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Décryptage

Les auberges de jeunesse ne sont plus ce que vous croyez

Depuis le tournant des années 2010, les auberges de jeunesse, souvent associatives et non lucratives, doivent faire face à la concurrence d'acteurs privés et de leurs « hostels », des établissements modernes et branchés, qui proposent à la fois des chambres individuelles et des dortoirs.

Aujourd'hui, les « hostels » sont aussi des lieux branchés où l'on vient profiter d'une « expérience », autrement dit un bar, un restaurant, du mobilier moderne - parfois signé par des designers en vue -, de concerts de DJ et autres animations, mais aussi de dortoirs plus spacieux, confortables, aux lits moins nombreux, voire proposant des chambres individuelles.
Aujourd'hui, les « hostels » sont aussi des lieux branchés où l'on vient profiter d'une « expérience », autrement dit un bar, un restaurant, du mobilier moderne - parfois signé par des designers en vue -, de concerts de DJ et autres animations, mais aussi de dortoirs plus spacieux, confortables, aux lits moins nombreux, voire proposant des chambres individuelles. (© 37.studio/The People)

Par Samuel Chalom

Publié le 2 mars 2023 à 08:00Mis à jour le 23 mars 2023 à 14:42

Murs blancs décrépis, matelas peu confortables, répartis sur des lits superposés dans un dortoir à l'allure militaire avec, en fond, une odeur de cantine scolaire… Voilà à quoi peut ressembler, dans l'imaginaire courant, une auberge de jeunesse. Sauf que cette caricature n'a (presque) plus rien d'actuel.

Ce mode d'hébergement à petit prix plus que centenaire, et qui trouve son origine en Allemagne, s'est largement renouvelé ces dernières années en France sous l'impulsion d'acteurs privés - qui lui préfèrent l'expression « hostels » -, alors qu'il s'était jusque-là essentiellement développé sur le modèle associatif et non lucratif.

Aujourd'hui, ces hostels sont aussi des lieux branchés où l'on vient profiter d'une « expérience », autrement dit un bar, un restaurant, du mobilier moderne - parfois signé par des designers en vue -, de concerts de DJ et d'autres animations, mais aussi de dortoirs plus spacieux, confortables, aux lits moins nombreux, voire proposant des chambres individuelles.

Generator, The People, Jo&Joe…

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La plupart des experts interrogés situent le moment de bascule de cette transformation du secteur au tournant des années 2010. « Je dirais même plus précisément en 2008, avec l'ouverture du tout premier établissement de l'enseigne St Christopher's Inn en France, au bord du canal Saint-Martin, à Paris », se remémore le responsable du pôle hôtellerie-tourisme-loisirs de KPMG France, Stéphane Botz.

Depuis, on ne compte plus les ouvertures d'hostels dans les grandes villes françaises, qu'ils s'appellent Generator, The People (dans le giron du fonds d'investissement Eurazeo) ou encore Jo&Joe, la marque du géant de l'hôtellerie Accor qui compte déjà six établissements, dont trois en France.

Néanmoins, difficile de trouver des données chiffrées pour quantifier le phénomène. KPMG nous indique que, parmi les hébergements marchands, les auberges de jeunesse ont connu la plus forte augmentation en nombre d'établissements (+13 %) et de lits (+26 %) entre 2017 et 2018. Mais depuis ? « Ce qui est certain, c'est que les hostels restent un business de niche, je ne vois pas énormément de gros acteurs du secteur s'y intéresser sérieusement », analyse Joanne Dreyfus, experte tourisme chez Deloitte.

Un nouveau classement, mais pas d'étoiles

Toutefois, preuve du renouveau du secteur, en 2020, sous l'appellation « auberges collectives », ont été officiellement regroupés les auberges de jeunesse, les hostels, les centres internationaux de séjour et certains refuges de montagne. Depuis septembre dernier, un classement « auberges collectives » a également été mis sur pied : s'il n'indique pas des étoiles comme pour les hôtels classiques, il prévoit un ensemble de 43 critères obligatoires.

« On peut citer la présence du wi-fi dans les parties communes, l'existence d'une cuisine collective ou d'un point de restauration, ou encore la possibilité d'obtenir du linge de lit », donne comme exemples un porte-parole d'Atout France, l'agence de développement touristique de l'Hexagone, qui coordonne ce nouveau classement. Quatre établissements sont déjà classés et une trentaine sont en cours de classement.

Ce classement, David Le Carré, délégué général de la Fédération unie des auberges de jeunesse (Fuaj) - acteur historique (créé en 1956) et associatif du secteur -, n'y croit pas vraiment, même s'il reconnaît que cela peut aider à attirer une clientèle internationale.

Les auberges de jeunesse à l'ancienne en perte de vitesse

Pourtant, la Fuaj aurait bien besoin d'un coup de boost, elle qui a (beaucoup) souffert de l'arrivée de la concurrence des hostels il y a un peu plus d'une décennie, jusqu'à se retrouver en redressement judiciaire, fin 2018. Dans le même temps, le nombre d'auberges que compte la fédération a fondu : de 120, il y a quinze ans, on en dénombre aujourd'hui 80.

Pas de quoi décourager David Le Carré. S'il reconnaît que les hostels ont fragilisé les établissements historiques, qui ne bénéficient pas du même niveau de confort ni de la même offre d'animations, le délégué général de la Fuaj juge néanmoins que cela leur a permis de se moderniser, en s'ouvrant par exemple aux réservations via les plateformes Booking.com, Hostelworld, et bientôt Expedia.

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Ensuite, le patron de la Fuaj avance que ses auberges gardent un avantage (très) compétitif, particulièrement dans cette période de forte inflation : leur prix. « Même si, en basse saison, les tarifs des hostels peuvent se rapprocher des nôtres, nous restons les moins chers sur les prix d'entrée », affirme-t-il.

« Backpackers », groupes et familles

Difficile à vérifier toutefois : les établissements Jo&Joe d'Accor affichent par exemple un tarif d'environ 30 euros la nuitée en dortoir, ce qui correspond peu ou prou aux prix pratiqués en auberge de jeunesse traditionnelle. Ce qui est certain, c'est que les auberges du réseau Fuaj ont la spécificité de proposer des tarifs solidaires lorsque des associations organisent des séjours pour des publics en situation de précarité.

Mais est-ce finalement le prix le plus important dans la concurrence à laquelle se livrent hostels et auberges ? Non, pourraient répondre en choeur les experts et les acteurs du secteur interrogés. Pour eux, il y a de la place pour tout le monde. À commencer par les publics visés.

« Certes, nous partageons avec les auberges de jeunesse traditionnelles une clientèle de 'backpackers' [routards, globe-trotteurs], mais nous accueillons également beaucoup de familles étrangères », indique Cédric Gobilliard, directeur général d'Ennismore, filiale lifestyle du groupe Accor, qui gère les hostels Jo & Joe.

Grandes villes versus campagne ?

Le point de vue est le même pour Pauline Staub, directrice marketing chez Grape Hospitality, en charge de la marque The People : « Les backpackers profitent de nos dortoirs, quand les familles sont très intéressées par nos chambres privatives pour quatre à huit personnes. »

De leur côté, les auberges du réseau de la Fuaj peuvent profiter des groupes scolaires, sportifs ou encore associatifs, moins présents chez les acteurs privés. « Ces groupes représentent tout de même 60 % de notre clientèle », tient à préciser le délégué général de la fédération.

Autre particularité qui évite aux hostels et aux auberges traditionnelles de (trop) se marcher sur les pieds : leurs localisations. Alors que les premiers, plus branchés et urbains, se concentrent plutôt dans les grandes villes et les villes moyennes, les secondes sont aussi présentes à la campagne, à la mer et à la montagne. Même s'il y a des exceptions, comme l'établissement en bord de mer de Jo & Joe à Hossegor (Landes) ou celui de The People dans les Alpes (Les Deux-Alpes).

Et même lorsqu'ils sont implantés au même endroit, hostels et auberges peuvent se montrer complémentaires, tient à souligner David Le Carré. « A Paris, nous avons par exemple le plus grand établissement de notre réseau à proximité de la porte de Bagnolet. À quelques minutes à peine, Accor a ouvert l'un de ses Jo&Joe fin 2021. Cela ne nous a pas affectés : nous avons même réalisé notre meilleure année en 2022 pour cette auberge ! »

Les télétravailleurs, une nouvelle manne pour les auberges de jeunesse ?

Dans certains de ses établissements, notamment à la montagne, la Fuaj constate depuis la crise sanitaire le développement de longs séjours, d'une à deux semaines, de télétravailleurs qui souhaitent profiter de la nature le week-end et travailler dans les espaces communs en semaine. « C'est pourquoi nous commençons à mettre en place des offres adaptées, en proposant par exemple du thé et du café à volonté dans nos espaces communs, avec une connexion wi-fi, évidemment », développe David Le Carré.

Samuel Chalom

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