[Actualisation le 4 mars: Le procès, ouvert le 3 mars en présence de Fariba Adelkhah, mais en l’absence, inexpliquée, de Roland Marchal, a été immédiatement reporté. ]

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Tribune de Jean-François Bayart, coordinateur du Comité de soutien à Fariba Adelkhah et Roland Marchal, parue dans Le Monde du 2 mars 2020

 » Fariba Adelkhah et Roland Marchal, chercheurs à Sciences Po Paris, sont depuis le 5 juin 2019 des « prisonniers scientifiques » de la République islamique d’Iran. Ils sont sur le point d’être « jugés », mardi 3 mars, à 9 heures du matin, encore que le procès soit susceptible d’être in extremis repoussé pour éviter toute manifestation devant le tribunal. L’épidémie de coronavirus qui frappe le pays fournirait un prétexte commode à un report.

D’autant plus crédible que l’avocat de Fariba Adelkhah n’exclut pas que cette dernière ait été contaminée, et que la prisonnière irano-britannique Nazanin Zaghari-Ratcliffe se plaint des symptômes de la maladie, selon sa famille. Fariba Adelkhah et Roland Marchal, ces deux « prisonniers scientifiques », sont aujourd’hui en danger de mort.

D’ores et déjà ce procès n’a de procès que le nom. Il ne répond à aucune des exigences que comportent les textes internationaux dont l’Iran est pourtant signataire et que suppose le simple bon sens. Les accusés sont en détention provisoire depuis juin et sont coupés d’à peu près tout contact avec le monde extérieur, hormis de rares communications téléphoniques et, pour Fariba Adelkhah, des conversations plus ou moins hebdomadaires avec sa famille, à travers une vitre, depuis janvier.

Des tortures psychologiques

L’un et l’autre ont été soumis à des interrogatoires harassants prenant parfois la forme de tortures psychologiques, dont divers témoignages sortis de la prison d’Evin montrent la cruauté. Ils font aussi l’objet d’une véritable torture affective, puisqu’ils ne peuvent se voir ni même communiquer entre eux. Fariba Adelkhah refuse d’ailleurs de réintégrer sa cellule depuis le milieu du mois de janvier et dort dans le couloir du quartier des femmes pour obtenir de rencontrer Roland Marchal, toujours détenu dans l’aile des gardiens de la révolution, et qu’elle sait « malade et en mauvais état, mentalement et physiquement », pour reprendre les mots de leur avocat.

Affaiblie par une grève de la faim de quarante-neuf jours qu’elle n’a suspendue qu’à la demande expresse de son comité de soutien, Fariba Adelkhah souffre pour sa part des reins. Les autorités pénitentiaires n’osent pas la transférer à l’hôpital de peur qu’elle n’y contracte le coronavirus, si tant est qu’elle ne l’ait pas déjà attrapé. Voici les accusés que la République islamique s’apprête à déférer devant sa justice dite révolutionnaire sans permettre à leur avocat d’avoir un accès décent à ses clients pour en préparer la défense ! Ce procès ne sera qu’une sinistre farce.

Nos collègues ne sont pas des « prisonniers politiques », même si leur arrestation est un acte éminemment politique. Aucun des deux chercheurs n’a jamais eu la moindre activité politique relative à l’Iran, ni sur le territoire de celui-ci, ni à l’étranger. Quant aux allégations d’activités d’espionnage dont ils se seraient rendus coupables au dire des autorités de la République islamique – et que la justice iranienne a levées d’elle-même en janvier – elles ont provoqué une franche hilarité chez ceux qui les connaissent compte tenu de leur itinéraire personnel, depuis leurs études à Strasbourg, et de leur indépendance ombrageuse, voire rugueuse, à l’égard de toute forme de pouvoir ou d’intérêt que ce soit.

« L’Iran se déshonore en insultant la liberté scientifique »

Fariba Adelkhah et Roland Marchal n’ont jamais fait que leur métier, celui de chercheur. Leur intégrité est exceptionnelle et ne souffre aucun doute. Nous attendons qu’elle soit reconnue par les auteurs de leur arrestation, seule base légitime de leur libération. Nos collègues ne sont en rien concernés par les marchandages obscurs dont les preneurs de gage iraniens caressent sans doute le dessein, encore que l’on ne puisse exclure que la bêtise de ceux-ci ne l’emporte sur leur machiavélisme.

Avec cynisme, les diplomates iraniens dissimulent de moins en moins qu’ils réclament un « échange », sur le mode de ceux qu’ils ont négociés avec les Etats-Unis et l’Allemagne, pour sortir de cette pénible affaire qui les embarrasse sans doute, mais qu’ils n’ont pas les moyens ou la volonté politique de résoudre autrement compte tenu du rapport des forces au sein de la République islamique.

Les chercheurs n’ont pas à être les « idiots utiles » du système international et de ses tractations secrètes. L’Iran se déshonore en insultant de la sorte la liberté scientifique, et nous nous réjouissons qu’un nombre croissant d’institutions universitaires, en France et en Europe, en appelle à la suspension de la coopération scientifique institutionnelle avec lui tant que nos collègues ne seront pas de retour dans leur foyer et à leur bureau.

Si la République islamique veut reprendre le cours normal de ses relations avec la communauté scientifique internationale qu’elle a choisi de son propre chef de rendre impossibles, elle le peut du jour au lendemain. Encore faut-il qu’elle ne porte pas sur la conscience la mort de nos collègues qu’elle n’aurait pas plus su protéger du coronavirus que ses propres ministres. « 

Jean-François Bayart, professeur à l’IHEID (Genève) coordinateur du Comité de soutien à Fariba Adelkhah et Roland Marchal

Le site du comité de soutien à Fariba Adelkhah et Roland Marchal :