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Byzantine Religious Culture Studies in Honor of Alice-Mary Talbot C op yr ig ht Pr ot ec te d M ia at er Denis Sullivan Elizabeth Fisher Stratis Papaioannou l Edited by LEIDEN • BOSTON 2012 Cover illustration: Detail from a miniature in the mid-12th c. manuscript known as the Madrid Skylitzes (Madrid Biblioteca Nacional vitr. 26–2, fol. 84r). It bears the caption “the mother of Basil narrates her vision to the woman.” With kind permission of the Biblioteca Nacional de España. This book is printed on acid-free paper. Library of Congress Cataloging-in-Publication Data Byzantine religious culture : studies in honor of Alice-Mary Talbot / edited by Denis Sullivan, Elizabeth Fisher, Stratis Papaioannou. p. cm. — (The medieval Mediterranean, ISSN 0928-5520 ; v. 92) English, French, and German. Includes index. ISBN 978-90-04-21244-2 (hardback : alk. paper) 1. Byzantine Empire—Religious life and customs. I. Talbot, Alice-Mary Maffry. II. Sullivan, Denis. III. Fisher, Elizabeth A. IV. Papaioannou, Stratis. 2011036378 op yr ISSN 0928-5520 ISBN 978 90 04 21244 2 ig ht Pr ot ec te d M at er ia l BX300.B995 2012 274.95'04—dc23 C Copyright 2012 by Koninklijke Brill NV, Leiden, The Netherlands. Koninklijke Brill NV incorporates the imprints Brill, Global Oriental, Hotei Publishing, IDC Publishers, Martinus Nijhoff Publishers and VSP. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, translated, stored in a retrieval system, or transmitted in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording or otherwise, without prior written permission from the publisher. Authorization to photocopy items for internal or personal use is granted by Koninklijke Brill NV provided that the appropriate fees are paid directly to The Copyright Clearance Center, 222 Rosewood Drive, Suite 910, Danvers, MA 01923, USA. Fees are subject to change. UNE HÔTESSE IMPORTANTE DE L’ÉGLISE SAINT-JEAN-BAPTISTE DE L’OXEIA À CONSTANTINOPLE : FÉBRONIE Michel Kaplan ec te d M at er ia l L’un des recueils de miracles les plus intéressants du VIIe siècle est sans doute celui dédié à Artémios, officier martyrisé à Antioche sous Julien1. Sa relique se trouve alors dans la crypte de l’église Saint-Jean Baptiste de l’Oxeia à Constantinople, construite sans doute sous Anastase sur un terrain donné par lui, à proximité des portiques de Domninos qui partent du tétrapyle de la Mésè en direction de la Corne d’Or. Artémios guérit, après incubation dans le collatéral nord de l’église2, les maladies qui frappent les organes génitaux masculins. Les femmes ne sont donc pas ses clientes, même si de nombreuses femmes se rendent dans l’église de l’Oxeia, notamment pour accompagner des enfants. Une seule guérison concerne une fille : C op yr ig ht Pr ot Une femme avait une fille sur le point de se marier et, après les fiançailles, elle fut prise d’une enflure soudaine aux parties. Celle-ci vint avec sa mère auprès du saint martyr pour recevoir de lui la guérison. Quand elles y eurent passé quinze jours, elles se découragèrent et rentrèrent chez elles bredouilles. Cette nuit-là, le saint apparaît à la mère et lui dit : « Va voir sœur Fébronie, c’est elle qui la guérira ». À son réveil, elle comprend le sens caché de la vision ; elle prend sa fille avec elle et court à l’église de saint Jean-Baptiste et Prodrome. Car dans cette église il y a la châsse du saint martyr sous le grand sanctuaire, et, à droite du 1 La première édition de ce recueil a été publiée par Papadopoulos-Kerameus (1909). Une traduction anglaise et un commentaire ont été publiés récemment par Crisafulli et Nesbitt (1997), avec un essai de J. F. Haldon. Une nouvelle édition avec traduction et commentaire a été réalisée par V. Déroche, Les miracles d’Artémios (BHG 173a) (mémoire d’habilitation, Université Paris IV, (Paris) 2002) et devrait paraître prochainement. 2 En attendant celle de V. Déroche et celle que je prépare, la meilleure reconstitution existant à l’heure actuelle de ce sanctuaire détruit par l’incendie provoqué par les croisés les 19 et 20 août 1203 se trouve dans Mango (1979). Dernières publications sur les miracles d’Artémios : Déroche (1993) ; Efthymiadis (2004). Les malades d’Artémios pratiquent l’incubation dans le collatéral nord, fermé par des grilles durant la nuit pour empêcher l’errance des malades dans le sanctuaire ; symétriquement, le collatéral sud, qui aboutit à l’est à l’oratoire de Fébronie, est consacré à l’incubation des clientes de celle-ci, et il est clos par des grilles dans les mêmes conditions. 32 michel kaplan sanctuaire, il y a l’oratoire de la sainte martyre Fébronie. Cette même nuit, la mère de la jeune fille voit de nouveau une femme très belle, portant l’habit monastique, qui fait un emplâtre avec le cérat (κηρωτή) et le place sur le sexe de son enfant en lui disant : « Va, rends grâces à Dieu, au saint Prodrome et à saint Artémios ». Et au moment même où elle lui disait cela, la mère de la jeune fille se réveilla, se leva de son lit et alluma un petit cierge ; elle tâta sa fille et trouva l’emplâtre posé comme elle l’avait vu, et son enfant guérie comme si elle venait de naître3. C op yr ig ht Pr ot ec te d M at er ia l Bien entendu, l’auteur anonyme du recueil de miracles a pour but de mettre en lumière les exploits d’Artémios, non de Fébronie. Il ne peut toutefois pas négliger totalement la place de cette dernière. À plusieurs reprises en effet, au lieu que la guérison soit opérée par le seul Artémios, elle met en scène les trois saints personnages de l’église, son dédicataire principal Jean-Baptiste et les deux guérisseurs. Lorsque Jean-Baptiste intervient dans les guérisons d’Artémios, Fébronie est présente. C’est le cas au miracle 6 : le marin Isidore, une fois guéri, voit apparaître le saint en compagnie d’un ouvrier portant la mélote et des sandales (Jean-Baptiste), et avec eux une femme en habit de moniale, qui s’adressent conjointement à lui pour lui dire de partir4. Au miracle 38, Georges Koutalès, fils de changeurs d’or, encore enfant, est lecteur au Prodrome ; il a appris le métier de changeur, mais en méprise les excès et s’installe dans l’église. Ses parents l’en arrachent et il tombe aussitôt malade des testicules. Ses parents le conduisent à l’église du Prodrome et l’y abandonnent. Le trente huitième jour, il dort dans le collatéral nord et croit voir dans son sommeil sortir du sanctuaire Artémios, suivi du Prodrome, lui-même suivi à trois pas de Fébronie, habillée en moniale. Ils passent les grilles proches du skévophylakion et traversent le collatéral où sont couchés les malades. Artémios dépasse Georges, mais Jean-Baptiste et Fébronie s’arrêtent devant Georges et font revenir Artémios. Celui-ci fait le signe de la Croix sur toute la longueur de l’enfant. Puis ils poursuivent leur chemin jusqu’au narthex, laissant l’enfant guéri5. L’intervention de Jean-Baptiste se justifie par le fait que Georges est membre du clergé du Prodrome. La présence 3 Miracles of St. Artemios 140.17–142.8, Crisafulli et Nesbitt (1997). Quand le miracle dit que la mère « voit de nouveau une femme très belle », l’expression renvoie à la précédente vision, celle où Artémios lui était apparu. Quant aux remerciements, adressés à Jean-Baptiste et à Artémios, l’on comprend que Fébronie, par discrétion, ne s’inclut pas dans la liste. 4 Miracles of St. Artemios 90.3–7, Crisafulli et Nesbitt (1997). 5 Miracles of St. Artemios 198.16–200.7, Crisafulli et Nesbitt (1997). fébronie 33 C op yr ig ht Pr ot ec te d M at er ia l de Jean-Baptiste dans la vision réunifie l’espace sacré, ce qui justifie la présence de Fébronie : l’église est bien celle du Prodrome et lui appartient entièrement ; les espaces symétriques d’Artémios (collatéral nord) et de Fébronie (collatéral sud) ne sont que des subdivisions spécialisées d’un ensemble spatial plus grand. Que Fébronie est bien en ce lieu à égalité avec Artémios, nous l’apprenons dans un autre miracle. L’église de l’Oxeia est en effet le siège d’une confrérie dont la mission principale est d’assurer la veillée qui se tient chaque samedi soir jusqu’au lendemain matin ainsi que les veilles de fête, accompagnée d’une procession dans le quartier avoisinant. Nous connaissons l’un des membres de cette confrérie, âgé de 62 ans. Il apparaît dès le miracle 186 où il s’est fait voler ses vêtements de procession, puis de nouveau au miracle 22. Il est alors atteint d’hydropisie et soigné à proximité, au xénôn du quartier ta Christodotès, près de Sainte-Anastasie dans les portiques de Domninos. Non seulement il ne guérit pas, durant dix mois, mais devient malade des testicules, ce que les médecins lui présentent comme incurable. Il récrimine contre les saints : « oui, saint Jean, saint Artémios et sainte Fébronie, je vous ai servis depuis l’âge de 10 ans jusqu’à aujourd’hui, pour être infirme dans ma vieillesse »7. On en déduira que la confrérie s’applique aux trois saints. L’homme implore Artémios qui finit par lui apparaître et le guérir dans cet hôpital voisin. Il paraît donc clair qu’Artémios et Fébronie sont présents quasiment à égalité dans l’église du Prodrome de l’Oxeia, avec une différence importante. En effet, la relique d’Artémios repose dans l’église à une place privilégiée, dans la crypte qui se trouve sous l’autel ; les miracles ne mentionnent pour Fébronie qu’un oratoire (εὐκτήριον) sans parler d’une relique. Que l’oratoire contienne ou non les restes de Fébronie, celle-ci ne bénéficie pas de l’emplacement privilégié qui est réservé à Artémios. Les autres sources disponibles qui permettent d’estimer l’importance comparée d’Artémios et de Fébronie à Constantinople sont contradictoires. Les Patria du Xe siècle, récits légendaires des origines de Constantinople, portent : « Saint-Artémios à l’Oxeia : l’église du Baptiste fut construite par Anastasios Dikoros, l’ex-silentiaire, celui qui était originaire de Dyrrachion, car, tandis qu’il était prôtoasèkrètis, 6 Nous ne nous attardons pas sur ces évènements, détaillés dans l’article de Efthymiadis (2004). 7 Miracles of St. Artemios 132.12–14, Crisafulli et Nesbitt (1997). 34 michel kaplan C op yr ig ht Pr ot ec te d M at er ia l il avait coutume d’habiter là. Après la translation des reliques de saint Artémios, l’église prit son nom »8. L’intérêt de ce texte est précisément qu’il est faux : les synaxaires parlent de cette église à deux reprises sous le nom de Saint-Jean-Baptiste, le 20 octobre (fête d’Artémios) et le 25 juin (fête de Fébronie) ; les deux sont donc à égalité, mais toujours en sous-ordre du Prodrome. Dans le Synaxaire, au 20 octobre, la notice d’Artémios, sur une colonne, se termine par : « il a été déposé dans le sanctuaire du saint prodrome et baptiste Jean de l’Oxeia, où l’on célèbre sa synaxe »9. Fébronie occupe trois colonnes du même synaxaire, qui se terminent par : « sa sainte synaxe est célébrée dans le prophèteion du saint prophète, prodrome et baptiste Jean, qui se trouve à l’Oxeia »10. Ce texte confirme a contrario que la relique de la sainte n’est pas présente, puisqu’il ne la mentionne pas. Fébronie est la seule citée dans le Typikon de la Grande Église : « Le même mois, le 25, combat de la sainte hosiomartyre Fébronie [. . .] Sa synaxe se déroule au prophèteion du saint prophète et baptiste Jean, qui se trouve à l’Oxeia »11. Globalement, même à Constantinople, Fébronie paraît plus connue et honorée qu’Artémios, du moins à l’époque mésobyzantine. Notons toutefois que Fébronie dispose d’un avantage important : sa fête se situe le lendemain de celle du Prodrome, qui donne lieu à une procession particulièrement solennelle durant la veillée qui précède le 24 juin. Nul doute que, par cette proximité, qui fournit d’ailleurs peut-être une raison pour l’installation d’une chapelle de Fébronie dans l’église de l’Oxeia, Fébronie récolte, le jour de sa fête, dont la vigile est une fête particulièrement illustre, le bénéfice de ce rapprochement. Même si le dossier hagiographique d’Artémios est loin d’être négligeable, celui de Fébronie est infiniment plus important et traduit une forte notoriété de la sainte des confins mésopotamiens de Nisibe et du Tigre jusqu’en Occident. Artémios jouit néanmoins d’une supériorité sur un point : il a été duc d’Égypte, personnage politiquement important, et son action apparaît dans de nombreuses sources historiques entre 356 et 362, date de son exécution, sans doute pour excès de zèle chrétien. Il s’est d’ailleurs montré un chrétien zélé, vraisemblablement arien, ce qui n’a rien d’étonnant vu les empereurs à qui il doit sa carrière, et adversaire 8 9 10 11 Scriptores originum Constantinopolitarum, 2 :235–36, éd. Preger (1901–07). SynaxCp. col. 152–53. SynaxCp. col. 769–72. Typikon de la Grande Église, 318, éd. Matéos (1962). fébronie 35 C op yr ig ht Pr ot ec te d M at er ia l d’Athanase d’Alexandrie. Les nombreuses sources non-hagiographiques qui parlent de lui attestent sa parfaite historicité12. Quant à sa passion, il en existe six versions. Les deux plus anciennes (BHG 169 y et 169 z) sont étroitement liées à l’œuvre aujourd’hui presque entièrement disparue de l’historien cappadocien Philostorge, arien militant13; passions épiques, donc postérieures aux évènements, elles ne pas font état du transfert de la relique à Constantinople. Cette passion est à l’origine de la notice du synaxaire de Constantinople, mais aussi de deux synaxaires arméniens (celui de Ter Israël et celui de Grégoire Dserents) ; deux passions arméniennes inédites, sans doute fondées sur un archétype grec, font peut-être le lien entre les passions grecques et les synaxaires, y compris celui de Constantinople, qui, tous, mentionnent le transfert à l’église de l’Oxeia. La version rédigée par le moine Jean (BHG 170 et 171 ; et trois variantes inédites, BHG 171 a, b, c)14 est très postérieure. Elle avoue d’ailleurs réécrire en meilleur grec une version antérieure (évidemment BHG 169 et 169z) et incorporer des données empruntées à Eusèbe de Césarée, qui ne parle pas d’Artémios, et à Socratès, qui est dans le même cas, Philostorge et Théodoret de Cyr15. La version de Jean ne connaît pas l’église de l’Oxeia. Comme V. Déroche, nous estimerons donc qu’elle est postérieure à 558, car elle évoque la reconstruction des Saints-Apôtres par Justinien qui date de cette année-là, et antérieure à la rédaction des miracles, qui commence vers 650. Comme cette rédaction est une œuvre de longue haleine, nous en placerions le début au plus tard au début du VIIe siècle16. Enfin, le synaxaire de Constantinople suit Jean et ajoute la localisation à l’Oxeia17. Fébronie est supposée avoir subi le martyre sous Dioclétien (284– 305) à Nisibe18. On ne peut exclure que Fébronie ait été purement On se reportera, en attendant l’édition de l’ouvrage de V. Déroche (voir supra n. 1), à la présentation très succincte de Crisafulli et Nesbitt (1997) 1. 13 Bidez (1972) 166–75, la version 169 z se trouvant en bas des mêmes pages. 14 Act. SS. Oct. VIII, Bruxelles 1853, col. 856–83 pour BHG 170 ; ibid. col. 883–84 pour les ajouts de BHG 171. 15 Théodoret de Cyr, Histoire ecclésiastique, 3, 18 : 197, éd. Parmentier (1998). 16 Nous écartons donc deux datations à nos yeux impossibles. Lieu (1996) place l’œuvre dans la seconde moitié du IXe siècle. Kazhdan (1988/1993) note 18, 200–5, place l’œuvre dans un contexte iconoclaste au VIIIe ou au IXe siècle. 17 Cf. supra n. 9. 18 Le texte s’ouvre par : « Au temps de l’empereur Dioclétien », tant en syriaque (Brock [1998] 152) qu’en grec (Chiesa [1990] 335). Sur Fébronie, voir l’article 12 36 michel kaplan C op yr ig ht Pr ot ec te d M at er ia l imaginaire, contrairement à Artémios, ce qui n’empêche pas la persistance d’un culte à Nisibe comme on le reverra. Le dossier hagiographique est encore plus complexe que celui d’Artémios. Pour simplifier, nous avons des versions grecques (BHG 659 à 659h, version du synaxaire de Constantinople), des versions syriaques (BHO 302)19 et des traductions arabes et latines (BHL 2843 et 2844). La Passion est connue dans de nombreuses langues de l’Orient chrétien. La version géorgienne est attribuée à Euthyme du mont Athos, l’un des fondateurs du monastère d’Iviron ; elle daterait donc de la fin du Xe ou du début du XIe siècle. Elle prendrait appui sur la version grecque, très vraisemblablement à partir d’un des manuscrits de Lavra ; le plus ancien manuscrit contenant la Passion de Fébronie conservé à Lavra remonte au XIe siècle20. Une version arménienne (BHO 303) est conservée entre autres dans un manuscrit de New York (Bibliothèque Pierpont Morgan 622) ; le manuscrit date du XIVe siècle et la passion a été publiée en 187421. On en trouve une version arabe dans le manuscrit 38* de la bibliothèque de Saint-Marc à Jérusalem22. On trouve une trace du culte de la sainte dans le monde copte à la fin du XVe siècle23. Le dernier ouvrage paru constitue l’édition des deux traductions latines suivie de l’édition de la version grecque, proche de celle des Acta Sanctorum, par Paolo Chiesa24. Celui-ci choisit d’éditer le texte qu’il trouve le plus proche des traductions latines, bien que celles-ci reposent néanmoins sur deux versions différentes. Il collationne quatorze manuscrits, ce qui est en soi très impressionnant. Il prend pour base de son édition le Par. Gr. 1470, manuscrit daté de 890, qui est le plus ancien, est passé par un monastère chypriote et constitue la partie d’un ménologe des mois de mars à août (l’autre partie se trouve dans le Par. Gr. 1476). En fait, la passion grecque se trouve dans vingt-neuf manuscrits, dont cinq au Vatican, quatre à Paris, un à l’Escorial, un à de R. Aubert, Dictionnaire d’Histoire et de Géographie Ecclésiastiques, t. 16 (1967) col. 791–93. 19 Traduction dans Brock (1998) 152–76. Il s’agit du texte syriaque le plus proche du texte grec. L’original a été publié par Bedjan (1895) 573–615. 20 Peeters (1917–19) 35. 21 Vitæ et passiones martyrum et sanctorum ex Eclogariis (Venise 1874) t. 2, 409–29. 22 Simon (1924) 69, n. 2. 23 Budge (1928) 1049. 24 Chiesa (1990), c. r. par A.-M. Helvétius, dans Scriptorium 49 (1995) 165–68. L’ouvrage de Chiesa, par ailleurs très convaincant, est souvent difficile à lire, faute d’index. Chiesa suit le découpage des Acta Sanctorum de juin, V, col. 17–35. fébronie 37 C op yr ig ht Pr ot ec te d M at er ia l Milan, un à Brescia, un à Vienne, un à Florence, un dans un monastère des îles des princes, un à Ochrid, un à Jérusalem au patriarcat orthodoxe, un à Moscou, un à Kjirokastër (Argirocastro, métropole d’Albanie) et neuf à l’Athos (un à Philothéou, deux à Kutlumus, trois à Lavra, un à Dionysiou, un à Xèropotamou et un à Vatopédi). Outre le manuscrit de 890 (sans tenir compte des manuscrits datables à cheval sur deux siècles), trois sont du Xe siècle, treize du XIe, quatre du XIIe, un du XIIIe, etc jusqu’au XVIIe25. L’auteur est réputée être une nommée Thomaïs, qui était l’adjointe de l’abbesse du monastère où Fébronie aurait vécu et lui succède avant la fin du récit26. Le texte, qui occupe 14 folios recto-verso du manuscrit de Paris, est relativement long (p. 368–95). P. Chiesa estime par ailleurs, dans une démonstration extrêmement convaincante, que c’est la rédaction grecque et non la version syriaque qui constitue le texte primitif 27. Cela ne laisse d’ailleurs pas d’être étonnant, car Nisibe est une ville dont la population est presque purement syriaque. Mais, en 489, l’école théologique dite d’Édesse, en fait originaire de Nisibe et qui s’est enfuie à Édesse en 363, est chassée de l’Empire romain pour nestorianisme impénitent. Elle retourne à Nisibe et apporte un élément qui s’accroche à la culture grecque et au bilinguisme, voir au trilinguisme, car cette école se fonde sur la version hébraïque de l’Ancien Testament. Il nous semble donc que la question de la tradition du texte n’est pas définitivement résolue. Quoi qu’il en soit, le plus ancien manuscrit grec parvenu date d’une période où circulaient des versions latines, syriaques et arabes, sans compter les versions arméniennes que l’on ne peut pas dater, ce qui peut avoir permis toutes les contaminations. Les plus anciens manuscrits syriaques sont très antérieurs au plus ancien manuscrit Chiesa (1990) 335–55. La possibilité que l’auteur soit réellement une femme, qui est souvent avancée, repose uniquement sur le texte lui-même, ce qui est un indice mais pas une preuve suffisante ; il est vrai que l’on voit mal un auteur homme se faire passer pour une femme. De toute façon, il paraît bien que l’histoire, telle qu’elle nous est racontée, n’a qu’un lointain rapport avec la réalité, à supposer que celle-ci ait jamais existé. L’on voit bien que la présence dans le récit d’un monastère à Nisibe sous Dioclétien, totalement exclue, du moins avec des institutions aussi bien rodées, est une conséquence induite de l’existence de monastères consacrés à Fébronie dans les siècles suivants. C’est sans doute l’un des endroits où a pu s’écrire le récit que nous avons. Celui-ci est déjà très élaboré, bien éloigné du modèle des passions primitives ; c’est déjà l’ébauche d’une véritable Vie de sainte. 27 Chiesa (1990) 353–55. Il retient ainsi la proposition de Halkin (1958) contre J. Simon, cité supra n. 22, 72–76. 25 26 38 michel kaplan C op yr ig ht Pr ot ec te d M at er ia l grec : ils datent, de façon intéressante, de la seconde moitié du VIIe siècle (British Museum Add. 14647 de 688), c’est-à-dire l’époque où Fébronie est connue à Constantinople dans l’église de l’Oxeia. Les premières attestations sûres du culte de Fébronie ne se trouvent pourtant, semble-t-il, que dans la seconde moitié du VIe siècle. Dans la vie en vers du moine syriaque Rabban bar ‘Idta, nous apprenons que, en 563, « sa sœur (Anne, qui y mourra à 80 ans) a construit un couvent sous le vocable de la martyre Fébronie, qui a été martyrisée au temps de Dioclétien ». Ce monastère féminin ne se trouve pas à Nisibe, mais à une distance raisonnable, de l’autre côté du Tigre, dans la région dite Marga28. Marga est un nom chaldéen qui veut dire la prairie. À Nisibe même, l’existence à la fois du couvent et de l’église de sainte Fébronie, l’une et l’autre attestées dans la Passion, est évoquée dans la Vie de Siméon des Oliviers29, évêque syriaque orthodoxe de Harran, mort en 734. Cette vie mentionne « les anciennes ruines de SainteFébronie qui a été martyrisée à Nisibe », à la place desquelles il édifie une église de saint Théodore, avec l’autorisation expresse du calife. À cette époque, il n’est pas encore évêque, mais un riche higoumène. La Vie dit aussi que l’évêque a restauré le monastère de la Vierge et le couvent de sainte Fébronie, situé à l’ouest de l’église, et lui a donné de nouvelles règles30. Comme il est très riche, il lui a aussi acheté des maisons, des boutiques et des cours. C’est donc bien un monastère urbain. On peut donc en conclure qu’un monastère Sainte-Fébronie s’était créé à côté de l’église construite par l’évêque pour accueillir la relique, différent de celui de Marga. La tradition d’une basilique Sainte-Fébronie s’est maintenue à Nisibe, contrairement à ce que dit la Vie de Siméon sur son remplacement par une église de saint Théodore ; elle se serait trouvée à l’emplacement de la mosquée Zayn al-‘Ābīdin31. Nous avons là une trace d’un culte de Fébronie antérieure au VIe siècle, puisqu’un édifice lui était consacré ; mais nous ne pouvons savoir ni de quand il date, ni si l’on y trouvait la relique de la sainte. Budge (1902) 2, 1, 203. Il en aurait planté 12.000 dans son monastère d’origine ; il a naturellement été stylite, comme son prénom le laisse supposer, mais un stylite qui descend de sa colonne et voyage dans toute la région. 30 Résumé de la Vie par Brock (1979). 31 Fiey (1977) 126. Au début du XXe siècle, Guyer (1923) 47–48, rapporte que les turcophones l’appelaient Kilise Cami, littéralement « la mosquée de l’église », terme fréquent pour les mosquées construites sur la base d’une église ou en reprenant les bâtiments eux-mêmes. 28 29 fébronie 39 C op yr ig ht Pr ot ec te d M at er ia l La Passion avance que Fébronie, âgée de 20 ans (âge de la vocation d’Antoine), vivait dans un monastère de 90 moniales de Nisibe gouverné par sa tante paternelle Bryénè, où se trouvait également son aînée Prokla, âgée de 25 ans. Au chapitre 7, Bryénè dit que Fébronie est au monastère depuis 18 années ; elle y serait donc entrée à 2 ans. À l’arrivée des persécuteurs, une bonne partie des chrétiens ont quitté la ville. Les moniales obtiennent de l’abbesse, non sans mal, de partir elles aussi. L’abbesse laisse également s’éloigner Prokla, mais prétexte de la maladie de Fébronie pour ne pas l’abandonner. Elles restent donc à trois : Bryénè, Thomaïs, son adjointe et rédactrice supposée de la Passion, et Fébronie. Cette dernière était extrêmement belle, sans préjudice de sa sagesse, ce que les tortionnaires lui reprocheront ; c’est ce qui sauve les deux autres. En effet, les responsables militaires veulent l’offrir en mariage à leur chef Lisimaque et, malgré les objurgations des deux autres qui veulent partager son sort, la conduisent seule au persécuteur. Fébronie se voit proposer d’abjurer sa foi et d’épouser Lisimaque, devenant ainsi riche et célèbre ; naturellement, elle refuse, ce qui la conduit aux tortures et au martyre. Durant son supplice, Fébronie subit une mutilation sexuelle avec l’ablation des seins32, qui rappelle les martyres de sainte Agathe et parfois de Catherine d’Alexandrie, la blessure étant cautérisée avant que Fébronie ne soit décapitée. Cette mutilation d’organes sexuels féminins n’est évidemment pas sans lien avec la présence à Saint-Jean-Baptiste de l’Oxeia d’une chapelle à elle dédiée, dans le même sanctuaire où exerce Artémios, spécialisé dans le soin des maladies frappant les organes sexuels masculins. Après le martyre, le corps de Fébronie est rapporté au monastère tandis que ses tortionnaires se convertissent33. Le monastère, grâce à la relique, devient lieu de pèlerinage. Chaque année, le jour anniversaire du martyre, la sainte apparaît, debout, aux sœurs de son monastère, mais aussi aux moines et aux autres moniales de la cité, ainsi qu’à la foule, accourus34. L’évêque décide de construire une église convenable pour abriter la relique ; les moniales refusent d’abord, mais doivent céder devant l’autorité épiscopale. Pourtant, de terrifiants prodiges s’opposent à la translation. L’évêque est obligé de limiter ses ambitions 32 Passion grecque de Fébronie 28, 386, éd. Chiesa (1990). Une ambiguïté demeure : Fébronie a-t-elle été mise à mort pour avoir refusé d’abjurer sa foi, ce qui en fait une martyre, ou, plus banalement, pour avoir repoussé son puissant prétendant ? 33 Passion grecque de Fébronie 34–37, 390–92, éd. Chiesa (1990). 34 Passion grecque de Fébronie 38, 392, éd. Chiesa (1990). 40 michel kaplan C op yr ig ht Pr ot ec te d M at er ia l et tente alors d’obtenir une partie de la relique et l’abbesse accepte, mais, quand elle veut retirer une main de la relique, la sienne reste prise dans celle de la sainte. L’évêque doit se contenter d’une dent, qui est transportée dans la nouvelle église en grand appareil ; la martyre opère immédiatement des guérisons (boiteux, aveugles et possédés) par l’une de ses dents, mais la passion ne comporte que la brève mention de ces miracles, sans aucun autre récit35. Plusieurs remarques s’imposent ici, qui laissent dans la plus totale obscurité la question du transfert éventuel de la relique et de la présence du culte à Constantinople avant la fin de la première moitié du VIIe siècle. Premier point : de quand peut dater le récit primitif, qui est destiné à être lu ? Le plus simple serait d’envisager le moment où s’édifie le monastère en 563, mais cela suppose une longue transmission orale de la tradition et le monastère se situe dans la région de Marga, non à Nisibe. Naturellement, la mention de l’écriture par Thomaïs est entièrement légendaire, puisque la rédaction semble très postérieure. Certains auteurs ont néanmoins estimé que l’auteur pouvait être une femme36. Certes, le récit est agencé de telle façon que l’auteur, témoin oculaire de la vie dans le monastère, ne puisse être qu’une femme. Au reste, la description du monastère féminin est assez positive, avec ses lourdes tâches et son haut niveau intellectuel, l’amitié entre les moniales, les liens entre femmes restées dans le monde et moniales, entre femmes mariées et femmes restées vierges, soulignant en commun la dureté de leurs vies, tous traits peu habituels dans l’hagiographie féminine écrite par des hommes. Ne forçons pas le trait cependant et soulignons que le texte sur lequel nous nous appuyons est sans aucun doute le résultat d’une mise au point, écrite ou non, déjà longue. De toute façon, cela laisse entière la question de la langue de la rédaction primitive : Nisibe et sa communauté chrétienne en terre perse sont a priori entièrement de langue syriaque jusqu’au retour de l’école d’Édesse et la Passion est destinée à être lue à naute voix, si l’on en croit la conclusion qui s’adresse aux auditeurs (c. 45, p. 395 : εἰς σωτηρίαν δὲ καὶ προθυμίαν τῶν ἀκουόντων). Il n’y a pas à ce stade de solution satisfaisante pour réconcilier les arguments philologiques exprimés plus haut et la logique historique. Une remarque de détail 35 36 Passion grecque de Fébronie 39–42, 392–95, éd. Chiesa (1990). Brock (1998) 20. fébronie 41 C op yr ig ht Pr ot ec te d M at er ia l toutefois : la version grecque comprend quelques tournures sémitiques (notamment la répétition immédiate du même verbe : cf. c. 41, p. 394 : μνήσθητι τῶν μόχθων ὧν ἐμόχθησα) qui peuvent dénoter la rédaction par une personne de langue syriaque sachant bien le grec, mais pas au point de ne pas laisser dans sa rédaction quelques tournures trahissant sa langue maternelle. Toujours est-il que le texte s’est très largement diffusé dans le monde grec puis latin, vraisemblablement à partir du moment où le culte de Fébronie se matérialise à Constantinople. Malheureusement, nous ne sommes à même de cerner la translation ni du texte, certaine, ni de la relique, non attestée. Ensuite, nous ne sommes pas en présence d’une passion épique quelconque, mais d’un récit circonstancié, citant avec force détails maints personnages historiques, où la passion proprement dite n’occupe que le quart du récit, qui n’est pas encore une hagiographie complète (il commence quand Fébronie a 20 ans), mais s’en rapproche. Naturellement la mention du monastère tel qu’il nous est décrit ne saurait remonter à l’époque du martyre, antérieur à l’apparition des premiers monastères, mais représente la situation à la date de l’écriture. Tout porte à croire que Nisibe (Nusaybin, sur le Mugdonios-Jaghjaghaa) se trouve alors dans l’Empire ; en tout cas, la persécution est menée par des fonctionnaires impériaux et il n’est fait aucune allusion aux Perses pour cette ville pourtant fort disputée. Nisibe est incluse dans l’Empire romain depuis Septime Sévère ; sous Dioclétien, elle est le point de passage principal du commerce avec la Perse. Elle fait partie de la province de Mésopotamie (18 kilomètres à l’est de Dara, qui ne sera fortifiée qu’en 506, elle-même à l’est d’Amida37, qui en est la métropole) et c’est alors, semble-t-il, comme on va le voir, une ville grecque. À la mort de Julien en 363, Jovien est obligé de la céder aux Perses pour une période de cent vingt ans, en compensation des dommages de guerre causés par les Romains en territoire perse. Cependant, la ville était livrée sans ses habitants ; la communauté grecque obtient seulement trois jours pour se replier sur Amida38. Le roi Sapor aurait remplacé la population grecque par une population perse, mais celleci continue la tradition chrétienne. En 421, Théodose II ne parvient pas à reprendre Nisibe et Zénon, en 483, ne parvient pas à se la faire 37 Amida est la métropole dont dépend l’évêché de Nisibe, avant que celui-ci ne devienne, par suite de son histoire politique, une métropole. 38 Fiey (1977) 35. 42 michel kaplan C op yr ig ht Pr ot ec te d M at er ia l rétrocéder. Sous Justinien, la frontière passe entre Dara et Nisibe ; le roi de perse masse fréquemment ses troupes dans cette ville. Dès 541, Bélisaire a d’ailleurs réalisé qu’il n’avait pas les forces pour reprendre une ville que le roi perse est décidé à défendre. Après le traité de paix de 561, celui-ci envoie à Constantinople des évêques perses plutôt nestoriens conduits par le métropolite de Nisibe pour tenter (en vain) de trouver un compromis religieux39. En 573, les Byzantins mettent le siège devant la ville, mais Chosroès parvient à la délivrer et assiège Amida40. Nisibe est donc l’une des cités les plus disputées, ce qui va à l’encontre de la vie normale d’un monastère qui est à l’arrière-plan de la Vie. Il faut attendre l’extrême fin de la guerre de reconquête d’Héraclius pour que la ville retourne à l’Empire byzantin. La conséquence semble en être l’apparition à Nisibe, à côté de la hiérarchie nestorienne issue de l’Empire perse, d’une hiérarchie jacobite ; l’évêque jacobite de cette cité, Abraham, participe en 631 à Antioche à l’intronisation du patriarche Jean III de Sedré, tandis que, au même moment, un évêque nestorien, Cyriaque, fait partie d’une ambassade perse auprès d’Héraclius41. En 639, la ville se rend aux Arabes aux mêmes conditions qu’Édesse : « leurs églises ne seront ni détruites ni occupées tant qu’ils paieront la taxe et n’entreront pas dans les intrigues. Cependant ils n’ont pas le droit de bâtir de nouvelles églises ou de nouveaux lieux de culte. Ils ne peuvent frapper les simandres, ni célébrer les Rogations, ni montrer les croix en public »42. Vers 640–645, Cyriaque se rallie à l’église de Constantinople, mais meurt peu de temps après43. Quoi qu’il en soit, la tradition grecque ne s’est jamais rétablie à Nisibe, ce qui laisse entier le problème de la Passion. On peut en effet supposer que des premiers récits ont existé en langue grecque avant 363 ; mais la proximité entre la version syriaque et la version grecque qui, nous l’avons vu, est sans doute la véritable matrice, implique une survie ou une renaissance d’une forte influence grecque que nous avons tenté d’expliquer plus haut et qui se situe à la fin du Ve siècle. L’un des points les plus intéressants de la Passion est la lutte entre l’abbesse et l’évêque pour le contrôle de la relique. Représentant de 39 40 41 42 43 Ibid. 52. Ibid. 53. Ibid. 63–4. Ibid. 64–5. Ibid. 65. fébronie 43 op yr ig ht Pr ot ec te d M at er ia l la cité, l’évêque veut exploiter la réputation de la martyre et en faire profiter l’ensemble des citoyens. L’évêque fait donc construire une église pour la relique de Fébronie. La construction prend six ans, ce qui suggère un édifice de grande taille. Notons que la chronique des métropolitains de Nisibe mentionne, sous l’année 312–313, le début d’une construction d’une grande église par Jacques, souvent présenté comme le premier évêque de Nisibe, qui assista au concile de Nicée et fut considéré comme saint dans de nombreuses traditions ; dans cette version, la construction dure sept ans44. Jacques serait devenu évêque de Nisibe en 308–30945 et l’était encore lors d’une attaque perse en 338, où il aurait été l’âme de la résistance opposée par la ville46. Il n’est pas impossible que la Passion de Fébronie reprenne le souvenir de cette construction. Mais elle ignore le grand homme, pourtant connu par d’innombrables traditions, y compris l’Histoire Philothée de Théodoret de Cyr47. Pour la première célébration de la fête, le 25 juin, l’évêque de Nisibe convoque ses collègues des alentours ; l’église ne peut contenir toute la foule qui s’assemble. Les évêques se rendent alors au monastère, suivis par la foule avec luminaires et encens48. C’est donc bien une procession poliade. L’abbesse et ses moniales implorent l’évêque, mais finalement cèdent et s’en remettent au bon vouloir de la martyre. Le texte est donc politiquement correct : les moniales obéissent à l’évêque et c’est la martyre elle-même qui va désobéir. Mais le triomphe du monastère n’est que partiel : les évêques retournent avec la même procession déposer la dent dans l’église et c’est la dent, non la dépouille C 44 Élie de Nisibe, Chronographie, 64, trad. Delaporte (1910). Il serait toutefois très étonnant qu’il s’agisse de la même église. Le passage de la Passion de Fébronie relatant la construction d’une église à elle dédiée par l’évêque est toutefois intéressant, car il est incompréhensible avant 312–313, où la Paix de l’Église permet à Jacques d’édifier une cathédrale, d’autant que le texte de la Passion laisse entendre que l’église de Fébronie est située en ville. En l’état, il milite pour une rédaction tardive de la Passion telle qu’elle nous est parvenue, à une date où la construction d’une église martyriale en plein cœur de la cité ne pose plus de problème. 45 Devreese (1945) 303, range Nisibe dans la province ecclésiastique de Mésopotamie dont la métropole est Amida. Il cesse de s’y intéresser dès la conquête de la cité par les Perses. 46 Fiey (1977) 24. 47 Peeters (1920). Jacques de Nisibe est le premier des héros dont Théodoret de Cyr raconte la Vie; elle contient la participation au concile de Nicée et la défense de Nisibe : Théodoret de Cyr, Histoire des Moines de Syrie, t. 1, 161–91, éd. Canivet et Leroy-Molinghen (1977–79). 48 Passion grecque de Fébronie 39, 392–93, éd. Chiesa (1990). 44 michel kaplan C op yr ig ht Pr ot ec te d M at er ia l conservée dans le monastère, qui opère les miracles49. Ceux-ci prennent donc place dans l’église épiscopale. In abstracto, on peut émettre deux hypothèses pour expliquer la rédaction de la Passion dans son état actuel. Le plus simple est la lecture que nous venons de faire : la Passion donne raison aux évêques et la rédaction est donc épiscopale. Mais ce triomphe n’est que partiel. La relique n’a pas été remise. Malgré leur soumission formelle, les moniales ont résisté et obtenu gain de cause en échange d’une simple dent, certes relativement précieuse puisque, dans son supplice, la sainte a eu les dents arrachées ; ceci explique que les dents reposent sur sa poitrine et qu’il ne faille pas les prendre dans la bouche, ce que la relique aurait refusé comme pour la main. Au bout du compte, la Passion sert l’intérêt des moniales : au prix d’une concession mineure, une dent déjà tombée, elles obtiennent de garder la relique principale et la Passion vient finalement défendre leur indépendance, soutenue par la sainte elle-même, contre l’exigence en apparence admise et en fait refusée de l’évêque. Toutefois, cette interprétation se heurte à un obstacle : les miracles se déroulent bel et bien dans la basilique épiscopale. Peut-on tenter une histoire du culte ? Une telle enquête, très difficile, soulève quantité de questions. Il nous faut sans doute distinguer le culte de sainte Fébronie intra muros et le culte à Marga. La Vie de Siméon des Oliviers porte au moins la trace d’un monastère SainteFébronie à Nisibe. Ceci veut dire soit que la martyre a réellement existé, soit qu’un évêque l’a inventée, inventé aussi sa relique, construit une église pour abriter celle-ci, puis qu’un monastère de femmes a fini par se créer à côté. Le culte doit être suffisamment populaire en 563 pour que la sœur de Rabban bar ‘Idta fonde un monastère sous ce vocable à quelques dizaines de kilomètres plus à l’Est. Ajoutons que, dans cette région, les syriaques chalcédoniens sont relativement nombreux. Ce fait explique que la légende puisse aisément franchir la frontière jusqu’à Dara ou même Amida et, de là, passer jusqu’à Constantinople. De toute façon, nous ne parvenons pas à cerner l’origine réelle du culte, compte tenu de l’écart entre le supposé martyre et ce qui pourrait être une rédaction d’origine. La création du monastère de Fébronie à Marga en 563 traduit à la fois une tension, puisqu’il y a déplacement, et, par cette tension même, un intérêt pour la sainte : cela ne nous livre pas la raison d’une rédaction, de surcroît en grec. 49 Passion grecque de Fébronie 42, 395, éd. Chiesa (1990). fébronie 45 C op yr ig ht Pr ot ec te d M at er ia l Celle-ci est en tout état de cause antérieure à la seconde moitié du VIIe siècle, date du premier manuscrit de la Passion syriaque qui en serait la traduction ; il n’est pas invraisemblable qu’un texte syriaque existe en 563, et donc le texte grec. Ce qui semble certain, c’est que le déplacement de l’école théologique d’Édesse à Nisibe un peu moins d’un siècle auparavant a provoqué une renaissance de la culture grecque dans cette région de façon croissante au VIe et encore plus au VIIe siècle ; cela rend difficile de savoir si un original est en grec ou en syriaque. Tout ceci pousse à penser que la Passion de Fébronie a été mise par écrit dans cette période50. Le culte de Fébronie n’est pas absent de Constantinople, puisque la sainte figure dans le synaxaire de Constantinople. Martyre exemplaire, Théodore Stoudite la cite dans sa correspondance comme un modèle pour les femmes qu’il exhorte à résister à l’iconoclasme : lorsque Théodore ne fait pas référence à elle seule (lettre 85), Fébronie apparaît alors liée à Eugénie d’Alexandrie et Matrona de Thessalonique (lettre 244), à Thècle et Eupraxia de Constantinople (lettre 472) ; à Thècle seule (lettres 87 et 397)51. Sa fête figure dans le Typikon de la Grande Église (fin IXe, début Xe siècle dans l’état le plus ancien), au 25 juin à Saint-Jean-Baptiste de l’Oxeia52. En revanche, il n’y a pas de mentions de ses reliques bien que la rédaction des miracles d’Artémios n’exclue pas totalement la présence de celles-ci. L’église ayant brûlé dans l’incendie des 19–20 août 1203 par eux allumé53, les Croisés n’ont ramené en Occident de reliques ni d’Artémios ni de Fébronie. Est-il possible d’émettre l’hypothèse d’un transfert plus officiel au moins du culte, sinon de la relique, à Constantinople ? La seule occasion un tant soit peu satisfaisante, surtout si la translation touchait la relique54, se situe lors de la réoccupation de la ville par Héraclius entre 629 et 639. Certes, aucune source, à notre connaissance, n’a gardé la Parmi les écrits de S. Brock sur cette question, on notera son article (1995) « The Syriac background », notamment 32–3 et 41 (où il cite la Passion de Fébronie parmi les textes concernés). Je remercie Anne-Marie Helvétius d’avoir attiré mon attention sur ce travail. 51 Talbot (1991–92/2001) 400. 52 Typikon de la Grande Église, 318, éd. Matéos (1961). 53 Madden (1991–2) 72–93. Notons qu’aucun des voyageurs occidentaux d’avant la quatrième croisade ne mentionne de relique ni d’Artémios ni de Fébronie. 54 Une translation de la relique par Héraclius supposerait qu’elle ait été déposée ailleurs qu’à l’Oxeia, puisque la relique de Fébronie n’est pas mentionnée dans les Miracles d’Artémios, ni, surtout, dans le Synaxaire ; or le culte de la sainte n’est attesté par le Synaxaire et le Typikon de la Grande Église qu’à l’Oxeia. 50 46 michel kaplan C op yr ig ht Pr ot ec te d M at er ia l trace d’un intérêt particulier de l’Empereur pour cette cité ; il avait bien d’autres préoccupations, notamment celle de réinstaller la Croix à Jérusalem. Pourtant, compte tenu de toutes les mentions que nous avons de l’utilisation par les rois de Perse des évêques nestoriens de Nisibe lors d’ambassades à Constantinople, compte tenu de ce que, durant 250 ans, la ville, première place forte du Roi des rois, a littéralement nargué les garnisons romaines établies à quelques kilomètres, que les empereurs ont tenté à plusieurs reprises de reprendre la ville, il n’est pas invraisemblable qu’Héraclius s’y soit intéressé. De plus, Héraclius aurait appelé Fébronie l’une des filles qu’il a eues avec sa nièce Martine (épousée en 624). La chose est toutefois entourée d’un mystère qui paraît difficile à résoudre. Fébronie apparaît dans l’arbre généalogique de la dynastie d’Héraclius dressé dans la Chronologie de Grumel, qui ne cite pas ses sources. Les deux autres filles du couple Héraclius-Martine, Augustine et Martine, sont, elles, citées par les chroniqueurs55. Cette Fébronie est absente de la Prosopagraphy of the Later Roman Empire (PLRE). Il est donc difficile de retrouver la source utilisée par Grumel pour son arbre généalogique. Le prénom est d’ailleurs mal attesté. Aucune Fébronie ne figure dans la PLRE. Deux seulement figurent dans la Prosopographie der mittel-byzantinischen Zeit (PMBZ) : la mère d’Anthusa de Mantinée (BHG 2029h), PMBZ 188056; Hypatia, devenue la moniale Fébronie dans les Actes de David, Syméon et Georges (BHG 494), PMBZ 260757. Si l’on accepte qu’Héraclius ait donné ce nom à l’une de ses filles, cela traduirait un intérêt pour la sainte susceptible de créer un culte à Constantinople, par exemple dans l’église de l’Oxeia, où l’on honore un autre saint, Artémios, dont le martyre est supposé lui donner également un pouvoir sur les maladies touchant les organes sexuels. Mais Par exemple, dans Nicéphore, Histoire Brève 27, 76 éd. Mango (1990); voir aussi le commentaire, p. 191, qui suppose une possible confusion de cette Martine avec sa mère. 56 PMBZ, t. 1 (1999) 592. 57 PMBZ, t. 2 (2000) 147. Cet exemple, pour isolé qu’il soit, est de fait plus intéressant, car le choix du prénom est ici délibéré. En effet, Hypatie, entrant au monastère contre la volonté de sa mère, reçoit son nom monastique d’un stylite de la région de Constantinople, appelé sans surprise Syméon : le choix de ce nom monastique par l’hagiographe, pour un épisode se situant en pleine période iconoclaste, donc de persécution alléguée des moines, montre que la martyre de Nisibe est alors connue. Les Actes de David, Syméon et Jean sont écrits au plus tôt dans la seconde moitié du IXe siècle. 55 fébronie 47 C op yr ig ht Pr ot ec te d M at er ia l cela pourrait traduire aussi bien un intérêt pour un culte existant déjà à Constantinople. Ajoutons une hypothèse susceptible de réconcilier les données historiques et philologiques. La victoire d’Héraclius fait rentrer dans le giron de l’Empire romain la communauté chrétienne de Nisibe qui vivait de façon finalement assez tranquille au sein de l’Empire perse depuis deux siècles et demi. À bien y regarder, la Passion défend deux points de vue : il faut pour le moins se méfier des autorités romaines qui ont martyrisé Fébronie ; les moniales tiennent à garder leur relique et il ne saurait être question d’abandonner à la hiérarchie plus qu’une dent. Or, en 629, les autorités romaines reviennent et, dans leurs wagons, un évêque jacobite, tandis que les Perses favorisaient les nestoriens qu’ils continuent d’utiliser par la suite pour leur diplomatie. Il s’agit donc de défendre les moniales et leur relique contre toute tentative de s’emparer de celle-ci, ce qui a vraisemblablement réussi, mais aussi contre la nouvelle hiérarchie alors que l’ancienne a sans doute été contenue. Il devient dès lors facile de comprendre pourquoi la Passion dans sa version longue a été rédigée en grec : c’était l’administration byzantine hellénophone qu’il fallait d’abord convaincre que Fébronie ne se laisserait pas enlever. Le texte grec daterait donc des années 630 ; une traduction syriaque n’était pas superflue, pour les mêmes raisons, mais cette fois à destination du clergé jacobite, et elle est sans doute contemporaine de la rédaction grecque. Mais la carrière de Fébronie ne s’arrête pas à Constantinople. Paradoxalement, cette martyre présumée des confins les plus orientaux de l’Empire a finalement reçu un culte qui semble bien plus diffusé dans l’Occident latin58. Nous devons maintenant nous rendre en Italie où furent écrites deux versions de la Passion qui semblent étroitement liées à la principale version grecque, que nous avons tenté de dater plus haut. La première version latine (BHL 2844) a pu être établie dès le VIIe siècle en Italie du Nord, probablement en Vénétie59; à cette époque, l’exarchat de Ravenne était encore très puissant et en relation étroite avec Constantinople. L’arrivée du texte en Italie du Nord 58 Au contraire, notre martyr Artémios est inconnu dans l’hagiographie latine. Son culte ne s’est pas diffusé en Occident. Pourtant, un évêque métropolitain de Sens, mort au tout début du VIIe siècle, porte le nom d’Artemius, facile à rapprocher d’Artémios. Il apparaît dans les conciles de Mâcon de 581–83 et 585 (Concilia Galliæ A. 511– A. 695, éd. Clercq [1963] 229 et 248). Il n’est pas impossible, à cette époque, que cet Artemius soit d’origine grecque. 59 Chiesa (1990) 112–3. 48 michel kaplan C op yr ig ht Pr ot ec te d M at er ia l s’explique aisément et sa traduction en latin ne présente en théorie aucune difficulté. Cette traduction est écrite en langue plutôt populaire mais elle est très proche de l’original. Pas moins de dix-huit manuscrits de cette version nous sont parvenus ; le plus ancien date du IXe siècle. Ces manuscrits peuvent se regrouper en quatre familles différentes60, ce qui montre un texte très vivant et utilisé. La seconde version (BHL 2843) est plus facile à dater, car le prologue indique qu’elle a été écrite à Naples à la fin du IXe siècle61. Elle est conservée dans dix manuscrits ; là encore, le texte est bien vivant, car, si les variantes sont légères, elle font le plus souvent sens62. À cette époque, les liens culturels étaient encore étroits entre Naples et l’Empire byzantin ; des Napolitains séjournant à Constantinople ont pu y connaître le culte de Fébronie, ce qui ne serait pas étonnant car Fébronie est bien attestée dans le Typikon de la Grande Église qui est contemporain. Cela pourrait indiquer que l’église de l’Oxeia fonctionnait encore comme centre de soins à cette époque : comme nous l’avons vu, le texte grec de la Passion de Fébronie circulait alors dans le monde byzantin et tout napolitain qui était intéressé par ce roman exotique pouvait aisément acheter une copie ou se la faire établir, la ramener dans sa cité et la faire traduire en latin. Le traducteur de cette version n’a pas opéré kata podas, mot à mot, mais comprenait le sens de ce qu’il traduisait et écrivait un latin correct selon les exigences de l’époque carolingienne. Nous pouvons remarquer par ailleurs que d’autres Passions reçurent une semblable traduction à Naples à la même époque63. Les manuscrits de la Passio Febroniæ nous permettent de suivre la diffusion du culte de cette martyre orientale dans la chrétienté occidentale. La sainte faisait l’objet d’un culte dans la cité de Trani64, dans la Pouille, une métropole importante de la côte méridionale de l’Adriatique. La légende, que l’on trouve dans les Acta Sanctorum, veut que la Étude très complète de ces manuscrits : Chiesa (1990) 67–116. Passio sanctæ Febroniæ, prologue (F2) 297, éd. Chiesa (1990). L’évêque commanditaire est nommé : Athanase II (voir Chiesa (1990) 12 et n. 46). En revanche, le traducteur reste anonyme. Il est toutefois identifié, parmi les nombreux traducteurs en activité à Naples dans la seconde moitié du IXe siècle et la première du Xe, à un nommé Guarimpotus : Devos (1958); Fébronie est traitée aux pages 164–70. Elle figure dans le calendrier gravé dans le marbre à Naples probablement dans le troisième quart du IXe siècle : Delehaye (1939); Mallardo (1947) 23 et 186 ; cf. Chiesa (1990) 21–2. 62 Chiesa (1990) 227–47. 63 Ibid. 12–5. 64 Ibid. 20. 60 61 fébronie 49 C op yr ig ht Pr ot ec te d M at er ia l dépouille intacte de Fébronie ait été trouvée dans un reliquaire échoué sur la côte à la suite d’une tempête ; mais, finalement, seul un bras fut préservé. La fête en était à juste titre célébrée le 25 juin jusqu’au XIXe siècle, tandis que la translation est fêtée le 15 du même mois. Malheureusement, nous n’avons pas d’indication qui permette de dater cette translation, en fait une invention, mais elle doit se situer à une époque assez haute. La Pouille devint particulièrement importante pour l’Empire byzantin dans la seconde moitié du IXe siècle, quand elle remplaça la Sicile comme principale tête de pont byzantine en Italie65. En Pouille, on trouvait également un culte de Fébronie à Bovino, une antique cité située au Sud de Troia, et à Canosa, à l’est de Trani66. L’un des manuscrits vient de Troia, cité fondée en 101967. Bien sûr, Fébronie faisait l’objet d’un culte à Naples68, où subsistaient plusieurs églises de rite byzantin ; plusieurs calendriers préservés incluent la fête de la sainte au 25 juin. Nous trouvons également Fébronie au nord de la Campanie, à Capoue, où la sainte figure dans quatre calendriers liturgiques. C’est également le cas au Mont Cassin et à Bénévent69. Comme on peut s’y attendre, la traduction pratiquée en Italie du Nord a entraîné la diffusion du culte, par exemple à Bologne70. Même chose à Pavie, à proximité de l’endroit où aurait été effectuée la traduction du VIIe siècle : une église Saint-Marin y abrite des reliques de la sainte au XIIIe siècle et la Passion y est connue. Comme les textes liés à ces reliques évoquent une martyre à la fois vierge et moniale, il est vraisemblable que les fidèles considéraient qu’il s’agissait de Fébronie de Nisibe, dans une région où le prénom Fébronie n’est pas alors fréquent. Son histoire est donc connue et elle bénéficie d’un culte71. C’est également le cas à Milan. Aux environs de 1100, dans l’église dédiée à saint Protais qui possédait des reliques de saint Georges, un autel était consacré à Fébronie. Celle-ci figure dans un nombre significatif de calendriers liturgiques à partir du XIe siècle selon les manuscrits qui nous sont parvenus, mais la fête, toujours placée à juste titre le 25 juin, a pu apparaître avant. Monza et Milan abritent deux 65 66 67 68 69 70 71 Martin (1993). Chiesa (1990) 20–21. Martin (1990). Chiesa (1990) 21–3. Pour Capoue, le Mont Cassin et Bénévent, Chiesa (1990) 23–4. Chiesa (1990) 25. Ibid. 25–8. 50 michel kaplan C op yr ig ht Pr ot ec te d M at er ia l manuscrits de la Passion en version nord-italienne, datant des XIIIe et XIVe siècles. Un sermon écrit dans les années 1270 par le franciscain Jean d’Opremo, qui prêche à Saint-Eustorge évoque également Fébronie ; la lecture du sermon révèle plusieurs citations de la même Passion72. Notons que Fébronie fait encore aujourd’hui l’objet d’un culte en Sicile 73; elle est la patronne de Patti, qu’elle aurait sauvé d’une invasion des Turcs, et de Palagonia ; son culte revêt un aspect particulièrement solennel à Palerme. Le prénom est assez fréquent dans l’île. Bien que plusieurs mentions de Fébronie en Sicile soient reliées à la tradition campanienne, il convient de se rappeler que, au VIIe siècle, la Sicile était l’une des provinces les plus importantes de l’Empire byzantin, l’une des plus fermement tenues en main, et donc en relation étroite et constante avec Constantinople ; beaucoup de gens savaient le grec74. De plus, la Sicile fit office de refuge pour de nombreux chrétiens qui fuyaient l’invasion arabe, avec parmi eux de nombreux syriaques ; on ne peut donc exclure que la version syriaque ait été elle aussi connue en Sicile. Quoi qu’il en soit, la Sicile la fête toujours le 25 juin. À l’inverse, Rome l’ignore presque complètement ; on ne trouve qu’un seul manuscrit de la Passion latine au Vatican, en version nord italienne. Au VIIe siècle, date de cette traduction, les liens étaient encore très forts entre Rome et Ravenne. Fébronie est également connue dans le monde germanique et notamment dans la partie orientale de celui-ci, dont l’Autriche75. Trois manuscrits proviennent de Bohème et de Hongrie. Dans ces trois manuscrits, il ne s’agit pas de l’inclusion dans un ensemble de Vitæ à finalité liturgique ; l’intérêt se porte sur l’histoire elle-même de la martyre et son aspect édifiant. Une dévotion particulière envers la sainte se fait sentir dans ce cas. Fébronie constitue donc un bon exemple d’une sainte dont l’existence même reste douteuse, mais dont la célébrité et le culte, conséquences de la diffusion de sa Passio, qui vire parfois à la Translatio, se sont largement répandus du coin le plus reculé de l’Orient chrétien jusqu’à Constantinople et surtout l’Occident. Ce phénomène se produit à peu près certainement au VIIe siècle et ne peut se comprendre 72 73 74 75 Ibid. 28–34. Ibid. 37. Voir en dernier lieu la thèse encore inédite de Prigent (2006). Chiesa (1990) 34–6. fébronie 51 l sans tenir le plus grand compte de la situation politique. Byzance regagna d’abord ses provinces orientales sur l’Empire perse au prix de grandes difficultés, pour les perdre presque aussitôt au bénéfice des Arabes musulmans. Au contraire, malgré l’arrivée des Lombards, Byzance contrôle le nord-est de l’Italie, Rome, l’Italie méridionale et la Sicile, en relation constante et étroite avec la capitale ; plusieurs papes furent alors d’origine grecque ou orientale. Dès lors, nous comprenons mieux comment cette période par ailleurs troublée fut particulièrement propice au transfert d’est en ouest, via Constantinople ou peutêtre même directement, d’une tradition hagiographique telle que celle de Fébronie. er ia Bibliographie at Sources C op yr ig ht Pr ot ec te d M Bedjan, P. 1895. Acta martyrum et sanctorum, t. 5. Paris. Bidez, J. et F. Winkelmann, éds. 1972. Philostorgius Kirchengeschichte, Die griechischen christlichen Schriftsteller der ersten Jahrhunderte 21, 166–75. Berlin. Brock, S. et S. Harvey. 1998. Holy women of the Syrian Orient. The Transformation of the Classical Heritage 13. Berkeley. Budge, E. 1902. The Histories of Rabban Hormizd in the Persian and Rabban bar ‘Idta. 2, 1, 203. London. ——. 1928. 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