interview« Etre prêtre, c’est une vie merveilleuse », affirme le père Matthieu

« A juste se centrer sur ce qui va mal, on ne voit plus toute la lumière autour », insiste le père Matthieu

interviewLe prêtre « star » des réseaux sociaux vient de publier son journal intime et nous a livré ses réflexions sur sa vocation, son quotidien et ses relations avec ses fidèles
Le père Matthieu, curré de Joigny en Bourgogne.
Le père Matthieu, curré de Joigny en Bourgogne. - Félicien Delorme / Flammarion
Delphine Bancaud

Propos recueillis par Delphine Bancaud

L'essentiel

  • Le père Matthieu compte plus d’un million d’abonnés sur TikTok, Instagram et Youtube. Dans Les histoires de cœur d’un jeune curé *, paru récemment en librairie, il raconte son cheminement spirituel et son quotidien.
  • Pour 20 Minutes, il revient sur son itinéraire particulier, ses convictions, sa manière d’accompagner la vie spirituelle de ses fidèles.

EDIT du 14 décembre : Matthieu Jasseron, alias Père Matthieu, a fait ses adieux sur TikTok pour ne pas risquer de devenir « un gourou ».

Quand il entre dans le café où nous avons rendez-vous, il pourrait passer pour un quadragénaire lambda. Pas de col romain, un jean et des baskets. Mais quelque chose en lui rayonne : son sourire franc, ses yeux rieurs. Malgré l’actualité dramatique des derniers jours, le père Matthieu semble en paix. Dans Les histoires de cœur d’un jeune curé*, paru récemment, il raconte son parcours surprenant : étudiant en école de commerce, il fut conseiller en optimisation fiscale et a vécu avec une femme pendant quatre ans. Il ne cache rien de ses doutes, de ses failles et ses colères.

Aujourd’hui curé de Joigny, en Bourgogne, il a porté la religion catholique sur les réseaux sociaux et compte plus d’un million d’abonnés sur TikTok, Instagram et Youtube. Pour 20 Minutes, il revient sur son itinéraire particulier et ses convictions. Une parole libre et rare.

« Suis-je fait pour cette vie d’abnégation et de prière ? », écrivez-vous. Votre période de doute a-t-elle duré longtemps avant de devenir prêtre ?

Je suis rentré au séminaire afin de poursuivre une quête. J’avais beaucoup de freins : j’avais eu une copine avant, je n’avais pas été parfait… Je ne me voyais pas à la hauteur de la mission. Mais à la moitié de ma formation, j’ai eu un déclic. C’est devenu évident que je voulais m’engager. Ma mère m’a aussi beaucoup aidé en me disant « Si tu es heureux d’être prêtre aujourd’hui, sois-le et si un jour ce n’est plus le cas, tu arrêteras de l’être. » Cette phrase m’a libéré.

Vous décrivez votre ordination comme un moment d’extase. C’est-à-dire ?

C’est un moment où j’ai eu l’impression de toucher l’éternité. C’était l’aboutissement d’un parcours initiatique. J’ai vibré sur une fréquence qui m’a transcendé, j’étais sur un petit nuage. Mes amis d’enfance étaient aussi très heureux pour moi. La cathédrale était remplie de 2.500 personnes, il y avait un clair-obscur, un chant magnifique, l’orgue retentissait. C’était magistral. On dit souvent que la vie des prêtres est faite d’abnégation, je n’en suis pas si sûr. On n’a pas le droit au mariage dans un beau château, mais une ordination, c’est grandiose.

Vous évoquez une « quête intérieure de cicatrisation », de quoi avez-vous voulu guérir en devenant prêtre ?

Je ne sais pas, car j’ai eu une vie heureuse de bourgeois de banlieue. J’ignore quelles sont mes failles et je ne les recherche pas. A juste se centrer sur ce qui va mal, on ne voit plus toute la lumière autour. Mon job, c’est justement de mettre la lumière sur ce que Dieu a mis de bon dans la vie de chacun, malgré les difficultés éprouvées.

Aucun sujet n’est tabou avec vous. Vous évoquez vos moments d’attirance pour des femmes. Comment avez-vous réussi à surmonter vos désirs pour poursuivre votre chemin de foi ?

Je me sais petit, fragile, vulnérable, et le fait de me savoir potentiellement pêcheur me rend d’autant plus prudent. La Bible prend souvent l’image de vases d’argiles dans lesquels Dieu a insufflé son esprit de vie et d’amour. Pour que ce petit photophore d’argile que nous sommes puisse rayonner, il faut qu’il ait des failles. Je voulais montrer que ce n’est pas parce que l’on est prêtre que l’on est éthéré. On a aussi des émotions. Une pulsion naît en nous sans que nous la maîtrisions, il ne faut pas culpabiliser pour cela. Mais la question est de savoir ce que l’on en fait : entretenons-nous le fantasme ou pas ? Il est possible de ne pas y succomber.

Vous évoquez la fin de la masturbation comme une libération, comme un épanouissement. Est-ce possible de rayer de sa vie la sexualité ?

Je le pense vraiment, à condition d’être affectivement équilibré. J’ai la chance d’avoir des amitiés qui me comblent parfaitement. Les prêtres que je connais ont certainement eu des combats à mener sur ce point, mais je crois qu’ils sont très heureux.

Vous comptez un million de followers sur TikTok. Pourquoi est-ce important d’implanter la religion au sein des réseaux sociaux ?

Aujourd’hui, nos contemporains ont une soif de spirituel. Ils ne se nourrissent plus par des bouquins, par des discussions de famille, mais par les réseaux sociaux. Si l’on croit que l’on peut leur offrir des réponses à leurs questions existentielles, utilisons leurs outils.

Je cite : « Est-ce qu’on peut être gay et chrétien ? » « Le suicide est-il un pêché ? »… Votre hiérarchie approuve-t-elle votre ton très libre ?

Je n’ai jamais été remis en cause directement. La seule vidéo qui a fait dissension était sur l’homosexualité. Mais ma hiérarchie, c’est l’évêque de l’Yonne. Et il a signé une tribune dans La Croix dans laquelle il condamnait l’homophobie. Cela lui a valu aussi une salve de critiques. On a fait de moi un lobbyiste LGBT alors que je me contentais de dire que les homosexuels n’iraient pas en enfer pour ça ! Et que je pense qu’il faut rendre possible les bénédictions des mariages gays.

Avez-vous ramené des Français vers la religion chrétienne ?

Au lendemain du premier confinement, il y a eu un retour du spirituel. Face à un monde angoissant, on a besoin de Dieu. Des gens du quartier qui ne venaient pas à l’Eglise y sont venus régulièrement. On assiste d’ailleurs à une recrudescence des baptêmes de jeunes et d’adultes. L’an dernier, six baptêmes ont été célébrés à Joigny, cette année, quinze le seront.

Vous racontez qu’il vous faut au moins 6 heures pour écrire une homélie. Où trouvez-vous votre inspiration ?

Dans les cœurs qui se dévoilent à moi la semaine d’avant. Après, pour écrire quelque chose de profond, il faut laisser passer du temps pour que cela se décante. C’est indispensable que j’apporte quelque chose aux gens et que je ne paraphrase pas.

Vous avez été en Israël, que ressentez-vous face au massacre perpétré ?

J’ai le cœur serré de douleur.

Vous racontez avoir été tabassé en pleine rue et traité de « pointeur » en raison des affaires de pédophilie dans l’Eglise. Comment vivez-vous cette suspicion ?

Je ne me sens pas inquiet au quotidien. Je ne reste jamais seul avec un adolescent ou un enfant. Une rigueur nécessaire. Quant à ceux qui me sont tombés dessus, je me suis dit qu’ils étaient plus faibles, moins chanceux que moi.

Votre parcours peut-il inciter certains de vos contemporains à s’engager dans la prêtrise ?

C’est la seule ambition de ce livre ! Quand j’étais petit, les prêtres connus étaient Don Camillo, l’abbé de La Morandais et Guy Gilbert. Ça ne donnait pas hyper envie ! Si mon exemple donne l’envie à certains de s’interroger sur leur vocation, tant mieux. Etre prêtre, c’est une vie merveilleuse.

* Les histoires de cœur d’un jeune curé, le père Matthieu, Flammarion, 20 euros.

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