Danse
« Le Jeune Homme et la mort » privé de son étoile, Jean Babilée n’est plus

« Le Jeune Homme et la mort » privé de son étoile, Jean Babilée n’est plus

02 February 2014 | PAR Marie Boëda

Jeudi 30 janvier, à 91 ans l’inspirateur et le co-créateur de l’incroyable « Jeune Homme et la Mort » de Roland Petit et Jean Cocteau a définitivement quitté la scène, laissant orpheline cette œuvre illustre. Jean Babilée, le danseur étoile impulsif était aussi un homme raffiné et curieux.

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Né à Paris en 1923, Jean Gutmann a 13 ans lorsqu’il décide de devenir danseur. Un métier qui est avant tout un “état” pour lui. A 7 ans une chute qui l’immobilise lui donne l’envie de se dépenser encore plus ; caractère explosif et infatigable qui l’a sûrement accompagné toute sa vie. Pendant la Seconde guerre mondiale il prend le nom de sa mère Babilée et devient résistant en Touraine pour échapper au STO puis il intègre le ballet des Champs-Elysées, dirigé par Roland Petit. Au-delà d’une carrière de danseur et de chorégraphe couronnée de succès, le jeune homme au regard insistant a traversé des univers hétéroclites comme le théâtre, le cinéma mais surtout les voyages. Partant des semaines sur sa moto, le danseur qui, comme il le dit lui-même, a toujours laissé place au plaisir, a parcouru l’Asie et particulièrement l’Inde, en quête de nouveautés et de découvertes.

Une personnalité difficile à saisir. Danseur de l’Opéra de Paris, il est nommé étoile en 1953, il a alors 30 ans. Le début de sa carrière a lieu en 1946 lorsque Roland Petit décide de créer un ballet pour lui. Sur la Passacaille de Bach annonçant déjà la tragédie, le jeune homme flanqué d’une salopette bleue recouverte de peinture, inonde la salle de son naturel et de sa technique, déjà reconnue comme supérieure. « Le Jeune Homme et la Mort » reste un ballet mythique et moderne. D’un caractère colérique et excentrique, on a très vite détecté chez Babilée quelque chose qui relève de la révolte intérieure. C’est ce qui transparait dans cette création torturée et mystérieuse, d’où émane à la fois désespoir et beauté.  Pour Jean-Paul Goude, Jean Babilée a « vampirisé le Jeune Homme et la Mort ». Difficile de prendre la relève lorsque l’interprète originel s’accapare à ce point de son œuvre : « Le Jeune Homme, c’était moi. Ce ballet m’a accompagné toute ma vie. J’ai dansé énormément de pièces mais celle-ci, c’est autre chose ».

Des entrechats et des pirouettes à n’en plus finir mais aussi un apprentissage de l’élégance et de la continuité de la danse classique faisaient de lui une étoile que les grands danseurs d’aujourd’hui admirent encore. Barychnikov est l’un d’entre eux, comme le montre le documentaire de Patrick Bensard « Le mystère Babilée ». Maurice Béjart a, lui aussi, créé un ballet pour Jean Babilée, « Life » tant acclamé en 1985, inoubliable et pourtant… il n’a jamais été repris à la demande du danseur. Pour Babilée, quand une œuvre est créée pour un interprète, elle lui est définitivement liée. Elle ne doit vivre qu’un temps, on ne désolidarise pas l’œuvre de son inspirateur, on en crée une autre.

« La danse doit vous coller à la peau ou cesser », il y a encore dix ans, l’artiste de 80 ans dansait dans un spectacle de Josef Nadj au Théâtre de la Ville « Il n’y a plus de firmament ».  Doué d’une agilité encore décelable pour son grand âge, Jean Babilée avoue avoir eu de la chance avec son corps. Un don de la nature et une envie insatiable semblent avoir accompagné la carrière de l’étoile “c’était ma vie que je dansais” (cf « Panorama des ballets » Rosita Boisseau).

Parmi ses interprétations pour la danse : « L’oiseau de feu », « Giselle », « Le Spectre de la rose », « Oedipe et le Sphinx ». Il est aussi chorégraphe pour « L’Amour et son amour » (1948), « Till Eulenspiegel » (1949), « Le Caméléopard » (1956). Il crée et dirige les Ballets Jean Babilée de 1956 à 1959.

Au théâtre : avec Arletty dans « La descente d’Orphée » de Raymond Rouleau, dans « Le Balcon » de Jean Genêt, mis en scène par Peter Brook, « La Reine verte » de Maurice Béjart avec Maria Casarès.

Au cinéma : « Les loups dans la bergerie » de Bromberger, « Pleins feux sur l’assassin » de Franju, « Amélie ou le temps d’aimer » de Drach, « Dragées au poivre » de Baratier « Duelle » de Jacques Rivette. William Klein lui consacre un film en 1991.

Photo (c) : capture d’écran “le mystère de Babilée”.

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Marie Boëda
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