Agonie du roi
Toile de Poussin
Venez, renards, mes tristes frères,
Chez Nelligan où Richard meurt.
Pastaga lance des clameurs
Avec ses chèvres funéraires.
Porcus dit le mot « viatique »,
Pastaga veut aider sa mort
Et lui verse un café bien fort
Au milieu des chèvres antiques.
C’est bien de finir dans ton pieu,
Cochonfucius te dit adieu.
Porcus met un genou à terre.
Richard, gardes-tu ton espoir ?
Tous les renards du monastère
Iront boire à Cluny ce soir.
Dernières paroles du moine-loup
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Si ce n’est toi, c’est donc ton frère ;
Plus beau que Nelligan, tu meurs.
Ce silence est une clameur,
C’est comme un sonnet funéraire.
Dupanloup veut son viatique,
Le grand Saint Eloi n’est pas mort ;
Ce cognac est un peu trop fort
Pour soigner des bestiaux antiques.
J’étais un loup sans feu ni lieu,
Au tendre agneau je dis adieu ;
Voici ma tombe solitaire.
Que de paroles sans espoir !
Ce monde est comme un monastère,
On n’y fait jamais rien, le soir.
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Voir aussi
http://www.unjourunpoeme.fr/poeme/la-mort-du-moine
ainsi que
http://www.paradis-des-albatros.fr/?poeme=nelligan/la-mort-du-moine
et aussi
http://sonnets-de-cochonfucius.lescigales.org/agonie.html
sans oublier
https://paysdepoesie.wordpress.com/2017/11/17/nef-oblique/
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Oraison de Patrick d’Irlande
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Quand je devrai quitter mes frères
(Car il est un temps où l’on meurt),
Mon âme sera sans clameurs
Et sans images funéraires.
Ne dites le mot « viatique »
Que si vous craignez votre mort ;
Servez-moi du café bien fort
Et deux ou trois blagues antiques.
Ainsi, adossé dans mon pieu,
Je ferai à tous mes adieux ;
Je sais que les morts, sous la terre,
N’ont souffrance ni désespoir.
Plus calme que des monastères
Sont les tombeaux, quand vient le soir.
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Agonie caricaturale
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Les pingouins, à pas lents, derrière le sapeur
Qui portait une gaufre et le pinard mystique,
S’approchent, deux à deux, du coin où leur Seigneur
Prend au soir un repas fort frugal et rustique.
Comme le quincaillier qui se trouve trop gras,
Grignotant une gaufre en sa morne cellule,
Ainsi, le roi Merlin, recevant ce seul plat,
Un énorme appétit le tourmente et le brûle.
Il dit, prenant le verre entre ses maigres doigts :
Le pinard, ça fait trop de bien par où ça glisse !
Et qui donc est heureux de resservir son roi ?
C’est Leconte de Lisle, échanson de service.
Avec des mots confus qu’à peine il achevait,
Cochonfucius, chantant une chanson bien blême,
Contemplait sur la table un débris de navet,
D’un précédent repas le pitoyable emblème.
Et l’air de sa chanson était un peu rouillé,
Le refrain, grommelé par une hase noire,
Décrivait l’inquiétant profil agenouillé
D’un hérésiarque avec son flageolet d’ivoire.
Yake Lakang, lugubre, arriva en courant.
Il regardait par terre, et son crâne d’ogive
Donnait du flageolet un reflet aberrant
Qui parut à la hase une image lascive.
Or, faisant un sourire aux pingouins alignés,
Le roi disait, les bras étendus vers le faîte :
Petits pingouins, vraiment, ce repas est signé
D’un cuisinier qui n’en sait pas plus qu’une bête.
Si le ciel de crapaud abaissait sa hauteur,
Je voudrais en franchir les portes éternelles
Et manger sur la table où de bons serviteurs
Apportent la pitance avec le plus grand zèle.
Contemplant leur grand roi d’un regard plein d’amour,
Les pingouins sont soudain gracieux comme des cygnes,
Tels de bons quincailliers, occupés tout le jour,
Ils font descendre en eux le clair jus de la vigne.
Le tonneau de pinard n’étant point épuisé,
Ils ne craindront jamais d’en savourer la lie,
Et puisqu’aucun potier ne vient les leur briser,
Leurs coupes bien des fois se trouveront emplies.
Vers le divin pinard ils tournent tous leurs yeux
Le brouillard de l’ivresse emplit leurs douces âmes
Ciel de crapaud, alors, tu deviens plusieurs cieux !
Le flageolet sera consumé dans ta flamme.
Dans un bol de faïence aux livides reflets,
Cochonfucius reçoit une gaufre à la crème.
Le plus vieux, cependant, des fiers pingouins parlait
Au noble roi Merlin, infaillible et suprême.
Seigneur, vous le savez, mon coeur est devant vous,
Tout rempli de pinard, de brouillard et de joie.
Qui m’entraîne à trahir, je lui réponds « Des clous ! »,
Car le pinard pour moi et le roi sont la Voie.
Le roi entend ces mots de fière passion,
Et, sans tout bien comprendre, il trouve ça superbe.
Il éprouve on ne sait quelle tentation
De classer les pingouins parmi les fumeurs d’herbe.
Cochonfucius a-t-il de l’énigme la clé ?
Si ces pingouins étaient agneaux couverts de laine,
S’ils étaient percherons au labeur attelés,
Le pinard chargerait-il ainsi leur haleine ?
Sont-ils pingouins du Nord ou pingouins du Midi ?
Doivent-ils aux banquiers leur riche patrimoine ?
Leur front est orgueilleux, leur langage est hardi,
Leur esprit est tordu comme celui des moines.
Ils vont tous à Cluny, et j’ai peur de ce lieu.
J’aimerais beaucoup mieux les voir en une église.
Ils vont partout disant que Merlin est leur dieu,
Mais quelle apothéose, à moi, m’est donc promise ?
Petits pingouins, parlez ! Êtes-vous satisfaits ?
Et toi, là-bas au fond, qu’est-ce donc que tu fumes ?
Tendez-moi vos mains pour mes quelques bienfaits,
Dans l’odeur des curieux produits qui se consument.
Et le roi s’impatiente, il cuit, il chauffe, il bout.
Devant les objections il fait la fine bouche.
Tranquilles cependant, les pingouins sont debout,
Et nul d’entre eux n’arbore une mine farouche.
Ils pensent au jambon, au lard, au cervelas,
Et puis bien sûr à la saucisse de Toulouse,
On dit qu’aucun d’entre eux jamais ne se brûla
Les yeux à la beauté d’amante ou bien d’épouse.
Jamais ils n’ont régi le monde à coups de poings,
Jamais ils n’ont brisé clôture ni muraille,
Tué dessous le ciel de crapaud, ils n’ont point.
Rien n’est plus innocent que leurs braves entrailles.
C’est pourquoi Dalila les reconnaît pour siens,
Et que du roi Merlin ils consolent les femmes.
Non, vraiment, ces pingouins, ce ne sont pas des chiens,
Et nul ne sait sur eux aucune chose infâme.
Dans le crâne du roi vont les soupçons hurlants,
Mais ces pingouins jamais ne furent hérétiques,
S’ils dévorent parfois quelques lardons brûlants,
C’est toujours en disant les formules antiques.
Merlin, notre grand roi de justice et bonté,
Reconnais des pingouins la ferveur et le zèle,
Ton esprit ne doit pas se dire épouvanté,
De ce qu’en leur gosier le bon pinard ruisselle.
Les pingouins sont vraiment des bestiaux épatants,
Et à juste raison, c’est « pingouins » qu’ils se nomment,
Si quelqu’un les embête, il perd vraiment son temps,
Car ils ont du bon sens un peu plus que les hommes
Merlin, sur les pingouins, tu es Maître et Seigneur.
Bois ton coup avec eux en disant À la vôtre,
Alors, verre pour verre, ils te feront honneur,
Ils t’accompagneront comme de bons apôtres.
Et puis, il ne faut pas craindre de te nourrir.
Pour arroser la frite et la viande panée,
Ce vin versé toujours ne pourra se tarir
Même si tu en bois pendant soixante années.
Le pinard abolit la tristesse et les pleurs,
La hase qui chantait un refrain de géhenne
En buvant un godet apaise ses douleurs,
Oubliant la rancune, et le deuil, et la haine.
L’hérésiarque lui-même, implacable et jaloux,
Tout rempli d’arrogance en ses haillons de bure,
Sous l’effet du pinard qu’il écluse à genoux,
Adopte une attitude un peu moins triste et dure.
Le pinard alanguit ton esprit et ton corps
En te réjouissant de ses vertus sublimes.
Et si quelques buveurs se trouvent ivres-morts
Nous dirons que ce sont consentantes victimes.
Car le noble pinard n’est pas un assassin.
Aimable est son attaque, et douce sa morsure.
Toute souffrance expire et s’oublie en son sein,
Et nous désirons tous sa divine blessure.
Seul un buveur accède au bonheur éternel.
Observe Dionysos et marche sur ses traces.
Tu verras de crapaud étinceler le ciel,
Et les pingouins joyeux picoler en terrasse.
Pour remplir un grand verre il n’est jamais trop tard,
Et ta sobriété, dis-lui d’aller au diable,
Si ton esprit se trouve un peu dans le coaltar,
Il faudra l’accepter, ça n’a rien d’effroyable.
Et le roi rassuré souriant au sapeur,
Avala deux ou trois tranches de viande froide.
Le pinard éclairait de sa fauve lueur
Les pingouins et le roi dans leur ivresse roide.
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