Thugga / Dougga

Dougga dans l’histoire

Façade du Capitole avec sur le fronton l’apothéose d’Antonin le Pieux enlevé par un aigle, construit sous Marc-Aurèle (166-167). Façade du Capitole avec sur le fronton l’apothéose d’Antonin le Pieux enlevé par un aigle, construit sous Marc-Aurèle (166-167). Crédit : Clémentine Gutron, 2006.

Deux hypothèses ont été avancées au sujet de l’origine du nom de l’antique Thugga, qui serait issu soit du nom numide / berbère « Tukka » (« roc à pic »), en référence à la falaise qui borde le site, soit de « Thukka » (« pâturages »), en lien avec les prairies fertiles environnantes (Carton, 1910 ; Poinssot, 1983). Les premières traces humaines décelables sur le site semblent remonter au milieu du IIe millénaire avant notre ère, matérialisées par la présence d’un mur d’enceinte mégalithique et de dolmens au nord du site, entre la muraille et le bord de la falaise (Aounallah et al., 2020). La fondation de la ville pourrait remonter au VIe siècle avant notre ère (Khanoussi, 2003a). À la fin du IVe siècle avant notre ère, Enmachus, lieutenant d’Agathocle de Syracuse, s’empare de la cité qui est déjà, selon Diodore de Sicile, « de belle grandeur ». Au cours de la première moitié du IIe siècle avant notre ère, elle tombe dans le giron du roi numide Massinissa et devient l’une de ses résidences royales (Khanoussi, 1994 et 1995). Plusieurs monuments libyco-puniques sont attestés : la nécropole, un mausolée et des temples (dont l’un dédié à Baal-Hammon Saturne) (Khanoussi, 2003b). Après la destruction de Carthage par les Romains en 146 avant notre ère, Thugga reste hors de la Province Romaine d’Afrique, et ce jusqu’en 46 avant notre ère après la défaite du roi numide Juba Ier. La ville devient alors romaine ; les premiers travaux de construction, notamment l’aménagement du quartier du forum, débutent au Ier siècle de notre ère (Khanoussi, 2003b). La ville se couvre de monuments : des sanctuaires (l’un est dédié à Minerve), un grand ensemble de temples (dédiés à la Concorde, à Frugifer et à Liber Pater) et d’autres dédiés à la Victoire de l’empereur Caracalla ou encore à la déesse Caelestis. Un temple encore anonyme est aussi bâti (surnommé le Dar Lachheb, « la maison de Lachheb »), tout comme le Capitole et le théâtre. Sous Septime Sévère en 205, la ville obtient le rang de municipe, puis celui de colonie sous Gallien en 261. Entre 284 et 376 (de Dioclétien à Théodose l’Ancien), les inscriptions font mention de commémorations et de restaurations d’édifices. La religion chrétienne commence par ailleurs à s’implanter, comme le montre la construction d’une petite église dans l’ancien cimetière païen (Poinssot, 1983). En 411, Thugga envoie un évêque donatiste à une conférence tenue à Carthage. L’arrivée des Vandales de Genséric en 439 a sans doute touché la ville, mais l’absence de témoignages écrits empêche de connaître avec précision les changements survenus. Cependant, la disparition du représentant chrétien dans les comptes rendus des conciles des évêques africains laisse supposer le début de l’abandon de la ville (Khanoussi, 1980). Lors de la reconquête de l’Afrique par Justinien, en 533-534, des fortifications sont érigées sur les ordres du généralissime Solomon, englobant le forum et le capitole. Ce fort, construit à partir des pierres des édifices alors en place, mesurait une dizaine de mètres de hauteur. Il répondait aux besoins de la population locale de protection en cas de razzia. Au VIIe siècle, avec la conquête arabe, les habitants semblent camper dans des ruines puisque qu’aucune trace de réparation n’est retrouvée. Les petits bains au pied du mur sud de la forteresse byzantine, sans doute aghlabides, furent construits à cette période. Une petite communauté chrétienne semble toujours subsister (Poinssot, 1983). La destruction de Thugga fut probablement due à l’invasion hilalienne au Xe siècle, ce qui expliquerait aussi la construction de l’enceinte qui entoure une partie de la ville antique. Nous disposons de nombreux témoignages modernes au sujet de Dougga. Ainsi, un important groupe d’émigrés andalous s’installa à Dougga après l’expulsion définitive des musulmans d’Espagne par Philippe III en 1609. Le petit trésor découvert dans l’une des citernes du temple de Saturne (une trentaine de pièces d’argent du XVIe siècle) date de cette période (Poinssot, 1983). Peu à peu, la majeure partie de la ville se couvrit de végétation. La moderne Dougga devient alors une petite bourgade localisée au cœur de la ville antique, jusqu’au déplacement des habitants dans la « nouvelle Dougga ».

 

(Bénédicte Lhoyer, Thomas Soubira, juin 2021)

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