La Combraille, le pays du croissant

À cheval sur trois départements ( Allier, Creuse et Puy-de-Dôme ) et sur deux régions (l’Auvergne et le Limousin ) la Combraille est un pays de transition, un long plan incliné où disparaissent, du sud au nord, les terrains granitiques et schisteux du Massif central. Plutôt région d’élevage, à l’époque où les mines étaient encore exploitées on y trouvait beaucoup d’ouvriers-paysans.

Découpage territorial oblige —au XVIIè siècle! —, on distingue la Combraille auvergnate au sud de la Combraille bourbonnaise au nord, ce qui autorise à parler des Combrailles, comme l’a fait le géographe Jean-Papire Masson qui écrit Combroliorium en 1618. La province s’appelait Marche sous l’Ancien Régime ( du germanique marka, « limite, frontière ») à  ne pas confondre avec la Marche  née du découpage général de 1790 par la Constituante et qui concerne principalement la Haute-Vienne et la Creuse.

Je n’ai pas trouvé de carte du pays des Combrailles — chacun des trois départements ayant sa propre Combraille, qu’il voudrait sans doute unique — je vous en propose donc cet aperçu tout-à-fait approximatif pour que vous le  situiez :

carte combraille

La Combraille cerclée de rouge

Une autre particularité de ce pays est sa situation géographique dans la zone frontalière entre langue d’oïl et langue d’oc, zone qui constitue le croissant linguistique de la France médiane. Des toponymes gardent la trace de cet affrontement.

langues gallo-romane

Combraille : attesté en 1209 sous la forme Terram Combralliae, puis en 1249 au singulier Combraille et en 1307 archidiaconus de Combralie. L’étymologie ( B. et J.-J. Fénié, cf. Bibliographie ) fait appel au roman combre lui-même issu du gaulois *comboros, « barrage, confluent », accompagné du suffixe collectif latin  -alia. Le pays est en effet traversé par le Cher et quelques uns de ses affluents ( le Meaulne, la Tardes, la Tartasse, la Voueize, le Bouron, …). Le roman combre, qui  a coexisté avec le pré-celtique condate  pour désigner un confluent, signifiait proprement « rencontre » et est à l’origine d’encombrer et de sa famille.

Une autre étymologie (Pierre-Henri Billy, cf. Bibliographie )  fait appel au même *comboros en lui donnant le sens d’« abattis d’arbres » ( on sait la région particulièrement boisée).

Pour compliquer le tout, un pays bourguignon de Saône-et-Loire ( autour de Chassy, Clessy et Gueugnon) porte aussi le nom de Combrailles : si on y trouve bien le confluent de l’Arroux et de l’Oudrache  à Digoin,  c’est aussi une région particulièrement boisée.

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Le croissant linguistique dans les toponymes

La frontière oïl -oc est  particulièrement visible dans les toponymes formés sur un nom de personne accompagné du suffixe possessif -acum qui a évolué dans cette région  en -y pour la  langue d’oïl et en -at pour la langue d’oc.

On trouve ainsi Commentry ( Allier, Commentriacus en 1097 de Commentarius et – acum) et, à moins de vingt kilomètres, Domérat ( Allier, castrum d’Almayrac en 1250, d’Armarius, suffixe -acum et agglutination de la préposition de),  Marcillat-en-Combraille (Allier, Marcilliaco en 1132, de Marcilius et suffixe -acum) ou encore Pionsat (P.-de-D., Ponticiacenses silvae au VIè siècle, de Ponticus et -i-acum ).

D’autres toponymes en -y ( Sauvagny, Reugny, Massigny, etc.) côtoient des toponymes  en -at ( Mazirat, Rougnat, Sannat, etc.) sans que la distinction nord-sud soit celle attendue : Commentry se trouve ainsi au sud de Domérat ( Allier).

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De quelques toponymes et hydronymes

Condat-en-Combraille (P.-de-D.) :  Le premier élément n’est pas un nom suffixé en -acum mais bien le pré-celtique condate , « confluent », prononcé avec l’accent latin sur la pénultième. Le toponyme s’apparente donc à une tautologie puisqu’il désigne « un confluent au pays des confluents ». Condate a été très productif en onomastique, ce qui se conçoit aisément puisque les confluents étaient des lieux propices à l’édification de villages : outre les nombreux Condat, il a fourni d’encore plus nombreux Condé ( à l’origine de la maison des Condé ) et, avec l’accent gaulois sur l’ante-pénultième, des Candes, des Condes, des Cosne et même des Contz, etc.

Malicorne (Allier)  : il s’agit d’un ancien nom de moulin mal y corne, c’est-à-dire « corne à la porte pour ton malheur » ( « tu y seras mal reçu » ). Ce n’est pas ce Malicorne de la  Combraille  qui a inspiré son nom au groupe folk mais le Malicorne sarthois. Les fondateurs du groupe connaissaient-ils le sens de ce nom ?

Le Cher prend sa source à Mérinchal (Creuse) considérée comme la porte des Combrailles. Son nom vient de Chard dans la Creuse, nommé Cares au VIè siècle puis Care au VIIè et  Kar, Karis en 898 devenu Char en 1261.  Il s’agit de l’hydronyme pré-celtique kar , « gros gravier dans le lit des rivières ».

Mérinchal ( Creuse) — nous voilà! —, noté Mairenchalm en 1150, est composé du nom de personne romain Matrinus accompagné du nord-occitan chalm, « lande, plateau désert ». Chalm est la forme nord-occitane  du bas latin calmis, d’origine pré-celtique dérivée du pré-indo-européen kal « pierre, rocher, hauteur dénudée ». Ce kal a lui aussi été très productif, à l’origine d’une multitude de Calais, Causse, Calm, Chaume, Chaux, et de bien d’autres encore.

  grand meaulnes

Meaulne ( Allier ): c’est le nom de ce petit village qui inspira Alain Fournier lorsqu’il baptisa son héros Le Grand Meaulnes, se contentant d’y ajouter un -s-. La première attestation du nom date de 1323 quand Gilles de Sully, seigneur d’Ainay-le-Vieil atteste l’usage qu’il a en forêt de « Tronçois à bâtir et chauffer ses hostes d’Ainay et de Meaune ». Il semble que ce nom , qui est aussi celui d’un petit affluent du Cher qui coule en Combraille, dérive du latin mediana, « ce qui est au milieu » : le village se trouve entre le Cher et l’Aumance. ( Pour en savoir plus sur le choix d’Alain Fournier, cliquez ici ).

Vergheas ( P.-de-D.) — que je gardais pour la bonne bouche — est issu du nom d’homme gaulois Vergius et suffixe -acum. Sur le même modèle on trouve Reulle-Vergy ( C.-d’Or.) et Vergies ( Somme). Vergius est formé sur une racine indo-européenne *uergo , « faire, agir  » ( cf. le grec ergon, « travail », le vieux breton guerg, « efficace », etc.) et devait désigner un personnage particulièrement actif, travailleur. Vergheas s’appelait Vergiacum en 1118, ce qui aurait dû nous mener à un Vergeat … mais en Auvergne le digramme -gh- a été utilisé pour rendre le son dj. On le  retrouve ainsi à Bongheat, Verneugheol (P.-de-D.) et à Vergongheon (H.-Loire).

8 commentaires sur “La Combraille, le pays du croissant

  1. Puisqu’à l’époque où le nom Terram Combralliae apparaît, la coupure entre régions de langues d’oïl et régions de langue d’oc était très nette, ne peut-on pas imaginer que la notion de « confluence » pouvait aussi témoigner de la rencontre de deux peuples, ou de deux cultures linguistiques ?

    La toponymie montre bien que, dès cette époque, la Combraille était bien en situation de diglossie. Il ne me semble donc pas absurde de supposer que cette situation, atypique et soumise à la pression du français au Nord et de l’occitan au Sud, ait conduit à revendiquer cette singularité dans la façon de nommer ce territoire.

    La Combraille ne serait ainsi pas nommée en référence à la confluence de rivières (ce qui n’est pas un phénomène rare !) ni à la présence de bois (ce qui n’est pas un phénomène rare !), mais en référence à la confluence linguistique, très singulière et justifiant d’être mise en exergue. Cette idée me plairait bien…

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  2. Plus j’y réfléchis, plus il me paraît étrange de nommer un territoire en référence à la confluence de rivières.

    Je peux comprendre un tel nom pour un lieu-dit, pour un village, une ville : à l’endroit de la confluence, il est logique d’y faire référence. C’est un « point », délimité, précis. Le nom est conforme à la géographie, et permet à tout-un-chacun de comprendre immédiatement de quel village l’on parle. OK.

    Mais pour un territoire plus vaste, cela me semble assez tiré par les cheveux, pour ne pas dire spécieux. Car quasiment tous les territoires français sont traversés de rivières et de plusieurs affluents ! Il n’y a là vraiment rien de singulier, et le Cher et ses affluents ne frappent pas spécialement la vue ou l’esprit, pour justifier d’en faire une singularité. Or, un territoire doit bien être nommé par rapport à une singularité, de façon à le distinguer des territoires voisins, de façon à ce que chacun identifie immédiatement de quel territoire l’on parle. Un nom est d’abord fonctionnel, et nommer un territoire entier à partir d’un fait banal et général, cela ne l’est guère (alors qu’un village précis, si).

    Bref, s’il faut partir de l’étymologie « confluent », mon explication est bien plus cohérente :-), malgré tout le respect que je dois à B. et J-J. Fénié.

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  3. ►Jacques C

    votre hypothèse — la rencontre de deux langues — est séduisante mais, jusqu’à preuve du contraire, aucun texte ancien ne fait référence à cet affrontement linguistique. Les langues d’oïl et d’oc se sont trouvées en concurrence tout au long de la ligne de partage nord-sud. À l’est cela a donné naissance au franco-provençal, tandis qu’ à l’ouest la frontière est plus nette entre le saintongeais et le gascon puisque tracée, grosso modo, par la Gironde. Il n’y a donc que dans ce Croissant que l’affrontement linguistique fit que l’on parlait d’oïl dans tel village et d’oc dans son voisin, ce qui se traduit par une frontière floue.

    Je suis moins d’accord avec votre deuxième remarque. Je ne citerai qu’un seul exemple où un type de terrain répété à de nombreuses reprises a donné son nom à une région entière. Je veux parler des Alpes qui tirent leur nom du celtique alp , d’abord au sens de « col », puis, dès le VIIIè siècle, au sens toujours vivant dans les Alpes et le Piémont italiens de « pacage de haute montagne ». On trouve par exemple, au singulier, l’Alpe d’Huez. La multiplication des alpes a suffi à donner son nom au massif tout entier…
    La multiplication des confluents — assez remarquable dans ce pays montueux très bien arrosé et aux vallées encaissées— a pu suffisamment marquer les esprits pour que le pays en prenne le nom.

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  4. Bonjour,
    Toujours, l’origine du mot « Combrailles » m’a posé problème.Les deux possibilités que je découvre ici sont séduisantes.
    Habitant la région depuis toujours, j’en ai souvent entendu une autre :
    – Dans la combraille auvergnate, les habitants se nomment les Brayauds.
    – Cela pourrait venir de « Brayes » qui signifie pantalon.
    – dés lors, en venant du bas latin  » cum brayo » c’est à dire  » avec un pantalon » on peut arriver à la notion d’une région dont les habitants portaient le pantalon par opposition à la jupe romaine !

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  5. Tout à fait d’accord,
    En parler auvergnat, pantalon se dit  » brailles » d’ailleurs, le mot « débraillé » (tout à fait français) est assez parlant.

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  6. A la suite des ces explications, je suis tenté de proposer la mienne : Combrailles serait en fait à comprendre au sens de « convergence », c’est à dire un espace de « rencontre » entre les espaces des Lémovices et des Arvernes.
    Espace à la fois rude, boisé et entrecoupé de vallées et rivière nombreuses les Combrailles seraient alors au prendre au sens de « frontière ». Pas les frontières modernes, mais les frontières vastes et mouvantes , du moyen age ou de l’antiquité.
    La Foret des CArnute était aussi un « espace frontière » entre grand groupes celtes.
    La « frontière Combrailles » est alors un espace assez vaste peu occupé, encore mal « civilisé », ou mal contrôlable, au delà des centres bien contrôlées des plaines Arvernes et des bassins prospères des Lémovices.
    A débatre 😉

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  7. olivier V.

    votre proposition est intéressante mais je ne suis pas sûr qu’elle soit la bonne.

    Le vieux français combre , du gaulois *comboros, au sens de « confluent » se trouve ailleurs dans d’autres appellations :
    — Combre ( Loire, E.-et-L.) ;
    — Combrailles ( P.-de-D. ) avec suffixe collectif –alia ;
    — Combray (Calv.) et Combret (Aveyr;) avec suff. coll. –etum ;
    — Combreux (Loiret ) avec suff. –osum ;
    — Combrand ( D.-Sèvres) avec suff. gaulois –ennu ;
    — Combronde (P.-de-D.) avec suff. gaulois – on-ate ;
    — Combrée ( M.-et-L.), avec suff. –eta.

    Sans oublier le dérivé breton kemper à l’origine de Quemper-Guézennec ( C.-du-N.), Quimper (Fin.) et Quemperven (C.-du-N., avec gwen, « blanc » ) et Quimperlé (Fin., avec le nom du fleuve Ellé ).

    Tous ces noms sont relatifs à des confluents bien identifiés géographiquement. Pourquoi chercher ailleurs ?

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