorescences à l’intégration dans le discours musical d’éléments timbriques et bruitistes (sirènes d’alarme, machines à écrire, morceaux de bois, de verre ou de fer). Dans les Psaumes de David avait été tentée une première synthèse entre le sérialisme et la technique du chant grégorien. Cette voie fut poursuivie plus avant dans le Stabat Mater, pour 3 choeurs mixtes a cappella, plus tard intégré dans la Passion selon saint Luc. Suivirent Todesbrigade, musique électronique pour une pièce radiophonique (1963) ; la Cantata in honorem Amae Matris universitatis Jagellonicae, pour choeur et orchestre (1964) ; une Sonate pour violoncelle et orchestre (1964) ; un Capriccio pour hautbois et cordes (1965) ; la Passion selon saint Luc (1965-66) ; De natura sonoris, pour grand orchestre (1966) ; Dies irae, oratorio à la mémoire des victimes d’Auschwitz, pour choeur mixte et orchestre (1967) ; la Pittsburgh Ouverture, pour orchestre d’instruments à vent, percussion, harpe et piano (1967) ; le Capriccio pour violon et orchestre (1967) ; le Capriccio per Siegfried Palm, pour violoncelle seul (1968) ; le Quatuor à cordes no 2 (1968) ; et l’opéra en 3 actes les Diables de Loudun (1968-69). Dans les années 70, Penderecki continua à exploiter ses trouvailles sonores tout en évoluant de plus en plus dans une sorte de néoromantisme teinté de germanisme. Naquirent alors Utrenja (ou Messe russe), vaste fresque chantée en vieux slavon et en 2 parties ; la Mise au tombeau (196970) et la Résurrection (1970-71) ; De natura sonoris, pour orchestre (1970) ; Kosmogonia pour solos, choeur mixte et orchestre (1970), commande de l’O. N. U. pour son vingt-cinquième anniversaire ; Prélude, pour vents, percussion, instruments à clavier et contrebasses (1971) ; Actions, pour orchestre de jazz (1971) ; Partita, pour clavecin, guitare, guitare basse électrique, harpe, contrebasse et orchestre (1971-72) ; Concerto, pour violoncelle et orchestre (1972) ; Ecloga VIII, pour 6 voix d’hommes (1972) ; Canticum canticorum Salomonis, pour choeur mixte à 16 voix et orchestre (1970-1973) ; Symphonie no 1 (1972-73) ; Intermezzo, pour 24 cordes (1973) ; Magnificat, pour basse, 7 voix d’hommes, 2 choeurs mixtes, choeur d’enfants et orchestre (1973-74) ; Quand Jacob s’est éveillé, pour orchestre (1974) ; Concerto pour violon et orchestre (197677) ; Paradise Lost, opéra (sacra rappresentazione) en 2 actes (1976-1978) ; Te Deum, pour solos, choeur et orchestre (1979) ; Capriccio per tuba (1980) ; Symphonie no 2 (1979-80) ; un Concerto pour violoncelle (Berlin, 1983) ; Lux aeterna (1983) ; les opéras le Masque noir (Salzbourg 1986) et Ubu Rex (Munich, 1991) ; Symphonies no 3 (1988-1995), no 4 (1989) et no 5 (1992). Prix Arthur-Honegger en 1979, Penderecki a été fait docteur honoris causa par l’université de Rochester en 1972 et par celle de Bordeaux en 1979. De 1972 à 1987, il a été recteur de l’École supérieure de musique de Cracovie. PENNETIER (Jean-Claude), pianiste français (Châtellerault 1942). Il commence l’étude du piano à l’âge de trois ans et entre quelques années plus tard dans les classes de piano et de musique de chambre au Conservatoire de Paris, où il obtient deux premiers prix. Lauréat du Concours Marguerite Long, premier prix du Concours international de Montréal puis, en 1968, de celui de Genève, il commence une brillante carrière de soliste. Au début des années 70, il l’interrompt pour travailler la composition, la direction d’orchestre, approfondir son répertoire de pianiste et sa réflexion sur la musique. De nombreuses voies s’ouvrent ainsi à lui : théâtre musical, écriture d’opéras pour enfants, découverte du pianoforte et, surtout, pratique assidue de la musique de chambre. Il dirige l’Ensemble InterContemporain, l’Ensemble 2e2m. De 1995 à 1992, il enseigne la musique de chambre au Conservatoire de Paris. Profondément concerné par la création de son temps, composant lui-même, il a créé des oeuvres de P. Hersant, M. Ohana, P. Dusapin, C. Miereanu, etc. PENTACORDE. Fragment d’une gamme formé de cinq notes conjointes. Se dit surtout quand il s’agit d’aller de la tonique à la dominante (do-ré-mi-fa-sol) ou de la sous-dominante à la tonique (fasol-la-si-do) : respectivement premier et deuxième pentacordes. PENTATONIQUE. Dans la progression des échelles produites par le cycle des quintes, et qui va du ditonique (2 notes par octave) à l’heptatonique (7 notes), le stade dit pentatonique (5 notes) est l’un des plus importants. Répandu sur toute la surface du globe (on l’appelait autrefois à tort « gamme chinoise »), présent jusque dans l’infrastructure modale du grégorien, il correspond à une gamme sans demi-tons (dite anhémitonique), dont le modèle est donné par les touches noires du piano. Selon la note prise pour tonique, on distingue 5 modes pentatoniques diversement numérotés selon les musicologues : la seule nomenclature qui ne prête pas à confusion est celle qui emploie non des numéros, mais des indications de notes (pentatonique fa, pentatonique sol, etc.). La convention admise est d’identifier les degrés du pentatonique aux notes comportant des touches noires comme dièses, soit une gamme sans mi ni si divisée en deux groupes (do-ré, fa-sol-la) que sépare un intervalle de trihémiton (un ton et demi) incomposé, c’est-à-dire analogue aux intervalles « conjoints » de la musique classique. Certains donnent à ces groupes le nom de pycnon, empruntant le terme à la musique grecque antique, mais dans cette dernière ce même mot possède une définition incompatible avec cet emploi. De même certains musicographes emploient abusivement le mot pentatonique pour désigner n’importe quelle échelle à 5 sons, ce qui introduit parfois d’inutiles et regrettables confusions. À côté du pentatonique anhémitonique figurent parfois des pentatoniques hémitoniques, c’est-à-dire pourvus de demitons résultant d’un déplacement attractif de notes, et non plus uniquement, comme le précédent, d’une suite de sons s’engendrant par quintes ou quartes. On les trouve surtout dans la musique japonaise ou balinaise (par ex., en descendant : mido-si-la-fa-mi). PENTLAND (Barbara), femme composi- teur canadienne (Winnipeg 1912). Elle a fait ses études musicales à Paris (1929-30), à la Juilliard School de New York (1936 à 1938) et au Berkshire Music Center (1941-42), notamment avec CodownloadModeText.vue.download 775 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 769 pland. Professeur au conservatoire de Toronto (1943), membre de la faculté de musique de l’université de Colombie-Britannique (1949-1963), elle est partie d’une esthétique néoclassique ouverte à toutes les sonorités nouvelles. Elle a écrit ensuite quelques oeuvres sérielles et aléatoires. Son rôle d’éducatrice est également important. On lui doit notamment The Lake, opéra de chambre en 1 acte (1952), 4 symphonies (1945-1959), Variations concertantes, pour piano et orchestre (1970), Sung Songs 1-3 (1964) et 4-5 (1964-65), Disaster of the Sun pour bande et 9 exécutants (1976), un Quintette avec piano (1983), Elegy pour violoncelle et piano (1985) ainsi que de nombreuses pièces pour piano. PÉPIN (Clermont), compositeur canadien (Saint-Georges de Beauce, Québec, 1926). Il fit ses études musicales à Québec et à Montréal, au Curtis Institute de Philadelphie (1941), au conservatoire de Toronto et, enfin, à Paris, où il travailla avec Honegger, Jolivet et Messiaen (1949-1955). De 1955 à 1964, il enseigna au conservatoire de Montréal. Son style vigoureux a assimilé les syntaxes les plus modernes, y compris l’électroacoustique. Il semble cependant que la technique sérielle soit plus conforme à sa nature et à son esthétique. On lui doit notamment 3 symphonies (1948, 1957, 1967), 2 concertos pour piano, les poèmes symphoniques Guernica (1952) et le Rite du soleil noir (1955), Nombres, pour deux pianos et orchestre (1962), les ballets les Portes de l’Enfer (1953), l’Oiseau-Phénix (1956) et le PorteRêve (1957-58), des pièces pour piano, 4 quatuors à cordes, et en musique vocale Cantique des cantiques (1950), Hymne au vent du Nord (1960), 7 mélodies sur des poèmes de Paul Eluard (1949), Monade VII pour violon et piano (1986). PEPUSCH (Johann Christian), compositeur allemand (Berlin 1667 - Londres 1752). D’abord employé à la cour de Prusse, il partit vers 1700 pour Londres, où il composa des masques (Venus et Adonis, 1715) et devint directeur de la musique du futur duc de Chandos. Outre l’Opéra du gueux, il écrivit plus de 100 sonates pour violon et de très nombreuses pour flûte, de la musique religieuse, des cantates profanes. Grand connaisseur de musique ancienne, il laissa aussi un ouvrage théorique, A Treatise on Harmony (1730). PEPYS (Samuel), écrivain anglais ( ? 1633 Londres 1703). Tout en travaillant comme secrétaire à l’Amirauté, il était passionné de musique, avait étudié le chant, jouait de divers instruments (violon, luth, théorbe, flageolet), et avait constitué chez lui un véritable musée instrumental. Il était également compositeur, auteur de quelques airs. Le principal intérêt qu’il représente pour l’histoire de la musique tient à son Journal (Diary), qu’il a tenu régulièrement neuf années durant (1660-1669), et qui donne, à travers des détails autobiographiques, un témoignage vivant des goûts et de la vie musicale en Angleterre à l’époque de la Restauration des Stuarts. PERAHIA (Murray), pianiste américain (New York 1947). Il commence le piano à l’âge de trois ans, étudie quelques années plus tard avec Abran Chasins, ainsi qu’à la High School of Performing Arts. À l’âge de dix-sept ans, il commence à étudier la composition et la direction d’orchestre à la Mannes School of Music de Manhattan. En 1967, il se produit aux côtés de R. Serkin, A. Schneider, P. Casals, et devient l’assistant de Serkin au Curtis Institute de Philadelphie. L’année suivante, il donne son premier concert au Carnegie Hall et remporte en 1972 le premier prix du Concours international de Leeds, inaugurant ainsi une brillante carrière consacrée à parts égales au récital, aux concerts avec orchestre et à la musique de chambre. En 1982, il est nommé codirecteur du Festival d’Aldeburgh, fondé par Britten. Excellent interprète de l’oeuvre de Mozart, il enregistre l’intégrale de ses concertos pour piano et les dirige parfois de son clavier. PERCUSSION. Instruments qui résonnent sous l’effet d’un choc, à l’exception du piano (encore que certains compositeurs modernes, à l’exemple de Stravinski, traitent parfois le piano en instrument à percussion). Nombre d’entre eux (tronc d’arbre, blocs, gourdes, guero, claves, etc.) étant des corps sonores naturels à peine modifiés, on peut en déduire que les instruments à percussion sont les plus anciens de tous. Mais ils connaissent depuis quelques dizaines d’années un développement considérable, en raison de deux phénomènes indépendants l’un de l’autre : la tendance de la musique moderne à favoriser le rythme aux dépens de la mélodie, sous l’influence du jazz, et la recherche de sonorités nouvelles, qui a conduit les compositeurs à adopter de nombreux instruments exotiques à percussion. Le « batteur » d’une formation de jazz est un personnage au moins aussi important que le trompette ou le saxo solo, et il n’est pas rare que les percussionnistes d’un grand orchestre symphonique s’en détachent pour donner des concerts, avec un répertoire de pièces spécialement écrites à leur intention. Car les instruments à percussion offrent aujourd’hui une gamme très étendue de sonorités graves, aiguës ou neutres, de timbres et même de ressources mélodiques. On distingue 4 familles d’instruments à percussion : 1. les peaux, qui comportent une ou deux peaux tendues sur un « fût » (tambour, timbales, grosse caisse, caisse claire, toms, tumbas, bongos, etc.) ; 2. les bois (troncs d’arbre, blocs plats, ronds ou cylindriques, claves, mokubios, fouet, etc.) ; 3. les métaux (cloches, grelots, triangle, cymbales, enclume, gongs et tam-tams) ; 4. les claviers. (Cette dernière appellation, impropre dans la mesure où elle désigne des instruments dépourvus de clés ou de touches, s’applique en principe aux jeux de lames de bois ou de métal [xylophone, marimba, vibraphone, glockenspiel] ; il serait logique de l’étendre à tous les corps sonores réunis par jeux chromatiques d’une octave ou davantage [cencerros, crotales, etc.].) Il faut également distinguer les instruments à hauteur de son définie, qui donnent une note déterminée : timbales, cloches, enclumes et naturellement tous les « claviers ». À l’opposé, la hauteur de son du tambour, de la grosse caisse, des instruments de bruitage tels que les grelots, les fouets et la plupart des « bois » est à peu près indiscernable. Entre ces deux extrêmes, les cymbales, les gongs, les tamtams, les cloches de vache, certains blocs et plusieurs « peaux » sonnent plus ou moins haut, sans qu’il soit possible de leur assigner une place précise dans l’échelle des sons. Il est impossible de citer tous les instruments à percussion qui ont existé - ou existent encore de par le monde - depuis que les hommes primitifs rythmaient leurs danses avec tout ce qui leur tombait sous la main. La plupart n’ont d’ailleurs même pas de nom. Un terme générique tel que tambour s’applique à une foule d’instruments très différents et, pour d’autres, on a souvent recours à des onomatopées du type tam-tam ou tom-tom. Il convient toutefois de mentionner à part le cas des tin-pan bands (litt. : « musiques de plaques à tarte »), qui reconstituent au XXe siècle, grâce aux sous-produits de la civilisation industrielle, le phénomène préhistorique des origines de la musique. Les jeunes Noirs d’Amérique (et de certains pays d’Afrique), qui n’ont pas d’argent pour se procurer des instruments élaborés, se débrouillent avec les moyens du bord. Comme ils n’ont pas non plus les corps sonores naturels (troncs d’arbre, bambous, crânes, etc.) dont disposaient leurs ancêtres, ils font appel à la batterie de cuisine usagée (moules à pâtisserie, poêles à frire et casseroles), aux boîtes de conserves, bidons d’essence et fûts de pétrole vides, formant ainsi d’étonnants downloadModeText.vue.download 776 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 770 ensembles qui doivent tout à leur ingéniosité et à leur instinct musical. PERCUSSIONS DE STRASBOURG (les), formation de 6 solistes percussionnistes créée en 1961, en relation avec l’orchestre de Strasbourg, dont ses membres étaient issus, sous le nom de Groupe instrumental à percussion de Strasbourg. Constitué pour interpréter et susciter un répertoire contemporain pour la percussion, ce groupe a pris, en 1966, son nom définitif, peu avant de connaître un large succès public, notamment par le disque. Il fut initialement composé de Jean-Paul Batigne, Gabriel Bouchet, Jean-Paul Finkbeiner, Detlev Kieffer (lequel est également compositeur et animateur musical), Claude Ricou et Georges Van Gucht. Il joue non seulement de l’ensemble des instruments à percussion occidentaux, mais aussi de nombreux instruments non européens rassemblés aux quatre coins du monde (plus de 140). Vers la fin des années 60 et au début des années 70, il connaît une grande popularité en interprétant un répertoire presque entièrement composé de pièces composées pour lui et, la plupart du temps, pour percussions seules : il a ainsi contribué d’une manière importante à développer et à faire mieux connaître le répertoire contemporain. On lui doit aussi une « méthode » d’enseignement de la percussion moderne, avec certains instruments spécifiques, la méthode Percustra. On citera, dans son répertoire, des oeuvres de Maurice Ohana (Quatre Études chorégraphiques, Silenciaire), Miloslav Kabelac (Huit Inventions), Roman HaubenstockRamati (Jeux 6), Gilbert Amy (Cycle), Alain Louvier (Candrakala, Shima), Peter Schat (Signalement), Serocki (Continuum), André Boucourechliev (Archipel III), Iannis Xenakis (Persephassa), Ivo Malec (Actuor), André Jolivet (Cérémonial), Detlev Kieffer (Félix), Karlheinz Stockhausen (Musik im Bauch), Tona Scherchen (Shen), Georges Aperghis (Kriptogramma), Hugues Dufourt (Erewhon), etc. PÉRÈS (Marcel), chanteur, chef de choeur et musicologue français (Oran 1956). Après des études d’orgue et de composition au Conservatoire de Nice, il poursuit sa formation en Grande-Bretagne et au Canada. De retour en France en 1979, il se spécialise dans la musique médiévale et fonde en 1982 l’ensemble Organum, avec lequel il entreprend une exploration méthodique des domaines encore mal connus des répertoires médiévaux (le chant vieux-romain et ses rapports avec le chant byzantin, les micro-intervalles et l’ornementation dans le chant grégorien, les drames liturgiques, etc.) À partir de 1984, il dirige à la Fondation Royaumont le Centre de recherche pour l’interprétation des musiques médiévales, qui prend quelques années plus tard une dimension européenne. Il réalise à partir de 1983 une collection discographique consacrée aux répertoires médiévaux. En 1990, il reçoit le prix Léonard de Vinci. PERFECTION. Terme employé dans le solfège de la fin du Moyen Âge pour désigner la division d’une valeur en trois ; la division en deux étant dite « imparfaite », par référence à la perfection de la Sainte Trinité. Dans la notation mensurale de la même époque, une ligature était dite « avec » ou « sans » perfection selon que, par la position de sa dernière note, celle-ci était ou non allongée ; la même notion appliquée au début de la ligature était dite « propriété ». PERGOLESI (Giovanni Battista, ou Giambattista DRAGHI, dit), compositeur italien (Jesi 1710 - Pozzuoli, Naples, 1736). Fils d’un expert agronome de Pergola, il révéla une intelligence précoce, apprit le violon dans sa ville natale, et sans doute, fin 1723, fut envoyé à Naples, où il fut élève aux Poveri de Gesù Cristo. On ne sait s’il bénéficia véritablement d’un mécénat, ou s’il put aussitôt subvenir à ses besoins grâce à son talent de violoniste, confirmé dès 1729. Élève de De Matteis et de Gaetano Greco, il semble avoir achevé ses études avec Vinci et avec Francesco Durante, et les avoir couronnées avec l’exécution d’un drame sacré (La Conversione di San Guglielmo d’Aquitania, contenant des scènes comiques) et avec l’oratorio La Morte di San Giuseppe. Il affronta sans succès le véritable public au San Bartolomeo avec Salustia (1732), puis triompha la même année aux Fiorentini avec une comédie en 3 actes en dialecte napolitain due à G. A. Federico, Lo Frate’nnamurato. En 1733, l’opera seria Il Prigonier superbo contenait l’intermezzo La Serva padrona qui, repris isolément dès 1738, ne devait plus jamais quitter l’affiche. De même, Livietta e Tra- collo fut détaché de l’opera seria Adriano in Siria (1734), sur un poème de Métastase. Ce dernier lui fournit encore une Olimpiade, donnée à Rome en 1735. Dès 1732, Pergolesi avait occupé des fonctions de maître de chapelle à Naples, cependant que Rome le réclamait souvent. En 1735 se situe la légende de son amour, partagé mais contrarié, avec Maria Spinelli, d’origine princière. Miné par une tuberculose déjà ancienne, il se retira au couvent des Capucins de Puozzoli, où il acheva son Stabat Mater et mourut à vingt-six ans. La vie trop brève de Pergolèse est encore très mal connue, et la fortune extraordinaire de sa Serva padrona, qui, malgré sa valeur, n’est pas sa plus grande oeuvre, devait conduire maints éditeurs à publier sous son nom d’innombrables ouvrages de Hasse, Vinci, Logroscino, etc. Des ariettes célèbres, comme Se tu m’ami et Tre giorni son che Nina, sont peut-être apocryphes, et il en va de même de la plupart de la musique instrumentale qui lui fut attribuée : on ne peut en retenir avec certitude que 1 ou 2 concertos et moins de 10 sonates. Les 6 Concerti Armonici, qui circulèrent sous son nom puis sous celui de Carlo Ricciotti, ont été attribués récemment (1980) à un mystérieux Hollandais, Unico Graf Van Wassenaer (1692-1766). Une meilleure connaissance de Durante, de Leo et même de Hasse permettra un jour de mieux situer Pergolèse, dont la place apparaît néanmoins exceptionnelle en son temps. Il se montra traditionnel dans l’opera seria, où son écriture vocale reste surchargée de tournures baroques, déjà reniées par Alessandro Scarlatti, mais son orchestre y est riche et original. Plus heureux dans le domaine léger, il y fit preuve d’une inspiration mélodique expressive et tendre, due à la grâce inhabituelle de courtes formules peu développées. Ses succès posthumes en la matière (La Serva padrona fut à l’origine de la Querelle des bouffons) le firent passer à tort pour l’inventeur de l’opera buffa et de l’intermezzo. Mais c’est peut-être sa musique religieuse et ses cantates qui révèlent le mieux son génie. Les 2 ou 3 messes qui lui reviennent avec certitude, ses Salve Regina et surtout son Stabat Mater annoncent parfois Haydn, bien qu’antérieurs aux grandes partitions de Haendel (mais il ne faut pas oublier que Pergolèse était un contemporain de Gluck et de Carl Philipp Emanuel Bach). La mort prématurée de Pergolèse contribua à entretenir sa légende, mais il reste un des plus grands représentants de l’école napolitaine du XVIIIe siècle. PERI (Jacopo), chanteur et compositeur italien (Rome 1561 - Florence 1633). Venu très jeune à Florence, il étudie la musique avec Cristofano Malvezzi, puis commence une carrière d’organiste dès 1579 et de chanteur dès 1586. Il est sans doute, pendant cette période, en contact avec la Camarata du comte Bardi, bien qu’aucun document ne permette de l’attester. Il a déjà acquis, à cette époque, une certaine renommée pour ses qualités de chanteur, d’organiste et de compositeur. À partir de 1588, il est au service des Médicis et participe l’année suivante au divertissement de G. Bargagli (La Pellegrina), donné à l’occasion du mariage du duc Ferdinando et de Christine de Lorraine. Dans les années qui suivent, il appartient au cénacle de poètes et musiciens, dominé par E. de Cavalieri, qui se réunissent chez Jacopo Corsi et tentent d’établir un prototype de drame musical conforme à l’idéal antique des humanistes. Il y rencontre le poète Ottavio Rinuccini et de cette époque date une longue collaboration qui devait très tôt porter ses fruits. Leur première downloadModeText.vue.download 777 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 771 oeuvre commune est la pastorale Dafne (1598), où Peri met pour la première fois en pratique sa conception du style récitatif. Deux ans plus tard, en 1600 donc, leurs efforts réunis aboutissent à Euridice (premier opéra complet de l’histoire de la musique), à laquelle G. Caccini apporte sa contribution musicale et qui est exécutée lors du mariage d’Henri IV et de Marie de Médicis. Peri continue, par la suite, à travailler pour les Médicis, mais en tant que compositeur plus que chanteur. Il entretient également des relations étroites avec la cour de Mantoue et en particulier avec le prince Ferdinando de Gonzague. En 1618, il est nommé camarlingo generale dell’Arte della Lana à Florence. Il ne chante déjà plus, mais continue à composer, quoique modérément, jusqu’à la fin de sa vie. La majeure partie de son oeuvre a été per- due, en particulier les nombreux ballets et intermèdes composés pour les cours de Florence et de Mantoue. Sa fréquente collaboration avec M. et G. B. da Gagliano et avec Francesca Caccini a fait croire qu’il était devenu le spécialiste du style récitatif et a éclipsé ses dons musicaux réels. S’il est vrai que son récitatif convient merveilleusement bien à sa fonction narrative, Peri a d’autre part opéré avec Euridice une réforme totale du drame musical, où la musique est subordonnée au texte. Ses mélodies sont très expressives, lyriques même parfois, et il n’hésite pas à user du chromatisme et de l’ornementation pour souligner le sens de la phrase. Il donne enfin aux instruments un rôle de soutien, limité à une improvisation sur la basse continue. Peri développera d’ailleurs ce type d’écriture dans son recueil de chansons et madrigaux, Le Varie Musiche (1609) à 1, 2 et 3 voix avec basse continue. Euridice est l’aboutissement des années de recherche des cénacles florentins, et l’oeuvre porte en elle le ferment du nouveau style (stile moderno) 55 55 244 que Monteverdi allait porter à sa perfection. PÉRIODE (du gr. peri et odos, « chemin autour de »). 1. Par analogie avec l’analyse littéraire, on appelle souvent période, en musique, un groupement de phrases constituant un ensemble sémantique cohérent et séparé du groupement suivant par une respiration ou une ponctuation cadentielle. Pour d’autres, au contraire, la période se situe en deçà de la phrase et en constitue l’un des éléments. La terminologie en cette matière n’a jamais été fixée avec précision. 2. En physique acoustique, on appelle périodique un phénomène constitué par la répétition régulière d’éléments identiques, chacun d’eux constituant une période. Ainsi l’oscillation d’une corde vibrante est par rapport au temps un phénomène périodique. PERLE (George), compositeur et musicologue américain (Bayonne, New Jersey, 1915). Auteur d’une thèse intitulée Serial Composition and Atonality (Berkeley 1962), il a enseigné de 1961 à 1984 au Queen’s College de la City University of New York et pratiqué comme compositeur un séria- lisme très personnel, obtenant le prix Pulitzer pour son Quintette à vent no 4 (1985). Il a publié en 1977 Twelve-tone Tonality et en 1980 et 1985 respectivement les deux volumes de The Operas of Alban Berg. Spécialiste de ce compositeur, il fut le premier à découvrir la vérité sur le troisième acte de Lulu et le « programme caché » de la Suite lyrique. PERLEMUTER (Vlado), pianiste français (Kowno, Pologne, 1904). Élève du Conservatoire de Paris, où il obtient un premier prix, il apprend de Moszkowski les bases techniques du piano et de Cortot sa science du phrasé et du toucher. Ravel, qu’il rencontre en 1925 et avec qui il travaillera toute l’oeuvre pianistique, lui transmet son amour de la retenue, sa haine de l’effet. Que ce soit Chopin, Fauré, Liszt, Mozart ou Ravel, ses interprétations, avec leurs vertus d’économie des moyens utilisés, de subtilité des rythmes et des nuances, d’équilibre entre conception d’ensemble et minutie du détail, sont sans doute trop secrètes pour susciter l’admiration du plus grand nombre. Tout aussi remarquable, le pédagogue a enseigné à partir de 1950 au Conservatoire de Paris, ainsi que lors de différents cours au Collège royal de musique de Londres, à l’Académie d’été de Dartington, au Canada et au Japon. PERLMAN (Itzhak), violoniste israélien (Tel Aviv 1945). Un an après avoir perdu l’usage de ses jambes à la suite d’une attaque de poliomyélite, il commence, à cinq ans, l’étude du violon, et donne à dix ses premiers concerts avec l’orchestre de la radio israélienne. En 1958, grâce à un concours lancé par le producteur Ed Sullivan, il passe à la télévision américaine et gagne une bourse pour continuer ses études à la Juilliard School de New York, avec I. Galamian et D. Delay. Il débute au Carnegie Hall en 1963 (avec le premier concerto de Wieniawski) et remporte l’année suivante le concours Leventritt, ce qui le fait inviter par les grandes formations américaines, le Philharmonique de New York en tête. Après une rentrée triomphale en Israël, il fait ses débuts européens à Londres, en 1968, avec le London Symphonic Orchestra, et rencontre, lors des concerts d’été de musique de chambre du Queen Elizabeth Hall, D. Barenboïm, J. Du Pré, P. Zukerman et V. Ashkenazy, avec qui il noue des liens musicaux et humains privilégiés. Une autre amitié, celle d’André Previn, lui ouvre les horizons du jazz : ils enregistrent ensemble plusieurs disques, dont un hommage à S. Joplin. Sur son stradivarius de 1714, Perlman interprète et enregistre les oeuvres préférées de ses maîtres, Kreisler, Milstein et, surtout, Heifetz, avec qui il partage un goût immodéré pour les pièces de virtuosité et les concertos fin de siècle, ceux de Korngold et de Conus en particulier. Dans le même esprit, il enregistre en 1982 deux concertos écrits pour lui par R. Starr et E. Kim, des pièces d’un lyrisme sans prétention. Refusant un enseignement officiel et routinier, il dirige volontiers des classes dans les académies d’été américaines, à Aspen, par exemple. Comme Heifetz, Perlman détient le pouvoir de transfigurer le moindre morceau de musique en chef-d’oeuvre, grâce à un phrasé d’une grande pureté et à une sonorité rayonnante. PERNET (André), basse française (Rambervillers, Vosges, 1894 - Paris 1966). Il étudia à Paris avec Gresse et débuta à Nice en 1921. Engagé à l’Opéra de Paris, il y chanta régulièrement de 1928 à 1947. Pernet était un artiste lyrique d’une classe exceptionnelle, très représentatif de l’école de chant française à son meilleur niveau. Sa voix n’était pas d’une puissance exceptionnelle, mais la qualité de son timbre était inoubliable, et il possédait une absolue maîtrise des colorations les plus subtiles. Sa diction exemplaire, son talent d’acteur, en firent un des grands tragédiens lyriques de son époque. Il créa de nombreux opéras contemporains, dont Maximilien de Darius Milhaud et OEdipe de George Enesco. André Pernet était aussi extrêmement apprécié dans les rôles de Méphisto, de Boris Godounov et de Don Juan. PÉROTIN, DIT PÉROTIN LE GRAND (magister Perotinus, PEROTINUS MAGNUS). Le dernier et le plus célèbre des trois principaux déchanteurs qui illustrèrent, à la fin du XIIe siècle ou au début du XIIIe, l’école dite de Notre-Dame de Paris, les deux premiers étant maître Albert et maître Léonin. Les oeuvres conservées de Pérotin, organa et conduits, parmi lesquelles les deux imposants « quadruples » Viderunt omnes et Sederunt principes, composés avant 1199, figurent à la place d’honneur dans les principaux manuscrits de l’école, mais le nom de leur auteur ne nous est connu que par un auteur anglais dit l’Anonyme IV de Coussemaker (nom du premier éditeur du texte) ; cet auteur écrivait au début du XIVe siècle et on en parle encore avec admiration. On a supdownloadModeText.vue.download 778 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 772 posé qu’il pouvait s’agir d’un préchantre Pierre, mort en 1236, mais l’attribution reste hypothétique. Outre ces deux quadruples, l’Anonyme IV cite encore comme oeuvres de Pérotin les conduits Salvatoris hodie et Beata viscera, des organa triples sur les alléluias Nativitas (dont Diffusa est est une seconde version) et Posui adjutorium. Aucune des autres oeuvres, parfois mises sous son nom, ne présente de garantie d’attribution. Outre ses oeuvres propres, Pérotin avait également remanié plusieurs organa de son prédécesseur Léonin, dont il avait, selon l’Anonyme IV, rédigé une version abrégée. PERTILE (Aureliano), ténor italien (Montagnana 1885 - Milan 1952). Il débuta en 1911 à Vicenza dans Martha de Flotow. Engagé à la Scala de Milan en 1921, il y fut le principal ténor lyrico-dramatique pendant quinze ans. Toscanini l’appréciait particulièrement pour sa rigueur musicale, à laquelle venait s’ajouter une grande puissance d’expression. Sa voix au timbre incisif avait davantage d’éclat que de beauté véritable, mais il s’en servait avec un art consommé. Ses interprétations de Radames dans Aïda et de Manrico dans Il Trovatore de Verdi étaient remarquables par l’intensité aussi bien que par la subtilité des nuances. En 1924, il créa Nerone, l’opéra posthume de Boito, et y remporta un succès considérable. À la fin de sa vie, il était professeur de chant au conservatoire de Milan. PETERS, firme allemande d’édition musicale. Son origine remonte à 1800, quand F. A. Hoffmeister et A. Kühnel ouvrirent à Leipzig un « bureau de musique », qui publia notamment des oeuvres de Bach, Haydn et Mozart, ainsi que dix opus inédits de Beethoven. Le libraire Carl Friedrich Peters racheta l’entreprise en 1814 et lui donna son nom, que ses nombreux successeurs ont conservé. Ce fut d’abord, en 1828, Carl Gottfelf Böhme. Julius Friedländer, qui le remplaça, lança en 1867 la fameuse collection de musique classique Édition Peters à laquelle contribuèrent Liszt, Wagner et Brahms. La réputation de la maison C. F. Peters était déjà universelle quand Max Abraham en prit la direction en 1880. C’est lui qui fonda en 1894 la Musikbibliothek Peters, institut musicologique richement doté, qui, légué à la ville de Leipzig, publia jusqu’en 1941 une revue annuelle. À la mort d’Abraham en 1900, son neveu Henri Hinrichsen lui succéda. Il négocia l’acquisition des droits des oeuvres les plus marquantes de Richard Strauss, Hugo Wolf et Max Reger, mais n’échappa pas à la persécution antisémite et dut se retirer ; il mourut d’ailleurs dans un camp de concentration ainsi que son fils Hans Joachim. En 1939, les éditions Peters étaient aux mains de Johannes Petschull, qui racheta la célèbre maison Litolff. Peu après, bombes et obus détruisirent en majeure partie les ateliers et magasins de Leipzig, et c’est un établissement très appauvri que le gouvernement de l’Allemagne de l’Est nationalisa en 1949. Dès l’année suivante, Petschull transféra le siège de la firme à Francfort, où elle retrouva sa prospérité. Cependant, les fils survivants d’Hinrichsen avaient émigré et créé deux filiales : la première à Londres sous le nom de Hinrichsen Edition Ltd, la seconde à New York, C. F. Peters Corporation. PETIT (Pierre), compositeur et critique musical français (Poitiers 1922). Il a étudié avec G. Dandelot (analyse), N. Boulanger (harmonie), N. Gallon (fugue) et H. Büsser (composition), obtenu en 1945 un premier prix de composition et l’année suivante un premier grand prix de Rome. Nommé en 1951 professeur d’histoire de la civilisation au Conservatoire, il fonda la Revue du Conservatoire et mena de front des activités de compositeur, de pédagogue (directeur de l’École normale de musique de Paris depuis 1963 et maître de conférence à l’École polytechnique depuis 1973) et d’animateur musical, notamment à la radio et à la télévision. On lui doit des pièces pour piano, de la musique de chambre, quelques pièces pour orchestre (Garden Party, 1958 ; Tarentelle, 1965 ; Storia, 1971), des mélodies, de nombreux ballets (Zadig, 1948 ; Romanza romana, 1950 ; Orphée, 1975), et des ouvrages lyriques, en général comiques. Depuis 1975, il est critique musical au Figaro. PETITE BANDE (la). ! KUIJKEN (SIGISWALD). PETITS CHANTEURS DE VIENNE (en all. Wiener Sängerknaben). Chorale de jeunes garçons, dont les fonctions furent légalisées par un décret de l’empereur Maximilien Ier en 1498. Cette très ancienne institution fut étroitement associée à l’histoire de l’empire autrichien. Lorsque la cour perdit le monopole de la vie musicale, les Petits Chanteurs élargirent le domaine de leurs activités et participèrent notamment aux nouveaux concerts d’oratorios de la Gesellschaft der Musikfreunde, apportant, par exemple, leur concours à l’exécution de Thimotheus de Haendel en 1812 et de Elias de Mendelssohn en 1847. C’est en 1925 qu’ils donnèrent leur première représentation d’opéra avec Bastien et Bastienne de Mozart, suivi en 1926 de l’Apothicaire de Haydn. C’est en 1926 également qu’ils commencèrent à faire des tournées de concerts. Depuis 1928, ils sont installés dans le palais de l’Augarten, où ils reçoivent une double formation, générale et musicale. Parmi les musiciens les plus célèbres associés à l’histoire des Petits Chanteurs de Vienne figurent Franz Schubert, lui-même petit chantre à partir de 1808, et Anton Bruckner, nommé en 1875 professeur et organiste des Sängerknaben. La chorale est scindée en deux groupes, l’un assumant les tournées de concerts, l’autre se faisant entendre chaque dimanche dans la chapelle du château. PÉTRARQUE (en ital. Francesco Petrarca), poète et humaniste italien (Arezzo 1304 - Arqua, Padoue, 1374). Connu surtout de son vivant comme lettré et écrivain en langue latine, il ne manquait pas de musiciens parmi ses amis. Mais il nous reste peu d’oeuvres musicales sur des textes de lui réalisées durant son siècle (Non al suo amante de Jacopo de Bologna). Ce n’est qu’au XVIe siècle que furent composés, sur ses vers, de très nombreux madrigaux, parmi lesquels ceux de Willaert et de l’école de Venise. Outre les madrigaux de Luca Marenzio, on citera encore le recueil de 1545 Musica sopra di alcuni canzoni del divini poeta F. Petrarca. En 1798, Haydn composa, sur un sonnet de Pétrarque, l’air de concert Solo e pensoso Hob.XXIVb.20. Les romantiques se sont intéressés à la poésie de Pétrarque, surtout pour ses sonnets amoureux dédiés à Laure, sa bien-aimée. Schubert, en 1818, mit en musique 3 sonnets (D.626, 629 et 630) dans les traductions de Schlegel et Gries. Liszt composa également des lieder sur ces sonnets, et il évoqua Pétrarque par le piano seul dans les 3 Sonnets de Pétrarque des Années de pèlerinage (18381849) : Sonetto 47 del Petrarca, Sonetto 104 del Petrarca, Sonetto 123 del Petrarca. Au XXe siècle, Schönberg mit en musique un sonnet de Pétrarque dans sa Sérénade op. 24. PETRASSI (Goffredo), compositeur et pédagogue italien (Zagarolo 1904). Il fit ses premières études musicales à la Schola cantorum di San Salvatore de Lauro (1913-1919), puis étudia le piano avec A. Bustini, dont il devint en 1928 élève de composition au conservatoire Sainte-Cécile de Rome. Il y suivit également la classe d’orgue de F. Germani, puis la classe de direction d’orchestre de B. Molinari. De 1934 à 1936, il fut professeur d’écriture à l’académie Sainte-Cécile, puis de 1939 à 1959, professeur de composition au conservatoire de Rome. Il a également été professeur invité au Mozarteum de Salzbourg (1951) et à Tanglewood (1956). Trois années durant (1937-1940), il fut directeur du théâtre de la Fenice à Venise. En 1944, il fonda le groupe Musica Viva, consacré à la propagation du répertoire contemporain. L’oeuvre multiforme de Petrassi l’a souvent fait comparer à Stravinski. Dès downloadModeText.vue.download 779 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 773 le début, il a manifesté son attachement à l’héritage de la Renaissance et du baroque (Partita, 1926 ; Toccata, 1930) ; mais son langage harmonique porte l’influence de Casella, dont il fut l’ami, et de Hindemith. Cette union de l’esprit du passé et de la technique du présent est particulièrement sensible dans le Psaume IX (1936), très apparenté à Stravinski, dans le Magnificat (1940), dans le madrigal Coro di morti (1941) et dans la Sonata da camera pour clavecin et dix instruments (1948). Ses ballets La Follia di Orlando (1943), Il Ritratto di Don Chischiotte (1945), son opéra Il Cordovano (1949) sont des regards personnels sur le néoclassicisme. La cantate Noche oscura (1951), sur un texte de saint Jean de la Croix, oeuvre à la fois grave et sensuelle, contient en germe l’écriture sérielle, à laquelle Petrassi est arrivé avec quelques réticences, mais qu’il va désormais développer. Au centre de son oeuvre instrumentale se trouvent les 8 concertos pour orchestre, échelonnés entre 1934 et 1972. Le genre fait évidemment référence à Bartók, et à une conception particulière de l’écriture orchestrale. Toutefois, seul le 4e concerto, pour orchestre à cordes (1954), s’apparente réellement à Bartók. Dans l’ensemble, le langage des concertos marque une affirmation du dodécaphonisme, à partir du 3e (1951) et tout particulièrement dans le 6e (1957). L’étape suivante de Petrassi fut le renoncement au principe thématique, dans la Sérénade (1958) et le Concerto pour flûte (1960), où la dislocation du matériau musical et du rythme s’inscrit dans l’héritage webernien. Dans ses oeuvres des années 1960-1970, (7e concerto pour orchestre, Propos d’Alain, pour voix et 12 instruments, Estri, Octuor, pour trompettes et trombones), il s’adonne surtout à une recherche de timbres et de registres. Le 8e concerto, Orationes Christi, pour choeur mixte, vents, altos et violoncelles (197475), Poema, pour cordes et 4 trompettes (1977-1980), marquent un certain assagissement et une tendance à renouer avec l’esthétique de Coro di morti et de Noche oscura. Petrassi a également composé de la musique de film et s’est fait connaître par des articles de réflexion et de critique musicale. Il est, aux côtés de Dallapiccola, le compositeur italien le plus marquant de sa génération. PETRI (Egon), pianiste américain d’origine allemande (Hanovre 1881 - Berkeley 1962). Descendant d’une famille de musiciens hollandais, il reçoit ses premières leçons de son père, Henri, violoniste réputé, élève lui-même du grand Joachim. En dehors du violon, il étudie également l’orgue, le cor, la théorie musicale avec Draeseke, le piano avec Buchmayer et T. Carreño. Mais, sans l’intervention de Busoni, ami de la famille Petri, Egon aurait continué une carrière de violoniste, commencée en 1899 dans l’orchestre de l’Opéra de Dresde et comme second violon du quatuor paternel. Élève de Busoni et interprète zélé de son oeuvre, il débute comme pianiste en 1902 et se produit en duo avec son professeur, avec qui il réalise une nouvelle édition de l’oeuvre pour clavier de Bach. Il se partage entre la carrière de soliste - il est particulièrement admiré pour ses interprétations de Bach et de Liszt -, et de pédagogue, enseignant successivement au Collège royal de musique de Manchester (1905-1911), en Pologne (1917-1920), à Bâle (1920-21), à la Berliner Hochschule (1921-1926), de nouveau à Zakopane en Pologne (1926) et ensuite aux États-Unis, où il émigre : à l’université Cornell (19401946), au Mills College d’Oakland (19471957) et, enfin, au conservatoire de Bâle (1957-58). Comme son maître Busoni, Egon Petri tablait sur son intuition personnelle pour revivifier l’héritage lisztien. Armé d’un toucher limpide et rigoureux, il donnait des oeuvres des interprétations sobres et profondément analytiques. PETROV (Ivan), basse soviétique (Irkoutsk 1920). Il a étudié au collège Glazounov de Moscou en 1938-39, chanté des rôles mineurs à partir de 1939 et débuté au Bolchoï en 1943. Célèbre dans le monde entier pour sa voix à la grande richesse de timbre et pour la force dramatique de son jeu, il a triomphé notamment dans les rôles de Boris Godounov, où on l’a comparé à Chaliapine, de Méphisto (du Faust de Gounod) et de Russlan (de Russlan et Ludmilla de Glinka). PETROV (Ossip Afanassievitch), basse russe (Elisavetgrad 1807 - Saint-Pétersbourg 1878). Partiellement autodidacte, il perfectionna son art vocal avec Cavos à Saint-Pétersbourg (1830) et débuta dans le rôle de Za- rastro (la Flûte enchantée). Tout en se produisant dans les opéras français, italiens et allemands de l’époque (Meyerbeer, Rossini, Bellini, Weber), il se rendit surtout célèbre par sa participation aux opéras de ses contemporains russes, de Glinka (Ivan Soussanine, Rouslan) à Moussorgski (Varlaam dans Boris) en passant par Dargomyjski (le Meunier dans la Roussalka, Leporello dans le Convive de pierre) et Rimski-Korsakov (Ivan le Terrible dans la Pskovitaine). C’est lui qui établit la tradition des grandes basses russes. Glinka écrivit à son intention des Exercices pour le perfectionnement de la voix (1836). Son épouse Anna Vorobieva-Petrova (Saint-Pétersbourg 1816 - id. 1901), contralto, fut également une cantatrice célèbre dans le répertoire russe et étranger. PETROVICS (Emil), compositeur hongrois d’origine yougoslave (Nagybecskerek 1930). Il vécut jusqu’en 1941 à Belgrade, étudia la composition avec Férenc Farkas à l’Académie de Budapest, dirigea de 1960 à 1964 la musique au théâtre Petöfi, et enseigne depuis à l’Académie des arts dramatiques. Comme compositeur, il est particulièrement à l’aise dans les grandes formes dramatiques, et s’est imposé sur la scène musicale internationale avec son opéra C’est la guerre (1961). Suivirent le Livre de Jonas (1966) et Crime et Châtiment (d’après Dostoïevski, 1969). Son écriture vigoureuse, s’appuyant sur la rythmique propre de la langue hongroise, masque l’emploi de libres procédés sériels qui retrouvent leur harmonie naturelle dans un fond typiquement hongrois. PETRUCCI (Ottaviano), imprimeur italien (Fossombrone 1466 - Venise 1539). Il se familiarise avec la technique et les premiers imprimés allemands à la cour du duc Guidobaldo Ier Malatesta, à Urbino, puis part pour Venise vers 1490, où il met au point le principe des caractères mobiles appliqué à l’impression de la musique mesurée. Ayant obtenu en 1498 un premier privilège de vingt ans pour l’impression de la musique et des tablatures de luth et d’orgue (il n’imprimera pourtant jamais de musique d’orgue), il fait paraître le 15 mai 1501 le premier volume de musique imprimée, Harmonice musicae Odhecaton. Les recueils vont ensuite se succéder très rapidement, mais, en 1511, il quitte Venise pour Fossombrone, où, associé à Francesco da Bologna, il ouvre un atelier de typographie. Sa production musicale, moins élégante que celle de Venise, se fait plus rare et laisse peu à peu la place à des ouvrages de littérature, pour cesser complètement en 1520. Rappelé à Venise en 1536, il part y reprendre ses activités d’éditeur littéraire. Son énorme production (au moins 45 recueils), qui comprend des messes, motets, chansons des plus grands compositeurs de l’époque (Josquin Des Prés, Brumel, Isaac, Obrecht, Pierre de la Rue, Mouton, Agricola et beaucoup d’autres), a eu une importance considérable dans la diffusion des styles et a profondément influencé l’évolution de la musique en Europe. PETTERSSON (Allan), compositeur suédois (Västra Ryd 1911 - Stockholm 1980). Compositeur solitaire et introverti, Pettersson est, peut-être, le dernier grand symphoniste du XXe siècle dans une filiation qui part de Mahler et passe par Vaughan Williams, Chostakovitch, Honegger et Martinů. Après une enfance difficile, il étudie le violon et l’alto, entre à l’Orchestre de Stockholm, puis étudie la composition avec K.-B. Blomdahl et, en 1950, downloadModeText.vue.download 780 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 774 va à Paris pour travailler avec R. Leibowitz et A. Honegger. En 1953, il quitte sa place de musicien d’orchestre pour se consacrer à la composition ; jusqu’à la fin de sa vie, ses souffrances physiques et morales vont prendre de plus en plus d’importance. Pettersson est, avant tout, un compositeur autobiographique qui a transposé la tragédie de sa vie en une musique souvent violente, parfois naïve, dans un style qui utilise, avec un grand souffle et un remarquable sens de l’équilibre formel, une forme de métamorphose des motifs de base. De ses 16 symphonies, écrites à partir de 1949, les 7e (1967) et 8e (1969) sont peut-être les plus remarquables, et ont beaucoup fait pour la connaissance et le succès de son oeuvre hors de la Suède. À leurs côtés, il faut retenir les 7 Sonates pour 2 violons (1951), 3 concertos pour cordes, des mélodies, et Vox humana pour solistes, choeurs et orchestre (1973-74). PEUERL (Paul), organiste, facteur d’orgue et compositeur allemand (Stuttgart ? 1570 - Arès 1625). Organiste à Horn (Basse-Autriche) à partir de 1602 puis au collège protestant de Steyer (1609-1625), il fut sans doute le premier à pratiquer en Allemagne la suite pour cordes en quatre mouvements apparentés. PEZEL (Johann Christoph), instrumentiste et compositeur allemand (Glatz 1639 - Bautzen 1694). On possède peu de données sur sa formation. Il apparaît en 1664 à Leipzig, comme violoniste, dans un groupe de musiciens municipaux (« Ratsmusiker »). Également joueur de clarino, il entre en 1670 dans l’ensemble des « Stadtpfeifer ». La même année, il publie son recueil de sonates Hora decima pour ensemble de vents (cornets, trombones) ou de cordes. Plusieurs de ses recueils ultérieurs seront constitués de pièces de danse formant des suites. (Delitiae musicales, 1678 ; Fünfstimmige blasende Musik, 1685). Pezel brigua le poste de cantor à Saint-Thomas de Leipzig, mais sans succès. En 1681, il s’installa à Bautzen, où il poursuivit la même activité, doublée de celle de compositeur religieux. Son oeuvre religieuse, restée à l’état de manuscrits, a été perdue. Mais sa musique instrumentale montre les possibilités qu’un compositeur habile peut tirer d’un genre apparemment ingrat. PFITZNER (Hans), compositeur et chef d’orchestre allemand (Moscou 1869 Salzbourg 1949). Sa famille s’étant installée à Francfort en 1872, il fit ses études au conservatoire de cette ville avec Knorr (théorie) et Kwast (piano) entre 1886 et 1890, et s’y lia avec J. Grun, son futur librettiste. Nommé professeur au conservatoire de Coblence (1892), puis chef d’orchestre au théâtre de Mayence (1894), il fit représenter dans cette ville, en 1895, son premier opéra, Der arme Heinrich. Il fut ensuite professeur au conservatoire Stern de Berlin, séjourna à Munich, puis se fixa à Strasbourg en 1908, où il cumula les postes de directeur du conservatoire, des concerts symphoniques et de l’opéra. En 1917, son oeuvre dramatique la plus importante, Palestrina, fut créée à Munich sous la direction de Bruno Walter. Cette oeuvre, dans la tradition de l’opéra wagnérien en même temps qu’hommage à la polyphonie de la Renaissance et à l’un de ses plus illustres représentants, Palestrina, est un manifeste d’opposition aux recherches de Schönberg et de Busoni. Le thème en est la solitude morale et la lutte du compositeur défendant ses principes artistiques. La même année, Pfitzner écrivit son pamphlet polémique Futuristengefahr (le Danger futuriste), dirigé contre Busoni. En 1919, il rédigea Die neue Aesthetik der musikalischen Impotenz, s’opposant ainsi aux idées exprimées par Paul Bekker dans son Beethoven. De 1929 à 1934, il enseigna à l’Académie musicale de Munich, puis effectua des tournées comme pianiste et chef d’orchestre. Après sa mort fut fondée la Hans Pfitzner Gesellschaft. Homme d’opinions conservatrices, se considérant « comme le dernier survivant de la musique dans un monde devenu fou » (C. Rostand), Pfitzner poursuivit la tradition du romantisme allemand issue de Schopenhauer, Schumann et Wagner. Outre ses oeuvres scéniques, parmi lesquelles Die Rose vom Liebesgarten (1901), il a écrit notamment de la musique de chambre, des oeuvres symphoniques, des concertos pour piano, pour violon et pour violoncelle, la cantate Von deutscher Seele (1921), et la fantaisie chorale Das dunkle Reich (1929). PHALESE (Pierre), imprimeur de musique flamand (Louvain v. 1510 - id. v. 1573). Membre de l’université de Louvain depuis 1542, il est d’abord « libraire juré » et obtient son premier privilège d’imprimeur en 1551. Sa réussite lui permet d’établir sa propre imprimerie musicale à caractères mobiles. Il s’associe pendant peu de temps avec Martin Rotaire, puis, à partir de 1570, avec Jean Bellère. Il s’est surtout spécialisé dans la musique de luth (Hortus Musicus, 1552-53 ; Thesaurus Musicus, 1573-74), mais a également imprimé 10 recueils de chansons et 8 de cantiones sacrae. La qualité de ses impressions n’a rien à envier à celle de ses célèbres contemporains (Susato, Ballard, etc.), et sa firme, à la tête de laquelle lui succèdent ses fils Pierre et Corneille, puis ses petites-filles Magdalene et Maria, reste prospère jusqu’à sa fermeture, en 1674. PHILHARMONIE. Terme signifiant « amour passionné de la musique ». D’où la dénomination de « philharmonique » portée par de nombreux orchestres ou sociétés de musique. PHILIDOR (François André DANICAN), compositeur français (Dreux 1726 Londres 1795). Membre d’une célèbre dynastie de musiciens dont le patronyme était Danican et dont l’un des représentants, son demifrère Anne Danican Philidor (1681-1728), avait fondé le Concert spirituel en 1725, il bénéficia de l’instruction musicale la plus sérieuse qui fût alors dispensée en France : il entra comme enfant de choeur à la chapelle de Versailles, dès l’âge de six ans, et y reçut jusqu’en 1740 l’enseignement de Campra. Contrairement à la plupart de ses contemporains, il mena une existence totalement indépendante : ses dons exceptionnels de joueur d’échecs lui permirent de passer quelques années de bohème à Paris, puis de séjourner longuement en Allemagne et à Londres. Il mit à profit ces neuf ans de vie cosmopolite pour acquérir une expérience musicale bien plus riche que ne le permettait à Paris la dictature du style français. Ses contemporains ne s’y étaient pas trompés, puisqu’on le considérait alors comme un compositeur italianisant : compliment chez les uns, moyen de l’éloigner des postes officiels pour les autres. Heureusement pour Philidor, son retour d’Angleterre, en 1754, le plonge dans un milieu musical en pleine révolution, à la suite notamment de la Querelle des bouffons. Après quelques expériences comme arrangeur dans les théâtres de la Foire, il fait représenter en 1759 son premier opéra-comique, Blaise le savetier, qui constitue, avec les Aveux indiscrets de Monsigny, la première grande oeuvre du genre. L’opéra-comique est resté la forme de prédilection de Philidor : il en écrivit 19, de 1759 à 1788 ; les plus marquants sont, outre Blaise, le Jardinier et son seigneur, également sur un texte de Sedaine (1761), le Sorcier, sur un argument original de Poinsinet (1764), et Tom Jones (1765), d’après le roman de Fielding. Philidor fut moins heureux dans la tragédie lyrique, et seule Ernelinde (remaniée plusieurs fois de 1767 à 1773) connut un véritable succès ; on commence aujourd’hui à apprécier la valeur de cette oeuvre, qui représente, avec Aline de Monsigny, la première tentative de redonner vie à un genre alors totalement sclérosé. L’originalité de Philidor se manifesta également dans le domaine de l’oratorio : son Carmen seculare (1779), composé à l’instigation du milieu littéraire de Londres, constitue en France un essai downloadModeText.vue.download 781 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 775 qui préfigure les grandes fêtes néoclassiques de la Révolution. PHILIPPE DE VITRY, théoricien français (Vitry ? 1291 - Meaux 1361). Fils d’un noble attaché à la maison du roi Philippe le Bel, il appartenait à l’état ecclésiastique, fut « chanoine en expectative », puis « clerc de notaire » auprès de Charles IV le Bel, membre du Conseil des réformateurs en 1357, après avoir été intronisé évêque de Meaux en 1351. Parallèlement à ces fonctions, il vécut surtout à Paris, dans l’entourage immédiat des Valois (Philippe VI et Jean II le Bon). En août 1350, à la mort de Philippe VI, il est en mission officielle en Avignon, auprès du pape Clément VI. Sous la régence du dauphin Charles, il paraît avoir milité dans les rangs du prévôt des marchands Étienne Marcel, car en 1357 il fait partie de la commission des neuf « généraux réformateurs » désignés par les états généraux. Humaniste réputé, il était lié à Pétrarque, entre autres, qu’il rencontra en Avignon, puis à Paris, et qui, comme lui, avait le culte de la nature, des lettres latines et le goût des voyages. Comme compositeur, il a laissé une quinzaine de motets, mais c’est surtout comme réformateur de la notation musicale qu’il est resté célèbre. Dans son traité de l’Ars nova (v. 1320), le musicien champenois révise les principes de la notation dite franconienne, donne à la nouvelle valeur minima - introduite par Pierre de La Croix vers 1280 - son rôle et, alors que le rythme ternaire avait dominé tout au long du XIIIe siècle, « accorde au rythme binaire une égale importance et applique cette division binaire à toutes les notes dans les différentes mensurations, c’està-dire dans leurs rapports les unes avec les autres » (Paule Chaillon). Ainsi sont définis le mode ou division de la longue en brèves, le temps ou division de la brève en semi-brèves, la prolation ou division de la semi-brève en minimes. Par ailleurs, pour compléter le nouveau système de notation, Philippe de Vitry définit le rôle des « points « : le punctum divisionis, qui joue le rôle de barre de mesure, et le punctum additionis, semblable au point dans notre notation moderne. Pour rendre cette notation plus claire, il est recommandé, enfin, de joindre aux notes noires des notes rouges indiquant le passage temporaire d’une mensuration parfaite à une mensuration imparfaite. Les manuscrits de Guillaume de Machaut, conservés à la Bibliothèque nationale de Paris, font usage de ladite notation française. Le succès des réformes proposées par Philippe de Vitry explique leur diffusion dans toute l’Europe du temps, à ceci près que, en Italie, l’école florentine des caccie, qui se développa à Florence aux environs de 1350 auprès de Francesco Landino, imagina un système mixte qui mariait quelques-uns des principes majeurs de la notation française au mode de notation, spécifiquement transalpin, et mieux adapté à une musique plus déclamatoire et plus ornée, de Marchettus de Padoue. PHILIPPOT (Michel Paul), compositeur français (Verzy 1925). Ses études scientifiques ayant été interrompues en 1942 à la suite de son arrestation par la police de Vichy, il entreprit des études musicales au Conservatoire de Paris et avec R. Leibowitz. Sa double formation, musicale et scientifique, l’amena à exercer à l’O. R. T. F. les fonctions les plus variées, de celle d’ingénieur du son à celle de conseiller scientifique. Il y fut aussi responsable de l’ensemble des services musicaux. Professeur de composition au Conservatoire de Paris depuis 1970, chargé de cours à l’université de Paris-IV, il a également une intense activité d’enseignement. Il a créé en 1976 la faculté de musique de l’université d’État de São Paulo, au Brésil, et l’a dirigée jusqu’en 1979. De 1979 à 1981, il a enseigné à Rio de Janeiro, puis occupé, de 1983 à 1989, un poste de conseiller scientifique à l’I. N. A. à Paris. Il est l’auteur d’un cer- tain nombre de travaux scientifiques sur la cybernétique, et d’études sur l’acoustique et l’esthétique. Venu de l’école sérielle, il s’efforce, comme compositeur, en s’aidant de sa culture scientifique, d’en découvrir la suite logique. Il a écrit des oeuvres pour orchestre, pour piano, pour divers ensembles de chambre, ainsi que de la musique électroacoustique. Citons Sonate pour piano no 1 (1947), Étude de musique concrète no 1 (1952), no 2 (1958) et no 3 (1962), Composition pour orchestre à cordes no 1 (1959), Composition pour double orchestre (1960), Sonate pour orgue (1971), Sonate pour piano no 2 (1973), Passacaille pour 12 instruments (1973), Pièce pour violon seul no 1 (1965), no 2 (1975) et no 3 (1976), La, toute la, rien que la, pour soprano, clarinette, percussions et bande magnétique (1976), Quatuor à cordes (1976), Pièce pour alto et piano (1978), quatuors à cordes no 2 (1982), no 3 (1985) et no 4 (1988), Contrapunctus X pour le bicentenaire de l’École polytechnique (1994). Il a écrit un livre sur Igor Stravinski (1965) et Diabolus in musica, analyse des Variations Diabelli de Beethoven (1978). PHILIPS (Peter), organiste et compositeur anglais ( ? 1560 ou 1561 - Bruxelles 1628). Prêtre catholique, il quitta l’Angleterre en 1582 pour Rome, où il rencontra Palestrina, puis voyagea en Espagne, en France et aux Pays-Bas espagnols avant de s’établir à Anvers, où il publia trois recueils de madrigaux (1596, 1598, 1603). En 1593, il rencontra Sweelinck à Amsterdam. Accusé la même année de comploter contre la reine Élisabeth, il fut emprisonné puis relâché faute de preuves. Entré en 1597 à Bruxelles au service de l’archiduc Albert (mort en 1621), il couronna sa carrière avec plusieurs recueils de motets : Cantiones sacrae (1612), Gemmulae sacrae (1613), Deliciae sacrae (1616), Paradisus sacris cantionibus (106 motets pour une, deux ou trois voix et continuo, 1628). PHONOTHÈQUE. Établissement conservant les phonogrammes, c’est-à-dire les enregistrements sonores sur quelque support qu’ils soient fixés, cylindres, disques de divers standards, bandes magnétiques, ainsi que cy- lindres pointés, bandes perforées, disques de carton ou de métal des instruments de musique mécanique. Dès 1899, à Vienne, puis en de nombreux pays, des phonothèques nationales ont été créées pour assurer un archivage officiel de tous les nouveaux documents sonores enregistrés, et réunir les plus anciens, publics ou privés. En France, la Phonothèque nationale est aujourd’hui un département de la Bibliothèque nationale ; elle reçoit et gère le dépôt légal de tous les phonogrammes publiés dans le pays. Elle est issue de l’Institut de phonétique, créé en 1911 par l’université de Paris, et des Archives de la parole de la Sorbonne, animées par le professeur Brunot, qui réalisa un grand nombre d’enregistrements de folklore, de linguistique, d’orateurs, d’acteurs dramatiques, etc. La loi du 19 mai 1925 institue le dépôt légal obligatoire pour tous les imprimés, incluant l’édition phonographique ; mais ce n’est qu’en 1938 qu’un décret porte création de la Phonothèque nationale, destinée à recevoir le dépôt légal institué treize ans plus tôt. Entre-temps (1928), les Archives de la parole sont devenues musée de la Parole et du Geste. Enfin, en 1963, le dépôt légal est étendu à l’enregistrement magnétique. La Phonothèque nationale est également un musée de l’enregistrement et de la reproduction sonores (plus de 600 appareils), en même temps qu’un lieu de consultation publique des phonogrammes et un service de documentation phonographique (fichiers à entrées multiples, catalogues). Plus de 150 000 disques différents y sont conservés depuis 1938, en double exemplaire (un pour consultation, un pour archivage), ainsi que 80 000 phonogrammes provenant du musée de la Parole, 40 000 disques 78-tours issus de la discothèque de la Radio, plusieurs milliers de cylindres remontant aux origines, etc. PHRASE. On considère en musique qu’une phrase musicale est constituée dès lors qu’elle présente par elle-même un sens autonome complet et cohérent, de préférence (mais downloadModeText.vue.download 782 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 776 non toujours) avec terminaison conclusive. La phrase peut souvent se décomposer en cellules, celles-ci non soumises à l’obligation ci-dessus, et, si elle est longue, en périodes ; mais ce mot peut aussi désigner un groupement de phrases s’il s’en trouve plusieurs analogues de suite ( ! PÉRIODE). PHRASÉ. Art de grouper les sons de manière intelligente en dosant judicieusement les liaisons, les respirations et les accentuations. Considéré de tout temps comme un des éléments les plus importants de l’interprétation, le phrasé a été longtemps laissé à l’initiative des exécutants, sauf à les juger en fonction de lui. Il n’apparaît qu’exceptionnellement dans l’écriture graphique, et encore de manière fragmentaire (courbes de liaison) avant le XIXe siècle ; sa théorie, sans doute esquissée pour la première fois par J.-J. de Momigny en 1803, est encore assez confuse, à l’exception du chant grégorien solesmien, où elle a été remarquablement codifiée par Dom Mocquereau en 1908. PHRYGIEN. 1. En musique grecque antique, le terme phrygien, faisant référence au peuple barbare de ce nom situé au nord du monde grec (Thraces et Daces de la Roumanie actuelle), a désigné successivement : a)une ancienne « harmonie » (échelle ré, mi, mi demi-dièse, fa, la, si, si demi-dièse, do, mi) de genre enharmonique, propre, selon Platon, à exciter les vertus guerrières ; b)un « ton de transposition » désignant à l’origine une tessiture moyenne, entre le dorien grave et le lydien aigu, puis inséré avec ses hypos et ses hypers dans un système plus complexe ( ! DORIEN) ; c)un « aspect d’octave » en vue de l’accord des instruments, correspondant, en genre diatonique, aux intervalles de l’octave de ré à ré, dans les genres chromatique et enharmonique à l’octave sur l’échelle correspondante des notes qui y remplacent le ré diatonique (do dièse en chromatique, do bécarre en enharmonique). 2. Au Moyen Âge, le terme a été indûment appliqué au 3e mode grégorien (deutérus authente), soit un mode de mi à dominante do (anciennement si). 3. En 1573, Zarlino lui a donné le sens de mode de ré, devenu pratiquement ré mineur, qui a coexisté selon les auteurs avec celui de mode de mi (ou mi mineur) conservé en simplification de sens médiéval no 2. Pour des raisons différentes (extension abusive du sens no 1 c), l’école de Gevaert, au début du XXe siècle, a également appelé phrygien (ou phrygisti), en l’appliquant à sa théorie des modes grecs, l’octave de ré sans altération, le rapprochant ainsi du dorien des nomenclatures médiévales (1er ton grégorien), pour qui le phrygien était le mode de mi (3e ton). 4. En dépit de nombreux flottements, le sens actuellement le plus employé reste, par extension du sens no 2, celui d’un mode de mi sans altération (mi, fa, sol, la, si, do, ré, mi). PIANISSIMO. Indication de nuance d’origine italienne signifiant « très doux », « très doucement ». PIANO. Indication de nuance d’origine italienne signifiant « doux », « doucement ». PIANO. Instrument de musique à cordes frappées et à clavier. UN CAS UNIQUE DANS L’HISTOIRE DES INSTRUMENTS DE MUSIQUE. En effet, sa naissance entre les mains de Bartolomeo Cristofori, facteur des clavecins du grand-duc Côme III de Médicis, à Florence en 1698, ne correspond en rien au goût musical de l’époque. Le public italien de ce temps est attiré par l’opéra et par une musique instrumentale fondée sur la basse continue où le clavecin est roi. Cet instrument brille encore dans les grandes oeuvres solistes de Domenico Scarlatti, Bernardo Pasquini, François Couperin ou Jean-Philippe Rameau et bien d’autres. Le piano ne répond pas non plus au désir particulier d’un compositeur ou d’un interprète avide de sonorités nouvelles. Son apparition est seulement liée au génie d’un homme capable de l’avoir porté dès sa création à un point de perfection, car le piano de Cristofori est irréprochable en son genre. Après le prototype de 1698, le luthier construit d’autres exemplaires jusqu’en 1720, mais le manque d’acheteurs le contraint à retourner rapidement au clavecin pour éviter la ruine. Le succès du piano auprès du public devra attendre environ cinquante ans, jusqu’en 1770. Le principe fondamental en est la percussion des cordes au moyen de petits marteaux, par l’intermédiaire d’une mécanique appropriée et d’un clavier. L’organologue trouve donc ses racines dans le tympanon médiéval fait à l’image du santur oriental, et dans le clavicorde connu en Europe du XIVe au XVIIIe siècle, car les cordes de ces instruments sont également frappées. LES DÉVELOPPEMENTS AU XVIIIE SIÈCLE. L’invention de Cristofori, qui consiste donc à placer sous les cordes non pas un sautereau de clavecin, mais un petit marteau poussé par un pilote fixé à l’extrémité de la touche du clavier, s’intitule « Gravicembalo col pian’e forte » (clavecin à clavier pouvant jouer doux et fort), et marque ainsi l’innovation par rapport au clavecin : selon le toucher, le musicien peut passer de la nuance piano à la nuance forte, d’où le terme diminutif « piano-forte ». Par la suite, oublié à Florence, le système mécanique en est décrit en 1709 par le marquis Scipione di Maffei dans son Giornale dei letterati d’Italia publié en 1711, et cette publication vient entre les mains d’un organier allemand de Freiberg, Henry Silberman. À partir de là, le piano-forte réalise un véritable « tour d’Europe » avant de s’imposer au public musical, particulièrement en France. Plus que celle de tout autre instrument de musique, l’histoire du piano nécessite pour une bonne compréhension un regard attentif sur l’aspect sociologique inhérent à son implantation dans la société européenne entre 1750 et 1850, alors en pleine mutation. Henry Silberman, d’esprit assez commerçant, entreprend de fabriquer l’instru- ment en série vers 1750, tout en simplifiant la mécanique de Cristofori par souci d’économie. Il présente à Jean-Sébastien Bach âgé ses pianos « en forme de clavecin », mais on ignore précisément l’avis du grand musicien sur la nouveauté. D’ailleurs, l’idée d’« améliorer » le clavecin est généralement sous-jacente, car d’autres facteurs y songent, et en revendiquent la paternité : Jean Marius présente plusieurs projets en 1716 à l’Académie des sciences de Paris, et Johann Schroeter demande des subsides en 1721 à l’Électeur de Saxe, afin de réaliser un instrument dans le même esprit. L’originalité de Henry Silberman consiste à poursuivre opiniâtrement sa petite production, et surtout à former bon nombre d’ouvriers qui essaiment en Europe vers les années 1750-1770. Parmi ceux-ci, Frederici, installé à Géra, impose vers 1758 l’idée de placer la mécanique-piano-forte dans une caisse de virginal, de forme rectangulaire : la construction en est moins délicate et le gain de place est judicieux. Ainsi le piano-forte dit « carré » peut-il intéresser une nouvelle clientèle bourgeoise aux intérieurs moins spacieux que ceux de l’aristocratie, et son prix de revient est beaucoup moins élevé. Signalons au passage que le piano carré n’est pas la seule forme de caisse de pianoforte inaugurée alors. En effet, le public amateur désire inclure l’esthétique de l’instrument au style de mobilier en vigueur : ainsi verra-t-on, particulièrement en Europe du Nord (Suisse, Belgique, Allemagne et pays scandinaves), jusqu’à la fin du XIXe siècle, des pianos aux contours plus qu’évocateurs : piano-armoire, piano-table, piano-secrétaire, piano-pyramide, piano-lyre, piano-girafe, etc. downloadModeText.vue.download 783 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 777 Andreas Stein, autre ouvrier de Silberman, se fixe à Augsbourg où il invente une mécanique différente dite « viennoise », que nous retrouverons un peu plus tard avec Mozart. Zumpe, également disciple de Silberman, part vers 1760 pour Londres, où il assure au piano carré un succès considérable, et en propage un grand nombre. Son collaborateur Tschudi s’associera plus tard au célèbre facteur et inventeur anglais John Broadwood. Ainsi s’établissent les premières filiations de maître à disciples spécialisés dans la facture du piano-forte, transmettant les principes d’un art en pleine évolution. Ce tour d’Europe du piano-forte au XVIIIe siècle s’achève donc par la France, toujours attachée au clavecin. Nicolas Sejan, Johann Schobert, Jean-François Tapray, Étienne-Nicolas Méhul ou Adrien Boieldieu composent toutefois pour le piano-forte sonates, concertos, duos avec le clavecin, ou encore une grande quantité d’accompagnements de romances. C’est sous la « forme clavecin » que le pianoforte fait sa première apparition publique à Paris en 1768 au Concert spirituel. Vers 1790, la majorité des piano-forte vendus en France est importée d’Angleterre ou d’Allemagne, et la quasi-totalité des facteurs de pianos à Paris (en province il n’y en a pratiquement pas) sont des Allemands. La Révolution de 1789 a ici valeur de symbole : en détruisant et brûlant les clavecins des aristocrates, les sans-culottes vont consacrer l’engouement pour la « nouveauté », et en conséquence la fondation d’une véritable facture nationale. Cette longue gestation du piano-forte entre 1710 et 1800 explique les incertitudes du répertoire et de la technique de jeu. Personne ne peut affirmer ni infirmer que telle fugue de Jean-Sébastien Bach, telle suite de Jean-Philippe Rameau, ou surtout telle sonate de Domenico Scarlati soit écrite dans l’ignorance absolue du piano-forte. Dans un second temps, grâce à la propagation relative de l’instrument, les éditeurs de musique trouvent intérêt à préciser sur la page de titre d’une oeuvre : « Pour le clavecin ou le forte-piano », car il gagnent un double public. Cette habitude, persistante jusqu’à la publication de la sonate Au clair de lune de Beethoven en mars 1802, concerne les productions de Carl Philipp Emanuel Bach, Joseph Haydn et Wolfgang Amadeus Mozart entre autres. À la similitude du répertoire se superpose celle des interprètes, passant naturellement d’un instrument à l’autre. Cependant une écriture spécifique apparaît peu à peu au piano-forte : indication des nuances, vélocité habituelle des traits à la main droite, voire à la main gauche, octaves, sauts du registre aigu au grave, trémolo préromantique. Lors de son passage à Augsbourg en 1777, W. A. Mozart, âgé de vingt et un ans, s’enthousiasme pour les piano-forte du facteur Andreas Stein, au point qu’il décide d’abandonner le clavecin ; cette date peut être représentative, dans la mesure où il s’agit du plus grand musicien de l’époque. Andreas Stein est un des meilleurs facteurs de piano-forte viennois, et nous pourrions observer l’un de ses instruments. Les dimensions restreintes de ce piano-forte nous surprendraient si nous le placions à côté de l’un de nos pianos modernes. Les pianos viennois sont en général aisément reconnaissables, par la forme de leur caisse, dont l’éclisse ne décrit pas une arête vive comme celle du clavecin, mais marque la belle sinuosité d’une courbe suivie d’une contrecourbe. Cet instrument n’a pas de pédales : il possède parfois deux genouillères placées sous le clavier, l’une soulevant les étouffoirs pour permettre aux cordes de vibrer, l’autre intercalant un feutre entre cordes et marteaux pour adoucir la sonorité. Le clavier ne comprend que cinq octaves, de fa1 à fa5. Le corps sonore est formé d’une charpente entièrement en bois appelée barrage, qui supporte seule la tension des cordes. Sur le barrage est posée la table d’harmonie, en épicéa (variété de sapin), qui amplifie les sons de l’instrument. Cette table épaisse de quatre millimètres environ (c’est-à-dire deux fois moins que l’épaisseur de nos tables d’harmonie modernes) est souvent laissée à nu, n’étant pas ornée comme celle des clavecins, et le vernissage n’intervenant qu’au début du XIXe siècle. La sonorité de ce piano-forte est délicate, claire, voire transparente, et ses basses ont une légèreté qui explique les accords « compacts » écrits pour la main gauche dans le grave jusqu’à Beethoven, accords si lourds lorsqu’ils sont joués sur les pianos modernes. Les cordes sont tendues entre les deux extrémités formées par le sommier d’accroche et le sommier de chevilles. Le sommier d’accroche est une pièce de bois dur, qui épouse la forme de la caisse depuis la pointe du piano-forte jusqu’à l’avant, en suivant l’éclisse. Dans ce sommier d’accroche sont enfoncées des pointes autour desquelles on passe les boucles pratiquées à l’extrémité des cordes. Sur le devant de la caisse, au fond du clavier et au-dessus de la table d’harmonie, est fixé le sommier de chevilles, dans lequel les chevilles en acier sont enfoncées et plus ou moins vissées, ce qui permet l’accordage. Le plan des cordes est surélevé au-dessus de la table d’harmonie : par un sillet côté chevilles, qui sert à les répartir avec précision sur le lieu de leur percussion, et par un chevalet côté accroche, vissé et collé sur la table d’harmonie, à laquelle il transmet les vibrations des cordes. Celles-ci, au nombre de deux par note, sont choisies en différents matériaux : acier mou pour l’aigu et le médium, laiton pour le bas médium, et cuivre ou cuivre filé sur acier pour le grave. La mécanique viennoise, ou « Prellmechanik », est placée sous le plan des cordes, et attaque celles-ci par en dessous ; quelques essais ont été faits pour réaliser une mécanique attaquant les cordes par au-dessus, afin d’en renforcer la puissance (pour Beethoven notamment), mais ils ont été abandonnés. Le marteau possède un manche assez court, à petit angle de rotation, et la chasse (distance du repos à la corde) n’est pas grande : l’élan ou force de percussion du marteau est faible. La tête du marteau, petite, recouverte de cuir (pas encore de feutre), est légère : un demi à un gramme (le quadruple sur un piano moderne). La pièce principale de la mécanique, dite « pilote », fixée à l’extrémité de la touche du clavier, envoie le marteau contre la corde. L’inconvénient des mécaniques primitives est de « tambouriner » si le pianiste joue trop fort (répétition de la même note, par rebond du marteau), ou de ne pas atteindre la corde si le pianiste cherche à jouer pianissimo. En outre, il arrive à certains pianos de céder sous la tension des cordes, et de se détruire. Mais on peut tout de même admirer l’équilibre de construction de ces piano-forte construits avec grand soin : leur structure entièrement en bois, sans l’apport d’aucun métal, résistait à une tension de cent vingt cordes, et la simplicité de leur mécanisme leur conférait une grande légèreté. D’où un pianoforte à sonorité sans grande ampleur, mais assez pure, permettant les traits les plus rapides et transparents de la vélocité. UNE ÉPOQUE CHARNIÈRE : 1790-1830. L’orée du XIXe siècle, et les années 17901830 en particulier, voient un bond extraordinaire dans l’évolution de la facture de l’instrument, au point qu’il y a peu de rapports entre le gracile piano-forte que nous venons de décrire et le robuste instrument des romantiques, assez proche de notre piano. Deux raisons s’imposent à cette constatation : d’une part les interprètes désirent un champ de nuances beaucoup plus large pour exprimer tant le déferlement de leurs passions que l’intimité d’une douce confidence ; d’autre part, le concert n’est plus réservé à quelques invités des salons aristocratiques, mais l’ouverture de grandes salles de concert à un vaste public bourgeois exige des pianos plus sonores. Tous les efforts des facteurs se concentrent maintenant sur la construction de pianos robustes et puissants. Au milieu d’innombrables petits inventeurs à la recherche d’un brevet, et excités par la formidable émulation des médailles et des prix attribués lors des expositions downloadModeText.vue.download 784 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 778 industrielles, John Broadwood et Sébastien Érard sont les deux grands artisans de la naissance du piano moderne. À partir d’une percussion plus nerveuse, opérée par un marteau plus lourd sur une corde de diamètre plus fort (on place alors jusqu’à quatre cordes pour une même note), il faut épaissir la table d’harmonie et renforcer toute la caisse de l’instrument, sa charpente en bois recevant l’aide de l’acier pour équilibrer les tensions. Peu à peu l’expression « piano-forte » disparaît du langage courant, pour céder la place à celle, plus rapide et commode, de « piano ». Quelques pianistes romantiques, dont Johann Nepomuk Hummel se fait le porte-parole, vantent le léger pianoforte viennois, et critiquent le nouveau piano jugé trop lourd de toucher. Les virtuoses Daniel Steibelt, Jan Ladislas Dussek, Ignaz Moscheles, John Field, Jean-Baptiste Cramer doivent modifier considérablement leur technique de jeu, apprise auprès de professeurs formés au clavecin : l’articulation des doigts et de l’avant-bras ne suffit plus à faire parler le piano selon ses nouvelles possibilités : il faut utiliser le poids du bras entier depuis l’épaule. Cet élargissement permet d’ouvrir un horizon infini de combinaisons techniques : accords répétés, doubles trilles, gammes en tierces chromatiques, glissandos, octaves staccato ne sont qu’une faible partie des éléments pianistiques apparus chez Beethoven, et amplifiés par Chopin, Liszt et leurs émules... ou adversaires. Sébastien Érard est à l’origine du succès du piano en France : il fonde son atelier à Paris en 1780, soit à l’époque où presque tous les pianos sont importés de l’étranger, et réalise une magnifique percée commerciale en fabriquant à partir du Consulat une moyenne de deux cents pianos par an, chiffre comparable aux plus grandes firmes du temps (Broadwood à Londres, Streicher à Vienne). Ses pianos carrés bénéficient des améliorations apportées à la facture de ses grands pianos « en forme de clavecin », présentés dès 1794. Sébastien Érard étudie la mécanique anglaise à échappement de John Broadwood : dans celle-ci, le pilote n’est plus fixé à la touche du clavier, mais il est mobile, et s’échappe après avoir imprimé un élan au marteau, rendu de ce fait plus libre, précis et nerveux. À partir de cette mécanique, Érard conçoit la sienne, puis dépose plusieurs brevets, jusqu’à l’invention en 1823 du système dit « à double échappement ». Ici, le but est de rendre la mécanique très rapide pour les traits, les trilles et surtout les notes répétées : un premier échappement lance le marteau contre la corde, et tandis que le second échappement le maintient très près de celle-ci, il suffit de relever la touche de deux millimètres pour que le premier échappement soit apte à relancer le marteau. Cette prodigieuse mécanique est finalement adoptée par tous les facteurs concurrents, et c’est celle qu’on utilise encore de nos jours. L’APOGÉE À L’ÉPOQUE ROMANTIQUE. Le nouvel instrument appelle une nouvelle musique pour le clavier, et le double don fait par Sébastien Érard d’un grand piano au Conservatoire de musique de Paris en 1809 et à Beethoven à Vienne en 1803 paraît hautement symbolique. Créé en 1795, le Conservatoire abandonne très vite l’enseignement du clavecin, et, telle une école d’avant-garde, se livre à celui du piano qu’il va propager dans la société grâce à son renom, ses professeurs, ses lauréats, favorisant la création d’un répertoire musical et d’un public mélomane averti : en 1812, la moitié des élèves de l’établissement (en particulier des jeunes filles) sont des élèves de piano ! En offrant à Beethoven l’un des pianos les plus perfectionnés de son temps, Sébastien Érard satisfait un des compositeurs les plus exigeants envers les facteurs de pianos, car Beethoven désire tirer de l’instrument le maximum de possibilités, techniques et surtout expressives. En se consacrant au « genre sérieux » par ses sonates et ses concertos, il donne au piano ses lettres de noblesse ; après lui, et suivant son influence, tous les compositeurs voulant s’imposer se feront une obligation d’écrire pour le piano. L’Allemagne inaugure l’ère du pianiste-compositeur, virtuose brillant : ainsi Carl Maria von Weber, Felix Mendelssohn, Robert Schumann, plus tard Johannes Brahms, et, dans un autre style, Franz Schubert. L’habitude étant alors de mêler le chant et divers instruments dans un même concert, l’apparition du récital pour un interprète unique est une nouveauté qui échoit en premier lieu au piano, avec un détail significatif : le pianiste romantique extraverti souhaite s’exprimer et se montrer ; ses mains jusque-là cachées dans le clavier du clavecin ou du piano-forte seront visibles, grâce au clavier à découvert. L’influence de Frédéric Chopin est profonde sur la technique de jeu du piano, car il en attend une grande variété d’attaques et de touchers, et une souplesse que ses contemporains Frédéric Kalkbrenner, Alkan ou Ferdinand Hiller ne connaissent pas toujours. Le style musical plus que la manière harmonique de Chopin a marqué son siècle : ses pièces d’évocation (Nocturnes, Préludes, Berceuse) et ses danses stylisées (Valses, Mazurkas, Polonaises) suscitent bien des émules. Franz Liszt occupe dans l’histoire du piano une place prépondérante ; créateur de la très grande virtuosité, il continue la tradition des duels pianistiques en luttant publiquement contre certains de ses contemporains, sa rivalité contre Sigismond Thalberg étant la plus célèbre. Il rassemble un nombre d’élèves considérable, et l’influence de sa pédagogie (en partie codifiée par sa disciple Marie Jaëll) demeure très importante. Franz Liszt donne les premiers récitals de piano, et l’on peut avancer qu’il est l’inventeur du « grand piano », par ses Études transcendantes, ses Rhapsodies, et aussi sa Sonate. Liszt fait encore du piano le propagateur de la musique dans la société, par un nombre impressionnant de transcriptions, permettant aux amateurs de pratiquer eux-mêmes les oeuvres entendues dans les concerts symphoniques. Cet exemple est suivi : de multiples éditeurs font travailler des transcripteurs, le plus souvent dans la version piano « à quatre mains ». Enfin, en abandonnant l’improvisation pianistique vers 1850, Liszt sonne le glas de cette activité sauvegardée de nos jours par les seuls organistes, et confère au texte musical écrit une valeur inconnue jusquelà, mais que les générations suivantes lui reconnaîtront. Le piano, né sous l’Empire et la Restauration, entre vers 1830 dans l’ère industrielle : jamais un instrument de musique n’aura été fabriqué en telle quantité. Des musiciens (Pleyel, Herz), ou d’anciens ouvriers facteurs (Blanchet, Pape) ne s’y trompent pas, et fondent leur propre atelier, parfois assorti, pour montrer les qualités de leurs pianos, de salons qui deviendront nos grandes salles de concerts parisiennes encore actuelles : Ignaz Pleyel en 1807, Joseph Emmanuel Gaveau en 1847, et, à l’étranger, Friedrich Bechstein à Berlin en 1853, Ignaz Bösendorfer à Vienne en 1828, Heinrich Steinweg à Brunswick en 1835 (qui en 1853 se rebaptise Steinway à New York). L’industrie du piano veut aussi la division du travail, requise par certaines spécialités : fabricants de mécaniques, de claviers, de barrages ou de cadres en fonte ; cela explique le nombre élevé d’assembleurs et de revendeurs, notamment dans les provinces. À cet épanouissement de la facture correspond l’abandon du vieux piano carré vers 1860-1880, concurrencé par le piano droit dès les années 18301850, et des autres formes de piano dont nous avons déjà parlé. Depuis 1880, la facture du piano connaît des progrès de détail, mais aucun changement fondamental ; elle poursuit son évolution vers un instrument plus sonore et plus souple à la fois. Le piano à queue moderne s’est agrandi jusqu’à 2,90 mètres pour les grands modèles de concert ; la caisse renforcée contient en dessous un robuste barrage en bois qui supporte une grande table d’harmonie de huit millimètres d’épaisseur, vernie, elle-même surplombée du plan des cordes, puis du barrage en fonte recouvrant toute la surface de la downloadModeText.vue.download 785 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 779 caisse. À l’extrémité du piano, le sommier d’accroche en bois est remplacé par des pointes directement fondues sur le barrage. À l’avant, le même barrage en fonte est moulé en forme de plaque percée de trous au travers desquels les chevilles tendant les cordes rejoignent au-dessous le sommier en bois. Le croisement des cordes sur deux plans différents permet un appréciable gain de place, sans modifier les proportions des cordes graves, modification qui leur ôterait leurs belles résonances. Les cordes sont au nombre de trois par note pour l’aigu, deux pour le médium, et une pouvant atteindre huit millimètres de diamètre pour chaque note grave. Le clavier s’étend à sept octaves, de la1 à la6. Dans la mécanique à double échappement, les facteurs cherchent surtout à faciliter le travail des articulations, afin de ne pas la rendre trop fatigante aux doigts du pianiste ; le manche du marteau est allongé, et sa tête recouverte de feutre peut peser jusqu’à cinq grammes. La chasse agrandie permet une percussion plus franche. Le son des pianos modernes a une durée beaucoup plus longue que celui des anciens piano-forte, dans lesquels il s’éteignait rapidement après la percussion. Cette continuité du son est le résultat d’une époque de recherches patientes, et d’améliorations de la facture, afin de permettre l’interprétation de mélodies romantiques, et de transformer le piano d’instrument-percussion en instrumentmélodie. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, chaque marque tient à coeur de produire des pianos dont la sonorité particulière réponde à l’esthétique du fabricant, et aux désirs de sa clientèle. Depuis lors, nous assistons à une évolution vers un « piano international », unifié par les associations commerciales entre les facteurs, le commerce international, et le souhait des grands virtuoses voyageant dans le monde entier de retrouver des pianos semblables dans les différents pays. LE PIANO DEPUIS UN SIÈCLE. En explorant les zones d’influence liées à la carrière prodigieuse de Franz Liszt, et en rappelant le lien établi par Beethoven entre les carrières de compositeur et de pianiste, nous tenons les clefs de l’histoire pianistique à la fin du XIXe siècle et au XXe siècle. En effet, le piano est inséré à tel point dans la vie musicale que son histoire est celle du style de composition de l’époque considérée. L’école française renaissante après le désastre de 1870 en est un bon exemple. Camille Saint-Saëns, Georges Bizet, César Franck, Ernest Chausson, Emmanuel Chabrier composent pour un piano oscillant entre la virtuosité de Franz Liszt, l’évocation de Frédéric Chopin, la simple description d’agrément, ou plus rarement la méditation de type beethovénien. Ces termes indiquent bien que le piano est devenu un moyen du discours musical, tant est parfaite son adéquation à la société bourgeoise qui l’a adopté. À la génération suivante, nous constatons, sous une présentation différente, la même relation entre l’instrument et l’évolution du style musical : Gabriel Fauré, Paul Dukas, Maurice Ravel, Gabriel Pierné, Albert Roussel, Erik Satie, Florent Schmitt sont pianistes parce qu’ils sont compositeurs. Claude Debussy lui-même apporte un renouveau considérable en tant que pianiste, et plus encore en tant que compositeur, car il enrichit le langage du piano, comme il enrichit celui de l’orchestre : la virtuosité de Feux d’artifice évoque Liszt, comme l’infinie délicatesse de toucher des Pas sur la neige rappelle Chopin. Si, à la génération romantique, les pianistes virtuoses jouaient eux-mêmes leurs oeuvres, l’époque que nous venons de retracer assiste à une scission entre compositeur et interprète, et à l’apparition des premiers virtuoses, chevaliers servants des productions d’autrui, eux-mêmes n’étant pas (ou très peu) créateurs : ainsi Anton Rubinstein, Ricardo Viñes et beaucoup d’autres. L’extraordinaire fortune du piano consiste à avoir happé dans son sillage l’expression des écoles nationales : il a attiré les Espagnols Isaac Albéniz, Enrique Granados, José Turina et Manuel de Falla, comme le Hongrois Béla Bartók, les Italiens Ferruccio Busoni, Ottorino Respighi, Alfredo Casella, comme le Norvégien Edvard Grieg, ou le Polonais Karol Szymanowski, les Tchèques Leoš Janáček, Bohuslav Martinů, comme les Américains George Gershwin, Aaron Copland et Charles Ives. L’école russe est particulièrement brillante : si les auteurs du renouveau, comme Piotr Ilitch Tchaïkovski, Alexandre Glazounov ou Alexandre Balakirev s’intéressent peu au piano, leurs successeurs Serge Rachmaninov, Alexandre Scriabine, Serge Prokofiev, Dimitri Chostakovitch exigent une grande virtuosité, dans l’expression d’un répertoire alliant un fond de romantisme à d’originales recherches d’écriture. Le piano est partout. Le moindre théâtre, la moindre salle de concert se doivent d’en posséder, il est l’auxiliaire pédagogique des écoles de musique : pour l’accompagnement de tous les instruments, de la danse, pour le solfège, l’harmonie, le contrepoint, voire la composition ; le jazz lui réserve une place toujours importante, et on le retrouve même au Théâtre national de Pékin. En 1975, on a vendu 15 000 pianos en France, tandis que les facteurs en fabriquaient environ 700 000 de par le monde ; une marque japonaise se targue même de fabriquer un piano toutes les deux minutes. LE PIANO A-T-IL UN AVENIR ? Le milieu du XXe siècle lui a fait perdre la fonction, jusque-là répandue, de prolonger le concert en interprétant soi-même des transcriptions ou des réductions d’oeuvres pour orchestre symphonique. Le piano s’est d’abord adapté au désir de reproduction automatique du son, dans ses modèles de « piano mécanique », « auto-piano », ou plus tard « piano pneumatique », modèles de plus en plus destinés à une musique de divertissement. Mais l’enregistrement discographique ou magnétique, moins exigeant et plus fidèle, lui retire cette activité. Il n’est pas sûr, non plus, que le maintienne sa position privilégiée l’arsenal pédagogique : les moyens matiques et les nouvelles méthodes porteront bientôt des résultats au semblables. piano dans téléapmoins Quant à la fortune des récitals pianistiques, il est à remarquer que les derniers grands virtuoses au sens romantique du mot sont morts ou âgés, et que leurs jeunes successeurs ne conçoivent plus leur carrière de la même façon, ne serait-ce que par la disparition d’un répertoire pianistique contemporain, analogue à celui qui a été créé jusque-là. Les oeuvres récentes de Henri Dutilleux, Olivier Messiaen, Pierre Boulez ou John Cage font rarement partie des récitals traditionnels, composés le plus souvent des noms de Bach, Mozart, Beethoven, des romantiques et des compositeurs du début du XXe siècle, comme Debussy, Ravel, et parfois Bartók ou Prokofiev. Nos créateurs contemporains sont défendus par de courageux interprètes, qui leur vouent des récitals « spécialisés », attirant en conséquence un public plus restreint. Le piano survit parce que le grand public s’intéresse surtout à la musique du passé, mais lorsqu’un jeune public s’éveillera à la musique de son temps avec des moyens nouveaux, le piano aura vécu, ou il devra subir, à l’image d’autres instruments de musique, une profonde métamorphose actuellement imprévisible. PIANOLA. Mécanique attachée à un permettant aux marteaux cordes non par l’action les touches mais par la et mise en marche grâce comme sur un harmonium. piano ordinaire, de frapper les des doigts sur pression de l’air à une pédale, Après avoir connu une grande vogue dans les années 1920, le pianola est largement tombé en désuétude. downloadModeText.vue.download 786 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 780 PIANO PRÉPARÉ. (en angl. prepared piano). Nom donné à une certaine technique de modification des sons naturels du piano (essentiellement par insertion d’objets divers dans la caisse et entre les cordes) ; et aussi nom donné au piano quand celuici fait l’objet de ce traitement. On attribue l’invention du piano préparé à John Cage, avec une Bacchanale (1938), musique pour un ballet de Syvilla Fort. Il s’agit moins, avec cette technique, d’une « destruction » ou d’une « profanation » de l’instrument (qui, pour peu qu’on y prenne garde, n’est pas le moins du monde détérioré par l’opération) que d’une façon nouvelle de lui faire produire des sonorités et des timbres. Quels que soient les « corps étrangers » introduits dans les cordes (gommes, vis, élastiques, objets de bois, de métal, de plastique, etc.), leur rôle est de modifier le son naturel de l’instrument quand on appuie sur la touche du clavier et que le marteau frappe la corde : on produit ainsi des timbres et des hauteurs différentes, des sons plus complexes, voilés, percussifs, mats ou au contraire stridents. De plus la préparation n’étant pas uniformément répartie sur tout l’instrument, on dispose d’une espèce de gamme de timbres différents, d’une sorte de petit orchestre jouable avec deux mains. Dans les partitions pour piano préparé, la préparation demandée peut être rigoureusement décrite et spécifiée (nature des objets insérés, indication des cordes à préparer, et des endroits précis où introduire ces objets), mais l’oeuvre est écrite dans une notation traditionnelle, qui, dès lors, rend compte plus des touches à enfoncer que du résultat auditif. L’oeuvre pour piano préparé la plus importante est celle de John Cage, avec notamment le cycle remarquable des Sonates et Interludes (1946-1948), qui imitent des sonorités de certaines musiques orientales, notamment balinaises. Mais dès 1948, Pierre Henry utilise le piano préparé comme source sonore prédominante de structures musicales enregistrées dans ses oeuvres de musique concrète et électroacoustique (Bidule en « ut », 1950 ; Symphonie pour un homme seul, 1949-50, ces deux oeuvres avec Pierre Schaeffer ; plus tard le Concerto des ambiguïtés, 1950 ; le Microphone bien tempéré, 1950-51 ; la Reine verte, 1963 ; Dieu, 1977, etc.). Aujourd’hui, le piano préparé fait partie d’une certaine panoplie instrumentale moderne, mais rares sont encore les compositeurs qui l’utilisent en dehors du modèle cagien : citons parmi eux, Michèle Bokanovski, avec sa pièce Pour un pianiste (1974), pour piano préparé et bande magnétique, dédiée à Gérard Frémy, son inspirateur, un des rares virtuoses français à pratiquer cette technique. PIATIGORSKI (Gregor), violoncelliste américain d’origine russe (Ekaterinoslav 1903 - Los Angeles 1976). Il commence l’étude du violoncelle à sept ans et entre, deux ans plus tard, au conservatoire de Moscou, dans la classe d’A. von Glehn, et prend par ailleurs des leçons avec Brandukov. Membre du quatuor Lénine (1919) et violoncelle solo de l’Orchestre du Bolchoï, il quitte l’Union soviétique en 1921 pour Leipzig, où il étudie auprès de J. Klengel. Il est engagé, de 1924 à 1928, par Furtwängler comme violoncelle solo de l’Orchestre philharmonique de Berlin et se produit en duo avec A. Schnabel, en trio avec ce dernier et C. Flesch. Il joue également, à partir de 1930, avec ses compatriotes Horowitz et Milstein, surtout aux États-Unis, où il fait ses débuts de soliste en 1929 (avec l’Orchestre philharmonique de New York). Il met ses deux stradivarius (le Batta de 1714 et le Baudiot de 1725) au service de la musique de son temps, créant les concertos de M. Castelnuovo-Tedesco (1935, avec Toscanini), d’Hindemith (1941) et de Walton (1957), et des pages de Martinů, Milhaud, Prokofiev, Webern, etc. Il réalise, en collaboration avec Stravinski, la version pour violoncelle de la Suite italienne de Pulcinella (1934). À partir de 1949, il joue en trio avec Rubinstein et Heifetz, et organise avec celui-ci, en 1961 à Los Angeles, les concerts de musique de chambre HeifetzPiatigorski, auxquels participe également W. Primrose. Il se produit jusqu’en 1974 aux États-Unis et en Europe, sauf en France d’où il se tint éloigné vingt ans durant après avoir été éreinté par un critique du Figaro. Il enseigne au Curtis Institute de Philadelphie de 1941 à 1949, à l’université de Boston en 1957, et à partir de 1962 à l’université de Los Angeles (où est créée à son intention une chaire de musique en 1975). Son art, bâti sur une sonorité plantureuse, fait cohabiter la grandeur et l’élan. PICANDER (Christian Friedrich HENRICI, dit), poète et librettiste allemand (Stolpen, près de Dresde, 1700 - Leipzig 1764). Arrivé à Leipzig en 1720, il y publia, de décembre 1724 à décembre 1725, une série de poèmes d’inspiration religieuse intitulée Sammlung erbaulicher Gedanken, et devint à cette époque librettiste de Bach pour certaines de ses cantates. Cette collaboration devait durer près de vingt ans et concerner principalement les grandes oeuvres sacrées de Bach (Passion selon saint Matthieu, Passion selon saint Marc, probablement aussi Oratorio de Pâques et Oratorio de l’Ascension), ainsi que ses oeuvres de circonstance. Picander joua un rôle moins important pour les cantates d’église proprement dites de Bach, bien que son cycle de poèmes sacrés, Cantaten auf die Sonn und Fest-Tage (1728), ait de toute évidence été destiné au cantor. Il se fit également un nom comme auteur de poèmes satiriques. PICCINNI (Nicola), compositeur italien (Bari 1728 - Passy 1800). Élève à Naples de Leo et de Durante, il donna dans cette ville son premier opéra, Le Donne dispettose (1754). Suivirent, à Rome, Alessandro nell’Indie (1758), de style « seria » et sur un livret de Métastase, et en 1760 La Cecchina ossia La Buona figliuola, sur un livret d’après Goldoni et consacrant la naissance du genre « semiseria ». Une cinquantaine d’opéras, dont L’Olimpiade (1761) et La Molinarella (1766), furent ensuite écrits en une dizaine d’années. La popularité de Piccinni pâtit de l’étoile naissante d’Anfossi, et, à l’invitation de Marie-Antoinette, il accepta de venir à Paris, où il arriva en 1776 et où il fit notamment jouer Roland (1778), sur un livret de Marmontel. Gluck venait de donner son Armide, et bientôt se déclencha la fameuse Querelle des gluckistes et des piccinnistes, envenimée par les nombreux écrits des partisans respectifs des deux compositeurs, dont les relations personnelles restèrent toujours cordiales. Piccinni, qui représentait la musique italienne, se vit confier la direction d’une troupe transalpine. Deux ans après l’Iphigénie en Tauride de Gluck, il fit représenter son opéra du même nom (1781). On lui opposa alors un nouveau rival en la personne de Sacchini : ce dernier donna Chimène (1784), et Piccinni Didon (1783). Peu après, il prononça l’éloge de Sacchini devant sa tombe ouverte (1786), et, à la mort de Gluck (1787), il tenta en vain d’organiser à Paris des cérémonies commémoratives. Au début de la Révolution, Piccinni retourna à Naples, puis se réfugia à Venise, où il écrivit La Griselda (1793). Accueilli de nouveau par la France en 1798, il fut nommé peu avant sa mort inspecteur de l’enseignement du Conservatoire. Maître incontesté de l’opéra « semiseria », dont les innovations devaient également porter leurs fruits dans l’opéra-comique français, il prodigua aussi son talent dans sa musique sacrée et sa musique instrumentale. PICCOLO (ital. : « petit »). 1. Adjectif souvent employé en musique dans son sens original. Il a existé, par exemple, un « violon piccolo ». Substantivement, il désigne aujourd’hui la « petite flûte » traversière, qui sonne à l’octave supérieure de la grande, avec le même doigté. Il lui manque toutefois l’ut et l’ut dièse graves, qui manquaient d’ailleurs aussi à la grande flûte jusqu’à l’invention de la « patte d’ut » à la fin du XVIIIe siècle. Sa sonorité perçante, qui traverse aisédownloadModeText.vue.download 787 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 781 ment la masse de l’orchestre, a été amplement utilisée par les symphonistes. Mais le piccolo a été également traité en instrument soliste, notamment par Vivaldi. 2. À l’orgue, jeu le plus aigu, parfois aussi appelé sifflet. De la famille des principaux, il sonne à la triple octave de la fondamentale (vingt-deuxième, ou harmonique 8). Son tuyau le plus grave mesure 1 pied de haut, et le corps sonore du plus petit 7 mm seulement. Le piccolo est surtout utilisé dans le plenum, au même titre qu’un jeu de mixture. PICHL (Vaclav), compositeur et violoniste tchèque (Bechyne, près de Tabor, 1741 - Vienne 1805). Après des études en Bohême, il fut engagé par Dittersdorf comme violoniste à Grosswardein (1765-1769). En 1777, il partit pour l’Italie comme directeur de la musique de l’archiduc Ferdinand, gouverneur de la Lombardie et dont la résidence était Milan, et y resta jusqu’en 1796. L’archiduc ayant été cette année-là chassé de sa province par les Français, Pichl le suivit à Vienne, où il demeura à son service. Apprécié de Haydn, qui fit exécuter des quatuors de lui à Eszterháza, il écrivit des symphonies et des concertos ainsi que de la musique de chambre, en particulier pour violon. Dans ses dernières années, il se consacra beaucoup à la musique religieuse. PIÈCE À SAUVETAGE (all. rettungsoper). Terme apparu vers 1900 et désignant un type d’opéra courant à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, dans le contexte de la Révolution française : un personnage faussement accusé d’un crime, ou victime d’un coup du sort ou d’un tyran, est sauvé ou libéré au dernier moment, l’action pouvant soit correspondre à des faits réels, soit relever de l’utopie. L’exemple le plus abouti en est le Fidelio de Beethoven (1805, 1806 et 1814), mais on peut citer également Richard Coeur de Lion de Grétry (1784), Lodoiska (1791) et les Deux Journées (1800) de Cherubini, ou encore la Caverne de Le Sueur (1793). PIED. 1. Ancienne unité de longueur (324 mm) qui participe à l’identification des différents jeux de l’orgue et du clavecin. « Jeu de 8 pieds » (on écrit 8') signifie que le tuyau le plus grave de la série, donc le plus long, mesure environ 2,60 m. Les jeux s’échelonnent selon la progression géométrique 1, 2, 4, 8, 16 et 32, en sorte que chacun d’eux sonne à l’octave inférieure du précédent. En fait, cette classification ne correspond à la réalité qu’en ce qui concerne les tuyaux ouverts ; comme les tuyaux fermés sonnent une octave plus bas, le « 8' » de cette catégorie ne mesure que 1,30 m. Elle est encore plus arbitraire dans le cas du clavecin, qui ne comporte évidemment pas de cordes longues de plusieurs mètres ; c’est par analogie qu’on l’a appliquée aux jeux du clavecin, limitée toutefois à 4, 8 et 16 pieds. 2. Par ailleurs, on appelle « pied » le bas d’un tuyau d’orgue et celui d’une harpe, ainsi que le tuyau mélodique de la cabrette (par opposition aux bourdons à sons fixes). PIERLOT (Pierre), hautboïste français (Paris 1921). Formé au Conservatoire national supérieur de musique, il est membre fondateur du Quintette à vents français (1942) et de l’Ensemble baroque de Paris (1950), et remporte en 1949 le premier prix du Concours international de Genève, qui lui ouvre une brillante carrière de concertiste. Hautbois solo de l’Opéra-Comique, puis de l’Opéra jusqu’en 1981, Pierre Pierlot n’en participe pas moins à de nombreux concerts et enregistrements avec divers orchestres et ensembles de musique de chambre, notamment le Quintette à vents de Paris, où il a pour partenaires Jean-Pierre Rampal (flûte), Jacques Lancelot (clarinette), Gilbert Coursier (cor) et Paul Hongne (basson). Professeur au Conservatoire depuis 1969, il poursuit actuellement son activité de virtuose et de pédagogue, fait partie de plusieurs jurys internationaux, et enseigne aussi à l’Académie de Nice. La réputation de l’école française moderne de hautbois lui doit beaucoup. PIERNÉ (Gabriel), compositeur et chef d’orchestre français (Metz 1863 - Ploujean, Finistère, 1937). Dès l’âge de cinq ans, il étudie le solfège au conservatoire de Metz. En 1871, il entre au Conservatoire de Paris dans les classes de Lavignac (solfège), Marmontel (piano), Durand (harmonie), Franck (orgue) et Massenet (composition). Il obtient de nombreuses récompenses, en attendant le grand prix de Rome en 1882. Auparavant, il a écrit plusieurs oeuvres, dont la Sérénade pour piano, devenue célèbre. À Rome, il termine son premier opéracomique, le Chemin de l’amour, et une légende dramatique pour choeur et orchestre, les Elfes, dont un des numéros, « Je maudis ma puissance », entrera au répertoire de nombreuses chorales françaises. Il compose des mélodies, des choeurs, des pages instrumentales ou symphoniques (Fantaisie-ballet pour piano et orchestre, 1885), des scènes lyriques. En 1891, il écrit le Collier de saphir, pantomime de Catulle Mendès. Successeur de Franck aux orgues de Sainte-Clotilde (1890), il occupe ce poste jusqu’en 1898. Musicien aux abondantes trouvailles mélodiques, orchestrateur raffiné, Gabriel Pierné se fait apprécier pour ses musiques de scène (la Samaritaine, 1897), ses ouvrages lyriques ou dramatiques (la Coupe enchantée, 1895, création à Paris en 1905 ; Vendée, 1897). En 1905, les concerts Colonne présentent sa Croisade des enfants, oratorio utilisant à merveille les voix enfantines. Les Enfants à Bethléem (1907) et Saint François d’Assise (1912) expriment également sa foi lumineuse transmise par César Franck. En 1908, il écrit la musique de scène pour la pièce de P. Loti, Ramuntcho, créée au théâtre de l’Odéon. En 1910, il devient chef d’orchestre des concerts Colonne, en remplacement d’Édouard Colonne, qu’il secondait depuis 1903. Il met volontiers cette nouvelle activité au service de ses contemporains, et crée un grand nombre d’oeuvres nouvelles, parmi lesquelles les siennes figurent rarement. Mais il ne cesse pas d’écrire : en témoignent le ballet Cydalise et le Chèvrepied (1923), la comédie lyrique Sophie Arnould (1927), l’opérette Fragonard (1934), Trois Pièces en trio (1936). Dans ses oeuvres scéniques, Pierné reflète l’influence de son maître Massenet. Parallèlement à ses activités de chef d’orchestre et de compositeur, Pierné s’est penché sur l’enseignement musical en France. PIERRE (Francis), harpiste français (Amiens 1931). Il est l’élève de Lily Laskine au Conservatoire de Paris, puis de Pierre Jamet. Passionné par la musique contemporaine, il travaille notamment avec Pierre Boulez et Bruno Maderna, entre 1960 et 1970. En 1967, il est harpiste solo de l’Orchestre de Paris. En 1972, il fonde le Trio Debussy où s’adjoignent à la harpe un alto et une flûte. Il a créé notamment la Sonate de Milhaud, Circles, Sequenza II et Chemins I de Berio, Tranche de Betsy Jolas et des pièces de Bussotti. Il travaille aussi à l’Ensemble InterContemporain et, depuis 1985, enseigne au Conservatoire de Paris. PIERRE (Odile), organiste française (Pont-Audemer 1932). À l’âge de sept ans, elle entend un concert de Marcel Dupré à Rouen qui décide de sa vocation. Déjà organiste et chef de choeur en 1947 à Barentin, elle entre au Conservatoire de Paris. Elle y étudie l’orgue et l’improvisation avec Dupré, l’harmonie avec Duruflé, et la fugue. De 1969 à 1979, elle est titulaire des grandes orgues de la Madeleine à Paris. Elle poursuit une carrière de soliste, jouant dans les plus importants festivals. En récital, elle aime défendre l’école française en interprétant Alexandre Guilmant, Louis Vierne et Charles-Marie Widor. Après avoir enseidownloadModeText.vue.download 788 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 782 gné onze ans au Conservatoire de Rouen, elle est professeur au C.N.R. de Paris. Depuis 1991, elle donne des master-classes à Perugia, et elle a composé plusieurs pièces pour son instrument. PIFFARO (ou PIFFERO). Terme italien extrêmement vague qui désigne aussi bien une petite flûte sans clés qu’un petit instrument à anche, également dépourvu de clés. Dans la région des Abruzzes, les bergers se muaient en « pifferari » pour célébrer Noël. Le nom de « piffaro » est également donné à un jeu de l’orgue, proche de la « voix humaine », que caractérise une sorte de vibrato. PIJPER (Willem), compositeur néerlandais (Zeist 1894 - Leidschendam 1947). Élève de Johan Wagenaar à Utrecht, il lui dédia sa première oeuvre importante, le Quatuor à cordes no 1 (1914), assez influencé par Wagner et Brahms, mais utilisant déjà d’audacieuses superpositions polytonales. Dans le sillage de la musique française s’inscrivirent au contraire les Fêtes galantes pour mezzo-soprano et orchestre (1916), d’après Verlaine, et la Romance sans paroles pour soprano et orchestre (1918). L’influence de Mahler est sensible dans la Symphonie no 1 (1917), dédiée à Willem Mengelberg et d’une durée d’une quinzaine de minutes seulement. Celle de Debussy ne tarda pas à s’y superposer, et Pijper fut un des premiers, en Europe, à réaliser une harmonieuse synthèse de ces deux maîtres si dissemblables. Cette synthèse se manifesta nettement vers 1920, et tout d’abord dans plusieurs ouvrages de musique de chambre : Sonate pour violon no 1 (1919), Sonate pour violoncelle no 1 (1919), Septuor pour 5 instruments à vent, contrebasse et piano (1920), Quatuor à cordes no 2 (1920), Trio pour piano no 2 (1921). Dans ces partitions, Pijper développa également une technique très personnelle de croissance organique à partir d’une brève cellule mélodicoharmonique. Depuis 1918, il avait exercé diverses activités d’enseignement et de critique qui devaient aboutir à sa nomination comme professeur de composition au conservatoire d’Amsterdam (1925-1930), puis comme directeur de celui de Rotterdam (1930-1947). Il forma ainsi beaucoup de compositeurs de la génération suivante, parmi lesquels Henk Badings et Kees Van Baaren, et exerça par ses écrits (plus de six cents dont beaucoup réunis en volumes) une forte influence sur la vie musicale de son pays. En 1922 fut donnée, sous la direction de Mengelberg, la Symphonie no 2. Suivirent la Sonate pour violon no 2 (1922), le Sextuor pour 5 instruments à vent et piano (1923), le Quatuor à cordes no 3 (1923), la Sonate pour violoncelle no 2 (1924), la Sonate pour flûte (1925) et les Sonatines pour piano. En 1926 fut composée la Symphonie no 3, dédiée à Pierre Monteux, qui la créa la même année : oeuvre encore plus concentrée, écrite pour un orchestre moins nombreux, que les deux symphonies précédentes. Elle n’a qu’un seul mouvement, subdivisé en 5 courtes sections dont la dernière porte en exergue l’inscription, tirée de Virgile : Flectere si nequeo superos, Acheronta movebo (Si je ne puis fléchir les dieux, je mettrai en mouvement l’Achéron). En 1927, Monteux créa aussi le Concerto pour piano, en sept brefs mouvements. En 1928, pour le 40e anniversaire de l’Orchestre du Concertgebouw fut donnée une autre partition essentielle, les Six Épigrammes symphoniques, d’une concision évoquant Webern et portant cette fois en exergue une phrase du 2e acte d’Hamlet de Shakespeare : Since brevity is the soul of wit... I will be brief (La brièveté étant l’âme de l’esprit... je serai bref). Ensuite, Pijper se tourna de nouveau vers la musique de chambre : Trio pour flûte, clarinette et basson (1927), Qua- tuor à cordes no 4 (1928), Quintette à vents (1929), Sonate pour 2 pianos (1935). Il y eut également une musique de scène pour la Tempête de Shakespeare (1930), un concerto pour violoncelle (1936) et un pour violon (1939), les Six Adagios pour orchestre (1940), ainsi que deux opéras, Halewijn (1932-1934) et Merlijn (19391946). Le second de ces opéras et le Quatuor à cordes no 5 demeurèrent inachevés. Après la tension des années 1920-1933, la musique des dernières années de Pijper devint plus lyrique, plus apaisée. Excellent pédagogue, critique avisé, harmoniste raffiné, esprit intéressé à tout, ce calviniste rigoureux reste le plus grand compositeur néerlandais de la première moitié du XXe siècle. PILARCSYK (Helga), soprano allemande (Schöningen, près de Helmstedt, 1925). Elle a fait ses études à Brunswick et à Hambourg, et a été membre de la troupe de l’opéra de Hambourg de 1954 à 1957. Sa réputation lui est venue surtout de ses interprétations des oeuvres de Berg (Lulu, Wozzeck) et de Schönberg (Erwartung, Pierrot lunaire). Elle a enregistré Erwartung sous la direction de Hermann Scherchen et Pierrot lunaire sous celle de Pierre Boulez, et, en 1959, dans le cadre du Théâtre des nations, a été la première à interpréter à Paris le rôle de Lulu. PINCÉ ou BRISÉ. Ornement dont usaient les clavecinistes français, et qui consiste en un battement simple ou double au ton ou au demi-ton inférieur. Également employé pour les autres instruments et même pour le chant, c’est en fait une amorce de trille qui ne se distingue guère du « mordant » inférieur. PINCHERLE (Marc), musicologue et critique français (Constantine 1888 - Paris 1974). Élève de Romain Rolland et d’André Pirro, Marc Pincherle a consacré à partir de 1913, l’année de sa thèse en Sorbonne sur Vivaldi, l’essentiel de ses travaux à la musique instrumentale française et italienne des XVIIe et XVIIIe siècles. Ses ouvrages sur Jean-Marie Leclair et Corelli, son étude sur Vivaldi, à laquelle est joint un catalogue thématique resté inachevé, font autorité. Critique musical du Progrès de Lyon et des Nouvelles littéraires, président de la Société française de musicologie de 1948 à 1956, président de l’académie Charles-Cros depuis sa fondation en 1948, secrétaire général du Festival d’Aix-enProvence de 1950 à 1963, Marc Pincherle exerçait un rayonnement considérable. Ses ouvrages, dont l’argumentation s’appuie sur des faits concrets, hors de tout parti pris théorique, sont des modèles d’esprit critique, de liberté et d’indépendance. PINNOCK (Trevor), claveciniste et chef d’orchestre anglais (Canterbury 1946). Il est d’abord choriste à la cathédrale de Canterbury. Après des études d’orgue et de clavecin au Royal College of Music, il fonde en 1966 le Galliard Trio avec Stephen Preston et Anthony Pleth, avec qui il se produit jusqu’en 1972. Il commence alors une carrière très active de claveciniste. En 1973, il constitue l’English Concert, qui joue sur instruments anciens. Avec cet ensemble, il enregistre de nombreux disques, dont plusieurs ont été couronnés de grands prix. Il dirige aussi la Classical Band de New York et, à partir de 1991, l’orchestre du Centre national des arts d’Ottawa. Également curieux du répertoire de clavecin moderne, il interprète les oeuvres du XXe siècle (de M. de Falla à F. Martin). PINOŠ (Alois), compositeur tchèque (Vyskov 1925). Il a étudié la musique avec Vilem Blazek, puis au conservatoire de Brno avec Vilem Petrzelka et à l’académie Janáček avec Jaroslav Kvapil et Theodor Schäfer. En 1953, il a été nommé professeur de composition et d’orchestration à l’académie Janáček. Marqué au début par le chant populaire, et influencé par Janáček, Prokofiev, Bartók, il s’est ensuite tourné vers la musique sérielle, puis, dans les années 60, vers la musique électronique. En 1965, il a suivi un stage à Munich avec Mauricio Kagel. En 1967, il s’est associé avec Parsch, Ruzicka et Stedron pour la création d’oeuvres collectives. Parmi ses compositions, il faut citer, outre des chants sur des textes popudownloadModeText.vue.download 789 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 783 laires, des choeurs et des danses tchèques pour orchestre qui marquent sa première période, Caricatures pour flûte, clarinette basse et piano (1962), Conflits pour clarinette basse, violon, piano et percussion (1964), un concerto pour orchestre et bande magnétique, Gesta Macchabeorum pour choeur et instruments (1967-68), la symphonie Apollo I (1970), Composition pour 3 (flûte, clarinette et marimbaphone) [1975]. Il a écrit un ouvrage théorique, Tonovy skupine (« Groupes de notes »), publié à Prague en 1971. PINZA (Ezio), basse italienne (Rome 1892 - Stanford 1957). Il fit ses débuts en 1914 à Soncino dans Oroveso de Norma de Bellini, mais la guerre interrompit une carrière qu’il reprit en 1920 à Rome dans le roi Marke de Tristan et Isolde. De 1921 à 1924, il fut pensionnaire de la Scala de Milan, et créa Nerone de Boito sous la direction de Toscanini. En 1926, il s’installa aux ÉtatsUnis, et se partagea entre Verdi et Mozart au Metropolitan Opera de New York, où il chanta jusqu’en 1948. Ce qui ne l’empêcha pas de paraître dans les principaux théâtres d’Europe et au festival de Salzbourg, où Bruno Walter, puis Toscanini le choisirent pour interpréter Figaro et Don Giovanni. Son nom est resté attaché à ce dernier rôle, qu’il chanta plus de deux cents fois. En 1949, il aborda la « musical comedy » avec South Pacific. Sa voix de basse chantante était d’une grande qualité. Excellant dans les styles les plus différents, Pinza fut un des chanteurs les plus accomplis de son époque. Ses dons d’acteur et sa séduction physique contribuèrent à son succès. PIPEAU. À l’origine, petite flûte rustique, généralement confectionnée avec les moyens du bord par le paysan qui s’en servait, pour imiter le chant des oiseaux. Le terme désigne aujourd’hui les flûtes à bec de mauvaise qualité, vendues à bas prix au rayon des jouets. PIQUÉE (note). Plus brève et plus accentuée que la note simplement détachée, la note piquée se résume en quelque sorte à l’attaque du son et s’isole ainsi des notes voisines. On ne saurait mieux la comparer qu’à un coup sec frappé sur un instrument à percussion. PIQUEMAL (Michel), baryton et chef de choeur français (Paris 1947). Il appartient dans son enfance à la Maîtrise de Radio France, étudie le piano puis la direction auprès de J. Jouineau. Assistant de ce dernier à la direction de la Maîtrise de Radio France de 1968 à 1973, il commence à diriger son propre ensemble, la Chorale Vittoria d’Argenteuil, et fonde en 1978 l’Ensemble vocal Michel Piquemal, constitué de professionnels, avec qui il crée des oeuvres de Calmel, Casterède, Florentz, Landowski, Lendvay. De 1988 à 1994, il enseigne le chant choral au Conservatoire de Paris et, en 1987, il se voit confier la direction du Choeur régional Vittoria d’Île-de-France et du Choeur régional Provence-Alpes-Côte d’Azur. En tant que chanteur, il a reçu les conseils de Denise Duval et Pierre Bernac pour la mélodie française, de Suzanne Anders et Paul Schilawski pour le lied au Mozarteum de Salzbourg, et se produit régulièrement en soliste. PIRÈS (Maria-João), pianiste portuguaise (Lisbonne 1944). Dès la prime enfance, elle se produit en public. À l’âge de neuf ans, elle entre au Conservatoire de Lisbonne, où elle étudie jusqu’en 1960 auprès de Campos Coelho. Parallèlement, elle travaille la composition et l’histoire de la musique auprès de Francine Benoît. 1er Prix du Concours Elisa Pedro en 1958, 2e Prix au Concours des Jeunesses musicales de Berlin et 1er Prix du Concours Franz Liszt en 1960, elle se perfectionne auprès de Rosl Schmid à la Musikhochschule de Munich, puis auprès de Karl Engel à Hanovre. En 1970, elle remporte le 1er Prix du Concours Beethoven, organisé à Bruxelles pour le bicentenaire de la naissance du compositeur. Elle se produit rapidement dans l’Europe entière, particulièrement dans le répertoire mozartien. Après une interruption de quatre ans, elle réapparaît sur les grandes scènes, avec un répertoire plus large, comprenant les romantiques allemands, les français du début du XXe, et se produit fréquemment en compagnie de V. Mullova, M. Portal et surtout A. Dumay. PIRRO (André), musicologue français (Saint-Dizier 1869 - Paris 1943). Venu à Paris en 1889, il y étudie le droit à la Sorbonne et suit parallèlement des cours de musique, assistant, en particulier, aux cours d’orgue de César Franck, puis de Charles-Marie Widor au Conservatoire de Paris. Il est, à la même époque, organiste et maître de chapelle au collège Stanislas. Il participe en 1896 à la fondation de la Schola cantorum, où il enseigne l’histoire de la musique et l’orgue. Organiste à Saint-Jean-Baptiste de Belleville (19001904), il est professeur à l’École des hautes études jusqu’en 1914 et, en 1907, soutient sa thèse à la Sorbonne, l’Esthétique de J.-S. Bach (avec un complément, Descartes et la Musique). En 1912, il succède à Romain Rolland à la chaire d’histoire de la musique à la Sorbonne ; il y restera jusqu’à sa retraite en 1937, après avoir été nommé professeur titulaire en 1930. Venu à la musique par l’orgue, il consacre la plus grande partie de ses recherches aux organistes. Il écrit plusieurs notices biographiques pour les Archives des maîtres de l’orgue des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles de A. Guilmant (1897-1909), puis collabore par de nombreux articles à la Tribune de Saint-Gervais (études sur Titelouze, Schütz, Marchand, Roberday, F. Couperin, N. de Grigny). Dès 1895, il exprime son intérêt pour Bach avec un premier ouvrage, l’Orgue de Jean-Sébastien Bach, qui sera suivi en 1906 de J.-S. Bach et l’année suivante de sa thèse remarquable. S’étant penché, au cours de ses recherches, sur les prédécesseurs du musicien, il publie en 1913 Dietrich Buxtehude et la même année Schütz. Il écrit ensuite un certain nombre d’articles sur la musique du XVIIe siècle et collabore en particulier à l’encyclopédie de Lavignac avec la Musique en Allemagne pendant le XVIIe siècle et la première moitié du XVIIIe siècle, l’Art des organistes, la Musique religieuse allemande depuis les Psaumes de Schütz (1619) jusqu’à la mort de Bach (1750). Il publie les Clavecinistes : étude critique (1926), la Musique à Paris sous le règne de Charles VI, 1380-1422 (1930), Histoire de la musique de la fin du XIVe siècle à la fin du XVIe (1940). Il a, par ses méthodes de recherches très rigoureuses et ses publications très documentées, véritablement lancé la nouvelle école de musicologie française, qu’a contribué à développer intensivement son enseignement à la Sorbonne. On compte en effet, parmi ses élèves, d’éminents musicologues, parmi lesquels N. Bridgman, P. H. Lang, A. Machabey, M. Pincherle, D. Plamenac, Y. Rokseth, G. Thibault. PIRROTTA (Nino), musicologue italien (Palerme 1908). Après avoir fait ses débuts au conservatoire de Palerme, il part en 1927 pour Florence, où il étudie l’orgue, la composition et l’histoire de l’art. Professeur d’histoire de la musique au conservatoire de Palerrne (1936-1948), il dirige alors la bibliothèque musicale Sainte-Cécile de Rome jusqu’en 1956 et, en 1951, est l’un des cofondateurs de l’Association internationale des bibliothèques musicales (dont il est vice-président jusqu’en 1955). Après une série de cours dans les universités américaines (Princeton, UCLA, Columbia), il est professeur à Harvard de 1956 à 1972, puis rentre en Italie pour enseigner l’histoire de la musique à l’université de Rome. La plupart de ses recherches et publications portent sur le XIVe siècle et l’Ars nova italienne. En 1935, il écrit en collaboration avec E. Li Gotti, Il Sacchetti e la tecnica musicale del trecento italiano, puis se penche avec le même chercheur sur le codex de Lucca. Il étudie également la caccia et le madrigal du trecento, commence à éditer downloadModeText.vue.download 790 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 784 en 1954 The Music of Fourteenth-Century Italy et publie une série d’articles sur le même sujet : Cronologia e denomiziane dell’Ars nova italiana (l’Ars nova : Wegimont II, 1955), Marchettus da Padua and the Italian Ars nova (MD IX, 1955), l’Ars nova italienne (in Histoire de la musique de Roland-Manuel, 1960), Ars nova e stil novo (RIM I, 1966). Il consacre aussi une grande partie de ses études à l’origine et aux débuts de l’opéra : Tragédie et comédie dans la Camerata Fiorentina (in Musique et Poésie au XVIe siècle, 1953), Temperaments and Tendencies in the Florentine Camerata (MQ XL, 1954), Early Opera and Aria (New Looks at Italian Opera : Essays in Honor of Donald J. Grout, 1968), Musica tra Medioevo et Rinascimento (1984), et s’intéresse plus particulièrement à Cesti, Monteverdi et Stradella. Son examen de sources souvent inconnues a grandement contribué au renouveau des connaissances sur la musique en Italie aux XIVe et XVe siècles et il a, par sa culture littéraire et artistique, donné une nouvelle vision de la naissance de l’opéra. PISARONI (Benedetta), soprano puis contralto italienne (Piacenza 1793 - id. 1872). Elle fit ses débuts en 1811 à Bergame dans La Rosa bianca e la rosa rossa de Giovanni Simon Mayr, chanta au Cimarosa et du Rossini à Padoue (1814), et parut à Bologne (1815) ainsi qu’à Venise (1816). En 1818-19, elle créa à Naples trois opéras de Rossini. On l’entendit à Paris en 1827 et à Londres en 1829. Elle se retira de la scène peu après son apparition à la Scala de Milan (1831). En début de carrière, l’étendue de sa voix lui permit d’exceller dans des rôles nobles et tragiques. Une maladie contractée en 1813 lui fit perdre son registre aigu, et elle devint la première contralto italienne. PISENDEL (Johann Georg), compositeur et violoniste allemand (Cadolzburg 1687 - Dresde 1755). D’abord choriste à Ansbach, il rencontra Bach à Weimar en 1709 en se rendant à Leipzig, et en 1712 devint violoniste à la cour de Dresde, où il fut nommé Konzertmeister en 1730. En 1716-17, il étudia à Venise avec Vivaldi, dont il fut un des premiers à « importer » le style en Allemagne. Auteur notamment de concertos, considéré comme le premier violoniste allemand de son temps, il compta parmi ses élèves J.G. Graun. PISTE MAGNÉTIQUE. Zone longitudinale explorée pour l’enregistrement et la lecture des sons sur une bande magnétique de magnétophone. Elle n’a pas d’existence physique par elle-même, mais est déterminée par la largeur de l’entrefer des têtes magnétiques qui y inscrivent un champ magnétique pour l’enregistrement, ou l’explorent pour la lecture : c’est une trace, une empreinte sur un support sensible et non pas un guide, une sorte de rail matérialisé. La stéréophonie (à deux canaux d’information) oblige à explorer deux pistes magnétiques simultanément, pour l’inscription des informations émanant des canaux de gauche et de droite. Sur les magnétophones à bobines traditionnels (bande d’un quart de pouce, ou 6,25 mm de largeur), on utilise généralement soit deux pistes (enregistrement en stéréophonie sur toute la largeur de la bande), soit quatre pistes (enregistrement stéréophonique sur la moitié de la largeur de la bande, et sur l’autre moitié par retournement de la bobine). Sur les magnétophones à cassette (bande de 3,81 mm de largeur), on utilise quatre pistes ; celles-ci ne mesurent que 0,6 mm de largeur, et sont séparées entre elles par des espaces de 0,3 mm, pour éviter tout risque d’interférence d’une piste à l’autre. Plus les pistes sont larges, et plus le niveau sonore susceptible d’y être enregistré est élevé, ce qui indique les limitations de la réduction de leur largeur. Sur les magnétophones destinés à l’enregistrement professionnel (bandes dites de 1/2 pouce, 1 pouce ou 2 pouces, c’est-à-dire respectivement 12,7, 25,4 ou 50,8 mm de largeur), on inscrit quatre, huit, seize ou même vingt-quatre pistes explorées simultanément, de façon à pouvoir enregistrer séparément les informations émanant des divers microphones utilisés pour la prise de son et à mélanger ces signaux, à volonté, après leur enregistrement et non pas avant. Cette technique, dite « multipiste », permet également de procéder à l’enregistrement en plusieurs étapes, par parties ou groupes instrumentaux séparés, et de reconstituer ultérieurement le morceau musical en son ensemble. Lorsque le son est enregistré sur un magnétoscope, destiné principalement à l’enregistrement des images, les pistes ne sont pas longitudinales, mais transversales, l’exploration de la bande se faisant par des têtes animées d’un mouvement hélicoïdal. PISTON. Les « cuivres » simples souffrent d’un défaut qui les rend impropres à l’exécution d’une mélodie normale : ils ne peuvent émettre que quelques harmoniques naturels du son fondamental (cinq notes seulement dans le cas du clairon moderne, inégalement réparties sur une octave et une quinte). Différentes solutions ont été expérimentées au cours des siècles pour remédier au moins partiellement à cet inconvénient. La plus logique - celle de la coulisse qui modifie de façon continue la longueur du tube - n’a pu s’appliquer qu’au trombone. Le système de trous et de clés emprunté aux « bois » n’a donné de résultats à peu près satisfaisants qu’en ce qui concerne le serpent et l’ophicléide, instruments bâtards qui ont d’ailleurs disparu. La pratique des « sons bouchés », adoptée à la fin du XVIIIe siècle, est limitée au cor d’harmonie. Quant à l’usage des « tons » de rechange - tubes de différentes longueurs intercalés entre l’embouchure et l’instrument -, il changeait la tonalité de celui-ci sans pour autant permettre de moduler au cours d’une phrase. Le problème n’a été résolu qu’à partir de 1813 grâce à l’invention du facteur silésien Blühmel, perfectionnée dès l’année suivante par H. Stölzel. En voici le principe : sur le tube principal sont soudés un certain nombre de pistons à ressort dont chacun, quand on l’enfonce, ouvre un circuit supplémentaire de longueur appropriée. Le cor, la trompette, le cornet à pistons, le trombone à pistons (tombé en désuétude) et la plupart des saxhorns sont munis de trois pistons. Le premier abaisse la tonalité d’un ton, le deuxième d’un demi-ton et le troisième d’un ton et demi, d’où six combinaisons couvrant toute la gamme chromatique à partir des harmoniques naturels. La petite trompette en si bémol aigu, ainsi que les saxhorns basse et contrebasse, sont munis d’un quatrième piston transpositeur. Mais il existe aussi des instruments à cinq ou même six pistons, comme certains tubas et le trombone spécial, moins encombrant que le modèle à coulisse, qui fut construit à l’usage des fanfares de scène. L’invention des pistons a joué un rôle déterminant dans le formidable essor des cuivres à l’époque romantique. Non seulement elle a fait du cor ou de la trompette des instruments solistes à part entière, mais elle a donné naissance à la grande famille des saxhorns. Notons enfin que le mot « piston », employé au singulier, désigne communément le cornet à pistons, qui fut au XIXe siècle l’instrument populaire par excellence. PISTON (Walter), compositeur américain (Rockland, 1894 - Belmont, Massachusetts, 1976). Élève de l’université Harvard et, à Paris, de Nadia Boulanger, il écrivit dès son retour aux États-Unis, en 1926, quelques oeuvres dans lesquelles sa curiosité des techniques modernes (contrepoint dissonant et dodécaphonisme) se mêla à des tentatives d’assimilation du jazz comme l’une des forces vives de l’expression de son temps. Mais, dès 1938, avec son ballet The Incredible Flutist, il affirma une position néoclassique et conservatrice tendant vers la simplicité, la clarté des thèmes et le style direct. Puis, toujours sous le signe de la sobriété et de la discrétion, un lyrisme plus chaud et plus coloré inspira une troisième manière, et ce dès la 2e symphonie downloadModeText.vue.download 791 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 785 (1943). Élégante synthèse de tout ce que la musique cosmopolite des années 20 et 30 pouvait offrir comme moyens d’expression, son oeuvre rachète par la grâce de son écriture mélodique ce qu’une telle position pouvait avoir d’académique et d’impersonnel. Professeur à l’université Harvard (1926-1959), il fut, par son culte de la musique pure, le « Brahms américain » de sa génération. On lui doit notamment 8 symphonies (1937-1965), des concertos (piano, violon, alto, clarinette), des variations pour violoncelle et orchestre (1966), 5 quatuors à cordes (1933-1962), 2 quintettes, 1 trio, 1 sextuor, ainsi que des traités de contrepoint, d’harmonie et d’analyse. PITZ (Wilhelm), chef de choeur allemand (Breinig 1897 - Aix-la-Chapelle 1973). Il étudia le piano, la théorie (avec Fr. Busch) et le violon à Aix-la-Chapelle, où il fut ensuite premier violon dans l’orchestre symphonique (1913-1933), maître de chapelle (à partir de 1933) et chef de choeur. À partir de 1949, il dirigea la Société chorale de Cologne ; à partir de 1957, le choeur de l’orchestre New Philharmonia de Londres, et, de 1951 à 1971, le choeur du Festival de Bayreuth. À tous ces titres, il joua pendant plus de vingt ans un rôle de premier plan dans la vie musicale internationale. PIUTTOSTO. Italien pour « plutôt », en général employé dans les indications de tempo sous la forme « più tosto ». Le deuxième mouvement du quatuor à cordes en ré mineur opus 76 no 2 (les Quintes) de Haydn (1797) est par exemple indiqué « Andante o più tosto allegretto » (Andante ou plutôt allegretto), et la partie rapide du premier mouvement de la sonate en sol mineur pour violoncelle et piano opus 5 no 2 de Beethoven (1796) « Allegro molto più tosto presto » (Allegro molto, plutôt presto). PIZZETTI (Ildebrando), compositeur italien (Parme 1880 - Rome 1968). Issu d’une famille de musiciens, marqué par l’enseignement de Giovanni Tebaldini, attaché au chant grégorien et à la polyphonie médiévale, il remporta ses premiers succès de compositeur à dix-huit ans, mais fut surtout révélé par sa musique de scène pour La Nave, de D’Annunzio (1908), pour qui il composa encore Fedra (1912, créée en 1915). Professeur, puis directeur du conservatoire de Florence, il fut nommé directeur du conservatoire G.-Verdi de Milan en 1924, puis enseigna la composition à Rome de 1946 à 1958, année où il donna également Meurtre dans la cathédrale. Il a déployé, sa vie durant, une vaste activité de critique, de chef d’orchestre et de musicologue, éditant notamment les madrigaux de Gesualdo. Cadet de Respighi, il constitua, avec Malipiero et Casella, cette « triade des années 1880 » qui oeuvra pour la renaissance d’une musique nationale qui tournât le dos au vérisme et au romantisme. Pizzetti apparaît plus orienté vers le théâtre que ses deux condisciples, mais on trouve également dans son importante production instrumentale et dans sa musique de chambre un refus du chromatisme germanique et une adhésion à un diatonisme ou un modalisme trahissant des préoccupations semblables à celles de ses contemporains Bartók, de Falla, et même Debussy (concertos avec piano, harpe, violoncelle, violon). Au théâtre, il écrivit lui-même ses poèmes, et usa d’un lyrisme dépouillé se combinant avec une orchestration de dérivation vériste. Outre son éloquente Fedra et Meurtre dans la cathédrale, on peut retenir Debora a Jaele (Milan, 1922), Fra Gherardo (id., 1928), Orsoleo (Florence, 1935), La Figlia di Jorio, d’après D’Annunzio (1954), Il Calzare d’argento (1961) et Clitennestra (1965) ; parmi ses musiques de scène, outre La Nave, mentionnons La Pisanella (D’Annunzio, Paris, 1913), la Représentation sacrée d’Abraham et Isaac (1917), Agamemnon (1930), les Trachiniennes (1933), OEdipe à Colone (1936) et Il Campiello (1957). PIZZICATO. Dans les instruments à cordes frottées, technique consistant à pincer la corde avec le doigt au lieu de la frotter avec l’archet. On peut le faire de la main droite, de la main gauche, en notes simples ou en accords, mêlé à des notes coll’arco, seul ou comme accompagnement à un chant coll’arco. PLAIN-CHANT. Terme employé dès le Moyen Âge (contrairement à grégorien qui est d’introduction récente) pour opposer le chant ecclésiastique monodique, dont les notes sont de durée égale (planus cantus), au chant dit mesuré (cantus mensuratus) soumis à la mesure en valeurs différenciées et incluant la polyphonie. En préconisant le terme « chant grégorien » pour le plain-chant restauré selon sa méthode, l’école de Solesmes a quelque peu limité l’acception du mot plain-chant à la forme qu’il revêtait avant sa propre réforme, notamment depuis la réforme médicéenne qui avait suivi le concile de Trente à la fin du XVIe siècle. Paradoxalement, on appelle plain-chant mesuré une forme de plain-chant issue des séquences mesurées des XIIe-XIIIe siècles, et qui, sans pratiquer une mesure régulière battue, introduit par allongement de certaines notes une notion de longues et de brèves qui, dans certaines pièces (séquences), peut aller jusqu’à provoquer un rythme approximativement ternaire. Plusieurs écoles mensuralistes avaient, au XIXe siècle, préconisé un plain-chant mesuré selon le solfège usuel ; aucune d’elles n’a survécu. Dans la pédagogie du contrepoint traditionnel, on emploie parfois le terme plain-chant, même s’il n’appartient pas au répertoire de celui-ci, pour désigner le « chant donné » en valeurs longues égales sur lequel l’élève doit rédiger les autres parties selon des règles conventionnelles fixées à l’avance. PLANÇON (Pol), basse française (Fumay, Ardennes, 1854 - Paris 1914). Il étudia à Paris avec Duprez, et fit ses débuts à Lyon dans Saint-Bris des Huguenots de Meyerbeer en 1877. Engagé à l’Opéra de Paris, il y chanta régulièrement pendant dix ans. Après quoi, le Metropolitan Opera de New York se l’attacha à prix d’or. Également à l’aise dans les répertoires français, allemand et italien, Plançon fut un des plus grands chanteurs du XIXe et du XXe siècle. Son timbre de basse était puissant et d’une grande beauté. Son étendue vocale lui permettait d’aborder avec autant de bonheur les emplois de basse chantante et ceux de basse profonde. Sa diction possédait une grande noblesse et son phrasé était exemplaire. L’émission toujours naturelle de Plançon reposait sur une virtuosité technique qui lui permettait de vocaliser avec la plus extrême agilité (il possédait un « trille » célèbre). Ses dons d’acteur n’étaient pas moins admirés que ses dons de musicien, et il brilla dans le rôle de Méphisto. PLANCTUS (planh, plainte, complainte). Poème de lamentation chanté du Moyen Âge, qui se développe en Europe du IXe au XIIe siècle environ. Écrit tantôt en latin, tantôt en langue vernaculaire, et de forme proche de la séquence, il semble avoir été tout d’abord profane. Le genre le plus répandu est la lamentation sur la mort d’un personnage important, dont fait partie l’un des plus anciens plancti conservés, A solis ortus usque ad occitua, sur la mort de Charlemagne (814). Le planh des troubadours, sorte de sirventès, appartient à ce type, le plus célèbre étant certainement la lamentation sur la mort de Richard Coeur de Lion de Gaucelm Faidit (Fortz chausa es que tot lo major dan). Ce genre est sans doute à l’origine des déplorations des XIVe et XVe siècles. Le planctus de thème biblique se développe surtout à partir du XIIe siècle, avec en particulier les six plancti de Pierre Abélard. C’est à cette époque qu’apparaît le Planctus beatae Virginis Mariae, dont les exemples sont nombreux aux XIIe et XIIIe siècles. Bien que non liturgique, il était sans doute néanmoins downloadModeText.vue.download 792 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 786 exécuté à l’église et a joué un rôle important dans le drame liturgique. PLANÈS (Alain), pianiste français (Lyon 1948). Au Conservatoire de Paris, il est l’élève de Jacques Février et obtient ses prix de piano et de musique de chambre. Invité par Menahem Pressler, le pianiste du Beaux-Arts Trio, il devient son assistant à l’Université d’Indiana et reçoit les conseils de G. Sebok et de F. Gulli. En 1977, il entre à l’Ensemble InterContemporain, où il reste jusqu’en 1994. Également intéressé par les oeuvres du répertoire (français, en particulier), par Haydn et par la création contemporaine, il s’illustre dans la musique de Debussy, crée les oeuvres de plusieurs compositeurs d’aujourd’hui et se produit aux côtés de Janos Starker, Alain Meunier, Lluis Claret, S. Accardo, etc. PLANQUETTE (Robert), compositeur français (Paris 1848 - id. 1903). D’une famille de musiciens - sa mère chantait à l’Opéra -, il entra au Conservatoire de Paris où il obtint les prix de solfège et de piano et travailla l’harmonie avec Duprato. Il débuta comme pianiste dans les cafés-concerts. Ses premières compositions ont été des transcriptions pour piano, des chansons, des marches et des chants militaires. Il est l’auteur du Régiment de Sambre et Meuse devenu célèbre. Le succès dans le domaine de l’opérette lui est venu soudainement avec les Cloches de Corneville, représenté au théâtre des Folies-Françaises le 19 avril 1877, et qui connut une vogue exceptionnelle. Planquette, qui partageait son activité entre Paris et Londres, produisit par la suite une vingtaine d’autres ouvrages qui n’eurent cependant jamais la même notoriété, même si certains ont survécu jusqu’à nos jours : Rip Van Winckle (1882) et Surcouf (1887), tous deux représentés à Londres. Parmi les oeuvres de ses dernières années, un titre est à retenir : Mam’zelle Quat’ Sous (1897). PLANTÉ (Francis), pianiste français (Orthez 1839 - Saint-Avit 1934). Enfant prodige, il entre au Conservatoire de Paris où il est l’élève de Marmontel et obtient un 1er Prix de piano en 1850. Après un brillant début de carrière, où il joue en soliste et en trio, il interrompt son activité publique pendant dix ans, et ne recommence à donner des concerts qu’en 1872. Au long des trente années suivantes, il s’impose dans les oeuvres de grande virtuosité, mais aussi dans le répertoire mozartien. Artiste d’une personnalité éclatante, il est le maître de nombreux pianistes (malgré une nouvelle retraite de 1900 à 1915). PLAQUÉ. Se dit, dans le domaine des instruments à clavier, d’un accord dont toutes les notes se font entendre simultanément, et non successivement comme dans le cas des accords arpégés. PLASSON (Michel), chef d’orchestre français (Paris 1933). Il étudie d’abord le piano avec LazareLévy, puis la percussion au Conservatoire de Paris où il obtient un 1er Prix. Lauréat du Concours de Besançon en 1962, il poursuit ses études de direction aux ÉtatsUnis auprès de Monteux, Leinsdorf et Stokowski. De retour en France, il est nommé directeur de la musique au Théâtre de Metz et, à partir de 1968, chef permanent au Capitole de Toulouse, dont il devient le directeur musical, puis le directeur artistique en 1973. En 1974, sur son initiative, la Halle aux Grains de Toulouse est transformée en salle de concerts où se donne désormais la saison symphonique de l’Orchestre du Capitole. À la tête de cet orchestre, il a interprété bien sûr les grands opéras du répertoire, mais aussi plusieurs oeuvres en création. Attaché à promouvoir la musique symphonique et lyrique française, il contribue à la redécouverte d’oeuvres de Magnard, et enregistre de nombreux disques consacrés aux compositeurs français des XIXe et XXe siècles. Il a été nommé en 1994 directeur musical de la Philharmonie de Dresde. PLATON, philosophe grec (Athènes 429 - id. >347 av. J.-C.). Il est resté célèbre chez les musiciens pour avoir professé une certaine conception éthique de la musique, notamment dans ses deux ouvrages « utopiques », la République et les Lois, où il édicte les règles auxquelles la musique doit se plier pour contribuer à maintenir l’ordre et la vertu dans la Cité. Une telle conception de la musique était courante à l’époque, et il s’agissait chez Platon des spéculations d’un homme sans pouvoir, qui parlait en défenseur de vieilles valeurs tombant en désuétude. Si Platon entend mettre de l’ordre dans la musique, c’est qu’il lui attribue une haute mission éducative et morale, presque à égalité avec la philosophie, avec laquelle il la compare souvent (la philosophie, dit-il dans le Phédon, est la plus grande des musiques). De son temps, elle est une des disciplines auxquelles sont formés les « hommes de bien », et à ce titre elle intéresse les pédagogues. La musique, dit Platon, doit être inspirée par la droiture (« orthotès ») et la simplicité, et pour cela on proscrira de la Cité l’usage des « modes » musicaux qui n’incitent pas à la vertu pour ne conserver finalement que les modes dorien et phrygien (cela en référence à la théorie de l’« ethos », qui attribuait à chaque mode, ou « harmonie », un effet spécifique sur les ) ; la bonne musique doit être une « imitation » (« mimesis ») des mouvements et des accents de l’homme de bien ; elle doit accompagner un chant et un texte, car la musique purement instrumentale n’est qu’un divertissement émollient. Dans la République, Platon propose de bannir de la Cité idéale les joueurs d’aulos (instrument du satyre Marsyas, jugé orgiaque et dionysiaque), au profit de la cithare, de la lyre, instrument d’Apollon, et de la flûte accompagnant le chant (mais les « aulètes » sont admis à nouveau dans l’autre utopie de Platon, les Lois, ouvrage de vieillesse). Enfin, la simplicité est requise dans l’accompagnement du chant à l’unisson (pas trop d’ornementation et d’hétérophonie). On tiendra compte de la différence des sexes pour concevoir une musique « qui a de la grandeur et entraîne au courage » (pour les hommes), et « qui entraîne à la modestie et à la sagesse » (pour les femmes). Les concours musicaux seront jugés sous la présidence d’hommes âgés et avisés. Ainsi la musique, traitée en « affaire d’État », peut-elle, selon Platon, restaurer l’ordre et l’entente chez l’homme, ce qui est sa vocation primitive (Timée, dialogue faisant état des théories pythagoriciennes du nombre), et honorer les divinités. Platon n’était certes pas le seul, de son temps, à identifier le point de vue esthétique et le point de vue moral : le préfixe « eu », dans les notions d’ « eurythmia » (eurythmie) et « euharmonia » (euphonie), signifie à la fois « bien » et « bon », convenable. On est fondé à croire que quand Platon spéculait ainsi sur une musique idéale, c’était dans une période d’abandon des modes traditionnels et de développement de la musique de divertissement, et peut-être de contamination de la musique grecque par des influences orientales. Pour lui, comme pour un Bach, la musique a un sens religieux profond, elle s’identifie notamment au chant (Timée, Philèbe), et donc elle est liée à un certain contenu qui ne peut être « neutre » moralement. Les idées platoniciennes, notamment sur l’« ethos » des modes, ont influencé certains Pères de l’Église. La conception de la musique comme « mimesis » (imitation) des mouvements de l’âme a été reprise par Zarlino et Monteverdi. Le XVIe siècle italien, féru d’Antiquité, a cherché souvent à appliquer les théories platoniciennes en reconstituant tant bien que mal les modes et les rythmes anciens. Le mythe de l’« harmonie des sphères » a nourri l’imaginaire de la musique occidentale jusqu’à nos jours. Même un compositeur contemporain, sincèrement démocrate, mais utopiste, comme Yannis Xenakis, avoue la profonde impression faite sur lui par les thèses de Platon. Il est vrai que celles-ci représentent, dans la downloadModeText.vue.download 793 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 787 culture occidentale, une des rares visions de la musique qui aient une certaine ampleur morale et mythique. Platon a d’ailleurs repris et synthétisé des théories et des idées qui avaient cours de son temps : aussi bien la théorie pythagoricienne de la musique que les thèses d’un certain Damon, dont s’inspireraient largement les spéculations de la République. Aujourd’hui, les écrits de Platon restent une mine d’idées et de renseignements sur la musique dans la Grèce antique, tout en continuant de propager une conception utopiste de la musique, qui n’a pas perdu son pouvoir de faire rêver. PLATTI (Giovanni Benedetto), compositeur italien (Venise v. 1700 -Würzburg 1763). On ne connaît rien sur le début de sa vie ni sur sa formation. En 1722, il est présent à la cour de Würzburg, où il était sans doute venu avec un groupe de musiciens vénitiens, et y travaille jusqu’en 1761 au moins. Engagé en qualité d’hautboïste, il fait également office de professeur de chant, ténor de chambre et violoniste, et, à l’occasion, de violoncelliste et claveciniste. Il a composé de la musique sacrée (six messes, Requiem, Stabat Mater), un opéra et quelques pièces vocales profanes, mais s’est surtout consacré à la musique instrumentale : deux recueils de six sonates pour clavecin op. 1 et 4 (1742 et 1745), six concertos pour clavecin et cordes op. 2 (1742), six sonates pour flûte avec violoncelle op. 3 (1743), ainsi qu’un certain nombre de sonates et pièces inédites pour clavecin, hautbois, violon et violoncelle. Bien que ses oeuvres (surtout les premières) se rattachent encore, d’une certaine façon, à l’époque baroque par leur usage de divers procédés polyphoniques (en particulier celui du fugato), ses dernières sonates, dont la recherche mélodique est évidente et où se fait sentir l’influence de C. Ph. E. Bach, permettent de le considérer comme un compositeur préclassique. PLÉ-CAUSSADE (Simone), femme compositeur française (Paris 1897 - id. 1986). Après de brillantes études au Conservatoire de Paris avec Alfred Cortot, Henri Dallier et Georges Caussade, elle prend en 1928 la succession de son mari Georges Caussade à la tête de la classe de fugue. Elle a composé de la musique sacrée, des mélodies, des pièces pour orgue, de la musique de chambre (sonate pour violon et piano, quatuor) et deux recueils de pièces de piano pour enfants. Parmi ses élèves, Gilbert Amy et Betsy Jolas. PLECTRE. Petit morceau de matière variable (écaille, bois, ivoire, métal, plastique) servant à pincer les cordes sur quelques instruments comme la cithare, la mandoline et certaines guitares. Se nomme également parfois « média- tor ». PLEIN-JEU. Jeu de mixture de l’orgue, qui consiste en la réunion de la cymbale et de la fourniture. L’exécutant compose lui-même le plein-jeu en appelant ces deux registres, ou un registre spécial portant ce nom. Le plein-jeu compte 3 à 10 tuyaux aigus par note. Le terme de plein-jeu désigne également l’ensemble des jeux de fond et de mixtures d’un orgue, terme auquel on préfère aujourd’hui celui, moins équivoque, de plenum. Par extension, les organistes français des XVIIe et XVIIIe siècles ont appelé plein-jeu des pièces mettant en oeuvre le plenum de l’instrument ; un « grand plein-jeu » en accords, au clavier de grand orgue, s’y opposait généralement à un « petit plein-jeu », plus léger et plus rapide, au clavier de positif. PLENUM. Terme employé par les organistes pour désigner une registration particulière, qui fait sonner l’ensemble des jeux de fond du type principal (montres, principaux, prestant, doublette) et du type bourdon, de toutes hauteurs, avec les jeux de mixtures. Plenum se dit pour « organum plenum », l’orgue en son plein ; on parle aussi, en italien, de « pleno » (pour « organo pleno ») ou de ripieno. PLEYEL, famille de musiciens français d’origine autrichienne. Ignaz, compositeur, éditeur et facteur de pianos (Ruppersthal, Basse-Autriche, 1757 - Paris 1831). D’abord élève de Vanhal, il fut envoyé par son protecteur, le comte Ladislas Erdödy, auprès de Haydn à Eszterháza, et y resta sans doute de 1772 à 1777. Il fut ensuite maître de chapelle du comte Erdödy, puis voyagea en Italie, en particulier à Naples, où fut représenté en 1785 son opéra Ifigenia in Aulide. En 1783 ou 1784, il devint assistant de Franz Xaver Richter à la cathédrale de Strasbourg, lui succédant comme maître de chapelle en 1789. De décembre 1791 à mai 1792, il séjourna à Londres, appelé par le Professional Concert pour concurrencer son ancien maître Haydn. Les relations des deux compositeurs restèrent néanmoins très cordiales. De retour en Alsace, il échappa de peu à la guillotine, et, en 1795, il s’installa à Paris, où il fonda une maison d’édition qui devait poursuivre ses activités jusqu’en 1834, et en 1807 une fabrique de pianos qui devait fusionner en 1961 avec Gaveau-Érard, l’ensemble devant être racheté en 1976 par Schimmel, de Brunswick. Comme éditeur, Pleyel publia en 1801 la première collection complète des quatuors de Haydn, et en 1802 les premières partitions de poche, inaugurées avec quatre symphonies de Haydn. Comme compositeur, il écrivit assez peu de musique vocale (Die Fee Urgele, Eszterháza, 1776), et cultiva essentiellement le domaine instrumental (symphonies, concertos, symphonies concertantes, oeuvres de musique de chambre du duo au septuor). Sa production en ce domaine, extrêmement abondante, fit l’objet de multiples arrangements, et il fut, en son temps, le compositeur le plus édité. Ses symphonies et quatuors le firent souvent comparer à Haydn, dont il fut l’élève le plus célèbre, et Mozart, après avoir pris connaissance du deuxième opus paru de Pleyel, Sei quartetti composti e dedicati al celeberrimo e stimatissimo fu suo Maestro il Signor Gius. Haydn in segno di perpetuo gratitudine, alla jusqu’à écrire : « Il serait bon et heureux pour la musique que Pleyel puisse être en mesure, avec le temps, de nous remplacer Haydn » (24 avril 1784). L’apogée de la carrière créatrice de Pleyel correspondit aux années de Strasbourg, ce dont témoigne notamment un contrat avantageux qu’il signa le 20 décembre 1786 avec l’éditeur parisien Imbault. À noter que deux de ses trios furent longtemps attribués à Haydn (Hob. XV. 3 et 4). Un catalogue thématique de ses oeuvres a été dressé par Rita Benton (New York, 1977). Camille, compositeur, pianiste et homme d’affaires (Strasbourg 1788 - Paris 1855). Fils du précédent, il l’accompagna à Vienne en 1805 et devint son associé en 1815. Plus tard, il se lia d’amitié avec Chopin. Marie, née Moke, pianiste, pédagogue et compositrice (Paris 1811 - Saint-Josseten-Noode, près de Bruxelles, 1875). Elle épousa Camille Pleyel après avoir été fian- cée à Berlioz, mais s’en sépara au bout de quatre ans (1835). PLUDERMACHER (Georges), pianiste français (Paris 1944). Entré à onze ans au Conservatoire de Paris, il y étudie auprès de Lucette Descaves, Jacques Février, Geneviève Joy et Henriette Puig-Roget. Lauréat des Concours Vianna da Motta de Lisbonne en 1968 et de Leeds en 1969, il remporte le 1er Prix du Concours Géza Anda de Zurich en 1979. Son répertoire est vaste et sa curiosité musicale toujours en éveil ; il défend la musique de son temps en créant de nombreuses oeuvres contemporaines et en participant à la publication d’articles sur des compositeurs d’aujourd’hui. En musique de chambre, il se produit notamment aux côtés de Nathan Milstein et downloadModeText.vue.download 794 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 788 Christian Ferras. Ses enregistrements des Études de Debussy et des Variations Diabelli de Beethoven ont reçu plusieurs prix du disque. Il consacre aussi une part de son activité à l’enseignement, comme professeur au Conservatoire de Paris. POCHETTE. Petit violon dont se servaient les maîtres à danser pour accompagner les exercices de leurs élèves. Son manche était de proportions normales, mais sa caisse si courte et étroite qu’il pouvait se transporter dans une poche de l’habit, d’où son nom. La pochette, dont le son était nécessairement grêle et nasillard, a été abandonnée au cours du XIXe siècle au profit du piano. PODROMIDES (Jean), compositeur français (Neuilly-sur-Seine 1927). Élève de Messiaen, de Duruflé et de Leibowitz, il a composé des oeuvres symphoniques et de chambre avant de se tourner pour l’essentiel vers les formes lyriques et dramatiques et la recherche théâtrale, collaborant avec Louis Erlo, Jean-Louis Barrault, Antoine Bourseiller, René Terrasson, Maurice Béjart. Il s’est imposé avec l’oratorio dramatique radiophonique les Perses (1961), et a composé ensuite les ballets la Belle et la Bête (1962), Salomé (1969) et Une saison en enfer (1969), des musiques de film dont celle du Danton de Wajda (1982), l’étude symphonique Parcours (1974), l’oratorio le Livre des Katuns (1977), ainsi que les opéras Passion selon vos doutes (Lyon 1971), les Traverses du temps (Nantes 1979), H. H. Ulysse (Opéra du Rhin 1984), La Noche Triste (Nancy 1989), Goya (Montpellier 1996). Il a succédé à Henri Sauguet à l’Académie des beaux-arts. POÈME SYMPHONIQUE. Genre de composition musicale pour orchestre seul, généralement en un seul mouvement, inspiré directement et explicitement par un thème, un personnage, une légende, un poème, et très souvent par un texte. Ce genre est apparu dans le milieu du XIXe siècle, et il dérive de plusieurs genres déjà existants comme l’« ouverture de concert » (les Hébrides de Mendelssohn, 1829-1832), la « symphonie à programme » (Symphonie pastorale, de Beethoven, 1808 ; Symphonie fantastique, de Berlioz, 1830) et aussi la musique de ballet ou d’opéra. On peut considérer que les initiateurs de ce genre furent Berlioz et Liszt : le premier, implicitement, par ses symphonies à programme et ses ouvertures ; le second, explicitement, en définissant le genre, et en l’illustrant par une longue série de treize oeuvres. On parle en allemand de symphonische Dichtung ou de Tondichtung (« poésie en sons »), et les grands auteurs du genre furent, outre Liszt et Berlioz, Richard Strauss, Smetana, Dvořák, Sibelius et les compositeurs russes. Genre traditionnellement ramassé de proportions, le poème symphonique peut s’amplifier en une grande « symphonie à programme » en plusieurs mouvements, comme les Dante-Symphonie et Faust-Symphonie, de Liszt, ou bien donner lieu à des « cycles » regroupant plusieurs poèmes symphoniques distincts et brefs autour d’un thème central (cycle patriotique de Smetana, héroïque de Richard Strauss, romain de Respighi, etc.). La forme musicale du poème symphonique, en principe assujettie à la narration dont elle s’inspire, reprend souvent des moules formels traditionnels qui correspondent à un trajet dramatique particulier : la forme sonate à deux thèmes, ABA’, exprime en elle-même, musicalement, le concept d’exposition (d’un point de départ), de départ, et de retour ; la forme thème et variations (dans le Don Quichotte de Strauss, par exemple) est tout indiquée pour servir à illustrer les aventures d’un personnage qui persiste dans son choix initial ; la ballade de Goethe qui inspira à Paul Dukas son Apprenti sorcier lui suggéra aussi la forme légère et répétitive d’un scherzo libre, et la gaieté picaresque et populaire des malices de Till l’Espiègle est idéalement traduite dans la plus universelle des formes, le rondo (Till Eulenspiegel, de Richard Strauss). D’autres poèmes symphoniques adoptent la forme rhapsodique d’une succession de tableaux reliés entre eux par des motifs conducteurs, des « leitmotive ». En effet, la mise au point du leitmotiv par Berlioz, Liszt, Wagner, n’est pas étrangère à l’essor du genre, puisque cette « trouvaille » du leitmotiv consiste à personnaliser un motif (plus court, ouvert, mobile et malléable qu’un thème complet) pour l’investir d’un rôle à la fois formel et symbolique : le genre du poème symphonique est en ce sens caractéristique d’une époque où l’on a cherché à faire « penser » la musique, à lui faire véhiculer des idées et des messages. Ainsi beaucoup de poèmes symphoniques sont architecturés autour de leitmotive très caractéristiques (Ein Heldenleben, « Une vie de héros », de Richard Strauss, en comporte au moins 70) plutôt qu’autour de thèmes fermés se concluant par une cadence. L’écriture de ces poèmes, souvent dégagée des moules traditionnels, en devient souvent plus mobile, souple, discursive, inattendue, fantasmagorique, pulvérisée. Le style « pointilliste » (pour l’époque) des tableaux symphoniques de Debussy et des premières pièces pour orchestre de Schönberg et Webern découle plus du poème symphonique romantique que des grandes symphonies postromantiques aux amples arches. Autre caractéristique du poème symphonique romantique, inscrite dans son appellation même : malgré l’exception de « poèmes symphoniques » pour instruments solistes (version originale pour piano des Tableaux d’une exposition, de Moussorgski), il s’affirme surtout avec le développement du grand orchestre de Berlioz à Wagner. Un orchestre démons- tratif, dramatique, pictural, pittoresque, où les pupitres se divisent et se mélangent entre eux, quittant leur « plan de table » traditionnel pour former toutes sortes de figures et d’associations. Aux instruments solistes est souvent donné un rôle symbolique ou évocateur. En quelque sorte, le poème symphonique prolonge dans la salle de concert, sous une forme condensée et comme « chiffrée » (non explicitée par un texte chanté), l’opéra, ses images et ses évocations, pour un public féru de musique théâtrale et narrative. Il témoigne aussi d’une nouvelle espèce de compositeurs qui se veulent artistes complets, écrivent, pensent, se réclament de la « grande littérature », et non des services de librettistes professionnels plus soucieux d’efficacité que de « poésie ». Souvent, le compositeur de poèmes symphoniques, en connivence culturelle avec un public de concert, lui propose en dioramas musicaux spectaculaires les « grands thèmes », les « grands auteurs » et les « grands mythes » qui l’intéressent. Et souvent, comme on le verra, ces thèmes sont ceux qui agitaient la société de l’époque : l’identité nationale, la révolution, etc. Hector Berlioz est le fondateur du poème symphonique, bien qu’il n’ait jamais usé de cette expression pour désigner ses oeuvres. L’idée-force de sa Symphonie fantastique (1830), de son Harold en Italie (1834), d’après Byron, de son Roméo et Juliette, d’après Shakespeare (1839) [avec des interventions vocales et chorales épisodiques] est d’utiliser les seuls pouvoirs de l’orchestre pour traduire une dramaturgie inspirée de ses « grands hommes « : Gluck, Shakespeare. L’orchestre symphonique, avec lui, est dans sa texture même, sa pâte, remué par des idées, des sensations, des mouvements, plus profondément que chez ses devanciers. En même temps, il développe le caractère pictural de l’orchestre, chez lui moins « fonctionnel » et plus souple, plus mêlé, à chaque fois renouvelé, personnalisé. Après Berlioz, Franz Liszt, également passionné de « grande littérature », codifie en quelque sorte et développe le poème symphonique. Esprit complet et cultivé, curieux de tout, trait d’union de tous les aspects du romantisme, il fait du poème symphonique, à travers ses treize incursions dans le genre, le lieu de rencontre de multiples intérêts poétiques, esthétiques, métaphysiques. Sa Dante-Sym- phonie (1855-56) et sa Faust-Symphonie downloadModeText.vue.download 795 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 789 (1854-1857) sont au croisement du poème symphonique et de la symphonie à programme. Son Il Tasso (1856), en hommage à Goethe (auteur d’une pièce sur le poète), mais d’après un texte de Byron, fait se rencontrer trois de ses écrivains favoris, de trois grandes nations romantiques (Italie, comme référence, Angleterre et Allemagne). Mais c’est le Français Victor Hugo qui lui inspire Ce qu’on entend sur la montagne (1857) et Mazeppa (1856) ; de la lecture de Shakespeare provient un Hamlet (1861) ; Herder inspire un Prométhée (1856), Lenau la Procession nocturne (1865), Schiller les Idéaux (1858) et Fêtes (1861), et le poète Joseph Autran (et non Lamartine, comme on l’a cru) les célèbres Préludes (1854-1856), méditation sur la destinée. L’Héroïde funèbre (1857), Hungaria (1857), la Bataille des Huns (1861), se rattachent à la vieille tradition de la « bataille » musicale (de Janequin à Beethoven), et il faut citer encore un Orphée (1856), et Du berceau à la tombe (1883). Certes, quand Liszt se réfère à Hugo, Shakespeare, Dante, etc., il s’agit pour lui non seulement de littérature, mais aussi de l’humanité, de la destinée des hommes et des peuples. Par opposition avec la musique religieuse baroque et classique, qui dresse un temple à l’Éternel en laissant au second plan le drame humain (ou en le sublimant), le poème symphonique, chez Liszt et certains de ses successeurs, se plaît à illustrer une métaphysique humaniste et « laïque » de la destinée, du héros « prométhéen », du progrès de la race humaine : en ce sens, c’est un genre caractéristique de l’âge « critique » du romantisme. Cette vocation métaphysique est reprise par Richard Strauss dans Mort et Transfiguration (1888-89) et Also sprach Zarathustra (« Ainsi parlait Zarathoustra », 1896), d’après Nietzsche, « tableau du développement de la race humaine ». Mais ses portraits de destinées, Macbeth (18861888), Don Juan, d’après Lenau (1888), Till Eulenspiegel (1894-95), Don Quichotte (1897), débouchent sur une autobiographie en musique sobrement intitulée Ein Heldenleben, « une vie de héros » (1898). Ses deux symphonies à programme, Sinfonia domestica (1903), et Symphonie alpestre (1915), se rattachent à la tradition descriptive des Quatre Saisons et de la Symphonie pastorale. Il est amusant de mettre en regard des biographies straussiennes, conquérantes et colorées, les trois poèmes symphoniques antiprométhéens de Saint-Saëns, néoclassiques d’écriture, d’orchestration et de forme, le Rouet d’Omphale (1873), Phaéton (1873), la Jeunesse d’Hercule (1877) : tous trois illustrent en effet, avec un autre point de vue que le héros germanique, celui du « parnassien » sceptique, la même thématique de l’« ubris » grecque, de la prétention condamnée, du héros enchaîné. Du même Saint-Saëns, la fameuse Danse macabre (1874) s’inscrit dans toute une série de tableaux fantastiques pittoresques, où se rangent des poèmes symphoniques de César Franck (les Éolides, 1876, d’après Leconte de Lisle ; le Chasseur maudit, 1882, d’après Bürger ; les Djinns, 1884, d’après Hugo), Paul Dukas (l’Apprenti sorcier, 1897, d’après Goethe), Vincent d’Indy (la Forêt enchantée, 1878, d’après Uhland), Henri Rabaud (la Procession nocturne, 1899, d’après Lenau), Henri Duparc (Lénore, 1875, d’après une ballade de Bürger), Ernest Chausson (Viviane, 1882). Vincent d’Indy d’attachera à toutes les possibilités du poème symphonique, légende narrative (Sauge fleurie, 1884), tableau descriptif (Jour d’été à la montagne, 1906, en 3 parties ; Poèmes des rivages, 1919-1921, en 4 parties), destinée héroïque d’un « perdant « (trilogie de Wallenstein, 1874-1880, d’après Schiller). Le poème symphonique sera aussi l’occasion, en particulier dans les nations de l’Est et du Nord, d’illustrer l’identité nationale, à travers ses légendes, ses dates, ses traditions, ses mythes : on citera le cycle Ma patrie, de Smetana (1874-1879), en 6 poèmes symphoniques dont la Moldau, les « légendes tchèques « de Dvořák d’après Erben (l’Esprit des eaux, le Rouet d’or, la Sorcière de midi), le « cycle nordique « de Sibelius avec la Suite de Lemminkainen (1896), En Saga (1901), la Fille de Pohjola (1906), Chevauchée nocturne et Lever de soleil (1907), le Barde (1913), les Océanides (1914) et surtout Tapiola (1926), la trilogie romaine de Respighi (Pins de Rome, Fontaines de Rome, Fêtes romaines). L’école russe affectionnait le poème symphonique, forme souple, plus propice que les cadres européens traditionnels pour traduire sa pensée, et pour évoquer les paysages de la Russie et les thèmes historiques ou légendaires (Thamar, 1882, de Balakirev ; Dans les steppes de l’Asie centrale, 1880, de Borodine ; Schéhérazade, 1888, de Rimski-Korsakov ; Nuit sur le mont Chauve, 1867, de Moussorgski et Rimski-Korsakov), tandis que l’» européanisé « Tchaïkovski s’inscrit plutôt dans la tradition de l’ouverture de concert romantique avec Roméo et Juliette (1869), Manfred (1885), Hamlet (1888). On peut considérer, ou non, comme poèmes symphoniques les oeuvres plus récentes qui n’en revendiquent pas le titre, comme la Mer de Debussy ou ses trois Images pour orchestre, le Pelléas et Mélisande de Schönberg (1903), le Pacific 231 (1924) ou le Rugby (1928) de Honegger. Ces oeuvres tendent souvent à abandonner les thèmes héroïques et les grandes interrogations sur la destinée humaine pour revenir à une tradition naturaliste, mais avec un regard nouveau sur le réel : la mer de Debussy n’est plus celle, brossée à gros traits, d’un Wagner dans son Vaisseau fantôme ou d’un Rimski-Korsakov dans Schéhérazade, qui est encore une mer de théâtre, de coulisses. On pourrait aussi s’amuser à pourchasser dans le répertoire contemporain, chez Messiaen, Xenakis, Bayle, la continuation du poème symphonique. Leurs musiques, pourtant, ne font que proposer des modes nouveaux de « mimesis « (imitation) de la nature et de l’homme, comme les Grecs et les Chinois d’antan. Il faut bien considérer le poème symphonique comme un genre historiquement daté (seconde moitié du XIXe siècle, début du XXe) correspondant à certains courants musicaux (et plus généralement idéologiques et esthétiques) propres à l’époque où ce genre prit son essor. POGORELICH (Ivo), pianiste serbe (Belgrade 1958). Il étudie à l’École centrale de musique de Moscou puis au Conservatoire Tchaïkovski. L’événement déterminant de sa formation est sa rencontre avec la pianiste Alice Kezeradzé, qui lui ouvre de nouveaux horizons, tant pour la technique que pour l’interprétation. Lauréat du Concours Casagrande en 1978 et de celui de Montréal en 1980, année de son mariage avec A. Kezeradzé, il fait ses débuts aux États-Unis en 1981 au Carnegie Hall, et joue depuis dans le monde entier. Outre son activité de soliste, il enseigne et dirige le Festival de Bad Wörishofen, qu’il a créé. POHL (Carl Ferdinand), musicologue, organiste et compositeur allemand (Darmstadt 1819 - Vienne 1887). Il s’installa à Vienne en 1841, y devint élève de Simon Sechter, et, de 1849 à 1855, y fut organiste de l’église protestante du faubourg de Gumpendorf. De 1863 à 1866, il vécut à Londres, et ce séjour fut à l’origine de son Haydn und Mozart in London (Vienne, 1867, réimpr. New York, 1970). Nommé en 1866 archiviste et bibliothécaire de la Société des amis de la musique, il s’intéressa à l’histoire de la vie musicale dans la capitale autrichienne, ce qui se traduisit notamment par Denkschrift aus Anlass des hundertjährigen Bestehens des Tonkünstler-Societät... in Wien (Vienne 1871). Sa grande tâche fut sa biographie de Haydn, base de toutes les recherches ultérieures sur ce compositeur : Joseph Haydn (vol. I, Leipzig, 1875, 2e éd. 1878, réimpr. Wiesbaden, 1971 ; vol. II, Leipzig, 1882, réimpr. Wiesbaden, 1971). Le volume III fut rédigé après la mort de Pohl, et largement d’après ses notes, par Hugo Botstiber (Leipzig, 1927, réimpr. Wiesbaden, 1970). downloadModeText.vue.download 796 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 790 POINT (D’ARRÊT, D’ORGUE, PIQUÉ). 1. Un point placé après une note augmente la durée de celle-ci de la moitié de sa valeur. La note est dite pointée. 2. Le point d’orgue est un signe conventionnel ( ), qui, placé au-dessus ou audessous d’une note ou d’un silence, en augmente la durée autant que peut le souhaiter l’exécutant. Le point d’orgue est de durée indéterminée. 3.Le point d’arrêt remplit la même fonction que le point d’orgue, mais pour une durée plus brève. Il a souvent la valeur d’un ou deux temps. Il est beaucoup moins employé. Il se note parfois par le signe ( ), ou, même, s’indique aussi par une simple virgule. -4.Un point placé audessus de la note indique que cette note doit être détachée (staccato). Certains théoriciens disent incorrectement que la valeur de la durée de cette note est diminuée de moitié. Ce point est dit piqué. POKORNY (Franz Xaver), compositeur originaire de Bohême (Mestec Kralove 1728 - Ratisbonne 1794). Élève de J. Stamitz, Filtz et F. X. Richter à Mannheim, il entra en 1753 au service du prince d’Oettingen-Wallerstein, puis en 1770 du prince de Thurn und Taxis à Ratisbonne. Il est l’auteur de plus de 160 symphonies, de très nombreux concertos (pour clarinette, hautbois, cor et surtout clavecin) et d’oeuvres de chambre avec ou sans basse. ( ! SCHACHT.) POLAK (Jacub, également JACOB REYS, ou RETZ, ou JACOB LE POLONAIS), luthiste et compositeur polonais (Pologne v. 1540 Paris v. 1605). Certaines parties de sa biographie restent obscures. On sait cependant qu’il a compté parmi les musiciens d’Henri III, qu’il a passé la fin de sa vie à la cour de France, et qu’il a fait un séjour à Tours vers 1593. Il était en relation avec le facteur d’instruments Robert Denis et l’éditeur Ballard. Jacub Polak est l’auteur de fantaisies, de préludes, de gaillardes pour luth, dans lesquelles les techniques d’imitation et l’improvisation jouent un grand rôle. Nombre de ses compositions s’apparentent au ricercar. Certaines de ses pièces se trouvent dans les tablatures de Besard (Novus partus) et de Van Hove (Deliciae). POLKA. À l’origine, danse paysanne tchèque (et non polonaise), à deux temps, caractérisée par le demi-pas qui lui a donné son nom (pulka signifiant « moitié »). Adoptée à Prague en 1837 comme danse de société, la polka gagna rapidement Vienne, puis Paris, où elle connut une vogue extraordinaire, largement entretenue par les compositions de Johann Strauss fils. POLLAROLO (Carlo), organiste et compositeur italien (Brescia v. 1653 - Venise 1723). Organiste de la cathédrale de Brescia où il succède à son père (1676), il devint en 1690 second organiste et en 1692 second maître de chapelle à Saint-Marc de Venise, et composa ou fit reprendre pour les principaux théâtres de cette ville de très nombreux opéras. Il échoua dans sa tentative de devenir premier maître de chapelle à Saint-Marc (1702), mais fut à partir de 1696 maître de chapelle aux Incurables, composant pour cette institution des oratorios latins. Son fils Antonio (Brescia 1676 - Venise 1746), auteur d’opéras et d’oeuvres sacrées, assuma à partir de 1702 ses fonctions à Saint-Marc, et y devint maître de chapelle en 1740 comme successeur d’Antonio Lotti. POLLET (Françoise), soprano française (Boulogne-Billancourt 1949). Elle étudie au Conservatoire de Versailles, puis à la Hochschule für Musik de Munich. Grâce à sa formation allemande, elle acquiert une grande connaissance de Wagner et de Richard Strauss. De 1983 à 1986, elle chante dans la troupe de l’Opéra de Lübeck, où elle incarne la Maréchale du Chevalier à la rose et Elisa dans Tannhaüser. En même temps, elle aborde Mozart. En 1986, elle dé 1010 bute en France, et fait redécouvrir au Festival de Montpellier un lied inédit de Strauss, Malven. En 1990, elle chante Bérénice de Magnard et Ariane et Barbe-Bleue de Dukas en 1991, année de ses débuts à l’Opéra-Bastille. Elle y incarne la Comtesse des Noces de Figaro. En 1992, elle est Sieglinde dans le Ring dirigé par Janowski, et en 1993 elle joue les Troyens de Berlioz au Metropolitan de New York et au Colon de Buenos Aires. En 1994, elle donne son premier récital de mélodies salle Gaveau. En 1995, entre autres prestations, elle crée Freispuch für Medea de Liebermann à Hambourg. POLLINI (Maurizio), pianiste italien (Milan 1942). Manifestant des dons exceptionnels dès l’âge de cinq ans, il entreprend des études de piano avec C. Lonati et C. Vidusso, en marge de sa formation générale, et donne son premier concert à onze ans à Milan. Malgré un second prix (premier prix non attribué) au concours de Genève obtenu à quinze ans, un premier prix, en 1959, au concours E.-Pozzoli et un diplôme du conservatoire de Milan (où il apprend la composition et la direction d’orchestre), il choisit la carrière musicale seulement après avoir brillamment remporté en 1960 le concours Chopin de Varsovie. Encore ne répond-il à cette vocation tardive qu’à la fin d’une semi-retraite de quatre ans, consacrée à réfléchir sur son art et à mûrir son jeu au contact d’Arturo Benedetti Michelangeli. Ce lent cheminement conforte une personnalité d’une grande richesse intérieure, qui, au lieu de se refermer sur ellemême, est profondément engagée dans son temps, comme le confirment ses choix politiques et artistiques. Il participe aux Concerts populaires organisés par Paolo Grassi à la Scala de Milan, aux côtés de Claudio Abbado et de Luigi Nono, ou bien, toujours en compagnie de ses amis, va au-devant des publics ouvriers dans les usines avec l’atelier Musica Realtà, fondé en 1972. Il met son piano au service des bonnes causes (reconstruction du Viêtnam, lutte contre le fascisme renaissant) et des oeuvres engagées de Luigi Nono, dont il crée Como una ola de fuerza y luz (Venise, 1972) et Sofferte onde serene (1976). Le répertoire contemporain - Boulez, Schönberg, Bartók, Webern, Stockhausen - lui fait redécouvrir la part de modernité des oeuvres du passé. Il poursuit avec méthode et économie (pas plus de 80 concerts par an) une carrière exemplaire, arrêtée un temps en 1975 par un grave accident de voiture et jalonnée par quelques enregistrements d’une plénitude impressionnante, mais qui reflètent incomplètement la tension irremplaçable des concerts, où il fait toucher, à force de nudité et d’introspection poétique, la vérité de chaque oeuvre. Il a donné des cours d’interprétation en 1972 à l’Accademia Chigiana de Sienne et fait ses débuts de chef d’orchestre en 1982, dirigeant à Pesaro La Donna del Lago de Rossini. POLO. Chant et danse andalous, exécuté par les gitans. Traditionnellement écrit à 3/8 et en mineur, de mouvement modéré, le chant proprement dit est en général prédécé d’un prélude à la guitare et ponctué d’onomatopées (« ay »). La danse consiste principalement en contorsions du corps, rappelant certaines danses orientales, et s’accompagne de castagnettes et du claquement des pieds et des mains. Le polo a inspiré plusieurs compositeurs, en particulier M. de Falla, qui en a fait le dernier de ses Siete canciones españolas. POLONAISE. Danse de cour à trois temps, de caractère solennel. Si cette sorte de marche, d’une grande noblesse, est effectivement d’origine polonaise, ce sont les compositeurs allemands du XVIIIe siècle, dont Telemann et J.-S. Bach, qui ont le plus contribué à la répandre en tant que genre musical. Ils ont été relayés au concert par Chopin et par Liszt, puis, au théâtre, par Tchaïkovski et Rimski-Korsakov, notamment. downloadModeText.vue.download 797 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 791 POLYCHORALITÉ. Réunion en polyphonie de plusieurs choeurs personnalisés. Le terme est peu usuel. POLYPHONIE. Par opposition à monodie, se dit en principe de toute musique où se font entendre simultanément plusieurs parties différentes. Toutefois, le terme s’emploie surtout lorsqu’on veut mettre en relief le fait que ces parties, qu’elles s’accordent ou non harmoniquement, sont mélodiquement indépendantes, ce qui oppose polyphonie à hétérophonie, où l’une des voix est une variante d’une autre, ou bien dont la polyphonie résulte d’accidents d’exécution, conscients ou non, sans qu’il y ait vraiment conception d’une voix différente. Le terme implique aussi que toutes les voix ont une valeur mélodique individuelle, ce qui oppose la polyphonie à la monodie accompagnée. Le terme est très employé en ethnomusicologie ; en musique classique, on l’emploie surtout pour les périodes où le contrepoint avait prééminence sur l’har- monie, c’est-à-dire pour celles qui ont précédé la basse continue (Moyen Âge et Renaissance). Au-delà, son emploi devient exceptionnel et ne s’applique plus guère qu’aux passages écrits dans un style particulièrement contrapuntique. À ses origines écrite (IXe s.), la polyphonie n’était guère qu’un artifice quelque peu fonctionnel de solennisation ou d’ornementation des textes monodiques préexistants, liturgiques ou non. Sans abandonner cette fonction, elle n’a cessé de progresser jusqu’à devenir une oeuvre d’art d’abord (la mutation se produit à peu près avec l’école de Notre-Dame de Paris, à la fin du XIIe s.), un art autonome ensuite, dont la musique occidentale, contrairement à d’autres, a fait le fondement même de sa technique et la base de son développement, qui lui assure l’essentiel de sa spécificité, face notamment aux musiques primitives ou orientales pour lesquelles, lorsqu’elle existe, la polyphonie ne joue qu’un rôle secondaire et souvent négligeable. POLYRYTHMIE. Superposition de plusieurs parties ayant chacune un rythme différent et dont les accents d’appui ne coïncident pas entre eux. Le terme est surtout employé en ethnomusicologie. POLYTONALITÉ. Procédé consistant à superposer deux ou plusieurs fragments appartenant chacun à une tonalité différente. On trouve de fréquents exemples de polytonalité dans l’ethnomusicologie et aussi dans la musique polyphonique du Moyen Âge ou de la Renaissance. Dans une réponse en strette, par exemple, chaque partie semble souvent se mouvoir dans sa propre tonalité. Bach présente des exemples analogues (par ex. dans la fugue 8 de l’Art de la fugue, numérotation de l’éd. Leduc), mesures 23-31, le « grand sujet » apparaît au ténor en fa majeur dans un ensemble harmonique en ré mineur. Elle n’en est pas moins « cachée » par une harmonie monotonale, qui la fait passer inaperçue à l’audition superficielle. Les premiers exemples apparents, encore que toujours analysables monotonalement, apparaissent chez Beethoven, puis chez Wagner, et plus nettement encore chez Debussy et Richard Strauss. C’est à partir du Sacre du printemps de Stravinski (1913) que la polytonalité s’évade franchement de la consonance et de l’analyse monotonale (cf. D. Milhaud, Honegger), pour connaître, vers 1925, une période d’apogée qui durera jusque vers 1945 ; ensuite, elle cédera peu à peu la place aux tendances atonales prônées par l’école de Schönberg. POMMIER (Jean-Bernard), pianiste et chef d’orchestre français (Béziers 1944). Il commence l’étude du piano à l’âge de quatre ans avec Mina Kosloff, puis au Conservatoire de Paris, auprès d’Yves Nat, dont il est l’un des derniers élèves, et de Pierre Sancan, et se perfectionne avec Eugène Istomin. Il donne son premier concert à l’âge de dix ans et remporte en 1960 le premier prix du Concours des Jeunesses musicales de Berlin. Lauréat du Concours Tchaïkovski deux ans plus tard, il est invité à se produire au Festival de Prades. Après une vingtaine d’années consacrées uniquement à une carrière de pianiste, il commence à diriger au début des années 80. Il enseigne également, et dirige à partir de 1990 le festival d’été de Melbourne. PONCE (Manuel), compositeur et pianiste mexicain (Fresnillo, Zacatecas, 1882 - Mexico 1948). Il étudia au conservatoire de Mexico, puis à Bologne et à Berlin, où il donna un récital en 1906. Il devint professeur de piano au conservatoire de Mexico en 1909, vécut comme critique musical à La Havane, de 1915 à 1917, puis reprit son enseignement au conservatoire de Mexico. De 1925 à 1933, il vécut à Paris, où il travailla avec Paul Dukas. En 1934-35, il dirigea le conservatoire de Mexico, où il eut comme élève Carlos Chavez. Il essaya dès lors de concilier dans ses oeuvres les techniques modernes et les éléments folkloriques. Sa recherche d’un art authentiquement national l’amena à recueillir de nombreuses mélodies populaires. On lui doit notamment 1 concerto pour piano (1912), la Balada mexicana pour piano et orchestre (1914), Chapultepec, 3 esquisses symphoniques (1929 ; rév., 1934), Poema elegiaco pour orchestre de chambre (1935), Concierto del Sur, pour guitare et orchestre (1941), destiné à A. Segovia, et de nombreuses chansons. Sa dernière grande oeuvre, le Concerto pour violon (1943), contient en son deuxième mouvement des échos d’Estrellita, une chanson publiée par lui en 1914 et qui était devenue le plus grand succès d’Amérique latine. PONCET (Antoine PONCE, dit Tony), ténor français (Maria 1918 - Libourne 1979). En 1947, il étudie au Conservatoire de Paris avec Fernand Francell et Vuillermos. De 1955 à 1958, il remporte de grands succès en Belgique, à la Monnaie de Bruxelles notamment. À partir de 1958, il chante souvent à l’Opéra-Comique et à l’Opéra de Paris. Il triomphe aussi bien dans l’opéra français en incarnant don José, Nadir et Faust, que dans Verdi avec Aïda, le Trouvère et Rigoletto. Il a aussi interprété de nombreuses opérettes, notamment le Pays du sourire de Franz Lehar, qu’il a enregistré. PONCHIELLI (Amilcare), compositeur italien (Paderno Fasolaro, Crémone 1834 - Milan 1886). Il entra à neuf ans au conservatoire de Milan (où il fut plus tard le professeur de Puccini et de Mascagni), se fit remarquer avec une opérette et de la musique de chambre, puis, en 1856, avec ses Promessi Sposi (rév. en 1872) et s’affirma avec I Lituani (Scala de Milan, 1874), d’après Praga, l’un des pionniers du vérisme littéraire. Boito lui fournit l’excellent livret de sa Gioconda, d’après Angelo tyran de Padoue de Hugo (1876). Dans cet opéra, dont le succès ne s’est jamais démenti, Ponchielli réussit habilement à jeter un pont entre les dernières exigences du grand opéra, avec ses ensembles de type verdien, et le chant plus déclamé qu’adoptera bientôt la « jeune école ». Désormais célèbre, il put se consacrer à la musique instrumentale ou sacrée, revenant parfois au genre lyrique, avec notamment le Fils prodigue (1880), drame intérieur d’une belle sobriété, et Marion Delorme (1885), sorte de retour à un romantisme méditatif. D’une personnalité discrète et trop modeste, Ponchielli a parfois plié son inspiration aux goûts du public, ce qui ne doit pas faire négliger son très réel talent dramatique ni son rôle efficace en cette période charnière entre le dernier Verdi et le vérisme naissant. PONS (Lily), soprano américaine, d’origine française (Draguignan 1898 - Dallas 1976). Elle étudia d’abord le piano au Conservatoire de Paris, puis se tourna vers le downloadModeText.vue.download 798 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 792 chant, et fit ses débuts en 1928 à Mulhouse dans le rôle de Lakmé. C’est dans ce rôle, ainsi que dans celui de Lucia de Lammermoor, avec lequel elle débuta en 1931 au Metropolitan Opera de New York, qu’elle remporta ses plus grands triomphes. Elle possédait une voix de colorature très agile, qui lui permettait de monter très haut dans l’aigu. PONSELLE (Rosa), soprano américaine (Merifen 1897 - Baltimore 1981). De parents immigrants napolitains, elle commença sa carrière en duo avec sa soeur Carmella comme attraction dans les cinémas locaux. Découverte par Caruso, qui la fit engager au Metropolitan Opera de New York, pour le rôle de Leonora de La Forza del destino de Verdi, elle y débuta aux côtés du célèbre chanteur en 1918. Son succès fut immédiat, et elle devint, jusqu’en 1937, la principale vedette du répertoire italien au Metropolitan. De nombreuses reprises furent effectuées pour elle dans ce théâtre, et, en particulier, la Vestale de Spontini, Norma de Bellini, La Gioconda de Ponchielli. Dans le même temps, elle chanta à Londres en 1929, 1931 et 1935, et à Florence en 1931. Sa voix, profonde et dramatique, était d’une égalité absolue, sa musicalité parfaite et son style superbe. De plus, Rosa Ponselle était belle et possédait une présence scénique considérable. Elle fut probablement la plus grande soprano verdienne du XXe siècle. Elle se retira à l’âge de quarante ans, au sommet de ses capacités, parce que son interprétation de Carmen avait été discutée. PONT. Désigne, dans l’analyse traditionnelle, la section de transition reliant le premier au second thème dans l’exposition d’un mouvement de forme sonate. Il permet, le plus souvent, de moduler de la tonique, ton du premier thème, à la dominante, ton du second thème. POOT (Marcel), compositeur belge (Vilvorde, près de Bruxelles, 1901 - Bruxelles 1988). Il fit ses études aux conservatoires de Bruxelles (Lunssens, de Greef) et d’Anvers (Mortelmans), puis avec Paul Gilson et Paul Dukas. Professeur à l’Académie de musique de Vilvorde, puis au conservatoire de Bruxelles (contrepoint), il fonda avec Paul Gilson la Revue musicale belge en 1925, appartint au groupe des Synthétistes, et devint directeur du conservatoire de Bruxelles en 1949. Son langage, traditionnel et généralement tonal, ignore les problèmes qui dépassent celui de la polytonalité, mais sert une expression toujours directe, vivante, souvent pleine d’humour et d’un lyrisme profondément humain. Son oeuvre la plus célèbre est l’Ouverture joyeuse (1934). POP MUSIC. Ensemble des musiques apparues au début des années 60 en Grande-Bretagne, puis aux États-Unis, dérivées du rock and roll, du blues noir, du folk song et de la musique country, et enrichies d’influences diverses (musiques classique, électronique, indienne, etc.). L’expression « pop music » désigne d’abord aux États-Unis toutes les musiques commerciales et massivement diffusées par les radios, c’est-à-dire aussi bien la chanson de variétés (le cha-chacha, le rock and roll d’Elvis Presley) que la simple musique d’ambiance. Avec l’arrivée, en 1962, des Beatles et l’explosion du rock anglais, le mot « pop » va peu à peu, surtout en France, ne plus dénommer que ce que l’on appelait « rock » aux ÉtatsUnis, à savoir une branche précise de la « popular music « : la musique rythmée et électrique dans laquelle va se reconnaître, dans le monde entier, toute une génération de jeunes. Ce formidable phénomène musical, qui trouvera son apothéose lors des rassemblements géants de Woodstock (1969 aux États-Unis) et de l’île de Wight (1970 en Angleterre), se double d’un phénomène social et politique. Au départ simple mode (la mode vestimentaire Beatles), le mouvement pop va vite se confondre avec le grand mouvement de contestation radicale qui agite la jeunesse, dans les années 60. Les grandes stars de la pop music sont avant tout des groupes (Beatles, Rolling Stones, Who, Animals, Pink Floyd, Byrds, Beach Boys, Jefferson Airplane, Doors, le Crosby, Stills, Nash and Young, le Grateful Dead), deux « pop stars » faisant exception à la règle : Bob Dylan et Jimi Hendrix. Au début des années 70, le terme « pop music », trop vague et impropre à rendre compte de la totalité de la musique populaire anglo-saxonne, issue du rock and roll, sera remplacé par le terme américain de « rock music » ou simplement de « rock ». Au début des années 80, le mot « pop » désigne une branche précise de la « rock music », façonnée pour les radios et les hit-parades. Cette variante douce du rock se caractérise par des rythmes simples, des refrains accrocheurs, des arrangements soignés et bien huilés (groupes Blondie et Supertramp). PORPORA (Nicola), compositeur et pédagogue italien (Naples 1686 - id. 1768). Entré en 1696 au Conservatorio dei Poveri di Gesù Cristo de Naples, il y resta environ dix ans, puis fit représenter dans la même ville ses opéras Agrippina (1708), Flavio Anicio Olibrio (1711) et Basilio re d’oriente (1713). Il fut, à cette époque, maître de chapelle de l’ambassadeur du Portugal et du prince de Hesse-Darmstadt, général de l’armée autrichienne qui occupait la ville. En 1714 fut donné à Vienne Arianna e Teseo. Porpora s’imposa alors comme un remarquable professeur de chant, n’ayant pas son pareil pour déceler les possibilités d’une voix et l’amener au plus haut degré de perfection. De 1715 à 1721, il enseigna cette matière au Conservatorio di S. Onofrio de Naples. Il compta alors parmi ses élèves les deux futurs castrats Farinelli et Caffarelli, ainsi que le compositeur Hasse. En 1733, après quelques années à Venise, il se rendit à Londres, où il dirigea l’Opera of the Nobility, qui s’opposait à l’influence de Haendel, et donna, notamment, Arianna in Nasso (1733). Il quitta l’Angleterre en 1736 pour Venise, puis Naples (1739). Il séjourna à Dresde de 1747 à 1751, puis de la fin de 1752 ou du début de 1753 à Vienne, où il eut comme élève le jeune Haydn. En 1760, il était de nouveau à Naples, où, après avoir repris quelque temps ses anciennes fonctions au Conservatorio di S. Maria di Loreto, il mourut dans la misère. Il écrivit quelques oeuvres instrumentales, mais l’essentiel de sa production relève du domaine vocal (opéras, cantates profanes, oratorios, ouvrages sacrés divers). Beaucoup de ses oeuvres ont disparu. Sa connaissance de la voix lui servit énormément dans ses opéras, mais ceux-ci, en contrepartie, mettent parfois l’accent sur la virtuosité au détriment de la substance musicale. PORTAL (Michel), clarinettiste français (Bayonne 1935). Après avoir obtenu en 1959 un 1er Prix de clarinette au Conservatoire de Paris, il est lauréat des Concours de Genève (1963) et de Budapest (1965) et travaille la direction d’orchestre avec Pierre Dervaux. Son activité mêle d’emblée le classique et le jazz. Il porte également un intérêt croissant à la musique contemporaine, participant à de nombreux festivals et concerts (Donaueschingen, Royan, Venise, etc.). Avec Carlos Roque-Alsina, Jean-Pierre Drouet et Vinko Globokar, il fonde le New Phonic Art. Ouvert à toutes les formes d’expression musicale, il compose des musiques de film et de scène. Son itinéraire est celui d’un musicien complet, jazzman, musicien classique et grand connaisseur de la musique de son temps. PORTAMENTO. Manière de lier deux notes en « portant » légèrement la première vers la seconde et en faisant entendre ainsi tous les sons intermédiaires très rapidement et avec moins d’intensité. Ce procédé est principalement employé par les instrumentistes à archet et par les chanteurs ; il peut être explicitement indiqué par le compositeur, mais il est génédownloadModeText.vue.download 799 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 793 ralement implicitement sous-entendu, notamment dans le contexte de l’écriture de certaines époques anciennes. Pour la technique vocale, les Italiens utilisent également le mot legatura (« liaison »). Cette pratique, essentielle dans l’émission vocale, a, malgré de sensibles variations au cours des siècles, toujours été recommandée depuis Caccini et Monteverdi jusqu’à nos jours, bien que l’école française semble l’avoir en partie proscrite au XXe siècle. Le portamento (ou « port de voix ») descendant est souvent déconseillé, mais, en mouvement ascendant, il donne une grande élégance au phrasé et évite les ruptures audibles entre les registres de la voix. Il doit être exécuté assez rapidement (dans le cas contraire le son est dit « traîné »), et toujours en haussant la première note vers la seconde, jamais en attaquant la seconde en dessous de la hauteur donnée. C’est d’ailleurs dans ce seul cas que le terme français « port de voix » prend une nuance péjorative, de même que le mot « glissade » désigne, pour les instruments à cordes, un portamento mal exécuté. PORTATIF. Petit orgue de dimensions très réduites, aisément transportable. En usage pendant le Moyen Âge, il était joué de la main droite, tandis que l’autre main actionnait le soufflet placé à l’arrière de l’instrument ; il était soit porté en bandoulière, soit posé sur les genoux ou sur un meuble. Le clavier, court, faisait sonner les notes élevées de deux ou trois jeux de fond. Le portatif servait ainsi à accompagner le chant, à remplacer d’autres instruments ou à s’y mêler, en de très nombreuses circonstances de la vie quotidienne. PORT DE VOIX. 1. Synonyme d’appoggiature pour de nombreux auteurs français des XVIIe et XVIIIe siècles. Utilisé dans la musique vocale et instrumentale baroque, il était le plus souvent ascendant, par opposition à l’appoggiature descendante, appelée coulement (J. Hotteterre) ou cheute (C. Dieupart). L’appoggiature étant très souvent suivie d’un mordant, le port de voix a fini par désigner l’ensemble « appoggiature-mor- dant » (Fr. Couperin), bien qu’on trouve parfois l’expression « port-de-voix et pincé » (Dandrieu). 2. De nos jours, synonyme de portamento. Il consiste à glisser légèrement d’un son à un autre, sans qu’il soit possible de distinguer les sons intermédiaires. Employé surtout en musique vocale, on le rencontre également appliqué à certains instruments (violon, trombone, etc.). Son abus est souvent d’un très mauvais effet. PORTÉE. Ensemble de lignes horizontales et équidistantes servant de points de repère pour indiquer la hauteur des notes. C’est à tort qu’on attribue à Guy d’Arezzo l’invention de la portée. Elle se fit par étapes successives. D’abord une seule ligne pour indiquer une note de référence, puis deux lignes de couleurs différentes pour le do et le fa (G. d’Arezzo), puis, quatre lignes (tradition conservée dans la notation du chant grégorien), puis cinq lignes et, même, six lignes (surtout en Angleterre au XVIIe s.). Notre portée s’est stabilisée à cinq lignes, ce qui semble correspondre le mieux à la perception visuelle humaine. PORTER (Quincy), compositeur américain (New Haven, Connecticut, 1897 Bethany 1966). Il fit ses études à l’université Yale (avec Horatio Parker et D. S. Smith), puis à Paris (avec Vincent d’Indy), New York (avec Ernest Bloch) et Cleveland. Altiste du quatuor de Ribeaupierre, il enseigna tour à tour au College Vassar et à l’université Yale avant d’être nommé doyen de la faculté de musique de Nouvelle-Angleterre à Boston, puis directeur du conservatoire de cette ville. Respectueux de la tradition, d’obédience néoclassique, il cultiva principalement le quatuor à cordes (8, de 1923 à 1959). POSITIF. Petit orgue, de dimensions modestes, plus petit qu’un instrument de tribune, mais plus important qu’un portatif. Il est posé à même le sol ou sur un meuble (d’où son nom), mais peut être déplacé. Instrument à plusieurs jeux et un clavier d’étendue moyenne, il fait appel à un souffleur indépendant pour laisser l’organiste libre de jouer de ses deux mains. Principalement destiné à l’accompagnement liturgique, on le trouvait dans les couvents ou à la tribune des églises, en avant du grand orgue. Dès le XVe siècle, on l’associa au grand orgue de tribune : c’est l’origine du petit buffet principal dans la disposition classique des grands instruments. La tuyauterie du positif est alors actionnée à partir d’un des claviers de l’orgue, qui prend le nom de positif. Par extension, l’appellation de positif a été systématiquement donnée, au XIXe siècle, à l’un des claviers des orgues de plus de deux claviers, même quand la tuyauterie en était logée dans le buffet du grand orgue. Aujourd’hui, on construit à nouveau des positifs indépendants, soit à l’usage des communautés religieuses ou des choeurs d’églises, soit surtout comme instrument de réalisation de la basse chiffrée dans les formations orchestrales et vocales : aisément transportable en camionnette, il permet de donner des concerts en des lieux dépourvus d’orgue utilisable à cet effet. POSITION. Place que doit occuper la main gauche sur le manche d’un instrument à cordes pour assurer le doigté correct d’une série de notes. Dans le cas de la corde mi (chanterelle) du violon, la première position est définie par le placement du premier doigt (l’index) sur le premier degré après la note à vide, c’est-à-dire le fa ; les trois doigts suivants correspondent respectivement au sol, au la et au si. En « démanchant » d’un degré vers le chevalet, on passe à la deuxième position qui donne les notes sol, la, si, do, et ainsi de suite jusqu’à une treizième position assez acrobatique et fort peu usitée (c’est seulement à la fin du XVIIIe siècle que les virtuoses dépassèrent la cinquième position). Chaque position donne des résultats correspondants sur les trois cordes voisines, d’où la possibilité de jouer deux octaves sans démancher. Le même système s’applique à l’alto, le violoncelle et la contrebasse moyennant des modifications (demi-positions) nécessi- tées par les intervalles plus grands, ainsi qu’aux instruments à cordes pincées. La notion de position s’applique également aux degrés d’allongement de la coulisse du trombone. La première s’applique à la tessiture la plus aiguë, instrument fermé, et la septième à l’allongement maximal de la coulisse. Enfin, les musicologues emploient le même terme pour qualifier l’espacement des notes d’un accord (position plus ou moins large ou serrée), et sa situation par rapport à la basse fondamentale. POSTHORN (all. pour « cor de postillon »). Instrument sans piston utilisé par les postillons pour annoncer leur arrivée à l’étape. Bach l’imita au clavecin dans son Capriccio sopra la lontananza del suo fratello dilettissimo (Capriccio sur l’éloignement de son frère bien-aimé) BWV 992 (1704). Mozart l’utilisa en solo dans le second trio du second menuet de sa sérénade en ré majeur K.320 (Posthorn) de 1779 ainsi qu’à la fin (Promenade en traîneau) de ses Trois Danses allemandes K.605 (1791) et Beethoven à la fin de ses Douze Danses allemandes WoO 8 (1795). À la mesure 9 de la symphonie en ré majeur no 31, dite Mit dem Hornsignal (Appel de cor), de Haydn (1765), le premier des quatre cors fait entendre un motif authentique de cor de postillon : endroit marqué « Cor de poste de Nuremberg » sur l’édition parisienne de Sieber (annoncée en 1788) et « alla Posta » sur une copie anglaise d’époque. downloadModeText.vue.download 800 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 794 POSTLUDE. Antonyme de prélude, ce terme désigne une pièce de construction assez libre et servant de commentaire à une cérémonie qui vient de s’achever ou à une oeuvre musicale dont on vient d’entendre l’essentiel (Postlude pour l’office de Complies pour orgue de Jehan Alain, postlude pianistique des Amours du poète de Schumann). POTHIER (Dom Joseph), moine bénédictin français, restaurateur du chant grégorien (Bouzemont, Vosges, 1835 - Conques, Belgique, 1923). Ordonné prêtre en 1858, il prononce ses voeux à Solesmes en 1860. D. Guéranger le charge, la même année, d’aider D. Jausions à préparer une nouvelle édition des chants liturgiques à l’usage choral. Il termine seul ce travail après la mort de D. Jausions et, en 1880, paraît la première partie de ses recherches, les Mélodies grégoriennes d’après la tradition, suivie du Liber gradualis (1883), des Processionale monasticum et Variae preces (1888), Liber antiphonarius (1891), Liber responsorialis (1895) et Cantus mariales (1903). Nommé prieur de l’abbaye de Ligugé en 1893, puis de Saint-Wandrille en 1895, il devient abbé de ce monastère en 1898. La suppression de cette abbaye l’oblige à partir en Belgique en 1912. Sa première publication souleva un vif enthousiasme lors du Congrès grégorien d’Arezzo de 1882, mais le Liber gradualis de 1883 provoqua des dissensions entre la nouvelle école de Solesmes et les partisans de l’édition néomédicéenne, publiée chez Pustet à Ratisbonne en 1868. Il lui fallut attendre 1904 pour s’imposer, lorsqu’il fut nommé à la tête d’une commission chargée par Pie X de réaliser une édition vaticane du chant grégorien et qu’il présidera jusqu’en 1913. Son travail fut capital pour la restauration du chant grégorien. Il donna, le premier, une transcription mélodique exacte des neumes et précisa l’accentuation de la phrase en fonction du mot latin. Il négligea, cependant, la valeur rythmique des neumes qui, pour lui, étaient égaux. Cette lacune fut rapidement comblée par son élève et successeur D. Mocquereau. POT-POURRI. Expression dérivée de l’espagnol olla potrida (plat de viandes et légumes mélangés), et utilisée en France au XVIIIe siècle pour désigner, en musique, des collections de thèmes connus, notamment d’airs d’opéras en vogue. Aujourd’hui, on appelle pot-pourri (en anglais medley, en allemand Potpourri) une pièce de musique de style léger qui enchaîne rapidement, sans les développer, différents thèmes connus (airs d’une opérette, succès d’une vedette, airs classiques d’un certain genre - musette, viennois, etc.). Mais le pot-pourri est un genre ancien, né pour le seul plaisir de faire entendre et reconnaître en peu de temps une série de thèmes appréciés et évocateurs. Il joue sur la connivence, la nostalgie, le plaisir du « déjà connu », et il existe depuis longtemps sous les noms de « fricassée » (en France, XVIe s.), « quodlibet », c’est-àdire « tout ce qu’on veut », « ce qui plaît » (en Allemagne, XVIe et XVIIe s., cf. le Quodlibet de 2 thèmes populaires dans la fin des Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach), ensalada en Espagne, et misticanza en Italie. Au XVIIIe siècle, Bonin publie des sélections de danses sous le titre de Pot pourry Français. Joseph Gelinek écrit des pots-pourris pour piano d’airs d’opéras de Mozart, et, au XIXe siècle, Diabelli s’attaque de la même manière aux oeuvres de Beethoven. Chopin appelle « pot-pourri » sa Fantaisie op. 13 sur des airs polonais, et l’on publie beaucoup de « sélections » pour piano, orchestres de kiosque, bals, des airs des opéras en vogue. Aujourd’hui, le genre est bien vivant, que ce soit dans la musique de variété, ou dans la musique « sérieuse » où il revit à travers les musiques de « collage » (pot-pourri beethovénien du Ludwig van de Mauricio Kagel, et troisième mouvement de la Sinfonia de Luciano Berio [1968], qui est un grand pot-pourri de la musique occidentale construit autour du scherzo de la Deuxième Symphonie de Mahler). POUCHKINE (Alexandre Sergueiévitch), poète et écrivain russe (Moscou 1799 Saint-Pétersbourg 1837). Un grand nombre de poèmes, pièces et nouvelles de Pouchkine ont servi de sujets d’opéras aux compositeurs russes : Rouslan et Ludmilla de Glinka (Pouchkine, ami du compositeur, avait projeté de faire luimême l’adaptation de son poème, mais sa mort prématurée l’en empêcha), la Roussalka, le Convive de pierre de Dargomyjski, Boris Godounov de Moussorgski, Eugène Onéguine, Mazeppa (d’après la Poltava) et la Dame de pique de Tchaïkovski ; Mozart et Salieri, le Conte du tsar Saltan, le Coq d’or de Rimski-Korsakov ; Doubrovski de Napravnik ; Aleko (d’après les Tziganes) et le Chevalier avare de Rachmaninov ; Mavra de Stravinski, d’après la Petite Maison de Kolomna. D’autres vers de Pouchkine ont servi de base à de nombreuses mélodies, choeurs ou cantates. POUGIN (Arthur), musicologue et critique français (Châteauroux 1834 - Paris 1921). Formé au Conservatoire de Paris, il fut chef d’orchestre et violoniste avant de se consacrer à la critique et à l’histoire de la musique. Chroniqueur de plusieurs journaux, rédacteur en chef du Ménestrel (1885-1914), il collabora au Larousse universel, rédigea le supplément de la Biographie universelle des musiciens de Fétis et publia une cinquantaine d’ouvrages. Ses connaissances étaient vastes, sa curiosité et son activité inlassables, mais son érudition n’était pas toujours sûre et le véritable sens critique lui faisait défaut ainsi que l’attestent ses jugements sévères sur Carmen et sur Pelléas et Mélisande. PRINCIPAUX ÉCRITS. L. Kreutzer (1868), Meyerbeer (1864), Rode (1874), Viotti (1888), les Vrais Créateurs de l’opéra français : Perrin et Cambert (1881), Dictionnaire historique et pittoresque des théâtres et des arts (1885), Méhul (1889), l’Opéra-Comique pendant la Révolution (1891), Hérold (1906), Massenet (1914). POULENARD (Isabelle), soprano française (Paris 1961). Elle débute dans le répertoire baroque, où elle connaît un succès immédiat. Elle chante en 1982 au Festival d’Innsbruck l’Orontea de Cesti, et l’enregistre sous la direction de René Jacobs. En 1990, elle est dans les Indes galantes à Aix-en-Provence sous la direction de William Christie, avec lequel elle a aussi abordé Hippolyte et Aricie à l’Opéra-Comique. À Londres, elle se produit dans Iphigénie en Aulide avec Richard Hickox, et fait des tournées en France avec Jean-Claude Malgoire, notamment dans Platée et Montezuma de Vivaldi. On a pu aussi l’entendre dans un répertoire plus classique : elle a chanté Despina, Yniold et les Tréteaux de maître Pierre de De Falla. En 1995, elle reprend le Dialogue des carmélites à Bordeaux. Elle a créé notamment les Visites espacées de Philippe Hersant et le Tombeau d’Henri Ledroit de Jacques Lenot. POULENC (Francis), compositeur français (Paris 1899 - id. 1963). Aujourd’hui considéré comme un des plus grands compositeurs français de la première moitié du XXe siècle, il a débuté dans la musique comme petit pianiste prodige. Instruit sur cet instrument par sa mère, elle-même excellente pianiste, puis par Ricardo Viñes (« Je lui dois tout », dira-t-il plus tard), il rencontre, grâce à lui, Erik Satie et Georges Auric, dont la culture le fascine et qui sera un de ses grands amis, et se trouve rapidement introduit dans les milieux parisiens de la création musicale. Sa Rhapsodie nègre, gentiment provocatrice et « fauviste », en 1917, fait beaucoup attendre de ses dons remarquables. Mobilisé lors de la Première Guerre mondiale, il compose peu pendant cette période militaire, sauf le Bestiaire (1918-19), sur des poèmes d’Apollinaire, mélodies qui sont sa première réussite d’un genre où il fut reconnu comme très grand - celui de la mélodie. Il consolide sa formation musicale d’autodidacte avec Charles Koechlin. Quand le critique Henri Collet baptise et consacre en 1920 le groupe des Six, réuni downloadModeText.vue.download 801 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 795 autour de Cocteau (comme le groupe des Cinq russes l’était autour de Stassov), Poulenc est naturellement l’un deux, un des plus jeunes, des plus brillants. Pendant quinze ans, il va satisfaire à cette réputation d’artiste agréable, français, léger. Les influences perceptibles à l’époque dans son style, sont celles de Satie, Auric, Chabrier. La création de ses Biches en 1924, par les Ballets russes, scelle sa renommée ; on retrouve dans cette partition la quintessence de l’esprit groupe des Six, clins d’oeil, orchestre léger, thèmes d’allure « flon-flon », et savoir-faire. Des dates musicalement plus importantes sont celles de son Concert champêtre (1928), pour clavecin et orchestre, commandé par Wanda Landowska, et de son Aubade (1929), pour piano et 18 instruments, oeuvres où se fait jour, derrière le badinage « galant », une certaine amertume et un certain sens du tragique. Le tournant décisif est amené par une oeuvre modeste, sa première oeuvre religieuse, les Litanies de la Vierge Noire (1936), où, tout d’un coup, il trouve sa dimension de grand musicien catholique. Il professe alors une espèce de « foi du charbonnier », qu’il se plaît à opposer à son côté « voyou » (Claude Rostand) et libertin. Toute sa car- rière, désormais, surtout après la Seconde Guerre mondiale, va se structurer et se concentrer autour de la musique vocale et dramatique ; l’inspiration profane et l’inspiration religieuse assumées de manière parallèle se rejoindront dans une audacieuse tentative d’opéra moderne à sujet religieux (sans les séductions mythiques et fantastiques d’un sujet comme Parsifal), Dialogues des carmélites (1953-1956 ; créé à la Scala de Milan en 1957), d’après Bernanos. Même une oeuvre de musique « pure », comme le Concerto pour orgue et timbales (1938), comporte des accents liturgiques. Pendant la guerre, il a peu composé, sauf un ballet d’après La Fontaine, les Animaux modèles (1941) et la cantate Figure humaine (1943) sur un texte d’Eluard - un de ses auteurs favoris, auquel il a consacré plusieurs de ses cycles de mélodies. Son oeuvre de rentrée est un essai dramatique burlesque sur la pièce d’Apollinaire les Mamelles de Tiresias (1944 ; 1re, Opéra-Comique en 1947), oeuvre dont le thème (un homme devenant femme, se ressentant femme) court en filigrane dans son oeuvre. Sa foi catholique lui inspire un Stabat mater (1950), auquel fera écho le Gloria (1959), une de ses dernières oeuvres, dont il s’estimait très satisfait, et dans laquelle il essaie d’exprimer un sentiment religieux tour à tour grave et gai. Ses Dialogues des carmélites sont une oeuvre ambitieuse, hantée par la mort. Le rôle principal de Blanche de La Force (à laquelle il n’est pas exagéré de dire qu’il s’identifiait) triomphe dans l’interprétation de Denise Duval, grande soprano pour laquelle il écrira aussi la Voix humaine (1959), d’après Cocteau. Il effectue un voyage musical couronné de succès aux États-Unis. Si les tendances d’avant-garde le troublent parfois (« Ma musique n’est tout de même pas si mal »), il les suit avec intérêt, et elles ne l’empêchent pas d’écrire selon son goût, naturellement éclectique (les Dialogues sont placés sous le signe de Moussorgski, Monteverdi, Debussy). Après 1945, il ne composera presque plus de « musique pure ». Il n’est pas l’homme des grandes constructions abstraites, mais il aime destiner ses oeuvres à ses amis interprètes, Denise Duval, le pianiste Jacques Février (avec lequel il joue en duo), le baryton Pierre Bernac (qu’il accompagne au piano). Poulenc aime aussi voyager, enregistrer, se réfugier dans sa maison de Noizay en Touraine, dans une « solitude peuplée de visites d’amis ». Célibataire jusqu’à sa mort, très discret dans sa vie privée, il saura toujours entretenir des liens profonds d’amitié. Peu de temps après avoir achevé ses Répons sur les temps des ténèbres, il meurt d’une attaque cardiaque, le 30 janvier 1963. Ses Entretiens avec Claude Rostand, publiés en volume, ont contribué à maintenir vivante sa figure, et il est l’un des rares compositeurs français de sa génération (sinon le seul) à avoir évité le « purgatoire » et à être encore abondamment joué et repris vingt ans après sa mort. Certes, il savait plaire d’instinct, et quels que soient les risques pris au niveau du sujet, garder son public avec lui. Il est vrai que, si ses oeuvres symphoniques et lyriques sont souvent reprises, sa musique de piano et ses mélodies, réputées, restent dans l’ombre. On n’insistera pas sur ses qualités reconnues de « musicien français « : clarté, sens de la mesure, sensualité, humour, etc. Tout son problème fut peutêtre d’échapper à ses dons et à sa facilité incontestable. Son anodine Rhapsodie nègre de 1917 montre déjà à dix-huit ans, au complet, sa musicalité, son art de faire de la musique avec rien et de se faire écouter, son sens exact des timbres. Le succès avec lequel elle fut accueillie avec ses pareilles, dans une époque où cette « esthétique d’agrément » battait son plein, exposait Poulenc à répéter indéfiniment la même inspiration gracieuse et un peu courte. Heureusement, il sut devenir plus que ce qu’il était au départ, plus qu’un musicien avec tous les dons, mais qui, ayant reçu les qualités mêmes de ceux qu’il adorait, n’en possédait aucune à un point vraiment important : moins acéré que Satie, moins vivant que Chabrier, moins profond que Debussy, moins pur que Mozart, moins orchestrateur que Ravel, bien qu’il tînt des uns et des autres. Il avait aussi - et ceci, seul, fit son succès - un sens inné de la mélodie comme totalité, comme courbe, dans ses proportions et son phrasé. Cela même quand l’inspiration en est plate - ce qui lui arrive souvent -, et on ne sait pas toujours quand c’est « voulu ». Un rien de vulgarité bourgeoise, de laisser-aller, de complaisance se retrouve même dans la très belle mélodie initiale de sa Sonate pour piano et flûte. Avec cette façon un peu suffisante de retomber sur ses pieds dans la cadence (moment où Poulenc laisse souvent sentir la facilité), elle n’emporte pas vraiment l’émotion, sa beauté est comme un masque, une parade. L’élément de risque, de frémissement, qui manquait à ce style si coulant, fut trouvé par Poulenc dans le domaine religieux et dramatique. Il ne voyait pas pourquoi, musicalement, il se fût « refusé » quelque chose, voulait ignorer ce que cela signifie, mais c’est avec une sympathique franchise qu’il citait ou imitait Mozart, Moussorgski ou Chabrier. Il s’est donc rajeuni et a été « sauvé » par l’Église et par la scène, toutes deux associées dans le projet insolite de ces Dialogues des carmélites, qui l’occupa trois ans. Même ses mélodies, sur des poèmes de Paul Eluard, Apollinaire, Louise de Vilmorin, dont la production ponctue à peu près régulièrement sa carrière, et que les connaisseurs apprécient pour leur concentration et la qualité de leur prosodie, sont restées un peu confinées dans leur « succès d’estime » et n’auraient pas, à elles seules, suffi à sortir l’oeuvre de Poulenc du cercle où elle s’était d’abord enfermée, avec quel talent cependant : car une des grandes qualités de la musique de Poulenc, sa lisibilité, distingue des oeuvres comme les Biches ou le Concert champêtre de tant de « musiques d’agrément », qui ont mal vieilli et sont devenues, pour nos oreilles modernes, pâteuses et informes. Reconnaissons donc, à travers toute son oeuvre, un certain génie de la clarté qui n’a pas été donné à beaucoup. Et qu’on n’aurait pu imiter, si ce compositeur, qui sut prendre son bien partout, avait eu des imitateurs. Au moins la seconde partie de sa carrière lui a-t-elle permis de conquérir sa solitude. POULET (Gérard), violoniste français (Bayonne 1938). Fils du chef d’orchestre Gaston Poulet, enfant prodige, il entre à l’âge de onze ans au Conservatoire de Paris et obtient un 1er Prix l’année suivante, à l’unanimité. Lauréat en 1956 du Concours international Paganini de Gênes, il reçoit les conseils de Francescatti, Menuhin et, surtout, Henryk Szeryng, qu’il considère comme son maître. Parallèlement à ses concerts dans le monde entier, il enseigne à partir de 1979 au Conservatoire de Paris. Cette double carrière de soliste et de pédagogue le mène en Chine et au Japon, où il donne downloadModeText.vue.download 802 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 796 des récitals et des master-classes. Il fait partie du Trio Stradivarius. POUSSÉ. Mouvement de l’archet de la pointe vers le talon. Il permet d’attaquer la corde avec moins de vigueur, mais plus de souplesse que le « tiré », son contraire. POUSSEUR (Henri), compositeur belge (Malmédy 1929). Il a fait ses études au conservatoire de Liège (1947-1952), où il obtint un premier prix d’harmonie et un second prix d’orgue, puis à celui de Bruxelles (1952-53), où il remporta un premier prix de fugue dans la classe de Jean Absil. À Liège, il se lia au groupe vocal Variations, organisé autour de Pierre Froidebise. Il rencontra Pierre Boulez dès 1951 et, en 1954, travailla au studio de musique électronique de Cologne. Il passa, en 1957, deux mois à celui de Milan et, en 1958, il fonda le Studio de musique électronique de Bruxelles. Les premières oeuvres de Pousseur témoignent de son admiration pour Webern : Trois Chants sacrés, pour soprano et trio à cordes (1951) ; Symphonies à 15 solistes (1954-55) ; Quintette à la mémoire d’Anton Webern, pour clarinette, clarinette basse, violon, violoncelle et piano (1955, joué à Donaueschingen la même année) ; Mobile, pour 2 pianos (19561958) ; Madrigal I, pour clarinette (1954). En 1954 fut réalisé à Cologne Seismogrammes I et II, pour bande à une piste, et en 1957, à Milan, Scambi, pour bande à 2 pistes. En 1960 suivit à Bruxelles le ballet électronique Électre, qui obtint la même année le prix Italia. Pousseur travailla, de 1961 à 1963, au Studio de musique électronique de Monaco, et en 1962 il fonda le centre d’études Musiques nouvelles, dans le cadre duquel il organisa des séries de concerts avec l’Ensemble musiques nouvelles dirigé par Pierre Bartholomée. Il enseigna, de 1962 à 1968, à l’École supérieure de musique de Cologne et, en 1963-64, à l’Académie de musique de Bâle. En 1965, il travailla au Studio de musique électronique de l’université de Gand. Cette même année ainsi qu’en 1967, il tint une série de séminaires au Centre de sociologie de la musique de l’université libre de Bruxelles et, en 196667, il fut invité à l’université de Buffalo. Entre 1957 et 1967, il enseigna à Darmstadt. Durant cette période, il s’intéressa de plus en plus aux matériaux extramusicaux, à l’aléatoire et aux multimedia. Il en résulta notamment Rimes, pour différentes sources sonores (1958-59 ; créé à Donaueschingen, 1959), Ode, pour quatuor à cordes (1960-61), Madrigal II, pour flûte, violon, viole de gambe et clavecin (1961), et III, pour clarinette, 2 percussions, piano, violon et violoncelle (1962), et Trois Visages de Liège (1961), oeuvre pour bande à 2 pistes composée pour le spectacle Forme et Lumières de la ville de Liège. En 1967, l’année de Couleurs croisées, pour orchestre, Pousseur acheva une de ses oeuvres maîtresses, la fantaisie variable genre opéra Votre Faust (1960-1967), pour soprano, alto, ténor, basse, 5 acteurs, 12 instruments et bande et résultant d’une collaboration avec Michel Butor (création le 15 janvier 1969 à la Piccola Scala de Milan). Cet ouvrage, où le public a la possibilité d’intervenir et d’orienter l’action dans tel ou tel sens, fait du procédé de la citation littéraire et musicale un usage vaste et subtil et donna naissance à plusieurs « oeuvres satellites » comme Miroir de votre Faust (1964-65), Portail de votre Faust (1960-1966), Jeu de miroir de votre Faust (1967), Échos de votre Faust (1967), Ombres de votre Faust, Fresques de votre Faust. En 1970, Pousseur se réinstalla à Liège, où il fonda le Centre de recherches musicales de Wallonie, et fut d’abord chargé d’enseignement à l’université de cette ville. Au conservatoire de Liège, il fut chargé d’un séminaire de musique expérimentale, puis en 1971 de la classe de composition. En 1975, il devint directeur de cet établissement et s’attacha principalement à une tâche de rénovation pédagogique tout en dirigeant également la Société des concerts du Conservatoire (avec comme instrument principal l’orchestre dirigé depuis 1977 par Pierre Bartholomée). Parmi les principales oeuvres de cette période, les Éphémérides d’Icare II, pour piano et instruments, page se référant notamment à Michel Butor et, à travers lui, à Charles Fourier ; Crosses of Crossed Colors, pour voix de femme amplifiée, piano et 6 sources sonores (1970) ; Invitation à l’utopie (1970-71, version amplifiée des Éphémérides d’Icare II), pour récitant, 2 voix de femmes, choeur à 4 voix, une soliste principale, un concertino et un concerto grosso ; Midi-Minuit, déroulement ininterrompu de musiques (1971) ; Stravinski au futur, composition collective (1971), Ex-Dei in machina memoria, pour un instrument mélodique et appareillage électroacoustique (1971) ; l’Effacement du prince Igor, pour grand orchestre (1971) ; Vue sur les jardins interdits, pour quatuor de saxophones (1973, version pour orgue parue la même année) ; Schönbergs Gegenwart ou les Épreuves de Pierrot l’Hébreu, pour acteurs, chanteurs et instruments (1974, pour le centenaire de Schönberg, version française Procès du jeune chien, 1978) ; Liège à Paris, oeuvre électroacoustique pour l’ouverture de l’I. R. C. A. M. (1977) ; Chevelure du temps, oratorio populaire en collaboration avec Michel Butor (1979) ; les Îles déchaînées pour ensemble de jazz, ensemble expérimental et orchestre symphonique (1980) ; la Seconde Apothéose de Rameau, pour ensemble (1981 ; créée à Paris par l’Ensemble intercontemporain, novembre 1981) ; Nacht der Nächte, créé à l’opéra de Hambourg en 1985 ; Dichterliebesreigentraum pour soprano, baryton, 2 pianos, choeur et orchestre (1994). On doit également à Henri Pousseur de nombreux écrits, dont l’Apothéose de Rameau (essai sur la question harmonique) [Paris, 1968], Fragments théoriques I sur la musique expérimentale (Bruxelles, 1970), Stravinski selon Webern selon Stravinski (Paris, 1971) et Musique, sémantique, société (Paris, 1972). Il a pris en 1983 puis abandonné la direction générale et scientifique de l’Institut de pédagogie musicale mis en place pour la future Cité de la musique à la Villette. PP. Abréviation usuelle de « pianissimo ». PRADES (festival de). Il se tient, depuis 1950, dans ce chef-lieu d’arrondissement des Pyrénées-Orientales, où Pablo Casals avait choisi de s’exiler après l’établissement en Espagne du régime de Franco. L’initiative en revient au violoniste Alexandre Schneider, qui, venu rendre visite à Pablo Casals en 1949, lui proposa d’inviter chaque année à Prades des musiciens pour jouer avec lui. Pablo Casals accepta. Selon le voeu de son créateur, essentiellement consacré à la musique de chambre, et pris en charge depuis 1968 par la ville de Prades, le festival se déroule de la fin juillet à la mi-août dans l’abbaye romane de Saint-Michel-deCuxa, au pied du Canigou. Se sont notamment produits au festival de Prades Clara Haskil, Rudolf Serkin, Wilhelm Kempff, William Primrose, Isaac Stern, Henryk Szeryng, Marcel Dupré, Pierre Fournier, Igor Oïstrakh, Christoph Eschenbach, Yehudi Menuhin, Kurt Redel, et Alexandre Schneider. PRAETORIUS, famille de musiciens allemands. Jacob, organiste et compositeur (Magdebourg v. 1530 - Hambourg 1586). Peut-être élève de Martin Agricola à Magdebourg, il fut, de 1558 à sa mort, premier organiste à Saint-Jacobi de Hambourg. Sa seule oeuvre connue est un Te Deum à 4 voix. Hieronymus, compositeur, organiste et éditeur (Hambourg 1560 - id. 1629). Fils du précédent, il fut son assistant à Saint-Jacobi, lui succéda en 1586 comme premier organiste et conserva ce poste jusqu’à sa mort. On lui doit des messes, des Magnificat et plus de 100 motets, dont la plupart en latin. Toutes ces oeuvres sauf 5 furent publiées à Hambourg entre 1616 et 1625. Les messes sont toutes parodiques (4 d’après ses propres motets). Cinquante de downloadModeText.vue.download 803 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 797 ses motets sont des oeuvres polychorales pour un nombre de voix allant de 8 à 20, et comptent parmi les premiers ouvrages inspirés du style polychoral vénitien à avoir été publiés en Allemagne du Nord. Il écrivit aussi quelques pages pour orgue. Jacob, compositeur, organiste et péda- gogue (Hambourg 1586 précédent, il étudia linck à Amsterdam et de la musique vocale d’orgue. - id. 1651). Fils du l’orgue avec Sweeécrivit des motets, profane, des oeuvres Johannes, organiste et compositeur (Hambourg v. 1595 - id. 1660). Frère du précédent, il fut comme celui-ci élève de Sweelinck à Amsterdam et occupa, de 1612 à sa mort, le poste d’organiste à la Nikolaikirche de Hambourg. PRAETORIUS (Michael), compositeur, organiste et théoricien allemand (Creuzburg an der Werra v. 1571 - Wolfenbüttel 1621). Esprit encyclopédique, il étudia la musique, la philosophie et la théologie, principalement à Francfort-sur-l’Oder, où il fut organiste. On le retrouve ensuite à Gröningen et à Wolfenbüttel, où il se fixa dès 1593 et où il demeura jusqu’à sa mort, tout en remplissant diverses fonctions : maître de chapelle de la Cour à Wolfenbüttel, conseiller de la maison de Saxe et maître de chapelle (de 1613 à 1616) à Dresde, conseiller à Sandershausen, à Kassel, à Leipzig et à Nuremberg, sans jamais occuper de poste stable pendant longtemps. Il contribua à la fondation, en 1618, de la Concert music de la cathédrale de Magdebourg, avec Scheidt et Schütz. Ses oeuvres musicales sont très nombreuses et ont été presque toutes publiées de son vivant ; il en a donné lui-même la liste à la fin de son traité Syntagma musicum. Ce sont principalement, pour la musique religieuse, les motets, les hymnes et les psaumes contenus dans les 9 volumes des Musae sioniae (de 2 à 12 voix ; 16051610), les Motectae et psalmi (de 4 à 16 voix ; 1607), la Missodia sionia (de 5 à 8 voix ; 1611), l’Hymnodia sionia (de 5 à 8 voix ; 1611), la Kleine und Grosse Litaney (de 5 à 8 voix ; 1613), la Polyhymnia caduceatrix et panegyrica (de 1 à 21 voix, avec basse continue ; 1619) et la Polyhymnia exercicatrix (de 2 à 8 voix, avec basse continue ; 1619) ; et, pour la musique profane, 9 volumes portant le titre général de Musa aonia et composés de Terpsichore (2 vol.), Calliope (2 vol.), Thalia (2 vol.), Erato (1 vol.), Diana Teutonica (1 vol.) et Das Regensburgische Echo (l’Écho de Ratisbonne, 1 vol.) ; ces recueils contiennent des danses et des chansons polyphoniques. Le trait dominant qui caractérise les oeuvres de Praetorius réside dans l’enrichissement qu’il a apporté au style musical pratiqué dans l’Allemagne du Centre de son temps par l’adjonction de plus en plus marquée d’éléments de langage empruntés à la musique italienne qu’il a beaucoup étudiée. Ses premières oeuvres font encore appel à la polychoralité, plusieurs choeurs à plusieurs voix étant réunis, et, sur le plan de la forme, au motet fondé sur le choral harmonisé. Mais, rapidement, il fait évoluer ces formes anciennes et rigides en les marquant de la souplesse expressive du madrigal italien, puis en leur ajoutant des parties instrumentales qui contribuent, avec l’ornementation des parties chantées, à enrichir la polyphonie de sonorités nouvelles et plus variées. Cette évolution le mène à concevoir une véritable basse continue instrumentale, qui apparaît très nettement dans ses dernières oeuvres (les recueils de Polyhymnia de 1619). Ainsi, en une époque de complète transformation du langage musical, Praetorius contribue puissamment, en Allemagne, à faire passer la polyphonie chorale héritée du XVIe siècle à la musique baroque qui va se développer au XVIIe siècle. À son actif, il faut également relever un nouveau mode de traitement du choral, dont la mélodie se voit accompagnée de voix polyphoniques empruntant leurs lignes à des motifs issus du thème même, selon une technique dont se souviendra J.-S. Bach. Mais Praetorius eut également une profonde influence par ses écrits, dans lesquels il fit la synthèse des très nombreuses connaissances qu’il avait acquises. On connaît de lui un Traité de l’orgue, resté manuscrit ; mais son principal ouvrage est la grande somme des 3 tomes du Syntagma musicum (« Traité de la musique »), publié à Wolfenbüttel de 1614 à 1620. Écrit en latin et en allemand, il traite, dans son premier tome, de l’ancienne musique religieuse et des différentes musiques liturgiques connues (juive, grecque, égyptienne, latine, jusqu’aux formes pratiquées en Allemagne), ainsi que des musiques profanes anciennes, des compositeurs et des théoriciens. Le deuxième volume, intitulé Organographia, est un magistral traité d’organologie : nomenclature et description de tous les instruments connus, du passé et du présent, et de leur facture. Enfin, le troisième volume est consacré à la théorie de la musique : notation, solmi- sation, rythme, contrepoint. PRATELLA (Francesco Balilla), compositeur, théoricien et musicologue italien (Lugo di Romagna 1880 - Ravenne 1955). Il fait ses études au Liceo musicale de Pesaro, où il travaille, notamment, avec P. Mascagni, puis dirige, de 1910 à 1929, le même établissement à Lugo di Romagna, et, de 1927 à 1945, celui de Ravenne. Il a composé quelques pièces instrumentales, de la musique dc chambre, des chansons, des poèmes symphoniques et surtout des oeuvres pour la scène (opéras, opérettes, musiques de scène, musiques de film, etc.). Il est surtout connu pour ses prises de position au début du siècle, lorsqu’il adhère au mouvement futuriste de Marinetti. Pratella publie alors 3 ouvrages (Manifesto dei musicisti futuristi, 1910 ; Manifesto tecnico della musica futurista, 1911 ; La distruzione della quadratura, 1912), dans lesquels il expose de nouveaux principes de composition (atonalité, entre autres). Après quelques tentatives d’application souvent peu convaincantes (Musica futurista op. 30, composée en 1912 et rebaptisée peu après Inno alla vita ; L’aviatore Dro op. 33, 1911-1914), il se consacre plutôt à la recherche musicologique (Musica italiana, 1915 ; L’evoluzione della musica : dal 1910 al 1917, 1918-19...) et en particulier à l’étude de la musique folklorique italienne (surtout romagne) sur laquelle il publie un certain nombre d’ouvrages de valeur : Saggio di gridi, canzoni, cori e danze del popolo italiano (1919), Etnofonia di Romagna (1938), Primo documentario per la storia dell’etnofonia in Italia (1941). Il a, en outre, édité divers recueils de musique vocale : Il terzo libro delle Laudi spirituali (1916), Il libro della musica e del canto in coro, en trois volumes (1951). PREINDL (Joseph), compositeur autrichien (Marbach, Basse-Autriche, 1756 Vienne 1823). Également organiste et théoricien, il étudia avec Albrechtsberger, à qui il succéda en 1809 au poste de maître de chapelle de la cathédrale Saint-Étienne de Vienne. Comme compositeur, il s’illustra surtout dans le domaine religieux. PRÉLUDE. Genre musical qui a pris plusieurs formes dans l’histoire de la musique occidentale, avec certaines constantes. Normalement et en mettant à part le prélude d’opéra traité à la fin de cet article, il s’agit d’une pièce musicale destinée à un instrument soliste (rarement à la voix ou à l’orchestre) qui a pour fonction d’introduire à une autre pièce de caractère plus composé (alors que la forme du prélude est souvent libre, et son style proche de l’improvisation). Le prélude, en tant qu’oeuvre écrite, est d’ailleurs issu des improvisations introductives des luthistes, des organistes, quand ils essayaient leur instrument, se mettaient en train, affirmaient la tonalité, etc. L’équivalent du prélude se retrouve dans certaines musiques non européennes, la musique indienne, par exemple, avec ses alaps, improvisations de rythme fluide, où l’on « touche » l’instrument et où on dessine peu à peu la figure du « mode » utilisé (raga). Le prélude est donc souvent, à maints égards, la musicalisation, l’intégration musicale de ce moment presque informel où l’interprète prend contact avec l’instrument, le downloadModeText.vue.download 804 sur 1085 DICTIONNAIRE DE LA MUSIQUE 798 prend en main, pour l’accorder (luthiste, guitaristes), l’essayer, le faire résonner, se le mettre en doigts, etc., et il utilise de manière privilégiée les modes de jeu spécifiquement instrumentaux : traits, accords arpégés, ornements. En quelque sorte, il affirme l’instrument et son accord déroule un discours musical abstrait. À partir de la fin du XIXe siècle, le prélude est aussi devenu, avec Hummel et Chopin, un genre pianistique, consistant en une ou plusieurs pièces autonomes (qui ne préludent plus à... un autre mouvement), pièces assez brèves et de forme libre, souvent regroupées en cahiers et en recueils qui embrassent la totalité des 24 tons majeurs et mineurs (comme l’avait fait le cycle de Jean-Sébastien Bach, le Clavier bien tempéré, avec ses 48 préludes et fugues). Howard Ferguson propose, avec pertinence, de distinguer 3 types de préludes : le prélude qui a une suite spécifique, c’est-à-dire intégrée dans un ensemble où il prélude à une autre pièce particulière (premier type) ; le prélude unattached, c’est-à-dire destiné à introduire toute pièce de même tonalité pour le même instrument - il est publié par recueils de plusieurs préludes et constitue le second type (les Préludes de choral, dans l’Église protestante, destinés à introduire le chant d’un choral en le paraphrasant, seraient une forme particulière de prélude unattached) ; et enfin, le prélude tout à fait indépendant, comme les préludes pianistiques de Chopin, Debussy, etc. La littérature musicale du XVIe et du XVIIe siècle proposait de très nombreux préludes des deux premiers types, parfois sous le titre d’intonazione, de toccata, d’intrada, de ricercare, etc. On en trouve dans les Fiori musicali, pour orgue, de Frescobaldi (1635), dans le Fitzwilliam Virginal Book (1609-1619). Mais les premiers préludes notés sont apparus au début du XVe siècle (tablature d’orgue d’Adam Ileborgh, 1448), et, auparavant, ils étaient pratiqués couramment par les instrumentistes sans être notés (cf. chansons polyphoniques de la Renaissance). Le prélude non mesuré, à la française, où ne sont notées que les notes de base de l’improvisation, en rondes sans barre de mesure, témoigne de cet état primitif : il serait né chez les luthistes, dont l’instrument nécessite un long accord, et la vérification de cet accord en faisant courir les doigts librement sur les cordes. Les premiers préludes non mesurés pour luth datent de 1630 environ. On en trouve, par la suite, pour la viole et, surtout, pour le clavecin, chez Louis Couperin, D’Anglebert, Nicolas Lebègue, Louis Marchand. Leur style est souvent proche de la « toccata », ou bien du « tombeau » en hommage à des sommités disparues. Leur partition se présente comme un canevas de notes « flottantes » (aucune durée n’étant marquée), qu’il s’agit d’arpéger, d’ornementer, de relier, de rythmer, d’harmoniser librement, dans un rythme non pulsé (ce caractère non pulsé du prélude non mesuré, comme dans l’alap indien, est à relever). Au XVIIe siècle, et dans la première moitié du XVIIIe siècle, c’est le prélude du premier type qui prédomine, servant à introduire une fugue, ou une suite de danses. Chez Bach, les Suites anglaises se distinguent des Suites françaises par la présence d’un prélude avant les danses proprement dites. Dietrich Buxtehude contribue à développer le genre prélude et fugue, que Jean-Sébastien Bach va porter à son apogée (notamment avec les 48 préludes et fugues du Clavier bien tempéré). La musique occidentale a connu peu de formes aussi expressives dans leur concision et leur juxtaposition brutale que les préludes et fugues de Bach. Le XVIIIe siècle « galant » ayant généralement délaissé la fugue (sauf dans quelques oeuvres isolées), on voit réapparaître le couple prélude et fugue surtout au XIXe siècle, mais déjà dans une optique néoclassique, en référence à Bach - père de la musique -, ainsi en est-il des 6 Préludes et fugues op. 35 de Mendelssohn (18321837), de la Fantaisie et fugue de Liszt sur les lettres B, A, C, H, des 2 Préludes et fugues de Brahms pour orgue (1856-57), ou du Prélude, choral et fugue, pour piano, de César Franck (1884). C’est au XIXe siècle que le prélude devient un genre plus spécifiquement pianistique : le prélude du second type (unattached) s’est perpétué avec les 50 Préludes op. 73 de Moscheles, écrits en 1827, et qui affichent un propos pédagogique, tout en cherchant, à l’instar du Clavier bien tempéré, à épuiser toutes les tonalités. Cette formule, inspirée de Bach, d’un cahier de 24 préludes parcourant tous les tons majeurs et mineurs et cherchant plus ou moins à exprimer un ethos, un climat propre à chaque ton, sera reprise dans l’op. 67 de Johann Nepomuk Hummel (1814-15), puis illustrée par Frédéric Chopin (24 Préludes op. 28, 1836-1839), Stephen Heller (op. 81, 1853), Charles-Valentin Alkan (op. 31, 1847), César Cui (op. 64, 1903), Ferrucio Busoni (op. 37, 1879-80), etc. Il s’agit alors de préludes indépendants, du troisième type : le prélude a coupé le cordon ombilical avec sa fonction primitive d’introduction. L’édition française des Préludes de Chopin, pour piano, fut dédiée à Camille Pleyel, leur éditeur, à qui Chopin en avait vendu d’avance le projet. Chopin les écrivit sur une période assez longue, et les termina à Majorque (lors de son séjour sur cette île avec George Sand), assemblant les 24 pièces qui composent l’ensemble comme les pièces très disparates et variables d’une mosaïque dissymétrique et cependant très cohérente. Ils se souviennent très librement des préludes du Clavier bien tempéré, que Chopin se jouait quotidiennement. Schuma