William BLAKE, le peintre poète insoumis

Poète pré-romantique britannique. traduit ou commenté par Gide, Bataille, Julien Green, Joyce, Borges ou encore Ginsberg, le poète William Blake (1757-1827) demeure pourtant mal connu dans le monde francophone, en particulier pour ses talents de dessinateur, graveur et aquarelliste. Dès l’enfance Blake avait de grandes dispositions pour le dessin et la poésie. À l’age de dix ans, Il entre dans une école de dessin et devient élève du graveur James Basire à quatorze ans. L’art et l’écrit pour Blake ne font qu’un.

«Blake fut peut-être le premier à associer de façon aussi étroite ce qui s’écrit et ce qui se peint ou se dessine.» Christine Jordis, essayiste

La plus grande réalisation de Blake, ce sont ses « livres enluminés »; Il applique cette technique avec succès pour la première fois dans « Chants d’innocence« , dont il imprime le premier exemplaire en 1789. Cette œuvre et Les chants d’expérience, produit en 1794, font parti des livres enluminés les plus connus de Blake.

Blake, largement ignoré de son vivant, mais qui est aujourd’hui reconnu comme l’un des artistes les plus accomplis et influents de Grande-Bretagne fut quelqu’un de farouchement indépendant, mystique et anticlérical qui n’a jamais cessé de dénoncer, dès ses Chants d’innocence (1789) et jusqu’à son Milton et son Jérusalem (1811, 1820), le pouvoir de l’argent, le travail machinal, la morale établie ou les fables de la religion. Il a plaidé pour l’insoumission, la liberté sexuelle, et surtout la poésie et l’imagination au service d’une vie plus intense, à contre-courant du matérialisme et du positivisme triomphants de son époque.

En tant que jeune homme, Blake a été témoin des horreurs du capitalisme anglais. Les fléaux de la pauvreté, de la maladie et du travail des enfants sévissaient. Blake a été repoussé par ces privations, en plus des aventures militaires sans fin et sanglantes menées par la classe dirigeante. Le sens de l’indignation de Blake est capturé dans le merveilleux poème agité :

« London »

J’erre dans chaque rue à charte

Près de l’endroit où coule la Tamise à charte,

Et je marque sur chaque visage que je rencontre

Des marques de faiblesse, des marques de malheur.

Dans chaque cri de chaque homme,

Dans chaque cri de peur de chaque enfant,

Dans chaque voix, dans chaque interdiction,

J’entends les menottes forgées par l’esprit :

Comment le cri du ramoneur

Chaque église noire épouvante,

Et le soupir du malheureux soldat

Coule dans le sang le long des murs du palais.

Blake avait une réputation de républicain convaincu et de radical politique avant 1789. Sa maison était utilisée comme lieu de rencontre pour des dissidents tels que Joseph Priestley, Richard Price, John Henry Fuseli, Mary Wollstonecraft et Thomas Paine.

«Libérer l’humanité asservie au règne du matérialisme pour le rendre à l’art et à la poésie», telle était, selon Jordis, la tâche que s’était assignée Blake et à laquelle il est resté fidèle toute sa vie, heureux semble-t-il en dépit des moqueries, des humiliations, de la misère et de son exclusion des coteries artistiques de l’époque. William Blake ou l’infini / Christine Jordis Albin Michel Paris, 2014, 283 pages

Wiliam Blake – Huile – Nabuchodonosor, est une impression couleur de monotypes avec des ajouts à l encre et aquarelle représentant l’ancien Testament roi babylonien Nabuchodonosor II. Tiré du livre de Daniel, la légende de Nabuchodonosor raconte un dirigeant qui, par orgueil a perdu son esprit et a été réduit à la folie bestiale et manger ‘herbe comme les boeufs’.

AUGURES D’INNOCENCE

Voir le monde en un grain de sable,
Un ciel en une fleur des champs,
Retenir l’infini dans la paume des mains
Et l’éternité dans une heure.

Rouge-gorge mis en cage,
Voilà tout le ciel en rage.
Un colombier plein de colombes et de ramiers
Fait frissonner l’enfer en tous ses ateliers.

Un chien qui meurt au seuil de la maison du maître
Prononce que l’Etat bientôt va disparaître.
Cheval frappé sur le chemin
Réclame du sang humain.
A chaque cri plaintif du lièvre que l’on chasse
C’est un fil de la cervelle qui casse.
Alouette à l’aile blessée
Un chérubin cesse de chanter.
Le coq dressé pour le combat,
Fait du soleil levant l’effroi.
Tout hurlement de loup, de lion sur la terre
Réveille une âme et la retire hors de l’enfer.

Le cerf errant par les taillis
Tient l’âme humaine hors du souci.
L’agneau prétexte du pêché
Pardonne au couteau du boucher.

Chauve-souris volant lorsque tombe le soir
Fuit l’esprit de celui qui n’a pas voulu croire.
La chouette, dans la nuit, en appelant
Dit la frayeur des mécréants.
As-tu blessé le roitelet ?
Hommes ne t’aimeront jamais.

Qui a mis le bœuf en courroux
De femme n’aura les yeux doux.
L’enfant cruel qui tue la mouche,
L’araignée lui sera farouche.
Qui tourmente du hanneton l’esprit
Tisse une charmille en fin de nuit.
La chenille sur la feuille
Redit de ta mère le deuil.
Ne tue papillon ni phalène
Crainte qu’à Jugement ne viennes.

Qui pour la guerre un cheval dressera
Barre du Pôle jamais ne passera.
Le chien du mendiant, le chat de la veuve,
Nourris-les, tu feras peau neuve.
La mouche qui, chantant l’été, bourdonne
La calomnie vous l’empoisonne.
Poison de vipère et d’orvet
Sous le pas d’Envie il se fait.
Le poison tueur de l’abeille,
L’artiste jaloux le réveille
Les vêtements royaux, les hardes du mendiant
Prolifèrent dans le bagage de l’avare.
Vérité dite à fin méchante
Bat tout mensonge que tu inventes.

Il est bien qu’ainsi tout se fonde :
Pour joie et peine homme fut fait,
Et quand nous savons bien que c’est,
Nous allons saufs de par le monde.
Joie et peine en fin tissage
Habit pour l’Ame divin,
Sous chaque dol et chagrin
Court un fil de soie et de joie.
Plus est l’enfant que son maillot
Chez l’homme, par monts et par vaux.
On fait l’outil, naissent nos mains,
Un fermier comprend ça très bien.

Chaque larme d’un œil tombé
Devient un enfant dans l’éternité
Le recueillent des femmes claires
Et le rendent à sa lumière.
Qu’il aboie ou mugisse ou rugisse ou qu’il bêle,
C’est le Flot qui vient battre le rivage du ciel.
L’enfant criant sous le bâton
Inscrit vengeance chez Pluton.
Les loques de pauvre qui flottent au vent
Disloquent les cieux à chaque moment.
Soldat qui prend l’épée et le fusil,
Pour le soleil de l’été paralysie.
Le sou du pauvre a plus de prix
Que tout l’or des côtes d’Afrique.

Pris des mains du travailleur un seul liard
Achète et vend les terres de l’avare ;
Mais si le vol est d’en haut garanti,
Il vendra et achètera tout ce pays.
Qui rit de la foi d’un enfant
Sera moqué, vieillard, mourant.
Qui enseigne à l’enfant le doute
Hors du tombeau pourri ne trouvera sa route.
Qui respecte la foi de l’enfant,
D’enfer et de mort sera triomphant.
L’enfant a ses jouets, le vieillard sa raisons,
Ce sont les fruits des deux saisons.
Le questionneur assis, avec l’air si malin,
Ignorera quelle est la réponse, sans fin.
Qui répond au doute bavard
Souffle la lumière du savoir.
Le plus fort poison jamais essayé
Vient de César et sa couronne de laurier.
Rien ne défait l’humaine nature
Si bien que le fer des armures.
Quand d’or et de joyaux la charrue s’ornera
L’envie devant les arts de paix s’inclinera.
Énigme, ou chant du grillon
Est au doute un bon répons.
Un pouce pour la fourmi, c’est pour l’aigle une lieue,
Ça prête à rire au philosophe boiteux.
Qui va doutant de ce qu’il voit
Ne croira en ce que tu fais, quoi que ce soit.
Soleil et lune, s’ils entraient jamais en doute,
Ils sortiraient aussitôt de leur route.
En passion tu peux bien faire,
Passion en toi, elle te perd.
Sous licence d’Etat le joueur, la putain,
Pour cette nation bâtissent un destin.
Le cri des filles, de seuil en seuil,
À la vieille Angleterre va tisser son linceul.
Hurrahs et jurons de qui gagne ou perd
Conduisent les funérailles de l’Angleterre.
Chaque soir, chaque matin,
Tels naissent pour le chagrin.
Chaque matin, chaque soir,
Tels pour délices d’espoir.
Tels naissent pour les délices,
Tels pour nuit qui ne finisse.

Un mensonge tu peux le croire
Tant que tu ne vois pas plus loin que ton regard.
Qui naquit une nuit, pour périr une nuit
Quand aux rayons du Jour l’âme était endormie.

Dieu apparaît, Dieu est lumière
Aux âmes ayant en la nuit repaire,
Mais il montre une forme d’homme
À ceux qui dans le Jour ont leur royaume.

William Blake (1757-1827), Titania, Oberon & Puck

Biographie

Fils d’un bonnetier, il montre, dès l’enfance, d’étonnantes dispositions pour le dessin et la poésie. Il est envoyé à dix ans dans une école de dessin, où il compose ses premiers poèmes. Devenu élève du graveur James Basire à quatorze ans, il est chargé de dessiner les antiquités de l’abbaye de Westminster et des autres vieux édifices, milieux qui ne manquent pas d’exercer une vive influence sur son imagination mélancolique. Il grave de nombreuses illustrations pour livres d’après Stothard et d’après ses propres dessins.

Il participe, de manière très impulsive, aux émeutes de 1780 devant la prison de Newgate, la bastille londonienne.

Les émeutiers  »No Popery » incendiant la prison de Newgate en 1780

Marié en 1783 selon ses goûts (il apprend à sa femme Catherine à lire, à écrire, et à enluminer ses gravures), il songe à rendre par la plume et le crayon les visions qui le hantaient. Un premier opuscule (1783), contient ses poésies composées entre sa douzième et sa vingtième année. Trop pauvre pour faire face aux frais d’impression de ses œuvres, il se fait son propre éditeur et imagine d’y appliquer son écriture mise en relief par la morsure sur des plaques de cuivre. Il publie ainsi « Les Chants d’Innocence », ornés de ses dessins (1789), œuvre singulière, qui a du succès, ce qui l’encourage à donner successivement, sous la même forme: « Livre de prophétie » (1791) et « Les Chants d’Expérience » (1794).

En même temps, il fait figurer, à plusieurs expositions de l’Académie royale, des peintures allégoriques, historiques et religieuses. Il publie « Le mariage du Ciel et de l’Enfer », satire du « Du Ciel et de l’Enfer » de Swedenborg, en 1790.

En 1797, il entreprend une édition illustrée par lui des « Nuits » d’Young, qu’il laisse inachevée, puis il part vivre, à Felpham, auprès du poète William Hayley, faisant des dessins pour celui-ci, et peignant quelques portraits, et ne revient à Londres qu’au bout de trois ans. Sa mort interrompt l’illustration de « La Divine Comédie » (1825-1827) de Dante.

Buste de William Blake à l’Abbaye de Westminster

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