Le Marcel Proust du jour (1)

Proust, Combray

Je suis addict, je l’avoue : depuis plusieurs années je ne peux pas laisser passer une journée sans lire deux à trois pages extraites des 2401 d’ À la recherche du temps perdu de Marcel Proust que je possède dans la collection Quarto. Une lecture à l’image de la mer de Valery, toujours recommencée.

Par deux fois sur ce blog, j’ai illustré la rubrique « Les pages que j’aurais aimé écrire » avec des extraits d’ À la recherche… (Voir le 1er juin 2010 et le 20 février 2012) Aujourd’hui je veux aller plus loin avec une rubrique spécifique « Le Marcel Proust du jour ». Et pour commencer, ce savoureux passage qui parlera à tous ceux qui ont une expérience même modeste de la ruralité française.

… à Combray, une personne « qu’on ne connaissait point » était un être aussi peu croyable qu’un dieu de la mythologie, et de ce fait on ne se souvenait pas que, chaque fois que s’était produite, dans la rue du Saint-Esprit ou sur la place, une de ces apparitions stupéfiantes, des recherches bien conduites n’eussent pas fini par réduire le personnage fabuleux aux proportions d’une « personne qu’on connaissait », soit personnellement, soit abstraitement, dans son état civil, en tant qu’ayant tel degré de parenté avec des gens de Combray. C’était le fils de Mme Sauton qui rentrait du service, la nièce de l’abbé Perdreau qui sortait du couvent, le frère du curé, percepteur à Châteaudun qui venait de prendre sa retraite ou qui était venu passer les fêtes. On avait eu en les apercevant l’émotion de croire qu’il y avait à Combray des gens qu’on ne connaissait point simplement parce qu’on ne les avait pas reconnus ou identifiés tout de suite. Et pourtant, longtemps à l’avance, Mme Sauton et le curé avaient prévenu qu’ils attendaient leurs « voyageurs ». Quand le soir, je montais, en rentrant, raconter notre promenade à ma tante, si j’avais l’imprudence de lui dire que nous avions rencontré, près du Pont-Vieux, un homme que mon grand-père ne connaissait pas : « Un homme que grand-père ne connaissait point, s’écriait-elle. Ah ! je te crois bien ! » Néanmoins un peu émue de cette nouvelle, elle voulait en avoir le cœur net, mon grand-père était mandé. « Qui donc est-ce que vous avez rencontré près du Pont-Vieux, mon oncle ? un homme que vous ne connaissez point ? – Mais si répondait mon grand-père, c’était Prosper, le frère du jardinier de Mme Bouilleboeuf. – Ah ! bien », disait ma tante, tranquillisée et un peu rouge ; haussant les épaules avec un sourire ironique, elle ajoutait : « Aussi il me disait que vous aviez rencontré un homme que vous ne connaissiez point ! » Et on me recommandait d’être plus circonspect une autre fois et de ne plus agiter ainsi ma tante par des paroles irréfléchies.

A propos Patrick Mottard

Enseignant à l'Université de Nice (droit public) Président de l'association Gauche Autrement Président du Parti Radical de Gauche 06 Délégué régional du Mouvement Radical/Social-Libéral
Cet article, publié dans Le Marcel Proust du jour, Les pages que j'aurais aimé écrire, est tagué , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

6 commentaires pour Le Marcel Proust du jour (1)

  1. Henri COTTALORDA dit :

    Patrick tu n’es pas raisonnable car tu vas déclencher chez tous les fans de Marcel le désir de relire pour la énième fois  » A la recherche du temps perdu ». Personnellement je m’impose, avec difficulté, une sorte d’abstinence en relisant intégralement ce monument que tous les cinq ans. Cela fait donc plusieurs fois que je me replonge dans cette oeuvre et pourtant j’ai conscience que:  » Elle ne m’a pas encore tout dit. « .

    À la recherche du temps perdu

  2. Claudio dit :

    Je ne me lasse pas de mettre en avant un blog qui me passionne. Allez donc lire sur la colonne de gauche les « mots choisis » des extraits d’oeuvres, toujours appréciés : http://perlesdorphee.wordpress.com/

  3. véro dit :

    Dites-moi si vous aimez Proust, je vous dirai qui vous êtes (quelqu’un qui n’en a jamais fini avec lui-même et tous les autres). Rien de plus inactuel (au sens de Nietzsche et de ses considérations)! Le Proust du jour est donc un Proust qui nous ramène à l’oeuvre non circonscrite, tant du point de vue de son objet ( Que recherche-ton là et par là, exactement?) que du point de vue du temps (ici, maintenant, rien ne passe qui ne soit, parce qu’écrit, ce qui passe) Et cela, qui dira que cela peut passer?!
    Merci pour cette page que j’ai à nouveau frais, lue.
    5 ans Henri? C’est beaucoup trop…

  4. bernard gaignier dit :

    Au grand désespoir de ma femme je passe une bonne partie de ma vie à chercher mes lunettes mes clefs les papiers de la voiture. Si il faut en plus rechercher le temps

  5. Cendrillon dit :

    J’aime beaucoup Proust. (là je viens de commencer « un amour de Swann »)
    Ce passage me plonge dans des souvenirs… Je connais bien ce type de conversations. Mes grands-parents en avaient l’habitude et j’aimais les écouter, il fallait toujours qu’ils retrouvent le lien entre untel et unetelle, c’était à l’infini… « ne pas connaître une personne » (de leur coin) c’était impensable pour eux. Quand il ne remontaient pas jusqu’à 3 ou 4 générations en arrière pour situer « le personnage ». C’était bien. On savait d’où on venait même si c’était parfois virtuel, on savait…

  6. Emmanuel dit :

    Il faut prendre le temps de lire Proust !

Laisser un commentaire