« Cette ville, la ville, toutes les villes »

Jan BAETENS, Vacances romaines, Impressions nouvelles, 2023, 104 p., 12 € / ePub : 6,99 €, ISBN : 9782390700531
Jan BAETENS, Changer de sens, Herbe qui tremble, 2023, 66 p., 12 €, ISBN : 9782491462581

baetens vacances romaines« Écrire sur » une ville relève du défi, même si on y a fait plusieurs séjours, même si on peut prétendre la connaître comme sa poche. Dans les lettres belges, on sait depuis Bruges-la-morte qu’un paysage urbain n’est jamais que la projection de notre sensibilité du moment, des bifurcations de notre propre existence et des réminiscences associées à certains visages croisés, au déjà-vu de certains recoins… Tempo di Roma d’Alexis Curvers ajoutait au symbolisme de Georges Rodenbach une dimension palpitante et passionnelle dont l’expression restera inégalée, puisque sa Rome demeurera, éternellement, celle des années 1950.

La quatrième de couverture du recueil Vacances romaines de Jan Baetens s’ouvre sur trois interrogations : « Comment parler de Rome ? Comment le faire après tant d’autres ? Comment renouveler une veine qu’on pourrait croire épuisée ? » Autant de questions rhétoriques si l’on en juge par les réponses apportées. Il s’agit d’abord de ne se mettre dans les pas de personne, sinon dans les siens propres. D’instaurer un rapport privilégié au temps et aux heures, que l’on va suspendre pour entrer de plain pied dans l’état polysémique de « vacance ». Enfin, de renoncer à l’idée de « vue », au sens touristique que l’on rencontre, par exemple, dans l’expression « chambre avec vue » ; la « vue », c’est toujours celle des autres, autant s’en aveugler d’office si l’on veut accéder à la véritable dimension poétique du regard, la « vision ».

Seule la vision permet de saisir la permanence. C’est en fait le propos central Jan Baetens, Flamand francophone à la boussole interne tournée vers le Sud, et qui parvient, dans un bus, sur une place, face à quelques colonnes ou un pin, à sentir – en italien, sentire, c’est entendre… – la langue latine toujours circulant dans l’atmosphère.

Au fil de textes empreints d’une troublante sensualité anti-lyrique, Rome, capitale bardée de références culturelles, de lieux mythiques et de clos sacrés, se révèle pure image sonore et lumineuse, empêtrée au sens premier du terme. Avec Aragon, on s’y rappelle mieux qu’ailleurs que « Tout est affaire de décor ». Jan Baetens retouche cette vérité crue, en ajoutant : « Moi absent, le décor reste ».

baetens changer de sensIl est toujours à Rome avec le recueil Changer de sens, où il se joue de la combinatoire des mots et des images, des lieux et des êtres : car « sens », cela veut-il dire « direction » ou « acception » ? Et même « changer », c’est « laisser se transformer » ou « remplacer » ? Au sortir de la Stazione Termini, dans une chambre 17, projeté quelque part en 1946 ou devant un tableau attribué à Estée Lauder, le poète capte les instantanés de sa précaire présence à la ville et au monde. De ces moments où « on s’imagine qu’on est soi-même ».

Une fois la déambulation achevée, on se dit que, si le Poète n’a pour pouvoirs que d’illuminer nos évidences et de formuler nos indicibles, alors Jan Baetens est Poète.

Frédéric Saenen

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