Au contraire de plusieurs châteaux locaux qui « accommodent les restes » en augmentant et modernisant l’ancien manoir, la Morinais est l’illustration de la transformation totale d’un ancien lieu noble en un château moderne, projet exemplaire d’un commanditaire fortuné.
Le lieu noble de la Morinais est mentionné dès 1427 dans la réformation de la noblesse qui recense dans chaque paroisse lieux et familles nobles exempts d’impôts. La famille Boschet, qui fait partie de la petite noblesse, est propriétaire du manoir depuis cette date au moins jusqu’au milieu du XVIe siècle.
Nommés « Château de la Morinais » sur le plan cadastral de 1824, propriété de M. Corvoyer, les bâtiments de l’ancien manoir s’organisent autour de plusieurs cours et d’un jardin carré cantonné de pavillons ; le logis, orienté au sud, est au centre de la composition, les communs tout proches avec four à pain à l’ouest. Au nord de la route, sont le colombier et la métairie de la Porte, mentionnée dans la réformation de 1666.
En 1870, Dominique Cossé, industriel nantais qui, avec ses frères, fait fortune dans l’industrie sucrière (l’entreprise de sucre candi Cossé-Duval occupera bientôt le 1er rang français), acquiert le domaine, avec un projet d’envergure, qui suppose l’agrandissement et la reconstruction de tous les bâtiments. Il fait appel à deux architectes, E. Dupuis de Redon, qui intervient entre 1872 et 1877 pour la construction du logis ; et l’architecte nantais Pitre Laganry, auteur de nombreuses maisons à Nantes à la charnière du 20e siècle, mais surtout connu pour avoir construit, associé à Émile Libaudière, la célèbre brasserie nantaise la Cigale en 1895. Des plans et devis signés, des années 1872 à 1887, concernent le lavoir, la chapelle, les communs et le château.
La conception du château au XIXe siècle diffère de celle des siècles précédents ; ainsi le décrit-on dans « la Vie à la campagne » : « un château solidement campé sur sa colline (…) avoisiné d’arbres séculaires… ». L’ancien logis est donc détruit et le nouveau déplacé au sommet du coteau d‘où il domine le parc, mais aussi la vallée de la Claie, afin de voir et d’être vu. Traitée dans un style classique, la façade principale se développe sur sept travées, l’accent étant mis sur les travées extrêmes, en saillie, et surtout sur la travée centrale soulignée par un fronton, une lucarne plus développée, et le perron d’accès à la porte d’entrée ; participant à la mise en valeur de l’entrée, ce perron s’explique aussi par l’existence du sous-sol à demi-enterré dans lequel sont logées depuis le 18e siècle dans les châteaux, les pièces de service : cuisines, fruitier, salle-à-manger des domestiques. Sur la façade postérieure, ce sont les trois travées centrales qui forment avant-corps pour accueillir le grand escalier.
Tranchant sur les constructions locales par son ampleur, le logis l’est aussi par le choix du matériau, une pierre calcaire blanche dite pierre de Crazanne provenant de Charente maritime, dont le transport a été assuré par péniche sur le canal de Nantes à Brest. Seul le soubassement est traité en pierre de taille de granite.
Une série de bâtiments accompagnent le logis : la chapelle de style néo-roman, dont les plans sont signés de Dupuis en 1877, les communs qui occupent la place de l’ancien logis, et surtout le lavoir dû à Langanry, remarquable construction de style pittoresque avec buanderie et séchoir bordant la pièce d’eau.
Les plans du vaste parc à l’anglaise, complément nécessaire de tout château au XIXe siècle, tracent avec soin allées sinueuses et plan d’eau et indiquent la variété des essences, châtaignier, chênes, hêtres : la magnifique allée de séquoias, qui conduit au lavoir, paraît cependant postérieure au plan. On y accède par la grille d’entrée qui porte fièrement les initiales entrelacées du créateur de la Morinais, D[ominique] C[ossé].
(C. Toscer)