Gilbert Collard

Le caméléon de Zemmour

Gilbert Collard et Eric Zemmour, en meeting à Cannes le 22 janvier 2022 / AFP

Gilbert Collard et Eric Zemmour, en meeting à Cannes le 22 janvier 2022 / AFP

Gilbert Collard et Eric Zemmour, en meeting à Cannes le 22 janvier 2022 / AFP

L'avocat marseillais vient d'annoncer son ralliement à Eric Zemmour, qui l'a nommé porte-parole pour la présidentielle 2022. Un nouveau retournement de veste pour celui qui a été proche du PS puis de l'extrême gauche, s'est livré à un étrange pas de deux avec Bernard Tapie, a été candidat centre-droit à Vichy avant d'atterrir dans le giron de Marine Le Pen. Retour sur le parcours politique d'un partisan d'une extrême droite décomplexée, mais surtout défenseur d'une seule cause : la sienne.

Le 22 janvier 2022, sur la scène du Palais des victoires de Cannes / Photo Sébastien Botella - Nice-Matin - MaxPPP

Le 22 janvier 2022, sur la scène du Palais des victoires de Cannes / Photo Sébastien Botella - Nice-Matin - MaxPPP

Le 22 janvier 2022, sur la scène du Palais des victoires de Cannes / Photo Sébastien Botella - Nice-Matin - MaxPPP

L'inconnu du Parti socialiste

Les premiers pas politiques de Gilbert Collard auraient été précoces. L'avocat aux mèches rebelles les date de ses 16 ans, âge où il était encore élève en pension à l’institution Sainte-Marie, dans le Var. Un de ses oncles faisant partie de l’équipe de Gaston Defferre, alors maire de Marseille, il dit avoir adhéré tout jeune au Parti socialiste, qui s’appelait encore la SFIO. « Section Baumettes, ça ne s’invente pas ! » s’amuse-t-il aujourd’hui, ce nom étant le quartier de Marseille où se trouve la prison. Il s’agit là en fait d’un raccourci sémantique, aucune section n’ayant jamais été désignée ainsi dans la cité phocéenne. « Mais bon, dans ce quartier, il y avait bien un petit groupe de socialistes animé par un certain Paul Renoux, se souvient un élu. C’était un gars assez folklorique, truculent. Il possédait une clinique où se tenaient les réunions. Renoux était lié à Charles-Émile Loo, qui sera le premier trésorier du PS après sa création en 1971 au congrès d’Épinay. C’est possible que Collard soit passé par chez lui… » Ce que confirme un journaliste, Thierry Cayol, qui se souvient l’avoir croisé à l’époque où lui-même militait dans cette fameuse section.

Étudiant puis avocat, le jeune Marseillais ne semble guère assidu aux travaux du PS. Pas la moindre trace de sa présence, y compris durant les campagnes où toutes les forces étaient mobilisées. D’ailleurs, il reconnaît ne pas être allé voter au second tour de la présidentielle en 1974 (en revanche, Gilbert Collard dit avoir voté pour François Mitterrand en 1981 et 1988)… À la fédération des Bouches-du-Rhône, son nom n’apparaît pas dans les archives. Pas plus que dans la mémoire de Michel Pezet, un proche de Michel Rocard qui sera premier secrétaire départemental dans les années 1980. Pourtant, à une époque où il était déjà connu en raison de ses premiers procès médiatiques, Gilbert Collard jure avoir été un de ses soutiens : « J’avais opté pour la synthèse rocardienne (1). » Il se serait ensuite opposé à Pezet, alors en guerre ouverte contre Gaston Defferre : « Il y a eu cette fameuse réunion la veille de la mort du maire. Un scrutin où j’ai voté pour Defferre et contre Pezet, d’où son animosité à mon égard. Je revois encore Gaston Defferre me dire, quand il a su que j’avais voté pour lui : “Gilbert, on se voit demain. Vous avez été loyal, c’est rare en politique.” Il est mort dans la nuit… En tant que rocardien, j’aurais dû voter pour Pezet. La raison de mon choix pour Defferre ? Je n’ai jamais aimé les parricides ! »

Comme souvent, Gilbert Collard en fait un peu trop. La réunion évoquée date du 5 mai 1986, un temps où Michel Rocard n’était plus la clef des antagonismes marseillais, contrairement à la fin des années 1970, lorsqu’il aspirait à être candidat à la présidentielle à la place de François Mitterrand. Surtout, il s’agit du comité directeur de la fédération des Bouches-du-Rhône : 239 personnes élues, 229 présentes, la crème de la crème du socialisme provençal. Ce soir-là, l’accès à la salle de la rue Montgrand est filtré par un service d’ordre impitoyable, les nombreux journalistes sont refoulés, les curieux tenus à l’écart : on sait que Defferre va tenter de reprendre la « Fédé » à Pezet. « Que Collard dise avoir été un obscur militant que tout le monde a oublié, pourquoi pas…, concède l'ancien député Patrick Mennucci, qui connaît tous les rouages du PS marseillais et était présent ce soir-là. Mais qu’il prétende avoir participé à cette réunion et avoir eu le droit de voter, on est dans la mythomanie maladive. » Longtemps élu dans l’équipe de Jean-Claude Gaudin, Maurice Di Nocera va dans le même sens : « À l’époque, j’étais avec Defferre. On me voit sur la dernière photo qui a été prise de lui, en train de faire les décomptes. Si Collard avait été là, si le maire lui avait parlé, je l’aurais vu. Or, je ne l’ai jamais vu à la fédération, pas plus ce soir-là qu’un autre… »

En fait, la seule trace forte d’un Collard dans la galaxie socialiste se situe durant la campagne de la présidentielle de 1981. Comme des milliers de personnes à travers le pays, il a rejoint les comités de soutien à François Mitterrand : « C’est mon ami Roland Dumas qui me l’avait demandé, j’ai accepté sans hésitation. » Le jour du deuxième tour, Roland Dumas embarque même son confrère marseillais jusqu’à Château-Chinon, où le candidat socialiste doit passer la journée du vote. Joie, Giscard est battu, Collard se retrouve à boire le champagne avec la garde rapprochée du futur président.

« J’étais persuadé qu’il fallait que la France passe à gauche, assume-t-il aujourd’hui. Je pensais qu’il fallait essayer un renouveau. J’étais aussi fasciné par la culture de Mitterrand. Mais j’ignorais son passé vichyste, qu’il avait eu la francisque, son amitié avec Bousquet, etc. Je ne pensais pas qu’il me mettrait sur écoutes (2). Donc, très sincèrement, j’y ai cru avec énormément de foi. Ma déception a été à la hauteur du reste de mes espérances. »

1. Apparu à la fin des années 1970, le « rocardisme » était un courant du Parti socialiste.

2. Gilbert Collard fait référence à l’affaire des écoutes de l’Élysée. Il est à noter que son nom ne figure pas dans la liste de 2 000 personnes rendue publique par Jean-Marie Pontaut et Jérôme Dupuis, dans « Les Oreilles du Président » (Fayard, 1996).

Gilbert Collard en 1976 avec Pierre Rambla, lors du procès à Aix-en-Provence de Christian Ranucci / La Provence

Gilbert Collard en 1976 avec Pierre Rambla, lors du procès à Aix-en-Provence de Christian Ranucci / La Provence

Gilbert Collard en 1976 avec Pierre Rambla, lors du procès à Aix-en-Provence de Christian Ranucci / La Provence

Gaston Deferre quelques mois avant sa mort en 1985, ici avec l'archevêque de Marseille Robert Coffy / La Provence

Gaston Deferre quelques mois avant sa mort en 1985, ici avec l'archevêque de Marseille Robert Coffy / La Provence

Gaston Deferre quelques mois avant sa mort en 1985, ici avec l'archevêque de Marseille Robert Coffy / La Provence

François Mitterrand le 10 mai 1981 à Château-Chinon, en compagnie de son beau-frère Roger Hanin / La Provence

François Mitterrand le 10 mai 1981 à Château-Chinon, en compagnie de son beau-frère Roger Hanin / La Provence

François Mitterrand le 10 mai 1981 à Château-Chinon, en compagnie de son beau-frère Roger Hanin / La Provence

Jean-Marie et Pierrette Le Pen avec leurs filles, Marie-Caroline, Yann et Marine / La Provence

Jean-Marie et Pierrette Le Pen avec leurs filles, Marie-Caroline, Yann et Marine / La Provence

Jean-Marie et Pierrette Le Pen avec leurs filles, Marie-Caroline, Yann et Marine / La Provence

Photo de Pierrette Le Pen publiée dans « Playboy » / La Provence

Photo de Pierrette Le Pen publiée dans « Playboy » / La Provence

Photo de Pierrette Le Pen publiée dans « Playboy » / La Provence

Pierrette Le Pen, opération soubrette

En 1987, l’avocat va être amené à traiter de politique par un biais étrange. Pierrette Lalanne, la femme de Jean-Marie Le Pen, fait appel à lui pour son divorce. Du jour au lendemain, elle a quitté le manoir de Montretout, abandonnant derrière elle son mari et ses trois filles. L’affaire est montée en épingle par la presse, ravie de faire des gorges chaudes des déboires du président du Front national. En 1992, Gilbert Collard ne cachera pas ses véritables motivations quant à l’énergie qu’il a déployée dans ce dossier : tailler des croupières au leader d’extrême droite. Revendiquant le côté républicain de cette scène de ménage, Collard fait alors feu de tout bois. Ayant obtenu des « confidences explosives » de sa cliente, il tente de les faire sortir dans « Le Canard enchaîné » : « J’ai rencontré Georges Marion qui était journaliste et il m’a répondu que ''Le Canard'' ne traitait pas des affaires qui touchaient à la vie privée. Je me suis donc retrouvé tout seul. Complètement. Et cette femme était seule, elle aussi. Seule contre Le Pen, ce n’est pas rien ! Elle était même abandonnée par ses filles… »

L’affaire vire au vaudeville quand le patron du Front conseille à sa femme de faire des ménages si elle a besoin d’argent. « Pierrette Le Pen était effondrée, expliquera Collard, toujours en 1992. Elle ne savait que faire et on a en commun - j’assume parfaitement ma propre responsabilité dans cette idée - décidé que, puisqu’il ne voulait pas lui payer de pension alimentaire, elle ferait des ménages. Et elle l’a fait quasiment nue, déguisée en soubrette ! »

Publiées par « Playboy », ces photos érotiques provoquent un formidable éclat de rire national. Et fourniront à l’avocat un mode d’emploi pour lutter contre Jean-Marie Le Pen. S’il lui reconnaît intelligence et courtoisie, il conseille l’humour : « Ceux qui veulent débattre avec Le Pen, ce n’est pas la peine qu’ils serrent les poings… Qu’ils utilisent l’humour ! Cet homme n’a aucun sens de l’humour. » Une recommandation qu’il oubliera quelques années plus tard lorsque, croisant le chef frontiste sur un plateau de TF1, il fera preuve d’une agressivité menaçante : « Votre grossièreté, vous allez la ravaler ! Vous êtes gonflé dans le mépris ! »

Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi…

Socialiste discret, militant anti-FN par la bande, Gilbert Collard apparaît véritablement sur la scène politique en 1988. Là où on ne l’attend pas : dans un premier virage idéologique, il fait un bout de route avec les trotskistes du Mouvement pour un parti des travailleurs, le MPPT. Une organisation raide affiliée au Parti communiste internationaliste (PCI), qui vise à « l’abrogation des institutions antidémocratiques de la Ve République ». Il accepte ainsi de participer au clip de campagne de Pierre Boussel, dit « Lambert », qui représente ce parti groupusculaire à la présidentielle (il recueillera in fine un score anecdotique de 0,38 %).

En image de fond de ce petit clip de propagande austère, tourné avec les maigres moyens du bord, des grillages et des miradors filmés devant les centres de rétention de Lille ou de Marseille. « Cela rappelle bien des choses », sous-entend lourdement une voix off, en référence aux camps nazis. Elle poursuit : « L’existence de ces camps a été légalisée sous la gauche. Oui, c’est une honte ! Une insulte aux droits de l’homme. C’est cette politique qui a permis au gouvernement de poursuivre ses attaques contre les immigrés. » En guest star, Gilbert Collard apparaît à l’écran. Ton sentencieux, presque ému, il commence par préciser : « Je voudrais d’abord dire pour que les choses soient claires que je ne suis pas membre du MPPT. J’ai d’autres engagements (...). Mais je suis ici en tant que témoin. Je crois qu’à l’heure actuelle, sans que les gens s’en rendent bien compte, les droits de l’homme au quotidien sont en danger (…). Comme partout, on cherche à gagner des voix sur les mécanismes de la peur et de l’inquiétude, on peut se demander si ces hommes, ces femmes, ces enfants entassés dans des cimetières de béton, et qui subissent l’expulsion comme on subit l’humiliation, ce n’est pas plus la raison d’État racoleuse que la justice, qui, elle, aime d’abord les plus faibles. »

L’engagement public de Gilbert Collard contre les centres de rétention est ancien. Il remonte à une dizaine d’années. Il se targue d’avoir été le premier à dénoncer ces lieux longtemps illégaux, où sont enfermés les étrangers en instance d’expulsion. Ce qui a le don d’irriter François-Noël Bernardi, un avocat marseillais : « En 1974, avec d’autres avocats comme Sixte Ugolini et Jean Dissler, nous avons révélé, avec l’aide d’Alex Panzani du journal 'La Marseillaise', le scandale du centre d’Arenc, qui se trouvait sur le port autonome de Marseille. L’histoire a commencé à monter et Collard est arrivé quelque temps après, en disant qu’il défendait un étranger et qu’il avait déposé plainte avec constitution de partie civile. Nous étions heureux de ce renfort, parce qu’il avait déjà une assise médiatique. Sauf que nous avons découvert par la suite que sa plainte n’existait pas : il n’était attiré que par sa pub… »

Toujours est-il que la fin des années 1980 est « rouge » pour Gilbert Collard. Ce qu’il tente aujourd’hui de minimiser : « Après le Parti socialiste, j’ai erré. J’ai passé trois ou quatre heures avec les trotskistes, pas plus. Ils m’ont paru vraiment trop casse-couilles, trop dogmatiques, et je me suis vite cassé. » En plus du clip de Boussel, il s’implique en fait dans des cellules hermétiques baptisées les Groupes d’étude révolutionnaire, signe les virulentes tribunes du Comité national pour la défense des travailleurs immigrés, la vitrine antiraciste du MPPT qu’il soutient jusqu’en 1990. Il est suffisamment introduit chez les trotskistes pour faire partie d’une délégation qui est reçue fin 1988 à Matignon. Noir et blanc, de médiocre qualité, un cliché témoigne de cette réception : la scène a été immortalisée par un photographe anonyme, dans un salon discret. Un conseiller du Premier ministre, le socialiste Michel Rocard, écoute les leaders du MPPT. Assis autour d’une table ronde, on peut clairement identifier l’historien Jean-Jacques Marie, biographe de Léon Trotski, l’avocat anarchiste Denis Langlois, ou encore le défenseur acharné de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, Yves Dechézelles. Dans un coin de la pièce, costume sombre et regard studieux, un homme plus jeune pose au milieu de cette flamboyante brochette de révolutionnaires : Gilbert Collard. « Je partageais plusieurs combats communs avec eux, précisera-t-il par la suite pour justifier sa participation à cette réunion. Un engagement pour la libération de Nelson Mandela, la détestation des centres de rétention, etc. »

Des positions qui lui vaudraient sans nul doute, plus de trente ans après, des sifflets et une bordée d’injures dans un meeting du Rassemblement national ou un rassemblement pro-Zemmour. « C’est difficile à croire après ce qui s’est passé, mais à cette époque pas si lointaine, Collard menait une bataille sans répit contre le FN, il défendait les étrangers et dénonçait le vocabulaire microbien de Jean-Marie Le Pen », ironise avec une pointe de regret dans la voix un ancien militant communiste marseillais. « Collard était alors un membre important du MRAP à Marseille. On se battait pour les mêmes causes », rappelle Alexis Corbière, cheville ouvrière de La France insoumise et second de Jean-Luc Mélenchon.

Tract de campagne de Pierre Boussel pour la présidentielle de 1988 / Archives départementales des Bouches-du-Rhône

Tract de campagne de Pierre Boussel pour la présidentielle de 1988 / Archives départementales des Bouches-du-Rhône

Tract de campagne de Pierre Boussel pour la présidentielle de 1988 / Archives départementales des Bouches-du-Rhône

Affiche de mai 68 reprise par le Comité national pour la défense des travailleurs immigrés, la vitrine antiraciste du MPPT / La Provence

Affiche de mai 68 reprise par le Comité national pour la défense des travailleurs immigrés, la vitrine antiraciste du MPPT / La Provence

Affiche de mai 68 reprise par le Comité national pour la défense des travailleurs immigrés, la vitrine antiraciste du MPPT / La Provence

 Délégation du MPPT reçue fin 1988 à Matignon, avec Gilbert Collard, Jean-Jacques Marie, Denis Langlois, Yves Dechézelles, etc. / Archives La Provence

Délégation du MPPT reçue fin 1988 à Matignon, avec Gilbert Collard, Jean-Jacques Marie, Denis Langlois, Yves Dechézelles, etc. / Archives La Provence

Délégation du MPPT reçue fin 1988 à Matignon, avec Gilbert Collard, Jean-Jacques Marie, Denis Langlois, Yves Dechézelles, etc. / Archives La Provence

Institut National de l'Audiovisuel - Durée : 15:15

Institut National de l'Audiovisuel - Durée : 15:15

Institut National de l'Audiovisuel - Durée : 15:15

Institut National de l'Audiovisuel - Durée : 15:15

En 1987, Gilbert Collard représente la famille de Lahouari Ben Mohamed, un garçon de 17 ans lors d'un contrôle policier / Photo André Touboul

En 1987, Gilbert Collard représente la famille de Lahouari Ben Mohamed, un garçon de 17 ans lors d'un contrôle policier / Photo André Touboul

En 1987, Gilbert Collard représente la famille de Lahouari Ben Mohamed, un garçon de 17 ans lors d'un contrôle policier / Photo André Touboul

Deux des trois adolescentes exclues après avoir refusé d'ôter leur foulard, en octobre 1989 à Creil / AFP

Deux des trois adolescentes exclues après avoir refusé d'ôter leur foulard, en octobre 1989 à Creil / AFP

Deux des trois adolescentes exclues après avoir refusé d'ôter leur foulard, en octobre 1989 à Creil / AFP

Mouloud Aounit, le secrétaire général du Mouvement pour le rassemblement entre les peuples / Photo Florian Launette

Mouloud Aounit, le secrétaire général du Mouvement pour le rassemblement entre les peuples / Photo Florian Launette

Mouloud Aounit, le secrétaire général du Mouvement pour le rassemblement entre les peuples / Photo Florian Launette

Les années MRAP

Le Mouvement pour le rassemblement entre les peuples est un autre des engagements « droits-de-l’hommistes » de Gilbert Collard à la fin des années 1980… Actif secrétaire général du mouvement antiraciste alors présidé par Mouloud Aounit, l’avocat va même se retrouver en première ligne dans l’affaire dite du « foulard islamique ». Souvenirs… Le 18 septembre 1989, pour la première fois, le pays se déchire sur les questions de la laïcité et de la place de l’islam en France. Trois collégiennes du collège de Creil, en banlieue parisienne, ont été expulsées de leur établissement après avoir refusé de retirer leur foulard. Deux associations, SOS Racisme et le MRAP, s’insurgent : « Menace sur l’emploi, menace sur la santé, menace sur l’identité culturelle et maintenant menace intégriste. Le racisme commence toujours par chercher des boucs émissaires à des difficultés sociales qui ont des racines économiques et politiques, déplore Mouloud Aounit. Pourquoi la pratique de la religion musulmane serait-elle nécessairement intégriste, fanatique, intolérante ? »

Un mois plus tard, nouveau rebondissement à Marseille. Une jeune fille voilée, prénommée Soaun, se présente à la porte de son lycée. Charles Zorgbibe, le recteur de l’académie Aix-Marseille, ne cède pas un pouce de terrain : il soutient fermement les enseignants, qui font bloc avec le proviseur pour que Soaun retire son foulard en cours. « L’intégration ne se fera que dans la laïcité, déclare le recteur. On ne peut pas lâcher sur ses principes. Il faut que tous les jeunes Marseillais apprennent à vivre dans la République. » Le MRAP décide de l’attaquer en justice. La plainte est portée par… Gilbert Collard.

« Je ne me souviens plus de ça, c’est en quelle année ? », s’étonne-t-il deux décennies plus tard à l’évocation de ce souvenir. Mémoire rafraîchie, il se lance dans une explication embarrassée : « La situation en 89, et c’est ça que je voudrais que les gens comprennent, n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui… En 1989, avoir la position que j’avais me paraissait conforme aux flux migratoires de l’époque. Maintenant, il y a un communautarisme qui n’existait pas alors, sauf erreur de ma part, qui est tellement prégnant que je ne le supporte plus. » Et de concéder : « Oui, j’aurais dû m’y opposer (...). Mais je pensais que c’était une logique individuelle. Or, malheureusement, je constate aujourd’hui que ça a pris une tournure collective et revendicatrice. J’ai commis une erreur parce que je n’ai pas compris que les individualités allaient s’additionner. »

Un an après l’affaire du foulard, le torchon brûle entre Collard et le MRAP, qu’il quitte brutalement, évitant en fait une exclusion. On lui reproche d’avoir accepté d’assurer la défense de Bernard Notin, conseiller scientifique du Front national et auteur d’un pamphlet jugé révisionniste dans la revue « Économies et Sociétés ». « Notin était accusé par l’université de Lyon d’avoir écrit ce texte, se rappelle cette fois Gilbert Collard. Je l’ai lu et je ne l’ai pas trouvé révisionniste. Je suis un partisan de la liberté d’expression. En plus, j’avais acquis la conviction que ce type-là était victime d’une campagne montée par Michel Noir, le maire de Lyon. Et croyez-moi, je prends les négationnistes pour des malades mentaux, des fous furieux. J’ai viré Faurisson, qui est un jour venu me voir, à coups de pied au cul… »

La lecture du texte de Notin laisse songeur. Comment l’avocat a-t-il pu ne pas y voir une once de révisionnisme ? Extraits : « Le réel passe alors en jugement devant l’irréel. Le thème, historique, des chambres à gaz homicides, est très révélateur de ce procès. Les preuves proposées pour en démontrer l’existence évoluent au gré des circonstances et des époques mais s’extraient d’une boîte à malice comprenant trois tiroirs. Tout en bas : la visite des locaux (peu crédible). Au milieu, l’affirmation des vainqueurs (elles ont existé). En haut : les on-dit (histoire de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui…). Au total, on en postule l’existence, et qu’importe la réalité de cette réalité. On reconnaîtra là le fondement de toute tyrannie. »

Collard et « Nanard », les meilleurs ennemis (épisode 1)

Si l’avocat marseillais a décidé à la fin des années 1980 de croiser le fer avec Bernard Tapie, il le doit incontestablement à sa proximité avec le pamphlétaire le plus flamboyant des années Mitterrand, Jean-Edern Hallier. Difficile de savoir quand les deux hommes se sont rencontrés, les vapeurs d’alcool qui entouraient l’auteur de « La Cause des peuples » embrumant quelque peu les souvenirs. Reste que Gilbert Collard dit avoir été très marqué par le récit de Jean-Edern Hallier d’une agression le soir du 27 janvier 1989, dans une chambre d’un hôtel de luxe avec vue sur la rade de Marseille. La scène se serait passée deux jours avant une législative partielle à laquelle participait Bernard Tapie. Avec un de ses amis, Sidney Bokobza (1) , Hallier était venu à Marseille pour pimenter la campagne et mettre des bâtons dans les roues du président de l’OM dont il avait fait sa tête de Turc. Après une conférence de presse qui avait tourné au happening, Bernard Tapie et plusieurs hommes armés se seraient introduits dans leur chambre pour les menacer !

Choqué par l’épisode, déçu par l’omerta des rédactions qui se contentent des dénégations de l'homme d'affaires, Collard regarde alors Tapie d’un œil nouveau. Désormais nanti de l’immunité parlementaire, introduit dans les plus hautes sphères de l’État, celui qu'il considérait comme un simple bateleur bruyant est devenu un danger. Aujourd’hui député, demain ministre, maire de Marseille, chef de l’État, tous les scénarios sont possibles… Collard rejoint alors la cohorte d’avocats qui entoure Jean-Edern Hallier. Par esprit potache autant que pour le plaisir des paillettes, ils le défendent souvent gratuitement lors des multiples procès (perdus) que lui valent les débordements de « L’Idiot international », un journal qu'il a relancé grâce à l’argent de Bokobza pour mener croisade contre BT (2).

Au fil des mois, un petit groupe d’antitapistes marseillais se constitue autour de l’avocat, avec notamment Antoine Gaudino, un policier suspendu pour avoir publié en 1990 un livre sur l’affaire Urba : il y décrivait par le menu les embûches fomentées par le pouvoir socialiste pour entraver son enquête sur des fausses factures qui ont permis de financer la campagne de François Mitterrand lors de la présidentielle de 1988. Face à la machine Tapie, les efforts de Jean-Edern Hallier et de ses amis semblent dérisoires. Qu’importe, chacun fait de son mieux, même s’il faut aller à la bagarre avec le fusil de « Pierre et le loup »… Fin 1991, Gilbert Collard offre sa première contribution à « L’Idiot international. » Sujet imposé : Bernard Tapie. Il y en aura beaucoup d’autres, particulièrement en mars 1992, à la veille des élections régionales qui opposent la liste Énergie Sud de l’homme d’affaires à celles de Jean-Claude Gaudin et de Jean-Marie Le Pen. Nouveau numéro spécial, cette fois titré « Adieu Tapie, tchao pantin ! » Histoire d’attirer les médias, Hallier, Collard et Gaudino distribuent « L’Idiot » sur le Vieux-Port. Entraînant une nuée de photographes, ils prennent la pose devant le voilier Phocéa qui est amarré au quai d’honneur de la mairie et le policier, qui a monté une liste de bric et de broc, appelle les allergiques à « l’affairisme » à porter leurs suffrages sur son nom. Le trio n’y était sans doute pas pour beaucoup, mais cette fois, Bernard Tapie rate son coup dans les urnes : 43 élus pour la liste UDF-RPR, 34 pour celle du Front national, 30 pour le cocktail socialo-radico-société civile tendance show-biz d’Énergie Sud, 10 pour le PC, plus quelques sièges pour les Verts et Génération Écologie. Les communistes refusant de voter pour lui, le businessman ne parvient pas à déboulonner Jean-Claude Gaudin, malgré des manœuvres de dernière minute à destination des Varois de l’UDF et du Front national.

Pour Bernard Tapie, la déception des régionales est de courte durée. Le 2 avril 1992, il participe au premier Conseil des ministres du gouvernement Bérégovoy. Avec la bénédiction de François Mitterrand, il a hérité du portefeuille de la Ville. Une nomination mal acceptée par Gilbert Collard, ce qui ne lui coupe pas la chique pour autant même si le businessman doit quitter le gouvernement au bout de cinquante-deux jours en raison de sa mise en cause pour « complicité et recel d’abus de biens sociaux » dans l’affaire Toshiba : « C’est devenu inquiétant pour la santé du pays ; j’ai détesté son intrusion en politique, en tant qu’emblème de la marchandisation. Je me suis dit : ça y est, nous sommes entrés dans la politique des apparences. Mon républicanisme était indigné. »

Quelques mois plus tard, Gilbert Collard reçoit une proposition qui ne manque pas de le flatter : se présenter dans la circonscription de sa bête noire, aux législatives de mars 1993. Dans un premier temps, il est prévu qu’il soit le suppléant de Jean Kéhayan. Journaliste et écrivain, volubile, joyeux et passionné de débats, cet intellectuel à l’aube de la cinquantaine est une voix qui compte à Marseille. En 1978, il a publié au Seuil « Rue du prolétaire rouge », un livre très critique sur la vie quotidienne en Union soviétique où il a séjourné deux ans avec sa famille. En 1980, il a été exclu du PCF. « Ceux qui ont lu ''La Ferme des animaux'' de George Orwell savent qu’il ne peut pas y avoir deux cochons à la tête de la même ferme…, se souvient Kéhayan. Il a donc été décidé que je serais le suppléant et lui le candidat. » Problème pour les comploteurs, leur cible va leur faire faux bond. Alerté par plusieurs sondages, Tapie a compris qu’il ne sera pas réélu dans la circonscription qu'il a emportée en 1989. Il décide donc de se présenter 20 kilomètres plus loin, dans le secteur de Gardanne, qui se trouve entre Marseille et Aix, un des plus à gauche du département. Avant de changer d’air, son équipe a financé pas moins de sept sondages qui tous lui promettaient la victoire à condition d’une triangulaire avec la droite et le Front national. « Nous avons envisagé de le suivre mais Gilbert a passé la main, s’amuse Kéhayan. Il a mis en avant qu’à Gardanne où il n’avait aucune attache, son score serait ridicule, ce qui nuirait à notre entreprise. J’ai donc récupéré au dernier moment mon vieux complice Christian Poitevin qui habitait dans la campagne aixoise : il était l’adjoint à la Culture du maire de Marseille Robert Vigouroux, qui se méfiait beaucoup de Tapie. »

La campagne sera aussi trouble que folklorique sur ces terres industrielles, agressions en série, pressions du Milieu, tractations secrètes entre Bernard Tapie et Jean-Marie Le Pen pour que le candidat FN ne se retire pas au second tour, tous les mauvais coups sont de la partie... Deux ou trois fois, Gilbert Collard se déplace pour encourager ses complices et « filer un coup de main », puis se fait porter pâle... et réapparaît avec beaucoup plus de constance auprès d'Hervé Fabre-Aubrespy, le candidat de la droite. « Je ne le connaissais pas, avoue celui qui a par la suite été le “Monsieur Élections” de François Fillon à Matignon. Il a dû venir avec Gaudino, qui me soutenait. Il avait un passé plutôt de gauche mais comme j’avais un discours très anticorruption, ça a dû l’intéresser. Il était là aussi parce qu’il y avait des médias, on peut dire que c’est plus un homme d’écrans que de convictions. » Et voilà l’avocat marseillais bombardé président du comité de soutien de Fabre-Aubrespy, qui prend la parole lors des meetings. Très en verve, il met Tapie et Le Pen dans le même sac : « Que serait Tapie sans Le Pen ? Un Tapie qui se déroulerait dans le vide ! »

Le dimanche du second tour, Bernard Tapie l’emporte néanmoins avec 2 271 voix d’avance sur son concurrent de droite, d'autant que le FN Damien Bariller « fixe » plus de 9 000 bulletins. Pour Gilbert Collard, le coup est rude. Associé à une équipe disposant de moyens autrement plus sérieux que l’agit-prop de Jean-Edern Hallier, il a échoué à faire chuter sa bête noire. Seule consolation, la victoire de la droite sur le plan national a installé Édouard Balladur à Matignon, ce qui a obligé Tapie à abandonner le ministère de la Ville qu'il a réintégré en décembre 1992. Maigre satisfaction pour l’avocat, qui se jure de ne pas baisser la garde. Il s’est donné une mission, il fera tout pour la remplir. Il y parviendra deux ans plus tard en prenant pied dans le dossier qui fera vraiment chuter Bernard Tapie : l’affaire VA-OM. Défenseur de Jean-Pierre Bernès, le directeur général du club de football marseillais, il sera pour beaucoup dans les aveux complets de son client, qui contribueront à envoyer le « boss » derrière les barreaux.

1. En 1975, Sidney Bokobza s’était associé avec Bernard Tapie dans le projet Cœur assistance, un dispositif d’intervention d’urgence en cas de crise cardiaque. L’affaire s’était terminée devant la justice et l’argent de Bokobza était parti en fumée : en 1981, Bernard Tapie sera condamné à douze mois de prison avec sursis, peine amnistiée en raison de l’élection de François Mitterrand à l’Élysée.

2. Hallier avait animé « L'Idiot international » de 1969 à 1972, puis tenté de le remettre sur les rails en 1984. Le 1er mars 1989, vendu 10 francs, un « numéro spécial » débarque dans les kiosques. Comme un coup de fouet : la première page est barrée d’un énorme « Tapie, c’est fini ».

Mars 1992, Antoine Gaudino, Jean-Edern Hallier et Gilbert Collard devant le voilier de Bernard Tapie / Photo Marcel Garnier

Mars 1992, Antoine Gaudino, Jean-Edern Hallier et Gilbert Collard devant le voilier de Bernard Tapie / Photo Marcel Garnier

Mars 1992, Antoine Gaudino, Jean-Edern Hallier et Gilbert Collard devant le voilier de Bernard Tapie / Photo Marcel Garnier

Bernard Tapie lors de l'un de ses deux passages dans le gouvernement Bérégovoy / Photo Serge Assier

Bernard Tapie lors de l'un de ses deux passages dans le gouvernement Bérégovoy / Photo Serge Assier

Bernard Tapie lors de l'un de ses deux passages dans le gouvernement Bérégovoy / Photo Serge Assier

Collard, Poitevin et Kéhayan, un trio en campagne à Gardanne / Photo Jean Pagano

Collard, Poitevin et Kéhayan, un trio en campagne à Gardanne / Photo Jean Pagano

Collard, Poitevin et Kéhayan, un trio en campagne à Gardanne / Photo Jean Pagano

Jean-Pierre Bernès et Gilbert Collard, deux protagonistes décisifs du procès de l'affaire VA-OM / Photo Pierre Boyer

Jean-Pierre Bernès et Gilbert Collard, deux protagonistes décisifs du procès de l'affaire VA-OM / Photo Pierre Boyer

Jean-Pierre Bernès et Gilbert Collard, deux protagonistes décisifs du procès de l'affaire VA-OM / Photo Pierre Boyer

Face à la caméra de « Debout les mots », le blog vidéo de Gilbert Collard interviewé par Nicolas Meizonnet / YOU TUBE

Face à la caméra de « Debout les mots », le blog vidéo de Gilbert Collard interviewé par Nicolas Meizonnet / YOU TUBE

Face à la caméra de « Debout les mots », le blog vidéo de Gilbert Collard interviewé par Nicolas Meizonnet / YOU TUBE

Bernard Tapie avec Ruth Elkrief sur le plateau de BFMTV / BFMTV

Bernard Tapie avec

Bernard Tapie avec

En 2019 pour une interview à « L'Heure des pros » / CNews

En 2019 pour une interview à « L'Heure des pros » / CNews

En 2019 pour une interview à « L'Heure des pros » / CNews

Collard et « Nanard », les meilleurs ennemis (épisode 2)

Qui s’oppose se ressemble parfois… « Tapie, je l’affronte, mais on s’aime et on se déteste… Il ne dit pas que des choses fausses. Il lui arrive quelquefois, avec un franc-parler que je respecte, de dire des trucs qui sont vrais. Je ne vois pas pourquoi j’irais me battre contre Tapie au motif que c’est Tapie. Alors qu’il y a ici bien pire parfois sans avoir la notoriété d’un Tapie… » En cette veille de Noël 2012, Gilbert Collard aurait-il été touché par une magnanimité toute chrétienne ? Toujours est-il que c’est avec affection et gourmandise qu’il parle de son vieil ennemi. Face à la caméra de « Debout les mots », l’entretien vidéo hebdomadaire mis en ligne sur son blog, le néodéputé d'extrême droite du Gard répond aux questions de son attaché parlementaire, Nicolas Meizonnet. Tout sourires, il commente donc avec bienveillance le rachat par Bernard Tapie de « La Provence », le quotidien de Marseille, annoncé quelques jours plus tôt : « C’est son droit. Tant mieux pour lui s’il le peut ! » Dans la foulée, il affirme qu’il n’est pas question pour lui de monter au combat dans la cité phocéenne, si jamais l’ancien ministre se piquait de se présenter aux municipales 2014. Mi-goguenard, mi-bienveillant, le ton tranche avec les piques assassines qui ont longtemps caractérisé leurs échanges à distance. On croit rêver quand on se souvient de la violence de l’affrontement lors de l’affaire VA-OM…

Quelques jours plus tard, interviewé par Ruth Elkrief sur BFM-TV, Bernard Tapie est tout aussi aimable. Assurant que le Front national aura sa place comme les autres partis dans les journaux qu’il vient de racheter, il se dit néanmoins prêt à débattre sur un plateau TV avec ses élus pour « combattre » leurs idées. Avec Marine Le Pen bien sûr, mais aussi avec « mon grand ami l’avocat que je connais bien et que j’aime beaucoup ». S’il est manifeste que le nouveau patron de presse a oublié le nom de Gilbert Collard, au point que la journaliste est obligée de le lui souffler, ce compliment à rallonge montre bien qu’on est finalement entre gens de bonne compagnie. Que les tacles du passé relevaient parfois de la posture, que les fâcheries n’étaient peut-être que de façade. Ou tout du moins qu’à force de se disputer, les deux hommes ont fini par se reconnaître au point de composer par intermittence un numéro de duettistes. Il faut dire que l’un et l’autre ont toujours eu pour stratégie de se nourrir de leurs adversaires. Hommes de polémiques pétaradantes, ils se grandissent dans la bagarre bien plus que dans la confrontation d’idées. En clair, à un moment ou à un autre, Collard a eu besoin de Tapie et Tapie a eu besoin de Collard. Avec le temps, cette conjonction d’intérêts a donné naissance à une sorte de connivence. Il est d’ailleurs significatif que tous deux se soient positionnés dans les années 1980 comme des croisés anti-Front national. S’attaquer à Le Pen, c’était selon l’analyse de ce dernier occuper « un créneau », obtenir « un passeport pour entrer en politique »…

Jusque dans les années 2010, Gilbert Collard et Bernard Tapie feront toujours mine de s’exécrer. Par exemple, quand le scandale Dominique Strauss-Kahn éclate, l’avocat s’empresse de fustiger la réaction franchement abrupte de l’homme d’affaires qui a été sollicité par les médias. Un an plus tard, quand Collard entre à l’Assemblée avec Marion Maréchal-Le Pen et Jacques Bompard, Tapie sort de l’armoire à souvenirs son couplet contre l’extrême droite : « On va bien rigoler, ils vont montrer combien ils sont nuls ; surtout l’autre de Marseille… » Pour autant, les coups n'ont jamais été portés pour tuer. Égocentriques en diable, l’un comme l’autre ont aimé s’écouter parler. Bizarrement, leurs propos ont même fini par se ressembler, chacun venant d’horizons opposés : Tapie a policé ses interventions publiques quand Collard a pimenté les siennes de solides gros mots. Prêts à tout sacrifier aux trompettes de la renommée, ils porteront le « tapage médiatique » tendance monologue à un sommet rarement égalé. Assurément, les meilleurs ennemis du monde : ils avaient bien compris qu’à deux, ils faisaient encore plus de bruit ! Signe qui ne trompe pas, quand Bernard Tapie meurt d'un cancer le 3 octobre 2021, Gilbert Collard prend à partie « Libération ». Au quotidien qui affiche en une « Toutes affaires cessantes », l'avocat rétorque sur Twitter : « Toute l'époque d'aujourd'hui est enfermée dans ce titre de merde qui ne respecte même pas le temps pacifique du deuil ! »

La mémoire bafouée d’Ibrahim Ali

Le 21 février 1995, la haine raciste assassine dans les rues de Marseille. Sortant de la répétition de son groupe de rap, Ibrahim Ali, 17 ans, court pour attraper son bus. Il a le malheur de croiser sur sa route trois militants du Front national. Dans une voiture, Robert Lagier fait le guet pendant que Mario d’Ambrosio et Pierre Giglio se chargent de coller des affiches du mouvement frontiste. À la vue du jeune Noir, ils affirment avoir « pris peur » et d’Ambrosio, qui est armé, lui tire dans le dos. Ibrahim n’y survivra pas. À Marseille, l’émotion est immense. « Nous avions besoin d’un avocat, raconte Soly, l’un des rappeurs qui accompagnaient Ibrahim Ali. Gilbert Collard nous est arrivé via un Vietnamien qui habitait dans le quartier, M. Taillandier. Il nous avait raconté qu’il s’était beaucoup démené pour l’accueil des boat-people. »

À l’époque, les amis d’Ibrahim Ali ne mettent pas en doute la sincérité de leur avocat, contrairement à celle de divers élus marseillais, qui tentent de profiter du drame pour se mettre en avant. « Un conseiller municipal centriste, qui a rejoint ensuite les listes de Jean-Claude Gaudin à la mairie, nous a fait croire qu’il allait nous aider pour enregistrer un disque, se souvient Soly. Il nous a mis en contact avec la femme de Franck Fernandel. C’est vite devenu déplacé, pour ne pas dire ridicule… »

Trois ans après, au cours du procès des meurtriers du jeune garçon, Collard ne se contente pas de la condamnation des trois colleurs d’affiches. Il pointe la responsabilité « des leaders du FN dans le délire raciste et criminel de ses militants ». Sa charge impressionne la cour : « Sa détermination était sans faille », se souvient encore l’avocat général Étienne Ceccaldi. « Une plaidoirie brillante, pour expliquer aux jurés qu’il fallait condamner l’idéologie et le parti qui avaient guidé le bras des meurtriers », ajoute le journaliste Thierry Cayol.

Ce qui laisse aujourd’hui un goût amer à Nassurdine Haïdari, élu PS d’origine comorienne comme Ibrahim Ali : « Le comble, c’est que celui qui défendait sa mémoire au tribunal et était sans pitié pour le Front national, celui-là est devenu un député d’extrême droite, un proche de la famille Le Pen. Cela ajoute du drame au drame. » « Je me suis couché en me disant que mon ami avait été victime, comme tant d’autres, du racisme et de la haine ordinaires, ajoute Soly. Je me suis réveillé en pleurant devant ce que j’avais devant moi : les fascistes séduisent de plus en plus l’opinion, ils ont même des députés dont l’un est l’avocat qui nous représentait… »

Une déception qu’ils ne sont pas les seuls à ressentir : elle est partagée par la famille de Gaël Pelletier. En 1992, à Bagnols-sur-Cèze, alors qu’il n’avait que 19 ans, ce militant antifasciste avait été pris dans une bagarre à proximité d’un meeting du Front national. Bilan, une balle de 22 long rifle tirée à bout portant dans le thorax… À l’époque, ses parents avaient eux aussi fait appel à Gilbert Collard.

Ibrahim Ali dit Chibaco, rappeur du groupe B.Vice / La Provence

Ibrahim Ali dit Chibaco, rappeur du groupe B.Vice / La Provence

Ibrahim Ali dit Chibaco, rappeur du groupe B.Vice / La Provence

Recueillement sur les lieux de la mort d'Ibrahim Ali, tué par quatre colleurs d'affiches du FN / Photo Serge Assier

Recueillement sur les lieux de la mort d'Ibrahim Ali, tué par quatre colleurs d'affiches du FN / Photo Serge Assier

Recueillement sur les lieux de la mort d'Ibrahim Ali, tué par quatre colleurs d'affiches du FN / Photo Serge Assier

Juin 1988, Gilbert Collard représente les proches d'Ibrahim Ali devant les assises des Bouches-du-Rhône / Ina

Juin 1988, Gilbert Collard représente les proches d'Ibrahim Ali devant les assises des Bouches-du-Rhône / Ina

Juin 1988, Gilbert Collard représente les proches d'Ibrahim Ali devant les assises des Bouches-du-Rhône / Ina

Le 21 février 2021, la municipalité du Printemps marseillais a rebaptisé l'avenue des Aygalades avenue Ibrahim-Ali / Photo Georges Robert

Le 21 février 2021, la municipalité du Printemps marseillais a rebaptisé l'avenue des Aygalades avenue Ibrahim-Ali / Photo Georges Robert

Le 21 janvier 2001, débat télévisé sur France 3 à propos des élections municipales de Vichy (de g. a d., Gilbert Collard, Daniel Rondepierre et Claude Malhuret) / BEP - La Montagne

Le 21 janvier 2001, débat télévisé sur France 3 à propos des élections municipales de Vichy (de g. a d., Gilbert Collard, Daniel Rondepierre et Claude Malhuret) / BEP - La Montagne

Le 21 janvier 2001, débat télévisé sur France 3 à propos des élections municipales de Vichy (de g. a d., Gilbert Collard, Daniel Rondepierre et Claude Malhuret) / BEP - La Montagne

Gadget de la campagne de Gilbert Collard, un CD avec une chanson de Gérard Berliner est offert aux électeurs / Bide & Musique

Gadget de la campagne de Gilbert Collard, un CD avec une chanson de Gérard Berliner est offert aux électeurs / Bide & Musique

Gadget de la campagne de Gilbert Collard, un CD avec une chanson de Gérard Berliner est offert aux électeurs / Bide & Musique

La liste Collard pour les municipales de 2008 / Photo Aurélie Paterek - La Montagne - MaxPPP

La liste Collard pour les municipales de 2008 / Photo Aurélie Paterek - La Montagne - MaxPPP

La liste Collard pour les municipales de 2008 / Photo Aurélie Paterek - La Montagne - MaxPPP

Vichy, mon amour…

La logique aurait voulu que ce soit à Marseille que Gilbert Collard connaisse sa première expérience de candidat. Surprise, à peine tournée la page du procès Ibrahim Ali, on apprend qu’il va se présenter en 2001 aux municipales à… Vichy ! Sous quelle étiquette ? Démocratie libérale ! On est bien loin du Parti socialiste et des « lambertistes » du MPPT… Le hic, c’est que le maire sortant, Claude Malhuret, est lui-même Démocratie libérale et n’entend pas se laisser voler l’étiquette. Pas de souci, Gilbert Collard réapparaît quelques jours plus tard avec la casaque du Parti radical valoisien : « Il fallait bien que je me loge », s’amuse-t-il. À ceux qui s’étonnent de le voir surgir en Auvergne, il invoque des raisons familiales : « Cette ville est magnifique, j’y ai passé beaucoup de temps dans mon enfance. Mon épouse possède une maison juste à côté. Et ça me fait mal au coeur de voir Vichy décliner, avec son thermalisme et son patrimoine si mal mis en valeur. Cela n’a rien à voir avec la politique politicienne. » Parti à la chasse au Malhuret, tout aussi critique envers le député radical de gauche Gérard Charasse, qu’il traite de « vrai baudet à mandats », l’avocat ne change pas de style : « Je viens secouer le cocotier des cocottes politiques. Pour faire sortir enfin les tricheurs. »

Durant plus d’un an, il va mener campagne. D’abord en alimentant la chronique mondaine, en invitant à Vichy quelques vedettes comme Christine Deviers-Joncour, Massimo Gargia ou soeur Emmanuelle, à qui il consacrera plus tard un livre. Ensuite en adoptant un discours très sécuritaire. Ayant désormais une adresse professionnelle dans la ville, il suit de près l’actualité judiciaire. Qui lui inspire les meilleures pages de son journal de campagne : « L’insécurité gagne Vichy. Pour s’en convaincre, il suffit d’aller demander aux deux bijoutiers braqués, aux femmes violées, à la famille des deux personnes assassinées, aux vieilles dames aux sacs arrachés ce qu’ils en pensent. »

L’ex-compagnon des trotskistes noue des contacts fructueux avec l’extrême droite locale : un ancien du FN apparaît sur sa liste, le MNR de Bruno Mégret lui fournit des documents pour discréditer un élu venu du RPR qui est un allié de Malhuret… Questionné par « Libération », Gilbert Collard n’est pas encore prêt à assumer cette nouvelle orientation : « Je peux vous assurer que je ne négocierai pas avec le MNR et sa tête de liste pour le second tour », se défend-il. En revanche, il ne cache pas son flirt avec la droite souverainiste, aux idées très éloignées de celles du Parti radical valoisien : il revendique le soutien de Charles Pasqua, même s’il démentira par la suite avoir reçu l’investiture du parti du vieux dinosaure gaulliste (1).

Négociations ou pas, le Marseillais rate son atterrissage politique à Vichy. Arrivé en troisième position avec 23 %, il doit se contenter de trois élus (2). « Pas si mal, pour quelqu’un qui n’avait le soutien d’aucun parti politique et subissait l’hostilité du journal local », rétorque-t-il. Sans doute pour ne pas perturber ses affaires qui le conduisent à travers la France, Gilbert Collard décide de démissionner du conseil municipal. Il est imité par ses colistiers, qui ne siégeront qu’une fois. Ce qu’il regrette avec le recul : « C’est l’erreur que j’ai commise, oui. Bon, en même temps, quand on est minoritaire… On était trois, sans aucun pouvoir. Je ne vois pas l’intérêt de jouer les potiches. J’ai estimé qu’on n’avait pas les moyens, à trois, de faire vivre notre démocratie. » Trois, soit le même nombre que les députés d’extrême droite élus en 2012 : Marion Maréchal-Le Pen, Jacques Bompard et Gilbert Collard. Qui, à aucun moment, n’ont envisagé de quitter cette année-là l’Assemblée nationale faute de poids suffisant.

1. Pour la présidentielle de 2002, Gilbert Collard envisagera de présider le comité de soutien marseillais à la candidature de Charles Pasqua. Une opération qui ne se concrétisera pas, l’ancien ministre de l’Intérieur n’ayant pas obtenu les 500 signatures. L’avocat marseillais tentera alors d’aller chez Jean-Pierre Chevènement, où il aurait été retoqué par Max Gallo.

2. Gilbert Collard se représentera en 2008. Sur sa liste figure notamment un futur candidat FN aux cantonales et aux régionales. Avec un score nettement inférieur à celui de 2001, il se retire et appelle à voter contre Claude Malhuret au second tour.

« Comment il est tombé au Front »

Le rapprochement de Gilbert Collard et du Front national a commencé autour d’une table, dans une brasserie de Rueil-Malmaison. C’était en 2009. Ce soir-là, il est invité par Louis Aliot, autre robe noire et surtout alors compagnon de Marine Le Pen. Le Marseillais fantasque et l’élu chaleureux de Perpignan sympathisent vite, se trouvent des points communs, confrontent leurs visions de la politique, se découvrent des agacements partagés. Ils ne sont pas encore sur le même terrain, mais Gilbert Collard ne ferme pas la porte. Certes, dans la conversation, il critique l’image poussiéreuse du FN, encore présidé par Jean-Marie Le Pen et naufragé électoral depuis la victoire de Nicolas Sarkozy. « En fait, il a mis une sorte de préalable, que le Front national change, se souvient Louis Aliot. Auquel cas, il se disait prêt à discuter. J’ai commencé à lui expliquer que bien des choses avaient évolué depuis la création de la formation en 1972, qu’il ne devait pas se fier aux fausses impressions colportées par des médias hostiles et réducteurs. Un argument qui a fait mouche, il a souvent été confronté aux raccourcis de la presse… »

L’idée de cette rencontre ne vient ni de Collard ni d’Aliot, mais d’un policier âgé d’une trentaine d’années, Michel Thooris, qui a créé très jeune le syndicat Action Police, affilié à la CFTC, et milité au Mouvement pour la France de Philippe de Villiers. En 2007, le voilà candidat aux législatives à Paris sous les couleurs d’un étrange Parti anarchiste révolutionnaire… qui affiche le drapeau tricolore sur son logo. Il se fait surtout remarquer comme un fervent soutien de l’extrême droite israélienne, particulièrement des radicaux de la Ligue de défense juive (1). En 2008, Michel Thooris dissout Action Police et prend la tête d’un autre syndicat tout aussi groupusculaire, France Police. Arrivé au Front national, il récupère le titre de « conseiller sécurité » de Marine Le Pen. Thooris connaît depuis plusieurs années Gilbert Collard, qui assurait la défense d’Action Police. Il propose donc à Aliot d’organiser ce premier repas, présentant l’avocat comme « un patriote » à la recherche d’une nouvelle cause.

Dans la famille Le Pen, le nom de l’avocat est, on s’en doute, loin d’être inconnu. Avoir défendu dans les années 1980 la femme du patriarche lors de son divorce a marqué les esprits. Ce que peu de gens savent, c’est que Marine Le Pen et Gilbert Collard sont proches depuis cette époque : la benjamine de la famille passait par lui pour communiquer avec sa mère au plus fort de la tempête. Par la suite, ils ne se sont jamais perdus de vue : « J’étais un peu son grand frère, je l’ai aidée pour des dissertations, je l’ai conseillée pendant ses études de droit et quand elle est devenue avocate », sourit le Marseillais. Ce que Marine Le Pen confirme sans trop s’étendre, parlant d’« une tendresse liée à des affaires privées ».

Les mois passent, Aliot et Collard se revoient à plusieurs reprises. Nouveaux repas, nouvelles approches. Le temps du ralliement politique n’est pas encore venu, en revanche celui des affaires commence. L’avocat marseillais apparaît dans la cellule juridique du Front national, qu’anime l’avocat Wallerand de Saint-Just. D’abord pour des « consultations » discrètes, puis pour des dossiers. En septembre 2010, violemment prise à partie quelques mois plus tôt par le rappeur Cortex qui menaçait de « l’égorger » dans une vidéo, Marine Le Pen fait appel pour la première fois à Gilbert Collard pour la défendre. Un choix judicieux, l’« avocathodique » s’y entend toujours pour faire monter la sauce médiatique (2). Il faut dire que dès 2010, et plus encore après son élection à la présidence du FN début 2011 face à Bruno Gollnisch, l’héritière de Jean-Marie réactive une vieille stratégie paternelle : multiplier les procédures pour diffamation, ce qui permet d’augmenter sa présence dans la presse tout en incitant les commentateurs et ses adversaires à plus de modération. « On ne se laissera plus marcher sur les pieds », promet Wallerand de Saint-Just, qui souligne l’importance du renfort Collard : « Il plaidera les procès les plus médiatiques. »

En interne, cette montée en puissance n’est pas sans poser de questions. Certes, l’histoire de la boutique lepéniste est riche en convertis, c’est même une obsession : de tout temps, que ce soit au « Paquebot » puis au « Carré », on a mis en avant chaque nouveau venu en promettant qu’il en appellerait d’autres… Exemple en 1986 avec plusieurs notables que le Front enverra à l’Assemblée nationale, comme Bruno Chauvierre dans le Nord ou Pascal Arrighi dans les Bouches-du-Rhône. Plus tard, l’ancien militant communiste Alain Soral fut la recrue phare de la présidentielle de 2007. Reste que Collard a poussé Pierrette, l’ex-femme de Jean-Marie Le Pen, à poser nue dans Playboy… Une véritable atteinte à la virilité du chef. Près de trente ans après, l’affront est toujours vivace. Le Pen va-t-il opposer son veto ? À la surprise générale, pas de rugissements quand on lui annonce la nouvelle. D’après Louis Aliot, le leader historique du FN se serait même fendu d’un bon mot : « Après tout, il est l’avocat de la famille ! » Et Aliot d’estimer qu’au Front national, on est plus dans le pragmatisme que dans le ressentiment.

« C’est oublier combien Le Pen aime voir ses opposants se prosterner devant lui, lui demander pardon, s’humilier, objecte un cadre du parti. En 2006, il a fait tourner en bourrique Bruno Mégret qui était prêt à revenir… Et il adore tenir sous sa coupe quelqu’un qui a été son adversaire, il lui fait toujours sentir à tout moment qui est le vrai patron. » Quelques mois plus tard, lors d’un passage à Marseille, le fondateur du Front ira dans le même sens, sourire en coin, buvant du petit-lait : « Collard ? Je n’ai aucune espèce de rancune envers ce monsieur. Et je préfère sa trajectoire à d’autres… Après m’avoir combattu, c’est bien lui qui a rejoint mon camp et mes idées. Et pas l’inverse. C’est bien la preuve que j’avais raison. »

En février 2011, alors que le site Nation presse info reprend désormais les billets publiés sur son blog, Gilbert Collard fait un pas de plus en devenant le défenseur de Fabien Engelmann : candidat FN aux cantonales en Moselle, ce jeune homme est privé par la Fédération des services publics CGT des fonctions syndicales qu’il occupait à la mairie de Nilvange, une commune du bassin sidérurgique. Une conférence de presse est organisée à Paris, à laquelle participe Louis Aliot. S’il arrive en retard à cause d’un TGV manqué, l’avocat se rattrape vite, accusant la CGT de « discrimination politique » : « Ce syndicat, dont chacun sait à quel point il est irréprochable, a décidé d’exclure l’un de ses membres au seul motif qu’il est adhérent au FN, plaide-t-il. Or, il me l’a affirmé lui-même, ce garçon n’est ni raciste, ni xénophobe, ni révisionniste. Sans quoi je n’aurais pas accepté de le défendre. Il s’agit donc d’une décision totalitaire, contraire aux articles 9 et 10 de la convention européenne sur la liberté d’expression. » Dans la foulée, il souligne que rien dans les statuts du syndicat n’autorise une telle mise à l’index. À côté de lui, Aliot jubile : Gilbert Collard est clairement prêt à sauter le pas.

1. Aux législatives de 2012, Michel Thooris devait être candidat FN dans la circonscription des Français de l’étranger, qui englobe Israël. Il a été rapatrié au dernier moment dans le Val-d’Oise, Marine Le Pen jugeant ses positions géopolitiques trop éloignées de « la ligne de la vision internationale du Front national ».

2. Sébastien Gozlin, alias Cortex, a été condamné à 500 euros d’amende et 1 000 euros de dommages et intérêts le 5 juillet 2011 par le tribunal correctionnel de Paris.

Louis Aliot a démarché Gilbert Collard dès 2009 / MaxPPP

Louis Aliot a démarché Gilbert Collard dès 2009 / MaxPPP

Louis Aliot a démarché Gilbert Collard dès 2009 / MaxPPP

En septembre 2010, Marine Le Pen fait appel pour la première fois à Gilbert Collard pour la défendre / AFP

En septembre 2010, Marine Le Pen fait appel pour la première fois à Gilbert Collard pour la défendre / AFP

En septembre 2010, Marine Le Pen fait appel pour la première fois à Gilbert Collard pour la défendre / AFP

Jean-Marie Le Pen : « Après tout, il est l’avocat de la famille ! » / Photo Serge Guéroult

Jean-Marie Le Pen : « Après tout, il est l’avocat de la famille ! » / Photo Serge Guéroult

Jean-Marie Le Pen : « Après tout, il est l’avocat de la famille ! » / Photo Serge Guéroult

En 2011, Gilbert Collard assure la défense de Fabien Engelmann, candidat FN aux cantonales en Moselle / AFP

En 2011, Gilbert Collard assure la défense de Fabien Engelmann, candidat FN aux cantonales en Moselle / AFP

En 2011, Gilbert Collard assure la défense de Fabien Engelmann, candidat FN aux cantonales en Moselle / AFP

Le 12 mai 2011, Gilbert Collard fait son coming out lepéniste dans « Valeurs actuelles » / Photo Florian Launette

Le 12 mai 2011, Gilbert Collard fait son coming out lepéniste dans « Valeurs actuelles » / Photo Florian Launette

Le 12 mai 2011, Gilbert Collard fait son coming out lepéniste dans « Valeurs actuelles » / Photo Florian Launette

Aux Journées d'été Marine 2012, le 10 septembre 2011 à Nice / MaxPPP

Aux Journées d'été Marine 2012, le 10 septembre 2011 à Nice / MaxPPP

Aux Journées d'été Marine 2012, le 10 septembre 2011 à Nice / MaxPPP

Le meeting du ralliement à Zemmour, le 22 janvier 2022 / Photo Roland Macri, MaxPPP

Le meeting du ralliement à Zemmour, le 22 janvier 2022 / Photo Roland Macri, MaxPPP

Le meeting du ralliement à Zemmour, le 22 janvier 2022 / Photo Roland Macri, MaxPPP

Le grand saut

Le 12 mai 2011, interview de Gilbert Collard publiée par « Valeurs actuelles ». « Je suis mariniste », titre l’hebdomadaire au-dessus de la photo du Marseillais, qui se livre à une véritable déclaration d’amour : « Je n’ai pas pris ma carte au FN, mais je suis très ami, et de longue date, avec Marine Le Pen. Mon lien est avec elle. Nous discutons souvent ensemble et nous ne sommes, d’ailleurs, pas toujours d’accord. Je ne l’ai pas attendue pour combattre l’euro, le traité de Maastricht ou la perméabilité de nos frontières, mais je suis, par exemple, fondamentalement hostile à la peine de mort. Elle s’en remet, du reste, sur cette question, à un référendum. » Particulièrement en verve, Gilbert Collard s’emploie à débarrasser le FN de ses oripeaux : « Le procès en racisme intenté à Marine Le Pen est totalement obsolète. Marine, je la connais : elle n’est ni raciste, ni antisémite, ni xénophobe ! Moi-même, passionnément attaché aux droits de l’homme, je ne me serais jamais rapproché de Marine Le Pen si elle n’avait pas levé l’hypothèque de l’antisémitisme. Je n’ai pas changé, c’est le FN qui a changé. » Ce grand ménage de printemps accompli, il affiche son soutien à la préférence nationale, en reprenant à son compte une des vieilles lunes de l’extrême droite : « Je rappelle que la préférence nationale est une idée socialiste mise en place par Roger Salengro sous le Front populaire. » Or, s’il fait référence à une loi qui fixait un quota de 10 % pour les travailleurs étrangers dans les entreprises privées, celle-ci date de 1932 et le futur ministre de Léon Blum n’en était pas le promoteur. Bien plus, il ne l’a même pas votée…

Cette interview est un vrai pavé dans la mare et provoque un tohu-bohu médiatique. Beaucoup d’incompréhension, peu de soutiens. En quelques heures, Gilbert Collard retrouve la position qu’il affectionne, celle du banni, du rebelle. Qu’importe s’il enterre définitivement quelques-uns de ses plus beaux combats. S’il déroute ceux qui restaient ses derniers soutiens, comme le chroniqueur de France 3 Paul Wermus : « Je suis stupéfait de ce revirement, je l’adore mais il se décrédibilise. » À Marseille, où l’on connaît les paradoxes du personnage, on n’est pas tendre. Ancien avocat marqué à l’extrême droite, Ronald Perdomo est loin de se réjouir d’une telle recrue pour sa famille politique : « Il est contradictoire de voir quelqu’un qui s’est autant opposé à la peine de mort s’enrôler au Front national. J’en ai vu d’autres, avant lui, qui n’ont pas osé une telle incohérence. Il faut dire qu’il n’a aucune référence en aucun domaine. Sa seule conviction, c’est sa réussite. » Responsable pour la ville des radicaux valoisiens dont se revendiquait jusqu’alors Gilbert Collard, Arlette Fructus est assassine : « Ça restera un détail de l’histoire. » Questionnée par « Marseille l’Hebdo », son ancienne belle-soeur Nicole Pollak se fait définitive : « Ce type est tellement bizarre qu’il est capable de tout. » Dans sa famille, il n’y a guère que sa soeur Jehanne pour le défendre publiquement, ce qu’elle fera quelques mois plus tard : « Mon frère n’est ni raciste ni antisémite, je peux en témoigner. C’est un type génial qui a beaucoup de talent et qui est méconnu. Tout le monde le juge sans savoir le pourquoi des choses. Son engagement récent me paraît d’abord lié à l’amitié ancienne qu’il porte à Marine Le Pen, puis à son idée, à tort ou à raison, que le pays qu’il aime a besoin d’une secousse. » Viscérale, elle s’emballe : « C’est un révolutionnaire, ni de gauche ni de droite. Ailleurs. Dans le non-conformisme. »

Au siège parisien du Front national, on jubile. Expliquant qu’ils se téléphonent plusieurs fois par jour, Louis Aliot le présente comme sa « plus belle prise de guerre ». Sa compagne, elle, le définit comme « le marinisme décomplexé ». « Si Bruno Gollnisch l’avait emporté, je ne l’aurais pas fait, la conforte Gilbert Collard. Elle a hérité d’un mouvement décrié et honni. Je trouve anormal qu’on ne lui accorde pas le droit à l’évolution. » Non sans reconnaître une « sacrée trouille » pour son cabinet : « Avant d’y aller, j’ai réuni tous mes collaborateurs et je leur ai demandé leur sentiment. Alors qu’il y a chez moi des gens de gauche, de droite, un jeune venu des cités, une assistante qui est juive, personne n’a émis d’avis contraire. On verra ce que ça donne avec les clients. Cela en choquera peut-être quelques-uns, cela peut en séduire d’autres. Mais je veux croire que dans ce pays, on ne choisit pas ou repousse un avocat pour ses idées mais pour ses qualités ou ses défauts. » De fait, rares seront les clients qui annonceront l’avoir quitté, tel l’Ordre républicain : ce petit club gaulliste anti-Quick halal se fend d’un communiqué incendiaire le qualifiant de « vitrine Marine »… qui passe totalement inaperçu. C'était il y a plus de dix ans, Gilbert Collard venait d'atterrir à l'extrême droite. Une famille politique qu'il n'a plus quittée depuis, hier chez Marine Le Pen, aujourd'hui avec Eric Zemmour. Ce qui, même s'il a changé de crémerie entretemps, constitue pour l'avocat marseillais une preuve de fidélité et de constance pour le moins inédite au vu de son parcours.