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Gargouilles et grotesques : les sinistres sentinelles de la Colline du Parlement

En février 2019, le Sénat a déménagé dans l’édifice du Sénat du Canada, une ancienne gare construite en 1912. Le Sénat occupera cet emplacement temporaire pendant la restauration de l’édifice du Centre du Parlement, sa demeure permanente.

Bien que l’édifice du Centre soit inaccessible pendant les travaux, les Canadiens peuvent continuer d’admirer ses œuvres d’art et son architecture grâce à la visite virtuelle immersive du Sénat.


Ils se cachent dans l’ombre aux quatre coins de la Colline du Parlement, les griffes sorties et l’air renfrogné ou féroce.

Gargouilles, diablotins, démons, dragons, harpies et autres êtres fabuleux, ces créatures difformes aux mille visages exotiques figurent parmi les caractéristiques architecturales les plus insolites du Parlement.

Ce sont les grotesques, des sculptures dont les origines remontent au Moyen-Âge.

La plupart des gens les qualifient de gargouilles, mais ce nom s’applique en fait à un type de grotesque bien précis.

Une grotesque en forme de dragon à queue de poisson accroupie au pied de la Tour de la Paix de l’édifice du Centre.

Deux dragons front à front à l’extérieur de l’édifice du Centre.

« Les gargouilles sont des gouttières », explique Johanna Mizgala (en anglais seulement), conservatrice de la Chambre des communes. « Elles sont placées en saillie des édifices et évacuent l’eau de pluie par leur bouche ouverte. Plutôt que de les laisser inachevées, les sculpteurs de l’époque médiévale choisissaient de leur donner l’apparence de créatures mythologiques fantaisistes. »

« Les grotesques ne sont pas toutes des gargouilles, mais les gargouilles sont toutes des grotesques. »

Créées du milieu des années 1800 au début des années 1900, les grotesques de la Colline du Parlement s’inspirent des sculptures qui sont apparues sur les cathédrales de France et d’Angleterre à la fin des années 1100 : vampires aux ailes de chauve-souris, dragons à queue de poisson et démons à tête de vautour perchés de façon menaçante sur des tours, des contreforts et des linteaux.

« Au Moyen-Âge, ces sculptures avaient une fonction morale et étaient destinées à un public majoritairement analphabète », raconte Phil White, sculpteur du Dominion, ou sculpteur officiel du Parlement.

« Elles représentaient le mal qui existait à l’extérieur des églises – les dieux païens, les tentations sexuelles, les bandits, les tueurs, la maladie, le chaos – et rappelaient aux gens qu’ils pourraient plus facilement se débarrasser de ces démons en allant à l’église. »

« Les grotesques étaient créées pour raconter des histoires, observe Mme Mizgala. C’était à une époque où l’espérance de vie était courte, et la maladie, très répandue. La vie était très difficile. Le caractère étrange et fantaisiste des grotesques en faisait des instruments pour relâcher la tension et laisser libre cours à l’imagination. Comme les films d’horreur contemporains, les grotesques étaient un moyen de se raconter des histoires d’épouvante sans courir le moindre risque. »

Les grotesques représentaient peut-être aussi les démons contre lesquels elles étaient censées offrir une protection : « On en triomphait en les emprisonnant sous forme de statues de pierre », explique Mme Mizgala.

La popularité des grotesques s’est estompée pendant les années 1500, puis a fait un retour en force 250 ans plus tard avec le néo-gothique, lorsque les architectes français et anglais ont de nouveau pris goût à l’architecture du Moyen-Âge.

« Pour les Canadiens et les Britanniques, l’art néo-gothique exprimait les idéaux de l’ordre et de la saine gestion publique, la conquête de la nature et la mise en commun des efforts pour accomplir des chefs-d’œuvre architecturaux qui ressortent du paysage et qui révèlent tout ce dont l’humain est capable », ajoute Mme Mizgala.

Les églises et les édifices gouvernementaux qui ont été bâtis au Royaume-Uni dans les années 1800 sont presque tous du style néo-gothique. Les colonies britanniques en ont rapidement fait autant, comme le Canada, qui a achevé la construction de trois édifices gouvernementaux pour la Confédération en 1867.

Les édifices de l’Est et de l’Ouest arborent encore certains grotesques sculptées au 19e siècle, mais l’édifice du Centre construit en 1867 a brûlé en 1916.

Il a été remplacé en 1920 par un édifice plus grand, plus majestueux et orné d’encore plus de sculptures. Sa horde de grotesques comprend quatre figures perchées au-dessus de l’entrée de la Chambre du Sénat, dont l’une tient une plume et un parchemin, et une autre, une hachette.

La tour de la Paix est elle aussi hérissée de grotesques. Quatre géantes de granite, chacune faisant deux fois la taille d’un homme et bien des fois son poids, ressortent de la tour à 70 mètres de hauteur.

Les sculpteurs qui se sont succédé au Parlement ont tous apporté une touche personnelle à ces œuvres. Portant souvent un sourire moqueur ou un air enjoué, les grotesques des édifices du Parlement sont considérablement moins maussades et puritains que leurs prédécesseurs médiévales.

« Bon nombre des sculptures réalisées sur la Colline du Parlement semblent être très fantaisistes, explique M. White. Certaines expriment un message très clair, et d’autres, un message moins évident. »

« Dans la grande majorité des cas, les œuvres témoignent du plaisir avec lequel les sculpteurs les ont façonnées. »

Parchemin et plume à la main, cette grotesque de chêne monte la garde à l’entrée de la Chambre du Sénat dans l’édifice du Centre.

De l’autre côté de la porte, une grotesque munie d’une hachette surveille les allées et venues.

Une grotesque haut perchée dans l’antichambre de la Chambre des communes temporaire dans l’édifice de l’Ouest est l’une des quelques gargouilles qui a déjà exercé sa fonction propre. « Elle a été bouchée lorsqu’on a fermé la cour », explique Johanna Mizgala, conservatrice de la Chambre des communes. « On pourrait dire que c’est une gargouille qui est devenue une grotesque. » (Crédit photo : Chambre des communes)

Une grotesque-musicienne, accroupie sur une saillie de la Tour de la Paix, fait partie d’un ensemble qui évoque le carillon à l’intérieur de la tour et en rappelle la fonction de clocher. (Crédit photo : Chambre des communes)

Des grotesques taillées dans du granite provenant du Québec dans les années 1920 ressortent de la Tour de la Paix. Chacune mesure 3,7 mètres de long au total, dont 1,2 mètre est enfoui dans la tour. Vingt de ces grotesques sont réparties sur cinq tours de l’édifice du Centre.

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