Foulques Nerra l’incorrigible : les déboires d’un pécheur multi-récidiviste

Aujourd’hui je vous embarque au temps lointain des chevaliers légendaires, sur les traces d’un de ces personnages chimériques dont regorge l’histoire féodale, un « des batailleurs les plus agités du Moyen Âge » selon l’historien médiéviste Achille Luchaire : le célèbre Foulques III d’Anjou, également surnommé Foulques Nerra (« le Noir »). À la fois terrible bagarreur et grand bâtisseur, sa vie trépidante est une succession de guerres destructrices et de remarquables édifications, de féroces déprédations et de fervents repentirs. C’est d’ailleurs sous cet angle que j’ai voulu vous conter son histoire. Car, comme vous allez le voir, notre homme fait partie de ceux que l’on appelle les incorrigibles : tantôt pécheur multirécidiviste tantôt super pénitent.

Ses hauts faits d’armes, comme ses vilenies, nous sont parvenus grâce aux écrits de vieux chroniqueurs tels que l’Histoire universelle (XIe siècle) de Raoul Glaber ou encore la Chronique des hauts faits des comtes d’Anjou (XIIe siècle) attribuée à Thomas de Loches. C’est de cette dernière chronique que s’inspirera très largement (tout en la remaniant allègrement) le moine Jean de Marmoutier (XIIe siècle) à la demande de Foulques le Réchin, petit-fils de notre Foulques Nerra, commanditaire d’une œuvre à la gloire de ses aïeux. À la suite du bénédictin de Marmoutier, plusieurs autres chroniqueurs successifs reprendront ces écrits et ne manqueront pas, eux aussi, de témoigner d’une lyrique admiration pour le comte d’Anjou en s’inspirant par endroits de récits légendaires ou de grands classiques de la littérature antique conférant une tonalité épique à ces histoires ancestrales. Bref, comme c’est souvent le cas dans les chroniques médiévales, il est parfois difficile de démêler le vrai du faux de ces récits généalogiques « contaminés » par les légendes, pour reprendre l’expression de Georges Duby. C’est donc en gardant toujours une paire de pincettes à portée de main, et en m’appuyant également sur des travaux récemment actualisés par Christian Thévenot (Foulque Nerra, 2009) que j’ai entrepris de vous conter l’histoire fameuse du redoutable Foulques Nerra. En route !

Nous sommes à la veille de l’an Mil, en 987 plus précisément, et tandis que Hugues Capet monte sur le trône de France, le jeune Foulques, âgé d’environ dix-sept ans, succède à son défunt père à la tête du comté d’Anjou. Il est le fils d’Adèle de Vermandois, morte alors qu’il n’était qu’un enfantelet de cinq ans, et de feu le comte d’Anjou Geoffroy 1er, dit Grise-Gonelle (ce qui signifie « tunique grise », car n’oublions pas qu’au Moyen Âge, si l’habit ne fait pas le moine, il fait parfois le blase !). Le susdict Grisegonelle vient tout juste de casser sa pipe lors du siège de Marçon où il guerroyait hardiment pour son roi Hugues Capet. C’était un homme dont la bravoure légendaire est immortalisée dans les chroniques de son temps : on raconte notamment qu’il aurait terrassé un géant normand aux portes de Paris !

Comme son paternel à la grise gonelle, le jeune Foulques, qui s’apprête à gérer seul le comté d’Anjou, compte lui aussi graver son nom dans l’Histoire… en lettres de sang. Et il en a déjà la carrure ! Si le jouvenceau a reçu dans son enfance l’enseignement des sept arts libéraux auprès du moine Gobert (un grammairien du monastère de Marmoutier), c’est surtout aux côtés de son père, qui a fait de lui son écuyer dès ses douze ans, que Foulques a tout appris. Il s’est occupé de ses armes, a soigné son cheval et l’a suivi dans de longues randonnées militaires qui l’ont endurci et fortifié, faisant de lui un rude gaillard. Ainsi, à la mort de son daron, Foulques est déjà un vrai combattant maniant l’épieu et la lance (les armes favorites des guerriers) qu’il préfère à l’épée, lourde à manier et trop courte en dehors des combats rapprochés. En plus du métier des armes, il a appris les subtilités de la stratégie militaire et les rudiments de la diplomatie. À dix-sept ans, il est fin prêt !

Mémoires de la Société nationale des antiquaires de France, 1899
Mémoires de la Société nationale des antiquaires de France, 1899. Gallica BnF.

En héritant du comté d’Anjou et de Gâtinais, Foulques récupère également au passage plusieurs châteaux que son père avait acquis par les armes en Touraine et dans le Poitou et qui étaient alors défendus par quelques garnisons. À présent, il va falloir faire honneur au paternel et défendre ces immenses domaines durement et chèrement gagnés. À ce propos, Christian Thévenot (p. 20) nous rappelle que : « La principale ressource des seigneurs étant la terre, le jeu favori consistait à « ravager » les terres les entourant, détruire les vignes, voler le cheptel, vider les biefs, massacrer les serfs considérés comme des objets (d’ailleurs vendus comme tels lors des transactions ordinaires), brûler les villages et réclamer des rançons pour captifs notoires ». Bref, en ces temps reculés, pour défendre son territoire et l’agrandir, il faut guerroyer sans répit ! Dès lors, on ne s’étonne pas que La Chronique de Saint-Florent décrive Foulques comme « une bête sauvage ». Une autre astuce pour gagner du territoire consiste à épouser une riche héritière avec de belles terres en dot ! Foulques a robuste appétit, il se cherche donc une épouse bien dotée et jette finalement son dévolu sur Élisabeth, fille du comte de Vendôme Bouchard le Vénérable.

Dans les premières années de son règne sur le comté d’Anjou, le jeune Foulques n’a qu’une idée fixe : grignoter les terres de ses voisins les comtes de Bretagne et de Blois. Son but ultime, et qu’il poursuivra tout au long de sa vie, c’est de mettre le grappin sur la ville de Tours sur laquelle il louche avec des yeux jaloux. « Un jour elle sera mienne. Oh oui, un jour elle sera mienne… » [Spoiler alert : finalement Tours ne sera pris qu’après sa mort par son fils Geoffroy Martel]. Dans le même temps, il enchaîne les escarmouches avec tous ceux qui le prennent pour un minot et lorgnent avidement sur son comté.

Malheur à eux ! Ils ignorent encore que Foulques est malin et fin stratège, c’est déjà un chef de guerre en puissance. Il a d’ailleurs réorganisé son armée en quatre légions de 1 000 guerriers chacune qu’il a réparties sur l’ensemble de ses terres. Aussi, quand les armées d’Eudes de Blois se radinent aux environs d’Amboise, histoire de taper l’incruste, la furia des légions angevines de Foulques s’abat sur eux, sans leur laisser le temps de comprendre ce qui leur arrive. De même, les Blésois sont taillés en pièces, et calmés pour un bon moment par ses troupes aguerries. Puis vient le tour des Bretons, avec à leur tête Conan (le beau-frère de Foulques depuis qu’il a épousé sa frangine) qui voulait sournoisement s’emparer d’Angers. Il paiera cet affront au prix de la vie de deux de ces fils et d’une terrible humiliation.

Le message du comte des Angevins est clair : « Ne v’nez pas me faire ch… ! ». Il est d’ailleurs chaudement recommandé de courber le front sous son regard, mais il y a encore quelques pécores qui l’ignorent. Comme ce moine de l’abbaye de Saint-Martin de Châteauneuf qui aurait mieux fait de réciter sept fois son chapelet (tout en tournant sa langue dans sa bouche pour un double effet Kiss Cool), plutôt que de traiter Foulques, qui vient de prendre la ville avec ses hommes, de vil soudard. Le bougre comprend, mais trop tard, en voyant dans ses yeux brûler des lueurs d’incendie. Il empoigne alors sa robe de bure, prend ses jambes à son coup et se rue dans l’enceinte de l’abbaye, un lieu inviolable puisque protégé par le droit d’asile. Que tu crois ! Foulques, lui, s’en bat l’œil : il le course, glaive en main, et pénètre à cheval au sein du sanctuaire dans un cliquetis de fer et d’acier, effrayant au passage ouailles et pèlerins rassemblés. Il est chaud bouillant, et ne trouve rien de mieux, pour apaiser son ire, que d’envoyer ses valets d’armes piller les demeures du chanoine et du cellérier de Saint-Martin.

Une fois la colère passée, Foulques réalise sa boulette. Non seulement son attitude scandaleuse a déclenché l’indignation des autorités religieuses, mais il comprend aussi qu’il a certainement offensé Dieu qui le surveille de là-haut. Et ce que vous ne savez pas, c’est que Foulques a une peur bleue de la géhenne, de la damnation, de l’Enfer… Bref de se faire enfiler comme une perle sur une broche à rôts par un diablotin cornu et de circonvolutionner au-dessus des flammes ardentes pour l’éternité. Du coup, cette histoire de profanation de lieu saint ne sent pas très bon. Il se résout donc à faire amende honorable et, pour ce faire, se rend nu-pattes, en costume de pénitent, devant le tombeau de saint Martin pour s’y incliner dévotement.

Mais le comte d’Anjou n’a pas de temps à perdre en génuflexions, car, au même moment, son ennemi de beau-frère, Conan, s’allie aux Normands et commence à trafiquer des combines louches du côté de la Bretagne. Foulques cavale avec ses troupes jusqu’aux environs de Nantes, à Conquereuil, pour le combattre. Résultat des courses : le beauf Conan perd la vie sur le champ de bataille. Oups. Foulques ne pensait pas en arriver à de telles extrémités… Mais, après tout, il l’a bien cherché !

Décidément, défendre un immense territoire ne laisse aucun répit ! Alors, pour sécuriser son comté, Foulques se lance dans un vaste programme de constructions militaires. Il installe en masse des camps fortifiés, fait construire des tours en bois, des donjons, des maisons fortes et des châteaux forts où il place ses gars sûrs. À Langeais et Montbazon (près de Tours), à Montrésor (près de Loches), à Loudun… J’abrège, il y en a trop ! Au fil des ans, son territoire se truffe de places fortes qui poussent comme champignons à l’automne : du simple fortin en bois élevé à la hâte sur une motte de terre entourée d’une palissade, jusqu’aux massives bâtisses fortifiées protégées d’un mur d’enceinte crénelé et de profondes douves, en passant par la petite tourelle de pierre aménagée d’un domicilium (logement) pouvant accueillir la famille du vassal chargé de garder les lieux et de donner l’alerte en cas de grabuge. Et Foulques a pensé à tout : en plus de faire construire ces points fortifiés en des lieux stratégiques (posé sur une motte inexpugnable, perché sur un éperon rocheux…), il s’est arrangé pour qu’ils soient éloignés les uns des autres d’une distance qui n’excède pas trente kilomètres, soit la distance qu’une escouade militaire, à pied ou à cheval, est capable de couvrir dans la journée sans être obligée de planter la tente pour la nuit. Rien de tel pour dissuader les potentiels envahisseurs.

Montbazon
L’antique forteresse de Montbazon demeure le plus ancien château féodal encore debout en France.

Mais l’an mille s’ouvre sur un événement dramatique. Après douze ans de mariage, son épouse Élisabeth ne lui a donné qu’une fille, Adèle, alors que Foulques attend désespérément un fils pour lui apprendre à jouer à la guéguerre. Le comte est frustré. En plus de cela, la Chronique de Saint-Florent (un récit largement légendaire, munissons-nous de nos pincettes !) raconte que la comtesse a pris un amant, histoire de chauffer la couche conjugale pendant les longues absences de son mari. Lorsque Foulques l’apprend, Élisabeth, qui connaît son diable d’époux, se barricade dans la citadelle d’Angers avec quelques complices espérant échapper à ses foudres. Et voilà Foulques, complètement furibard, en train d’assiéger son propre château ! Puis, ce qu’il se passe n’est pas très clair mais la « chute » de l’histoire est brutale puisque selon la Chronique de Saint-Florent : « Le bouillant Foulques a tué sa femme Élisabeth à Angers, après qu’elle a survécu à une énorme chute (depuis la tour où elle s’était réfugiée). Ensuite, Foulques l’a brûlée avec un feu ardent qui se propagea à la même cité défendue seulement par une poignée d’hommes. Il brûla Élisabeth parce qu’elle avait commis un adultère. » Toujours très pittoresque, ces histoires de famille… Pendant ce temps-là, un gigantesque incendie se répand comme feu de paille de maisons en maisons et ravage toute la ville d’Angers. C’est ballot !

Toute cette sale histoire sent le roussi pour notre cher comte d’Anjou qui tient mordicus à s’élever telle une sylphide (aux gambettes poilues) vers le paradis céleste au jour du jugement dernier. Et l’image terrifiante du diablotin aiguisant sa broche à rot le tourmente sans cesse. Heureusement, au Moyen Âge, il existe un lieu merveilleux où il suffit de se rendre (certes, au péril de sa vie) pour obtenir l’absolution de tous ses péchés : la Terre sainte. Ni une ni deux, Foulques confie la gestion de son comté à son demi-frère Maurice et enfourche son destrier pour se rendre pour la première fois en pèlerinage à Jérusalem (1003). Je précise « première fois », car vous allez voir que cela va devenir une petite habitude, après chacune de ses boulettes, pour nettoyer son âme toute crottée. Blague à part, pour le comte ce voyage est une vraie démarche de foi et de ferveur. Nous sommes alors près d’un siècle avant la première croisade, et pour l’heure il n’est pas question d’aller délivrer le tombeau du Christ, mais simplement d’y pèleriner. Bravant tous les dangers, il se met donc en route, traversant des contrées hostiles, direction Jérusalem.

À son retour en Anjou dix-huit mois plus tard, Foulques est un homme neuf et repenti, doux comme un agnelet (non, faut pas charrier non plus !) Mais tout de même, il est plein de bonnes résolutions et entame la construction de plusieurs monastères, sortes d’édifices expiatoires destinés à lui assurer le repos éternel dans l’au-delà. Parmi ces édifications, la future abbaye de Beaulieu non loin de sa forteresse de Loches en Touraine (Beaulieu-lès-Loches) où des moines auront pour mission de prier nuit et jour pour le salut de son âme. Il faut parfois savoir déléguer. Il fait encore édifier une abbaye dédiée à saint Nicolas à Angers. Très bien doté, cet établissement fera bientôt concurrence aux écoles de Fleury et de Reims, hauts lieux de transmission des savoirs à l’époque.

Beaulieu
Vue de l’abbaye de la Sainte-Trinité de Beaulieu, 1699, Gallica BnF.

Comme il n’a plus de femme — hé oui, il l’a brûlée ! — et toujours pas de descendance mâle, Foulques décide de se remarier. À la Noël 1005, il épouse une princesse de sang royal, une lotharingienne descendante de Charlemagne, la douce Hildegarde de Sundgau qui lui donnera quatre enfants : Adélaïde, Geoffroy (futur Geoffroy II Martel), Blanche et Hermengarde. Inutile de préciser que c’est surtout le petit Geoffroy, né le 14 octobre 1006, qui intéresse papa Foulques. Le voilà rassuré, et l’on pourrait croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Mais quelques années plus tard, l’impétueux comte d’Anjou fait liquider par ses émissaires le comte palatin Hugues de Beauvais — l’allié de son rival abhorré Eudes de Blois, mais aussi conseiller du roi Robert II — qu’il suspecte d’ourdir de sournoises manigances politiques. Et la situation se complique, car cet assassinat est considéré par les hautes autorités comme une trahison et Foulques est menacé d’excommunication. Pour rappel, une excommunication au Moyen Âge équivaut à un bannissement du paradis. « Noonn… Pas la broche à rôts ! » pense Foulques horrifié en se griffant le visage de ses grosses paluches rubigineuses et velues. Une fois de plus, il est dans le mal. Et ni les neuvaines les plus ferventes ni les flagellations n’apaisent son âme contrite. Il ne lui reste guère d’autre choix que de confier les rênes au compère Maurice et de repartir sur les chemins, par delà les Alpes, en Palestine.

Puisque vous insistez, j’ajoute ici une anecdote amusante (et peu vraisemblable, avouons-le) qui se serait déroulée lors de ce second pèlerinage. Sur place, les conditions d’accès des pèlerins à la ville sainte ont changé depuis que le calife Hakim a pris le contrôle de la ville. Aussi, en arrivant à Jérusalem, Foulques trouve portes closes et se voit obligé de soudoyer les gardes sarrasins pour pouvoir accéder au tombeau du Christ. Mais, selon les Chroniques angevines (pincettes !) ceux-ci ne l’autorisèrent à s’en approcher qu’à la condition qu’il pissoit sur ledit tombeau. Seigneur-Dieu ! Fin renard, notre comte aurait réussi à se tirer de ce traquenard en pressant au-dessus de la vénérable sépulture une vessie de porc remplie de vin d’Anjou qu’il avait auparavant planqué sous son mantel (Thévenot, p. 71). Puis, s’inclinant dévotement pour baiser le sépulcre, il aurait réussi à en arracher un morceau avec ses dents, la pierre s’étant amollie au contact de sa lèvre, emportant ainsi avec lui une précieuse relique qu’il aurait par la suite fait installer dans son abbaye de Beaulieu, histoire de faire marcher le commerce dans le patelin.

Un an plus tard, Foulques Nerra revient de son pèlerinage, regaillardi et tout bronzé, mais surtout absous par le Pape en personne du meurtre de Hugues de Beauvais. Serein. Sa priorité est de récupérer les territoires que Maurice, plutôt du genre pacifique, n’a pas su protéger et qu’il s’est fait piller pendant son absence. Puis, comme il ne faut pas perdre les bonnes habitudes, il repart batailler à tout va pour continuer d’agrandir son comté. Le 6 juillet 1016, il remporte la bataille de Pontlevoy contre Eudes de Blois : un véritable bain de sang dans lequel 6 000 hommes auraient dispersé leurs os (ce serait, de fait, une des batailles les plus meurtrières du Moyen Âge). Foulques lui-même manque d’y passer. Jeté à bas de son cheval dans la mêlée confuse, dans le martèlement incessant des lances et des écus, il voit son fidèle porte-banneret Sigebrand de Chemillé se faire massacrer sous ses yeux. Ramassant alors son étendard ensanglanté, il sauve de justesse sa gonelle en passant au fil de l’épée tous les ennemis alentour.

En 1025, il prend la citadelle de Saumur à son ennemi Eudes, et il n’y va pas de main morte. Après avoir enfoncé la porte avec des béliers, l’armée angevine tombe nez à nez avec des moines agenouillés en prière, cierges à la main, autour de la châsse de saint Doulcin que les Saumurois avaient cru malin d’installer là pour faire reculer Foulques. Funeste idée. Les pauvres tonsurés sont balayés comme des feuilles mortes, tandis que les soldats s’introduisent dans le château qu’ils mettent à sac avant d’aller incendier le monastère de Saint-Florent. Arrière, Foulques … Couché ! On avait dit « pas taper ». Arf, trop tard. Cramoisi de haine, il vient de crever les yeux du moine Gastho qui aurait mieux fait de bouffer son chapelet plutôt que de protester. Du grand Foulques, quoi !

Quelques jours plus tard (vous commencez à connaître le lascar…), notre Foufoulques est en proie à de terribles tourments. On le retrouve agité de convulsions vésaniques sur sa chaise curule. Il a déconné, il le sait. Et il commence à songer à un troisième pèlerinage à Jérusalem, pour effacer l’ardoise. Mais ce n’est pas le moment de mettre les bouts car dans le royaume, c’est le foutoir. Pour apaiser le courroux divin en attendant que les choses se tassent, il entame la fondation de l’abbaye de Ronceray (1028) à Angers : une abbaye féminine dotée de moulins, de pêcheries et de vignes qui constitueront l’origine des fameux coteaux du Layon. Avis aux œnophiles !

En 1032, le jeune roi Henri 1er demande à Foulques un coup de main à Sens pour recadrer des chanoines rebelles qui refusent la nomination d’un nouvel archevêque. Le comte, tout pénétré de son devoir, débarque à bride abattue sur son cheval courroucé et brûle leur abbaye, déclenchant un immense incendie qui se répand à toute la ville de Sens bientôt réduite en cendres. « Et que ça leur serve de leçon », grogne-t-il en balançant un jet de salive dans les ruines fumantes. Non, je plaisante, il n’a pas dit ça. Enfin, l’histoire ne le dit pas…

Mais quelques jours plus tard, des phénomènes météorologiques étranges suscitent l’inquiétude du comte : c’est tout d’abord une mystérieuse étoile qui apparaît dans le ciel, puis un effroyable orage qui s’abat sur la ville d’Angers et la foudre qui vient frapper la cathédrale dont la toiture en bois s’embrase instantanément. L’incendie se répand de pâté de maisons en pâté de maisons et finit par détruire toute la ville. Hasard ? Foulques ne le croit pas. Il est même persuadé que c’est là l’expression de la vengeance divine. Et il n’a peut-être pas tort… Il est grand temps pour le Dei Gratia Comes (le vaillant pèlerin de Jérusalem) comme on le surnomme, de repartir en expédition fouler les routes poudreuses de l’Orient et implorer miséricorde.

Foulques
Foulques le Super-pénitent, Gallica BnF.

C’est ainsi qu’en 1035, accompagné de ses fidèles valets d’armes, il quitte Angers après avoir demandé à son fils Geoffroy Martel de veiller au grain jusqu’à son retour. Mais le jeunot, arrogant et tempétueux (les chiens ne font pas des chats !), manque de diplomatie dans la gestion des affaires du comté et se met à dos une bonne partie du royaume. Lorsque son père rentre, l’année suivante, il est obligé de foutre dehors son gredin de fils, manu militari. Le rejeton obtiendra finalement le pardon paternel en acceptant de se soumettre à une bonne vieille humiliation médiévale, la selle chevalière, consistant à se promener sur plusieurs lieues avec une selle de cheval autour du cou avant de venir ramper, tout piteux, aux pieds de la personne que l’on a offensé pour implorer sa clémence. Ah, sacré Foulques !

Avec toutes ces histoires, nous voilà rendus en 1039. Le comte n’est plus très fringant, il approche de ses septante années, un âge honorable pour l’époque. Pour ses contemporains c’est un patriarche, une relique. Il sent sa fin venir et son esprit est plus que jamais hanté par l’angoisse de l’Enfer. Alors, pour apaiser son âme épouvantée, le pèlerin repentant enfile une dernière fois son costume de super-pénitent et se rend en Terre sainte en compagnie de quelques chevaliers. Sur place, il s’inflige de terribles pénitences et mortifications, se faisant même traîner sur une claie et flageller à coup de verges dans les rues de Jérusalem (Thévenot, p. 117).

Moreau le jeune
Le repentir de Foulques Nerra par J. M. Moreau le Jeune. « Dans les rues de Jérusalem, Foulques Nerra, comte d’Anjou, se faisant traîner nu, la corde au cou, par deux de ses chevaliers, pendant qu’un de ses écuyers le fouette avec des verges. »

Finalement, c’est sur le chemin du retour au bercail, aux environs de Metz, que Foulques succombe à une forte fièvre certainement contractée lors de son pèlerinage.

Après un long règne de plus d’un demi-siècle, au cours duquel il aura servi avec loyauté trois rois — Hugues Capet, Robert le Pieux et Henri 1er — Foulques Nerra, batailleur forcené fraîchement repenti de ses fautes, s’éteint le 21 juin 1040. Il abandonne son empire — un des plus puissants de la France féodale ! — entre les mains de son fils Geoffroy Martel, tandis que sa douce épouse Hildegarde se retire chez les nonnes de Ronceray. Bien qu’un de ses pèlerinages reste sujet à caution, Foulques Nerra, infatigable pénitent, aura passé sa vie à tenter de racheter ses déprédations à répétition. En couvrant ses vastes terres d’abbayes florissantes pour se donner bonne conscience, il a fortement participé au rayonnement culturel de la région angevine, faisant reculer la pauvreté et l’ignorance tout en permettant l’essor de nouvelles villes. Enfin, par une politique habile et audacieuse, il a apporté la prospérité au comté d’Anjou. Aujourd’hui, sa mémoire persiste à travers l’histoire de France et les vieilles pierres vénérables. Si sa dépouille mortelle fut, à l’époque, inhumée dans l’abbatiale de l’abbaye de Beaulieu-lès-Loches, on ne sait point ce qu’il est advenu de son âme… Alors, paradis ou enfer ? Les paris sont ouverts !

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MA BIBLIO :

5 réflexions sur “Foulques Nerra l’incorrigible : les déboires d’un pécheur multi-récidiviste

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