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« Monseigneur de La Chanonie, évêque de Clermont [1953-1974] : la tradition au temps de la sécularisation » : une conférence de M. Julien Bouchet du 15 décembre 2022

Blason de la famille Chappot de la Chanonie,
détail de la tombe de Saint-Jean-de-Monts – Cliché © Julien Bouchet [juillet 2020]

 

Une conférence « Jeudi de Saint-Laurent » donnée par

M. Julien BOUCHET

« Monseigneur de La Chanonie, évêque de Clermont (1953-1974) :
la tradition au temps de la sécularisation »

 

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Résumé de la conférence par Jean-Luc FRAY 

 

L’épiscopat de Mgr. de La Chanonie [1953-1974] se place dans la continuité de celui de son prédécesseur, Gabriel Piguet [évêque de Clermont de 1933 à 1952]. Il est cependant marqué par l’action d’un évêque conservateur mais attaché au concile de Vatican II auquel il a participé activement [il a déposé de nombreux amendements au long des différentes sessions] et dont il entend fidèlement mettre en œuvre les décisions dans son diocèse [il a signé tous les actes du concile et rompu avec Mgr. Marcel Lefebvre] qui, dans le même temps, connaît une sécularisation croissante de la société. Ainsi se justifie le sous-titre donné à la conférence : la tradition au temps de la sécularisation.

Pierre Abel Louis Chappot de La Chanonie est né en 1898 à Saint-Florent-des-Bois [Vendée, arr. de La Roche-s/Yon]. Il appartient à une famille de seigneurs [le manoir de La Chanonie se situe aux portes de La Roche-s/Yon], puis de notaires où étaient nombreuses les vocations de prêtres et de religieuses.

Ordonné prêtre en septembre 1925 après des études à Rome, Pierre de La Chanonie est incardiné dans le diocèse voisin de Poitiers dont il devient directeur des œuvre diocésaines en 1938, puis directeur du Grand séminaire en 1950. Il a également une expérience du ministère paroissial [curé-doyen de Saint-Maixent-l’École de 1945 à 1950]. Il est ordonné évêque de Clermont le 26 mai 1953 par l’archevêque de Bourges, Mgr. Joseph Lefèbvre [cousin de l’évêque traditionaliste Marcel Lefebvre].

Très attaché à sa Vendée natale, conservateur de tempérament et exerçant sa fonction avec une fermeté revendiquée, mais sensible à l’ébranlement provoqué chez les prêtres comme chez les laïcs par le mouvement social et culturel de « Mai 68 », il s’adjoint – comme vicaire général depuis 1966, puis à partir de septembre 1971 comme évêque auxiliaire – l’auvergnat Michel Rozier, réputé « progressiste de gauche » et qui devient en 1975 évêque de Poitiers.

Après avoir organisé en 1961 à Clermont une « mission », de style très traditionnel, Pierre de La Chanonie lance en 1967 une enquête de sociologie religieuse du Puy-de-Dôme, diffusée d’abord en interne, puis publiée au début de l’année 1968, agrémentée de tableaux statistiques [y compris, de façon rétroactive, pour le XIXe et le début du XXe siècle] et de cartes, sous le titre Réalités religieuses du Puy-de-Dôme, dans le cadre d’une démarche de réflexion collective [que l’on dirait aujourd’hui « synodale » : un « secrétariat de l’année de recherche pastorale du diocèse de Clermont » avait été créé à cet effet].

Le premier tome de l’étude, retient un pourcentage de pratique dominicale d’un peu moins de 24% de la population adulte et une proportion d’un pascalisant sur deux [avec une part supérieure pour les femmes], ce qui semble marquer une quasi stabilisation de la pratique par rapport aux années immédiatement antérieures, même si les rédacteurs reconnaissent que les assemblées dominicales s’effritent et que « la foi n’informe plus la vie ». Trois zone à plus faible pratique sont cependant observées : Issoire et le Lembron, les Combrailles, le confluent de l’Allier et de la Dore [Châteldon, Randan]. En janvier 1977, le diocèse compte 77 séminaristes. Le tome second est spécialement dédié à l’Enseignement catholique dont les élèves comptent, selon les zones, pour 9 [Thiers] à 25% du total des enfants scolarisés [jusqu’à 30% à Saint-Anthème].

Face à ce panorama, l’évêque, tout en tenant ferme la tradition, vue comme transmission, se révèle soucieux que « l’Église aille au Monde » en s’adaptant à la nouvelle géographie et sociologie du diocèse : en onze années d’épiscopat, 150 textes signés de lui expliquent le dogme ; son attention se porte sur la catéchèse [à cette époque, 70% des enfants fréquentent le catéchisme] avec une innovation remarquable : la catéchèse des enfants handicapés, dès 1965… La création de 70 « zones de pastorale », chacune dotée de son « Conseil de zone », et la fondation en 1969 du premier centre diocésain de pastorale de France relèvent du même souci.

Dans la continuité de l’action de son prédécesseur Gabriel Piguet, il porte une attention soutenue aux mouvements d’Action catholique. La dizaine d’églises nouvellement construites adaptent le tissu paroissial à l’essor urbain de l’agglomération clermontoise [la ville atteint le maximum de sa population communale au recensement de 1975 : près de 157.000 hab.] et manifestent l’attention à l’évolution sociologique et aux sensibilités contemporaines par certaines dédicaces remarquables [« Jésus ouvrier »], par le style architectural renouvelé par l’emploi du béton, des claustra, de l’émail [ND. de la Route], du clocher-campanile et du vitrail non ou peu figuratif, aux couleurs chaudes [ND. du Perpétuel secours] ; mais une architecture simple et très contemporaine peut être aussi associée à une dédicace vénérable [Saint-Austremoine, du nom du premier évêque d’Auvergne].

Le 18 janvier 1974, alors que Mgr. Pierre de La Chanonie est dans sa 75e année, sa démission du siège de Clermont, acceptée par le pape Paul VI, devient effective. Le 17 mars suivant, aux côtés des archevêques de Bourges et de Toulouse, il participe à l’ordination épiscopale de son successeur, Jean Dardel. L’ancien évêque se retire à Saint-Jean-de Monts en Vendée et décède en 1990, à l’âge de 90 ans ; il repose dans le caveau familial du cimetière de Saint-Jean-de-Monts, ayant refusé l’inhumation dans la chapelle épiscopale de sa cathédrale clermontoise, quittée seize ans plus tôt.

Aux yeux de l’historien, l’épiscopat de Pierre de La Chanonie apparaît, en définitive, comme une transition, nécessaire et ardue, non pas comme une crise.

 

Julien Bouchet est agrégé et docteur en Histoire, chercheur associé au Centre d’Histoire « Espaces et Cultures » [Université Clermont Auvergne], responsable scientifique et pédagogique du Centre culturel Jules Isaac [Clermont-Ferrand].
Il a soutenu sa thèse doctorale en 2013 sur « Le combisme dans la France du début du XXe siècle », récompensée par le prix de thèse du Sénat et par le prix des jeunes chercheurs. Il a publié en 2015 Les Justes d’Auvergne ; en 2017 Mgr. Piguet, billets de prison, 1944 : l’année terrible de l’évêque de Clermont ; en 2018 La République irréductible. Il a co-dirigé la publication en 2022 de l’ouvrage collectif Émile Combe et le combisme et s’apprête à publier un livre sur Charles de Freycinet, a participé au colloque sur le bicentenaire du diocèse de Moulins en octobre dernier et prépare un colloque sur la vie des implantations juives dans les villes moyennes européennes.