Histoire des Norvégiens

A la fin de l’époque viking, les Scandinaves abandonnèrent petit à petit leurs expéditions vers les territoires étrangers. En Norvège, le roi Harald III, dit Le Sévère (Hardråde), échoua dans sa tentative de conquête de l’Angleterre lorsqu’il fut tué à la bataille de Stamford Bridge, le 25 septembre 1066. Sa funeste destinée lui valut le surnom de « dernier des Vikings », tandis que la même année, le Normand Guillaume le Conquérant réussit à s’emparer de l’Angleterre et à devenir roi. Avec son règne, les raids vikings s’arrêtèrent.

Cependant, les successeurs de Harald III se lancèrent dans de nouvelles campagnes en Ecosse, notamment aux îles Orcades et aux îles Hébrides, ainsi qu’au Pays de Galles, à l’île de Man et en Irlande. Au milieu du XIIIe siècle, le royaume de Norvège connut son apogée, s’étendant sur une grande partie des terres entourant l’Atlantique Nord. Ainsi, les frontières terrestres du pays allaient au-delà de ses limites actuelles, auxquelles s’ajoutaient des territoires d’outre-mer tels que les îles Shetland, les îles Féroé, l’Islande et le Groenland. La Norvège disposait alors d’un véritable empire, riche et prospère.

Carte du royaume de Norvège à son apogée (XIIIe siècle). En bleu-vert : royaume de Norvège (Groenland [absent sur la carte], Islande, Féroé, Shetland, Orcades, Hébrides, Man) En violet : états vassaux d’Ecosse (Caithness, Strathclyde) et du Pays de Galles (Anglesey) En bleu ciel : région sous le contrôle de l’impôt (Laponie)

Mais, à partir de 1380, après la mort du dernier roi de Norvège Håkon VI, son épouse Marguerite Ière unifia les trois royaumes scandinaves sous une seule et même couronne : l’Union de Kalmar. Son petit-neveu Eric de Poméranie fut élu roi et régna dès 1397 sur la Norvège, le Danemark et la Suède, ainsi que tous les territoires d’outre-mer. Pendant ce temps, ravagée par l’épidémie de peste de 1341 et affaiblie par la ligue hanséatique qui détournait le commerce en mer du Nord à son profit, la Norvège perdit toute sa grandeur, jusqu’à la dissolution de l’Union de Kalmar suite à la sécession de la Suède en 1523. Elle dut alors subir la domination du Danemark, qui en profita pour s’emparer des îles Féroé, de l’Islande et du Groenland. L’empire qu’avaient forgé les rois norvégiens tombait ainsi entre les mains des Danois.

Ce ne fut qu’en 1814, après la signature de la constitution d’Eidsvoll, que la Norvège s’affranchit de la domination danoise. Toutefois, contrainte de s’unir à la Suède, elle dut attendre 1905 pour obtenir définitivement son indépendance. Durant tous ces siècles, les Norvégiens suivirent le cours de l’histoire, menant leur existence tant bien que mal. Au fil des générations, ils créèrent une identité norvégienne, riche et unique.

Aujourd’hui, il existe un mot norvégien qui décrit la préservation de cette mémoire du temps : kulturminne. Signifiant littéralement « héritage culturel », il désigne tous les sites du patrimoine et environnements culturels témoins de l’histoire et présents sur le territoire norvégien. Depuis 1978, la loi sur l’héritage culturel protège les structures et espaces réputés pour avoir une valeur culturelle ou architecturale. De plus, des écomusées implantés dans tout le pays reconstituent des villages et des fermes typiques de chaque région du Moyen-Age au XIXe siècle et leur redonnent vie. Ces musées en plein air replongent les visiteurs quelques siècles en arrière et participent à la défense du patrimoine.

Jusqu’à la moitié du XXe siècle, la plupart des Norvégiens étaient des paysans et des pêcheurs et vivaient à la campagne ou dans des villages au bord de la mer. Ils élevaient des vaches, des moutons, des chèvres, des cochons ou des poules et cultivaient différentes sortes de légumes, de fruits et de plantes. Ils pêchaient aussi de nombreuses variétés de poissons et chassaient des baleines, des phoques et des morses. Certains autres étaient marchands ou artisans et tenaient des ateliers où ils travaillaient comme forgerons, orfèvres, potiers, ébénistes ou verriers. Ils confectionnaient des vêtements en lin, en laine, en fourrure ou en cuir et divers objets artistiques ou du quotidien en bois, en métal, en pierre ou en os.

Le bois étant un matériau courant et important, les Norvégiens développèrent de grandes qualités de charpentier, notamment dans la construction de bateaux et d’habitations. Les maisons étaient presque toutes en bois et certaines avaient même un toit recouvert d’herbe. Les toitures végétalisées offraient une excellente isolation thermique, protégeant de la chaleur en été et surtout du froid en hiver.

Quant aux villages, ils s’organisaient autour de fermes gérées par des familles. Chaque ferme était constituée de plusieurs bâtiments, dont des maisons d’habitation pour les membres de la famille, des étables pour les animaux, des greniers pour les vivres et des cabanes pour le matériel ou rentrer les bateaux pour l’hivernage. Beaucoup de fermes étaient isolées et les villages se dispersaient à travers le paysage en de multiples lieux-dits. Comme les sources d’eau douce étaient très nombreuses, chaque propriété pouvait posséder la sienne sans devoir dépendre d’une source commune à un village et ainsi s’installer presque n’importe où.

Dans les villages de pêcheurs, on conservait le poisson dans des bâtiments spécialement conçus. Par exemple, aux îles Lofoten, dans le Nord de la Norvège, ils étaient souvent peints en rouge et étaient appelés rorbu (rorbuer au pluriel). On faisait également sécher le poisson, surtout la morue, sur de grands tréteaux à l’air libre.

Maisons traditionnelles aux musées de Maihaugen (Lillehammer), Sverresborg (Trondheim) et Bygdøy (Oslo)

Maisons traditionnelles aux musées de Hedmarkstunet (Hamar) et de Kvaløya (Tromsø)

A l’intérieur des maisons, le confort était très souvent sommaire. Les espaces étaient réduits et sombres, car bas de plafond, mais fonctionnels. Les meubles étaient rustiques et simples et fabriqués dans des matières naturelles. Les lits étaient dans l’ensemble plutôt courts, installés dans les coins, quand ils ne se trouvaient pas dans des placards dont l’on pouvait refermer la porte pour se défendre du froid. Le reste du temps, les occupants se rassemblaient autour de l’âtre, où l’on faisait la cuisine et se réchauffait pendant les longs mois d’hiver. Enfin, de la viande et du poisson pouvaient être suspendus aux poutres et être ainsi séchés.

Intérieur d’une maison traditionnelle au musée du folklore norvégien de Bygdøy, à Oslo

Chaque région de Norvège avait, à telle ou telle époque, un style architectural particulier, que l’on pouvait reconnaître dans les techniques de construction ou encore dans les motifs décoratifs. Cependant, les matériaux étaient toujours les mêmes. De plus, des greniers sur pilotis, ou stabbur, étaient construits dans tout le pays sur le même modèle de base, typique de la Norvège. Ils étaient utilisés pour entreposer des vivres, comme du grain, de la farine et de la viande séchée, mais aussi des objets de valeur et des vêtements enfermés dans des malles. Leur porte était verrouillée par une bonne serrure, tandis que leur position surélevée leur octroyait deux avantages. Le premier était la création d’une zone de circulation d’air entre le sol et le grenier, où une sorte de vide sanitaire empêchait l’humidité de remonter. Le second était la protection contre l’intrusion de rongeurs, lesquels ne pouvaient pas non plus grimper aux piliers à cause de leur structure en cônes superposés.

Greniers sur pilotis (stabbur) au musée du folklore norvégien de Bygdøy, à Oslo

Dans les villes, le temps passait plus vite qu’à la campagne. Elles étaient les témoins de l’évolution de la société et des progrès techniques et scientifiques. Les influences danoises puis suédoises y étaient omniprésentes et on y parlait danois, ou dano-norvégien, contrairement aux campagnes où les dialectes locaux étaient de mise. Ceux qui habitaient les villes formaient la bourgeoisie. Ils étaient administrateurs, entrepreneurs, banquiers, médecins, instituteurs, commerçants… On y trouvait des boutiques et des ateliers mais aussi des services publics comme la poste ou l’école. Les citadins vivaient dans des appartements, généralement plus confortables et luxueux que les maisons à la campagne.

Lorsque la Norvège fut christianisée dès le XIe siècle, notamment par le roi Olav II, des églises furent construites dans le royaume. Là aussi, le bois fut choisi comme matériau de construction. Cependant, pour élever les églises vers le haut, les Norvégiens durent faire preuve d’ingéniosité. Ainsi, ils dressèrent des poteaux et des mâts afin de hausser les murs et de soutenir des toitures qui s’élevaient le plus haut possible. Cette technique donna le nom d’églises en bois debout, ou stavkirke, à ces édifices dont l’architecture présentait les structures en bois les plus élaborées du Nord de l’Europe au Moyen-Age.

Alors que plus de 1 300 églises en bois debout furent répertoriées en Norvège, seules 28 exemplaires furent sauvegardés jusqu’à aujourd’hui. Celles-ci furent pour la plupart construites entre 1150 et 1350 et constituèrent un style architectural unique au monde, combinant des influences romanes anglaises et normandes à des références à la mythologie nordique. De ce fait, les constructeurs sculptèrent des dragons et les accrochèrent aux pinacles telles des gargouilles, tandis que les gravures qui ornementaient les portails et les chapiteaux décrivaient des scènes païennes. On pouvait y voir des animaux fantastiques, comme des dragons, lesquels avaient la fonction de chasser les démons. Des divinités et des héros mythologiques, souvent représentés de façon stylisée, rejouaient le thème commun du combat entre le bien et le mal, assurant la transition entre le paganisme et le christianisme. Ce besoin de syncrétisme était nécessaire pour convertir en douceur les populations.

Malheureusement, beaucoup d’églises en bois debout furent détruites par des incendies. Aussi, à partir du XVIe siècle, la Réforme protestante s’imposa dans tout le pays, qui se convertit officiellement au luthéranisme. Les stavkirkes furent petit à petit abandonnées et remplacées par de nouvelles églises en pierre, voire en bois, dans le style sobre et rigoriste du protestantisme. Si la majorité des églises en bois debout finirent en planches pour bâtir autre chose ou tombèrent en ruines et disparurent, d’autres furent converties au luthéranisme et ainsi préservées et sauvées. Par exemple, à la fin du XIXe siècle, celles de Fortun et de Gol furent démontées puis reconstruites respectivement sur le site de Fantoft à Bergen et sur la presqu’île de Bygdøy à Oslo.

Les trois églises en bois debout les plus remarquables de Norvège sont celles d’Urnes, de Borgund et de Heddal. La stavkirke d’Urnes, située sur le Sognefjord, est la plus ancienne encore présente aujourd’hui. Elle date des années 1130 et est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. Celle de Borgund, située aussi dans la région du Sognefjord, est la mieux préservée et date d’avant 1200. Enfin, l’église de Heddal, dans le comté de Telemark, est la plus grande. Edifiée vers 1250, elle comprend trois nefs. Comme beaucoup d’églises du pays, elles sont également entourées d’un cimetière.

Concernant les tenues vestimentaires, les Norvégiens portaient un costume traditionnel appelé bunad. En vogue dans les campagnes, il était différent d’un comté à l’autre, d’une région à l’autre. Si ses racines remontaient au Moyen-Age, ce fut au XIXe siècle qu’il devint une véritable institution. Chaque localité avait son propre bunad, avec ses motifs particuliers, souvent inspirés de la nature, sa coupe et ses accessoires, tandis que les couleurs pouvaient varier d’un exemplaire à l’autre tout en respectant les fondamentaux. Il était ainsi possible de reconnaître l’origine de quiconque arborait son bunad.

Confectionné dans des matières telles que le lin, la soie, la laine ou le cuir, il était généralement plus complexe et élaboré pour les femmes que pour les hommes, et donc plus représentatif de chaque localité. Celles-ci portaient un chemisier blanc au col quelquefois brodé, une robe tablier ou une longue jupe, parfois un corsage, une veste et un foulard sur les épaules et pour certaines une ceinture à laquelle pouvait être accrochée une aumônière. Elles se coiffaient d’un bonnet, d’un voile ou d’une étoffe tressée en couronne et affichaient une ou plusieurs broches en argent épinglées au niveau du col de leur chemisier et de la poitrine.

Pour les hommes, le bunad se constituait d’une chemise, d’un gilet, d’une veste, d’un pantalon s’arrêtant au genou et de longues chaussettes en laine. Ils portaient un chapeau ou un bonnet et un foulard autour du cou où ils arboraient une broche en argent. Ces bijoux étaient très répandus dans les campagnes et les Norvégiens leur attribuaient le pouvoir d’éloigner les mauvais esprits. Ils en mettaient dans le berceau des bébés afin qu’ils les protègent et continuaient à les exhiber une fois adultes. De plus, les boutons des vestes et gilets et les fermoirs et éléments de décoration des ceintures et des aumônières étaient également en argent.

Enfin, le bunad n’était pas qu’un vêtement du quotidien mais aussi un costume pour les grandes occasions. Les Norvégiens le portaient par exemple pour leur mariage et tous les autres évènements importants de la vie civile ou religieuse. A partir du milieu du XXe siècle, il fut ressuscité et hissé au rang d’emblème national. Lors des festivités du 17-Mai, le jour de la fête nationale, il est fièrement porté par les Norvégiens qui défilent dans les rues, drapeau à la main. Il est également mis à l’honneur pour les confirmations et les remises de diplômes. Les invités à un mariage peuvent aussi le vêtir. Cependant, ce sont les femmes qui continuent en grande majorité de le porter, alors que les hommes se contentent d’un costume classique.

Bunads de Hardanger (comté de Hordaland), d’Øst-Telemark (comté de Telemark) et d’Askøy (comté de Hordaland) / norskflid.no

Bunads de Tromsø (comté de Troms), de Senja (comté de Troms) et du comté de Nordland / norskflid.no

Bunads de Vest-Telemark (comté de Telemark) et d’Oppdal (comté de Sør-Trøndelag) et bunad de mariage du comté de Vest-Agder / norskflid.no

Bunad du comté de Trøndelag en plusieurs coloris / norskflid.no

L’artisanat occupait une grande place dans la vie des Norvégiens et cet héritage créatif traversa les siècles. Parmi les spécificités artisanales et artistiques figurait le rosemaling. Signifiant « peinture de rose », le rosemaling fut né au milieu du XVIIIe siècle dans les campagnes. Il consistait en la représentation de fleurs colorées sur des supports en bois tels que des meubles, des coffres ou des panneaux. Riche en couleurs et en ondulations, il s’inspirait des styles baroques et rococos apparus dans le Sud de l’Europe. Les artisans représentaient des fleurs comme l’acanthe ou la rose de façon à créer des volutes élégantes et raffinées et choisissaient des couleurs nuancées et variées. Les motifs pouvaient être asymétriques et parfois fantaisistes, mais toujours avec des formes simples et arrondies.

Originaire des régions de Telemark et de Hallingdal, le rosemaling s’étendit à presque tout le Sud de la Norvège. D’abord pratiqué dans les fermes, il fut appliqué à l’art religieux et orna l’intérieur des églises, où il s’empara de thèmes bibliques tout en conservant son style. Dans l’art populaire, il décorait les portes, les murs, les armoires, les malles ou les lits, mais aussi les pots, les bols, les assiettes, les soupières et les cuillères. On le retrouvait également sous la forme de broderies sur certains bunads.

Quant au tricot norvégien, il fut popularisé dès le XIXe siècle par un motif devenu récurrent : la rose de Selbu. S’il put apparaître plus tôt, ce fut dans le village de Selbu, dans le comté de Trøndelag, qu’il devint célèbre, lorsqu’en 1857, une jeune fille du nom de Marit Emstad tricota trois paires de moufles ornées de la selburose. Ce motif représentait une rose à huit pétales géométriques, ressemblant un peu à une étoile ou un flocon de neige. L’engouement pour ces moufles fut énorme et de très nombreux exemplaires furent reproduits, d’abord dans le village de Selbu puis dans tout le pays.

A cette époque, la Norvège était encore liée à la Suède et aspirait à son indépendance. Elle s’efforçait alors de se forger une identité nationale à travers sa culture et son artisanat. A l’instar du bunad et du rosemaling, la rose de Selbu devint un symbole patriotique. Diffusée dans le monde entier par l’émigration de Norvégiens et le commerce international, elle contribua à la reconnaissance de la Norvège comme une nation indépendante.

Aujourd’hui, la selburose est encore omniprésente dans le tricot traditionnel norvégien, que des marques comme Marius et Dale of Norway continuent à promouvoir. Ainsi, les moufles de Selbu, ou selbuvotter, restent très populaires et emblématiques. Avec leur forme triangulaire et leur riche décoration, elles se déclinent en plusieurs couleurs, bien que les modèles classiques soient noirs ou rouges. On retrouve également le motif sur des pulls, des bonnets, des écharpes ou encore des chaussettes. Certains bunads l’affichent aussi.

Désormais, la Norvège est devenue un pays riche et moderne, dont les habitants bénéficient d’un des niveaux de vie les plus élevés au monde. Cependant, les Norvégiens n’oublient pas qui étaient leurs ancêtres, des paysans, des pêcheurs et des bûcherons aux conditions de vie et de travail rudes et harassantes. Eux-mêmes héritiers des Vikings, ils traversèrent les siècles avec courage et talent, créant une culture, une identité, une nation. Leur héritage est présent partout, tant dans ce qu’ils construisirent que dans ce qu’ils transmirent de génération en génération. Les musées et les traditions sont là pour nous le rappeler.

Musée du folklore norvégien de Bygdøy (Oslo)

Musée du folklore de Sverresborg (Trondheim)

Musée du folklore de Maihaugen (Lillehammer)